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FRANÇOISE THOM

BERIA

Publié avec le concours de la Fondation Scholarshipet de l’université


Paris-Sorbonne

Cerf politique - Démocratie ou totalitarisme

LES ÉDITIONS DU CERF


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PARIS

2013
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75013 Paris

ISBN 9782204108171
ISSN 2108-6052

Sommaire
INTRODUCTION

Première Partie. – UNE ASCENSION FULGURANTE

1. – Le Rastignac caucasien

La face visible.

Les débuts tchékistes.

De la GPU au Parti.

2. – Un parcours sans fautes

Le projet de Constitution et la fronde des méridionaux.

La mue du régime.

La nomination de Beria à la tête du NKVD.


3. – Les réseaux géorgiens de Beriaà l’étranger

L’héritage caucasien.

L’émigration géorgienne.

Une connivence secrète ?

L’affaire des faux tchervontsy.

4. – Bolchevik exemplaire ou patriote géorgien ?

L’exception géorgienne.

5. – Beria patron du NKVD

La fin de la Grande Terreur.

Beria s’empare du renseignement extérieur.

Les conséquences politiques de la Grande Terreur.

La contre-offensive de Staline.

6. – Le pacte germano-soviétique

Le sort de la Finlande.

Le sort des États baltes.

La sape du pacte germano-soviétique.

Le projet d’armée tchèque sur le sol soviétique.

Le projet d’armée polonaise sur le sol soviétique.

Beria et les prisonniers polonais.


Le massacre des officiers polonais : un crime bâclé.

Beria reprend sa politique polonaise.

Beria et les Balkans.

7. – Le NKVD et l’erreur de Staline

La neutralisation des réseaux de renseignement.

Orchestre rouge et réseau Beria à Berlin.

Le rôle d’Amaïak Koboulov et de Dekanozov.

8. – Beria et les réseaux caucasiens à la veille de la guerre

Deuxième Partie. – L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

9. – La guerre

La crise du régime.

10. – Beria et l’armée polonaisedu général Anders

Le choix d’Anders.

La lune de miel soviéto-polonaise.

La défense du Caucase confiée à l’armée d’Anders ?

Des signes de mauvais augure.

Un projet britannique : le remplacement


des Soviétiques en Iran par l’armée polonaise.

L’ultime embellie.

L’ébauche d’une collaboration entre NKVD, Polonais et Britanniques.


La mystérieuse affaire Kozlowski.

Vers l’évacuation des forces polonaises.

11. – Beria et la Géorgie en guerre

La collaboration de l’émigration géorgienne avec les Allemands.

La collaboration de Beria avec les Anglo-Saxons dans le Caucase.

La politique des émigrés.

Beria sur le front du Caucase.

Le sort des parachutistes.

La préparation d’un gouvernement de collaboration.

Les tentatives de négocier avec les Allemands et les appels du pied à


la Wehrmacht.

Les activités des émigrés – le rôle du réseau mingrélien.

Un complot de Beria ?

La tentative de sondage de Mgueladzé.

Les tentatives pour que le Reich mène une Ostpolitikplus intelligente.

Les opérations Mainz I et Mainz II.

La déportation des peuples montagnards.

12. – Le NKVD pendant la guerre

L’arrestation de l’Orchestre rouge.

La préparation de gouvernements de collaboration et « Max ».


La coopération avec les Occidentaux.

13. – Beria et le Comité antifasciste juif

Polonais et Soviétiques face à l’enjeu juif.

La naissance du Comité antifasciste juif.

Le Comité antifasciste juif première mouture.

Le CAJ deuxième mouture.

La tournée de Mikhoëls et Fefer à l’étranger.

Le réveil de la conscience nationale des Juifs soviétiques.

Le projet de Crimée juive.

L’agonie et la fin du CAJ.

14. – Beria récupère les légionnaires de la Wehrmacht


et les émigrés géorgiens

Le Comité anti-Vlassov et le rôle de Gueguelia.

Le séjour de Charia à Paris.

La revendication des terres géorgiennes.

15. – Le sort de la Pologne

La division Kosciuszko.

Une formule à la Bénès ?

L’insurrection de Varsovie.

Ultimes tentatives, ultimes échecs ?


16. – La politique allemande de Beria

Le Comité Allemagne libre.

L’Union des officiers allemands.

Les réseaux étrangers d’Allemagne libre.

Les autres unités militaires en URSS.

17. – Pour une paix séparée avec l’Allemagne ?

L’opposition allemande et la conjuration du 20 juillet 1944.

Les tentatives de paix séparée avec les Occidentaux et l’affaire


Wallenberg.

Troisième partie. – LE TEMPS DES AFFRONTEMENTS

18. – Fin de la guerre

Les attentes de réformes.

Staline raffermit son pouvoir personnel.

Beria perd la direction du MGB.

Du policier au technocrate.

19. – La guérilla au sommet

L’affaire de Leningrad.

L’affaire Abakoumov.

La lutte pour le MVD.

20. – L’affrontement en politique étrangère


Guerre inévitable ou coexistence.

La Conférence économique.

Des avertissements secrets de Beria ?

Boris Morros, l’agent double.

La mise en œuvre du rollback et la guerre psychologique américaine.

L’utilisation des émigrés.

21. – La Géorgie dans la guerre froide

22. – Staline attaque Beria

Prologue : l’éclatement du clan Beria en Géorgie.

Un congé bien rempli.

Le coup d’envoi.

Beria aux abois.

L’affaire Chavdia et l’affaire des légionnaires géorgiensde la


Wehrmacht{2558}.

L’affaire Charia{2564}.

L’affaire Kobakhidzé.

L’affaire Rapava.

Des mois critiques.

La contre-offensive et le retournement.

La chute de Roukhadzé.
23. – L’enjeu allemand

Les protagonistes.

La première manche.

La guérilla des bureaucraties.

Le fief économique du clan Beria.

La cristallisation des projets concurrents.

La préparation de l’après-Staline.

L’opération Wirth.

Le choix ultime de Staline et la victoire d’Ulbricht.

Dans l’attente du dénouement.

24. – La dernière année

Le complot des « blouses blanches ».

Le XIXe Congrès du PCUS.

Les ultimes manœuvres.

Un crescendo dans l’hystérie.

La lettre des intellectuels juifs.

Quatrième partie. – LES CENT JOURS DE BERIA

25. – La mort de Staline

« Un coup d’État intime et silencieux{2992} ».

Les premiers signes du « dégel ».


26. – Le Blitzkrieg de Beria

Beria inaugure les réhabilitations.

Beria démantèle le Goulag et révise le Code pénal.

La « démythification » de Staline.

Les premiers tiraillements.

Le branle-bas dans le renseignement.

27. – L’assaut contre le Parti

La réforme de l’empire.

Les résolutions de mai-juin 1953 inspirées par Beria.

Le Plénum ukrainien des 2, 3 et 4 juin.

Dans les autres républiques.

28. – Beria accélère encore la cadence

Ouvertures secrètes vers les nationalistes anticommunistes.

La Géorgie et le Caucase.

Effervescence au Goulag.

L’assouplissement de la politique religieuse{3356}.

Les dernières mesures.

29. – Beria et la crise en RDA

Rudolf Herrnstadt et Wilhelm Zaisser, deux hommes de Beria.

Les premiers jalons.


L’entêtement d’Ulbricht.

Le début de l’offensive contre Ulbricht.

L’affrontement.

Le « nouveau cours » et la crise du SED.

Les principales réformes.

Beria lâche les rênes.

Le 17 juin et ses retombées politiques.

Les retombées de la crise.

Les autres démocraties populaires et les autres initiativesde politique


étrangère.

30. – La chute de Beria

Le putsch de Khrouchtchev.

L’arrestation de Beria.

Le Plénum des 2-7 juillet 1953.

Les retombées de l’arrestation de Beria.

La lecture des événements en Occident.

Les réactions en URSS.

31. – Le procès de Beria

Les principales accusations.

Les abus de pouvoir.


Les accusations de droit commun.

Le procès et le verdict.

CONCLUSION

Glossaire

Bibliographie et sources

Archives

Archives privées.

Archives publiées.

Revues

Archives on line

Biographies de Beria

Ouvrages et mémoires sur la période stalinienne

La période géorgienne de Beria et les années 1930. Le Caucase

La guerre

Le NKVD et la guerre des services secrets

La déportation des peuples

Le projet atomique

La politique polonaise

Les démocraties populaires

La politique juive
La politique allemande

La fin du règne de Staline et le printemps 1953

INTRODUCTION
Nous devons nous demander quel genre d’homme serait celui qui aurait
à la fois la volonté, la résolution et la force de participer à un mouvement
de liquidation de la tyrannie stalinienne et de la conspiration
bolcheviste{1}
[Walter Lippmann].

Dans l’histoire soviétique, aucune période n’a été aussi passionnante que
celle qui a immédiatement suivi la mort de Staline, et peu d’affaires ont
été aussi mystérieuses que celle de Beria, arrêté le 26 juin 1953, jugé et
exécuté dans des circonstances qui restent obscures, tant les témoignages
divergent et se contredisent. Jusqu’à la perestroïka et l’ouverture récente
des archives de l’URSS, le bref passage de Lavrenti Beria au sommet de la
machine du pouvoir soviétique puis sa chute brutale n’ont guère attiré
l’attention des chercheurs. Cependant, à partir de 1993, le personnage de
Beria a commencé à susciter l’intérêt en Russie et en Occident. La
publication de documents d’archives, de nombreux témoignages ont
apporté des modifications progressives à la vision sommaire, voulue par
Staline lui-même et reprise par l’historiographie khrouchtchévienne, d’un
Beria sadique, exécuteur des basses œuvres de Staline, voire d’un Beria
mauvais génie de Staline. À l’inverse, les pionniers de la perestroïka
Alexandre Yakovlev et Youri Afanassiev ont vu en lui le précurseur de la
réforme gorbatchévienne.
Cette interprétation contradictoire du rôle de Beria reflète l’ambiguïté
du personnage. Aucun membre du Politburo n’a engendré tant de mythes,
n’a connu d’hypostases aussi multiples. À l’examen des diverses sources,
cette brute analphabète au langage ordurier se révèle être un protecteur des
sciences et un administrateur de talent. Ce créateur de la bombe atomique
soviétique est accusé d’être un agent britannique recruté à l’époque
lointaine de l’indépendance des républiques caucasiennes. Ce larbin du
Petit Père des Peuples jette brutalement ses collègues dans la
déstalinisation, alors qu’ils n’ont pas fini de porter le deuil du Vojd. On
chuchote même qu’il n’est pas étranger à la mort du camarade Staline, fort
opportune pour lui. Ce pourfendeur du « nationalisme bourgeois », cet
organisateur des massacres de résistants baltes et ukrainiens, se transforme
en défenseur des peuples de l’URSS. Celui que la rumeur publique
compare à un Barbe-Bleue est dépeint par son fils comme un père
affectionné, par ses anciennes maîtresses comme un amant hors pair.
Même dans sa mort, Beria a fasciné les imaginations : depuis la chute du
communisme, chaque année apporte une version nouvelle de la fin de
Beria, avec témoins oculaires et récits contradictoires fourmillant chacun
de détails pittoresques.
Depuis vingt ans, l’épisode Beria semble cristalliser les hésitations et
les passions contradictoires de l’historiographie russe post-soviétique.
Jusqu’à la perestroïka gorbatchévienne, le chapitre Beria de l’histoire
soviétique avait semblé définitivement clos. La vulgate khrouchtchévienne
d’un Beria bourreau efficace à l’ombre de Staline s’était imposée sans
difficulté, y compris en Occident. L’on était bien intrigué par quelques
indications tendant à montrer que Beria, plus que ses collègues, avait
poussé à l’abandon de la RDA et à la réunification de l’Allemagne. Mais
rien ne laissait deviner l’importance du rôle de Beria après le 5 mars 1953,
ni la violence de l’ébranlement auquel il eut le temps de soumettre le
système communiste durant les « cent jours » qu’il survécut à Staline.
Le premier document laissant transparaître l’ampleur de l’« affaire
Beria » fut publié en 1991 : il s’agit des minutes du Plénum du Comité
central du PCUS, tenu du 5 au 7 juillet 1953 et consacré à sa
condamnation. Cette publication fut le point de départ de la présente
enquête. Certes, le style des discours prononcés à cette occasion rappelait
les condamnations unanimes des « ennemis du peuple » fréquentes dans les
années 1930. Mais les accusations amoncelées contre Beria tout au long de
ce Plénum ne relevaient pas toutes du registre habituel des cérémonies
communistes de cette espèce. Certaines étaient trop précises, difficiles à
inventer par l’esprit obtus d’un fonctionnaire communiste. Bien plus, pris
dans leur ensemble, ces réquisitoires laissaient deviner en filigrane une
politique cohérente, profondément atypique, visant la mise à l’écart du
Parti communiste, la restauration du capitalisme et l’abandon de la RDA.
Ces minutes confortaient abondamment la thèse qui domina durant les
premières années du règne d’Eltsine, selon laquelle Beria était le pionnier
des réformes gorbatchéviennes.
Depuis la fin de la période Eltsine, on assiste à l’émergence d’une
nouvelle lecture du phénomène Beria, qu’on pourrait appeler la lecture
« tchékiste ». La récupération de Beria par les fossoyeurs de l’URSS
provoqua une riposte du camp des patriotes « étatistes » russes encore bien
représentés parmi les vétérans des « organes » – le KGB –, dont le général
Soudoplatov se fit le porte-parole. Pour ces irréductibles qui n’ont pas
pardonné le « rapport secret » de Khrouchtchev au XXe Congrès du PCUS
en 1956, non par fanatisme idéologique mais par attachement à la
puissance de l’État, Beria fut un serviteur modèle et talentueux de l’État
soviétique, dépassant de loin tous les nains qui l’ont suivi. Dans cette
vision, Beria est avant tout un gosudarstvennik – un patriote soviétique –,
un homme des organes, réformateur parce que tchékiste et mieux informé
que ses collègues du Politburo. Et, de fait, Beria semblait une trouvaille
pour les « étatistes » russes protopoutiniens et poutiniens : un homme à
poigne aussi efficace que Staline mais à l’évidence dépourvu des œillères
idéologiques de ce dernier, une espèce de Pinochet soviétique, pouvait
servir de figure exemplaire pendant les temps difficiles de la transition
postcommuniste.
Victime de Khrouchtchev, Beria rassemblait derrière lui les
antikhrouchtchéviens. Mais là encore nous nous heurtons aux aspirations
contraires de l’historiographie russe, car on trouve dans le camp de ces
derniers ceux qui n’ont pas pardonné à Nikita Khrouchtchev d’avoir
déboulonné Staline, portant un coup fatal à l’État soviétique, ceux qui
reprochent à Khrouchtchev d’avoir, par sa politique brouillonne et
inintelligente, enclenché la crise du régime, et ceux qui, au contraire,
blâment Khrouchtchev de n’être pas allé assez loin. Paradoxalement, les
deux catégories pouvaient se réclamer de Beria.
Ainsi, l’impopularité du khrouchtchévisme depuis la fin des années
gorbatchévo-eltsiniennes s’est traduite par un rejet de l’historiographie
khrouchtchévienne dont Beria a été le bénéficiaire. La grande question est
de savoir si la vérité historique a gagné à cette évolution. Certes elle a
permis la déclassification de nouvelles archives, ce dont l’historien ne peut
que se féliciter. Mais la vision « tchékiste » du personnage de Beria occulte
l’aspect ambigu de celui-ci et elle évacue les questions gênantes avec
autant de désinvolture que l’interprétation khrouchtchévienne.
Il existe maintenant en Russie un bon nombre de biographies de Beria,
d’une valeur très inégale. Toutes souffrent d’un parti pris au départ. Les
unes se placent dans le courant historiographique khrouchtchévien et
dépeignent Beria comme un monstre sadique et sournois uniquement
occupé à tisser des intrigues malfaisantes. Citons par exemple dans cette
veine le Beria de A. Antonov-Ovseenko, paru en 1999, qui fourmille
d’approximations, d’affirmations sans preuves et de ragots divers. Les
autres présentent le défaut inverse : la volonté apologétique y conduit à
une occultation des crimes de Beria{2}. Surtout, à force de vouloir faire de
Beria un « manager génial » au service de l’État russe{3}, ces auteurs
négligent tout autant le portrait politique de Beria que ceux qui le
diabolisent.
La version d’un Beria « proto-Pinochet » dans laquelle se retrouveraient
les « étatistes » russes anticommunistes, les « démocrates » eltsiniens
favorables à un régime musclé et les adeptes de la « démocratie dirigée » à
la mode Poutine n’est pas parvenue à s’enraciner malgré des circonstances
apparemment propices. Ici nous touchons à un autre aspect du personnage
de Beria dans l’historiographie russe, aspect fondamental encore qu’il
reste le plus souvent non dit, sauf sous la forme folklorique de ses
innombrables exploits amoureux. Beria est géorgien et tout un pan de sa
politique ne cadre nullement avec la vision d’une Grande Russie impériale,
certes débarrassée du communisme mais toujours centralisée et dominée
par Moscou. De toutes les réformes mises en chantier par Beria, c’est celle
de l’empire que les historiens russes évoquent le moins. Et pourtant,
comme nous le verrons, c’est justement dans la politique nationale de
Beria que nous trouvons les clefs de son projet en 1953. Mais cet aspect de
sa politique a été systématiquement sous-estimé par les historiens russes.
Comment distinguer la vérité historique dans ce foisonnement de
représentations hétéroclites, de mythes et de fantasmes, quand l’ouverture
même des archives est tributaire des « commandes sociales » du moment ?
D’ailleurs, dans un ouvrage récent consacré à Staline, les historiens russes
Jaurès et Roy Medvedev mettent en garde contre un optimisme excessif
concernant les archives de la période stalinienne. Ils rappellent que
beaucoup ont été détruites, qu’un grand nombre de décisions importantes
sont restées orales et n’ont été fixées nulle part, voire que certains
documents ont été falsifiés{4}. Dans le cas de Beria tout ceci est encore
plus vrai. Tout un pan de sa politique menée par ses réseaux d’agents
personnels ou par l’intermédiaire de ses proches restera à jamais inconnu.
Les documents intitulés « Proposition du NKVD » ne sont souvent qu’une
mise en forme d’instructions orales de Staline. Il est donc très difficile
d’identifier les initiatives propres de Beria du vivant de Staline.
Pourtant Beria n’a pas improvisé sa politique de réformes au printemps
1953. Son dessein apparaît mûri de longue date. Il fallait donc remonter en
amont. La tâche était ardue. Car essayer de s’opposer à la politique de
Staline était infiniment plus difficile et risqué que de comploter contre
Hitler. Un « soviétologue » qui lit une histoire de la résistance allemande à
Hitler ne peut qu’être stupéfait de la franchise avec laquelle s’exprimaient
entre eux les adversaires de Hitler, de la facilité avec laquelle ils se
déplaçaient et rencontraient les Britanniques ou les Américains, des nids
d’opposants formés au sein du ministère des Affaires étrangères et au sein
de l’armée.
Dans l’URSS stalinienne rien de tout cela n’était concevable. Beria ne
pouvait avoir confiance en personne. Même en famille toute discussion
ayant trait à ses activités au NKVD était interdite{5}. Jusqu’en 1949-1950,
il cacha à son fils l’antagonisme qui montait entre Staline et lui. Beria était
obligé de procéder par des voies tortueuses, de se dissimuler derrière des
tiers ignorant tout de ses desseins réels, de mettre en œuvre des stratégies
échelonnées, calculées plusieurs coups à l’avance, de déplacer sur son
échiquier les fanatiques et les imbéciles, les arrivistes et les pervers, les
femmes fatales et les escrocs, les brutes et les intellectuels, les assassins et
les académiciens. Il faisait disparaître les témoins qui pouvaient devenir
dangereux. Il lançait des initiatives en les justifiant dans un langage et par
des arguments acceptables pour Staline ou ses collègues. Tout cela jette un
voile impénétrable sur ses intentions véritables. En aucun cas nous ne
pouvons prendre au pied de la lettre les prétextes invoqués pour la mise en
œuvre des réformes voulues par Beria : les arguments d’efficacité
économique cachent souvent des desseins politiques, les objectifs mis en
avant sont souvent opposés à ceux poursuivis réellement.
La tentation est évidemment forte de spéculer – et nous n’y résisterons
pas toujours. Mais à force d’étudier les procédés utilisés par Beria, de
décrypter son argumentation, de suivre les activités de ses réseaux, on finit
par distinguer son modus operandi. De même que Sherlock Holmes
repérait la griffe du docteur Moriarty sous une poussière d’événements en
apparence contingents, ce travail de fourmi nous permettra de discerner la
marque de Beria sur des initiatives camouflées sous d’épaisses couches de
fumée bureaucratique. Heureusement Beria aimait à reproduire les
tactiques qui lui avaient réussi, et cette répétition les fait apparaître.
Heureusement les archives des républiques ex-soviétiques se sont ouvertes,
permettant de contourner partiellement le black-out imposé par Moscou
sur certains aspects de l’affaire Beria.
Mais comme souvent en histoire, au terme de cette longue enquête on
aura conscience de n’avoir fait que déplacer le mystère. La motivation
ultime de Beria demeure obscure. L’ambition et l’amour-propre furent sans
aucun doute parmi ses passions dominantes. Beria supportait mal d’être
l’obscur second du maréchal Staline, le domestique empressé affecté aux
tâches inavouables – « notre Himmler » comme l’avait appelé Staline
devant Roosevelt. Mais l’ambition n’explique pas tout. Beria prit des
risques et il finit par payer de sa vie non ses crimes mais ses tentatives de
réformer un système inhumain.
Contrairement aux opposants à Hitler, la révulsion morale à l’égard de
la tyrannie communiste ne fut sans doute pas déterminante dans son
évolution politique. On a plutôt l’impression que sa révolte contre le
régime communiste fut une rébellion de la raison. Beria ne cessa de
vouloir atténuer les absurdités les plus flagrantes du système qui,
inlassablement, allait d’échec en échec. Il enrageait de devoir appliquer
des politiques défiant le bon sens. Staline mort, il crut pouvoir enfin
s’attaquer à une réforme en profondeur, très conscient qu’il allait faire
vaciller le régime. Il n’eut pas le temps de mener à bien son entreprise.
Couvert d’opprobre après sa chute, en particulier à cause du projet
politique auquel il s’était attelé, que ses collègues ne comprenaient pas
mais dont ils flairaient les risques pour leur pouvoir, il faillit rester dans
l’histoire sous la forme caricaturale dont l’avaient affublé ses rivaux
victorieux. Son procès, en décembre 1953, fut organisé sur le mode
stalinien. Notre ambition ici est de verser des pièces supplémentaires au
dossier, afin que le jugement de l’histoire soit plus objectif à son égard.

Première Partie

UNE ASCENSION FULGURANTE

Le Rastignac caucasien
La faiblesse, la paresse et la bêtise sont les seules choses que l’on puisse
qualifier de vices. Tout le reste est vertu en l’absence des défauts
susmentionnés. Si un homme est fort en esprit, actif, intelligent (ou doué),
c’est un homme de bien, quels que soient ses autres « vices »{6}
[Staline].

Entre le démagogue et le brigand, la ressemblance est intime : tous les


deux sont des chefs de bande, et chacun d’eux a besoin d’une occasion
pour former sa bande{7}
[Hippolyte Taine].

La face visible.
Beria est né le 29 mars 1899 dans le village mingrélien de Merkheouli,
non loin de Soukhoumi en Abkhazie. Sa mère, Marta Djakeli, avait épousé
son père en secondes noces et avait déjà un fils et une fille du premier
mariage. En secondes noces elle donna naissance au petit Lavrenti et à une
fille qui devint sourde-muette après une varicelle. Pavle Beria était un
paysan pauvre tandis que, à en croire Sergo Beria, Marta « descendait des
princes Djakeli, une famille illustre dès le IXe siècle{8} » qui domina la
Géorgie méridionale du XIIe au XVIIe siècle.
Dès l’âge de quinze ans, l’adolescent prit de petits boulots pour aider sa
famille à payer les médicaments de sa sœur. Les parents mettaient leurs
espoirs dans le jeune Lavrenti et se saignèrent aux quatre veines pour
financer sa scolarité. Du reste, tout Merkheouli se cotisa pour venir en aide
aux Beria, tant les villageois étaient fiers de leur jeune compatriote déjà si
brillant.
En 1915, l’adolescent s’inscrivit à l’École polytechnique de Bakou. Il
voulait devenir architecte. Il vécut d’expédients, souffrant probablement
de ses origines modestes, de son impécuniosité et du mépris dans lequel
certains enseignants russes tenaient les Géorgiens. Dès cette époque, il
« était d’une débrouillardise légendaire parmi ses condisciples », donnant
des cours de français à des fils de marchands arméniens alors qu’il ne
savait pas un mot de français{9}. Il gardera de ces années d’études un goût
pour les sciences et les techniques qui lui permettra plus tard de devenir
l’organisateur talentueux du complexe militaro-industriel soviétique.
Comme la plupart de ses camarades, Beria adhéra au cercle social-
démocrate de l’École dont il devint trésorier. Après la révolution de
Février, Beria fut expédié sur le front roumain en juin 1917. Puis, lors de
l’effondrement du front russe, il se retrouva à Bakou, tirant le diable par la
queue, prêt à se rallier au pouvoir du moment. Il prétendit plus tard avoir
adhéré au Parti bolchevique en mars 1917, mais son adhésion n’est attestée
par des documents qu’à partir de décembre 1919. Durant les vicissitudes
de 1918-1920, Beria s’efforça sans doute de garder un pied dans chaque
camp, rendant des services aux bolcheviks pendant la commune de Bakou,
d’avril à août 1918. Le bolchevik arménien Anastase Mikoïan l’avait
chargé de lutter contre les réseaux turcs et c’est alors que naquit sa passion
pour le renseignement. Puis, en 1919, durant l’occupation anglaise de
Bakou, il se distingua dans le service de contre-espionnage du Moussavat,
le Parti indépendantiste azerbaïdjanais sur lequel s’appuyaient les Anglais.
Plus tard, Beria ne niera pas son passage dans ce service azéri, mais il
prétendra y avoir été infiltré sur les ordres du Parti bolchevique ; ainsi,
dans un questionnaire biographique rempli le 10 février 1922, Beria
indiquait qu’avant d’entrer à la Tcheka de Bakou il « dirigeait une cellule
et faisait de la désinformation{10} ». Fin décembre 1919, Beria rédigea
une demande de démission du contre-espionnage du Moussavat{11} mais
continua à y travailler jusqu’en mars 1920. Puis il se fit déléguer dans la
cellule du Parti de l’Institut technique de Bakou{12}.
En avril 1920, l’Armée rouge occupa l’Azerbaïdjan et Beria se retrouva
agent bolchevique. Envoyé comme courrier en Géorgie, il fut arrêté à deux
reprises, en avril et en mai 1920. Détenu en juin et juillet à la prison de
Koutaïssi, il rencontra la ravissante Nina Gueguetchkori, sa future épouse,
qui venait rendre visite à son oncle détenu, compagnon de cellule de Beria.
En août les bolcheviks incarcérés furent expulsés à Bakou après une grève
de la faim à laquelle Beria ne participait pas. Curieusement, il ne fut pas
fusillé quoiqu’il eût avoué être un espion bolchevique. Ce fut une autre
zone d’ombre de sa biographie : ses adversaires étaient convaincus que
Beria avait eu la vie sauve parce qu’à l’époque il s’était laissé recruter par
les mencheviks géorgiens qui l’avaient renvoyé à Bakou comme leur
agent{13}.
À Bakou il noua une amitié solide avec Mir Djafar Baguirov qui
affirmait avoir adhéré au Parti bolchevique en mars 1917, mais avait en
réalité été le bras droit du commissaire nommé par le gouvernement
provisoire dans la région. À partir de l’automne 1917, Baguirov dirigea
une bande de pillards équipés d’armes prises aux troupes russes en
débandade, et dans sa biographie officielle enjolivée il prétendit même
avoir créé une unité de partisans en vue de libérer la paysannerie. Puis il
rejoignit l’unité dachnak – le Parti nationaliste arménien – d’Amasasp où
il prétendit ensuite avoir été infiltré par les bolcheviks. Il participa aux
massacres d’Azerbaïdjanais de mai 1918, puis fut arrêté par le bolchevik
Levan Gogoberidzé et emprisonné. Libéré dans des circonstances restées
obscures, il s’engagea dans l’Armée rouge, devint commissaire politique et
en février 1921 fut promu chef de la Tcheka d’Azerbaïdjan.
Les deux jeunes gens avaient de bonnes raisons de faire cause commune.
Tous deux avaient misé sur le mauvais cheval au temps des troubles. Tous
deux s’épaulaient pour dissimuler les épisodes compromettants de leur
passé{14}. Grâce au patronage de Baguirov, Beria fut chargé auprès de la
Tcheka azerbaïdjanaise, d’octobre 1920 à février 1921, de la « Commission
d’expropriation de la bourgeoisie et d’amélioration du niveau de vie des
travailleurs ». Ce poste convoité lui assurait déjà une influence
considérable car il permettait de contrôler les richesses confisquées aux
victimes de la terreur{15}.
Beria reprit ses études et, en février 1921, il obtint une bourse ; mais en
avril 1921, Baguirov le fit nommer chef du Département secret
opérationnel de la Tcheka d’Azerbaïdjan qui était chargé du renseignement
et de la lutte contre l’opposition. Beria ne le déçut pas : il se distingua dans
l’éradication du Parti socialiste révolutionnaire d’Azerbaïdjan et fut
récompensé d’une montre en or{16}. Les deux hommes se couvraient l’un
l’autre. En décembre 1921, Baguirov aida Beria à se tirer d’une purge.
Comme son protégé était « grillé » à Bakou, il s’arrangea pour le recaser à
la Tcheka de Géorgie.
La même année, Beria épousa Nina Gueguetchkori. Celle-ci l’avait
certes séduit par sa rare beauté, mais elle avait d’autres charmes aux yeux
du jeune ambitieux. Elle était noble, descendante d’une très grande famille
mingrélienne, les Tchikovani, et avait suivi ses études secondaires dans le
lycée pour la noblesse de Koutaïssi. Surtout, son oncle Sacha
Gueguetchkori était président du Comité révolutionnaire de Tbilissi –
avant de devenir commissaire du peuple de l’Intérieur de Géorgie –, tandis
qu’un autre de ses oncles, Eugène Gueguetchkori, avait été ministre des
Affaires étrangères de la Géorgie indépendante avant de se réfugier en
France. Par cette union judicieusement choisie, le jeune Beria s’assurait
des protections dans chaque camp. En 1921, la survie du régime
bolchevique dans le Caucase était loin d’être assurée. Il était prudent
d’avoir des relations bien placées des deux côtés.

Les débuts tchékistes.


Beria fut nommé, en novembre 1922, à la tête du Département politique
secret de la GPU géorgienne – la GPU venait de remplacer la Tcheka –,
probablement sur les recommandations de Baguirov et de Sergo
Ordjonikidzé. Rappelons que le 8 avril 1920, ce lieutenant de Staline avait
été chargé de coordonner la politique bolchevique en Transcaucasie à la
tête du Kavburo, l’état-major bolchevique responsable de la
communisation du Caucase, et son adjoint était Sergueï Kirov. Sergo Beria
affirme qu’au début de sa carrière son père avait été protégé par ces deux
hommes : « C’est Ordjonikidzé qui a parlé de mon père à Staline. Il le
considérait un peu comme son disciple{17}. »
Le poste ainsi confié à Beria était très sensible : il fallait rétablir l’ordre
public et venir à bout d’un banditisme endémique. Mais surtout, la
situation politique était fort complexe. En 1922-1923, l’une des tâches
principales assignées à la GPU était l’éradication des mencheviks{18}. Or,
en Géorgie, la social-démocratie était un mouvement de masse, beaucoup
moins marqué par les scissions et les querelles que la social-démocratie
russe. Les mencheviks y étaient dominants, au point que le Caucase n’avait
pas envoyé un seul député bolchevique à la Douma{19}. En février-mars
1921, l’Armée rouge occupa la Géorgie et chassa les mencheviks et les
autres partis du pouvoir ; mais ceux-ci avaient l’habitude de la
conspiration et ils revinrent à la clandestinité. La mise au pas de la Géorgie
promettait donc d’être difficile et les chefs bolcheviks avaient besoin
d’hommes à poigne pour mener à bien cette tâche.
En outre, face à cette forte présence menchevique, le Parti bolchevique
géorgien était très divisé. Il était dominé par le courant « déviationniste
national » qui s’était cristallisé en 1921-1922, au moment de la création de
la Fédération transcaucasienne voulue par les bolcheviks pour diluer le
nationalisme intense des États sud-caucasiens. Ce courant se divisait lui-
même en deux tendances : les déviationnistes de droite, dirigés par Boudou
Mdivani et Kote Tsintsadzé, puis Filip Makharadzé{20}, qui s’opposaient
à la Fédération transcaucasienne ; tandis que les déviationnistes
d’« extrême droite », dont le porte-parole était Tenguiz Jguenti,
préconisaient l’indépendance totale de la Géorgie, l’évacuation de l’Armée
rouge et la libération des mencheviks et des adhérents des autres partis
« contre-révolutionnaires ». Bref, comme le déplore à l’époque une note de
la GPU,

dans la campagne géorgienne, et pas seulement dans la campagne, il


n’y a pas de différence nette entre les bolcheviks et les
antibolcheviks. Dans nos conditions géorgiennes, on ne constate pas
cette haine sacrée à l’égard de la bourgeoisie et des mencheviks à
laquelle se référait constamment le cam. Lénine{21}.

En 1922, les « déviationnistes nationaux », en guerre contre le clan


centralisateur dirigé par Staline, Ordjonikidzé et le chef de la GPU
Dzerjinski, obtinrent l’appui de Lénine. La maladie empêchant ce dernier
d’agir, ils s’adressèrent à Trotski en 1923, voulant s’allier à lui contre
Staline{22}.
Cette résistance des communistes géorgiens à la Fédération
transcaucasienne dans laquelle l’influence arménienne était considérable,
avait son pendant au niveau de la GPU : la GPU géorgienne était à
couteaux tirés avec la GPU transcaucasienne à laquelle, dès le printemps
1924, elle cessa d’envoyer ses notes de synthèse. Alors que le siège des
deux organisations rivales se trouvait à Tbilissi, l’affrontement entre la
GPU transcaucasienne et sa filiale géorgienne était si aigu qu’Épiphane
Kvantaliani et Beria, les chefs de la GPU géorgienne, firent appel, dans une
note datée du 7 mai 1924, à l’arbitrage d’Ordjonikidzé et de Yagoda,
l’adjoint de Dzerjinski. Ils se plaignaient de ce que la GPU
transcaucasienne volait à la GPU géorgienne ses agents et ses
informateurs. Et ils exigeaient d’avoir le monopole des opérations en
Géorgie, y compris celles relevant du contre-espionnage, afin d’éviter un
« parallélisme malsain ». Mais Moscou ordonna aux appareils des deux
organisations de fusionner, ce qui fut fort mal pris par les tchékistes
géorgiens{23}. Tel était le contexte délicat dans lequel le jeune Lavrenti fit
ses premières armes. Il profita de cet antagonisme avec la Tcheka de
Transcaucasie pour se constituer une équipe soudée, qui lui était attachée
par une loyauté personnelle : la plupart des proches collaborateurs qu’il
fera monter à Moscou avec lui en 1938 et qui se retrouveront devant le
peloton d’exécution en décembre 1953 sont des hommes que Beria a
connus dès 1922-1923, voire à Bakou, comme Vladimir Dekanozov.
Vsevolod Merkoulov, l’un de ses lieutenants, en juillet 1953, se souvient :

Dans le cercle de ses intimes Beria savait se montrer accueillant,


aimable et prévenant […]. Mais face à ceux qui occupaient des postes
officiels, face à ses supérieurs son comportement était tout autre. Il
essayait de les discréditer en douce devant ses subordonnés, les
couvrait de sarcasmes ou les insultait grossièrement [...].

Beria ne ratait pas une occasion de se gausser des documents émanant de


la GPU transcaucasienne{24}. Merkoulov lui-même avait été recruté par
Beria de manière originale. Il appartenait à une organisation
antibolchevique formée à Tiflis en 1918, dont le but était de créer une
Russie démocratique dans ses anciennes frontières. Il avait été repéré par
la Tcheka et arrêté pour cette raison. Beria le convoqua pour un
interrogatoire. Impressionné par ses capacités, il lui proposa de collaborer
avec lui. Merkoulov accepta, avec l’autorisation du chef de son
organisation{25}.
Le transfuge du NKVD Alexandre Orlov, qui séjourna en Géorgie vers
1925, a laissé un portrait vivant du jeune Beria qu’il connaissait bien :

Je le voyais souvent et j’étais impressionné par certaines de ses


qualités. C’était un homme très intelligent, doué d’une grande
capacité de travail, très curieux des autres, adorant les ragots et
l’intrigue. Il passait son temps à fourrer son nez dans les affaires des
autres, de ses collègues comme de ses ennemis{26}.

Beria recherchait d’autant plus sa compagnie qu’Orlov était le cousin de


Zinovi Katsnelson, le responsable de l’OGPU pour la Transcaucasie, et
qu’il pouvait lui rendre des services. Car le tchékiste en herbe rongeait son
frein, très conscient des handicaps qui faisaient obstacle à son ascension :
il n’avait pas participé à la guerre civile, son pedigree révolutionnaire était
douteux, il croupissait dans un poste provincial, inaperçu des grands à
Moscou. Les perspectives de promotion étaient minces : Staline n’avait
aucune confiance dans les Géorgiens car il pensait qu’en cas de rébellion
ils pourraient sympathiser avec les insurgés. À la tête de la GPU
transcaucasienne, il préférait voir un Russe ou un non-Géorgien.
Selon Orlov, Beria supportait fort mal cette situation. Mais il n’allait pas
tarder à comprendre que ces handicaps pouvaient devenir des atouts. Il se
rapprocha d’abord de son compatriote géorgien Ordjonikidzé, un intime de
Staline, qui manifestait un vif intérêt pour les affaires de son fief
caucasien. Le jeune Beria ne manquait pas de lui rendre visite chaque fois
qu’il passait ses vacances à Borjomi{27}, le régalant de commérages sur
les dignitaires bolcheviques de la région. Lorsqu’un heureux hasard lui
fournit l’occasion de faire parler de lui en haut lieu, Beria sauta sur
l’occasion : le 23 janvier 1924, il télégraphia à Moscou que Trotski, alors
en cure en Géorgie, n’assisterait pas aux obsèques de Lénine. Le même
jour il chargea Yagoda de transmettre à Staline et Ordjonikidzé un câble
dans lequel il résumait son entrevue avec Trotski, soulignant notamment
que celui-ci excluait la possibilité d’une scission dans le Parti{28}. Cette
note révèle déjà le flair et le talent manœuvrier de Beria. Ayant dans doute
deviné à quel point la question de Trotski était sensible pour Staline, il
manifestait de manière implicite sa solidarité avec le bloc caucasien du
Politburo en rapportant les propos de Trotski ; et sa description de Trotski
était rigoureusement neutre, pour le cas où Trotski l’emporterait dans la
lutte pour la succession de Lénine.
En dépit de la rapidité avec laquelle il franchissait les échelons de la
hiérarchie tchékiste, le jeune Beria doutait parfois de la voie dans laquelle
il était engagé. Les archives ont conservé un document curieux daté du
23 novembre 1923 qu’il adressait aux autorités du Parti :

Durant tout le temps que j’ai consacré au travail dans le Parti et


surtout dans les organes de la Tcheka, j’ai pris un retard considérable
dans mon développement général et dans ma formation spécialisée
inachevée. Comme ma vocation se trouve dans ce domaine de savoir,
et comme j’ai déjà perdu beaucoup de temps et de forces, je prie le
Comité central de m’accorder la possibilité d’achever mes
études{29}.

Beria avouait ainsi qu’à ses yeux, le travail dans le Parti et la Tcheka
était une perte de temps. Et peut-être savait-il déjà qu’un soulèvement était
en préparation en Géorgie, dans lequel il aurait à jouer le rôle de bourreau
de son peuple. Encore en 1930, il adressera une lettre de même sens à
Ordjonikidzé :

Cher Sergo, je vous ai déjà demandé à plusieurs reprises l’autorisation


de reprendre mes études. Le temps passe, je vois autour de moi les
gens qui se développent et ceux qui étaient hier encore loin derrière
moi me précèdent maintenant. Je me sens affreusement dépassé. Ce
travail de tchékiste ne me laisse même pas le temps de lire un journal,
et quant à continuer à m’instruire, il n’y faut pas penser{30}.

À en croire le témoignage de Sergo Beria, ce fut l’insurrection


déclenchée par les mencheviks en Géorgie en 1924 qui attira l’attention de
Staline sur le jeune Beria. Au moment où les puissances occidentales
s’apprêtaient à reconnaître l’URSS, les chefs mencheviques décidèrent de
lancer un soulèvement pour libérer la Géorgie des bolcheviks. Ils
s’imaginaient que par souci de respectabilité les dirigeants soviétiques
répugneraient à réprimer dans le sang une révolte populaire. Beria fut
informé de leurs plans par ses réseaux et il en avertit Ordjonikidzé. Celui-
ci autorisa Beria à prévenir secrètement les mencheviks en leur faisant
savoir que leurs projets étaient connus de la GPU, afin de les dissuader de
se lancer dans cette aventure.
Beria fit venir en secret l’ancien commandant de la Garde géorgienne
menchevique, Valiko Djougueli, pour le convaincre de renoncer en lui
prouvant que la GPU n’ignorait rien des projets des antibolcheviks.
Toutefois Djougueli se fit prendre à Tbilissi et il fut exécuté. Avant de
mourir il envoya aux mencheviks de Paris deux lettres, datées du 9 et du
12 août 1924, dans lesquelles il tentait de les dissuader de déclencher
l’insurrection ; il y précisait que la GPU était bien mieux renseignée que
ne le pensaient les émigrés, tout en soulignant que ce n’était pas la crainte
de la mort qui le poussait à écrire :

J’ai peur que vous ne pensiez que l’« air de la Tcheka » a exercé sur
moi ce mauvais effet. Je jure sur mon honneur que jamais je n’aurais
affronté la mort avec autant de calme qu’à présent{31}.

Mais les mencheviks ne crurent pas Djougueli et interprétèrent les


avertissements de Beria comme un signe de faiblesse des bolcheviks. Le
26 août, ils lancèrent l’insurrection qui dura deux semaines, mais en raison
d’un manque de coordination entre les commandants des forces insurgées
qui commirent l’erreur de soulever les provinces au lieu de commencer par
prendre Tiflis, elle fut défaite et écrasée dans le sang{32}.
Dans cette affaire, Beria n’avait pas hésité à passer par-dessus la tête de
son chef Épiphane Kvantaliani et des responsables régionaux du Parti pour
proposer une ligne d’action à Staline en personne. « Staline s’est souvenu
de sa conduite, il vit en lui un jeune homme capable d’analyser une
situation et de prendre des décisions originales. Ce fut le début de son
ascension{33} », écrit Sergo Beria. Une note de Staline au Politburo, datée
du 4 septembre 1924, permet de voir un peu plus clair dans le jeu de Beria
durant ces jours fatidiques. Staline y critiquait sans ménagement le
Zakkraikom – le Comité du Parti de Transcaucasie dirigé à l’époque par
Ordjonikidzé – et la GPU de Transcaucasie qui avaient fusillé les membres
du Comité pour l’Indépendance de la Géorgie – l’organe dirigeant des
partis antibolcheviques ayant préparé l’insurrection d’août 1924 – alors
que celui-ci venait, sous la torture, de « reconnaître ses erreurs et d’appeler
ses partisans à se rallier au régime soviétique » et alors que les insurgés
relâchaient les communistes prisonniers. Et Staline conclut :

Il est clair que la Tcheka de Transcaucasie n’avait pas le droit de


fusiller le Comité sans l’autorisation du Comité central. Menjinski
affirme que la Tcheka de Transcaucasie agit conformément aux
directives du Zakkraikom. Certes. Mais le Comité central a-t-il
délégué ses droits au Zakkraïkom ? […] Nous aurions beaucoup gagné
politiquement si nous nous étions abstenus de fusiller le Comité après
sa déclaration de repentir. En le fusillant nous avons donné un atout de
taille à nos ennemis en Occident. […] En publiant la déclaration de
repentir après l’exécution des hommes du Comité, nous en faisons des
héros de la Géorgie auréolés d’une gloire morale. […] J’estime qu’il
est inadmissible que chaque région mène sa politique au détriment de
la politique du Parti dirigée par le Comité central, comme à l’époque
féodale.
En conclusion Staline recommandait d’amnistier les insurgés qui
déposaient les armes{34}. Ce document permet de mieux comprendre
certains éléments du récit de Sergo Beria :

Seul Ordjonikidzé avait conservé un peu de sang-froid. Il envoya en


Kakhétie mon père et Chalva Tsereteli, alors le numéro deux de la
Kommandatura de la GPU de Transcaucasie, négocier avec
Tcholokachvili, le chef des insurgés. Personne ne les toucha, bien
qu’ils fussent sans escorte : à l’époque le sens de l’honneur existait
encore en Géorgie. Tcholokachvili refusa de les recevoir. Ses
représentants proposèrent de rendre les armes si on leur promettait
qu’ils ne seraient pas persécutés. Mon père répondit qu’il ne pouvait
faire une telle promesse, car il ne contrôlait pas la situation. […] De
nombreux opposants se rendirent et malgré les promesses faites ils
furent déportés en Sibérie ou fusillés. […] Quant à mon père, il eut
des mots avec Ordjonikidzé et il demanda l’autorisation de s’adresser
directement à Staline{35}.

Par la suite Beria se vanta que « Sergo [Ordjonikidzé] aurait fusillé toute
la Géorgie en 1924 si [il] ne l’avai[t] retenu{36} ». La manœuvre de Beria
était extraordinairement hardie : ce petit jeune homme de vingt-cinq ans
court-circuitait ses supérieurs, des bolcheviks renommés, en faisant appel
à Staline en personne. Il risquait gros, ce qui ressort du récit de son fils :

Pendant quelques mois le sort de mon père fut suspendu à un fil. Les
autorités du Parti examinèrent son cas. […] Sans doute sous
l’influence de Staline, Ordjonikidzé et Dzerjinski refusèrent sa
démission{37}.
Et, de fait, dès cette époque Beria s’attira l’inimitié de nombreux
communistes et tchékistes caucasiens qui voulurent le discréditer en
évoquant ses activités dans le contre-espionnage du Moussavat pendant
l’occupation britannique à Bakou en 1918-1919. Beria fut obligé de
remettre à Ordjonikidzé une copie de la décision du PC azerbaïdjanais de
1920 qui le « blanchissait » en affirmant qu’il s’était enrôlé chez les
moussavatistes sur ordre du Parti bolchevique{38}. Selon les Mémoires de
N. Kvantaliani, fils de l’ancien chef de la Tcheka géorgienne, Beria aurait
aussi présenté des documents et des témoins prouvant qu’il avait été
infiltré dans le Moussavat par les communistes – sans convaincre les
sceptiques{39}.
Dès cet épisode, Beria fit comprendre à Staline qu’il était capable de
s’opposer aux bolcheviks établis, ce dont Staline se souviendra au moment
voulu. Selon Orlov, Beria en vint à s’entendre avec Staline mieux qu’avec
Ordjonikidzé « car Staline était plus intelligent et il appréciait mieux les
qualités subtiles de l’intellect de Beria ». Il est vraisemblable qu’à
l’époque Beria fut dupe du jeu de Staline dont la tactique favorite était de
se présenter comme un « modéré » victime des excès de zèle de ses
subordonnés. N’oublions pas qu’en 1924, Staline, soucieux avant tout de se
démarquer de son rival Trotski, et déjà de Zinoviev et Kamenev, affectait
de défendre la NEP et faisait siennes les critiques « droitières » des
positions de ses rivaux gauchisants.
Beria continua à jouer son principal atout, l’intérêt d’Ordjonikidzé et de
Staline pour les affaires géorgiennes. Il va se faire une réputation de
spécialiste de l’émigration caucasienne, sujet pour lequel se passionnaient
Ordjonikidzé et Staline. Après avoir profité du soulèvement de 1924 pour
essayer de discréditer la GPU transcaucasienne, il eut, fin 1924, un motif
supplémentaire d’évincer cette dernière. La France ayant reconnu l’URSS
en octobre, s’ouvrit à Paris, dès le mois de décembre, sous couverture
diplomatique, une résidence de la GPU dont la tâche principale était
d’infiltrer et de neutraliser les organisations émigrées antibolcheviques.
C’est un tchékiste arménien, Simon Piroumov, qui se voit confier par la
GPU de Trancaucasie la mission de lutter contre l’émigration caucasienne.
Piroumov était sous les ordres d’un autre Arménien, Alexandre Miasnikov,
le premier secrétaire du Parti de Transcaucasie.
Le 22 mars 1925, Miasnikov, Solomon Moguilevski, chef de la GPU de
Transcaucasie depuis 1922, et Gueorgui Atarbekov, l’adjoint du
responsable de l’Inspection ouvrière paysanne dans le Caucase, un ancien
de la Tcheka transcaucasienne qui connaissait le passé trouble de Beria,
trouvèrent la mort dans un accident d’avion. Ces trois hommes se
méfiaient de Beria et bloquaient sa promotion. Leur disparition fut
providentielle pour la carrière du jeune Lavrenti. L’enquête officielle,
dirigée par Beria, mit en cause une défaillance mécanique{40}. Cependant,
les émigrés à Paris furent informés que les tchékistes géorgiens avaient
organisé l’accident. Selon leurs sources, Alexeï Sadjaia, le bras droit de
Beria, avait durant la nuit versé du sable dans le réservoir à essence de
l’avion{41}. Ce fut peut-être le premier acte de la lutte à mort entre la
Tcheka géorgienne et les structures fédérales transcaucasiennes qui se
termina, on le verra, par la victoire totale de Beria. Quelque temps plus
tard, Eugène Doumbadzé, un transfuge de la Tcheka géorgienne réfugié à
Paris en 1928, donna une série d’interviews retentissantes dans la presse de
l’émigration, dans lesquelles il dénonçait les atrocités commises par la
Tcheka de Transcaucasie, en soulignant le rôle d’Atarbekov, « le “tchékiste
rouge” qui se faisait gloire d’avoir fusillé sans pitié une masse de gens
pendant la guerre civile… un homme d’une cruauté froide se distinguant
des autres tchékistes{42} ».
À déchiffrer les événements de cette période, on a d’ailleurs
l’impression d’une connivence tacite entre les émigrés et la GPU
géorgienne dans la lutte souterraine entre GPU de l’URSS, GPU
transcaucasienne et GPU géorgienne. En témoigne, par exemple, l’affaire
Vechapeli. La GPU avait décidé d’organiser dans l’émigration géorgienne
une opération « changement de jalons » similaire à celle réalisée dans
l’émigration russe, consistant à inciter des personnalités en vue à faire acte
d’allégeance au régime soviétique. Fin 1924, elle réussit à se rallier
Grégoire Vechapeli, l’un des dirigeants du Parti national-démocrate
géorgien, ancien membre de l’Assemblée constituante de Géorgie. Recruté
et financé par Piroumov, celui-ci se mit à prôner la réconciliation avec la
Géorgie bolchevique et le « changement de jalons » dans une publication
mensuelle financée par Moscou, La Nouvelle Géorgie. Il y incitait les
émigrés géorgiens à revenir au pays. Les mencheviks de Paris suivaient de
près les agissements de Vechapeli et, en décembre 1925, les autorités
françaises décidèrent d’expulser cet agent de Moscou, mais devant les
menaces soviétiques de rétorsion, elles cédèrent{43}.
En juin 1926, se produisit une affaire qui plongea la police française
dans la perplexité : Vechapeli fut fort opportunément assassiné par
Avtandil Merabichvili, un jeune Géorgien arrivé à Berlin en août 1924 avec
une bourse soviétique. Ses liens avec la GPU géorgienne étaient notoires :
il avait fait scandale à Berlin en reconnaissant avoir été envoyé par la GPU
pour espionner l’émigration. En réalité il envoyait à la Tcheka géorgienne
des rapports sur les fonctionnaires soviétiques en place, notamment, on
s’en doute, sur Piroumov (novembre 1924){44}. Le chef de la colonie
géorgienne de Berlin l’avait expédié à Paris où il avait été pris en main par
les hommes de Noé Ramichvili, l’ancien ministre de l’Intérieur de la
Géorgie menchevique. Confrontées à ce meurtre d’un agent de la GPU par
un autre agent de la GPU, les autorités françaises ne savaient que penser.
Lors de son procès en juin 1927, Merabichvili expliqua en ces termes son
activité d’indicateur de Beria :

Étant donné que les répressions [après l’insurrection de 1924] ont été
exécutées non par des Géorgiens, mais par des étrangers ; étant donné
que je connaissais des faits qui pouvaient nuire à des personnes qui
nous ont opprimés, je voulais utiliser ces documents, les faire
connaître au président de la Tcheka géorgienne{45}.

La clé de l’énigme était la guerre secrète que se livraient GPU


géorgienne et transcaucasienne, qui avait été attisée par l’écrasement de
l’insurrection de 1924.
Beria s’arrangea pour faire capoter une autre entreprise qui avait coûté à
Piroumov bien des efforts et des subsides : le prétendu retournement et
recrutement de Kakoutsa Tcholokachvili, le héros de l’insurrection de
1924, qui s’était réfugié en France. Ce dernier feignit d’accepter de
collaborer avec la GPU. Il persuada Piroumov qu’il serait utile d’envoyer
en Géorgie deux de ses hommes de confiance afin de contacter les réseaux
clandestins de la résistance qui survivaient. Celui-ci accepta avec
empressement et finança l’opération, dans l’espoir d’organiser un
gigantesque coup de filet en Géorgie. Quelle ne fut sa surprise lorsqu’il
apprit que Beria avait renvoyé les émissaires à Paris ; pire encore, que l’un
des deux avait disparu dans la nature{46}. Ainsi Beria avait torpillé
l’opération phare de Piroumov qui fut sanctionné après cette débâcle. Et
encore, la GPU n’avait pas pris la pleine mesure de l’ampleur du désastre :
Tcholokachvili s’était laissé « recruter » à l’instigation des services
français, ses deux émissaires étant chargés de collecter des renseignements
en Géorgie{47}.
Tout en sabotant en douce l’action de ses concurrents Beria arrivait à
se poser en expert de l’émigration géorgienne auprès des hommes
qui comptaient à Moscou. Une lettre d’Ordjonikidzé à Staline, datée du
9 septembre 1925, évoque le succès de Beria à « retourner » un émigré
arrivé de Berlin et à le persuader de publier dans la presse une déclaration
dénonçant les mencheviks{48}. En décembre 1925, Beria put faire valoir
l’efficacité de ses réseaux en Turquie en adressant à Ordjonikidzé un
rapport sur la création à Constantinople du « Comité de la Confédération
du Caucase » patronné par l’ambassadeur de Pologne Roman Knoll{49}.
En 1926, Ordjonikidzé présenta Beria à Staline{50}. La même année,
Beria parvint à supplanter son chef Kvantaliani, tombé en disgrâce après la
visite d’une délégation turque à Tbilissi : les tchékistes géorgiens ayant
voulu à tout prix recruter des membres de la délégation, il y eut un
scandale monstre habilement exploité par Beria qui devint chef de la GPU
géorgienne et le numéro deux de la GPU de Transcaucasie{51}.
Ivan Pavlounovski, tchékiste chevronné qui avait écrasé la rébellion de
Kronstadt en mars 1921, fut nommé à la tête de la GPU de Transcaucasie
en même temps que Beria prenait la direction de la GPU géorgienne. Avant
de rejoindre son poste il eut un entretien avec Dzerjinski :

Le cam. Dzerjinski me dit qu’un de mes adjoints en Transcaucasie, le


cam. Beria, avait travaillé dans le contre-espionnage du Moussavat
sous le gouvernement moussavatiste. Cela ne devait pas m’inspirer de
méfiance à l’égard du cam. Beria, car le cam. Beria était infiltré dans
le Moussavat par les camarades responsables de Transcaucasie et lui
et Ordjonikidzé étaient au courant{52}.

Pavlounovski affirma aussi qu’à l’époque où il était en poste en


Transcaucasie, Ordjonikidzé lui avait fait part de sa haute opinion de
Beria.
Beria interpréta néanmoins l’envoi de Pavlounovski comme le résultat
d’une intrigue contre lui à Moscou. Son ambition était d’affranchir la GPU
géorgienne de la tutelle de la GPU transcaucasienne dont le chef était en
même temps l’œil de Moscou dans les affaires de la fédération. Les
relations entre les deux hommes ne tardèrent donc pas à tourner au
vinaigre. Pavlounovski se réjouit fort lorsque les chefs du Département
secret – chargé de la lutte contre les adversaires du régime – et du contre-
espionnage géorgiens vinrent se plaindre de ce que Beria négligeât ces
deux secteurs et concentrât toute son attention sur le département
économique. Il arriva même à convaincre Vsevolod Merkoulov, qui était le
speechwriter de Beria depuis 1923, d’adresser à Moscou une demande de
mutation car « il était impossible de travailler avec Beria{53} ». Malgré ce
succès, Pavlounovski ne fit pas long feu. Il rendit public son conflit avec
Beria, ce qui valut à celui-ci un blâme du Parti. Mais grâce à l’appui
d’Ordjonikidzé, Beria réussit à se débarrasser de son supérieur
encombrant{54}. En 1928, il fut muté et remplacé par Alexandre Kaoul,
dont le passage à la tête de l’OGPU de Transcaucasie fut encore plus
éphémère. Kaoul souhaitait nommer au poste de responsable du
Département secret opérationnel un non-Caucasien. Beria voulait confier
ce poste sensible à son protégé Tite Lordkipanidzé. Kaoul sembla
l’emporter : il imposa un certain Z. K. Argov. Beria ordonna à ses
collaborateurs de faire bon accueil au nouveau venu mais de ne le mettre
au courant de rien. Lordkipanidzé fut bombardé adjoint (et surtout
surveillant) d’Argov.
À l’été 1928, nouveau scandale. Ledit Argov se plaignit dans une lettre
au Collège de l’OGPU de ce que Beria « ignorât les directives de l’OGPU
centrale » et de ce que les dirigeants communistes géorgiens fissent preuve
d’« un nationalisme étroit ». Selon lui les Russes étaient en Géorgie dans
une situation comparable à celle des Juifs dans la Russie tsariste : « Si
Moscou n’intervient pas, nous les Russes serons étouffés. » Quant à la
GPU géorgienne, « elle ne faisait rien » à cause des liens de parenté entre
les tchékistes et les mencheviks – allusion transparente à l’épouse de
Beria –, de son nationalisme et de son recrutement douteux d’un point de
vue communiste. Cette lettre fut subtilisée par Lordkipanidzé, remise à
Beria qui la diffusa parmi ses subordonnés en traitant Argov de « chauvin
grand russe ». La lettre d’Argov fut examinée au Zakkraïkom et Argov fut
limogé, accusé d’aggraver les tensions déjà vives entre les GPU
géorgienne et transcaucasienne. Le 13 juin 1928, le Comité central du Parti
bolchevique adopta toutefois une résolution délimitant les compétences
des deux GPU{55}. Mais la position de Beria était déjà si éminente en
Géorgie que le budget de la république se discutait dans sa datcha{56}.
Cependant, Beria dut bientôt affronter une situation autrement délicate :
Staline nomma son beau-frère, Stanislas Redens, à la tête de la GPU de
Transcaucasie. Beria s’en tira avec astuce, commençant par se faire
apprécier de Redens pour ses capacités d’organisateur, au point que celui-
ci écrivit à Ordjonikidzé que Beria était de taille à diriger la GPU
transcaucasienne. Beria profita de ces bonnes dispositions pour faire
nommer des hommes à lui aux postes dirigeants de la GPU arménienne.
Mais Redens ne tarda pas à déchanter et se mit à intriguer pour que Beria
fût envoyé dans la basse Volga. Mal lui en prit : Redens était connu pour
son goût pour la boisson et les femmes. Beria mit sur son chemin une
séduisante jeune personne, fit surprendre le couple par un prétendu mari
jaloux armé jusqu’aux dents. La milice intervint et Redens qui était sorti
incognito en fut réduit, pour se tirer de ce guêpier, à appeler Beria qui ne
fit évidemment rien pour étouffer le scandale. Redens fut derechef
transféré en Ukraine au début de 1931{57}, tandis que Beria prenait la tête
de la GPU de Transcaucasie.

De la GPU au Parti.
La collectivisation offrit une nouvelle chance à Beria, dont il sut tirer
parti avec l’habileté que nous lui connaissons déjà. En effet, elle suscita un
ébranlement profond au sein du Parti, de l’armée et même de la GPU –, en
particulier en Transcaucasie où la campagne antireligieuse qui
l’accompagnait était particulièrement mal ressentie. Elle entraîna des
émeutes paysannes et une sourde opposition parmi les communistes
locaux. Inaugurant une tactique à laquelle il allait avoir recours durant
toute sa carrière, Beria en profita pour rédiger des rapports dévastateurs
mettant en cause les dirigeants du Parti à tous les niveaux. « Ces notes
démontraient que la GPU connaissait mieux la situation dans les provinces
de la Géorgie que le Comité central du PC de Géorgie et qu’elle
fonctionnait mieux que les organes du Parti et de l’État », se souvient
Merkoulov{58}. En mars 1929, la province musulmane de Géorgie,
l’Adjarie, se souleva. Beria se rendit sur place pour mater les insurgés. À
son retour, il rédigea une note pour Redens :

Maintenant que la tentative d’insurrection est liquidée, il faut se


pencher sur ses causes. […] Pour nous il ne fait aucun doute qu’elles
sont à chercher dans certaines mesures prises par les organisations du
Parti et les organisations des Soviets, qui se sont isolées des masses et
ont été incapables de tenir compte de l’état d’esprit de certaines
couches de la population. […] La cause principale des troubles est
l’utilisation de la violence pour contraindre les femmes à renoncer au
voile. Au lieu d’encourager les femmes à abandonner volontairement
le voile, les autorités locales ont eu recours aux menaces, aux
arrestations et à la force… Les communistes et les komsomols ont
parfois eu un comportement provocant.

Beria citait une phrase des insurgés : « Les communistes sont des loups
pour nous », et concluait que la révolte s’expliquait moins par les
agissements d’éléments antisoviétiques que par « des déformations de la
ligne du Parti et des causes objectives », comme l’extrême pauvreté des
paysans adjares. Il proposait de fournir aux paysans du bois et des
crédits{59}. Le 31 mai, à l’occasion du VIIe Congrès du PC de Géorgie
consacré à la collectivisation, Beria ne mâcha pas ses mots : dans de
nombreux districts, les communistes étaient « discrédités » et avaient peur
de se montrer. Les « erreurs » commises avaient entraîné l’activation des
forces antisoviétiques. La situation était telle que les organisations de
l’émigration étaient désormais capables de prendre la tête des mouvements
insurrectionnels, ce qui n’était pas le cas auparavant. Le Daghestan,
l’Arménie et l’Azerbaïdjan étaient en effervescence{60}. En juin 1930, il
signala aux autorités du Parti qu’à Bakou la disette sévissait au point
qu’une cantine avait servi du borchtch au lézard{61}.
À peine un foyer d’insurrection était-il éteint qu’un autre s’allumait. En
mars 1930, il fallut envoyer la troupe écraser un soulèvement en
Tchétchénie{62}. Le 11 mars, Beria et Redens écrivirent à Yagoda :

Les kolkhozes sont en train de se défaire à toute allure. La population


met à sac les Soviets ruraux, rosse et chasse les activistes du Parti.
[…] Lorsque nous voulons procéder à des arrestations, il arrive que
tout le village se dresse contre nous et nous sommes obligés de
renoncer, ce qui est interprété comme un signe de faiblesse. […]
L’exode vers la Turquie a lieu en masse dans les régions frontalières.
En Géorgie, en Arménie et particulièrement en Azerbaïdjan, des
groupes armés de koulaks passent dans la clandestinité.

Incidemment, cette note montre que les paysans de Transcaucasie


avaient des revendications politiques élaborées, énumérées par Redens et
Beria :

Libération des personnes incarcérées, mise à l’écart du Parti et du


Komsomol, des fonctionnaires des Soviets, liberté du commerce,
autorisation des importations de l’étranger, abolition des emprunts
d’État, publication des listes de mouchards, retour des paysans
déportés et restauration de leurs biens aux paysans dékoulakisés{63}.
En août 1930 fut découverte en Géorgie occidentale une organisation
menchevique de masse qui encadrait un vaste mouvement paysan. À
l’automne, l’Azerbaïdjan fut secoué par une insurrection armée à laquelle
participèrent de nombreux membres du Parti et du Komsomol ainsi que
des miliciens. Après la fête du 7 novembre commémorant la révolution,
Beria compila une synthèse sur l’état d’esprit des ouvriers de
Transcaucasie, citant les remarques rapportées par les mouchards de la
GPU : « Tout ce qu’on nous dit dans les discours est mensonger », « Les
kolkhozes ont ruiné les paysans et nous font crever de faim », « Si Rykov
arrive à se rallier quelques chefs, ils vont battre Staline », « À bas les
parasites communistes ». Et Beria de constater : « Les masses n’étaient
nullement d’humeur à faire la fête. » Quelques jours plus tard, le
20 novembre, Beria et Redens rédigèrent un rapport sur le moral des
ouvriers et des employés de Bakou. Les citations d’ouvriers en donnent la
tonalité : « On ne nous considère pas comme des êtres humains », « Les
ouvriers vivent mieux en Allemagne que chez nous », « Même un pays
arriéré comme l’Inde est mieux gouverné que nous. On nous nourrit
comme des porcs et si on dit la vérité on est taxé d’antisoviétisme », « On
parle de difficultés d’approvisionnement. La vérité est que le temps est
venu pour les bolcheviks de crever{64}. »
Staline s’inquiétait surtout des états d’âme au sein de l’OGPU, dont il
avait des échos. Le 16 septembre 1929, il écrivait à Menjinski, le
successeur de Dzerjinski à la tête de cette organisation :

Je dois vous mettre en garde contre des symptômes pathologiques au


sein de la GPU dont m’a fait part Redens. Il paraît que la mode est
chez les tchékistes de se livrer à une large autocritique au sein de leur
organisation. La même chose s’est produite récemment chez les
militaires. Si c’est vrai, il y là un risque de décomposition de la GPU
et d’effondrement de la discipline tchékiste… Si le phénomène se
confirme, il faut prendre des mesures résolues pour combattre ce
fléau{65}.
Un autre témoignage de la démoralisation des responsables de la GPU
figure dans une déposition ultérieure de M. P. Frinovski, l’adjoint d’Ejov
arrêté en 1939. Celui-ci y rapportait qu’en 1930, il rencontra
E. G. Evdokimov, le chef du Département secret opérationnel de l’OGPU,
alors qu’il faisait une tournée dans les régions insurrectionnelles de
Transcaucasie. Evdokimov lui confia qu’au Daghestan les gens disaient
« que les kolkhozes étaient kaput », que la situation était mauvaise ailleurs
que dans les républiques nationales, en Russie centrale par exemple, et que
certes il était possible de ruiner et d’anéantir le koulak, mais que le Parti
n’arriverait pas à créer une économie dans les campagnes ; l’URSS risquait
de connaître bien des difficultés. Quelques jours plus tard Evdokimov
confia à Frinovski qu’il avait beau être chargé de l’opération de liquidation
des koulaks en URSS, il ne croyait ni à son succès ni à son bien-fondé,
estimant qu’elle entraînerait la ruine des campagnes et la dégradation de
l’agriculture{66}.
En janvier 1931, c’est l’Abkhazie qui se souleva. Les paysans abkhazes,
considérés jusqu’ici comme l’un des piliers du régime soviétique en
Géorgie, étaient armés, à la différence des autres paysans géorgiens. Les
communistes s’enfuirent ou se rallièrent aux insurgés. Nestor Lakoba, le
chef de l’organisation du Parti abkhaze, sympathisait avec les insurgés et
hésitait à employer la manière forte, préférant négocier. Samson
Mamoulia, le chef du Parti de Géorgie, et Beria, chef de la GPU
transcaucasienne, furent envoyés sur les lieux pour mettre fin à la
révolte{67}. Mamoulia et Lakoba réussirent à apaiser les foules par la
négociation, en promettant des concessions aux insurgés – ce que Staline
ne leur pardonna pas. En avril, Beria envoya en Abkhazie Sardion
Nadaraïa, le chef de sa garde personnelle, pour désarmer les paysans, tâche
dont il s’acquitta sans effusion de sang, semble-t-il{68}.
Après ces soulèvements les autorités du Parti voulurent accuser la GPU
d’avoir mal fait son travail, de n’avoir rien vu venir. Beria eut beau jeu de
placer sous le nez des dirigeants un épais paquet des rapports de ses
services décrivant la situation explosive dans les campagnes. Déjà, en mai
1931, il avait demandé à Merkoulov rappelé d’Adjarie une synthèse sur la
situation politique en Géorgie{69}.
Comme en 1924, Beria sut de nouveau deviner et exploiter la tactique de
Staline consistant à rendre les exécutants de ses ordres responsables des
désastres provoqués par sa politique. Le temps était venu de désigner
des boucs émissaires parmi les dignitaires communistes. Beria se jeta
sur l’occasion de porter l’estocade décisive contre les vieux bolcheviks
caucasiens.
À nouveau il réussit à exploiter un recul tactique de Staline pour faire
avancer sa carrière. Le 5 août 1931, alors que Staline lançait une grande
purge au sein de la direction de l’OGPU, limogeant tous ceux qui avaient
manifesté des états d’âme{70}, Beria devint membre du Collège de
l’OGPU. Le 17 août Staline écrivit à Kaganovitch :

Je comprends maintenant que Kartvelichvili [vieux bolchevik


géorgien, protégé d’Ordjonikidzé] et le secrétariat du Comité central
géorgien ont, par leur folle politique de réquisitions de céréales,
entraîné la famine dans de nombreuses régions de Géorgie
occidentale. Ils ne comprennent pas que les méthodes ukrainiennes de
réquisitions, indispensables et indiquées dans les régions céréalières,
sont nuisibles dans les régions qui ne sont pas productrices de
céréales et n’ont pas de prolétariat industriel. On arrête les gens par
centaines, y compris des membres du Parti qui sympathisent avec les
mécontents et n’apprécient pas la « politique » du Comité central
géorgien. Mais avec des arrestations on ne va pas loin. Il faut
accélérer l’importation de blé, et immédiatement. Faute de quoi nous
aurons des émeutes de la faim, bien que le problème de
l’approvisionnement en céréales soit déjà résolu chez nous{71}.

Le témoignage de Sergo Beria laisse à penser que l’argument avancé par


Staline dans cette lettre venait de Beria :
Au moment de la collectivisation en 1930-1932, mon père adressa de
nombreuses lettres à Ordjonikidzé, Kirov, et Staline, dans lesquelles il
démontrait qu’il était déraisonnable de pratiquer la collectivisation
dans les régions montagneuses comme le Caucase{72}.

Staline avait une raison supplémentaire de s’en prendre aux notables


communistes géorgiens. À travers eux il voulait s’attaquer à Ordjonikidzé,
le protecteur du clan des bolcheviks géorgiens : « Ordjonikidzé continue à
mal se conduire », écrit-il dans la lettre à Kaganovitch citée plus haut. « Il
ne se rend sans doute pas compte que son comportement conduit
objectivement à l’effritement de notre groupe dirigeant et menace de le
détruire. » Dans ses Mémoires, Kandid Tcharkviani, qui sera premier
secrétaire du PC de Géorgie de 1938 à 1952, nous donne un magnifique
exemple de l’hypocrisie de Staline.

Staline se soignait à Tskhaltoubo [ville de cure réputée pour ses bains


de boue]. Il convoqua le chef du Parti de Géorgie, Samson Mamoulia,
et le chef du gouvernement, Lado Soukhichvili. Staline demanda à
Mamoulia : « Où en est le développement des kolkhozes ? » « Ça va
mal, camarade Staline », répondit Mamoulia. « Certains kolkhozes se
défont. Il est indispensable d’armer les communistes pour neutraliser
les éléments hostiles et maintenir les paysans dans les kolkhozes. »
Staline explosa : « Vous prétendez que les paysans doivent être
parqués dans les kolkhozes par la force des armes ! Que faites-vous
du volontariat et de l’intérêt des paysans moyens et pauvres{73} ? »

Ainsi Staline se retournait contre ceux-là mêmes qui avaient appliqué sa


politique, en posant au redresseur de torts. Dans une lettre à Kaganovitch,
Staline fit part de ses impressions de cette rencontre qui eut lieu vers le
20 août 1931 :
C’est un incroyable panier de crabes. Et la bagarre va durer. À mon
avis l’obstination des fauteurs de troubles et leur conviction que leur
activité antiparti sera impunie s’expliquent par le fait qu’ils comptent
sur l’intervention de Sergo [Ordjonikidzé] au cas où les choses
tourneraient mal. […] Presque tous mentent et rusent, à commencer
par Kartvelichvili. Beria, Polonski et Orakhelachvili [vieux bolchevik,
également proche d’Ordjonikidzé] ne mentent pas. […] C’est
Mamoulia [alors premier secrétaire de la république] qui produit
l’impression la plus désagréable. […] Le chef du gouvernement
géorgien Soukhichvili fait une impression comique, c’est un niais
irrécupérable. Je m’étonne que ces deux types aient été recommandés
par Sergo. Si nous n’intervenons pas, ces gens feront tout capoter par
leur bêtise. Ils ont déjà provoqué un fiasco avec la paysannerie en
Géorgie et en Azerbaïdjan. Sans une intervention sérieuse du Comité
central [du PC de l’URSS], Kartvelichvili et le Zakkraikom seront
incapables d’améliorer la situation, à supposer qu’ils le
souhaitent{74}.

Et Staline annonça une purge qui devrait avoir lieu fin septembre, au
moment de sa visite en Géorgie. En froid avec Ordjonikidzé, Beria s’était
maintenant assuré le patronage de Nestor Lakoba, le chef du Parti en
Abkhazie, un personnage important qui contrôlait l’accès à Staline lorsque
celui-ci y prenait ses vacances. Le 27 septembre, Beria lui écrivait :

Cher camarade Nestor ! Je te salue et t’envoie mes souhaits les


meilleurs. Merci pour ta lettre. J’aimerais beaucoup rencontrer le
cam. Koba [Staline] avant son départ. Ce serait bien que tu le lui
rappelles à l’occasion{75}.
Nadaraïa a laissé un récit vivant de cette visite de Staline en Abkhazie,
qui révèle de façon pittoresque la mentalité et les mœurs des bolcheviks
caucasiens. Le tableau brossé par Nadaraïa fait penser à la mafia
sicilienne, quand un signe convenu du parrain signifie la vie ou la mort de
ceux qui sont présents. Il montre avec quel matériau s’est bâtie la dictature
stalinienne : n’oublions pas qu’à cette époque les chefs bolcheviks ne
craignaient pas encore pour leur vie, seule leur carrière était en jeu. Beria,
les frères Lakoba et d’autres fonctionnaires de moindre importance étaient
présents au banquet donné en l’honneur de Staline. Beria prit Nadaraïa à
part et lui dit :

Assieds-toi au bout de la table, prends un verre et bois à la santé de


Staline. Mais n’oublie pas que nous aurons déjà porté des toasts à sa
santé. S’il te demande pourquoi tu n’as pas bu à sa santé auparavant,
au moment des toasts précédents, dis-lui : Excusez-moi, camarade
Koba, je suis arrivé en retard, je n’étais pas là.

Pour le toast, les choses se passèrent conformément au scénario prévu.


Dans son récit, Nadaraïa insiste sur le contraste entre Beria et les autres
Géorgiens rassemblés autour de la table. Tandis que ces derniers se
répandaient en flatteries interminables sur les mérites de Staline, le
discours de Beria fut « bref et clair ». Staline interrompit le discours fleuri
de Lakoba qui était pourtant l’hôte. Il rappela sévèrement l’insurrection
paysanne qui venait d’avoir lieu dans son fief abkhaze. Confus, Lakoba
crut pouvoir rétablir la situation en accablant son frère :

Camarade Koba, lorsque Trotski nous a visités en 1924, mon frère


l’accompagnait à la chasse au canard. Il lui servait de chien, allait
récupérer lui-même dans les marais les canards que Trotski avait
abattus.
De façon caractéristique, l’évocation de Trotski amena Staline à
rappeler que la Turquie avait offert l’asile à ce dernier – Staline n’avait pas
oublié le message de Kemal à Trotski : « Si vous préférez mon territoire à
celui des Soviets je ne vois pas d’objections à votre séjour. » Puis Staline
prit son verre en feignant de ne pas voir qu’il était vide : « Buvons à la
santé de Mamoulia », dit-il en portant le verre vide à ses lèvres.
« Camarade, pourquoi ne m’avez-vous pas versé de vin ? Ce camarade n’a
pas de chance, mais est-ce de ma faute ? » Lakoba comprit le signal. Il
arracha la poche de sa chemise et la déposa devant Staline avec les papiers
qu’elle contenait : « Camarade Koba, je ne veux pas que ma poche
contienne des documents signés par Mamoulia. » Staline répondit
placidement : « Vous n’aviez pas à vous arracher les poches, elles auraient
encore pu servir. » Lorsque les convives finirent par se lever pour prendre
congé, Beria se tourna vers Staline : « Camarade Koba, permettez-moi de
vous embrasser. » La réponse de Staline confirma que son étoile était au
zénith : « Je ne suis pas une jeune fille, je n’ai pas de mari, personne ne
sera jaloux, tu peux m’embrasser autant que tu veux. » Et il lui tendit la
joue{76}. Quant à Mamoulia, il sera fusillé en 1937…
Cette scène montre que Beria avait déjà à l’époque une bonne intuition
de la psychologie de Staline. Il le savait avide de flatteries mais pas de
flagornerie grossière. Il l’encensait par personne interposée – son garde du
corps Nadaraïa – tout en laissant ses collègues s’enferrer dans des
dithyrambes alambiqués. Lui jouait le jeu de la franchise, d’autant plus
qu’il s’agissait d’enfoncer les vieux bolcheviks caucasiens auxquels il ne
se sentait nullement lié. Bien plus tard, lors d’un dîner bien arrosé en 1946,
Staline déclara qu’il s’était mis à apprécier Beria « parce qu’il écrivait
courageusement la vérité sur la situation en Géorgie et en
Transcaucasie{77} ». Grâce aux informations sans fard de Beria, Staline
pouvait juger à leur juste valeur les rapports enjolivés que lui adressait
Mikheïl Kakhiani, le premier secrétaire de la Fédération de
Transcaucasie{78}. Ceci est corroboré par Vassili Staline dans une lettre
au Présidium rédigée de sa prison le 28 février 1955 : « J’ai souvent vu
comment Beria jouait au franc-parler devant mon père. Et
malheureusement celui-ci était dupe, il était persuadé que Beria n’avait pas
peur de dire “la vérité”{79}. »
Le 19 octobre 1931, les communistes de Transcaucasie reçurent un
blâme du Politburo pour leurs querelles de clan. Lavrenti Kartvelichvili
qui venait d’être nommé secrétaire du Zakkraïkom, fut remplacé par
Mamia Orakhelachvili. Sur recommandation de Lakoba et avec le soutien
d’Ordjonikidzé{80}, Beria fut promu deuxième secrétaire du Zakkraïkom
et premier secrétaire du PC géorgien. Selon le témoignage de Tcharkviani,
la nomination de Beria à la tête du Parti géorgien provoqua une levée de
boucliers et il fallut différer le Plénum tant la résistance fut vive, ce qui
était inouï pour l’époque{81}. Lors de la session inaugurale du Comité
central renouvelé, Orakhelachvili convoqua un groupe de communistes et
leur recommanda de surmonter leur antipathie pour Beria et de tâcher de
s’entendre avec lui, puisqu’il était nommé par Staline{82}.
La crise avait accentué le conflit entre les structures fédérales
transcaucasiennes et les organismes des républiques tentées par un repli
sur soi face à la pénurie{83}. Elle avait exacerbé le nationalisme des
républiques caucasiennes. En Géorgie, des responsables communistes
étaient même allés jusqu’à réclamer la création d’une armée nationale.
Beria sut exploiter cet état d’esprit lors de l’épreuve de force qui ne tarda
pas à l’opposer au nouveau chef du Zakkraïkom.
Celle-ci eut lieu en juin 1932, quand Orakhelachvili fit appel à
l’arbitrage de Staline en brandissant sa démission. Démarche imprudente :
les deux rivaux furent convoqués à Moscou et Staline se prononça en
faveur de Beria. Il écrivit à Kaganovitch : « Tout le monde dit que les
choses vont bien en Géorgie, l’état d’esprit est bon parmi les paysans. Et
c’est l’essentiel. » Lequel abonda dans son sens : « Les résultats parlent en
faveur de Beria{84}. » Le 13 juillet 1932, Staline reçut Beria et prit la
décision de limoger Orakhelachvili. Il expliqua son choix à Kaganovitch :
« Beria fait bonne impression. C’est un bon organisateur, efficace et
doué{85}. » Staline était alors si bien disposé qu’il accepta de diminuer les
livraisons obligatoires de la Géorgie en céréales.
Cependant Orakhelachvili ne se tint pas pour battu. Le 1er août, il
sollicita l’intervention d’Ordjonikidzé. Après avoir décrit dans sa lettre la
guerre que se livraient les administrations de la Fédération
transcaucasienne et les organismes dépendant de la République
géorgienne, il aborda ses relations avec Beria :

Nous ne nous voyons jamais. Nous ne nous parlons même pas au


téléphone. Cela ne veut pas dire qu’il ne se mêle pas des affaires du
Zakkraïkom, bien au contraire, il se comporte comme un commissaire
de la SDN dans un pays sous mandat.

En un mot, selon Orakhelachvili, on pouvait prévoir que Beria ne se


calmerait que quand les relations entre le Zakkraïkom et les républiques
ressembleraient à celles entre la GPU de Transcaucasie et la GPU de
Géorgie « sous la voïvodie de Beria », quand la première avait tout
simplement été phagocytée par la seconde{86}. Ordjonikidzé tenta alors
d’intervenir avec l’appui des vieux bolcheviks caucasiens :

Lorsque la candidature de Beria au poste de secrétaire du Parti de


Transcaucasie fut proposée, S. Ordjonikidzé et un groupe de
bolcheviks caucasiens manifestèrent une vive opposition. Ils
affirmèrent disposer d’informations prouvant la trahison de Beria, ses
liens avec les moussavatistes, le rôle qu’il avait joué dans
l’insurrection menchevique… Ils évoquaient aussi sa débauche : dans
le Caucase, Beria était surnommé le « sultan turc », c’est tout juste
s’il n’avait pas un harem… Staline était au courant de tout cela, mais
il imposa la nomination de Beria{87}.

Ainsi Orakhelachvili avait vu juste. Le 9 octobre 1932, Beria devint


premier secrétaire du Zakkraïkom. Il avait deviné que Staline voulait
soustraire la Transcaucasie au patronage d’Ordjonikidzé et, dès 1924, il lui
avait laissé entendre qu’il était l’homme sur lequel il pourrait s’appuyer à
cette fin. Désormais Beria était maître de la Transcaucasie. Il avait sa
chambre à l’hôtel Select à Moscou où il se rendait souvent. À chaque
séjour, il était invité chez Staline presque tous les soirs{88}. Il s’ingéniait
à trouver des moyens de s’introduire dans l’intimité du Guide. Ainsi il
combla d’égards la mère de Staline, forçant sa propre mère et son épouse à
la fréquenter. Grâce à la recommandation d’Ekaterina Djougachvili, il
plaça une cousine de sa femme, Alexandra Nakachidzé, comme économe
chez Staline{89}. À cette époque, Staline pardonnait tout à son favori :
ainsi, lorsqu’en septembre 1933 un garde côtier ouvrit accidentellement le
feu sur le canot dans lequel il se promenait au large de l’Abkhazie,
l’affaire se résolut sans le moindre scandale, et le prestige de Beria aux
yeux de Staline n’en souffrit nullement. En novembre 1933, Staline s’en
prit à la rédaction de la Pravda qu’il ne trouvait pas assez élogieuse à
l’égard de la direction du Zakkraïkom, c’est-à-dire de Beria{90}.
Cependant les vieux bolcheviks caucasiens ne désarmaient pas. Vers
l’été 1933, le front « anti-Beria » avait achevé de se cristalliser. Les
mécontents allaient s’efforcer de rallier Ordjonikidzé à leur cause. Ayant
appris par Baguirov que Lakoba avait répété à Ordjonikidzé les propos peu
flatteurs tenus sur lui par Beria au moment de l’insurrection de 1924, Beria
pris de panique envoya à son ancien patron une abjecte lettre de démenti le
8 février 1933 :

Cher Sergo ! Baguirov m’a fait part de choses si monstrueuses qu’il


est difficile d’y croire. Comment avez-vous pu admettre ne serait-ce
qu’un instant que j’aie pu faire des allégations aussi fantastiques,
absurdes et à tout prendre contre-révolutionnaires ? ! Comment
aurais-je pu dire : « Sergo aurait fusillé toute la Géorgie en 1924 si je
ne l’avais retenu », comment aurais-je pu parler d’« ingérences en
Transcaucasie » ? !...

Il implorait Ordjonikidzé de ne pas croire aux racontars et de le juger à


ses actes et aux progrès de l’économie en Transcaucasie{91}.
Puis Beria apprit que le vétéran bolchevique Levan Gogoberidzé répétait
à qui voulait l’entendre que le Parti ne l’avait jamais infiltré dans le
contre-espionnage du Moussavat. Tout cela remontait aux oreilles
d’Ordjonikidzé, au point que, dans une nouvelle missive, Beria se sentit
obligé de lui rappeler qu’il avait été « blanchi » par le PC d’Azerbaïdjan en
1920{92}. Il jugea toutefois plus prudent de charger Merkoulov d’aller
récupérer les dossiers le concernant dans les archives de Bakou{93}, en lui
disant que ces documents devaient être mis en lieu sûr car ils
l’innocentaient et que ses ennemis risquaient de les faire disparaître{94}.
Beria avait beau essayer de sauver ses relations avec Ordjonikidzé, le
fougueux Sergo prenait parti pour les vieux bolcheviks, au risque de se
brouiller avec Staline. Si l’on en croit Mikoïan, ce dernier éprouvait
d’ailleurs un malin plaisir à monter Ordjonikidzé contre Beria et
réciproquement. « Leur amitié passée se mua en une méfiance
absolue{95}. » Lors du XVIIe Congrès en janvier 1934, Ordjonikidzé
profita du séjour de Beria à Moscou pour lui reprocher les persécutions
qu’il faisait subir aux communistes géorgiens{96}. Mais loin de nuire à la
carrière de Beria, la brouille avec Ordjonikidzé contribua à son ascension,
car Staline était bien décidé à se débarrasser des vieux bolcheviks
caucasiens.
Ceux qui rencontraient Beria à cette époque avaient l’impression d’avoir
affaire à un gestionnaire avant tout préoccupé de résultats :

En 1932, il était impossible de distinguer quoi que ce soit de mauvais


en lui. Il faisait l’effet d’un homme intelligent doué de sens pratique.
Dans ses conversations avec Kouibychev, alors responsable du
Gosplan, il accordait une grande attention aux problèmes
économiques de la Transcaucasie, se souvient Anna Larina, la veuve
de Boukharine{97}.

Nami Mikoïan, la bru d’Anastase Mikoïan et la nièce de Grigori


Aroutiounov, premier secrétaire du Parti communiste arménien à partir de
1937, a fréquenté les Beria durant ces années. Elle a laissé ses impressions
d’enfant :

Beria nous attirait tous par sa force intérieure, son magnétisme, le


charme de sa personnalité. Il n’était pas beau, et portait un pince-nez,
ce qui était rare à l’époque. Son œil de faucon était pénétrant. Il était
dominateur, sûr de lui et hardi. Même moi, petite fille de cinq-six ans,
je le regardais fascinée nager plus loin que tous dans une mer
déchaînée. […] En famille il était sévère et tranquille, toujours
avenant avec les enfants. […] Il avait le goût du beau, il aimait le
confort discret et élégant{98}.

Le diplomate italien Pietro Quaroni en brosse un portrait moins flatteur :

Une stature moyenne, mince alors, presque sec, des cheveux


soigneusement lissés de façon à dissimuler une calvitie plus que
naissante, un visage blême, quasi cadavérique, des yeux clairs, un
regard légèrement fuyant derrière le pince-nez : davantage l’aspect
d’un professeur de sciences exactes que d’un policier{99}.

La correspondance de Beria avec Staline et les membres du Politburo


révèle que Beria se montra surtout un habile lobbyiste de la Géorgie et de
la Transcaucasie auprès de Moscou. Ses connaissances techniques lui
permettaient d’argumenter de manière convaincante en faveur de projets
industriels contribuant au développement économique de son fief. Il savait
décrocher des investissements, arracher une diminution des normes du
plan imposées à ses compatriotes. Il obtint que des entreprises sous
contrôle fédéral fussent transmises au gouvernement géorgien, tout en
plaçant l’industrie lourde sous la tutelle directe du commissariat du peuple
à l’Industrie lourde{100}. Lorsqu’en 1936 Moscou décida d’installer une
base navale à Poti, il en profita pour faire moderniser le port{101}. Beria
attachait une importance particulière à l’agro-alimentaire qui devint le
principal « créneau » de la Géorgie dans l’économie soviétique. Il assécha
les marais de Colchide, débarrassant la Géorgie du fléau de la malaria, et
développa l’industrie pétrolière de Bakou. Dès cette époque, il s’intéressait
à la manière dont fonctionnait l’économie « capitaliste » et il n’hésitait pas
à la citer en modèle : en juillet 1935, il donna en exemple aux
communistes de Bakou les compagnies pétrolières américaines{102}.
Tout cela ne l’empêchait pas de continuer à faire sa cour à Staline. Il fit
construire un musée en son honneur à Gori, la ville natale de celui-ci.
En 1936, il accompagna, tout fier, une délégation culturelle géorgienne à
Moscou – sans oublier de donner des conseils de prudence à ses
compatriotes :

Faites attention, camarades, ne promettez rien d’irréalisable au


camarade Staline. Il a la mémoire longue et il serait capable de vous
dire dans dix ans : « Pourquoi n’avez-vous pas tenu votre
promesse ! »{103}.

Il n’oubliait pas non plus de soigner ses relations avec les autres
membres du Politburo, qu’il recevait au moment de leurs vacances en
Géorgie et éblouissait de sa fastueuse hospitalité caucasienne.
Khrouchtchev avait une fort bonne opinion de Beria durant ces années :

Après ma première rencontre avec Beria je me rapprochai de lui. Il


me plut : il était simple et avait de l’esprit. Lors des plénums du
Comité central, nous étions le plus souvent assis côte à côte, nous
échangions nos avis et nous nous payions la tête des orateurs. Beria
me plut tant qu’en 1934, quand je pris mes vacances pour la première
fois près de Sotchi, j’allai le voir en Géorgie{104}.
Et d’ajouter : « Il était intelligent, d’esprit extrêmement agile. Il
réagissait vite à tout, et cela me plaisait{105}. »
Sergo Beria affirme que son père organisa les purges en Géorgie à
contrecœur. On peut le croire sur ce point : en 1937, aucun responsable du
Parti ne pouvait savoir si la hache qu’il levait contre ses proches n’allait
pas s’abattre aussi sur lui. Lors du procès de Beria, les atrocités de la
Grande Terreur en Géorgie lui furent imputées comme si la seule Géorgie
avait été la scène de ces massacres en 1937-1938. En réalité, ce qui fut
révélé en 1953 à propos de la Géorgie pouvait s’appliquer à n’importe
quelle région de l’URSS. La Géorgie se distingua en ceci qu’elle
intéressait particulièrement Staline qui y avait de vieux comptes à régler.
Ainsi, pour la plupart des républiques de l’URSS, les purges furent
organisées et surveillées par des membres du Politburo dépêchés à ces fins.
Dans le cas de la Géorgie, Staline convoqua Beria à Moscou afin de lui
donner ses consignes. Ceci n’excuse nullement Beria pour les crimes
commis. Mais il ne faut pas oublier que tout responsable soupçonné de
manquer de zèle dans l’extermination de ses semblables était fusillé à son
tour – comme le disait Barras, il fallait être guillotineur pour n’être point
guillotiné{106} – et encore, les bourreaux n’étaient pas sûrs d’en
réchapper, bien au contraire.
Illarion Talakhadze, le procureur de la République, a laissé un
intéressant témoignage sur le fonctionnement des troïkas du NKVD en
Géorgie{107}. Il fut convoqué dans le bureau de Beria au début de 1937,
très certainement après le Plénum de février-mars 1937 au cours duquel un
Staline menaçant prit la parole pour dénoncer le manque de vigilance des
dirigeants soviétiques à tous les niveaux et mettre en garde contre « les
loups déguisés en agneaux », c’est-à-dire les communistes apparemment
exemplaires qui en réalité étaient selon lui des ennemis habilement
camouflés. En présence de Sergueï Goglidzé, alors chef du NKVD, et de
ses adjoints Avksenti Rapava et Chalva Tsereteli, Beria lut la résolution du
Comité central qui faisait état d’un complot aux ramifications multiples au
sein du Parti, ayant pour but le renversement du régime soviétique et la
restauration du capitalisme – le texte de la résolution ne pouvait être
communiqué que par oral. Le Comité central estimant que les organes
judiciaires n’étaient pas de taille à éradiquer ce complot, l’ordre était
donné d’organiser des troïkas comprenant le chef du NKVD, son adjoint et
le procureur de la République. Ces troïkas devaient prononcer leur verdict
en l’absence de l’accusé. Elles expédiaient le menu fretin, tandis que le
Collège militaire de l’URSS était chargé des affaires importantes.
À partir d’avril 1937, lorsqu’Ejov entreprit de débusquer un vaste
complot dans lequel étaient impliqués d’anciens dirigeants du NKVD et
des officiers supérieurs de l’Armée rouge, lorsque les purges
commencèrent à décimer la nomenklatura du Parti, tous les dirigeants des
républiques et des régions devaient être fort inquiets. Désormais les
tchékistes géorgiens n’ont plus besoin de l’autorisation de leurs supérieurs
pour pratiquer la torture.
Il existe des indices de la réticence de Beria. Lors du Xe Congrès du
Parti communiste géorgien, le 15 mai 1937, il déclara :

Nous devons agir intelligemment, afin d’éviter qu’un extrême ne


mène à un autre extrême. Si nous traitons indistinctement de la même
manière tous les anciens déviationnistes nationalistes et les anciens
trotskistes, parmi lesquels certains se sont honnêtement éloignés du
trotskisme depuis longtemps, nous risquons de compromettre la lutte
avec les vrais trotskistes, les ennemis et les espions{108}.

Le lendemain la Pravda critiqua vigoureusement ce Xe Congrès.


Staline fut ulcéré d’apprendre que l’instruction de l’affaire du
« national-déviationniste » Tenguiz Jguenti était menée non par les
enquêteurs du NKVD, mais par le Bureau du Comité central géorgien, sans
que le suspect fût incarcéré. Jguenti parvint à se suicider le 24 mai 1937.
Staline convoqua à Moscou Beria qui se hâta de s’exécuter en talonnant ses
hommes, comme en témoigna Goglidzé, ministre de l’Intérieur de Géorgie,
lors du procès de Beria :
Nous commençâmes à battre systématiquement les inculpés au
printemps 1937. Un jour Beria revint de Moscou et me demanda de
convoquer tous les responsables régionaux du NKVD. Il nous réunit et
déclara que les organes de sécurité de Géorgie ne combattaient pas
assez les ennemis{109}.

Comme l’un des chefs régionaux se vantait d’avoir arrêté 28 trotskistes,


Beria lui dit : « Tu seras le 29e si tu coffres si peu de monde{110}. »
Pourtant, devant ses proches, il laisse percer ses réticences. Selon un
communiste géorgien, Alexandre Mirtskhoulava :

Un jour Beria réunit un certain nombre d’entre nous (on ne pouvait


pas parler librement devant tout le monde) et il nous dit : « Ça va
mal. » Il était mécontent de toutes ces arrestations mais ne pouvait
rien faire{111}.

Dès le 31 mai 1937, Beria soumit à l’approbation de Staline une liste de


139 condamnés à mort. Le 20 juillet il lui écrivit :

200 personnes ont déjà été fusillées. […] J’estime qu’il faudra en
fusiller au moins 1000, parmi les contre-révolutionnaires de droite,
les trotskistes, les espions, les saboteurs, etc. Sans compter les
anciens koulaks et les criminels revenus d’exil, qu’il faut faire
condamner à mort de manière administrative par la troïka créée
auprès du NKVD de Géorgie conformément à la décision du Comité
central{112}.
La Géorgie ne pouvait faire moins que la Russie à son échelle, d’autant
que Staline suivait de près les affaires géorgiennes afin d’assouvir de
vieilles vengeances, notamment de liquider les restes du clan « national-
déviationniste » qui avait osé le braver en 1922, et d’éradiquer le groupe
des protégés d’Ordjonikidzé auxquels il ne pardonnait pas de connaître
l’histoire vraie du mouvement révolutionnaire dans le Caucase. De vieux
bolcheviks géorgiens étaient mis en cause dans les procès de Moscou,
sûrement sous la dictée de Staline qui régentait ces procès dans le détail.
Ainsi Boudou Mdivani fut accusé d’avoir fait partie d’un « centre
trotskiste » dirigé par Guiorgui Piatakov et Leonid Serebriakov. Christian
Rakovski et Grigori Sokolnikov affirmèrent lors de leur procès lui avoir
remis du poison pour assassiner Staline. Rakovski avoua que Mdivani et
lui étaient des espions anglais{113}. Ces dépositions étaient envoyées à
Tbilissi. De son côté Beria tenait Staline au courant du progrès des
« enquêtes » en cours et lui transmettait les procès-verbaux des
interrogatoires des vieux bolcheviks.
La Géorgie eut donc ses grands procès conformes aux canons de
l’époque. Dès le 20 juillet 1937, Beria envoya à Staline un long rapport sur
un « centre contre-révolutionnaire droitier » dont les tentacules
s’étendaient à toute la Transcaucasie{114}. La Géorgie y alla aussi de son
complot « militaro-fasciste », de son « centre SR », de son « bloc
trotskiste-zinovieviste ». Un « centre menchevik-trotskiste-fasciste » fut
débusqué en Adjarie. En août 1937, eut lieu le procès des vieux bolcheviks
Guerman Mgaloblichvili et Petre Agniachvili. Le premier était accusé
d’être un espion anglais et allemand, d’avoir saboté l’élevage en inoculant
au bétail du poison, le second d’avoir comploté contre Beria et projeté son
assassinat. Par crainte de tomber lui-même sous le hachoir, Beria sacrifiait
ceux dont il avait été proche : « Il voyait que les gens sur lesquels il
s’appuyait, ceux qui appliquaient sa politique étaient anéantis et que la
base de toute existence nationale des républiques caucasiennes était
détruite », se souvient son fils{115}. D’autres, tel Chalva Tsereteli, accusé
d’être un espion et un comploteur, en réchappèrent de justesse.
On peut penser que l’inquiétude de Beria fut à son comble lorsqu’en
septembre 1937 une commission d’inspection dirigée par Mikhaïl Litvine,
le chef du Département opérationnel secret du NKVD, fut dépêchée en
Arménie pour contrôler le chef du NKVD arménien et conclut que celui-ci
n’avait pas mis assez d’ardeur à pourfendre les ennemis du peuple. Les
arrestations se multiplièrent et les enquêteurs moscovites obtinrent des
dépositions contre Beria{116}. En janvier 1938, Youvelian Soumbatov-
Topouridzé, le chef du NKVD d’Azerbaïdjan, un homme de Beria, fut
limogé. Mais Staline ne retira pas sa protection à son favori qui, sentant le
vent du boulet, arrêtait et fusillait à tout-va en Géorgie.
Pour incarcérer un membre du Parti, il fallait l’autorisation du comité du
parti dont il était membre. La troïka siégeait de minuit à 3 ou 4 heures du
matin dans le bureau de Goglidze. Goglidze, Rapava et Bogdan Koboulov,
alors chef de la section politique secrète du NKVD, présentaient sur
chaque dossier un rapport de 2 ou 3 minutes. Puis la troïka décidait, en
l’absence de l’accusé : la mort, la déportation pour au moins 8 ans, un
complément d’enquête ou le transfert du dossier au Collège spécial de la
Cour suprême de Géorgie. Beria n’a jamais mis les pieds aux sessions de la
troïka qui organisait les purges. Il donnait ses instructions à
Koboulov{117}.
En octobre 1937, Beria écrivit à Staline que les prisons géorgiennes
étaient bondées : en un an, 12 000 Géorgiens avaient été arrêtés. Pour
remédier à cet engorgement des lieux de détention, Beria proposait de
créer un Collège spécial de la Cour suprême de Géorgie qui puisse prendre
la relève du Collège militaire de la Cour suprême de l’URSS, débordé
selon lui par l’afflux des affaires à juger{118}. Visiblement Beria voulait
garder le contrôle de la machine des purges dans son fief. Finalement les
troïkas héritèrent de la plus grande partie des dossiers.
Un fonctionnaire du Komsomol a raconté, en 1955, comment étaient
débusquées les « organisations contre-révolutionnaires » en Géorgie. Il vit
un jour arriver des officiers du NKVD qui lui demandèrent de constituer
une liste des komsomols les plus actifs et de leur famille. Il leur remit la
liste. La nuit même tous ces activistes furent arrêtés. Seuls 6 sur 30
survécurent, les autres furent fusillés{119}.
La purge était aussi l’occasion de régler de vieux comptes, bien que
Beria aimât à répéter qu’« en politique il n’y avait point de place pour la
vengeance{120} ». Levan Gogoberidzé et Orakhelachvili, qui, du reste,
était dans le collimateur de Staline pour avoir rédigé une biographie trop
élogieuse d’Ordjonikidzé, furent fusillés. Le poète Titsian Tabidzé, accusé
notamment d’avoir cornaqué André Gide durant son séjour à Tbilissi et
d’en avoir profité pour lui transmettre des informations
antisoviétiques{121}, fut sauvagement torturé puis exécuté. Le poète
Paolo Yachvili, se sentant succomber sous la torture, préféra se suicider.
Selon de nombreux témoignages, Beria assistait et participait aux séances
de torture. C’est en sa présence que l’écrivain Mikheïl Djavakhichvili fut
roué de coups par Koboulov{122}. Kandide Tcharkviani, le futur premier
secrétaire de Géorgie, se rappelle qu’un jour à l’Opéra, il entendit Beria
dire en riant à son épouse : « Ninka, regarde cet homme, on dirait
Tchkheidzé ! Nous l’avons fusillé il y a trois jours et le voilà comme
ressuscité{123} ! »
Au total la Géorgie fut la république de l’URSS où la proportion de
victimes des répressions, par rapport à la population, fut la plus
élevée{124}. Selon le témoignage de Goglidzé au procès Beria en 1953,
Ejov avait fixé une norme de 1 500 condamnés à mort pour la Géorgie (en
fait 2 000 d’après les instructions du 30 juillet 1937). Or 12 382 personnes
furent jugées par la troïka du NKVD, et 6 767 furent condamnées à mort.
Beria avait considérablement dépassé les objectifs du plan{125}. Staline
était soucieux d’éradiquer complètement les vieux bolcheviks géorgiens,
avec toute leur famille et leur descendance. Beria s’acquitta de cette tâche
avec son efficacité habituelle.

Un parcours sans fautes


Simple brigand, il n’eût tué que pour voler, ce qui aurait limité ses
meurtres. Représentant de l’État, il entreprend le massacre en grand, et il
a des moyens de l’accomplir{126}
[|Hippolyte Taine].

La toute-puissance subite et la licence de tuer sont un vin trop fort pour


la nature humaine ; le vertige vient, l’homme voit rouge, et son délire
s’achève par la férocité{127}
[Hippolyte Taine].

Pour comprendre les causes de la carrière météorique de Beria à partir


de 1935, il faut revenir au contexte des années 1934-1935 marquées par un
nouveau virage dans la politique de Staline. La collectivisation et
l’effroyable famine de l’hiver 1932-1933 avaient suscité un malaise dans
le Parti et dans l’armée. Sur le plan international, la situation n’était pas
moins menaçante. Staline craignait plus que jamais l’émergence d’un front
uni de tous les « impérialistes » contre l’URSS. Dans une note du 24 juin
1932, la GPU mettait en garde contre une entente éventuelle entre la
France, la Pologne et l’Allemagne :

En échange de concessions à l’Allemagne, la Pologne pourra se


dédommager largement au détriment de l’Ukraine soviétique. En cas
d’alliance entre la France, la Pologne et l’Allemagne, l’Angleterre se
cantonnera à un rôle d’observateur bienveillant, mais si ces pays
envahissent l’Ukraine, l’Angleterre s’efforcera de s’emparer de la
Crimée et sous prétexte de libérer la Géorgie elle mettra la main sur
les puits de pétrole du Caucase{128}.

En 1933, Staline s’était fort inquiété de l’initiative mussolinienne d’un


pacte à quatre entre France, Allemagne, Grande-Bretagne et Italie, dans
lequel il voyait l’ébauche de ce « front uni des impérialistes » contre
l’URSS, le cauchemar de la diplomatie soviétique depuis Lénine. Staline
avait compris qu’il fallait tirer l’URSS de son isolement international. En
décembre 1933, il décida de faire entrer l’URSS à la SDN, ce qui fut fait en
septembre 1934{129}.
En 1934, la situation internationale était encore plus inquiétante pour
Staline. Le régime hitlérien s’affirmait et ne cachait pas sa volonté de
traduire son antibolchevisme par un programme d’action. Au printemps, le
Komintern commença à ébaucher son rapprochement avec la social-
démocratie européenne. En URSS, il y eut un mini dégel. Le jazz fut
autorisé. Le NKVD, qui succédait à l’OGPU, n’avait plus de fonction
judiciaire. Le 19 novembre 1934, le correspondant moscovite du Baltimore
Sun écrivait avec un bel optimisme : « La Russie rouge devient
rose{130}. »
À l’automne, le NKVD signala le danger d’une alliance entre
l’Allemagne, la Pologne et le Japon. Il informa Staline qu’en juillet,
Piłsudski et Hitler avaient convenu qu’en cas de coopération militaire
franco-soviétique, la Pologne et l’Allemagne concluraient une alliance
défensive avec le Japon{131}. Staline prit cet avertissement très au
sérieux. En mars 1935, Anthony Eden, alors représentant britannique à la
SDN, fut invité à Moscou. En juin, ce fut le tour de Pierre Laval, le
président du Conseil français. On pouvait penser que Staline consentait à
une politique de détente, à l’intérieur et avec les démocraties occidentales.

Le projet de Constitution et la fronde des méridionaux.


Y eut-il une opposition réelle à Staline dans les années 1934-1937 ?
Nombre d’historiens russes soutiennent aujourd’hui qu’il y eut des groupes
antistaliniens, que Staline affronta une résistance sourde parmi les grands
du Parti, voire des complots réels. Certains de ces historiens en profitent
pour justifier la Grande Terreur{132}. Il est difficile de faire la part des
choses, étant donné leur volonté apologétique éhontée et la manière
sélective dont ils usent des archives. Mais, à l’époque, des observateurs
étrangers étaient persuadés qu’une opposition clandestine subsistait en
URSS. Ainsi l’attaché militaire japonais à Moscou signalait à Tokyo, en
avril 1934, que Staline « avait des ennemis politiques » et que des groupes
d’opposants essayaient de nouer des contacts avec les émigrés{133}. Il est
hors de doute que la haine de Staline était puissante au sein des élites, sans
parler de la paysannerie martyrisée. Nous nous bornerons ici à évoquer les
bolcheviks caucasiens qui nous intéressent directement, en recoupant les
sources dont nous disposons, notamment les publications des émigrés qui
suivaient de près les événements en URSS et qui parfois étaient bien
renseignés.
Dans le Caucase, l’animosité entre bolcheviks et mencheviks était
moindre qu’en Russie. Parmi les bolcheviks caucasiens, certains
souhaitaient garder le contact avec les sociaux-démocrates de l’émigration.
Comme en témoigne leur presse, les émigrés géorgiens étaient
régulièrement informés par un groupe de bolcheviks nationalistes. Après le
traumatisme de la collectivisation, cette volonté de renouer des liens avec
les socialistes européens se renforça. Nombre de bolcheviks caucasiens
devaient espérer que la détente qui s’était amorcée à partir de l’été 1933 et
qui semblait se confirmer en 1934 allait s’accentuer à la faveur du
rapprochement avec les démocraties occidentales et de la réconciliation
avec la IIe Internationale{134}. Fin 1934, Boudou Mdivani confia à un
proche qu’en cas de guerre la direction du Parti devrait se tourner vers
l’opposition parce qu’elle ne serait pas en mesure d’organiser l’effort de
guerre et que l’opposition pourrait en profiter pour s’emparer du
pouvoir{135}. Ces attentes atteignirent leur apogée pendant l’élaboration
du nouveau projet de Constitution.
Un document signé par Avel Enoukidzé et daté du 19 mai 1934
mentionne pour la première fois la « demande d’un groupe du Parti » de
discuter les « questions constitutionnelles{136} ». Et c’est à Enoukidzé
que Staline confia la rédaction du projet d’amendements de la
Constitution{137}. Vieux bolchevik géorgien proche de Staline, celui-ci
était, depuis 1922, le président du Comité exécutif du Soviet et, depuis
1934, membre du Comité central du Parti. Les historiens russes sont
unanimes pour affirmer qu’Enoukidzé n’a jamais trempé dans
l’opposition, même s’il ne refusa jamais son aide aux familles des
victimes des répressions, ce qui dans le contexte stalinien équivalait
presque à une prise de position politique. Il avait aussi manifesté
des réticences à l’égard de la collectivisation et, comme les « droitiers », il
estimait qu’il ne fallait pas écraser les paysans d’impôts, ce qu’il avouera
après son arrestation{138}. Vindicatif comme toujours, Staline ne le lui
avait pas pardonné et, dans son fameux discours du 7 juin 1937 annonçant
le bain de sang dans le Parti, Staline déclara, entre autres : « Voyez-vous
ça, ils ont eu pitié des paysans. Ce salaud d’Enoukidzé a eu pitié des
paysans{139}… »
Cependant, Grigori A. Tokaev, un transfuge ossète passé à l’Ouest en
1948, estimait qu’Enoukidzé était allé plus loin dans la résistance à
Staline. Il affirme dans ses Mémoires qu’il existait un groupe antistalinien
gravitant autour d’Enoukidzé et de Boris P. Cheboldaev, secrétaire du Parti
du Caucase du Nord à partir de 1931. Ce témoignage a été indirectement
confirmé par Khrouchtchev selon qui, lors du XVIIe Congrès du Parti en
janvier-février 1934, Cheboldaev vint trouver Kirov pour lui dire qu’il
était temps de revenir au « testament » de Lénine, d’écarter Staline et de le
remplacer par Kirov. Ce dernier aurait rapporté tout cela à Staline qui
aurait répondu : « Merci, camarade Kirov{140}. » Tokaev dit avoir appris
de Cheboldaev les projets constitutionnels d’Enoukidzé qui voulait
extirper le stalinisme par la racine et en était arrivé à la conclusion qu’il
était indispensable de remplacer l’URSS par une « véritable union de
peuples libres{141} ». Il fallait, selon ce projet, diviser l’URSS en dix
régions naturelles : les États transcaucasiens unis – Arménie, Géorgie et
Azerbaïdjan, avec Tbilissi pour capitale –, les États nord-caucasiens unis –
capitale Rostov sur le Don –, la république démocratique d’Ukraine, la
république démocratique socialiste de Biélorussie, les États-Unis de la
moyenne Volga, l’Association des peuples du Turkestan, la république
démocratique du Nord – capitale Leningrad –, la république démocratique
de Moscou, la république démocratique de l’Oural – capitale Sverdlovsk –,
la République démocratique sibérienne. Tout comme Enoukidzé,
Cheboldaev périt dans les purges en 1937, accusé de s’être entouré « de
trotskistes ennemis du Parti{142} ».
La presse de l’émigration géorgienne de l’époque corrobore
indirectement le témoignage de Tokaev. Selon des informations parvenues
aux mencheviks géorgiens exilés, Enoukidzé avait rassemblé dans son
secrétariat des partisans de ses vues « dissidentes{143} », selon lesquelles
la politique de Front populaire ne devait pas seulement être à usage
externe. Il était partisan d’entamer immédiatement des pourparlers avec la
social-démocratie russe et surtout la social-démocratie géorgienne{144} :
« J’avais conservé de nombreuses relations d’amitié avec les
mencheviks », reconnaîtra-t-il lors de son procès{145}. Ces rumeurs
étaient jugées si crédibles qu’en 1934 les émigrés géorgiens de droite
s’inquiétaient de l’éventualité d’une réconciliation des deux
Internationales, socialiste et communiste : « Noé Jordania [l’ancien
président de la Géorgie indépendante] pourrait bien se jeter dans les bras
de son vieux compagnon d’armes Staline », écrit par exemple Spiridon
Kedia, le chef du Parti national-démocrate{146}. Ivan Maïski,
ambassadeur soviétique à Londres et ancien menchevik, nota dans son
Journal qu’à la veille des fêtes de la révolution, en novembre 1934, le
menchevik Fiodor Dan s’attendait à une amnistie et avait déjà fait ses
valises pour partir à Moscou{147}. Et en avril 1935, les mencheviks
géorgiens attendaient la venue imminente d’Enoukidzé à Paris{148}. En
réalité, fin février 1936, c’est Boukharine qui fut autorisé à se rendre en
France pour y négocier avec les mencheviks Fiodor Dan et Boris
Nicolaevski l’achat des archives de Karl Marx détenues par les sociaux-
démocrates allemands – ce fut un échec, Staline estimant que le prix
demandé était trop élevé.
L’agenda des visiteurs de Staline révèle que, de juillet à décembre 1934,
Enoukidzé ne fut pas reçu par Staline. Ils ne se virent que les 1er, 4 et
5 décembre 1934. La date du Congrès des Soviets de la RSFSR, au cours
duquel les amendements devaient être présentés, dut être reportée du
5 janvier 1935 au 15 janvier, et la question d’une révision de la
Constitution n’y fut pas évoquée, contrairement à ce qui était prévu, ce qui
indique que les propositions d’Enoukidzé, formulées le 10 janvier 1935,
déplurent à Staline. Le 14 janvier, celui-ci chargea Molotov de préparer la
session du Soviet suprême où devait être abordé le projet d’une révision de
la Constitution. Il préférait confier cette tâche à un homme sûr. Le
28 janvier, Molotov formula les buts de la réforme :

La Constitution soviétique doit être modifiée de façon à fixer les


acquis de la révolution d’Octobre, tels que la création du système
kolkhozien, la liquidation des éléments capitalistes, la victoire de la
propriété socialiste{149}.
Ce dut être une douche froide pour ceux qui avaient espéré un
rapprochement avec les démocraties.
La fronde d’Enoukidzé est sans doute à l’origine de la mystérieuse
« affaire du Kremlin » déclenchée par Staline à partir du 20 janvier
1935{150}. L’assassinat de Kirov par un déséquilibré à Leningrad, le 1er
décembre 1934, avait incité Staline à prendre des mesures visant à
renforcer la protection des dignitaires du régime. Il prétendit être alerté par
Alexandre Svanidzé, un de ses parents, de l’existence d’un complot au sein
du personnel du Kremlin qui, tout comme la garde du Kremlin, était
supervisé par Enoukidzé. Le NKVD commença à enquêter sur tout ce petit
monde et s’avisa qu’il avait fort mauvais esprit. Les femmes de ménage
tenaient des propos « contre-révolutionnaires » dans le genre : « Le
camarade Staline mange beaucoup et travaille peu. » Elles chuchotaient
que Staline avait assassiné son épouse. La garde du Kremlin n’était pas de
reste, les officiers estimant que la collectivisation s’était faite au détriment
de la paysannerie et que Staline avait mis fin à la démocratie au sein du
Parti. Un des gardes du Kremlin était allé jusqu’à affirmer que la décision
d’adopter une nouvelle Constitution était le résultat des pressions des États
bourgeois sur l’URSS. Les bibliothécaires du Kremlin faisaient circuler
des écrits « contre-révolutionnaires », tels le « testament » de Lénine, les
pamphlets trotskistes et le Völkischer Beobachter, organe officiel du parti
nazi. Les plus véhémentes disaient ouvertement que Staline avait réduit la
paysannerie à la famine, l’intelligentsia à la misère et que seule une guerre
permettrait à la population de se soulever contre ses oppresseurs.
L’enquête montra qu’Enoukidzé planquait ses maîtresses, souvent
d’anciennes aristocrates, dans la bibliothèque du Kremlin, et protégeait
une parente de Kamenev, laquelle avait affirmé vouloir tuer Staline.
Malgré cette riche moisson d’informations sur le nid subversif
qu’abritaient les murs du Kremlin, Staline resta mécontent des résultats
obtenus par Yagoda{151}. Il confia le contrôle de l’enquête à Nikolaï Ejov
qui fut promu secrétaire du Comité central le 11 février 1935. Dès le
14 février, la garde du Kremlin fut réorganisée de fond en comble et placée
sous le contrôle du NKVD. Et l’enquête prit enfin le tour voulu par
Staline : désormais il était question de la préparation d’un attentat contre
sa personne. Le 3 mars, Enoukidzé fut limogé de son poste et transféré à la
tête du Comité exécutif du Soviet de Transcaucasie à Tiflis. Staline devait
se douter que celui-ci avait des partisans chez les bolcheviks géorgiens et
il voulait en savoir davantage. Enoukidzé flaira le danger et refusa cette
affectation, demandant un congé qui lui fut accordé. Puis il se rendit à
Kislovodsk où il rencontra deux fois Boudou Mdivani, ce qui deviendra un
chef d’accusation contre ce dernier lors de son procès. Enoukidzé lui aurait
fait état des « dispositions contre-révolutionnaires et terroristes » de
Yagoda, affirmant entre autres que celui-ci n’avait rien fait pour empêcher
l’assassinat de Kirov dont il était averti, et qu’il menait une lutte contre
certains membres du Politburo, surtout Ordjonikidzé, et voulait s’en
prendre à Staline, étant prêt à tout pour parvenir à ses fins{152}.
Le 21 mars, la disgrâce d’Enoukidzé fut officiellement annoncée. Il était
accusé de « dépravation morale », d’autant plus répréhensible qu’il avait
manifesté « un penchant pour les ci-devant indigne d’un
communiste{153} » ; et, en mai, on lui confia un poste mineur. Staline
créa une commission spéciale chargée de lutter contre les « ennemis du
peuple », composée d’Andreï Jdanov, de Guiorgui Malenkov, d’Andreï
Vychinski, d’Ejov, et de Matveï Chkiriatov – le président de la
Commission de contrôle du Parti{154}.
Les 5 et 6 juin, un plénum du Comité central fut consacré à l’« affaire
du Kremlin » et à la dénonciation collective d’Enoukidzé, accusé d’avoir
« couvert » les assassins potentiels de Staline parmi le personnel du
Kremlin. Beria fut chargé d’ouvrir le feu sur son compatriote auquel il
reprocha d’avoir autrefois flirté avec les mencheviks et d’avoir falsifié
l’histoire de l’organisation social-démocrate de Bakou. Il réclama son
exclusion du Comité exécutif du Soviet – mesure clémente comparée à
l’exclusion du Parti demandée par les orateurs suivants, laquelle ouvrait la
porte à une inculpation. Enoukidzé fit son autocritique :

Lorsque le chef de la garde du Kremlin m’avertit qu’une femme de


ménage tenait des propos contre-révolutionnaires, notamment contre
le camarade Staline, au lieu de l’arrêter immédiatement et de la
remettre au NKVD, j’ai dit à Peterson [le chef de la garde du
Kremlin] : Vérifiez encore une fois, les gens ne cessent de se
calomnier les uns les autres. […] C’est le camarade Staline qui le
premier m’a fait remarquer qu’il y avait là-derrière une activité
contre-révolutionnaire sérieuse{155}.

Dans le système communiste, les accusations de dépravation des mœurs


furent souvent le reflet déformé d’une tempête politique bien réelle.
Staline craignait qu’Enoukidzé ne cristallisât derrière lui la résistance de la
paysannerie et l’opposition larvée des vieux bolcheviks. Il redoutait que
cette fronde n’influençât le projet de Constitution. Le 4 mai 1935, il
déclara devant les élèves des académies militaires : « Ces messieurs ne se
bornaient pas à la critique et à la résistance passive. Ils nous ont menacés
de lancer une rébellion du Parti contre le Comité central{156}. » Dans un
entretien accordé à Romain Rolland le 28 juin 1935, alors que l’écrivain
français exprimait la réprobation suscitée dans l’opinion publique
française par la nouvelle loi adoptée en URSS autorisant l’application de la
peine de mort aux enfants de plus de douze ans, Staline fit allusion aux
« bibliothécaires terroristes » du Kremlin sur lesquelles on avait découvert
du poison destiné aux dirigeants soviétiques : « Vous voyez à quel point
nos ennemis sont enragés », conclut-il{157}.
La mise à l’écart d’Enoukidzé précéda de quelques jours le fameux
VIIe Congrès du Komintern, tenu fin juillet 1935, qui marqua le tournant
officiel vers la politique de « front uni » avec les forces de gauche. En
septembre 1935, Staline accusa Enoukidzé de « jouer à l’homme politique,
de rassembler autour de lui les mécontents et de poser habilement à la
victime des passions qui se déchaînent au sein du Parti{158} ». L’« affaire
du Kremlin » connaîtra son aboutissement en 1937, lorsque Enoukidzé et
Yagoda seront accusés d’avoir fomenté ensemble un complot impliquant la
garde du Kremlin, certains militaires, comme Toukhatchevski et Kork, le
chef de la région militaire de Moscou. Enoukidzé sera arrêté en février
1937 et fusillé en août.
Enoukidzé n’était pas le seul à avoir nourri l’espoir qu’une
réconciliation avec les mencheviks était concevable également sur le plan
interne. Certains bolcheviks géorgiens crurent qu’un gouvernement de
front populaire pourrait être établi à Tiflis. En même temps, tout comme
Enoukidzé, ces bolcheviks envisageaient une réforme structurelle de la
Fédération soviétique qui rendrait aux républiques leur autonomie.
Litvinov, le ministre des Affaires étrangères soviétique, n’avait-il pas
déclaré, le 18 septembre 1934, à l’occasion de l’admission de l’URSS à la
SDN, que « par elle-même l’Union soviétique est une Société des Nations
au meilleur sens du terme{159} » ?
Toutes ces attentes sont attestées dans un document remarquable
émanant de Grigol Lordkipanidzé. Cet ancien ministre de la Défense de la
Géorgie indépendante, incarcéré en URSS de 1921 à 1924, avait été
autorisé, en 1928, à rentrer en Géorgie où les communistes Kakhiani et
Gogoberidzé, proches d’Ordjonikidzé, tentèrent de le rallier au régime
soviétique. Lordkipanidzé mit comme condition à une collaboration
éventuelle avec les bolcheviks la dissolution de la Fédération
transcaucasienne, espérant que la NEP permettrait une réconciliation entre
bolcheviks et mencheviks. En 1929, il adressa une lettre à Staline pour
demander la dissolution de la Fédération transcaucasienne, ce qui lui valut
une nouvelle arrestation{160}. Après avoir purgé sa peine, il fut exilé à
Voronej où il fut contacté, en 1934, par deux vieux bolcheviks, Guerman
Mgaloblichvili, président du Sovnarkom de Géorgie, et Boudou Mdivani,
alors vice-président du Sovnarkom de Géorgie{161}. Cet échange a sans
doute été à l’origine de la lettre que Lordkipanidzé envoya à Staline le
24 mars 1935, dont nous citons de larges extraits, car les idées exprimées
influencèrent Beria, comme nous le verrons en étudiant son projet de
réforme de la Fédération soviétique au printemps 1953 :

Vous avez eu l’initiative de proposer une révision de la constitution


dans le sens d’une démocratisation […]. Je veux croire que c’est ce
qui se produira et que les sceptiques qui ne voient dans cette
déclaration qu’un « bluff bolchevique » et qui prédisent que
l’« Elbrouz des promesses communistes n’engendrera au mieux
qu’une souris démocratique » se verront infliger un démenti cinglant.
[…] Seuls les penseurs bourgeois et anarchistes soutiennent la thèse
vulgaire selon laquelle aucun dictateur et aucune dictature ne sont
capables de s’autolimiter. […] Depuis la soviétisation de la Géorgie
nous [les mencheviks] sommes considérés comme des parias, des
ennemis du socialisme et de notre patrie. Néanmoins nous souhaitons
nous faire entendre de vous à propos de la question nationale et en
particulier de la Géorgie. […] Aujourd’hui l’expression « Union des
Républiques » reflète davantage un programme et un idéal qu’une
réalité. […] Les républiques soviétiques fédérées sont jusqu’ici des
entités géographiques ou administratives sur la carte de l’Union […].
L’Union soviétique est politiquement et économiquement l’un des
États les plus centralisés du monde{162}.

Lordkipanidzé critiquait ensuite le parti pris proturc qui caractérisait la


politique sud-caucasienne des bolcheviks, dont l’Arménie et la Géorgie
avaient été victimes lorsqu’elles avaient dû abandonner des territoires à la
Turquie de Mustapha Kemal. Au XXe siècle, ces « deux peuples
vénérables » que l’« islam impérialiste a durant des siècles essayé
d’exterminer ou de convertir par la force », loin de pouvoir redresser les
torts qui leur avaient été faits, s’étaient vus « sacrifiés sur l’autel du
panislamisme ». En outre, la Géorgie avait été amputée de la région de
Sotchi et d’autres régions au profit de la Russie ou de l’Azerbaïdjan.
Maintenant qu’elle était soviétique, il fallait lui restituer ces terres, de
même que l’Arménie devrait récupérer le Nakhitchevan et le Karabakh.
Ensuite, Lordkipanidzé recommandait de rendre aux républiques
soviétiques leur autonomie et de les dérussifier. La Constitution actuelle

ne pourrait certainement pas satisfaire les prolétaires polonais,


finlandais, roumains, estoniens et lettons – je ne parle même pas des
Français, des Allemands et des Anglais […]. Aujourd’hui l’Union des
Républiques soviétiques socialistes est surtout la Grande Russie
soviétique […].
Il dénonçait la Fédération transcaucasienne, qui réduisait la Géorgie au
statut de région autonome, alors qu’il s’agissait d’une nation millénaire et
non d’une « improvisation ». Or les droits d’une région autonome
soviétique étaient moindres que ceux dont bénéficiait la Finlande sous les
Romanov ou la Hongrie sous les Habsbourg. En créant cette Fédération, les
bolcheviks avaient imité la Russie tsariste qui avait fait du Sud-Caucase
une province de l’empire. Et non contentes de menacer l’existence
nationale de la Géorgie par les amputations territoriales et la russification
intensive, les autorités centrales s’efforçaient de faire éclater l’État
géorgien en encourageant l’émergence d’une nation mingrélienne.
En conclusion, Lordkipanidzé préconisait de revoir l’architecture de
l’Union soviétique, ce qui, selon lui, lui permettrait de mieux s’intégrer
dans le concert des nations européennes. Les républiques devraient
disposer d’une citoyenneté distincte de la citoyenneté soviétique et de
forces armées nationales. Elles devraient contrôler les moyens de
communication (chemins de fer, télécommunication) sur leur territoire,
avoir leur banque et leur budget : « Convenez que la petite nation
géorgienne a bien le droit de vouloir établir ses relations avec ses voisins,
y compris le grand peuple russe, sur le principe de l’égalité. » Si l’Union
soviétique était réformée conformément à ces suggestions, « la petite
Géorgie deviendrait une forteresse d’acier et de béton aux confins de trois
mondes, l’Orient asiatique, l’Occident européen et l’Eurasie soviétique ».
Les propositions de Lordkipanidzé rejoignaient celles d’Enoukidzé
telles qu’elles ont été exposées par Tokaev sur un point essentiel : il n’était
possible d’abolir la tyrannie stalinienne qu’en démantelant l’État
soviétique tel qu’il avait été bâti depuis 1922.
L’importance que Staline attacha à ces affaires est attestée par une
résolution, adoptée par le Comité central le 29 avril 1937, qu’il ordonna de
diffuser dans les régions et qui soulignait que les mencheviks exilés
voulaient se prévaloir des droits octroyés par la nouvelle Constitution
« pour renforcer leurs positions dans la société soviétique ». Elle
enjoignait au NKVD de prendre toutes les mesures nécessaires afin que les
mencheviks ne puissent avoir aucune influence sur les élections à
venir{163}.
La mue du régime.
Toute cette fronde fut pour Staline une chaude alerte. Il se trouva en état
de choc lorsqu’il comprit que de nombreux bolcheviks espéraient que le
rapprochement avec les puissances occidentales et la menace d’une guerre
le forceraient à « autolimiter » sa dictature, pour reprendre l’expression de
Lordkipanidzé. Comme toujours, Beria saisit ses dispositions au quart de
tour et prit la plume dans la Pravda :

Il n’y a aucun doute que les ennemis jurés du régime soviétique vont
essayer d’utiliser la nouvelle constitution dans leurs buts contre-
révolutionnaires{164}.

Ejov de son côté commit, fin 1935, un opus au titre éloquent – Du


fractionnisme à la contre-révolution ouverte{165} –, prélude à sa carrière
fulgurante.
Pour Staline les objectifs de politique intérieure restaient prioritaires. Il
était conscient de l’ébranlement des bases de son pouvoir après la
catastrophe de la collectivisation et la venue au pouvoir de Hitler. Il s’était
rendu compte que même ses plus fidèles collaborateurs du Politburo
n’étaient pas prêts à accepter l’élimination physique de communistes de
haut rang. Avec son machiavélisme coutumier, il allait s’efforcer de
transformer les nécessités de la politique extérieure en instrument de
politique intérieure. Mieux encore, à partir de 1934, il chercha à concilier
les objectifs contradictoires de sa politique extérieure en impulsant une
mue de l’URSS. Dans son esprit, celle-ci devait faire peau neuve en se
débarrassant de ses oripeaux bolcheviques révolutionnaires et
kominterniens, d’abord pour faciliter le rapprochement avec les
démocraties occidentales et la politique de Front populaire, mais surtout
pour préparer le terrain à la restauration de l’entente germano-soviétique
qui n’avait jamais cessé d’être sa priorité. À ses yeux, l’essentiel était que
le Reich aille à l’affrontement avec les démocraties occidentales. Dans ce
cas, il aurait besoin tôt ou tard d’un allié fiable à l’Est. La politique de
Staline consistait à tâcher de faire comprendre à Hitler le prix qu’il aurait à
payer en cas de brouille avec l’URSS et les avantages qu’il pourrait au
contraire tirer d’une entente avec Moscou{166}.
Dès le XVIIe Congrès du Parti, en février 1934, Staline laissa entendre à
Hitler qu’il ne demandait pas mieux que de revenir à l’amitié germano-
soviétique :

Certains hommes politiques allemands prétendent que l’URSS


s’oriente désormais vers la France et la Pologne, que d’adversaire du
traité de Versailles elle est devenue son défenseur, et que ce
changement est dû à l’instauration d’un régime fasciste en
Allemagne. C’est faux. Bien sûr le régime fasciste en Allemagne ne
nous inspire pas d’enthousiasme. Mais le problème n’est pas là. Le
fascisme en Italie ne nous a pas empêchés d’établir les meilleures
relations avec ce pays{167}.

L’expérience de 1934-1935 fut pour Staline une raison supplémentaire,


décisive, de rechercher l’alliance avec Hitler, qu’il prenait très au sérieux
depuis la « Nuit des longs couteaux ». « L’existence en Allemagne d’un
régime fasciste ne saurait entraîner l’inimitié entre l’URSS et
l’Allemagne. […] Il ne dépend que de l’Allemagne de dissiper la méfiance
causée par sa politique », écrivait Karl Radek dans les Izvestia du
15 juillet 1934.
En décembre 1934, alors que tous les diplomates soviétiques estimaient
que les relations germano-soviétiques se trouvaient dans une impasse,
Staline envoya secrètement à Berlin son émissaire personnel, David
Kandelaki. Il se rendait compte que le flirt avec les démocraties pouvait
avoir un prix politique inacceptable. En janvier 1935, au moment où se
noua l’« affaire du Kremlin », Kandelaki menait des négociations avec
Hjalmar Schacht, le ministre des Finances du IIIe Reich. Le 5 mai 1935,
Staline ordonna à Kandelaki de transmettre à ses interlocuteurs allemands
le message suivant :
Nous avons essayé de recevoir des garanties du gouvernement
allemand, mais nous n’y avons pas réussi. C’est pourquoi nous avons
signé le pacte franco-soviétique d’assistance mutuelle. […] Ce pacte
ne doit pas empêcher l’établissement de relations plus sereines et
plus correctes avec l’Allemagne, au contraire il doit les
favoriser{168}.

Hitler continuait à faire la sourde oreille, mais Staline ne perdait pas


espoir, encouragé par les conséquences de la guerre d’Éthiopie. Le
2 septembre 1935, il câbla à Kaganovitch et Molotov :

Plus elles [la France, l’Angleterre, l’Allemagne et l’Italie]


s’étriperont entre elles, mieux cela vaut pour l’URSS. Nous avons
intérêt à ce que cette bagarre dure le plus longtemps possible, sans
qu’aucune des parties ne prenne rapidement le dessus sur les
autres{169}.

Contre l’avis de tous ses diplomates qui estimaient que l’Allemagne


s’était définitivement engagée dans une politique antisoviétique, Staline
persévéra, s’imaginant que son intervention personnelle pourrait
débloquer les choses avec Hitler. L’entente avec l’Allemagne devint pour
lui une affaire personnelle{170}. En janvier 1936, Staline reçut une note
de Kandelaki qui rapportait un propos de Schacht : « Si une rencontre
entre Hitler et Staline avait lieu, beaucoup de choses pourraient changer. »
Staline griffonna sur cette note « Intéressant. I. St. » et la montra à
Vorochilov et Kaganovitch. Kandelaki estimait que le principal obstacle à
une entente germano-soviétique tenait à ce que la « partie allemande ne
voyait pas de différence entre le gouvernement soviétique et le
Komintern{171} ». Devant les rebuffades répétées du Führer, Staline en
arriva à la conclusion que Hitler n’accepterait un accord avec lui qu’après
une « déjudaïsation » du bolchevisme.
Ainsi, la réécriture de l’histoire entreprise en 1934 n’avait pas pour seul
but de satisfaire la vanité de Staline et de régler de vieux comptes, encore
que ces considérations aient aussi pesé de tout leur poids. Le culte de la
personnalité de Staline, l’accent mis sur le rôle des Caucasiens dans les
événements de 1917, de même que la chasse aux trotskistes visaient tout
autant à « déjudaïser » la révolution bolchevique et à préparer le terrain à
une entente avec Hitler qu’à réhabiliter le sentiment national russe en vue
de la guerre future. Après tout, dans la hiérarchie raciale nationale-
socialiste, les Caucasiens se situaient au-dessus des Juifs et des Slaves.
Montrer les racines caucasiennes du bolchevisme revenait à lever une des
objections principales de Hitler à un rapprochement avec l’URSS. La
liquidation de la vieille garde bolchevique majoritairement juive et le
renouvellement du Parti étaient la suite logique de cette politique.
D’ailleurs, en janvier 1937, au moment du deuxième « Grand Procès » de
Moscou visant Piatakov et Radek, Goebbels écrira dans son Journal :

De nouveau un procès exemplaire à Moscou. Cette fois les accusés


sont presque exclusivement juifs. Le Führer ne croit toujours pas
qu’il s’agisse d’une tendance antisémite larvée. Il est possible que
Staline veuille se débarrasser des Juifs. Affaire à suivre{172}.

L’assassinat de Kirov, le 1er décembre 1934, permit à Staline


d’accélérer la réalisation de son dessein, en mettant fin au court « dégel »
de 1934.
En mai 1934, Staline forma une commission gouvernementale dont la
tâche était de rédiger de nouveaux manuels d’histoire{173}. L’histoire du
bolchevisme dans le Caucase et la biographie révolutionnaire du Guide
devinrent alors des enjeux prioritaires. Lakoba, Enoukidzé et d’autres
bolcheviks géorgiens entreprirent de rédiger des Mémoires, rivalisant de
servilité à l’égard de Staline. Mais celui-ci ne s’estimait pas satisfait. Il
trouvait que les vieux bolcheviks géorgiens tiraient trop la couverture à
eux et ne rendaient pas justice à son rôle éminent. En particulier la
brochure d’Enoukidzé intitulée : « Les imprimeries bolcheviques
clandestines », parue en décembre 1934, eut le don de l’exaspérer. Beria,
dont le pedigree révolutionnaire était des plus modestes, était beaucoup
mieux placé pour réaliser la « commande sociale » venue de Moscou. Il
sauta sur cette occasion de se faire valoir aux yeux de Staline et confia la
rédaction de l’Histoire des organisations bolcheviques en Transcaucasie
au recteur de l’université de Tiflis, Malakhia Torochelidzé ; en janvier
1935, Staline proposa à celui-ci de faire signer la brochure par Beria en lui
disant : « Qu’en penses-tu, si Beria signait le livre ? Il est jeune,
prometteur… Tu n’en seras pas fâché{174} ? »
La brochure parut en juillet 1935 et Staline avait des raisons d’être
satisfait de son protégé. Les historiens géorgiens qui travaillaient sous la
houlette de Beria avaient su éviter les falsifications directes tout en
exaltant la place prépondérante de Staline, comme l’explique Helena
Nicolaysen :

De manière paradoxale, le récit mensonger de Beria sur le rôle de


Staline dans la communauté sociale-démocrate de Transcaucasie
repose sur des documents de police réels, qui ne sont pas falsifiés.
[…] Les historiens occidentaux qui souhaitaient produire une image
plus réaliste de Staline en attaquant les tentatives historiographiques
de Beria ont mis en doute ses sources ; mais la plus grande partie des
falsifications de Beria a lieu dans l’échelle et l’interprétation des
faits, plutôt que dans la fabrication d’événements{175}.

Cette excursion dans l’histoire fut utile à Beria à plus d’un titre. Certes
elle ne fut pas à l’origine de la faveur dont il jouissait auprès de Staline,
contrairement à ce que prétendent les historiens qui s’inspirent de la
vulgate khrouchtchévienne. Bien au contraire, on peut penser que Staline
fit signer cette brochure par Beria parce qu’il était déjà son favori. En
revanche, les recherches dans les archives et l’interrogation des témoins
permirent à Beria de mieux comprendre Staline. Comme l’écrit son fils,
À l’occasion de ce travail dans les archives, mon père commença à
étudier le caractère et le comportement de Staline ; comme il avait
l’esprit analytique, il saisit certains traits de sa psychologie avant
même de le connaître de près. Il commença à tâcher de prévoir ses
réactions et à déterminer ce qui attirait son attention{176}.

Il est probable que Beria et ses équipes de chercheurs dénichèrent aussi


des documents et des faits compromettants sur Staline, que Beria mit en
lieu sûr comme assurance pour l’avenir.
Staline n’aimait pas les idéologues. Avec son passé plus que douteux,
son cynisme de tchékiste, son énorme capacité de travail, son efficacité, sa
rouerie de courtisan, Beria était pour lui une véritable trouvaille. Le jeune
ambitieux avait entrepris, en 1934, de construire à Tiflis un Institut
Staline, rebaptisé en Institut du marxisme-léninisme sur ordre du
Politburo{177}. Beria avait offert à Staline la possibilité de faire étalage
de sa modestie bien connue. Celui-ci ne pouvait qu’être sensible au zèle de
son jeune compatriote qui lui semblait une perle rare : c’était un exécutant
comme Ejov, mais un exécutant intelligent qui le comprenait à demi-mot
et savait obtenir des résultats. Il lui plaisait aussi parce qu’il était l’objet
de la hargne et de l’envie des vieux bolcheviks du Caucase. Et Staline
n’avait sûrement pas oublié qu’il avait été chahuté par les ouvriers
géorgiens lors d’une visite à Tiflis en juin 1921, aux cris de « Traître,
renégat, bourreau, va à Moscou où tu as laissé ton honneur{178} ! » C’est
pourquoi il semble avoir traité avec une grande insouciance tous les faits
compromettants sur le passé d’agent double de Beria que les vieux
bolcheviks portaient à sa connaissance. Leur acharnement contre Beria ne
faisait que le confirmer dans sa volonté de l’élever aux plus hautes
fonctions.
Tout en réécrivant l’histoire, Staline poursuivait la réalisation de son
grand dessein. Il l’annonça dans un discours, le 4 mai 1935, devant les
élèves des académies militaires : « Nous parlons trop des mérites des
responsables et des chefs. On leur attribue presque tous nos succès. On a
tort de le faire. Tout ne dépend pas des chefs. » En réalité ce sont les
« cadres qui décident de tout{179} ». Autrement dit, le temps était venu
pour les chefs bolcheviques, les contemporains de Lénine, de céder la
place aux « cadres », à « des gens capables de faire progresser la
technique ». Le temps des idéologues était passé. Non que Staline fût un
pur derjavnik – un partisan d’un État impérial fort – comme le présente
aujourd’hui une bonne partie de l’historiographie russe stalinolâtre. Il
s’estimait tout simplement capable de faire progresser la révolution
socialiste du point de vue théorique et pratique, à lui seul. Il avait
désormais besoin d’exécutants. Le moment était arrivé de faire passer à la
trappe les vétérans de la révolution d’Octobre et d’extirper tous ceux qui
avaient exprimé une quelconque opposition à sa politique. Les arrestations
et les expulsions de masse à Leningrad, début 1935, donnèrent le signal
d’une chasse aux « contre-révolutionnaires » dans toute l’URSS. Le 7 avril
1935, l’application de la peine de mort aux enfants de plus de 12 ans fut
autorisée par une résolution du Sovnarkom : Staline se donnait les moyens
d’arracher des aveux à ses futures victimes. Le 25 mai 1935, il ferma
l’Association des vieux bolcheviks et, un mois plus tard, ce fut le tour de
l’Association des anciens détenus politiques. Dans l’État révolutionnaire
qu’il voulait construire, il n’y avait plus de place pour les professionnels
de la révolution. À partir de l’automne 1935, la campagne de vérification
des cartes du Parti lancée en 1933, qui avait commencé comme une
campagne d’exclusion des voleurs et des escrocs, en vint à cibler
ouvertement les prétendus partisans de l’opposition{180}.
La conjoncture internationale servait à merveille ce dessein et permit à
Staline de le camoufler. Le danger allemand imposait un rapprochement
avec les démocraties, et par conséquent une mise en sourdine des slogans
de révolution mondiale. Les kominterniens allaient devoir accepter la
politique de Front populaire et « défendre pied à pied les libertés
bourgeoises auxquelles attentait le fascisme{181} ». L’Union soviétique
était désormais en quête de respectabilité. Aux Occidentaux elle voulait
laisser croire qu’elle s’acheminait vers la démocratie, aux Allemands elle
s’efforçait d’inculquer qu’elle s’était ralliée à l’idée de révolution
nationale. La politique poursuivie à partir de 1934 visait parallèlement ces
deux objectifs.
En novembre 1935, commença la rédaction de la nouvelle Constitution
de l’URSS, adoptée un an plus tard. Ceux qui avaient nourri l’espoir d’une
démocratisation et d’une décentralisation durent cruellement déchanter.
Jamais les slogans mis en avant par le groupe stalinien n’avaient été en
opposition aussi flagrante avec la réalité de ce que faisait Staline. Comme
il l’expliqua devant ses intimes le 7 novembre 1937, son but était de
« créer un État uni et indivisible », de manière à ce que si une partie se
détachait de l’URSS « elle serait incapable d’exister de manière
indépendante et tomberait nécessairement sous le joug étranger » ; ainsi
« quiconque essaie de détruire l’unité de l’État socialiste, d’en séparer une
partie ou une nation, est un ennemi, un ennemi que nous détruirons même
si c’est un vieux bolchevik{182} ».
Cependant, Staline conservait les formes ; ainsi, le 17 octobre 1936,
câblait-il à Molotov et Kaganovitch qui venaient de lui soumettre leur
projet de Constitution :

Votre formulation est un peu maladroite. Il n’est pas séant d’ordonner


d’en haut aux républiques fédérales de former tels ou tels
commissariats du peuple. Il vaut mieux que les républiques fédérales
aient l’air, de leur propre chef, de demander au Tsik [Comité central
exécutif] la création de ces commissariats. Le Tsik de son côté
affirmera n’avoir pas d’objections. Alors que dans votre mouture
c’est l’inverse{183}.

Ainsi, la centralisation même de l’État devint prétexte à la purge et à la


répression. En outre elle offrait à Staline la possibilité de distribuer
arbitrairement des segments de ce pouvoir devenu une quintessence à un
noyau informel de favoris du moment, qu’il pouvait modifier à tout
instant.
Staline procéda d’abord à la centralisation du pouvoir au sein des
organismes dirigeants. Le 27 mars 1935, le secrétariat du Comité central
adopta une résolution intitulée : « La nomenklature des postes pourvus par
décision du Comité central. » Cette résolution codifiait en quelque sorte la
table des rangs et consacrait la fusion entre l’appareil du Parti et celui de
l’État : précaution du clan stalinien afin d’éviter que se constituent des
groupes d’intérêts stables{184}. Le 11 mai 1937, les compétences du
Département des cadres (ORPO) dirigé par Malenkov furent élargies : si
auparavant ce département ne contrôlait que les nominations des
fonctionnaires du Parti au niveau des secrétaires de régions et de
territoires, désormais il choisirait aussi les fonctionnaires
gouvernementaux (ministres fédéraux, ministres des républiques, vice-
ministres) qui auparavant étaient sélectionnés par les départements
correspondants du Comité central. On eut désormais un véritable
Département des cadres de la nomenklatura du Politburo{185}.
Parallèlement, l’application de la nouvelle Constitution s’accompagna
de mesures de centralisation de l’État soviétique : les républiques n’eurent
plus le droit d’avoir leur code pénal{186}, ni de diriger leur politique
culturelle ; en octobre 1936, l’usage du cyrillique devint obligatoire pour
tous les peuples de l’URSS – alors qu’en 1926 les peuples musulmans
avaient été dotés de l’alphabet latin et qu’en 1930, Lounatcharski songeait
même à introduire l’alphabet latin en Russie{187} ; le 7 mars 1937, les
unités nationales au sein de l’Armée rouge furent dissoutes et désormais
les conscrits devaient faire leur service en dehors de leur république
d’origine. En mars 1938, l’enseignement du russe devint obligatoire dans
toutes les écoles des républiques et des régions autonomes, mesure
justifiée par l’introduction prochaine du service militaire obligatoire qui
eut lieu en septembre 1939{188}. Ces mesures de russification avaient
aussi un volet répressif : à partir de l’été 1937, le NKVD fut chargé de
lutter contre les « nationalistes bourgeois agents des services étrangers »
et 247 000 personnes appartenant à des minorités furent fusillées – 81 %
des Grecs, 80 % des Finlandais vivant en URSS, etc{189}. Là encore la
conjoncture internationale secondait les desseins de Staline.
Cependant, on ne peut parler d’une « institutionnalisation » du pouvoir
soviétique, bien au contraire. Staline se donnait les moyens de gouverner
en maniant le coup d’État permanent, créant des structures informelles,
concentrant les pouvoirs et les faisant disparaître puis renaître, élevant ses
favoris du moment, abaissant ceux tombés en disgrâce, entretenant un
branle-bas institutionnel qui ne sera suspendu quelque temps que pendant
la guerre mais qui reprendra de plus belle et durera jusqu’en mars 1953.
Le 14 avril 1937, au moment de lancer la Grande Terreur, Staline eut
recours à un procédé qu’il utilisera encore à maintes reprises et qui sera un
élément constituant de la stabilité de son despotisme jusqu’à sa mort : il
créa une nouvelle structure informelle concentrant tous les pouvoirs et
court-circuitant les organismes déjà existants. Il se dota de deux
commissions permanentes. La première, chargée des questions secrètes, y
compris en politique étrangère, était composée de Staline, Molotov,
Kaganovitch et Ejov ; elle se substitua au Politburo pour toutes les
questions importantes{190}. La seconde, composée de Staline, Molotov,
Tchoubar, Mikoïan et Kaganovitch, eut pour tâche de préparer les
questions économiques soumises au Politburo{191}.
En se réservant la possibilité de bouleverser à tout moment l’échiquier
politique, Staline cherchait sans doute à contrebalancer les effets d’un
processus inévitable après l’introduction des plans quinquennaux et
l’élimination de la vieille garde bolchevique : le renforcement des
« technocrates » gouvernementaux au détriment du Parti{192}. Cette
évolution était accentuée par le développement du complexe militaro-
industriel dont les bases avaient été jetées par Ordjonikidzé, nommé
commissaire du peuple à l’Industrie lourde en 1932{193}. En décembre
1936, avait été créé un commissariat du peuple à l’Industrie militaire ; fin
août 1937, un commissariat du peuple à la Construction mécanique avait
vu le jour ; fin décembre était formé un commissariat à la Marine. Le
27 avril 1937, un Comité à la Défense (KO) avait été créé auprès du
Sovnarkom afin de « coordonner les questions de défense », en
remplacement du Conseil au Travail et à la Défense créé par Lénine en
novembre 1918. Quelques mois plus tard, le Conseil économique
(Economsoviet) fut créé à son tour, présidé par Molotov et réunissant les
vice-présidents du Sovnarkom, qui étaient responsables des principales
branches de l’économie soviétique. Ordjonikidzé s’était appuyé sur son
vieil ami Kirov et un grand nombre d’industries militaires avaient été
installées à Leningrad, le fief de Kirov. Ces deux hommes avaient
d’ailleurs patronné Beria à ses débuts, qui héritera d’une partie des cadres
promus par Ordjonikidzé, comme Vannikov, Zaveniaguine et Tevosian.
Staline ne pouvait que multiplier les précautions face à l’émergence de cet
immense appareil de technocrates chargés d’administrer l’économie et de
l’orienter vers les besoins de la Défense.
Entre sa volonté de transformer l’URSS en machine de guerre efficace
et son souci permanent de renforcer son pouvoir personnel, Staline ne
voulait pas faire de choix. Il croyait possible de concilier les deux
impératifs. L’expérience des grandes purges le mit en face de son dilemme
et il crut avoir trouvé en Beria la réponse rêvée.
Les purges de 1937-1938 ont été présentées, par les apologètes du
stalinisme, comme une sage mesure de liquidation de la cinquième
colonne virtuelle en prévision de la guerre future. Et, de fait, ce thème de
la guerre à venir est récurrent dans les « Grands Procès ». En janvier 1937,
Radek et Piatakov avouèrent être les complices de Trotski qui aurait
préconisé une politique défaitiste en cas d’attaque germano-nippone
contre l’URSS. Selon Radek, les instructions de Trotski étaient de « hâter
la collision entre l’URSS et l’Allemagne », la défaite de l’URSS devant
permettre aux trotskistes et à leurs partisans de revenir au pouvoir{194}.
Toujours selon Radek, pour s’assurer le concours allemand et japonais,
Trotski aurait promis des concessions territoriales à Berlin et à Tokyo :
l’Ukraine à l’Allemagne et l’Amour au Japon ; ceci s’accompagnant
d’avantages économiques qui auraient entraîné la « restauration du
capitalisme » en URSS.
Nous savons maintenant que Staline déterminait avec minutie la mise
en scène et le livret des « Grands Procès » qui offrent donc une indication
précieuse sur son état d’esprit et sa vision des choses en 1937-1938. Au
fond, la tactique qu’il imputait à Trotski et à ses complices était celle
choisie par les bolcheviks en 1917-1918 : préconiser le défaitisme,
s’appuyer sur l’Allemagne et s’assurer son appui au moyen de concessions
économiques et territoriales, en acceptant le démembrement de l’État pour
prix de la prise du pouvoir. Les « Grands Procès » devaient prouver que la
guerre représentait avant tout un risque de subversion interne du régime
soviétique. Une analyse des thèmes récurrents des diatribes de Vychinski
aurait pu permettre de déduire avec exactitude ce que serait la politique de
Staline quelques années plus tard : éviter la guerre, non par pacifisme bien
sûr, mais par crainte des faiblesses du régime ; battre ses adversaires de
vitesse dans l’entente avec Berlin et Tokyo ; puis chercher à préserver
cette entente contre vents et marées. Son expérience bolchevique passée
avait profondément inculqué à Staline que la force armée alliée à la
subversion de l’adversaire constituaient une combinaison irrésistible.
Voyant l’Allemagne s’armer, il s’attaqua énergiquement à ce qu’il croyait
être le potentiel de subversion de celle-ci en URSS, faisant d’une pierre
deux coups puisque cette opération lui permettait de se débarrasser de la
vieille garde léninienne et de promouvoir des hommes qui n’étaient
redevables de leur carrière rapide qu’à lui.
Les « Grands Procès » n’étaient que le coup d’envoi de la « Grande
Terreur » qui frappa l’URSS de juillet 1937 à octobre 1938, la ejovshina,
comme on l’a appelée plus tard, après la chute de son principal exécutant,
le chef du NKVD Ejov. « C’était le temps où seuls les morts souriaient,
heureux d’être en paix », écrivait la poétesse Anna Akhmatova, évoquant
ces années noires. La Grande Terreur décima non seulement les « anciens
koulaks et autres éléments antisoviétiques », non seulement les
« contingents nationaux » (Polonais, Allemands, etc.) mais aussi, surtout
après le Plénum du Comité central en juin 1937, l’appareil du Parti, au
centre et dans les régions.
Au printemps 1938, le régime soviétique connut une crise grave,
quoique larvée, dont l’entourage de Staline prit sans doute conscience
avant même le dictateur. Les purges avaient paralysé l’armée, affaibli le
Parti, désorganisé le pays qui donnait l’impression d’être au bord de
l’effondrement. Le troisième « Grand Procès » de Moscou, contre
Boukharine en mars 1938, avait suscité une sourde réaction dans le pays.
Le savant Vladimir Vernadski note par exemple dans son Journal, le
19 mars : « Le procès a été une grande erreur. Les gens commencent à
penser et croient moins qu’auparavant. » Le 24 mars : « On n’entend
parler que d’arrestations. Le mécontentement s’accumule et on l’exprime
malgré la peur. Je constate un grand changement dans la psychologie des
gens{195}. » Même témoignage chez Sergo Beria :

Dans le pays une explosion menaçait : il ne s’agissait plus de


protestations isolées de quelques responsables du Parti, mais des
régions entières étaient proches du soulèvement… La paysannerie
était ruinée, l’intelligentsia nationale avait été fauchée, l’industrie
militaire, l’aviation étaient privées de cadres. Tout se désintégrait à
l’intérieur, alors qu’à l’extérieur les menaces s’alourdissaient. Mon
père disait que si cette politique avait continué deux ans encore, les
Allemands n’auraient pas eu besoin de nous envahir. L’État se serait
effondré tout seul{196}.

Le paradoxe de la politique voulue par Staline résidait en ce que l’excès


même des mesures prises mettait en danger le régime soviétique – de
même qu’en Espagne la priorité donnée par Staline à la chasse aux
trotskistes affaiblit le camp républicain et fit échouer le projet de
soviétisation de l’Espagne caressé par Moscou. La guerre d’Espagne
montra par ailleurs que l’URSS n’était pas capable de se mesurer à
l’Allemagne en matière de qualité des armements. Et comme Hitler
s’obstinait à ne pas répondre aux appels du pied répétés de Moscou,
Staline finit par se résigner à admettre que la subversion n’était pas le seul
danger menaçant son régime ; la faiblesse économique et militaire de
l’URSS constituait également un péril, au moment où la crise tchèque
mettait un comble aux tensions internationales et où l’accord de Munich,
puis la création, le 2 novembre, d’une Ukraine subcarpathique autonome et
la visite de Ribbentrop à Paris laissaient présager ce que Staline, pour des
raisons idéologiques, considérait comme l’issue probable du conflit
opposant le régime hitlérien aux autres pays : une réconciliation des
impérialistes sur le dos de l’URSS.
Staline commença à s’aviser que la destruction du Parti risquait de le
priver de l’instrument de son pouvoir. Cette prise de conscience entraîna
un nouveau virage de sa politique, qui se traduisit par la mise à l’écart
d’Ejov et l’ascension parallèle des deux hommes appelés par Staline pour
démanteler l’empire d’Ejov : Malenkov et Beria. L’évolution apparaît dans
une note publiée par Staline dans la Pravda du 14 février 1938, où il
rejetait explicitement la théorie de la construction du socialisme dans un
seul pays :
Le léninisme enseigne que la victoire définitive du socialisme en tant
qu’impossibilité d’une restauration des relations bourgeoises n’est
possible qu’à l’échelle internationale. […] La victoire définitive du
socialisme présuppose une garantie totale contre les tentatives
d’intervention et par conséquent de restauration.

Cette note laissait présager le volet offensif de la politique soviétique


à venir : rendre l’intervention impossible impliquait de communiser
l’« environnement capitaliste » de l’URSS aussi loin que possible. Le
Conseil militaire principal chargé de la construction des forces armées
soviétiques fut créé un mois plus tard, le 13 mars 1938. L’URSS avait
besoin d’une économie de guerre capable de fonctionner et d’une armée
capable de se battre. Il devenait urgent de mettre fin aux purges qui
paralysaient le pays. Et, le 1er octobre 1938, le lendemain des accords de
Munich, Staline donna les consignes suivantes aux propagandistes :

Il peut arriver que les bolcheviks attaquent, si les circonstances sont


favorables… Ils ne sont pas opposés à toutes les guerres. Nous
n’avons que la défense à la bouche. Mais il ne s’agit que d’un
camouflage, rien d’autre. Tous les États dissimulent{197}.

La nomination de Beria à la tête du NKVD.


Comme toujours, Staline procéda par des voies détournées, avec lenteur
et prudence. Le 20 décembre 1937, le NKVD célébra solennellement son
vingtième anniversaire. Or Staline n’assista pas à la cérémonie, premier
indice de la disgrâce imminente d’Ejov{198}. Malenkov fut chargé de
porter le premier coup{199}, et il s’y prêta d’autant plus volontiers qu’il
était fort lié à Ejov ; après la chute de Yagoda et les purges qui
s’ensuivirent, il avait été chargé du recrutement des nouveaux cadres du
NKVD et il avait diligemment contribué à l’organisation de la Grande
Terreur{200}. C’est la version de Khrouchtchev :

Pendant les purges, c’était Malenkov qui, au Comité central, avait la


responsabilité de la section des cadres et il avait joué un rôle des plus
actifs dans toute l’affaire. Il avait réellement aidé à promouvoir des
gens uniquement pour les faire éliminer par la suite{201}.

L’historien Roy Medvedev porte le même jugement sur le rôle de


Malenkov :

Malenkov agissait dans les coulisses, mais c’est un de ceux qui


mirent en branle les ressorts les plus importants de la terreur sous la
direction de Staline{202}.

Il était donc urgent pour Malenkov de se démarquer à temps. Le


14 janvier 1938, il présenta devant le Plénum du Comité central un rapport
invitant à « corriger les erreurs et les excès » commis dans les purges à
l’encontre des communistes{203}. Fidèle à ses habitudes, Staline fit
retomber sur les autorités locales la responsabilité de ces « erreurs ». Le
19 janvier, la Pravda publia le texte de la résolution adoptée lors de ce
Plénum, intitulée :

Des erreurs commises par les organisations du Parti lors de


l’exclusion des communistes du Parti, de l’approche formelle et
bureaucratique face aux appels de ceux qui sont exclus du PC et des
mesures adoptées pour surmonter ces insuffisances.
Déjà s’esquissait l’explication officielle du bain de sang qui venait
d’avoir lieu : les « organes » avaient échappé au contrôle du Parti. Dès lors
il suffisait de restaurer la supervision du Parti sur le NKVD et de punir les
fautifs pour que la situation revienne à la normale.
Cependant, fin janvier, le quota d’arrestations fut encore augmenté par
le NKVD, soit qu’Ejov n’ait pas saisi le message, soit – et c’est le plus
probable – que Staline ait estimé que l’arrêt des purges était prématuré. En
février 1938, Jdanov, Kliment Vorochilov et Pavel Postychev, responsable
de l’organisation du Parti de Kouibychev, continuaient de réclamer
l’« extirpation finale des ennemis du peuple ». Durant l’été toute une série
de ministres furent arrêtés{204}.
Khrouchtchev aussi eut du mal à prendre le tournant. En juin 1938, il
déclarait :

Chez nous en Ukraine le Politburo était tout entier constitué


d’ennemis, à de rares exceptions près. Ejov est venu et il a commencé
à les exterminer. Je pense que nous allons maintenant les achever.

Encore en février 1940, il reprenait les thèmes chers à Staline :

Nos ennemis ne sont pas encore tous crevés et ils ne crèveront pas
tous tant que subsiste l’environnement capitaliste. Cela nous devons
le garder à l’esprit. En Ukraine nous les avons liquidés en masse.
Mais quelques-uns ont survécu. […] Il ne faut pas baisser la
garde{205}.
À partir de janvier 1938, Staline décida de donner un coup de frein aux
purges dans le Parti mais nullement à la terreur de masse{206}. Après
cette date, le gros des répressions s’abattit sur les minorités nationales.
Dans la seule région de Moscou, Zakovski, le chef du NKVD, fit arrêter
12 000 personnes en deux mois, dont le seul tort était d’avoir un nom de
famille non russe{207}. À partir de mars-avril, sur ordre de Staline, Ejov
commença à faire arrêter certains chefs régionaux du NKVD qui s’étaient
distingués par leurs exploits sanguinaires. Les arrestations au sein de la
nomenklatura du Parti se firent plus rares.
Les grandes purges au sein du NKVD entraînèrent des défections en
chaîne qui ébranlèrent la position d’Ejov. Ignaz Reiss, un agent du GRU
stationné à Paris depuis 1932, était passé à l’Ouest en juillet 1937 ; à
l’automne 1937 ce fut au tour de son collègue et ami Walter Krivitski,
lequel mit les Occidentaux en garde contre un pacte entre Staline et Hitler.
Ejov, qu’on appelait le « nain sanglant », croyait pouvoir redorer son
blason aux yeux de Staline en réussissant l’assassinat de Trotski. À la fin
de 1937, il ordonna impérativement à ses subordonnés de procéder sans
tarder à cette opération{208}. Mais ce zèle ne le sauva pas. Le 8 avril
1938, il fut nommé commissaire au Transport naval, tout en conservant
son portefeuille au NKVD. En douceur Staline commençait à démanteler
sa pyramide de commandement : les hommes d’Ejov étaient mutés les uns
après les autres à des postes dans l’appareil du Parti et de l’État. Staline
était en train de chercher un successeur au « nain sanglant » qui, comme
ses proches, commença à comprendre qu’il était destiné au rôle de bouc
émissaire et sombra dans l’alcoolisme. Cependant, quelques-uns se
rebiffèrent et une série de suicides et de défections fut le symptôme de la
démoralisation au sein des porte-glaives du Parti. En mai, le chef du
NKVD de la région de Moscou se donna la mort{209}, un suicide suivi de
ceux du secrétaire d’Ejov, Ilitski, du commandant du Kremlin, F. V. Rogov,
et du chef du NKVD léningradois, Mikhaïl Litvine. Genrikh Liouchkov,
chef du NKVD de la région d’Extrême-Orient, se réfugia en Mandchourie
le 13 juin 1938 ; à ce qu’il dit à ses interrogateurs japonais, il avait été
prévenu fin mai « par un de ses amis au NKVD » qu’Ejov avait l’intention
de le faire arrêter{210} – le même Ejov qui, en janvier 1938, donnait
Liouchkov en exemple aux autres tchékistes car à lui seul il avait liquidé
70 000 ennemis du peuple{211} ! Liouchkov décrivit aux Japonais tout le
dispositif militaire en Extrême-Orient. Il témoigna que l’opposition
existait en URSS, notamment en Sibérie, et que le mécontentement au sein
de l’Armée rouge était si profond qu’en cas d’offensive nippone en
Extrême-Orient, il n’y aurait pratiquement pas de résistance du côté
soviétique. Après le debriefing de Liouchkov, les Japonais firent savoir à
l’ambassade allemande que l’URSS « était au bord de l’effondrement ».
Le comportement du maréchal Blucher, le commandant des forces
soviétiques en Extrême-Orient, lors des affrontements soviéto-japonais
près du lac Khasan durant l’été 1938, sembla confirmer ces analyses.
Blucher fit preuve d’un défaitisme évident, allant dans un rapport à
Vorochilov jusqu’à accuser les Soviétiques d’avoir provoqué l’action
japonaise{212}. L’affaire Liouchkov, le fiasco extrême-oriental firent sans
doute toucher du doigt à Staline le coût des répressions pour la sécurité de
l’URSS. Quant à Ejov, des déboires plus grands encore l’attendaient.
Au printemps 1938, Alexandre Orlov, le résident du NKVD en Espagne,
envoya à Moscou une série de rapports critiques sur l’activité du NKVD
en Espagne ; l’un d’eux dénonçait le SIM, la police politique des
républicains espagnols organisée par le NKVD :

L’Espagne se caractérise par un arbitraire sans exemple en Europe.


[…] Tout officier du Département spécial du service de Sécurité
républicain a le droit d’arrêter n’importe qui sans autorisation
spéciale, y compris les militaires. […] Au lieu de combattre les
espions véritables et les fascistes, on monte des affaires de toutes
pièces et on pratique la torture{213}.

Ce document rappelle fort des rapports de Beria rédigés dans des termes
similaires. Or Beria connaissait Orlov depuis 1925, date à laquelle Staline
avait envoyé ce dernier en Transcaucasie et l’avait chargé de boucler les
frontières avec la Turquie et l’Iran après l’insurrection géorgienne de 1924
qui avait mis le régime soviétique en péril dans sa patrie. À l’époque, une
collaboration étroite entre les deux hommes s’était instaurée{214}.
Ejov voulut se débarrasser d’Orlov. Il convoqua ce dernier à Moscou le
8 juillet. Sentant le piège, Orlov fit défection en emportant 60 000 dollars,
une somme considérable pour l’époque, et se réfugia au Canada où il
arriva le 21 juillet. Cette affaire mit Staline en rage. La lettre qu’Orlov fit
parvenir à Ejov, dans laquelle il promettait de ne « rien faire qui nuise au
Parti ou à l’Union soviétique » si on le laissait tranquille, contenait par
ailleurs une claire dénonciation de l’incompétence d’Ejov :

Celui qui désirait faire avancer sa carrière et se faire récompenser


pour une opération bien menée en m’étiquetant comme un criminel
par des moyens aussi bizarres doit avoir été analphabète d’un point de
vue opérationnel{215}.

Orlov a affirmé par ailleurs avoir averti Staline que « s’il osait se
venger sur nos mères, je publierais tout ce que je savais » sur ses crimes et
sur diverses opérations secrètes menées par l’URSS, telle la confiscation
de l’or espagnol. Il avait déposé auprès d’un avocat un récit des forfaits de
Staline, et s’il lui arrivait quelque chose, à lui et à ses proches, son avocat
avait pour instruction de publier ce document{216}. Cette lettre n’a pas
été retrouvée dans les archives. Ceci ne veut pas forcément dire qu’elle
n’ait pas existé, comme l’affirment les biographes d’Orlov, J. Costello et
O. Tsarev. Connaissant Staline, on peut douter que la menace d’Orlov à
Ejov de tout révéler sur les réseaux du NKVD à l’étranger ait dissuadé le
maître du Kremlin d’assouvir une vengeance : après tout, durant les deux
années qui suivirent, Staline et Beria détruisirent eux-mêmes presque tout
l’appareil du NKVD à l’étranger. Il est plus probable que Staline ait annulé
l’ordre d’assassiner Orlov parce qu’il prenait au sérieux la menace
d’Orlov d’exposer ses forfaits. On peut se demander s’il n’y a pas eu une
complicité entre Orlov et Beria, si Orlov n’a pas livré à Beria un moyen
d’« enfoncer » définitivement Ejov aux yeux de Staline{217} au moment
où Ejov essayait d’avoir sa peau. En septembre 1938, Orlov adressa une
lettre à Trotski pour l’avertir de la présence d’un agent du NKVD dans son
entourage proche – il s’agissait de Mark Zborowski, un communiste
polonais recruté par le NKVD en 1932, -- mais Trotski crut que cette lettre
était une provocation. Peut-être Orlov voulait-il ainsi torpiller l’opération
sur laquelle Ejov avait tout misé pour rentrer en grâce auprès de Staline.
Après avoir eu vent de cette lettre, la direction du NKVD, par mesure de
précaution, rappela tous les agents infiltrés dans l’entourage de Trotski.
Certains anciens du KGB considèrent aujourd’hui qu’Orlov était un
agent personnel de Beria{218}. Bien des éléments semblent accréditer
cette thèse. En novembre 1938, Beria interdit à l’un de ses adjoints, Pavel
Soudoplatov, de le rechercher{219} et il n’hésita pas à promouvoir Naoum
Eitingon, le second d’Orlov en Espagne, et Alexandre Korotkov, un illégal
formé par Orlov, qui ne considéra jamais celui-ci comme un traître{220}.
En 1940, Beria conseillera même à Soudoplatov de s’adresser à Orlov en
son nom pour obtenir son assistance dans l’organisation de l’assassinat de
Trotski ; et il sera difficile de le dissuader, Eitingon lui expliquant
qu’Orlov était certainement sous surveillance et qu’un contact avec lui
risquait de faire capoter toute l’opération{221}. Or, comme nous le
verrons, à l’exemple de l’implantation des réseaux du NKVD aux États-
Unis, Beria recommandait souvent à ses espions de faire appel à ses agents
personnels.
La fuite d’Orlov n’entraîna aucun démantèlement des réseaux qui
avaient été mis en place sous sa supervision : ce qui était tout à fait inusité
pour l’époque et étaie la thèse d’une connexion secrète entre Orlov et
Beria. Durant la guerre civile, l’Espagne était devenue une pépinière
d’agents pour le NKVD. L’adjoint d’Orlov, Naoum Belkine, avait eu l’idée
de récupérer les passeports des membres des Brigades internationales
tombés au combat, tout en y recrutant ceux qui pouvaient être utiles au
NKVD{222}. Les anciens de la guerre d’Espagne seront d’ailleurs
nombreux dans les réseaux de Beria – des hommes comme Lev
Vassilevski, le chef d’une unité de partisans à Barcelone, qui avait servi
sous ses ordres dans le contre-espionnage en Géorgie.
Le choix de Beria par Staline pour succéder à Ejov, à l’été 1938, sembla
inexplicable aux contemporains. « J’ignore par quel moyen Beria a charmé
Staline », écrit Khrouchtchev{223}. En fait Staline était persuadé qu’en
Beria il aurait un alter ego docile : « Je veux un homme à moi à la tête du
NKVD », dit-il pour expliquer sa décision{224}. Selon le témoignage de
A. Mirtskhoulava, Staline avait déjà l’œil sur Beria en janvier 1938 et
aurait déclaré lors d’une session préparatoire du Plénum du Comité
central :

C’est en Géorgie qu’il y a eu le moins d’arrestations en 1937. Savez-


vous pourquoi ? Parce que le secrétaire du Comité central de Géorgie
et le chef du NKVD Goglidzé sont d’honnêtes fonctionnaires et non
des saboteurs{225}.

En tout cas, la montée à Moscou de Beria eut lieu dans des


circonstances dramatiques et encore fort mystérieuses. La plupart des
dirigeants des républiques avaient été eux-mêmes victimes des purges.
Beria fut une rare exception qui s’explique entre autres par la solidité des
clans dans le Caucase. Il dut son salut à la fidélité de Goglidzé, chef du
NKVD de Géorgie. En effet, lorsqu’en mai 1938 Ejov transmit à ce dernier
l’ordre d’arrêter Beria, Goglidzé avertit son chef qui se précipita à Bakou
auprès de son ancien protecteur Baguirov, autrefois chef de la Tcheka
azerbaïdjanaise, devenu le responsable du Parti en Azerbaïdjan. Celui-ci
lui fournit une escorte et lui procura une place dans le premier train se
rendant à Moscou{226}. Arrivé dans la capitale à l’insu d’Ejov, Beria
obtint une audience de Staline et eut avec lui une entrevue en présence
d’un Ejov tout déconfit. Staline annula le mandat d’arrêt. Deux mois plus
tard, en juillet, une seconde rencontre eut lieu en présence d’Ejov qui avait
entre-temps présenté un dossier sur la collaboration de Beria en 1918 avec
le contre-espionnage du Moussavat. L’une des sources d’Ejov était
Tserpento, un enquêteur du NKVD. Celui-ci avait interrogé un certain
Goriatchev, arrêté en Géorgie, qui lui avait révélé que Beria était un agent
actif des moussavatistes{227}.
Au terme de cette entrevue, Staline déclara avec magnanimité qu’il ne
retirait pas sa confiance au camarade Beria{228}. Il se contenta d’exiger
de celui-ci qu’il rédige une note d’explication sur les points obscurs de son
passé. Beria s’exécuta avec l’aide de Merkoulov. Khrouchtchev raconte la
scène :

Beria avait été convoqué de Tbilissi. Tous étaient réunis chez Staline.
Ejov aussi était présent. Staline proposa : « Il faut renforcer le
NKVD, aider le camarade Ejov, lui trouver un adjoint. » Il avait déjà
demandé à Ejov devant moi : « Qui voulez-vous comme adjoint ? »
Celui-ci avait répondu : « S’il le faut donnez-moi Malenkov{229}. »
[…] Staline répondit : « Oui, Malenkov serait bien, mais nous ne
pouvons donner Malenkov. Malenkov est aux cadres dans le Comité
central, et qui nommer à sa place ? Il n’est pas si facile de trouver un
homme responsable des cadres, et au Comité central de surcroît. Il
faut du temps pour étudier et connaître les cadres. […] Que diriez-
vous si on vous donnait Beria comme adjoint ? » Ejov eut un brusque
sursaut, mais il se contint et dit : « C’est une bonne candidature. Bien
sûr, le camarade Beria a les capacités d’être plus qu’un adjoint. Il
peut devenir commissaire du peuple. » […] Staline répondit : « Non,
il n’a pas la carrure d’un commissaire du peuple, mais ce sera un bon
adjoint. » Je m’approchai de Beria, je serrai sa main amicalement et
je le félicitai. Il m’envoya au diable sans se fâcher, tranquillement
mais démonstrativement : « Qu’est-ce qui te prend de me féliciter ?
Toi-même tu n’as nulle envie de travailler à Moscou. Moi non plus je
ne veux pas y aller, j’aime mieux être en Géorgie »{230}.

D’après le témoignage de Merkoulov, Beria s’attendait à une promotion


à Moscou, mais la nomination au poste d’adjoint d’Ejov fut une très
mauvaise surprise pour lui{231}. Revenons au récit de Khrouchtchev :
« Staline voulait un Géorgien au NKVD. Il avait confiance en Beria, et il
voulait contrôler tout ce que faisait Ejov à travers Beria. » D’après Sergo
Beria, le fait que Beria fût géorgien joua effectivement un rôle dans le
choix de Staline. Il voulait être associé étroitement à la politique de
« dégel » qu’il projetait : choisir un jeune et obscur compatriote, sans
appui à Moscou sinon le sien, semblait le meilleur moyen d’y parvenir. Ce
calcul de Staline s’avéra juste, si l’on en juge par le témoignage de
Shreider, un tchékiste qui a laissé d’intéressants Mémoires :

Je me réjouis en apprenant la nomination de Beria à la tête du NKVD.


Je pensai que si Staline avait choisi un compatriote pour ce poste, on
pouvait espérer qu’il remédierait à la situation créée par Ejov{232}.

Beria ne cachait pas son opposition aux purges. Khrouchtchev, qui est
peu suspect de partialité à son égard, raconte :

Lors de mes visites à Moscou, Beria me disait qu’on arrêtait


beaucoup de monde et il se lamentait : « La coupe est pleine. Il faut
stopper cela, entreprendre quelque chose, on arrête des innocents. »
[…] Il en parlait à Staline. Je le sais, bien qu’il m’ait dit que Staline
et lui n’évoquaient pas le sujet{233}.

Et plus loin :

Il me disait : « Écoute, nous avons anéanti énormément de cadres,


qu’est-ce qui va nous arriver ? Les gens ont peur de travailler. » Il
avait raison. Staline était totalement isolé du peuple et n’avait de
relations qu’avec son entourage proche. Beria, lui, connaissait l’état
d’esprit du peuple, il avait beaucoup d’agents. Staline finit par
reconnaître qu’il y avait eu des abus{234}.
Ce témoignage est corroboré par celui du transfuge Grigori Tokaev qui
était l’ami intime de l’un des proches de Beria{235} :

Mon ami demanda à Beria comment il se faisait que Staline ne se


rendît pas compte que la terreur avait presque dépassé son but. Le
public en arrivait à croire que des agents nazis avaient pénétré dans
les rouages du NKVD et qu’ils organisaient ces massacres pour
discréditer le régime. Beria répondit qu’en effet Staline voyait le
danger, mais qu’il était en butte à des difficultés pratiques. Une fois
la vague de répressions déchaînée, dans un pays aussi étendu que
l’URSS, le retour à un état de choses normal ne pouvait se faire en un
clin d’œil. […] Beria estimait que dans les dix dernières années,
trente à trente-cinq millions de personnes avaient subi, d’une manière
ou d’une autre, les effets de la terreur stalinienne. […] Les assises du
régime soviétique devaient être bien précaires. C’est par cet argument
que Beria persuada Staline de se débarrasser d’Ejov et de lui confier,
à lui son compatriote géorgien, la direction du NKVD{236}.

Cette version est aussi celle exposée par Sergo Beria à l’auteur de ces
lignes : au cours du fameux affrontement entre Ejov et Beria en présence
de Staline, Beria avait déclaré que la politique de terreur faisait vaciller le
régime lui-même. On remarquera le chiffre des victimes cité par Beria
dans le récit de Tokaev : ce seul détail révèle qu’au moment de sa
promotion à Moscou, Beria était loin de l’adulation de Staline qu’il
affectait en famille. Même devant le Politburo, il ne mâchait pas ses
mots : « Si nous continuons les arrestations à ce rythme, bientôt il n’y aura
plus personne à arrêter{237}. »
Ce survol des débuts de la carrière de Beria permet de saisir pourquoi,
du fin fond de la Géorgie, ce fils de paysan mingrélien sut s’attirer la
faveur de son puissant compatriote : Beria eut très tôt l’intuition de
l’hypocrisie de Staline, il sut se placer en bonne position chaque fois que
Staline voulait opérer un repli tactique en faisant porter le chapeau des
conséquences désastreuses de sa politique à ses subordonnés. Il feignit de
croire que Staline commettait des atrocités sous l’influence de groupes
malfaisants gravitant autour de lui, et qu’un subordonné ayant son franc-
parler pouvait l’aider à retrouver le droit chemin. Il conforta Staline dans
l’image de redresseur de torts qu’il voulait donner de lui-même. Staline
n’était pas habitué à une flatterie aussi subtile et surtout aussi utile. Il
récompensa Beria en le portant aux plus hautes fonctions. Il ne se doutait
pas que ce petit jeune homme empressé allait devenir pour lui un
adversaire autrement dangereux que les vieux bolcheviks paralysés par
l’idéologie, usés par le pouvoir, les crimes et les compromissions.

Les réseaux géorgiens de Beriaà l’étranger


Ainsi commença la carrière exemplaire d’un jeune ambitieux talentueux
et sans scrupules qui sut exploiter à fond les possibilités de promotion
offertes par le régime soviétique. Beria le tchékiste pourfendeur de
mencheviks se transforma en Beria le fonctionnaire communiste. Mais il
se distingua toujours des apparatchiks qui entouraient Staline. Chez lui,
l’ambition ne se bornait pas à la volonté de gravir les échelons de la
hiérarchie communiste et de dominer les hommes. Il voulait le pouvoir
pour s’en servir, il avait des projets et rêvait de les réaliser, de construire
comme il l’avait fait dans sa Géorgie natale, de mener à bien les desseins
qui lui tenaient à cœur. À la différence de ses collègues, Beria n’était pas
seulement un exécutant efficace, il avait un tempérament de chef, ce que
Staline mit du temps à comprendre, obsédé comme il l’était par le
souvenir de la rivalité avec les vieux bolcheviks. Beria avait la liberté
d’esprit et le charisme qui lui auraient permis de s’élever ailleurs que dans
un régime communiste. Avec le tempérament orgueilleux et dominateur
qui était le sien, il dut très tôt se sentir gêné aux entournures par les
dogmes marxistes et surtout la tutelle pointilleuse de Staline. Il allait
exploiter les moindres interstices de liberté que lui autorisait le système –
surtout dans le domaine du renseignement – pour essayer de mettre en
œuvre des projets dont les arrière-pensées n’auraient pas forcément
l’approbation de Staline ; il allait guetter les moments d’affaiblissement
de la dictature, voire favoriser les crises et enfin échafauder des
stratagèmes compliqués pour tenter d’approcher la réalisation de ses
desseins secrets. Jusqu’à la mort de Staline il resta prudent. Mais, malgré
ces précautions, Staline se rendit vite compte que le petit provincial
mingrélien qu’il avait introduit dans le cercle de ses proches n’était pas
aussi docile qu’il en avait l’air.
Une opposition grandissante finit par mettre Beria en conflit ouvert
avec Staline puis avec ses successeurs. Cet affrontement dépassait les
rivalités d’ambitions et de clans sur lesquelles se construisent les systèmes
totalitaires. Beria avait un projet politique qui commencera à se dévoiler
après la mort de Staline, mais qu’il n’aura pas le temps de mener à bien.
La question est : à quand remonte ce jeu personnel ? Les indices de cette
« dissidence » sont lisibles très tôt, pour peu que l’on ait appris à repérer
ses stratagèmes favoris, de manière à pouvoir déchiffrer son empreinte,
même camouflée, partout où il l’a laissée. Pour découvrir les clés de son
comportement ultérieur, il faut revenir à la formation du personnage et
aux réseaux dont il disposait pour mener son action et montrer
l’originalité de la politique qu’il mis en œuvre pendant sa période
géorgienne.

L’héritage caucasien.
Beria ne « monta » à Moscou qu’en 1938, à près de quarante ans. Il
s’était formé à Bakou où il avait suivi ses études, et en Géorgie. À la
différence de Staline, il ne se russifia jamais, même en surface, et demeura
toute sa vie imprégné par la mentalité géorgienne ; son service dans
l’Empire moscovite n’éteignit jamais chez lui l’amour de sa petite patrie.
Selon le témoignage de leur fils, son épouse Nina haïssait les Russes et
elle communiqua à son mari plus « cosmopolite » le patriotisme des
aristocrates géorgiens, ce sentiment national ardent d’un petit peuple
entouré de prédateurs, obligé pour survivre d’être intelligent, voire retors.
D’autres témoignages attestent du nationalisme ombrageux du jeune Beria
au début de sa carrière. Ainsi Chalva Maglakélidzé, l’ancien gouverneur
de Tiflis à l’époque de la Géorgie indépendante, a raconté dans ses
Mémoires comment il fut arrêté par les bolcheviks en 1921 avec un groupe
de personnalités liées au gouvernement menchevique, et comment Beria,
encore simple enquêteur de la Tcheka, intervint pour empêcher un
tortionnaire arménien de rosser Parmen Tchitchinadzé, l’ancien ministre
de la Guerre :

En tant que Géorgien, il considérait que le comportement de cet


individu était une insulte. Beria était le seul Géorgien parmi les
tchékistes, et en tant que Géorgien, il eut pitié de
Tchitchinadzé{238}.

La Géorgie chrétienne a de tout temps été la proie de ses voisins plus


puissants, Perses et Turcs. Elle a cherché la protection du voisin plus
lointain, la Russie, contre les menaces immédiates émanant des peuples
musulmans, avant de s’apercevoir que le nouveau protecteur menaçait plus
gravement encore la survie de la nation géorgienne. La Géorgie s’est aussi
très tôt tournée vers les puissances européennes pour y chercher protection
et appui. À la veille de la révolution, elle avait une forte tradition
germanophile ; les jeunes Géorgiens étaient nombreux à suivre leurs
études dans les universités allemandes ; une importante colonie allemande
exista en Géorgie jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale. L’indépendance
géorgienne a été portée sur les fonts baptismaux, en mai 1918, par
Friedrich Werner von der Schulenburg, consul à Tiflis sous l’ancien
régime, le commandant de la Légion géorgienne formée en 1915 qui
devait se battre avec les Turcs contre les Russes mais aussi défendre la
Géorgie contre les appétits turcs. L’intervention de l’armée allemande a
d’ailleurs sauvé la Géorgie d’une invasion turque en mai-juin 1918. Le
protectorat allemand fut si apprécié qu’en novembre 1918, les dirigeants
mencheviks géorgiens sollicitèrent de l’Entente l’autorisation de
maintenir une présence militaire allemande en Géorgie. Beria était
personnellement sensible à cette germanophilie : il donna à son fils âgé de
5 ans une gouvernante allemande qui monta à Moscou avec la famille et y
resta même pendant la guerre ; il avait placé son fils dans une école
allemande de Tbilissi et il protégea l’écrivain Constantin Gamsakhourdia,
bien connu pour sa germanophilie, y compris pendant la guerre.
Outre la tradition géorgienne germanophile, il faut évoquer la
polonophilie fort répandue dans le Caucase. Géorgiens et Polonais
s’étaient rapprochés dès le XIXe siècle, les Polonais exilés par le
gouvernement tsariste dans le Caucase rencontrant un accueil chaleureux
en Géorgie. En février 1920, la Géorgie indépendante et la Pologne
signèrent un traité d’alliance. Après la conquête de la Géorgie par l’Armée
rouge, la Pologne recueillit, en novembre 1922, une centaine d’officiers
géorgiens, comptant en faire le noyau de la future armée de libération du
Caucase.
L’impact des événements de 1918-1919 sur le jeune Lavrenti, qui se
trouvait alors à Bakou, fut profond. Beria a connu la Commune de Bakou
au printemps 1918, il a vécu les privations et la disette entraînées par la
mise en œuvre du socialisme et l’occupation turque, la ruine de l’industrie
pétrolière et la disparition du commerce après les nationalisations de mai
1918 – et surtout, il a vu les Britanniques occuper Bakou à partir de
novembre 1918, ressuscitant miraculeusement l’économie de la ville en
quelques semaines, en remettant les chemins de fer transcaucasiens en état
de marche, en rétablissant les échanges, en restaurant les banques et en
reprivatisant l’industrie{239}. Oliver Wardrop, diplomate britannique en
visite à Bakou en septembre 1919, avait d’ailleurs noté l’anglophilie qui
régnait en ville : « Le peuple et le gouvernement de ce pays sont très bien
disposés à l’égard de la Grande-Bretagne{240}. » Beria possédait donc
une expérience unique chez un membre du Politburo : il avait assisté à une
décommunisation réussie sous occupation étrangère. Selon le témoignage
de son fils, il en conçut une admiration sans bornes pour les Britanniques.
Les bolcheviks caucasiens, Staline excepté, étaient dans l’ensemble
moins dogmatiques que les communistes moscovites. Un grand nombre
d’entre eux avaient été amenés au marxisme par le nationalisme et la
haine de l’Empire tsariste. Ceci explique que bolcheviks et mencheviks
caucasiens aient conservé un sentiment de solidarité alors que leurs
camarades russes étaient à couteaux tirés. Mais, même sur le fond des
bolcheviks caucasiens, Beria se distinguait par son agnosticisme complet.
Tous ceux qui l’ont approché – Khrouchtchev, Viatcheslav Molotov, Dmitri
Chepilov et bien d’autres – ont noté qu’il n’était pas communiste{241}. Il
ne prenait guère la peine de dissimuler son mépris pour l’idéologie, ce que
Staline tolérait car il savait que Beria obtenait des résultats grâce à son
pragmatisme absolu. En famille, il ne ménageait ses sarcasmes ni à
l’égard de Marx, un raté selon lui qui avait épousé la cause ouvrière sur les
conseils de son père conscient de la médiocrité de son rejeton{242}, ni à
l’égard de Lénine qu’il considérait comme un « intrigant remarquable
mais incapable d’organisation pratique{243} ».
Jeune tchékiste à Tiflis, Beria eut à combattre les mencheviks géorgiens
dont les chefs étaient réfugiés à Paris. Il suivit de près les débats qui
divisaient l’émigration caucasienne à Istanbul et à Paris, se plongea dans
les archives, réfléchit avec les émigrés sur les causes de l’échec de l’État
géorgien indépendant. Le témoignage de son fils laisse entrevoir à quel
point il fut influencé par les vues de ceux qu’il avait pour mission
d’anéantir, au point qu’on peut parfois parler d’une véritable osmose.
Les émigrés étaient arrivés à la conclusion que la reconquête par
Moscou des États du Caucase avait été facilitée par leur incapacité à
s’entendre, par la rupture des liens économiques qui les unissaient et les
conflits qui les divisaient. Dès 1921, l’émigration caucasienne s’était
ralliée à l’idée d’une confédération du Caucase, projet qui sera exhumé
dans les années 1930 et 1940, puis au début des années 1950. Quant aux
Géorgiens, ils considéraient qu’une de leurs principales erreurs pendant la
période de l’indépendance avait été, par préjugé socialiste, de ne pas
s’appuyer sur le corps des officiers, qui eût pu constituer l’ossature de
l’État géorgien indépendant, à l’exemple de la Pologne de Pilsudski. C’est
dans ce passé lointain que se nouent les fils de la politique étrangère de
Beria telle que nous chercherons à la reconstituer. À la germanophilie due
à la tradition géorgienne, à l’anglophilie née d’une expérience personnelle,
s’ajoute chez Beria un vif intérêt pour la Pologne, paradoxal chez
l’organisateur du massacre de Katyn.
La vision caucasienne dont Beria ne se départit jamais explique
l’ambivalence profonde de sa conception de politique étrangère. D’un
côté, il ne participa jamais à l’anti-occidentalisme virulent d’un Jdanov et
s’efforça autant qu’il le put de maintenir des liens avec l’Occident par ses
canaux personnels, même à l’époque la plus noire du stalinisme. De
l’autre, Beria resta toujours un nationaliste géorgien, convaincu, comme
tous ses compatriotes, que les petites nations ne pouvaient survivre et
poursuivre leurs intérêts que lorsque les grands voisins étaient en conflit.
Ceci l’incita parfois à chercher à aggraver l’affrontement entre l’URSS et
les autres puissances, surtout lorsque les intérêts de la Géorgie étaient en
jeu, comme ce fut le cas en 1945-1946.
Beria fut nommé, en novembre 1922, à la tête du Département politique
secret de la GPU géorgienne chargé de la lutte contre l’opposition mais
qui englobait aussi la Section étrangère{244}. Dès le début de sa carrière,
Beria a donc été amené à s’intéresser au renseignement à l’étranger. La
GPU des années 1920-1930 était obsédée par la lutte contre l’émigration
anticommuniste dont elle exagérait grandement l’influence sur les
« cercles dirigeants » des pays capitalistes. La lutte contre les mencheviks
était tout aussi importante que celle contre les émigrés blancs. En 1923,
une résolution adoptée par le Politburo enjoignait à la GPU « d’empêcher
les contacts » entre les mencheviks de l’étranger et la Russie
bolchevique{245}. Cette lutte contre les mencheviks allait servir à Beria
de marchepied vers le pouvoir et, en même temps, elle allait en quelque
sorte le mettre en contact avec le monde occidental, la France notamment.
Durant ces années à la Tcheka géorgienne, le jeune Beria s’habitua à une
certaine liberté d’action. Dans une note rédigée en juillet 1930, à
l’intention des autorités françaises, sur l’organigramme et le
fonctionnement de la Tcheka{246}, le transfuge Georges Agabekov, qui
avait été le chef des réseaux illégaux de la GPU en Perse puis en Turquie,
soulignait le rôle important des Tcheka régionales{247}. Celles-ci avaient
le droit d’envoyer des agents dans les régions limitrophes, bien sûr
subordonnés au représentant de Moscou. Mais parfois ces tchékistes
allogènes connaissaient mieux le pays que leur supérieur moscovite et ils
acquéraient une influence considérable. Selon Agabekov, la Tcheka du
Caucase battait tous les records de ce point de vue : elle s’était approprié
la Perse et la Turquie et son représentant spécial à Constantinople était
pratiquement indépendant du résident de l’OGPU{248}. Les sections
régionales de l’OGPU se servaient des consulats pour l’envoi de leurs
agents mais elles se contentaient le plus souvent d’avoir recours aux
organisations commerciales comme couverture. Ainsi la Tcheka du
Caucase utilisait, outre le NKID, la représentation commerciale de
Transcaucasie et le Consortium des pétroles. Elle se servait de toute une
nébuleuse de « marchands rouges » qui faisaient la navette entre Paris,
Istanbul, Ankara et Moscou, dont on soupçonnait qu’ils agissaient pour le
compte de la GPU.
Très tôt, Beria déploya donc un réseau d’agents personnels qui pour
certains n’étaient même pas enregistrés dans les fichiers de la GPU. En
cela il se contentait d’imiter Staline qui, lui aussi, disposait d’un réseau
personnel ultrasecret indépendant de la GPU. Beria cherchait sans doute à
l’origine à se procurer des sources de financement « au noir », de manière
à avoir les coudées plus franches par rapport à la GPU centrale ou à la
GPU de Transcaucasie. Le choix de Beria se portait de préférence sur des
personnages débrouillards, ayant le sens des affaires, et ses agents
personnels disposaient d’une très grande liberté d’action qui permit à
nombre d’entre eux de faire fortune à l’étranger.
Ainsi, en 1922, Beria avait installé aux États-Unis Boris Morros, une
personnalité pittoresque aux talents multiples. Originaire de Zaporoje,
Morros avait fait ses études au conservatoire de Petrograd, et avait été
l’élève de Rimski-Korsakov, le condisciple et l’ami de Prokofiev. Beria
l’avait connu en 1921, sans doute à Bakou, et Nina Beria raconta à son fils
que Morros se mit à danser de joie « lorsque Lavrenti lui permit
d’émigrer ». Puis il avait organisé par son intermédiaire l’exportation de
pétrole et l’importation de sucre{249}, et avec l’argent retiré de ces
transactions, Beria avait financé son réseau en Turquie et en Iran{250}.
Morros fit rapidement carrière à la Paramount et devint un producteur à
Hollywood.
Citons dans la nébuleuse des « marchands rouges » le Géorgien Chalva
Karoumidzé{251} qui, dès 1916, avait cherché à fomenter une
insurrection antirusse en Géorgie, et qui, en 1918, avait facilité le
débarquement du général bavarois Kress von Kressenstein en organisant
des unités géorgiennes armées par le Reich. En 1922, Karoumidzé avait
été envoyé par les autorités bolcheviques géorgiennes à Constantinople
pour y vendre des fourrures ; il avait fait défection en s’appropriant le
revenu de la vente de sa marchandise, puis s’était rendu à Paris où il avait
obtenu la protection du chef du Parti national-démocrate Spiridon Kedia.
Nous le retrouvons en Allemagne à partir de 1925, chargé par ce parti
d’entrer en contact avec les milieux nationalistes, notamment à Munich –
tâche dont il s’acquittera à merveille, puisqu’il se liera au capitaine Röhm
et à Rosenberg, deux des fondateurs du mouvement nazi. D’ailleurs sa
fiche à la Gestapo mentionnait qu’il aurait volé des diamants en Turquie et
aurait été libéré des prisons turques par son ami Soultanov, un agent du
NKVD selon Soudoplatov.
Citons aussi Alexandre Djakeli, autorisé à émigrer en 1927, un parent de
Beria qui lui procura des fonds pour lui permettre de s’installer en France
puis en Belgique. Djakeli présidait une société d’exploitation du
manganèse de Géorgie. Puis il se lança dans la parfumerie où il fit fortune.
Jusqu’à la guerre, Djakeli ne se mêla guère de politique, se contentant de
financer l’organisation de droite Thethri Guiorgui – Saint Georges, le
patron de la Géorgie – orientée vers l’Italie de Mussolini{252}.

L’émigration géorgienne.
L’émigration géorgienne installée à Paris depuis la fin de 1921 était la
principale cible de la GPU de Tiflis. La Géorgie indépendante ayant été
reconnue par les Occidentaux en février 1921, juste avant sa conquête par
les bolcheviks, une Légation géorgienne fut maintenue à Paris jusqu’en
1933, date à laquelle elle fut fermée au moment du rapprochement franco-
soviétique{253}. Le 21 mars 1935, le président du Conseil Pierre Laval
adressa toutefois une lettre au ministre de l’Intérieur, définissant la
situation spéciale des Géorgiens et rappelant qu’ils ne devaient pas être
rattachés aux « réfugiés russes » et la légation fut remplacée par l’Office
des réfugiés géorgiens ; ceux-ci eurent droit à un titre d’identité et de
voyage au lieu d’un passeport Nansen.
L’émigration géorgienne était loin d’être unie et solidaire. L’exil avait
encore aggravé les oppositions politiques qui déchiraient déjà la Géorgie
indépendante. Les mencheviks prétendaient représenter le gouvernement
légitime et voulaient parler au nom de toute la communauté géorgienne.
Leurs adversaires de droite, les nationaux-démocrates, contestaient cette
légitimité, affirmant que la politique désastreuse des mencheviks avait
facilité la conquête bolchevique et amené la catastrophe de février 1921
ainsi que le fiasco de l’insurrection manquée de 1924.
Les premiers à s’intéresser aux émigrés caucasiens furent les services
spéciaux polonais. Le 4e Département du service de renseignements
polonais, dirigé par le major Kharaszkiewicz, était chargé des
organisations antisoviétiques, dont le mouvement Prométhée et le Comité
de l’Indépendance du Caucase, l’organe dirigeant des Caucasiens ayant
adhéré à Prométhée. L’objectif de Pilsudski était d’unir les peuples
allogènes de l’URSS en misant sur la décomposition de l’Empire
soviétique. L’un des buts des services spéciaux polonais était de monter
des opérations de désinformation contre les dignitaires communistes,
incitant les bolcheviks à se détruire entre eux. C’est ce que proposèrent les
Polonais à Noé Ramichvili, leur principal interlocuteur dans l’émigration
géorgienne en 1927 : envoyer des lettres chiffrées aisément décodables
aux organisations mencheviques clandestines faisant allusion au soutien
secret de tel ou tel communiste à l’opposition. De 1926 à 1939, les
Polonais furent les seuls à financer les mencheviks géorgiens, s’efforçant
d’inciter les différentes factions de l’émigration à enterrer la hache de
guerre et à créer un front antisoviétique uni. Ils se montrèrent fort jaloux
de leur monopole sur les représentants des nationalités de l’URSS, leur
interdisant par exemple d’entrer en contact directement avec les services
français : les Polonais devaient servir d’intermédiaires entre les émigrés et
les services de tous les pays alliés de la Pologne. Au début des années
1930, les services spéciaux polonais créèrent à Paris une représentation
qui était chargée de diriger les organisations émigrées des allogènes de
l’URSS{254}.
Le grand atout des mencheviks géorgiens aux yeux des services de
renseignements occidentaux était leur capacité d’infiltrer des agents en
URSS. Fort doués pour la conspiration, les chefs mencheviks avaient créé,
dès avril 1921, une commission spéciale chargée de maintenir le lien avec
la Géorgie occupée. Jusqu’à la fin de 1926, les courriers circulèrent
régulièrement entre la Géorgie et la Turquie. À partir de 1927, la Turquie
commença à entraver l’activité des émigrés caucasiens sur son sol et, fin
1928, Ankara expulsa tous les Géorgiens ayant une activité politique.
L’Iran devint alors la base d’action des mencheviks géorgiens{255}.
Soudoplatov a noté l’importance de l’émigration géorgienne aux yeux
de Beria, sans comprendre pourquoi celle-ci occupait une place centrale
dans les préoccupations de son chef :

Il paraissait obsédé par l’idée d’utiliser ses anciennes relations


personnelles. Il avait en Occident toute une cour de princes de
Géorgie qui l’abreuvaient de rumeurs sur d’incroyables trésors cachés
au fin fond du Caucase{256}.

En Géorgie, le système communiste s’était superposé à la structure


clanique féodale encore très vivante qu’il ne détruisit pas. Beria était
originaire de Mingrélie en Géorgie occidentale. Il était considéré par les
Mingréliens comme leur suzerain. Il pouvait donc compter sur leur
loyauté absolue : il était quasi inconcevable qu’un Mingrélien le trahisse
auprès de Staline. Beria disposa donc dès le début de réseaux personnels
infiniment plus fiables que la clientèle ordinaire des potentats
communistes, dont la fidélité durait tant que le patron était bien en cour.
Cette solidarité mingrélienne s’étendait aussi à l’émigration, où elle
transcendait les partis, et reposait sur la solidité du lien familial dans le
Caucase. Ainsi, Staline n’osa-t-il jamais arrêter Nina Beria, quoiqu’elle
fût noble et nièce d’Eugène Gueguetchkori, menchevik notoire, et quoique
Beria la trompât tant et plus : il savait que Beria n’était pas homme à
accepter sans réagir un pareil affront. D’ailleurs, pour les missions les plus
confidentielles, Beria eut fréquemment recours à des neveux de son
épouse, mingrélienne comme lui.
Aussitôt qu’il en eut la possibilité, Beria s’efforça d’établir un lien
constant avec l’émigration géorgienne réfugiée à Paris, en Pologne et en
Allemagne, qui passait par ses réseaux personnels. À l’été 1926,
Alexandre Orlov devint le résident légal de la GPU en France. Beria vit
sans doute dans la nouvelle affectation d’un homme qu’il connaissait bien
une occasion unique pour déployer ses hommes en France, un pays qui
l’intéressait fort à cause de l’importante colonie géorgienne qui y avait
trouvé refuge. Début 1926, Kvantaliani, le chef de la GPU géorgienne,
envoya Tite Lordkipanidzé en France sous couverture de la mission
commerciale soviétique. De décembre 1925 à octobre 1927, Tite
Lordkipanidzé fut l’adjoint du rezident à Paris, et donc, à partir de l’été
1926, d’Orlov qu’il connaissait depuis son séjour à Tiflis et avec lequel il
s’entendait bien. Lorsque Beria succéda à Kvantaliani la même année, il
fit revenir Lordkipanidzé à Tbilissi et lui donna des instructions précises :
nouer des relations avec les émigrés{257}. Lordkipanidzé reçut
prétendument l’ordre de Staline d’entrer en contact avec Noé Ramichvili,
l’ancien ministre de l’Intérieur de la République géorgienne, pour le
convaincre d’écrire une histoire du mouvement révolutionnaire qui
rendrait justice au rôle joué par Staline{258}, mission pour le moins
bizarre quand on sait que Ramichvili était connu pour son
anticommunisme militant et ne cachait pas sa conviction que Staline était
un agent de l’Okhrana{259}. Le camouflage était donc un peu mince.
Toujours en 1926, d’anciens mencheviks furent autorisés à revenir en
Géorgie, comme Niko Eliava, par lequel l’ex-président Jordania se tenait
au courant des affaires géorgiennes{260}. Mais la priorité de Beria était
d’avoir des contacts avec chaque camp de l’émigration.
Parmi les sociaux-démocrates, il s’intéressait en particulier à son oncle
par alliance, Eugène Gueguetchkori, ancien député aux IIIe et IVe Douma,
ancien ministre des Affaires étrangères de la Géorgie indépendante, qui
jouait un rôle de premier plan dans l’émigration. En 1926, Gueguetchkori
conclut avec les Polonais un accord secret qui assurait aux mencheviks
géorgiens le financement de Varsovie. À partir de 1928, il fut l’un des
négociateurs les plus efficaces du pacte de confédération du Caucase
finalement signé à Varsovie en juillet 1934{261}. Au sein du front
caucasien, il facilita les relations entre chrétiens et musulmans et
convainquit des Arméniens à se rallier au front. Quoique ancien
menchevik, il s’entendait bien avec les nationaux-démocrates mingréliens.
Lui-même mingrélien et franc-maçon notoire, E. Gueguetchkori était bien
introduit dans les milieux politiques français et dans la IIe Internationale
socialiste. Il était fort lié à Adrien Marquet, maire de Bordeaux, depuis
que celui-ci avait visité la Géorgie menchevique en novembre 1920 au
sein d’une délégation de la IIe Internationale, en compagnie de Pierre
Renaudel. Voici son portrait brossé par les services secrets français :

Avocat de son métier, il est extraordinairement doué pour les affaires.


D’une intelligence subtile, souple, raffinée, dilettante, causeur
incomparable, spirituel et charmeur, don Juan pouvant être faux et
cruel. […] Le plus brillant des hommes politiques géorgiens. […] Il
s’est surtout servi du socialisme pour faire sa carrière. […] Son
ambition ne le pousse pas tant vers l’argent que vers la volonté d’être
présent dans les coulisses de toutes les affaires politiques et
financières du monde occidental{262}.

À la différence de beaucoup d’émigrés qui tiraient le diable par la


queue, Eugène Gueguetchkori s’était lancé dans les affaires avec succès et
il menait un train de vie luxueux. Dès 1935, les services français le
soupçonnaient d’accointances avec les Soviétiques :

Gueguetchkori serait employé à des fins douteuses par Adjemoff et


Gulbenkian qui sont en rapports continuels avec les Soviets. Il est
soupçonné de se rendre à Riga pour y recevoir au nom de ces deux
étrangers d’importantes sommes, fruit des affaires traitées pour le
compte du trust du pétrole de l’URSS{263}.

Adjemoff était un Arménien de Bakou, membre du Parti dachnak et


député de Bakou à la Douma{264}. Très bien introduit à la SFIO,
Gueguetchkori entretenait de bonnes relations avec des radicaux
socialistes et était très lié, en 1939, à Marcel Déat. Il était aussi en
relations d’affaires avec Anatole de Monzies et Georges Bonnet. « Il
courtise les Israélites et les Arméniens solidement installés à la bourse de
Paris{265}. » Il avait des relations en Angleterre grâce au prince Mikheïl
Soumbatov, un ami personnel. D’abord très attaqué par la droite
géorgienne, il devint à la veille de la guerre le pont entre sociaux-
démocrates et nationalistes. Il était en contact aussi bien avec
l’Intelligence Service britannique qu’avec le Deuxième Bureau
français{266}.
En 1926, Beria envoya à Paris un neveu de son épouse, Nicolas
Gueguetchkori, pour y rencontrer Eugène. Celui-ci lui fournit des contacts
afin de reconstituer les organisations mencheviques en Géorgie et préparer
une insurrection contre le régime soviétique{267}. Nina Beria avait un
autre neveu, Tchitchiko Namitcheichvili, médecin et ancien socialiste-
révolutionnaire, exclu du Parti communiste pour nationalisme, qui avait
été en poste à Trébizonde et à Istanbul de 1925 à 1928. Dès 1937, il fut
mis en cause dans les dépositions de certains inculpés, qui seront
exhumées début 1952. Il était accusé d’avoir été recruté par les services
français en 1926, d’avoir fourni des renseignements détaillés sur l’Armée
rouge – les manœuvres, le moral des troupes –, de s’être lié à des moines
catholiques de Constantinople – les catholiques meskhètes nommés
« Francs » en Géorgie – et de leur avoir transmis des informations
« contre-révolutionnaires ». Sur ordre du rezident en Turquie, il
fréquentait en particulier le moine Chalva Vardidzé. En 1938,
Namitcheichvili se tirera d’affaire en affirmant être un agent double. Fort
opportunément, son officier traitant venait d’être fusillé.
Ainsi le lien de famille permit à Beria d’être bien informé sur ce qui se
passait dans le camp des mencheviks. Toujours en 1926, Beria envoya à
Paris G. Gueguelia, autre Mingrélien, parent de Spiridon Kedia, le chef des
nationaux-démocrates, avec la consigne d’infiltrer les émigrés de droite.
Début décembre 1926, Gueguelia commença toutefois par établir un
contact avec E. Gueguetchkori et assura ses supérieurs que ce dernier
pouvait « créer la brèche qui rendrait la citadelle menchevique
accessible » à la GPU. Gueguetchkori se disait d’accord pour « négocier »
avec des responsables soviétiques de plus gros calibre, « à condition que
cela ne soit pas des révolutionnaires qu’il ne connaît pas{268} ».
Sous le nom de code d’« agent 156 », Gueguelia sera l’un des agents
dormants les plus efficaces des services soviétiques. Son passé
antisoviétique lui facilitera la tâche, puisque cet ancien national-
démocrate avait autrefois collé sur les murs de la ville de Poti des tracts
antisoviétiques. Une fois installé en France, il fit des études de droit à la
Sorbonne, puis fut admis à l’Institut de criminologie Émile Garçon{269}.
Il épousa une Française, Lucia Saint-Rémy. Il milita au Parti national-
démocrate de l’émigration, fut même élu en 1931 secrétaire de son bureau
de l’étranger. Le plus étonnant est que toute l’émigration sut, dès le début
des années 1930, que Gueguelia était un agent du NKVD{270}.
Néanmoins, il réussit si bien à gagner la confiance du Parti national-
démocrate qu’en 1935, Spiridon Kedia envisagea de l’infiltrer en Géorgie
pour y réorganiser la résistance. Gueguelia se fit même accepter dans le
groupe « Caucase » créé par le Daghestanais H. Bammate en 1934 avec
l’appui japonais, d’orientation proturque et plus tard germanophile.
Lorsque Noé Jordania voulut le dénoncer comme agent soviétique,
Gueguetchkori le persuada de n’en rien faire. En 1935, Gueguelia fut
toutefois l’objet d’un arrêté ministériel d’expulsion{271}. Avant la guerre,
il dirigeait un réseau d’agents en France et deux groupes d’agents en
Europe centrale et orientale{272}. De 1929 à 1932, son agent traitant en
France était le rezident Piotr Zoubov, alias Demidov, un spécialiste
puisqu’il avait été chargé, en 1922, de la lutte contre les mencheviks à la
Tcheka de Géorgie ; et avant la guerre, son agent traitant à Paris était le
consul A. S. Goukasov, alias Kobachvili, qui succédait à L. Vassilevski.
C’est à Gueguelia que Beria confia les missions les plus délicates.
L’homme de Beria avait réussi à persuader les nationaux-démocrates
qu’il les servait auprès du NKVD ; les émigrés des autres partis en étaient
aussi convaincus, au point que les mencheviks jaloux voulurent aussi avoir
« leur » agent du NKVD attitré et crurent l’avoir trouvé en la personne de
G. Gamkrélidzé{273}, un Géorgien venant de Berlin arrivé à Paris en
1931. Jordania en fit son agent au sein de la GPU ; à travers lui, il était en
contact avec Piotr Zoubov, le rezident soviétique chargé des
mencheviks{274}.
L’arrivée de Gueguelia à Paris coïncida avec une tentative de
réconciliation au sein de l’émigration géorgienne divisée entre la gauche,
représentée par les sociaux-démocrates, et la droite, dominée par les
nationaux-démocrates. À partir de l’été 1926, il fut décidé de créer un
Centre national géorgien afin de diriger les activités antisoviétiques de
l’émigration dans le cadre du mouvement Prométhée patronné par la
Pologne de Pilsudksi.
Beria avait besoin d’une base solide en Turquie de manière à pouvoir
exfiltrer ses agents personnels. Il semble que le monastère catholique
géorgien Notre-Dame-de-Lourdes d’Istanbul ait joué ce rôle. Celui-ci
avait assisté le gouvernement géorgien en exil dès les premiers jours. Les
moines avaient servi d’intermédiaires entre le Vatican et les dirigeants
géorgiens à qui, dès la fin 1921, Rome avait promis son aide. Dès 1924, le
gouvernement géorgien eut au Vatican un représentant permanent, Raphaël
Inguilo. Les premières publications de l’émigration furent imprimées à la
typographie du monastère Notre-Dame-de-Lourdes qui fut, durant les
années 1920, une base de subversion antisoviétique et une plaque
tournante des services de renseignements. Le monastère abritait un vieil
émigré, Simon Jguenti, qui organisait les filières d’exfiltration et
d’infiltration en Géorgie occupée. En 1940, les services de renseignements
français utilisèrent cette filière pour infiltrer trois émissaires en
Géorgie{275}.
Chalva Vardidzé, le supérieur du monastère, était un personnage haut en
couleur. Il avait été, pendant la Première Guerre mondiale, membre du
Comité de libération de la Géorgie patronné par les puissances centrales.
Envoyé par le Vatican en Géorgie en 1922, il en rapporta le mémorandum
du catholicos Ambroise 1er qui dénonçait le régime bolchevique et fit
grand bruit lors de la conférence de Gênes. Vardidzé ne dissimulait pas ses
sympathies pour le mouvement nationaliste de droite Thethri Guiorgui
et servait d’intermédiaire entre ce mouvement et ses sympathisants en
Géorgie{276}.
En dépit de la fermeture de sa frontière avec l’URSS par la Turquie et
du renvoi en URSS des malheureux qui tentaient de fuir, de nombreux
Géorgiens se réfugièrent encore en Turquie en 1929 et Vardidzé s’arrangea
pour leur décrocher un certain nombre de contrats chez Peugeot, ce qui
leur permit d’émigrer en France. En juillet 1941, c’est encore lui qui
présenta l’émissaire menchevique Simon Goguiberidzé à un officier de
l’Abwehr. En août 1941, il fut arrêté par les Turcs qui voyaient d’un
mauvais œil sa collaboration avec les services de renseignements italiens ;
en effet, les services spéciaux turcs souhaitaient avoir un monopole sur les
émigrés caucasiens réfugiés sur leur territoire et ils appréciaient peu
l’activité de Vardidzé qui mettait en contact ses compatriotes avec les
Italiens et les Allemands.
Le père Vardidzé et les moines furent trop souvent en contact avec les
hommes de Beria pour que cela relevât du hasard. En 1927, par exemple,
l’un des moines se rendit en Géorgie, fut arrêté par la GPU puis
expulsé{277}. En 1941, c’est au monastère catholique que se
rencontrèrent l’agent double Chalva Berichvili, émissaire des mencheviks
de Paris, et Vardo Maximelichvili, ancienne maîtresse de Beria et son
envoyée à Istanbul. Après la guerre, Vardidzé entretiendra une
correspondance avec Ilya Tavadzé, le responsable des affaires géorgiennes
envoyé par Beria à Paris. L’influence de Beria sur les affaires du
monastère apparaît dans une note au NKVD de l’émigré Chalva Berichvili
rédigée après l’arrestation de Vardidzé :

Le monastère catholique d’Istanbul est complètement désert. Il ne


reste que deux moines, Pio Balidzé et Petre Tatalichvili. Il serait
souhaitable, comme le disait autrefois notre chef Lavrenti Pavlovitch,
d’envoyer quelqu’un pour renforcer ses effectifs, si on trouve la
personne adéquate{278}.

Lorsqu’en 1949, Tavadzé, un proche de Beria, apprit qu’il était nommé


ambassadeur d’URSS en Syrie, l’émigré Akaki Méounarguia lui
recommanda de contacter Chalva Vardidzé à Beyrouth et d’en faire son
informateur : « Je savais que Vardidzé était lié à des services étrangers…
mais je savais qu’à Paris Vardidzé et Tavadzé étaient en correspondance »,
avouera Méounarguia aux enquêteurs du MGB{279}.
Beria s’intéressait aussi à la Chine et au Japon. En effet, une importante
colonie géorgienne, fort hostile à la Russie tsariste, résidait en 1905 à
Kharbin. Et, lors de la guerre russo-japonaise, les services de
renseignements nippons, à la suggestion du Polonais Joseph Pilsudski
venu à Tokyo proposer son assistance, firent appel aux nationalités de
l’empire des tsars. Ils recrutèrent de nombreux Géorgiens de Kharbin, dont
certains tenaient des buffets le long du chemin de fer de Mandchourie, ce
qui en faisait des agents précieux. Après la guerre russo-japonaise, les
Japonais recrutèrent les chefs de la colonie géorgienne de Kharbin et, en
1906, ils patronnèrent la création d’une association géorgienne de trois
cents à quatre cents membres, qui servait de vivier à leurs services
spéciaux. Une association similaire fut créée parmi les Géorgiens de
Vladivostok et les réseaux constitués à cette époque furent ensuite utilisés
par les Japonais contre les bolcheviks. En 1919, au moment de
l’occupation par le Japon de l’Extrême-Orient russe, beaucoup de
Géorgiens furent persuadés de soutenir les Japonais et, fin 1919, la
Géorgie indépendante ouvrit un consulat à Vladivostok. En même temps
les Japonais créèrent dans cette ville un Bureau des chemins de fer, qui
servait de couverture à leurs activités de renseignement. L’Association
géorgienne et ce Bureau étaient en relations constantes. Après le retrait
des Japonais, les réseaux géorgiens continuèrent à fonctionner jusqu’aux
purges de 1937-1938. Les Japonais infiltraient leurs agents en Géorgie
soviétique. Une collaboration s’était nouée entre le gouvernement Jordania
à Paris et les associations géorgiennes de Kharbin et Vladivostok. Un des
oncles maternels de Beria, Egor Djakeli, était installé à Kharbin où il
tenait un buffet de gare. En 1910, il avait été recruté par les Japonais. En
1925, il avait même saboté le chemin de fer de Mandchourie et fait
dérailler un train{280}. Son fils Guiorgui Djakeli s’enrôla en 1938 dans
l’unité de sabotage japonaise « Asano », combattit l’Armée rouge, fut fait
prisonnier et condamné à vingt-cinq ans de détention en 1946. Le demi-
frère de Beria, Kapiton Kvaratskhelia, accompagné par sa fille Suzanna,
vivait aussi à Kharbin et lorsque ses parents se rendaient en Géorgie, ils
résidaient chez les Beria. Or Suzanna avait épousé un ancien officier de
l’armée blanche, Piotr Kozliakovski, qui travaillait pour les services
japonais{281}.
Last but not least, n’oublions pas la pléiade de jolies femmes dont Beria
faisait ses maîtresses puis ses agents personnels, joignant l’utile à
l’agréable. Citons Marina Melikov, fille du procureur tsariste de Tiflis
protégé par Beria, jeune femme demi-ukrainienne et demi-arménienne,
d’une rare beauté et d’une grande intelligence, épouse du compositeur Lev
Knipper, un agent du NKVD qui était le frère de la célèbre actrice Olga
Tchekhova, la coqueluche du Reich{282} ; et aussi Vardo Maximelichvili
qui fut un temps la secrétaire de Beria ; ou encore la rousse Nino Kikodzé
qui fut envoyée à Varsovie début 1940, noua une liaison avec un officier
polonais et travailla pour le renseignement polonais{283}, et que Beria
infiltra pendant la guerre dans les réseaux géorgiens de l’Abwehr.

Une connivence secrète ?


Dès l’insurrection ratée de 1924, on discerne l’aspect ambigu qui
caractérisera toujours les relations de Beria avec l’émigration. Chez les
Géorgiens de Paris cette insurrection suscita un débat passionné. En dépit
de l’opposition de certains de leurs collègues du Centre national, les
mencheviks qui avaient déclenché la révolte – N. Ramichvili, Jordania et
Gueguetchkori – furent accusés par leurs adversaires du Parti national-
démocrate d’avoir été manipulés par la Tcheka. Pour ces derniers,
l’insurrection était une opération commune menée par les chefs
mencheviques et par le Département secret opérationnel de la GPU
géorgienne dirigé par Beria. Et, de fait, les émigrés étaient convaincus
d’avoir un agent infiltré chez les bolcheviks. Lorsque l’un des chefs de
l’insurrection, Spiridon Tchavtchavadzé, reçut son nom de guerre –
Constantin Andronikachvili –, l’un des dirigeants du mouvement lui dit :
« Même le communiste qui chez eux travaille pour nous ne connaît pas ce
pseudonyme{284}. »
Dans l’émigration, Noé Ramichvili, l’ancien ministre de l’Intérieur de
la Géorgie menchevique, fut l’initiateur de l’insurrection. Il était
encouragé par des conservateurs britanniques qui souhaitaient embarrasser
le gouvernement travailliste de Ramsay MacDonald après sa décision de
reconnaître l’URSS. Ramichvili espérait qu’en cas de réussite de
l’insurrection, la Géorgie obtiendrait une assistance militaire de la France,
avec qui, depuis 1922, le gouvernement géorgien en exil menait des
négociations à travers le Quai d’Orsay et le ministère de la Guerre, afin
d’obtenir des livraisons d’armes en cas d’expulsion des bolcheviks de
Géorgie. Pour les indépendantistes, il était important de prouver aux
Occidentaux que les Géorgiens ne voulaient pas faire partie de l’URSS et
dans l’immédiat ce calcul fut payant car, jusqu’en 1933, la France ne
reconnut pas l’annexion de la Géorgie à l’URSS.
Au total les événements d’août-septembre 1924 firent un tort
considérable aux émigrés mencheviques. Non seulement l’aide occidentale
ne vint pas, non seulement V. Djougueli, leur envoyé qui devait prendre la
direction des opérations, fut capturé par la GPU et rédigea des lettres
appelant à renoncer à l’insurrection, mais le rôle du héros revint à
Kakoutsa Tcholokachvili, un national-démocrate.
Qu’en était-il du côté de la Géorgie communiste ? Le tchékiste
M. Shreider affirma avoir entendu Redens, l’ancien chef de la GPU de
Transcaucasie, déclarer qu’il

disposait d’informations prouvant que l’insurrection armée des


mencheviks géorgiens, soi-disant brillamment écrasée par Beria,
avait en réalité été organisée par lui à des fins de publicité. Staline
était au courant, mais pour des raisons incompréhensibles il avait une
confiance particulière en Beria et ne voulait rien entendre de mal sur
lui{285}.

Dans l’état actuel de nos connaissances, il est impossible d’étayer – ou


de réfuter – la thèse d’un rôle de Beria dans le déclenchement de
l’insurrection. Dans ses Mémoires, Sergo Beria affirme que son père avait
essayé d’éviter le soulèvement et les documents disponibles vont plutôt
dans ce sens. Selon Sergo Beria, son père aurait, après l’insurrection,
organisé l’évasion de certains de ses responsables par l’intermédiaire de
l’un de ses proches, Chalva Tsereteli, et il aurait tenté d’éviter
l’écrasement total de l’opposition nationaliste en Géorgie. Les archives de
l’émigration géorgienne, celles de la préfecture de police de Paris et celles
du ministère de la Sécurité de Géorgie fournissent de nombreux éléments
appuyant cette thèse d’une complicité en haut lieu de la résistance
anticommuniste et nationaliste en Géorgie et de la protection discrète que
Beria assura aux émigrés géorgiens. Plusieurs chefs de l’insurrection
antibolchevique d’août 1924 parvinrent bien à prendre la fuite, à
commencer par Tcholokachvili, l’âme du soulèvement, qui réussit à
s’échapper en Turquie avec trois cents hommes alors que le territoire était
quadrillé par les troupes bolcheviques{286}.
L’échec du soulèvement de 1924 entraîna une évolution profonde au
sein des élites géorgiennes qui comprirent que la Géorgie n’arriverait pas
à se libérer seule. La sortie du bolchevisme n’était concevable que dans
deux cas : une insurrection antibolchevique en Russie même ou une
défaite militaire de l’URSS. Désormais il ne restait plus qu’à attendre en
tâchant de survivre et de préserver les éléments de l’existence nationale en
prévision des jours meilleurs.
De 1924 à 1929, les mencheviks de Paris infiltrèrent en Géorgie une
délégation par an, soit par la frontière turque soit par la Lettonie en
1928{287}. Au printemps 1929, Noé Ramichvili, responsable du
renseignement du gouvernement en exil et principal organisateur de la
subversion en Géorgie communiste, reçut une lettre des communistes
nationalistes géorgiens. Il décida d’envoyer en Géorgie son neveu Chalva
Berichvili pour établir un contact permanent avec cette faction et les
mencheviks qui restaient en liberté. Berichvili, membre des réseaux
mencheviks clandestins, avait été arrêté le 12 décembre 1922 et son affaire
avait été instruite par Beria{288}. Libéré, il participa à l’insurrection de
1924, parvint à s’enfuir, se retrouva en France et entra au Bureau de
l’étranger menchevique en 1939. Le personnage ne manquait pas
d’ambition : à ses proches il laissait entendre qu’il occuperait un poste
éminent dès que le président Jordania aurait repris le pouvoir en
Géorgie{289}.
Chalva Berichvili et David Erkomaichvili furent infiltrés en Géorgie et
y séjournèrent de juin à septembre 1930. Berichvili organisa deux
conférences clandestines des mencheviks de Géorgie et procéda à
l’élection d’un Comité central menchevique et d’un second Comité
central, destiné à remplacer le premier en cas d’arrestation. En même
temps, il mena une enquête sur la collectivisation et, à son retour, adressa
un rapport au 2e Bureau de l’état-major polonais qui avait financé son
voyage en Géorgie. Piltsudski fut si intéressé qu’il le rencontra
personnellement{290}.
Berichvili et Erkomaichvili revinrent à Paris avec le sténogramme
d’une réunion du Parti communiste de Géorgie tenue le 11 août 1930,
consacrée à la lutte contre l’opposition{291}. Le secrétaire du Parti,
Samson Mamoulia, y constatait la vigueur de cette dernière :

Nous ne devons pas cacher le fait désagréable qu’au printemps


dernier les maîtres de la campagne étaient les contre-révolutionnaires
mencheviques. […] Nous sommes sortis vaincus de l’attaque que
nous avons menée contre la campagne.

Et Beria enchaîna :

Camarades, le menchevisme géorgien existe toujours et rien que ce


fait nous dit beaucoup de choses.

Évoquant l’activité des agents de Ramichvili :

C’est leur grand succès et notre défaite qu’ils aient réussi à rétablir la
liaison avec l’étranger et […] élu un nouveau comité central.

Pourquoi cet échec de la GPU dans l’éradication du menchevisme


géorgien ? Beria ne cherchait pas loin l’explication : c’est qu’à l’étranger
la lutte contre ce dernier était confiée à l’OGPU de l’URSS et non à la
GPU géorgienne. Et Beria d’énumérer toutes les erreurs commises par
Moscou. Au lieu de vouloir attirer les opposants en Géorgie, comme
c’était le cas en 1925, il fallait les laisser à Paris où ils se querellaient
entre eux :
Nous exigions que les membres actifs de n’importe quelle
organisation antisoviétique ne doivent pas avoir la permission de
rentrer en Géorgie parce qu’ils nous sont d’une plus grande utilité à
l’étranger.

La GPU devait miser sur ces dissensions intestines plutôt que sur des
méthodes peu subtiles comme le ralliement ostensible de certains à la
propagande bolchevique. Beria conclut en demandant que la lutte contre la
contre-révolution caucasienne soit confiée à la GPU géorgienne et que des
fonds lui soient accordés de Moscou :

Une partie de ces fonds doit être donnée par l’organisation qui mène
actuellement ce travail et qui dépense des sommes énormes dans des
affaires peu intelligentes et inefficaces comme celle de Koutiepoff ou
de Petlioura{292}.

Le général blanc Alexandre Koutiepoff, ancien adjoint de Piotr


N. Wrangel, avait été enlevé par l’OGPU en plein Paris le 25 janvier
1930 ; quant au nationaliste ukrainien Simon Petlioura, il avait été victime
à Paris, le 25 mai 1926, d’un assassinat commandité par l’OGPU. Se
distançant ainsi de la politique menée par l’OGPU fédérale, Beria
revendiquait le monopole de l’action contre les émigrés géorgiens et
voyait d’un fort mauvais œil les tchékistes moscovites ou transcaucasiens
marcher sur ses brisées.
À l’époque, Berichvili ne se rendit sans doute pas compte qu’il avait été
manipulé. Dans ses Mémoires, il affirme que l’OGPU n’eut vent de son
séjour qu’en 1931 par ses agents dans l’émigration{293}, que les deux
centres de résistance clandestins instaurés par lui restèrent en contact
jusqu’à la guerre, à l’insu de la GPU, le contact étant maintenu à partir du
territoire iranien.
Le document rapporté par Berichvili doit être placé dans le contexte de
1930. Le « grand tournant » affectait également les organes du
renseignement qui étaient en pleine restructuration. En janvier 1930,
Staline avait ordonné un examen critique des activités du Département
étranger de l’OGPU. Leur financement était considérablement augmenté.
La résolution du Politburo adoptée à cette occasion affirmait que l’URSS
se trouvait à la veille d’une guerre et que par conséquent les réseaux de
l’OGPU à l’étranger devaient passer dans la clandestinité et être dirigés
non depuis les ambassades et les administrations soviétiques mais par des
illégaux. En outre, Staline donna l’ordre de liquider les traîtres, les
transfuges et les personnalités de l’émigration. Un groupe spécial
d’assassins dirigé par J. Serebrianski fut créé au sein de l’OGPU et mit en
place douze réseaux en Europe, aux États-Unis et en Asie. À partir de cette
date, l’OGPU reçut aussi l’ordre d’infiltrer les gouvernements étrangers et
de privilégier le renseignement économique et technique{294}. Beria
avait donc de quoi s’inquiéter des empiétements possibles de l’OGPU
centrale sur sa chasse gardée, les émigrés caucasiens. Et il semble avoir
obtenu gain de cause car les successeurs de Piroumov, l’organisateur du
schisme Vechapeli, furent des tchékistes géorgiens.
Le document rapporté par Berichvili à Paris annonçait de façon si
évidente ce qui sera plus tard la politique de Beria à la tête du NKVD de
l’URSS, telle qu’elle est attestée par un Soudoplatov par exemple, qu’il y
a peu de raisons de mettre en doute qu’il émane de Beria. En revanche,
tout porte à croire que la fuite avait été organisée et que Beria lui-même
souhaitait faire parvenir ce document aux émigrés de Paris : déjà il voulait
se démarquer discrètement de la politique de Staline, confirmant le rôle de
l’OGPU dans des affaires qui avaient fait grand bruit en France, tout en
laissant entendre qu’il désapprouvait les assassinats. De même peut-on
penser que Berichvili organisa les prétendues réunions clandestines des
mencheviks avec la complicité de la GPU locale.
Beria s’offrait ainsi un équivalent géorgien de l’opération « Trust »,
montée par l’OGPU dans les années 1920, consistant à faire croire aux
émigrés monarchistes russes qu’il existait un groupe clandestin de
monarchistes en URSS afin d’y attirer les chefs émigrés soi-disant pour
nouer des contacts avec ces opposants, puis de les capturer et de les
exécuter ; cette opération dura de 1922 à 1927, rééditant une opération
similaire, « Syndicat 2 », qui avait abouti à l’arrestation de Boris Savinkov
en 1924. Mais dans le cas géorgien aucune personnalité de l’émigration ne
fut attirée en Géorgie soviétique pour y connaître une fin tragique ; Beria
préférait ses mencheviks vivants et actifs à l’étranger et la pseudo-
opération « Trust » montée par Beria cachait d’autres objectifs.
Outre le document cité plus haut, Berichvili rapporta à Paris une lettre
qu’il prétendit émaner du Comité central clandestin de l’organisation
menchevique en Géorgie, qui accusait les nationaux-démocrates de
dénoncer à la Tcheka leurs adversaires mencheviques. Ici toutes les
hypothèses sont permises : il s’agissait peut-être d’une manœuvre de
l’OGPU visant à aggraver les dissensions au sein de l’émigration
géorgienne, ou bien les mencheviks voulaient de la sorte affaiblir les
positions de leurs rivaux au sein de l’émigration de manière à réunir cette
dernière sous leur égide ; il n’est pas exclu non plus que Beria ait souhaité
par cette fuite encourager les émigrés à faire bloc sous la direction du
gouvernement légitime de la Géorgie et les avertir des dangers menaçant
leurs chefs.
Au moment où Berichvili obtenait ces documents, l’OGPU préparait
déjà l’assassinat de Noé Ramichvili qui eut lieu le 7 décembre 1930.
L’ancien ministre de l’Intérieur de la Géorgie indépendante fut abattu par
Parmen Tchanoukvadzé, un émigré recruté par l’OGPU, dont le procès fit
grand bruit. L’ordre d’une opération de cette importance ne pouvait
émaner que de Staline qui, en 1930, en pleine crise de la collectivisation,
s’inquiétait fort de l’influence croissante des organisations émigrées dans
la périphérie de l’Empire soviétique, et en particulier des tentatives
polonaises de souder les allogènes de l’URSS. Noé Ramichvili venait de
reconstituer, en février 1930, le Comité de l’Indépendance du Caucase,
organe central des Caucasiens au sein du mouvement Prométhée{295}.
Après sa mort, les dirigeants mencheviques confièrent à Sandro
Menagarichvili la responsabilité des opérations secrètes contre la Géorgie
communiste.

L’affaire des faux tchervontsy.


La curieuse affaire des faux tchervontsy, des billets de banque
soviétiques convertibles en or, peut être interprétée comme un autre
épisode de la guerre entre OGPU de l’URSS et GPU géorgienne.
L’amélioration des relations franco-allemandes, à partir de 1925,
encouragea en Allemagne ceux qui, comme le général Max Hoffmann –
l’un des négociateurs de la paix de Brest-Litovsk du côté allemand –,
souhaitaient une alliance antibolchevique des grands États européens – la
France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne –, appuyée sur les États-Unis,
et l’organisation d’une expédition conjointe contre l’URSS en vue de
renverser le régime communiste{296}. Ces projets suscitèrent de grands
espoirs parmi les émigrés antibolcheviques, russes et allogènes. En juin
1925, un groupe de généraux blancs entreprit de convaincre les
Britanniques que le moment était propice pour lancer une offensive de
l’armée blanche contre les bolcheviks : ceux-ci ne menaçaient-ils pas les
intérêts britanniques en Chine ? En même temps, les Blancs avaient
approché le gouvernement français à travers l’un de leurs généraux,
Nikolaï Lokhvitski, qui connaissait Louis Loucheur, alors ministre du
Commerce et de l’Industrie. Aristide Briand se montra plus réceptif aux
propositions des Russes blancs que les Britanniques et envisagea une
intervention à partir de l’Estonie. Ces plans furent discutés lors d’une
visite de Briand et Philippe Berthelot à Londres le 10 août 1925. In fine,
les Occidentaux refusèrent de financer l’opération. Les Britanniques
résolurent de se limiter à des mesures économiques contre l’URSS, ce que
la GPU signala à Staline en janvier 1926{297}. La GPU était bien
renseignée car l’envoyé des Blancs auprès des gouvernements occidentaux
était un certain Diakonov, qui avait offert ses services à Moscou en
1923{298}.
Cet échec amena les antibolcheviks à réviser leurs plans et d’abord à
trouver un financement. Un groupe de monarchistes russes émigrés en
France et en Allemagne – le comte Orlov-Davydov, le prince Bermondt-
Avalov, le général Biskoupski, le prince Youssoupov – eurent l’idée
d’imprimer de faux tchervontsy pour se dédommager des confiscations
bolcheviques, déstabiliser les finances de l’URSS, subventionner les
organisations antibolcheviques en Europe et en Orient, et résoudre leurs
problèmes de trésorerie. L’organisation allemande du Casque d’acier (le
Stahlhelm), les généraux Hoffmann et A. A. Lampe, le chef de l’Union des
militaires russes (ROVS) en Allemagne, soutenaient cette initiative. Les
premières tentatives de mener à bien ce projet furent toutefois un échec et
il fallut que les Géorgiens s’en mêlent pour que l’affaire démarre
vraiment.
Les antibolcheviks émigrés et leurs alliés occidentaux arrivèrent à la
conclusion qu’il fallait viser des objectifs plus modestes et trouver des
appuis dans le monde des affaires. C’est ainsi que naquit le projet de
lancer une opération en vue de libérer le Caucase, dont deux nationaux-
démocrates géorgiens, Spiridon Kedia et Chalva Karoumidzé, se firent les
lobbyistes énergiques. Le général Hoffmann devint un chaud partisan de
cette entreprise, tout comme Kress von Kressenstein, chef de la mission
militaire allemande dans le Caucase à l’été et à l’automne 1918.
Les regards de ces hommes se tournèrent vers Henry Deterding, le
patron de la Royal Dutch Shell, qu’on surnommait le « Napoléon du
pétrole » ; il brûlait d’en découdre avec les Soviets qui s’étaient emparés
des industries pétrolières de Bakou et Grozny, dont la moitié appartenait à
sa société. En juin 1926, Hoffmann se rendit à Londres accompagné de
Spiridon Kedia, alors chef du Comité de libération du Caucase, et de
Chalva Karoumidzé, agent double, voire triple, que la GPU
transcaucasienne considérait comme son homme au début des années
1920, mais qui était en contact avec les services spéciaux britanniques et
allemands. Hoffmann présenta ces derniers à Deterding, en présence d’un
diplomate britannique, Godfrey Locker Lampson, sous-secrétaire aux
Affaires étrangères depuis décembre 1925, qui partageait les vues du
groupe. Hoffmann fit valoir que l’indépendance du Caucase permettrait
d’endiguer la poussée bolchevique vers la Turquie, la Perse et l’Inde.
L’Allemagne se chargerait de la conduite militaire des opérations et de
l’armement des forces mises en œuvre. Hoffmann recommandait une
coopération avec la Pologne et la Roumanie, avec une extension des
opérations en Ukraine ; des consortiums anglo-allemands seraient créés en
vue de la remise à flot économique des pays libérés{299}. En cas de
réussite de l’opération, la Royal Dutch Shell serait récompensée par des
concessions pétrolières dans la région. L’organisation de cette opération
impliquait une coopération des services britanniques et allemands : ainsi
le général Hoffman voulait poser les bases de l’entente anglo-allemande,
voire occidentale, dans la lutte contre le bolchevisme. Effrayé par
l’ampleur des ambitions de Hoffmann et avant tout soucieux de récupérer
ses biens à Bakou, Deterding manifesta peu d’enthousiasme pour
l’entreprise esquissée par le général allemand.
C’est dans ce contexte que les deux Géorgiens proposèrent de fabriquer
des tchervontsy, d’inonder l’URSS de cette fausse monnaie et de recueillir
ainsi les fonds qui permettraient de financer l’insurrection dans le
Caucase. Ce projet assurait l’unité des différents partis de l’émigration
géorgienne, puisque le menchevik Ramichvili y participait, au moins au
début, aux côtés du héros de l’insurrection de 1924, K. Tcholokachvili. Un
autre Géorgien prit part à l’affaire, un certain Dolidzé qui fut plus tard
démasqué comme un provocateur{300}.
Les faux tchervontsy furent fabriqués d’abord à Munich à partir de
l’automne 1926, puis dans une imprimerie clandestine à Francfort-sur-le-
Main. L’imitation était parfaite car les firmes allemandes qui fabriquaient
les faux étaient aussi celles qui imprimaient les vrais tchervontsy pour
l’URSS. Une partie des faux fut acheminée à Paris par Karoumidzé et les
généraux Koutiepoff et Lochvitski reçurent une somme importante pour
financer leurs activités antibolcheviques. Un certain A. N. Grammatikov,
homme de confiance du prince Youssoupov, fut chargé d’introduire les
faux en URSS et de les remettre à une firme allemande. Fin décembre
1926, les premières livraisons eurent lieu. Deterding prédisait une forte
inflation en URSS, tandis que Churchill mettait en garde les hommes
d’affaires d’investir dans ce pays. Cependant certains faux-monnayeurs
commirent l’erreur de faire circuler les faux dans les banques allemandes.
En août, la police de Berlin ouvrit une enquête et perquisitionna
l’imprimerie clandestine{301}. Il y eut aussi quelques initiatives
imprévues en France qui compromirent l’entreprise : le prince Eristavi et
Tcholokachvili essayèrent d’échanger des faux tchervontsy contre des
francs, afin d’obtenir des fonds supplémentaires pour financer un réseau
en Turquie et des détachements de partisans devant opérer dans le Caucase
à partir du territoire turc{302}. Ils furent arrêtés en février 1927 et les
mencheviks durent faire appel à leurs amis parlementaires, Paul Renaudel
et Joseph Paul-Boncour entre autres, pour étouffer le scandale et obtenir la
libération de Tcholokachvili. Pour sa défense Eristavi laissa entendre que
le diplomate soviétique Piroumov, vieil adversaire de Beria, trempait dans
l’affaire{303}. Dolidzé repartit précipitamment pour l’URSS. Karoumidzé
et son complice Vassili Sadathierpachvili furent arrêtés, jugés et acquittés
en février 1930 par les tribunaux allemands, à la grande fureur de
Moscou{304}. Cette affaire, qualifiée de « catastrophe » par Litvinov dans
un entretien avec l’ambassadeur allemand Herbert von Dirksen, provoqua
une vive tension dans les relations germano-soviétiques{305}. Quant
aux mencheviks, ils se désolidarisèrent de l’entreprise après son fiasco et
essayèrent de faire retomber la faute sur leurs adversaires de droite{306},
Gamkrelidzé les aidant à accabler Karoumidzé{307}.
Deterding misait sur le chef du Parti national-démocrate géorgien
Spiridon Kedia, qu’il finançait, et son ami Constantin Kobakhidzé. En
mars 1927, Kedia se rendit à Zurich où il rencontra le magnat du pétrole et
chercha à s’assurer son soutien pour financer un soulèvement dans le
Caucase. Deterding se déclara favorable au projet, à condition que les
généraux allemands Hoffman et Kress von Kressenstein s’y associent. À
l’été 1927, Kedia se rendit à Londres où il rencontra Churchill et
Deterding, mais ce dernier, sans doute échaudé par l’affaire des faux
tchervontsy, avait perdu tout intérêt pour l’entreprise. Quant à
Karoumidzé, il quitta l’Allemagne, adopta la nationalité bulgare et revint
en 1933 à Berlin où la Gestapo le mit sous surveillance ; elle lui trouva
force fréquentations louches et des moyens financiers considérables dont
il n’arrivait pas à expliquer la provenance. En 1936, les Allemands
l’expulsèrent en Suisse.
Le rôle-clé dans cette affaire de personnages troubles comme
Karoumidzé incite à se demander si cette production de faux tchervontsy
n’était pas une joint venture de la GPU géorgienne, toujours à cours de
fonds, avec des émigrés encore plus désargentés. Plus tard, le général
Biskupski, l’un des généraux blancs proches de Hitler, qui avait trempé
dans cette opération, révéla qu’en URSS les faux tchervontsy devaient être
échangés contre des vrais par des organismes soviétiques officiels et que
c’était « un Géorgien proche de Staline qui avait accédé récemment à de
hautes fonctions » qui s’était chargé de cet aspect de l’opération{308}.
Les Allemands finirent d’ailleurs par interpréter cette affaire comme une
provocation des bolcheviks contre l’Allemagne{309}. Cette dernière
hypothèse ne tient pas la route : une lettre de Piroumov, datée du 25 février
1927, révèle que ni lui, le rezident de la GPU transcaucasienne, ni le
résident de la GPU de Moscou n’étaient au courant et qu’ils en avaient été
les premiers surpris{310}. Comme la police française, les Allemands ne
se doutaient pas de la guerre feutrée que se livraient GPU géorgienne et
GPU transcaucasienne.
L’affaire des faux tchervontsy et les projets d’insurrection
antibolchevique auxquels elle était associée semblaient indiquer à Staline
que son pire cauchemar était en train de se réaliser : un front uni des
impérialistes se cristallisait au moment où les relations germano-
soviétiques étaient en crise.
L’antagonisme entre le commissariat du peuple aux Affaires étrangères
et le Komintern est aujourd’hui bien connu. Le commissaire aux Affaires
étrangères, Gueorgui Tchitcherine, reprochait aux kominterniens de
torpiller par leurs actions intempestives l’entente germano-soviétique à
laquelle il tenait par-dessus tout. Mais la GPU contribua elle aussi à semer
bien des tensions dans le couple Berlin-Moscou. Dès juillet 1925, Artur
Artouzov, alors le chef du Département du contre-espionnage de l’OGPU,
avait présenté à Dzerjinski une série de notes analysant l’activité des
Allemands en URSS. Il en concluait que de nombreux nationalistes
allemands profitaient des échanges entre les deux pays pour espionner
l’URSS. Ces interventions de l’OGPU aboutirent à l’interdiction début
1927 de la GEFU (Gesellschaft zur Förderung gewerblicher
Unternehmungen), l’association créée à Berlin en 1923 pour favoriser la
coopération germano-soviétique{311}. De même, les initiatives de la GPU
géorgienne allaient souvent à l’encontre de la politique soviétique du
moment : ainsi en décembre 1925, des hommes d’affaires allemands
furent arrêtés à Bakou, Poti et Batoum, et incarcérés à Tbilissi sous
l’accusation d’espionnage. Le courrier en provenance de Tbilissi était
ostensiblement ouvert par la GPU. Ce scandale faillit torpiller la signature
du traité de Berlin{312}. L’affaire des faux tchervontsy semblait en
quelque sorte s’inscrire dans cette politique de sabotage de l’entente
germano-soviétique.
4

Bolchevik exemplaire ou patriote géorgien ?


Toute ma vie j’ai porté un masque, je me suis fait passer pour un
bolchevik pur et dur. En réalité je n’ai jamais été bolchevik{313}
[G. Yagoda].

J’ai aussi commencé par des oscillations. C’était en 1929. J’ai commis
l’erreur de penser que ce n’était pas le Parti qui avait raison mais
Boukharine et Rykov. […] J’ai commencé à mener un double jeu. […] Ma
personnalité s’est dédoublée. […] C’était comme s’il y avait deux
hommes. Un Yagoda membre du Parti qui fréquentait quotidiennement les
plus grands hommes de notre époque, et l’autre Yagoda, un traître à la
patrie, un comploteur. Le premier Yagoda voyait la croissance gigantesque
du pays, son épanouissement sous la direction du Comité central
stalinien ; il voyait l’abjection de l’opposition clandestine trotsko-
droitière ; mais le deuxième Yagoda était enchaîné à cette
opposition{314}
[G. Yagoda].

À partir de 1934, lorsque la menace d’une guerre en Europe se précisa,


les communistes géorgiens, sous l’aile de Beria, se mirent à préparer une
politique caucasienne pour le cas d’une guerre et d’une défaite de l’URSS
dans un affrontement avec l’Allemagne. Les émigrés devaient jouer un
rôle décisif dans cette éventualité. Bien introduits en France, en
Allemagne, en Angleterre et en Pologne, ils pouvaient fournir d’utiles
informations et servir d’émissaires dans tous les camps. Les dépositions
de Boudou Mdivani, un communiste nationaliste géorgien, lors de son
procès, sont intéressantes de ce point de vue, même si elles doivent être
prises avec précaution comme tous les « aveux » extorqués sous la torture.
Le contact avec les mencheviks devait passer par Karpe Modebadzé,
employé à la représentation commerciale soviétique à Paris. Mdivani,
alors vice-président du Conseil des ministres de Géorgie. lui demanda de
sonder Jordania sur ses relations en Angleterre. La raison de cet intérêt
nouveau pour l’Angleterre tenait à ce que les dirigeants géorgiens
estimaient qu’en cas de guerre de l’URSS avec le Japon et l’Allemagne, le
conflit ne pouvait que se terminer par la défaite de l’URSS et la création
d’un État transcaucasien indépendant dans lequel l’hégémonie
appartiendrait à la Géorgie, et qui serait un protectorat de l’Angleterre.
Mdivani avoua avoir discuté cette éventualité avec Sergueï Kavtaradzé et
avoir derechef placé de grands espoirs sur les liens de N. Jordania avec les
cercles dirigeants anglais{315}. Au printemps 1936, Modebadzé fit un
séjour en Géorgie et dit à Mdivani qu’il avait rempli sa mission. Jordania
était en pourparlers avec des cercles proches du gouvernement britannique
auxquels il promettait de grands avantages économiques en cas
d’indépendance de la Transcaucasie. Mdivani en informa
Kavtaradzé{316}. Ces tractations ne pouvaient avoir lieu à l’insu de Beria
qui préférait rester dans l’ombre, laissant Mdivani prendre les risques de
contacts périlleux. Non sans raison : ce dernier fut arrêté le 17 octobre
1936 et accusé de sympathies « trotskistes ». Mais Ejov était visiblement
mécontent des résultats de l’enquête en Géorgie car le 10 janvier 1937,
Mdivani fut envoyé pour interrogatoires à Moscou et c’est alors qu’il
avoua tout ce dont il a été question ci-dessus. On peut penser que l’affaire
Mdivani mit Ejov sur la piste de Beria et l’incita à lancer un mandat
d’arrêt contre lui – manœuvre que Beria parvint à déjouer in extremis,
comme on l’a vu plus haut. Mdivani fut réexpédié à Tbilissi en mars 1937
et là, de manière prévisible, il avoua avoir préparé un attentat contre Beria
et Staline et fut exécuté.
De son côté, à la fin de 1935, Beria mit en place un contact confidentiel
avec le gouvernement turc. Il recruta un jeune Turc venu faire ses études à
l’Institut de médecine de Tbilissi. À travers lui, il cherchait à avertir les
Turcs qu’une alliance germano-turque serait considérée par l’URSS
comme un casus belli. Beria rencontrera personnellement ce Turc à
maintes reprises. En 1944, il lui fera attribuer un appartement à Moscou
où il venait le voir avec Merkoulov pour l’interroger sur les intentions du
gouvernement turc. Cet agent fut dénoncé par un autre agent turc du
NKVD qui l’accusa de travailler pour les services turcs et les services
occidentaux : le renseignement turc était même au courant de ses
entretiens avec Beria, qui fit empoisonner son agent pour éviter le
scandale{317}.
Après l’élimination des « nationaux communistes » dans les purges, le
problème du contact avec les mencheviks de Paris se posait à nouveau.
Cette fois Beria eut recours à ses réseaux personnels. Le dentiste Apollon
Ourouchadzé{318} y jouait un rôle aussi important que Gueguelia.
Ourouchadzé avait été le chef de la police de l’un des arrondissements de
Petrograd sous le gouvernement Kerenski. Sous le gouvernement
menchevique en Géorgie, il fut le chef de la police de Tiflis et député à
l’Assemblée constituante. Il s’était illustré dans la répression des
bolcheviks en 1918 et il avait participé à l’insurrection de 1924. Beria
l’avait nommé directeur de l’Institut stomatologique de Tbilissi et recruté
comme agent en février 1928. C’était son dentiste de famille{319}. Fin
1936, il lui demanda de gagner la confiance du nouveau consul polonais
Ksawery Zalewski. Sur le conseil de Beria, Ourouchadzé décrivit au
Polonais les purges et l’état d’esprit de la population. Le 8 février 1937, il
demanda à Zalewski de transmettre une lettre à Kote Imnadzé, le chef de
la colonie géorgienne à Varsovie, pour prendre des nouvelles des chefs
mencheviques. Dans cette lettre on pouvait lire, entre autres :

Si tu nous voyais aujourd’hui tu ne nous reconnaîtrais pas. Notre


moral est au plus bas et nos tourments sont affreux. […] L’anarchie la
plus totale règne. On ne sait pas qui coffre qui…

L’intelligentsia géorgienne était d’autant plus démoralisée qu’elle était


coupée du monde, poursuivait Ourouchadzé. Il écrivait aussi que Staline
était
dépourvu de toute sympathie à l’égard de la Géorgie, c’est un patriote
soviétique, mais non un patriote du prolétariat international. […] Le
peuple géorgien pense toujours à l’indépendance. […] Beria a
rencontré Staline lorsqu’il dirigeait la GPU d’Abkhazie, quand
Staline est venu passer ses vacances en Abkhazie. À cette époque
c’était le meilleur informateur de Staline et à cette époque Staline
avait une confiance totale en lui. […] Rusé, implacable, rigoureux et
très orgueilleux, Beria doit monter à Moscou, sans doute à cause d’un
changement de cadres à la GPU{320}.

Ourouchadzé demandait l’envoi en Géorgie d’un émissaire du


gouvernement en exil pour reconstituer le réseau clandestin.
Cette lettre provoqua des remous en Pologne et à Paris. Les supérieurs
de Zalewski au 2e Bureau de l’état-major polonais lui demandèrent ce
qu’il fallait penser d’Ourouchadzé. Il leur répondit que la GPU de Géorgie
l’utilisait dans ses contacts avec l’intelligentsia non communiste, qu’il ne
pouvait garantir à 100 % la loyauté du personnage, mais qu’à son avis on
pouvait lui faire confiance ; il était personnellement favorable à une
réponse positive à sa requête. Le destinataire de la lettre, Kote Imnadzé,
déclara à ses interlocuteurs polonais que la résistance antibolchevique se
méfiait d’Ourouchadzé : « C’est un carriériste. Peut-être sent-il la fin
imminente du bolchevisme. » Jordania, de son côté, fit savoir aux Polonais
qu’Ourouchadzé servait de liaison entre les mencheviks de Paris et ceux
de Géorgie. Il interprétait la lettre à Imnadzé comme une tentative de
restaurer cette liaison, ce qu’il attendait depuis longtemps. Il répondit
donc favorablement à la demande d’Ourouchadzé : il lui demanda
d’envoyer un émissaire à Téhéran, en lui recommandant de s’abstenir
d’entrer en contact avec les Géorgiens de Téhéran et d’attendre son
émissaire de Paris.
La lettre d’Ourouchadzé était un premier signal qui allait
s’accompagner d’autres démarches similaires fort risquées pour Beria,
puisqu’il commençait à se poser en successeur de Staline, voire en
alternative au dictateur. Pour transmettre ce message explosif, il ferait
appel entre autres à des neveux de son épouse. Au début de 1937, il envoya
à Paris Nicolas Gueguetchkori{321}, le neveu de Nina Beria, qui était
également stomatologue. Sergo Beria y fait allusion sans le nommer dans
ses Mémoires, lorsqu’il évoque « un médecin que mon père utilisait pour
ses contacts avec les mencheviks en France, sachant qu’il ne le trahirait
jamais ». Nicolas Gueguetchkori était probablement porteur d’une lettre
de Nina Beria adressée à son oncle de Paris. La lettre avait été rédigée par
Beria et Merkoulov{322}. À en croire une déposition de Chalva Berichvili
faite le 20 août 1953, lors de l’instruction de l’affaire Beria, Nicolas
Gueguetchkori rencontra Joseph Salakaïa, l’émissaire des mencheviks en
Pologne. Il lui dit que les Mingréliens devaient s’unir et qu’ils pourraient
bientôt revenir en Géorgie, car « de grands événements allaient se
produire, à la tête desquels se trouverait Lavrenti Beria »{323}. Toujours
selon Chalva Berichvili{324}, Eugène Gueguetchkori se mit à appeler les
Mingréliens de l’émigration et surtout les membres de l’organisation
Thethri Guiorgui à soutenir Beria qui allait bientôt avoir un poste à
Moscou et succéder à Staline. Si le témoignage de Berichvili est fiable et
si c’est bien à l’organisation de droite nationaliste Thethri Guiorgui que
Beria laissait entendre qu’il était prêt à supplanter Staline, on peut penser
qu’il voulait faire passer son message non seulement aux Occidentaux,
mais aussi aux dirigeants italiens et allemands.
Nicolas Gueguetchkori discuta aussi avec Eugène Gueguetchkori des
moyens de recréer une résistance clandestine en Géorgie.
E. Gueguetchkori lui recommanda d’entrer en contact avec Ourouchadzé
et de lui annoncer l’envoi prochain d’un émissaire de Paris.
N. Gueguetchkori rentra en Géorgie en mai 1937 et rencontra Ourouchadzé
en juin. Mais il fut arrêté le 1er août 1937. Beria ordonna à Goglidzé de
« débrouiller personnellement » cette affaire. Nicolas Gueguetchkori
résista onze mois. Tout au plus avoua-t-il avoir subi l’influence de E.
Gueguetchkori. Lorsqu’il commença à fléchir, il fut condamné à mort par
la troïka du NKVD, accusé d’avoir fait partie de l’organisation illégale des
mencheviks, d’avoir eu des contacts avec E. Gueguetchkori, et d’avoir
préparé un attentat terroriste contre Beria (25 septembre 1938){325}. Lors
de son procès, en décembre 1953, Beria avoua avoir envoyé
N. Gueguetchkori à Paris, sans que personne ne le sût en Géorgie. La lettre
dont il était porteur avait été rédigée par Merkoulov{326}.
Quant à Ourouchadzé, il faillit être arrêté en 1939, lorsque le NKVD de
Géorgie eut compilé un impressionnant dossier l’accusant d’activités
antisoviétiques, d’espionnage au profit de l’Allemagne et de la Pologne.
L’intervention de Beria lui sauva la mise à l’époque{327}, mais il fut
incarcéré après la chute de Beria le 28 août 1953, accusé d’être un agent
polonais et d’avoir servi d’intermédiaire entre Beria et le 2e Bureau de
l’état-major de l’armée polonaise. Les Soviétiques avaient en effet
découvert dans les archives du ministère de la Sécurité polonais les
documents le concernant, et notamment cette fameuse lettre. L’enquête de
l’automne 1953 révélera que cette lettre avait été dictée par Beria lui-
même, et envoyée à Varsovie à l’insu du NKVD géorgien, puisque les
archives du NKVD n’en contenaient aucune copie{328}. Notons qu’en
novembre 1940, le chef de la Sécurité géorgienne, Rapava, avait signalé au
premier secrétaire du Parti, Tcharkviani, qu’Ourouchadzé avait été
démasqué comme espion allemand et polonais. Preuve supplémentaire que
Beria avait un réseau personnel qu’il cachait même au chef du NKVD de
Géorgie et que Rapava n’était pas au courant du rôle réel d’Ourouchadzé
dont Beria interdit l’arrestation.
Ces épisodes étranges, la lettre d’Ourouchadzé et la visite à Paris de
Nicolas Gueguetchkori, appellent plusieurs remarques. Tout d’abord il faut
souligner les risques courus par Beria : en effet, en janvier 1937, Staline
avait limogé Artouzov, le chef du renseignement militaire, car il était
mécontent des résultats obtenus par ce service en Pologne{329}. Staline se
méfiait tant des Polonais qu’il s’apprêtait à faire arrêter presque tous les
Polonais vivant en URSS. Par ailleurs la lettre d’Ourouchadzé informait
les Occidentaux du climat atroce qui régnait alors en URSS. Elle était
aussi un signal clair à l’émigration géorgienne et aux socialistes de ne
nourrir aucune illusion sur Staline ; et elle laissait entendre, d’une part,
que les relations de Beria et Staline n’étaient plus aussi bonnes
qu’autrefois, mais que, d’autre part, Beria allait bientôt monter à Moscou,
voire briguer la succession de Staline. Comment comprendre cela ?
Une hypothèse qui pourrait expliquer ce mystère est fournie par le récit
d’Orlov dans Life{330}, où il raconte que, le 15 février 1937, il reçut la
visite à Paris de Zinovy Katsnelson, le numéro deux du NKVD ukrainien,
qui lui communiqua une nouvelle stupéfiante : Stein, un officier du
NKVD, avait découvert dans les archives un dossier prouvant que Staline
était un agent de l’Okhrana et l’avait montré à V. I. Balitski, chef du
NKVD d’Ukraine. Balitski et Katsnelson avaient remis ces documents au
chef du Parti ukrainien, Stanislaw Kosior, et au général I. E. Yakir qui en
avait fait part à Toukhatchevski. Ces hommes avaient décidé de se servir
de cette découverte pour liquider Staline. Si l’on croit la version d’Orlov,
il y aurait donc eu une véritable conspiration contre Staline au début
1937{331} ; c’est d’ailleurs à partir d’avril 1937 que le NKVD commença
à développer le thème d’un complot en Ukraine où seraient impliqués des
officiers de l’Armée rouge et des responsables du NKVD{332}. Ceci est
indirectement confirmé par une remarque faite par Staline devant
Dimitrov le 11 novembre 1937 :

Depuis un an déjà nous étions alertés et nous étions prêts à réagir,


mais d’abord nous voulions saisir le plus de fils possible. Ils
projetaient de passer à l’action au début de cette année. Mais ils ont
manqué de résolution. En juillet ils s’apprêtaient à attaquer le
Politburo au Kremlin. Mais ils se sont dégonflés{333}.

Détail significatif, après l’arrestation d’Ejov, on découvrit dans son


appartement un dossier contenant la correspondance de la gendarmerie de
Tiflis concernant Staline et les autres sociaux-démocrates caucasiens. Ejov
n’avait pas transmis ces documents aux archives du Parti par crainte de les
montrer à Staline{334}.
C’est dans ce sens que Jordania interpréta le message d’Ourouchadzé et
la démarche de Nicolas Gueguetchkori, puisqu’un an plus tard, il
commenta en ces termes la montée de Beria à Moscou devant Chalva
Berichvili :
Beria a réalisé la première étape dans son projet de prise du pouvoir.
Il va essayer de prendre la place de Staline, même s’il doit
l’assassiner pour cela, lui et ses proches.

Berichvili exprimant des doutes, Jordania affirma d’un air mystérieux


qu’il avait ses raisons pour tenir ces propos. Il attira l’attention de
Berichvili sur le groupe de Caucasiens que Beria avait fait monter avec lui
à Moscou, laissant entendre qu’il s’appuierait sur ces hommes pour
réaliser son putsch{335}. Si ces témoignages sont fiables, nous pouvons
conclure que dès 1937, Beria pensait à renverser Staline et à occuper sa
place. Après la chute de Beria, G. Aroutiounov, le chef du PC arménien, un
Arménien de Géorgie promu par Beria, témoignera que dès sa période
géorgienne Beria était moins dévoué à Staline que ne le donnait à penser
son opuscule de 1935. Et, dès cette période, il avait peur de Staline{336}.
Dans ce contexte on comprend mieux l’intérêt manifeste et précoce
de Beria pour la Crimée. En 1935, il avait réussi à installer à la tête du
NKVD de cette région Tite Lordkipanidzé, un de ses protégés. Celui-ci
recrutera dans les rangs du NKVD nombre d’Allemands de Crimée dont
certains travaillaient pour l’Abwehr. En novembre 1938, L. T. Yakouchev,
un responsable communiste de Crimée, voulut alerter Beria sur
l’importance de ce réseau et réclamer de nouvelles arrestations. Mais c’est
Yakouchev que Beria fit arrêter et il remplaça Lordkipanidzé, tombé dans
les purges, par un autre Géorgien, Grigori Karanadzé{337}. Beria voulait
contrôler personnellement le NKVD de Crimée car les datchas
gouvernementales se trouvaient dans cette région méridionale réputée
pour la douceur de son climat. Un attentat contre les dirigeants du
Politburo y était plus facile à organiser qu’à Moscou, à condition de
disposer de complicités dans le NKVD régional.
À la veille de la guerre, Beria multiplia les émissaires confidentiels
auprès des émigrés. Un document des archives de l’émigration géorgienne,
daté de juin 1938, mentionne l’arrivée à Paris en avril de la même année
d’un communiste géorgien proche de Beria, un certain Jguenti. Celui-ci
déclara aux mencheviks que
Beria et l’appareil moscovite en Géorgie étaient très inquiets ces
derniers temps de l’activité du gouvernement Jordania. Beria pensait
que le gouvernement possédait de nombreuses entrées dans les
sphères politiques européennes et il pouvait les utiliser contre la
Russie à un moment critique pour Moscou.

Le même Jguenti précisa que Beria envoyait trois fois par an des
émissaires à Paris « pour se renseigner sur les plans de l’émigration en cas
de difficultés intérieures ou extérieures de la Russie{338} ». Début juin
1938, les mencheviks reçurent un message de Géorgie, dans lequel les
organisations clandestines suggéraient d’informer le gouvernement en exil
sur la situation en Géorgie et en URSS et proposaient l’envoi d’un
émissaire en Iran{339}. À n’en pas douter, ce message émanait du
NKVD : en 1938, les organisations mencheviques clandestines avaient été
éradiquées depuis longtemps. Mais les émigrés répondirent favorablement
à cette demande. Selon le témoignage du menchevik Emelian Lomtatidzé,
lors de l’instruction de l’affaire Beria en juillet 1953 :

Par ses émissaires se trouvant en Géorgie soviétique et par des lettres


privées en provenance de Géorgie, en 1937 Jordania disposait
d’informations montrant que Beria était à la tête du mouvement
antisoviétique en Géorgie. Des sources nombreuses et convergentes
laissaient entendre que Beria avait entrepris d’unir les communistes
qui lui étaient personnellement dévoués avec les mencheviks se
trouvant en Géorgie et d’autres éléments mécontents du régime
soviétique […]. Nous tous, les mencheviks de l’émigration, pensions
que Beria serait le Bonaparte géorgien{340}…
Fin 1938, les Britanniques recrutèrent Guiorgui Djakeli, le cousin de
Beria qui séjournait en Mandchourie. Ils lui donnèrent à comprendre que
son puissant parent monté à Moscou exigeait de lui cette collaboration
avec les services de Sa Majesté. L’agent utilisé par les Anglais pour ce
contact disait avoir connu Beria à Bakou. Les Britanniques parviendront,
semble-t-il, à établir un contact secret avec Beria à Dairen{341}.
Ainsi, dès sa période géorgienne, Beria s’était donné les moyens de
jouer discrètement son propre jeu, y compris sur l’échiquier de la politique
étrangère.

L’exception géorgienne.
Tous les voyageurs occidentaux qui se sont rendus en Géorgie pendant
la période stalinienne ont témoigné que l’atmosphère dans cette
république méridionale était plus détendue – si l’on peut dire –, moins
sinistre que dans le reste de l’URSS. Voici ce que rapporte le diplomate
italien Pietro Quaroni :

Arriver de Moscou à Tiflis, en 1926, c’était tomber d’un seul coup


dans un autre monde. À Moscou, on pouvait, certes, rencontrer
quelqu’un, mais avec des précautions infinies et des risques énormes
pour les Russes qui se hasardaient encore à nous fréquenter. […] À
Tiflis, liberté presque totale. […] Et le plus étrange, c’est que tous
ces gens [les anciens aristocrates géorgiens] non seulement
fréquentaient impudemment les quelques étrangers demeurés sur
place, mais, en outre, entretenaient d’excellents rapports avec les
autorités communistes de Géorgie : on se tutoyait et l’on semblait
vivre en parfaite amitié. La clef de ce mystère me fut fournie par
Eliava, alors président du Conseil de Géorgie. […] Un bon vivant
[…], probablement plus porté sur le vin, la bonne chère et le reste,
que sur la dialectique marxiste. Un jour […], je lui fis part de mon
étonnement et de ma satisfaction devant cette heureuse fusion de
l’ancien monde et du nouveau que l’on pouvait constater en Géorgie.
– Mais c’est très naturel, me dit-il ; voyez-vous, lorsqu’il m’arrivait,
sous le régime tsariste, d’avoir des ennuis avec la police, j’allais me
réfugier à la campagne, dans le château du prince X… et là, la police
me laissait en paix ; la plupart de mes camarades ont fait de même.
Maintenant que nous sommes au pouvoir, il est normal que nous leur
rendions le même service. – En Russie aussi, objectai-je, il s’est
trouvé des gens de l’ancien régime qui ont protégé des
révolutionnaires, mais il ne me semble pas qu’on en ait tenu grand
compte à Moscou. – Oh ! Vous savez, les Russes… Nous autres
Géorgiens, sommes des gentilshommes{342}.

Staline a continûment promu Beria dès le début des années 1930 car il
s’appuyait sur lui pour destituer puis détruire les vieux bolcheviks du
Caucase. Comme cette tâche lui tenait à cœur, il accordait à Beria une plus
grande latitude qu’aux autres secrétaires des républiques de l’URSS. En
particulier, il toléra une véritable « tchékisation » de l’appareil du Parti de
Géorgie. À partir d’octobre 1931, lorsque Beria devint premier secrétaire
de la République – puis un an plus tard premier secrétaire de la Fédération
de Transcaucasie –, il installa ses hommes aux postes-clés : Dekanozov,
Koboulov, Merkoulov et d’autres eurent des fonctions importantes au Parti
et au gouvernement. La plupart de ces vassaux étaient des hommes de sac
et de corde. Mais ce n’étaient certes pas des fanatiques du marxisme-
léninisme.
Beria eut à l’égard de l’Église géorgienne une politique atypique par
rapport à la ligne générale de Staline, particulièrement virulente contre les
Églises à l’occasion de la collectivisation. Son fils raconte dans ses
Mémoires comment il se fit rabrouer par son père lorsque, jeune pionnier
et athée militant, il s’était emparé de l’icône de sa grand-mère et l’avait
brisée{343}. Les documents d’archives confirment cette approche
« libérale » de la religion qui ne s’est jamais départie chez Beria. Dans une
note datée du 3 mai 1929, il critique la politique du Parti à l’égard de
l’Église géorgienne. Le constat est accablant :
L’Église géorgienne, bien qu’elle soit loyale à l’égard du pouvoir,
mène une existence misérable. Les églises sont systématiquement
pillées, incendiées et détruites ; le clergé, victime de la violence des
autorités locales appuyées par les organisations du Parti et du
Komsomol complices, écrasé d’impôts, abandonne l’Église et
cherche d’autres moyens de gagner sa vie. Comme le clergé est privé
des droits élémentaires, comme celui de libre circulation, l’Église
géorgienne est en voie de disparition. […] Tous ces abus sont
impensables dans un État de droit{344}.

Beria rappelle que le sort de l’Église est utilisé par les organisations
mencheviques clandestines dans leurs actions contre le régime soviétique
et formule ensuite ses propres recommandations : « Mettre fin aux actions
scandaleuses qui suscitent l’irritation du clergé géorgien et de la
population à l’égard du régime soviétique » ; diminuer la pression fiscale
sur le clergé ; engager des poursuites contre ceux qui pillent et brûlent les
églises ; ne pas fermer d’église ni procéder à des arrestations de prêtres
sans l’autorisation de la GPU « afin d’éviter les erreurs et la dégradation
systématique du clergé géorgien{345} ». Plus de vingt ans plus tard, Beria
critiquera la politique soviétique à l’égard de l’Église catholique
lithuanienne ou de l’Église évangélique allemande avec des arguments
semblables.
Cette indulgence à l’égard de l’Église géorgienne contraste avec la
manière dont Beria traitait l’Église arménienne, dans laquelle il voyait
exclusivement un instrument de projection de la GPU transcaucasienne, si
l’on en juge par un document rédigé par lui le 7 septembre 1930 et
consacré à l’élection prochaine du nouveau catholicos d’Arménie. Beria y
souligne l’importance d’arracher Etchmiadzine, le Saint-Siège de l’Église
arménienne, à l’influence des dachnaks et à faire élire un catholicos
prosoviétique{346}.
De la même manière, Beria mena une politique de collectivisation de la
paysannerie relativement modérée. Dès décembre 1931, il supprima le
Centre kolkhozien géorgien qu’il remplaça par un commissariat du peuple
à l’Agriculture. En 1932, il conclut une sorte de trêve avec la paysannerie :
les terres des paysans refusant d’entrer dans un kolkhoze n’étaient plus
confisquées, certaines exploitations individuelles (thé, tabac, coton, etc.)
pouvaient bénéficier d’un crédit agricole ; une partie des exploitations
individuelles étaient exemptées d’impôts ; les livraisons obligatoires à
l’État étaient abaissées{347}. Pour éviter à la paysannerie géorgienne les
déportations de masse, Beria favorisa le développement des cultures
subtropicales, thé, tabac, agrumes. Il permit aux kolkhoziens d’agrandir
leur lopin individuel. Il rêvait de transformer la Géorgie occidentale, sa
patrie, en « Floride soviétique », et il ne s’agissait pas que de propagande
puisque, après la mort de Staline, il revint à ce projet{348}. Khrouchtchev
trouvait la politique agraire de Beria déplorable, comme il le déclara lors
d’une rencontre avec des communistes italiens le 10 juillet 1956 :

En Géorgie, une politique économique erronée fut menée. Beria fixa


des prix plus élevés pour le raisin de Géorgie et d’Azerbaïdjan, il
s’arrangea pour mener la collectivisation de manière à ce que les
paysans tirent la plus grande partie de leurs ressources de leur lopin
privé{349}.

Mais il allait plus loin : selon lui, les problèmes de la Géorgie


s’expliquaient par le fait que l’« organisation du Parti de Géorgie était
pratiquement soustraite au contrôle du Comité central tant qu’elle fut
dirigée par Beria{350} ».
En 1946, si l’on en croit les notes du contre-espionnage du MGB
géorgien, les militaires russes stationnés en Géorgie s’étonnaient du
contraste entre cette république et les autres régions de l’URSS.
« Pourquoi les Géorgiens ont-ils le droit d’avoir un secteur privé aussi
important ? », se demandait l’un. « En Géorgie il n’y a pas de régime
socialiste, tout repose sur la propriété privée. Les dirigeants géorgiens se
soucient peu des principes socialistes, c’est pourquoi la propriété privée y
prédomine », constatait l’autre. « On peut construire le communisme
n’importe où, mais pas en Géorgie. Il n’y a rien à tirer des Géorgiens. Ils
ne pensent qu’à spéculer », faisait observer un troisième. « Les koulaks
n’ont été anéantis qu’en Russie, alors que dans le Caucase, en Géorgie
surtout, ils existent toujours. » Telles sont quelques-unes des remarques
rapportées dans un document compilé le 10 novembre 1947 par Nikolaï
Roukhadzé, le chef du contre-espionnage de la région militaire
transcaucasienne{351}.
La Géorgie échappa effectivement aux déportations de koulaks en
Sibérie et ne connut qu’une variante fort atténuée du Goulag. Sur l’ordre
du premier secrétaire Kandid Tcharkviani, les détenus géorgiens ne furent
pas déportés dans d’autres parties de l’URSS. En 1950, Tcharkviani avait
même interdit aux chemins de fer géorgiens de mettre à la disposition du
MVD des convois pour déporter les détenus. Comme il n’y avait pas de
grands chantiers du socialisme en Géorgie, ces zeks – ils étaient 28 000 en
1952 – étaient répartis dans de petits camps difficiles à garder vu le
manque d’effectifs. Si bien que dans certains cas, ils étaient envoyés sur
les chantiers sans gardes{352}.
Beria joua un rôle déterminant dans la dissolution de la Fédération
transcaucasienne. Nous avons mentionné la curieuse démarche auprès de
Staline du menchevik G. Lordkipanidzé. Les documents du NKVD
révèlent que Beria, par l’intermédiaire d’Ourouchadzé qui réalisait pour
lui des missions confidentielles depuis 1932, joua un rôle peut-être
déterminant dans l’initiative de Lordkipanidzé. C’est à Ourouchadzé que
Lordkipanidzé a envoyé une lettre en 1935 pour formuler des
recommandations concernant la tactique à adopter par les mencheviks en
vue de la formation d’une commission chargée d’élaborer la Constitution
de l’URSS. C’est encore Ourouchadzé qui a proposé à Mgaloblichvili, le
président du Sovnarkom de Géorgie, de se rendre à Voronej pour
rencontrer Lordkipanidzé et de s’arranger pour le faire revenir en Géorgie
en sollicitant l’autorisation de Beria. Ourouchadzé fit par ailleurs une
démarche similaire auprès de Boudou Mdivani. Et c’est toujours
Ourouchadzé qui remit à Beria la lettre de Lordkipanidzé de mars
1935{353}.
Bien plus, Beria réalisa par la suite une partie du programme préconisé
par Lordkipanidzé et les bolcheviks géorgiens nationalistes en obtenant la
dissolution de la Fédération de Transcaucasie, cette « marmite commune »
dans laquelle les « trois peuples [du Caucase du Sud] avaient été jetés en
décembre 1922 afin de leur faire oublier leurs racines et de hâter leur
fusion avec la Russie », comme l’écrit Sergo Beria.
Les bolcheviks géorgiens Boudou Mdivani, Sacha Gueguetchkori,
Sergueï Kavtaradzé et Filip Makharadzé s’étaient opposés énergiquement
en 1921-1922 à la création de la Fédération de Transcaucasie voulue par
Staline et Ordjonikidzé, préférant que la Géorgie entrât directement dans
la Fédération soviétique. Ils firent appel à Lénine qui voulut intervenir en
leur faveur, mais fut empêché d’agir par la maladie. Makharadzé,
notamment, trouvait que la Géorgie ne pouvait s’épanouir qu’en tant
qu’État national, que la Fédération transcaucasienne était nuisible, car,
selon lui, elle permettait à l’Azerbaïdjan et à l’Arménie de se développer
au détriment de la Géorgie alors que c’était au peuple géorgien d’être en
position dominante en Transcaucasie, étant donné son développement
culturel. Positions dont Beria n’était pas loin, si l’on en croit S. Beria :

Mon père avait été hostile à la fédération dès le début. […] Lorsqu’il
fut placé à sa tête, il n’eut de cesse de la détruire. […] Staline
consentit à la dissolution de la Fédération de Transcaucasie en avril
1937 car il envisageait de faire de chacune de ces républiques un
tremplin vers le Moyen-Orient, en utilisant les revendications
territoriales de la Géorgie et de l’Arménie à l’égard de la Turquie,
celles de l’Azerbaïdjan à l’égard de l’Iran. Mon père sut utiliser à
fond ces dispositions de Staline. Plus tard il me cita cet exemple pour
me montrer par quelles voies détournées on pouvait faire quelque
chose pour son peuple{354}.

Les mencheviks géorgiens émigrés attribuèrent d’ailleurs cette décision


à leur influence occulte en Géorgie{355}. Il est plus probable que Staline,
mécontent du comportement turc aux négociations de Montreux, voulait
effectivement se donner un moyen de pression éventuel sur Ankara.
La dissolution de la Fédération transcaucasienne encouragea un
nationalisme quasi officiel dans les républiques sud-caucasiennes,
évolution qui répondait au tournant vers le patriotisme grand russe en
Russie. Quant à Beria, il ne perdit pas son influence dans la région, au
contraire : les purges en Arménie lui permirent d’installer un homme à lui,
Aroutiounov, un Arménien de Géorgie, à la tête du Parti arménien. Les
communistes arméniens furent les principales victimes de la dissolution
de la Fédération de Transcaucasie dont ils étaient les uniques partisans car
elle leur donnait un poids considérable dans toute la région.
Enfin, Beria patronna l’intelligentsia nationale géorgienne. Lors de son
procès, il fut d’ailleurs accusé d’avoir protégé des éléments contre-
révolutionnaires et favorisé le nationalisme bourgeois en Géorgie. « Beria
conservait tous ces cadres nationalistes bourgeois en vue de la restauration
du capitalisme en Géorgie{356}. »
D’un point de vue soviétique, cette accusation était fondée. Là encore,
le cas de la Géorgie était exceptionnel. Qu’on en juge : le recteur de
l’université de Tbilissi était N. N. Ketskhoveli, qui avait participé à
l’exécution de bolcheviks à l’époque du gouvernement menchevique et
avait combattu l’Armée rouge en 1921. Il était, jusqu’en 1923, le chef de
l’organisation clandestine des jeunes nationaux-démocrates. Pendant la
guerre, il ne cacha pas son souhait de voir gagner l’Allemagne. Quant à
son frère Z. Ketskhoveli, Beria le nomma chef du gouvernement géorgien
en avril 1952, quoiqu’il fût de vieille noblesse, qu’il ait été arrêté en 1923
pour activité antisoviétique et n’ait adhéré au Parti qu’en 1940. À la tête
de l’Académie des Sciences, Beria avait placé l’archéologue
L. Mouskhelichvili, le fils d’un grand propriétaire foncier ; son adjoint
était N. Berdzenichvili, ancien membre du Parti national-démocrate, actif
dans l’opposition antisoviétique même après la communisation de la
Géorgie. Alexandre Djanalidzé, le vice-président de l’Académie des
Sciences, était un ancien fédéraliste. Parmi les académiciens,
A. Tchikobova et R. Natadzé étaient d’anciens socialistes révolutionnaires,
C. Kekelidzé un ancien archimandrite, K. Bakradzé avait participé à
l’insurrection antibolchevique de 1923, I. Beritachvili était monarchiste,
Tsintsadzé était un ancien menchevik, Ch. Noutsoubidzé un ancien
fédéraliste, l’écrivain K. Gamsakhourdia, un germanophile notoire.
Nombre de nationalistes siégeaient à l’Académie : D. Ouznadzé,
S. Djanachia, N. Berdzenichvili, I. Beritachvili.
Tout cela fut déballé après la chute de Beria, surtout par ses anciens
protégés soucieux de se démarquer de leur patron déchu :

Ces gens étaient connus depuis longtemps pour leur chauvinisme.


[…] Beria protégeait ouvertement les nationalistes géorgiens et le
chauvinisme a pris des dimensions invraisemblables tant qu’il était
au pouvoir, surtout dans les établissements d’enseignement supérieur
et dans les instituts de recherche{357}.

Il était impossible de publier dans la presse des articles critiquant le


« nationalisme bourgeois » de ces intellectuels{358}.
Bien plus, Beria s’efforça de sauver des représentants des anciennes
élites intellectuelles et politiques en les casant d’autorité au Parti à
l’époque où il était à la tête du Parti de Géorgie : il y fit admettre plusieurs
milliers d’anciens membres de partis antisoviétiques, nationaux-
démocrates, fédéralistes, mencheviks et socialistes révolutionnaires. Un
grand nombre d’entre eux adhérèrent au Parti sur l’intervention directe de
Beria, car les cellules locales refusaient de les accepter. Ceci eut lieu
surtout à l’université de Tbilissi et à l’Académie des Sciences de
Géorgie{359}. Cette manœuvre permit à Beria de placer certains de ces
hommes au sommet de l’appareil du Parti et de l’État : au moment de sa
chute en 1953, les ministres du Travail et des Transports et un membre du
Comité central étaient d’anciens mencheviks{360}.
Beria profitait aussi de la latitude que lui laissait le contrôle du NKVD.
Ainsi, en affirmant qu’ils avaient été recrutés par le NKVD et devaient
rester en liberté « pour des raisons opérationnelles », il parvint à sauver de
la mort ou de la déportation un grand nombre de gens dont il souhaitait
préserver l’existence pour une raison ou pour une autre. En 1935, il
intervint pour empêcher la condamnation des historiens I. Djavakhichvili
– l’un des fondateurs de l’historiographie géorgienne –, S. Djanachia et
N. Berdzenichvili pour nationalisme. Djanachia lui donnait des cours
particuliers d’histoire de la Géorgie{361}. En janvier 1938, le NKVD
géorgien arrêta Guiorgui Tsereteli, ancien national-démocrate, professeur
d’arabe à l’université de Tbilissi, cousin germain de Mikheïl Tsereteli,
l’idéologue de l’organisation de l’émigration Thethri Guiorgui. Il était
accusé d’activités contre-révolutionnaires et d’espionnage. Beria le fit
libérer sous prétexte que l’enquête n’avait pas confirmé les faits
incriminés, en prétendant le recruter. Tsereteli se rétracta quelques jours
plus tard mais resta en liberté{362}.
On a l’impression que Beria chercha à éclipser son rôle dans la Grande
Terreur en Géorgie en accentuant le flirt avec l’intelligentsia nationaliste.
Les purges avaient déclenché une lame de fond dans la république :

Le Plénum de février 1937 donna l’impulsion à une nouvelle vague


de nationalisme en Géorgie, écrit Sergo Beria. Ceux des communistes
géorgiens qui avaient misé sur une politique orientée vers Moscou
comprirent leur erreur{363}.

Beria dérussifia l’enseignement de l’histoire dans les universités en


encourageant l’étude de l’histoire ancienne de la Géorgie et de l’histoire
de son architecture. Même les publications de l’émigration notaient les
succès de Beria dans ce domaine. On peut lire dans une lettre de Tbilissi
citée par la revue Prométhée :

[Des intellectuels] changent peu à peu leurs relations avec le pouvoir


d’occupation. Certains d’entre eux sont même devenus les meilleurs
propagandistes de M. Beria. […] Certains de ces enthousiastes
déclarent ouvertement qu’ils détestent le communisme et le
socialisme, mais qu’ils ne se représentent point la Géorgie sans la
Russie. À les entendre, la Géorgie serait actuellement indépendante,
attendu qu’elle possède son propre gouvernement. Il est vrai que nous
ne jouissons pas de libertés politiques ni civiles, mais qu’en avons-
nous besoin si la culture nationale renaît sans qu’il soit besoin
d’elles ? Nous devons nous accommoder de la situation et venir en
aide au pouvoir qui contribue à la reconnaissance culturelle et
économique de la Géorgie{364}.

Et, de fait, Beria menait une politique active de développement de


l’Instruction publique. En 1939, la Géorgie avait le taux le plus élevé de
jeunes ayant une éducation secondaire ou une éducation supérieure de
toute l’URSS{365}.
Autre anomalie dans le contexte soviétique de l’époque : le recours à
une langue d’Ésope au plus fort de la grande terreur. La lecture de Zaria
Vostoka, l’organe officiel du PC géorgien, réserve d’étranges surprises à
quiconque est habitué à la morne presse de la période stalinienne. Ceci
concerne surtout les années 1936-1937. Durant cette période tragique, on a
l’impression que presque chaque numéro contient un message codé en
« langue d’Ésope ». Le journal se divisait en trois parties : la première,
officielle, contenait les habituels appels à la liquidation des ennemis du
peuple, à l’extermination des « chiens enragés », etc., et reproduisait les
éditoriaux de la Pravda ; la deuxième était consacrée à la politique
étrangère ; enfin, la troisième, réservée à la culture avec une rubrique de
poésie, est celle qui est intéressante, comme le montrent les quelques
exemples suivants.
En 1937, toute l’URSS commémorait le centenaire de la mort du poète
Pouchkine, l’un des signaux de la réhabilitation de la culture nationale
russe. Zaria Vostoka ne fut pas en reste, mais elle fit une singulière
sélection dans l’œuvre du poète. Ainsi, le 9 février 1937, un article
souligne-t-il que Pouchkine n’était pas solidaire de la politique
d’expansion tsariste dans le Caucase et cite ces vers du poète parlant du
Caucase :

Les lois y étouffent la liberté exubérante

Les peuples sauvages y sont opprimés


Le Caucase muet se révolte

Tant les forces étrangères l’écrasent.

Le 10 février, les vers suivants de Pouchkine sont cités :

Tyran criminel !

Je te hais toi et ton trône…

On voit sur ton front

La marque de la malédiction des peuples

Tu es l’effroi de la terre, la honte de la nature

Un reproche à Dieu sur terre…

Le 11 février, nous pouvons lire dans un éditorial consacré à


Pouchkine :

Pouchkine ne pouvait accepter l’atmosphère sinistre de la Russie du


tsar Nicolas, qui, pour reprendre les mots de V. G. Belinski,
« présentait le spectacle effrayant d’un pays où les hommes vendent
les hommes, où il n’existe aucune garantie pour la personne,
l’honneur, la propriété, où il n’y a même pas d’ordre policier, où on
ne trouve que d’immenses corporations de fonctionnaires rapaces et
de pillards ».
Pouchkine en était arrivé à la conclusion que « seul un choc terrible
pourrait anéantir l’esclavage enraciné en Russie ».
Le 12 février, ce sont les vers fameux de Pouchkine qui sont cités :

Du fond des mines sibériennes

Supportez les épreuves avec fierté…

Le 17 février :

Et je serai longtemps aimé du peuple

Car ma lyre a chanté la bonté

Car dans mon siècle cruel j’ai célébré la liberté

Et j’ai appelé à la miséricorde pour les pécheurs…

Le 2 avril, Zaria Vostoka commémora le 125e anniversaire d’Alexandre


Herzen, l’inspirateur du populisme russe, citant un texte de Herzen rédigé
après l’écrasement de l’insurrection polonaise de 1863 :

Pourquoi ne pouvons-nous pas vivre avec la Pologne, l’Ukraine, et la


Finlande en État libre avec des États libres ? Pourquoi devons-nous
nous acharner à asservir le monde ? En quoi valons-nous mieux que
les autres peuples ?
Le 6 avril, c’est une lettre de l’historien Timofeï Granovski à Herzen
qui est citée :

Il y a de quoi devenir fou. Bielinski a eu de la chance de mourir à


temps. Beaucoup d’honnêtes gens sont au désespoir et assistent aux
événements avec un calme abruti : quand ce monde va-t-il
s’effondrer ? On entend partout un sourd murmure, mais où sont les
forces ? Où est la résistance ? […] Dans notre pays septentrional, le
despotisme use vite les gens. Je regarde en arrière avec douleur : on
dirait un champ de bataille ; il n’y a que des morts et des éclopés.

Le 1er juin, ce sont des vers du poète géorgien Ilya Tchavtchavdzé :

On n’entend plus une voix, plus un appel, tout est muet

De temps en temps notre patrie gémit dans son sommeil

Quelqu’un pleure un mort…

Le 2 juin, toujours de Tchavtchavadzé :

Quand donc les peuples du vaillant Caucase

Retrouveront-ils leur unité,

Une seule pensée, un seul rêve…


Le 3 juin, le journal publia un récit de Tchavtchavadzé intitulé La
Pendaison. Le narrateur assiste à une exécution :

Je me demande pourquoi le peuple est en liesse. […] Les maudits


ont-ils un cœur de pierre ? Personne n’a versé la moindre petite
larme. Pourtant un être humain est une créature de Dieu, et non un
chat…

Le 12 juillet, c’est Beria lui-même qui évoqua dans un article le


révolutionnaire géorgien Lado Ketskhoveli, citant l’une de ses
proclamations :

Aujourd’hui, quand les représentants du peuple pourrissent en prison


par milliers, aujourd’hui, quand des rivières de sang coulent
quotidiennement devant nos yeux, aujourd’hui, quand la parole libre,
l’action, l’amour fraternel sont un fruit défendu pour notre peuple
infortuné, quand les agents du gouvernement sèment dans la société
la corruption, la peur, la débauche, quand toute manifestation
d’honnêteté et de sincérité s’attire la surveillance des autorités, […]
c’est alors que nos aristocrates prétendent parler au nom du peuple et
remercient ce gouvernement.

Beria louait ensuite le stoïcisme de Lado Ketskhoveli qui, emprisonné


par la police tsariste, tint bon et ne livra personne. Il citait la dernière
lettre de Ketskhoveli : « La vie est précieuse, on a tous envie de vivre,
mais lorsque toute dignité humaine, lorsque l’âme est piétinée, à quoi bon
vivre ? » Des extraits plus longs de cette lettre parurent le 6 octobre :
Et si aujourd’hui les porcs piétinent la vérité, s’ils triomphent et
grognent de contentement quand leur groin dégouline de sang, s’ils
braillent à gorge déployée : « Nous avons vaincu ! Il n’y a plus de
soleil ! Vivent les porcheries et les auges ! » – ne le croyez pas, la
victoire n’est pas de leur côté. Ils peuvent vaincre Lado, Ivan, Pierre,
mais il n’est pas donné aux porcs de vaincre la vérité. Il est indigne
d’un homme qui se veut homme de se prosterner devant un porc,
seulement parce qu’il est plus fort que Lado, Ivan, et Pierre.

Le 30 juillet, le journal cita l’autobiographie de l’écrivain Akaki


Tsereteli : « À l’époque, toute la Russie était convaincue que l’intelligence
et les manières s’enseignaient à coup de fouet. » Le 17 août, c’était le Dit
d’Igor, une épopée russe ancienne qui était cité : « À cette époque, on
entendait rarement sur la terre russe l’appel des laboureurs. Mais on
entendait souvent les corbeaux croasser en se disputant les cadavres. »
Durant ces jours de terreur, cette citation du poète épique géorgien Chota
Roustaveli revint souvent : « Mieux vaut la mort, mais une mort glorieuse,
que de subir la honte de jours sans gloire. » Enfin mentionnons cette
citation du poète A. I. Polejaev, le 29 janvier 1938 :

Quand rejetteras-tu le fardeau

De tes bourreaux méprisables ?…

Notre tsar orthodoxe,

Sa Majesté Nicolas

Tu es une effigie construite par nos mains

Nous t’avons fabriqué avec de la colle

Et nous te ferons voler en morceaux


Quand nous cesserons de t’aimer…

Ces extraits, parus, soulignons-le, quand Staline plongeait l’URSS dans


un bain de sang, parlent d’eux-mêmes. Durant cette période, le rédacteur
en chef de Zaria Vostoka était V. G. Grigorian, un intime de Beria. Ces
escapades littéraires étaient certainement concertées entre les deux
hommes{366} : en pleine terreur, on voit mal un rédacteur en chef prendre
un tel risque sans être couvert par son supérieur. Beria avait trouvé un
moyen détourné de signifier qu’il désapprouvait la politique sanglante
qu’il était en train d’appliquer. Peut-être était-ce aussi un moyen
d’envoyer un message à l’étranger, de se démarquer discrètement de la
politique de Staline, puisqu’en 1937, Beria multipliait les tentatives de
contacts avec les mencheviks géorgiens de Paris.
Tout ceci aurait été inconcevable dans n’importe quelle autre république
de l’URSS. De même qu’un spectacle familier pour les habitants de
Tbilissi : Marta Beria, la mère du secrétaire de la République, se rendant
tous les jours pieds nus à l’église, en pénitence, hiver comme été, suivie de
deux voitures de gardes du corps, pour implorer la miséricorde divine et le
pardon des péchés de son fils.
Ainsi, dès sa période caucasienne, Beria mit-il en œuvre une politique
originale d’un point de vue soviétique, rendue possible par la solidité des
réseaux familiaux et ethniques en Géorgie. Ses principales préoccupations
semblent avoir été de s’assurer un débouché vers les pays étrangers – la
Turquie, l’Iran, la France et la Pologne – indépendant des canaux de la
GPU de l’URSS ; de s’assurer le contrôle des opérations contre
l’émigration géorgienne ; de ménager la paysannerie géorgienne ; de
gagner le soutien de l’intelligentsia en jouant la carte du nationalisme. En
1922, Dzerjinski, le fondateur de la Tcheka, avait dicté à la GPU la
tactique de la lutte contre les mencheviks : détruire l’intelligentsia
menchevique et les liens entre les mencheviks et l’étranger, et purger
l’appareil d’État des mencheviks{367}. Dans la mesure où il le put, Beria
fit exactement le contraire, jouant dès cette époque un jeu dangereux, soit
qu’il n’ait pas cru à la solidité du régime et ait voulu se donner des options
en cas de renversement de Staline, soit qu’il ait déjà pensé à préparer
l’après-bolchevisme, en protégeant les élites géorgiennes, notamment les
élites politiques de l’ancien régime, et en maintenant un contact ténu avec
la diaspora. En tout cas l’ambivalence de Beria apparaît dès ces années.
Le nationalisme géorgien s’accentua après la guerre. En 1946, on disait
couramment en URSS qu’il était impossible pour un Russe de trouver un
emploi en Géorgie{368}. Jusqu’en 1951, Beria resta le suzerain du
Caucase au sein du Politburo. « Beria ne s’intéresse qu’à la Géorgie, et
non à la Russie », déclarait un proche de Malenkov au transfuge ossète
Grigori Tokaev en 1941{369}. Cette remarque n’est pas tout à fait exacte,
quoique significative. Beria développa progressivement une conception de
politique étrangère pour l’URSS, comme nous allons le voir, mais le
Caucase et la Géorgie demeurèrent à ses yeux une priorité absolue. Il
s’ingénia toujours à détourner subtilement les orientations de politique
étrangère de Staline au profit de sa petite patrie, même quand ces
manœuvres risquaient de compromettre le jeu soviétique.

Beria patron du NKVD


Staline était repu de son arbitraire et lui-même avait été quelque peu
effrayé des conséquences […]. Mais il ne pouvait s’arrêter car il craignait
les ennemis qu’il avait inventés{370}
[[Khrouchtchev].
Le 22 août 1938, Beria devint le premier adjoint d’Ejov à la tête du
NKVD. Il repartit à Tbilissi organiser sa succession et entra en fonctions
début septembre. Au début, il ne se fit guère remarquer. Frinovski,
l’ancien numéro deux d’Ejov, qui avait dirigé la GPU d’Azerbaïdjan de
1930 à 1933 et qui détestait Beria{371}, assura l’interrègne. Il s’efforçait
de galvaniser la résistance d’Ejov, lui recommandant « de ne pas lâcher les
rênes, de ne pas se laisser aller à la déprime, de garder un ferme contrôle
sur l’appareil en empêchant Beria d’y placer ses hommes{372} ». Ejov ne
cachait pas que Beria lui avait été imposé contre son gré et il buvait plus
que jamais, marmonnant que « tout était fichu{373} ». Du 22 août au
4 septembre, Ejov et Frinovski firent fusiller à tour de bras des officiers du
NKVD, craignant que Beria ne parvienne à leur extorquer des aveux
compromettants pour eux.
Afin de limiter l’influence de Beria, Ejov se donna un deuxième adjoint,
Stanislas Redens, celui-là même dont Beria s’était débarrassé en
Transcaucasie. Mais c’était trop tard et rien n’y fit. Le 8 septembre,
Frinovski fut nommé commissaire du peuple à la Marine et, le
29 septembre, Beria prit le contrôle de la Sécurité d’État. Dans une ultime
tentative, Ejov et Frinovski essayèrent une fois de plus de torpiller Beria
avec l’affaire de son passage au Moussavat. Sur le conseil de Frinovski,
Ejov remit à Staline tout un dossier concernant cette affaire{374}. Pour
Staline il n’y avait plus à hésiter : le dossier compromettant sur Beria ne
faisait que le renforcer dans sa volonté de promouvoir son compatriote,
car Staline ne choisissait que des subordonnés qu’il « tenait » d’une
manière ou d’une autre. Début octobre 1938, il montra à Beria les
documents compromettants le concernant. Merkoulov dut rédiger pour son
chef une note d’explication à ce propos destinée à Staline{375} qui
convoqua Beria et lui dit : « Pour l’instant je vous laisse en vie. »

La fin de la Grande Terreur.


Un témoin a laissé un récit des débuts de Beria :
Beria convoquait les officiers et leur posait la même question :
« Vous travaillez ici depuis longtemps, un an, un an et demi. Quels
sont à votre avis ceux qui ont un comportement inhumain ? » […] Il
parlait poliment et se montrait plein d’attention. Ceux qui avaient eu
un comportement « inhumain » furent chassés, arrêtés et fusillés –
même les officiers supérieurs{376}.

À la cafétéria de la Loubianka, l’ambiance changea, on recommença à


se parler, alors que sous Ejov chacun déjeunait seul dans son coin en
évitant tout contact avec les collègues{377}. Beria doubla le salaire des
officiers du NKVD. En même temps il découragea d’emblée la délation
dans son administration : un mouchard lui ayant rapporté que son adjoint,
Boris Obroutchnikov, s’était plaint de ce que le NKVD fût envahi par les
Géorgiens, Beria fit exiler le mouchard à Magadan et conserva
Obroutchnikov à ses côtés jusqu’à la fin{378}.
Un transfuge a laissé son impression de Beria lorsque celui-ci vint
visiter l’école du NKVD où il faisait ses études : « Derrière le pince-nez
les yeux étaient attentifs et plutôt tristes. […] Il me rappelait un ami
d’enfance, un pédiatre juif appelé Kapelson. » Beria dit au directeur de
l’école : « Veillez à ce qu’ils aient un peu plus d’air frais{379}. » Parmi
les tchékistes, Beria était connu pour sa maîtrise de soi exceptionnelle.
Abhorrant les beaux parleurs, il exigeait avant tout de ses collaborateurs
une expression précise et concise{380}. Il devint rapidement populaire,
car il savait s’arranger pour que les conditions de vie de ses subordonnés
soient les meilleures possibles. Ainsi les cantines du NKVD étaient
infiniment mieux approvisionnées que celles du NKID – le commissariat
du peuple aux Affaires étrangères{381}.
La fin de la Grande Terreur commença par la purge des cadres ejoviens. Le
20 septembre, fut adoptée une très importante décision du Politburo :
désormais chaque commissaire du peuple aurait un adjoint responsable des
cadres, qui dépendrait de la section des cadres du Parti – l’ORPO –
contrôlée par Malenkov depuis le 4 février 1936{382}. Cette décision qui
restaurait le contrôle de l’appareil du Parti sur le NKVD allait permettre
l’élimination des cadres ejoviens{383} et elle fut à l’origine du tandem
Beria-Malenkov. Grâce à l’appui de Malenkov, qui avait autrefois cultivé
d’excellentes relations avec Ejov et n’avait garde de se brouiller avec son
puissant successeur, Beria installa ses hommes au NKVD. Il fit monter à
Moscou son équipe sud-caucasienne{384}. Le premier arrivé fut un vieux
compagnon d’armes de Bakou, Youvelian Soumbatov-Topouridzé, promu
au NKVD central dès avril 1938, qui allait en quelque sorte servir
d’éclaireur ; arrivèrent ensuite le fidèle Dekanozov, qui avait travaillé à la
Tcheka d’Azerbaïdjan avec lui et avait présidé le Gosplan géorgien{385},
un petit homme gros et chauve, ami du luxe, cultivé et relativement poli,
« organisateur expérimenté et persévérant, pragmatique de nature et très
vaniteux », selon le diplomate V. Semionov qu’il a patronné à partir de
1940{386} ; puis le brutal Bogdan Koboulov, un Arménien obèse – Beria
l’appelait le « Samovar » – issu des quartiers mal famés de Tbilissi, ami
des beaux-arts, l’homme des basses œuvres et des missions
confidentielles ; ainsi que son frère, Amaïak Koboulov, un bellâtre bon
vivant ; le solide Goglidzé ; Chalva Tsereteli, l’homme de confiance, ex-
prince, ancien officier de la Légion géorgienne créée par les Allemands
pendant la Première Guerre mondiale, que les Occidentaux trouvaient
« beau, très intelligent et courtois{387} » ; Petre Charia, un autodidacte
polyglotte, disciple de Hegel et nationaliste géorgien, qui n’hésitait pas à
se lancer dans des débats philosophiques et littéraires avec Staline – il
trouvait par exemple que la Sécurité d’État devrait se contenter de lutter
contre les ennemis extérieurs{388}. Et aussi le discret Merkoulov,
intellectuel et dramaturge qui, de février 1929 à mai 1931, avait été le
numéro 2 de la GPU d’Adjaristan et le responsable de la Section politique
secrète de cette région frontalière sensible ; selon les initiés{389}, ce fils
d’officier, qui avait fait des études de mathématiques à l’université de
Saint-Pétersbourg et qui avait épousé la fille d’un général du tsar, haïssait
le régime communiste avant même d’entrer à la Tcheka ; Solomon
Milshtein, un Juif originaire de Vilnius, secrétaire de Beria en 1926 puis
responsable de l’agriculture en Géorgie, bien que toute sa famille eût
émigré aux États-Unis, protégé de Nina Beria et connu pour sa capacité de
travail phénoménale, l’un des rares à tutoyer Beria ; Stepan Mamoulov,
secrétaire de Beria, qui, disait-on, aimait à promener son crocodile en
laisse ; Boris Lioudvigov, un collaborateur que Beria avait sauvé des
purges de 1937 et qui aimait à dire qu’il se ferait volontiers couper la main
droite pour lui{390} ; et d’autres encore : Mikhaïl Gvichiani et Lavrenti
Tsanava, pour n’en citer que quelques-uns. Ces hommes de tempérament si
différent, qui parfois se haïssaient entre eux, avaient deux points
communs : ils étaient dévoués à leur chef et ils étaient efficaces. Beria les
nomma aux postes-clés de son ministère : ainsi Merkoulov fut chargé de la
Sécurité d’État – à son corps défendant, à ce qu’il prétendra après la chute
de son patron : « De tempérament je n’étais pas du tout fait pour ce poste.
[…] Les nouvelles “méthodes tchékistes” me démoralisaient à
l’extrême », écrira-t-il en 1953{391}. Bogdan Koboulov devint l’adjoint
de Merkoulov à la Sécurité et dirigea le Département politique secret et le
Département d’instruction du NKVD ; son frère Amaïak devint l’adjoint
du chef du NKVD d’Ukraine. Dekanozov fut chargé du renseignement et
du contre-espionnage. D’autres « Caucasiens » rejoignirent ce noyau de
fidèles : P. V. Fedotov, qui avait fait ses débuts à la Tcheka de Grozny en
1921 ; Lev Vlodzimerski, qui avait lui aussi fait carrière dans la GPU
nord-caucasienne. Le clan Beria n’était pas ethnique, mais régional{392}.
Après la démission d’Ejov, le 23 novembre 1938, de nombreux procès à
huis clos eurent lieu au sein du ministère. Les cadres de l’appareil ejovien
central et régional furent jugés par des cours martiales. Les accusés
reconnaissaient avoir employé massivement la torture pour extorquer des
aveux{393}. Après avoir purgé l’appareil central du NKVD, Beria passa
au NKVD des républiques et des régions. Des commissions furent
dépêchées sur place et procédèrent à l’arrestation et au remplacement des
équipes dirigeantes. Presque tous les responsables du NKVD des
républiques fédérées et des républiques autonomes, et ceux des sections
régionales du NKVD furent arrêtés et condamnés ; en 1939-1940, 2 079
officiers du NKVD furent condamnés pour « violations de la légalité
socialiste{394} » ; 7 339 officiers furent limogés, soit un sur cinq{395}. À
partir de janvier 1939, le NKVD recruta des élèves des écoles militaires
pour combler ses effectifs{396}. Mais la majorité des nouveaux venus
provenaient du Parti et du Komsomol : plus de 11 000 sur 14 500
nouvelles recrues{397}.
Après avoir entamé la purge des cadres ejoviens, Beria s’attaqua à
l’éradication de la terreur de masse. Dès son entrée en fonction, et à en
croire son fils, Beria fit dresser un état des lieux :

À l’instigation de mon père, une commission présidée par Andreev


fut chargée par le Comité central d’enquêter sur les agissements
d’Ejov. Mon père voulait établir une sorte de protocole des crimes
commis jusqu’ici pour éviter que par la suite ils ne lui fussent
attribués{398}.

Il confia le secrétariat de cette commission à son compatriote Petre


Charia.
Le 17 novembre 1938, une résolution secrète du Sovnarkom et du
Comité central intitulée : « À propos des arrestations, du contrôle du
Parquet et de la conduite des investigations », interdit les arrestations et
les déportations de masse et met fin aux troïkas du NKVD. Désormais les
arrestations devaient être autorisées par le Parquet{399}. Le texte de la
résolution comporte certains thèmes caractéristiques des documents
inspirés par Beria. Le NKVD d’Ejov y est critiqué pour ses « méthodes
sommaires » dans la conduite des enquêtes et des procès, méthodes qui ont
entraîné des « déformations flagrantes » dans l’activité du NKVD et du
Parquet. En réalité le NKVD doit privilégier le renseignement et
développer des réseaux d’informateurs au lieu de se livrer à des
arrestations de masse. Par ailleurs, les aveux des détenus doivent être
appuyés de preuves matérielles ; les interrogatoires doivent être
sténographiés même quand le prévenu nie sa culpabilité. Quant au Parquet,
sa tâche est d’empêcher les « violations de la légalité révolutionnaire ».
Ces changements furent loin d’être de pure forme : ainsi, du 1er janvier au
15 juin 1939, la moitié des affaires concernant les délits « contre-
révolutionnaires » furent renvoyées au NKVD par le Parquet et les
tribunaux pour un complément d’enquête{400}. À partir du début de 1939,
les listes de détenus à fusiller cessèrent d’être soumises au Politburo.
Même ceux qui étaient accusés de crimes contre-révolutionnaires reçurent
le droit de faire appel{401}. Beria ordonna de mettre fin immédiatement à
toutes les répressions de masse ; les instructions et les ordres donnés
précédemment furent annulés{402}.
Dans sa volonté de démanteler l’empire Ejov, Staline raffermit la
prépondérance du Parti sur le NKVD. D’abord en lui rendant le contrôle
sur la politique des cadres dans cet organisme. Le 20 septembre, il fut
décidé que le Comité central devait approuver la nomination des
dirigeants locaux du NKVD jusqu’au poste de responsable des sections de
districts et de municipalités. Dans les républiques et les régions, tous les
officiers du NKVD devaient être fichés par les organismes locaux du
Parti{403}. Le 1er décembre, le Politburo adopta une résolution à
l’importance considérable : désormais les arrestations ne pourraient avoir
lieu qu’avec l’accord du supérieur hiérarchique de l’intéressé{404}. Cette
résolution écartait de la nomenklatura du Parti et de l’État le danger d’une
récidive des grandes purges à la Ejov. Elle marquait le début de la
stabilisation de la nomenklatura, processus que Staline ne pourra plus
empêcher. Des ministères entiers furent mis à l’abri des arrestations ; ce
fut le cas du ministère du Commerce extérieur dont Mikoïan hérita en
décembre 1938 ; en entrant en fonction, celui-ci exigea de Staline qu’il
s’engage à s’abstenir de procéder à des purges dans son fief. Staline
tiendra sa promesse jusqu’en 1948-1949{405}. Ce sera aussi le cas des
ministères dont Beria aura la tutelle.
Une résolution, adoptée le 27 décembre 1938, confirma encore cette
volonté de l’appareil de se mettre à l’abri d’une récidive de la terreur de
masse : elle interdisait au NKVD de recruter des agents parmi les
responsables du Parti, de l’État et de l’économie, parmi le personnel de
l’appareil du Comité central, du Parti des républiques, des comités du
Parti régionaux. Le NKVD devait détruire les dossiers des agents recrutés
dans ces catégories{406}. Le 22 décembre 1938, les départements
d’instruction des directions opérationnelles du NKVD furent supprimés ;
un Département d’instruction unifié au sein du NKVD fut créé « afin de
mettre fin aux violations de la légalité socialiste », ces mesures visant à
diminuer le nombre de procès politiques et à limiter l’arbitraire local. On
réduisit le nombre de dossiers confiés au Collège spécial. Les plaintes de
ceux qui avaient été condamnés par les troïkas devaient être examinées
dans les vingt jours suivant leur réception. Le Collège spécial fut
cependant maintenu, ainsi que la législation d’exception du 1er décembre
1934{407}. En février 1939, Beria proposa d’augmenter les effectifs du
Parquet afin que le contrôle de ce dernier sur les dossiers d’instruction
constitués par le NKVD s’effectue plus rapidement{408}.
Les Sections spéciales du NKVD qui semaient la terreur dans l’armée
furent aussi rappelées à l’ordre. Ainsi Beria constata que, dans la région
militaire de Biélorussie,

elles appliquaient des méthodes de pression physique illégales [la


torture], provoquant parfois la mort. Des officiers de ces sections
avaient organisé une véritable émulation – c’était à qui obtiendrait le
plus grand nombre d’arrestations et d’aveux{409}.

Désormais il fallait l’autorisation du commissaire du peuple à la


Défense pour arrêter les officiers. En outre, Beria s’efforça de recruter des
militaires pour constituer les Sections spéciales chargées de la
surveillance de l’armée. Le 21 juin 1939, il demanda à Vorochilov de
détacher à cet effet au NKVD mille officiers de l’Armée rouge{410}.
Peut-on parler de « mini-dégel » à propos de la période 1939-1940 ?
Khrouchtchev n’y croit guère :

Beria disait souvent qu’avec sa venue les répressions sans fondement


avaient pris fin : « J’ai eu un entretien en tête à tête avec le camarade
Staline et je lui ai dit : quand tout cela va-t-il prendre fin ? Voilà
combien de fonctionnaires du Parti, de l’économie et combien de
militaires ont été anéantis. » Mais même après cela, Beria continuait
les arrestations, quoique à une échelle moindre qu’auparavant{411}.

Pourtant les mesures adoptées par Beria ne furent pas que cosmétiques,
comme en témoignent les chiffres. En 1939, 223 800 détenus furent libérés
des camps, 103 800 des colonies{412}. En janvier 1939, il y avait
352 508 détenus dans les prisons du NKVD ; en octobre de la même année
leur nombre était passé à 178 258{413}. Ceux dont l’affaire était en cours
d’instruction fin 1938 étaient libérés plus facilement que ceux qui avaient
déjà été condamnés : 110 000 détenus politiques furent rendus à la liberté
en 1939{414}. « La rumeur enflait, créant une illusion de libérations
massives et suscitant dans la société un espoir euphorique », se rappelle
A. Vaksberg{415}. Même la presse occidentale eut vent de ce « dégel » ;
ainsi le Socialističeski Vestnik mentionna-t-il l’envoi par Beria de cent
cinquante commissions dans les prisons et les camps, chargées de libérer
avant tout les fonctionnaires, les ingénieurs et les techniciens raflés dans
les purges d’Ejov{416}. La pratique consistant à infliger cinq ou dix ans
de détention supplémentaires à ceux qui avaient achevé leur peine fut
interdite en mars 1939 : ceux qui avaient tiré leur peine en 1938 mais que
le Collège spécial avait condamné de cinq à dix ans supplémentaires
furent libérés. En février 1939, Beria et Vychinski proposèrent aussi
d’abolir les restrictions de résidence pour les personnes condamnées par le
Collège spécial du NKVD et par les troïkas à des peines inférieures à trois
ans et qui, au bout de trois ans après leur libération, n’avaient pas commis
de nouveau délit – la décision devant être prise par le Collège spécial du
NKVD{417}. Le 16 août 1939, furent annulées les déportations liées à la
circulaire du NKVD du 15 juin 1937 interdisant le droit de séjour dans les
grandes villes centrales à ceux qui avaient été exclus du Parti et aux
membres de la famille des personnes condamnées pour délit politique.
Certaines catégories de personnes déportées de Leningrad en 1935 ou
d’Alma-Ata en 1938 purent revenir dans leurs foyers{418}.
La politique « libérale » du nouveau chef du NKVD ne fut pas sans
susciter des résistances. Certains tchékistes s’en souvinrent au moment du
procès de Beria :

En 1938, après l’arrivée de Beria, on libérait les détenus en masse. Si


bien que des ennemis furent relâchés et il fallut l’intervention, en
décembre 1938, du camarade Staline pour que tous ces abus prennent
fin et que les enquêtes soient menées de manière objective{419}.

En 1939-1940, M. Pankratiev, le procureur qui avait succédé à


Vychinski, accusa Beria de libérer indûment des « ennemis du peuple »
sans consulter le Parquet. Deux commissions furent créées pour enquêter
sur ces accusations. Finalement Pankratiev fut limogé{420}. Et, le
10 janvier 1939, pour éviter la démoralisation des tchékistes attaqués de
tous côtés par les apparatchiks du Parti ragaillardis, et signifier qu’il
n’était pas question de renoncer à la terreur, Staline se sentit obligé de
rappeler dans un télégramme chiffré que

l’utilisation de moyens de pression physiques par le NKVD avait été


autorisée en 1937 par le Comité central. […] Le Comité central
considérait qu’il fallait continuer à utiliser les moyens de pression
physiques contre les ennemis du peuple qui ne désarment pas.
C’est le seul document écrit attestant l’autorisation de la torture, même
s’il existait une résolution, signée par tous les membres du Politburo à la
veille du Plénum de février 1937, qui a disparu des archives{421}. Peut-
être Beria appliquait-il déjà la politique qu’il recommanda à Merkoulov en
1943 « de ne jamais exécuter des ordres oraux » : il fallait « exiger des
instructions écrites, et s’efforcer qu’elles n’émanent pas de Staline
seulement, mais de tout le Politburo{422} ».
Cependant, dès les premiers jours, Beria manifesta sa volonté de ne pas
tolérer d’ingérences extérieures dans son fief. Ainsi, dans les frictions qui
opposaient le Parquet et le NKVD, Beria n’hésita pas à défendre les
tchékistes qui n’appréciaient pas les tournées des procureurs dans les
cellules de prisons et « les photos prises des endroits suspects du corps des
détenus » – les traces de coups –, car selon lui cela encourageait les
inculpés à « organiser des grèves de la faim{423} ». Les velléités
« libérales » de Beria ne tenaient pas face à son souci prioritaire de
renforcer son administration. Au début de 1940, le NKVD obtint d’avoir
un droit de regard sur la libération des détenus politiques : il fallait que le
non-lieu prononcé par le tribunal ou la décision du procureur aient l’aval
du NKVD pour qu’ils deviennent effectifs{424}.
Quoi qu’il en soit, le dégel fut de courte durée. Dès le 10 juin 1939, une
résolution du Politburo interdit les remises de peine pour les détenus du
Goulag et autorisa l’application de la peine de mort aux « désorganisateurs
de la production et de la vie du camp{425} ». À partir de septembre 1939,
les camps et les prisons se remplirent à nouveau des flots de détenus
provenant des « territoires libérés » par l’Armée rouge, l’Ukraine et la
Biélorussie occidentales, puis les États baltes, la Bessarabie et la Bucovine
du Nord.
Beria s’efforça de « rationaliser » la gestion du Goulag en relevant les
normes alimentaires, en améliorant la qualité des vêtements pour baisser
la mortalité et en autorisant, à partir d’août 1939, l’utilisation des
compétences des détenus politiques auparavant astreints aux travaux
physiques épuisants. En 1939, il édicta des règles détaillées destinées aux
commandants des camps{426}. Il essaya sans succès d’obtenir que le
nombre de chantiers affectés au Goulag ne soit pas augmenté. Dans les
prisons, on constata un certain adoucissement du régime de détention : les
détenus eurent désormais le droit d’avoir des jeux et des livres. Les
procureurs se mirent à visiter les prisons et à demander s’il y avait des
plaintes{427}.
À partir de 1941, le Goulag eut un rôle important dans l’économie de
guerre. Beria en profita pour tenter d’adoucir les conditions de détention
dans les prisons : le Goulag n’avait que faire des zeks moribonds livrés par
le système carcéral soviétique. En mai 1942, il ordonna aux chefs de
prisons de respecter les « conditions sanitaires élémentaires », d’accorder
aux détenus une promenade de « pas moins d’une heure ». Les détenus
devaient avoir huit heures de sommeil par jour ; ceux qui souffraient de
diarrhée devaient recevoir des vitamines et une meilleure alimentation.
Les seules considérations de rentabilité furent-elles à l’origine de ces
instructions ? Pourquoi Beria précisait-il dans ce cas que les « détenus
faibles et âgés » devaient être aidés à la promenade par leurs compagnons
de cellule{428} ?
Tout cela n’empêchait pas le nouveau chef du NKVD de s’occuper de
son prédécesseur Ejov. Dès que Beria était devenu son adjoint, celui-ci
avait perdu toute illusion sur son sort : « Nous avons accompli notre
mission et maintenant on n’a plus besoin de nous. On se débarrassera de
nous comme de témoins gênants », confia-t-il à des proches{429}. Et, de
fait, tout en organisant la purge au sein du NKVD{430}, Beria et ses
hommes montaient une affaire contre Ejov. Il était facile de démontrer
qu’Ejov avait protégé des « ennemis du peuple », comme l’affirmait la
dénonciation d’un certain V. I. Jouravlev, chef du NKVD d’Ivanovo, qui
fut examinée au Politburo le 19 novembre 1938{431}. N’y avait-il pas eu
une suite de défections louches depuis quelques mois, celle de Liouchkov
en Extrême-Orient le 12 juin, celle d’Orlov en Europe en juillet ? Le chef
du NKVD de Leningrad, M. Litvine, un proche d’Ejov, ne s’était-il pas
suicidé le 12 novembre, après avoir reçu une convocation à Moscou ? Le
chef du NKVD d’Ukraine, A. I. Ouspenski, un autre proche d’Ejov,
n’avait-il pas disparu dans la nature le 15 novembre, lui aussi après avoir
reçu une convocation à Moscou ? Ce cas en particulier mit Staline en rage
et il écrivit à Beria le 22 novembre :
Il faut capturer Ouspenski coûte que coûte. […] Ouspenski a disparu
dans la clandestinité et nous nargue. Cette situation est
intolérable{432}.

En octobre 1938, Beria envoya à Staline la déposition de B. D. Berman,


l’adjoint du chef du Département de l’étranger du NKVD. Celui-ci faisait
état d’une réunion des services secrets allemands et étrangers qui se serait
tenue en Allemagne, dans le but de mettre sur pied une collaboration
contre l’URSS. D’après Berman, les responsables occidentaux du
renseignement considéraient qu’il fallait exploiter les erreurs du NKVD et
la paralysie de ses réseaux à la suite des purges ; les petits groupes
d’agents implantés par les Occidentaux en URSS avaient pour la plupart
survécu, leur équipement était intact : tout cela parce que le NKVD avait
cessé de pratiquer l’infiltration d’agents{433}. Ainsi Beria signifiait à
Staline que le but proclamé de l’hécatombe organisée par Ejov,
l’éradication de la cinquième colonne, loin d’être atteint, avait même été
compromis par le manque de professionnalisme du « nain sanglant ».
Le 23 novembre, Ejov offrit sa démission et fit son autocritique,
visiblement inspirée par les reproches formulés à son encontre le
19 novembre, car on trouve en négatif dans ce document le programme
d’action de Beria. Ejov se reproche notamment d’avoir négligé le
renseignement et l’infiltration d’agents, en particulier à l’étranger ;
d’avoir promu un grand nombre d’ennemis au sein du NKVD (ceci laisse
présager la purge) ; d’avoir négligé la protection des membres du Comité
central et du Politburo, domaine auquel Beria allait attacher une grande
importance car le contrôle de l’Okhrana permettrait de surveiller tous les
dirigeants du pays, y compris Staline. L’autocritique ne servit à rien. Beria
avait déjà déniché des faits compromettants. En janvier 1939, il signala à
son puissant compatriote que le frère de Nikolaï Ejov, Ivan, avait exprimé
le désir d’assassiner Staline à la première occasion{434}. Un ancien
collaborateur d’Ejov témoigna que ce dernier avait confié, en juillet 1937,
à son adjoint Frinovski, qu’il avait l’intention de s’emparer du
pouvoir{435}. Et la commission d’enquête sur les agissements d’Ejov –
où siégeaient Beria, Jdanov et Malenkov – arriva à la conclusion qu’Ejov
avait truffé le NKVD d’« ennemis et d’espions », à tous les niveaux, que le
but de sa politique de répression était de discréditer le régime soviétique
et de susciter une vague de mécontentement parmi les masses{436}. Les
vannes étaient ouvertes : un peu partout les responsables du Parti se
plaignirent du NKVD, et ces lettres affluaient vers Staline. Une épître
anonyme retint son attention : elle affirmait que Hitler, Goebbels et
Ribbentrop orchestraient les purges en URSS, les Allemands étant
persuadés qu’ils pourraient s’emparer de l’URSS sans faire la
guerre{437}.
Ejov essaya en vain d’obtenir une audience de Staline. Mais déjà son
bras droit Frinovski, incarcéré en mars 1939, était passé aux aveux. Dans
une déposition du 11 mars, il présenta Evdokimov, l’ancien chef de la GPU
du Nord-Caucase, comme le principal instigateur d’un complot au sein du
NKVD dont Ejov serait le complice. La volonté de camoufler ce complot
aurait incité les dirigeants du NKVD à déclencher la terreur de masse dont
Frinovski décrivait le mécanisme lors d’un interrogatoire :

Les enquêteurs « tabasseurs » étaient sélectionnés parmi les


comploteurs ou parmi les gens compromis. Ils rossaient les détenus
sans le moindre contrôle, obtenaient des « aveux » en un temps record
et ensuite rédigeaient des procès-verbaux sans fautes et pittoresques.
[…] Et comme le nombre de détenus ne cessait d’augmenter, vu les
méthodes employées, et comme les enquêteurs capables de rédiger
des procès-verbaux étaient très demandés, on créa des groupes de
« tabasseurs » spécialisés. […] Ces gens ne savaient rien du dossier
du détenu. On les envoyait à Lefortovo, ils se mettaient à rouer de
coups le détenu jusqu’à ce qu’il accepte de passer aux aveux{438}.

Frinovski affirmait ensuite que très souvent les dépositions étaient


l’œuvre des enquêteurs. « Ejov encourageait ces méthodes. La torture était
appliquée sans le moindre discernement{439}. » Ejov se réservait la
possibilité de corriger les dépositions de manière à protéger ses complices.
Il était au courant des « abus » mais ne faisait rien pour y mettre fin.

Ejov se targuait d’être le plus vigilant de tous. Il se vantait sans arrêt


d’avoir empêché un coup d’État, d’avoir différé la guerre en
démasquant des conspirations. Il critiquait et dénigrait certains
membres du Politburo qu’il accusait de vaciller. Devant ses
subordonnés il aimait à mentionner les relations des membres du
Politburo avec des comploteurs démasqués et exécutés. Il disait qu’ils
s’étaient montrés aveugles, qu’ils n’avaient pas su reconnaître les
ennemis infiltrés dans leur entourage{440}.

Ejov fut arrêté le 10 avril 1939. Lors de la perquisition de son bureau,


on découvrit qu’il avait conservé dans un tiroir les trois balles qui avaient
tué Zinoviev, Kamenev et Smirnov ! Chargé de l’enquête, Bogdan
Koboulov lui fit avouer qu’il avait été recruté par les Allemands en 1934,
lorsque, au moment d’un séjour en cure à Vienne, il s’était fait prendre en
flagrant délit avec une infirmière{441} ; en 1936, prenant les eaux à
Merano, Ejov avait rencontré Kandelaki et Litvinov. Le général allemand
Hammerstein se trouvait également à Merano et Ejov lui avait été présenté
par son médecin allemand, qui était aussi son agent traitant. Hammerstein
lui avait confié que la politique de l’URSS allait l’entraîner dans un conflit
avec les « États capitalistes », alors que l’intérêt de l’URSS était de
s’adapter au système européen au prix de quelques concessions. Le général
allemand lui avait recommandé de seconder Egorov, celui des officiers
soviétiques qui comprenait le mieux que, sans alliance avec l’Allemagne,
le régime soviétique ne pouvait être changé « dans le sens voulu ». Il
fallait, selon lui, que les généraux soviétiques organisent un putsch en cas
de guerre entre l’URSS et l’Allemagne. La tâche d’Ejov était d’appuyer le
clan des généraux germanophiles et de s’efforcer d’unifier les groupes
d’officiers antistaliniens. Hammerstein s’exprimait au nom des cercles
soviétophiles de la Reichswehr. Ejov l’ayant informé que la position de
Yagoda avait été affaiblie par l’assassinat de Kirov, Hammerstein lui avait
déclaré : « Il serait bon que vous lui succédiez. » Kandelaki fut chargé
d’assurer la liaison entre Hammerstein et Ejov. L’ancien chef du NKVD
rapporta aussi les propos que lui aurait tenus Litvinov :

Si on savait en URSS que nous passons notre temps à manger dans les
restaurants et à danser cela causerait tout un foin. Et pourtant il n’y
pas de quoi fouetter un chat. Mais nos responsables politiques sont
totalement dépourvus de culture. Vous venez de faire connaissance
avec Hammerstein et ce contact ne peut qu’être utile à l’Union
soviétique. Si nos dirigeants entretenaient des relations avec les
dirigeants européens, bien des difficultés dans nos relations avec les
pays étrangers seraient aplanies. Mais quand vous reviendrez à
Moscou, votre contact avec Hammerstein peut vous valoir des
ennuis{442}.

Quant à Kandelaki, poussé par Göring, il s’efforçait d’obtenir un crédit


allemand pour l’URSS, ce qui ne répondait qu’aux intérêts de l’Allemagne
préoccupée d’obtenir des matières premières soviétiques pour son
industrie militaire.
Ejov avoua avoir été le lobbyiste de ce projet auquel il avait rallié
Rosengoltz, le commissaire du peuple au Commerce extérieur. Il avoua
avoir monté une faction allemande au sein du NKVD, tandis qu’Egorov
agissait dans le même sens au sein de l’armée. L’attaché militaire
allemand Köstring supervisait les opérations. Quant à l’épouse d’Ejov –
heureusement déjà défunte –, elle avait été un agent britannique. Ejov
avoua de surcroît que lui-même avait été un agent des services polonais,
anglais et japonais ; qu’il avait falsifié sa biographie pour s’infiltrer dans
la direction du Parti ; que le 7 novembre 1938, il avait préparé un putsch,
avec l’appui de Frinovski et d’Evdokimov, comptant mettre à profit les
fêtes de la révolution pour assassiner les dirigeants du Parti et du
gouvernement. Début novembre 1938, un groupe de responsables du
1er Département de la Sécurité d’État fut arrêté et accusé d’avoir projeté
un attentat contre les dirigeants du Parti{443}. Ejov avoua ensuite
qu’après l’échec de cette tentative, il avait voulu faire assassiner Staline
par deux de ses amants – il avait déjà avoué être homosexuel –, et qu’il
avait demandé aux Allemands de l’exfiltrer, mais que, devant leur refus, il
s’était tourné vers les Britanniques, en mettant à profit les contacts de son
épouse recrutée par ces derniers en 1926 ; et, finalement, comme son
épouse en savait trop, il l’avait aidée à se suicider{444}.
Ce n’était pas tout. Ejov avoua qu’il avait comploté avec les Japonais
pour accélérer la défaite de la Chine afin de faciliter l’attaque des Japonais
contre l’Extrême-Orient soviétique ; qu’il avait lui-même organisé la
défection de Liouchkov afin d’assurer la jonction avec les Japonais, alors
qu’au moment de l’affectation de Liouchkov à la tête du NKVD
d’Extrême-Orient, Ejov avait caché à Staline les dépositions fournies par
le NKVD géorgien mettant en cause Liouchkov{445} ; qu’il avait truffé
l’administration du Goulag de gens peu sûrs politiquement, et compromis
pour diverses raisons, sur lesquels il comptait s’appuyer pour réaliser son
putsch car ils seraient prêts à obéir à n’importe quel ordre ; qu’il projetait
d’utiliser les détenus politiques des camps du Goulag situés en Extrême-
Orient pour déstabiliser les arrières de l’Armée rouge en cas de guerre
avec le Japon ; qu’il avait facilité l’évasion de prisonniers du Goulag afin
d’accélérer la diffusion de rumeurs antisoviétiques. Enfin, Ejov était si
alcoolique qu’il lui arrivait de voir des diables sur la table et les murs de
sa salle à manger{446}.
L’instruction de l’affaire Ejov témoigne une fois de plus de l’habileté
manœuvrière de Beria. Non seulement il fit d’Ejov le bouc émissaire de la
Grande Terreur, disculpant Staline. Mais, de surcroît, il s’assura la
gratitude des membres du Politburo en dénonçant les excès de zèle d’Ejov
qui cherchait à les mettre en cause en raison de leurs liens passés avec les
« ennemis du peuple ». Ces dépositions d’Ejov, mises en musique par
Koboulov, sont aussi subtilement révélatrices de l’état d’esprit de Beria en
ce printemps 1939 et de la manière dont il faisait flèche de tout bois pour
influencer Staline. Elles confirment l’affirmation de Sergo Beria selon
laquelle Beria était hostile à l’alliance allemande : quelle meilleure
manière de monter Staline contre l’Allemagne que de lui prouver qu’à
Berlin on travaillait à sa chute{447} ? D’ailleurs, dès juillet 1937, Beria
avait tenté de compromettre le favori de Staline, David Kandelaki, en
affirmant que celui-ci était l’émissaire à Berlin du « centre droitier »
géorgien : il avait prétendument obtenu l’engagement de Berlin de
soutenir les « droitiers » géorgiens au moment de la guerre entre l’URSS
et l’Allemagne.
De façon révélatrice, le fait que Hammerstein fût sur la touche au
moment du prétendu entretien avec le chef du NKVD n’est pas mentionné
dans la déposition attribuée à Ejov. Alors que Hammerstein était l’un des
adversaires de Hitler de la première heure au sein de la Wehrmacht, le
projet qui se dessine ici en filigrane apparaît : un putsch simultané contre
Hitler et Staline organisé par les militaires de chaque pays au moment où
éclaterait la guerre. Du côté allemand ce scénario était tout à fait réel : en
septembre 1938, à la veille de la conférence de Munich, le général Halder,
chef de l’état-major de l’armée de terre, avait décidé de donner le signal
d’un coup d’État le jour où Hitler déclarerait la guerre. Le 15 septembre
1938, les préparatifs militaires du putsch étaient terminés{448}.
On remarquera aussi les références à Litvinov. Visiblement la disgrâce
de ce dernier était dans l’air, mais rien dans le témoignage d’Ejov
« n’enfonce » Litvinov de manière irrémédiable. Beria laissait le choix du
sort du ministre à Staline. Quant aux accusations concernant l’utilisation
subversive du Goulag par Ejov, elles manifestaient une étonnante
conscience du potentiel déstabilisateur du Goulag pour l’ordre
soviétique{449} et jetteront une lumière intéressante sur la politique de
Beria à l’égard du Goulag au printemps 1953. Le dossier d’accusation
d’Ejov révèle de façon inconsciente le mode de raisonnement et d’action
de Beria et de ses proches. Il y avait une vérité sous-jacente dans toute
cette fiction.
Ejov comparut devant le Collège militaire le 3 février 1940. Il rétracta
tous ses aveux, affirmant que sa culpabilité devant le Parti était ailleurs :

J’ai purgé 14 000 tchékistes [lors de la purge de Yagoda]. Mais j’ai


commis une faute en ne purgeant pas assez. […] Transmettez à
Staline que je suis victime d’un concours de circonstances et qu’il
n’est pas exclu que des ennemis ayant échappé à ma vigilance y aient
mis la main. Transmettez à Staline que je mourrai en disant son
nom{450}.

Ejov demanda en vain une entrevue avec l’un des membres du Politburo
« pour lui dire toute la vérité ». Il fut condamné à mort et exécuté le
lendemain. Le pays n’en sut rien : le commissariat du peuple au Transport
naval fut discrètement scindé en deux, un commissariat au Transport
maritime et un commissariat au Transport fluvial. Le commissaire Ejov
sombra dans l’oubli corps et biens.
On peut s’étonner de la date tardive de son exécution. Il est probable
qu’Ejov fut « débriefé » par Beria et son équipe avec soin. Beria le fit
témoigner, en particulier contre Malenkov, et ce document de vingt pages
rédigé de la main d’Ejov fut découvert en juillet 1953, après la chute de
Beria ; au Plénum de juin 1957 condamnant le « groupe antiparti », Joukov
en mentionnera l’existence{451}. En février 1955, Malenkov se fit
remettre ce document par son secrétaire Soukhanov en lui disant qu’il
voulait le détruire lui-même{452}. Ainsi s’explique l’étrange solidité du
tandem Beria-Malenkov : le premier faisait chanter le second{453}. Et
Malenkov ne devait pas être le seul puisqu’Ejov avait constitué des
dossiers compromettants sur de nombreux membres du Comité central. Il
ne restait à son successeur qu’à faire fructifier cet héritage. Les archives
montrent que Beria s’arrangea, en 1939, pour monter des affaires mettant
en cause chaque membre du Politburo, voire des personnalités comme
Dimitrov, le chef du Komintern{454}. Ensuite il manœuvrait pour que ces
affaires tournent court, de manière à s’assurer la reconnaissance des
intéressés mis au courant.

Beria s’empare du renseignement extérieur.


Les arrestations et les exécutions diminuèrent rapidement après
l’arrivée de Beria à la tête du NKVD. Il y eut une exception : le
renseignement, que ce soit le service du NKVD ou le GRU. Ejov avait
lancé les purges, Beria les poursuivit de plus belle. Soudoplatov en a
révélé le mécanisme. Après la vague de défections en 1938, le nouveau et
éphémère chef du renseignement extérieur, Zelman Passov, autorisa les
officiers du NKVD en poste à l’étranger à adresser leurs dénonciations
directement au Centre, s’ils n’avaient pas confiance dans leur « résident »
– le chef d’un ou plusieurs réseaux d’espionnage. Un torrent de délations
afflua à Moscou{455}. Le rappel des agents soviétiques eut lieu en deux
vagues, la première en 1938, la seconde pendant les cinq mois de janvier à
mai 1939, durant lesquels le Département du renseignement à l’étranger –
le 5e Département du NKVD – fut dirigé par Dekanozov. En mai, celui-ci
fut remplacé par Pavel M. Fitine{456} et expédié au NKID pour y
organiser la purge qui suivit le limogeage de Litvinov, avant d’être envoyé
comme ambassadeur à Berlin.
Selon les témoignages, Beria convoquait les officiers de chaque
département et les questionnait sur leur biographie. Ceux qui avaient été
en poste à l’étranger s’entendaient dire : « Si tu as travaillé à l’étranger, tu
as été recruté [par les services ennemis]. » Ils étaient limogés
aussitôt{457}. Tous les réseaux existants furent déclarés suspects car ils
« avaient été recrutés par des ennemis du peuple démasqués{458} ». Pavel
Soudoplatov subit également cet interrogatoire initial qui dura quatre
heures, car il était spécialisé dans la lutte contre les organisations
nationalistes ukrainiennes et Beria s’intéressait déjà vivement à ce
domaine. Il manifesta une agitation visible lorsque Soudoplatov lui
raconta comment il avait essayé de dissuader Evgueni Konovaletz, le chef
de l’OUN, d’organiser des attentats contre les communistes ukrainiens, en
faisant valoir qu’une telle politique entraînerait la perte du mouvement de
résistance ukrainien. Konovaletz répliquait que des groupes isolés
pouvaient agir et qu’il fallait créer des héros populaires, d’autant plus que
ces actions encourageraient l’implication de l’Allemagne et du Japon.
Soudoplatov comprit plus tard que ces entretiens initiaux organisés par
Beria avaient pour but de tester la capacité des officiers à s’intégrer dans
le mode de vie occidental ; ainsi Beria lui posa force questions sur les
abonnements ferroviaires permettant de se déplacer dans toute
l’Europe{459}.
Selon un vétéran, « Golikov et Beria capturaient un agent après l’autre,
jusqu’à la liquidation totale de ce dispositif irremplaçable créé par le soin
d’innombrables spécialistes adonnés à leur tâche{460} ». En réalité Beria
utilisait la paranoïa officielle pour réaliser un objectif prioritaire à ses
yeux : s’assurer la loyauté absolue des survivants. Ceux qu’il tirait de
prison ou qu’il sortait de la disgrâce, tel un deus ex machina, croyaient lui
devoir la vie. Convaincus de sa puissance, de l’efficacité de sa protection,
ils devenaient des exécutants toujours zélés, et même parfois talentueux,
de ses ordres. Qu’on imagine l’état d’esprit d’un Gaïk Ovakimian, accusé
en septembre 1939 de ne livrer que des renseignements ayant perdu toute
actualité, de défendre les « arrivistes » parasitant la résidence aux États-
Unis, d’être passé maître dans l’art de jeter de la poudre aux yeux, de
négliger les précautions les plus élémentaires et en un mot d’être toléré
par les Américains car ils ne le considéraient pas comme dangereux{461},
soudain repêché par Beria et réexpédié aux États-Unis ; ou celui d’un
Soudoplatov s’attendant, début 1939, à être arrêté à tout moment et
brusquement convoqué en février chez Staline pour se voir confier la
mission d’assassiner Trotski{462} ; ou d’un Alexandre Korotkov, limogé
fin 1938 puis tiré du placard pour se voir confier une mission
confidentielle en Allemagne ; ou d’un Grigori Kheifetz dont Ejov avait
ordonné l’arrestation mais que Beria allait expédier comme vice-consul à
San Francisco.
Mais Beria ne voulait pas seulement garantir l’allégeance personnelle
de ses réseaux. Il souhaitait opérer une mutation dans le renseignement
soviétique, jusque-là surtout préoccupé de donner la chasse aux émigrés
blancs et aux trotskistes. L’épreuve initiatique qu’il avait organisée au
moment de son entrée en fonction lui permit de jauger les hommes. Il
voulait connaître personnellement tous les agents importants, qu’il
n’hésitait pas à rencontrer en secret, se déplaçant incognito à Moscou.
Ceux qui firent preuve de caractère, tel Alexandre Korotkov, qui écrivit
une lettre personnelle à Beria pour protester contre le traitement subi, se
virent rapidement promus, de même que ceux qui avaient des compétences
particulières, tel Ovakimian qui s’était donné la peine de décrocher un
doctorat de chimie dans une université américaine, ou Kheifetz, diplômé
de l’Institut polytechnique de Iéna{463}. À la différence de son
prédécesseur, Beria manifestait un vif intérêt pour le renseignement et il
prit l’espionnage et le contre-espionnage sous sa ferme tutelle, le confiant
à la supervision exclusive de son homme de confiance, Bogdan Koboulov,
qui tenait tous les fils des opérations en cours{464}.
Les Carnets d’Alexandre Vassiliev, qui éclairent l’action du NKVD aux
États-Unis des années 1920 aux années 1950, permettent de se faire une
idée plus précise du « style Beria » en matière de renseignement, à partir
de l’exemple du NKVD aux États-Unis{465}. D’abord, Beria fit place
nette, le résident en place, Piotr Gutzeit, étant rappelé à Moscou en
octobre 1938, accusé de trahison et de penchants trotskistes. Les illégaux
dont il avait la direction s’empressèrent de le dénoncer pour s’en
démarquer. Ainsi, le 30 janvier 1939, Joseph Grigoulevitch, un illégal
envoyé au Mexique pour préparer l’assassinat de Trotski, affirma-t-il dans
une note que 40 % des sources de la résidence étaient des trotskistes{466}.
Après avoir été interrogé sur ses réseaux et son activité aux États-Unis,
Gutzeit fut fusillé. En avril 1939, un rapport sur la résidence des États-
Unis recommanda de renouveler tout le personnel en place et de couper les
contacts avec les agents{467}. La purge opérée à partir de septembre 1939
fut drastique. Sur les 36 agents du renseignement technique, Pavel Fitine,
nommé chef du renseignement le 10 mai 1939, ordonna de n’en garder que
10 ; sur les 59 agents du renseignement politique, seuls 13 furent
conservés et une dizaine mise à l’essai{468}.
Les rescapés reçurent l’ordre de donner la priorité au renseignement
politique, diplomatique et technique. Beria leur recommanda de cibler les
milieux d’affaires politiquement influents et les hommes de gauche philo-
soviétiques bien placés, tel Harry Dexter White, un proche collaborateur
de Henry Morgenthau, le secrétaire au Trésor. À l’automne 1940, le NKVD
reçut l’ordre de pénétrer les organisations humanitaires. En septembre,
Dimitrov câblait à Earl Browder, le chef du Parti communiste américain,
de sélectionner des communistes sûrs dont l’appartenance au Parti était
clandestine afin de les infiltrer dans les organisations de secours aux
réfugiés. Un mois plus tard, Noel Field, l’un de ces communistes
camouflés qui travaillait à la SDN, adhéra à l’Unitarian Service
Committee et s’installa à Marseille pour y distribuer l’aide aux
réfugiés{469}.
Mais surtout, Beria mit à profit l’ordre de Staline d’assassiner Trotski à
n’importe quel prix pour développer ses réseaux d’illégaux. En avril 1940,
trois résidences illégales furent installées aux États-Unis. Les trois
illégaux devaient créer des sociétés. Ainsi, l’un de ces illégaux, Jack
Soble, juif lithuanien chargé dans les années 1930 d’infiltrer l’entourage
de Trotski, fut convoqué en 1940 à la Loubianka où Beria lui dit qu’il était
au courant de son désir de faire émigrer sa famille ; Soble fut autorisé à
quitter l’URSS avec sa famille et reçut du NKVD 4 000 dollars pour
monter une cafétéria aux États-Unis{470}. Sous la couverture de ces
activités commerciales, ces illégaux devaient essaimer dans les régions
intéressant Moscou : en 1940, cela visait la Turquie, la Syrie, l’Irak et
l’Iran, preuve que Beria conservait à l’époque sa perspective caucasienne.
Il leur était recommandé de faire appel à Boris Morros, l’agent personnel
de Beria implanté de longue date aux États-Unis, devenu imprésario à
Hollywood et que nous retrouverons à plusieurs reprises. Un peu plus tard,
Merkoulov essaiera de créer un service indépendant pour les
illégaux{471}.
Les considérations opérationnelles ne suffisent pas à expliquer la
préférence de Beria pour les illégaux. Depuis le milieu des années 1930, le
renseignement extérieur soviétique s’était prodigieusement bureaucratisé.
Les résidents n’avaient par exemple plus le droit de procéder à des
recrutements sans l’autorisation du Centre{472}. Or le chef du NKVD
voulait se préserver une marge de manœuvre à l’extérieur des frontières de
l’URSS. Les illégaux{473}, si contrôlés fussent-ils par le Centre, avaient
une liberté d’action plus grande que les officiers sous couverture
diplomatique. Beria disposait aussi d’un réseau personnel qu’il contrôlait
directement, les agents n’étant souvent pas même enregistrés. À travers ce
réseau il pouvait diriger les illégaux, court-circuitant le cas échéant les
chaînes de subordination officielles.
Beria semble s’être vivement intéressé aux méthodes du SIS
britannique, qui très tôt avait compris l’intérêt du renseignement
économique et d’une coopération étroite avec les milieux d’affaires. Dès
1926-1927, une Section VI spécialisée dans le renseignement économique
avait été créée au sein du SIS, dirigée par Desmond Morton qui deviendra
le conseiller de Churchill pour le renseignement. Morton était assisté par
Fred Clively qui avait travaillé à la Mission britannique à Bakou en 1918,
puis s’était lancé dans les affaires à Constantinople jusqu’à son
recrutement par le SIS en 1924. En 1931, la Section VI devint l’IIC,
l’Industrial Intelligence Centre. Le chef du NKVD a pu aussi vouloir
s’inspirer de l’exemple de l’industriel canadien W. S. Stephenson,
l’organisateur du British Industrial Secret Service, un vaste réseau privé
de renseignement industriel s’étendant dans les pays Baltes et même en
URSS, qui coopérait avec le SIS{474}. Les illégaux de Beria devaient
s’immerger dans la société capitaliste, s’initier aux affaires, voire prendre
goût à faire de l’argent, développer l’esprit d’initiative, loin de
l’atmosphère toxique de l’ambassade et des consulats soviétiques. De
1940 à 1943, ces illégaux bénéficièrent d’une grande latitude, d’abord à
cause de la priorité donnée à l’assassinat de Trotski et ensuite à cause de la
guerre.
Une autre constante de la politique de Beria en matière de
renseignement fut la méfiance à l’égard des réseaux communistes dont il
avait hérité de ses prédécesseurs, si efficaces fussent-ils. Ainsi, aux États-
Unis, Yakov Golos, un des responsables de l’appareil clandestin du Parti
communiste américain, avait déployé durant les années 1930 un vaste
réseau d’espionnage en faveur de l’URSS, composé de plusieurs groupes
qu’il dirigeait. En septembre 1939, un rapport du NKVD le dénigra de
manière systématique, insinuant qu’il était un trotskiste camouflé, qu’il ne
livrait que des renseignements ayant perdu toute actualité et qu’il
défendait les « arrivistes » qui parasitaient la résidence aux États-Unis.
Golos était prétendument passé maître dans l’art de jeter de la poudre aux
yeux. En outre il ne prenait guère de précautions et si les Américains
toléraient sa présence, c’est qu’ils le considéraient comme peu
dangereux{475}.
Le Centre ordonna à Golos de transmettre chacun des groupes organisés
par lui à des officiers du NKVD. Se sentant dépossédé de ses sources,
Golos en conçut une grande amertume{476}. Le même scénario eut lieu
en Allemagne où le Centre ordonna, en mars 1941, au résident
A. Korotkov de prendre la direction des principaux groupes du réseau
d’Arvid Harnack, dont celui de Harro Schulze-Boyzen{477}. Cette
politique ne pouvait nullement se justifier par des considérations
opérationnelles : imaginons les risques que courait au printemps 1941 un
officier de la Luftwaffe lorsqu’il rencontrait un agent soviétique !
Dans le domaine du renseignement, Beria se méfiait des idéologues et
préférait de franches canailles, des escrocs débrouillards ou des
professionnels. Il utilisa les nombreux antifascistes occidentaux qui
venaient d’eux-mêmes offrir leurs services aux Soviétiques, mais il ne se
départit jamais de sa méfiance à leur égard et il la communiqua à Staline.
Pourtant les plus grands succès de l’espionnage soviétique seront obtenus
grâce aux contributions volontaires de ces enthousiastes de l’antifascisme.
On peut dire que les services spéciaux soviétiques n’avaient à l’époque
qu’à se baisser pour ramasser. Les réseaux les plus fructueux – Golos aux
États-Unis, Kim Philby en Angleterre et Harnack en Allemagne – avaient
été mis en place avant l’arrivée de Beria à la tête du NKVD. À la veille de
la guerre, la meilleure information provenait souvent du GRU et non du
NKVD. Et, en Allemagne comme aux États-Unis, les réseaux existants
allaient être démantelés au moment même où ils auraient été les plus
nécessaires : en 1942 en Allemagne, à l’automne 1945 aux États-Unis, au
début de la guerre froide. Ainsi le bilan de Beria en matière de
renseignement n’est guère brillant : il ne fit que gérer, et souvent mal, un
héritage accumulé par ses prédécesseurs. En revanche il excella à utiliser
les agents d’influence, qui l’intéressaient davantage car à travers eux il
pouvait tenter de favoriser ses propres objectifs.

Les conséquences politiques de la Grande Terreur.


L’ascension de Beria coïncida avec une double évolution du système
soviétique. La Grande Terreur consolida en apparence le pouvoir de
Staline, les caprices du Guide se substituant aux apparences d’institutions
créées par le régime bolchevique. Les sessions du Politburo cessèrent
d’être régulières – tous les jeudis de midi à 5 heures – et désormais Staline
convoqua ceux dont il avait besoin au moment voulu et à l’endroit de son
choix : son bureau au Kremlin, sa datcha, sa loge au théâtre. Deux ou trois
fois par mois, il réunissait le noyau du Politburo sans ordre du jour
préalable{478}. Khrouchtchev note avec rancœur : « Staline considérait le
Comité central et le Politburo comme des meubles : l’essentiel était le
maître de maison{479}. » Staline renforça aussi son monopole sur
l’information : selon le témoignage de Khrouchtchev, à partir de 1937,
même les membres suppléants du Politburo n’eurent plus droit aux
comptes-rendus des sessions de ce dernier, Staline se contentant de
diffuser les « aveux » des ennemis du peuple « afin que les membres du
Politburo voient à quel point nous étions entourés d’ennemis{480} ».
Staline avait coutume de dire à ses collègues du Politburo en leur
remettant ces documents : « C’est difficile à croire, mais c’est un fait, ils
l’avouent eux-mêmes. » Il ordonna que chaque feuille des minutes des
interrogatoires soit signée par l’accusé afin « d’exclure toute
falsification{481} ».
Cependant la Grande Terreur eut une autre conséquence moins
apparente, mais qui allait profondément modifier les liens de Staline avec
son entourage proche et déplacer le centre de gravité du pouvoir
soviétique. Revenons à Khrouchtchev :

Qu’a-t-il obtenu avec ces arrestations ? Il a liquidé les cadres qui lui
étaient dévoués personnellement, et à leur place sont venus des
carriéristes, des arrivistes du genre de Beria{482}.

Le sort de Yagoda et d’Ejov donna à réfléchir à chacun. Les membres du


Politburo comprirent qu’ils ne courraient pas moins de risques en se
faisant les chiens de Staline, bien au contraire : le zèle dans les répressions
se retournait contre le principal exécutant de Staline. Désormais le
dictateur s’entourait d’hommes qui avaient commencé à le percer à jour.
Comme l’écrit Sergo Beria :

Mon père tira trois leçons du sort de ses prédécesseurs : obéir


aveuglément à Staline ne servait à rien (à ses yeux Ejov était un
faible) ; il lui fallait se dépêtrer du NKVD le plus vite possible ; pour
survivre il était indispensable de trouver un appui ailleurs que dans
les organes et dans le Parti{483}.

Les proches de Staline qui avaient survécu prirent conscience qu’ils


devaient se serrer les coudes plutôt que d’aider Staline à les détruire les
uns après les autres. Les plus intelligents comprirent qu’ils devaient
acquérir des compétences véritables, les rendant indispensables. Les
circonstances s’y prêtaient : la situation internationale de plus en plus
menaçante exigeait que l’URSS se donnât des administrateurs capables de
faire fonctionner le gigantesque complexe militaro-industriel qui
s’agrandissait chaque jour.
Le XVIIIe Congrès du PCbUS, qui se tint du 10 au 21 mars 1939, se
déroula sous le signe d’une guerre perçue comme inévitable. Lev Mekhlis,
alors responsable de l’Administration politique de l’Armée rouge, donna
le ton :

Le temps est proche, camarades, quand notre armée, internationaliste


par son idéologie, aidera les travailleurs des pays agresseurs à se
libérer du joug fasciste, du joug de l’esclavage capitaliste et liquidera
l’environnement capitaliste dont a parlé le camarade Staline. […] Si
la Deuxième Guerre mondiale se tourne contre le premier État
socialiste au monde, il faudra porter le combat sur le territoire de
l’adversaire […] et augmenter le nombre des républiques
soviétiques{484}.

Conscients du danger de la guerre imminente, les dirigeants du Parti


offrirent un simulacre d’armistice à la population tétanisée par la terreur.
Jdanov invita les organisations du Parti à s’abstenir de s’immiscer dans
l’économie. Il tendit un rameau d’olivier à l’intelligentsia soviétique,
expliquant que les discriminations à l’égard de l’intelligentsia ne se
justifiaient plus, « les intellectuels étant devenus des intellectuels d’un
type absolument nouveau, étant les ouvriers et les paysans d’hier{485} ».
Et, en mai 1939, l’Union des écrivains obtint l’autorisation de faire
construire cinquante datchas. De son côté, Beria souligna que

ce serait une erreur que d’attribuer les carences affligeant les


différents secteurs de notre économie à la seule activité subversive de
nos ennemis. Ces carences sont imputables dans une certaine mesure
à l’incompétence de nombre de nos dirigeants économiques qui n’ont
pas encore maîtrisé les principes de l’administration
bolchevique{486}.

Ce tournant en faveur d’une politique plus « technocratique »


accompagnait le renforcement considérable de l’appareil gouvernemental
lié au développement accéléré de l’industrie de guerre, puisqu’en mai
1939, le budget militaire fut porté à la moitié du budget de l’État{487}.
Toutefois, Staline adopta en même temps des mesures structurelles pour
neutraliser les effets du renforcement des technocrates dans la
bureaucratie soviétique. Il émietta les ministères pour faciliter leur
contrôle par le Parti. En janvier 1939, toute une série de commissariats du
peuple furent créés. Deux exemples : le commissariat du peuple à
l’Industrie militaire fut scindé en quatre – un commissariat du peuple à
l’Aviation, un commissariat du peuple à la Construction navale, un
commissariat du peuple aux Munitions et un commissariat du peuple aux
Armements – ; en février 1939, le commissariat du peuple à la
Construction mécanique fut scindé en trois – Construction mécanique
lourde, générale et moyenne. Staline avait révélé les motivations de ces
mesures au XVIIIe Congrès :

En ce qui concerne l’amélioration de la direction quotidienne du Parti


en vue de son rapprochement du travail de la base, le Parti est arrivé à
la conclusion que le morcellement des organismes, l’amoindrissement
de leurs dimensions, est le meilleur moyen de faciliter aux organes du
Parti la direction de ces organismes […]. Le morcellement a été
poursuivi tant en ce qui concerne les commissariats du peuple qu’en
ce qui concerne les organismes administratifs territoriaux, c’est-à-
dire, les républiques fédérées, les provinces, les régions, les districts,
etc.{488}.
L’ascension des « technocrates » marqua le pas à partir de septembre
1939, sans doute parce que Staline croyait à la durée et à la solidité du
pacte germano-soviétique. La mobilisation partielle désastreuse de
septembre 1939 fournit le prétexte de la revanche des « partocrates ». Le
29 novembre 1939, le Politburo adopta une résolution appelant à
« renforcer le rôle dirigeant du Parti dans l’industrie et le transport »,
ressuscitant les départements industriels au sein des comités régionaux et
républicains du Parti qui avaient été supprimés après le XVIIIe Congrès.
Mais Staline dut bientôt reculer à nouveau. En effet, les revers de
l’Armée rouge dans la guerre de l’URSS contre la Finlande, durant l’hiver
1939-1940, mirent en lumière l’inefficacité de la machine bureaucratique,
en particulier les inconvénients de l’émiettement des ministères. En outre
les projets franco-britanniques de bombardement du Caucase firent
prendre conscience à Staline de l’importance des enjeux pétroliers. En
janvier 1940, il décida d’augmenter drastiquement la production du
pétrole{489} : aux technocrates du complexe militaro-industriel allaient
désormais s’ajouter ceux du secteur énergétique de plus en plus important.
Dans l’armée aussi le moment était favorable aux hommes du métier : en
mai 1940, au moment où Timochenko succédait à Vorochilov au
commissariat à la Défense, un bilan peu encourageant fut dressé sur l’état
des forces armées. Sans doute les militaires en profitèrent-ils pour tenter
d’alléger la tutelle que les organes politiques faisaient peser sur l’armée ;
ainsi le rapport de Timochenko indiquait-il que 73 % des responsables
politiques n’avaient pas de formation militaire et qu’au lieu de juger de la
compétence des officiers, ils se contentaient des notes du NKVD.
Au printemps et à l’été 1940, les dirigeants soviétiques s’avisèrent que
l’entrée en guerre de l’URSS aurait peut-être lieu plus tôt que prévu. Sous
le choc de la défaite française, ils se doutaient que cette guerre pourrait
mal tourner :

Autrefois la guerre ne faisait pas peur à Staline. Au contraire, il


estimait que la guerre nous apporterait la victoire et donc un
élargissement de notre territoire, une extension de notre régime
socialiste. [...] Mais maintenant [après juin 1940] il estimait
visiblement que nous serions battus et il avait peur que nous perdions
ce qui avait été conquis par Lénine{490}.

Cet état d’esprit était sans doute partagé par le Politburo puisque,
recevant un groupe d’officiers polonais en octobre 1940, Beria leur dit que
l’URSS lutterait en utilisant l’espace dont elle disposait et, visiblement, il
croyait à une retraite de l’Armée rouge{491}.
Cette perspective allait accélérer une double évolution. Certes Staline
avait accepté d’alléger la tutelle de l’appareil du Parti sur les responsables
de l’économie et les militaires. Mais il n’était pas question pour lui de
s’engager plus avant dans cette direction qui, à terme, pouvait déboucher
sur une limitation de son pouvoir. Au fur et à mesure que le danger de
guerre se précisait, on assista à un phénomène paradoxal dont Mikoïan,
dans ses Mémoires, donne une description saisissante : Staline sembla
choisir une politique systématique d’instabilité gouvernementale. En mai
1940, il avait instauré une présidence tournante des sessions de
l’Economsoviet, l’organisme chargé d’administrer l’économie, ce qui le
paralysa totalement, car les responsabilités et les compétences cessaient
d’être clairement réparties ; Mikoïan, Boulganine et N. A. Voznessenski
présidaient donc à tour de rôle ; or Mikoïan ne pouvait souffrir
Voznessenski et avait Boulganine en faible estime. Le 6 septembre 1940,
Staline créa en outre le commissariat du peuple au Contrôle d’État, confié
au redoutable délateur Lev Mekhlis qui fut nommé vice-Premier ministre.
Cet organisme fut chargé de contrôler l’utilisation des deniers publics et
l’application des décisions gouvernementales, notamment dans le domaine
militaro-industriel. Ce fut pour Staline un puissant moyen de pression sur
l’appareil d’État : il était toujours facile de trouver des cas de gabegie, de
corruption et de gaspillage{492}.
Si Staline avait choisi Beria, c’est aussi parce que ce dernier n’avait pas
d’appuis à Moscou et serait donc totalement dépendant de la faveur de son
puissant compatriote. Mais, en quelques mois, le jeune provincial se fit
admettre dans le cercle fermé des dirigeants du Kremlin. En mars 1939, il
devint membre adjoint du Politburo. Comme le raconte Khrouchtchev,

Beria acquit une influence décisive dans notre collectif. Je voyais que
les proches de Staline, qui occupaient des postes plus élevés dans le
Parti et dans l’État, étaient obligés de le prendre en compte et de
chercher à gagner ses faveurs en lui faisant des courbettes, surtout
Kaganovitch. Molotov est le seul chez qui je n’ai pas remarqué cette
servilité répugnante{493}.

Toutefois Staline plaça immédiatement des bornes à l’ambition de son


favori. Ainsi nomma-t-il Jdanov à la tête de l’Agitprop le 21 novembre
1938, au moment même où Beria succédait à Ejov. Toujours prévoyant,
Staline s’assurait un contrepoids à la puissance montante de Beria. En
novembre 1938, ayant purgé les Juifs de sa garde personnelle, il confia la
direction de celle-ci à Nikolaï Vlassik, et non à un Géorgien comme
l’aurait souhaité Beria{494}. Il en résulta une animosité durable entre ce
dernier et Beria, favorisée par Staline qui encourageait systématiquement
la délation chez ses subordonnés. Beria voulut contrôler Vlassik en lui
donnant deux adjoints géorgiens qui l’espionnaient et rapportaient des
détails de sa vie privée à Beria, qui s’empressait d’en informer Staline.
Cependant, en 1940, Vlassik obtint de Staline le renvoi de ces deux
mouchards, ce dont Beria, conçut le plus grand dépit{495}. L’enjeu était
d’autant plus important que Vlassik contrôlait aussi la garde des membres
du Politburo et du gouvernement, étant en quelque sorte le mouchard
attitré de Staline{496}.
Après la chute d’Ejov dont ils avaient été les artisans, l’un au sein du
Parti et l’autre au sein du NKVD, le poids du tandem Beria-Malenkov ne
fit qu’augmenter. Malenkov s’arrangea pour contrôler l’accès au chef
suprême, un des principaux leviers du pouvoir communiste. Selon un
témoin, « avant la guerre, la situation était telle que, si un secrétaire
d’obkom se débrouillait pour être reçu par Staline sans passer par
Malenkov, il perdait son poste. Il fallait se cacher pour le faire{497} ».
Beria chercha à se rendre indispensable, allant jusqu’à se faire confier la
supervision des soins à la momie de Lénine{498}. Il entreprit
immédiatement d’exploiter son poste au NKVD pour étendre son influence
dans d’autres domaines vitaux, notamment celui de l’armement. Dès le
7 janvier 1939, il proposa à Staline de transformer la 4e Section spéciale
du NKVD, « organisée à la hâte et dépourvue des cadres qualifiés et des
conditions nécessaires » à un fonctionnement efficace, en un Bureau
technique spécial auprès du NKVD. Il réclama une amélioration des
conditions de vie des détenus employés par ce Bureau et le recrutement de
jeunes chercheurs{499}, se faisant fort de créer « une organisation de
savants et d’ingénieurs détenus dont les résultats seraient aussi bons que
ceux de nos adversaires potentiels{500} ». Immédiatement les officiers du
Bureau technique spécial se mirent à passer le Goulag au peigne fin, à la
recherche des savants et des spécialistes détenus. En juillet 1939, le
Bureau employait déjà 316 experts tirés des camps. Certains de ces
bureaux d’études très particuliers – les charachki – atteignirent des
effectifs considérables, comme le Bureau n° 29, chargé de l’aéronautique,
qui employait 800 savants. Beria suggéra à Staline de faire juger les
scientifiques par le Collège militaire de la Cour suprême, sans achever
l’instruction de leur dossier, en leur attribuant des peines de 10, 15 ou 20
ans de détention. En revanche, le NKVD devait avoir le droit de solliciter
leur libération ou des remises de peine « pour stimuler leur travail{501} ».
Par cette démarche cynique, Beria s’arrogeait le droit de poser au
libérateur de ses « protégés » des charachki.
En encourageant la création de bureaux d’études dans les secteurs de
pointe de l’armement, Beria étendit l’influence du NKVD au sein du
complexe militaro-industriel. En outre, il réalisa un premier pas vers la
réalisation de son objectif, en poursuivant une politique déjà testée en
Géorgie : se créer une clientèle au sein de l’intelligentsia scientifique et
devenir en quelque sorte le patron de cette intelligentsia. Pour Staline, les
résultats furent concluants : dans un rapport d’août 1944, Beria souligna
que vingt nouvelles technologies militaires ayant fait leurs preuves
pendant la guerre avaient été mises au point au sein des charachki{502}.
Beria s’intéressait à la politique étrangère mais il n’avait garde d’y
intervenir directement, préférant noyauter le NKID. Deux circonstances le
servirent. D’abord, il tenait Molotov car le NKVD avait commencé à
rassembler un dossier compromettant sur son épouse juive, Polina
Jemtchoujina, qui avait de la parenté à l’étranger. Sergo Beria affirme que
son père neutralisa avant la guerre les intrigues de ceux qui voulaient la
peau de Jemtchoujina et les travaux de G. Kostyrtchenko semblent
confirmer cette version. En effet, le 10 août 1939, le cas Jemtchoujina fut
examiné au Politburo et elle s’en tira alors avec un blâme « pour son
manque de discernement en ce qui concerne ses relations ». Elle fut
limogée le 21 octobre mais, le 24 octobre, « il fut décidé de considérer les
dépositions de certains accusés sur l’activité d’espionne et de saboteuse de
Jemtchoujina comme calomnieuses{503} ». Plus tard, Viktor Abakoumov,
le successeur de Merkoulov à la tête de la Sécurité d’État, se gaussera de
Merkoulov et Koboulov qui avaient, selon lui, piteusement échoué à
monter un dossier concluant sur Jemtchoujina « malgré leurs
efforts{504} ». En réalité Beria avait suspendu une épée de Damoclès au-
dessus de Molotov. En tout cas, il se gagna la reconnaissance de ce dernier
et les relations entre les deux hommes furent toujours égales, au moins
jusqu’au conflit de mai 1953 à propos de l’Allemagne.
Le 3 mai 1939, Maxime Litvinov, le ministre des Affaires étrangères, le
NKID, fut démis brutalement de ses fonctions (au printemps 1940, Staline
ordonna même au NKVD de préparer son assassinat, camouflé en accident
de voiture, mais l’opération fut annulée{505}). La purge du NKID qui
s’ensuivit permit à Beria d’y placer certains de ses proches à des postes-
clés. Il nomma à la tête du Département des cadres du commissariat
Vladimir Dekanozov, qui devint l’adjoint de Molotov et « qui avait une
influence considérable sur le sort des employés du NKID{506} ». Il se
distinguait par son talent de « chasseur de têtes », à en croire V. Semionov
qui fut l’un de ces jeunes diplômés promus à la faveur de la purge de 1939,
tout comme Andreï Gromyko. Dans un premier temps, son influence sur
Molotov fut considérable, mais il dut bientôt subir la concurrence de
Vychinski, également vice-ministre des Affaires étrangères{507}. Pendant
la guerre, Dekanozov sera chargé de la politique turque de l’URSS, mais il
n’hésitera pas à empiéter sur la sphère de compétence de Vychinski qui
supervisait les relations avec la Grande-Bretagne et les États-Unis : il lui
arrivera de dicter des télégrammes à Maïski ou à Litvinov sans consulter
Vychinski{508}. Ce dernier craignait Beria et ses proches, et se gardait
bien de s’opposer à leurs initiatives. Une collaboration étroite entre
Vychinski et Soudoplatov s’instaura en 1940{509}. À partir de janvier
1942, Dekanozov présida le groupe de travail chargé d’élaborer la
politique soviétique de l’après-guerre pour l’Europe centrale et
orientale{510}.
Même avant l’arrivée de Beria à la tête du NKVD, ce dernier avait sa
« sphère d’influence » dans un domaine qui était en principe celui du
NKID. Dans une large mesure, les pays neutres étaient de son ressort, de
même que les pays d’Europe centrale et orientale. Dans les pays neutres,
les ambassadeurs étaient souvent des agents du NKVD. Ainsi, aux États-
Unis, Constantin Oumanski remplit, en 1939, à la fois le rôle
d’ambassadeur et de résident principal pour tout le continent américain. Il
était chargé des négociations concernant une éventuelle action concertée
soviéto-américaine contre le Japon et en faveur de la Chine ; son
interlocuteur était Morgenthau{511}. En 1941-1942, Soudoplatov verra
souvent Oumanski dans les bureaux de Beria et Merkoulov{512}. En
Chine, l’ambassadeur A. S. Paniouchkine, arrivé en juillet 1939, était aussi
le résident principal{513}. De même, en Allemagne, Gueorgui Astakhov
cumula des fonctions de diplomate et d’espion en 1938{514}. En Finlande
et dans les pays scandinaves, le NKVD joua un rôle plus grand que le
NKID et le Komintern, en particulier en finançant des partis bourgeois à
orientation prosoviétique, comme les agrariens finlandais. Dès avril 1938,
les négociations avec la Finlande furent confiées à B. Rybkine, un agent du
NKVD, et elles eurent lieu à l’insu de l’ambassadeur soviétique{515}. À
la veille de la guerre, l’officier du NKVD Elisseï Sinitsyne y cumulait les
fonctions d’ambassadeur et de résident{516}. En Suède, l’ambassadeur
Alexandra Kollontaï était étroitement contrôlée par le NKVD. Et le NKVD
avait un quasi-monopole sur les relations avec Edward Bénès : depuis
1935, un accord de coopération avait été conclu entre les services spéciaux
tchécoslovaques et le NKVD, qui permit notamment aux Soviétiques
d’acheminer des armes aux républicains espagnols{517}. Bénès voyait
régulièrement Constantin Oumanski et servait d’intermédiaire entre
Moscou et l’administration Roosevelt. En outre, son collaborateur Jaromir
Smutny était un agent soviétique{518}.
À la différence de son prédécesseur Ejov, Beria voulait pourvoir influer
sur la politique étrangère. Même du vivant de Staline, il fut le seul
membre du Politburo disposant de certains moyens pour agir dans ce
domaine. Il possédait un réseau d’agents qu’il contrôlait personnellement
et que Staline ne put jamais lui arracher. Il put organiser des fuites, voire
des défections, sans être pris en flagrant délit. Il put présenter à Staline les
renseignements obtenus par ses réseaux ou des documents d’archives
sélectionnés par lui – d’autant qu’en 1939, les archives furent placées sous
la tutelle du NKVD –, de manière à influencer subtilement ses décisions,
comme nous le verrons à maintes reprises.
On le voit, Beria mit en œuvre une stratégie de puissance diversifiée,
son énergie et son ambition accélérant des processus déjà existants. Le
NKVD accentua sa mainmise sur le GRU, processus amorcé en 1934
lorsque Staline, irrité par une série de fiascos dans le renseignement
militaire, détacha une trentaine d’officiers de l’OGPU – dont le fameux
Artouzov – à la direction du GRU{519}. Le NKVD acheva également de
phagocyter le Komintern transformé en vivier d’agents. L’antagonisme
entre le Komintern et le NKVD remontait à Dzerjinski, quand Meir
Trillisser, le chef du Département étranger de l’OGPU – l’ancêtre du
NKVD –, avait obtenu un droit de veto sur toutes les activités du
Komintern susceptibles de nuire à la sécurité de l’URSS{520}.
L’arrivée de Beria à Moscou correspondait à la dernière phase de la
purge du Komintern, et celui-ci en profita pour intensifier la
« tchékisation » de cet organisme{521}. Les réseaux kominterniens ne
survécurent que s’ils étaient au service du NKVD ; pendant la guerre ils
eurent besoin du NKVD pour parachuter leurs agents dans les territoires
contrôlés par l’Allemagne{522}. Dans l’Europe occupée, les organisations
de partisans naîtront de cette osmose entre le Komintern, le renseignement
militaire et le NKVD, où ce dernier sera en position dominante. Par
exemple, lorsque, le 8 mars 1942, Georgi Dimitrov reçut un câble de Tito
dans lequel celui-ci réclamait des armes pour les partisans yougoslaves, il
adressa ce câble à Beria en lui demandant d’intervenir auprès de Staline
pour qu’une réponse favorable soit donnée à Tito{523}.
À la différence des autres apparatchiks soviétiques qui cherchaient
avant tout à renforcer l’administration dont ils étaient responsables, Beria
visait moins à étendre l’empire du NKVD qu’à élargir sa clientèle
personnelle en plaçant des hommes qui lui étaient dévoués à des postes
stratégiques dans des organismes dirigés par d’autres. Ainsi, dans une note
à Staline datée du 7 décembre 1938, il recommandait de détacher du
NKVD l’agence Intourist, car « son rattachement au NKVD parviendra
nécessairement aux oreilles de l’étranger », ce qui « empêchera l’Intourist
de fonctionner normalement […] en détournant la petite bourgeoisie et
l’intelligentsia de faire des voyages en URSS ». Intourist fut donc placée
sous la tutelle du commissariat du peuple au Commerce extérieur, tout en
restant bien sûr contrôlée par le NKVD{524}.
Beria chercha de manière systématique à mettre la main sur les
organismes et les ministères qui comptaient. Ainsi il s’assura un
monopole sur les communications gouvernementales qu’il supervisait
personnellement et dont il élargissait le cercle des abonnés, parfois de sa
propre initiative{525}. Il voulut aussi contrôler la garde personnelle de
Staline en faisant nommer un Géorgien à sa tête, mais, nous l’avons vu, le
prudent Staline ne se laissa pas faire et, le 19 novembre 1938, il confia à
Vlassik l’organisation de sa sécurité personnelle. Au sein du Sovnarkom
dont il allait devenir vice-président en février 1941, Beria en vint à
superviser l’industrie forestière, la métallurgie non ferreuse, le secteur
pétrolier et le transport fluvial. Mais il sut éviter les erreurs de ses
prédécesseurs Yagoda et Ejov. Ceux-ci s’étaient aliéné les responsables de
l’appareil gouvernemental en s’ingérant dans les affaires des principaux
ministères, Transport, Industrie lourde, Commerce extérieur, sous prétexte
de donner la chasse aux fonctionnaires corrompus ou de débusquer des
nids d’espions{526}. Beria se montra partisan dès le début d’une forme de
solidarité gouvernementale, préférant déployer de discrets réseaux
d’influence dans ces ministères plutôt que d’y orchestrer des purges – ce
dont ses collègues lui surent gré. Staline, lui, ne s’y trompa pas. En avril
1941, il s’en prit avec virulence à Molotov et Beria, coupables à ses yeux
d’avoir décidé ensemble la construction d’un oléoduc dans la région de
Sakhaline, sans en référer au Bureau du Conseil des ministres{527}.

La contre-offensive de Staline.
Staline s’inquiétait du pouvoir croissant de Malenkov et Beria, mais il
ne voulait pas se priver de leurs talents d’administrateurs. Les décisions de
février 1941 témoignent déjà clairement de sa volonté de rogner les
attributions de Beria en l’éloignant de la Sécurité d’État et de l’armée. Le
3 février, le NKVD fut scindé entre le NKVD laissé à Beria et le NKGB, la
Sécurité d’État, beaucoup plus prestigieuse, dont la direction fut confiée à
Merkoulov. Les sections spéciales – le contre-espionnage militaire –
furent retirées au NKVD et confiées au commissariat du peuple à la
Défense et à la Marine. Un Conseil central regroupa les responsables de la
Sécurité d’État, de l’Intérieur et du contre-espionnage. Le but officiel de
cette restructuration était de débarrasser les organes de la Sécurité d’État
des tâches liées à l’économie, qui leur incombaient précédemment :
surveillance des usines et du transport, rapports sur les « insuffisances »
dans l’agriculture et l’industrie, etc., afin qu’ils puissent se consacrer au
renseignement et aux mesures nécessitées par l’imminence de la
guerre{528}. En réalité il s’agissait surtout de diminuer les pouvoirs de
Beria en le privant de toute emprise sur l’armée et en mettant un frein à la
dérive « technocratique » qu’il imprimait au NKVD. Certes Beria devint
vice-président du Sovnarkom – le Conseil des ministres – et il entra à
l’Economsoviet ; et son fidèle Dekanozov devint membre du Comité
central du Parti. Mais Staline prit soin de nommer Nikolaï Voznessenski,
Malenkov et le responsable de l’organisation du Parti de Moscou,
Alexandre Chtcherbakov, membres suppléants du Politburo afin
d’empêcher la prééminence de Beria.
Voznessenski lui servit en permanence de contrepoids au couple Beria-
Malenkov. Lors de la XVIIIe conférence du Parti qui se tint en janvier-
février 1941, c’est Voznessenski qui fut chargé par Staline de rédiger le
rapport sur le bilan économique de l’année 1940, au grand dépit de
Malenkov et Beria. Un fonctionnaire du Sovnarkom se rappelait avoir
entendu les deux compères ironiser sur le projet du texte de Voznessenski.
Malenkov disait à Beria en l’annotant au crayon : « Le voilà qui
commence à nous donner des leçons, il se prend pour un maître. » Beria
renchérissait : « Attends, il y a encore plus gratiné, regarde là. » Aucune de
leurs corrections ne fut retenue par Staline, ce qui mit un comble à leur
mécontentement{529}.
Le 21 mars, fut créé au sein du Sovnarkom un Bureau du Sovnarkom,
véritable cabinet de guerre, et l’Economsoviet fut supprimé. Dans le
nouvel organisme, Molotov fut chargé de la politique étrangère,
Voznessenski de l’industrie militaire, Mikoïan de l’approvisionnement,
Boulganine de l’industrie lourde, Beria de la sécurité, Kaganovitch du
transport et Andreev de l’agriculture. Le but de tout ce chambardement
était la promotion de Voznessenski, bombardé premier vice-président du
Sovnarkom, au vif déplaisir des autres membres du Politburo, car ce poste
lui donnait la supervision de toute l’économie et surtout le soustrayait à
tout contrôle, hormis celui de Staline. Et Mikoïan de s’interroger :

Quelles étaient les motivations de Staline ? Préparait-il un successeur


à Molotov ? On n’arrive pas à comprendre pourquoi il se livrait à
toute cette valse des cadres. Et Voznessenski était assez naïf pour se
réjouir de sa promotion{530}.

Mais cela ne suffisait pas au dictateur. La réorganisation de mai 1941 le


plaça à la tête du gouvernement ; désormais le triumvirat Staline-
Voznessenski-Jdanov semblait s’imposer au sommet de la direction,
évinçant le couple Malenkov-Beria et même Molotov. Le Bureau du
Sovnarkom fut élargi et finit par inclure tous les membres du Politburo
dès le mois de mai. Staline le rééquilibra en créant une Commission aux
Affaires courantes présidée par Voznessenski.
Toutes ces incessantes permutations bureaucratiques, dues aux
ambitions des uns et des autres et à la volonté de Staline d’attiser
constamment les rivalités dans son entourage afin que ne se constitue pas
de coalition stable, débouchèrent sur un véritable chaos dans
l’administration, fort bien décrit par Mikoïan :

Non seulement ces changements aboutissaient à un foutoir


institutionnel, mais ils étaient tout bonnement incompréhensibles.
[…] Il n’y avait aucune opposition, ni dans le Comité, ni dans le
gouvernement, ni d’ailleurs dans le pays{531}.

La valse des cadres dans l’administration affectait aussi les militaires.


Ainsi, pendant les deux ans qui précédèrent la guerre, les généraux
Chapochnikov, Meretskov puis Joukov furent successivement placés à la
tête de l’état-major, ces chambardements ne favorisant pas la planification
militaire ; les plans de mobilisation furent modifiés quatre fois de mai
1940 à juin 1941 ; et, au moment de l’invasion allemande, le plan de
mobilisation de l’industrie se trouvait sur le bureau de Vorochilov depuis
plus d’un mois, tout comme le nouveau projet de directives destinées à
l’appareil de propagande, qui n’avait toujours pas été approuvé en haut
lieu. Ainsi il y eut dans l’impréparation de l’URSS à l’attaque allemande
un élément structurel qui tenait à la nature du régime que Staline était en
train d’édifier : un système de clans rivaux et instables, traversé par des
haines mortelles et des animosités de circonstance. Même le danger de
guerre, de plus en plus sensible, n’avait pas dissuadé Staline de se livrer à
ses habituelles manœuvres politiques au détriment de l’efficacité dans
l’organisation du pays. Face au péril extérieur, cette administration
morcelée fut incapable d’agir, au moins dans un premier temps.

Le pacte germano-soviétique
Si Staline remplaça Ejov par Beria, ce ne fut pas seulement pour se
débarrasser d’un témoin gênant et désigner un bouc émissaire, mais aussi
pour des raisons de politique étrangère. En effet, à la veille des accords de
Munich, il se rendit compte que le temps était venu des sondages discrets
et des négociations secrètes. L’action du NKVD à l’extérieur ne devait
plus être limitée à la liquidation physique des ennemis de l’URSS et à
l’infiltration des organisations de l’émigration. Staline voulait être
renseigné sur les gouvernements étrangers, leurs intentions, ainsi que sur
les capacités militaires et techniques des pays capitalistes, afin d’être en
mesure de les influencer. Pour cela il avait besoin, à la tête du NKVD, d’un
homme capable de comprendre les finesses de la diplomatie, disposant
déjà de surcroît d’un important réseau, notamment en Turquie et en
France. Le réseau turc surtout intéressait Staline : jusqu’en 1938, les
dirigeants turcs acceptèrent de se charger de missions délicates pour le
compte des Soviétiques qui ne voulaient pas y être impliqués directement.
Au printemps 1939, l’importance de la Turquie augmenta de manière
considérable aux yeux de Staline, à cause de la présence de von Papen à
Ankara. Selon Pavel Soudoplatov, les sondages germano-soviétiques qui
aboutirent au pacte d’août 1939 se nouèrent en Turquie en avril-mai, à
l’initiative de l’ambassadeur allemand{532}. Beria apportait avec lui en
dot son expérience des affaires turques, ses contacts en Europe et aux
États-Unis.
Quatre aspects de la politique étrangère de Beria apparaissent hérités de
la tradition tchékiste. Et d’abord l’intérêt pour le sionisme et les Juifs.
Déjà Felix Dzerjinski, le fondateur de la Tcheka, estimait que les
bolcheviks avaient eu tort de s’aliéner les sionistes et il avait ordonné à
J. I. Serebrianski, le chef de la Section spéciale de la GPU, de recruter un
réseau parmi les sionistes en Palestine{533}. Ensuite, l’intérêt pour les
pays neutres et les pays d’Europe centrale et orientale, dans lesquels les
« organes » disposaient de plus de moyens d’action que le ministère des
Affaires étrangères et le réseau communiste. En troisième lieu, le goût de
la « diplomatie souterraine ». Et enfin, le penchant pour la provocation. À
cela s’ajoute le substrat caucasien déjà évoqué.
À partir de la garantie donnée par l’Angleterre à la Pologne en mars
1939, l’URSS devint l’arbitre en Europe. Les dirigeants soviétiques se
sentirent en position de force. Dans un discours du 10 avril 1939, Jdanov
évoqua la mission historique de l’URSS et appela à se préparer au moment
où l’environnement capitaliste serait remplacé par un environnement
communiste{534}.
L’URSS avait le choix entre l’alliance franco-britannique et l’entente
avec l’Allemagne. De nombreux indices donnent à penser que chaque
option avait ses partisans au Politburo. Jdanov et le clan « russophile »
penchaient pour l’entente avec l’Allemagne. En partie pour des raisons de
politique intérieure et de survie personnelle, les « allogènes » – Beria,
Mikoïan et Kaganovitch – préféraient l’alliance franco-anglaise ; en
octobre 1940, Mikoïan ira jusqu’à mettre son veto à l’exportation de
matières premières vers l’Allemagne tant celle-ci avait tardé à procéder
aux livraisons prévues par le traité de février 1940. Dans ses Mémoires,
Sergo Beria affirme que son père

n’était pas très content du pacte avec l’Allemagne [du 23 août 1939]
car il considérait que ce pacte nous coupait de toute la civilisation
occidentale. Il craignait que le rapprochement avec l’Allemagne ne se
traduise par une aggravation de la politique de Staline à l’intérieur.
Avec un allié comme Hitler, Staline n’aurait plus à se gêner et un
rapprochement avec l’Allemagne risquait de transformer le
chauvinisme russe en fascisme pur et simple{535}.

Par ses moyens détournés, Beria avait essayé d’influencer Staline contre
l’Allemagne : ainsi, le dossier d’accusation contre Ejov, monté avec
B. Koboulov, s’articulait autour d’un prétendu complot allemand pour
renverser Staline. De même, en mai 1939, il fut reproché à Arkadi
Rosengoltz, l’ancien commissaire du peuple au Commerce extérieur,
d’avoir saboté en 1935-1936 les échanges soviétiques avec la Pologne au
profit de contrats avec l’Allemagne{536}.
Toujours selon Sergo Beria :
Jdanov défendait l’alliance avec l’Allemagne et avait tout fait pour
saboter les négociations avec les Anglais et les Français. Il
considérait que les Anglo-Saxons s’arrangeraient toujours pour
empêcher la Russie de devenir un protagoniste sur la scène mondiale,
alors que l’Allemagne, en échange des matières premières russes,
serait obligée de favoriser l’expansion de l’URSS au Proche-Orient et
en Extrême-Orient{537}.

Et, de fait, le 29 juin 1939, Jdanov écrivit dans la Pravda : « Les


gouvernements français et britannique ne veulent pas un traité avec
l’URSS sur la base de l’égalité. »
À en croire son fils, jusqu’au dernier moment Beria essaya de persuader
Staline de ne pas signer le pacte germano-soviétique dit « de non-
agression » du 23 août{538}. Ce témoignage est confirmé de manière
indirecte par Soudoplatov qui raconte que, le 21 août, il reçut l’ordre
d’étudier les possibilités d’un règlement pacifique avec l’Allemagne et
que, jusqu’au 23 août, il étudia les deux options : un pacte avec la France
et l’Angleterre ou un pacte avec l’Allemagne{539}. Le NKVD avait été
tenu à l’écart de toute la négociation et continuait à présenter ses
propositions à Staline alors que le pacte était déjà signé{540}. Comme
toujours, Staline cachait son jeu par crainte que Hitler ne changeât d’avis à
la dernière minute et ne lui fît perdre la face aux yeux du Politburo. Mais,
pour les raisons évoquées plus haut, il préférait l’entente avec
l’Allemagne, ce qui explique la cordialité rare qu’il manifesta à l’égard de
Ribbentrop. Il alla jusqu’à lui déclarer, entre autres, qu’il était obligé de
tolérer des Juifs à des postes de responsabilité car il ne disposait pas
encore d’une intelligentsia soviétique capable de prendre le relais, mais
que dès que celle-ci serait prête, il se débarrasserait des Juifs{541}.
Ribbentrop ne demandait qu’à le croire, à en juger par un commentaire
aigre-doux de Goebbels, jaloux des succès de son rival : « Ribbentrop
raconte ce qui s’est passé à Moscou. Je crois qu’il voit les choses trop en
rose. Comme si le bolchevisme était une sorte de national-
socialisme{542}. »
Le pacte germano-soviétique fut perçu par Staline comme une victoire
personnelle qui couronnait cinq ans d’efforts opiniâtres. Grâce à son
habile diplomatie, l’URSS s’était hissée au rang de grande puissance
mondiale. Le transfuge Grigori Tokaev raconte qu’en septembre 1939, on
annonçait dans les réunions confidentielles du Parti que sous peu toute
l’Europe serait soviétique{543} :

Nous savions que Jdanov était déjà en train de préparer la politique de


« libération » des États voisins. Ces pays ne faisaient-ils pas partie du
Lebensraum de la Sainte Russie ? […] Nous savions aussi que Jdanov
essayait d’entrer en contact avec Rosenberg et qu’il voulait parvenir à
une entente avec Ribbentrop{544}.

À l’époque, Ribbentrop lui-même était partisan de la création avec


l’URSS d’un bloc continental hostile aux Anglo-Saxons{545}. Le pacte
renforçait le camp de ceux qui préféraient le contrôle à l’influence et il
déliait les mains de Staline en politique intérieure. Mais Beria entendait
bien utiliser chaque opportunité pour défendre sa stratégie d’influence,
qu’il percevait comme une alternative à la communisation.

Le sort de la Finlande.
Après la signature du pacte, l’étoile de Jdanov fut à son zénith, au point
que Staline lui confia l’organisation de l’opération contre la Finlande
lorsque celle-ci refusa les amputations territoriales exigées par l’URSS et
que les pourparlers furent rompus le 13 novembre. Le dossier finlandais
fut ainsi soustrait au NKVD au profit de l’appareil du Parti, ce que Beria
ne pouvait accepter les bras croisés. Sergo Beria se souvient :
Mon père ne voulait pas de la guerre avec ce pays. En Finlande, le
capital était essentiellement américain et suédois. Le capital
allemand y était pratiquement absent. Lorsqu’on disait à mon père
que si nous ne nous emparions pas de la Finlande, les Allemands
allaient s’y fourrer, il répondait : « Oui, mais ils devront faire la
guerre pour cela – parce que les Américains et les Suédois y sont
déjà. C’est pourquoi nous ne devons pas rosser la Finlande à partir de
Leningrad, mais nous servir des Américains et des Suédois pour y
pénétrer ; nous devons encourager l’expansion du capital suédois en
Finlande et augmenter notre influence par ce moyen. » Mieux valait à
son avis chercher l’appui des sociaux-démocrates et même des
nationalistes qui voyaient leur intérêt dans de bonnes relations avec
l’URSS{546}.

Il suffit de lire les directives du Komintern à la même époque pour


constater combien l’approche de Beria était hérétique ; ainsi, une directive
au Parti communiste suédois, datée du 16 janvier 1940, expliquait : « Les
gros capitalistes suédois, qui sont étroitement liés aux impérialistes
anglais, ont intérêt à conserver la Finlande comme base avancée contre
l’Union soviétique{547}. » Une remarque de Mikoïan à un diplomate
finlandais en octobre 1939 atteste cette opposition à l’intervention
militaire en Finlande : « Nous, les Caucasiens du Politburo, avons
beaucoup de mal à restreindre les Russes{548}. » Et Petre Charia
provoquera la colère de Staline en lui faisant observer que la guerre de
Finlande « n’était pas une guerre juste{549} ».
N’ayant pu éviter la guerre, Beria se débrouilla pour épargner aux
Finlandais la communisation et il est très instructif de voir comment il s’y
prit pour torpiller les plans d’expansion communiste tout en restant dans
les coulisses. Le résident du NKVD en Finlande, Elisseï Sinitsyne, narre
dans ses Mémoires un épisode auquel il ne trouva jamais d’explication. À
la veille du déclenchement des hostilités avec la Finlande, il fut convoqué
au Kremlin pour y présenter un rapport sur l’armement et les fortifications
des Finlandais. Puis Staline le chargea d’organiser l’évacuation en Suède
des principaux communistes finlandais, futurs ministres du gouvernement
d’Otto Kuusinen que Moscou voulait installer au pouvoir après la défaite
finlandaise. Dix millions de marks finlandais furent alloués à cette tâche.
Après la réunion, Beria prit Sinitsyne à part et lui demanda s’il avait bien
compris sa mission. Sinitsyne répondit par l’affirmative et s’informa sur
les délais dans lesquels l’opération devait être menée à bien : « Beria
réfléchit, compta sur ses doigts, et me dit : “Si tu arrives à Helsinki après-
demain, tu auras encore trois jours”. » Sinitsyne arriva à Helsinki le
30 novembre comme prévu et commença à prendre ses dispositions pour
transmettre les fonds aux communistes finlandais. Le soir même, la guerre
éclatait et les communistes finlandais étaient placés sous les verrous. « Je
n’arrivais pas à comprendre comment la guerre avait commencé deux
jours plus tôt au moins que ne me l’avait dit Beria », s’étonne
Sinitsyne{550}. Détail non moins surprenant : à la mi-décembre 1939, en
pleine guerre, le résident fut mis en congé jusqu’à la fin janvier
1940{551} !
On s’est longtemps demandé pourquoi Staline avait laissé choir, fin
janvier 1940, le gouvernement communiste finlandais fantoche de
Kuusinen et abandonné son projet de communisation de la Finlande.
Aujourd’hui la réponse est claire : Staline décida de précipiter la
conclusion de la paix après avoir pris connaissance des rapports du NKVD
et du renseignement militaire qui présentaient comme imminente la mise
en œuvre des plans franco-britanniques de bombardement des puits de
pétrole de Bakou{552}. Sur la foi des informations de ses services, Staline
prit immédiatement la décision de tripler les effectifs militaires en
Transcaucasie, ce qui rendait la conclusion de l’armistice en Finlande
indispensable. « Mon père fut ravi de soumettre à Iossif Vissarionovitch
un rapport sur ces plans… », écrit Sergo Beria{553}. Et Beria parvint à ses
fins puisque le dossier finlandais revint au NKVD et que la paix précipitée
avec la Finlande fut négociée par ses agents{554}. La Finlande demeura
neutre au lieu d’agrandir le fief de Jdanov qui était déjà le patron de la
région de Leningrad. Après la conclusion de la paix, Staline comprit qu’il
avait été trompé sur la menace réelle représentée par les plans franco-
britanniques et se montra fort mécontent des renseignements fournis par
ses services. Beria réussit à faire retomber la faute sur I. I. Proskourov, le
chef du renseignement militaire, qui fut limogé{555}.
Le sort des États baltes.
En septembre-octobre 1939, à la suite des protocoles secrets signés avec
Hitler le 23 août, l’URSS conclut avec les trois États baltes des « pactes
d’assistance mutuelle ». Sous la menace d’une intervention militaire
soviétique, les dirigeants baltes consentirent à la création de bases
soviétiques sur leur territoire et les dirigeants du Kremlin eurent à décider
s’ils pousseraient leur avantage jusqu’à une soviétisation de ces États. À
en croire son fils, Beria plaida contre cette option :

Mon père suggéra de laisser en place les gouvernements bourgeois,


en indiquant les membres de ces gouvernements qui pouvaient agir
dans nos intérêts, sans que nous ayons besoin d’organiser une
révolution dans ces États. On pouvait soutenir financièrement les
éléments prosoviétiques au lieu de dépenser de l’argent pour
organiser des insurrections. […] Il fit valoir que ce plan serait plus
facile à réaliser et qu’il aurait l’avantage de ne point effrayer les
Allemands qui considéraient les États baltes comme une province
allemande. Des États baltes neutres seraient en fin de compte plus
avantageux pour nous. Comme la guerre menaçait, mieux valait
éviter d’aggraver les confrontations avec la population locale et avec
l’Allemagne. Puis si les Allemands attaquaient des États neutres, il y
aurait là un casus belli beaucoup plus décisif aux yeux des Anglo-
Saxons que si ces États étaient incorporés à l’Union soviétique. […]
Il insista pour que nos services se consacrent à deux tâches
principales : recruter les membres des gouvernements baltes,
démasquer au sein de ces gouvernements les éléments pro-allemands
et s’en débarrasser par les soins de leurs propres collègues ; c’était
aux Baltes eux-mêmes d’éliminer les partisans de l’Allemagne.
Merkoulov m’a rapporté qu’au début Staline écouta les propositions
de mon père avec intérêt{556}.
Le témoignage de Soudoplatov corrobore celui de Sergo Beria : à
l’automne 1939, Beria était d’avis de « jouer sur les antagonismes entre
l’Angleterre, la Suède et l’Allemagne » dans les États baltes pour faire
obstacle à la pénétration allemande{557}. Staline se laissa d’abord
convaincre car il craignait les réactions franco-britanniques en cas de
soviétisation brutale. Le 25 octobre 1939, il confia à Dimitrov :

Nous estimons que la formule des pactes d’assistance mutuelle nous


permet de placer dans l’orbite de l’Union soviétique une série de
pays. Mais pour cela nous devons tenir bon et respecter
scrupuleusement leur régime en politique intérieure et leur
autonomie. Nous ne pousserons pas à leur soviétisation. Le jour
viendra où ils se soviétiseront eux-mêmes{558} !

Pendant cette période Molotov donna des consignes strictes aux


diplomates soviétiques en poste dans les États baltes de « ne pas flirter
avec les forces de gauche » et de ne pas parler de soviétisation{559}. En
décembre encore, l’Entente balte se félicitait de ce que l’URSS respectât
la souveraineté des trois États.
Le tournant eut lieu à partir du 25 mai 1940, quand la défaite franco-
anglaise délia les mains au dictateur du Kremlin. Staline convoqua à
Moscou les résidents du NKVD en poste dans les États baltes. Le
gouvernement soviétique accusa les Lituaniens d’avoir enlevé quatre
soldats soviétiques, qui en réalité avaient déserté, et exigea le limogeage
des ministres jugés antisoviétiques. Pendant quelques jours, le NKVD eut
la haute main dans les États baltes où il devait sélectionner les
personnalités susceptibles d’entrer dans les nouveaux gouvernements
prosoviétiques – mais non communistes. Dans ses écrits, Soudoplatov
s’est vanté et a affirmé que les principales personnalités du gouvernement
letton – Janis Balodis, le ministre de la Défense, Vilhelm Munters, le
ministre des Affaires étrangères et Karlis Ulmanis, le chef de l’État –
étaient stipendiées par le NKVD{560}. Il est curieux qu’il cite comme
agents soviétiques des dirigeants connus pour leurs positions favorables à
l’Allemagne{561}. Sans doute a-t-on là un écho des vantardises du NKVD
auprès des dirigeants du Kremlin. Beria se targuait de contrôler ceux dont
il favorisait l’ascension. Début juin 1940, Merkoulov et Soudoplatov firent
nommer chef du gouvernement letton Munters, selon eux prosoviétique et
qui leur semblait acceptable tant pour les Soviétiques que pour les
Allemands{562}.
Entre le 14 et le 16 juin, en même temps qu’avançaient les troupes
soviétiques, Molotov imposa la formation de nouveaux gouvernements
dans les trois États baltes. Dekanozov fut envoyé en Lituanie, Vychinski en
Lettonie et Jdanov en Estonie pour en superviser la formation. À Kaunas,
c’est le jeune Vladimir Semionov, le protégé de Dekanozov, qui choisit les
membres du nouveau gouvernement lituanien et élabora le projet de
réforme agraire{563}. Ces nouveaux gouvernements étaient
prosoviétiques mais comptaient peu de communistes et étaient dominés
par des intellectuels de gauche, tel le nouveau ministre des Affaires
étrangères de Lituanie, le poète et dramaturge Vincas Kreve-Mickievicius,
ancien recteur de l’université de Kaunas, ou Johannes Vares, le nouveau
Premier ministre d’Estonie, un écrivain de renom. Ces hommes avaient été
sélectionnés par le NKVD et nombre d’entre eux espéraient encore sauver
leur pays de la soviétisation. Avaient-ils reçu des assurances discrètes de
leurs interlocuteurs du NKVD ? C’est ce qui semble ressortir du récit de
Sergo Beria :

Des Baltes commencèrent à venir nous voir à la maison ; ils parlaient


très mal le russe et s’exprimaient en allemand. C’étaient des
ministres et des intellectuels à qui mon père envisageait de confier
des portefeuilles. […] Les Baltes se plaignaient que le gouvernement
soviétique n’avait pas tenu parole, qu’il les avait mis dans une
situation impossible{564}.
Parmi ces Baltes se trouvait sans doute Kreve-Mickievicius qui, le
2 juillet 1940, se rendit à Moscou pour supplier les dirigeants soviétiques
de ne pas communiser la Lituanie et de se contenter d’une finlandisation.
Il s’attira cette réponse de Molotov, le fidèle interprète de la pensée de
Staline :

Vous devez voir la réalité en face et comprendre qu’à l’avenir, les


petits États devront disparaître. Votre Lituanie, les autres États baltes,
la Finlande feront partie de la grande famille, ils entreront dans
l’Union soviétique{565}.

Les 21 et 22 juillet 1940, les États baltes furent annexés à l’URSS et les
gouvernements de front populaire remplacés par des gouvernements
communistes{566}. À en croire Soudoplatov, le NKVD conserva en
réserve pendant la durée de la guerre quelques personnalités non
communistes, comme Munters, pour le cas où les Anglo-Saxons auraient
exigé la « finlandisation » des États baltes.

La sape du pacte germano-soviétique.


Sergo Beria évoque à maintes reprises dans ses Mémoires l’admiration
sans bornes que Beria vouait à Churchill et le « parallélisme » qu’il
établissait entre lui-même et le Premier ministre britannique. Ce dernier
n’eût sans doute guère été flatté d’avoir un tel émule, mais il est instructif
de comprendre sur quoi reposait cette symétrie dans l’esprit de Beria. Il
faut revenir à la situation des années 1936-mai 1940. Churchill était alors
isolé face à l’establishment britannique dans son rejet de l’appeasement et
de la quête d’un accord avec Hitler. Il s’appuyait sur un réseau d’hommes
partageant ses convictions, souvent des dissidents des services de
renseignements, tel Desmond Morton, qui lui fournissait les données sur le
réarmement allemand recueillis par l’Industrial Intelligence Center,
branche du renseignement économique séparée du SIS en octobre
1934{567} car, dans l’ensemble, ce dernier était dominé par des partisans
de l’entente avec Berlin. Et déjà Churchill travaillait en sous-main à ce
qu’on nommera en 1942 la Grande Alliance ; ainsi, en février 1939, le
comte Coudenhove-Kalergi, informé par le Vatican qui le tenait de
l’Abwehr, vint prévenir Churchill de l’imminence d’un pacte germano-
soviétique ; celui-ci lui répondit : « C’est impossible. Je rencontre
l’ambassadeur Maïski une fois par semaine. Je l’aurais su{568}. » Beria
se voyait un peu dans la même situation : opposé à une entente avec Hitler,
et ne disposant que de ses réseaux personnels pour tenter de favoriser une
politique parallèle souterraine.
Après la signature du pacte germano-soviétique du 23 août, le NKVD
s’ingénia à garder un pied dans chaque camp. Beria convoqua Soudoplatov
et Fitine – qui venait d’être nommé à la tête du Département étranger – et
leur dit :

Ne croyez pas que la liquidation de Trotski peut se substituer à votre


tâche fondamentale, qui est de faciliter grâce à nos réseaux les
actions principales de la politique étrangère soviétique. Nous devons
apprendre à défendre par l’action de nos réseaux nos positions dans
les endroits où nos intérêts sont liés à ceux de l’adversaire, et où les
Anglais, les Français, les Américains, les Allemands et les Japonais
ne peuvent se passer de notre collaboration secrète{569}.

Ce témoignage de Soudoplatov est confirmé par les Carnets


d’Alexandre Vassiliev : dans ses directives du 17 avril 1940, envoyées aux
illégaux installés aux États-Unis, Beria spécifiait que la coopération avec
les services américains et anglais était possible avec l’autorisation du
Centre{570}. Anthony Cave Brown, le biographe de Stewart Menzies, le
chef du SIS, signale un rapport émanant des services français attestant que
Menzies avait accès aux renseignements obtenus sur l’Allemagne par le
NKVD et il n’exclut pas l’existence d’une « Beria connection » avec les
services britanniques{571}. Cette politique de Beria convenait à Staline
qui se livrait à un délicat jeu de balance. Moins voyant que le Komintern,
le NKVD permettait de maintenir des contacts à l’insu de Berlin.

Le projet d’armée tchèque sur le sol soviétique.


L’offensive soviétique en Pologne, le 17 septembre 1939, plaça dans les
mains de Beria un instrument nouveau qu’il voulut utiliser à fond pour
favoriser ses objectifs de politique étrangère. 452 000 soldats et
18 789 officiers polonais furent faits prisonniers par l’Armée rouge{572}.
Le NKVD en fut chargé et, le 19 septembre, Beria créa au sein de son
ministère une Administration des prisonniers de guerre{573}. Le
28 janvier 1940, les prisonniers polonais furent transférés de la juridiction
de l’Armée rouge à celle du NKVD et ainsi Beria eut la haute main sur
tous les Polonais et les Tchèques qui se trouvaient sur les territoires
annexés par l’URSS.
En effet, le NKVD hérita aussi d’une « légion des Tchèques et des
Slovaques » qui avait été intégrée à l’armée polonaise le 3 septembre
1939{574}, puis était passée volontairement du côté soviétique et avait été
internée. Le lieutenant Ludvig Svoboda et 950 hommes furent incarcérés
dans un camp du NKVD. Bénès sollicita des Soviétiques l’autorisation
d’envoyer les légionnaires tchécoslovaques en France et Heliodor Pika,
l’attaché militaire tchèque à Bucarest, obtint du gouvernement turc
l’autorisation du transit des troupes tchèques en novembre 1939. En
décembre, Beria ordonna à Mikoïan d’équiper les Tchèques, puis, le
20 février 1940, il recommanda de « traiter les Tchèques mieux que des
prisonniers de guerre » et, en mars, les Tchèques furent regroupés dans un
camp. Dans ce domaine, la politique de Beria allait à l’encontre du pacte
germano-soviétique et était aux antipodes de la position du Komintern. En
effet, dès le 15 septembre 1939, Moscou avait interdit aux communistes
tchèques de s’enrôler dans les légions nationales antifascistes combattant
dans la coalition anglo-française. Et, en février 1940, le Komintern avait
refusé d’encourager la formation d’une armée étrangère tchèque, en
soulignant que le slogan de « rétablissement de la Tchécoslovaquie » était
désormais antisoviétique et que la Légion tchèque était « un instrument de
l’impérialisme britannique{575} ».
Beria dut donc provisoirement se résigner à abandonner son projet de
création d’unités tchécoslovaques puisqu’en mai 1940, l’entraînement
militaire des Tchèques fut interdit. Svoboda put se rendre à Istanbul où il
confirma l’intention du gouvernement soviétique de laisser la Légion
tchécoslovaque quitter l’URSS. Il affirma que les Soviétiques ne
souhaitaient pas garder les communistes : tous devaient partir. Svoboda
resta en contact avec le consulat soviétique à Istanbul pour négocier
l’évacuation des autres, retardée par la défaite française. Il souhaitait
toutefois maintenir ses hommes en URSS, proposant le 2 octobre 1940 aux
Soviétiques de créer une légion tchèque en URSS et un groupe de
renseignement ; mais le ministre de la Guerre du gouvernement tchèque en
exil, Sergej Ingr, exigea le départ des Tchèques et Svoboda s’inclina.
Bénès accepta néanmoins une offre de collaboration des services secrets
tchèques et soviétiques qui devait se faire sur le sol tchèque à l’insu des
Occidentaux, en demandant en échange l’autorisation d’envoyer un
représentant officieux dans la capitale soviétique{576}. Le 12 octobre
1940, treize officiers tchèques furent envoyés à Moscou sur ordre de
Beria. Et, le 2 novembre 1940, à la veille du voyage de Molotov à Berlin,
Beria proposa à Staline de constituer une armée polonaise et des unités
tchèques en URSS en soulignant l’état d’esprit antigermanique des
officiers polonais et tchèques :

Les conversations avec ces treize officiers [tchèques] ont permis


d’établir qu’ils considèrent l’Allemagne comme leur ennemie
héréditaire et veulent la combattre pour restaurer l’État
tchécoslovaque. […] Ils considèrent que Bénès est leur dirigeant et
s’il leur en donne l’ordre ils participeront aux unités formées en
URSS sous le commandement de L. Svoboda{577}.

Bien entendu Staline refusa{578}. Mais Beria ne renonça pas et, début
novembre, Svoboda fut rappelé à Moscou où on lui signifia que ses
propositions étaient acceptées par le gouvernement soviétique même s’il
n’y avait pas de décision officielle. Et, en décembre 1940, le NKVD invita
Frantisek Moravec, le chef du renseignement militaire tchèque, à déléguer
une mission à Moscou{579}. En janvier 1941, le président tchèque envoya
le lieutenant Svoboda à Istanbul pour assurer la liaison avec le
NKVD{580}. Pika fit savoir à Londres, à la mi-janvier, que les
Soviétiques avaient accepté la création d’unités tchécoslovaques
indépendantes quand la situation internationale le permettrait. Il put
établir un contact avec la radio Zoia située dans une datcha près de
Moscou et mise à la disposition de Svoboda. Le 8 mars, Pika fut chargé de
la mission militaire tchèque à Moscou où il arriva en avril en secret. En
mai, le projet de créer une légion tchèque en territoire soviétique fut
toutefois remis aux calendes : plus que jamais Staline ménageait Hitler.
L’évacuation des Tchèques se poursuivit donc, mais, en mai-juin 1941, le
gouvernement tchèque en exil et les Soviétiques convinrent d’une
collaboration entre le NKVD et le service de renseignements
tchécoslovaque, le NKVD s’engageant à former des groupes de sabotage
tchèques{581}.

Le projet d’armée polonaise sur le sol soviétique.


Cependant, Beria était surtout intéressé par les Polonais. Dès sa période
géorgienne, il avait suivi de près la politique polonaise. Il savait que les
pilsudskistes misaient avant tout sur l’Ukraine et la Géorgie, qu’ils
percevaient comme le noyau éventuel d’une fédération caucasienne. Beria
était bien renseigné sur les efforts de l’ambassadeur polonais Roman
Knoll arrivé à Constantinople à la mi-1924 en vue de créer, en juin 1925,
une Union de libération du Caucase réunissant des chefs émigrés
azerbaïdjanais, géorgiens et nord-caucasiens. Et Beria s’était arrangé pour
entrer en contact avec K. Zalewski, le consul polonais à Tiflis, par
l’intermédiaire de son agent Ourouchadzé. Wladyslaw Sikorski, le chef du
gouvernement polonais en exil, avait attiré l’attention de Beria de longue
date car il était bien connu des Géorgiens de Varsovie ; Tcholokachvili
l’avait rencontré à plusieurs reprises à l’époque où Sikorski était le chef de
l’état-major polonais et il lui avait proposé, en 1925, de louer des terres en
Turquie sur la frontière avec la Géorgie afin d’y organiser des points de
passage en Géorgie soviétique, mais Sikorski avait refusé de financer cette
opération{582}.
Beria avait d’autres raisons encore de s’intéresser aux prisonniers
polonais. En effet, après l’accord franco-polonais du 9 septembre 1939,
une armée polonaise était en train de se former en France, tandis qu’une
partie des forces polonaises avait rejoint l’armée Weygand en Syrie ;
l’accord anglo-polonais du 18 novembre 1939 autorisait la création en
Angleterre d’une flotte polonaise. Or Français et Britanniques étaient en
train d’envisager une offensive dans le Caucase pour priver l’Allemagne
du pétrole de Bakou. Au Foreign Office, Fitzroy Maclean, le chef du
Northern Department, plaidait depuis octobre 1939 pour une alliance avec
la Turquie, qui permettrait aux Britanniques de se concentrer sur le
Caucase, sur le pétrole de Bakou et l’oléoduc Batoumi-Bakou. Il faisait
valoir qu’une force britannique déployée en Turquie pourrait susciter une
rébellion dans le Caucase et couper l’URSS – et donc l’Allemagne – de
son approvisionnement en pétrole caucasien. Fitzroy Maclean mettait en
avant que, même après la défaite de la Finlande, la Turquie se montrait
disposée à discuter d’une coopération en vue d’une action subversive
conjointe dans le Caucase{583}.
À l’automne 1939, on pouvait envisager une dégradation rapide des
relations germano-soviétiques, ce qui aurait amené l’URSS à faire un
geste en direction des Alliés, à libérer les officiers polonais et à les
autoriser à rejoindre leurs compatriotes en France et en Syrie. Si l’on en
croit le témoignage de Jerzy Klimkowski, l’adjudant du général Anders, le
général Sikorski espérait, dès son voyage à Londres le 14 novembre 1939,
obtenir un accord avec Moscou en vue de la libération des prisonniers de
guerre, car il escomptait augmenter de la sorte les effectifs de l’armée en
cours de formation en France. Il avait commencé à sonder Moscou sur ce
point par l’intermédiaire des Britanniques, mais les Soviétiques ne
réagirent pas à cette démarche{584}. Cependant, à la fin de l’automne
1939, le NKVD commença à sonder le gouvernement polonais en
exil{585}. Et, dès mars 1940, celui-ci reçut la nouvelle que Moscou avait
l’intention de créer une légion polonaise et de reconnaître le
gouvernement de Sikorski{586}. Pendant toute l’année 1940, on a
l’impression que Beria essaya de forcer la main de Staline et de l’amener à
autoriser la formation d’unités tchèques et polonaises en URSS. Or
Staline, préoccupé avant tout de maintenir de bonnes relations avec
l’Allemagne, se dérobait et temporisait.
Beria agit subrepticement, en utilisant ses réseaux, comme le montre
l’affaire du « mémorandum Litauer{587} », qui laisse deviner la manière
dont il mit à profit la position privilégiée du NKVD dans les relations avec
les pays d’Europe centrale et orientale pour tenter de tisser en sous-main
les premiers fils de la Grande Alliance.
Après l’effondrement de la Pologne en septembre 1939, un petit groupe
commença à déployer une grande activité autour de l’ambassade polonaise
à Londres. L’âme de ce groupe était Jozef Retinger, un homme de l’ombre
qui mérite d’être mieux connu. Partisan convaincu de l’unité européenne
dès la Première Guerre mondiale, ce Polonais cosmopolite considérait que
la Pologne devait jouer le rôle d’un pont entre l’Est et l’Ouest et prendre
l’initiative d’une entente centre-européenne. Lors de la guerre germano-
polonaise, il devint un agent de l’Intelligence Service, se rapprochant de
Colin Gubbins, le futur chef du SOE, le service britannique chargé, à partir
de l’automne 1940, des opérations de sabotage et de renseignement dans
l’Europe occupée{588}. Le vice-Premier ministre polonais en exil,
Stanislaw Stronski, confia à Retinger l’organisation de la propagande
polonaise en Angleterre. Nommé conseiller à l’ambassade polonaise à
Londres, Retinger fut chargé de la liaison avec le Foreign Office. Devenu
le conseiller privé du général Sikorski, il travaillait en étroite
collaboration avec Stefan Litauer, le représentant de l’Agence
télégraphique polonaise à Londres{589}. Or ce dernier était en relations
avec Andrew Rothstein, le responsable des réseaux clandestins du Parti
communiste britannique, un agent du NKVD agissant sous couverture de
l’Agence TASS, qui s’appliquait à convaincre ses interlocuteurs que
l’URSS était mécontente de la subjugation des petites nations par
l’Allemagne{590}.
Après la défaite de la France et peu avant l’arrivée de Sikorski à
Londres, Litauer rencontra Rothstein qui l’avait informé du souhait des
autorités soviétiques d’instaurer des contacts officieux avec le
gouvernement polonais en vue de créer une armée polonaise en URSS pour
le cas d’un affrontement soviéto-allemand{591}. S’inspirant de cet
entretien, Litauer avait rédigé un projet de mémorandum sur les futures
relations polono-soviétiques, qu’il remit à Sikorski le 18 juin 1940{592},
à la veille de la rencontre de ce dernier avec Churchill qui manifestait plus
de sympathie à la cause polonaise depuis l’été 1939{593}. D’après ce
texte, la Pologne s’engageait à ne pas mener une politique antirusse après
la guerre ; elle ne s’opposait pas non plus à certaines modifications de
frontières « concernant les régions ethnographiquement biélorusses et
ukrainiennes » ; le gouvernement polonais acceptait de créer avec les
autorités soviétiques une nouvelle armée polonaise pour la lutte commune
contre les Allemands ; si l’Armée rouge devait un jour libérer la Pologne,
le gouvernement polonais s’engageait à collaborer avec les troupes
soviétiques. En échange la Pologne était en droit d’attendre une
amélioration du sort des détenus polonais en URSS. Le mémorandum
devait être remis à Stafford Cripps, le nouvel ambassadeur de Sa Majesté
en URSS, avec lequel Retinger était fort lié, car les deux hommes étaient
partisans d’une fédération européenne.
Sikorski et l’ambassadeur Edward Raczynski modifièrent quelque peu
le projet de Litauer et le document fut remis au ministre des Affaires
étrangères de la Grande-Bretagne, lord Halifax, le 19 juin. Il déclarait que
le gouvernement polonais donnait la priorité à la défaite de l’Allemagne,
qu’il n’avait pas l’intention de susciter de difficultés dans les discussions
anglo-soviétiques et qu’il n’épargnerait pas ses efforts pour améliorer le
sort des citoyens polonais en URSS, en particulier pour contribuer à la
formation d’une armée polonaise de 300 000 hommes sur le sol
soviétique ; il proposait d’envoyer à l’ambassade britannique en URSS un
chargé de mission connaissant le russe, les « conditions soviétiques et la
mentalité russe », qui serait en mesure de sonder les intentions soviétiques
et « d’être utile à sir Stafford Cripps dans l’exécution de sa
mission{594} ». Sikorski proposait en quelque sorte un armistice à
l’URSS.
Il avait rédigé ce texte à la hâte, sans consulter le président Raczkiewicz
ni le ministre des Affaires étrangères, Auguste Zaleski. Sa démarche
suscita une tempête d’indignation et une scission au sein du gouvernement
polonais, et surtout une crise avec Zaleski qui accusa Sikorski de
monopoliser la politique étrangère avec son conseiller Retinger et
Litauer{595}. Ce conflit tenait au fait que Sikorski croyait la guerre entre
l’URSS et l’Allemagne inévitable, alors que Zaleski était persuadé que les
rumeurs de tensions germano-soviétiques n’étaient qu’un instrument de
chantage utilisé par les Soviétiques à l’égard des Britanniques. Les choses
allèrent fort loin : le 18 juillet, le président Wladislaw Raczkiewicz
limogea Sikorski et confia à Zaleski la formation d’un nouveau
gouvernement ; Raczkiewicz se montrera toujours très critique à l’égard
des efforts de Sikorski pour améliorer les relations avec l’URSS car il était
originaire de Pologne orientale{596}. Pour sa part, Halifax se déclara tout
à fait d’accord avec le point de vue de Zaleski, estimant qu’une
coopération polono-soviétique n’était pas à l’ordre du jour, et il ne
transmit pas à Cripps le mémorandum de Sikorski{597}. Mais les
Britanniques refusèrent la démission de Sikorski qui fut seulement
contraint de retirer son mémorandum ; quant à Zaleski, sous la pression du
Foreign Office, il fut forcé de renoncer à son opposition catégorique à
toute tentative d’entente avec les Soviétiques.
Bien que cette affaire eût tourné court, elle est révélatrice. Retinger,
l’homme des Britanniques, se fit dans cette occasion le démarcheur d’une
initiative du NKVD auprès du gouvernement polonais. Et, plus étonnant
encore, si le général Sikorski avait réussi à mener à bien son entreprise,
Cripps aurait pu sonder les autorités soviétiques sur l’éventualité de créer
une armée polonaise en URSS dès l’été 1940 – et cette démarche
provocatrice à l’égard de l’Allemagne aurait résulté d’un ballon d’essai
lancé par le NKVD ! Or Churchill avait envoyé Cripps à Moscou avec
précisément pour mission de torpiller l’entente germano-soviétique.
Les arrière-pensées motivant la démarche de Sikorski apparaissent dans
un entretien avec Stafford Cripps le 18 juin 1941, au cours duquel les deux
hommes discutèrent des conséquences d’une attaque allemande contre
l’URSS{598}. Cripps était convaincu que les Allemands déclencheraient
leur offensive d’ici quelques jours et était très pessimiste sur les capacités
de l’URSS à tenir le choc, déplorant le « désordre régnant en Russie, et
l’absence totale d’organisation ». Les deux hommes envisagèrent alors
d’utiliser les 300 000 soldats et officiers polonais en captivité en URSS et
Cripps demanda à Sikorski de lui dresser une liste des meilleurs officiers
polonais et des civils les plus éminents auxquels il pourrait avoir recours
« au cas où les conditions politiques changeraient en Russie ». Cet
entretien montre que Britanniques et Polonais envisageaient dès ce
moment de créer un noyau organisé de résistance en URSS autour de
l’armée polonaise, en cas d’effondrement du régime soviétique. Beria eut-
il une part dans la genèse de ce projet ? Étant donné le rôle joué par la
filière Rothstein-Litauer dans l’initiative de Sikorski, il n’est pas interdit
de le supposer.

Beria et les prisonniers polonais.


Beria manifesta d’emblée un vif intérêt pour les officiers polonais
capturés par les Soviétiques après l’invasion de la Pologne orientale en
septembre 1939. Sans doute vit-il dans ce vaste coup de filet, qui avait
amené à lui un grand nombre d’hommes ayant des relations étendues en
Occident et des horizons variés, une occasion rêvée d’étendre ses
connaissances et ses moyens d’action en politique étrangère. Il fit
rassembler dans les camps de Starobielsk et d’Ostachkovo les prisonniers
les plus intéressants du point de vue du renseignement, les officiers de
grade élevé, les hauts fonctionnaires (Starobielsk), les officiers des
services spéciaux et de la police (Ostachkovo){599}. Il se hâta d’établir un
profil des officiers polonais qui se trouvaient à Kozielsk, Starobielsk et
Ostachkovo. Et, le 20 septembre 1939, il adressa aux responsables du
NKVD ukrainiens et biélorusses une directive ordonnant que les
prisonniers soient « bien traités, » et qu’ils soient « pourvus du
nécessaire{600} ».
À partir du 8 octobre, il donna l’ordre de rechercher parmi les
prisonniers les éléments antisoviétiques, nationalistes et sionistes{601} et
envoya dans les camps un groupe d’enquêteurs, dirigé par un officier de
confiance, Vassili Zaroubine, afin de repérer les opinions politiques de
chacun en vue d’un éventuel recrutement par le NKVD. Les prisonniers
furent interrogés durant des heures, un par un, parfois à plusieurs reprises,
sur leurs opinions politiques et philosophiques, leur profession, leurs
relations, leur famille. Quelques-uns furent convoqués par Zaroubine en
personne pour des entretiens en tête à tête. D’après les témoins, ce dernier
se distinguait des autres tchékistes par ses manières distinguées, son
érudition, son excellente connaissance du français et de l’allemand – ce
qui contraste fort avec la description du résident Zaroubine aux États-
Unis, dépeint par ses interlocuteurs américains comme une brute avinée,
mais tout est relatif : sur le fond des autres tchékistes, il se distinguait,
sans doute parce qu’il avait vécu à l’étranger. Il avait apporté avec lui une
bibliothèque de cinq cents ouvrages de littérature classique et la mit à la
disposition des prisonniers, déclarant à ses interlocuteurs : « J’aime
discuter des différences qui nous séparent d’un homme formé dans le
monde qui nous est hostile. » Nombre de Polonais furent fascinés par
Zaroubine, se demandant s’il était un provocateur de grande classe ou si la
bienveillance qu’il leur manifestait cachait quelque chose de plus
sincère{602}. Les prisonniers qui semblaient offrir les perspectives les
plus intéressantes furent transférés à la Loubianka où se retrouvèrent les
deux frères du maréchal Pilsudski, ainsi que l’ancien ministre des Affaires
étrangères Eugène Sapieha, les anciens premiers ministres pilsudkistes
Alexander Prystor et Léon Kozlowski, ainsi que le professeur Stanislas
Grabski.
Des officiers eurent aussi l’honneur, si on peut dire, d’attirer l’attention
des chefs du NKVD. Merkoulov en personne interrogea le capitaine Jerzy
Klimkowski qui assurait la liaison entre le gouvernement Sikorski et la
Pologne orientale occupée par les Soviétiques, arrêté à Lvov le
6 septembre 1940{603}. Le général Leopold Okulicki fut reçu par Beria
lui-même. En septembre 1939, cet officier était resté à Varsovie pour y
organiser la résistance à l’occupant allemand, puis il s’était rendu dans la
région de Lvov pour diriger le mouvement clandestin antisoviétique.
Arrêté en janvier 1941, Serov l’expédia à la Loubianka et Beria lui offrit
de le libérer et de lui confier la direction de la résistance clandestine de la
région de Lvov à condition qu’il restât sous le contrôle du NKVD{604}.
Selon un collègue qui l’a bien connu, Okulicki était un homme « d’une
bravoure totale, honnête et droit, et en même temps naïf comme un
enfant{605} ». Il déclina l’offre du NKVD{606}. Quelques passionnants
témoignages de ces entretiens entre le chef du NKVD et les Polonais
jettent un peu de lumière sur les préoccupations de Beria à cette époque.
Parmi les prisonniers polonais se trouvait Stanislas Sosnowski, l’as des
services secrets polonais autrefois en poste à Berlin. Celui-ci recommanda
au NKVD de faire appel au prince Janusz Radziwill{607}, un conservateur
proche de Pilsudski qui avait été membre du Conseil de la Régence mis en
place en Pologne par les Allemands en avril 1918, puis président de la
Commission des Affaires étrangères du parlement polonais. Dans un de
ses articles de jeunesse, il avait préconisé l’égalité de droits pour les Juifs
polonais. En 1926, Pilsudski avait voulu le nommer ministre des Affaires
étrangères mais avait dû y renoncer car Radziwill était réputé
germanophile, ce qui n’empêcha pas les relations entre les deux hommes
de demeurer excellentes.
Dès le milieu des années 1930, Radziwill avait attiré l’attention du
NKVD à cause de ses bonnes relations avec Göring{608}. Or ce chef nazi
intéressait particulièrement les Soviétiques car ils savaient qu’influencé
par les milieux d’affaires avec lesquels son ministère entretenait des liens
étroits, il était favorable à une entente avec l’Angleterre. À l’été 1939,
Helmut Wohltat, un proche collaborateur de Göring, avait rédigé un
mémorandum recommandant les moyens de parvenir à un accord avec
l’Angleterre. Göring transmit ce mémorandum à Hitler et, le 6 juin 1939,
Wohltat fut envoyé à Londres pour sonder les possibilités d’entente avec
les Britanniques{609}. Tout cela était suivi de près par Moscou.
Radziwill raconte dans ses Mémoires qu’il fut éberlué en prenant
connaissance du dossier que le NKVD avait compilé sur lui : le moindre
des discours qu’il avait prononcés au cours de sa carrière politique y était
archivé{610}. En novembre 1939, Beria s’entretint avec le prince, auquel
il dit au terme d’une de ces entrevues : « Prince, nous avons besoin de
gens comme vous. » Plus tard Radziwill se montrera laconique sur ses
contacts avec le NKVD et Beria. On sait que Beria lui demanda de but en
blanc s’il connaissait Eugène Sapieha, l’ancien ministre des Affaires
étrangères qui, avec Pilsudski, avait signé le traité de Riga entre la
Pologne et la Russie bolchevique en 1920, « car nous l’avons aussi ».
Radziwill ayant demandé s’il serait aussi libéré, Beria répondit : « Peut-
être un peu plus tard. Pour l’instant, qu’il reste encore un peu sous les
verrous{611}. » Beria aurait proposé d’utiliser l’influence du prince
Radziwill pour empêcher toute conspiration antisoviétique en Pologne
orientale et il le libéra en lui donnant une adresse secrète à Lvov pour les
contacts avec le NKVD. Soudoplatov s’est vanté que Radziwill avait été
recruté par le NKVD et il est vrai que le prince rencontra Amaïak
Koboulov à l’ambassade soviétique à Berlin à deux reprises. Radziwill
sera libéré sur intervention du roi Victor-Emmanuel{612} et les nazis
voudront le transformer en Quisling polonais, mais Radziwill
refusera{613}.
Les résultats furent décevants pour le NKVD. En effet, en janvier 1940,
Radziwill rencontra effectivement Göring, mais Soudoplatov note : « Nous
avions surestimé les relations de Radziwill et son influence sur
Göring{614}. » Beria s’arrangea pour que les officiers de la famille
Radziwill ne soient pas fusillés à Katyn. Avait-il envisagé de faire de
Radziwill le « Paasikivi polonais », l’homme qui aurait évité la
communisation de la Pologne au prix d’une politique étrangère alignée sur
l’URSS, comme certains l’affirment ? Nous n’en savons pas davantage.
Le témoignage le plus détaillé et révélateur est celui du général Marian
Żegota Januszajtis. Officier prestigieux qui appartenait à la droite
nationaliste polonaise et avait très tôt rompu avec Pilsudski, Januszajtis
venait de créer dans la région de Lvov l’Organisation polonaise de lutte
pour la libération lorsqu’il fut arrêté en octobre 1939. Dans son récit de
ces événements, il donne l’impression d’avoir cherché l’arrestation de
manière délibérée : « Je connaissais bien la Russie. Je savais que pour
avoir un contact avec les hauts dirigeants il fallait passer par la
prison{615}. » Dès ses premiers interrogatoires il attira l’attention des
hommes du NKVD par ses vigoureuses diatribes contre la politique
soviétique à l’égard de la Pologne : « J’estimais de mon devoir de trouver
des moyens de guérir le Kremlin de sa foi naïve dans la bonne volonté
allemande… C’était dans l’intérêt de la Pologne », racontera-t-il plus
tard{616}. Il leur expliqua que l’Allemagne attaquerait l’URSS tôt ou tard
et qu’alors la présence d’une armée polonaise bien organisée et combative
serait précieuse pour Moscou. Januszajtis multiplia les déclarations
fracassantes dans l’espoir d’être repéré en haut lieu et ses calculs furent
couronnés de succès. Il fut d’abord interrogé par Nikita Krimian, le
commissaire du NKVD à Lvov qui était un officier amené par Beria de
Géorgie où il avait acquis la réputation d’un tortionnaire effroyable.
Krimian signala Januszajtis à Serov qui l’interrogea le 29 octobre 1939, et
lui dit qu’il avait transmis ses « conceptions fantastiques » en haut lieu.
Serov le transféra à Moscou, accompagné de Krimian, et, le 5 novembre,
Januszajtis se retrouva à la Loubianka où il resta détenu vingt-deux mois
et où il ne fut ni torturé ni humilié.
Fin mars ou début avril 1940, il eut son premier entretien avec Beria
avec qui il noua ce qu’il appellera une relation « sincère ». Ses
dénonciations du pacte germano-soviétique semblaient être tombées sur
un terrain propice :

Je sentais que sa passion était dirigée contre un adversaire qu’il ne


nommait pas, auquel il reprochait de ne pas comprendre la situation
comme lui commençait à la comprendre, sous mon influence et sous
celle d’autres Polonais{617}.

Januszajtis trouva Beria bien informé sur le monde extérieur, quoique


marqué par les rapports tendancieux de ses espions. Il lui déclara de
manière directe que les informations dont celui-ci disposait étaient
adaptées aux désirs des dirigeants soviétiques et qu’elle ne reflétaient pas
forcément la réalité. « Beria ne le contesta guère. » Les entretiens avaient
toujours lieu la nuit, le plus souvent en tête à tête, parfois en présence de
Merkoulov qui se comportait comme un larbin. Un jour, Januszajtis
demanda à Beria :

« Je ne comprends pas, aucune charge n’a été retenue contre moi,


vous me dites que je suis libre, et pourtant je croupis dans une cellule
de la Loubianka. » Beria me regarda de son œil pénétrant et me dit :
« Vous faites semblant ou vous ne comprenez vraiment pas que le
seul endroit sûr en Union soviétique est une cellule à la
Loubianka{618} ? »

La remarque n’était pas forcément ironique : cet échange eut peut-être


lieu au moment de Katyn.
À partir de juin 1940, Januszajtis devint une sorte de consultant du
NKVD, rencontrant Beria une fois par mois et parfois plus souvent. Beria
le mettait au courant de la situation militaire, des décisions du
gouvernement Sikorski, et lui demandait son avis. Januszajtis fit une
conférence devant des officiers du NKVD et des militaires auprès desquels
Beria l’introduisit en ces termes : « Le général Januszajtis va vous faire un
exposé sur la possibilité d’une guerre germano-soviétique et sur les
conceptions stratégiques allemandes concernant cette guerre{619}. » Il
organisa même une rencontre avec un personnage qui se présenta comme
l’adjoint du chef d’état-major – sans doute Alexandre Vassilevski – et qui
lui demanda quels seraient les buts stratégiques des Allemands en cas de
guerre contre l’URSS ; Januszajtis ayant mentionné les puits de pétrole du
Caucase, il demanda in fine au général polonais s’il était d’avis que les
Allemands attaqueraient l’URSS. Januszajtis répondit qu’il en était
certain.
Dans ses entretiens avec Beria, Januszajtis n’hésitait pas à jouer la
corde géorgienne : lui qui n’était pas russe, ne pouvait-il pas mieux
comprendre pourquoi la Pologne ne voulait pas céder aux appétits
territoriaux de la Russie et lui abandonner ses provinces orientales ? La
Russie n’était-elle pas l’ennemie héréditaire de la Géorgie comme elle
l’était de la Pologne ? Beria ne se prononçait pas mais il poursuivait
l’entretien, sur un ton mi-sérieux, mi-plaisant. Toutefois il manifesta une
vive agitation lorsque Januzsajtis déclara que les Allemands attaqueraient
le Caucase, et que c’était dans cette région qu’il fallait créer l’armée
polonaise, car les Polonais défendraient mieux la Géorgie que les
Russes{620}.
Durant les premiers mois de 1941, Januszajtis sentit que Beria et
Merkoulov se préparaient à la guerre et ils discutaient ensemble des
possibilités d’entente avec l’Ouest et d’un accord soviéto-polonais. Beria
parlait de créer une armée polonaise qui combattrait « sur le flanc de
l’Armée rouge » et il semblait évident que, pour lui, cette armée serait
subordonnée au gouvernement de Londres, idée que Januszajtis défendait
depuis le début. En même temps, il persuada ses interlocuteurs du NKVD
que la Pologne ne consentirait jamais à une révision des frontières du
traité de Riga : « Beria finit par donner l’impression de capituler, en
déclarant qu’ils [les Soviétiques] ne feraient pas de ce point une question
de principe{621}. » Lors de sa dernière rencontre avec Januszajtis, après
la signature de l’accord Sikorski-Maïski du 30 juillet 1941, Beria
l’accueillit en lui disant avec ironie : « Eh bien, ils ont quand même
signé… » ; il faisait ainsi allusion à la concession de Sikorski qui s’était
contenté de la dénonciation du pacte Ribbentrop-Molotov sans faire
reconnaître expressément par l’URSS les frontières de Riga{622}.
Lorsque Januszajtis demanda si les bolcheviks auraient signé le traité au
cas où il aurait spécifié la reconnaissance des frontières de Riga, Beria
haussa les épaules : « Nous sommes dans une telle situation… Bien sûr
que nous aurions signé{623}. »
Après sa libération de prison, Januszajtis resta encore un mois à
Moscou, chaperonné en permanence par un officier du NKVD. Une voiture
ayant été mise à sa disposition, il put se rendre où il le désirait, visitant
des kolkhozes et des sovkhozes d’habitude inaccessibles aux étrangers. Il
rencontra quelques émigrés communistes à Moscou, par lesquels il apprit
que Gorki et son fils avaient été assassinés. Il fit la connaissance de
l’écrivain Alexeï Tolstoï avec qui il eut « un long et franc entretien » qui
lui « apprit beaucoup » ; Ekaterina Pechkova, la veuve de Gorki, lui fit
part de « beaucoup d’informations curieuses et confidentielles dont on
n’avait pas idée en Occident{624} ». Malgré l’opposition de Wanda
Wassilewska, la communiste polonaise favorite de Staline, et de son époux
Korneïtchouk, il prit la parole lors du Congrès panslave et son discours fut
largement diffusé par TASS.
Le 21 août 1941, il partit pour la Grande-Bretagne où il fut fort sollicité
à son arrivée. En privé comme en public, il exposa les thèses suivantes :
l’URSS n’était pas le monolithe qu’on croyait et les nationalités ne s’y
étaient pas affaiblies et s’étaient même parfois renforcées. Il y avait en
URSS trois blocs principaux : le bloc russe, le bloc ukrainien et le bloc
caucasien. Ce dernier était dominé par les Géorgiens qui, avec les
Arméniens, étaient les peuples qui avaient la conscience nationale la plus
développée. Le peuple géorgien représentait en quelque sorte tous les
allogènes menacés par la russification et, au sein des dirigeants du
Kremlin, le groupe géorgien était un contrepoids à la poussée russe et
ukrainienne. À l’Est, les Polonais devaient chercher l’alliance des
Caucasiens et avant tout des Géorgiens. L’attitude russe à l’égard des
Polonais restait celle des tsars et les dirigeants russes continuaient de
rêver d’une entente avec l’Allemagne. Les Caucasiens avaient gardé un
mauvais souvenir de l’occupation allemande en 1918 et un bon souvenir
de l’occupation britannique. La présence britannique en Iran avait réveillé
les vieilles sympathies proanglaises, surtout en Géorgie, et une bonne
propagande anglaise dans la région tomberait sur un terreau fertile. Il
existait un bloc germano-ukrainien vers lequel gravitaient la Roumanie, la
Hongrie et la Bulgarie, auquel faisait pendant le bloc polono-russo-
caucasien dans lequel il faudrait attirer la Tchécoslovaquie et la
Yougoslavie{625}. À l’évidence, ces considérations portaient la marque
des longs entretiens avec le chef du NKVD et par ricochet elles nous
éclairent sur les dispositions de Beria au printemps 1941, confirmant les
sources géorgiennes. Beria envisageait la guerre de son point de vue
caucasien et y voyait l’occasion d’un rapprochement avec l’Angleterre,
qu’il cherchait à encourager par toutes sortes de moyens obliques, telle la
fuite organisée du général Januszajtis.

Le massacre des officiers polonais : un crime bâclé.


Dans ses Mémoires, Sergo Beria affirme que son père était
catégoriquement opposé à l’exécution des officiers polonais ordonnée par
Staline en mars 1940. Ce témoignage est partial et peut bien sûr être mis
en doute. Mais quelques éléments appuient cette thèse de manière
indirecte. On l’a vu, Beria nourrissait le dessein de patronner une armée
polonaise sur le sol soviétique et il avait déjà lancé des sondages en ce
sens auprès du gouvernement polonais en exil qui avait établi des contacts
avec les Soviétiques depuis la fin de l’automne 1939 par le truchement du
NKVD. En mars 1940, celui-ci reçut la nouvelle que Moscou avait
l’intention de créer une légion polonaise et de reconnaître le
gouvernement Sikorski{626}. Or l’assassinat des officiers polonais ne
pouvait que réduire ces desseins à néant et renforcer le pacte germano-
soviétique, d’autant que les Allemands menèrent au printemps 1940 en
Pologne occupée une opération d’éradication des élites, l’AB Aktion.
Ensemble, Soviétiques et Allemands mirent en œuvre des mesures
destinées à empêcher la renaissance d’un État polonais. La décision
d’exterminer les officiers polonais a donc été prise par Staline sans doute
à l’improviste, car, jusqu’en février 1940, il était prévu de faire
condamner les Polonais par le Collège spécial à des peines de trois à huit
ans de camp et de les déporter au Kamtchatka et dans d’autres régions peu
hospitalières de l’URSS{627}. Au début de 1940, les autorités soviétiques
annoncèrent aux prisonniers qu’ils seraient bientôt relâchés. Le chef du
NKVD envisagea-t-il la libération des prisonniers ? En tout cas l’ordre du
NKVD du 22 février 1940, enjoignant de transférer dans les prisons du
NKVD les « anciens gardiens de prison, agents de renseignement,
provocateurs, colons, fonctionnaires de la Justice, propriétaires fonciers,
commerçants et particuliers importants{628} », peut être interprété en ce
sens : Beria voulait garder sous la main ceux qui pouvaient lui être utiles ;
ou, au contraire, si la décision d’extermination des officiers polonais était
déjà prise, il voulait en préserver un certain nombre.
On a attribué l’ordre du Politburo, daté du 5 mars 1940, de liquider les
officiers polonais prisonniers en URSS aux rapports du NKVD qui
soulignaient leur état d’esprit antisoviétique. En réalité la date est
importante et révélatrice et semble montrer que la décision relevait plutôt
d’une vengeance de Staline envers le gouvernement polonais en exil en
raison de sa position face à la guerre de Finlande : en effet, au moment de
la signature des accords franco-polonais, le 4 janvier 1940, Sikorski avait
exhorté Daladier à défendre les Finlandais en adoptant une politique
offensive contre l’URSS. Les Polonais brûlaient de participer à une action
contre l’URSS, faisant valoir que les soldats évacués des régions baltes
pourraient constituer une brigade et que la flotte polonaise pourrait être
utilisée dans une opération contre Mourmansk ou en mer Blanche{629}.
Staline eut sans aucun doute vent de ces entretiens par ses agents. Et,
durant ces quelques semaines de février et de mars, les tensions étaient
vives entre l’URSS et les puissances occidentales, au point que
l’ambassadeur Maïski à Londres n’excluait pas l’éventualité d’une guerre.
Sur le document mentionnant les noms des membres de la troïka qui
devait condamner à mort les officiers polonais, celui de Beria est rayé de
la main de Beria lui-même. Ceci est inusité dans les archives soviétiques
et peut étayer la thèse d’une opposition de Beria à l’exécution des
Polonais. En tout cas, on peut affirmer avec certitude que la direction du
NKVD supervisa de très près l’organisation du massacre : les listes des
prisonniers qui devaient quitter chaque jour les camps étaient dictées par
téléphone depuis Moscou chaque matin{630}. Durant les premiers jours
d’avril, les autorités soviétiques remirent aux officiers polonais un
formulaire, leur demandant entre autres d’indiquer à quel endroit ils
souhaitaient se rendre après leur libération, trois destinations au choix
étant proposées : les pays neutres, la Pologne occupée ou l’URSS{631}.
Rétrospectivement les Polonais virent dans cette démarche une preuve
supplémentaire de la perfidie soviétique. Peut-être était-ce un moyen de
sélectionner ceux qui devaient être épargnés, puisque soixante-quatre
officiers choisirent de rester en URSS et eurent la vie sauve.
Comme l’écrira plus tard un rescapé du camp d’Ostachkovo :
« Personne ne devinera jamais sur quels critères les bolcheviks se sont
guidés pour sélectionner les survivants, témoins vivants de la tragédie des
milliers qui ont péri sans laisser de traces{632}. » Les historiens polonais
se sont interrogés sur ce qui avait pu guider le choix de ces survivants.
Certes on y trouve les agents déjà recrutés par les Soviétiques et des
hommes réclamés par les Allemands, ou plus tard par les Britanniques, tel
le colonel Antoni Szymanski, ancien attaché militaire à Berlin, dont
l’épouse, un agent britannique, avait été installée par l’Abwehr à Berne et
servait de canal entre Canaris et les Britanniques{633}. Mais on y trouve
aussi un groupe qui s’était distingué par son activité antisoviétique passée,
en particulier des adhérents du mouvement Prométhée{634}. Ainsi le
procureur de l’armée d’Anders ne sera autre que le major Kipiani,
l’officier géorgien qui assurait la liaison entre les militaires géorgiens et
les services de renseignements polonais, l’interlocuteur de Maglakelidzé
lorsqu’en 1939, celui-ci essayait de constituer un bloc germano-polonais
contre l’URSS. Alors que d’autres officiers géorgiens périrent avec les
Polonais à Katyn, Kipiani survécut et obtint même le poste sensible de
procureur militaire. Un rapport de Beria soumis à Staline en mars 1942 le
présentait comme « prosoviétique{635} » ! De manière paradoxale, les
officiers incarcérés à la Loubianka pour leurs activités antisoviétiques sur
les territoires annexés par l’URSS échappèrent au massacre et eurent la vie
sauve – quand ils n’avaient pas déjà succombé aux tortures infligées par le
NKVD.
Compte tenu de la minutie du NKVD dans l’organisation du massacre, il
est difficile de croire que ce soit par accident qu’aient survécu des témoins
capables de révéler au monde ce qui s’était passé. En effet, 449 officiers
furent épargnés, sur des critères obscurs et en tout cas pas sur celui de
sympathies procommunistes, car seul un nombre insignifiant parmi eux
s’était montré réceptif à l’endoctrinement soviétique{636}. Ils
provenaient des trois camps cités plus haut et furent regroupés au camp de
Griazovietz où ils purent échanger leurs expériences et établir le nombre
exact des officiers détenus par les Soviétiques. Bien mieux, sur un ordre
de Beria, daté du 28 avril{637}, l’un des prisonniers, le professeur
Stanislaw Swianewicz, fut retiré du train à trois kilomètres de Katyn par le
colonel du NKVD chargé de l’opération, au moment où ses compagnons
d’infortune étaient entassés dans les bus qui devaient les conduire dans la
forêt de Katyn. Il fut enfermé dans un wagon et son gardien le laissa se
percher sur l’étagère à bagages, ce qui lui permit de regarder dehors par
une fente sous le plafond. Il vit les bus charger les prisonniers par groupes
d’une trentaine, encadrés par des hommes du NKVD armés de baïonnettes,
puis les bus vides revenir au bout d’une demi-heure, pour charger le
groupe suivant{638}. Swianewicz fut condamné, en 1941, à huit ans de
travaux forcés, puis libéré au printemps 1942 à la suite d’une intervention
personnelle du professeur Stanislaw Kot, alors ambassadeur du
gouvernement Sikorski à Moscou. En juin 1942, il rejoignit l’ambassade
polonaise à Kouibychev et rédigea un rapport écrit sur ce qu’il avait
vu{639}. Après la découverte du charnier de Katyn, ce témoignage
contribua à accabler les Soviétiques. Si les listes des officiers à exécuter
étaient dictées chaque jour, comment expliquer le sauvetage in extremis de
Swianewicz ? En mai 1943, l’un des Polonais envoyés sur les lieux par les
Allemands, le professeur Léon Kozlowski, apprit par des témoins que des
officiers allemands avaient été invités dans une villa du NKVD située tout
près du lieu du massacre{640}. Si ce témoignage est véridique, on
comprend que les Allemands trouvèrent sans peine les charniers au
moment où ils entreprirent de faire éclater la coalition antihitlérienne. Des
années plus tard, le général du NKVD Serov fulminait encore contre les
tchékistes qui n’avaient pas su dissimuler leurs crimes :

Il y avait si peu de gens à fusiller et ils n’ont pas été fichus de le faire
discrètement. Moi j’en ai fusillé un bien plus grand nombre [de
Polonais] en Ukraine. Personne n’en a jamais rien su{641}.
Autre détail troublant : le 7 août 1943, le FBI reçut une lettre anonyme
en russe dénonçant V. Zaroubine, alors responsable du NKVD aux États-
Unis. Son auteur reprochait entre autres à V. Zaroubine d’avoir participé à
l’assassinat des Polonais à Katyn :

Zaroubine a interrogé et fusillé les Polonais du camp de Kozelsk,


Mironov ceux du camp de Starobielsk. Tous les Polonais qui ont
survécu reconnaîtront ces deux bourreaux. Ils portent la
responsabilité des 10 000 Polonais fusillés près de Smolensk.

Perplexe, le FBI crut d’abord à une plaisanterie, mais après enquête il se


convainquit que la plupart des assertions de la lettre étaient fondées. Ainsi
une fuite qui ne pouvait qu’être de très haut niveau, étant donné que
l’assassinat des officiers polonais était ultra-secret, avertissait les
Américains, dès l’été 1943, que les Soviétiques étaient responsables de ce
crime – même si Zaroubine n’avait pas pris part à l’exécution des
Polonais{642}.

Beria reprend sa politique polonaise.


À l’été 1940, un tournant se dessina dans la politique de Moscou à
l’égard des Polonais, comme en témoigne par exemple une lettre de
Staline aux autorités locales de Lvov, datée du 3 juillet 1940, leur
enjoignant de « liquider sans tarder » les « abus » commis à l’égard des
Polonais, « dans le but d’établir des relations fraternelles entre les
travailleurs ukrainiens et les travailleurs polonais{643} ». Cette évolution
de l’attitude de Staline, qui commençait à vouloir créer des contrepoids à
son allié allemand devenu trop puissant après l’effondrement de la France,
permit à Beria de s’enhardir dans sa politique polonaise. Ainsi le Comité
des sciences panslave put inviter, en septembre 1940, un groupe de
professeurs de l’université de Lvov, dont le professeur Kazimierz Bartel,
ancien Premier ministre dans les années 1926-1930. Le NKVD eut
plusieurs entretiens avec lui et la rumeur courut que les Soviétiques
voulaient organiser un gouvernement Bartel{644}.
Le général Sosnkowski persuada le gouvernement polonais d’utiliser
la mission Cripps – sir Stafford Cripps avait été nommé ambassadeur en
URSS le 6 juin 1940 – pour obtenir de Moscou une amélioration de la
condition des détenus polonais. Le gouvernement de Londres avait
toujours l’espoir de pouvoir évacuer les officiers détenus en URSS pour
grossir les rangs des forces polonaises en Grande-Bretagne. C’est alors
que Beria revint à son projet d’armée polonaise. Début juin 1940,
Merkoulov ordonna de repérer les « éléments contre-révolutionnaires »
parmi les officiers internés et de les transférer dans les prisons du NKVD.
Le NKVD entama des sondages auprès des généraux renommés détenus à
la Loubianka pour savoir s’ils consentiraient à prendre la tête de cette
armée : ce fut le cas des généraux Januszajtis, Mieczysław Boruta-
Spiechowicz – le numéro deux de l’organisation de résistance clandestine
de Lvov – et Wacław Przezdziecki. Tous mirent comme condition à leur
collaboration l’accord du général Sikorski. Le NKVD dut par conséquent
se rabattre sur des personnalités moins en vue{645}. Fin août, les officiers
du NKVD évoquaient déjà devant les Polonais survivants leur libération
prochaine, affirmant que l’Union soviétique et la Pologne avaient des
intérêts convergents et qu’une armée polonaise verrait bientôt le jour
sur le territoire soviétique{646}. Fin septembre 1940, un groupe
d’officiers polonais de gauche, qui s’était cristallisé grâce aux efforts du
NKVD, fut déplacé du camp de Griazowetz à la Loubianka. Parmi eux se
trouvait Zygmunt Berling, l’un des rares Polonais à avoir manifesté le
désir de rester en URSS lors de l’enquête d’avril 1940{647}. Ancien
pilsudskiste, cet officier, traumatisé comme beaucoup d’autres par la
débâcle de 1939, en rendait responsables les successeurs de Pilsudski et en
tirait la conclusion qu’à l’avenir, la Pologne devait coûte que coûte trouver
une entente avec l’URSS. Pressentant les polémiques dont il ferait l’objet,
il confia un jour à l’un de ses codétenus : « Souviens-toi, quand plus tard
on se penchera sur mon cas, que je n’étais pas un salaud. Moi aussi j’aime
la Pologne{648}. »
Ce groupe d’officiers fut reçu par Merkoulov qui voulut savoir ce qu’ils
pensaient du gouvernement de Londres, « qui n’était pas favorable à
l’URSS, qui lui était même hostile », et quelle coopération ils attendaient
de l’Union soviétique pour « participer à la lutte contre
l’Allemagne{649} ». Berling expliqua que l’attitude des Polonais face à
l’URSS avait évolué et cita son propre exemple : lui, qui avait participé au
coup d’État de Pilsudski en 1926, s’était convaincu, après l’expérience
amère de septembre 1939, que la Pologne ne pourrait être restaurée
qu’avec l’appui de Moscou. Quant au général Sikorski, il le connaissait
bien et depuis longtemps celui-ci préconisait un rapprochement avec
l’URSS. Et si Moscou répondait de manière positive à ces dispositions,
une entente entre les deux pays pourrait s’instaurer. En outre Sikorski était
indiscutablement populaire dans la Pologne occupée. Berling se déclara
toutefois prêt à payer l’appui soviétique par une rupture avec Londres si la
« raison d’État l’exigeait ». Merkoulov l’assura que l’URSS n’avait pas
l’intention de se mêler des affaires intérieures polonaises après la guerre,
mais lorsque Berling lui demanda s’il pouvait s’entendre en personne avec
le général Sikorski, il répondit : « Pas pour l’instant. Peut-être plus tard, et
je vous le dirai{650}. »
Quelques jours après cet entretien, à la fin octobre, Beria et Merkoulov
reçurent les officiers polonais pressentis. Merkoulov formula les bases de
leur coopération avec l’URSS : lutte aux côtés de l’Armée rouge contre
l’Allemagne pour la libération de la Pologne, instauration d’une alliance
polono-soviétique, création d’unités polonaises sur le sol soviétique,
autorisation d’enrôlement de tous les Polonais, quelles que soient leurs
opinions politiques. Lorsque Berling suggéra d’ajouter à cette liste un
engagement de l’URSS à ne pas se mêler du futur régime en Pologne,
Merkoulov se déroba : « Ce point pourrait être interprété comme un
manque de confiance dans votre cause{651}. » Puis Beria prit la parole
pour proposer l’organisation d’une division polonaise en Sibérie centrale,
ce que les officiers acceptèrent. On se congratula et Merkoulov s’excusa
d’avoir infligé à ses interlocuteurs une détention à la Loubianka : « Les
hôtels sont si pleins à Moscou que nous n’avons pas trouvé d’autre
solution », laissa-t-il tomber devant les Polonais qui n’osaient se regarder.
Le 2 novembre 1940, Beria annonça à Staline qu’un groupe d’officiers
polonais « s’étaient mis à la disposition des autorités soviétiques » et il
entreprit de le persuader de créer une division polonaise. Selon lui, les
Polonais prisonniers étaient « extrêmement hostiles à l’Allemagne »,
considéraient qu’une guerre entre l’URSS et l’Allemagne était inévitable
et une partie d’entre eux étaient disposés à combattre en dehors de toute
subordination au gouvernement de Londres. C’était en particulier le cas du
général Januszajtis que Beria recommandait comme commandant de ces
forces polonaises en URSS{652}. De toute évidence, Beria n’avait pas
renoncé à enrôler des officiers renommés comme Januszajtis et Boruta-
Spiechowicz ; il soutint auprès de Staline que seuls des officiers de renom
permettraient de rallier le plus grand nombre des hommes du rang{653}.
Mais comme Januszajtis et Boruta-Spiechowicz refusaient toujours de
s’engager sans l’aval du gouvernement de Londres, Beria se rabattit sur
Berling. Malgré cette concession, Staline ne retint pas son projet et
entreprit de former des unités sous contrôle communiste dont il chargea sa
favorite, la communiste Wanda Wasilewska, de choisir les officiers. Ce fut
un échec car aucun général ne voulut prendre le commandement de ces
troupes. C’est du moins ce que Staline confiera à l’ambassadeur Kot dans
un entretien le 14 novembre 1941{654}.
Le NKVD mit à la disposition du groupe de Berling une datcha à
Malachovka près de Moscou. Le colonel V. A. Kondratik, qui assurait la
liaison, était selon Berling « un homme fort intelligent, cultivé,
nourrissant à notre égard une sympathie sincère{655} ». Début janvier
1941, Berling et l’un de ses collègues furent à nouveau convoqués par
Beria et Merkoulov pour discuter de l’organisation de l’armée polonaise.
Les deux Polonais présentèrent une liste d’officiers des camps de
Starobielsk et Kozelsk dont ils voulaient faire les cadres de la division
polonaise. Beria demanda si ces officiers venaient de ces deux seuls camps
et, sur la réponse affirmative des Polonais, il dit : « Cela sera impossible.
Ces hommes ne sont plus en Union Soviétique. » Merkoulov ajouta :
« Nous avons commis une grande erreur{656}. » Selon plusieurs versions,
Beria lui-même aurait prononcé cette phrase. Et le général Januszajtis
raconte que Merkoulov lui fit la même remarque à propos des officiers
polonais : ils étaient peu nombreux en URSS car il y avait eu « une
erreur{657} ». Ces aveux seront d’ailleurs reprochés à Beria lors de son
procès en juillet 1953{658}. Le chef du NKVD promit de chercher les
officiers se trouvant encore en URSS. Berling mit une condition à la
réalisation du projet : tous, hommes du rang et officiers, devaient pouvoir
rejoindre cette armée, quelles que fussent leurs opinions politiques. Beria
et Merkoulov répondirent que cela allait de soi, et les communistes
polonais furent tenus à l’écart de cette entreprise dont ils ignorèrent tout
jusqu’en 1943{659}.
On voit à cet exemple que Beria n’attendait pas la bénédiction explicite
de Staline pour agir mais préparait avec discrétion les éléments d’une
politique en attendant qu’une situation opportune se présente. Dans
l’affaire polonaise, et en dépit du « lobbying » du NKVD, ce n’est que le
4 juin 1941 que le Politburo autorisa la création d’une division
d’infanterie polonaise. La guerre permit à Beria d’abandonner l’option
Berling, qui n’avait jamais été qu’un pis-aller, et de revenir à son plan
initial, celui d’une armée polonaise indépendante commandée par des
officiers de renom et sous les ordres du gouvernement de Londres.
Dans l’immédiat, Beria échoua donc dans son projet de créer des
formations militaires tchèques (commandées par le colonel Svoboda) et
polonaises en URSS. Mais la présence des prisonniers de guerre lui fournit
un excellent prétexte pour tisser des relations avec les Occidentaux à
travers les Tchèques et les Polonais. C’est en particulier par
l’intermédiaire des Tchèques que se nouèrent les premiers contacts entre le
NKVD et le réseau Churchill. Julian Amery, le fils de Leo Amery, un
proche de Churchill, fut approché par les Soviétiques à Istanbul{660}.
Avant même le 22 juin 1941, le colonel Pika, l’attaché militaire tchèque à
Moscou, fut l’une des meilleures sources des Britanniques sur les
intentions soviétiques{661}. Le 18 août 1941, le général Macfarlane, chef
de la mission militaire britannique à Moscou, câbla à Londres que les
militaires tchèques et polonais étaient en bien meilleure position que lui
« pour obtenir de l’information de bonne qualité, à la fois officielle et non
officielle{662} ». Ces contacts étaient sans doute précieux pour Beria, car
ils lui assuraient des canaux discrets vers les Occidentaux.
Au moment du pacte germano-soviétique, Beria s’en servit pour
informer Paris et Londres que la politique germanophile de Staline ne
faisait pas l’unanimité en URSS. Ainsi, au printemps 1940, Bénès affirma
qu’il y avait deux tendances au sein du groupe dirigeant soviétique : un
courant germanophile, autour de Jdanov, qui estimait qu’il fallait préserver
l’orientation vers Berlin, mais sans aider le Reich sur le plan militaire ;
l’autre, celle des militaires, qui souhaitait que l’URSS prît ses distances
par rapport à l’Allemagne. Il y avait là une part de désinformation, bien
sûr – les militaires n’étaient pas forcément favorables à l’alliance
occidentale –, mais la division du groupe dirigeant soviétique était bien
réelle{663}. Le témoignage du général Januszajtis, qui parvint aux
Britanniques en août 1941, montrait que Beria avait organisé avec des
militaires de haut rang des réunions confidentielles autour d’un orateur
polonais qui affirmait de but en blanc que la guerre de l’Allemagne contre
l’URSS était inévitable, opinion hérétique à Moscou aux beaux jours du
pacte germano-soviétique. Et si, plus tard, la collaboration directe entre le
NKVD et les services spéciaux britanniques fut décevante, l’envoyé du
SIS à Moscou put développer, d’août 1941 à septembre 1942, une relation
fructueuse avec Leon Bortnowski, le représentant du renseignement
polonais en URSS et l’interlocuteur officiel du NKVD : Bortnowski
communiqua aux Britanniques les informations recueillies par les réseaux
polonais et les prisonniers de guerre. En décembre 1941, il fournit aussi
des notes du renseignement soviétique sur la Turquie, l’Afghanistan et
l’Inde{664}.

Beria et les Balkans.


Les Britanniques, tout comme Beria, avaient compris que les Balkans
étaient la bombe qui pouvait faire voler en éclats le pacte germano-
soviétique. Les sphères d’influence de l’Allemagne et de l’URSS n’y
avaient pas été tracées et, dans cette région où la moindre provocation
pouvait avoir un effet de détonateur, le NKVD avait le bras long. Le
dernier ouvrage de Soudoplatov, souvent plus détaillé et précis que le
précédent, jette une lumière intéressante sur l’influence du NKVD sur la
politique balkanique de l’URSS à partir de l’automne 1940. En 1940, fut
nommé ambassadeur de Bulgarie à Moscou Ivan Stamenov, qui avait été
recruté par le NKVD en 1934. Soudoplatov devint son contact avec les
autorités soviétiques et ce fut le début de la collaboration étroite entre lui
et Vychinski, alors vice-ministre des Affaires étrangères{665}. Lors de
leur procès en 1953, Beria et Merkoulov se virent reprocher d’avoir caché
à Staline les renseignements concernant l’occupation imminente de la
Roumanie par l’Allemagne{666}. Les documents et les témoignages
disponibles montrent plutôt que le NKVD contribua à la formulation des
ambitions soviétiques dans les Balkans qui, au moment du voyage de
Molotov à Berlin, en novembre 1940, persuadèrent Hitler qu’il n’y avait
pas moyen de s’entendre avec Staline et le firent pencher pour la guerre
avec l’URSS.
Depuis le temps où il avait dirigé le Kavburo, Staline se méfiait des
Turcs et son hostilité transparaît déjà dans une remarque notée par
Dimitrov le 21 janvier 1940 : « Ce n’est pas nous mais les Turcs qui ont à
y perdre. Nous sommes même contents d’être débarrassés des liens
d’amitié que nous avions avec la Turquie{667}. » Le 5 novembre 1940, à
la veille du départ de Molotov pour Berlin, Beria soumit à Staline une
synthèse concernant les visées turques sur le Caucase{668}. Ce rapport,
qui soulignait avec complaisance les sympathies des dirigeants turcs pour
Trotski et leur animosité à l’égard de Staline, eut pour effet de galvaniser
la volonté de celui-ci de rechercher avec l’Allemagne un nouveau pacte
Ribbentrop-Molotov, cette fois pour partager la Turquie – il fut même
question d’une offensive germano-russe contre la Turquie{669} –, ou en
cas d’échec de ce plan, à faire passer coûte que coûte la Bulgarie dans la
sphère d’influence soviétique.
Les Allemands exerçaient des pressions croissantes sur le roi Boris de
Bulgarie pour que son pays rejoigne le Pacte tripartite. Or, deux jours
avant son départ pour Berlin, Molotov proposa à la Bulgarie de conclure
un pacte d’assistance mutuelle, proposition suggérée par l’ambassadeur
Stamenov, l’agent du NKVD{670}. L’insistance soviétique à arracher un
pacte de garantie avec la Bulgarie convainquit Hitler que la Bulgarie était
cruciale pour le contrôle des Balkans. Trois jours après le retour de
Molotov à Moscou, il convoqua le roi Boris à Berchtesgaden et tenta de le
contraindre à adhérer au Pacte tripartite, mais le roi continuait de se
dérober sous divers prétextes. Ayant eu vent de l’échec de Hitler, les
Soviétiques décidèrent de forcer la main aux Bulgares et, le 25 novembre,
Molotov envoya à Sofia son adjoint Arkadi Sobolev qui exposa de vive
voix les offres soviétiques au Premier ministre bulgare, Bogdan Filov :
satisfaction des revendications territoriales bulgares, assistance en cas de
guerre avec la Turquie, non-ingérence dans les affaires intérieures de la
Bulgarie. Staline ne voyait pas d’inconvénient à ce que la Bulgarie adhère
au Pacte tripartite une fois qu’elle aurait conclu le pacte d’alliance avec
l’URSS, puisque, dans ce cas, l’URSS elle-même adhérerait au Pacte
tripartite, comme Staline le confia à Dimitrov{671}.
À ce moment, Staline avait encore bon espoir que les Allemands ne
s’opposeraient pas aux visées soviétiques en Turquie :

En ce qui concerne la Turquie, nous demandons une base dans les


Détroits afin que ceux-ci ne puissent être utilisés contre nous. Les
Allemands voudraient évidemment que les Italiens reçoivent le
contrôle des Détroits, mais ils ne peuvent manquer de reconnaître nos
intérêts prioritaires dans la région. Nous refoulerons les Turcs en
Asie. Qu’est-ce que la Turquie ? Il y a là-bas deux millions de
Géorgiens, un million et demi d’Arméniens, un million de Kurdes,
etc. Il n’y a que six ou sept millions de Turcs,

déclara Staline à Dimitrov, reprenant les thèses développées dans le


rapport de Beria{672}. Staline et Molotov espéraient que l’accord avec la
Bulgarie se conclurait dans la discrétion, sans provoquer Berlin de
manière inutile. Mais Dimitrov, qui agissait en coordination étroite avec
Stamenov, transmit au Parti communiste bulgare les propositions de
Sobolev, qui furent reprises dans des tracts largement diffusés par les
militants communistes. En apprenant la nouvelle, Hitler entra dans une
violente colère, tandis que Molotov tançait Dimitrov en traitant les
communistes bulgares d’« idiots{673} ».
L’affaire la plus étrange est celle du coup d’État du 27 mars 1941 en
Yougoslavie, qui renversa le gouvernement du prince Paul tombé dans
l’orbite allemande et le remplaça par un gouvernement favorable aux
Britanniques. Dans sa déclaration du 22 juin 1941, justifiant l’attaque
contre l’URSS, Hitler mentionna l’affaire en ces termes :

L’Angleterre et la Russie soviétique ont organisé ensemble le coup


d’État qui a renversé en une nuit le gouvernement yougoslave disposé
à collaborer. Aujourd’hui nous pouvons révéler au peuple allemand
que ce coup d’État était provoqué plus par la Russie soviétique que
par l’Angleterre{674}.

L’historien Gabriel Gorodetsky, qui a eu accès à de nombreuses archives


soviétiques, affirme au contraire que le coup d’État yougoslave fut une
surprise à Moscou{675}. Or Soudoplatov écrit que le NKVD en fut le
moteur. Bien sûr il faut tenir compte de la tendance des espions à la
retraite à exagérer leur rôle et à ignorer la proportion des événements.
Rédigé afin de réfuter certaines critiques formulées contre Missions
spéciales, le dernier livre de Soudoplatov offre une version plus nuancée
et plus crédible des faits{676}.
À la veille du voyage de Molotov à Berlin, Beria convoqua Soudoplatov
et Fedotov, alors chef du contre-espionnage, et leur ordonna de nouer des
contacts avec Milan Gavrilovic, ambassadeur de Yougoslavie à Moscou,
en concertant leur action avec Vychinski. À en croire Soudoplatov,
Vychinski était d’ailleurs fort inquiet de cette incursion du NKVD dans
son domaine, comprenant que Beria ne voulait pas agir à visage découvert
et se servait de lui comme bouc émissaire potentiel au cas où les choses
tourneraient mal. Selon Soudoplatov, « Beria ne se sentait pas absolument
sûr de lui et il nous avait catégoriquement interdit d’aborder avec
Gavrilovic les questions qu’il voulait soumettre au gouvernement. Nous
fûmes obligés de proposer à Gavrilovic de communiquer avec Vychinski
tous les jours{677}. » Beria s’intéressait à Gavrilovic car il savait qu’il
était un agent britannique souvent présent chez l’ambassadeur Cripps, de
même que l’ambassadeur grec Panagiotis Pipinelis – on les appelait les
« trois mousquetaires{678} ». Après le voyage de Molotov à Berlin, les
dirigeants soviétiques décidèrent d’utiliser Gavrilovic pour concerter leur
action dans les Balkans avec la Grande-Bretagne. C’est pourquoi le dossier
yougoslave fut d’emblée confié au renseignement et au contre-espionnage.
Soudoplatov et Fedotov rencontraient Gavrilovic ensemble et ces
entretiens discrets permettaient à l’URSS et à la Grande-Bretagne de
commencer à coordonner leur politique balkanique sans attirer les
soupçons allemands, pensait-on à Moscou. Or le SD – le Sicherheitsdienst,
service de renseignements de la SS – avait un agent infiltré au ministère
des Affaires étrangères à Belgrade, qui transmettait à Berlin toute la
correspondance entre Milan Gavrilovic et son ministère. Dès la mi-juillet
1940, Gavrilovic rapporta que l’URSS se préparait activement à la guerre
contre l’Allemagne, racontant par exemple que Molotov avait déclaré que
les troupes russes s’étaient déjà trouvées à Berlin. Hitler lisait ces
dépêches de Gavrilovic, qu’il trouvait d’autant plus crédibles qu’elles se
recoupaient avec ce que rapportaient les services spéciaux italiens et les
câbles de l’ambassadeur grec à Moscou{679}.
Le projet de coup d’État en Yougoslavie remontait au moins à janvier
1941 et les Américains étaient aussi partie prenante. Lorsque William
Donovan, le futur chef de l’OSS – le service de renseignements créé par
les USA en juin 1942 –, fut envoyé par Roosevelt en tournée dans les
Balkans en janvier 1941, il rencontra en secret le général Dusan Simovic,
commandant de l’aviation yougoslave. Ses amis de Belgrade l’avaient
informé que Simovic et un groupe d’officiers patriotes étaient résolus à
empêcher l’adhésion de la Yougoslavie au camp allemand. Donovan et
Simovic discutèrent donc le plan de coup d’État contre le gouvernement
du prince Paul{680}.
Pour sa part, Churchill rêva dès les premiers jours de la guerre
d’entraîner les États des Balkans et la Turquie dans la guerre contre Hitler.
L’annexion de l’Albanie par l’Italie en avril 1939 avait provoqué un
rapprochement entre la Turquie et la Grande-Bretagne. Les Britanniques
espéraient créer un bloc balkanique comprenant la Yougoslavie, la
Bulgarie, la Grèce et la Turquie, capable de résister aux ambitions
allemandes. Gavrilovic était lui aussi devenu partisan d’une fédération
balkanique, car il se méfiait du panslavisme véhiculé par la propagande
soviétique. À ses yeux, seule l’union avec la Yougoslavie pouvait sauver la
Bulgarie d’un putsch communiste réalisé sous couvert de solidarité
panslave, et la Fédération balkanique était pour lui un antidote au
panslavisme{681}. Le 14 juin 1940, l’ambassadeur britannique Cripps
avait proposé à l’URSS de prendre l’initiative de la création de ce bloc.
L’information fournie par le NKVD inclinait dans ce sens : ainsi un
message du 11 juillet 1940 en provenance de Londres – décrypté par
Venona{682} – indiquait que l’Allemagne et l’URSS entrant en collision à
propos des Balkans, des Britanniques influents ne seraient pas opposés à
laisser les Détroits aux Soviétiques{683} ; et, le 4 octobre 1940, le NKVD
rapporta que les Allemands se montraient très actifs dans les Balkans,
ayant sans doute déjà obtenu de la Roumanie et de la Bulgarie le droit de
faire transiter leurs troupes vers la frontière turque{684}.
Staline s’étant toutefois dérobé, la Grande-Bretagne entreprit elle-même
de rapprocher ces pays en commençant par la Bulgarie et la Turquie. Ce
qui n’empêcha pas Gavrilovic de câbler à Belgrade, fin février 1941, se
référant à deux entretiens avec Vychinski, que l’URSS entrerait en guerre
contre l’Allemagne dès que la Grande-Bretagne ouvrirait un front dans les
Balkans, laissant entendre que l’URSS s’était laissé convaincre par
Londres d’adhérer au front balkanique que la Grande-Bretagne voulait
organiser contre l’Axe{685}.
Dès avant le coup d’État, des négociations étaient en cours à Moscou
entre les militaires yougoslaves et les Soviétiques en vue d’une alliance
éventuelle. Cripps avait manifesté le désir d’y associer la Grande-
Bretagne{686}. Une fuite dans la presse américaine révéla ces
pourparlers, ce qui valut à Soudoplatov et Fedotov une verte semonce de
Merkoulov, Beria et Vychinski{687}. Le 6 mars 1941, après un voyage en
Turquie où il rencontra Anthony Eden, Cripps fut reçu par Vychinski, se fit
l’écho des craintes turques d’une attaque germano-soviétique et proposa
ses bons offices pour permettre à la Turquie et à l’URSS de surmonter le
« malentendu » qui les opposait et de se concerter ensemble sur la
question balkanique{688}. Pour la première fois les démarches de
l’ambassadeur britannique auprès des autorités soviétiques furent suivies
d’effet : le 9 mars, les Soviétiques confirmèrent leur neutralité en cas
d’agression de la Turquie par l’Allemagne, mais ces bonnes dispositions
furent de courte durée. Le 22 mars, Gavrilovic rencontra Vychinski et
suggéra que l’URSS prenne position sur une adhésion éventuelle de la
Yougoslavie au Pacte tripartite comme elle l’avait fait lorsque la Bulgarie
avait autorisé l’installation de troupes allemandes sur son territoire. Il ne
fallait pas donner l’impression aux Yougoslaves que l’URSS se résignait à
abandonner les Balkans et la Yougoslavie à la sphère d’influence
allemande{689}. Quelques heures plus tard, Vychinski annonça à
Gavrilovic que le gouvernement yougoslave avait déjà pris la décision
d’adhérer au pacte et que toute démarche soviétique était par conséquent
inutile. Entre-temps il avait reçu Cripps qui avait formulé une demande
similaire à celle de Gavrilovic : le gouvernement yougoslave étant en train
de vaciller sous les pressions allemandes, il serait souhaitable que le
gouvernement soviétique fasse un geste encourageant les Yougoslaves à
conserver leur neutralité. Après avoir consulté Staline, Vychinski répondit
à Cripps de manière fort cassante qu’il n’y avait aucune raison que l’URSS
et la Grande-Bretagne se concertent sur ces questions, puisque Halifax,
l’ambassadeur britannique à Washington, se livrait à une politique
ouvertement antisoviétique. Ulcéré par le ton de Vychinski, Cripps alla
jusqu’à regretter sa démarche du 6 mars précédent{690}.
Dans ce contexte, les affirmations de Soudoplatov concernant la
participation des services spéciaux soviétiques au coup d’État yougoslave
sont d’autant plus surprenantes. Et pourtant les faits sont là. Le coup
d’État fut orchestré par le SOE britannique allié au NKVD, alors que le
SIS – le Secret Intelligence Service – et le Foreign Office étaient restés
favorables au prince Paul dont l’orientation personnelle anglophile était
fort appréciée. Mais le SOE espérait fermement que le coup d’État
entraînerait l’URSS dans la guerre contre l’Allemagne, comme en a
témoigné Julian Amery qui se trouvait à Belgrade et qui fut avec son père
l’un des organisateurs de la rébellion du côté britannique{691}. Un
homme de confiance de Beria, le général Solomon Milshtein, était arrivé à
Belgrade le 11 mars à la tête d’un groupe opérationnel comprenant les
agents chevronnés V. Zaroubine et M. A. Allakhverdov{692}. Milshtein
était alors le chef du 3e Directorat du NKGB, chargé des opérations
politiques secrètes. Il est peu vraisemblable qu’un personnage de cette
importance ait été dépêché à Belgrade uniquement pour surveiller les
Britanniques. Sa présence confirme plutôt l’hypothèse d’une participation
soviétique au coup d’État, même si le rôle des Soviétiques fut moins
déterminant que ne le laisse penser Soudoplatov. Le complot se cristallisa
à partir du 18 mars 1941, le feu vert du gouvernement fut obtenu le 23 et
le putsch eut lieu le 27 mars{693}. Selon Soudoplatov, lui-même et
Fedotov recommandèrent au nouveau gouvernement yougoslave de ne pas
provoquer l’Allemagne et celui-ci se hâta d’ailleurs de confirmer qu’il
restait fidèle au Pacte tripartite, à la grande déception de Londres. Mais le
scénario bulgare se répéta : Merkoulov avait averti Dimitrov du coup
d’État qui se préparait et les communistes yougoslaves se mobilisèrent
immédiatement pour soutenir le nouveau gouvernement, manifestant aux
cris de « Vive Staline ! » et jetant des œufs sur la voiture de l’ambassadeur
du Reich{694}. Dès le 29 mars, Molotov ordonna à Dimitrov de mettre fin
aux manifestations communistes à Belgrade, mais pour Hitler la coupe
était déjà pleine. Quant à Staline, il se retrouva dans une situation
embarrassante à l’extrême, tiraillé entre les Yougoslaves qui souhaitaient
une alliance militaire avec l’URSS, et l’Allemagne de plus en plus
menaçante, entre sa volonté de voir les Yougoslaves résister à Hitler et sa
crainte d’attirer sur l’URSS les foudres du Reich. Il se peut fort bien que le
NKVD lui ait forcé la main, en l’occurrence, et ce n’est peut-être pas par
pure coquetterie que Staline confiera plus tard à Churchill : « Souvent
notre service de renseignements n’a informé le gouvernement soviétique
qu’après coup{695}. » Durant tout ce petit jeu, Beria, tout en tirant les
ficelles, prit grand soin de mettre en avant Vychinski qui était conscient de
marcher sur la corde raide : d’où sa nervosité qui frappa
Soudoplatov{696}.
Pour la première fois, Anglais, Américains et Soviétiques avaient œuvré
dans le même sens. L’action du NKVD mettait à mal l’entente germano-
soviétique, mais en même temps elle jetait les fondements de la Grande
Alliance. « Les ambassadeurs d’Angleterre et d’Amérique sont convaincus
que l’affaire serbe va entraîner la Russie dans un engrenage dont elle ne
réussira pas à se dégager, et qu’il lui faudra prendre part à la guerre »,
nota, le 8 avril, Eirik Labonne, l’ambassadeur de France à Moscou{697}.

Le NKVD et l’erreur de Staline


Les Mémoires de Khrouchtchev peignent un étonnant tableau de l’état
d’esprit de Staline à la veille de la guerre, confirmé par Molotov qui fera
cet aveu étonnant à Tchouev :

Nous savions que la guerre nous pendait au nez, nous savions que
nous étions plus faibles que l’Allemagne, qu’il nous faudrait reculer.
Toute la question était jusqu’où, jusqu’à Smolensk ou jusqu’à
Moscou : c’est ce que nous discutions à la veille de la guerre{698}.

Staline était si déprimé qu’il retenait ses proches autour de lui dans
d’interminables beuveries, les empêchant de s’acquitter de leurs tâches et
paralysant le gouvernement. Passant leurs nuits à boire « parfois jusqu’à
vomir », comme dit Khrouchtchev, les membres du Politburo n’étaient
guère en état de travailler le jour. Beria encourageait ses collègues à se
saouler au plus vite : « Plus vite nous serons ivres, plus tôt nous pourrons
partir. Il ne nous lâchera pas tant que nous ne serons pas saouls{699}. »
La répugnance à faire les concessions nécessaires pour adapter le pays à
une situation de guerre avec un ennemi extérieur réel fut sans aucun doute
une raison pour Staline de nier l’imminence d’une attaque allemande.
« Staline ne voulait pas de la guerre et ce désir il l’avait érigé en réalité
[…]. Nous tentions de l’en faire démordre mais en vain […]. Il était
persuadé que Hitler ne commencerait pas la guerre avant 1943 », rapporte
Mikoïan{700}. Une des causes de la conviction de Staline était l’accueil
fait à Molotov à Berlin en novembre 1940. Celui-ci en était revenu
persuadé dur comme fer de la solidité des relations germano-soviétiques et
avait rallié Staline à ses vues{701}. Un Staline qui ne demandait qu’à le
croire : l’entente germano-soviétique avait tant rapporté à l’URSS en
quelques mois que Staline rêvait d’en prolonger les bénéfices le plus
longtemps possible. À la fin de 1940, lors d’un banquet où étaient présents
des diplomates étrangers, alors qu’on demandait à Staline quel était son
désir le plus cher, il répondit sans hésiter : « Que l’Allemagne batte
l’Angleterre le plus vite possible{702}. »
On attribue d’ordinaire la surprise du 22 juin 1941 à l’entêtement de
Staline qui avait ignoré de manière systématique les nombreux
avertissements de ses espions, de ses diplomates et des hommes d’État
étrangers. La question se pose néanmoins de savoir quel rôle joua Beria
dans la grave erreur de calcul de Staline qui faillit entraîner
l’effondrement de l’URSS en 1941. Après tout, Beria dirigeait le
renseignement.
Faut-il penser, avec les historiens khrouchtchéviens, que « c’est Beria le
principal responsable de la catastrophe militaire de 1941 : il disposait
d’une information complète et crédible de l’attaque imminente. […] C’est
du favori de Staline Lavrenti Beria que partait l’essentiel de la
désinformation{703} » ? Cette opinion est encore aujourd’hui partagée par
certains historiens peu suspects de sympathie pour la vulgate
khrouchtchévienne, comme Vladimir Karpov :

Le vrai crime pour lequel il aurait fallu fusiller Beria dès le début de
la guerre, c’est la désinformation à laquelle il se livra sur les
intentions et les forces de l’Allemagne hitlérienne. Officiellement
Beria n’était pas un espion allemand, mais les services qu’il a rendus
aux Allemands et le tort qu’il a causé à notre armée sont équivalents
à ceux que pourraient apporter une énorme organisation d’espionnage
et de sabotage{704}.

Il était difficile, voire dangereux, de vouloir faire démordre Staline


d’une idée qu’il s’était mise en tête. D’ailleurs, F. I. Golikov, le chef du
renseignement militaire, qui lui aussi avait traité de « désinformation
britannique » les informations faisant état du déploiement de la
Wehrmacht aux frontières de l’URSS, justifia plus tard son attitude en ces
termes :
J’étais subordonné à Staline, je lui faisais mes rapports et j’avais peur
de lui. Staline était convaincu que tant que l’Allemagne n’avait pas
fini la guerre avec l’Angleterre, elle ne nous attaquerait pas. Nous
connaissions son caractère et nous adaptions nos conclusions à son
point de vue{705}.

Il était néanmoins possible de défendre une opinion différente de la


sienne et Molotov, par exemple, ne s’en privait pas. Beria avait le choix de
l’information remontant à Staline, il pouvait souffler des interprétations,
confirmer la crédibilité des sources ou au contraire la mettre en doute en
jouant sur la paranoïa du dictateur. Comme Staline voulait monopoliser et
centraliser l’information, il n’y avait pas encore de service analytique au
sein de la Sécurité d’État (il ne fut créé qu’à la fin de 1943{706}) et, selon
le vétéran du KGB V. A. Kirpitchenko, ce fut d’ailleurs l’une des causes du
succès de l’opération de désinformation allemande. Staline ne recevait
donc que des renseignements épars recueillis par les uns et les autres et ne
laissait à personne le droit d’analyser et d’interpréter ces renseignements.
Paradoxalement, ce système le rendit plus dépendant des choix de Beria
qui put sélectionner telle ou telle information et l’insérer dans le contexte
qui convenait le mieux à ses desseins. L’absence de synthèse facilitait la
dissimulation derrière des détails de la construction par l’Allemagne d’une
formidable machine de guerre aux frontières de l’URSS. L’ouverture de
certaines archives du NKVD et les Mémoires des vétérans des services
spéciaux soviétiques permettent, aujourd’hui, de conclure que Beria
n’entreprit rien pour ouvrir les yeux à Staline et qu’il joua en permanence
un jeu fort trouble.

La neutralisation des réseaux de renseignement.


Après l’arrivée de Beria à la tête du NKVD les purges continuèrent à
décimer les services de renseignements et, lorsque Pavel Fitine succéda à
Dekanozov à la tête du Département étranger en mai 1939, il décrivit ainsi
l’état des lieux :
Au début de 1939, presque tous les résidents à l’étranger ont été
rappelés et limogés. La plupart ont été arrêtés, les autres ont été
soumis à un contrôle. Il n’était pas question d’avoir la moindre
activité de renseignement à l’étranger dans ces conditions{707}.

Fitine ne noircissait pas le tableau : sur les 450 officiers du


renseignement extérieur, 275 avaient été fusillés pendant les purges{708}.
En 1938, la direction du pays ne reçut aucun renseignement pendant 127
jours. Kostenko, le résident à Paris, était fusillé, tout comme Gutzeit, le
résident aux États-Unis. M. I. Sirotkine, le résident du GRU à Tokyo
chargé du réseau Sorge, fut arrêté fin 1938{709}. Les services de
renseignements perdirent encore la moitié de leurs effectifs en 1940 et de
nombreux officiers furent liquidés dans le plus grand secret{710}.
Beaucoup de réseaux durent être gelés faute d’officiers traitants{711}.
Les quelques rescapés demeurés en poste reçurent l’ordre d’interrompre
tout contact avec leurs agents. Par exemple, la résidence de Kharbin reçut
cette injonction du Centre en janvier 1939 : « Vous ne devez nullement
être troublés par notre ordre d’interrompre les relations avec un nombre
important d’agents : les circonstances l’exigent{712}. » Les agents les
plus remarquables hérités par les nouveaux dirigeants du NKVD furent
accusés d’être des agents doubles, par exemple « Abe », un officier
japonais recruté en 1927, sur lequel reposait l’essentiel du réseau
soviétique en Mandchourie. Un rapport de Fitine à Beria, daté du
3 septembre 1940, le dénonçait comme agent japonais{713}.
On a vu à quel point l’espionnage aux États-Unis fut désorganisé par le
rappel des officiers du NKVD en 1939-1940. Et il en alla de même en
Grande-Bretagne puisqu’au début de 1940, le dernier rezident légal,
Anatoli Gorski, fut rappelé ; il ne resta plus un seul officier du NKVD en
Grande-Bretagne et la résidence de Londres fut fermée en février 1940 sur
ordre de Beria{714}. Tous les contacts avec Kim Philby furent interdits et
ceux avec Burgess furent suspendus{715} : ces agents « avaient été
contrôlés par des ennemis du peuple et étaient par conséquent
extrêmement dangereux{716} ». Le Centre lança une enquête sur Philby
pour s’assurer qu’il n’était pas un agent double travaillant pour
l’Angleterre ou l’Allemagne{717}. Beria était d’avis que Philby était
contrôlé par les Britanniques -- tout le réseau de Cambridge était suspect
car il affirmait que le MI5 n’entreprenait rien contre les ressortissants
soviétiques en Angleterre. En outre, était-il concevable que les
Britanniques confient des postes si élevés à des personnages ayant
sympathisé avec le Parti communiste ? Tout cela était louche au plus haut
point, estimait Elena Modrzinskaja, chef du 3e Département du
1er Directorat du NKGB{718}. Les liens avec le groupe furent néanmoins
restaurés : « Notre tâche est de comprendre quelle désinformation nos
rivaux essaient de nous faire passer », câblera le Centre au résident de
Londres le 14 juin 1943. Les soupçons sur le groupe de Cambridge ne se
dissiperont qu’à l’été 1944{719}. La paralysie des réseaux en Grande-
Bretagne bloqua une enquête sur une affaire de fuites du Politburo : un
agent soviétique à Londres avait réussi à se procurer des documents
prouvant que les Anglais avaient une taupe bien introduite, qui les
informait sur les discussions au sein du Politburo et sur le contenu des
plénums. Le lien avec l’agent soviétique qui avait documenté cette fuite
fut perdu en 1941 et le Comité central ne fut mis au courant de cette
affaire qu’en janvier 1953{720}.
Pour l’Allemagne, la situation était pire encore. Il n’y eut pas de
résident à Berlin de décembre 1938 à septembre 1939, date à laquelle
Beria y installa Amaïak Koboulov{721}. En 1939, il ne restait que deux
officiers, dont l’un ne parlait pas allemand{722}. Après le pacte germano-
soviétique, l’euphorie de Staline était telle qu’il ordonna de réduire au
minimum l’activité de renseignement en Allemagne pour éviter de froisser
Hitler et ce n’est qu’à partir de l’été 1940 qu’il fut décidé de réactiver les
réseaux dans ce pays{723}.
Le service d’espionnage militaire, le GRU, qui depuis 1934 subissait
l’emprise grandissante du NKVD, ne se portait pas mieux : en 1937-1938,
182 officiers du renseignement militaire furent arrêtés. Le responsable
politique du GRU écrivait à Lev Mekhlis :
Vous savez que nous n’avons pratiquement pas de service de
renseignements. Il n’y a pas d’attaché militaire en Amérique, au
Japon, en Angleterre, en France, en Italie, en Tchécoslovaquie, en
Allemagne, en Finlande, en Iran et en Turquie{724}.

Il est vrai qu’en novembre 1938, Mekhlis était allé jusqu’à se plaindre à
Staline que Vorochilov lui mettait des bâtons dans les roues dans la chasse
aux ennemis du peuple ! Des 108 membres du Conseil militaire auprès du
commissariat du peuple à la Défense, seuls dix n’avaient pas été
arrêtés{725}.
De surcroît, il était difficile d’assurer la relève. En novembre 1938,
Beria mit fin à l’opération « Nouvelles recrues » lancée quelques mois
auparavant en Espagne, qui consistait à sélectionner un certain nombre de
combattants des Brigades internationales, à les entraîner dans une école
spéciale créée à Barcelone par Orlov afin de constituer dans toute l’Europe
un réseau d’illégaux en prévision de la guerre{726}. Certes Staline avait
ordonné, en mars 1938, de recruter huit cents communistes ayant une
formation supérieure, de les envoyer en stage à l’École supérieure du
NKVD pour six mois afin de remplacer les officiers décimés par les
purges{727}. Mais un service de renseignements ne s’improvise pas et les
professionnels expérimentés manquaient cruellement. Au total, ce n’est
qu’à la fin de l’année 1940 que les officiers de renseignement soviétiques
obtinrent l’autorisation de réactiver leurs anciens contacts : ainsi, en
décembre 1940, Gorski, de retour à Londres, renoua le contact avec Kim
Philby et le groupe de Cambridge{728}. Cependant la purge des services
spéciaux se poursuivit durant toute l’année 1941, et si certains réseaux
étaient reconstitués au moment où la guerre éclata, ils demeuraient encore
fragiles.
Lors du procès de Beria en 1953, Alexandre Korotkov, l’ancien rezident
en Allemagne, expliquera cette purge par la « crainte de Beria à l’égard de
nos réseaux à l’étranger car ils pouvaient démasquer ses liens avec les
services occidentaux{729} ». D’autres, comme Soudoplatov, ont estimé
que Beria voulait mettre en place des hommes neufs dont la loyauté lui
était assurée :
Lorsque Dekanozov avait été nommé chef du Département étranger,
nous avions compris pour la première fois qu’il ne s’agissait pas
d’erreurs mais qu’il existait une tactique délibérée visant à nommer
des gens inexpérimentés, forcément voués à commettre encore plus
de fautes{730}.

Les deux explications ne sont pas incompatibles.


La manière dont Beria détruisit le réseau de renseignement soviétique
en Allemagne suscita les soupçons de deux officiers du NKVD, Igor
Kedrov et Vladimir Golubev. I. Kedrov était le fils du tchékiste Mikhaïl
Kedrov, un vieil adversaire de Beria. En effet, au printemps 1921, alerté
par des plaintes contre la Tcheka azerbaïdjanaise accusée de couvrir des
nationalistes et des éléments hostiles, Dzerjinski avait envoyé en
inspection M. S. Kedrov qui avait découvert les liens de Beria avec le
contre-espionnage du Moussavat et avait recommandé de le limoger ; en
décembre 1921, Dzerjinski avait même donné l’ordre d’arrêter Beria, mais
Staline était intervenu à la demande de Mikoïan et l’ordre avait été
révoqué{731}.
I. Kedrov était chargé du renseignement en Allemagne, en Autriche et
en Hongrie et son ami V. Golubev travaillait dans le contre-espionnage.
Devant ses proches, Kedrov déclarait qu’en cas de guerre avec
l’Allemagne, il n’y aurait plus un seul agent soviétique dans ce pays. Les
deux amis furent limogés du NKVD début février 1939 et adressèrent une
lettre au Comité central où ils exprimaient leurs doutes sur la loyauté de
Beria. Ils furent arrêtés le 21 février 1939 et Kedrov fut accusé d’avoir
rédigé la lettre à l’instigation de l’Abwehr{732}. La mère de Kedrov
écrivit à Staline pour l’implorer de prendre connaissance du rapport rédigé
par son fils dénonçant la situation alarmante au sein du NKVD{733}. En
avril 1939, le père, Mikhaïl Kedrov, alla trouver Vychinski et lui souffla à
l’oreille que des « ennemis du peuple » s’étaient infiltrés au sommet du
pouvoir. Vychinski demanda des noms et Kedrov écrivit sur un bout de
papier « Beria » et « Merkoulov », puis déchira le papier après l’avoir
montré à Vychinski qui ne dit rien. Mikhaïl Kedrov fut arrêté le 16 avril
1939{734}. Beria en personne interrogea I. Kedrov avant que ne
commence l’instruction de l’affaire. Après cet interrogatoire, I. Kedrov
s’avoua coupable de haute trahison et reconnut avoir rédigé sa lettre à
l’instigation de la Gestapo pour compromettre Beria. Ces aveux ne
suffirent pas à Beria qui les déchira et les jeta à la figure de Koboulov, et
I. Kedrov dut rédiger un nouvel acte de repentance. Golubev fut torturé,
tandis qu’un provocateur était installé dans la cellule de Kedrov.
Finalement I. Kedrov, Golubev et le provocateur furent fusillés{735}. En
mai 1939, M. S. Kedrov fut arrêté à son tour, mais, sur ordre de Staline,
son affaire se termina par un non-lieu – Staline voulait conserver ce
témoin compromettant du passé trouble de Beria. Ce dernier ne libéra pas
Kedrov et le fit fusiller en novembre 1941 en toute discrétion, en
l’incluant dans une liste de condamnés à mort alors que l’attention de
Staline était détournée par la guerre{736}.

Orchestre rouge et réseau Beria à Berlin.


Vers l’été 1940, Staline éprouva le besoin d’être informé sur ce qui se
tramait à Berlin autrement que par les déclarations officielles des
dirigeants du Reich. Fin août 1940, Fitine envoya A. Korotkov à Berlin
avec pour mission de réactiver une dizaine d’agents. En septembre,
Korotkov rétablit le contact avec Willy Lehmann, la taupe soviétique au
sein de la Gestapo{737}, et avec le réseau Harnack. Mais Korotkov fut
tout de suite rappelé à Moscou où il resta deux mois à régler diverses
questions bureaucratiques, alors que, dans les semaines qui précédèrent le
voyage de Molotov à Berlin, Beria interdisait au rezident en titre, Amaïak
Koboulov, de rencontrer Harnack{738} ! En novembre 1940, Merkoulov
accompagna Molotov à Berlin et il en profita pour rencontrer la célèbre
actrice Olga Tchekhova. Les Soviétiques espéraient qu’elle les aiderait à
mieux identifier les cercles allemands favorables à l’entente avec
l’URSS{739}. À travers ses agents dans les pays scandinaves, le NKVD
maintiendra le contact avec cette actrice qui le renseignait sur les cercles
diplomatiques et militaires opposés à la guerre contre l’URSS. Le Centre
resta prudent dans ses relations avec elle car il comptait l’utiliser pour des
affaires vraiment importantes, par exemple un sondage de paix séparée
avec l’Allemagne{740}.
Il est frappant que, pendant ces années, le Centre ne fit jamais confiance
à ses meilleurs agents. Harnack, Philby, Richard Sorge : tous furent
soupçonnés de jouer un double jeu. Staline doutait de manière
systématique de leur crédibilité. Les historiens russes qui ont eu accès aux
résumés des renseignements transmis par l’Orchestre rouge compilés au
sein du NKVD ont remarqué qu’ils fourmillaient d’expressions comme :
« sur la base de quelles données notre source est arrivée à cette conclusion,
on l’ignore » ; « le Corse [Harnack] ignore quand, où et dans quelles
circonstances Halder a exprimé ce point de vue » ; ou encore : « le Corse
n’attache pas grande importance à cette déclaration de Göring, étant
donnée sa vanité bien connue », etc.{741}. Quant au fameux Richard
Sorge, Moscou lui coupa les vivres en février 1941. La qualité de ses
informations était mise en doute par une autre source du NKVD, le
capitaine Walter Stennes, responsable de la garde de Tchang Kaï-chek,
auquel Beria attachait une telle importance qu’en janvier 1941 il envoya à
Shanghai V. Zaroubine, le directeur adjoint du renseignement extérieur,
uniquement pour assurer le contact avec cet officier{742}. Stennes
affirmant que Sorge avait des relations étroites avec l’Abwehr, Staline se
laissa persuader que Sorge était un agent double et ne fit aucune confiance
à ses informations{743}. Ce travail de sape de la crédibilité des agents,
contre lequel s’insurgeaient en vain les officiers traitants, pouvait résulter
d’une politique délibérée voulue par le chef du NKVD habile à jouer sur la
méfiance de Staline.
Beria était un professionnel du renseignement, bien plus intelligent que
ses prédécesseurs et que ses successeurs, ce que ses subordonnés dans ce
domaine reconnaîtront à l’unanimité{744}. Ce qui amène à poser les
questions suivantes : pourquoi les purges dans le renseignement soviétique
se sont-elles poursuivies, voire aggravées, après l’accession de Beria à la
tête du NKVD, alors que celui-ci mettait un frein aux purges dans les
autres administrations ? Pourquoi avoir envoyé en septembre 1940, au
poste si sensible de Berlin, Amaïak Koboulov, un incompétent notoire,
alors que Beria savait juger les hommes ? Et enfin, pourquoi n’avoir pas
pris les mesures indispensables pour garantir le maintien d’une liaison
radio avec les réseaux de l’Orchestre rouge alors qu’une directive du
18 avril 1941 ordonnait aux résidences européennes d’activer leurs
réseaux dans la perspective d’une guerre{745} ?
À cet égard, rien n’est plus révélateur que l’utilisation faite de
l’Orchestre rouge. Le 24 décembre 1940, A. M. Korotkov, l’officier du
NKVD chargé du contact avec ces groupes, reçut l’ordre d’utiliser le
réseau Harnack… avant tout afin d’assurer la sécurité du personnel
soviétique en Allemagne. Sur les dix points que comportait l’instruction
de ses supérieurs, un seul mentionnait la nécessité de vérifier les
informations fournies par le réseau et aucun n’évoquait l’évaluation du
risque d’une guerre. La priorité était donnée à l’estimation des forces
d’opposition à Hitler, aux divisions existant au sein de l’élite dirigeante du
Reich, en particulier concernant les relations avec l’URSS, et aux projets
économiques de l’Allemagne pour l’URSS{746}.
Les agents soviétiques qui avertirent leurs supérieurs d’une imminente
attaque allemande se firent vertement rabrouer. Ainsi I. M. Spitchkine,
officier du NKVD à Vienne, signala début mai 1941 que l’armée
autrichienne se préparait intensément à une invasion de l’URSS. Il reçut
cette note sèche de Merkoulov le 7 mai 1941 : « Il faut être sérieux
lorsqu’on transmet de l’information{747}. » Ce fut aussi le cas pour le
rezident soviétique en Pologne qui adressa un rapport alarmiste sur la
concentration des troupes allemandes en Pologne orientale et s’attira ce
commentaire de Merkoulov : « Vous exagérez fort. Il faut vérifier à
nouveau ces informations. C’est seulement alors que nous pourrons faire
un rapport à nos dirigeants{748}. » Et, début juin 1941, Sorge reçut un
câble du Centre affirmant que Moscou considérait une offensive
allemande comme peu probable, ce qui le mit hors de lui{749}. Le 17 juin,
il persista : l’attaque allemande était prévue pour le matin du
22 juin{750}.
Tout comme celles de Richard Sorge, les informations fournies par
l’Orchestre rouge furent dévalorisées et mises en doute de manière
systématique{751}. Le 7 janvier 1941, Arvid Harnack prévint Korotkov de
la décision allemande d’attaquer l’URSS. Celui-ci envoya à Moscou un
télégramme qui n’entraîna aucune réaction, sinon quelques critiques
portant sur les inexactitudes de détail dans les données fournies. Korotkov
décida de s’adresser à Beria en personne, par-dessus son supérieur
hiérarchique Amaïak Koboulov. Le 20 mars 1941, il écrivit au chef du
NKVD pour lui transmettre toutes les informations recueillies par les
antifascistes allemands, Harnack en particulier, qui montraient clairement
le danger d’une guerre imminente. Korotkov souligna que Harnack était
tout à fait digne de foi, proposa de le présenter à Koboulov et suggéra que
les renseignements fournis par Harnack soient centralisés{752}. Beria ne
donna pas suite à cette lettre qui fut classée dans le dossier de
Korotkov{753}.
Le 4 avril, ce fut au tour de Dekanozov de manifester ses doutes : certes
les Allemands se livraient à une véritable guerre des nerfs contre l’URSS,
mais n’était-ce que cela ? Et Dekanozov de citer tous les signes alarmants
rassemblés par ses collaborateurs en quelques jours{754}. En mai 1941, la
section analytique du 1er Département principal du NKVD rédigea une
note de synthèse à l’intention des membres du Politburo, attirant
l’attention sur la multiplication des indices convergents qui laissaient
penser que la guerre allait éclater d’un jour à l’autre. Sur ordre de
Soudoplatov, la note ne fut pas transmise aux dirigeants du Kremlin{755}.
P. Fedotov, le chef du contre-espionnage, fit une expérience similaire. Il
rédigea début juin une note énumérant les mesures indispensables à
prendre face au danger de guerre, mais lorsque Merkoulov en prit
connaissance, il lui dit avec un soupir : « Cela va déplaire là-haut (il
montra le plafond). Nous ne transmettrons pas cette note. Mais faites ce
que vous jugez indispensable{756}. » Le 25 mai, Merkoulov adressa à
Staline, Molotov et Beria une note dans laquelle on pouvait lire :

Il est peu probable qu’une guerre éclate entre l’Union soviétique et


l’Allemagne. […] Les forces allemandes massées aux frontières
doivent montrer à l’Union soviétique que l’Allemagne est prête à agir
si elle y est contrainte. Hitler est persuadé que Staline deviendra plus
accommodant et mettra fin à ses intrigues contre l’Allemagne, en
augmentant les livraisons, surtout de pétrole{757}.
Bien mieux, Merkoulov interdit à ses subordonnés de voler dans le
coffre-fort de Göring les documents qui devaient prouver les préparatifs
de guerre contre l’URSS{758}.
Cependant, le 16 juin 1941, Merkoulov et Fitine se résolurent à
transmettre à Staline les informations émanant des antifascistes allemands
sur l’achèvement des préparatifs de guerre contre l’URSS. On pouvait lire
dans leur dernier télégramme : « Tous les préparatifs militaires de
l’Allemagne en vue d’une offensive contre l’URSS sont achevés et on peut
attendre l’attaque d’un jour à l’autre. » Ce rapport fut annoté au crayon par
Staline : « Cam. Merkoulov. Vous pouvez envoyer votre source de l’état-
major de l’aviation allemande se faire f… Ce n’est pas une source, mais
un désinformateur. I. St. » Le lendemain Staline convoqua Merkoulov et
Fitine : « Mettez-vous cela dans la tête. On ne peut croire aucun Allemand,
à l’exception de Wilhelm Pieck{759}. » Et il leur conseilla de vérifier une
fois de plus ces informations{760}. Les archives ont conservé une note de
Fitine à P. M. Jouravlev, le responsable du département allemand du
NKVD, l’auteur de la compilation, datée du 22 juin : « Conservez
cela{761}. »
Les subordonnés de Beria s’inquiétaient de ce qu’il mettait dans un
tiroir des informations qu’ils jugeaient vitales. Ainsi, le 19 juin 1941,
Willy Lehmann informa son correspondant de l’ambassade soviétique que
la Gestapo avait reçu le texte de l’ordre de Hitler fixant la date de
l’offensive contre l’URSS au 22 juin ; selon Boris Jouravlev, l’officier
traitant de Lehmann, Beria ne transmit pas le câble à Staline et ne le lui
montra qu’à la dernière minute{762}. De même, le dossier contenant les
renseignements livrés en novembre 1941 par l’Orchestre rouge et transmis
à grand-peine et à grand risque à Moscou par Anatoli Gourevitch, l’envoyé
du GRU à Berlin, porte la mention manuscrite de Jouravlev :

Tous ces renseignements ont été remis au camarade Beria,


Commissaire du peuple, sur ordre du camarade Fitine. Nous n’avons
pas eu d’instructions concernant ce qu’il fallait faire de ces
informations{763}.
Un autre agent, « Carmen », s’étonnait du manque de réaction des
autorités soviétiques à ses rapports : « Pourquoi personne ne réagit-il à
mes appels ? Que se passe-t-il ? Je demande que mes communications
soient transmises au pouvoir suprême{764}. »

Le rôle d’Amaïak Koboulov et de Dekanozov.


Staline avait de bonnes raisons de se méfier des manœuvres
britanniques en vue d’entraîner l’URSS dans un conflit avec l’Allemagne.
Stewart Menzies, le chef du SIS, avait reçu l’ordre de Churchill de tout
mettre en œuvre pour casser l’entente germano-soviétique. Il utilisa bel et
bien la « Beria connection » pour tenter de brouiller l’Allemagne et
l’URSS{765} et il se peut que Beria ait apporté à Staline les preuves de
ces intrigues. Pour sa part, le SO1, la section des opérations spéciales du
SOE, avait été chargé de monter une opération de désinformation de
Hitler, visant à lui faire croire qu’une importante faction de
l’establishment britannique était prête à renverser Churchill et à conclure
la paix avec Berlin, de façon à l’encourager à attaquer l’URSS en le
persuadant qu’il n’aurait pas à combattre sur deux fronts. Cette opération
fut un succès total qui se traduisit par le vol de Rudolf Hess en Écosse en
vue de contacter le soi-disant « parti de la paix » en Grande-
Bretagne{766}. Hitler ne fut pas le seul à tomber dans le panneau. Staline
eut vent de ces contacts secrets et il crut d’autant plus volontiers à un
revirement imminent des Britanniques que cela correspondait à sa vision
idéologique des choses : les capitalistes ne pouvaient que s’entendre entre
eux sur le dos de l’URSS.
Victime de l’opération de désinformation anglaise qui ne lui était pas
destinée mais dont il avait des échos, Staline ne demandait pas mieux que
de prêter une oreille favorable aux mensonges distillés par les canaux de
Goebbels à l’ambassade soviétique à Berlin, avec l’aide de Göring et
Ribbentrop en personne. Le 15 février 1941, l’amiral Canaris avait été
chargé de coordonner toutes les opérations visant à désinformer les
Soviétiques et à camoufler les préparatifs de l’offensive contre
l’URSS{767}. Les Allemands savaient fort bien que Dekanozov et
Koboulov avaient des relations haut placées au Kremlin et que les deux
hommes constituaient les véhicules rêvés pour une opération de
désinformation. Leurs interlocuteurs allemands évoquaient l’existence
d’un « parti russe » important qui avait prétendument triomphé après une
longue traversée du désert. Ainsi, le 10 septembre 1940, deux mois avant
la visite de Molotov à Berlin, le professeur Oskar von Niedermayer confia
à A. Koboulov que sa carrière avait pâti de son orientation prorusse et
qu’un nouveau partage des sphères d’influence entre l’Allemagne et
l’URSS était souhaitable, l’Allemagne étendant son hégémonie au sud-est
de l’Europe, l’URSS en Mongolie et en Iran{768}. Mais surtout, Koboulov
s’enorgueillit d’avoir recruté, en août 1940, un « agent », Orest Berlinks,
un journaliste letton qui était en réalité contrôlé par la section russe de
l’Abwehrstelle Berlin. Soudoplatov ordonna à l’ambassade de ne pas
regarder à la dépense dans la rémunération de cette source précieuse. Les
rapports rédigés à partir des informations distillées par ce Letton
atterrissaient directement sur les bureaux de Staline et Molotov, souvent
sans être filtrés par les experts{769}. Et Koboulov renvoya l’ascenseur en
régalant Berlinks d’informations confidentielles, alors que, du côté
allemand, Hitler en personne suivait cette opération.
À la veille du voyage de Molotov à Berlin en novembre 1940, la
direction soviétique examina avec gourmandise les « informations »
émanant de cet agent, qui évoquaient la volonté allemande de parvenir à
un nouvel accord avec l’URSS et de partager la Turquie entre l’Allemagne
et l’URSS. Après la visite de Molotov, le même agent affirma que, d’après
ses sources haut placées, la phase difficile des relations germano-
soviétiques était passée et qu’une ère nouvelle s’ouvrait entre Berlin et
Moscou{770}. La désinformation allemande, relayée par le réseau Beria,
permit d’escamoter la nouvelle de l’adoption du « Plan Barbarossa »,
transmise par le renseignement militaire le 29 décembre. Le 30 décembre,
Koboulov demanda à l’agent letton de lui procurer le texte du discours
« antisoviétique » prononcé par Hitler le 18 décembre. Les officines de
Ribbentrop confectionnèrent volontiers une version de ce discours à
l’usage du Kremlin : l’Allemagne ferait tout pour éviter la guerre sur deux
fronts, mais le Führer était mécontent de l’URSS qu’il accusait de flirter
avec l’Angleterre et les États-Unis{771}.
L’absence de Korotkov, rappelé à Moscou pendant cette période, laissa
le champ libre à A. Koboulov et à son désinformateur : si Moscou avait
disposé à l’époque des informations collectées par l’Orchestre rouge, les
dirigeants soviétiques auraient eu une vision bien moins rose de l’état des
relations germano-soviétiques. À partir d’avril 1941 et jusqu’en juin, on
parla d’un nouveau partage des zones d’influence, ou bien d’un
rapprochement entre les deux pays scellé par une série de concessions
soviétiques : l’URSS céderait au Reich l’Ukraine, voire le Caucase, et
autoriserait le passage des troupes allemandes sur son territoire. Une lettre
de Dekanozov à Molotov, datée du 4 juin, emploie l’expression de
« nouveau Brest-Litovsk ».
Encore le 15 juin 1941, Ribbentrop laissait croire à d’importants
pourparlers avec l’URSS. La désinformation allemande consistait à
inculquer à Staline qu’il y avait à Berlin un « parti de la paix » vers lequel
penchait Hitler et un « parti de la guerre » constitué de généraux de la
Wehrmacht, que le « Drang nach Osten » avait une motivation purement
économique, que Berlin hésitait entre la conquête militaire de l’Ukraine et
du Caucase et un accord fondamental avec Staline qui mettrait l’Ukraine
et le pétrole du Caucase à la disposition du Reich. Dans une synthèse des
renseignements recueillis par les réseaux Harnack et Schulze-Boytzen,
rédigée deux jours avant l’offensive allemande, les analystes du NKVD ne
mentionnèrent que les arguments cités du côté allemand prouvant qu’une
attaque contre l’URSS n’était pas rentable pour l’Allemagne sur le plan
économique{772}.
À l’ambassade soviétique à Berlin et au Centre à Moscou, deux clans
s’affrontaient : le clan Koboulov qui ne croyait pas à la guerre et celui des
professionnels du renseignement – à Berlin, Alexandre Korotkov allié au
diplomate Valentin Berejkov, et à Moscou Pavel Jouravlev et Fitine – qui
estimaient la menace imminente. Merkoulov penchait pour ces derniers
mais il n’était pas homme à affronter ses supérieurs et se bornait à filtrer
quelquefois les rapports optimistes de Koboulov rapportant les propos de
son Letton, et à autoriser ses subordonnés à agir comme ils le jugeaient
bon. Dekanozov louvoyait et, sans cacher les nombreux indices laissant
penser que la guerre était imminente, il s’attardait avec complaisance dans
ses rapports sur les rumeurs contraires annonçant un tournant dans les
relations germano-soviétiques, un nouveau partage des zones d’influence,
ou bien un rapprochement entre les deux pays. Ainsi, dans une note datée
du 23 mai trouvée par A. Vaksberg dans les papiers de Vychinski, on peut
lire :

Notre attaché militaire à Berlin, le général Toupikov, commence à


envoyer des synthèses de renseignements sur les préparatifs de guerre
de l’Allemagne. Mais Dekanozov nous prévient que les militaires
exagèrent beaucoup la gravité de la menace{773}.

Début juin 1941, Koboulov fut rappelé à Moscou, non pour faire un
rapport sur la situation allemande, mais pour être informé de sa mutation
en Ouzbékistan – toujours prévoyant, Beria avait décidé de « planquer »
son collaborateur en Asie centrale pour qu’il s’y fasse oublier{774}. Le
4 juin, Korotkov sollicita de Fitine l’autorisation de l’accompagner afin de
pouvoir convaincre les dirigeants du Kremlin de l’imminence du danger et
de mettre au point les transmissions radio de l’Orchestre rouge avec
l’URSS, mais il n’obtint pas cette autorisation{775}. Aucun responsable
du renseignement du NKVD ne fut jamais reçu par Staline sans que ses
supérieurs, Beria, Merkoulov et Koboulov, ne fussent présents{776}.
Plus étrange encore est la rencontre du 5 mai entre von Schulenburg,
l’ambassadeur du Reich en URSS, qui venait de rentrer de Berlin
convaincu que Hitler avait pris la décision irrévocable d’attaquer l’URSS,
avec l’ambassadeur soviétique à Berlin, Dekanozov, alors de passage à
Moscou. Schulenburg l’avait vu à côté de Staline sur le mausolée lors de
la manifestation du 1er mai et il pensait que Dekanozov avait l’oreille du
dictateur. Il existe deux versions fort divergentes de cette entrevue. Selon
le conseiller d’ambassade allemande, Gustav Hilger, qui était présent,
Schulenburg avertit Dekanozov de la gravité de la situation ; insistant sur
le fait qu’il prenait l’initiative de cette rencontre à ses risques et périls, il
recommanda instamment au gouvernement soviétique d’engager une
démarche auprès de Berlin avant que Hitler ne frappe. Par la suite, cette
version a été confirmée par Mikoïan qui a rapporté à l’historien soviétique
G. Koumanev les propos de Schulenburg : « Vous vous demandez pourquoi
j’agis de la sorte ? J’ai été élevé dans l’esprit de Bismarck qui a toujours
été opposé à une guerre avec la Russie. » La réaction de Dekanozov étonna
Hilger : « Avec une obstination exaspérante », il ne cessait de demander si
ses interlocuteurs s’exprimaient ainsi à la demande de leur gouvernement ;
dans le cas contraire, il ne pouvait transmettre ces informations à son
gouvernement{777}. Bien mieux, dans le compte-rendu rédigé par
l’interprète soviétique V. N. Pavlov et corrigé par Dekanozov, il n’est en
rien question d’une attaque de l’Allemagne contre l’URSS, mais
uniquement de « rumeurs » de guerre qu’il importe de combattre en
entreprenant une démarche concertée avec l’ambassade allemande afin
d’améliorer les relations entre les deux pays. Mis au courant par Molotov
de la démarche de Schulenburg, Staline laissa tomber : « Eh bien, il faut
croire que la désinformation se fait désormais au niveau des
ambassadeurs{778}. »
Le 8 mai, Dekanozov fut reçu par Staline et le lendemain il rencontra à
nouveau Schulenburg et lui proposa de publier un communiqué commun
germano-soviétique démentant les rumeurs de guerre entre les deux pays ;
selon les minutes de l’entretien rédigées par Dekanozov, Schulenburg
approuva cette initiative en recommandant en outre que Staline adressât
une lettre aux dirigeants de l’Axe ; dans celle destinée à Hitler, il pouvait
suggérer en appendice la publication de ce communiqué commun. Cet
entretien est à l’origine de la célèbre et désastreuse annonce de l’agence
TASS du 14 juin 1941 démentant tout risque de guerre. Staline écrivit-il à
Hitler ? En tout cas lui et Molotov avaient accepté le principe d’une telle
démarche, ce que Dekanozov déclara à Schulenburg lors de leur dernière
entrevue le 12 mai, en lui recommandant de mettre au point avec Molotov
le contenu de la lettre{779}. Schulenburg se déroba, soulignant qu’il ne
s’était exprimé qu’à titre privé, et insista pour que « Staline écrive
spontanément de lui-même à Hitler ». Dans son rapport, Dekanozov relata
que Schulenburg lui avait demandé à plusieurs reprises de ne pas le
« trahir » et de cacher son rôle dans cette affaire.
Pour achever le tableau, citons ce télégramme de Dekanozov, daté du
21 juin 1941 :
I. Akhmedov [un officier du renseignement militaire] a reçu une
information de notre agent selon laquelle demain dimanche le 22 juin
l’Allemagne attaquera l’URSS. Je lui ai dit ainsi qu’à Koboulov son
supérieur de ne pas faire attention à de pareils bobards et j’ai
conseillé à nos diplomates de faire un pique-nique demain{780}.

En cela il se contentait de suivre son chef puisque, le 21 juin 1941,


Beria notait sur un document :

Ces derniers temps, de nombreux responsables donnent dans des


provocations outrancières et sèment la panique. Il convient de faire
pourrir dans les camps les agents « Faucon », « Carmen » et
« Fidèle » coupables de désinformation systématique, comme les
complices des provocateurs internationaux qui souhaitent nous
brouiller avec l’Allemagne. Les autres doivent recevoir un
avertissement sévère.

Ce même jour, il adressa un rapport à Staline :

Je réclame à nouveau le rappel et le châtiment de notre ambassadeur


à Berlin Dekanozov, qui continue à me bombarder de désinformation
sur la soi-disant attaque imminente de l’Allemagne contre l’URSS. Il
prétend qu’elle commencera demain… C’est ce qu’a aussi
télégraphié le général Toupikov, notre attaché militaire à Berlin. Cet
abruti de général affirme que, d’après ses sources, trois groupes
d’armées de la Wehrmacht attaqueront Moscou, Leningrad et Kiev. Il
a l’audace d’exiger que nous fournissions un émetteur à ces
menteurs… Le général Golikov, responsable de la Direction du
renseignement où sévissait récemment encore la bande de Berzine, se
plaint de Dekanozov et du colonel Novobranets qui prétend de
manière mensongère lui aussi que Hitler a stationné 170 divisions à
nos frontières. Mais moi et mes hommes, Iossif Vissarionovitch, nous
n’oublions pas un instant votre sage prévision : Hitler ne nous
attaquera pas en 1941 ! L. P. Beria 21 juin 1941{781}.

Ainsi Beria discréditait-il le renseignement militaire en rappelant qu’il


s’agissait du fief de Ian Berzine qui venait d’être fusillé. On notera aussi
l’allusion aux émetteurs, qui explique pourquoi le Centre n’avait guère
pris de mesures pour assurer la liaison avec l’Orchestre rouge en cas de
guerre.
Ainsi, à travers le réseau Beria, l’opération de désinformation
allemande fut un plein succès dont Goebbels put se féliciter :

Les Russes semblent ne se douter encore de rien. En tout cas, ils


manœuvrent exactement comme nous pouvions l’espérer : ils se
regroupent grossièrement, une proie facile à capturer{782}.

Beria contribua-t-il sciemment au fourvoiement de Staline ? Les purges


rigoureuses dans les services de renseignements montrent qu’il souhaitait
ne laisser à l’étranger que ses réseaux personnels ou des réseaux dont il
s’était assuré un contrôle total en faisant peser sur leurs officiers le
souvenir d’une arrestation évitée de justesse. Beria pouvait chercher à
valoriser ses hommes aux yeux de Staline en transmettant des
renseignements qui allaient dans le sens des attentes de celui-ci.
Cependant, d’autres détails sont troublants. Le 15 mars 1940, le NKVD
avait autorisé à revenir en Allemagne les pilotes d’un avion allemand
ayant violé la frontière de l’URSS et contraint d’atterrir. L’avion fut rendu
aux Allemands après avoir été réparé par les Soviétiques{783} ! Et, le
17 mars 1940, Beria avait envoyé l’ordre suivant au commissariat du
peuple à la Défense, qui ouvrait en quelque sorte l’espace aérien
soviétique aux avions espions allemands :

Étant donné que les violations de notre frontière par les avions
allemands ne sont apparemment pas intentionnelles, le NKVD de
l’URSS considère qu’il est indispensable d’envoyer à nos gardes-
frontières une directive leur interdisant d’avoir recours aux armes en
cas de violation de notre frontière par des avions allemands, et leur
recommandant de signaler chaque cas afin que nos responsables de la
protection des frontières puissent protester auprès de leurs
homologues allemands{784}.

Plus étonnant encore, quand on connaît l’espionnite de Staline, des


groupes de la Wehrmacht furent autorisés par Beria à arpenter les régions
occidentales de l’URSS sous couvert de chercher les tombes de soldats
allemands tués pendant la guerre de 1914. « Il était clair que les
Allemands ne cherchaient pas les tombes mais les points faibles de nos
régions frontalières. […] Staline ne voulut pas écouter nos
avertissements », écrira le maréchal Joukov dans ses Mémoires{785}. Le
commandant de l’Abwehr Bruno Schultze put ainsi parcourir en chemin de
fer et en toute tranquillité l’itinéraire Moscou-Kharkov-Rostov-sur-le-
Don-Grozny-Bakou et remettre à l’attaché militaire allemand une moisson
de renseignements sur les voies ferrées soviétiques et les possibilités de
sabotage des gisements pétroliers du Caucase, sans que le NKVD s’en
avisât à temps{786}.
D’autre part, le 16 mai 1941, Merkoulov proposa d’organiser la
déportation des « éléments antisoviétiques » des trois républiques
baltes{787}. Et, le 14 juin 1941, le NKVD entreprit dans les États baltes et
en Bessarabie des déportations de masse qui étaient encore en cours le
21 juin. Le NKVD aurait-il voulu assurer un accueil triomphal aux troupes
de la Wehrmacht dans les régions qu’elle venait d’envahir qu’il ne s’y
serait pas pris autrement.
D’autres secteurs vitaux en cas de guerre furent décimés de manière
systématique en mai-juin 1941 ; ainsi, le 31 mai, l’ingénieur A. I. Filine,
qui suggérait d’installer des radios sur les avions de chasse MIG-3, fut
arrêté avec tout un groupe d’avionneurs{788} ; début juin, Beria organisa
une vague d’arrestations dans la défense anti-aérienne sous prétexte que,
le 15 mai 1941, un Junker 52 allemand avait réussi à atterrir sur
l’aérodrome central de Moscou sans être détecté{789}. P. V. Rytchagov, le
commandant des forces aériennes, fut arrêté, de même que G. M. Shtern,
le chef de la défense anti-aérienne, A. D. Loktionov, le commandant de la
région militaire de la Baltique, le contre-amiral K. I. Samoilov, chef de la
défense navale de Leningrad le 18 juin, et Boris Vannikov, le commissaire
du peuple à l’Armement. Sous la torture, ce dernier « avoua » appartenir à
un réseau de sabotage dirigé par l’Allemagne, dont les tentacules
s’étendaient dans les industries d’armement soviétiques. Quelques jours
avant l’attaque allemande, de nombreux responsables de ce secteur furent
incarcérés. Le 22 juin, le nouveau responsable de la défense anti-aérienne,
le général N. N. Voronov, était en poste depuis trois jours ! Comme
toujours, chaque arrestation en entraînait d’autres dans son sillage et
l’armée semblait menacée par une nouvelle purge de grande ampleur. On
arrêtait les officiers qui avaient échappé aux purges de 1937-1938, et les
arrestations se poursuivirent quelques jours encore après l’attaque
allemande{790}. Tout cela contribua à la débâcle des premiers mois de la
guerre.
En apprenant l’attaque allemande contre l’URSS, Koboulov fut dans un
tel état de choc qu’il sortit de chez lui en savates et en caleçon et
s’effondra sur le perron{791}. Et comme l’écrit l’historien Peščerski : « Il
est difficile d’expliquer l’obstination que mettait Koboulov à rencontrer le
provocateur de la Gestapo, tout ceci avec l’approbation de ses
supérieurs{792}. »
Lorsque l’on embrasse l’ensemble du tableau brossé ci-dessus, on ne
peut s’empêcher de penser qu’il y avait derrière cette déformation
systématique des renseignements, ce blocage d’informations vitales, et
plus tard la malchance persistante des agents soviétiques dans les pays de
l’Axe, plus qu’un concours de circonstances. Beria savait que Staline
tenait par-dessus tout à l’entente avec l’Allemagne et il s’est servi de ces
dispositions de son chef pour réaliser des objectifs qui lui étaient propres
et sur lesquels on ne peut que formuler des hypothèses, ne disposant que
d’indices ténus, comme le témoignage de Chalva Berichvili ou le récit du
transfuge Tokaev évoquant une opposition clandestine qui, dès la veille de
la guerre, aurait envisagé de profiter du conflit avec l’Allemagne pour
renverser Staline et le remplacer par Beria{793}. L’entêtement même de
Staline dans ses erreurs ne s’explique pas par sa seule tendance à prendre
ses désirs pour des réalités. Il était entretenu dans ses errements par les
insinuations de son favori du moment qui avait de surcroît l’habileté de lui
souffler des interprétations comme si elles étaient les siennes. Le 21 juin
1941, le prestige de Staline subit un coup dont ceux qui le haïssaient en
secret espéraient qu’il ne se relèverait pas. Beria était déjà de ce nombre.

Beria et les réseaux caucasiens à la veille de la guerre


Beria s’inquiétait vivement du sort de sa patrie caucasienne en cas de
guerre et les démarches entreprises par le chef du NKVD entre 1939 et
1941 concernant le Caucase ne sont compréhensibles que si l’on se
remémore le précédent de la Première Guerre mondiale. Beria s’attendait
à ce que le Caucase soit à nouveau occupé par les Allemands, puis libéré
par les Anglo-Saxons. Sa politique était dictée par une triple
préoccupation : faire en sorte que sa Géorgie natale ne souffre pas trop de
la guerre ; éviter une invasion turque du Caucase du Sud, car le souvenir
de l’offensive de Nouri Pacha à l’été-automne 1918 était encore cuisant ;
enfin, prendre des mesures pour que, quels que soient les aléas du conflit,
il soit en position de préserver sa sécurité personnelle, voire de continuer à
influencer les événements. Grâce aux émigrés Beria continua d’étoffer son
réseau de renseignement personnel, indépendant du NKVD et de Staline.
Autant les réseaux antifascistes allemands furent victimes d’une guigne
persistante, autant les réseaux caucasiens, en particulier mingréliens, se
montrèrent étonnamment doués pour surnager, en dépit des vicissitudes
d’une époque féconde en retournements.
La montée de Beria à Moscou ne diminua en rien son intérêt pour les
contacts avec ses compatriotes émigrés, bien au contraire, et, à partir de
1939, il y eut chez lui une volonté d’action concertée avec les émigrés.
Une véritable synergie entre lui et l’émigration géorgienne allait se
développer au cours de la guerre et dans l’immédiat après-guerre. On
constate une remarquable osmose entre les vues des émigrés géorgiens et
celles de Beria telles que nous pouvons les déduire de son comportement à
la tête du NKVD. De part et d’autre dominait le sentiment de la précarité
de l’existence d’un petit peuple. Le patriotisme géorgien était un
patriotisme de survie qui rendait possible une complicité à grande échelle
entre communistes géorgiens et émigrés. « Les Géorgiens n’étaient
préoccupés que de sauver physiquement leur race », écrira le général
Spiridon Tchavtchavadzé dans une note au MGB de Géorgie{794}. Chalva
Maglakelidzé, le futur commandant de la Légion géorgienne recrutée par
la Wehrmacht, n’était pas si irréaliste lorsqu’il déclarait devant ses
proches en 1938 :

Nous n’avons pas peur des bolcheviks géorgiens. Lorsque nous


reviendrons en Géorgie, ils se rallieront à nous. Lorsque la guerre
éclatera, nous nous emparerons du pouvoir avec eux, en conservant
peut-être même les formes extérieures du système soviétique. Après
nous leur réglerons leur compte{795}.

L’émergence des dictatures, le rapprochement franco-soviétique, la


perspective d’un nouveau conflit européen, tout cela bouleversa le petit
monde des émigrés antibolcheviques, en particulier les Caucasiens. En
effet, il était prévisible qu’en cas de guerre le Caucase serait détaché de la
Russie et passerait sous la protection d’une puissance européenne. La
grande question pour les émigrés était de savoir sur qui miser. Parmi les
Géorgiens de droite, l’attraction de l’Italie mussolinienne se fit sentir très
tôt et favorisa la création du parti Thethri Guiorgui. Les mencheviks se
déclaraient fidèles à la France et à la Grande-Bretagne. Ainsi
E. Gueguetchkori rédigea-t-il, au nom du gouvernement menchevique
géorgien en exil, un manifeste de soutien aux Anglo-franco-polonais,
publié en décembre 1939 dans la revue Prométhée. Après la défaite de la
Pologne, il envoya un représentant permanent auprès du gouvernement
polonais à Angers.
Mais les positions des mencheviks s’affaiblissaient depuis la venue au
pouvoir de Hitler et surtout depuis le traité franco-soviétique de 1935 qui
avait consterné l’émigration antibolchevique. E. Gueguetchkori et
quelques mencheviks étaient d’avis qu’il fallait s’efforcer de maintenir de
bonnes relations à la fois avec les Franco-Britanniques et avec les
Allemands. Au printemps 1935, Jordania avait envoyé à Berlin l’un des
nationaux-démocrates, Chalva Odicharia, pour proposer aux Allemands
une coopération avec l’émigration géorgienne. Déjà il faisait valoir que les
émigrés étaient en contact constant avec les organisations clandestines
existant en Géorgie{796}. Si le clan germanophile ne cessait toutefois de
se renforcer, l’organisation « Caucase », patronnée par les Japonais et les
Allemands, qui visait la création d’une fédération caucasienne orientée
vers la Turquie et l’Allemagne, était infiltrée par l’agent de Beria,
Gueguelia. Grâce à lui le NKVD put rédiger, le 19 décembre 1938, une
note sur les objectifs turcs et allemands dans le Caucase à l’intention du
Comité central du PCbUS{797}.
Le souhait le plus cher des émigrés de droite comme de gauche était la
constitution d’un bloc occidental dirigé contre l’URSS. Leur plus grande
inquiétude était que le Caucase ne devînt un champ de bataille et que les
populations locales ne fussent forcées de choisir leur camp et ne
devinssent les victimes du conflit entre les grandes puissances : l’exemple
des Arméniens pendant la Première Guerre mondiale était encore dans
toutes les têtes. Il fallait donc avoir des alliés dans chaque camp et se
mettre d’accord pour mener cette politique en apparence opportuniste, en
réalité inspirée par le souci de survie. Ainsi les mencheviks de Paris eurent
des émissaires dans chaque capitale. En août 1938, ils envoyèrent à
Varsovie Sidamon Eristavi pour les représenter auprès du gouvernement
polonais ; à Prague, ils étaient représentés par Emeliane Lomtatidzé. En
avril 1939, ils résolurent d’installer en Pologne, en Roumanie, en Turquie,
en Iran et en Suisse au moins trois hommes « capables de s’orienter et
d’agir en fonction des circonstances », et ils sollicitèrent l’appui financier
des Français pour réaliser cette entreprise{798}. Pendant la guerre,
E. Gueguetchkori fit d’Andro Gougouchvili son représentant auprès du
gouvernement Sikorski à Londres et Michel Kedia fut mandaté à Berlin
pour les contacts avec l’Abwehr et le RSHA, l’Office central de Sécurité
du Reich.
Autant les émigrés géorgiens s’étaient réjouis du rapprochement
germano-polonais en 1934, autant ils s’efforcèrent d’éviter la guerre entre
la Pologne et l’Allemagne, à cause des liens anciens qui les liaient à ces
deux pays. Ils appelaient de leurs vœux un front uni des puissances
occidentales contre l’URSS. En Allemagne, l’Abwehr et ceux qui étaient
opposés à une guerre avec la France et la Grande-Bretagne le savaient et
ils tentèrent d’utiliser la médiation de Géorgiens pour résoudre la crise de
Dantzig en 1939. Ils eurent recours à Chalva Maglakelidzé, un émigré
géorgien proche des fascistes italiens qui, de 1936 à 1939, édita Kartlosi –
une revue de tendance fasciste financée par Rome – et qui entretenait des
liens étroits avec Enrico Insabato, le « Rosenberg » italien{799}.
Maglakelidzé appartenait à une organisation secrète de l’émigration
caucasienne, dont était aussi membre Noé Jordania et le dachnak Archak
Djamalian. Fin 1938, cette organisation envoya Maglakelidzé et
Djamalian à Berlin et Schulenburg présenta le Géorgien à Canaris en mai
1939. Le chef de l’Abwehr était un partisan résolu de l’indépendance de la
Géorgie. Maglakelidzé rencontra le major Hermann Baun qui sera plus
tard chargé des opérations de subversion contre l’URSS au sein de
l’Abwehr. Les Allemands s’intéressaient en particulier aux officiers
géorgiens se trouvant en Pologne. Maglakelidzé était l’ami du général
Alexandre Zakariadzé, le chef des officiers caucasiens en Pologne. Les
Allemands lui demandèrent de transmettre à l’état-major polonais qu’ils
souhaitaient une alliance avec la Pologne pour faire la guerre à
l’URSS{800}. Maglakelidzé raconte dans ses Mémoires qu’il se rendit
trois fois en Pologne de juin à août 1939{801}. En juillet 1939, il
rencontra Göring et Canaris qui lui dit que, si les Polonais ne rendaient pas
Dantzig, ce serait la guerre ; Maglakelidzé devait entrer en contact avec
les officiers géorgiens se trouvant en Pologne afin de faire comprendre par
leur entremise aux Polonais que leur intransigeance les condamnait à un
Blitzkrieg qu’ils n’avaient aucun espoir de gagner. Le 16 août,
Maglakelidzé arriva en Pologne où il rencontra Zakariadzé et le Géorgien
Alexandre Kipiani qui travaillait pour les services spéciaux polonais. Il
leur transmit le message de Canaris et Göring. Trois jours après la chute
de Varsovie, Canaris et le major Baun se rendirent à Lodz où ils
organisèrent une réunion des responsables du renseignement à laquelle
assistait Maglakelidzé : il s’agissait de créer à partir de la Pologne un
réseau de renseignement contre l’URSS{802}. Cet épisode montre que les
liens entre l’Abwehr et les Géorgiens s’étaient noués très tôt et il est fort
possible que Beria ait été au courant.
De son côté, Beria envoya en France son neveu par alliance, Tchitchiko
Namitcheichvili, qui fut employé à la mission commerciale de l’URSS où
il jouissait d’un grand prestige. Celui-ci ne manqua pas d’attirer
l’attention des services français qui le qualifièrent d’« agent soviétique
très dangereux », « ami de Beria et intime de Staline », le soupçonnant de
faire partie d’une « équipe volante » chargée de désorganiser le front en
cas de guerre. Il rencontra son parent E. Gueguetchkori et fut en contact
avec des Polonais et des Espagnols{803}.
En outre Beria entreprit, en avril 1939, de créer sous l’aile du NKVD un
pseudo-groupe nationaliste géorgien destiné à devenir l’interlocuteur des
services spéciaux allemands, le « Groupe d’initiative pour l’unification
des forces nationales géorgiennes ». Or, dans le reste de l’URSS, ces
groupes ne seront constitués à la hâte qu’après juin 1941. Beria confia la
direction de ce groupe au philosophe Chalva Noutsoubidzé, professeur à
l’université de Tbilissi, qui avait été arrêté en 1937, accusé d’avoir créé
avec l’historien I. Djavakhichvili et l’écrivain Constantin Gamsakhourdia
un « Centre national géorgien », et d’avoir été chargé par Boudou
Mdivani, en 1932, de renouer le contact avec les émigrés mencheviques,
lors d’un voyage à Paris. Dès son arrestation, Beria avait protégé
Noutsoubidzé en lui confiant la traduction en russe de l’épopée géorgienne
Le Chevalier à la peau de tigre, qu’il avait fait lire à Staline. Celui-ci avait
même daigné recevoir le philosophe.
Noutsoubidzé fut libéré après avoir accepté de devenir un agent du
NKVD. Outre le philosophe, le « Groupe d’initiative pour l’unification des
forces nationales géorgiennes » patronné par Beria comprenait l’historien
de l’art Vukol Beridzé et le byzantiniste Simon Kaouktchichvili.
Noutsoubidzé avait aussi sollicité le concours du dentiste Apollon
Ourouchadzé que nous connaissons déjà. Tous trois avaient appartenu au
Parti social-fédéraliste. Kaouktchichvili intéressait Beria car son frère,
Mikheïl, travaillait chez Siemens et était le représentant du gouvernement
Jordania en Allemagne pour les questions économiques{804}. Quant à
Noutsoubidzé, il était resté en relations avec ses collègues universitaires
allemands et il avait une maîtresse à Berlin. Il fut chargé par le NKVD de
« restaurer ses contacts avec l’intelligentsia nationaliste bourgeoise ».
Pour sa part, Kaouktchichvili devait, au nom du « Groupe d’initiative »,
entrer en contact avec les émigrés géorgiens pro-allemands vivant à Berlin
et leur envoyer un émissaire. En outre, il devait être introduit à
l’ambassade d’Allemagne. L’idée était de faire croire que d’anciens
mencheviks, des sociaux-fédéralistes et des nationaux démocrates,
auxquels s’ajoutaient des communistes nationalistes, s’étaient rassemblés
dans une organisation nationaliste clandestine.
Dans un premier temps, Noutsoubidzé et Kaouktchichvili durent rester à
Moscou, leur mission étant si confidentielle que Beria voulait les garder
sous la main et leur donner ses instructions en passant par des
intermédiaires qui avaient sa confiance, Dekanozov et Koboulov.
L’officier du NKVD Viktor Iline supervisait l’opération. Après le pacte
germano-soviétique, le groupe fut renvoyé à Tbilissi et un proche de Beria,
Avksenti Rapava, alors chef du NKVD géorgien, en assuma la
direction{805}. L’opération fut mise en veilleuse. Staline était tenu au
courant des contacts du NKVD avec l’émigration géorgienne, même si
Beria ne lui révélait qu’une partie de sa politique. Son intérêt pour les
mencheviks géorgiens ne se démentit jamais et durant toute la guerre il se
fit remettre des rapports sur leurs activités{806}.
Pour mettre en œuvre une politique de collaboration avec l’émigration,
il fallait avant tout que la frontière géorgienne redevînt poreuse. En
décembre 1938, Beria nomma donc à la tête du NKVD géorgien un homme
de confiance, Avksenti Rapava, et lui confia la tâche d’organiser des
filières d’infiltration à la frontière turco-géorgienne. Les dirigeants
mencheviques ne tardèrent pas à l’apprendre et, en juillet 1939, Jordania
demanda aux Polonais de fournir un passeport à Chalva Berichvili, alors
l’un des chefs du renseignement des sociaux-démocrates géorgiens, qu’il
avait décidé d’envoyer en Turquie « pour établir une liaison étroite avec la
Géorgie{807} ».
Depuis la fin de 1938, les émigrés géorgiens s’inquiétaient avant tout
d’une entente entre l’Allemagne et la Turquie qui se conclurait au
détriment des pays caucasiens : selon la rumeur, en échange de son soutien
au Reich, la Turquie obtiendrait un protectorat sur l’Arménie et la Géorgie
soviétiques après la défaite de l’URSS. Les émigrés multipliaient les
démarches tous azimuts pour essayer de se faire entendre et, en décembre
1938, le Centre national géorgien présidé par Jordania se mit d’accord
avec les Japonais sur une collaboration des émigrés géorgiens avec les
attachés militaires japonais en Turquie et en Iran{808}.
Le pacte germano-soviétique du 23 août 1939, puis le traité d’« amitié
et de délimitation des frontières », conclu le 28 septembre après la
destruction de la Pologne, faisait de l’URSS comme une alliée de
l’Allemagne aux yeux des dirigeants français. La France conçut donc
l’idée de saboter les gisements de pétrole du Caucase, puisqu’en 1940 un
tiers des importations pétrolières du Reich venait de l’URSS et que 80 %
du pétrole soviétique provenait du Caucase. Le sursaut antibolchevique
des Occidentaux et la menace d’une collusion germano-turque expliquent
l’enthousiasme des Géorgiens émigrés pour les plans franco-britanniques
d’expédition en Transcaucasie{809}, qui furent discutés début septembre
1939 lors d’une réunion à Paris. Étaient présents les dirigeants du Bureau
de l’étranger menchevique géorgien, Adrien Marquet – l’ami de Jordania
et Gueguetchkori –, le général Bricaud, le colonel Lochard, le colonel
Scott et le capitaine Williams du côté britannique, et, du côté polonais, le
colonel Nowaczek. Il fut alors décidé d’envoyer Chalva Berichvili auprès
du général Weygand, afin d’organiser des filières d’infiltration en
URSS{810}. Berichvili connaissait Weygand de longue date : il lui avait
été présenté en 1932 par le général polonais Sosnkovski{811}.
Pour les Français la mission de Berichvili ne devait pas se borner au
renseignement. Par ses contacts mingréliens relayés en haut lieu par
Adrien Marquet, Beria avait fait savoir qu’il était disposé à prendre la
place de Staline. Après le pacte germano-soviétique, les Franco-
Britanniques ne pouvaient qu’être doublement intéressés par la
perspective d’un putsch au Kremlin. Lors du procès de Beria à l’été 1953,
Berichvili racontera aux enquêteurs qu’avant son départ en Turquie, il
avait lu une lettre de Léon Blum à Noé Jordania, dans laquelle Blum
demandait à l’ex-président géorgien s’il était possible d’envisager un coup
d’État en URSS et l’arrivée au pouvoir de nouveaux dirigeants orientés
vers les Alliés. À la veille du départ de Berichvili, Jordania lui dit que les
Alliés songeaient sérieusement à miser sur Beria{812}. Il lui recommanda
de rechercher des contacts avec les dirigeants communistes géorgiens, en
citant Rapava dont l’épouse lui était apparentée : son neveu Guigo
Jordania était le frère de la femme de Rapava. Berichvili connaissait
Rapava de longue date, il l’avait fréquenté au temps de ses études à
Koutaïssi, quand Rapava était socialiste fédéraliste.
Le 16 septembre 1939, l’envoyé des mencheviks arriva en Turquie où il
devait servir d’expert sur le Caucase auprès du renseignement militaire
français. Sa mission était aussi d’entrer en contact avec les organisations
anticommunistes clandestines se trouvant en Géorgie : la lecture de la
presse communiste officielle géorgienne avait convaincu les Occidentaux
que ces dernières existaient bel et bien. Début octobre, Berichvili parvint à
se rendre clandestinement à Tiflis et, vers le 20 octobre, il était déjà de
retour en Turquie. Son équipée fit sensation car il revenait avec une
moisson exceptionnelle. D’abord il rapporta des notes du discours de
Staline le 21 août, lors d’une session secrète du Politburo au cours de
laquelle Staline informa ses collègues – dont le secrétaire du PC géorgien,
Tcharkviani – des raisons pour lesquelles il avait choisi l’entente avec
l’Allemagne :

Après la victoire du socialisme en Russie, le Parti communiste et le


gouvernement soviétique ont désormais un objectif : organiser la
révolution socialiste mondiale. Cependant l’expérience montre que
cette dernière n’est possible qu’en résultat d’une nouvelle guerre
mondiale, de même que la révolution [russe] fut la conséquence de la
Première Guerre mondiale. Mais il faut qu’une condition soit remplie
à tout prix : nous devons impérativement rester à l’écart du conflit
jusqu’au moment opportun. C’est pourquoi nous rejetons l’entente
avec les pays bourgeois et nous concluons un pacte avec l’Allemagne.
Cette tactique nous est dictée par les relations extrêmement tendues
entre les États fascistes et les États bourgeois. Nous devons tout faire
pour rendre ces relations encore plus exécrables et rendre possible un
conflit entre nos ennemis. […]. Nous étions bien conscients que notre
alliance avec le bloc anglo-français aurait pu effrayer l’Allemagne et
l’inciter à s’entendre à nouveau avec les Anglo-Français. Nous avons
conclu le pacte avec l’Allemagne pour faciliter son entrée en guerre –
une guerre qui se terminera par notre intervention et la réalisation de
nos objectifs […]. Jusqu’au moment décisif, nous devons conserver
toute notre force et augmenter notre puissance en évitant toute
entreprise risquée, afin qu’un jour nous puissions tomber sur l’Europe
affaiblie et désorganisée avec toutes les forces de l’Union soviétique.

Puis Staline souligna l’urgente nécessité de conclure un pacte avec le


Japon et exhorta les communistes à comprendre la « grandeur du
moment » et à ne pas se laisser aller « aux oscillations et aux sentiments ».
Ce document est cité d’après des notes de Berichvili dans les archives de
l’émigration géorgienne, qui portent la mention : « Information n° 1
transmise aux Français et aux Polonais{813}. » Telle est très
probablement la source du fameux discours de Staline du 19 août publié le
27 novembre 1939 par l’agence Havas de Genève, texte obtenu d’« une
source absolument fiable » selon l’organe des émigrés
mencheviques{814}, et repris par le principal quotidien français, Le
Temps, le 29 novembre. Cette publication, qui révélait les desseins
agressifs de Staline, fit grand bruit en Occident, au point que ce dernier
dénonça dans la Pravda du 29 novembre « ce mensonge fabriqué dans un
cabaret ».
Outre ce document, Berichvili rapporta d’importants renseignements
sur la Géorgie et l’URSS. Concernant la réaction au pacte en Géorgie, il
affirma que les responsables communistes n’en étaient pas étonnés « car
ils connaissaient la germanophilie constante des cercles dirigeants à
Moscou » ; en revanche les militants de base manifestèrent un grand
désarroi et Berichvili fit état de répressions de masse dans le Caucase et au
Turkestan. Selon lui, le pacte avait suscité une sourde opposition à Staline
au sein du Parti et du haut commandement de l’Armée rouge et les
groupes antisoviétiques devenaient plus actifs, surtout dans les
républiques non russes, beaucoup espérant que la guerre imminente
mettrait fin à la dictature de Staline. Le régime soviétique était détesté par
tous. La mobilisation partielle de septembre 1939 avait révélé
l’impréparation de l’appareil soviétique et le dilemme fondamental du
régime en cas de guerre : fallait-il laisser les cadres du Parti à l’arrière, au
risque de compromettre l’efficacité des forces armées, ou les intégrer dans
les troupes, au risque de perdre le contrôle de l’économie et de
l’administration ? Les communistes étaient aussi inquiets de l’annexion de
la Pologne orientale, car l’influence polonaise raviverait l’opposition des
peuples asservis. Tous s’attendaient à une nouvelle expansion de l’URSS
dans les Balkans et en Turquie, sur le modèle des méthodes employées
dans les États baltes. La rumeur courait à Tiflis que Moscou avait réclamé
des bases dans les Détroits et que si la Turquie ne revenait pas aux
frontières de 1914 et ne fermait pas les Détroits, elle serait soviétisée. On
racontait également qu’une commission dirigée par Dekanozov était en
train de planifier sa soviétisation. En outre, l’URSS projetait d’annexer
l’Azerbaïdjan iranien. Enfin, le NKVD et la Gestapo avaient noué une
collaboration étroite, même en Turquie{815}. La neutralité de Moscou
n’était que de la désinformation, le rapprochement avec l’Allemagne était
bien plus qu’une manœuvre{816}.
Il est évident que, comme en 1930, Berichvili ne faisait que transmettre
ce que Beria voulait faire savoir à l’Occident. Plus tard, lorsque Berichvili
sera arrêté par le NKVD, les hommes de Beria essaieront de désamorcer la
bombe en laissant entendre que lui et ses acolytes étaient restés terrés dans
les bois pendant tout leur séjour en Géorgie et qu’ils avaient fabriqué de
toutes pièces les documents et les renseignements transmis aux Polonais et
aux Français pour se faire valoir. L’examen de la moisson de Berichvili,
heureusement en partie conservée dans les archives de l’émigration
géorgienne, dément cette assertion. Le discours de Staline cité plus haut
reproduit de manière exacte le raisonnement de celui-ci tel que nous le
connaissons aujourd’hui par d’autres sources. Par exemple, le 7 septembre
1939, Staline déclara devant Dimitrov qui en prit soigneusement note :
La distinction entre États fascistes et États démocratiques n’a plus de
sens. […] La guerre met aux prises deux groupes de pays capitalistes
pour le partage du monde, pour la domination du monde. Nous ne
sommes pas contre cette guerre : qu’ils s’étripent mutuellement et
s’affaiblissent l’un l’autre ! Il est bon que par les mains de
l’Allemagne la position des pays capitalistes les plus riches (surtout
de l’Angleterre) soit ébranlée. Hitler, sans le vouloir et sans le savoir,
est en train de subvertir et de détruire le système capitaliste. […]
Nous pouvons manœuvrer, attiser la guerre entre eux, pour qu’ils
s’entre-déchirent mieux. Le pacte de non-agression aide dans une
certaine mesure l’Allemagne. Maintenant nous devons pousser l’autre
camp{817}.

Il est exclu qu’un émigré de longue date ait pu inventer une fiction si
proche de la réalité. De même les renseignements transmis indiquaient des
accointances en haut lieu au sommet du NKVD, car qui savait à l’époque
que le NKVD et la Gestapo venaient d’entamer une coopération
fructueuse ? Qui pouvait connaître la connivence germano-soviétique sur
la question turque, qui se manifesta le 1er octobre 1939 lorsque Molotov
essaya de persuader le ministre des Affaires étrangères turc Saradjoglu de
renoncer au pacte d’assistance avec la France et la Grande-Bretagne ? Qui
pouvait annoncer avec tant d’exactitude les exigences futures de l’URSS,
des bases dans les Détroits, une révision de la frontière avec la Turquie,
l’annexion de l’Azerbaïdjan du Sud ? On peut objecter que Staline ne prit
aucune mesure contre le Politburo après la publication par l’agence Havas
de son prétendu discours du 19 août ; or il n’était pas homme à tolérer les
fuites. Le plus vraisemblable est qu’il ne tint jamais ce discours et que
Beria et ses proches concoctèrent eux-mêmes ce texte, à partir de ce qu’ils
savaient de la stratégie de Staline. Formellement le texte était un faux,
même s’il rendait fidèlement le fond de la pensée du Guide.
Reste à comprendre quels objectifs poursuivait Beria en se livrant à un
si dangereux stratagème. La conclusion logique que devaient tirer les
Occidentaux des propos de Staline était qu’une guerre européenne était
dangereuse au plus haut degré, et qu’il fallait d’urgence recréer un bloc
antisoviétique, en faisant passer la lutte contre Staline avant celle contre
Hitler. On peut se demander si la récolte de Berichvili ne fut pas pour
quelque chose dans le raidissement antisoviétique des dirigeants français à
partir d’octobre 1939, dans leur évolution vers l’idée de faire la guerre à
l’Allemagne en attaquant son alliée soviétique de Petsamo à Bakou. À
Berlin non plus la publication de l’agence Havas ne passa pas inaperçue,
comme en témoignera ce commentaire de Goebbels dans son Journal :

Nous devons agir. Moscou veut se tenir en dehors de la guerre jusqu’à


ce que l’Europe soit exténuée et exsangue. C’est alors que Staline
voudrait agir, bolcheviser l’Europe et prendre les rênes{818}.

L’un des buts de Beria aurait donc été de mettre les Occidentaux en
garde contre les desseins agressifs de Staline -- et ce n’était qu’une
première tentative, car Beria organisera d’autres fuites à des moments
cruciaux de la guerre froide, toujours dans le même but. Peut-être était-ce
aussi un gage discret aux Alliés : au début de 1940, Berichvili reçut deux
lettres de Jordania, dans lesquelles l’ancien président géorgien l’informait
que Spiridon Kedia et Eugène Gueguetchkori menaient des pourparlers
avec les Anglais et les Français au nom de Beria en vue d’un éventuel
coup d’État au Kremlin{819}. Toutefois Beria poursuivait un autre
objectif en permettant à Berichvili de combler ses commanditaires :
encourager les Occidentaux à prendre au sérieux leurs alliés géorgiens, à
assurer aux mencheviks une place prépondérante parmi les émigrés
géorgiens et caucasiens ; et aussi contrebalancer l’influence turque en
donnant la preuve que les peuples caucasiens étaient tout autant en mesure
de servir la cause alliée. Les renseignements rapportés par Berichvili, le
texte du discours de Staline surtout, lui conférèrent un grand prestige
parmi ses interlocuteurs occidentaux. Il rencontra en Syrie Weygand qui
lui dit qu’une guerre avec l’URSS était inévitable, que l’URSS perdrait
cette guerre, que les Alliés créeraient une Confédération caucasienne et
qu’il s’engageait à favoriser le retour du gouvernement menchevique en
Géorgie{820}. Berichvili devint le représentant du gouvernement
menchevique et du Centre national géorgien auprès de l’état-major de
l’armée Weygand qui fut doté d’une section caucasienne. Weygand le
présenta au maréchal Tchakmak, chef de l’état-major de l’armée turque,
après que, le 19 octobre, un traité d’assistance mutuelle eut été conclu
entre la Turquie, la France et la Grande-Bretagne{821}. Et, en novembre
1939, Berichvili rencontra l’attaché militaire japonais Tateishi.
Invité à présenter un rapport devant des officiers français, anglais et
turcs, Berichvili affirma que le peuple géorgien et tout le Caucase
soutiendraient les Alliés en cas de guerre contre l’URSS, à condition que
ceux-ci s’engagent officiellement, par une déclaration des ministres des
Affaires étrangères, à restaurer leur indépendance. En effet, les Géorgiens
étaient tout aussi inquiets de l’alliance entre les puissances occidentales et
la Turquie que d’une collusion germano-turque éventuelle. Ils craignaient
que le Caucase du Sud ne soit donné en pâture aux Turcs pour prix de leur
soutien aux entreprises franco-britanniques. Berichvili insista donc pour
qu’un accord fût conclu entre Français et Géorgiens, aux termes duquel les
Français s’engageaient à ce que la Géorgie fût occupée par des troupes
françaises ; si la présence de troupes turques était indispensable, celles-ci
devaient être accompagnées par des officiers français. Début décembre, en
présence d’Adrien Marquet, Daladier promit à Gueguetchkori de restaurer
l’indépendance de la Géorgie en cas de guerre avec les Soviets et la même
promesse fut faite par les Britanniques{822}.
Sur la base des renseignements fournis par Berichvili et d’autres
émigrés caucasiens, les Alliés étaient persuadés qu’« un mouvement
révolutionnaire n’attendait qu’une occasion pour se manifester dans cette
région{823} ». Le Bureau de l’étranger menchevique chargea Berichvili
de préparer l’infiltration en Géorgie d’émissaires pour encadrer le
soulèvement et, au début de 1940, Berichvili commença à collaborer avec
les services spéciaux turcs pour réaliser cette mission. Jordania lui écrivit
qu’Eugène Gueguetchkori et Spiridon Kedia négociaient avec les Alliés au
nom de Beria : celui-ci proposait d’organiser un coup d’État en URSS à
condition que les Franco-Britanniques lui accordent leur soutien{824}.
Gueguetchkori réussit à convaincre les militaires français de recruter
une unité géorgienne qui pourrait être utilisée au moment de l’attaque
contre le Caucase. La note ministérielle qui annonçait la création de cette
unité, encadrée par des officiers et des sous-officiers géorgiens de la
Légion étrangère, parut le 8 avril 1940. Cette unité devait rejoindre
l’armée d’Orient du général Weygand. À l’instigation du commandement
français, les émigrés géorgiens créèrent un Comité national géorgien
présidé par le général S. Tchavtchavadzé chargé d’organiser un corps
expéditionnaire qui devait envahir la Géorgie soviétique par la
Turquie{825}. Les Français obtinrent que les Turcs autorisent ce Centre
national Géorgien agissant sur leur sol, ainsi que les autres représentations
des peuples du Caucase. Français et Britanniques avaient en outre décidé
de créer une Légion ukrainienne en Ukraine subcarpatique{826}.
Jordania avait promis à Ourouchadzé de lui envoyer un émissaire en
Iran. Il choisit pour cette mission Simon Goguiberidzé qui avait émigré en
1924, s’était plusieurs fois rendu en URSS, à Moscou et à Tbilissi de
manière clandestine, et s’était vanté d’avoir eu des contacts avec de hauts
dignitaires soviétiques{827}. Celui-ci arriva à Téhéran en mai 1939 avec
un passeport polonais. En octobre 1939, Goguiberidzé fut mis à la
disposition des Français et il se vit adjoindre un nouvel émissaire des
mencheviks de Paris, Léo Pataridzé. En novembre 1939, il reçut l’ordre du
Bureau de l’étranger menchevique de se rendre clandestinement en
Géorgie le plus vite possible, accompagné de Pataridzé et de David
Erkomaichvili. Les militaires français manifestaient un vif intérêt pour
cette mission : Goguiberidzé s’était fait fort de saboter l’oléoduc Bakou-
Batoum{828}. Le Géorgien eut recours à la filière turque pour pénétrer en
territoire soviétique. En janvier 1940, il entra en contact avec l’attaché
militaire français à Istanbul et fut infiltré{829} grâce au réseau Rapava
avec lequel il entra en contact au monastère catholique géorgien
d’Istanbul{830}. Son séjour clandestin en Géorgie dura de février à mai
1940{831}. Les consignes de Jordania étaient de mettre sur pied en
Géorgie un Comité pour l’indépendance, de conseiller aux Géorgiens de ne
pas se soulever tant que l’armée soviétique se trouvait dans la république
et de ne passer à l’action ni trop tôt ni trop tard. En cas de guerre, ils ne
devaient pas se soustraire à la mobilisation, pour éviter les répressions,
mais devaient se livrer à une propagande permettant d’utiliser les unités
géorgiennes au moment opportun. Enfin, ils devaient éviter les effusions
de sang et les répressions après avoir pris le pouvoir{832}. Ces
instructions des mencheviks montrent que leurs objectifs ne
correspondaient pas tous avec ceux des Français qui finançaient le Centre
national géorgien et qui souhaitaient qu’un soulèvement des peuples du
Caucase leur facilitât la conquête de la région, alors que les Géorgiens
jugeaient plus prudent d’attendre la victoire des troupes anglo-françaises
pour lancer le mouvement.
Les émigrés caucasiens accueillirent avec enthousiasme les projets
franco-britanniques d’attaque de l’URSS au moment de la guerre de
Finlande. Mais les plans de bombardement de villes caucasiennes,
Batoumi, Bakou, et Grozny, tempérèrent cet enthousiasme, surtout lorsque
les Caucasiens se rendirent compte que le bombardement des sources de
ravitaillement russe en pétrole du Caucase était l’une des mesures
envisagées par les Britanniques pour assister la Turquie en cas d’attaque
germano-soviétique{833}. Les émigrés s’efforcèrent d’obtenir des
assurances auprès des Français et des Britanniques que les Alliés n’avaient
pas promis la Géorgie et l’Arménie aux Turcs pour prix de leur
collaboration avec les Occidentaux. En Grande-Bretagne, Gougouchvili,
l’envoyé du Centre national géorgien à Londres, posa cette question début
mars 1940 au Foreign Office. N’ayant pas obtenu les garanties demandées,
il laissa entendre que les Caucasiens pourraient alors choisir le camp
soviétique. Les Britanniques soupçonnaient d’ailleurs que Gougouchvili
avait concerté cette démarche avec l’ambassadeur soviétique
Maïski{834}.
Lorsque Noé Jordania et ses proches se persuadèrent que les Anglais et
les Français avaient eux aussi promis la Géorgie aux Turcs en récompense
de leur soutien, ils ordonnèrent à Chalva Berichvili d’empêcher cela par
tous les moyens. Celui-ci, outré par le projet de bombarder Batoumi, fit
connaître ses objections aux Alliés et reçut le soutien enthousiaste des
Turcs, ce qui confirma ses soupçons que Batoumi avait été promis à la
Turquie. Weygand le convoqua à Beyrouth pour le tranquilliser : les Alliés
avaient renoncé au bombardement de ce port géorgien, d’autant plus que
Jordania avait aussi manifesté son opposition à ce plan{835}. Mais, en
mars 1940, Berichvili apprit par l’attaché militaire français que la Turquie
participerait à l’attaque contre l’URSS et que le bombardement de Bakou
et de Batoumi était décidé. Il résolut de prévenir le gouvernement
soviétique, se rendit en Géorgie sous prétexte de préparer les organisations
anticommunistes clandestines à l’accueil des forces alliées{836} et, le
9 mai 1940, il envoya une missive destinée à Beria, dans laquelle il
l’avertissait que les Franco-Britanniques avaient l’intention de frapper
Bakou en juin{837}. Il affirmait vouloir éviter que la Géorgie ne devienne
un champ de bataille et proposait à Beria de continuer à l’informer des
projets occidentaux, de manière bénévole : « Je ne vous demandais pas
d’aide. Les passages à la frontière de Turquie en Géorgie, je les effectuais
par mes propres moyens et à mes risques et périls. » Il priait cependant
Beria d’accuser réception de cette missive par une petite annonce dans la
revue Kommunist{838}. Durant ses interrogatoires par le MGB géorgien
après son arrestation, il affirmera n’avoir pas obtenu de réponse. Il revint
en Turquie vers le 20 mai et rencontra Goguiberidzé et Erkomaichvili, eux
aussi de retour de Géorgie. Début juin 1940, il refit une brève incursion en
Géorgie.
En septembre 1940, alors que Goguiberidzé entrait en contact avec les
services spéciaux britanniques à Istanbul, Berichvili réussit à pénétrer en
Géorgie soviétique avec deux compagnons, David Erkomaichvili et Chalva
Kalandadzé. Il était assisté par les Turcs qui souhaitaient être informés sur
les concentrations de troupes soviétiques à la frontière ; en effet, après
l’effondrement de la France, les Allemands avaient rendu publics les plans
de guerre franco-britanniques contre le Caucase et les Turcs étaient en
proie à la panique, craignant une intervention soviétique. Berichvili
envoya une deuxième lettre à Beria pour offrir à nouveau ses services,
lettre conservée dans les archives du NKVD de Géorgie : « Je suis
convaincu que vous, chevalier géorgien parvenu à une telle puissance, […]
me donnerez la possibilité de servir notre pays par mes modestes
moyens. » Berichvili y évoquait son rôle passé, ses excellentes relations
avec le général Weygand, la confiance dont il jouissait auprès des autorités
turques et ses contacts possibles avec les Japonais. Il se proposait de
contribuer à empêcher toute démarche aventureuse pendant la guerre :
« Notre peuple doit éviter le sort des Arméniens pendant la Grande Guerre.
Les Géorgiens doivent servir [dans l’Armée rouge]. Il faut éviter toute
provocation et toute révolte contre le régime soviétique. »
Certes l’URSS était liée par un pacte d’amitié avec l’Allemagne et les
fascistes caucasiens faisaient tout pour persuader l’Allemagne de
déclencher une guerre contre l’URSS après la défaite de l’Angleterre.
Berichvili proposait donc à Beria une alliance contre ces fascistes, puis le
mettait en garde contre la Turquie. Celle-ci feignait l’amitié avec l’URSS
parce qu’elle en avait peur, mais en cas de défaite de l’URSS, elle projetait
de s’emparer du Caucase, « ce qui serait une catastrophe pour la nation
géorgienne ». Tous les patriotes géorgiens devraient être du côté de
l’URSS en cas de guerre soviéto-turque,

car après cette guerre il sera possible de réunifier à la Géorgie les


provinces de la Géorgie musulmane qui se trouvent en Turquie, ce qui
est notre grande cause nationale. C’est ainsi qu’en matière de
politique étrangère mes vues et sans doute celles de nombreux
Géorgiens correspondent à celles des Soviets ou, plus exactement, à
votre politique.

Ensuite Berichvili plaidait pour un maintien du Parti social-démocrate


géorgien, même très affaibli, en faisant valoir que ce parti pourrait être
utile en cas de chute du régime soviétique. Il sollicitait une entrevue avec
un émissaire qui ne soit pas Rapava, dont il se méfiait après les
confidences des officiers turcs{839}.
Cette fois Beria se montra intéressé. Berichvili ordonna à ses deux
compagnons de l’attendre dans les bois près de Batoumi pendant qu’il se
rendait à Tbilissi pour remplir sa mission. Le 21 septembre, Berichvili
rencontra à Batoum Irakli Nibladzé, l’adjoint de Rapava, qui l’achemina à
Tbilissi. De là Rapava et V. Iline, alors le responsable au NKVD des
opérations contre les mencheviks, l’accompagnèrent à Moscou. Beria eut
plusieurs entretiens avec lui et, quelques jours plus tard, Berichvili fut
reconduit auprès de ses compagnons près de Batoum. Il leur déclara qu’il
avait contacté à Moscou l’un des dirigeants d’une organisation
menchevique clandestine et leur proposa de le rencontrer. Le « dirigeant
menchevique » en question n’était autre que Nibladzé, que Berichvili
présenta à ses compagnons. Nibladzé leur expliqua qu’il y avait en
Géorgie une importante organisation menchevique clandestine. Ensuite il
les aida à repasser en Turquie.
Quant à Berichvili, il fut à nouveau acheminé à Moscou où il revit à
plusieurs reprises Beria qui lui communiqua ses instructions : Berichvili
devait rester en contact avec les services turcs, français et anglais à
Istanbul, leur transmettre les renseignements récoltés durant son séjour en
URSS et en particulier les informer de l’existence d’une résistance
antibolchevique clandestine. Il devait renouer avec le Bureau de l’étranger
menchevique et avec Jordania. Sa tâche était de se tenir au courant des
activités de l’émigration caucasienne en Turquie et de s’efforcer de
prendre le contrôle de l’activité clandestine du Conseil de la
Confédération du Caucase, l’organisme dirigeant des Caucasiens faisant
partie du mouvement Prométhée. Il devait aussi s’intéresser au
mouvement Prométhée et à son financement, y infiltrer des agents. Enfin
il devait établir des contacts étroits avec les nationalistes ukrainiens et
polonais et se faire apprécier par les services de renseignements
allemands{840}. Il reçut le nom de code « Omeri ». Berichvili repassa en
Turquie le 13 novembre 1940. Il revint euphorique de son voyage, plein du
sentiment de son importance. Il ne cacha pas son séjour à Moscou, se
vantant même d’y avoir été acheminé en avion, ce qui ne manqua pas de
paraître louche aux émigrés. De toute évidence, il n’avait pas l’impression
d’être un pion manipulé par autrui ; ainsi, à la fin d’une note rédigée pour
le NKVD après l’entrée des troupes soviétiques en Iran, il écrivit : « Dites-
moi quelle est la situation en Iran, dites-moi qui est tombé entre vos mains
et qui s’est tiré{841}. » Le ton est plutôt celui d’un partenaire que d’un
agent.
Il confia à ses compatriotes géorgiens en Turquie qu’il avait transformé
le Comité central clandestin de l’organisation menchevique, qu’il avait
trouvé des hommes sur qui il pouvait s’appuyer, que l’organisation
menchevique clandestine avait organisé son voyage à Moscou et qu’il
pouvait désormais disposer d’un contact direct à Istanbul même avec ce
« comité central » clandestin. Il attendait le premier message en janvier
1941. Pressé par Goguiberidzé, méfiant, de donner plus de détails, il finit
par raconter que les membres du Comité central menchevique clandestin
lui avaient appris que le gouvernement soviétique avait créé un « Comité
de tous les représentants de la culture géorgienne », aussi appelé « Comité
des professeurs », dirigé à l’origine par l’historien Djavakhichvili ; en cas
de guerre, ce comité devait recommander aux Géorgiens de prendre le
parti de l’URSS, de ne pas déserter et de lutter contre le fascisme avec les
autres peuples de l’URSS, et de renoncer à la lutte clandestine contre le
régime soviétique ; et si l’URSS était vaincue, le Comité devait prendre le
pouvoir et protéger dans la mesure du possible la Géorgie des malheurs de
la guerre. Le Comité en question était certainement le fameux « Groupe
d’initiative pour l’unification des forces nationales géorgiennes » dont il a
été question plus haut. Berichvili put lire la déclaration profrançaise et
probritannique de Jordania de février 1940 à l’une des réunions de ce
Comité.
Le réseau mis en place par les mencheviks à Istanbul et en Iran ne cessa
pas d’exister après l’effondrement de la France, mais fut employé tour à
tour par les Anglais, les Polonais, les Turcs, les Italiens, les Allemands et
les Japonais. Après juin 1940, le consul polonais à Istanbul Wiktor Zaleski
mit les Géorgiens en contact avec les Britanniques qui, tout comme les
Polonais, avaient décidé de maintenir leurs réseaux en Turquie et en Iran,
tandis que les Turcs s’efforçaient de les récupérer à leur compte.
Fin décembre 1940, conformément aux instructions reçues à Moscou,
Berichvili rencontra un officier britannique qui s’intéressa beaucoup aux
possibilités d’infiltration en URSS offertes par le Centre national
géorgien ; en dépit des objections de ses compatriotes qui gravitaient déjà
nettement vers l’option allemande, Berichvili se déclara partisan de la
coopération avec les services spéciaux britanniques : il haïssait les
Allemands qui avaient fusillé à Varsovie son frère Tite, soupçonné d’être
un agent bolchevique. Les subsides anglais firent taire les objections des
autres membres du Centre national géorgien, car tous tiraient le diable par
la queue avec le tarissement du financement français. Au printemps 1941,
Turcs et Britanniques souhaitèrent le concours des émigrés géorgiens pour
créer en Géorgie une organisation clandestine anticommuniste, les
Britanniques étant prêts à laisser à leurs homologues turcs la direction des
opérations. Berichvili offrit aussi aux services polonais de transmettre,
grâce à ses réseaux en Géorgie, des instructions aux agents polonais en
Ukraine occidentale, mission dont Rapava s’acquitta en un temps record.
En janvier 1941 arrivèrent à Istanbul le jeune David Mataradzé et son
épouse, la belle Vardo Maximelichvili, ancienne maîtresse de Beria dont il
avait eu un enfant. Ils étaient chargés par le chef du NKVD d’assurer la
liaison avec Chalva Berichvili qui était leur parent éloigné – Vardo
Maximelichvili avait été élevée dans la famille Berichvili. Beria rédigea
de sa main les instructions qu’il fit parvenir à Maximelichvili dans des
enveloppes cachetées{842}. La jeune femme révéla à Berichvili qu’elle
était la secrétaire du Comité des professeurs susmentionné, et qu’avant
son départ pour la Turquie, elle avait été convoquée à Moscou par Beria
qui lui avait signifié que sa tâche à Istanbul était de faire parvenir à
Berichvili les instructions du Comité des professeurs afin d’éviter des
troubles en Géorgie.
Que Beria ait envoyé ce couple appartenant à son cercle intime montre
l’importance qu’il attachait à Berichvili et au contact avec les Anglais.
C’est Maximelichvili que Berichvili vit le plus souvent jusqu’à son départ
en mai 1941. Les rencontres avaient lieu sur le territoire du monastère
catholique géorgien. Conformément aux instructions de Beria, Berichvili
avait averti les services spéciaux turcs de ces contacts et leur avait
recommandé de recruter le couple.
Les deux compagnons qui avaient accompagné Berichvili en Géorgie
furent un jour fort surpris de voir Mataradzé sortir de l’ambassade
soviétique, car Berichvili le leur avait fait rencontrer la nuit dans une forêt
en Géorgie, en le présentant comme un chef de l’organisation
menchevique clandestine ! Ce même jeune homme les avait aidés à passer
la frontière au retour. Devenu plus soupçonneux encore, Goguiberidzé
exigea des explications que Berichvili refusa de lui donner, affirmant qu’il
répondait de tout{843}. Les relations entre les deux hommes devinrent
exécrables, pour le plus grand bonheur des services turcs qui exploitaient
leur rivalité.
Fin juin 1941, Goguiberidzé accusa Berichvili d’être un agent du NKVD
en présence de Wiktor Zaleski. Celui-ci enjoignit à Berichvili de quitter la
Turquie, le menaçant de lui confisquer son passeport polonais s’il ne
s’exécutait pas. Furieux, Berichvili se tourna vers le NKVD et lui demanda
de prendre des mesures contre Zaleski « qui continuait à aider
l’émigration antisoviétique de ses conseils{844} » et de monter une
opération afin d’inciter les autorités turques à se débarrasser de son
compatriote Goguiberidzé, trop perspicace{845}. De guerre lasse, les
Turcs finirent par soumettre le cas Berichvili à une commission ad hoc
qui, en décembre 1941, le blanchit des accusations de collaboration avec le
NKVD ; les Turcs interdirent à Goguiberidzé de répandre ces rumeurs sur
le compte de son rival.
Cette affaire eut des retombées fâcheuses pour Chalva Vardidzé qui fut
dénoncé aux Turcs par Berichvili et accusé de diriger un « centre fasciste »
auquel appartenait Goguiberidzé. Vardidzé finit par être arrêté par les
Turcs comme agent italien : et, de fait, en juillet 1941, il avait présenté les
Géorgiens aux Italiens qui leur procurèrent un équipement radio et leur
confièrent la mission de préparer une insurrection antisoviétique{846}.
L’affaire du « recrutement » de Berichvili par Beria ne laisse pas de
rester mystérieuse malgré les apports des archives du NKVD géorgien.
Berichvili était-il manipulé par le réseau Beria à son insu lors de ses
voyages en Géorgie en 1930 et 1939 ? A-t-il vraiment proposé ses services
à Beria au printemps 1940 ? Agissait-il pour son compte ou sur ordre de
Jordania et Gueguetchkori ? Ou bien Beria éprouvait-il le besoin de
« légaliser » un agent personnel pour pouvoir se servir des renseignements
qu’il fournissait dans ses rapports à Staline et pour faciliter ses
déplacements ? Dans l’état actuel de nos connaissances, il est impossible
de répondre à ces questions.
Quoi qu’il en soit, les émigrés avaient vu juste en essayant de rallier
Beria à leur cause. En 1940, le chef du NKVD fit tout pour torpiller un
accord entre la Turquie et l’Allemagne. Il encouragea d’abord Staline à
espérer réitérer le pacte Ribbentrop-Molotov, cette fois au détriment de la
Turquie. Le voyage de Molotov à Berlin, en novembre 1940, fut préparé
par une opération de désinformation lancée par Berlin en février 1940,
relayée à Staline par le réseau Beria. En effet, l’informateur letton
d’Amaïak Koboulov affirmait que l’Allemagne envisageait un partage de
la Turquie et de multiples rumeurs étayaient ces allégations. Ainsi, fin
septembre, le bruit courait en Italie que Ribbentrop avait proposé à
l’URSS, pour prix de son entrée en guerre aux côtés de l’Axe, les Détroits,
la Perse et une partie de la Turquie d’Europe{847}.
À la veille du voyage de Molotov à Berlin, Beria soumit à Staline deux
rapports : l’un sur le projet de bloc continental de Ribbentrop, selon lequel
l’Allemagne recherchait une entente avec l’URSS contre la Grande-
Bretagne et voulait intégrer cette dernière dans le nouvel ordre
européen{848} ; l’autre était celui du 5 novembre, déjà évoqué, compilé à
partir des informations données à Beria par Berichvili lors du séjour de
celui-ci à Moscou en septembre. Ce second rapport présentait un tableau
détaillé des activités de subversion turques contre le Caucase, soulignait
les sympathies trotskistes des dirigeants turcs et surtout dépeignait la
décomposition avancée de l’État turc dont la classe politique était
déconsidérée, alors que les minorités nationales ne songeaient soi-disant
qu’à faire sécession :

Il y a deux millions de Géorgiens en Turquie. Les Géorgiens ont


conservé leur langue, leurs mœurs et leur culture. On constate chez
eux une volonté de rattachement à l’Union soviétique. Les Turcs
oppriment particulièrement les Lazes, qu’ils soupçonnent de
sympathies pour l’URSS{849}.

Enfin le rapport affirmait qu’en cas de guerre entre l’URSS et


l’Allemagne, la Turquie attaquerait l’URSS pour lui arracher le Caucase et
créer une Confédération caucasienne.
Ce texte témoigne de la manière dont Beria, dès cette époque, était
passé maître dans l’art de manipuler Staline. Tous les arguments auxquels
le maître du Kremlin ne pouvait résister y étaient réunis. Un partage de la
Turquie sur le modèle de celui de la Pologne en août 1939 semblait à
Staline le point de départ d’un nouveau grand marchandage avec Hitler :
« Si les Allemands nous proposent un partage de la Turquie, vous pouvez
découvrir nos cartes », câbla-t-il à Molotov le 13 novembre{850}. Même
après le retour de Molotov à Moscou, on parla beaucoup dans les milieux
diplomatiques d’une offre allemande de partage de la Turquie en échange
d’une entrée de l’URSS dans la guerre{851}. Le 25 novembre 1940, le
gouvernement soviétique adressa à Ribbentrop une note où il se déclarait
prêt à adhérer au Pacte tripartite à condition qu’un pacte d’assistance
mutuelle soit signé avec la Bulgarie, que l’URSS puisse installer une base
dans les Détroits et que la « région au sud de Batoum et Bakou en
direction du golfe Persique soit considérée comme le centre de gravité des
aspirations de l’URSS{852} ». Tant que dura le pacte germano-soviétique,
les Turcs craignirent fort une attaque conjointe soviéto-allemande, en
dépit des déclarations rassurantes de Dekanozov qui affirma à
l’ambassadeur turc Haïdar Aktaï, le 22 novembre, qu’il n’avait pas été
question de zones d’influence ni d’une adhésion de l’URSS au Pacte
tripartite{853} ; l’attitude soviétique les confirmait dans ces inquiétudes,
ce qui les poussa à se rapprocher de la Grande-Bretagne{854}.
En même temps qu’il incitait Staline à faire de la surenchère face à
l’Allemagne, Beria mit en place une stratégie de rechange. Le projet de
bloc balkanique formé par la Turquie, la Yougoslavie, la Grèce et la
Bulgarie, que l’ambassadeur britannique Cripps avait proposé aux
Soviétiques en juillet 1940, évoquant le souhait de l’Angleterre de voir
« une situation stabilisée dans les Balkans sous l’égide de l’URSS{855} »,
intéressait Beria car il envisageait d’intégrer le Caucase dans ce
bloc{856}.

Deuxième Partie

L’ÉPREUVE DE LA GUERRE
9

La guerre
Un autre peuple aurait pu dire au gouvernement : vous nous avez déçus,
partez, nous choisissons un autre gouvernement. […] Mais le peuple russe
ne l’a pas fait
[Staline, 24 mai 1945].

La crise du régime.
Les premiers jours de la guerre présentèrent la facture de la politique
des années précédentes. Les vices du système mis en place par Staline
apparurent au grand jour. Les bureaucraties concurrentes paralysaient
l’administration et le souvenir tout frais de la terreur étouffait toute
initiative à la base. Le seul organisme prêt à l’action fut le NKVD. Les
prisons de Moscou, à l’exception de la Loubianka, avaient été évacuées
dès le mois de mai{857}. Le 22 juin au matin, le NKVD effectua une rafle
des « indésirables ». Les listes noires étaient prêtes :

La liquidation des « ennemis intérieurs » fut même la seule


manifestation de l’effort de guerre qui, pendant cette première et
terrible phase de la lutte, fut conduite rapidement et efficacement.
[…] Dans la période initiale nous eûmes l’impression bien nette que
le Kremlin ne tremblait pas moins devant ses propres sujets que
devant l’envahisseur. […] C’était comme une guerre intérieure qu’on
aurait menée parallèlement à la guerre extérieure{858}.
Mais, au même moment, 157 000 détenus du Goulag étaient libérés pour
être envoyés au front{859}.
Les trois premiers jours, ni Staline ni le commandement militaire
n’eurent conscience de la gravité de la situation. Les communications
étaient détruites et le commandement désinformait l’état-major. L’ordre
fut donné aux troupes soviétiques de passer à la contre-offensive et
d’« écraser l’envahisseur par des coups foudroyants ». Le haut
commandement mit quatre jours à comprendre l’ineptie de ces tentatives.
Dans les heures et les jours qui suivirent la chute de Minsk, le 28 juin,
le régime stalinien connut sa première grande crise. Le soir du 29 juin, le
Politburo se réunit au Kremlin. Pour obtenir des nouvelles du front
biélorusse, Staline téléphona au général Timochenko, le chef d’état-major,
qui fut incapable de donner une information claire sur la situation. Staline
proposa alors aux membres du Politburo de se rendre au commissariat du
peuple à la Défense. Ils y trouvèrent Timochenko, Vatoutine et Joukov qui
expliqua qu’il n’y avait plus de liaison avec le front, que des officiers
avaient été envoyés sur place mais qu’il était impossible de dire quand les
communications seraient rétablies. Staline explosa :

Qu’est-ce que c’est que cet état-major ? Qu’est-ce que c’est que ce
chef d’état-major qui le premier jour de la guerre est en plein
désarroi, qui n’a pas de liaison avec les troupes, ne représente
personne et ne commande personne ?

Joukov fondit en larmes et sortit de la pièce. Molotov finit par le


ramener, les yeux encore humides, au bout d’une dizaine de
minutes{860}.
Après cet esclandre, Staline se transforma en « protoplasme informe »,
comme dit Khrouchtchev dans son style inimitable{861}, et eut un de ses
rares accès d’autocritique : « Lénine nous a laissé un État et nous en avons
fait de la merde », laissa-t-il échapper. Avec délectation, Khrouchtchev
rapporte la scène telle qu’elle lui a été racontée par Beria : « “Je renonce à
diriger le pays”, dit Staline qui s’installa dans sa voiture et partit à sa
datcha{862}. »
L’initiative revenait aux seuls dirigeants qui n’avaient pas perdu leur
sang-froid. Si l’on en croit le récit de ces événements fait plus tard par
Vorochilov à Semionov, Molotov était d’avis qu’il fallait destituer Staline.
Lorsqu’il fit observer que celui-ci était depuis deux jours dans un tel état
de prostration qu’il ne s’intéressait à rien, Voznessenski s’exclama :
« Viatcheslav, sois notre guide, nous te suivrons{863}. » Sergo Beria
attribue cette sortie à Chtcherbakov :

Chtcherbakov était parmi les plus véhéments ; il se tourna vers


Molotov : « Viatcheslav, sois notre chef ! » Mon père lui dit :
« Calme-toi, ou je te pendrai par les pieds. » L’idée de Molotov en
chef lui paraissait comique{864}.

Le 30 juin, Molotov, Malenkov et Beria se réunirent et réalisèrent un


véritable coup d’État en annonçant la création du Comité d’État pour la
Défense – le GKO –, organisme ultracentralisé doté d’un pouvoir absolu,
qui réunissait les fonctions du gouvernement, du Soviet suprême et du
Comité central, et qui devait se charger d’organiser l’effort de
guerre{865}. Le modèle invoqué était le Comité de défense ouvrière et
paysanne créé par Lénine lors de la guerre civile, supprimé par Staline en
1937. Ce chambardement annula d’un trait tout le savant dispositif
d’émiettement des structures gouvernementales mis en place par Staline
durant les mois précédents. Comme le constata Mikoïan, « il fallut les
dures leçons de la défaite pour que naisse une direction stable et
compétente du pays{866} ».
Les membres du Politburo décidèrent de se rendre chez Staline pour lui
annoncer leur décision. Reprenons le récit de Mikoïan, témoin oculaire de
la scène :
Quand il nous vit, il se recroquevilla dans son fauteuil et nous regarda
d’un air interrogateur. Puis il demanda : « Pourquoi êtes-vous
venus ? » Sa question était bizarre, autant que l’expression de son
visage qui trahissait l’inquiétude. […] Je n’eus pas de doute : il
pensait que nous allions l’arrêter. En notre nom, Molotov lui dit qu’il
fallait concentrer le pouvoir pour mettre le pays sur pied. Il parla du
GKO. « Qui en prendra la tête ? » demanda Staline. Molotov répondit
que c’était lui, Staline. Staline nous regarda avec étonnement et ne dit
rien{867}.

Cette description est corroborée par la version de Khrouchtchev qui


n’était par présent mais qui reproduit le récit de Beria :

Lorsque nous arrivâmes chez lui – m’a raconté Beria –, nous vîmes à
son expression qu’il avait très peur. Il pensait que nous venions
l’arrêter parce qu’il avait abandonné ses fonctions et ne faisait rien
pour organiser la résistance à l’invasion allemande{868}.

Les craintes que Staline avait nourries depuis des années d’une fin de
son régime après la défaite militaire n’étaient-elles pas en train de se
réaliser ? Avait-il raison de s’inquiéter ? La force agissante du trio à
l’origine du GKO était Beria, ce que confirment deux témoignages. Pour
Mikoïan : « Molotov nous dit : “Lavrenti Pavlovitch propose de créer un
Comité d’État à la Défense sur le modèle du Conseil du Travail et de la
Défense de Lénine auquel il faut déléguer tout le pouvoir”{869}. » Et pour
Khrouchtchev : « Lorsque Staline perdit son autorité et même toute sa
volonté, au cours de notre retraite devant les Allemands, Beria imposa sa
terreur au Parti{870}. » Envisagea-t-il de se débarrasser de Staline à ce
moment ? C’est possible. Mais le dauphin eût été Molotov et, le 30 juin, la
situation militaire semblait désespérée. Selon Sergo Beria :
Mon père ne m’a jamais soufflé mot sur les motivations des uns et
des autres pendant ces journées fatidiques. À ce qu’il me semble, les
membres du Politburo savaient qu’ils pouvaient se passer de Staline.
Mais le prestige de Staline était si grand dans les masses qu’ils ne
pouvaient le renverser à ce moment de crise où la mobilisation du
peuple était indispensable{871}.

Des années plus tard, Khrouchtchev a confirmé de manière indirecte que


les membres du Politburo avaient bien songé à se débarrasser de Staline :
« Si au début de la guerre nous avions annoncé que nous limogions
Staline, nous n’aurions pas pu faire de plus beau cadeau à Hitler{872}. » Il
est plus que probable que le trio n’avait pas intérêt à se mettre en avant
quand la débâcle prenait une allure de catastrophe ; il décida donc de
placer Staline à la tête du GKO pour lui faire endosser la pleine
responsabilité de la défaite.
En tout cas cet épisode longtemps sous-estimé par les historiens fut
crucial pour l’évolution ultérieure du régime et il explique les
bouleversements en apparence obscurs qui eurent lieu au sommet de la
hiérarchie soviétique durant les années de l’après-guerre. Staline avait pu
repérer ceux de son entourage qui étaient capables d’initiative et qui
auraient pu le supplanter. Et comme le rappelle Sergo Beria :

Mon père dit à ses collègues : « Nous avons été témoins de ces heures
et cela jamais Staline ne nous le pardonnera. Ne l’oubliez pas. » Il
taquinait Mikoïan car celui-ci s’était caché derrière le dos des autres
pour que Staline ne le voie pas. Le plus drôle est que même Molotov
remarqua un jour, bien des mois plus tard : « Lavrenti, Iossif
Vissarionovitch ne nous pardonnera jamais cette démarche »{873}.
Et, de fait, Staline n’oublia jamais les circonstances de la création du
GKO.
Pour les membres du Politburo, l’offensive allemande et les premiers
jours de la guerre furent aussi un rude choc : Staline s’était trompé ! Il
n’était pas infaillible ! Il était possible de gouverner le pays sans lui ! Les
Mémoires de Khrouchtchev montrent que la déstalinisation a germé durant
ces dramatiques journées de juin. Certains sentaient que la débâcle des
premiers jours, le refus des soldats de se battre mettaient en cause le
système socialiste. À commencer par Staline, selon Sergo Beria :

« Mais pourquoi ? Où est votre maudite classe ouvrière ? Où est votre


maudite classe ouvrière ? » s’exclamait-il. Mon père finit par dire
que si ces gens avaient été propriétaires, ils se seraient battus dès les
premiers jours de la guerre comme des lions et des tigres{874}.

Témoignage corroboré par Khrouchtchev :

Parmi les militaires se répandirent des idées malsaines. Pourquoi


battons-nous en retraite ? Parce que le soldat ne sait pas pour quoi il
se bat, pour quoi il doit mourir. Pendant la Première Guerre mondiale,
le soldat avait sa terre. Il se battait pour la Russie, mais aussi pour sa
maison. Mais aujourd’hui il n’y a que des kolkhozes, il n’y a pas de
raison de se battre. C’était une théorie antisoviétique et antisocialiste.
Elle expliquait nos échecs par le régime{875}.

L’instruction du procès du groupe de généraux responsables du front


occidental, accusés de la défaite par Staline en juillet 1941, confirme la
démoralisation des militaires. Selon la déposition du général D. G. Pavlov,
le général Meretskov lui aurait confié en juin 1940 :
Maintenant les Allemands ont autre chose à penser qu’à nous tomber
dessus, mais s’ils attaquent l’Union soviétique et s’ils sont
vainqueurs, notre sort ne sera pas pire que ce qu’il est
aujourd’hui{876}.

Ces témoignages croisés sont précieux, car ils laissent percevoir que
l’une des causes du désastre de l’été 1941 était un défaitisme inavoué
existant chez beaucoup de Soviétiques poussés à bout par les atrocités du
régime. Chez Beria, la déconfiture de Staline suscita une indéniable joie
maligne : sinon pourquoi aurait-il narré avec délectation à ses collègues
absents, comme Khrouchtchev, la scène inoubliable du 30 juin ? En outre,
Beria eut l’initiative de la nomination de Vorochilov à la tête du front du
Nord-Ouest et de S. M. Boudionny à la tête du front du Sud-Ouest. Or il
était parfaitement conscient de la médiocrité de ces deux
personnages{877}. Il devait bien comprendre que ces favoris de Staline ne
faisaient pas le poids face aux généraux de la Wehrmacht.
Les Soviétiques ordinaires perçurent les premières années de la guerre
comme une période de liberté. Ce sentiment était partagé par les proches
de Staline car la guerre obligea le dictateur à déléguer des pouvoirs et à
allonger la laisse qui tenait attachés tous les membres du Politburo. Sur le
plan formel, la centralisation effective nécessitée par l’organisation de
l’effort de guerre parut renforcer le pouvoir de Staline : l’obtention de
deux tonnes d’essence exigeait la signature du chef de gouvernement.
Mais l’étendue même des tâches à accomplir empêcha Staline de tout
superviser : ainsi les administrations lui adressaient des listes de
résolutions et de directives qu’il signait en bloc. Il ne présidait pas aux
sessions du Bureau du Conseil des ministres et ainsi beaucoup de
décisions furent prises sans sa participation{878}. Par la force des choses
il fut contraint de se reposer sur ses proches collaborateurs et chaque
dirigeant du GKO disposa d’une liberté d’action inconcevable en temps de
paix.
Beria proposa que le GKO soit composé de Staline, Molotov, Beria,
Malenkov et Vorochilov. Selon Mikoïan, Staline insista d’emblée pour y
inclure Nikolaï Voznessenski et Mikoïan. Mais Beria réussit un temps à
imposer son point de vue : Mikoïan fut laissé au gouvernement et
Voznessenski au Gosplan. Au sein du GKO dont les décisions avaient force
de loi, Staline était chargé de la conduite des opérations militaires et
Molotov, Malenkov et Beria de l’organisation de l’économie de guerre.
Chaque dirigeant était responsable d’un secteur économique ; par
exemple, Malenkov fut chargé de la production de l’aviation et des chars.
Dès le 1er juillet 1941, le Sovnarkom adopta une résolution élargissant de
manière considérable les droits des commissaires du peuple. Les ministres
eurent désormais la possibilité de distribuer à leur gré les ressources aux
ministères qui leur étaient subordonnés et cette liberté d’action nouvelle
se répercuta sur les directeurs des industries. Le GKO hérita aussi de la
politique des cadres et c’est lui qui chargea Kaganovitch et Andreev des
transports, Voznessenski de l’armement et des munitions, et Vorochilov de
la formation des nouvelles unités. Beria fut à la fois membre du GKO et
vice-président du Sovnarkom, chargé dans un premier temps de la sécurité
et de la lutte contre la désertion, puis de toute l’industrie militaire, et, à
partir de mai 1944, il devint vice-président du GKO, formant avec
Malenkov un tandem solidaire.
En octobre 1941, Moscou fut évacué. L’appareil du Comité central, le
Gosplan et le ministère des Affaires étrangères se replièrent à Kouibychev,
le ministère des Finances à Kazan, celui de la Métallurgie à Gorki, etc.
C’est donc le GKO, demeuré à Moscou, qui assura la cohésion de
l’administration, dirigeant le pays à travers l’appareil du Comité central,
du Sovnarkom et des organes centraux des organisations de masse, et
surtout à travers un réseau de plénipotentiaires détachés dans les régions,
les industries et les secteurs vitaux. Le GKO dirigea aussi la Stavka, le
haut commandement. Cette structure fut reproduite au niveau local : des
comités de défense municipaux furent formés, composés des responsables
du Parti, des Soviets, de l’armée et de la Sécurité d’État. En Biélorussie et
en Ukraine, le poste de chef du gouvernement et de chef du Parti
fusionnèrent{879}. Les organismes centraux du Parti perdirent tout
pouvoir réel, le Politburo ne se réunit qu’à intervalles irréguliers, le
Comité central ne siégea qu’une fois en janvier 1944 et il n’y eut aucune
conférence ou congrès du Parti durant toute la guerre. On constata un
déclin concomitant des Soviets, dont 70 % des cadres étaient au front. Le
pouvoir réel fut transféré à des organismes gouvernementaux comme le
Sovnarkom, totalement subordonné au GKO, qui surveillait pour son
compte les divers commissariats, et comme le Gosplan dirigé par
Voznessenski à partir de décembre 1942. Les structures formelles
existantes furent doublées par des relations informelles, les seules
efficaces{880}. Le GKO court-circuita tout. Beaucoup de cellules du Parti
à la base cessèrent d’exister faute d’adhérents qui, pour la plupart, étaient
au front. Le Centre réagit à cet affaiblissement en renforçant le GKO et
son réseau de plénipotentiaires expédiés à la périphérie. Mais, par la force
des choses, le GKO fut obligé de déléguer un pouvoir important aux
autorités locales, de laisser place à leur initiative – par exemple, elles
prirent souvent en charge l’approvisionnement.
Cette situation ne laissait pas d’inquiéter Staline. D’un côté, il devait
faire face à un cabinet de guerre qui prenait goût à la liberté d’action, et à
des militaires chez qui les victoires et les contacts avec les étrangers
allaient faire renaître l’esprit de corps. De l’autre, les exigences du front
entraînaient un étiolement et une mise en sommeil du Parti. Staline n’était
pas homme à laisser se développer des tendances aussi dangereuses pour
sa dictature et il entreprit tout de suite de construire des contre-feux, en
commençant par l’armée. L’Administration politique principale fut
rétablie le 21 juin 1941 et confiée au fidèle Mekhlis, nommé vice-ministre
de la Défense le 10 juillet. Le 16 juillet, les commissaires politiques furent
rétablis avec une autorité égale à celle des chefs militaires : leur rôle
n’était plus seulement d’organiser la propagande, mais de codiriger les
opérations et bien sûr d’espionner les chefs militaires. Ce système de
commandement « bicéphale » contribua aux défaites de l’Armée rouge au
début de la guerre. Ainsi l’ingérence incompétente de Mekhlis dans les
opérations du front de Crimée entraîna la défaite de Kertch, lorsque trois
divisions allemandes parvinrent à vaincre treize divisions soviétiques qui
perdirent 225 000 hommes. Mekhlis était persuadé qu’il suffisait de
multiplier les agitateurs communistes dans la troupe pour que la victoire
soit assurée{881}. Le 19 juillet 1941, Staline se fit nommer commissaire à
la Défense et le 8 août, il devint commandant en chef, cumulant tous les
postes. Il autorisa le recrutement dans le Parti de « tous ceux qui s’étaient
distingués sur le champ de bataille », ce qui devait permettre de renforcer
le rôle du Parti dans l’armée et de maintenir son contrôle. Quatre millions
de membres adhéreront de la sorte et, en 1945, le Parti en comptera
5 700 000.
Staline ne put toutefois réaliser son dessein dans l’immédiat. Au
moment où la Wehrmacht approchait de Moscou, son pouvoir connut une
seconde crise qui ne resta pas confinée au cercle du Kremlin. En effet, en
septembre, la défaite semblait si imminente que les dirigeants soviétiques
commencèrent à exporter en secret leurs réserves d’or aux États-Unis,
pour acheter des armes et aussi pour financer le futur gouvernement
soviétique en exil{882}. « Les voix se multiplient aux États-Unis pour
dénoncer […] la perspective d’accueillir prochainement Staline et
quelques milliers de bolcheviks en tant qu’émigrés{883} », nota Goebbels
dans son Journal. Devant la gravité de la situation, les membres du
Politburo imposèrent à Staline la convocation d’un plénum fin septembre.
Le 2 octobre, la Wehrmacht déclencha l’opération Typhon contre Moscou
et le lendemain Hitler pavoisait : « L’ennemi est brisé, jamais il ne se
relèvera{884}. »
Le 7 octobre, les abords de la capitale étaient dégarnis et Moscou était
une ville ouverte. Boudionny, qui commandait le front de réserve, ne
savait pas où se trouvaient ses troupes ni son état-major. Du côté allemand,
on croyait tenir la victoire : « Nous avons enfin gagné la guerre{885} »,
déclara le général Jodl le 8 octobre. C’est alors que Staline rappela Joukov
de Leningrad. En entrant chez Staline, Joukov surprit une bribe de
conversation où Staline ordonnait à Beria d’utiliser ses agents pour sonder
les Allemands en vue d’un armistice éventuel qu’il était prêt à payer par
des concessions territoriales considérables{886}. Durant ces journées eut
lieu une nouvelle tentative de négocier avec les Allemands – « Beria et
Malenkov me le soufflèrent à l’oreille{887} », raconte Khrouchtchev –,
confirmée par Molotov dans ses entretiens avec Tchouev.
Lorsque le Plénum se réunit enfin le 8 octobre, Staline refusa d’y
prendre part et délégua à Malenkov et Beria la tâche d’informer les
responsables locaux de la situation{888}. Le GKO décida de « mettre en
œuvre des mesures spéciales concernant les entreprises de Moscou et de la
région de Moscou » : il s’agissait du minage de ces entreprises pour le cas
où les Allemands auraient pris la ville, minage qui commença le
10 octobre{889}. Les axes routiers et ferroviaires, certaines stations de
métro, les bâtiments publics et certaines datchas de dirigeants furent aussi
minés. Le 12 octobre, des barricades furent érigées dans la capitale. Le
13 octobre, Chtcherbakov rassembla les communistes de Moscou et les
informa de la menace pesant sur la ville{890}. L’inquiétude était à son
comble et on décida d’évacuer le gouvernement, le corps diplomatique et
l’Académie des Sciences{891}. Le 15 octobre, l’appareil du Parti et de
l’État fut évacué, ainsi que les diplomates étrangers – qui ne reviendront
qu’en août 1943.
Le 16 octobre, la panique régnait dans la capitale et les rumeurs allaient
bon train. On disait que Staline avait été renversé par le Politburo, voire
assassiné par Molotov. En arrivant au Sovnarkom, Alexeï Kossyguine le
trouva désert, abandonné{892}. Les Allemands auraient alors pu prendre
la ville qui n’était presque pas défendue. « On avait l’impression qu’il n’y
avait plus de gouvernement », raconte Kravtchenko{893}. Il se produisit
alors des phénomènes préfigurant les révolutions de 1989. La population
prit la mesure de l’inégalité régnant sous le système communiste :

Le favoritisme auquel donnait lieu l’évacuation des privilégiés


rendait fous de rage les Moscovites du commun. Pour la première
fois en vingt ans, j’entendis vitupérer nos dirigeants à haute voix.
[…] Comme pour narguer ces foules misérables, on voyait de
véritables caravanes de belles autos officielles quitter Moscou en
emportant les bagages et les familles de l’élite. L’affolement et le
danger rendaient encore plus profond et plus manifeste l’abîme qui
séparait les classes{894}.

Mikoïan raconte dans ses Mémoires comment il fut pris à parti par les
ouvriers de l’usine qui venait d’être minée : « Pourquoi le gouvernement
a-t-il déguerpi, pourquoi le secrétaire du Parti et celui du Komsomol ont-
ils aussi déguerpi{895} ? »
Les 17 et 18 octobre, la ville fut livrée au pillage et à la débauche.
Très vite la désintégration matérielle affecta les mœurs. […] Les
jeunes filles s’offraient à leurs admirateurs. […] Les hommes étaient
choqués par les décisions perverses des filles et par leur franc
cynisme. […] La santé publique fut aussi emportée dans la débâcle.
Dans les hôpitaux on avait cessé de soigner les malades{896}.

Cependant, l’évaporation du contrôle ne donna pas naissance à une


opposition politique :

Il n’y avait plus de police mais je ne vis sur les murs aucun graffiti
contre le régime. Non seulement les gens étaient pris de panique,
mais ils semblaient avoir perdu leur esprit, ils étaient incapables
d’engendrer des impulsions, d’agir{897}.

Au sommet, la situation n’était pas moins intéressante. Staline était


conscient que s’il abandonnait Moscou, son pouvoir personnel était
condamné. Le 12 octobre, il reçut le futur résident aux États-Unis,
V. Zaroubine, à la veille de son départ. À ce moment, la grande crainte de
Staline était que les Américains ne reconnaissent un gouvernement
provisoire Kerenski comme pouvoir légitime de la Russie en cas de chute
du bolchevisme, et qu’ils appuient ce nouveau pouvoir pour obtenir le
maintien du front de l’Est. Et en effet, le 18 juillet 1941, Kerenski avait
proposé de « démocratiser le régime soviétique » à la faveur de la guerre,
sur la base de la « non-ingérence dans les affaires intérieures de l’URSS »,
sans parvenir à convaincre ses interlocuteurs américains{898}. Zaroubine
avait donc pour mission prioritaire de neutraliser les émigrés
antisoviétiques aux États-Unis et de déployer un réseau d’agents
d’influence au sein du gouvernement américain{899}.
La crise de la mi-octobre offrit à Staline l’occasion de sonder son
entourage. Le 15 octobre, le dictateur annonça tranquillement à Dimitrov
et Molotov qu’il quitterait Moscou « avant la fin de la journée{900} ». Et,
de fait, la résolution adoptée ce jour prévoyait aussi l’évacuation, le
16 octobre, du camarade Staline et un train avait été préparé à cet
effet{901}. Voici comment V. P. Pronine, qui était à l’époque le président
du Soviet de Moscou, raconte ces événements :

Le 16 ou le 17 octobre, Staline demanda son avis à Joukov : était-il


possible de défendre Moscou ? Joukov répondit qu’il avait besoin de
deux armées supplémentaires. Alors Staline conclut qu’on pouvait
défendre la capitale{902}.

En fait, Joukov conseillait la reddition de la capitale, comme le confiera


plus tard Molotov à Tchouev{903}.
Selon le témoignage de Mikoïan, le matin du 16 octobre, Staline
convoqua Molotov, Malenkov, Voznessenski et Mikoïan et leur annonça
que les Allemands pouvaient prendre Moscou, qu’il fallait évacuer le
gouvernement et les principales administrations, et miner les usines
d’armement ; le général Artemiev, responsable de la région militaire de
Moscou, devait préparer un plan de défense de la ville qui permette de
conserver au moins quelques quartiers en attendant la venue des réserves
de Sibérie. Staline proposa à tous les membres du Politburo et du GKO de
partir le jour même, lui-même partirait le lendemain matin. Le GKO
adopta une résolution ordonnant l’évacuation immédiate de la capitale et,
en cas d’arrivée des chars allemands, la destruction de tous les sites et de
tous les équipements importants, à l’exception du métro et des
canalisations. Chtcherbakov fut chargé d’organiser la résistance
clandestine en cas d’occupation allemande. À Beria fut confiée la tâche de
préparer une équipe de collaboration contrôlée par le NKVD pour le cas où
les Allemands entreraient dans la capitale. Beria voulait en confier la
responsabilité à Merkoulov. Lev Knipper, le frère d’Olga Tchekhova, et
son épouse Maria Melikov, agent confidentiel de Beria, devaient jouer un
rôle central dans ce groupe{904}. Le 18 octobre, le train devant évacuer
Staline était prêt à partir. La brigade motorisée spéciale du NKVD
commandée par Soudoplatov était chargée du maintien de l’ordre dans le
centre de la capitale, selon un ordre du 15 octobre{905}.
Dans ce débat crucial qui devait déterminer l’issue de la guerre, Beria
agissait dans les coulisses, comme le confirme le témoignage de
V. P. Pronine :

La nuit du 19 [octobre], Beria s’efforça de nous convaincre tous


d’abandonner Moscou. Il estimait qu’il fallait se retirer derrière la
Volga. Malenkov acquiesçait. Molotov grommelait des objections.
Les autres se taisaient. Je me rappelle les paroles de Beria : « Avec
quoi allons-nous défendre Moscou ? Nous n’avons rien. Nous nous
ferons descendre comme des perdrix. » […] Quand nous arrivâmes
chez Staline, celui-ci nous demanda : « Faut-il défendre Moscou ? »
Tous gardèrent un silence lugubre. Staline attendit quelques instants
et dit : « Si vous ne voulez rien dire, je demanderai à chacun son
opinion. » Il se tourna vers Molotov qui répondit : « Nous devons
défendre Moscou. » Tous répondirent de même, y compris
Beria{906}.

Le témoignage de Sergo Beria est aussi intéressant :

Tous souhaitaient qu’il quitte la capitale – Malenkov et surtout


Chtcherbakov, le responsable de l’organisation du Parti de Moscou.
Staline ne le voulait pas. Et lorsque Chtcherbakov commença à
insister pour qu’il quitte Moscou, il lui dit : « Votre attitude peut
avoir deux explications. Ou bien vous êtes des vauriens et des traîtres,
ou bien vous êtes des idiots. Je préfère vous considérer comme des
idiots. »
Sergo Beria affirme que son père insista pour que Staline reste, mais il
ajoute : « Mon père n’aurait jamais agi de la sorte s’il n’avait pas connu le
caractère de Staline et calculé ses réactions{907}. » Comme toujours
Beria évitait d’agir à visage découvert, laissant d’autres moins retors que
lui monter au créneau. En réalité, durant toutes ces journées fatidiques, il
ne cessa de persuader les membres du GKO et les dirigeants du Parti de
Moscou qu’il fallait quitter la capitale. Il fit tout pour encourager la
panique parmi les dirigeants soviétiques afin de créer une ruée vers
l’évacuation et forcer Staline à abandonner Moscou.
D’autres épisodes confirment le rôle ambigu du NKVD et de son chef
pendant cette crise. Le 5 octobre, les avions du général N. A. Sbytov
envoyés en reconnaissance avaient repéré une colonne de blindés
allemands fonçant sur la capitale. Le commandement de l’aviation décida
d’expédier d’urgence, sans en référer à l’état-major, un millier de
bombardiers pour détruire cette colonne. Cet ordre fut révoqué par le
NKVD, à la grande surprise du général Sbytov qui fut convoqué par
Abakoumov et accusé par celui-ci de « causer une panique ». Sbytov fut
soumis à un interrogatoire de quatre heures, paralysant le commandement
des forces aériennes chargées d’assurer la défense de Moscou{908}.
Pendant l’après-midi du 15 octobre, Beria convoqua Chtcherbakov et
G. M. Popov, le deuxième secrétaire du Parti de Moscou, et les accueillit
par ces mots : « Les chars allemands sont déjà à Odintsovo », un village à
25 km de Moscou. Or Popov venait de passer par ce village et n’y avait
pas vu de chars allemands, mais il se garda bien de contredire Beria{909}.
Au contraire, lorsque le général K. F. Teleguine téléphona à Beria pour
l’avertir qu’une colonne de blindés allemands avançait vers la capitale, le
chef du NKVD le traita de « paniqueur » et Teleguine dut prendre
l’initiative à ses risques et périls d’improviser une défense qui permettrait
de repousser les forces allemandes{910}.
Staline ne flancha pas. Le 19 octobre, la défense de la capitale fut
confiée à Joukov et seuls Andreev, Voznessenski, Kaganovitch et Kalinine
partirent à Kouibychev{911}. L’état d’urgence fut proclamé à Moscou le
20 et on annonça que les « provocateurs, les espions et autres agents de
l’ennemi convaincus d’avoir enfreint la loi et troublé l’ordre devraient être
fusillés séance tenante ». La vacance du pouvoir avait pris fin : « Les
tribunaux militaires siégeaient jour et nuit{912}. » Le 30 octobre,
Roosevelt annonça à Staline que les États-Unis offraient à l’URSS un
crédit gratuit d’un milliard de dollars.
Que le pouvoir même de Staline fût en jeu durant ces jours de crise du 7
au 25 octobre apparut clairement dans une résolution du Sovnarkom et du
Comité central adoptée le 25 octobre, qui divisait le pays en deux zones
opérationnelles, le front et l’arrière. L’administration de l’arrière fut
confiée à Voznessenski et Andreev, Staline s’efforçant ainsi de réduire de
manière sensible la sphère d’action du GKO dont le caractère provisoire
était souligné dans la résolution{913}. Cette première tentative ne fut
guère couronnée de succès car Voznessenski fut incapable d’assurer la
supervision des commissariats du peuple éparpillés dans le pays et alors
que les communications avec Kouibychev étaient mauvaises. Tout passait
donc par Moscou, ce qui laissait au GKO sa prééminence{914}.
Voznessenski était d’ailleurs jaloux de ceux qui restaient à Moscou avec
Staline et il vivait mal sa relégation{915}.
Staline comprit que des manœuvres de coulisse n’étaient pas suffisantes
pour effacer son humiliation récente et qu’il devait frapper les esprits,
rétablir son prestige de commandant en chef. En tenant son fameux
discours du 6 novembre et la parade militaire du 7 novembre sur la place
Rouge – contre l’avis du général Artemiev, commandant de la région de
Moscou et un protégé de Beria{916} –, Staline réaffirma son emprise sur
le pays. Et quelques semaines plus tard, alors que la contre-offensive
devant Moscou infligeait à la Wehrmacht sa première grande défaite,
Staline commença à s’attaquer au tandem Beria-Malenkov. Le
14 décembre, le GKO adopta une résolution accusant l’industrie
aéronautique de « fonctionner de manière déplorable ces derniers temps »,
première salve d’une attaque voilée contre Beria et Malenkov,
responsables de ce secteur, qui se confirma lorsque Staline fit revenir
Voznessenski à Moscou.
Le 2 janvier 1942, Staline ressuscita le Bureau du Sovnarkom, dont il
confia la présidence à Voznessenski. Ni Beria ni Malenkov n’y furent
inclus. Le Bureau devait, dans son esprit, servir de contrepoids au GKO et
en rétrécir les compétences, ne lui laissant que l’industrie militaire. Cette
manœuvre fut exploitée et neutralisée avec habileté par Beria qui retourna
la situation en sa faveur, comme le raconte Mikoïan dans ses Mémoires.
Voznessenski était le type même de l’apparatchik communiste, il n’avait
aucun talent d’administrateur et pour lui l’essentiel était la hausse des
indices de production sur le papier. Un jour de janvier 1942, alors que le
Politburo était réuni pour discuter de la situation de l’armement, on
constata le manque de fusils et de canons. Beria sortit alors de sa poche un
diagramme préparé à l’avance qui montrait la hausse régulière de la
production des armements sur le papier dans les chiffres du Gosplan
préparés par Voznessenski et la baisse non moins régulière de la
production réelle des armements. Staline en fut saisi et Beria en profita
pour attaquer les travers « bureaucratiques » de Voznessenski, la
réunionite qu’il faisait sévir dans l’Administration et les plans
irréalisables qu’il cherchait à imposer. Staline proposa alors à Beria de se
charger de la production des armements. « Et Beria eut vite fait de
redresser la situation », poursuit Mikoïan en soulignant que Beria avait de
surcroît fort bien choisi son moment pour opérer sa mainmise sur ce
secteur vital : en effet, les usines évacuées d’URSS occidentale au-delà de
l’Oural commencèrent à fonctionner à plein rendement à partir de février-
mars 1942. Ce spectaculaire succès de Beria explique qu’en 1945 Staline
lui confiera le projet nucléaire{917}.
Le dictateur vieillissant continuait toutefois à vouloir diluer le GKO
pour atténuer la prépondérance de Beria et Malenkov. Le 3 février 1942, il
y fit admettre Mikoïan et Voznessenski, et Kaganovitch le
20 février{918}. Et lorsque Beria voulut faire nommer l’un de ses proches,
Aroutiounov, au commissariat du peuple aux Transports pour succéder à
Kaganovitch en mars 1942, Staline refusa net : « Vous vous imaginez que
j’accepterai la candidature d’Aroutiounov que Beria cherche de toute force
à m’imposer ? Jamais je n’y consentirai », dit-il au général
A. V. Khrouliov en lui annonçant sa nomination au commissariat du
peuple aux Transports{919}.
Lorsque la victoire de Stalingrad se dessina, le 8 décembre 1942, Staline
modifia de manière radicale la répartition du pouvoir au sommet en créant
le Bureau des opérations du GKO et un nouveau Bureau du Sovnarkom ;
désormais la direction de l’économie de guerre fut confiée à deux groupes
de dirigeants : le premier organisme était dominé par le tandem Beria-
Malenkov, le second par Voznessenski. On revint peu à peu à une
administration bureaucratique. Au même moment, Staline créa le
SMERCH – un nouveau service de contre-espionnage militaire – dont il
allait se servir contre le NKVD et le NKGB, fiefs de Beria.
Si l’on en croit le témoignage de Mikoïan, les relations entre Staline et
les membres du Politburo commencèrent à se dégrader dès que la situation
militaire de l’URSS cessa d’être critique. Staline se mit à soupçonner
Molotov de vouloir le supplanter car il était russe, et il chercha à l’isoler
et à le tenir à l’écart{920}. Le premier Plénum du Comité central depuis le
début de la guerre devait se réunir le 25 janvier 1944. Les archives
contiennent un intéressant projet de résolution de Malenkov qui exprimait
les aspirations des « technocrates » à se libérer de la tutelle des organes du
Parti. Ce projet proposait de « libérer les organismes du Parti des
fonctions économiques et administratives pour lesquelles ils ne sont pas
compétents » et de « renforcer les organes de l’État », en fusionnant le
poste de premier secrétaire – d’une république, d’une région, d’un district
ou d’une municipalité – avec celui de chef de gouvernement de même
niveau ; il suggérait également de liquider au sein des comités du Parti les
postes de responsables des secteurs économiques comme l’industrie, le
transport, le commerce et l’agriculture{921}. À l’origine, Staline
approuva le document qui porte sa signature. Mais le Politburo, réuni le
26 janvier, supprima ce projet de l’ordre du jour, sans qu’on sache ce qui
poussa Staline à changer d’avis. Le seul effet concret de ce projet fut le
cumul par Khrouchtchev et Panteleïmon Ponomarenko des fonctions de
premier secrétaire et de chef du gouvernement en Ukraine et en
Biélorussie, entériné par une décision du 29 janvier 1944.
Le 15 mai 1944, une nouvelle réorganisation de la direction soviétique
permit à Staline de rogner encore davantage les pouvoirs du triumvirat du
GKO. Le Bureau du Sovnarkom dirigé par Molotov, dans lequel
n’entraient ni Beria ni Malenkov, fut flanqué d’un Bureau opérationnel du
GKO dirigé par Beria dans lequel Staline intégra Voznessenski et
Vorochilov. Voznessenski était donc membre des deux organismes
dirigeants et, en décembre 1944, continuant son ascension, il fut nommé
vice-président du Bureau du Sovnarkom.
Le haut commandement de l’armée ne fut pas oublié. Dès octobre 1942,
Staline enleva le renseignement militaire à l’état-major pour le placer sous
sa supervision directe, mais avec des conséquences si fâcheuses qu’en
avril 1943 il autorisa l’état-major à se doter d’une Direction du
renseignement{922}. Fin 1944, il réorganisa le commandement militaire
et nomma adjoint au commissariat du peuple à la Défense le médiocre
mais docile Nikolaï Boulganine qui remplaça Vorochilov au GKO{923}.
Déjà il mettait en place un contrepoids aux prestigieux maréchaux de
l’Armée rouge, tel Joukov. Enfin, le 4 janvier 1945, Staline fit revenir
Jdanov à Moscou et son jeu consista dès lors à créer des mécanismes de
subordination inextricables, propres à susciter des antagonismes féroces :
ainsi Malenkov, qui dirigeait le Comité pour le rétablissement des régions
libérées de l’occupation allemande, dépendait des décisions de
Voznessenski et Mikoïan qui siégeaient au Bureau du Sovnarkom ; alors
qu’au sein du Comité, ces deux derniers lui étaient subordonnés. Au sein
du GKO, Malenkov était désormais subordonné à Beria. L’animosité entre
les « technocrates » et Voznessenski n’était pas seulement personnelle,
mais recouvrait des orientations politiques : ainsi, en 1944, les
« technocrates » tentèrent d’inciter Staline à demander des crédits
américains pour l’après-guerre, tandis que Voznessenski plaidait en sens
inverse qu’accepter ces crédits reviendrait à vassaliser l’URSS{924}.
Rien n’illustre mieux la manière sourcilleuse dont Staline sut défendre
son pouvoir personnel que sa politique à l’égard du mouvement partisan.
Pendant la guerre, il fut obligé de tolérer la prodigieuse montée en
puissance du NKVD, y compris l’expansion des forces armées
subordonnées à ce ministère. En effet, dès le 29 juin 1941, Beria entreprit
de former quinze divisions du NKVD dont l’encadrement était emprunté
aux troupes des gardes-frontières des régions militaires d’Arménie, de
Géorgie, d’Azerbaïdjan, d’Asie centrale et de Sibérie, et surtout aux
gardes-frontières de son fief de Transcaucasie{925}. Il eut aussi à sa
disposition un groupe spécial, créé le 16 juin 1941, chargé d’organiser la
guérilla sur les arrières de l’ennemi. Au sein de ce groupe spécial fut
formée une brigade motorisée spéciale (OMSBON) dont la mission était le
sabotage des communications ennemies, la destruction des stocks de
carburant et la coordination de l’action clandestine. Ses effectifs
atteignirent 25 000 hommes. Le 18 janvier 1942, le Groupe spécial devint
la 4e Direction du NKVD, chargée d’organiser des réseaux dans les
territoires occupés, d’infiltrer des agents dans les administrations
d’occupation, d’entraîner des saboteurs, de les parachuter sur les arrières
de l’ennemi et de préparer des réseaux dans les régions pouvant être
occupées par l’ennemi. La 4e Direction était dirigée par Soudoplatov,
assisté de ses adjoints Nikolaï Melnikov et Varlam Kakoutchaïa{926}.
Ainsi Beria se donnait les instruments lui permettant d’acquérir une
influence dominante dans les territoires occupés, d’autant plus que les
groupes de collaborateurs étaient aussi noyautés par le NKVD.
Mais Staline ne l’entendait pas de cette oreille. Aux ambitions du
NKVD il opposa en permanence celles de l’appareil du Parti qui prétendait
préserver son « rôle dirigeant » dans les territoires occupés. Le conflit
entre « partocrates » et « tchékistes » fut déterminant pour l’histoire du
mouvement partisan{927}. L’enjeu de la direction du Mouvement partisan
donna lieu à une véritable épreuve de force entre le NKVD et les
responsables du Parti.
Durant les premiers mois de la guerre, le NKVD eut l’avantage car le
Mouvement partisan dut être improvisé de toutes pièces. Les instructeurs
soviétiques qui avaient enseigné aux communistes espagnols les
techniques de sabotage et de diversion pendant la guerre d’Espagne
avaient été exterminés durant les purges de 1937-1938, ainsi que Jan
K. Berzine, le responsable du GRU. La guérilla avait cessé d’être en vogue
dans la pensée militaire soviétique car elle ne cadrait en rien avec les
affirmations officielles selon lesquelles la guerre aurait lieu sur le
territoire ennemi. Surtout, Staline craignait que les techniques de guérilla
ne se retournent contre son régime. Les officiers chargés de préparer la
guérilla furent accusés de « sous-estimer la puissance de l’État socialiste »
et de vouloir « fomenter une activité hostile sur les arrières de l’Armée
rouge{928} » et ils périrent dans les purges.
Lors de la débâcle des premières semaines de la guerre, Staline sembla
oublier ses réticences face au « peuple en armes ». Dès le 29 juin 1941,
une directive du Comité central appela les organismes du Parti des régions
proches du front à organiser le Mouvement partisan, le rôle du NKVD n’y
étant pas spécifié{929}. Il fallait maintenir vivante la peur des autorités de
Moscou afin qu’elle fasse concurrence à la crainte des Allemands ;
d’ailleurs, les partisans seront souvent aussi détestés par la population que
les SS, leur comportement ne différant guère – du moins aux yeux des
non-Juifs.
Deux conceptions de la résistance sur les territoires occupés
s’opposèrent. Celle défendue par Beria reposait sur des opérations de
commando confiées à des professionnels peu nombreux, parachutés dans
les territoires occupés afin d’y détruire les voies de communication et les
transports ennemis ; celle de P. K. Ponomarenko, premier secrétaire du
Parti de Biélorussie, fut exposée dans un mémorandum remis à Staline à la
fin de l’été et proposait un mouvement de masse issu de la population
locale, encadré par le Parti, dirigé par les conseils militaires, et chargé de
harceler l’adversaire mais surtout de maintenir la présence du régime
soviétique dans les territoires occupés. Dans un premier temps, Staline
chercha à faire flèche de tout bois et accepta les deux conceptions. Le
18 juillet, le Mouvement des partisans reçut le feu vert officiel et une
commission dirigée par Malenkov, Ponomarenko et Mekhlis fut chargée
de le diriger{930}. Durant ces premiers mois, les hommes du NKVD
semblèrent mieux préparés à l’action clandestine que les activistes du
Parti ou même les officiers de l’Armée rouge. Les premières unités de
partisans furent surtout formées d’officiers du NKVD et, comme elles
n’avaient pas de radio, elles dépendaient des courriers du NKVD pour
effectuer la liaison avec Moscou.
Après la bataille de Moscou, Staline hésita sur la politique à suivre. En
décembre 1941, il sembla se rallier à la conception de Ponomarenko et
décida de créer une direction centralisée des partisans. Cependant Beria
réussit à s’assurer l’appui du GKO et fit valoir à Staline qu’un mouvement
spontané de partisans échapperait à tout contrôle et ne serait guère utile,
car seuls des professionnels seraient capables de porter à l’ennemi des
coups ciblés. Staline se laissa convaincre. La bataille de Moscou l’avait
rempli d’optimisme et il était de nouveau sensible aux inconvénients de la
présence d’un « peuple en armes » hors de son contrôle. Le 26 janvier
1942, il ordonna donc la liquidation de la Direction des partisans à peine
formée et confiée à Ponomarenko{931}. Presque tous les membres de
l’état-major des partisans créé en novembre 1941 furent arrêtés{932}.
C’est à la 4e Direction du NKVD, dirigée par Soudoplatov{933}, que
revinrent les tâches d’organiser la résistance sur les territoires occupés.
Cependant, au printemps 1942, la situation militaire se dégrada et, fin
mai, poussé par les organisations du Parti qui étendaient leur emprise sur
les partisans et les conseils militaires, Staline revint à son projet de créer
un état-major des partisans. Beria essaya de court-circuiter cette initiative
à sa manière. Vers le 20 mai, Ponomarenko fut convoqué à Moscou et fut
mis en contact avec Vassili Serguienko, le chef du NKVD ukrainien.
Celui-ci se vanta de ses excellentes relations avec Khrouchtchev et Beria,
et lui annonça que le mouvement des partisans serait placé sous ses ordres.
Le 30 mai, une session du GKO fut consacrée à la question des partisans.
Chargé de présenter le rapport, Beria recommanda de créer un état-major
central des partisans dont la direction serait confiée à V. T. Serguienko,
donc au NKVD. Mais Staline le remit brutalement à sa place et lui dit d’un
ton tranchant :

Vous avez une approche étroite, celle des intérêts de votre


administration, devant ce problème extrêmement important. Le
mouvement des partisans est un mouvement populaire, c’est la lutte
du peuple. C’est le Parti qui doit diriger ce mouvement et cette lutte,
et c’est lui qui le fera. Le chef de l’état-major central du mouvement
partisan sera un membre du Comité central.

Et Staline nomma à ce poste Ponomarenko qui fut subordonné à


Vorochilov{934} et qui s’empressa de mettre à l’écart Serguienko. Ce
dernier dut se contenter de représenter le NKVD au sein du Collège de
l’état-major central des partisans.
Beria le prit fort mal et ne se tint pas pour battu. Le 13 juillet 1942, il
interdit de mettre à la disposition des états-majors de partisans les
hommes des groupes spéciaux du NKVD{935}. Dans cette affaire, il avait
le soutien de Khrouchtchev qui ne pouvait souffrir son collègue biélorusse
depuis qu’ils s’étaient affrontés à propos du tracé des frontières de leur
république respective après les annexions de l’automne 1939. Beria et
Khrouchtchev s’arrangèrent pour répandre dans les régions occupées un
tract annonçant que la résistance ukrainienne devait prendre ses ordres
auprès d’Alexei Fiodorov, un tchékiste.
Le décret du GKO enjoignait aux activistes du Parti et aux hommes du
NKVD de coopérer au sein des états-majors partisans. Cependant la
coexistence ne fut jamais aisée entre commissaires du Parti, militaires et
officiers du NKVD au sein des états-majors partisans. Sur le terrain, la
plus grande confusion régnait tant les chaînes de subordination étaient
mêlées{936} ; comme toujours Staline surveillait les uns et les autres en
jouant sur les rivalités entre les administrations, et ce mécanisme de triple
contrôle se retrouva de la base au sommet du mouvement partisan. Dans
l’ensemble, à partir de février-mars 1942, le Parti imposa son autorité aux
unités de partisans, et, en 1943, c’est le commandement de l’Armée rouge
qui prit la relève dans la direction des partisans. Bien entendu le NKVD
conservait un droit de regard grâce aux Sections spéciales existant au
niveau des bataillons, dont la tâche était de surveiller les partisans. Beria
en profita pour rédiger des rapports ravageurs :

Les partisans [de l’unité de Sabourov] se livrent à l’ivrognerie et à


des pillages inouïs. Ils arborent dans les villages des uniformes
allemands. Ils fusillent les paysans qui se réfugient dans les bois. La
population, qui hait les Allemands, et qui était prête à se soulever, est
en proie à la panique{937}.

La rivalité touchait aussi le domaine du renseignement et du contre-


espionnage : ainsi le SMERCH voyait d’un très mauvais œil que les agents
de l’ennemi tombés aux mains des partisans soient interrogés par des
commissaires des états-majors partisans au lieu de lui être livrés. Le
20 août 1943, Abakoumov demanda à Ponomarenko de mettre fin à cette
pratique en insistant sur le monopole du SMERCH en matière de contre-
espionnage, mais il essuya un refus sec de Ponomarenko qui, sans se
gêner, mit en doute l’efficacité du SMERCH à capturer les agents
ennemis. Sur le terrain, les relations entre les chefs des détachements
partisans et les officiers de la 4e Direction du NKVD étaient souvent
exécrables. Il est arrivé que les premiers refusent aux seconds des
explosifs ou des armes indispensables à la réalisation de leurs opérations.
Ces affrontements causèrent des animosités durables. Ainsi Timofeï
Strokatch, le chef de l’état-major des partisans d’Ukraine, sera un de ceux
qui dénonceront Beria aux dirigeants du Parti à l’été 1953. Beria chercha à
se venger de Ponomarenko en juillet 1945, lors du voyage en train de
Staline à Potsdam. Alors que Staline mesurait l’étendue des dévastations
en traversant la Biélorussie, Beria en profita pour apostropher
Ponomarenko :

La construction de logements est une tâche importante, un homme


sans toit travaille mal. Il est visible que vous vous dispersez,
camarade Ponomarenko, alors que vous devriez concentrer toutes vos
forces à la construction et la restauration des habitations. Nous ne
voyons partout que ruines{938}.

L’exemple du mouvement des partisans montre que, même dans les


circonstances exceptionnelles de la guerre, Staline maintenait un contrôle
étroit sur tous les domaines importants à ses yeux, l’efficacité du point de
vue militaire dût-elle s’en ressentir. Il ne confia jamais une tâche qu’il
jugeait importante à un seul organisme. NKVD, Armée rouge et Parti
furent constamment mis en concurrence, Staline se réservant le droit
d’arbitrer. L’alliance de Beria et de Khrouchtchev contre Ponomarenko
révèle par ailleurs qu’au Parti, les rivalités de personnes l’emportaient sur
l’esprit de corps : c’était l’une des conditions indispensables au pouvoir de
Staline. Beria essaya de développer un esprit de corps au sein du NKVD
mais son succès fut limité.
10

Beria et l’armée polonaisedu général Anders


Après l’attaque allemande le 22 juin 1941, le rapprochement anglo-
soviétique força Staline à changer du tout au tout sa politique à l’égard des
Polonais. Le 30 juillet 1941, fut conclu un accord polono-soviétique dont
les contours avaient été élaborés au cours d’entretiens entre Beria et le
général Januszajtis au printemps 1941. Le NKVD joua aussi un rôle actif
dans la négociation elle-même, dont les premiers jalons furent posés dès le
27 juin lors d’entretiens préalables entre Rothstein et Stefan Litauer.
Rothstein déclara que les Soviétiques ne sauraient accepter un retour aux
frontières du traité de Riga, mais pour tout le reste – amnistie des Polonais
détenus en URSS, création d’une armée polonaise sur le sol soviétique –
ils étaient prêts à négocier{939}.
Les pourparlers avec le gouvernement polonais de Londres furent
entamés le 5 juillet 1941. Les négociations étaient menées, du côté
britannique, par William Strang, du côté polonais par Retinger et du côté
soviétique par Maïski, les Britanniques ayant écarté le ministre polonais
des Affaires étrangères Zaleski, toujours sceptique sur les possibilités
d’une coopération avec l’URSS{940}. Elles aboutirent, le 30 juillet, à
l’accord Maïski-Sikorski par lequel Staline, aux abois, consentit à des
concessions de taille. N’avait-il pas demandé, le 29 juillet, à Harry
Hopkins, l’envoyé du président Roosevelt à Moscou, le déploiement sur le
front germano-soviétique de troupes américaines qui seraient
« entièrement sous le commandement américain{941} » ? L’URSS donna
satisfaction à toutes les demandes polonaises sauf le retour aux frontières
du traité de Riga : elle accepta l’annulation du pacte Molotov-Ribbentrop,
s’engagea à libérer tous les Polonais détenus sur son territoire –
prisonniers de guerre et déportés –, à contribuer à la création d’une armée
polonaise en URSS sous commandement polonais et à reconnaître le
gouvernement de Londres. Les autorités soviétiques s’engagèrent à ne pas
s’ingérer dans l’organisation de l’armée polonaise, que ce soit sur les
plans politique ou militaire. Sikorski considérait que cette force armée
polonaise sur le sol soviétique serait la garante de l’accord avec
Moscou{942}.
L’accord, cependant, recelait des points de friction. Les Polonais
estimaient que les prisonniers de guerre étaient 300 000, alors que les
autorités soviétiques prétendaient qu’ils étaient 20 000. Quant aux civils
déportés, ils étaient 500 000 selon les sources soviétiques, 1 500 000 selon
les estimations polonaises{943}. Les différences d’estimation tenaient
entre autres à ce que les Soviétiques refusaient d’inclure dans ces chiffres
les citoyens polonais d’origine ukrainienne ou biélorusse. En réalité, en
juin 1941, 21 050 militaires polonais étaient internés dans cinq camps
soviétiques{944}.

Le choix d’Anders.
Lors de la signature de l’accord, Maïski demanda à Sikorski quel serait
le commandant en chef des forces polonaises en URSS. Sikorski nomma
Anders et la réaction de Maïski révéla qu’il avait déjà entendu parler de ce
général polonais{945}. Sikorski avait ordonné à la résistance polonaise, en
décembre 1939, de l’enlever de l’hôpital de Lvov où il se trouvait, d’après
ses informations, mais Anders avait déjà été transféré à Moscou{946}. Le
choix d’Anders résultait d’un accord passé avec les Soviétiques, puisque le
général Januszajtis, après avoir consulté une liste des officiers polonais
survivants en URSS fournie par le chef du NKVD, avait recommandé à
Beria la candidature d’Anders{947}. Cet ancien officier de cavalerie de
l’armée tsariste devait sa carrière au maréchal Pilsudski qui avait
beaucoup d’estime pour lui{948}.
Le 3 août, Sikorski écrivit à Anders pour lui annoncer qu’il lui confiait
le commandement de l’armée polonaise formée sur le sol soviétique.
Anders venait de passer vingt-deux mois en détention et avait été torturé
de manière affreuse dans les geôles du NKVD. Sergo Beria affirme dans
ses Mémoires qu’Anders vécut quelques jours chez les Beria à sa sortie de
prison, et que sa mère lui prodigua des soins{949}. Bien entendu, Anders
ne mentionne pas ce fait dans ses Mémoires, mais il raconte qu’il quitta la
prison « dans la limousine du chef même du NKVD{950} ». Le chef de la
mission militaire polonaise en URSS, le général Zygmunt Szyszko
Bohusz, se souvient qu’à son arrivée en URSS, il ne lui fut pas possible de
voir immédiatement Anders, car les « autorités soviétiques durent le
remplumer un peu et lui donner une allure convenable{951} ».
Le 4 août 1941, Beria et Merkoulov convoquèrent le général Anders et
manifestèrent leur satisfaction de le voir nommé commandant en chef de
la future armée polonaise{952} : congratulations qui n’étaient peut-être
pas tout à fait hypocrites puisque durant sa détention, à l’époque du pacte
germano-soviétique, ils lui avaient déjà offert d’être le chef de l’armée
polonaise{953}. Du 4 au 8 août, Anders fut inaccessible pour tous, sauf
pour les colonels Dudzinski et Berling. Après l’attaque allemande contre
l’URSS, ce dernier estimait que la Pologne devait être incorporée dans la
Fédération soviétique et il avait même demandé à servir dans l’Armée
rouge mais le NKVD lui ordonna de joindre l’armée d’Anders{954}.
Les épreuves vécues en captivité ne firent que confirmer Anders dans
son anticommunisme viscéral. Dans sa luxueuse résidence du NKVD,
celui-ci s’efforça de purger ses deux compatriotes de leur prosoviétisme :

Il nous raconta ce qu’il avait vécu depuis 1939 et nous décrivit les
épreuves traversées par d’autres. Il évoqua l’activité du NKVD, les
atrocités et les mauvais traitements, l’acharnement manifesté contre
tout ce qui était polonais. […] On le sentait profondément marqué,
animé d’une haine farouche. […] Lorsqu’il nous demanda si après
cela nous allions continuer à parler d’alliance et d’amitié [avec
l’URSS] nous gardâmes le silence{955}.

Anders expliqua que tous les Soviétiques avec lesquels il avait partagé
sa cellule durant sa détention étaient persuadés de la défaite imminente de
l’Armée rouge ; c’est sur ces entretiens qu’il fondait sa conviction que
l’URSS était condamnée. Alors que les officiers discutaient de leurs plans
pour la future armée polonaise, Anders déclara crûment à ses
interlocuteurs stupéfaits :
Je suis ravi qu’il ait été décidé de former notre armée près de la
Volga. Lorsque les Allemands augmenteront leur pression, tous ici
s’éparpilleront comme une bande de moineaux. Nous serons alors la
seule force organisée dans la région et je vous conduirai vers la mer
Caspienne et l’Iran où nous effectuerons la jonction avec les
Britanniques. Alors nous montrerons aux Allemands de quoi nous
sommes capables. Quant aux bolcheviks qu’ils aillent au diable. Rien
ne peut les sauver{956}.

Ainsi Anders escomptait qu’au moment de la chute de l’URSS, les


Polonais auraient une pleine liberté d’action.
De leur côté Berling et Dudzinski communiquèrent à Anders tout ce
qu’ils savaient des trois camps de Kozielsk, de Starobielsk et
d’Ostachkovo, et lui indiquèrent le nombre d’officiers polonais détenus
dans ces camps. Ainsi, pendant qu’Anders se trouvait hébergé dans une
résidence du NKVD, il reçut un rapport détaillé sur les antécédents
immédiats du crime de Katyn{957}. Peut-être Berling l’informa-t-il aussi
de la remarque de Beria et Merkoulov sur l’« erreur » commise avec les
officiers polonais – alors que Staline, interrogé à partir de juillet 1941 par
les représentants du gouvernement polonais de Londres sur le sort des
officiers disparus, répondait sur un ton imperturbable qu’ils avaient dû
s’échapper par la Roumanie ou la Mandchourie. En tout cas, bien avant la
découverte du charnier de Katyn, Anders confia à un proche : « Tu sais, je
les envisage tous comme des camarades, des amis, que j’aurais perdus
dans une bataille{958}. » Plus tard, lorsque Berling revit Kondratik, il eut
l’impression que celui-ci savait tout de l’entretien avec Anders. Pourtant
celui-ci continua à se montrer étonnamment franc avec les deux officiers :

L’Union soviétique est un colosse aux pieds d’argile, elle n’a aucune
cohésion interne, sa défaite dans la guerre avec les Allemands est
inévitable, sa perfidie est notoire. Par conséquent on ne peut se fier
aux bolcheviks, notre seul salut est l’Angleterre{959}.

À la différence d’Anders, Januszajtis fut persuadé dès le début que


l’Armée rouge était plus robuste qu’il n’y paraissait. Grâce aux briefings à
la Loubianka, il avait rencontré des officiers supérieurs soviétiques et se
rendait compte de l’importance de l’évacuation de l’industrie soviétique
dans l’Oural et du potentiel militaire de l’URSS. En Grande-Bretagne, il
fit part de ses impressions à Alan Brooke, le chef de l’état-major de
l’armée britannique, et se heurta à un scepticisme général. À Londres,
Januszajtis était même soupçonné d’être un agent soviétique, soupçons
que l’ambassadeur Kot estimait dépourvus de tout fondement ; mais, dans
le milieu de l’émigration, on l’appelait le « général communisant{960} ».
C’est pourquoi Sikorski renonça à le placer à la tête de la mission militaire
polonaise à Moscou, ce qui était prévu en août. Plus tard, Januszajtis se
justifiera en faisant valoir que son but n’était pas seulement d’« attirer
l’attention sur l’importance d’une alliance avec les Soviétiques dans la
guerre menée contre l’Allemagne », mais de « s’attaquer aux opinions
naïves qui pouvaient entraîner une sous-estimation fatale des Soviets en
tant qu’ennemis{961} ». Néanmoins, Januszajtis se faisait une idée très
exagérée de son influence en URSS – ou de celle de Beria : ainsi, le
27 juin 1942, il fera demander à Moscou par l’ambassadeur Bogomolov si
sa nomination au poste de chef de la mission militaire pourrait marquer un
tournant dans les relations polono-soviétiques et il formulera les
conditions auxquelles il accepterait ce poste à Moscou – libération des
Polonais détenus, renouvellement du recrutement dans l’armée polonaise,
recherche des 8 000 officiers disparus{962}.

La lune de miel soviéto-polonaise.


Un accord militaire entre Soviétiques et Polonais fut signé le 14 août
1941. L’armée d’Anders devait compter 30 000 hommes d’ici octobre
1941, soit deux divisions d’infanterie, un régiment de réserve, une école
d’officiers et un état-major. L’une des divisions devait être équipée par
l’URSS, l’autre par la partie polonaise. Anders fut déçu de la modestie des
effectifs prévus : les officiers polonais estimaient qu’ils pouvaient recruter
en URSS jusqu’à 300 000 hommes. On jugea néanmoins que l’accord du
14 août était un début.
Le général Guiorgui Sergueievitch Joukov était le responsable du
NKVD chargé des questions liées à la formation de l’armée polonaise ;
son officier de liaison était le colonel V. A. Volkovysski. Du côté polonais,
le colonel Okulicki était chargé des relations avec les autorités locales et il
ne tarda pas à se charger aussi de l’organisation de l’aide aux populations
civiles polonaises, ce qui entraîna des tensions avec l’ambassade,
mécontente de voir les autorités militaires outrepasser leur domaine de
compétence. L’état-major de l’armée polonaise fut installé à Bouzoulouk
près de Kouibychev.
Le premier envoyé du général Sikorski à Moscou, le 12 août 1941, fut
J. Retinger, choisi à dessein par Eden à cause de ses contacts avec le
journaliste Litauer et Rothstein. L’accueil que lui avaient réservé les
Soviétiques et l’insistance de Cripps avaient forcé Sikorski à le nommer
chargé d’affaires{963}, alors qu’il semble avoir eu une piètre opinion du
personnage : « Je ne sais pas pour qui il travaille », « De quoi aurons-nous
l’air devant les Russes avec un pareil représentant ? », dit-il à Kot{964}.
Les Soviétiques savaient que Retinger était l’homme des services anglais
et Kondratik, l’homme du NKVD, mit Berling en garde contre lui. Le
NKVD avait une taupe au sein du gouvernement polonais de Londres – un
ministre au nom de code « Henrikh » – et avait d’autres contacts
confidentiels au sein de ce gouvernement{965}.
Le 20 août, Sikorski choisit comme ambassadeur Stanislaw Kot.
Originaire de Lvov, celui-ci était à la tête d’une organisation de la
résistance dans la diaspora polonaise et il comptait de nombreux proches
parmi les déportés, mais il ne connaissait rien à l’URSS et n’avait aucun
contact à Moscou. Il reçut de Sikorski des recommandations précises : il
devait collaborer étroitement avec la mission militaire polonaise pour
l’organisation de l’armée d’Anders ; il devait s’efforcer de mettre les
troupes polonaises à l’abri de la propagande communiste ; s’il s’avérait
impossible de former l’armée polonaise dans les difficiles conditions
soviétiques, il devait prévoir l’évacuation des hommes au Proche-Orient ;
dans ce but il était opportun de s’assurer des points d’appui à Tiflis, Bakou
et Tachkent{966}. Quant au général Anders, il reçut le 1er septembre les
instructions suivantes de Sikorski : en aucun cas il ne devait risquer
l’anéantissement des forces polonaises qui ne devaient être ni engagées de
manière prématurée ni envoyées sur le front occidental où elles seraient
diluées et joueraient un rôle secondaire ; elles devaient au contraire
remplir une mission stratégique importante et agir en étroite collaboration
avec les Britanniques. Anders devait s’efforcer d’obtenir que les
Soviétiques lui confient la protection des puits de pétrole du Caucase, ce
qui permettrait aux troupes polonaises de faire la jonction avec les
Britanniques{967} – souhait exprimé par Churchill à Sikorski, le 23 août
1941{968}.
Au début, les Polonais s’étonnèrent de la bonne volonté soviétique et de
la rapidité avec laquelle l’accord du 30 juillet commençait à se réaliser.
Trois avions furent mis à la disposition des militaires polonais qui purent
se déplacer en toute liberté de Kouibychev à Moscou et aux différents
points de regroupement des Polonais sur le territoire soviétique. Staline
offrit même une limousine ZIS à Anders. Et une radio polonaise contrôlée
par le gouvernement de Londres fut installée à Moscou pour faciliter la
liaison entre le territoire occupé et le gouvernement en exil. L’amnistie
semblait mise en œuvre avec célérité : « Les libérations de masse de
citoyens polonais après l’accord du 30 juillet 1941 n’ont pas leur
précédent dans l’histoire de l’URSS », nota Wieslaw Arlet, le secrétaire de
l’ambassade de Pologne{969}. En décembre, Staline se vanta auprès de
Sikorski d’avoir relâché « même les agents de Sosnkowski qui nous ont
attaqués et ont assassiné nos hommes{970} ». Le 19 août, Jan
Ciechanowski, l’ambassadeur de Pologne aux États-Unis, rencontra
Oumanski pour discuter de l’organisation de l’aide de la Croix-Rouge aux
Polonais en URSS. Oumanski déclara qu’il ne serait pas facile de
convaincre son gouvernement d’accepter cette action, mais il ne refusa pas
d’emblée{971}. Les autorités soviétiques consentirent à la création de
comités polonais dont la tâche était de prendre en charge les Polonais
libérés dans les différentes régions de l’URSS où ils étaient déportés.
Début octobre, 345 000 Polonais avaient été libérés{972} et des foules
d’hommes émaciés accompagnés par leur famille affluaient à Bouzoulouk.
« Je n’arrive pas à comprendre pourquoi ils [les Soviétiques] sont si
pressés de construire notre armée : est-ce l’avance rapide des Allemands
qui les inquiète, est-ce pour leur peau qu’ils ont peur ? », écrivait Kot à
Sikorski le 10 septembre 1941{973}. Et en effet, vers le 25 octobre 1941,
les effectifs de l’armée polonaise atteignirent 41 500 hommes, dépassant
de beaucoup les chiffres prévus{974}. Même la présence d’aumôniers
était tolérée et on espérait l’ouverture d’une église polonaise à
Moscou{975}, tandis que les Soviétiques promettaient d’autoriser la
publication d’un journal polonais. Quoique, dès le 9 septembre, Molotov
eût déclaré à l’ambassadeur Kot que l’URSS ne pouvait fournir des
armements aux hommes d’Anders, que c’était aux Anglo-Saxons de s’en
charger{976}, les Polonais étaient pleins d’optimisme.
Les rapports soumis par Beria à Staline mettaient l’accent sur les
polémiques suscitées aux États-Unis par la « question russe » et les
difficultés éprouvées par Roosevelt à faire passer sa politique
philosoviétique auprès de son administration plus conservatrice{977}. Par
ses concessions aux Polonais, Staline voulait qu’ils influencent les milieux
catholiques américains fort hostiles à l’aide à l’Union soviétique. Le
23 septembre, Averell Harriman, l’envoyé de Roosevelt, se fit l’écho de
ces attentes lorsqu’il demanda à Sikorski et à Raczynski d’aider le
président Roosevelt à surmonter l’opposition des catholiques américains à
l’aide à l’URSS en annonçant la nouvelle tolérance religieuse de
Moscou{978}. Cette demande fut satisfaite et des articles dithyrambiques
sur l’URSS furent publiés par des Polonais dans la presse anglo-saxonne
sur le sujet, au grand scandale de leurs compatriotes encore retenus en
URSS. Ainsi le Times du 17 septembre fit paraître une interview de
J. Retinger à son retour de Moscou, dans laquelle il se livrait à un éloge
immodéré de l’attitude des Soviétiques à l’égard des Polonais. Même son
de cloche dans une lettre au New York Times, le 1er novembre, de
l’ambassadeur Ciechanowski annonçant l’ouverture d’une église
catholique et d’une synagogue à Moscou. Dès le 7 septembre 1941,
Roosevelt avait écrit au pape Pie XII, sceptique, que l’URSS s’apprêtait à
reconnaître la liberté religieuse{979}.
Dans cette politique de concessions aux Polonais rendue possible par la
conjoncture exceptionnelle, le NKVD semblait le plus empressé. Dès les
premiers jours de son séjour à Moscou, Kot remarqua les égards et les
honneurs dont le NKVD entourait Anders. Il ne tarda pas à soupçonner les
Soviétiques de vouloir mettre le général en concurrence avec
l’ambassadeur afin de semer la zizanie dans la communauté polonaise en
URSS. Les Polonais de Moscou avaient en effet l’impression qu’Anders
avait infiniment plus d’influence auprès des Soviétiques que le professeur
Kot{980} : « Chacun de ses désirs est réalisé », nota ce dernier à propos
d’Anders{981}. Lorsqu’en septembre, le représentant du NKVD, le
général G. S. Joukov, exigea que toutes les demandes concernant les
officiers disparus passent par Anders et non par l’ambassade, Kot ne
protesta pas{982}. Cette intimité avec le NKVD fut sans doute à l’origine
de la « peur inexplicable » dans laquelle vivait Anders en permanence, si
l’on en croit le témoignage de son aide de camp : au point qu’avant de
prendre l’avion le 23 septembre, Anders convoqua le colonel Okulicki et
lui remit des feuilles en blanc signées par lui{983}. Anders craignait pour
sa vie et l’ambassadeur Kot n’en menait pas large non plus puisque, le
13 novembre 1941, il câbla à Sikorski : « Si je ne revenais pas de mon
voyage à Moscou… je ne doute pas que tu prendras soin de ma
famille{984}. »

La défense du Caucase confiée à l’armée d’Anders ?


Les Polonais étaient persuadés que la Wehrmacht arriverait à conquérir
l’URSS en deux mois, que Staline serait destitué au moment de la débâcle
et que les Allemands formeraient des gouvernements fantoches qui
seraient des cibles faciles pour des forces polonaises habituées à la
clandestinité{985}. Les Britanniques se laissèrent convaincre par leurs
alliés polonais qu’en cas d’effondrement du régime stalinien, l’armée
polonaise pouvait assurer le maintien d’un front est en formant un noyau
autour duquel pourrait se cristalliser l’opposition antibolchevique et anti-
allemande. Un peu comme les Tchécoslovaques en 1918, elle catalyserait
en URSS la résistance à l’Allemagne. Sikorski fit miroiter cette
éventualité à Eden{986} et Harriman : « L’armée polonaise pourrait
devenir un élément dirigeant, un facteur qui permettrait de dominer la
situation et de grouper autour d’elle toutes les forces encore capables de
résistance », confia-t-il à ce dernier le 19 septembre 1941{987}.
Dès le 23 août, Churchill recommanda à Sikorski de s’arranger pour que
les forces polonaises soient groupées dans des régions où elles puissent
faire la jonction avec les troupes britanniques « en cas de nécessité, dans
le Caucase{988} ». Le 19 septembre, Anders expliqua à Harriman le plan
qu’il avait élaboré avec Churchill, l’état-major britannique et le général
Wavell. L’idée était « de créer un centre de résistance dans le Caucase,
d’effectuer la jonction avec les forces britanniques, de protéger les puits
de pétrole, et, en cas d’effondrement total de la Russie, de préserver le
front oriental et de protéger le Moyen-Orient. […] En cas de chaos
politique en Russie, l’armée polonaise pourrait devenir un élément
dirigeant » et « grouper autour d’elle toutes les forces encore capables de
résistance. Même les Russes en tenaient compte{989}. »
Le projet de déployer l’armée d’Anders dans le Caucase émanait des
Polonais et non des Britanniques. Ainsi, le 26 septembre, Sikorski câbla au
général Ismay qui assurait la liaison entre Churchill et l’état-major
britannique, pour lui faire part de son désir de voir l’armée polonaise
prendre part à la défense du Caucase, « maintenant d’une urgence vitale » ;
il demanda aux Britanniques d’intervenir auprès des Soviétiques afin
d’obtenir leur autorisation de déplacer sans tarder les forces polonaises
dans cette région{990}. Le lendemain, dans une lettre au chef de la
mission militaire polonaise en URSS, le général Szyszko Bohusz, Sikorski
invita ce dernier à convaincre lord Ismay que les divisions polonaises
devaient prendre part à la défense du Caucase dont les champs de pétrole
étaient menacés par les Allemands. Sikorski souhaitait qu’Ismay persuade
les représentants britanniques de proposer de « déplacer sans tarder les
troupes polonaises dans le Caucase ». De manière significative, il
ajoutait : « Je ne veux pas faire la suggestion au gouvernement soviétique
de déplacer les forces polonaises dans le Caucase, car je tiens par-dessus
tout à éviter d’éveiller ses soupçons{991}. » Cet argument est pour le
moins curieux, quand on sait la méfiance dans laquelle Staline tenait toute
initiative britannique. Il est clair que les Polonais voulaient dissimuler
leur rôle dans cette démarche, que Beria avait peut-être secrètement
encouragée : n’oublions pas qu’au même moment, des équipes du SOE
étaient autorisées à se déployer dans le Caucase du Sud sous l’œil vigilant
de Merkoulov et que, le 29 septembre, Maïski, l’un des diplomates
soviétiques les plus proches de Beria, déclara à Eden qu’il espérait « voir
les troupes britanniques un jour ou l’autre dans le Caucase{992} ».
Toutefois, les Britanniques se dérobèrent, se contentant d’informer
Sikorski qu’ils appuieraient sa démarche s’il se décidait à l’effectuer lui-
même auprès des Soviétiques{993}. Le chef du gouvernement polonais
persévéra, déclarant le 3 octobre 1941 en Conseil des ministres : « Il serait
extrêmement important pour nous de faire confier au général Anders et ses
troupes la défense du Caucase{994}. »
Durant les journées dramatiques d’octobre, Anders était persuadé que
Moscou allait tomber d’un jour à l’autre. Kot rapportait avec diligence ces
propos à Sikorski, en soulignant que le moment était venu pour les Anglo-
Saxons de dicter les conditions de leur aide à l’URSS aux abois{995}.
Staline eut vent de ces échanges par ses espions et ses soupçons durent
augmenter lorsque, le 13 octobre, Eden proposa à Maïski d’évacuer vers le
sud une partie de l’armée polonaise et lorsque, le 16 octobre, il offrit
d’envoyer un détachement britannique « symbolique » dans le Caucase. Le
24 octobre, Churchill suggéra à Sikorski de solliciter de Moscou
l’autorisation d’évacuer la plus grande partie des unités polonaises en Iran.
Mais ce fut la déception : le 28 octobre, Molotov informa les Britanniques
que Moscou ne souhaitait pas qu’ils se chargent de la défense du Caucase,
préférant qu’ils se déploient plus au nord sur la Volga{996}. En dépit de la
situation gravissime dans laquelle se trouvait l’URSS, Staline refusait net
d’autoriser les Britanniques à mettre les pieds dans le Caucase{997}.

Des signes de mauvais augure.


À partir de la mi-septembre, les Polonais attendirent en vain
l’autorisation de former de nouvelles divisions. Le gouvernement Sikorski
commença à s’inquiéter lorsque les Polonais ne furent pas admis à la
conférence de Moscou du 29 septembre au 1er octobre, qui devait définir
les modalités du « prêt-bail ». Les Polonais eurent beau faire, ni Averell
Harriman, l’ambassadeur américain, ni lord Beaverbrook, l’envoyé
britannique, n’acceptèrent même de discuter les affaires polonaises lors de
leur séjour à Moscou{998}. Or les Polonais comptaient sur le « prêt-bail »
pour équiper les divisions d’Anders. Ils avaient remis aux Occidentaux un
mémorandum où ils prévoyaient la création en URSS de trois divisions
d’infanterie, deux divisions blindées et trois divisions motorisées{999}.
Ils furent donc fort déçus lorsqu’ils apprirent que Harriman et
Beaverbrook avaient laissé aux Soviétiques le soin de décider quelle part
du « prêt-bail » serait affectée à l’équipement de l’armée polonaise.
Chaque partie se déchargea sur l’autre : les Soviétiques affirmèrent que
c’était aux Occidentaux d’armer et de nourrir les Polonais, les
Occidentaux les renvoyèrent aux Soviétiques. Le message ne fut pas perdu
pour Staline qui prit conscience que les Britanniques n’attachaient pas une
importance primordiale à l’alliance avec la Pologne et changea
immédiatement d’attitude à son égard.
De leur côté, Anders, Bohusz et Okulicki commencèrent à élaborer un
plan d’évacuation totale des forces polonaises du territoire soviétique. Dès
la fin septembre 1941, Anders ne croyait plus à la viabilité d’une armée
polonaise en URSS et les signes inquiétants se multipliaient{1000}. Le
27 octobre, un groupe de Polonais cryptocommunistes annonça la création
de l’Union des patriotes polonais. En novembre, des citoyens polonais
d’origine ukrainienne ou biélorusse commencèrent à être enrôlés de force
dans l’Armée rouge{1001}.
La position du gouvernement Sikorski devenait de plus en plus difficile,
car la tournure des événements donnait raison aux adversaires de l’accord
avec Moscou. En vain, le général polonais multiplia les démarches. Le
4 octobre, il demanda à Kot d’obtenir l’autorisation d’évacuer vers
Arkhangelsk les Polonais détenus dans les camps de la région de
Vologda{1002}. Le 6 octobre, il rappela à Alexandre Bogomolov,
l’ambassadeur soviétique auprès du gouvernement polonais, que l’armée
polonaise ne devait pas seulement être un instrument de propagande aux
États-Unis{1003}. Le 13 octobre, Kot adressa de son côté une note à
Vychinski pour déplorer que l’organisation de l’armée polonaise en URSS
ne se déroulât pas conformément aux accords du 30 juillet{1004}. L’afflux
de volontaires avait surpris les autorités polonaises elles-mêmes et, en
octobre, il fut clair qu’une armée de 150 000 hommes pouvait être levée, à
condition que les équipements fussent disponibles. La mauvaise volonté
des dirigeants du Kremlin n’en était que plus flagrante. Les Soviétiques
n’effectuèrent leur première livraison d’uniformes et de bottes que le
23 octobre, en même temps qu’ils annonçaient que l’URSS ne pouvait plus
fournir d’armes aux troupes polonaises et leur recommandaient d’obtenir
ces armes des Anglo-Saxons. Le 25 octobre, Sikorski proposa à
Bogomolov de déplacer vers la « Perse ou Astrakhan » les camps de
l’armée polonaise afin de faciliter leur approvisionnement par les
Britanniques{1005}.
Les Polonais essayèrent de mobiliser leurs alliés occidentaux pour
obtenir une action concertée auprès du Kremlin. Le 28 octobre, le
gouvernement polonais transmit à Eden un mémorandum l’informant de
l’intention de Sikorski de se rendre en URSS, afin d’obtenir de Staline
l’autorisation de recruter dans l’armée polonaise tous les citoyens polonais
capables de porter des armes, de regrouper ces hommes dans le Caucase
« ou encore mieux, en Iran » afin de faciliter leur approvisionnement par
les Britanniques, et enfin d’évacuer 15 000 à 20 000 hommes en Grande-
Bretagne et en Égypte{1006}. Le lendemain, Kot suggéra à Sikorski de
s’assurer l’appui britannique pour obtenir des Soviétiques l’autorisation
d’évacuer un plus grand nombre de soldats polonais qui pourraient être
regroupés en Ouzbékistan car « il ne fallait pas prendre en compte le
Caucase{1007} ». Ciechanowski, l’ambassadeur de Pologne aux États-
Unis, fut lui aussi mis en jeu : le 31 octobre, il se plaignit auprès de
Roosevelt de la mauvaise volonté des Soviétiques qui se refusaient à
équiper l’armée polonaise et pria le président américain d’opérer une
pression sur Moscou. Un mémorandum joint à la lettre de l’ambassadeur
indiquait que les Britanniques étaient prêts à nourrir et à équiper ces
troupes à condition qu’elles fussent déployées en Iran ou dans le Caucase,
à la disposition de la Grande-Bretagne{1008}.

Un projet britannique : le remplacement


des Soviétiques en Iran par l’armée polonaise.
Les Britanniques et le gouvernement polonais n’avaient pas la même
conception de l’utilisation future de l’armée d’Anders. Pour les Polonais,
qui entretenaient l’espoir que leur patrie serait un jour libérée par des
Polonais, cette armée était avant tout une garantie de l’application de
l’accord Maïski-Sikorski du 30 juillet. Les Britanniques voyaient plutôt
dans les troupes d’Anders une force d’appoint destinée à soulager les
troupes anglaises dans les régions où les assauts de la Wehrmacht les
mettaient en situation périlleuse. En octobre-novembre 1941, on espérait à
Londres que la situation dramatique sur le front devant Moscou inciterait
Staline à retirer ses troupes du nord de l’Iran ; aux yeux de Churchill,
l’armée d’Anders pouvait avantageusement remplacer les cinq divisions
soviétiques : « Ces hommes [soviétiques] irritent la population locale et
causent des troubles. Les divisions britanniques qui devraient combattre
l’ennemi doivent être utilisées pour maintenir l’ordre en Iran et pour
défendre la population contre les exactions des troupes d’occupation
soviétiques », confia-t-il à Sikorski le 24 octobre. Les stratèges
britanniques estimaient que les divisions soviétiques prélevées en Iran
pourraient être redéployées dans le Caucase où elles seraient renforcées
par quelques divisions britanniques{1009}.
Cependant Staline signifia d’emblée son refus de quitter l’Iran, dut-il
perdre Moscou. D’après le témoignage de son fils, Beria était d’un autre
avis et aurait souhaité que Moscou allât dans le sens suggéré par les
Britanniques, sans doute parce que la solution polono-britannique lui
semblait la meilleure pour le Caucase en cas d’effondrement de l’Armée
rouge :

Mon père aurait même accepté que les Britanniques occupent l’Iran
seuls… Lorsque la proposition des Britanniques devint officielle,
Staline la porta devant le Politburo en déclarant : « Si nous laissons
les Anglais s’installer dans le Caucase, nous n’arriverons plus à nous
en débarrasser. » […] Mon père proposa de déplacer les troupes
stationnées sur la frontière iranienne et qui étaient destinées à
l’offensive, sans toucher à celles chargées de la défense de la
frontière. Staline refusa{1010}.

Les Occidentaux multiplièrent les tentatives afin d’amener Staline à


leurs vues. Churchill encouragea Sikorski à insister auprès de Staline afin
qu’il autorisât le transfert des forces polonaises vers le sud ; et, en
échange, les Britanniques se chargeraient d’un secteur du front soviétique,
comme Staline le leur avait demandé à la mi-octobre{1011}. Au même
moment, Eden informa Maïski du souhait de Londres de voir les forces
polonaises rassemblées au Caucase, afin de faciliter leur
approvisionnement par les Anglais{1012}. Le 12 novembre, Harriman lui-
même intervint, proposant à Staline d’évacuer l’armée polonaise de Russie
en Iran afin de l’équiper et de la nourrir, pour la renvoyer en URSS à un
moment ultérieur{1013}. Quelques jours plus tard, Staline lui répondit
avec aigreur que l’ambassadeur Kot n’avait pas mentionné l’évacuation
des troupes polonaises{1014}. Staline était au courant des divergences
entre les Polonais et leurs protecteurs britanniques et se plaisait à les
attiser.

L’ultime embellie.
Les chicanes et les brimades exercées par les autorités soviétiques à
l’égard des Polonais se multipliaient : des délégations polonaises dans les
régions étaient fermées, le transport des civils était bloqué, les rations
cessaient d’être distribuées. Le 3 novembre, le GKO décida que les
effectifs de l’armée polonaise pour 1941 ne dépasseraient pas 30 000
hommes.
Cependant, de manière générale, l’attitude du NKVD à l’égard des
Polonais resta beaucoup plus favorable que celle des autres
administrations soviétiques{1015}. En novembre encore, les Polonais
étaient surpris du contraste entre l’attitude du NKID – le commissariat du
peuple aux Affaires étrangères –, qui prétendait que tous les citoyens
polonais internés en URSS avaient été libérés, et celle du NKVD, qui
reconnaissait que ce n’était pas le cas. Ainsi, le 11 novembre, le colonel du
NKVD Volkovysski déclara à Anders que le chiffre de 30 000 hommes
pour l’armée polonaise n’était que provisoire et qu’on pouvait proposer de
former de nouvelles unités{1016}. Bien des années plus tard, Anders
n’hésitera pas à faire l’éloge du général Joukov, son interlocuteur au
NKVD, et se dit prêt à lui décerner l’ordre de la « Polonia Restituta »,
« s’il était encore en vie et si cela ne le mettait pas en danger », pour son
ardeur à libérer les Polonais des camps{1017}. « Sur beaucoup de
questions relativement mineures, Joukov cédait, alors que Moscou ne
répondait pas à nos notes{1018} », remarqua l’ambassadeur Kot qui
s’étonnait de cette « attitude ambivalente des autorités
soviétiques{1019} » et déplorait que Vychinski et Molotov
l’empêchassent de négocier directement avec le NKVD pour régulariser la
situation des citoyens polonais{1020}.
Il n’est pas exclu que Beria ait tenté de créer une situation de fait
accompli : ainsi, durant la deuxième quinzaine de septembre 1941, le
NKVD autorisa les Polonais à se déplacer vers l’Ouzbékistan et la Volga, à
la suite d’un entretien entre Anders et le général Fedotov en présence du
général G. S. Joukov{1021}. Or, au cours de la rencontre du 14 novembre
1941 entre Staline, Molotov et Kot, Molotov fit observer que le
gouvernement soviétique n’avait pas donné cette autorisation{1022}. Le
NKVD avait donc agi de son propre chef, suscitant le mécontentement de
Staline. Beria se tira d’affaire en rejetant la faute sur les autorités locales.
Les Soviétiques semblaient donc souffler le chaud et le froid et, du
coup, Sikorski et ses proches ne perdaient pas l’espoir d’amener Staline à
de meilleures dispositions. Le 14 novembre, Kot obtint une audience au
Kremlin où il évoqua la possibilité de porter l’armée à 150 000 hommes,
demandant qu’un important secteur du front soit confié aux
Polonais{1023}. Staline fit le généreux, promettant d’équiper jusqu’à sept
divisions et plus, rabrouant le NKVD au téléphone de ce que l’amnistie ne
fût pas encore appliquée dans sa totalité. L’ambassadeur sortit de cette
audience persuadé que Staline acceptait de poursuivre le recrutement de
l’armée polonaise, à condition que les Occidentaux équipent et nourrissent
ses troupes. Cet optimisme fut de courte durée. Dès le lendemain, Kot se
heurta à un Molotov fort peu disposé à satisfaire les demandes polonaises
et dont l’attitude contrastait avec l’amabilité de Staline la veille{1024}.
De nouveau, les Soviétiques multiplièrent les difficultés, refusant un
crédit, entravant l’action des délégués polonais, affirmant que le nombre
des divisions polonaises devait être limité à deux, enrôlant de force dans
l’Armée rouge les citoyens polonais ukrainiens et biélorusses, réduisant de
44 000 à 30 000 le nombre des rations destinées aux Polonais. Les
Polonais proposèrent timidement l’évacuation de 15 000 à 20 000
hommes. Craignant l’ire de Staline, Macfarlane et Cripps leur
recommandaient la prudence. À cette époque, Sikorski refusait d’affecter
les forces polonaises au théâtre du Moyen-Orient et souhaitait seulement
que les camps de recrutement et d’entraînement se trouvent à la portée des
convois de vivres et de munitions britanniques.
C’est dans ce contexte de tensions croissantes que Sikorski décida de se
rendre en URSS pour essayer de débloquer la situation. La Wehrmacht
s’approchait de Moscou, Staline était aux abois. Dans une lettre du
24 octobre, le général Januszajtis conseilla au chef du gouvernement
polonais d’essayer d’exploiter le moment favorable et d’arracher aux
Soviétiques la reconnaissance des frontières du traité de Riga et la
libération de tous les Polonais détenus ; si les Soviétiques n’accédaient pas
à ces demandes, Januszajtis recommandait à Sikorski de renoncer à son
voyage en URSS{1025}.
Déjà très pessimiste quant aux perspectives de la collaboration polono-
soviétique, Anders tenta en vain de persuader Sikorski qu’on ne pouvait
faire confiance à la Russie{1026}. Sourd à ces arguments, Sikorski arriva
à Bakou à la mi-novembre où il fut accueilli par huit officiers du NKVD
dépêchés de Moscou, « des gens de compagnie fort agréable pour la
plupart » –, selon Retinger qui était du voyage{1027}.
Sikorski arriva à Moscou le 30 novembre. Lors de son entrevue avec
Staline, le 3 décembre, il déclara que les Polonais espéraient lever en
URSS jusqu’à sept divisions, soit 123 000 hommes, et qu’ils souhaitaient
les voir installées dans des régions où les Britanniques pourraient les
équiper avec facilité, comme en Iran. Sikorski était prêt à promettre que
ces divisions seraient déployées ensuite sur le front russe, « renforcées
même par quelques divisions britanniques{1028} ». Staline réagit avec
aigreur, insinuant que les Polonais ne voulaient pas se battre et que les
Britanniques avaient besoin de chair à canon. Il était persuadé que les
Polonais sollicitaient l’évacuation de l’armée d’Anders à l’instigation des
Britanniques. Devant ces accusations, Sikorski déclara que c’était lui qui
avait souhaité évacuer les troupes polonaises et que si Staline s’engageait
à les équiper et les nourrir dans un lieu au climat plus clément, il laisserait
l’armée polonaise en URSS. Sikorski obtint en définitive de Staline la
promesse de n’imposer aucune restriction au recrutement de l’armée
polonaise en URSS ainsi que l’autorisation d’évacuer en Égypte et en
Écosse 30 000 hommes. Staline accepta que les Polonais, civils et
militaires, se rassemblent en Ouzbékistan, entre Tachkent et la frontière
iranienne. Sikorski évita de parler du Caucase et de l’Iran du Nord, « car
c’était un sujet beaucoup trop dangereux », comme il le confia ensuite à
Cripps{1029} – d’autant plus que Staline lui dit que la menace pesant sur
le Caucase était écartée après la défaite des forces de Kleist{1030}.
Après sa réception au Kremlin, Sikorski estima que la rencontre avec
Staline avait été un succès, que celui-ci était résolument propolonais et
qu’il avait abandonné le projet de la révolution mondiale{1031} ; et donc
qu’il était souhaitable de laisser les forces polonaises en URSS. Staline ne
voyant pas d’inconvénients à ce que tous les Polonais capables de porter
les armes s’enrôlent dans l’armée d’Anders, cette force pouvait se
substituer à l’envoi de troupes britanniques sur le front soviéto-
allemand{1032}. En même temps, Sikorski condamna les « folles
tentatives » de démembrer l’URSS, tablant sur une entente à long terme
avec la Russie de Staline{1033}. Staline semblait disposé à aller plus loin
que l’accord du 30 juillet, sans doute dans l’espoir de prouver aux
Polonais qu’ils obtiendraient davantage par des relations bilatérales avec
l’URSS qu’en passant par les Britanniques.
Moscou autorisa la création sur le territoire de l’URSS d’un réseau de
délégations polonaises équivalant à des consulats, chargées d’enregistrer
les citoyens polonais, de leur fournir des passeports, d’en prendre la
défense et d’assurer leur approvisionnement en vivres et en médicaments.
Ces délégations furent créées dans une vingtaine de villes, leurs effectifs
administratifs s’élevant parfois à 250 personnes, soit un total de 2 800
fonctionnaires polonais qui sillonnèrent le territoire soviétique. Ce réseau
s’étendit à 35 régions de l’URSS où se trouvaient 2 600 colonies
polonaises{1034}. Bien entendu, un officier du NKVD y était affecté,
mais cette immense administration était autonome et formait une sorte
d’État dans l’État. Malgré ses effectifs importants, elle ne tarda pas à être
submergée par l’afflux de Polonais faméliques fuyant le Goulag –
hommes, femmes, enfants et vieillards –, qui prenaient d’assaut les trains
et les routes pour rejoindre les points de regroupement des citoyens
polonais. Une commission mixte formée de fonctionnaires du NKID, du
NKVD et de deux diplomates polonais fut chargée de résoudre les
difficultés liées au déplacement de ces Polonais libérés. Ceux-ci reçurent
l’autorisation d’organiser des camps en Asie centrale et même d’ouvrir
des centres d’aide humanitaire aux déportés sur le territoire de l’URSS,
situation exceptionnelle pour des étrangers. Certes ils souffraient de
cruelles privations, mais ils étaient libres de se déplacer, débarrassés en
principe de la tutelle du Parti, du NKVD et des administrations locales.
Anomalie très mal tolérée par Staline : les Polonais exigeaient de l’URSS
des privilèges comparables aux capitulations imposées par les
Occidentaux à l’Empire ottoman, se plaignit-il au chef du Parti
républicain, Wendel Willkie, venu lui glisser, en septembre 1942, un mot
en faveur de Sikorski{1035}.

L’ébauche d’une collaboration entre NKVD, Polonais et


Britanniques.
Début septembre 1941, des négociations commencèrent entre
Britanniques et Soviétiques pour une collaboration entre NKVD et
services spéciaux britanniques en Pologne, et plus généralement dans
l’Europe sous domination allemande. Le NKVD cherchait à mettre à
contribution les réseaux polonais en territoire occupé et entendait, bien
entendu, court-circuiter les Britanniques en organisant une collaboration
bilatérale avec les Polonais. Le 22 septembre, le général G. S. Joukov
communiqua à Anders les souhaits du NKVD dans ce domaine : les
Soviétiques demandaient que les renseignements recueillis par les réseaux
clandestins polonais soient transmis à l’URSS sans passer par la Grande-
Bretagne ; le NKVD mettrait à cet effet une radio à la disposition
d’Anders. Par ailleurs le NKVD souhaitait que ses agents parachutés en
Pologne et dans d’autres pays occupés bénéficient du soutien de la
résistance polonaise{1036}. Dans un premier temps il proposait
d’acheminer en Pologne occupée le capitaine Klimkowski et le colonel
Marian Spychalski. Ce projet tourna court car Sikorski ordonna que tous
les contacts avec la Pologne passent par Londres{1037}.
Il fut aussi question d’organiser de concert le sabotage des puits de
pétrole en Roumanie et d’échanger des renseignements militaires{1038}.
En septembre, le NKVD semblait prêt à des concessions considérables, les
Soviétiques allant jusqu’à avouer à Anders que leurs réseaux en Roumanie
et en Espagne avaient été détruits, voire à proposer aux Polonais de leur
révéler leurs agents et de les liquider si ceux-ci en exprimaient le
désir{1039}. Le 9 octobre, Anders formula ce qu’il attendait des
Soviétiques : une aide technique pour faciliter l’envoi d’instructeurs
militaires en Pologne, une assistance financière à la résistance polonaise
ainsi que l’envoi d’équipements radio{1040}.
Début octobre, il était question d’inviter le général G. S. Joukov et le
capitaine Klimkowski à Londres pour concerter cette action commune du
NKVD et du gouvernement polonais dans les territoires occupés.
L’ambassadeur Kot plaçait de grands espoirs dans ce voyage : à l’en
croire, le général G. S. Joukov avait l’oreille de Staline ; spécialiste des
relations avec la Pologne, il jouait également un rôle militaire important
puisqu’il contrôlait la défense antiaérienne de Moscou ; il pouvait donc
exercer une influence favorable sur le sort des Polonais en URSS. Par
ailleurs, Kot exprima auprès de Vychinski et de Joukov le désir de
rencontrer Beria en personne afin « de régler nos affaires de manière
correcte et dans le meilleur délai », ce qui lui fut refusé{1041}. Beria
savait que Staline suivait d’un œil soupçonneux chacun de ses contacts
avec les étrangers, les diplomates surtout, raison pour laquelle ces contacts
passaient toujours par des intermédiaires.
L’évacuation de Moscou puis un revirement de l’attitude de Staline
firent avorter le voyage de G. S. Joukov à Londres{1042} qui, selon les
Soviétiques, était rendu inutile par la visite prochaine du général Sikorski
en URSS. C’est aussi fin octobre que la tentative du général Januszajtis de
se faire nommer attaché militaire et chef du 2e Bureau à Moscou échoua.
Anders fit obstacle à sa nomination sous prétexte qu’il était « mal vu par
les Anglais{1043} ».
Sikorski chargea alors J. Retinger de négocier avec le NKVD à Moscou,
sans doute de manière à éviter que les Britanniques ne fussent tenus à
l’écart de ces échanges. Les instructions reçues par Retinger le 5 décembre
furent les suivantes : aucun agent soviétique ne devait être parachuté en
Pologne sans autorisation du gouvernement polonais – ce dernier craignant
à juste titre que les actions des partisans soviétiques ne provoquent de
sanglantes représailles allemandes – et les opérations subversives devaient
être confiées à des Polonais assistés par les Soviétiques. Il était prévu de
créer une mission polonaise en URSS, attachée à la mission du SOE, afin
de coordonner l’action subversive en Pologne occupée{1044}. Lors d’une
entrevue à Saratov, le 14 décembre, le général Sikorski et le général
Joukov définirent les principes de la collaboration entre résistance
polonaise et NKVD : toute action dans le pays serait conduite sous la
direction exclusive du gouvernement de Londres et les autorités
soviétiques s’abstiendraient d’organiser des opérations de sabotage sur le
territoire de la Pologne. Les deux parties s’accordèrent pour reconnaître
qu’il serait inopportun de provoquer des insurrections prématurées. Les
services spéciaux polonais et soviétiques « seraient en contact étroit », à la
fois à Londres et à Moscou. Toute information concernant l’Allemagne
serait transmise directement au haut commandement soviétique. Le
gouvernement soviétique mettrait un poste de radiotélégraphie à la
disposition des Polonais à Moscou, qui serait utilisé par des Polonais avec
leur propre code. De leur côté, les Polonais s’engageaient à fournir des
cartes d’identité aux agents soviétiques infiltrés dans les pays
occupés{1045}.
Le NKVD prit donc largement en compte les souhaits exprimés par les
dirigeants polonais. Et l’ambassadeur Kot, qui pourtant nourrissait alors
force doutes sur la bonne volonté soviétique, recommanda vivement la
coopération avec le NKVD, « étant donné que l’aide de Joukov nous a été
utile dans divers domaines{1046} ». Cependant, ces projets de coopération
tournèrent court car le NKID s’y opposa{1047}. L’accord entre Sikorski et
Joukov ne fut jamais signé, mais pendant un temps il fut appliqué par le
NKVD{1048}.

La mystérieuse affaire Kozlowski.


Jusqu’où fut portée la coopération officieuse entre Anders et les
hommes de Beria ? Dans ses Mémoires, Klimkowski rapporte un épisode
mystérieux dans lequel fut impliqué le professeur Léon Kozlowski. Proche
de Pilsudski, cet archéologue franc-maçon excentrique formé en
Allemagne était l’un des auteurs de la Constitution polonaise de 1935.
Arrêté à Lvov le 26 septembre 1939, il fut interrogé par Krimian qui, après
l’avoir menacé de la peine de mort pour ses activités antisoviétiques
passées, lui proposa de l’expédier à Paris en passant par la Turquie avec
pour mission d’évaluer la volonté et les capacités de la France à mener la
guerre contre l’Allemagne. Kozlowski ayant refusé, il fut torturé avec
sauvagerie. Mais, le 2 février 1940, il fut transféré à Moscou et se retrouva
à la Loubianka où on lui demanda de rédiger une autobiographie détaillée.
À la mi-mai 1940, le NKVD commença à s’intéresser à lui mais
l’instruction de son dossier ne reprit qu’en janvier 1941. Fin mai, il fut
transféré à Lefortovo, prison à la réputation encore plus sinistre que celle
de la Loubianka, et fut condamné à mort le 7 juillet{1049}. Amnistié
après l’accord Sikorski-Maïski, il sortit de l’épreuve plus convaincu que
jamais que

la Russie, quelle qu’elle fût, tsariste, soviétique ou autre, est


l’ennemie mortelle de la Pologne, toujours prête à annexer ses terres.
Seule sa défaite totale et son démembrement en États nationaux
assureront à la Pologne les conditions d’une paix durable{1050}.

Le 6 août, il fut ramené à la Loubianka où il eut des entretiens avec le


colonel Fedotov qui, sur un ton fort courtois, lui demanda son avis sur
l’accord polono-soviétique et sur le type de régime qui conviendrait à la
Pologne d’après-guerre. Lorsque Kozlowski répondit que l’URSS ne
respecterait pas l’accord Maïski-Sikorski et frapperait la Pologne à la
première occasion, son interlocuteur ne le contredit pas.
Après ces entretiens avec de hauts dignitaires du NKVD, le 6 septembre,
Kozlowski fut libéré. Animé d’une « haine zoologique » de la Russie, pour
reprendre l’expression de l’un de ses confidents de l’époque, il pensa dès
sa libération à passer du côté allemand et le proclama sur les toits, attirant
l’attention du contre-espionnage polonais. Celui-ci nota dans un rapport
qu’en octobre 1941, Kozlowski avait l’intention de demander au NKVD
l’autorisation de rester à Moscou afin de pouvoir organiser le sabotage sur
les arrières de l’ennemi{1051}. La crainte d’une arrestation par les
Soviétiques l’incita toutefois à accepter l’évacuation à Bouzoulouk le
14 octobre. Anders l’accueillit dans son armée en dépit de l’avis contraire
de l’ambassadeur Kot. Kozlowski était persuadé de l’imminente défaite de
l’URSS, estimant que la « raison d’État exigeait des Polonais qu’ils
cherchent une entente avec l’Allemagne{1052} » et s’imaginant qu’il
pourrait devenir un interlocuteur acceptable, étant de culture allemande et
surtout ayant occupé le poste de Premier ministre au moment de la
signature du pacte germano-polonais en 1934.
Vers le 19 octobre, Kozlowski s’entretint avec Anders et le 27 octobre,
il passa à la réalisation de son projet. Il avait rencontré de manière fort
opportune un jeune Polonais qui s’offrit de lui servir de guide et lui
procurer les papiers nécessaires. Kozlowski put se rendre de Bouzoulouk à
Moscou et de là traverser la ligne du front le 9-10 novembre. De son
propre aveu, les papiers de son compagnon furent contrôlés à plusieurs
reprises par des barrages de la milice ou du NKVD, alors que lui-même
n’avait que son passeport polonais.
Les adversaires d’Anders, comme Klimkowski et Berling, ont insinué
qu’Anders était de mèche avec Kozlowski et qu’il souhaitait prendre
contact avec le haut commandement de la Wehrmacht par son
intermédiaire. On ne saura sans doute jamais le fin mot de cette affaire.
Une chose est sûre : les deux hommes avaient la même analyse de la
situation, ils partageaient la même haine des Soviets et ils étaient
convaincus de la victoire de l’Allemagne. Mais il est difficile de ne pas
voir dans cette affaire la main du NKVD car on conçoit mal autrement
comment Kozlowski put gagner Berlin en partant de Bouzoulouk.
Cette affaire ultrasensible provoqua « une peur bleue » au général
Anders{1053}. Ne s’agissait-il pas d’un sondage pour le compte du NKVD
en vue d’un armistice, mené en parallèle avec la tentative narrée par
Soudoplatov dans ses Mémoires ? À Berlin, on se souvenait que Kozlowski
avait été l’un des dirigeants polonais les plus germanophiles de 1934 à
1939. Hans von Moltke, l’ancien ambassadeur du Reich en Pologne,
recommanda de le traiter en conséquence. Kozlowski devint le protégé
d’un groupe au sein de l’Auswärtiges Amt qui, en octobre 1939, avait
souhaité la création d’un Rumpfstaat – un État croupion – polonais pour
ménager une possibilité de paix avec les puissances occidentales ; idée
abandonnée de manière définitive par Hitler, le 12 novembre, sous la
pression de Staline{1054}. Ce groupe était constitué de Hans von Moltke
et de Rudolf von Scheliha, et il était patronné par Ernst von Weiszäcker, le
secrétaire général du ministère des Affaires étrangères. Il semble bien que
Scheliha, le directeur du Département de propagande de l’Auswärtiges
Amt, qui ne cessait de plaider pour un régime d’occupation moins brutal
dans le Gouvernement général, ait considéré Kozlowski comme « notre
partenaire éventuel de négociations dans les questions politiques »
touchant la Pologne{1055}. Détail intéressant : Scheliha était un agent
soviétique, qui sera exécuté, fin 1942, avec d’autres membres de
l’Orchestre rouge.
Aux yeux de ce groupe dissident de la Wilhelmstrasse, la venue à Berlin
de Kozlowski pouvait relancer le projet de création d’un État polonais. Un
officier du renseignement polonais câbla à Londres que Kozlowski était en
train de discuter avec les Allemands de la transformation du
Gouvernement général en protectorat, et le gouvernement Sikorski prit
très au sérieux l’éventualité de l’installation dans le Gouvernement
général d’un cabinet formé de pilsudskistes{1056}.
Toutefois, les illusions des partisans d’une entente germano-polonaise
furent vite dissipées. Le 18 janvier 1942, Kozlowski écrivit à son frère :
« Dans les circonstances actuelles, aucune négociation sur la question
polonaise n’est possible et c’est ce que j’ai déclaré au ministère des
Affaires étrangères{1057}. » Bien entendu, il fut utilisé par les services de
propagande de la Wehrmacht et donna des interviews décrivant sa
captivité en URSS ainsi que le moral de l’armée d’Anders : « Chacun des
soldats de l’armée d’Anders hait les Soviets comme seuls ceux qui sont
passés par leurs griffes les haïssent{1058}. » Il rédigea un récit de ses
épreuves en URSS, assorti de recommandations sur la politique à suivre
pour que ce pays cessât d’être une menace pour l’Europe. En bon
pilsudskiste, il souligna qu’il fallait s’appuyer sur les tendances
séparatistes existant en URSS, surtout dans le Caucase. De tous les peuples
de l’URSS, les Géorgiens avaient la conscience nationale la plus
développée et aspiraient avec le plus d’ardeur à leur libération. En
Ukraine, la situation était plus complexe et tout dépendait du
comportement des troupes d’occupation. La liquidation des kolkhozes et le
rétablissement des exploitations privées donneraient au nouveau pouvoir
une base sociale. En un mot, il fallait octroyer aux nations de l’URSS le
droit de décider de leur sort{1059}. Kozlowski fut l’un des experts
auxquels les Allemands firent appel lors de l’affaire de Katyn et, dans
l’émigration comme en Pologne, certains le traitèrent de « Quisling
polonais{1060} ». Il périt lors d’un bombardement en 1944.
La présence de cet ancien Premier ministre polonais à Berlin alimenta
force rumeurs. Les Russes blancs d’Istanbul affirmèrent par exemple que
Kozlowski avait été chargé par les Allemands de lever une légion
polonaise antisoviétique. L’entourage de Sikorski, toujours prêt à
soupçonner les pilsudskistes du pire, prit ces rumeurs au sérieux. À
Bouzoulouk, Kozlowski fut condamné à mort par contumace pour
désertion. De son côté Staline n’oublia pas son escapade puisqu’en 1944, il
demanda à un interlocuteur polonais où était Kozlowski, ajoutant que ce
dernier avait trompé à la fois le gouvernement Sikorski et le
gouvernement soviétique{1061}.

Vers l’évacuation des forces polonaises.


Nous avons émis plus haut la supposition que Beria encourageait
secrètement les plans de déploiement des forces anglo-polonaises dans le
Caucase. Après les accords conclus entre Staline et Sikorski, alors que ce
dernier n’avait même pas osé mentionner le Caucase devant Staline, on
pouvait penser que ces plans étaient morts et enterrés. C’était mal
connaître Beria et sa persévérance à réaliser ses desseins contre vents et
marées. Début 1942, les services de renseignements soviétiques apprirent
que les Allemands préparaient une offensive dans le Caucase{1062}.
Staline n’y croyait guère, mais Beria relança son projet consistant à
concentrer l’armée d’Anders en Iran, de manière à ce qu’elle soit prête à
intervenir au moment de la percée de la Wehrmacht dans le Caucase. Pour
cela, il manipula à la fois Staline, les Polonais et les Britanniques.
En janvier 1942, les Polonais furent autorisés à se rassembler en
Ouzbékistan dans la région de Samarkande. Staline avait donné son
assentiment à l’évacuation de 25 000 soldats polonais au moment de sa
rencontre avec Sikorski. Mais, dès janvier, les chicanes recommencèrent,
les Soviétiques faisant dépendre cette évacuation en Iran du consentement
de l’ambassadeur soviétique à Téhéran{1063}. Cette fois encore, on a
l’impression que le NKVD cherchait à forcer la main des autorités
soviétiques, notamment du NKID. À Kouibychev, la rumeur qu’une partie
des forces d’Anders serait autorisée à quitter l’URSS se répandit comme
une traînée de poudre et les Polonais se pressèrent en masse pour s’enrôler.
Dans une note à Vychinski datée de janvier 1942, Merkoulov se plaignit de
la ruée des Polonais des régions d’Arkhangelsk, de Vologda et de
Novosibirsk vers les gares : tous, femmes, enfants et vieillards,
cherchaient à gagner l’Ouzbékistan où devaient être formées les nouvelles
unités de l’armée d’Anders. Cette foule dépourvue de moyens de
subsistance engorgeait les transports et Merkoulov demanda à Vychinski
que l’ambassade polonaise organisât le départ des Polonais des régions du
nord de l’URSS et qu’elle assurât les moyens de leur subsistance pendant
le transport{1064}. À la grande surprise des Polonais et des Britanniques,
les Soviétiques semblaient encourager ce recrutement accéléré dans
l’armée d’Anders{1065}.
Pendant ce temps, de novembre 1941 à mars 1942, dans ses rapports
adressés à Staline sur Anders et ses Polonais, Beria déploya de grands
efforts pour dépeindre Anders et Okulicki comme des partisans résolus de
la coopération polono-soviétique, combattant les tendances
anticommunistes des troupes. Beria alla jusqu’à citer des remarques
élogieuses d’Anders sur Staline ainsi que des commentaires
antibritanniques des deux officiers polonais : « Anders a prévenu qu’il
fallait être extrêmement prudent à l’égard des Anglais. Il a laissé entendre
qu’à un moment critique pour l’URSS, les Anglais pourraient envoyer
leurs troupes à Bakou. » Les rapports de Beria insinuaient que si Anders
n’obtenait pas satisfaction sur les effectifs de la future armée polonaise, il
risquait de rejoindre le camp probritannique d’un Szyszko-Bohusz{1066}.
En mai 1942, le général G. S. Joukov assura à Dimitrov que, si l’armée
polonaise était fondamentalement antisoviétique, le général Anders était
quant à lui « complètement loyal » à l’égard de l’Union soviétique{1067}.
Et lorsque Merkoulov rédigea une note sur le réseau d’espionnage que les
Polonais avaient réussi à mettre en place en utilisant les représentations de
l’ambassade dans les provinces soviétiques, il se borna à recommander
aux officiers du NKVD de limiter le nombre de commissions et de
commandantures polonaises et de pénétrer ces réseaux pour les utiliser à
des fins de désinformation – mesures modérées dans le contexte
stalinien{1068}.
Sans doute est-ce encore Beria qui suggéra à Staline de créer un
antagonisme entre l’ambassade polonaise et le général Anders en
favorisant ce dernier, ce qui lui permettait de camoufler les relations
particulières qu’il entretenait avec Anders. Staline suivit ce conseil : lors
de la visite de Sikorski en URSS, il s’entretint avec Anders en aparté et lui
recommanda de s’adresser à lui s’il avait quelque difficulté{1069}. Mais,
si l’on en croit Sergo Beria, Staline n’était pas dupe : il « haïssait Anders,
alors qu’il était prêt à tolérer Sikorski, plus conciliant en apparence, en
réalité plus intelligent{1070} ».
Le 2 février 1942, le général G. S. Joukov, au nom du gouvernement
soviétique, proposa d’envoyer au front la 5e division qui était prête et
équipée aux normes soviétiques. Mais Anders et Sikorski se déclarèrent
catégoriquement opposés à l’émiettement des forces polonaises{1071}. En
effet, jusqu’à l’été 1942, Anders resta convaincu que la défaite de l’Armée
rouge était inévitable et il n’était donc pas pressé d’engager les troupes
polonaises sur le front soviétique, estimant qu’il valait mieux accumuler
des forces pour le moment de la débâcle des Russes{1072}. Cette analyse
était partagée par le 2e Bureau de l’armée polonaise dirigé par le colonel
Jan Axentowicz{1073}. Les informations qu’Anders fournissait aux
Occidentaux allaient dans ce sens. En particulier, il entretenait des
relations étroites avec le général Macfarlane qui avait affecté aux forces
polonaises un officier de liaison, le colonel L. R. Hulls{1074}.
À partir de début février, une commission anglo-soviétique siégeant à
Téhéran commença à élaborer un plan d’évacuation des forces polonaises
en URSS, à l’insu du gouvernement Sikorski : l’offensive de Rommel en
Afrique du Nord et la guerre en Extrême-Orient avaient mis les
Britanniques en difficulté et ils avaient besoin des renforts polonais pour
défendre leurs positions stratégiques au Moyen-Orient{1075}. Le
15 février, le colonel Hulls se rendit à Moscou pour discuter avec
Macfarlane des modalités de l’évacuation de 27 000 Polonais. Le 4 mars,
Berling fut nommé commandant de la base de Krasnovodsk d’où les
troupes polonaises devaient être embarquées pour l’Iran. Le 6 mars,
Moscou fit savoir qu’à partir du 20 mars le nombre de rations serait réduit
à 26 000 – alors que l’armée polonaise avait atteint 75 000 hommes –,
justifiant cette décision par les difficultés d’approvisionnement causées
par le blocus instauré par la flotte japonaise. Le 11 mars, Sikorski eut un
entretien avec Churchill et Eden et se déclara désormais convaincu que le
gouvernement soviétique ne s’était pas départi de son hostilité à l’égard de
la Pologne ; il reconnut avoir nourri des illusions lorsqu’il avait tenté de
créer des relations de bon voisinage avec l’URSS{1076}. Il fit part à ses
interlocuteurs britanniques de sa certitude d’une offensive allemande dans
le Caucase « fin mai ou en juin » et proposa d’inviter le général Anders en
Grande-Bretagne : Staline lui-même en avait exprimé le souhait. Churchill
rétorqua qu’il ne voyait pas l’utilité d’une visite d’Anders.
Sur ce, le 18 mars 1942, Staline reçut Anders. Beria avait préparé le
terrain en lui soumettant quelques jours auparavant un rapport du NKVD
sur l’armée polonaise et son chef, où il soulignait que la position d’Anders
devenait difficile car il était accusé d’être « vendu au NKVD ». Les
Polonais affluant des camps et des prisons renforçaient les tendances
antisoviétiques dans l’armée, Sikorski était critiqué pour sa position
conciliante à l’égard de l’URSS et Anders était donc obligé de manœuvrer,
d’autant plus que les cercles de Londres se méfiaient de lui{1077}.
Staline fit preuve d’une rare amabilité à l’égard d’Anders, sans doute
parce que Sikorski venait d’arriver aux États-Unis. Il consentit à une
première évacuation de 30 000 hommes, sous prétexte que les difficultés
d’approvisionnement en URSS continuaient à s’aggraver, tout en
s’engageant à poursuivre le recrutement de l’armée polonaise. Il fut décidé
que 44 000 Polonais resteraient en URSS. Staline se montra étonnamment
généreux :

Nous n’allons pas vous envoyer au front prématurément. Je


comprends qu’il vaut mieux attendre que nous nous rapprochions des
frontières polonaises. Vous devez avoir l’honneur d’entrer le premier
en terre polonaise.

Il souligna ses bonnes dispositions à l’égard d’Anders, l’opposant à


« votre Kot qui déblatère contre nous comme beaucoup d’autres ». De son
côté Anders loua le général G. S. Joukov : « Depuis le début il a coopéré
avec nous et il fera certainement tout pour nous aider. » C’était donc à lui
d’arranger les conditions techniques de l’évacuation. Anders déclara en
outre qu’il devait aller à Londres dans les plus brefs délais et exprima le
souhait d’être accompagné par Joukov afin de discuter de l’évacuation
avec l’état-major britannique. Staline réagit avec méfiance : « Pourquoi
avez-vous besoin d’un Russe ? À Londres on dira que nous vous avons
flanqué d’un garde de la Tcheka. Cela ne fera que vous desservir. » Anders
insista : « Je n’en ai pas peur. » Mais Staline refusa net{1078}.
Ainsi la première évacuation de troupes polonaises en Iran résulta d’un
accord entre les Britanniques, les Soviétiques et Anders. Tenu à l’écart de
ces tractations{1079}, l’ambassadeur Kot sollicita, le 24 mars, une
audience de Vychinski pour exprimer sa déception et celle de son
gouvernement devant les décisions inattendues annoncées par Staline à
Anders{1080}.
Fin mars 1942, 31 448 hommes furent autorisés à quitter l’URSS,
accompagnés de 14 455 civils{1081}. Le NKVD avait averti Anders qu’il
devait avoir le contrôle exclusif de l’opération censée se dérouler en une
semaine et que l’ambassade ne devait pas intervenir sous peine de faire
capoter toute l’entreprise{1082}. Le 31 mars, Anders câbla à Sikorski
qu’au nom du gouvernement soviétique, Joukov avait exprimé le souhait
qu’une armée polonaise soit formée en Iran, dont le commandement lui
serait confié ; G. S. Joukov s’engageait à ce que les partisans s’abstiennent
de commettre des attentats sur le sol polonais, pour éviter de provoquer
des représailles sanglantes{1083}. Cependant, Sikorski s’opposa au désir
d’Anders d’unifier sous son commandement le second corps d’armée
stationné au Moyen-Orient et les trois divisions restées en URSS{1084}.
Le shah et le gouvernement iranien accueillirent volontiers les Polonais,
dans l’espoir que ceux-ci remplaceraient les troupes soviétiques
stationnées dans le nord du pays – espoir partagé par le général Anders et
dont il avait fait part à ses interlocuteurs à Londres{1085}.
À partir de cette première évacuation, le général G. S. Joukov et les
agents du NKVD laissèrent entendre aux officiers et aux troupes
polonaises que Staline consentirait à ce que l’ensemble de l’armée
polonaise soit évacuée en Iran{1086}. Il fut décidé de diviser les forces
polonaises entre le théâtre russe, la Grande-Bretagne et le Moyen-Orient.
Cependant, dès la mi-mars, les Polonais s’aperçurent que les
Soviétiques mettaient un frein au recrutement dans l’armée polonaise ;
dans plusieurs régions, il était suspendu. L’activité des délégués polonais
était entravée de mille manières. L’ambassadeur Kot attribua au voyage de
Sikorski aux États-Unis la dégradation des relations soviéto-polonaises,
sensible à partir de mars 1942. Et il est vrai que, du 24 au 30 mars 1942,
Sikorski avait exhorté le président Roosevelt à tenir bon devant les
exigences de Staline et critiqué la reconnaissance par Londres de
l’annexion des États baltes par l’URSS. Pour Kot, la situation était
devenue si intenable qu’il demanda son rappel dès avril.
Vers la mi-mai, les Soviétiques arrêtèrent le recrutement dans l’armée
polonaise, intensifiant l’enrôlement forcé dans l’Armée rouge. En outre,
en dépit des promesses du général Joukov, les parachutistes soviétiques
multiplièrent les incursions en territoire polonais, provoquant des
représailles contre la population civile. Enfin, le 31 mai, une note du
NKID accusa les délégations polonaises de se livrer à de l’espionnage sur
le territoire soviétique, ce qui était d’encore plus mauvais augure{1087}.
Les tensions s’aggravèrent aussi au sein du camp polonais. Le 1er avril,
Anders se rendit à Londres afin de persuader Churchill qu’il fallait profiter
du moment où l’URSS était en position de faiblesse pour évacuer les
Polonais du territoire soviétique. Il laissa entendre qu’il avait l’appui du
NKVD pour organiser cette évacuation en Perse. Pour les Britanniques, la
promesse du renfort de six divisions polonaises venait à point nommé.
Mais Sikorski et Kot étaient catégoriquement opposés à cette décision et il
y eut à ce propos une vive altercation entre le chef du gouvernement
polonais et Anders{1088}. Entre le 24 et le 27 avril, les militaires polonais
discutèrent des perspectives de la guerre. Anders, qui continuait à prédire
le prompt effondrement de l’armée soviétique, recommanda de rassembler
les forces polonaises en Iran et de les tenir prêtes de manière à ce qu’au
moment du retrait de la Wehrmacht après l’offensive des Occidentaux, les
Polonais soient en mesure de précéder les Soviétiques en Pologne. À
l’inverse, Sikorski était convaincu que l’Armée rouge résisterait et
souhaitait par conséquent qu’une partie de l’armée restât en URSS ; le
gouvernement polonais adopta une résolution en ce sens le 30 avril{1089}.
Cependant, le gouvernement britannique avait d’autres vues et, en mai
1942, lors du voyage de Molotov à Londres, Churchill proposa au ministre
soviétique une nouvelle évacuation des forces polonaises.
Le 5 juin, Sikorski déclara à Anders qu’il était indispensable de
maintenir en URSS une partie de l’armée polonaise. Exposant tous les
arguments en faveur d’une évacuation totale des forces polonaises, Anders
et Bohusz lui répondirent que celles-ci étaient dans un état catastrophique
et que les hommes ne vivaient que dans l’espoir de quitter l’URSS au plus
vite{1090}. Sur ces entrefaites, le 10 juin, alors que le gouvernement
polonais réitérait son refus que l’armée polonaise fût utilisée sur le front
russe{1091}, Sikorski rencontra Molotov à Londres et, nourrissant déjà
des soupçons à l’égard d’Anders, il sonda le ministre des Affaires
étrangères soviétique pour savoir quelle était la position officielle du
gouvernement soviétique sur cette question :

Sikorski posa la question de la formation de l’armée polonaise en


URSS, en Iran et en Angleterre. Selon les informations qu’il a reçues
du général Anders, l’armée polonaise en URSS sera déplacée dans le
Caucase en passant par l’Iran pour la défense du Caucase. Molotov
demanda si le commandement militaire soviétique avait donné son
accord. Sikorski répondit qu’à sa connaissance Anders s’était entendu
avec le général Joukov.

Molotov fit alors observer : « Que dirait le peuple soviétique si la


défense du Caucase ne se trouvait pas confiée à l’Armée rouge ? »
« Sikorski approuva et ajouta que les informations de l’ambassadeur Kot
et celles d’Anders n’étaient pas toujours identiques{1092}. » Désormais
convaincu qu’Anders n’exprimait pas la position officielle de Moscou,
Sikorski lui expédia le 12 juin un message où il le mit en garde contre les
intrigues soviétiques qui le dressaient contre l’ambassadeur Kot :

Les demandes de Joukov sont avancées de sa propre initiative, alors


qu’il prétend parler au nom du gouvernement soviétique. Il joue un
jeu que pour l’instant je ne comprends pas, mais qui est extrêmement
dangereux pour l’avenir de notre armée en URSS. J’ai du mal à croire
qu’il se borne à souhaiter le départ de nos troupes à Téhéran ou au
Caire. Je crois que son but est plutôt la décomposition et la ruine de
la réputation de notre armée en URSS. […] Ne croyez pas qu’une
évacuation de toutes nos forces permettra la reprise du recrutement.
Soyez très prudent, général, dans vos conversations à Moscou. […]
Seul le gouvernement est habilité à défendre les intérêts de la
Pologne et de son armée en URSS ; toute tractation avec le délégué
du NKVD peut nous égarer{1093}.

Le 14 juin, Sikorski confirma que l’armée d’Anders devait rester en


URSS, risquant ainsi un conflit avec les Britanniques qui venaient
d’essuyer de lourdes défaites en Afrique et souhaitaient le renfort des
troupes polonaises en Irak et en Iran. Finalement, face aux pressions
britanniques, Sikorski se résigna, le 2 juillet, à l’évacuation de toute
l’armée polonaise, recommandant cependant à Anders de laisser en URSS
un centre de réserve bien organisé sous les ordres du général Bohusz, qui
pourrait continuer le recrutement. Raczynski demanda aux Britanniques
d’exercer une pression sur Staline afin que le recrutement de l’armée
polonaise se poursuivît en URSS tant qu’il restait des citoyens polonais en
âge de porter des armes – ce que les Soviétiques refusèrent quelques
semaines plus tard{1094}.
Les dernières délégations polonaises et centres d’aide humanitaire
furent fermés entre le 15 et le 20 juillet, accusés d’espionner pour le
compte des Britanniques ; et, le 9 août, les Soviétiques mirent fin au
recrutement dans l’armée d’Anders, alors que l’enrôlement forcé des
citoyens polonais dans l’Armée rouge, qui avait commencé début
décembre 1941, se poursuivait de plus belle. Par un curieux revirement par
rapport à ce qu’il affirmait, Molotov proposa aux Britanniques, le 7 juillet,
l’évacuation des troupes polonaises au Moyen-Orient « pour défendre le
Caucase{1095} ». Mais, dès le lendemain, Vychinski informa Kot que le
gouvernement soviétique ne voyait pas d’inconvénient à ce que les
divisions polonaises soient utilisées par les Britanniques en Libye{1096}.
Kot obtint toutefois une déclaration officielle des Soviétiques, selon
laquelle l’évacuation des troupes polonaises avait lieu « dans l’intérêt
militaire de la Russie, que l’armée polonaise allait défendre dans le
Caucase{1097} ». Kot interprétera plus tard l’argument de la défense du
Caucase comme une ruse de Moscou pour inciter les Britanniques à entrer
dans le jeu soviétique contre le gouvernement Sikorski, pour pousser
Londres à demander l’évacuation des troupes polonaises comme s’il
s’était agi d’une faveur octroyée par Staline. Et, de fait, le 17, Churchill
remercia Staline d’avoir autorisé l’évacuation des troupes d’Anders. Le
26 juillet, le général Joukov câbla à Anders que le gouvernement de
l’URSS, répondant à ses démarches, avait autorisé l’évacuation des
forces polonaises du territoire soviétique et ne mettrait pas d’obstacles à la
réalisation de cette décision{1098}. À partir du 9 août 1942, 44 000
Polonais purent ainsi quitter l’URSS{1099}. En septembre, toute l’armée
d’Anders, 80 000 hommes et 37 000 civils, était évacuée. En tout, 116 000
Polonais purent ainsi quitter l’URSS, 72 000 militaires et 44 000 civils. Il
restait 60 000 hommes qui n’eurent pas le temps de s’enrôler. Comme le
signale Anne Applebaum dans sa magistrale histoire du Goulag, l’armée
d’Anders fut le seul groupe de détenus du Goulag autorisé à quitter
l’URSS. Le témoignage de ces hommes permit plus tard aux Occidentaux
de se faire une idée de l’extension tentaculaire du système
concentrationnaire soviétique{1100}.
Dans la préface de sa correspondance avec Sikorski, S. Kot se plaint
avec amertume qu’Anders ait tenu l’ambassade à l’écart de ses tractations
avec le NKVD. Il souligne les relations étroites qui s’étaient instaurées
entre le général Joukov, « un homme poli bien plus intelligent que ses
partenaires polonais », avec lequel Anders discutait ses plans « et dont il
écoutait les suggestions ». En un mot, il accuse Anders d’avoir été trop
conciliant avec le NKVD, d’avoir laissé ce dernier truffer ses troupes
d’agents, au point que Sikorski considérait qu’Anders était davantage sous
les ordres de Staline que sous les siens{1101}. Selon Kot, Anders avait
fait le jeu de Staline par ambition personnelle, offrant à ce dernier un
prétexte pour rejeter l’accord de juillet 1941 :

Cachant à son gouvernement et à son ambassade tout son jeu inspiré


par le NKVD, par son imprudente décision d’évacuer toute l’armée
polonaise de Russie, Anders porta un coup mortel à la politique du
gouvernement polonais et livra tous les atouts à Staline{1102}.
Les soupçons de Kot n’étaient pas sans fondement. En effet, même
durant cette période où les relations polono-soviétiques étaient fort
tendues, Joukov multipliait les politesses à l’égard d’Anders, lui offrant
deux chevaux, l’invitant à des chasses au faisan et organisant pour lui une
somptueuse réception chez le commandant de la région militaire de
Tachkent.
Ainsi, l’évacuation des troupes polonaises résulta de tractations entre le
NKVD, Anders, Staline et Churchill, qui se déroulèrent derrière le dos de
l’ambassade polonaise et du gouvernement de Londres. Dans cette affaire,
Retinger soutint Anders et contribua peut-être à faire évoluer la position
de Sikorski{1103}. Celui-ci ne put que s’incliner devant le fait accompli,
mais il en voulut à Anders d’une décision dont il le croyait responsable.
Aux yeux de Kot, ce fut un choix funeste, car l’armée polonaise était le
fondement de l’accord Maïski-Sikorski. Après son évacuation en Iran,
Staline se sentit les mains libres et eut beau jeu d’accuser les Polonais de
ne pas vouloir se battre avec l’Armée rouge contre les Allemands et
d’avoir violé le pacte de juillet 1941. L’attitude de l’URSS à l’égard des
Polonais se dégrada encore : les délégués polonais dans les régions furent
arrêtés et l’aide étrangère aux citoyens polonais fut confisquée. Le
recrutement des Juifs dans l’armée polonaise fut interdit par les
Soviétiques qui s’empressèrent en même temps de faire savoir à l’étranger
que les obstacles à l’enrôlement des Juifs tenaient à l’antisémitisme des
officiers polonais{1104}. À partir de septembre, sous la pression de
Washington et de Londres, et peut-être pour ménager la Turquie et la
Suède qui suivaient avec attention la politique polonaise de
Moscou{1105}, Staline consentit à quelques concessions et la plupart des
Polonais employés dans les délégations furent libérés.
Certains jeunes officiers polonais, qui rêvaient de détrôner Anders,
crurent le moment venu, en juillet 1942, de passer à l’action. Ils
proposèrent à G. S. Joukov d’annuler la décision de l’évacuation, d’arrêter
Anders, de transformer l’armée polonaise en une force apte au combat
« en chassant les femmes et en se débarrassant du ballast » et de demander
à combattre sur le front le plus vite possible. Joukov répondit à l’émissaire
du groupe – Klimkowski, l’aide de camp d’Anders – que ce n’était pas
sérieux et qu’il devait obéir à son commandant{1106}. Toutefois, s’il avait
favorisé l’évacuation du gros des troupes polonaises, Beria aurait sans
doute souhaité conserver sur le sol soviétique un noyau d’officiers non
communistes. Après tout, le départ de l’armée polonaise le privait de l’un
des pions dont il disposait sur l’échiquier de la politique étrangère.
Jusqu’à la dernière minute, G. S. Joukov tenta de convaincre Anders de
rester. Selon le témoignage de Sergo Beria, Merkoulov demanda au
général polonais qu’un groupe d’officiers demeurât en URSS ; Beria
projetait de les introduire dans l’unité prosoviétique de Berling : « Ces
hommes se seraient retrouvés en Pologne à des postes élevés{1107}. »
Peut-être l’affaire du groupe d’officiers rebelles rapportée par Beria à
Staline le 24 juillet était-elle une manière détournée de tâter le terrain.
Dans ses Mémoires, Anders cherche à réfuter les allégations de Kot et
assume la responsabilité de l’évacuation de son armée. Laissons le dernier
mot à son compagnon d’armes, le général Szyszko Bohusz, qui avance un
argument de poids :

Le général Anders était parfaitement conscient que l’évacuation était


le seul moyen de sauver les soldats et leurs familles de
l’extermination et c’est en toute connaissance de cause qu’il a pris
sur lui cette lourde tâche{1108}.

Après la découverte de Katyn, même les partisans du maintien de


l’armée polonaise en URSS se réjouirent de ce qu’il n’y eût plus de forces
polonaises sur le territoire soviétique{1109}.
On comprend que le jeu du NKVD ait semblé incompréhensible aux
Polonais. Il ne s’éclaire qu’à la lumière de ce que nous savons des
priorités de Beria. Pour le chef du NKVD, il était essentiel que les forces
polonaises se trouvent en Iran, à proximité du Caucase, lorsque devait
culminer l’offensive de la Wehrmacht dans cette région. À cet égard, la
chronologie est éloquente. Fin février 1942, Anders expliqua au général
Berling qu’il était prévu de créer pour ses troupes une base à Krasnovodsk,
à partir de laquelle ces dernières pourraient être déployées sur le front
caucasien{1110}. En mars, Anders sollicita de Staline l’autorisation de se
rendre à Londres accompagné d’un homme du NKVD : Beria souhaitait
sans doute discuter dès ce moment avec les Britanniques de la défense du
Caucase. En avril 1942, Anders était persuadé que la Wehrmacht
s’emparerait du Caucase, conviction qui ne pouvait émaner que de ses
interlocuteurs du NKVD, car il n’avait guère d’autres sources. En août
1942, le général polonais fut envoyé à Londres pour discuter de la défense
du Caucase, à ce qu’on chuchotait dans les cercles polonais{1111}.
Arguant de ses sources bien informées au sein des autorités soviétiques, il
affirma à ses interlocuteurs britanniques que l’Armée rouge ne tiendrait
pas le choc dans le Caucase ; il semblait certain de la défaite
soviétique{1112}. Il rencontra les généraux Brooke et Wavell, puis
Churchill le 14 août, soit deux jours après l’entretien entre Staline et
Churchill. Le 22 août 1942, il n’hésita pas à formuler son point de vue
défaitiste devant Churchill qui ne le crut pas{1113} et se plaignit à
Sikorski de ce qu’Anders « ait formulé des critiques inutiles des Russes et
se soit montré pessimiste sur le potentiel militaire de l’URSS{1114} ».
Pourtant le général Macfarlane, qui avait quitté Moscou le 19 mai 1942, ne
disait pas autre chose : lui aussi doutait que les Soviétiques pussent
défendre le Caucase avec succès. Anders déclara à Churchill : « Il n’y a ni
justice ni honneur en Russie, et il ne se trouve pas un seul homme dans ce
pays à la parole duquel on puisse se fier. » Churchill lui recommanda de ne
pas exprimer cette opinion en public et Sikorski interdit à Anders de
formuler à l’avenir de telles opinions devant des interlocuteurs
occidentaux. Pourtant ceux-ci ne se privaient pas non plus d’évoquer le
scénario d’un effondrement soviétique : Roosevelt en avait par exemple
discuté avec Hopkins le 20 juin ; et, le 12 août, Litvinov lui-même avait
déclaré à l’ambassadeur du Mexique aux États-Unis : « Tout est fichu…
La Russie est battue. » Et encore le 20 août, Roosevelt dit à W. Willkie,
chef du Parti républicain, qui s’apprêtait à visiter l’URSS : « Vous serez
peut-être en URSS au moment de sa défaite{1115}. »
Cependant les Britanniques venaient d’entendre un tout autre son de
cloche à Moscou : à son retour d’URSS, Alan Brooke confia à
l’ambassadeur Raczynski que les Soviétiques n’avaient donné aucune
information sur leurs plans de défense du Caucase ; en revanche ils avaient
fait comprendre aux Britanniques qu’ils ne les laisseraient pas entrer dans
les régions pétrolières du Caucase, même si elles étaient menacées par les
Allemands{1116}.
Ainsi semble se dessiner une politique parallèle dans la défense du
Caucase. L’essentiel de l’évacuation de l’armée Anders eut lieu au
moment même où Beria se trouvait dans le Caucase. Chez les Polonais, le
regroupement des forces polonaises en Iran fut présenté comme une
mesure rendue indispensable par la situation catastrophique de l’Armée
rouge ; une fois équipées et remises en état, ces forces pourraient être
envoyées sur le front soviétique{1117}.
Les échecs répétés n’empêchèrent pas Beria d’échafauder d’autres
stratagèmes dans lesquels les forces d’Anders avaient leur rôle à jouer. À
en croire Sergo Beria, il « souhaitait que ces troupes polonaises libèrent la
Yougoslavie ; il conseillait à Tito de se lier avec Anders, dont l’armée était
bien organisée et efficace. Tito ne disait pas non{1118}. » À son retour de
Moscou le 29 mai 1943, le très prosoviétique ex-ambassadeur américain
Joseph Davies nota que les Soviétiques seraient opposés à l’utilisation de
divisions polonaises sur un second front en Yougoslavie : preuve que cette
option avait été discutée{1119}.
L’éventualité d’une offensive de l’armée d’Anders dans les Balkans
était d’ailleurs prise très au sérieux par Staline puisqu’en août 1943, il
ordonna au général Berling de former un bataillon de parachutistes :

Nos alliés projettent une grande offensive à travers la Yougoslavie et


la Hongrie. […] Il faut se préparer pour l’éventualité où les troupes
d’Anders parviennent au sud de la Pologne, alors que nous serons
encore loin à l’est. Elles doivent alors vous trouver en face d’elles.
Cela n’est possible que si vous disposez d’un puissant bataillon de
parachutistes. Gardez le secret le plus total sur ce bataillon et sa
mission. Personne ne doit rien en savoir{1120}.

L’envoyé de Tito à Londres en mai 1944, Vladimir Velebit, collaborait


avec le NKVD au moment où Churchill discutait avec lui de la possibilité
du parachutage de deux ou trois brigades britanniques en Istrie, ce qui
aurait permis aux Britanniques d’arriver à Vienne avant l’Armée rouge.
C’était exactement ce que souhaitait Beria, selon son fils :

Contrairement à Churchill qui donnait la priorité à la libération de la


mer Égée et à un débarquement en Grèce, mon père préférait que les
Alliés débarquent en Istrie, et foncent vers Vienne par la trouée de
Loubliana{1121}.

Encore en juin 1944, Churchill s’efforça de persuader les Américains


d’abandonner le projet de débarquement en Provence (« Anvil ») et
d’utiliser ces forces pour débarquer en Istrie, marcher dans la plaine du
Danube, libérer Vienne et Prague puis gagner le sud de l’Allemagne. Les
Américains refusèrent net, à la grande fureur de Churchill{1122}.

11

Beria et la Géorgie en guerre


Après l’attaque allemande, le 22 juin 1941, le premier souci de Beria fut
d’éviter que les Soviétiques évacués des régions menacées par l’avance
allemande ne soient installés en Transcaucasie. Il argua auprès de Staline
que la Géorgie et l’Arménie étaient des régions frontalières et que, par
conséquent, il était préférable d’éviter d’y envoyer un grand nombre de
réfugiés. Ceux-ci furent donc expédiés en Asie centrale et dans
l’Oural{1123}. Le deuxième souci de Beria fut de renforcer son contrôle
personnel sur les « structures de forces » de la région. En août 1941, il fit
de Chalva Tseretelli, l’homme des missions confidentielles, le numéro
deux du NKVD de Géorgie{1124}. Mais il ne suffisait pas de contrôler la
Géorgie. Il lui fallait aussi s’efforcer de connaître les contacts entre les
Allemands et l’émigration géorgienne et d’être en mesure de les
influencer.

La collaboration de l’émigration géorgienne avec les


Allemands.
Il y avait à Berlin un petit groupe d’émigrés géorgiens fort bien
introduits chez Rosenberg, lui-même très lié à Alexandre Nikouradzé, le
directeur de l’Institut de l’Europe continentale, un expert de géopolitique
qui préconisait la création, sous l’égide de l’Allemagne, d’une
confédération caucasienne dominée par la Géorgie{1125}. De tous les
émigrés non russes originaires d’URSS, les Géorgiens étaient les plus
influents à Berlin et ils comptaient bien revenir en Géorgie dans les
fourgons de la Wehrmacht.
Mis à part le pétrole, le Caucase intéressait peu les dirigeants du Reich,
qui laissèrent davantage de latitude aux militaires et à leurs experts que
dans le cas de l’Ukraine et de la Biélorussie. Or, pour une fois, ces
derniers, qu’ils fussent rattachés à la Wehrmacht, à l’Ostministerium ou à
l’Auswärtiges Amt, étaient d’accord et favorables à une politique plus
conciliante à l’égard des populations que dans les régions slaves.
Beria voulait que les Allemands se choisissent pour interlocuteurs
parmi l’émigration géorgienne des hommes avec lesquels il était en
contact et sur lesquels il pouvait exercer une certaine influence : ceux qui,
au sein de l’émigration, étaient favorables à une « union sacrée » des
Géorgiens, incluant éventuellement les sociaux-démocrates, voire les
communistes. La tâche n’était pas aisée car, durant les premiers mois de
l’occupation allemande en France, les mencheviks géorgiens connurent
des temps difficiles. L’Office géorgien fut perquisitionné et, si N. Jordania
parvint à se réfugier en zone libre grâce à l’appui d’Adrien Marquet –
alors ministre de l’Intérieur du gouvernement de Vichy –, les autres
mencheviks furent assignés à résidence au château de Leuville, à
l’exception d’E. Gueguetchkori et d’A. Tchenkeli qui bénéficièrent de
l’intervention de Lado Akhmeteli, l’envoyé de la Géorgie indépendante en
Allemagne et le représentant de l’émigration caucasienne à Berlin. Durant
ces temps difficiles la solidarité géorgienne joua à plein. Akhmeteli
recommanda au SD de nouer des contacts avec le national-démocrate
géorgien Michel Kedia, qui, en dépit de ses convictions antisocialistes,
restait en contact avec Jordania.
En septembre 1940, Schellenberg envoya à Paris Erich Hengelhaupt
qu’il chargea de contacter les groupes d’émigrés russes et caucasiens pour
le compte du SD Ausland{1126}. Un « Kaukasischer Arbeitsstab » fut
créé, dans lequel Michel Kedia représentait les Géorgiens, Abbas-Bek
Atam-Alibekoff les Azerbaïdjanais et Archak Djamalian les Arméniens.
Kedia fut nommé au poste de représentant de tous les Caucasiens et devint
l’interlocuteur des autorités militaires allemandes, de l’administration et
de la police françaises{1127}. Son intervention sauva le gouvernement
géorgien. À l’automne 1940, l’organisation de l’Abwehr en France prit
aussi contact avec les cercles de l’émigration géorgienne, notamment avec
Spiridon et Michel Kedia, E. Gueguetchkori, les princes David et Elisbar
Vatchnadzé{1128}. Kedia fit plusieurs voyages à Berlin, rencontra
Canaris, Erwin von Lahousen, le chef de la Section II de l’Abwehr chargée
des opérations de sabotage, et Wessel von Loringhoven (ces deux derniers
participeront à l’attentat contre Hitler le 20 juillet 1944) ; il accepta de
collaborer à condition que les Allemands s’engagent à restaurer
l’indépendance des nations du Caucase{1129}.
Ainsi donc, le choix des services spéciaux allemands s’arrêta sur Michel
Kedia et son groupe mingrélien national-démocrate – Alexandre Tsomaia,
Alexandre Korkia, Constantin Kobakhidzé et Alexandre Kankava. Ceux-ci
les persuadèrent qu’il fallait faire appel aux sociaux-démocrates –
Jordania et Sandro Menagarichvili, et surtout E. Gueguetchkori qui
constituait en quelque sorte l’interface entre les Mingréliens nationaux-
démocrates et les mencheviks. L’Abwehr se laissa convaincre de l’intérêt
d’une collaboration avec les sociaux-démocrates géorgiens car elle
espérait hériter grâce à eux des réseaux Prométhée créés par les Polonais.
Jordania se targuait, en outre, de diriger la résistance clandestine en
Géorgie{1130}. Les Mingréliens de Paris parvinrent d’autant plus
facilement à écarter leurs rivaux émigrés de Berlin que ceux-ci avaient,
avec imprudence, prédit aux Allemands un soulèvement de masse des
Soviétiques dès l’entrée de la Wehrmacht sur le territoire de l’URSS et
s’étaient ainsi discrédités.
Mais sans un soutien discret donné par Beria à ses compatriotes
mingréliens, ces émigrés n’auraient pas pu se rendre crédibles aux yeux
des Allemands. Dans une interview accordée à Alexandre Dallin le 8 avril
1951{1131}, Michel Kedia raconte qu’il obtint la confiance des
Allemands car il disposait d’une filière d’infiltration en Géorgie
soviétique par la Turquie. Cette filière n’était autre que celle du Bureau de
l’étranger menchevique que Gueguetchkori avait mise à la disposition de
Kedia, autrement dit la filière Rapava. En échange, Kedia intervint auprès
des autorités du Reich pour que les chefs mencheviques géorgiens n’aient
pas d’ennuis après leurs prises de position profrançaises de 1939-1940 et il
introduisit E. Gueguetchkori dans les hautes sphères à Berlin. Ce sont les
renseignements fournis par Berichvili à Kedia, après son voyage
clandestin en Géorgie soviétique en 1941, qui convainquirent
définitivement les Allemands de miser sur Kedia. Les liens du réseau
mingrélien de l’émigration avec la Géorgie soviétique attirèrent
l’attention de l’Abwehr, l’inspiratrice de la politique allemande dans le
Caucase.
Autre exemple de la promotion par Beria du réseau mingrélien : la
coopération fructueuse entre l’émigré Spiridon Kedia, l’agent Gueguelia et
Alexandre Djakeli, le parent de Beria installé en Belgique déjà évoqué. En
septembre 1939, Gueguelia avait été mobilisé dans l’armée française.
Après la capitulation, il se réfugia en zone libre{1132}, mais resta en
contact avec Michel Kedia durant toute la guerre{1133}. De novembre
1941 à avril 1942, il séjourna en Allemagne{1134} et se montra fort
préoccupé de se rendre utile aux Allemands. Ici sa trajectoire croise celle
d’Alexandre Djakeli. En effet, pendant l’Occupation, celui-ci s’était lié au
général von Falkenhausen, le chef des troupes allemandes en Belgique, et
ils se rendaient des services mutuels. Gueguelia était bien introduit auprès
du Parti communiste français et dans les réseaux de la Résistance. Il
fournissait des listes de résistants à Alexandre Djakeli qui lui-même se
hâtait d’en faire part à ses interlocuteurs allemands{1135}. En
récompense les Allemands lui promirent de le nommer directeur adjoint
des mines de manganèse de Géorgie après la conquête de cette dernière
par la Wehrmacht.
La position privilégiée des Géorgiens apparaît aussi dans le fait qu’à
grand renfort d’érudition, ils parvinrent à convaincre Alfred Rosenberg
que les Juifs géorgiens n’étaient pas de race sémite. Les dirigeants de
l’émigration géorgienne laissèrent entendre à leurs interlocuteurs
allemands que leur coopération avec les autorités du Reich serait fort
compromise si leurs compatriotes juifs étaient en danger{1136}. M. Kedia
obtint de Weber, un fonctionnaire du Département économique allemand,
que les 80 Juifs géorgiens résidant en France ne fussent pas
inquiétés{1137}. Il créa à Paris un « Comité des Géorgiens de foi
mosaïque » dirigé par deux Juifs géorgiens, qui pouvait solliciter des
cartes d’identité de l’Office des émigrés caucasiens chargé par les
Allemands de contrôler la colonie géorgienne. La Gestapo dut donc se
résigner à laisser en paix les Juifs géorgiens. Michel Kedia utilisa ses
contacts avec cette dernière et l’Abwehr pour protéger un grand nombre de
Juifs{1138}. Le Département géorgien de cet Office dirigé par A. Korkia
accorda des cartes d’identité à des Juifs qu’il sauva de la
persécution{1139}.
Géorgiens de Paris et Polonais de France menaient une politique
similaire. Stanislaw Zabiello, le responsable de l’Office polonais qui
tenait lieu d’ambassade de Pologne à Vichy, était un ancien pilsudskiste,
qui avait passé quelques années à l’ambassade de Moscou et puis avait été
chargé du Département soviétique au ministère des Affaires étrangères
polonais ; or, ce partisan du projet Prométhée{1140} était devenu un
défenseur persévérant des Juifs polonais, en même temps qu’il renseignait
régulièrement les Britanniques sur la France de Vichy. L’Office polonais
était l’interlocuteur du Joint et d’autres organisations juives d’aide aux
réfugiés. Zabiello déploya de grands efforts pour sauver les Juifs polonais
en les plaçant sous la protection de pays neutres et en leur cherchant des
pays d’accueil. Il fut l’un des premiers à avertir les Occidentaux de la
mise en œuvre de la Solution finale et il contribua à la mobilisation du
gouvernement de Londres qui, en décembre 1942, entreprit d’alerter
l’opinion mondiale sur le génocide{1141}. Polonais et Géorgiens
procurèrent à des Juifs des faux certificats d’aryanité.
À l’été 1941, Michel Kedia commença à recruter en France des émigrés
géorgiens pour les enrôler dans une organisation formée par l’Abwehr,
« Tamara », elle-même divisée en deux groupes, Tamara I et Tamara II.
Leur mission était de préparer une insurrection en Géorgie à l’approche de
la Wehrmacht{1142}. Les Allemands avaient en effet décidé de parachuter
les hommes de Tamara I sur les arrières de l’Armée rouge en Géorgie, en
dépit des objections de Kedia qui préférait l’infiltration par la frontière
turque : le parachutage était beaucoup plus dangereux, car les hommes de
l’Abwehr risquaient d’être pris sans que le réseau mingrélien remontant à
Beria puisse s’interposer pour leur assurer la vie sauve, même si Beria
avait pris soin, en août 1941, de nommer Chalva Tsereteli, son homme de
confiance, à la tête des groupes spéciaux chargés de capturer les
parachutistes ennemis en Géorgie{1143}. Cette question fut discutée
début juin 1941 et, de toute évidence, les Allemands avaient confiance en
leurs auxiliaires géorgiens puisqu’ils les prévinrent de l’attaque
imminente contre l’URSS dix jours avant le début de l’offensive{1144}.
Après l’entrée en guerre de l’Allemagne contre l’URSS, Kedia s’installa à
Berlin où il travailla pour l’Abwehr II et l’Amt VI du SD (Hengelhaupt).
On comprend maintenant pourquoi le réseau officiel du NKVD en
Allemagne, en particulier l’Orchestre rouge, n’avait guère d’importance
aux yeux de Beria et pourquoi il l’avait confié à Amaïak Koboulov, un
tchékiste inexpérimenté qu’il tenait pour un parfait imbécile, selon le
témoignage de Sergo Beria{1145}.
En août 1941, l’Abwehr installa Paul Leverkuehn à Istanbul avec pour
mission de mettre en place un réseau au Proche-Orient – et peut-être aussi
de contacter l’OSS car Leverkuehn connaissait Donovan qu’il avait
rencontré au sein de la Commission allemande des réparations{1146}.
Leverkuehn noua des contacts avec un menchevik géorgien, ancien
membre du gouvernement de la Géorgie indépendante, dont il jugeait les
conseils « inestimables{1147} ». Jordania et ses proches prodiguaient leur
concours, dans l’espoir que les Allemands garantiraient l’indépendance de
la future Fédération caucasienne en échange de l’assistance des émigrés.
Les hommes de Beria agissaient dans le même sens : ainsi
l’Azerbaïdjanais Khosrov-bek Soultanov, un membre du Conseil de la
Confédération du Caucase dont Soudoplatov affirme qu’il était un agent
soviétique{1148}, s’efforça, en août 1941, de convaincre l’ambassadeur
allemand von Papen que les Azerbaïdjanais ne voulaient en aucun cas
d’une incorporation dans l’État turc, mais qu’ils appelaient de leurs vœux
la création d’un grand État caucasien autour d’un Azerbaïdjan réunifié ; à
l’en croire, l’Allemagne avait tout à gagner de l’existence d’un tel État qui
pourrait endiguer la Russie{1149}.
Après l’attaque allemande contre l’URSS et au moment de l’avancée de
la Wehrmacht vers le Caucase, les émigrés mingréliens et les hommes de
Beria ressentirent le besoin de coordonner leur action. Ils devaient à la fois
éviter une insurrection prématurée en Géorgie, avant que la victoire de la
Wehrmacht ne fût certaine, mais aussi créer en Géorgie, au moment
opportun, ni trop tôt ni trop tard, une situation de fait accompli forçant les
Allemands à renoncer à y installer un Gauleiter et à accepter la mise en
place d’un gouvernement de collaboration géorgien dans lequel certains
dirigeants communistes géorgiens espéraient pouvoir se recaser. En outre,
il fallait prévoir les conséquences d’une défaite allemande et préparer une
équipe de relève orientée vers les Anglo-Saxons.

La collaboration de Beria avec les Anglo-Saxons dans le


Caucase.
Toujours prévoyant, Beria n’envisageait pas la seule éventualité de
l’occupation allemande du Caucase. Pensant aussi au sort de la Géorgie en
cas de victoire anglo-saxonne, il s’efforça d’encourager, là où il le
pouvait, la mise en place d’une collaboration avec les Anglo-saxons. À en
croire son fils, il « aurait même consenti à ce que les Britanniques
occupent tout l’Iran sans participation soviétique : il jugeait qu’une
confrontation avec l’Angleterre n’était pas souhaitable{1150} ».
À la veille de l’attaque allemande contre l’URSS, le SOE informa les
Américains de son intention d’envoyer ses équipes de démolition du
Moyen-Orient dans le Caucase afin de saboter les infrastructures
pétrolières de la région si les Soviétiques donnaient leur accord. Ceux-ci
savaient que les Britanniques avaient créé au Proche-Orient un bureau
chargé des opérations de sabotage en territoire soviétique. Ce bureau
recrutait des Arméniens de Syrie et des Kurdes du nord de l’Iran pour
former des commandos de parachutistes qui devaient le moment venu être
envoyés dans le Caucase{1151}. Le 23 juin, le SOE reçut l’ordre de
préparer d’urgence l’infiltration d’agents de sabotage dans le
Caucase{1152}. Le 30 juin, le NKVD déchiffra un télégramme d’Eden à
Cripps dans lequel le chef du Foreign Office recommandait à son
ambassadeur de solliciter de Moscou l’autorisation d’ouvrir des consulats
britanniques à Bakou, Astrakhan, Tbilissi et Novossibirsk afin de préparer
le sabotage des sites industriels importants pour qu’ils ne tombent pas aux
mains des Allemands{1153} – et ce alors que les Britanniques se
demandaient comment solliciter l’autorisation de mettre ces projets à
exécution sans froisser la susceptibilité des Soviétiques en montrant trop
ouvertement qu’ils croyaient à une prompte déroute de l’URSS !
Durant la première semaine de juillet 1941, le général Macfarlane, chef
de la mission militaire britannique à Moscou, discuta à plusieurs reprises
avec ses interlocuteurs soviétiques, le général Golikov et le général
Panfilov, de l’éventualité d’une offensive allemande dans le Caucase et
des mesures à mettre en œuvre en cas d’avance allemande dans la
région{1154}. Staline suivait de fort près les agissements britanniques.
Méfiant, comme toujours, il déclara le 22 juillet à l’ambassadeur Cripps
que c’était à l’URSS de décider quand le sabotage des puits de pétrole de
Bakou aurait lieu, et que la tâche serait confiée à des Soviétiques. Les
Britanniques ne se laissèrent pas décourager par cette rebuffade et, fin
juillet, ils finirent par arracher l’autorisation d’envoyer un officier de
liaison de la Marine dans la région de la mer Noire{1155}. Churchill
estima toutefois que c’était à Staline de prendre la décision et qu’il ne
fallait pas exercer de pressions en ce sens.
Le 22 septembre, Fitine informa le dictateur que les Britanniques
avaient installé dans le nord de l’Iran une mission spéciale de sabotage
prête à intervenir à tout moment dans le Caucase. Ils s’étaient efforcés de
maintenir le secret sur cette mission pour ne pas compliquer la tâche de
Cripps et MacFarlane. Selon Fitine, devant le refus répété de Staline de
discuter de la destruction des installations pétrolières du Caucase, Cripps
eut l’idée de proposer aux Soviétiques de compenser les pertes ainsi
occasionnées en leur fournissant la quantité équivalente de pétrole pendant
toute la guerre et durant les deux années suivantes ; le gouvernement
britannique s’engageait aussi à livrer les équipements permettant de
reconstruire l’industrie pétrolière à la fin du conflit. Toutefois, la note de
Fitine précisait que cette proposition ne faisait pas l’unanimité à Londres,
car certains estimaient que Staline devrait de toute manière se décider à
détruire les installations pétrolières du Caucase{1156}.
Beria parvint à persuader Staline de tolérer l’envoi de missions du SOE
à Tbilissi dès août 1941 et à Bakou en novembre 1941 ; officiellement
l’autorisation fut accordée par Vychinski dont nous avons déjà évoqué la
collaboration étroite avec Soudoplatov. En septembre et en octobre,
Macfarlane put se rendre en Géorgie et s’entretenir avec l’officier de
liaison britannique qui s’y trouvait{1157}. Le NKVD gardait les
Britanniques à l’œil et savait qu’ils activaient leurs contacts avec les
indépendantistes de la région{1158}. La surveillance des Britanniques fut
confiée au NKGB et au contre-espionnage de Transcaucasie, mais Staline
jugea plus prudent d’expédier du renfort de Moscou{1159}. Sur le plan
officiel, ces missions avaient pour but de préparer le minage des puits de
pétrole, mais, en réalité, certains en Grande-Bretagne envisageaient de
mettre à profit l’effondrement éventuel de l’URSS dans le Caucase pour
prendre pied dans la région. Ces arrière-pensées inspiraient la proposition
de Beaverbrook à Staline d’une jonction dans le Caucase des forces
britanniques et soviétiques{1160}. Le War Office utilisa d’ailleurs la
couverture de la mission Beaverbrook, du 28 septembre au 4 octobre 1941,
pour expédier à Moscou des experts en démolition{1161}. Merkoulov ne
voyait pas d’inconvénients à ces activités des Britanniques dans le
Caucase, à condition que leurs réseaux fussent infiltrés par le NKVD et
qu’ils « se trouvent à tout moment sous notre contrôle{1162} ». La
mission du SOE à Bakou fut reçue de manière fastueuse par Merkoulov,
mais l’avance allemande ayant été enrayée, on n’eut pas recours aux
services de l’équipe de sabotage{1163}.

La politique des émigrés.


Les émigrés espéraient utiliser la guerre pour essayer de favoriser leur
cause nationale{1164}. À l’instigation de Gueguetchkori, mencheviks et
nationaux-démocrates décidèrent, en juin 1941, d’enterrer leurs querelles
pour constituer un front uni de l’émigration, l’organisation Ertoba (Unité),
destinée à devenir l’interlocutrice de Berlin et montrer que toute
l’émigration géorgienne soutenait la politique de son mandataire à Berlin,
Michel Kedia, qui avait des protections au plus haut niveau dans la
capitale du Reich et connaissait la plupart de ceux qui prendront part à
l’attentat du 20 juillet 1944, y compris Schulenburg, « son meilleur ami ».
L’armistice entre les factions de l’émigration géorgienne fut toutefois
de courte durée car les nationaux-démocrates comptaient sur l’appui
italien et allemand pour imposer leur leadership dans l’émigration, ce que
les mencheviks ne pouvaient accepter{1165}. L’unité apparente entre les
différents partis ne résista pas à la perspective de l’occupation imminente
de la Géorgie et de la formation d’un gouvernement de collaboration. Le
groupe Jordania décida de chercher à utiliser les relations entre Berichvili
et Beria pour évincer les « fascistes » bien en cour chez Rosenberg. Il
comptait sur les Mingréliens de Michel Kedia, qui étaient les principaux
auxiliaires de l’Abwehr – même s’ils considéraient par ailleurs que
l’Allemagne avait commis une erreur en attaquant l’URSS et s’ils
jugeaient l’issue du conflit incertaine.
Après la défaite française, le réseau menchevique dirigé par Berichvili
se trouva quasi livré à lui-même à Istanbul à l’été 1941. En dépit de son
anglophilie passée, sur l’ordre de Beria qui souhaitait faire des
mencheviks les principaux interlocuteurs de Berlin et en savoir davantage
sur les plans allemands pour le Caucase, Berichvili proposa ses services
aux Japonais et aux Allemands. En juillet 1941, l’attaché militaire
japonais à Istanbul lui confia la tâche de préparer un groupe de deux cents
hommes que les Japonais projetaient d’infiltrer en URSS, en en assurant le
financement et l’équipement. Berichvili accepta mais le projet tourna
court à cause des réticences turques{1166}.
Les Japonais recommandèrent Berichvili au général Hans Rohde,
l’attaché militaire allemand. À l’instigation du NKVD, Berichvili essaya
en outre de se faire présenter à von Papen. Celui-ci était en contacts
confidentiels avec les services spéciaux britanniques en Turquie, qui le
considéraient comme lié au groupe de Canaris{1167}. Sous prétexte d’y
discuter avec ses compatriotes des actions possibles de l’émigration
caucasienne contre l’URSS, Berichvili sollicita l’autorisation d’aller à
Berlin ; en réalité il voulait savoir quel rôle les Allemands réservaient aux
émigrés sur le front oriental. Il présenta donc aux Allemands un rapport
sur les possibilités offertes par son réseau, mais ceux-ci ne croyaient plus
aux promesses des émigrés et avaient décidé de se passer de leurs services,
au moins tant que la Wehrmacht n’avait pas conquis l’URSS{1168}.
Toutefois, le 13 décembre 1941, Leverkuehn proposa à Berichvili de se
rendre en secret en URSS afin de se renseigner sur les mesures de sabotage
des puits de pétrole de Maikop envisagées par les Soviétiques. Berichvili
accepta à condition que les Turcs soient mis au courant et donnent leur
accord, ce qui permettait d’utiliser la filière Rapava.
À l’automne 1941, les dirigeants de l’émigration géorgienne unifiée
conclurent un accord avec le Reich aux termes duquel les émigrés
géorgiens prisonniers seraient incorporés dans la Wehrmacht et dans les
services de renseignements allemands{1169}. Les émigrés géorgiens
voulaient constituer une armée de libération géorgienne en enrôlant les
prisonniers de guerre, mais ils furent très déçus car le Reich ne leur en
donna pas l’autorisation. Sur le plan politique, les choses ne se
présentaient pas mieux : le Comité national géorgien formé à Berlin en
1942 adressa trois mémorandums aux autorités allemandes afin de les
persuader de reconnaître l’indépendance de la Géorgie. En vain.
Frustrés par l’attitude allemande et les réticences du Reich à promettre
la restauration de leur État, les émigrés géorgiens décidèrent de prendre
les devants et de mettre les Allemands devant le fait accompli. Jordania,
qui ignorait que Berichvili collaborait déjà avec les Allemands sans avoir
attendu son autorisation, essaya de renouer le contact avec lui. Le
25 février 1942, il lui envoya une lettre :

Nous avons besoin d’informations sur la Géorgie, le Caucase, sur


l’état d’esprit des Caucasiens, etc. Nous transmettrons les
informations aux Allemands. Nous sommes tous de leur côté. La
destruction du bolchevisme, la restauration de l’indépendance de la
Géorgie – voilà notre programme. La réalisation de la deuxième étape
dépend de nous – du degré de préparation de notre peuple lorsqu’il
accueillera les vainqueurs.
Jordania se plaignit de ce que les « fascistes » géorgiens fussent fort
influents à Berlin et qu’ils fassent tout pour « isoler [les mencheviks] et
les empêcher d’entrer en Géorgie{1170} ». Il recommandait à Berichvili
de seconder en tout Michel Kedia, « qui a la confiance des Allemands et
qui en même temps est partisan de la collaboration avec nous [les
mencheviks] ». Enfin, il lui annonçait la venue à Istanbul de Sandro
Menagarichvili, envoyé en Turquie par Michel Kedia et E. Gueguetchkori
après leur voyage à Berlin en avril 1942. En même temps, Jordania
suggérait à son émissaire de se réconcilier avec Goguiberidzé et son
groupe{1171}.
Fin mai 1942, Alexandre Djakeli était à Istanbul où il dirigeait un
groupe turc, avec pour couverture le commerce du manganèse. Les
Allemands l’avaient chargé d’organiser une guérilla anticommuniste en
Géorgie{1172}. Djakeli offrit à Berichvili de lui arranger ce fameux
voyage à Berlin, en lui faisant miroiter une entrevue avec Ribbentrop et
Rosenberg. Son but était que les Allemands reconnaissent le
gouvernement Jordania et que celui-ci obtienne une invitation à Berlin
afin qu’il lui fût plus facile d’organiser le « lobbying » de l’indépendance
géorgienne auprès des autorités du Reich. Ce voyage eut-il lieu à la mi-
septembre ? En octobre 1942, Berichvili raconta à Rapava son séjour à
Berlin et se vanta d’avoir rencontré de hauts dignitaires du Reich. Plus
tard, il prétendit que ce voyage en Allemagne avait été annulé à la dernière
minute et qu’il avait tout inventé pour se faire mousser{1173}.
Les mencheviks géorgiens utilisaient les moyens mis à leur disposition
par l’Abwehr mais ils entendaient mener leur politique et forcer la main
aux Allemands. En juin 1942, le Bureau de l’étranger menchevique infiltra
en Géorgie Simon Goguiberidzé. Bien que son voyage fût financé par
l’Abwehr qui lui avait confié l’organisation d’un mouvement clandestin
chargé de faciliter la tâche de parachutistes allemands le moment venu, sa
mission réelle était « de prendre le pouvoir à l’approche des Allemands »
et pour cela « d’unir toutes les forces populaires, y compris les
communistes », car la « venue des Allemands en Géorgie provoquerait
certainement un changement dans leur idéologie et les inciterait à accepter
un nouveau régime, surtout qu’il n’y avait plus de vieux communistes, et
que les nouveaux communistes qui avaient hérité du pouvoir n’avaient pas
de raisons de refuser l’union avec le peuple », comme l’expliqua
Goguiberidzé à Rapava après sa capture en juillet 1942 :

Nous pensions même que de nombreux communistes en Géorgie ne


pouvaient souhaiter que la petite Géorgie soit entraînée dans cette
guerre de géants, […] qu’ils ne seraient pas opposés à une solution
intermédiaire en cas de défaite du régime soviétique ; quant aux
Allemands, ils auraient été obligés de prendre en compte cette
expression de la volonté populaire.

Il était prévu qu’à son retour, Goguiberidzé déclarerait que le peuple


géorgien souhaitait la restauration du gouvernement menchevique et non
des « fascistes ». Les mencheviks estimaient que les communistes
géorgiens se rallieraient avec plus de facilité à une solution sociale-
démocrate qu’à un régime nazi. Cependant Goguiberidzé fut capturé au
moment où il s’apprêtait à retourner en Turquie{1174}.

Beria sur le front du Caucase.


Staline avait prévenu les Caucasiens qu’ils devaient compter sur leurs
propres forces pour assurer leur défense{1175}. En février 1942, la région
militaire de Transcaucasie commença à former des unités nationales
patronnées par les chefs des partis communistes des républiques.
L’offensive allemande vers le Caucase commença le 28 juin 1942, alors
que l’Armée rouge était en situation difficile après le désastre de Kharkov.
L’opération « Edelweiss » – la conquête des cols de la chaîne du Caucase –
fut lancée le 25 juillet. Les Allemands atteignirent les cols le 18 août. Le
21 août, alors que l’avance allemande semblait irrésistible et que le chaos
régnait dans les troupes soviétiques, Beria fut envoyé sur le front du
Caucase accompagné de Merkoulov et Soudoplatov qui devaient miner les
champs de pétrole et les puits de Mozdok.
Quel fut le rôle véritable de Beria durant cette période cruciale ? Il se
vanta par la suite que seule son intervention avait empêché les Allemands
« d’occuper Tbilissi et Bakou avec toutes leurs richesses pétrolières, ce
qui aurait rendu la guerre difficile à gagner{1176} ». Mais, durant son
procès en 1953, on fit témoigner des militaires, souvent ses anciens
protégés, qui reprirent en chœur les accusations de « sabotage » de la
défense du Caucase par Beria, que l’on attendait d’eux{1177}. Ivan
Tioulenev, qui le 1er septembre avait remplacé Boudionny à la tête du
front transcaucasien sur la recommandation de Beria, résuma ainsi le rôle
de ce dernier : « Il se contenta de déplacer beaucoup d’air, affectant de
s’intéresser au renforcement de notre défense. En réalité […] il ne fit que
désorganiser et saborder notre travail{1178}. » S. M. Chtemenko n’eut
garde de le contredire : « Toutes les actions de Beria en vue de la défense
des cols, notre objectif principal à cette époque, ont nui à cette défense et
ont créé des conditions favorables pour l’ennemi, lui facilitant l’invasion
de la Transcaucasie{1179}. » Ces accusations ont de quoi laisser sceptique
puisqu’elles émanaient d’anciens protégés de Beria avides de se racheter
aux yeux du Parti. Tous ces témoignages étaient trop conformes à la
vulgate mise à l’honneur par Khrouchtchev dont on trouve encore un écho
dans les Mémoires de ce dernier :

Bodine [l’adjoint d’Alexandre Vassilevski] me disait : « Je me


demande bien pourquoi nos troupes se battent si mal dans le Caucase
du Nord. Le rapport de forces est en notre faveur […] et pourtant
l’ennemi avance. » J’avais une haute opinion des avis de Bodine.
Mais il y avait Beria sur le front caucasien{1180}.

Et pourtant… les griefs des militaires étaient en partie fondés. La venue


de Beria fut marquée par une série de conflits dont l’effet sur la défense du
Caucase ne pouvait qu’être déstabilisant. À la fin de l’été 1942, Beria fit
adopter toute une série de mesures pour « assainir » les douze unités
nationales caucasiennes : le commandement fut confié à des officiers
caucasiens et l’endoctrinement politique se fit dans les langues nationales.
La 276e division géorgienne fut l’objet de sa sollicitude particulière. Et,
pour la plupart, ces unités nationales n’eurent pas à combattre en première
ligne, restant en deuxième ligne ou étant chargées de protéger la frontière
avec la Turquie. L’existence de ces unités nationales patronnées par les
chefs du Parti dans les trois républiques provoqua un conflit monstre entre
le général du NKVD I. I. Maslennikov, adjoint de Beria et commandant du
Groupe du Nord du front caucasien créé par Beria le 8 août 1942, et les
conseils militaires auxquels participaient les chefs des partis communistes
des républiques sud-caucasiennes. En effet, Maslennikov ne cachait pas sa
piètre opinion de ces unités et, fin septembre 1942, il demanda à la Stavka
la réduction de 40 à 60 % des effectifs des unités arméniennes et
azerbaïdjanaises, n’osant toutefois pas s’attaquer aux unités géorgiennes
patronnées par Beria. Avec l’appui de Tioulenev, commandant du front de
Transcaucasie, Aroutiounov, Tcharkviani et Baguirov, les chefs des partis
communistes des républiques sud-caucasiennes, réussirent à bloquer
l’initiative de Maslennikov. Fort du soutien de Beria, Baguirov, surtout,
prit de manière systématique la défense des unités azerbaïdjanaises,
estimant que l’exigence de la connaissance du russe pour l’incorporation
dans les unités nationales frisait la provocation.
L’objectif prioritaire de Beria en arrivant dans le Caucase semble avoir
été, soit de « géorgianiser » le commandement de la 46e armée chargée de
la défense du Caucase du Nord, soit de le mettre à l’écart, et en tout cas de
le placer sous un contrôle étroit du NKVD. L’état-major du général
Tioulenev fut privé du contrôle des opérations et le général Sergatskov, qui
commandait la 46e armée, fut limogé par le chef du NKVD le 28 août
1942, et remplacé par le Géorgien Constantin Leselidzé, un ami de Beria.
La défense des cols fut confiée au général du NKVD G. L. Petrov et deux
proches de Beria, le chef du gouvernement géorgien V. M. Bakradzé et le
chef du NKVD abkhaze I A. Gagoua, furent nommés au Conseil militaire
de la 46e armée{1181}. Le général Sergatskov, qui après son limogeage
avait été chargé de la défense du col de Mamison{1182}, témoigna au
procès de Beria{1183} que le chef du NKVD avait placé le
commandement militaire sous la tutelle d’officiers du NKVD nommés par
lui : « J’étais assisté d’un soi-disant groupe opérationnel commandé par le
général Sadjaïa. En nommant ce dernier Beria lui avait dit : “Tu dormiras
avec lui, tu mangeras avec lui, tu te déplaceras avec lui”{1184}. » En effet
Beria flanqua les quinze responsables militaires russes de « chargés de
mission » géorgiens, soi-disant pour faciliter la résolution de problèmes
d’approvisionnement. En réalité les officiers russes se heurtèrent à la
mauvaise volonté systématique des autorités géorgiennes qui se savaient
appuyées par leur puissant compatriote à Moscou. Les militaires ne
pouvaient prendre une seule décision sans avoir l’accord de ces officiers
du NKVD et les relations entre Maslennikov et Tioulenev étaient
exécrables{1185}. En novembre 1942, Kaganovitch fut nommé au Conseil
militaire du front de Transcaucasie où il prit énergiquement parti pour les
dirigeants nationaux ; et Staline finit par ordonner à Maslennikov de
« cesser de se quereller avec Tioulenev et d’obéir à ses directives ».
Kaganovitch reprocha à Maslennikov d’« être tombé dans l’erreur
grossière de dénigrer les divisions nationales{1186} ».
Les troupes du NKVD furent chargées de la protection des cols, sous la
direction de Chalva Tsereteli. Le col de Maroukh, qui ouvrait l’accès à la
Géorgie, était le plus menacé au moment de l’arrivée de Beria qui,
cependant, interdit à Sergatskov de déplacer une division de chasseurs
alpins de la région de Batoumi pour défendre les cols : « Tu veux livrer
Batoumi aux Turcs », lui dit-il d’un ton menaçant{1187}. Sergatskov
passa outre et fut pour cela giflé par le chef du NKVD, ce qui n’empêcha
pas celui-ci de télégraphier à Moscou que des renforts avaient été expédiés
dans les montagnes sur son ordre, ce que Sergatskov découvrit à sa grande
stupeur lorsque, au moment du procès de Beria, on lui communiqua les
documents d’archives concernant cette période{1188}.
Sur les 121 000 hommes du NKVD stationnés en Transcaucasie, Beria
n’en mit à la disposition du front que 5 000 à 7 000, à la demande expresse
de Staline{1189}. Or, à la mi-juillet 1942, les Turcs avaient massé 26
divisions à la frontière caucasienne, soit 500 000 hommes, un tiers environ
de leur armée{1190}. La menace turque préoccupait Beria : dès le 22 avril
1942, il avait rédigé une note détaillant les préparatifs de guerre
turcs{1191}, qu’il mettait sans doute en avant pour convaincre Staline de
laisser les troupes géorgiennes en Géorgie. Selon le témoignage du fils du
ministre de l’Intérieur Grigori Karanadzé, Beria s’était précipité chez
Staline après le désastre de Kertch où une division géorgienne entière
avait été anéantie, et avait finalement obtenu que la majorité des divisions
géorgiennes fussent autorisées à rester en Géorgie pour assurer elles-
mêmes la défense de leur république. Début juillet, Serguei Vinogradov,
l’ambassadeur soviétique en Turquie, exprima l’avis que les Turcs
n’entreraient pas en guerre, même si les Allemands prenaient Suez, mais
que si les Allemands atteignaient le Caucase, les Turcs pourraient être
tentés d’intervenir. Ils disposaient de 1 200 000 hommes, mais l’armement
leur faisait défaut{1192}.
Cependant, l’avancée allemande se poursuivant, Beria ordonna de
retirer les unités de cavalerie kazakhes chargées de la protection des cols,
sous prétexte que les Kazakhs étaient des poltrons{1193}. Il refusa
d’accéder à la demande du général Maslennikov d’intégrer dans l’Armée
rouge les Tchétchènes-Ingouches{1194} et s’arrangea pour confier la
protection des cols à la 394e division géorgienne. Selon le Département
politique du front de Transcaucasie, le « comportement de cette division
fut exécrable{1195} », les bataillons géorgiens qui étaient parvenus aux
cols s’étant rendus à l’ennemi sans résistance. Ainsi la division Edelweiss
parvint-elle à s’emparer du col de Maroukh et, le 9 septembre, les
Allemands contrôlaient presque tous les cols. Soukhoumi était menacé et
la loi martiale était instaurée dans les républiques de Transcaucasie. Dès la
mi-août, le Feldmarschall List avait câblé à Hitler qu’avec les moyens
dont il disposait, il ne pouvait s’emparer des puits de pétrole de Bakou.
Pourtant, le 12 septembre, les autorités allemandes de Paris demandèrent
aux émigrés géorgiens et arméniens de se tenir prêts à partir en
URSS{1196}. Le 18 septembre, fut créé un état-major chargé du
commandement des groupes du NKVD assurant la défense des cols,
commandé par N. D. Melnikov, l’adjoint de Soudoplatov{1197}. Et, en
septembre, il fallut retirer la 402e division azerbaïdjanaise de la frontière
soviéto-turque, tant elle était jugée peu fiable.
La situation était d’autant plus grave que, dans la République
tchétchène-ingouche, s’était constitué un Parti des combattants caucasiens
réunissant onze peuples dont le but était l’élimination du bolchevisme
dans le Caucase et la création d’une république caucasienne fédérée sous
mandat allemand. À l’été 1942, des unités tchétchènes avaient liquidé les
kolkhozes dans les régions montagneuses de Tchétchénie et, fin
septembre-début octobre, l’insurrection avait fait tache d’huile. Il fallait
envisager toutes les éventualités.
Au cours de cette période d’incertitude, la politique de Beria fut très
équivoque. En décembre 1941, fut adoptée dans le Caucase une amnistie
pour tous les délits politiques, libérant des dizaines de milliers de
personnes. Des conseils nationaux furent créés en Géorgie, en Arménie et
au Daghestan{1198}. Beria lança en Géorgie une véritable perestroïka
avant la lettre : il mit fin aux arrestations, restaura la liberté du commerce,
toléra la contrebande, séduisit l’intelligentsia par l’octroi de subventions
généreuses aux écrivains, aux chercheurs et aux acteurs ; il facilita par
ailleurs l’exemption du service militaire et interdit la mobilisation des
femmes{1199}. Au Daghestan, les désertions de masse fournirent à Beria
le prétexte de faire rédiger par le NKVD un rapport sur l’état des régions
montagneuses de la république. Ce rapport dressa un tableau accablant des
lieux, expliquant le ralliement à l’ennemi par la situation matérielle
désespérée dans laquelle se trouvaient les montagnards privés de kérosène,
d’allumettes et de savon. Ceci permit à Beria de faire limoger le premier
secrétaire russe de la république, le 16 septembre 1942, et de le remplacer
par un protégé azerbaïdjanais de Baguirov. Lors du Plénum du Parti
communiste daguestanais qui suivit, les responsables dépeignirent l’état
désastreux de la république, évoquant la famine qui sévissait dans
certaines régions :

Tout cela se produisait sous nos yeux et nous prenions l’air étonné en
appelant cela les « déformations » de la politique des nationalités.
[…] Nous fûmes témoins de cet exode forcé, quand des milliers et
des milliers de montagnards affamés descendirent vers la plaine,
mourant en chemin. Au Parti personne n’osa en parler ouvertement.
Nous considérions cela comme un phénomène ordinaire, nous
appelions cela une « migration sauvage »{1200}.

Le rapport du NKVD, signé par Ivan Serov, concluait : « Les mesures


tchékistes seront inefficaces si nous ne parvenons pas à satisfaire les
besoins matériels des montagnards : sans cela nous n’arriverons pas à
isoler les chefs de leurs hommes. » Et Beria déclara au ministre de
l’Intérieur daguestanais : « Ce n’est pas toujours le langage des armes
qu’il faut parler avec les bandits{1201}. » Il recommanda une amnistie
pour les insurgés ayant volontairement déposé les armes.
En parallèle, Beria développa son opération de public relations au sein
de l’émigration géorgienne, conscient que toutes les informations et les
rumeurs colportées dans ce milieu parvenaient aux oreilles allemandes.
Les prisonniers de guerre servaient de véhicule à sa propagande et, là
encore, les liens familiaux jouèrent un rôle irremplaçable. Parmi les
prisonniers de guerre géorgiens se trouvait Kapiton Rapava, le frère
d’Avksenti Rapava, le chef du NKVD de Géorgie. Cet ancien colonel de
l’Armée rouge, chef des unités de défense chimique des forces armées de
Transcaucasie, avait été fait prisonnier par les Allemands le 27 juillet
1941 et il avait adhéré au Parti populaire du travail, un groupe créé par les
Russes blancs du NTS, l’organisation des solidaristes russes créée dans les
années 1930 sous l’influence du fascisme italien. Il fournit à l’Abwehr un
rapport détaillé sur les unités de défense chimique de l’Armée rouge et
rédigea à la demande des Allemands une Histoire de la guerre germano-
soviétique « dans un esprit calomniateur antisoviétique » – il mourra de
tuberculose en Allemagne le 23 août 1943{1202}. Il se trouvait au camp
de Hammelsburg où étaient réunis les officiers supérieurs soviétiques
prisonniers. Sergo Beria affirme dans ses Mémoires que, en même temps,
il ne cessait de travailler pour Beria{1203}. Citons aussi Teimouraz
Chavdia, un neveu de Nina Beria, lui aussi prisonnier des Allemands, qui
ne faisait nul mystère de sa parenté haut placée.

Le sort des parachutistes.


Sans grand succès, Beria essaya de se ménager la possibilité de sauver
la vie de quelques-uns des parachutistes envoyés par l’ennemi. À la mi-
mars 1942, Merkoulov avait donné l’ordre de tenir compte de la
possibilité de recruter des agents parmi les hommes parachutés par la
Wehrmacht dans le Caucase et capturés par le NKVD, et d’établir leurs
canaux avec les mouvements clandestins{1204}, ce qui permettait à Beria
de protéger dans une certaine mesure ceux qui pouvaient lui être utiles.
Mais, le 20 mai, Staline ordonna de renforcer les bataillons de chasseurs
chargés de capturer les parachutistes ennemis et, le 23 mai, il ordonna de
fusiller sur-le-champ les parachutistes capturés{1205}.
Beria voulut malgré tout conserver un droit de regard sur le sort des
envoyés de l’ennemi. Le 13 septembre, il adressa une lettre aux
responsables du NKVD des républiques caucasiennes, dans laquelle il
recommanda de placer sous surveillance ceux qui avaient des parents à
l’étranger et annonça l’envoi d’officiers « expérimentés » des appareils
centraux du NKVD pour « aider les organes locaux du NKVD à liquider
les parachutistes ennemis et à lutter contre l’élément
antisoviétique{1206} ». La même volonté de Beria d’avoir la haute main
sur les opérations concernant l’émigration apparaît dans une instruction de
Koboulov, datée du 4 décembre 1942, qui interdisait aux organes locaux du
NKVD d’organiser des opérations à l’étranger sans autorisation du NKVD
de l’URSS{1207}. À partir d’avril 1943, c’est au SMERCH que fut
confiée la mission d’arrêter les parachutistes envoyés par l’ennemi{1208}.
La plupart des hommes de Tamara I, parachutés début septembre 1942,
furent capturés ou disparurent et trente-deux parachutistes furent exécutés
en public en Géorgie{1209}. Il y eut une exception notable : Alexandre
Kankava, le frère de lait d’E. Gueguetchkori – considéré en Géorgie
comme un quasi-frère de sang. Kankava avait émigré en Turquie en 1929,
puis s’était installé en France et était membre du Bureau de l’étranger des
mencheviks, collaborant étroitement avec Gueguetchkori. Pendant la
guerre, il assura la liaison entre Michel Kedia et les mencheviks de Paris.
En 1942, Kedia le mit en contact avec l’Abwehr et il fut enrôlé dans le
groupe de sabotage Tamara I, puis parachuté en URSS où Gueguetchkori
espérait qu’il parviendrait à restaurer les organisations mencheviques en
Géorgie. Arrêté par le NKGB, Kankava fut condamné à vingt ans de camp,
le 11 septembre 1943. En novembre 1944, il fut remis en liberté « pour des
raisons opérationnelles », c’est-à-dire à la demande du NKGB.

La préparation d’un gouvernement de collaboration.


Pendant ces journées dramatiques, Beria prépara des interlocuteurs à
l’intention des autorités allemandes. Soudoplatov organisa un réseau du
NKVD à Tbilissi en prévision de l’occupation de la ville. L’écrivain
Constantin Gamsakhourdia, alors protégé de Beria, se proposa d’en
prendre la tête : « Il s’était fait remarquer avant la guerre pour ses
déclarations progermaniques, insinuant que la prospérité de la Géorgie
dépendait d’une coopération avec les Allemands{1210}. » Gamsakhourdia
était un nationaliste à la d’Annunzio, mais sur un mode soviétique : servile
envers les grands, comédien hors pair, capable de jouer la folie au point de
tromper les tchékistes les plus retors, doué d’un remarquable talent pour la
survie ; il affectait l’intimité avec Beria : « Un jour j’ai fait remarquer au
camarade Lavrenti que le malheur des petites nations était de manquer
d’écrivains, de militaires, d’industriels{1211}. » En 1953-1954,
Gamsakhourdia sera d’ailleurs accusé d’avoir voulu forcer des
intellectuels géorgiens de renom à collaborer avec les services spéciaux
allemands, sur ordre de Beria.
Cependant Soudoplatov se méfiait de lui et préféra pour le rôle principal
le dramaturge G. Matchavariani, à qui on pouvait confier sans risque
d’importantes sommes d’argent destinées à la résistance{1212}. Ce
dernier était un vieil agent du Komintern, très lié à Ernst Henry, spécialisé
dans la France et la Belgique. Atout supplémentaire, son épouse, l’actrice
Alexandra Toïdzé, avait été la maîtresse de Beria{1213}. Quelle qu’en fût
la composition, le gouvernement de collaboration devait être dirigé en
coulisse par Rapava, le ministre de l’Intérieur, avec la bénédiction de
Beria{1214}. Il est d’ailleurs probable que ce scénario en cachait d’autres
et qu’il y avait un dispositif de rechange. Les archives du ministère de la
Sécurité d’État de Géorgie{1215} révèlent que deux professeurs de
l’université de Tbilissi, les historiens Alexandre Namoradzé et Guiorgui
Gozalichvili, ainsi que l’académicien Guiorgui Tsereteli, les écrivains
Pavle Ingorokva et Gueronti Kikodzé, avaient conçu le dessein d’organiser
un coup d’État à l’approche des troupes de la Wehrmacht – ils furent
convoqués au Comité central par Tcharkviani en 1946 en présence de
Charia et s’en tirèrent par un avertissement et un blâme, sauf Gozalichvili
qui fut arrêté puis relâché{1216}. S’agissait-il d’un groupe appartenant au
fameux Comité des professeurs que nous avons déjà évoqué ? C’est fort
probable.
L’attitude durant ces mois décisifs d’Apollon Ourouchadzé, un des
agents de Beria chargé des contacts avec les mencheviks, est aussi
révélatrice. En 1941, Ourouchadzé aida de nombreux Géorgiens à
échapper à la mobilisation. En août 1942, il chercha à dissuader le juif
Goldberg de quitter Tbilissi en lui promettant sa protection si les
Allemands occupaient Tbilissi : « La Géorgie a eu de la chance pendant la
première guerre, elle en aura aussi pendant cette guerre. » Mentionnons
aussi qu’en mai 1943, le fils d’Ourouchadzé, Igor, fut arrêté pour
propagande défaitiste pro-allemande et libéré sur ordre de Rapava en
septembre, deux semaines après qu’Ourouchadzé en eut adressé la
demande à Beria{1217}.
Les militaires russes sentaient l’absence d’élan patriotique en Géorgie
et dans le rapport de Roukhadzé déjà cité, l’un d’eux se souvient :

Lorsque les Allemands s’approchèrent du Caucase, les Géorgiens


menèrent une propagande selon laquelle ils n’avaient rien à craindre
des Allemands, car Hitler et Goebbels avaient des femmes
géorgiennes et Hitler avait promis de faire de la Géorgie un État
indépendant et d’unir tout le Caucase{1218}.

Le projet de Grande Géorgie développé par le lobby géorgien à Berlin


pouvait en effet séduire les communistes nationaux géorgiens patronnés
par Beria.

Les tentatives de négocier avec les Allemands et les appels du


pied à la Wehrmacht.
Gerhard von Mende, le chef du Département caucasien de
l’Ostministerium, a écrit dans une note :

Je ne connais qu’un cas où les dirigeants communistes aient cherché à


engager des négociations avec les Allemands avant l’occupation de
leur pays pour parvenir à un accord formel de collaboration. Cette
initiative fut prise par quelques dirigeants communistes géorgiens
pendant l’avance allemande. Il nous fut impossible de vérifier à quel
point cette offre était sérieuse à cause du retrait de nos
troupes{1219}.

De fait, les communistes géorgiens tentèrent à plusieurs reprises


d’entrer en contact avec les Allemands afin d’obtenir des garanties pour
l’avenir de la Géorgie en échange d’une collaboration des autorités avec la
Wehrmacht. La première tentative eut lieu en 1941, lorsqu’un transfuge du
front affirma être mandaté par les dirigeants du Parti géorgien. La seconde
eut lieu en janvier 1942, lorsqu’un Géorgien envoyé par les dirigeants de
l’Abkhazie traversa le front et proposa aux Allemands le marché suivant :
Berlin reconnaîtrait l’indépendance de la Géorgie et ne s’ingérerait pas
dans ses affaires intérieures ; en échange, la direction du Parti de Géorgie
s’engageait à organiser la sécession de la Géorgie de l’URSS et à faire
interner les troupes soviétiques qui se trouvaient dans la
république{1220}.
Au printemps 1942, Rapava et Chalva Dadiani, le président du Conseil
de Défense de la Géorgie, effectuèrent à nouveau un sondage auprès des
Allemands, exprimant le souhait d’une restauration des relations avec le
gouvernement géorgien en exil à Paris et s’informant des plans allemands
pour la Géorgie : ils voulaient savoir si les Allemands consentiraient à lui
octroyer un statut particulier{1221}. Les communistes géorgiens
essayèrent aussi de négocier par le truchement du prince Alexandre
Asatiani, un national-démocrate qu’ils estimaient plus acceptable pour
Berlin. À chaque fois les émissaires géorgiens laissaient entendre que ces
démarches avaient l’approbation de Beria{1222}.
La Géorgie semblait à deux doigts de répéter le scénario qui s’était
déroulé dans la République tchétchène-ingouche où un soulèvement
antibolchevique eut lieu à l’automne 1941. Sultan Albogatchiev, le chef du
NKVD tchétchène-ingouche, installé à ce poste par Beria à la veille de la
guerre et fort critiqué dès 1941 par la direction du Parti pour son manque
d’ardeur à poursuivre les « déserteurs et les bandits », était en contact
secret avec les insurgés. Le NKVD dénichera en effet dans les papiers de
Terloev, le chef du soulèvement, une lettre d’Albogatchiev datée du
10 novembre 1941, où celui-ci réprimandait Terloev pour avoir lancé le
soulèvement avant que les Allemands ne soient sur place. Il lui
recommandait de bien se cacher, car, s’il était pris, Albogatchiev serait
obligé de le fusiller. En attendant, pour donner le change, il mettrait le feu
à sa maison et ferait arrêter sa famille.
Un nombre important de responsables du NKVD tchétchène-ingouche –
dont le chef du département chargé de la lutte contre le « banditisme »,
c’est-à-dire de la guérilla – étaient passés du côté des insurgés. Quatre-
vingts apparatchiks communistes firent de même, dont les ministres de
l’Instruction publique et des Affaires sociales et les deux tiers des
secrétaires de raïkom. En août 1942, Maierbek Cheripov, l’ancien
responsable de l’industrie du bois de la république, organisa une
insurrection{1223}.
Ces ouvertures vers les Allemands ne relevaient pas des seuls
subordonnés de Beria. En effet, une semaine après son arrivée dans le
Caucase, le chef du NKVD lui-même fit savoir aux Allemands qu’il était
prêt à assurer le calme et le soutien de la population géorgienne au
moment de l’entrée de la Wehrmacht dans le Caucase{1224} : le 24 août,
la loi martiale fut introduite en Transcaucasie.
Les six mystérieuses « lettres de Tiflis » reçues de novembre 1941 à
août 1942 par les services de renseignements allemands ont suscité bien
des interrogations à Berlin. Émanant des « cercles de l’intelligentsia de
Tiflis », elles contenaient un triple message. D’une part, elles décrivaient
en détail la puissance de l’effort de guerre soviétique. Elles soulignaient
que le peuple russe, en dépit des privations et des atrocités du régime,
« soutenait la politique impérialiste, autocratique et agressive de
Staline » ; que l’Armée rouge possédait d’immenses réserves et que même
l’occupation de Moscou ne ferait pas vaciller le régime ; que l’aide
occidentale était considérable et déterminante et que les seuls amis de
l’Allemagne en URSS étaient les Caucasiens. D’autre part, ces lettres
décrivaient une possible situation insurrectionnelle en Géorgie, des
désertions massives dans l’Armée rouge, la présence d’un maquis
anticommuniste et d’une organisation clandestine dans la république ayant
l’appui de certains communistes (« la seule qui subsistât en URSS »), et la
possibilité d’une action concertée avec la résistance d’autres peuples du
Caucase. Mais, de manière tout aussi insistante, elles détaillaient le
dispositif défensif soviétique dans le Caucase, l’important déploiement
d’hommes et de matériel, le système policier omniprésent{1225}.
L’ancien conseiller de l’ambassade allemande à Moscou, Gustav Hilger,
était d’avis que ces lettres émanaient du NKVD{1226} et il avait sans
doute raison : elles portent la marque du style de Beria. Qu’on se rappelle
les documents rapportés par Berichvili en 1930 et en 1939, qui
soulignaient l’existence d’une opposition bien organisée en
Géorgie{1227}.
Quel était le message sous-jacent de ces lettres ? Que la Wehrmacht ne
pouvait se lancer dans l’aventure caucasienne qu’en ayant les moyens de
vaincre et en étant sûre de gagner. Au fond, Jordania et les émigrés
distillaient les mêmes recommandations aux Géorgiens : ne vous soulevez
pas avant que les Allemands n’aient solidement pris pied dans le Caucase.
Une lettre de Tiflis signale d’ailleurs aux Allemands que le NKVD avait
organisé des commandos pour capturer les parachutistes ; on peut faire le
rapprochement avec les recommandations de Michel Kedia à l’Abwehr,
lorsque celui-ci déconseillait l’envoi de parachutistes. En même temps la
Wehrmacht était encouragée à agir par les renseignements fournis par
l’« agent 438 », un Soviétique soi-disant recruté par le réseau Gehlen. Le
14 juillet 1942, celui-ci informa Berlin que les livraisons au titre du
« prêt-bail » étaient détournées de l’URSS au profit des troupes
britanniques aux prises avec Rommel en Égypte et que l’Armée rouge
traversait une très grave crise d’effectifs{1228}.

Les activités des émigrés – le rôle du réseau mingrélien.


Les Allemands ne donnant pas suite aux ouvertures des communistes
géorgiens{1229}, les émigrés voulurent de leur côté prendre l’initiative
pour les contraindre à adopter une solution géorgienne pour leur patrie.
Beaucoup d’émigrés considéraient que leurs ennemis étaient les Russes
plus que les communistes et ne voyaient guère d’inconvénients à négocier
avec les communistes géorgiens. « Je préfère voir le Géorgien Staline au
pouvoir plutôt que le grand-russe Vlassov », déclara quelque temps plus
tard Michel Kedia à ses interlocuteurs allemands qui voulaient le forcer à
collaborer avec Vlassov{1230}.
En 1942, les dirigeants de l’émigration géorgienne proposèrent à leurs
interlocuteurs allemands un plan d’action qui prévoyait les points
suivants : la réactivation des réseaux géorgiens en Turquie, la création à
Istanbul d’une organisation dirigée par Menagarichvili dont la tâche serait
d’infiltrer en Géorgie des groupes d’émigrés chargés de préparer
l’insurrection au moment de l’entrée des troupes allemandes, et enfin
l’activation des réseaux clandestins existant entre la Géorgie et Moscou.
Les Géorgiens obtinrent l’accord de l’Amt VI du RSHA (dirigé par
Schellenberg) et du Sonderstab HWK du haut commandement de la
Wehrmacht. Début septembre, l’Abwehr procéda au parachutage du groupe
Tamara I, afin de préparer sur place l’insurrection, la proclamation de
l’indépendance de la Géorgie et l’organisation d’un gouvernement au
moment de l’entrée des troupes de la Wehrmacht{1231}. Les mencheviks
avaient l’intention de convoquer une assemblée nationale dès que la
Wehrmacht serait en Géorgie et de former un gouvernement social-
démocrate -- même si les Allemands ne donnèrent leur accord à ce plan
qu’en juin 1944{1232} ! Plus tard, E. Gueguetchkori confiera qu’il était à
ce moment persuadé de la défaite de l’URSS et qu’il s’apprêtait à rentrer
en Géorgie{1233} – fin 1942, il se trouvait à Berlin. Quant à Michel
Kedia, il avait apporté avec lui dans le Caucase du Nord le sabre de
Tcholokachvili, le héros de l’insurrection antibolchevique de 1924, pour
l’offrir solennellement à la Géorgie libérée des communistes.
Les Mémoires des anciens volontaires géorgiens du bataillon caucasien
Bergmann formé par l’Abwehr et déployé en 1942 dans le Caucase du
Nord complètent le tableau que l’on peut brosser à partir des sources
allemandes. Si le contact ne put s’instaurer entre les communistes
géorgiens et les Allemands, à cause des réticences de ces derniers, il
s’établit avec les émigrés géorgiens. En septembre-octobre 1942, Michel
Kedia, qui était entré dans le Sonderstab Kaukasus formé à l’été 1942 sous
le patronage allemand, envoya à Naltchik son bras droit, Alexandre
Tsomaia, accompagné d’Alexandre Asatiani.
Les Allemands ignoraient tout de leur mission véritable : ils étaient
venus nouer des contacts avec les dirigeants communistes de Géorgie.
[…] Les instructions aux communistes géorgiens étaient les
suivantes : n’entreprenez rien avant que les Allemands n’aient franchi
la principale chaîne du Caucase, soyez prudents. Quand l’attaque
allemande commencera et quand l’occupation de la Géorgie sera
imminente, proclamez l’indépendance de la Géorgie. […] Les
communistes géorgiens répondirent : « Nous sommes entièrement
d’accord »{1234}.

Ce témoignage de Michel Kavtaradzé est confirmé par un autre


volontaire géorgien, Guivi Gabliani. Selon lui, Asatiani et Tsomaia
« s’étaient rendus dans le Caucase du Nord dans le but d’établir le contact
avec un groupe agissant en Géorgie en vue de coordonner nos actions en
cas de conquête de la Transcaucasie par les Allemands{1235} ». Asatiani,
Tsomaia et Kavtaradzé étaient tous trois mingréliens et Tsomaia était aussi
en relations avec Gueguelia.
Les émigrés n’étaient pas les seuls à vouloir créer une situation du fait
accompli. L’Abwehr était bien décidée à ne pas laisser la Géorgie en
pâture au ministère Rosenberg et misait sur le commandant de la Légion
géorgienne Chalva Maglakélidzé qui se trouvait à Naltchik en décembre
1942. Les hommes de l’amiral Canaris ne cessaient de lui répéter qu’il
fallait à tout prix éviter que les fonctionnaires du ministère Rosenberg ne
prennent pied dans le Caucase. Maglakélidzé devait se dépêcher de
proclamer la monarchie en Géorgie avant que les Allemands n’installent
leur administration d’occupation. Le colonel géorgien décrit dans ses
Mémoires le scénario prévu pour la suite :

Nous devions entrer en Géorgie par le col de Mamison. J’avais


l’intention de faire appel avant tout au catholicos Callistrate et au
président de l’Académie des Sciences Mouskhelichvili. À nous trois
nous aurions représenté le clergé, la science et l’armée ; nous aurions
proclamé à la radio la restauration de l’indépendance de la Géorgie.
[…] Jordania me disait : « Il suffit que tu entres en Géorgie, après tu
pourras nommer roi qui tu veux, même Ahmed Zog »{1236}.

Maglakelidzé ne cachait pas à ses hommes que leur objectif était la


restauration de l’État géorgien indépendant{1237}. Son aide de camp était
un transfuge des rangs bolcheviques, un certain Chota Kourtsikidzé que
beaucoup soupçonnaient d’assurer la liaison avec les communistes
géorgiens. Kourtsikidzé avait gagné la confiance de Maglakélidzé en
révélant un complot prosoviétique au sein du 795e bataillon qu’il
dirigeait{1238}. Maglakélidzé écrit que si les divisions allemandes
n’avaient pas été retirées pour être envoyées à Stalingrad, il aurait pu
libérer la Géorgie sans difficulté : de novembre à décembre 1942, de
nombreux Géorgiens étaient venus le trouver pour le supplier d’intervenir.
Les désertions étaient massives dans les divisions nationales
caucasiennes{1239}.
Les Allemands ne tinrent aucun compte des plans des émigrés géorgiens
et, à partir d’octobre 1942, ils installèrent à Stavropol le Sonderstab
Kaukasus chargé de créer une administration civile pour les territoires
caucasiens occupés par la Wehrmacht{1240}. Le groupe géorgien du
Sonderstab était présidé par le général Spiridon Tchavtchavadzé, chargé en
même temps de l’organisation de la police, et choisi sur recommandation
de Michel Kedia. C’est cette administration civile qu’ils comptaient
installer à Tbilissi après la conquête de la Géorgie par la Wehrmacht,
mais, en janvier 1943, ce groupe fut ramené à Berlin et seul Alexandre
Tsomaïa resta sur place.

Un complot de Beria ?
Au moment où le sort du Caucase et celui de l’offensive allemande ne
semblaient tenir qu’à un fil, les émigrés mingréliens eurent l’idée d’inciter
leur illustre compatriote à Moscou de faire pencher la balance du côté de
l’indépendance géorgienne. Ils y étaient encouragés par les bruits dont
témoigna le transfuge ossète Tokaev :

Les rumeurs de désaccord entre Beria et Staline étaient si persistantes


qu’après la chute de Rostov, nous nous attendions chaque jour à ce
que Beria hisse l’étendard de la révolte dans une ultime tentative de
sauver sa Transcaucasie{1241}.

En 1943, Michel Kedia confia à son compatriote E. Lomtatidzé : « Tant


que Beria se trouve à Moscou nous devons nous appuyer sur lui pour
réaliser nos objectifs. » Lomtatidzé ayant manifesté son étonnement,
Kedia ajouta : « Vous ne savez pas tout. En secret Beria est de notre côté.
Son cœur nous appartient{1242}. »
Les Allemands avaient monté l’opération « Zeppelin », une vaste
entreprise de subversion et de sabotage de l’URSS conçue par
l’Obersturmbannführer SS Heinz Gräfe. L’objectif était de soulever les
peuples allogènes de l’URSS, en particulier les Caucasiens, en donnant à
des prisonniers de guerre un entraînement au sabotage avant de les
renvoyer derrière les lignes ennemies. Elle avait été lancée en mars 1942
par la Section VI du RSHA chargée de l’URSS et, à partir de 1943, elle
était commandée par Erich Hengelhaupt qui collaborait avec la FHO de
Gehlen. En 1950, des anciens de Zeppelin offriront leurs services à Gehlen
en affirmant que le réseau géorgien existait toujours et pouvait être
réactivé{1243}.
En juillet 1942, un groupe d’émigrés géorgiens fut envoyé en Turquie
par le Sonderstab Kaukasus, accompagnés par le SS Weber qui était
l’interlocuteur des Géorgiens de Paris. Parmi ces Géorgiens se trouvaient
Michel Kedia et son bras droit Alexandre Tsomaïa, le parent de Beria
Alexandre Djakeli, qui finançait Kedia. En vain, Kedia voulut convaincre
le SD d’arrêter les parachutages dans le cadre de l’opération « Zeppelin »
et de les remplacer par l’infiltration de petits groupes venus du territoire
turc avec l’aide d’officiers du renseignement turc, Nagy Bey, le chef du
renseignement militaire, et Djelal Bey, le chef du renseignement pour la
Turquie occidentale, avec lequel Kedia avait été mis en contact par
Berichvili{1244}.
Kedia et ses hommes avaient été envoyés à Istanbul pour réaliser une
mission confidentielle : organiser l’assassinat de Staline. Les Allemands
avaient résolu d’utiliser le réseau mingrélien pour cette mission délicate et
Weber voulait en charger Berichvili{1245}. En septembre 1942, un envoyé
du RSHA se rendit à Istanbul pour y rencontrer Alexandre Djakeli et
Berichvili. Celui-ci proposa de se rendre en Géorgie avec une
proclamation de Jordania appelant les Géorgiens à continuer leur
résistance contre le régime soviétique. L’officier du RSHA se convainquit
que les filières d’infiltration à la frontière turco-géorgienne fonctionnaient
toujours{1246}.
Ce fut donc le groupe mingrélien qui fut choisi pour liquider Staline :
les Allemands savaient que seule cette filière mingrélienne leur
permettrait d’accéder au cercle fermé du Kremlin.
Le 23 octobre 1942, Chalva Berichvili se rendit clandestinement en
URSS, mandaté par Kedia qui a raconté à Dallin le but déclaré de cette
mission :

Je lui demandai de proposer à Beria de déclarer l’indépendance de la


Géorgie. Les Allemands seraient les garants de cette indépendance,
ainsi que de la sécurité personnelle de Beria. Je proposai même
d’aller voir Beria moi-même et de me constituer en une sorte d’otage
si les circonstances étaient propices. Nous avions choisi de nous
adresser à Beria car nous savions par les prisonniers de guerre que
Beria était très populaire parmi les patriotes géorgiens{1247}.

Kedia n’a pas tout dit à Dallin. On peut penser que Berichvili devait
trouver Beria pour discuter de l’assassinat de Staline. À son retour il était
prévu qu’il retrouverait en secret Kedia auprès de Walter Birkamp, le chef
de l’Einsatzgruppe D du SD, qui était chargé du maintien de l’ordre à
l’arrière des troupes allemandes dans le Caucase{1248}. Nous savons par
les dépositions de Berichvili qu’il rencontra Rapava et qu’en décembre
1942, il fut envoyé à Moscou{1249}.
La suite est narrée dans ses Mémoires. Il revit Beria, en présence de
Koboulov, Merkoulov et d’un officier qu’il ne connaissait pas. Lors de la
première rencontre, Berichvili rendit compte de ses activités en Turquie et
Beria lui demanda s’il ne manquait de rien. Berichvili déclara qu’il ne
devait pas s’attarder en URSS car on l’attendait à Istanbul. Le lendemain il
fut convoqué par Koboulov qui lui demanda s’il était au courant de leur
intention de « faire de notre Lavrenti Pavlovitch le successeur de Staline ».
« Je répondis que non seulement moi mais toute l’émigration était au
courant depuis que Konstantin{1250} Gueguetchkori avait apporté cette
nouvelle à Paris. […] Il disait que la Colchide avait donné naissance à un
grand homme qui rendrait la Géorgie heureuse. » Berichvili ajouta que
c’était une grande erreur que d’avoir effectué ce sondage à Paris : même
les cercles diplomatiques étaient au courant. Koboulov revint à la charge :
« Mais toi, qu’en penses-tu ? Es-tu favorable à ce projet ? » Berichvili
répondit qu’en bon Géorgien il ne pouvait que le souhaiter mais qu’il
considérait cette entreprise comme trop risquée et susceptible d’entraîner
le malheur du peuple géorgien. Koboulov fut stupéfait de cette réponse à
laquelle il ne s’attendait pas. Berichvili ajouta que le successeur de Staline
devait être russe afin que les Russes ne se sentent pas humiliés et
condamnés à être gouvernés par des Géorgiens. « Tu m’as l’air d’un
patriote russe et non d’un patriote géorgien. […] Et nous qui pensions que
tu rejoindrais nos rangs et que tu nous assisterais dans cette affaire »,
laissa tomber Koboulov. Berichvili répéta que les Russes ne toléreraient
pas un deuxième Géorgien à leur tête. Mais « Koboulov continuait à
insister, disant que la décision était prise{1251} ».
Au début de 1943, après la défaite allemande à Stalingrad, Berichvili
eut pour seul interlocuteur Koboulov qui essaya de le convaincre que le
remplacement de Staline par Beria serait très utile à la Géorgie. S’il
s’associait à cette entreprise, comme le souhaitaient Beria et ses proches,
il aurait à l’avenir une influence considérable et c’était là une occasion à
ne pas manquer. Mais Berichvili ne voulait rien entendre. Après quelques
entrevues de cette sorte, Koboulov convoqua à nouveau Berichvili et lui
demanda au nom de Beria de s’associer à leur dessein : il aurait « une
mission particulièrement importante et sérieuse » à remplir. Puis
Koboulov passa aux menaces : « Si tu n’es pas d’accord, tu n’auras qu’à
t’en prendre à toi-même. Beria ne veut pas ta mort, il apprécie ton énergie
et ton esprit combatif. » Berichvili refusa, disant qu’il ne croyait pas au
succès de l’entreprise. Koboulov rétorqua que, dans ce cas, Berichvili
serait arrêté, mais qu’il changerait d’avis dès qu’il apprendrait quelle
mission lui était réservée. Qui plus est, Berichvili avait tort de croire que
Beria et ses proches n’avaient pas de partisans parmi les Russes :

Il y a dans nos rangs beaucoup de Russes, d’Ukrainiens et d’autres.


Nous ne sommes pas assez bêtes pour lancer un tel projet en nous
reposant sur nos seules forces. Notre entreprise, je te le répète, est
parfaitement réalisable et tu as tort de croire qu’elle ne peut réussir.

Mais Berichvili demeura inflexible.


Quelques jours plus tard, il fut à nouveau convoqué. Cette fois la
rencontre eut lieu dans une voiture. Beria, Merkoulov et Koboulov étaient
présents. Beria lui dit :

– Eh bien Chalva, dois-je comprendre que tu es contre nous ?

– Vous vous trompez, je suis de votre côté. C’est moi qui suis entré en
contact avec vous. Mais je ne veux pas que vous vous lanciez dans
une aventure que je considère comme dangereuse pour vous et la
Géorgie. Quelles qu’en soient les conséquences pour moi, je ne
changerai pas d’avis.

– Dans ce cas nous devrons t’incarcérer, bien à contrecœur car nous


avons besoin de gens résolus comme toi.
Berichvili répéta qu’il voulait combattre le nazisme et rien d’autre.
Beria répondit qu’il ne pouvait désormais que l’arrêter, quoiqu’il ne
souhaitât pas sa perte. Peut-être Berichvili allait-il changer d’avis ?
Berichvili fut incarcéré et mis au secret. Koboulov le convoqua cependant
à intervalle régulier durant toute l’année 1943, le mettant au courant de la
situation militaire, lui demandant s’il n’avait pas changé d’avis. Berichvili
persistant dans son refus, il fut jugé et son affaire instruite par
Vlodzimirski. Il fut condamné à une longue peine de Goulag, puis libéré
en 1961 et il revint en Géorgie où il travailla dans une fabrique de
meubles.
Quelle était la fameuse mission que Berichvili avait refusée ? Il ne le dit
pas dans ses Mémoires. Il semble clair que Beria voulait qu’il servît
d’intermédiaire avec les Allemands et les Occidentaux. Comme en
témoignent les Mémoires de Berichvili et les écrits de Tokaev, Beria
envisageait à ce moment d’assassiner Staline. Peut-être voulait-il
s’entendre avec les hommes de l’Abwehr qui préparaient l’assassinat de
Hitler. Une opération conjointe en URSS et en Allemagne aurait permis de
mettre fin à la guerre. Beria avait besoin d’un émissaire confidentiel
auprès de l’Abwehr et Berichvili, bien introduit dans les milieux
allemands à Istanbul, convenait parfaitement pour cette mission. Mais
Berichvili s’étant dérobé, Beria n’osa pas passer à l’action.
Kedia, pour sa part, revint à Berlin à l’automne 1942, accompagné de
Nina Kikodzé, laissée par Beria à Piatigorsk où elle était entrée en contact
avec Tsomaïa{1252}. Kedia eut l’idée de l’envoyer comme émissaire à
Beria pour lui proposer le même marché que Berichvili : déclarer
l’indépendance de la Géorgie en échange de la reddition des unités
caucasiennes soviétiques à la Wehrmacht{1253}. Elle accepta, mais le
retrait des troupes allemandes empêcha la réalisation de cette
mission{1254}.

La tentative de sondage de Mgueladzé.


Après le refus de Berichvili de servir d’intermédiaire avec les
Allemands, Beria fit nommer Akaki Mgueladzé secrétaire du Parti en
Abkhazie en février 1943, avec la mission officielle d’augmenter la
production de tabac pour l’Armée rouge{1255}, en réalité parce que
c’était à l’époque son homme de confiance et qu’il voulait lui confier une
mission délicate. On peut penser que c’est en liaison avec ces tractations
secrètes qu’en mars 1943, Beria fit un court voyage dans le Caucase,
accompagné de Chtemenko, et séjourna une dizaine de jours dans la région
de Krasnodar{1256}. Sur ces entrefaites Mgueladzé envoya en secret en
Allemagne un émissaire, un certain Gorgochidzé. Les communistes
géorgiens voulaient savoir si la « continuation de la collaboration » avec
l’Allemagne était encore souhaitable, si le centre national géorgien en
Europe avait des contacts avec l’Angleterre ; s’il n’était pas opportun, en
cas de réponse négative, de nouer des relations avec ce pays. Par ailleurs
ils cherchaient à obtenir des garanties que la Géorgie ne connaîtrait pas le
sort de l’Ukraine ou de la Pologne en cas de conquête allemande :
Gorgochidzé laissait entendre que le Centre géorgien pouvait diffuser un
tract pour dissiper ces inquiétudes, qu’il était en contact avec des groupes
de sabotage en Géorgie qui pouvaient cependant être des provocateurs,
mais qu’il était en mesure de tirer cela au clair car il avait des relations
avec l’opposition à Tiflis{1257}. Le transfuge informait ses interlocuteurs
qu’au moment de la percée allemande dans le Caucase, une organisation
appelée « Parti national socialiste du Caucase » s’était formée. À l’en
croire, ses dirigeants étaient des responsables haut placés du Parti
communiste et de l’État des républiques transcaucasiennes et nord-
caucasiennes. Cette organisation avait sous ses ordres des unités de
partisans et s’apprêtait à renverser le régime soviétique au moment de
l’offensive allemande. La défaite de la Wehrmacht à Stalingrad et le reflux
des troupes allemandes avaient fait capoter ce plan. Gorgochidzé avait été
chargé par Mgueladzé de faire défection et d’informer les Allemands de
l’existence de cette organisation afin qu’une action concertée contre
l’ennemi bolchevique soit mise en œuvre.
À nouveau les Allemands ne manifestèrent pas d’intérêt pour ces
sondages. Gorgochidzé fut incarcéré dans un camp de prisonniers dont il
fut tiré par le Comité géorgien. Il informa Michel Kedia de l’existence du
Parti nationaliste caucasien, le pressant de nouer des relations avec cette
organisation secrète. Visiblement Beria aurait souhaité un contact direct
avec son compatriote mingrélien.
Les émigrés avaient les mêmes préoccupations que les communistes
géorgiens : à l’été 1943, sous prétexte de rendre visite à ses amis sociaux-
démocrates en Suède, E. Gueguetchkori, accompagné de Sandro
Menagarichvili, alla à Berlin où il rencontra Schulenburg. Les mencheviks
géorgiens voulaient obtenir l’assurance qu’en cas de défaite de l’URSS, le
Reich autoriserait la restauration d’une Géorgie indépendante.
Schulenburg promit de faire son possible en ce sens.

Les tentatives pour que le Reich mène une Ostpolitikplus


intelligente.
Sans doute encouragés par leurs protecteurs de l’Abwehr fort inquiets
des effets désastreux de la politique de Hitler sur le front est, les
Géorgiens multiplièrent les démarches pour amener les dirigeants du
Reich à changer d’attitude à l’égard des peuples de l’URSS. Dès 1941-
1942, Berichvili rédigea plusieurs notes où il se disait convaincu que les
Allemands perdraient la guerre s’ils poursuivaient la politique menée en
Pologne et en France. À ses yeux, Hitler ne pouvait gagner s’il humiliait
les peuples d’Europe au lieu de s’assurer leur appui. Le traitement des
prisonniers de guerre soviétiques était une autre erreur, écrivait Berichvili.
Les Allemands auraient dû créer un gouvernement russe et un
gouvernement ukrainien, organiser des unités nationales recrutées parmi
les prisonniers de guerre soviétiques et les autoriser à combattre les
Soviets. Berichvili diffusa ces notes auprès des Turcs et des Allemands
d’Istanbul. À l’en croire, l’ambassadeur du Reich von Papen fit savoir que
ces vues devaient être prises en compte{1258}.
Au début de 1943, Eugène Gueguetchkori se rendit à Berlin afin de
convaincre les Allemands d’accorder l’indépendance à l’Ukraine et aux
États baltes. Il avait l’espoir de rencontrer Ribbentrop et Rosenberg mais
ses attentes furent déçues. Kedia lui arrangea alors un voyage chez
Mannerheim, dont il rapporta une lettre à Hitler recommandant à celui-ci
de proclamer l’indépendance des Ukrainiens et des Baltes{1259}. À son
retour, Gueguetchkori confia ses impressions :
L’Allemagne perdra sûrement la guerre, il est impossible de compter
sur elle. La situation actuelle à Berlin rappelle celle de la cour de
Russie à l’époque de Raspoutine : un fou gouverne (ou plus
exactement ne gouverne pas et personne ne le fait à sa place)… Le
plus grand connaisseur des choses russes, mon vieil et excellent ami
le comte von Schulenburg, n’a absolument rien à dire et il ne peut que
se désespérer. Un homme politique sérieux ne peut travailler avec les
nazis, seul un agent peut le faire{1260}.

En mai 1943, deux émigrés géorgiens proches de Michel Kedia, Victor


Nosadzé et David Vachadzé, firent parvenir un mémorandum à Himmler
énumérant les erreurs commises par l’Allemagne à l’égard des peuples de
l’URSS. Ce mémorandum se terminait par une description de la situation
en Géorgie :

Il existe en Géorgie deux organisations clandestines ayant un


important réseau, qui sont indépendantes l’une de l’autre. Toutes deux
ont des adhérents parmi les communistes. L’une est pro-allemande.
La seconde est prête dès aujourd’hui à proclamer l’indépendance de
la Géorgie et à inviter les Britanniques en Géorgie pour défendre
l’État géorgien. Cette deuxième organisation semble plus puissante
car de nombreux communistes bien placés en font partie{1261}.

Avec un indéniable manque de réalisme, les Géorgiens croyaient


pouvoir mettre en concurrence les Britanniques et les Allemands pour le
Caucase : illusions partagées par les émigrés et les hommes de Beria.

Les opérations Mainz I et Mainz II.


Le croisement des sources allemandes et des sources géorgiennes est
très éclairant dans le cas de l’opération « Mainz I » que les Allemands
considéraient comme la plus grande réussite de leurs services de
renseignements en URSS. En 1942, Kedia avait réussi à gagner le RSHA à
ses projets d’infiltration de la Géorgie par la Turquie{1262}. Il se rendit à
nouveau à Istanbul en décembre 1942 puis en février-mars 1943.
Menagarichvili prit la tête de la base d’opérations à Istanbul en mars
1943 ; l’envoyé du RSHA – Duplitzer d’après les sources soviétiques – le
rejoignit en juin. Kedia avait conclu un accord avec les responsables des
services spéciaux turcs Djelal et Nagy-Bey, ce qui permit à Menagarichvili
de créer près d’Erzerum un camp où furent rassemblés les déserteurs
soviétiques qui subissaient des interrogatoires permettant de compléter les
autres sources de renseignements{1263}. Kedia et Menagarichvili
s’assurèrent aussi le concours de David Erkomaichvili qui exerçait depuis
des années la fonction de courrier entre les émigrés et la Géorgie. Par la
suite, les Allemands estimèrent que le réseau Menagarichvili fut le plus
fécond de tous ceux qu’ils tentèrent de mettre en place en URSS : « Depuis
que Menagarichvili avait repris ses activités [en Turquie] fin 1942, vingt
rapports exceptionnels parvinrent à Berlin. […] Ces rapports étaient si
excellents qu’ils furent transmis tels quels en haut lieu{1264}. » Les
informations obtenues étaient obligeamment passées aux Anglais par
Menagarichvili, ce qui explique pourquoi Beria continua si longtemps
cette opération : il comptait intéresser les Occidentaux à ses
réseaux{1265}.
Leo Pataridzé et D. Erkomaichvili franchirent la frontière le
19 septembre 1942 et s’installèrent en Adjarie. Menagarichvili avait
chargé Pataridzé de créer une organisation clandestine centralisée dans
toute la Géorgie, d’y instaurer une discipline de fer afin d’éviter des
actions prématurées des partisans et « d’utiliser les forces armées dans nos
intérêts nationaux ». En outre, il devait transmettre un nouvel appel de
Jordania à la résistance géorgienne. Les deux hommes restèrent en Adjarie
pendant plusieurs mois. Erkomaichvili revint en Turquie le 4 juillet 1943,
mais Pataridzé fut arrêté le 10 septembre 1943{1266} alors qu’il tentait de
repasser la frontière de Géorgie en Turquie{1267}. Il est clair que
Pataridzé, comme Chalva Berichvili, fut « retourné » par le NKVD après
son arrestation, ce qui explique sa libération rapide. L’opération « Mainz
I » fut donc infiltrée dès le début, mais les Allemands ne s’en doutèrent
jamais et continuèrent d’envoyer des émissaires à Pataridzé après son
arrestation. Le contenu des renseignements ainsi rassemblés n’en est que
plus intéressant car il révèle ce que Beria voulait transmettre en
Allemagne et à l’étranger. En effet, du point de vue militaire cette
opération n’avait pas grand intérêt pour le côté soviétique. En revanche ce
« jeu radio » offrait à Beria une occasion rare de faire passer un message à
l’extérieur.
Selon les sources allemandes, la récolte de renseignements fut jugée si
bonne qu’Erkomaichvili décida de rentrer seul en Turquie, les liaisons
radio ne permettant que de brefs communiqués. À la mi-novembre, il fut
de retour à Istanbul et rédigea un rapport où il détailla les forces
soviétiques stationnées en Adjarie et à Batoum, décrivit l’état d’esprit et la
situation matérielle de la population géorgienne, et fournit des
informations sur l’implantation et l’organisation de la résistance
clandestine géorgienne. Ce dernier point était particulièrement important
car il convainquit les Allemands de l’existence réelle d’un mouvement de
résistance en Géorgie, alors que nombreux étaient ceux qui l’avaient mise
en doute.
Durant l’hiver, Erkomaichvili prépara un deuxième groupe d’émigrés
qui devaient être infiltrés au printemps 1944. En février-mars, il repartit
en éclaireur en Adjarie et il rapporta de ses passeurs géorgiens une
nouvelle moisson de renseignements sur l’opposition en Géorgie,
présentée comme divisée en deux groupes : un réseau d’anciens
mencheviks organisé en cellules de trois personnes selon les règles de
conspiration strictes, et un mouvement de jeunesse nationaliste qui
bénéficiait d’appuis dans les organisations du Parti et de l’État. En mai
1944, Erkomaichvili et le deuxième groupe retrouvèrent Pataridzé et son
compagnon en Adjarie. Début juin 1944, Erkomaichvili revint en Turquie.
Il raconta que Pataridzé avait pu nouer des contacts avec d’importants
groupes de la résistance. Il avait contacté le médecin Khetchinachvili qui
lui avait fourni la plus grande partie des renseignements obtenus par le
groupe et qui sera la principale source des services allemands dans la
région. C’est Berichvili qui avait désigné aux hommes de « Mainz I » ce
Khetchinachvili, soi-disant bien introduit dans le milieu des dirigeants
communistes géorgiens. Pataridzé transmit des informations sur toute la
région du Caucase, tout en se targuant d’avoir ses informateurs à Moscou ;
la qualité des renseignements rapportés semblait indiquer qu’ils
remontaient jusqu’à Chalva Tsereteli{1268}.
Le rapport qu’Erkomaichvili rédigea à son retour fut l’un des plus
complets et des plus détaillés qu’aient obtenu les services spéciaux
allemands sur la situation économique, politique et militaire de l’Union
soviétique. Il contenait des informations sur les relations entre la
résistance clandestine de Géorgie et les groupes résistants des autres
peuples de l’URSS, les noms des dirigeants du Parti et de l’État bien
disposés à l’égard de l’opposition ; une description des méthodes de la
propagande soviétique, notamment de l’utilisation du sentiment national
et religieux des peuples de l’URSS ; des détails sur le conflit opposant
Beria à Staline à propos de la question du nationalisme, celui-ci étant pour
Staline un moyen et pour Beria une fin. Le rapport indiquait que l’URSS
pouvait pencher vers une paix séparée si les Alliés n’ouvraient pas le
second front. Von Mende fut en particulier intéressé par l’évocation des
liens entre l’opposition et les dirigeants communistes, liens déjà
mentionnés par les prisonniers de guerre en 1942-1943 ; à son avis, la
Géorgie était la région de l’Empire soviétique que l’Allemagne aurait pu
détacher avec le plus de facilité.
Fin mai-début juin 1944, les Allemands parachutèrent en Géorgie cinq
groupes de trois hommes. Le groupe parachuté près de Tbilissi resta en
liaison radio avec le commandement de l’opération « Zeppelin » jusqu’à la
fin de l’automne et affirma être en contact avec la résistance clandestine.
Les Allemands furent ainsi informés dans le détail des mesures de
représailles adoptées par le régime soviétique contre les peuples
caucasiens après le retrait de la Wehrmacht, y compris de la déportation
des Montagnards{1269}. Le groupe parachuté en Adjarie resta en liaison
radio jusqu’en mars 1945. Cependant la récolte en renseignements de ces
groupes fut considérée comme beaucoup moins riche que celle des
groupes « Mainz II{1270} ». Lorsque Kankava (alias Gregor), le survivant
de « Tamara I », refit surface à Istanbul en 1948, il affirma avoir rencontré
des membres du groupe{1271}.
Au total, les renseignements récoltés par les allogènes soviétiques
infiltrés en URSS furent si appréciés que, le 24 février 1945, Gehlen
écrivit à Schellenberg pour lui recommander d’éviter d’imposer les
« conceptions purement nationales du mouvement Vlassov » afin de
ménager la « possibilité d’utiliser en grand nombre des agents non
russes{1272} ».
Nous pouvons donc conclure à partir des éléments dont nous disposons
que, dès son arrivée sur le front du Caucase, Beria s’arrangea pour
dessaisir l’Armée rouge du commandement des opérations. Il confia la
tâche la plus importante, la défense des cols, aux forces du NKVD sous le
commandement de son homme de confiance, Chalva Tsereteli, qui avait
des contacts anciens avec l’Allemagne. Il nomma des Géorgiens à tous les
postes stratégiques et refusa de dégarnir la frontière turque même au plus
fort de l’avance allemande, pour éviter le scénario de 1917-1918. En
même temps, il organisa un simulacre de gouvernement de collaboration,
tout en cherchant à négocier avec Berlin pour le retour éventuel du
gouvernement menchevique de Paris. Enfin ses vassaux en Géorgie
s’entendirent avec les émigrés géorgiens pour organiser un coup d’État au
moment de l’avance allemande dans la république. En même temps, un
autre groupe se préparait à accueillir les Britanniques, en s’appuyant aussi
sur les émigrés. Toutes les mesures prises par Beria s’expliquent par un
seul souci : celui d’être capable de contrôler la situation quelle que soit
l’évolution des opérations militaires et de protéger la Géorgie des
vicissitudes de la guerre.
Ce tableau du dispositif complexe imaginé par Beria ne serait pas
complet si l’on ne mentionnait le rôle que devait tenir l’armée polonaise
d’Anders formée sous l’aile du NKVD. Beria, influencé par le souvenir
des événements de 1918, prévoyait le reflux de la Wehrmacht et la
libération de la Transcaucasie par les Anglo-Saxons. Il espérait sans doute
que la Géorgie serait occupée par l’armée d’Anders, dans laquelle se
trouvaient des officiers géorgiens de l’émigration. Au sein de cette armée,
nombreux étaient d’ailleurs les officiers qui, dès l’automne 1941,
envisageaient de livrer la guerre aux Soviétiques en s’alliant aux allogènes
de l’empire insurgés{1273}. Ceci explique pourquoi Beria favorisa
l’évacuation des forces d’Anders par l’Iran à l’été 1942. Détail
caractéristique, durant son procès, Beria fut accusé d’avoir facilité
l’avance de la Wehrmacht dans le Caucase pour ouvrir ce dernier aux
Anglo-Américains (et non par germanophilie). Sa rencontre, à l’été 1942,
avec un officier britannique marié à une Géorgienne, parut fort
suspecte{1274}.

La déportation des peuples montagnards.


Si Beria parvint, dans les rapports du NKVD à Staline, à minimiser les
cas de collaboration pour les Caucasiens du Sud qui n’avaient pas été
occupés par la Wehrmacht, il n’en fut pas de même pour les peuples
montagnards. La question de la déportation des Tchétchènes et des
Ingouches fut discutée au Politburo le 11 février 1944. Ceux qui étaient
d’avis de procéder immédiatement à cette opération – Molotov, Jdanov et
Voznessenski – s’opposaient à ceux qui estimaient que mieux valait
attendre la fin de la guerre – Beria, Khrouchtchev et Kaganovitch. Staline
fit pencher la balance en faveur des premiers. Le 20 février, Beria se rendit
en personne à Grozny pour organiser cette opération, à la tête d’une armée
du NKVD de 120 000 hommes. 608 749 Tchétchènes, Ingouches,
Karatchaïs et Balkares furent déportés du Caucase en Asie Centrale où rien
n’était prévu pour leur accueil. Leur sort fut tragique. Au 1er octobre
1948, 146 892 étaient morts. Les hommes de Beria ne s’embarrassaient
pas de considérations humanitaires. M. Gvichiani ordonna de brûler vifs
dans une grange quelques centaines de villageois tchétchènes car ils
n’étaient pas « transportables ». Cela ne l’empêcha pas d’être décoré –
tout comme les autres exécutants de cette opération.
Dans l’affaire de la déportation des peuples montagnards, la décision fut
prise par Staline, et Beria joua son rôle habituel d’exécutant efficace. Dans
un télégramme rédigé sur place, daté du 24 février 1944, Beria suggéra de
déporter dans la foulée le peuple balkare en profitant de la présence des
troupes du NKVD, sans attendre que les arbres se recouvrent de feuilles,
facilitant la guérilla. Il en profita pour agrandir la Géorgie à laquelle fut
attribuée la région sud-ouest du district de l’Elbrouz. Toutefois, en
s’assurant l’appui de Malenkov, il parvint à dissuader Staline de déporter
les peuples du Daguestan – en effet Staline voulait partager cette
république entre la Russie et l’Azerbaïdjan. Précisons qu’en juin 1953,
quelques jours avant sa chute, Beria préparait une résolution autorisant les
peuples déportés à revenir sur leurs terres.
12

Le NKVD pendant la guerre


Nous continuerons ici à nous borner à aborder les aspects de l’activité
de Beria dans lesquels il a pu faire preuve d’initiative. C’est pourquoi les
occupations « habituelles » du NKVD – répressions, déportations, Goulag
–, qui ont fait l’objet de nombreuses études exhaustives, ne sont évoquées
que dans la mesure où elles permettent de préciser le portrait politique de
Beria.

L’arrestation de l’Orchestre rouge.


Lorsque la guerre éclata, rien n’était prêt pour assurer la liaison avec
les antifascistes allemands. C’est seulement le 12 avril 1941 que le Centre
annonça son intention de créer une liaison radio entre les principaux
agents de l’Orchestre rouge et Moscou{1275}. Le 23 juin, le lendemain de
l’attaque allemande, Korotkov reçut l’ordre de s’assurer que Harnack
pouvait communiquer avec Moscou et que les chiffres avaient été détruits.
Qu’on imagine les circonstances : l’ambassade soviétique était encerclée
par la Gestapo. Comment le résident pouvait-il rencontrer ses contacts à
Berlin sans leur faire courir un risque énorme ? Il s’acquitta cependant de
cette mission en soudoyant un policier. L’ordre de Moscou n’en reste pas
moins incompréhensible pour les historiens du renseignement{1276}. Ce
n’est pas tout. Le Centre n’avait pas communiqué à Harnack la longueur
d’onde sur laquelle il émettait : autrement dit l’Orchestre rouge ne pouvait
recevoir d’instructions de Moscou ! Du reste cela s’avéra peu important :
des deux émetteurs que Korotkov remit à Hans Coppi, le radio de
l’Orchestre rouge, l’un fonctionnant à piles était trop faible et l’autre
grilla lors de son branchement{1277}. En outre, les radios ne pouvaient
émettre qu’à une distance de mille kilomètres et Moscou n’avait pas prévu
la rapidité de l’avance allemande sur le territoire soviétique. En France,
Léopold Trepper, qui dirigeait un réseau du GRU, n’était pas mieux placé :
malgré ses demandes répétées, le Centre ne lui avait pas envoyé
d’équipement radio et il n’avait pas le moyen de communiquer avec
Moscou{1278}.
La rupture des transmissions incita le Centre à décloisonner les réseaux.
Le réseau Efremov en Belgique fut mis en contact avec le réseau Trepper
et Anatoli Gourevitch, le résident du GRU à Bruxelles. Le 30 juin 1941,
Moscou ordonna à Trepper de se mettre en contact avec Harry Robinson,
le chef d’un réseau tentaculaire du GRU en Europe, en lui envoyant le
nom, l’adresse et la description du personnage. Le 11 septembre 1941, le
GRU et le NKVD reçurent l’ordre de collaborer. Le 10 octobre 1941, le
Centre ordonna à Gourevitch de se rendre à Berlin et en Suisse pour tenter
de restaurer la liaison avec les groupes allemands, en détaillant les noms,
les adresses et les contacts des uns et des autres{1279}. Gourevitch
séjourna à Berlin du 26 octobre au 5 novembre, y rencontra Harnack et
Schulze-Boytzen, mais ne leur transmit pas les nouveaux chiffres envoyés
par Moscou{1280}. Il collecta les renseignements des différents réseaux
dont les émetteurs étaient en panne ; rentré à Bruxelles, il se mit à émettre
des heures durant, ce qui permit à la Gestapo de le repérer. Le
13 décembre, celle-ci s’empara de tout son groupe et comme les
opérateurs radio n’avaient pas pris la précaution de détruire les messages
chiffrés envoyés, l’Abwehr mit la main sur ces textes et sur les codes. Elle
déchiffra, à partir de juillet 1942, le message envoyé le 28 août 1941 par le
Centre au résident de Belgique, dans lequel étaient détaillés les noms et
les adresses des membres de l’Orchestre rouge de Berlin ! La négligence
de Moscou conduisit à l’arrestation de ces agents en août et septembre
1942. Notons que le réseau Sorge fut capturé par les Japonais en octobre
1941 pour des raisons identiques, parce que le Centre avait décidé de le
mettre en contact direct avec la résidence soviétique de Tokyo, alors que
jusque-là les contacts passaient par Shanghai{1281}.
« Le Centre avait accumulé un si grand nombre d’erreurs durant l’année
1942 que parfois je me demandais si quelque esprit malin, ou bien plus
simplement un agent de l’ennemi, ne s’était pas introduit à la Direction »,
écrit Trepper{1282}. Et, de fait, les bévues du Centre continuaient à
s’accumuler. Le diplomate Rudolf von Scheliha, agent du GRU depuis
1937, fut capturé car l’homme parachuté par Moscou pour rétablir la
liaison avec lui portait sur lui une photocopie des papiers signés de la
main de Scheliha attestant les sommes reçues du GRU{1283}. En octobre
1942, l’opérateur radio de l’Orchestre rouge, Beck, fut capturé et les
Allemands l’utilisèrent pour un « jeu radio ». Il transmit à ses contrôleurs
soviétiques le signal convenu pour signifier qu’il agissait sous contrôle de
la Gestapo, mais le signal ne fut pas repéré par le Centre qui livra le nom
et les coordonnées de Willy Lehmann, l’agent soviétique au sein de la
Gestapo{1284}.
Les messages convenus envoyés par les agents capturés pour signifier
qu’ils se trouvaient aux mains des Allemands furent d’ailleurs
systématiquement ignorés à Moscou. Ce fut le cas pour K. L. Efremov,
chef d’un réseau du GRU en Belgique, pour H. Robinson, pour Robert
Bart, le communiste allemand parachuté en Allemagne en août
1942{1285}, et pour Gourevitch lui-même. Efremov se fit même rabrouer
par le Centre pour avoir signalé l’arrestation d’un agent : « Nous
considérons que votre information de juillet [1942] sur la situation de
Herman [le communiste Johann Wenzel, l’opérateur radio d’Efremov]
n’est pas sérieuse, et donc nous la jugeons nocive{1286}. » La capture de
Gourevitch, Wenzel et Trepper et leur retournement permirent à l’Abwehr
d’organiser des « jeux radio » avec Moscou. Ces opérations livrèrent aux
Allemands nombre de chefs communistes de la Résistance, tels Voldemar
Ozols, un ancien des Brigades internationales qui dirigeait un réseau en
France, rencontré par Gourevitch sur un ordre de Moscou du 14 mars 1943
transmis par Trepper ; Gourevitch lui demanda de se mettre en contact
avec Paul Legendre, le chef du réseau Mithridate, ce qui permit à la
Gestapo de prendre le contrôle de ce groupe{1287}. La Gestapo
poursuivait toutefois des objectifs plus ambitieux : elle espérait, par ces
« jeux radio », faire éclater la coalition antihitlérienne et réaliser son
objectif de paix séparée.
En janvier 1945, les rescapés de l’Orchestre rouge – Wenzel, Trepper,
Rado et Gourevitch – furent amenés à Moscou et, à peine descendus de
l’avion, ils furent acheminés à la Loubianka :

Il fallait nous éliminer pour que nous ne puissions pas témoigner sur
l’incompétence de nos supérieurs, Beria en tête, qui n’avaient pas cru
à l’invasion allemande malgré tous les renseignements recueillis par
nos réseaux{1288}.

En effet, Trepper et Gourevitch avaient de manière imprudente laissé


entendre qu’ils allaient demander des comptes au Centre sur la manière
dont leurs réseaux avaient été détruits et dont leur information avait été
ignorée en haut lieu.
Selon ses dires, Trepper fut interrogé par Abakoumov qui lui aurait
déclaré :

Nous n’avons pas, hélas, les moyens du roi d’Angleterre qui reçoit les
agents secrets, les élève au rang de lords et les gratifie de
magnifiques propriétés. Nous sommes pauvres, nous, vous le savez,
et nous ne donnons que ce que nous avons… Ce que nous avons, eh
bien, ce sont les prisons… La prison, ce n’est pas si mal, vous ne
trouvez pas{1289} ?

Il semble plus vraisemblable que cette phrase ait été prononcée par
Beria. La comparaison avec l’Angleterre, le cynisme des remarques –
« vous rendez-vous compte à quel danger vous seriez exposé si vous étiez
en liberté » – sont dans le style de Beria bien plus que d’Abakoumov qui
ne brillait pas par ce genre d’humour. Trepper évoque par ailleurs
l’« accent méridional » du personnage ; or Abakoumov était moscovite.
Reste à se demander pourquoi Trepper ne mentionne pas Beria.
Les circonstances qui entraînèrent la capture par la Gestapo d’une
grande partie de l’Orchestre rouge sont donc pour le moins troublantes.
Léopold Trepper, le résident du GRU en Belgique, se posait d’ailleurs déjà
des questions en 1940 : « Je reçus des directives qui n’avaient rien à voir
avec la construction de l’Orchestre rouge et compromettaient même son
existence et ses objectifs{1290}. » Les mésaventures des agents
appartenant aux réseaux de l’Orchestre rouge contrastent avec le sort des
agents des réseaux personnels de Beria, comme le prince Janus Radziwill,
Olga Tchekhova ou encore Gueguelia dont il sera question plus loin.
Comment les communications avec Moscou furent-elles maintenues
pendant la guerre avec ces réseaux alors que pour l’Orchestre rouge les
émetteurs tombèrent en panne les uns après les autres, entraînant
l’arrestation des fleurons du renseignement soviétique en Allemagne ?
Aucun historien russe ne semble pouvoir répondre à ces questions{1291}.
Le cas d’Olga Tchekhova est fort instructif. Trois opérateurs radio
transmettaient ses messages, mais ils ne l’avaient jamais vue et lorsque
l’un d’eux se fit prendre par la Gestapo, il ne put nommer celle dont il
communiquait l’information. Les deux autres continuèrent à émettre
jusqu’au printemps 1945{1292}.
Le NKVD ne sut pas recueillir de renseignements vitaux en Allemagne
pendant les années cruciales de la guerre. Il fut obligé de s’informer sur le
Reich à travers des pays tiers. En outre, il fut à l’origine d’une autre erreur
potentiellement catastrophique du commandement soviétique. En janvier
1942, il se procura une note du renseignement militaire français affirmant
que, si les Soviétiques poursuivaient leur avance après le 15 janvier 1942,
les Allemands seraient obligés de renoncer à leur offensive de printemps.
C’est en se fondant sur ce document et sur les dernières informations
transmises par l’Orchestre rouge, selon lesquelles les réserves allemandes
en carburant et en munitions étaient quasi épuisées, que Staline ordonna au
commandement de l’Armée rouge de préparer la vaste offensive contre la
Wehrmacht sur tous les fronts, qui tourna à la débâcle au printemps
1942{1293}.

La préparation de gouvernements de collaboration et


« Max ».
Au début de la guerre, les Soviétiques s’imaginèrent que les Allemands
allaient former des gouvernements de collaboration sur les territoires de
l’URSS occupés, et le NKVD fut chargé de préparer des interlocuteurs au
commandement allemand. À Moscou, il forma une organisation
prétendument clandestine et pro-allemande, le « Trône », où entraient
quelques rescapés décrépits des Russes blancs, vivotant sous l’œil vigilant
du NKVD dans les cellules poussiéreuses du monastère Novodevitchi –
d’où le nom de l’opération : « Monastère ». Il y avait là le vieux poète cul-
de-jatte Boris Sadovski dont l’épouse organisait des séances de spiritisme
et lisait les cartes aux dames du Politburo ; Glebov, l’ancien président de
l’Assemblée de la noblesse de Nijni Novgorod ; divers artistes ayant fait
des études en Allemagne et surtout Alexandre Demianov, recruté par le
NKVD en 1932, dont le père était officier de l’armée du tsar et dont le
beau-père, le professeur Boris Berezantsov, était un médecin de renom
attaché au dispensaire du Kremlin{1294}.
Des gouvernements de cette sorte ou des réseaux de résistants,
constitués d’intellectuels et d’artistes, furent prévus dans toutes les
régions menacées d’occupation allemande. On estimait que les Allemands
prendraient en considération des intellectuels et que ceux-ci bénéficiaient
de la confiance du peuple. Ces opérations étaient menées dans un secret
absolu, pour le plus grand péril de ceux qui étaient forcés d’y participer.
Ainsi 32 savants léningradois, accusés d’avoir organisé un Comité de salut
public, furent jugés fin 1941-début 1942 et cinq d’entre eux furent
exécutés, alors que le Comité avait été créé sur ordre du NKVD{1295}.
Lorsqu’il devint clair que les Allemands n’avaient pas l’intention de
former de gouvernement d’occupation, Demianov devint un agent double.
Parachuté par le NKVD derrière les lignes allemandes en février 1942, et
après une période de probation, il fut recruté par l’Abwehr sous le nom de
« Max ». Il fut à son tour parachuté par les Allemands en territoire
soviétique et commença à transmettre à l’Abwehr les informations
préparées par le GRU et le NKVD à partir d’avril 1942. Beria avait
informé Staline que le NKVD avait mis la main sur douze émetteurs radio
de l’ennemi, ce qui pouvait permettre d’établir un lien radio avec Varsovie
et des villes soviétiques occupées. Il avait obtenu l’autorisation de confier
au général Bodine, chef de la direction opérationnelle de l’état-major, et à
Panfilov, chef du GRU, la tâche d’élaborer les renseignements militaires
destinés à désinformer le commandement de la Wehrmacht{1296}.
L’amiral Canaris était si satisfait des renseignements obtenus qu’il
décerna la croix de bronze à Demianov en décembre 1942 et put se
prévaloir de cet agent devant son rival Schellenberg{1297}. Beria et
Merkoulov attachaient beaucoup d’importance à cette opération :
Soudoplatov leur faisait personnellement ses rapports sur Demianov. En
octobre 1942, le NKVD retourna deux courriers de l’Abwehr qui
commencèrent également à émettre du territoire soviétique. L’ambition
déclarée de Beria était d’infiltrer par ce réseau un officier du NKVD dans
les « organes de renseignement centraux de l’adversaire{1298} ».
Le réseau Klatt de l’Abwehr fut le grand bénéficiaire des « jeux radio ».
Klatt, alias Richard Kauder, était un Juif viennois qui opérait au début de
manière semi-indépendante. En 1941, il se mit au service de l’Abwehr à
Budapest et devint l’un des principaux agents de Rudolf von Marogna-
Redwitz, le chef de l’Abwehr à Vienne, qui était chargé de l’espionnage en
URSS. Klatt s’installa à Sofia où il reçut des messages de « Max », ce
pseudonyme ne désignant pas Demianov, mais la zone géographique
couverte par l’information concernée, à savoir l’URSS. Ces messages
commencèrent à être interceptés par les Britanniques à partir de décembre
1941. « Max » envoyait des rapports sur les régions allant de Leningrad à
Batoumi, d’Irak et d’Iran, et de Kouibychev. Les câbles de « Max » furent
pris très au sérieux par le commandement allemand qui estimait que les
renseignements de Klatt étaient de tout premier ordre, parfois
sensationnels. Guderian les consultait avant chaque décision et la rumeur
circulait que la source de Klatt – qui était grassement payé par l’Abwehr –
était le médecin de Staline. À partir de l’automne 1943, Klatt s’établit à
Budapest.
Les Britanniques firent une longue enquête sur ce personnage avant de
s’apercevoir qu’une grande partie de l’information obtenue par son réseau
était authentique et que les messages radio avaient permis à la Wehrmacht
de causer de lourdes pertes aux Soviétiques. Après avoir écarté
l’hypothèse de la présence à Sofia d’une unité cryptographique, ils
estimèrent dans un premier temps que Klatt devait être manipulé par
Moscou, mais ils auraient souhaité que les Soviétiques leur confirment
que ce réseau était sous leur contrôle. En juin 1943, ils arrivèrent à la
conclusion que ce n’était pas le cas. Toute cette enquête fut rapportée à
Moscou par Kim Philby et, en octobre 1943, les Britanniques transmirent
aux Soviétiques un dossier sur ce réseau{1299}.
Klatt fut également soupçonné par le chef de l’Abwehr à Sofia d’être un
agent double, mais Canaris intervint pour qu’on le laissât tranquille. Fin
1944, Schellenberg décida de tirer au clair cette affaire et lança une
enquête approfondie. Un groupe d’officiers de l’Abwehr se disaient
convaincus que Klatt était un agent soviétique chargé de désinformer les
Allemands ; mais un autre groupe le défendait. En février 1945, Klatt fut
arrêté par la SS qui l’interrogea longuement sur ses sources. En
l’occurrence, il était aussi soupçonné d’être un agent double travaillant
pour les Britanniques. L’enquête lava Klatt de tout soupçon de double jeu,
révélant seulement qu’il spéculait sur l’or et les pierres précieuses. Klatt
déclara qu’il avait une source à Istanbul, une source à Ankara, et que sa
troisième source était un certain Lang (alias Ira Longin) qui était informé
sur l’URSS par les réseaux du général blanc Anton Turkul. L’officier SS
chargé de l’enquête conclut que Klatt était une sorte d’affairiste du
renseignement, mais non un agent double{1300}.
Schellenberg décida alors de consulter Guderian qui lui dit que mettre
fin à cette source serait un acte d’irresponsabilité criminelle et que les
Allemands n’avaient aucun agent d’une valeur comparable. Ses
informations, notamment concernant l’aviation soviétique, avaient été
inestimables{1301}. Ainsi, le 8 avril 1943, « Max » avait prévenu que les
Russes allaient avancer sur Novorossisk et la péninsule de Taman. Notons
que c’est en avril 1943 que Beria avait demandé que soit créé au sein de
l’état-major une section de désinformation comprenant des officiers
capables de fournir une désinformation « pointue » et crédible pour
l’ennemi, dans le domaine de l’aviation, de la marine, de la DCA, de
l’économie et de la politique{1302}.
Après l’avertissement des Britanniques, le NKVD lança lui aussi une
enquête sur le réseau Klatt. Beria et Merkoulov en transmirent les
conclusions à Staline le 18 avril 1944 : les câbles signés Klatt
répercutaient la désinformation concoctée par l’état-major soviétique ;
certains renseignements étaient inventés de toute pièce ; quant aux
informations exactes – 8 % du volume total –, elles pouvaient provenir
d’avions de reconnaissance, d’interceptions des communications
militaires ou de l’interrogatoire des prisonniers{1303}.
En mai 1945, Klatt tomba aux mains de l’OSS américaine. Il conclut un
accord avec les Américains qui l’employèrent à Salzburg mais n’en
tirèrent pas grand-chose. Au printemps 1946, les Soviétiques essayèrent de
l’enlever et les Américains l’incarcérèrent dans la zone d’occupation
américaine en Allemagne{1304}. Britanniques et Américains
poursuivirent leur enquête sur le réseau Klatt. Ils interrogèrent Ira Longin
et établirent que c’était un agent soviétique, qui n’avait fait que
transmettre des informations fournies par le NKVD{1305}. Klatt finit par
avouer que, dès 1941, il soupçonnait son réseau d’être utilisé par le NKVD
et que plus tard il avait découvert que l’un de ses informateurs principaux
était un agent soviétique. Quant à Turkul, ce n’était qu’un écran qui
n’avait jamais recruté personne{1306}.
En URSS, l’enquête sur « Max » rebondit en 1947 lorsque des officiers
de l’Abwehr prisonniers, tel le colonel Kurt Geisler, témoignèrent devant
les enquêteurs du MGB que « Max » était considéré par Canaris comme le
meilleur agent de l’Abwehr ; que la « plupart de ses informations s’étaient
vérifiées{1307} ». En outre le SMERCH avait arrêté, en 1945,
A. Klausnitzer, l’officier SS qui avait mené l’enquête sur Klatt. Sa
déposition faite en juillet 1947, résumée plus haut, tendait à présenter
Klatt comme un escroc.
L’Abwehr avait un autre agent précieux : Ivar Lissner, installé à Harbin
en 1940, qui renseignait la Wehrmacht sur l’Extrême-Orient soviétique. Il
s’était lié avec le consulat soviétique et échangeait des informations sur
l’armée japonaise contre des informations sur l’Armée rouge. Lissner
transmettait ses informations à von Hans von Dohnanyi et à Hans Oster
qui les transmettaient à Canaris. Lissner, Klatt et Klaus permirent à
l’Abwehr de briller et à Canaris de faire croire qu’il possédait en URSS un
bataillon d’agents bien placés{1308}. Tous ces hommes furent soupçonnés
d’être des agents doubles. Aujourd’hui le mystère demeure entier. Les as
de l’Abwehr et les généraux allemands ont-ils été trompés pendant toute la
guerre par les hommes du NKVD ? Ou bien recevaient-ils d’en face une
assistance discrète, et, dans ce cas, l’opération Demianov aurait permis de
camoufler d’autres « jeux radios », l’ambiguïté sur le nom « Max » étant
entretenue à dessein ? Le NKVD imitait-il le SIS, en épaulant l’amiral
Canaris face à ses concurrents ?

La coopération avec les Occidentaux.


Dès avant l’entrée en guerre de l’URSS, Beria était favorable à une
collaboration du NKVD avec les services spéciaux occidentaux et il avait
donné des instructions en ce sens à ses illégaux. Pendant la guerre, il fut
possible d’officialiser quelque peu cette coopération, même si la tutelle
soupçonneuse de Staline ne laissait guère de latitude au chef du NKVD.
Les Britanniques furent les premiers à offrir une coopération aux
Soviétiques dans le domaine du renseignement. Un accord fut conclu en
août 1941 : les deux parties convenaient d’échanger des renseignements
sur l’Allemagne et ses satellites, d’organiser des opérations de sabotage en
territoire occupé, de s’entraider pour infiltrer des agents et établir une
communication radio avec ces derniers. Un accord entre le SOE et le
NKVD fut conclu le 30 septembre 1941, les deux organisations
s’engageant à s’abstenir de monter des opérations en dehors de leur sphère
d’intérêt. Le cas de la Pologne et de la Tchécoslovaquie devait faire l’objet
de discussions ultérieures{1309}. Les Britanniques envoyèrent deux
missions militaires à Moscou, l’une commandée par le général
Macfarlane, l’autre, celle du SOE, par le truculent colonel George Hill, un
spécialiste de l’URSS, grand buveur et antibolchevique déclaré, qui avait
séjourné à Constantinople et Sofia de 1921 à 1926, et qui connaissait fort
bien l’Ukraine, la Crimée et la Géorgie{1310}. Hill fut pourvu d’une
maîtresse fournie par le NKVD à laquelle il voulut offrir des diamants aux
frais de Sa Majesté.
En septembre 1941, le NKVD ouvrit une mission à Londres, confiée
à I. Tchitchaev{1311}. À cette époque, les Britanniques étaient persuadés
que l’URSS ne tiendrait pas le choc. Ils avaient conçu le projet ambitieux
de récupérer pour leur compte les réseaux du NKVD existant de par le
monde. Les 19 et 20 juin 1941, le Joint Planning Staff et le Comité des
chefs d’état-major britanniques se réunirent pour déterminer les grandes
lignes de l’action de la mission militaire qu’ils projetaient d’envoyer en
URSS après l’attaque allemande ; estimant que la Wehrmacht abattrait
l’URSS en six à huit semaines, ils décidèrent de conseiller aux officiers
britanniques de se tourner vers le NKVD lorsque l’Armée rouge
s’effondrerait, et de collaborer avec la résistance soviétique dirigée par le
NKVD{1312}.
Dans les coins les plus reculés du globe, les missions du SOE devaient
se préparer à cette moisson. Les détails ultimes de ce scénario furent
discutés en décembre 1941 et les missions du SIS et du SOE à Singapour
furent prévenues de l’arrivée d’une équipe de cinq Soviétiques chargés
d’opérer les réseaux du NKVD pour le compte de la Grande-Bretagne au
moment de la défaite de l’URSS. Il était prévu d’étendre ce dispositif à
tout l’Empire britannique, en dépit de l’opposition du MI6, viscéralement
anticommuniste{1313}. Les Britanniques estimaient que les communistes
des pays occupés pouvaient être des agents précieux, surtout en France et
en Allemagne, et que le NKVD les aiderait à utiliser ces
ressources{1314}. Le NKVD et les Britanniques se mirent d’accord pour
une utilisation conjointe des réseaux existant en Scandinavie, en Europe
occidentale et en Afghanistan pour les opérations de sabotage{1315}. La
coopération entre SOE, MI 6 et NKVD se concrétisa dans ce dernier
domaine : les Britanniques acceptèrent d’entraîner et de parachuter des
agents soviétiques en Europe occupée à partir d’août 1942{1316}. En tout,
plus de vingt agents soviétiques furent parachutés par les Britanniques en
Allemagne, en Autriche, en Italie, en France et en Hollande{1317}. En
Iran, le NKVD et les services britanniques collaborèrent pour neutraliser
les réseaux allemands. En Afghanistan, Beria envoya Allakhverdov pour
organiser les échanges avec les Britanniques. Le NKVD transmit des
informations concernant les actions de sabotage préparées par l’Abwehr
contre les Alliés, dont il avait connaissance grâce à un agent
double{1318}. Selon Soudoplatov, c’est dans ce pays que la collaboration
entre le NKVD et les Britanniques fut la plus fructueuse. Elle s’étendit
aussi en Inde et en Birmanie où Soviétiques et Britanniques parvinrent à
neutraliser des réseaux de sabotage allemands et japonais{1319}. Le
NKVD et le SOE coopérèrent aussi dans l’état-major de Tito où le
lieutenant-colonel K. K. Kvachnine entretenait de bonnes relations avec
Randolph Churchill{1320}.
Au total, le bilan de la coopération entre NKVD et services britanniques
fut maigre. Certes, quelques Soviétiques et autres agents communistes
furent parachutés par les Britanniques dans l’Europe occupée. Mais,
comme le dira à Dimitrov G. Ovakimian, le spécialiste du NKVD pour les
pays anglo-saxons : « les Anglais ne sont guère utiles de ce point de vue.
Le plus souvent ils sabotent{1321}. » Hill était sans illusion sur les
objectifs soviétiques et plaidait pour la prudence : « Ils veulent infiltrer
leurs agents en Europe centrale avec notre aide pour créer des cellules
communistes qui leur permettront d’étendre leur domination au moment
opportun{1322}. »
Avec les Américains, la coopération entre NKVD et OSS faillit
s’institutionnaliser. Pourtant « Wild Bill » Donovan, le chef de l’OSS, ne
cachait pas son animosité à l’égard de l’URSS. Il avait même affirmé un
jour souhaiter « se battre aux côtés des Polonais contre la Russie{1323} ».
À l’initiative de l’ambassadeur Harriman, il se rendit pourtant à Moscou,
le 24 décembre 1943, où il fut accueilli par Dekanozov, Berejkov et
Korotkov. Molotov le reçut et Staline en personne fit irruption à
l’improviste{1324}. Le 27 décembre, Donovan et le général John Deane,
le chef de la mission militaire américaine à Moscou, furent invités à la
Loubianka pour un entretien avec Fitine et Ovakimian{1325}. Les
échanges furent d’abord techniques, les Soviétiques s’informant sur la
formation des agents et les communications. Donovan expliqua qu’il
aimerait avoir l’assistance du NKGB pour contrôler ses agents en
Bulgarie. Sa priorité était d’instaurer une coopération dans les Balkans où
les agents du NKVD et ceux de l’OSS avaient des contacts. Quant à Fitine,
il demandait l’assistance de l’OSS pour parachuter des agents en France et
en Allemagne occidentale. Donovan accepta et proposa une véritable
alliance entre NKVD et OSS dans le renseignement militaire, une
coordination entre l’OSS et le NKGB en Suisse et en Turquie. Deane
suggéra en outre de concerter l’activité en Allemagne « pour ne pas se
gêner mutuellement ». Fitine déclara qu’un échange d’informations était
possible{1326}. Il rendit visite à Donovan à l’ambassade et donna même
son numéro de téléphone au général Deane, ce qui fut perçu par ce dernier
comme une immense victoire{1327}.
Au terme de ces entretiens, le 30 décembre 1943, Merkoulov adressa
une note à Staline, Molotov et Beria dans laquelle il recommandait
d’accepter la collaboration « puisqu’un contact de cette sorte existait déjà
avec les Anglais » et il recommandait A. G. Graur, un Ukrainien, comme
officier de liaison : Graur était alors le chef du Département anglo-
américain du renseignement extérieur et assurait la liaison avec le colonel
Hill. Le 4 janvier 1944, Staline donna son accord : John Haskell
représenterait Donovan à Moscou, A. G. Graur le NKGB à Washington. Ce
dernier fut présenté à Donovan en présence de Harriman, Haskell et
Charles Bohlen. Il était prévu que Graur partirait pour les États-Unis début
février 1944. C’était un homme maladivement soupçonneux qui avait joué
un rôle actif dans les purges de 1938-1939. Il avait dirigé quelque temps la
résidence de Suède, en 1941, puis avait été rappelé à Moscou et employé
dans l’appareil central du renseignement extérieur. Il supervisait les
réseaux en Amérique latine. Après la guerre, il fut limogé et déclaré
malade mental après qu’il eut avoué à P. Fedotov qu’il travaillait pour les
Américains{1328}.
À la grande surprise des Américains, habitués à la lenteur de la machine
bureaucratique soviétique, les Soviétiques s’étaient décidés sans
tarder{1329}. Le 5 janvier, Donovan rencontra Ovakimian et exprima le
désir que des efforts conjoints fassent sortir la Bulgarie de la guerre. Il
expliqua que l’OSS avait un groupe en Turquie sous la direction de
Macfarlane, qu’elle équipait Tito en armements. Il proposait une action
commune OSS/NKGB à l’égard des partisans grecs : comme l’Angleterre
se retirait de ces pays, les Américains s’y intéressaient de près.
L’ambassadeur Harriman soutenait à fond cette initiative, estimant que
cette première brèche dans la forteresse gouvernementale soviétique serait
suivie par d’autres, comme il l’écrivit à Roosevelt :

Nous avons pénétré pour la première fois une branche du


renseignement du gouvernement soviétique, et je suis certain que
c’est une première brèche qui sera suivie par une coopération plus
rapprochée dans d’autres branches si nous persévérons. Je suis
fermement convaincu que nos relations avec le gouvernement
soviétique pâtiront si nous fermons la porte à cette branche du
gouvernement soviétique après ce témoignage de bonne foi et d’une
volonté de coopération{1330}.

Cependant, devant l’opposition de J. E. Hoover et de l’amiral Leahy, le


projet tourna court, au moins officiellement. Donovan était furieux,
convaincu que les États-Unis avaient perdu une occasion unique de
pénétrer le Kremlin. À ses yeux les Soviétiques avaient de toute manière
déjà leurs réseaux aux États-Unis, et l’Amérique aurait gagné plus à cet
échange que l’URSS{1331}.
Cependant les ponts n’étaient pas coupés. En avril 1944, Donovan câbla
qu’il fallait différer l’envoi de la mission du NKGB à cause de la
campagne électorale. Mais il se disait prêt à répondre à toute question des
Soviétiques. Deane déclara à Fitine et Ovakimian que, dès que l’ouverture
du deuxième front aurait eu lieu, il serait possible d’envoyer la mission.
Finalement des agents de l’OSS furent expédiés à Moscou sous couverture
diplomatique{1332}. Deane se targuait d’avoir « de bonnes relations avec
le chef du NKVD », ce qui fut immédiatement rapporté à Moscou par une
taupe infiltrée dans l’OSS{1333}.
Des échanges de bons offices eurent lieu. Le contre-espionnage de
l’OSS reçut l’ordre de la Maison Blanche de s’abstenir d’enquêter sur les
opérations du renseignement soviétique en territoire américain – ce dont le
NKVD profita abondamment{1334}. Chaque partie fournit à l’autre la
liste des questions qui l’intéressaient. Pour les États-Unis, c’étaient les
Balkans, l’Extrême-Orient et la situation politico-militaire des pays de
l’Axe. Les Soviétiques avaient des demandes plus ciblées et concrètes : les
agents allemands en Turquie, les méthodes de recrutement et de sabotage,
les émetteurs radio et les autres équipements utilisés par les services
spéciaux. La collaboration concernait les réseaux de l’OSS en Suisse et
dans les Balkans{1335}. Ainsi, lorsque l’OSS captura des agents de
l’Abwehr en Turquie, elle proposa aux Soviétiques de les interroger s’ils
le souhaitaient{1336}. Les Soviétiques envoyèrent une liste de questions
concernant les activités de l’Abwehr contre l’URSS. Ovakimian reçut les
réponses le 31 mars. Lorsqu’à son tour, Donovan demanda à être informé
sur les méthodes de sabotage de l’URSS, c’est Soudoplatov qui lui
répondit quelques jours plus tard{1337}. Le NKGB remit un mémorandum
de 44 pages sur la Bulgarie. Multipliant les petits services, l’OSS livra des
informations sur l’espionnage japonais en Turquie{1338}, des
renseignements sur Auschwitz, provenant d’Angleterre{1339}, 1 500
pages de documents allemands consacrés aux chiffres soviétiques.
Le 16 juin 1944, Fitine rendit son évaluation sur les documents fournis
par l’OSS : les renseignements sur l’Allemagne et les pays occupés étaient
intéressants pour le GRU ; les recueils sur l’Allemagne, dont une grande
partie faisait la synthèse de renseignements obtenus par les agents, étaient
dignes d’attention{1340}. Et, lorsqu’en juillet 1944, Donovan proposa un
contact avec les représentants du NKVD à Londres et à Stockholm, Fitine
donna son accord{1341}. En Suisse, Noel Field, un agent du NKVD,
s’offrit à Allen Dulles comme agent de liaison avec des personnalités
antifascistes qui se méfiaient des Américains. Agissant sur ordre des
Soviétiques, il proposa de veiller sur les intérêts américains et d’informer
Dulles. Field devint l’un des conseillers de Dulles en matière de politique
antifasciste et son intermédiaire avec la faction pro-occidentale parmi les
communistes allemands en Suisse qui souhaitait coopérer avec les
Américains dans l’après-guerre{1342}. De son côté Dulles entendait
encourager les communistes « nationaux » et les socialistes dans lesquels
il voyait un obstacle aux projets d’expansion de Staline en Europe{1343}.
Mais les Américains étaient alors surtout soucieux de tester les
possibilités de collaboration dans les pays balkaniques. Le 30 août 1944,
Donovan proposa de mettre en place une coopération avec le NKVD en
Roumanie, Bulgarie, Grèce, Tchécoslovaquie, Autriche et Hongrie. Fitine
répondit que les échanges devaient avoir lieu à Moscou{1344}.
À partir de la fin de l’été 1944, les relations entre l’OSS et le NKVD se
gâtèrent. Donovan avait envoyé des hommes en Roumanie, en Bulgarie, en
Hongrie et en Tchécoslovaquie, avec pour mission de renverser les
gouvernements pronazis. L’OSS fut obligée de fournir la liste de ses
agents présents dans les territoires occupés par les Soviétiques{1345}
pour éviter une crise majeure dans les relations interalliées{1346}. L’OSS
s’efforçait de rassurer les Soviétiques, toujours soupçonneux : par
exemple, le 5 octobre 1944, elle avertit Moscou que Hermann Neubacher,
le responsable de la mission allemande dans les Balkans, souhaitait
discuter de la capitulation totale de l’Allemagne. Donovan continuait à
informer Fitine sur l’Allemagne. Le 22 décembre 1944, il lui fit
transmettre que, d’après les informations de l’OSS de Berne, la situation
en Allemagne était encore plus critique qu’on ne le pensait. Himmler allait
essayer de casser l’alliance entre les Anglo-Saxons et les Soviétiques en
rendant publics des sondages de paix anglo-Saxons. Il s’attendait à une
révolte en Ukraine et Vlassov était prêt à se rendre dans les Carpates pour
la soutenir{1347}. Le 31 décembre, Donovan adressa à Fitine une nouvelle
note sur l’Allemagne, selon laquelle Himmler était occupé à organiser la
résistance clandestine ; les Allemands estimaient que de Gaulle s’était
assuré l’appui de Moscou non seulement contre une renaissance de la
puissance allemande mais contre la prédominance des Anglo-Saxons en
Europe et que l’alliance franco-russe deviendrait le facteur dominant du
continent, une fois l’influence anglo-saxonne éliminée{1348}. Enfin, le
10 janvier 1945, sur l’ordre de Roosevelt, les Américains transmirent à
Gromyko les codes soviétiques obtenus par l’OSS de sources
ennemies{1349}. Il s’agissait sans doute d’un geste de bonne volonté
accompagnant les contacts officieux entre Fitine, Soudoplatov, Harriman,
Deane, le contre-amiral Olsen et le diplomate britannique Frank Roberts à
la veille de la conférence de Yalta. Ces échanges ne concernaient pas
seulement des questions techniques. L’avenir de l’Europe de l’Est, et
notamment la question du futur gouvernement polonais, y furent
évoqués{1350}.
Au total les Soviétiques eurent tout lieu de se féliciter de la moisson de
renseignements que leur fournit l’OSS. Le 15 février 1945, Fitine fit
même parvenir au représentant de l’OSS à Moscou une lettre de
remerciements pour l’« aide accordée{1351} ». L’OSS essaya de préserver
cette collaboration avec le NKVD le plus longtemps possible, contre vents
et marées. De toute évidence, Allen Dulles souhaitait rencontrer en
personne les chefs du NKVD. Il est vrai qu’il n’était pas novice en matière
d’affaires caucasiennes : en poste à Constantinople au moment de la chute
de Tiflis en février 1921, il informait Washington sur les bolcheviks en
Russie et dans le Caucase et se familiarisa avec l’industrie pétrolière,
proposant même en 1924 d’utiliser la prospection pétrolière comme
couverture à la collecte du renseignement{1352}. Dulles devait trouver un
prétexte et, le 23 juillet 1945, en dépit de l’opposition du Pentagone,
l’OSS proposa aux Soviétiques d’éliminer ensemble les réseaux de
W. Hoettl, chef de la SS dans les Balkans, capturé par l’armée du général
Patton. Hoettl avait offert de remettre ces réseaux travaillant contre
l’URSS aux Américains et Donovan s’était convaincu que Hoettl avait
bien des hommes infiltrés en URSS. Intéressé, Fitine demanda des
précisions sur l’Allemand et Donovan insista pour une rencontre entre une
délégation du NKGB à Berlin et Dulles. En septembre, Beria et Merkoulov
suggérèrent à Staline d’accepter l’offre des Américains, Merkoulov
proposant de confier cette affaire à deux officiers du NKGB qui se
trouvaient à Berlin, Ievlev et Gorbunov. Finalement l’OSS fut dissoute et
Deane rappelé avant que la chose n’aboutisse{1353}.
L’OSS fut toujours profondément divisée concernant l’attitude à adopter
face à l’URSS. Il y avait en son sein un groupe anticommuniste – autour
de DeWitt Poole et John Wiley –, alors que Donovan, peut-être sous
l’influence des Britanniques dont il était proche, a longtemps cru une
collaboration possible avec l’URSS{1354}. L’OSS de Londres penchait à
gauche, l’OSS de Berne était anticommuniste et c’est elle qui déterminera
la politique de l’« OSS Mission for Germany{1355} ».
En définitive, comme en novembre 1940 avec l’Allemagne, les Balkans
servirent de pierre de touche. Donovan commença à déchanter quand
Fitine lui refusa le droit de se rendre à Sofia et à Bucarest. En Roumanie,
l’OSS avait déployé un réseau efficace d’agents, sous la direction de Frank
Wisner. Dès la mi-septembre, la mission de l’OSS en Roumanie fut mise
au courant des pillages de l’Armée rouge et des intrigues communistes
contre le gouvernement. Wisner et son groupe furent témoins de la
communisation brutale de ce pays{1356}. L’un des membres de l’équipe,
Robert Bishop, avait pour maîtresse un agent du NKVD et était fort bien
renseigné. Il était aussi en contact avec le contre-espionnage roumain qui
avait pénétré le Parti communiste roumain. C’est ainsi que l’OSS fut très
tôt informée des ambitions de Staline en Europe de l’Est, des méthodes
utilisées par les communistes pour s’emparer du pouvoir et des
agissements du NKVD. Le 2 février 1945, Bishop rapporta que les
Soviétiques avaient préparé un gouvernement fantoche pour l’Allemagne,
que les agents du Komintern affluaient en Italie pour fomenter la
révolution, que l’URSS avait l’intention d’imposer un système de type
soviétique en Roumanie. Ses rapports à l’OSS du printemps 1945 sont les
premiers à annoncer que la Grande Alliance ne survivrait pas. La mission
de l’OSS à Bucarest devint l’une des sources d’information les plus
importantes de l’OSS sur l’Union soviétique et les Américains eurent
même accès aux câbles du maréchal Malinovski{1357}. Ces informations
convergeaient avec celles de Dulles, lui aussi prévenu par ses sources
soviétiques des appétits croissants de Staline en Europe{1358}. Dressant
le bilan de la coopération avec le NKVD pendant la guerre, Deane en
arriva à la conclusion que, dans les cadres étroits à l’intérieur desquels il
pouvait agir, « Fitine fit de son mieux{1359} ».
Conformément aux directives données par Staline à Zaroubine en
octobre 1941, le NKVD réussit à se créer un important réseau d’agents
d’influence au sein de l’administration américaine, avec les résultats les
plus spectaculaires dans le domaine économique. Il y a là une part de
hasard – le NKVD de Beria ayant hérité de réseaux déjà constitués, surtout
grâce aux efforts du Parti communiste américain –, mais il faut aussi y
voir le résultat d’une politique délibérée : Beria s’intéressait en priorité à
l’économie et il souhaitait mettre en place une coopération économique
soviéto-américaine pour l’après-guerre. Dans ses directives du
27 novembre 1941 au nouveau résident Zaroubine, le Centre
recommandait avec une insistance particulière « d’infiltrer le cercle étroit
de Morgenthau », le secrétaire américain au Trésor, et de « cultiver toutes
les relations » de Morgenthau et de son adjoint, Harry Dexter White, un
agent recruté par les communistes américains et ayant travaillé pour le
GRU de 1935 à 1940, puis récupéré par le NKVD{1360}.
Parmi les Occidentaux en URSS, le NKVD s’intéressait en particulier à
Philip Faymonville qui était arrivé à Moscou avec la mission Harriman en
septembre 1941 et qui devint l’administrateur du « prêt-bail ».
Faymonville était connu de longue date du NKVD car, premier attaché
militaire américain à Moscou en 1934, il avait déjà fait scandale par ses
vues prosoviétiques. En 1936, il niait que les paysans aient été opprimés
en URSS et que la collectivisation ait été forcée{1361}. Rappelé aux
États-Unis en 1938, il fut de ceux qui, dès l’été 1941, s’efforcèrent avec
Hopkins de convaincre Roosevelt de la valeur de l’alliance avec l’URSS.
Le NKVD infiltra un agent dans son entourage proche{1362}. En octobre
1941, il ne fut pas évacué à Kouibychev avec les autres diplomates
américains et resta à Moscou. Ses collègues le surnommaient le « colonel
rouge », l’« énigme dans l’énigme ». Chouchouté par les Soviétiques, il
menait une véritable guerre contre l’attaché militaire Ivan Yeaton, son
successeur le colonel Joseph Michela et l’ambassadeur W. H. Standley. Il
ne communiquait aucun renseignement, bien qu’il eût la possibilité de
voyager dans toute l’URSS{1363}. Faymonville était l’interlocuteur
privilégié de Hopkins, le conseiller de Roosevelt, qui voyait en lui le
« seul contact réel entre le gouvernement des États-Unis et les
Soviets{1364} ». Ainsi le principal canal entre la Maison Blanche et le
Kremlin n’était pas l’ambassadeur, mais cet officier obscur que Hopkins
fit élever au grade de général{1365}. Faymonville et Hopkins devinrent
les lobbyistes de l’aide inconditionnelle à l’URSS, politique qui suscitait
des critiques croissantes, à la fois à l’ambassade américaine en URSS et
aux États-Unis. En septembre 1942, le FBI et l’armée commencèrent à
s’intéresser aux relations louches de Faymonville avec les Soviétiques et
aux rumeurs d’homosexualité qui circulaient à son propos et qui laissaient
craindre un chantage exercé par le NKVD. Faymonville fut rappelé aux
États-Unis après la nomination de Harriman au poste d’ambassadeur en
septembre 1943.
L’obtention d’une assistance économique américaine – et occidentale –
par l’URSS pour la reconstruction après la guerre fut une préoccupation
constante de Beria qui mobilisa son réseau d’agents d’influence à cette fin.
Dès l’été 1942, l’entourage de Hopkins avait conseillé de promettre à
l’URSS une assistance économique pour la reconstruction et Harriman
deviendra un chaud partisan de ce projet. Il voyait dans cette aide à
l’URSS un moyen de développer la confiance entre les deux pays et aussi
de donner aux États-Unis la possibilité d’influencer le comportement de
Moscou. Il en parla pour la première fois en octobre 1943 à Mikoïan qui se
montra très intéressé. Maïski se fit l’avocat de ce projet auprès de
Molotov. De son côté, le NKVD accordait une attention considérable à
l’initiative américaine, de même qu’aux négociations menées avec la
Suède pour l’octroi d’un crédit, ce dont témoignent les câbles déchiffrés
par Venona et les Carnets de Vassiliev. Le 1er février 1944, le
gouvernement soviétique demanda aux États-Unis un crédit d’un milliard
de dollars remboursable en vingt-cinq ans à un taux de 0,5 % par an.
Mikoïan fournit une liste des achats soviétiques qu’il était prévu de
financer par ce crédit{1366}. Le NKGB jugea l’affaire si importante qu’en
mai 1944, le Centre voulut envoyer un officier pour rencontrer Harry
Dexter White, l’adjoint de Morgenthau au Département du Trésor{1367}.
Le 5 août 1944, un câble du NKGB signala que ce dernier avait assuré son
agent traitant soviétique que les États-Unis préparaient un crédit de 10
milliards pour l’URSS{1368}. Le mois suivant, le projet de l’accord fut
soumis au gouvernement soviétique et reçut l’appui de Mikoïan mais se
heurta à l’opposition de Voznessenski.
À la veille de la conférence de Yalta, le débat faisait rage à Moscou.
Alors que dans le domaine culturel l’URSS commençait à se refermer, les
partisans du développement économique autarcique de l’URSS avaient de
nouveau le vent en poupe. Les négociations semblèrent tourner court, mais
le groupe favorable à un crédit finit par l’emporter, provisoirement. Le
3 janvier 1945, Molotov remit à Harriman la demande d’un crédit à long
terme de 6 milliards qui donnerait selon lui « une base économique
solide » aux relations soviéto-américaines. L’ambassadeur américain
recommanda au Département d’État de prendre cette demande au sérieux,
« en dépit des conditions déraisonnables » dont elle était assortie{1369}.
Le 10 janvier, Morgenthau proposa à Roosevelt d’accorder à l’URSS un
crédit de 10 milliards de dollars sans y mettre de conditions politiques,
pour « rassurer le gouvernement soviétique » sur les intentions
américaines{1370}. Alors que, le 18 janvier, Harriman avait informé le
State Département que l’URSS demandait un crédit de 6 milliards de
dollars à un taux annuel de 2-2,5 %, Harry Dexter White alla jusqu’à faire
savoir aux Soviétiques que Moscou pourrait obtenir un taux plus
favorable{1371}. Mais, en dépit des pressions de son entourage, Roosevelt
décida de ne pas soulever la question du crédit à Yalta{1372}.
La mort de Roosevelt renforça le camp de ceux qui, comme Harriman,
étaient favorables à l’octroi d’une aide économique à l’URSS, mais en
échange de concessions politiques. En janvier 1946, lorsque Staline remit
sur le tapis l’éventualité d’un crédit américain dans son audience d’adieu
avec Harriman, ce dernier répondit qu’un crédit était envisageable dans le
contexte plus large « d’une base commune de coopération économique »,
allusion aux conditions formulées par le Congrès américain, en particulier
l’engagement soviétique de pratiquer un régime de « portes ouvertes » en
Europe de l’Est, ce que Staline refusa net{1373}. Il aurait accepté une aide
économique inconditionnelle comme l’avait été le « prêt-bail » pendant la
guerre, mais il n’était pas question d’accorder la moindre concession
politique pour obtenir cette aide. Beria n’était pas du même avis, comme
le montrera sa politique au printemps 1953, lorsqu’il voudra « vendre » la
RDA en échange d’un crédit américain. Mais, tant que Staline fut en vie, il
dut se contenter de préserver ses réseaux pour sa politique future.
13

Beria et le Comité antifasciste juif


Dès l’occupation soviétique de Lvov j’ai constaté que le NKVD
pratiquait une tactique de maître, consistant à jouer les nationalités les
unes contre les autres, favorisant tantôt l’une, tantôt l’autre – du reste, ses
faveurs étaient illusoires ou éphémères{1374}
[S. Kot].

Feliks Dzerjinski, le fondateur de la Tcheka, futur NKVD, s’intéressait


déjà au sionisme et ne partageait pas l’hostilité des autres dirigeants
soviétiques à l’égard des sionistes. Il écrivait par exemple à ses adjoints
Menjinski et Yagoda :

Le programme des sionistes n’est pas si dangereux pour nous, au


contraire, je le considère comme utile. Autrefois j’étais partisan de
l’assimilation. Mais c’est une « maladie infantile ». […] Est-il vrai
que nous persécutions les sionistes ? Je pense que c’est une erreur
politique. Les mencheviks juifs qui font de la propagande parmi les
Juifs ne sont pas dangereux pour nous. Au contraire, cela ne fait pas
de réclame au menchevisme. […] Nous pourrions être les amis des
sionistes. Il faut étudier cette question et la discuter au Politburo. Les
sionistes ont une grande influence en Pologne et aux États-Unis.
Pourquoi nous en faire des ennemis{1375} ?

Les hommes de l’OGPU voyaient l’intérêt d’une collaboration avec les


réseaux juifs qui leur facilitait l’implantation dans des régions
stratégiques{1376}. En outre la lutte contre les trotskistes rendait
indispensable l’infiltration de milieux juifs{1377}. C’est dans cette
tradition tchékiste que s’est inscrit Beria. Les Juifs ont d’abord retenu son
attention parce qu’ils avaient de la parenté à l’étranger, ce qui pouvait
faciliter l’implantation des illégaux de l’OGPU. Personnellement, Beria
n’était pas antisémite et l’antisémitisme russe lui répugnait, car il était à
ses yeux le signe avant-coureur d’une xénophobie touchant tous les
allogènes de l’URSS, les Caucasiens au premier chef. Cependant, comme
les antisémites, Beria était persuadé de l’influence occulte des Juifs,
surtout sur la politique américaine ; il éprouvait une sorte de fascination
pour le monde de la finance et des affaires, qu’il croyait dominé par les
Juifs. Toujours pragmatique, il estimait que l’influence des Juifs pouvait
être un instrument utile pour la réalisation de ses ambitions de politique
étrangère. Plusieurs indices montrent qu’il s’intéressa aux Juifs dès la
période géorgienne. Ainsi le Théâtre juif effectua-t-il une tournée
triomphale à Tiflis en 1934 et la propagande officielle en profita pour
rappeler qu’en 1835, lorsque le gouvernement du tsar avait voulu interdire
l’accès de Tiflis aux Juifs, le maire de la ville était intervenu afin que les
Juifs de Tiflis pussent continuer à y résider{1378}.
L’importance de la question juive aux yeux des Britanniques était, pour
Beria, une raison supplémentaire de s’y intéresser. Le moment où il prit la
tête du NKVD fut aussi celui où Guy Burgess, l’un des principaux agents
du réseau Philby, réussit à s’infiltrer au sein du MI 6 ; or, la première
mission qui lui fut confiée fut de diviser le mouvement juif, de créer
une opposition à Chaim Weitzmann et au sionisme en utilisant lord
Rothschild{1379}.
Beria monta à Moscou à un moment où l’antisémitisme commençait à
se manifester dans les hautes sphères du Parti. En 1939, le NKVD fut
chargé de « déjudaïser » le NKID après le renvoi de Litvinov et de
respecter des quotas « ethniques » dans le recrutement de jeunes officiers
– bien sûr la consigne était orale. Beria ne fit pas de zèle dans cette
campagne et nombre de diplomates juifs furent rétrogradés mais
échappèrent à l’arrestation. Par ailleurs, à peine entré en fonction, Beria fit
fusiller des tchékistes ukrainiens et moldaves qui avaient fabriqué de
toutes pièces une affaire contre des enseignants accusés d’accointances
« sionistes{1380} ». En 1939, il dissuada Staline d’arrêter l’écrivain
soviétique Ilya Ehrenbourg en lui démontrant l’utilité de ses liens avec les
antifascistes français{1381}.
Durant les années 1930, les Soviétiques étaient parvenus à noyauter
avec succès le mouvement sioniste, mais les purges de 1938 réduisirent
ces efforts à néant{1382}. Les contacts avec les sionistes à l’étranger
furent renoués par l’ambassadeur à Londres Maïski ; ainsi, lorsqu’en
décembre 1934 les organisations juives demandèrent aux autorités
soviétiques d’offrir aux réfugiés juifs allemands la possibilité de
s’installer au Birobidjan, en échange d’une importante aide financière,
Maïski servit d’intermédiaire pour l’une de ces démarches et il reprit le
contact dès 1940{1383}. Ils furent aussi renoués par K. Oumanski,
l’ambassadeur à Washington et agent du NKVD{1384}, qui rencontra, le
15 août 1944, Naum Goldmann, responsable de l’Agence juive pour la
Palestine, auquel il voulait parler « non en qualité d’ambassadeur mais en
homme intéressé par ces questions comme russe et comme juif{1385} ».
Les contacts réguliers entre les Soviétiques et les sionistes passèrent,
jusqu’au printemps 1944, par l’intermédiaire de l’ambassade soviétique en
Turquie, puis par l’ambassade soviétique en Égypte{1386}.
Après l’annexion de la Lituanie en 1940, Beria s’intéressa de près aux
Juifs de ce pays, à la fois parce qu’il voulait recruter parmi eux des
illégaux à implanter dans les pays occidentaux, et parce que l’aspect
politique retint son attention, comme l’atteste un rapport sur les
organisations juives de Vilnius, daté du 29 mars 1941 et compilé par
P. A. Gladkov – le chef du NKGB de Lituanie –, adressé à Merkoulov.
Selon Gladkov, les organisations juives lituaniennes, très actives et très
antisoviétiques, étaient aidées par le Joint, organisation par laquelle les
Juifs américains acheminaient des secours à leurs coreligionnaires en
Europe. Ces organisations étaient persuadées que l’URSS ne survivrait pas
à la guerre et le rapport soulignait que les « éléments contre-
révolutionnaires juifs » étaient en train de s’unir avec d’autres éléments
antisoviétiques, indépendamment de la nationalité{1387}. C’est cette
capacité des Juifs de jouer un rôle d’interface entre les « éléments
antisoviétiques » et l’étranger qui intéressait le NKGB de Beria.

Polonais et Soviétiques face à l’enjeu juif.


L’attaque allemande du 22 juin 1941 fournit à Beria l’occasion
d’inaugurer une politique impensable auparavant, tant l’antisémitisme
était déjà enraciné au sommet du Parti. En effet, du jour au lendemain, les
Juifs devinrent un enjeu de première importance et pour deux raisons.
D’abord Staline voulait s’assurer l’appui américain et impliquer les États-
Unis dans la guerre européenne le plus vite possible. Et l’entremise des
Juifs américains semblait l’un des moyens les plus efficaces pour obtenir
l’oreille de Roosevelt et faire bouger l’opinion américaine. Dans un câble
daté du 2 septembre 1941, après sa deuxième rencontre de l’ambassadeur
soviétique avec Chaim Weitzmann – la première avait eu lieu le 3 février
1941 –, Maïski écrivait :

Ces derniers temps l’intérêt des Américains pour la guerre a


beaucoup diminué. L’Américain moyen se dit : les Russes se battent
bien, avec les Anglais ils se débrouilleront pour anéantir Hitler ;
quant à nous autres Américains nous n’avons guère intérêt à trop nous
mêler de tout cela. Weitzmann trouve cette attitude d’une légèreté
criminelle et il est d’avis que les Juifs américains, s’ils sont stimulés
comme il convient, peuvent fortement la contrebalancer. Voilà
pourquoi il juge bienvenue l’initiative des Juifs soviétiques{1388}.

Maïski faisait allusion au meeting des « représentants du peuple juif »


organisé à Moscou le 24 août 1941, au cours duquel les orateurs appelèrent
« leurs frères juifs du monde entier » à soutenir le peuple soviétique dans
sa lutte contre le fascisme, entraînant la création aux États-Unis d’un
Conseil juif d’aide à la Russie présidé par Albert Einstein{1389}.
Mais Staline poursuivait un second objectif : il voulait que les Juifs
américains influencent Roosevelt en faveur de l’URSS dans le bras de fer
qui opposait les Soviétiques aux Polonais à propos des futures frontières
de l’État polonais. Une véritable compétition s’engagea entre Moscou et le
gouvernement polonais de Londres pour la conquête des milieux juifs
américains, car les Polonais n’étaient pas moins conscients que les
Soviétiques de l’importance de cet enjeu. Dès l’occupation de la Pologne
orientale par l’Armée rouge, le général Sikorski et son ambassadeur à
Moscou Stanislaw Kot résolurent de s’assurer à tout prix l’appui des Juifs
pour défendre les frontières du traité de Riga de 1920. Sikorski chargea
son conseiller Jozef Retinger des relations entre le gouvernement en exil
et les organisations juives. Et, à peine arrivé à Moscou, l’ambassadeur Kot
entreprit de déjouer les tentatives soviétiques visant à faire des Juifs les
instruments de la politique du Kremlin{1390}. Lors de sa première
rencontre avec le général Anders, le 5 septembre 1941, il expliqua à ce
dernier l’importance des Juifs aux États-Unis et lui fit comprendre que les
Juifs polonais souhaitant s’enrôler dans l’armée devaient recevoir un
traitement « bienveillant{1391} ».
Au départ, les Soviétiques semblaient détenir les meilleures cartes : ils
pouvaient tabler sur le contentieux polono-juif, aggravé par les
événements de septembre 1939, lorsqu’un grand nombre de Juifs polonais
accueillirent l’Armée rouge avec enthousiasme et acceptèrent de devenir
des mouchards du NKVD dans les camps où étaient parqués les citoyens
polonais{1392}. En outre, après le 22 juin 1941, les Soviétiques coiffèrent
de nouveau l’auréole de l’antifascisme et les Juifs furent les premiers
citoyens polonais à bénéficier de l’amnistie de juillet 1941{1393}.
Cependant les cartes détenues par les Polonais n’étaient pas mauvaises
non plus. Les grands partis juifs de Pologne, le Bund et les sionistes,
étaient antisoviétiques, le premier par fidélité au menchevisme, les
seconds car très influencés par le pilsudskisme. L’attaque allemande
contre la Pologne et la destruction de l’État polonais avaient rapproché
Juifs et Polonais en dépit de leur lourd contentieux. Les Juifs voyaient
dans les Polonais des victimes comme eux de l’agression allemande et les
Polonais s’étaient aperçus que les Juifs étaient la seule de leurs minorités
nationales favorables au rétablissement d’un État indépendant dans ses
frontières d’avant-guerre. Ils comptaient sur les organisations juives
américaines et européennes pour défendre leur position lors de la future
conférence de la paix{1394}. En outre certains Polonais lucides, comme
Jan Karski, l’un des courriers entre la Pologne clandestine et Londres,
avaient réfléchi sur l’usage fait par les autorités allemandes de
l’antisémitisme pour démoraliser et détruire la Pologne{1395}.
Les Polonais furent donc les premiers à tirer la sonnette d’alarme sur
l’extermination des Juifs. Ainsi, dès le 11 novembre 1941, Stanislaw
Mikolajczyk, alors ministre de l’Intérieur du gouvernement en exil,
transmit à Ignacy Shwarzbart, le représentant des Juifs au Conseil national
polonais, un premier rapport sur l’exécution en masse des Juifs de
Pologne. Le 6 juin 1942, le gouvernement polonais adressa aux Alliés une
note les alertant sur l’« extermination des Juifs à une échelle
inimaginable ». En novembre 1942, les députés polonais Szmul Zygelbojm
et Shwarzbart demandèrent au gouvernement polonais de Londres
d’organiser une action de protestation contre le massacre des Juifs en
Pologne. Début décembre 1942, l’émissaire de la résistance polonaise, Jan
Karski, arriva à Londres et fournit au gouvernement Sikorski une
documentation sur la tragédie des Juifs polonais. Dans une déclaration du
10 décembre 1942, ce gouvernement fut le premier à confirmer que les
Allemands « se livraient à l’extermination totale de la population juive de
Pologne{1396} ».
Les Soviétiques furent dès le début réticents à reconnaître l’aspect
spécifiquement antijuif et génocidaire de la politique allemande. Seul
Beria semble avoir fait exception puisqu’il commença très tôt à accumuler
une documentation sur l’Holocauste. En effet, lorsqu’en décembre 1942,
Molotov demanda à Oumanski de faire des propositions pour une réaction
éventuelle de l’URSS à l’extermination des Juifs dont le NKID
commençait à avoir des échos, celui-ci lui répondit que Beria possédait
« une documentation extrêmement intéressante » sur le sujet. Oumanski
demanda cette documentation au NKVD et Beria la lui fit remettre
immédiatement. Oumanski et Soudoplatov rédigèrent ensemble, à partir
de ces documents, la note de l’Informburo du 19 décembre 1942 intitulée :
« Déclaration du gouvernement soviétique sur la réalisation d’un plan
d’extermination totale des Juifs sur le territoire de l’Europe occupée et sur
la responsabilité du gouvernement allemand et de tous ses complices pour
ce crime sanglant », qui détaillait les crimes nazis commis à l’encontre
des Juifs, y compris les chambres à gaz, les fours crématoires et la
fabrication de savon à partir des cadavres de Juifs{1397}. Cependant, le
texte fut censuré par Molotov qui, en particulier, supprima toutes les
données factuelles sur l’extermination, préférant s’associer à une
déclaration des gouvernements en exil à Londres et des organisations
juives qui fut publiée dans la presse soviétique le 18 décembre
1942{1398}.
Les Juifs polonais déportés en URSS – soit près d’un tiers des citoyens
polonais déportés{1399} – ne tardèrent pas à déchanter et à devenir tout
aussi antisoviétiques que leurs concitoyens polonais. Devant la perspective
d’être définitivement bloqués en URSS, ils commencèrent à se réclamer
de leur citoyenneté polonaise avec une véhémence croissante. En octobre
1941, ils affluèrent en masse pour s’enrôler dans l’armée d’Anders dont ils
constituaient 40 % des effectifs dans certaines unités{1400}. À partir de
janvier 1942, lorsque les Soviétiques se mirent à incorporer les Juifs
polonais dans l’Armée rouge, la ruée vers l’armée d’Anders s’accentua
encore{1401}. Même les communistes juifs polonais cessèrent de
défendre les prétentions soviétiques sur la Pologne orientale{1402}.
De leur côté, les dirigeants sionistes s’efforçaient de persuader le
gouvernement soviétique d’autoriser les Juifs polonais à se réfugier en
Palestine{1403}. Ils trouvèrent des interlocuteurs bien disposés en la
personne de Maïski et Oumanski. Dès le 22 juin 1941, deux représentants
de l’Agence juive rencontrèrent Oumanski ; et, le 9 octobre, Maïski eut un
entretien avec David Ben Gourion, le président de l’Agence juive chargée
de l’installation des Juifs en Palestine, qui l’assura que les Juifs de
Palestine prenaient très au sérieux les idées socialistes{1404}. Durant les
mois qui suivirent, les sionistes multiplièrent les tentatives pour nouer des
contacts avec les autorités soviétiques, faisant même appel aux bons
offices de Bénès en mai 1943{1405}. Mais à cette époque, Staline et Beria
étaient peu disposés à leur prêter une oreille favorable car ils voulaient
garder les Juifs polonais en URSS.
La naissance du Comité antifasciste juif.
En octobre 1939, les Juifs polonais Henryk Erlich et Viktor Alter furent
arrêtés par le NKVD, amenés à Moscou et incarcérés à la Loubianka. Tous
deux avaient un lourd passé du point de vue soviétique{1406}. Erlich avait
été le représentant du Bund, le Parti social-démocrate juif, au Soviet de
Petrograd en 1917 où il avait plaidé pour l’indépendance de la
Pologne{1407} ; proche de Martov, ami de Léon Blum, il était le chef du
Bund et le rédacteur en chef de son organe, la Volkszajtung. Conseiller
municipal de Varsovie, connu pour son intégrité morale, il s’était toujours
efforcé d’éviter les bagarres fratricides entre communistes, sionistes et
bundistes. À partir de 1929, le Bund ayant rejoint l’Internationale
socialiste, Erlich y avait représenté son parti au sein du Comité exécutif.
Le 2 août 1941, il fut condamné à mort par un tribunal militaire soviétique
et, le 22 août, sa peine fut commuée en dix ans de détention.
Alter était membre du Comité central du Bund et du Comité exécutif de
l’Internationale syndicale d’Amsterdam. En 1921, il avait été partisan de
la collaboration avec les bolcheviks et s’était rendu illégalement à Moscou
au IIIe Congrès du Komintern pour plaider sa cause, ce qui lui avait valu
d’être incarcéré, mais voulant éviter un scandale international, Lénine
l’avait fait libérer{1408}. Membre du conseil municipal de Varsovie de
1919 à 1939, Alter s’était rendu en Espagne durant la guerre civile pour
visiter les Juifs polonais enrôlés dans les Brigades internationales. Dans
un mémorandum du gouvernement polonais de Londres sur les partis juifs
en Pologne, daté du 26 décembre 1940, Alter était qualifié de « chef
spirituel du Bund », se distinguant « par son esprit combatif et son courage
exceptionnel{1409} ». Le 20 juillet 1941, il fut condamné à mort par un
tribunal militaire soviétique, mais, le 22 juillet, sa peine fut commuée en
dix ans de détention.
Les deux hommes avaient des relations étendues dans les milieux
occidentaux et étaient en particulier fort liés aux syndicats américains,
britanniques et français. Ceci explique l’intérêt manifesté par Beria à leur
égard avant même l’attaque allemande. Au printemps 1941, ils subirent de
nombreux interrogatoires. Les enquêteurs du NKVD demandèrent à Erlich
les causes de son opposition au pacte germano-soviétique et à la politique
germanophile de l’URSS ; ils sollicitèrent son avis sur les positions
britannique et américaine en cas de détérioration des relations germano-
soviétiques ; ils voulaient aussi connaître la position du Bund en matière
sociale. Beria assista en personne à l’un des ces interrogatoires{1410}.
Durant son emprisonnement Erlich rédigea, à la demande du NKVD – et
donc sans doute de Beria –, une Histoire du Bund en 252 pages où il
critiqua sans ménagement la politique communiste de scission de la
social-démocratie et l’attitude du Komintern qui avait facilité le venue de
Hitler au pouvoir. Selon Sergo Beria{1411} :

Mon père se plongea dans l’histoire du Bund : j’ai vu Merkoulov lui


apporter d’énormes dossiers sur la question. Ce fut surtout
l’organisation du Bund qui retint son attention, car le Bund n’était pas
seulement un parti politique mais aussi une union commerciale qui
possédait des écoles, des maisons de cure, des associations culturelles
et des coopératives. Il [Beria] déclara que n’importe quel parti
pouvait s’en inspirer, tant elle était remarquable{1412}.

Les deux bundistes furent relâchés le 12 septembre 1941, à la suite de


l’accord Maïski-Sikorski, le Foreign Office ayant demandé leur libération
« pour renforcer Sikorski », les modérés du gouvernement de
Londres{1413}. Le 16 septembre, l’ambassadeur Kot câbla à Londres :
« H. Erlich et V. Alter ont été libérés le 13 septembre. Ils font peine à voir
mais sont pleins d’énergie et d’ardeur au travail{1414}. »
Peu de temps après leur libération, ils reçurent la visite du colonel du
NKVD V. A. Volkovysski qui leur fit des excuses au nom du gouvernement
soviétique, expliquant que leur arrestation et leur condamnation avaient
été une « erreur » et qu’il fallait passer l’éponge au nom de la lutte contre
l’ennemi commun{1415}. Volkovysski parlait en connaissance de cause
puisqu’il avait auparavant été chargé de l’instruction de leur procès en tant
que responsable des affaires polonaises au sein du NKVD et qu’il était
nommé officier de liaison auprès de l’armée d’Anders{1416}. Il devint, du
côté soviétique, l’interlocuteur d’Erlich et Alter, qui furent installés à
l’hôtel Métropole à Moscou et comblés d’égards par les autorités
soviétiques. Les Polonais n’en revenaient pas : « Leur manière courtoise
de nous traiter maintenant est incroyable. Ils essaient même de nous
convaincre qu’ils nous ont relâchés parce que nos condamnations étaient
injustes, et qu’ils sont désireux de se racheter pour l’injustice qu’ils ont
commise à notre égard », écrivit Erlich à un de ses amis du Bund{1417}.
Toutefois ils ne reçurent pas le certificat délivré d’ordinaire par les
autorités soviétiques aux citoyens polonais libérés : le NKVD voulait
conserver un instrument de pression sur eux.

Le Comité antifasciste juif première mouture.


Le régime soviétique n’avait jamais négligé la propagande et la guerre
l’incita à redoubler d’efforts dans ce domaine. Le 24 juin 1941, fut créé le
Sovinformburo dont la tâche était de contrôler l’information en URSS, de
contrer la propagande ennemie, de diffuser les nouvelles du front et
d’organiser la propagande de guerre. Le Sovinformburo collaborait avec le
ministère de l’Information britannique et le Bureau d’information
militaire américain{1418}. Chtcherbakov en avait la tutelle mais sa
cheville ouvrière était Solomon Lozovski, proche de Molotov et de sa
femme Jemtchoujina{1419}. Le but immédiat du Sovinformburo fut de
convaincre les Anglo-Saxons d’assister l’effort de guerre soviétique et,
avec cet objectif, Lozovski commença à mobiliser les intellectuels juifs
soviétiques. Le 24 août 1941, il organisa un radio-meeting réunissant
l’acteur Solomon Mikhoëls, l’écrivain Ilya Ehrenbourg, le metteur en
scène Serge Eisenstein et d’autres qui lancèrent un « appel aux Juifs du
monde entier ». Celui-ci rencontra un écho considérable. De son côté,
Jemtchoujina fut autorisée à écrire à sa famille aux États-Unis,
l’engageant à agir pour organiser une aide à l’Union soviétique. Mais
Chtcherbakov, antisémite notoire{1420} et prudent apparatchik, hésitait à
aller plus loin.
C’est alors qu’intervint Beria qui s’empara de l’initiative au détriment
du Comité central du Parti. La situation militaire de l’URSS étant
catastrophique, il crut pouvoir agir de son propre chef, profitant de
l’anarchie qui régnait dans le pays alors que rien ne semblait devoir
stopper l’avance des troupes allemandes. Il entreprit de créer un Comité
antifasciste juif (CAJ), fort peu orthodoxe du point de vue soviétique, qui
faisait pendant au Comité panslave créé sous l’égide du Sovinformburo. Il
rencontra Mikhoëls le 24 août{1421}, mais il choisit les deux Juifs
polonais socialistes Erlich et Alter pour organiser et diriger le CAJ{1422}.
Il avait entamé des pourparlers avec les deux hommes alors qu’ils se
trouvaient encore en détention{1423}. Une lettre des deux Polonais
adressée à Beria révèle la relation plutôt atypique entre le chef du NKVD
et les ex-détenus : « Après notre conversation avec vous, nous avons
discuté l’application concrète des principes sur lesquels nous nous étions
mis d’accord{1424}. » Les deux hommes sollicitaient l’assistance de
Beria pour monter le CAJ dont les tâches furent ainsi définies : cristalliser
et galvaniser la résistance des Juifs à Hitler, à la fois dans les territoires
occupés et dans les autres pays, surtout aux États-Unis ; développer la
propagande antifasciste, aider les réfugiés juifs polonais en URSS,
contribuer au recrutement dans l’armée d’Anders et favoriser la
coopération avec tous les gouvernements en guerre contre Hitler. Le CAJ
devait avoir le droit d’envoyer des délégués partout où se trouvaient des
réfugiés juifs, ainsi qu’à l’étranger.
Il fut prévu de créer un comité de dix membres, dont sept originaires de
pays occupés par l’Allemagne, auxquels devaient s’ajouter un représentant
des Juifs soviétiques, un représentant des Juifs américains et un
représentant des Juifs britanniques. Ce comité serait dirigé par Alter tandis
qu’Erlich présiderait un comité aux États-Unis. En attendant, comme ils
étaient trop décharnés pour que le NKVD les autorisât à se montrer en
Occident, l’ambassadeur polonais Kot se proposait de les employer en
URSS{1425}. Erlich et Alter insistèrent pour que l’action du CAJ fût
soumise à l’approbation des autorités polonaises, suggérant, par exemple,
que l’ambassadeur de Pologne fasse partie du Comité d’honneur.
Début octobre, Beria incita les deux hommes à adresser à Staline les
propositions pour le CAJ qu’ils avaient rédigées ensemble : seul ce dernier
pouvait décider, leur dit-il{1426}. Le projet présenté à Staline prévoyait
que le Comité serait présidé par Erlich, secondé par l’acteur soviétique
Mikhoëls, Alter assurant le secrétariat. Son but serait « d’établir une
coopération constante avec les gouvernements et les ambassades des pays
qui combattent l’hitlérisme et sur le territoire desquels existe une
nombreuse population juive ». En outre, le Comité s’efforcerait d’établir
un lien permanent entre les Juifs des pays occupés et les « centres de
l’Union soviétique qui ont accueilli des réfugiés » de ces pays{1427}.
Le projet initial du CAJ était lié de manière étroite à la formation de
l’armée d’Anders, une entreprise parallèle de Beria ; le colonel
Volkovysski déclara à Erlich : « Pour nous [le NKVD], nous soutiendrons
à Moscou l’organisation de l’armée polonaise{1428}. » Le 24 septembre
1941, Erlich et Alter envoyèrent une déclaration au Bund où, parlant au
nom des Juifs polonais, ils appelaient leurs compatriotes juifs à s’enrôler
dans l’armée d’Anders et dessinaient les contours de la Pologne d’après-
guerre : « La Pologne ne pourra exister sans menace pesant sur sa liberté
que dans une Europe libre et démocratique. » Pour cela, il fallait « une
nouvelle structure politique de l’Europe, qui repose non sur les
antagonismes et la lutte entre les nations, mais sur des intérêts communs
et une défense commune contre les menaces communes{1429} ».
Alter fut chargé de recruter des Polonais déportés dans l’Oural pour
l’armée d’Anders{1430}. Le 2 octobre 1941, Erlich et Alter proposèrent
de créer auprès du commandement de l’armée d’Anders un organisme
chargé des affaires juives{1431}. Mais, lorsqu’en octobre 1941, deux
militants sionistes de la tendance Jabotinski, M. Kahan et M. Szekin,
proposèrent au général Anders de créer au sein de son armée des unités
juives séparées, destinées à se battre en Palestine{1432}, Erlich et Alter
s’y opposèrent, tout comme Anders et Kot ; ils se méfiaient de ces deux
personnages connus pour leur association avec des éléments pilsudskistes
et qui, protégés par les généraux Michał Tokarzewski et L. Okulicki,
devinrent des conseillers officieux des services spéciaux de l’armée
polonaise{1433} ; mais surtout ils estimaient que la présence de ces
nombreux Juifs dans l’armée polonaise serait un argument puissant pour la
restauration des frontières de Riga au moment des négociations de paix,
« sur le fond de la haine systématique des Ukrainiens pour tout ce qui est
polonais{1434} ». Kot surtout était très conscient de cet enjeu :
La libération des camps et des prisons des Juifs, des Ukrainiens et des
Biélorusses de tendance propolonaise ou indépendante, leur
enrôlement dans l’armée polonaise ou leur arrivée à l’étranger
voudrait dire qu’au moment de l’organisation de l’Europe de l’après-
guerre, lorsque notre conception démocratique et fédérale de la
coopération entre les nations se heurtera inévitablement avec
l’impérialisme russe rouge drapé dans la toge de la « démocratie », la
Pologne trouvera des alliés naturels dans ces minorités qui grâce à
elle auront échappé à l’extermination{1435}.

Les Soviétiques en étaient aussi conscients puisqu’ils ne tardèrent pas à


bloquer le recrutement des Juifs dans l’armée d’Anders{1436}. Les
observateurs polonais notèrent à l’époque à quel point le traitement
réservé par les autorités soviétiques au Bund différait de celui qu’ils
appliquaient aux sionistes : alors que le NKVD libérait systématiquement
les bundistes, les sionistes restaient en détention{1437}.
Erlich et Alter développèrent une activité débordante et se proposèrent
de lever aux États-Unis une légion juive qui aurait combattu l’Allemagne
aux côtés de l’Armée rouge, proposition reprise, en mai 1942, par
l’académicienne Lina Shtern, membre du CAJ {1438} (en août 1944,
cédant aux instances de Chaim Weizmann, Churchill consentira enfin à ce
que le War Office forme une brigade juive{1439}).
Erlich et Alter établirent un contact permanent avec l’ambassadeur
britannique Cripps et l’ambassadeur de Pologne Kot qui leur transmettait
les directives du gouvernement de Londres – entre autres, rechercher les
officiers disparus. Ils rédigèrent à l’intention de Kot une proclamation qui
comprenait un programme pour la Pologne libre et démocratique de
l’après-guerre{1440}. Leur influence sur Kot était si grande que certains
officiers murmuraient que les bundistes dirigeaient l’ambassade{1441}.
Kot n’eut jamais de doutes sur la loyauté d’Erlich et Alter à l’égard du
gouvernement de Londres en dépit de leurs liens avec le NKVD –
quoiqu’il craignît une manipulation : « Alter s’est conduit très fermement
en captivité et il ne s’aveugle en rien sur les mauvais côtés de la vie
soviétique », écrivait-il le 3 octobre. Les deux hommes l’avaient assuré
qu’ils avaient accepté de collaborer avec le NKVD à condition de n’être
pas ses « marionnettes » et que la propagande qu’ils mèneraient aux États-
Unis serait sous le contrôle de l’ambassadeur de Pologne{1442}.
Erlich et Alter semblaient espérer que le régime soviétique fût en train
de changer et, dans un mémorandum à l’ambassadeur polonais en date du
10 octobre 1941, ils le soulignaient :

La création du CAJ sera la première rupture dans la politique


soviétique d’exclusion des socialistes de la participation aux affaires
publiques. Au sein du CAJ, les socialistes auront une influence
décisive{1443}.

Le même jour, sous le coup de la nouvelle de ces pourparlers entre


Beria, les officiers du NKVD P. V. Fedotov, Joukov et les deux bundistes,
Kot manifesta son étonnement auprès de Sikorski : « L’histoire que m’ont
rapportée confidentiellement Erlich et Alter témoigne des facettes
multiples de l’action du NKVD{1444}. » Puis il lui demanda si le Bund
pouvait participer au Conseil national comme Erlich et Alter l’avait
sollicité, auquel cas Alter devait s’installer à Londres{1445}.

Certes ils s’occupent de la création du CAJ, mais ils sont totalement


loyaux au gouvernement polonais. Je ne crois pas que les autorités
soviétiques soient sincères dans leur soutien au Comité, si celui-ci
refuse d’être leur instrument docile. Les deux hommes en sont tout à
fait conscients et ils sont fermes, d’autant plus qu’ils connaissent
mieux que nous les aspects négatifs du système soviétique{1446}.

Le gouvernement polonais accéda à cette demande, intégra Erlich au


Conseil national pour représenter les Juifs polonais et entreprit des
démarches pour le faire venir d’URSS{1447}. En outre, un Juif polonais
devait être parachuté en Pologne pour y organiser les activités du
CAJ{1448}.
Erlich et Alter étaient convaincus que le gouvernement soviétique leur
avait confié la mission de réconcilier la IIe et la IIIe Internationale au nom
de la lutte contre le nazisme. À Kouibychev, ils rencontrèrent
l’ambassadeur Cripps et l’informèrent de leurs négociations en vue de la
fusion des Internationales socialistes{1449}. Ils furent confortés dans
cette idée par la bonne volonté du NKVD qui leur permettait d’utiliser leur
influence pour favoriser la libération des bundistes et des socialistes
russes prisonniers du Goulag{1450}. De façon naïve ils croyaient que leur
participation au CAJ renforcerait l’influence internationale des socialistes
au détriment des communistes{1451}. Dans leur esprit, le CAJ, au sein
duquel coopéraient Américains, Britanniques, Soviétiques et représentants
des pays occupés, pouvait en quelque sorte devenir le creuset de l’Europe
socialiste et démocratique de l’après-guerre. Erlich écrivit à ses amis de
New York : « Les gens du NKVD sont aux petits soins pour nous. Ils
espèrent utiliser nos relations aux États-Unis. » De son côté, Alter
s’efforçait de convaincre son ami le socialiste polonais Adam Ciolkosz
qu’une amnistie des prisonniers politiques était imminente : « Seul un
changement dans l’état d’esprit de la population d’ici peut empêcher la
victoire de Hitler (s’il n’est pas déjà trop tard). Une amnistie est une
condition indispensable à un tel changement{1452}. » Et Alter plaidait
pour que les travaillistes britanniques, le Parti socialiste polonais et le
Bund fassent pression sur les autorités soviétiques afin de les amener à
octroyer cette amnistie : « Je risque ma tête si mon rôle dans ceci
s’ébruite. Mais c’est un risque qu’il vaut la peine de prendre{1453}. »
Ainsi, lors de sa conception, le CAJ permit à Beria de faire converger
quatre lignes politiques que nous retrouverons par la suite : la ligne juive,
la ligne polonaise et centre-européenne, la coopération avec les
Occidentaux, la réconciliation avec les socialistes.
Le réveil fut rude. Le 15 octobre 1941, Erlich et Alter furent évacués à
Kouibychev avec le corps diplomatique et une longue attente commença.
Staline était trop occupé par les opérations militaires pour se pencher sur
leur proposition, leur disait leur interlocuteur du NKVD. Mais
l’organisation du CAJ se poursuivit ; Erlich et Alter continuèrent à se
concerter avec le NKVD et invitèrent à Kouibychev les personnalités qui
devaient participer aux activités du CAJ. Erlich s’apprêtait à joindre le
gouvernement polonais de Londres pour y être le représentant du Bund,
tandis qu’Alter comptait se rendre aux États-Unis. Les autorités
soviétiques étaient au courant des plans d’Erlich et la rumeur circulait
qu’il quitterait l’URSS dans l’avion de Sikorski, que devait aussi
emprunter le général Macfarlane pour rentrer de Kouibychev à
Moscou{1454}. Mais, le 4 décembre 1941, le couperet tomba. Lors de
l’arrivée du général Sikorski à Moscou, ils furent à nouveau arrêtés sur
ordre de Beria, l’initiative venant bien entendu de Staline qui, selon un
témoignage, griffonna sur la lettre que lui avaient adressée Erlich et
Alter : « Fusiller les deux{1455}. » La situation militaire de l’URSS
commençait à se rétablir et pour Beria la récréation était finie.
On appela les deux Polonais par téléphone au Grand Hôtel où ils étaient
en train de déjeuner et on ne les revit plus. L’ambassade polonaise ne fut
pas prévenue. Le 4 au soir, elle commença à s’enquérir de leur sort. Le 5,
les Soviétiques annoncèrent leur arrestation et, le lendemain, Vychinski
déclara à Kot que les deux hommes étaient des espions à la solde de
l’Allemagne. Les diplomates polonais estimèrent que cette explication
« ne tenait pas debout{1456} ». Pour Kot, il n’y avait aucun doute que les
deux bundistes étaient punis pour leur loyauté à l’égard du gouvernement
polonais et que les Soviétiques voulaient ainsi donner une leçon à tous les
Juifs polonais tentés de se réclamer du patriotisme polonais{1457}. Les
accusations absurdes reflétaient à son avis la « haine [des Soviétiques] à
l’égard des Juifs, auxquels ils attribuaient l’état d’esprit critique de
l’opinion américaine vis-à-vis de l’URSS{1458} ». La coïncidence de leur
arrestation avec l’arrivée de Sikorski n’était en rien un hasard puisque les
deux hommes avaient sollicité une audience du chef du gouvernement
polonais{1459}. De toute évidence Staline ne souhaitait pas qu’Erlich
partît à Londres.
Sur ordre de Beria, Erlich et Alter furent placés au secret dans des
cellules individuelles et même le personnel de la prison ignorait leurs
noms. Ils ne remplirent aucun formulaire et furent dispensés de la
perquisition{1460}. Les deux bundistes devinrent des non-personnes et, le
23 décembre, ils furent condamnés à mort par le Collège militaire de la
Cour suprême. Le 27 décembre, Erlich envoya une lettre à Kalinine,
président du Soviet suprême, protestant contre son arrestation, rappelant
son rôle dans la création du CAJ et se disant prêt à collaborer avec le
NKVD{1461}. En mars 1942, pour décourager les efforts de l’ambassade
polonaise en vue de leur libération, le NKID déclara qu’ils étaient des
citoyens soviétiques. Erlich se suicida le 14 mai 1942. Le 10 juillet, à bout
de forces, Alter demanda du poison à son geôlier et, le 16 juillet, Beria
ordonna que son régime de détention fût amélioré, mais il sera exécuté le
17 février 1943, sur ordre de Merkoulov. Ses affaires seront
incinérées{1462}.
Au moment de quitter l’URSS en juillet 1942, Kot essaya une dernière
fois d’obtenir la libération des deux bundistes, proposant de les emmener
avec lui et promettant aux Soviétiques qu’ils garderaient le silence sur ce
qu’ils avaient vu de l’URSS. En vain. Le 23 février 1943, en réponse à une
pétition signée par diverses personnalités de gauche – dont Albert Einstein
et Reinhold Niebuhr – réclamant la libération des deux Polonais, Litvinov
annonça aux Occidentaux que les deux hommes avaient été fusillés en
décembre 1941 pour avoir « appelé les troupes soviétiques à cesser
l’effusion de sang en signant la paix avec l’Allemagne » en octobre et en
novembre{1463}. La version d’un prétendu procès pour trahison et appel à
la paix séparée avec l’Allemagne fut inventée par Beria et son texte
approuvé par Staline. L’historien Arkadi Vaksberg constate à ce propos :
« Le manque de logique de cette explication peut être attribué à Lavrenti
Beria qui, comme son patron, se distinguait par son ignorance de la
psychologie et son mépris de l’opinion des autres{1464}. » En fait, il faut
sans doute y voir une sorte de provocation, tant le mensonge était
outrancier.
Comme pour le massacre de Katyn, le NKVD laissa s’échapper un
témoin, Lucjan Blit, qui partagea avec Erlich et Alter une chambre à
l’hôtel Intourist de Kouibychev pendant quelques semaines et qui les vit
disparaître le 4 décembre à l’invitation du NKVD. Il put quitter l’URSS
avec l’armée d’Anders et rapporter leur histoire tragique aux socialistes
occidentaux. Chose plus étrange encore, le NKVD ne confisqua aucun
papier des deux hommes après leur arrestation et ceux-ci purent être remis
à l’ambassade de Pologne et documenter l’absurdité des accusations
soviétiques.
Que s’était-il passé ? Beria avait-il caché à Staline le passé bundiste des
deux Polonais et une délation avait-elle alerté ce dernier ? C’est ce qui
semble ressortir du témoignage de Sergo Beria{1465}. Il faut se replonger
dans le contexte de ces mois de septembre-octobre 1941 pour chercher la
clé du mystère et aussi se rappeler à quel point le précédent de la Première
Guerre mondiale était vivant dans les mémoires. Durant ces deux mois, le
régime soviétique semblait sur le point de s’effondrer et, début octobre,
Staline craignait que les États-Unis ne s’entendent avec l’Allemagne ou ne
se prononcent en faveur d’un gouvernement Kerenski{1466}. Tout comme
Beria, Staline escomptait peut-être que les Allemands vainqueurs de la
Russie finiraient par être vaincus par les Anglo-Saxons, et il pouvait s’être
laissé convaincre par Beria d’établir un canal confidentiel avec ces
derniers, distinct d’agents ou de diplomates peu crédibles. Beria, lui,
poursuivait un objectif parallèle, mettant à profit la liberté d’action dont il
jouissait durant ces journées fatidiques. Il voulait commencer à faire
connaître aux Occidentaux son visage « libéral » et pensait tenir une belle
occasion de se démarquer discrètement de Staline en sortant des cercles
trop étroits de l’émigration géorgienne. Erlich et Alter devaient être les
porteurs de ce message, l’un aux États-Unis, l’autre en Grande-Bretagne.
Mais, entre-temps, la situation militaire de l’URSS commença à
s’améliorer : le 5 décembre, l’avance allemande fut stoppée devant
Moscou et il devint clair que le régime stalinien allait tenir le choc. Beria
dut être pris de panique à l’idée que sa manœuvre allait être éventée, d’où
l’arrestation en catastrophe et la mise au secret des deux Polonais. Quant à
Staline, il ne voyait plus la nécessité de tolérer une organisation dirigée
par des socialistes sur le territoire soviétique, surtout après l’entrée en
guerre des États-Unis, ni de laisser en vie les témoins gênants des
moments de faiblesse de la direction du Kremlin en octobre 1941. Ainsi
échoua la première opération de public relations en direction de
l’Occident ébauchée par Beria et qui dépassait le cadre restreint de
l’émigration géorgienne.

Le CAJ deuxième mouture.


Le projet du CAJ ne fut néanmoins pas enterré après ce faux départ,
mais, désormais, l’Agitprop dirigée par Chtcherbakov fut chargée de son
organisation. Chtcherbakov continuait à traîner des pieds et, vers la mi-
décembre, Beria dut lui forcer la main{1467}, mais cette fois il sut rester
dans l’ombre : ainsi, dans ses Souvenirs, Khrouchtchev attribue la création
du CAJ à Molotov{1468}. L’organisateur du CAJ fut Lozovski et, le
15 décembre 1941, le célèbre acteur Mikhoëls fut nommé président du
Comité sur proposition de Chtcherbakov{1469}. Or Mikhoëls avait déjà
une réputation de « nationaliste juif » bien établie. Le NKVD s’intéressait
à lui depuis 1935 : ainsi, au moment de l’affaire de l’écrivain Isaac Babel
en 1939, les enquêteurs du NKVD avaient envisagé de le désigner comme
le chef d’une conspiration dans le milieu du théâtre{1470}. Et, en mars
1941, un fonctionnaire du Parti l’avait dénoncé, lui reprochant entre autres
de présenter dans ses œuvres l’assimilation des Juifs comme une tragédie ;
cette délation était parvenue à l’Orgburo en novembre 1941{1471}.
Le Comité vit le jour en avril 1942. Toutefois, comme le souligneront
par la suite les rapports accusateurs d’Abakoumov et d’autres
apparatchiks{1472}, il n’y eut pas de décision gouvernementale officielle
sanctionnant la création du CAJ et le NKVD en conserva la direction
effective{1473}. Mikhoëls eut pour secrétaire Chakhno Epshtein, ancien
bundiste et agent du Komintern dans les années 1920, ensuite récupéré par
le NKVD ; pour adjoint le poète Itzik Fefer, autre ancien bundiste et agent
du NKVD. Le but du CAJ seconde mouture était, selon la formule
d’Epshtein, « de créer un mouvement de solidarité juive internationale
avec l’URSS », de recueillir en Occident une aide destinée à l’effort de
guerre soviétique{1474}, « d’unir autour du CAJ et de ses filiales à
l’étranger les organisations juives influentes existant aux États-Unis, en
Angleterre, au Canada, en Amérique latine et en Afrique du Sud{1475} ».
Autre idée avancée par Epshtein : faciliter les relations entre les Juifs
soviétiques et leurs parents à l’étranger, en créant un bureau qui les
mettrait en contact{1476}. Nous verrons qu’au printemps 1953, Beria
reviendra à cette politique en cherchant de manière systématique à
promouvoir au MVD ceux qui avaient de la famille à l’étranger.

La tournée de Mikhoëls et Fefer à l’étranger.


En 1943, à partir de la victoire de Stalingrad, Staline voulut s’assurer
l’appui de l’opinion publique américaine en prévision des conférences
préparant l’après-guerre. Dans la querelle qui opposait l’URSS au
gouvernement polonais de Londres à propos des frontières orientales de la
future Pologne, l’URSS se disputait avec les Polonais de Londres l’appui
des organisations juives des États-Unis et de Grande-Bretagne.
Contrairement aux attentes des Polonais, l’indifférence avec laquelle les
Juifs accueillirent la nouvelle de la mort d’Erlich et Alter montrait que
l’URSS était en train de gagner la partie malgré les efforts déployés par le
gouvernement Sikorski pour alerter l’opinion mondiale sur le sort tragique
des Juifs en Pologne. Mikhoëls et Fefer furent donc envoyés en tournée
aux États-Unis, au Mexique, au Canada et en Grande-Bretagne, de juin à
décembre 1943, en partie pour effacer l’impression sinistre laissée par
l’affaire Erlich-Alter. En effet, Litvinov avait écrit, le 23 février 1943, à
William Green, président de l’American Federation of Labour, pour lui
annoncer l’exécution des deux Polonais, et Staline comptait sur l’« effet
Stalingrad » pour faire passer la nouvelle{1477}. Le gouvernement
polonais suivra de près la tournée de Mikhoëls et Fefer aux États-Unis et y
verra avant tout une manœuvre antipolonaise des Soviétiques et la preuve
que les « cercles juifs, y compris les Juifs riches et les directeurs
d’entreprises, sont largement infiltrés par les Soviétiques{1478} ».
Les délégués du CAJ furent invités par le Jewish Council for Russian
War Relief et, officiellement, par le très prosoviétique Comité américain
des écrivains et des savants juifs présidé par Albert Einstein.
L’organisateur de la tournée du côté américain était le journaliste
B. Goldberg, un agent soviétique{1479}. Le Congrès juif mondial et son
cofondateur, Naum Goldmann, firent tout pour que la tournée fût un
succès. Goldmann s’arrangea pour étouffer la campagne autour de la
disparition d’Erlich et Alter. Dans leurs entretiens confidentiels avec les
Soviétiques, les sionistes allèrent jusqu’à laisser entendre qu’ils ne
considéraient pas la mort des deux bundistes comme liée à la persécution
des Juifs – ils se désolidarisaient expressément de la campagne du
Bund{1480}. Pour sa part, le rabbin Stephen Wise s’en prit avec virulence
aux Juifs qui critiquaient la mission Mikhoëls-Fefer{1481}. Du côté
soviétique, le voyage fut organisé par V. Zaroubine et Grigori Kheifetz, le
résident soviétique à San Francisco et, au Mexique, la visite fut préparée
par Oumanski et le journaliste Marcos Corona, président de la Ligue de
l’aide à l’Union soviétique{1482}.
Le séjour de Mikhoëls et Fefer aux États-Unis était voulu par le NKVD
pour rétablir le contact avec le mouvement sioniste américain{1483}.
L’idée était d’obtenir un soutien à l’effort de guerre soviétique et aussi
d’inciter les Américains à financer la reconstruction de l’URSS après
guerre, notamment l’industrie métallurgique et charbonnière. Il s’agissait
d’obtenir 10 milliards de dollars. Beria convoqua Mikhoëls avant son
départ et l’encouragea à nouer de nombreux contacts avec la communauté
juive américaine{1484}. D’après le témoignage de Fefer à son procès, les
deux dirigeants du CAJ furent pris en main dès leur arrivée aux États-Unis
par Zaroubine et ils se conformèrent à ses instructions durant tout leur
séjour{1485}. Officiellement les deux Soviétiques devaient se borner à
chercher à rencontrer les magnats de la finance et de la presse, mais non
les hommes politiques. Lozovski mit en œuvre ses relations
kominterniennes pour donner à la tournée le plus d’impact possible et ce
fut un succès. Les deux hommes devinrent la coqueluche de toute
l’intelligentsia philosoviétique des États-Unis. Fin juin 1943, avec
l’autorisation de Molotov et en présence du consul soviétique
E. D. Kiseliov, ils rencontrèrent James Rosenberg, le président de
l’American Jewish Joint Distribution Committee – le Joint –, organisation
caritative créée en 1914 pour venir en aide aux Juifs d’Europe, de Russie
et de Palestine victimes de la guerre. Tous les collaborateurs soviétiques
du Joint avaient été exterminés dans les purges et, en 1938, l’organisation
caritative juive avait perdu tout contact avec l’URSS. Le Joint proposa de
renouveler son aide aux Juifs soviétiques, mais Mikhoëls et Fefer
exigèrent que cette aide fût attribuée à tous les réfugiés soviétiques et ils
parvinrent à imposer leur point de vue{1486}.
Le Joint se déclara prêt à financer en partie un projet de création d’une
région juive autonome en Crimée malgré l’expérience malheureuse des
années 1920. En effet, les bolcheviks avaient accepté de collaborer avec le
Joint en 1924, au début de la NEP, et Joseph Rosen, responsable de la
section russe du Joint, avait conçu un projet de Crimée juive. Les
bolcheviks étaient séduits, car ils nourrissaient à l’époque le dessein de
transformer les Juifs en peuple paysan pour les purger de l’esprit
capitaliste. En outre, ils n’étaient pas fâchés de créer dans la région un
contrepoids au nationalisme tatar. Et déjà ils voulaient rivaliser avec
l’Angleterre, alors perçue comme principale protectrice des Juifs. L’un des
responsables de la Section juive avait même envisagé une république juive
englobant la Bessarabie, la Crimée et l’Abkhazie. À partir de 1927, les
bolcheviks abandonnèrent le projet tout en essayant de convaincre l’Agro-
Joint de continuer son financement. À partir de 1932, l’installation de
colons juifs prit fin et, en 1939, il n’y avait que 65 000 Juifs en Crimée,
soit 5,8 % de la population totale{1487}. Selon le témoignage de Fefer
lors de son procès, James Rosenberg parlait, fin 1943, d’en faire « une
Californie juive » et lui aurait déclaré : « La Crimée ne nous intéresse pas
seulement en tant que Juifs, mais en tant qu’Américains, car la Crimée
c’est la mer Noire, ce sont les Balkans et la Turquie{1488}. »
Au total, Mikhoëls et Fefer recueillirent 45 millions de dollars, ce qui
permit d’acheter mille avions et cinq cents chars. À lui seul, le Fonds
d’aide à la Russie en guerre patronné par madame Churchill récolta 15
millions de dollars. Mikhoëls et Fefer rencontrèrent aussi Chaim
Weizman, le président du Congrès juif mondial. L’initiative était de Fefer,
mais Weizman s’arrangea pour s’entretenir avec Mikhoëls en tête à tête,
en l’enlevant toute une nuit. Mikhoëls tint alors des propos
diamétralement opposés à ceux dont il régalait les audiences occidentales :
« La culture juive en Russie n’a pas d’avenir. Aujourd’hui déjà les choses
vont mal, mais cela va empirer. Je sais beaucoup de choses, mais j’en
prévois plus encore{1489}. » Mikhoëls, qui était un sioniste sincère, dira
plus tard à un de ses amis qu’il avait « baisé l’air » en survolant la
Palestine alors qu’il se rendait aux États-Unis{1490}.
La tournée de Mikhoëls comporte encore bien des zones d’ombre.
Qu’avait dit Beria à Mikhoëls avant son départ ? La manière dont celui-ci
décrit son état d’esprit pendant le voyage donne l’impression qu’il était
conscient de marcher sur une corde raide. Il écrivait à son épouse :

La situation dans laquelle je me trouve est fort difficile et complexe ;


en plus je suis seul, car mon collègue ne peut guère représenter un
soutien pour moi. Chaque jour les choses se compliquent. Je vais
devoir apprendre à nager. Mais là je ne suis pas en train de jouer sur
la scène. Je n’ai pas le droit d’échouer – c’est moi qui serais perdu,
décapité. […] La forme même de l’entreprise que m’ont confiée le
Parti, le gouvernement et le peuple me fait peur. […] J’ai
l’impression d’avoir vieilli de dix ans{1491}.

À leur retour, Mikhoëls et Fefer furent reçus par Beria qui les interrogea
sur leur voyage. Pendant que les dirigeants du CAJ effectuaient leur
tournée triomphale, Ivan Maïski se rendit en Palestine pour y rencontrer
les chefs sionistes à qui il laissa entendre que l’URSS autoriserait les Juifs
polonais à émigrer en Palestine{1492}. De toute évidence, le
gouvernement soviétique semblait hésiter dans sa politique à l’égard des
Juifs. Ainsi, en décembre 1942, Litvinov et Maïski promirent à des
représentants du Congrès juif mondial que l’URSS accorderait trois mille
visas de sortie à des Juifs polonais mais, quelques semaines plus tard, les
Soviétiques se ravisèrent.

Le réveil de la conscience nationale des Juifs soviétiques.


La propagande nazie eut en URSS le double effet de réveiller
l’antisémitisme au sein de la population et du Parti, et de freiner le
processus d’assimilation des Juifs en provoquant une résurgence de la
conscience nationale juive. L’afflux en URSS des Juifs polonais accéléra
cette évolution. Ainsi, en février 1940, une délégation d’écrivains juifs
soviétiques se rendit en Biélorussie occidentale pour y rencontrer leurs
frères de plume juifs polonais. À plusieurs reprises, les Juifs polonais se
plaignirent à la Section juive de l’Union des écrivains des répressions dont
ils étaient victimes et leurs démarches furent rapportées à Lozovski, qui
promit de leur venir en aide{1493}.
La tournée à l’étranger fit une impression profonde à Mikhoëls et à
Fefer et la manière dont les Juifs américains étaient organisés les fit
réfléchir. Leur hôte B. Goldberg ne cachait pas qu’il considérait le CAJ
comme l’équivalent soviétique du Congrès juif américain{1494}. Même
le prudent Fefer déclara à son retour à Kiev, lors du Plénum de l’Union des
écrivains, que les « Juifs américains vivaient beaucoup mieux que les Juifs
soviétiques. Là-bas il y avait de vraies libertés démocratiques. » Il était
revenu sioniste convaincu : « Nous, les Juifs, nous devons avoir notre État,
sinon nous n’arriverons à rien », confia-t-il à un ami{1495}.
L’exemple américain fut sans doute pour beaucoup dans l’évolution du
CAJ. En effet, à partir de 1943, les activistes du CAJ commencèrent à
s’inquiéter publiquement de la recrudescence de l’antisémitisme en URSS.
Ehrenbourg en fit mention lors du second Plénum du CAJ en février 1943.
Le 18 mai 1944, Mikhoëls et Epshtein s’adressèrent à Molotov pour attirer
l’attention du gouvernement soviétique sur le sort peu enviable des Juifs
ukrainiens survivants ou des réfugiés juifs qui cherchaient à retrouver
leurs foyers. Ils demandaient que des mesures soient prises afin que l’aide
des Juifs de l’étranger leur parvienne et qu’ils puissent récupérer leur
logement et leurs biens. Molotov envoya cette lettre à Beria et
recommanda à Khrouchtchev de se conformer aux instructions du chef du
NKVD. Beria ordonna d’accorder une aide au logement et à l’emploi des
Juifs ayant subi les persécutions allemandes et de placer les orphelins dans
des foyers pour enfants. Les plaintes et les demandes recueillies par
Mikhoëls et Epshtein devaient être adressées aux administrations
concernées, placées dans l’obligation de les examiner et de leur donner
suite, s’il y avait lieu{1496}. Cette politique du NKVD se heurta à
l’hostilité des apparatchiks du Parti local. Ainsi le NKVD ukrainien reçut,
en septembre 1944, un blâme de l’appareil du Parti pour avoir dénoncé
l’antisémitisme en Ukraine en « se faisant l’écho des éléments sionistes »
et pour n’avoir pas pris de mesures contre l’« activité nationaliste de la
population juive{1497} ».
Les tentatives de « lobbying » à la soviétique émanant du CAJ ne
manquèrent pas d’alarmer les orthodoxes du Parti. Le CAJ avait des
ennemis en haut lieu et on s’en méfiait. Il n’eut par exemple jamais le
droit de disposer des dons des Juifs de l’étranger qu’il avait pourtant
recueillis. Au sein du Sovinformburo, on se plaignait que le CAJ fût « un
État dans l’État » et on le soupçonnait de sympathies sionistes{1498}. Le
7 avril 1943, le communiste tchèque Bedrich Geminder rédigea pour le
compte du service d’information du Comité exécutif du Komintern une
note consacrée au IIe Plénum du CAJ qui venait d’avoir lieu. Il releva « un
nombre d’erreur grossières » commises par les membres du CAJ et
conclut que les activités internationales du Comité « pouvaient entraîner
des ennuis à l’Union soviétique et causer des difficultés infinies au
mouvement communiste international, surtout aux États-Unis ». Que
reprochait Geminder, à Epshtein surtout ? De mesurer le succès de l’action
du CAJ au nombre de dollars recueillis pour le soutien à l’Armée rouge –
« une approche de petits boutiquiers » selon Geminder –, au lieu de voir
qu’une grande partie des Juifs américains persistaient à pencher pour le
courant menchevique, à imprimer une orientation antisoviétique à l’AFL,
voire à refuser leur soutien à la politique de Roosevelt. Bref,

le CAJ prétendait mener une grande politique américaine, sans tenir


aucunement compte de la situation concrète dans le pays et […] en
ignorant totalement le programme politique de notre Parti en
Amérique. En outre le CAJ oubliait qu’il se trouvait à Moscou et
dépendait du Sovinformburo{1499}.

Ce document du Komintern visait une initiative du NKVD en politique


étrangère, signe de la guerre larvée que se livraient Komintern et NKVD à
l’époque où Beria imprimait sa marque au NKVD.
L’appareil du Comité central du Parti ne resta pas les bras croisés
devant les hérésies supposées du CAJ. Le 9 juin 1943, il nomma secrétaire,
responsable du CAJ, N. I. Kondakov, l’adjoint de G. F. Alexandrov, le
responsable du Département de propagande. Or, depuis la mi-1942,
Chtcherbakov et Alexandrov, tous deux des protégés de Malenkov, avaient
orienté la propagande vers la célébration du nationalisme grand-russe et se
livraient à la chasse aux Juifs dans les administrations soviétiques.
Kondakov fut donc chargé de surveiller le CAJ et de contrebalancer le
« libéralisme » de Lozovski. Il se mit à la tâche avec enthousiasme,
multipliant les délations et accusant le CAJ d’être manipulé de l’étranger.
En mai 1944, il écrivait par exemple à Chtcherbakov : « Les massacreurs
fascisto-allemands prétendent que les Juifs contrôlent l’Union soviétique.
S’ils disposaient de toutes les publications diffusées par le Comité juif, ils
pourraient y trouver de quoi étayer leurs thèses mensongères{1500}. »
Cependant les protecteurs du CAJ parvinrent à le neutraliser à l’été 1944
en révélant qu’il avait trempé dans une sérieuse affaire de
corruption{1501}.

Le projet de Crimée juive.


C’est avant tout le projet de création d’une république juive en Crimée,
en 1943-1944, qui fut fatal au CAJ. L’origine de cette initiative reste un
mystère pour les historiens qui se sont penchés sur la question{1502}. Le
projet, qui commença à être discuté en cercle restreint à la veille du
voyage de Mikhoëls et Fefer aux États-Unis à l’été 1943, devait décider du
sort du million de Juifs originaires d’Europe centrale réfugiés en Sibérie et
en Asie centrale. Ces Juifs espéraient émigrer aux États-Unis ou en
Palestine et se montraient fort peu tentés par l’offre de la nationalité
soviétique. De leur côté, les États-Unis et la Grande-Bretagne ne faisaient
guère preuve d’empressement à les accueillir, sur le sol américain ou en
Palestine. Les initiateurs du projet de Crimée juive voyaient grand,
voulant attirer en Crimée des Juifs du monde entier{1503}. Selon le
témoignage d’Arkadi Vaksberg, en mars 1944, Moscou bruissait de
rumeurs sur la création imminente de cette république de Crimée{1504}.
On disait que la décision de créer une Crimée juive allait être adoptée par
le cercle dirigeant de l’URSS d’un jour à l’autre et que les premiers
installés seraient les Juifs polonais. Les écrivains juifs voyaient déjà
Mikhoëls président de la république juive de Crimée{1505}. Epshtein
l’appelait d’ailleurs « notre président{1506} ».
Un faisceau d’indices convergents donne à penser que Beria joua un rôle
moteur, quoique caché, dans cette initiative. Selon Soudoplatov, le chef du
NKVD avait reçu Fefer en secret à plusieurs reprises pour discuter du
projet de Crimée juive{1507}. Il apparaît aujourd’hui que ce sont les
agents du NKVD infiltrés dans le CAJ, Fefer et Epshtein, qui furent les
partisans les plus déclarés et les plus actifs du projet{1508}. Ainsi
téléguidés et encadrés par le NKVD, Mikhoëls et Fefer rencontrèrent
James Rosenberg aux États-Unis et évoquèrent avec lui la Crimée juive.
En tout cas, le Joint n’était pour rien dans la démarche du CAJ, car, en
1944, il estimait qu’il était prématuré de demander au gouvernement
soviétique l’installation des réfugiés juifs en Crimée{1509}. Pourtant les
dirigeants du CAJ espéraient que les Juifs américains pousseraient le
gouvernement américain à faire pression sur les dirigeants soviétiques afin
qu’ils accèdent à la demande du CAJ{1510}.
Fidèle aux règles du jeu bureaucratique, Beria eut toutefois la prudence
de mettre d’autres en avant et de créer des écrans. On a presque
l’impression que les pistes ont été brouillées à dessein. Mikhoëls et Fefer
se vantaient d’avoir négocié « en haut lieu » la création d’une république
juive indépendante{1511}. Fefer fit courir le bruit que Kaganovitch avait
conseillé de s’adresser à Staline, ce qui n’était pas le cas. À en croire le
témoignage de Simon Markish, l’un des membres du CAJ, lors de son
procès, Fefer était aussi à l’origine de la rumeur selon laquelle Molotov
était l’inspirateur de la lettre demandant la création d’une Crimée
juive{1512}.
De retour des États-Unis, Fefer et Mikhoëls gagnèrent Lozovski au
projet de Crimée juive. En janvier 1944, les deux hommes rédigèrent une
note justifiant la création d’une république juive en Crimée. Lozovski leur
disait de se hâter, car ce document était selon lui attendu en haut lieu et,
s’il était prêt à temps, on pouvait espérer que la question serait résolue au
moment de l’ouverture du IIIe Plénum du CAJ prévue pour le 27 février
1944. À cette date, la Crimée n’était pas encore libérée et ne le serait
qu’en avril. Lozovski participa à la rédaction de la note, insista pour que la
Crimée fût nommée comme emplacement de la future république juive et
suggéra de proposer la création d’une commission gouvernementale pour
réaliser le projet{1513}. Il voulait donner à la Crimée le statut, non d’une
république autonome, mais d’une république fédérée, afin « d’octroyer aux
masses juives des droits égaux » à ceux des autres peuples de l’URSS, de
remédier au « nationalisme croissant et au chauvinisme » de certaines
couches de la population juive, explicables par la tragédie vécue par les
Juifs et la montée de l’antisémitisme. La plupart des réfugiés juifs n’ayant
plus de foyer, la création d’une république socialiste soviétique juive en
Crimée offrirait une solution idéale : « Cela permettrait de résoudre un
problème sans solution pendant des siècles{1514}. » La note fut transmise
au secrétariat de Staline le 15 février 1944 – alors même que la décision
de déporter les Tatars de Crimée fut notifiée à Beria le 14 février et mise
en œuvre en mai. Le 22 février, Mikhoëls, Fefer et Epshtein, craignant que
la note ne soit pas parvenue à Staline, en adressèrent copie à Molotov :
Lozovski la remit à Jemtchoujina qui la transmit à son époux. Molotov la
diffusa à son tour à Malenkov, Mikoïan, Chtcherbakov et Voznessenski.
Dès le 23 février, la note était archivée.
D’après Soudoplatov, qui confirme amplement le rôle de Beria dans
toute cette affaire, Staline escomptait obtenir 10 milliards de dollars de
crédit des Juifs américains pour l’après-guerre (en 1944, l’American
Jewish Joint Distribution Committee avait versé 500 000 dollars à un
fonds d’aide à l’URSS alors que les Juifs avaient versé 45 millions de
dollars pour l’effort de guerre soviétique){1515}. En juin 1944, lors du
voyage en URSS d’Eric Johnston, président de la chambre de commerce
américaine, Staline se déclara favorable au développement des échanges
avec les États-Unis après la guerre et intéressé par un crédit américain à
des conditions avantageuses{1516}. Il évoqua devant Johnston et
Harriman le problème de la reconstruction économique des régions
occupées par l’Allemagne, en particulier les lieux de peuplement juif et
Johnston se montra très intéressé par le projet de Crimée juive{1517}.
Staline ne manifesta donc pas d’emblée son mécontentement et se
contenta, à l’été 1944, de faire convoquer Fefer, Mikhoëls et Epshtein par
Kaganovitch qui leur signifia que leur initiative était mal vue au
Kremlin{1518}. Fin 1944, la colonisation de la Crimée par les Slaves
commença et les districts autrefois juifs furent rebaptisés. Mais les
partisans du projet ne se découragèrent pas, continuant à espérer que les
pressions américaines feraient céder le gouvernement soviétique. En
janvier 1945, à la veille de la conférence de Yalta, Beria envoya
Soudoplatov sonder l’ambassadeur Harriman pour voir si les Américains
étaient prêts à s’engager à fond pour la création de la république juive de
Crimée. Le 2 mai 1945, peut-être à la suite d’une démarche de Mikhoëls,
il interdit d’expulser de Crimée les Karaims, ce peuple juif de Crimée
considéré par les Allemands comme des « pseudo-Juifs » et qui furent
épargnés{1519}. En juin, Mikhoëls, Fefer et Epshtein discutèrent avec
Lozovski de l’éventualité d’une nouvelle démarche auprès de Molotov.
Mais le projet de la Crimée juive était désormais officiellement enterré
puisqu’en juin la Crimée devint une région de la Fédération russe. Sans se
décourager, le CAJ informa Malenkov de l’intention du Joint d’aider les
kolkhozes juifs en Crimée{1520}. Encore en 1947, les dirigeants du CAJ
n’auront pas perdu tout espoir et continueront d’envoyer des émissaires en
Crimée. La création de l’État d’Israël ne les fera pas changer d’avis. À la
veille de leur arrestation, ils envisageront d’envoyer une délégation en
Palestine pour y rencontrer Goldberg et Rosenberg et tenter de relancer le
projet{1521}.

L’agonie et la fin du CAJ.


Après la malencontreuse affaire de Crimée, le CAJ fut en sursis, tenant
son dernier Plénum en avril 1944. Comme le raconte Khrouchtchev,
Staline ne tarda pas à « voir derrière cette proposition [de république juive
en Crimée] la main du sionisme américain agissant par l’intermédiaire du
Sovinformburo » qui voulait « créer un État juif en Crimée pour détacher
celle-ci de l’Union soviétique et établir sur nos rivages une tête de pont de
l’impérialisme américain{1522} », autrement dit, les Juifs voulaient
réaliser ce que Wrangel n’avait pu mener à bien.
Une fois de plus, la machination savante ourdie par Beria se terminait
en fiasco et ceux qui s’étaient laissé manipuler par le chef du NKVD,
surestimant sa puissance et s’imaginant à tort qu’il mettait en œuvre une
politique voulue par Staline, se retrouvèrent seuls à payer les pots cassés.
Il est possible que Molotov, souvent victime des manœuvres de son
collègue géorgien, ait fini par comprendre le rôle que Beria lui faisait
jouer. Dans ses Mémoires, Khrouchtchev évoque peut-être cette affaire :

Si Beria avait fait une proposition à laquelle Staline s’était opposé,


Beria se tournait vers l’un de ceux qui étaient présents et disait :
« Quelle idée as-tu là ! ! Ça ne vaut rien. » Il fit cela avec Molotov à
plusieurs reprises, et Molotov en était outré{1523}.

Beria lançait l’idée et s’en désolidarisait dès qu’il voyait la réaction de


Staline à son ballon d’essai, abandonnant les instruments de sa politique à
leur triste sort.
En août 1945, Staline chargea Alexandrov, qui détestait Lozovski, de
procéder à un contrôle de l’Informburo, et il commença à rassembler les
pièces d’un dossier compromettant sur Lozovski{1524}. À partir de ce
moment, le CAJ ne connut que des vicissitudes et, dès octobre 1945,
Alexandrov proposa de supprimer le Sovinformburo et le CAJ qui en
dépendait. Mais Staline temporisa. De la fin 1945 jusqu’en juin 1946,
B. Goldberg put visiter l’URSS, accompagné de Fefer et Mikhoëls, sous
l’œil vigilant des organes, et proposer de créer une association
internationale des organisations juives antifascistes. De manière prévisible
le Comité central s’opposa à ce projet{1525}.
Le 24 juillet 1946, Lozovski perdit son poste de vice-ministre des
Affaires étrangères tandis que Litvinov, Maïski et Souritz étaient mis à
l’écart. Le 1er août, le Sovinformburo fut détaché du MID et subordonné
au Département international du Comité central, alors dirigé par Souslov.
Toutes les archives du CAJ furent transférées à la Loubianka. En
septembre 1946, Souslov partit à l’assaut du CAJ, proposant à Jdanov son
abolition. Les coups pleuvaient de tous côtés. Le 7 octobre, A. Kouznetsov,
alors responsable du Département des cadres du Comité central, reçut un
rapport dénonçant les « tendances nationalistes et mystiques » des
écrivains membres du CAJ. Le 12 octobre, Abakoumov y alla lui aussi de
son rapport, accusant les dirigeants du CAJ de vouloir créer un État juif en
Palestine, de demander le droit à l’émigration pour les Juifs soviétiques,
l’amnistie des Juifs condamnés pour nationalisme et l’accréditation en
URSS de représentants des organisations juives{1526}. Désormais le
terrain était prêt : Souslov voulut porter le coup de grâce dans un
mémorandum daté du 26 novembre 1946, accusant le CAJ de
« nationalisme » et de « sionisme », de liens avec les organisations juives
même les plus réactionnaires. Souslov trouvait particulièrement
répréhensible que les dirigeants du CAJ se soient inquiétés du sort des
Juifs polonais après les émeutes antisémites qui avaient eu lieu dans
plusieurs villes polonaises. Il était surtout choqué de leur proposition
d’inviter les Juifs américains à influencer le gouvernement polonais pour
qu’il améliore le sort des Juifs de Pologne. Le CAJ était selon lui devenu
l’instrument de la politique de Washington qui souhaitait installer
massivement en Palestine « des agents de l’impérialisme américain ». La
propagande sioniste du CAJ « nuisait aux intérêts de l’Union soviétique
car la population arabe en tirait une idée fausse de l’attitude soviétique
face au problème palestinien ». Puis Souslov reprochait au CAJ de
s’occuper des Juifs d’URSS, « ce qui n’entrait nullement dans sa
fonction{1527} ». Il laissait entendre que les tchékistes étaient incapables
de venir à bout des sionistes et que seule l’intervention du Comité central
pouvait sauver la situation.
Le 7 janvier 1947, Alexandrov et Souslov proposèrent à Molotov et
Kouznetsov de fermer le CAJ qui était devenu « un véritable mandataire
de la population juive et avait assumé un rôle d’intermédiaire entre la
population juive et les organes du Parti et de l’État{1528} ». Dans le
contexte soviétique, de telles accusations sentaient le peloton d’exécution.
Mais sans doute sous l’influence de Molotov qui, à partir de 1947,
patronnait le CAJ en même temps que Jdanov et, sous l’influence de son
épouse, cherchait à le protéger{1529}, Staline se laissa convaincre
d’autoriser sa survie quelque temps encore, se contentant de limoger
Lozovski le 25 juin 1947. Ce dernier était en disgrâce, car, sans consulter
l’Agitprop, le Sovinformburo avait osé transmettre à l’étranger le
manuscrit du Livre noir compilé par le CAJ sur le génocide juif. En effet,
G. Alexandrov avait remis à Jdanov, le 3 février 1947, une note
recommandant de ne pas publier en URSS ce Livre noir, car cet ouvrage
« donne à croire que les Allemands pillaient et exterminaient seulement
les Juifs{1530} ». Et l’impression du Livre noir fut interrompue le 20 août
1947{1531}.
Le successeur de Lozovski à la tête du Sovinformburo fut
B. Ponomarev, un vieux cadre du Komintern. Or, dans l’esprit de Staline,
le Sovinformburo devait devenir une sorte de filiale du Comité
d’information créé le 30 mai afin de regrouper les divers services de
renseignements, et ses réseaux devaient servir à l’espionnage à
l’étranger{1532}. Sous la férule impitoyable de Souslov, le CAJ dut
abandonner ses contacts avec les organisations juives, y compris celles
d’Europe centrale. Du coup, le même Souslov put se plaindre, dans un
rapport daté de juillet 1947, de ce que le « CAJ n’ait pas utilisé ses liens
avec les Juifs de l’étranger pour obtenir des renseignements scientifiques
et politiques utiles à l’État soviétique{1533} », réfutant les arguments que
Beria pouvait utiliser auprès de Staline pour justifier la survie du CAJ.
La principale raison expliquant la brutalité avec laquelle Staline s’en
prit aux dirigeants du CAJ est cependant ailleurs. Staline soupçonnait les
Américains de vouloir utiliser les réseaux juifs pour obtenir des
informations sur sa vie privée. Cette hantise de Staline pouvait se nourrir
de quelques bribes de réalité : ainsi, lorsque le représentant du Russian
War Relief Leo Griliow se rendit à Moscou en janvier 1944, il se plaignit
auprès de ses interlocuteurs soviétiques que rien ne soit connu de la vie
privée des dirigeants du Kremlin, ce qui fut dûment rapporté à
Dekanozov{1534}.
Fin 1943, Alexeï Kapler, le soupirant juif de la fille de Staline, fut
envoyé au goulag de Vorkuta car « il entretenait des relations avec des
étrangers soupçonnés d’espionnage{1535} ». Svetlana épousa ensuite un
autre Juif, Grigori Morozov, ce qui irrita son père. Mais c’est la
publication, début décembre 1947, d’articles dans les journaux américains
mentionnant des détails sur la vie privée de Staline qui mit le feu aux
poudres. Seule une source proche de sa famille pouvait être à l’origine des
fuites. Staline chargea Abakoumov de l’enquête et le chef du MGB plaça
toute la famille Allilouev sur écoutes. Il s’avéra que les Allilouev étaient
liés de longue date à l’économiste Isaac Goldstein, un ami de Mikhoëls.
En décembre 1947, Staline fit arrêter sa belle-sœur Anna pour « calomnie
répugnante à l’égard du chef du gouvernement soviétique{1536} ».
Quelques semaines plus tard, Evguenia Alliloueva, l’épouse du beau-frère
de Staline Pavel Allilouev, fut incarcérée. Le 10 janvier 1948, le MGB
remit à Staline un rapport affirmant que Morozov était en relations avec
un ami de Mikhoëls qui connaissait de surcroît la famille Allilouev.
Mikhoëls fut accusé de réunir des informations sur la vie privée de Staline
et de les transmettre à ses amis américains. Staline réagit de manière
foudroyante. Mikhoëls fut assassiné le 12 janvier 1948. Jaurès Medvedev
démontre de façon convaincante que, dès décembre 1947, Staline avait
l’intention de monter une affaire contre Mikhoëls, mais l’information du
MGB l’incita à opter pour l’assassinat immédiat. Un mois après la mort de
Mikhoëls, Fefer et Lozovski écrivirent à Goldberg pour lui demander de
leur faire parvenir toutes les coupures de presse concernant le voyage de
Mikhoëls aux États-Unis en 1943 « afin d’immortaliser sa mémoire ».
Goldberg comprit que le MGB était derrière cette démarche{1537}.
En mars 1948, Abakoumov et Kouznetsov repartirent à l’assaut des
dirigeants du CAJ, en particulier contre Lozovski, accusés d’être des
« nationalistes actifs orientés vers l’Amérique{1538} ». Le CAJ fut
liquidé le 20 novembre 1948, bien que Heifetz eût jusqu’au dernier jour
tenté de se montrer utile en fournissant des renseignements sur Israël. La
résolution secrète du Politburo, en date du 20 novembre, reprochait au
CAJ « d’être un centre de propagande antisoviétique et de transmettre
régulièrement aux services de renseignements étrangers une information
antisoviétique{1539} ». Le 29 décembre 1948, Jemtchoujina fut exclue du
Parti et elle sera arrêtée le 26 janvier 1949. Il lui fut reproché d’avoir
assisté aux funérailles de Mikhoëls et surtout d’avoir laissé entendre qu’il
avait été assassiné{1540}.
Les activistes du CAJ, dont Lozovski, furent arrêtés en 1949 et exécutés
le 12 août 1952 après une longue enquête où ils se défendirent en rappelant
que « tout ce qu’entreprenait le CAJ avait été approuvé en haut
lieu{1541} ». La durée de l’instruction de leur affaire montre qu’il y eut
sans doute un discret sabotage bureaucratique de leur procès. Ainsi,
S. D. Ignatiev, le successeur d’Abakoumov, signala le 24 août 1951 à Beria
et à Malenkov qu’il n’existait pas de procès-verbaux des confessions des
accusés du CAJ et annonça une poursuite de l’enquête{1542}. Le projet de
Crimée juive fut l’un des principaux chefs d’accusation retenus contre eux
et en particulier le fait que la Crimée devait servir de refuge à la fois aux
Juifs soviétiques et à 500 000 Juifs polonais, ce qui sembla scandaleux et
très suspect aux yeux des autorités soviétiques {1543}.
Quel était le dessein véritable de Beria lorsqu’il se mit à promouvoir en
sous-main le projet de Crimée juive ? Certains historiens russes estiment
que le chef du NKVD voulait monter une provocation contre les Juifs et
contre Molotov, ce qui semble peu probable. N’étant pas antisémite, Beria
n’avait aucune raison de s’attaquer aux Juifs. Il est plus éclairant d’insérer
cet épisode dans le contexte plus large de sa politique extérieure telle que
nous tentons de la reconstituer. Une fois encore, la ligne polonaise et la
ligne juive s’entrecroisent. L’idée de créer un État juif sur le territoire
soviétique, près de la mer Noire, avait été lancée par Roman Knoll, ancien
ambassadeur de Pologne à Berlin, responsable des Affaires étrangères
dans la Délégation clandestine polonaise, dans un mémoire consacré à la
question juive adressé en mars 1940 au gouvernement en exil. L’objectif
était, en reprenant le projet sioniste, d’encourager l’émigration des Juifs
polonais jugés trop nombreux, mais sans s’aliéner les Britanniques et les
Arabes. Knoll écrivait :

Pour nous, pour la Pologne, seule la prise d’une région fertile et


géographiquement proche, généreusement taillée lors d’un
démembrement de l’Union soviétique, constituerait un facteur
favorable pour la solution de notre question juive{1544}.

Knoll pensait à la région d’Odessa et, en août 1943, il continuait à


préconiser « une colonisation juive au-delà des frontières orientales de la
future Pologne ». Cette idée fut adoptée par le gouvernement Sikorski, qui
s’efforça d’y rallier, en avril 1940, les organisations juives britanniques.
Certains membres du gouvernement britannique envisagèrent avec faveur
une solution européenne au problème des réfugiés juifs, par exemple Lord
Moyne, ministre des Colonies, qui évoqua auprès de Ben Gourion la
possibilité d’installer les Juifs en Prusse orientale{1545}. Le projet de
république juive en Crimée était conçu par ses auteurs comme une
alternative à la création de l’État juif en Palestine. Or, en 1943, près d’un
million de Juifs étaient réfugiés d’Europe centrale. Le Joint aurait voulu
financer leur installation en Palestine, mais les Anglais ne voulaient en
aucun cas de cette immigration massive dans la région et le projet de
Crimée juive pouvait offrir une solution au dilemme britannique.
Mais surtout Beria pensait au Caucase. Comme dans le cas de la
déportation des Balkares, il voulut tirer un avantage pour la Géorgie d’une
mesure décidée par Staline. Sergo Beria écrit dans ses Mémoires que son
père n’était pas favorable à la déportation des Tatars{1546} – même si on
trouve dans les archives une note de Beria proposant la déportation des
Tatars, les documents de ce genre représentent la mise en forme écrite
d’une directive orale de Staline{1547}. En août 1942, G. Karanadzé, un
proche de Beria et chef du NKVD de la république autonome de Crimée,
rédigea un mémorandum qui peut étayer cette affirmation. Après avoir
décrit les formes prises par la collaboration des Tatars, Karanadzé
écrivait : « Cependant de nombreux Tatars sont demeurés fidèles au
régime soviétique, ce dont il est impossible de ne pas tenir compte dans
notre politique ultérieure en Crimée{1548}. » Mais Staline ayant décidé
de déporter les Tatars, Beria eut l’idée de créer une zone de prospérité dans
la région de la mer Noire, préférant une Crimée juive dynamique et
prospère attirant les capitaux internationaux à une Crimée russe parsemée
de kolkhozes faméliques. Cette hypothèse semble moins fantastique quand
on sait que Beria demandera plus tard à son secrétaire Lioudvigov de
constituer un dossier sur l’antisémitisme, en Russie et dans le monde, en
lui recommandant « de mettre en lumière le rôle positif des Juifs dans le
développement économique d’un pays{1549} ». Une Crimée juive eût
permis de désenclaver le Caucase et, à terme, de desserrer la poigne
moscovite sur la région. Après tout la conquête du Caucase du Sud par
l’Empire russe avait commencé par celle de la Crimée sous Catherine II.
Au printemps 1953, après la mort de Staline, Beria entreprit de réaliser
son projet de Riviera en Géorgie occidentale. Après sa chute, on l’accusa
d’avoir voulu vendre la baie de Soukhoumi au capital étranger afin que
Soukhoumi devînt la « Nice de l’Abkhazie{1550} ».
Il est étonnant que Beria ait pu croire son projet réalisable. Soudoplatov
lui-même s’est rendu compte de l’étrangeté de cette entreprise, en même
temps qu’il entrevoyait l’arrière-pensée de Beria :

Du point de vue de l’idéologie soviétique, la création d’une


république juive soutenue par des pays étrangers était une idée
ridicule. Cela aurait permis une ingérence grave dans les affaires du
Parti et de l’État. Eu égard à la doctrine soviétique, une telle initiative
aurait été considérée comme une activité suspecte puisqu’elle aurait
entraîné la participation de pays étrangers à notre société
fermée{1551}.
Le CAJ connut un sort tragique mais sa brève existence entraîna des
conséquences profondes et irréversibles en URSS. Il cristallisa le réveil de
la conscience nationale des Juifs d’URSS qui eut lieu pendant la guerre.
Dès le premier Plénum du CAJ, en mai 1942, de nombreux orateurs
évoquèrent la nécessité de ne pas borner son activité à la politique
étrangère, mais de prendre la défense des Juifs victimes de la vague
d’antisémitisme que la guerre était en train de faire monter en URSS. À
maintes reprises, Mikhoëls et le Comité tentèrent d’intervenir en faveur
des Juifs qui essayaient en vain de retrouver leurs foyers dans les
territoires libérés de l’occupation nazie. Beria encourageait de son côté
cette orientation du CAJ : lorsque celui-ci attirait son attention sur des
abus commis à l’égard des Juifs, il réagissait aussitôt, à la différence de
ses collègues du Politburo. Dès mai 1943, le secrétaire du Sovinformburo
mit Chtcherbakov en garde contre cet aspect de l’activité du CAJ :

La direction du CAJ s’immisce dans des affaires dans lesquelles elle


ne devrait pas s’immiscer. Je considère politiquement nuisible le fait
que la direction du CAJ reçoive des lettres de la part de citoyens
soviétiques contenant toutes sortes de requêtes de caractère matériel
et se soucie de satisfaire ces demandes en écrivant aux organes du
Parti{1552}.

En 1948, le CAJ fut pris d’assaut par les Juifs soviétiques volontaires
souhaitant partir en Israël se battre contre les Arabes{1553}. G. Kheifetz,
le successeur d’Epshtein mort en juillet 1945, lui aussi un agent de Beria,
enregistrait ces demandes, tout en transmettant les listes aux autorités
compétentes. Le CAJ était en passe de devenir un organisme représentatif
et Mikhoëls aimait ce nouveau rôle : « Un acteur peut devenir une
tribune », confia-t-il à un ami{1554}. Les dirigeants du Parti étaient
outrés. Le CAJ « s’était transformé en un commissariat aux affaires
juives », se plaignit le chef de la Commission de contrôle du Parti,
Chkiriatov, en décembre 1945{1555}. Ceci le condamna aux yeux de
Staline.
Mikhoëls et Fefer avaient été dépêchés aux États-Unis pour y influencer
l’opinion américaine en faveur de l’URSS, mais ce sont eux qui subirent
l’influence américaine : ils revinrent enthousiastes de leur voyage et leur
comportement ultérieur montre qu’ils ne furent point sourds aux
objurgations des Juifs américains. Leur tournée aux États-Unis désenclava
en quelque sorte les Juifs soviétiques et la jonction avec les Juifs
américains ne put jamais être totalement défaite. Les Juifs soviétiques
apprirent aux États-Unis à s’organiser et à agir. On objectera que ce n’était
peut-être pas l’objectif de la politique de Beria. Mais alors, comment
expliquer qu’il ait choisi deux Juifs polonais pour inspirer le CAJ ? Qu’il
ait encouragé de manière systématique les contacts entre Juifs occidentaux
et Juifs soviétiques ? Là encore, la politique menée par Beria au printemps
1953 éclaire rétrospectivement ses motivations lorsqu’il préconisa la
création du CAJ : nous verrons comment il s’efforça de réveiller la
conscience nationale ukrainienne et biélorusse, tout comme il le fit pour
les Juifs soviétiques quand l’occasion fut propice{1556}.
Un dernier point mérite l’attention. Sur le plan officiel, le CAJ fut créé
pour influencer l’opinion occidentale et renforcer le courant prosoviétique
parmi les Juifs américains. Or, si Staline avait continué d’accepter l’aide
américaine après la guerre, les Occidentaux auraient acquis à terme un
moyen d’influencer la politique soviétique. On a l’impression que
l’intention de Beria était de pérenniser la situation de la guerre, quand
l’URSS dépendait de l’aide occidentale. Les Juifs soviétiques auraient
alors acquis un poids grandissant par leurs relations avec l’étranger.
Potentiellement le CAJ était un instrument d’ingérence étrangère dans la
politique soviétique. Staline ne s’y trompa pas et ceci explique la fin
tragique des activistes juifs.
Après l’échec du projet de Crimée juive, Beria fut de ceux qui
poussèrent Staline à soutenir la création d’un État juif. En avril 1946, alors
que les autorités soviétiques hésitaient encore sur l’attitude à prendre face
à la question palestinienne, alors que le MID avait pris une position plutôt
pro-arabe{1557}, Dekanozov et Vychinski rédigèrent un mémorandum à
Staline pour suggérer que les autorités soviétiques déclarent qu’elles
étaient favorables à la création d’un État juif en Palestine et ils
emportèrent la décision{1558}. Sur le terrain, le NKVD favorisa
l’émigration des Juifs d’Europe centrale et les anciens réseaux de Beria
organisèrent les exportations d’armes vers l’État juif, Eitingon et Yakov
Serebrianski étant chargés d’organiser les livraisons{1559}. Soudoplatov
affirme que Staline avait pesé pour la création de l’État d’Israël car « il
sentait qu’il y avait là un immense potentiel destructeur, surtout face aux
États fortement centralisés{1560} ». Il est bien possible que, comme
souvent, Soudoplatov reproduise ici les arguments de Beria, que celui-ci
avait coutume d’attribuer à Staline devant ses subordonnés pour leur
donner plus de poids. Après l’accueil enthousiaste fait spontanément par
les Juifs soviétiques à l’ambassadrice d’Israël Golda Meir en septembre
1948, Staline comprit son erreur. Le CAJ reçut l’ordre de proclamer le
slogan : « Jamais les Juifs soviétiques n’échangeront leur patrie socialiste
pour une autre patrie. » Dès décembre 1948, les observateurs étrangers
notèrent la détérioration des relations entre l’URSS et Israël, se traduisant
par des restrictions imposées au départ des émigrants vers la
Palestine{1561}. Mais Staline ne pouvait plus faire machine arrière et
l’État monolithique soviétique avait désormais une brèche impossible à
colmater.

14

Beria récupère les légionnaires de la Wehrmacht


et les émigrés géorgiens
Pendant et après la guerre, Beria prit grand soin de dissimuler à Staline
l’étendue de la collaboration des Géorgiens avec les Allemands. Il n’est
que de lire les notes du NKVD consacrées aux activités de l’émigration
caucasienne pendant la guerre pour s’en convaincre{1562}. Souvent
signées par Beria lui-même, ces notes minimisent ou même passent sous
silence les activités des Géorgiens de Paris ou de Berlin. En revanche elles
réservent une large place aux Azerbaïdjanais et aux montagnards proturcs
comme Haidar Bammate. Ainsi la note décrivant l’« Adloniade », la
réunion convoquée à Berlin par Schulenburg, en avril 1942, des
représentants de l’émigration caucasienne où les Géorgiens jouaient le
rôle principal, ne mentionne qu’en deux lignes deux émigrés géorgiens –
Alexandre Nikouradzé et le prince Magalov (Magalachvili) – alors qu’elle
décrit dans le détail les relations étroites entre les Turcs et les délégués
azerbaïdjanais et montagnards{1563}. Un rapport du NKVD daté du
29 juillet 1944, décrivant les filières d’infiltration en Géorgie par la
Turquie et les activités de Michel Kedia et de Menagarichvili, n’a pas été
transmis à Molotov et a fini dans un tiroir sur ordre de Merkoulov{1564}.
De même, en mai 1944, Beria s’étendit longuement dans une note à
Staline sur la collaboration avec l’Allemagne du général arménien Dro,
décrivant l’aide apportée à l’effort de guerre allemand par les associations
arméniennes, mentionnant la Légion arménienne, et arguant de tout ceci
pour justifier la déportation des Arméniens de Crimée, avec les Turcs et
les Bulgares{1565}.
À la Libération, les émigrés géorgiens de Paris se retrouvèrent en assez
mauvaise posture. Leur engagement aux côtés du Reich en 1942-1943, les
exactions des légionnaires caucasiens et turkestanais dans le sud de la
France, tout comme celles du groupe Odicharia recruté par le SD,
menaçaient la communauté géorgienne d’une épuration massive. Michel
Kedia se réfugia en Suisse. Gueguetchkori ne dut son salut qu’à un
certificat médical attestant une grave maladie. Les vieilles relations avec
l’Internationale socialiste, mobilisées, risquaient de ne pas suffire.
C’est alors que de nombreux Géorgiens reçurent une aide à laquelle ils
ne devaient guère s’attendre : leur puissant compatriote au Kremlin leur
tendit une main secourable. En effet, après la défaite de l’Allemagne, le
grand souci de Beria semble avoir été de sauver les Géorgiens qui s’étaient
engagés dans la collaboration, aussi bien les émigrés que les légionnaires
de la Wehrmacht.
La chose n’était pas facile, ce que montrent les tribulations de Michel
Kedia à la fin de la guerre. En novembre 1944, il contacta Youri
Skarjinski, un agent de l’OSS chargé par le lieutenant Albert Jolis de
localiser des cibles industrielles, de se renseigner sur le SD, le RSHA, sur
les plans allemands d’organisation d’un mouvement nazi
clandestin{1566}. Kedia introduisit Skarjinski auprès d’Allemands de sa
connaissance qui espéraient se servir du contact avec l’OSS pour
s’échapper{1567}. Et, de fait, Skarjinski s’arrangea pour organiser
l’évacuation vers la Suisse de von Mende, de Kedia et de deux membres
des comités caucasien et turkestanais{1568}. Kedia se rendit en Suisse
pour prendre contact avec les Américains ou les Anglais afin d’obtenir que
les légionnaires caucasiens ayant collaboré avec les Allemands ne soient
pas livrés aux Soviets comme les Russes de l’armée Vlassov. Dans ses
négociations avec les Américains, il comptait sur son atout maître qui lui
avait déjà servi auprès des Allemands : sa filière d’infiltration en URSS
par la Turquie. Le 28 avril 1945, il soumit aux Américains un
mémorandum où il exposait sa conception de la situation de l’après-guerre
et de la politique à mener par les puissances anglo-saxonnes face à l’URSS
de Staline. Il mettait les Occidentaux en garde contre l’erreur consistant à
considérer Staline comme un homme d’État russe : Staline « utilise la
Russie et flatte ses sentiments impérialistes uniquement pour étendre le
communisme et son pouvoir personnel partout où il le peut ». Doué d’une
volonté de fer et d’une ruse prodigieuse, « Staline veut désormais expulser
les Anglo-Saxons d’Europe et de partout où il le pourra ». Il a à sa
disposition en Europe une cinquième colonne galvanisée par les victoires
de l’Armée rouge. Les démocraties doivent s’organiser pour faire face à ce
péril. Leur première tâche est d’éviter que Staline ne mette la main sur
l’Allemagne où il dispose de nombreux partisans, les communistes, les
adeptes d’une politique bismarckienne d’alliance russe, et ceux qui ont été
révoltés par les bombardements alliés. Les Occidentaux doivent chercher
les Allemands qui souhaitent « une entente avec les démocraties et une
organisation juste de l’Europe ». Ils doivent les aider à s’organiser et
Kedia connaît des Allemands disposés à mener cette politique. Une fois le
problème allemand résolu, il faudrait joindre la France au bloc
antistalinien. Les Balkans et la Pologne suivraient. Enfin les Occidentaux
devraient miser sur les nationalités de l’URSS, en commençant par
s’abstenir de livrer aux Soviets les prisonniers de guerre allogènes, ou au
moins leurs élites. Kedia sollicitait donc des Américains l’autorisation de
revenir en Allemagne, accompagné d’officiers américains et du professeur
von Mende, et de réactiver son réseau en Turquie{1569}.
Avec ses accents de guerre froide avant la lettre, l’offre de Kedia
effaroucha ses interlocuteurs américains. Le 31 mai 1945, une note de
l’OSS conclut à son propos :

Son anticommunisme fanatique l’amenait à souhaiter une guerre


entre la Russie et les États-Unis le plus vite possible afin de réaliser
l’indépendance du Caucase. C’est pourquoi pour des raisons de
sécurité il ne fallait lui faire aucune promesse et réduire au minimum
le contact avec lui{1570}.

Kedia jouait de malchance. Au printemps 1946, quand


l’anticommunisme n’était plus jugé aussi choquant outre-Atlantique, il
avait acquis une réputation sulfureuse et passait pour un agent des
Soviétiques. Il eut beau assurer les Américains que son réseau remontait à
Moscou, ceux-ci refusèrent d’avoir recours à ses services{1571}. Mais ils
continuèrent à s’intéresser à lui et à collecter des renseignements sur lui et
son réseau{1572}. Un rapport de la CIA le présente comme le principal
agent du MGB en Suisse : « Très dangereux », conclut le rapport en juin
1946{1573}. Kedia était alors en relations avec Nicolas Gvinadzé qui
travaillait à la légation soviétique de Berne{1574} et qui était originaire
du même village que Beria à qui il devait sa carrière{1575}.
Pour les quelque sept mille légionnaires géorgiens de la Wehrmacht, la
situation était périlleuse. En effet, le 16 octobre 1944, répondant à une
note soviétique du 25 septembre, le gouvernement français s’était engagé
à traiter les prisonniers soviétiques se trouvant en France comme des
ressortissants d’une puissance alliée, sauf ceux qui avaient collaboré avec
les Allemands et s’étaient rendus coupables de crimes de guerre et
devaient être déférés devant les tribunaux français{1576}. Pour le
sauvetage des légionnaires géorgiens, Beria eut recours aux grands
moyens et mit en action son agent le plus précieux, Gueguelia, au point de
compromettre sa couverture antibolchevique en révélant ses liens avec les
communistes ; il fit aussi intervenir l’un de ses proches, Petre Charia.

Le Comité anti-Vlassov et le rôle de Gueguelia.


En 1943, les communistes français s’inquiétèrent des succès de la
propagande allemande qui exploitait les atrocités commises par les
Vlassoviens et les légionnaires pour effrayer la population française par la
perspective d’un déferlement de l’Armée rouge en cas de défaite de la
Wehrmacht. Sous le contrôle vigilant du PCF, les émigrés russes
prosoviétiques créèrent, fin 1943, l’Union des patriotes russes en vue
d’inciter les Vlassoviens à la désertion. Un certain Makhline – connu aussi
sous le nom de Matline, alias Gaston, alias Laroche –, le responsable du
PCF pour les groupes armés étrangers{1577}, dirigeait l’opération.
Matline était né en 1902 dans une famille ouvrière russe qui émigra en
France où il suivit ses études primaires puis devint ajusteur, militant de la
CGT et du PCF. À l’automne 1940, il passa dans la clandestinité et devint
l’un des responsables des groupes armés formés de communistes
étrangers, en particulier d’ex-prisonniers de guerre soviétiques évadés ou
enrôlés dans les rangs de la Wermacht puis passés à la Résistance à la
veille de la Libération. Matline mourra d’une crise cardiaque, le
3 septembre 1964 à Moscou, alors qu’il participait officiellement à la
commémoration du vingtième anniversaire de la participation de
« résistants soviétiques » à la libération de la France{1578}.
Gueguelia, alors lieutenant FFI, fut chargé par le PCF de la propagande
au sein des Vlassoviens et des légionnaires de la Wehrmacht. Il devait les
persuader de faire défection et de rejoindre les FTP, consigne identique à
celle reçue par la section russe du SOE{1579}. Il fut chargé par le 2e
Bureau de missions auprès de soldats soviétiques enrôlés par les
Allemands qui combattaient à Saint-Nazaire{1580}. Il entra en contact
avec les légionnaires géorgiens dès février-mars 1943. En septembre-
octobre 1943, fut créé le Comité anti-Vlassov ; Matline y transféra
Gueguelia qui en prit la direction à partir de mai 1944. Le 10 septembre
1944, arriva dans Paris tout juste libéré une mission soviétique, avec
l’ambassadeur Alexandre Bogomolov et Alexandre Gouzovski, le résident
du NKVD. Une collaboration étroite s’instaura entre Gueguelia et
Gouzovski qui, à cette date, n’avait que deux agents en France et à qui le
Centre avait recommandé de s’appuyer sur Gueguelia{1581}.
Le Comité anti-Vlassov était financé par un généreux mécène,
Constantin Kobakhidzé, qui lui alloua 250 000 francs et contribua à
l’équipement du camp de Beauregard près de Versailles, où était regroupés
d’ex-prisonniers de guerre de l’Armée rouge placés sous le contrôle direct
des autorités soviétiques{1582}. Ce camp soviétique, le plus important de
France, bénéficiait en effet du privilège de l’exterritorialité ; de fait, il
était régi par le NKVD. Kobakhidzé, qui jouera un rôle important dans le
réseau Beria à partir de 1944-1945, était le fils d’un grand propriétaire
terrien, membre du Parti social-fédéraliste ; il avait été envoyé par le
gouvernement menchevique pour faire des études en France où il
séjournait depuis 1919. Il s’était engagé en 1925 dans le parti Thethri
Guiorgui ; en 1926, il rencontra Gueguelia et adhéra au Centre national
géorgien réunissant tous les partis de l’émigration qui avaient adhéré au
mouvement Prométhée. À cette époque, il était en contact avec un
Géorgien employé à la mission commerciale soviétique et il trempa dans
l’affaire des faux tchervontsy{1583}. Il exerça avec succès le métier
d’avocat, puis, en 1927, il se lança dans les affaires et rejoignit le Parti
national-démocrate de Spiridon Kedia, son ami d’enfance. En 1927, il
s’efforça de persuader le gouvernement français d’accorder à la Bulgarie
un crédit de 25 millions de dollars. En 1929, il entreprit de créer une flotte
pétrolière française grâce à un financement britannique. À partir de 1932,
il se lança dans les travaux publics et fonda en 1938 sa société, les Ateliers
de construction de la Seine. Dès avant la guerre, il avait une réputation
sulfureuse : les mencheviks étaient persuadés qu’il était un agent
soviétique, ce qui ne l’empêchait pas d’être fort apprécié des services
français qui le consultaient volontiers. De leur côté, les Britanniques
l’avaient même envoyé en mission d’observation en Perse en 1933{1584}.
En 1936, ses « agissements étaient signalés comme suspects » à la
préfecture de police, en particulier ses déplacements en Turquie et en
Syrie{1585}. Après l’échec de projets de soulèvements dans le Caucase,
Kobakhidzé s’était détourné de manière ostensible de la politique, se
contentant de financer le Parti national-démocrate jusqu’à l’été 1940.
Après la défaite française, il s’engagea à fond pour l’Allemagne et
créa, en avril 1941, un Comité de la Jeunesse qui avait pour but d’unifier
l’émigration géorgienne dans le soutien au Reich. En 1942, il adhéra à
l’organisation antibolchevique unifiée créée par son cousin Michel Kedia
et E. Gueguetchkori pour seconder l’effort de guerre allemand. Grâce à
Adrien Marquet, il s’enrichit prodigieusement pendant l’Occupation grâce
aux commandes allemandes : sa firme contribua en particulier à la
construction du mur de l’Atlantique. Après la bataille de Stalingrad,
Kobakhidzé s’efforça d’acquérir des gages pour l’avenir : il abrita dans sa
société à Bordeaux quelques centaines de républicains espagnols qu’il
sauva de la déportation{1586}. Malgré ces précautions de dernière heure,
il constituait une proie idéale pour un chantage communiste : seul l’appui
des Soviétiques pouvait le soustraire à l’épuration. Kobakhidzé allait donc
entretenir Gueguelia et lui offrir un emploi de couverture dans sa firme. Il
rendit mille services aux Soviétiques, prêtant par exemple son
appartement pour des rencontres confidentielles entre dignitaires
soviétiques et émigrés. Le cas de Kobakhidzé fut d’ailleurs loin d’être
unique puisque l’Union des patriotes russes était elle aussi financée par
des personnes compromises sous l’Occupation et désireuses d’acquérir de
la sorte des certificats d’antifascisme ; à partir de l’automne 1944, elle fut
discrètement dirigée par le consul soviétique Gouzovski. La Sécurité
militaire surveillait de près cette officine{1587}.
La confusion qui régnait à l’été et à l’automne 1944 facilitait les
manœuvres les plus troubles. Certains Soviétiques sous uniforme allemand
furent libérés sans délai ni formalités par les autorités locales fin août ou
début septembre. Ils se regroupèrent eux-mêmes sous la conduite de leurs
officiers. D’autres rejoignirent des groupes de la MOI – la Main-d’œuvre
immigrée, organisation du PCF regroupant les communistes étrangers en
France par « groupes de langue ». La plupart furent traités comme des
prisonniers allemands, très souvent gardés par leurs compatriotes passés à
la Résistance quelques jours auparavant{1588}.
Les responsables des camps conçurent alors une escroquerie à grande
échelle dont les autorités françaises allaient être les victimes. Les anciens
déportés employés par l’organisation Todt et les Soviétiques passés à la
Résistance avaient droit à des allocations sur présentation de documents
signés par les commandants des unités de partisans. Ceux-ci se mirent à
fabriquer un grand nombre de fausses attestations et les intéressés
touchaient leurs allocations puis partageaient avec le commandant qui leur
avait fourni les papiers{1589}. Les communistes fermaient les yeux : sans
doute Staline comptait-il encore à l’été-automne 1944 sur cette masse
nombreuse de prisonniers subordonnés à l’URSS sur le territoire français
pour faciliter la prise du pouvoir par le PCF.
Ce climat de corruption et de combines louches favorisa les desseins de
Gueguelia qui transforma le Comité anti-Vlassov en instrument de
réhabilitation des légionnaires géorgiens. Pour avoir les mains plus libres,
il commença par une opération de diversion : il livra le groupe Odicharia à
Lucien Pluchard, l’homme des FTPF au 2e Bureau. Gueguelia était bien
renseigné sur ce groupe connu sous le nom de « Gestapo géorgienne », car
il y avait infiltré un agent, Victor Kirtava, qui obtint sa libération des
autorités françaises. En attirant l’attention sur ces quelques individus qui
avaient participé à la lutte contre les maquisards, il voulait obtenir que les
hommes de Kedia, les émigrés qui s’étaient engagés dans les unités de
l’Abwehr « Tamara 1 » et « Tamara 2 », ne soient pas inquiétés après la
Libération. Après tout ceux-ci n’avaient combattu que sur le front de l’Est.
Quant aux légionnaires géorgiens, anciens prisonniers de guerre, c’était
au Comité anti-Vlassov d’assurer leur blanchiment. La plupart de ces
Géorgiens – environ 1 500 – appartenaient à l’Ostbataillone 799 qui, de
l’automne 1943 à l’été 1944, fut lancé par la Wehrmacht contre la
Résistance en Périgord et dans les régions alentour. Quelques centaines de
ces légionnaires firent défection, surtout à partir d’avril 1944, et prirent le
maquis{1590}. Gueguelia monta ces défections en épingle pour sauver
environ 2 000 ex-légionnaires. Le Comité anti-Vlassov retrouvait ces
hommes, les faisait sortir de détention, les habillait, les plaçait dans les
camps de prisonniers de guerre soviétiques et les dotait de certificats
d’antifascisme obtenus grâce aux relations de Gueguelia avec des
résistants français. Environ 1 500 certificats fictifs furent ainsi attribués.
Gueguelia s’appuyait sur Akaki Nijaradzé, un ancien soldat de l’Armée
rouge fait prisonnier par les Allemands, dont le père était un émigré à
Paris. Nijaradzé assura désormais la liaison entre Gueguetchkori et les
Soviétiques et, après la Libération, il servit en quelque sorte de rabatteur.
Le prétexte de ses visites aux prisonniers de guerre soviétiques était
l’organisation d’un chœur par la mission militaire soviétique. La première
aide reçue par les ex-légionnaires provenait du consul Gouzovski.
Ce dispositif reposait sur une coopération étroite entre émigrés, réseau
Beria et communistes français. Du côté soviétique officiel, le réseau eut le
soutien du consul Gouzovski. L’interlocuteur français des Soviétiques fut
un officier des FFI, le commandant d’aviation Fournier, qui « s’était
trouvé en contact avec des Russes évadés s’occupant de résistance » et qui
avait organisé le camp de Beauregard. Il rencontrait chaque matin
Gouzovski et l’accompagnait au cours de ses déplacements dans les camps
de prisonniers soviétiques en France. Cet officier agit sans ordre de
l’armée et sans passer par les Affaires étrangères{1591}. De son côté,
Gueguelia travaillait pour le 2e Bureau qui l’avait chargé de plusieurs
missions auprès des légionnaires russophones de la Wehrmacht se trouvant
à Saint-Nazaire – il fut d’ailleurs décoré de la croix de la
Libération{1592}. L’absence d’une politique coordonnée entre le
ministère de la Guerre et l’état-major de la Défense nationale d’une part,
les commandements locaux des FFI de l’autre, facilita les manœuvres du
groupe Gueguelia.
Du côté des émigrés, outre Gueguelia, on trouvait Kobakhidzé, son
cousin germain Akaki Méounarguia, un ancien social-fédéraliste arrêté en
1921 et expulsé de Géorgie en 1922, et en arrière-plan E. Gueguetchkori.
Meounarguia était un proche de Gueguetchkori, tout comme Kobakhidzé.
Leur mission consistait à distribuer des certificats d’antifascisme mais
aussi à réécrire l’histoire de manière à camoufler l’engagement des
Géorgiens derrière l’Allemagne et à dépeindre les Géorgiens comme des
héros de l’antifascisme et des victimes potentielles des persécutions
nazies. Où l’on retrouve l’infatigable Gueguelia qui, en septembre 1944,
rédigea à l’intention des responsables soviétiques un rapport dans lequel il
démontrait que les légionnaires de la Wehrmacht et les Vlassoviens
avaient combattu contre les Allemands aux côtés des résistants français.
Ces efforts furent complétés par la publication de l’ouvrage d’Akaki
Meounarguia, intitulé Histoire de la lutte du 1er régiment des partisans
soviétiques contre les Allemands en France. Les travaux historiques de
Méounarguia ne se bornèrent pas à l’édifiante chronique de ce régiment de
partisans vrais et faux. Les archives du MGB de Géorgie ont conservé une
brève histoire de l’émigration géorgienne sous l’occupation allemande,
rédigée par Meounarguia et présentant l’émigration géorgienne comme
tout entière soudée contre l’envahisseur, brûlant de patriotisme français et
d’antifascisme.
Ce 1er régiment de partisans était en réalité constitué à partir du
1er régiment de la division des volontaires de la Wehrmacht qui se
trouvait à Castres et qui était composé de bataillons géorgiens,
turkestanais et nord-caucasiens. Ce régiment de partisans, formé avec le
soutien énergique de communistes français et espagnols manipulés par
Gueguelia, se trouvait dans la région de Toulouse et d’Albi. Et c’est au
nom du commandement de ce régiment que furent décernés les certificats
d’antifascisme. Le régiment fut visité à Toulouse par Charia, l’envoyé de
Beria, accompagné de Gouzovski et de l’adjoint du général V. M. Dragoun,
chef de la mission soviétique de rapatriement. Grâce aux relations de
Gueguelia dans les milieux communistes, 80 ex-légionnaires géorgiens
reçurent même des décorations françaises pour leurs exploits – souvent
réels – dans la libération du territoire français{1593}. Plus tard, lors d’une
perquisition au domicile de Gueguelia, le MGB découvrit les photocopies
de 65 ordres de décorations décernées à des « partisans » géorgiens. Il
existait aussi un régiment de « partisans » arméniens{1594}.
Dès son arrivée en Géorgie au début de l’année 1945, Otar Ichkhneli, le
commandant de ce fameux 1er régiment soviétique en France, adressa à
Tcharkviani, premier secrétaire du PC géorgien, un rapport détaillé sur les
hauts faits d’armes de son régiment dans la libération du sud de la France.
Il cita l’allocution du général Golikov, responsable de la Commission de
rapatriement, à ses hommes : « La Patrie s’enorgueillit de tels fils. »
D’autres organisations des nationalités de l’URSS en France
cherchèrent à se « blanchir » en alléguant qu’elles avaient contribué à faire
passer du côté des FFI des bataillons de prisonniers de guerre enrôlés dans
la Wehrmacht : ce fut le cas de l’Union nationale ukrainienne{1595}. Il se
peut d’ailleurs que la sollicitude de Gueguelia se soit étendue à d’autres
allogènes en mauvaise posture. Le chef du camp de Privas était un
Arménien ex-FFI qui avait organisé des unités de déserteurs de la
Wehrmacht dans le maquis et qui était, selon les autorités françaises,
« d’une incompétence notoire{1596} ».
L’un des membres du Comité anti-Vlassov était Dimitri
Mikhailovski{1597}, ancien colonel de l’Armée rouge, un Russe
« géorgianisé » originaire de Tbilissi, commandant d’une compagnie de la
Légion géorgienne de la Wehrmacht – le 799e bataillon stationné à
Périgueux. Mikhailovski, surnommé par les Français le « Cosaque »,
s’était mis en contact dès 1943 avec son compatriote Gueguelia, ce qui ne
l’avait pas empêché de participer à des opérations contre le maquis. Pillant
les chais, incendiant les fermes, terrorisant la population avec ses soudards
à cheval, il s’était fait une solide réputation. Gueguelia l’avait rencontré à
Périgueux lors d’une mission qu’il effectuait pour le compte des FTP. En
juin 1944, Mikhailovski déserta à Paris et se réfugia chez des émigrés. Le
Comité anti-Vlassov eut tôt fait de le recycler en antifasciste et, dès juillet
1944, il fut intégré dans un groupe de partisans ; à partir du 27 août, il fut
chargé de regrouper les citoyens soviétiques à Paris pour le compte du
consulat rue Galliera. Alexandre Hetagourov, un comparse de
Mikhailovski lui aussi recyclé en « antifasciste » par Gueguelia, était
encore plus encombrant. Il avait failli arrêter le général de Gaulle à Brive
et Gouzovski dut se lever en pleine nuit pour le tirer d’une rixe d’ivrogne
et le rapatrier précipitamment à Moscou{1598}. Quant à Mikhailovski, il
fut rapatrié en URSS le 19 février 1945 et arrêté par le SMERCH le
30 avril 1945.
En effet, les agissements du Comité anti-Vlassov ne pouvaient à la
longue manquer d’attirer l’attention des pouvoirs publics français et des
résistants. Dans le cas de Mikhailovski, ce sont des témoignages remis par
les autorités françaises à la Mission militaire soviétique qui déclenchèrent
une enquête du SMERCH et la condamnation de Mikhailovski à dix ans de
détention. La Sécurité militaire avait d’ailleurs remarqué que les relations
entre Gouzovski et les communistes français étaient fort
mauvaises{1599}, et que l’attitude de Gouzovski contrastait avec celle de
l’ambassadeur Bogomolov qui semblait « se désintéresser complètement
des prisonniers de guerre soviétiques comme frappés d’une sorte
d’indignité » ; les Français en retirèrent l’impression que le problème des
citoyens soviétiques sur le sol français était « traité par plusieurs autorités
d’une manière indépendante et contradictoire{1600} ». Les anciens
légionnaires notèrent de leur côté le contraste entre l’attitude du consul
Gouzovski et celle beaucoup plus hostile de la Mission militaire du
général Dragoun{1601}. Par ailleurs, on remarqua à Paris que de
nouvelles instructions, reçues de Moscou à la mi-janvier 1946, se
traduisaient par une intensification de la traque des ex-prisonniers de
guerre soviétiques sur le territoire français{1602}.
Les Soviétiques commencèrent à soupçonner Gueguelia de travailler
pour les services français dès 1945. En novembre 1948, le MGB était
alerté par un témoignage sur l’affaire du faux régiment de partisans, mais
l’affaire n’éclata qu’en 1952. En 1953, Gouzovski dut se justifier devant
les enquêteurs du MGB de la confiance qu’il avait accordée à Gueguelia. Il
fit valoir que la police française étant à l’époque infiltrée par les
communistes, il lui était difficile de discerner si les relations de Gueguelia
au sein de cette dernière étaient répréhensibles ; et, lorsqu’en avril 1945, il
avait fait part au consul Goukasov des soupçons pesant sur Gueguelia,
celui-ci lui avait affirmé qu’il était exclu que Gueguelia fût un agent
double{1603}. En tout cas, Gueguelia suscita sans doute des haines
tenaces au sein du PCF : en 1949, un communiste français le dénonça
comme agent des services spéciaux français au résident Emelianov{1604}.
Ces soupçons incitèrent les Soviétiques à rapatrier Gueguelia en décembre
1947 avec un groupe d’autres émigrés, alors qu’il avait exprimé le désir de
rentrer en URSS en passant par Moscou où il espérait être reçu par
Beria{1605}.

Le séjour de Charia à Paris.


À la fin de l’année 1944, Beria voulut profiter du désarroi de
l’émigration géorgienne, de l’anarchie de l’immédiate après-guerre, de
cette période trouble où tous avaient quelque chose à cacher pour relancer
ses contacts et entamer la phase décisive d’une opération qui lui tenait à
cœur : le ralliement des émigrés à sa personne. À la faveur des
circonstances du printemps 1945 exceptionnellement favorables, il
entendait porter à son point culminant la campagne de public relations
qu’il menait auprès des émigrés depuis sa période géorgienne, et qu’il
avait pu développer de manière inespérée durant la guerre.
Toutes les opérations montées par Beria que nous aurons l’occasion
d’évoquer ont un trait commun, qui explique pourquoi celui-ci put si
longtemps déjouer la vigilance de Staline : aucun des participants ne
possédait une vision complète du puzzle, chacun mettait en place quelques
pièces, mais le tableau d’ensemble n’était visible que pour le chef du
NKVD. Dans l’affaire qui nous intéresse, même le résident Gouzovski ne
savait pas tout.
Le 16 novembre 1944, Beria adressa à Staline une note sur le trésor
géorgien emporté par les dirigeants mencheviques lors de leur exil en
1921, et il proposa d’envoyer à Paris deux Géorgiens, Chalva
Amiranachvili, un critique d’art réputé, et Charia, pour le
récupérer{1606}. Ce fameux trésor avait d’abord été entreposé à Marseille
puis à la Banque de France où il avait été mis sous séquestre quelque
temps avant la guerre. En 1944, le général de Gaulle, à la demande de
Staline, accepta de le rendre à l’URSS. Le rapatriement du trésor fournit
l’occasion de la première rencontre, en novembre 1944 à Leuville, entre
Noé Jordania et Gouzovski qui devait recevoir un engagement écrit
confirmant que le gouvernement menchevique consentait à la restitution
du trésor géorgien à l’URSS. Mais ceci n’était qu’un prétexte puisque le
gouvernement français avait déjà promis à Moscou de rendre le trésor.
Beria se targuait de rapporter le trésor en URSS grâce à ses réseaux et
Staline donna son consentement. C’est ainsi que, fin janvier 1945, arriva à
Paris Petre Charia, le philosophe tchékiste, qui resta en France jusqu’en
avril{1607}. Sa mission officielle était de récupérer le trésor dont il ne
restait d’ailleurs pas grand-chose : sur les 169 caisses initiales, 130 avait
disparu, leur contenu ayant été vendu par les membres du gouvernement
menchevique. Charia s’en montra indigné, mais il renonça à demander des
comptes aux mencheviks{1608}.
Quoi qu’il en soit, le trésor n’était que la couverture d’une mission bien
différente assignée par Beria à un collaborateur qui était aussi un ami de la
famille. La résidence de Paris conseilla à Charia de faire appel à trois
hommes, Gueguelia, Nijaradzé et Méounarguia. Le premier lui avait déjà
été recommandé à Moscou par Goukasov et le MGB géorgien. Gueguelia
servit d’intermédiaire entre les émigrés géorgiens de Paris et Charia à qui
il donna une liste d’émigrés, la plupart mingréliens, qui selon lui s’étaient
ralliés au régime soviétique. Presque chaque jour, Charia vit Gueguelia qui
lui servait de guide, et il transmit régulièrement à Beria par câble ce qu’il
apprenait de Gueguelia, sa principale source d’information.
Descendu à l’hôtel Bristol, Charia ne tarda pas à mener joyeuse vie en
compagnie de Gueguelia, Méounarguia et d’autres émigrés. Son
compatriote mingrélien Kobakhidzé le régalait des vins fins de sa cave.
Charia rencontra Spiridon Kedia, les sociaux-fédéralistes Samson
Pirtskhalava et Gogolachvili, Joseph Gobetchia, Guigo Jordania, le frère
de la femme de Rapava ; pressenti, Mikheïl Tsereteli, le fondateur de
l’organisation Thethri Guiorgui, refusa de le voir. Les émigrés se
pressaient à sa porte, qui pour demander son soutien à la création
d’organisations d’émigrés géorgiens – car à l’époque le gouvernement
français ne donnait son accord à la création d’une organisation émigrée
que s’il avait reçu l’aval de l’ambassade soviétique –, qui pour solliciter
son intervention auprès des autorités françaises afin d’échapper à une
condamnation pour collaboration. Charia était considéré par les émigrés
comme le meilleur interlocuteur soviétique possible. Comme il le confia à
Gueguetchkori lors d’un entretien au printemps 1945, « les dirigeants de la
Géorgie soviétique ne veulent pas que l’émigration soit perdue pour la
Géorgie{1609} ».
Car Charia ne cachait pas son nationalisme géorgien et il s’efforça de
démontrer aux émigrés que le gouvernement géorgien était avant tout
patriote : n’était-il pas en train de déployer de grands efforts pour obtenir
la restitution à la Géorgie des terres occupées par la Turquie en 1918 ?
Charia laissa entendre que Beria travaillait à rendre la Géorgie
indépendante{1610}. Gueguelia put recueillir les opinions favorables des
émigrés qui savaient fort bien qu’elles étaient retransmises à Charia et à
Beria. À l’en croire, enchanté de ses rencontres avec l’émissaire de Beria,
Jordania confiait à ses proches : « Charia est un vrai communiste
géorgien. » Spiridon Kedia, le chef du Parti national-démocrate, était pour
une fois d’accord avec l’ex-président géorgien : « Il a autant les intérêts
nationaux géorgiens à cœur que nous. » « Avec Charia on peut être
d’accord sur tout, c’est un nationaliste géorgien exemplaire », renchérit de
son côté le social-fédéraliste Gogolichvili, proche de
Gueguetchkori{1611}. Cet enthousiasme s’explique aisément : pour
beaucoup d’émigrés Charia était un sauveur{1612}. Il ne leur tenait
aucune rigueur pour leur attitude pro-allemande pendant la guerre. À
Eugène Gueguetchkori qui venait de lui expliquer pourquoi l’émigration
géorgienne avait soutenu à fond l’Allemagne, il dit qu’il « comprenait fort
bien » cette attitude{1613}. Charia n’était pas le seul à prendre ces
positions : quelques années plus tard, le diplomate Ilya Tavadzé, autre
proche de Beria, cherchant à convaincre l’émigré Spiridon Tchavtchavadzé
de revenir en Géorgie soviétique, lui dit que sa collaboration avec les
Allemands pendant la guerre « serait plutôt considérée comme un point
positif{1614} ».
Charia encouragea le développement de relations entre le consul
Gouzovski et les chefs mencheviques, Gueguetchkori surtout. Il intervint
auprès des autorités françaises pour éviter à des émigrés géorgiens les
désagréments de l’épuration, comme le lui demanda, en février 1945,
Kobakhidzé qui, à cette occasion, fit connaissance de Gouzovski et
entreprit de gagner ses bonnes grâces en l’invitant à des dîners bien
arrosés dans les restaurants parisiens.
De la collaboration du trio Gueguelia-Méounarguia-Kobakhidzé avec
Charia et Gouzovski, naquit la revue prosoviétique Kartuli Sakme (La
Cause géorgienne), une publication qui, selon les recommandations du
consul Gouzovski, ne devait pas apparaître communiste, sinon « elle ne
vaudrait pas un clou{1615} », et qui devait propager la thèse de la
participation des Géorgiens à la libération de la France. Le modèle en était
la revue Russkie Novosti publiée par le professeur Stoupnitski, destinée à
rallier les émigrés russes à l’URSS. Kartuli Sakme commença à paraître en
janvier 1946 mais provoqua un scandale, en septembre 1946, pour avoir
invité Serge Lifar, lequel avait envoyé un télégramme de félicitations à
Hitler au moment de la prise de Kiev ! Lifar devait participer au gala
organisé salle Pleyel au bénéfice du Comité du monument aux libérateurs
de Paris en présence de l’ambassadeur d’URSS Bogomolov ; devant les
remous suscités par cette affaire, Bogomolov retira son patronage et la
soirée n’eut pas lieu.
Kartuli Sakme vécut grâce au financement de Kobakhidzé, qui était
alors en relations étroites avec le consul Gouzovski{1616}, et pour cause :
il devait passer en jugement pour collaboration en avril 1946 et était
menacé de voir sa firme confisquée. Il accepta de subventionner Kartuli
Sakme à condition que les Soviétiques le protègent des autorités
françaises{1617}. Lors de son procès, il put produire une lettre de
Gouzovski attestant ses bons et loyaux services envers l’URSS ; il
bénéficia aussi du témoignage de Gueguelia à qui Charia avait
recommandé d’aider Kobakhidzé, « un homme nécessaire{1618} ». Il fut
ainsi tiré d’affaire. Et peu après, Gueguelia servait d’intermédiaire entre
Roger Seydoux et Kobakhidzé afin d’obtenir que sa firme soit rayée de la
liste noire{1619}.
Charia s’arrangea aussi pour tirer d’affaire Grégoire Beridzé, un ancien
collaborateur de la mission commerciale soviétique en France qui,
autrefois, avait fait transiter les fonds destinés au PCF. « Banquier cinq
fois failli, un des plus habiles gangsters financiers de la place de
Londres », selon une fiche du renseignement français de 1947{1620} ;
trafiquant de titres nobiliaires et de bénédictions papales, Beridzé s’était
enrichi pendant la guerre d’Espagne en vendant des armes aux deux
parties{1621}. Il avait été recommandé aux Allemands par Michel Kedia
qui l’avait fait libérer et lui avait trouvé un emploi au Département
économique de l’Abwehr. Il avait amoncelé une véritable fortune pendant
la guerre grâce à la contrebande du platine et des diamants russes. En
échange, Beridzé finançait le Comité caucasien à Berlin et partageait ses
revenus avec les Allemands, les organisations germanophiles géorgiennes
et E. Gueguetchkori{1622}. Les Allemands l’avaient nommé directeur de
la compagnie par actions pour l’exploitation du pétrole de Bakou et de
Grozny. En 1944, Beridzé les aida à transférer des biens confisqués et à
exporter leurs avoirs en Suisse{1623}. Après la guerre, Beridzé se réfugia
dans ce pays où il connaissait J. Martin du Journal de Genève et le général
Henri Guisan, chef de l’état-major suisse. Matline perquisitionna son
appartement et s’y installa en août 1944. Les autorités françaises
réclamèrent son extradition mais Charia chargea Bogomolov d’obtenir
l’abandon des poursuites{1624}. Avec succès puisque, à l’automne 1947,
Beridzé s’installait à Barcelone à la tête de la Société minière
marocaine{1625}.
À son retour de Paris, Charia rédigea à l’intention de Staline deux
rapports sur ses rencontres avec les émigrés géorgiens, l’un daté du
22 février 1945, l’autre du 4 juillet 1945. Ses recommandations étaient
pour le moins surprenantes :
Si louche soit le groupe Gueguetchkori-Jordania, il n’y a que lui qui
puisse être utilisé si nécessaire, et sa malhonnêteté même, son avidité
ouvrent des perspectives. […] C’est surtout Gueguetchkori qui peut
être utilisé, c’est un arriviste habile, qui a accès à tous les milieux et
qui aime l’argent. […] Pour que Gueguetchkori puisse fournir une
information intéressante, il faut qu’il puisse adopter en apparence une
position antisoviétique modérée. Gueguetchkori peut faire travailler
des gens pour nous. […] Le mieux serait de lui fournir une
compagnie par actions comme couverture. Bien sûr ce serait à nous
de trouver les fonds{1626}.

Ainsi donc Beria se proposait de subventionner les émigrés de Paris en


bien mauvaise posture à l’époque, privés de leurs subsides allemands, pas
encore financés par les Américains, et souvent poursuivis par les autorités
françaises pour collaboration. Le deuxième rapport de Charia affirmait
que les deux chefs mencheviks étaient prêts à se rallier au régime
soviétique, Jordania ayant même promis de se rétracter publiquement.
Mais les recommandations de Charia ne s’arrêtaient pas là, l’envoyé de
Beria considérant comme souhaitable d’autoriser le retour en Géorgie d’un
certain nombre de ces émigrés présentés comme inoffensifs : « Ils ne
causeront pas de problèmes car ils n’ont plus d’ambitions politiques et on
peut les caser à des postes modestes{1627}. »
Charia n’était pas le seul émissaire de Beria auprès des émigrés
géorgiens. Roukhadzé, le chef du SMERCH géorgien, fut envoyé à Berlin
dans la seconde moitié de 1945 avec un groupe de tchékistes, afin de
repérer les émigrés géorgiens qui restaient en Allemagne après la défaite,
d’arrêter les plus actifs et d’essayer de recruter les autres. Mataradzé
faisait partie de son équipe, de même que le philosophe Chalva
Noutsoubidzé et le général Kakoutchaïa. Arrivés à Berlin, ces tchékistes
commencèrent à mener joyeuse vie, allant de pillages en beuveries. Les
émigrés ciblés étant au nombre de sept ou huit, pour plus d’une vingtaine
de tchékistes, les loisirs ne manquaient donc pas. Roukhadzé les meublait
en jouant aux cartes et seul le philosophe Noutsoubidzé prit sa mission au
sérieux. Il y eut deux arrestations qui firent grand bruit chez les
Occidentaux.
En 1952, au moment de l’affaire mingrélienne, Mataradzé prétendra
dans une déposition qu’il avait prévenu Tbilissi de l’arrivée en Géorgie, en
1949, de Mamia Berichvili et Alexandre Tatichvili, les émissaires du
Bureau de l’étranger des mencheviks, mais que Roukhadzé n’avait rien
entrepris pour les capturer et Mamia Berichvili avait pu regagner la
France. Roukhadzé faisait soi-disant peu de cas des renseignements
fournis par le MGB car il dépendait d’Abakoumov et ne reconnaissait que
l’autorité de ce dernier. C’est à lui qu’il envoyait les renseignements
recueillis et celui-ci les plaçait dans un tiroir{1628}. En réalité, selon les
informations de la CIA, Beria se rendit deux fois en secret à Berlin pour
ordonner aux deux généraux géorgiens du NKVD de « ne pas toucher aux
émigrés géorgiens, de ne pas leur imposer de passeports soviétiques mais
de les utiliser à des fins de propagande » et pour dicter aux émigrés la
nouvelle ligne : « En cas de conflit entre les Anglo-Américains et l’URSS,
les émigrés géorgiens nationalistes resteront neutres{1629}. »

La revendication des terres géorgiennes.


Beria tint sa promesse à ses compatriotes émigrés. Les archives
géorgiennes, le témoignage de Khrouchtchev attestent la manière dont il
se fit au Kremlin le lobbyiste opiniâtre des revendications territoriales de
la Géorgie à l’égard de la Turquie en 1945-1946. Les Géorgiens
réclamaient la partie méridionale de l’ancienne province de Batoum, les
provinces d’Artvin, d’Ardahan et d’Olti. En 1945, le principe d’une
modification de la frontière turque au profit de l’URSS n’était pas exclu a
priori par les Occidentaux. Un compromis était possible : à Potsdam,
Truman se montra disposé à accepter une révision de la frontière soviéto-
turque à condition que Staline renonce à ses ambitions sur les Détroits.
Selon Sergo Beria, c’était justement ce que souhaitait le chef du NKVD.
Les Turcs eux-mêmes pouvaient envisager la chose, comme le confia
Menemencioglu au diplomate français Saint-Hardoin le 30 mars 1945 :
« Si j’étais encore ministre des Affaires étrangères et que la demande
russe se bornât à Kars et Ardahan, qui ne valent absolument rien, je les
leur donnerais tout de suite, en échange d’un bon accord de garantie »
(MAE Europe 1944-1955, Turquie, 18, f. 88). Le projet de Beria eût donc
pu aboutir si Staline n’avait pas donné la priorité à un contrôle soviétique
sur les Détroits, ce qui était inacceptable pour les Occidentaux.
De son côté, Baguirov avait entrepris de patronner un mouvement
sécessionniste en Azerbaïdjan du Sud à partir de l’été 1945. À l’automne
1945, la perspective du rattachement de l’Azerbaïdjan iranien à
l’Azerbaïdjan soviétique avait fait naître chez les communistes géorgiens
et arméniens l’espoir d’obtenir de l’Azerbaïdjan des révisions territoriales.
Ils escomptaient que l’Azerbaïdjan s’étant considérablement agrandi, il
consentirait au rattachement à l’Arménie du Haut Karabakh et au
rattachement à la Géorgie des districts géorgiens du nord de l’Azerbaïdjan.
Mais la résistance de l’Iran fermement appuyé par les Anglo-Saxons,
l’espoir de parvenir à un accord anti-occidental bilatéral avec Téhéran
obligèrent Staline à abandonner les séparatistes d’Azerbaïdjan du Sud.
Ainsi échoua le projet de créer une « Grande Géorgie » et une « Grande
Arménie » qui avait rapproché Beria et les émigrés caucasiens. Le
nationalisme caucasien de Beria s’était heurté aux ambitions grand-russes
traditionnelles que Staline avait faites siennes. Toutes ces entreprises
eurent pour seul résultat de précipiter l’avènement de la Guerre froide.

15

Le sort de la Pologne
Contrôle ou influence ?
Comme Staline, Beria avait toujours plusieurs fers au feu. À peine l’un
de ses stratagèmes avait-il échoué qu’il activait des dispositifs de
rechange, au moins dans les domaines qui lui tenaient à cœur. Sa politique
polonaise pendant la guerre illustre son opiniâtreté jusque dans les
circonstances les plus contraires.
Après la sortie d’URSS de l’armée d’Anders, Beria voulut miser sur le
colonel Berling. Sur ordre du NKVD, et peut-être après un accord secret
entre le NKVD et le commandement de l’armée polonaise, ce dernier ne
quitta pas l’URSS et Anders lui conseilla de s’occuper de la recherche des
officiers disparus pour dissiper les soupçons qui s’accumulaient contre lui.
Mais, in fine, le 23 juillet 1943, le tribunal de l’armée polonaise en Orient
condamna Berling à mort par contumace pour désertion, quoique le verdict
fût gardé secret{1630}.
De son côté Berling s’imaginait qu’une deuxième chance de réaliser ses
ambitions s’offrait à lui. Il entreprit de formuler un programme pour la
Pologne d’après-guerre, dont le premier point était la rupture avec le
gouvernement de Londres. La future république polonaise devait être
« parlementaire, démocratique et souveraine », le pouvoir y appartenant
« au peuple travailleur ». Elle renoncerait aux territoires « majoritairement
peuplés d’Ukrainiens, de Biélorusses et de Lituaniens » et revendiquerait
en revanche les « anciennes régions des Piast vers la Neisse, l’Oder et la
Baltique{1631} ». Ce programme, qui exprimait les visées politiques de
Berling, fut transmis à Merkoulov et Berling fut en quelque sorte mis en
réserve par les autorités soviétiques de septembre 1942 à février 1943. Fin
décembre 1942, un officier du NKVD proposa à Berling de le parachuter
en Pologne afin d’y organiser la « partie démocratique de la société » ;
l’un des deux communistes déjà parachutés à ces fins venait d’être
assassiné, ce qui n’avait pas de quoi surprendre, selon l’homme du
NKVD : les deux personnages étaient envoyés par le Komintern et
n’avaient rien eu de plus pressé que de vouloir transformer les
communistes locaux à leur image, ce qui était « une erreur
capitale{1632} ». Berling refusa, cette mission lui semblant vouée à
l’échec, car en Pologne on ne pouvait que se méfier de lui.
Et, de fait, la situation sur le terrain n’avait rien d’encourageant pour les
émissaires de Moscou. La troïka dirigeante du PC polonais, formée à
l’école du Komintern de Pouchkino et parachutée en Pologne le
27 décembre 1941, était composée de Marceli Nowotko, Pavel Finder et
Bolesław Mołojec. Or, le 28 novembre 1942, Mołojec, ancien de la guerre
d’Espagne, fit assassiner Nowotko. Et, le 14 novembre 1943, Finder,
l’homme du Komintern, tomba aux mains de la Gestapo qui le fusilla. On
peut d’ailleurs se demander si ces deux communistes parachutés de
Moscou ne furent pas victimes de la guerre secrète que se livraient le
Komintern et le NKVD. Leur trépas opportun ouvrit la voie à Wladisław
Gomułka, un communiste résistant à l’intérieur de la Pologne, qui n’était
pas aligné sur le Komintern. Ajoutons que le contact radio avec les
communistes de Pologne fut interrompu de novembre 1943 à janvier 1944,
ce qui permit à Gomułka d’organiser un nouveau parti communiste – le
POUP – sans consulter Dimitrov, et de mettre Moscou devant le fait
accompli. Or, jusqu’en novembre 1943, Gomułka se montra favorable à
une collaboration avec le gouvernement de Londres et avec son Armée de
l’intérieur, l’AK{1633}.

La division Kosciuszko.
Berling voulait entrer en contact avec les communistes polonais mais il
eut la surprise d’entendre ses interlocuteurs du NKVD l’en dissuader
instamment. Un jour, il rencontra par hasard l’un des kominterniens
polonais, Wiktor Grosz. Lorsque Kondratik, son officier traitant du
NKVD, apprit la nouvelle, il manifesta une agitation frisant la panique. Il
expliqua à Berling que les kominterniens polonais avaient dès le début été
opposés à l’accord Maïski/Sikorski, qu’ils avaient tenté de convaincre
Staline de créer des unités polonaises intégrées dans l’Armée rouge au lieu
d’une armée polonaise, qu’ils avaient monté toute une campagne contre
les délégations polonaises et que l’évacuation de l’armée d’Anders leur
mettait le vent en poupe. Or la création d’unités polonaises au sein de
l’Armée rouge revenait à faire de la future Pologne la 17e république
soviétique. Se référant à Beria, Chtcherbakov, Merkoulov et Golikov,
Kondratik affirma que le gouvernement soviétique n’était pas favorable à
ce projet. Selon lui, Staline lui-même était opposé aux « dogmatiques du
Komintern ». Pour finir, Kondratik recommanda à Berling d’éviter pour
l’instant tout contact avec Wanda Wassilewska. Il était inutile de se
soucier des kominterniens polonais qui, le jour venu, feraient ce qu’on leur
ordonnerait de faire{1634}. Berling en conclut que le gouvernement
soviétique était divisé sur le sort futur de la Pologne, les polonophobes
Molotov et Malenkov penchant pour la conception « intégrationniste »
voulue par un trio kominternien formé d’Alfred Lampe, Wiktor Grosz et
Wassilewska. Il se laissa convaincre par Kondratik que Staline voulait une
Pologne souveraine ayant sa propre armée.
Dans la nuit du 14 au 15 février 1943, Berling fut reçu par Staline qui
lui demanda s’il était communiste{1635}. Berling répondit qu’il était
socialiste comme l’était son père. Staline demanda : « On n’aime guère les
communistes en Pologne ? » Berling répondit que la faute en était aux
communistes polonais qui s’étaient isolés du reste de la société par leur
sectarisme et leurs appels à lutter contre le « chauvinisme polonais ».
Staline réagit au quart de tour : « Je comprends. Vous parlez des Juifs. Ce
sont des gens intéressants, mais on ne les aime pas partout. » Il voulut
ensuite savoir si Berling était prêt à lâcher Sikorski. Celui-ci répondit par
l’affirmative et commença à plaider pour la création d’une armée
polonaise en URSS. Staline lui conseilla d’en parler à Wassilewska, cette
« grande patriote polonaise{1636} », et lui recommanda d’appeler « Union
des patriotes polonais » l’organisation des Polonais en URSS dont Berling
souhaitait la création{1637}. Après cet entretien, persuadé que Staline
appuyait sa conception de la future Pologne contre les kominterniens,
Berling voulut rencontrer Wassilewska qui, pourtant, quelques jours plus
tôt, lui avait déclaré : « Je suis citoyenne soviétique et membre du PC
bolchevique, je me suis éloignée des affaires polonaises et m’en soucie
peu. » Mais Kondratik continua à manifester la plus grande réticence à
organiser ce contact. Bien mieux, il lui ordonna de ne pas faire état
publiquement du soutien de Staline à ses vues.
En mars 1943, fut annoncée la création de l’Union des patriotes
polonais (UPP), en même temps qu’était publié le premier numéro de son
organe, Pologne libre. Son premier congrès se tint les 9 et 10 juin 1943,
Wassilewska fut nommée présidente et Berling vice-président. Celui-ci se
plaignit à Staline que 70 % des membres de l’Union, à Moscou, étaient
juifs et Staline, en riant, lui rappela qu’au début du régime soviétique, les
Juifs avaient été indispensables{1638}. Le 25 avril 1943, à la suite de la
découverte du charnier de Katyn par les Allemands, l’URSS rompit les
relations diplomatiques avec le gouvernement de Londres et, dans la
foulée, le Politburo autorisa la création d’une armée polonaise en URSS.
Staline ordonna à Wassilewka de coopérer avec Berling et lui indiqua que
la Pologne ne serait pas intégrée à l’URSS. Les kominterniens n’étaient
guère enchantés par cette perspective : « Nous n’avons rien à f… d’une
armée polonaise, nous avons l’Armée rouge et cela nous suffit ! »,
s’exclama Lampe en apprenant la nouvelle{1639}. Fin avril, Wassilewska
écrivit à Staline pour demander que l’Union des patriotes polonais fût
chargée de la propagande au sein des unités polonaises{1640}. Dans ses
Mémoires, le colonel Berling illustre par de nombreux exemples la lutte
souterraine que se livraient le NKVD et le Komintern pour le contrôle de
l’UPP. Berling croyait que Staline partageait sa conception d’une Pologne
finlandisée parce qu’il avait refusé d’en faire une république soviétique, et
il fut encouragé dans ce sens par les hommes du NKVD qui le
persuadèrent de l’appui de Staline.
Le 4 mai 1943, Berling fut à nouveau reçu par Staline. Il entreprit de
convaincre le maître du Kremlin que les unités polonaises ne devaient pas
être symboliques comme le voulaient les kominterniens, mais devenir une
armée véritable avec des chars et une aviation. Staline lui donna une
réponse sibylline : « En politique il n’y a pas de détails. Il y a seulement
des choses dont il faut se souvenir et des choses qu’il faut oublier. Ce qui
aujourd’hui n’est qu’un flocon de neige peut demain se transformer en
avalanche menaçante. Il faut voir loin. » Et, au moment des adieux, il
lança un dernier avertissement : « Souvenez-vous d’une chose, Zygmunt
Michaïlovitch. En politique il n’y a jamais eu de sentiments et il n’y en
aura jamais{1641}. » Berling ne sut pas déchiffrer les intentions réelles de
Staline et, dans un premier temps, il crut avoir gagné la partie :
G. S. Joukov et le général Artemiev, commandant de la région militaire de
Moscou, secondèrent activement ses efforts et la formation de la division
polonaise « Kosciuszko » fut annoncée dès le 8 mai 1943.
Joukov tenait Berling au courant des agissements de la secte
kominternienne. En effet, les communistes – en particulier Lampe, Hilary
Minc, Jakub Berman et Roman Zambrowski{1642} –, appuyés à partir
d’août 1943 par une trentaine de vétérans de la guerre d’Espagne,
s’efforcèrent d’infiltrer la division polonaise, d’y saper la discipline et
d’en arracher le contrôle aux officiers de carrière. La rivalité entre NKVD
et Komintern se reproduisait à l’échelle de la division Kosciuszko, comme
en témoigne Berling :

Pour la secte des communistes j’étais un outsider. […] Ils ne


pouvaient me souffrir parmi eux, même quand nos programmes
convergeaient, car je servais la Pologne et eux le Komintern. Aucun
compromis n’était possible entre nous{1643}.

Berling estimait que les kominterniens polonais bénéficiaient au


sommet de l’appui d’un groupe « néonationaliste » polonophobe
comprenant Molotov, Vychinski, Malenkov et Kaganovitch. Ses
superviseurs du NKVD, Kondratik puis Joukov, l’assuraient que Staline
était l’adversaire du groupe kominternien. Joukov ne cachait pas son
animosité envers Wassilewska à qui il reprochait son art d’esquiver les
décisions et les risques. En fait celle-ci oscillait selon son appréciation du
rapport de forces en haut lieu : tantôt elle mettait en garde Berling contre
l’infiltration kominternienne de son armée, tantôt elle se rangeait du côté
de la « secte ».
Après la dissolution du Komintern à l’été 1943, Chtcherbakov reçut
Berling et l’avertit que cette mesure ne changerait rien, les communistes
restant en place ; en outre le Komintern n’était pas le seul péril, il fallait
tenir compte du néonationalisme russe{1644}. Berling raconte dans ses
Mémoires un autre épisode curieux. Comme il expliquait à Alexandre
Korneitchouk, alors ministre des Affaires étrangères de l’Ukraine
soviétique, qu’un grand nombre de soldats de son armée étaient originaires
des régions annexées par l’URSS en 1939 et qu’ils tenaient à leur
citoyenneté polonaise, Korneitchouk lui répondit : « Croyez-vous que si
l’alliance polono-soviétique est réalisée, deux cents kilomètres de
territoire de plus ou de moins aient une quelconque importance pour
nous ? Ils n’en ont aucune ! » Convaincu que Korneitchouk exprimait la
position officielle du Kremlin, Berling répercuta la bonne nouvelle dans la
publication de la division polonaise. Il fut immédiatement convoqué chez
Staline qui lui demanda d’où il tenait la nouvelle que l’URSS renoncerait à
Wilno et à Lvov. Berling rapporta les propos de Korneitchouk, s’attirant
cette sèche réplique :

Korneitchouk a exprimé une opinion personnelle qui est contraire à la


position de principe du gouvernement soviétique. De notre côté
personne ne l’a autorisé à vous donner cette information{1645}.

Korneitchouk fut limogé de son poste pour cet « acte de diversion


antiparti ».
Staline suivait de près les activités de Berling, exigeant d’être tenu au
courant de tout ce qui touchait à la division polonaise. Celle-ci atteignit
16 700 hommes dès la mi-juillet 1943 et il fallut y intégrer 600 officiers
soviétiques pour l’encadrer. Berling était fort populaire et, toujours
persuadé de l’appui de Staline, il crut le moment venu de déclencher
l’épreuve de force avec les Juifs polonais du Komintern, représentant
selon lui

la menace du nationalisme juif camouflé en communisme, qui veut


s’emparer du pouvoir et dominer le peuple polonais à ses propres
fins, contraires aux intérêts de la Pologne et de l’Union soviétique.
[…] En tant que commandant de l’armée qui marchera aux côtés de
l’Armée rouge en Pologne, je ne peux et ne veux prendre la
responsabilité d’une situation à laquelle la Pologne ne consentira
jamais{1646}.

Au moment où la division Kosciuszko devait entrer en action, en août-


septembre 1943, Berling voulut en quelque sorte forcer la main aux
dirigeants soviétiques et imposer la création d’un embryon de
gouvernement polonais alternatif au gouvernement de Londres. Il
s’efforça de gagner à sa cause Wassilewska et Korneitchouk qu’il croyait
influents au Kremlin. Il leur dit qu’il était urgent d’obtenir des Soviétiques
une décision concernant les frontières laissant Lvov à la Pologne, ainsi que
la création d’un organe exécutif : une fois que l’Armée rouge serait en
Pologne, il serait trop tard. Il fallait que l’Union des patriotes polonais ait
le contrôle des opérations clandestines en Pologne, au lieu du NKVD et du
Comité central du PCUS. Il fallait se hâter de préparer l’insurrection :
Anders ne risquait-il pas d’être en Pologne avant l’Armée rouge
maintenant que l’Italie avait capitulé ? Mais Berling se heurta à une fin de
non-recevoir{1647}. À la veille de la conférence de Moscou réunissant les
ministres des Affaires étrangères alliés, Staline et Molotov ne souhaitaient
pas dévoiler trop tôt leurs ambitions aux Alliés déjà très inquiets de la
création en URSS d’un Comité Allemagne libre et d’une Union des
officiers allemands.
En même temps, Berling formula pour ses hommes, le 7 août 1943, les
objectifs politiques de leur combat :

Nous allons dans notre pays pour construire une Pologne libre,
démocratique, ne dépendant de personne. Nous n’avons aucun
programme, car là n’est pas notre mission. Nous voulons que le
peuple dise ce qu’il veut. Tel est notre but{1648}.

Ou encore :

Notre division n’a pas l’intention d’imposer un régime quelconque à


notre peuple. Nous ne permettrons pas qu’un régime soit imposé de
l’extérieur. […] Nous voulons que la Pologne puisse décider elle-
même de son sort. […] Nous voulons une Pologne libre qui ne
dépende de personne{1649}.
Charismatique, aimé par ses soldats, soutenu par le NKVD, il était perçu
comme une menace par les communistes polonais. Ses discours laissaient
entendre que son armée serait une force déterminante dans la Pologne
libérée. Pire encore, il parlait de s’entendre avec l’ennemi de classe : « Les
soldats de Sosnkowski [le chef de l’AK] trouveront une langue commune
avec nous. Comme nous ils éprouvent la nostalgie du pays{1650}. »
Le conflit entre les kominterniens et Berling devint ouvert à partir
d’octobre 1943. La polémique éclata le 7 octobre et se cristallisa autour du
concept de « démocratie organisée » utilisé par Berling. Celui-ci fut
accusé de promouvoir une idéologie « éloignée du Parti, surestimant le
rôle de l’armée et sous-estimant le rôle des masses ». On le soupçonna de
vouloir instaurer une dictature militaire éloignée du communisme, une
« démocratie organisée ou quelque sornette demi-fasciste » rappelant le
pilsudskisme{1651}. Et, en effet, Berling et son adjoint Sokorski
estimaient que les militaires devaient jouer un rôle décisif dans la Pologne
d’après-guerre : tous les partis, y compris le POUP, devaient être tenus à
l’écart du pouvoir{1652}. Berling voulait instaurer en Pologne un pouvoir
fort, appuyé par l’Union soviétique, mais sans les communistes. Il était
désormais clair que Berling et son groupe disputaient aux kominterniens le
contrôle de la Pologne libérée. Berling comptait sur l’appui du
Mouvement panslave qui, lors de sa 6e conférence plénière le 21 octobre
1943, déclara au Premier Corps polonais : « C’est à vous de poser les
fondations de la nouvelle Pologne{1653}. »
Mais il se trompait sur les intentions réelles de Staline. En octobre, la
division polonaise fut envoyée sur le front de Smolensk avant d’avoir pu
achever son entraînement, car, à la veille de la conférence de Téhéran,
Staline voulut montrer aux Alliés que des Polonais se battaient aux côtés
des Soviétiques. Le général V. D. Sokolovski lui confia un secteur où elle
se fit tailler en pièces le 17 octobre. Berling eut l’impression qu’il
s’agissait d’une politique délibérée et il écrivit une lettre à Staline et au
NKVD portant un jugement sévère sur le commandement de la 33e armée.
Le GKO se contenta d’envoyer une commission d’enquête spéciale sur le
front occidental.
En réalité, Berling ne cessait de perdre du terrain. Certes il participa aux
discussions quand, sous la houlette de Dimitrov et Manouilski – les deux
chefs de l’ex-Komintern –, les communistes polonais élaborèrent le
programme du Comité national polonais (PKN), embryon du
gouvernement provisoire créé en décembre 1943. Et il put plaider pour que
la collectivisation fût épargnée à la Pologne. Mais ses efforts ne firent que
renforcer le clan kominternien dominé par Jakub Berman, car si
Wassilewska avait été écartée par Staline, elle fut remplacée par des
communistes encore plus dogmatiques. Berling fut cependant admis au
PKN où il essaya d’intégrer d’autres officiers de carrière qui se trouvaient
à l’étranger, comme Mieczysław Boruta-Spiechowicz et Tokarzewski ; ce
dernier avait été le chef de la résistance armée clandestine dans la Pologne
occupée, à laquelle il voulait associer les socialistes. De manière
prévisible, les kominterniens rejetèrent ces candidatures. Pire encore, en
janvier 1944, Staline ordonna la création à Moscou d’un Bureau central
des communistes polonais, dont la direction fut confiée à Alexandre
Zawadski – indice qu’il se méfiait des organismes polonais existant en
URSS. L’Union des patriotes polonais et l’armée Berling furent placées
sous la tutelle de ce Bureau chargé d’assurer la liaison avec les autorités
soviétiques{1654}. La situation se compliqua encore avec l’initiative de
Gomułka qui, le 22 janvier 1944, créa en Pologne un Comité national
polonais et un Conseil national, informant les Soviétiques que le Comité
créé en URSS ne pouvait devenir un gouvernement et ne pouvait avoir
qu’une fonction de représentation
Le conflit avec les communistes s’envenima. Berling voulait une armée
formée sur le modèle de l’armée de la IIe République polonaise, imposant
notamment la présence d’aumôniers, au grand scandale des communistes.
De leur côté, les kominterniens entendaient contrôler les officiers au
moyen d’adjoints politiques ayant des grades équivalents. Berling jugea
inadmissible ce double commandement dans les unités, il le proclama haut
et fort et joua son va-tout en publiant, le 14 février 1944, un ordre qui
imposait le commandement unique dans sa division et réduisait autant que
possible le rôle des officiers politiques. Cet ordre fut révoqué par les
communistes et pour Berling la partie sembla perdue. En mars 1944, le
Politburo du PC polonais condamna son programme et, en avril, l’armée
polonaise fut dotée d’une administration politique sur le modèle
soviétique. Berling eut beau se plaindre des activités du SMERCH au sein
de ses troupes, le contrôle de cet organisme lui fut refusé par le
NKVD{1655}. Les Mémoires de Berling retracent l’affrontement feutré
mais très rude qui opposa NKVD et kominterniens, et qui devint aigu à
partir du printemps 1944, lorsque les troupes soviétiques entrèrent en
Pologne. Ce conflit dépassait bien sûr la question de l’armée polonaise.

Une formule à la Bénès ?


La future composition des gouvernements de « front populaire » dans
les pays « libérés » par l’Armée rouge était en jeu. L’Europe centrale et
orientale serait-elle sous le contrôle de l’URSS ou seulement sous son
influence avec la possibilité de conserver des liens étroits avec les
Occidentaux ? Staline n’était pas encore assuré de la capitulation totale
des Occidentaux concernant le sort de la Pologne et de l’Europe de l’Est.
À partir de fin janvier 1944, la position de Churchill se raidit car le chef
du gouvernement britannique avait compris que Staline ne se contenterait
pas du deal implicite proposé à Téhéran : la reconnaissance par les
Occidentaux de la ligne Curzon en échange de la reconnaissance par
Staline du gouvernement polonais de Londres. Ayant empoché la
concession des Occidentaux dans la question des frontières, Staline éleva
la barre en exigeant une purge du gouvernement de Londres, ce qui
entraîna des échanges très vifs avec Churchill{1656}. Le sursaut
britannique conduisit Staline à vouloir jouer la carte Roosevelt contre
Londres, d’autant qu’il tenait à la réélection de Roosevelt qui lui avait fait
comprendre à Téhéran qu’il ne pouvait se brouiller avec la diaspora
polonaise des États-Unis. Une solution de type Bénès semblait encore
envisageable pour la Pologne.
Il y avait là une « fenêtre d’opportunité » que Beria essaya d’exploiter à
sa manière dans la lutte d’influence sourde qui l’opposait à l’appareil du
Parti et aux kominterniens. Pour lui, les forces armées polonaises en URSS
devaient assurer la jonction avec l’émigration polonaise aux États-Unis,
voire avec le Vatican. Des « Ligues Kosciuszko » furent créées à Detroit et
dans le Massachussets. Berling plaida pour l’inclusion dans
l’administration civile et dans l’armée polonaise de personnalités issues
de l’émigration, et il était mécontent de la manière sélective dont les
communistes utilisaient ces réseaux. Le 24 décembre 1943, il tenta de
convaincre Staline que Wassilewska n’était pas à la hauteur de sa tâche,
car elle répugnait à nouer des contacts avec les Polonais de
l’étranger{1657}. Cette démarche coïncida avec le séjour à Moscou
d’Edward Bénès qui convainquit les Soviétiques qu’il serait utile de nouer
des contacts avec les Polonais des États-Unis. Le 4 janvier 1944,
Dekanozov demanda à Evgueni Kiseliov, consul soviétique au États-Unis,
de sonder Oskar Lange, professeur d’économie à l’université de Chicago
d’origine polonaise, pour voir s’il accepterait de participer au Comité
national polonais où il serait chargé des relations étrangères. Lange
répondit qu’il lui fallait l’accord du président Roosevelt. Et que, pour
l’instant, il recommandait d’intégrer au Comité des personnalités du
gouvernement de Londres, dont Mikolajczyk, ainsi que des
ecclésiastiques, dont le père Orlemanski, l’organisateur de la Ligue
Kosciuszko à Detroit. Ce dernier écrivit une lettre aux Soviétiques où il
approuvait la création d’un gouvernement polonais en URSS, la frontière
de la ligne Curzon, tout en exprimant le souhait de s’entretenir avec le
maître du Kremlin{1658}. Après la réponse de Lange, Staline décida de
temporiser pour la création du Comité national polonais. En attendant, le
21 février 1944, Gromyko demanda à Roosevelt de faciliter le voyage en
URSS des deux émigrés polonais soviétophiles repérés par le NKVD, le
père Orlemanski{1659} et Oskar Lange. Staline envisageait de les inclure
dans le futur gouvernement – en tout cas c’est ce qu’il déclara à Harriman
abasourdi{1660}.
En dépit des réticences du Département d’État, Roosevelt accepta et, le
25 avril 1944, arriva à Moscou le père Orlemanski, ce prêtre catholique
qui s’était mis en tête de persuader Staline d’arrêter la persécution des
croyants et de réconcilier le Vatican et le Kremlin. Il se croyait investi
d’une mission : « Je pars pour un long voyage et je rapporterai une
surprise », déclara-t-il à ses paroissiens à la veille de son départ{1661}. Sa
visite fut arrangée par le consulat soviétique à New York, donc par
Zaroubine, avec la complicité des autorités américaines puisque
Orlemanski était en contact avec l’OSS. En février, il avait confié à l’un
de ses agents qu’il se rendait en URSS pour tirer au clair l’attitude de
Moscou sur la question religieuse et sur les relations polono-
soviétiques{1662}.
Le prêtre polonais voulait arracher à Staline un engagement écrit à
respecter la liberté de conscience et avait mis pour condition à son voyage
une rencontre avec Staline en personne. Il fut comblé : on le reçut à deux
reprises au Kremlin. Lors de sa première audience, le 28 avril, Orlemanski
expliqua à Staline qu’il voulait obtenir le soutien des Polonais des États-
Unis à la politique de Roosevelt et que pour cela il lui fallait une garantie
que l’Église catholique ne serait pas détruite en Pologne. Bien entendu
Staline l’assura que le « gouvernement soviétique n’avait aucune intention
de s’ingérer dans les affaires intérieures, a fortiori les affaires
religieuses » de la Pologne{1663}. Après cette rencontre, Orlemanski eut
droit à une visite de la division Kosciuszko. À son retour, le 4 mai, il fut à
nouveau reçu par Staline à qui il suggéra d’envoyer une lettre secrète au
pape dans laquelle il donnerait sa parole que l’Église catholique polonaise
ne serait pas persécutée. Staline se déroba en offrant toutefois des
réponses écrites aux questions qu’Orlemanski voudrait lui poser à ce
sujet{1664}. Revenu d’URSS, le prêtre rendit un rapport au Vatican. En
public il ne tarissait pas d’éloges à propos de Staline : « Je l’ai trouvé très
démocratique, très ouvert{1665} », « Il aurait fait un très bon
prêtre{1666}. » Cependant, son pèlerinage à Moscou et sa photo aux côtés
de Staline firent scandale. Il fut sanctionné par sa hiérarchie pour avoir agi
sans autorisation, assigné à résidence et il souffrit d’une dépression
nerveuse.
Outre le père Orlemanski, Staline invita en URSS Oskar Lange qui y
séjourna d’avril à juin 1944. Accompagné de journalistes occidentaux, il
visita l’armée polonaise et eut un entretien avec Molotov le 24 avril.
Lange voulait prévenir les dirigeants soviétiques contre la tentation
d’installer des « Quisling soviétiques » à la tête de la Pologne : le futur
gouvernement polonais devait être accepté par la population et il devait
inclure par conséquent des personnalités du gouvernement de Londres,
Mikolajczyk par exemple{1667}. Il voulait aussi sonder les dirigeants
soviétiques sur la possibilité d’une aide économique des États-Unis à la
Pologne après sa libération. L’initiative d’Oskar Lange avait le soutien du
NKVD, comme en témoigne un câble de Venona daté du 8 août 1944,
recommandant de charger Lange de l’organisation de l’aide humanitaire
dans la Pologne libérée et de créer en Pologne une commission spéciale à
cet effet, qui ferait appel à toutes les organisations caritatives américaines
et à l’UNRRA. Cela réconcilierait les Polonais avec le nouveau
gouvernement{1668}. Rappelons que, lors de son séjour à Washington en
juin 1944, Mikolajczyk voulait ouvrir des négociations avec les États-Unis
pour la reconstruction économique de la Pologne, car le gouvernement
polonais craignait que les autorités soviétiques ne monopolisent la
distribution de l’aide américaine et ne s’en servent comme argument
politique{1669}. Tout cela s’inscrivait dans la politique préconisée à
Washington en mai 1944 par l’ambassadeur Harriman, encore optimiste
sur les relations soviéto-américaines, lorsqu’il conseillait d’aider
économiquement les pays d’Europe centrale et orientale pour empêcher la
propagation du communisme :

Ils [les Soviétiques] insistent pour que la politique de tous les États
frontaliers soit toujours orientée vers Moscou pour les affaires de
sécurité nationale, selon le modèle Bénès. […] Ils recherchent des
voisins pacifiques qui pourront alors se développer sur le modèle de
la Belgique se tournant vers la Grande-Bretagne pour assurer sa
sécurité{1670}.

Le 19 mai, Lange fut reçu par Staline et Molotov. Il rendit compte


ensuite de cette audience à sir Clark Kerr, l’ambassadeur de Sa Majesté,
auquel il fit une excellente impression : « Un observateur
incontestablement sincère et impartial{1671}. » Staline lui expliqua qu’il
n’y aurait pas d’administration militaire soviétique en Pologne et que
Berling serait chargé de constituer une administration polonaise. Il se dit
certain qu’au fur et à mesure de l’avancée des troupes soviétiques en
Pologne, les recrues afflueraient dans l’armée Berling qui pourrait bientôt
atteindre un million d’hommes à l’approche de Varsovie : à l’en croire, les
hommes de l’AK s’y enrôlaient en masse{1672}. Or, l’un des principaux
arguments de Churchill en faveur du gouvernement de Londres était le
rôle potentiel important de l’AK dans la libération de la Pologne. Les
remarques de Staline révèlent donc pourquoi il laissa longtemps croire à
Berling qu’il soutenait son entreprise : il voulait priver les Britanniques et
les Polonais de Londres de cet atout en affirmant que les hommes de l’AK
ne demandaient qu’à fusionner avec les troupes de Berling. Lange semble
s’être transformé en lobbyiste de l’armée Berling en Occident : lorsqu’il
rencontra Mikolajczyk à Washington début juin, il l’assura que les
hommes de Berling étaient des patriotes polonais et rien d’autre{1673}.
Ce « ne sont pas les fantoches de l’URSS », disait-il à ses interlocuteurs
américains : ils n’acceptent pas la perte de Lvov et ne veulent pas de la
collectivisation{1674}.
Cependant le moment de vérité approchait. Toujours persuadé qu’il
avait le soutien de Staline, Berling décida de jouer son va-tout. Le 27 mai
1944, il envoya une lettre au maître du Kremlin, dans laquelle il accusait
le groupe de Berman de saper la discipline dans son armée et surtout
d’être incapable de construire un régime juste dans la Pologne libérée. En
même temps, il donnait sa démission, alléguant des divergences
l’opposant à son adjoint politique. Staline chargea Khrouchtchev de
persuader Berling de revenir sur sa décision. Le général polonais se laissa
convaincre dans l’espoir d’être le commandant en chef des forces
polonaises lorsque celles-ci entreraient en jeu en Pologne. Il recommanda
de ménager l’AK et de ne pas heurter les partisans du gouvernement de
Londres. En quoi il suivait la politique de Beria : dans une note datée du
20 juin 1944, celui-ci proposa à Staline de remettre au NKVD et au
SMERCH une partie des officiers de l’AK pour « évaluation », et
d’autoriser les hommes de Berling à choisir parmi les hommes du rang et
les sous-officiers faits prisonniers ceux qu’ils voudraient intégrer dans
leur armée{1675}. Beria voulait garder à sa disposition un certain nombre
de responsables de l’AK et se servir de l’armée Berling pour « recycler »
les unités de l’AK. En avril 1944, un commandant local de l’AK, le major
Żegota, rencontra en Volhynie le chef d’un détachement de partisans
soviétiques, un officier du NKVD. Après avoir consulté Moscou, celui-ci
proposa à Żegota de se joindre à l’armée Berling en lui promettant une
promotion rapide. Il l’assura en outre que les résistants polonais ne
seraient pas forcés de s’enrôler dans l’armée Berling{1676}. Ce contexte
éclaire l’entrevue secrète à Lublin au cours de laquelle Berling supplia le
responsable local de l’AK : « Donnez-moi vos officiers et je créerai une
armée telle que la Pologne n’en a jamais connue{1677}. » Méfiant, le chef
de l’AK refusa. Toutefois, fin juillet, Bór-Komorowski, le chef de la
résistance polonaise, ordonna aux hommes de l’AK de rejoindre l’armée
Berling si les Soviétiques cherchaient à les recruter de force{1678}.
En mai 1944, le NKVD organisa des contacts secrets entre Viktor
Lebedev, l’ambassadeur soviétique auprès du gouvernement tchèque de
Londres, qui se présentait sous le pseudonyme de « pan Ludwig » –
« monsieur Ludwig » –, et des membres du gouvernement polonais –
Stanislas Grabski, le président du Conseil national polonais, et
Mikolajczyk –, avec des précautions dignes de James Bond. Les
Britanniques furent mis au courant{1679}. Le 31 mai, Grabski proposa
l’envoi de Mikolajczyk et d’une délégation polonaise à Moscou dans le
but de rétablir les relations diplomatiques entre le gouvernement de
Londres et l’URSS. Il affirma ne plus croire à la médiation américaine ou
anglaise, préférant tenter une entente bilatérale avec Moscou{1680}.
En même temps que la carte Berling, le NKVD jouait la carte Bénès. À
la mi-mai, Roosevelt informa Staline que sa campagne électorale allait
l’obliger à ménager les Polonais et à recevoir Mikolajczyk, mais qu’il
s’arrangerait pour inciter celui-ci à céder aux exigences de l’URSS. En
contrepartie, il demanda à Staline d’éviter les controverses à propos de la
question polonaise jusqu’aux élections de novembre{1681}. À la veille du
voyage de Mikolajczyk aux États-Unis, le 2 juin, Bénès fit savoir à ce
dernier qu’il avait été chargé de lui transmettre les vues des Soviétiques
sur un certain nombre de questions qu’ils ne voulaient pas traiter
directement avec les Polonais. Il lui confia que Moscou avait une totale
confiance en Mikolajczyk mais éprouvait des réserves envers quatre
personnalités du gouvernement de Londres – Sosnkowski, Kukiel, Kot et
Raczkiewicz –, et que le problème de l’administration polonaise et de la
coopération entre forces polonaises et soviétiques pouvait être réglé
immédiatement, tandis que celui des frontières pouvait être résolu
ultérieurement, ce que demandaient les Polonais ; il affirma que l’Union
des patriotes polonais et les communistes polonais ne seraient pas un
obstacle. Mis au courant, Churchill estima que tout ceci « était presque
trop beau pour être vrai », mais il faillit se prendre à croire à une
amélioration des relations avec Moscou dans l’euphorie du succès du
débarquement de Normandie{1682}.
Au retour de Mikolajczyk des États-Unis, le contact officieux se renoua
entre Lebedev et Stanislas Grabski. Le 22 juin, Lebedev accepta « comme
si cela allait de soi » la suggestion de Grabski d’un rétablissement des
relations diplomatiques entre Moscou et le gouvernement polonais de
Londres. Cependant, le lendemain, il se montra « froid et rigide » et
énuméra les conditions d’un rétablissement de ces relations : démission du
président Raczkiewicz, du commandant en chef Sosnkowski et de deux
ministres, inclusion de ministres communistes au gouvernement, rejet de
l’attitude du gouvernement précédent sur la question de Katyn et
reconnaissance de la ligne Curzon. « Lebedev, qui auparavant s’était
comporté comme s’il avait tenu plus que tout à parvenir à un accord,
semblait gêné de devoir se conformer aux directives reçues de
Moscou{1683}. » Bien entendu les Polonais ne pouvaient céder à cet
ultimatum.
Enhardi par l’indifférence manifeste de Roosevelt à la cause polonaise,
Staline prit sa décision et, le 23 juillet, alors que les troupes du 1er front
biélorusse occupaient Lublin, il confia l’administration des territoires
polonais libérés à un Comité polonais de libération nationale, dominé par
les communistes, connu sous le nom de Comité de Lublin. Il créa un état-
major des partisans dont le commandement fut confié au communiste
A. Zawadski. L’armée Berling, placée sous les ordres du Comité de Lublin,
subit désormais la concurrence de la milice communiste, l’Armia Ludowa,
que Staline équipa avec générosité. Le 2 août 1944, le maréchal
Rokossowski donna l’ordre de désarmer les hommes de l’AK et, le
15 août, l’armée Berling, qui comptait alors 107 000 hommes, fut
contrainte de fusionner avec l’Armia Ludowa dont Staline confia le
commandement au général Rola-Żymierski, bien plus fiable que Berling
sur le plan politique. Les kominterniens l’avaient emporté.

L’insurrection de Varsovie.
Le même revirement brusque de la position soviétique intervint au
moment de l’insurrection de Varsovie. Les origines de cette tragédie ont
été l’objet de nombreuses polémiques et il se peut fort bien que, là encore,
nous soyons en présence de la curieuse convergence d’action entre NKVD
et SOE. Certes les alliés occidentaux se montraient chiches dans l’aide
matérielle qu’ils accordaient à l’AK – l’Armée de l’intérieur. Ils ne
cessaient de dissuader cette dernière de lancer une insurrection généralisée
en Pologne. Cependant, en février 1944, Churchill avait ordonné
d’augmenter l’aide accordée à la résistance polonaise{1684}. Jozef
Retinger avait été parachuté dans le plus grand secret en Pologne par les
Britanniques « pour voir si l’on pouvait encore faire quelque chose ». Il
resta en Pologne jusqu’au 26 juillet, rencontra les chefs de l’AK Stefan
Korbonski et Bór-Komorowski, et échappa même à un attentat organisé
par des officiers de la résistance, persuadés qu’il était un agent soviétique.
Retinger travaillait alors pour la section polonaise de l’Intelligence
Service et collaborait avec le très polonophile général Gubbins, chef du
SOE. Les Britanniques voulaient avoir une idée de la force et de
l’organisation de la résistance clandestine car Churchill n’avait toujours
pas abandonné son projet d’axe Belgrade-Bratislava-Varsovie{1685}.
En avril 1944, le colonel Tatar, responsable du Département
opérationnel de l’AK, se rendit à Londres. Il expliqua à ses interlocuteurs
britanniques que tous les Polonais, tous les partis, à l’exception des
communistes, soutenaient l’AK. Le haut commandement des forces
polonaises estimait que l’armée allemande s’effondrerait dès qu’elle serait
attaquée de l’est et de l’ouest. C’est à ce moment que l’AK devait
déclencher son offensive{1686}. Le 25, il rencontra Churchill et lui
décrivit l’organisation et les possibilités de l’AK. Tatar estimait que les
Polonais ne pouvaient se battre contre deux ennemis, que l’URSS allait
libérer l’Europe centrale et orientale et que la Pologne devait donc
s’efforcer de s’entendre avec elle, thèses présentées dans un mémorandum
dès l’automne 1943{1687}. Le 20 mai, le commandement allié discuta de
l’aide qu’il pouvait apporter à la résistance polonaise qui fut invitée à
intensifier les opérations de sabotage. George Hill, le représentant du SOE
à Moscou, reçut l’ordre d’aborder avec le NKVD la question de la
coopération entre l’AK et l’Armée rouge{1688}. Toutefois, à ce moment,
le commandement allié se préoccupait surtout de renforcer la résistance en
France et dans les Balkans. La Pologne n’était pas une priorité.
Okulicki, l’ancien chef d’état-major d’Anders, qui avait démissionné de
ses fonctions au moment de l’évacuation en Iran des troupes polonaises
pour protester contre cette décision « criminellement déloyale » à l’égard
de Sikorski{1689}, fut rappelé d’Italie en octobre 1943 et nommé par
Sosnkowski commandant adjoint de l’AK. Il fut parachuté en Pologne par
les Anglais le 22 mai 1944, et devint l’adjoint de Bór-Komorowski, le
commandant de l’AK. Les instructions qu’il apportait à la résistance
polonaise montrent que les services secrets britanniques se préparaient
déjà à un affrontement avec l’URSS. En effet, l’AK était invitée à créer
une organisation secrète (Niepodleglosc) et à se replier vers l’ouest, en
enrôlant par exemple ses hommes dans l’organisation Todt{1690}.
Okulicki ne cessa de pousser à l’insurrection, promettant l’aide
anglaise{1691}, et il finit par convaincre Bór-Komorowski d’ordonner le
soulèvement. Le 12 juin, le colonel Tatar fut invité à une session du
Combined Chiefs of Staff à Washington, où il détailla les effectifs, les
capacités et les besoins de l’AK. Le chef de l’OSS, William Donovan,
proposa d’approvisionner l’AK en armes à partir des bases américaines en
URSS{1692}. Il semble que Mikolajczyk et Tatar aient interprété de
manière exagérément optimiste les promesses d’aide qu’ils reçurent de
Roosevelt et du haut commandement allié. Pourtant ils avaient été avertis
par les alliés qu’ils ne recevraient aucune aide avant de coopérer avec les
Soviétiques. Par crainte de froisser Moscou, le 27 juillet, les Britanniques
refusèrent d’envoyer une mission militaire auprès de l’AK{1693}.
Les plans initiaux d’insurrection de l’AK ne prévoyaient pas de
soulèvement à Varsovie{1694}, mais diverses considérations pesèrent
dans la décision finale de libérer la capitale. Après l’attentat manqué du
20 juillet contre Hitler, la Wehrmacht donnait l’impression qu’elle allait
s’effondrer d’un moment à l’autre. Le 21 juillet, Okulicki recommanda à
Bór-Komorowski de passer à l’action à Varsovie, lors d’une réunion des
chefs de l’AK au terme de laquelle la décision de libérer la capitale fut
adoptée. Les officiers de l’AK, tout comme les Alliés, se trompaient
lourdement sur la situation militaire car la Wehrmacht était encore capable
de se reprendre et ne tarda pas à le montrer ; le 30 juillet, elle lança une
contre-offensive et immobilisa les forces de Rokossovski, qui se
trouvaient à 9 km de Varsovie. Plus tard, Rokossovski confiera à Chepilov
qu’il aurait pu prendre la capitale polonaise en trois heures{1695}. Pour sa
part, ayant par la suite consulté les archives allemandes, Bór-Komorowski
se convainquit que Rokossovski n’était en mesure d’occuper Varsovie qu’à
partir du 10 août{1696}.
La remise par Staline de l’administration des terres polonaises libérées
au Comité de Lublin le 23 juillet fut une autre raison d’agir : il était clair
que, si la résistance polonaise ne libérait pas Varsovie, les Soviétiques
installeraient leurs marionnettes au pouvoir. Le 25 juillet, le gouvernement
de Londres donna carte blanche au commandement de l’AK pour prendre
toutes les décisions qu’imposerait la situation militaire. Le 27 juillet,
l’ambassadeur Raczynski mit les Britanniques au courant des plans de
l’insurrection, au moment même où était annoncé l’accord entre Staline et
le Comité de Lublin, conférant à celui-ci le pouvoir exécutif en Pologne.
Le Foreign Office tenta de dissuader les Polonais, tandis que le SOE les
soutenait avec enthousiasme. Le 30 juillet, Tatar avertit Gubbins que le
soulèvement de l’AK était imminent et ce dernier assura son interlocuteur
que le SOE accorderait une priorité absolue à la Pologne ; il promit
d’appuyer les demandes d’assistance militaire des insurgés{1697}. La
voix d’Okulicki fut décisive lors de la réunion du 31 juillet au cours de
laquelle les dirigeants de l’AK résolurent de lancer l’insurrection, après
avoir appris par le commandant Monter, chef de l’AK de Varsovie, que les
chars russes se trouvaient déjà à Praga et à Radosc, les faubourgs
orientaux de la capitale, ce qui était faux{1698}. Ainsi la décision fut
prise par le commandement de l’AK, contre la volonté du commandant en
chef de l’armée polonaise, le général Sosnkowski, qui ne croyait pas à
l’effondrement imminent de la Wehrmacht et à la répétition du scénario de
novembre 1918, et contre celle du général Anders{1699}. Okulicki
dirigerait les opérations avec Bór-Komorowski{1700}. Les chefs de l’AK
comptaient pouvoir récupérer le gros des troupes de l’armée Berling, dont
ils connaissaient l’antisoviétisme notoire{1701} ; un espoir fondé
puisqu’un rapport du général du NKVD Serov, en date du 17 octobre 1944,
déplorait que les hommes de l’armée Berling fussent passés en masse dans
les rangs de l’AK. Ainsi l’enjeu de l’insurrection dans la capitale
polonaise était aussi sous le contrôle de l’armée polonaise formée en
URSS.
Des indices convergents donnent à penser que le NKVD joua un rôle
dans le déclenchement de l’insurrection. En effet, Radio Kosciuszko, la
radio de l’armée de Berling contrôlée par le NKVD, appela dès le 6 juin
1944 les Polonais à se soulever contre l’occupant ; l’appel fut renouvelé le
29 juillet par le Département politique de l’Armia Ludowa, l’armée des
communistes polonais, puis le 30 juillet par Radio Kosciuszko. Au sein du
commandement de la résistance polonaise, c’est le courant le plus
favorable à une entente avec les Soviétiques, celui des responsables de
l’Information et de la Propagande représenté par le colonel Tatar, qui
poussa à l’action. Et c’est Retinger, l’homme des Britanniques, qui acheva
de convaincre Mikolajczyk d’aller à Moscou début août, ce qui rendit
crédibles les appels radio de l’Armée rouge{1702}. Mikolajczyk
s’imaginait que le soulèvement de Varsovie lui donnerait un atout décisif
dans ses pourparlers avec Staline. Il avait l’intention de rejoindre ensuite
Varsovie pour y installer un gouvernement de coalition où tous les grands
partis seraient représentés, y compris le Parti communiste. Il eut la naïveté
d’en faire part à Staline le 3 août, ce qui condamna l’insurrection de
Varsovie{1703}. Mikolajczyk rencontra à Moscou le général Rola-
Żymierski qui le supplia de se rendre immédiatement à Varsovie, faute de
quoi le Comité polonais de libération nationale créerait un gouvernement
communiste, alors que si lui se trouvait à Varsovie, il pourrait contrôler la
situation{1704}. Rola-Żymierski ordonna à ses hommes de se joindre à
l’insurrection le 13 août{1705}. Depuis la veille, la propagande soviétique
commençait à dénoncer avec violence les « aventuriers » de Londres,
coupables d’avoir lancé l’insurrection sans se concerter avec Moscou.
Les dirigeants de l’insurrection de Varsovie évoquent un mystérieux
capitaine du NKVD, Constantin Kalouguine, parachuté près de Lublin le
15 juillet avec pour mission de contacter la résistance polonaise, qui gagna
Varsovie avec l’aide des partisans communistes et qui, le 5 août, se mit en
rapport avec le général Monter, commandant des forces de Varsovie.
Kalouguine était un officier soviétique attaché au Département politique
de l’Armia Ludowa. Partout Kalouguine s’efforça de remonter le moral
des insurgés, affirmant que les Soviétiques seraient à Varsovie dans
quelques jours{1706}. Selon un témoin,
on essaya d’employer Kalouguine comme intermédiaire direct entre
les insurgés et le maréchal Rokossovski. Nous n’étions plus obligés
de passer par Mikolajczyk. Kalouguine rapporta fidèlement la
situation et demanda de l’aide pour les insurgés. Mais il n’obtint
aucune réponse{1707}.

En effet, le 7 août, Kalouguine entreprit de transmettre au


commandement soviétique les demandes en armes de l’AK. Il offrit aussi
d’organiser la propagande en faveur de la défection au sein des légions
d’allogènes soviétiques utilisées par les Allemands pour écraser la
rébellion et rédigea un tract à cet effet – non sans quelque succès, car il y
eut des défections{1708}. Le 8 août, le commandement de l’AK envoya
par télégramme chiffré à Londres un message que Kalouguine demandait
de transmettre à Staline, car il ne disposait pas de liaison avec ses
compatriotes. Dans ce message il saluait l’héroïsme de la population
polonaise et indiquait les cibles à bombarder, tout en précisant quelles
armes étaient indispensables aux insurgés et à quel endroit elles pouvaient
être parachutées{1709}. Dans son entretien avec Staline le 8 août 1944,
Mikolajczyk mentionna sa présence, précisant que le « capitaine
soviétique Kalouguine souhaiterait se mettre en contact avec le maréchal
Rokossovski pour lui transmettre les renseignements
indispensables{1710} ». Mais, le 11 août, Molotov déclara à Harriman que
les Soviétiques n’arrivaient pas à identifier Kalouguine{1711}. L’historien
L. Bezymenski a établi que cet officier se trouvait là à l’insu de Staline et
qu’il n’avait aucune liaison avec Rokossovski{1712}. « Jusqu’à
aujourd’hui le but de la mission de Kalouguine est resté un mystère pour
moi », écrit Bór-Komorowski{1713}. Les organes de sécurité allemands
étaient au courant de la présence de Kalouguine parmi les insurgés et ils le
considéraient comme le « seul officier de liaison avec l’armée russe »
mais aussi avec l’armée Berling{1714}. En fait Kalouguine était sans
doute un officier du NKVD infiltré dans l’armée Vlassov. En 1943, il était
entré en contact avec les réseaux communistes clandestins polonais et
s’était retrouvé à Varsovie où il fut capturé par une patrouille de l’AK, le
2 août{1715}. In fine, Kalouguine, qui n’avait aucune mission officielle,
fut rapatrié à Moscou où il fut condamné à dix ans de détention.
L’appartenance de Kalouguine au NKVD est confirmée de manière
indirecte par son offre d’encourager à la défection les légions allogènes
utilisées par les Allemands, démarche identique à celle utilisée par
Gueguelia en France. La technique de « blanchiment » des légionnaires
existait aussi en Pologne. Les sources polonaises citent le cas d’un
médecin arménien qui, ayant échappé aux Allemands, s’enrôla dans l’AK
de novembre 1943 à décembre 1944 et qui réussit à se soustraire à la
vindicte soviétique en se procurant une fausse attestation de résistance
auprès des partisans communistes polonais{1716}.
Les archives montrent que le NKVD semble aussi avoir été favorable à
une insurrection en Slovaquie. En effet, début décembre 1943, le général
Pika demanda l’assistance de l’URSS au soulèvement des militaires
tchécoslovaques prévu en cas d’occupation de la Slovaquie par les troupes
allemandes. Le projet fut discuté par Bénès au moment de sa visite à
Moscou en décembre et le général Joukov du NKVD approuva l’argument
de Bénès selon lequel la Tchécoslovaquie devait être libérée par des forces
tchécoslovaques avant l’entrée de l’Armée rouge. Mais, pour des raisons
politiques, Moscou préféra développer le mouvement partisan contrôlé par
les communistes{1717}.

Ultimes tentatives, ultimes échecs ?


Tandis que les troupes du NKVD recevaient l’ordre de ne laisser passer
vers Varsovie aucun renfort de l’AK depuis les régions occupées par
l’Armée rouge, la division Berling se joignit le 15 septembre aux insurgés,
sur l’ordre de M. S. Malinine, chef d’état-major du 1er front biélorusse –
contrairement à ce qu’affirme Berling dans ses Mémoires, quand il prétend
avoir pris la décision de son propre chef. Elle chercha sans succès à forcer
la Vistule, subit de lourdes pertes mais intervint trop tard pour sauver
l’insurrection. Il y eut une véritable coordination des opérations entre les
chefs de l’AK et Berling{1718}. Les combattants de l’AK eurent
l’impression que les hommes du rang dans l’armée Berling haïssaient le
bolchevisme. Certains dirent à leurs compatriotes de l’AK : « Attendez de
voir ce qu’est le bolchevisme ! » La rumeur circulait que c’était l’armée
Berling qui prendrait Varsovie tandis que l’Armée rouge contournerait la
capitale polonaise. Les combattants de l’AK n’y voyaient pas
d’inconvénient car ils espéraient que les troupes de Berling se
retourneraient contre leur encadrement communiste et contre le
gouvernement de Lublin ; par ailleurs, certains dirigeants de l’AK comme
Monter envisageaient de fusionner leurs troupes avec celles de l’armée
Berling quand l’Armée rouge entrerait à Varsovie{1719}.
Le 4 novembre 1944, Berling fut relevé de ses fonctions et mis à la
disposition de Rola-Żymierski. Plus tard Staline confia à Harriman que
Berling avait agi « contre l’avis de l’Armée rouge{1720} ». Ses
sympathies socialistes, ses relations tendues avec le maréchal Rokossovski
et avec le Comité de Lublin, les intrigues du groupe de Berman furent les
causes immédiates de sa disgrâce. En réalité, Staline entamait une
nouvelle phase de sa politique polonaise, annoncée par son entrevue, le
9 novembre, avec les chefs du Comité de Lublin auxquels il reprocha leur
mollesse et leur réticence à anéantir les ennemis. Comme l’Armée rouge
était en Pologne, il n’y avait plus aucune raison de prendre des gants :

Vous êtes maintenant dans une position de force telle que si vous
dites que deux et deux font seize, vos adversaires seront
d’accord{1721}.

Toujours aussi aveugle, Berling continuait à se croire appuyé par


Staline. Il lui envoya un télégramme le suppliant de « délivrer la Pologne
pour l’Union soviétique de la bande d’agents et de bandits du trotskisme
international » et de lui accorder une audience. Le 27 novembre, il fut
enlevé à Lublin et acheminé à Moscou où Boulganine lui intima de
poursuivre des études à l’Académie militaire. À cette époque, Staline le
considérait comme un provocateur ; il déclara à une délégation du Comité
de Lublin que Wassilewska avait eu bien raison lorsqu’elle affirmait que
Berling était un agent qu’Anders avait laissé en URSS à dessein{1722}.
Les communistes polonais informèrent Staline que Berling était
indésirable en Pologne car il risquait d’être utilisé par la réaction. Ce
dernier dut se morfondre à Moscou jusqu’en février 1947, date à laquelle
il fut autorisé à revenir en Pologne grâce à l’intervention en sa faveur du
général A. I. Antonov. Il fut nommé commandant de l’académie de l’état-
major, poste auquel il resta jusqu’en avril 1953, bien qu’on l’accusât de
sympathies pour les officiers d’ancien régime.
Le 2 janvier 1945, l’URSS reconnut le gouvernement provisoire du
Comité de Lublin. Mais même après l’échec de l’option militaire en
Pologne, Beria mena encore des combats d’arrière-garde pour influencer
la composition du nouveau gouvernement polonais. Si l’on en croit son
fils Sergo, il aurait voulu confier le ministère des Affaires étrangères de la
nouvelle Pologne au prince Radziwill qui avait l’avantage à ses yeux
d’être en relations d’affaires avec Harriman depuis les années
1930{1723}. Harriman était copropriétaire de la grande société Gisz
d’extraction minière en Silésie et avait tout à perdre d’une communisation
de la Pologne{1724}. Beria attachait une grande importance à l’empire
économique de l’ambassadeur américain puisque, le 3 février 1945, le
Centre ordonna à ses espions aux États-Unis de collecter des
renseignements sur les sociétés de celui-ci{1725}. Soudoplatov invita
donc Radziwill à déjeuner en compagnie de Harriman à la veille de la
conférence de Yalta. Beria voulait sonder les positions américaines
concernant la politique polonaise et peut-être inciter les Américains à plus
de fermeté, ne serait-ce que pour préserver leurs intérêts économiques en
Europe centrale. Mais, à Yalta, les Occidentaux cédèrent sur la question du
gouvernement polonais et acceptèrent que le Comité de Lublin en soit la
base, quelques autres leaders devant y être ajoutés pour sauver les
apparences « démocratiques » et camoufler le lâchage occidental. La
réorganisation du gouvernement provisoire fut confiée à une commission
constituée de Molotov et des ambassadeurs Harriman pour les États-Unis
et Archibald Clark-Kerr pour la Grande-Bretagne. Dès le 5 mars 1945,
l’échec de la commission fut évident puisque les Soviétiques s’opposaient
avec opiniâtreté aux candidats proposés par les Anglo-Saxons. Détail
important : le gouvernement polonais de Londres n’accepta pas les
accords de Yalta, ce qui impliquait que les membres non communistes du
futur gouvernement devaient être recrutés dans la résistance intérieure
polonaise. L’« élargissement » du futur gouvernement cessait derechef
d’être la tâche du NKID et était désormais du ressort du NKVD.
Ce contexte permet peut-être d’éclairer la mystérieuse affaire de
l’arrestation des seize dirigeants de la clandestinité polonaise en mars
1945. En février 1945, un officier de l’AK infiltré dans l’Armée populaire
fut contacté par le NKVD qui lui proposa d’organiser des pourparlers entre
le maréchal Joukov, chef de l’Armée rouge, et un responsable de l’AK. Ces
pourparlers devaient faciliter la réalisation des décisions de Yalta
prévoyant un gouvernement polonais « élargi » ; les dirigeants de l’AK
seraient susceptibles d’être invités aux négociations de la Commission
Molotov-Harriman-Clark Kerr à Moscou. Le colonel Pimenov, le chef du
groupe opérationnel du NKVD de la région de Radom, promit qu’un
accord entre les parties permettrait une détente dans les relations soviéto-
polonaises et que les résistants de l’AK détenus par le NKVD seraient
relâchés des camps et des prisons. Pimenov tenait surtout à rencontrer
Okulicki, le chef de l’AK depuis octobre 1944, ne mentionnant qu’en
passant le président du gouvernement clandestin. Le 21 février 1945, cette
proposition fut discutée au Conseil de l’Unité nationale, le parlement
polonais clandestin. Les membres du Conseil furent d’avis qu’il fallait
refuser l’offre soviétique, mais Pimenov insista, affirmant que les
autorités soviétiques « tenaient à la paix et voulaient mener une nouvelle
politique envers l’AK{1726} ».
Le 5 mars, Pimenov fit parvenir à Jankowski, vice-Premier ministre du
gouvernement polonais clandestin, et à Okulicki, ministre de la Guerre,
une lettre les invitant à une rencontre avec le colonel Ivanov « dans une
atmosphère de confiance et de compréhension mutuelle, qui nous
permettrait de résoudre de très importants problèmes et d’éviter qu’ils ne
s’aggravent{1727} » ; Pimenov donnait sa parole d’officier soviétique que
leur sécurité serait garantie. Après bien des hésitations, les deux hommes
décidèrent d’accepter l’invitation des Soviétiques, d’autant plus qu’en
janvier le gouvernement de Londres les avait avertis qu’une démarche de
cette sorte pouvait avoir lieu et leur avait recommandé de donner suite à
l’invitation de Moscou ; en effet, le 6 mars, les Occidentaux venaient de
manifester leur opposition à ce que les communistes polonais de Varsovie
soient invités à Moscou si d’autres Polonais « représentatifs » n’étaient
pas invités en même temps{1728}. Ils commençaient à parler
d’« impasse » et furent donc enchantés de ce qui apparut comme une
ouverture soviétique. Le 11 mars, le gouvernement polonais fut mis au
courant de l’offre soviétique et communiqua à Eden les noms de quatre
responsables de la résistance intérieure polonaise afin qu’il les transmette
aux Soviétiques. Mikolajczyk considéra qu’il s’agissait d’un geste de bon
augure, tandis que Raczynski s’étonna que la rencontre d’une importante
personnalité de la clandestinité et d’un général soviétique fût organisée
par un homme du NKVD. Lorsque Anders apprit qu’Okulicki et d’autres
dirigeants de l’AK avaient l’intention de se faire connaître aux
Soviétiques, il leur envoya une dépêche le leur interdisant. Mais Okulicki
passa outre les ordres de son commandant en chef. Anders et les
responsables polonais de Londres n’ont jamais compris pourquoi Okulicki
et les autres dirigeants de l’AK s’étaient décidés à se montrer aux
Soviétiques malgré leurs hésitations et l’interdiction d’Anders{1729}.
Comment le NKVD les avaient-ils convaincus de faire cette démarche
dangereuse, alors que, le 24 mars, le chef communiste Bierut avait traité
Jankowski de « chef des réactionnaires », ce qui ne présageait rien de
bon ?
Les documents du NKVD déclassifiés apportent des précisions sur cette
affaire sans en donner le fin mot. Début mars 1945, le général Serov fut
nommé conseiller du NKVD auprès du ministère de la Sécurité polonais.
Le 23 mars, il adressa à Beria{1730}, Staline et Molotov un rapport où il
rendait compte de la rencontre organisée le 17 mars entre Jankowski et le
NKVD, « dans le but d’arrêter Jankowski et les dirigeants des principaux
partis clandestins ». Selon ce rapport, Jankowski aurait proposé lors de
cette rencontre la sortie de la clandestinité de tous les partis appuyant son
gouvernement et il aurait organisé la rencontre consécutive de Pimenov
avec les dirigeants de ces partis qui auraient fait part à Pimenov de leurs
craintes d’être victimes de répression de la part du gouvernement de
Lublin s’ils sortaient de la clandestinité ; contre les persécutions des
communistes polonais, ils auraient sollicité l’appui du commandement
soviétique. Le rapport de Serov signalait ensuite que ces partis
souhaitaient, « conformément aux décisions de Yalta », que le chef du
mouvement paysan Wincenty Witos fût le futur président de la Pologne et
que Mikolajczyk fût le chef du gouvernement. Il précisait que Bolesław
Bierut et Edward Osobka-Morawski venaient d’être informés de
l’opération et du plan d’arrestation des dirigeants des cinq partis, mais
qu’ils demandaient de surseoir à l’opération afin de consulter Moscou et
de voir s’il n’était pas possible d’en inclure quelques-uns dans le futur
gouvernement provisoire. Serov proposait en conclusion de rassembler
tous les dirigeants polonais en question, de les placer sous bonne garde,
puis de les mettre en contact avec Bierut et Osobka-Morawski ; à l’issue
de ces pourparlers, certains pourraient être libérés, d’autres arrêtés{1731}.
Ce rapport du 23 mars montre que le NKVD envisageait en quelque sorte
de relancer sous son aile les discussions pour l’élargissement du Comité
de Lublin.
Les premières rencontres officieuses avec Pimenov, entre le 17 et le
27 mars, produisirent un effet excellent sur les Polonais. Pimenov était
accompagné par Korczak-Chodkiewicz, un professeur de Tachkent qui
montra une connaissance étendue de la résistance polonaise, n’hésita pas à
se livrer à une critique acérée du gouvernement de Lublin et déclara que
les autorités soviétiques avaient pris conscience que la clique de Lublin
n’avait aucun soutien dans la population, qu’elle ne serait pas capable
d’assurer la sécurité des arrières de l’Armée rouge, et que les dirigeants du
Kremlin avaient donc résolu de constituer au plus vite un gouvernement
d’union populaire dans l’esprit des décisions de la conférence de Yalta. Il
remit à ses interlocuteurs un questionnaire détaillé sur les partis
clandestins existant en Pologne, expliquant que ces renseignements étaient
nécessaires pour leur légalisation. Il fut convenu qu’une conférence au
plus haut niveau serait réunie le 28 mars. Les Polonais demandèrent qu’un
avion soit mis à leur disposition afin qu’ils puissent consulter leur
gouvernement à Londres. En gage de bonne volonté, les Soviétiques
libérèrent quelques chefs de la résistance et acceptèrent que douze
délégués se rendent à Londres le 29 mars, après avoir rencontré le
maréchal Joukov.
La date de l’entretien avec Joukov fut fixée au 27 mars. Au dernier
moment, Pimenov la remit au lendemain :

La suite des événements m’a conduit à penser que les intentions des
autorités militaires [en réalité le NKVD] à notre égard différaient de
celles des politiciens et que cette mésentente fut à l’origine de ce
retard de vingt-quatre heures dans l’accomplissement de notre destin,

écrira plus tard Zbigniew Stypulkowski, l’un des chefs polonais{1732}.


Un délégué polonais reçut une lettre anonyme la veille de la réunion,
l’avertissant qu’il s’agissait d’un piège : en aucun cas les chefs de la
résistance ne devaient se présenter aux Soviétiques. Mais, les 27 et
28 mars, quatorze chefs de la résistance polonaise, dont le colonel
Okulicki, se rendirent malgré tout au rendez-vous fixé par le colonel
Pimenov et rencontrèrent le colonel Ivanov qui promit de leur organiser
une entrevue avec le maréchal Joukov{1733}. Pimenov les accompagna
poliment à la limousine qui devait les emmener. L’un des Polonais a
raconté par la suite que Pimenov était pâle, qu’il lui avait serré la main
très fort en le regardant au fond des yeux, et en poussant un profond et
éloquent soupir{1734}.
Les chefs polonais furent enlevés ce jour-là, acheminés à Moscou et
incarcérés à la Loubianka. Le 3 avril 1945, le nouveau dirigeant de la
résistance polonaise Stefan Korbonski envoya à Londres le message
suivant :

Mon informateur au NKVD affirme, d’après l’écoute téléphonique


d’un commandant du NKVD, que tous les quinze sont partis pour
Moscou et que deux d’entre eux doivent obtenir des postes au
nouveau gouvernement{1735}.

Le même jour, Gomułka câbla à Moscou que la disparition des


dirigeants de la résistance polonaise renforçait le camp des adversaires du
compromis et risquait de pousser dans la clandestinité ceux qui en étaient
sortis. Deux semaines plus tard, au moment de la signature du traité
d’amitié soviéto-polonais à Moscou, Gomułka condamna devant Staline
l’arrestation arbitraire des chefs de la résistance et réclama qu’ils fussent
jugés par des tribunaux polonais{1736}.
Le secret le plus absolu fut maintenu à Moscou sur cette affaire. Les 9
et 10 avril, Molotov nia devant l’ambassadeur Clark-Kerr que les autorités
militaires eussent invité les délégués polonais et ce n’est que le 6 mai que
TASS annonça l’arrestation des seize Polonais. Tout comme Molotov,
Staline nia avec impudence, dans une interview au Times le 18 mai 1945,
que ces hommes aient été invités à négocier avec Moscou.
Mais revenons à ces jours fatidiques de mars. Le 27, Serov informa
Beria que, « conformément à ses instructions », les chefs polonais avaient
été arrêtés et l’opération avait eu lieu dans le plus grand secret. Le
scénario proposé le 23 mars avait été abandonné : Bierut et Morawski
furent informés que les négociations seraient impossibles car, leur dit-on,
les chefs polonais avaient été avertis et étaient rentrés dans la
clandestinité{1737}. Beria voulut-il parvenir à un accord par des voies
détournées, en agissant sur le terrain, et en fut-il empêché in extremis par
l’intervention de Staline qui téléphona deux fois pour exiger la capture des
Polonais{1738} ? En effet, encore le 4 avril, le NKVD organisa une
rencontre entre Bierut, Morawski et W. Witos, le chef du Parti paysan, qui
refusa d’entrer au gouvernement{1739}. Le fil des événements donne à
penser qu’il y eut bien un changement de scénario au cours même de
l’opération. C’était en tout cas l’impression des Polonais victimes du
traquenard. Le 4 avril 1945, de sa prison, Okulicki adressa à Beria la lettre
suivante :

Le 27 mars, je suis venu trouver les autorités soviétiques avec


Jankowski et Puzak à l’invitation du général Ivanov afin de mener des
pourparlers en vue de l’instauration de relations polono-soviétiques
amicales et sincères, non seulement dans le présent mais à l’avenir. Je
suis décidé à contribuer de toutes mes forces à l’établissement de
relations de bon voisinage et de m’opposer aux actions qui pourraient
nuire à ces relations. Mais dès aujourd’hui ma franchise est limitée
par la crainte que mes paroles puissent entraîner des répressions à
l’égard de ceux qui ont servi avec moi dans les rangs de l’AK. Si vous
me donnez votre garantie en tant que membre du gouvernement
soviétique que personne ne subira de persécutions de la part des
autorités soviétiques pour ses actions passées et en raison de mes
déclarations, je suis prêt à mener des pourparlers sincères, ouverts et
de bonne foi sur l’activité de l’AK en vue de liquider les actions
nuisant aux relations polono-soviétiques{1740}.

Cette lettre a pu être inspirée par Beria qui, en tout cas, la transmit à
Staline en même temps qu’un résumé des interrogatoires des détenus,
reproduisant en particulier la déclaration de Jankowski selon laquelle le
gouvernement polonais clandestin n’avait rien entrepris contre
l’URSS{1741}. De même, il rapporta sans commentaire le propos de
Jankowski selon lequel les « partisans du gouvernement de Londres ne
peuvent reconnaître la légitimité du gouvernement provisoire qui ne se
maintient que grâce à l’Armée rouge et n’exprime pas la volonté du peuple
polonais{1742} ». Quelques jours plus tard, Beria transmit à Staline un
compte-rendu des déclarations d’un autre détenu, Adam Bien, concernant
le séjour de Retinger en Pologne au printemps 1944 : celui-ci aurait
déclaré aux ministres du gouvernement polonais clandestin que
Mikolajczyk était conscient de la nécessité d’accorder des concessions à
Moscou, mais qu’il se heurtait à l’opposition de ses collègues du
gouvernement de Londres{1743}. Or Beria sélectionnait les informations
soumises à Staline en fonction des objectifs qu’il poursuivait : peut-être
nourrissait-il encore, durant les premiers jours d’avril, l’illusion que
Staline consentirait à des concessions concernant la composition du futur
gouvernement polonais.
Staline dut être mécontent de la tournure prise par l’instruction de
l’affaire des chefs polonais, car, début mai, il donna l’ordre d’orienter
l’enquête vers la « dénonciation de leur activité d’espionnage et de
sabotage dans les arrières de l’Armée rouge{1744} ». Le 31 mai, Beria et
Merkoulov suggérèrent d’organiser un procès public des chefs polonais, en
présence des journalistes étrangers, « car à notre avis cela produira un
effet plus favorable qu’un procès à huis clos{1745} ». Beria ne pouvait
manquer de savoir que l’affaire ferait scandale en Occident. Il se peut
qu’il ait voulu assurer de la sorte la relative modération des sentences
infligées aux accusés ; ou que, son projet initial ayant échoué, il ait
cherché à discréditer Staline dans l’opinion occidentale.
Le procès des seize Polonais commença le 18 juin 1945. Le juge
V. V. Ulrich se moqua de leur naïveté d’avoir cru en la parole d’honneur
d’officiers soviétiques : « J’ai bien peur que vous ne vous soyez laissé
prendre à une farce du NKVD », leur dit-il avec son cynisme
coutumier{1746}. Okulicki fut condamné à dix ans de détention et, selon
les sources soviétiques, il mourut en prison le 24 décembre 1946 ; les
autres reçurent des peines légères allant de un à cinq ans et furent
amnistiés la même année.
D’après le témoignage de Soudoplatov qui concorde avec celui de Sergo
Beria, de janvier 1945 à la conférence de Potsdam en juillet, le NKVD
soulignait dans ses analyses que les Américains et les Anglais n’avaient
d’autre choix que de faire des concessions à l’URSS en ce qui concernait
l’Europe d’après-guerre ; les gouvernements de Tchécoslovaquie, de
Pologne et de Hongrie ne pouvaient donc être que prosoviétiques. Mais
Beria ne souhaitait pas l’imposition d’un régime communiste dans ces
pays, pas plus qu’en Allemagne{1747}. Ainsi les rapports optimistes du
NKVD devaient encourager Staline à choisir la « finlandisation » de
l’Europe centrale et orientale. Ces analyses étaient partagées par Maïski
qui estimait avec prudence que la construction d’une Europe socialiste
mettrait trente à cinquante ans et qu’en attendant, une Europe
démocratique pouvait faire converger les intérêts des trois puissances
victorieuses et préserver la coopération des années de guerre{1748}. Mais
Staline n’était pas homme à se satisfaire d’une Europe sous influence. Il
voulait contrôler les pays occupés par l’Armée rouge et ce contrôle ne
pouvait être garanti à ses yeux que si des communistes étaient aux
commandes. Les scénarios alternatifs dessinés en pointillé par Beria
n’avaient de chance d’aboutir que si les Occidentaux avaient fait preuve de
fermeté face aux ambitions de plus en plus ouvertes de Staline. Mais, en
1944-1945, il n’en était pas question.
16

La politique allemande de Beria


Même aux meilleurs moments de la Grande Alliance, Staline garda la
nostalgie de l’âge d’or du pacte germano-soviétique. L’alliance avec les
Anglo-Saxons était une alliance de circonstance et Staline ne surmonta
jamais sa haine et sa méfiance de l’Angleterre. L’offensive hitlérienne
l’empêcha un temps de jouer la carte allemande, mais Staline ne renonçait
jamais à une combinaison qui avait fait ses preuves. Concernant
l’Allemagne, son objectif ne varia guère : il souhaitait une Allemagne
solidement arrimée à l’Union soviétique par la complémentarité
économique entre les deux pays, et une Allemagne où l’influence de
Moscou serait prépondérante. En revanche, sa conception des stratégies
permettant de parvenir à ce but évolua au cours du conflit. En 1943, il
hésita entre plusieurs options. Les victoires de l’Armée rouge lui
permirent ensuite de s’orienter vers son scénario maximum, un contrôle
communiste de l’Allemagne par un homme de confiance, Walter Ulbricht.
Beria aussi avait sa conception de l’Allemagne de l’après-guerre et le
projet allemand qu’il voulut mettre en œuvre au printemps 1953 reprendra
une politique dessinée en pointillé pendant la guerre. Le chef du NKVD
crut qu’il pouvait profiter des hésitations de Staline concernant le sort
futur de l’Allemagne pour infléchir ses choix d’une manière conforme à sa
vision de la future Allemagne. Beria avait trois instruments à sa
disposition : le renseignement, les réseaux d’agents du NKVD parmi les
communistes réfugiés en URSS, les prisonniers de guerre allemands.
L’ouverture des archives de l’URSS révèle que la politique allemande a
donné lieu à des conflits bureaucratiques aigus au sein des cercles
dirigeants du Kremlin, conflits aux ramifications complexes souvent
difficiles à discerner. Le NKVD fut l’un des protagonistes de ces querelles.
Il y eut des rivalités mettant aux prises les différents organismes affectés à
une même tâche, selon la tactique favorite de Staline. Mais dans le cas de
Beria ces rivalités bureaucratiques camouflaient toutefois un projet
politique, dont on apercevra plus clairement les contours après la mort de
Staline.

Le Comité Allemagne libre.


Staline prenait toujours soin de mettre en concurrence plusieurs
organismes rivaux pour la réalisation d’une seule et même tâche, en
maintenant à dessein la confusion sur les chaînes de subordination. La
politique allemande n’a pas échappé à cette règle. Dès le début de la
guerre, trois instances se partagèrent le domaine de la politique
allemande : le NKVD, l’Administration politique principale de l’Armée
rouge et le Komintern. L’émigration communiste allemande était divisée
en clans et ses membres n’étaient que de simples exécutants. Les
communistes allemands qui avaient des contacts et des protecteurs haut
placés dans les administrations soviétiques jouissaient d’un grand prestige
auprès de leurs compatriotes. De leur côté, les dignitaires soviétiques
avaient leur clientèle dans l’émigration. Selon le témoignage de son fils,
Beria n’avait que mépris pour ces communistes, « des carriéristes qui
voulaient se propulser sur les ruines de l’Allemagne{1749} ». En
particulier, il ne pouvait souffrir Walter Ulbricht, qu’il considérait comme
« un scélérat capable de tuer père et mère », « une nullité n’ayant de talent
que pour l’intrigue et la délation{1750} ». Il lui préférait Wilhelm Pieck,
« le seul honnête homme du lot », qui n’aimait pas les Russes.
Comme dans le cas polonais, le chef du NKVD voulut mettre en œuvre
une stratégie échelonnée visant à la marginalisation des kominterniens au
profit des militaires. Il mena contre les communistes allemands une
offensive camouflée et multiforme, sa tactique consistant à utiliser Pieck
contre Ulbricht, à semer la zizanie entre les émigrés communistes en
jouant les prosoviétiques inconditionnels comme Wilhelm Zaisser –
chargé à l’époque du secteur allemand de l’école antifasciste de
Krasnogorsk – et Rudolf Herrnstadt contre les « nationaux », à placer des
hommes contrôlés par le NKVD à des postes stratégiques, puis à propulser
des officiers allemands conservateurs.
Jusqu’à Stalingrad, les Soviétiques n’employèrent les communistes
allemands qu’à deux tâches : l’espionnage de la Wehrmacht pour l’Armée
rouge et la propagande dans les rangs de l’ennemi. En septembre 1941, le
communiste Hans Mahle préconisa la « rééducation » antifasciste des
prisonniers de guerre allemands, mais fut accusé de déviation nationaliste,
les responsables du Komsomol considérant les soldats de la Wehrmacht
comme des « criminels nazis » irrécupérables. Mahle n’obtint
l’autorisation de réaliser son projet qu’en s’assurant l’appui de Dimitrov
et Manouilski{1751}. La propagande sur le front et dans les camps de
prisonniers de guerre était confiée au Comité exécutif du Komintern dirigé
par Manouilski, puis, après la dissolution du Komintern en mai 1943, à
l’Institut 205 dirigé par Dimitrov et rattaché au Département international
du Comité central du PCUS. Cet Institut était chargé des radios diffusant
vers les territoires occupés{1752}, en coopération avec le 7e Département
de l’Administration politique de l’Armée rouge (APAR) dirigé par
I. S. Braguinski, un spécialiste des langues orientales devenu responsable
de la sous-section « Allemagne » du 7e Département. Le chef de l’APAR
était Chtcherbakov. Manouilski était chargé de coordonner la propagande
du Komintern et celle de l’Armée rouge. Le Komintern était donc au
service à la fois du NKVD et de l’Administration politique de l’Armée
rouge : il devait contribuer à la collecte du renseignement et organiser la
propagande parmi les Allemands, en particulier les prisonniers de guerre.
Mais il était en position subordonnée : ainsi, le 28 septembre 1941,
Dimitrov soumit à l’approbation du NKVD une liste de communistes
allemands qu’il se proposait d’envoyer dans les camps de prisonniers pour
y faire de la propagande{1753}. Le NKVD devait de son côté appliquer les
directives émanant de Manouilski et de Chtcherbakov, surveiller les
organismes chargés de la propagande parmi les Allemands{1754} et
tâcher d’utiliser les émigrés pour organiser la collecte du renseignement
sur la Wehrmacht. Des communistes allemands – Walter Ulbricht,
Wilhelm Florin, Erich Weinert pour en citer quelques-uns – étaient
employés à l’Institut 99. Cet organe, issu du Komintern, était chargé de la
propagande parmi les prisonniers de guerre dont il dirigeait le
recrutement, il gérait les écoles antifascistes. Après la dissolution du
Komintern, il fut englobé dans le Département d’information
internationale auprès du Comité central créé en juillet 1944 et dirigé par
Dimitrov. Ulbricht ambitionnait de contrôler la propagande destinée à
l’Allemagne et aux prisonniers de guerre allemands et, durant les premiers
mois de la guerre, il eut le vent en poupe. Mais l’arrestation d’Herbert
Wehner en Suède, en février 1942, torpilla les espoirs du KPD de créer en
Allemagne une organisation agissant directement sous les ordres de
Moscou. Dans les rangs de la Wehrmacht, Ulbricht ne fut pas plus
chanceux : sa propagande, totalement idéologique et articulée autour de la
« lutte des classes », n’eut aucun succès. Ainsi, le 24 janvier 1942, les
communistes allemands de l’Institut 99 rédigèrent un appel aux officiers
de la Wehrmacht qui commençait par les mots « Camarades, officiers
allemands{1755} ». Dans la version russe de ses Mémoires, Khrouchtchev
narre les déconvenues d’Ulbricht sur le front de Stalingrad :

Le soir et la nuit, Ulbricht rampait à l’avant de nos lignes et menait sa


propagande antifasciste à l’aide d’un haut-parleur. […] Nous
déjeunions toujours ensemble et je me payais sa tête : « Eh bien
camarade Ulbricht, aujourd’hui vous n’avez pas gagné votre pain,
personne n’a fait défection »{1756}.

Devant ces maigres résultats, les émigrés et l’APAR se renvoyaient la


responsabilité de l’échec et les relations entre communistes allemands et
responsables de l’Armée rouge étaient donc fort mauvaises{1757}.
Braguinski, en particulier, reprochait aux émigrés le piètre niveau de leur
propagande, leur manque d’efficacité et leur ignorance de la situation
réelle en Allemagne.
Ainsi, dans un premier temps, la chance sembla sourire à Beria. Les
communistes allemands s’étaient mal acquittés de la première tâche que
leur confiait le gouvernement soviétique, la propagande au sein de la
Wehrmacht. Le chef du NKVD les attendait au tournant.
Les échecs des orthodoxes du Parti fournirent des arguments aux
partisans de la tactique du « Front national » adoptée à Moscou pour les
pays occupés fin avril 1941. Le 4 avril 1942, Lozovski et Manouilski
proposèrent à Staline et à Molotov d’intensifier la propagande destinée à
la Wehrmacht en créant un comité formé de personnalités connues en
Allemagne, qui faciliterait la désertion des soldats allemands{1758}.
Pieck préconisa de créer un centre de coordination du mouvement
antihitlérien allemand. Staline se montra d’abord réticent et se contenta
d’ouvrir l’École antifasciste centrale pour les prisonniers de guerre
allemands au camp d’Oranki. Cependant, l’idée de Pieck chemina puis fut
approuvée par le Komintern en décembre 1942, au moment même où les
Allemands créaient le Comité Vlassov.
Sur ordre des Soviétiques, le Parti communiste allemand (KPD) fut
forcé d’adopter une ligne de « front populaire ». C’est à Pieck et non à
Ulbricht que Manouilski demanda de rédiger une brochure intitulée :
« Que veulent les communistes ? » Pieck remplaça la formule « Allemagne
socialiste » par « Allemagne nouvelle{1759} ». Son programme prévoyait
de renverser Hitler au moyen d’une insurrection, de mettre fin à la guerre,
d’élire un gouvernement démocratique qui signerait un traité de paix,
d’exproprier les profiteurs de guerre et de nationaliser les cartels et les
banques. L’Allemagne renoncerait à ses annexions, conserverait son
indépendance, aurait une politique amicale à l’égard de l’URSS et des
autres pays. Pieck préconisait la création d’un large « front de la paix »
auquel pourraient participer l’opposition catholique, les anciens syndicats
chrétiens, des éléments du SPD, de la Wehrmacht, de l’ancien Parti
populaire allemand et les commerçants. Ceci aboutit au « Manifeste de
paix au peuple allemand et à la Wehrmacht » qui allait servir de directive à
la propagande de Moscou dans toute l’émigration antifasciste allemande à
l’étranger et parmi les prisonniers de guerre allemands en URSS. Ce
programme, dont le vocabulaire marxiste était quasi absent, fut encore
révisé en mai 1943 : désormais il n’était plus question de nationalisations
et les références au socialisme avaient disparu{1760}. Ce pragmatisme
nouveau ne plut pas à tout le monde au Komintern où on soupçonna ces
communistes d’être allemands avant d’être communistes.
Entre 1941 et 1945, l’URSS fit 2 388 000 prisonniers de guerre
allemands{1761}, auxquels s’ajoutaient 1 097 000 prisonniers des pays de
l’Axe, puis 600 000 Japonais. Ces prisonniers relevaient de
l’Administration des prisonniers de guerre qui dépendait du NKVD. Le
principal camp de prisonniers de guerre allemands se trouvait à
Krasnogorsk, les généraux et les officiers supérieurs étant regroupés au
camp de Lounievo. Au printemps 1942, sur ordre de leurs contrôleurs
soviétiques, les communistes allemands entreprirent de constituer le
noyau d’une armée allemande « antifasciste ». Les agents du Komintern
Auguste Gouralski{1762} et Otto Braun, accompagnés des émigrés
Johannes Becher, Friedrich Wolf et Alfred Kurella, furent envoyés au
camp n° 95 d’Elabuga et chargés de convertir à l’antifascisme des
officiers, anciens nazis pour la plupart. Le 1er mai 1942, ils réussirent à
constituer un groupe dirigé par Ernst Hadermann et une première
conférence réunissant 97 prisonniers de guerre eut lieu le 30 mai ; le
leitmotiv était le suivant : si l’Allemagne continuait à suivre Hitler, elle
serait démembrée ; il fallait donc renverser Hitler et faire la paix avec les
Alliés avant qu’il ne soit trop tard. En juin 1942, ces officiers furent mis
en contact avec Pieck et Ulbricht, et certains d’entre eux reçurent une
formation à l’École antifasciste d’Oranki. Mais, pour les Soviétiques, le
bilan de ces efforts n’était guère satisfaisant : il ne s’agissait que
d’officiers subalternes et de personnalités peu connues.
La victoire de Stalingrad allait mettre la question allemande au premier
rang des préoccupations de Staline. À partir de février 1943, il lui fut
permis d’envisager le scénario le plus favorable, celui d’une
communisation de l’Allemagne grâce à une occupation par l’Armée rouge.
Le principal danger à éviter désormais était donc la signature d’une paix
séparée des Alliés occidentaux avec un gouvernement sans Hitler qui
priverait l’Armée rouge des fruits de sa victoire. À en croire Soudoplatov,
Staline fit annuler en 1943 le plan d’assassinat de Hitler « de crainte que
les cercles nazis et les militaires ne signent une paix séparée avec les
alliés occidentaux dès que Hitler ne serait plus là{1763} », ce dont Staline
soupçonnait les Occidentaux{1764}. Or c’est justement à partir de la mi-
février 1943 que les militaires allemands, qui jusque-là n’avaient envisagé
qu’un putsch contre Hitler, se rallièrent au projet d’un assassinat.
Staline voulait montrer aux Occidentaux que lui aussi pouvait jouer la
carte allemande s’il le souhaitait. Il y était encouragé par la teneur des
renseignements fournis par ses services. Le 5 juillet 1943, par exemple, un
officier du NKVD aux États-Unis annonça qu’il n’y aurait pas de second
front dans l’année. Selon lui, les Américains attendaient que l’URSS et
l’Allemagne s’épuisent mutuellement puis ils s’entendraient avec les
industriels et les militaires allemands pour conclure la paix{1765}. À cela
s’ajoutait la volonté de Staline de riposter à ce qu’il perçut comme une
inflexion de la politique du Reich. En effet, en avril 1943, Reinhard
Gehlen, le chef de la FHO (Fremde Heere Ost), avait lancé l’opération
« Silberstreif » autorisant les détachements de Vlassov à inciter les soldats
de l’Armée rouge à la désertion. Le succès fut si grand que, le 1er juin
1943, Gehlen estimait le moment venu pour que le Führer proclamât un
gouvernement russe indépendant sous la direction de Vlassov{1766}. Les
Soviétiques étaient au courant puisque, dès le 3 mai 1943, le NKVD
fournit un rapport sur la formation de l’armée Vlassov{1767}. Staline
voulut donc se donner sans tarder un instrument de pression sur Berlin.
Toutes ces considérations incitèrent Staline à prendre l’initiative de la
création du Comité national Allemagne libre{1768}. Ce Comité devait
être placé sous le patronage de trois instances soviétiques, les
départements compétents du Comité central, l’Administration politique de
l’armée et l’Administration des prisonniers de guerre dépendant du
NKVD. Pour l’organisation du Comité, Staline s’en remit largement à
Dimitrov{1769} qui, le 27 mai 1943, transmit à Pieck les directives à
suivre par le KPD dans l’élaboration du programme du futur Comité
national. La rédaction du programme fut confiée par Manouilski à Rudolf
Herrnstadt et Kurella, sans que le KPD fût consulté. Ancien de la guerre
d’Espagne, agent du GRU depuis 1932, Herrnstadt se vantait volontiers de
ses contacts haut placés dans la direction soviétique{1770}, ne cachant pas
sa haine de l’Allemagne et son prosoviétisme inconditionnel{1771}. En
1943, il était l’expert pour l’Allemagne du Département de l’Europe du
renseignement militaire{1772}. Kurella avait été le secrétaire personnel
de Dimitrov en 1934 et était, depuis le début de la guerre, employé par le
7e Département. Herrnstadt et lui avaient quelques points communs : ils
étaient d’origine bourgeoise, ne faisaient pas partie de l’appareil du KPD,
étaient totalement dévoués à l’URSS et critiquaient la propagande sectaire
pratiquée jusque-là par Ulbricht. Ainsi, c’est un clan anti-Ulbricht épaulé
par le NKVD qui fut mis aux commandes pour la réalisation du Comité
Allemagne libre, derrière le dos de la direction du KPD.
L’idée fut dès le début d’impliquer la diaspora antifasciste allemande à
l’étranger. Et lorsque Oumanski fut nommé ambassadeur au Mexique, le
19 mai 1943, le diplomate américain Charles Bohlen eut sans doute raison
d’expliquer cette affectation par l’existence à Mexico d’un important
groupe d’antifascistes allemands dont Heinrich Mann était le président et
Paul Merker le secrétaire{1773}.
Le projet de résolution sur la création du Comité présenté par
Manouilski et Pieck fut discuté par le Politburo le 12 juin. Staline insista
pour que soit souligné le risque de démembrement de l’Allemagne si
Hitler n’était pas renversé{1774}. Et ce n’est que lorsqu’il eut approuvé le
projet de manifeste que la direction du KPD fut informée de la décision de
fonder le Comité. En même temps, il fut décidé de créer un Département
d’information internationale chargé de coiffer les comités antifascistes et
d’organiser les émissions de radio clandestines, dont la direction fut
confiée à Chtcherbakov assisté de Dimitrov et Manouilski. Les
Soviétiques envisageaient de mettre sur pied des comités antifascistes
roumain, italien et hongrois. Les écrits de Kurella et d’Ackermann
montrent qu’en mai-juin les communistes allemands mis dans le secret
étaient persuadés qu’ils étaient en train de fonder un gouvernement en
exil. Mais, en juillet, au moment de la fondation du Comité, Staline s’était
déjà ravisé et avait décidé de s’en tenir à un Comité antifasciste, ce dont
les communistes allemands ne se rendirent pas compte avant
septembre{1775}.
Pour Beria il ne s’agissait que d’un premier pas. La défaite de
Stalingrad avait permis aux Soviétiques de faire prisonniers des officiers
allemands de haut rang et Beria nourrissait le dessein de les faire entrer au
Comité Allemagne libre. Le 18 juin 1943, Pieck, la communiste roumaine
Anna Pauker et M. Bourtsev, un responsable de la Direction politique de
l’Armée rouge, se rendirent au camp de Souzdal où se trouvaient Paulus et
les officiers supérieurs capturés à Stalingrad, afin de tenter de les recruter
pour le Comité. Ces officiers se divisaient en deux groupes : ceux qui
estimaient que la poursuite de la guerre était vaine – Paulus, Walther von
Seydlitz, Martin Lattmann et d’autres –, et les nazis inconditionnels. Les
deux groupes étaient toutefois d’accord pour refuser toute collaboration
avec les communistes et toute action entravant l’effort de guerre de la
Wehrmacht. De manière prévisible, les kominterniens échouèrent : aucun
officier supérieur n’accepta d’adhérer au Comité, à l’exception du groupe
Hadermann{1776}.
Cela suffit pourtant à alarmer les Occidentaux qui eurent vent de ces
tractations dès la fin juillet 1943 : l’OSS apprit qu’à Stockholm, un ancien
syndicaliste allemand avait annoncé la formation d’un groupe d’officiers
antinazis dans la Wehrmacht, dont le but était la conclusion d’une paix
séparée avec l’URSS. Washington prit la nouvelle très au sérieux, au point
d’ordonner une enquête à ce sujet{1777}. Ironie de l’histoire, c’était
surtout la crainte qu’un gouvernement de généraux allemands ne se
tournât vers l’URSS, comme après la Première Guerre mondiale, qui avait
poussé les Anglo-Saxons à exiger une « reddition inconditionnelle » de
l’Allemagne en janvier 1943{1778}.
Le 10 juillet, eut lieu la discussion sur le futur manifeste du Comité
national et déjà un affrontement se dessina entre les communistes et les
militaires. Selon des témoins, les officiers rejetèrent un projet rédigé par
Ulbricht à cause de sa tournure marxiste et ils présentèrent un contre-
projet que les membres du KPD jugèrent inacceptable. Gouralski rédigea
un texte de compromis qui deviendra le Manifeste{1779}.
« Curieusement, les Russes se montraient beaucoup plus compréhensifs à
l’égard de ces demandes des officiers que les émigrés allemands », se
rappelle un témoin allemand{1780}.
Le 12 juillet 1943, fut annoncée la création du Comité de l’Allemagne
libre qui publia le « Manifeste à la Wehrmacht et au peuple allemand »,
attribuant à la Wehrmacht un rôle décisif dans la libération de
l’Allemagne{1781}. Il ne mentionnait pas la « lutte des classes » et
promettait au contraire la liberté du commerce et de l’industrie. Le Comité
était présidé par l’écrivain communiste Erich Weinert et coprésidé par le
lieutenant Heinrich von Einsiedel, arrière-petit-fils de Bismarck. Seul
fonctionnaire communiste notoire à prendre la parole lors de la réunion
inaugurale du Comité, Pieck affirma que ce serait la Wehrmacht qui
nettoierait l’Allemagne de la clique hitlérienne. Le but du Comité était
d’en appeler à la résistance intérieure à Hitler en faisant miroiter la
promesse d’une autodétermination du peuple allemand en cas de
renversement des nazis. « Nous réalisions que seule l’élimination de Hitler
par les Allemands eux-mêmes offrait une chance de préserver une
Allemagne unie et indépendante{1782}. » Einsiedel prit la parole et
appela à faire renaître la politique russe de son aïeul : « Une Allemagne
communiste aux côtés d’une Russie communiste aura toujours une
position de poids et sera un facteur décisif en Europe{1783}. » Il se
justifiera plus tard en alléguant la tradition prorusse de la Reichswehr « et
de certains cercles du ministère des Affaires étrangères » convaincus que,
« quand l’Allemagne et la Russie marchent ensemble, quel que soit le
régime en Russie, la paix en Europe et la sécurité du Reich allemand sont
assurés{1784} ».
Le drapeau du Comité était aux couleurs du Reich de Bismarck. Un tiers
des trente-deux membres du Comité dirigeant était formé d’émigrés
allemands, un tiers d’officiers issus du premier groupe d’officiers
antifascistes et un tiers d’hommes du rang. Les officiers étaient persuadés
que la Wehrmacht jouerait un rôle capital dans le renversement de Hitler
et dans la reconstruction de l’Allemagne. Le Comité national comptait
aussi des ecclésiastiques et des théologiens catholiques et
protestants{1785} ; un « cercle de travail pour les questions religieuses »
fut créé au camp de Luniovo{1786}. Le Comité était conçu pour l’action,
y compris l’action armée, et le gouvernement soviétique le dota d’un
puissant poste émetteur audible dans toute l’Europe. Le responsable en
était Anton Ackermann, un ancien de la guerre d’Espagne, et la censure
était assurée par Braguinski qui intervenait rarement{1787}. Ackermann
collaborait volontiers avec les officiers : le général von Seydlitz pourra
par exemple déclarer à la radio que le bolchevisme ne devait pas être
imposé aux autres peuples{1788}. Herrnstadt était le rédacteur en chef de
Freies Deutschland, l’organe du Comité, qui avait un ton
remarquablement libre. Son adjoint était Kurella.
Dès les premiers jours, des tiraillements eurent lieu entre les émigrés
communistes et les militaires qui s’entendaient bien avec Ackermann mais
étaient allergiques à Ulbricht. Ayant l’impression que Manouilski les
soutenait, les militaires parlèrent bientôt de faire sécession et de réclamer
la liquidation du Comité : « Ulbricht ne sait que débiter des phrases
creuses et mentir, comme dans les années vingt. Si les communistes
continuent à agir comme ils l’entendent, les officiers proposeront de
dissoudre le Comité national et coordonneront leur action directement
avec les organismes soviétiques », menaça Haderman{1789}. Les rapports
des informateurs du NKVD rendaient compte de ces conflits et montraient
que les officiers allemands préféraient avoir affaire à des Soviétiques qu’à
des communistes allemands : « Nous ne voulons pas que les communistes
jouent le rôle d’intermédiaires entre nous et l’administration soviétique »,
déclara l’un des officiers du Comité{1790}. En outre, les rapports du
NKVD soulignaient à l’envi que le Comité n’avait aucune influence car
aucune personnalité prestigieuse n’avait accepté d’en faire partie. Le fait
qu’aucun officier allemand de haut rang n’ait adhéré au Comité affaiblit
beaucoup son impact et facilita la tâche de la contre-propagande nazie qui
le présenta comme un groupuscule de communistes inféodés à Moscou.
Constitué d’officiers subalternes et de fonctionnaires communistes, le
Comité ressemblait davantage à un Soviet d’ouvriers et de soldats qu’à
l’organisme représentant les larges couches de la population allemande
qu’il prétendait incarner.

L’Union des officiers allemands.


Beria jugea le moment venu d’avancer ses pions et de court-circuiter le
clan de l’Institut 99. Il arracha à Staline l’autorisation de créer une
organisation d’officiers de haut rang non communistes. Après Stalingrad,
les circonstances étaient favorables : nombre d’officiers avaient été
traumatisés par le sacrifice absurde exigé de la Wehrmacht par Hitler et
avaient compris que celui-ci n’hésiterait pas à infliger à tout le peuple
allemand un « Stalingrad au carré{1791} ».
N. D. Melnikov fut chargé de l’opération. Il avait été nommé, le
3 octobre 1941, adjoint de Soudoplatov à la tête de la 2e Section de la
1re Direction du NKVD, chargée des « opérations spéciales » dans les
zones proches des fronts{1792}. En août 1943, devenu général du NKVD
et responsable de l’Administration des prisonniers de guerre, Melnikov,
l’envoyé de Beria, réussit à former un groupe d’initiative autour du
lieutenant-colonel Alfred Bredt, un ancien du Stahlhelm et de la Ligue
pangermaniste. Ce groupe créa l’Union des officiers allemands (Bund
deutscher Offiziere, BDO). Bredt recommanda d’en confier la direction au
général d’artillerie Walther von Seydlitz. Cependant, les généraux
hésitaient toujours, refusant de se livrer à une activité subversive contre la
Wehrmacht. Le 21 août, sur ordre de Beria, Melnikov rencontra en secret
les généraux von Seydlitz, Otto Korfes et Lattmann, et leur promit que
l’URSS accepterait une Allemagne unie dans les frontières de 1937 et
qu’elle consentirait au maintien d’une Wehrmacht forte si le Comité
national et l’Union des officiers allemands renversaient le régime nazi
avant que l’Armée rouge n’atteigne les frontières de l’Allemagne. Il
affirma que l’URSS ne voulait pas d’une bolchevisation de l’Allemagne et
qu’elle souhaitait au contraire une Allemagne bourgeoise et démocratique
forte liée à l’URSS par un traité d’amitié. Melnikov promit que l’URSS ne
s’ingérerait pas dans les affaires intérieures de l’Allemagne si un
partenariat pacifique s’établissait avec l’URSS. La future Union des
officiers n’aurait pas à organiser la subversion de la Wehrmacht, mais à
s’adresser à ses officiers supérieurs en préconisant un retrait dans l’ordre
des troupes allemandes à l’intérieur des frontières du Reich. Le 23 août,
Melnikov rendit compte à Beria de son succès{1793} : le précédent de
Rapallo avait incité von Seydlitz à accorder foi aux promesses qui
venaient de lui être faites, bien que Melnikov refusât de formuler ses
engagements par écrit. Von Seydlitz voulait avant tout éviter que les
« hordes asiatiques » de l’Armée rouge ne déferlent en Allemagne{1794},
en préservant la Wehrmacht afin qu’elle puisse négocier l’armistice avant
qu’il ne soit trop tard{1795}.
La « Déclaration des buts et des tâches » du BDO ainsi qu’un « Appel au
chancelier du Reich, au peuple allemand et à la Wehrmacht » furent
rédigés au Comité central sous le contrôle de Manouilski. Mais cette
mouture fut modifiée par Melnikov et fut signée par les généraux après
quelques corrections. Les objectifs du BDO étaient ainsi formulés :
• 1. Adhérer au mouvement national « Allemagne libre » ;
2. Exiger la démission de Hitler et la création d’un gouvernement
investi de la confiance populaire, capable de signer immédiatement un
traité de paix ;
3. Éviter le démembrement de l’Allemagne ;
4. Conserver l’armée à des fins défensives ;
5. Garantir la liberté d’expression et la liberté de conscience, ainsi que
le droit de propriété ;
6. Instaurer une coopération pacifique avec l’URSS et les autres
peuples.
Le 26 août, mécontent d’avoir été doublé et peut-être subodorant déjà
une opération risquée dont il pouvait faire les frais, Manouilski suggéra à
Chtcherbakov d’envoyer à Staline une note déconseillant d’accepter ce
texte :

La question de la paix, centrale dans ce document, est mal posée par


les auteurs. Comme ce texte a été rédigé sur le territoire de l’URSS, il
va certainement être perçu à l’étranger comme l’expression du point
de vue officiel soviétique. Si ce document est rendu public, il fournira
le prétexte à des attaques hostiles à l’URSS chez nos alliés. Ils
peuvent interpréter le désir exprimé dans le texte de maintenir une
Wehrmacht forte ainsi que de renforcer l’amitié avec l’URSS comme
l’indice de notre intention de créer en Europe un bloc de deux armées,
la Wehrmacht et l’Armée rouge. […] Il faut faire en sorte que les
généraux rédigent un autre document acceptable pour nous{1796}.

Le 29 août, les officiers allemands signèrent une nouvelle mouture du


texte qui satisfaisait les autorités soviétiques. Von Seydlitz consentit à
prendre la direction du BDO et, le lendemain, il célébra son anniversaire
en compagnie de Melnikov, Braguinski et Vasili Gueorgadzé. Ce dernier
confia à l’un des membres du Comité national que la création du Comité
avait pour but d’assurer après guerre à l’URSS une Allemagne forte,
neutre et bien disposée à l’égard de Moscou afin d’éviter que les
puissances occidentales ne puissent s’en servir contre l’URSS{1797}. De
manière significative, les membres non communistes du Comité national
et du BDO étaient pour la plupart persuadés que les Soviétiques avaient
réellement fait le choix de garder une Allemagne forte en Europe en
misant sur le renversement de Hitler et la venue au pouvoir
d’interlocuteurs convenables, et qu’ils se réservaient bien l’option d’une
Allemagne bourgeoise orientée vers l’URSS. « Pourquoi faire cela si
l’objectif des Soviétiques était de bolcheviser l’Allemagne et de la
démembrer ? » s’interroge Einsiedel{1798}.

Qui avait plus à gagner à une paix rapide ? Staline, qui était sur la
voie de la victoire, ou notre Allemagne, que chaque jour de guerre
supplémentaire rendait non seulement plus faible et plus impuissante,
mais aussi plus coupable ? Quel avantage aurait eu Staline […] si
dans les pays évacués par la Wehrmacht s’étaient constitués des
gouvernements nationaux avant que l’Armée rouge ne vienne les
« libérer »{1799} ?

Après la signature du document, von Seydlitz déclara à ses proches que


les officiers allemands « avaient maintenant le gouvernement soviétique
dans leur poche » et qu’ils pouvaient agir sans hésiter, car le danger
communiste émanant du Comité Allemagne libre était désormais écarté. Il
se targuait, parmi ses intimes, d’avoir mis comme condition à son
adhésion que les communistes et autres antifascistes fussent expulsés du
BDO{1800}. La plupart des autres officiers supérieurs allemands, dont
Paulus, demeuraient cependant sceptiques : le groupe von Seydlitz fut
accusé de trahison et ostracisé par les autres généraux à partir du 1er
septembre 1943{1801}.
Le NKVD n’ignorait rien de l’état d’esprit des généraux ayant adhéré au
BDO. Un rapport daté du 26 août expliquait leurs motivations – « prévenir
le danger communiste en Allemagne » – et formulait les conditions
d’adhésion au BDO – « éviter de coopérer avec des gens endoctrinés par le
marxisme » ou en tout cas s’arranger pour que la direction du BDO « ne
soit pas influencée par ces gens{1802} ». En conséquence, la direction du
NKVD interdit aux communistes allemands de l’Institut 99 l’accès au
camp où se trouvaient les généraux, ce qui incita Manouilski, outré, à
écrire une lettre de protestation à Beria{1803}. Les archives confirment
donc les dires de Sergo Beria, qui affirme avoir entendu son père
réprimander Krouglov pour avoir laissé les communistes approcher les
généraux allemands{1804}.
Ainsi, non content de jouer sur les divisions entre les communistes
allemands qu’il connaissait fort bien car Dimitrov lui communiquait les
délations mutuelles fréquentes dans le petit monde des émigrés, Beria
entreprit de diluer les communistes au sein du Comité en invoquant le
prétexte de l’efficacité de la propagande, puis de leur créer un contrepoids
en leur adjoignant le BDO, constitué d’officiers conservateurs
anticommunistes, qui renforçait la position des non-communistes au sein
du Comité. Sous l’influence du BDO, le Comité national renonça à
préconiser la subversion de la Wehrmacht et Pieck, Weinert et Ulbricht
durent le promettre à von Seydlitz. Pendant un temps, le Comité s’adressa
aux officiers de la Wehrmacht, leur demandant de se retourner contre
Hitler, au lieu d’appeler les masses à l’insurrection. La propagande du
Comité national et du BDO différait donc de celle de l’Armée rouge : les
deux premiers appelaient à renverser Hitler et à ramener la Wehrmacht
dans les frontières du Reich, la seconde à déposer les armes.
Beria patronna en personne le BDO dès sa conception et y exerça une
influence sans partage, suscitant très tôt la méfiance et l’hostilité de
certains kominterniens, comme en témoigne la note de Manouilski à
Chtcherbakov du 26 août 1943{1805}. Des années plus tard, V. Semionov
affirmera sa perplexité devant toute l’entreprise :
Pour moi l’activité du 7e Département de l’Administration politique
principale de l’Armée rouge, celle de l’Union des officiers allemands,
celle déployée avec l’appui des antifascistes des différents pays
d’Europe dans l’atmosphère politique de l’après-guerre, sont restées
une énigme{1806}.

La question même des relations avec les officiers devint une pomme de
discorde parmi les kominterniens allemands : autant Ulbricht leur était
hostile, autant Pieck leur manifestait ses bonnes dispositions. Au point
que, fin 1944, Pieck déplorait encore le manque de confiance au sein du
Comité national entre les communistes et l’Union des officiers, et le fait
que le Comité national soit considéré comme un instrument de propagande
du régime soviétique. Il s’en était même entretenu avec Paulus{1807}.
D’ailleurs, l’histoire du Comité national, parue en RDA en 1958 et
préfacée par Ulbricht, ne contient pas un mot sur le BDO et, dans
l’historiographie de la RDA, le rôle du général Melnikov et le
mémorandum de von Seydlitz sont restés des sujets tabous.
Les Allemands ne pouvaient deviner que la direction soviétique était
divisée sur la question allemande. La politique de Staline était de garder
plusieurs fers au feu et d’exercer une pression sur les Alliés en leur
montrant qu’il pouvait s’entendre avec les Allemands si les Occidentaux
ne se montraient pas assez accommodants{1808}. Ainsi, le 30 juillet,
l’écrivain Ilya Ehrenbourg expliqua-t-il à l’ambassadeur américain
Standley que la création du Comité Allemagne libre était la réponse
soviétique à toute tentative d’étendre à l’Europe la politique « Darlan »
mise en œuvre en Afrique du Nord. Staline réussit fort bien à semer la
panique parmi les Alliés. Alarmé, John C. Wiley, un expert de l’OOS pour
les affaires soviétiques, envoya le 11 août 1943 un mémorandum à
Roosevelt pour le mettre en garde contre le nouvel axe Moscou-Berlin en
train de s’ébaucher : « Nous aurions du mal à affronter une union de
l’impérialisme russe avec la technique révolutionnaire du Komintern
renforcée par la compétence militaire et économique allemande{1809}. »
Mais si Wiley voyait dans la création du Comité Allemagne libre une
raison supplémentaire d’organiser le deuxième front en débarquant dans
les Balkans, Eden y discernait un motif de plus de chercher une entente
avec Moscou. Il écrivit à Cordell Hull le 23 août 1943 : « L’organisation
du mouvement Allemagne libre est une raison supplémentaire de
reprendre les discussions [avec les Soviétiques]{1810}. »
Les rapports du NKVD confortaient Staline dans l’idée que la création
du Comité Allemagne libre et du BDO avait suscité l’affolement chez les
Occidentaux. Le 4 août 1943, le NKVD signala par exemple que le State
Department était fort inquiet de la création du Comité dans lequel il voyait
l’annonce d’une politique unilatérale de la part des Soviétiques, et
poussait Roosevelt à leur demander des explications. Les Polonais en
furent aussi fort alarmés{1811}. L’amiral Standley en vint bientôt à penser
qu’« Allemagne libre » n’était pas seulement un instrument de guerre
psychologique mais bien une mesure politique à mettre en parallèle avec
l’Union des patriotes polonais{1812}.
Il est toutefois probable que Staline n’envisagea jamais sérieusement de
miser sur un gouvernement de généraux allemands. À la conférence de
Téhéran, il laissa percer son animosité à l’encontre des officiers de la
Wehrmacht : au grand effroi de Churchill, il proposa d’en exécuter
cinquante à cent mille. Lorsque, début février 1945, une délégation
parlementaire britannique lui demanda si les Soviétiques avaient
l’intention de collaborer avec les généraux allemands prisonniers, Staline
répondit, outré, que les généraux allemands « étaient pires que le
diable{1813} ». Mais Beria souhaitait la réalisation du scénario présenté
par Melnikov aux officiers allemands et en particulier la préservation de la
Wehrmacht{1814} : en mai-juin 1953, lorsqu’il se croira assez fort pour
agir, il reviendra au programme que Melnikov avait fait miroiter à
Seydlitz.
En attendant il n’avait pas les mains libres et il dut composer. Fin août
et début septembre 1943, une série d’indices révéla les hésitations de
Staline et les pressions contraires, voire les conflits souterrains qui
agitaient la direction soviétique à propos de la politique allemande ; ainsi,
un article de Freies Deutschland qui célébrait le Comité national comme
le « noyau du futur gouvernement allemand » et mentionnait une
proposition d’« armistice » au gouvernement hitlérien, fut censuré à la
dernière minute ; W. Leonhard rappelle dans ses Mémoires que Freies
Deutschland dut retirer dans la précipitation, début septembre, un éditorial
intitulé : « L’armistice – une exigence du moment{1815} ».
Le 1er septembre, la création du BDO fut annoncée puis suspendue. Une
note de Beria à Staline et Molotov datée du même jour explique le délai :
il avait fallu « isoler ceux qui tentaient d’utiliser le BDO comme
contrepoids au Comité national {1816} ». Staline rétrograda « Allemagne
libre » de futur gouvernement allemand en simple comité et autorisa, le
12 septembre, l’annonce de la création du BDO qui, à la grande surprise
des officiers, dut fusionner le 14 septembre avec le Comité national, ce qui
donna aux communistes un droit de regard sur leurs activités. Cette
mesure n’entrait sans doute pas dans les intentions initiales de Beria, mais
il dut s’y résigner pour permettre la survie du BDO. 17 membres du BDO
entrèrent au Comité national dont von Seydlitz devint vice-président. En
principe le BDO avait un droit de regard sur les officiers, le Comité
s’occupant de tous les autres prisonniers{1817}. Les communistes furent
cependant loin d’être enchantés de se voir adjoindre une aile
conservatrice. Malgré la fusion, les officiers eurent toujours l’impression
qu’il s’agissait de deux organisations distinctes : le siège du Comité
national se trouvait à Moscou, celui du BDO à Luniovo, à 40 km de la
capitale. La greffe ne prit jamais, les officiers du BDO étant tenus à l’écart
des sessions du Comité national et de son comité exécutif.
Jusqu’à la conférence de Téhéran, Beria put tant bien que mal faire
accepter ses initiatives par Staline en jouant sur son caractère
soupçonneux. Le 31 octobre 1943, un de ses agents aux États-Unis, Grigori
Kheifetz, rapporta que, selon Heinrich Mann, l’ancien chef de la police de
Berlin Grzynski était en train de mener des négociations à Washington en
vue de former un gouvernement allemand dont Heinrich Brüning et
Thomas Mann seraient membres{1818}. Ainsi Beria tenta-t-il
d’influencer Staline et de le pousser à former un gouvernement allemand à
partir du Comité Allemagne libre et du BDO. Mais Staline ne se ralliait à
ses propositions que si elles semblaient aller dans le sens de ses desseins
et il se contenta de montrer aux Occidentaux qu’il pouvait faire cavalier
seul dans la politique allemande si ceux-ci ne satisfaisaient pas à ses
demandes. Son stratagème réussit à merveille : la création du BDO
inquiéta énormément les Américains qui craignaient une résurgence du
militarisme prussien patronnée par Moscou et même une subordination du
Comité national au BDO{1819}. Allen Dulles, responsable de l’OSS à
Berne, put mesurer l’impact considérable de la création du Comité
Allemagne libre sur l’opposition allemande à Hitler. Il câbla à
Washington, le 24 septembre 1943, que ce Comité était une menace « à la
survie de la démocratie occidentale en Europe de l’Est ». Un an plus tard,
il déplorait encore que Moscou ait été la « seule source d’espoir pour les
Allemands{1820} ».
Après la conférence de Téhéran, Staline abandonna tout projet de
politique unilatérale à l’égard de l’Allemagne. Le Comité national et le
BDO perdirent leur intérêt à ses yeux. Mais Beria ne comprit pas tout de
suite cette évolution ou il ne voulut pas croire la partie perdue. Il s’attela à
un projet qui, à ses yeux, devait garantir la réalisation des promesses de
Melnikov aux officiers allemands et créer un état de fait irréversible : il
voulut constituer une armée allemande non communiste sur le sol
soviétique, comme il avait souhaité, en 1941, constituer en URSS une
légion juive et patronné l’armée polonaise d’Anders qui dépendait du
gouvernement de Londres.
Le 17 septembre 1943, von Seydlitz eut un entretien avec Melnikov qui
en transmit la teneur à Beria{1821}. Le général allemand suggérait de
recruter parmi les prisonniers de guerre une force armée dont il aurait le
commandement et qui serait l’« appui du nouveau gouvernement allemand
après la chute de Hitler ». Il affirmait qu’il bénéficiait en Allemagne du
soutien des généraux von Kluge et Thomas. Schulenburg était entré en
contact avec Kluge en 1943, alors que celui-ci se trouvait sur le front
russe, et lui avait proposé de lui faire traverser les lignes afin de négocier
en secret un armistice avec les Soviétiques. Kluge avait accepté, mais
s’était dérobé lorsque Schulenburg lui avait déclaré qu’en cas d’accord
avec Staline il faudrait livrer la guerre à Hitler{1822}. Quant au général
Thomas, qui dirigeait l’administration économique de la Wehrmacht, il
s’était prononcé, en 1933, pour la poursuite de la coopération avec l’URSS
et, dès novembre 1939, il avait cherché à convaincre les généraux
Brauchitsch et Halder de la nécessité de renverser Hitler, avant d’être un
intermédiaire actif entre les militaires et le groupe Beck-Goerdeler{1823}.
Le 22 septembre 1943, von Seydlitz soumit un mémorandum à
Melnikov qui le transmit à Beria et Krouglov, vice-ministre de l’Intérieur.
Il y soulignait que
le renversement de Hitler ne pouvait être réalisé que par l’armée. […]
Il ne fallait pas créer l’impression que ces actions [entreprises par le
Comité national et le BDO] avaient lieu à l’initiative des Russes. Il
fallait montrer qu’il s’agissait de sauver les forces armées de
l’Allemagne libre.

Le but du BDO était de détourner de Hitler les élites militaires,


économiques et politiques du Reich. Puis von Seydlitz abordait
l’essentiel : « On pourrait envisager de créer une petite armée de
prisonniers de guerre qui pourrait être employée par le nouveau
gouvernement allemand pour la prise du pouvoir{1824}. » À terme cette
armée pourrait atteindre quatre divisions de dix mille hommes chacune.
Elle serait parachutée par les Soviétiques dans les environs de Berlin et
c’est elle qui prendrait la capitale. Curieuse coïncidence, un projet
similaire fut proposé à A. Dulles par Noel Field qui lui proposa que l’OSS
parachute des antifascistes allemands derrière les lignes de la Wehrmacht ;
Dulles l’envoya présenter son plan au Bureau de l’OSS à Paris où
A. Schlesinger refusa net{1825}. Ce projet de création d’une armée
allemande fut élaboré dans le plus grand secret, à l’insu des autres
membres du BDO. Et Einsiedel fut stupéfait en lisant ces documents après
l’ouverture des archives soviétiques : « Qui a pu souffler de pareilles idées
à Seydlitz, c’est pour moi un mystère{1826}. »
Le 8 novembre, inquiet après la conférence de Moscou, von Seydlitz
rédigea un nouveau mémorandum à l’intention de Melnikov. Il y demanda
d’abord si les engagements du gouvernement soviétique sur la foi desquels
il avait accepté de prendre la direction du BDO étaient encore valables et
rappela que la politique promise dans le manifeste du Comité supposait :
1. Le retrait de la Wehrmacht jusqu’aux frontières du Reich et le
renversement de Hitler ;
2. la constitution d’un gouvernement jouissant de la confiance du peuple
allemand avec lequel serait signé le traité de paix ;
3. l’occupation de l’Allemagne n’aurait lieu que si celle-ci violait les
conditions de paix ; elle ne pouvait se faire qu’avec le consentement des
trois puissances ; le Comité national pouvait compter sur le soutien
diplomatique de l’URSS pour dissuader les Anglo-Saxons d’occuper
l’Allemagne ;
4. l’URSS s’engageait à préserver la souveraineté de l’Allemagne ;
5. l’Allemagne conservait une armée forte ;
6. l’Allemagne ne serait pas démembrée et ses frontières ne seraient pas
retracées de manière à susciter des guerres nouvelles. Si ces conditions se
réalisaient, « l’URSS aurait dans cette Allemagne nouvelle une alliée pour
sa politique pacifique en Europe{1827}. »
Les communistes allemands, et surtout Ulbricht, avaient depuis le début
mal supporté la coexistence avec les officiers conservateurs qui leur avait
été imposée. Les conflits entre l’Institut 99 et le NKVD étaient incessants
et se traduisaient à la base par des récriminations réciproques entre
généraux et communistes, les premiers reprochant aux seconds leurs
« méthodes de travail non démocratiques ». Les responsables du NKVD se
plaignaient de ce qu’Ulbricht disposât des officiers à sa guise dans ses
actions de propagande sans en référer au Présidium du BDO ; Ulbricht
ripostait en affirmant que le NKVD ne mettait pas à sa disposition
l’information dont il avait besoin. Manouilski et Chtcherbakov
arbitraient{1828}.
Après la conférence de Téhéran, les communistes sentirent qu’ils
avaient le vent en poupe. Le 5 janvier 1944, eut lieu le VIe Plénum du
Comité national où le changement de ligne fut résumé par W. Pieck : « Il
est absurde de s’attendre à ce qu’un chef industriel ou militaire se dresse
contre Hitler maintenant qu’il en est aux derniers stades de sa carrière
criminelle{1829}. » C’était le désaveu explicite des objectifs du BDO.
Désormais le Comité ne s’adresserait plus aux élites mais aux masses, il
cesserait de ménager la Wehrmacht et lancerait des appels à la désertion.
C’était la fin de la possibilité d’une paix honorable pour l’Allemagne. Le
Comité n’était plus qu’un instrument de propagande.
Ni von Seydlitz ni Beria ne se découragèrent. Le 4 février 1944, le
premier rédigea un nouveau mémorandum où il relança l’idée de création
d’une armée de libération nationale allemande. Jusqu’à présent, avança-t-
il, le Comité n’avait connu qu’un succès limité et les Allemands n’avaient
pas confiance en lui car il ne disposait pas d’une force armée propre. Se
référant au précédent de 1812, von Seydlitz expliquait que, si les soldats
de la Wehrmacht avaient la certitude de pouvoir s’enrôler dans une armée
de libération allemande après leur désertion au lieu de se retrouver dans un
camp de prisonniers de guerre, ils se rendraient en masse. Seydlitz reprit
ensuite les grandes lignes du projet exposé en septembre. En attendant la
décision finale de Staline, des listes d’effectifs pour cette future armée
étaient dressées par les membres du BDO dans les camps de
prisonniers{1830}.
Les 16 et 17 février 1944, le NKVD et l’administration Chtcherbakov
décidèrent de tester l’efficacité de la propagande du BDO à Korsun où les
troupes allemandes se trouvaient encerclées. Von Seydlitz s’adressa en
personne aux généraux qu’il connaissait presque tous. Ce fut l’échec qui
allait sceller la fin du front commun entre les communistes et les officiers.
Mais, pour von Seydlitz, c’était une démarche spectaculaire qui devait
assurer le ralliement de Staline à ses vues. Car le général allemand vit
dans le fiasco de Korsun une preuve de la justesse de ses analyses et il crut
le moment venu pour débloquer la situation.
Le 26 février, sans en référer au bureau du BDO, il rédigea un nouveau
mémorandum que Beria transmit à Staline, le 11 mars 1944, sans
commentaires, mais accompagné d’un mémorandum sur le rôle
d’« Allemagne libre » et du BDO dans les tentatives de renverser Hitler et
de mettre fin à la guerre{1831}. Von Seydlitz commençait par rappeler
que les représentants du gouvernement soviétique l’avaient assuré que
Moscou voyait dans le Comité national plus qu’un instrument de
propagande :

Seule la collaboration avec l’Union soviétique permettra à


l’Allemagne de surmonter les conséquences de la guerre. […] Mais
l’Union soviétique a aussi intérêt à la collaboration avec l’Allemagne
si l’on tient compte du développement futur de l’Europe.
En effet, la future Allemagne pourrait basculer du côté des Occidentaux.
Par ailleurs le traitement que l’URSS réserverait à l’Allemagne serait
suivi de près par les pays neutres et les alliés de l’URSS. Si l’URSS
voulait gagner la paix elle ne devait rien entreprendre qui nourrisse les
préventions antibolcheviques existant dans ces pays. La coopération avec
l’Allemagne montrerait à tous qu’il était possible de collaborer avec
l’URSS. Le peuple allemand ne voulait pas du bolchevisme et chercher à
le lui imposer ne ferait que renforcer l’antisoviétisme dans le monde.

L’URSS a besoin d’une Allemagne qui ne soit ébranlée ni de


l’extérieur ni de l’intérieur. […] Une telle Allemagne soutiendra
l’Union soviétique dans toutes les questions de l’après-guerre. Une
telle politique appliquée à l’Allemagne aura un effet de propagande
inestimable sur tous les peuples d’Europe.

Jusqu’ici, poursuivait von Seydlitz, l’action du Comité national avait


été un échec en dépit des circonstances favorables. Une perestroïka
radicale du Comité et de son activité était indispensable ; il fallait le
reconnaître comme gouvernement allemand, libérer de captivité les
officiers qui en étaient membres afin qu’ils deviennent crédibles, autoriser
le Comité à collaborer avec des organisations à l’étranger poursuivant les
mêmes buts et, bien sûr, créer une armée de libération. Il fallait moins
faire appel aux antifascistes et davantage au peuple allemand, en créant un
front populaire large, existant aussi en dehors des frontières de l’URSS. Le
futur Présidium ne devait comprendre que des généraux et des députés du
Reichstag – Pieck et Ulbricht{1832}. Nombre d’historiens russes estiment
que le NKVD était l’inspirateur des notes de von Seydlitz et il est vrai que
ces textes esquissent pour l’Allemagne un projet largement repris par
Beria en mai-juin 1953.
Pour les communistes allemands et leurs patrons au Comité central, la
coupe était pleine. Manouilski réagit à une vitesse fulgurante, fort inusitée
dans la machine bureaucratique soviétique. Dans une note au Comité
central le 13 mars, il écrivit, parlant du mémorandum de von Seydlitz :
« Ce document extrêmement retors recouvre en fait une provocation visant
à pousser le gouvernement soviétique à mettre en œuvre des mesures qui
le brouilleront avec les Alliés{1833}. » La reconnaissance par l’URSS du
Comité national comme gouvernement allemand ferait passer le
gouvernement soviétique pour pro-allemand aux yeux de ses alliés et elle
fournirait à l’Angleterre le prétexte d’une paix séparée avec l’Allemagne.
En outre, « la proposition de Seydlitz d’élargir le Comité national révèle la
volonté des généraux allemands de prendre en main le Comité national et
de remplacer le régime fasciste par une dictature militaire ». La
conclusion tombait comme un couperet :

Il est indispensable d’ordonner aux responsables du NKVD qui


s’occupent du Comité national et de l’Union des officiers allemands
de mettre fin à de telles tentatives par une ligne politique ferme à
l’égard des officiers allemands{1834}.

Enhardis par le soutien d’en haut, Ulbricht, Pieck et Weinert rejetèrent


les propositions de von Seydlitz en prétextant que le temps de la
réorganisation du Comité n’était pas encore arrivé. Voyant que les choses
prenaient une tournure dangereuse, Beria fit machine arrière et Melnikov
força Seydlitz à s’excuser pour son comportement « non
démocratique{1835} ». Beria avait perdu la partie. Dès le 6 février 1944,
le KPD fut autorisé à constituer une commission de travail parallèle au
Comité national Allemagne libre, au sein de laquelle la direction
soviétique et les communistes allemands commencèrent à planifier la
communisation de l’Allemagne{1836}. En mars, le Comité Allemagne
libre publia un nouveau manifeste, les « 25 articles pour finir la guerre »,
fort éloigné du manifeste de juillet 1943. Cette différence n’échappa
d’ailleurs pas aux opposants à Hitler : Adam von Trott s’était procuré ce
texte lors d’un voyage à Stockholm et en tira la conclusion qu’il n’y avait
rien de bon à attendre des Soviétiques{1837}. Le 17 avril, Ulbricht
triomphant réaffirma le rôle dirigeant du Parti.
Mais l’affaire devint très dangereuse lorsque, le 7 mai 1944, un membre
du BDO, l’ex-SS Hans Huber, essaya de rejoindre les lignes allemandes et
lorsque deux officiers refusèrent d’obéir aux ordres de la Direction
politique du front de Leningrad. Une enquête révéla qu’un groupe de trois
officiers nazis avaient infiltré le BDO pour y semer la zizanie et l’avaient
incité à prendre la tête du Comité, évinçant les communistes. Ils se
proposaient en outre de kidnapper des dirigeants du Comité et du BDO
pour les livrer à la Gestapo{1838}. Cette affaire est très obscure puisqu’en
janvier 1944, le NKVD avait appris que les Allemands avaient monté une
opération visant à infiltrer deux hommes au BDO afin d’assassiner
Seydlitz et Daniels{1839}. Quoi qu’il en soit, on imagine l’aubaine pour
les communistes allemands. L’affaire Huber fut exploitée à fond par
Ulbricht qui reprocha avec perfidie aux officiers de ne pas avoir alerté à
temps les autorités soviétiques{1840}. De façon curieuse, von Seydlitz
passe tous ces épisodes sous silence dans ses Mémoires.
Ainsi le projet d’une armée de libération allemande nourri par von
Seydlitz tourna court et une purge des éléments conservateurs du BDO eut
lieu à l’instigation de Manouilski. Les officiers ne pouvant plus faire
barrage à la propagande marxiste, les communistes envisagèrent de créer
une Union des sous-officiers allemands pour rendre les soldats de la
Wehrmacht moins dépendants de leurs officiers. Amaïak Koboulov
succéda à Melnikov qui se suicida opportunément. Après le 20 juillet
1944, seuls les généraux qui étaient passés par l’École antifasciste et
convertis au communisme, comme Vincenz Müller, joueront encore un
rôle.
Mais Beria ne se tint toujours pas pour battu. Le 8 août 1944, il put
abattre ce qu’il croyait être son atout maître : apprenant le succès du
débarquement de Normandie et le sort de son ami von Witzleben, exécuté
après l’échec de l’attentat contre Hitler, Paulus accepta d’adhérer au
Comité et de faire sa première proclamation : « L’Allemagne doit renoncer
à Adolf Hitler, mettre fin à la guerre et nouer des relations amicales avec
nos ennemis d’aujourd’hui{1841}. » Beria se hâta d’annoncer la nouvelle
à Staline. Dès le début, il avait voulu faire de Paulus le chef du BDO et il
suivait en personne les « progrès » de celui-ci, comme en témoignent les
nombreux rapports que lui adressaient ses subordonnés sur les dispositions
et le comportement du maréchal. Il téléphonait souvent aux responsables
du camp pour prendre des nouvelles de celui-ci et entoura Paulus d’égards,
allant jusqu’à lui envoyer sa gouvernante allemande{1842}. Volf Shtern,
le responsable du département opérationnel de l’Administration des
prisonniers de guerre, lui avait fait miroiter la perspective d’être maréchal
du peuple allemand dans la nouvelle Allemagne libre. Mais ces efforts
étaient restés vains jusqu’aux événements de juillet 1944.
Contrairement aux espoirs de Beria, le ralliement de Paulus ne
ressuscita pas le BDO qui resta un instrument de propagande sans aucun
poids politique, malgré le succès de la campagne de recrutement du
NKVD ; 11 des 22 généraux de Stalingrad y adhérèrent et, au printemps
1945, le BDO comptait près de 4 000 membres{1843}. Peut-être
encouragé par le NKVD, Paulus sollicita une audience de Staline le
30 octobre 1944, mais sa demande resta sans réponse. Le 8 décembre,
Paulus et 50 généraux prisonniers en URSS appelèrent la Wehrmacht à
déposer les armes. Ce fut la dernière tentative d’« Allemagne libre » pour
inciter le peuple allemand à se libérer lui-même de Hitler. Staline
préparait la conférence de Yalta et il voulait mettre une pression maximum
sur les Anglo-Saxons.
Lorsqu’on étudie l’histoire du BDO, on est frappé de l’importance que
prirent les rumeurs à son sujet, sans doute gonflées par les Allemands eux-
mêmes qui avaient intérêt à faire croire aux Occidentaux qu’il existait une
« option soviétique ». Mais elles émanaient aussi du NKVD, comme le
révèle leur provenance géographique. En Suisse, Allen Dulles s’intéressait
de près au BDO et, fin juillet 1944, il apprit par ses correspondants
allemands que von Seydlitz avait l’intention de créer un gouvernement en
Prusse orientale et qu’il grossirait les effectifs de son armée grâce à
l’afflux des déserteurs et des prisonniers de guerre. Et l’Allemagne serait
libérée par ces forces appuyées par l’Armée rouge{1844}. Début février
1945, la presse britannique relaya des rumeurs en provenance d’Ankara
selon lesquelles un gouvernement provisoire Paulus serait établi à
Königsberg. Diffusée par Radio Sofia{1845}, cette rumeur fut prise très
au sérieux en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Selon les analyses du
Foreign Office, le Comité Allemagne libre en Angleterre était partisan
d’une Allemagne forte sous un gouvernement Paulus. On parlait d’un
« gouvernement militaire provisoire » dirigé par les 50 généraux ayant
signé l’appel de décembre. Des bruits fantastiques couraient sur l’« armée
Seydlitz ». Goebbels lui-même le nota dans son Journal : « Le public
américain se perd en conjectures sur le rôle que le maréchal Paulus est
censé jouer dans le dispositif que Staline a en tête{1846}. » Le 7 février
1945, Dulles avertit Washington que les Soviétiques installeraient en
Allemagne un gouvernement constitué du groupe von Paulus-von Seydlitz
et du Comité Allemagne libre ; les Occidentaux devaient de leur côté se
hâter de trouver des Allemands et mettre sur pied des comités techniques
chargés d’assister les autorités d’occupation{1847}.
Les dirigeants du Reich ne manquèrent pas de chercher à exploiter ces
frayeurs occidentales. Ainsi, le 16 février 1945, Ribbentrop envoya une
directive à ses ambassadeurs en Irlande, au Portugal, au Vatican et en
Espagne, où il leur recommandait de chercher une paix séparée avec les
Occidentaux en faisant valoir que Staline était en train de construire « une
nouvelle armée germano-soviétique » en vue de communiser
l’Allemagne{1848}.
À cette époque, seuls les Français semblaient ramener à ses justes
proportions le BDO : « Le Comité des généraux dirigé par le maréchal
Paulus est, pour les Soviétiques, un instrument de démoralisation de
l’armée du Reich et plus particulièrement de son
commandement{1849} », écrivit, le 4 février 1945, l’ambassadeur de
France, Roger Garreau, à Georges Bidault, ministre des Affaires
étrangères du général de Gaulle.
En réalité, dès la mi-février, le Comité national fut mis en sourdine.
150 communistes allemands triés sur le volet furent convoqués au Comité
régional de Moscou pour y recevoir des instructions sur l’administration
future de l’Allemagne occupée{1850}. Le Comité national ne fut même
pas informé des décisions de Yalta et ses adhérents non communistes
furent tenus à l’écart de la politique allemande après mai 1945. Pourtant
Beria s’accrochait à sa chimère. Le 8 avril 1945, il demanda encore à ses
agents de collecter des renseignements sur les mouvements d’opposition
existant en Allemagne, ainsi que sur l’état d’esprit des généraux allemands
limogés par Hitler : von Mannstein, Brauchitsch, Kluge, Küchler, Halder,
Zeitler et Fromm{1851}. Mais, le 13 septembre 1945, le général
I. V. Chikine, nouveau responsable de l’Administration politique de
l’Armée rouge, proposa à Boulganine de supprimer le Comité national et
le BDO, ce qui fut chose faite le 30 septembre{1852}.
Quant à von Seydlitz, il n’accepta pas les frontières établies à Potsdam
et multiplia les déclarations antisoviétiques dont le NKVD tenait un
inventaire soigneux. Il ne cessa de vitupérer l’« impérialisme rouge » et, à
la différence de Paulus, il osa, en 1949, refuser d’écrire une lettre à Staline
à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire, ce qui faillit lui coûter
la vie. Il menait une existence sordide dans les camps et Beria ne tenait
pas à ce qu’il fût relâché, craignant sans doute qu’il n’eût la langue trop
longue. Fin 1949, Serov déclencha une vague de procès de prisonniers de
guerre allemands et priva ceux-ci du droit de correspondre avec leur
famille{1853}. Le 12 novembre 1949, Paulus signa un document dans
lequel il déconseillait d’autoriser le rapatriement de von Seydlitz car
celui-ci risquerait de se rendre en RFA au lieu de rester en RDA. Ce
document lui avait été dicté par Amaïak Koboulov, le responsable de la
direction opérationnelle chargée du recrutement d’agents parmi les
prisonniers de guerre et de l’instruction de leurs affaires{1854}. Il fut
donc décidé de ne pas rapatrier von Seydlitz car il pourrait rejoindre son
épouse en zone britannique d’occupation et « tenir des propos
dangereux{1855} ». Le 25 mars 1950, von Seydlitz fut incarcéré, accusé
de crimes de guerre et, le 8 juillet, il écopa de 25 ans de détention ; il ne
fut relâché qu’en 1955 et, dès son arrivée en RFA en octobre, il commença
par critiquer la politique d’Adenauer puis se rétracta{1856}. Quant à
Paulus, il fut autorisé à s’installer en 1953 à Dresde où il enseigna à
l’école de la Volkspolizei{1857}. Semionov essaya de le nommer à une
fonction plus importante mais se heurta à l’opposition des communistes
est-allemands{1858}.
Durant des années, l’« armée Seydlitz » et le « gouvernement Paulus »
demeurèrent un fantasme récurrent dans l’imaginaire des Occidentaux
hantés par le spectre d’une « Wehrmacht rouge ». À partir de fin 1945, on
reparla d’une « armée Paulus » recrutée en Union Soviétique. En 1947, un
transfuge soviétique confirma la nouvelle transmise par une agence de
presse française, selon laquelle Paulus se trouverait à Berlin. En avril
1947, la Züricher Zeitung affirma qu’il était en train de reconstituer une
armée allemande en URSS{1859}. Le 26 juin 1947, la Staatszeitung und
Herold publia un reportage consacré aux activités de Paulus, affirmant
qu’un comité militaire pour la restauration de l’Allemagne avait pris la
relève du BDO en novembre 1946{1860}. Les Occidentaux soupçonnaient
alors Staline de vouloir créer une armée allemande à la solde de Moscou
pour prendre le contrôle de toute l’Allemagne le moment voulu. Fin 1947,
les rumeurs sur un « gouvernement Paulus » refirent surface en Occident.
Les analystes remarquèrent que la création du Parti national démocratique
allemand, en 1948, dans la zone d’occupation soviétique, marquait une
résurgence des éléments nationalistes conservateurs du Comité Allemagne
libre et du BDO. Ils notèrent la place proéminente dans le NDPD d’anciens
d’Allemagne libre, comme Lothar Bolz, Lenski, Lattmann et Vincenz
Müller{1861}. En 1948, on parlait d’une « armée Seydlitz » de
400 000 hommes. Un rapport du SDECE, daté du 5 février 1948,
affirmait :

L’action politique de l’état-major Paulus, composé de militaires de la


Wehrmacht, n’est pas comparable aux missions confiées par les
Russes au SED. Celui-ci se compose de militants communistes, alors
que l’Armée de Libération [Deutsche Befreiung Armee] ne comprend
que des militaires dont les Russes se méfieront toujours. Il n’en reste
pas moins que Paulus pourrait être un nouvel Hindenburg dans les
mains des Russes. Son prestige personnel pourrait grandement
faciliter la reconstitution d’une Allemagne unifiée sous contrôle
russe{1862}.

Ainsi le BDO poursuivit son existence posthume et fantomatique, tandis


que ses fondateurs se morfondaient dans les camps soviétiques.

Les réseaux étrangers d’Allemagne libre.


Pour Beria, les réseaux internationaux d’antifascistes allemands
représentaient une aubaine et il s’empressa de chercher à les placer sous
son contrôle. Ainsi, lorsqu’un comité Allemagne libre fut organisé parmi
les prisonniers de guerre allemands en France, subordonné au Comité
Allemagne libre de Moscou, Beria proposa de le mettre à la disposition du
1er Directorat du NKVD{1863}. Le Comité national Allemagne libre
devint le cœur d’une nébuleuse qui s’étendait en Europe et sur le continent
américain. Des comités Allemagne libre s’étaient formés, parfois de
manière spontanée, en Amérique latine – Paul Merker –, en Angleterre –
Robert Kuczynski, Wilhelm Koenen – et même en Suisse. Merker tentait
de coordonner leur activité de sa propre initiative, sans ordre de
Moscou{1864}. En France, le CALPO – Comité Allemagne libre pour
l’Ouest –, fondé le 11 novembre 1943, succéda au « Travail allemand »
créé fin 1941 par les communistes allemands en France, souvent des
anciens des Brigades internationales, pour faire de la propagande au sein
de la Wehrmacht. Il comportait une filiale de l’Union des officiers
allemands revendiquant 300 adhérents ; les autorités françaises
s’étonnèrent d’ailleurs de cette cohabitation des communistes et des
officiers allemands, « éléments difficilement compatibles, mais également
dynamiques ». Le CALPO tint une réunion importante le 13 novembre
1944, patronnée par Albert Bayet et par le père Pierre Chaillet, fondateur
de Témoignage chrétien, tous deux compagnons de route du PCF. Les
militants du CALPO sollicitèrent du préfet de police l’autorisation de se
rendre dans les camps de prisonniers pour « prendre contact avec les
internés allemands en vue de commencer dès maintenant la rééducation
nécessaire ». De son côté, Noel Field s’efforça de convaincre l’OSS de
soutenir le CALPO mais n’y parvint pas car le noyautage communiste y
était trop évident{1865}. Toutefois, les autorités françaises semblaient
moins soucieuses de l’affiliation du CALPO à Moscou que de l’infiltration
du mouvement par la Gestapo{1866}. Et, en avril 1945, la police française
interdit ses activités.
Par ses filiales à l’étranger, le Comité pouvait nouer des relations avec
les services occidentaux. Allen Dulles, tout comme le chef du SIS sir
Stewart Menzies, n’approuvait pas la politique de reddition
inconditionnelle exigée de l’Allemagne par les Alliés, une opinion
partagée par Churchill et Harriman{1867}. Le Bureau de l’OSS de Berne
était devenu le « centre de la résistance européenne{1868} ». Dulles
faisait valoir que, si l’opposition à Hitler réussissait, le débarquement
devenait inutile. Lui et ses collaborateurs étaient persuadés que seule une
révolution d’en haut pouvait empêcher la bolchevisation de l’Allemagne et
que la Wehrmacht devait rester intacte pour cette raison{1869}. C’était
exactement le point de vue des officiers du BDO et des non-communistes
du Comité national, ce qui donne l’impression d’une convergence entre les
adversaires de la politique de « capitulation inconditionnelle » : Allen
Dulles d’un côté, Beria de l’autre.
L’OSS de Berne établit des contacts avec les communistes allemands
par l’intermédiaire de Noel Field qui administrait l’aide humanitaire
quaker en France et en Suisse. Field, dont le père était un ami d’Allen
Dulles, avait été recruté par le NKVD en 1935 et avait obtenu, en mai
1936, un emploi au secrétariat de la Société des Nations. Les Soviétiques
avaient, semble-t-il, perdu tout intérêt pour lui durant cette période, mais,
en 1938, Field fit un pèlerinage à Moscou et passa ensuite quatre mois en
Espagne. Il joua un rôle important dans la démobilisation et le
reclassement des hommes des Brigades internationales. En 1941, il
séjourna à Marseille où il organisa l’aide aux réfugiés et rencontra Paul
Merker et d’autres communistes allemands, anciens de la guerre
d’Espagne, réfugiés en France, comme Franz Dahlem et Heinrich
Rau{1870}. En 1941-1942, il assura la liaison entre les communistes
allemands en France et en Suisse, aida les communistes allemands en
France et organisa leur émigration au Mexique. Il présenta à Dulles des
membres du Comité national Allemagne libre ainsi que des partisans de
Tito auxquels Dulles accorda un financement. Field proposa à l’OSS une
coopération avec les communistes allemands, initiative que l’OSS de Paris
rejeta. Il reçut néanmoins 10 000 dollars de Dulles à distribuer aux
émigrés antifascistes{1871}. Ainsi l’OSS fournit un soutien financier au
CALPO. En échange Field communiqua à Dulles les renseignements
fournis par les réseaux communistes dans l’Europe occupée. En mars
1945, le State Department ayant eu vent de la collaboration de l’OSS avec
les communistes allemands, il ordonna une enquête sur Field et la fin des
subsides américains aux communistes allemands.
Ainsi le Comité national Allemagne libre, le BDO et leurs antennes en
Occident coalisèrent en quelque sorte tous ceux qui étaient opposés à la
politique de reddition inconditionnelle de l’Allemagne proclamée par
Roosevelt en janvier 1943. En même temps ces organismes cherchèrent à
assurer la jonction avec l’opposition antihitlérienne en Allemagne.
Les autres unités militaires en URSS.
Nous nous sommes attardé sur les cas polonais et allemand car ils sont
désormais fort bien documentés. Cependant, le NKVD mit en œuvre une
politique similaire pour d’autres pays d’Europe centrale et orientale.
Ainsi, début juin 1939, Ludvik Svoboda avait créé en Pologne une unité de
volontaires tchécoslovaques qui se retrouva prisonnière en URSS{1872},
et, le 22 juin 1941, 124 Tchèques y étaient encore. Dès le 24 juin, Heliodor
Pika fit parvenir au gouvernement soviétique, par l’entremise du NKGB,
une lettre où il ébauchait un vaste programme de coopération soviéto-
tchèque, prévoyant la création d’unités tchèques en URSS. Il écrivait en
conclusion qu’« après la défaite de l’Allemagne, l’URSS victorieuse
permettrait au peuple tchèque d’adopter le régime politique de son
choix{1873} ». Le 29, il fut reçu par Beria auquel il présenta son projet
d’unité tchécoslovaque. Et, le 18 juillet, l’URSS reconnut le gouvernement
tchèque. En août, les négociations reprirent en vue de créer une légion
tchèque et un accord militaire entre A. M. Vassilevski et Pika fut signé le
27 septembre. Le 10 octobre, Pika fut à nouveau reçu par Beria qui
s’excusa du retard pris dans la réalisation de l’unité tchèque. Pika lui
adressa ses propositions concrètes quatre jours plus tard : mobiliser 5 000
hommes et former trois bataillons susceptibles d’être transformés en
brigade soviéto-tchécoslovaque. En décembre 1941, Svoboda commença à
former à Bouzoulouk un bataillon tchèque{1874}. Le 7 janvier 1942, Beria
ordonna de libérer des camps et des prisons les citoyens tchécoslovaques
et d’enrôler dans les unités tchécoslovaques les hommes en âge de porter
les armes et, en février, un camp fut créé pour les unités tchèques. Pika
essaya en vain d’y inclure les Ukrainiens subcarpathiques « qui après
l’expérience vécue en URSS sont devenus des Tchécoslovaques
enthousiastes{1875} ». À cette époque, Svoboda, toujours hostile aux
communistes, développait d’excellentes relations avec le capitaine Piotr
Kamboulov, le représentant du NKVD, qui lui promit d’augmenter les
effectifs de son unité. Alors que Svoboda interdisait aux communistes
tchèques de joindre ses unités, ceux-ci ripostèrent en se plaignant à
Klement Gottwald de ce que les officiers soient « violemment
anticommunistes et antisoviétiques ». Pika intervint et fit intégrer tous les
volontaires et c’est Zdenek Fierlinger, le très prosoviétique ambassadeur
du gouvernement tchèque à Moscou, qui se chargea de soumettre au
contrôle communiste les forces de Svoboda. En avril 1942, il se rendit à
Bouzoulouk pour négocier avec Svoboda qui finit par céder{1876}.
Jaroslaw Prochazka et Bedrich Reicin furent chargés par le Komintern de
communiser l’unité de Svoboda. Celui-ci s’inclina car les communistes lui
avaient promis de lui laisser le commandement qui, sinon, aurait échu au
général Pika{1877}. Toutefois, les communistes tchèques continuèrent à
se méfier de l’unité de Svoboda et ils créèrent leur propre organisation
militaire à Moscou.
Le gouvernement tchécoslovaque de Londres souhaitait envoyer des
officiers pour neutraliser l’influence communiste, mais Moscou, dans un
premier temps, s’y opposa. En mai 1942, l’unité tchécoslovaque en URSS
fut créée et Svoboda invita Gottwald à Bouzoulouk à l’insu de Pika, dans
l’espoir d’obtenir des libérations supplémentaires, en particulier celles
des Ukrainiens subcarpathiques et des Tchèques de Volhynie : au total
12 000 hommes pouvaient encore s’enrôler dans les unités
tchécoslovaques. En juin 1942, Sergei Ingr, le ministre tchèque de la
Défense, visita Bouzoulouk et Kouibychev, et accepta que les troupes
tchécoslovaques soient envoyées sur le front soviétique, alors que Pika
estimait qu’elles ne devaient être engagées qu’au moment de l’entrée de
l’Armée rouge en Tchécoslovaquie. À en croire Sergo Beria, c’était aussi
le point de vue de son père pour qui les unités tchèques « devaient être
préservées jusqu’à ce que l’Armée rouge approche des frontières
tchécoslovaques : c’est alors que nous aurions besoin d’elles{1878} ».
Mais les militaires soviétiques ne l’entendaient pas de cette oreille et Pika
dut s’incliner, d’autant que les autorités soviétiques avaient consenti à
l’incorporation des Ukrainiens subcarpathiques.
Le commandement soviétique envoya les unités tchèques sur le front de
Kharkov où elles se firent tailler en pièces en mars 1943, perdant un tiers
de leurs effectifs. Svoboda vint se plaindre à Beria : « On m’a fait courir
au casse-pipe exprès{1879}. » Puis une brigade tchèque prit part à la
libération de Kiev en novembre, où les pertes furent moindres. Bénès
attachait une importance énorme à ces formations militaires en URSS,
comme en témoigne sa remarque à Sikorski au début de 1942 :
Il faut se mettre d’accord avec les Soviets, pour arriver à Prague et à
Berlin avec l’Armée Rouge. Il faut faire des concessions à l’URSS,
car de toute manière ils prendront ce qu’ils voudront par la force, et
dans ce cas ce sera pire{1880}.

Évoquant le traité soviéto-tchèque de décembre 1943, l’ambassadeur


américain Harriman tenait un raisonnement similaire lorsqu’il écrivait
dans ses Mémoires :

Les Tchèques avaient une division ou deux combattant aux côtés de


l’Armée rouge. Il me semblait que le plus sage pour Bénès était
d’essayer d’établir une relation permanente avec l’Union soviétique
avant que l’Armée rouge ne prenne le contrôle des Tchèques, de
manière à ce que le gouvernement Bénès soit installé et reconnu. […]
Il y avait une meilleure chance de parvenir à une entente satisfaisante
avant que l’Armée rouge n’entre en Tchécoslovaquie{1881}.

Lors de sa visite à Moscou en décembre 1943, Bénès obtint


l’assentiment de Staline à la formation de nouvelles unités tchèques.
Staline accepta même la création d’une escadrille d’aviation
tchécoslovaque et l’envoi d’officiers tchèques d’Angleterre. Le
commandement des forces tchèques, grossies par le flux des Ukrainiens
subcarpathiques, des Tchèques de Volhynie et des déserteurs slovaques, fut
même confié à un officier envoyé par le gouvernement de Londres.
Toutefois, les unités tchécoslovaques furent à nouveau décimées durant
l’offensive dans les Carpates en septembre 1944. Quant à Svoboda, il
devint ministre de la Défense dans le premier gouvernement
tchécoslovaque de front national, et Pika chef d’état-major adjoint.
On discerne un scénario analogue pour la Roumanie. En 1943, Anna
Pauker organisa avec Vasile Luca les premières divisions de prisonniers de
guerre et persuada les premiers officiers roumains de prendre le
commandement de la division Tudor Vladimirescu{1882}. En février
1944, Beria informa Staline de la formation d’une division roumaine
commandée par les lieutenants-colonels Kambria et Teklu{1883}. Dans
une nouvelle note adressée à Staline le 24 mai 1944, il signala que les
généraux roumains prisonniers Mazarini, Lascar, Dimitriu, Nedelia et
Bratescu se disaient prêts à coopérer avec le roi Carol s’il avait le soutien
de l’URSS, outre celui des Anglo-Saxons. Ils étaient en faveur d’une
monarchie constitutionnelle en Roumanie. Selon les généraux, Carol
pouvait faire des concessions aux démocrates{1884}. À en croire Sergo
Beria, son père favorisa les éphémères gouvernements pro-occidentaux du
général Constantin Sanatescu et de Nicolae Radescu, le chef d’état-major
de l’armée roumaine :

Tolboukhine fut en mesure de mettre en œuvre la politique souhaitée


par mon père. La Roumanie avait un corps d’officiers remarquable,
sur lequel mon père comptait s’appuyer. Tolboukhine avait des
contacts avec certains de ces officiers. Au début Tolboukhine
remporta des succès. […] Mais les communistes roumains ne
trouvèrent rien de plus intelligent que de moucharder à Staline, se
plaignant que « des militaires réactionnaires antisoviétiques liés à
l’Angleterre arrivent au pouvoir ». Bien entendu ils ignoraient que
Beria était derrière cette politique{1885}.

Les épisodes du CAJ, de l’armée d’Anders, du BDO et des autres


formations militaires est-européennes patronnées en URSS par le NKVD
présentent un certain nombre de traits communs. À chaque fois, Staline fut
contraint à des concessions par des considérations de politique étrangère.
En juillet-octobre 1941, la situation militaire de l’URSS semblait
désespérée ; au printemps 1943, Staline craignait que les Britanniques
n’arrivent à imposer l’ouverture du deuxième front dans les Balkans, puis
que le scénario Badoglio ne soit reproduit ailleurs. Beria profita de ces
brefs interludes pour essayer, sous couleur de favoriser les objectifs
poursuivis par Staline, de mettre en place les éléments d’une politique qui
allait à l’encontre de toute la stratégie à long terme de Staline.

Il avait des plans ambitieux concernant Paulus, comme pour Anders.


Il voulait que ces officiers fassent partie des futurs gouvernements
des États d’Europe centrale. […] Il estimait que la présence
d’officiers patriotes et étrangers à la politicaillerie renforcerait les
nouvelles équipes dirigeantes{1886}.

Les projets d’armée non communiste sur le sol soviétique n’avaient


qu’un but : éviter la soviétisation des États occupés ou satellisés par
l’Allemagne. « Le BDO voulait avant tout éviter ce qui se produisit au
printemps 1945 : l’Armée rouge était au cœur de l’Europe{1887} », note
Seydlitz dans ses Mémoires. Le CAJ première mouture était une ouverture
vers les socialistes occidentaux, vers le gouvernement polonais de
Londres, vers les gouvernements anglo-saxons et vers le monde juif. Le
BDO faisait appel aux éléments conservateurs du Reich et l’armée
d’Anders était dirigée par des anticommunistes notoires. Les « jeux
radio » menés par le NKVD avec les Allemands en 1944 avaient, entre
autres, pour but d’organiser le recrutement d’Allemands

influents, ayant une bonne connaissance de l’appareil d’État de


l’Allemagne […] en vue de leur confier un poste important à l’avenir.
[…] Nous passerions totalement l’éponge sur le passé de ces hommes
et, s’ils acceptaient de collaborer avec nous, nous leur garantirions
non seulement la vie sauve mais une position à l’avenir.

Le NKVD tenait en particulier à récupérer les responsables de la


Gestapo et les militaires{1888}. À chaque fois, les communistes étaient
tenus à l’écart.
Ces tentatives avortées portaient déjà en germe les lignes directrices de
la politique ébauchée par Beria après la mort de Staline : ouverture vers
les Occidentaux, volonté de tirer l’URSS de son autarcie économique en
faisant appel aux crédits étrangers, volonté d’avoir une Allemagne non
communiste forte, volonté de mise à l’écart des kominterniens. Prêtons
aussi attention aux méthodes utilisées par Beria : constamment il mit en
avant l’argument de l’efficacité pour camoufler des manœuvres qui, d’un
point de vue soviétique, étaient en réalité des provocations.

17

Pour une paix séparée avec l’Allemagne ?


Le BDO n’était-il que la partie émergée d’un iceberg beaucoup plus
vaste ? Y eut-il dans les nombreux sondages de paix lancés par le NKVD
en direction de l’Allemagne autre chose que des manœuvres destinées à
faire pression sur les Occidentaux ? À partir de la victoire de Stalingrad,
Staline ne souhaitait plus ni un coup d’État contre Hitler ni son assassinat.
Or les archives et les témoignages montrent que l’intérêt manifesté par
Beria pour l’opposition à Hitler ne fléchit pas en 1943. On a au contraire
l’impression que le NKVD ne cessa de tendre la perche à ceux qui
souhaitaient une paix séparée et à ceux qui voulaient renverser le Führer.
La partie s’est engagée à l’automne 1942. Dès septembre, des
télégrammes émanant des pays neutres et interceptés par les Britanniques
évoquaient l’éventualité d’une paix séparée entre l’URSS et l’Allemagne
où cette option avait ses partisans{1889}. Les « jeux radio » menés par le
NKVD et la Gestapo servaient probablement de couverture à des sondages
discrets. Ainsi, en novembre 1942, la Gestapo engagea avec le NKVD le
« jeu radio » décrit par Léopold Trepper dans ses Mémoires. Karl Giering,
le chef du Sonderkommando Rote Kapelle, ne cachait pas à Léopold
Trepper que son objectif était la fin du conflit entre les deux pays : « Le
seul objectif du IIIe Reich est de parvenir à la paix avec l’Union
soviétique. » Les opérateurs radios retournés par la Gestapo envoyaient à
Moscou « des informations d’importance capitale provenant des cercles
les plus élevés de Berlin, qui toutes accréditeraient la certitude que nous
recherchons la paix séparée avec l’Union soviétique{1890} ». Ces cercles
étaient supposés prêts à collaborer avec Staline et à renverser
Hitler{1891}.
Mais ce sont surtout les contacts entre des émissaires allemands et le
NKVD à Stockholm, à partir de fin 1942, qui suscitèrent l’inquiétude des
Occidentaux. Edgar Klaus, un Juif letton qui avait travaillé pour les
services français et soviétiques après la Première Guerre mondiale, s’était
mis au service de l’attaché militaire allemand à Kaunas fin 1939 ; il fut
recruté par le NKVD à Kaunas en 1941 alors qu’il travaillait pour
l’Abwehr. Envoyé par Canaris en Suède en mai 1941, il connaissait
Alexandra Kollontaï – l’ambassadrice soviétique – et Victor
Semionov{1892}. Promu par Dekanozov, Semionov était entré au NKID
en 1939 et son premier poste avait été la Lituanie, puis, après la
soviétisation de celle-ci, il avait été envoyé, en septembre 1940, à Berlin
où il était chargé d’analyser la situation intérieure du Reich. En mai 1942,
il fut nommé conseiller d’ambassade à Stockholm et fut rappelé à Moscou
au début de 1945, après l’arrestation de Raoul Wallenberg. Dans ses
Mémoires, il nie avec énergie avoir été l’homme de Beria, expliquant
qu’au moment de son recrutement au NKID, il avait été convoqué à la
Loubianka :

On me demanda si j’étais prêt à travailler pour les organes de la


Sécurité. Je répondis que ce serait un honneur pour moi. Et en effet il
m’est arrivé de jouer un rôle d’intermédiaire, mais Molotov interdit
par la suite que le NKVD me détournât de mon activité diplomatique.
Sa parole avait force de loi{1893}.

Il prétend donc avoir été patronné exclusivement par Molotov et nie


avoir jamais rencontré Beria en tête à tête. Mais son témoignage est plus
intéressant par ses silences que par le peu qu’il révèle.
En mai 1942, Klaus reçut de Werner Boening, son supérieur à l’Abwehr,
l’ordre d’entrer en contact avec Kollontaï{1894}. À l’automne, les
événements se précipitèrent. Le 11 septembre 1942, l’agence Havas
annonça que l’URSS était disposée à faire la paix avec l’Allemagne.
Encouragé par cette nouvelle, Canaris envoya E. Klaus à Stockholm et, en
novembre 1942, les interlocuteurs soviétiques de Klaus l’informèrent que
leurs chefs souhaitaient des pourparlers de paix sérieux avec Berlin ; ils
recherchaient, comme le dira Klaus à Canaris, « un accord avec
l’Allemagne en vue de mettre fin le plus vite possible à cette guerre
ruineuse ». Canaris fut d’abord sceptique mais l’attaché militaire suédois à
Berlin, le lieutenant C. A. Juhlin-Dannfelt, lui confirma que quelque chose
se préparait à Moscou{1895}. Canaris finit par se décider et confia à Peter
Kleist la tâche de sonder les Soviétiques{1896}. Kleist était le directeur
du Bureau central pour l’Europe orientale de l’administration Ribbentrop.
Il était un spécialiste des États baltes et, en 1940, il avait négocié à
Moscou le transfert des populations allemandes de Bessarabie et était
entré en contact avec le NKVD. Kleist arriva à Stockholm le 2 décembre
et, le 12, il rencontra Klaus qui lui déclara : « Si l’Allemagne revient à la
frontière de 1939, vous pouvez avoir la paix dans huit jours{1897}. » Car,
insista-t-il, citant Kollontaï, « la Russie n’a jamais voulu la guerre avec
l’Allemagne{1898} ». De retour à Berlin, Kleist informa Schulenburg et
Adam von Trott de cet entretien. Schulenburg proposa de se rendre à
Stockholm pour y rencontrer Kollontaï qu’il connaissait. Mais lorsque
Ribbentrop voulut évoquer devant Hitler la mission de Kleist, il fut
rabroué avec violence par le Führer et n’osa pas insister. Hitler
s’accrochait à l’espoir d’un rétablissement de la situation sur le front et ne
voulait négocier qu’après un succès militaire.
Selon Semionov, Kleist était d’avis
qu’une capitulation de l’Allemagne signée avec les puissances
occidentales entraînerait la destruction du potentiel économique et
scientifique de l’Allemagne, de même que de sa position dominante
en Europe, que l’Allemagne soit dirigée par Adolf Hitler ou par un
père jésuite. C’est pourquoi on plaçait des espoirs sur une entente
séparée avec l’Union soviétique pour préserver l’unité de
l’Allemagne.

Et il ajoute : « Ces conceptions de Kleist me semblèrent intéressantes


car elles révélaient un état d’esprit dans l’entourage de Ribbentrop et peut-
être plus haut encore{1899}. » Au début des années 1990, Semionov
confiera d’ailleurs à l’historien L. Bezymenski qu’une paix séparée entre
l’URSS et l’Allemagne était concevable en 1942, alors qu’« en 1943,
c’était trop tard{1900} ». De leur côté, les Anglo-Saxons eurent très tôt
vent des contacts soviéto-allemands et ce fut la crainte d’une paix séparée
qui incita le colonel Carter Clarke, chef de la Special Branch de l’armée
américaine, à lancer, en février 1943, le projet Venona de décryptage des
câbles diplomatiques soviétiques{1901}.
Nous avons évoqué plus haut le voyage en Finlande, au début 1943, de
Gueguetchkori qui visita ensuite la Suède. Il y était envoyé afin de sonder
les Soviétiques à Stockholm sur les possibilités d’une paix séparée, choisi
« car il connaissait Staline et Beria{1902} » : preuve supplémentaire de
l’action concertée des réseaux mingréliens de l’Abwehr et du NKVD.
Malgré les rebuffades de Hitler, le NKVD poursuivit ses sondages secrets.
En avril 1943, Boris Rybkine, un agent de Beria, rencontra un diplomate
allemand et ils eurent de longs entretiens{1903}. En avril 1943, des
contacts secrets eurent lieu, en présence de Mikhaïl Nikitine, le chef de la
Section commerciale de la légation soviétique à Stockholm, entre
Kollontaï et Hans Thomsen, l’ambassadeur allemand, accompagné de deux
compatriotes, ce que les Américains apprirent en juin par Eljas Erkko,
ancien ministre des Affaires étrangères de Finlande. Les deux parties
avaient discuté d’une paix séparée entre l’Allemagne et l’URSS et évoqué
l’éventualité de créer un État tampon ukrainien autonome{1904}. La
Suède bruissait alors de rumeurs de paix séparée germano-
soviétique{1905}.
Début juin 1943, furieux à la nouvelle que l’ouverture du second front
était reportée à 1944, Staline multiplia les ouvertures en direction de
Berlin. Les Allemands apprirent, sans doute par Klaus, qu’un haut
fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères soviétiques, Alexandre
Mikhailovitch Alexandrov, voulait les rencontrer. Cette deuxième offre
soviétique à P. Kleist eut lieu le 18 juin 1943. Le plan de paix transmis par
Alexandrov émanait du NKVD et là encore Rybkine joua un rôle-
clé{1906}. Comme Kleist demandait à Klaus pourquoi l’URSS faisait ces
avances à l’Allemagne alors que l’Armée rouge était en train de gagner la
guerre, Klaus répondit que le débarquement dans les Balkans envisagé par
les Alliés gênerait la réalisation du projet soviétique d’expansion dans les
Détroits ; et que, par ailleurs, l’URSS avait besoin de l’assistance
économique de l’Allemagne pour se reconstruire après la guerre : « Les
Soviétiques ne veulent pas combattre un jour de plus, une minute de plus
que nécessaire pour les intérêts de l’Angleterre et de l’Amérique{1907}. »
Fin juillet, deux émissaires de Berlin rencontrèrent deux membres de la
légation soviétique{1908}.
À son retour à Berlin, Kleist fut intercepté par le SD : Hitler avait
subodoré dans ces tractations secrètes une « provocation juive ». Mais
Ernst Kaltenbrunner et Schellenberg souhaitaient continuer les sondages et
ils se bornèrent à exiger de Kleist que, désormais, il leur adresse ses
rapports. À la mi-août, Hitler lui-même se ravisa et autorisa Ribbentrop à
s’informer des propositions du Kremlin. Les Polonais de Stockholm
avertirent le gouvernement de Londres de ces tractations germano-
soviétiques qui laissaient craindre une nouvelle entente au détriment de la
Pologne{1909}.
De leur côté, l’Italie et le Japon redoublèrent d’efforts à partir de juin
1943 pour convaincre Hitler de faire la paix avec l’URSS. Il semble bien
que Moscou ait eu recours aux bons offices de Tokyo pour approcher
l’Allemagne. Durant les premiers jours de la contre-offensive soviétique
de Koursk, Shigemitsu, le ministre des Affaires étrangères du Japon, fit
savoir à l’ambassadeur d’Allemagne que Molotov avait laissé entendre,
dans son récent entretien avec Sato, l’ambassadeur du Japon en URSS, que
l’Union soviétique avait conservé sa liberté de négocier face aux
puissances occidentales et que la suppression du Komintern avait levé les
obstacles à une entente avec les régimes autoritaires. Mis au courant par
Ribbentrop, Hitler répondit que le Japon devait d’abord attaquer l’URSS
afin de la rendre plus susceptible d’accepter les conditions de paix
imposées par l’Allemagne{1910}. Fin juillet, les Japonais firent savoir de
nouveau à l’ambassadeur allemand que les Soviétiques étaient prêts à
négocier, information qu’ils tenaient du roi Boris de Bulgarie. L’URSS
réclamait les frontières de la Russie de 1914 – la Silésie irait à
l’Allemagne, la Carélie, la Bessarabie et la Bukovine à l’URSS –,
l’autonomie de la Finlande serait reconnue, tandis que la Pologne ferait
partie de la sphère d’influence soviétique ; en outre l’URSS recevrait des
réparations et l’engagement d’une coopération avec l’Allemagne une fois
la paix conclue{1911}. Là encore, Hitler fit la sourde oreille : il n’était pas
question pour lui de renoncer à l’Ukraine.
Le troisième contact entre Kleist et Klaus eut lieu le 4 septembre 1943.
Ribbentrop expédia Kleist en Suède, après un entretien avec Schulenburg
et Hilger, et cette fois au su de Hitler. Klaus proposa à Kleist un retour aux
frontières de 1914, la liberté d’action accordée à Moscou dans les Détroits
et une coopération économique germano-soviétique étroite. Klaus rapporta
les propos de Semionov : « La situation en Europe orientale, de la
Finlande aux Dardanelles, ne peut être réglée de façon durable qu’avec
l’Allemagne et non avec les puissances occidentales. » L’Allemagne
devrait faire un geste prouvant qu’elle était prête à changer de politique et
à négocier ; l’URSS répondrait à ce geste et aimerait avoir Schulenburg
comme interlocuteur{1912}. Pour prouver le sérieux des intentions
soviétiques, Klaus annonça la venue de Dekanozov à Stockholm, le
12 septembre, et le pressa d’accepter une rencontre avec lui.
En même temps, Klaus glissait un message d’avertissement aux
Occidentaux : il confia à un agent du renseignement militaire suédois avec
lequel il entretenait d’excellentes relations, que l’URSS allait foncer en
Pologne et dans les Balkans et soviétiser l’Europe centrale et orientale
après des référendums truqués{1913}. Le 6 septembre, Klaus informa son
interlocuteur suédois que les Allemands étaient prêts à négocier la paix
avec l’URSS à n’importe quelles conditions{1914}. Au Vatican circula la
rumeur d’un voyage de Ribbentrop à Moscou{1915}.
Le 8 septembre, Kleist eut un nouvel entretien avec Klaus qui lui
annonça le passage imminent de Dekanozov à Stockholm et lui signifia
que c’était la dernière chance de négocier offerte à l’Allemagne{1916}. Le
10 septembre, Radio Moscou annonça que Dekanozov venait d’être
nommé ambassadeur à Sofia, décision interprétée à Berlin comme le geste
soviétique envers l’Allemagne annoncé par Klaus et une preuve des
connexions de ce dernier avec les hautes sphères du Kremlin. Et, de fait,
depuis 1939, la Bulgarie servait d’intermédiaire au rapprochement
germano-soviétique.
Ainsi, au moment même où Beria montait le BDO, en septembre 1943,
le NKVD faisait des ouvertures appuyées à des représentants du Reich. Et
cela en contradiction avec les déclarations officielles du NKID puisque, le
16 septembre 1943, Gromyko déclara à Cordell Hull que l’URSS
considérait comme totalement exclue la possibilité d’un armistice ou
d’une paix avec l’Allemagne et ses satellites{1917}.
Toute une série d’indices convergents donne à penser que Moscou
envisageait une paix séparée avec l’Allemagne. L’alliance avec les Anglo-
Saxons pesait à Staline qui gardait la nostalgie du pacte germano-
soviétique. Une entente avec une Allemagne au potentiel économique
intact mais vassalisée par l’URSS sur le plan politique pouvait lui sembler
préférable à une gestion tripartite de l’ancien Reich. Avant la conférence
de Moscou en octobre 1943, Staline n’était pas encore certain que les
Alliés lui laisseraient carte blanche en Europe de l’Est.
Dans les cercles dirigeants du Reich, on hésitait. Goebbels note dans son
Journal, le 10 septembre 1943 : « La question qui commence à se faire
jour, c’est évidemment de savoir vers qui nous devons d’abord nous
tourner, vers Moscou ou vers le camp anglo-américain. » À ce moment,
Hitler pensait que les chances de parvenir à un arrangement avec les
Anglais étaient meilleures qu’avec Staline, mais Goebbels n’était pas de
cet avis : « Staline est plus porté vers la realpolitik que Churchill, un
utopiste romantique{1918}. » Mais le point d’achoppement était
l’Ukraine, à laquelle Hitler ne voulait pas renoncer{1919}. Le
23 septembre, Goebbels opéra un revirement, estimant qu’il vaudrait
mieux traiter avec un État démocratique car une fois qu’il aurait conclu la
paix, « il déposera les armes pendant au moins vingt ans », tandis que les
bolcheviks pouvaient « partir en guerre à tout moment{1920} ». Hitler,
lui, songeait alors à un remake du pacte germano-soviétique{1921}.
En définitive, les Allemands ne répondirent pas aux ouvertures de
Moscou car Hitler attendait toujours un succès militaire. Ribbentrop fut
outré de devoir démissionner et il estima que jamais Hitler ne consentirait
à se débarrasser de Rosenberg, autre « geste » demandé par les
Soviétiques. Il ne voulut même pas faire nommer Schulenburg
ambassadeur à Sofia, comme le suggérait Kleist{1922}. Du coup les
Soviétiques décidèrent de mettre les Occidentaux au courant, en présentant
la chose comme si l’initiative venait de Berlin. Le 29 septembre,
K. V. Vinogradov, premier secrétaire de l’ambassade soviétique en Suède,
confia à l’Américain Herschel Johnson que les Allemands avaient bien
cherché à nouer des contacts avec les Soviétiques, mais qu’il ne s’agissait
pas de « sondages de paix directs ». Enfin le 1er octobre, Kollontaï mit le
point final, déclarant dans une interview à la presse anglaise que toute paix
séparée de l’URSS avec l’Allemagne était exclue{1923}.
Dans ce contexte, l’étrange affaire de la lettre de Klaus à Semionov
s’éclaire quelque peu{1924}. En effet, le 10 octobre 1943, Semionov reçut
une lettre anonyme qui lui proposait dans un russe très approximatif
d’organiser une rencontre entre l’auteur de la lettre et un homme du
NKVD qui n’était autre que l’ancien agent traitant de Klaus en Lituanie.
Semionov transmit le contenu de cette lettre à Staline, Molotov,
Vorochilov, Mikoïan, Beria, Malenkov, Vychinski et Dekanozov. Le
général du NKVD Fitine établit très vite que l’auteur de la lettre était
Klaus lui-même. Cette affaire sentait le coup monté, d’autant que la lettre
était soi-disant arrivée par le courrier ordinaire alors qu’elle avait échappé
à la vigilance de la police suédoise qui surveillait pourtant de près la
correspondance et les contacts de l’ambassade soviétique. Sur ces
entrefaites, le 12 novembre, Molotov raconta à Harriman qu’un homme
d’affaires allemand, E. Klaus, avait contacté les Soviétiques à Stockholm à
la mi-octobre, en prétendant parler au nom d’industriels allemands
représentés par Kleist, un proche de Ribbentrop, et que les Soviétiques
avaient rejeté cette offre de paix séparée{1925}. L’hypothèse la plus
probable est que la lettre anonyme était une opération de camouflage et de
propagande tendant à prouver que l’Allemagne avait l’initiative des
tentatives de paix, comme Molotov l’affirmait aux Alliés, alors que
l’initiative émanait jusque-là des Soviétiques. La lettre avait probablement
été concoctée par Semionov lui-même, ce qui explique pourquoi le NKVD
interdit à son agent de la mentionner à Klaus. À la veille de la conférence
de Téhéran, les Soviétiques jugeaient bon de rappeler une fois de plus aux
Occidentaux que l’URSS pouvait jouer la carte allemande s’il le fallait. De
son côté Edgar Klaus continua d’avertir les alliés occidentaux : en
novembre 1944, il mit en garde un émissaire américain sur les dangers
d’une coopération soviéto-allemande pour les puissances
occidentales{1926}.
Après l’épisode de la lettre, Semionov dut se douter que le jeu de son
chef était trouble et risqué pour les exécutants. Un message décrypté par
Venona, daté du 17 décembre 1943, laisse entendre qu’il refusait
désormais de prendre part à des négociations pour un retrait de la guerre,
alléguant que cela dépassait ses compétences{1927}. Ses vœux ne furent
pas exaucés dans l’immédiat.
Pour mieux brouiller les pistes, le NKVD n’hésita pas à accuser les
autres de ses propres manœuvres. Ainsi, le 17 janvier 1944, la Pravda
publia une information en provenance de son correspondant du Caire selon
laquelle des envoyés britanniques avaient rencontré Ribbentrop en secret
pour discuter des conditions d’une paix séparée. Les Britanniques
envoyèrent une note de protestation et reçurent en réponse, le 23 janvier,
une lettre de Dekanozov affirmant qu’un journal « avait le droit de publier
des informations émanant de sources que la rédaction estimait dignes de
confiance{1928} ». Semionov savait de quoi il parlait lorsqu’il laissait
entendre que le NKVD jouait un rôle de provocateur.

L’opposition allemande et la conjuration du 20 juillet 1944.


L’ouverture, même partielle, des archives montre que, dès avant la
guerre, le NKVD s’intéressa à l’opposition à Hitler au sein de la
Wehrmacht. En Chine il avait noué des contacts avec le capitaine Walter
Stennes, un ancien chef de la SA exilé par Hitler, chargé en mars 1939, par
Tchang Kaï-chek, d’organiser sa protection sur le modèle de la garde
prussienne. À partir de 1940, Stennes devint le chef du service de
renseignements de Tchang Kaï-chek. À son interlocuteur soviétique,
Stennes ne cachait pas que son but était de renverser Hitler ; il préconisait
la création d’une légion allemande antifasciste et estimait qu’après la
guerre, l’Allemagne devrait entrer dans une alliance avec l’URSS et la
Chine{1929}. En attendant, il proposait aux Soviétiques d’échanger des
renseignements, tout comme il le faisait avec les Américains, les
Britanniques et les Français. Stennes était en relations avec le groupe
Beck, des militaires qui projetaient de renverser Hitler. En novembre 1939,
le NKVD renouvela le contact avec lui sur ordre de Beria qui attachait une
telle importance à cet officier allemand qu’il envoya Zaroubine à
Shanghai, en janvier 1941.
Le NKVD cherchait depuis longtemps à infiltrer l’entourage de Göring,
le chef de la Luftwaffe qui fascinait les Soviétiques à plus d’un titre. Il
représentait les intérêts des milieux d’affaires qui, a priori, étaient
davantage susceptibles d’être infléchis dans le sens d’une entente avec
l’URSS, selon l’analyse que l’on faisait à Moscou. À l’été 1936, c’est
Göring qui avait renoué les relations commerciales avec l’URSS. En outre,
il était chargé des relations avec la Pologne et avec les pays balkaniques,
et en cela sa sphère de compétences recouvrait celle du NKVD. Et bien sûr
les efforts de Göring pour préserver la paix avec l’Angleterre à l’été 1939
avaient été suivis de près à Moscou. Peut-être le NKVD avait-il aussi eu
vent qu’à l’automne 1939, Göring envisageait de renverser Hitler et de
prendre sa place, intention dont il avait fait part aux Anglo-Saxons par ses
contacts confidentiels{1930}.
Très tôt, le NKVD s’intéressa aussi à Carl Goerdeler, l’ancien maire de
Leipzig devenu l’une des principales personnalités de la résistance
allemande. Ainsi, le 26 février 1941, Amaïak Koboulov signala à Moscou
la tentative du groupe Goerdeler de convaincre les militaires hostiles à
Hitler de renverser ce dernier, soulignant que les généraux Thomas et
Hoepner avaient soutenu la proposition de Goerdeler{1931}. Le résident
soviétique reçut l’ordre de chercher à infiltrer ce groupe{1932}.
Le NKVD suivait de près les conceptions et les démarches de
l’opposition allemande. En décembre 1941, il rédigea une note sur les
projets pour l’Allemagne d’après-guerre formulés par le groupe d’officiers
opposés à Hitler{1933}. En juin 1942, il résuma le mémorandum remis
par un groupe d’officiers vétérans de la Première Guerre mondiale à Hitler
afin de le persuader de rechercher une paix de compromis car la guerre
était impossible à gagner{1934}. Les archives soviétiques confirment que
les dirigeants de l’URSS étaient étonnamment bien informés sur la
résistance militaire à Hitler{1935} ; même les taupes du NKVD au sein de
l’OSS s’intéressaient aux renseignements fournis par Dulles sur la
résistance allemande{1936}. Les services spéciaux soviétiques ciblaient
bien entendu aussi Himmler, que le Political Warfare Executive
britannique, l’héritier du SO1 – le service de propagande du SOE –,
essayait d’encourager à assassiner Hitler pour déstabiliser le régime
national-socialiste. Moscou avait sans aucun doute eut vent de la
démarche, en décembre 1942, de Carl Langbehn, un proche de Himmler,
qui transmit au représentant de l’OSS à Stockholm l’offre du chef de la SS
d’organiser un putsch contre Hitler en prélude à une paix négociée entre
Occidentaux et Allemagne{1937}.
D’autres contacts furent noués à Stockholm à partir de mars
1943{1938}. Felix Kersten, le médecin du chef du RSHA, était en
relations à la fois avec les Soviétiques et les Britanniques par
l’intermédiaire de madame Wellington Koo, femme de l’ambassadeur de
Chine à Londres{1939}. L’un de ses patients était aussi Abraham Stevens
Hewitt, agent de l’OSS et envoyé spécial de Roosevelt à
Stockholm{1940}.
L’obstination de Hitler à refuser de changer de politique dans les
territoires occupés cristallisa la dissidence croissante de jeunes officiers
qui finirent par rejoindre quelques-uns de leurs aînés dans leur volonté
d’éliminer le Führer. De cette rencontre naquit la conjuration qui aboutira
à l’attentat manqué du 20 juillet 1944{1941}. On peut se demander si l’un
des buts de la création du BDO, dans l’esprit de Beria, n’était pas
d’encourager les militaires allemands à passer à l’action et à renverser
Hitler. La coïncidence entre les dates est remarquable. En février 1943,
Beria adressa au GKO le résumé d’une lettre adressée à Anthony Eden par
Victor Mallet, ambassadeur de Grande-Bretagne à Stockholm, qui y
rapportait le témoignage d’un « Suédois bien informé » – sans doute le
banquier Marcus Wallenberg – à son retour de Berlin. Selon cette source,
les généraux allemands, de plus en plus indignés de la manière dont Hitler
interférait dans les opérations militaires, étaient prêts à le renverser ;
Mallet citait le nom de Falkenhausen et précisait que c’était la crainte de
l’Armée rouge et d’une vengeance russe qui empêchait les opposants de
passer à l’action{1942}. À l’été 1943, Adam von Trott zu Soltz, l’une des
personnalités du cercle dissident de Kreisau, fit savoir aux Britanniques
que les généraux Falkenhausen et Halder étaient prêts à renverser Hitler et
à faire la paix avec l’Angleterre et la France, à condition que la
Wehrmacht soit autorisée à assister les Nations unies dans le maintien de
l’ordre en Allemagne{1943}.
Le BDO fut formé en août-septembre 1943, au moment où l’officier
dissident Henning von Tresckow déclarait à Beck et à Goerdeler que
l’effondrement du front était prévisible et que des négociations
d’armistice immédiates devaient être entamées ; où le général Kluge en
arriva à la conviction que Hitler devait être éliminé, y compris par la
force ; où Claus von Stauffenberg et un groupe de généraux décidèrent
d’agir{1944} ; où Goerdeler annonça au banquier suédois Jakob
Wallenberg que le changement de régime en Allemagne aurait lieu avant
la fin du mois de septembre{1945} ; où Schellenberg essaya de convaincre
Himmler qu’il fallait assassiner le Führer{1946}. Les négociations de
Stockholm mentionnées plus haut avaient peut-être aussi pour but de
galvaniser les adversaires de Hitler et de les pousser à l’action : là encore
le NKVD semblait copier l’action des services britanniques.
Les conjurés allemands multiplièrent fiévreusement les tentatives de
contacts avec les Alliés. Les sondages en direction des Occidentaux sont
assez bien connus. Les banquiers suédois Marcus et Jakob Wallenberg
servaient d’intermédiaires avec les Britanniques -- dès l’automne 1939, ils
s’étaient entremis entre le gouvernement anglais et Göring qui s’efforçait
de conclure la paix avec les Occidentaux. Comme il était chargé de
négocier les arrangements commerciaux de la Suède avec les puissances
alliées, Marcus avait beaucoup de relations à Londres et à Washington. Il
était l’ami de l’ambassadeur britannique à Stockholm, Victor Mallet.
Jakob Wallenberg était responsable des intérêts allemands de l’Enskilda
Bank, l’établissement des Wallenberg, qui s’occupait en particulier de
camoufler les avoirs industriels et commerciaux de l’Allemagne dans les
pays alliés{1947}. Jakob connaissait bien l’Allemagne et détestait le
régime nazi. Il désapprouvait la politique de reddition inconditionnelle
adoptée par les Alliés. Marcus Wallenberg ne cessait de mettre en garde
les Britanniques contre une attitude trop dure à l’égard de l’Allemagne,
qui risquait selon lui de pousser cette dernière dans les bras des Russes.
Carl Goerdeler était lié d’amitié avec Jakob Wallenberg qui, dès
novembre 1942, l’avait exhorté à organiser sans tarder un coup d’État
contre Hitler{1948}. En mai 1943, Goerdeler se rendit à Stockholm pour
annoncer à Jakob Wallenberg qu’un putsch contre Hitler était prévu en
septembre et que des négociations de paix seraient engagées à Stockholm.
Il remit à son interlocuteur suédois le programme de paix élaboré par
l’opposition antihitlérienne{1949}. Il s’agissait de sonder la Grande-
Bretagne sur la possibilité de conclure la paix si Hitler était renversé.
Jakob Wallenberg pria son frère Marcus, alors à Londres, de contacter
Churchill pour lui transmettre le mémorandum de Goerdeler et lui
demander si les Alliés suspendraient leur offensive au moment du coup
d’État contre Hitler. Le 4 juin, Marcus rencontra Desmond Morton,
l’homme des missions confidentielles de Churchill. Morton lui dit que
l’essentiel aux yeux du gouvernement britannique était l’éradication du
nazisme ; que l’attitude britannique était de wait and see, qu’à Londres on
se méfiait beaucoup de l’URSS et de ses intentions, sans le laisser
paraître ; que le gouvernement britannique pouvait renoncer le cas échéant
à la « reddition inconditionnelle » car il ne souhaitait pas prolonger la
guerre de manière inutile ; et qu’il mettrait fin aux bombardements dès
qu’il aurait des nouvelles fiables de la chute du nazisme{1950}. À partir
de septembre 1943, le contact avec Marcus Wallenberg fut confié à sir
Charles Hambro, le directeur opérationnel du SOE. Le colonel Helmuth
Stieff projetait alors d’assassiner Hitler en plaçant sur son passage une
bombe fournie par le SOE – la tentative eut lieu en novembre, mais avorta
à cause d’un changement de plan du Führer. Les opposants à Hitler, y
compris Stauffenberg, envisageaient de négocier avec les Occidentaux en
vue d’un renversement d’alliances et se proposaient d’offrir la paix sur le
front ouest afin de concentrer toutes les forces de la Wehrmacht contre les
bolcheviks. Goerdeler rencontra encore Wallenberg début août et fin
novembre. Le 2 octobre, ce fut au tour de Walter Schellenberg de contacter
Jakob Wallenberg. Il le pria d’utiliser les relations de Marcus Wallenberg
avec les Occidentaux afin de les mettre en garde contre une
« bolchevisation de l’Europe centrale{1951} ». Mais, en octobre-
novembre 1943, Adam von Trott se rendit en Suède et en revint peu
optimiste sur les chances d’une entente avec l’Angleterre, ce dont il fit
part à Stauffenberg. En février 1944, Goerdeler fit venir Marcus à Berlin
et lui demanda de trouver Churchill pour l’avertir du danger
bolchevique{1952}.
Du côté américain, deux émissaires de cercles allemands hostiles à
Hitler contactèrent Dulles en Suisse, en janvier 1944, pour lui annoncer un
complot en vue de l’assassinat de Hitler. La résistance allemande
sollicitait de l’OSS des armes et une éventuelle intervention militaire
alliée. Les conspirateurs affirmaient leur volonté de ne traiter qu’avec les
puissances occidentales et leur intention de sauver l’Europe orientale
d’une domination soviétique. Ils proposaient d’ouvrir le mur de
l’Atlantique aux Alliés et de faciliter le débarquement de divisions
parachutistes alliées à Hambourg et Kiel{1953}. Donovan fut surpris et
déçu lorsque Roosevelt refusa net d’aider ces résistants, alléguant qu’il
n’était pas question d’agir contre les intérêts de l’URSS{1954}. Après cet
échec, Canaris fut dépêché à Paris pour sonder les Britanniques, sans plus
de succès. Les Anglo-Saxons craignaient que, si les contacts entre les
Occidentaux et l’opposition allemande s’ébruitaient, les Soviétiques ne
cherchent une entente avec les nazis.
En mars 1944, les résistants allemands firent une nouvelle tentative.
Von Trott se rendit à Stockholm pour effectuer un sondage sur
l’éventualité d’une paix entre un gouvernement allemand antihitlérien et
la coalition alliée. Dans ses entretiens avec ses interlocuteurs suédois, il
manifesta aussi un grand intérêt à l’égard des possibilités de paix avec
Staline. Ivar Anderson, le rédacteur en chef de Svenska Dagbladet,
l’assura que ce dernier était disposé à conclure un traité avec un
gouvernement d’opposition allemand{1955}. Peu après, les services
spéciaux américains à Stockholm apprirent qu’un contact direct entre le
commandement de la Wehrmacht et le Kremlin s’était établi. Le 24 mai
1944, le State Department décida d’informer les Soviétiques des contacts
noués, en avril 1944, par le groupe d’Oster, de Goerdeler et de Beck avec
Allen Dulles ainsi que de leur proposition de renverser Hitler pour
conclure la paix{1956}. À Moscou, on voulut des précisions.
Le 19 juin 1944, Stauffenberg envoya son ami Otto John à Madrid, le
chargeant de sonder Eisenhower sur un éventuel armistice sur le front
ouest en échange de la résistance allemande contre le bolchevisme{1957}.
John était le chargé d’affaires de la Lufthansa à Madrid et servait
d’intermédiaire entre les opposants à Hitler et les Occidentaux. Il sera l’un
des rares survivants de la conjuration du 20 juillet et deviendra, en 1950,
le chef de l’Office fédéral de protection de la Constitution (Bundesamt für
Verfassungsschutz) – avant de passer à l’Est en 1954 et de dénoncer
bruyamment la politique d’Adenauer.
Pour entrer en contact avec les Britanniques, Stauffenberg voulait faire
appel au comte Gottfried Bismarck-Schönhausen, ami de longue date de
Jakob Wallenberg{1958}. Hans Bernd Gisevius, l’émissaire de l’Abwehr
revenu de Suisse le 12 juillet, berça les conjurés de l’illusion qu’une paix
avec les Occidentaux sans capitulation inconditionnelle était
possible{1959}. En juillet-août 1944, Donovan eut des entretiens
ultrasecrets avec von Weizsäcker, l’ambassadeur allemand auprès du
Saint-Siège qui, en janvier 1945, informera Donovan que Guderian et von
Rundstedt étaient prêts à ouvrir le front occidental aux armées
d’Eisenhower{1960}.
En revanche, les contacts éventuels des conjurés avec Moscou restent
très discutés par les historiens. Edgar Klaus était en relation avec la
résistance allemande qui ne refusait pas d’avoir recours à ses bons
offices{1961}. Le 2 juin 1944, Klaus fit parvenir à Semionov une missive
mentionnant une offre de Kleist et proposant un échange de prisonniers en
prélude à des négociations de paix. Klaus affirmait que Kleist était un
partisan résolu du Comité Allemagne libre. Le 20 juin, Klaus fit savoir aux
Soviétiques que certaines forces en Allemagne « étaient prêtes à écarter
Hitler, à évacuer les provinces baltes, la Pologne, la Bessarabie et la
Finlande{1962} ». Et, le 28 juin, Kleist rencontra Semionov et l’attaché
militaire N. I. Nikitouchev{1963}. Lorsque Adam von Trott se rendit en
Suède pour la quatrième et dernière fois, du 19 juin au 3 juillet 1944 – en
même temps que Peter Kleist{1964} –, il était chargé de sonder les
Soviétiques tout comme les Anglo-Saxons sur l’éventualité d’un
armistice. Les conjurés voulaient éviter de donner l’impression qu’ils
cherchaient à faire éclater la coalition antihitlérienne. Pour servir
d’intermédiaire avec Kollontaï, von Trott comptait sur Willy Brandt qui
avait donné son accord, mais la tentative échoua car les Soviétiques
apprirent qu’une fuite avait eu lieu à l’ambassade et que la chose était
parvenue aux oreilles de Berlin. On ignore encore si Trott parvint à
rencontrer Kollontaï. Ce contact éventuel était peut-être la raison de la
présence de Kleist en Suède. Dans ce cas, Himmler était au courant de la
conjuration, espérant peut-être assurer sa survie en jouant la carte d’une
paix avec l’URSS{1965}. L’émissaire des conjurés s’adressa aussi au
Suédois Gunnar Myrdal qui lui avait déjà arrangé une entrevue de deux
heures avec John Scott, l’homme de l’OSS.
Le réseau Kedia a peut-être constitué un lien secret entre le groupe
Stauffenberg et Beria. Officier d’état-major sur le front de l’Est dès le
23 juin 1941, persuadé que la guerre ne pouvait être gagnée qu’avec le
soutien des populations de l’Empire soviétique, Stauffenberg était un
partisan résolu du recrutement dans la Wehrmacht d’anciens prisonniers
de guerre soviétiques et d’une Ostpolitik plus humaine. Il fut l’un de ceux
qui élaborèrent la politique de la Wehrmacht dans le Caucase, en
recommandant de ne pas hésiter à se référer à des notions comme
« liberté, indépendance et coopération » et à considérer les peuples
caucasiens comme des « amis{1966} ». Il patronna en particulier la
création de légions caucasiennes. Michel Kedia était donc fort proche des
conjurés qui ne lui avaient pas caché leur projet. Ils avaient même
demandé l’assistance des Géorgiens en cas de réussite du complot : et en
quoi auraient-ils eu besoin de l’aide des émigrés géorgiens, sinon pour
obtenir un contact en haut lieu à Moscou et entamer des
négociations{1967} ? Ce fut peut-être une des raisons de l’envoi de
Berichvili en Géorgie. Notons que Kedia connaissait Kleist{1968} et qu’il
s’intéressait aux négociations menées par celui-ci à Stockholm{1969}.
Y eut-il un lien entre l’Abwehr et le Comité Allemagne libre ? Dans son
mémorandum, Seydlitz avait recommandé à Staline d’autoriser le Comité
à collaborer avec des organisations à l’étranger poursuivant les mêmes
buts. Selon certaines sources, les résistants de l’Abwehr opérèrent des
parachutages favorables au Comité Allemagne libre{1970}. Otto Korfes,
l’un des fondateurs du BDO, était le beau-frère d’Albrecht Mertz von
Quirnheim, l’ami de longue date de Stauffenberg et l’un des conjurés du
20 juillet{1971}. Enfin, Olga Tchekhova était en relations, depuis les
années 1920, avec trois des conjurés de juillet, Albrecht von Quirnheim,
Werner von Haeften et Eberhard Finckh{1972}.
Les envoyés de l’Abwehr avaient tout intérêt à exagérer auprès des
Occidentaux le risque d’une entente germano-russe éventuelle, pour les
rendre plus réceptifs à leur message. Ainsi Gisevius, un des conjurés qui
assurait la liaison avec Berne, affirmait que, depuis 1943, sous l’influence
des victoires soviétiques et des bombardements alliés, un groupe de jeunes
officiers penchait pour le socialisme{1973}. Selon lui, Stauffenberg avait
décidé de négocier avec les Russes. Qu’en était-il vraiment ? Influencé par
Schulenburg qui, même à l’été 1944, croyait une entente avec Staline
possible, le cercle de Stauffenberg avait noué, le 22 juin, des contacts avec
trois membres du Comité central du KPD, Anton Saefkow, Franz Jacob, les
organisateurs d’une branche clandestine du mouvement Allemagne libre,
et Paul Schwenk qui travaillait à Radio Moscou{1974}. Les communistes
avaient exprimé le désir d’établir une liaison avec l’opposition militaire et
formulé un programme très modéré pour l’Allemagne d’après-guerre.
Saefkow souhaitait que l’Allemagne fût libérée par les Allemands et non
par l’Armée rouge{1975}. Le groupe de Saefkow était contrôlé par
Moscou car il était en contact permanent avec les communistes allemands
exilés en Suède qui étaient en liaison constante avec la direction à
Moscou{1976}. Gisevius parle même d’une « conspiration au sein de la
conspiration{1977} ». Le social-démocrate Julius Leber, que Stauffenberg
avait rencontré en décembre 1943, servait d’intermédiaire et ambitionnait
de créer au sein du KPD une scission en opposant les communistes
nationaux aux moscoutaires{1978}. Pour certains, l’ouverture à gauche
préconisée par Leber et Stauffenberg s’expliquait par la crainte d’une
bolchevisation de l’Allemagne et la volonté de couper l’herbe sous le pied
à la propagande communiste. Il s’avéra toutefois qu’il y avait parmi les
communistes un mouchard de la Gestapo, et les trois hommes et Leber
furent arrêtés.
En janvier 1945, A. Dulles apprit par Gisevius, l’un des conjurés
rescapés grâce à l’aide de l’OSS, qu’à la veille de l’attentat, Stauffenberg
s’était mis en contact avec les Russes par le général Fritz Lindemann.
Après avoir caressé l’idée de jouer les Occidentaux contre les Soviétiques,
il aurait décidé d’ouvrir le front de l’Est en cas de réussite de l’attentat, de
proclamer un État ouvrier et paysan en Allemagne et de joindre les troupes
allemandes à l’Armée rouge dans la guerre contre les « ploutocraties » :
tout cela pour éviter le déferlement des Soviétiques en Allemagne{1979}.
Schellenberg a affirmé qu’il avait vu dans le dossier d’instruction de la
conjuration un projet de traité soviéto-allemand qui devait entrer en
vigueur dès que l’attentat aurait réussi, et il était d’avis que le projet
émanait du Comité Allemagne libre{1980}. Stauffenberg aurait été en
relation avec Seydlitz par l’intermédiaire de Kollontaï. Ce point est
toujours discuté par les historiens{1981}. Pour certains, Gisevius aurait
fait état des accointances bolcheviques de Stauffenberg parce qu’il était
proche de Goerdeler, dépité d’être mis sur la touche par les jeunes
officiers et furieux de voir Stauffenberg prendre des initiatives de
politique étrangère sans le consulter{1982}. En tout cas, Gisevius n’était
pas le seul à diffuser ces nouvelles alarmistes : ainsi, le 16 septembre
1944, un membre de la mission allemande dans les Balkans, Rudi Starker,
contacta Robert MacDowell, officier de l’OSS, pour lui dire qu’il espérait
que les Alliés ne livreraient pas l’Allemagne au communisme, car, selon
lui, le danger était réel, les Allemands étant devenus nihilistes{1983}.
Après l’échec de l’attentat du 20 juillet, la Gestapo déploya de grands
efforts afin de prouver que les fils du complot remontaient à Moscou. Les
dirigeants nationaux-socialistes orientèrent leur enquête vers les liens
entre les conjurés et le Comité Allemagne libre ainsi que le BDO. Dans un
rapport à Hitler, Kaltenbrunner fit état du voyage de von Trott à
Stockholm pour accuser celui-ci d’avoir voulu relier la « clique de
Stauffenberg aux généraux et officiers de Moscou{1984} ». Les accusés
furent interrogés sur leurs liens avec le groupe Seydlitz. Mais rien ne put
être prouvé{1985}.
En fin de compte, il est probable que la version offerte à un officier
occidental, en août 1944, par Albrecht von Kessel, le premier secrétaire de
l’ambassade allemande au Vatican, est proche de la vérité. Selon lui, le but
des conjurés était d’organiser un gouvernement moitié conservateur,
moitié social-démocrate, pour parvenir à la paix avec tous les
Alliés{1986}. Mais la tentation d’une entente avec l’Est existait
certainement. Selon le témoignage de son ami le major Joachim Kuhn –
l’un des conjurés qui échappa à l’arrestation car il se trouvait sur le front
de l’Est –, Stauffenberg aurait déclaré, en avril 1944, que Seydlitz n’avait
pas aussi tort qu’on le disait{1987}. Kuhn rapporta aussi que le général
Erich Fellgiebel lui aurait dit en décembre 1943 :

Nous devons au plus vite nouer des contacts avec l’URSS car seul ce
pays a intérêt à l’existence d’une Allemagne viable. Pour les Anglo-
Américains le continent sera toujours un concurrent gênant{1988}.

Y eut-il un discret encouragement du NKVD à la tentative de coup


d’État ourdie par Stauffenberg ? Le chef de la conspiration à Paris, Cesar
von Hofacker, cousin de Stauffenberg, était en contact avec le CALPO
depuis fin 1943 et en était devenu membre en mai 1944. En 1944, le
CALPO et le Conseil national de la Résistance signèrent une convention
selon laquelle les chefs militaires de la résistance française ne
s’opposeraient pas à une retraite volontaire des troupes allemandes jusqu’à
la frontière, à condition que cette retraite soit achevée avant le
débarquement allié et placée sous le contrôle de plénipotentiaires du
CALPO{1989}. Le matin du 20 juillet, la BBC diffusa en allemand un
appel à la Wehrmacht à renverser Hitler afin que des négociations de paix
puissent commencer ; or le responsable de la section des émissions
politiques de la BBC et le coordinateur des programmes était alors Guy
Burgess, l’un des « cinq de Cambridge ». Et, le 21 juillet, ce fut au tour de
Seydlitz à Radio Moscou de lancer un appel similaire{1990}.
Le 27 juillet, le major Joachim Kuhn se fit volontairement prendre par
les Soviétiques en déclarant qu’il désirait adhérer au BDO. Il tomba aux
mains du SMERCH qui lui fit rédiger, début septembre 1944, son récit de
la conjuration. Abakoumov transmit ce texte à Malenkov et à Staline.
Deux points sont frappants dans le récit de Kuhn : il ne dit pas être passé
volontairement du côté soviétique et il rapporte que Stauffenberg se
plaignait de l’absence de contacts avec l’Union soviétique « vers laquelle
notre organisation devait s’orienter en priorité ». Le témoignage de Kuhn,
rédigé dans les geôles du SMERCH, tend à accréditer la version d’un
tropisme « prosoviétique » de nombre d’officiers allemands{1991}. Tout
cela peut s’interpréter de différentes manières : si le SMERCH tenait la
plume de Kuhn, cela signifiait qu’il voulait convaincre Staline des
dispositions philosoviétiques des résistants allemands et de l’absence de
tout contact entre les conjurés et Moscou. Kuhn fut incarcéré à la
Loubianka, puis, en 1947, dans une datcha du SMERCH ; le 30 août 1951,
après la chute d’Abakoumov, il fut inculpé et condamné à vingt-cinq ans
de détention. Accusé d’avoir participé au complot du 20 juillet pour
faciliter une paix séparée entre l’Allemagne et les Occidentaux, il ne fut
libéré qu’en 1956.
La conjuration du 20 juillet sembla un moment donner raison au BDO.
Les officiers y virent une confirmation de leurs aspirations patriotiques et
l’espoir d’un soulèvement en Allemagne. Von Einsiedel a souligné que le
programme du Comité et celui de l’Union des officiers était identique à
celui des conjurés du 20 juillet. Le 23 juillet, le Comité publia un appel au
peuple allemand dans lequel il loua ces « hommes courageux{1992} ».
Mais les communistes n’étaient pas de cet avis et l’attentat manqué fut
interprété par Ulbricht et Weinert comme une ultime tentative des forces
conservatrices de sauver leur pouvoir. Ce sera aussi la ligne défendue par
Herrnstadt dans Freies Deutschland.
L’OSS de Berne, qui était en contact avec les conjurés, fit la même
lecture des événements : pour Dulles la répression qui suivit l’attentat
manqué avait éliminé les forces pro-occidentales existant en Allemagne. Il
écrivit à Donovan le 24 juillet :

La prochaine tentative en Allemagne de renverser le régime hitlérien


viendra d’un groupe orienté vers l’Est, peut-être lorsqu’une partie de
la Prusse orientale sera occupée et lorsqu’un gouvernement à la
Seydlitz y sera installé{1993}.

Donovan, de son côté, avertit Roosevelt que l’échec de l’attentat

ne ferait qu’augmenter l’influence de la Russie en Allemagne. […] Il


était possible qu’à l’avenir le Comité Seydlitz aurait une importance
croissante, possibilité que nous ne devions pas sous-estimer,
maintenant que le groupe dissident pro-occidental, dans l’armée et
dans la société, avait subi un revers sérieux sinon fatal{1994}.
Et, de fait, après l’attentat manqué du 20 juillet, Peter Kleist fut
« récupéré » par Kaltenbrunner et la SS et, durant l’insurrection de
Varsovie en juillet 1944, les Allemands, cette fois avec l’autorisation de
Hitler, multiplièrent les ouvertures de négociations avec l’URSS, sans que
celle-ci les décourageât. À l’époque, les dirigeants du Reich hésitaient
entre deux politiques : s’appuyer sur Vlassov, les Polonais et les forces
antibolcheviques pour continuer la lutte sur le front est, ou chercher un
nouvel arrangement avec Staline. À la mi-septembre 1944, Hitler trancha
en faveur de l’entente avec Staline{1995}.

Les tentatives de paix séparée avec les Occidentaux et


l’affaire Wallenberg.
Dès le début de la guerre, Staline avait ordonné au NKVD de suivre de
près les tentatives de paix séparée entre les Anglo-Saxons et l’Allemagne.
Que savaient les Soviétiques ? Même les sources limitées dont nous
disposons permettent de conclure qu’ils étaient bien renseignés. En
septembre 1941, la résidence de Stockholm signala les contacts entre le
groupe du général Falkenhorst et les Britanniques. Les officiers allemands
proposaient la paix en échange de la mise à l’écart de Hitler et du parti
nazi, ainsi que de l’évacuation des territoires occupés{1996}. Le
3 décembre 1941, le NKVD ordonna à ses réseaux de se concentrer sur les
tentatives de paix séparée et de surveiller en particulier Carl Buckhardt,
l’ancien commissaire de la SDN à Dantzig, qui voyageait à Berlin et à
Londres{1997}. Le 12 mai 1942, le NKVD rapporta la démarche d’un
diplomate allemand en poste à Stockholm, qui s’était rendu en Angleterre
dans un avion civil suédois pour apporter aux Britanniques les
propositions de paix d’un groupe allemand patronné par von Papen. Le
programme de ce groupe était une « Allemagne sans Hitler » gouvernée
par des officiers de la Wehrmacht{1998}. Le 6 juin 1943, selon le NKVD,
Jan Fierlinger fit état de rumeurs selon lesquelles Churchill aurait
transmis à Roosevelt des propositions de paix allemandes{1999}. Le
17 juillet 1943, un agent soviétique mit la main sur un document de l’OSS
daté du 25 juin, selon lequel quatre officiers allemands se seraient rendus
en Grande-Bretagne en passant par la Suisse. Ils proposaient d’assassiner
Hitler ou de s’en débarrasser d’une autre manière et offraient aux Anglo-
Saxons d’occuper l’Allemagne à condition qu’ils rompent avec l’URSS. Il
était question d’un retour aux frontières de 1939, les troupes allemandes se
retirant d’Europe centrale et balkanique pour laisser la place aux
Britanniques et aux Américains{2000}.
Le 13 juin 1944, Zaroubine informa le NKVD que, d’après ses sources,
le général von Brauchitsch s’était rendu en Suisse pour rencontrer Allen
Dulles et lui proposer la paix aux conditions suivantes : un groupe de
militaires renverserait Hitler, un gouvernement militaire serait formé qui
signerait la capitulation sans condition et les Alliés renonceraient à
occuper le territoire de l’Allemagne. Selon Zaroubine, les Américains
auraient refusé de mener des pourparlers de paix sans la participation de
leurs alliés. À en croire la source du NKVD, Dulles avait déjà été contacté
en mai par un groupe de généraux qui offraient de faire la paix avec les
alliés occidentaux pour se concentrer sur la lutte contre le front est, ce
dont les Américains avaient informé Gromyko {2001}. Enfin, les efforts
de von Papen et de son entourage pour inciter le Vatican à proposer sa
médiation en vue de négociations d’armistice étaient également dûment
rapportés par les agents du NKGB.
Cette hantise d’une paix séparée de l’Allemagne avec les Occidentaux
explique l’intérêt de Moscou pour les Wallenberg. L’attention du NKVD
avait été attirée par ces éminents banquiers suédois dès les années 1930,
quand les analystes de la Loubianka avaient noté leurs liens étroits avec
l’Allemagne, en même temps que leurs excellentes relations avec les
démocraties occidentales et leurs contacts avec les organisations juives ;
ils prenaient d’ailleurs les Wallenberg pour des Juifs et considéraient que
leur banque était l’une des bases financières du mouvement sioniste et de
la franc-maçonnerie{2002}. Avec la guerre, le NKVD suivit de plus près
encore les activités des Wallenberg qui, par crainte de la menace
soviétique, étaient des adversaires résolus de la capitulation sans condition
de l’Allemagne. En mai 1942, l’amiral Canaris envoya le baron Waldemar
von Oppenheim à Stockholm pour sonder les Anglo-Américains sur une
paix éventuelle. Celui-ci eut recours aux bons offices de Marcus et Jacob
Wallenberg. Le NKVD rapporta qu’Oppenheim avait proposé à Wallenberg
de contacter les milieux financiers britanniques et de les convaincre de
conclure la paix entre l’Angleterre et l’Allemagne sur la base du retour
aux frontières de 1939, et de s’unir pour détruire l’URSS. Wallenberg lui
conseilla de s’adresser directement à la légation britannique{2003}.
Staline apprit tout cela par Rybkine, le résident en Suède{2004}.
Le NKVD fut très bien informé des tentatives suédoises de médiation
entre l’opposition allemande et Londres à l’été 1943. Début août 1943,
Anthony Blunt, l’un des « cinq de Cambridge », informa Moscou que
Marcus Wallenberg s’était rendu à Londres à la tête d’une délégation
commerciale suédoise en juin 1943 et qu’il avait transmis au secrétaire
privé de Churchill, Desmond Morton, les propositions de paix des
opposants à Hitler. Churchill les avait rejetées et ne les avait même pas
montrées au cabinet de guerre, ne donnant donc aucune assurance à
Goerdeler{2005}. Plus tard, les procès-verbaux des interrogatoires des
conjurés du 20 juillet, découverts par les Soviétiques en mars 1945, leur
apprirent que Marcus Wallenberg avait bien rencontré Churchill et lui
avait parlé de l’éventualité d’une coopération des puissances occidentales
contre l’URSS. Churchill aurait répondu que cela était envisageable si
l’Allemagne se débarrassait de Hitler{2006}.
De nombreux témoignages attestent l’intérêt particulier manifesté par
Beria à l’égard des Wallenberg. Dès 1940, le NKVD avait songé aux
Wallenberg pour servir d’intermédiaires dans les négociations avec la
Finlande{2007}. Le résident du NKVD à Stockholm depuis septembre
1941, Boris Rybkine, avait noué des relations avec le clan
Wallenberg{2008}. Kollontaï voyait souvent Marcus et avait même
proposé à Moscou de l’accueillir au poste vacant de ministre de
Suède{2009}. À l’instigation du NKVD, Marcus fut sollicité, en février
1944, pour arranger une rencontre secrète entre Kollontaï et le Finlandais
Paasikivi, les Soviétiques espérant convaincre la Finlande de sortir de la
guerre{2010}. Les Wallenberg avaient en effet d’importants intérêts
économiques en Finlande et souhaitaient éviter une communisation de ce
pays.
L’affaire Raoul Wallenberg réunit les fils épars de toutes les politiques
intéressant Beria : collaboration avec l’OSS, sauvetage des Juifs, rejet de
la politique de capitulation sans condition de l’Allemagne, milieux
militaires centre-européens probritanniques, projet d’aide occidentale pour
la reconstruction de l’après-guerre.
Rappelons d’abord qu’en juin 1942, l’OSS avait conclu un important
accord de collaboration avec les représentants de l’Agence juive à New
York, David Ben Gourion et Chaïm Weizman, qui avaient convenu de
transmettre à l’OSS tous les renseignements recueillis par les réseaux de
l’Agence en Suède, en Turquie et en Suisse{2011}. En mars 1944, Henry
Morgenthau, le secrétaire américain au Trésor, chargea l’OSS et le War
Refugee Board – créé par Roosevelt en janvier 1944 « pour sauver les
victimes de l’oppression ennemie qui étaient en danger de mort
imminente » – d’aider les Juifs de Hongrie sous le couvert d’un pays
neutre. La banque Wallenberg assurait les transferts de fonds versés par le
Jewish Joint Distribution Committee vers les pays d’Europe occupée.
Le 25 mai 1944, le secrétaire d’État américain C. Hull pria le
gouvernement suédois d’augmenter les effectifs de l’ambassade de Suède
à Budapest afin d’organiser une assistance aux Juifs hongrois. Ivar Olsen,
le représentant de l’OSS à Stockholm, recommanda pour cette mission
Raoul Wallenberg qui accepta, à la condition de garder sa pleine liberté
d’action et de pouvoir utiliser les canaux des services de renseignements
américains et les listes fournies par les services américains et anglais des
Hongrois et des Allemands avec lesquels il pouvait entrer en contact. Il est
clair que la mission de Wallenberg à Budapest n’était pas seulement
humanitaire, car l’OSS lui communiqua le nom de Fritz Laufer, l’une de
ses recrues les plus précieuses : Laufer était un officier de haut rang du SD
en Hongrie et l’une des meilleures sources de l’OSS en Europe centrale.
De son côté, le ministère des Affaires étrangères de Suède avait autorisé
Raoul à prendre contact avec les opposants allemands et hongrois{2012}.
Raoul Wallenberg arriva à Budapest le 9 juillet 1944 et se mit à
fréquenter le fils de l’amiral Horthy, connu pour ses sympathies
probritanniques et autour duquel gravitaient des militaires de haut rang,
des diplomates et des officiers du renseignement partisans d’une sortie de
la guerre. Il eut des contacts avec Sandor Ujszaszy, le chef du
renseignement militaire hongrois, un partisan résolu de la paix avec les
Anglo-Saxons, entré en contact avec l’OSS en mars à la veille de
l’invasion allemande de la Hongrie. Ujszaszy connaissait le communiste
Laszlo Rajk qui fréquentait les militaires anglophiles antinazis. Au
printemps 1944, les sociaux-démocrates hongrois constituèrent un Front
antinazi et ils essayèrent de nouer des contacts avec l’URSS par
l’intermédiaire d’Alexandra Kollontaï. Or Wallenberg était aussi chargé de
représenter les intérêts soviétiques à Budapest, en particulier dans la
question des prisonniers de guerre, et il avait donc certainement des
contacts avec le NKVD{2013}. Il est d’ailleurs significatif que les
Britanniques interprétèrent la nomination de Raoul à Budapest comme
l’indice de la volonté des banquiers Wallenberg d’instaurer des relations
économiques avec l’URSS de l’après-guerre{2014}.
À Budapest, l’Abwehr avait protégé des filières d’évasion dès 1943.
Aux yeux de l’Abwehr et de la Gestapo, le salut des Juifs de Budapest
pouvait être le point de départ d’une négociation globale débouchant sur
l’abandon par les Occidentaux du principe de la capitulation sans
condition. Le 19 mai 1944, Joël Brand, membre du Comité d’assistance et
de sauvetage des Juifs de Hongrie, se rendit à Istanbul en compagnie
d’Andor Grosz, personnage trouble qui travaillait à la fois pour l’Abwehr,
la SS et les services spéciaux hongrois, anglais et américains. Ils
apportaient une proposition d’Adolf Eichmann consistant à autoriser les
Juifs survivant dans les pays de l’Axe à émigrer en Espagne et au Portugal,
en les échangeant contre des devises, des marchandises et des équipements
– dont dix mille camions destinés au front de l’Est, selon Eichmann. En
réalité, c’était une ouverture de la Gestapo en vue de mettre fin à la guerre
sur le front occidental. Une offre similaire fut faite à Stockholm en juin
1944 par Peter Kleist au représentant de l’OSS.
Les représentants de l’Agence juive étaient d’avis d’accepter les
négociations, d’autant que Himmler avait menacé de déporter les Juifs
hongrois à partir du 20 mai. Les Anglais et les Américains hésitèrent puis
décidèrent de consulter Staline afin de lui faire endosser la responsabilité
du refus. Comme prévu, dès le 18 juin 1944, Staline signifia son
opposition à tout contact avec les Allemands pour sauver les Juifs de
Budapest{2015}. Cependant, les Américains décidèrent de ne pas fermer
la porte aux négociations qui reprirent le 21 août, menées du côté
allemand par le SS Kurt Becher, du côté occidental par le représentant du
Joint en Suisse et le diplomate américain Roswell McClelland. Wallenberg
participait à ces tractations.
Un document du ministère suédois des Affaires étrangères, daté du
20 juin, laisse entendre que la mission Wallenberg était aussi chargée
« d’envisager des mesures d’entraide nécessaires pour l’après-guerre » et
précise que la « légation américaine a également porté une grande
attention à cette question{2016} ». C’est donc peut-être en accord avec
l’administration américaine qui préparait un projet d’administration pour
la Hongrie, que, fin 1944, Raoul Wallenberg envisagea de créer un Institut
Wallenberg d’aide et de reconstruction devant assurer le recouvrement des
biens juifs et organiser l’aide internationale à la Hongrie, un peu sur le
modèle de l’action humanitaire de Nansen au début des années 1920 --
tout cela en collaboration avec le gouvernement de coalition du général
Miklos, chef du gouvernement provisoire de Hongrie, et avec le
financement du War Refugee Board. Wallenberg voulait aussi organiser
une association pour la récupération des biens juifs et proposer au
gouvernement provisoire un plan de réinsertion des Juifs survivants dans
la société hongroise. Le 8 décembre 1944, il écrivit à sa mère : « Personne
ne sait à quoi ressemblera l’occupation russe… Il se peut que je sois ici
encore longtemps{2017}. »
À suivre la séquence des événements, on a l’impression d’un flottement
initial dans l’attitude des Soviétiques à l’égard de Raoul Wallenberg. Le
diplomate suédois fut capturé et isolé, le 13 janvier 1945, par les troupes
soviétiques alors qu’il était allé trouver le commandement soviétique pour
obtenir l’autorisation de mettre en œuvre son programme. En même
temps, il projetait de rencontrer le général Miklos{2018}. Le 16 janvier,
en réponse à une note de l’ambassade de Suède fournissant une liste des
diplomates de la légation suédoise en Hongrie et demandant aux
Soviétiques d’assurer leur sécurité, Dekanozov informa l’ambassadeur de
Suède à Moscou que les troupes soviétiques avaient découvert Wallenberg
et que celui-ci était sous la protection des autorités soviétiques{2019}.
Pourtant, le 17 janvier, Boulganine ordonna son arrestation par le
SMERCH et la notifia à Abakoumov. La décision remontait sans aucun
doute à Staline car le SMERCH n’aurait pas pu arrêter un diplomate d’un
pays neutre sans l’autorisation du Kremlin. Le 25 janvier, Wallenberg fut
expédié à Moscou où il arriva le 6 février. Fin janvier, Kollontaï annonça à
la famille Wallenberg que Raoul se trouvait à Moscou et en mars elle
réitéra cette assurance à l’épouse du ministre suédois des Affaires
étrangères, alors que la propagande soviétique affirmait déjà que
Wallenberg avait dû être assassiné par des agents de la Gestapo. Le
premier interrogatoire eut lieu le 8 février 1945 et le suivant le 28 avril.
Aucun procès-verbal des interrogatoires de Wallenberg ne subsiste dans
les archives du KGB, à en croire l’historien L. Bezymenski qui a constaté
avec surprise à quel point cette affaire demeure entourée d’un tabou parmi
les vétérans du MGB/KGB{2020}.
Tout l’entourage de Wallenberg fut arrêté et interrogé, et la légation
suédoise fut mise à sac par les Soviétiques. Le fameux Mikhaïl Belkine,
futur organisateur du procès Rajk, était à l’époque le représentant du
SMERCH auprès de la Commission de contrôle soviétique en Hongrie ; il
joua, semble-t-il, un rôle considérable dans le sort tragique de Wallenberg.
Les enquêteurs du SMERCH s’intéressèrent dans un premier temps aux
liens de celui-ci avec les services spéciaux allemands. Ils avaient des
renseignements selon lesquels Wallenberg avait à plusieurs reprises
rencontré Schellenberg, et ils le soupçonnaient d’être un agent allemand.
Ils se fondaient sur les délations du comte Koutouzov-Tolstoï, un vieil
agent du NKVD qui travaillait à la mission de la Croix-Rouge à Budapest.
Dès la fin 1945, l’enquête se porta sur les liens de Wallenberg avec l’OSS
et avec les organisations sionistes de Budapest, d’Istanbul, de Palestine et
des États-Unis.
Sergo Beria affirme que l’arrestation de Wallenberg visait déjà son père
et plusieurs éléments peuvent corroborer cette thèse. D’abord le
témoignage d’E. Sinitsine, ancien officier du NKVD, qui décrit la
stupéfaction des agents du NKVD lorsqu’ils eurent vent par Dekanozov de
l’arrestation de Wallenberg par le SMERCH :

Il était difficile de croire que le SMERCH pût arrêter un diplomate


suédois représentant les intérêts de l’URSS en Hongrie. […] Nous
tombâmes d’accord que Wallenberg était la victime de l’arbitraire du
contre-espionnage militaire. Cette affaire avait tout d’une
provocation dès le premier jour.

Avec l’appui de son supérieur Fitine, Sinitsyne entreprit fin 1945


d’« arracher Wallenberg aux griffes d’Abakoumov », sous prétexte de le
recruter comme agent soviétique avec pour seule tâche de faciliter les
échanges économiques de l’URSS avec la firme Wallenberg. Lors de son
entrevue avec Abakoumov, Sinitsyne rappela que

le diplomate Wallenberg était à Budapest sur mission du


gouvernement suédois pour représenter les intérêts de l’URSS. […]
Au début de la guerre, les usines Wallenberg fournissaient
consciencieusement à l’Union soviétique des roulements à bille et des
outils sans lesquels nos avions seraient restés au sol.

Abakoumov ne voulut rien entendre :

Wallenberg ne sauvait que les Juifs qui intéressaient les services


américains et le centre sioniste. […] Nous devons poursuivre
l’enquête jusqu’à ce qu’il avoue qu’il était l’agent d’un centre
sioniste international et des Américains{2021}.

Sinitsyne affirme que Beria n’était pas au courant de cette démarche


entreprise par ses subordonnés, ce qui laisse sceptique – le prétexte du
recrutement était souvent mis en avant par Beria lorsqu’il voulait sauver la
vie d’un homme pour une raison ou pour une autre{2022}. Il est plus
vraisemblable qu’il n’ait pas voulu apparaître et ait mis ses subordonnés
en avant, fidèle aux règles bureaucratiques de survie.
Autres éléments à l’appui de l’affirmation de Sergo Beria : l’ancien
vice-ministre du MGB, Pitovranov, a montré à L. Bezymenski un
document du MGB évoquant la collaboration de Wallenberg avec le
NKVD à Budapest. D’après ce document, l’action de Wallenberg était
approuvée par les Soviétiques, de même que son utilisation de fonds
américains{2023}. Bezymenski cite aussi le témoignage d’un vétéran du
KGB selon lequel Wallenberg serait entré en contact avec le NKVD en
Palestine entre 1935 et 1938. Selon un autre vétéran, Radomir Bogdanov,
Beria aurait, à la fin de la guerre, proposé à Himmler le marché suivant :
la vie sauve pour certains hauts dignitaires SS en échange de la liste des
agents allemands en Europe de l’Est et dans les pays auparavant occupés
par l’Allemagne. Wallenberg aurait été l’intermédiaire dans ces
tractations{2024}. Selon certains indices, Wallenberg se serait rendu en
secret à Stockholm entre le 17 et le 23 octobre 1944 et y aurait rencontré
Kollontaï{2025}. L’ancien chef du KGB, Krioutchkov, a déclaré à
Alexandre Yakovlev que « Wallenberg était un agent double, il travaillait
pour nous et pour les Américains. Il a été pris dans ces réseaux. Quelqu’un
l’a dénoncé. C’est pourquoi il a été liquidé{2026}. » La thèse d’une
collaboration de Wallenberg avec le NKVD est aussi étayée par le fait
qu’il alla lui-même trouver les Soviétiques en janvier 1945, à la grande
surprise de ses collègues suédois inquiets de cette initiative. À la fin de la
guerre, Staline avait donné l’ordre de faire revenir en URSS tous les
agents soviétiques et étrangers ayant travaillé pour l’URSS pendant la
guerre – Trepper, Gourevitch et beaucoup d’autres. Wallenberg était peut-
être un cas similaire à celui des agents survivants de l’Orchestre
rouge{2027} ou à celui d’Olga Tchekhova, elle aussi victime d’une rafle
du SMERCH, le 29 avril 1945, alors qu’Abakoumov n’était pas au courant
de sa collaboration avec le NKVD{2028}. Wallenberg fut détenu dans un
secret absolu qui rappelle le cas d’Erlich et Alter évoqués plus haut.
Deux témoins rapportent que, vers 1947, Staline aurait ordonné de le
« conserver, car il pouvait servir{2029} ». Staline s’intéressait de près à
cette affaire car, après sa mort, on découvrit le procès-verbal des
interrogatoires de Wallenberg dans ses archives personnelles. Selon
Soudoplatov, Wallenberg avait été conservé en vie pour un chantage
éventuel sur les Américains au cas où ceux-ci auraient souhaité soulever
des questions gênantes pour les Soviétiques au tribunal de
Nuremberg{2030}. Le 17 juillet 1947, Wallenberg fut assassiné à la
Loubianka. Soudoplatov laisse entendre que le SMERCH avait essayé en
vain de recruter Wallenberg : « Il n’a pas voulu et nous l’avons buté »,
aurait dit Belkine{2031}, mais cette explication semble un peu
courte{2032}.
Il est frappant dans toute cette affaire de trouver, dès 1945, à propos de
Wallenberg, certaines des accusations qui reviendront comme des
leitmotiv dans les Grands Procès des démocraties populaires : liens avec
les services américains et avec le sionisme mondial, en particulier le Joint.
À travers Wallenberg, Beria pouvait poursuivre la même politique qu’avec
Mikhoëls et le CAJ, avec Oskar Lange ou avec Harriman : implication des
milieux financiers américains et européens dans la reconstruction de
l’Europe de l’Est et de l’URSS après la guerre, décloisonnement
économique de l’URSS et mise en place de coopérations avec les
Occidentaux.
Les dispositifs parallèles esquissés par Beria étaient-ils condamnés
d’avance ? Tant que l’Armée rouge essuya des revers, tant que la
complaisance des Occidentaux à l’égard des exigences de Staline ne fut
pas acquise, Beria put agir dans les limites étroites qui lui étaient
imposées. Mais dès que Staline comprit que les Anglo-Saxons lâcheraient
la Pologne et l’Europe centrale, qu’ils s’en tiendraient à leur politique de
capitulation inconditionnelle de l’Allemagne, il perdit tout intérêt pour des
formules de compromis à la Bénès. Dès lors, toutes les équipes de
rechange et les scénarios alternatifs organisés par Beria étaient inutiles, et
nombre de ceux qu’il avait impliqués dans ses combinaisons devinrent des
témoins gênants.
Lorsque l’on se penche sur le sort des hommes qui ont secondé le chef
du NKVD dans les entreprises étudiées plus haut, ou qui ont participé à
leur insu à ses échafaudages complexes, on est frappé par le nombre de
morts inopinées. Melnikov, qui avait servi d’interlocuteur à von Seydlitz,
s’est suicidé en 1944. En janvier 1945, K. Oumanski périt dans un accident
d’avion et, selon certains témoignages, l’organisateur de l’attentat était
Lev Vassilevski, l’adjoint de Soudoplatov au 4e Directorat du
NKGB{2033}. Wallenberg a sans doute été assassiné en juillet 1947.
Rybkine périt dans un accident de voiture suspect en novembre
1947{2034}. Mikhoëls fut assassiné en janvier 1948. Le major Antonin
Sochor, chef de la brigade juive formée en Tchécoslovaquie en septembre
1948, périra dans un autre accident de voiture suspect en 1950{2035}.
Parmi les victimes des purges dans les démocraties populaires à partir
de 1949, on trouve des hommes qui ont touché de près ou de loin à
l’ébauche du dispositif militaire alternatif imaginé par Beria. En Bulgarie,
le chef d’état-major Ivan Kinov et d’autres militaires soupçonnés de
complot furent arrêtés en octobre 1949 et l’affaire fut jugée si sérieuse que
Staline dépêcha en secret à Sofia S. I. Ogoltsov, le numéro deux du MGB,
et une division des troupes du MGB de l’URSS, afin de procéder à la purge
de l’armée bulgare{2036}. En Pologne, le ministre de la Défense Rola-
Żymierski, soupçonné de vouloir s’enfuir à l’Ouest, fut remplacé par
Rokossovski le 2 novembre 1949{2037}. En Roumanie, Remus Koffler et
Alexandru Stefanescu, qui assuraient la liaison avec le commandement
britannique du Caire pendant la guerre, furent réprimés ; Koffler, qui était
chargé de la Commission centrale des finances du PC roumain, fut
exécuté. En Tchécoslovaquie, Pika fut arrêté en 1948, accusé d’espionnage
en faveur des Britanniques et exécuté le 21 juin 1949. Bedrich Reicin, le
chef du renseignement militaire depuis le début de 1945, fut accusé
d’avoir collaboré avec la Gestapo après son arrestation en avril
1939{2038}, d’avoir été infiltré en URSS par la Gestapo en octobre 1940,
d’avoir soutenu les officiers réactionnaires après avoir joint l’armée
tchécoslovaque en février 1942, et d’avoir contribué à la préservation de
l’armée bourgeoise{2039}. Quant à Svoboda, il ne fut jamais vraiment
accepté par les communistes du vivant de Staline. Le 8 avril 1950, les
dirigeants soviétiques refusèrent, dans une lettre à Gottwald, d’envoyer les
conseillers que celui-ci demandait : « Nos militaires considèrent que le
général Svoboda n’est pas digne de confiance et qu’il sera impossible
d’évoquer ouvertement avec lui les secrets militaires de l’URSS. »
Slansky était du même avis : « Bien qu’il ait adhéré au Parti, Svoboda lui
est étranger{2040} », car il s’est entouré d’officiers formés en Occident.
En 1950, fut organisé le procès du « groupe des généraux » et Svoboda fut
arrêté avec le chef d’état-major de l’armée tchèque, Jaroslaw Prochazka,
un agent du NKVD. Encore en 1957, Svoboda, le chef d’état-major
Bohumil Bocek et le général Simon Drgac seront jugés coupables
d’espionnage{2041}. En Pologne, Marian Spychalski, le chef d’état-major
de l’armée, fut arrêté en 1950 et accusé de « déviation nationaliste ». En
Hongrie, le général György Pallfy fut l’une des victimes du procès Rajk :
Rakosi l’avait désigné aux hommes du MGB, M. I. Belkine et
N. I. Makarov, en le qualifiant de « nationaliste […] orienté vers les
Anglo-Américains » ; l’enquête menée à son propos tourna d’ailleurs à la
confusion des Soviétiques : on découvrit chez lui un émetteur radio et des
chiffres et il s’avéra que Pallfy avait été recruté par le GRU en 1945 et que
son agent traitant n’était autre que l’attaché militaire soviétique à
Budapest ! Après cet épisode gênant, le MGB se vit interdire, le 2 août
1949, toute activité de renseignement dans les démocraties
populaires{2042}. Ces procès de militaires, tout comme l’affaire Field qui
prendra des proportions gigantesques à partir de 1949, furent un ricochet
tardif de l’échec des grands desseins nourris par Beria en 1943-1945.

Troisième partie

LE TEMPS DES AFFRONTEMENTS

Il faut s’attaquer à son adversaire quand on est sûr de pouvoir


l’abattre{2043}
[Staline].

18
Fin de la guerre
Fin des espoirs et désillusions

Nombre de témoignages le montrent : au moins une partie des membres


du Politburo partageait les attentes du pays à la fin de la guerre, l’espoir
que Staline ne reviendrait pas à la politique de répression des années 1930
et que l’ouverture sur le monde extérieur continuerait. Sergo Beria se
rappelle :

Longtemps il [Beria] continua de s’accrocher à l’espoir que Staline


pourrait être persuadé : après tout, sa stature de vainqueur du
fascisme devait suffire à combler son orgueil ; il pouvait s’offrir
quelques concessions. […] Il plaçait de grands espoirs sur le fait que
grâce à la guerre de nombreux Soviétiques avaient vu l’Europe libre.
Ces soldats en loques s’apercevraient que les pays européens ruinés
par la guerre vivaient mieux que leur patrie victorieuse. Il escomptait
qu’il pourrait s’appuyer sur cette armée revenue de l’étranger dans sa
lutte contre le Parti. Staline serait obligé de faire des réformes, qu’il
le veuille ou non, par ces millions de soldats qui avaient parcouru
l’Allemagne, la Hongrie et l’Autriche. Ces jeunes gens ouvriraient les
yeux, se redresseraient, et exigeraient debout la vie normale qu’ils
avaient aperçue dans les pays vaincus{2044}.

Mikoïan faisait preuve du même optimisme :

J’excluais qu’après la guerre se reproduise, même à une moindre


échelle, l’extermination des cadres et les répressions arbitraires. […]
La guerre avait apporté une éducation politique à des dizaines de
millions de gens, et leur séjour en Europe de l’Ouest avait introduit
quelque chose de nouveau dans les mentalités. Ces gens avaient vu le
niveau de vie là-bas et en revenant du front ils étaient d’autres
hommes, ils avaient un horizon plus large et d’autres exigences. Ceci
pouvait favoriser le développement de notre pays et faire obstacle à
l’arbitraire. […] Je pensais que nous allions voir se développer un
processus de démocratisation. […] J’en étais même persuadé et j’en
étais comme tout joyeux{2045}.

Mikoïan espérait surtout un adoucissement de la politique à l’égard de


la paysannerie, persuadé que Staline lui-même entendrait raison. Ces
attentes d’une évolution « libérale » du régime étaient confortées par
l’existence de la Grande Alliance. Le souci de préserver l’entente avec les
Anglo-Saxons imposerait un frein aux penchants despotiques de Staline,
espérait-on en URSS, dans la population et même au Politburo.

Les attentes de réformes.


Les moyens les plus détournés et les plus inattendus furent utilisés pour
influencer Staline. Ainsi, le 6 juillet 1945, à la veille de la conférence des
trois Grands à Potsdam, Beria lui envoya un rapport de Himmler, daté de
novembre 1944, dans lequel celui-ci mettait Hitler en garde contre
l’« esprit défaitiste » des diplomates allemands, rapport qui ne présentait
aucun intérêt du point de vue du renseignement, mais dont les implications
politiques ne pouvaient échapper à Staline. En effet, à l’appui de sa thèse
de la « dissidence » des diplomates allemands, Himmler citait le journal
intime du consul allemand en Turquie von Twardowski, à la date du 5 mai
1943 : « Les Allemands pourront-ils tenir bon à force de mesures
policières, puisque notre gouvernement n’en connaît pas d’autres » ; ou
encore à la date du 5 août : « Nous voyons aujourd’hui les résultats de
notre politique consistant à placer des natures serviles dans les postes
dirigeants… On dit que l’Allemagne est dans un état léthargique… Tout ce
qui s’y dit n’est que mensonge » ; et enfin à la date du 23 août : « Nous ne
voyons partout que mensonge, propagande et mauvaise organisation. Cette
dernière est imputable au fait que tous les membres du Parti responsables
agissent comme des automates… Cela ne saurait durer, bientôt le chaos
s’installera… Nous avons besoin de gens nouveaux avec des idées
nouvelles. C’est à ce prix seulement que le gouvernement pourra être
sauvé : autrement chaque échec sera attribué à Adolf Hitler en
personne{2046}. » Mais la discrète pédagogie de ses proches resta sans
effets sur Staline.
À en croire Mikoïan, la première douche froide fut la déportation des
peuples du Caucase et de Crimée, suivie par le refus de Staline, en
septembre 1944, d’accorder des semences pour le blé d’hiver aux régions
libérées de l’occupation allemande, malgré les rapports alarmistes de ses
collaborateurs. Ainsi, le 22 novembre 1944, Beria lui signala un cas de
cannibalisme dans l’Oural : deux femmes avaient kidnappé quatre enfants
et les avaient mangés{2047}. Puis, le 9 mars 1945, Staline prit en main la
politique étrangère et décida d’en écarter tous ses collègues du Politburo :
désormais les dépêches du commissariat du peuple aux Affaires étrangères
(le NKID) ne seraient adressées qu’à lui et à Molotov{2048}. Il est vrai
que Staline avait été très tôt conscient que le monopole sur l’information
constituait un levier essentiel du pouvoir : dès le 8 novembre 1919, il avait
demandé au Politburo de conférer un secret maximal aux réunions du
Comité central et de restreindre le cercle de ceux qui avaient accès aux
documents émanant des organismes dirigeants ; les décisions concernant
les questions les plus importantes ne devaient pas figurer dans le
protocole{2049}.
Cet indice de la reconquête par Staline des pouvoirs qu’il avait dû
partager avec ses collègues du Politburo au sein du cabinet de guerre
s’accompagna d’un net durcissement de la politique étrangère soviétique.
Ainsi, la lettre adressée à Roosevelt le 3 avril 1945, qui fut perçue par les
Américains comme la plus insultante de toutes les missives échangées
pendant la guerre, fut rédigée par Staline, alors que d’ordinaire c’est
Molotov qui s’en chargeait et donnait à signer à Staline{2050}.
Orgueilleux de ses victoires – « le succès lui était monté à la tête », écrit
Mikoïan{2051} –, le dictateur vieillissant crut pouvoir revenir à la
situation d’avant-guerre.
Il commença par fragmenter le bloc gouvernemental. Le 4 septembre
1945, le GKO fut dissous et ses fonctions revinrent au Sovnarkom,
désormais divisé en deux bureaux opérationnels : le premier chargé de
l’industrie et des transports, le deuxième de la défense, de la marine, de
l’approvisionnement, du commerce, des finances, de la santé, de
l’éducation et de la culture{2052}. Beria fut chargé de diriger le premier
dans lequel siégeaient Malenkov, Voznessenski, Mikoïan et Kossyguine.
Molotov fut nommé à la tête du second, avec Voznessenski, Mikoïan,
Andreev, Boulganine et Chvernik. Staline continuait à pousser en avant
Voznessenski pour contrebalancer l’influence devenue excessive à ses
yeux du trio Beria-Malenkov-Molotov. Comme il l’expliqua un jour à l’un
de ses proches, Voznessenski lui plaisait plus que les autres membres du
Politburo car ceux-ci ne soumettaient à son approbation que des décisions
pour lesquelles ils s’étaient mis d’accord entre eux au préalable. S’il y
avait des opinions divergentes, ils s’efforçaient de résoudre leurs
différends avant d’en référer à Staline. Voznessenski, lui, refusait d’entrer
dans ces ententes préalables et n’hésitait pas à faire appel à Staline s’il
était en désaccord avec ses collègues{2053}.
À l’automne 1945 se dessina nettement le décalage : d’un côté, le
Politburo, encore orienté vers l’alliance avec les Anglo-Saxons et vers la
détente intérieure – ainsi, le 1er octobre 1945, Beria proposa de priver le
Collège spécial du NKVD de ses droits extraordinaires, dont celui de
prononcer la peine de mort, et de limiter les peines prononcées par cet
organisme à huit ans de détention{2054} ; de l’autre, Staline qui se
préparait à l’affrontement. La question d’une visite éventuelle du
maréchal Joukov aux États-Unis allait cristalliser la bagarre feutrée entre
Staline et le Politburo.
En août, le président Truman avait invité le maréchal Joukov à se rendre
aux États-Unis et, le 14 septembre, eut lieu une réunion du Politburo qui
discuta de la réponse à donner à cette invitation. Staline demanda l’avis de
Molotov, alors à Londres pour la conférence des ministres des Affaires
étrangères. Celui-ci recommanda avec fermeté d’accepter l’invitation. Et,
le 17, les Américains apprirent que Joukov se rendrait aux États-Unis.
Mais Staline se ravisa dans les jours qui suivirent car le comportement de
Molotov à Londres l’avait fait sortir de ses gonds. Molotov s’était d’abord
rendu coupable d’avoir accepté, le 11 septembre, la présence des Français
et des Chinois à la discussion des traités de paix, et surtout d’avoir tenté
de justifier sa position de manière maladroite : « Nous avons donné notre
accord car Bevin et Byrnes avaient insisté là-dessus et nous ne
considérions pas cette question comme particulièrement importante »,
avait-il câblé à Staline{2055}. Pire encore, lorsque, le 20 septembre, le
secrétaire d’État américain Byrnes lui proposa son plan de démilitarisation
de vingt-cinq ans pour l’Allemagne, Molotov câbla son accord, s’attirant,
le 21 septembre, une verte semonce de Staline pour qui accepter le plan
Byrnes reviendrait à « reconnaître formellement que les États-Unis
joueront dans les affaires européennes le même rôle que l’URSS{2056} ».
« Tu dois te montrer totalement intraitable », même si les Occidentaux
offrent des concessions, enjoignit sèchement Staline à Molotov, forçant ce
dernier à faire échouer la conférence et à se rendre odieux aux yeux des
Occidentaux, ce qui entrait sans aucun doute dans le calcul de
Staline{2057}. Ainsi tancé, Molotov opéra, le 22 septembre, une volte-
face qui laissa les Occidentaux stupéfaits. Toutefois, il aggrava son cas aux
yeux de Staline en laissant entendre à ses interlocuteurs qu’il agissait sur
son ordre. Or on connaît le soin que mettait ce dernier à paraître plus
« conciliant » que ses collègues du Politburo devant les Occidentaux, à
organiser des comédies visant à faire croire qu’il était obligé à son corps
défendant de céder aux « durs » du Politburo. Staline fut donc outré de cet
aveu intempestif de Molotov.
Après l’échec de la conférence de Londres, on fit savoir à Washington
que le maréchal Joukov était trop occupé pour se rendre aux États-Unis.
Sur ces entrefaites, Staline prit un long congé annoncé par TASS le
10 octobre, dont il ne revint que le 17 décembre. Le dictateur passait
toujours ses vacances dans le Midi, mais pour la première fois son congé
fut mentionné de manière officielle. Le fait même que la chose fût
annoncée provoqua un choc au sein du Parti : c’était rappeler que le Guide
suprême était un mortel comme les autres{2058}. La rumeur veut qu’il ait
eu une hémorragie cérébrale le 3 octobre{2059}. Pendant quelques
semaines, il fut impossible de le joindre au téléphone et on chuchota qu’il
souffrait d’aphasie. Le fils Jdanov a raconté à Svetlana Alliloueva que
l’état de Staline semblait alors si critique que Jdanov ne quittait pas le
Kremlin, s’attendant à devoir lui succéder à la tête du Parti et de l’État
d’un moment à l’autre{2060}. Les frères Jaurès et Roy Medvedev situent
l’attaque entre le 10 et le 15 octobre. Certains historiens estiment que
Staline voulait suivre l’exemple d’Ivan le Terrible et utiliser ce long congé
pour mettre à l’épreuve ses successeurs potentiels{2061}. Cependant, il
est aujourd’hui hors de doute qu’il tomba réellement malade et qu’il fut
surpris de très désagréable manière par le comportement de ses proches
pendant son absence.
La presse étrangère colporta les bruits les plus fantastiques : Newsweek
annonça que Staline était au plus mal ; un journal turc, repris par la presse
helvétique, fit état du décès du dictateur ; une revue française affirma que
Staline s’était retiré sur la mer Noire pour rédiger son testament ; le
Chicago Tribune prévoyait la démission imminente du généralissime et
une lutte à mort pour le pouvoir suprême entre Joukov et Molotov. Les
spéculations sur la succession allaient bon train, le Daily Express
annonçant, le 24 octobre, que Staline était sur le point de se décharger sur
Molotov du fardeau des affaires de l’État. Joukov et Molotov étaient
donnés pour favoris. On spéculait sur l’affrontement entre les maréchaux
et l’appareil du Parti, on envisageait une dictature de Joukov appuyé par
l’armée, on évaluait les chances de Molotov soutenu par le Parti. Tout cela
était rapporté à Staline dans les résumés de la presse étrangère compilés
par TASS. Ce que le Kremlin n’apprit sans doute pas, c’est que Hoover lui-
même avait remis à la Maison Blanche une note affirmant que Staline
avait été limogé par ses collègues{2062} ! Dans les milieux diplomatiques
aussi les rumeurs enflèrent. Un secrétaire de l’ambassade d’URSS au
Mexique glissa à l’ambassadeur de France début octobre 1945 : « Bientôt
la Russie pourra ouvrir ses frontières aux visiteurs, leur prouvant que la
dictature actuelle n’était en vérité destinée qu’à préparer l’avènement d’un
socialisme humaniste et libéral. » À en croire ce diplomate, la Russie était
satisfaite des victoires socialistes, plus encore que de celles des
communistes{2063}.
Comme le montrent les archives, l’intérim durant le congé de Staline
fut assuré par Molotov, Malenkov, Beria et Mikoïan. Mais Staline ne leur
laissa pas les coudées franches. La lutte feutrée que se livraient le
dictateur et le Politburo apparaît dans le projet de réponse à la demande
d’audience de l’ambassadeur américain Harriman, rédigé par le Politburo
et soumis à Staline le 16 octobre. Le Politburo recommanda à Staline de
recevoir Harriman et proposa d’inclure dans la lettre la phrase suivante :
« Je dois vous dire qu’il n’entre pas dans notre usage que le chef du
gouvernement prenne une décision sans la participation de ses collègues
lorsqu’il se trouve en vacances. » Bien entendu, Staline biffa cette phrase
et accepta de rencontrer Harriman, à Sotchi le 24 octobre, afin de mettre
fin aux rumeurs à l’étranger{2064}. Le 27, l’ambassadeur américain
déclara que le dictateur soviétique « était en bonne santé » et que les bruits
courant sur sa maladie « étaient dépourvus de tout fondement{2065} ».
Toutefois, l’absence de Staline aux fêtes de la révolution d’Octobre
relança les rumeurs à Londres{2066}. On nota dans les chancelleries
l’absence simultanée de Staline et de Jdanov qui séjournait en
Finlande{2067}. On remarqua à Londres que Radio Moscou employait
« Iosif Vissarionovitch Staline » au lieu du « généralissime Staline » ou du
« camarade Staline{2068} ».
C’est à ce moment que Staline fit savoir qu’il voyait en Jdanov et
Voznessenski ses successeurs éventuels{2069} et qu’il voulait limoger les
dirigeants du NKVD et du NKGB. Lorsque, le 31 octobre, Malenkov et
Beria lui proposèrent la candidature de V. S. Riasnoï, le ministre de
l’Intérieur en Ukraine, pour remplacer Merkoulov à la Sécurité d’État, et
lorsque Beria sollicita l’autorisation de lui rendre visite pour discuter cette
question, Staline refusa sèchement : « Je ne considère pas que votre visite
soit opportune{2070}. »
Le dictateur convalescent entreprit de colmater les fuites. Les mesures
qu’il imposa montrent bien qu’il était persuadé qu’elles émanaient du
cercle de ses intimes. Le 14 novembre, il ordonna des purges au sein de
TASS dont l’organisation fut confiée à une commission comprenant
Malenkov, Alexandrov, Dekanozov et Fedotov, responsable du
renseignement extérieur. L’affaire s’enlisa et la direction demeura en
place, Malenkov et Beria réussissant à neutraliser l’initiative de Staline.
Mais, le 28 novembre, le Politburo adopta une résolution interdisant la
communication à l’étranger « a) des documents révélant des secrets
d’État, économiques, militaires et autres, b) d’informations contenant des
attaques contre l’Union soviétique et des affabulations concernant ses
dirigeants{2071} ». Cette résolution était une épée de Damoclès
suspendue au-dessus de la tête de tous les hauts responsables de l’URSS et
un grand nombre de ceux qui périront dans les purges des dernières années
du règne de Staline seront accusés d’avoir égaré des secrets d’État ou
d’avoir été responsables de fuites à l’étranger.
Staline voulait surtout tester la capacité de ses proches à s’opposer
aux impérialistes, il voulait être entouré d’hommes qui ne flancheraient
pas dans une guerre future avec les capitalistes. Or les conclusions qu’il
tira de sa retraite temporaire de l’automne 1945 étaient peu
encourageantes de ce point de vue. Le 4 novembre, il fit adopter par le
Politburo une résolution condamnant Molotov « pour sa manière de se
désolidariser du gouvernement et de se montrer plus libéral et plus
conciliant que le gouvernement{2072} », sous prétexte qu’avec l’appui de
ses trois collègues Molotov avait accepté qu’au sein de la Commission de
contrôle du Japon les décisions fussent prises à la majorité et non à
l’unanimité. Pour Staline, c’était une inquiétante récidive de la faiblesse à
l’égard des Occidentaux dont Molotov avait fait preuve au début de la
conférence de Londres. Pour enfoncer le clou, le 11 novembre, il força ses
collègues du Politburo à approuver une note au gouvernement américain
dans laquelle on pouvait lire : « En tout cela le gouvernement soviétique
est solidaire de Staline{2073}. »
Or le comportement du docile Molotov ne laisse pas d’étonner. Malgré
les nombreuses mises en demeure de Staline, il persista dans son
« libéralisme », avec l’appui tacite du Politburo. Début octobre, les
correspondants alliés envoyèrent à Molotov une lettre de protestation
contre la censure soviétique. Recevant les diplomates et les journalistes
étrangers le 7 novembre, Molotov fit à l’un d’entre eux cette proposition
stupéfiante : « Je sais que vous autres correspondants voudriez éliminer la
censure russe. Que diriez-vous si j’étais d’accord à condition qu’il y eût
réciprocité{2074} ? » Et d’écrire à Staline : « À mon avis il est
indispensable d’adopter une attitude plus libérale à l’égard des
correspondants étrangers ; il faut les autoriser à travailler sans leur
imposer un contrôle sévère{2075}. » Staline n’oublia jamais cette
incartade de Molotov : « Quand tu as un verre dans le nez, tu peux dire
n’importe quoi », lui dit-il un jour, faisant allusion à cet épisode.
De fait, les Occidentaux constatèrent qu’à partir du 12 novembre les
dépêches au départ n’étaient plus censurées ni retardées{2076}. Comme
Molotov le dit par la suite à Staline, en tentant de se justifier, il estimait
que ces concessions aux étrangers étaient possibles « maintenant que la
guerre était finie{2077} ». Les Occidentaux notèrent ainsi toute une série
de signaux de « dégel », comme une augmentation du nombre de
délégations soviétiques autorisées à se rendre à des conférences
internationales, une liberté plus grande accordée aux partis d’opposition
en Europe centrale et orientale, ou l’appel de Kalinine aux jeunes
Soviétiques à étudier dans les pays étrangers{2078}.
Pour Staline, qui préparait déjà le tournant vers la confrontation avec
ses alliés d’hier, cette attitude de ses proches révélait un dangereux
aveuglement politique. Lorsque le 9 novembre Molotov autorisa la
publication dans la Pravda d’un discours de Churchill au Communes dans
lequel celui-ci couvrait de louanges Staline et l’URSS, l’indignation de
Staline ne connut plus de bornes. Le lendemain il expédia un câble
furibond à ses collègues :

Je considère comme erronée la publication du discours de Churchill


louant la Russie et Staline. Churchill a besoin de ces éloges pour
apaiser sa conscience et camoufler son hostilité à l’égard de l’URSS,
et notamment camoufler le fait que lui et ses successeurs travaillistes
sont les organisateurs du bloc anglo-franco-américain contre l’URSS.
En publiant ce genre de discours nous aidons ces messieurs. Nos
responsables de haut rang n’ont que trop tendance à donner dans un
enthousiasme bêlant lorsqu’ils entendent les louanges des Churchill,
Truman et Byrnes, et à s’affliger des critiques de ces messieurs. Je
considère cet état d’esprit comme dangereux, car il engendre la
servilité devant les étrangers. Contre cette servilité nous devons
mener une lutte implacable. […] J’ajoute que les dirigeants
soviétiques n’ont pas besoin des louanges des dirigeants étrangers. En
ce qui me concerne ces louanges me hérissent{2079}.

Effrayé, Molotov se hâta de reconnaître ses erreurs et de faire son


autocritique. Mais ses mésaventures ne faisaient que commencer. Le
30 novembre, un article de Paris-Matin, intitulé « M. Molotoff donne des
instructions à son ambassadeur à Washington », suscita un violent
communiqué soviétique{2080}. Le 1er décembre, un article du Daily
Herald mit de nouveau Staline en rage. Le journal britannique, se référant
à des « Russes » bien placés, affirmait que les Soviétiques « souhaitaient
que le monde extérieur comprît enfin son erreur lorsqu’il s’imaginait que
Staline était le dictateur suprême de l’URSS ; il y avait en URSS assez de
gens pour gérer les affaires politiques lorsque Staline se trouvait en
vacances » ; puis le journal annonçait le retour probable de Molotov à la
tête du gouvernement. Le 3 décembre, l’agence Reuter signala
l’adoucissement de la censure soviétique envers la presse étrangère et en
attribua le mérite à Molotov ! Le New York Times du 4 décembre eut le
toupet d’écrire que le « Politburo avait expédié Staline en vacances » !
Outré par l’impertinence de la presse britannique qui envisageait
l’éventualité d’un gouvernement soviétique sans lui, Staline câbla au
Politburo le 5 décembre :

Il y a trois jours j’ai averti Molotov par téléphone que le département


de la presse du NKID avait commis une erreur en autorisant la
correspondance du Daily Herald qui colporte toutes sortes
d’absurdités et de calomnies sur notre gouvernement au sujet des
relations entre les membres du gouvernement et au sujet de Staline.
Molotov m’a répondu qu’il estimait qu’il fallait adopter une attitude
plus libérale à l’égard des correspondants étrangers et qu’il ne fallait
pas faire preuve d’une sévérité particulière en accordant
l’autorisation des correspondances. J’ai répondu que cela serait
nuisible à notre État. Molotov m’a promis de restaurer une censure
stricte.

La publication de l’article du New York Times montrait que soit Molotov


n’avait pas pris les mesures nécessaires, soit le Département de presse du
NKID n’en avait pas tenu compte. « J’exige que vous vous occupiez de
cela », intima Staline{2081}. Le lendemain, les quatre répondirent que le
coupable était le directeur adjoint du Département de presse du NKID et
que Vychinski, qui en avait la tutelle, avait reçu l’ordre de renforcer le
contrôle de cet organisme. Staline sortit de ses gonds et câbla aussitôt,
cette fois à Malenkov, Beria et Mikoïan, ignorant Molotov :

J’ai reçu votre câble. Il ne me satisfait nullement. […] Vous avez


voulu noyer le poisson en désignant un bouc émissaire et en
considérant que l’affaire est close. Mais vous vous trompez […].
Avant votre câble j’estimais qu’on pouvait se limiter à un blâme
infligé à Molotov. Maintenant je me rends compte que c’est
insuffisant. Je me suis convaincu que Molotov n’a pas à cœur les
intérêts et le prestige de notre État, qu’il ne pense qu’à acquérir de la
popularité auprès de certains cercles étrangers. Je ne peux plus
considérer ce camarade comme mon premier adjoint. J’envoie ce
câble à vous trois seulement. Je ne l’ai pas envoyé à Molotov, car je
ne crois pas à l’honnêteté de certains de ses proches. Convoquez
Molotov, lisez-lui mon télégramme, mais ne lui donnez aucune
copie{2082}.

Sentant que la situation devenait menaçante pour lui – Staline n’avait-il


pas avancé que les « affabulations [sur le gouvernement soviétique]
entraient peut-être dans ses plans » –, Molotov expédia, le 7 décembre, un
câble repentant au dictateur, promettant de tirer les leçons de ses erreurs et
de « mériter la confiance » de Staline. De leur côté, Malenkov, Beria et
Mikoïan informèrent leur chef que Molotov avait été dûment réprimandé
pour tous ses écarts, qu’il avait reconnu ses « erreurs » et qu’il s’était
« mis à larmoyer{2083} ».
Mais Staline explosa de nouveau lorsque, le 10 décembre, il apprit par
TASS que le Courrier de Paris avait publié un article narrant comment il
avait été victime d’un crime passionnel, une femme jalouse lui ayant tiré
dessus à bout portant – Staline grièvement blessé avait été évacué à
Sotchi ! Le journal estimait la crédibilité de ce récit de « personnes
récemment arrivées d’URSS » renforcée par le fait que la censure à
l’encontre des correspondants étrangers s’était considérablement alourdie
pendant l’absence de Staline{2084}. Pour comble d’indignité,
l’ambassadeur Bogomolov avait cru bon de se plaindre à de Gaulle des
articles sur Staline parus dans la presse française. De nouveau Staline
expédia un câble indigné à Molotov : « De quel droit Bogomolov a-t-il
évoqué les attaques contre Staline dans la presse française ? Si on l’a
chargé de le faire c’est une lourde erreur. S’il l’a fait de son propre chef,
ce n’est pas un ambassadeur, mais un bavard creux qui ne comprend rien à
la politique{2085}. »
Comme Molotov avait prouvé ses bonnes résolutions en obtenant de
Byrnes que la conférence de Moscou du 15 décembre 1945 se tienne à
trois, sans la Chine et la France, Staline se radoucit quelque peu à son
égard, mais le reste de la troïka continua à l’irriter et le décevoir : « Votre
câble du 7 décembre produit une impression désagréable à cause de toute
une série de positions fausses qu’il contient. Je ne suis pas d’accord avec
vous sur le fond [la question de la censure de la presse étrangère]. On
verra les détails quand je rentrerai à Moscou{2086}. » Le lendemain, il
enfonça le clou, montrant bien qu’il jugeait coupable toute la « bande des
quatre », et non le seul Molotov :

Nous avons gagné la partie en ce qui concerne les questions discutées


à Londres grâce à notre fermeté. […] Nous avons gagné de même
pour la Bulgarie et la Yougoslavie, comme le montre le résultat des
élections dans ces pays. Si nous avions flanché et si nous n’avions pas
tenu bon, nous aurions certainement perdu la partie. Pendant un
temps vous avez cédé aux pressions et à l’intimidation des États-
Unis, vous avez hésité, vous avez adopté une politique libérale à
l’égard des correspondants étrangers, vous avez laissé couvrir
d’insultes votre propre gouvernement par ces correspondants,
escomptant de la sorte vous gagner les faveurs des États-Unis et de
l’Angleterre. Votre calcul était naïf, cela va sans dire. J’ai eu peur que
par libéralisme vous ne compromettiez notre politique de fermeté et
que vous ne manquiez à vos devoirs envers notre État{2087}.
Pour Staline les choses ne faisaient plus aucun doute, il fallait rentrer à
Moscou. Ayant attendu les résultats de la conférence des ministres des
Affaires étrangères pour prendre ses décisions de politique intérieure, il en
tira la conclusion que la ligne dure payait : les États-Unis et la Grande-
Bretagne étaient obligés de reconnaître la sphère d’influence soviétique en
Europe orientale. Le 29 décembre, Staline réunit le Politburo et annonça
ses décisions. Les mesures prises visaient surtout Beria et Malenkov. Beria
fut démis de la direction du NKVD et remplacé par Krouglov. Koboulov,
premier adjoint du responsable du NKGB, fut remplacé par un ennemi de
Beria, S. I. Ogoltsov, et se retrouva sans emploi pendant de longs mois. Le
protégé de Malenkov, A. I. Chakhourine, fut limogé du ministère de la
Construction aéronautique, accusé de s’être enrichi en Allemagne. Staline
s’en prit aussi à Molotov, créant une Commission des Affaires étrangères
auprès du Politburo composée de lui-même, Molotov, Beria, Mikoïan,
Malenkov et Jdanov qui redevint responsable de l’Agitprop. Surtout,
Staline réaffirma sa volonté d’exercer un contrôle exclusif sur la Sécurité
d’État.
Le 10 février 1946, à l’occasion des élections au Soviet suprême,
Staline tint un discours qui fut une douche froide pour les Occidentaux,
mais aussi pour ceux qui en URSS souhaitaient la poursuite de la
collaboration avec l’étranger. Il proclama qu’aucune paix durable n’était
possible avec l’impérialisme, que trois plans quinquennaux donnant la
priorité à l’industrie lourde seraient nécessaires, que l’URSS produirait 60
millions de tonnes d’acier et 500 millions de tonnes de charbon par an afin
d’être « garantie contre toutes les éventualités ». L’idéologie fut remise à
l’honneur : « Notre victoire signifie avant tout que notre système social est
victorieux. » Le 25 février 1946, le Département de presse du NKID se vit
retirer le contrôle sur l’information transmise d’URSS aux correspondants
étrangers, désormais confié au responsable du Sovnarkom chargé de la
protection des secrets militaires et des secrets d’État dans la
presse{2088}.

Staline raffermit son pouvoir personnel.


Les changements introduits au sommet, de mars à mai 1946, révèlent à
quel point l’alerte avait été chaude aux yeux de Staline. Tout en demeurant
le chef du gouvernement, il se désigna pour adjoints huit membres du
Politburo, en charge des principaux secteurs de l’économie et de
l’administration. Staline créa ainsi un supergouvernement où chaque
responsable était son adjoint et donc où tout se décidait de manière
bilatérale entre le chef du gouvernement et son subordonné au Politburo ;
de la sorte, il dessaisit l’ancien Politburo de ses attributions accumulées
pendant la guerre et mit un terme aux relations horizontales entre les
ministres. En créant un superministère des Forces armées, dont la
structure était une réplique de celle du supergouvernement, Staline
conservait la direction de ce ministère-clé avec l’assistance de cinq
adjoints, soustrayant du coup au gouvernement tout le secteur militaire.
Ainsi, sa position dominante fut désormais institutionnalisée, alors que
pendant la guerre tous les membres du Politburo étaient en principe égaux
– même si Staline pouvait imposer ses décisions ; les deux tiers des
membres du Politburo devinrent les adjoints de Staline au gouvernement,
et donc ses subordonnés, et l’Orgburo fut élargi de manière à diminuer
l’influence de Malenkov. Cette institutionnalisation du pouvoir personnel
de Staline accéléra la fusion au sommet entre appareil du Parti et appareil
gouvernemental{2089}.
Dans l’immédiat, le grand perdant des bouleversements de mars 1946
fut Molotov. Le 18 mars, Malenkov et Beria devinrent membres de
Politburo. Les deux bureaux opérationnels du Sovnarkom furent remplacés
par un Bureau du Conseil des ministres (Sovmin) présidé par Beria,
flanqué de deux adjoints, Voznessenski et Kossyguine. Beria fut aussi
chargé de la tutelle du MVD et du MGB, mais de manière provisoire.
Malenkov se retrouva à la fois membre de l’Orgburo, du Secrétariat et du
Politburo, tout comme Staline et Jdanov. Staline encourageait la rivalité
entre Jdanov et Malenkov et leurs clans respectifs{2090}. Comme à son
habitude, il élevait ceux dont il ourdissait la chute.
L’acte suivant fournit la clé des décisions précédentes. Ce fut désormais
le tandem Beria-Malenkov qui se trouva clairement dans le collimateur. Le
4 mai 1946, Abakoumov remplaça Merkoulov, l’homme de Beria, à la tête
de la Sécurité d’État. Le 6 mai, Malenkov perdit son poste au Secrétariat
et dans l’appareil gouvernemental, sous prétexte que l’industrie
aéronautique dont il avait la tutelle produisait des avions de mauvaise
qualité. Staline lui retira le contrôle du Département des cadres au profit
d’Alexeï Kouznetsov, un Léningradois protégé par Jdanov ; devenu
secrétaire du Comité central, Kouznetsov fut chargé de la tutelle de la
Sécurité, exercée jusque-là par Beria. Poussé par Staline, Jdanov voulait
isoler Beria et Malenkov et les priver de leurs principaux leviers sur le
pouvoir : les cadres, le MGB et l’appareil du Parti{2091}. L’éclipse du
tandem Malenkov-Beria fut alors complète. Jdanov devint le deuxième
personnage de l’État et du Parti. La disgrâce de Malenkov dura jusqu’en
octobre, même si, dès le 2 août, il était nommé vice-président du Conseil
des ministres. Il ne reprendra le contrôle de l’appareil du Comité central
qu’en 1949. En apparence, Staline réussit à former un deuxième centre de
pouvoir. Malenkov et Beria durent se contenter de leurs responsabilités au
sein du complexe militaro-industriel, ce qui n’était pas négligeable dans la
mesure où la préparation de la prochaine guerre mondiale était l’objectif
prioritaire de Staline.
La dernière touche de la revanche du dictateur fut la disgrâce de Joukov,
discrédité de manière officielle devant ses pairs par une résolution signée
de Staline le 6 juin 1946. Ce document reprochait à Joukov d’avoir « perdu
toute modestie » et d’avoir voulu s’approprier les victoires gagnées par
d’autres durant la guerre{2092} : toujours habile, Staline s’attaqua à
Joukov en attisant le sentiment d’envie qu’il suscitait chez les autres
militaires.
Ainsi, après la mise à l’épreuve des Quatre pendant son long congé,
Staline estima qu’il devait changer d’équipe pour s’orienter vers une
politique étrangère de plus en plus agressive à l’égard des Occidentaux et
une politique intérieure de plus en plus centralisée, tournée vers la
préparation à la guerre. Il fit donc appel aux Léningradois qui pendant un
temps évinceront les ex-dirigeants du GKO.
Au printemps 1946, Staline se sentait en position de force, comme en
témoigne la manière dont il justifia le changement de nom de l’organe
exécutif soviétique :
Le mot commissaire du peuple ou commissaire tout court évoque un
régime qui n’a pas encore trouvé son équilibre, il évoque une période
de guerre civile, de cassure révolutionnaire, etc. Cette période est
révolue. La guerre a montré que notre régime a des bases très solides.
[…] C’est pourquoi il est opportun de remplacer le titre de
commissaire du peuple par celui de ministre. […] Le peuple y verra
plus clair{2093}.

Le port de l’uniforme se généralisa parmi les fonctionnaires de


l’économie, des finances et de la justice{2094}. Comme avant-guerre, les
ministères se multiplièrent et Staline encouragera de manière
systématique les doublons entre les différents organismes bureaucratiques.
L’Orgburo fut chargé de contrôler les organisations locales du Parti ; le
Secrétariat fut chargé de contrôler l’exécution des décisions du Politburo
et de l’Orgburo ; la section organisationnelle du Comité central fut
transformée en une imposante administration de contrôle des organes du
Parti.
La correspondance de Staline avec les membres du Politburo, à
l’automne 1945, révèle l’importance qu’il accordait à la presse étrangère,
et avec quelle attention sourcilleuse il suivait ce qui y était dit des
membres du Politburo et des militaires soviétiques. Or les résumés de la
presse étrangère qui lui étaient soumis étaient compilés par les services de
Beria. Bien orchestrées, fuites et rumeurs pouvaient devenir décisives dans
la lutte pour le pouvoir au Kremlin. À l’automne 1945, deux successeurs
potentiels de Staline étaient déjà neutralisés – Molotov et Joukov –, même
si leur disgrâce n’était pas encore visible. Il est évident que les
nombreuses fuites dont la presse étrangère se fit alors l’écho ne pouvaient
émaner que du sommet de la hiérarchie soviétique. Or le mieux placé pour
manipuler l’instrument des fuites était Beria qui disposait de son réseau
personnel d’agents, notamment parmi les émigrés et dans les milieux
juifs, sans parler des maîtresses fournies aux étrangers en poste en URSS.
D’ailleurs, bien avant que Beria ne le dirigeât, le NKVD s’était donné un
dispositif permettant de diffuser des rumeurs{2095}. Mais Beria y eut
recours plus que ses prédécesseurs et ses successeurs : « Les rumeurs
cessèrent dès qu’eut été liquidé Beria », constate A. Vaksberg à propos des
rumeurs circulant dans les camps et les prisons{2096}. Or les seuls
candidats à la succession dont les noms ne furent jamais cités étaient
précisément Beria et Malenkov, les bruits colportés par les journalistes et
les diplomates étrangers désignant de manière invariable Molotov ou
Joukov comme les héritiers probables de Staline. Lors du Plénum de
juillet 1953, il sera reproché à Beria d’avoir discrédité Molotov aux yeux
de Staline : on le voit, cette accusation n’était pas sans fondement. Ainsi,
de manière subreptice, Beria améliorait ses positions et celles de
Malenkov dans la lutte pour le pouvoir. Comble de machiavélisme, il
s’arrangea de surcroît pour faire retomber sur Molotov et les milieux juifs
qui entouraient son épouse les soupçons de Staline quant à l’origine des
fuites : le 19 janvier 1949, au moment de l’affaire Jemtchoujina, Staline
exhuma cette correspondance de l’automne 1945 et en distribua un
exemplaire à tous les membres du Politburo{2097}.
Avec le recul, ces événements de l’automne 1945 sont très éclairants. Il
a suffi que Staline soit dans l’incapacité d’assurer ses fonctions pendant
une quinzaine de jours pour qu’un début de « dégel », perceptible à
l’étranger, apparaisse et qu’émerge la volonté des membres du Politburo
d’acquérir une visibilité en Occident, indépendamment de Staline. Comme
la jalousie de Staline le leur interdisait, il ne restait plus que le recours aux
racontars et aux fuites désobligeantes pour le Maréchal. L’efficacité du
dispositif de production de rumeurs déployé par Beria peut se mesurer à la
manière dont un peu partout dans les capitales occidentales on analysa sa
rétrogradation – très réelle – de décembre 1945. En effet, la perte de la
direction du NKVD ne fut pas interprétée par les observateurs occidentaux
comme un signe de disgrâce et de déclin de sa puissance : « Sa
personnalité pourra s’affirmer davantage et marquer encore plus qu’à
présent la politique soviétique », nota ainsi le général Catroux le
30 janvier 1946. Les Américains aussi restèrent persuadés qu’il était l’un
de ceux qui exerçaient la plus grande influence sur Staline{2098}.
Ainsi Staline semble avoir gagné sans difficulté la première manche de
son affrontement avec ses proches. Désormais, en cas d’absence, il
confiait l’intérim non au seul Molotov, mais à une troïka constituée du
chef du gouvernement, du responsable du Secrétariat et de celui qui
présidait les séances du Politburo{2099}. Or pendant la guerre s’étaient
constitués de solides réseaux de solidarité, notamment des liens entre
militaires et responsables du Parti au sein des Conseils militaires. Ces
réseaux joueront un rôle fondamental pendant les crises ultérieures du
régime. Les membres du Politburo avaient appris à se protéger du tyran
dont ils avaient un jour perçu la faiblesse ; ils avaient pris conscience
qu’ils étaient capables de diriger le pays sans lui. Aucune des grandes
purges lancées par Staline après-guerre n’aboutit, sauf celles voulues par
le clan des technocrates du Politburo. Et, si Staline réussit à entretenir une
révolution permanente au sein du Politburo, il fut bien obligé de tolérer
une certaine stabilité au sein de l’appareil du Conseil des ministres, où ses
proches apprenaient à gouverner sans lui{2100}.

Beria perd la direction du MGB.


« Même sous Staline, Beria avait un comportement très louche », ainsi
s’exprimera Boulganine lors du Plénum du Comité central tenu du 2 au
7 juillet 1953{2101}. Et de fait, si à l’automne 1945 Molotov s’attira les
foudres du Guide, Beria se trouvait aussi dans sa ligne de mire et depuis
plus longtemps. Dès 1943, des rumeurs circulèrent sur la méfiance
grandissante de Staline à son égard. Ainsi, lorsque Staline visita le front en
août 1943, il réagit avec une violence extrême en découvrant que Beria
l’avait fait accompagner de 75 Géorgiens pour assurer sa protection et il
renvoya ces hommes{2102}. Le 26 novembre 1943, le général
A. E. Golovanov, au moment où il entrait chez Staline, l’entendit prendre à
partie avec violence un Beria rouge comme un coq, l’accusant de
sabotage : « Regardez-le, camarade Golovanov ! Il a des yeux de
serpent{2103} ! » Quelque temps plus tard, S. Kavtaradzé entendit Staline
traiter en géorgien Beria de « traître{2104} ». Les motifs de
mécontentement à l’égard de Beria ne manquaient pas. Le NKVD avait
échoué à liquider von Papen en février 1942. Pire, l’attaché de presse de
l’ambassade soviétique avait fait défection et livré aux Turcs les deux
illégaux soviétiques, Lev Vasilevski et Naum Eitingon, qui étaient
responsables de l’attentat raté contre von Papen{2105}. Le NKVD n’avait
pas plus été capable de liquider Vlassov{2106}.
Le 14 avril 1943, Staline prit la première mesure en vue de dessaisir
Beria du renseignement. Le NKGB fut séparé du NKVD et confié à
Merkoulov, Beria conservant le contrôle du NKVD, soit la milice et le
Goulag. Plus encore, le 19 avril, le contre-espionnage militaire fut placé
sous le contrôle de l’état-major et le redoutable SMERCH fut confié à
Abakoumov qui dépendait désormais de Staline en personne en tant que
ministre de la Défense. Abakoumov affichait sa proximité avec le Guide,
ses subordonnés racontant qu’il copiait même la coupe de sa
vareuse{2107}. Cette réorganisation fut un camouflet pour Beria qui
chercha à s’y opposer{2108}. Sur le plan officiel, elle avait été instaurée
en prévision de l’occupation de nouveaux territoires et « des tâches
élargies des organes de sécurité{2109} ». En réalité, Staline n’accordait
plus sa totale confiance à Beria pour la soviétisation des pays occupés par
l’Armée rouge. En janvier 1945, lorsque des plénipotentiaires du NKVD
furent nommés sur les arrières de l’Armée rouge pour nettoyer les
territoires conquis des « espions et terroristes… », ils se virent adjoindre
des hommes du SMERCH{2110}. Et, surtout, Staline voulait empêcher
toute intervention du NKVD – et donc de Beria – dans les promotions
militaires{2111}. Très vite, le SMERCH ne se borna plus au contre-
espionnage, mais établit un réseau de renseignement contre les Allemands
plus efficace que celui du NKGB, qu’il surpassera de loin en nombre
d’ennemis démasqués{2112}. Abakoumov gagna ainsi la faveur de Staline
à qui il eut désormais un accès direct et il ne tarda pas à marquer son
indépendance à l’égard de Beria auquel il devait son ascension.
Fort de l’appui de Staline, Abakoumov s’attaqua d’emblée au NKVD.
Dès le 28 avril 1943, il arrêta le général B. L. Teplinski, chef du
Département opérationnel de la région militaire de Sibérie, qui fut accusé
d’avoir participé à un complot militaire antisoviétique. Les « aveux » de
Teplinski servirent de prétexte à l’arrestation de V. N. Iline, le chef du
Département politique secret du NKGB, dans le bureau même de
Merkoulov et sans autorisation de Beria. Or V. Iline était l’ami de
Merkoulov et un protégé de Beria à cause de ses liens avec l’intelligentsia
et sa supervision des opérations visant les mencheviks -- c’est lui qui avait
interrogé Boukharine en 1937. Abakoumov défiait ainsi Beria et
Merkoulov. Iline était l’agent traitant d’Alexandre Demianov et l’un des
organisateurs de l’opération « Monastère{2113} ». Étant donné les
dossiers sensibles dont il avait eu la responsabilité, son arrestation pouvait
être fort dangereuse pour Beria. Abakoumov ne s’en tint pas là. En mars
1944, il convoqua les époux Rybkine pour les sommer de s’expliquer sur
leurs liens avec le résident anglais{2114}. Il s’en prit aussi à Kollontaï
qu’il accusa, en octobre 1944, de s’être entourée d’étrangers et notamment
de sociaux-démocrates suédois{2115}.
C’est dans ce contexte que se produisit un épisode mystérieux qui allait
mener à l’effondrement des réseaux du MGB aux États-Unis. Le 10 avril
1943, le FBI surprit un rendez-vous clandestin entre le résident soviétique
Zaroubine et Steve Nelson – un communiste américain qui était l’objet
d’une surveillance depuis 1942 – et réussit à enregistrer la conversation
entre les deux hommes. Sur ces entrefaites, le 7 août, une lettre rédigée en
russe fut postée près de l’ambassade soviétique à Washington et adressée à
Edgar Hoover, le tout puissant chef du FBI. Cette lettre plongea le FBI
dans la plus grande perplexité{2116}. En voici le résumé. « Des
circonstances exceptionnelles » forçaient l’auteur à informer Hoover sur
Zaroubine, le responsable du renseignement soviétique aux États-Unis. Le
gouvernement de l’URSS lui accordait une grande confiance, alors qu’il
travaillait pour les Japonais, tandis que son épouse était à la solde des
Allemands. « C’est donc un dangereux ennemi à la fois des États-Unis et
de l’URSS. […] Les hommes appartenant à son immense réseau ne se
doutent pas qu’ils nuisent grandement à la patrie qu’ils croient servir, à
cause de la trahison de leur chef. » Earl Browder, le chef du PC américain,
qui fournissait des « renseignements très importants sur les États-Unis » à
Zaroubine, et « tous les nombreux Américains qui travaillent pour les
Soviétiques » étaient dans le même cas. Suivait une description des
activités de Zaroubine : installation de réseaux d’illégaux aux États-Unis,
fabrication de faux papiers, installation de radios clandestines. Son épouse
dirigeait le renseignement politique et manipulait un grand nombre
d’agents dans presque tous les ministères, y compris au State Department.
Ensuite, l’auteur de la lettre dénonçait les principaux agents soviétiques
aux États-Unis, non sans fournir d’utiles recommandations au FBI : ainsi,
Kheifetz, le vice-consul soviétique à San Francisco qui dirigeait un réseau
d’espionnage politique et militaire sur la côte Ouest, était « un grand
poltron qui, pour sauver sa peau et rester aux États-Unis, livrera sans se
faire prier ses agents s’il est arrêté » ; Kvasnikov, spécialisé dans
l’espionnage scientifique,

ne sera pas difficile à prendre la main dans le sac car il agit avec
impudence et sans finesse. Il sera ravi d’être arrêté, car depuis
longtemps il souhaite s’installer aux États-Unis, il hait le NKVD mais
c’est un froussard de première qui aime l’argent. Il ne demandera pas
mieux que de livrer tous ses agents pourvu qu’on lui promette un
passeport américain.

L’adjoint de Zaroubine, Mironov, de son vrai nom Markov, le haïssait et


tous deux avaient dirigé les activités du NKVD en Pologne occupée.

Zaroubine a interrogé et fusillé les Polonais du camp de Kozelsk,


Mironov ceux du camp de Starobelsk. Tous les Polonais qui ont
survécu reconnaîtront ces deux bourreaux. Ils portent la
responsabilité des dix mille Polonais fusillés près de Smolensk.

La lettre concluait :

Si on fournit la preuve à Mironov que Zaroubine travaille pour les


Allemands et les Japonais, il le fusillera sans jugement, car il a aussi
un poste très élevé au NKVD. Il a un agent important au sein de
l’administration de la Maison Blanche.
Après une longue enquête, le FBI conclut que toutes les allégations de la
lettre étaient exactes, sauf l’accusation portée contre Zaroubine et sa
femme de travailler pour les Allemands et les Japonais{2117}. La fuite ne
pouvait émaner que du plus haut niveau du NKGB, étant donné la
connaissance des hommes et des réseaux révélée par l’auteur de la lettre.
L’hypothèse immédiate fut que celle-ci émanait de Vassili Mironov, un
subordonné frustré de Zaroubine ; et ce sera l’hypothèse officiellement
retenue par le FBI et le MGB. Et, de fait, Mironov s’était déjà plaint au
Centre de la « grossièreté, de la vulgarité, de la négligence et de la
révoltante manie du secret » de Zaroubine{2118}. Cependant, une lecture
attentive de la lettre révèle une volonté indéniable de détruire les réseaux
soviétiques aux États-Unis, en particulier à travers la dénonciation de
Browder et du rôle des communistes américains dans l’espionnage
soviétique, sur lequel le FBI commençait seulement à enquêter. De même,
la révélation du crime de Katyn ne peut guère s’expliquer par des rivalités
de collègues. De toute évidence, l’auteur voulait galvaniser le FBI et le
pousser à prendre des mesures énergiques, d’où l’accusation de trahison en
faveur de l’Allemagne et du Japon portée contre Zaroubine. À Moscou, on
savait qu’une accusation d’espionnage en faveur de l’URSS ne troublerait
guère une administration Roosevelt en pleine euphorie de la Grande
Alliance. Le plus curieux est que Zaroubine semblait sentir les nuages
s’accumuler sur sa tête, comme l’indique un message chiffré de Venona,
daté du 25 juin 1943, qui évoque son départ éventuel des États-
Unis{2119} ; le 1er juillet, Zaroubine lui-même câbla que les Américains
avaient sans doute eu vent de ses activités à Kozielsk{2120} – alors que la
lettre qui allait révéler le pot aux roses aux Américains ne serait postée
que le 7 août ! La chronologie donne donc à penser que Zaroubine était au
courant de la lettre avant qu’elle ne fût envoyée.
Une explication plausible est que Beria se doutait que Staline allait
l’écarter du NKGB et souhaitait en conséquence rapatrier son réseau plutôt
que de le voir utilisé par un autre. La lettre au FBI ressemble fort au stade
initial d’une opération de sabordage à l’approche de l’ennemi. Selon le
témoignage de son fils, Beria dit un jour à Soudoplatov « qu’il fallait
mettre hors d’atteinte d’un bandit comme Abakoumov les gens qui
travaillaient pour nous{2121} ». Quoi qu’il en soit, cette première
manœuvre n’amena pas les résultats escomptés, la lourde machine du FBI
étant trop longue à s’ébranler. Quelque temps plus tard, Staline lui aussi
reçut une lettre attribuée à Mironov, qui accusait Zaroubine de travailler
pour les Américains, ce qui, on s’en doute, eut un effet immédiat{2122}.
Le 30 mars 1944, Fitine et Ovakimian adressèrent à Merkoulov un rapport
sur l’enquête provoquée par la délation de Mironov concernant Zaroubine.
Il s’agissait selon eux d’une provocation émanant de deux officiers du
NKGB, Vassili Mironov et Vassili Dorogov, qui avaient avoué. Fitine et
Ovakimian proposèrent de renvoyer les deux hommes du NKGB, d’exiler
Mironov en Sibérie et de rappeler Zaroubine et sa femme ainsi que
Semionov. Merkoulov exigea que Mironov soit jugé par le Collège
spécial{2123}. Au printemps 1944, une purge fut lancée dans l’appareil du
NKVD avec pour but de se débarrasser des agents doubles et des
imposteurs qui jetaient de la poudre aux yeux de leurs résidents ou de
leurs supérieurs à Moscou, en s’attribuant des succès imaginaires. Les
illégaux furent repris en main et placés sous un contrôle strict{2124}. Une
inspection du SMERCH et du NKGB fut dépêchée aux États-Unis et au
Canada et, le 28 août 1944, Zaroubine quitta les États-Unis avec la plus
grande partie de son réseau{2125}. Les époux Zaroubine firent l’objet
d’une enquête de six mois qui finit par les disculper en établissant que
Mironov était un schizophrène, ce qui n’empêcha pas qu’on le
fusillât{2126}.
Cependant, les revers du NKVD ne s’arrêtaient pas là. Le 1er avril 1944,
Viktor Kravtchenko, un membre de la Commission d’achat soviétique
chargée d’organiser le « prêt-bail » aux États-Unis, fit défection. Il ne
cachait pas son intention de défier Staline et le régime soviétique. Une
défection était toujours un coup dur pour les « organes » qui devaient se
porter garants de la fiabilité politique de tous les Soviétiques autorisés à
voyager à l’étranger. Dans le cas de Kravtchenko, l’affaire était encore
plus gênante, car le résident Zaroubine avait été prévenu par l’agent Mark
Zborowski des intentions de Kravtchenko et n’avait pris aucune mesure, se
contentant de réprimander son agent pour lui avoir rapporté de telles
sornettes{2127} ; en outre, comme le révéleront les interceptions de
Venona, la deuxième épouse de Kravtchenko, Irina Tillo, était un agent du
NKVD sans doute de haut niveau puisqu’elle avait été en poste à Istanbul,
à Paris, en Italie et en Suisse. Irina avait fait parvenir une lettre à son mari
à Washington selon laquelle ses parents en URSS étaient morts ; elle-
même voulait renoncer à son travail{2128}. En 1954, Kravtchenko
essaiera de convaincre le FBI d’exfiltrer Irina Tillo d’URSS, en affirmant
qu’elle connaissait les dirigeants du NKVD du plus haut niveau et qu’elle
était au courant d’importantes opérations d’espionnage ; selon lui, elle
détestait le régime, « avait un caractère d’acier » et ne demandait qu’à
passer à l’Ouest{2129}.
Ce n’était qu’un début. Le 5 septembre 1945, c’est Igor Gouzenko, un
employé du chiffre à l’ambassade soviétique du Canada, qui fit défection.
Ne voulant pas provoquer de scandale international, Staline interdit
d’assassiner le transfuge et se contenta de créer une commission dirigée
par Malenkov et composée de Beria, Merkoulov, Abakoumov et
Kouznetsov. Les sanctions adoptées furent étonnamment limitées{2130}.
Ce fut la fin de l’âge d’or de l’espionnage soviétique outre-Atlantique. Dès
le 27 octobre 1945, alors qu’il venait d’apprendre que Merkoulov allait
être dessaisi du ministère de la Sécurité, Beria ordonna de suspendre pour
un temps toute relation avec les agents les plus précieux de l’espionnage
atomique{2131}. Il expliqua à ses subordonnés que les savants américains
devaient désormais être utilisés pour la propagande du désarmement
nucléaire et qu’il fallait à tout prix éviter de les compromettre par des
contacts avec Moscou{2132}. Les liens avec les réseaux furent gelés. La
défection de Gouzenko « complique considérablement notre activité dans
les pays américains », câbla Beria aux résidences du NKGB, le 7 avril
1946{2133}. De novembre 1945 à septembre 1947, il n’y eut plus
d’activités d’espionnage aux États-Unis{2134}.
À la défection de Gouzenko s’ajouta le retournement d’Elizabeth
Bentley qui avait été le courrier de J. Golos et hérité de ses réseaux après
sa mort, en 1943. Or, comme le révèlent les Carnets d’Alexandre
Vassiliev, les relations entre Golos et ses agents traitants soviétiques
étaient pour le moins tendues depuis 1939. Golos fut d’abord considéré
comme un trotskiste camouflé et boudé par les Soviétiques qui le tenaient
à distance car ils le croyaient surveillé par le FBI. Zaroubine et son
collègue Pavel Klarine le méprisaient, le prenant pour un imbécile{2135}.
Les choses s’envenimèrent lorsque Golos comprit que les Soviétiques
voulaient le déposséder de ses sources et en prendre le contrôle. Golos
était très hostile aux Zaroubine, et en particulier à Vassili Zaroubine qui
semble avoir eu le don de dresser ses interlocuteurs contre lui – ce butor
adipeux imbibé d’alcool, était sujet à de violents accès de rage et battait sa
femme{2136}. Golos tenait à conserver ses réseaux et à éviter leur
fragmentation, estimant qu’il ne fallait pas transformer les communistes
en espions. Dès le début de 1943, le Centre, qui ne souhaitait pas que
Golos fût dépossédé de ses sources, fut très inquiet des tensions entre
Golos et ses officiers traitants. Le rappel des Zaroubine n’arrangea pas les
choses : Golos fut ulcéré d’être confié à un officier inexpérimenté et il en
vint à traiter les Soviétiques de bons à rien, considérant que les
communistes qui les fréquentaient étaient perdus pour le Parti{2137}.
Elizabeth Bentley partageait ses vues et son animosité à l’égard des
envoyés de Moscou. Elle aussi se rebiffa lorsque les hommes du MGB
tentèrent de mettre la main sur ses informateurs. Le 27 septembre 1945,
A. Gorski, son agent traitant, adressa au Centre un rapport alarmiste sur la
jeune femme, selon lui sur le point de trahir. Elle ne voulait pas aller en
URSS « et, comme elle peut nous nuire grandement, il ne reste que le
moyen le plus radical de nous débarrasser d’elle ». Le 11 octobre,
Merkoulov répondit que le comportement de Bentley s’expliquait par les
« bizarreries de son caractère » : « Nous estimons que pour l’instant elle
ne nous trahira pas. » Il suggéra à Gorski d’avoir avec elle un entretien
amical, de manifester son intérêt pour sa vie privée et de lui proposer
3 000 dollars. Si elle persistait dans ses mauvaises dispositions, il faudrait
lui faire comprendre que les Américains ne se risqueraient pas à gâter les
relations avec l’URSS à cause d’elle, et que, si elle parlait, c’est contre
elle que les Américains se retourneraient{2138}. Le 7 novembre, Bentley
commença à déballer au FBI ce qu’elle savait des réseaux soviétiques aux
États-Unis. Les implications étaient encore plus graves que celles de la
défection de Gouzenko. Le 27 novembre, lorsque la trahison de Bentley fut
certaine, Gorski revint à la charge auprès de ses supérieurs : il fallait
l’empoisonner, elle vivait seule et la chose ne serait pas difficile. Le
même jour Merkoulov fit savoir à Gorski que Beria interdisait toute
mesure contre Bentley{2139}.
Après tous ces revers, il est étonnant que Staline n’ait pas pris des
mesures plus drastiques à l’encontre de Beria. L’explication tient sans
doute à la priorité que le dictateur donnait au contre-espionnage. Outre
tous les instruments de surveillance mutuelle dont s’était doté le régime
bolchevique, Staline disposait d’un service de contre-espionnage
stratégique personnel qui comptait une soixantaine personnes et qui était
tenu au secret le plus absolu. La tâche de ce service, existant depuis 1925,
était d’espionner les membres du Politburo placés sur écoutes jour et nuit ;
l’un de ses responsables, Vladimir Mironenko – alias Joukhraï –, recevait
ces écoutes tous les dix jours et en rédigeait une synthèse{2140}. À en
croire Mironenko, ce service était dirigé dans les années 1940-1953 par
Alexandre Djouga, un fils illégitime de Staline, Mironenko laissant
entendre par ailleurs que Staline était aussi son père.
Beria occupait les limiers de Staline avec ses conquêtes féminines et
Sarkisov, son pourvoyeur en femmes, rapportait consciencieusement les
innombrables escapades amoureuses de son chef à Mironenko et
Abakoumov. Certain que ses subordonnés étaient sous une surveillance
constante à Moscou, Staline suivait sans doute de moins près les activités
de ses espions à l’étranger. Mais, fin 1945, il commença à s’intéresser à
d’autres aspects de l’activité de Beria pendant la guerre, comme en
témoigna Vlassik, le chef de la garde personnelle de Staline :

Peu de temps après la guerre, Staline perdit confiance en Beria. Il


était mécontent de sa manière de diriger le MGB, il me donnait des
exemples de fiascos dans le renseignement et me demandait qui était
responsable de ces mauvais résultats des organes de sécurité. Il me
demandait comment les hommes de Beria, Koboulov et Merkoulov
s’étaient comportés pendant la guerre. Je répondis que le domaine du
renseignement était négligé parce que Merkoulov et Koboulov
réalisaient les tâches confiées par Beria dans d’autres ministères dont
il avait la tutelle au GKO. Après cet entretien Beria fut écarté de la
direction du MGB. Merkoulov et Koboulov furent aussi bientôt
limogés. […] Cet entretien eut lieu en présence de Poskrebychev. Je
ne sais comment Beria en eut vent. Il m’en parla lui-même pendant
mes interrogatoires{2141}.

On s’en souvient, à l’automne 1945, Malenkov et Beria s’étaient mis


d’accord pour conserver le contrôle du MGB/MVD. Beria voulait placer à
la tête du MGB l’un de ses protégés, V. S. Riasnoï, et Krouglov qui
dirigeait le MVD était un protégé de Malenkov. Mais Staline ne l’entendit
pas de cette oreille et, fin décembre 1945, il fut clair qu’il avait l’intention
de soustraire les structures « de force » à l’influence du tandem Beria-
Malenkov. B. Koboulov en fut réduit à mendier auprès du « cher camarade
Staline » un emploi quelconque, qui lui permette de faire preuve à l’avenir
du « même zèle et dévouement » que durant ses vingt-cinq années
précédentes de bons et loyaux services{2142}. Merkoulov aussi était en
sursis : Staline l’accusait de « mener un double jeu{2143} » et le trouvait
« trop doux » pour ce poste{2144}. Il devait sentir que Merkoulov avait
des restes d’humanité, comme il en fera preuve après la chute de son
patron en 1953 :

Traverser la prison de Lefortovo était épouvantable. […] On


entendait les cris de ceux qui étaient torturés. Je n’arrivais pas à
dormir la nuit quand je me remémorais les scènes auxquelles j’avais
assisté{2145}.

En mai 1946, Abakoumov remplaça Merkoulov à la tête du MGB et


Fitine, en disgrâce, fut relégué dans un poste obscur en province. Staline
ordonna au nouveau chef du MGB de constituer un dossier sur tous les
dirigeants, y compris Beria{2146}.
Celui-ci détestait Beria, tout en maintenant avec lui une cordialité de
surface{2147} ; quant à Beria, il « redoutait Abakoumov comme la
peste{2148} ». Cependant Abakoumov s’intéressait fort peu au
renseignement et il l’abandonna à son adjoint Fedotov qui poursuivit la
politique de Fitine. Il ne toucha pas non plus aux réseaux des illégaux,
sans doute faute de comprendre leur importance potentielle. Mais, sur
ordre de Staline, il se débarrassa des hommes de Beria dans le contre-
espionnage et dans le Département d’instruction des affaires les plus
importantes. Les hommes du SMERCH furent promus à tous les échelons
au sein du MGB. Et Alekseï Kouznetsov, le nouveau favori de Staline,
présida une commission chargée d’enquêter sur les insuffisances du MGB
et de superviser les nouvelles nominations{2149}.
Le mécontentement de Staline à l’égard des « organes » s’exprima
encore dans la résolution du Comité central intitulée « L’activité du
MGB », adoptée le 20 août 1946, après l’enquête dirigée par Kouznetsov
et Abakoumov. Cette résolution appelait la Sécurité d’État à améliorer la
lutte contre les agents américains et anglais. Le MGB était critiqué pour
s’être trop concentré sur la détection des agents infiltrés parmi les
rapatriés et pour avoir négligé les diplomates étrangers et les agents
infiltrés parmi les étrangers en poste en URSS. Le MGB avait été
submergé par les dossiers des rapatriés – plusieurs centaines de milliers –,
ce qui avait paralysé son activité dans les autres domaines{2150}. Il était
donc invité à « dresser un inventaire centralisé des éléments
antisoviétiques sous surveillance » et un inventaire centralisé des
mouchards{2151}. Staline prit la Sécurité d’État sous son contrôle direct,
exigeant que dorénavant tous les documents opérationnels ne soient
transmis qu’à lui{2152}. Le 21 août, Merkoulov fut exclu du Comité
central :

Le travail tchékiste au sein du ministère de la Sécurité d’État est


totalement négligé. Jusqu’à ces derniers temps Merkoulov ne s’est
pas comporté de manière tout à fait honnête, il n’a pas informé le
Comité central de la situation grave de la Tcheka et il a caché tant
qu’il l’a pu au Comité central les fiascos du MGB à l’étranger{2153}.
Beria lui déclara qu’il avait eu beaucoup d’ennuis avec Staline à cause
de lui.
En 1947, Merkoulov, Koboulov et Fedotov furent convoqués devant le
Comité central et priés d’expliquer pourquoi ils avaient mis fin aux
persécutions à l’encontre des trotskistes, des mencheviks, des droitiers et
autres à partir de 1943{2154}.
Somme toute, Merkoulov s’en tira plutôt bien, étant donné la gravité
des accusations qui pesaient sur lui. Il fut nommé directeur de
l’Administration des biens soviétiques à l’étranger : il devait superviser
les entreprises soviétiques en Roumanie, en Hongrie et en Autriche.
Bogdan Koboulov et Dekanozov devinrent ses adjoints – Koboulov en
Allemagne. Lev Vlodzimirski dirigeait le Département des cadres de
l’Administration des biens soviétiques à l’étranger. Ainsi, en attendant des
temps meilleurs, Beria éloigna ses fidèles pour les mettre à l’abri de la
vindicte de Staline, tout en renforçant ses réseaux personnels dans cette
zone sensible.
La méfiance de Staline à l’égard de Beria allait évoluer vers une haine
réciproque. Rompus à la duplicité, les deux Géorgiens ne laissèrent
d’abord presque rien paraître de leur antagonisme, Staline parce qu’il avait
encore besoin de Beria puis parce qu’il commençait à le craindre, Beria
parce qu’il tirait sa puissance de la faveur dont on le croyait comblé par
Staline. En novembre 1946, la froideur avec laquelle Staline traitait Beria
devint manifeste{2155}. L’orgueilleux Géorgien en fut réduit à s’efforcer
de conserver l’apparence de bonnes relations avec Abakoumov. Il avait le
droit de se faire adresser par les services de renseignements les
informations touchant au projet nucléaire, mais il lui était désormais
interdit de se mêler des affaires opérationnelles du MGB et d’y placer ses
hommes{2156}.
De plus en plus, Beria était rattrapé par le passé. Abakoumov compilait
les délations de Sarkisov, le garde du corps de Beria, et les apportait à
Staline qui fermait volontiers les yeux sur ce genre de peccadilles{2157}.
Mais Beria cultivait des liaisons dangereuses. Ainsi, le 27 décembre 1946,
Abakoumov arrêta Zoia Fiodorova, une actrice à la mode qui venait de
passer une soirée avec le journaliste Alexandre Werth. Elle demanda
immédiatement à parler à Beria, ce qui lui fut refusé{2158}. Elle fut
accusée d’avoir « dénigré les dirigeants du Parti, appelé à renverser le
régime soviétique, de s’être dite prête à réaliser un attentat terroriste
contre le chef de l’État soviétique » et bien sûr « d’avoir eu une liaison
avec des agents de renseignement étrangers se trouvant à Moscou auxquels
elle transmettait une information calomniatrice sur la situation dans le
pays ». On l’accusa de surcroît de possession d’arme. Or Fiodorova était la
maîtresse de Beria qui, à l’été 1941, avait fait libérer son père arrêté en
1938. À l’exposition du cinéma américain organisée à l’automne 1942,
elle avait rencontré Henry Shapiro de l’United Press qui lui avait présenté
les militaires américains en poste à Moscou. Elle les fréquenta avec
assiduité et noua, en janvier 1945, une liaison avec Jackson Tate, l’adjoint
de l’attaché naval américain, dont elle tomba enceinte. En juillet, elle fut
envoyée en tournée en Crimée et Tate fut expulsé d’URSS. En août 1947,
elle fut condamnée à vingt-cinq ans de détention et, le 20 décembre, elle
écrivit à Beria pour le supplier de la faire libérer :

En janvier 1941, alors que vous m’avez reçue à plusieurs reprises


pour des affaires personnelles, vous m’avez autorisée à demander
votre aide dans les moments difficiles de mon existence. Je me
souviens de vos paroles. Aujourd’hui je suis en danger de mort et du
plus profond de mon désespoir je vous demande aide et justice.

Fiodorova rappela qu’elle avait accepté de rester à Moscou à l’automne


1941 à la demande de Beria « pour vous aider à mener la résistance
clandestine ». Mais cette démarche fut vaine et elle ne fut libérée qu’en
février 1955{2159}.
Autre mauvaise surprise pour Beria : en mai 1947, Siegfried Müller, un
officier du renseignement allemand capturé par les Soviétiques, décrivit
aux enquêteurs du MGB l’opération d’intox dont Amaïak Koboulov avait
été victime en 1940-1941. Il s’avéra que le résident soviétique s’était
laissé berner par Berlinks et qu’en outre il avait informé ce dernier sur la
politique allemande de l’URSS ; autant de renseignements qui
atterrissaient sur le bureau de Hitler et de Ribbentrop. Koboulov s’était
même vanté de ce que ses rapports étaient adressés à Molotov et à
Staline : c’était inviter les Allemands à se servir de lui pour une
désinformation destinée à Staline{2160}.
Beria conserva toutefois une influence occulte sur la Sécurité d’État.
Ses protégés au sein du ministère laissèrent entendre que Staline consultait
souvent son compatriote pour les affaires de renseignement et que par
conséquent Beria devait être tenu au courant des opérations en cours.
Abakoumov lui-même n’eut garde de l’affronter ouvertement. Staline s’en
rendit compte. Désormais son obsession fut de soustraire en totalité le
MGB à l’influence de Beria. Pour cela, jusqu’à sa mort, il ne cessera de
procéder à des bouleversements dans la Sécurité d’État. Le 30 mai 1947, il
commença par créer le Comité d’information (KI) dont la direction fut
confiée à Molotov, avec pour adjoint P. Fedotov. Ce Comité devait en
principe fusionner les différentes sections du renseignement du GRU et du
MGB. Le MGB devint ainsi un appendice du MID – qui avait remplacé le
NKID –, ce qui ne fut pas apprécié par les intéressés{2161}, ni d’ailleurs
par les chefs de la diplomatie, effrayés de toucher à un domaine aussi
explosif. Vychinski, le successeur de Molotov à la tête du MID en 1949, se
vantera par la suite de ne pas avoir signé un seul document concernant le
renseignement{2162}. Le KI était présidé par les adjoints du ministre,
Valerian Zorine et Jakob Malik{2163}. Cependant, dès 1949, le GRU se
détacha du KI et revint dans le giron du ministère de la Défense. Puis le KI
perdit le contrôle du contre-espionnage qui retourna au MGB. Et, le
2 novembre 1951, ce fut le coup de grâce : le renseignement fut rendu au
MGB. Au total le KI fut, selon Soudoplatov, une « désastreuse
expérience ».
Ce branle-bas n’était qu’un début. Le 17 septembre 1947, le
léningradois A. Kouznetsov se vit confier la tutelle du MGB. Et, le
30 septembre, le Comité central décida de « renforcer » la direction du
MGB par une injection de cadres du Parti{2164}. Abakoumov continuait
ses intrigues, confirmant Staline dans sa résolution d’éradiquer l’influence
de Beria dans la Sécurité d’État. Le 14 octobre, il l’informa par exemple
que, depuis décembre 1942, le NKVD l’avait placé sur écoutes sur ordre
de Serov et que des notes sur chacun de ses entretiens téléphoniques
avaient été rédigées{2165}.
À partir de 1948, Staline essaya de réduire sa dépendance à l’égard du
MGB et du MVD en leur créant des doublons au sein de l’appareil du
Comité central et en créant une Sécurité d’État constituée d’apparatchiks
du Parti. Pour cela, il s’appuya sur Malenkov et Chkiriatov. Désormais
l’appareil du Parti ne se contentait plus de se mêler à l’instruction des
affaires politiques, mais menait lui-même les enquêtes. Malenkov procéda
en personne à des interrogatoires{2166}. Mais, à cause de la solidarité
nouvelle entre ses proches, Staline ne disposa plus jamais d’un instrument
docile comme l’était le NKVD d’Ejov. Ses efforts répétés ressembleront à
des coups d’épée dans l’eau.

Du policier au technocrate.
Si, au printemps 1946, Staline semblait avoir repris aux membres du
Politburo tous les pouvoirs qu’il avait été obligé de leur déléguer pendant
la guerre, sa victoire n’était qu’apparente. Le vieux dictateur préparait la
troisième guerre mondiale et était donc forcé d’accorder une place
prépondérante au complexe militaro-industriel et surtout au projet
atomique, confié à Beria en août 1945{2167}. Il devait tolérer les
technocrates.
Depuis son arrivée à Moscou, Beria avait commencé à déployer une
stratégie de survie en s’octroyant, grâce à son poste de responsable du
renseignement, des sphères de compétences qu’il pressentait vitales à
l’avenir : il misait en particulier sur le secteur énergétique et les
armements nouveaux. Le 26 juin 1943, il s’arrangea par exemple pour être
chargé des questions du pétrole et de leurs implications internationales.
Cette stratégie porta ses fruits à la fin de la guerre, lorsque Staline,
mécontent de lui, l’autorisa à survivre à l’abri du projet nucléaire.
L’une des orientations prioritaires du renseignement sous Beria fut
l’espionnage scientifique et technique pour lequel, en avril 1941, le Centre
créa au sein des résidences principales à l’étranger des départements
spécialisés. Sur les 221 agents du NKVD déployés aux États-Unis, 49
avaient une formation d’ingénieur{2168}. Au printemps 1941, l’un d’eux,
Gaïk Ovakimian, signala que la communauté scientifique américaine
craignait que l’Allemagne ne fabriquât une bombe à uranium. En URSS,
les savants Piotr Kapitsa et Abram Ioffe s’inquiétaient aussi du risque de
l’acquisition par l’Allemagne d’une arme nucléaire, surtout à partir du
22 juin 1941{2169}. Certains physiciens soviétiques avaient travaillé à la
fission de l’uranium depuis 1939 et un Comité de l’uranium avait été créé
à l’été 1940. Mais ces travaux avaient été interrompus après le 22 juin
1941.
Le 20 septembre 1941, la Grande-Bretagne prit la décision de fabriquer
une bombe atomique. Cinq jours plus tard, le 25 septembre, le NKVD en
fut informé et obtint de sa source – John Cairncross, un des membres du
réseau Philby, alors secrétaire de Maurice Hankey, le chef du Comité qui
avait la tutelle du projet atomique – un rapport sur les travaux britanniques
consacrés à la bombe à uranium. Face au projet nucléaire, l’attitude de
Beria fut ambiguë{2170}. Lorsque Leonid Kvasnikov, un officier du
NKVD spécialisé dans le renseignement scientifique, lui adressa un
rapport sur la documentation venant de Londres, Beria lui dit : « Tu finiras
dans une cave si tout cela s’avère être de la désinformation{2171}. »
Pourtant, malgré ce scepticisme affiché, Beria réagit immédiatement et,
dès la fin 1941, il s’efforça d’infiltrer des agents auprès des savants
travaillant sur l’uranium aux États-Unis et en Angleterre. Il comprit très
vite l’importance de ces recherches : « Il ne me cachait pas l’admiration
que lui inspirait l’effort britannique dans ce domaine », se souvient Sergo
Beria{2172}. Toutefois Beria ne fut pas un « lobbyiste » du projet
nucléaire auprès de Staline et il est probable qu’il lui transmettait les
renseignements, mais en les assortissant de commentaires sceptiques.
Selon A. A. Yatskov, un officier du NKVD chargé du réseau d’espionnage
soviétique à New York,

Beria soupçonnait que nos renseignements étaient de la


désinformation par laquelle notre adversaire essayait de nous
entraîner dans de grandes dépenses sur un projet sans avenir. […]
Beria conserva son attitude soupçonneuse à l’égard des
renseignements fournis par nous-mêmes à l’époque où l’URSS s’était
résolument lancée dans le projet nucléaire{2173}.
En septembre 1941, c’est le GRU qui transmit les renseignements
obtenus de Klaus Fuchs à Sergueï Kaftanov, le consultant scientifique du
GKO, et à Mikhaïl Pervoukhine, ministre de l’Industrie chimique{2174},
alertant les dirigeants soviétiques sur la création du comité Maud en
Grande-Bretagne et la possibilité de réalisation de l’arme atomique. En
février 1942, Kaftanov apprit qu’on avait découvert sur le cadavre d’un
officier allemand à Taganrog des papiers indiquant que les Allemands
étaient en train de travailler à la bombe atomique. Kaftanov rapporta cette
information au GKO et ce n’est qu’à ce moment que Beria décida de
soumettre à Staline les renseignements obtenus à Londres. En mars 1942,
dans un mémorandum compilé pour Staline, le NKVD signala
qu’Américains et Anglais travaillaient à une bombe d’une puissance
inouïe utilisant l’uranium 235. John Cairncross avait fourni au NKVD une
documentation sur les travaux atomiques en Grande-Bretagne dont Beria
établit une synthèse pour Staline, sans ménager les explications
techniques, en nommant les savants et les firmes occupés au projet. En
conclusion, il soulignait que le haut commandement britannique
considérait qu’une bombe atomique était réalisable, et il recommandait de
créer un « organisme consultatif » chargé de coordonner les travaux sur
l’uranium en URSS et de montrer aux savants soviétiques les données
obtenues par le NKVD sur le projet atomique des Occidentaux{2175}.
Mais Staline n’était pas convaincu et, en avril 1942, le savant
G. N. Flerov décida d’intervenir. Il écrivit à Staline pour lui expliquer ce
que pouvait être l’arme atomique et le convaincre de l’importance du
projet nucléaire. Il était certain que les Occidentaux y travaillaient, car les
publications scientifiques sur le sujet avaient cessé de paraître depuis mai.
En juin, Kaftanov exposa à Staline le contenu de la lettre de Flerov.
Certains ont affirmé à ce propos que l’information sur les travaux
nucléaires à l’étranger avait été bloquée par Beria{2176} et que Flerov
avait été obligé de passer par Kaftanov pour alerter Molotov et Staline.
D. Holloway, l’historien du projet nucléaire soviétique, a comparé cette
attitude de Beria à la réticence de Staline, au printemps 1941, à
reconnaître la menace d’une attaque allemande :
Il y a un parallélisme inquiétant entre l’entrée de l’Union soviétique
dans la Deuxième Guerre mondiale et la fin de la guerre. L’attaque
allemande prit Staline par surprise, malgré tous les renseignements
dont il disposait sur l’intention de Hitler. La bombe atomique
américaine prit aussi Staline par surprise, malgré les informations
détaillées sur le projet Manhattan qu’avait obtenues l’Union
soviétique{2177}.

Il est vrai que, dans l’esprit des dirigeants soviétiques, il était difficile
de comprendre que des savants transmettent de leur propre chef des
informations cruciales à une puissance étrangère, ce que faisaient Fuchs,
Pontecorvo et d’autres, par fanatisme communiste. Cette moisson qui
tombait du ciel dans l’escarcelle du NKVD et du GRU était en quelque
sorte trop belle pour être vraie.
Le 20 juin 1942, Churchill et Roosevelt convinrent de créer un
partenariat anglo-américain pour fabriquer la bombe atomique et, le
13 août, naquit le projet « Manhattan ». In fine, c’est Kaftanov qui réussit
à convaincre Staline. Le 28 septembre 1942, le GKO ordonna la relance
des recherches sur l’uranium, la supervision de ce domaine étant confiée à
Molotov. Il ne s’agissait encore que de travaux théoriques et Pervoukhine
conseilla à Molotov de montrer à des savants les documents obtenus par le
renseignement{2178}. Le problème pour les dirigeants soviétiques était de
trouver un savant de confiance qui acceptât de coopérer avec le NKVD.
Cet organisme disposait déjà à l’époque d’une abondante moisson de
données scientifiques dont il était incapable de mesurer la valeur. Or des
académiciens prestigieux, tels A. Ioffe, V. Khlopine et P. Kapitsa, ne
manifestaient guère d’enthousiasme pour ce rôle. Certains savants comme
Vernadski et Kapitsa étaient même d’avis que seule une coopération
ouverte des Soviétiques avec les Anglais et les Américains permettrait de
fabriquer l’arme nucléaire. En octobre 1942, Vernadski suggéra à Staline
de lancer cette coopération avec les savants occidentaux en s’adressant à
Niels Bohr et en demandant aux gouvernements alliés d’inaugurer un
programme atomique commun. Kapitsa était même d’avis de confier la
direction du programme nucléaire soviétique à Niels Bohr. Staline
répondit que les savants étaient naïfs s’ils s’imaginaient que les
gouvernements occidentaux partageraient des données sur une arme qui
pouvait permettre de s’assurer la domination mondiale. Mais il autorisa
des contacts officieux avec les savants occidentaux au nom de leurs
homologues soviétiques{2179}.
C’est en définitive le jeune physicien Igor Kourtchatov, le protégé de
Ioffe, qui fut choisi. En octobre, Kaftanov le fit venir de Kazan et le
chargea de rédiger une évaluation des renseignements fournis par le
NKVD et le GRU. Et ce n’est que fin 1942 que les données obtenues par le
renseignement furent soumises à l’expertise de physiciens. Dans une note
à Molotov, datée du 28 novembre, Kourtchatov rendit ses premières
conclusions : l’Angleterre et l’Amérique avaient pris de l’avance sur
l’URSS dans le domaine de la fission de l’uranium et, comme l’apparition
de l’arme atomique était possible, l’URSS devait mettre les bouchées
doubles pour ne pas se laisser distancer par les Occidentaux. Le 11 février
1943, Staline lui confia la direction scientifique d’un Comité spécial
chargé de la production de l’énergie atomique à des fins militaires. La
supervision du Comité fut attribuée à Molotov avec pour adjoint Beria,
tandis que Boris Vannikov, ministre des Munitions, et Mikhaïl
Pervoukhine en étaient nommés vice-présidents. En février, après le raid
britannique contre la station norvégienne produisant de l’eau lourde,
Staline commença à prendre au sérieux le projet nucléaire. Le 10 mars,
après que Kourtchatov eut rendu une analyse détaillée des renseignements
collectés par le NKVD, concluant qu’il ne s’agissait pas de
désinformation, fut créé l’Institut de l’énergie atomique, le fameux
« laboratoire n° 2 », dirigé par Kourtchatov.
Dès lors, Beria talonna ses agents aux États-Unis pour qu’ils se
concentrent sur le projet nucléaire et ne cessa d’exprimer son
mécontentement de la lenteur des progrès réalisés ; en effet, la plus grande
partie des renseignements obtenus continuait à provenir de
Londres{2180}. À l’été 1943, Beria entreprit de persuader Staline de
mettre le GRU à l’écart de la question nucléaire, pour éviter le
recrutement des mêmes agents par les deux services : le NKGB avait de
quoi être jaloux puisque l’essentiel des renseignements avait été obtenus
par le GRU{2181}. En juillet, Beria obtient gain de cause : le NKGB reçut
la haute main sur l’espionnage atomique et le GRU fut obligé de lui
transférer ses agents{2182}. Fitine ordonna à Zaroubine d’obtenir des
résultats rapides. Beria décida d’avoir recours à un réseau d’influence en
même temps qu’à l’espionnage traditionnel mené par les officiers Anatoli
Yatskov et Alexandre Feklissov. Le réseau d’influence, confié à Liza
Zaroubina, eut pour tâche de convaincre les savants américains de
coopérer par antifascisme{2183}. En février 1944, le MGB n’avait encore
aucune source au sein du projet Manhattan, mais bientôt commença l’âge
d’or du renseignement soviétique. En août 1944, Fuchs fut transféré de
Grande-Bretagne à Los Alamos et, en octobre, le jeune physicien Theodore
Hall offrit de lui-même ses services aux Soviétiques. Le 10 novembre, une
résidence spécialisée dans l’espionnage nucléaire fut créée à New York
sous la direction de Kvasnikov. En mars 1945, les progrès soviétiques
étaient considérables et le MGB avait trois agents infiltrés à Los Alamos :
Klaus Fuchs, Theodore Hall et David Greenglass, et deux agents à Oak
Ridge, la « cité du plutonium » où se trouvait l’usine de diffusion gazeuse.
En février 1944, le Groupe S, qui coordonnait l’espionnage atomique du
GRU et du NKGB, fut formé au sein du NKGB, avant d’être, en septembre
1945, transformé en Département S dirigé par Soudoplatov. Ce
Département coopérait étroitement avec les physiciens Kourtchatov,
Kapitsa, Kikoin, Ioffe et Alikhanov{2184}. Les services spéciaux firent
parvenir en URSS environ dix mille pages de données techniques sur les
programmes atomiques américains et anglais. Hall fournit une
documentation sur le concept de l’implosion au plutonium. Fuchs livra des
renseignements sur la séparation de l’uranium par diffusion gazeuse ou
électromagnétique, puis sur le développement du plutonium et le
mécanisme de l’implosion ; il donna une description technique détaillée
de la bombe à uranium lâchée sur Hiroshima ; et, en mars 1948, il
transmettra aux Soviétiques des données sur une superbombe à hydrogène.
Cela permit d’énormes économies et procura un important gain de temps à
l’URSS qui apprit par ses espions les limites d’une bombe à l’uranium et
put tout de suite passer au plutonium avec un mécanisme de détonation à
implosion{2185}.
Le 29 septembre 1944, Kourtchatov demanda à Beria d’élargir les
effectifs du projet nucléaire soviétique, qui n’employait alors qu’une
centaine de personnes{2186}. Il lui suggéra en quelque sorte de prendre la
responsabilité de l’organisation des recherches sur l’uranium. Le
8 décembre 1944, une résolution du GKO confia au NKVD la
responsabilité de tous les programmes d’extraction et de production de
l’uranium, qui dépendaient jusque-là du ministère des Métaux non
ferreux{2187}.
Une nouvelle étape fut franchie le 28 février 1945, lorsque Merkoulov
rédigea pour Beria un rapport sur l’état des travaux américains sur la
bombe atomique, où il concluait que l’arme atomique était réalisable et
prévoyait que les Américains feraient exploser leur première bombe dans
un délai de un à cinq ans. Dès avril 1945, avant la prise de Berlin, Beria
donna l’ordre de transformer un sanatorium sur la côte de la mer Noire en
institut de recherche. Deux de ses envoyés, A. Zaveniaguine, vice-ministre
du NKVD, et V. Makhnev arrivèrent à Berlin et se mirent à recruter des
savants allemands et à les dénicher dans les camps de concentration où
d’autres branches du NKVD les avaient jetés. À la mi-mai, une mission
soviétique dirigée par Zaveniaguine se rendit en Allemagne pour glaner
les trophées du projet nucléaire allemand. Mais les Américains avaient
précédé les Soviétiques qui parvinrent toutefois à s’emparer de cent tonnes
d’oxyde d’uranium et à repérer quelques groupes de savants allemands –
le physicien Manfred von Ardenne et son équipe, par exemple –, qui furent
transférés en URSS en mai-juin{2188}. De 1945 à 1955, trois cents
savants allemands travaillèrent au programme nucléaire soviétique.
Les savants allemands tombés dans les filets du NKVD furent installés
en URSS, de gré ou de force. Mais, par souci du secret, l’URSS laissa
échapper des occasions en or. En décembre 1944, le savant communiste
français Frédéric Joliot-Curie proposa à l’ambassadeur Bogomolov une
collaboration franco-soviétique dans le domaine nucléaire. Le NKGB lui
envoya un émissaire avec un questionnaire technique établi par
Kourtchatov et Beria rendit compte à Staline des résultats de ce contact.
Mais les Soviétiques refusèrent la coopération proposée parce qu’ils
désiraient garder le secret sur leur programme, ce qui ne les empêchait pas
de vouloir exploiter Joliot-Curie comme source de renseignements. Le
25 juin 1945, le savant français fit une nouvelle tentative, proposant une
collaboration entre son groupe et l’Académie des sciences de l’URSS,
voire une fusion de la recherche nucléaire française et soviétique. Les
Soviétiques auraient accepté si les savants français avaient pu être
installés en URSS sans droit de sortir du territoire soviétique. Or ce n’est
pas ce que Joliot-Curie envisageait : il souhaitait un financement
soviétique et une assistance dans l’obtention des matières premières en
échange de l’expertise française ; les travaux de recherche devaient être
situés en France. L’initiative de Joliot-Curie tourna donc court{2189}. À
ce moment, Staline ne semblait toujours pas avoir compris l’importance
de la bombe. Lorsqu’en mai 1945 Pervoukhine et Kourtchatov lui
adressèrent un mémorandum pour demander l’accélération du travail sur
le projet nucléaire, le Politburo ne réagit pas. Toutefois le NKVD mit sous
surveillance les laboratoires et les entreprises travaillant sur l’uranium en
territoire allemand, attendant de les démonter pour les transférer en
URSS{2190}.
Le tournant eut lieu à partir du 16 juillet 1945, quand les Américains
firent exploser la première bombe atomique. Staline réagit
immédiatement, selon le témoignage de Sergo Beria :

Il était revenu mécontent de Potsdam. Après la fin de la conférence, il


convoqua mon père, Serov et d’autres gens qui étaient liés à ce projet,
notamment ceux qui participaient à la rafle des savants en
Allemagne. Il leur demanda calmement de l’informer de l’état global
de nos travaux consacrés à l’arme atomique ; il pria mon père de
rédiger un mémorandum contenant ses propositions pour accélérer la
fabrication de la bombe atomique. Il donna l’ordre de mobiliser
toutes nos ressources pour parvenir à ce but : toute notre économie
devait être subordonnée à ce projet prioritaire{2191}.

Dès juin 1945, Kourtchatov et Ioffe avaient demandé à Staline de


désigner Beria à la tête du projet atomique soviétique{2192}. Comme il
lui fallait des résultats rapides, l’urgence de la tâche décida le maître du
Kremlin à confier le projet nucléaire à Beria. Le 20 août, le GKO créa le
Comité spécial chargé de travailler à la bombe, une sorte de « super-
ministère », de « politburo atomique », pour reprendre l’expression de
Jaurès Medvedev{2193}. Il était présidé par Beria et constitué de
Malenkov, Voznessenski, Zaveniaguine, Kourtchatov, Kapitsa, Makhnev et
Pervoukhine. Il disposait d’un organe exécutif, la Première Administration
principale (PGU) auprès du Sovnarkom, dirigée par Vannikov, et
subordonnée au Comité{2194}. En 1950, le PGU emploiera 700 000
personnes – dont plus de la moitié étaient des détenus{2195}. Le Comité
spécial sera liquidé le 26 juin 1953, jour de l’arrestation de Beria. Au sein
du Comité spécial, le Bureau n° 2 dirigé par Soudoplatov fut chargé de la
collecte du renseignement. Staline prévint Vannikov : « Le projet doit
rester sous le contrôle du Comité central et doit fonctionner dans le plus
grand secret {2196}. »
Le 28 août 1945, le Centre câbla au résident aux États-Unis que la
collecte des renseignements sur l’arme nucléaire était la priorité absolue
de son activité dans ce pays « où les conditions pour cela sont
exceptionnellement favorables{2197} ». Staline ne cessait de craindre que
ses subordonnés n’en fassent pas assez, par crainte d’épuiser l’économie
soviétique exsangue après la guerre. Le 25 janvier 1946, il reçut
Kourtchatov en présence de Beria et Molotov et lui ordonna de mener ses
travaux « à une grande échelle, à la manière russe… toute l’assistance
nécessaire serait assurée{2198} ». Les thermomètres devinrent
introuvables en URSS, car tout le mercure disponible fut alloué au projet
nucléaire{2199}. Et, alors que le ministre de la Santé, E. I. Smirnov, se
plaignait de ce que les hôpitaux manquassent de médicaments, Staline
laissa tomber : « Smirnov connaît l’existence du projet nucléaire, il
devrait savoir où vont nos investissements{2200}. » Le Comité disposa
d’un financement illimité et d’un immense empire industriel et
scientifique. Il reçut en dot l’administration principale de la construction
industrielle du Goulag, plus tard appelée le Glavpromstroï – 13 camps
comprenant 103 000 détenus fin 1945 et 190 000 début 1946. Il pouvait
réquisitionner en priorité des ressources et des équipements dans tous les
secteurs de l’économie, d’où des conflits avec Voznessenski, président du
Gosplan{2201}. L’URSS commença alors à produire assez d’uranium pour
réduire ses importations, en particulier de Tchécoslovaquie, et le Goulag
de l’uranium s’étendit de l’Asie centrale à la Kolyma.
L’investissement de Beria dans l’espionnage nucléaire devint payant.
La fabrication de la bombe était son assurance-vie, le moyen d’abandonner
la Sécurité d’État en restant sain et sauf, comme en témoigne Sergo Beria :

Un jour que nous parlions de l’arme atomique je lui demandai :


« Pourquoi as-tu abandonné à d’autres le SMERCH, la Sécurité, pour
te consacrer au projet atomique ? » Il me répondit : « C’était le seul
moyen de me débarrasser de ces terribles structures », ajoutant avec
reproche : « Tu as vingt ans, tu devrais le comprendre. C’était le seul
moyen de rester en vie dans ce système »{2202}.

À partir de l’automne 1945, le projet nucléaire absorba les trois quarts


du temps de Beria et il obtint des résultats. En 1946, un combinat de
production de plutonium fut construit dans l’Oural. Le 9 avril 1946, fut
créé le Bureau d’études n° 11, l’équivalent soviétique de Los Alamos, dont
les missions furent définies par une résolution du Conseil des ministres du
21 juin : construction de deux bombes devant être prêtes à l’essai en 1948.
En décembre, l’URSS se dota de son premier réacteur expérimental, en
1947, elle commença à produire de l’uranium, à la mi-juin 1948, le
premier réacteur industriel entra en fonction, et, le 29 août 1949, l’URSS
fit exploser sa première bombe A, une bombe au plutonium copiée sur
celle larguée par les Américains à Nagasaki. À l’été 1949, Staline décida
de créer de nouveaux centres atomiques parallèles, mieux protégés contre
les bombardements{2203}. En 1950, l’URSS entreprit de se constituer un
arsenal nucléaire et commença à travailler à la bombe H. Le 24 septembre
et le 18 octobre 1951, elle testa deux bombes de conception
originale{2204}. En 1952, cinq réacteurs industriels supplémentaires
furent mis en service et l’uranium était extrait dans quatorze sites. Beria
fut aussi chargé de la construction des missiles et, à partir de 1951, de la
défense antiaérienne de Moscou – le système « Berkut ».
Beria était-il fier de son rôle dans la construction de la bombe atomique
soviétique ? En 1952, il ordonna à des proches de commencer à travailler à
la rédaction d’une histoire du projet nucléaire soviétique, tout en leur
recommandant le secret absolu. Il ramassa les documents rassemblés par
ses collaborateurs et les plaça dans son coffre-fort{2205}. Même les
adversaires les plus implacables de Beria lui reconnaissaient des dons
d’administrateur remarquables et une capacité de travail peu commune.
« Les dirigeants du Parti et de l’État étaient persuadés dur comme fer que
toute tâche confiée à Beria ne pouvait qu’être couronnée de succès », se
rappelle N. Baïbakov, le ministre de l’Énergie{2206}. « Tout ce qui
dépendait de Beria devait fonctionner avec la précision et l’exactitude
d’une montre{2207}. » I. V. Golovine qui a travaillé avec lui se souvient :

Beria était un organisateur hors pair, énergique et consciencieux. S’il


vous prenait un texte durant la nuit, le lendemain matin il vous le
rendait avec des remarques sensées et des proposions valables. Il
avait un bon jugement sur les hommes, il vérifiait tout lui-même et il
était impossible de lui cacher une erreur{2208}.

Le ministre de l’Agriculture, I. A. Benediktov, était du même avis, se


rappelle l’académicien Petrossiantz :

Malgré ses défauts évidents, Beria était doué d’une volonté puissante.
C’était un organisateur de talent. Il allait vite au fond des choses et
savait distinguer l’essentiel de ce qui était secondaire{2209}.

C’était un homme hautement intelligent qui avait une bonne intuition


de la technique. […] De tous les membres du Politburo et des autres
dirigeants de haut rang c’est Beria qui avait la plus grande culture en
matière de technique{2210}.

Même Kapitsa, avec lequel il eut des mots, le reconnut : « [Beria] est
très énergique, réagit au quart de tour, sait parfaitement distinguer
l’essentiel du secondaire, et a incontestablement le goût de la
science{2211}. »
Ce n’est donc pas par la seule terreur que Beria fit marcher son empire,
comme le note P. Soudoplatov, autre collaborateur proche de Beria : « Il
avait le don singulier d’inspirer à la fois la crainte et
l’enthousiasme{2212}. » Dans tous les secteurs placés sous sa
supervision, les arrestations étaient plus rares qu’ailleurs :

Dès que nous fûmes placés sous la tutelle du NKVD, les arrestations
des employés prirent pratiquement fin, à tous les niveaux. […] Après
la guerre notre ministère fut retiré à Beria et les arrestations reprirent
de plus belle,

témoigna V. I. Novikov, qui était chargé de la production de l’artillerie


pendant la guerre. Le savant Ju. B. Khariton se souvient que

Beria était tolérant avec nous et extrêmement poli… S’il fallait au


nom de notre tâche entrer en conflit avec les dogmes idéologiques, il
n’hésitait pas à le faire. Si Molotov était resté le patron du projet,
nous n’aurions pas remporté de succès aussi éclatants{2213}.
Beria n’hésitait pas à encourager l’esprit d’initiative chez ses
subordonnés. Andreï Sakharov raconte qu’à la fin d’une audience chez
Beria celui-ci lui dit soudain à l’improviste : « Peut-être avez-vous des
questions à me poser ? » Le jeune Sakharov demanda : « Pourquoi
sommes-nous continuellement en retard par rapport aux États-Unis et
d’autres pays, pourquoi perdons-nous la compétition technique ? » Beria
répondit : « C’est parce que notre recherche scientifique manque de
support industriel. Tout dépend d’Electrosila [usine de construction
électrique à Leningrad]. Les Américains ont, eux, des centaines de firmes
avec des moyens matériels puissants. » Sakharov achève ainsi son récit :
« Il me tendit la main… C’est à ce moment que je pris conscience, me
semble-t-il, que je parlais avec un homme effroyable. Cela ne m’était pas
venu à l’esprit jusque-là, et je m’étais comporté tout à fait
librement{2214}. » Beria voulait se rendre populaire auprès des savants et
enjoignit à Soudoplatov de les inviter à des dîners bien arrosés, d’être leur
ange gardien et celui de leurs proches{2215}. Et il s’arrangea pour que
« ses » savants fussent soignés par les médecins du Kremlin{2216}.
Beria savait choisir les hommes : « Parmi les chercheurs dont mon père
s’était entouré, on ne trouvera pas un seul fonctionnaire de la science : on
ne trouvera que des savants passionnés par la science », se souvient Sergo
Beria{2217}. C’est Beria qui introduisit le jeune Andreï Sakharov dans le
projet et l’imposa à ses collègues réticents. De même, il ferma les yeux
sur le pedigree souvent douteux, d’un point de vue communiste, de ses
collaborateurs. Ainsi Khariton, invité en 1943 par Kourtchatov à participer
au projet nucléaire{2218}, avait tout pour être pestiféré dans les
conditions soviétiques : son père était un journaliste cadet de renom,
expulsé par les bolcheviks en 1922, qui s’était installé en Lettonie et qui,
capturé par les Soviétiques après l’annexion des États baltes, était mort
dans un camp ; et sa mère vivait à Jérusalem. De surcroît, Khariton avait
séjourné en Angleterre en 1926, invité par Kapitsa, et travaillé au
laboratoire de Rutherford. Quant au physicien Lev Landau, il avait été
incarcéré, le 27 avril 1938, après avoir voulu distribuer des tracts critiques
contre le régime le 1er mai 1938. En avril 1939, le savant avait été libéré
sur intervention de Kapitsa qui s’était porté personnellement garant pour
lui{2219}. Beria fit confier à son secrétariat personnel les dossiers de tous
les savants impliqués dans le projet et interdit à quiconque d’accéder à ces
dossiers sans son autorisation{2220}. Le Département S avait le monopole
des écoutes des savants et fit preuve d’un libéralisme peu commun : ainsi
Landau ne se gênait pas pour taxer en privé le régime soviétique de
« fasciste » et se plaindre d’être un « savant réduit en esclavage{2221} »,
mais tout ceci resta enseveli dans son dossier. Les savants appréciaient
surtout qu’en cas d’accident ou d’échec, Beria ne criait pas au
« sabotage », préférant prêter l’oreille aux explications de Kourtchatov ou
d’autres spécialistes{2222}.
Bien sûr Staline continuait à se méfier et ne cessait d’exprimer des
doutes : « Êtes-vous sûr de réussir ? Peut-être tout cela va-t-il donner un
flop. Est-ce que vous n’êtes pas en train de perdre du temps et de l’argent
pour rien{2223} ? » Lorsque Staline reçut Kourtchatov, le 25 janvier 1946,
il ne manqua pas de demander « pour qui travaillaient » les savants Ioffe,
Alikhanov et Kapitsa. Avaient-ils bien le souci de l’intérêt
national{2224} ? Sergo Beria rapporte que son père eut bien du mal à
protéger « ses » savants, exposés à la jalousie et aux délations de leurs
collègues plus âgés ainsi qu’aux intrigues d’Abakoumov toujours à
l’affût{2225}.
Beria sut se faire apprécier des savants, à l’exception de Kapitsa qui
demanda à Staline, le 25 novembre 1945, d’être soustrait à sa férule :
« Beria joue les chefs d’orchestre et brandit sa baguette. Mais un chef
d’orchestre ne doit pas seulement brandir sa baguette, il doit comprendre
sa partition{2226}. » Son mécontentement était peut-être dû à
l’interdiction qui venait de lui être signifiée par Soudoplatov de coopérer
avec les savants américains sur le projet atomique, comme le
proposeraient Byrnes et Harriman lors de la conférence de Moscou en
décembre 1945. Kapitsa tomba en disgrâce en août 1946{2227}.
La plupart des savants qui rencontrèrent Beria « n’ont pu manquer de
rendre hommage à son intelligence, à la puissance de sa volonté et à sa
ténacité », se rappelle Khariton{2228}. Il régnait dans les laboratoires du
projet atomique une liberté d’esprit exceptionnelle en URSS. En 1947, le
général N. I. Pavlov, qui supervisait l’Institut Kourtchatov depuis le
8 mars 1946 pour le compte du gouvernement, s’avisa que Kourtchatov
devait adhérer au Parti car il était anormal, du point de vue soviétique,
qu’un organisme de cette importance fût dirigé par un sans-parti. Lorsqu’il
en parla à Kourtchatov, celui-ci demanda : « Et qu’en pense Lavrenti
Pavlovitch ? S’il est d’accord, j’adhérerai. » Pavlov appela Beria et,
lorsqu’il lui annonça qu’il avait recommandé à Kourtchatov d’adhérer au
Parti, Beria l’interrompit : « Ne faites pas pression sur lui{2229} ! » À la
fin des années 1940, alors que les zélateurs du Parti s’apprêtaient à lancer
un assaut contre la mécanique quantique et la théorie de la relativité,
Khariton prévint Beria de la menace pesant sur le projet nucléaire. Beria le
rassura : « Nous ne permettrons pas à ces merdeux de nous mettre des
bâtons dans les roues{2230}. » En 1949, la conférence destinée à instaurer
l’orthodoxie marxiste en physique fut annulée. Staline le prit avec
philosophie : « Qu’on les laisse en paix. On pourra toujours les fusiller
plus tard{2231}. » Après le triomphe des théories de Lyssenko en 1948,
Beria parvint à sauver la génétique soviétique en abritant les biologistes
« dissidents » sous l’aile du projet atomique. Une oasis de la recherche en
génétique survécut dans une zone fermée de l’Oural, le laboratoire du
biologiste N. V. Timofeev-Resovski. D’autres biologistes trouvèrent un
refuge à l’Institut de physique chimique. Une section biologique fut créée
au sein de l’Institut de l’énergie atomique{2232}. Les purges antisémites
qui se déchaînèrent à partir de 1949 ne touchèrent pas l’empire de Beria.
Ainsi Abakoumov ne réussit pas à faire arrêter S. M. Sandler, vice-
ministre de l’Aviation, qui était un protégé de Beria{2233}. Le 23 octobre
1950, le fils de ,Jdanov lança une attaque en règle contre le « choix
tendancieux des cadres selon le critère national » dans le domaine de la
physique, citant les noms de Landau, Leontovitch, Frenkel, Livchitz et
d’autres{2234}. En vain. Après que, le 16 janvier 1953, au sommet de la
campagne antisémite, Youri Jdanov, revenant à la charge, s’en fut pris dans
la Pravda aux théories d’Einstein, Beria parvint à convaincre Malenkov de
faire paraître dans la revue Voprosy Philosophii un article du physicien
Fok défendant la relativité{2235}. Après sa chute, il sera d’ailleurs
reproché à Beria d’avoir « contaminé les cadres de l’Académie des
sciences en protégeant tous les Juifs louches n’inspirant pas
confiance{2236} ».
Si l’on en juge par les rapports de ses services de renseignements, Beria
s’intéressait aussi aux implications politiques de l’arme atomique. Robert
Oppenheimer, en particulier, semble avoir retenu son attention. Beria
s’était fait remettre personnellement par Fitine, le 19 octobre 1945, une
note résumant la position du physicien américain pour qui le secret de
l’arme nucléaire ne devait être révélé que si une coopération s’instaurait
entre les États. Selon lui, des négociations internationales sur l’énergie
atomique étaient indispensables et, si les États-Unis choisissaient
l’isolationnisme en matière nucléaire, ils se priveraient de l’appui des
savants. Pourtant Oppenheimer avait soutenu le May-Johnson Bill du
3 octobre 1945 qui donnait le contrôle du projet nucléaire aux militaires et
qui instaurait des règles de sécurité rigoureuses{2237}, alors que, selon
les informations de Beria, Oppenheimer était alors disposé à travailler en
URSS{2238}.
En 1944-1945, Beria adressa à Staline plusieurs documents ou rapports
dans l’espoir d’infléchir sa politique. Le 28 novembre 1945, il lui envoya
un compte-rendu des deux rencontres entre Yakov Terlecki, l’émissaire du
MGB, et le savant danois Niels Bohr, qui avaient eu lieu à Copenhague les
14 et 16 novembre. Il citait les propos de Niels Bohr :

Nous devons envisager un contrôle international sur tous les pays.


C’est le seul moyen de se garantir de la bombe atomique. Toute
l’humanité doit comprendre qu’avec la découverte de l’énergie
atomique le destin de toutes les nations devient étroitement
interdépendant. Seule la coopération internationale, l’échange des
découvertes scientifiques, l’internalisation des succès scientifiques
peuvent mener à l’élimination des guerres, ce qui revient à
l’élimination de la nécessité même d’utiliser la bombe atomique. […]
J’insiste sur le fait que tous les savants qui ont travaillé sur le
problème atomique, sans exception, Anglais et Américains compris,
s’indignent de ce que les grandes découvertes deviennent la propriété
d’un groupe de politiciens. Tous les savants sont convaincus que cette
grande découverte doit devenir la propriété de toutes les nations et
servir au progrès sans précédent de l’humanité. L’énergie atomique
ne peut pas rester la propriété d’une nation, parce qu’un pays qui n’en
a pas encore le secret peut très vite le découvrir de façon
indépendante. Et ensuite ? Ou bien la raison l’emporte, ou c’est une
guerre dévastatrice, qui ressemble à la fin de l’humanité{2239}.
Terlecki avait obtenu ces entrevues avec Niels Bohr grâce à une lettre de
recommandation de Kapitsa rédigée le 22 octobre 1945 à la demande de
Beria. Bohr avait prévenu les services de renseignements danois,
américains et anglais de la rencontre{2240}.
La réussite du projet atomique dissipa un temps les nuages qui
s’amoncelaient au-dessus de la tête de Beria, au grand dépit de ses rivaux
et ennemis :

Vlassik me dit que, lorsque l’essai de la bombe atomique eut lieu, il


comprit qu’il était foutu. Il savait que Staline se retournerait vers
Beria, qu’il le croirait sincère et indispensable. Auparavant Beria
était pratiquement en disgrâce : pendant un temps Staline ne le
recevait pas à sa datcha. Ses gens étaient assignés à résidence{2241}.

Et Vlassik de poursuivre :

Beria rentra en grâce auprès de Staline en 1950 au moment où Staline


se reposait dans le Midi. Il était venu le voir pour lui faire un rapport
sur la réalisation du projet confié au Premier Comité spécial et il
avait apporté un film sur les essais de notre bombe soviétique qui
venaient d’avoir lieu{2242}. Ce fut un tournant dans les relations
entre Staline et Beria. Depuis deux ans, Staline ne cachait pas le peu
de cas qu’il faisait de Beria. Après cela, Beria retrouva ses bonnes
dispositions. Staline soulignait que seule la participation de Beria
avait pu entraîner des résultats aussi brillants. Staline rendit aussi sa
faveur aux hommes de Beria, Merkoulov et Koboulov. Merkoulov fut
nommé à la tête du Contrôle d’État. Goglidzé et Tsanava retrouvèrent
aussi au sein des organes de sécurité d’État les postes qu’ils avaient
perdus après des rapports défavorables que j’avais faits sur eux à
Staline. Ils se vengèrent cruellement de moi{2243}.

Beria l’avait échappé belle : « Vlassik disait : “Si j’avais pu tenir encore
dix à quinze jours, Beria aurait été arrêté”{2244}. » Cependant, le répit
gagné grâce à la bombe fut de courte durée.

19

La guérilla au sommet
Staline contre le Politburo

Les grandes affaires qui secouèrent l’oligarchie du Kremlin de 1949 à la


mort de Staline semblent si obscures et d’une complication si byzantine
qu’elles découragent toute tentative d’investigation rationnelle. D’ailleurs,
cela vaut-il la peine de se plonger dans ces miasmes ? Que peut apporter
une telle étude, sinon un aperçu plus en profondeur de la paranoïa de
Staline et de la turpitude qui imprégnait le système de part en part ?
Pourtant ces affaires ne doivent pas être ignorées, car elles peuvent fournir
une clé à la politique de l’URSS, y compris à la politique étrangère, durant
les dernières années du règne de Staline, les plus difficiles à interpréter
tant les signaux du Kremlin furent contradictoires pendant cette période.
Chaque grande affaire fut un bras de fer entre les différents groupes qui
rivalisaient au sein du cercle du Kremlin, et leurs satrapes locaux, dans les
républiques et les démocraties populaires. Le vainqueur serait celui qui
arriverait à s’assurer le contrôle de l’enquête afin de la diriger contre ses
ennemis tout en la détournant de ses propres vassaux – ou, dans le pire des
cas, en sacrifiant ces derniers. Ceci explique les méandres souvent
imprévus qui caractérisèrent la préparation des grands procès staliniens.
L’opacité particulière de la fin de règne de Staline tient à plusieurs
facteurs. Le premier est évident : Staline a toujours avancé vers ses
objectifs par des voies extraordinairement détournées et il a toujours
signifié son programme d’action dans un langage codé. Depuis la fin de la
guerre, il redoublait de précautions parce que le rapport des forces au sein
du cercle étroit du pouvoir avait évolué et ne lui était plus aussi favorable.
Il le savait, mais avec l’âge il perdit la main et commit des erreurs. Il ne
tint pas assez compte du fait que ses collègues du Politburo le
connaissaient par cœur et avaient appris à anticiper ses manœuvres. Or ils
étaient bien décidés à ne pas se laisser cueillir les uns après les autres,
comme Staline l’avait fait avec les vieux bolcheviks. Même s’ils se
haïssaient, ils se serraient les coudes. Et puis ils avaient appris à le
manipuler.
Dès que Staline fit mine d’envisager comme dauphins éventuels les
« jeunes » de Leningrad – Voznessenski et Kouznetsov –, promus après la
guerre pour rogner le pouvoir du noyau dur du GKO – le trio Malenkov-
Beria-Mikoïan –, les membres du Politburo comprirent que Staline
s’arrangerait pour leur dérober sa succession. En cela le dictateur commit
une imprudence : voyant que de toute manière ils n’avaient aucune chance
d’hériter du pouvoir, ses proches surmontèrent leurs rivalités et s’unirent
contre lui dans une solidarité nouvelle. Ce processus débuta à l’automne
1945, au moment des longues vacances de Staline. Et rien de ce qu’allait
entreprendre Staline ne put y faire durablement obstacle. Les Mémoires de
Khrouchtchev, de Mikoïan et de Sergo Beria attestent tous trois la manière
dont le Politburo finit par faire bloc contre Staline.
Staline avait vieilli. Sa méfiance avait encore augmenté, et il n’en
était devenu que plus dangereux. Mais nous n’étions plus non plus
comme avant, lorsque nous considérions que Staline voyait tout et
comprenait tout. Notre foi en lui était ébranlée{2245}.

Lorsqu’il se souvient de cette époque, Khrouchtchev utilise de manière


symptomatique le « nous » pour désigner le cercle étroit du Politburo,
oubliant un instant les rivalités ultérieures qui firent éclater le groupe.

Staline se permettait n’importe quoi. Nous disions parfois qu’un jour


il enlèverait son pantalon et se soulagerait à table et après nous dirait
que c’était dans les intérêts de la patrie{2246}.

Amer, Khrouchtchev poursuit :

Et nos vacances ? Plusieurs fois je dus me sacrifier. Beria me


consolait : « Il faut bien que quelqu’un se dévoue. » C’était un
supplice que de partir dans le Caucase avec Staline, et nous
considérions cela comme un châtiment, car il n’était plus question de
repos{2247}.

Cependant, Mgueladzé, qui n’a pas pardonné à Khrouchtchev d’avoir


déboulonné Staline, donne dans ses Mémoires un autre son de cloche :

Khrouchtchev s’arrangeait toujours pour prendre son congé en même


temps que Staline et il choisissait son séjour de vacances à proximité,
bien sûr pas par hasard. Il téléphonait souvent à Staline et se faisait
inviter à déjeuner ou à dîner. Il essayait d’être chez lui le plus
longtemps possible{2248}.

Staline perçut fort bien les dangers que comportait pour lui cette
alliance de ses intimes. « Il pouvait dire : “Pourquoi ne me regardez-vous
pas dans les yeux ? Votre regard me semble fuyant.” Et il le disait avec
une telle méchanceté ! », se souvient encore Khrouchtchev{2249}. À Beria
il lançait des remarques : « Enlève tes lunettes de serpent de tes yeux de
serpent{2250}. »
Le dictateur vieillissant finit par comprendre que Beria représentait
pour lui le principal danger. Car, livrés à eux-mêmes, ni le mou Malenkov,
ni le pitre Khrouchtchev, ni le souple Mikoïan, ni le dévoué Molotov, ni
l’ivrogne Boulganine ne constituaient une menace. L’âme du groupe était
Beria et Staline le sentait :

Il est si rusé et retors. Il s’est acquis la confiance du Politburo et eux


le défendent. Ils ne comprennent pas qu’il ne cesse de les rouler. Par
exemple Viatcheslav [Molotov] et Lazar [Kaganovitch]{2251}.

Beria était d’autant plus redoutable qu’il pouvait s’appuyer sur des
réseaux plus étendus et plus solides que ceux dont disposaient ses
collègues : il avait ses hommes au sein de la Sécurité d’État, il possédait
un fief territorial en Géorgie, et il était maître du gigantesque complexe
militaro-industriel chargé du projet nucléaire qui à lui seul représentait un
État dans l’État. Pour neutraliser Beria, Staline avait besoin du soutien des
autres membres du Politburo. Or ceux-ci étaient bien conscients que la
chute de l’un des leurs entraînerait celle des autres. Et puis la faveur de
Staline avait moins de prix aux yeux de ceux qui assistaient à sa déchéance
physique. Le déclin de sa capacité de travail était manifeste : en 1947, il
put consacrer 136 jours au travail, en 1950 seulement 73, en 1951 48 et en
1952 45 jours{2252}. Il avait d’embarrassants trous de mémoire,
rapportés avec méchanceté par les uns et les autres. Désormais nul ne
voulait se mettre à dos un puissant membre du Politburo, même pour
gagner la faveur de Staline, car le temps où le dictateur ne serait plus là ne
semblait plus si éloigné.
Déchiffrer les événements complexes des dernières années de la vie de
Staline implique de tenir compte de la lutte de Staline contre le Politburo,
des contre-offensives des membres du Politburo, et de la lutte pour la
succession qui s’amorçait déjà entre les principaux dirigeants du Kremlin.
Cette grille de lecture peut s’appliquer à la fois aux grandes affaires de
cette époque – l’affaire de Leningrad, l’affaire Abakoumov, l’affaire
mingrélienne, l’affaire du Comité antifasciste juif, l’affaire des « blouses
blanches », ainsi que les grands procès dans les démocraties populaires –
et à la politique étrangère de l’URSS qui offre tout autant un champ de
bataille aux protagonistes évoqués plus haut.

L’affaire de Leningrad.
En janvier 1949, Jemtchoujina, l’épouse de Molotov, fut arrêtée, victime
de ses relations avec le Comité antifasciste juif, et en mars Molotov fut
remplacé par Vychinski aux Affaires étrangères. Le communiste italien
Eugenio Reale revint fort déprimé de son séjour à Moscou durant ces
événements, désormais convaincu que Molotov n’était plus le dauphin
prévisible de Staline et que le mouvement communiste international aurait
à subir les retombées d’une dévastatrice lutte pour la succession au
Kremlin, comme à la mort de Lénine{2253}. Il ne se trompait pas. La
bataille était déjà engagée.
Le premier signe du déclin de Staline apparut au moment de l’affaire de
Leningrad, lorsque Malenkov et Beria réussirent à le persuader de se
débarrasser de ceux qu’il avait autrefois propulsés au Politburo pour diluer
les hommes du GKO : Voznessenski faisait pendant à Beria dans l’appareil
gouvernemental, et Kouznetsov à Malenkov dans l’appareil du Parti.
Le 25 décembre 1948 eurent lieu des élections à la conférence du Parti
de Leningrad. Une délation anonyme parvint au Comité central signalant
que ces élections avaient été truquées. Puis, du 10 au 20 janvier 1949, à
l’initiative de Malenkov, Leningrad organisa une foire pour écouler des
marchandises restées dans les stocks. Cette foire ne devait concerner que
la république de Russie, mais les autorités de Leningrad y invitèrent des
représentations d’autres républiques soviétiques – Kazakhstan, Géorgie,
Ukraine, Biélorussie, républiques baltes. Malenkov s’empressa d’adresser
un rapport à Beria, Voznessenski et Mikoïan où il soulignait que cette
décision avait été prise par le Conseil des ministres de la république de
Russie, à l’insu du Conseil des ministres de l’URSS. Il eut l’idée
d’exploiter les deux incidents pour faire croire à Staline que les dirigeants
de Leningrad étaient en train d’ourdir un complot au sein du Parti{2254}.
Au même moment, le 28 janvier, la Pravda donna le coup d’envoi de la
campagne contre les « cosmopolites sans patrie ». Entre ces deux
événements, aucun lien en apparence ; mais en réalité Malenkov était
aussi derrière l’article qui visait les critiques de théâtre juifs soi-disant
protégés par le clan Jdanov{2255}. Détail caractéristique du
fonctionnement byzantin de la bureaucratie soviétique : ces attaques qui
sur le plan idéologique étaient en apparence opposées – l’une stigmatisait
le nationalisme russe des dirigeants de Leningrad et l’autre leur
mansuétude à l’égard des « cosmopolites sans patrie » – visaient les
mêmes personnes. Malenkov avait décidé que le temps était venu
d’éliminer les favoris récents de Staline, Kouznetsov et Voznessenski,
dont l’ascension, en 1946, s’était faite à ses dépens. Pour lancer son
attaque, il profita de la mort, le 31 août 1948, d’Andreï Jdanov, le chef de
l’organisation du Parti de Leningrad depuis l’assassinat de Kirov en
décembre 1934, ce qui priva le groupe des Léningradois de son patron.
Dès le 28 janvier 1949, Kouznetsov perdit sa position au secrétariat du
Comité central. Le 15 février, les dirigeants de Leningrad – Kouznetsov,
P. S. Popkov et M. I. Rodionov – furent limogés pour « agissements
antiparti », accusés d’avoir tenu cette foire malencontreuse, d’avoir
opposé le Comité central à l’organisation du Parti de Leningrad, d’avoir
conservé leur clientèle à Leningrad et d’avoir gaspillé les deniers publics.
Popkov n’avait-il pas proposé en 1948 que Leningrad soit placée sous le
patronage de Voznessenski ? Celui-ci avait bien refusé mais n’avait pas
rapporté la chose au Comité central. Le précédent de Grigori Zinoviev et
sa prétendue tentative, en 1925, de transformer l’organisation du Parti de
Leningrad en « fraction antiléniniste », furent rappelés{2256}. Pire
encore, les responsables léningradois furent accusés « d’avoir voulu se
poser en défenseurs des intérêts de Leningrad, d’avoir calomnié le Comité
central en prétendant qu’il n’aidait pas l’organisation du Parti de
Leningrad{2257} ». Khrouchtchev dans ses Mémoires résume le crime
impardonnable des Léningradois : « On les accusa de vouloir opposer la
périphérie au centre{2258}. » Le président du Comité exécutif régional de
Leningrad, N. V. Soloviev, fut accusé d’être « un chauvin grand russe
enragé » parce qu’il avait proposé de créer un Bureau du Comité central de
la république de Russie{2259}. Or, selon Khrouchtchev, l’idée de créer un
tel bureau avait été défendue par Jdanov :

Peu de temps avant sa mort, je lui ai rendu visite [à Jdanov] et nous


avons eu une longue conversation. Il me dit : « Vous savez, la
Fédération de Russie est bien malheureuse – et j’étais bien du même
avis –. En Ukraine vous aviez votre Comité central […] et ici, en
Russie nous n’avons rien de tel. […] Il faut créer un bureau russe du
Comité central du PC. »{2260}

Soloviev fut aussi accusé d’avoir critiqué le chef de l’État alors qu’il
était responsable du Parti en Crimée.
Il ne restait plus qu’à enjoliver la partition : les Léningradois se seraient
plaints de la domination des Caucasiens dans la direction du pays, ils
auraient voulu déplacer le gouvernement de la république de Russie à
Leningrad{2261}. Le 21 février, Malenkov fut dépêché sur les lieux pour
« tirer les choses au clair » et communiquer aux activistes du Parti
léningradois la résolution du 15 février. Dans son réquisitoire, il accusa les
responsables de Leningrad de s’être appuyés sur leurs « patrons » à
Moscou – Kouznetsov et Voznessenski – pour faire aboutir leurs
demandes, derrière le dos du Comité central et du gouvernement.
Le mécanisme d’une purge ressemble à une boule de neige : autour du
noyau central des principaux accusés s’agglomèrent d’autres affaires,
chaque dirigeant soviétique essayant d’utiliser la purge à son profit – ou
plutôt de la diriger pour la contrôler – et d’y compromettre des rivaux
potentiels ou des ennemis personnels. C’est ainsi que la purge de
Leningrad emporta le groupe Voznessenski du Gosplan en même temps
que le groupe Kouznetsov.
Voznessenski avait beaucoup d’ennemis, car les intérêts du Gosplan et
ceux des ministères étaient souvent à l’opposé. Khrouchtchev attribue sa
chute aux intrigues de Beria :

C’est sa hardiesse qui l’a perdu, car il avait souvent des prises de bec
avec Beria au moment de la rédaction du plan. Beaucoup de
ministères dépendaient de Beria et il voulait leur attribuer la part du
lion des investissements, alors que Voznessenski souhaitait un
développement équilibré de l’économie du pays{2262}.

Beria s’était déjà opposé à Voznessenski pendant la guerre et il joua


sans aucun doute un rôle déterminant dans la chute du chef du Gosplan,
même si d’autres membres du Politburo qui haïssaient Voznessenski,
comme Mikoïan, contribuèrent à l’intrigue.
La discussion du plan pour 1948-1949 donna lieu à de grands
affrontements au sein du Politburo. Staline remarqua que les rythmes de
production baissaient toujours au premier trimestre et il se mit en tête
d’obtenir une hausse continue, contre les objections de certains membres
du Politburo qui expliquaient que cette baisse saisonnière était inévitable.
Voznessenski se vanta de réaliser cette hausse continue dans les ministères
dont il avait la tutelle et il rédigea un plan prévoyant même une
augmentation de la production au premier semestre. Kaganovitch, qui
présidait alors le Gosnab – l’organisme chargé de l’approvisionnement –,
l’accusa de baisser à dessein les objectifs du plan pour les ministères qui
dépendaient de lui. Il affirma que le Gosnab subissait les conséquences de
ces subterfuges manigancés par Voznessenski pour se faire bien voir en
haut lieu. Staline le chargea ainsi que Beria de mener une enquête sur cette
affaire et Beria en profita pour briser la carrière de Voznessenski. Le vice-
président du Gosplan avait adressé à ce dernier une note où il indiquait
que, selon les statistiques, la production du premier semestre était restée
inférieure à celle du semestre précédent. Voznessenski prit connaissance
de ce document et l’annota : « À archiver. » Beria se le procura par un de
ses agents au Gosplan et le mit sous le nez de Staline. Ce fut un beau
scandale. Staline écumait de rage : « Comment, Voznessenski trompe le
Politburo et nous roule tous comme des imbéciles{2263} ! »
Le 6 mars 1949, Kouznetsov et Rodionov furent expulsés de l’Orgburo.
Deux jours plus tard, Voznessenski fut chassé du Politburo et limogé de
son poste de vice-président du Conseil des ministres. Le Gosplan fut
accusé d’avoir maquillé les chiffres et « caché l’état réel des choses […]
pour tromper le gouvernement » ; on l’accusa de s’être entendu avec
certains ministères pour « baisser les capacités de production et les plans
économiques imposés aux ministères{2264} ». Le 23 mars, une résolution
de l’Orgburo créa le poste de « plénipotentiaire du Comité central »
détaché dans les ministères et les administrations centrales, indépendant
du ministre ou du responsable de l’administration en question : Staline
voulait avoir des yeux et des oreilles dans l’appareil gouvernemental et le
Gosplan fut la première cible de cette tentative d’hypercentralisation
typique de la fin du règne de Staline{2265}.
D’avril à juin 1949, les purges décimèrent l’appareil du Parti de
Leningrad et la répression s’abattit avant tout sur ceux qui avaient joué un
rôle dans l’organisation de la défense de la ville pendant la guerre, au
cours du blocus, entraînant même la fermeture du musée de la Défense de
Leningrad sans la moindre explication. La boule de neige continua de
grossir, d’autres thèmes apparurent et d’abord l’antisémitisme. Le
nouveau secrétaire, Vassili Andrianov, envoya à Malenkov une
dénonciation selon laquelle Popkov et Kouznestov auraient abandonné la
santé publique de Leningrad aux Juifs :

Notre patience est à bout, un Russe ne peut obtenir un emploi dans la


médecine à Leningrad qu’avec les plus grandes difficultés. Toutes les
postes-clés se trouvent aux mains des Juifs{2266}.
Le 4 août, Malenkov soumit cette lettre au Politburo. Déjà se dessinait
l’idée que les Juifs voulaient s’assurer le contrôle de la santé publique
pour réaliser leurs ténébreux desseins, thème qui sera orchestré par la
propagande officielle au moment du complot des « blouses blanches ».
Pour faire bonne mesure, on y ajouta l’espionnage et le 21 juillet, poussé
par Malenkov, Abakoumov accusa Ja. F. Kapoustine, un ancien secrétaire
du Parti de Leningrad, d’être un espion anglais. Kapoustine avait séjourné
en Angleterre en 1935-1936 et avait eu pour maîtresse une Anglaise. Il
n’en fallait pas plus pour convaincre Staline que c’était un espion.
Mais la vraie raison de la disgrâce des hommes de Leningrad apparaît
dans une note écrite de la main de Staline trouvée dans le dossier
d’accusation de Kouznetsov : « S’étant infiltré par la ruse au Comité
central, Kouznetsov plaçait partout des hommes à lui – de la Biélorussie à
l’Extrême-Orient, du Nord à la Crimée{2267}. » Or Staline avait la
hantise d’être dessaisi de la politique des cadres par l’un de ses proches.
Même au niveau régional, il voyait d’un très mauvais œil les tentatives de
patronage de ses collègues du Politburo. En cela l’affaire de Leningrad
préfigurait la future affaire mingrélienne.
Le 13 août 1949, en même temps que le groupe de Leningrad,
Kouznetsov fut arrêté dans le bureau de Malenkov qui procéda lui-même
aux interrogatoires, avec la grossièreté de rigueur, en insultant les détenus,
en tapant du poing sur la table et en trépignant{2268}. Kouznetsov fut
horriblement torturé et on lui brisa la colonne vertébrale. Le procès se
déroula sous le contrôle vigilant du MGB{2269} et, le 20 septembre 1950,
les accusés furent jugés. Les principaux d’entre eux seront fusillés le 1er
octobre{2270}. Voznessenski essaya de se démarquer des responsables de
Leningrad, les qualifiant de « Bonaparte au petit pied », de « Tito », et
niant tout lien avec le groupe. Mais il n’était plus qu’en sursis et, le
9 septembre, un rapport rédigé à l’instigation de Malenkov l’accusa
d’avoir égaré des documents secrets du Gosplan{2271}. On lui fit aussi
grief d’avoir fixé des objectifs trop bas pour le plan. Voznessenski fut
exclu du Parti et arrêté le 27 octobre. Là encore c’est Malenkov qui mena
l’enquête{2272}.
L’affaire de Leningrad créa une très grande tension dans le Parti et dans
le pays, bien que les purges aient eu lieu dans la discrétion. Plusieurs
éléments sont frappants, à commencer par le rôle moteur joué par
Malenkov dans ce premier épisode de la lutte pour la succession, quoi
qu’en ait prétendu Khrouchtchev :

J’ai l’impression que c’est Malenkov et Beria qui ont tout fait pour
les couler. Beria tirait les ficelles ; il utilisait Malenkov comme un
bélier, parce que celui-ci siégeait au Comité central et qu’il avait
accès à tous les documents et à toute l’information qui parvenait à
Staline{2273}.

Mais c’est bien Malenkov qui décida de faire tomber le couperet sur la
tête des Léningradois.
Le deuxième élément est l’étrange mixture idéologique qui nourrit cette
affaire, les Léningradois étant accusés à la fois de nationalisme russe, de
particularisme local, de manque de vigilance à l’égard des Juifs et, dans le
cas de Voznessenski, de volonté de tromper le Politburo. Ces accusations
n’avaient qu’un seul point commun : susciter une réaction furieuse de
Staline. On mesure ici la manière dont les membres du Politburo étaient
passés maîtres dans l’art de manipuler leur chef, surtout Malenkov qui y
excellait. Dès 1946, il avait deviné la faille du groupe de Leningrad aux
yeux de Staline : avoir organisé la résistance de la ville assiégée pendant
la guerre, livrée à elle-même et un temps à l’abri de la tutelle vigilante du
Politburo. Moins versés dans l’art de l’intrigue que Malenkov, les
Leningradois n’hésitaient pas à rappeler leurs exploits pendant la guerre,
sans comprendre que l’évocation d’une action solidaire non contrôlée par
Moscou pouvait leur coûter la vie. Tout comme les Juifs, ils étaient
coupables d’avoir particulièrement souffert pendant la guerre et de vouloir
s’en souvenir.
Pire encore aux yeux de Staline, ils prétendaient à cause de cela devenir
« une pépinière de cadres » pour toute l’Union soviétique. Ainsi
Kouznetsov avait déclaré dans un discours en janvier 1946 :

On peut dire sans exagérer que les Leningradois forment un


détachement avancé du peuple russe, eux qui ont vécu les plus dures
épreuves pendant la guerre. […] Nous devons nous efforcer d’obtenir
que des cadres leningradois soient nommés à la tête des organes du
Parti et de l’État dans tout le pays{2274}.

Malenkov vit l’avantage qu’il pouvait tirer de ces imprudences et, dès le
7 février, il fit écho au discours de son rival :

Le camarade Staline nous enseigne qu’il ne faut pas vivre sur les
acquis du passé et se reposer sur les lauriers des succès obtenus. Les
gens qui agissent de la sorte sont remisés aux archives par l’histoire
pleine de sagesse. Il y a chez nous des gens qui adorent évoquer leurs
mérites d’autrefois. Ils oublient que la modestie est une vertu et se
soucient peu de toutes les tâches qui restent à accomplir{2275}.

Avec son flair de courtisan, Malenkov sentit que Staline souhaitait


fermer au plus vite la parenthèse de la guerre, signifier aux Soviétiques
que leur héroïsme ne leur donnait aucun droit, et qu’ils n’avaient pas à
attendre un adoucissement du régime comme on le leur avait laissé espérer
pendant que l’URSS était menacée par la Wehrmacht. La résolution du
14 août 1946, stigmatisant les revues Zvezda et Leningrad, fut inspirée par
un homme de Malenkov, G. F. Alexandrov, et s’inscrit dans la même
logique : on reprocha à l’organisation du Parti de Leningrad de protéger
l’écrivain Mikhaïl Zochtchenko et la poétesse Anna Akhmatova dont
certaines œuvres avaient été publiées pendant la guerre. On signifiait ainsi
que ce qui était tolérable en temps de guerre ne l’était plus désormais.
Malenkov profita de cette disposition de Staline pour la canaliser contre
ses rivaux du groupe de Leningrad. Kouznetsov avait alors échappé au
piège tendu par ses adversaires, sans doute en imputant la faute des
déviations à Jdanov. Et c’est parce qu’il était visé par cette campagne que
Jdanov se crut obligé de se lancer dans une surenchère en se déchaînant
contre les malheureux écrivains.
Troisième élément apparent dans cette affaire : Staline fut manipulé par
ses proches, Malenkov surtout, qui connaissaient ses points faibles,
savaient comment le pousser à agir et comment s’arranger pour que, le cas
échéant, ses initiatives se perdent dans les sables. Ainsi Staline aurait-il
volontiers monté aussi une « affaire de Moscou ». Il dit à Khrouchtchev :

Les affaires vont mal à Moscou et très mal à Leningrad, où nous


avons arrêté un groupe de conspirateurs. Il y a aussi des conspirateurs
à Moscou et nous voulons que Moscou soit un appui pour le Comité
central{2276}.

Mais comme ses proches ne souhaitaient pas un élargissement


incontrôlé des purges, ils se débrouillèrent pour faire avorter le projet en
se bornant à créer une commission chargée d’enquêter sur G. M. Popov, le
premier secrétaire du PC de Moscou.
La chute des Leningradois consacra le retour en force du tandem
Malenkov-Beria, ce que Staline tenta de contrer en s’appuyant sur
Khrouchtchev et Boulganine. Mais le tandem prit le contrôle de la gestion
des affaires courantes du pays. De plus en plus affaibli par l’âge, Staline
était désormais incapable de tout superviser et était contraint de déléguer.
Dans l’appareil d’État et dans celui du Parti, on craignit désormais le
tandem presque autant que Staline. Beria surtout afficha son pouvoir :
selon un témoin, il arrivait en avance aux réunions du Conseil économique
ou du Présidium du Conseil des ministres, s’asseyait et disait en regardant
autour de lui : « À qui allons-nous coller un blâme aujourd’hui{2277} ? »
L’affaire Abakoumov.
En 1951-1953, l’affrontement feutré entre Staline et le Politburo se
doubla d’une lutte souterraine entre les diadoques potentiels. Malenkov
semblait avoir le plus de succès dans cette lutte sournoise, peut-être parce
qu’il savait détourner à son profit les manœuvres de Staline contre Beria.
Selon le témoignage de Stepan Mamoulov, le secrétaire de Beria,
Malenkov et Beria se haïssaient de longue date et leur alliance n’était
qu’apparence{2278}. Malenkov joua le rôle principal dans l’élimination
du groupe de Leningrad, en accord avec les anciens du Politburo –
Khrouchtchev, Beria et Mikoïan – qui voyaient d’un fort mauvais œil
l’ascension fulgurante des nouveaux venus. C’est aussi Malenkov qui
manigança la chute d’Abakoumov et persuada Staline de le remplacer par
un homme à lui, S. D. Ignatiev. Dans ces intrigues complexes, le jeu le
plus trouble a donc été celui de Malenkov. En apparence allié à Beria, il ne
souhaitait pas que Staline se débarrasse de celui-ci, mais il profita des
manœuvres anti-Beria de Staline pour se pousser en avant, souvent au
détriment de son collègue géorgien.
Staline ne tarda pas à comprendre que l’élimination des Leningradois
avait renforcé le tandem Beria-Malenkov. En avril 1950, afin d’y porter
remède, il procéda à une nouvelle réorganisation du Conseil des ministres
en créant un « Bureau du présidium du Conseil des ministres de l’URSS »
présidé par lui-même, avec Boulganine pour premier adjoint. Beria,
Kaganovitch, Mikoïan et Molotov furent nommés vice-présidents, mais,
en cas d’absence de Staline, Boulganine présidait les séances du Bureau.
Staline se trouvait face à son dilemme habituel : comme il considérait que
la guerre était proche, il devait laisser subsister et même se renforcer le
clan des technocrates dont pourtant il se méfiait de plus en plus. La
panacée à ses yeux était le contrôle sur la Sécurité d’État, qui fut son idée
fixe durant ses dernières années. Ainsi, lors d’une rencontre avec Enver
Hodja, en avril 1951, Staline donna ce conseil au chef communiste
albanais venu chercher des instructions : « L’essentiel est de purger le
Parti des ennemis et de renforcer les organes de la Sécurité
d’État{2279}. »
La disgrâce d’Abakoumov donna le signal de cette guerre ultime
déclenchée par Staline contre ses proches. Depuis quelque temps, la
situation d’Abakoumov n’avait rien d’enviable ; d’un côté, il était talonné
par Staline pressé de monter des affaires contre les dirigeants du
Politburo ; de l’autre, il craignait de s’attirer la vindicte de ces derniers
alors que les jours du dictateur semblaient comptés. En 1945-1946,
Abakoumov n’avait pas hésité à s’attaquer à des proches de Beria et
Malenkov pour plaire à Staline ; mais, à partir de 1949, il se montra
beaucoup plus réticent, craignant de se mettre à dos les successeurs
potentiels. Lorsque Staline apprit qu’il ménageait Jemtchoujina, l’épouse
de Molotov, il le convoqua et lui fit une scène, l’accusant « de servir deux
maîtres{2280} ».
Les intrigues dans les démocraties populaires ajoutèrent encore aux
dilemmes d’Abakoumov. La rupture de Staline avec Tito, en 1948,
exacerba les luttes de clans au sein des partis communistes. Rakosi en
particulier, le chef du PC hongrois, se crut obligé de faire du zèle dans la
chasse aux titistes, car la Hongrie avait été fort proche de la Yougoslavie
de Tito. Se sentant menacé, Rakosi s’empressa de dénicher un « titiste »
hongrois capable de détourner les foudres du Kremlin de sa tête. En avril,
un fonctionnaire du Kominform compila une note dévastatrice sur Laszlo
Rajk, le ministre des Affaires étrangères hongrois, accusé d’avoir écarté
des postes dirigeants dans la Sécurité d’État les communistes hongrois
réfugiés à Moscou pendant la guerre – alors qu’après la guerre d’Espagne
Rajk s’était réfugié en France et en Tchécoslovaquie, et non en URSS ;
pire encore, Rajk avait refusé que des conseillers soviétiques fussent
affectés au ministère de l’Intérieur de Hongrie et, en novembre 1947, il
avait voulu dissoudre les organisations du Parti au sein de ce
ministère{2281}. Toujours en avril, Rakosi apprit, par un agent hongrois
en Suisse, que Tibor Szönyi, le chef de la section des cadres du PC
hongrois pendant la guerre, avait collaboré avec Allen Dulles en
Suisse{2282}, et il commença à enquêter sur les réseaux suisses de Noel
Field{2283}. Semble alors s’être engagée une course de vitesse entre
Rakosi et ses adversaires, à Budapest et à Moscou. Le 12 mars 1949, le
Département des relations étrangères du Comité central du PCUS, dirigé
par Mikhaïl Souslov, fut supprimé et remplacé par une Commission des
Affaires étrangères confiée à V. G. Grigorian, rédacteur en chef de la
publication du Kominform – Pour une paix durable et une démocratie
populaire – et proche de Beria{2284}. Grigorian ayant manifesté son peu
d’enthousiasme pour son affectation au MID, Beria lui dit : « Je sais que
tu n’es pas content. Mais il le faut. Tu dois y aller{2285}. » Grâce à
Grigorian, Beria put inclure des Géorgiens dans les délégations se rendant
à l’étranger.
En mai, cette commission lança une guerre de sape contre Rakosi
qu’elle accusa, dans cinq notes successives, d’attitude erronée à l’égard
des « trotskistes hongrois ». Le chef des communistes hongrois n’avait pas
d’illusions : cette accusation pouvait lui être fatale. Il prit les devants. Le
11 mai, Noel Field fut capturé par la police hongroise à Prague. Le 16 mai,
ce fut au tour de Tibor Szönyi qui ne tarda pas à avouer être un espion
américain et à impliquer Laszlo Rajk. Rakosi réussit ainsi à détourner le
coup sur Rajk qui fut arrêté le 30 mai, accusé de connexions avec Field et
donc avec les services américains{2286}. L’arrestation de Field pouvait
être fort embarrassante pour Beria qui avait patronné la coopération avec
l’OSS pendant la guerre.
Rakosi gonfla l’affaire au maximum et remit à Gottwald, le chef du
Parti communiste tchécoslovaque, une liste d’une soixantaine de hauts
responsables tchécoslovaques dont les noms étaient apparus au cours de
l’enquête sur Rajk. Dans une première phase, jusqu’à la mi-juin, les
enquêteurs essayèrent de faire avouer à Rajk qu’il avait été recruté par les
Américains. Mais l’enquête piétinait. Fin juin, une équipe du MGB
soviétique fut envoyée à Budapest, dirigée par M. I. Belkine, qui amena
dans ses bagages Lazar Brankov, autrefois diplomate yougoslave à
Budapest, arrêté à Moscou en avril 1949. Belkine câbla à Moscou que les
aveux de Field et Szönyi étaient « douteux » et que les « dépositions de
Rajk demandaient à être vérifiées avec soin, car elles avaient été obtenues
avec des méthodes erronées, par la torture et les menaces… C’est Rakosi
qui dirigeait l’enquête{2287}. » Il ajoutait :

Il suffit que le détenu mentionne le nom d’une de ses connaissances


pour que l’enquêteur lui adjoigne l’épithète d’« espion » ou de
« trotskiste » – et voilà comment on vous fabrique une
organisation{2288}.
De manière significative, après l’intervention des Soviétiques,
l’instruction changea de cours. Rajk cessa d’être torturé et fut désormais
accusé au premier chef de titisme, Brankov devenant un témoin
clé{2289}. Rajk finit par avouer être au centre d’un réseau d’espions, de
mèche avec Tito, Milovan Djilas et Alexandar Rankovic, d’avoir voulu
assassiner Rakosi, etc. En août 1949, Staline approuva le projet d’acte
d’accusation et, le 22 septembre, il recommanda l’application de la peine
de mort. Mais, même après avoir obtenu la peau de Rajk, Rakosi ne
s’estima pas satisfait et transmit aux chefs de plusieurs partis
communistes une liste de 526 noms, dont 65 « espions anglo-américains »
en Tchécoslovaquie{2290}. Les Polonais furent informés que Gomułka
avait été impliqué par les aveux de Brankov comme agent de Tito en
Pologne. Rakosi ne cessa de harceler les dirigeants du PC tchèque pour
qu’ils mettent plus d’énergie à débusquer les ennemis du peuple, allant
jusqu’à les dénoncer à Moscou pour leur « libéralisme{2291} ». Ce zèle
déplut à Belkine qui informa Abakoumov que Rakosi jouait au chef de
toutes les démocraties populaires, qu’il prétendait se soumettre Gottwald,
le roumain Gheorghe Gheorgiu-Dej et le polonais Bierut, et qu’il voulait
prendre la tutelle de la Grèce et de l’Albanie{2292}. Transmises à Staline,
de telles accusations étaient destinées à couler Rakosi dont visiblement au
MGB certains voulaient la perte.
À l’automne 1949, une section d’« aide aux organes de Sécurité des
démocraties populaires » fut créée au sein du MGB{2293}. Du coup, tous
les dirigeants des démocraties populaires se sentirent obligés de solliciter
l’aide des camarades soviétiques pour venir à bout des espions infiltrés
parmi eux. Le 16 septembre 1949, Gottwald et Slansky cédèrent et
demandèrent à Malenkov d’envoyer des conseillers connaissant l’affaire
Rajk{2294}. Le 23 septembre, deux officiers du MGB, M. T. Likhatchev et
Makarov, arrivèrent à Prague et se mirent en quête du Rajk tchèque. À
Budapest, le nouvel envoyé du MGB, S. N. Kartachov, enquêta à partir de
décembre 1949 sur les réseaux d’espionnage américains sous couverture
de l’organisation caritative juive Joint et en arriva à la conclusion qu’il y
avait trop de Juifs parmi les cadres dirigeants du Parti et de l’État, que la
lutte contre l’Église catholique n’avait pas été bien menée et qu’il y avait
trop d’Occidentaux en Hongrie (18 000){2295}. In fine, l’organisateur
hongrois du procès Rajk, le chef de la Sécurité d’État Gabor Peter, sera
lui-même arrêté le 3 janvier 1953 à l’initiative de Goglidzé.
Les méandres des purges dans les démocraties populaires, avec leurs
flux et leurs reflux, leurs virages imprévus, reflétaient les affrontements
au sein des PC locaux mais aussi les hésitations au sein du MGB
soviétique, ainsi que les tiraillements entre les dirigeants soviétiques eux-
mêmes. L’exemple de la Tchécoslovaquie est très éclairant. Au début,
l’affaire Gejza Pavlik semblait prometteuse. Pavlik avait passé les années
de guerre en Suisse où il avait rencontré Noel Field ; ils avaient administré
ensemble les fonds de l’Unitarian Service Committee et Field lui avait
demandé de continuer après la guerre de travailler pour l’USC en
Tchécoslovaquie. Le récipiendaire de l’aide d’USC devait faire un rapport
sur les conditions économiques et sociales des pays ayant besoin d’aide.
Mais l’affaire tourna court{2296}. Au printemps 1951, le couperet
s’abattit sur les communistes qui avaient émigré à Londres pendant la
guerre – Vladimir Clementis, Artur London, Otto Sling{2297}.
En Pologne, Bierut envisagea de monter un procès contre Spychalski,
l’ex-ministre de la Défense, en visant Gomułka, mais là encore
l’entreprise avorta. En Roumanie, Valter Roman, le chef de
l’Administration politique de l’armée, fut arrêté puis libéré au bout de dix
jours. L’affaire Patrascanu révéla que deux clans, avec chacun ses
protecteurs à Moscou, s’opposaient à la direction du Parti roumain, les uns
voulant pousser l’accusation, les autres s’efforçant d’adoucir le sort de
Patrascanu et de limiter les accusations. Lukretiu Patrascanu était un
communiste de la résistance qui avait signé l’armistice avec le maréchal
Malinovski le 12 septembre 1944. Il était mal vu par Moscou où les
kominterniens le considéraient comme un nationaliste. Et l’un des accusés
du procès Rajk avait témoigné que Patrascanu était favorable au projet de
confédération balkanique et voulait y faire entrer la Roumanie. En mars
1950, les interrogatoires de Patrascanu prirent fin et son affaire fut
transmise au ministère de l’Intérieur dirigé par Teohari Georgescu, un allié
d’Ana Pauker ; pendant six mois, le dossier fut revu et la campagne contre
Patrascanu mise en sourdine, sans doute sous l’influence de la fraction
Pauker{2298}. À partir de l’automne 1950, l’Europe de l’Est enregistra
une nouvelle inflexion dans la liste des accusations : le « titisme » céda la
priorité au « nationalisme juif » et désormais l’attaque visait l’appareil de
la Sécurité d’État.
L’évolution des purges dans les démocraties populaires à partir de l’été
1949 frappe par le nombre de faux départs de certaines affaires, preuve
qu’au sommet les commanditaires tiraient à hue et à dia, tant les enjeux
étaient importants. Cherchant à éviter les chausse-trappes, Abakoumov
avançait prudemment et sa réticence ne pouvait qu’exaspérer Staline.
Bientôt les signes de sa disgrâce imminente se multiplièrent. En janvier
1950, Staline décida de créer un Collège au sein du MGB, un organe de
direction collectif comprenant des apparatchiks du Parti, ce qui devait
permettre de desserrer l’emprise d’Abakoumov sur le ministère de la
Sécurité. Le mois suivant, Staline ordonna à Malenkov d’organiser une
prison spéciale destinée aux « accusés politiques particulièrement
importants » qui devait dépendre non du MGB mais du Comité de contrôle
du Parti – preuve qu’il continuait à se méfier du MGB.
Tout semblait concourir à renforcer les soupçons de Staline, par
exemple l’arrestation de Fuchs, la principale source des Soviétiques sur
les projets atomiques des Anglo-Saxons. Staline exigea une enquête dont
les conclusions lui furent remises, le 29 mai 1950, par Zorine ; il en
ressortait que les Soviétiques étaient renseignés sur les aveux de Fuchs et
les causes de son arrestation par une source au sein du contre-espionnage
français. Ils apprirent à cette occasion l’existence de Venona, Fuchs ayant
été grillé car son nom était cité dans un câble émanant de la résidence de
New York{2299}.
Puis, au printemps 1950, Staline ordonna à Abakoumov d’arrêter
Soudoplatov et Eitingon ; or, loin de déférer aux souhaits de son chef,
Abakoumov alla prendre conseil auprès de Beria qui lui recommanda d’en
dissuader Staline{2300}. Vers la même époque, Staline enjoignit à
Abakoumov de commencer à monter l’affaire mingrélienne qui visait les
réseaux de Beria en Géorgie. Là encore, celui-ci ne fit guère de zèle et,
comme pour l’instruction de l’affaire du Comité antifasciste juif amorcée
en 1949, il chercha à gagner du temps, sa tactique consistant à enquêter le
plus longtemps possible sur des personnages mineurs de manière à
satisfaire Staline sans s’aliéner ses successeurs potentiels. Cette stratégie
délicate ne pouvait guère réussir car Staline voyait bien qu’Abakoumov
bloquait les dossiers qui lui tenaient à cœur. Le 31 décembre 1950, il prit
prétexte de l’élargissement du MGB au détriment du MVD – les gardes-
frontières et les troupes de l’Intérieur étant transférées du MVD au MGB –
et de la nécessité « d’examiner les questions les plus importantes de
manière collégiale{2301} » pour flanquer Abakoumov de sept adjoints ;
en même temps, Malenkov nomma V. E. Makarov responsable des cadres
au sein du MGB. Ce dernier était jusque-là chef du Département
administratif du Comité central ; il fut chargé de contrôler l’activité de
l’organisation du Parti au sein du MGB{2302}. Tout ceci annonçait une
purge. À partir d’avril 1951, Staline cessa de recevoir Abakoumov. La
goutte qui fit déborder le vase fut, semble-t-il, un coup de téléphone de
Beria à Abakoumov pour intercéder en faveur de son médecin traitant qui
venait d’être arrêté. Abakoumov y consentit, mais Staline le prit fort
mal{2303}. Beria eut beau s’arranger pour qu’Abakoumov ne puisse le
joindre par téléphone – à moins que cette mesure ne fût prise d’un
commun accord pour dissiper les soupçons de Staline{2304} –, le mal
était fait.
Deux épisodes attestent de l’intensité des antagonismes souterrains dans
le cercle du Kremlin au printemps 1951. En mai, l’exfiltration
d’Angleterre de Burgess et Maclean, deux des « cinq de Cambridge » et
agents du réseau Philby, fut organisée en catastrophe car les responsables
du MGB craignaient que Beria ne les livre{2305}. En Tchécoslovaquie, un
groupe d’enquêteurs fut si mécontent des restrictions imposées par les
conseillers soviétiques concernant les témoignages contre Slansky qu’ils
s’adressèrent directement à l’ambassade soviétique, derrière le dos du
ministère de la Sécurité d’État et des conseillers soviétiques{2306}.
C’est Malenkov qui fut l’instigateur de la chute d’Abakoumov,
permettant à Staline de frapper un grand coup. Malenkov s’imaginait que
cette manœuvre lui permettrait d’obtenir les faveurs de Staline et
d’affaiblir Beria en plaçant un homme à lui à la tête du MGB où
l’influence de Beria était encore sensible. Il décida de détourner à son
profit les obsessions de Staline et d’améliorer sa position dans la lutte
pour la succession, sans voir qu’il risquait de déclencher un processus
incontrôlé dont lui-même pouvait être victime.
L’affaire Abakoumov et l’affaire des « blouses blanches » remontent
toutes deux à l’affaire Etinger, elle-même liée à celle du CAJ. Yakov
Etinger était un médecin réputé, très cultivé et ayant effectué de longs
séjours à l’étranger. Sous l’influence de son ami Chakhno Epshtein, il était
devenu un sympathisant du CAJ où il s’était déclaré favorable à la création
d’une république juive en Crimée. Le 22 avril 1949, il fut dénoncé par
Fefer, son appartement fut placé sur écoutes et les hommes du MGB
purent bientôt accumuler des preuves de l’antisoviétisme de ce médecin
possédant un franc-parler rare dans l’URSS stalinienne ; en effet, Etinger
dit un jour à ses proches : « Celui qui débarrasserait le pays d’un monstre
comme Staline serait un héros{2307}. » Dès le début de 1950, la moisson
fut assez riche pour que le MGB proposât à Staline d’arrêter Etinger.
Staline s’intéressa en personne à cette affaire, mais, pour une raison
obscure, il se contenta d’abord de recommander de poursuivre l’enquête.
Déjà apparaissaient des signes annonciateurs de la chasse aux médecins
juifs quand, en juillet, Abakoumov adressa à Malenkov un rapport
signalant que, sur les 43 médecins employés à la clinique nutritionniste de
l’Académie des sciences, 36 étaient « de nationalité juive » : une purge
s’imposait{2308}. Etinger ne fut arrêté que le 18 novembre 1950 et,
jusqu’au 4 janvier 1951, il subit 37 interrogatoires. Au début, il ne fut
accusé que de nationalisme ; il n’était pas question d’un complot visant à
assassiner les dirigeants soviétiques. Fin janvier, Abakoumov donna
l’ordre à l’enquêteur A. G. Leonov de suspendre les interrogatoires, mais
ceux-ci se poursuivirent jusqu’au 2 mars, en dépit des avertissements des
médecins de la prison de Lefortovo qui avaient diagnostiqué une maladie
cardiaque grave. Etinger succomba le 2 mars.
Ce décès prématuré était fort embarrassant pour toute l’équipe chargée
de l’instruction, surtout pour le principal enquêteur du MGB, Mikhaïl
Rioumine, puisque Etinger était mort en revenant dans sa cellule après un
interrogatoire nocturne mené par ce dernier. Rioumine reçut d’ailleurs un
blâme pour n’avoir pas rédigé en temps voulu les procès-verbaux des
interrogatoires d’Etinger. Cependant, une enquête lancée par le Parquet du
MVD sembla annoncer que les choses ne s’arrêteraient pas là et, le
30 juillet, le Parquet déclara Rioumine responsable de la mort d’Etinger.
Ce Rioumine allait jouer un rôle considérable durant la fin du règne de
Staline. Il avait commencé sa carrière comme petit comptable de village,
puis avait appartenu au SMERCH avant de se hisser au MGB jusqu’au
poste d’enquêteur pour les affaires les plus importantes – les affaires
politiques. Petit et laid, celui que Staline appelait le « nabot » nourrissait
une ambition effrénée qui n’avait d’égale que son manque de scrupules et
sa brutalité. Il fut l’auteur de formules qui firent date dans la pratique
juridique soviétique, comme par exemple : « Son arrestation prouve sa
culpabilité, et je ne veux plus rien entendre à ce propos{2309}. » Fin 1951,
il se vantera devant un détenu juif d’avoir purgé le MGB des Juifs et
d’avoir obtenu l’autorisation du gouvernement de s’attaquer à l’ensemble
des Juifs soviétiques, car les Juifs étaient « une nation d’espions{2310} ».
Sentant les nuages s’amonceler sur sa tête, Rioumine décida donc de
passer à l’offensive en jouant gros. Il entreprit de porter le coup de grâce à
son chef Abakoumov déjà mal en cour. Pour cela, il s’assura l’appui de
Malenkov auquel il fit transmettre, en juin, une note affirmant que
l’affaire Etinger avait été truquée. Malenkov vit d’emblée le parti à en
tirer et corédigea avec Rioumine une lettre dénonçant Abakoumov. Il se
vantera d’ailleurs plus tard auprès de ses collègues : « Je vous ai
débarrassés d’Abakoumov{2311} ! » Le 2 juillet, Rioumine adressa cette
lettre à Staline, l’informant qu’Etinger avait avoué avoir hâté, en 1945, la
fin de l’antisémite notoire Chtcherbakov, et que, mis au courant,
Abakoumov n’y avait pas ajouté foi, qu’il avait incité Etinger à revenir sur
ses déclarations, avait interdit à Rioumine de poursuivre les
interrogatoires et lui avait même recommandé de placer cette affaire
« dans un tiroir », tout en ordonnant un régime de détention plus sévère
pour Etinger. Le résultat avait été le décès du médecin. Or celui-ci « avait
des liens étendus avec des médecins éminents dont certains trempaient
peut-être dans son activité terroriste{2312} ».
La dénonciation de Rioumine ne s’arrêtait pas là. Une deuxième partie
de la lettre était consacrée à l’affaire Salimanov, le directeur adjoint de la
firme Wismuth chargée de l’extraction de l’uranium en RDA, qui avait
fait défection en mai 1950, dans la zone d’occupation des Américains en
Allemagne{2313}. Revenu dans la zone d’occupation soviétique, il fut
capturé en août par le MGB et ses interrogatoires révélèrent que les
Américains étaient au courant des plus petits détails du fonctionnement de
Wismuth. Mais au lieu de colmater les brèches du contre-espionnage en
RDA et d’informer le gouvernement sur la portée de cette affaire,
poursuivait Rioumine, Abakoumov avait interdit d’inclure les aveux de
Salimanov dans les procès-verbaux de ses interrogatoires. À travers
Abakoumov, Beria était visé car Wismuth était sous sa responsabilité
directe. La dénonciation de Rioumine comportait une phrase encore plus
lourde de menaces pour Beria : le MGB « avait souvent arrêté des agents
des services américains et anglais ; il s’est avéré que nombre d’entre eux
était des agents des organes du MGB : autrement dit, ils jouaient un
double jeu ». Or Beria affirmait avoir recruté ceux qui entraient dans
certaines de ses combinaisons personnelles. Rioumine accusa en outre
Abakoumov d’édulcorer et de déformer à dessein les procès-verbaux de
certains détenus, accusation gravissime aux yeux de Staline puisqu’elle
suggérait qu’on empêchait d’explorer les ramifications des affaires
politiques et de remonter jusqu’aux commanditaires haut placés. Bref,
Rioumine affirmait qu’Abakoumov était « un homme dangereux » à un
poste de responsabilité{2314}.
La réaction de Staline ne se fit pas attendre. Le 4 juillet, il reçut
Rioumine et une commission présidée par Malenkov – assisté de Beria,
Chkiriatov et Ignatiev – fut chargée d’enquêter sur la direction du MGB.
Abakoumov fut limogé et remplacé par Sergueï Ogoltsov. Les enquêteurs
Likhatchev et Leonov furent convoqués devant la commission et ils eurent
beau affirmer que les accusations de Rioumine ne tenaient pas debout,
Abakoumov fut arrêté le 12 juillet et incarcéré dans la « prison spéciale ».
Dans son coffre-fort, les hommes du Parquet militaire découvrirent deux
gros dossiers, l’un contenant des documents compromettants sur
Malenkov, l’autre sur Beria{2315}. De hauts responsables du MGB,
comme Ogoltsov et E. P. Pitovranov, reçurent un blâme pour n’avoir pas
signalé au Comité central les errements de leur ministère.
Le 13 juillet, une lettre secrète du Comité central, intitulée « les
insuffisances du MGB{2316} », fut envoyée aux organisations du Parti
des républiques et des régions pour communiquer la résolution adoptée
deux jours plus tôt, qui reprenait les accusations formulées par Rioumine :
« Parmi les médecins il y a, à n’en pas douter, un groupe de conspirateurs
qui sous couleur de traitement s’efforcent d’abréger la vie des dirigeants
du Parti et du gouvernement{2317}. » En cherchant à étouffer l’affaire
Etinger, « nationaliste juif farouchement hostile au régime
soviétique{2318} », Abakoumov avait empêché que ce complot de
médecins de mèche avec les services occidentaux ne fasse l’objet d’une
enquête. Le MGB d’Abakoumov fut en outre accusé de ne pas avoir rédigé
les minutes de tous les interrogatoires, de s’être contenté de résumés pour
tromper le Parti et d’avoir fait traîner l’instruction de certaines affaires.
La résolution invoquait le précédent des médecins D. D. Pletniev et
L. G. Levine, accusés d’avoir empoisonné Gorki et Kouibychev sur ordre
de Yagoda, et condamnés à mort en mars 1938. Pletniev avait soigné des
diplomates occidentaux avant la guerre et, tout comme Etinger, il se
montrait d’un étonnant franc-parler, qualifiant les maîtres du Kremlin de
« bêtes féroces qui ont peur de mourir{2319} ».
Cette évocation de 1938, jointe à l’affirmation de l’existence d’un
« groupe de conspirateurs » – alors que dans sa lettre Rioumine n’avait
accusé qu’Abakoumov et Etinger –, montre quel tour Staline souhaitait
donner à l’affaire. Les membres du Politburo ne purent que se sentir
menacés par l’allusion à la purge de 1937-1938. Inquiétude aggravée par
l’enquête secrète, placée sous la direction d’Evgueni Pitovranov, l’un des
adjoints d’Abakoumov depuis décembre 1950, et lancée juste après la
chute d’Abakoumov, à propos de la lettre adressée à la direction par la
doctoresse Timachouk ; celle-ci dénonçait les éminents professeurs
appelés au chevet de Jdanov qui avaient refusé de reconnaître que leur
patient avait eu un infarctus, et elle se plaignait d’avoir été sanctionnée
pour avoir constaté leur erreur et l’avoir signalée à ses supérieurs. Et de
fait, dans un rapport destiné à Beria et rédigé le 27 mars 1953, le
professeur Vinogradov écrira : « Nous devons reconnaître que Jdanov a eu
un infarctus et nous avons eu tort de le nier, Egorov, Vassilenko, Maiorov,
Karpaï et moi. Nous n’avions pas de mauvaise intention en nous trompant
de diagnostic et en prescrivant le traitement{2320}. » Quoi qu’il en soit, la
résurgence du thème des médecins assassins annonçait non seulement une
vaste purge du MGB, mais un retour possible à la terreur des années 1937-
1938.
Le 24 juillet 1951, Staline convoqua les dirigeants du MGB en présence
de Malenkov et Beria, et leur ordonna de mettre en œuvre une perestroïka
dans le domaine opérationnel. À la veille de son départ en vacances, il fit
venir Pitovranov et le soumit à un interrogatoire serré sur l’organisation
du renseignement et du contre-espionnage. Il s’intéressa en particulier à la
manière dont étaient recrutés les agents et à leur nombre. Lorsque
Pitovranov lui donna le chiffre, il s’étonna : à quoi bon avoir tant
d’agents ? Autrefois les bolcheviks n’avaient qu’un agent parmi les
mencheviks, mais il était si bien placé qu’ils étaient au courant de
tout{2321}. Il fut décidé de diminuer des deux tiers le réseau des
mouchards du MGB{2322}. On a l’impression que Staline voulait
s’attaquer à l’empire invisible du MGB, la partie la plus difficile à
contrôler, en s’appuyant sur l’appareil du Parti. Le 9 août, avant de quitter
Moscou, il nomma Ignatiev à la tête du MGB. Il voulait en faire un nouvel
Ejov, Ignatiev étant un parfait apparatchik de province et un bon exécutant.
Mais ce protégé de Malenkov en partageait les caractéristiques : il était
incapable d’initiative, doué d’un remarquable sens de la survie et ne tenait
pas à se compromettre dans les répressions au service d’un dictateur dont
les jours étaient comptés. Ignatiev hérita de Rioumine, le favori
incontrôlable de Staline devenu l’un de ses adjoints, qu’il se mit à craindre
comme la peste.
Les consignes envoyées par le MGB central à ses filiales des
républiques à partir de la chute d’Abakoumov permettent de percevoir les
raisons profondes de la décision de Staline. En Lituanie par exemple, en
août 1951, le Comité central donna l’ordre au PC lituanien de liquider le
« reste des bandes armées de bourgeois nationalistes afin d’écraser la base
principale des services impérialistes » ; et le MGB organisa un séminaire
de trois jours consacré à la lutte contre la résistance nationaliste et contre
les agents de l’étranger{2323}. Les recommandations de Moscou étaient
profondément ambivalentes. L’un des thèmes récurrents était la nécessité
d’accélérer l’instruction des affaires, Staline voulant réagir à la tendance
de ses subordonnés à freiner les enquêtes et à ensabler certains dossiers. Il
voulait que la justice redevînt expéditive quand il l’estimait nécessaire.
Mais, comme il désirait en même temps rogner les attributions du MGB,
son impulsion aboutit à un résultat opposé : il fut décidé, à partir de
novembre 1951, de transférer un grand nombre de dossiers du Collège
spécial du MVD aux tribunaux militaires ; or ces derniers ne pouvaient
prononcer de verdicts sur la base de « données opérationnelles » (c’est-à-
dire obtenues par le MGB) et « s’accrochaient à toutes sortes de
formalités », comme le soulignèrent les hommes du MVD furieux de la
concurrence des tribunaux militaires{2324}.
Un autre thème fréquent était la nécessité d’éviter les « arrestations
sans motif » et de respecter les « normes de l’instruction{2325} »,
incantations rituelles dans les correspondances du NKVD/MGB, qui
prenaient un sens au gré des circonstances. À lire les archives de cette
époque, on a l’impression que sur le terrain le MGB était divisé entre les
partisans d’une répression à outrance et ceux, instruits par l’expérience,
qui craignaient l’extension de la terreur, chaque camp dénonçant l’autre à
Moscou. Les uns se plaignaient de ce que la section d’instruction chargée
des affaires politiques leur ait « refusé sans raison d’autoriser l’arrestation
d’un certain nombre de criminels d’État particulièrement importants » en
sabotant la mise en œuvre des directives de juillet 1951{2326} ; les autres
contre-attaquaient en dénonçant les arrestations arbitraires et les
instructions bâclées. La chute d’Abakoumov ne permit donc pas à Staline
de retrouver le contrôle absolu sur le MGB qu’il possédait avant la guerre.
Les impulsions qu’il ne cessa de donner du Kremlin parvenaient en bas de
la machine répressive sous une forme atténuée ou détournée. Le
mécanisme restait enrayé et Staline en était conscient.

La lutte pour le MVD.


La chute d’Abakoumov fut suivie d’un interrègne d’un mois au MGB
assuré par Ogoltsov. Une lutte acharnée pour le contrôle de la Sécurité
d’État mit aux prises les proches de Staline. Au terme d’un âpre
marchandage, chacun réussit à s’emparer de postes-clés. En août 1951,
Beria parvint à faire nommer Goglidzé comme premier adjoint d’Ignatiev.
Ce poste était d’autant plus important qu’Ignatiev n’avait aucune
expérience dans le domaine de la Sécurité d’État, s’intéressant surtout à
l’assassinat de vieux émigrés et à l’infiltration des mencheviks ; il était
donc forcé de s’en remettre à ses subordonnés. Khrouchtchev plaça son
ami A. A. Epichev à la tête du Département des cadres du MGB, un poste
crucial. Enfin, le 2 novembre 1951, le renseignement extérieur fut restitué
au MGB et confié à Sergueï Savtchenko, un protégé de
Khrouchtchev{2327}, qui remplaça Goglidzé en novembre 1951, lorsque
ce dernier fut nommé chef du MGB d’Ouzbékistan trois jours après le
début de l’« affaire mingrélienne ». Les grands gagnants du branle-bas au
sein du MGB furent donc Malenkov, qui patronnait Ignatiev et Rioumine,
et Khrouchtchev{2328}.
L’avènement d’Ignatiev fut marqué par une purge énergique, celui-ci ne
cachant pas la méfiance que lui inspiraient les tchékistes quels qu’ils
soient{2329}. Il appela auprès de lui une vingtaine de secrétaires d’obkom
auxquels il confia la direction des départements de son ministère. Pour le
MGB commencèrent des temps difficiles. Le 13 juillet, les hommes de
Beria, L. Shvartzman et S. Pavlovski, furent arrêtés comme « sionistes ».
De juillet 1951 à septembre 1952, 42 000 officiers furent expulsés du
ministère, les nouveaux promus, comme à l’accoutumée, étant censés
renforcer le contrôle du Parti sur le MGB{2330}. Une filiale de l’École
supérieure du Parti fut même créée auprès de l’organisation du Parti du
MGB{2331}. La purge des organes se poursuivit de plus belle pendant
quelques mois.
Vers le 10 octobre 1951, Rioumine adressa une nouvelle lettre à Staline
et Malenkov où il dressait le bilan des enquêtes en cours depuis la chute
d’Abakoumov. Il attirait l’attention sur les insuffisances du MGB en
matière de lutte contre les agents et les services étrangers, dénonçant les
proches d’Abakoumov, Pitovranov, L. F. Raikhman, F. G. Choubniakov et
d’autres. À la mi-octobre, Ignatiev et son adjoint N. P. Stakhanov furent
convoqués en Géorgie par Staline qui bombarda Ignatiev de questions et
lui demanda si Pitovranov et les autres s’acquittaient mieux de leurs
fonctions. Comme Ignatiev s’efforçait de défendre ses subordonnés,
Staline lui dit : « Vous êtes aveugle, vous ne voyez pas ce qui se passe sous
votre nez. » Et il lui ordonna de chasser « tous les Juifs » du MGB.
Ignatiev lui demandant où les affecter, Staline lui répondit : « Je ne vous
dis pas de les mettre à la rue. Coffrez-les. » Et il ajouta : « Il n’y a que
deux voies pour un tchékiste : vers le haut ou en taule{2332}. » Cette
intervention de Staline entraîna deux nouvelles vagues d’arrestations au
MGB{2333}, dont furent victimes des proches d’Abakoumov, comme
A. G. Leonov et Likhatchev, Ogoltsov et Pitovranov, F. G. Choubniakov –
le chef du secteur américain du contre-espionnage – et A. P. Volkov – le
responsable du 5e Département du MGB et le mouchard d’Abakoumov au
ministère{2334}. La deuxième vague, à la fin de l’automne 1951, toucha
surtout les officiers juifs : L. Raikhman et N. Eitingon, arrêtés le
19 octobre, L. Cheinine, B. Makliarski, M. I. Belkine – l’organisateur du
procès Rajk, accusé d’avoir noué des liens avec une loge maçonnique et de
fréquenter des femmes sortant avec des étrangers{2335}.
Rudolf Slansky, le secrétaire général du PC tchécoslovaque, fut une
autre victime de l’affaire Abakoumov. Les griefs formulés contre lui
étaient une copie conforme de ceux avancés contre Abakoumov : il fut
accusé de ne pas avoir donné suite à des délations mettant en cause des
« groupes ennemis », d’avoir caché des faits compromettants au Parti,
d’avoir couvert le ministre de la Santé publique qui lui-même protégeait
des médecins suspects, de freiner l’enquête Svermova-Sling, d’être
complice de la faction juive de Bedrich-Reicin elle-même liée aux
Yougoslaves{2336}. Ces accusations furent décisives et Slansky fut arrêté
en novembre 1951.
L’affaire Abakoumov elle-même devint un enjeu entre Staline et le
Politburo, et entre les diadoques dans leur sourde guerre de succession.
Elle devint le miroir des rapports de forces changeants au sein de
l’oligarchie du Kremlin et connut de nombreux rebondissements et des
retournements inattendus liés à l’évolution des rapports de forces au sein
des cercles dirigeants. Ignatiev s’orienta d’abord vers la lutte contre les
« nationalistes juifs » et, le 24 juillet, il écrivit à Malenkov et Beria qu’il
s’engageait à démasquer les « liens des nationalistes juifs avec les services
étrangers », rompant avec la négligence de son prédécesseur. Staline
l’avait chargé « de prendre des mesures résolues pour démasquer les
médecins terroristes ».
Le vieux dictateur ne cessait de harceler Ignatiev, lui réclamant les
procès-verbaux des interrogatoires d’Abakoumov, dont des copies étaient
transmises à Beria et Malenkov. Or ces procès-verbaux montrent que les
enquêteurs cherchaient alors à compromettre Beria – et bien sûr ils ne
pouvaient le faire que sur ordre de Staline{2337}. On reprocha à
Abakoumov d’avoir caché au Comité central les résultats de l’enquête sur
Salimanov et les aveux de jeunes Juifs arrêtés en janvier 1951 pour avoir
constitué un groupe antisoviétique : or certains d’entre eux avaient
reconnu avoir voulu assassiner des dirigeants soviétiques. Les enquêteurs
Leonov et Likhatchev avaient prétendument falsifié les procès-verbaux de
ces interrogatoires pour faire disparaître les allusions aux projets
terroristes. Rioumine demanda aussi à Abakoumov pourquoi il avait fait
fusiller des communistes honnêtes comme Voznessenski et Kouznetsov, ce
qui visait Malenkov et Beria{2338}.
Preuve supplémentaire que Beria était dans la ligne de mire, Ignatiev
confia à Savtchenko, le chef adjoint du renseignement, une enquête sur les
fiascos du MGB en Amérique et en Angleterre. L’arrestation de K. Fuchs
en 1950, suivie de celle de Julius et Ethel Rosenberg, incita les nouveaux
responsables du MGB à s’interroger sur les causes du décloisonnement des
réseaux qui avait mené à ces arrestations en chaîne. Soudoplatov fut
convoqué au Comité central pour répondre à cette question et, un an plus
tard, il fut accusé d’avoir voulu induire le Parti en erreur en sous-estimant
à dessein le rôle des Rosenberg{2339}.
Cependant l’affaire Abakoumov ne se développait pas dans le sens
voulu par Staline. Contrairement à toute attente, l’accusé résistait à la
torture et n’avouait pas. Bien plus, il menaçait ses enquêteurs de manière
implicite, leur déclarant que son affaire était « particulière et délicate » et
qu’eux-mêmes risquaient d’y rester s’il se décidait à parler{2340}. Avec
obstination, il répétait qu’Etinger avait débité des insanités sous la torture
et que les accusations de meurtre de Chtcherbakov étaient absurdes.
Durant les semaines qui suivirent son arrestation, Abakoumov n’adressa
ses lettres qu’à Beria, y laissant entendre que malgré toutes les pressions
qu’il subissait il ne cessait de défendre Malenkov :

Je voudrais bien savoir si le cam. M. a maintenant une bonne


compréhension de mon affaire. J’en doute. Je m’en remets
entièrement à votre aide. Il serait bon que vous me donniez un signe
quelconque, que vous vous souveniez de moi et fassiez
l’indispensable{2341}.

Par ces lettres, Abakoumov signalait à Beria qu’il refusait d’entrer dans
les manœuvres de Staline contre lui, mais qu’il espérait en retour l’appui
de Beria.
Bientôt Rioumine se retrouva dans la même situation qu’Abakoumov.
Certes, le 19 octobre 1951, il fut nommé vice-ministre de la Sécurité
d’État et responsable du Département d’instruction des affaires les plus
importantes. Certes, il obtint que Likhatchev confirmât les prétendus
aveux d’Etinger sur l’assassinat de Chtcherbakov. Mais déjà, dans une
lettre à Staline, il crut devoir se justifier de ne pas avoir torturé les
inculpés dès le début : « Je reconnais seulement qu’au cours de
l’instruction je n’ai pas eu recours aux mesures extrêmes, mais j’ai corrigé
cette erreur lorsque j’en ai reçu l’ordre{2342}. » Il craignait pour son
poste et pour sa vie. Et, lorsque après la mort de Staline on lui demandera
pourquoi il avait falsifié des procès-verbaux remis à Staline, il répondra :

J’avais peur qu’Ignatiev n’agisse à mon endroit comme j’avais agi à


l’égard d’Abakoumov. J’avais travaillé avec Ignatiev, je savais que
c’était quelqu’un de malin et de fourbe, capable de n’importe
quoi{2343}.

À partir de février 1952, Abakoumov fut accusé d’avoir voulu prendre


le pouvoir. De toute évidence, le tandem Malenkov-Beria avait réussi à
s’assurer le contrôle de l’enquête. Rioumine accusait maintenant
Abakoumov d’avoir voulu nuire à Malenkov en calomniant Chakhourine
et Novikov, tous deux arrêtés en avril 1946 et dont les aveux étaient à
l’origine de l’affaire de l’industrie aéronautique voulue par Staline pour
compromettre Malenkov. On reprocha à Abakoumov son amitié passée
avec Kouznetsov et sa passivité dans l’« affaire de Leningrad ».
V. I. Komarov, l’ancien cheft-adjoint du Département d’enquête du MGB,
avoua à Rioumine :

Lorsque j’exposai à Abakoumov le plan de l’enquête sur Kouznetsov


et que j’évoquai l’espionnage, Abakoumov dit : « Quel espionnage ?
[…] Si nous commençons à évoquer leurs liens avec l’étranger, on
nous rira au nez au Comité central »{2344}.

Abakoumov se vit reprocher d’avoir négligé de pousser l’enquête sur les


liens entre les Leningradois et les services spéciaux occidentaux : les notes
manuscrites de Staline sur l’acte d’accusation insistent sur ce point. On fit
grief à Abakoumov d’avoir déclaré à leur propos : « Quelle idée de parler
d’espionnage, quand tous les détenus sont des dirigeants du Parti, et aucun,
sauf Kapoustine, n’a jamais rencontré d’étrangers{2345} ! »
L’ancien chef du MGB fut placé dans une cellule réfrigérée. Il écrivit
des lettres à Beria et à Malenkov, dont la lecture donne l’impression d’une
entente préalable entre les trois hommes. Dans une première lettre datée
du 18 avril 1952, Abakoumov décrivait les tortures épouvantables
auxquelles il était soumis sur ordre de Rioumine : « Je n’ai jamais vu
pareille barbarie et j’ignorais l’existence à Lefortovo de ces cachots
réfrigérés{2346}. » Et de conclure :

Je vous demande, L. P. et G. M. 1) de mettre fin à cela et me rendre


mon emploi ; 2) si cette histoire continue, retirez-moi de Lefortovo et
débarrassez-moi de Rioumine et ses amis. Peut-être faudrait-il me
ramener à la prison Matroskaïa et confier mon affaire à des
procureurs.

Cette demande ne resta pas sans suite puisque l’instruction de l’affaire


Abakoumov fut suspendue après qu’il eut fait une crise cardiaque.
Quelques mois plus tard, il écrivit à nouveau pour se plaindre qu’il devait
répondre à des questions qui étaient des « provocations », comme celle-ci :
« Pourquoi avez-vous fait fusiller Kouznetsov, Voznessenski et les
autres ? » Abakoumov poursuivait :

Vous n’ignorez pas comment les choses se sont passées. Rioumine


doit bien savoir que c’est le Comité central qui prend ce genre de
décisions, et je me demande bien pourquoi c’est à moi qu’il adresse
ces questions… Peut-être vaudrait-il mieux mettre fin à toute cette
histoire avant que le camarade Staline ne parte en vacances ? Je dis
cela car quelquefois les décisions prises pendant les vacances sont
plus dures. Comprenez ma position et excusez-moi de vous donner ce
conseil{2347}.

Par ces lettres, Abakoumov signalait aux deux hommes qu’à travers son
affaire c’était eux qui étaient visés et qu’il y avait des limites à ce qu’il
pouvait endurer. Chaque lettre comportait un post-scriptum à l’intention
de Beria dans lequel Abakoumov assurait celui-ci de son dévouement. Il
s’excusait en particulier de ne pas avoir eu le temps de lui remettre des
documents compromettants concernant sa débauche, et les documents
incriminant Malenkov dans l’affaire des avionneurs de 1946 : « Comme
vous le savez, L. P., le sort de M. ne tenait qu’à un fil et, malgré les
pressions très fortes que j’ai subies, je me suis conduit en honnête
homme{2348}. » Le message était clair : Abakoumov n’avouerait rien qui
puisse compromettre Beria, malgré les pressions qu’il subissait en ce sens,
mais il attendait que Beria en échange tente d’alléger son sort et celui de
sa jeune épouse qui venait d’être mère.
Faute de pouvoir faire craquer Abakoumov, on mit la pression sur ses
subordonnés qui passèrent aux aveux. L. Shwartzman, l’ancien directeur
adjoint du Département d’instruction des affaires les plus importantes,
avoua qu’« Abakoumov était un conspirateur, mais que les fils du complot
remontaient plus haut », que lui-même faisait partie d’une conspiration
contre le peuple russe dirigée par Beria{2349}. Comprenant qu’il
s’engageait dans une voie périlleuse, Rioumine jugea plus prudent de ne
pas saisir la perche tendue{2350}. Shwartzman témoigna cependant contre
Kaganovitch, Khrouchtchev, Merkoulov, B. Koboulov, Mamoulov et
Fitine. Il avoua avoir projeté, en 1950-1951, l’assassinat de Malenkov,
avec la complicité d’Abakoumov, d’Eitingon et de Raikhman, ainsi que de
l’ex-procureur A. P. Doron. Les instigateurs du complot étaient
Faymonville, l’attaché militaire de l’ambassade des États-Unis, et
Harriman. L’affaire Abakoumov devint l’affaire Abakoumov-Shwartzman
et Belkine torturé avoua que sur ordre d’Abakoumov il avait placé des
Juifs à tous les postes-clés du MGB.
Cependant le kaléidoscope continuait à tourner et l’affaire Abakoumov
à s’engager dans de nouveaux méandres. À partir de l’été 1952,
Kouznetsov fut chargé de nouvelles accusations posthumes et fut promu
au rang de complice d’Abakoumov ; c’était lui qui, sur l’ordre des services
américains et britanniques, avait soi-disant incité le médecin Egorov à
hâter la fin de Jdanov et d’autres dirigeants soviétiques. Le 3 novembre
1952, Rioumine finit par formuler les accusations contre Abakoumov :
celui-ci aurait couvert un complot de nationalistes juifs au sein du MGB, il
aurait protégé l’appareil tchékiste des organes dirigeants du Parti et il
aurait saboté le contre-espionnage de l’URSS{2351}. Beria était de
nouveau visé.
L’affaire Abakoumov, que Staline avait organisée parce qu’il sentait
qu’il ne contrôlait plus totalement la Sécurité d’État, lui fournit une
nouvelle occasion de s’apercevoir que ses proches parvenaient à
neutraliser ses initiatives. En particulier, elle ne lui permit pas de monter
un dossier satisfaisant contre Beria. Chaque fois que les aveux des
prévenus semblaient prendre une tournure prometteuse, l’affaire changeait
subitement de direction et les soupçons se portaient ailleurs. Voyant que
l’arrestation d’Abakoumov et des proches de Beria au sein du MGB ne
donnaient pas les résultats espérés, Staline décida de frapper Beria dans
son fief et d’y chercher l’affaire compromettante qui lui permettrait de
s’en débarrasser définitivement. Telle fut l’origine de l’affaire
mingrélienne.

20

L’affrontement en politique étrangère


Plus encore que la politique intérieure, la politique étrangère a été au
centre de l’affrontement entre Staline et le Politburo, et les premiers
signes de cette opposition sont apparus en octobre-novembre 1945, lors de
la maladie de Staline. Au fur et à mesure que le dictateur glissait vers des
positions ultragauchistes pour se démarquer de ses proches, il sembla
aussi adopter une attitude de plus en plus belliqueuse à l’égard des
Occidentaux, l’âge lui faisant perdre sa patience, sa prudence et sa sûreté
de touche coutumières.

Guerre inévitable ou coexistence.


L’acquisition de l’arme nucléaire, la victoire des communistes en Chine
en 1949, les revers américains durant la guerre de Corée, enhardirent
beaucoup Staline. Si les sources disponibles sur ses intentions réelles sont
réduites, les décisions qu’il prit parlent d’elles-mêmes. En février 1950, le
service militaire dans l’armée de terre passa de deux à trois ans, dans
l’aviation il fut porté à quatre ans et dans la marine à cinq ans{2352}. Dès
février 1950, Staline fit procéder aux premières manœuvres dans
l’Arctique, ordonna la construction d’une voie ferrée sous le cercle
polaire, l’installation de bases militaires et d’arsenaux dans la Tchoukotka,
au Kamtchatka et sur le littoral de l’océan Glacial. Il déploya dans la
Tchoukotka la 14e armée de parachutistes destinée à opérer en Alaska,
mais aussi sur la côte Ouest des États-Unis. En mars 1950, il ordonna la
construction du premier sous-marin nucléaire soviétique{2353}. Le
19 août, le Politburo créa un Conseil scientifique auprès de la Commission
spéciale, en vue du déploiement accéléré autour de la capitale d’un
système de défense antiaérienne prévoyant l’utilisation de missiles – le
système « Berkut » – dont la construction devait être supervisée par
Beria{2354}. À Gottwald, le chef communiste tchécoslovaque, quelque
peu affolé par la tournure prise par la politique du Kremlin, un Staline
rassurant écrivit le 23 août 1950 :
Il est clair que désormais les États-Unis se détournent de l’Europe et
se concentrent sur l’Extrême-Orient. Est-ce à notre avantage du point
de vue de l’équilibre des forces mondiales ? Cela va sans dire.
Supposons que les États-Unis s’enlisent en Extrême-Orient et
entraînent la Chine dans la lutte pour la liberté de la Corée et pour sa
propre indépendance – qu’arrivera-t-il ? Premièrement l’Amérique,
pas plus que n’importe quel autre État, ne pourra venir à bout de la
Chine qui dispose d’importantes forces armées toutes prêtes.
L’Amérique s’épuisera dans cette guerre. Elle sera donc incapable de
mener la troisième guerre mondiale. Celle-ci sera donc reportée pour
un certain temps, ce qui nous fournira le délai indispensable pour
renforcer le socialisme en Europe. Inutile d’ajouter que cette guerre
de l’Amérique avec la Chine répandra la révolution dans toute l’Asie.
Est-ce à notre avantage du point de vue de l’équilibre des forces
mondiales ? Bien sûr que oui{2355}.

Le 9 septembre 1950, Staline créa au sein du MGB le Bureau n° 1, un


organisme ultrasecret chargé d’organiser le sabotage et des attentats
terroristes à l’étranger, et en particulier les assassinats des adversaires de
l’URSS. Soudoplatov et Korotkov furent nommés par le Politburo à la tête
de ce Bureau. L’URSS se donnait les moyens de détruire par surprise les
bases militaires de l’OTAN, les communications de l’ennemi, et
d’assassiner les principaux dirigeants occidentaux – y compris dans une
opération préventive{2356}. Dans un premier temps, Staline ordonna au
MGB de préparer des attentats dans les ports de la côte Pacifique des
États-Unis{2357}, puis des groupes d’illégaux furent mis en place pour
détruire les bases militaires de Bergen, de Cherbourg et du Havre, ainsi
que les communications de l’état-major de l’OTAN à
Fontainebleau{2358}. À partir de 1950, les Soviétiques commencèrent à
développer parallèlement le R-11, un missile de courte portée, le R-5
ayant une portée de 1 200 km et le R-3 dont la portée devait atteindre
3 000 km{2359}. En 1951, Staline fit construire, en Extrême-Orient, un
chantier naval ayant la capacité de produire deux croiseurs et quatre sous-
marins par an.
Le 8 janvier 1951 se tint à Moscou, en présence de Staline, une
conférence des chefs des partis communistes et des forces armées de tout
le bloc communiste. Chtemenko expliqua à cette occasion qu’« à la fin
1953 l’OTAN aura fini ses préparatifs ; il est donc indispensable de
développer les armées des pays socialistes pour l’équilibrer ». Le
maréchal Rokossovski, alors ministre de la Défense en Pologne, objecta
qu’il projetait en Pologne pour 1956 l’armée que Chtemenko préconisait
pour 1953. Staline l’interrompit :

Si Rokossovski peut garantir qu’il n’y aura pas de guerre avant 1956,
alors on peut s’en tenir au plan précédent, mais, s’il ne le peut pas, il
vaut mieux adopter la proposition de Chtemenko{2360}.

Et il annonça aux ministres de la Défense des démocraties populaires


son intention d’occuper militairement toute l’Europe, la « guerre de Corée
ayant montré la faiblesse militaire des États-Unis{2361} ». Selon lui, « les
Américains devaient être balayés d’Europe avant que leur puissance
militaire et politique ne soit consolidée{2362} ».
Les mesures prises à l’issue de cette conférence sont significatives. En
février 1951 fut créé un Comité de coordination chargé de superviser les
programmes militaires et la production d’armements dans les démocraties
populaires, première ébauche du pacte de Varsovie{2363}. En novembre,
les Soviétiques décidèrent d’entraîner des pilotes militaires est-
allemands{2364}. De son côté, le communiste polonais Hilary Minc
déclara à un subordonné :

Nous devons être préparés au pire. La guerre peut éclater d’ici un an,
deux ans tout au plus. Nous reprogrammons notre économie pour
produire des armes{2365}.
Le Comité central du PC tchécoslovaque ordonna une augmentation
brutale des objectifs du plan, un renforcement de la centralisation,
l’élimination de l’artisanat et de la petite industrie privée et la
collectivisation de l’agriculture{2366}. La crise économique qui ravagea
les démocraties populaires au début des années 1950 fut d’ailleurs en
grande partie imputable aux dépenses militaires extravagantes exigées par
Staline. La RDA, par exemple, reçut l’ordre, début 1952, de développer
une industrie aéronautique et, à l’automne, les dirigeants est-allemands
apprirent qu’ils devraient trouver 2,7 milliards de marks pour financer
cette industrie en 1953 et qu’au lieu des 200 millions de marks prévus
pour le budget militaire ils devraient y consacrer 1,26 milliard de marks,
non compris les 600 millions de marks destinés à financer l’éducation
militaro-patriotique de la jeunesse{2367}.
En même temps, Staline ne cessait de harceler Beria pour qu’il accélère
au maximum la fabrication de la bombe H, car il le soupçonnait de faire
traîner les travaux dans ce domaine{2368}. Sans doute à juste titre : quand
Zaveniaguine demanda à Beria d’augmenter la production d’uranium 235
pour rattraper les États-Unis dans ce domaine, Beria lui répondit : « Notre
industrie de construction mécanique est déjà à genoux devant l’industrie
nucléaire » ; elle était incapable de produire en nombre des machines de
diffusion{2369}. Beria ne se hâta pas d’adapter les bombardiers les plus
modernes au transport de la bombe atomique et il aimait à dire, prétendant
se référer à Staline : « Il faut avoir la bombe, mais cela ne veut pas dire
que nous allons nous en servir{2370}. » Staline, lui, était si pressé qu’il
ordonnait de produire un système d’armes en série avant même de l’avoir
testé{2371}. En mars 1951, il commanda un bombardier intercontinental
ultrarapide capable d’atteindre l’Amérique, qui serait supérieur au B-52
américain ; ce bombardier à turbopropulseur, le Tu-95, fut mis à l’essai en
novembre 1952 mais ses performances furent jugées décevantes. En
septembre 1952, Staline lança la mise en chantier d’un sous-marin
atomique{2372}. Les dépenses d’armement augmentèrent de 60 % en
1951 et de 40 % en 1952. Quant aux effectifs de l’Armée rouge, ils
passèrent de 2,9 millions d’hommes en 1949 à 5,8 millions en 1953.
« En 1952, tout le pays était sur le pied de guerre. Les objectifs du
Comité central étaient parfaitement clairs : nous préparions la troisième
guerre mondiale, et ce serait une guerre nucléaire. Toutes les ressources du
pays étaient mobilisées{2373} », se souvient Sergo Beria. Le plan de 1952
prévoyait un important développement de la production de missiles et la
construction de nouveaux polygones d’essai et de bases de stockage, ainsi
que la création à Moscou de l’Institut de physique technique destiné à
former des cadres pour l’industrie militaire{2374}. Au printemps 1952,
Staline ordonna la création immédiate de cent divisions de bombardiers à
réaction et l’industrie aéronautique fut chargée de produire dans un délai
très court 10 300 bombardiers. La décision fut prise de construire, en
1953-1955, six nouveaux aérodromes sur le territoire soviétique – en
particulier dans la Tchoukotka où seraient aussi bâties les casernes abritant
les unités de parachutistes destinées à prendre d’assaut les États-
Unis{2375} – et cinq dans les pays socialistes. Et Staline donna l’ordre à
ses subordonnés de produire des hélicoptères de combat. Le Politburo
discuta même de la possibilité de créer une base aérienne au Mexique pour
approvisionner en carburant les bombardiers soviétiques{2376}. Dès
octobre 1952, les premiers éléments de la défense antiaérienne de Moscou
furent en place. Et, fin 1952, Staline ordonna à l’état-major de préparer le
déploiement de forces blindées soviétiques supérieures en Europe centrale
afin de prendre d’assaut les aéroports de l’OTAN pendant que les
bombardiers seraient en mission{2377}.
En septembre 1952, Staline reçut Chou En-lai, lui fit part de ses
dispositions conquérantes et lui déclara qu’à son avis la guerre de Corée
durerait encore un an ou deux. Après cela, la « Chine devait devenir
l’arsenal de l’Asie ». Chou évoqua alors les plans chinois de créer une
armée de 102 divisions, soit 3,2 millions d’hommes. C’est un
« minimum », lui répondit Staline. Chou parla de 150 régiments
d’aviation. « C’est trop peu, intervint Staline, il en faut 200{2378} ».
Or tous ces projets belliqueux inquiétaient fort les membres du
Politburo, conscients des risques que représenterait une guerre nucléaire et
persuadés que l’imminence du conflit fournirait à Staline le prétexte d’une
vaste purge. Sergo Beria s’en souvient :

Aucun des membres du Politburo, pas même Khrouchtchev, je dois le


reconnaître honnêtement, ne voulait de la guerre. Pour mener à bien
cette entreprise, Staline avait besoin d’être absolument sûr de ses
arrières, ce qui mettait les membres du Politburo en position précaire.
J’ai fréquemment entendu les quatre (Boulganine, Khrouchtchev,
Malenkov et mon père) discuter des moyens d’empêcher cette guerre
à tout prix{2379}.

Dès lors, la tactique de Beria consista à persuader les chefs militaires de


soumettre à Staline des notes prouvant que l’URSS n’était pas prête à
l’affrontement avec l’OTAN :

Mon père conseilla à plusieurs reprises à Boulganine de s’arranger


pour soumettre à Staline des rapports du chef d’état-major et des
chefs des différentes armées, d’inciter Staline à leur demander s’ils
répondaient de leurs forces et de leurs moyens, afin que ceux-ci lui
fassent comprendre que notre succès était loin d’être garanti{2380}.

Une note d’autojustification envoyée par Chtemenko à Khrouchtchev le


21 juillet 1953, après la chute de Beria, confirme la version du fils :

Vers la fin du mois de mai 1952, Beria me téléphona et me posa des


questions sur la situation au ministère de la Défense. […] Je répondis
qu’il y avait de nombreux problèmes non résolus, notamment dans le
domaine du Bureau pour l’Armement. […] Beria me dit : « Faites un
rapport sur ces questions au camarade Staline et insistez
particulièrement sur le fait que les questions dépendant du Bureau
pour l’Armement ne sont pas résolues. » Ce jour-là ou peut-être la
veille, le camarade Vassilevski et moi-même avions décidé de faire
un rapport sur ces problèmes au camarade Staline{2381}.
Dans ses Carnets, l’amiral N. D. Kouznetsov affirme avoir établi, le
31 juillet 1952, « un rapport sur les insuffisances de notre marine qui nous
coûtait des milliards. Il fut enterré dans les couloirs de
Boulganine{2382} ».
Il est difficile de distinguer le rôle de Beria dans la politique étrangère
de l’URSS à partir de la fin de la guerre. Celui-ci était très conscient que
toute mention de son nom à l’étranger, surtout dans un sens positif,
pouvait lui être fatale. Ainsi Litvinov et Maïski étaient-ils tombés en
disgrâce parce qu’ils étaient bien vus à l’étranger. Beria évita donc avec
soin tout tête-à-tête avec les diplomates ou les hommes d’État occidentaux
et n’entreprit rien pour dissiper sa réputation d’« Himmler » soviétique. Il
agit toujours à travers des tiers, restant dans les coulisses à tirer des fils
invisibles, comme le rappelle son fils :

Il prenait soin de ne jamais se découvrir quand il essayait de faire


passer une mesure : il le faisait en mettant d’autres gens en avant ; il
n’agissait jamais seul. De même, lorsqu’il mettait en œuvre une
politique ou un stratagème, il s’arrangeait pour que personne d’autre
ne puisse voir l’ensemble du tableau{2383}.

Sa tactique consista à placer ses hommes à des postes en apparence peu


importants, mais dont l’obscurité même offrait une certaine liberté
d’action. Ainsi il s’arrangea pour avoir en permanence des hommes au
sein du Comité Radio – par exemple Dekanozov de juin 1952 à avril 1953
–, la radio pouvant jouer un rôle essentiel dans le lancement de rumeurs. À
partir de 1947, Merkoulov, Koboulov et Dekanozov furent casés dans
l’administration des avoirs soviétiques à l’étranger, ce qui permettait à
Beria de développer une influence occulte en Allemagne et en Autriche,
d’autant que, jusqu’à l’été 1951, il conserva ses réseaux au sein du MGB.
D’autres proches de Beria furent « planqués » en Extrême-Orient, région
importante à cause des possibilités d’infiltration d’agents : Goglidzé à
Khabarovsk de 1943 à 1951, Gvichiani à Vladivostok de 1941 à 1950.
Beria avait ses hommes au sein de l’Informburo, tel V. G. Grigorian,
rédacteur en chef de la publication du Kominform – Pour une paix
durable, pour une démocratie populaire –, qui, on s’en souvient, fut
nommé, en mars 1949, chef de la nouvelle Commission des Affaires
étrangères remplaçant le Département des relations étrangères du Comité
central jusque-là dirigé par Souslov. Le 18 avril, cette Commission fut
chargée du contrôle de l’activité à l’étranger des organisations de masse.
Une politique étrangère parallèle fut ébauchée en son sein et se tissa dans
les coulisses, par des canaux confidentiels et des contacts secrets, passant
entre autres par le Congrès mondial pour la paix{2384}. Beria était aussi
proche d’un certain nombre de militaires : le maréchal Vassilevski, le
général Chtemenko, le général d’aviation P. F. Jigarev et le général
Artemiev, chef de la région militaire de Moscou.
Ainsi, face à Staline, se cristallisa un « parti de la paix ». Comme en
politique intérieure, l’affrontement entre Staline et le Politburo en vint à
recouvrir un enjeu réel. Ce « parti de la paix » essaya de jeter les premiers
jalons de l’après-Staline, ce qui explique que, vue de l’extérieur, l’URSS
semblait souffler alternativement le chaud et le froid. Les Occidentaux se
rendaient compte que certains dirigeants du Kremlin songeaient à relancer
une politique de détente.
Ainsi, entre avril et juin 1951, le ton de la presse soviétique se montra
moins agressif à l’égard des Américains et les diplomates remarquèrent
« un certain flottement » dans la politique étrangère soviétique{2385}. Le
23 juin, Jakob Malik, l’ambassadeur d’URSS aux Nations unies, affirma
dans une interview à une radio américaine la « possibilité de la
coexistence pacifique entre les deux systèmes », proposant l’ouverture de
conversations d’armistice en Corée. Le contact fut repris entre les
Occidentaux et les Soviétiques sur le problème de la circulation des
marchandises entre Berlin et la RFA. Puis l’URSS accepta l’ouverture
d’une conférence à Genève pour la reprise des échanges commerciaux
avec l’Ouest{2386}. Le 17 juillet, un groupe de quakers britanniques
visita Moscou et fut reçu par Malik. En juillet parut à Moscou une revue
en langue anglaise destinée à favoriser les contacts avec le monde anglo-
saxon et dont le premier numéro affirmait qu’aucun conflit d’intérêt ne
séparait l’URSS des États-Unis et de la Grande-Bretagne{2387}. Le
4 août, les Soviétiques abandonnèrent leur revendication de révision de la
convention de Montreux. Le 8 août, la Pravda publia un message de
Truman et les Soviétiques acceptèrent de participer à la conférence de San
Francisco, libérèrent des prisonniers alsaciens et lorrains et reprirent les
négociations sur le règlement du « prêt-bail » à Washington. Novembre
1951 marque toutefois la fin de l’offensive de paix ouverte en juin avec la
déclaration Malik. Vychinski laissa alors entendre que le gouvernement
soviétique n’interviendrait pas pour arrêter le conflit en Corée{2388}. De
nouvelles restrictions furent imposées aux diplomates en résidence à
Moscou{2389}. Et, le 16 décembre, Dean Acheson déclara au Conseil de
l’Atlantique Nord : « Nous ne pouvons dire à l’heure actuelle si nous nous
préparons pour une longue guerre froide ou pour une courte guerre
chaude{2390}. »
Quelques jours avant le retour de Churchill au poste de Premier
ministre, le 25 octobre 1951, l’ambassadeur de Pologne informa Eden
qu’« un changement au Foreign Office pourrait améliorer les relations
Est/Ouest », laissant entendre que des négociations informelles pourraient
être reprises à Paris ; et, dès son retour aux affaires, Eden fit savoir à
Vychinski qu’il était prêt à tenir des entretiens informels. Or le discours de
Vychinski à l’Assemblée des Nations unies, le 8 novembre, fut « d’une
violence inouïe{2391} ». Peu après, Guiorgui Zaroubine, l’ambassadeur
soviétique à Londres, confirma toutefois que Moscou souhaitait une
rencontre entre Eden et Vychinski lors de la conférence des Nations unies
à Paris. Mais le 22 janvier 1952, Vychinski repartit à Moscou sans attendre
qu’Eden pût lui rendre visite à Paris en toute discrétion. Pour Churchill et
Eden qui étaient revenus au pouvoir résolus à renouer le dialogue au
sommet avec Moscou, ce fut une douche froide.

La Conférence économique.
Dans un discours prononcé le 7 novembre 1951, Beria avait évoqué les
« possibilités extraordinairement grandes qu’offrent les relations
commerciales avec les pays capitalistes » et souligné que les Soviétiques
étaient prêts à « développer la coopération économique, sur la base des
intérêts réciproques, avec les États-Unis, l’Angleterre, la France et les
autres États des blocs Est et Ouest » – ce qui avait été relevé par la presse
helvétique{2392}. Or, dans sa brochure Les Problèmes économiques du
socialisme, publiée en 1952, Staline indiquait implicitement que bientôt le
bloc soviétique n’aurait plus besoin des importations en provenance de
l’Ouest. Le 4 novembre 1951, une résolution du Politburo critiqua le
ministère du Commerce extérieur accusé de ne pas tenir assez compte des
intérêts de l’État{2393}.
La question des relations économiques avec les pays non communistes
était, depuis 1945, l’un des enjeux dans les luttes au sommet au sein du
Kremlin et, depuis 1951, l’affrontement n’était plus souterrain. Le
contexte était favorable puisque la question du commerce avec les pays
communistes opposait l’Angleterre – et l’Europe – aux États-Unis
réticents à ouvrir leur marché aux exportations européennes. Les Anglais
surtout étaient tentés par les possibilités des marchés chinois et russe.
Quoique désireux d’élargir les échanges économiques avec l’URSS, les
Occidentaux étaient désarçonnés par les sautes d’humeur de Moscou.
Lorsque Gunnar Myrdal, alors secrétaire de la Commission économique
européenne des Nations unies, s’était rendu à Moscou à la mi-mai 1950
pour explorer les possibilités de développer les échanges avec l’URSS, il
avait été accueilli fraîchement et aucune de ses propositions n’avait été
acceptée. Mais, peu après, la Commission économique européenne avait
reçu une note dans laquelle l’URSS se déclarait désireuse de développer
ses échanges avec l’Ouest, d’exporter du blé et d’entamer des négociations
en ce sens{2394}. Et des responsables économiques des démocraties
populaires se prononçaient résolument en faveur du maintien, voire du
développement, des relations économiques avec les pays occidentaux. En
décembre 1950, M. Gregor, ministre tchécoslovaque du Commerce
extérieur, affirma que la Tchécoslovaquie « était toujours prête à des
échanges sur une grande échelle avec l’Occident à condition que ces pays
s’abstiennent de toute discrimination ». Au même moment, Étienne Doby,
le président du conseil de Hongrie, déclarait : « À l’avenir, nous nous
efforcerons d’établir des relations commerciales avec tous les pays, quel
que soit leur régime social. » Une délégation de parlementaires polonais
en visite en Belgique, début 1951, fit savoir que la Pologne désirait par-
dessus tout renouer ses relations commerciales traditionnelles avec
l’Occident{2395}.
C’est le Conseil mondial de la Paix (CMP) qui prit l’initiative. Il
dépendait de la Commission de politique étrangère du Comité central du
PCUS, où Beria était alors influent grâce à Grigorian{2396}. Lors de son
congrès tenu à Berlin, en février 1951, le CMP appela à réunir une
Conférence économique dans le but de « normaliser les échanges
internationaux et, par là, d’améliorer le niveau de vie des populations ».
Pendant plusieurs mois, cet appel sembla devoir demeurer sans suite. Le
6 août, les délégués polonais à l’ONU plaidèrent pour un élargissement du
commerce Est/Ouest. Enfin, le 20 août, le Politburo décida de réunir à
Moscou une Conférence économique internationale et créa une
commission chargée de la préparer. Le 3 septembre, l’accord commercial
franco-soviétique fut renouvelé grâce à des concessions soviétiques ; le
13 septembre, un accord commercial anglo-soviétique fut signé ; et, le
20 septembre, un accord commercial interzone fut signé à Berlin{2397}.
En octobre se créa à Copenhague un Comité d’initiative dont la mission
était de « restaurer les relations économiques internationales{2398} ». Le
professeur polonais Oskar Lange y jouait un rôle actif et allait inviter à la
conférence, entre autres, Henry Morgenthau et le banquier James
Warburg{2399}. Les Occidentaux notèrent que, dans son discours du
7 novembre 1951, Beria affirmait que les échanges économiques
pouvaient former une base d’accords. Le 21 novembre, en écho au
discours de Beria, Radio Moscou déclara :

Un vaste développement du commerce, sans ingérence dans les


affaires intérieures des autres pays, contribuerait à supprimer la
tension qui marque les relations internationales et à consolider la
paix{2400}.

Les choses semblaient donc se débloquer, même si la conférence prévue


pour décembre fut reportée en avril 1952 : « Une étape dans une
manœuvre politique à long terme », nota un diplomate français{2401}. En
janvier 1952, le gouvernement hongrois entra en pourparlers secrets avec
l’Angleterre afin de renouer les relations économiques et financières entre
les deux pays ; celles-ci avaient été interrompues en 1949, après
l’arrestation par les Hongrois d’un homme d’affaire britannique qu’ils se
déclaraient prêts à relâcher{2402}. En février 1952, une commission
chargée de préparer la conférence – composée de Molotov, Mikoïan,
Grigorian, P. N. Koumykine, nouveau ministre du Commerce extérieur, et
Boris Ponomarev – définit le but recherché : « instaurer des relations
normales avec les pays dans le domaine des échanges et de
l’économie{2403}. » Les organisateurs allèrent jusqu’à déclarer que la
conférence « donnerait la possibilité à tous les participants d’un large et
libre échange d’opinions, qu’elle ne prendrait aucune décision, mais
qu’elle se contenterait simplement de formuler des recommandations
pratiques{2404} ». L’ambassadeur de Suède à Moscou se dit frappé du
changement d’attitude des fonctionnaires du ministère du Commerce
extérieur soviétique, « beaucoup plus conciliants qu’il y a un an{2405} ».
Il estimait que l’initiative de la convocation de la Conférence économique
ne répondait pas seulement à des motivations de propagande.
Du 3 au 12 avril 1952, les 471 délégués de 48 pays présents à la
Conférence économique furent reçus avec faste, régalés de caviar et
pourvus d’argent de poche – mille roubles chacun – par leurs hôtes
soviétiques. Femmes et festins, rien ne manquait{2406}. Le chef de la
délégation soviétique, Nesterov, mit l’accent sur le besoin de l’URSS en
biens de consommation et fit miroiter des échanges commerciaux avec les
pays capitalistes qui s’élèveraient entre 7 et 10 milliards de dollars. Les
invités remarquèrent que les Soviétiques évitaient d’insister sur les thèmes
habituels de leur propagande. Fait inusité en cette période de campagne
antiaméricaine hystérique, les Russes s’abstinrent de la moindre attaque
contre les États-Unis. Le communiqué final appela « à développer les
échanges commerciaux », sans aucune référence à l’idéologie. Dans les
chancelleries, on eut l’impression que la conférence « n’était que la
première phase d’une campagne dont les développements méritaient d’être
suivis avec attention{2407} ».
Mais, à l’été 1952, les signaux contradictoires émanant du Kremlin se
multiplièrent, aucune ligne ne semblant pouvoir s’imposer. En mai 1952,
François Billoux, un dirigeant du PCF revenu de Moscou, appela les
communistes français à durcir la lutte, mais le 26 juin le PCF donna de
nouvelles directives, préconisant un retour à la politique de la « main
tendue » et de l’unité d’action, et Étienne Fajon fustigea le « sectarisme de
gauche{2408} ». Les diplomates occidentaux notèrent un paroxysme de la
campagne de haine contre les États-Unis en mai, juin et juillet{2409}.
Puis, le 9 juillet, le Politburo approuva une résolution rédigée par Piotr
Pospelov, qui invitait les correspondants étrangers de la Pravda à changer
de ton dans leurs articles sur l’étranger :

Beaucoup de reportages sont superficiels et rédigés sur le ton d’une


propagande hystérique ; ils ne contiennent pas de données factuelles
sur la situation économique et politique du pays en question ni sur sa
politique étrangère. En outre nos journalistes se permettent souvent
des attaques grossières et insultantes contre les dirigeants des pays
dans lesquels ils séjournent.

Cette résolution interdisait, en outre, aux journalistes soviétiques de


prendre part à des manifestations et des meetings hostiles au
gouvernement du pays hôte{2410}.

Des avertissements secrets de Beria ?


Toute une série d’épisodes curieux durant l’après-guerre dénotent la
volonté de Beria de se démarquer discrètement de la politique de Staline
devant les Occidentaux. En décembre 1947, le général du MGB Leonid
Malinine, qui en janvier 1946 avait remplacé Korotkov à la tête de la
résidence du MGB en Allemagne, entra en contact avec les Américains,
les étonnant par son franc-parler. Il rencontra l’ambassadeur Robert
Murphy à plusieurs reprises, de même que le général britannique sir Nevil
Brownjohn à qui il rendait visite en secret de nuit dans sa demeure. Il
laissa entendre à ses interlocuteurs américains qu’il était l’émissaire de
Beria. Nous ne disposons que de bribes pour établir la teneur de ces
entretiens, mais ces contacts furent, semble-t-il, l’occasion d’un véritable
tour d’horizon embrassant tout le problème des rapports soviéto-
américains{2411}. Une fuite dans la presse américaine indiqua qu’« un
général soviétique de haut rang » n’excluait pas une rencontre entre
Truman et Staline. En réalité Malinine cherchait surtout à signifier à ses
interlocuteurs que la politique de Staline en Allemagne allait se durcir,
qu’elle ne faisait pas l’unanimité à Moscou et qu’il représentait « certains
groupes » souhaitant parvenir à une entente avec les Occidentaux.
Malinine déclara entre autres à Murphy qu’il désapprouvait la politique
intransigeante à l’égard des Occidentaux menée par le successeur de
Joukov à la tête des forces armées soviétiques en Allemagne, le maréchal
Sokolovsky – et que l’URSS pourrait adhérer au plan Marshall{2412}. En
même temps, il affirma que Staline avait eu trois attaques en 1947,
donnant à penser que la succession était proche et que Molotov serait le
dauphin si Staline disparaissait. Quant à Beria, il n’était que le patron
nominal du NKVD depuis sept ans et avait, en réalité, été chargé pendant
la guerre de l’industrie d’armement et depuis de l’industrie lourde. Cette
présentation confirme que Malinine était bien l’émissaire de Beria qui
cherchait déjà à se dégager de l’encombrante étiquette de chef du NKVD
et à se donner l’image d’un gestionnaire pragmatique aux yeux des
Occidentaux. Le canal Malinine ne dura pas longtemps. Les indiscrétions
de la presse américaine mirent Staline sur la piste. Malinine fut rappelé à
Moscou, jugé en juin 1948 par ses pairs dans un « tribunal d’honneur » et
accusé d’avoir réduit à néant le renseignement en Allemagne. Les archives
montrent que les Soviétiques n’étaient au courant que d’une rencontre
avec les Américains. Beria parvint à garder le secret sur celles qui
suivirent et Malinine fut rétrogradé et recasé comme inspecteur des voies
ferrées{2413}.
Il y eut d’autres signaux. En octobre 1947, un haut fonctionnaire
polonais avait déclaré à un diplomate français que les Soviétiques
occuperaient le reste de l’Allemagne et la France afin que les États-Unis
fussent dépourvus d’infanterie. Selon lui les Soviétiques considéraient que
l’absence d’infanterie annulait l’avantage représenté par la possession de
l’arme atomique{2414} – ce Polonais était bien informé car c’était
effectivement le point de vue de Staline. Le mois suivant, un membre de la
mission militaire soviétique confia à son interlocuteur occidental que
Moscou n’attachait pas d’importance à la future conférence de Londres,
ayant compris que l’Europe occidentale allait lui échapper. L’objectif
prioritaire des Soviétiques était de faire échouer le plan Marshall et, dans
ce but, une grève serait déclenchée en France et une république des
montagnes serait proclamée en Macédoine afin de discréditer la politique
de Marshall{2415}.
En avril 1947, le Socialističeski Vestnik reçut une missive anonyme
émanant de toute évidence d’un responsable haut placé du programme
nucléaire soviétique{2416}. Cette lettre détaillait les préparatifs de guerre
de Staline, expliquant le transfert de l’industrie allemande sur le territoire
soviétique par la volonté de « rattraper et dépasser l’Amérique ». Pour
l’instant, l’URSS n’était pas encore prête, mais elle le serait dans deux ans
et demi. La lettre s’achevait sur cet avertissement :

La tendance au demi-appeasement qui règne en Europe occidentale


mènera à une catastrophe européenne. Staline a tout calculé, presque
au jour près. Il veut réaliser son plan de conquête avant sa mort, car il
n’a pas confiance en ses successeurs.

Le témoignage de Sergo Beria fait écho à cet avertissement :

Au cours d’une réunion, Staline déclara que lui seul avait les moyens
de faire gagner la guerre à l’Union soviétique. Après lui, une victoire
serait impensable{2417}.

Parmi les transfuges passés à l’Ouest après la guerre, un certain nombre


appartenaient au réseau de Beria. Ils étaient reconnaissables à leur volonté
de camoufler son rôle au NKVD et de le disculper des crimes commis sous
ses ordres : c’est le cas de l’Ossète G. A. Tokaev qui fit défection en
octobre 1947 et donna, pendant le blocus de Berlin, une série d’interviews
retentissantes appelant les Occidentaux à tenir bon. Il affirmait que
l’URSS préparait la troisième guerre mondiale et livra au MI6 une
information précieuse sur les programmes de construction de missiles mis
en œuvre par Staline{2418}.
Plus étonnant encore, sir William Stephenson, l’ancien responsable de
la British Security Coordination, l’antenne du MI6 aux États-Unis pendant
la guerre, avertit un interlocuteur américain, le 18 février 1948, que
l’URSS aurait la bombe en septembre 1949. Comme l’Américain lui
demandait si sa source était fiable, Stephenson répondit : « D’une fiabilité
absolue. Nous avons une taupe{2419}. » Et de fait, en juillet 1948, Klaus
Fuchs prévint le MGB que les Britanniques avaient une taupe au sein du
programme nucléaire soviétique{2420}.

Boris Morros, l’agent double.


Boris Morros, l’agent personnel de Beria infiltré à Hollywood, fournit
un autre canal. En 1940, Beria avait recommandé à Zaroubine de faire
appel à Morros pour faciliter l’implantation d’illégaux aux États-Unis et
en Europe. Morros subjugua Zaroubine, lui faisant miroiter des
perspectives grandioses, lui promettant de couvrir le monde d’un réseau de
firmes commerciales et lui laissant entendre qu’il n’était pas un agent
comme un autre pour le Centre, mais qu’il occupait une place privilégiée.
Il se vantait volontiers de connaître Beria en personne. Le 4 avril 1942, il
fit transmettre son salut à ce dernier, l’assurant qu’il ferait tout ce qu’il
pourrait, à condition que les hommes du NKVD « soient honnêtes avec
lui{2421} ». Début 1944, Morros créa une firme de production de disques
avec l’appui financier du NKGB. Zaroubine avait trouvé une vache à lait
en la personne d’Alfred Stern, le riche mari américain marxisant de
Martha Dodd, recrutée par le NKVD en 1934 alors que son père était
ambassadeur à Berlin. Sur ordre de Zaroubine, Stern dut financer la firme
créée par Morros qui reçut la somme énorme de 130 000 dollars. La Boris
Morros Musical Company devait assurer une couverture aux agents que
Moscou voulait infiltrer dans les pays occidentaux. Non content des
largesses de Stern, Morros ne se gênait pas pour emprunter de l’argent à
Zaroubine, qu’il ne lui rendait pas{2422}. Celui-ci était si fier de son
poulain qu’il le présenta à Molotov lorsque celui-ci vint aux États-Unis en
1942{2423}. Il disait que le succès de la firme de Morros serait le
« couronnement de son œuvre{2424} ». Mais, en définitive, la Boris
Morros Company n’a jamais servi de couverture à des agents soviétiques
car elle ne s’est jamais assez développée. En revanche, elle fut profitable à
l’entreprenant impresario hollywoodien qui escroqua le milliardaire rouge
Stern de 30 000 dollars, ce qui incita Martha Stern à le dénoncer à
Moscou, en court-circuitant son nouvel agent traitant Jack Soble. Et
Morros lui renvoya l’ascenseur en exigeant de Stern qu’il verse à celui-ci
5 000 dollars à la veille de son retour en URSS en 1944{2425}. Quant à
Zaroubine, il escamota 80 000 dollars que le MGB chercha en vain à
récupérer après sa disgrâce pour alcoolisme en 1947{2426}.
Le FBI avait l’œil sur Boris Morros depuis la fameuse lettre d’août
1943 qui l’accusait d’être l’intermédiaire entre Zaroubine et les
Allemands. En juillet 1947, Morros fut retourné par le FBI{2427}. Poussé
par ses contrôleurs américains, il appâta de plus belle les Soviétiques par
ses potentialités mirobolantes : il connaissait la nièce du cardinal
Spellman et pouvait créer une filiale de sa compagnie à Rome – pourvu
que Moscou lui avance les fonds. Il entretenait des relations amicales avec
lord Ismay, le général Spaatz, le premier chef d’état-major de l’aviation
américaine, et Thomas Dewey, le gouverneur de New York, ainsi
qu’Arthur H. Vandenberg, président du Comité des relations
internationales au Sénat{2428}. Il se vanta de ses relations avec la femme
du général Lucius Clay, le gouverneur général de la zone d’occupation
américaine en Allemagne et le principal organisateur du pont aérien qui
avait brisé le blocus de Berlin organisé par Staline en 1948. Morros ayant
déclaré qu’elle trompait allégrement son époux, Moscou se montra
intéressé : n’y aurait-il pas moyen de cultiver cette relation de manière à
discréditer le général Clay{2429} ?
Durant cette période de vaches maigres pour le renseignement
soviétique aux États-Unis, Morros apparut comme une trouvaille
providentielle. Et puis il vivait sur un grand pied, invitait Zaroubine, et
son successeur Jack Soble, dans les restaurants les plus huppés. Il leur
insuffla si bien un goût de l’argent bien peu bolchevique que ceux-ci se
firent ses avocats empressés auprès de leurs chefs. Comme le notait Soble
dans un rapport à Moscou, « du point de vue marxiste il est totalement
analphabète, mais ce n’est pas sa faute{2430} ».
En mai 1948, Morros dit à Soble qu’il ne voulait plus avoir affaire à des
sous-fifres incompétents et qu’il désirait rencontrer Beria « qui m’a
envoyé à l’étranger ». En juillet, il revint à la charge et proposa de se
rendre en URSS pour « rencontrer les dirigeants soviétiques ». À Moscou,
P. V. Fedotov, alors vice-président du Comité d’information (KI), un
proche de Beria, nota : « Camarade Korotkov. Je ne suis pas convaincu que
“John” Morros soit vraiment désintéressé dans ses offres de coopération
avec nous. Mais ce n’est pas un homme à qui on peut dire non{2431}. » Le
25 août, Korotkov, alors le chef des illégaux, rencontra en Suisse Morros
qui lui proposa de créer en URSS une société de production de téléfilms
pour le marché américain, qui aurait des filiales aux États-Unis et en
Europe et pourrait rendre de grands services au MGB. Pour cela il n’avait
besoin que de 300 000 dollars. Korotkov se montra intéressé, soulignant
que le MGB ne regardait pas à la dépense pour ce genre de projets, et
promit d’en parler à Beria et d’obtenir son autorisation{2432}. Dans son
compte-rendu, Korotkov nota que Morros était un homme d’affaires
américain typique, peu intéressé par les problèmes sociaux et au passé
trouble – dès cette époque, le lien avec Beria gênait le MGB. Cependant,
ajouta Korotkov, rien ne permettait de penser qu’il voulait tromper l’URSS
ou qu’il était téléguidé par les Américains. Mais il n’était pas solidement
arrimé au renseignement soviétique et n’avait jamais rien fait contre les
États-Unis. Toutefois, ses potentialités étaient intéressantes et, en
attendant d’accepter son offre, il fallait le mettre à l’épreuve. Qu’il se
rende à Rome, qu’il obtienne une audience du pape et qu’il se rende
ensuite à Berlin et étudie l’entourage de Clay{2433}.
Sans conteste, les Américains tenaient à ce contact avec Beria et
voulaient que Morros sorte victorieux de cette mise à l’épreuve : en
septembre 1948, il obtint une audience du pape et, en février 1949, il fut
reçu à la Maison Blanche – c’est du moins ce que, sous la dictée du FBI, il
raconta à ses agents traitants soviétiques suspendus à ses lèvres. À la mi-
septembre 1949, Morros demanda l’autorisation de se rendre à Moscou et
Fedotov appuya sa demande auprès de Souslov. L’ambassadeur d’URSS en
France, Alexandre Bogomolov, expédia les formalités et Korotkov
chapeauta toute l’opération. Enfin, en novembre, Morros arriva à Moscou
où il demeura jusqu’au 6 février 1950. Durant deux mois, il mena des
pourparlers avec le ministère du cinéma en vue de parvenir à un accord
pour tourner des téléfilms en URSS à destination du public américain,
pour obtenir le droit de diffuser de la musique russe aux États-Unis, et
pour vendre en URSS des films d’Hollywood ; il se vantera d’ailleurs, à
son retour, d’avoir vendu cinquante films pour la somme de 20 000 dollars
chacun{2434}. Il voulait aussi s’assurer l’exclusivité des droits de
diffusion de la musique soviétique aux États-Unis. Les officiers du MGB
furent moins satisfaits et se plaignirent qu’il ne fournisse aucune
information de valeur et qu’il n’ait rien sacrifié pour l’URSS. Ils lui
reprochèrent en outre d’avoir une épouse « petite-bourgeoise », ce à quoi
Morros répondit qu’il manquait d’expérience et qu’il aurait besoin de la
présence constante d’un officier traitant pour le guider.
Le 20 janvier 1950, il rencontra Korotkov puis Fedotov en personne, qui
lui fut présenté comme l’adjoint de Malenkov. Fedotov lui dit que le
capitalisme était condamné, que les Soviétiques voulaient la paix mais
que, si l’Amérique déclenchait la guerre, l’URSS serait prête. Les États-
Unis avaient encore une petite avance technologique, mais bientôt ils
perdraient cet avantage car la Russie était en train de les rattraper. Elle
avait conquis en quelques années la Pologne, l’Allemagne, l’Autriche que
Moscou n’abandonnerait jamais, la Tchécoslovaquie, la Chine et la
Yougoslavie. Tito n’en avait plus que pour quelques mois et sa chute était
prévue d’ici août. Quant à l’Allemagne, l’URSS avait pris sa décision et
elle était persuadée que les États-Unis n’y mettraient pas d’obstacle. Là
encore, tout serait résolu en un an. Mais la priorité immédiate était
l’Indochine, maintenant que la question chinoise était réglée. Ensuite ce
serait le tour du problème allemand, puis viendrait celui des États-Unis.
Fedotov décrivit comment l’URSS projetait de « prendre le contrôle de
Saïgon ». Puis il demanda à Morros s’il y avait un moyen de brouiller
Acheson et Truman. Truman, poursuivit-il, était bon pour l’Amérique,
« bien meilleur que nous ne l’avions pensé ». Il serait souhaitable qu’il
rencontre Staline, mais les Soviétiques n’osaient le demander de peur de
perdre la face. Mais Truman avait commis une sottise en rendant publique
la décision de fabriquer la bombe H : Staline n’aurait jamais commis cette
erreur. L’URSS aussi était en train de fabriquer la bombe H et elle
n’hésiterait pas à l’employer. Les Américains ne devaient pas se bercer
d’illusions sur leur supériorité technique. L’essentiel c’étaient les
hommes. L’armée soviétique était à son apogée et pour elle les vies ne
comptaient pas. Les soldats soviétiques étaient de bons soldats car chaque
division était une division kamikaze. L’URSS avait beaucoup d’or et elle
pouvait casser le dollar en un an ou quand elle le jugerait
nécessaire{2435}.
L’expérience de ces quelques semaines passées en URSS dut être
traumatisante pour notre homme : selon l’informateur du FBI, Morros
rentra métamorphosé de Moscou. Il se livrait à de violentes diatribes
contre les Américains de gauche, ce qu’il n’avait jamais fait auparavant, et
répliqua sèchement à son fils qu’à l’avenir il ne supporterait plus ses vues
gauchisantes. Il déclara haïr la Russie, les États-Unis et le Parti
communiste. Il affirma ne pas comprendre comment les Russes avaient pu
se fourvoyer et se laisser asservir à ce point. « J’aimerais crier sur les toits
à quel point j’ai été idiot auparavant. Avant ce voyage je ne savais
rien{2436} », déclara-t-il. Au printemps 1950, les Soviétiques
commencèrent à se méfier de Morros, se rendant compte qu’il les menait
par le bout du nez, même s’ils attribuaient son comportement à sa volonté
de leur extorquer des fonds et non à un double jeu. Pour redorer le blason
de Morros, le FBI le laissa se rendre en Yougoslavie, en octobre 1950, sous
prétexte de tourner une vie de Tito.
Lors de ses rencontres à Vienne et en Suisse, Morros glana encore des
informations auprès de ses interlocuteurs soviétiques : sous couleur de
vanter la puissance de l’URSS, ceux-ci détaillaient les préparatifs de
guerre, comme les manœuvres dans l’Arctique au printemps 1951, la
nouvelle bombe atomique testée avec succès et dont les Américains
n’avaient pas idée, ou encore les progrès en matière de technologie des
satellites. Morros fut aussi prévenu du projet d’assassinat de Tito nourri
par Staline. Détail intéressant : ses interlocuteurs soviétiques lui
présentèrent Malenkov comme un partisan de la guerre avec les États-
Unis{2437}. En janvier 1952, son contact au MGB évoqua la fragilité de
l’emprise soviétique sur les démocraties populaires{2438} ; et, à l’été,
Morros apprit que le Kremlin avait déployé des bataillons de
propagandistes pour semer la zizanie entre la France et
l’Angleterre{2439}. Enfin, en juin 1953, l’homme du MGB lui rapportera
les propos de Beria, selon lesquels les Soviétiques disposaient d’un
système permettant de détecter les attaques nucléaires à un rayon de
633 miles, et lui confiera que le MGB connaissait l’emplacement exact
des armes atomiques stockées en France, ajoutant que les Soviétiques
avaient un agent à la chancellerie de Churchill et un autre en poste auprès
d’Eden{2440}. Ainsi, par le truchement de l’agent double Boris Morros,
Beria avertit les États-Unis des plans de Staline et du gigantesque
programme d’armements auquel l’URSS s’était attelée.

La mise en œuvre du rollback et la guerre psychologique


américaine.
En Occident, on se doutait que des clans s’affrontaient dans les murs du
Kremlin. On notait les oscillations en apparence inexplicables de la
politique de Moscou, les petites phrases échappées ici ou là aux
diplomates soviétiques, les rumeurs émanant de la boîte noire moscovite.
Les Américains étaient conscients des effets dévastateurs possibles de la
lutte pour la succession de Staline. L’ouverture – partielle – des archives
américaines incite d’ailleurs à prendre en compte un facteur sous-estimé
jusque-là, et dont il est difficile de mesurer l’impact car les documents
concernant les opérations concrètes ne sont pas déclassifiés : la guerre
psychologique menée par Washington. En effet, l’administration Truman
ne se contenta pas d’endiguer l’expansionnisme soviétique. Elle
ambitionnait d’éliminer le régime stalinien sans déclencher de guerre,
surtout après l’acquisition par l’URSS de la bombe atomique.
En juin 1948, le Conseil national de sécurité – le NSC – adopta la
directive NSC 10/2 qui recommandait le recours aux opérations
clandestines « y compris l’aide aux mouvements de résistance » et aux
groupes émigrés{2441}. L’Office of Special Projects, qui deviendra
ensuite l’Office of Policy Coordination, fut chargé d’organiser la
subversion dans le bloc communiste et de monter les opérations
clandestines. Il était dirigé par un ancien de l’OSS, Frank Wisner, et
commença à fonctionner le 1er septembre 1948. Deux mois plus tard fut
adoptée la directive NSC 20/4 qui formulait les objectifs de la politique
américaine pour les sept ans à venir : les États-Unis devaient lutter contre
l’URSS par tous les moyens sauf la guerre. Ils devaient forcer les
Soviétiques à conformer leur comportement international aux principes de
la Charte des Nations unies. Pour cela, ils devaient affaiblir le contrôle
soviétique sur l’Europe de l’Est et saper l’hégémonie du Parti communiste
en URSS, en particulier en appuyant les nationalismes, la rupture
Tito/Staline semblant alors offrir des perspectives prometteuses{2442}.
Le Comité pour une Europe libre fut créé le 17 mai 1949 et la première
émission de Radio Free Europe (RFE) eut lieu le 4 juillet 1950 en
direction de la Tchécoslovaquie.
La directive NSC 68, signée par le président Truman le 30 septembre
1950, préconisait une intensification des opérations de subversion. Le
Congrès approuva notamment le projet de recrutement dans l’armée
américaine de 50 000 émigrés originaires de l’Europe orientale en vue des
opérations de guérilla derrière le rideau de fer – projet qui ne sera jamais
réalisé{2443}. Durant l’été 1951, le Congrès examina le projet
d’amendement Kersten au Mutual Security Act, dirigé par Averell
Harriman. Cet amendement, qui prévoyait l’attribution de 100 millions de
dollars pour la subversion du régime soviétique de l’intérieur, et en
particulier la création de légions antibolcheviques, fut adopté en
octobre{2444}. Truman approuva la directive NSC 10/5 du 23 octobre
1951, qui définissait les objectifs de l’action clandestine : « Mettre la
pression maximale sur les structures de pouvoir soviétiques. […]
Développer la résistance clandestine et faciliter des opérations secrètes de
guérilla{2445}. »
Le 4 avril 1951, l’administration Truman créa le Psychological Strategy
Board chargé de la guerre psychologique contre l’URSS, placé sous la
direction de l’amiral Leslie Stevens{2446}. L’idée était d’exploiter la
structure paranoïaque du pouvoir soviétique et de semer la zizanie au sein
des hommes du Kremlin{2447}. « La jalousie et le soupçon paranoïaque
au sein des groupes dirigeants{2448} », selon l’expression du diplomate
Charles Bohlen, constituaient le talon d’Achille du système soviétique aux
yeux des experts américains. Une équipe de six experts formula les buts à
atteindre grâce à la guerre psychologique : un abandon de la RDA par
Moscou et la réunification de l’Allemagne, la neutralisation de la structure
de pouvoir soviétique et des mécanismes de contrôle du Kremlin,
l’encouragement de la zizanie entre le Parti et le haut commandement
militaire et le démembrement de l’URSS en États nationaux. Il fallait de
surcroît susciter les défections, surtout des personnages occupant une
position élevée au sein du Parti ou de l’armée, mieux utiliser les
transfuges et étudier les modalités de la propriété à la campagne et dans
l’industrie.
Les soviétologues de l’administration Truman étaient conscients qu’il
faudrait démanteler l’appareil d’État soviétique avant de songer à
organiser des révoltes de la population. La priorité alla donc à
l’affaiblissement des organes centraux du pouvoir. Pour cela la stratégie
clandestine américaine devait avoir recours à la désinformation, en
particulier à l’encontre des membres du Politburo, à la compromission des
dignitaires importants, à la création de conflits entre le Parti et la Sécurité
d’État, entre le Parti et l’armée, et entre l’armée et la Sécurité d’État. Il
fallait retourner contre le régime son hypercentralisation en paralysant
l’appareil de prise de décision, afin de susciter une révolution par en haut
dans les appareils d’État et de la Sécurité{2449}.
Depuis 1946, les experts américains, à commencer par Kennan,
considéraient que la mort de Staline allait ouvrir une période critique pour
le régime soviétique. Les spécialistes de la guerre psychologique
cherchèrent donc à élaborer une stratégie pour exploiter ce moment
unique. Fin 1951, l’administration Truman mit en place le Soviet
Vulnerabilities Project, qui réunit la fine fleur des soviétologues afin
d’élaborer des techniques sophistiquées de guerre psychologique contre
les dirigeants de l’URSS. Ce groupe d’experts recommanda à
l’administration de présenter aux Soviétiques l’existence d’un « troisième
choix » : une Russie débarrassée de la dictature bolchevique et dont les
intérêts de sécurité seraient pris en compte. Cette stratégie visait surtout à
séduire le haut commandement de l’Armée rouge. Les experts du Soviet
Vulnerabilities Project étaient persuadés que deux camps s’opposaient au
Politburo, celui des vieux bolcheviks, comme Molotov et Kaganovitch, et
celui des nouveaux bolcheviks, les créatures de Staline qui n’avaient guère
connu que la bureaucratie totalitaire stalinienne, comme Beria, Malenkov,
Khrouchtchev et Boulganine. Ces clans allaient s’affronter à la mort de
Staline et une habile politique américaine pourrait empêcher la
consolidation du pouvoir. Les successeurs probables de Staline étaient
Malenkov et Beria et c’était ce tandem qu’il fallait détruire en priorité. Le
Soviet Vulnerabilities Project rendit ses conclusions en août 1952 et il
n’eut guère le temps d’influencer la politique de l’administration Truman.
En revanche la stratégie qu’il recommandait sera prise en compte par
l’administration Eisenhower après la mort de Staline{2450}.
Le 6 janvier 1952, un mémorandum consacré à la guerre psychologique
recommanda une contre-offensive occidentale contre l’URSS et ses
satellites est-européens, dont « le but serait d’augmenter le
mécontentement, les tensions et les divisions » existantes au sein du bloc
communiste, « tout en évitant de fomenter un sabotage de grande échelle
prématuré et inutile, ou bien une révolte armée en URSS ou dans un
satellite{2451} ». Le projet « Annulation », adopté par le Bureau de guerre
psychologique le 1er novembre 1952, examina les conséquences possibles
de la mort de Staline : une scission au sein de la direction du PCUS, la
cristallisation des mécontentements, une guerre générale, l’implosion du
régime. Mais le projet ne définissait guère de ligne d’action{2452}.

L’utilisation des émigrés.


Dans leur entreprise de subversion de l’Empire soviétique, les
Américains se trouvèrent face au même dilemme que les Allemands à la
fin de la guerre : fallait-il miser avant tout sur le peuple russe, en
s’aliénant les nationalités de l’empire plus réceptives à la propagande
antibolchevique, ou au contraire fallait-il se fonder sur les peuples de
l’URSS en risquant de laisser à Moscou l’arme du nationalisme russe ?
Comme les Allemands, les Américains essayèrent de louvoyer et de
trouver des formules de compromis et, comme eux, ils se heurtèrent à
l’intransigeance des uns et des autres.
En octobre 1950, les Américains proposèrent aux dirigeants de
différentes organisations émigrées russes – socialistes de la Ligue pour la
lutte pour la liberté du peuple, solidaristes du NTS, ex-vlassoviens – de
former un centre commun que les États-Unis se chargeraient de financer et
d’équiper, à condition que des représentants des allogènes en fassent aussi
partie{2453}. À Washington, on s’imaginait qu’il serait facile de réunir
les émigrés derrière un programme de lutte contre le régime communiste,
en considérant que la question nationale pourrait être résolue après la
disparition de l’empire communiste, de manière démocratique. Mais on
déchanta vite. Les émigrés russes ne voulaient pas entendre parler d’un
éclatement de l’URSS, tandis que les allogènes exigeaient que la chute du
régime communiste s’accompagnât d’emblée de la fin de la domination
russe. Les Américains se retrouvèrent dans l’ingrate situation d’arbitre. Ils
penchèrent dans un premier temps vers la position russe, d’autant qu’ils
commencèrent par négocier avec Kerenski qui vivait aux États-Unis, alors
que les organisations allogènes se trouvaient plutôt en Europe. En février
1951, ils créèrent un Comité américain pour la libération des peuples de
l’URSS – l’Amcomlib –, présidé par l’amiral Leslie Stevens. Ce Comité
patronna un Centre de coordination de la lutte antibolchevique réunissant
les émigrés russes et non russes, et la radio Voice of America commença à
émettre vers les républiques non russes de l’URSS en 1951. Vers la
Géorgie, ces émissions furent inaugurées le 26 mai 1951 par un discours
de Dean Acheson : « Le monde se souvient combien vous, Géorgiens, avez
souvent lutté pour le principe de votre liberté. […] Vous avez été souvent
conquis, mais jamais soumis. » Eugene Lyons, le premier président de
l’Amcomlib, estimait que

d’attiser les antagonismes raciaux et nationaux au sein de l’empire


soviétique […] risquait de se retourner contre nous car […] la
menace d’un démembrement arbitraire pouvait rallier autour du
Kremlin cent millions de Grands-Russes et des dizaines de millions
d’allogènes.

L’Amérique « n’avait pas à prescrire en détail les arrangements


politiques et sociaux qui remplaceraient le régime soviétique{2454} ».
L’Amcomlib se déclara donc opposé à la « balkanisation » du territoire
russe{2455}.
Le 16 janvier 1951, les organisations russes se réunirent pour la
première fois à Füssen en RFA. Dès le premier jour, la question nationale
devint une pierre d’achoppement, le « droit à l’autodétermination, y
compris à la sécession », n’étant reconnu que par la Ligue et les ex-
vlassoviens. In fine fut adoptée la formule de l’« égalité de droits » pour
les différents peuples, la chute du régime bolchevique devant être suivie
par la convocation d’une Assemblée constituante. Les Américains
obtinrent toutefois l’abandon de la référence à l’« unité de la famille des
peuples de Russie ».
S’ouvrit alors une longue période de marchandages avec l’Amcomlib.
Les Américains, dont le négociateur était Isaac Don Levine, exigeaient que
les Russes acceptent l’organisation de plébiscites sous contrôle des
Nations unies dans les républiques allogènes qui le souhaiteraient, mais ils
penchaient toujours vers le point de vue des émigrés russes. En mai 1951,
l’Amcomlib fut rebaptisé en Comité américain de libération des peuples
de Russie pour ménager les susceptibilités russes{2456}, et, à l’initiative
du sénateur Mac Mahon, le Congrès adopta une Déclaration d’amitié à
l’égard du peuple de Russie. Le 19 août, l’Amcomlib tint son premier
congrès qui réunit à Stuttgart les organisations russes – dont Kerenski – et
allogènes, afin de rédiger la mouture finale de la plate-forme du futur
Centre antibolchevique et créer un Bureau. Tout en réaffirmant l’« égalité
de droits entre les peuples », ce programme prévoyait un scrutin panrusse
pour déterminer l’avenir de l’État russe.
Les Russes crurent la partie gagnée. En réalité, à partir de l’été 1951,
l’Amcomlib commença à infléchir sa politique. Le 26 juin, Dean Acheson
dénonça devant le Sénat l’« impérialisme russe » auquel le régime
communiste n’avait fait qu’ajouter « de nouvelles armes et de nouvelles
tactiques{2457} ». Les cercles proches du Pentagone, les lobbies baltes et
polonais, et les services britanniques favorisaient l’utilisation de la carte
nationale contre la dictature du Kremlin. Par ailleurs, les progrès de la
construction européenne et l’adhésion de la Turquie à l’OTAN renforçaient
la cause des séparatistes.
Les allogènes ne restaient pas les bras croisés. Le 20 octobre 1951, un
Congrès de l’émigration géorgienne se tint à Paris, qui élut un Conseil
national géorgien. Les Russes furent très désagréablement surpris lorsqu’à
la réunion suivante de l’Amcomlib, convoquée à Wiesbaden début
novembre afin de former un Comité exécutif provisoire et d’adopter un
programme commun d’action contre l’URSS{2458}, les Américains
ajoutèrent, aux cinq organisations politiques russes, six organisations
allogènes avec lesquelles ils avaient mené des pourparlers parallèles.
Cependant, le camp des allogènes était tout aussi divisé que celui des
Russes sur la possibilité de collaborer avec les « moscoutaires » : le
Tchétchène Avtorkhanov, l’Azerbaïdjanais Fatalibeyli et le Géorgien Noé
Tsintsadzé furent critiqués par certains de leurs compatriotes pour s’être
assis à la table de négociation avec les Russes. À la grande fureur des
Russes, les Américains substituèrent au Bureau panrusse créé à Stuttgart
un Comité de coordination de l’activité antibolchevique où Russes et
allogènes étaient représentés sur une base paritaire. En outre, les
Américains refusèrent de confier au Bureau panrusse le contrôle du
financement de l’ensemble du projet, ce qui lui aurait permis de constituer
des groupuscules allogènes « fédéralistes » prorusses qu’il aurait inclus
dans le Centre pour satisfaire l’Amcomlib. Cependant, les allogènes
étaient tout aussi mécontents car le Centre leur semblait dominé par les
Russes – Melgounov et Kerenski –, même si la déclaration commune
mentionnait le « droit à l’autodétermination ». Les mencheviks géorgiens
acceptèrent néanmoins d’y adhérer, tandis que les organisations
ukrainiennes se montrèrent pour la plupart intraitables.
Le Centre de coordination de la lutte antibolchevique vit enfin le jour, le
16 octobre 1952, lors de la conférence de Munich qui réunit les
représentants de onze organisations émigrées russes et allogènes.
Melgounov réussit à maintenir dans la plate-forme le point prévoyant la
convocation d’une Assemblée constituante. Pour manifester leur refus de
collaborer avec ce Centre jugé dominé par les Russes, les nationalités
s’organisèrent, avec l’appui de ceux qui, au sein de l’Amcomlib,
favorisaient l’utilisation de la carte des nationalités ; on notera au passage
la coïncidence de date avec le discours de Beria au XIXe Congrès du
PCUS, qui était lui aussi un appel du pied aux nationalités. En novembre
1952 se tiendra une conférence des peuples du Caucase et une conférence
« Prométhée » réunissant Ukrainiens, Biélorusses et d’autres nationalités
de l’URSS. Un Comité pour l’indépendance du Caucase sera créé. En
janvier 1953, les groupes russes riposteront en exigeant l’inclusion dans le
Centre de quatre nouvelles organisations allogènes prorusses. C’était le
début d’une tentative de prise de contrôle du Centre, à laquelle
l’Amcomlib, alors dirigé par l’amiral Stevens, ne s’opposera d’abord que
mollement.
Bien sûr, Staline était au courant de ces tentatives de subversion et c’est
précisément en novembre 1951 que se cristallisa l’affaire mingrélienne, au
moment de la conférence de Wiesbaden. Staline s’inquiétait si fort de la
création du Centre de coordination de la lutte antibolchevique qu’il
ordonna, en mars 1952, l’assassinat de Kerenski que les Américains
songeaient à placer à la tête de ce Centre{2459}. En décembre 1952, le
MGB porta un coup très dur aux espoirs de subversion du bloc
communiste par des réseaux de résistance soutenus par les Occidentaux :
Radio Varsovie annonça que l’organisation clandestine WiN, créée en
Pologne après la guerre avec l’aide des Occidentaux, était infiltrée par la
Sécurité polonaise depuis au moins 1948{2460}.
Tout cet aspect de la politique américaine précise le contexte de
l’affaire mingrélienne. De même que les priorités formulées par les
architectes de la guerre psychologique américaine préfigurent pour la
plupart celles de Beria après la mort de Staline : soit qu’il fût influencé
par ce qu’il apprenait de ses agents, soit que lui-même ait été en mesure de
guider discrètement les analyses des experts américains grâce aux contacts
de ses réseaux personnels.

21

La Géorgie dans la guerre froide


En 1945, après le voyage de Charia à Paris, Beria eut de grands projets
pour l’émigration géorgienne dont il avait entrepris la conquête. Mais le
déclin de son influence, fin 1945, la mise à l’écart de Merkoulov au
printemps 1946, l’échec de la politique d’agrandissement territorial des
républiques caucasiennes au détriment de la Turquie et surtout l’irruption
de la guerre froide bouleversèrent ses plans. Désormais, comme en 1938-
1940, Beria se préoccupait surtout du sort de la Géorgie et du Caucase en
cas de nouvelle guerre mondiale. Sa politique géorgienne présenta des
similitudes frappantes avec celle menée dans la période qui suivit les
accords de Munich : preuve qu’il était convaincu que Staline allait
déclencher la guerre.
Comme souvent Beria s’efforça de détourner la ligne générale du Parti
au profit de la réalisation de ses desseins. La politique de rapatriement des
émigrés était la politique officielle de l’URSS en 1945-1946 et Beria en
tira deux avantages : le prétexte à maintenir à Paris une petite équipe
d’agents personnels qui lui étaient dévoués ; le moyen de faire revenir en
Géorgie un certain nombre de personnalités qui pouvaient lui être utiles
pour ses projets ultérieurs.
Le jour de son départ de Paris, Charia avait recommandé à Méounarguia
de publier dans la revue Kartuli Sakme un appel aux émigrés à revenir en
Géorgie soviétique, mais sans rien leur promettre, « car cette question
n’avait pas encore reçu l’accord de l’État{2461} ». En 1946, pour
organiser le rapatriement, Beria mit en place une équipe dirigée par
Gouzovski, promu au rang de conseiller sur recommandation de Charia à
son retour de Paris{2462}. À partir de mars 1946, Gouzovski fut dessaisi
des affaires géorgiennes et rappelé à Moscou en novembre 1946. C’est
alors Tavadzé, premier secrétaire de l’ambassade soviétique, arrivé en
France en janvier 1946 avec la mission officielle de « pourrir »
l’émigration géorgienne, qui prit le relais ; il avait été secrétaire du
Comité central du PC géorgien de 1938 à 1943, puis ministre du Contrôle
d’État en Géorgie de 1943 à 1946. Il était toujours secondé par Akaki
Nijaradzé, et par l’attaché d’ambassade David Mataradzé et son épouse
Vardo Maximelichvili. Mataradzé et Maximelichvili avaient été expédiés
à Paris en mai 1946 avec la mission avouée de repérer les filières
d’infiltration en Géorgie utilisées par le Bureau de l’étranger des
mencheviks. Le couple Mataradzé se lia avec Tavadzé, formant un
idyllique ménage à trois, Maximelichvili allant jusqu’à prévenir son
amant que le MGB était en train de constituer un dossier sur lui et le
soumettait à des filatures – ce qui n’empêchait pas Tavadzé et Mataradzé
de fréquenter Pigalle avec délices.
En 1946, cette petite équipe reçut le renfort temporaire de
S. Kavtaradzé, ambassadeur d’URSS en Roumanie, qui assistait à la
Conférence de paix et en profita pour rencontrer des émigrés comme
Spiridon Kedia, un de ses anciens camarades de classe. Le trio avait reçu
la recommandation de Goukasov de s’appuyer sur Gueguelia, « un agent
précieux ». En juillet 1946, ils commencèrent à le fréquenter sans prendre
la moindre précaution, alors que celui-ci était déjà repéré par le contre-
espionnage français, et ils achevèrent de le compromettre aux yeux de la
police française et de l’émigration. Gueguelia leur rendait une foule de
menus services : il procura une voiture à Mataradzé et à Tavadzé grâce à
ses relations au ministère de l’Économie, et il permit à la belle Vardo de
s’inscrire à la faculté de médecine. Cette insouciance semblait d’ailleurs
de mise à la résidence du NKVD sous Gouzovski, dont le penchant pour la
bouteille était bien connu ; ainsi, pendant la conférence de Paris,
Gouzovski et le général F. F. Kouznetsov, chef de la garde de Molotov, se
saoulèrent un soir à un tel point qu’ils se perdirent et ne regagnèrent
l’ambassade qu’à grand-peine{2463}.
L’euphorie régnait en cette année 1946. Tavadzé était persuadé que les
émigrés étaient devenus prosoviétiques et que le rapatriement serait un
succès. Plus tard, devant les enquêteurs du MGB, Tavadzé et ses collègues
justifieront cette légèreté en alléguant qu’ils considéraient que la France
était un pays en voie de communisation et qu’ils n’étaient plus tenus de
prendre les précautions en usage dans un pays capitaliste. Cet optimisme
les incitait à négliger les mises en garde concernant Gueguelia, soupçonné
– à juste titre – d’être un agent double travaillant pour les Français :
« Gueguelia nous menait par le bout du nez et jouait un double jeu »,
déclarera Maximelichvili lors d’un interrogatoire après son arrestation au
moment de l’affaire mingrélienne en 1951-1952. Quelques émigrés étaient
employés par l’ambassade, malgré l’opposition de l’ambassadeur
Bogomolov qui réclamait que ceux-ci fussent expulsés de tous les
organismes soviétiques. Ce qui d’ailleurs explique peut-être pourquoi
Beria réussit à faire nommer Dekanozov ambassadeur à Paris en janvier
1947 -- mais la décision fut aussitôt révoquée{2464}.
Tout le petit monde envoyé par Beria à Paris se souciait autant d’aller
faire bombance aux frais de Kobakhidzé que de promouvoir la cause de la
patrie soviétique. Au cours des dîners parisiens, Tavadzé se montrait fort
bavard, n’hésitant pas à évoquer devant les émigrés les tensions
interethniques en URSS, la déportation des rapatriés arméniens du
Caucase, ou encore celle des Tchétchènes et des Ingouches. Devant ses
collègues, il discutait des affrontements au sein du Politburo et s’en
prenait à Jdanov ; il informa même certains émigrés de ses projets de
recrutement pour le MGB de certaines personnalités françaises, comme
Adrien Marquet, l’ancien ministre de l’Intérieur de Vichy. Les écoutes
révélèrent qu’il « répandait des calomnies » sur le régime soviétique.
Grâce à l’entremise de Kobakhidzé, Tavadzé devait aussi nouer des
contacts avec certains milieux d’affaires français qui s’étaient montrés
disposés à commercer avec Moscou, tel Jean Laurent, le directeur de la
Banque d’Indochine qui employait Adrien Marquet ; une entrevue eut lieu
entre Tavadzé et Marquet qui demanda de transmettre aux autorités
soviétiques une demande personnelle : que l’URSS épargne Paris lors de la
prochaine guerre{2465}. Ceci sera aussi imputé à Tavadzé lors de son
procès, car il n’avait reçu aucun mandat pour mener ces négociations. Et
sans doute agissait-il sur instruction de Beria.
Tavadzé se rapprocha de Gueguetchkori, lui accordant des subsides et
mille cadeaux aux frais de l’ambassade soviétique. La revue Kartuli
Sakme encourageait les émigrés géorgiens à revenir dans la mère patrie et
l’ambassade soviétique versait à Tavadzé 35 000 francs pour chaque
numéro. Gueguetchkori y exerçait une fonction de censeur, s’assurant que
les articles trop prosoviétiques ne soient pas publiés, alors que la revue
développait des thèses en faveur de la convergence des systèmes. Cette
publication mettait l’accent sur les revendications territoriales de la
Géorgie à l’égard de la Turquie et glorifiait Beria. Au moment de l’affaire
mingrélienne, les experts du MGB estimeront que la revue présentait la
Géorgie « comme une misérable colonie de l’URSS ».
Tavadzé rencontrait Gueguetchkori deux ou trois fois par semaine et
affirmait à Gueguelia qu’il était en train de convaincre Jordania et
Gueguetchkori d’abandonner la lutte antisoviétique. Effectivement, à la
demande de Tavadzé, Jordania promit de publier un manifeste dans ce
sens, ce qu’il ne fit jamais{2466} : en fait, il essayait de gagner du temps
en attendant que la France choisisse son camp dans la guerre froide.
Kobakhidzé joua un rôle fort actif pour persuader certains émigrés qui
hésitaient à revenir dans la mère patrie et assista ainsi Tavadzé dans sa
mission de rapatriement des émigrés. De leur côté les hommes de Beria ne
ménagèrent pas leurs efforts pour faciliter le départ de leurs compatriotes :
comme Mikhaïl Tchatchavadzé, l’un des candidats au rapatriement, avait
des démêlés avec la préfecture de police de Paris qui lui refusait les
papiers nécessaires à l’obtention d’un visa car il était criblé de dettes,
Tavadzé aplanit la difficulté en offrant un pot-de-vin au fonctionnaire
concerné.
Cependant, cette idylle entre les émigrés et les émissaires de Beria fut
de courte durée. Dès avril 1946, Gueguetchkori se plaignit à Tavadzé et à
Gouzovski des réticences de Moscou à avoir recours à ses services. Il fit
transmettre à Nina Beria une lettre où il s’excusait de n’avoir pu organiser
une démarche commune de l’émigration en faveur des revendications
irrédentistes de la Géorgie à l’égard de la Turquie et déplorait qu’il n’y eût
point de « pleine compréhension mutuelle » de part et d’autre{2467}.
Gueguetchkori ne se rendait sans doute pas compte que la puissance de
Beria était en déclin et que, pour l’équipe géorgienne à l’ambassade
soviétique à Paris, les beaux jours étaient comptés.
Dès 1948, une cascade de déboires s’abattit sur Mataradzé. Il fut repéré
par le contre-espionnage français après une tentative malheureuse de
recrutement. En outre, il se fit escroquer une importante somme d’argent
par Gueguelia et par le Géorgien Kalistrate Salia qui se vantait de pouvoir
convaincre M. Tsereteli – l’un des chefs du Comité national géorgien à
Berlin pendant la guerre – de rentrer en URSS, et qui disparut avec
l’argent. À l’automne, Tavadzé fut rappelé à Moscou, expulsé du MGB et
recasé au poste de directeur adjoint du service de la presse du MID, où il
continua à s’intéresser à l’émigration géorgienne, tenu au courant par
Mataradzé toujours en relations avec Gueguelia. En août 1951, Mataradzé
et Maximelichvili furent rappelés à Moscou à leur tour. Mataradzé
continua toutefois de fréquenter Tavadzé qu’il informait des
développements au sein du MGB après la chute d’Abakoumov. Tavadzé
était amer : « Je n’ai pas de patrie », déclara-t-il le soir du Nouvel An alors
que les invités étaient invités à lever leur verre en l’honneur de la patrie.
« Ça ne peut pas continuer comme ça et je vais me tirer une balle dans la
tête pour en finir », confia-t-il quelques moments plus tard à Mataradzé. Il
avait été prévenu de son arrestation imminente par Vardo Maximelichvili
qui le tenait de Goukasov.
Les Géorgiens d’Iran furent les premiers à rentrer dès 1946{2468},
suivis d’autres du Moyen-Orient et de certains Géorgiens revenus de
Chine – ils s’étaient enfuis en Mandchourie en 1930 et avaient créé, en
1931, à Kharbin, une association de lutte contre le bolchevisme.
À Paris cependant, les efforts de l’équipe géorgienne de l’ambassade ne
furent guère payants car Gueguetchkori et Jordania sabotèrent l’entreprise
autant qu’ils le purent : seuls 59 émigrés géorgiens acceptèrent de
revenir{2469}. Gueguetchkori aimait à répéter qu’il fallait conserver le
noyau de l’émigration géorgienne pour des jours meilleurs. Jordania ne
s’opposait pas au départ des émigrés apolitiques, mais il estimait lui aussi
que l’émigration politique active devait rester en France. Lorsque
Méounarguia leur annonça sa décision de revenir en Géorgie, ils lui dirent
qu’ils jugeaient ce retour « prématuré ». Les émigrés qui se décidèrent
avaient peut-être été encouragés à revenir en Géorgie par la nomination de
Rostom Chaduri au secrétariat du Comité central de Géorgie en charge de
la propagande : le père de Chaduri, qui vivait à Paris, était un
antibolchevique notoire qui avait massacré force communistes dans la
Géorgie menchevique. Tavadzé raconta même un jour à Mikheïl Baramia,
deuxième secrétaire du PC géorgien depuis 1943, que les mencheviks de
Paris estimaient avoir désormais un homme à eux au sein du PC
géorgien{2470}.
Il y eut trois vagues de rapatriement en Géorgie : la première en
septembre 1947, la deuxième en décembre et la dernière en mars 1948.
Coïncidence piquante : à Istanbul, Kim Philby était chargé par ses
supérieurs du MI6 de mettre en œuvre cette politique de rapatriement des
Caucasiens. Les Britanniques, qui espéraient déployer un réseau d’agents
en Géorgie et en Arménie, en avaient discuté avec les Turcs au début de
1947 et contacté Jordania{2471}.
En 1952, Staline dut éprouver un rude choc en feuilletant les
biographies et procès-verbaux des interrogatoires des émigrés géorgiens
rapatriés en 1947-1948 par les bons soins de l’équipe Beria. Ces
biographies avaient de quoi faire dresser les cheveux sur la tête de tout
bon Soviétique. Qu’on en juge :
• Mikhaïl Tchavtchavadzé, rapatrié en août 1947, était l’un des
dirigeants de l’organisation émigrée des Jeunes Russes (Mladorossy),
beau-frère du fondateur de cette organisation, Alexander Kazembek. Il
avait travaillé au secrétariat du prince Cyrille Romanov ;
• Irakli Lordkipanidzé, passé illégalement en Turquie en 1929, membre
de l’organisation Thethri Guiorgui, membre du groupe « Tamara II »,
membre du Sonderstab Kaukasus, puis employé par une radio américaine
en Autriche après la guerre ;
• Spiridon Tchavtchavadzé, célèbre général de la Géorgie indépendante,
commandant des forces armées insurrectionnelles lors du soulèvement
antibolchevique de 1924, puis émissaire du colonel Tcholokachvili auprès
du gouvernement polonais, organisateur avec les Français et les Polonais
de tentatives de subversion contre l’URSS, chef du Sonderstab Kaukasus
pendant la guerre, responsable à Stavropol de l’organisation du futur
gouvernement géorgien pour le compte des administrations allemandes et
auteur du projet de future armée de la Géorgie libérée – et, désormais,
l’homme du réseau Kedia à Tbilissi{2472} ;
• Simon Tsitsichvili, homme d’affaires, membre actif de l’organisation
Thethri Guiorgui, présent à la conférence de l’hôtel Adlon patronnée par
Schulenburg en 1942, auteur d’un mémorandum aux autorités allemandes
appelant à créer un État géorgien indépendant ;
• Elena Tsitsichvili-Lordkipanidzé, membre de Thethri Guiorgui,
secrétaire de Michel Kedia pendant la guerre ;
• M. Natrochvili, « koulak » qui avait participé à l’insurrection
paysanne de 1929, s’était enfui en Iran et avait appartenu au bataillon
Bergmann organisé par l’amiral Canaris au début de 1942 pour s’emparer
des cols du Caucase ;
• G. Gueorgachvili, volontaire du bataillon Bergmann, recruté par les
Américains à Bari ;
• G. Oragvelidzé, vétéran menchevique, chef du Comité géorgien de
Lodz ;
• G. Chevelidzé-Omiadzé, membre de l’Organisation de lutte contre le
communisme de Shanghai ;
• A. Skvortsov, membre du Bureau des émigrés russes de Kharbin en
1935, officier des polices française, chinoise et américaine de 1935 à
1946 ;
• Spiridon Jguenti, menchevik depuis 1907, membre de la Garde
nationale menchevique, expulsé de Géorgie en 1922 ;
• Alexandre Kareli, soupçonné de travailler pour le renseignement
français depuis 1943.
Et bien sûr Gueguelia, revenu en Géorgie le 30 décembre 1947, que
Roukhadzé essaya d’utiliser comme informateur au sein de l’intelligentsia
géorgienne, lui recommandant de mettre en sourdine ses professions de foi
communistes{2473}. Le plus piquant fut que les dirigeants du NKVD
géorgien avaient manifesté des réticences à consentir au retour en Géorgie
de tous ces « ennemis du peuple » notoires{2474}. Il fallut donc une
intervention en haut lieu pour mettre fin à leurs objections.
Pourquoi Beria choisit-il de rapatrier en Géorgie des chefs
antibolcheviques aguerris, des hommes passés par des organisations
comme Thethri Guiorgui, employés par les services spéciaux polonais,
français et allemands ? Et pourquoi ces hommes ont-ils accepté de revenir,
alors qu’ils étaient tout sauf des naïfs, comme en témoigne leur
biographie ? Ils avaient sans aucun doute reçu des assurances secrètes.
Quel message Beria leur avait-il fait parvenir pour qu’ils se décidassent à
courir un tel risque ? Leurs dépositions après leur arrestation en 1951-
1952, si elles ne donnent pas une réponse certaine à ces questions,
permettent d’avancer des hypothèses.
Les témoignages concordants des rapatriés montrent que les
mencheviks de Paris étaient convaincus qu’une guerre des Occidentaux
avec l’URSS était inévitable. Début 1947, Gueguetchkori expliqua à
Kobakhidzé que la Géorgie avait des chances de retrouver son
indépendance car il fallait s’attendre à une guerre entre les États-Unis et
l’URSS. Dès juin 1947, les rumeurs d’un conflit imminent s’étaient
multipliées{2475}. De son côté, Michel Kedia expliqua, en novembre
1947, à un agent américain que les personnes déplacées auraient dû rentrer
en URSS. Il estimait que Staline avait déjà gagné en Europe, en dépit du
plan Marshall, que bientôt les troupes soviétiques occuperaient toute
l’Allemagne et que toutes les personnes déplacées seraient massacrées,
alors que si elles étaient revenues en URSS, certes 80 % auraient été
déportées mais 20 % auraient été sauvées et auraient pu vivre en paix. Et
Kedia citait en exemple le groupe des Géorgiens qui venait d’être rapatrié
en URSS{2476}.
En 1949, Gueguetchkori estimait que cette guerre éclaterait dans
l’année : alors qu’en 1945 les Américains avaient refusé de financer le
Bureau de l’étranger des mencheviks géorgiens, ils lui accordaient
désormais des subventions. Certains émigrés allaient jusqu’à préconiser
une guerre préventive contre l’URSS : ainsi l’ancien envoyé en France du
gouvernement menchevique Akaki Tchenkeli écrivit dans le Daily Mail
que le temps travaillait pour l’URSS, qu’une guerre avec celle-ci était
inévitable et que les Occidentaux devaient choisir le moment de
l’offensive plutôt que d’attendre l’agression soviétique{2477} ; il fallait
lancer cette offensive par le Caucase, en s’appuyant sur les populations
locales, « qui haïssent tout ce qui est russe{2478} ».
Nombre de rapatriés avaient reçu des instructions des chefs
mencheviques avant leur départ. Détail significatif, Tavadzé insistait pour
qu’ils rencontrent Gueguetchkori avant de partir pour la Géorgie{2479}.
En janvier 1947, selon ses dépositions ultérieures, A. Nijaradzé eut ainsi
une entrevue avec Noé Jordania qui lui recommanda d’adopter un profil
bas et d’éviter de se faire remarquer, en répandant la rumeur que les chefs
mencheviques s’étaient ralliés au régime soviétique et avaient cessé de le
combattre. Il se plaignit que son canal clandestin avec la Géorgie
n’existait plus et lui demanda d’entrer en contact avec des mencheviks
survivants. Selon lui, une opposition existait au sein du PC géorgien, avec
qui il fallait nouer des contacts. Au printemps, Jordania rencontra un autre
candidat au départ, Simon Tsitsichvili, à qui il expliqua qu’une guerre
entre l’URSS et le bloc occidental était inévitable et que les émigrés
géorgiens devaient se préparer à participer à cette guerre contre l’URSS.
Jordania recommanda à Tsitsichvili d’évaluer le soutien dont bénéficiait le
régime soviétique en Géorgie, de repérer les éléments antisoviétiques, et
de se faire une idée de la situation économique et politique de l’URSS. De
même, Akaki Méounarguia vit Jordania, Gueguetchkori et Michel Kedia
avant de revenir en Géorgie en mars 1948, et son cousin Constantin
Kobakhidzé lui demanda de garder le contact.
Mais c’est surtout la déposition de Spiridon Jguenti qui est éclairante. Il
avoua avoir été envoyé en août 1947 par le Bureau de l’étranger
menchevique afin de renouer avec le réseau antibolchevique clandestin. Sa
mission lui avait été expliquée par Guiorgui Eradzé, ancien ministre de la
Justice de la Géorgie indépendante et créateur du Conseil national
géorgien très lié aux Américains, qui lui recommanda de se fondre dans le
groupe des rapatriés pour éviter d’attirer l’attention. Avant de partir,
Jguenti rendit visite à Jordania qui lui fournit un contact à Tbilissi, le
dentiste Tskhomelidzé, et lui conseilla de reconstituer une organisation
menchevique s’il n’arrivait pas à se mettre en rapport avec les mencheviks
locaux. Il lui recommanda aussi de trouver des membres survivants des
autres partis, nationaux-démocrates, sociaux-fédéralistes et nationalistes
de Thethri Guiorgui.
Jguenti était porteur d’une lettre de Jordania qui annonçait que des
troupes étrangères entreraient en Géorgie lors de la guerre prochaine ; les
mencheviks devaient être prêts à former un gouvernement provisoire où
tous les partis seraient représentés, y compris les représentants de
l’opposition au sein du PC géorgien. Les mencheviks de Géorgie devaient
donc accumuler des forces et se préparer, en évitant d’agir avant que les
troupes anglo-américaines n’entrent en Géorgie. Jguenti et Jordania se
mirent d’accord sur un langage codé afin de pouvoir envoyer des lettres
par la poste ordinaire : les « parents » étaient les mencheviks clandestins,
les « proches parents » désignaient les organisations mencheviques.
Tavadzé procura son visa soviétique à Spiridon Jguenti en deux jours
grâce à l’entremise de Méounarguia alors qu’un dossier de rapatriement en
Géorgie mettait d’habitude environ six mois à être examiné, d’abord à
Moscou, puis à Tbilissi ; cette rapidité révèle que Tavadzé disposait d’un
appui au sommet, qui ne pouvait être que Beria. Le dentiste recommandé
mit Jguenti à la porte lorsque celui-ci mentionna le nom de Jordania.
Désemparé, Jguenti ne savait qu’entreprendre lorsqu’il rencontra Socrate
Tsouladzé, dont le frère avait émigré en France, à qui il finit par révéler la
lettre de Jordania. En février 1948, Jguenti reçut la visite de Varden
Ouratadzé, avocat de Soukhoumi, vieux menchevik, qui se déclara prêt à
agir. Jguenti demanda à Jordania d’envoyer un homme de liaison et,
comme personne ne se manifestait de Paris, en mai 1950, il demanda à un
cousin, Varden Jguenti, d’assurer la liaison entre l’organisation
menchevique clandestine existant en Géorgie (Varden Ouratadzé) et
Sandro Menagarichvili, le représentant des mencheviks géorgiens en
Turquie.
Varden Jguenti passa en Turquie le 23 mai 1950. Les Turcs lui firent
subir un interrogatoire portant sur les forces soviétiques déployées en
Transcaucasie, et aussi sur le désaccord éventuel entre le gouvernement
géorgien et le gouvernement central de Moscou. Puis Varden Jguenti fut
amené à Menagarichvili à qui il annonça que Spiridon Jguenti avait réussi
à contacter l’organisation menchevique clandestine existant en Géorgie. Il
lui proposa d’établir un canal secret permanent entre les mencheviks de
Paris et l’organisation en Géorgie. Ce canal devait être assuré par son
passeur Choukri Kakhidzé. Menagarichvili recommanda aux mencheviks
de Géorgie de se préparer « aux événements imminents », mais d’éviter
toute aventure. En cas de guerre, l’organisation menchevique devait
assurer l’ordre en attendant l’arrivée des troupes anglo-
américaines{2480} ; et dans l’intervalle les mencheviks de Géorgie
devaient collecter des renseignements pour le Bureau de l’étranger des
mencheviks qui en faisait part aux Turcs. Ceux-ci proposaient de former
un opérateur radio et de fournir l’équipement.
Varden Jguenti revint en URSS fin juin 1950 et passa à nouveau en
Turquie en septembre avec une lettre de Spiridon Jguenti. Selon la
déposition de Varden Jguenti, Menagarichvili n’arriva pas à déchiffrer
l’encre invisible de la lettre. Selon celle de Spiridon Jguenti, c’est la lettre
de Menagarichvili qui était impossible à déchiffrer : la discordance des
témoignages sur ce point montre que les deux témoins mentaient et
s’étaient mis d’accord au préalable sur ce qu’ils raconteraient au cas où ils
seraient arrêtés, mais pas dans les détails. Les deux Jguenti affirmèrent de
même que les services spéciaux turcs étaient mécontents de leur travail.
Une note de Roukhadzé, chef du MGB géorgien, datée du 31 mai 1952,
atteste que l’organisation menchevique clandestine que S. Jguenti croyait
avoir trouvée en Géorgie – Tsouladzé et Ouratadzé – était en fait montée
de toutes pièces par le MGB. Nous retrouvons le scénario de 1940 : Beria
voulait faire croire aux mencheviks de Paris qu’un réseau clandestin
d’opposition existait en Géorgie soviétique. Comme en 1939-1941, le
souci des émigrés était donc d’utiliser la conjoncture internationale pour
faciliter la restauration de l’indépendance de la Géorgie, et de faire en
sorte que les ravages de la guerre épargnent autant que possible le sol
géorgien. Nous retrouvons la même convergence de vues des émigrés de
Paris et de Beria qui, comme en 1941, se préoccupait de protéger sa petite
patrie. Elle se traduisit par la réactivation de l’ancienne filière Rapava et
du réseau Menagarichvili.
Ce fut Alexandre Kankava, le frère de lait d’E. Gueguetchkori, qui en
fut chargé. On se souvient que ce personnage, parachuté par les Allemands
en Géorgie, avait été condamné à vingt ans de camp le 11 septembre 1943.
En novembre 1944, il fut remis en liberté « pour des raisons
opérationnelles », donc à la demande du NKGB, et expédié en Turquie
comme agent un an plus tard. Incarcéré par les Turcs en novembre 1945, il
fut libéré en juillet 1946 et les Turcs lui proposèrent de travailler pour eux.
« C’est lui qui a organisé notre contact permanent avec le pays{2481} »,
affirmera Michel Kedia dans une lettre datée du 27 décembre 1947,
ajoutant que Kankava était devenu son « homme de confiance ». Kankava
collaborait avec Menagarichvili et E. Gueguetchkori qui l’envoyèrent en
Syrie. Les trois hommes s’occupaient de déployer un réseau en Géorgie en
vue de la guerre imminente entre l’URSS et les Anglo-Saxons. En 1947,
Gueguetchkori demanda au chef de cabinet de Bidault de lui faciliter
l’obtention d’un visa. Le 9 juin 1948, Kankava entra en contact avec
Vinogradov, le résident soviétique à Beyrouth, puis tenta de rencontrer
l’attaché militaire américain. Soupçonné de mener un double jeu, il fut
rappelé d’Irak en mars 1949 et, après enquête, fut renvoyé au Goulag pour
y achever sa peine.
Par une ironie de l’histoire, ce fut Kim Philby qui attira l’attention des
services britanniques sur les possibilités de la frontière turco-soviétique
qu’il avait visitée en personne en 1947{2482}. En 1948-1949, le SIS
organisa les opérations Climber I et Climber II consistant à infiltrer des
émigrés en Géorgie. Kim Philby était leur organisateur, voire, à l’en
croire, leur initiateur. Les Britanniques envoyèrent un émissaire à Paris
pour coordonner leur action avec Jordania. Celui-ci choisit les hommes
qui furent entraînés en Grande-Bretagne : Policarp Roukhadzé,
collaborateur de l’Abwehr pendant la guerre, et Constantin Mgueladzé.
Selon Philby, la première tentative (Climber I) fut un fiasco, l’un des deux
émissaires de Jordania étant abattu à la frontière et l’autre ayant disparu
dans les bois sans qu’on n’en entende plus parler. Les archives de la
Sécurité géorgienne apportent quelques précisions. Dans la nuit du 24 au
25 juin 1948, les deux hommes furent infiltrés en Géorgie avec l’aide de
Menagarichvili et des services turcs. Constantin Mgueladzé fut
mortellement blessé par les gardes-frontières. Policarp Roukhadzé, auquel
Jordania avait donné pour mission de rétablir le lien avec la Géorgie perdu
depuis 1945 et d’entrer en contact avec les communistes d’opposition du
PC géorgien, fut capturé. Nicolas Roukhadzé, le chef du MGB géorgien, en
informa Ogoltsov, l’adjoint d’Abakoumov. Policarp Roukhadzé fut
condamné à vingt-cinq ans de Goulag en mars 1950 et un supplément
d’enquête sera ordonné fin 1951 au moment de l’affaire
mingrélienne{2483}.
L’opération Climber II eut lieu en août 1949. En septembre 1949,
Abakoumov expédia en Géorgie Raikhman pour capturer le nouvel
émissaire de Jordania, Mamia Berichvili, le frère de Chalva Berichvili
dont il a été question plus haut. N. Roukhadzé fit arrêter et torturer leur
sœur qui se suicida dans sa cellule – à moins qu’elle ne soit morte sous les
coups de ses bourreaux –, mais Mamia Berichvili parvint à s’échapper et
réapparut en Turquie. Il raconta qu’il avait rencontré en Géorgie des
groupes de résistance antirusses, décrivit les conditions de vie dans la
région, détailla le dispositif de défense des frontières, les bases navales sur
le littoral de la mer Noire, les centrales hydroélectriques. L’opération fut
considérée comme un succès par ses commanditaires du SIS, même si les
Britanniques ne crurent pas aux chiffres de production des usines
aéronautiques et de l’usine de chars de Tiflis rapportés par
Berichvili{2484}.
Plus éclairant encore est le cas d’un certain Guiorgui Gabinachvili,
ancien légionnaire de la Wehrmacht, passé en Turquie en mai 1948 après
avoir été impliqué dans une affaire de corruption. Gabinachvili était le
beau-frère de David Peradzé, chef du 27e détachement des gardes-
frontières du MGB de Géorgie (district de Batoumi), un proche de Chalva
Tsereteli qui commandait les gardes-frontières géorgiens jusqu’en 1952 ;
Tsereteli s’était arrangé quelques mois plus tôt pour bloquer un transfert
de Peradzé en Biélorussie. Gabinachvili souhaitait renouer avec les
mencheviks de Paris. Avec l’aide des services turcs, il se rendit à Paris et
informa les mencheviks sur les arrestations de masse qui avaient lieu en
Géorgie et sur la haine du régime bolchevique éprouvée par les Géorgiens.
Jordania et Gueguetchkori lui déclarèrent qu’une guerre entre les
Occidentaux et l’URSS était imminente, que les Anglo-saxons leur avaient
promis de restaurer l’indépendance de la Géorgie et d’y installer un
gouvernement menchevique. Gabinachvili revint clandestinement en
Géorgie, en 1949, avec pour consignes de répandre des rumeurs défaitistes
sur la guerre imminente, sur l’effondrement prochain du régime soviétique
en Géorgie ; il devait faire savoir que la Géorgie entrerait dans le bloc
anglo-américain. La mission de Gabinachvili consistait à repérer les
éléments antisoviétiques et à préparer des groupes sur lesquels les Anglo-
Américains pourraient s’appuyer en cas de guerre. Il devait se livrer à une
propagande défaitiste parmi les jeunes en âge d’être mobilisés et les
inciter à les passer dans le camp anglo-saxon. Dès son retour en Géorgie,
Gabinachvili commença à collecter des renseignements sur les forces
militaires stationnées sur la frontière, sur le MGB et ses responsables
régionaux, et, en juin 1950, il revint en Turquie.
En mars 1949, le MGB géorgien fut averti par un agent que les milieux
de l’émigration géorgienne à Paris avaient une source qui les informait sur
les arrestations ayant lieu en Géorgie. Mais cette information resta sans
suite, car les agents de Beria chargés de surveiller l’émigration à Paris,
Tavadzé, Mataradzé et Maximelichvili, ne firent rien pour localiser la
fuite. En novembre 1949, le MGB géorgien fut informé par le MGB de
l’URSS qu’un émetteur clandestin fonctionnait sur le territoire de la
république et que des renseignements concernant la Sécurité et le
gouvernement géorgiens parvenaient en Turquie, mais, malgré ses efforts,
le MGB géorgien ne parvint pas à le localiser. En septembre 1950, il eut
vent qu’un émissaire des mencheviks au service du renseignement turc et
américain opérait secrètement en Géorgie orientale. L’enquête s’orienta
sur Gabinachivili. Peradzé fut arrêté en décembre 1950 et avoua avoir aidé
Gabinachvili à s’enfuir en Turquie et lui avoir par la suite fourni des
renseignements. Chalva Tsereteli fut fort alarmé par cette arrestation et il
suivit l’enquête de près. L’affaire Gabinachvili entraîna, au printemps
1951, l’arrestation de 76 personnes. Il s’avéra que Gabinachvili avait
réussi à revenir clandestinement en Géorgie en 1949, à y séjourner neuf
mois sans se faire prendre, caché par des parents souvent membres du
Parti, à voyager dans toute la Géorgie, à y mettre en place un réseau
clandestin puis à repasser tranquillement en Turquie, emportant avec lui
plus de cent mille roubles, grâce à la complicité et avec la protection du
secrétaire local du Parti. Gabinachvili était pourvu d’un émetteur-radio et
ce sont ses messages qui avaient attiré l’attention du MGB de l’URSS.
Abakoumov donna l’ordre d’arrêter tous ceux qui avaient été en contact
avec lui durant son séjour.
Un fait était extrêmement gênant pour Roukhadzé : Peradzé avait déjà
attiré l’attention du contre-espionnage car il était lié à Kakhidzé, le
passeur des émissaires mencheviques pendant la guerre, et il avait été
dénoncé pour cela dès 1946. L’affaire fut jugée si importante
qu’Abakoumov expédia en Géorgie le général I. P. Petrov, chef de
l’administration des gardes-frontières et, en mai 1951, le dossier fut
transféré au MGB fédéral{2485}.
Sur nombre de rapatriés pesait le soupçon – pour une fois tout à fait
fondé – qu’ils étaient recrutés par les services occidentaux. L’un des
rapatriés, Jason Goudouchaouri, fut pris en flagrant délit, en mai 1950,
lors d’une rencontre avec un diplomate américain dans le jardin botanique
de Tbilissi, mais il ne sera arrêté qu’en décembre 1951, comme la plupart
des autres rapatriés. En Allemagne, les Soviétiques avaient mis la main
sur les fichiers du contre-espionnage français, ce qui leur permit
d’identifier certains rapatriés recrutés par le renseignement français. Ce
fut le cas pour A. Kareli, qui tenta de contacter un officier français et un
diplomate américain.
La sollicitude de Beria ne se démentit point lorsque les rapatriés se
trouvèrent sur le sol géorgien. Voici le tableau qui se dessine à partir des
dépositions de Charia, Mataradzé, Maximelichvili et Tavadzé lors de
l’affaire mingrélienne. Charia s’arrangea même pour acheminer à Tbilissi
les bibliothèques des émigrés en contournant la douane centrale. Avec
l’aide de Tavadzé, les rapatriés introduisirent en Géorgie des livres et des
brochures publiés en Occident, ainsi que de nombreuses photos des
membres du gouvernement géorgien en exil et un message de Jordania
laissant entendre qu’il espérait se retrouver bientôt président de la Géorgie
libérée{2486}.
Tant qu’ils furent en mesure de le faire, Charia et Rapava les aidèrent à
se loger et à trouver un emploi. Charia plaça l’ex-social-fédéraliste
Pirtskhalava à la Bibliothèque nationale, Nikoloz Inasaridzé aux Éditions
de Tbilissi et Gueguelia à l’Institut des langues étrangères. Au poste de
contrôleur de la milice fut nommé Spiridon Tchavtchavadzé. En septembre
1947, Spiridon Jguenti devint inspecteur du dépôt de la voie ferrée de
Batoumi. Méounarguia trouva un poste aux Éditions d’État. Lorsque
Mikhaïl Tchavtchavadzé eut besoin d’argent, il se rendit à Moscou, en
octobre 1949, pour solliciter Tavadzé. Ainsi, loin d’être expédiés au
Goulag, les rapatriés trouvèrent des emplois tout à fait convenables.
Méounarguia demanda même l’aide de Charia pour faire parvenir des
lettres en France « en évitant la censure française ». À Paris, Mataradzé et
Maximelichvili acceptaient de transmettre des lettres et des colis aux
rapatriés en contournant la censure et la douane soviétiques.
Sur le conseil de Tavadzé, Méounarguia rencontra Rapava dont il
sollicita l’assistance pour obtenir un logement. Rapava en profita pour
l’interroger sur l’émigration géorgienne de Paris ; il lui conseilla d’aller
voir immédiatement le nouveau ministre de la Sécurité, Roukhadzé. Mais
celui-ci lui en voulait déjà d’avoir donné la priorité à Rapava : « Nous
vous attendions depuis longtemps », lui dit-il. Il s’informa sur les activités
en Europe de Charia et Tavadzé, fit installer le téléphone à Méounarguia –
un rare privilège à l’époque en Géorgie – et lui promit de l’autoriser à
correspondre avec l’Europe. Plus tard, lorsque Méounarguia voulut cesser
d’envoyer des lettres à l’étranger à cause de la dégradation des relations
Est/Ouest, Roukhadzé le força de continuer à correspondre avec son cousin
Kobakhidzé. Mais il ne parvint pas à le recruter comme mouchard, ce dont
l’infortuné Méounarguia se justifiera depuis sa prison en ces termes :

Je ne pus me forcer à faire cela car après avoir déambulé pendant


vingt-cinq ans sur les boulevards parisiens, après mon retour en
Géorgie, je ne pouvais dénoncer des gens qui avaient déjà souffert
terriblement de la guerre impérialiste [la Première Guerre mondiale],
de la guerre civile et de l’épouvantable guerre patriotique [la
Deuxième Guerre mondiale], ajouter à leurs maux pour des paroles
lancées à la légère, même si je pouvais ainsi améliorer mon
sort{2487}.

Roukhadzé n’eut pas plus de chance avec Gueguelia qui refusa de


rédiger pour lui une note sur les émigrés géorgiens en France et de servir
de mouchard infiltré parmi les écrivains géorgiens. Ce n’est qu’après une
brève arrestation et une perquisition à son domicile en 1949 que Gueguelia
accepta de coopérer avec le MGB de Géorgie.
Il existait une véritable solidarité au sein du réseau Beria. Lorsque deux
légionnaires rapatriés furent arrêtés, Gueguelia tenta de s’interposer en
écrivant une lettre à Charia rappelant leurs exploits « patriotiques » en
France{2488}. Mal lui en prit d’ailleurs, car les deux légionnaires avaient
déjà avoué qu’ils étaient de faux partisans et que Gueguelia était un faux
antivlassovien{2489}. Nijaradzé rencontra à Moscou Chavdia qu’il
présenta à Tavadzé. En 1949, Tavadzé, puis Mataradzé et Maximelichvili
se rendirent en Géorgie et visitèrent leurs « protégés ». Méournarguia se
plaignit à Tavadzé du soupçon dont il se sentait entouré et de ce que le
MGB ait voulu en faire un mouchard. Lorsque Gueguelia fut expulsé de la
VOKS – l’Association pour les liens culturels avec l’étranger, une des
couvertures du MGB – en juin 1950, il se rendit à Moscou et demanda à
Gouzovski, alors responsable du Département de l’information des
Éditions de littérature étrangère, de lui trouver un nouvel emploi. Malgré
l’opposition de Roukhadzé, il exprima ses doléances devant le sort qui lui
était fait en Géorgie. Il informa aussi Gouzovski de l’arrestation des
Nijeradzé père et fils. Gouzovski lui conseilla de s’adresser à Goukasov au
MGB et s’empressa de rapporter cette rencontre à Pitovranov, alors chef
du contre-espionnage{2490}.
Les rapatriés vécurent donc en toute tranquillité en Géorgie, aidés par
Charia puis par Tavadzé, jusqu’au moment où explosa l’affaire
mingrélienne. Beria ne les avait pas fait rentrer dans le but de les arrêter et
de les déporter comme c’était le cas dans le reste de l’URSS, mais pour
disposer le moment venu d’élites non communistes ayant des liens avec
l’étranger. Il envisageait deux scénarios, celui d’une guerre avec les
Occidentaux ou celui de la mort de Staline. Dans le premier cas, il fallait
mettre la Géorgie à l’abri du conflit en disposant d’une équipe crédible
aux yeux des Occidentaux, capable de maintenir l’ordre et d’organiser une
Géorgie indépendante. Dans le deuxième cas, il voulait pouvoir disposer
d’hommes de culture non soviétique susceptibles de créer l’ossature du
nouvel État géorgien émergeant de l’URSS réformée qu’il espérait pouvoir
mettre en place après la disparition du tyran.
Mais de nouveau les plans de Beria furent bouleversés par des
développements inattendus. En effet, en mai 1951, la Turquie demanda à
adhérer à l’OTAN, ce qui suscita de vives réticences dans le camp
occidental, y compris au sein de l’administration Truman. Les Soviétiques
en furent si inquiets que, le 4 août, ils abandonnèrent leur revendication de
révision de la convention de Montreux. La crainte de voir la Turquie
parvenir à une entente séparée avec l’URSS emporta la décision des
Occidentaux {2491} : le 20 septembre, à la conférence d’Ottawa, la Grèce
et la Turquie furent admises dans l’OTAN. Dès le 11 novembre, la Grande-
Bretagne, les États-Unis, la France et la Turquie créèrent un
commandement du Moyen-Orient subordonné à l’OTAN, établi à Ankara,
et réunissant les forces turques aux forces britanniques stationnées au
Moyen-Orient.
Tout ceci alarma fort Moscou et, en même temps, accrut le poids
stratégique de la Géorgie{2492}. Par Kim Philby, les Soviétiques avaient
appris que les Britanniques s’intéressaient fort à la frontière turco-
géorgienne dès 1947. L’attention de Staline se concentra à nouveau sur sa
petite patrie. Il en résulta l’affaire mingrélienne, qui doit donc être
replacée dans la perspective de ces deux événements auxquels Staline
attacha une importance énorme : l’élargissement de l’OTAN à la Turquie
et l’amendement Kersten en octobre 1951 qui prévoyait l’allocation de
100 millions de dollars pour la subversion du régime soviétique de
l’intérieur, et en particulier la création de légions antibolcheviques{2493}.
Cette décision semblait indiquer que les Américains avaient décidé de
jouer à fond la carte des nationalités dans la subversion de l’Empire
soviétique. Le cauchemar de Staline devenait réalité.

22

Staline attaque Beria


L’affaire mingrélienne

L’historiographie russe tend à interpréter l’affaire mingrélienne comme


un épisode de la lutte menée par Staline contre le particularisme local, qui
s’était déjà manifestée au moment de l’affaire de Leningrad. L’affaire
mingrélienne est donc perçue comme un prolongement de l’affaire de
Leningrad. Or, en dépit de certaines analogies superficielles, elles sont fort
différentes. La première relevait d’un règlement de comptes entre les
successeurs potentiels de Staline, la seconde d’une escalade de l’offensive
de Staline contre ses collègues du Politburo et en particulier contre Beria.
Staline cachait de moins en moins son animosité à l’encontre de Beria,
signifiant à ses proches que des délations contre son ancien favori seraient
bienvenues. Il voyait d’un mauvais œil l’extension de ses réseaux : « C’est
Beria qui nous a refilé Abakoumov… Je n’aime pas Beria, il ne sait pas
choisir les cadres, il place partout des hommes à lui », glissa-t-il à un
officier du MGB, l’invitant implicitement à s’attaquer sans crainte aux
hommes de Beria{2494}. Même ceux qui n’appartenaient pas au cercle
étroit du Kremlin, comme Semionov, se rendaient compte que rien n’allait
plus entre les deux Géorgiens : « Ses relations avec Beria étaient tendues
depuis longtemps et son attitude à son égard était clairement
menaçante{2495}. » Sergo Beria se souvient qu’à partir de 1949 son père
lui avait fait part de cette hostilité de Staline.
L’attaque contre les « nationalistes géorgiens » était un vieux projet du
dictateur. Selon le témoignage de Chepilov, Staline aimait à dire : « Nous
avons lutté contre tous les nationalistes, russes, ukrainiens, kazakhs, juifs,
mais nous n’avons jamais touché les nationalistes géorgiens. » Et
d’ajouter d’un ton lourd de menaces : « Mais ils ne m’échapperont pas,
leur tour viendra{2496}. » Peut-être Staline avait-il eu vent qu’en Géorgie
Beria était plus populaire que lui ; selon un témoin, en 1952, les Géorgiens
portaient le premier toast à Beria, le second à Staline. Beria était, semble-
t-il, aimé dans sa république natale{2497}.
La jalousie de Staline est attestée de manière indirecte par un épisode
narré par K. Tcharkviani, le secrétaire du Parti géorgien. Lors d’une
réunion des membres du Politburo à laquelle il assistait, Staline demanda
à Tcharkviani : « Connaissiez-vous David Oniachvili ? » – Oniachvili était
le premier traducteur de Marx en géorgien. Et Staline de poursuivre :
« Peut-être Beria peut-il nous expliquer pourquoi cet homme si talentueux
et si utile au peuple a trouvé la mort ? » Beria ne se démonta pas : « Il
avait des contacts avec Jordania et les émigrés mencheviques. Vous ne
pouvez penser que nous l’aurions arrêté sans raison. » Staline : « Et
Mikheïl Djavakhichvili [auteur de romans historiques] a aussi été étiqueté
par vous comme un espion. Vous vous permettez n’importe quoi. » Beria :
« Djavakhichvili a été recruté par l’ambassade de Pologne. Il l’a avoué lui-
même. » Staline : « Et vous le croyez ? Vous auriez dû vous poser des
questions. Même s’il était coupable, vous auriez dû le convoquer et
l’avertir. Vous avez probablement confié l’instruction de son affaire à un
enquêteur subalterne et vous ne l’avez pas contrôlé. En exécutant ces deux
personnalités vous avez commis un grand crime à l’égard du peuple
géorgien. » « Beria était blême et s’attendait au pire », raconte
Tcharkviani{2498}. Ainsi Staline jouait au justicier du peuple géorgien
devant le secrétaire de la République, reprochant à Beria des
condamnations à mort qu’il avait lui-même ordonnées.
L’affaire mingrélienne démarra officiellement le 9 novembre 1951,
alors que Staline venait de conférer à Beria l’honneur de prononcer le
discours du 7 novembre commémorant la révolution d’Octobre. Mais elle
fut précédée par un long prélude. Le bras de fer qui opposa Staline à Beria,
et qui devint quasi public à partir du 9 novembre, fut annoncé par un
affrontement larvé en Géorgie remontant aux années 1947-1948, voire à
l’immédiat après-guerre. Comme toutes les grandes affaires du stalinisme
tardif, l’affaire mingrélienne est née de la rencontre entre un conflit de
clans à la base et une volonté de règlement de comptes au sommet.

Prologue : l’éclatement du clan Beria en Géorgie.


Grâce à de nombreux témoignages et aux archives de Tbilissi, nous
pouvons aujourd’hui reconstituer le fil des événements dans les grandes
lignes. En 1945-1947, les maîtres incontestés de la Géorgie étaient deux
hommes de Beria et amis de la famille Beria : Avksenti Rapava, le
ministre de l’Intérieur, et Petre Charia, le responsable de l’idéologie.
Durant la deuxième moitié des années 1930, Charia avait été responsable
de l’Éducation nationale au Comité central du PC géorgien. En 1938, Beria
l’avait emmené avec lui à Moscou. Un proche de Charia, Mikheïl
Baramia, contrôlait la politique des cadres et soutenait ce groupe.
Tcharkviani, le secrétaire du Parti, avait aussi été choisi par Beria mais
n’appartenait pas au cercle de ses intimes.
Rapava ambitionnait de supplanter Tcharkviani ; depuis 1944, il avait
noué une alliance avec Charia pour y parvenir et il s’était entouré
d’experts pour se donner l’allure d’un dirigeant érudit et
compétent{2499}. Les uns prédisaient que Charia hériterait bientôt du
poste de Tcharkviani, d’autres penchaient pour Rapava. Les deux hommes
s’étaient fait des ennemis et, signe avant-coureur de l’orage, en avril 1947,
Rapava avait été mis en cause par des lettres anonymes révélant des faits
compromettants sur des parents et il avait dû rédiger une note
d’explications. Cependant, ces parentés compromettantes finirent par
fournir le prétexte à son limogeage en décembre 1947, au grand
soulagement de Tcharkviani qui se sentait la cible de ses intrigues. Staline
commençait à saper le contrôle de Beria sur son fief géorgien en
s’assurant dans un premier temps la mainmise sur le ministère de la
Sécurité de la république.
Néanmoins, l’influence de Beria en Géorgie s’exerçait par des canaux
multiples. Tcharkviani se considérait comme son vassal. Les impulsions
envoyées par Staline s’enlisaient au fur et à mesure qu’elles descendaient
vers Tbilissi, d’autant que, jusqu’en 1951, nul en Géorgie ne se doutait de
l’hostilité entre Staline et Beria. Les fonctionnaires locaux ménageaient
les hommes de Beria quand ils recevaient l’ordre de les rétrograder. Ceci
explique par exemple le transfert de Rapava du MGB au ministère de la
Justice en janvier 1948, Tcharkviani insistant pour que Rapava conserve un
poste important. Cependant, au printemps 1948, la pression de Staline
augmenta et, le 16 avril 1948, Rapava et Guiorgui Stouroua, un autre
partisan de Beria, furent exclus du Politburo du PC de Géorgie. Puis le
31 mai, Charia fut exclu du Comité central du PC de Géorgie sous prétexte
qu’en 1943 il avait rédigé un poème sur la mort de son fils, « une œuvre
idéologiquement nuisible, empreinte d’un pessimisme profond et
d’accents mystiques religieux », dans lequel il évoquait « un monde
meilleur, alors qu’il qualifie le monde qui nous entoure d’enfer maudit
mal fait et absurde […], allant jusqu’à reconnaître l’immortalité de l’âme
et la réalité de l’au-delà{2500} ». En outre, Charia avait édité ce poème à
Moscou en 75 exemplaires, fin 1944, en contournant la censure. Le
prétexte de la disgrâce remontant à 1943 indique qu’à Moscou on était
déjà en train de fouiller le passé pour trouver des faits compromettants sur
les hommes de Beria. Autre indice révélateur : vers cette époque, Staline
se débarrassa de ses gardes géorgiens et les remplaça par des
Russes{2501}.
Le 11 janvier 1948, N. Roukhadzé, l’ancien chef du SMERCH de
Géorgie, succéda à Rapava à la tête du MGB. Les deux hommes se
haïssaient de longue date : en 1939, Rapava avait dénoncé Roukhadzé en
rappelant qu’il avait été mis en cause dans le procès Lordkipanidzé, en
1937. Roukhadzé s’était tiré d’affaire grâce à l’intervention de Goglidzé.
Mais, au moment de la scission du NKVD entre NKVD et NKGB en
février 1941, Rapava avait sauté sur l’occasion pour se débarrasser de
Roukhadzé en le casant au NKVD. Roukhadzé n’avait nulle envie
d’abandonner la Sécurité d’État pour se retrouver dans la milice, corps
infiniment moins prestigieux – sans parler des considérations bassement
matérielles, comme la jouissance de la maison de repos du NKVD en
Abkhazie qui fut attribuée à la Sécurité d’État. Il en conçut une animosité
féroce à l’égard de Rapava et c’est donc avec enthousiasme qu’il entreprit
une vaste purge des hommes de Rapava au sein du MGB, avec l’appui
d’Abakoumov.
Se sentant sous la menace, le clan mingrélien resserra les rangs. Rapava
se rapprocha de Baramia à partir du milieu de l’année 1950 : les deux
hommes déploraient à l’unisson l’expulsion des Mingréliens des postes de
responsabilité du MGB et les persécutions dont ils étaient victimes.
Baramia ne cessait de faire des démarches à Moscou pour que Charia et
les Mingréliens expulsés du MGB lors de la purge organisée par
Roukhadzé retrouvent leur poste. Ces démarches de Baramia devinrent des
chefs d’accusation contre lui en décembre 1951.
De leur côté, Grigori Karanadzé et Konstantin Bziava, ministre et vice-
ministre de l’Intérieur sous Rapava, entreprirent de discréditer Roukhadzé
dont la biographie ne manquait pas de faits compromettants. Ainsi, dès
juin 1948, Roukhadzé dut se justifier devant Tcharkviani d’avoir épousé en
secondes noces la petite-fille d’un officier tsariste{2502}. De manière
classique, Baramia accusait Roukhadzé de ne tenir aucun compte du
Comité central. En septembre 1950, il prévint Rapava qu’un dossier
compromettant était en train de se monter contre lui, lui proposant de faire
une démarche commune auprès de Tcharkviani pour l’alerter sur les
agissements de Roukhadzé. Ainsi, le 26 septembre 1951, Tcharkviani
rendit compte à Staline d’une délation anonyme contre Roukhadzé, qui
affirmait entre autres que celui-ci avait profité de son séjour en
Allemagne, de septembre 1945 à janvier 1946, pour se rendre secrètement
à Paris, y rencontrer Jordania et lui remettre « plusieurs valises d’or et de
bijoux et 10 millions en Reichsmarks ». Dans sa note à Staline,
Tcharkviani concluait que les allégations de la lettre anonyme ne tenaient
pas debout{2503}. On devine à cet exemple le danger que représentait
pour Beria l’éclatement de son clan. Dans leur lutte fratricide, ses vassaux
pouvaient exhumer des faits compromettants qui risquaient de mettre
Staline sur la piste de ses agissements cachés, notamment pendant la
guerre. La zizanie régnant en Géorgie parmi les hommes de Beria offrait
au dictateur vieillissant une occasion rêvée.
L’assaut de Staline contre Beria, en gestation dès le printemps 1950,
avait été bloqué par Abakoumov. Le même scénario se reproduisit en
Géorgie. Roukhadzé avait constitué un dossier sur Gueguelia. Il l’envoya à
Abakoumov le 14 septembre 1950, et, comme celui-ci ne réagit pas, il le
fit parvenir à Staline{2504}. Ce dossier fut sans doute à l’origine de la
première grande crise entre Staline et Beria évoquée plus haut à travers le
récit de Vlassik. Le revirement in extremis de Staline, lié à un succès du
projet nucléaire, est corroboré par un autre détail. Roukhadzé avait été
convoqué chez Staline à Gagry par Abakoumov, à la vive inquiétude de
Tcharkviani pour qui cet intérêt marqué de Staline pour les affaires
géorgiennes n’annonçait rien de bon. Tcharkviani mit en garde
Roukhadzé : « Bien sûr j’ai confiance en toi, mais j’espère que tu n’auras
pas la langue trop longue. Je te préviens qu’il sait disposer aux
confidences et il faut faire attention. » Il lui recommanda de se méfier
surtout de Vlassik et Poskrebychev. Ainsi chapitré, Roukhadzé se rendit à
Gagry mais à sa grande déception il ne fut pas reçu par Staline qui avait
changé de plan{2505}. Cette crise de la fin de l’été 1950 entre Staline et
Beria est aussi attestée par Sergo Beria ; il se souvient que c’est alors que
Beria organisa les moyens d’« exfiltration » de sa famille – et sans doute
de lui-même – à l’étranger pour le cas où les choses tourneraient mal : un
avion se tenait prêt à décoller en permanence, piloté par des Tatars
dévoués à Beria{2506}.
Bien sûr, les vassaux de Beria n’étaient alors pas conscients que leurs
intrigues locales pouvaient ébranler leur suzerain à Moscou. Poussé par
Abakoumov, Roukhadzé poursuivit son enquête sur les agissements des
émigrés de Paris ; en même temps il fut confronté à une fronde au sein du
MGB, soutenue par Baramia. En juillet 1951, après la chute d’Abakoumov,
le clan Rapava crut le moment de la revanche arrivé car Roukhadzé passait
pour un protégé d’Abakoumov. Baramia obtint que les activités du MGB
fussent examinées par une commission d’inspection du Comité central
dont les conclusions, fort critiques, furent discutées lors d’une réunion du
Comité central en présence de Tcharkviani. Baramia s’en prit à
Roukhadzé, tandis que Tcharkviani, prudent, restait neutre et s’efforçait de
calmer les protagonistes{2507}.
Roukhadzé se défendit bec et ongles mais il avait toutes les raisons
d’être inquiet : les archives du MGB contenaient en effet un document
attestant qu’il avait eu l’intention de faire défection en Turquie avec son
frère en 1925-1927 ; ce document, découvert par un groupe d’officiers du
MGB en 1948, avait été placé dans un tiroir à l’époque, mais en août 1951,
après la chute d’Abakoumov, l’un des témoins mentionna la chose à son
supérieur et Baramia en eut vent. L’un des anciens adjoints de Rapava,
Irakli Nibladzé, déclencha l’assaut contre Roukhadzé. Mal lui en prit : ce
dernier riposta en le faisant limoger.
Mais, malgré des succès tactiques, Roukhadzé vivait sous une épée de
Damoclès. Le soutien de Tcharkviani semblait insuffisant. Il décida alors
de se rapprocher de Mgueladzé, le responsable du Parti en Abkhazie, que
l’on savait bien vu de Staline{2508}, au point que depuis longtemps
Tcharkviani s’alarmait de ces rencontres fréquentes entre Staline et lui,
craignant, à juste titre, que Staline ne lui tire les vers du nez.

Un congé bien rempli.


À la fin de l’été 1951, Staline décida de prendre ses vacances à
Tskhaltoubo, un lieu de cure en Géorgie occidentale où il soignait ses
rhumatismes, puis dans sa datcha en Abkhazie. Le vieillard était d’humeur
sombre, comme en témoigne cette remarque à Khrouchtchev et à
Mikoïan : « Je suis un homme foutu. Je n’ai confiance en personne. Je n’ai
même pas confiance en moi-même{2509}. » Non content d’avoir des
doutes sur Beria, il soupçonnait déjà Molotov d’être un agent
américain{2510}.
Selon une lettre de prison rédigée par le fils de Staline Vassili après la
chute de Beria, ses intentions furent dès le début de se mettre en quête de
faits compromettants contre Beria, car il interdit à ce dernier de
l’accompagner. Vassili Staline écrit :

J’ai transmis au cam. Staline une lettre sur les abus et les irrégularités
en Géorgie (le cam. Ignatiev connaît les détails de cette affaire). Le
cam. Staline décida d’aller lui-même en Géorgie pour se rendre
compte de la situation. Beria voulait l’accompagner, mais Staline le
lui interdit catégoriquement. Cette fois encore Malenkov vint à la
rescousse de Beria. Il se rendit à Borjomi et, au lieu de procéder à une
enquête approfondie, il se contenta de limoger Tcharkviani, étouffant
une affaire qui aurait permis de démasquer Beria. Beria ne m’a
jamais pardonné mon ingérence dans les affaires géorgiennes{2511}.

Arrivé en Géorgie, Staline reçut dans le plus grand secret ses favoris de
Géorgie : Mgueladzé, alors premier secrétaire du PC d’Abkhazie – un
jeune ambitieux qui rêvait de remplacer Tcharkviani à la tête du PC de
Géorgie et dont Staline s’était rapproché dès 1943 –, et de vieux ennemis
de Beria, comme l’ami d’enfance de Staline – et peut-être son demi-frère,
selon la rumeur en Géorgie – Vaso Egnatachvili, responsable du secrétariat
du Présidium de Soviet suprême de Géorgie. Il les encouragea à dénoncer
les dirigeants de la république et, avec son hypocrisie habituelle, en ayant
l’air de ne pas y toucher et par petites touches successives, il laissa
entendre à ses interlocuteurs géorgiens que Beria n’avait plus sa faveur et
que le cours de leur carrière future dépendrait de l’aide qu’ils
apporteraient à démasquer Beria. « Staline opposait les Géorgiens de
l’Ouest et ceux de l’Est, il disait que les Mingréliens n’étaient pas de vrais
Géorgiens{2512} », rapporte Khrouchtchev qui assista à quelques-uns de
ces entretiens. Et, en effet, Staline multipliait les allusions, couvrant par
exemple d’éloge les Gouriens, le peuple de Géorgie le plus hostile aux
Mingréliens, et critiquant des films géorgiens accusés d’accorder une
place trop grande au folklore mingrélien{2513}. Laissons la parole à
Khrouchtchev :

Staline se reposait à Borjomi et Mikoïan et moi avions réussi à nous


échapper à grand-peine. Staline recevait de vieux Géorgiens, des amis
d’enfance. C’était surtout un employé des chemins de fer qui avait
retenu son attention. Je ne l’ai pas vu, mais par la suite Staline me
dit : « Il m’a raconté ce qui se passe en Géorgie. C’est scandaleux. »
Cet employé rapporta à Staline qu’un grand nombre de jeunes
Géorgiens instruits étaient sans emploi. En Géorgie ils ne trouvaient
pas de travail et ils ne voulaient pas quitter la république, si bien
qu’ils se croisaient les bras. Il parlait aussi de la spéculation. C’était
visiblement un vieux communiste honnête. Staline était indigné.
Beria était responsable de la Géorgie, il la protégeait et ne laissait
personne se mêler de ses affaires. Il avait le monopole de
l’information sur la Géorgie auprès de Staline. Et voilà qu’une brèche
s’était ouverte, provoquant la colère de Staline{2514}.

Ceci est corroboré par le témoignage de Vlassik qui faisait tout pour que
les informations susceptibles de couler Beria parviennent à Staline :

Le vice-ministre des Transports accompagnait notre train. J’appris


par lui que la situation était mauvaise en Géorgie. Pour entrer dans un
institut il fallait un pot-de-vin de 10 000 roubles, la corruption
fleurissait de plus belle. Je racontai cela à Staline. Il convoqua le
ministre de la Sécurité de Géorgie qui confirma que tout ceci était
vrai. De retour à Moscou, Staline convoqua le Politburo et l’informa
de la situation en Géorgie, notamment de la corruption{2515}.

Mais, le 29 octobre, Roukhadzé envoya à Staline un rapport sur le vice-


ministre des Transports en question, où il signalait que ce V. A. Garnyk
était un ivrogne et que les faits qu’il avait décrits à Staline n’avaient pas
été confirmés : preuve qu’en Géorgie on ne tenait nullement à une
ingérence de Moscou dans les affaires locales{2516}.
Au cours de ces rencontres, Staline accumula ainsi un impressionnant
dossier sur la corruption, les détournements et les vols dans la république,
s’indignant ostensiblement que rien ne soit remonté à ses oreilles à
Moscou. C’est donc que Beria filtrait les nouvelles de la république et
cachait au Comité central la situation réelle, en couvrant Tcharkviani et le
réseau mingrélien au pouvoir en Géorgie. Staline donna libre cours à sa
réprobation devant Mgueladzé :

Il n’y a qu’à voir ce qui se passe au siège du Comité central géorgien.


Tcharkviani a son bureau au 3e étage, alors que le deuxième étage est
occupé par un bordel. Pas au sens figuré, mais au sens propre.
Comme si on n’avait pas pu trouver un autre endroit pour ça. […] Ils
peuvent tout se permettre parce qu’ils ont Beria à Moscou. […] Et
que dire du président de la république Gueorgui Stouroua qui a monté
un commerce en produits laitiers et en viande à sa datcha de
fonction… […] Le Comité central dispose d’informations selon
lesquelles des abus ont aussi lieu dans d’autres républiques, mais en
Géorgie ils se font à une échelle inouïe. C’est pourquoi nous
commencerons par remettre de l’ordre en Géorgie{2517}.
On comprend l’indignation de Staline. L’originalité de la situation
géorgienne du point de vue de la « libre entreprise » avait même été
remarquée par les voyageurs occidentaux. Ainsi un Français séjournant à
Tbilissi, fin novembre 1951, avait rencontré dans le train un garagiste du
MGB qui s’était prodigieusement enrichi en créant un garage privé à côté
de l’atelier officiel du MGB, puis en ouvrant un atelier fabriquant des
chaussures vernies{2518}. En juillet 1952, l’ambassadeur américain
George Kennan écrivait que le système kolkhozien avait cessé d’exister en
Géorgie, sinon sur le papier{2519}.

Le coup d’envoi.
Mgueladzé avait attiré l’attention de Staline sur Roukhadzé qui, le
26 septembre, fut à nouveau convoqué par Vlassik à Tskhaltoubo. Cette
fois le chef du MGB géorgien fut reçu par Staline en présence de
Poskrebychev et Vlassik. Staline s’informa de la Turquie, des émigrés, de
l’activité des réseaux géorgiens à l’étranger, puis il demanda si des
organisations antisoviétiques ayant des liens avec les mencheviks émigrés
avaient été démasquées en Géorgie. Ces préoccupations n’étaient du reste
pas nouvelles, Staline étant obsédé par l’influence de ces mencheviks ;
ainsi, en 1936, lorsqu’il avait rencontré pour la première fois Mgueladzé,
alors fonctionnaire du Komsomol, il lui avait demandé si l’« influence des
mencheviks et des jeunes marxistes » avait été extirpée en Géorgie{2520}.
Roukhadzé répondit que les organes géorgiens savaient peu de chose sur
l’émigration, qu’ils n’envoyaient pas d’agents en Turquie, que tout est
centralisé par le 1er Directorat principal (PGU) du MGB de l’URSS et
qu’aucune organisation antisoviétique n’avait été démasquée en Géorgie.
Staline déclara que le MGB géorgien devait avoir ses propres réseaux en
Turquie, en Iran et en France. Se tournant vers Poskrebychev, il rappela
que Beria lui avait annoncé l’envoi à Paris d’un neveu de Gueguetchkori
afin de recruter ce dernier, mais que l’inverse s’était produit : le neveu
avait été recruté par Gueguetchkori qui l’avait renvoyé en Géorgie à la
veille de la guerre et Staline avait ordonné son arrestation. « Beria
considère que, parmi les Géorgiens, les plus intelligents et doués sont les
Mingréliens, et il cherche constamment à propulser des Mingréliens »,
laissa tomber Staline. Puis il changea de sujet :

Il faut maintenir une pression constante sur la Turquie, lui faire peur
en organisant des incursions. Vous devez avoir pour cela des groupes
de choc. Si eux nous envoient des terroristes et des saboteurs,
pourquoi n’en ferions-nous pas autant ? Pensez-y, et ne vous inquiétez
pas des moyens, nous ne lésinerons pas pour cela{2521}.

L’une des retombées de l’affaire mingrélienne sera d’ailleurs un


durcissement de la politique soviétique à l’égard de la Turquie. Staline
associait le thème de l’émigration géorgienne et celui de la Turquie. Et en
même temps qu’il accusait Beria de protéger les mencheviks géorgiens, il
insinuait que celui-ci avait bloqué toute initiative du MGB géorgien contre
la Turquie. Il s’inquiétait en particulier de la porosité de la frontière turco-
géorgienne, là encore à juste titre. Début novembre, Staline reçut à
nouveau Roukhadzé, cette fois en présence d’Ignatiev et du responsable
des gardes-frontières du MGB Stakhanov{2522}.
Les entrevues entre Staline et Roukhadzé révèlent la ligne directrice de
l’« affaire mingrélienne », les allégations de corruption servant de
camouflage. Staline en était venu à se méfier des liens entre Beria et son
oncle par alliance, Eugène Gueguetchkori, et du monopole jaloux que
maintenait Beria sur les contacts avec l’émigration géorgienne. Les
soupçons de Staline n’étaient pas sans fondement puisqu’Eugène
Gueguetchkori, après avoir joué un rôle trouble pendant la guerre, était en
contact avec les services français, anglais et américains{2523}. Rappelons
sa fiche du 6 janvier 1954 à la préfecture de police de Paris, qui, de
manière surprenante, ne mentionne pas sa parenté avec Nina Beria :

A collaboré avec les Allemands, mais surtout en espérant voir


renaître la Géorgie. À la libération, a entretenu des relations avec des
personnalités soviétiques. Toutefois l’enquêteur conclut que cet
étranger doit surtout être considéré comme un fervent nationaliste
géorgien anticommuniste{2524}.

Gueguetchkori assurait désormais le lien du Bureau de l’étranger


menchevique avec les Américains.
Comme à son accoutumée, Staline n’abattit pas tout de suite ses cartes.
Le 3 novembre, continuant à jouer au redresseur de torts parmi les
Géorgiens, il appela Roukhadzé pour lui reprocher de ne pas avoir
mentionné que Baramia protégeait des éléments corrompus. Roukhadzé
rédigea sans se faire prier un rapport dévastateur sur Baramia, accusant
celui-ci de couvrir les malversations des Mingréliens. Pourquoi Baramia
fut-il choisi comme chef de la « bande des Mingréliens » dans le scénario
retenu par Staline ? Le dictateur avait été monté contre Baramia par
Mgueladzé, son successeur à la tête du PC d’Abkhazie. Les relations entre
les deux hommes étaient exécrables car Mgueladzé avait limogé tous les
proches de Baramia en Abkhazie et ceux-ci ne cessaient d’assiéger leur
patron à Tbilissi{2525}.
À partir de là, les événements se précipitèrent. Le 5 novembre fut
annoncée une modification de la structure de la Géorgie, prévoyant la
création de deux nouvelles régions : celles de Tbilissi et de Koutaïssi.
Désormais la Géorgie était constituée des régions de Koutaïssi, de Tbilissi,
de l’Adjarie, de l’Abkhazie, et de l’Ossétie du Sud. Les nouvelles régions
furent dotées de comités exécutifs régionaux afin de « liquider les
conséquences des erreurs grossières et du fiasco politique de l’ancienne
direction du Comité central du PC de Géorgie ». Il est vrai qu’une réforme
similaire fut adoptée pour d’autres républiques fédérées et républiques
autonomes de l’URSS à la même époque et qu’en juillet 1952 fut décidée
la division de la RDA en 14 districts. Néanmoins, la nouvelle division de
la Géorgie revenait à la quasi-liquidation de l’État géorgien puisque son
noyau central était supprimé et que le rôle du gouvernement géorgien était
très réduit par les prérogatives des administrations régionales de Koutaïssi
et Tbilissi. Staline cherchait avant tout à éliminer l’influence des
Mingréliens sur la Géorgie orientale et à renforcer les organes locaux du
Parquet rendus plus faciles à contrôler. Ainsi, pour se prémunir du danger
nationaliste et affaiblir le fief de Beria, Staline émietta la Géorgie,
recréant en quelque sorte les provinces existant dans la Géorgie
tsariste{2526}. En même temps, il lança une campagne de russification de
cette république et, contre la volonté de Tcharkviani et des communistes
géorgiens, il imposa la construction de deux géants industriels, le
combinat métallurgique de Roustavi et l’usine automobile de Koutaïssi,
ainsi que celle du métro de Tbilissi – ce dernier aussi à des fins militaires.
« Ces géants industriels sont nécessaires en Transcaucasie, déclara-t-il à
Mgueladzé. Ils auront plus tard leur rôle à jouer. Pas seulement dans le
développement économique, mais dans un domaine plus
important{2527}. » Dans l’esprit de Staline il s’agissait de favoriser
l’immigration russe en Géorgie.
Alors qu’il montait cette vaste offensive contre Beria, Staline lui confia
l’honneur de prononcer le discours du 7 novembre célébrant le 34e
anniversaire de la révolution d’Octobre. Trois jours plus tard, la foudre
tomba : le 9 novembre, une résolution du Comité central dénonça la
corruption en Géorgie et le « groupe nationaliste mingrélien du cam.
Baramia » qui couvrait les corrompus et les soustrayait au châtiment, et
qui voulait monopoliser le pouvoir dans la république. La résolution
soulignait en outre que la purge des Mingréliens au sein du MGB
géorgien, entreprise après le limogeage de Rapava et son remplacement
par Roukhadzé, avait été entravée par Baramia qui s’était efforcé de
rétablir ces Mingréliens à leur poste. En conséquence, la Géorgie était
menacée d’éclater en fiefs. Cette prédominance des Mingréliens était
d’autant plus dangereuse que les Américains, qui autrefois se faisaient
renseigner sur la Géorgie par Jordania et Gueguetchkori, préféraient
désormais Gueguetchkori et son réseau mingrélien. Les « Mingréliens
nationalistes » pouvaient donc servir de vivier aux services américains. La
Sécurité géorgienne devait démasquer et liquider ces traîtres{2528}.
Selon le témoignage d’Alexandre Mirtskhoulava, l’un des accusés du
complot mingrélien, nommé par Beria premier secrétaire du Parti géorgien
au printemps 1953, cette résolution fut préparée de la manière suivante :
Khrouchtchev était à Sotchi. Il n’aimait pas les gens qui avaient
monté cette affaire, mais il voulait l’exploiter contre Beria. Il m’a
raconté plus tard que Staline l’avait invité chez lui. Khrouchtchev
trouva Mgueladzé et Roukhadzé auprès de Staline. Celui-ci était en
train de lire un document crayon à la main. « Je me dis qu’un malheur
était en train de se préparer », raconta Khrouchtchev. Staline signa le
document et le remit à Poskrebychev. C’était la résolution sur
l’affaire mingrélienne. Staline croyait que ce projet de résolution
avait été examiné à Moscou au Comité central, il le dit lui-même.
Lorsque le texte de la résolution arriva à Moscou, Malenkov s’étonna.
Lavrenti Pavlovitch en apprenant la chose faillit tourner de l’œil.
Furieux, il appela Malenkov qui lui fit part de son ignorance. Il
s’avéra qu’au Comité central personne n’était au courant de rien.
Poskrebychev et Mgueladzé avaient concocté cette résolution dans le
plus grand secret, sans même convoquer Baramia{2529}.

Mirtskhoulava poursuit :

Staline convoqua Tcharkviani et lui montra le dossier Baramia : « Tu


es au courant de tout ceci ? » « Non. » « Comment ? Tu es premier
secrétaire et le deuxième secrétaire est un ennemi du Parti, et tu
l’ignores ? » […] Le 11 novembre Tcharkviani reçut la résolution et
la montra à Baramia. […] Dès que Staline fut de retour, Beria indigné
vint le trouver. « D’où vient cette résolution ? Que se passe-t-il ? » Il
arriva à convaincre Staline que les accusations ne tenaient pas debout.
Staline lui demanda de tirer au clair cette affaire.

Les 11 et 12 novembre 1951 eut lieu le VIe Plénum du PC de


Géorgie{2530}. Rapava et le procureur de la République Vladimir Chonia
avaient été arrêtés le 10 novembre 1951, la veille du plénum. Tcharkviani
essaya de protéger Baramia et de limiter les dégâts en canalisant l’affaire
dans une inoffensive campagne contre la corruption comme le PC en avait
tant connu. Certes, reconnut Tcharkviani, Baramia protégeait des
spéculateurs et des voleurs ; certes, l’émigration géorgienne était « une
bande d’espions ». Mais il n’y avait pas de raison de penser que Baramia
travaillait pour Gueguetchkori, même si dans son groupe il y avait des
agents. Et puis Roukhadzé avait des défauts comme tout le monde. Le
grand danger pour la Géorgie était le clientélisme, surtout à cause de
l’émigration géorgienne : « Nous risquons de nous dissoudre en
principautés provinciales de Parti{2531} », conclut Tcharkviani. De son
côté, Baramia nia toute implication avec un « groupe nationaliste », tandis
que Mgueladzé se déchaînait contre l’« activité destructrice de Rapava
dans les organes de Sécurité », lui reprochant aussi d’avoir placé un de ses
complices à la tête du MVD du Daghestan{2532}. De tous les accusés du
« groupe nationaliste mingrélien », Rapava était sans doute le plus proche
de Beria. Lors du plénum, Roukhadzé fut le seul à faire allusion à la cible
réelle de l’affaire mingrélienne : « Les services spéciaux [occidentaux]
utilisent toutes les possibilités, y compris les liens de parenté des émigrés,
pour infiltrer chez nous leurs agents{2533}. » Craignant qu’on ne lui
reproche d’avoir fait carrière sous Rapava, il rappela qu’il s’était fait mal
voir de Baramia car, dès 1949, il s’était mis à expulser les Mingréliens du
MVD.
Plusieurs orateurs de ce plénum, en écho au texte de la résolution,
mentionnèrent qu’au sein de l’émigration géorgienne E. Gueguetchkori
avait remplacé Jordania dans les faveurs des Américains, ce qui sera
confirmé par une lettre de Kerenski au New York Times le 5 octobre 1953.
Or, début 1946, le Bureau de l’étranger des mencheviks géorgiens s’était
divisé en deux : ceux qui étaient favorables à une étroite collaboration
avec les Américains dans la lutte contre l’URSS et ceux qui y étaient
opposés, dont Jordania. On peut donc s’interroger : l’affaire mingrélienne
n’a-t-elle pas été aussi une conséquence de cette évolution,
E. Gueguetchkori étant beaucoup plus antisoviétique et antirusse que ne
l’était Jordania{2534} – et donc plus dangereux, à cause de ses relations
multiples en Occident et de sa parenté avec Beria ?
Après le plénum, le 15 novembre, le Comité central géorgien envoya
une lettre secrète aux organisations régionales du Parti, invitant à
dénoncer le groupe Baramia et ses activités subversives{2535}. Le
17 novembre, pris de panique, Baramia expédia à Moscou une parente de
sa femme afin de remettre une missive à Beria. Le 13 novembre, il avait
demandé l’autorisation de se rendre à Moscou, ce qui lui fut refusé. Il y
alla quand même, le 25 novembre, sous une fausse identité. Mais ce fut
peine perdue : il ne fut reçu ni par Beria ni par Malenkov et fut exclu du
PC à son retour{2536}. Et le 9 décembre il fut arrêté, accusé, de manière
prévisible, de couvrir un groupe nationaliste mingrélien comprenant des
agents du réseau Gueguetchkori. Ce groupe mingrélien était prétendument
en train de devenir un deuxième parti opposé au PC et en passe d’y
prendre le pouvoir.
L’affaire fit boule de neige. Sous la torture, Baramia dénonça de
nombreux Mingréliens et les délations s’accumulèrent. Ainsi, en
novembre, tandis qu’en Tchécoslovaquie Slansky était arrêté le 23, le
dossier d’accusation des Mingréliens ne cessait de grossir.
E. Gueguetchkori était un « espion américain » entretenant un réseau de
résidents en URSS, le « groupe antiparti de Baramia{2537} », constitué de
Rostom Chaduri, le responsable de l’idéologie, Ivlian (Mamia) Zodelava,
le responsable du Komsomol, Vladimir Chonia, le procureur général, et
Rapava, le ministre de la Justice. Ce réseau était censé se livrer en Géorgie
à l’espionnage et à la subversion contre l’État soviétique{2538}. Son
objectif était « de créer un parti qui s’oppose au PC de Géorgie » et « avec
l’aide des impérialistes d’arracher la Géorgie à l’URSS afin d’y créer un
État bourgeois{2539} », pour allier ensuite la Géorgie avec la Turquie
contre l’URSS. Tous les fils remontaient aux mencheviks géorgiens
réfugiés en France.
Roukhadzé fut chargé d’enquêter sur les liens entre les Mingréliens de
Géorgie, de Turquie et de Paris. Il devait démasquer la conspiration ourdie
par Beria contre Staline en Géorgie ; pour boucler la boucle, il accusa au
passage Beria d’avoir dissimulé qu’il était juif{2540}. À Moscou, Ignatiev
reçut l’ordre de démasquer le réseau Gueguetchkori en Géorgie{2541}.
Staline ne négligeait rien : il fit placer des écoutes chez la mère de Beria
pour surprendre ses propos nationalistes mingréliens, en même temps
qu’il projetait l’enlèvement de Gueguetchkori à Paris{2542}. Le
10 novembre, il se débarrassa de Goglidzé en le nommant à la tête du
MGB d’Ouzbekistan. Le 16 novembre, une résolution ordonna l’expulsion
« des éléments ennemis » de Géorgie : 11 200 personnes furent déportées
au Kazakhstan{2543} ; environ 14 000 Géorgiens au total seront déportés
au Goulag en 1951-1952{2544}. Deux jours plus tard, l’URSS déposait
une plainte à l’ONU contre le Mutual Security Act adopté par les États-
Unis le 10 octobre, accusant entre autres ceux-ci de vouloir entreprendre
« des actes de terrorisme et de diversion » en URSS.
En novembre se nouèrent les fils d’autres affaires parallèles. La
coïncidence chronologique donne à penser qu’elles étaient des
ramifications de l’affaire mingrélienne et qu’elles devaient compléter le
dispositif anti-Beria – et anti-Politburo – déployé par Staline. Le 20 août,
on s’en souvient, le Politburo avait décidé de réunir à Moscou une
Conférence économique internationale et créé une commission chargée de
la préparer. Il n’en fallait pas plus pour déclencher la méfiance de Staline
et sa volonté de contre-attaquer. Une fois de plus, il déguisa en
improvisation ce qui était sans doute une offensive préméditée, bernant
même un apparatchik aussi expérimenté que Mikoïan qui raconte dans ses
Mémoires comment il vit naître cette affaire inquiétante pour lui. Pendant
ces fameuses vacances en Géorgie, on servit à Staline des bananes qu’il
trouva infectes. Le vase déborda quand Staline découvrit que le ministère
du Commerce extérieur avait de surcroît importé des conserves d’ananas
pourris. Mgueladzé était présent lorsque le dictateur se répandit en
invectives contre Mikhaïl Menchikov, le ministre du Commerce extérieur,
et Mikoïan qui avait la tutelle de ce ministère : « Vous n’avez pas honte !
Après cette guerre sanglante, nous avons décidé de régaler le peuple
soviétique de conserves d’ananas et vous vous êtes laissé fourguer des
ananas pourris{2545} ! » La comédie du bon tsar et des méchants boïars
annonçait la purge. Le 4 novembre, le Politburo prit une résolution
critiquant le ministère du Commerce extérieur accusé de ne pas tenir assez
compte des intérêts de l’État. Staline limogea le ministre Menchikov et le
remplaça par Pavel Koumykine{2546}. Or l’un des principaux accusés de
l’affaire mingrélienne, Baramia, était le responsable du Département du
commerce au sein du Comité central du PC géorgien. Et, fin 1951, une
vague de répressions s’abattit aussi sur les responsables de l’économie de
Leningrad{2547}.
Le 20 décembre 1951 se réunit un nouveau Plénum du PC géorgien
qui fit monter la tension d’un cran en annonçant un élargissement des
purges : le Parquet et le ministère de la Justice dont Rapava venait d’être
limogé étaient visés. Ce plénum se plaça sous le signe de la vigilance, plus
particulièrement nécessaire en Géorgie à cause de sa frontière avec
l’étranger : « Chaque kolkhoze, chaque entreprise, chaque administration
doivent être une forteresse imprenable », martela l’un des orateurs{2548}.
Fréquent en 1952 et annonçant les thèses « gauchistes » développées par
Staline dans Les Problèmes économiques du socialisme, un autre leitmotiv
apparut : l’enthousiasme pour l’économie ne devait pas faire oublier les
tâches politiques. Dans les mois qui suivirent, les hommes de Beria,
Tcharkviani en particulier, se virent reprocher leur approche
« gestionnaire », focalisée sur l’économie, au détriment du politique.

Beria aux abois.


Nous avons vu à quel point les méandres capricieux des grandes affaires
de la fin du règne de Staline reflétaient l’évolution de la corrélation des
forces au sein du groupe dirigeant du Kremlin. L’affaire mingrélienne ne
fait pas exception, tout comme celle des « blouses blanches » qui suit un
cours parallèle. En 1952, Staline a décidé l’affrontement avec le noyau dur
du Politburo. Il sent que Beria est l’homme à abattre. Mais dans cette
entreprise Staline est seul : ses lieutenants se serrent les coudes, bien
conscients que la chute de l’un des leurs entraînera celle de ses collègues.
Cette solitude au sommet, Staline en prendra conscience au cours de
l’année 1952, quand les révélations de l’affaire mingrélienne, pourtant
accablantes pour Beria, laisseront intacte la solidarité du Politburo.
L’affaire mingrélienne recelait une face visible, dont nous venons de
dessiner les grandes lignes, et une partie immergée. En effet, en décembre
1951 et janvier 1952, Staline jeta le masque, au grand effroi des dirigeants
géorgiens qui comprirent enfin dans quel jeu périlleux leur ambition les
avait entraînés : Staline exigeait la tête de Beria. Roukhadzé se retrouva
sur le gril -- et, alors qu’il était ravi de régler leur compte à Rapava et au
groupe mingrélien qui le soutenait, il n’envisageait pas sans effroi de
devoir affronter Beria. Selon le témoignage de sa fille Nina, il rentrait
chez lui à cran et répétait : « Je me demande pourquoi Staline en veut
tellement à Beria, pourquoi il l’a pris en haine à ce point{2549}. »
En effet, l’étau se resserrait autour de Beria. Début décembre,
Roukhadzé adressa à Staline le dossier constitué sur les hommes de Beria
qui avaient été en poste à Paris de 1946 à 1948 : Gueguelia, I. Tavadzé,
Vardo Maximelichvili et David Mataradzé.
Les archives conservent la transcription des entretiens téléphoniques
entre le chef du MGB géorgien et Staline, et montrent l’importance que
celui-ci attachait au dossier mingrélien et l’acharnement qu’il mettait à
« coincer » Beria :

Staline : « Avez-vous arrêté Gueguelia ? »

Roukhadzé : « Non, camarade Staline. »

Staline : « Pourquoi ? »

Roukhadzé : « Nous le surveillons mais pour l’instant nous n’avons


rien obtenu. »

Staline : « Arrêtez-le, rouez-le de coups, fusillez-le ! Avez-vous arrêté


Charia ? »

Roukhadzé : « C’est fait, camarade Staline. »

Staline : « Faites-le parler en détail. Tâchez de savoir qui l’a envoyé à


Paris, dans quel but, avec qui il a établi des relations, qui il
espionnait. Baramia est un vrai espion. Il faut le démasquer, il était
certainement en contact avec Gueguetchkori, il faut tirer au clair par
quel canal{2550}. »

Incarcéré le 17 novembre 1951, sur l’ordre de Roukhadzé, Gueguelia fut


accusé d’avoir désinformé le MGB et d’avoir caché des renseignements
dont il disposait sur les plans antisoviétiques des émigrés. Son épouse
Lucia Saint-Rémy fut également arrêtée et taxée d’« antisoviétisme » car
elle voulait revenir en France{2551}. L’arrestation de Gueguelia ne laissa
plus aucun doute à Roukhadzé. Il savait que Beria protégeait Gueguelia
qu’il avait déjà voulu arrêter en 1949 mais il en avait été empêché par les
proches de Beria. Il avait dû alors se contenter d’une perquisition et de la
confiscation de documents se trouvant chez Gueguelia, concernant
l’attribution de décorations françaises aux légionnaires géorgiens de la
Wehrmacht{2552}. « Je ne m’attendais pas à ce que l’information que
j’avais donnée ait ces résultats », écrira Roukhadzé penaud à Beria le
28 mars 1953, après la mort de Staline.

Je pensais qu’on se bornerait à sanctionner Baramia et Rapava. Mais


désormais il ne me restait plus qu’à organiser l’instruction de
manière à prouver la présence d’un groupe mingrélien nationaliste
qui n’avait jamais existé{2553}.

Entre un Staline de plus en plus impatient, mais aussi de plus en plus


sénile, et un Beria qui savait lui rappeler que sa puissance en Géorgie était
encore quasi intacte, Roukhadzé essaya de louvoyer, de limiter les dégâts,
de gagner du temps. Mais Staline, qui avait ses informateurs personnels –
y compris dans l’émigration géorgienne de Paris –, était sur la piste.
Le MGB se mit à arrêter les Mingréliens proches de Beria et une
quarantaine de Géorgiens revenus d’émigration en 1947-1948{2554}. Le
3 janvier 1952, Roukhadzé demanda à Moscou l’autorisation de torturer
les accusés mingréliens{2555}. Il s’adressa en particulier à Rioumine qui
le lui interdit{2556} : Staline craignait en effet que le MGB géorgien ne
fasse ainsi disparaître des témoins gênants pour Beria, comme cela s’était
déjà produit. Il commençait à prendre la mesure du double jeu de son
ministre et à réaliser que Beria l’avait berné depuis fort longtemps. Ne
faisant pas confiance au MGB géorgien, il dépêcha, début janvier 1952 de
Moscou à Tbilissi, une équipe d’enquêteurs dirigés par le colonel Victor
Tsepkov. Les détenus mingréliens furent placés en régime sévère.
Comme le montrent les dépositions recueillies lors de l’instruction du
procès Charia et celles des procès Tavadzé – arrêté le 10 février 1952 –,
Mataradzé et Maximelichvili – arrêtés le 6 mars 1952 –, Staline
soupçonnait Beria d’avoir poursuivi des objectifs bien spécifiques en
favorisant le retour des émigrés{2557}. En effet, le réseau des hommes de
Beria fut accusé d’avoir organisé le rapatriement de manière à permettre
aux agents de services spéciaux étrangers de s’introduire en Géorgie,
camouflés en rapatriés. Roukhadzé attachait une telle importance à cette
affaire qu’il fit interroger Abakoumov à ce propos.
Des affaires anciennes furent exhumées, réexaminées à la lumière des
révélations en cours : c’est le cas de l’affaire Gabinachvili et de l’affaire
Kankava par exemple ; Goguiberidzé et Chalva Berichvili furent même
tirés des camps et acheminés en Géorgie. Le 19 février 1952, Roukhadzé
donna l’ordre aux enquêteurs de concentrer l’essentiel de leurs
interrogatoires sur l’« activité ennemie pratique » du groupe, « ses liens
avec le réseau Gueguetchkori », « les missions de terrorisme et de
sabotage » reçues par le groupe de ses commanditaires étrangers, et « les
liens possibles qu’il entretenait avec une opposition légale au sein du Parti
communiste de Géorgie ».
Habitué à lancer des accusations fictives à ses proches, Staline dut être
en état de choc en lisant, au printemps 1952, les procès-verbaux des
interrogatoires des détenus mingréliens que Roukhadzé lui adressait. Il
découvrit que Beria avait bel et bien agi derrière son dos durant de longues
années. Pire encore, il ne s’agissait pas d’une seule affaire, mais de toute
une politique que Beria avait réussi à camoufler. Au fur et à mesure que
les accusations pesant sur Beria prenaient corps, l’enquête sur l’affaire
mingrélienne se faisait plus discrète. Staline ne pouvait plus accuser Beria
d’être au service des impérialistes, comme il le fera en octobre 1952 pour
Molotov et Vorochilov, car cela serait revenu à reconnaître qu’il s’était
laissé berner pendant des années. Le même phénomène s’observera à la fin
1953, lorsque les hommes de Khrouchtchev, après avoir accusé Beria
d’accointances avec les impérialistes sans trop y croire, s’apercevront au
cours de l’enquête que ses agissements dépassaient largement le simple
complot en vue de prendre le pouvoir, auquel ils avaient cru – ou feint de
croire – au début.
Mais voyons maintenant ce que découvrit Staline au printemps 1952.
L’affaire Chavdia et l’affaire des légionnaires géorgiensde la
Wehrmacht{2558}.
L’affaire Chavdia fut, pour Beria, de la dynamite. Teimouraz Chavdia
était un neveu de Nina Beria. Dans les années 1920-1930, les Chavdia
étaient voisins des Beria et le jeune Chavdia était le compagnon de jeux de
Sergo Beria. Intime de la famille Beria, grâce à ses protecteurs bien
placés, Teimouraz Chavdia fut admis à l’école militaire de Podolsk en
1940 malgré ses 17 ans, puis il fut transféré à celle de Novo-Borisov.
Début juillet 1941, il fut fait prisonnier par les Allemands près de
Smolensk, à moins qu’il n’ait volontairement fait défection sur ordre de
son oncle – hypothèse sans doute la plus probable, étant donné l’utilisation
systématique par Beria des neveux de son épouse comme courriers avec
les mencheviks de Paris. Après un séjour de six mois dans le camp de
Jakobstahl, il fut sélectionné pour sa connaissance de l’allemand et utilisé
comme traducteur. Puis, au printemps 1942, il fut recruté par le général
Maglakelidzé dans le camp de Krouchino en Pologne et il adhéra à la
Légion géorgienne de la Wehrmacht. En septembre, il fut envoyé sur le
front du Caucase puis, début 1943, il fut transféré en Crimée et intégré
dans le bataillon géorgien utilisé contre les partisans. Il reçut alors
l’Ostmedaille, la décoration décernée par le commandement de la
Wehrmacht aux membres des Ostlegionen qui s’étaient distingués. Selon
le témoignage d’un de ses camarades, Chavdia avait dénoncé aux
Allemands certains légionnaires qui projetaient de faire défection et de
rejoindre l’Armée rouge. En février 1943, il fut envoyé au camp de Kielce
et admis dans la SS, ce qui atteste à quel point les Allemands appréciaient
ses bons et loyaux services et le jugeaient digne de confiance. En mars
1944, il fut envoyé en France avec le grade d’Unterscharführer (sergent).
Il fut chargé de convoyer des prisonniers français en Allemagne, dont un
groupe de six généraux français, de garder les prisons et d’exécuter les
résistants pris par la Gestapo. Il participa aussi à l’exécution de
parachutistes alliés et de conjurés allemands de juillet 1944.
En juillet 1944, les Allemands l’affectèrent à un groupe spécial chargé
de couvrir la retraite des troupes allemandes et d’écraser les soulèvements
de la résistance française. Il fut capturé par les FTP au cours d’une de ces
opérations – à moins qu’il n’ait fait défection au dernier moment. Quoi
qu’il en soit, dès le lendemain du départ des troupes allemandes, Chavdia
fut amené par Constantin Kobakhidzé au Comité anti-Vlassov qui lui
confia un certificat fictif attestant qu’il s’était distingué pendant la
libération de Paris, ce qui lui permit de toucher une allocation de 500
francs par mois ! Avec ses compagnons de la Légion géorgienne, Chavdia
fut transféré au camp de prisonniers de guerre soviétiques à Versailles et
joua un rôle actif dans les campagnes de rapatriement au camp de
Beauregard. Il commença alors à fréquenter les émigrés géorgiens, en
particulier Gueguelia et surtout son parent Eugène Gueguetchkori,
rencontré en août, qui lui procura de l’argent et des vêtements. Au cours
de ses entretiens avec E. Gueguetchkori, Chavdia put constater que celui-
ci était bien informé sur ses parents de Moscou. Il demanda même des
nouvelles de Sergo Beria et s’étonna que Chavdia eût été autorisé par son
oncle à partir au front. Chavdia lui répondit qu’il n’avait pas voulu le
déranger avec ce genre de sollicitations, ce qui n’est guère convaincant,
quand on se rappelle qu’il avait été admis à l’école militaire en dépit de
ses 17 ans sur une intervention de Nina Beria. Gueguetchkori l’interrogea
sur l’opinion publique en URSS, sur le système kolkhozien et sur l’état
d’esprit de la paysannerie.
Les chefs mencheviques géorgiens avaient compris depuis un certain
temps que la défaite de l’Allemagne était inévitable et s’étaient hâtés
d’établir des contacts avec les Américains{2559}. Gueguetchkori put donc
organiser une rencontre de Chavdia avec un officier américain qui lui
procurera un manteau. Au cours de leurs entretiens, il lui laissa entendre
qu’il plaçait des espoirs dans les Mingréliens haut placés en Géorgie –
Rapava, Charia et Baramia –, à condition d’accorder foi au témoignage de
Chavdia extorqué en pleine affaire mingrélienne.
Kobakhidzé prit Chavdia sous son aile, lui paya des cours de français,
l’installa à l’hôtel Imperator où le jeune homme résidera jusqu’à son
retour en URSS, aux frais du consulat soviétique. Le consul Gouzovski –
en réalité le résident du NKVD à Paris, qui sera arrêté en mai 1952 – avait
reçu de Dekanozov un avis de recherche concernant le jeune Géorgien. La
rencontre entre les deux hommes eut lieu au Châtelet où le chœur des
prisonniers soviétiques auquel participait Chavdia, s’était réuni pour une
répétition en présence de Gouzovski. L’ancien prisonnier de guerre Akaki
Nijaradzé et Gueguelia servaient d’intermédiaire. Chavdia demanda à
Gouzovski d’informer Beria de sa présence à Paris.
Beria eut donc à accomplir une tâche délicate : rapatrier son encombrant
neveu sans que la chose remonte aux oreilles de Staline. Un des buts de la
mission de Charia à Paris au printemps 1945 fut, entre autres, de ramener
discrètement le jeune Chavdia. Le 5 avril 1945, deux avions s’envolèrent
pour l’Union soviétique, chargés des trésors géorgiens. Deux jeunes
officiers en uniforme de lieutenant montaient la garde : l’un était Chavdia,
l’autre était son ami Meladzé, un ancien légionnaire de la Wehrmacht. Les
uniformes soviétiques avaient été confectionnés par le tailleur
d’E. Gueguetchkori. Charia, Gouzovski et l’historien Chalva
Amiranachvili se trouvaient dans le même avion que Chavdia. Ce dernier
avait été reçu par E. Gueguetchkori chez lui la veille de son départ et Mme
Gueguetchkori l’avait chargé de cadeaux pour Nina Beria. Gueguetchkori
lui avait recommandé de tenir secrètes leurs rencontres.
Beria déclara à ses proches collaborateurs que Chavdia était un agent
double infiltré dans les services spéciaux allemands pour le compte du
NKVD{2560}. De retour en Géorgie, Chavdia coula des jours paisibles,
protégé par Charia et Rapava qui lui permirent d’échapper au filtrage.
Rapava le convoqua en avril 1945, l’interrogea sur sa période de captivité
et ses rencontres avec Gueguetchkori. À l’automne, Chavdia revit Rapava
qui organisait un dîner en l’honneur de Nina Beria en séjour à Tbilissi.
C’est alors que Nina Beria recommanda à Charia de s’assurer que Chavdia
ne manquerait de rien et les choses en restèrent là. On lui trouva une
sinécure : il fut nommé directeur du service de l’administration chargée de
financer la construction de kolkhozes produisant des agrumes dans les
territoires abkhazes dont la population grecque et arménienne serait
déportée en 1949. Il vécut tranquille jusqu’à ce que Staline soit informé de
cette affaire, fin 1951, et décide de s’en servir contre Beria.
Staline donna l’ordre d’incarcérer Chavdia en décembre 1951{2561}.
Le mandat d’arrêt fut lancé le 14 janvier 1952, mais Chavdia ne fut
emprisonné que le 18 février. Se trouvait-il durant cette période à Moscou
auprès de ses puissants protecteurs ? Le dossier de l’instruction de son
procès ne permet pas de répondre à cette question. En avril 1952, Chavdia
tenta de simuler la folie (on remarquera que nombre de proches de Beria
ont feint l’aliénation mentale après leur arrestation), mais, soumis à une
expertise psychiatrique, il fut déclaré sain d’esprit et condamné à 25 ans
de détention en juillet 1952, puis libéré à la mort de Staline, et incarcéré à
nouveau après la chute de Beria{2562}. Il finit par être libéré, revint à
Tbilissi et devint bouquiniste.
L’enquête menée sur Chavdia révéla que de nombreux anciens
légionnaires qui avaient reçu des certificats de résistance fictifs grâce aux
bons offices de Gueguelia avaient pu rentrer en Géorgie et y vivre en toute
tranquillité jusqu’à la déportation de 1951 où ils constituèrent la majorité
des personnes déplacées dans le sillage de l’« affaire mingrélienne ».
Quelques jours après la mort de Staline, le 13 mars 1953, Beria adressera
d’ailleurs à ses collègues une note recommandant leur réhabilitation,
preuve que cette affaire lui tenait à cœur{2563}. En 1944-1945, Gueguelia
avait été chargé par les autorités françaises de rassembler des
renseignements sur les collaborateurs. En toute logique, les enquêteurs
soviétiques de 1952 soupçonnèrent donc Kobakhidzé, Gueguelia et
Méounarguia d’avoir agi à l’instigation des services français et de couvrir
des rapatriés que les services de renseignements occidentaux souhaitaient
infiltrer sur le territoire soviétique. Mais tout au long de leurs
interrogatoires ceux-ci persistèrent à affirmer qu’ils avaient agi de leur
propre initiative, par solidarité avec leurs compatriotes.
Chavdia n’était pas le seul neveu de Nina Beria en difficulté : le
médecin Tchitchiko Namitcheichvili avait été arrêté le 7 janvier 1952.
Nous avons déjà évoqué cet émissaire confidentiel de Beria, envoyé en
France à plusieurs reprises, soupçonné de longue date par le NKVD (peut-
être est-ce lui qui manqua provoquer l’arrestation de Beria par Ejov en
1938). Namitcheichvili commença à avoir des ennuis en 1946. Ayant perdu
son emploi, il s’adressa aux Chavdia afin qu’ils obtiennent des Beria une
intervention en sa faveur. Il mourut en prison, le 7 avril 1952, alors que les
enquêteurs s’apprêtaient à lui arracher des aveux sur les canaux et les
filières avec l’Occident. Sa mort opportune est plus que suspecte et atteste
que Beria continuait à avoir le bras long en Géorgie. On eut toutefois le
temps de tirer de lui que Gueguetchkori lui avait demandé de constituer un
dossier sur les kolkhozes géorgiens, sur l’état d’esprit de l’intelligentsia,
sur les répressions à l’encontre des intellectuels, et qu’il lui avait promis
de lui envoyer un agent de liaison.
L’affaire Charia{2564}.
Encore plus dangereuse pour Beria était l’arrestation de Charia, le
15 février 1952. Le 27 février, Charia annonça qu’il allait faire une
déposition importante et exigea la présence de Roukhadzé qui arriva
flanqué du colonel Tsepkov, envoyé par Moscou pour contrôler l’enquête
sur les Mingréliens. Charia exigea alors la présence de Tcharkviani qui
vint se joindre aux autres. Charia déclara :

Pendant les quelques jours que j’ai passés en prison, je me suis


souvenu de certains faits et de certaines circonstances, je les ai
analysés et je suis arrivé à des conclusions qui ont une importance
considérable pour la sécurité de notre pays. Si je racontais certains
épisodes, cela ne voudrait pas dire grand-chose et on pourrait croire
que je souffre d’hallucinations. Mais je suis sain d’esprit et je dis cela
pour que ma deuxième déclaration ne semble pas bizarre. En effet, je
ne peux témoigner de ces faits d’une importance si cruciale pour la
sécurité de notre pays qu’en présence du ministre de la Sécurité
d’État de l’URSS Ignatiev et d’un représentant du Comité central
choisi par Staline et Malenkov. Je vous demande de croire que je n’ai
à cœur que les intérêts de la Patrie. […] Je répète que je ne peux faire
cette déposition qu’à Moscou. […] Je ne peux même rien exposer par
écrit. […] Ne croyez pas que je me lance dans la provocation. Je sais
fort bien ce qu’est une provocation. J’ai été autrefois secrétaire de la
commission qui a dressé le bilan du NKVD sous Ejov et j’ai vu de
nombreux documents qui sentaient la provocation. C’est pourquoi je
me rends parfaitement compte de mon comportement{2565}.

Ce document donne l’impression que Charia avait décidé de faire des


révélations sur ce qu’il savait des activités subversives de Beria. Il
craignait de le faire en Géorgie car il connaissait l’emprise des hommes de
Beria à Tbilissi. Mais que se passa-t-il ensuite ? Dans le dossier Charia des
archives du MGB de Géorgie, l’interrogatoire suivant est daté du 18 mars
1952. Charia fut-il entre-temps transporté à Moscou ? Fit-il des
révélations qui sont conservées dans les archives du KGB de l’URSS ? Ou
bien Beria et ses proches lui signifièrent-ils de se taire et il se ravisa ?
Namitcheichvili trouva la mort en prison le 7 avril, et peut-être était-ce un
avertissement à Charia : si Beria n’avait pas hésité à liquider son parent,
que pouvait-il attendre ?
En définitive, deux chefs d’accusation principaux furent retenus contre
Charia. Le premier concerne la protection qu’il avait accordée aux
nationalistes et aux intellectuels bourgeois alors qu’il était responsable de
l’idéologie au Comité central du PC de Géorgie. On lui faisait grief
d’avoir placé à la tête des instituts et des universités géorgiennes des
représentants de la vieille intelligentsia de formation non soviétique :
Chalva Noutsoubidzé, doyen de la chaire de littérature européenne de
l’université de Tbilissi, ancien socialiste fédéraliste et membre de
l’Assemblée constituante de Géorgie, qui avait publié, en 1931, en
Allemagne, un ouvrage critiquant le matérialisme ; Constantin Bakradzé,
doyen de la chaire de logique de l’université de Tbilissi, ancien
menchevik, disciple de Heidegger et admirateur de Kant, Hegel et Fichte ;
Simon Kaukhtchichvili, éminent byzantiniste, nationaliste notoire dont le
frère Miheil était le représentant commercial du gouvernement Jordania
en Allemagne jusqu’à la guerre ; le professeur Mgueladzé, doyen de la
chaire de russe de l’université de Tbilissi, qui était membre du
gouvernement menchevique. Charia reconnut aussi avoir protégé
l’historien Nikoloz Berdzenichvili, dont la description des relations russo-
géorgiennes était antirusse, et les historiens Namoradzé et Gozalichvili
que nous connaissons déjà, accusés d’avoir voulu fomenter un coup d’État
en 1942, au moment où les troupes allemandes entreraient en Géorgie. Il
avoua « avoir mené une politique erronée en matière de culture nationale,
qui s’est exprimée surtout par une célébration excessive du passé
historique de la Géorgie ». Il fit aussi son autocritique pour son
malencontreux poème de 1943 : « Ce livre antiparti résultait des traits non
bolcheviques de mon caractère : l’humanisme et la sentimentalité petite-
bourgeoise. » Il reconnut avoir conservé sa confiance et son soutien entre
1929 et 1936 à des « ex-trotskistes actifs », et même avoir reçu chez lui en
secret un de ses amis recherché par le NKVD et réfugié dans la
clandestinité. « En 1936-1937, quand de nombreux ennemis étaient arrêtés
en Géorgie, je me suis laissé gagner par des idées nuisibles, considérant
que les organes de sécurité d’État arrêtaient des innocents. »
Charia se défendit avec naïveté en disant qu’il était lié à ces présumés
trotskistes par « une amitié personnelle », confirmant bel et bien
l’existence de « traits non bolcheviques » de sa personnalité. En fait, à lire
les dépositions et les accusations contre lui, on ne peut s’empêcher
d’éprouver une certaine sympathie pour le personnage : il se rendait aux
réunions du Bureau du Parti muni de livres de philosophie et de brochures,
et il passait les réunions absorbé dans sa lecture, sans participer le moins
du monde. « C’est un homme étrange, prodigieusement distrait », déclara
l’un de ses codétenus. L’instruction du dossier Charia fut si minutieuse
que l’on alla jusqu’à exhumer les dossiers des « ennemis du peuple »
condamnés en 1937-1938 et les dépositions de détenus compromettant
Charia.
Mais c’est surtout le séjour à Paris, de février à avril 1945, dont le
prétexte était la restitution par la France du trésor géorgien, qui attira
l’attention des enquêteurs du MGB. Ils s’intéressèrent particulièrement
aux trois rencontres de Charia avec Gueguetchkori et à ce que Charia avait
pu raconter à celui-ci sur la situation en Géorgie. Gueguelia avait refusé de
servir d’intermédiaire pour ces rencontres qui avaient été arrangées par
Akaki Nijeradzé. La troisième rencontre, qui avait eu lieu en forêt de
Fontainebleau autour d’un pique-nique bien arrosé en compagnie du
consul Gouzovski, sembla la plus suspecte aux enquêteurs. En effet,
laissant Gouzovski près du feu, Gueguetchkori et Charia s’étaient éloignés
bras dessus bras dessous, évoquant la guerre en train de s’achever ;
Gueguetchkori avait laissé entendre qu’il était proche des Américains et
au courant de leurs plans, et il avait déploré par ailleurs que l’émigration
géorgienne eût éclaté en petits groupes dispersés. Le tête-à-tête dura près
d’une heure, Gueguetchkori demandant des nouvelles des mencheviks de
sa connaissance demeurés en Géorgie. Sur le chemin du retour,
Gueguetchkori et Charia parlèrent en mingrélien, langue que Gouzovski ne
comprenait pas. « Je lui parlais comme si je lui rendais des comptes »,
avouera Charia à ses enquêteurs. Durant ses interrogatoires accompagnés
de tortures, il ne cessera de répéter qu’il avait oublié la fin de l’entretien
car il avait tant abusé du cognac et du vin qu’on le ramena ivre mort à son
hôtel. Ses bourreaux lui firent particulièrement grief d’avoir raconté aux
émigrés qu’en 1944 les Géorgiens musulmans de la région frontalière de
Meskhétie avaient été déportés. En effet, c’est par les régions musulmanes
que les mencheviks séjournant en Turquie infiltraient leurs émissaires sur
le territoire soviétique. Ainsi, Charia avertissait les émigrés de manière
détournée d’éviter désormais cette filière. C’est aussi Charia qui révéla
aux émigrés les détails de la déportation des peuples du Caucase du Nord
et des Tatars de Crimée. À croire que Beria tenait à rendre public ce
forfait, comme pour Katyn : en 1948, un autre proche de Beria, le
transfuge G. A. Tokaev donna à la presse occidentale une série
d’interviews retentissantes où il décrivait la déportation des peuples du
Caucase ; sans souffler mot du rôle de Beria dans ces interviews{2566}.
Plus gênant encore pour Charia fut le rapport sur les émigrés géorgiens
du 2 juillet 1945, compilé par Merkoulov et Beria à l’intention de Staline à
partir de ses notes, rapport qui se trouve dans le Dossier spécial (Osobaja
Papka). Selon ce rapport, Jordania aurait dit : « Staline a gagné la guerre.
Je considère Staline comme un grand homme… La Géorgie doit s’orienter
vers la Russie{2567}. » Quant à Gueguetchkori, il aurait reconnu la
« banqueroute » de l’émigration ; pour lui aussi la Géorgie devait unir son
sort avec celui de la Russie. Pour les enquêteurs la conclusion s’imposait :
« Vous désinformiez le gouvernement soviétique non seulement pour ce
qui touche Gueguetchkori, mais aussi en ce qui concerne les autres
émigrés géorgiens. » Charia affirma alors ne pas se souvenir s’il avait
rédigé un rapport à son retour. Lorsque les enquêteurs lui citèrent son texte
et en particulier la manière dont il présentait Gueguetchkori comme
prosoviétique, Charia s’exclama : « Ce n’est pas possible. » Il venait de
reconnaître dans sa déposition à quel point il était irréaliste de vouloir
recruter Gueguetchkori alors que la résidence de Paris n’avait aucun
moyen de contrôler son comportement et de vérifier qu’il n’était pas un
agent double.
Les notes de Charia sur ses rencontres avec les émigrés furent-elles
rédigées par Beria lui-même, ce qui expliquerait la surprise de Charia ?
C’est ce que soupçonnaient les enquêteurs et la chose est vraisemblable :
en effet, on s’en souvient, dans ses rapports à Staline, Beria présentait
Anders comme un officier prosoviétique.
Vous avez écrit : « [Spiridon] Kedia reconnut qu’il était criminel
désormais de lutter contre l’URSS. » Alors que dans votre déposition,
vous avez déclaré : « Un court entretien avec Kedia m’a convaincu
qu’il restait un ennemi irréconciliable de l’URSS. » Il est clair que
vous avez écrit sous la dictée de quelqu’un.

Il ressort de tout ceci que Beria avait « couvert » les émigrés géorgiens.
L’accusation portée contre Roukhadzé dans la lettre de délation
mentionnée plus haut, selon laquelle au moment de son séjour à Berlin en
1945 il aurait porté aux émigrés mencheviques de Paris des valises
d’argent et de bijoux, n’était peut-être pas aussi dépourvue de fondement
qu’il y semble au premier abord. Beria avait caressé le projet de fournir
une couverture commerciale à Gueguetchkori.
Staline avait peut-être, par ses propres agents à Paris, des échos du
voyage de Charia qui ne pouvaient que renforcer ses soupçons. En effet, la
rumeur dans l’émigration géorgienne voulait que Charia ait eu des
rencontres ultra secrètes avec certains émigrés, au cours desquelles il
s’efforçait d’obtenir des informations compromettantes sur le passé
prérévolutionnaire de Staline{2568}. Or la plupart des émigrés géorgiens
étaient persuadés que Staline avait été un provocateur de l’Okhrana
tsariste{2569}. Et nombre d’entre eux connaissaient des épisodes peu
glorieux de la jeunesse du Guide. Ainsi, un condisciple de Staline au
séminaire de Tiflis, Sylvestre Djibladzé, raconta à des mencheviks
emprisonnés en 1922 que les cinq meilleurs étudiants du séminaire avaient
été arrêtés par l’Okhrana et que les autres séminaristes membres de
l’organisation social-démocrate clandestine apprirent que ces arrestations
étaient dues à une délation de Staline. Ses condisciples décidèrent de le
juger et Staline confirma qu’il les avait dénoncés afin que ces étudiants
deviennent des révolutionnaires, toutes les autres voies leur étant
désormais fermées{2570}.
L’affaire Kobakhidzé.
L’arrestation de Constantin Kobakhidzé était elle aussi inquiétante pour
Beria. Ayant pris la nationalité soviétique en juin 1946, Kobakhidzé fut
arrêté par le contre-espionnage français, le 13 septembre 1950, à cause de
ses liens suspects avec l’ambassade soviétique. Il fut expulsé en RDA
malgré les protections dont il bénéficiait de la part de plusieurs
personnalités : un certain Boudin dont le beau-frère occupait un poste
élevé dans le ministère Queuille, le sénateur Georges Laffargue, le
directeur de la Banque d’Indochine Jean Laurent. Il resta seize mois en
RDA. De Berlin, Kobakhidzé écrivit une lettre à Tcharkviani pour
solliciter l’autorisation de s’installer en Géorgie. Il fut arrêté en RDA le
30 janvier 1952 et amené à Tbilissi le 15 février.
Les enquêteurs voulaient lui extorquer des dépositions accréditant leur
thèse faisant d’Eugène Gueguetchkori l’organisateur de toutes les activités
antisoviétiques en Occident. Pendant son premier mois de détention,
Kobakhidzé ne fut pas maltraité, mais, dans la deuxième quinzaine de
mars 1952, les hommes du MGB employèrent la manière forte, même si
dans un rapport du 10 juillet 1953 adressé à Serov, le colonel Maklakov,
chargé de l’instruction de l’affaire Kobakhidzé, niera avoir employé la
torture{2571} : pendant soixante-dix jours, Kobakhidzé fut privé de
sommeil et roué de coups. On s’intéressait à ses relations avec
Gouzovski ; Roukhadzé voulait le faire parler sur Charia et ses relations
avec Gueguetchkori. En mai 1952, les enquêteurs essayèrent de lui
extorquer des aveux sur ses liens avec les services spéciaux français.
Kobakhidzé affirma avoir refusé la proposition de Roger Wybot, le chef de
la DST, de collaborer avec son service pour démanteler les réseaux
soviétiques en France. Ce qui n’empêchera pas les Soviétiques de
soupçonner qu’il avait coutume de faire boire Tavadzé afin de lui soutirer
des informations sur l’URSS, transmises aux services français, et qu’il
avait été expulsé afin d’être infiltré en URSS pour le compte du SDECE.
Le 2 décembre 1952, il fut condamné à vingt-cinq ans de camp. Après la
mort de Staline, craignant sans doute les représailles de Beria, il
entreprendra de revenir sur ses aveux de mars-avril 1952 qui
compromettaient Charia, Gouzovski, Maximelichvili, Mataradzé et
Tavadzé. Le 12 avril 1953, il adressera à V. A. Kakoutchaïa, le nouveau
ministre de l’Intérieur de Géorgie – l’adjoint, pendant la guerre, de
Soudoplatov à la tête du Groupe spécial du NKVD chargé des opérations
de sabotage dans les régions occupées{2572} –, une déclaration affirmant
que ses tortionnaires l’avaient incité à compromettre Beria en
l’interrogeant sur Tavadzé et Chavdia. Il y exprimera la conviction que
l’arrestation de Tavadzé et l’enquête sur son action à l’étranger « avaient
pour but de créer un procès énorme et important{2573} ». « Épuisé
physiquement et moralement dévasté, je suis devenu un débile mental »,
écrira Kobakhidzé à Beria, s’excusant en quelque sorte d’avoir signé des
dépositions concoctées par ses bourreaux. Cette plainte où Kobakhidzé
exposait le déroulement de son affaire – expédiée par Dekanozov à
Koboulov, adressée à Beria le 14 avril 1953 – révèle un personnage fort
articulé, habile courtisan, connaissant bien le destinataire de son adresse :
ainsi Kobakhidzé ne manque pas de rappeler qu’au début de 1918 il s’était
porté volontaire dans l’armée géorgienne pour défendre le Lazistan contre
les Turcs{2574}.

L’affaire Rapava.
Les révélations apportées par l’enquête sur les Mingréliens montraient
que la frontière turco-géorgienne était restée anormalement poreuse pour
une frontière soviétique. Ceci amena Staline à s’intéresser aux
agissements de l’ancien chef du MGB de Géorgie, Avksenti Rapava.
Auparavant il avait essayé de le soudoyer : après sa libération à la mort de
Staline, Rapava racontera à Nina Beria que Staline l’avait convoqué et lui
avait dit : « Je te nomme sur-le-champ à la tête du Parti en Géorgie si tu
me dis tout ce qu’a fait Lavrenti{2575}. » Rapava s’étant dérobé, il fut
arrêté le 11 novembre 1951, puis inculpé comme membre du groupe
« antiparti et anti-État » des conspirateurs mingréliens, et à cause de sa
parenté avec des traîtres. Son épouse se rendit en secret à Moscou pour
demander l’aide de Nina Beria qui refusa de la recevoir. Ainsi les
Mingréliens comprirent que leur tout-puissant protecteur était lui aussi
menacé{2576}.
Lors de l’instruction, l’enquête révéla que, durant l’indépendance de la
Géorgie, Rapava aurait été un sympathisant du Parti social-fédéraliste et
qu’il avait servi dans l’armée menchevique jusqu’en septembre 1920. Rien
ne prouvait les allégations de l’accusé selon lesquelles il avait été infiltré
dans les forces mencheviques par les bolcheviks afin de s’y livrer à la
subversion communiste. En fait, Rapava s’était faufilé dans le Parti
communiste par la fraude, en 1921, en se faisant attribuer une ancienneté
fictive remontant à 1919. Il fut accusé de diverses malversations
financières, mais on lui reprocha surtout d’avoir nommé de manière
systématique des Mingréliens aux postes-clés du MGB, y compris des
éléments douteux comme un certain Illarion Malania, qu’il couvrait et
auquel il avait confié en août 1947 la rédaction d’un rapport intitulé : « La
création de l’intelligentsia soviétique et les moyens de l’améliorer »,
« document calomniateur antisoviétique », selon l’accusation ; ou comme
le Mingrélien M. Koukoutaria, chef du 1er Département chargé du
renseignement de 1941 à 1945. Des Mingréliens coaccusés, Mikheïl
Baramia et Kirill Betchvaia, témoignèrent qu’en 1945 Rapava avait
protégé le chef du MGB abkhaze Mikautadzé et son adjoint Guiorgui
Beroulava, alors que le frère de ce dernier était accusé d’avoir caché et
aidé des parachutistes envoyés en Géorgie par l’Abwehr ; Rapava l’avait
fait libérer et avait clos l’affaire. Non moins suspecte était la protection
accordée par Rapava aux rapatriés : ainsi, en mai 1948, il avait reçu dans
son bureau à deux reprises Méounarguia qui l’avait informé sur les
mencheviks de Paris et sur son beau-frère. De même, Rapava connaissait
depuis 1923 le neveu de Nina Beria, Tchitchiko Namitcheichvili, et il
l’avait casé au ministère de la Santé publique de Géorgie à son retour de
France en 1941. On lui fit grief aussi d’avoir protégé Chavdia, ce à quoi
Rapava rétorqua qu’Abakoumov était au courant dès le début – détail qui
montre qu’Abakoumov n’avait pas rapporté cette affaire à Staline à
l’époque, et qu’il existait sans doute une certaine solidarité entre lui et
Beria.
L’accusation la plus grave pour Rapava était qu’il avait détruit les
réseaux d’agents soviétiques à l’étranger qui dépendaient de lui et qu’il
était de mèche avec les services spéciaux turcs : « Tous nos réseaux à
l’étranger étaient liés aux services turcs et espionnaient activement
l’URSS{2577}. »
Pour les besoins de l’enquête, Chalva Berichvili fut mis à la disposition
du MGB géorgien et expédié de sa prison russe à Tbilissi{2578}. Le
témoignage de cet émissaire des mencheviks était accablant pour Rapava.
Berichvili raconta qu’en août 1940 il séjournait à Erzeroum dans le local
où se trouvait le Bureau caucasien du renseignement turc qui centralisait
toutes les informations concernant la Géorgie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan et
le Caucase du Nord{2579}. Berichvili entretenait d’excellentes relations
avec le colonel Serib-bey, l’adjoint du directeur de ce Bureau. Il eut l’idée
de lui demander ce qu’il savait des membres du gouvernement géorgien et
Serib-bey lui confia que Rapava « était intelligent, calculateur et
opportuniste. Ce n’était pas un vrai bolchevik, à la différence de ses
collègues. […] Nous ne le considérons pas comme notre ennemi, mais
plutôt comme notre ami{2580} ». Ces propos furent confirmés à
Berichvili par un autre officier des services spéciaux turcs, qui lui déclara
qu’avant l’arrivée de Rapava à la tête du NKVD géorgien en décembre
1938 celui-ci avait donné du fil à retordre aux services turcs. Mais dès que
Rapava devint ministre de l’Intérieur en Géorgie, les agents turcs purent
remplir leurs missions en Géorgie sans peine. Par ailleurs, à en croire cet
officier, « les infiltrations d’agents en Turquie à partir du territoire
géorgien était réalisées de manière si maladroite et si primitive qu’on
pouvait penser malgré soi que Rapava faisait exprès de saboter
l’espionnage soviétique en Turquie ». En effet, les agents infiltrés soit se
rendaient soit se faisaient prendre, et cela si souvent que le hasard était
exclu ; les Turcs étaient prévenus d’avance du moment et du lieu de
l’infiltration des Soviétiques, et leur information était en général exacte.
Bien mieux, c’étaient parfois des agents des services turcs qui étaient
chargés de leur faire passer la frontière. Les Turcs en étaient arrivés à tenir
secrets les échecs soviétiques afin de ne pas compromettre Rapava aux
yeux de la direction de Moscou{2581}. Lors de ce même interrogatoire du
28 avril 1952, Berichvili ajouta qu’avant son départ Jordania lui avait
recommandé d’entrer en contact avec les dirigeants géorgiens, d’y
chercher un soutien et avait cité le nom de Rapava.
Dans toutes les affaires évoquées, il est difficile de faire la part de la
vérité et la part de la fantaisie de juges d’instruction aiguillonnés par
Staline. Les accusés de l’affaire mingrélienne étaient affreusement
torturés et souvent prêts à avouer n’importe quoi. Que penser en
particulier du témoignage de Berichvili, qui mettait en cause la loyauté de
Rapava, et par conséquent celle de son protecteur Beria ? Chaque
arrestation en entraînait de nouvelles qui devaient permettre d’étoffer le
dossier du principal accusé. L’affaire M. Koukoutaria et l’affaire
M. Kakabadzé permirent de préciser les accusations pesant sur Rapava.
M. N. Koukoutaria, l’ancien chef du service de renseignements des
gardes-frontières de la région militaire de Géorgie, puis en 1945 le chef du
MGB d’Adjarie, fut arrêté le 21 février 1952, accusé d’avoir fait partie du
groupe Baramia et d’avoir saboté le renseignement soviétique en Turquie.
Son collègue et coaccusé Kakabadzé prétendit qu’il avait dévoilé le réseau
soviétique en Turquie en juillet 1941, en se laissant berner par un agent
double, privant ainsi l’URSS de sa filière d’infiltration d’agents en
Turquie constituée de Lazes. L’enquête révéla que Koukoutaria se livrait à
un trafic de laissez-passer fort utile pour les candidats au passage
clandestin de la frontière.
Kakabadzé, le chef du renseignement du NKGB d’Adjarie, fut arrêté le
13 février 1952 pour contrebande avec la Turquie et corruption. L’enquête
établit qu’à l’automne 1942 Berichvili lui avait offert deux brownings et
une carabine, sans oublier de lui remettre 80 000 roubles destinés à
Rapava. Berichvili témoigna en outre qu’en octobre 1942 S. Sezer, le
responsable du renseignement turc pour les régions frontalières avec
l’Adjarie chez qui il séjournait, lui dit que son agent en URSS, Nikoloz
Inasaridzé, avait été arrêté et qu’il avait l’intention de recruter Kakabadzé,
lequel avait déjà eu un geste de bonne volonté en libérant et renvoyant l’un
de ses agents. Lorsque Berichvili rencontra Rapava, en octobre 1942, et lui
rapporta les propos de Sezer, le chef du NKVD géorgien ne réagit pas.
Ce sont les dépositions de Kakabadzé qui révélèrent les liens suspects
entre Rapava et deux personnages troubles, les frères Redjeb et Osman
Kakhidzé sur lesquels reposait ce que nous avons appelé la « filière
Rapava ». Osman avait été recruté par la GPU en 1931 puis expulsé en
Turquie comme agent double. Avec l’aide de son frère Redjeb, il se mit à
infiltrer des agents en territoire soviétique pour le compte des services
turcs et des services occidentaux, y compris polonais. En 1935, Redjeb fut
arrêté et condamné à cinq ans d’exil pour complicité dans l’infiltration
d’un agent polonais. Mais la filière fut rétablie et, le 17 juillet 1940, le
NKVD adjare envoya Redjeb revenu d’exil contacter Osman en Turquie.
Osman était alors considéré comme un émissaire menchevique, un agent
allemand et turc, et il refusa de coopérer avec le NKVD.
En mai 1943, Redjeb fut convoqué à Tbilissi par Rapava en personne,
sur l’initiative très probable de Beria : en effet, durant le premier semestre
de 1943, le service de renseignements adjare était contrôlé par une
commission présidée par Koboulov. Rapava lui demanda de se renseigner
sur les relations germano-turques, de contacter certains transfuges par
l’intermédiaire de son frère et de s’informer sur les filières d’infiltration
en URSS des émissaires mencheviques. Le lien avec Osman fut renoué en
juillet 1943 et, en août, Rapava convoqua de nouveau R. Kakhidzé à
Tbilissi pour lui demander d’amener son frère Osman à la frontière car il
souhaitait s’entretenir avec lui. De juillet 1943 à mai 1944, R. Kakhidzé se
rendit huit fois en Turquie, utilisant un laissez-passer acheté à
Koukoutaria, qui lui permit de circuler dans toute la Transcaucasie. À
deux reprises, Rapava s’opposa à l’arrestation de R. Kakhidzé capturé à la
frontière avec d’importantes sommes d’argent.
Début 1944, d’autres émissaires mencheviques géorgiens furent arrêtés
à la frontière. L’un d’eux, Varden Tchikachua, demanda à être mis en
présence de Rapava. Ce dernier intervint afin que ces émissaires ne soient
pas livrés au SMERCH qui était sur la piste du réseau Rapava. En effet,
dès le 15 mars 1944, le SMERCH avait signalé à Fitine que Kakabadzé
« avait des liens criminels » avec les services étrangers : il aurait
notamment reçu 50 000 roubles d’Osman Kakhidzé pour libérer deux
agents turcs. À l’automne 1944, Osman Kakhidzé fut arrêté et témoigna
qu’il finançait Koukoutaria et Kakabadzé pour le compte des services
turcs. Sur ordre de Rapava, ce témoignage contre Koukoutaria ne fut pas
versé au dossier par Nibladzé. Et lorsque Kosogly Hussein, l’agent turc qui
faisait passer en URSS les courriers envoyés par les mencheviks de Paris,
fut arrêté en août 1945, Koukoutaria s’emporta et accusa les gardes-
frontières d’avoir fait capoter une opération importante.
Le couvercle ayant sauté, les révélations se multiplièrent. Il s’avéra
qu’à son entrée en fonction, en juillet 1944, le nouvel adjoint de Rapava,
S. Davlianidzé, avait procédé à une enquête sur l’efficacité du MGB
géorgien en Turquie et découvert que plus de 90 % des agents infiltrés en
Turquie étaient capturés{2582}. Cela ne pouvait s’expliquer selon lui que
par la trahison ou l’incompétence de Koukoutaria. Davlianidzé
communiqua les résultats de cette enquête à Rapava qui se dit d’accord
avec ses conclusions, promit de poursuivre l’enquête, mais en réalité se
borna à interdire à Koukoutaria de faire ses rapports à Davlianidzé.
Désormais il cacha à son adjoint les activités du secteur du renseignement.
En 1945, la Turquie avait rendu à l’URSS une centaine d’agents
capturés dont il s’avéra qu’un grand nombre étaient attendus à la frontière
et étaient certains d’avoir été trahis par une taupe infiltrée dans le NKGB
géorgien. L’un d’eux accusait I. Nibladzé. Dès que Rapava en eut vent, il
confia l’interrogatoire de ces agents au même Nibladzé. Le MGB de
l’URSS ayant averti le MGB de Géorgie que les Turcs avaient une taupe
en son sein, les soupçons se portèrent sur Kakabadzé et Rapava déclara
qu’il prenait l’affaire en main.
En 1947, Moscou envoya une commission, dirigée par le vice-ministre
de la Sécurité d’État, pour inspecter le MGB de Géorgie. Lorsque celle-ci
séjourna à Batoum en février-mars 1947, Koukoutaria déclara à ses
subordonnés qu’il ne fallait en aucun cas nuire au prestige de Rapava en
suscitant un rapport défavorable sur le MGB d’Adjarie. Vains efforts : la
commission dressa un bilan peu flatteur de l’efficacité du ministère
Rapava. Dans la région, l’URSS disposait en tout de quinze agents
incapables de rien rapporter d’intéressant et dont plusieurs étaient
soupçonnés d’être des agents doubles.
Le dossier de Rapava était alourdi par des parentés compromettantes.
Tout comme Beria, Rapava s’était arrangé pour conserver la gouvernante
allemande de ses enfants pendant toute la guerre. Nous avons déjà
mentionné son beau-frère, Guigo Jordania, parent de l’ancien président de
la Géorgie, qui pendant la guerre s’était engagé dans l’unité Tamara-II de
l’Abwehr. Après la guerre, le Bureau de l’étranger des mencheviks avait
envisagé de l’infiltrer en URSS, accompagné de son parent David
Jordania. Un document trouvé lors de la perquisition du domicile de
Rapava prouva que celui-ci avait été informé sur le sort de son beau-frère
en avril 1946, mais qu’il avait caché cette affaire au Parti. Ce sont ces
parentés compromettantes qui décidèrent Tcharkviani à autoriser
l’arrestation de Rapava demandée par Roukhadzé, lequel prétendait avoir
découvert tout cela fin octobre 1951.
Rapava n’était pas le seul à être mis en cause pour les trafics en tout
genre avec la Turquie. Le général V. Kakoutchaïa, un compagnon de
beuveries de Bogdan Koboulov, était aussi compromis. Kakoutchaïa avait
participé à l’insurrection antibolchevique de 1924 en Abkhazie et avait été
tiré de prison par son frère, officier de la GPU abkhaze. Il avait été expulsé
du NKVD en 1938 pour avoir employé des agents doubles turcs qui
n’apportaient aucune information, mais lui offraient des moutons.
Koboulov l’avait fort à propos nommé responsable de l’élevage de
moutons au ministère de l’Agriculture, ce qui permettait à Kakoutchaïa de
passer en Turquie, soi-disant à la poursuite de ses moutons, de s’y faire
arrêter par les services spéciaux turcs, et d’être mystérieusement libéré.
Après quoi Koboulov l’avait réintégré dans les organes{2583}.
Dans l’ensemble les Mingréliens tinrent bon. Ainsi Gueguelia, pressé de
nommer qui l’avait incité à utiliser le Comité anti-Vlassov pour
« blanchir » les légionnaires géorgiens, s’obstina à affirmer qu’il avait agi
de sa propre initiative ou à la demande des communistes français,
notamment de Matline, alias Gaston{2584}. Beria ne fut nommé à aucun
moment et put, semble-t-il, désamorcer une autre bombe susceptible
d’être aussi dévastatrice pour lui : la découverte dans les archives
polonaises saisies par les Soviétiques de la lettre d’Apollon Ourouchadzé
adressée en 1937 à Kote Imnadzé, dont il a été question plus haut. Les
documents polonais incriminant Ourouchadzé furent transmis au MVD de
l’URSS en janvier 1952. Beria les confia à Goglidzé et Ourouchadzé ne fut
arrêté que le 28 août 1953, après la chute de Beria.

Des mois critiques.


Pris dans l’affrontement entre Staline et Beria, les communistes
géorgiens essayèrent d’ériger des contre-feux. Leur stratégie consista à
tenter de dévier l’affaire vers une banale campagne anticorruption et
l’arrestation de sous-fifres. Le 19 mars 1952, les responsables du Parquet
de Géorgie reçurent la consigne de renforcer la lutte contre les
détournements et les malversations, en particulier dans l’industrie légère
et dans l’agro-alimentaire, de mieux protéger la propriété socialiste et de
mettre fin au libéralisme dans les affaires de concussion. L’affaire
mingrélienne se mêla à celle du ministère du Commerce extérieur et
déboucha sur une attaque contre les « technocrates ». Le 24 avril, le trust
pétrolier de Géorgie Gruzneft, fondé par Beria, fut attaqué dans Zaria
Vostoka qui lui reprocha de fonctionner « avec une lenteur
impardonnable » et d’engloutir les deniers de l’État sans résultat. En
même temps les organisations de commerce étaient sur la sellette.
Staline n’était pas dupe de ces manœuvres dilatoires et il enrageait de
voir ses séides géorgiens hésiter à mettre Beria nommément en cause. En
janvier 1952, Ignatiev rapporta à Staline que des informations provenant
du Politburo avaient été transmises en Angleterre à la fin des années 1930
et au début des années 1940. Après la guerre, ces fuites avaient fait l’objet
d’une enquête menée par Raikhman, un protégé de Beria, sans aucun
résultat. Or, selon Ignatiev, ces fuites ne pouvaient provenir que du
secrétariat de l’un des membres du Politburo{2585}. Cette affaire pouvait
être fatale à chacun des membres du Politburo, mais surtout à Beria, car
Raikhman était l’un de ses hommes au MGB, et l’instruction de l’affaire
mingrélienne apportait presque chaque jour des faits permettant d’établir
par quels canaux ces fuites avaient pu se produire.
À la mi-mars 1952, Staline envoya à Tbilissi un groupe d’officiers du
MGB central dirigés par Tsepkov. Le 27 mars, le Politburo adopta une
résolution rédigée par Matveï Chkiriatov et Nikolaï Pegov – un homme de
Malenkov –, intitulée « La situation au PC de Géorgie », encore plus
menaçante que celle de novembre 1951 puisque cette fois le « groupe
mingrélien nationaliste de Baramia » était accusé d’avoir préparé un coup
d’État « avec pour objectif de prendre le pouvoir au sein du Parti géorgien
et de préparer la liquidation du régime soviétique en Géorgie{2586} ».
L’affaire mingrélienne fut relancée et étendue à toute la Géorgie par une
instruction secrète aux organisations du Parti de la république. Les
enquêteurs furent invités à tirer au clair les ramifications du groupe
Baramia dans l’armée, au sein du MGB et du Komsomol.
Critiqué par le Politburo, sentant le vent du boulet, Roukhadzé sollicita
une audience auprès de Rioumine qui lui conseilla de prendre pour modèle
l’affaire de Leningrad : après tout, les détenus pouvaient être jugés et
condamnés même s’ils n’avouaient pas être des espions à la solde de
l’étranger. Il suffisait de leur faire avouer qu’ils avaient formé une fraction
antiparti{2587}. Talonné par Staline, Rioumine dépêcha à Tbilissi une
nouvelle brigade d’enquêteurs dirigée par Ogoltsov, le vice-ministre de
l’Intérieur. Ils reçurent la consigne secrète d’arracher coûte que coûte des
aveux compromettants pour Beria ou au moins son épouse Nina{2588}.
Une nouvelle vague de purges s’abattit sur les partisans de Beria pour qui,
en février-mars-avril 1952, la situation devint critique. C’est sans doute à
ce moment que Beria installa pour six mois à Gagry sa femme et son fils
en leur interdisant de venir à Moscou{2589}.
Les conditions de détention des détenus mingréliens devinrent encore
plus dures et, début avril, Rapava, Baramia et Karanadzé furent soumis à
un régime sévère et privés de sommeil. Le but des enquêteurs était de leur
faire avouer que le « groupe mingrélien nationaliste » avait des liens avec
l’étranger passant par Rapava, Charia, Chavdia et Tavadzé, tous des
intimes de Beria{2590}. Durant trois mois, Roukhadzé essaya d’extorquer
à Baramia des aveux selon lesquels il était à la tête d’un groupe
nationaliste mingrélien{2591}. L’affaire fit tache d’huile, entraînant de
nouvelles arrestations, dont Betchvaia, ancien chef du PC d’Adjarie, et
K. Bziava, ancien chef du contre-espionnage de la région militaire de
Transcaucasie. Baramia fut roué de coup, eut le tympan percé et en resta
sourd. Après des mois de calvaire, il écrivit le 7 avril une lettre pathétique
à Staline, où il se reconnaissait coupable de « nationalisme », mais niait
obstinément tout lien avec Gueguetchkori et sollicitait un modeste emploi
sous le regard du Comité central : « J’ai une telle soif de liberté que je
travaillerais comme trois ou quatre{2592}. »
Les 1er et 2 avril, Beria assista au Plénum du PC géorgien au cours
duquel Tcharkviani fut limogé et remplacé par Mgueladzé{2593}. Avec
son sadisme coutumier, Staline avait chargé Beria de donner la chasse à
ses partisans dans la république : « Il voulait écraser toute l’opposition
géorgienne en se servant de mon père pour le couper de la nation
géorgienne{2594} », note Sergo Beria. Beria ouvrit le feu, mais en se
démarquant discrètement des propos qu’il allait tenir : « C’est seulement
grâce à l’intervention du Comité central du PCbUS et du camarade Staline
en personne qu’il a été possible de démasquer et de neutraliser le groupe
ennemi de Baramia » ; et plus loin : « Il y avait beaucoup d’ennemis du
régime soviétique en Géorgie dans le passé… » – sous-entendu, il n’y en a
plus guère aujourd’hui. Cependant Tcharkviani avait manqué de
« vigilance bolchevique » et sa politique des cadres laissait à désirer. La
lutte contre la corruption n’avait guère été efficace et il y avait eu des abus
au ministère du Commerce. Beria souligna que « certains camarades ont
eu raison de critiquer le fait que le Bureau du Comité central très souvent
usurpe le rôle du Conseil des ministres », tout en se félicitant que la
création des régions de Tbilissi et Koutaïssi « renforce la direction par les
organes du Parti et de l’État de l’industrie, de l’agriculture et de la
culture ».
Le thème principal de ce plénum fut la critique de Tcharkviani : absorbé
par l’économie, oubliant l’enseignement du camarade Staline selon lequel
on ne peut séparer l’économie de la politique, Tcharkviani n’avait pas vu
que le groupe de Baramia s’apprêtait à restaurer le capitalisme en Géorgie
avec l’aide des impérialistes. On imputa à Tcharkviani de n’avoir pas
appliqué en Géorgie l’instruction du Comité central du PCUS du 2 juin
1948, enjoignant de déporter les « parasites », et de n’avoir rien fait pour
renforcer les frontières de la Géorgie, en dépit des instructions répétées du
camarade Staline{2595}. Tcharkviani tenta de se disculper : il avait recasé
Rapava au ministère de la Justice car « nous pensions qu’il ne gênerait pas
si on le faisait moisir dans une administration peu active{2596} ». Il
reconnaissait maintenant son erreur, puisqu’à ce poste Rapava avait pu
entraver la lutte contre les émigrés. Mais le Comité central ne pouvait être
accusé de cette politique, parce que Rapava ne le consultait pas et n’en
faisait qu’à sa tête, tout comme le procureur de la République, Chonia.
Roukhadzé prononça le réquisitoire le plus virulent, soulignant les
succès de l’enquête Baramia : celui-ci avait avoué avoir créé un groupe
nationaliste mingrélien où tous se serraient les coudes. Roukhadzé essaya
aussi de se couvrir, en rappelant qu’il avait tenté d’avertir Tcharkviani, en
1948-1949, sur l’activité subversive menée par Rapava depuis 1943-1944,
mais que Tcharkviani ne l’avait pas écouté.
En définitive, Mgueladzé, l’étoile montante en Géorgie, résuma les
conclusions de ce plénum dans un discours tenu le 13 avril devant la
conférence du Parti de Tbilissi :

Le Plénum des 1er et 2 avril révéla de nombreuses erreurs […] dans


la direction par le Comité central du PC de Géorgie de l’industrie, de
l’agriculture, de l’édification de la culture et surtout dans le choix et
l’éducation des cadres dirigeants. À cause d’un manque de vigilance
des dirigeants du Comité central du PC de Géorgie, des éléments
hostiles ont capté notre confiance et ont été en position de nuire à
notre cause et au peuple géorgien{2597}.

Tout cela rappelait l’année 1937 et laissait présager le pire.

La contre-offensive et le retournement.
Mais Beria ne restait pas les bras croisés. D’abord il s’efforça d’éviter
que la rumeur de son conflit avec Staline ne se répande, de peur d’affaiblir
davantage encore ses positions en Géorgie. Devant ses compatriotes, il fit
porter le chapeau à des subordonnés comme Ignatiev. Alexandre
Mirtskhoulava témoigne : « Quant à Lavrenti Pavlovitch, […] il me
prévint : “Fais très attention, tâche d’éviter qu’on ne t’implique dans cette
affaire.” Il me dit que Staline lui avait demandé de faire un rapport sur
cette affaire, car il ne voulait plus écouter cet Ignatiev. »
Et il organisa la contre-attaque. En Géorgie, ses hommes surveillèrent
de près Roukhadzé, prêts à dénoncer tous ses manquements. Déjà en
novembre 1951, lorsque celui-ci, flatté d’avoir été reçu par Staline, n’avait
pu s’empêcher de s’en vanter et de raconter cet entretien devant un groupe
de responsables géorgiens, dont le vice-ministre de l’Intérieur Bziava,
celui-ci s’était hâté de faire un rapport adressé à Ignatiev qui l’avait
communiqué à Staline. Staline l’avait renvoyé à Mgueladzé avec ordre de
le montrer à Roukhadzé puis de le détruire. Il avait encore besoin de
Roukhadzé, mais il n’était certainement pas homme à pardonner une
pareille faute. Le témoignage de Soudoplatov permet aussi de reconstituer
comment le clan Beria discrédita Roukhadzé aux yeux de Staline.
Roukhadzé avait élaboré un plan pour faire enlever les chefs
mencheviques géorgiens à Paris et les amener en URSS. Staline avait
approuvé ce plan. Roukhadzé consulta Soudoplatov qui n’eut aucun mal à
montrer que les hommes chargés de l’opération étaient incompétents et
que leurs méthodes ineptes entraîneraient un fiasco. Il en profita pour
compromettre Roukhadzé en révélant que celui-ci comptait utiliser cette
mission pour offrir à son épouse un voyage à Paris, sous couleur d’assurer
une « couverture » culturelle aux agents chargés de l’opération{2598}.
Le tournant dans l’affaire mingrélienne se situe fin avril et début mai
1952. En mai, Mgueladzé et Roukhadzé envoyèrent à Staline une note
établissant le bilan de près de six mois d’enquête, qui aboutissait à un
constat d’échec : ni Baramia ni les autres n’avaient avoué de contact avec
Gueguetchkori. « Les récents interrogatoires montrent qu’il y a peu de
chances que nous trouverons d’autres personnes à arrêter. » Bref l’enquête
piétinait et il était souhaitable de mettre fin à l’instruction d’ici le 1er
juillet.
Comment Beria était-il arrivé à désamorcer la bombe que représentait
pour lui l’affaire mingrélienne ? Plusieurs hypothèses peuvent être
avancées. Celles proposées par Khrouchtchev dans ses Mémoires ne sont
guère satisfaisantes :

Beria savait exploiter les faiblesses de Staline, il atteignait ses


objectifs en misant sur la cruauté de Staline et son amoralisme.
Quand Beria revint de Géorgie et fit un rapport sur les résultats de
son action, il retrouva la faveur de Staline. […] Il avait payé avec le
sang du peuple géorgien le rétablissement de son prestige aux yeux de
Staline. […] Je suis persuadé que l’affaire mingrélienne avait été
inventée par Staline en personne dans sa lutte avec Beria. Mais,
comme Staline était déjà malade, il manqua d’esprit de suite pour
réaliser ses plans et Beria se tira d’affaire{2599}.

Sans doute Staline avait-il toujours besoin de Beria pour mener à bien la
fabrication de la bombe H. Il souhaitait l’abaisser mais non le supprimer,
du moins pour l’instant, explication qui ressort des Mémoires de Sergo
Beria. Mais le tournant brutal de mai 1952 peut aussi être lié à la position
de Malenkov qui contrôlait Ignatiev. Malenkov avait de bonnes raisons de
vouloir affaiblir Beria, mais il ne désirait pas son élimination par Staline.
Sergo Beria affirme d’ailleurs que c’est Malenkov qui prévint à temps
Beria de ce que Staline machinait contre lui{2600}. Il semblerait qu’en
avril les deux hommes aient décidé d’agir de concert pour isoler le
dictateur : le 22 avril, le Politburo créa une commission chargée de faire
une enquête sur le GUO, l’administration principale de l’Okhrana – la
protection des hauts dignitaires du Parti et de l’État – supervisée par
Vlassik. Selon le témoignage de Vlassik,

Staline proposa de créer une commission présidée par Malenkov, qui


insista pour que Beria en fasse partie. Dès la première session, il fut
évident que c’était Beria et non Malenkov qui dirigeait la
commission{2601}.

De manière prévisible, la commission découvrit quantité d’abus et de


détournements et, le 29 avril, Vlassik fut exclu du Parti, limogé et nommé
vice-directeur d’un camp du Goulag ; au lieu de se faire oublier il
bombarda les membres du Politburo de lettres et finalement revint à
Moscou{2602}. Vlassik et Poskrebychev, les deux chiens de garde de
Staline, furent accusés d’être en contact avec les services britanniques et
d’être à l’origine des fuites dont le MGB cherchait la source depuis
1946{2603}. Ainsi Beria et Malenkov commencèrent à démanteler la
protection rapprochée de Staline, en le privant de ses intimes et en les
remplaçant par des hommes à eux. Staline se laissa manipuler, car l’âge
affaiblissait l’esprit de suite et la perspicacité si redoutables qui le
caractérisaient autrefois.
Reste le mystère de la longue survie de Beria qui parvint même à
conserver son épouse, malgré ses nombreux parents compromettants,
comme le jeune Chavdia, alors que la malheureuse Jemtchoujina et
d’autres épouses des proches de Staline avaient été arrêtées pour des
raisons souvent futiles. Les historiens qui ont eu accès aux documents de
l’affaire mingrélienne et de l’affaire des « blouses blanches » ont vu le
nom de Beria écrit en toutes lettres dans les minutes des dépositions qui le
visaient. Il était nommément accusé d’être nationaliste et de préparer le
renversement du régime soviétique. Or, si le nom d’un membre du
Politburo était prononcé lors d’un interrogatoire, l’enquêteur du MGB
consultait son ministre, sans écrire ce nom dans les minutes, et la suite de
l’interrogatoire avait lieu en présence du ministre. Le nom ne pouvait
figurer dans les minutes de l’interrogatoire qu’après autorisation du chef
du MGB, c’est-à-dire celle de Staline{2604}. Comment le dictateur, qui
n’oubliait aucun faux pas, même insignifiant, de ses proches, put-il laisser
Beria en vie en dépit d’écarts aussi énormes ? Tenait-il tant à la bombe H
et était-il persuadé que sans Beria le travail sur la bombe cesserait
d’avancer ? Ou savait-il que Beria ne se laisserait pas cueillir sans
combattre et craignait-il l’épreuve de force ? Beria était-il en position de
faire chanter Staline ? C’est ce qu’une allusion cryptique de Sergo Beria
laisse deviner. Apprenant que l’arrestation de son épouse était imminente,
Beria aurait dit à son fils : « Je vais prendre mes dispositions pour qu’il
n’arrive rien à ta mère. » Et Sergo Beria enchaîne :

Il savait que Staline voulait entrer dans l’histoire avec la réputation


du plus noble, du plus intelligent et du plus honnête des dirigeants et
non celle d’un tyran sanguinaire{2605}.

Une rumeur circulant dans l’émigration géorgienne veut que Beria se


soit rendu secrètement en Suisse pour y rencontrer Gueguetchkori{2606}.
Les archives de l’émigration géorgienne gardent la trace d’un voyage
éclair de Gueguetchkori à Genève du 5 au 7 février 1952, qui eut lieu dans
le plus grand secret. Gueguetchkori fut accueilli par Michel Kedia et
Grégoire Beridzé venu exprès du Maroc, qui repartit avec une malle pleine
de cadeaux{2607}. Est-ce à ce moment qu’eut lieu la rencontre ?
« Staline, parfois, paraissait avoir peur de Beria. Il aurait été bien
heureux de s’en débarrasser, mais il ne savait pas comment le faire.
Naturellement Staline ne m’en parlait jamais, mais je le sentais{2608} »,
note Khrouchtchev. Ce qui est confirmé par le témoignage de Sergo Beria :
J’ai l’impression très nette qu’en 1952 mon père agit de manière à
faire comprendre à Staline qu’il ne se laisserait pas abattre comme un
veau, qu’il était résolu à lui déclarer une guerre ouverte si Staline se
décidait à le liquider. Il fit savoir à Staline qu’il n’avait pas intérêt à
s’attaquer à lui, car il déclencherait un affrontement sans précédent.
Il tint des propos en ce sens devant des gens dont il était certain qu’ils
rapporteraient tout à Staline.

Et, de fait, Kaganovitch affirmera plus tard, lors du Plénum de juillet


1953, avoir entendu Beria déclarer : « Staline ne sait pas que s’il essayait
de m’arrêter les tchékistes organiseront une insurrection. » Molotov va
dans le même sens lorsqu’il confie à Tchouev : « Staline savait que Beria
était prêt à tout pour sauver sa peau. […] Il voyait que Beria faisait du
zèle, mais qu’il n’était pas loyal{2609}. » Il est clair en tout cas qu’à
partir de fin avril 1952 Staline renonça à faire tomber Beria au moyen de
l’affaire mingrélienne, au moins dans l’immédiat.

La chute de Roukhadzé.
Même au moment où il le comblait de faveurs, Staline ne cessa jamais
de se méfier de Roukhadzé qui avait été un homme de Beria puis
d’Abakoumov. Il était exaspéré de voir que Roukhadzé n’arrivait pas à
extraire d’aveux susceptibles de couler Beria et il voulait des preuves
réelles, et non des affabulations rocambolesques comme il était de mise
pour les « ennemis du peuple » habituels. D’où son irritation croissante à
l’égard de ceux qui menaient l’affaire : Roukhadzé, Rioumine et Ignatiev.
Ce dernier confiera à Mirtskhoulava, après la libération des Mingréliens
en avril 1953, qu’il essayait de persuader Beria de son innocence dans
cette affaire et en faisait retomber la responsabilité sur Rioumine. Ignatiev
racontera à Mirtskhoulava qu’il avait montré les témoignages de Baramia
et de Betchvaia, le secrétaire de l’obkom d’Adjarie{2610}, à Staline
« qui s’intéressait à l’affaire mais éprouvait des doutes ». Betchvaia
avouait avoir rencontré des agents des puissances impérialistes sur un
sous-marin. Ignatiev racontera : « Staline me demanda : “Le sous-
marin appartenait à quel pays ?” » Ignatiev répondit qu’il n’en savait
rien. « Demandez à Betchvaia de quelle nationalité était ce sous-
marin. » Ignatiev s’en prit à Rioumine : « Pourquoi me refiles-tu des
témoignages incomplets ? » Rioumine riposta : « C’est vous qui
m’avez ordonné de fournir les témoignages voulus. Betchvaia n’est
pour rien dans ces déclarations : il niera tout. » Mais Staline n’oublia
pas et, trois jours après, il téléphona à Ignatiev : « “Où en est votre
dossier ?” Je répondis que Betchvaia ne se souvenait plus. “Comment,
il ne se souvient plus ! Vous ne savez pas mener une instruction !” En
fait tous ces témoignages étaient inventés de toutes pièces par les
juges d’instruction{2611}. »

Les relations étaient exécrables entre Mgueladzé et Roukhadzé qui


ambitionnait, semble-t-il, une carrière similaire à celle de Beria. Il rêvait
de prendre la place de Mgueladzé à la tête du Parti géorgien, puis de
devenir ministre de l’Intérieur de l’URSS. Beria le savait et, lorsqu’il se
rendit à Tbilissi en avril, il lui dit sur un ton narquois : « Alors, Kolia, on
n’est encore que ministre{2612} ? »
Après le fiasco de l’affaire mingrélienne, chacun des deux hommes ne
vit qu’une issue : faire retomber l’ire de Staline sur l’autre. Désormais
c’était à qui dénoncerait l’autre le premier et le ferait de la manière la plus
convaincante pour Staline. Mgueladzé ne se laissa pas prendre de vitesse
et signala à Staline l’amitié de Roukhadzé pour l’un des suspects
mingréliens, l’ex-ministre des Finances R. Kvirkvelia{2613}. Il souleva
un point auquel Staline ne pouvait manquer d’être sensible, en se fondant
sur le cas de Kvirkvelia pour insinuer que Baramia, de mèche avec
Roukhadzé, n’avait mis en cause dans ses interrogatoires que les
personnages mentionnés nommément dans la résolution du 9 novembre.
Cela signifiait que dès le début Roukhadzé s’était efforcé de limiter la
portée de l’enquête sur les Mingréliens, et cela il ne pouvait le faire qu’à
l’instigation de Beria.
Le 1er juin, Roukhadzé riposta en adressant à Staline une lettre de
délation révélant que, à l’époque où il était secrétaire du Parti en
Abkhazie, Mgueladzé refusait d’accorder un permis de résidence aux
Russes et aux Arméniens qui voulaient s’établir dans la région, et qu’il
rebaptisait les villages des colons russes et arméniens avec des noms
géorgiens – tout cela sur ordre de Beria{2614}.
Chaque délateur insinuait que l’autre était un homme de Beria, mais
Mgueladzé laissait entendre que Roukhadzé continuait de l’être. Il
l’emporta, car la délation contre Mgueladzé sembla confirmer à Staline
que Roukhadzé voulait s’attaquer au clan mis au pouvoir par Staline en
Géorgie pour restaurer le clan de Beria et qu’il était en outre partie
prenante du complot du MGB visant à évincer le Parti pour prendre sa
place. Le télégramme, corrigé de la main de Staline, envoyé par le Comité
central à Mgueladzé, le 4 juin, reprochait à Roukhadzé de s’être appuyé
sur des témoignages de détenus du groupe Baramia, pour incriminer
Mgueladzé, et d’avoir court-circuité les autorités géorgiennes en
s’adressant directement à Moscou{2615}. C’est donc Roukhadzé qui fut
limogé le 4 juin, convoqué à Moscou et arrêté début juillet sur ordre de
Staline. Rioumine fut chargé de l’enquête et accusa Roukhadzé d’être un
espion, d’avoir voulu s’enfuir à l’étranger et d’avoir rassemblé un dossier
compromettant sur Beria. Goglidzé, que Beria avait réussi à faire revenir à
Moscou le 19 février 1952 et à placer à la tête du contre-espionnage, fut
envoyé à Tbilissi pour mener une enquête sur les allégations de Roukhadzé
contre Mgueladzé{2616}. Le Xe Plénum du PC géorgien, qui se tint le
28 juin 1952 et dans lequel Roukhadzé fit figure de principal accusé,
signifia clairement aux Géorgiens que Beria l’avait emporté : « L’activité
de Roukhadzé était dirigée contre l’opinion du Comité central du PCbUS
et contre le camarade Beria qui avait contribué à choisir ces dirigeants [du
Parti géorgien]{2617}. »
La chute de Roukhadzé remplit d’espoir les Mingréliens emprisonnés et
chacun s’empressa de se venger du tortionnaire déchu et de chercher à
rentrer en grâce en se posant en victime de l’ancien chef du MGB
géorgien. Baramia écrivit le 19 juin une lettre à Ignatiev, où il accusait
Roukhadzé de s’en être pris à ceux qui l’avaient autrefois critiqué, comme
Nibladzé et Karanadzé. À l’en croire, Roukhadzé plaçait le MGB au-
dessus du Parti : Baramia l’avait entendu reprocher à un subordonné de
« parler la langue du Parti et non celle de la Tchéka ». Roukhadzé n’avait
cessé d’encenser Abakoumov, jusqu’au 11 juillet 1951, jour où la lettre
secrète du Comité central annonçant la chute d’Abakoumov avait été
communiquée au PC géorgien. Ce jour-là, Roukhadzé avait provoqué
l’hilarité générale en déclarant que ses relations avec Abakoumov étaient
exécrables. En outre, Roukhadzé avait profité de son séjour en Allemagne
en 1945 pour équiper et meubler son appartement de Tbilissi, faisant venir
des wagons entiers de Berlin. Le 1er décembre 1952, dans une nouvelle
épître à Ignatiev, Baramia porta des accusations encore plus graves contre
Roukhadzé : « On avait l’impression qu’il créait à dessein des conditions
permettant aux agents étrangers de se déployer et de rentrer chez eux sans
encombre. » Roukhadzé avait en outre essayé d’inciter Baramia à
compromettre Nibladzé en utilisant les dépositions de Berichvili.
Dans leur cellule, David Mataradzé et Vardo Maximelichvili y allèrent
aussi de leurs délations à l’encontre de Roukhadzé, auquel Maximelichvili
feignit d’attribuer son arrestation. Ils rappelaient que Roukhadzé s’était
déjà fait remarquer sur le front de Crimée, lorsqu’il avait pris la fuite au
moment décisif, et que seule l’intervention d’Abakoumov l’avait sauvé.
Les peccadilles de Roukhadzé ne s’arrêtaient pas là. Un de ses amis
d’enfance, Irakli Lordkipanidzé, avait émigré à Paris et Roukhadzé avait
recommandé au MGB de le recruter, oubliant que celui-ci était un
antisoviétique convaincu, agent de la Gestapo pendant la guerre et enrichi
par son commerce avec les Allemands, à les en croire. Bref, Roukhadzé
n’avait pas recruté un seul agent valable. Bien plus, il avait un parent
compromettant, l’écrivain Chalva Soselia qui avait travaillé au secrétariat
de Staline, qui pendant la guerre avait été fait prisonnier par les Allemands
et avait participé à l’opération Zeppelin. En mars 1944, Roukhadzé avait
transmis à Tcharkviani le procès-verbal de l’interrogatoire d’un codétenu
de Soselia en Allemagne, attestant que celui-ci était resté prosoviétique et
qu’il avait été fusillé en Pologne{2618}. En réalité, ce témoignage devait
être falsifié puisque Soselia se trouvait en 1945 en Allemagne, dans la
zone d’occupation américaine{2619}.
Le 1er septembre 1952, le nouveau ministre de la Sécurité,
A. Kotchlavachvili, un proche de Beria{2620}, adressa à Staline un bilan
de l’enquête sur le groupe de Baramia{2621}. Bilan bien maigre : les
accusés s’étaient reconnus coupables des délits habituels en régime
communiste – favoritisme, corruption, mœurs dissolues, manque de
vigilance, etc. Mais il n’avait pas été possible d’identifier les canaux entre
Gueguetchkori et le groupe de Baramia. Partout c’était l’impasse. Début
septembre, les enquêteurs chargés de l’affaire Gueguelia furent obligés de
reconnaître qu’il était impossible de prouver les liens entre Gueguelia et
les services occidentaux. En décembre 1952, Gueguelia, l’un des
principaux accusés, obtint même une réouverture de son affaire et un
complément d’enquête.
Comme l’instruction de l’affaire mingrélienne piétinait faute de
données nouvelles, Kotchlavashvili proposa à son tour de clore l’enquête à
la mi-novembre et de déplacer l’enquête à Paris pour tenter de repérer de
là-bas les filières remontant en Géorgie. Cette suggestion ne fut pas
retenue par Staline.
En apparence Beria avait donc réussi à retourner la situation, mais sans
regagner les faveurs de Staline : « Beria a des ambitions à l’échelle
mondiale mais aucune munition », confia celui-ci à Mgueladzé{2622}.
L’épée de Damoclès restait suspendue au-dessus de sa tête car l’enquête
sur l’affaire mingrélienne se poursuivait mais de manière beaucoup plus
feutrée. Moins d’un mois avant sa mort, le 3 février 1953, Staline exigea
encore d’Ignatiev les minutes des interrogatoires de Roukhadzé qui
visaient clairement Beria{2623}. Jusqu’aux premiers jours de mars 1953,
on continua à s’acharner sur les accusés mingréliens, Staline nourrissant
toujours l’espoir que ses vassaux géorgiens pointeraient Beria du doigt.
Mais ceux-ci, conscients du déclin physique de Staline, n’osaient l’accuser
nommément. Staline devinait sans doute les causes de cette réticence, et il
n’en était que plus furieux.
Ainsi à la fin de 1952, l’affaire mingrélienne semblait enlisée et le bilan
pour Staline était mitigé : il n’avait pas réussi à se débarrasser de Beria,
mais avait écarté sa clientèle en Géorgie et avait la satisfaction d’imposer
à son pays natal la « construction accélérée du socialisme » sur un modèle
qui rappelle fort celui imposé en juillet 1952 à la RDA : chasse à la
corruption, intensification de la collectivisation, campagnes contre
l’intelligentsia, préparation militaire, renforcement des frontières. En avril
1952, le IXe Plénum marqua un tournant dans la politique kolkhozienne de
la république, le mot d’ordre étant le renforcement des kolkhozes et des
organisations du Parti dans les kolkhozes, la Géorgie étant sommée
d’appliquer la législation soviétique, notamment la résolution du 27 mai
1939, ordonnant de remettre au kolkhoze les lopins privés entourés de
champs kolkhoziens{2624}. De même, en juillet 1952, Mgueladzé adressa
à Staline un rapport détaillant les progrès effectués dans la protection des
frontières et, lors du XVe Congrès du PC géorgien tenu du 15 au
16 septembre 1952, le successeur de Roukhadzé appela à renforcer les
frontières dans un bref délai {2625}.
Au niveau local, Staline réussit à desserrer l’emprise de Beria sur la
Géorgie, mais pas à détruire ses réseaux qui se remirent en place dès avril
1953. Si l’on prend en compte l’objectif initial de Staline dans cette
affaire et dans d’autres entreprises : abattre Beria, l’échec est patent.
L’affaire mingrélienne possède de nombreux traits spécifiques qui tiennent
à ce qu’elle visait Beria dans son fief. Mais elle eut des ramifications dans
toute l’URSS. En effet, les résolutions de novembre 1951 concernant le PC
géorgien annonçaient une campagne reprise à l’échelle de l’URSS et de
tout le bloc socialiste, de mai 1952 à la mort de Staline. Ainsi, en février
1952, Rioumine ordonna par exemple au MVD lituanien d’enquêter sur
l’organisation clandestine Laisva Varnas, « afin de mettre en lumière le
lien éventuel avec l’étranger et les canaux clandestins par lesquels ils
passaient ». Lorsque les enquêteurs locaux échouèrent à établir ce lien, ils
se virent reprocher par leur chef à Moscou d’avoir mené les
interrogatoires des détenus « sans la persistance tchékiste
nécessaire{2626} ».
Les enquêtes suscitées par l’affaire mingrélienne laissent entrevoir la
manière dont Beria actionnait ses réseaux et les objectifs qu’il poursuivait
durant ces années d’« hibernation » pendant lesquelles il s’efforça de
survivre tout en attendant la mort du dictateur. Leurs implications étaient
si explosives qu’elles furent souvent relancées après la chute de Beria,
lorsque les membres du Politburo chercheront à justifier leur putsch contre
leur collègue.
Le cours sinueux des affaires évoquées ici révèle que le Staline d’après-
guerre ne disposait plus du même pouvoir que dans les années 1930.
L’affaire Toukhatchevski avait été bouclée en quelques jours. Aucun haut
dirigeant marqué pour la purge n’en réchappa durant cette période. Or, à
partir de la guerre, Staline ne réussit à abattre des membres du Politburo
que lorsqu’il ne fut pas seul à vouloir leur perte. Ainsi, l’affaire de
l’aéronautique lancée en avril 1946, qui visait Malenkov et Joukov,
n’entraîna qu’une éphémère disgrâce de Malenkov et la relégation de
Joukov ; l’affaire du Comité antifasciste juif, qui traîna de janvier 1949 à
août 1952, ne provoqua l’arrestation que de Jemtchoujina, alors qu’elle
visait Molotov et Beria. Les seules répressions réussies au sommet furent
celles du groupe de Leningrad, car Malenkov y joua un rôle moteur et les
autres membres du Politburo y étaient aussi intéressés. Les dirigeants du
Comité antifasciste juif furent finalement fusillés car Malenkov relança
l’affaire à partir de la chute d’Abakoumov. Toutefois, l’annonce en janvier
1953 du complot des « blouses blanches » montra que Staline ne s’était
pas résigné à l’érosion des leviers de son pouvoir et qu’il était décidé à
porter un grand coup.

23

L’enjeu allemand
Comme les événements ultérieurs l’ont montré, Beria avait sa propre
politique dans la question allemande, mais il la garda pour lui jusqu’à
la mort de Staline par crainte de ce dernier{2627}
[W. Semjonow].
Dans la politique soviétique, l’Allemagne a toujours occupé une place
prioritaire. Après la guerre, elle est devenue un terrain privilégié de la
lutte d’influence entre les hommes du Kremlin, miroir des affrontements
feutrés au sein du groupe dirigeant soviétique. Après la mort de Staline, la
question allemande jouera un rôle déterminant dans l’issue de la lutte pour
la succession du Guide, raison pour laquelle nous nous attarderons sur le
cas de l’Allemagne, afin de comprendre comment s’est nouée la grande
crise du printemps 1953. En privilégiant les conflits qui impliquent
différentes conceptions de la politique allemande, nous identifierons les
canaux d’influence de Beria en Allemagne, ses réseaux et les méthodes
mises en œuvre dans cette guerre des bureaucraties qu’a été la politique
allemande de l’URSS.
En Allemagne, les objectifs de Staline étaient clairs : « Toute
l’Allemagne doit être à nous, c’est-à-dire soviétique et communiste »,
déclara-t-il à des communistes bulgares et yougoslaves en juin
1946{2628}. Il sembla ne s’être jamais résigné à choisir entre le contrôle
et l’influence, refusant de comprendre qu’il ne pourrait obtenir une
Allemagne à la fois unifiée et communiste. Il cherchait à concilier
l’inconciliable, renforçant son emprise sur la zone d’occupation
soviétique, autorisant les pillages, les arrestations et les ponctions
extravagantes sur l’économie est-allemande, sans renoncer pour autant à
séduire tous les Allemands. Ces aspirations contraires firent de la
politique allemande une foire d’empoigne où s’affrontèrent les différentes
administrations concurrentes chargées de l’appliquer. Ceci explique les
oscillations dans la politique allemande de l’URSS, de l’après-guerre à la
mort de Staline, qui ont souvent laissé les historiens perplexes.
Staline suivait le dossier allemand de fort près, jusque dans les plus
petits détails : c’est à lui, par exemple, que s’adressa Wilhelm Pieck pour
savoir s’il fallait accorder à Otto Grotewohl l’autorisation de divorcer
pour épouser sa secrétaire{2629}. Les zigzags de la politique allemande
étaient imputables à ses décisions, mais ses objectifs contradictoires
laissaient des interstices de liberté à ses subordonnés que chacun essayait
d’exploiter à son profit.
Pour Beria aussi l’Allemagne était un enjeu capital. Déjà en 1943-1944,
lorsque Staline n’avait pas encore arrêté sa ligne d’action, Beria avait
essayé de sauver la Wehrmacht grâce à la création du BDO, pour assurer
une ossature au futur État allemand. Après ce premier échec, Beria se
montra plus prudent. En apparence, il évitait de se mêler de la politique
étrangère, préférant agir par des voies détournées : « Dans les affaires de
grande politique, Beria ne se risquait jamais à formuler son opinion
personnelle », note W. Semionov qui a assisté à des réunions du Politburo
consacrées à la question allemande en sa qualité de conseiller politique de
l’administration militaire en Allemagne – la SMAD{2630}. Staline le
tenait ostensiblement à l’écart de la définition de la politique allemande et
il ne retint pas sa suggestion initiale du 22 avril consistant à créer une
administration militaire pour les affaires civiles, sur le modèle
américain{2631}. Et lorsqu’il accorda une audience aux communistes
allemands, le 4 juin 1945, pour leur ordonner de créer le plus vite possible
un Parti communiste allemand – le KPD – et de procéder à la réforme
agraire dès l’automne 1945 – alors qu’elle était initialement prévue pour
1946{2632} –, seuls Molotov et Jdanov étaient présents.
L’influence de Beria put cependant s’exercer de manière indirecte.
D’abord à travers I. Serov, L. F. Tsanava et P. Ja. Mechik, nommés le 2 mai
1945 comme adjoints des commandants des fronts biélorusse et ukrainien
pour les affaires civiles. Puis à travers Georgi Dimitrov, avec lequel il
s’entendait assez bien, si l’on en croit Sergo Beria, et aussi Mikoïan et
Semionov, l’ancien protégé de Dekanozov devenu l’un des experts de la
politique allemande. Il put influencer Maïski, le responsable de la
Commission des réparations, qui fut limogé le 9 août 1945, accusé par
Molotov de s’être montré trop conciliant à l’égard des Américains{2633},
et qui, en mars 1946, perdit son poste de vice-ministre des Affaires
étrangères puis, le 16 janvier 1947, en même temps que Joukov, son statut
de membre suppléant du Comité central{2634}. Il pouvait également
intervenir auprès de Fitine, adjoint du plénipotentiaire du MGB en
Allemagne de septembre 1946 à mars 1947{2635}, et surtout auprès de
Dekanozov, vice-ministre des Affaires étrangères ayant la tutelle du
Département allemand du MID depuis le début de la guerre, et qui ne fut
limogé de ce poste qu’en février 1947{2636} ; et plus tard auprès de
Merkoulov et de son Administration des biens soviétiques à l’étranger,
dont Dekanozov devint le numéro deux après avoir perdu son portefeuille
de vice-ministre. Sans oublier V. G. Grigorian, membre du Collège du
NKID depuis 1943, qui deviendra président de la Commission des Affaires
étrangères du Comité central et qui jouera un rôle discret mais important
dans les affaires allemandes à partir de 1950.

Les protagonistes.
L’organisation de la zone d’occupation soviétique en Allemagne
reflétait le labyrinthe bureaucratique de Moscou. À partir d’avril-mai 1945
se mirent en place en Allemagne les principaux protagonistes de la
politique allemande : d’abord, le NKVD et le SMERCH, puis les
communistes allemands, dont le groupe Ulbricht revenu de Moscou en
avril, et aussi le Comité spécial du GKO – présidé par Malenkov – créé en
mars pour organiser la reconstruction des régions dévastées par
l’Allemagne, mais en réalité pour coordonner le démontage des industries
allemandes ; et enfin la SMAD, l’administration militaire soviétique.
Le maréchal Joukov, le commandant en chef, était flanqué d’un adjoint,
Ivan Serov, le plénipotentiaire du NKVD. Rappelons que, dans les pays
occupés, des plénipotentiaires du NKVD furent nommés adjoints du
commandant en chef – P. Ja. Mechik pour le 1er front ukrainien, I. Serov
pour le 1er front biélorusse et L. F. Tsanava pour le 2e front biélorusse. Et
c’est Beria qui rédigea le projet définissant le statut de ces adjoints placés
sous son contrôle direct, le projet de statut étant approuvé par Staline le
2 mai 1945{2637}. Joukov était aussi assisté par un conseiller politique de
haut rang, dont la fonction était d’entretenir des relations avec les Alliés,
de contrôler les fonctionnaires soviétiques du Conseil de contrôle et de la
Kommandatura de Berlin, et de veiller à l’application des accords de
Potsdam et des autres accords internationaux. Plus tard, ce conseiller
politique devint aussi l’interlocuteur des responsables est-allemands et des
correspondants étrangers{2638}. Le premier conseiller politique fut
A. A. Sobolev, auquel succéda Vladimir Semionov que Molotov appelait
« notre Gauleiter en Allemagne{2639} ».
Le NKVD fut d’abord en position dominante, le SMERCH et les
groupes du NKGB étant, dans un premier temps, subordonnés à Serov,
l’homme du NKVD. Mais la position de celui-ci en Allemagne commença
toutefois à s’affaiblir au fur et à mesure que déclinait la puissance de
Beria à Moscou. Bientôt le NKVD fut confiné à ses fonctions policières et
Serov se hâta de jeter des dizaines de milliers d’Allemands dans des
camps de concentration – y compris d’ex-camps nazis – où, de mai 1945 à
1949, 41 907 détenus trouvèrent la mort, soit 35 % d’entre eux{2640}. En
janvier 1945, des plénipotentiaires du NKVD avaient été nommés sur les
arrières de l’Armée rouge pour nettoyer les territoires conquis des
« espions et terroristes ». Ils devaient être secondés par le SMERCH, car,
fidèle à son habitude, Staline confiait la même tâche à deux organismes
bientôt concurrents sans en délimiter les compétences{2641}. La
compétition entre les deux administrations se manifesta dès les premiers
jours sur le terrain allemand, parfois sous des formes curieuses : ainsi il y
eut une véritable course de vitesse entre les équipes d’Abakoumov et
celles de Serov pour découvrir et identifier le corps de Hitler{2642}. Le
25 juin 1945, Beria obtint de Staline l’autorisation de maintenir en
Allemagne l’appareil de plénipotentiaires du NKVD dirigé par Serov. Et,
dans le conflit qui mit aux prises Abakoumov et Serov dès l’été 1945,
Beria ne prit pas position. Bientôt, Abakoumov fit appel à Staline, en
dénonçant Serov et Joukov qu’il accusa de vouloir se soumettre les
organes du Parti de la SMAD{2643}. Et quand Krouglov remplaça Beria à
la tête du NKVD, en décembre 1945, le SMERCH d’Abakoumov acheva
de s’émanciper du NKVD.
L’organisation de l’administration civile de la zone d’occupation
soviétique en Allemagne fut, dès les premiers jours, l’enjeu d’un bras de
fer entre le NKVD et l’Administration politique de l’armée (la SMAD) qui
elle-même était subordonnée au Département de propagande du
Secrétariat du Comité central dirigé par Jdanov et son adjoint G. F.
Alexandrov, un protégé de Malenkov, et au Département de politique
étrangère dirigé par Souslov à partir d’avril 1946.
Toujours prompt à se démarquer du NKVD et à se laver de la réputation
d’« homme de Beria{2644} », Semionov a prétendu que Joukov,
Sokolovski, Molotov et lui firent tout pour marginaliser le NKVD en
Allemagne. Il oublie de mentionner que son adjoint fut, jusqu’au
printemps 1946, Alexandre Korotkov, le résident du NKGB, avec lequel il
s’entendait fort bien et qui avait l’oreille de Molotov{2645} ; les deux
hommes avaient d’ailleurs été en poste à l’ambassade soviétique à Berlin
avant la guerre. Semionov et Korotkov étaient les meilleurs connaisseurs
de l’Allemagne au sein de la SMAD. La tâche principale de Korotkov était
de remettre en place des réseaux d’agents, tout en espionnant aussi les
Alliés. Pour sa part, Serov était chargé de la dénazification{2646}. Le
MGB devait en particulier choisir les personnalités qui seraient placées à
la tête des partis « bourgeois » pour conserver une apparence
« démocratique » aux organes de pouvoir mis en place par Moscou. Il
devait s’assurer que les Soviétiques seraient en mesure de les contrôler,
soit en raison d’un passé nazi dont les preuves étaient détenues par le
MGB, soit par d’autres moyens. Le trio du NKVD -- Serov, Mechik et
Tsanava -- parvint à jouer un rôle décisif dans le choix des personnalités
qui allaient former l’administration civile allemande – bourgmestres,
chefs de la police, procureurs, etc. Serov fut notamment chargé par le
maréchal Joukov de former les administrations du Brandebourg, de la
Saxe et du Mecklenburg{2647}. Mais, à partir du 9 juillet 1945, ce
personnel civil fut placé sous le contrôle des Kommandatura militaires
dont chacune comportait une section de sécurité fonctionnant de manière
autonome{2648}.
Des trois plénipotentiaires du NKVD envoyés par Beria pour prendre
le contrôle de l’administration civile allemande, Pavel Mechik semble
avoir été le plus actif. C’est lui qui suggéra à Serov la structure des
organes à mettre en place et qui transmit à Beria, le 11 mai 1945, son
souhait d’une action coordonnée avec ses collègues Serov et Tsanava.
Dans la même missive, il estimait qu’il fallait « dans un premier temps
encourager et développer le commerce privé », tout en déplorant n’avoir
reçu aucune instruction à ce propos et en regrettant que la SMAD se
« refuse d’abandonner à qui que ce soit » ses fonctions d’organisation des
territoires occupés{2649}.
Toutefois la tâche principale de Beria en Allemagne, à partir de l’été
1945, fut de repérer les savants allemands travaillant dans le domaine
militaire et d’assurer leur transfert en URSS de gré ou de force, puis de
gérer les entreprises et les industries allemandes utiles au projet atomique
soviétique, et en particulier d’organiser la production d’uranium et de
cobalt. La déportation de masse des savants allemands en URSS, le
21 octobre 1946, au lendemain des élections à Berlin-Est, produisit une
impression désastreuse en Allemagne et mit Semionov dans l’embarras,
surtout qu’il n’avait pas été averti de cette mesure{2650}. Le
correspondant berlinois de l’agence Reuters nota : « La rafle des
Allemands a porté à son comble le mécontentement des fonctionnaires
[allemands]{2651}. » Cela semble prouver que Beria, talonné par Staline,
dut faire passer les intérêts de son administration avant ceux de sa
politique allemande. De même, c’est sur recommandation de Serov,
appuyé par Beria, qu’en novembre 1946 Staline décida d’augmenter les
prélèvements de denrées alimentaires dans la zone d’occupation
soviétique en Allemagne, ce qui porta un coup sévère aux communistes
allemands obligés d’expliquer la pénurie à leurs compatriotes{2652}.
Serov estimait même que les officiers soviétiques en Allemagne étaient
trop bien nourris et recommandait de réduire leurs rations et leurs
effectifs.
Les relations entre la SMAD, le NKVD et le SMERCH étaient
mauvaises. Semionov raconte, par exemple, le conflit qui l’opposa à
Mechik, un homme du SMERCH, à propos de la nomination des
Allemands dans les administrations locales : dans le choix de ses
candidats, Mechik n’avait pas tenu compte de ce que la majorité de la
population était protestante et Semionov dut menacer de porter la chose
devant Staline{2653}. Il y eut aussi une sérieuse divergence entre le
renseignement extérieur et le MGB d’Abakoumov concernant l’utilisation
de Rudolf Nadolny, qui avait été vice-consul d’Allemagne à Petrograd,
puis, en 1924, ambassadeur en Turquie où il s’était lié d’amitié avec
l’ambassadeur soviétique Jacob Souritz, avant de devenir, en 1933-1934,
ambassadeur en URSS ; à la fin de la guerre Nadolny était à la tête de la
Croix-Rouge allemande en zone d’occupation soviétique, traité avec une
grande prévenance par le maréchal Joukov. Il était venu offrir ses services
au commissariat des Affaires étrangères soviétique en 1945{2654}. La
résidence soviétique de Karlshorst entretenait des contacts avec lui, tandis
que le MGB fournit à Abakoumov, le 23 novembre 1946, un véritable
« dossier compromettant » sur l’ex-ambassadeur, rappelant qu’il avait
désapprouvé les décisions de Potsdam et était proche du chef de la CDU
Andreas Hermes{2655}.
Le NKVD rapportait à Staline les débordements de l’Armée rouge,
comme dans ce rapport de Beria à Staline le 17 mars 1945 : « Une grande
partie de la population allemande ne croyait pas à la propagande fasciste
faisant état de la cruauté de l’Armée rouge à l’égard des Allemands, mais
après les horreurs commises par les soldats de l’Armée rouge, une partie
des Allemands se suicident{2656}. » Ou encore dans les rapports adressés
par le NKVD à Staline en octobre 1945, dénonçant les exactions de
l’Armée rouge et les insuffisances du SMERCH{2657}. De son côté, le
SMERCH s’occupait surtout de constituer des dossiers sur les pillages et
les trafics des officiers soviétiques en poste en Allemagne. Dans la rivalité
qui l’opposait au SMERCH, Serov remporta d’abord des succès, parvenant
à détacher des unités du SMERCH et à former, sous sa supervision, le
secteur opérationnel de Berlin, organisme chargé de la sécurité de la
SMAD, confié à un de ses protégés, le général Sidnev{2658}.

La première manche.
Tant que le tandem Joukov-Serov demeura en Allemagne, Beria
conserva sans doute un certain droit de regard sur les affaires allemandes,
d’autant que Vychinski et Dekanozov étaient chargés, en 1945-1946, de
celles-ci au sein du MID{2659}. Ainsi, jusqu’à l’été 1945, le NKVD freina
des quatre fers les ardeurs des communistes allemands, comme le montre
une note envoyée par Semionov à Vychinski début juin 1945 : « Les
communistes sont convaincus que le peuple allemand souhaite
l’instauration d’un système socialiste dans l’économie. C’est un délire qui
ne tient pas compte de la réalité{2660}. » Un rapport de Serov à Beria, du
9 juillet 1945, révèle à quel point les initiatives des communistes locaux
étaient jugées intempestives :

Les communistes sont enclins aux extrêmes. Ainsi les organisations


communistes ont préparé des slogans et des pancartes pour saluer
l’Armée rouge : « Vive la Saxe soviétique, future république de
l’URSS », « Nous, les habitants d’Erfurt, exigeons le rattachement à
l’Union soviétique. » […] En outre les communistes se sont
précipités dans l’administration locale. Les fonctionnaires en place
ont été pris de désarroi et ont renoncé à leurs tâches
administratives… Nous avons donné les instructions nécessaires
concernant ces problèmes, et le cam. Ulbricht nous a promis
d’orienter correctement les adhérents du parti communiste sur ce
sujet{2661}.

Le clan anti-Ulbricht, dont Beria était la force motrice, se manifesta dès


les premiers mois. Parmi les Allemands de la zone d’occupation
soviétique, les favoris de ce clan étaient Wilhelm Pieck, Otto Grotewohl et
Franz Dahlem qui était chargé de la politique des cadres du SED.
Semionov ne tarissait pas d’éloges sur eux, alors qu’il n’arrivait pas à
cacher ses réserves concernant Ulbricht, auquel il reprochait entre autres
« d’avoir nui à notre activité à l’Ouest » par son zèle intempestif, de
« manquer de culture et de tact dans le travail avec l’intelligentsia et de
nourrir des préjugés à l’encontre des politiciens bourgeois{2662} ».
D’ailleurs, il se garda bien de rencontrer Ulbricht, sauf lors de cérémonies
officielles{2663}. Le 17 décembre 1945, Semionov adressa une note à
Joukov, dans laquelle il évoquait le « mécontentement suscité par Ulbricht
chez certains communistes allemands », choqués de ce qu’Ulbricht « ne
tolérât pas la critique et commît des erreurs tactiques dans sa politique à
l’égard des partis entrant dans le bloc antifasciste » ; Ulbricht avait
concentré le pouvoir dans le Secrétariat, ce qui créait au sein du Parti
« une atmosphère pas tout à fait démocratique ». Semionov conseillait de
convoquer un Plénum du Parti pour remédier à cette situation{2664}.
C’était au moment de la campagne pour la fusion entre le Parti
communiste (KPD) et la social-démocratie (SPD), époque où Anton
Ackermann rédigeait son article sur la voie allemande vers le socialisme,
exprimant l’espoir encore nourri par beaucoup de communistes allemands
d’échapper à la soviétisation pure et simple{2665}.
Du côté soviétique, le clan anti-Ulbricht était surtout constitué des
responsables de l’économie, hostiles aux apparatchiks et aux idéologues
du Parti. Dès décembre 1946, les experts économiques soviétiques se
posèrent des questions sur la viabilité de la zone d’occupation soviétique
si elle coupait ses liens économiques avec les zones occidentales et ils
exprimèrent des doutes sur l’opportunité d’un isolement plus marqué de la
zone soviétique par rapport au reste de l’Allemagne. B. T. Kolpakov,
fonctionnaire du ministère du Commerce extérieur, alla jusqu’à
recommander de prendre ses distances par rapport au SED, de renforcer
les gouvernements des Länder et d’éviter la centralisation{2666}.
L’argument de ce clan était le maintien et, à partir de 1949, la restauration
de l’unité allemande, argument auquel Staline était sensible, ce qui
donnait aux adversaires d’Ulbricht une certaine latitude. Ce clan
gouvernemental était prêt à accepter une neutralisation de l’Allemagne car
il percevait les avantages économiques d’une Allemagne capitaliste
étroitement liée à l’URSS et se rendait compte que l’URSS aurait en
définitive à payer la facture de la communisation de sa zone.
La SMAD elle-même, était divisée entre ceux qui représentaient les
intérêts de l’appareil d’État soviétique et les partisans de l’appareil du
Parti. Ces derniers eurent le vent en poupe à partir du printemps 1946,
quand Souslov prit la direction du Département des affaires étrangères du
Secrétariat du Comité central. Mais, malgré le soutien indéfectible de
Staline à Ulbricht, la ligne pro-Ulbricht ne semble jamais être parvenue à
s’imposer tout à fait.
Sur le terrain, le conflit se traduisit par un antagonisme d’abord larvé
puis ouvert entre les fonctionnaires communistes dociles autour
d’Ulbricht, très souvent revenus dans les fourgons de l’Armée rouge, et les
communistes antifascistes qui avaient participé à la guerre d’Espagne et à
la résistance en Allemagne et en Europe. Le responsable de la politique
des cadres à partir de 1947, Franz Dahlem, était de ceux-là et il s’efforça
de promouvoir ces vétérans antifascistes au détriment du clan Ulbricht, en
tenant compte de leurs capacités administratives, jusqu’à ce qu’en
décembre 1948 Staline rappelle sèchement aux dirigeants du SED que la
classe ouvrière devait à terme « chasser définitivement les bureaucrates
réactionnaires qui subsistaient en se cachant derrière [la notion] de
compétence professionnelle{2667} ».
Cependant, les positions du groupe qui souhaitait préserver la politique
de coalition antifasciste et donc ménager les partis « bourgeois » – la CDU
dirigée par J. Kaiser puis par Otto Nuschke ; le LDP, le Parti libéral, et
plus tard le NDPD rassemblant les anciens nazis – commencèrent à
s’éroder dès l’été 1945. Le 28 juin, Staline nomma au Conseil militaire le
général Fiodor Bokov, secrétaire de l’organisation du Parti de l’état-major,
chargé de mener la politique sur le terrain alors que, selon Semionov, il ne
connaissait rien à l’Allemagne et « commit de nombreuses erreurs par
inexpérience{2668} ». À partir de la mi-juillet 1945, chargé de créer les
administrations centrales, Bokov avertit ses interlocuteurs allemands
qu’elles ne devaient s’étendre que dans la zone d’occupation
soviétique{2669}. Il proposa de confisquer les biens de tous les membres
du parti nazi, ce qui suscita une vive opposition de la part de Semionov à
qui Moscou donna raison. Bokov tomba en disgrâce et fut rappelé à
Moscou à l’automne 1946{2670}.
Le 7e Département de l’Administration politique principale de l’Armée
rouge, sur lequel Dimitrov exerçait une grande influence et qui était
favorable au maintien de la politique de coalition, perdit peu à peu le
contrôle de la politique allemande. D’abord chargé du Bureau
d’information de la SMAD, il fut accusé par Lozovski de ne pas être à la
hauteur de sa tâche et de s’inspirer trop exclusivement des sources
d’information anglo-saxonnes{2671}. Semionov ne parvint pas à
récupérer dans son appareil les officiers qui y avaient été
employés{2672}. Le 5 octobre 1945 fut créé un Département de
propagande de la SMAD, confié à S. I. Tioulpanov qui, pendant la guerre,
avait été chargé des contacts avec les émigrés communistes
allemands{2673} ; c’était un protégé d’A. Kouznetsov que les
Occidentaux considéraient, à cause de son rôle dans la création du Comité
Allemagne libre, comme un proche de Beria passé au clan
léningradois{2674}. À partir de là, Semionov fut dessaisi de la politique
allemande, à l’exception de la réforme agraire, et ne fut chargé que des
relations avec les Alliés au Conseil de contrôle. Le Département de la
propagande avait, en effet, la haute main sur les médias – qu’il censurait –,
les partis, les syndicats et la culture. Semionov, se sachant des appuis en
haut lieu, ne se tint pas pour battu et n’hésita pas à empiéter sur les plates-
bandes de Tioulpanov ou des organismes rivaux ; ainsi il proposa à Joukov
de rencontrer des représentants de l’intelligentsia allemande{2675}, ou lui
recommanda d’associer le MVD au processus de sélection des Allemands
appelés à occuper des postes dans les départements allemands
centraux{2676}.
L’antagonisme entre l’appareil du Parti et le clan gouvernemental
Malenkov-Beria n’était pas nouveau, comme il ressort d’un épisode narré
par Semionov, qui eut lieu à l’automne 1944 : Jdanov avait accepté que la
flotte allemande se trouvant dans les eaux territoriales suédoises soit à la
disposition de la Suède, mais Semionov intervint pour qu’elle fût livrée
aux Soviétiques, rappelant sèchement à son interlocuteur suédois : « La
Suède n’est pas dans la sphère de compétences de Jdanov{2677}. »
Semionov ne ratait pas une occasion de décocher une flèche à Jdanov,
rapportant par exemple les propos que celui-ci lui aurait tenus à l’époque,
en lui demandant de les répéter à Moscou :

Nous n’avons évidemment pas encore atteint le niveau de vie élevé de


l’Europe. Notre peuple le comprendra-t-il correctement ? Le
cosmopolitisme et l’indifférence aux intérêts de notre patrie – voilà
le plus grand danger pour notre développement interne{2678}.

Joukov penchait pour les partisans du maintien de la coalition et


semblait avoir une attitude assez conciliante à l’égard des sociaux-
démocrates. Il déclara, en juin 1945, aux chefs du SPD : « Je sais que je ne
peux pas m’appuyer sur le Parti communiste, mais sur vous car vous avez
les masses derrière vous{2679}. » En novembre, lors d’une réunion entre
les présidents des administrations régionales et les responsables des
administrations centrales allemandes, Joukov se prononça pour la
décentralisation et contre l’implantation de kolkhozes en
Allemagne{2680}. Les services de renseignements américains estimaient
que Joukov s’opposait à une politique de provocation de l’Occident en
alléguant l’impréparation de l’Armée rouge{2681}.
On peut se faire une idée des tensions au Kremlin en décembre 1945-
janvier 1946, si l’on en juge par ce qui se produisit sur le terrain allemand.
Abakoumov se rendit en Allemagne en janvier 1946 et procéda à toute une
série d’arrestations dans l’entourage de Joukov. Ce dernier, loin de céder à
la panique, convoqua Abakoumov et le somma de libérer tous les officiers,
faute de quoi il le ferait écrouer et le renverrait à Moscou sous bonne
garde. Abakoumov céda, mais en conserva une rancune tenace à l’égard de
Joukov{2682}. Cet épisode illustre sans doute la guerre entre le SMERCH
et le NKVD car, au contraire de ce que les historiens ont longtemps cru
sous l’influence de la version khrouchtchévienne des événements, Serov
soutenait Joukov, et l’alliance entre l’homme de Beria et le vainqueur de
Berlin devait inquiéter Staline. En janvier 1946, le conflit fit irruption
dans la politique allemande : tandis que Tioulpanov confiait aux leaders
du SPD que les jours de Joukov en Allemagne étaient comptés, Joukov
proposait au social-démocrate Grotewohl de l’aider à éjecter Ulbricht de la
direction du KPD, en lui faisant miroiter la direction du futur SED – le
Parti socialiste unifié résultant de la fusion, imposée par Moscou en avril
1946, des socialistes et des communistes – et, qui sait, le poste de
chancelier allemand avec le soutien soviétique{2683}. Le 26 janvier 1946,
A. A. Sobolev, le supérieur hiérarchique de Semionov, suggéra à Joukov de
créer au sein de la SMAD un organisme chargé des questions religieuses
afin d’élaborer une politique religieuse réfléchie et d’éviter les faux pas
qui amèneraient les Allemands à faire un rapprochement entre la politique
soviétique et la politique hitlérienne dans ce domaine ; il fallait
notamment nouer des contacts avec l’aile progressiste du clergé{2684}.
Dans toutes ces initiatives, on sent l’influence de Beria.
Mais, en février, Joukov dut capituler et il déclara à Grotewohl qu’il
fallait procéder à la fusion avec les communistes « que cela lui plaise ou
non, car telle était la situation politique{2685} ». Au printemps 1946,
Staline imposa la fusion forcée du KPD et du SPD. Dans ses Mémoires,
Semionov suggère qu’il n’approuva pas cette mesure, soulignant qu’elle
fut organisée par Bokov et Tioulpanov, tandis que lui-même ne jouait
aucun rôle dans l’affaire{2686}.
L’invitation répétée de Truman à Joukov de visiter les États-Unis dut
encore hâter la chute du vainqueur de Berlin puisque, le 4 avril,
l’ambassadeur Bedell Smith en avait renouvelé la demande auprès de
Staline{2687}. Le 11 avril 1946, le maréchal Sokolovski succéda à
Joukov. La suprématie de l’appareil du Parti devenait manifeste : il avait
pris le contrôle de la politique allemande. Au même moment, le résident
Korotkov fut rappelé à Moscou, ce qui renforça le clan Tioulpanov-
Ulbricht. Serov essaya de se maintenir en préservant les sections du MVD
au sein de la SMAD, mais, en novembre 1946, il fut obligé d’abandonner
toutes ses fonctions à N. K. Kovaltchouk, l’homme d’Abakoumov, nommé
à la tête du MGB en Allemagne en août 1946 {2688} ; et, en avril 1947, il
dut quitter l’Allemagne à regret, après s’y être prodigieusement enrichi.
Quant à Sokolovski, il ne croyait pas que l’URSS pût se gagner les faveurs
de la population allemande : « De tout mon séjour en Allemagne, je n’ai
jamais rencontré d’Allemand qui soit orienté vers l’URSS{2689}. »

La guérilla des bureaucraties.


Le rappel de Joukov, l’ascension de Tioulpanov, l’influence croissante
de Souslov sur la politique allemande, bref, la victoire des idéologues
traduite par la fusion forcée du KPD et du SPD dans la zone soviétique,
n’entraînèrent pas la défaite totale de leurs adversaires. Staline espérait
toujours que les Américains quitteraient rapidement l’Europe et qu’il lui
serait possible d’installer en Allemagne un gouvernement de son choix. Il
n’était donc pas sourd aux arguments de ceux qui faisaient valoir qu’une
communisation trop brutale risquait de faire capoter toute l’entreprise.
Désormais les affrontements entre les bureaucraties et les clans allaient se
concentrer autour de plusieurs points. Le premier concernait les relations
avec l’intelligentsia, le clan anti-Ulbricht reprochant en permanence à
Ulbricht de se mettre les intellectuels à dos par sa politique « sectaire » ;
les polémiques autour du Kulturbund, organisation de contrôle des
intellectuels créée en juillet 1945, et de son président Johannes Becher
marquèrent les temps forts de cet affrontement. Le deuxième touchait aux
relations avec les partis « bourgeois », le clan anti-Ulbricht accusant ce
dernier de faciliter la division de l’Allemagne par son intransigeance à
l’égard des dirigeants de la CDU et du LDP. En troisième lieu étaient
visées les relations avec les cadres d’ancien régime, y compris les anciens
nazis : en effet, par souci d’efficacité, les « gestionnaires » de l’appareil
gouvernemental soviétique n’hésitaient pas à placer d’anciens nazis à des
postes de responsabilité dans les sociétés par actions soviétiques (SAG),
au grand scandale des communistes allemands et de leurs protecteurs
soviétiques. Ainsi Abakoumov cherchera à attaquer les hommes de Beria –
Merkoulov et Koboulov – en se plaignant à Molotov de ce que les
directeurs soviétiques des SAG toléraient trop d’anciens nazis à des postes
de responsabilité{2690}. Enfin, le dernier point portait sur les relations
entre Soviétiques et Allemands dans la vie quotidienne, jugées
dangereuses par le clan des idéologues jdanoviens, alors que le clan
« gouvernemental » soulignait que l’auto-isolement des Soviétiques
réduisait leur influence en Allemagne.
Il y eut des moments de crise et des revers qui permirent au clan anti-
Ulbricht de reprendre l’offensive. Dès l’automne 1946, la débâcle des
élections berlinoises montra la faiblesse de l’implantation du SED ; puis,
au printemps 1948, le SED enregistra un échec aux élections syndicales.
Au printemps 1949, le fiasco du blocus de Berlin et la résolution
occidentale de créer un État ouest-allemand n’étaient plus contestables.
Enfin, à l’automne et à l’hiver 1950, la question du réarmement allemand
devint une priorité pour les Anglo-Américains. La volonté de torpiller ce
projet allait inciter Staline à des concessions de plus en plus importantes
au clan anti-Ulbricht jusqu’en avril 1952 quand, soudain, Staline misa tout
sur la carte Ulbricht et donna l’ordre de soviétiser la RDA de manière
accélérée.
Quant aux méthodes de lutte bureaucratique, nous les connaissons déjà :
depuis la classique utilisation de fiascos pour saper la position des cliques
rivales, grâce à des commissions d’inspection organisées au sein du
Comité central et chargées de rédiger un rapport sur le bilan de la
politique menée, dans tel ou tel domaine, par l’organisme, la personnalité
ou le clan visés ; les initiateurs de ces commissions leur soufflant
évidemment les conclusions. Cette méthode était affectionnée par Beria,
car ses réseaux au sein du MGB pouvaient accommoder l’information
comme il l’entendait. Autre moyen classique : l’utilisation du kompromat
– les faits compromettants – ; ainsi, début 1948, Abakoumov fit arrêter
pour pillage et détournements toute l’équipe de Serov en Allemagne, à
commencer par son adjoint le général Alexeï Sidnev ; celui-ci témoigna
sous la torture, le 6 février : « Tout le monde savait en Allemagne que
Serov était le premier à s’approprier ce qui avait été pillé en Allemagne et
qu’il aidait les autres à le faire. » Deux jours plus tard, Serov ripostait en
écrivant à Staline : « Au nom de sa carrière, Abakoumov est prêt à liquider
tous ceux qui se trouvent sur son chemin{2691}. » Tous les clans
bureaucratiques utilisaient le kompromat, facile à rassembler en
Allemagne où la plupart des officiers soviétiques ne pensaient qu’à se
remplir les poches et déménageaient des « trophées » par wagons et avions
entiers.
Sans entrer dans le détail de ces guerres picrocholines, notons certains
éléments qui préfigurent le « nouveau cours » qui sera impulsé par Beria
en mai 1953. Alors qu’Ulbricht se croyait le vent en poupe après l’éviction
de Joukov, il proposa, en août 1946, de publier un projet de Constitution de
la « république allemande démocratique ». Mais cette initiative fut
bloquée par N. V. Ivanov, l’adjoint de Semionov, et par A. A. Smirnov, le
chef du Département européen du MID{2692} ; et les dirigeants
soviétiques reçurent une note du général Chikine, le responsable de
l’Administration politique principale de l’armée, qui signalait à Jdanov
l’activité grandissante des partis bourgeois, la « faiblesse du SED » et
l’incapacité de Tioulpanov à faire face à la situation{2693}.
Tioulpanov contre-attaqua le 16 septembre, dans un rapport adressé à
une commission dépêchée par le Comité central pour établir le bilan de la
SMAD. Il s’y vanta que, depuis l’été 1946, la zone d’occupation
soviétique connaissait une évolution différente des autres : le partage en
zones n’était plus perçu par les Allemands comme seulement
géographique. Un nouvel appareil d’État était en train de naître en zone
soviétique, et l’influence des forces réactionnaires y était de plus en plus
réduite. La fusion du SPD et du KPD était indispensable pour gagner les
élections, même si le SED laissait encore à désirer puisqu’il ne comptait
pas de jeunes et surtout qu’on n’y parlait pas « de dictature du prolétariat,
mais de démocratie, car on n’y avait toujours pas compris le bilan de la
lutte après la Deuxième Guerre mondiale » ; la question des frontières
orientales de l’Allemagne demeurait délicate et le danger nationaliste
n’était pas loin. Et, enfin, « le SED n’avait pas réussi à convaincre la
population qu’il n’était pas le parti de l’occupant ». Mais Tioulpanov
défendait Ulbricht – « Je ne vois rien de sectaire chez lui » – et les partis
bourgeois restaient selon lui un danger en dépit des manœuvres de la
SMAD. Certes, il avait été possible de remplacer Hermes – qui, en
décembre 1945, avait refusé la réforme agraire – par Kaiser à la tête de la
CDU, mais il était « très possible que la CDU abandonne le slogan du
socialisme chrétien qui est très impopulaire » et qu’elle évolue nettement
à droite ; avec le Parti libéral, encouragé par la SMAD en contrepoids à la
CDU, « nous avons nourri un serpent en notre sein » car ce parti s’était fait
le porte-parole de l’opposition au socialisme et la SMAD avait eu tort de
sous-estimer ce danger. Quant au SED, il avait connu une crise grave après
sa formation, la faute en étant au conseiller politique qui n’avait pas
obtenu sa reconnaissance immédiate auprès des Alliés. L’Église catholique
était totalement hostile et les évêques de l’Église évangélique étaient
solidaires des catholiques au sein de la CDU, mais, comme l’Église
évangélique était une Église nationale, elle soutiendrait les slogans de
l’unité allemande et la SMAD parviendrait peut-être à la neutraliser.
« Nous n’avons pas réussi à maîtriser l’intelligentsia », poursuivait
Tioulpanov. Il fallait chasser Johannes Becher de la direction du
Kulturbund – organisme créé par la SMAD en 1945 pour encadrer les
intellectuels – car

non seulement Becher n’était pas un marxiste, mais il s’orientait


directement non sur l’Angleterre ou l’Amérique, mais sur la
démocratie ouest-européenne. Il avait honte d’avouer qu’il était un
membre du Comité central du SED et ne voulait pas que nous
l’appelions Genosse, mais seulement Herr Becher. […] Il n’y avait
pas moyen de le tolérer plus longtemps.

Il ne fallait pas essayer de faire du Kulturbund un organisme de masse,


mais encourager la division parmi les intellectuels{2694}. En conclusion,
Tioulpanov appelait à une politique de front commun à la base et donc à
l’abandon de la politique de coalition{2695}.
Ce rapport de Tioulpanov revendiquait au fond la politique de division
de l’Allemagne et défendait sa soviétisation, car il s’attaquait point par
point à la politique adverse, qui sera celle de Beria au printemps 1953 :
concessions aux partis « bourgeois » et à l’intelligentsia, et abandon des
répressions contre les croyants.
Au moment des revers, les conflits bureaucratiques s’exacerbent,
chacun s’efforçant d’éviter de porter le chapeau et d’exploiter les fiascos
pour couler le camp adverse. L’échec du SED aux élections de Berlin, le
20 octobre 1946, allait fournir le prétexte aux adversaires de Tioulpanov
pour reprendre l’offensive contre la ligne Ulbricht-Tioulpanov et freiner
pendant quelque temps le processus de soviétisation. Le 16 novembre
1946, Semionov rendit compte à Souslov d’une rencontre avec Becher, le
président du Kulturbund, en essayant de faire passer son message. Becher
reprochait à la SMAD de ne s’orienter que sur la direction du SED, en
repoussant les éléments des partis bourgeois qui pourraient être
prosoviétiques. Semionov concluait :

Subjectivement Becher est de notre côté et il cherche avec sincérité à


améliorer nos méthodes de travail en Allemagne. Il serait inopportun
de le limoger de la direction du Kulturbund, sur laquelle nous devons
accroître notre influence en évitant une tutelle mesquine et
maladroite comme celle pratiquée par le Département de
propagande{2696}.

Les archives ont conservé un projet de rapport d’une commission du


Comité central, qui accusait le Département de la propagande et le
commandement de la SMAD « d’avoir surestimé l’influence du SED sur le
peuple allemand surtout à Berlin », d’avoir misé exclusivement sur le SED
au détriment des partis bourgeois ; il proposait de confier la politique
allemande à un Conseil politico-militaire présidé par Sokolovski, auquel
participeraient Serov, Kovaltchouk et Semionov. Il est clair que ce projet
de rapport renvoie à une tentative mort-née de Beria d’exploiter l’échec
électoral du SED pour améliorer ses positions sur l’échiquier allemand.
Dans le même temps, Jdanov essayait de pousser ses hommes, proposant
de nommer Chepilov et Tioulpanov à la tête du Département de
propagande, mais cette tentative fut bloquée par des hommes de Beria –
dont Grigorian – qui firent intervenir A. Kouznetsov pour torpiller la
candidature de Chepilov{2697}.
La principale pomme de discorde était l’attitude à adopter face aux
partis « bourgeois » : si certains tiraient argument du fiasco électoral pour
plaider en faveur d’une collaboration accrue avec ces partis – option de
Beria, aussi parce que ces partis étaient infiltrés par ses agents –, le clan
adverse était d’avis de resserrer les boulons et de mettre fin aux efforts de
coalition. Ainsi Sokolovski déclara-t-il aux dirigeants du SED en
décembre 1946 :

Nous n’autoriserons jamais des réactionnaires dans un futur


gouvernement. […] La participation de Schumacher, Bruning et
d’autres comme eux dans un gouvernement allemand est exclue.
Nous n’avons jamais compté sur Kaiser et nous ne le ferons
jamais{2698}.

Un véritable affrontement eut lieu autour de certaines personnalités


allemandes non communistes, comme Ferdinand Friedensburg,
cofondateur de la CDU dans la zone d’occupation soviétique, maire
adjoint de Berlin, commissaire pour le charbon et les métaux, président de
l’administration centrale de l’industrie pétrolière allemande, liée aux
milieux industriels de l’avant-guerre et de l’Ouest, bête noire d’Ulbricht et
de Tioulpanov, que la SMAD arriva à protéger jusqu’en 1947. « Esprit
souple et conciliant, rompu à la politique, et, semble-t-il, sans grand
scrupule », selon le diplomate français Jean-Louis Baudier{2699}, il était
l’interlocuteur du général I. V. Kourmachev, chef de l’administration de
l’énergie de la SMAD, un homme de Beria qui, depuis la guerre, avait la
tutelle du secteur de l’énergie au sein du Comité central du PC soviétique.
Friedensburg fut la cible constante des communistes allemands, accusé de
les tenir à l’écart des décisions importantes. Fin 1947, il fut contraint de
fuir à l’Ouest, après avoir proposé, en novembre, de réunir un « forum de
représentation nationale », initiative que Molotov dénonça de manière
brutale{2700}.
Appelé à trancher dans les querelles de ses subordonnés, Staline trouva
une solution originale. Recevant une délégation du SED le 31 janvier
1947, il recommanda à ses interlocuteurs atterrés d’autoriser à nouveau le
SPD dans la zone soviétique et surtout de créer un parti nationaliste dont
le but serait d’intégrer les anciens nazis dans la vie politique
allemande{2701} :

Il y avait bien des éléments patriotiques dans le parti fasciste. Il faut


qu’ils travaillent pour nous. […] N’oubliez pas que des éléments du
nazisme survivent non seulement dans la bourgeoisie, mais dans la
classe ouvrière et la petite bourgeoisie{2702}.

Les dirigeants du SED montrant peu d’enthousiasme à s’exécuter,


Semionov publia – sous pseudonyme –, dans la Tägliche Rundschau du
13 février 1947, un article où il préconisait de faire appel aux anciens
Parteigenossen en vue d’accélérer le rétablissement de l’économie
allemande et où il promettait aux nazis repentis le soutien des autorités.
Sous l’influence de Semionov, la politique soviétique de dénazification
connut un tournant en février 1947{2703}. Et le Parti national
démocratique issu de ce tournant verra le jour en février 1948.

Le fief économique du clan Beria.


Le 24 janvier 1947, Dekanozov perdit son poste de vice-ministre des
Affaires étrangères et, fin 1947, Serov fut rappelé d’Allemagne{2704}. Le
renvoi de ses hommes marquait l’érosion des positions de Beria, au moins
dans le domaine politique, la situation en Allemagne reflétant les
évolutions au sommet du pouvoir soviétique. De manière ostensible, Beria
ne participait pas aux intrigues politiques et aux luttes de clan et se
contentait de renforcer ses positions dans le domaine économique. Ce
processus fut particulièrement manifeste en dehors des frontières de
l’URSS, Beria étendant son influence sur l’économie de la zone
d’occupation allemande – et autrichienne – au cours de ces années. Certes
il n’avait pas les coudées franches et seules des opérations réalisées au
sein de ses réseaux peuvent servir d’indicateur de la politique qu’il
souhaitait engager. Ainsi Maglakélidzé rapporte le récit d’un émigré
géorgien, Patchoulia, qui travaillait à Berlin dans une usine de colorants,
qui fut arrêté par les Soviétiques et amené devant Beria qui lui dit :
« Comment vas-tu, Alexandre, ta tante de Poti te salue. » Puis il ajouta :

Nous avons besoin de couleurs pour les drapeaux rouges dont nous
voulons orner tout Berlin. Ton usine doit fonctionner. Va dans la zone
occidentale, retrouve la direction de l’usine ; dis-leur que nous ne
prendrons que 10 % des profits. Et toi tu auras un pourcentage de ces
10 %{2705}.

Dès les premiers jours de l’occupation de l’Allemagne s’était dessiné un


conflit entre d’un côté les exigences du Comité spécial chargé des
démontages et de l’autre les responsables de la politique allemande sur le
terrain, officiers de la SMAD, alliés en cela aux communistes allemands
dont la tâche était rendue encore plus difficile par les rapines des brigades
de démontage. Nous n’avons que peu d’indices sur la position de Beria
dans ce conflit : un rapport de Serov du 25 juin 1945 accuse K. I. Koval, le
plénipotentiaire adjoint du GKO en Allemagne en 1945, d’avoir mobilisé
tous les véhicules allemands pour le démontage, risquant ainsi de
provoquer des émeutes de la faim à Dresde et dans d’autres villes pendant
la conférence de Potsdam faute de farine. Cela semble laisser entendre que
Beria n’approuvait pas la politique de tabula rasa infligée à l’Allemagne
par le Comité présidé par Malenkov, dont il était pourtant l’allié à
l’époque. C’est aussi ce qui ressort du témoignage de Sergo Beria{2706}.
Début 1946, une commission créée par Staline et confiée à Mikoïan
recommanda de cesser les démontages et de reprendre la production en
Allemagne. Staline se rallia à ce point de vue{2707} et, en avril 1946, une
cinquantaine de grandes entreprises condamnées à être démontées et
transférées en URSS furent transformées en sociétés par actions
soviétiques (SAG). Elles demeurèrent sur le sol allemand et employèrent
des Allemands, mais devinrent la propriété de l’URSS. Fin 1946, les
Soviétiques étaient ainsi propriétaires de près de 30 % de la production
dans leur zone{2708}. Les SAG devinrent des mécanismes de transfert de
technologie vers l’URSS et Merkoulov, l’un des plus proches
collaborateurs de Beria, fut nommé responsable de l’Administration des
biens soviétiques à l’étranger, d’avril 1947 à octobre 1950. Dans cette
administration, les hommes de Beria montrèrent leur débrouillardise
habituelle, les diplomates occidentaux notant, dès 1949, qu’en Autriche les
Soviétiques avaient organisé un vaste marché noir qui permettait à l’URSS
de se procurer les machines-outils, les roulements à billes, le caoutchouc
et même les dollars dont elle avait besoin, les règlements financiers
s’effectuant par l’intermédiaire de banques suisses{2709}.
La filiale de cette administration à Karlshorst était dirigée par un autre
proche de Beria, B. Koboulov. Le clan Beria administrait entre autres
Wismut, une entreprise d’extraction d’uranium qui commença à
fonctionner à partir de septembre 1946 sous les ordres du général
M. M. Maltsev. L’économie est-allemande lui était soumise, tout comme
l’économie soviétique était subordonnée au projet atomique. Des
représentants de Wismut sillonnaient la zone d’occupation soviétique et
réquisitionnaient tous les équipements utiles. Les ouvriers étaient enrôlés
de force, car les conditions de vie et de travail étaient si épouvantables que
le flot des volontaires fut vite tari. Wismut devint une sorte de Kolyma
allemande dans le massif des Erzgebirge. La réputation sinistre de ces
mines où des milliers d’Allemands travaillaient dans des conditions
effroyables, fit beaucoup pour discréditer le régime de la zone soviétique
et les archives montrent que les fonctionnaires du SED ne cessèrent de
soulever ce problème dans leurs entretiens avec les « amis »
soviétiques{2710}. En 1948, la direction de Wismut fut soumise à une
purge de grande ampleur ; l’« émulation socialiste » et le stakhanovisme
furent introduits{2711}. Mais le côté pragmatique de la gestion de Beria
apparaît néanmoins : Wismut fit largement appel au secteur privé, passant
des contrats de sous-traitance avec des ateliers et des artisans
allemands{2712}. L’Administration des biens soviétiques en Allemagne
put ouvrir une résidence en avril 1950, que le MGB parvint à placer sous
son contrôle en janvier 1952{2713}.

La cristallisation des projets concurrents.


L’annonce du plan Marshall creusa l’écart entre les deux conceptions de
la politique allemande de la direction soviétique, en accusant leurs traits.
Le clan des idéologues s’engagea plus encore dans la soviétisation, mais
sans jeter tout à fait le masque et ce n’est qu’en petit comité que
Tioulpanov annonça l’abandon prochain du slogan la « voie allemande
vers le socialisme{2714} ». Quant au clan anti-Ulbricht, il commença à
envisager des projets plus hardis : la crise du SED, dont beaucoup
d’adhérents souhaitaient la participation de la zone d’occupation
soviétique à l’aide Marshall, et la menace grandissante d’une division de
l’Allemagne semblaient des arguments puissants en faveur d’une politique
plus souple. En juillet 1947, Semionov réclama le remplacement de
Tioulpanov qu’il soupçonnait d’encourager les chefs communistes est-
allemands à saboter le rétablissement du SPD et la création du Parti
national-démocrate en zone soviétique{2715}. En août, il recommanda
même la création d’un journal destiné aux anciens nazis, la National
Zeitung, qui ferait campagne contre les « ploutocrates allemands et
étrangers{2716} ».
Cependant le vent soufflait en sens contraire. La politique allemande
n’allait pas tarder à se ressentir de la vague de xénophobie déclenchée par
Staline en URSS à partir de 1946. Le 16 juillet 1947, le Comité central
adressa une lettre secrète aux responsables du Parti de la SMAD, qui
exhortait « à une lutte résolue contre l’idolâtrie de la culture bourgeoise »
et dénonçait l’« influence corruptrice de l’environnement capitaliste » ;
elle se traduisit par une mise en garde contre les contacts entre Soviétiques
et Allemands : ainsi, il était intolérable que les épouses d’officiers
soviétiques donnent leur numéro de téléphone à des couturiers ou
cordonniers allemands, que les Soviétiques couchent avec des Allemandes
ou encore qu’ils empruntent de l’argent à des Allemands sans payer leurs
dettes{2717}. En août, fut organisée une police secrète, le Kommissariat
5, confiée à Wilhelm Zaisser, un vétéran du GRU. Tioulpanov commença
à informer ses interlocuteurs allemands que la « voie allemande vers le
socialisme » allait être abandonnée. En septembre, par ses diatribes
antiaméricaines, il s’aliéna le général Clay, jusque-là bien disposé à
l’égard des Soviétiques{2718}. Dans son discours au Congrès du SED, le
20 septembre 1948, il appela les Allemands de la zone soviétique à
« libérer » leurs compatriotes de l’Ouest{2719}.
Certains, à Moscou, comprirent que ce durcissement de la politique
dans la zone soviétique accélérait la division de l’Allemagne et, patronnés
par les adversaires de cette politique, ils s’efforcèrent de créer une
dynamique de faits accomplis afin de gagner les hommes du Kremlin à
leurs vues. En août 1947, Nadolny, en contact avec la résidence de
Karlshorst, fut envoyé en tournée dans les zones occidentales par Ivanov,
l’adjoint de Semionov, afin de persuader les Occidentaux que l’URSS était
prête à d’importantes concessions pour éviter la scission de
l’Allemagne{2720}. Les Américains notèrent d’ailleurs une amélioration
radicale de l’attitude de leurs interlocuteurs soviétiques et une purge des
éléments les plus antioccidentaux{2721}. Le 3 octobre, A. A. Smirnov,
responsable du secteur européen du MID, mit en garde Molotov : « Il
existe un risque réel d’une division politique et économique de
l’Allemagne et de l’intégration de l’Allemagne occidentale avec toutes ses
ressources dans le bloc occidental créé par les États-Unis{2722}. » À la
veille de la conférence de Londres de décembre 1947, eut lieu une
nouvelle tentative mort-née des partisans de l’unité et de la neutralité
allemande. Le 9 novembre se tint la conférence de Wannsee qui réunit
J. Becher, le bourgmestre de Berlin Friedensburg, et Paul Löbe, dirigeant
du SPD, afin de constituer un gouvernement allemand provisoire dont le
président devait être le chef de la CDU orientale, Kaiser, ou Löbe. Était
aussi présent l’ancien ambassadeur allemand Nadolny, très actif en faveur
de ce projet qui prévoyait des élections dans toutes les zones d’occupation
en Allemagne, la constitution d’un gouvernement allemand et la fin de
l’occupation. Ce groupe envisageait une situation à l’autrichienne : un
gouvernement favorable aux Occidentaux qui n’empêche pas les activités
des organismes économiques soviétiques. Or, de toute la direction
soviétique, Beria eût été le seul à bénéficier d’une telle formule, car ses
réseaux contrôlaient l’Administration des biens soviétiques à l’étranger.
Cette tentative manifestait l’étonnant manque de réalisme de certaines
entreprises de Beria car, en réalité, la mise en place du plan Marshall
condamnait toute politique de coalition ; en effet, les chefs des partis non
communistes étaient obligés de prendre position sur l’aide américaine et,
s’ils y étaient favorables, ils étaient exclus du jeu par les Soviétiques.
C’est ce qui arriva à J. Kaiser, le chef de la CDU orientale, obligé de
quitter la zone soviétique en décembre 1947. Bien entendu, Tioulpanov
recommanda de présenter cette désertion comme une crise interne de la
CDU, mais Kaiser rétablit la vérité dans des interviews à la presse
occidentale{2723}.
Après la conférence de Londres, Beria fit une nouvelle tentative pour
s’assurer le contrôle de la politique allemande : du moins c’est ainsi que
l’on peut interpréter le projet de Merkoulov, soumis au Comité central le
20 décembre 1947. Merkoulov y proposait de créer un ministère de la
Zone d’occupation soviétique, auquel la SMAD serait subordonnée, et qui
serait chargé de l’ensemble de la politique soviétique en Allemagne – y
compris l’administration, l’économie et la culture. Mais, le 3 janvier 1948,
Sokolovski et Semionov furent convoqués par Staline qui les reçut en
présence de Molotov, Mikoïan et Vychinski, tandis que Merkoulov n’était
pas invité. Staline les informa qu’une Commission économique de la zone
formerait un embryon de gouvernement, et qu’au contraire il avait choisi
de séparer l’économie et la politique en Allemagne orientale{2724}. Et
N. V. Ivanov, l’adjoint de Semionov, qui entretenait des relations cordiales
avec les Occidentaux, disparut{2725}.
Les nouveaux dirigeants installés par la SMAD, adversaires résolus du
plan Marshall, manquaient totalement de crédibilité aux yeux de la
population allemande. En mars 1948, après le fiasco des élections
syndicales à Berlin qui montraient un déclin du SED, le Comité central
expédia une nouvelle commission d’inspection dirigée par A. Sobolev,
l’ex-conseiller politique de la résidence de Karlshorst en 1945-
1946{2726}. Ses conclusions furent dévastatrices pour le Département
d’information – qui avait succédé au Département de propagande quelques
mois plus tôt – et pour le commandement de la SMAD :
La SMAD a une politique incorrecte à l’égard des classes non
prolétaires, elle ne fait pas d’efforts pour se gagner les faveurs de la
bourgeoisie moyenne qui serait prête à collaborer avec nous. La
SMAD étouffe économiquement la petite et moyenne bourgeoisie.
[…] Le Département d’information n’a pas compris le sens du bloc
des partis antifascistes. […] Il considère que la CDU et le LDP nous
sont totalement hostiles. […] Comme il ne peut s’appuyer sur aucune
force sérieuse dans ces partis, il s’ingère grossièrement dans leur
activité et y organise une révolution de palais après l’autre. Ceci est
d’autant plus dangereux que l’allégeance extérieure de ces partis
bourgeois est présentée comme un changement réel de leur
orientation politique et cela masque une situation alarmante dans les
partis bourgeois qui sont fondamentalement antisoviétiques. […] Le
SED bénéficie de conditions artificiellement favorables, il n’a pas à
affronter d’adversaires et ses dirigeants perdent à cause de cela tout
sentiment de responsabilité pour le destin de l’Allemagne. […] Le
SED est en train de perdre peu à peu ses traditions de social-
démocratie, on y constate d’inquiétantes tendances à un culte du chef,
la critique et l’autocritique y sont inexistantes. […] Le SED souligne
avec insolence qu’il est le seul parti à pouvoir construire une
Allemagne démocratique. Les partis bourgeois sont maintenant
devenus si méfiants qu’ils interprètent la convocation du Congrès du
peuple comme un moyen de les détruire.

Le rapport formulait un jugement sévère sur Tioulpanov : il « ne


comprend pas les perspectives historiques du développement de
l’Allemagne » et « manque de la souplesse nécessaire à un homme
d’État ». On y trouve aussi une critique voilée du maréchal Sokolovski,
« trop occupé pour s’intéresser à l’activité du Département
d’information », et une critique du comportement des troupes soviétiques
en Allemagne : « On constate de nombreux abus commis par des
Soviétiques idéologiquement et moralement instables. Notre politique
allemande en pâtit. » Pire encore, la direction de la SMAD interdisait à ses
officiers de fréquenter les Allemands :

Les relations personnelles avec les cercles politiques allemands, qui


sont indispensables pour la réussite de notre politique, ont pris fin car
elles inspirent des soupçons. Nos officiers ont désormais peur de
fréquenter des Allemands […] ce qui nuit énormément aux intérêts de
l’Union soviétique car nous nous privons des moyens d’influencer les
Allemands{2727}.

Ce document est passionnant à plus d’un titre. Il préfigure les grandes


lignes du « nouveau cours » de 1953. Et surtout il représente un prototype
des rapports que Beria rédigera en mai 1953 à propos des États baltes, de
l’Ukraine et de la Biélorussie, à partir desquels le chef du MVD comptait
lancer sa grande réforme de l’Empire soviétique. Les analogies sont si
frappantes qu’aucun doute n’est permis : ce rapport a été soufflé par Beria.
Mais comment espérait-il imposer la politique recommandée en filigrane
dans le rapport Sobolev, au moment où Staline était en train de resserrer
son étau autour de Berlin ? On a l’impression d’une tentative de mise en
place d’une politique allemande parallèle, souterraine, impression qui ne
fera que se préciser dans les années à venir, pour culminer en 1952.
D’ailleurs, dans son rapport de septembre 1946 cité plus haut, Tioulpanov
disait déjà : « On a l’impression qu’il existe deux politiques qui ne sont
pas concertées entre elles. »
Dans l’immédiat, le rapport Sobolev ne fut suivi d’aucun effet, il fut
rangé dans un tiroir par Souslov et eut des effets contraires à ce qu’il
préconisait{2728}. Fort de ses appuis au Kremlin, Tioulpanov survécut
une fois de plus à ces attaques et se borna à informer Semionov qu’il
partageait ses vues critiques à propos d’Ulbricht et condamnait la manière
dont la SMAD s’obstinait à considérer le chef du SED comme son seul
interlocuteur allemand, même pour les questions de cadres qui étaient du
ressort de Franz Dahlem{2729}. Avec le raidissement de la politique
stalinienne, il eut le vent en poupe : le 8 avril, il déclara que la
« démocratie populaire était la transition vers la dictature du prolétariat »
et que le développement politique de la zone soviétique allait s’accélérer
suite à la dégradation des relations internationales{2730} ; le 8 mai, il
annonça la division de l’Allemagne et proclama la théorie stalinienne des
deux camps – mais sans renoncer à rattacher toute l’Allemagne au camp
socialiste, puisqu’il invitait le SED à former des cadres « en vue de la
conquête de toute l’Allemagne ». En même temps, le SED devait se
rappeler qu’il n’était pas un parti parlementaire et « surmonter sa crainte
de mesures décisives en cas de conflit impliquant les ennemis de la
nouvelle démocratie ». Fin juillet 1948, Ulbricht donna le signal de la
chasse « aux agents, aux saboteurs, aux hommes de Schumacher » ainsi
qu’aux délinquants économiques{2731}. Et d’août à octobre une série de
mesures visant à renforcer la police furent adoptées, avec la création d’une
police encasernée de réserve, d’un appareil de responsables politiques de
la police, et une purge des éléments politiquement douteux{2732}.
Semionov n’abandonna pas la partie et se plaignit à Grotewohl que
« certaines mesures introduites par Tioulpanov et Ulbricht dépassaient les
objectifs de Moscou et compliquaient encore une situation déjà
difficile{2733} ». En août, un rapport rédigé par G. Konstantinovski,
responsable du 7e Département de l’Administration politique principale,
reprit les grandes lignes du rapport Sobolev, renouvelant les attaques
contre Tioulpanov, accusé d’enterrer trop vite la politique de coalition au
profit de celle de Front populaire, en un mot de construire une
« république socialiste dans la zone soviétique ». Tendance d’autant plus
dangereuse que la division de l’Allemagne « rendait les communistes
allemands plus sectaires ». Une phrase laisse entrevoir l’intensité des
conflits au sommet :

Se référant au conseiller politique le cam. Semionov, le colonel


Tioulpanov a déclaré ouvertement à plusieurs reprises à ses
subordonnés que les instructions de la Commission du Comité central
concernant les relations avec les partis bourgeois ont été rejetées par
le Comité central à Moscou comme erronées{2734}.
À l’été 1948 émergea une situation paradoxale : alors que l’ensemble du
camp socialiste pourfendait le « nationalisme bourgeois » en dénonçant
« la clique titiste », dans la zone d’occupation soviétique Semionov
conseillait à ses interlocuteurs allemands de faire appel au nationalisme
dans la lutte pour l’unité allemande. Le 24 juin, les pays du bloc
socialistes réunis à Varsovie proposèrent l’établissement d’un
gouvernement central allemand, un traité de paix avec l’Allemagne et le
retrait de toutes les troupes d’occupation du territoire allemand dans un
délai d’un an. Ces manœuvres soviétiques eurent d’ailleurs un impact
indéniable dans les zones occidentales ; ainsi le général Clay et
l’ambassadeur Murphy eurent-ils à surmonter les réticences et les
manœuvres dilatoires des ministres-présidents des zones occidentales, peu
soucieux d’endosser la responsabilité de la division de l’Allemagne aux
yeux d’une opinion tentée par le neutralisme{2735}.
Cette singularité allemande ne pouvait plus durer. Le 15 septembre, lors
du XIIIe Plénum du SED, Ackermann, le théoricien de la « voie allemande
vers le socialisme », fut obligé de faire son autocritique et le SED
reconnut le rôle dirigeant de l’URSS. Ulbricht appela à l’achèvement de la
révolution bolchevique. La condamnation de Tito et ce Plénum de
septembre furent perçus par les communistes est-allemands comme un
Rubicon. Dans sa confession d’août 1953, Rudolf Herrnstadt écrira :

Jusqu’à l’année 1948, la grande question pour notre Parti était la


question de notre rapport avec l’Union soviétique. Le communiqué de
l’Informburo sur la Yougoslavie et le Plénum de septembre ont
définitivement tranché. Désormais la tâche de notre Parti était de
gagner la grande majorité de la classe ouvrière{2736}.

En octobre, le SED appela à un renforcement de la lutte de classe,


annonçant une aggravation des tensions internes et du danger de guerre, et
au sein de la SMAD les éléments favorables à la soviétisation de la zone
se sentirent en position de force. À partir de novembre, les adhérents du
LDP et de la CDU orientale subirent des persécutions et nombre d’entre
eux se réfugièrent à l’Ouest{2737}.
De toute évidence, certains dirigeants soviétiques eurent la volonté
d’exploiter à fond le fiasco du blocus de Berlin, qualifié par Semionov
« d’ineptie qui coûtera cher à la Russie{2738} ». Les rapports du général
A. G. Rousskikh, responsable de la SMAD pour les questions politiques,
étaient d’une franchise étonnante sur les conséquences du blocus. Or les
fonctionnaires soviétiques répugnaient à transmettre à leurs supérieurs de
mauvaises nouvelles ; on peut donc supposer que Rousskikh se sentait
soutenu en haut lieu lorsqu’il dressait un bilan dévastateur du blocus de
Berlin. Le 13 septembre 1948, il écrivit à Sokolovski que le blocus avait
rendu les Berlinois plus antisoviétiques que jamais, ce qui aurait été
provisoire s’il avait entraîné la capitulation des Anglo-Saxons – mais
« malheureusement il n’en a pas été ainsi ». La supériorité économique
des Occidentaux était de plus en plus manifeste depuis l’introduction du
mark occidental et le SED berlinois était en pleine déroute{2739}. Le
20 septembre, Rousskikh revint à la charge dans un rapport destiné à
Souslov où il soulignait la paralysie des organisations du SED opérant
dans les secteurs occidentaux et l’échec des manifestations organisées par
le SED fin août{2740}. Le 13 novembre, dans un nouveau rapport à
Souslov, il enfonça le clou : la situation économique à Berlin-Ouest ne
cessait de s’améliorer et les « masses populaires en ont conçu l’illusion
que le plan Marshall est efficace ». Dans les zones occidentales, le KPD –
le PC ouest-allemand – était incapable d’agir dans ces circonstances
défavorables et il était en constante perte de vitesse, comme le montraient
les élections municipales d’octobre 1948. Au sein du SPD, l’influence
américaine était en train de se substituer à l’influence britannique{2741}.
Le 13 décembre 1948, Rousskikh écrivit à Boris Ponomarev et à
I. V. Chikine que l’Allemagne était en train de glisser à droite et que les
effectifs du PC étaient en chute libre{2742}. La position du KPD était
rendue encore plus vulnérable depuis que les services polonais, tchèques,
hongrois et bulgares essayaient d’y recruter des agents, ce qui risquait de
mener à l’interdiction de ce parti dans les zones occidentales{2743}. Le
16 mars 1949, dans un rapport à ses supérieurs immédiats, Rousskikh
dressa le bilan des élections de décembre 1948 dans les secteurs
occidentaux de Berlin et celui de la division de la municipalité. Il souligna
le grand prestige de la mairie de Berlin-Ouest, y compris à l’Est, la
disparité entre le niveau de vie à l’Ouest et à l’Est, et la méfiance suscitée
par le SED chez tous les Berlinois ; en conclusion il déconseillait de
soumettre l’économie de Berlin-Est à la Commission économique
allemande et recommandait d’éviter un alignement ostensible de la mairie
de Berlin-Est sur le SED{2744}.
Fin 1948, Staline croyait encore à la possibilité d’unifier l’Allemagne
sous sa houlette : on cherchait dans le secteur oriental de Berlin un édifice
susceptible de devenir le siège d’un futur gouvernement
panallemand{2745}. Staline reçut Pieck, Grotewohl et Ulbricht le
18 décembre et sembla donner un coup de frein à la soviétisation, au
moins en apparence. Il fit la leçon aux communistes allemands : « Vous
autres Allemands combattez toujours à visage découvert. C’est peut-être
courageux, mais c’est souvent très bête. » Ils pourraient parler de la
démocratie populaire, mais seulement « quand la victoire en Allemagne
aura été assurée{2746} ». Il leur recommanda une marche vers le
socialisme en « zigzags » et Pieck nota dans ses Carnets : « Pas encore de
passage à la démocratie populaire. » Cette prudence subite de Staline qui
n’avait pas hésité à organiser le blocus de Berlin s’explique peut-être par
un rapport du Comité d’information signalant une réunion, le 8 novembre,
entre le maréchal Montgomery, président du Comité des commandants en
chef interalliés, et les gouverneurs militaires des trois zones
occidentales{2747}. À partir de janvier 1949, le Comité d’information
multiplia les rapports sur les projets occidentaux de remilitarisation de
l’Allemagne. Le clan gouvernemental qui contrôlait le Comité
d’information essayait d’utiliser les inquiétudes de Staline pour affaiblir
les positions des partisans de la soviétisation accélérée de la zone
soviétique. Jusqu’en avril 1952, cette tactique donna quelques résultats
modestes.
À partir de janvier 1949, les deux politiques parallèles de l’URSS en
Allemagne apparurent au grand jour. Le SED annonça sa transformation en
parti de type léniniste, lors de sa 1re Conférence qui se déroula sous l’œil
vigilant de Souslov du 25 au 28 janvier. Il adopta pour mot d’ordre la lutte
contre la social-démocratie, se donna un Politburo, un Secrétariat du
Politburo et un Département des cadres sur le modèle soviétique.
Grotewohl dut se contenter de rappeler à Ulbricht que l’unité de
l’Allemagne passait avant tout. L’antagonisme entre Semionov et
Tioulpanov apparut au grand jour. Le 25 janvier, alors que Tioulpanov
prononçait à la radio un discours attaquant l’« impérialisme anglo-
américain », celui-ci fut interrompu au bout de quatre minutes{2748}.
Mais, en mars, Ulbricht tint à Dresde un discours belliqueux remarqué en
Occident : « Ces messieurs à l’Ouest devraient savoir que la distance de
Berlin à la Manche n’est pas si grande{2749}. »
Les fiascos de la politique soviétique – l’échec du blocus de Berlin, la
création de la RFA – allaient toutefois permettre une contre-offensive du
clan gouvernemental. On vit émerger à nouveau Rudolf Nadolny, en
janvier puis en mars, lors d’une conférence à Bad Godesberg où il
s’efforça de convaincre des responsables chrétiens-démocrates de la
bizone – dont Ludwig Erhard – de l’intérêt politique et économique pour
l’Allemagne de choisir la neutralité : elle se débarrasserait ainsi des
troupes étrangères et retrouverait ses marchés traditionnels en Europe
orientale et dans les Balkans ; au lieu d’être un pion aux mains des Russes
et des Américains, elle pourrait être un pont entre l’Est et l’Ouest{2750}.
Le 27 mai, Grotewohl déclara devant un Plénum du SED qu’il ne fallait
pas hésiter à former une alliance tactique avec les forces bourgeoises. En
juin, Gerald Götting, un émissaire de la CDU orientale, fut envoyé à
l’Ouest pour repérer les adversaires d’Adenauer au sein de la CDU
occidentale{2751}. Sokolovski fut remplacé par Tchouïkov. Les partis
bourgeois bénéficièrent de concessions : ainsi un dirigeant de la CDU,
Georg Dertinger, devint le Premier ministre des Affaires étrangères de la
RDA{2752}. Or, dans un rapport adressé à Grigorian et à Kouznetsov le
28 juin 1949, Rousskikh rapportait les appréhensions exprimées par
Dertinger au Département d’information de la SMAD : celui-ci redoutait
la transformation de la zone d’occupation soviétique en démocratie
populaire. Russkikh citait aussi les propos d’un autre dirigeant de la CDU
orientale, Nuschke, qui se plaignait « de la politique de terreur{2753} ».
Les élections en RFA, en août 1949, sonnèrent le glas des espoirs
soviétiques de faire capoter la création d’un État ouest-allemand.
Tioulpanov disparut de la circulation, probablement victime de ses liens
avec le clan des Léningradois. Abakoumov l’accusa de corruption et
d’accointances avec les services étrangers dans une note adressée à
Malenkov{2754}. Selon un crescendo classique, il fut accusé en
septembre d’avoir dissimulé au Parti que son père avait été condamné
comme trotskiste tandis que sa belle-sœur était liée à un espion
britannique{2755}. Vu la gravité de ces accusations, il s’en tira à bon
compte : limogé le 17 octobre, il fut rappelé en URSS et remisé dans un
emploi académique{2756}.
Lorsque, le 11 novembre 1949, la SMAD fut remplacée par la
Commission de contrôle soviétique (SKK), Ulbricht devint si méfiant à
l’encontre des Soviétiques qu’il donna l’ordre à tous les fonctionnaires du
Parti ayant des relations avec la SKK d’adresser au Comité central du SED
des rapports sur les entretiens avec les gens de Moscou, en indiquant
quelles questions avaient été posées par les Soviétiques et quelles réponses
avaient été données. La SKK fut ainsi privée de toute information sur ce
qui se passait dans les régions{2757}.
Le IIIe Congrès du SED, qui se tint en juillet 1950, révéla la profondeur
des antagonismes au sein du Parti, avec en filigrane la lutte entre les clans
à Moscou. Le clan anti-Ulbricht passa à l’offensive et, avec l’appui de
Moscou, Zaisser et Herrnstadt devinrent membres suppléants du Politburo.
Pieck fut chargé du rapport et le rédigea en collaboration étroite avec la
SKK. Le plan quinquennal adopté devait « non seulement augmenter le
niveau de vie de la population, mais permettre de surmonter la division de
l’Allemagne{2758} ». Bien entendu, Ulbricht contre-attaqua : le rapport
de Pieck ne fut pas diffusé et fut « pratiquement désavoué » par la
direction du SED{2759}. Ulbricht devint secrétaire général du SED qui se
proclama « un parti de type nouveau ». Le dualisme de la politique
allemande menée par Moscou prit en RDA une forme institutionnelle :
Ulbricht allait faire du Secrétariat du Comité central son fief, un centre de
pouvoir concurrent du Politburo. « Le Secrétariat fonctionnait de manière
presque indépendante du Politburo{2760}. »

La préparation de l’après-Staline.
Les projets occidentaux de réarmement de l’Allemagne allaient donner
un nouveau souffle aux adversaires d’Ulbricht, qui agirent de manière
détournée, en lançant des signaux et des rumeurs bien notés par les
Occidentaux. En mai 1950, le bruit circula que Semionov restait partisan
d’un accord et serait d’avis, en cas d’échec, d’évacuer la zone
soviétique{2761}. En août, on apprit que Semionov avait essayé d’entrer
en contact avec le gouvernement de Bonn par l’intermédiaire du
professeur Ulrich Noack, que son ami Theo Kordt avait mis en contact
avec Gustav Heinemann, le ministre de l’Intérieur de la RFA (qui
démissionnera de son poste le 9 octobre 1950 pour protester contre le
projet de réarmement de la RFA{2762}).
Le 15 novembre, Grotewohl proposa la réunion d’un Conseil constituant
composé des représentants en nombre égal des deux Allemagnes, qui
préparerait des élections libres. Il n’était donc plus question d’étendre la
RDA à toute l’Allemagne. Détail significatif, Herrnstadt recommandait de
concentrer le feu de la critique sur les États-Unis mais de n’attaquer le
gouvernement de la RFA que si cela pouvait susciter un écho en RFA : « La
future Allemagne unie et démocratique ne sera pas une copie agrandie de
la RDA d’aujourd’hui{2763}. »
Très souvent les signaux émanaient des représentants des partis
« bourgeois » survivant en RDA sous la férule du MGB. Ainsi, le
23 novembre 1950, Georg Dertinger déclara à un membre de la CDU
occidentale que les Soviétiques étaient prêts à d’importantes concessions
pour éviter la remilitarisation de la RFA : ils accepteraient l’unification
autour d’un gouvernement non communiste, pourvu que les Länder de
l’Est conservent une certaine autonomie et leurs « acquis
sociaux{2764} ». En décembre, le premier secrétaire de l’ambassade
soviétique à Londres, un Géorgien que l’on disait parent de Staline, chargé
des contacts avec la presse et bien informé, annonça des initiatives
pacifiques de l’URSS{2765}. Le 10 janvier 1951, Nuschke, le chef de la
CDU est-allemande, accorda une interview à un journal suédois et affirma
avoir eu de nombreux entretiens avec des personnalités soviétiques dont il
ressortait que l’URSS serait prête à accepter un armement limité de la
RFA, qu’un accord entre les quatre puissances aurait lieu au printemps,
que la fusion des deux Allemagnes se ferait et que des élections auraient
lieu en automne. Les Soviétiques désiraient un rapprochement avec les
puissances occidentales et étaient prêts à faire les premiers pas{2766}. Le
mois suivant un émissaire soviétique contacta en Bavière des députés
CSU, laissant entendre que l’URSS était prête à sacrifier le SED, à
renoncer à la Volkspolizei et à garantir des élections libres en échange de
la neutralité allemande{2767}.
Ulbricht fut obligé de tenir compte d’une opposition qui, à partir du
printemps 1951, se cristallisa autour de Zaisser, depuis 1950 chef du MfS
(le ministère de la Sécurité d’État), et Herrnstadt, rédacteur en chef de
Neues Deutschland, le quotidien du SED. Le 21 février 1951, Pieck,
Grotewohl et Ulbricht informèrent Tchouïkov et Semionov qu’ils
estimaient souhaitable d’organiser une adresse de la Volkskammer au
Bundestag pour que les deux Allemagnes s’associent afin de solliciter des
quatre puissances la signature d’un traité de paix. Ils obtinrent l’accord de
Moscou et lancèrent leur appel au Bundestag le 3 mars, deux jours avant
l’ouverture à Paris de la conférence du palais Rose consacrée à la question
allemande. Après l’échec de ces négociations, les partisans d’une politique
allemande active soutinrent la nécessité de reprendre l’initiative dans la
question allemande et proposèrent une série de mesures capables de
frapper l’opinion ouest-allemande : la présentation d’un projet de traité de
paix, la diminution de moitié des armées d’occupation, la convocation
d’un Conseil constituant, première étape de la création d’un gouvernement
panallemand, et la réduction de moitié au moins des effectifs de la
Commission de contrôle soviétique{2768}. Ce groupe envisageait
l’abandon de la revendication d’une représentation paritaire de la RDA
dans le Conseil constituant – point d’achoppement dans les négociations
avec l’Ouest – et préconisait la suppression des obstacles au commerce
interallemand{2769}. Le 28 août, les diplomates Semionov,
M. G. Gribanov et G. M. Pouchkine s’adressèrent à Vychinski pour qu’il
informe Staline que Pieck, Ulbricht et Grotewohl souhaitaient que l’URSS
prenne l’initiative de proposer un traité de paix avec l’Allemagne et que le
MID s’associe à cette demande. Selon eux, cette démarche devait
permettre de torpiller le réarmement de l’Allemagne{2770}. Hermann
Graml, l’un des historiens allemands qui se sont penchés sur la politique
allemande de l’URSS pendant les dernières années de la vie de Staline, et
celui qui donne l’interprétation la plus fine du comportement ambigu de
Moscou, attire l’attention sur le fait que l’initiative de la décision de
Staline d’offrir aux puissances occidentales la négociation d’un traité de
paix allemand émanait des chefs est-allemands ; il y voit la confirmation
que l’offre de Staline ne pouvait être que de pure propagande, puisque les
subalternes du SED n’avaient pas leur mot à dire dans la grande
politique{2771}. En réalité il faut plutôt voir dans cette invocation des
dirigeants du SED un camouflage des auteurs réels de ces propositions, qui
jugèrent plus prudent de ne pas agir à visage découvert. C’était une des
règles élémentaires du jeu bureaucratique que Beria maîtrisait à la
perfection.
Le 27 août 1951, le Politburo se réunit pour discuter la question
allemande et, le 8 septembre, Staline donna son accord à la publication
d’un texte formulant les principes d’un futur traité de paix pour
l’Allemagne. Selon Semionov, cette initiative était inspirée par Beria.
Staline y consentit en avertissant les intéressés que si les choses tournaient
mal les responsables en subiraient les conséquences{2772}.
En septembre 1951, les ministres des Affaires étrangères occidentaux
prirent la décision de réarmer la RFA dans le cadre de la Communauté
européenne de défense. Cette fermeté occidentale ne pouvait que donner
des arguments supplémentaires au clan anti-Ulbricht. Le 15 septembre,
Grotewohl admit le principe d’élections générales en Allemagne sans faire
mention de la « parité » entre les deux Allemagnes et réclama la
suppression du « rideau de fer ». Dans un article de Neues Deutschland du
15 octobre, Herrnstadt donna le signal d’une critique de la politique du
SED et du FDGB – le syndicat officiel – qui, selon lui, suscitait
l’indignation et l’amertume des travailleurs. Fin octobre, G. Dertinger,
ministre des Affaires étrangères de la RDA et membre de la CDU
orientale, confia à G. M. Pouchkine, chef de la Commission de contrôle
soviétique, qu’il espérait lui présenter bientôt un projet de traité de
paix{2773}. En novembre, les représentants des partis « bourgeois » de la
RDA laissèrent entendre que les Soviétiques seraient prêts à payer un prix
élevé pour la neutralité allemande. Enfin, le 3 novembre, dans une lettre
au président de la RFA Theodor Heuss, Pieck sembla accepter un contrôle
international{2774} pour les futures élections panallemandes – autre point
d’achoppement dans les négociations avec l’Ouest. Le 20 novembre,
Tchouïkov et Semionov rencontrèrent en secret l’évêque Dibelius qui
venait d’adresser à Staline une lettre protestant contre les violations du
droit en RDA. Dibelius évoqua ses entrevues avec Adenauer et demanda ce
que ses interlocuteurs soviétiques pensaient d’une éventuelle réunification
de l’Allemagne{2775}. Ce contact signifiait qu’à Moscou certains
envisageaient une solution à la question allemande avec Adenauer, et non
pas contre lui. Beria était de ceux-là. Selon son fils, il éprouvait une
grande admiration pour le chancelier allemand : « C’est un chef né »,
disait-il de lui :

Les Américains, les Anglais et les Français ne voient pas une chose.
Si on lui montre une possibilité d’unifier l’Allemagne, il est assez
intelligent pour s’atteler à cette tâche et la mener à bien, comme
autrefois Bismarck. […] Il a sa conception du futur État allemand et
de sa politique étrangère. Adenauer ne permettra jamais un retour du
nazisme en Allemagne. Si nous l’aidons à réunifier l’Allemagne, il
saura nous payer de retour{2776}.

L’opération Wirth.
En RFA, les Soviétiques menaient au même moment une offensive à
facettes multiples : tentative de rapprochement avec le SPD, encouragées
par l’évolution de Schumacher vers le neutralisme, et tentative de création
d’un centrisme neutraliste autour de Kaiser et Ernst Lemmer{2777}. Et
surtout, ils décidèrent de réactiver le courant rapalliste en jouant la carte
Wirth. Joseph Wirth, le chancelier qui avait présidé au traité de Rapallo
entre l’Allemagne et l’URSS en 1922, se trouvait depuis longtemps sur
l’écran radar du NKVD. Catholique pratiquant, il avait fui l’Allemagne
hitlérienne en 1933 et, étant très lié au père Leiber – le secrétaire privé du
nonce apostolique Eugenio Pacelli, futur Pie XII –, il avait utilisé ses
contacts avec le Vatican pour inciter Rome à condamner l’antisémitisme et
la doctrine raciale hitlérienne et pour travailler au rapprochement entre
catholiques et juifs{2778}. Wirth était l’ami de Morris Waldman,
secrétaire de l’American Jewish Committee et, en 1937-1938, il avait
enquêté en Pologne et en Autriche sur la montée de l’antisémitisme. Après
l’Anschluss il aida de nombreux Juifs autrichiens à obtenir un visa
américain grâce à ses relations avec Waldman et avec le diplomate
américain George Messersmith. Il s’était tenu à l’écart du Front populaire
des émigrés allemands créé en France en 1936, parce qu’à ses yeux
l’alliance des opposants avec les communistes ne pouvait que pérenniser
le régime hitlérien. En 1939, Wirth avait émigré en Suisse où il avait servi
d’intermédiaire entre les généraux allemands opposés à Hitler et les
Britanniques : en décembre 1939, il était entré en contact avec le général
Halder par l’intermédiaire de son vieil ami Otto Gessler, ancien ministre
de la Reichswehr, qui l’avait chargé de sonder les Britanniques sur les
conditions d’une paix éventuelle. À cette époque, la presse anglaise voyait
dans Wirth « un dirigeant naturel d’un gouvernement post-nazi{2779} ».
Le 24 décembre 1939, Wirth avait envoyé une lettre à Chamberlain, dans
laquelle il esquissait les bases d’un traité de paix : la restauration d’une
Pologne et d’une Tchécoslovaquie indépendantes, une Allemagne unifiée,
une fédération des États européens{2780}. Cette tentative de paix était
concertée avec le Vatican qui offrait de servir d’intermédiaire entre la
résistance en Allemagne et le gouvernement britannique. En février-mars
1940, Wirth rencontra à plusieurs reprises l’envoyé de Robert Vansittart.
Les Britanniques voyaient en lui un interlocuteur plus fiable que les autres
représentants de la résistance allemande, comme Goerdeler, qui
revendiquaient les frontières orientales de 1914. Mais, lorsqu’à l’automne
1940 Wirth renouvela ses tentatives de médiation, les Britanniques étaient
devenus sceptiques : ils le considéraient comme un émissaire
autoproclamé de la résistance. Après l’arrivée de Dulles en Suisse, Wirth
se lia avec son collaborateur le plus proche, Gero von Schulze-Gaevernitz.
Wirth a été soupçonné d’avoir travaillé pour les services spéciaux
français, d’avoir été un agent double pour le compte de la Gestapo, d’avoir
entretenu des contacts avec Schellenberg, d’avoir été en contact avec
l’Orchestre rouge par l’intermédiaire du journaliste français Georges Blun
et de Rudolf Rössler qui faisait partie du réseau Rado{2781}. Après la
guerre, Wirth ne rentra en Allemagne qu’en 1948, les autorités françaises
lui ayant refusé le visa jusque-là.
Vexé d’avoir été éclipsé par Adenauer après la guerre, l’ex-chancelier
rêvait d’effectuer un retour sur la scène politique. Au moment où la
politique d’intégration de la RFA dans le camp occidental menée par
Adenauer prenait un tournant irréversible avec le projet de réarmement de
la RFA, Wirth estima le moment venu. En juin 1951, il fit part à Jakob
Kaiser de son intention de visiter Berlin-Est. À l’automne, il rencontra à
plusieurs reprises l’homme de liaison du SED à Fribourg, un proche de
Franz Dahlem qui était chargé des relations avec l’Ouest au sein du
Politburo du SED. Ce dernier dressa une liste des relations de Wirth et
conclut que l’ancien chancelier pouvait être influent{2782}. Le SED
décida de miser sur Wirth pour cristalliser en RFA les éléments
progressistes « au sein de la bourgeoisie patriotique{2783} » en un
mouvement organisé, téléguidé de l’Est, auquel se joindraient Heinemann,
le pasteur Niemöller – invité à Moscou au moment même où Wirth se
trouvait à Berlin-Est – et d’autres opposants à la politique d’Adenauer. Le
12 décembre, Wirth arriva à Berlin, sur l’invitation du maire de Berlin-Est
Friedrich Ebert, et y passa près d’un mois. Il rencontra Grotewohl,
Dahlem, Wilhelm Koenen, le secrétaire général du Front national,
Ulbricht, Pieck et Otto Nuschke, le chef de la CDU est-allemande, sans
oublier le pasteur Niemöller. Se référant abondamment à Rapallo, ses
interlocuteurs est-allemands lui demandèrent de faire campagne en RFA
pour « sauver la nation allemande » en exigeant un accord entre les
représentants de la RFA et de la RDA, qui proposerait une réunification
par des élections, des relations amicales avec l’URSS, un rejet de la
remilitarisation, le retrait des forces d’occupation et un traité de
paix{2784}. Il rencontra aussi le général Tchouïkov le 3 janvier 1952,
Vladimir Semionov{2785} et même en secret Beria en personne{2786}.
Fin décembre, Dahlem estima pouvoir lui dicter un programme
d’action. Wirth devait d’abord adresser une lettre au président de la RFA
pour l’informer de ses entretiens à Berlin. Ensuite il devait envoyer une
lettre aux députés du Bundestag et du Bundesrat avant les 8 et 9 janvier
1952, jours où devait être débattu le plan Schuman. Puis il devait rédiger
un programme d’action soulignant en particulier les vertus de la
coopération économique Est/Ouest en prévision de la Conférence
économique qui devait se dérouler à Moscou en avril. Wirth se conforma à
ces instructions : il était si bien contrôlé par ses interlocuteurs est-
allemands qu’il accepta que le texte de sa lettre aux députés et de son
mémorandum final fût réécrit par les gens du SED.
La démarche de Wirth fut très critiquée en RFA et même Jakob Kaiser
lui reprocha de s’être laissé manipuler « par les pires ennemis de la
démocratie{2787} ». La manœuvre Wirth ne recueillit pas non plus
l’unanimité au Politburo du SED et, pendant des semaines, la liaison avec
Wirth ne fut pas assurée après son retour en RFA, le KPD y faisant une
obstruction que Dahlem considérait comme du sabotage{2788}.
Vers la même époque, Semionov excédé fit encore une tentative pour
déboulonner Ulbricht avec lequel il avait eu une nouvelle prise de bec. Il
adressa une lettre à Staline où il exposait tous ses griefs contre le chef du
SED. Staline finit par le convoquer à Moscou, en octobre 1952, et lui dit :
« Ulbricht est un communiste fidèle et conséquent, un vrai ami de l’Union
soviétique. Il n’y a aucun doute là-dessus et nous n’avons aucune raison de
nous méfier de lui. » Bien sûr, ajouta Staline, la théorie n’a jamais été son
fort, mais c’était à Semionov de l’aider{2789}.
L’opération Wirth servit de prélude à la fameuse note de Staline du
10 mars 1952, dans laquelle l’URSS proposait de réunir une conférence à
quatre en vue d’élaborer un traité de paix avec l’Allemagne dans un délai
de quatre mois. La future Allemagne serait réunifiée et neutre. Pour la
première fois Moscou abandonnait la revendication de
« démilitarisation » : la future Allemagne réunifiée et neutre aurait le droit
de posséder une armée nationale. Cette note, qui fit couler beaucoup
d’encre en RFA, fut rédigée par Semionov et Beria. Au moment de la
signer, Staline exigea que Semionov se porte garant que les Occidentaux
refuseraient l’offre de Moscou{2790}. Le diplomate a raconté par la suite
qu’après sa publication il vécut des jours d’angoisse :

Il était impossible de prévoir comment les choses tourneraient et je


me demandais si je ne me retrouverais pas à la Loubianka. Mais le
vieil Adenauer demeura fidèle à lui-même et agit comme l’avaient
prévu nos services de renseignements. Nous pûmes pousser un ouf de
soulagement{2791}.
Pourtant, Jakob Kaiser et Herbert Wehner, les chefs des fractions CDU
et SPD au Bundestag, virent dans la note les signes d’une disposition au
compromis et se déclarèrent partisans d’explorer l’offre soviétique dans
un mémorandum qui soulignait les éléments nouveaux de cette offre de
Moscou. Mais, le 25 mars, les Occidentaux refusèrent. Ainsi les partisans
de l’unité allemande avaient amené Staline à accepter la publication de la
note en lui garantissant qu’Adenauer allait refuser et que l’URSS en
tirerait un excellent effet de propagande{2792}. Mais pour Beria cette
démarche, même vouée à l’échec dans l’immédiat, devait préparer la mise
en œuvre de la politique qu’il projetait pour l’après-Staline.

Le choix ultime de Staline et la victoire d’Ulbricht.


S’étant assuré un camouflage, Staline fit connaître sa décision. Le
1er avril, il ordonna aux communistes est-allemands l’armement massif de
la RDA « sans bruit ». « La période pacifiste est terminée… Nous devons
nous attendre à des actes terroristes », leur dit-il. Il confia aux chefs du
SED que l’armée européenne n’était pas dirigée contre l’URSS, mais qu’il
s’agissait « du pouvoir en Europe{2793} ». « Quand vous aurez une
armée, ils [les Occidentaux] vous parleront sur un autre ton. Ils vous
reconnaîtront et vous aimeront, car tout le monde aime la force{2794}. »
Staline choisit de créer en RDA une armée de masse, ce qui signifiait un
tournant fondamental de sa politique. Auparavant, les petites unités
militaires formées en RDA étaient conçues pour des opérations
éventuelles en RFA dans la perspective d’une unification de l’Allemagne
au terme d’une guerre civile. Désormais, Staline optait pour aligner les
forces est-allemandes – dont les effectifs devaient atteindre 300 000
hommes soit 30 divisions – aux côtés de l’Armée rouge dans la
perspective d’une guerre avec l’OTAN : cela signifiait l’intégration de la
RDA dans le bloc socialiste et la division irréversible de
l’Allemagne{2795}. Le 11 avril, les cinq Länder de la RDA furent
remplacés par quatorze Bezirke. C’était la fin du fédéralisme en RDA et,
dès lors, Ulbricht se sentit libre d’agir. Staline avait fait le choix de la
communisation accélérée de la RDA, dans la perspective de l’affrontement
avec les Occidentaux.
La deuxième ligne de la politique allemande subsista toutefois, mais
elle devint souterraine et se manifesta surtout par l’activation de réseaux
en RFA. Les Soviétiques réussirent à réanimer le courant rapalliste, en
dépit de l’opposition d’Adenauer. En juin 1952 fut créée en RFA la
Deutsche Sammlung für Einheit, Frieden und Freiheit dirigée par Wirth et
Wilhelm Elfes, des anciens du Zentrum{2796}. Cependant, cette
organisation ne démarra jamais vraiment, tant la réputation de Wirth était
douteuse et tant ses liens avec l’Est étaient de notoriété publique. Lors des
élections de septembre, le bloc neutraliste de Wirth et de Heinemann
n’obtiendra d’ailleurs que 1,1 % des voix{2797}.
Le mémorandum de Georg Pfleiderer (FDP) du 2 septembre 1952,
attaquant les traités de Bonn et de Paris, plaidant pour le modèle de
Locarno, une Allemagne neutre et une Ostpolitik, suscita une grande
discussion en RFA. Certains industriels lorgnaient les marchés de l’Est,
d’où les réserves du FDP à l’égard de l’orientation unilatérale d’Adenauer
vers l’Ouest. Fin 1952, après avoir effectué un long séjour en RFA,
H. Kissinger écrivit :

La situation allemande est critique. Non parce que l’Allemagne est


apte à devenir communiste – il n’y a pratiquement aucun danger de ce
côté –, la menace réelle est qu’une réaction nationaliste, fondée sur
un antiaméricanisme dogmatique, puisse porter au pouvoir un
gouvernement qui s’appuiera sur l’URSS […] pour proclamer son
indépendance vis-à-vis de l’Ouest{2798}.

Au printemps 1953, le clan anti-Ulbricht au sein du Politburo soviétique


semble avoir pris très au sérieux une réunification allemande sous la
houlette de Wirth{2799}. Le 10 mai 1953, le mouvement de Wirth se
transforma en parti, le Bund der Deutschen, en prévision des élections de
septembre, avec pour programme l’opposition à la politique d’intégration
occidentale d’Adenauer. La carte Wirth continuera d’être jouée, même
après la chute de Beria, par Tchouïkov et Semionov, ce qui prouve qu’elle
ne lui était pas associée directement. Molotov rencontrera Wirth le
18 décembre 1953. Et, en avril 1954, il enverra le journaliste V. Berejkov
au Congrès mondial de la paix à Vienne afin qu’il y prenne contact avec
Wirth et lui demande son avis sur les moyens d’améliorer la politique
européenne de l’URSS. Wirth expliquera à Berejkov qu’Adenauer était
avant tout un patriote allemand, que l’URSS devait cesser de le dépeindre
comme un nazi et tâcher de traiter avec lui, en proposant par exemple de
libérer les prisonniers de guerre allemands se trouvant encore en URSS ; il
conseillera d’évacuer les troupes soviétiques d’Autriche et d’aider la
France à s’extraire du guêpier indochinois.
La manifestation la plus curieuse de cette politique clandestine parallèle
est un épisode qui, entre août et décembre 1953, fera l’objet d’une longue
enquête de la Commission de contrôle du SED{2800}. Au printemps 1952
– les témoins sont incapables de situer la date exacte –, Zaisser convoqua
dans son bureau un certain nombre des responsables de la Sécurité d’État,
dont Erich Mielke. Il leur annonça qu’étant donné les plans agressifs
d’Adenauer une guerre était possible, que le gouvernement est-allemand
devrait peut-être quitter Berlin et qu’il fallait par conséquent repérer des
lieux de repli à l’abri des bombes en Thuringe et en Saxe. Par ailleurs, il
n’était pas exclu que, dans les intérêts de la paix mondiale, l’URSS
accepte des élections panallemandes, que le SED perde le pouvoir et que
l’URSS se retire de RDA. La lutte pour la réunification allemande n’était
par conséquent pas un slogan de la propagande, mais une affaire tout à fait
sérieuse. Voyant les visages ébahis de ses interlocuteurs, Zaisser plaisanta
en s’adressant à Mielke : « Eh quoi, Erich, est-il inconcevable que tu sois
l’adjoint d’un autre ? » Selon d’autres témoins, Zaisser aurait dit : « Cela
veut dire que Zaisser et Mielke ne travailleront plus au ministère de la
Sécurité d’État. » À quoi Mielke aurait répondu : « Toi si mais moi
non{2801} ! » Un témoin rapporte son interprétation d’alors : « J’avais
l’impression à l’entendre que la guerre était imminente… et que l’Union
soviétique était prête à sacrifier la RDA en échange de la préservation de
la paix{2802} ». Zaisser avait formellement interdit à ses subordonnés de
mentionner cette réunion aux « amis » soviétiques. L’un d’entre eux n’en
eut cure et alla tout raconter à son « ami » : « Il me semble qu’il fut
consterné d’entendre cela{2803}. »
Lorsqu’elle fut découverte après la chute de Beria, cette affaire laissa
les enquêteurs d’Ulbricht perplexes :

À cette époque, en avril-mai 1952, nous avions une politique


exactement opposée, nous étions en train d’édifier notre armée
nationale, et il n’était absolument pas question de sacrifier la RDA ou
de faire des concessions, bien au contraire. […] Parler d’un
compromis impliquant l’abandon de la RDA à un moment où nous
étions en train de nous préparer à nous défendre – voilà quelque chose
que je n’arrive pas à comprendre,

s’étonnait le chef de la Commission de contrôle du SED,


H. Matern{2804}.
Zaisser n’avait sûrement pas agi de son propre chef en convoquant cette
réunion et Beria était derrière cette démarche. Quel était son but ? Voulait-
il inciter les communistes est-allemands à la prudence au moment où
Staline semblait décidé à soutenir leurs actions les plus agressives ?
Misait-il sur la fin imminente de Staline et préparait-il déjà le « nouveau
cours » ? Notons que peu auparavant les Américains avaient reçu une
lettre émanant d’un haut fonctionnaire du Parti communiste
tchécoslovaque, qui révélait le mécontentement ouvrier et la
déliquescence du Parti, annonçant une révolution de palais dans les six
mois et un renversement du pouvoir en place{2805}.
Les témoignages rassemblés par la Commission de contrôle du SED sur
les événements du printemps 1952 donnent l’impression que les dirigeants
est-allemands étaient convaincus que Staline s’était décidé à réaliser
l’unité allemande par la force des armes. Ils se préparaient à la guerre. Le
26 mai 1952, le jour de la signature des traités de Bonn, la RDA lança
l’opération « Vermine » : elle créa une bande fermée de 5 km de large, le
long de la ligne de démarcation avec la RFA, et une vague de terreur
s’abattit sur la population frontalière. Les coups d’épingles dans les accès
à Berlin se multiplièrent : le nombre de passages autorisés fut réduit de
227 à 100 et les communications téléphoniques furent
interrompues{2806}. Un avion d’Air France fut criblé de balles par deux
Mig. Le 8 juillet, le MGB kidnappa Walter Linse, le dirigeant de la section
économique du Comité des juristes libres{2807}.
Parallèlement, la communisation s’accéléra, cette fois en jetant le
masque. Le 30 mai, le SED adopta le slogan « En avant vers le
socialisme ». Ulbricht proclama que la jeunesse devait « apprendre à
défendre la patrie les armes à la main{2808} ». Le 8 juillet, Moscou
approuva la politique de « construction accélérée du socialisme en RDA ».
Quelques jours plus tard, lors de la 2e Conférence du SED, Ulbricht
proclama le début de la construction du socialisme et l’aggravation de la
lutte des classes, à la grande surprise de l’assistance{2809}. Cette
politique devait se traduire par une augmentation de la productivité et un
abaissement des coûts de production, une campagne de collectivisation des
terres visant à parquer les paysans dans les LPG – Landwirtschaftliche
Produktionsgenossenschaften, « coopératives agricoles de production ».
C’était une offensive en règle contre la paysannerie et les classes
moyennes. L’enseignement religieux était interdit dès les écoles et des
prêtres furent incarcérés, d’autres exilés. Le « rôle dirigeant du Parti » fut
imposé dans les écoles et les universités ravagées par les purges. En art, le
réalisme socialiste triompha, avec le culte du grand Staline. La CDU est-
allemande, ou ce qui en restait, fut soumise à des persécutions accrues.
Ces décisions furent présentées par la propagande comme un important
pas en avant vers la réunification. Pour Herrnstadt, elles signifiaient que la
question allemande « serait résolue par les baïonnettes de l’Armée rouge.
[…] La perspective d’une réunification pacifique s’effaçait derrière celle
d’une confrontation armée{2810}. »
Le résultat de cette politique ne tarda pas à se faire sentir. À l’automne,
la crise du SED était déjà visible. Le coût de l’armement exigé par Staline
était de 2 milliards de DM – soit 10 % du PNB. Les impôts augmentèrent,
la couverture sociale diminua et la classe moyenne fut privée de cartes
d’alimentation. Des restrictions à la circulation entre les deux Allemagnes
furent imposées sous couleur de lutter contre l’infiltration d’espions. À
cela s’ajoutèrent des mesures économiques répressives de type
soviétique : le 2 octobre fut adoptée une loi sur la protection de la
propriété socialiste qui punissait d’un an de prison la moindre infraction –
y compris les retards dans les livraisons obligatoires à l’État et le
paiement des impôts – ; en novembre, des mesures antispéculation
complétèrent le dispositif. Et, en décembre, le commerce privé entre
secteur occidental et oriental de Berlin fut interdit. À l’automne 1952,
Semionov conseilla à Ulbricht de freiner sa course vers le
socialisme{2811}. Convoqué à Moscou et semoncé par Staline, il retourna
sa veste et aiguillonna la meute à son retour. Herrnstadt le lui rappellera
cruellement dans une lettre en 1962 :

Durant l’hiver 1952-1953, vous étiez en proie à une psychose.


Rappelez-vous avec quelle obstination vous exigiez de moi et
d’autres camarades allemands des documents compromettants à
l’égard de Gerhard Eisler, comme vous étiez mécontent lorsque je ne
pouvais rien vous donner, comme vous me disiez : « Comment les
services américains auraient-ils négligé un parti aussi important que
le Parti communiste allemand, eux qui ont infiltré des agents dans les
partis bulgare ou hongrois ? Cela n’est pas vraisemblable ! »{2812}.

Et de fait, Eisler, ce communiste allemand expulsé des États-Unis pour


espionnage en faveur de l’URSS, devenu chef du service d’information du
Conseil des ministres de RDA, fut arrêté le 18 janvier 1953, accusé de
liens avec Noel Field.
Ulbricht multiplia les répressions et le SED s’en prit au résidu des partis
« bourgeois » accusés de ne pas jouer leur rôle de courroie de
transmission. À la mi-décembre, le ministre du commerce K. Hamann,
vice-président du LDPD, fut arrêté, puis ce fut le tour de Georg Dertinger,
ministre des Affaires étrangères (CDU). Le procès Slansky était donné en
exemple. Paul Merker, en disgrâce depuis août 1950 sous prétexte qu’il ne
bénéficiait pas de la confiance des Soviétiques{2813}, fut exclu du SED et
incarcéré le 20 décembre, accusé d’être « un instrument de l’oligarchie
financière américaine ». En réalité, les dirigeants du SED lui reprochaient
d’avoir rédigé en 1942, alors qu’il se trouvait au Mexique, un article
intitulé « L’antisémitisme de Hitler et nous », dans lequel il soulignait la
responsabilité morale des Allemands devant les Juifs et plaidait pour
l’émigration juive en Palestine. Bien qu’il ne fût pas juif, Merker pouvait
idéalement remplir le rôle de « Slansky allemand{2814} ». Les préparatifs
en vue d’un grand procès remontaient en fait à 1949 et trois cents
Allemands de l’Est qui avaient été en contact avec Noel Field furent
arrêtés et torturés{2815}.
L’Association des victimes du régime nazi fut supprimée et, en quelques
semaines, la moitié des Juifs est-allemands passa à l’Ouest. Dahlem,
Eisler et d’autres communistes est-allemands ayant des relations avec des
Occidentaux devaient, eux aussi, se trouver sur le banc des accusés. Le
28 décembre, Leo Bauer, le rédacteur en chef de la radio allemande, fut
condamné à mort puis déporté en URSS. En janvier 1953, Neues
Deutschland évoqua un complot sioniste international et les récipiendaires
de l’aide du Joint furent fichés{2816}. La rumeur circulait même que
Grotewohl allait être arrêté d’un jour à l’autre. Herrnstadt craignait le pire,
depuis qu’en février la Commission de contrôle avait commencé à faire
une enquête sur lui, lui reprochant d’avoir autrefois servi de contact entre
Toukhatchevski et von Seeckt.
L’exode vers la RFA devint massif, de l’ordre de 15 000 à 23 000
personnes par mois. Même les Vopos et les membres du SED choisissaient
l’Ouest. Fin décembre, Ulbricht fut obligé de demander à Staline des
livraisons supplémentaires. La RDA était au bord de l’insurrection. Au
sein du SED, les tensions montaient. En 1952, 150 000 membres furent
expulsés du Parti{2817}. La fraction anti-Ulbricht, autour de Zaisser et
Herrnstadt, s’élargit avec Heinrich Rau, le responsable de la planification,
Anton Ackermann, le responsable des Affaires étrangères, Hans
Jendretzky, le chef de l’organisation du Parti de Berlin. Dès avant la mort
de Staline, le MGB envoya des officiers enquêter sur place, y compris
dans les provinces{2818}, et bombarda le Présidium de rapports sur la
situation alarmante en RDA{2819}. Mais Ulbricht n’en avait cure et
s’appuyait sur le rival de Semionov, l’ambassadeur G. M. Pouchkine,
partisan de la ligne dure, qui l’avait informé que le MGB, soutien de
Semionov, avait de gros ennuis à Moscou{2820}. Ackermann fut démis de
ses fonctions de chef du renseignement extérieur et Ulbricht le remplaça,
avant de céder ce poste à Zaisser au printemps 1953{2821}.
Ulbricht continua à appliquer scrupuleusement les directives
staliniennes. Le 15 janvier 1953, le SED lança une campagne pour
l’augmentation des normes. Avec l’appui de Honecker, Ulbricht créa à
l’insu du Politburo l’organisation paramilitaire Dienst für Deutschland et
Pieck fut horrifié quand il en visita l’un des camps{2822}. Le 19 février, il
mit sur pied un « secrétariat d’État de l’Intérieur » – en fait un ministère
de la Défense camouflé. On annonça l’introduction du service militaire
obligatoire, qui sera abandonné après la mort de Staline. Mais l’économie
du pays succombait et, début février, Ulbricht aux abois demanda un crédit
à l’URSS. Un climat de guerre civile régnait dans le pays et Zaisser se
sentit obligé de renforcer la protection des dirigeants du Parti de manière
draconienne. Comme en URSS, on avait l’impression que les choses ne
pouvaient plus durer, que le vent de folie devait cesser ou causer une
catastrophe.
Le cas est-allemand éclaire mieux que tout autre exemple le
gauchissement de Staline à la fin de sa vie et les mesures de préparation à
la confrontation armée qu’il multiplia durant les derniers mois, au risque
de déstabiliser son empire tant l’effort qu’il exigeait de ses vassaux était
extrême. Mais sous les outrances imposées par le dictateur vieillissant se
dessinait, en mineure, une autre politique. Staline mourut avant d’avoir
achevé d’extirper, en RDA et en URSS, les hommes sur lesquels reposait
cette autre ligne, longtemps tolérée par lui, mais qui finit par lui sembler
insupportablement subversive.

Dans l’attente du dénouement.


Les témoignages concordent : l’ambiance de la fin du règne était
apocalyptique, comme en témoigne Arkadi Vaksberg : « Une atmosphère
terrifiante régnait ; on s’attendait à des catastrophes encore plus
effroyables que toutes celles qu’on avait connues auparavant{2823}. » Le
lieutenant N. N. Ostrooumov, directeur adjoint du Département
opérationnel de l’armée de l’Air, se rappelle : « L’opinion et le pays
étaient préparés graduellement à la guerre{2824}. » Valentin Faline, un
fonctionnaire du Comité d’information qui deviendra l’expert du Comité
central pour l’Allemagne et l’Europe, écrira plus tard :
Un jour les documents nous apprendront peut-être à quel point la
création d’un potentiel de frappe préventive soviétique était avancée.
En me fondant sur ce que j’ai pu entendre, je ne dirai qu’une chose :
le dictateur est mort à temps{2825}.

En Occident on ne savait trop que penser. Le rapport préparé par un


comité franco-anglo-américain en vue du Conseil de l’Atlantique Nord de
décembre 1952 concluait que le gouvernement soviétique « poursuivrait sa
politique étrangère actuelle » et qu’il souhaitait éviter une guerre générale.
Cependant, le 16 décembre 1952, Acheson déclara : « Nous ne pouvons
dire à l’heure actuelle si nous nous préparons pour une longue guerre
froide ou une courte guerre chaude{2826}. » En février 1953, Bidault et
Eden constatèrent qu’aucun préparatif militaire nouveau n’avait été décelé
à l’Est{2827}. Les Européens s’inquiétaient des effets de la rhétorique
d’Eisenhower – la dénonciation des accords secrets de 1945 –, de
l’inclusion de la Yougoslavie dans le système occidental{2828}.
L’affaire des « blouses blanches » fut d’abord interprétée comme
l’indice d’une volonté de rapprochement avec les Arabes et peut-être d’un
flirt avec les nationalistes allemands. Les Américains, informés par les
anciens kominterniens Borkenau et Klaus Mehner, estimèrent que cette
affaire menaçait Beria{2829}. L’analogie entre l’hitlérisme et le
stalinisme fut abondamment commentée par les médias.
Mais, même pendant ces jours dramatiques, les proches de Staline
continuaient avec discrétion leur diplomatie parallèle. Ici et là, des
envoyés soviétiques dédramatisaient la situation en laissant entendre que
des changements étaient imminents. Zaroubine confia à Bonnet que la
question des prisonniers en Corée pouvait être réglée et que « des
événements importants marqueraient l’année 1953 » : « De ces
conversations ou de ces indications se dégage l’impression que l’URSS
essaie de nous tenir en haleine. Attendez un peu de temps, nous dit-elle, et
vous apprendrez des choses extraordinaires{2830}. » À son retour du
congrès de Vienne en décembre 1952, le chancelier Figl déclara au
ministre des Affaires étrangères belge Van Zeeland que

les dix-huit mois qui viennent vont être décisifs. Si la guerre n’a pas
été déclarée par les Russes d’ici là, ces derniers se verront obligés
d’accepter la négociation avec l’Ouest. […] La politique extérieure
soviétique semble s’être donné actuellement pour mission de
maintenir en l’état tous les problèmes aigus qui se posent depuis
l’Atlantique jusqu’au Pacifique{2831}.

L’ambassadeur d’Iran Arasteh était aussi d’avis que les Soviétiques


« veulent les régler tous en même temps{2832} ». Lors de la réception du
Nouvel An, le maréchal Tchouïkov déclara à Samuel Reber, l’adjoint du
haut commandant américain en Allemagne, que des changements
importants de la politique soviétique en Europe auraient lieu dans les mois
à venir{2833}. Churchill aussi semblait avoir eu vent de bouleversements
imminents ; ainsi, lorsque le 7 janvier 1953, Eisenhower qui venait d’être
élu, lui confia qu’il envisageait de rencontrer Staline à Stockholm et lui
demanda son avis, le Premier ministre anglais lui conseilla de ne pas se
presser et surtout d’éviter de mentionner ce projet dans son discours
inaugural. Cette attitude de Churchill surprit fort les diplomates du State
Department qui se souvenaient à quel point Churchill s’était entiché de
l’idée d’un nouveau sommet des trois grands depuis quelques années déjà.
Eisenhower suivit le conseil de Churchill{2834}. Le 1er février 1953,
News, la revue soviétique en langue anglaise créée en juillet 1951, publia
un éditorial indiquant que « tout désaccord peut être réglé par des voies
pacifiques […] si les deux parties montrent un désir sincère d’y
parvenir ». C’était déjà le thème que développeraient les successeurs de
Staline au printemps 1953.
Ainsi le sentiment de changements imminents était répandu en URSS au
début de l’année 1953. La population soviétique s’attendait au pire. Dans
les cercles proches du pouvoir, on sentait que la dictature stalinienne
touchait à sa fin et on se préparait à l’après-Staline.

24

La dernière année
Le complot des « blouses blanches »

Les témoignages qui se multiplient depuis la fin du communisme


permettent de donner quelque idée de l’ambiance régnant au Kremlin
durant les derniers mois de la vie de Staline. D’un côté, le dictateur
s’accrochait aux rênes du pouvoir, malgré sa santé chancelante et
l’impatience des héritiers. La guerre entre Staline et ses proches prit des
formes tantôt mesquines tantôt lourdes de menaces. Sous prétexte de faire
des économies, Staline réduisit des deux tiers la garde et le personnel du
gouvernement. Il fit passer le traitement des membres du Politburo de
25 000 à 8 000 roubles. Pingre à l’égard de ses proches, il dépensait sans
compter dans d’autres domaines. En 1949 fut proclamé en fanfare le
« plan stalinien de transformation de la nature » qui prévoyait la
construction de grands ouvrages hydrauliques, la formation d’une mer
intérieure en Sibérie occidentale et la mise en valeur de régions
désertiques par la création de vastes bandes forestières dans le sud du pays
pour arrêter les vents secs. Staline était de plus en plus déconnecté du réel
et multipliait les initiatives délirantes : il ordonna de baisser le prix des
voitures à 3 000 roubles pour qu’elles soient à la portée de tous les
Soviétiques{2835}, ou encore de rattraper les Américains dans la
production d’hélicoptères{2836}. Aux abois, les responsables de
l’économie ne savaient qu’inventer pour neutraliser les caprices du Guide.
De leur côté, Beria et Malenkov se livraient à une véritable guerre
psychologique contre le vieillard, attisant sa paranoïa de manière
systématique. Beria jouait sa survie et devait prouver à Staline qu’il lui
était indispensable et que seuls ses réseaux personnels permettaient de
déjouer des tentatives d’attentat qui sinon auraient eu toutes chances de
réussir. « Habilement, il était devenu le principal informateur du camarade
Staline », se souviendra Mikoïan{2837}. Le deuxième objectif de cette
campagne était de discréditer la garde rapprochée de Staline afin qu’il se
débarrassât de son dernier carré de fidèles. Enfin, la haine de Beria contre
Staline était si intense qu’il poussait délibérément le vieil homme vers la
folie pour commencer à saper le prestige qui continuait de l’auréoler.
Beria entama la déstalinisation du vivant de Staline.
De nombreux témoignages convergents, dont ceux des gardes du corps
de Staline, permettent de se faire une idée de l’état du vieux dictateur
durant cette dernière période et du harcèlement quotidien auquel il était
soumis. Citons Khrouchtchev par exemple :

La maladie et les années avaient affaibli ses capacités. Son esprit


n’était plus comme avant, il ressemblait au soleil de Leningrad, qui
jette parfois un rayon avant de sombrer à nouveau dans les ténèbres.
[…] Il était devenu influençable. Cela s’explique par l’hypertension
grave dont il était atteint. Cette maladie rend les gens irritables et
soupçonneux. Beria le savait et il se mit à utiliser la maladie de
Staline à ses fins de subversion{2838}.

Beria l’entretenait de conspirations fantastiques et de projets d’attentat


incessants{2839}, lui déconseillant d’emprunter telle route pour aller dans
le Midi car un complot venait d’être découvert ; il laissait entendre que la
paralysie de Maurice Thorez, l’accident de voiture de Togliatti ou les
maladies de Dimitrov et de Dolorès Ibarruri n’étaient pas un hasard.
Lorsqu’en 1951 un paquebot soviétique prit feu au large de la Crimée et
qu’un militaire chinois se trouva parmi les victimes, Beria s’empressa de
convaincre Staline qu’il s’agissait d’un complot de la CIA pour brouiller
Mao avec l’URSS ; et Abakoumov osa à peine remettre à Staline les
conclusions de l’enquête, qui établissaient que l’opérateur de cinéma du
bord avait mis le feu en laissant tomber une cigarette sur les
pellicules{2840}.

Beria ne cessait de terroriser Staline avec des rumeurs inventées de


toutes pièces sur les attentats qui se préparaient contre lui. […] Les
gardes de Staline disaient que Beria s’efforçait toujours de partir le
dernier pour annoncer à Staline des nouvelles qui l’empêchaient de
dormir{2841}.

A. T. Rybine, un garde du corps de Staline, se souvenait :

Beria était ouvertement effronté. […] Il saisissait tous les prétextes


pour énerver Staline. Il ne reculait pas devant les provocations. Il
visitait les datchas de Staline en son absence soi-disant pour contrôler
la vigilance des gardes. […] Et qui d’autre que lui aurait pu nous
téléphoner sur la ligne du Kremlin pour nous avertir qu’une mine se
trouvait dans le divan de Staline{2842} ?

Il est même probable que Beria fabriquait de quoi effrayer le vieillard :


Des télégrammes bizarres venaient de l’étranger qui annonçaient soi-
disant des attentats contre Staline. […] Ces télégrammes venaient de
divers pays, y compris de pays socialistes. Ils devinrent
particulièrement fréquents un ou deux ans avant la mort de
Staline{2843}.

Par exemple, une lettre anonyme était arrivée d’Italie pour avertir
Staline qu’une mine magnétique était placée dans sa voiture{2844}.
Malenkov, qui dès avant la chute d’Abakoumov signalait à Staline les
violations de la frontière soviétique et la capture d’agents étrangers,
adressait à Staline des rapports sur ces télégrammes. C’est sans doute dans
ce contexte qu’on peut comprendre la curieuse affaire Varfolomeev, un
prétendu agent américain arrêté par les Chinois le 25 décembre 1950 et
livré aux Soviétiques. L’enquête fut confiée à Rioumine qui semble s’être
surpassé à cette occasion. Varfolomeev avoua que les Américains
s’apprêtaient à détruire le Kremlin en tirant cinq missiles des fenêtres de
l’ambassade, puis l’Amérique déclarerait la guerre à l’URSS. En février
1952 devait se tenir le procès public de Varfolomeev afin de démasquer
Truman comme « fauteur de guerre ». Ignatiev remit à Staline un
mémorandum sur cette affaire en avril 1952{2845}. En mai 1953, l’un des
enquêteurs déclarera aux officiers du MVD qui enquêtaient à leur tour sur
cette affaire :

C’est seulement maintenant que je prends la mesure de la provocation


dans laquelle m’entraînaient Ignatiev et Rioumine, je comprends
quelles graves conséquences aurait eu pour le prestige de notre pays
un procès de Varfolomeev s’il avait eu lieu.

Varfolomeev fut exécuté en septembre 1953.


Ce conditionnement systématique exacerba la paranoïa de Staline au
point qu’il lui arrivait de sortir de la salle où siégeait le Politburo et
d’écouter aux portes. Il ne buvait pas de vin sans l’avoir fait goûter au
préalable par Mikoïan et Beria{2846}. L’espionnite faisait rage dans tout
le pays : sous Ignatiev, le MGB disposait d’environ dix millions de
mouchards{2847}. Et la tactique de Beria commença à porter ses fruits
puisque dans les hautes sphères du Parti on en vint à se demander si
Staline n’avait pas perdu l’esprit. Chepilov se souvient :

Au moment de la stupéfiante affaire des médecins, les doutes affreux


sur la santé mentale de Staline [apparus après le XIXe Congrès]
refoulés à l’époque me revinrent des profondeurs de la conscience.
[…] Staline était convaincu qu’il n’y avait autour de lui que
complots, intrigues, préparation d’attentats, et la bande de Beria ne
cessait d’attiser ces dispositions{2848}.

Les non-initiés avaient l’impression que les hommes du Politburo


avaient mis Staline sur la touche, comme l’affirmait Rybine dans ses
Mémoires : Beria, Malenkov, Khrouchtchev, Kaganovitch et Boulganine
« étaient toujours plus solidaires et s’emparèrent de tous les leviers de
l’État. Lorsqu’ils eurent pratiquement évincé Staline de la direction du
pays, ils s’en prirent à ses derniers appuis, Poskrebychev et
Vlassik{2849} ». La presse étrangère spécula, début 1952, sur une
prétendue mise à l’écart de Staline par ses proches{2850}. Elle nota que
Staline était absent à la session du Soviet suprême du 11 mars 1952, fait
sans précédent depuis 1946 (Staline fera une apparition le 29 mars). Ces
rumeurs sur une maladie de Staline venaient d’en haut, puisque le
personnel soviétique du corps diplomatique, entièrement contrôlé par le
MGB, contribuait activement à les répandre{2851}. Sans convaincre du
reste les diplomates qui avaient rencontré Staline en 1952 et qui étaient
impressionnés par « son excellente santé, son activité intacte, sa lucidité
d’esprit, son étonnante mémoire{2852} ».
En réalité, Staline restait le maître et ses lieutenants avaient renoncé à
l’influencer dans les questions de gouvernement. Mikoïan raconte que,
lorsqu’il essayait d’attirer l’attention de Staline sur la pénurie qui régnait
dans le pays, Beria et Malenkov lui marchaient sur le pied sous la table
pour lui faire comprendre qu’il devait se taire. « À quoi bon ? lui disaient-
ils. Cela ne fait que l’irriter. Il va s’en prendre à l’un puis à l’autre. Il faut
lui dire ce qu’il veut entendre, faire croire que tout va bien et ne pas
gâcher le dîner. » Mikoïan finit par se rendre à leurs raisons{2853}.
Khrouchtchev dit la vérité lorsqu’il affirme que « Staline gouvernait seul,
court-circuitant le Comité central et c’est tout juste si le Politburo avait
une autre utilité que celle d’apposer son tampon sous les décisions du
Guide{2854} ». Le garde du corps Lozgatchev surprit un jour une scène
étonnante : Beria, Malenkov, Khrouchtchev et Boulganine, debout en rang
devant Staline, la bedaine en avant, en train de subir une verte semonce du
vieux dictateur exaspéré. Après leur départ, Staline dit à Lozgatchev : « Je
leur dis de faire une chose, ils font le contraire. Il faut bien que je leur
passe un savon{2855}. »
Staline ne s’intéressait plus guère aux affaires courantes et il
abandonnait l’administration du pays à ses proches. Durant sa dernière
année, il eut deux préoccupations prioritaires : le souci de figer l’idéologie
marxiste-léniniste dans sa variante la plus gauchiste et celui de retremper
la Sécurité d’État de manière à en faire un instrument décisif dans ce qu’il
considérait comme le dernier combat de son règne. La Sécurité d’État
occupa ses ultimes pensées.

Le complot des « blouses blanches ».


L’affaire des « blouses blanches » se déroula en plusieurs étapes à
mettre en parallèle avec l’affaire Abakoumov et l’affaire mingrélienne. De
toutes les affaires montées par Staline, celle des « blouses blanches »
semble celle dont le cours a été le plus marqué par des retournements
imprévisibles, des éclipses, des cheminements souterrains et des
résurgences subites. Elle est le fruit d’une rencontre entre un projet
rationnel de Staline et une politique de plus en plus inspirée par des
fantasmes paranoïaques de vieillard. Le dictateur se méfiait plus que
jamais de son entourage, mais il en était aussi dépendant comme il ne
l’avait jamais été, et manipulable par ceux-là même dont il tramait la
perte.
Staline nourrissait depuis longtemps des soupçons sur les médecins.
Efim Smirnov, ex-ministre de la Santé de l’URSS, a témoigné qu’il avait
rendu visite à Staline à Sotchi en décembre 1949, peu après la mort de
Dimitrov. Au cours d’une promenade bucolique, Staline lui demanda
soudain qui avait soigné Jdanov et Dimitrov. Smirnov s’étant souvenu que
c’était le même médecin, Staline avait laissé tomber : « N’est-ce pas
bizarre ? Le même médecin les soigne et ils meurent tous les
deux{2856}. » Staline arrivait à un âge où la mort naturelle était plus
probable et donc plus redoutable que le risque d’un assassinat.
L’intérêt renouvelé manifesté par le vieux dictateur pour la mort de
Jdanov n’était pas de bon augure pour Beria et Malenkov, les principaux
bénéficiaires de la disparition de Jdanov. Celle-ci pouvait effectivement
sembler suspecte, vu la grossière erreur de diagnostic des médecins du
Kremlin{2857}. On peut toutefois douter que l’organisme de Jdanov, miné
par l’alcoolisme, ait résisté guère plus longtemps si sa maladie avait été
bien diagnostiquée. Sa mort suscita des rumeurs dès 1948. Ainsi,
P. N. Koubatkine, le chef du MGB de Leningrad, confia à l’un de ses
proches que Jdanov avait été liquidé par des agents de Beria{2858}. Ces
rumeurs étaient parvenues aux oreilles du corps diplomatique : « Staline et
son entourage se sont toujours vivement intéressés aux résultats que peut
provoquer dans un organisme malade l’interruption de certains soins
médicaux ou la privation de certains médicaments », notait un diplomate
français{2859}.
On s’en souvient, le 29 août 1948, deux jours avant la mort de Jdanov,
un agent du MGB travaillant à la clinique du Kremlin, la doctoresse Lydia
Timachouk, avait adressé une lettre à Vlassik où elle accusait les médecins
du Kremlin P. I. Egorov et V. N. Vinogradov de sous-estimer la gravité de
la maladie de Jdanov : ils n’avaient pas décelé l’infarctus diagnostiqué par
elle le 27 août. Timachouk fut réprimandée par Egorov, le chef des
médecins du Kremlin, et renvoyée de la clinique du Kremlin. Et, à en
croire Timachouk, Egorov exigea que les résultats de l’autopsie soient
rédigés en termes nébuleux afin que l’erreur n’apparaisse pas. Abakoumov
adressa sur cette affaire un rapport à Staline qui l’annota : « À archiver. »
Or, l’historien Jonathan Brent, qui a passé au crible les documents
concernant la maladie de Jdanov, estime qu’à partir du 7 août, jour de la
publication dans la Pravda de la lettre de repentance de Youri Jdanov qui
s’était attaqué à Lyssenko, provoquant la fureur de Staline, les médecins
qui soignaient Jdanov père se mirent à négliger leur malade, ayant compris
que Staline ne souhaitait pas sa guérison{2860}.
L’affaire Abakoumov gravitait dès le début autour d’un « complot des
médecins ». Cependant, après la chute d’Abakoumov, l’enquête sur les
médecins fut d’abord menée avec mollesse. Le 16 juillet 1951, un premier
médecin, S. E. Karpaï, qui avait fait un électrocardiogramme à Jdanov peu
avant sa mort, fut arrêtée et accusée de terrorisme. Le lendemain, le MGB
reçut une délation qui visait Egorov, insinuant qu’il cachait tous les
documents ayant trait à la mort de Jdanov. En août, Timachouk fut invitée
à faire une déposition au MGB{2861}.
L’affaire prit un nouvel élan en octobre quand, après une verte semonce
de Staline, Ignatiev créa un groupe composé de Goglidzé, Ogoltsov et
Pitovranov qu’il chargea d’enquêter sur les médecins. Staline exigeait que
les liens des médecins avec les services occidentaux fussent documentés
par des preuves. Les résultats de cette enquête furent si maigres qu’en
novembre Staline, hors de lui, convoqua Ignatiev et le couvrit
d’amabilités : « Les tchékistes ne voient rien sous leur nez. Ce sont des
benêts qui refusent d’exécuter les directives du Comité central{2862}. »
Puis il passa aux menaces : « S’il ne démasquait pas les terroristes, les
agents américains parmi les médecins, il irait rejoindre Abakoumov. »
Staline martelait : « Je ne viens pas en solliciteur auprès du MGB ! Je
peux exiger, je peux vous casser la gueule si vous n’exécutez pas mes
ordres. Nous vous briserons l’échine{2863} ! » En novembre
V. I. Maslennikov, un subordonné de Vlassik, remit à Staline une liste des
morts suspectes parmi les hauts dignitaires du Parti : outre Chtcherbakov
et Jdanov, on y trouvait Dimitrov et Andreev, sans oublier Maurice Thorez.
Cette note était une première salve contre Vlassik qui, selon le témoignage
de sa fille{2864}, avait été chargé de faire un rapport sur les médecins du
Kremlin et n’avait rien décelé de suspect. Pareil manque de vigilance ne
pouvait que le perdre aux yeux de Staline.
En janvier 1952, le professeur Vinogradov examina Staline, le trouva en
mauvaise santé et lui recommanda le repos. Pour Staline, il n’y eut plus de
doute : les médecins étaient de mèche avec ceux qui voulaient l’écarter du
pouvoir ; et d’ailleurs, à partir d’avril, il ne consulta plus personne. En
février, le MGB établit que Vinogradov soignait à la fois Jdanov et
Chtcherbakov. La reprise de l’enquête coïncida avec le retour de Goglidzé
d’Ouzbekistan et à son poste de vice-ministre de la Sécurité : indice que
Beria se servait du « complot des médecins » pour occuper Staline et le
détourner de l’affaire mingrélienne. Les arrestations de médecins juifs
commencèrent. Le 13 février, Staline fit adopter une résolution obligeant
Ignatiev à proposer des mesures pour l’amélioration de l’activité de
l’appareil du MGB en matière d’instruction des affaires{2865}. Il suivait
l’affaire des médecins et se faisait remettre les procès-verbaux des
interrogatoires, sans les soumettre au Politburo. Il donna ordre à Ignatiev
de ne rien effacer ou censurer des aveux extorqués aux inculpés, si
énormes fussent-ils : en clair, il ne devait y avoir aucun tabou, même les
membres du Politburo pouvaient être mis nommément en cause{2866}.
Une fois de plus, Staline fut déçu des progrès de l’enquête. En avril
1952, Ignatiev lui indiqua que les interrogatoires de Karpaï n’avaient rien
donné. Rioumine en profita pour obtenir que l’instruction de l’affaire
Abakoumov, confiée au Parquet, soit transmise au MGB{2867}, et se fit
fort d’étayer la thèse d’un lien entre Abakoumov et les médecins
comploteurs. Le 9 avril, Likhatchev affirma qu’Etinger avait avoué à
Abakoumov qu’il avait voulu abréger la vie de Chtcherbakov qu’il
haïssait{2868}.
Durant toute cette période, les deux affaires – celle des médecins et
celle des « nationalistes mingréliens » – semblent en concurrence.
Cependant, vers l’été 1952, le complot des « blouses blanches » l’emporta
sur l’« affaire mingrélienne » dans les priorités de Staline. Une
commission médicale procéda à une autopsie du cœur de Chtcherbakov
conservé dans le formol selon les usages du Kremlin, et conclut que le
traitement prescrit était « criminel{2869} ». Mais là encore des courants
contraires se manifestaient : le Parquet du MGB décréta, le 10 juillet, que
les conclusions de la commission étaient discutables et qu’elle avait été
partiale dans son expertise. Pire encore, l’un des membres de l’équipe de
Rioumine révéla à son supérieur des falsifications dans les aveux de l’un
des médecins. Rioumine refusa de donner suite à cette affaire, de crainte
« de faire perdre l’envie de travailler » à ses subordonnés{2870}.
Staline mit la pression et, cette année-là, il ne partit pas en vacances. Il
était suspendu à l’affaire des médecins et à celle d’Abakoumov. Il
fulminait contre Ignatiev qui, inquiet pour son avenir, ne cessait
d’informer Malenkov derrière son dos, et contre Rioumine qui ne menait
pas l’enquête sur les médecins avec assez d’énergie et n’arrivait pas à
remonter les fils du complot.
Le 11 juillet 1952, une instruction secrète du Comité central chargea le
MGB de « démasquer le groupe de médecins qui projettent d’attenter à la
vie des dirigeants du Parti et de l’État{2871} ». Du coup, le 23 juillet,
Ogoltsov fit parvenir au Politburo une note sur les « médecins
conspirateurs{2872} ». Et, le 11 août, la cardiologue Timachouk fut
convoquée au MGB et l’exhumation de sa lettre propulsa le complot des
« blouses blanches » dans une phase nouvelle : les noms de Molotov,
Mikoïan et Beria étaient désormais tapés à la machine dans les dossiers
d’instruction du MGB, ce qui signifiait que la décision de leur arrestation
avait été prise en haut lieu. En effet, tant que cette décision n’avait pas été
prise, le nom du dirigeant était écrit à la main par le ministre dans le texte
dactylographié des dépositions qui le mettaient en cause{2873}.
Appuyé par Malenkov, Beria contre-attaqua avec énergie et fit dévier
l’affaire de manière à dégarnir les flancs de son adversaire. La lettre de
Timachouk allait servir à « enfoncer » Vlassik, déjà exilé dans l’Oural, et
Poskrebychev, accusés de ne pas avoir donné suite à la délation de
Timachouk et, dans le cas de Vlassik, de couvrir les médecins du Kremlin.
Et de fait, Vlassik était lié d’amitié avec le professeur Egorov et lorsqu’il
avait reçu la lettre de Timachouk il la lui avait montrée, entraînant le
blâme de la cardiologue et son limogeage{2874}.
Ignatiev se trouvait partagé entre son allégeance à Malenkov et sa
subordination à Staline qui s’impatientait, sentant que le chef du MGB
obéissait à plusieurs maîtres. N’avait-il pas, le 29 janvier 1952, proposé de
liquider tous les dossiers concernant les secrétaires du Comité central, les
responsables de départements du Comité central, les dirigeants du Parti
dans les républiques, les territoires et les régions, les présidents du Conseil
des ministres et des Soviets dans les républiques, et les ministres, sauf
ceux qui demandaient une vérification plus complète et devaient être
placés dans un fonds spécial ? N’avait-il pas suggéré aussi d’interdire le
recrutement d’agents au sein du Parti et des Soviets ? Selon Ignatiev,
c’était au premier secrétaire du Parti, à tous les niveaux, de prendre
connaissance des éléments compromettants sur les fonctionnaires du Parti
et de l’État qui lui étaient subordonnés. Dans une note à Malenkov,
Ignatiev écrivait :

Dans les archives de certaines sections du MVD, il y a des dossiers


sur des personnes qui exercent aujourd’hui des fonctions importantes
dans l’appareil du Parti et de l’État. Ces dossiers consistent
essentiellement en témoignages émanant d’accusés en 1937-1938, en
dénonciations anonymes et en d’autres éléments difficiles à vérifier.
On trouve des dossiers constitués par les anciennes sections
économiques du NKVD, dans lesquels les échecs d’honnêtes
spécialistes soviétiques étaient présentés par les agents comme des
actes de sabotage, ce qui n’a jamais été prouvé par la suite{2875}.

La proposition d’Ignatiev visant à mettre les hauts responsables du Parti


et du gouvernement à l’abri des persécutions des organes et à enterrer les
dossiers compromettants ne pouvait que déplaire à Staline et le confirmer
dans ses soupçons que le chef du MGB faisait le jeu du Politburo.
De plus en plus irrité, le dictateur aiguillonnait le chef du MGB ; il le
traitait, lui et ses subordonnés, de « troupeau d’hippopotames{2876} » et
insistait pour que les détenus fussent enchaînés. Menaçant, il laissa
entendre que Rioumine pourrait prendre sa place à la tête de la Sécurité
d’État. Comme Ignatiev l’écrira dans une note à Beria en mars 1953,
Staline lui déclara fin août 1952 :

Les tchékistes ont oublié leur métier, ils ont pris de la bedaine, ils ont
oublié les traditions de Dzerjinski… Je ne cesse de vous répéter que
Rioumine est un honnête homme, un communiste qui aide le Comité
central à démasquer les crimes graves du MGB, mais le pauvre ne
trouve chez vous aucun soutien parce que je l’ai nommé contre vos
avis. Rioumine est très bien, je veux que vous écoutiez ses conseils et
que vous collaboriez. Souvenez-vous que je n’ai aucune confiance
dans les vieux cadres du MGB{2877}.

En septembre 1952, Shwartzman fit des dépositions impliquant


Kaganovitch, Khrouchtchev, Merkoulov, B. Koboulov et Mamoulov. Il
« avoua » avoir préparé un attentat contre Malenkov, de mèche avec
Abakoumov{2878}. Au même moment, le Politburo fut informé des
causes de la mort de Jdanov.
Recevant Zhou Enlai le 19 septembre, Staline lui dit, révélant ses
préoccupations du moment :

Il faut se souvenir que les Américains et les Anglais vont essayer


d’infiltrer leurs agents dans l’appareil de l’État chinois. Que ce soit
des Américains ou des Français, peu importe. Ils vont s’efforcer de
mener une action subversive, de pourrir de l’intérieur, et ils peuvent
même aller jusqu’à l’empoisonnement{2879}.

Staline voulait ameuter l’élite du Kremlin contre les « médecins


empoisonneurs », mais le chorus attendu ne se produisit pas : « Konev est
le seul de nos militaires qui ait réagi aux “documents” envoyés par Staline
à propos de l’affaire des blouses blanches », se rappela
Khrouchtchev{2880}.

Konev en réponse envoya une lettre dans laquelle il se solidarisait


avec les faux envoyés par Staline. Il invoquait l’exemple de sa
personne pour renforcer Staline dans sa conviction que l’arrestation
des médecins était justifiée ; il écrivait qu’à lui aussi on avait prescrit
un traitement erroné. […] La lettre de Konev ne se contentait pas de
vilipender ceux qui étaient déjà « démasqués », mais elle incitait
Staline à élargir le cercle de ceux qui étaient soupçonnés et c’est ce
qui nous indignait le plus{2881}.

Il y eut une purge, mais elle renforça le tandem Beria-Malenkov : le


1er septembre 1952, Malenkov et Chkiriatov limogèrent en effet le
responsable des médecins du Kremlin, P. I. Egorov, et ils le remplacèrent
par I. I. Kouperine, chef de la section sanitaire de la direction
administrative du MGB, étroitement lié à Beria. Victime d’une crise
cardiaque, Egorov dut être hospitalisé juste après son arrestation et Staline
redoubla de soupçons : n’était-ce pas une maladie inventée par le MGB
pour mettre Egorov à l’abri de l’enquête{2882} ?
Le 17 octobre, Timachouk fut à nouveau interrogée par le MGB qui
cette fois chercha à impliquer le défunt A. Kouznetsov dans la mort de
Jdanov, indice que Malenkov et Beria avaient pris le contrôle de l’enquête.
Le lendemain, Staline autorisa l’utilisation de la torture contre les
médecins. Et, le 29 octobre, le MGB soumit à Staline un rapport faisant le
point sur l’affaire. Egorov était accusé d’avoir « incapacité » M. Thorez,
assassiné Dimitrov, Jdanov et Chtcherbakov, et saboté la cure de
désintoxication de Vassili Staline. L’instigateur de ces forfaits était feu
A. Kouznetsov « qui à cause de ses desseins hostiles avait intérêt à
l’élimination du camarade Jdanov{2883} ». Beria et Malenkov semblaient
donc avoir intercepté l’« affaire des médecins » et l’avoir désamorcée.

Le XIXe Congrès du PCUS.


Le 7 décembre 1951, en pleine affaire mingrélienne, Staline prit la
décision de convoquer le XIXe Congrès du PCbUS. Dans son esprit, ce
congrès devait faire entériner par le Parti la révolution au sommet qu’il
avait déclenchée à l’été 1951 et qu’il comptait mener à bonne fin dans les
mois suivants. De leur côté, les membres du Politburo espéraient que le
congrès permettrait d’accélérer la succession ; c’est du moins ce que laisse
entendre Khrouchtchev :
Staline nous réunit chez lui et nous dit qu’il était temps de réunir un
congrès du Parti. Nous ne demandions que cela. […] Nous nous
demandions si Staline ferait le rapport où s’il le confierait à l’un
d’entre nous{2884}.

La perspective du congrès ne fit donc que rendre plus acharné le bras de


fer qui opposait Staline et ses proches, même si celui-ci prit des formes
plus camouflées et byzantines que jamais. La convocation du congrès fut
annoncée en juin 1952.
C’est à dessein que nous avons employé le terme de « révolution ».
Staline voulait plus qu’un remplacement du Politburo existant et, comme
l’attestent de nombreux témoignages convergents, il entendait mettre au
pouvoir des doctrinaires marxistes à tous les niveaux de l’appareil du Parti
et de l’État. Au fond, il se rendait compte que la métamorphose du Parti
engagée en 1937-1938 lorsqu’il avait remplacé les fanatiques
bolcheviques propulsés au pouvoir après 1917 par des apparatchiks
cyniques et des organisateurs de la production socialiste avait eu des effets
dangereux pour son pouvoir personnel et pour la réalisation du projet
communiste. N’en déplaise aux historiens russes poutiniens d’aujourd’hui,
Staline était aussi et surtout un idéologue. Et, s’il avait liquidé les vieux
bolcheviks pour les remplacer par des exécutants dociles et des carriéristes
sans scrupules, c’est parce qu’il se croyait à même de réaliser seul le
projet communiste, en ne s’appuyant que sur des subordonnés sans
initiative, sans scrupules et sans convictions. Mais, en 1952, il sentait
approcher sa fin et prit conscience des inconvénients du système qu’il
avait lui-même instauré avant la guerre. Aucun de ses collègues du
Politburo ne lui semblait capable d’assurer sa succession : Molotov avait
montré qu’il flanchait devant les impérialistes en 1945, Malenkov était
mou et incertain sur le plan idéologique, Mikoïan péchait par
« déviationnisme droitier » et Beria était plus que douteux sur tous les
plans. Staline se demandait comment sans lui, avec de pareils chefs,
l’URSS pourrait construire le communisme et faire face à l’ultime
affrontement avec le monde capitaliste. Sa grande œuvre lui semblait
dangereusement menacée. Il fallait prendre des mesures d’urgence en
remontant à la source du danger, la dérive droitière des élites dirigeantes
de l’URSS. L’atmosphère qui régnait à la veille du XIXe Congrès a été
bien rendue dans une dépêche de Louis Joxe, l’ambassadeur de France qui,
après avoir relevé le « caractère d’urgence » des exhortations à la
discipline et à la combativité, notait :

Tout se passe comme si un des principaux objectifs du prochain


congrès était de remettre le Parti en état, de renforcer à la fois sa
structure interne et sa puissance dans la nation en prévision de luttes
futures{2885}.

Début septembre 1952, Staline se plaignit à Pervoukhine de ce que


« Beria et Malenkov décidaient de tout alors qu’ils n’avaient pas la
formation marxiste nécessaire{2886} ». La stratégie de Staline en 1952
avait donc deux volets : elle passait par une ré-idéologisation de la société
soviétique par la création au sein du Parti d’un bloc de serviteurs du
dogme, et elle présupposait une restauration du contrôle absolu de Staline
sur le MGB. Les derniers mois de sa vie, Staline semble avoir été obsédé
par ces deux entreprises : la promotion d’une nouvelle génération
d’idéologues à la place de l’équipe technocratique du Politburo et une
réforme radicale de la Sécurité.
Sa préoccupation de réanimer l’idéologie remontait à février 1950,
lorsqu’il avait décidé de relancer la publication d’un manuel d’économie
politique demeuré en chantier depuis les années 1930. Il en avait confié la
rédaction à Dmitri Chepilov, un ancien protégé de Jdanov, en lui tenant ces
propos révélateurs :

Les Soviétiques doivent connaître la théorie économique, les lois de


l’économie. S’ils assimilent cela, nous réussirons. Sinon nous
sommes perdus car nous n’arriverons pas à construire le
communisme. […] Nous, les vieux bolcheviks, qui avons connu les
prisons et l’exil, nous avons étudié Le Capital, nous avons potassé
Lénine. Mais les jeunes ? Ils ne connaissent rien à la théorie
économique, à Marx et à Lénine. […] Nous avons besoin d’un manuel
pour former des marxistes cultivés qui sachent administrer
l’économie sur une base scientifique. Autrement les gens vont
dégénérer{2887}.

Cette publication était associée, dans son esprit, à la purge qu’il


projetait, comme autrefois il avait donné l’ordre de rédiger le Précis
d’histoire du PCbUS en avril 1937, au plus fort des purges de la Grande
Terreur. Le futur manuel n’était pas seulement destiné aux Soviétiques,
mais aux communistes occidentaux ; il devait devenir le « livre de chevet
de la jeunesse révolutionnaire non seulement chez nous, mais à
l’étranger ».
Chepilov et son groupe se mirent à travailler d’arrache-pied, mais
chaque projet était critiqué et rejeté par Staline : le manuel ressemblait de
plus en plus au rocher de Sisyphe (il ne sortira qu’en 1954). La discussion
suscitée par cet ouvrage ne fit qu’attiser les craintes de Staline devant les
hérésies de toutes sortes qui guettaient les Soviétiques. Il n’y avait plus
qu’une solution : Staline devait, sur ses vieux jours, se faire lui-même le
théoricien du marxisme. Et donc, à la veille du XIXe Congrès, il publia
Les Problèmes économiques du socialisme en URSS, recueil d’articles
rédigés par lui de février à septembre 1952. Cet opuscule a fait couler
beaucoup d’encre et, aujourd’hui encore, apparaît comme abscons si l’on
ne tient pas compte des circonstances qui ont incité Staline à prendre la
plume.
Réaffirmant le fondement scientifique du marxisme, le Guide
commençait par rappeler qu’il existait des lois économiques objectives. La
planification ne permettait pas d’anéantir les lois économiques existantes
et d’en créer de nouvelles. Nier l’existence des lois économiques revenait
à nier la possibilité de diriger l’économie. Ce premier point, longuement
développé par Staline, peut être interprété comme une réaffirmation de la
priorité de l’idéologie sur l’approche « technocratique » de l’économie. Le
gestionnaire devait se conformer aux préceptes du théoricien marxiste qui
connaissait ces fameuses lois de l’économie, et ne pas s’imaginer que dans
un système socialiste le planificateur pouvait créer ces lois. Dans un
deuxième chapitre, Staline s’en prenait à ceux qui, sous prétexte qu’il
subsistait des échanges dans l’économie soviétique, étaient favorables au
rétablissement des catégories économiques du capitalisme – la main-
d’œuvre vue comme marchandise, le capital, le profit, etc. Dans une
troisième partie, il annonçait la disparition de la notion de valeur,
critiquant ceux qui voyaient dans la valeur un régulateur de la production
socialiste, au lieu de donner la priorité à la production de moyens de
production. Enfin, le chapitre qui retint le plus l’attention des observateurs
occidentaux était consacré à la disparition du marché mondial unifié :

La conséquence économique la plus importante de la Deuxième


Guerre mondiale est la disparition du marché mondial unifié. […]
Nous avons maintenant deux marchés mondiaux opposés.

Staline s’attachait à nier l’existence d’une solidarité occidentale,


estimant que les pays européens affronteraient nécessairement les États-
Unis et que l’Allemagne et le Japon se redresseraient comme l’Allemagne
l’avait fait après la Première Guerre mondiale. Cette question de la
solidarité occidentale devait faire l’objet de vives discussions entre le
Politburo et Staline, ce qui est attesté par Sergo Beria :

La guerre de Corée n’avait rien appris à Staline : il continua à tabler


sur les dissensions entre les démocraties (mon père disait que c’était
une idée fixe chez lui). De cette guerre il avait retiré l’impression que
les États-Unis étaient le seul pays capable de se battre, les autres ne
faisant que de la figuration – rien ne put le faire démordre de cette
conviction, pas même les nombreux rapports rédigés à son intention
par mon père et les militaires, qui faisaient état de la contribution des
alliés de l’OTAN{2888}.

Staline semblait escompter que la crise du capitalisme résulterait moins


d’une défaillance interne de l’économie capitaliste que d’une asphyxie
progressive due au nombre croissant de pays qui passeraient dans le bloc
du marché socialiste : le camp capitaliste perdrait son accès aux matières
premières et aux débouchés et s’étiolerait en conséquence, après s’être
livré à des guerres intestines attisées par le rétrécissement de son marché.
Ce chapitre clôturait la première moitié de l’opuscule, rédigée avant
février 1952. Les chapitres suivants furent rédigés d’avril à septembre et
on y observe un « gauchissement » très net de Staline. Il y pourfendait des
hérésies d’économistes comme L. D. Yarochenko qui prétendait qu’« une
organisation rationnelle des forces de production » suffisait à faire passer
une société du socialisme au communisme ; selon Staline, Yarochenko
oubliait que tant que le troc n’avait pas remplacé les échanges marchands
il ne saurait être question de communisme. Le marché kolkhozien et les
échanges de marchandises freinaient le développement des forces
productives et devaient donc être peu à peu abolis. Staline critiquait de
même vertement les économistes A. V. Zanina et V. G. Venzher qui
allaient jusqu’à mettre en doute le primat de l’industrie lourde ou
voulaient vendre aux kolkhozes les MTS – les stations centrales de
machines agricoles. Il rappela que les kolkhozes ne devaient pas posséder
leurs moyens de production et que les prix alimentaires devaient être
systématiquement baissés. Il annonça la semaine de 35 heures, le
doublement des salaires des ouvriers et des fonctionnaires, et la
suppression du commerce et des coopératives : une « autorité centrale »
distribuerait désormais toute la production agricole. Les deux priorités de
la politique économique soviétique étaient le développement de l’industrie
lourde et la transformation de la société rurale vers des formes de plus en
plus étatiques de propriété et d’organisation du travail.
Que voulait Staline en publiant cette brochure à la veille du
XIXe Congrès ? Selon Chepilov, il escomptait éclipser le rapport de
Malenkov au congrès et c’est ce qui se produisit{2889}. Sa brochure
lançait une polémique avec les membres du Politburo sur des points où
ceux-ci tentaient de manifester un désaccord avec le Guide : la politique
étrangère et en particulier la conviction de Staline qu’une guerre avec les
Occidentaux était inévitable, voire imminente, et que l’URSS pourrait la
gagner – d’où l’insistance de Staline à mettre en doute la solidarité
occidentale –, et la politique économique où la question d’une taxation
supplémentaire de la paysannerie cristallisait le désaccord entre Staline et
ses proches.
Tout le Politburo se sentit visé. Mikoïan y vit « une incroyable déviation
gauchiste » et en tira la conclusion que Staline voulait arriver à construire
le socialisme de son vivant. « Malenkov et Beria n’étaient absolument pas
d’accord avec les affirmations de Staline. […] Il était clair que Molotov
n’était pas non plus convaincu que Staline ne se trompait pas. » Mikoïan
essaya de persuader Staline qu’il ne fallait pas brûler les étapes et que le
temps n’était pas encore venu de passer au troc. Staline répliqua d’un air
méchant : « Ah c’est comme ça ! Tu retardes ! C’est justement maintenant
le moment ! » Dans son premier projet de rapport pour le XIXe Congrès,
Malenkov ne disait pas un mot de la brochure de Staline, mais il fut
contraint de le réviser pour en chanter les louanges{2890} et développer la
théorie des « deux marchés mondiaux parallèles{2891} ». Beria
réprimanda vivement Lioudvigov, qui lui écrivait ses discours, lorsque
celui-ci lui soumit son projet car Lioudvigov voulait souligner
l’« importance historique » de la brochure de Staline ; Beria lui répliqua
que Staline n’avait rien inventé et se contentait de répéter Marx{2892}.
Le XIXe Congrès s’ouvrit le 5 octobre 1952. Les observateurs
soviétiques et étrangers remarquèrent d’emblée que Beria avait été
« rétrogradé » : dans la liste des dignitaires présents sur la tribune, il ne fut
cité qu’en cinquième position, après Molotov, Malenkov, Vorochilov et
Boulganine, alors qu’auparavant il occupait la troisième place. Staline
étant trop exténué, Malenkov présenta le rapport d’activité du Parti et
débita son texte à toute allure devant un Staline impassible, « en regardant
de temps en temps Staline par en dessous, comme un cheval intelligent
regarde son vieux cavalier{2893} ». Le discours de Malenkov, qui avait
été lu de près et corrigé par Staline comme le montrent ses brouillons
conservés dans les archives, était ambigu, reflétant bien les courants
contraires tiraillant le cercle du Kremlin. D’un côté, Malenkov déclara :
« La politique soviétique de paix et de sécurité des peuples se fonde sur le
fait que la coexistence pacifique du capitalisme et du communisme, leur
coopération, sont parfaitement possibles à condition qu’existe la libre
volonté de coopérer » ; mais, d’un autre, il trouva des accents très durs
pour dénoncer l’« autosatisfaction » du Parti, et rappeler « l’encerclement
capitaliste » : « Un gouvernement sage est capable de reconnaître un
danger lorsqu’il se trouve encore à l’état embryonnaire et de l’empêcher
d’atteindre des proportions menaçantes. » Malenkov dénonça aussi la
tendance à l’esprit de clocher qui menaçait les organisations du Parti, ce
qui visait clairement Beria. Le XIXe Congrès, comme s’il étendait à
l’URSS la politique inaugurée en Géorgie avec l’affaire mingrélienne,
était placé sous le signe d’une double campagne : lutte contre la corruption
et les abus, et lutte contre le manque de vigilance.
Beria consacra son discours à la question nationale en dénonçant le
« chauvinisme grand-russe » et l’oppression des peuples par le tsarisme.
Le sarcasme de ses propos était presque palpable :

Le régime soviétique a permis aux peuples de notre pays d’acquérir


un État. […] Aucun État bourgeois n’aurait pu leur accorder une si
authentique égalité de droits. […] Prenons par exemple l’Ukraine et
comparons-la à deux États bourgeois, la France et l’Italie. Bien sûr on
ne peut pas tout comparer. L’Ukraine a liquidé les classes
exploiteuses il y a longtemps… et sur ce plan elle a trente ans
d’avance sur la France et l’Italie… Grâce à l’industrie socialiste
florissante et aux kolkhozes le peuple ukrainien connaît la prospérité
et accède aux richesses de la culture, ce dont sont privées les masses
travailleuses en France et en Italie. Le développement économique
accéléré des républiques baltes après l’instauration du régime
soviétique n’est pas moins révélateur… Comparons-les avec la
Norvège, la Hollande et la Belgique : leur rythme de développement
est infiniment plus élevé… Tous ces faits témoignent de ce que
peuvent atteindre les peuples qui ont rompu avec l’impérialisme et se
sont libérés des propriétaires fonciers et des capitalistes.
Il est vrai que, dans ses discours officiels, Beria s’amusait souvent à
pratiquer le double sens et l’ironie voilée. Ainsi le 6 novembre 1951, dans
celui prononcé en l’honneur de la révolution d’Octobre, alors que Staline
s’apprêtait à donner le coup d’envoi à l’affaire mingrélienne, il déclara :

Notre politique étrangère s’appuie sur la puissance de l’Union


soviétique. Seuls des politiciens naïfs peuvent interpréter son
caractère pacifique comme l’indice d’un manque de confiance en nos
forces. […] Aucun État, y compris l’Union soviétique, dit le
camarade Staline, ne peut […] lancer de grands chantiers qui coûtent
des milliards, réduire les prix des biens de consommation […] et en
même temps augmenter ses forces armées et développer son industrie
militaire. Il est facile de comprendre qu’une politique aussi folle
conduirait n’importe quel État à la banqueroute.

Staline avait d’ailleurs censuré en plusieurs endroits les passages


consacrés à la situation internationale{2894}.
Dans son intervention, Khrouchtchev aussi dénonça le manque de
vigilance chez certains membres du Parti qui divulguaient les secrets
d’État, alors que l’URSS était entourée d’ennemis et que les agents
impérialistes étaient partout – du coup, à la veille du XXe Congrès, il
ordonnera que le texte de son rapport soit retiré des bibliothèques.
Poskrebychev évoqua les erreurs et les déviations. C’est lui qui, parlant
pour Staline, laissa le plus clairement présager une purge.
Pour la première fois qu’il prenait la parole en public depuis 1946,
Staline ne prononça qu’un bref discours de sept minutes et il s’en vanta
auprès de ses proches : « Vous voyez, j’ai pu ! », comme le rapportera
cruellement Khrouchtchev, qui commentera :
Nous avons pu nous rendre compte à quel point il était faible sur le
plan physique si, pour lui, parler sept minutes était incroyablement
difficile. Mais lui s’imaginait qu’il était encore fort et capable
d’assumer ses fonctions{2895}.

Son allocution, adressée aux communistes étrangers invités au congrès,


était une exhortation à agir. Staline leur rappela que leur tâche était
maintenant plus facile, car « autrefois la bourgeoisie se permettait de faire
du libéralisme, elle défendait les libertés démocratiques bourgeoises pour
gagner la popularité dans les masses », alors qu’aujourd’hui « de ce
libéralisme il ne reste plus trace » ; autrefois la bourgeoisie défendait
l’indépendance des nations, maintenant « de ce principe national il ne
reste plus trace ». « Le drapeau des libertés démocratiques bourgeoises a
été jeté par-dessus bord. Je pense qu’il vous appartient de relever ce
drapeau. » Les observateurs étrangers furent frappés par ces « tendances
néo-internationalistes » qui s’exprimèrent dans cette courte allocution,
ainsi que par l’inclusion dans le nouveau Présidium d’éléments
kominterniens comme Mikhaïl Souslov, Pavel Youdine et Otto
Kuusinen{2896}.
Pour Staline, le XIXe Congrès devait marquer la première étape d’une
transformation radicale des organes dirigeants de l’URSS. Staline renonça
à son poste de secrétaire général – terme qu’il n’utilisait plus depuis 1934
–, remplacé par celui de premier secrétaire. L’Orgburo fut supprimé et ses
fonctions confiées au Secrétariat du Comité central dont le rôle s’accrut
puisqu’il héritait d’une partie des fonctions de l’ancienne Commission de
contrôle. Le Secrétariat passa de quatre membres – Staline, Malenkov,
Khrouchtchev et Souslov – à dix. Le VKPb devint le PCUS. Et surtout,
coup de théâtre, le Politburo fut supprimé et Staline le transforma en un
Présidium élargi comptant vingt-cinq membres, où il prétendit faire entrer
des représentants de la jeune intelligentsia : le philosophe Dmitri
Tchesnokov, l’économiste Stepanova{2897}. Ainsi Staline manifestait de
manière ouverte sa volonté de diluer la vieille garde et la nouvelle fut un
coup de tonnerre pour les membres du Politburo. Contrairement aux
usages, il n’avait consulté aucun collègue pour constituer cette liste et tous
se demandèrent qui lui avait soufflé les noms des vingt-cinq membres.
Khrouchtchev et Beria soupçonnèrent d’abord Malenkov qui nia avoir été
au courant. Khrouchtchev pensa à Beria, mais « il y avait sur cette liste des
noms qu’il n’aurait jamais recommandés à Staline{2898} », et il finit par
conclure que Staline avait demandé à Kaganovitch{2899}.
Le 16 octobre se réunit un Plénum du Comité central élargi. Staline y
prit la parole et les nouveaux furent abasourdis par ses propos qui
mettaient à bas le dogme sacro-saint du monolithisme du Parti. Il entra
sans ambages dans le vif du sujet :

Ainsi nous avons réuni un congrès du Parti. Le congrès s’est bien


passé et nombreux sont ceux qui peuvent s’imaginer qu’une unité
totale règne dans nos rangs. Pourtant cette unité n’existe pas. Certains
expriment leur désaccord avec nos décisions{2900}.

Staline avait décidé de rendre publique la mésentente existant dans le


cercle du Kremlin et, pour des Soviétiques habitués depuis trente ans à
célébrer l’« unité » du Parti de Lénine, la surprise fut totale.
Et ce n’était qu’un début. La suite du discours laissait entendre
qu’aucun membre de l’ex-Politburo ne pouvait espérer succéder à Staline
qui pensait avoir le temps d’installer des jeunes au pouvoir :

On se demande pourquoi nous avons considérablement élargi les


effectifs du Comité central. N’est-il pas évident qu’il a fallu injecter
des forces nouvelles au sein du Comité central ? Nous les vieux nous
allons tous mourir, mais nous devons penser à qui nous passerons le
flambeau de notre grande cause, nous devons décider qui la fera
progresser. […] Il n’est possible d’éduquer des hommes d’État
idéologiquement solides qu’en leur confiant des tâches pratiques, en
les chargeant de réaliser au quotidien la ligne générale du Parti, qui
consiste à surmonter la résistance de toute sorte émanant des
éléments hostiles opportunistes acharnés à freiner et saboter la cause
de la construction du socialisme.

Cette phrase trahissait l’évidente exaspération éprouvée par Staline


envers ses collègues qui ne cessaient de neutraliser ses initiatives. Certes,
les allusions à la nécessité de céder la place aux jeunes n’étaient pas
nouvelles chez lui. Ainsi, le 5 mars 1937, dans son discours de clôture du
Plénum qui avait donné le signal du déchaînement des purges, Staline
avait déclaré : « Nous les vieux, nous quitterons bientôt la scène. C’est une
loi de la nature. Et nous aimerions que la relève soit bien assurée. » Mais
en l’occurrence ses allusions furent suivies par une diatribe qui eut un
effet si retentissant que la rumeur en parvint à l’étranger :

Il est impossible de ne pas mentionner la conduite erronée de certains


responsables éminents, si nous parlons de notre unité en matière de
politique. Je veux parler des camarades Molotov et Mikoïan. Molotov
est dévoué à notre cause. Je ne doute pas que, s’il le faut, il donnera
sa vie pour le Parti. Mais on ne peut pas passer sous silence certains
actes indignes qu’il a commis. La chartreuse lui étant montée à la tête
lors d’une réception diplomatique, Molotov a promis à l’ambassadeur
anglais de publier dans notre pays les journaux et les revues
bourgeoises. Pourquoi ? Pourquoi a-t-il consenti à cela ? Ne
comprend-il pas que la bourgeoisie est notre ennemie de classe et que
diffuser la presse bourgeoise parmi les Soviétiques ne peut que
nuire ? Cette décision erronée, si elle était tolérée, aurait une
influence négative sur les esprits et l’idéologie des Soviétiques, elle
affaiblirait notre idéologie communiste et renforcerait l’idéologie
bourgeoise. C’est la première erreur politique du camarade Molotov.

Et que dire de la proposition du camarade Molotov de donner la


Crimée aux Juifs ? C’est une erreur énorme du camarade Molotov.
Pourquoi a-t-il éprouvé le besoin de faire cette proposition ?
Comment a-t-il pu se le permettre ? Quels étaient ses motifs ? Les
Juifs ont une république autonome. Est-ce que cela ne suffit pas ?
Cette république n’a qu’à se développer. Quant au camarade Molotov,
il n’a pas à se faire le porte-parole des revendications illégales des
Juifs sur notre Crimée soviétique. C’est la deuxième erreur politique
du camarade Molotov. Le camarade Molotov a un comportement
indigne d’un membre du Politburo. Et nous rejetons catégoriquement
ses propositions extravagantes.

Le camarade Molotov a une telle vénération pour son épouse, qu’à


peine avons-nous pris une décision politique importante que la
camarade Jemtchoujina est au courant. On dirait qu’un fil invisible
relie le Politburo avec l’épouse de Molotov, Jemtchoujina et ses amis.
Or elle est entourée de gens auxquels on ne peut faire confiance. Il est
évident que ce comportement est inadmissible chez un membre du
Politburo.

Passons maintenant au camarade Mikoïan. Le voilà qui s’avise de


s’opposer à l’augmentation des impôts levés sur la paysannerie. Qui
est notre Anastase Mikoïan ? Pourquoi ne comprend-il pas
l’évidence ? Le moujik nous doit tout. Nous avons une alliance solide
avec les paysans. Nous avons mis la terre à la disposition des
kolkhozes pour toujours. Les paysans doivent rendre à l’État ce qu’ils
lui doivent. C’est pourquoi l’on ne saurait être d’accord avec la
position du camarade Mikoïan.

Et Staline termina sur une note théâtrale :

Je vous demande de me débarrasser des obligations de secrétaire


général du Comité central du PCUS et de président du Conseil des
ministres de l’URSS. Je suis déjà trop vieux. Je ne lis pas les papiers.
Choisissez-vous un autre secrétaire.
Le maréchal S. K. Timochenko se fit alors la voix des masses :

« Camarade Staline, le peuple ne le comprendra pas. Nous tous,


comme un seul homme, nous vous élisons pour être notre chef, le
secrétaire général du Comité central du PCUS. Il ne saurait y avoir
d’autre décision. »

Tous sentaient instinctivement que Staline ne souhaitait nullement


que son désir affirmé de prendre sa retraite fût réalisé{2901}.

Pour Staline, le XIXe Congrès fut un demi-succès. Certes il avait


imposé par surprise son Présidium élargi de vingt-cinq membres et de
onze suppléants. Les effectifs du Secrétariat du Comité central étaient
doublés. Merkoulov et Dekanozov, deux proches de Beria, n’appartenaient
plus au nouveau Comité central. Quant au nouveau Bureau du Présidium,
qui comprenait les membres de l’ex-Politburo – Staline, Beria, Malenkov,
Khrouchtchev, Boulganine, Ignatiev (auxquels avaient été ajoutés
Pervoukhine et Alexandre Sabourov) –, sa composition ne fut pas
mentionnée dans la presse. Il ne pouvait jouir de la même autorité que
l’ancien Politburo – il ne se réunira d’ailleurs que trois fois tant que
Staline sera en vie. Mais la purge n’était que partielle. Seuls Vorochilov,
Kaganovitch, Mikoïan et Molotov étaient exclus du noyau du pouvoir.
Détail significatif : le 30 octobre 1952, Molotov remit aux archives du
Comité central les originaux des pactes germano-soviétiques et des
protocoles secrets du 23 août et du 28 septembre 1939, qui jusque-là se
trouvaient dans ses archives personnelles{2902}.
Pourquoi Staline s’en prit-il à ces hommes ? Il se méfiait
particulièrement de Molotov et Mikoïan parce qu’ils avaient voyagé aux
États-Unis. Selon Mikoïan, il aurait déclaré lors de ce même plénum :
Je dois dire que Molotov et Mikoïan sont revenus très impressionnés
par la puissance de l’économie américaine. Je sais que tous deux sont
courageux, mais ils ont pris peur devant la force écrasante qu’ils ont
vue en Amérique{2903}.

Staline en voulait aussi à Mikoïan pour l’affaire des pourparlers


commerciaux de mai 1945, quand Lozovski s’était mis d’accord avec
Molotov et Mikoïan pour transmettre à l’ambassadeur soviétique aux
États-Unis une note par laquelle l’URSS acceptait un échange préalable de
vues sur les questions économiques, y compris l’aviation civile, comme le
demandaient les États-Unis, en vue d’engager des négociations pour un
traité commercial. Or Lozovski le fit sans consulter Staline qui l’apprit et
le lui reprocha ainsi qu’à Mikoïan. Staline n’aurait pas accepté ce projet,
mais par bonheur pour les fautifs les Américains le refusèrent{2904}.
Cependant, la raison principale tenait à ce que ces hommes lui étaient
trop soumis pour se rebeller après avoir été congédiés de manière aussi
injurieuse. Pratiquant la « tactique du salami » pour démanteler l’ex-
Politburo, Staline avait commencé par les faibles. Il eut d’ailleurs la
mauvaise surprise de voir Mikoïan ne pas reconnaître ses torts et essayer
de se défendre. Beria et Malenkov rapportèrent plus tard à Mikoïan que
Staline leur avait dit après le plénum : « Vous voyez, Mikoïan en plus
manifeste son désaccord{2905} ! » C’était en effet un indice inquiétant
pour Staline de la fronde du Politburo. Et le noyau composé de Beria,
Malenkov et Khrouchtchev, le seul dangereux pour lui, demeurait intact.
De façon significative, Staline n’avait pas soufflé mot contre Beria,
malgré les révélations de l’affaire mingrélienne, alors qu’il n’avait pas
hésité à traiter Vorochilov d’espion anglais !
L’érosion du pouvoir de Staline apparut aussi dans le sort des exclus.
Loin d’être accablés et reniés par leurs anciens collègues, comme c’était le
cas pendant la Grande Terreur, ils furent soutenus avec discrétion face à
Staline. Khrouchtchev rapporte qu’en sa présence et devant Malenkov
Beria « disait qu’“il fallait défendre Molotov, autrement Staline aurait sa
peau, alors qu’il est encore nécessaire au Parti”. Cela m’étonnait mais
visiblement il était sincère quand il disait cela{2906}. » Beria, Malenkov
et Khrouchtchev se chargeaient d’informer Mikoïan et Molotov quand
Staline recevait à sa datcha et les deux exclus venaient alors comme à
l’improviste : « Nous étions devenus les agents de Molotov et
Mikoïan{2907}. »
Ainsi, à partir du XIXe Congrès, les contours de la réforme entamée par
Staline se dessinent avec netteté. Depuis la guerre, le clan gouvernemental
n’avait cessé d’étendre son influence au détriment de l’appareil du Parti,
même s’il avait connu quelques revers en 1946-1947, au moment de
l’ascension de Jdanov. Il existait une osmose de fait entre le Politburo et le
Conseil des ministres. En 1951, Malenkov était parvenu à diviser
l’Agitprop en quatre départements, ce qui affaiblissait encore davantage
l’influence des apparatchiks du Parti, celle de Souslov en particulier. La
lutte pour le pouvoir se cristallisa de plus en plus autour du Bureau du
Conseil des ministres : le droit de présider ses sessions en cas d’absence
de Staline était l’indice de la position des hiérarques du Kremlin. En 1952,
Boulganine avait perdu son poste de coprésident du Bureau du Conseil des
ministres, remplacé par Beria et Malenkov.
Les changements introduits par Staline lors du XIXe Congrès eurent
pour but de renverser une tendance à l’œuvre depuis la guerre, en
renforçant l’appareil du Parti au détriment de l’appareil gouvernemental.
Le Présidium du Comité central de vingt-cinq membres titulaires devint
l’organe du pouvoir suprême. Staline augmenta le poids du bloc
idéologique en intégrant au Présidium Souslov, D. Tchesnokov ou
N. Mikhaïlov. Par ses appels incessants à la critique et à l’autocritique –
c’est-à-dire à la délation –, il voulait soumettre l’appareil du Parti et de
l’État à une pression permanente.

Les ultimes manœuvres.


Après le XIXe Congrès, Staline manifesta par tous les moyens qu’il
restait toujours aux commandes. Durant les derniers mois de sa vie, il se
montra plus souvent qu’à son habitude, à la fois à la population soviétique
et aux étrangers. Ainsi, il ne prit pas de vacances dans le Midi et fut
présent le 6 novembre au Bolchoï et le 7 novembre sur la place Rouge
pour la fête de la révolution. Début 1953, il reçut trois ambassadeurs coup
sur coup, « qu’il étonna par sa vitalité et sa bonne humeur{2908} ».
Mais le bras de fer avec le Politburo formellement dissous se
poursuivit, Staline essayant d’imposer sa ligne gauchiste, tandis que ses
proches s’entendaient pour bloquer ses initiatives. Mikoïan cite un
exemple de la manière dont cette lutte invisible était menée à l’ombre des
labyrinthes bureaucratiques. Lors d’une des rares réunions du Bureau,
consacrée à la situation de l’élevage, le ministre de l’Agriculture
Benediktov révéla des statistiques accablantes. Staline créa une
commission présidée par Khrouchtchev qui proposa d’augmenter les prix
d’achat de la viande aux kolkhoziens. Staline explosa : engraisser la
paysannerie quand les ouvriers vivent mal ! Jamais de la vie ! Non, ce
qu’il fallait c’était lever un nouvel impôt sur les paysans. Khrouchtchev se
tira d’affaire en proposant d’inclure dans la commission Malenkov, Beria
et Arseni Zverev, le ministre des Finances, dans l’idée de gagner du temps.
Zverev fut chargé de rédiger un rapport et Staline mourut avant d’avoir
réalisé son projet{2909}.
La paralysie s’installa dans le pays, personne n’osant proposer à Staline
de réunion du Présidium du Comité central pour prendre les décisions
indispensables, par crainte d’être soupçonné de viser sa succession.
Khrouchtchev a témoigné de cette situation :

Les dernières années avec Staline furent les plus dures. Le


gouvernement était pratiquement paralysé. Staline choisissait, parmi
nous, un petit groupe qu’il gardait continuellement près de lui ; il y
avait toujours un second clan de gens qu’il écartait pour un temps
indéfini et dont il n’invitait jamais les membres, pour les punir.
N’importe lequel d’entre nous passait d’un groupe à l’autre, du jour
au lendemain. Après le XIXe Congrès, Staline créa, au sein du
nouveau Présidium, des commissions nanties de larges compétences
pour examiner divers problèmes. Mais en pratique ces commissions
se révélèrent totalement inefficaces car chacun était libre d’agir
comme il l’entendait… On se trouvait en présence d’un orchestre où
chaque musicien jouait de son instrument quand l’envie lui en
prenait, sans que le chef d’orchestre s’occupât de le diriger{2910}.

Staline n’était qu’à demi-satisfait des résultats du XIXe Congrès. Il


avait certes supprimé le Politburo, mais celui-ci avait resurgi de ses
cendres sous la forme du Bureau du Présidium, alors que le Présidium
élargi n’arrivait pas à prendre corps. Le vieux dictateur voulut aller plus
loin et parla de convoquer un plénum pour exclure Molotov et Mikoïan
du Comité central{2911}. En 1952 et au début de 1953 se multiplièrent les
attaques contre les ministres « technocratiques » et économiques, les
responsables du commerce, de l’approvisionnement et de l’industrie
pétrolière. I. V. Tevossian et V. A. Malychev, des protégés de Malenkov,
étaient visés. Les « nationalistes bourgeois » non encore extirpés dans les
républiques n’étaient pas non plus oubliés et cette campagne visait Beria.
Jusqu’à la mort de Staline, les diatribes contre les « nationalistes » furent
quotidiennes dans la presse soviétique, tantôt annonçant que des éléments
hostiles étaient démasqués au sein du gouvernement ukrainien et en
Lituanie, tantôt dénonçant les « espions en soutane » en Pologne.
Mais, surtout, Staline revenait sans cesse à ses deux entreprises
prioritaires, la ré-idéologisation des élites soviétiques et la restauration de
son monopole sur le MGB. Le 20 octobre 1952, il convoqua le
« philosophe » Youdine. Chepilov prit des notes après l’entretien, dont il
se servit pour la rédaction de ses Mémoires{2912}. Staline commença par
se plaindre de l’inefficacité de la propagande, de L. F. Ilitchev – protégé de
Malenkov et rédacteur en chef de la Pravda et de la revue Bolchevik –, des
dirigeants de l’industrie. Il dit à Chepilov que les jeunes connaissaient mal
le marxisme, mais qu’il fallait les promouvoir et les observer en vue de
ces promotions. Il fallait aussi créer une seule administration pour diriger
l’industrie et les transports et la confier à un organisateur de grande
envergure. L’agriculture marchait mal parce que les responsables ne
connaissaient pas l’histoire de l’agriculture en Europe et ne savaient rien
de l’élevage aux États-Unis. Il fallait aussi créer une commission chargée
de l’idéologie auprès du Comité central, comptant dix à vingt
fonctionnaires, dont Youdine, Chepilov, Tchesnokov et Souslov, ainsi que
des gens connaissant l’anglais, l’allemand, le français, l’espagnol et le
chinois. Cette commission devait être chargée de la propagande du
marxisme dans la presse écrite. « Nous ne menons pas seulement une
politique nationale, mais une politique mondiale », souligna Staline. « Les
Américains nous calomnient, il faut les démasquer. Il faut élargir l’horizon
des Soviétiques car nous sommes une grande puissance. » Staline proposa
de créer une commission permanente pour la politique étrangère, qu’il
voulait confier à Malenkov, et une autre pour l’armement présidée par
Boulganine. Après cet entretien, Chepilov se consacra à l’organisation de
la commission chargée de l’idéologie et, à la mi-novembre, il remplaça
Ilitchev au poste de rédacteur en chef de la Pravda.
Vers la même époque, Staline convoqua Semionov et le reçut pendant
quatre heures. Les préoccupations dont il lui fit part étaient similaires à
celles évoquées devant Chepilov. Il l’interrogea sur le niveau de la théorie
en RDA : « On ne peut construire une nouvelle société sans faire avancer
la théorie. […] Il est déplorable que les ouvriers et les paysans soient
encore éloignés de la théorie », d’autant qu’on ne pouvait compter sur les
intellectuels empêtrés dans leurs origines bourgeoises pour apporter du
nouveau.

Nous avons besoin de toute une pléiade de théoriciens marxistes qui


développent notre théorie et nous montrent le chemin en avant car
notre progression est freinée systématiquement par des obstacles
visibles et cachés… Nous nous éreintons à construire un monde
nouveau. Mais que d’erreurs, que de pertes inutiles ! Lénine nous a
enseigné comment on empêchait un retour au capitalisme.

Puis Staline demanda comment travaillaient les organes de la Sécurité


d’État en RDA. Comme Semionov répondait qu’il n’en savait rien car
ceux-ci dépendaient de Moscou et ne tenaient pas Karlhorst au courant de
leurs activités, Staline explosa, disant que c’était inadmissible, et il se
lança dans une diatribe contre les organes de Sécurité qui « avaient perdu
leur vigilance révolutionnaire et ne s’acquittaient pas de leurs tâches ». En
parlant « il regardait Beria qui restait impassible{2913} ».
Le 2 novembre, Staline convoqua Ignatiev, Goglidzé, Rioumine et
d’autres officiers du MGB, et se plaignit de ce que les enquêteurs
« travaillaient sans enthousiasme, ne savaient pas exploiter les
contradictions et les omissions dans les dépositions des accusés{2914} ».
À Ignatiev il précisa sa pensée :

Voulez-vous être plus humains que Lénine qui avait ordonné à


Dzerjinski de défenestrer Savinkov ? Dzerjinski n’était pas comme
vous, il ne se défilait pas devant le sale boulot. Vous ressemblez à des
maîtres d’hôtel en gants blancs. Si vous voulez être des tchékistes,
enlevez vos gants blancs. Le métier de tchékiste est un métier de
paysans, pas de barons{2915}.

Bref, la consigne était claire : procéder à de nouvelles arrestations de


médecins et extorquer des aveux par n’importe quels moyens{2916}.
« Staline exigea d’Ignatiev qu’il tabasse les médecins et qu’il les
enchaîne, et il menaça de le réduire en chair à pâtée{2917}. » En même
temps, les enquêteurs devaient promettre aux médecins la vie sauve s’ils
nommaient les commanditaires des actes terroristes{2918}.
Staline trouvait en effet que l’enquête sur les « médecins assassins »
continuait à piétiner et il perdait patience. Le 11 novembre, de nombreux
médecins, juifs et non juifs, furent arrêtés et la torture leur fut
systématiquement appliquée à partir du 12 novembre. Le 13 novembre,
Staline fit limoger Rioumine, incapable selon lui « de mener l’enquête
jusqu’au bout » dans l’affaire Abakoumov et celle des médecins, et il
donna ses nouvelles directives concernant ces investigations, notamment
l’application de la torture{2919}. Épuisé par le stress, Ignatiev se fit
hospitaliser et Staline confia à Goglidzé la lourde responsabilité de
l’enquête sur le complot des « blouses blanches ». Goglidzé racontera par
la suite :
Presque chaque jour, le camarade Staline demandait des nouvelles de
l’instruction de l’affaire des médecins et de l’affaire Abakoumov-
Shwartzman ; il me téléphonait ou me convoquait dans son bureau. Il
était d’habitude fort irrité et manifestait un vif mécontentement sur
les progrès de l’enquête. Il m’insultait, me menaçait, et réclamait que
l’on rouât de coups les détenus : « Rossez-les, rossez-les à mort »,
répétait-il{2920}.

L’affaire des « blouses blanches » était entrée dans sa phase critique.


Goglidzé y trouva une solution élégante, du point de vue des membres
du Politburo : il s’arrangea pour faire retomber les soupçons sur Vlassik et
Poskrebychev. Le 15 novembre, Egorov avoua que Vlassik et lui buvaient
souvent ensemble et qu’ils se fréquentaient avec assiduité. Le
21 novembre, Vlassik fut convoqué au MGB en qualité de témoin et
Goglidzé commença à l’interroger ; il le fit incarcérer le 15 décembre,
l’accusant de ne pas avoir attaché d’importance à la lettre de Timachouk
en 1948{2921}, d’avoir « manqué de vigilance » et d’avoir « abusé de la
confiance du Parti et du gouvernement soviétique ». Goglidzé voulut en
faire le principal accusé dans l’affaire des médecins{2922}, allant jusqu’à
l’accuser de haute trahison en janvier 1953 : Vlassik et Abakoumov se
seraient entendus pour étouffer toute information sur les agissements
criminels des médecins. Dans le projet d’acte d’accusation on peut lire :
« Abakoumov et Vlassik ont livré Timachouk à la vengeance […] des
espions terroristes étrangers Egorov, Vinogradov, Vasilenko et Maiorov. »
Ce document porte une correction manuscrite de Staline : « Jdanov n’est
pas simplement mort, il a été assassiné par Abakoumov{2923}. »
Staline n’oubliait pas pour autant ses plans de refonte du MGB. Le
9 novembre, le Bureau du Présidium créa une Commission pour la
réorganisation du renseignement et du contre-espionnage des services du
MGB. Staline lui donna les instructions suivantes qui attestent que le
vieillard n’avait rien perdu de son acuité intellectuelle et qui fournissent
des clés permettant de mieux comprendre à la fois sa politique extérieure
et les grandes affaires en cours :

Dans le renseignement il ne faut jamais mener une attaque frontale.


Nos services doivent toujours agir de manière indirecte. Autrement
nous essuierons des échecs graves. L’attaque frontale est une tactique
myope. […] Nous devons constamment changer de tactique et de
méthodes. Nous devons utiliser la conjoncture mondiale. Il faut
manœuvrer de manière raisonnable, utiliser ce que Dieu nous donne.
[…] Il faut prendre ce qui est mal gardé, aller aux points faibles.
Notre ennemi principal est l’Amérique. Mais nous devons faire porter
l’essentiel de nos efforts ailleurs qu’en Amérique. Il faut créer des
résidences clandestines dans les pays voisins. La première base où
nous devons avoir des gens à nous est l’Allemagne de l’Ouest. Il ne
faut pas être naïf en politique et encore moins en matière de
renseignement. Il ne faut pas confier à un agent une mission pour
laquelle il n’est pas prêt, une mission qui le désorganise moralement.
Dans le renseignement il faut avoir des gens d’horizon large, des
professeurs [il donna l’exemple d’un professeur envoyé en France
pour analyser la situation des organisations mencheviques et qui à lui
seul avait fait plus que des dizaines d’autres]. […] Les communistes
qui regardent de travers le renseignement et les activités de la Tcheka,
qui ont peur de se salir les mains, doivent être noyés dans un
puits{2924}.

Le 2 novembre, Pitovranov fut libéré. En avril 1952, il avait écrit de


prison une lettre à Staline où il formulait des suggestions pour la réforme
de la Sécurité d’État et proposait de créer de faux groupes nationalistes
juifs dans les républiques de l’URSS de manière à démasquer les canaux
sionistes. Il y dénonçait aussi Vlassik, affirmant qu’Abakoumov était au
courant de chaque entretien des dirigeants protégés par les hommes de
Vlassik{2925}. Le 11 novembre, Pitovranov fut convoqué chez Staline qui
lui annonça que des mesures allaient être prises en vue « d’une
amélioration radicale des organes de la Sécurité d’État, et d’une
unification du renseignement et du contre-espionnage ». Staline reprochait
surtout au MGB de refuser de pratiquer la terreur et le sabotage dans les
pays de l’OTAN et de n’avoir pas su démasquer les ennemis infiltrés. Il
ordonna la création d’une administration principale de la sécurité d’État,
qui réunirait une direction du renseignement confiée à Pitovranov et une
direction du contre-espionnage confiée à Riasnoï qui, jusque-là, dirigeait
le renseignement extérieur, avec une rare incompétence selon les hommes
du métier{2926}. Staline décida de dissoudre l’administration des
illégaux{2927}, sans doute parce qu’il avait compris l’utilisation que
Beria faisait des illégaux.
Le 20 novembre, Pitovranov fut chargé de la réorganisation du contre-
espionnage et Ogoltsov nommé premier vice-ministre de la Sécurité
d’État. Le 30 novembre, le MGB rendit un rapport signé par Ignatiev,
Goglidzé et Ogoltsov sur le bilan des changements au sein du MGB depuis
la chute d’Abakoumov. Les chefs du MGB faisaient leur autocritique :
aucun progrès n’avait été réalisé depuis juillet 1951, l’enquête sur les
médecins piétinait, l’instruction sur Abakoumov n’avait pas fait la lumière
sur ses crimes. À l’étranger, le MGB n’était pas assez offensif. Un long
développement était consacré à l’activité des services américains et
soviétiques en Europe occidentale, aux problèmes du contre-espionnage
soviétique en Europe occidentale, et à la nécessité d’améliorer le
renseignement soviétique en Israël et ailleurs{2928}. Staline réagit
immédiatement et convoqua, le 1er décembre, une réunion élargie du
Présidium devant laquelle il déclara qu’Abakoumov et Vlassik avaient
caché le complot qui avait abouti à la mort de Jdanov. Les tchékistes
avaient perdu leur vigilance, « ils se vautraient dans leur fumier ». Or
« plus nous remportons de succès, plus les ennemis essaient de nous
nuire ». Il affirma que, sans lui, bon nombre de membres du Bureau ne
seraient plus de ce monde : « Vous êtes des chatons aveugles, après moi
vous perdrez le pays car vous n’êtes pas capable de démasquer les
ennemis{2929}. » Staline, lui, savait où les débusquer : « Tout nationaliste
juif est un agent des services américains{2930}. »
La version définitive de l’affaire des « blouses blanches » fut bouclée
par la résolution du Comité central du 4 décembre, intitulée : « Situation
au ministère de la Sécurité d’État et sur le sabotage dans le système de
soins ». Cette résolution ordonnait au MGB de faire la lumière sur les
liens entre les médecins et les services américains et britanniques ; elle
limogeait Smirnov, le ministre de la Santé publique, et critiquait la
manière dont la « nouvelle direction du MGB » – Ignatiev – avait mené
l’enquête{2931}. Surtout, elle ordonnait de « mettre radicalement fin au
caractère incontrôlé des organismes du ministère de la Sécurité d’État » et
de les replacer sous le contrôle du Parti ; en particulier, les organes du
Parti devaient être au courant des opérations du MGB et disposer d’une
liste de tous les agents{2932}. Là encore, Staline se livrait à une
polémique implicite avec Beria :

Nombre de tchékistes prétendent que le marxisme-léninisme est


incompatible avec le sabotage et la terreur contre l’ennemi de classe.
Ce sont des arguties pourries et nuisibles. Ces tchékistes ratés ont
abandonné les positions du marxisme-léninisme révolutionnaire et
ont déchu au point d’épouser celles du libéralisme et du pacifisme
bourgeois. Ils ont oublié qu’on ne peut combattre l’ennemi de classe
enragé en gants blancs… Il est impossible de concevoir un MGB qui
ne se livrerait pas à des attentats dans le camp de l’ennemi{2933}.

Le Comité central adressa derechef une directive aux organes du Parti


les invitant à « contrôler l’activité du ministère de la Sécurité au centre et
dans les régions{2934} ». Les organes du Parti au sein du MGB devaient
assurer leurs fonctions de contrôle « au lieu de chanter des dithyrambes à
la direction » du MGB. Les secrétaires des organisations du Parti au sein
du MGB des républiques, des territoires et des régions devaient être
nommés par les dirigeants du Parti de même niveau{2935}. Ces décisions
étaient inspirées par les leçons que Staline avait tirées de l’affaire
mingrélienne.
Le 19 décembre fut créée la Première Administration principale dont le
chef eut le rang de vice-ministre. Tous les organes de sécurité chargés du
renseignement (Pitovranov) et du contre-espionnage (Riasnoï) furent
fusionnés dans cette nouvelle administration dont Ogoltsov, vieil
adversaire de Beria{2936}, assura la direction à partir du 30 décembre. La
priorité fut donnée au renseignement à l’étranger, confié à Pitovranov.

Staline voulait créer un réseau de renseignement grandiose. […] Nous


devons agir de manière décisive contre les Américains, d’abord en
Europe et au Moyen-Orient. […] C’est la structure multinationale de
sa population qui rend l’Amérique vulnérable. Nous devons profiter
de tous les moyens dont nous disposons pour exploiter les
minorités{2937}.

Staline reprocha une fois de plus au MGB d’avoir négligé l’utilisation


de la terreur et déplora que « nous n’ayons pas d’agents bien implantés
dans les ambassades des États-Unis et d’Angleterre{2938} ».
Pourquoi Staline a-t-il confié à Goglidzé, et donc à Beria, la haute main
sur le complot des « blouses blanches », alors qu’au même moment il
resserrait autour de lui l’étau de l’affaire mingrélienne ? Sans doute
exaspéré par l’absence de résultats du tandem Ignatiev/Rioumine, Staline
décida-t-il, une fois de plus, de s’en remettre aux hommes de Beria dont il
appréciait l’efficacité. Ceci est confirmé par le témoignage de Rybine :

Goglidzé devint un visiteur fréquent de la datcha [de Staline]. Il lui


apportait les dossiers de l’instruction des médecins arrêtés. Comme
toujours, Beria restait dans l’ombre, mais il ne cessait d’insister pour
que Staline reçoive Goglidzé en lui faisant miroiter des révélations
sensationnelles sur les nids d’espions{2939}.
Et Staline ne fut pas déçu : cette fois l’affaire des « blouses blanches »
débouchait là où elle devait déboucher, et prit les dimensions d’un
complot terroriste où étaient impliquées des puissances étrangères qui
avaient recruté les « blouses blanches ». Les médecins M. S. Vovsi et
M. B. Kogan avouèrent avoir décidé, en juillet 1952, d’assassiner Staline,
Beria et Malenkov{2940}. Goglidzé avait inscrit les noms de Beria et
Malenkov sur la liste des victimes potentielles pour démontrer à Staline
qu’ils ne trempaient pas dans le complot. Le 24 novembre, le MGB
compila pour Staline un rapport sur le complot des médecins, signé du
seul Goglidzé, qui établissait un lien entre la mort de Jdanov et celle de
Chtcherbakov : tous deux avaient été soignés par le professeur Vinogradov.
Car les deux affaires devaient absolument être liées : la lettre de
Timachouk permettait d’établir le sabotage médical, l’affaire Etinger
permettait de faire la jonction entre sabotage médical et nationalisme
juif{2941}. Goglidzé n’oublia pas de souligner que les médecins juifs
travaillaient pour la CIA{2942}.
En décembre, les arrestations et les interrogatoires se multiplièrent et
vingt-deux autres médecins furent incarcérés. Vinogradov devint la figure
centrale du complot dont les fils remontaient à un certain L. B. Berlin,
cousin d’Isaïah Berlin, deuxième secrétaire de l’ambassade de Grande-
Bretagne à Moscou ; par ailleurs, les médecins avaient aussi reçu leurs
ordres de Mikhoëls de retour des États-Unis, lequel était en contact avec
Miron Vovsi, le principal médecin du ministère de la Défense, qui soignait
les officiers supérieurs de l’Armée rouge {2943}. En un mot Goglidzé fit
parvenir le complot à maturation : il articula le complot des « blouses
blanches » et la « conspiration terroriste » au sein du MGB, celle-ci étant
patronnée par un membre du Politburo, Kouznetsov, qui agissait pour le
compte des Américains et était de mèche avec Abakoumov. Le but du
complot était de prendre le pouvoir et d’assassiner certains membres du
Politburo. Ainsi grâce à Goglidzé, Staline fut comblé, la boucle était enfin
bouclée et les différents fils de l’enquête semblaient se rejoindre. En
réalité il était victime d’une machination magistrale.
En effet, Beria réussit d’abord à détourner les soupçons que Staline
nourrissait à son endroit sur le défunt Kouznetsov désormais accusé
d’avoir manipulé Abakoumov dans ses menées subversives, alors
qu’auparavant, derrière Abakoumov, Staline visait Beria. La version
Kouznestov convenait à l’ensemble du Politburo puisqu’elle permettait de
neutraliser la manœuvre imaginée par Staline contre ses proches : l’affaire
Abakoumov ne pouvait plus entraîner la chute des membres du Politburo,
elle donnait en quelque sorte dans un mur.
En second lieu, Beria réussit à retourner l’affaire des « blouses
blanches » et à persuader Staline de se défaire de ses derniers fidèles,
Vlassik et Poskrebychev limogé le 15 décembre. L’enquête qui se
concentra autour de Vlassik eut pour but de démontrer la corruption totale
régnant au MGB. Et, dans un sens, cette enquête visait aussi à éclabousser
Staline, car elle révélait que ses deux intimes, Poskrebychev et Vlassik,
étaient des débauchés notoires, des ivrognes chroniques qui n’hésitaient
pas à voler la nourriture destinée à la table de Staline ni à dérober les
objets précieux offerts à celui-ci. Staline, qui aimait à se parer de son
ascétisme aux yeux du monde, fut outré en apprenant tout cela. En janvier
1953, il alla jusqu’à reprocher à Ignatiev de n’avoir pas torturé Vlassik :
« Vous ménagez les vôtres{2944}. » Ainsi, sans regret, Staline se détourna
de ses collaborateurs les plus proches. Comme l’écrira Khrouchtchev :
« Si l’on compare Staline à un chêne puissant et inflexible, alors on peut
dire que ce chêne s’était coupé lui-même toutes ses branches{2945}. »
Déjà, le 12 octobre 1952, il avait limogé les chefs de son service personnel
de contre-espionnage pour qui l’affaire des « blouses blanches » n’était
qu’une provocation des services anglo-américains visant à discréditer
l’URSS, et qui avaient en vain tenté de convaincre Staline qu’il n’y avait
pas de complot des médecins{2946}.
Enfin et surtout, Beria s’arrangea pour donner à la campagne antisémite
un retentissement international. La chronologie de l’affaire des « blouses
blanches », telle qu’elle ressort des archives, confirme la thèse du
biographe de Beria, N. Roubine, selon laquelle Beria voulait utiliser cette
affaire pour achever de discréditer Staline{2947}. C’est en décembre, au
moment où Goglidzé prit le contrôle de l’enquête, que furent arrêtés la
plupart des médecins juifs, dont M. Vovsi, le cousin de Mikhoëls. C’est
aussi en décembre que l’affaire prit une tonalité plus ouvertement
antisémite – vingt-huit médecins et neuf membres de leur famille furent
arrêtés de novembre 1952 à février 1953. Les enquêteurs établirent un lien
entre le complot des « blouses blanches » et l’affaire du CAJ dont l’un des
condamnés, V. A. Chimeliovitch, était médecin ; dans une déposition
extorquée sous la torture, Vovsi l’accusa d’avoir transmis aux Américains
des renseignements sur l’état de santé des patients de la clinique du
Kremlin.
À la même époque, Beria encourageait en sous-main Staline à relancer
un projet qui lui tenait à cœur : l’assassinat de Tito. Croyant agir derrière
le dos de ses collègues, un mois avant sa mort, Staline ordonna à Ogoltsov,
Pitovranov et Ignatiev de liquider Tito à l’insu du Politburo : « Si nous
réussissons, je le leur dirai moi-même », annonça-t-il à Ignatiev{2948}.
Le MGB proposa des scénarios plus rocambolesques les uns que les
autres : l’un prévoyait de faire inhaler à Tito des bactéries de la peste
pulmonaire ou bien de l’assassiner à Londres en pleine réception
officielle, en disséminant ensuite du gaz lacrymogène pour permettre à
Grigoulevitch, l’assassin pressenti, de prendre le large{2949}. Ainsi les
proches de Staline distrayaient le vieillard. Beria et ses acolytes
pratiquaient une politique du pire en prévision de la succession. Par
exemple, Bogdan Koboulov, qui administrait les avoirs soviétiques en
RDA, ne cessait de réclamer un alourdissement des réparations prélevées
sur la RDA, aggravant la crise catastrophique dans laquelle se débattait le
SED au début de 1953{2950}.

Un crescendo dans l’hystérie.


Staline commença-t-il à se douter du piège dans lequel il était en train
de tomber ? Nourrissait-il le dessein de le retourner contre ses proches ?
De fait, le 9 janvier, lors de la réunion du Bureau du Présidium consacrée à
la discussion du projet d’annonce de l’arrestation des médecins par TASS,
Staline s’absenta à la dernière minute – soit pour des raisons de santé soit
par calcul politique –, se donnant ainsi la possibilité de se désolidariser
des décisions adoptées, en restant dans la coulisse. Étaient présents Beria,
Boulganine, Vorochilov, Kaganovitch, Malenkov, Chkiriatov, Chepilov,
Ogoltsov et Goglidzé. L’approbation du projet fut signée par le « Bureau
du Présidium du Comité central » et non par Staline comme à l’ordinaire.
Staline n’en continua pas moins à suivre cette affaire dans le détail,
comme en témoigne une note envoyée le 9 janvier par Poskrebychev à
Nikolaï Mikhailov, dans laquelle Staline indiquait à quelle page des
journaux il fallait publier l’annonce sur le complot des « blouses
blanches{2951} ».
Le 13 janvier, la Pravda publia l’annonce de TASS dénonçant le
complot des « blouses blanches » ainsi qu’un éditorial intitulé : « De vils
espions et assassins camouflés en médecins ». Cet article, rédigé par
Chepilov, fut corrigé et annoté de la main de Staline. L’annonce de TASS
était de tonalité moins hystérique que l’éditorial de la Pravda, mais c’était
la première fois depuis la guerre que des arrestations et un procès étaient
annoncés dans la presse. L’article s’en prenait à l’« ancienne direction du
MVD » qui n’avait pas su débusquer le complot :

Certains s’imaginent que le danger de sabotage, de diversions et


d’espionnage n’existe plus. […] Mais il n’y a que des opportunistes
de droite qui peuvent croire cela, des gens qui défendent le point de
vue antimarxiste selon lequel la lutte des classes irait en diminuant.
Ils ne comprennent pas et ne peuvent pas comprendre que nos succès
mènent non à l’extinction de la lutte des classes, mais à son
aggravation.

Les médecins étaient divisés en deux groupes : le premier recruté par la


CIA par l’entremise du Joint ; le second, autour de Vinogradov, travaillait
pour les services britanniques. Les médecins étaient la cinquième colonne
infiltrée par les Anglo-Américains en prévision de la guerre avec l’URSS,
résultat du manque de vigilance des Soviétiques. L’annonce de TASS se
terminait sur une phrase qui signifiait un procès public imminent :
« L’instruction sera achevée incessamment. » Or les archives révèlent que
l’enquête était loin d’être achevée, que de nombreux médecins ne furent
arrêtés qu’en janvier-février et qu’il fallut attendre le 12 février pour que
Vinogradov avoue avoir assassiné Jdanov. On voit mal comment un procès
public pouvait être organisé dans un proche avenir.
L’URSS sembla balayée par un vent de folie. Les Izvestia du 15 janvier
citèrent le discours de Staline au Plénum de février-mars 1937 annonçant
la destruction prochaine des ennemis. Jemtchoujina fut ramenée à Moscou
en janvier et soumise à de nouveaux interrogatoires. D’autres médecins
juifs furent arrêtés afin d’étayer la thèse d’une conspiration entre le Joint,
le CAJ et les médecins, thèse qui jusque-là ne reposait que sur les aveux
de Vovsi. Sur ordre de Staline, Malenkov reçut, le 20 janvier, Timachouk,
la félicita de son « patriotisme » et la décora de l’ordre de Lénine{2952}.
Ce fut le signal d’une campagne de délations et les arrestations de Juifs se
multiplièrent. Le 9 février, Maria Weizmann, la sœur du président d’Israël
Chaïm Weizmann, fut incarcérée ; Malenkov et Ignatiev furent chargés du
dossier{2953}. Le 11 février intervint la rupture des relations
diplomatiques avec Israël. Le 19 février, Maïski fut arrêté, accusé d’avoir
été trop bien disposé à l’égard des Occidentaux et d’avoir travaillé pour
les services britanniques : le complot sioniste étendait ses tentacules au
ministère des Affaires étrangères – ironie du sort, en 1955, le malheureux
Maïski sera condamné à six ans d’exil pour ses liens avec Beria et ne sera
réhabilité qu’en 1960. Même en Géorgie, les Juifs furent persécutés à
partir de janvier 1953, la moitié des synagogues furent fermées, ainsi que
le cimetière juif de Tbilissi{2954}. Le pays semblait en proie à une
hystérie collective. Lydia Timachouk fut comparée à une « Jeanne d’Arc
soviétique ». Dans les cliniques, des patientes exaltées agressaient des
médecins juifs. Les chirurgiens n’osaient plus opérer et on cessa d’acheter
des médicaments de peur d’être empoisonné.

La lettre des intellectuels juifs.


Toutefois les membres du Politburo s’efforçaient de conserver un profil
bas dans cette campagne. Le lendemain de la parution de l’annonce de
TASS, Goglidzé fit parvenir à Staline, Malenkov, Beria, Boulganine et
Khrouchtchev un rapport sur les réactions des diplomates étrangers et de
l’intelligentsia soviétique. Les premiers appelaient l’affaire une « histoire
de fous{2955} ». C’est dans ce contexte que naquit le projet d’une lettre
de riposte signée par les intellectuels juifs soviétiques de renom. Une
première mouture fut prête vers le 20 janvier, mais elle avait été rédigée
sous la supervision de Nikolaï Mikhaïlov, le chef de l’Agitprop à l’époque,
et était dans le style hystérique de l’annonce de TASS du 13 janvier. La
thèse fondamentale défendue par ce texte était qu’il n’y avait pas d’intérêt
commun aux Juifs, qu’il y avait les Juifs banquiers et les Juifs travailleurs,
et que l’Amérique n’était pas l’amie des Juifs : elle soutenait les Juifs
exploiteurs alors que les Juifs travailleurs avaient trouvé leur patrie en
URSS. En fait les Juifs plaçaient leur confiance dans le « grand peuple
russe{2956} ». L’historien Isaac Mintz, le philosophe Marc Mitine et
Jakov Khavinson-Marinine, le rédacteur en chef de la revue L’Économie
mondiale et les relations internationales, furent chargés de la collecte des
signatures entre le 20 et le 23 janvier. Ehrenbourg décida alors de réagir et
il adressa une lettre à Staline où il faisait part de ses objections à ce texte
qui discréditerait l’URSS à l’étranger et porterait un coup au mouvement
communiste international{2957}. Le 27 janvier, il reçut le prix Staline et
le dictateur décida de suivre son conseil et de rejeter la première mouture
de la lettre, confiant à Chepilov le soin de rédiger un nouveau texte. Celui-
ci fut prêt le 20 février ; le ton en était tout différent. Il n’était plus
question de « dégénérés », de « bandes d’espions », d’« impérialistes
anglo-américains » ; il n’y avait plus d’appel à l’extermination des
« médecins-empoisonneurs ». La lettre s’achevait sur un appel à l’« union
de toutes les forces progressistes du peuple juif » et à la création d’une
revue destinée aux Juifs soviétiques et aux Juifs de l’étranger. Staline
semblait donc avoir renoncé au procès public des accusés et décidé de
mettre en sourdine la campagne antisémite, du moins
publiquement{2958}, puisque le 22 février une circulaire secrète fut
envoyée à toutes les administrations régionales du MGB, leur enjoignant
de limoger tous les officiers juifs sans exception, mesure exécutoire le
lendemain même{2959}.
Dès les 16 et 17 février, les Soviétiques avertis détectèrent un
changement dans la presse qui ne mentionna plus les « médecins
assassins » et cessa de préconiser les « écrits géniaux » du camarade
Staline. La dernière allusion aux médecins parut dans la Komsomolskaja
Pravda du 18 février. À partir de cette date, le traitement des médecins
incarcérés s’améliora, mais leurs interrogatoires se poursuivirent jusqu’au
5 mars. Soudoplatov a remarqué que, durant ces journées, le
comportement d’Ignatiev révélait une incertitude croissante ; il était
conscient que la campagne antisémite donnait des signes
d’essoufflement{2960}.
Nous en sommes réduits aux hypothèses pour interpréter ces
événements. Staline fut-il isolé du pouvoir à partir de son départ pour sa
datcha le 17 février ? Tout indique, en effet, que les rapports importants
des services spéciaux ne lui furent plus envoyés{2961}. Pourtant, le
20 février, il continuait à préparer la purge au MGB et il annota un projet
d’acte d’accusation contre Abakoumov, où il suggérait de fusionner
l’affaire Abakoumov-Shwartzman avec celle des médecins et de préparer
un procès avant la fin mars 1953. Abakoumov et un groupe d’officiers du
MGB, parmi lesquels Leonov, Likhatchev, Raikhman et d’autres – Staline
avait noté dans la marge : « n’est-ce pas trop peu ? » – devaient être jugés
à huis clos et condamnés. Abakoumov était en particulier accusé d’avoir
traité l’affaire Kouznetsov comme une affaire locale en omettant
d’enquêter sur les liens avec l’étranger. Les hommes d’Abakoumov –
Leonov, Shwartzman, Likhatchev, Komarov et Ja. M. Broverman – étaient
accusés d’avoir saboté l’enquête sur l’affaire du CAJ en négligeant les
projets terroristes et les activités d’espionnage. Enfin, les « aveux » de
P. A. Gavrilov et K. A. Lavrentiev, les deux homosexuels infiltrés dans
l’ambassade américaine devenus agents doubles, attestaient l’existence en
1950 d’un complot pour assassiner Staline, dont les fils remontaient à
Abakoumov et à Leonov{2962}.
Faut-il conclure que Staline espérait extorquer de nouveaux « aveux »
en relançant l’enquête pour étayer les accusations de la Pravda du mois
précédent{2963} ? Ou bien faisait-il marche arrière, au moins en
apparence, et s’apprêtait-il à désigner des boucs émissaires, selon un
scénario bien rodé ? La seconde hypothèse semble mieux cadrer avec les
faits, surtout si l’on se rappelle un épisode narré par Khrouchtchev qui
atteste que Staline avait envisagé, dès 1950, d’utiliser la politique
antijuive comme instrument de provocation contre ses proches.
Khrouchtchev raconte, en effet, que Staline lui avait conseillé à l’époque
d’« organiser les travailleurs sains, de leur donner des matraques afin
qu’ils rossent les Juifs après leur journée de travail ». « Alors que nous
sortions, Beria me dit ironiquement : “Alors, tu as reçu tes ordres ?” » De
manière révélatrice, Khrouchtchev poursuit :
Je savais bien que si j’entreprenais quelque chose dans cette
direction, malgré l’ordre explicite de Staline, et que cela se sache,
une commission serait organisée et les coupables seraient châtiés.
Staline n’aurait reculé devant rien et aurait tordu le cou à quiconque
compromettrait son nom, surtout dans un domaine aussi sensible et
honteux que l’antisémitisme{2964}.

Quoi qu’il en soit, à partir du 2 mars les allusions aux « ennemis du


peuple » disparurent de la Pravda, de même que les invectives
antiaméricaines et antisionistes. Il est clair qu’un revirement de la
politique soviétique eut lieu le 1er mars. Pour l’historien Jaurès
Medvedev, c’est Staline lui-même qui, le 27 février, aurait donné l’ordre
de mettre fin à la campagne contre les médecins. Plus étonnant encore, s’il
faut en croire Volkogonov, Staline aurait pris la décision, le 28 février, de
mettre fin à la guerre de Corée et il aurait annoncé à ses collègues qu’il
avait l’intention d’agir dès le lendemain{2965}. Dans cette hypothèse, il
aurait décidé de passer à la phase suivante de son plan, l’élimination de
Beria et Malenkov à qui il aurait fait porter la responsabilité des outrances
passées, exactement comme il avait procédé autrefois. Ainsi, en 1936-
1937, les plus véhéments à réclamer l’anéantissement des ennemis du
peuple furent des hommes que Staline avait décidé de faire fusiller, mais
qu’il encourageait en attendant à se montrer plus sanguinaires que les
autres, comme Stanislav Kossior, Robert Eikhe ou Pavel Postychev, pour
ne citer que quelques exemples.
S’il n’était pas mort dans la nuit du 1er mars, Staline aurait pu se poser
en protecteur des Juifs contre le couple malfaisant Beria-Malenkov qui
avait abusé de sa confiance. Cette hypothèse a l’avantage d’expliquer
pourquoi il confia à Goglidzé l’instruction du complot des « blouses
blanches » en novembre 1952, alors que l’enquête sur l’affaire
mingrélienne l’avait confirmé dans ses soupçons à l’égard de Beria :
V. F. Allilouev tient de sa cousine Svetlana que « peu de temps avant sa
mort, Staline lui avait dit qu’il avait compris maintenant que Beria était un
ennemi et qu’il y aurait un duel entre eux{2966} ». Et, lors de son dernier
entretien téléphonique avec sa fille, Staline lui demanda de se renseigner
sur un certain Nadirachvili qui connaissait des faits compromettants sur
Beria, et qui avait essayé de faire parvenir une lettre à Joukov ou
Vorochilov{2967}.
Le complot des « blouses blanches » était devenu le champ
d’affrontement entre les deux Géorgiens. On comprend dès lors pourquoi
Staline s’était absenté à la réunion du 9 janvier, laissant ses proches
endosser l’opprobre du déchaînement antisémite.
Jaurès Medvedev estime, cependant, que cette explication écarte
l’hypothèse d’un assassinat de Staline, puisque le changement du 1er mars
aurait été orchestré par Staline lui-même et non par ses
successeurs{2968}. On peut tout autant conclure que cette thèse renforce
l’hypothèse d’un assassinat de Staline, car les enjeux étaient encore plus
grands : la question était de savoir qui allait entrer dans la postérité en
successeur de Hitler en matière d’antisémitisme. Le revirement de Staline
pouvait inciter les membres du Politburo à agir vite, avant que ce tournant
ne fût connu à l’étranger. Si Staline a ordonné le 27 février à la Pravda de
mettre fin à l’hystérie antisémite et si vraiment il s’apprêtait à faire
paraître la mouture Chepilov de la lettre des intellectuels juifs, alors Beria
et ses complices du Politburo devaient le prendre de vitesse en précipitant
son trépas et en laissant gonfler les rumeurs sur ses dernières semaines,
sur la fameuse lettre des intellectuels juifs et sur la déportation imminente
des Juifs soviétiques dont la presse occidentale commençait à se faire
l’écho{2969}.
Nous arrivons donc à une interprétation paradoxale du complot des
« blouses blanches ». Celui-ci fut utilisé à la fois par Staline et par Beria
dans leur affrontement larvé. Beria voulait détruire le prestige de Staline,
à l’étranger et en URSS, de son vivant. Staline voulait que ses vassaux du
Politburo deviennent les instruments d’une nouvelle folie sanglante et
spectaculaire, afin de pouvoir s’en débarrasser comme il avait fait
disparaître Ejov au soulagement de tous, afin de s’entourer ensuite de
nouveaux promus, des hommes jeunes nés sous le régime communiste, et
qui ignoraient tout de ses crimes. Son état d’esprit se manifesta lorsque, le
17 février, il reçut l’ambassadeur indien Krishna Menon, le dernier
étranger à l’avoir vu vivant : il dessinait des loups et fit remarquer que les
paysans avaient bien raison d’exterminer les loups enragés. L’affaire des
« blouses blanches » fut l’ultime épisode de ce duel entre Staline et Beria.
Quatrième partie

LES CENT JOURS DE BERIA

Si on systématise les faits épars de son activité, si on les analyse, on


s’aperçoit qu’il avait une conception politique à lui
[[Kaganovitch{2970}].

Il était double, mais il est devenu un et a fini par agir dans un seul sens
[[Khrouchtchev{2971}].

An intelligence service is the ideal vehicle for a conspiracy


[Allen Dulles{2972}].

25

La mort de Staline
Aux origines du « dégel »

Personne ne sait au juste comment Staline est mort. Après l’arrestation


de V. N. Vinogradov, son médecin personnel, Staline avait ordonné la
destruction de son dossier médical{2973}, et les témoignages sur ses
derniers jours sont contradictoires. Tous cependant s’accordent sur un
point : Staline est tombé malade après un dîner à sa datcha, dans la nuit du
28 février au 1er mars 1953, en compagnie de Beria, Malenkov,
Khrouchtchev et Boulganine. Khrouchtchev affirme dans ses Mémoires
que Staline était de bonne humeur ce soir-là et que tout s’était bien passé,
au grand soulagement des invités qui se retirèrent à 4 heures du matin.
Toutefois, ce n’est pas la version du garde du corps de Staline, Rybine,
recueillie par Volkogonov{2974}. Selon Rybine, Staline était d’une
humeur massacrante, mécontent du progrès de l’enquête sur le complot
des « blouses blanches ». Il aurait menacé « de raccourcir Ignatiev d’une
tête » s’il n’arrachait pas les aveux voulus. Tous sauf Boulganine auraient
été les cibles de son accès de rage et Staline aurait quitté la pièce en
claquant la porte, plantant là ses collègues du Présidium qui seraient
ensuite rentrés chez eux, Malenkov et Beria repartant dans la même
voiture.
Quoi qu’il en soit, au matin du 1er mars, les gardes attendirent en vain
la sonnerie de Staline. À 4 heures de l’après-midi, ils étaient déjà fort
inquiets, mais aucun n’osait paraître devant Staline sans être appelé. C’est
en définitive vers 22 h 30 qu’ayant reçu un paquet de courrier, les gardes
du corps prirent leur courage à deux mains et entrèrent chez Staline. Ils le
découvrirent en pyjama, inconscient, gisant sur le sol près de la table dans
une mare d’urine. Ils l’allongèrent sur un divan et le recouvrirent d’une
couverture. À partir de là, les interrogations se multiplient. Les gardes du
Kremlin avaient ordre d’appeler immédiatement les médecins en cas de
nécessité et n’avaient pas à consulter les membres du Politburo. Pourquoi
le firent-ils ce soir-là ? Ils téléphonèrent d’abord à Ignatiev qui, prudent,
leur dit d’avertir Beria et Malenkov. Selon Rybine, Beria aurait téléphoné
vers 23 heures dans la nuit du 1er au 2 mars pour avertir les gardes de ne
rien dire sur la maladie de Staline ; puis, de 23 heures à 3 heures du matin,
il fut introuvable.
Beria et Malenkov finirent par arriver vers 3 heures du matin le 2 mars.
Ils jetèrent un coup d’œil à Staline et Beria dit aux gardes de corps : « Pas
de panique. Vous voyez bien que le camarade Staline dort profondément.
Inutile de nous déranger. Et ne dérangez pas le camarade Staline{2975}. »
Khrouchtchev et Boulganine vinrent aussi, mais restèrent près de la porte à
bavarder avec les gardes. Les membres du Présidium repartirent sans
tarder, laissant les gardes en proie à la panique : ceux-ci savaient trop bien
que, si Staline mourait sans avoir eu le secours des médecins, la faute en
serait rejetée sur eux. Au matin du 2 mars, les gardes appelèrent à nouveau
les membres du Présidium qui revinrent et convoquèrent les médecins
auxquels on déclara que Staline avait perdu conscience durant la nuit. Les
mains tremblantes, les médecins procédèrent à leur premier examen à
7 heures du matin.
Quelle que soit la manière dont se sont déroulés les événements, il est
clair que Staline a été laissé sans assistance médicale durant de longues
heures, avec la complicité des principaux membres du Présidium. Les
causes de ce retard peuvent être diverses : soit Staline avait été
empoisonné et il fallait gagner du temps afin que les traces du poison
disparaissent de l’organisme ; soit, comme le pensent Roy et Jaurès
Medvedev, les successeurs de Staline voulaient garder le secret de la
maladie de Staline le plus longtemps possible pour se mettre d’accord
entre eux et préparer la réorganisation du pouvoir. Dès le 2 mars, des
unités d’élite de la garnison de Moscou furent introduites en secret dans la
capitale{2976}. Au matin du 3 mars, l’aréopage des médecins se
prononça : Staline était condamné. Selon Sergo Beria, l’un des médecins,

Miasnikov, plut énormément à mon père. Alors que les autres


couraient dans tous les sens en proie à une vive agitation, il vint
trouver les membres du Politburo et annonça tranquillement, comme
s’il se fut agi d’une mort ordinaire : « Camarades, je dois vous
décevoir. L’issue fatale est inévitable »{2977}.

Svetlana Alliloueva, la fille de Staline, écrit que le « seul à se comporter


de manière indécente [pendant la maladie de Staline] était Beria. Il était
excité à l’extrême, son visage, déjà répugnant à l’ordinaire, était déformé
par les passions qui explosaient en lui{2978} ». Khrouchtchev renchérit :
« À peine Staline était-il tombé malade que Beria commença à rôder
autour, crachant sa haine contre lui, le couvrant de sarcasmes{2979}. »
Toutefois l’un des médecins, le professeur V. A. Negovski, a laissé un
témoignage différent :

Je n’avais pas l’impression que Beria était particulièrement excité. Il


avait certes un ton impérieux, mais avec moi il était correct et poli. Il
ne cherchait pas à imposer quoi que ce soit. Il m’encourageait même :
« Faites ce qui vous semble nécessaire »{2980}.

Les membres du Présidium veillèrent Staline à deux à tour de rôle :


Beria et Malenkov, Khrouchtchev et Boulganine, Kaganovitch et
Vorochilov. C’est alors que Khrouchtchev fit part à Boulganine de ses
appréhensions : si Beria recevait le poste de ministre de l’Intérieur, il
pourrait espionner les membres du Politburo « et cela peut mal finir pour
le Parti{2981} ». Au chevet de Staline agonisant « la lutte pour le pouvoir
avait déjà commencé », observera Mikoïan{2982}. La grave maladie du
camarade Staline fut annoncée au pays le 4 mars à 6 h 30. Le dictateur
mourut le 5 mars à 21 h 50 et son décès fut attribué à une hémorragie
cérébrale.
Staline a-t-il été assassiné ? Beria lui-même s’est vanté auprès de
Molotov d’avoir liquidé Staline. Et Molotov n’excluait pas qu’il ait dit la
vérité{2983}. Enver Hodja en était persuadé : « Les chefs soviétiques sont
des conspirateurs qui ont le toupet de dire ouvertement comme l’a fait
Mikoïan qu’ils ont monté un complot pour assassiner Staline{2984}. »
Khrouchtchev aura aussi ce mot dans un discours tenu devant les
communistes hongrois le 19 juin 1964 :

Staline anéantissait les siens. […] Personne ne parviendra à le


blanchir. Dans l’histoire de l’humanité il y a eu beaucoup de tyrans,
mais ils sont tous morts par la hache car c’est par la hache qu’ils se
maintenaient au pouvoir{2985}.

Certains historiens, comme les frères Medvedev, ne croient pas à un


empoisonnement de Staline, mais à un complot improvisé de ses proches
visant à annuler sur-le-champ les mesures prises par Staline en octobre
1952, qui devaient aboutir à leur mise à l’écart{2986}.
Les notes des médecins ayant soigné Staline à partir du 2 mars ont été
exhumées des archives russes et sont regroupées dans un rapport en deux
exemplaires dont les versions diffèrent de manière considérable. La
version finale de ce rapport est datée de juillet 1953 et commence par un
mensonge – « Dans la nuit du 2 mars, le camarade Staline a perdu
conscience{2987} » – qui montre bien que sa raison d’être visait à
exonérer les proches de Staline de tout soupçon. Le document réfute
toutefois les allégations de Khrouchtchev selon lesquelles Staline s’était
saoulé lors du dîner du 28 février : on ne trouva d’alcool ni dans son sang
ni dans ses urines. Mais certains détails fort suspects présents dans la
première version du rapport renforcent la thèse d’un empoisonnement. Les
premiers jours, les médecins notèrent en effet des symptômes de troubles
gastriques : ventre enflé, vomissements – qui n’ont pas été analysés, ce qui
était tout à fait inhabituel. Le quatrième jour, ils notèrent que le foie
débordait des côtes de trois centimètres. Le 5 mars, Staline vomit du sang
et il y avait du sang dans son urine. A. L. Miasnikov nota à propos de ces
vomissements de sang : « Ce phénomène nous rendit perplexes. Quelle en
était la cause{2988} ? » Cette hémorragie gastrique provoqua le décès de
Staline, ce qui est établi dans la première version du rapport, alors que
l’autopsie révéla qu’il n’y avait qu’un petit foyer d’hémorragie cérébrale
(0,5 cm). Or les mentions d’une hémorragie de l’estomac et de troubles
gastriques sont omises dans la version officielle du décès. En outre, le
traitement prescrit à Staline – des injections d’huile de camphre – était
totalement contre-indiqué dans son état{2989}. Tout cela étaie la thèse
d’un assassinat, surtout quand on se souvient que les fidèles de Staline
avaient été écartés, que P. Kosynkine, chef de la Kommandatura du
Kremlin, était mort de manière mystérieuse le 17 février 1953, et que cinq
membres de l’entourage proche de Staline avaient été arrêtés en
janvier{2990}.
À l’étranger, cette mort donna lieu très tôt à des rumeurs. À Prague, par
exemple, on releva que les bulletins de santé publiés pendant la maladie de
Staline décrivaient un mal « exactement – trop exactement – conforme à
ce qu’enseignent les manuels de médecine ; ce déroulement théorique du
mal se présenterait en fait bien rarement en clinique{2991} ». Une chose
est certaine : si Beria a empoisonné Staline, il l’a fait avec la complicité
de Malenkov, Mikoïan et Khrouchtchev. Ce qui explique pourquoi ce
dernier, toujours si prompt à accuser Beria de tous les forfaits, n’a jamais
tenté de lui imputer le meurtre de Staline.

« Un coup d’État intime et silencieux{2992} ».


Le Bureau du Présidium se réunit dans la nuit du 4 au 5, alors que
Staline respirait encore. Le 5 mars, à 20 heures, se tint une session
conjointe réunissant le Plénum du Comité central, le Conseil des ministres
et le Présidium du Soviet suprême. Comme le souligne l’archiviste
R. Pikhoia{2993}, ce conclave extraordinaire rassemblant l’élite du Parti
et de l’État était nécessaire pour légitimer le bouleversement voulu par le
tandem Beria-Malenkov, dont l’objectif premier était d’annuler les
décisions du XIXe Congrès, au mépris des statuts du PCUS. Les deux
hommes s’étaient mis d’accord le 4 mars sur la répartition des
portefeuilles et les changements institutionnels, et ils placèrent leurs
collègues devant le fait accompli, profitant du désarroi causé par la
disparition du Guide – ce que Khrouchtchev reprochera à Malenkov au
moment de sa disgrâce en janvier 1955{2994}. Le maréchal Joukov a
décrit dans ses Mémoires cette réunion qui s’acheva une heure avant la
mort de Staline :

Malenkov, Khrouchtchev, Beria et Boulganine étaient euphoriques.


On voyait qu’à la différence des autres ils étaient certains de la fin
prochaine de Staline. Leurs réflexions et la critique qu’ils faisaient
des institutions et des usages existant sous Staline montraient qu’ils
étaient à 100 % convaincus que Staline était à l’article de la mort et
qu’ils ne craignaient plus d’exprimer leur avis comme du vivant de
Staline. Beria était assis à côté de Boulganine et il essayait de donner
à son visage une expression bienveillante. En le regardant de près, et
bien que ses yeux fussent dissimulés derrière son pince-nez, on
pouvait lire dans son regard l’ambition et la cruauté froide. Il
semblait vouloir dire par son comportement désinvolte : « C’en est
fini du régime de Staline, nous en avons vu de toutes les couleurs
sous Staline, et maintenant tout sera différent »{2995}.

Chepilov dépeint la fin de la réunion :


Beria et Khrouchtchev étaient excités et d’une gaieté malséante,
lançant des phrases scabreuses de temps à autre. Molotov était d’une
pâleur de cire et seuls ses sourcils froncés trahissaient la tension.
Malenkov était visiblement troublé et déprimé, Kaganovitch moins
vociférant que d’habitude{2996}.

Beria proposa à Malenkov de devenir le chef du gouvernement : « Beria


lut la liste des ministres. Il était tout guilleret, nous signifiant que rien de
bien grave n’était arrivé au pays », se souvient Molotov{2997}. Puis
Malenkov annonça les autres mesures prises : le Conseil des ministres
aurait quatre vice-présidents : Beria, Molotov – redevenu ministre des
Affaires étrangères –, Boulganine et Kaganovitch. Beria fut nommé en
premier, ce qui, dans l’étiquette du Kremlin, signifiait qu’il était
désormais le numéro deux. En même temps, il fut prévu que Malenkov
présiderait aussi les sessions du Présidium du Comité central. Le Bureau
du Présidium du Conseil des ministres et celui du Présidium du Comité
central furent supprimés. Vingt-deux des membres du Présidium en furent
expulsés et celui-ci réduit à dix membres : Malenkov, Beria, Molotov,
Vorochilov, Khrouchtchev, Boulganine, Kaganovitch, Mikoïan, Sabourov
et Pervoukhine. Le Présidium élargi issu du XIXe Congrès fut ainsi écarté
du pouvoir.
Beria et Malenkov décidèrent de regrouper les ministères qui passèrent
de 51 à 25.

Ce regroupement et ce renforcement constituent à n’en pas douter une


réaction contre la dispersion de l’autorité qui se faisait jour ces
dernières années et un retour au système en vigueur pendant les
années de crise et de guerre,
note Louis Joxe dans une dépêche du 9 mars{2998}. Allen Dulles, lui
aussi, remarqua d’emblée à quel point la nouvelle structure du pouvoir
soviétique ressemblait au GKO des années de guerre{2999}. Il s’agissait
de prendre le contre-pied de la politique mise en œuvre par Staline à la
veille de la guerre et réactivée à partir de fin 1951. Le regroupement des
ministères devait permettre d’alléger la bureaucratie proliférante des
dernières années du règne de Staline et d’élargir l’autonomie des unités
économiques à la base : ainsi la disparition du ministère des Sovkhozes,
fusionné avec celui de l’Agriculture, laissa les kolkhozes sans organe
dirigeant. Il s’agissait aussi de conférer plus de liberté d’action aux
ministères et au Gosplan ; mais, comme le note Joukov dans ses
Mémoires, bien souvent ceux-ci ne surent pas profiter de cette latitude
nouvelle et vinrent à l’accoutumée chercher des instructions auprès du
Comité central{3000}.
Le MVD et le MGB furent fusionnés en un méga-ministère confié à
Beria. Cette fusion mit l’empire de Beria à l’abri d’une surveillance
échappant à son emprise, tout en lui donnant accès à tous les dossiers
compromettants sur les membres du Présidium{3001}. Comme le notera
Khrouchtchev avec aigreur au Plénum du 2 juillet, le MVD était de tous
les ministères le plus incontrôlable : « Au MVD tout est couvert par le
secret. Beria nous dit : je vais rencontrer tel agent, et qui peut vérifier ?
Personne. Voilà pourquoi il a voulu ce poste{3002}. » En outre, Beria
conserva la tutelle du Comité spécial chargé de la production de l’arme
nucléaire et il continua à superviser la production des missiles. Quant à
Khrouchtchev, il abandonna son poste à la tête de l’organisation du Parti
de Moscou « afin de pouvoir se concentrer sur son activité au sein du
Comité central ». Malenkov, Beria et Khrouchtchev furent chargés de
« mettre de l’ordre » dans les archives de Staline : déjà se profilait le trio
au sein duquel se livrera la lutte décisive pour la succession{3003}. En
attendant, Malenkov plaidait pour l’« union [spločennost] de la
direction ».
Cependant, en dépit des grandes déclarations officielles soulignant le
« monolithisme » de la nouvelle équipe, des signes de tensions apparurent
dès les premiers jours. Le 14 mars se tint un Plénum du Comité central, au
cours duquel Malenkov fut obligé d’abandonner son poste au secrétariat
du Comité central. L’initiative de cette décision revenait à Khrouchtchev,
si l’on en croit Chepilov qui rapporte les propos de ce dernier :

Pourquoi Malenkov présiderait-il au Présidium ? Pourquoi devrions-


nous tous nous soumettre à Malenkov ? Nous avons une direction
collective. Les fonctions des uns et des autres doivent être distinctes.
J’ai mes obligations, Guéorgui a les siennes{3004}.

Malenkov ne conserva que la présidence du Conseil des ministres. La


machine de l’État et celle du Parti étaient désormais séparées et on
supprima le poste de secrétaire général. Khrouchtchev contrôlait
désormais l’appareil du Parti, mais cette décision ne fut annoncée que le
21 mars.
Dans la Pravda du 10 mars parut une photo truquée qui représentait
Staline, Mao et Malenkov au moment de la signature du traité soviéto-
chinois de février 1950. Or Malenkov ne figurait pas sur la photo originale
et cette manœuvre provoqua les sarcasmes de la presse occidentale :
« Malenkov, sûr de lui, napoléonien, inspirant un Mao Tsé-toung attentif,
tandis qu’un Staline recueilli admire en son cœur la sagesse de son fils
spirituel{3005}. » Le 12 mars, D. Chepilov, directeur de la Pravda, fut
réprimandé par Malenkov au nom du Présidium du Comité central pour
avoir publié cette photo et pour avoir « arbitrairement » rapporté les
discours des dirigeants aux funérailles de Staline – le discours de
Malenkov étant imprimé dans un corps typographique plus important que
ceux de Beria et Molotov{3006}. Les observateurs occidentaux
s’aperçurent que le culte de Malenkov qui s’ébauchait dans les premiers
jours s’arrêta soudainement. Et on peut se demander si cette affaire de
photo truquée ne fut pas à l’origine de l’affaiblissement de Malenkov.
La position de ce dernier dépendait désormais entièrement de son
alliance avec Beria, mais il ne s’en rendait pas compte : comme le chef du
gouvernement présidait d’ordinaire les réunions du Politburo, et comme la
plupart des décisions du Parti ne pouvaient être mises en œuvre que par
l’appareil d’État, il était facile de s’imaginer que celui qui contrôlait la
machine de l’État dirigeait du même coup la politique du Parti{3007}.
Le 15 mars se tint la 4e session du Soviet suprême qui annonça au pays
le nouvel organigramme gouvernemental. « Les vedettes de l’actuel
gouvernement formaient un groupe animé et jovial où Beria, très visible,
très prolixe, donnait nettement l’impression d’être le meneur du jeu »,
nota Louis Joxe qui assistait à la séance{3008}. Les Occidentaux
remarquèrent que, contrairement à l’usage, l’examen du budget ne figurait
pas à l’ordre du jour. Khrouchtchev présidait un secrétariat du Comité
central très amoindri, composé de cinq membres au lieu de dix en octobre
1952, et dont les récemment promus de Staline, Brejnev, Pegov, Ignatov et
Ponomarenko, étaient exclus, tandis que S. D. Ignatiev et N. P. Pospelov y
entraient. Ignatiev se vit confier le Département des organes administratifs
– ministère de la Défense, MVD, Justice, Parquet, Cour suprême –, c’est-
à-dire qu’il disposait en théorie de la tutelle sur le ministère de Beria.
Pospelov contrôlait l’Agitprop, mais Beria fit passer la censure, le Glavlit,
sous le contrôle du MVD.

Les premiers signes du « dégel ».


Les Occidentaux furent pris de court par la mort de Staline, même s’ils
spéculaient de longue date sur l’état de santé du dirigeant de l’URSS.
Eisenhower était furieux de l’impréparation de ses services :

Je sais que, depuis 1946, tous les soi-disant experts n’ont cessé de
disserter sur ce qui allait se passer à la mort de Staline et sur
l’attitude que nous devions adopter à cette occasion. Eh bien Staline
est mort. Et on a beau regarder partout, chercher dans les dossiers,
nous n’avons pas de plan. Nous n’avons même pas de certitude sur les
changements entraînés par sa mort{3009}.
Le désarroi était sans doute plus grand dans les chancelleries
occidentales qu’au sein du Kremlin où les diadoques rêvaient et
réfléchissaient à l’après-Staline du vivant même du dictateur.
La première réaction fut un réflexe de crainte qui s’exprima dans une
dépêche de Louis Joxe datée du 4 mars :

Dans la mesure où seul un homme fort était capable d’imposer la


modération et même d’accepter certains reculs, dans la mesure où le
petit groupe d’hommes qui va prendre le pouvoir aura besoin de
s’affirmer, on peut admettre que la situation créée par la disparition
de Staline laisse entrevoir des temps difficiles{3010}.

Sir Gascoigne, l’ambassadeur britannique, partageait ces


appréhensions :

La disparition de Staline ne m’inspire aucun sentiment de


satisfaction. C’est lui et lui seul qui exerce le pouvoir dans ce pays, et
personne ne peut vraiment le remplacer. […] C’était un homme d’une
grande expérience, d’une grande prudence qui ne souhaitait pas
provoquer de conflit armé entre les deux mondes. Il avait beaucoup
de bon sens et une certaine compréhension de la mentalité
étrangère{3011}.

Eden avait le même point de vue : Staline exerçait une influence


pondératrice qui manquerait à ses successeurs{3012}. Eisenhower aussi
était convaincu par son « expérience personnelle » que si Staline avait eu
les coudées franches après la guerre la « Russie aurait cherché à avoir des
relations plus paisibles et plus normales avec le monde ».
Staline avait donc largement réussi à convaincre les dirigeants
occidentaux qu’il était un « modéré » entouré de « faucons ». Et Churchill
était le seul optimiste, pour qui la « mort de Staline pouvait amener une
détente. C’était une occasion qui ne se reproduirait plus{3013} ». Il
rejoignait en cela Foster Dulles, qui était d’avis que la mort de Staline
ferait reculer la menace de guerre{3014}.
Dans l’ensemble, on s’attendait à une continuité dans la politique
hostile de l’URSS à l’égard de l’Occident. On craignait que la lutte pour le
pouvoir ne rende les successeurs de Staline imprudents en politique
étrangère et Malenkov avait une réputation de « faucon » antioccidental.
Ces appréhensions semblèrent confirmées lorsqu’à trois reprises, les 10,
12 et 15 mars, les Soviétiques ou leurs alliés abattirent des avions
américains ou anglais. Au total l’attitude qui prévalait était celle d’une
« expectative prudente, mais non négative{3015} ».
Or, un consensus apparut d’emblée au sein du Présidium sur la nécessité
de réviser la politique de Staline et des signaux furent envoyés au pays et à
l’étranger dès les premiers jours. Le président de l’Union des écrivains
communiqua aux écrivains des consignes venues d’en haut : porter le deuil
mais pas trop. Khrouchtchev, le moins prestigieux des membres du
Politburo, fut chargé de l’organisation des funérailles et on remarqua à
l’étranger qu’aucun des membres du Présidium ne rédigeait d’article
louant Staline dans la presse. Le 5 mars, le Bureau du Komsomol décida
de rebaptiser l’organisation en Jeunesses lénino-staliniennes.
Khrouchtchev approuva cette décision mais quelques heures plus tard, à
minuit, il téléphona à Chelepine, le responsable du Komsomol, et lui dit
tranquillement : « Il ne faut pas le faire. Nous en avons discuté au
Présidium et nous avons décidé qu’il ne fallait pas le faire{3016}. » Dans
une note rédigée le 21 juillet 1953, Merkoulov décrira l’ambiance régnant
dans le bureau de Beria pendant que celui-ci et ses proches collaborateurs
rédigeaient l’oraison funèbre de Staline :

Je remarquai le comportement de Beria. Il était gai, riait et


plaisantait. On aurait dit qu’il s’était senti pousser des ailes. Moi
j’étais accablé par la mort inattendue du camarade Staline et je
n’imaginais pas que l’on puisse se conduire de manière aussi joyeuse
et détendue{3017}.

Le 9 mars eurent lieu les funérailles de Staline qui, selon un diplomate


français, furent des « cérémonies sans ampleur, sans beauté, et sans deuil
véritable{3018} ». « Un spectacle quelque peu barbare et sinistre » (« A
somewhat barbaric and sinister display »), selon sir Gascoigne qui
remarqua la place de choix faite à Chou En-lai aux côtés de Malenkov et la
présence d’une délégation turque{3019}. Le jeune Sergo Beria, qui faisait
partie de la garde d’honneur, se souvient : « Je scrutai attentivement les
physionomies qui m’entouraient et je ne vis pas de larmes. On sentait le
soulagement ; les gens avaient comme rajeuni{3020}. » Le visage de
Beria était traversé de tics nerveux, tandis que Khrouchtchev pleurait à
grosses larmes{3021}.
Trois discours furent prononcés : « celui de Malenkov, oraison funèbre
et programme d’action, prononcé d’une voix ferme, celui de Beria, mal
dit, celui de Molotov, long et lu d’une voix qui se cassait », selon Louis
Joxe{3022}. Le triumvirat se présentait au monde. Malenkov se plaça sous
le signe de la continuité : nous conserverons ce que Staline nous a légué,
mais, précisa Malenkov, l’« URSS veut vivre en paix avec tous les pays ».
Les Occidentaux relevèrent qu’il s’était abstenu d’attaquer les puissances
étrangères et avait parlé de la « possibilité d’une coexistence prolongée et
d’une émulation pacifique des deux systèmes différents ». Beria
commença par les incantations traditionnelles :

Celui qui n’est pas aveugle voit que dans ces jours de deuil tous les
peuples de l’Union soviétique fraternellement unis au grand peuple
russe se groupent en rangs plus serrés que jamais autour du
gouvernement et du Comité central du Parti.
Dans cette phrase rituelle, Beria se permit un manquement significatif à
l’étiquette communiste : le gouvernement était cité avant le Parti. Son
allocution était un programme de gouvernement :

Les travailleurs de l’industrie et de l’agriculture, notre intelligentsia


peuvent travailler en paix avec confiance, avec la certitude que le
gouvernement soviétique prendra soin de défendre scrupuleusement
les droits prévus par la constitution stalinienne. Notre politique
étrangère est claire. Dès le début Lénine a défini la politique de l’État
soviétique comme une politique de paix. […] À l’avenir, la politique
étrangère du gouvernement soviétique sera la politique de Lénine-
Staline consistant à préserver et à renforcer la paix, à lutter contre la
préparation et le déclenchement d’une nouvelle guerre, une politique
de coopération internationale et de développement de relations
d’affaires avec tous les pays sur la base de la réciprocité.

Et, comme Malenkov, il insista sur la nécessité d’améliorer le niveau de


vie des Soviétiques. Lors du Plénum du 2-7 juillet 1953, Mikoïan
racontera :

Je lui dis après son discours : « Tu as mentionné les droits de chaque


citoyen garantis par la constitution. Dans la bouche d’un autre ce
serait une déclaration politique, dans la bouche du ministre de
l’Intérieur c’est un programme d’action, tu dois le réaliser. » Beria
me répondit : « Je le ferai. »

Molotov appela « à renforcer les forces armées en cas d’attaque d’un


agresseur », à « faire preuve de vigilance et de fermeté dans la lutte contre
les intrigues de l’ennemi, des agents des États impérialistes agressifs ».
Présent à la cérémonie, Ulbricht fut invité par les dirigeants soviétiques à
ralentir la construction du socialisme en RDA. Et, petit coup de tonnerre :
le diplomate soviétique Jakob Malik serra la main à l’envoyé yougoslave
Dragoje Djuric{3023}.
Les rumeurs allèrent bon train, alimentées par une cascade de menues
nouvelles surprenantes. Dès le 9 mars, les Britanniques furent
favorablement impressionnés par la nomination de V. V. Kouznetsov au
poste de vice-ministre des Affaires étrangères. Le diplomate Frank
Roberts le connaissait bien et considérait que c’était l’« une des
personnalités soviétiques les plus accessibles et raisonnables{3024} ». Le
10 mars, on raconta à Moscou que Malenkov aurait dit lors d’une réunion :
« Il y a eu d’énormes anomalies chez nous, beaucoup étaient dues au culte
de la personnalité{3025}. » Ce même jour, un des secrétaires de
l’ambassade soviétique à Londres déclara à un diplomate français que l’on
allait assister à une détente internationale – et à la mi-avril, ce même
personnage confia au même interlocuteur : « Nous ne sommes qu’au début
de cette évolution qui va se confirmer dans les mois à venir{3026}. » Ces
pronostics optimistes semblèrent se confirmer au fil des semaines. Le
15 mars, Malenkov déclara dans son discours au plénum :

Aujourd’hui il n’y a pas de question et de dispute qui ne puissent être


résolues de manière pacifique sur la base d’un accord mutuel entre
les pays intéressés.

Ceci concernait aussi les relations de l’URSS avec les États-Unis,


précisa Malenkov. On convint de revoir le budget afin de réduire les
dépenses militaires{3027}. Les Occidentaux commencèrent à ressentir ce
que sir Gascoigne appela « une atmosphère d’attente tendue » (« an
atmosphere of tense expectancy{3028} ») et décidèrent de tester par des
voies diplomatiques discrètes la volonté réelle des successeurs de Staline
d’arriver à des arrangements. L’une des pierres de touche devait être le
consentement de Molotov à recevoir les ambassadeurs français et
britanniques, puisque les Américains n’avaient pas à l’époque
d’ambassadeur à Moscou où Charles Bohlen n’arriva que le 4 avril.
L’autre pierre de touche était la politique intérieure de la nouvelle équipe
du Kremlin.
Le 16 mars eut lieu le premier des « petits gestes » en direction des
Occidentaux : le maréchal Tchouïkov fit accélérer le contrôle des camions
se dirigeant de la zone américaine vers Berlin. Le 18 mars, il proposa une
conférence de techniciens militaires russes et britanniques pour garantir la
sécurité aérienne et les pourparlers avec les Britanniques débutèrent le
31 mars, rejoints par la France et les États-Unis le 4 avril. Un accord de
pêche avec la Grande-Bretagne, bloqué depuis des mois, fut conclu en
quelques jours. Mais surtout il devint vite apparent que les successeurs de
Staline étaient décidés au compromis pour mettre fin au conflit coréen.
Le 19 mars, le Conseil des ministres rédigea une lettre à Mao et à Kim
Il-sung signifiant la volonté des dirigeants du Kremlin d’adopter une
position plus conciliante en vue de débloquer la situation en Corée : « Il
serait erroné de continuer la politique menée jusqu’ici concernant la
guerre de Corée{3029}. » Le lendemain, Molotov informa Eden qu’il avait
entrepris des démarches pour que des ressortissants civils britanniques
détenus en Corée du Nord soient relâchés. Même chose pour la France le
27 mars : quatorze internés civils furent libérés début avril. Le 28 mars,
les Nord-Coréens acceptèrent de procéder à un échange des prisonniers de
guerre malades ou blessés et proposèrent la reprise des négociations
d’armistice. Le 30 mars, Chou En-lai consentit à la proposition indienne
visant à accepter que les prisonniers de guerre ne souhaitant pas rentrer
chez eux soient remis à un État neutre, plan que Vychinski avait refusé, en
novembre 1952, sur ordre de Staline, alors que les Occidentaux se
doutaient que les Chinois avaient regretté l’arrêt des pourparlers en
octobre 1952{3030}. Le 2 avril, Molotov appuya cette proposition. Puis,
court-circuitant Molotov et Vychinski, Malenkov s’adressa à
l’ambassadeur britannique pour solliciter la médiation de Churchill dans
le règlement de la guerre de Corée, ce dont les Chinois lui surent gré, mais
qui lui sera reproché en février 1955.
Les étrangers en poste à Moscou s’aperçurent très vite du changement
d’atmosphère. Selon le témoignage du journaliste Harrison Salisbury,
la chose la plus étonnante après la mort de Staline fut la rapidité avec
laquelle les symptômes d’un dégel apparurent. […] Deux semaines
après la mort de Staline, le corps diplomatique commençait à
constater que les Russes parlaient très raisonnablement et
franchement{3031}.

Dès le 30 mars, Louis Joxe nota qu’« à la psychose de l’encerclement et


du complot que, depuis la révélation du complot des médecins, on
s’efforçait d’entretenir dans le pays, ont succédé des paroles de
détente{3032} ». Et Emmet John Hughes, chargé d’écrire les discours
d’Eisenhower, pouvait s’exclamer : « Nous nous noyons dans un océan de
miel{3033}. »
Cependant les Occidentaux n’étaient pas au bout de leurs surprises. Le
31 mars, à la stupéfaction générale, les Soviétiques acceptèrent la
candidature de Dag Hammarskjold au secrétariat général de l’ONU, alors
qu’ils voulaient jusque-là y imposer le ministre des Affaires étrangères de
Pologne, Stanisław Skrzeszewski. Dans une lettre adressée le même jour à
l’ex-chancelier Wirth, le maréchal Tchouïkov réaffirma le désir des
autorités soviétiques d’une conférence à quatre sur l’Allemagne{3034} et
les conditions de circulation s’améliorèrent à Berlin. Aux Nations unies,
Vychinski appela à renouer les négociations sur le désarmement et sur le
contrôle de l’énergie atomique. Les Soviétiques cessèrent d’exiger que les
ambassades américaine et britannique soient installées dans d’autres
locaux et se dépêchèrent d’achever l’aménagement d’un nouvel hôtel de
l’ambassade des États-Unis à Moscou. On remarqua que Molotov s’était
exprimé avec éloges sur l’ONU dans un discours le 1er avril, prenant ses
distances avec la condamnation de cette organisation comme instrument
de la politique impérialiste des États-Unis, prononcée par Staline le
17 février 1951{3035}. Une délégation d’étudiants soviétiques fut
autorisée, début avril, à assister aux assises de l’Union nationale des
étudiants de France – non communiste –, une première depuis 1945. Le
8 avril, des fonctionnaires d’Intourist annoncèrent que la « question
d’autoriser des voyages touristiques en URSS est étudiée
sérieusement{3036} ». En Iran, l’URSS adopta une attitude plus
conciliante, accepta la liquidation de la concession des pêcheries de la mer
Caspienne, et sembla faire preuve de retenue dans le conflit opposant
Mossadegh au Shah.
La propagande antioccidentale fut mise en sourdine et la presse
soviétique évoqua à nouveau la Grande Alliance de la Deuxième Guerre
mondiale. Début avril, les Occidentaux constatèrent la disparition des
invectives antiaméricaines à la radio soviétique et l’absence de
panégyriques des dirigeants du Kremlin dans les médias : « Il y a quelque
chose de littéralement effarant dans cette série de métamorphoses à vue
d’œil », constatait un observateur français{3037}. Le 21 avril,
D. I. Tchesnokov, qui s’était fait remarquer, en janvier 1953 dans la revue
Kommunist, par ses diatribes contre les « capitulards qui insistaient pour
que l’on apaise les impérialistes », perdit son poste de rédacteur en chef.
Le même jour, Beria informa Malenkov que la prétendue utilisation par
les Américains de l’arme bactériologique en Corée était une
désinformation ourdie, en février 1952, par les Chinois et les Nord-
Coréens avec l’assistance du MGB{3038} ; en conséquence, le 8 mai,
Moscou ordonna sèchement à Mao de mettre fin à cette campagne.
Dès avril, Beria parvint à faire entériner un grand nombre d’initiatives,
car il s’entendait au préalable avec Malenkov qui les mettait à l’ordre du
jour. Beria fonçait, alors que les autres membres du groupe dirigeant,
habitués à être des exécutants aux ordres de Staline, ne savaient que faire
de leur liberté d’action inusitée, et restaient paralysés par le complexe
d’infériorité que le vieux dictateur avait cultivé en eux. Durant les
premières semaines, Beria profitera à plein de cette situation, sans voir
qu’elle ne pouvait durer et qu’elle était même dangereuse pour lui, car il
était prévisible que, si ses collègues voyaient en lui un nouveau Staline, ils
finiraient par faire bloc contre lui. En attendant, Beria agissait et prit
l’initiative de baisser les impôts pesant sur la paysannerie{3039}. Le
ministère de l’Agriculture reçut l’autorisation de transformer les terres
appartenant à l’État en lopins individuels et de distribuer aux sovkhozes et
aux kolkhozes les pâturages appartenant à l’État, tandis que l’emprunt
obligatoire était diminué de moitié.
Le budget prévu pour 1953 fut modifié de fond en comble et une grande
partie du financement de l’industrie lourde et de l’industrie militaire
affectée à l’agriculture et à l’industrie légère. Toujours à la tête du Comité
spécial, Beria fut le premier à recommander des économies à ses
subordonnés : « Nous devons développer l’industrie, la culture,
l’agriculture. […] Arrangez-vous avec les fonds disponibles », dit-il aux
représentants du complexe militaro-industriel qui quémandaient une
rallonge budgétaire{3040}. Il s’opposa à la décision d’exporter du blé en
Inde, qui avait été prise pour des raisons politiques, en demandant si
l’URSS disposait d’assez de blé pour en exporter{3041}. On interdit au
ministre des Finances, Arseni Zverev, de citer l’œuvre de Staline Les
Problèmes économiques du socialisme en URSS{3042}. Les ministères
chargés de l’industrie, de la construction et du transport disposèrent d’une
indépendance plus grande, avec le droit de fixer leurs effectifs et les
salaires, de répartir les investissements et de modifier la production des
entreprises dont les directeurs purent vendre à leur guise les surplus et
récupérer des équipements{3043}.
Ces changements furent complétés par une réforme territoriale, les
régions étant supprimées dans les républiques fédérales et les républiques
autonomes. Cette réforme devait permettre de desserrer l’étau du Parti en
faisant sauter le maillon intermédiaire dans la chaîne de commandement
reliant les organisations de base aux organismes du sommet. Les archives
des républiques montrent que cette innovation déstabilisa toute la
« verticale du pouvoir » en place et qu’un grand nombre d’apparatchiks du
Parti durent se recaser ailleurs. Dans les républiques fédérées, cette
réforme préparait le terrain à la dérussification voulue par Beria et à la
restitution du contrôle des républiques sur leurs frontières.
Les Occidentaux devinaient que l’unité de façade affichée par les
successeurs de Staline cachait des tiraillements, mais ils furent incapables
de mettre à profit l’interrègne, ce que craignaient les Soviétiques. La
diplomatie américaine produisit une impression de flottement, malgré les
affirmations officielles répétées selon lesquelles les ouvertures du
Kremlin n’étaient que tactiques, et s’expliquaient par la politique résolue
de l’administration Eisenhower. Washington craignait par-dessus tout que
le dégel amorcé par le Kremlin ne torpille le projet de Communauté
européenne de défense et la ratification des accords de Bonn par les
parlements. Un certain consensus s’établit cependant parmi les
gouvernements atlantiques : il fallait laisser aux communistes le bénéfice
du doute, soumettre leur sincérité à l’épreuve des faits, essayer de
résoudre des problèmes locaux en Extrême-Orient et en Europe avant
d’espérer parvenir à un règlement global. Le 5 avril, le chancelier
Adenauer, en route pour les États-Unis, exprima sans doute ce consensus
lorsqu’il déclara :

Les hommes d’État occidentaux devraient étudier la dernière


offensive de paix soviétique comme des détectives. Il existe des
facteurs positifs et des facteurs négatifs dans le changement
d’attitude des Soviets{3044}.

Lorsque le National Security Council se réunit le 8 avril pour discuter


des changements en URSS, Allen Dulles, le chef de la CIA, reconnut que
les pronostics initiaux de la CIA, selon lesquels les successeurs de Staline
se montreraient prudents et poursuivraient fidèlement la politique de ce
dernier pendant très longtemps, étaient erronés. En réalité, force était de
constater que des « abandons stupéfiants de la politique stalinienne »
(« quite shattering departures from the policies of the Stalin regime »)
avaient eu lieu, tant en politique étrangère qu’en politique intérieure ;
mais, concluait Allen Dulles, il n’y avait pas de raison de croire que
l’URSS allait mettre fin à son hostilité de principe à l’égard du monde
libre{3045}. À l’issue des conversations germano-américaines, le
président Eisenhower et le chancelier Adenauer tombèrent d’accord, le
11 avril, que seule l’autorisation de la tenue d’élections libres en RDA
indiquerait un changement réel de la politique soviétique. En revanche, le
nouveau chancelier autrichien, Julius Raab, était prêt à accorder foi au
« nouveau cours » soviétique, devenu manifeste en Autriche à partir de la
mi-avril puisque les Soviétiques démantelaient le rideau de fer existant
jusque-là dans ce pays. Et le 16 avril, les Soviétiques commencèrent à
libérer les prisonniers de guerre autrichiens{3046}.
Si surpris qu’aient été les Occidentaux devant les changements
intervenus en URSS durant les semaines qui suivirent la mort de Staline,
ils étaient loin de se douter de l’ampleur des enjeux de la partie qui avait
commencé derrière les murs du Kremlin.

26

Le Blitzkrieg de Beria
Son libéralisme est le libéralisme d’un ennemi
[Lazar Kaganovitch{3047}].

Il avait un plan élaboré de liquidation du régime soviétique. […] Sa


priorité était de casser le noyau bolchevique
[Andreï Andreev{3048}].

Les outrances de Staline à la fin de sa vie avaient créé au sein des


cercles dirigeants du Kremlin une sorte de consensus : tous étaient
conscients que le pays était au bout du rouleau et que des changements
étaient nécessaires ; tous étaient d’accord pour amorcer une détente avec
les Occidentaux. Mais, de tous les membres du Présidium, Beria était le
seul qui eût un programme cohérent de réformes. Sans doute s’imagina-t-
il, au début, que ses collègues, dans leur volonté de se démarquer de la
ligne de Staline, étaient prêts à le suivre très loin. En quelques jours, il fit
pleuvoir sur eux une grêle d’initiatives et déclencha un véritable Blitzkrieg
contre le régime soviétique. Il attaqua en même temps et sur tous les
fronts, ébranlant tous les piliers du régime stalinien : le contrôle du Parti
sur l’économie, le système concentrationnaire, l’encadrement policier,
l’idéologie, la structure de l’empire, la mentalité obsidionale fondée sur la
confrontation avec l’Occident. À Mikoïan, il fit part de son programme :

Il faut rétablir la légalité, la situation dans le pays est insupportable.


Nous avons un grand nombre de détenus, il faut les libérer et cesser
d’envoyer les gens dans les camps. Il faut diminuer les effectifs du
NKVD, nous ne protégeons pas les gens, nous les surveillons. Il faut
changer cela, expédier ces gardiens dans la Kolyma et ne conserver
qu’une protection de deux ou trois hommes pour les membres du
gouvernement{3049}.

Beria croyait pouvoir compter sur l’appui du nouveau ministère de


l’Intérieur (MVD) réuni à la Sécurité d’État. Et, de fait, le retour de Beria
au MVD fut en général bien accueilli par les hommes des « organes »,
conscients de ses talents d’administrateur et qui n’avaient pas oublié qu’il
leur avait assuré un salaire élevé, un train de vie luxueux d’un point de vue
soviétique et surtout le sentiment d’appartenir à une élite{3050}. « Dieu
merci, le bordel ignatiévien est fini », déclara Korotkov à un
collègue{3051}. À la différence de la majorité des apparatchiks
soviétiques, Beria savait s’attacher les hommes : « De nombreux officiers
du MVD idolâtraient Beria et étaient prêts à se jeter dans l’eau et le feu
pour lui{3052}. »
À peine entré en fonction dans son ministère, Beria procéda à
l’expulsion des cadres du Parti nommés sous Ignatiev en 1951-1952. Il
nous reste un témoignage de cette purge. Beria convoqua ces apparatchiks
en pleine nuit et leur dit : « Vous, les merdeux, vous ne connaissez rien au
travail tchékiste. Il faut vous trouver un emploi à votre portée, pas
compliqué{3053}. » Certains furent expulsés du MVD, d’autres recasés au
fin fond de la province. En même temps, Beria réintégra au MVD réunifié
ses fidèles, P. Mechik, Bogdan et Amaïak Koboulov, Osetrov, Lioudvigov,
Sazykine, Savitski. Un certain nombre de ceux qui avaient été arrêtés en
1951-1952 furent libérés sans tarder – P. Charia, N. Eitingon,
N. N. Selivanovski, M. I. Belkine qui le sera en juin{3054} – et
retrouvèrent des postes importants : L. Raikhman fut nommé chef de
l’inspection du MVD ; Ch. S. Chliuger, arrêté pour nationalisme et libéré
par Beria en mars, fut envoyé en Hongrie ; Khramelachvili, un officier du
MGB auparavant sous couverture diplomatique à l’ambassade soviétique à
Londres, incarcéré pour avoir tenté de s’enfuir en Turquie et horriblement
torturé, fut libéré ; P. V. Fedotov, chargé par Beria de la police politique en
septembre 1939, puis du contre-espionnage à partir de 1940 et limogé en
février 1952, redevint responsable du renseignement le 12 mars 1953,
remplaçant S. R. Savtchenko{3055}. S. F. Kouzmitchev, arrêté le
17 janvier 1953, fut libéré le 10 mars et nommé à la tête de l’important 9e
Directorat chargé de la protection des dirigeants du Parti et de l’État ;
Beria le convoqua le même jour dans son bureau et lui demanda s’il savait
que Staline était mort. Kouzmitchev éclata en sanglots, mais Beria fit la
grimace : « Arrête ! C’est lui qui t’a fait coffrer, et pour rien{3056}. »
Beria choisit pour premier adjoint Merkoulov, « parce que dans son
entourage de tchékistes j’étais le seul Russe qu’il connaissait bien », écrira
celui-ci quelques mois plus tard dans une note d’autojustification à
Khrouchtchev{3057}. Beria avait envisagé de nommer Goglidzé à ce
poste, mais se ravisa : « Le ministre est un Géorgien. Il serait gênant que
son adjoint le soit aussi », aurait-il expliqué à Goglidzé pour se justifier,
avant de le nommer chef du contre-espionnage militaire{3058}. Krouglov,
Serov et B. Koboulov redevinrent ses premiers adjoints. Riasnoï fut chargé
du contre-espionnage (2e Directorat), Goglidzé du contre-espionnage
militaire (3e Directorat), N. S. Sazykine du contrôle idéologique (4e
Directorat), L. E. Vlodzimirski de l’instruction des affaires
particulièrement importantes – en fait les affaires politiques{3059}. Beria
contrôlait en personne le 3e Directorat – renseignement militaire et
contre-espionnage dans l’armée –, le 9e Directorat, le 10e Directorat – la
Kommandatura du Kremlin –, le Département du chiffre et le Département
des enquêtes{3060}.
Après la fusion de la Sécurité d’État et du ministère de l’Intérieur, la
réorganisation du MVD entraîna un affaiblissement temporaire des
instruments de contrôle du Parti sur le ministère. Ainsi, pendant plusieurs
mois, il n’y eut pas de Collège du MVD{3061}. Beria profita de cette
vacance pour essayer de restructurer son ministère dont il ambitionnait de
faire une sorte de braintrust du gouvernement, ce qui lui fut reproché lors
de son procès. Dès la fin mars, il réorganisa son secrétariat car, comme il
l’expliqua à ses proches, il allait devoir s’occuper de domaines qui jusque-
là étaient en dehors de ses attributions. Il y fit entrer un spécialiste de
l’agriculture et un spécialiste de l’industrie. Il confia les relations
internationales à Charia et les affaires intérieures à Lioudvigov. Ces
hommes furent chargés de rédiger des synthèses dont il voulait s’inspirer
pour formuler des propositions à soumettre au gouvernement{3062}.
D’autres départements furent réduits de manière drastique, comme par
exemple ceux chargés de surveiller les médecins ou de lutter contre les
« nationalistes bourgeois juifs » ; il en fut de même pour les départements
d’enquêtes dont B. Koboulov annonça la liquidation pure et simple{3063}.
Croyant pouvoir s’appuyer sur son super-ministère et sur le docile
Malenkov, Beria lança son offensive contre l’héritage stalinien, associant
des mesures très symboliques à des tentatives de réformes politiques de
fond.

Beria inaugure les réhabilitations.


Beria entama le processus de réhabilitation en commençant par des
personnalités de renom et en cherchant à intéresser ses collègues à ces
réhabilitations. Ainsi, le 9 mars, Paulina Jemtchoujina fut libérée.
Khrouchtchev raconte :

Beria la libéra et la rendit solennellement à Molotov. Il m’a raconté


que Molotov était venu chez lui au ministère et c’est là qu’il avait
revu Jemtchoujina. Elle était à demi-morte, il l’avait embrassée.
Beria racontait la scène avec une certaine ironie, mais il avait
exprimé sa sympathie à l’égard de Jemtchoujina et de Molotov, en
faisant valoir que l’initiative de sa libération venait de lui{3064}.

Et, le 12 mai, Beria adressera une note à Khrouchtchev et Malenkov,


résumant les conclusions de la révision de l’affaire Jemtchoujina : les
accusations contre elle ne reposaient sur « aucun fait concret{3065} ». À
la veille de son arrestation, Beria fit même réhabiliter le frère de
Kaganovitch et fit attribuer une pension à sa veuve{3066}.
Maïski aussi fut libéré. Arrêté en février 1953, il avait déjà avoué qu’il
était un espion anglais depuis 1925{3067} ; il était si terrorisé qu’il crut
que l’annonce de la mort de Staline était une provocation et continua de
psalmodier devant le général Fedotov venu lui annoncer sa libération qu’il
était un espion japonais, anglais et américain. Beria le convoqua le 14 mai
et lui dit : « Pourquoi ces affabulations ? » Il pensait lui confier la
direction d’un institut destiné à faciliter les contacts avec les Britanniques,
voire en faire le prochain ministre des Affaires étrangères de
l’URSS{3068}. Maïski accepta de collaborer avec lui, mais l’infortuné fut
de nouveau arrêté après la chute de Beria, et accusé cette fois d’avoir été
complice de sa tentative de renversement du régime soviétique.
Le 13 mars, Beria créa au sein du MVD quatre groupes chargés de
réexaminer le complot des « blouses blanches », l’affaire des officiers
d’artillerie – le procès intenté en janvier 1952 au maréchal N. D. Yakovlev
et à d’autres officiers accusés de sabotage dans l’artillerie{3069} –,
l’affaire mingrélienne et les procès intentés à des officiers du MGB après
1951{3070}. Krouglov, B. Koboulov et Goglidzé furent chargés de
superviser les travaux de ces groupes qui devaient être achevés en quinze
jours. B. Koboulov et Vlodzimirski devaient examiner tout le « fumier » –
c’est le terme qu’ils employèrent – accumulé par Rioumine. Beria se
rendit en personne à la Loubianka pour libérer les Mingréliens et ne
manqua pas de se payer la tête de Charia, lui rappelant que celui-là même
qu’il avait qualifié de « plus grand génie de tous les temps et de tous les
peuples » l’avait fait coffrer{3071}. À Rapava il dit : « Tu es passé du côté
de Staline et c’est lui qui t’a mis en taule{3072}. » Mais il ne lui en voulut
pas et le nomma ministre du Contrôle d’État de Géorgie. Dekanozov fut
envoyé à Tbilissi pour libérer les Mingréliens détenus en Géorgie.
Les persécutions contre les Juifs prirent fin immédiatement. Le 12 ou le
13 mars, Beria convoqua les responsables de l’enquête concernant le
complot des « blouses blanches ». Il leur déclara qu’il ne croyait pas à la
culpabilité des médecins et ajouta que les médecins juifs n’étaient pas
nationalistes, mais simplement mécontents des discriminations dont ils
avaient fait l’objet. Il organisa une commission chargée de faire revenir
les détenus sur leurs aveux. L’un des membres de cette commission, citant
Beria, déclara qu’« il ne fallait pas garder l’intelligentsia dans les
prisons » et qu’il s’agissait « d’un tournant dans notre politique de
répression ». Les choses n’allèrent pas sans mal, car les inculpés
s’entêtaient dans leurs aveux et leurs délations{3073}. À partir du
23 mars, les médecins détenus ne subirent plus d’interrogatoires. Le
26 mars, Beria demanda à Charia et Lioudvigov de lui rédiger une note sur
le complot des « blouses blanches ». Du 13 au 29 mars, il entendit les
témoignages des médecins accusés et, le 31 mars, ils furent libérés. Après
avoir pris connaissance d’une synthèse de Goglidzé sur cette affaire, Beria
déclara : « On a voulu anéantir la fleur de l’intelligentsia russe{3074}. »
Voulant remonter plus loin, il demanda à Ogoltsov une note sur les
circonstances de l’assassinat de Mikhoëls{3075} et il interrogera lui-
même Abakoumov et Tsanava. Au même moment, il envoya Amaïak
Koboulov à Prague, aux funérailles de Gottwald, en le chargeant
d’enquêter sur l’affaire Slansky et le sort des 140 coaccusés de Slansky
survivants{3076}.
Le 17 mars, Beria ordonna d’arrêter Rioumine, justifiant sa décision
dans une note à Malenkov : « J’ai fait arrêter Rioumine parce qu’il a
falsifié et déformé les enquêtes{3077}. » Le 18 mars, sans doute pour
complaire à Malenkov, Beria entama la révision des procès des
responsables de l’aviation incarcérés en 1946 – l’affaire Chakhourine –,
dont l’instruction avait été menée par le SMERCH « de manière partiale et
superficielle{3078} ». Les accusés seront réhabilités le 26 mai. Interrogé
sur cette affaire, Abakoumov affirma que le SMERCH n’y était pour rien
et que l’initiative venait de Staline{3079}.
Ainsi s’amorça la déstalinisation. Le 1er avril, Beria adressa une note à
Malenkov où il signalait qu’après « une vérification minutieuse » le MVD
était arrivé à la conclusion que l’affaire des « blouses blanches » était
« une provocation montée de toutes pièces par le vice-ministre de la
Sécurité d’État Rioumine », qui avait extorqué des aveux aux médecins en
ayant recours à la torture autorisée par Staline :

Ne reculant devant aucun moyen, en foulant aux pieds les lois


soviétiques et en violant les droits élémentaires des citoyens
soviétiques, la direction du MGB s’efforçait à tout prix de faire
passer des innocents pour des espions et des assassins. […] C’est
ainsi que fut fabriquée la honteuse affaire des médecins qui a fait tant
de bruit dans notre pays et qui à l’étranger a beaucoup nui au prestige
de l’URSS.

La responsabilité de ces abus retombait aussi sur le chef du MGB,


Ignatiev, « qui ne s’était pas montré à la hauteur, n’avait pas contrôlé
l’instruction de cette affaire comme il aurait dû le faire ». La note de Beria
recommandait la réhabilitation des médecins, la sanction des officiers du
MGB qui avaient contribué à monter cette affaire, la publication de ces
décisions dans la presse et une enquête sur les responsabilités
d’Ignatiev{3080} – que, devant son fils Sergo, Beria avait traité de
« merde de chien{3081} »…
Le lendemain, devant le Comité central, Beria s’en prit à Ignatiev et
réclama son arrestation et celle de Riasnoï pour avoir « fabriqué » de
fausses accusations. Mais il précisa qu’Ignatiev n’était que l’instrument de
Staline : ce fut la première mise en cause explicite de Staline. Le même
jour, Beria envoya une nouvelle note à Malenkov où il annonçait que
l’enquête sur l’affaire des « blouses blanches » avait amené le MVD à
s’intéresser à l’affaire Mikhoëls, car l’un des chefs d’accusations retenus
contre les médecins était la complicité avec Mikhoëls, lui-même accusé
d’avoir été le dirigeant d’un Centre nationaliste juif antisoviétique. Beria
transmit à Malenkov les résultats de la révision de l’affaire Mikhoëls :
celui-ci se trouvait sous la surveillance constante de la Sécurité d’État, il
lui était certes arrivé de critiquer certains aspects de la réalité soviétique,
en particulier la situation des Juifs, mais l’acteur ne s’était jamais livré à
aucune activité antisoviétique ou terroriste, et en 1943 il avait agi en
patriote lors de son voyage aux États-Unis. Mikhoëls avait été assassiné
sur ordre d’Abakoumov, lui-même agissant à l’instigation de Staline dont
le nom était souligné à la main par Beria. Suivait le récit détaillé de
l’assassinat par les organisateurs S. Ogoltsov et L. Tsanava, eux-mêmes
incarcérés le lendemain{3082}. Ogoltsov et F. G. Choubniakov, les
assassins de Mikhoëls, seront libérés fin juin 1953 après la chute de Beria,
et Choubniakov deviendra le n° 2 du contre-espionnage.
Le 3 avril, Beria fit approuver par le Présidium une résolution qui
innocentait les médecins, autorisait la publication de cette décision dans la
presse et obligeait Ignatiev à fournir des explications sur son rôle dans
cette affaire, tout en le limogeant de son poste de secrétaire au Comité
central ; dans cette résolution, « le cam. L. P. Beria annonçait que le MVD
était en train d’adopter des mesures afin de rendre impossibles à l’avenir
de pareils abus ». Le texte de la résolution devait être envoyé aux premiers
secrétaires des républiques, aux secrétaires des obkoms et des
kraikoms{3083}. Beria voulut réhabiliter dans la foulée les membres du
CAJ, mais Khrouchtchev et Malenkov s’y opposèrent{3084}.
La résolution devait être publiée au nom du Présidium, mais dans la nuit
du 3 avril Beria téléphona à la rédaction de la Pravda et modifia l’intitulé
du communiqué qui parut au nom du ministère de l’Intérieur de l’URSS.
Cette note avait un ton beaucoup plus radical que la résolution du Comité
central et les membres du Présidium furent stupéfaits et indignés en
découvrant l’entrefilet du MVD, publié dans la Pravda du 4 avril, qui
innocentait les médecins juifs{3085}. Beria les avait mis devant le fait
accompli. Khrouchtchev envoya derechef une lettre secrète aux
responsables du Parti leur enjoignant de ne pas commenter l’annonce du
MVD et de ne pas aborder le problème de l’antisémitisme{3086}. Mais il
était trop tard, le génie était sorti de la bouteille et cette première remise
en cause ouverte de Staline fit dans le pays l’effet d’un coup de tonnerre.
Le 6 avril, un éditorial de la Pravda enfonça le clou en soulignant que la
« légalité socialiste était intangible » et que Mikhoëls avait été calomnié.
L’effet dans l’opinion fut colossal, y compris en Occident : Louis Joxe y
vit une mesure qui avait
les allures d’un renversement de politique : c’est bien la première
fois qu’on lit dans un document soviétique officiel l’aveu que des
déclarations de prévenus ont pu être obtenues « grâce à l’emploi de
procédés d’enquêtes inadmissibles »{3087}.

Churchill aussi comprit la portée de cet événement et écrivit à


Eisenhower le 11 avril : « Rien ne m’a plus impressionné que l’histoire
des médecins. Ceci tranche profondément dans la discipline et la structure
communiste{3088}. » Les Occidentaux ne savaient que penser : cette
répudiation des pratiques staliniennes à l’intérieur ne marquait-elle que la
volonté de s’assurer une popularité à l’intérieur, sans impliquer une
volonté de détente à l’extérieur ? C’était la thèse défendue par le
Yougoslave Edvard Kardelj{3089}.
En URSS, les demandes de réhabilitation commencèrent à affluer au
MVD, au Comité central et au Présidium du Soviet suprême. Cependant, le
7 avril, la Pravda publia un article beaucoup plus proche des grands
thèmes de janvier 1953, soulignant le rôle prééminent du grand peuple
russe, la lutte contre les « ennemis du peuple », etc. Le contraste avec
l’article du 6 était si fort que les observateurs occidentaux devinèrent
qu’un affrontement avait lieu entre les successeurs de Staline{3090} ; les
observateurs français firent même le rapprochement entre la réhabilitation
des médecins et le procès de tortionnaires du NKVD en Moldavie après la
chute d’Ejov en décembre 1938{3091}. Le 7 avril, Ignatiev fut expulsé du
Secrétariat – où il sera réintégré le 7 juillet –, ce qui était un coup très dur
pour Malenkov qui perdait ainsi un appui important au sein du Secrétariat
alors que lui-même venait d’être déchargé de ses fonctions au Parti. Mais
Beria voulait aller plus loin. Sa tactique consista à s’en prendre aux
favoris récents de Staline et à réviser les affaires où il ne pouvait être mis
en cause.
On s’en doute, Beria n’avait pas oublié l’affaire mingrélienne. Il mena
sa propre enquête, interrogeant Vlassik et Roukhadzé sur leurs entretiens
avec Staline. Le 8 avril, il adressa une note à Malenkov et à Khrouchtchev,
où il expliqua qu’une enquête du MVD menée depuis début mars révélait
que l’affaire des soi-disant nationalistes mingréliens avait été montée de
toutes pièces par l’ex-ministre de la Sécurité d’État de Géorgie,
Roukhadzé, qui avait induit Staline en erreur. La note décrivait par le
menu les tortures auxquelles les accusés avaient été soumis, en citant
longuement leurs témoignages et en insistant sur le fait que les aveux
étaient exigés au nom du Comité central, que Staline harcelait les officiers
chargés de l’enquête et qu’il ne cessait d’exiger l’application de la
torture{3092}. Beria affirmait, en outre, qu’à travers l’affaire
mingrélienne c’était le peuple géorgien en entier qui était visé. La
déportation de 11 200 Géorgiens en novembre 1951 était une décision
« absolument sans motif et en outre réalisée de manière criminelle » qui
avait éloigné une bonne partie des Géorgiens du régime soviétique, en leur
rappelant les invasions de Tamerlan et de shah Abbas. Le 10 avril, une
résolution du Comité central reconnut que le complot mingrélien avait été
fabriqué, les Mingréliens détenus furent libérés et les Géorgiens déportés
autorisés à revenir chez eux et à récupérer leurs biens. La résolution
mettait en garde contre les calomnies dirigées contre des peuples tout
entiers, qui « compromettent l’amitié entre les peuples », et rappelait que
le « respect de la légalité socialiste est l’une des conditions principales du
renforcement de notre État{3093} ». Selon Mirstkhoulava, Khrouchtchev
soutint cette initiative de Beria et la presse géorgienne se mit à dénoncer
avec vigueur le « régime d’Araktcheev » instauré par le clan Roukhadzé-
Mgueladzé en Géorgie, laissant entendre que les choses iraient plus loin :

Une erreur politique n’est pas un bouton que l’on ouvre et nettoie
avec de l’iode en attendant qu’il disparaisse. Une erreur doit être
étudiée à fond afin qu’elle ne se répète pas{3094}.

Pour l’instant Beria arrivait à entraîner ses collègues hésitants. Une


seconde résolution, adoptée le 10 avril, approuva
les mesures mises en œuvre par le cam. Beria afin de faire la lumière
sur les actions criminelles accomplies durant des années par l’ex-
ministère de la Sécurité d’État de l’URSS, qui consistaient à intenter
des procès falsifiés à des gens honnêtes, ainsi que les mesures visant
à corriger les conséquences de la violation des lois soviétiques,
compte tenu du fait que ces mesures ont pour objectif le renforcement
de l’État soviétique et de la légalité socialiste{3095}.

Beria donna l’ordre de communiquer aux organisations de base du Parti


des documents du MVD portant sur les répressions de masse{3096}. En
même temps, il préparait des propositions concernant les Allemands
soviétiques déportés pendant la guerre{3097}.
La manière dont Beria imposa ces premières mesures montre qu’il était
pressé et que, voulant mettre les bouchées doubles, il ne se souciait guère
de ménager la susceptibilité et l’amour-propre de ses collègues. Il n’hésita
pas à froisser son allié Malenkov en s’attaquant à Rioumine et à Ignatiev
qui avaient agi à son instigation. Il marcha sur les pieds de Khrouchtchev
en court-circuitant de manière systématique la hiérarchie du Parti. Enfin,
en réhabilitant les médecins juifs, il fut applaudi à l’étranger, mais suscita
une réaction ambivalente en URSS où l’antisémitisme était bien enraciné.

Beria démantèle le Goulag et révise le Code pénal.


Pendant les dernières années de son règne, Staline n’avait fait
qu’étendre l’empire économique du MVD qui, en 1952, recevait 9 % des
financements budgétaires. Le Guide vieillissant avait lancé une série de
chantiers pharaoniques, comme la construction d’une voie ferrée à travers
la toundra arctique, la fameuse « route de la mort » de Salekhard à Igarka,
ou le tunnel vers Sakhaline{3098}. Or, selon son fils, Beria ne croyait pas
à l’efficacité du travail d’esclave. Il s’intéressait à la question au moins
depuis la guerre, lorsqu’il avait commandé une histoire des bagnes
tsaristes{3099}. À partir de 1946, son secrétaire Stepan Mamoulov avait
proposé à plusieurs reprises de remplacer la détention dans les camps par
un simple exil pour certaines catégories de détenus. En juin 1951, il avait
suggéré d’appliquer cette mesure aux petits délinquants économiques qui
représentaient la moitié de la population du Goulag. Mamoulov soulignait
qu’une telle décision permettrait des économies considérables{3100}.
Cette démarche résultait sans doute d’une enquête demandée par Beria à
Krouglov, à l’automne 1950, sur le coût du Goulag, qui avait conclu que le
prix d’entretien des détenus dépassait de beaucoup celui de la
rémunération de salariés libres{3101}. Il fallait, en particulier, financer
une armée de 300 000 hommes pour garder les zeks. Et Krouglov était très
conscient du potentiel déstabilisateur du Goulag : « Si nous n’arrivons pas
à rétablir un ordre strict, nous perdrons le pouvoir », écrivit-il en mars
1952{3102}.
Là encore, il semblerait que Beria n’attendait que la mort de Staline
pour commencer à agir. Dès le 6 mars, il entreprit de débarrasser le MVD
de ses fonctions économiques et annonça sa décision de confier le Goulag
au ministère de la Justice. L’enquête de Krouglov démontrait que les
camps n’étaient pas rentables et les statistiques confirmaient que le
Goulag était déficitaire de 2,3 milliards de roubles en 1952{3103}. Fort de
ces conclusions, Beria s’attaqua, le 12 mars, aux fondements de l’État
concentrationnaire stalinien en proposant de mettre fin à plus de vingt
grands chantiers du socialisme – dont le canal de la Volga à l’Oural, le
grand canal turkmène et une centrale hydroélectrique géante sur le
Don{3104} –, ce qui rendait le Goulag superflu. Et, le 24 mars, il adressa
une note au Présidium où il indiquait qu’il y avait 2 526 402 détenus au
Goulag dont 221 435 « criminels d’État », c’est-à-dire prisonniers
politiques. La note soulignait que les camps, les prisons et les colonies
contenaient un grand nombre de détenus qui avaient commis des délits
« ne présentant pas de danger sérieux pour la société » et dont
l’incarcération « ne se justifiait pas par une nécessité d’État », et en
particulier tous les condamnés « à de très lourdes peines » en vertu
d’oukases de 1947 sanctionnant le « vol de la propriété socialiste » – soit
1 241 919 personnes au 1er janvier 1953. « Or », pouvait-on lire dans la
note de Beria,
l’incarcération dans un camp, qui arrache le détenu pour longtemps à
sa famille, à ses occupations et à son environnement coutumier, place
le condamné, sa famille et ses proches dans des conditions très
difficiles ; très souvent elle détruit la famille et a des conséquences
catastrophiques sur l’existence ultérieure du détenu.

Beria proposait donc une amnistie pour tous les condamnés à moins de
cinq ans de camp, pour tous ceux qui étaient en détention pour des délits
économiques, professionnels et certains crimes de guerre, pour les femmes
ayant des enfants de moins de dix ans, et pour les personnes âgées et les
malades.
Il proposa, en même temps, une révision du Code pénal, soulignant que
chaque année un million et demi de Soviétiques étaient condamnés pour
des délits « ne présentant pas de danger particulier pour la société ». Dans
bien des cas la responsabilité pénale pouvait être remplacée par des
sanctions administratives, ou bien les peines pouvaient être
adoucies{3105}. En outre, Beria recommandait de supprimer les
prolongations de peine d’exil prononcées par le Collège spécial et de
limiter les compétences de celui-ci « aux affaires qui pour des raisons
opérationnelles ou des raisons d’État ne peuvent être confiées aux organes
judiciaires ». Il fallait revoir tous les oukases et toutes les résolutions
adoptés durant les années passées et examiner leur conformité avec les
lois soviétiques. Khrouchtchev, Molotov et Kaganovitch s’opposèrent à
ces propositions, Khrouchtchev faisant valoir « qu’il faudrait alors revoir
tout le système des arrestations, des tribunaux et de l’instruction des
affaires{3106} ».
Cependant, l’amnistie proposée par Beria fut entérinée le 27 mars et
1 178 422 détenus furent libérés. Beria raya même de sa main le
paragraphe prévoyant que l’amnistie ne serait pas étendue aux criminels
de guerre{3107}. Le 15 avril, une résolution du Présidium fit bénéficier de
l’amnistie les étrangers incarcérés en URSS{3108}. Le nombre des
prisonniers du Goulag allait donc baisser de façon continue jusqu’à la
chute de Beria – à partir de juillet les effectifs du Goulag enfleront à
nouveau. Le régime de détention s’adoucit très vite : les prisonniers furent
autorisés à écrire, à recevoir des colis et des visites{3109}. Tout fier, Beria
confiait à ses proches : « J’ai libéré un million de gens », ce qui après sa
chute fut interprété comme une manifestation de sa « folie des
grandeurs{3110} ».
Les observateurs occidentaux saisirent l’importance de ce décret « qui
dépassait les limites d’une simple amnistie », car il annonçait un
adoucissement de la législation pénale et, surtout, il allait à l’encontre de
la campagne pour la vigilance en vigueur à la fin du règne de Staline, dans
la mesure où il amnistiait toutes les condamnations prononcées pour
« divulgation de secrets d’État ». En fait, il marquait un renversement par
rapport aux tendances répressives du régime stalinien à partir de
1947{3111}. Louis Joxe évoqua l’éventualité d’une initiative de Beria
dans l’amnistie, mais nota que la population de Moscou « ne rend pas
grâces à Beria mais à Malenkov et Vorochilov, les “vrais Russes” qui enfin
règnent sur le pays{3112} ».
Après la chute de Beria, ses adversaires souligneront à l’envi que le chef
du MVD avait adopté ce train de mesures libérales par démagogie, pour
s’assurer une popularité facile et préparer sa prise de pouvoir. Or cette
thèse ne tient pas. En effet, l’amnistie entraîna une explosion de la
criminalité « et la confusion qu’elle engendra porta un coup à la réputation
de Beria dans l’opinion publique{3113} ». En outre, un nombre important
de réformes furent préparées et adoptées en secret, ce qui exclut toute
intention publicitaire. Ainsi, le 4 avril, dans une circulaire secrète au
MVD, Beria interdit la torture dans les prisons et les lieux de détention. Le
texte de cette circulaire mérite d’être cité :

Le ministère de l’Intérieur de l’URSS a établi que les organes du


MGB chargés de l’instruction des affaires ont commis des violations
flagrantes des lois soviétiques, qu’ils ont arrêté des citoyens
soviétiques innocents, qu’ils ont falsifié de manière éhontée les
témoignages, qu’ils ont abondamment eu recours à toutes sortes de
tortures – les détenus étaient sauvagement battus, on leur attachait les
mains derrière le dos au moyen de menottes parfois durant des mois,
on les privait de sommeil, on les enfermait nus dans un cachot glacé,
etc. Sur ordre de la direction de l’ex-ministère de la Sécurité d’État
de l’URSS, des cellules spéciales avaient été prévues à Lefortovo
pour le passage à tabac des détenus et un groupe spécial d’officiers
des prisons était chargé de cette tâche, avec à sa disposition les
instruments de torture les plus variés. Ces méthodes d’interrogatoires
monstrueuses entraînaient chez les détenus l’épuisement physique, la
dépression morale et parfois la perte de toute humanité. Les
enquêteurs falsificateurs en profitaient pour leur faire signer des
aveux concoctés au préalable sur leur soi-disant activité
antisoviétique d’espionnage et de terrorisme. Ce genre d’instruction
des affaires entraînait les enquêteurs sur de fausses pistes, si bien que
les véritables ennemis de l’État soviétique échappaient à l’attention
des organes de la Sécurité d’État{3114}.

Suivaient l’interdiction « catégorique » de l’emploi de la torture et


l’ordre de fermer les chambres de torture dans les prisons.

La « démythification » de Staline.
Beria avait compris que le culte de Staline servait de légitimation au
régime et il entreprit son éradication dans les heures qui suivirent la mort
du dictateur :

La dépouille de Staline n’était pas encore enterrée que Beria effectua


un véritable coup d’État, il renversa Staline mort. […] La première
étape de son assaut contre le Parti fut l’assaut contre Staline. Le
lendemain de la mort de Staline, quand Staline n’était pas encore
enterré, il entama les préparatifs de son coup d’État. Il se mit à
répandre des horreurs sur Staline. […] Il dépeignait Staline dans les
termes les plus désobligeants. Tout cela sous prétexte que nous
devions commencer désormais une vie nouvelle. […] En discréditant
Staline il voulait saper le fondement sur lequel nous sommes assis,
démolir la doctrine de Marx-Engels-Lénine-Staline. […] Beria fit de
la libération des médecins une sensation,

remarquera Kaganovitch dans son réquisitoire au Plénum du 2-7 juillet,


l’un des plus articulés des discours tenus à cette occasion, car Kaganovitch
semble mieux avoir compris que ses collègues la stratégie de
Beria{3115}.
Après la mort de Staline, Beria obtint que le Glavlit, la censure, passe
sous le contrôle du MVD et, à partir du 20 mars, le nom de Staline
disparut des titres des journaux. La revue Sovietskaïa Literatura, qui
préparait un numéro spécial consacré à Staline, reçut l’ordre d’y
renoncer{3116}. De fin mai au 29 juin, le nom de Staline n’apparut qu’une
fois dans la Pravda – en revanche, dans la semaine qui suivit la chute de
Beria, le nom de Staline sera invoqué douze fois{3117}.
Beria ne se gênait plus pour étaler sa haine de Staline, devant les
Géorgiens pour commencer, car leur dévotion à l’égard de leur illustre
compatriote l’horripilait. En présence du chef du PC géorgien, Mgueladzé,
qui le rencontra quelques heures après les funérailles, Beria s’esclaffait
bruyamment et couvrait Staline d’insultes : « Le coryphée des sciences !
Tu parles{3118} ! » Lorsque Kandid Tcharkviani vint le voir, Beria
l’accueillit ainsi : « Alors, Mgueladzé s’agite toujours ? » ; puis, raconte
Tcharkviani,

il se déchaîna contre Staline. C’était la première fois de ma vie que


j’entendais du mal de Staline. Beria me dit que Staline n’avait rien
fait, qu’il n’avait pas de cervelle, pas de talent, que nous avions tout
réalisé. Il déblatéra contre Staline pendant deux heures{3119}.
Le cinéaste officiel Mikhaïl Tchiaureli, grand favori de Staline et dont
Beria avait jusque-là recherché les bonnes dispositions, fit la pénible
expérience du brutal tournant vers la déstalinisation que le chef du MVD
voulut imposer dès avril. Venu annoncer triomphalement à Beria qu’il
avait achevé un nouveau scénario sur le grand Staline, il s’attira cette
diatribe :

Oublie cette ordure ! Staline était un salaud, une fripouille, un tyran !


Il nous a fait vivre dans la peur ! Il a terrorisé le peuple tout entier !
Son pouvoir ne tenait qu’à la peur ! Dieu merci, nous en sommes
débarrassés{3120} !

L’année précédente déjà, Beria avait choqué son fils en déclarant, lors
d’une réunion dans son bureau au Kremlin, que personne en URSS ne
travaillait par conviction et que les gens n’agissaient que par la peur.
Comme Sergo objectait que les Soviétiques travaillaient par conviction,
son père le rabroua et lui dit qu’il ne connaissait pas la vie{3121}.
Devant Mikoïan, Beria admit avoir falsifié l’histoire des bolcheviks
caucasiens dans sa brochure de 1935, afin de gonfler le rôle de
Staline{3122}. Une semaine après la mort du dictateur, il téléphona à
Nikolaï Baïbakov, le ministre de l’Énergie auquel il avait confié en février
une étude sur l’exploitation offshore du pétrole dans la Caspienne, et lui
dit : « Laisse tomber ce plan déraisonnable de Staline. Jette ou brûle toute
la paperasse qui lui est consacrée{3123}. »
Pour ébranler la résistance de ses collègues Beria entreprit de leur
rafraîchir la mémoire. En avril, il se fit remettre les dépositions d’Ejov sur
Poskrebychev et sur les membres du Politburo{3124}, voulant leur
rappeler les dangers passés. Il les obligea, ainsi que des écrivains célèbres,
à écouter des enregistrements où Staline exigeait l’application de la
torture aux accusés et qui révélaient la paranoïa pathologique du dictateur.
« C’était comme si Beria nous disait : “Le voilà votre Staline, faites
comme il vous plaira, mais moi je vais le renier et dire toute la vérité sur
lui” », raconte l’écrivain K. Simonov qui fut témoin de la scène{3125}.
Mais cela ne dura qu’une semaine : là encore, une sourde résistance mit
fin à l’initiative de Beria{3126}. Sergo Beria affirme que son père avait
l’intention de convoquer un Congrès ou un plénum consacré à faire la
lumière sur les crimes du passé. Un document daté d’avril, rédigé par
Malenkov et trouvé dans les archives, semble confirmer l’existence de ce
projet. Ce document est un brouillon de discours dénonçant le « culte de la
personnalité{3127} ». Beria et Malenkov durent sans doute faire machine
arrière devant l’obstruction de leurs collègues.
Beria avait compris que le prestige de Staline reposait avant tout sur le
mythe de la « grande guerre patriotique ». Il décida donc d’en faire
réécrire l’histoire de manière à remettre en perspective le rôle de Staline :
« En discutant avec Charia, Lioudvigov et G A. Ordyntsev de la révision
radicale de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, il se permettait de
critiquer vertement les dirigeants du Parti et du gouvernement »,
dénonçant les « erreurs de la politique soviétique dans les années d’avant-
guerre{3128} ». Fin mai, il demanda à Sergueï Chtemenko de lui trouver
des officiers connaissant bien l’histoire de la guerre et capables de mener
à bien cette tâche{3129}. Là encore l’instinct de Beria ne l’avait pas
trompé : jusqu’à aujourd’hui, la victoire dans la « grande guerre
patriotique » constitue l’ultime bastion des nostalgiques du stalinisme en
Russie.

Les premiers tiraillements.


Comme on pouvait s’y attendre, c’est autour de la politique étrangère
que le consensus des premiers jours commença à se fissurer. Dès la fin
mars s’ébaucha au sein du Présidium un affrontement, le couple Beria-
Malenkov poussant à une amélioration rapide des relations avec
l’Occident, tandis que Khrouchtchev et Molotov se montraient réticents.
En Occident, on devinait que des luttes de clan déchiraient le Kremlin,
mais on ne savait pas toujours interpréter les signaux que le clan Beria-
Malenkov organisait à l’étranger et qui visaient deux objectifs : d’une
part, convaincre les Occidentaux que l’attitude soviétique changeait en
profondeur et ne se limitait pas à des manœuvres de propagande ; d’autre
part, leur indiquer qui au Kremlin pouvait devenir un interlocuteur
souhaitable. Les émissions de Radio Moscou sapaient en douce la position
de Molotov en insinuant que son état de santé laissait à désirer{3130}. Ce
discret travail de propagande commença à porter ses fruits : ainsi
l’ambassadeur américain Charles Bohlen estimait que Beria « était un
homme doué de clairvoyance parce que totalement cynique{3131} ».
Eisenhower était très partagé dans sa réaction face aux gestes du Kremlin :
« Si seulement on pouvait croire cette fripouille de Malenkov ! » dit-il un
jour devant un collaborateur{3132}. D’un côté, il était disposé à admettre
que les dirigeants soviétiques allaient désormais développer le secteur de
la consommation au détriment de celui de l’armement – et dans ce cas un
modus vivendi avec l’URSS était envisageable. D’un autre côté, il était
tenté par la politique préconisée par son conseiller en guerre
psychologique, C. D. Jackson, le président du Psychological Strategy
Board, l’un des responsables du National Committee for a Free Europe,
qui voulait profiter de l’interrègne au Kremlin pour mettre fin à la guerre
froide sur les termes américains{3133}. Jackson avait élaboré un plan
intitulé : « Psychological exploitation of Stalin’s death », dans lequel il
recommandait de confronter les successeurs de Staline à des choix
difficiles susceptibles de semer la zizanie entre eux, d’encourager les
sentiments nationalistes dans les cercles dirigeants et d’insuffler des
doutes sur la loyauté des principaux dignitaires du régime. Les experts de
la guerre psychologique conseillaient à Eisenhower de prononcer un
discours sans tarder, pour proposer aux Soviétiques la négociation d’un
traité de paix coréen, la réunification de l’Allemagne et de l’Autriche, et
l’ouverture de négociations sérieuses sur le contrôle des
armements{3134}. Le Département d’État – à l’exception de Kennan – et
le Département à la défense s’opposaient avec vigueur à ce plan. Charles
Bohlen faisait valoir qu’une attaque frontale risquait de souder les
successeurs de Staline au lieu d’encourager leurs rivalités. Et si les frères
Dulles craignaient qu’une politique aussi aventureuse n’entraînât plutôt
une désagrégation du bloc occidental, en revanche ils n’étaient pas contre
la mise en avant de nouvelles initiatives susceptibles d’attiser les
divergences et les querelles au sein de la direction du Kremlin.
L’administration américaine était paralysée par tous ces dilemmes et
toutes ces aspirations contradictoires, ce qui apparut dans la lenteur de sa
réaction à la mort de Staline. Dès le 4 mars, Eisenhower avait eu l’idée de
s’adresser directement aux peuples de l’URSS, Jackson estimant que cette
allocution devait être prononcée le lendemain des funérailles de Staline.
Des projets de ce discours furent prêts le 6 mars, mais les conseillers du
président n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur des questions
fondamentales : le discours devait-il s’adresser aux populations captives
ou aux hommes du Kremlin ? Fallait-il viser le rollback ou chercher à
tester les intentions des successeurs de Staline ? Le 11 mars, Foster Dulles
persuada Eisenhower des inconvénients de la convocation d’une
conférence des Quatre en vue de négocier la réunification de l’Allemagne
et le désarmement, initiative préconisée par le fougueux C. D. Jackson :
une pareille entreprise risquait de faire « tomber les gouvernements
français, allemand et italien{3135} ». Il fut donc décidé qu’Eisenhower
évoquerait dans son discours la paix en Asie et la nécessité de limiter les
dépenses d’armement, les seuls thèmes qui ne risquaient pas de semer la
zizanie dans le camp occidental{3136}.
Le 16 avril, Eisenhower prononça ce fameux premier discours de
l’après-Staline, travaillé et retravaillé pendant un mois{3137} : « Le
monde entier sait qu’une ère a pris fin avec la mort de Staline. » Il appelait
à une paix « équitable » avec l’URSS et à des négociations sur les armes
nucléaires, préconisant la coopération entre les nations, la fin de la course
aux armements, le contrôle international de l’énergie atomique et un
système d’inspection confié aux Nations unies. Le président américain
demandait que les Soviétiques prouvent leur « bonne foi ». Il proposa
l’arrêt des hostilités en Corée, en Indochine et en Malaisie, la conclusion
d’un traité avec l’Autriche, le désarmement sous l’égide des Nations
unies, et l’institution d’une

large communauté européenne comprenant une Allemagne libre et


unie […] où les personnes, les échanges et les idées seraient libres.
[…] L’indépendance complète des Nations de l’Est européen pourrait
signifier la fin de l’actuelle division de l’Europe.
Toujours partisan du « scepticisme vigilant », Dulles trouva
qu’Eisenhower s’était montré trop conciliant et il obtint, deux jours plus
tard, un discours plus musclé dans lequel il exigeait la fin du
Kominform{3138}.
Après la mort de Staline, Beria ne craignit plus de manifester ses
ambitions en politique étrangère, misant sur la détente et le rapprochement
avec les Occidentaux. Il sentait qu’il y avait là un créneau unique pour
lui{3139} : il était le seul à pouvoir impulser cette politique, car nul autre
ne possédait les réseaux permettant d’entrer en contact avec les dirigeants
des pays de l’OTAN et de leur transmettre des messages. Il s’imagina que
ses collègues lui en sauraient gré, sans se douter de leur jalousie et de
leurs soupçons croissants. Il voulut se rendre indispensable, multiplier ses
sources d’information et en être l’unique dépositaire. Dès le 19 mars, un
rapport du renseignement sur la CED fut adressé par Riasnoï au seul Beria
et non à ses collègues du Présidium{3140}.
Les Occidentaux ne se doutaient pas que le discours d’Eisenhower du
16 avril allait ouvrir une nouvelle phase de la lutte pour le pouvoir entre
les successeurs de Staline. En effet, le 21 avril, Beria convoqua une
réunion au MVD et, devant les responsables de la 12e Section chargés du
renseignement au sein du corps diplomatique à Moscou, il définit les
questions principales sur lesquelles devaient porter les sondages :
l’Allemagne, la Yougoslavie, l’Europe de l’Est et l’Autriche. Beria déclara
que l’Allemagne devait être unie car la RDA était un échec ; quant à la
Yougoslavie, il fallait se réconcilier avec elle, faute de quoi toute l’Europe
de l’Est suivrait Tito. Pour l’Autriche, « elle ne devait être ni à vous ni à
nous{3141} ». Ainsi révéla-t-il à ses subordonnés une partie de son
programme de politique étrangère, avant même d’avoir osé en faire part à
ses collègues. Sa prudence était justifiée.
Selon le témoignage de Chepilov, l’offensive khrouchtchévienne contre
Beria commença à propos de la publication du discours d’Eisenhower dans
la Pravda du 25 avril. Conformément aux usages, Molotov avait préparé le
texte de l’éditorial devant donner la réplique au discours du président
américain qui avait critiqué la politique soviétique depuis 1945. La
politique étrangère était considérée comme sa chasse gardée et Chepilov,
rédacteur en chef de la Pravda, assistait à la réunion du Présidium où
devait être adopté ce texte :
Malenkov présidait la séance. L’article de Molotov fut approuvé en
chœur, avec deux petits amendements de style. L’affaire semblait
close quand Beria demanda la parole en annonçant qu’il avait des
amendements à proposer. Et il se mit à lire un article tout différent
sur une feuille tapée à la machine ; il ne restait rien du texte de
Molotov… Les membres du Présidium se regardaient embarrassés :
que faire ? Le visage impénétrable, Molotov ne bougeait pas… Seul
Khrouchtchev jubilait, je voyais ses petits yeux rusés prendre une
expression ironique. Il regardait ses collègues et semblait leur dire :
« Voilà un avant-goût de ce qui nous attend. » Je pense que c’est à
partir de cette réunion que Khrouchtchev commença ses préparatifs
tactiques parmi les membres du Présidium pour la liquidation de
Beria… Tous comprenaient que ce n’était pas une modification du
texte de Molotov mais un contre-article. Tous se taisaient. Le silence
fut finalement interrompu par Malenkov : « Eh bien, nous allons
adopter l’article de Molotov avec les amendements de Lavrenti. »
Personne n’émit d’objections{3142}.

On put ainsi lire dans l’éditorial de la Pravda, « retouché » par Beria :

Les dirigeants soviétiques accueilleront favorablement chaque


démarche du gouvernement américain ou de tout gouvernement si
cette démarche peut contribuer à régler à l’amiable les questions
litigieuses. Ceci montre que l’Union soviétique est prête à discuter
sérieusement et concrètement les problèmes, soit par des
négociations directes, soit dans le cadre de l’ONU.

Le nom de Staline n’apparaissait pas une seule fois.


Les observateurs occidentaux notèrent surtout le changement de ton de
la Pravda. Les Anglo-Saxons interprétèrent ce texte comme une porte
ouverte à la négociation, tandis qu’en RFA on était déçu d’y trouver une
fois de plus le refrain « revenons à Potsdam ». Une note du Quai d’Orsay y
vit « moins un nouvel effort de conciliation qu’un acte de ruse et
d’habileté{3143} ». Le texte, « volontairement écrit sur un ton objectif,
n’offre que de faibles perspectives de négociations fructueuses{3144} ».
Très impressionné par la publication de l’intégralité du discours
d’Eisenhower, Bohlen estimait pour sa part que la prudence de l’article
reflétait « soit les incertitudes des dirigeants actuels soit un compromis
entre des vues divergentes » : « On voit qu’il s’agit d’un texte rédigé à
plusieurs », nota-t-il avec perspicacité{3145}, persuadé qu’il s’agissait
« de quelque chose de plus sérieux que d’habitude{3146} ». Et il
n’excluait plus que les Soviétiques évacuent leurs troupes de RDA{3147}.
Le couple Beria-Malenkov était favorable à un sommet avec les
Occidentaux le plus vite possible, mais d’autres membres du Présidium
étaient réticents, autant d’ailleurs par crainte qu’une telle rencontre ne
consacrât Malenkov et Beria dans leur position dominante que pour des
raisons de principe. Conscient de la sourde opposition de ses collègues et
de la méfiance occidentale, Beria fit en avril une ouverture aux
Britanniques, comparable au contact Malinine à Berlin en 1948 évoqué
plus haut, en passant par des intermédiaires en Suisse. Ce message était
renforcé par les recommandations du maréchal Tito qui, lors de sa visite à
Londres, aurait déclaré à Churchill que les Soviétiques avaient pris acte de
leur échec économique en Europe orientale et qu’ils cherchaient à
s’engager dans une voie nouvelle{3148}. À l’insu d’Eden et du Foreign
Office, Churchill noua un contact confidentiel avec l’ambassade
soviétique, par l’intermédiaire de Julian Amery et de Robert
Boothby{3149}. Et, avec l’accord de Churchill, le député travailliste
Harold Wilson se rendit à Moscou à l’invitation de Mikoïan.
C’est dans ce contexte que Churchill tint son fameux discours du
11 mai{3150}, qui horrifia les chancelleries occidentales y compris le
Foreign Office, terrifia Adenauer, agrandit les lézardes dans le camp
occidental et porta à son comble l’acrimonie dans les relations anglo-
américaines. Voulant venir à bout de la résistance d’Eisenhower à son
projet de sommet à trois, Churchill y lançait l’idée d’une conférence au
sommet à huis clos, proposant une sorte de nouveau pacte de Locarno
ménageant les intérêts de sécurité de l’Allemagne et de l’URSS, tout en
insistant sur la nécessité de réaliser la CED en y intégrant la RFA. En fait,
le Premier ministre britannique était persuadé que l’URSS accepterait la
réunification de l’Allemagne en échange de sa neutralisation et il voyait la
Grande-Bretagne jouer le rôle d’arbitre entre cette Allemagne neutralisée
et l’URSS{3151}. Le discours de Churchill fut fort bien accueilli par
l’opinion européenne ; ainsi le 13 mai, l’Assemblée nationale française
adopta une résolution appelant à la convocation d’une conférence à quatre
pour mettre fin au conflit Est/Ouest.
La proposition de Churchill, qui sema la zizanie dans le camp
occidental, aggrava sans doute aussi la division au sein du Présidium, ce
que confirme une remarque de Khrouchtchev qui, lors du Plénum du
31 janvier 1955, rappela qu’il était fort inquiet à l’idée qu’un sommet
Malenkov-Churchill pût avoir lieu, car « manquant de caractère et d’épine
dorsale, Malenkov aurait pu être intimidé et capituler{3152} ».
La question allemande était de la dynamite à laquelle on n’osait toucher
ni à l’Ouest ni à l’Est. Dans son discours du 11 mai, Churchill enfreignit le
tabou et Beria n’allait pas tarder à essayer d’en faire autant de l’autre côté
du rideau de fer.

Le branle-bas dans le renseignement.


À partir d’avril, Beria adopta des mesures qui visaient les instruments
du pouvoir soviétique à l’étranger et dans l’empire. Il se livra en
particulier à une critique en règle des services de renseignements
soviétiques à l’étranger. « Il répétait que nous n’avions pas de
renseignement, pas d’agents, que nous n’obtenions aucune information
valable et qu’il fallait tout reconstruire à zéro{3153}. » Il reprochait aux
agents de « répéter les dépêches de l’agence TASS{3154} ». Les analyses
du défunt Comité d’information le hérissaient par leur conformisme
idéologique :
Le vieux [Staline] a tout démoli. Qu’avons-nous obtenu en nous
opposant aux dirigeants yougoslaves, avec lesquels nous nous
sommes brouillés pour un caprice de Staline ? […] Nos services de
renseignements n’ont pas été à la hauteur, car ils se conformaient en
toutes choses à la politique erronée de Staline, fournissant des
analyses épousant ses thèses et aggravant de la sorte les conséquences
néfastes de cette politique,

déclara Beria devant un groupe d’officiers du renseignement en mai


1953{3155}. Il était stupide selon lui de mener des opérations de
renseignement contre les États-Unis sur le sol américain. Mieux valait le
faire de l’extérieur, par exemple de la Yougoslavie : argument bizarre mis
en avant par Beria pour défendre la politique de réconciliation avec
Tito{3156}.
Fin 1952, Staline s’était efforcé de transformer le MGB en instrument
d’une politique offensive visant les pays de l’OTAN. Beria annula les
décisions de Staline et « modifia la structure des organes du MVD de
manière à affaiblir les mesures actives de nos services contre les agents de
l’étranger{3157} ». Le fameux Bureau n° 1 dont la tâche était d’organiser
des attentats dans les pays de l’OTAN et contre les étrangers fut supprimé
sur son ordre. Le centre radio destiné au renseignement, que Staline avait
voulu faire construire en 1952, fut abandonné à l’instigation de
B. Koboulov.
On assista à une véritable « valse des cadres » dans le domaine du
renseignement. Ainsi V. Riasnoï, un proche de Khrouchtchev nommé à la
tête du renseignement extérieur après la mort de Staline, bien qu’il eût la
réputation d’être incompétent dans ce domaine{3158}, ne demeura à ce
poste que jusqu’à la fin du mois de mai{3159}. Vertement critiqué par
Beria, il demanda lui-même à changer d’affectation et fut remplacé par
A. Korotkov{3160}.
Sans crier gare, Beria rappela à Moscou cent cinquante résidents
soviétiques et tous les agents déployés à l’étranger par le Comité central
depuis la restructuration du MGB imposée par Staline à partir de 1951 ;
les uns furent limogés du MVD et d’autres expédiés en province{3161}.
Après sa chute, cette décision semblera très suspecte à ses collègues et,
selon Krouglov,

notre réseau de renseignement à l’étranger a subi des dommages


considérables à cause de l’ordre criminel donné par Beria en avril
cette année de rappeler simultanément à Moscou tous les résidents
demeurant à l’étranger, ce qui a paralysé nos activités de
renseignement à l’étranger.

Six cents hommes du MVD furent rappelés des pays capitalistes.


Faute d’officiers traitants, les liens avec les agents furent suspendus et les
résidences privées de direction{3162}. L’ex-adjoint du directeur du 2e
Directorat principal du MVD, S. R. Savtchenko, témoignera de son côté :

Le rappel simultané par Beria de tous nos résidents et de tout notre


personnel opérationnel sous le prétexte d’examiner leur travail et
d’envisager des moyens de l’améliorer était dangereux pour notre
activité de renseignement. Le prétexte invoqué par Beria était un
télégramme chiffré de l’un des résidents qui annonçait un rapport que
Beria jugeait indigne de son attention.

Des propositions furent préparées pour chaque résidence, mais

ni Beria ni Koboulov ne prirent connaissance de ces propositions ni


ne rencontrèrent les résidents, si bien qu’aucune décision ne fut
prise ; les résidents et leur personnel opérationnel furent réduits à
l’oisiveté à Moscou pendant une longue durée.
Au moment de la chute de Beria, deux cents officiers attendaient encore
l’ordre de rejoindre leur poste. Pire encore :

À la mi-juin, nous nous aperçûmes que les Américains avaient été


capables de déterminer que les Soviétiques rappelés à Moscou étaient
des officiers du renseignement. […] On ne peut mettre en doute que
Beria et Koboulov, qui étaient des professionnels du renseignement,
n’avaient pu prévoir les conséquences de leur décision.

Et ils avaient caché cela au Présidium{3163}.


Les archives de la CIA montrent que ces accusations formulées contre
Beria en 1953 étaient fondées. En effet, dès la mort de Staline, la CIA
reçut l’ordre de suivre les mouvements du personnel soviétique à
l’étranger et ne tarda pas à s’apercevoir que les officiers rappelés étaient
du MVD et non du GRU, le renseignement militaire{3164}.
Mais ce n’était pas tout. Beria supprima le Département spécial chargé
des illégaux, il réduisit de six à sept fois les effectifs du 1er Directorat
principal (chargé du renseignement) ; il fusionna le Département
américain et le Département anglais, « ce qui revenait à mettre fin à nos
activités de renseignement contre notre adversaire principal{3165} ». En
outre, le 16 juin, B. Koboulov envoya cette instruction aux résidents
soviétiques :

Nous devons garder à l’esprit l’impératif suivant : nos agents à


l’étranger ne doivent pas recevoir de missions qui en cas d’échec
pourraient être utilisées par les organes de contre-espionnage des
pays concernés en vue de discréditer la politique soviétique de non-
ingérence dans ces pays{3166}.
En avril-mai, tous les conseillers du MVD en poste dans les démocraties
populaires furent rappelés à Moscou et leurs successeurs nommés par
Beria et Koboulov sans consultation avec le Comité central{3167}. Le
critère de sélection était la connaissance de la langue locale : les nouveaux
venus devaient pouvoir s’entretenir avec leurs collègues et les dirigeants
communistes est-européens sans passer par le truchement d’un interprète.
Beria leur recommanda de ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures des
démocraties populaires, et surtout pas dans les querelles opposant les clans
au pouvoir{3168}. Désormais le conseiller du MVD de l’URSS et son
appareil n’auraient que des fonctions de renseignement et de contre-
espionnage. Les postes d’instructeurs et d’instructeurs en chef seraient
supprimés. En RDA, Beria diminua de sept fois les effectifs du MGB,
prétexte plus tard à lui reprocher d’avoir ainsi causé l’insurrection de
juin{3169}. En outre, et ce n’était peut-être pas un hasard, le réseau est-
allemand en RFA fut décapité par la défection en avril d’un agent
important appartenant à la section économique de la Sécurité{3170}.
Pour Sergo Beria, ce branle-bas dans le renseignement s’expliquait par
la volonté de Beria de

se débarrasser de tous les fonctionnaires du Parti incompétents qui


encombraient nos services à l’étranger. Il voulait concentrer le
renseignement sur les questions économiques et techniques. Le
rapprochement avec les pays occidentaux rendrait inutiles nos
méthodes traditionnelles de chantage et de terreur{3171}.

La volonté d’éloigner le renseignement du Comité central du Parti se


traduisit aussi par la rétention d’informations : ainsi Beria ne signala plus
au Comité central les cas de défections ou de violations des frontières, ni
de fuites de Soviétiques dans les ambassades étrangères – ce dont on lui
fera grief après sa chute{3172}.
27

L’assaut contre le Parti


Il commença à agir à visage découvert
[Lazare Kaganovich{3173}].

Chaque question soulevée par Beria avait des implications extrêmement


dangereuses pour notre État
[Nikolaï Boulganine{3174}].

Il ne s’agit pas d’une déviation, mais d’un dangereux complot contre-


révolutionnaire contre le Parti et le gouvernement
[Lazare Kaganovich{3175}].

Tous les changements voulus par Beria répondaient à un objectif :


desserrer l’emprise du Parti sur l’État, l’économie et l’empire. Le
regroupement des ministères et des régions mis en œuvre au lendemain de
la mort de Staline fut un premier pas vers le relâchement de la tutelle du
Parti sur les organismes administratifs, ministériels et territoriaux. Beria
voulait dessaisir le Parti du contrôle de l’économie et de celui de la
politique étrangère, le domaine le plus prestigieux : « À partir de mars
[…] toutes les questions de politique étrangère furent placées sous la
compétence du Présidium du Conseil des ministres et, au mépris de la
tradition bolchevique immuable, elles cessèrent d’être débattues au
Présidium du Comité central », notera Molotov au Plénum de juillet
1953{3176}. Selon son secrétaire Lioudvigov, « Beria affirmait qu’il ne
pouvait y avoir deux maîtres dans le pays, le Parti et l’État{3177} ». Le
chef du MVD entendait créer un appareil d’État de gestionnaires,
sélectionnés sur les critères de compétence, capables d’administrer une
économie débarrassée des entraves idéologiques. « Il considérait les
secrétaires des comités régionaux du Parti comme des dispatchers », se
rappellera le ministre de la Construction mécanique, Viatcheslav
Malychev, au Plénum de juillet 1953{3178}. En particulier, Beria
s’efforça par tous les moyens de relâcher le contrôle du Parti sur le MVD.
Il interdit à Boris Obroutchnikov, le responsable du Département des
cadres, de consulter le Comité central pour les nominations de
responsables du MVD, et il s’arrangea, par exemple, pour que le chef de
l’Inspection du MVD soit L. Raikhman, un officier du MVD, et non un
fonctionnaire de l’appareil du Comité central. Sous divers prétextes, il
évita de nommer ces derniers à des postes de responsabilité au sein du
MVD{3179}.
À partir de mai, Beria sembla vouloir précipiter les événements et, lors
du Plénum de juillet, Molotov interprétera la hâte suicidaire des dernières
semaines de Beria comme le résultat de pressions exercées par l’étranger :

Durant les derniers trois mois, le comportement de Beria se


caractérisa par un toupet accru, une accélération du rythme de ses
manigances dirigées contre notre Parti et le gouvernement soviétique.
Il est évident que cela ne tenait pas seulement à ses souhaits
personnels, mais cela révélait qu’on le pressait d’avancer. L’étranger
le poussait{3180}.

Il est plus probable que, sentant la résistance de ses collègues se


cristalliser contre lui, Beria cherchait à les prendre de vitesse et
intensifiait ses attaques contre le Parti. Le 9 mai, il fit adopter une
décision secrète interdisant d’arborer les portraits des dirigeants lors des
manifestations et dans les édifices publics : « une manœuvre retorse visant
à saper les bases du léninisme », dira-t-on après sa chute{3181} ; en
réalité, ses collègues soupçonnaient que cette mesure annonçait leur
limogeage imminent. Les mailles du filet du Parti qui enserraient le pays
furent élargies. En mai, le regroupement des ministères s’opéra au niveau
des républiques et, dans les petites républiques – Estonie, Lituanie,
Lettonie, Géorgie, Tatarie et Bachkirie –, la division administrative en
régions fut liquidée{3182}. Le nombre de bureaucrates fut réduit et cent
mille fonctionnaires durent retourner au secteur productif. On supprima un
grand nombre d’« enveloppes », tout en augmentant celles des
fonctionnaires de haut rang. Surtout, à partir du 26 mai, le traitement des
fonctionnaires du Parti devint jusqu’à deux fois inférieur à celui des
fonctionnaires d’État de même rang{3183}.
Beria était conscient qu’il fallait avant tout affaiblir le contrôle des
organismes fédéraux sur l’empire pour neutraliser l’appareil du Parti. En
mai-juin 1953, l’essentiel de ses efforts allait porter sur l’émancipation de
la périphérie et la réunification de l’Allemagne, deux volets d’un même
projet dans son esprit.

La réforme de l’empire.
Au XVIIe Congrès du Parti, en janvier 1934, Staline avait déclaré :

Il faut remarquer que les survivances du capitalisme dans la


conscience des gens sont beaucoup plus vivaces dans le domaine de la
question nationale que dans n’importe quel autre domaine. Elles sont
plus vivaces car elles ont la possibilité de se camoufler dans le
costume national.

Beria faisait la même analyse quoiqu’il en tirât une ligne d’action


opposée.
Les observateurs occidentaux perspicaces décelèrent que la
réhabilitation des médecins inaugurait une politique de réaction au
nationalisme grand-russe encouragé par Staline durant la dernière année
de sa vie{3184}. Les kremlinologues relevèrent d’autres indices
confirmant l’orientation nouvelle. Un article paru le 16 avril dans
Radianskaïa Ukraina, l’organe officiel du PC ukrainien, sembla confirmer
cette hypothèse : « Le chauvinisme grand-russe, tout autant que le
nationalisme bourgeois, constitue un obstacle au maintien de l’unité de
l’Union soviétique. » Ils notèrent aussi la parution, dans la Literaturnaïa
Gazeta du 12 mai, de l’article d’un poète azerbaïdjanais, Samuel
Vourgoun, qui insistait sur l’égalité des nations soviétiques et le caractère
de réciprocité des influences culturelles, mettant en cause le dogme de la
priorité de la culture russe et défendant l’« originalité de la poésie » contre
le dogme du réalisme socialiste. Cet article se terminait ainsi : « Un
véritable poète n’a pas le droit, dans un but de sécurité personnelle,
d’étouffer sa voix{3185}. » Un article de Kommunist du 25 juin, signé par
P. Fedosseev, appelait l’URSS à ne pas se séparer de la culture des autres
nations et condamnait les écrivains soviétiques qui embellissaient la
« politique réactionnaire du tsarisme ».
Dès son discours au XIXe Congrès, Beria s’était posé en champion des
nationalités et, dans les milieux de l’émigration caucasienne, la réputation
« nationaliste » de Beria était déjà bien établie. La rumeur circulait que
Beria avait refusé d’approuver le nouvel hymne soviétique en 1944, qu’il
trouvait trop imprégné de chauvinisme grand-russe{3186}.
Cependant, seule l’ouverture des archives soviétiques a permis de
prendre la mesure de l’ambitieuse politique nationale projetée par le chef
du MVD{3187}. Une question se pose d’emblée : la réforme de la
structure impériale de l’URSS entreprise par Beria au printemps 1953
répondait-elle au seul souci d’améliorer ses positions face à ses collègues
dans la lutte pour la succession de Staline, ou Beria poursuivait-il
parallèlement l’affaiblissement du Parti à travers la décentralisation ? De
toute évidence, ses collègues du Présidium penchèrent pour la seconde
hypothèse. Pour Kaganovitch, « Beria voulait se rallier les éléments
nationalistes mécontents et en faire des cadres qu’il pourrait utiliser dans
sa lutte contre le Parti et le régime soviétique{3188} ». Khrouchtchev
écrit dans ses Mémoires :
Il donnait une orientation antirusse à l’idée de la promotion des
cadres nationaux. Il voulait unir les nationalistes contre les Russes.
[…] Les ennemis du parti communiste ont toujours misé sur la lutte
interethnique, et c’était par là que Beria a commencé{3189}.

Molotov sera du même avis : « Le provocateur Beria voulait créer une


faille qui lui permette de faire sauter notre Union soviétique{3190}. »
Il était en effet crucial pour Beria de trouver des points d’appui dans son
corps-à-corps avec le Parti tout-puissant et un catalyseur capable de
déclencher et d’accélérer un processus de différenciation au sein du Parti
et de la société, encore paralysés par le stalinisme. D’un côté Beria tenta
donc de développer au sein du MVD un esprit de corps qui devait aboutir à
une rivalité entre organes du Parti et tchékistes. Il avait déjà mis en œuvre
cette politique du vivant de Staline, en « militarisant » le MVD et en
obtenant pour les officiers du MVD des grades équivalant aux grades dans
l’armée, ce que Staline avait d’ailleurs fini par lui reprocher{3191}.
Parallèlement, il encouragea la différenciation nationale, parce qu’il savait
que le sentiment national était encore vivant dans les républiques de
l’URSS et que seule la passion nationale pouvait casser le monolithe du
PCUS. L’utilisation de la carte nationale lui permettait aussi de tendre la
main aux Occidentaux et de s’assurer leur appui dans la rivalité qui
l’opposait à ses collègues.
L’instrument utilisé par Beria pour cette politique fut le MVD et la
tactique qu’il choisit fut la provocation. Non par déformation
professionnelle mais parce que, dans un système verrouillé comme l’était
l’URSS à la mort de Staline, seules des provocations bien ciblées
pouvaient faire vaciller l’édifice et réveiller la société assommée par la
terreur stalinienne. C’est dans la politique nationale que nous déchiffrons
le mieux la technique employée en permanence par Beria : proclamer les
slogans du Parti – la « politique nationale marxiste-léniniste »
constamment invoquée – pour camoufler une politique aboutissant à
l’effet inverse de celui annoncé par les slogans.
Immédiatement après la mort de Staline, Beria lança en Ukraine et en
Lituanie – les deux républiques où il se montra particulièrement actif – un
train de mesures sans doute préparées de longue date. En effet, un faisceau
d’indices montre que Beria avait commencé, dès 1952, à poser les bases de
sa future politique ; ainsi, en 1952, le deuxième secrétaire du PC
ukrainien, A. I. Kiritchenko, se rendit en Ukraine occidentale et revint
avec une série de propositions dont le premier secrétaire, L. G. Melnikov,
ne tint pas compte{3192}.
L’importance que Beria attachait à l’Ukraine est révélée par le fait
qu’à peine nommé ministre de l’Intérieur de l’URSS, le 21 mars 1953, il
s’empressa de placer à la tête du MVD ukrainien deux hommes de
confiance, Pavel Mechik – l’envoyé du MGB en Pologne depuis mars 1945
– et son premier adjoint, Solomon Milshtein, sans consulter les organes du
Parti. Cela lui sera reproché lors du Plénum ukrainien du 29 juillet où les
orateurs se déchaîneront contre ces envoyés de Beria et n’auront aucun
mal à souligner les taches de leur biographie. Le père de Mechik était un
agent de l’Okhrana tsariste passé dans l’armée de Denikine. Timofeï
Strokatch, le chef du MVD de Lvov limogé par Beria, déclarera : « Dès
l’enfance, Mechik avait été imprégné d’un sentiment de haine à l’égard du
Parti communiste et du peuple soviétique{3193}. » Aux yeux de
Kiritchenko, premier secrétaire du PC ukrainien, Milshtein était « un
personnage encore plus louche », un homme « au passé douteux […] dont
le père, la mère, le frère et la tante vivent à New York{3194} », tandis
qu’un de ses frères qu’il avait fait venir en URSS de Pologne avait été
fusillé pour espionnage{3195}. De fait, Milshtein était un vieux protégé
de Beria qui l’avait à plusieurs reprises mis à l’abri des purges
antisémites ; et il semblerait qu’après l’arrestation de Beria Milshtein ne
se laissa pas prendre vivant : il tua l’un des tchékistes venus pour l’arrêter
et fut abattu par les autres{3196}. Bref,

pour mettre en œuvre sa politique subversive, Beria tenta d’installer


aux postes de responsabilité du MVD un groupe de cadres qui lui
étaient dévoués et qui partageaient sa haine du Parti ; dans certains
cas il y parvint{3197}.
Les deux nouveaux venus mirent d’emblée les tchékistes locaux en état
de choc. Lors d’une réunion de l’organisation du Parti au sein du MVD,
Mechik déclara tout de go : « Il n’y a rien de mal à écouter “La Voix de
l’Amérique” et la BBC. Moi-même je le fais. » Ou bien : « Je lis avec
plaisir l’Histoire de l’Ukraine de Grouchevski{3198} » – un ouvrage
publié en Allemagne, tabou en URSS à cause de son nationalisme. Quant à
Milshtein, il annonça le jour de son arrivée : « Quand on vit en Ukraine, on
n’a pas à s’occuper des nationalistes juifs, mais des nationalistes
ukrainiens{3199}. » Et il affirma à ses subordonnés que « désormais tout
serait différent, les organes du Parti cesseraient de s’ingérer dans les
affaires tchékistes comme ils le faisaient précédemment. Les responsables
régionaux du MVD devaient être indépendants des secrétaires d’obkom et
ils le seraient{3200} ».
Mechik et Milshtein « rendirent la vie impossible aux fonctionnaires
honnêtes et capables détachés de l’appareil du Parti au MVD par le Comité
central et les comités régionaux du Parti », sous prétexte qu’ils n’avaient
pas d’expérience tchékiste{3201} ; en fait, ils commencèrent par expulser
tous les fonctionnaires du Parti injectés dans le MVD pendant la période
Ignatiev, en particulier les vice-ministres et le responsable de la section
des cadres. Mechik les remplaça par des gens « qui n’avaient aucun
rapport ni avec le Parti ni avec la Tcheka, à l’insu du Comité central, ce
qui ne s’était jamais produit dans l’histoire du Parti{3202} ». Les
nouveaux promus étaient souvent des officiers auparavant sanctionnés ou
mis à l’écart : par exemple le chef du Département d’instruction avait des
parents qui avaient fait défection au Mexique{3203}. Par ces purges,
Mechik et Milshtein s’efforcèrent de neutraliser l’organisation du Parti au
sein du MVD « afin qu’elle ignore tout de leur activité criminelle et ne
puisse avertir les organes supérieurs du Parti{3204} ».
Lors du Plénum ukrainien du 29 juillet, Beria sera accusé d’avoir « tout
fait pour mettre fin à la lutte contre la clandestinité de l’OUN, avec les
nationalistes bourgeois ukrainiens et avec les sionistes » – or l’OUN était
une organisation de nationalistes ukrainiens menant depuis 1944 une
guerre de partisans contre le régime soviétique. Strokatch, le responsable
du MVD de la région de Lvov, résumera ce qui était reproché à Beria et à
ses envoyés en Ukraine :
Sous couleur de renforcer la légalité socialiste et de liquider les faits
d’arbitraire, Mechik et Milshtein firent réviser les affaires en cours
d’instruction et libérer des nationalistes ukrainiens, des ennemis
déclarés du régime soviétique. La politique de Mechik consistait à
protéger les éléments ennemis et à désorganiser le MVD, à
l’empêcher de se livrer à une lutte active contre les résidus des
bandes de nationalistes bourgeois ukrainiens dans les régions
occidentales. Les vils suppôts de Beria ont interdit aux tchékistes de
mener des opérations contre les bandits, de les battre, malgré nos
pertes, et ils nous ont ordonné de ne les prendre que vivants. Par-
dessus le marché Mechik et Milshtein s’efforçaient de convaincre les
communistes lors des réunions du Parti que les bandits de l’OUN
exterminés après la guerre étaient des victimes innocentes. […] Sous
divers prétextes ils firent libérer des chefs de bande nationalistes
bourgeois et les renvoyèrent en Ukraine occidentale afin qu’ils
puissent poursuivre leur activité antisoviétique{3205}.

Sur quels faits se fondaient ces accusations ? Les témoignages


confirment que Beria voulait effectivement inculquer aux hommes du
MVD une autre approche de la résistance nationaliste. Lors du Plénum du
29 juillet, un officier du MVD s’indignera de ce que Beria ait envoyé au
MVD ukrainien « une directive nous enjoignant non seulement de cesser
de tuer les bandits et de les appeler “bandits”, mais de les considérer
comme des gens qui ne s’étaient pas encore pleinement convaincus de la
justesse des idées du régime soviétique{3206} ».
Toutes les instructions que Beria donnait à Mechik étaient
orales{3207}. Le nouveau chef du MVD ukrainien créa une commission
pour revoir les affaires instruites jusque-là par le MVD. Il fit libérer des
nationalistes ukrainiens, même quand ils avaient plusieurs attentats à leur
actif, et les responsables du MVD qui refusaient de les remettre en liberté
étaient limogés sur l’heure{3208}. L’un des orateurs du Plénum du
29 juillet témoignera qu’« à son arrivée à Kiev, Milshtein se fit fournir une
liste des “trotskistes, des mencheviks, des anarchistes et des SR” » fichés
par le MVD et surtout une « liste des agents chargés de ce contingent. Il
apparaît que son but était de se débarrasser des agents surveillant ces
criminels afin que ceux-ci puissent se livrer en toute liberté à leurs
activités subversives{3209} » ; ce détail est important dans la mesure où
la même politique de neutralisation des mouchards fut appliquée au
Goulag et dans les kolkhozes. Le 23 mars, le MVD ukrainien se vit
interdire les arrestations des membres de l’OUN sans autorisation du
ministre ou du vice-ministre, sauf en cas de flagrant délit. Le 10 avril,
Beria envoya une directive interdisant au MVD d’employer ses forces
armées sans l’autorisation du chef du MVD local : les autorités du Parti
n’avaient donc plus le droit d’envoyer la troupe à leur guise, ce qui était
auparavant l’usage{3210}. En outre Mechik défendit aux tchékistes
ukrainiens d’utiliser les troupes « lorsqu’ils ne savaient pas exactement où
se cachaient les bandits{3211} ». Cet ordre mettait fin aux opérations de
ratissage pratiquées jusque-là par le MGB sur une grande échelle.
Ces directives définissant la politique à mener face à la guérilla
anticommuniste étaient déjà révélatrices en elles-mêmes, mais la politique
nationale de Beria allait beaucoup plus loin. Dans une première étape, son
objectif semble avoir été de déboulonner les responsables du Parti des
républiques : des staliniens purs et durs comme Melnikov, le chef du PC
ukrainien, qui avait succédé à Khrouchtchev en 1949, ou encore
A. Snieckus en Lituanie, Mgueladzé en Géorgie, N. S. Patolitchev en
Biélorussie, mais aussi Ulbricht en RDA et Rakosi en Hongrie.
L’apprentissage de la déstalinisation devait s’opérer à travers la critique
des « petits Stalines » locaux que Beria cherchait à discréditer, en même
temps qu’il s’efforçait d’arracher le contrôle des organisations du Parti
locales au Comité central.
Dans les républiques et les régions, le responsable du Parti et celui du
MVD vivaient souvent en bonne intelligence. C’est pourquoi Beria
limogea d’emblée les ministres de l’Intérieur dans les républiques. Mais la
mise à l’écart brutale du chef du MVD et son remplacement sans
consultation préalable du responsable du Parti suscitèrent le
mécontentement et la méfiance des apparatchiks du Parti qui conservaient
des appuis au sein du MVD, ce dont Beria ne tarda pas à faire l’expérience
à ses dépens.
En effet, il voulut charger des officiers du MVD d’enquêter dans les
républiques sur la situation locale et surtout de rassembler des faits
compromettants sur les dignitaires du Parti. Dès la mi-avril, le MVD
commença à rassembler un dossier sur la Lituanie et l’Ukraine
occidentale : nombre de morts causées par les répressions, nombre de
déportés, de détenus ; rapports sur l’opinion, à partir de la correspondance
ouverte par le MVD ; statistiques sur la nationalité des cadres locaux. Le
19 mai, Beria adressa une directive spéciale aux MVD des républiques,
des régions et des territoires, auxquels il ordonnait de « relever les
insuffisances, les abus et les erreurs » imputables aux organes du Parti et
des Soviets, en utilisant au besoin des agents{3212}.
L’orientation qu’il souhaitait donner à ces rapports apparaît dans les
déboires qu’il essuya avec les responsables locaux du MVD qui n’avaient
pas compris son dessein. Le 20 avril, il convoqua à Moscou
P. P. Kondakov, le chef du MVD de Lituanie, et l’interrogea sur l’appareil
du PC lituanien ; puis il lui demanda qui pourrait succéder à Snieckus.
Prudent, Kondakov répondit qu’il avait une fort bonne opinion de
Snieckus ; selon son témoignage, « Beria entra en rage et me dit que je
n’étais pas un ministre, mais un fonctionnaire en épaulettes, que je n’étais
pas à la hauteur de ma tâche et que j’allais être limogé{3213} ». Beria
critiqua aussi l’emploi du terme de « bandits » pour désigner les résistants
anticommunistes : « Il me demanda sur quoi je me fondais pour les traiter
de “bandits”. Je répondis qu’ils étaient armés, qu’ils pillaient et tuaient
des Soviétiques. Il répliqua : “C’est vous qui les contraignez à de tels
actes” », rapportera Kondakov lors du procès de Beria. Le chef du MVD
déclara aussi que le MGB lituanien avait eu tort de persécuter le clergé
catholique, qu’il fallait libérer les prêtres et les personnalités bourgeoises
et les autoriser à revenir en Lituanie{3214}. Le 23 avril, Beria convoqua à
nouveau Kondakov accompagné de ses deux adjoints, Martavicius et
Gielievicius, et il leur demanda de rédiger en trois jours un rapport sur
l’appareil du Parti lituanien ; puis il les renvoya à Vilnius, flanqués
de N. S. Sazykine, un officier du MVD central. Les tchékistes lituaniens
rédigèrent leur rapport, mais ils n’avaient toujours pas compris ce que
voulait Beria :
Le rapport que nous [Kondakov, Martavicius, Gielievicius] avions
rédigé était fort autocritique, mais il ne satisfit pas Beria. Il nous
accusa de camoufler l’état réel des choses en Lituanie (bien que cette
idée n’ait pas effleuré l’esprit des dirigeants du MVD de Lituanie), il
nous insulta avec la dernière grossièreté, il nous menaça et nous força
de récrire le rapport dans le sens qui lui convenait, c’est-à-dire en
exagérant la force de la résistance nationaliste clandestine et des
centres dirigeants catholiques, en prétendant qu’il s’agissait de
mouvements de masse, bien organisés et centralisés. […] Lorsque
j’essayai d’objecter que ce n’était pas là un tableau objectif de la
situation, il me couvrit d’insultes et de menaces{3215}.

En définitive, Beria dut avoir recours à l’un de ses proches, Sazykine,


qu’il envoya incognito en Lituanie{3216}. Le 5 mai, Kondakov et
Martavicius furent à nouveau convoqués par Koboulov, soi-disant pour
préparer un projet de note au Présidium. En réalité le projet avait déjà été
préparé par Koboulov, sur la base du fameux rapport dont la rédaction
finale avait été confiée à Sazykine, et ce texte fut soumis au Présidium du
Comité central le 8 mai. Cet épisode montre à quel point il était difficile
pour Beria d’utiliser à ses fins le MVD. Si au sommet le groupe de ses
proches était ravi d’affronter les dignitaires du Parti, à la périphérie il n’en
allait pas de même, et la base sur laquelle il s’appuyait au MVD était
dangereusement étroite.
En Ukraine, Beria rencontra la même difficulté lorsqu’il demanda aux
fonctionnaires du MVD ukrainien de rassembler des faits compromettants
sur les tares du régime. Selon les témoignages de Mechik au Plénum du
2 juin 1953 et celui de son adversaire, Strokatch, responsable du MVD de
la région de Lvov, après la chute de Beria, les événements se déroulèrent
de la manière suivante.
Le 18 mars 1953, moins de deux semaines après la mort de Staline,
Beria téléphona au chef du PC ukrainien, Melnikov, pour lui dire que,
d’après ses informations, la situation en Ukraine occidentale laissait à
désirer. Le 19 mars, lors d’une réunion consacrée aux activités du MVD en
Ukraine occidentale, il demanda au chef de la Sécurité d’Ukraine, Piotr
Ivachoutine, de lui rédiger un rapport sur cette région rebelle. Comme ses
collègues en Lituanie, Ivachoutine ne comprit pas les arrière-pensées de
son chef et s’empressa de souligner que la résistance avait beaucoup faibli
et qu’il ne restait qu’un petit nombre de bandes. Beria l’interrompit :
« Vous ne savez rien. Vous parlez comme un chef de département de
police. Les bandits continuent à assassiner les responsables du Parti et des
Soviets et les organes du MGB ne sont nullement à la hauteur{3217}. »
Ivachoutine fut limogé illico et remplacé par Mechik qui reprit l’enquête
sur la situation en Ukraine occidentale en convoquant les responsables
régionaux du MVD ukrainien. Lors de cette réunion, le vice-ministre de
l’Intérieur ukrainien, S. M. Fadeev, indiqua l’orientation souhaitable de
l’enquête diligentée par Moscou en déclarant que le « régime soviétique
n’existait pas en Ukraine occidentale. Le jour il se maintenait grâce au
MVD, la nuit c’était l’OUN qui était au pouvoir{3218} ». Mis au courant
de cette déclaration, Melnikov fut indigné : « Le Parti avait montré tant de
sollicitude à l’égard des régions occidentales et voilà qu’on prétendait que
le régime soviétique n’y existait pas{3219} ! » Melnikov devina que ses
jours à la tête du PC ukrainien étaient comptés quand, au Plénum
ukrainien du 2 juin chargé d’instaurer le « nouveau cours » voulu par
Beria, Mechik déclara qu’il avait reçu l’ordre « d’aider par tous les
moyens le cam. Melnikov » et de le « mettre au courant des instructions
du camarade Beria ». Selon lui,

le MGB avait fourni au cam. Melnikov toutes les informations qui


ont ensuite été seulement partiellement utilisées dans le rapport du
cam. Beria. [Mais]… le cam. Melnikov ne tira pas les conclusions qui
s’imposaient de son voyage en Ukraine occidentale. Continuant à
pratiquer une tutelle pointilleuse sur les organes du MVD, il
interpréta de manière erronée l’enquête menée par le MVD sur la
situation en Ukraine occidentale. Bien que le MVD l’eût informé par
le menu sur ses activités, le cam. Melnikov interrogea durant son
voyage des officiers du MVD régional afin de leur tirer des
informations sur la perestroïka des activités tchékistes
opérationnelles et il s’efforça dans ces entretiens de discréditer la
réforme du travail tchékiste. J’avais ordonné au cam. Strokatch
d’établir combien de responsables de l’obkom de Lvov étaient
originaires de la région. Lorsque le cam. Melnikov l’apprit du cam.
Serdiouk, sa réaction fut extrêmement vive{3220}.

Comme dans le cas lituanien, Beria eut du mal à dresser les tchékistes
ukrainiens contre les dignitaires du Parti, ce que montre l’affaire Strokatch
à laquelle Mechik fait allusion. Beria avait ordonné en avril à Strokatch
« […], de faire des rapports sur les insuffisances de l’activité des organes
du Parti dans les kolkhozes, les entreprises et les instituts, dans
l’intelligentsia et dans la jeunesse », de « photographier les deux
kolkhozes les plus arriérés » et de lui remettre les clichés. Mechik
demanda aussi à Strokatch de déterminer le nombre de Russes et
d’Ukrainiens dans les organes dirigeants du Parti en Ukraine. Si l’on en
croit le récit qu’il en fera au Plénum de juillet 1953, Strokatch hésita à se
charger de cette mission périlleuse et demanda une confirmation à Mechik
qui s’emporta contre lui et lui confirma qu’il s’agissait d’une tâche
urgente confiée par Beria. Strokatch s’empressa de tout rapporter à
Z. T. Serdiouk, secrétaire de l’obkom de Lvov, un homme de
Khrouchtchev, qui alerta Melnikov, le responsable du PC ukrainien. Le soir
même, Beria furieux appela Serdiouk par téléphone, en lui reprochant
d’avoir causé des ennuis à Mechik. « Lorsque j’essayai d’expliquer à Beria
que j’avais agi en mon âme et conscience de Parti, il raccrocha »,
racontera Strokatch au Plénum du 29 juillet{3221}. Le 12 juin, Strokatch
fut limogé du MVD et Mechik, narquois, lui fit remarquer qu’il devait sa
disgrâce à l’indiscrétion du secrétaire du Comité central Melnikov, qui
l’avait dénoncé comme « espion du Comité central{3222} ». Toute cette
affaire révèle la profondeur de l’antagonisme entre apparatchiks du Parti
et hauts responsables tchékistes au moment du « printemps de Beria ».
D’après les témoignages du Plénum ukrainien du 29 juillet, il semble
que Mechik et Milshtein se chargèrent eux-mêmes de rassembler les
clichés et les données compromettants pour le régime. Milshtein se rendit
à Odessa pour y photographier des immeubles vétustes « afin de prouver
que l’on ne restaurait pas la ville » : « Ces dégénérés ne remarquaient que
ce qui pouvait plaire à nos ennemis », notera plus tard avec aigreur un
communiste ukrainien{3223}. Et c’est finalement Mechik qui compila le
rapport sur l’Ukraine voulu par son chef, ce qui lui vaudra les foudres des
activistes du Parti ukrainien après la chute de Beria.
À la lumière de ces expériences inquiétantes, sentant qu’il ne pouvait
s’appuyer sur l’appareil du MVD existant dans les républiques, même s’il
en contrôlait le sommet, Beria y multiplia les purges dont le prétexte fut la
fusion du MGB et du MVD, décidée au niveau fédéral en mars 1953.

Les résolutions de mai-juin 1953 inspirées par Beria.


À partir des rapports ainsi compilés par ses proches au MVD, Beria
rédigea des notes destinées à ses collègues du Présidium. Sa note du
16 mai 1953, consacrée à l’Ukraine occidentale, était inspirée du rapport
de Mechik{3224}, et son lexique même fut jugé subversif après sa chute,
parce qu’on y trouvait des termes comme « intelligentsia d’Ukraine
occidentale » ou « cadres d’Ukraine occidentale ». La note s’ouvrait sur un
constat d’échec : en dépit des mesures adoptées par le MGB ukrainien, la
résistance clandestine continuait d’exister et de terroriser le « peuple
travailleur » et les organes du Parti et de l’État. Cet échec s’expliquait par
l’inadaptation des méthodes employées, et d’abord des opérations de
ratissage impliquant les forces armées, qui n’étaient plus opportunes et ne
servaient à rien : sur 1 023 opérations menées en 1952, 946 étaient sans
résultat. Il était donc préférable de chercher à infiltrer la résistance avec
des agents. De 1944 à 1953, 500 000 Ukrainiens avaient été victimes des
répressions : 153 259 tués, 82 930 incarcérés pour avoir joint la résistance,
26 787 pour espionnage et subversion, et 203 737 déportés. Conclusion :
« On comprend que de larges couches de la population fassent preuve
d’animosité et que les éléments hostiles renforcent leur influence. » À cela
s’ajoutait la politique menée, en particulier en matière fiscale – 50 000
plaintes avaient été enregistrées à ce propos durant le premier trimestre
1953. Sur la même période, 194 590 lettres destinées à l’étranger avaient
été confisquées par la censure du MVD car elles contenaient des
remarques critiques concernant les autorités locales{3225}. Les
responsables locaux étaient en majorité parachutés d’Ukraine orientale ou
d’autres régions de l’URSS, tout comme les enseignants de l’université de
Lvov et d’autres instituts. Tout ceci était imputable à une
« méconnaissance de l’importance de la préservation et de l’utilisation des
cadres de l’intelligentsia d’Ukraine occidentale ». La note dénonçait la
politique de russification, la situation désastreuse des kolkhozes – la
collectivisation fut achevée au printemps 1950 en Ukraine occidentale –,
et recommandait d’envoyer en Ukraine un groupe de responsables afin que
soient prises, « avec le Comité central du Parti ukrainien et le
gouvernement ukrainien », les mesures nécessaires pour remédier aux
« insuffisances » constatées.
À partir des rapports du MVD, Beria rédigea des notes similaires pour
la Lituanie, la Lettonie et la RDA. Arguant de l’importance et de la
persistance de la résistance anticommuniste, et dans le cas lituanien de
l’emprise du clergé catholique sur la population, les rapports concluaient à
l’échec de la soviétisation dans ces régions en imputant cet échec à la
politique menée par les organisations du Parti de chaque république. Plus
fondamentalement, ces notes « mettaient en doute l’utilité de l’aide du
grand peuple russe dans la construction communiste en Ukraine », comme
le dira N. V. Podgorny au Plénum ukrainien du 29 juillet{3226}. Les notes
citaient les chiffres de victimes de la terreur communiste, de 1944 à 1952 :
en Lituanie 270 000 morts, en Lettonie 19 000 morts et 60 000 déportés.
Beria citait aussi le nombre de ceux qui étaient passés dans la résistance à
cause de la politique soviétique.
Cette glasnost avant la lettre fit l’effet d’un coup de tonnerre, car Beria
exigea que les rapports du MVD fussent discutés dans les organisations du
Parti des républiques concernées, en même temps que les résolutions qui
en étaient inspirées. Le responsable du PC ukrainien, Kiritchenko,
observera lors du Plénum du 2 juillet : « On se demande bien pourquoi il
[Beria] a jugé bon de rendre ces chiffres publics, maintenant tous les
connaissent. » Snieckus n’appréciera pas davantage : « Maintenant ce
chiffre commence à être connu dans toute la république car il a été rendu
public au Plénum. […] Cela nous a fait un tort considérable{3227}. » Bien
plus, Beria prit des dispositions pour que ces chiffres fussent aussi connus
à l’étranger{3228}.
Aux yeux de ces responsables communistes, le scandale était d’autant
plus grand que Beria avait omis de citer les pertes des infortunés
tchékistes chargés de combattre les nationalistes : 20 000 pour la seule
région de Lvov, 30 000 pour l’Ukraine{3229}. En revanche, il « dépeignait
les gens de l’OUN comme des agneaux innocents{3230} ». Pour la
Lituanie, « Beria avait incroyablement exagéré l’influence réactionnaire
de l’Église catholique en prétendant que 90 % des Lituaniens étaient des
catholiques pratiquants », s’indignera le même Snieckus{3231}. De
manière générale, on reprochera à Beria d’avoir à dessein grossi
l’importance de la résistance anticommuniste afin de mieux pouvoir
dénoncer le fiasco du Parti. Dans le cas lituanien, ces reproches n’étaient
pas dépourvus de fondement, car les autorités avaient porté des coups
décisifs à la guérilla au milieu de 1951. En Ukraine la résistance avait
aussi subi de lourdes pertes en 1951 et 1952.
Quoi qu’il en soit, les notes de Beria au Présidium furent à l’origine
d’une série de résolutions inspirées par le chef du MVD, et qui toutes
allaient dans le même sens : il fallait débarrasser les républiques de la
tutelle russe. Pour l’Ukraine, le rapport et la note furent discutés lors
d’une session du Présidium, le 20 mai – et retirés des minutes du
Présidium par une résolution adoptée le 2 juillet 1953 –, puis devant une
commission composée de Malenkov, Beria, Khrouchtchev, Kaganovitch et
Mikoïan, et, du côté ukrainien, du secrétaire général du PC ukrainien
Melnikov, du deuxième secrétaire Kiritchenko, du responsable de la
commission ministérielle chargée de la politique en Ukraine occidentale
L. R. Kornietz, de l’écrivain A. E. Korneïtchouk, du vice-président du
Conseil des ministres et du chef du MVD Mechik. Melnikov n’avait pas
prévenu ses collègues de l’objet des discussions à Moscou, de même qu’il
leur avait déjà caché que certaines de ses décisions récentes, comme la
condamnation des campagnes antisémites dans la presse et son voyage en
Ukraine occidentale, résultaient de pressions exercées par Moscou ; les
membres du Comité central ukrainien n’avaient donc pas saisi que le vent
tournait et ils commirent l’erreur de soutenir Melnikov{3232}. Celui-ci
exprima des objections au nouveau cours inspiré par Beria, mais il fut
soumis à une critique en règle « pour ses erreurs graves et ses
insuffisances dans la direction des régions occidentales de l’Ukraine » ; en
dépit d’une autocritique trop tardive, il fut limogé le 28 mai{3233}.
La discussion du 20 mai aboutit à l’adoption, le 26 mai, d’une
résolution intitulée : « Les problèmes des régions occidentales de la
république socialiste d’Ukraine » et inspirée par la note du MVD dont elle
reprenait les termes et les chiffres. Celle-ci dénonçait l’inefficacité du
système kolkhozien et le mécontentement qu’il suscitait ; elle stigmatisait
la politique de discrimination à l’encontre de l’intelligentsia d’Ukraine
occidentale et la russification forcée, qui nourrissaient une guérilla
persistante :

Le Comité central du PC ukrainien et les obkoms des régions


occidentales n’ont pas encore compris qu’on ne peut pas mener la
lutte contre la clandestinité que par des répressions de masse et par
des opérations tchékistes, ils n’ont pas compris que l’utilisation
absurde des répressions ne fait que susciter le mécontentement de la
population et nuit à la lutte contre les nationalistes bourgeois.

À l’appui de ces thèses, la résolution soulignait que sur 3 742


responsables communistes en Ukraine occidentale, seuls 62 étaient
originaires de la région. Après avoir stigmatisé la « défiance sans
discernement dans laquelle étaient tenus les cadres de l’intelligentsia, et
surtout ceux de la vieille génération », elle aussi illustrée par des chiffres
– à Lvov, sur 1 718 professeurs, seuls 320 étaient des Ukrainiens de
l’Ouest –, après avoir dénoncé la russification notamment dans
l’enseignement, et la pratique consistant à expédier les jeunes spécialistes
d’Ukraine occidentale « dans le reste de l’Ukraine et dans les autres
républiques de l’Union soviétique », après avoir critiqué les « répressions
de masse et les opérations militaro-tchékistes » dont « ont été victimes un
nombre considérable de gens de 1944 à 1952 », elle recommandait « une
perestroïka radicale de l’ensemble de la politique du Parti en Ukraine
occidentale ».
Celle-ci comportait les points suivants : « interdire à l’avenir la pratique
consistant à imposer comme dirigeants en Ukraine occidentale des
responsables originaires d’Ukraine orientale » ; « protéger et promouvoir
les cadres d’Ukraine occidentale […] leur attribuer des postes dirigeants
au CC du PC ukrainien et au gouvernement » ; enseigner en ukrainien dans
les établissements d’Ukraine occidentale ; « améliorer les éditions, surtout
à Lvov » ; « publier dans les plus brefs délais une Histoire de l’Ukraine et
une Histoire de la littérature ukrainienne » ; encourager le cinéma en
langue ukrainienne ; réduire les livraisons obligatoires imposées aux
kolkhoziens ; « mettre fin aux méthodes administratives, empêcher de
manière résolue les violations du droit » ; obtenir de la sorte « la
liquidation rapide de la résistance nationaliste bourgeoise » ; « en cas de
recours aux mesures punitives indispensables contre les ennemis du
régime soviétique, ne pas tolérer des abus qui entraînent le
mécontentement justifié de larges couches de la population »{3234}.
Le 26 mai fut aussi adoptée la résolution du PCUS intitulée : « Les
problèmes de la république socialiste de Lituanie », où l’on trouve des
thèmes similaires : « La méfiance totale à l’égard de la population restée
sous l’occupation allemande provisoire, cultivée à tort, nuit
considérablement à la promotion des cadres lituaniens. » Les répressions à
l’encontre de l’Église catholique, l’emploi de la terreur de masse avaient
été contre-productifs et aggravé l’hostilité des Lituaniens à l’égard du
régime soviétique. Toutes ces erreurs expliquaient pourquoi la résistance
clandestine avait « su développer des racines profondes et même s’assurer
un certain appui au sein de la population ». En conséquence, il fallait
abolir la pratique des deuxièmes secrétaires et des adjoints non lituaniens ;
tous les cadres dirigeants devaient être lituaniens et le lituanien la langue
officielle. Les dirigeants qui ne parlaient pas lituanien devaient être
rappelés. Le Parti devait mettre fin en un court délai à la résistance
clandestine{3235}.
Après la discussion de la question lituanienne au Présidium, le premier
secrétaire du PC lituanien sollicita une entrevue avec Beria « afin de
d’évoquer certaines mesures de lutte contre le nationalisme bourgeois ».
Au cours de cet entretien, racontera Snieckus scandalisé lors du Plénum du
2-7 juillet :

J’émis mon opinion selon laquelle il était indispensable de brouiller


les émissions des radios ennemies en langue lituanienne. […] Car les
impérialistes américains organisent et soutiennent la racaille
nationaliste bourgeoise au moyen de la radio. […] Il me répondit
qu’il s’apprêtait à mettre fin à tous les brouillages de radio existants.
[…] Voilà comment il contribuait à liquider la clandestinité
nationaliste{3236}.

Beria eut aussi l’idée d’introduire dans les républiques des décorations
nationales portant le nom des personnalités historiques éminentes des
nations allogènes. Il en parla aux premiers secrétaires des républiques à
l’insu du Comité central{3237}. Après sa chute, on présuma que son but
était de dévaloriser l’Ordre de Lénine, la décoration suprême en URSS, en
instaurant un ordre de la « Gloire populaire » comprenant l’attribution
d’une datcha et d’une somme de 300 000 roubles{3238}.

Le Plénum ukrainien des 2, 3 et 4 juin.


L’adoption à Moscou des résolutions recommandées par Beria fut suivie
dans les républiques concernées par des plénums chargés de mettre en
œuvre la nouvelle politique. Le Ier Plénum se tint à Kiev les 2, 3 et 4 juin,
en vue d’imposer la politique préconisée par Beria, alors que celui-ci fut
arrêté le 26 juin. Les 29 et 30 juillet, un nouveau plénum sera réuni à Kiev,
cette fois pour condamner Beria et, dans un bel exercice de style
orwellien, les mêmes orateurs devront affirmer le contraire de ce qu’ils
disaient trois semaines plus tôt et faire leur mea culpa en variant sur le
thème :

Nous n’avons pas aidé le Comité central à démasquer la politique de


Beria qui avait de bonnes raisons de choisir l’Ukraine… Nous avons
été pris au dépourvu et nous avons commencé à dériver…
Le Plénum ukrainien des 2, 3 et 4 juin apporte de nombreuses touches
qui permettent de compléter le tableau dont nous avons déjà brossé les
grands traits. Il donna avant tout le signal d’une lutte contre la
russification. L’argument principal justifiant cette politique fut énoncé par
Kiritchenko dès l’ouverture du plénum : il fallait priver la résistance
nationaliste de l’un de ses principaux chevaux de bataille. En effet, selon
Kiritchenko, l’utilisation du russe dans les administrations et les
établissements scolaires d’Ukraine occidentale était « largement exploitée
par les éléments hostiles qui appellent cela une politique de
russification{3239} ».

Les nationalistes prétendent que le régime soviétique n’a pas de


racines en Ukraine occidentale, qu’il a été transplanté de manière
mécanique d’Union soviétique. Non seulement nous n’avons pas
réfuté fermement ces théories, mais nous les avons objectivement
accréditées, déplora un orateur{3240}.

Il était anormal que la plupart des cours à l’université et à l’Institut


polytechnique de Lvov aient lieu en russe. Après tout le « marxisme-
léninisme sera plus accessible aux Ukrainiens de l’Ouest s’il est enseigné
en ukrainien{3241} ». Il était anormal que la filiale de Lvov de
l’Académie des sciences ukrainienne n’ait pas publié un seul ouvrage sur
l’histoire du mouvement révolutionnaire en Ukraine occidentale. Il
n’existait pas encore d’histoire abrégée de l’Ukraine ni d’histoire de la
littérature ukrainienne. « Nous utilisons très mal l’ukrainien dans la
construction de la nouvelle culture socialiste dans les régions occidentales,
et pas seulement dans ces régions ; nous sous-estimons l’ukrainien »,
renchérit Melnikov dans son autocritique{3242}. Toutes ces réflexions
dépassaient la seule Ukraine occidentale, comme le souligna un orateur :
Nous pouvons nous féliciter de ce que la classe ouvrière du Donbass
soit ukrainisée […] mais il est inadmissible que ce fait ne se reflète
pas dans notre politique et le Présidium du Comité central nous a
reproché à juste titre que le niveau de l’ukrainisation des dirigeants
du Donbass est loin d’égaler celui des travailleurs{3243}.

Et de fait, dès le 27 mai, l’université de Kharkov reçut une directive du


ministère de la Culture lui interdisant d’accueillir des étudiants originaires
d’autres républiques de l’URSS s’ils ignoraient l’ukrainien au moment du
concours d’entrée{3244}.
Ukrainisation signifiait une politique de réconciliation avec
l’intelligentsia, surtout celle d’Ukraine occidentale, persécutée de manière
systématique du vivant de Staline. Le nouveau chef du PC ukrainien
Kiritchenko déclara entre autres :

Le Comité central exige instamment que nous liquidions dans les plus
brefs délais l’erreur monumentale consistant à sous-estimer
l’intelligentsia locale. Nous devons largement lui ouvrir l’accès aux
postes dirigeants dans les organes du Parti et de l’État, dans les
instituts de recherche scientifique.

Il fallait cesser de brimer les intellectuels de Lvov, surtout ceux de la


vieille génération{3245}. Et les orateurs de brandir les chiffres collectés
par le MVD : sur 4 117 fonctionnaires des obkoms d’Ukraine occidentale,
seuls 369 étaient originaires de la région, et aucun des rédacteurs en chef
des journaux locaux. Seul un tiers des enseignants était autochtone et, sur
3 781 directeurs d’établissements secondaires, seuls 146 avaient été
recrutés sur place. Parmi les juristes, aucun n’était autochtone.
Dans son autocritique, Melnikov avoua :
J’ai sous-estimé l’importance de Lvov en tant que centre politique et
culturel de l’Ukraine occidentale. […] Nous n’avons pas tenu compte
du parcours complexe de l’intelligentsia d’Ukraine occidentale qui a
connu la monarchie austro-hongroise et la Pologne des seigneurs.

Melnikov reconnut ensuite avoir eu tort de nommer à la direction de la


filiale de Lvov de l’Académie des sciences ukrainienne nouvellement
créée « des responsables originaires de l’Ukraine orientale et d’autres
républiques ». « Nous avons toléré des attaques erronées et souvent
indécentes à l’égard des écrivains et d’autres représentants de
l’intelligentsia locale{3246}. »
Les orateurs du plénum ne trouvèrent pas de mots assez durs pour
condamner la pratique consistant à expédier en Ukraine occidentale des
cadres venus du reste de l’Ukraine ou de l’URSS : « Des incapables
arrivent et commencent à donner des ordres, alors qu’eux-mêmes sont
nuls », déclara Korneïtchouk{3247}. Mais le vent avait tourné et les
premières concessions dans ce domaine annonçaient des changements plus
importants, promit Mechik :

En plaçant des intellectuels de Lvov à des postes dirigeants, le cam.


Melnikov n’a fait qu’un geste, et un geste précipité ; ceci n’est que le
début du programme prévu par les décisions du CC du PCUS. Mais
quel a été son impact sur de larges couches de la société de Lvov,
quelle gratitude il a suscité à l’égard de notre Parti pour la confiance
accordée aux responsables locaux{3248} !

Le 29 juillet, les mêmes orateurs stigmatiseront en chœur les mesures


qu’ils avaient encensées un mois plus tôt :
Beria a perfidement voulu semer la zizanie parmi les travailleurs du
front idéologique. Il a voulu empoisonner la conscience de
l’intelligentsia soviétique avec du venin nationaliste, la contaminer
de méfiance à l’égard du grand peuple russe et de son rôle
bénéfique{3249}.

Après la chute de Beria, on lui reprochera d’avoir voulu attiser le


chauvinisme ukrainien, accusation qui ne tient pas au regard de la
politique juive menée par les hommes de Beria en Ukraine. Le Plénum du
2 au 4 juin fit allusion à plusieurs reprises aux campagnes antisémites de
février 1953. Développant une argumentation bien rodée, Kiritchenko fit
valoir que celles-ci ne faisaient qu’alimenter le nationalisme juif. Il
critiqua les accents de « centuries noires » d’un article publié dans la
Pravda Ukrainy du 15 février, « qui accusait de crimes divers cinquante
médecins et chercheurs sans la moindre preuve. L’article sélectionnait de
manière tendancieuse les noms des chercheurs juifs{3250} ». Il fallut
l’intervention de Khrouchtchev pour que l’article fût reconnu nuisible par
le Comité central ukrainien. Mechik accusa Melnikov d’avoir en personne
encouragé la chasse aux Juifs et raconta que, le 25 février, celui-ci avait
fait rédiger en une nuit par A. N. Brovkine, le vice-ministre du MGB à
l’époque, un dossier sur les nationalistes juifs, puis « sur ordre de
Melnikov, l’ancien MGB procéda à une série d’arrestations non motivées
parmi les personnes de nationalité juive. Melnikov avait enjoint à
l’instruction de démasquer ce qu’il appelait la clandestinité nationaliste
juive ». Brovkine raconta par la suite à Mechik que Melnikov se souciait
surtout de démontrer à quel point la lutte contre la résistance clandestine
juive avait été sabotée. Or, toujours selon Mechik, une enquête récente
avait prouvé que les accusés ne se livraient pas à une « activité hostile
organisée{3251} ». Melnikov n’eut garde de nier ses torts :

Nous avons passé les bornes dans la question juive. Le Comité central
du PC ukrainien et moi personnellement n’avons pas remarqué à
temps le phénomène antisémite, les limogeages non motivés
d’excellents spécialistes, l’hostilité manifeste contre certains groupes
de l’intelligentsia juive{3252}.

L’autocritique de Melnikov ne se limita pas à la minorité juive, mais


s’étendit aux Hongrois et aux Roumains d’Ukraine subcarpathique à
l’égard de qui il avait manifesté de l’insensibilité : lorsqu’on lui avait
demandé l’autorisation d’ouvrir des écoles à l’enseignement partiel en
hongrois et en roumain, il avait répondu que les Hongrois et les Roumains
de la région n’étaient que des Ukrainiens magyarisés ou roumanisés.
Mais, là encore, en juillet 1953, le vent aura tourné et de nombreux
orateurs du Plénum du 29 juillet dénonceront en chœur la politique
« sioniste » de Beria : « Il n’aurait pas fallu publier le communiqué sur
l’affaire des médecins. » Et, lors de son procès, on reprochera à Beria
d’avoir voulu rouvrir le théâtre juif et d’avoir préconisé la publication
d’un journal juif{3253}. Les responsables déclareront que les limogeages
de Juifs étaient motivés et ne résultaient pas d’une campagne antisémite.
Et Strokatch savourera sa revanche :

Mechik et Milshtein s’efforcèrent de mettre fin à la lutte des organes


du MVD contre les nationalistes bourgeois sionistes, ils affaiblirent
la vigilance de l’appareil tchékiste à l’égard de ces derniers en
déclarant aux officiers que les organes du MVD avaient lutté contre
une organisation de nationalistes bourgeois juifs mythique, qu’il n’y
avait tout simplement pas de nationalistes juifs en Ukraine et qu’il ne
pouvait y en avoir. Mechik fit cette déclaration lors d’une réunion des
dirigeants du MVD le jour même de son arrivée de Moscou{3254}.

Et lorsqu’en dépit de ces instructions des responsables régionaux firent


arrêter des « sionistes », Mechik et Milshtein lâchèrent contre eux
l’inspection spéciale du MVD et ils eurent les pires ennuis{3255}.
Par certains aspects, le Plénum ukrainien du 2 juin 1953 alla plus loin
que le XXe Congrès du PCUS de février 1956. Les thèmes abordés y
dépassaient le cadre ukrainien et le mot d’ordre d’ukrainisation était
indissociable d’une réforme politique beaucoup plus large. Il impliquait
une mise en accusation du système kolkhozien, comme le déclara
Kiritchenko : « Souvent notre propagande dépeint en rose la vie des
kolkhozes dans les régions occidentales, ce qui suscite l’indignation de la
population locale{3256} ». Il était inadmissible que les paysans soient
contraints d’adhérer au kolkhoze par la force. En 1952, pas une des régions
occidentales n’avait rempli les objectifs du plan en agriculture et le niveau
de vie des kolkhoziens, écrasés d’impôts, était scandaleusement bas.
Quant à l’état des kolkhozes, Mechik cita avec complaisance des lettres
interceptées par les organes : « 70 vaches sont mortes de froid et de faim
dans notre kolkhoze », « Nous labourons nous-mêmes, car le bétail ne tient
plus sur ses pattes. » Et, de nouveau, il fit donner l’artillerie statistique :
« En 1950, 95 668 bovins ont péri ; en 1951, 132 419 ; en 1952, 156 576. »
Mechik insista sur le fait que cette situation ne se limitait pas à l’Ukraine
occidentale : on ne parlait pas assez ici des insuffisances des kolkhozes en
Ukraine orientale, qui pourtant nourrissaient aussi la résistance
anticommuniste des régions occidentales{3257}. L’un des orateurs du
plénum poussa la glasnost jusqu’à reconnaître qu’en janvier 1953 le
cheptel bovin d’Ukraine occidentale constituait à peine 57 % du cheptel de
1940{3258} !
Les tableaux de l’arbitraire auquel était soumis le paysan se
succédèrent :

Le directeur du kolkhoze peut arracher la toiture de la cabane du


kolkhozien, lui confisquer les matériaux de construction pour
lesquels il a travaillé pendant des années – tout cela sous le prétexte
que le kolkhoze en a besoin. Ou bien un agent du fisc peut lui
confisquer son cochon, sa serre ou sa vache sous prétexte qu’il a tardé
à livrer une dizaine d’œufs ou quelques kilos de viande. […] Tout
cela s’accompagne d’injures, de grossièretés et même de coups. […]
L’année passée nous avons enregistré 9 000 plaintes en Ukraine
occidentale. Ou bien les autorités locales n’y ont pas prêté attention,
ou bien ceux qui avaient osé se plaindre ont été persécutés{3259}.

Les autorités du Parti et les planificateurs « ne tiennent pas compte des


conditions locales » : ainsi, dans les régions montagneuses d’Ukraine
occidentale, il aurait fallu privilégier la culture de la pomme de terre au
lieu de s’acharner à faire pousser du blé sur des sols qui se prêtaient mal à
la production céréalière. Le matériel agricole expédié du reste de
l’Ukraine n’était pas adapté à l’agriculture des régions occidentales. Les
MTS – stations de tracteurs – ne remplissaient pas le plan et « ils
fonctionnent incroyablement mal ». Les kolkhozes d’Ukraine occidentale
et les MTS étaient dirigés par des cadres originaires d’Ukraine orientale
alors que de nombreux cadres locaux avaient été formés sous le régime
soviétique, mais étaient tenus à l’écart. Autant l’envoi de cadres était
justifié au moment de l’installation du régime soviétique, autant il perdait
toute raison d’être aujourd’hui. Mechik attira aussi l’attention sur le sort
peu enviable des 240 000 Ukrainiens de l’Ouest – sur huit millions –
déportés dans d’autres régions d’Ukraine. Sans logement, mal reçus par
les autorités locales, ils formaient selon lui un vivier rêvé pour les
combattants nationalistes et étendaient leur influence dans le reste de
l’Ukraine. Après le Plénum de juin, Mechik fit venir de Moscou vingt
officiers du MVD et les chargea de mener une enquête parmi les personnes
déplacées, concernant leurs dispositions politiques, leurs conditions de vie
et leur opinion sur les responsables locaux du Parti – et bien entendu tout
cela à l’insu du Parti{3260}.
À en croire un leitmotiv du Plénum du 29 juillet, la politique de Beria
aurait eu pour effet « d’activer considérablement les tentatives de
désorganisation des kolkhozes entreprises par nos ennemis ». Dans les
campagnes, les responsables du Parti auraient reçu un nombre accru de
lettres de menaces. Et les orateurs feront état de l’apparition, dans les
régions occidentales, de tracts annonçant la libération prochaine de
l’Ukraine et appelant à chasser les Russes{3261}. Les choses n’allèrent
sans doute pas aussi loin qu’en Lituanie, mais seules les archives du MVD
ukrainien pourraient fournir une réponse à cette question.
Le Komsomol se retrouva aussi sur la sellette. Selon un orateur, sa
propagande « ne pouvait satisfaire les exigences des jeunes » et il devait
plutôt chercher à influencer la jeunesse par des activités culturelles, par le
sport et la culture physique. L’incapacité du Komsomol était attestée par la
criminalité chez les jeunes, ajouta Mechik, toujours armé de statistiques :
en 1952, 24 279 jeunes de moins de vingt-cinq ans avaient été arrêtés pour
des délits de droit commun. De même, la plupart des combattants de la
guérilla clandestine étaient des jeunes : de 1945 à 1953, 43 379 jeunes de
moins de vingt-cinq ans avaient été arrêtés pour activités antisoviétiques,
dont 36 340 en Ukraine occidentale, et 8 494 n’avaient pas dix-huit
ans{3262}. Mechik estima que tout cela tenait au fait que le Komsomol
était incapable de fournir un encadrement « culturel et éducatif » à la
jeunesse et d’orienter de manière utile son activité politique : pourquoi ne
pas laisser les jeunes développer des initiatives patriotiques ou
humanitaires, comme l’aide aux personnes âgées ? Ainsi Mechik allait
jusqu’à préconiser l’autorisation de ce qu’on appellera sous Gorbatchev
les « organisations informelles ».
Mais, surtout, le Plénum de juin dessina les contours d’une politique de
libéralisation dépassant de loin tout ce qu’entreprendra Khrouchtchev au
plus fort du « dégel » – et nous ignorons jusqu’où voulait aller Beria.
« Nous ne pouvons tolérer plus longtemps les méthodes administratives et
l’arbitraire exercés par certains responsables à l’égard de la population »,
déclara Kiritchenko.

Nous devons reconnaître que les arrestations non motivées, les abus
de la collectivisation, de l’emprunt d’État, les transferts de
population et d’autres violations des droits et de la dignité des
citoyens qui ont été pratiqués autrefois ne sont pas encore extirpés
aujourd’hui. […] Lutter contre le nationalisme ukrainien ne veut pas
dire lancer des répressions à droite et à gauche, semer le soupçon et
créer une atmosphère de défiance universelle{3263}.
Melnikov battit sa coulpe dans la même veine :

Nous avons commis des erreurs politiques graves lorsque nous avons
estimé que les opérations militaro-tchékistes étaient le principal
moyen de lutter contre la résistance clandestine. En réalité l’emploi
de répressions de masse, de perquisitions et d’arrestations non
motivées suscitait le mécontentement de la population et nous a
empêchés de rassembler les travailleurs et de les entraîner dans la
lutte contre les nationalistes{3264}.

Mechik enfonça le clou, chiffres à l’appui :

L’ancien MGB ukrainien, s’étant entiché d’opérations militaires de


masse, a négligé le renseignement, l’utilisation des agents, et n’a pas
compris qu’était arrivé le moment où les opérations militaires,
justifiées après la libération de l’Ukraine des envahisseurs fascistes,
étaient devenues un facteur suscitant l’irritation au sein de la
population, versant de l’eau au moulin de nos ennemis. […] Sur 1 023
opérations militaires menées en 1952, 946 ont été sans résultats. Sur
120 opérations menées au premier trimestre de l’année 1953, 109 ont
été inutiles. […] À dire la vérité, on frappait dans le vide, avec pour
seul résultat de rendre les gens furieux{3265}.
Autre tare de la politique précédente dénoncée lors du Plénum de juin,
la discrimination pratiquée contre des catégories entières de la population,
comme par exemple les citoyens ayant vécu en territoire occupé ou ceux
qui ont des parents à l’étranger.
L’expression « culte de la personnalité » apparut déjà et, même si elle
ne visait pas encore expressément Staline, elle s’appliquait au petit Staline
local, en l’occurrence Melnikov. Cependant il n’échappa à personne que la
politique dénoncée était celle voulue par Staline : selon un orateur,

Melnikov nous fit savoir en substance que Staline approuvait notre


politique dans les régions occidentales de l’Ukraine et louait nos
impressionnants succès ; qu’il ne souhaitait en outre qu’une mise en
valeur accélérée du versant occidental des Carpates en vue de
l’extraction du pétrole{3266}.

Le discours de l’écrivain Korneïtchouk eut des accents à la Soljenitsyne


avant la lettre :

Nous devons prendre toutes les mesures nécessaires pour que justice
soit faite et que soient réhabilités tous les innocents qui ont souffert
des violations grossières de la légalité socialiste. […] Aujourd’hui
nous devons cesser de mentir, de dissimuler nos fautes, car le
mensonge nous entraîne dans un grand malheur, il plonge le peuple
dans l’affliction – et Dieu sait si nous en avons entendu des
mensonges du haut de cette tribune. […] Désormais la vérité doit
résonner de partout. […] Puisque nous les avons commises, nos
erreurs, nous devons les avouer devant le peuple et non dans les
cabinets, les couloirs et les comités restreints. […] Nous n’avons pas
d’excuses. À partir de quel moment avons-nous commencé à avoir
peur{3267} ?
D’autres orateurs lui firent écho :

Il est pénible de dire que la force de la peur qui s’était emparée des
membres du Politburo l’avait emporté sur les principes. […] Au sein
du Comité central, aucune voix de protestation ne s’est élevée contre
les actions erronées du cam. Melnikov,

déplora Kirilenko{3268}. « Nous étions des lièvres incapables de


comprendre devant quoi nous tremblions », se rappela un autre
orateur{3269}.
À une lecture superficielle, le Plénum des 2-4 juin donne une
impression de belle unanimité, comme tous les exercices communistes de
ce style. Cependant, certains orateurs glissèrent des avertissements et des
notes discordantes :

Il va sans dire qu’après les décisions du Comité central du PCUS il ne


faut pas tomber dans un autre extrême, il ne faut pas mener une
politique qui profite aux ennemis nationalistes et qui leur permette de
réaliser leur ligne dans les régions occidentales de l’Ukraine{3270}.

Il semble bien que la stratégie de Beria avait commencé à porter ses


fruits : une partie des communistes ukrainiens étaient séduits par le
« nouveau cours » imposé à Moscou. Ceci est confirmé par le Plénum du
29 juillet au cours duquel Beria sera aussi accusé d’avoir semé la zizanie
au sein du Parti : autrement dit, il avait attenté au monolithisme et à
l’« unité de pensée » bolcheviques en introduisant un début de
différenciation parmi les communistes ukrainiens.
Dans les autres républiques.
Pour la Lettonie une résolution fut adoptée le 12 juin à partir d’un
rapport compilé par Beria. Les résolutions adoptées pour la
Biélorussie{3271} et la Lettonie furent rédigées par Khrouchtchev, à partir
des recommandations formulées dans des notes émanant des hommes de
Beria. Et des résolutions sur l’Estonie et la Moldavie étaient en
préparation{3272}. En Biélorussie, les événements se déroulèrent selon un
scénario analogue : réticence du MVD local à affronter le chef du Parti,
puis intervention de Beria, mécontent que tous les postes dirigeants de la
république fussent occupés par des Russes. À plusieurs reprises, lui et
Koboulov le firent savoir à M. I. Baskakov, le chef du MVD biélorusse
qui, comme ses homologues des autres républiques, reçut l’ordre de Beria
de rassembler des informations compromettantes sur les dirigeants de la
république. Il s’en ouvrit à N. S. Patolitchev, le chef du PC de Biélorussie,
et ils rédigèrent ensemble le rapport que Baskakov fit parvenir à Beria.
Celui-ci le convoqua à Moscou le 5 juin, manifesta son mécontentement et
prit des dispositions pour le limoger et le remplacer par un Biélorusse.
Baskakov téléphona immédiatement à Patolitchev qui l’assura que le
« Parti ne l’oublierait pas{3273} ». In fine, c’est Koboulov qui rédigea le
rapport sur la Biélorussie.
Le 9 juin, une résolution, semblable aux résolutions pour la Lituanie et
l’Ukraine, fut adoptée concernant la Biélorussie, après une note de Beria
datée du 8 juin critiquant la russification, la discrimination dont étaient
victimes les Biélorusses des régions occidentales de la république,
l’abandon du biélorusse dans les établissements d’enseignement supérieur
en Biélorussie occidentale et les « insuffisances sérieuses de la politique
kolkhozienne » – « un grand nombre de kolkhozes ont une rentabilité
insignifiante ». Elle exigeait le limogeage du chef du MVD, Baskakov, et
du chef du PC, Patolitchev, un protégé de Malenkov{3274}. Beria voulait
remplacer ce dernier par M. V. Zimianine, alors fonctionnaire au MID.
Celui-ci a laissé un récit de ses entretiens avec Beria dans une note
justificative rédigée le 15 juillet 1953 à l’intention de
Khrouchtchev{3275}. Lors du premier entretien, qui eut lieu par téléphone
quelques jours avant l’adoption de la résolution du 12 juin, Beria demanda
à Zimianine comment il s’était retrouvé au MID, puis s’il parlait le
biélorusse. Ayant répondu par l’affirmative, celui-ci fut convoqué le
15 juin par Beria qui lui déclara que son affectation au MID avait été une
erreur. Zimianine répondit qu’il était un soldat du Parti et qu’il devait
exécuter toutes les décisions du Comité central. Beria rétorqua : « Vous
n’avez pas tout à fait à être un soldat, ou même pas du tout. » Puis il lui
demanda pourquoi les Biélorusses étaient si passifs : ils acceptaient de
rester en position subordonnée, ils se contentaient de rations de pain
minimes et ils se taisaient, alors que les Ouzbeks et les Kazakhs auraient
poussé de hauts cris. Qu’avait donc le peuple biélorusse ? Patolitchev était
une nullité, ajouta Beria, avant de résumer la note qu’il avait adressée au
Comité central, dans laquelle il critiquait la politique nationale et la
politique agricole menées en Biélorussie. Il déclara à Zimianine que sa
tâche serait de corriger ces politiques, qu’il devait rencontrer les nouveaux
responsables du MVD – des Biélorusses – et les appuyer. Beria ordonna à
Zimianine de ne pas se chercher de « patrons » à Moscou et revint sur ce
point à plusieurs reprises – tout comme il recommandait aux responsables
régionaux du MVD de « ne craindre personne{3276} ». Muni de ces
instructions, Zimianine partit pour la Biélorussie où il entreprit de
préparer le plénum qui devait annoncer la nouvelle ligne.
Beria soutenait donc presque ouvertement l’insubordination, reprochant
aux Biélorusses leur passivité, intimant à Zimianine qu’il n’avait pas à se
conduire en soldat du Parti ni à chercher des instructions à Moscou. De
toute évidence, il entendait casser le lien vertical entre le Comité central et
les dirigeants des républiques, qu’il entendait contrôler en leur imposant
une association étroite avec le MVD. Lors du Plénum de juillet,
Kaganovitch dénoncera cette politique : « Beria n’a pas réussi à ériger un
mur entre le Comité central et les organisations du Parti locales{3277}. »
Le récit de Zimianine est corroboré par un témoignage lituanien selon
lequel Beria déclara aux dirigeants lituaniens convoqués à Moscou :
« Rentrez chez vous et faites vous-mêmes votre politique nationale. Nous
vous taperons sur les doigts s’il y a des abus{3278}. »
Dans tous ces cas, et en dépit de l’opposition de Malenkov, Beria exigea
que la résolution du Comité central soit envoyée aux autorités locales
accompagnée de la note du MVD{3279}. Le but qu’il poursuivait par la
diffusion de ses notes était triple. Il cherchait d’abord à se rendre
populaire ; ensuite, les notes donnaient aux responsables locaux des
indications leur permettant d’interpréter la langue de bois des résolutions
dans le sens voulu par Beria ; enfin, elles contenaient toutes des données
explosives – le nombre de victimes des répressions ou de kolkhozes
déficitaires – que Beria souhaitait diffuser à un cercle plus large que celui
du Présidium.
Le 12 juin, la politique de Beria sembla avoir triomphé. Le Présidium
du Comité central de l’URSS généralisa en quelque sorte ses
recommandations dans la résolution suivante :

1. Obliger tous les cadres du Parti et de l’État à corriger radicalement


la situation dans les républiques fédérées – à mettre fin aux violations
de la politique nationale soviétique ; 2. Former et promouvoir aux
postes dirigeants des cadres nationaux, limoger les responsables qui
ignorent la langue locale et les remettre à la disposition du CC du
PCUS ; 3. Faire de la langue locale la langue officielle dans les
républiques fédérées{3280}.

La rédaction de certaines des résolutions par Khrouchtchev peut


surprendre puisque, selon Chepilov, Khrouchtchev était catégoriquement
opposé à l’« indigénisation » des cadres voulue par Beria{3281}. Lors
d’une réunion des responsables du Parti au sein du MVD tenue après la
chute de Beria, N. N. Chataline, un fonctionnaire du Comité central
devenu vice-ministre de l’Intérieur en juillet 1953, expliquera que, pour
endormir la vigilance de Beria et mieux le tromper, le Comité central avait
de manière délibérée adopté des décisions erronées et des résolutions
fausses. Ces explications suscitèrent le scepticisme des auditeurs, mais à
la lumière des événements il n’est pas exclu qu’elles aient contenu un peu
de vérité{3282}. En effet, lors du Plénum des 2-7 juillet, Kaganovitch
expliquera que les membres du Présidium ne s’étaient pas opposés aux
mesures voulues par Beria car « s’il avait senti notre méfiance il aurait pu
être incité à agir prématurément{3283} ». « À voix haute nous
approuvions, en notre for intérieur nous crachions », rappellera
Khrouchtchev{3284}, qui dit à Malenkov : « Ne le contredisons pas
maintenant, il n’a qu’à s’occuper de son projet et s’imaginer que personne
n’a deviné ses desseins{3285}. »

28

Beria accélère encore la cadence


En mai-juin, le branle-bas devint perceptible à la périphérie. Il y avait
jusque-là dans les républiques des postes qui n’étaient occupés que par des
Russes : commandant de région militaire, chef de garnison et d’unité de
gardes-frontières, chef du MGB, ministre de l’Intérieur, responsable des
chemins de fer, ministre des Communications, responsables de certains
départements du Comité central, vice-président du Conseil des ministres,
vice-ministres si le ministre n’était pas russe. Beria s’attaqua à cette
pratique et entreprit de liquider l’institution des Russes deuxièmes
secrétaires du Parti{3286}. Début juin, il exigea que les langues nationales
retrouvent le statut de langues officielles dans les républiques et adressa
en personne une note aux dirigeants des républiques baltes à cet
effet{3287}. Du coup, les communistes russes envoyés par le Centre se
retrouvèrent sans emploi et contraints de faire leurs valises. En Lettonie
par exemple, 107 apparatchiks furent rappelés à Moscou{3288}. « C’est la
première fois dans l’histoire de notre État multinational que des cadres
expérimentés dévoués à notre parti sont limogés pour la seule raison qu’ils
sont russes », se plaindra le premier secrétaire du PC biélorusse,
Patolitchev, lors du Plénum des 2-7 juillet{3289}. Patolitchev aura de la
chance : limogé le 25 juin, il sera rétabli le lendemain, après la chute de
Beria, tout comme Ulbricht.
Ces purges répétées et foudroyantes déstabilisèrent le MVD : en
Estonie, en Lettonie et en Moldavie, tous les fonctionnaires du MVD et à
tous les niveaux furent renouvelés en une journée : « Il se préparait même
à remplacer les simples miliciens{3290}. » Beria donna l’ordre d’ouvrir
des écoles du MVD dans chaque État balte pour assurer un recrutement
autochtone dans ces républiques.
Les administrations régionales du MVD furent décapitées, avant même
que les régions ne fussent supprimées, ce qui paralysa la lutte contre la
résistance anticommuniste. En Ukraine, dès mars 1953, Beria ordonna de
remplacer tous les responsables du MVD ukrainien (ce sera fait en moins
de deux mois – dix-huit Russes étant limogés par Mechik en une nuit,
selon le témoignage de Strokatch au Plénum du 29 juillet{3291}). Les
organisations du Parti fournirent des listes de candidats pour occuper les
fonctions vacantes, mais les « ennemis Mechik et Milshtein ignorèrent nos
propositions et mirent en place leurs hommes », souvent des individus aux
biographies « douteuses », des gens qui avaient été limogés pour
« activités antiparti », ou condamnés à de la prison ou encore avec de la
famille à l’étranger{3292}.
Pendant les « cent jours » de Beria, les responsables régionaux du MVD
en Ukraine furent limogés à trois reprises, ce qui entraîna la
désorganisation de l’activité du MVD, aggravée par la suppression des
départements d’enquête. Ces purges répétées faisaient régner une
incertitude démoralisante dans les rangs du MVD, dont les orateurs
témoigneront lors du Plénum ukrainien de juillet 1953 : « Mechik et
Milshtein terrorisaient l’appareil des organes périphériques. En trois mois
ils furent renouvelés trois ou quatre fois et aucun officier ne savait où il
allait être affecté, quelles tâches il devait accomplir{3293}. » Pour la
Lituanie, Beria mit à l’écart Martavicius, l’homme fort du MVD local, en
l’invitant à Moscou sous prétexte de le promouvoir au poste de ministre.
Arrivé à Moscou, Martavicius euphorique se laissa entraîner dans une
beuverie, au cours de laquelle son porte-documents lui fut subtilisé. Le
lendemain Beria le convoqua et lui rendit ses papiers en lui disant : « Ton
poste de ministre tu peux te le mettre où je pense{3294}. » Beria voulait
nommer à la tête du MVD lituanien un certain Vildžiunas qui avait un
frère aux États-Unis. Lorsque Vildžiunas allégua cette parenté pour tenter
de se dérober à cette affectation périlleuse, Beria lui rétorqua : « On y
pensera lorsque nous envisagerons de le nommer ministre{3295}. » En
Estonie, aucune section du MVD n’était dirigée par un Estonien, mais, à
partir de juin, tous les officiers russes furent limogés et remplacés par des
Estoniens, alors que le MVD de la république avait déjà été déstabilisé en
mars par le limogeage de tous les Juifs{3296}. Ainsi fragilisés, les MVD
des républiques reçurent des responsabilités nouvelles. En mai 1953, Beria
supprima le Département de l’instruction – des affaires politiques – qui
contrôlait au niveau fédéral les sections de l’instruction dans les
républiques. Désormais, toutes les affaires d’espionnage et les affaires
visant le clergé et les groupes antisoviétiques devaient être menées sans
supervision de Moscou{3297}.
L’affrontement entre les apparatchiks et les officiers du MVD devint
ouvert. Lorsque Kiritchenko voulut réagir à ce qu’il percevait comme des
empiétements intolérables du MVD sur les attributions du Parti, il s’attira
un appel téléphonique furieux de Beria qui lui conseilla « de ne pas se
livrer à de la politicaillerie vis-à-vis des organes ». Le comportement de
Mechik devint tel à partir de début juin que les fonctionnaires du Parti
ukrainien se sentirent menacés d’une arrestation imminente{3298}.
Lorsque Z. T. Serdiouk, le responsable de l’organisation du Parti de Lvov,
voulut s’emparer d’un jardin d’enfants réservé au MVD ukrainien pour en
faire son logement personnel, Mechik, avec l’assentiment de Beria,
entoura le bâtiment de troupes du MVD et en chassa les intrus du
Parti{3299}. Pour Kaganovitch, le but de cette politique de Beria était de
« transformer les cadres du Parti en chiffes molles pour réussir son coup
d’État{3300} ».
Le cas lituanien est le plus éclairant sur la politique réelle de Beria. En
Lituanie, les assassinats de communistes étaient fréquents et ceux-ci
n’osaient pas se risquer hors des villes sans escorte armée{3301}. Or le
MVD ordonna de désarmer les activistes du Parti dans les districts. Le
6 juin, les portraits de Lénine et de Staline furent remplacés par ceux des
princes lituaniens Kestutis et Vytautas{3302}. En juin, les Russes expédiés
de Moscou pour communiser la Lituanie commencèrent à faire leurs
valises ; les ouvriers et ingénieurs russes demandaient une affectation dans
d’autres républiques. Les familles des officiers russes quittaient la
république{3303}, alors que Beria avait l’intention de doter les
républiques de leurs forces armées nationales{3304}. Les kolkhozes
étaient en train de se débander spontanément, et un vent de panique
soufflait parmi les rares communistes lituaniens, comme en témoignent
les rapports du MVD local à partir de début juin. Dans les magasins on
affectait de ne pas comprendre le russe.
Comme toujours les rumeurs accélérèrent la déstabilisation. En
Lituanie, on disait que les nouveaux dirigeants soviétiques avaient décidé
de donner la Lituanie aux Américains{3305}, que le pluripartisme serait
rétabli et que le pays aurait une armée et contrôlerait ses frontières{3306}.
On chuchotait que les biens confisqués seraient restitués à leurs
propriétaires, que la terre serait rendue aux paysans. En juin, le MVD
rendit compte à plusieurs reprises à Snieckus des déclarations entendues
par ses agents : « Les Américains et les Anglais viendront en Lituanie le
16 juin et la Lituanie deviendra indépendante » ; « Si les Russes ne veulent
pas partir de leur plein gré, les Américains les chasseront de force » ;
« Les communistes lituaniens seront pendus comme des traîtres » ; il y
aura des élections sous contrôle des pays neutres{3307}. La source de ces
rumeurs était une émission de radio transmise en langue lituanienne d’une
station inconnue{3308}. À lire ces rapports, il est clair que le régime
communiste se serait effondré très vite après le départ des Russes. La
dérussification signifiait donc la décommunisation. Et l’exode des Russes
galvanisait le sentiment national{3309}.
En Ukraine, la situation était plus complexe. La priorité de Beria fut
dans un premier temps de rééquilibrer l’Ukraine en y renforçant le pôle
occidental ; son insistance à développer les établissements d’enseignement
supérieur à Lvov, à protéger la vieille intelligentsia d’ancien régime, à
libérer du Goulag et à promouvoir les responsables d’Ukraine occidentale
dans le reste du pays montre qu’il comptait faire de celle-ci une pépinière
de cadres pour toute l’Ukraine – tout cela s’accompagnant d’une
restauration de l’Église uniate.
En secret, Beria avait entamé des négociations avec le primat de
l’Église uniate, le métropolite Yosyf Slipyi, sorti des camps, en vue d’une
normalisation des relations avec le Vatican et d’une légalisation de cette
Église. C’était le moment où il envisageait de sonder le Vatican à propos
d’une réunification de l’Allemagne et d’une normalisation des relations de
l’URSS avec la Yougoslavie{3310}. Il déclara à Slipyi : « Je vous laisse
les mains libres. Agissez comme vous l’entendez et transmettez ceci à la
communauté ukrainienne{3311}. » Milshtein donna l’ordre à ses
subordonnés de laisser renaître l’Église uniate et encouragea discrètement
les évêques à rédiger une plainte à l’encontre des autorités locales pour les
brimades infligées au clergé{3312}.
En juin, un rapport sur la situation en Ukraine occidentale rédigé par le
Conseil des affaires religieuses, l’organisme du MVD chargé de surveiller
le clergé et les croyants, critiqua la répression de l’Église uniate :

Comment peut-on proposer de modifier totalement les rites religieux,


et ce de manière immédiate, sans faire violence à la conscience des
croyants, ce qui constitue une violation de l’article 124 de la
Constitution de l’URSS. […] Même le commandement de l’armée
tsariste à l’automne 1914 a tenu compte de l’impossibilité de
convertir la population de Galicie à l’orthodoxie par la force. […] Il
est indispensable de rappeler aux responsables du Conseil qu’ils
doivent veiller à ce que les évêques et le clergé paroissial n’y aillent
pas trop fort dans l’implantation des rites orthodoxes dans les églises
gréco-catholiques par excès de zèle inopportun.

Il fallait autoriser l’enregistrement des églises uniates, « interdire la


transformation des églises en dépôts sans autorisation du Comité exécutif
régional{3313} ». Et effectivement, selon le témoignage de Strokatch,
« Mechik et Milshtein commencèrent à restaurer l’Église uniate dans les
régions occidentales. Ils voulaient rendre sa liberté d’action au clergé
uniate, car ils comptaient établir ensuite un contact direct entre le clergé
uniate et le Vatican{3314} ». Strokatch découvrira dans les archives du
MVD ukrainien une note de Mechik où on pouvait lire :
Instructions de L. B. [Lavrenti Beria] : Vous pouvez ouvrir les
monastères de manière illégale. Les gens peuvent aller y prier en
secret pendant un an, un an et demi. Ensuite ils n’ont qu’à faire des
déclarations selon lesquelles ils soutiennent le régime soviétique.
Pour les ouvrir consultez les agents qui s’occupent de ce
domaine{3315}.

Ainsi, toutes les mesures adoptées pour l’Ukraine – réhabilitation de


l’intelligentsia galicienne, promotion des cadres originaires d’Ukraine
occidentale, restauration de l’Église uniate – allaient dans le même sens :
la ré-occidentalisation de toute l’Ukraine.
Durant cette période, les communistes des républiques bombardèrent
Moscou de lettres empreintes de panique ; ainsi le 20 juin :

Je suis un vieux bolchevik. Je ne comprends pas une chose. Que se


passe-t-il dans notre pays ? En Biélorussie nous assistons à un
véritable pogrom contre les responsables russes. On les limoge de
partout… du MVD, des municipalités, du komsomol. […] Bientôt
nous n’aurons plus une Union soviétique, mais seize républiques !

Ou dans une lettre non datée : « Les Russes ne trouvent plus d’emploi
en Moldavie… Ils en sont réduits à renoncer à leur nationalité russe,
ukrainienne ou juive pour prendre la nationalité moldave. » ou encore
d’Ukraine :

Les cadres des organes de la justice viennent d’être invités à quitter la


région dans un délai d’une semaine. […] La population nous adresse
des remarques hostiles ou des insultes. Par exemple :
« Moskali{3316} ! Fichez le camp, votre règne est fini, désormais
nous construirons notre Ukraine »{3317}.

Ouvertures secrètes vers les nationalistes anticommunistes.


La politique de Beria était souvent échelonnée en profondeur, comme le
montrent sa politique des nationalités et le rapprochement entre sa
politique en Lituanie et en Ukraine. Lors du Plénum des 2-7 juillet 1953,
Snieckus évoquera un épisode révélateur, l’affaire Žemaitis. Officier
formé en France, Jonas Žemaitis avait été nommé chef de la résistance
clandestine lituanienne en juin 1948. En février 1949, il avait réussi à
fédérer les maquis en vue d’organiser un soulèvement en cas de guerre,
mais il fut arrêté le 30 mai 1953{3318}. La version de l’affaire donnée par
Snieckus au plénum est la suivante :

Le rapport de Beria mentionnait que la résistance clandestine


lituanienne était dirigée par un capitaine de l’armée bourgeoise
lituanienne, Žemaitis, élu « président de la Lituanie » par les
résistants. […] Žemaitis fut capturé par les tchékistes de Lituanie.
[…] Que fit Beria ? Il le fit amener à Moscou pour l’interroger en
personne{3319}. L’interrogatoire eut lieu jeudi dernier. C’est le vice-
ministre de l’Intérieur de Lituanie, Martavicius, qui l’accompagnait.
Martavicius m’a raconté qu’après avoir interrogé Žemaitis Beria
avait proposé de créer une organisation nationaliste clandestine. Vous
voyez, d’abord Beria avait gonflé le rôle de Žemaitis, puis il avait
proposé à Martavicius de créer avec Žemaitis une organisation
nationaliste imaginaire.

Le dossier de Žemaitis dans les archives du KGB lituanien conserve une


attestation de l’interrogatoire du 25 juin signée de la main de Beria. Selon
les témoignages de la famille de Žemaitis, celui-ci revint euphorique,
métamorphosé après sa rencontre avec Beria, disant qu’« à partir de
maintenant plus rien ne serait comme avant ». Il rétracta les aveux qu’il
avait commencé à faire avant son voyage à Moscou.
Que se passa-t-il entre les deux hommes ? Žemaitis fut exécuté en
novembre 1954, mais il eut le temps de faire des allusions devant des
gardes et des codétenus. Selon certaines versions, Beria aurait proposé à
Žemaitis de prendre la tête du futur gouvernement lituanien. À ses
subordonnés du MGB, il déclara vouloir monter grâce à Žemaitis une
fausse organisation nationaliste, sur le modèle de l’opération Trust{3320}.
En Ukraine se dessina un scénario similaire. D’après le témoignage de
Serdiouk au Plénum du 29 juillet, Mechik avait, avant la résolution du
26 mai, demandé à M. Chrakh, l’ancien vice-président de la Rada centrale
« du temps de Petlioura », de lui soumettre ses propositions pour la
politique à mener en Ukraine occidentale en vue de réconcilier la
résistance avec le pouvoir. Avant de le remettre à Mechik, Strokatch et
Serdiouk prirent connaissance du document rédigé par « ce personnage
douteux », qui prévoyait de faire revenir les émigrés ukrainiens et les
nationalistes « condamnés à 20-25 ans de camp » et de restaurer l’Église
uniate{3321}. Beria en personne reçut Chrakh, invité à Moscou le 27 mai.
Selon Strokatch, Beria avait l’intention de créer un centre de l’OUN
légalisé dont il aurait confié la direction à ce personnage prétendument
recruté par le MVD sous le surnom de « Barde », et dont les effectifs
« auraient plusieurs fois dépassé le nombre de membres de l’OUN en
Ukraine », car il devait avoir des filiales dans toute l’Ukraine
occidentale{3322}. Ce centre aurait dirigé la résistance clandestine,
permis la légalisation de ses chefs, l’infiltration d’agents soviétiques dans
les organisations de l’émigration et donc en Angleterre et aux États-Unis,
ainsi qu’au Vatican{3323}. Lors du Plénum du 29 juillet, Strokatch
poursuivra son témoignage :

Sur ordre de Beria, Mechik et Milshtein préparèrent une proposition


au gouvernement, recommandant de faire revenir de l’étranger
certains chefs des nationalistes bourgeois ukrainiens qui s’étaient
réfugiés dans les zones d’occupation américaine et anglaise en
Allemagne et enfuis par la suite aux États-Unis, en Angleterre et dans
d’autres pays capitalistes. Ils voulaient créer avec ces ennemis une
organisation nationaliste bourgeoise chargée de mener des activités
subversives au sein de l’intelligentsia de Lvov et au sein des
Ukrainiens de l’Ouest. Leur dessein était d’utiliser cette organisation
pour nouer des contacts avec les services spéciaux américains et
anglais, de prendre leurs ordres afin de saper l’État soviétique. C’est
pourquoi ils durent placer aux postes dirigeants du MVD, surtout en
Ukraine occidentale, des individus douteux bien connus dans les
cercles des nationalistes bourgeois. […] En un mot, les organes du
MVD furent paralysés, au centre comme à la périphérie{3324}.

Beria fit aussi venir à Moscou Vassili Okhrimovitch, qui dirigeait le


renseignement de la représentation à l’étranger de la Rada ukrainienne de
libération nationale, ainsi que Kirill Osmak, le chef de cette
organisation{3325}. Mechik entama des pourparlers de paix avec Vassili
Kouk, l’un des chefs de la résistance ukrainienne. Un tchékiste vétéran qui
avait autrefois combattu Petlioura fut chargé de rédiger une lettre aux
chefs de la résistance, leur proposant l’abandon de la lutte armée en
échange de la liberté, d’un emploi et d’une formation, pour eux et pour
leurs proches déportés.
Beria tenta aussi d’établir des contacts avec les représentants de
l’émigration originaire d’Ukraine occidentale{3326}. Il ordonna en
particulier la libération des deux sœurs de Stepan Bandera incarcérées au
Goulag et les fit venir à Moscou. Il avait l’intention de les envoyer en RFA
rejoindre leur frère, et de transmettre par elles à Bandera un message
personnel, invitant ce dernier à cesser la lutte contre le régime soviétique,
Beria s’engageant de son côté à assurer son retour en Ukraine et à garantir
le développement national de l’Ukraine{3327}. Tous ces contacts avec les
nationalistes avaient lieu à l’insu du Parti. À un subordonné qui lui
signalait que des agents du MVD avaient rencontré un chef de l’OUN,
Mechik répondit : « Surtout ne va pas le claironner à l’obkom. N’en dis
rien à personne{3328}. »
Bien des années plus tard, Sergo Beria a rencontré des nationalistes
ukrainiens qui lui ont fait le récit suivant :

Ton père nous a convoqués à Moscou avec tous les dirigeants des
mouvements nationalistes et nous a dit : « Je considère que vos
critiques contre le régime soviétique sont fondamentalement justes.
Chaque peuple a le droit de défendre ses intérêts au sein de l’État
soviétique. Je vous propose de vous placer au gouvernement et de
mettre en œuvre ensemble une politique pour le bien de votre
peuple. » Et lorsqu’il lui arriva ce que vous savez, on nous a torturés
pendant trois mois pour que nous racontions ce qu’il nous avait dit,
mais nous avons tenu bon et récolté quinze ans
supplémentaires{3329}.

La Géorgie et le Caucase.
Bien entendu, Beria n’oubliait pas le Caucase. Concernant la Géorgie,
un rapport fut compilé par Youri Krotkov qui en était originaire et que
Beria avait chargé d’analyser l’opinion publique en se fondant sur des
entretiens avec les intellectuels. Krotkov eut l’impression que le but
inavoué de cette enquête était de comparer la popularité de Malenkov et de
Beria :

Je m’arrangeai pour que l’opinion des personnes interrogées puisse


convenir à Beria et, si ce rapport tombait dans les mains de
Malenkov, à ce dernier de même. C’était un travail tout en finesse, et
à parler franchement un travail répugnant{3330}.
Selon son fils, Beria se proposait d’organiser en Géorgie un congrès de
déstalinisation. Dans un premier temps, il exigea que le rapport de la
commission d’enquête sur l’affaire mingrélienne fût lu in extenso lors du
Plénum du 10 avril qui décida de la tenue d’un Congrès prévu le
25 mai{3331}. Beria fut mécontent de la manière dont s’était déroulé le
plénum dont Dekanozov lui fit parvenir les minutes. Il estima que la
critique du clan Mgueladzé avait été trop molle et téléphona à Valerian
Bakradzé, le Premier ministre : « Tu ne comprends rien à la politique, tu
n’es bon qu’à fabriquer des boîtes de conserves{3332}. » Le Congrès dut
être différé, Beria ayant demandé aux communistes géorgiens de le
reporter à l’automne, sans doute parce qu’il n’avait pas le temps de se
rendre en Géorgie durant ce mois où il était préoccupé par l’Allemagne,
l’Ukraine et les États baltes{3333}. En attendant, il interdit au MVD
central de donner des consignes au MVD géorgien en matière de chasse
aux nationalistes, affirmant qu’il se chargeait lui-même de la
Géorgie{3334}. Il ordonna au nouveau secrétaire du Parti, Alexandre
Mirtskhoulava, d’organiser une purge des responsables régionaux du Parti
géorgien. Et, en juin, il envoya en Géorgie son secrétaire Mamoulov pour
seconder Charia dans la préparation du Congrès{3335}.
À observer le comportement de l’émigration géorgienne pendant cette
période, on a l’impression que la synergie secrète avec Beria se
manifestait à nouveau. La rumeur courait à Paris qu’une contre-révolution
se préparait dans le Caucase. La chronologie est éloquente. À partir de la
mort de Staline, le rôle de Gueguetchkori dans le camp des allogènes
devint déterminant et augmenta de manière continue jusqu’à l’été 1953, en
même temps que l’Amcomlib évoluait vers les positions des allogènes, au
point que le 28 août Kerenski déclarera avec amertume à Munich : « Les
Américains font tout pour conserver leur empire alors qu’ils veulent
démembrer la Russie{3336}. » Début mars 1953, l’amiral Stevens
rencontra les chefs d’organisations allogènes – Ukrainiens, Biélorusses,
Arméniens et Géorgiens – et il leur annonça que l’Amcomlib aiderait leurs
organisations à condition qu’elles acceptent de participer au front commun
de lutte contre le bolchevisme. Après cette entrevue, Gueguetchkori
convoqua à Paris une assemblée des allogènes – dachnaks, Rada
ukrainienne, Biélorusses et Caucasiens du Nord – qui eut lieu du 25 au
31 mars. Les délégués rédigèrent un mémorandum pour les Américains où
ils soulignèrent que les allogènes avaient toujours été les antibolcheviks
les plus résolus en URSS et que les Occidentaux devaient leur apporter
leur soutien au lieu de miser sur les organisations russes ; ils réclamèrent
une représentation paritaire des allogènes au sein du Centre de
coordination, faute de quoi ils organiseraient leur propre centre avec
lequel les Américains devraient coopérer{3337}. L’émergence du « bloc
de Paris » réunissant les indépendantistes infléchit encore davantage la
politique américaine. Le Comité américain de libération des peuples de
Russie fut rebaptisé Comité américain de libération du bolchevisme, cette
fois pour ménager les susceptibilités des allogènes. Le 17 mars 1953,
l’amiral Stevens, le président du Comité, accepta de rencontrer les
représentants du Comité pour l’indépendance du Caucase{3338}. Le
31 mai, l’Amcomlib convoqua à Tegernsee les signataires de l’accord de
Paris et les chefs des groupes russes dans l’espoir d’imposer un modus
vivendi. Ce fut un fiasco et on assista à l’éclatement du Centre de
coordination de la lutte antibolchevique entre deux groupes
irréconciliables, les partisans de la « Russie une et indivisible » et les
indépendantistes allogènes soutenus par les libéraux russes. Il fut décidé
de créer une Commission mixte comportant six représentants du groupe de
Paris et des mencheviks russes comme Boris Nicolaevski. La présidence
de cette Commission fut confiée à Gueguetchkori, sur proposition de
Kerenski{3339}.
Lors de ce congrès, Eugène Gueguetchkori déclara : « Dans quelques
semaines ou quelques mois de grands événements vont se dérouler dans le
Caucase. Nos amis émigrés russes doivent le savoir dès
maintenant{3340}. » Ainsi Gueguetchkori n’hésitait plus à laisser
entendre qu’il avait ses canaux avec le Kremlin. Les Américains qui
s’apprêtaient à lui confier la coordination de l’action antibolchevique de
l’émigration, contournant l’ancien Centre toujours contrôlé par le groupe
Melgounov-Kerenski, en étaient sans doute conscients. Notons que cette
révolution dans l’attitude américaine eut lieu au moment précis où en
URSS Beria lançait sa politique d’émancipation des républiques. La
coïncidence est trop frappante pour être fortuite. Après la chute de Beria il
y eut un nouveau tournant : en août 1953, exaspérés par l’incapacité des
émigrés à trouver un terrain d’entente, les Américains prirent la décision
de cesser de financer le groupe Melgounov-Kerenski ainsi que les
organisations allogènes et de faire porter l’essentiel de leur effort sur
Radio Liberty.
Comment Beria voyait-il l’avenir de l’État soviétique ? Seul le
témoignage de son fils permet de l’envisager :

[Il voulait que] l’URSS soit dirigée par un Soviet dont le président
serait pour six mois l’un des dirigeants des républiques ; chacun de
ces dirigeants serait au pouvoir à tour de rôle. Je me souviens de cette
idée car mon père se référait à ce propos au secrétaire permanent du
Foreign Office Cadogan et à l’appareil administratif anglais dont
nous devions selon lui nous inspirer. Il faisait observer qu’en
Angleterre les partis et les gouvernements se succèdent au pouvoir,
mais l’appareil d’État reste en place et assure la continuité
indispensable (aux États-Unis la situation était différente, mais les
intérêts économiques et financiers apportaient la stabilité) ; chez
nous, disait mon père, c’est le contraire : le même parti reste au
pouvoir, mais il suffit de remplacer un fonctionnaire pour que tout
son appareil soit renouvelé. Or nous avons besoin de gens compétents
qui restent en place quoi qu’il arrive. Mon père était arrivé à cette
conclusion en suivant la carrière de Cadogan qui l’intéressait
fort{3341}.

Il y a peut-être dans ces lignes la clé du projet politique de Beria,


surtout lorsque l’on se souvient qu’il avait l’intention de propulser des
nationalistes anticommunistes à la direction des républiques de l’URSS.
En tout cas, elles donnent un aperçu précieux sur la manière dont la
pratique du renseignement débouchait chez lui sur une réflexion originale
sur les institutions.
Il est certain que la politique des nationalités mise en œuvre par Beria a
été l’un des facteurs ayant amené sa chute. Non seulement elle lui aliéna
les nationalistes russes, en particulier dans le haut commandement
militaire, mais aussi les chefs communistes des républiques écartés par
Beria, qui avaient tous leurs protecteurs à Moscou. C’est Strokatch, un
proche de Khrouchtchev, qui attira l’attention de ce dernier sur les
agissements du MVD en Ukraine. Khrouchtchev recueillit les plaintes de
sa clientèle au sein des communistes ukrainiens et d’autres communistes
des régions paniqués par la politique de Beria. Et Patolitchev était un
protégé de Malenkov. En outre le contenu même des notes de Beria sur la
Lituanie et l’Ukraine visait bien sûr d’abord Staline, mais aussi Malenkov
et Khrouchtchev, le premier car il avait été responsable du Comité pour la
restauration des territoires occupés après la guerre, et le second car il avait
été premier secrétaire en Ukraine de janvier 1938 jusqu’en décembre
1949. Ainsi le branle-bas déclenché dans les républiques par Beria ne
pouvait être bien vu par ses collègues du Présidium.
Le cas ukrainien a peut-être contribué à mettre le feu aux poudres et
hâter la fin de Beria : en s’attaquant à l’appareil du Parti ukrainien et à la
politique nationale menée en Ukraine jusqu’ici, Beria heurtait
Khrouchtchev et ses protégés de front. Les tensions entre la direction du
NKVD et Khrouchtchev remontaient à 1939-1940. Le NKVD était
favorable à l’octroi d’un statut spécial à la Galicie et recommandait d’en
ménager l’intelligentsia ; or Khrouchtchev et Serov procédèrent à des
arrestations retentissantes, en particulier celle de Kost Levitski, ancien
membre du gouvernement de l’Ukraine indépendante, alors âgé de plus de
quatre-vingts ans. Soudoplatov exprima son désaccord avec cette
arrestation, Beria adressa sa note à Molotov et Kost Levitski fut
libéré{3342}.
Les délations expédiées à Khrouchtchev par les communistes ukrainiens
contribuèrent à alarmer la direction soviétique et à lui faire comprendre
que la politique de Beria était une mèche allumée sous un tonneau de
dynamite qui pouvait exploser d’un jour à l’autre. La politique dans les
régions servait de révélateur à la stratégie globale de Beria, car il ne
s’agissait pas seulement de compromettre les dignitaires communistes de
la périphérie. En avril, Beria avait donné l’ordre à A. S. Kouznetsov, le
chef de la 1ère Section spéciale du MVD, de rassembler tous les
renseignements collectés sur les responsables du Parti, y compris ceux de
haut rang. Le 25 mai, B. Koboulov reçut une compilation des
renseignements réunis par les différentes sections régionales du MVD, y
compris 248 dossiers d’écoutes{3343}. Partout le MVD resserrait ses
filets autour des apparatchiks du Parti.
Les difficultés éprouvées par Beria en Lituanie et en Ukraine lorsqu’il
voulut utiliser le MVD pour discréditer le Parti auraient dû le mettre en
garde. Il est visible qu’il sous-estima le degré d’inféodation des tchékistes
au Parti, résultat à la fois de la tradition tchékiste et de l’énergique
politique de reprise en mains des organes par le Parti menée à partir du
limogeage d’Abakoumov en juillet 1951. Cette erreur d’appréciation fut
l’une des causes de son échec.
Beria se montra aussi fort imprudent et se laissa aller à un dangereux
franc-parler devant ses collègues. Il traitait les syndicalistes de « bons à
rien » et « se fichait de la classe ouvrière{3344} ». Lorsqu’un officier du
MVD lui demanda un changement d’affectation car il souhaitait faire des
études à l’Académie des sciences sociales pour devenir propagandiste,
Beria lui répondit : « Tu es sûr de ton choix ? » L’autre ayant confirmé,
Beria laissa tomber : « Tu vas finir mendiant dans les rues de
Moscou{3345} », laissant entendre que l’activisme au Parti n’avait plus
d’avenir. Lorsqu’une délégation de communistes ukrainiens vint le trouver
pour demander des instructions en vue de la célébration du trois-centième
anniversaire du rattachement de l’Ukraine à la Russie, Beria explosa :
« Pourquoi célébrer cet événement ? ! On s’en moque ! Khmelnistki ne
mérite pas de commémoration. » « Il trouva les qualificatifs les plus sales
pour insulter cette grande date de l’unification des deux peuples, et couvrit
Khmelnitski de jurons obscènes », rapportera Korneïtchouk au Plénum du
29 juillet 1953{3346}. Cet épisode est révélateur à plus d’un titre. Beria
s’appuyait sur les peuples non russes pour des raisons d’ambition
personnelle, cela va sans dire, mais aussi par conviction : sa volonté de
détruire l’hégémonie moscovite sur les nations de l’URSS s’expliquait par
une antipathie pour la domination russe qu’il n’arrivait plus à cacher.
Certains de ses proches manifestèrent la même imprudence. Ainsi
Amaïak Koboulov choqua ses collègues du MVD lors d’une mission en
RDA, en mai-juin 1953, lorsqu’il se répandit en « déclarations
antisoviétiques, reprenant à son compte les allégations calomnieuses de la
propagande américaine concernant la politique étrangère de l’URSS et
l’agression des États-Unis contre la République populaire de Corée du
Nord{3347}. »
Effervescence au Goulag.
L’un des fréquents fantasmes des accusateurs du NKVD au moment des
grandes purges était l’utilisation du Goulag pour saper le pouvoir
soviétique. Ainsi, fin 1937, I. G. Filippov, le patron d’un des camps du
Goulag, « avoua » avoir participé à une « organisation antisoviétique » qui
projetait de renverser le gouvernement « en préparant un soulèvement
armé contre le pouvoir soviétique dans la Kolyma{3348} ». Dans les
années 1930, ces appréhensions étaient délirantes, mais après la guerre la
population du Goulag changea. Avec l’afflux des Ukrainiens, des Polonais,
des Baltes et des ex-légionnaires de la Wehrmacht, le nombre de
prisonniers politiques monta à plus de 35 % de l’ensemble des prisonniers
en juillet 1946. Aux marxistes plus ou moins dissidents, s’ajoutaient
désormais des anticommunistes convaincus ; nombre d’entre eux avaient
mené une âpre guérilla contre les troupes du NKVD. En 1948, les
responsables du MVD créèrent des « camps spéciaux » pour y interner les
éléments jugés les plus dangereux que l’on déplaçait souvent d’un camp à
l’autre, ce qui permit de tisser des réseaux. Dès lors, la concentration
même des « politiques » pouvait constituer à terme un cocktail
explosif{3349}.
En 1953, le potentiel déstabilisateur du Goulag se manifesta au grand
jour, à partir de l’amnistie de mars. Nombre de détenus qui n’avaient pas
été libérés décidèrent de passer à l’action. Selon des témoignages
convergents, la discipline se relâcha et, dans certains camps, des journaux
clandestins furent publiés et circulèrent sous le manteau. Les émissions
des radios occidentales étaient écoutées sur des postes volés et diffusées
sous forme de bulletins. Les mouchards étaient systématiquement
neutralisés. En mai 1953, les camps étaient en effervescence.
Les organisations nationalistes qui s’étaient développées au Goulag
avaient conçu un plan de liquidation du régime soviétique : organiser des
insurrections armées dans le plus de camps possibles, créer un effet boule
de neige et attendre l’intervention occidentale pour la libération définitive.
Au printemps 1953, tous les activistes furent rassemblés au camp de
Norilsk sous la surveillance d’un colonel du MVD. En mai eut lieu une
première grève à laquelle participèrent 20 000 détenus. L’un d’eux raconta
qu’un officier du MVD arrivé de Moscou lui dit que les rébellions étaient
fort répandues et que les autorités ne savaient que faire. Et de fait, la
troupe n’intervint pas. Les détenus savaient que quelque chose se préparait
et ils s’attendaient à être libérés. Selon l’ancien détenu Jonas Čeponis, à la
nouvelle de la chute de Beria, le colonel du MVD aurait dit aux détenus :
« Maintenant nous serons tous fusillés{3350}. »
Les premières révoltes éclatèrent début juin au Gorlag, près de Norilsk,
et au Retchlag, près de Vorkouta. Les autorités ne réagirent pas et la
rumeur circula que le MVD fomentait lui-même les troubles en
introduisant dans les camps des Ukrainiens rebelles, qu’il écrasait ensuite,
pour prouver que l’administration concentrationnaire était
indispensable{3351}. Ce n’était pas qu’une rumeur : ainsi le soulèvement
du Gorlag, qui débuta le 26 mai 1953, fut préparé par l’administration du
camp à partir du 9 mai. Elle monta des provocations en s’appuyant sur des
groupes de prisonniers de droit commun et des armes furent introduites
dans le camp. Une commission vint de Moscou parlementer avec les
insurgés, mais après la chute de Beria, à la fin juillet, la rébellion fut
écrasée par la troupe{3352}. La chute de Beria contribua à la
démoralisation de l’administration des camps et galvanisa le moral des
détenus.
Mais revenons à mai-juin 1953. Beria continuait d’alléger
l’encadrement des camps. Le 12 juin, une résolution du Conseil des
ministres ordonna de réduire l’appareil central du Goulag de 15,7 %,
l’appareil administratif des camps de 34 % et le personnel du Goulag de
36,8 %{3353}. Beria entreprit aussi de démanteler le vaste réseau des
colonies d’exilés. Le 2 mai, il recommanda d’annuler l’oukase du
21 février 1948, instaurant l’exil à perpétuité pour les « criminels d’État
particulièrement dangereux » qui avaient achevé de purger leur peine. Cet
oukase concernait les détenus politiques – espions, terroristes, trotskistes,
droitiers, nationalistes, mencheviks, émigrés blancs, etc. :

La législation pénale soviétique ne considère pas le châtiment comme


un moyen de protéger la société, mais comme la mesure d’une faute
concrète. […] Elle prévoit un système de peines à la durée
strictement déterminée. […] Un tribunal ne peut imposer une peine
indéfinie comme une détention à vie ou un exil indéterminé. […] La
loi soviétique interdit l’imposition d’une peine nouvelle pour le
même délit.

Le mémorandum de Beria préconisait la libération des anciens détenus


politiques en exil, au nombre de 37 951{3354}. Enfin une nouvelle
amnistie, le 4 mai, permit la remise d’un tiers des peines prononcées sauf
pour les délits politiques, et elle libéra les femmes{3355}.

L’assouplissement de la politique religieuse{3356}.


L’adoucissement de la politique religieuse commença dès la mort de
Staline, car le Conseil aux affaires religieuses chargé de diriger le clergé
et de surveiller les croyants était sous le contrôle du MVD et donc, à partir
du 7 mars 1953, de Beria. Là encore, celui-ci voulut « dégraisser le
mammouth » : le 7 mai, il proposa de réduire de 15 à 18 % l’appareil
central du Conseil et de 30 % celui des responsables locaux. Les
persécutions contre les catholiques et les uniates diminuèrent au printemps
1953. Le « nouveau cours » en matière de politique religieuse apparaît par
exemple dans les conclusions de ce rapport d’un officier du MVD
lituanien consacré au clergé catholique daté du 8 mai 1953 :

Jusqu’à tout récemment, le MVD de la république lituanienne ne


menait que des actions répressives contre les éléments hostiles du
clergé catholique, ce qui n’a pas donné de résultats positifs, amenant
au contraire ces derniers à se réfugier dans la clandestinité. […] Les
arrestations de prêtres sont interprétées comme des persécutions de la
foi. […] À cause de l’activité tchékiste unilatérale du MVD lituanien,
qui se réduit essentiellement à des répressions, alors qu’il faudrait
mener un travail politique afin de persuader le clergé catholique de
renoncer à son activité antisoviétique et de se rallier au régime
soviétique, le clergé catholique continue à exercer une influence
hostile sur la population{3357}.

Le 25 mai 1953, après un rapport d’inspection du Conseil en date du


13 mars dénonçant les « actions erronées des responsables locaux », les
fonctionnaires du Conseil aux affaires religieuses furent chargés
d’empêcher les « mesures administratives » visant à la confiscation des
églises. Cette politique les mit en conflit avec les fonctionnaires du Parti
locaux mécontents de devoir libérer les églises transformées en silos. En
Lituanie, les églises furent à nouveau autorisées à sonner les cloches et, en
Biélorussie, quinze églises catholiques furent rendues aux croyants.
Le « dégel » du printemps 1953 ne toucha pas seulement les catholiques
et les uniates. Le 23 avril G. G. Karpov, colonel du MVD et responsable du
Conseil aux Affaires religieuses, réprimanda un fonctionnaire trop zélé qui
s’était opposé à la candidature choisie par le patriarche Alexis pour une
paroisse de Moscou. Le 25 juin, les responsables du Conseil chargés de
l’Église orthodoxe reçurent l’ordre de ne pas imposer des mesures
administratives au clergé, notamment de le dispenser de l’obligation de
fournir des données sur le nombre des paroissiens, les revenus de la
paroisse et le nombre des cérémonies célébrées.
Dans ce domaine aussi la politique de Beria suscitait des résistances.
Khrouchtchev en particulier n’entendait pas laisser dépouiller le Parti de
ses prérogatives, y compris en matière de religion. Il commença à étudier,
en avril 1953, les moyens de liquider les lieux de pèlerinage et créa une
commission spéciale chargée de ce problème. Le désarroi et les
tiraillements au sommet étaient si grands qu’en juin 1953 Karpov
demanda des instructions sur la conduite à tenir. En même temps, il
suggéra un assouplissement de la ligne appliquée à l’égard du clergé,
proposition rejetée après la chute de Beria. En juin, le moral des
plénipotentiaires locaux du Conseil aux affaires religieuses était au plus
bas, un décret du 26 mai ayant supprimé leurs primes, et beaucoup
songeaient à démissionner. Au moment de la chute de Beria, le système de
tutelle des Églises, attaqué par en bas, était en pleine crise.
Les dernières mesures.
Les archives révèlent qu’à partir de mai 1953 Beria déclencha un
véritable maelström de réformes ébranlant les assises du système
soviétique. Ainsi, le 9 mai, le Présidium adopta une résolution ordonnant
« de mettre fin à la pratique néfaste consistant à considérer que les
délations anonymes sont des documents dignes de foi{3358} ». Mais
surtout Beria voulut décloisonner le territoire soviétique. Le 13 mai, il
adressa à Malenkov une note dénonçant les inconvénients du système de
passeport intérieur instauré en 1933. Comme d’habitude, il s’était armé de
statistiques, martelant qu’en URSS 340 villes étaient dites « fermées » –
on ne pouvait y accéder qu’avec une autorisation spéciale – et que les
régions frontalières étaient « fermées » sur une profondeur allant de 15 à
200 kilomètres, et même 500 en Extrême-Orient : « Tout notre pays est
parsemé de villes fermées et de zones interdites de tous genres. » Les
Soviétiques ne pouvaient qu’enfreindre ce régime de passeports, ce qui
entraînait des arrestations incessantes. En outre ces restrictions étaient
« un obstacle au développement économique » des régions frontalières et
suscitaient « un juste mécontentement » des citoyens. Il ajoutait : « Il faut
souligner que de pareilles restrictions n’existent dans aucun pays. Dans
beaucoup de pays capitalistes, les gens n’ont pas de passeport et, s’ils ont
un casier judiciaire, leurs papiers d’identité n’en font pas état{3359}. »
Beria prit la décision d’abolir les restrictions liées au régime du
passeport intérieur, rendant leur liberté de déplacement à 3 900 000
citoyens dont le passeport serait renouvelé et ne porterait aucune trace de
leur statut précédent. Même les kolkhoziens pourraient recevoir un
passeport temporaire s’ils prenaient un emploi dans une autre région. En
outre, les régions frontalières vidées à la suite des déportations de Staline
seraient rendues à leurs habitants.
Le 16 juin, Beria annonça son intention de « liquider le système des
travaux forcés, en raison de son inefficacité économique et de son manque
de perspectives{3360} ». Deux jours plus tard, il ordonna d’améliorer
l’exactitude des cartes géographiques, dont la mauvaise qualité nuisait à
l’économie. En 1941, les autorités soviétiques avaient fourni aux
ambassades une liste des villes et des régions fermées aux étrangers,
allongée de manière considérable en septembre 1948, jusqu’à englober
environ 75 % du territoire soviétique ; or, le 20 juin, les restrictions au
déplacement des étrangers en URSS furent supprimées.
Parallèlement, le MVD étudiait un projet d’amélioration de la situation
des victimes de l’exil intérieur et des « colons spéciaux » – les déportés
qui n’étaient pas envoyés en camp mais déplacés et assignés à résidence –,
à la grande indignation de Serov{3361}. Ainsi la réhabilitation des
peuples déportés sous Staline, qui interviendra sous Khrouchtchev, était
déjà préparée par Beria qui se proposait sans doute de commencer par les
Allemands de la Volga déportés à l’été 1941{3362}. Un projet de
résolution au Glavlit autorisa les photos et la réalisation de films par les
entreprises et les personnes privées, de même que les prises de vue
topographiques, géologiques, géodésiques, hydrologiques et géophysiques,
sur tout le territoire de l’URSS sauf les zones frontalières{3363} ; or, tous
les étrangers qui ont vécu dans l’URSS communiste d’avant Gorbatchev
savent à quel point ces décisions étaient révolutionnaires.
Sur le terrain, Beria commença à démanteler le lourd dispositif de
protection des frontières : le 1er juin, les effectifs des gardes-frontières
furent réduits de 22 665 hommes{3364}, le nombre de postes frontières
fut réduit et leurs effectifs diminués. Les zones interdites le long du
littoral de la Baltique et dans la région de Kaliningrad furent
supprimées{3365}. En Ukraine subcarpathique, les barrières frontalières
furent démantelées, en juin 1953, pendant deux jours, permettant d’aller
en Tchécoslovaquie sans laissez-passer. Certains l’apprirent par Radio Free
Europe et, parmi les paysans de la région, Beria a gardé la réputation d’un
libérateur{3366}. Les services spéciaux frontaliers furent si affaiblis que
les Occidentaux purent infiltrer sans peine des agents par les frontières
avec la Turquie, l’Iran, l’Afghanistan et la Finlande{3367}. Beria
transféra au MVD des républiques le contrôle des frontières. Une fois
encore, il cherchait à précipiter les choses sur le terrain.
Bien entendu, toutes ces mesures lui seront reprochées après sa chute :

L’ennemi du Parti et du peuple Beria a tenté d’affaiblir la défense des


frontières soviétiques. […] Sur son ordre les postes de contrôle furent
partout supprimés, le nombre de postes frontières, de
kommandantures et de troupes fut considérablement réduit. Tout cela
avait pour but de faciliter l’infiltration d’espions par les services
spéciaux étrangers{3368}.

Le 16 juin également, Beria adressa au Présidium une note où il


recommandait une limitation du recours au Collège spécial du MVD :
seules les affaires « qui pour des raisons opérationnelles ou pour des
raisons d’État ne peuvent être confiées à des tribunaux ordinaires »
devaient désormais lui être confiées et les peines prononcées ne devraient
pas excéder dix ans de détention ; toute la législation antérieure qui
conférait au Collège spécial « de larges fonctions répressives » devait être
abolie{3369}. Dans ce domaine aussi, Beria créa le fait accompli avant de
chercher à légiférer : de mars à juin, le Collège spécial ne siégea pas une
fois{3370}.
De manière encore plus imprudente, il déclara à ses collègues qu’

il fallait changer la doctrine de Marx-Engels-Lénine-Staline et qu’il


fallait le faire publiquement. […] Il ne voulait pas introduire des
amendements aux bases du marxisme-léninisme, il voulait tout
simplement le jeter aux orties{3371}.

Il dit un jour à ses proches qu’on pouvait nommer une bouteille vide
secrétaire de l’organisation du Parti du MVD, cela était sans importance,
car qui sait ce qui allait arriver{3372}.
On imagine que les collègues de Beria s’alarmaient de plus en plus de
ses initiatives et de ses propos iconoclastes. Quand Beria voulut s’attaquer
à la question allemande, ils décidèrent d’agir.
29

Beria et la crise en RDA


La ligne de Beria en Allemagne consistait à entreprendre une série de
démarches successives dont le but était de mettre fin à la continuité de
notre politique dans la question allemande, d’ébranler de fond en comble
l’Union soviétique et de liquider la RDA. Dans cet affrontement j’étais
comme quelqu’un qui creuse un canal souterrain dans le noir et dans le
froid{3373}
[W. Semionov].

Même avant la mort de Staline, le clan anti-Ulbricht en RDA s’était


enhardi à cause de l’état désastreux dans lequel se trouvait la république
après la décision de passer à la « construction accélérée du socialisme » à
l’été 1952. De la mi-février à la fin mars 1953, un groupe de responsables
du SED furent chargés de mener une enquête sur la situation en
RDA{3374}. L’enquête conclut à l’existence de difficultés sérieuses et à la
faillite de la politique d’Ulbricht, en particulier à cause des répressions
infligées aux croyants, qui n’aboutissaient qu’à galvaniser l’« action
hostile de l’Église évangélique{3375} ». Toutefois, à ce moment, les
rapports sur la situation critique de la RDA suscitaient des résistances au
Kremlin. Et, selon le témoignage d’un fonctionnaire de la presse à la
Commission de contrôle soviétique, Moscou donna l’ordre de ne pas
collecter ces informations alarmantes sur la RDA{3376}. On le voit, le
conflit à propos de l’Allemagne au sommet de la hiérarchie soviétique
continuait de plus belle.
Mais, après la mort de Staline, les choses s’accélérèrent. Moins de deux
semaines après la disparition du dictateur, les dirigeants soviétiques
interdirent aux chefs de la RDA, qui l’avaient demandé en décembre 1952,
de fermer la frontière interallemande de Berlin, leur laissant entendre que
désormais la RDA devrait résoudre ses problèmes toute seule.
Sans se démonter devant la fronde croissante dans les rangs du SED et
les rebuffades de Moscou, Ulbricht poursuivait imperturbablement la
politique impulsée par Staline en 1952. Le 17 mars, le Politburo est-
allemand adopta des mesures contre les « activités ennemies au sein du
Parti » et décida de « renforcer la vigilance ». Le ministère de l’Intérieur
fut chargé de sévir en particulier contre les ecclésiastiques qui prenaient
position contre le Mouvement de la paix. La commission de contrôle du
SED fut chargée d’enquêter sur G. Eisler, l’ancien ministre de
l’Information arrêté en janvier 1953, et sur les liens entre F. Dahlem et
Noel Field{3377}. Le 28 mars, le gouvernement décida d’imposer une
augmentation des normes de production aux ouvriers, ce qui entraîna un
fort mécontentement et une politisation de la RDA.

Rudolf Herrnstadt et Wilhelm Zaisser, deux hommes de


Beria.
En Allemagne comme en URSS, la stratégie mise en œuvre par le chef
du MVD fut échelonnée et ne peut être comprise que lorsqu’on embrasse
du regard l’ensemble du dispositif.
En RDA, Beria s’efforça d’abord d’éliminer les partisans de la politique
de Staline et de placer ses hommes aux postes stratégiques. Son objectif
immédiat étant de faire tomber Ulbricht, il chercha à peser de tout son
poids en faveur de la faction anti-Ulbricht du SED et encouragea en
particulier ceux qui étaient sensibles au slogan de l’unité allemande. Au
sein de cette faction, deux perestroïkistes avant la lettre, Herrnstadt et
Zaisser, allaient jouer un rôle moteur. Cette politique devait
s’accompagner d’un démantèlement des forces soviétiques en RDA, qu’il
s’agisse de la présence militaire, des services spéciaux ou du contrôle
politique de Moscou sur les responsables est-allemands. Le troisième
échelon du dispositif de Beria a été révélé en pointillé par les témoignages
de ses agents : alors que les tenants de l’Allemagne neutre souhaitaient la
chute d’Adenauer, Beria voulait s’entendre avec le chancelier ouest-
allemand et effectuer la réunification de l’Allemagne avec lui. Il s’attela à
cette tâche avec son énergie et son imprudence coutumières, au risque de
donner l’alarme à ses collègues. Ces trois politiques étaient menées
simultanément.
Avant d’aborder les événements cruciaux de mai-juin 1953, brossons un
rapide portrait des deux hommes qui seront accusés d’avoir été les
instruments de Beria en RDA. Ces deux personnages semblaient avoir
accepté l’idée d’une inclusion de la RDA dans une Allemagne unie neutre
et social-démocrate – à une époque où le SPD n’avait pas encore renoncé
au marxisme. Le premier était Rudolf Herrnstadt. « D’une incroyable
vanité, un assoiffé de pouvoir sans scrupules », mais « très intelligent » de
l’avis d’un collègue, Herrnstadt{3378} avait adhéré au KPD en 1929 sous
l’influence de son ami Ludvig Freund – de son vrai nom Ludvik Frejka,
condamné à mort pour titisme et sionisme avec Slansky. Dès cette date, il
commença à travailler pour le GRU. En 1930, il rencontra Willi
Münzenberg et devint le correspondant du Berliner Tageblatt, puis
travailla, de 1933 à 1938, comme correspondant pour la Prager Presse en
URSS, à Varsovie et à Londres. De 1933 à 1939, il fut le résident du GRU
en Pologne{3379} et recruta en particulier Gehrard Kegel, alors
journaliste à Breslau, ainsi que Rudolf von Scheliha, conseiller à
l’ambassade d’Allemagne à Varsovie{3380}. De novembre 1939 à l’été
1940, il séjourna dans les États baltes{3381}, puis fut affecté, de 1940 à
1942, à l’état-major de l’Armée rouge et, en février 1943, au 7e
Département de l’Administration politique principale de l’Armée rouge.
Le 18 juin 1943, il fut expédié par les Soviétiques au camp de Krasnogorsk
pour une « mission spéciale{3382} ».
Herrnstadt fut toujours un « corps étranger » au sein du KPD et les
communistes allemands le considéraient comme l’homme des
Soviétiques, ce dont Herrnstadt ne se cachait d’ailleurs pas : « Il y a des
gens du Parti qui me haïssent et me traitent d’“agent de Moscou”. Oui, je
suis un agent de Moscou et j’en suis fier », dira-t-il un jour à un collègue
de Neues Deutschland{3383}. Herrnstadt accusa notamment les partisans
d’une « voie allemande » vers le socialisme, tel A. Ackermann, d’être
hostiles à l’URSS. Les relations entre Pieck et Herrnstadt étaient
mauvaises, peut-être pour la même raison : Pieck n’aimait pas les
Soviétiques.
Herrnstadt essaya toujours de racheter son passé d’intellectuel
bourgeois par une surenchère idéologique : ainsi, en 1943, il se plaignit à
Manouilski de ce que des émigrés communistes allemands avaient fêté
Noël avec les officiers allemands, en cautionnant ainsi le « chauvinisme »
de ces derniers. Herrnstadt fut l’un des plus fanatiques pourfendeurs de la
social-démocratie. Devenu, en 1945, rédacteur en chef de la Tägliche
Rundschau puis de la Berliner Zeitung, il avait de la sympathie pour Tito –
la zone d’occupation soviétique avait signé un accord commercial avec la
Yougoslavie en juin 1948 –, ce qui ne l’empêcha pas de se lancer dans la
campagne antititiste avec ardeur. Le 18 novembre 1948, en plein blocus de
Berlin, il publia un article dans Neues Deutschland intitulé : « Les Russes
et nous », dans lequel il évoquait l’inconduite de l’Armée rouge. Mais,
selon lui, les Allemands n’avaient rien fait pour lutter contre le fascisme
et ils n’avaient pas le droit de se plaindre. Il fallait « accepter le processus
révolutionnaire comme un tout ou le rejeter ; aucune partie ne peut en être
retranchée ». « La personne qui accepte l’Union soviétique ne peut le faire
que dans sa totalité{3384}. » Dans une autocritique rédigée après la chute
de Beria, Herrnstadt s’exclamera : « Le grand choc de ma vie, en fait toute
ma vie est lié à l’Union soviétique. […] Quand je pense aujourd’hui qu’à
cause de mes erreurs j’ai ruiné ma relation avec l’Union soviétique, j’ai le
vertige{3385}. »
En mai 1949, Herrnstadt devint le rédacteur en chef de Neues
Deutschland et introduisit dans la rédaction des émigrés de l’Ouest et des
non-communistes, ce qui lui valut d’être critiqué dès 1950 par Lotte
Ulbricht. Il créa un réseau de correspondants ouvriers qui allait lui
permettre de brosser un tableau critique de la situation en RDA et au SED.
Sous la couverture du journal, il installa des hommes à lui dans les
organisations du Parti, qui lui servaient d’yeux et d’oreilles. Par exemple,
à partir de février 1950, il fait surveiller l’organisation du Parti de Berlin
par Alfred Reinert, chef de la rédaction de Neues Deutschland pour
Berlin{3386}. À l’automne 1952, les affrontements entre Herrnstadt et
Ulbricht se multiplièrent, alors que Herrnstadt se prononçait en faveur
d’un programme de construction de logements ouvriers faisant appel à
l’initiative privée et que, début 1953, il critiquait une politique paysanne
provoquant un exode massif de la paysannerie est-allemande vers
l’Ouest{3387}. En février 1953, lors de la campagne antijuive qui en
URSS se traduisait par des expulsions massives de Juifs des organes de
presse, Herrnstadt fut la cible de délations au sein de la rédaction de Neues
Deutschland : on le dénonça à la Commission de contrôle du Parti sous
prétexte qu’il avait « accumulé les camarades juifs », « rassemblé
d’anciens officiers de la Wehrmacht » et « recueilli en nombre des émigrés
venus de l’Ouest » dans la rédaction de l’organe du SED{3388}. On lui
reprocha d’avoir utilisé ses relations privilégiées – « Querverbindung zum
Staatsicherheitsdienst » – avec Zaisser et la Stasi pour éviter les enquêtes
voulues par le Parti : ainsi Emmi Gruhn, sa secrétaire, avait été démasquée
comme espionne à l’automne 1950, mais s’était enfuie à Berlin-Ouest, et
Herrnstadt avait réussi à étouffer le scandale{3389}. Comme on le lui
reprochera après la chute de Beria, Herrnstadt utilisait à dessein sa
réputation d’homme de Moscou pour se placer au-dessus du SED{3390}.
Pourtant, si l’on en croit une confession envoyée par Herrnstadt, le
4 décembre 1953, à Semionov et Hermann Matern, le séide d’Ulbricht, ce
grand internationaliste était entre-temps devenu un patriote allemand :

Nous avons laissé inutilisées les puissantes énergies révolutionnaires


qui se trouvent dans la question nationale. […] Je suis certes
reconnaissant à l’Union soviétique, mais je voudrais pouvoir marcher
la tête haute, en homme capable d’accomplir quelque chose, et non en
éternel stipendié. En tant qu’Allemand cela m’est devenu intolérable.
Autrefois je ne connaissais pas le sentiment national. J’ai appris à
l’éprouver en Union soviétique et il s’est développé en moi en RDA.
Depuis qu’il existe en moi il m’est difficile de le renier{3391}.

Ce texte fournit sans doute une clé à l’énigme Herrnstadt et à sa relation


avec Beria, d’autant que la sincérité de son aveu ne pouvait complaire ni à
Matern ni à Semionov, l’homme de Moscou.
Le pedigree communiste de Wilhelm Zaisser semblait aussi impeccable
que celui de Herrnstadt. Membre du KPD depuis 1919, incarcéré en 1921
pour menées insurrectionnelles dans la Ruhr, il avait été formé à l’école
du Komintern à Moscou en 1924. Apprécié pour ses qualités
d’organisateur et son indifférence aux intrigues politiques, il fut recruté
par le GRU en 1927, puis envoyé par le Komintern en Chine où il participa
à l’insurrection de Canton. Il fut ensuite chargé d’infiltrer la haute société
sous la couverture d’un marchand d’armes et noua des relations étroites
avec l’ambassade d’Allemagne en Chine ; il créa même en Chine du Nord
une organisation du Stahlhelm qui permit au GRU d’obtenir les directives
les plus secrètes de cette organisation et de se renseigner sur les diverses
activités des officiers allemands au service des seigneurs de la guerre
chinois. Sa carrière en Chine s’interrompit en 1931, lorsque Berzine
l’autorisa à prendre un congé en Allemagne où il fut « grillé » après avoir
commis l’imprudence d’être hébergé par un communiste de Francfort qui
était un agent soviétique repéré par la police. Rentré en URSS, Zaisser
adhéra, en 1932, au PC soviétique{3392}, puis, envoyé en Espagne au
début de la guerre civile, il y commanda la XIIIe Brigade internationale. Il
prit la nationalité soviétique en 1940 et, de 1939 à 1943, il dirigea la
section allemande des Éditions en langue étrangère à Moscou. Dès ces
années de guerre où il enseignait à l’école antifasciste, il détestait Ulbricht
et, selon le témoignage du lieutenant von Einsiedel qui le connut à
l’époque, Zaisser s’attendait à être arrêté d’un moment à l’autre{3393},
peut-être parce qu’il avait été le responsable du Département des cadres du
BDO. Lorsqu’au printemps 1945 les communistes allemands émigrés à
Moscou revinrent en Allemagne, Zaisser ne put les accompagner et en
conçut une forte amertume : « Je n’appartiens pas au Pieckwick-Club, ces
camarades ne me considèrent pas comme un Allemand parce que j’ai
toujours travaillé pour l’Union soviétique », se plaindra-t-il à un
interlocuteur soviétique{3394}. De 1948 à 1950, il dut se contenter du
modeste ministère de l’Intérieur de Saxe. En 1950, il fut nommé ministre
de la Sécurité d’État et bâtit la redoutable Stasi, les Soviétiques ayant
préféré sa candidature à celle de Mielke, sur la recommandation de
W. Pieck{3395}. Zaisser ne se gêna pas pour enrôler de nombreux anciens
nazis, tels Rudolf Bamler qui avait été l’intime de Heydrich, ou le SS
Louis Hagemeister devenu chef du Département d’enquête de la région de
Schwerin, le SS Johann Sanitzer devenu commandant de la Stasi d’Erfurt,
le SS Reinhold Tappert devenu officier dans la Stasi de Berlin{3396}.
Point n’était besoin d’adhérer au SED pour entrer à la Stasi.
Zaisser ne fit jamais mystère de son hostilité à l’égard d’Ulbricht et se
plaira à répéter devant témoins : « Moscou préfère cent fois Grotewohl à
Ulbricht, mais Ulbricht ne s’en rend pas compte{3397}. » Après la mort
de Staline, il défendit des thèses hérétiques, affirmant par exemple que la
dictature du prolétariat ne serait pas remise en cause si la classe ouvrière
partageait le pouvoir avec les partis bourgeois, de même que la dictature
de la bourgeoisie se maintenait lorsqu’elle autorisait d’autres partis à
accéder au pouvoir{3398}. « Il est souvent arrivé au camarade Zaisser de
laisser tomber des remarques qui nous surprenaient et que nous ne
pouvions comprendre », témoignera Mielke à la Commission d’enquête
après la chute de Beria{3399}. Selon Herrnstadt, « Lorsque Zaisser ouvrait
la bouche au Politburo, j’avais toujours l’impression qu’il allait dire
quelque chose de très intelligent et sensé, quelque chose de frappant, […]
ou quelque chose de trop désagréable pour être discuté{3400}. » La
réaction de Zaisser à l’affaire Slansky scandalisa son entourage : « Je
connais Slansky et je n’en crois pas un mot, mais si Gottwald a besoin de
cela je n’ai rien à dire{3401}. »
Zaisser et Herrnstadt s’étaient rencontrés à Moscou en 1944 chez
W. Pieck et le rejet de la position d’Ackermann les avait rapprochés. Tout
comme Herrnstadt, Zaisser semble avoir été avant tout un admirateur
inconditionnel de l’URSS : « L’URSS est ce que j’ai connu de plus grand,
c’est pour l’URSS que j’ai travaillé, c’est pour elle que j’ai tout fait ce que
je me croyais en mesure de faire{3402}. » Par une ironie de l’histoire, ces
deux hommes dévoués de manière fanatique à l’URSS seront les victimes
de la guerre de succession qui déchira le Kremlin, précisément à cause de
leur empressement à suivre la ligne qu’ils croyaient dominante à Moscou.
Et sans doute est-ce aussi à cause de ses contacts en RFA que Beria avait
choisi de s’appuyer sur Zaisser qui connaissait Friedrich Wilhelm Heinz,
un ancien officier de l’Abwehr devenu le responsable du renseignement
militaire de la RFA depuis octobre 1950{3403}.

Les premiers jalons.


En avril 1953, alors que la RDA connaissait une crise alimentaire pour
la première fois depuis 1947, le SED renouvela sa demande d’aide à
Moscou qui répondit que l’Union soviétique avait besoin de toutes ses
ressources pour améliorer le sort de sa population, et que le SED serait
bien avisé d’en faire autant, en changeant de politique{3404}. Ulbricht fit
la sourde oreille et, le 9 avril, il décida de priver de cartes de rationnement
les propriétaires fonciers ruinés et les propriétaires de biens immobiliers.
Le 16 avril, il proclama sa fidélité à la politique du grand Staline et appela
à une vigilance redoublée contre les agents et les saboteurs. Son attitude
intransigeante semblait payante puisque les Soviétiques diminuèrent leurs
prélèvements sur la production est-allemande et que, le 18 avril, Moscou
promit une aide en livraison de matières premières.
Mais déjà des rumeurs couraient sur un changement dans la politique
allemande de l’URSS. V. P. Nikitine, un dirigeant du Gosplan, déclara à
ses collègues de RDA lors d’une visite à Berlin-Ouest : « Les dirigeants
soviétiques ont l’intention d’adopter une nouvelle politique dont le but est
l’amélioration du niveau de vie de la population. Toutes les réserves
disponibles doivent être mises en œuvre pour atteindre cet
objectif{3405}. » La glace commençait à craquer en RDA : ainsi, dès avril,
le procureur général de RDA demanda une modification de la loi de
défense de la propriété socialiste car les « amis soviétiques » exigeaient un
changement de politique dans ce domaine – alors que, de janvier à mars
1953, 7 775 personnes avaient été incarcérées à cause de cette loi{3406}.
À Moscou, Charia était déjà en train de rédiger les propositions de réforme
de la RDA qui allaient être adoptées fin mai 1953 et seraient formalisées
dans le « document Beria » sous une forme plus radicale – Beria avait
annoté la couverture du dossier : « dissoudre les kolkhozes{3407} ».
La ratification des traités de Bonn et de Paris par le Bundestag en mars
donna aux adversaires d’Ulbricht, à Moscou et en RDA, un nouvel élan et
fit de la question allemande une priorité pour les successeurs de Staline ;
et ce d’autant plus que, dès le 20 avril et au grand effroi de ses alliés
occidentaux, Churchill avait lancé la proposition d’une rencontre au
sommet des quatre puissances. La question allemande devint alors un
enjeu central dans la lutte entre les successeurs de Staline. Le 22 avril, elle
fut discutée au sein du Présidium. Le MID avait soumis un mémorandum
rédigé par Gueorgui Pouchkine et Jakob Malik, qui proposait un plébiscite
sur l’établissement d’un gouvernement provisoire panallemand nommé
par les parlements de RFA et de RDA, ou, si les puissances occidentales
refusaient cette variante, la signature d’un traité d’amitié et de coopération
entre l’URSS et la RDA{3408}. Cette proposition allait être reprise, le
28 avril, dans un nouveau mémorandum proposant que les gouvernements
ouest et est-allemands soient maintenus, que le gouvernement provisoire
soit chargé de négocier un traité de paix avec les quatre puissances et
d’organiser des élections panallemandes, et que les troupes étrangères
soient évacuées d’Allemagne dès la mise en place du gouvernement
provisoire.
Arrivé à Moscou le 22 avril, alors qu’il venait d’être nommé à la tête du
Département européen du MID, Semionov attira d’emblée l’attention des
dirigeants soviétiques sur la gravité de la crise secouant la RDA et leur
transmit un rapport accablant pour le clan Ulbricht, rapport rédigé par la
commission d’enquête commanditée par Beria{3409}.
Le 28 avril, la Pravda proposa « un pacte de paix » des quatre
puissances. Beria et Malenkov laissèrent entendre que la question
allemande pourrait être résolue de manière plus satisfaisante pour l’Ouest
que dans la note du 10 mars 1952{3410}. L’Ostburo du SPD prédit
qu’Ulbricht pouvait être sacrifié par les Soviétiques, tandis que les
diplomates de la mission américaine à Berlin émettaient déjà l’hypothèse
qu’Ulbricht misait sur une faction au sein de la direction soviétique dont il
escomptait la victoire{3411}.
Fin avril, Beria commença à agir de manière unilatérale en utilisant les
possibilités que lui offraient les réseaux du MVD. Il ordonna à
Soudoplatov d’effectuer par ses services spéciaux un sondage des
Occidentaux concernant la possibilité de la réunification de l’Allemagne.
La RDA deviendrait une province autonome de l’Allemagne, expliqua-t-il
à Soudoplatov :

Le meilleur moyen de renforcer notre position dans le monde serait


de créer une Allemagne réunifiée et neutre dirigée par un
gouvernement de coalition. […] Nous devrions évidemment faire des
concessions, mais l’URSS recevrait aussi des compensations, en
particulier la rançon que nous extorquerions en échange de la perte
par le gouvernement Ulbricht de sa position dominante.
Beria se faisait fort d’obtenir 10 milliards de dollars{3412}. Et au lieu
de soutenir à bout de bras l’économie exsangue de la RDA et des
démocraties populaires, ce qui coûterait au moins 20 milliards de dollars
dans la décennie à venir, l’URSS pourrait obtenir une aide allemande pour
améliorer son réseau ferroviaire et routier, et construire de nouvelles
entreprises{3413}. Cette Allemagne réunifiée constituerait une zone
tampon entre les États-Unis et l’URSS dont les intérêts se heurtaient en
Europe. Il fallait d’abord sonder l’administration américaine, l’entourage
d’Adenauer et le Vatican – Beria comptait sur son agent Joseph
Grigoulevitch, ambassadeur du Costa Rica à Rome. Après ces sondages,
Beria espérait pouvoir entamer les négociations avec les puissances
occidentales. C’est Zoïa Rybkina, la responsable du secteur allemand du
Département du renseignement du MVD, qui était chargée d’organiser les
sondages en RFA. Beria avertit Soudoplatov que cette démarche devait
rester ultrasecrète, y compris du MID qui n’était pas encore au
courant{3414}. Par ces manœuvres d’approche, Beria voulait signifier aux
Occidentaux qu’il existait en URSS un interlocuteur prêt à sacrifier les
vaches sacrées de l’idéologie léniniste et impériale de Moscou.
Le 2 mai, Semionov remit aux dirigeants du Kremlin un mémorandum
recommandant l’abolition de la Commission de contrôle soviétique,
coupable selon lui de faire obstacle à la promotion de cadres est-allemands
et de refléter une « méfiance politique » à l’égard du régime est-allemand,
et soulignant que le SED « était devenu assez fort et mûr pour assumer la
direction du pays{3415} ». Cette mesure aurait aussi l’avantage de
prouver la sincérité des propositions soviétiques concernant l’Allemagne.
Avec son accent mis sur la promotion des cadres « autochtones » et sur la
« maturité » du régime communiste, ce mémorandum porte la marque de
Beria.
Le 6 mai, Beria communiqua aux membres du Présidium sa propre note
sur la RDA, rédigée à partir de l’enquête qu’il avait commandée à
I. Fadeïkine, le représentant du MGB en RDA. Il commençait par y
souligner, chiffres à l’appui, la dimension catastrophique de la fuite des
Allemands de l’Est vers l’Ouest : au premier semestre 1952, 57 234
Allemands de l’Est s’étaient réfugiés en RFA, au second semestre 78 831,
au premier trimestre 1953 84 034{3416}. Cet exode « ne peut s’expliquer
seulement par la propagande hostile » de la RFA, mais plutôt par le fait
que les paysans ne veulent pas entrer dans les kolkhozes, que les
petits et moyens entrepreneurs ont peur de l’abolition de la propriété
privée et de la confiscation de leurs biens, que les jeunes ne veulent
pas faire leur service militaire, que la RDA n’est pas capable
d’assurer l’approvisionnement de la population en denrées et en biens
de consommation courante{3417}.

Après avoir établi ce diagnostic des maux dont souffrait la RDA, Beria
recommandait à la Commission de contrôle soviétique de formuler des
propositions visant à remédier à cet état des choses et de consacrer une
séance du Présidium à discuter ces propositions « afin de donner les
conseils nécessaires à nos amis allemands{3418} ». Fadeïkine et Ernst
Wollweber, le ministre de la Sécurité en RDA, furent convoqués à Moscou
et décrivirent aux dirigeants soviétiques la crise politique qui secouait la
RDA à cause de la politique d’Ulbricht{3419}.

L’entêtement d’Ulbricht.
Or sans se soucier des dispositions nouvelles du Kremlin, Ulbricht
persévérait dans sa politique. Le 5 mai, à l’occasion de l’anniversaire de
Karl Marx, il annonça que désormais l’État est-allemand assumerait la
fonction de la dictature du prolétariat « afin de construire les bases du
socialisme ». Le conseiller politique soviétique auprès de la Commission
de contrôle soviétique, P. Youdine, qui remplaçait Semionov, après avoir
été le rédacteur des discours de Mao, n’avait pas élevé d’objection au
discours d’Ulbricht. Il se fit immédiatement réprimander par Molotov qui
informa Khrouchtchev et Malenkov que le chef du SED n’avait pas
consulté Moscou{3420}.
Ulbricht continua à multiplier les mesures restrictives contre l’artisanat
et la petite industrie. Et le SED projetait de jouer à fond les ecclésiastiques
« progressistes », comme l’évêque de Thuringe, Mitzenheim, pour détruire
l’Église évangélique. Les 13 et 14 mai eut lieu le XIIIe Plénum du Comité
central du SED. La résolution finale conclut à l’« aggravation de la lutte
des classes » attestée par les procès Rajk et Slansky. Les leçons du procès
Slansky n’avaient pas été suffisamment tirées en RDA, expliquèrent les
orateurs : « Les ennemis se camouflent sous la carte du Parti. » Après une
vive altercation avec Ulbricht à propos des contacts avec les personnalités
ouest-allemandes qu’il avait préconisés, Dahlem fut exclu du Politburo du
SED le 14 mai. On lui imputa son aveuglement « face aux tentatives des
agents impérialistes de s’infiltrer dans le Parti{3421} » et Ulbricht
préparait un grand procès contre lui{3422}. On lui reprochait aussi d’avoir
incité les communistes français à lutter contre Hitler même au temps du
pacte germano-soviétique et d’avoir été en contact avec N. Field{3423}.
Comme Dahlem était le responsable des contacts avec la RFA, son
exclusion signifiait la liquidation du canal permettant les contacts entre
Allemands de l’Est et de l’Ouest, canal fermé depuis mars{3424}. En
outre le SED interdit les organisations de la CDU dans les entreprises.
La tension grandissante en RDA se traduisit par une montée des
rumeurs : on racontait déjà que Wilhelm Pieck avait voulu entrer en Suisse
et avait été abattu à la frontière ! Puis apparurent des accents nouveaux
dans l’organe officiel du Parti : le 24 mai, Neues Deutschland appela à une
collaboration avec l’intelligentsia bourgeoise, tout en déconseillant
d’imposer aux savants l’étude du marxisme-léninisme. Mais, le 27 mai, au
cours d’une rencontre avec l’intelligentsia qui devait en principe
convaincre les intellectuels de rester en RDA, Ulbricht déclara que les
Junge Gemeinde – des communautés de jeunes croyants tolérées depuis
1946 – étaient des « organisations illégales{3425} ». Le 28 mai, présidant
une réunion des responsables du Parti au sein du ministère de la Sécurité
d’État (MfS), Ulbricht se livra à un véritable réquisitoire qui visait
Zaisser : les résultats de la construction du socialisme n’étaient pas
satisfaisants à cause des provocateurs et des saboteurs de toute sorte et on
assistait à une aggravation de la lutte des classes ; le MfS n’était pas à la
hauteur de la tâche car ses officiers n’avaient pas une formation
idéologique suffisante{3426}. Le même jour, la presse publia le décret
annonçant une augmentation des normes de production d’au moins 10 %
sans hausse de salaire, en l’honneur du soixantième anniversaire
d’Ulbricht (une commission destinée à en organiser la célébration venait
d’être créée). Or, depuis 1951, les ouvriers refusaient avec obstination
cette augmentation des normes. Ulbricht semblait donc ignorer de manière
ostensible les inflexions récentes de la politique des dirigeants de Moscou
qui, au même moment, « conseillaient » au SED de suspendre la
collectivisation au moins pour le reste de l’année{3427}.

Le début de l’offensive contre Ulbricht.


Le 11 mai, en réponse aux sondages officieux soviétiques, Churchill
revint à sa proposition de conférence au sommet à huis clos, et appela à
une résolution de la question allemande « sur le modèle du traité de
Locarno », les intérêts de la sécurité de l’URSS étant pris en compte. Il
envisageait une garantie des quatre puissances aux frontières de
l’Allemagne réunifiée. Malenkov et Beria espéraient que Churchill
parviendrait à convaincre les États-Unis et la France. Mais Adenauer
s’opposa avec vigueur aux tentatives de Churchill à qui il rendit visite le
15 mai. Celui-ci lui dit qu’il fallait faire des concessions au besoin de
sécurité russe, comme s’en souvient Willy Brandt : « W. Churchill lui
transmit des informations venant de Moscou qui semblaient propres à
faire prendre au sérieux les tendances au changement dans la politique
soviétique{3428}. » Adenauer y a fait une allusion rapide dans ses
Mémoires : « La Grande-Bretagne croyait constater en URSS, et tout
particulièrement au Kremlin, un changement d’attitude et un nouvel état
d’esprit{3429}. »
Vers la mi-mai, le MID commença à manifester une attitude plus
critique à l’égard du régime d’Ulbricht. Le 18 mai, les responsables de la
Commission de contrôle soviétique – V. Tchouïkov, P. Youdine et
L. Ilitchev – adressèrent à Malenkov un rapport sur la situation en RDA et
sur les mesures propres à y remédier. Ce rapport dénonçait les « erreurs
grossières et les abus commis à l’égard des différentes couches de la
population » par la direction du SED. Le rapport dressait un réquisitoire en
règle de la politique du SED : tableau donnant les chiffres précis de
l’exode vers la RFA depuis 1951, indication de la superficie exacte des
terres abandonnées depuis juillet 1952, énumération implacable des
difficultés économiques de la RDA, dénonciation des « mesures
répressives de toutes sortes » appliquées par le SED, accompagnée des
chiffres exacts des arrestations en 1952 et 1953. Le SED n’avait pas voulu
tirer les leçons de l’exode de la population vers l’Ouest. Il n’avait pas su
se gagner les faveurs de l’intelligentsia, en particulier en sous-estimant
l’importance « du libre échange des opinions, de la discussion des
différents problèmes de la science avancée dans les milieux de
l’intelligentsia », en répandant une atmosphère de terreur alimentée par les
accusations gratuites de sabotage. De même, le SED s’était attiré
l’hostilité des Églises par sa politique de répression des Junge Gemeinde
et, au lieu de lutter contre la religion par la propagande, il organisait des
procès.
Après ce bilan sévère, le rapport recommandait plusieurs mesures : une
augmentation de la production des biens de consommation, le
développement des échanges avec l’Ouest, l’encouragement à l’artisanat
et à la petite entreprise, une réduction des quotas de livraisons agricoles à
l’État, une élimination du rationnement grâce à la transition vers la liberté
du commerce, une large amnistie, la fin des arrestations arbitraires, la fin
des poursuites judiciaires pour les quotas de livraison non remplis, la
correction des erreurs commises à l’égard de l’intelligentsia et des Junge
Gemeinde ; l’intelligentsia devait avoir accès aux publications
scientifiques étrangères{3430}.
Ce rapport présente des analogies frappantes avec les notes rédigées par
Beria à propos de la Lituanie et de l’Ukraine, ce qui donne à penser qu’il a
inspiré ce document : en effet, le même jour, il présenta au Présidium du
Conseil des ministres un projet de résolution intitulé : « Les questions de
la RDA », dans lequel, arguant de l’exode massif des citoyens est-
allemands en RFA, il recommandait l’abandon du socialisme en RDA, de
la collectivisation en agriculture et des mesures répressives contre la
petite entreprise dans l’industrie et le commerce{3431}.

L’affrontement.
Le 27 mai se tint la mémorable réunion du Conseil des ministres
consacrée à la situation en RDA. En accord avec le maréchal Sokolovski,
Semionov avait rédigé un document dans lequel il expliquait la position de
l’Union soviétique sur la question allemande. Ce document fut sans doute
rédigé en secret car, comme en témoignera Semionov, « nous supposions
non sans raison que des agents de Beria nous surveillaient{3432} ». C’est
ce document que Molotov transmit aux autres membres du Politburo.
Mais, raconte Semionov :

Comme s’il était le patron, [Beria] prit tranquillement dans sa poche


un papier, chaussa ses lunettes et lut son projet de politique
allemande. Le document différait profondément du mien. Pour
tromper Beria, Khrouchtchev proposa d’accepter son projet. Molotov
me fit signe de me taire{3433}.

C’est alors que Beria déclara : « La RDA ? Qu’est-ce que ça veut dire, la
RDA ? Ce n’est même pas un vrai État. Elle ne tient que par les troupes
soviétiques, même si elle s’appelle république démocratique
allemande{3434} » (témoignage de Gromyko).
Chepilov était aussi présent à cette fameuse réunion et son récit est
nettement plus vivant :

Le visage tiraillé par un tic convulsif, le ton cassant, Beria disait pis
que pendre de la RDA. Je n’y tins plus et je pris la parole : « Il ne faut
pas oublier que l’avenir de la nouvelle Allemagne est le socialisme. »
Tressaillant comme s’il avait reçu un coup de fouet, Beria hurla :
« Quel socialisme ? Quel socialisme ? Il faut mettre fin à ce
bavardage irresponsable sur le socialisme en Allemagne ! » À voir
son expression de mépris et de haine, on avait l’impression que le mot
même de « socialisme » et les journalistes qui l’employaient lui
étaient odieux{3435}.
Au Plénum de juillet 1953, Khrouchtchev témoignera :

La plupart d’entre nous ont vu la vraie physionomie politique de


Beria en mai, lorsque nous avons commencé à discuter la question
allemande. Il a proposé de renoncer à la construction du socialisme
en RDA et à faire des concessions à l’Occident. Cela revenait à livrer
18 millions d’Allemands à l’hégémonie des impérialistes américains.
Il disait : « Il faut créer une Allemagne démocratique neutre. » Est-ce
qu’une pareille chose est possible ? Une Allemagne démocratique
neutre ? Beria disait : « Nous signerons un traité. » Que vaut un
traité ? Nous savons le prix des traités. Un traité est valide lorsqu’il
est appuyé par des canons. S’il ne repose pas sur la force il ne vaut
rien, on se paiera notre tête, on nous prendra pour des naïfs. Or Beria
n’est pas un naïf, ce n’est pas un imbécile. Il est intelligent, rusé et
perfide{3436}.

Molotov fit chorus :

Beria nous dit que nous n’avions que faire du socialisme en


Allemagne, ce qu’il nous fallait c’était une Allemagne bourgeoise et
pacifique. Les yeux nous sortaient de la tête. […] C’étaient les propos
d’un antisoviétique. […] Beria n’était pas de notre camp, il
appartenait au camp antisoviétique. […] Pour nous autres marxistes,
il était clair, il reste clair, que s’imaginer qu’une Allemagne
bourgeoise puisse devenir un État pacifique ou neutre par rapport à
l’URSS n’est pas seulement une illusion, cela dénote l’adoption de
positions étrangères au communisme. […] Beria proposa au
Présidium un projet d’arrêté selon lequel la « politique de
construction du socialisme adoptée en RDA est une erreur dans les
conditions actuelles » et suggérant « d’abandonner cette politique en
RDA ». Il va sans dire que nous ne pouvions adopter un tel texte.
Comme j’élevais des objections, Beria tenta de répondre qu’il ne
s’opposait pas au principe de la construction du socialisme en RDA,
mais qu’il proposait simplement d’y renoncer « pour l’instant ». Mais
cette ruse ne prit pas{3437}.

En effet, grâce au soutien de Khrouchtchev auquel il ne s’attendait pas


et que, de manière révélatrice, il attribuera plus tard « à la fibre de
patriotisme russe existant chez Khrouchtchev mais pas chez
Beria{3438} », Molotov bloqua la proposition d’un abandon de la
construction du socialisme en RDA, présentée par Beria soutenu par
Malenkov. Ce 27 mai, le consensus existant au sein du Présidium sur la
politique allemande vola en éclats. Les collègues de Beria étaient d’accord
pour corriger les outrances de la politique d’Ulbricht, libéraliser quelque
peu le régime est-allemand, mais certainement pas pour sacrifier la RDA –
à l’exception peut-être de Malenkov. Devant cette résistance à laquelle il
ne s’attendait pas, Beria entreprit de persuader individuellement les
membres du Présidium. Le lendemain, il rencontra Boulganine et le prit à
part pendant une heure en essayant de le convaincre de la justesse de son
point de vue. Mais Boulganine avait été briefé la veille et il avança le
précédent de la violation par l’Allemagne des clauses de désarmement du
traité de Versailles. Beria le prit mal et commit une erreur grave. Il eut
l’imprudence de faire allusion à des purges nécessaires au sein du
Présidium{3439} : il pensait à remplacer Molotov par Maïski aux Affaires
étrangères.
L’attitude de Beria devant la crise allemande ouvrit les yeux de ses
rivaux, comme le confiera Khrouchtchev au Plénum de juillet 1953 :
« C’est la discussion de la question allemande qui a le mieux démasqué
Beria comme un provocateur étranger au communisme{3440}. » Et elle
acheva de miner le tandem Beria-Malenkov déjà fort éprouvé. Mikoïan a
montré les enjeux véritables de ce jour fatidique où le sort de Beria a sans
doute été scellé :
Après la mort de Staline, des différents éclatèrent dans la direction
collective à propos de la question de la RDA. Il est clair que Beria
s’était entendu au préalable avec Malenkov, avant la session du
Présidium. En effet, Malenkov garda le silence quand Beria déclara
que « nous ne devions pas nous accrocher à la RDA : quel socialisme
pouvions-nous y construire ? » Il proposait de laisser avaler la RDA
par la RFA. Khrouchtchev fut le premier à prendre position contre
cette proposition. Il démontra que nous devions défendre la RDA et
ne l’abandonner en aucun cas, quoi qu’il arrive. Molotov l’appuya.
[…] Beria et Malenkov se retrouvèrent en minorité. C’était un coup
très dur à leur prestige et la preuve qu’ils n’étaient pas tout-puissants.
Eux qui prétendaient à un rôle dirigeant au Présidium, et soudain un
tel camouflet ! Après j’appris de Khrouchtchev que Beria avait
menacé Boulganine de le limoger de son poste de ministre de la
Défense. Cela me fit un effet détestable{3441}.

Semionov, qui fut longtemps un des instruments de Beria en Allemagne,


commença à deviner qu’il avait servi des objectifs autres que ceux qu’il
croyait poursuivre. La politique de Beria semblait aller plus loin que le
projet de confédération allemande neutre et socialisante qu’une partie de
la direction soviétique et qu’un clan du SED pouvaient accepter. Malenkov
et Molotov étaient prêts à lâcher Ulbricht et à créer en RDA un
gouvernement de coalition autour de Grotewohl, qui comprendrait des
représentants des partis bourgeois, tels Nuschke et Kastner. Au contraire,
Beria voulait écarter les communistes du pouvoir et ne s’en cachait pas
devant ses subordonnés, comme il le confia à Charia :

Comment pouvons-nous créer une Allemagne unie à partir d’une


Allemagne de l’Ouest capitaliste et d’une Allemagne de l’Est
socialiste ? Il faut faire de l’Allemagne un pays démocratique
bourgeois. Il ne faut pas construire le socialisme en RDA, imposer
des kolkhozes qui font fuir les paysans à l’Ouest{3442}.
Dans l’immédiat, l’affrontement du 27 mai aboutit à une formule de
compromis provisoire, pour l’abandon de la construction « accélérée » du
socialisme en RDA. D’après Soudoplatov, une commission formée de
Beria, Malenkov et Molotov fut chargée d’élaborer les conditions d’un
accord sur la réunification allemande et une nouvelle politique en RDA.
La condition sine qua non de l’accord était le prolongement du paiement
des réparations pendant dix ans en biens d’équipement destinés à la
restauration de l’industrie, et à la construction d’autoroutes et de voies
ferrées, « ce qui nous aurait permis de résoudre nos problèmes de transport
et, en cas de guerre, d’acheminer rapidement nos troupes en
Europe{3443} ».
À partir de là, on a l’impression que deux politiques allemandes
parallèles furent mises en œuvre depuis Moscou. Le 28 mai, les
Soviétiques annoncèrent que la RDA était placée sous contrôle civil et que
la Commission de contrôle était dissoute, le maréchal V. I. Tchouïkov
étant remplacé par V. Semionov nommé haut-commissaire. Celui-ci
estimait que l’attitude « opiniâtre et tyrannique » de Tchouïkov était
contre-productive{3444}, et à l’époque il ne cachait pas qu’il appliquait
les instructions de Beria{3445}.
Le 29 mai, Pieck rencontra Souslov à Moscou pour discuter de la
célébration de l’anniversaire d’Ulbricht{3446}. Et en même temps, le
général Wollweber était convoqué dans la capitale soviétique.

Le « nouveau cours » et la crise du SED.


Pour un temps Beria sembla réussir à imposer sur le terrain sa politique
allemande et continua à se faire compiler des rapports par le MVD sur la
situation en RDA. Le 1er juin, il diffusa à ses collègues un rapport rédigé
par Mikhaïl Kaverznev, l’homme du MGB en RDA, qui dénonçait avec
vigueur, chiffres et tableaux à l’appui, la collectivisation, les mesures
répressives appliquées à la paysannerie, les brimades infligées au secteur
privé, les recommandations erronées de la Commission de contrôle
soviétique, la propagande maladroite du SED et les arrestations
abusives{3447}. Le 2 juin, il fit passer son texte dans la résolution du
Présidium du Conseil des ministres intitulée : « Mesures pour améliorer la
situation politique en RDA{3448} ». On retrouve dans ce qu’on appellera
le « document Beria » les grands thèmes du mémorandum Tchouïkov du
18 mai, en termes plus sévères encore. Les analogies avec les résolutions
concernant la Lituanie et l’Ukraine occidentale sautent aux yeux. Le
document commence par un bilan dévastateur de l’activité du SED :
447 000 Allemands de l’Est enfuis en RFA de janvier 1951 à avril 1953. La
cause de ce sauve-qui-peut était la décision de la « construction accélérée
du socialisme », à savoir : « le développement forcé de l’industrie lourde,
la limitation brutale de l’initiative privée, la création hâtive de
coopératives agricoles […] », « les choses sont allées si loin que les
paysans allemands, si économes, si attachés à leur lopin de terre, ont
commencé à abandonner massivement leur ferme pour se réfugier en
RFA ». À cela s’ajoutaient les persécutions contre le clergé – « l’influence
de l’Église au sein des larges masses de la population a été sous-estimée et
des méthodes administratives grossières de répression ont été utilisées » –
et contre l’intelligentsia, poussée dans l’opposition à cause de la politique
du régime. La résolution ordonnait par conséquent « de reconnaître que la
construction accélérée du socialisme en RDA adoptée par le SED et
approuvée par le Politburo du CC du VKPb dans la décision du 8 juillet
1952 est erronée dans les conditions actuelles ».
L’assainissement de la situation en RDA exigeait la fin de la
collectivisation forcée, un « renforcement du respect du droit, l’abandon
des mesures répressives dures », « la réconciliation avec l’intelligentsia, le
retour à une politique de coalition et de front national avec l’abandon du
slogan du passage de la RDA au socialisme, le rétablissement de la petite
et moyenne industrie et du petit et moyen commerce » avec « une large
utilisation du capital privé », un ralentissement du développement de
l’industrie lourde avec une priorité donnée à la production de biens de
consommation, l’annulation de l’expropriation d’entreprises agricoles, la
restitution de leurs biens confisqués à ceux qui avaient fui le pays et qui y
rentreraient, une amnistie – « la libération des personnes condamnées pour
des motifs insuffisants » –, « l’abandon des mesures punitives qui ne sont
pas strictement nécessaires », des facilités pour la circulation des
personnes entre l’Est et l’Ouest et la fin de la lutte contre l’Église
évangélique. Rappelant que les « répressions contre l’Église et les
ecclésiastiques ne font que renforcer le fanatisme religieux », la résolution
ordonnait de « mettre fin à l’ingérence nuisible dans les affaires de
l’Église » et d’annuler toutes les mesures « contraires aux intérêts de
l’Église et du clergé », telles la « confiscation des œuvres charitables, la
confiscation de terres de l’Église, l’abolition des subventions d’État à
l’Église, etc. ». La résolution invitait Semionov et le maréchal Gretchko à
prendre des mesures pour que la présence militaire soviétique en RDA ne
se réalise pas « au détriment des intérêts de la population civile » ; les
militaires soviétiques étaient invités à rendre aux Allemands les écoles,
les hôpitaux et les lieux de culture qu’ils occupaient.

Enfin, comme à l’heure actuelle notre objectif principal est


l’unification de l’Allemagne sur une base démocratique et pacifique,
[…] le SED et le PC doivent adopter une tactique souple afin de
diviser au maximum les forces de leurs adversaires et d’utiliser
toutes les tendances de l’opposition contre la clique d’Adenauer.
C’est pourquoi, comme le SPD ouest-allemand qui représente encore
de larges masses de travailleurs s’est prononcé contre les traités de
Bonn, malgré quelques hésitations, il faut s’abstenir de lui manifester
une hostilité incessante et essayer d’organiser avec lui des
manifestations communes contre la politique d’Adenauer de division
de l’Allemagne{3449}.

Du 2 au 4 juin eut lieu une rencontre des dirigeants du Kremlin avec


Ulbricht, Grotewohl et Fred Oelsner. Les chefs communistes est-allemands
furent surpris du déluge de critiques qui s’abattit sur eux, même si Beria
leur dit : « Nous avons tous commis les erreurs. Pas de reproches{3450}. »
En apparence le consensus régnait à nouveau parmi les successeurs de
Staline qui semblèrent unanimes, même si Beria fut le plus virulent de
tous. « Il fut décidé de renoncer à construire le socialisme en RDA », nota
un communiste est-allemand. Malenkov insista que « si nous ne changions
pas de politique maintenant, une catastrophe allait se produire », tandis
que Molotov demanda que les changements « soient visibles dans toute
l’Allemagne{3451} ».
« Tous les membres du Politburo du PCUS furent d’accord. Voulaient-
ils inciter Beria à se démasquer davantage, ou étaient-ils encore désunis
concernant les plans d’avenir de Beria ? », se demande rétrospectivement
un témoin{3452}. Herrnstadt s’est rappelé que les Soviétiques insistaient
sur la situation interne de la RDA qui exigeait un changement de politique,
indépendamment même des considérations de réunification. Après la
séance du premier jour, les Allemands furent priés de rédiger des
propositions pendant la nuit. Le lendemain, leur projet fut rejeté par les
Soviétiques et c’est alors qu’eut lieu la fameuse prise de bec entre Beria et
Ulbricht{3453} évoquée par Khrouchtchev au Plénum de juillet :

Lorsque nous avons discuté ces problèmes, Beria s’est mis à


engueuler le camarade Ulbricht et les autres camarades allemands en
termes qui faisaient rougir. Et nous nous taisions, on pouvait croire
que nous étions d’accord avec lui{3454}.

En effet, loin de se soumettre, Ulbricht se mit à protester et fit part de


son désaccord aux Soviétiques{3455}.
Après leur retour de Moscou, les dirigeants du SED discutèrent à huis
clos. « L’atmosphère était oppressante dans le bâtiment du Comité central.
Dans aucun domaine les choses n’étaient claires », rapporte Schirdewan,
un responsable du SED{3456}. Oelsner déclara à ses collègues du Parti :
« Il s’agit d’un changement de politique concernant certaines questions
décisives, changement qui ne touche pas seulement la RDA{3457}. »
Ulbricht n’informa pas immédiatement le Secrétariat sur ce qui s’est
passé, mais devant les critiques grandissantes émises contre lui il finit
pourtant par réunir le Secrétariat et il annonça : « Il y aura un nouveau
cours, la construction du socialisme va prendre fin. »
L’arrivée à Berlin, le 5 juin, du nouveau haut-commissaire soviétique,
V. Semionov, fut certainement pour quelque chose dans la capitulation
d’Ulbricht à qui Semionov entreprit d’arracher une autocritique, n’hésitant
pas à mettre en cause sa « dictature ». Il menaça de faire appel aux partis
bourgeois si le SED n’était pas capable « de comprendre la mentalité du
peuple travailleur{3458} ». Ulbricht s’inclina et présenta le « document
Beria » au Politburo du SED les 5 et 6 juin. Le 6 juin, il fut attaqué par les
membres du Politburo, exaspérés depuis longtemps par l’arrogance des
membres du Secrétariat{3459}. D’accord avec leurs interlocuteurs
soviétiques{3460}, Zaisser et Herrnstadt menèrent l’offensive et
Grotewohl ne fut pas en reste. Même le docile Oelsner releva la tête :
« Deux ans durant j’ai été lâche, désormais je vais parler{3461}. »
Semionov était présent pour voir comment le Politburo réagirait au
document Beria : « Il fallut combattre pied à pied{3462}. » Il martelait :
« La RDA doit devenir un champ magnétique pour la RFA, la France et
l’Italie{3463}. » Sans oublier de conseiller en souriant à Ulbricht de fêter
son anniversaire à la manière de Lénine pour ses cinquante ans, en invitant
quelques amis le soir – à partir du 6 juin, l’anniversaire d’Ulbricht ne fut
plus évoqué dans la presse officielle.
Le programme de Beria suscitait toutefois force réserves, même chez
les plus perestroïkistes. Ainsi Herrnstadt voyait d’un mauvais œil
l’abandon des LPG – les kolkhozes – constitués, selon lui, sur la base du
volontariat et Grotewohl fut contraint de rappeler que c’était « une
décision du Comité central du PCUS{3464} ». Mais c’est surtout le
transfert de 1,3 milliard de marks de l’industrie lourde à l’industrie légère,
proposé à l’instigation de Moscou par H. Rau, le ministre de la
Construction mécanique, qui provoqua la résistance des dirigeants du
SED{3465}. En définitive, il fut décidé de créer une commission chargée
de mettre en œuvre les réformes, composée d’Ulbricht, Zaisser,
Herrnstadt, Hans Jendretzky – le responsable de l’organisation du Parti de
Berlin – et Oelsner.
Les dirigeants du SED freinèrent des quatre fers, suppliant Semionov de
leur accorder deux semaines de répit pour préparer la formulation
idéologique du nouveau cours : « Semionov leur répondit que deux
semaines plus tard leur État risquait d’être réduit au statut de région
autonome dans une Allemagne réunifiée{3466}. » Lorsque Herrnstadt
rapporta ce mot à Ulbricht, celui-ci répondit : « Il [Semionov] ne doit pas
semer la panique !... Avec Semionov je ne sais jamais où j’en
suis{3467}. »
Les archives est-allemandes ont conservé une note de Herrnstadt sur le
document du Comité central du PCUS définissant le « nouveau cours ».
Citons quelques-unes de ses réflexions :

Sur quoi fonctionnions-nous jusqu’ici ? Sur une base irréelle,


métaphysique, selon laquelle nous construisions le socialisme, selon
laquelle la question allemande se résoudrait toute seule, ou si ce
n’était pas le cas, elle serait résolue par les baïonnettes de l’Armée
soviétique. C’était la base de notre action. Cette base était fausse […]
nous avons perdu la confiance des masses.

Il fallait par conséquent fournir au pays « une explication politique


impitoyable, totalement ouverte et claire », reconnaître que la construction
accélérée du socialisme avait été une erreur. Et pourtant,

lorsque à l’été dernier le slogan « construction accélérée du


socialisme » a été adopté, je fus aussi enthousiasmé, mais je me
souviens qu’une considération m’a beaucoup donné à réfléchir. Si les
camarades de Moscou, me disais-je, ont décidé d’approuver cette
mesure, cela veut dire que la perspective de la réunification pacifique
passe au second plan et celle d’un affrontement armé vient au
premier plan. […] Aujourd’hui les contradictions entre les États
impérialistes nous permettent de souffler… Nous devons savoir
utiliser cette chance{3468}.
La rumeur du « nouveau cours » se répandit comme une traînée de
poudre, d’autant que les premiers secrétaires régionaux furent convoqués à
Berlin le 8 juin. Heinz Brandt, fonctionnaire de l’appareil du SED, a
témoigné qu’à la fin de la première semaine de juin Hans Jendretzky
l’appela :

Heinz, j’ai une bonne nouvelle, la meilleure du monde. Ça y est. Nous


recommençons tout et cette fois avec pour objectif toute l’Allemagne.
C’est le plus grand tournant dans l’histoire du Parti. C’est Semionov
qui l’a rapporté de là-bas.

Les Alliés sont en train de se mettre d’accord, poursuivait Jendretzky, et


Malenkov et Churchill avaient déjà bien progressé dans cette direction. Il
fallait agir vite sur l’insistance de Moscou, y compris au niveau
interallemand. Ulbricht avait été très critiqué, il n’était plus le chef du
Parti que de manière formelle et la fin du régime SED était proche. Un
Plénum du Comité central était annoncé – qui d’ailleurs ne se tiendra
pas{3469}. Selon le témoignage d’Heinz Brandt, Semionov avait annoncé
aux responsables communistes de Berlin qu’il fallait se préparer à perdre
le pouvoir à cause de la réunification imminente.

Après une séance au Politburo avec lui, on murmura


confidentiellement dans les milieux communistes est-allemands que
l’on devait se préparer à jouer le rôle d’un parti d’opposition, peut-
être à passer dans la clandestinité{3470}.

Le 9 juin, se déroula une grande séance d’autocritique au SED, où


Ulbricht reconnut ses torts, et ses adversaires critiquèrent le Secrétariat du
Parti, bastion du pouvoir dictatorial d’Ulbricht. Semionov déclara à un
Ulbricht stupéfait que les critiques étaient justifiées. Dès lors, le Politburo
siégea de manière presque continue et une commission fut chargée de
définir le contenu du « nouveau cours ». Herrnstadt et Zaisser étaient
persuadés que tout irait maintenant très vite{3471}. Ce même 9 juin, le
groupe SPD du Bundestag exigea que le gouvernement allemand favorise
de toutes les manières des négociations à quatre sur l’Allemagne, tandis
que Neues Deutschland publiait un article portant sur la critique de
l’intégration ouest-européenne de la RFA par Erich Ollenhauer, le chef du
SPD.
Le 10 juin, la mort dans l’âme, le Politburo est-allemand annonça la
nouvelle politique inspirée par le « document Beria ». Il promit le
« renforcement du respect du droit, le rétablissement de la petite et
moyenne industrie et du petit et moyen commerce, l’annulation de
l’expropriation d’entreprises agricoles, la restitution de leurs biens
confisqués à ceux qui avaient fui le pays et qui y rentreraient, la révision
des verdicts de ceux qui avaient attenté à la « propriété socialiste », la
réintégration des jeunes croyants dans les universités, des facilités pour la
circulation des personnes – en particulier les savants et les artistes – entre
l’Est et l’Ouest, la fin de la lutte contre l’Église évangélique », un
allégement fiscal pour paysans privés, artisans, commerçants et
entrepreneurs, la fin de la collectivisation et la suppression des LPG. Les
ordonnances sur la confiscation des terres abandonnées par leurs
propriétaires furent annulées. Les paysans qui avaient fui en RFA
pourraient retourner à leurs fermes ou seraient indemnisés. Les chambres
de commerce et d’industrie, interdites en mars 1953, seraient rouvertes.
Les mesures de militarisation de la RDA étaient abandonnées : fin du
recrutement accéléré dans la police encasernée et de l’entraînement
paramilitaire de la jeunesse. Les forces de police seraient réduites au
niveau des effectifs des secteurs occidentaux{3472}. Enfin, il était prévu
de faciliter la circulation entre l’Allemagne de l’Est et l’Allemagne de
l’Ouest, tout comme les échanges entre les intellectuels des deux
Allemagnes.
Le 11 juin, Neues Deutschland annonça officiellement le « nouveau
cours ». Un éditorial reconnut que des erreurs avaient été commises « dans
les domaines les plus divers par le gouvernement et les organes
administratifs d’État » et promit de rendre leurs terres aux paysans.
Semionov avait fourni à Herrnstadt des documents d’une enquête de la
SMAD afin d’illustrer les erreurs des dirigeants de la RDA. Le 13 juin,
une amnistie permit la libération de centaines de prisonniers. Plus tard,
lors du XVe Plénum du Comité central, Grotewohl déclarera qu’à partir du
11 juin 18 000 affaires de condamnation pour atteinte à la « propriété
socialiste » avaient été révisées et que 8 871 détenus avaient été relâchés
après révision de leur dossier{3473}. Mais l’augmentation des normes de
travail fut maintenue.
Le « nouveau cours » fut donc introduit à la sauvette, sans plénum ni
conférence du Parti. Les responsables de la propagande furent juste
chargés de faire disparaître l’expression « construction du socialisme » et
même « socialisme » tout court. Malgré ces précautions, le SED fut
surpris par l’ampleur de la réaction au communiqué du 9 juin.

Les principales réformes.


La première réforme concernait les Églises. En effet, à partir de juillet
1952, les persécutions contre les croyants s’étaient multipliées, au point
que l’évêque Dibelius avait parlé d’un « combat d’anéantissement contre
l’Église{3474} ». Le 23 janvier 1953, le SED avait lancé une campagne
contre les Junge Gemeinde, qui visait à leur liquidation. Les pressions
contre la paysannerie avaient provoqué un raidissement de l’Église
évangélique et, le 23 février, les évêques s’étaient adressés à Grotewohl
pour demander que soit mis fin à la collectivisation forcée. En revanche
les dirigeants de la CDU est-allemande comme Gerald Götting avaient
approuvé la campagne antireligieuse, ce qui les avait coupés de leur base.
En avril, les évêques de l’Église évangélique envoyèrent une adresse au
général Tchouïkov pour signaler des menaces pesant sur les croyants et
demander une amnistie comparable à celle du 27 mars en URSS{3475}.
Car Ulbricht ne relâchait pas la pression : depuis mars 1953, 782 étudiants
étaient exclus de l’enseignement supérieur pour appartenance aux Junge
Gemeinde{3476}. Le 27 mai, Grotewohl réunit quinze ecclésiastiques
progressistes de Berlin et se livra à de vives attaques contre l’évêque
Dibelius et les Junge Gemeinde, dont les dirigeants étaient selon lui des
agents de l’Ouest. Le SED voulait se débarrasser de Dibelius et du clergé
hostile pour les remplacer par les progressistes, au risque de provoquer
une scission de l’Église évangélique entre l’Est et l’Ouest{3477}.
Le premier indice d’un changement de cap fut une rencontre entre le
pasteur Niemöller et Youdine, juste avant le retour de Semionov à
Berlin{3478}. Le 5 juin, Dibelius rencontra Semionov et, dès le 8 juin,
Grotewohl ordonna à Zaisser de mettre immédiatement fin aux
persécutions des Junge Gemeinde et des prêtres{3479}. Il se montra très
conciliant, annonça une détente dans les relations entre l’Église et l’État,
et promit que les verdicts condamnant les prêtres incarcérés seraient
révisés et que les obstacles aux activités caritatives seraient levés. Le SED
tenait beaucoup à la signature d’un communiqué commun, dans lequel
l’Église évangélique s’engagerait « à renoncer à des actions contraires à la
constitution dans la vie politique et économique ». Et un entretien entre
Grotewohl et les évêques, dont Dibelius, eut lieu le 10 juin, en présence
d’Otto Nuschke et de Zaisser. C’était un renversement complet de la ligne,
dû à l’intervention de Moscou. Les dirigeants soviétiques avaient en effet
expliqué au SED que les « répressions contre l’Église et les prêtres ne
faisaient qu’augmenter le fanatisme dans les couches arriérées de la
population. […] C’est essentiellement par une action culturelle bien
conçue que l’on devait lutter contre l’influence réactionnaire de
l’Église{3480}. »
Le Conseil de l’Église évangélique envoya une lettre ouverte à toutes
les communautés évangéliques d’Allemagne, dans laquelle il saluait ce
« tournant inattendu » et ces « résultats importants ». De son côté l’évêque
Dibelius publia une adresse aux croyants, dans laquelle il expliquait que ce
revirement n’était pas le résultat d’une compromission de l’Église, mais
que le gouvernement avait fait machine arrière{3481}. Le Monde
commenta dans un éditorial : « M. Grotewohl capitule devant l’évêque
Dibelius{3482}. »
Après le 12 juin, Neues Deutschland changea de manière si
spectaculaire que nombre de communistes pensèrent qu’il s’agissait d’un
faux diffusé par l’Occident. La consigne d’Herrnstadt fut : « Fini
l’enjolivement de la réalité – place à la critique d’en bas. » Et d’expliquer
à l’un de ses collaborateurs :
Le Parti a oublié que nous devons encore mener la lutte nationale
pour l’unité allemande et que dans le camp ennemi nous avons des
amis véritables qui peuvent nous apporter une aide
considérable{3483}.

La Tägliche Rundschau reconnut que la Commission de contrôle


soviétique avait une part de responsabilité dans les erreurs commises en
RDA.
Pour faciliter le « rapprochement des deux parties de l’Allemagne » – et
non plus de deux États allemands –, Semionov donna l’ordre de
« supprimer provisoirement la prépondérance du SED et de constituer un
nouveau gouvernement d’orientation bourgeoise{3484} ». Car le « cours
nouveau » eut aussi un volet politique consistant à réactiver des partis
croupions : Semionov précisa que le « bloc doit fonctionner
sérieusement » et exigea que les partis bourgeois participent au
gouvernement{3485}. Les anciens du SPD espérèrent pouvoir recréer leur
parti et des unions provisoires locales du SPD se reconstituèrent. Mais la
plupart des adhérents se montraient passifs et attentistes, désorientés par
l’absence de directives.
La direction du SED était paralysée par la lutte de pouvoir interne.
Semionov eut des entretiens avec H. Kastner (LDPD) et O. Nuschke
(CDU) qu’il encouragea à formuler des exigences face au SED. Après une
rencontre avec le diplomate soviétique qui lui reprochait de ne pas avoir
pris la défense des artisans, le chef du NDP, Lothar Bolz, se mit à critiquer
le rôle dirigeant du Parti{3486}. Semionov pensait à Hermann Kastner,
ancien chef du LPDP jusqu’en 1950, ou à Joseph Wirth pour prendre la
tête du nouveau gouvernement. Il appréciait beaucoup Kastner, les deux
hommes se gaussant ensemble d’Ulbricht et de Pieck, et le 13 juin il
demanda à un Kastner réticent de présider le nouveau gouvernement. Le
choix ne manquait pas de piquant puisque Kastner informait les
Américains depuis 1948 et qu’en 1950 il avait adhéré à l’organisation
Gehlen ; en un mot, depuis des années et alors qu’il avait été nommé vice-
ministre, il renseignait les Occidentaux sur les dirigeants du SED et sur les
intrigues ourdies au sein du gouvernement est-allemand{3487}.
Malgré les efforts de Semionov, le « cours nouveau » et en particulier le
revirement de la politique religieuse furent sabotés par une partie du SED,
ce qui accrut la tension et sapa la crédibilité de la nouvelle politique. Le
désarroi et l’incertitude régnaient. Le désaccord au sein de la direction du
SED devint quasi public : ainsi, le 12 juin, Neues Deutschland évoqua à
nouveau une hausse « volontaire » des normes, allant même jusqu’à 20 ou
40 %. Deux jours plus tard, Herrnstadt y publia un article critiquant la
manière « administrative » dont était introduite l’augmentation des
normes. L’épreuve de force devint inévitable.

Beria lâche les rênes.


C’est dans ce contexte que Beria prit une initiative singulière. Au début
de juin, il démantela le service de renseignements soviétique en RDA dont
les effectifs chutèrent de 2 000 à 320. Pour justifier sa décision, il déclara
à un groupe d’officiers de Karlshorst :

Nous avons une situation nouvelle en Allemagne, une situation qui


demande une approche nouvelle. Nous devons envoyer en Allemagne
des gens ayant un niveau intellectuel plus élevé ; c’est pourquoi nous
réduisons nos effectifs en Allemagne, surtout dans les
provinces{3488}.

Lors du Plénum du 2 au 7 juillet 1953, Krouglov évoquera cette


décision :

Pendant trois mois, le plénipotentiaire du MVD en Allemagne et ses


adjoints furent immobilisés à Moscou, et, au moment où se préparait
la rébellion en Allemagne, Beria prit la décision de réduire sept fois
les effectifs du plénipotentiaire du MVD en RDA. On décida de
liquider l’appareil des instructeurs en Allemagne, on ne conserva que
les fonctions de conseiller. Ainsi l’appareil tchékiste en Allemagne
fut considérablement affaibli{3489}.

Si bien qu’« au moment des attaques hostiles des réseaux américains,


les services de renseignements soviétiques étaient privés d’information
concernant les actions ennemies et étaient incapables de lutter
efficacement contre leurs activités subversives ». Et selon une déposition
de Korotkov : « Les directives de Beria sur la réduction du personnel de
l’appareil en RDA à une si grande échelle ont entraîné un effondrement du
travail tchékiste en Allemagne{3490}. » Les enquêteurs feront le parallèle
avec le printemps 1941 :

À la veille de l’attaque allemande en 1941, Beria convoqua de


nombreux résidents des services de renseignements soviétiques pour
des consultations et des limogeages. Le contre-espionnage d’aucun
pays n’a pu causer autant de dégâts à nos réseaux que ces rappels de
Beria. En réalité Beria livra tous nos agents{3491}.

Les mesures du « cours nouveau » pouvaient-elles remettre en cause le


pouvoir du SED ? Pour certains historiens comme G. Wettig, il ne
s’agissait que de désamorcer le mécontentement de la population{3492}.
Du côté occidental, on était persuadé que cet alignement du système
politique et économique des deux Allemagnes était effectué en prévision
des élections d’octobre 1953, en vue de faire tomber Adenauer et
« d’assurer la prépondérance de l’esprit luthérien sur l’esprit
romain{3493} ». Le Spiegel reçut un rapport interne d’un collaborateur de
Grotewohl daté de la mi-juin selon lequel le haut-commissaire soviétique
souhaitait une Allemagne unifiée à moitié neutralisée, peut-être une
Pologne neutralisée, « condition préalable à une liquidation de l’influence
américaine en Europe{3494} ».
En réalité, l’ampleur de la révolte du 17 juin – et aussi,
rétrospectivement, la fin des régimes communistes est-européens en 1989
après des réformes très similaires au « cours nouveau » – montre que la
politique imposée par Beria était profondément déstabilisante pour le
SED. Il est difficile en revanche de se faire une idée de ce
qu’envisageaient vraiment les partisans du « nouveau cours » au sein du
SED. Pour Herrnstadt, semble-t-il, cette politique n’était qu’un retour à la
politique de réunification pacifique de l’Allemagne. Quant à Zaisser, après
une réunion le 14 juin chez Semionov qui insistait sur la nécessité de
restaurer la légalité en RDA, il confia à l’un de ses subordonnés : « Tu n’as
pas la moindre idée où mène le voyage{3495}. »
Les archives de la RDA révèlent qu’à partir de début juin une véritable
effervescence s’empara du pays, tandis que les fonctionnaires du SED
étaient paralysés, en proie au désarroi, et se demandaient, tout comme les
Occidentaux, si le « cours nouveau » était une manœuvre tactique ou un
véritable tournant. Pour la population est-allemande, la proclamation du
« cours nouveau » fut le signe de la faillite du SED et dans les villages on
buvait à la santé d’Adenauer{3496}.
Durant cette première phase de la révolution, les paysans s’enhardirent :
ceux qui venaient d’être expropriés commencèrent à revendiquer la
restitution de leurs terres et furent accueillis avec des fleurs par les autres
villageois. Les anciens adhérents du SPD espérèrent la reconstitution de
leur parti et la population commença à exiger des élections libres. Les
rumeurs les plus folles circulaient : Grotewohl se serait empoisonné – ou
tiré une balle dans la tête –, Ulbricht aurait disparu, Pieck serait blessé par
balles aux jambes{3497}, des insurrections auraient lieu en Union
soviétique et dans les démocraties populaires, la police populaire serait
dissoute, les 1 200 000 hommes livrés par Ulbricht à l’URSS comme force
de travail seraient bientôt de retour. L’armée soviétique allait se retirer
sous la pression des puissances occidentales, les dirigeants du Parti étaient
en train de faire leurs valises, les troupes occidentales occuperaient bientôt
la RDA. « Les potences auxquelles seront pendus les responsables du SED
sont déjà prêtes », tels furent les propos rapportés aux autorités{3498}.
Le rapprochement et la comparaison entre la politique de Beria dans la
périphérie soviétique et en RDA permettent d’en voir émerger les grandes
lignes. Dans un premier temps, Beria a cherché à déstabiliser les
communistes en place, en encourageant des dissidences et des scissions au
sein du Parti et en promouvant des communistes « réformateurs ». Il a
attisé de manière systématique l’antagonisme entre le MVD et le Parti. Il a
démantelé les instruments de contrôle de Moscou et noué des négociations
secrètes avec les anticommunistes. À partir de mai, Beria a cherché à
établir des contacts directs avec Adenauer par ses réseaux personnels.
Depuis un an, l’organisation Gehlen avait recruté un transfuge du MGB
que Gehlen et Adenauer se proposaient d’utiliser comme canal direct avec
Moscou, dans un secret absolu. C’était sans doute un envoyé de Beria car
il disparut après la chute de celui-ci qu’il eut cependant le temps
d’annoncer à ses interlocuteurs allemands : « Cette affaire était si
confidentielle que j’ai moi-même détruit tous les papiers la concernant »,
a noté Gehlen{3499}.

Le 17 juin et ses retombées politiques.


À la veille du 17 juin 1953, les chancelleries occidentales s’attendaient
à ce que, d’un jour à l’autre, l’URSS propose la réunification de
l’Allemagne en échange de sa neutralisation, les Allemands ayant le droit
de choisir leur gouvernement – et avec des propositions similaires pour le
Japon{3500}. La perspective d’une conférence à quatre sur l’Allemagne
rendait Adenauer fort nerveux, surtout à partir de l’annonce du « nouveau
cours » en RDA et l’échec de De Gasperi aux élections italiennes. Le
11 juin, le Bundestag avait approuvé une résolution précisant la position
de la RFA face à la conférence à quatre. Le but de cette conférence devait
être : 1. des élections libres dans toute l’Allemagne ; 2. l’établissement
d’un gouvernement central allemand libre ; 3. la conclusion d’un traité de
paix librement négocié avec ce gouvernement ; 4. le règlement de toutes
les questions territoriales en suspens dans le cadre de ce traité de paix ;
5. des garanties touchant la liberté d’action du parlement central allemand
et du gouvernement central allemand dans le cadre des principes des
Nations unies.
C’est dans ce contexte qu’éclata l’insurrection de Berlin. Le 13 juin, la
Tägliche Rundschau annonça que l’augmentation des normes était
pleinement justifiée et serait maintenue. Le 16 juin, Neues Deutschland
publia un article intitulé : « Der Sturm bricht los », consacré à la prise par
les ouvriers de l’arsenal de Berlin en 1848. Allusion qui ne fut pas perdue :
la révolte éclata à Berlin-Est. Les ouvriers du bâtiment manifestèrent,
soutenus par une partie des dirigeants syndicaux, et lancèrent un appel à la
grève générale diffusé par RIAS, la radio américaine de Berlin-
Ouest{3501}. Les manifestants réclamaient des élections libres et la
démission du gouvernement, surtout à partir du 17. Dans la matinée du 16,
le chef de la police de Berlin-Est, Waldemar Schmidt, demanda aux
Soviétiques d’intervenir. Estimant que c’étaient des « propositions
provocatrices », ceux-ci refusèrent et lui interdirent d’incarcérer les
meneurs et de disperser les manifestants. « Si nous avions pris des
mesures énergiques immédiatement toute la chose aurait été oubliée », se
plaindra plus tard W. Schmidt{3502}. Franz Borkenau, le vétéran repenti
du Komintern et le pionnier de la kremlinologie, fera le rapprochement
entre ce manque de réaction de la police en RDA et en Tchécoslovaquie,
deux cas où les manifestations furent rendues possibles par cette attitude
tolérante{3503}.
Pris de court, le Politburo du SED siégea en catastrophe : « ça va mal
pour Walter », aurait dit Erich Honecker en sortant{3504}. La hausse des
normes qui avait déclenché la crise fut abandonnée dans la précipitation
et, vers 10 h 30, les dirigeants est-allemands se réfugièrent à Karlshorst. À
11 h 45, V. V. Koutchine, l’expert du MVD à Karlshorst en affaires
allemandes, adressa à B. Koboulov un rapport qui ne mentionnait pas les
provocateurs occidentaux, mais concentrait sa critique sur la maladresse et
la passivité de la direction du SED{3505}. À la fin de la journée, Zaisser
convoqua les responsables régionaux et sectoriels de la Sécurité pour le
lendemain à Berlin où 700 d’entre eux se rendirent pendant la nuit. Selon
Baring, Zaisser ne s’attendait pas aux événements du 17 et les sections
locales du MfS n’avaient aucune directive. Et pour cause puisque Zaisser
déclara aux responsables du ministère de l’Intérieur : « Les ouvriers ont
fait grève pour des revendications parfaitement légitimes et ils ont
employé les moyens pour lesquels la classe ouvrière avait combattu durant
des dizaines d’années{3506}. »
Le pouvoir était paralysé. Dans les villages, on eut l’impression que le
« SED est fini » et que la « fin des chiens rouges est proche{3507} ». La
« chienlit », comme dit Semionov, gagna toute la RDA et, le matin du 17,
Beria ordonna aux troupes soviétiques d’occuper la radio, la poste, la gare
et les ponts. Fadeïkine envoya à Savtchenko et à Korotkov – l’adjoint du
responsable du renseignement pour l’Europe – un rapport soulignant que
Zaisser avait passé toute la journée du 16 à siéger avec les membres du
Politburo, « chargeant son adjoint Mielke d’assurer la sécurité » ; or
Mielke « avait sous-estimé le sérieux de la situation et n’avait pas pris de
mesures résolues pour identifier et arrêter les instigateurs des
manifestations ». Tout en protégeant Zaisser, Fadeïkine se plaignait que la
police est-allemande et le MGB n’aient arrêté que vingt-cinq
personnes{3508}.
Selon Semionov, on proposa à Beria de venir à Berlin : « Dieu merci il
refusa catégoriquement » et envoya à sa place le maréchal Sokolovski
avec pour mission de surveiller la frontière occidentale et de chercher à
isoler le secteur soviétique{3509}. Pour Sokolovski, la responsabilité de
Zaisser était évidente : « Cam. Zaisser, comment se fait-il que votre
appareil n’était pas informé ? Nous voyons aujourd’hui qu’il y a tout un
réseau ennemi sur le territoire de la RDA{3510} », lui dit-il sur un ton de
reproche.
Le 17 juin, le mouvement se répandit dans toute la RDA. « La situation
est extraordinairement sérieuse : c’est eux ou nous », dit Zaisser à ses
subordonnés{3511}. Déjà il pensait aux purges qui suivraient ces
événements : « Neuer Kurs, neue Leute{3512} » – « nouveau cours, têtes
nouvelles » –, déclara-t-il à la Normannenstrasse. À Görlitz, la foule prit
d’assaut les sièges du pouvoir : SED, syndicats, mairie, jeunesses
communistes, MfS. Le secrétariat du SED entra en clandestinité. Les
grévistes réclamaient des élections libres, tandis que les mots d’ordre se
radicalisaient très vite. Dans les campagnes, les MTS furent saccagés et
les fonctionnaires du Parti quelquefois molestés. L’après-midi du 17, les
prisons furent prises d’assaut et les détenus libérés.
Dès le matin, Ulbricht et Grotewohl, pris de panique, s’étaient réfugiés
à Karlshorst et, des mois plus tard, Herrnstadt racontera : « Je n’oublierai
pas la manière dont les camarades soviétiques ont maîtrisé la situation
sous les yeux du camarade Ulbricht et les miens… J’avais honte{3513}. »
Sarcastique, Semionov fit observer que la RIAS avait presque raison
d’affirmer que le SED s’était décomposé{3514}. Les troupes soviétiques
restèrent dans l’expectative jusqu’au soir. À 11 heures, Sokolovski et
Semionov avaient reçu de Moscou l’ordre d’ouvrir le feu sur la foule.
Selon Semionov, ils décidèrent d’éviter les effusions de sang en ordonnant
à la troupe de tirer en l’air{3515}. À 13 heures, le commandant soviétique
instaura l’état d’urgence et dix-neuf condamnations à mort furent
prononcées par les tribunaux militaires soviétiques. Et il y eut entre vingt
et quarante morts le 17 juin, suivis de treize mille arrestations en RDA
entre le 17 juin et le 1er août. Mais la vague révolutionnaire était déjà
cassée quand les Russes se décidèrent à intervenir, car elle n’avait pas de
direction.
Le 19, Friedrich Ebert, le bourgmestre de Berlin-Est, put exprimer sa
gratitude aux troupes soviétiques qui « par leurs mesures énergiques et
extrêmement prudentes nous ont rendu un grand service, à nous et à la
cause de la paix{3516} ». Les Occidentaux notèrent la retenue dont firent
preuve les troupes soviétiques et, selon un officier britannique, il était
clair que l’Armée rouge « avait reçu l’instruction d’utiliser la force au
minimum{3517} » et que son comportement se distinguait
avantageusement de celui de la police est-allemande. « Dans l’ensemble
les Russes ont montré une singulière modération ; Staline eût réglé les
choses avec plus de rudesse{3518}. »
Le soir du 17 juin se tint une réunion entre Semionov, Ulbricht,
Grotewohl, Zaisser et Herrnstadt. On discuta comment justifier la
répression à l’aide de la légende du putsch contre-révolutionnaire. En
effet, surpris par l’ampleur du mouvement populaire, Soviétiques et
dirigeants est-allemands avaient, dès le 17 juin, désigné derrière cette
insurrection du pays la main des Occidentaux. Gretchko câbla à
Boulganine :

Je suis arrivé à la conclusion que cette provocation était préparée à


l’avance, organisée et dirigée des secteurs occidentaux de Berlin. Les
actions simultanées dans la plupart des grandes villes de RDA, les
demandes identiques des insurgés, le fait que les slogans anti-État et
antisoviétiques fussent les mêmes partout, tout cela plaide en faveur
de cette conclusion{3519}.
Le 19 juin, Semionov et Sokolovski envoyèrent un télégramme à
Molotov et à Boulganine où ils soulignaient « le rôle organisateur très
actif des Américains dans les troubles de Berlin ». Sokolovski était
persuadé dès le début que la crise avait été organisée par des forces
ennemies{3520}. Et Khrouchtchev était convaincu que les Occidentaux
avaient lancé une épreuve de force pour voir jusqu’où ils pouvaient aller
après la mort de Staline{3521}.
Or, à l’Ouest, on ne s’attendait pas à cette explosion. Comme le dira un
agent de la CIA à Berlin : « We were caught flatfooted{3522}» (« Nous
avons été pris au dépourvu »). Certes les radios occidentales, surtout la
RIAS, jouèrent un rôle important, mais elles furent très prudentes et la
RIAS hésita longtemps, le 16 juin, à parler de « grève générale ». Les
Occidentaux craignaient que les troubles ne s’étendent à Berlin-Ouest et
ne fournissent aux Russes un prétexte pour occuper toute la ville. Ils
s’efforcèrent donc d’éviter tout ce qui pourrait passer pour une ingérence
dans les événements de la zone d’occupation soviétique. Lorsque Ernst
Reuter, le maire de Berlin, qui se trouvait alors à Vienne, sollicita des
Américains un avion militaire pour regagner Berlin, ceux-ci refusèrent,
redoutant que sa présence à Berlin n’enflamme encore davantage les
esprits{3523}. À la radio occidentale, Jakob Kaiser appela les
manifestants au calme et Egon Bahr en fit autant le 18 juin. L’Église
évangélique se montra encore plus prudente et évita de prendre parti.
Certains observateurs occidentaux eurent même l’impression que les
manifestations avaient été mises en scène par le SED dans le cadre du
« cours nouveau » – pour Adenauer par exemple, c’était « une provocation
des Russes ».

Les retombées de la crise.


La crise du 17 juin une fois passée, les Occidentaux furent plutôt
satisfaits : la réaction soviétique permettait d’enterrer les plans de
Churchill. Celui-ci en était conscient, et trouvait des excuses aux
Soviétiques :
Veut-on suggérer que les Soviétiques auraient dû laisser la zone
orientale sombrer dans les émeutes et le chaos ? J’avais l’impression
qu’ils [les Soviétiques] ont agi avec beaucoup de modération devant
le désordre montant{3524}.

Cette chaude alerte creusa encore le fossé qui divisait la direction du


SED, et l’affrontement se cristallisa autour de la manière dont les troubles
seraient expliqués à la population. Ulbricht et ses partisans soutenaient la
thèse d’un complot ourdi de l’étranger, par le ministère des Affaires
interallemandes, le Kaiser-Ministerium comme on l’appelait à Berlin-Est,
dont la cheville ouvrière était Franz Thedieck, secrétaire d’État dans ce
ministère, et un ami proche d’Adenauer {3525}. Herrnstadt et Zaisser
attribuaient le mécontentement des masses à la politique menée jusqu’ici
par le SED. Les hommes de Beria exceptés, les dirigeants soviétiques
penchaient pour la première thèse{3526}. P. A. Naumov, le correspondant
de la Pravda à Berlin, souligna cependant que l’insurrection du 17 juin
avait été un mouvement de masse, que même des activistes du Parti y
avaient participé et que la direction du SED était totalement
discréditée{3527}.
L’Ouest ne joua aucun rôle dans les événements, à l’exception de la
RIAS qui se contenta de promouvoir l’idée d’« élections libres à bulletin
secret dans toute l’Allemagne ». Le 23 juin, Louis Joxe signala que la
presse soviétique prenait grand soin de faire ressortir que les
gouvernements occidentaux n’étaient pas responsables des troubles de
Berlin{3528}. Et Grotewohl interdit à la presse officielle d’assimiler les
manifestants à des provocateurs fascistes.
Le clan anti-Ulbricht vit dans le soulèvement des ouvriers de Berlin
l’occasion rêvée de se débarrasser d’Ulbricht, ou du moins de le ramener à
la direction collégiale. Zaisser semble avoir été plus résolu qu’Herrnstadt
à faire tomber Ulbricht. Lorsque I. I. Ilitchev, président de la mission
diplomatique soviétique auprès du gouvernement de la RDA, poussa
Herrnstadt à renverser Ulbricht, celui-ci prit peur et raconta tout à
Ulbricht{3529}. Cependant, les Soviétiques aussi hésitaient, craignant
d’aggraver la déstabilisation de la RDA s’ils déclenchaient une crise à la
direction du SED. Le 19 juin, Semionov reçut Schirdewan, un communiste
opposé à Ulbricht, qui déplora que la direction du SED se soit réfugiée
derrière la loi martiale instaurée par les Soviétiques. Quand Semionov lui
demanda ce qu’il pensait d’Ulbricht, Schirdewan répondit que Semionov
connaissait bien les défauts d’Ulbricht, mais que lui [Schirdewan] était
opposé au limogeage d’Ulbricht en pleine crise. « Semionov me semblait
être du même avis{3530} », notera Schirdewan.
Quelles furent les répercussions des troubles du 17 juin sur le conflit qui
opposait les successeurs de Staline ? La suite des événements montre que
la majorité du Présidium en conclut qu’il fallait conserver Ulbricht, tandis
que Beria, estimant que la démonstration de force soviétique favoriserait
un accord avec les puissances occidentales, voulait exploiter la situation
pour accélérer la réalisation de ses plans{3531}. Le 19 juin, il envoya en
RDA Goglidzé et Amaïak Koboulov, ses hommes de confiance{3532},
ainsi que P. V. Fedotov, le chef du 1er Directorat principal du MVD.
Trente-huit groupes d’enquête constitués d’officiers du contre-espionnage
furent dépêchés sur les lieux et d’autres groupes créés au sein de
l’appareil. Leur tâche était de « découvrir les organisateurs et les
instigateurs de la révolte », en menant une enquête sur les « Berlinois de
l’Ouest envoyés par les services étrangers et les organisations subversives
ouest-allemandes ». Mais ces groupes d’enquête « devaient aussi analyser
les circonstances de la révolte et montrer quels éléments pouvaient être
exploités par les forces réactionnaires pour inciter les larges masses à se
lancer dans des diatribes antigouvernementales{3533} ». En outre Beria
créa un groupe opérationnel confié à A. Koboulov, afin d’établir des
contacts « avec nos réseaux à Berlin-Ouest et en RFA en vue de découvrir
les plans de Berlin-Ouest, des cercles réactionnaires ouest-allemands et
des services étrangers{3534} ».
Le 20 juin, la direction du SED considéra que le gros de l’alerte était
passé et se reprit quelque peu{3535}. Elle envoya dans les directions
régionales un catalogue de questions pour évaluer l’ampleur du
mouvement et l’état du pays. Le 21 juin eut lieu le XIVe Plénum du SED,
présidé par Grotewohl. L’ambiance était morose, comme le nota l’un des
participants : « Nous sommes là comme si nous avions fait dans la
culotte{3536}. » Mielke constata que la situation n’était pas encore claire
et qu’il y avait partout encore des grèves. La confrontation était feutrée et
son issue indécise. Ulbricht prétendit être capable de « faire sortir le SED
à tout prix de la défensive{3537} » et attribua la faute des événements à
des « provocateurs fascistes ». Anton Ackermann et d’autres critiquèrent
la passivité du Politburo : « Quand les masses ne comprennent pas le Parti,
la faute en est au Parti, non aux masses. » Et il ne fallait pas copier avec
précipitation le système soviétique. La résolution finale condamna la
« provocation fasciste » des « fauteurs de guerre » occidentaux, mais elle
reconnut aussi les torts du Parti et le « cours nouveau » fut réaffirmé du
bout des lèvres{3538}. Le Politburo décida d’allouer des crédits à long
terme aux paysans aisés et d’autoriser ceux qui reviendraient de RFA à
récupérer leurs biens, y compris leurs avoirs bloqués à partir du 17 juillet
1952{3539}. Le Parti s’engagea à améliorer le niveau de vie de la
population en réduisant la part de l’industrie lourde dans l’économie du
pays, mais sans convaincre personne.
À partir de ce plénum, la lutte pour le pouvoir en RDA entra dans une
phase aiguë. En exigeant le « rapprochement du peuple et du Parti », il
aboutit à une remise en cause de la direction du SED par la base du
Parti{3540}. Les partis « bourgeois » retrouvèrent de la voix et craignirent
moins de s’affirmer face au SED, encouragés par Semionov qui conseilla
aux dirigeants de la CDU « de prendre parfois des initiatives qui n’ont pas
l’approbation du SED », par exemple dans la défense des classes
moyennes{3541}. Götting et Nuschke, les dirigeants de la CDU, étaient
fort contestés par la base à cause de leur soutien inconditionnel au SED et
la crise qui frappait la direction du SED se refléta dans celle de la CDU.
Certains membres de la CDU proposèrent la restauration des chambres de
commerce et d’industrie. Götting était persuadé que c’était la fin du
socialisme et même le très timoré Nuschke, le chef de la CDU est-
allemande, semblait avoir mangé du lion : « Le SED n’a rien appris des
événements du 17 juin. Il veut continuer à gouverner seul. Ulbricht veut se
venger{3542} », déclara-t-il le 23 juin. Des rumeurs circulaient sur une
grande action – une grève générale – le 22 juin et on s’attendait à ce que
les Américains forcent les Soviétiques à évacuer la RDA{3543}. La crise
s’aggrava au sein du SED et les tensions montèrent en prévision du XVe
Plénum du Comité central censé trancher. Heinrich Rau fut chargé de
rédiger la partie économique du programme et Herrnstadt la partie
politique. « L’appareil du KGB en RDA escomptait que Beria arriverait au
pouvoir{3544}. »
Le 23 juin, le Comité central du PCUS ordonna aux dirigeants du SED

de mettre fin à la confusion dans la direction et de prendre


résolument des mesures pour renforcer l’influence du Parti sur les
masses et pour gagner la confiance des masses à l’égard du pouvoir
de l’État{3545}.

Cette injonction fut comprise comme un ordre d’accélérer la mise en


œuvre du « nouveau cours » et, le même jour, le Politburo est-allemand
adopta une série de mesures favorisant l’artisanat, l’industrie privée et la
production des biens de consommation : réduction des quotas de
production de l’industrie lourde au bénéfice de l’industrie légère, liberté
de commerce des biens de consommation et augmentation des crédits à
l’industrie privée{3546}. Le MfS constata le retour au calme.
Cependant, à partir du 23 juin, les événements semblèrent se précipiter.
Le 24 juin, Beria envoya Z. Rybkina à Berlin pour nouer des contacts avec
l’entourage d’Adenauer à travers Olga Tchekhova{3547}. De même, il
s’apprêta à envoyer Janusz Radziwill comme son émissaire particulier aux
États-Unis pour convaincre les Américains d’accorder une assistance à la
reconstruction économique de l’URSS en échange de l’abandon de la
RDA{3548}. Grâce à l’aide de Wollweber qui avait été son agent à
Stockholm, Rybkina eut le temps de rencontrer Anna Seghers et
O. Tchekhova le 26 juin. Le même jour un rapport signé Semionov,
Sokolovski et Youdine recommanda la poursuite des réformes en RDA :
l’établissement d’une distinction stricte entre le Parti et le gouvernement –
le rôle du Parti devant se borner « à la propagande au sein des masses » –,
l’abandon par Ulbricht de son poste de vice-Premier ministre,
l’augmentation du rôle du parlement, la convocation d’une session
parlementaire extraordinaire afin que le SED y rende compte de sa
politique passée et de ses erreurs, la réduction des effectifs du Secrétariat
et la liquidation du poste de secrétaire général{3549}. Molotov approuva
ce texte, mais remarqua que « concernant Ulbricht, Semionov a dérivé à
droite{3550} ».
Le 25 juin, eut lieu à Berlin la première session de la commission du
Politburo du SED chargée d’élaborer des réformes. Herrnstadt y vit « un
levier qui permettra d’introduire tous les changements nécessaires »,
comme il le dira dans son autocritique d’août 1953{3551}. Le mot d’ordre
était de mettre fin au « nacktes Administrieren » – gouvernement par la
contrainte – pratiqué par Ulbricht. Formée de Grotewohl, Ulbricht, Zaisser
et Herrnstadt, cette commission décida de dissoudre le Secrétariat existant
et de supprimer la fonction de secrétaire général{3552}. À cette dernière
proposition, Ulbricht répondit : « Pas de problème », mais il objecta
qu’une instance était malgré tout nécessaire « pour contrôler l’exécution
des décisions{3553} ». Herrnstadt proposa à Ulbricht d’abandonner la
direction de l’appareil du Parti. À la stupéfaction générale, Ulbricht
répondit : « J’aurais moi-même fait cette proposition{3554}. » Zaisser,
qui dès mars 1953 appelait à faire du Secrétariat du Comité central un
« auxiliaire de la direction collective », proposa d’appeler « Commission
permanente » ce nouvel organisme constitué par les membres du
Politburo, et d’y adjoindre les chefs de département du Secrétariat. Cette
réforme visait à supprimer la base du pouvoir d’Ulbricht, le Secrétariat.
Grotewohl conclut la séance en annonçant qu’une deuxième réunion serait
nécessaire pour discuter les problèmes de cadres et Herrnstadt fut chargé
de rédiger des propositions.
Bien que surpris par la facilité de leur victoire, Herrnstadt et Zaisser
crurent la partie gagnée. Herrnstadt était persuadé qu’il allait être nommé
au Comité central et, dès le 9 juin, il avait laissé entendre qu’étant appelé
à de plus hautes fonctions il quitterait la rédaction de Neues Deutschland,
et il se cherchait déjà un successeur{3555}. Même des fidèles d’Ulbricht,
comme Hermann Matern, se retournèrent contre lui et vinrent se plaindre
de lui auprès de leurs interlocuteurs soviétiques{3556}.
Le gouvernement adopta un train de mesures sociales prévoyant en
particulier la construction de logements, l’amélioration des conditions
d’hygiène dans les entreprises et une amélioration de l’approvisionnement
en denrées et en biens de consommation. Un article de Neues Deutschland
promit le « strict respect des droits de propriété, l’élimination des
limitations qui font obstacle à une rapide réunification de notre patrie,
l’augmentation des biens de consommation grâce au libre déploiement de
l’initiative privée ». Le gouvernement s’engagea à abaisser les livraisons
obligatoires des paysans et Herrnstadt exigea le limogeage de la direction
du FDGB, le syndicat officiel.
Ainsi, les événements du 17 juin furent utilisés par Beria et les hommes
sur lesquels il s’appuyait pour accélérer la réforme et la mise à l’écart
d’Ulbricht. Mais Beria avait-il souhaité cette insurrection ? Ces troubles
tombaient fort mal pour lui, d’autant que les changements qu’il avait
engagés en URSS étaient dans leur phase la plus dangereuse, déjà assez
avancés pour être visibles, mais pas assez pour être irréversibles. Il est
plus vraisemblable qu’il ait, avec Zaisser, favorisé la manifestation du 16,
dans le but de précipiter le remaniement du gouvernement est-allemand et
d’asseoir la nouvelle équipe qui aurait fait les concessions nécessaires
pour désamorcer la crise et acquérir une légitimité démocratique. De son
côté, Ulbricht avait intérêt à exacerber les troubles pour discréditer
définitivement le « nouveau cours ».
Mais l’explosion inattendue du 17 fit dérailler les plans des uns et des
autres{3557}. Ceci explique la manière dont Beria s’en prit à Semionov,
qu’il accusa au moment des troubles de ménager les balles{3558}. Après
le 17 juin, Beria téléphona à V. Tcherniavski, le principal conseiller du
MVD en Roumanie : « Vous répondez sur votre tête que quelque chose de
semblable ne se produise pas en Roumanie. » Des divisions furent
déployées aux portes de Bucarest et Beria exigea qu’un rapport lui soit
envoyé chaque jour, à lui ou à Koboulov, sur la situation en
Roumanie{3559}.

Les autres démocraties populaires et les autres initiativesde


politique étrangère.
Car la RDA n’était pas la seule à vaciller, le bloc est-européen tout
entier se fissurait. Déjà en avril 1953, on discutait en Tchécoslovaquie des
futures élections libres et des chances des différents partis, même s’il n’y
avait encore aucun signe de détente{3560}. Début mai, un transfuge
révéla, documents à l’appui, comment les élections de 1948 avaient été
truquées. Cet homme avait fait défection quelques années auparavant et
attendu ce moment pour éviter de mettre en danger des gens restés en
Tchécoslovaquie{3561}. Le 3 mai, les ouvriers du tabac se mirent en grève
en Bulgarie. En Tchécoslovaquie, une réforme monétaire, adoptée le 1er
juin, dépouilla la population des neuf dixièmes de ses avoirs liquides,
suscitant le désarroi au sein même du Parti{3562}. Le 1er juin, les
Tchèques se soulevèrent à Pilsen pour protester contre cette réforme
confiscatoire et, pendant deux jours, la ville tomba aux mains des
anticommunistes. Comme en RDA, deux semaines plus tard, les forces de
police reçurent d’abord l’ordre de ne pas intervenir et la STB – la Sécurité
d’État – alla jusqu’à interdire que soit décroché un portrait de Bénès pour
ne pas « irriter » inutilement les manifestants{3563}. Ceux-ci attaquèrent
le siège du Parti en brandissant le drapeau des États-Unis pour
commémorer de la libération de la ville par les Américains en
1945{3564}. Comme en RDA, les rumeurs attisaient l’effervescence :
durant le soulèvement de Pilsen, le bruit courut que le gouvernement
communiste avait pris la fuite.
Préoccupé avant tout par les nationalités de l’URSS et par l’Allemagne,
Beria n’eut pas le temps d’imposer ses réformes aux autres démocraties
populaires. Il n’eut le temps que d’esquisser les premiers pas. Sous Staline
trois organismes géraient les relations avec les pays du bloc communiste :
le Conseil économique, le Comité militaire et le secrétariat du
Kominform. Beria proposa de les supprimer{3565}. Dans toutes les
démocraties populaires Beria changea la direction du MVD. Les tchékistes
qui ignoraient la langue locale furent rappelés à Moscou. Beria les
remplaça en partie par de jeunes officiers. Il leur recommanda de ne pas se
mêler des affaires intérieures du pays hôte, de ne pas prendre position dans
la lutte des clans au sein de la direction{3566}. Il fit des coupes claires
dans l’appareil pléthorique du conseiller du MVD dans les démocraties
populaires : les instructeurs, le personnel de la chancellerie, du service du
chiffre, une partie du personnel technique furent rappelés en URSS.
Le cas de la Hongrie montre toutefois qu’il envisageait d’étendre son
« nouveau cours » aux pays du Centre-Est européen, notamment la
liquidation du système kolkhozien. Selon Antonov-Ovseenko{3567},
Beria avait dit à Rakosi : « Ne vous entichez pas des kolkhozes, tout ça
c’est une invention du Vieux, nous-mêmes allons y renoncer. » Rakosi
inquiet avait téléphoné à Molotov pour lui rapporter ces propos. Le
13 juin, il fut convoqué au Kremlin. Comme Ulbricht deux semaines
auparavant, il subit un déluge de critiques de la part des successeurs de
Staline. Malenkov s’en prit durement à la politique agraire du PC hongrois
et aux répressions. Beria était encore plus virulent : « Est-il admissible
qu’en Hongrie, un pays de 9 500 000 habitants, 1 500 000 aient été
victimes de répressions ? […] Il y a beaucoup de choses dans la situation
hongroise qui peuvent être exploitées par l’ennemi [capitaliste]. » Car la
Hongrie possède une diaspora qui a l’oreille « des cercles dirigeants
impérialistes étrangers ». Rakosi avait eu tort de faire exclure Imre Nagy
du Politburo sous prétexte qu’il voulait freiner la collectivisation. Les
dirigeants du PC hongrois « connaissaient mal la paysannerie et ils ne
voulaient pas la connaître ». Beria ira jusqu’à faire observer que le
rendement des exploitations privées était supérieur à celui des kolkhozes.
Il recommanda de développer l’industrie légère et de fusionner le
ministère de l’Intérieur et le ministère de la Sécurité d’État. Les
ingérences de Rakosi dans les affaires du ministère de l’Intérieur étaient
inadmissibles :

Il n’est pas correct que le camarade Rakosi puisse décider qui doit
être arrêté et qui doit être tabassé. Un détenu qui est roué de coups
peut avouer qu’il est un agent anglais ou américain. Mais il est
impossible de parvenir à la vérité de cette manière. On risque de
condamner des innocents. La loi existe, et tous doivent la respecter
[…] Sinon le camarade Rakosi ne sera jamais respecté, il sera craint.
[…] Il n’est pas juste que le camarade Rakosi fasse tout. Tout comme
il n’était pas juste que le camarade Staline soit tout en une personne.
Le camarade Staline n’était qu’un homme. […] Quand le camarade
Rakosi prétend que le peuple ne comprendrait pas s’il était libéré de
son poste de chef de gouvernement, il se surestime… Aujourd’hui
l’Armée rouge est encore en Hongrie, mais elle n’y restera pas
éternellement.
On enjoignit donc à Rakosi de séparer la direction du Parti et celle du
gouvernement, de diminuer les effectifs pléthoriques (600 000 hommes)
de l’armée hongroise – Beria en profita d’ailleurs pour rappeler la
responsabilité de Staline : « Le développement de l’armée a été discuté
avec le camarade Staline. Le camarade Staline a donné des directives
erronées. » Il annonça que les relations entre l’URSS et la Hongrie allaient
changer : « Auparavant elles consistaient en banquets et en
applaudissements. À l’avenir nous créerons une relation plus responsable
et sérieuse. »
Tous les membres du Présidium présents semblaient alors d’accord,
même si Beria fut le plus véhément. Molotov dénonça la « vague
d’oppression de la population », Boulganine trouva scandaleuses les
purges dans l’armée qui duraient depuis huit ans. Khrouchtchev dit à
Rakosi que les « critiques passionnées du camarade Beria » visaient à
« corriger les erreurs{3568} ». Étrange unanimité alors que Khrouchtchev
était en train d’ourdir son putsch contre Beria ! Moins d’un mois plus tard,
au Plénum de juillet, Khrouchtchev évoquera en de tout autres termes la
rencontre avec Rakosi :

Pendant la discussion, le camarade Rakosi a demandé : « J’ai besoin


d’un conseil : quelles questions doivent être de la compétence du
Conseil des ministres, et lesquelles doivent être résolues par le
Comité central ? Quelle est la délimitation des compétences ? […] »
Alors Beria a dit avec mépris : « Que me parlez-vous du Comité
central ! Le Conseil des ministres n’a qu’à décider de tout et le
Comité central peut s’occuper des cadres et de la propagande. » Ce
propos me laissa pantois. Cela voulait dire que Beria exclut le rôle
dirigeant du Parti. […] Ses vues sur le Parti sont identiques en tous
points avec celles de Hitler{3569}.
À l’issue de cette réunion, Rakosi fut contraint de faire son
autocritique{3570}. Beria imposa la nomination d’Imre Nagy à la tête du
gouvernement sans avoir consulté ses collègues et même Malenkov fut
placé devant le fait accompli{3571}. Et, pour pouvoir influencer
directement les affaires hongroises, Beria demanda que le nouveau
ministre de l’Intérieur Gerö fût flanqué d’un adjoint soviétique{3572}.
Beria voulut aussi surmonter le divorce avec Tito. La manière dont il
amorça la réconciliation avec la Yougoslavie est caractéristique à la fois
de ses méthodes et de l’atmosphère de cette fin de printemps 1953. Sans
doute à cause des obstacles auxquels s’était heurtée sa politique
allemande, Beria décida d’agir d’abord de manière unilatérale, derrière le
dos du Politburo. Il convoqua Alexandre Korotkov qui dirigeait alors le
renseignement étranger, et lui demanda de se rendre secrètement à
Belgrade pour des entretiens préalables avec Ranković et Tito. En
apparatchik consommé, Korotkov jugea qu’il était risqué d’entreprendre
une mission à l’insu du ministère des Affaires étrangères et il refusa. Beria
fut obligé de s’adresser à un autre officier, S. M. Fedosseev, et de mettre
Malenkov au courant de son projet, suggérant « d’entreprendre une
démarche de normalisation des relations avec la Yougoslavie à travers le
MVD ». Fedosseev n’eut pas le temps de réaliser la mission qui lui avait
été confiée par Beria quelques jours avant sa chute{3573}. Au moment de
son arrestation, Beria avait dans sa poche une lettre à Ranković rédigée le
25 juin au contenu suivant :

Je profite de l’occasion pour vous transmettre, camarade Rankovitch,


le salut chaleureux du camarade Beria qui se souvient bien de vous.
Le camarade Beria m’a prié de vous dire en stricte confidence que lui
et ses amis considèrent comme indispensables un changement
d’orientation et une amélioration des relations entre nos deux pays.
Le camarade Beria vous prie de le faire savoir au camarade Tito et, si
vous et le camarade Tito partagez ce point de vue, il serait utile
d’organiser une rencontre confidentielle, soit à Moscou ou, si vous le
jugez inacceptable, à Belgrade. Le camarade Beria espère que cette
démarche ne sera connue que de vous et du camarade Tito{3574}.
Beria savait que le contenu de ce message à Tito parviendrait aux
oreilles des Occidentaux. La réconciliation avec la Yougoslavie était un de
ces rares gestes qui pouvait lui apporter de la popularité à la fois en URSS
et dans le camp occidental.
À travers M. G. Kotov, le résident en Finlande, Beria essaya aussi de
renouer des contacts avec l’ancien ministre de l’Intérieur finlandais Yrjö
Leino{3575}. Cette démarche sembla éminemment suspecte à ses
collègues lorsqu’ils l’apprirent après sa chute. En effet, Leino était
considéré à Moscou comme un « renégat » car il avait fait capoter, au
printemps 1948, une tentative de prise de pouvoir par les communistes
calquée sur le coup de Prague, en avertissant du complot ses collègues non
communistes et le chef des forces armées, ce qui avait permis de
neutraliser à temps les milices et les forces spéciales communistes{3576}.
Le 23 juin, Beria déclara devant ses proches, Lioudvigov, Charia et
Ordyntsev, qu’il était possible de rendre Königsberg aux Allemands,
l’isthme de Carélie à la Finlande et les Kouriles du Sud au Japon pour
améliorer le prestige international de l’URSS{3577}. Il est clair que les
difficultés auxquelles il s’était heurté à propos de l’Allemagne ne
l’avaient pas instruit. Comment pouvait-il s’imaginer que ses collègues
consentiraient à un abandon volontaire des acquis de la « grande guerre
patriotique » ?
À l’été 1953, les diverses mèches allumées par Beria sous le bloc
communiste commencèrent à converger. L’expérience de juin 1953 en
RDA et même en Tchécoslovaquie montre que les régimes communistes,
formidables vus de l’extérieur, pouvaient entrer en déliquescence de
manière foudroyante. Les enquêtes menées post factum par les organes du
Parti révéleront que, dans ces deux cas, le Parti s’était trouvé totalement
paralysé et en pleine débâcle avant que le contrôle ne soit rétabli. Ces
épisodes préfiguraient les « révolutions de velours » de la fin 1989. Beria
était à deux doigts du succès. À chaque fois, il prit argument des troubles
pour critiquer la politique de Staline à l’égard des démocraties populaires,
comme il l’écrivit à Malenkov le 2 juin : « Nous devons reconnaître
ouvertement que nos recommandations n’ont pas toujours été avisées. » Et
il en profitait pour réclamer une accélération des réformes{3578}.
Partout des craquements se faisaient entendre dans le bloc communiste.
Un rapport de la CIA daté du 18 juin releva l’agitation croissante en
Roumanie{3579}. Vers le 20 juin, des troubles éclatèrent à Wroclaw en
Pologne. Et une faille apparut dans les relations sinosoviétiques avec le
sec rappel à l’ordre de Moscou à propos de la campagne sur l’arme
bactériologique, qui fut perçu par Mao comme un camouflet à sa
personne{3580}.
Le 19 juin, C. D. Jackson, le conseiller d’Eisenhower en guerre
psychologique, évoqua le « glas qui sonne la désintégration de l’Empire
soviétique{3581} ». Ce que semble confirmer une remarque cryptique de
Kaganovitch au Plénum de juillet 1953 : « Nous devons reconnaître
honnêtement que si le Présidium avait un peu tardé [à éliminer Beria], ne
serait-ce que de quelques jours, nous aurions aujourd’hui une situation
tout à fait différente{3582}. » Mais tout à sa fièvre réformatrice, à
l’euphorie d’avoir survécu à Staline, Beria ne prêta pas assez attention aux
manigances de ses collègues derrière son dos.
Ainsi, pendant les cent quatorze jours qui suivirent la mort de Staline,
Beria fit pleuvoir des initiatives qui toutes visaient le cœur de l’État
totalitaire soviétique. Il démolit le dogme de l’infaillibilité de Staline et
révéla au grand jour ses turpitudes. Il s’attela à démanteler le Goulag,
tailla résolument dans l’empire du MVD, voulut émanciper les nations de
l’URSS, desserrer l’emprise mortifère de Moscou sur la moitié de
l’Europe. Aux yeux de Beria tout ceci n’était qu’un début, comme il le
donnait à entendre à ses proches. À Charia, il confia que dans un an peut-
être de tels événements allaient survenir que ceux d’aujourd’hui pâliraient
en comparaison{3583}. À partir de juin 1953, la tactique de provocations
simultanées inaugurée par Beria à la mort de Staline commença à donner
des résultats. L’archipel du Goulag était en train de devenir un foyer
insurrectionnel. À la périphérie, la décommunisation spontanée avait
débuté.
Jusqu’ici les historiens qui se sont penchés sur le printemps 1953 ont
minimisé de manière systématique le rôle de Beria dans les événements de
cette période{3584}. À cette erreur de perspective, deux raisons. La
première tient au fait que les mesures de politique étrangère n’ont pas été
rapprochées de la réforme de l’empire mise en chantier par Beria. Or, la
superposition de ces deux politiques et l’examen de ce qui se passait sur le
terrain sont très éclairants. La deuxième tient à la réticence des Russes à
reconnaître la vérité sur l’affaire Beria. Et il est heureux que les archives
déclassifiées dans les républiques de l’ex-URSS et des démocraties
populaires permettent de combler les lacunes des archives soviétiques
centrales qui filtrent encore au compte-gouttes, surtout pour ce qui
concerne l’explosive affaire Beria.

30
La chute de Beria
Nous ne savons pas qui était qui dans le premier acte du drame sur
lequel le rideau vient de tomber, à ce que l’on nous dit. Nous ne voyons
pas la pièce. Nous sommes un public qui reste dehors dans les couloirs.
Nous ne voyons pas les acteurs et nous n’entendons pas ce qu’ils disent.
Tout ce que nous savons c’est que la pièce doit être un thriller parce que de
temps en temps éclate un coup de feu et on suppose qu’il y a un
cadavre{3585}
[Walter Lippmann].

Beria aurait détruit le Parti. Le Parti n’aurait plus été qu’une formalité,
et lui aurait commandé. Nous nous sommes donc rebellés et nous l’avons
arrêté car il avait levé la main contre le Parti{3586}
[[Khrouchtchev].

Les mythes qui ont entouré la chute et la mort de Beria révèlent eux
aussi à quel point cette affaire était peu ordinaire et combien l’alerte fut
chaude pour les apparatchiks communistes.

Le putsch de Khrouchtchev.
Beria était-il conscient des dangers qui pesaient sur lui ? Il fut si
soulagé après la mort de Staline qu’il sous-estima les risques –
contrairement à son épouse, qui redoutait le pire, si l’on en croit leur fils
Sergo :
On te considérait comme très proche de Staline, lui disait-elle.
Autrefois tu en as tiré avantage ; aujourd’hui que Staline est mort ta
position est affaiblie et non renforcée. Tes projets de réforme mènent
tout droit à l’affrontement avec tes collègues. Je ne crois pas à leur
sincérité ; ils n’ont pas pu changer du jour au lendemain.

Ce à quoi il répondait :

Ceux qui travaillaient avec moi connaissaient l’état réel des choses.
C’est sur ces gens que je veux m’appuyer. Quant à mes collègues, ils
ne sont pas bêtes et ils comprennent que le pays est dans un état
critique, plus encore qu’en 1937 parce que les gens aujourd’hui
voient clair{3587}.

Jusqu’en mai 1953, Beria put espérer amener ses collègues à soutenir
ses réformes. Mais, après la confrontation à propos de l’Allemagne, il fut
clair qu’une épreuve de force aurait lieu. La survie de Beria dépendait de
la solidité de son alliance avec Malenkov. Or selon de nombreux
témoignages, il y avait entre les deux hommes un antagonisme larvé qui
remontait fort loin : « Après la mort de Staline, la lutte entre Beria et
Malenkov devint une lutte à mort, bien qu’on eût l’impression de
l’extérieur que le tandem Beria-Malenkov était amical et que les deux se
préparaient à gouverner le pays ensemble{3588}. » Malenkov aurait en
particulier été à l’origine du limogeage de Dekanozov de son poste de
vice-ministre des Affaires étrangères. Quelques semaines après la mort de
Staline, un officier du MVD se plaignait : « Dans notre ministère c’est le
bordel le plus total. Beria donne un ordre et Malenkov appelle du Kremlin
pour annuler cet ordre et en donner un autre{3589}. » Et Molotov,
sûrement bien informé, n’a jamais cru à la solidité de la troïka Malenkov-
Beria-Khrouchtchev{3590}. En mai 1953, Beria ordonna des recherches
dans les archives militaires afin de trouver des documents compromettants
sur Malenkov{3591}. Les observateurs étrangers spéculèrent eux aussi,
dès le début, sur un conflit entre Malenkov et Beria, Beria invoquant la
« collégialité » contre les ambitions de Malenkov{3592}. Khrouchtchev
affirmera, dans son discours au Plénum des 2 au 7 juillet, qu’aux yeux de
Beria, à la veille de sa chute, le grand adversaire était Malenkov contre qui
il invitait Khrouchtchev à faire bloc{3593}.
Encore aujourd’hui, les historiens sont divisés sur l’existence ou non
d’un projet de « coup d’État » de Beria. Le 30 mai 1953, Beria créa au sein
du MVD une 9e Section chargée des attentats terroristes et du sabotage,
qu’il confia à Soudoplatov et Eitingon ; il en nomma les officiers –
Vassilevski, Zaroubine et Pravdine – sans passer par le Département des
cadres du ministère{3594}. Était-ce l’instrument d’un futur coup d’État,
comme le soupçonneront ses collègues ? Selon certains, Beria donna en
secret, en mai, l’ordre aux forces du MVD des républiques de se mobiliser
et de se préparer au combat{3595}. Il aurait été en train de transférer à
Moscou des divisions du MVD lorsqu’il fut renversé. Le 26 juin, Moscou
bruissait de rumeurs à propos d’une réforme monétaire prochaine et, dans
son discours au Plénum de juillet, Kaganovitch insinuera que Beria n’était
pas étranger à ces rumeurs, cherchant à déstabiliser la situation comme en
Tchécoslovaquie{3596}.
Dans ses entretiens avec Tchouev, Molotov a affirmé que Khrouchtchev
avait eu vent du projet de putsch de Beria grâce à sa position au
Parti{3597}. Khrouchtchev avait alors décidé de passer à l’action, sondant
tour à tour chaque membre du Présidium après s’être assuré l’appui du
ministre de la Défense Boulganine. Selon cette version, début juin la
situation était tendue à l’extrême : Malenkov et Boulganine avaient appris
que Beria était en train de former une division de parachutistes près de
Moscou, qu’il avait convoqué à un « séminaire d’été » 400 responsables
du Parti dont 200 Caucasiens auxquels il avait fait donner des armes en
leur ordonnant d’être prêts à se rendre au Kremlin. Khrouchtchev a décrit
devant Fidel Castro une autre variante du complot de Beria. Selon lui
l’idée de Beria était d’attirer les membres du Politburo en Abkhazie en
leur offrant des datchas dans cette région paradisiaque. Une fois que ses
collègues auraient été rassemblés dans son fief, il les aurait fait encercler
et arrêter avec l’approbation de la population locale dont les habitations
avaient été rasées pour y construire les villégiatures des dignitaires du
Kremlin{3598}.
Beria lui-même encourageait ce genre de soupçons par son humour pas
toujours apprécié de ses collègues. Selon le témoignage de son fils, il
plaisanta ainsi à propos de sa suggestion d’installer les datchas à
Soukhoumi : « Comme ça, je vous aurai rassemblés, je construirai un
grillage autour et je pourrai vous surveiller ». « Ils rirent en cœur mais
n’oublièrent pas cette plaisanterie : on l’accusa justement de cela quelques
mois plus tard{3599}. » Cette interprétation explique que Khrouchtchev
ait attaché une telle importance aux projets immobiliers de Beria en
Abkhazie, qu’il évoque longuement dans ses Mémoires, racontant
comment il avait persuadé Malenkov que la construction de sa datcha à
Soukhoumi provoquerait une vague d’indignation populaire : « Tu n’aurais
plus qu’à démissionner, et c’est ce que veut Beria{3600}. » Un tel dessein
pourrait aussi expliquer pourquoi Beria avait tenu à rapatrier en Géorgie
les anciens légionnaires de la Wehrmacht et les émigrés qui les
encadraient. Le transfuge Petr Deriabine, officier du MGB depuis 1946 et
passé à l’Ouest en 1954, a lui aussi affirmé que Beria préparait un coup
d’État et qu’il avait éloigné la garnison de Moscou commandée par le
général P. A. Artemiev, son partisan, pour laisser la place libre aux troupes
du MVD – la division Dzerjinski et le régiment du Kremlin{3601}. En
vacances à Soukhoumi pendant le mois de juin, l’épouse de Deriabine
entendit le secrétaire adjoint du Parti d’Abkhazie annoncer une « nuit de la
Saint-Barthélémy dans toute l’Union soviétique », au cours de laquelle
« vous autres y passerez tous{3602} ».
Cependant, on ne trouve dans les archives aucune trace d’un « complot
de Beria », y compris dans le dossier du procès Beria. En réalité, Beria
n’avait sous ses ordres que la division Dzerjinski et le régiment du
Kremlin, peu de chose pour réaliser un putsch{3603}, et Khrouchtchev
avait besoin d’accréditer la version d’une tentative de coup d’État
prétendument fomentée par Beria pour justifier son propre putsch contre
son collègue. Nina Beria, dans une de ses rares interviews, affirme aussi
son scepticisme :
Je connaissais bien mon mari et son caractère. Je suis certaine qu’il
était assez intelligent pour ne pas ambitionner la première place. Il
avait l’esprit rationnel et pratique, il savait bien qu’après Staline on
ne tolérerait pas un autre Géorgien à la tête de l’État{3604}.

L’absence de toute trace écrite concernant un coup d’État éventuel de la


part de Beria n’est pas une preuve de l’absence d’un tel projet. Mais, à
l’inverse, les affirmations de Khrouchtchev sont sujettes à caution car il
avait intérêt à justifier l’assassinat d’un collègue en le présentant comme
une mesure préventive. Une chose est certaine : depuis la fin mai, Beria
était en passe de déstabiliser tout le système et l’épreuve de force était
inévitable.
Concernant le complot contre Beria, celui-là indubitable, les versions
les plus contradictoires circulent. Malenkov méditait-il aussi d’écarter
Beria, comme l’affirmera plus tard son secrétaire D. N. Soukhanov qui
désigne Malenkov comme le véritable organisateur de la chute de Beria ?
Selon le témoignage de Soukhanov recueilli par l’écrivain V. Karpov,
Beria préparait un coup d’État pour le 27 et avait l’intention d’arrêter les
membres du Présidium dans le Bolchoï. Ses complices étaient
Khrouchtchev et Boulganine. Malenkov eut vent de l’affaire, convoqua
Khrouchtchev et Boulganine dans son bureau et leur mit le marché en
main : ou ils participaient à l’arrestation de Beria ou ils seraient eux-
mêmes inculpés. Bien entendu Khrouchtchev et Boulganine acceptèrent de
se joindre à Malenkov{3605}. On peut toutefois classer le récit de
Soukhanov au nombre des multiples légendes engendrées par la fin de
Beria, d’autant que Soukhanov avait des raisons d’en vouloir à
Khrouchtchev : en 1956, il fut arrêté pour avoir dérobé dans le coffre-fort
de Beria 100 000 roubles en obligations appartenant à Boulganine{3606}.
Monter un complot contre Beria demandait une hardiesse dont le mou
Malenkov était incapable. Khrouchtchev fut bien l’âme du putsch anti-
Beria.
Une des questions les plus passionnantes de cette période est celle de la
naissance et de la cristallisation du complot contre Beria. Khrouchtchev
avait-il projeté dès les premiers jours de se débarrasser de ce dangereux
rival ? Le laissa-t-il mettre en œuvre son programme pour détourner son
attention du complot qui mûrissait contre lui ? Quand passa-t-il à
l’action ? Au moment de l’affaire allemande, comme il le prétend ? Ou
déjà du vivant de Staline, comme le laissent entendre certains
témoignages ?
Il ressort du récit de Chepilov que l’affrontement larvé eut lieu dès les
premiers jours. C’est Khrouchtchev qui lança l’offensive, tout en affectant
une grande amitié avec Beria : « C’était une paire d’inséparables », se
souviendra Kaganovitch{3607}. Khrouchtchev s’efforça d’organiser un
bloc anti-Beria et anti-Malenkov autour du tandem qu’il formait avec
Boulganine, intriguant contre Malenkov avec Beria et contre Beria avec
Malenkov. Dans un premier temps, il remporta peu de succès, quoiqu’il fît
tout pour attiser la crainte partagée par tous les membres du Présidium de
voir resurgir la tyrannie d’un seul. Khrouchtchev commença par s’en
prendre à Malenkov qu’il força à abandonner son poste au secrétariat du
Comité central le 14 mars. La thèse de Chepilov, selon laquelle ce sont les
ambitions de Beria en politique étrangère qui fournirent à Khrouchtchev le
prétexte pour monter contre lui les autres membres du Présidium à partir
d’avril, est sans doute exacte. La politique des nationalités suivie par Beria
ne fit qu’envenimer les choses et même les diplomates étrangers s’en
étaient aperçus : « On ne peut se défendre de l’impression qu’il existe “un
problème Beria” sans doute lié au problème des nationalités{3608} »,
notait une synthèse de l’ambassade de France à Moscou le 28 mai 1953.
Toutefois à cette époque aucun observateur étranger ne considérait
Khrouchtchev autrement que comme « une personnalité de moindre
envergure{3609} ».
La réalisation du dessein de Khrouchtchev fut facilitée par les erreurs
que multiplia Beria durant ses cent jours. Il fit preuve à plusieurs reprises
d’une grande imprudence, cachant de moins en moins ses projets
révolutionnaires et n’hésitant pas à bousculer ses collègues et à empiéter
sur ce qu’ils considéraient comme leur chasse gardée. Il se laissa aller à un
dangereux franc-parler, attaquant de ses sarcasmes toutes les vaches
sacrées du régime : Staline, les kolkhozes, la classe ouvrière, les syndicats,
la menace de l’impérialisme américain, le socialisme en Allemagne, etc.
Beria commit aussi des erreurs psychologiques en ne ménageant pas la
susceptibilité des autres dirigeants, en imposant ses décisions sans leur
demander leur avis et en affichant ses ambitions. Or, après s’être laissé
piétiner par Staline pendant tant d’années, ceux-ci n’étaient plus disposés
à subir la férule d’un autre Géorgien.
Beria eut un affrontement avec Molotov dans la semaine qui suivit la
mort de Staline{3610}. Il s’attaqua à Malenkov en soulevant la question
de l’antisémitisme pratiqué durant l’après-guerre, alors que celui-ci avait
participé avec ardeur à toutes les campagnes antijuives lancées par Staline.
Au moment de son arrestation, Beria s’apprêtait à faire incarcérer Ignatiev,
ce qui ne pouvait qu’alarmer Malenkov, étant donné les relations étroites
entre les deux hommes en 1951-1952, et l’enquête sur Ignatiev mettait en
cause l’appareil du Comité central{3611}. Et de surcroît Beria s’aliéna
Khrouchtchev en se mêlant des affaires ukrainiennes{3612}. Il effraya
tous ses collègues en commençant à dénoncer les crimes passés, alors
qu’il contrôlait les archives. Avait-il besoin de laisser entendre à
Boulganine et à Molotov qu’il projetait de les limoger ?
Beria surestima son emprise sur le MVD, sans voir que les liens étroits
entre les chefs du MVD et les apparatchiks du Parti ne pouvaient
disparaître du jour au lendemain, surtout dans les républiques et les
régions ; et sa politique de promotion systématique des allogènes dans son
ministère et dans la périphérie lui aliénait les Russes{3613} ; Deriabine
affirme que Krouglov, l’adjoint de Beria, l’espionnait pour le compte du
Présidium et avait même fait placer des écoutes dans son bureau{3614}.
Le MVD était constitué de deux organismes auparavant ennemis – le MGB
et le MVD – et il était profondément divisé. On imagine que la
réhabilitation des tchékistes victimes des purges de l’après-guerre et leur
nomination aux postes-clés du ministère durent susciter bien des
rancœurs{3615}.
La mise sur écoutes des membres du Présidium fut certainement un
catalyseur du complot, si l’on en juge par l’importance attachée à cette
affaire par Khrouchtchev et ses alliés. Il semble qu’en l’occurrence Beria
fut victime d’une singulière ironie du sort. Le MVD avait reçu une
information de l’un de ses agents en Occident selon laquelle un des
dirigeants de l’URSS était en contact avec les services de renseignements
occidentaux et projetait d’organiser une contre-révolution. L’agent ne
savait pas de qui il s’agissait, car le dirigeant en question était mentionné
sous un pseudonyme. Beria fut chargé de tirer cette affaire au clair et il
ordonna dans le plus grand secret de placer ses collègues sur écoutes. Un
groupe de quinze officiers triés sur le volet organisa les écoutes. Ils
surprirent une conversation entre Boulganine et Khrouchtchev ivres, en
train de discuter des moyens de se débarrasser de Beria. Mis au courant,
Beria convoqua l’officier qui avait déchiffré l’enregistrement et lui
demanda s’il n’y avait pas d’erreur. Ayant reçu l’assurance qu’aucun doute
n’était possible, il remercia l’officier et lui recommanda le secret absolu.
Mais, malgré les précautions prises, Khrouchtchev eut vent des écoutes et
ce fut l’une des raisons qui galvanisèrent sa résolution à agir{3616}. Les
autres membres du Politburo se sentaient également menacés : Beria était
en possession de documents prouvant leur implication dans les crimes de
Staline et ils savaient désormais que sur ordre de Beria ils avaient été
placés sur écoutes par le 2e Bureau spécial du MVD{3617}.
La brouille entre Malenkov et Beria fut déterminante, motivée par les
investigations menées par Beria autour d’Ignatiev et Rioumine. Beria
ayant ordonné de chercher dans les archives des documents
compromettants sur Malenkov, il soumit à son collègue, le 25 juin 1953,
les minutes des interrogatoires de Rioumine, qui démontraient la
responsabilité d’Ignatiev dans la falsification non seulement de l’affaire
des « blouses blanches », mais aussi de l’affaire de Leningrad et de
l’affaire du CAJ. Mais la note « blanchissait » Malenkov pourtant fort
impliqué dans ces affaires{3618}. Beria sentait-il le danger et voulait-il
rassurer Malenkov ? Ou au contraire la note était-elle l’indice d’une
volonté de pousser les recherches plus loin, et donc une menace voilée ?
Beria avait-il découvert que Malenkov était bien plus impliqué dans
l’affaire mingrélienne qu’il ne le pensait jusque-là et donc qu’il menait
une guerre sournoise contre lui depuis longtemps ? Il est impossible de se
prononcer avec certitude. En tout cas, l’arrestation d’Ignatiev était
dangereuse pour Malenkov qui n’aurait pas manqué d’être mis en cause.
D’ailleurs, au cours de ces journées de juin 1953, des rumeurs sur
l’assassinat de Malenkov circulaient à Moscou{3619}.
Malenkov avouera plus tard que c’est à partir du 12 juin que les
membres du Présidium prirent la décision de se débarrasser de
Beria{3620}. Le mécanisme du putsch aurait été enclenché lorsque
Strokatch, qui venait d’être limogé de son poste de chef du MGB de Lvov,
fut convoqué à Moscou ce 12 juin. Il prétendit ensuite que, craignant
d’être arrêté, il se fit hospitaliser. De son lit d’hôpital, il aurait écrit à
Khrouchtchev une lettre qui lui parvint le 21 juin, détaillant les
agissements de Mechik et Milshtein en Ukraine, mais ne contenant aucune
information précise sur la préparation d’un coup d’État par Beria{3621}.
En réalité, Strokatch se précipita à Moscou pour essayer d’obtenir une
nouvelle affectation. Il voulait obtenir une audience de Beria, mais ne fut
reçu que par Amaïak Koboulov qui lui expliqua son erreur :

Vous n’avez pas compris qu’avec la venue de Beria à la direction du


MVD les organes du MVD ne dépendent plus autant des organes du
Parti qu’auparavant. Vous n’imaginez pas la puissance de Beria. Il
casse résolument tout l’ordre ancien non seulement dans notre pays,
mais dans les pays démocratiques [les démocraties populaires]. Un
chef régional du MVD n’a plus besoin d’avoir peur de tomber en
disgrâce devant les organes du Parti. Vous n’avez qu’à voir ce qui est
arrivé à Melnikov : il s’est pris de bec avec Mechik et il a sauté, tout
membre du Présidium du Comité central qu’il fût{3622}.

Frustré par son échec à décrocher un nouveau poste, Strokatch décida de


jouer au héros en « démasquant » auprès de Khrouchtchev le complot de
Beria, et en citant en particulier cette phrase malencontreuse du
subordonné écervelé de Beria. Khrouchtchev fut confirmé dans ses
soupçons par Serov et Krouglov qui lui firent part des plans de
Beria{3623}.
Khrouchtchev a narré à maintes reprises comment il avait organisé son
putsch{3624} : « Lorsque nous comprîmes que nous avions affaire à un
provocateur, il n’y eut plus de divergences entre nous et la division qu’il
avait essayé de semer dans nos rangs disparut », raconta-t-il lors du
Plénum des 2-7 juillet{3625}. Déjà allié à Boulganine de longue date,
Khrouchtchev convainquit sans peine Molotov qui trouvait lui aussi que
Beria était « très dangereux » et qui se chargea de rallier les vétérans du
Présidium. Malenkov était hésitant, tout en concédant que « Beria
compliquait tout{3626} », mais Khrouchtchev parvint à s’assurer son
appui en évoquant l’affaire des datchas et la politique nationale de Beria
comme preuve des ambitions machiavéliques de ce dernier. Puis il
entreprit Kaganovitch :

Il ne mentionna pas le fait que Beria était un espion, mais il me dit


que Beria était en train d’intriguer pour renverser le Politburo et
prendre le pouvoir […]. On ne nous montra pas de documents
prouvant qu’il était lié aux États impérialistes, ni à moi ni à Molotov.

Kaganovitch hésitait : « Peut-être pourrions-nous le remettre à sa place


mais le laisser ? » suggéra-t-il à Khrouchtchev. À quoi celui-ci répondit :
« Non, les choses sont allées trop loin{3627}. » S’étant assuré que la
majorité était favorable à la mise à l’écart de Beria, Sabourov acquiesça
sans difficultés et donna son accord. Pervoukhine manifesta quelques
réticences, mais finit par se rendre aux arguments de Khrouchtchev.
Mikoïan fut prévenu en dernier, le 26 juin, car Khrouchtchev se méfiait de
la solidarité caucasienne. Mikoïan essaya d’ailleurs de plaider la cause de
Beria, suggérant qu’on lui confiât un autre poste. Joukov ne fut pas
pressenti au début pour participer à l’opération ; Sergo Beria affirme que
Joukov a nié devant lui avoir participé à l’arrestation de son père, même si
dans ses Mémoires Joukov confirme sa participation, de façon assez
laconique il est vrai{3628}. Le maréchal Vassilevski ne fut pas mis au
courant. Au sein du MVD, Khrouchtchev avait le soutien de Serov qui lui
fut précieux car il se chargea de neutraliser les hommes de Beria les plus
dangereux.
La mise en alerte de la défense antiaérienne eut lieu le 20 juin{3629}.
Le moment était bien choisi, car Beria avait dû envoyer ses hommes de
confiance en RDA pour tâcher de sauver sa politique après les événements
du 17 juin. Il était par conséquent particulièrement vulnérable durant cette
période. Il dut sentir le danger à la dernière minute car la veille de sa chute
il ordonna à son fidèle Chalva Tsereteli de se rendre à Moscou toutes
affaires cessantes{3630}.
Depuis le 20 juin se faisaient sentir des symptômes de panique
financière à cause de rumeurs de dévaluation que le ministre des Finances
finit par démentir le 28 juin ; en outre, depuis quelques jours la
recrudescence de la criminalité provoquait une psychose de peur{3631}.
La date du 26 juin fut choisie car c’était le jour où les forces de la
région militaire de Moscou étaient massées à Kalinine (Tver) pour des
exercices auxquels assistait leur chef, le général Artemiev, un protégé de
Beria{3632}, dont l’absence facilita la tâche de Boulganine quand il fit
entrer la division Kantemir à Moscou et fit encercler le Kremlin par la
division Taman, le 26 juin à 14 heures.
Khrouchtchev a raconté à Chepilov comment, la veille de l’arrestation
de Beria, il raccompagna ce dernier chez lui pour endormir sa méfiance :

Nous nous promenâmes longtemps et je le félicitai avec chaleur de


l’intelligence avec laquelle il s’était attaqué aux problèmes après la
mort de Staline. « Attends, Nikita, me répondit Beria visiblement
flatté. Ce n’est qu’un début. Nous allons résoudre tous les problèmes.
Personne ne nous en empêchera plus. Et nous vivrons autrement… »
Et Khrouchtchev de conclure : « Je lui serrai la main longtemps et
avec effusion. En mon for intérieur je pensais : c’est la dernière fois
que je te serre la main, salopard »{3633}.

L’arrestation de Beria.
Pour l’arrestation de Beria nous disposons du témoignage de
K. S. Moskalenko, alors responsable de la défense antiaérienne de
Moscou, l’homme qui dirigea l’opération. Le 25 juin, à 9 heures du matin,
Khrouchtchev contacta cet officier et lui demanda de rassembler un
groupe d’hommes sûrs et armés, et de se rendre avec eux au Kremlin. Il lui
dit d’attendre un appel de Boulganine. Celui-ci convoqua Moskalenko et
lui annonça que la décision était prise d’arrêter Beria. Il lui demanda
combien d’hommes il avait à sa disposition ; Moskalenko répondit qu’il
avait pris cinq hommes avec lui. Boulganine estima que c’était trop peu et
Moskalenko proposa de mettre le vice-ministre Vassilevski dans le secret :
« Mais pour une raison que j’ignore, Boulganine repoussa immédiatement
cette proposition. » Alors Moskalenko suggéra Joukov, ce que Boulganine
accepta à condition que Joukov ne soit pas armé{3634}.
À en croire son témoignage, Joukov fut convoqué au Kremlin et reçu
par Malenkov qui lui dit :

Nous t’avons convoqué pour te confier une tâche importante. Ces


derniers temps, Beria et ses hommes ont un comportement suspect à
l’égard d’un groupe de membres du Présidium du Comité central.
Nous considérons que Beria est devenu dangereux pour le Parti et
pour l’État et nous avons décidé de l’arrêter et de neutraliser tout le
système du NKVD{3635}.

Reprenons le récit de Moskalenko : le 26 à 11 heures, Khrouchtchev,


Boulganine, Malenkov et Molotov l’accueillirent au Kremlin, accompagné
de ses hommes, l’installèrent dans l’antichambre du bureau de Malenkov
et lui expliquèrent :

Beria se comporte avec insolence à l’égard des membres du


Présidium du Comité central, il les espionne, écoute leurs
conversations téléphoniques, surveille leurs déplacements et leurs
fréquentations et est grossier avec tous.
Moskalenko et ses hommes devaient attendre un signal et faire irruption
dans le bureau où siégeait le Présidium pour arrêter Beria.
Comment se passa cette fameuse session ? Selon le témoignage de
Khrouchtchev au Plénum des 2-7 juillet 1953, formulé « à chaud » alors
qu’il n’avait pas encore eu le loisir de reconstruire les événements au gré
de sa fantaisie et des impératifs politiques du moment :

Nous organisâmes une session du Conseil des ministres en invitant


les membres du Présidium du Comité central qui n’entraient pas dans
le Présidium du Conseil des ministres, puis nous ouvrîmes la séance
du Présidium du Comité central et là nous déballâmes le paquet, nous
déclarâmes à Beria en pleine figure : tu es un provocateur, tu n’es pas
un communiste et la coupe est pleine. Il fallait voir ce héros, il se
ratatina tout de suite et peut-être pire (rire){3636}.

Molotov reprocha à Beria d’avoir « dégénéré » ; Khrouchtchev le reprit


et affirma que Beria n’avait pas dégénéré, « il n’avait jamais été
communiste{3637} ». Au début Beria ne comprit pas à quel point sa
situation était grave : « Qu’avez-vous à me chercher des poux dans le
pantalon ? » demanda-t-il à ses collègues{3638}. Il se défendit, disant
qu’il n’avait qu’obéi à Staline et promit de s’amender. Selon le
témoignage de Molotov, la discussion dura deux heures et demie. Le signal
fut donné à 16 h 30. Moskalenko, ses cinq hommes et Joukov firent
irruption dans la pièce et arrêtèrent Beria. On trouva sur lui une feuille de
papier sur laquelle il avait griffonné au crayon rouge « Alarme, alarme,
alarme ». Beria avait voulu prévenir sa garde au Kremlin.
Des notes de Malenkov datées du 26 juin et les Mémoires de Mikoïan
laissent à penser que Khrouchtchev avait ourdi un complot à l’intérieur du
complot. En effet, lorsque Khrouchtchev informa Mikoïan de son intention
de destituer Beria, Mikoïan lui demanda quel sort il réservait à celui-ci.
Khrouchtchev répondit qu’on pouvait le nommer ministre de l’Industrie
pétrolière. Mikoïan approuva cette proposition{3639} : « Il m’était
difficile de donner mon accord à l’arrestation d’un membre du Politburo »,
avouera-t-il au Plénum de juillet{3640}. Les notes de Malenkov portent la
mention « nommer ministre de l’Industrie pétrolière{3641} ». Il est donc
vraisemblable que, parmi les membres du Présidium présents lors de
l’arrestation de Beria, tous n’étaient pas en faveur d’une solution radicale
au problème Beria. Selon Molotov, « c’est juste avant la session du
Présidium que nous sommes tombés d’accord qu’il ne suffisait pas de
l’exclure du Politburo, mais qu’il fallait l’arrêter{3642} ». Ceci est
confirmé par le témoignage que nous a donné A. Mirtskhoulava, premier
secrétaire du Parti de Géorgie depuis avril 1953 :

Molotov était opposé à la manière dont Khrouchtchev voulait arrêter


Beria. Il proposa de discuter son cas lors d’une séance du Politburo en
sa présence. Khrouchtchev refusa : « Si nous discutons cette question
devant lui, il aura notre peau. Non, il faut le coffrer d’abord et
discuter son cas ensuite. » Molotov fut mis devant le fait accompli.

Les notes de Malenkov, saisies à chaud, sont précieuses car elles


indiquent les griefs réels nourris par les membres du Présidium contre
Beria. Le principal est ainsi formulé : « De son poste de ministre de
l’Intérieur, Beria contrôle le Parti et le gouvernement », d’où le danger
« d’un abus de pouvoir ». Le Parti doit reprendre le contrôle du MVD. Les
notes évoquent aussi certaines initiatives de Beria concernant l’Ukraine, la
Lituanie et la Lettonie – « est-ce bien nécessaire ? » –, la nécessité
d’organiser le renseignement à l’étranger, la Hongrie – « nous ne nous
étions pas mis d’accord au préalable ». Enfin, elles recommandent de
placer les gardes du corps des membres du Présidium sous le contrôle du
Comité central : « les écoutes – CC – contrôle. […] Les camarades ne
savent pas qui écoute qui. »
Le 26 juin, le Présidium du Soviet suprême adopta une résolution
intitulée : « Les actions criminelles de Beria dirigées contre l’État ».
Limogé de tous les postes qu’il occupait dans l’État, Beria devait être jugé
par la Cour suprême de l’URSS en raison « de son activité de sape de
l’État soviétique dans les intérêts du capital étranger{3643} ». Il fut gardé
au Kremlin jusqu’à la nuit tombée, puis Moskalenko l’emmena en voiture
– selon certains témoignages, Beria était enroulé dans un tapis{3644} – et
le fit enfermer dans un cachot de la caserne Alechine située dans l’ancien
monastère Kroutitski. Le 27 juin s’y présentèrent Krouglov et Serov à qui
Malenkov et Khrouchtchev avaient confié l’instruction de l’affaire Beria.
Moskalenko exigea que des militaires fussent présents, mais Krouglov et
Serov refusèrent. Moskalenko téléphona au Bolchoï où se trouvaient
Malenkov et Khrouchtchev qui décidèrent d’écarter Krouglov et Serov de
l’enquête{3645}.
Le 27, Beria fut incarcéré dans un bunker appartenant au
commandement de la région militaire de Moscou. Le procureur général
Grigori Safonov, suspect d’être proche de Beria, fut remplacé par Roman
Roudenko qui appartenait au clan ukrainien de Khrouchtchev.
Selon Sergo Beria, son père avait maintenu son dispositif d’exfiltration
après la mort de Staline. Et, de fait, un aviateur tatar ami de la famille
prévint immédiatement Sergo de l’arrestation de son père et lui proposa de
l’évacuer « en lieu sûr{3646} ». Craignant que sa fuite ne fût interprétée
comme un aveu de culpabilité, Sergo Beria préféra la captivité. Mais son
récit révèle que Beria avait bel et bien songé à se réfugier à l’étranger avec
ses proches au cas où les choses auraient mal tourné, et sans arriver les
mains vides. D’où peut-être le questionnaire qu’il avait fait circuler dans
l’armée, « à l’insu du Comité central et derrière le dos du ministère de la
Défense », visant à établir « quelles forces notre marine pouvait opposer
aux flottes américaine et britannique, la nature de notre défense côtière, de
notre artillerie […] de notre défense antiaérienne et l’efficacité de cette
dernière », comme l’a raconté Boulganine indigné au Plénum des 2-
7 juillet{3647}.
Le 29 juin, Roudenko fut chargé de « mener l’enquête sur l’activité
antiparti et anti-État de Beria à travers son entourage (Koboulov B.,
Koboulov A., Mechik, Sarkisov et d’autres){3648} ». Khrouchtchev
ordonna de détruire les archives de Beria, soit onze sacs de
documents{3649}. Le 1er juillet, les trois ambassadeurs soviétiques à
Londres, Washington et Paris – Zaroubine, Malik et Pavlov – furent
rappelés à Moscou{3650}. Affolée, inquiète surtout pour son fils Sergo,
Nina Beria écrivit aux membres du Présidium :

Je ne suis pas stupide et c’est pourquoi je me permets de vous assurer


qu’ayant vécu sous le même toit que Lavrenti Pavlovitch pendant
trente ans, ayant partagé avec lui les joies et les chagrins, je le
connais bien ; je connais ses faiblesses humaines et c’est pourquoi je
comprends fort bien quel point faible un ennemi et un calomniateur a
pu lui trouver ; je pourrais éclairer quelque peu les événements qui le
compromettent… Si Lavrenti Pavlovitch a commis quelque erreur
irréparable, s’il a causé du tort à l’État soviétique, je n’ai plus rien à
dire, et je vous demande de m’autoriser à partager son sort, quel qu’il
soit{3651}.

Le Plénum des 2-7 juillet 1953.


Du 2 au 7 juillet 1953 se tint le Plénum qui condamna Beria et qui
donna aux communistes les instructions des dirigeants du Kremlin sur la
manière dont la chute de Beria devait être expliquée aux Soviétiques et au
mouvement communiste international. Le témoignage de Mirtskhoulava,
alors secrétaire du Parti de Géorgie éclaire la préparation du plénum. La
veille il fut convoqué au Kremlin :

J’y trouvai Baguirov, mais on ne me laissa pas m’entretenir avec lui


en tête-à-tête. Khrouchtchev me dit : « Nous avons arrêté Beria. » Je
faillis tourner de l’œil. Je me dis que Beria avait dû commettre
quelque erreur, qu’il avait dû tuer quelqu’un, bref qu’il avait mérité
cette arrestation. Puis Khrouchtchev me dit : « Nous étions amis et
tout, et voilà qu’il a voulu prendre tout le pouvoir. » Puis il ajouta :
« Demain Malenkov va prendre la parole au Plénum. Toi aussi tu
devras faire un discours. » Je dis : « Nikita Sergueevitch, je vois bien
qu’il ne faudra rien dire de bien sur lui, mais je ne sais rien de mal. »
« Débrouille-toi, il faut qu’un Géorgien prenne la parole. » Il fallait
broder autour du thème « Beria agent de l’impérialisme », alors qu’ils
n’avaient aucune preuve. Ils n’osaient même pas dire de quel État
Beria était l’agent.

Pour sa part, Sergo Beria se souvient :

Ma mère et moi nous nous sommes souvent demandé pourquoi le


Plénum avait été mené de façon aussi bête. On imputa à mon père
toutes sortes de sornettes, alors qu’il eût été possible de trouver des
chefs d’accusation infiniment plus sérieux{3652}.

Et, de fait, le plénum se déroula de manière stalinienne, chacun


s’empressa de déverser des tombereaux d’immondices sur le vaincu
absent, en développant les thèmes dictés au préalable. Beria fut traité de
« punaise puante », de « vipère », d’« arriviste répugnant », de
« conspirateur fasciste », de « dégénéré entre les dégénérés », de
« flétrissure sur le corps du Parti », « d’agent de notre ennemi de classe
parachuté dans notre pays ». Chataline, un apparatchik du Comité central,
se fit un plaisir de révéler que Beria avait un important stock de lingerie
féminine en soie dans son coffre-fort, ainsi qu’une abondante
correspondance amoureuse « au contenu intime et vulgaire », sans parler
de la « quantité énorme d’objets caractérisant un débauché ». Beria
fréquentait les prostituées, il avait même été soigné de la syphilis. Il
organisait des avortements pour ses maîtresses enceintes de lui et avait
une nombreuse progéniture illégitime{3653}.
Ce cérémonial de haine organisée est une chance pour l’historien car
bien des détails livrés par les orateurs ont contribué au tableau que nous
avons brossé par petites touches. Tout fut incriminé à Beria : la pénurie de
pommes de terre et de chou dont souffrait Moscou, le délabrement des
kolkhozes, le manque de logements. Le suicide d’Ordjonikidzé ? C’est la
faute à Beria. La disgrâce de Molotov ? C’est la faute à Beria. La mise à
l’écart de Vorochilov ? C’est la faute à Beria. L’insécurité dans les villes ?
C’est la faute à Beria. Le culte de la personnalité ? Une invention de
Beria{3654}. La bombe H ? Il a pris la décision d’en faire l’essai sans
demander l’autorisation du Comité central. Autre péché capital pour un
communiste : il a cherché à être populaire.
Le discours de Khrouchtchev révèle une certaine gêne, la volonté de se
justifier d’avoir organisé un putsch contre un collègue :

Nous n’avions pas affaire à un membre du Parti, avec lequel on peut


lutter par les méthodes du Parti, nous avions affaire à un conspirateur,
à un provocateur et nous devions le surprendre. […] Comme c’était
un provocateur il pouvait susciter un soulèvement{3655}.

Les orateurs se sentirent tous obligés de se justifier pour être restés


passifs aussi longtemps : après la mort de Staline, la direction soviétique
devait se montrer soudée, pour des raisons de politique intérieure et face à
l’étranger. Ce souci de l’unité avait été exploité par Beria à des fins de
subversion. Et puis « Staline avait confiance en lui et, si Staline avait
confiance en quelqu’un, nous aussi avions confiance{3656}. » Nous
apprenons à ce propos par la bouche d’Andreev, vice-président du Conseil
des ministres, que le « camarade Staline était un grand homme, mais il
avait une faiblesse, il était trop confiant{3657} ».
Tous les orateurs se déchaînèrent contre Beria en lisant des textes qui,
sans aucun doute, avaient dû passer par une censure préalable et dont les
thèmes avaient été donnés en haut lieu. Ceux qui avaient été proches de lui
s’acharnèrent particulièrement, dans leur hâte à se démarquer de lui. On
sent cependant chez nombre d’entre eux une animosité sincère. Beria avait
commis des erreurs psychologiques aussi graves que ses erreurs
politiques. Il laissait trop souvent percer son mépris pour les hommes qui
l’entouraient. Il oubliait qu’il n’était pas le seul dans l’entourage de
Staline à nourrir une passion du pouvoir. Staline savait flatter ceux qu’il
maintenait sous sa coupe. Beria, moins hypocrite, ne dissimulait pas le peu
de cas qu’il faisait de tous ces apparatchiks serviles qui rampaient devant
lui. Zaveniaguine, un de ses proches collaborateurs, rapporta : « Ce qui
sautait aux yeux chez lui, c’était le mépris des gens. Il méprisait tout le
peuple soviétique, il méprisait le Parti, il méprisait les dirigeants du Parti.
Il prenait les membres du Présidium pour des benêts, et c’est là qu’il s’est
aveuglé{3658}. » La langue acérée de Beria lui avait suscité des ennemis.
L’instinct des médiocres est de se coaliser contre ceux qui leur sont
intellectuellement supérieurs. Après la mort de Staline, Beria négligea ce
danger.
Au fond, on ne lui pardonna pas d’avoir révélé au grand jour la fragilité
du pouvoir communiste : « Il a suffi d’une décision quelque peu erronée
pour que les nationalistes se sentent pousser des ailes et recommencent à
s’agiter. Ceci montre la faiblesse de l’action du Parti », déplora
Molotov{3659}. La hargne suscitée par ses attaques contre Staline
s’explique par la même raison : les apparatchiks communistes n’étaient
pas prêts à reconnaître que leur idole avait des pieds d’argile.
Les minutes du plénum ne furent pas rendues publiques à l’époque,
seule le fut la résolution finale annonçant l’exclusion de Beria du Comité
central et du Parti pour sa tentative de « subvertir l’État soviétique dans
l’intérêt du capital étranger » et de placer le MVD au-dessus du
gouvernement et du Parti.
Le 9 juillet, Beria fut inculpé dans les formes pour avoir

organisé une conspiration de traîtres antisoviétiques dont le but était


de se servir des organes du MVD dans le centre et dans les
républiques contre le Parti et ses dirigeants, contre le gouvernement
de l’URSS, de placer le MVD au-dessus du Parti et du gouvernement
afin de prendre le pouvoir, de liquider le régime soviétique et de
restaurer le capitalisme{3660}.
Le 10 juillet, la chute de Beria fut annoncée au pays et la campagne
anti-Beria dans la presse dura jusqu’au 16 juillet. En Géorgie, 3 011
communistes furent exclus du Parti{3661} et, le 19 juillet, la chute de
Baguirov fut annoncée.

Les retombées de l’arrestation de Beria.


La politique de Beria fut parfois renversée avec une grande rapidité.
Ainsi en Hongrie, dès le 10 juillet, l’organe officiel du Parti communiste
publia un article affirmant que les paysans refusaient de quitter les
coopératives{3662}. Le lendemain, Rakosi soulagé tint un discours
limitant l’importance des concessions annoncées par Nagy quelques jours
plus tôt. La surveillance de l’ambassade yougoslave, interrompue depuis
la mort de Staline, fut rétablie{3663}. Et la propagande antiaméricaine
devint bien plus virulente.
Mais c’est surtout en RDA que les conséquences furent les plus
spectaculaires. Dans la matinée du 27 juin la radio de Berlin-Est annonça
qu’une déclaration importante serait diffusée dans la journée, mais rien ne
se produisit{3664}. Beria se préparait-il à dévoiler l’étape suivante de sa
politique allemande ? Au moment de l’annonce, il croupissait déjà dans sa
geôle, mais ses hommes l’ignoraient encore et continuaient d’agir. La
facilité avec laquelle Ulbricht s’était laissé démettre donne à penser que
ses protecteurs à Moscou lui avaient signifié que le « nouveau cours » n’en
avait plus pour longtemps. Après la chute de Beria le 26 juin, ses agents en
RDA – A. Koboulov, S. Goglidzé{3665}– furent immédiatement
appréhendés sur les ordres du général Gretchko, commandant des troupes
soviétiques en Allemagne{3666}. Semionov s’en sortit en retournant sa
veste et fournit avec obligeance à Molotov force notes justifiant
l’existence de la RDA : « Pour moi c’était une question de survie, » note-t-
il un peu gêné dans son Journal, « car j’ai failli être grillé dans toute cette
affaire{3667} ».
Le 29 juin, le Présidium du Comité central du PCUS annula la décision
du 12 juin et abandonna la nouvelle politique allemande{3668}. Ulbricht
se remit en selle. Le 30 juin, la direction soviétique envoya un télégramme
de félicitations à Ulbricht pour son anniversaire : c’était le signal du
revirement mais la presse est-allemande ne le publia pas{3669}. Le
« nouveau cours » se prolongeait par inertie. Le 3 juillet, le Politburo du
SED ordonna au Présidium de la Volkskammer de faire une déclaration sur
la nécessité urgente d’une entente entre Allemands sous le slogan
« Deustche an einen Tisch{3670} » (« Allemands à une table »). Les
paysans commençaient à quitter les LPG – les kolkhozes – et, début juillet,
le mouvement devint visible, avec la dissolution de 4,3 % des LPG{3671}.
Au même moment se déclencha une deuxième vague de grèves et
beaucoup s’imaginaient que les Soviétiques ne soutiendraient plus le SED.
La CDU adressa à Grotewohl une liste des vœux de la population :
réduction des impôts et des livraisons, etc. Elle commença à défendre les
paysans, ce qui éveilla la méfiance du SED, et toutes les négociations au
sein du bloc finirent dans les sables, la CDU étant rappelée à l’ordre.
Max Fechner, le ministre de la Justice, publia dans Neues Deutschland
une interview rappelant que le « droit de grève est garanti par la
Constitution » et appelant à l’indulgence envers les instigateurs des
troubles du 17 juin – il sera limogé le 16 juillet et Herrnstadt sera accusé
d’avoir ouvert les pages de son journal aux « ennemis{3672} ». En
attendant, ignorants des changements survenus au Kremlin, Herrnstadt et
Zaisser songeaient à de nouvelles candidatures pour le Secrétariat.
Herrnstadt consulta Ackermann à ce propos{3673} et Zaisser confia à ses
subordonnés qu’Ulbricht allait devoir se livrer « à une autocritique
massive » et que « ses lèche-cul seront exclus du Parti{3674} ».
Le 2 juillet se tint la deuxième session de la Commission du Politburo
du SED qui devait être consacrée à l’élargissement du Politburo et à la
constitution du « grand secrétariat{3675} ». Zaisser proposa d’élire
Herrnstadt comme secrétaire général. Herrnstadt répondit, et ces paroles
lui vaudront par la suite beaucoup d’ennuis : « Je sais que l’appareil du
Parti est contre moi, mais j’ai pour moi les masses{3676}. » Il suggéra de
limoger Hermann Matern qui était responsable de la Commission de
contrôle du Parti et qui « était incapable d’affirmer son autorité de
président de la Commission face au cam. Ulbricht{3677} ». Ulbricht
laissa tomber : « Ta proposition est parfaitement logique. Elle met les
points sur les i {3678}. » Puis ce fut la douche froide : le représentant
soviétique B. P. Mirochnichenko prit soudain la parole pour s’opposer à la
réforme du secrétariat, estimant qu’un secrétariat restreint, dont les
membres n’appartiendraient pas au Politburo, était indispensable{3679}.
Se sentant déjà le vent en poupe, Ulbricht voulut procéder à des exclusions
du Politburo. Mirochnichenko recommanda d’attendre le retour de
Semionov et de Youdine avant de prendre les décisions et la séance est
levée.
Le 7 juillet se tint une nouvelle séance du Politburo. Sur treize présents,
seuls deux se prononcèrent pour qu’Ulbricht reste secrétaire général et il
fut violemment attaqué. Le 9 juillet, Moscou décida d’annuler ou de
« discuter avec les leaders est-allemands » la série de propositions
soviétiques avancées le 24 juin et adoptées par le SED le 25{3680}. Orlov,
le responsable du Département d’information de la SKK – Commission de
contrôle soviétique – donna les consignes suivantes à ses interlocuteurs
allemands :

Les informations qui présentent le Parti et le gouvernement sous un


jour défavorable sont à interdire. […] Si des insuffisances sont
mentionnées, il faut aussi souligner les éléments positifs.

C’était un désaveu explicite de la glasnost pratiquée depuis la mi-juin


par Herrnstadt.
Le 10 juillet, Grotewohl, Ulbricht et Oelsner furent invités à Moscou où
on leur annonça la chute de Beria et on leur recommanda de revenir à la
direction collégiale{3681}. Le 11 juillet, Neues Deutschland publia sans
commentaire le communiqué de TASS sur les « activités criminelles » de
Beria et il fallut attendre le 18 pour qu’Herrnstadt autorisât la publication
d’un article sur l’arrestation de Beria{3682}.
Lors du XVe Plénum qui se tint du 24 au 26 juillet et qui devait
consacrer la chute de ses adversaires, Ulbricht savoura sa revanche : « Le
Parti doit sortir de cette atmosphère de repentance » qui s’était emparé de
lui ces dernières semaines, claironna-t-il, tout en se déchaînant contre la
fraction Zaisser-Herrnstadt. La RDA était soi-disant menacée d’un
« titisme allemand ». On reprocha à Herrnstadt d’avoir parlé d’un
« renouveau nécessaire » du Parti{3683}, de pencher vers la social-
démocratie et d’avoir défendu des positions capitulardes. De façon
prévisible, Zaisser fut accusé d’avoir voulu placer les organes de sécurité
au-dessus du Parti. Sous sa direction le ministère de la Sécurité aurait
abandonné toute lutte contre les agents de l’étranger et les organes du Parti
du ministère auraient été indépendants du Comité central. On accusa
Zaisser d’avoir déclaré que l’URSS abandonnerait la RDA et Ulbricht
prononça contre lui une violente diatribe :

Le camarade Zaisser a déclaré qu’il avait l’intention de liquider les


groupes ennemis en temps voulu. La politique de la Sécurité d’État
était soi-disant d’étudier les ennemis qu’elle avait repérés et de
remettre à plus tard leur incarcération. […] Mais la Sécurité d’État
n’est pas un centre de recherche. Lorsque les ennemis se manifestent,
la solution n’est pas de les étudier. […] Le Parti n’avait pas de
contrôle réel sur la Sécurité d’État. […] Le camarade Zaisser était si
absorbé par sa lutte contre Ulbricht qu’il avait oublié qu’il était
responsable de la Sécurité d’État. […] Un camarade a demandé s’il y
avait un lien entre l’activité fractionnelle de Herrnstadt-Zaisser et la
chute de Beria. Un camarade ministre a raconté ici que Zaisser lui
avait déclaré que désormais la politique suivie serait une politique de
concessions à l’Occident qui pourrait déboucher sur une restauration
du pouvoir de la bourgeoisie. Ce point de vue correspond à la position
de Beria qui est liée à celle de Churchill.

Ulbricht reprocha aussi à Zaisser d’avoir voulu créer un ministère de


l’Intérieur unifié après s’être concerté avec deux officiers qui étaient les
envoyés spéciaux de Beria, sans en aviser le Politburo et en mettant celui-
ci devant le fait accompli{3684}.
Une campagne de presse fut déchaînée contre la fraction Zaisser-
Herrnstadt et les accusations allèrent crescendo : « capitulards »,
« trotskisme », « sionisme », « agents impérialistes ». Le ministère de la
Sécurité fut intégré au ministère de l’Intérieur et Wollweber remplaça
Zaisser{3685}. Max Fechner, le ministre de la Justice qui avait promis de
ne pas poursuivre les insurgés du 16 juin, fut incarcéré et Ackermann
contraint de faire son autocritique.
La Commission de contrôle du SED, dirigée par H. Matern, un fidèle
d’Ulbricht, fut chargée d’enquêter sur l’affaire Herrnstadt-Zaisser. Les
deux hommes durent rédiger une autocritique et révéler au Parti l’étendue
de leurs méfaits{3686}. Tous ceux qui furent soupçonnés d’avoir pris part
au complot anti-Ulbricht – Ackermann, Franz Dahlem, Hans Jendretsky,
Elli Schmidt – durent rédiger une note d’explication et raconter ce qu’ils
savaient sur Zaisser et Herrnstadt. Herrnstadt rédigera plusieurs
confessions, essayant de justifier son attitude à l’été 1953, tout en se
défendant d’avoir voulu écarter Ulbricht ou restaurer le capitalisme.
Zaisser fut beaucoup plus laconique, se retranchant derrière une langue de
bois impeccable, reconnaissant « avoir versé de l’eau au moulin de
l’ennemi{3687} ».
La Commission rendit ses conclusions en décembre 1953, au moment
où s’achevait en URSS le procès de Beria. Elle confirma les accusations
portées contre les deux hommes lors du XVe Plénum : ils avaient voulu
organiser un « putsch contre le noyau dirigeant du Parti » après avoir
formulé une « plate-forme sociale-démocrate » faisant du SED le « parti
de tout le peuple » et impliquant la restauration du capitalisme{3688}.
Herrnstadt était prédisposé aux « vacillations » en raison de ses origines
bourgeoises et parce qu’il était un intellectuel{3689}. Il fut accusé d’avoir
soutenu les grévistes dans les colonnes de Neues Deutschland. Les
principaux griefs retenus contre Zaisser furent la fameuse réunion d’avril-
mai 1952 qu’il prétendit avoir oubliée{3690}, le « soutien à la politique
contre-révolutionnaire de l’Ostbüro » ; le fait que Zaisser ait soustrait
l’organisation du Parti du MfS au contrôle du Comité central et l’ait
« négligée d’un point de vue idéologique et organisationnel{3691} », le
fait qu’il ait « totalement isolé le MfS du Comité central{3692} ». Et,
surtout, on lui imputa l’inaction du MfS le 17 juin 1953{3693}. Quant à sa
proposition de nommer Herrnstadt au poste de premier secrétaire du
Comité central, elle reflétait « sa volonté de contrôler la direction de
l’appareil du Parti [à travers Herrnstadt] alors que lui aurait contrôlé
l’appareil d’État à travers le ministère de l’Intérieur{3694} ».
On a l’impression que le dossier d’accusation contre les deux hommes
était si mince – hormis la tentative de putsch contre Ulbricht – que les
membres de la Commission en furent réduits à noter la moindre vétille :
ainsi on reprocha à Zaisser d’avoir déclaré un jour que le déficit en viande
de la RDA était si grand que toute la production de l’Argentine ne suffirait
pas à le combler{3695}, ou d’avoir remarqué avec mépris que « de
nombreux secrétaires régionaux du Parti avaient été refusés pour un
emploi dans la Sécurité d’État{3696} ». Dans son autocritique Herrnstadt
nia avec énergie avoir été l’« homme de Beria » : « On me demandait de
démasquer un complot [lors du XVe Plénum]. Mais je ne pouvais le faire,
car le complot n’existait pas{3697}. » De même, il nia avoir voulu mettre
Ulbricht à l’écart et reprivatiser l’économie – et ses dénégations ne
manquent pas de crédibilité sur ce point, lorsqu’on se souvient qu’il s’était
opposé à la liquidation des LPG (fermes collectives) voulue par Beria. En
décembre 1953, Herrnstadt écrivit à Matern et à Semionov : les
accusations de liens avec Beria « m’ont laissé sans voix et continuent de le
faire. On peut tout aussi bien me soupçonner d’avoir assassiné mon
père{3698} ». Quant à Zaisser, il fera ce commentaire curieux à Matern :
« Si tout ce que vous dites est vrai, je ne me comprends pas moi-
même{3699}. »
Pour les membres de la Commission de contrôle, rien de concret ne vint
étoffer les accusations selon lesquelles les deux hommes auraient fait
partie de la « bande de Beria » : « Il n’y a pas d’indices de l’action directe
du traître Beria, mais il faut cependant considérer qu’il existe un lien entre
cette action et l’activité fractionnelle de Herrnstadt-Zaisser », conclut la
Commission au terme de sa longue enquête{3700}. En décembre 1953,
Wollweber fut obligé de reconnaître qu’il était impossible de « démasquer
les organisateurs du putsch{3701} ». La Commission n’était même pas
parvenue à établir comment les Américains étaient au courant de tout ce
qui se passait au sein du Politburo du SED. L’hypothèse d’une maîtresse
d’Herrnstadt trop bavarde avait été écartée{3702}. Plus tard, on fit valoir
que Zaisser n’avait jamais rencontré Beria et que les accusations contre lui
étaient fabriquées par Mielke qui, lui, connaissait Beria{3703}.
Ces conclusions s’expliquent par une connaissance trop superficielle du
modus operandi de Beria et sans doute par la réticence des Soviétiques à
pousser l’enquête plus loin. En réalité, dans le cas de Herrnstadt comme
dans celui de Zaisser, de nombreux détails révèlent la marque de Beria. On
reprocha, par exemple, à Zaisser d’avoir voulu rendre public le chiffre des
détenus{3704} – initiative où nous retrouvons l’empreinte de Beria. De
même Ulbricht accusa Zaisser d’avoir fait construire, en 1951, un luxueux
sanatorium à Wolletz pour y inviter les membres du Politburo et les
secrétaires du Comité central durant les week-ends et d’utiliser les moyens
matériels pour corrompre les fonctionnaires et acheter leur silence sur ses
activités – Zaisser avait par exemple offert un crédit à Mielke{3705}.
Accusation à rapprocher de l’indignation de Khrouchtchev devant la
proposition de Beria de faire construire des datchas somptueuses pour les
membres du Politburo sur les côtes de la mer Noire{3706}.
Herrnstadt et Zaisser furent exclus du Parti en janvier 1954. Ackermann
et Jendretsky en furent quittes pour un blâme. Zaisser fut nommé
traducteur à l’Institut Marx-Engels-Lénine. Herrnstadt trouva un modeste
emploi dans les archives de Merseburg et, le 28 novembre 1962, il écrivit
une lettre à Semionov pour lui demander d’intervenir en faveur de sa
réhabilitation. Il lui reprocha au passage les oscillations de sa politique :
« En un court intervalle vous avez défendu des positions opposées. […]
Mon hypothèse est que l’affaire Herrnstadt-Zaisser est une sorte de procès
Rajk ou Kostov abandonné à mi-chemin{3707}. » Semionov se garda bien
de venir à son secours.
Le « nouveau cours » fut assez vite abandonné, preuve que la force
motrice en était Beria, et en septembre les Soviétiques imposèrent à
nouveau la création des LPG. On revint à l’augmentation des normes et les
attaques contre l’Église reprirent. Une vaste purge fut organisée dans le
Parti, dont 70 000 membres furent exclus, et dans les syndicats. La Stasi
développa un impressionnant réseau de mouchards et la RDA reprit la
physionomie rébarbative qui sera la sienne jusqu’à sa disparition en 1989.

La lecture des événements en Occident.


Les rumeurs sur la chute de Beria circulèrent dès son absence
remarquée à l’opéra Les Décabristes le 27 juin. Les Occidentaux avaient
perçu la nervosité de l’opinion, noté le passage de troupes et de chars le
27{3708}. De manière significative, l’organisation Gehlen fut la première
à apprendre la chute de Beria, nouvelle qui causa « beaucoup de remous en
Allemagne{3709} ». Le 10 juillet, la chute de Beria fut discutée lors d’une
réunion ministérielle à la Maison Blanche. Foster Dulles était tout excité :

C’est le moment de pousser l’avantage, au lieu de nous restreindre,


comme le veulent les parlements occidentaux. C’est le moment de
tomber sur l’ennemi et de lui porter le coup de grâce une fois pour
toutes. Si nous perdons du temps il pourra se consolider et nous
ramener au point de départ{3710}.

La chute de Beria enflamma d’emblée les imaginations, en URSS et en


Occident. Deux interprétations divisèrent les chancelleries occidentales.
Pour les uns, on tournait la page du stalinisme, le bourreau Beria avait été
exécuté par ses collègues et l’armée russe avait pris sa revanche sur la
police politique{3711}. Pour d’autres, mieux informés et au courant du
rôle de Beria dans la nouvelle politique allemande, Beria était tombé parce
qu’il avait voulu aller trop vite et trop loin, victime de sa politique en
RDA. C’était la lecture en particulier de l’éditorialiste Joseph Alsop :

On peut imaginer que les anciens alliés dans l’Armée rouge se soient
raidis contre tout abandon des positions en Allemagne, ce qui pourrait
donner des idées dangereuses aux peuples des autres satellites
européens de la Russie. L’insurrection de la Stalinallee s’est produite
le 17 juin. L’arrestation de Lavrenti Beria a eu lieu le 26 juin. Le
stalinisme a été réaffirmé sous une forme plus dangereuse par un
Malenkov triomphant{3712}.

Certains discernèrent dans la chute de Beria le signe annonciateur d’une


décomposition du régime soviétique. On nota la place des militaires dans
la révolution de palais et on crut pouvoir s’attendre à un tournant
nationaliste de la politique de l’URSS. Nul en Occident ne devina le rôle
joué dans cette affaire par Khrouchtchev dont l’ascension ne fut
remarquée qu’à partir du 5 août. On crut plutôt à une pression des
militaires sur Malenkov, sachant Beria impopulaire chez les militaires
empreints de nationalisme grand-russe.
Dans l’entourage d’Adenauer, la chute de Beria provoqua une vive
inquiétude : on n’ignorait pas que Beria était l’inspirateur du « nouveau
cours », on vit dans sa chute la victoire des partisans du nationalisme russe
et de la centralisation{3713}, et on s’inquiéta du sort de Zaisser{3714}.
Un peu partout on craignait la fin de la détente qu’avait amorcée la mort
de Staline et qu’on attribuait à Beria. L’ambassadeur de France Louis Joxe
estimait que Beria était bien l’homme de la détente, que son élimination
avait un sens politique et qu’il ne s’agissait pas d’une simple révolution de
palais{3715}. Il nota avec finesse que les accusations portées contre le
vaincu « revêtent autant, sinon davantage, l’aspect d’un procès de
tendances que celui d’un règlement de comptes{3716} ». Churchill en fut
ébranlé et il fut en particulier troublé par le rôle de Malenkov dans la
chute de Beria. Et, surtout, que pouvait valoir un sommet avec les hommes
du Kremlin si, du jour au lendemain, les plus puissants pouvaient
disparaître{3717} ? Quant à Eden, il ne perdit pas son flegme britannique :
« Cette affaire Beria est curieuse. En tout cas cela ne peut nous nuire, pour
autant que j’y voie quelque chose dans cette scène obscure{3718}. »
Dans l’ensemble, les milieux mencheviques furent les plus proches de
la vérité, l’analyse du communiste repenti Franz Borkenau étant la mieux
informée. Borkenau était persuadé que la chute de Beria tenait à sa volonté
de remettre en cause non seulement le stalinisme, mais les principes du
communisme, et que Beria était allié à des forces puissantes en URSS qui
ne voulaient plus de la dictature du Parti, comme un groupe de militaires
autour du maréchal Joukov. Borkenau a compris qu’après les troubles de
Berlin et de Prague Beria avait été victime du rapprochement de groupes
auparavant rivaux autour de Malenkov et Molotov qui voyaient en lui le
fossoyeur de l’empire{3719}. Le menchevik Boris Nicolaevski estima de
son côté que la rupture entre Malenkov et Beria, qui fut fatale à ce dernier,
était due à un désaccord sur l’étendue des concessions que Moscou pouvait
consentir aux Occidentaux, Beria étant le plus « libéral » dans ce
domaine{3720}.
La chute de Beria frappa les imaginations. En septembre, une foule
d’articles sensationnels parurent dans la presse étrangère, spéculant sur ses
causes et sur le sort de Beria après le 26 juin. Le journal berlinois Der
Abend du 5 septembre 1953 cita les témoignages de diplomates est-
européens en poste à Moscou, selon lesquels Beria aurait été trahi par son
épouse, qui aurait dévoilé à Malenkov les plans secrets du chef du NKVD.
La rumeur courut que Beria se serait échappé, qu’on l’aurait vu en
Espagne{3721} ; selon une autre version, il s’était réfugié dans un pays
neutre et avait demandé l’asile politique aux États-Unis. Il avait soi-disant
demandé à être entendu par Eisenhower, Nixon et le sénateur Mac Carthy
afin de dénoncer le complot mondial des communistes moscovites{3722}.
Ces rumeurs émanaient sans doute des milieux de l’émigration
géorgienne. Dans l’article cité plus haut, Kerenski rapporte qu’apprenant
la chute de Beria, le 11 juillet, Gueguetchkori lui aurait dit que Beria était
toujours en liberté, qu’il s’était enfui en Suède et que de là il se rendrait
dans le Caucase où il prendrait la tête d’une insurrection. En août,
Kerenski fit part de ces déclarations de Gueguetchkori au général émigré
Chalva Maglakélidzé qui lui répondit :

Gueguetchkori ne connaît pas toute la vérité. Beria a été arrêté et son


plan de rébellion a échoué. Durant ses voyages d’inspection dans les
pays satellites, il a noué des contacts avec des étrangers et il a été
trahi de l’étranger{3723}.

En août 1953, les diplomates français en poste à Moscou eurent eux


aussi vent de rumeurs selon lesquelles Beria préparait des révoltes contre
le pouvoir central dans les républiques fédérées afin de s’emparer du
pouvoir. Un général du MVD à Riga, mis au courant des projets de Beria,
aurait tout rapporté à Khrouchtchev{3724}. Le diplomate français Jean-
Marie Soutou se souvient :
Certes, Beria aurait voulu aller encore plus loin dans la rupture avec
le stalinisme. Et, d’ailleurs, je pense que tout n’était pas faux dans
l’acte d’accusation contre Beria, quand on l’a accusé d’être un agent
et d’avoir marchandé. Dieu sait les contacts qu’il a eus. Du côté
américain ça n’est pas encore sorti, mais on l’apprendra peut-être un
jour{3725}.

Selon une autre source, Josef Muller, ancien ministre de la Justice


bavaroise, a confié à Ernst Lemmer, le député CDU de Berlin, que la chute
de Beria était due aux indiscrétions de l’ex-chancelier Wirth. Lorsque
Wirth s’était rendu à Berlin, il avait rencontré Beria qui lui avait fait des
révélations sur la situation intérieure en URSS et sur les inimitiés
opposant les dirigeants soviétiques ; il avait sévèrement critiqué Malenkov
et laissé entendre que bientôt la situation changerait et que l’URSS se
rapprocherait des puissances occidentales. À son retour en RFA, Wirth
n’aurait pas tenu sa langue et ces propos seraient remontés aux oreilles de
Malenkov{3726}. Cette dernière version semble assez vraisemblable.

Les réactions en URSS.


Pour les membres du Présidium qui avaient vécu dans la peur de Beria,
la chute du chef du NKVD fut un immense soulagement. Selon un témoin,
Malenkov ne cessa de sourire pendant plusieurs mois{3727}. Au sein de la
population soviétique, la disgrâce de Beria suscita des réactions
prévisibles. Le pays était encore profondément empreint de stalinisme et
les masses laborieuses condamnèrent à l’unisson le ministre déchu et
réclamèrent sa tête :

La mort est trop douce pour lui, ce n’est pas un homme c’est une
bête. Il faut le mettre en cage et l’exhiber dans les usines et les
kolkhozes afin que les travailleurs voient sa physionomie bestiale.

Cependant certains éprouvaient des doutes, tel le diplomate Oleg


Troianovski :

Le Plénum laissait un sentiment de gêne. L’accusé semblait


condamné d’avance par une sorte de Cour suprême avant que n’ait eu
lieu son procès. […] En outre il était absent. Les accusations
d’espionnage, qui ne reposaient sur aucune preuve, ne pouvaient que
susciter le scepticisme. Et puis, se demandait-on, comment Beria
avait-il pu commettre tant de méfaits derrière le dos de
Staline{3728} ?

Dans les milieux scientifiques aussi il y eut des réticences. Sergo Beria
raconte dans ses Mémoires qu’il dut sa libération aux interventions des
savants qui travaillaient avec son père. Le MGB a noté des commentaires
« calomniateurs à l’égard des dirigeants du Parti et du gouvernement » de
la part du physicien Landau concernant la dénonciation de Beria comme
ennemi du peuple{3729}. Et les Juifs étaient inquiets, craignant que
Malenkov ne renoue avec les campagnes antijuives de la fin du règne de
Staline{3730}.
Dans le Goulag, on se réjouit de la chute de l’homme de main de
Staline. Mais dans la périphérie de l’empire Beria avait commencé à
devenir populaire. Partout furent convoqués des réunions du Parti et des
« meetings de travailleurs » pour condamner Beria. Rien qu’en Ukraine, il
y en eut plus de quatre mille{3731}. Les réactions à sa chute notées par le
MVD à Vilnius sont pour le moins étonnantes : selon un habitant de la
capitale lituanienne, il était dommage « que les choses aient tourné de la
sorte. Beria a fait de bonnes choses, il voulait donner la liberté aux peuples
et mettre fin à la tyrannie soviétique. Il faut porter son deuil, car il
travaillait efficacement contre les Soviets ». Un autre se déclara :
plein d’admiration pour l’activité de Beria, il a beaucoup fait contre
les Soviets, il a exterminé une masse de gens, y compris Staline. Pour
se venger de tous les crimes commis par le régime soviétique, il a
porté un coup sérieux au Parti communiste, a considérablement
amoindri le prestige des Soviets et du gouvernement. Il a détruit de
fond en comble le renseignement soviétique. Ainsi les Soviets ont les
yeux et les oreilles crevés.

Et encore :

Lorsque je me trouvais dans les camps, on disait déjà qu’un jour


Beria trahirait l’Union soviétique et vendrait le peuple soviétique aux
pays capitalistes.

Après la mort de Staline, Beria est venu à Vilnius et il a dit que la


Lituanie était aux Lituaniens et n’avait pas besoin des Russes. Beria
menait une politique correcte et c’était quelqu’un de bien.

La plus grande partie du capital étranger est aux mains des Juifs.
Beria a voulu se gagner la sympathie de ces capitalistes, c’est
pourquoi il a libéré les médecins empoisonneurs. S’il avait réussi à
prendre le pouvoir et à mener sa politique, il aurait emprunté de
l’argent chez les capitalistes étrangers et aurait développé le
commerce international. Alors nous aurions eu une vie meilleure.

Les rumeurs les plus fantastiques circulèrent à Vilnius : Beria aurait pris
la fuite aux États-Unis avec les plans opérationnels de l’URSS. Beria allait
prendre la parole à la radio pour démasquer les dirigeants de l’URSS.
Beria était l’homme des États-Unis qui ne toléreraient pas son arrestation
et déclareraient bientôt la guerre à l’URSS. Certains croyaient avoir
entendu Beria à La Voix de l’Amérique, où il aurait déclaré : « Attendez-
nous, soyez patients, bientôt nous vous libérerons{3732}. »
En Estonie, les orateurs du Plénum du 11 juillet 1953 dénonçant Beria
eurent à répondre à des questions sarcastiques ou gênantes : « Sur qui
s’appuyait Beria, quelle était sa base idéologique et matérielle ? » La
réponse d’Ivan Kebine, le chef du PC estonien, trahit son embarras :
« Beria s’appuyait sur deux hommes, Goglidzé et Koboulov. Bien sûr il
n’avait aucune organisation. Sa base idéologique était apparemment le
fascisme. Sa base matérielle ? Sans doute les dollars par lesquels
l’impérialisme américain finance les activités hostiles. » Autre question :
« Pouvons-nous avoir des détails sur l’arrestation de Beria ? » Réponse de
Kebine : « Je n’y étais pas. » Question : « Est-ce que Beria était présent au
Plénum ? » Réponse : « Il était démasqué comme ennemi du Parti et du
peuple. Cela suffisait pour qu’il n’y soit pas{3733}. »
La chute de Beria donna lieu à autant de rumeurs que la mort de Staline.
On raconta qu’il avait été abattu par Joukov ou qu’on l’avait fusillé en
prison sans jugement. Mais officiellement il allait bientôt devenir une
non-personne. Les abonnés de la Grande Encyclopédie soviétique reçurent
l’ordre en juillet d’arracher les pages 22 et 23 du tome II ; un article
consacré au détroit de Bering sera introduit pour masquer le vide laissé par
le nom de Beria effacé du panthéon communiste.

31

Le procès de Beria
Après de si grands crimes, il n’est plus possible de tromper l’histoire
par de petites ruses. Il doit y avoir une expiation{3734}
[Amiral Canaris].

Désormais la Convention épurée se croit pure ; ses rigueurs finales ont


expié ses lâchetés anciennes, et dans le sang coupable qu’elle verse, elle se
lave du sang innocent qu’elle a versé. […] Oppresseurs pusillanimes ou
libérateurs involontaires, la bassesse et l’égoïsme ont été les grands
ressorts de leur conduite{3735}
[Hippolyte Taine].

Le mystère dont est entourée la fin de Beria n’est toujours pas dissipé
aujourd’hui, malgré la publication récente d’ouvrages fondés sur les
archives du procès de Beria et de ses complices. Et l’on peut, pour
commencer, douter de la présence réelle de Beria à ce procès. Dans ses
Mémoires, son fils Sergo a affirmé que son père avait été assassiné à son
domicile le 26 juin 1953. Ce récit de Sergo a été confirmé par le
témoignage d’A. Ja. Vedenine qui raconte que, jeune tchékiste enrôlé fin
1952 dans un groupe spécial du MGB, il a été convoqué avec son groupe,
début juin 1953, par Krouglov qui leur déclara que Beria préparait un coup
d’État ; le 26 juin à 6 heures du matin, il fut d’abord envisagé d’organiser
un accident de voiture, mais deux heures après il fut décidé de prendre
d’assaut la résidence de Beria rue Katchalov. Vedenine resta devant
l’immeuble, mais il entendit des coups de feu provenant du bureau de
Beria, assista à l’évacuation de trois cadavres et resta persuadé que Beria
avait été assassiné chez lui{3736}. Pourtant cette version n’est pas
crédible et, si Sergo a bien vu des hommes évacuer un corps de son
domicile, sans doute a-t-il été victime d’une mise en scène ayant pour but
de faire croire aux fidèles de Beria que leur chef était mort et que toute
résistance était inutile. En outre, les membres du Présidium étaient sans
aucun doute pressés de mettre la main sur des papiers et surtout des
documents compromettants les concernant, et ils craignaient que les
hommes de Beria ne les placent en lieu sûr. Il ressort du témoignage de
Sergo Beria que, durant l’instruction de son procès, on le poussa à croire
que son père était mort : il était plus facile de l’amener à accabler ce
dernier mort que de le forcer à l’accuser vivant.
Quand Beria a-t-il été exécuté ? Il a adressé à ses collègues du Politburo
trois lettres de captivité qui semblent des documents authentiques{3737}.
Dans la première, datée du 28 juin et adressée à Malenkov, Beria l’assurait
qu’il pouvait encore « être utile au collectif » et qu’il tiendrait compte des
critiques qui lui avaient été adressées au Présidium : « Je considère qu’il
est indispensable de déclarer que j’ai toujours été infiniment dévoué au
parti de Lénine-Staline. » Beria justifiait ensuite sa politique des cadres
« inspirée par le souci de l’efficacité ». Il s’excusait de ses torts auprès de
tous ses collègues et pour finir demandait à Malenkov de se préoccuper du
sort de sa femme, de son fils Sergo et de sa vieille mère.
Le 1er juillet, Beria envoya une deuxième lettre à Malenkov, la plus
longue, où il faisait son autocritique et reconnaissait ses torts à l’égard de
ses collègues. Il citait en particulier l’erreur qu’il avait commise en
obligeant le Présidium à accompagner les résolutions concernant la
Lituanie, l’Ukraine et la Biélorussie des notes du MVD : « Cela donnait
l’impression que le MVD corrigeait la politique du Comité central » de
ces républiques. Il reconnut avoir eu tort d’imposer en Hongrie Imre Nagy
de son propre chef. Puis il rappela à Malenkov les longues années de
travail ensemble, surtout au sein du Comité spécial. Il rappela ensuite à
chacun de ses collègues les souvenirs communs et les services rendus. Il
se défendit d’avoir été le favori de Staline, ce que lui avaient reproché
Pervoukhine et Sabourov lors de la séance du 26 juin, en rappelant que
Staline avait rogné ses pouvoirs dès qu’il avait fini de mettre de l’ordre
dans le NKVD. Il achevait sa missive en sollicitant qu’on l’affecte à un
poste modeste – « Ne me privez pas de la possibilité d’être un bâtisseur
actif » –, en rappelant une fois de plus son dévouement au Parti.
La dernière lettre, datée du 2 juillet, est empreinte de panique :
Chers camarades, on veut me liquider sans procès et sans jugement,
après cinq jours de détention, sans un seul interrogatoire, je vous en
supplie, ne le permettez pas, intervenez immédiatement, sans quoi il
sera trop tard. […] Est-ce qu’un membre du Comité central ne mérite
pas que l’on instruise son affaire dans les règles ? […]. Pourquoi agir
de la sorte, m’enfermer dans une cave sans rien me demander ? […]
Chers camarades, n’y a-t-il pas d’autre moyen de résoudre les choses
que de fusiller votre camarade après cinq jours de détention dans une
cave{3738} ?

Il n’est pas exclu que Beria ait été exécuté dans les heures ou dans les
jours qui suivirent la rédaction de cette lettre et qu’un sosie ait été jugé en
décembre – l’hypothèse vers laquelle nous penchons, sans la moindre
certitude. Beria inspirait tant de crainte à ses collègues qu’ils ont pu
vouloir s’en débarrasser au plus vite.
Le 29 juin, le nouveau procureur Roudenko reçut l’ordre « d’enquêter
sur l’activité subversive antiparti de Beria à travers son entourage,
conformément aux instructions du Présidium du Comité central{3739} ».
Or seuls Roudenko et Moskalenko interrogèrent Beria. Ils prétendirent
qu’il se comportait de manière provocante, n’avouant que ce que le
Parquet avait réussi à prouver – ce qui pourrait être un indice que ce
n’était pas le vrai Beria. Il n’y eut aucune confrontation directe entre Beria
et ceux qui témoignaient contre lui. Le 5 août, Khrouchtchev dit à
Soudoplatov : « Beria écrit qu’il veut s’expliquer, mais nous ne voulons
pas lui parler. Nous vous avons invité pour que vous nous rapportiez ses
actes de trahison{3740}. » Merkoulov se retrouva dans la même situation.
Khrouchtchev écrit qu’au début de l’affaire il ne voulait pas l’arrêter :
« C’était un homme cultivé qui me plaisait{3741}. » En réalité, il
comptait sur Merkoulov pour « mieux y voir clair dans Beria ». Il le
convoqua donc le 11 juillet et lui dit qu’il ne lui tiendrait pas rigueur de sa
longue association avec Beria à condition qu’il « aide le Comité central »
dans son enquête{3742}. Merkoulov accepta avec empressement et
rédigea les deux notes déjà citées à plusieurs reprises. Khrouchtchev et
Roudenko estimèrent qu’il n’y avait pas grand-chose à tirer de ce texte qui
n’étayait pas leurs thèses favorites d’un Beria agent double et contrôlant
Abakoumov. Et Roudenko demanda l’arrestation de Merkoulov, car « sans
cette arrestation l’instruction de l’affaire serait difficile et
incomplète{3743} ».
Le témoignage de Sergo Beria concernant le procureur du procès de son
père est éclairant :

Au moment de ma libération, Tsaregradski [le procureur] vint me


trouver dans ma cellule et m’emmena dehors et là il me dit : « C’est
moi qui ai rédigé les procès-verbaux des interrogatoires de votre
père. » Je lui dis : « Et pourquoi ne me les avez-vous pas montrés ? »
Il me répondit : « Il n’y avait rien à montrer, c’est moi qui les avais
écrits. » Je demandai : « Qu’est-ce que ça veut dire ? » Lui : « Des
centaines de gens ont été interrogés. » C’est à partir de ces
témoignages qu’il avait rédigé les procès-verbaux des interrogatoires
de mon père – sans voir mon père {3744} !

Or ce type de pratique existait en URSS, comme le montre, par


exemple, le cas de Piotr Tzerpento, un fonctionnaire du NKVD, qui envoya
le 5 mai 1939 un mémorandum à Beria et à Vychinski, dans lequel il
écrivait :

Les déclarations et le procès-verbal de Postychev ne sont pas des


dépositions de Postychev lui-même, ces documents ont été établis
comme une synthèse de tous les témoignages à charge contre
Postychev ; la forme de procès-verbal a été conférée à cette
synthèse{3745}.
Il est donc tout à fait concevable que les procès-verbaux de ces
interrogatoires aient été composés de toutes pièces par les enquêteurs à
partir des témoignages des collaborateurs détenus de Beria. Nikolaï
Mikhaïlov, l’un des membres du jury qui condamna Beria, fit dire par la
suite à Sergo Beria qu’il n’avait pas vu son père vivant. D’autres indices
pourraient étayer la thèse du sosie : ainsi E. Kozlova, la secrétaire de
l’état-major de la région militaire de Moscou, affirme avoir vu Beria
coiffé en permanence d’un chapeau et la gorge emmitouflée par une
écharpe : tenue plutôt bizarre pour un détenu et qui ressemble fort à un
déguisement{3746}. Ces rumeurs parvinrent jusqu’en Occident puisque,
dès octobre 1953, on émettait l’hypothèse qu’un double serait jugé à la
place de Beria{3747}.
Cependant, cette inconnue concernant la mort de Beria n’a qu’une
portée limitée et d’autres questions se posent. Pourquoi Khrouchtchev a-t-
il organisé un procès ? Quels objectifs poursuivait-il ? Voulait-il vraiment
faire la lumière sur l’affaire Beria ? Il semblerait que son premier souci
fut plutôt de dissimuler le coup d’État aux yeux des Soviétiques et surtout
des Occidentaux, en conférant un simulacre de légalité à ce qui n’était au
fond que le meurtre de l’un des membres du Politburo par ses collègues.
La presse occidentale se demandait, en juillet 1953, comment négocier
avec un gouvernement qui pratiquait l’assassinat. Il fallait donc conférer
un habillage juridique à des décisions relevant des dirigeants du Parti.
Mais, dès que l’instruction fut entamée, Khrouchtchev et ses proches se
trouvèrent dans l’embarras. En effet, ils souhaitaient accabler « Beria et sa
bande », mais sans s’attaquer à Staline. Or les accusés tentaient
invariablement de se justifier de leurs crimes en se référant aux ordres
émanant de l’« Instance », c’est-à-dire de Staline. Accuser Beria et sa
bande en cherchant à couvrir Staline relevait de l’acrobatie. La solution à
ce dilemme fut d’accuser Beria et ses complices de haute trahison. En août
1953, les agents soviétiques en Occident reçurent l’ordre d’enquêter sur
les liens secrets entre Beria, Churchill et les services britanniques{3748}.
Mais cette ligne n’était pas sans inconvénients non plus : de quoi avait
l’air le Politburo si pendant tant d’années il s’était laissé mener par le bout
du nez par un ennemi infiltré dans ses rangs ? Pour échapper à ces
dilemmes, le procureur Roudenko décida de mettre l’accent sur les abus de
pouvoir et les aspects de criminalité de droit commun, en accordant en
particulier une grande place à la dépravation sexuelle de Beria. Les
accusations d’espionnage à la solde de l’étranger furent maintenues, car on
escomptait qu’elles attireraient peu l’attention puisqu’elles s’inscrivaient
dans une longue tradition soviétique. C’est ce qui se produisit : le côté
« Barbe bleue » imputé à Beria frappa bien davantage les imaginations à
l’Est et à l’Ouest que les rituelles accusations de haute trahison.
Dans un premier temps, le procès eut pour fonction de suspendre la
déstalinisation entamée par Beria en lui imputant tous les crimes de
Staline. Lorsque, au moment du procès, Beria – ou son double –
commença à mentionner Staline, le maréchal Konev l’interrompit avec
rudesse : « Surtout ne prononce pas le nom de ce saint homme,
vaurien{3749} ! » Cependant, cette ligne était intenable à long terme et
Khrouchtchev l’avoua lui-même lorsqu’il en vint à relancer la
déstalinisation pour se débarrasser de ses rivaux : « Après le procès de
Beria, nous nous étions pris nous-mêmes au piège que nous avions monté
de nos propres mains afin de protéger la réputation de Staline{3750}. »
L’historiographie khrouchtchévienne n’est jamais revenue sur la version
du Beria intrigant diabolique et violeur de femmes donnée à partir de
juillet 1953 ; après tout, Khrouchtchev fondait la légitimité de son pouvoir
sur l’élimination de Beria et jusqu’à la fin il ne cessa de régaler ses
interlocuteurs étrangers de récits hauts en couleur – et fort divergents – sur
la chute de son rival. Mais Beria cessa peu à peu d’être le mauvais génie
de Staline. Et, en fin de compte, le procès de Beria et de ses proches, qui
devait en théorie marquer l’arrêt de la déstalinisation, ne fit que la
relancer quelques mois plus tard. Il plaça devant les hiérarques soviétiques
un miroir peu flatteur qui les incita en définitive à poursuivre la voie
tracée par Beria, mais de façon moins conséquente et moins lucide.
On peut douter que Khrouchtchev et les autres conjurés aient souhaité
vraiment aller au fond de l’affaire Beria une fois qu’ils eurent réussi leur
coup d’État et organisé leur campagne de dénigrement de Beria à travers
le pays. L’instruction et le procès donnent l’impression d’avoir été bâclés,
à croire que les dirigeants du Kremlin voulaient en finir le plus vite
possible. Le nouveau procureur général Roudenko n’eut pas accès aux
archives de l’accusé et seuls des fonctionnaires de l’appareil du Comité
central – Chataline, Soukhanov et M. P. Sedov – procédèrent à la
perquisition. Soukhanov en profita même pour voler une montre et des
obligations{3751}.
De même, Khrouchtchev et ses collègues se soucièrent fort peu du
respect de la légalité dans l’instruction de l’affaire Beria et de ses
coaccusés V. Dekanozov, V. Merkoulov, L. Vlodzimirski, P. Mechik,
S. Goglidzé et B. Koboulov. Le procureur Roudenko le dit crûment à
Soudoplatov : « Nous n’allons pas respecter les règles alors que nous
avons affaire à des ennemis jurés du pouvoir soviétique{3752}. » Le
procès fut organisé suivant la législation d’exception adoptée le 1er
décembre 1934 après l’assassinat de Kirov, sans présence d’avocats et sans
possibilité de pourvoi en cassation ni de recours en grâce, l’application de
la peine de mort étant immédiate après l’énonciation du verdict. Le
dossier de l’instruction compte une trentaine de procès-verbaux
d’interrogatoires rédigés par Roudenko en personne, ce qui représentait
une pratique tout à fait inhabituelle, les procureurs généraux ne participant
d’ordinaire jamais aux interrogatoires confiés à des enquêteurs{3753}.
Ainsi, les irrégularités de procédure fourmillent : le dossier ne comporte
presque pas de documents et de procès-verbaux originaux, mais des copies
dactylographiées. Mieux encore, l’acte d’accusation fut dicté par le
Présidium du Comité central et le procureur Roudenko n’eut qu’à
l’approuver le 10 décembre. Il fut diffusé aux organisations du Parti avant
même que ne se tienne le procès et que ne soit prononcé le verdict. Cet
acte est plein de formules vagues et ne comporte que peu de faits concrets
étayant les accusations.
Au total une cinquantaine d’officiers furent accusés en relation avec
l’affaire Beria. Des centaines de témoins furent convoqués et le dossier
comporte 39 tomes qui, pour l’instant, n’ont été déclassifiés qu’au
compte-gouttes, de manière partielle et partiale{3754}.

Les principales accusations.


À travers ces bribes d’archives, trois catégories d’accusations
apparaissent : politiques, de droit commun, d’abus de pouvoir. Concernant
les accusations politiques, les enquêteurs déployèrent de grands efforts
pour éclairer les épisodes troubles du passé de Beria. De juillet à décembre
1953, tout ce passé fut examiné à la loupe, mais la chose n’était pas facile
car la plupart des témoins étaient morts. On commença par accuser Beria
d’avoir menti sur la date de son adhésion au Parti bolchevik qu’il situait
en mars 1917, affirmant avoir été le trésorier du cercle marxiste de l’École
polytechnique de Bakou où il était étudiant. Or cette adhésion n’était
attestée par des documents qu’à partir de décembre 1919. Sans doute est-
ce un souci de survie qui poussa Beria à accepter sa première mission
clandestine pour le compte des bolcheviks durant la Commune de Bakou
début 1918 :

La première mission reçue par mon père et son groupe était dirigée
contre le Moussavat. Ses camarades lui procurèrent un sac de riz et,
pendant six mois, ce riz apprêté avec du fromage fut la seule
nourriture de mon père et de sa famille{3755}.

Le premier épisode trouble dans la biographie de Beria fut son service,


de l’automne 1919 à mars 1920, dans le contre-espionnage du Parti
Moussavat, parti nationaliste azerbaïdjanais. Beria prétendit y être infiltré
par le Parti Himmet, le parti social-démocrate local préféré aux bolcheviks
par les musulmans azéris{3756}. Beria se disait patronné par
M. D. Huseinov et M. F. Moussevi, les chefs de l’aile gauche du Parti que
les bolcheviks avaient utilisé pour provoquer une scission au sein de
l’Himmet en juillet 1919{3757}. Huseinov était un communiste
« national », il ne tenait nullement à ce que l’organisation communiste
azerbaïdjanaise soit une simple branche du Parti communiste russe. Quant
à Moussevi, il avait été infiltré dans le contre-espionnage du Moussavat
avant Beria et il fut assassiné fin 1919. Au Plénum de juillet 1953,
Baguirov rappela qu’à cette époque Mikoïan était responsable des activités
clandestines en Azerbaïdjan et qu’aucune trace ne subsistait d’une mission
du Parti confiée à Beria. Bien plus, Beria fut accusé d’avoir forcé deux
bolcheviks arméniens à certifier qu’il se trouvait avec eux dans une
organisation clandestine bolchevique en 1919 (témoignage du capitaine
Balaniouk). De cet épisode datent les rumeurs sur les accointances de
Beria avec les services britanniques qui contrôlaient ceux du Moussavat.
Pour tenter d’y voir plus clair, il faut reconstituer la situation complexe
de Bakou durant cette période. La commune de Bakou reposait sur une
alliance entre dachnaks et bolcheviks, qui vola en éclats en juillet 1918,
alors que les Turcs étaient aux portes de la ville et que les Britanniques
s’approchaient. Les bolcheviks préféraient que la ville tombe aux mains
des Turcs plutôt que de voir les Britanniques s’en emparer. Ce n’était
évidemment pas l’avis des Arméniens qui demandèrent l’appui anglais. La
défection arménienne fit tomber la Commune de Bakou. Quel fut alors le
rôle de Mikoïan ? Ne préféra-t-il pas lui aussi l’occupation britannique de
Bakou, sachant fort bien qu’une conquête turque de la ville entraînerait le
massacre de ses compatriotes ? N’est-ce pas la raison pour laquelle il
échappa au sort des communards de Bakou ?
Le jeune Beria décida de rester à Bakou – occupé tour à tour par les
Anglais le 9 août 1918, puis par les Turcs le 15 septembre, et à nouveau
par les Anglais de décembre 1918 à août 1919 – pour ne pas abandonner sa
sœur sourde et muette et sa mère dépourvues de moyens de subsistance. Il
travailla au service de contre-espionnage du Moussavat de l’automne 1919
à mars 1920. Or, depuis août 1919, les Britanniques avaient retiré leurs
troupes du Caucase, à l’exception de Batoumi. Beria n’a joint le
Moussavat qu’après la fin de l’occupation militaire de Bakou par les
Anglais et au moment où s’ébauchait le rapprochement entre Turcs et
bolcheviks. En second lieu, le passage de Beria dans les services spéciaux
du Moussavat coïncida avec une évolution de ces derniers : ils avaient
adopté d’abord une attitude assez laxiste envers les bolcheviks car ce
contre-espionnage était influencé par l’aile gauche du Moussavat et
infiltré par les bolcheviks – comme en témoigne par exemple l’attentat
contre le général Baratov, le représentant de Denikine à Tiflis{3758} –,
avant de passer à une politique de ferme répression à partir de fin janvier
1920, lorsque les dirigeants azerbaïdjanais prirent enfin des mesures
énergiques pour combattre la subversion bolchevique. Est-ce pour cette
raison que Beria avait conservé dans ses papiers personnels sa demande de
démission datée de fin décembre 1919 ? Beria fut-il le secrétaire de
M. Chirzamanov, le chef du contre-espionnage azerbaïdjanais, comme
l’atteste une pièce du dossier ? Lui dit-il vraiment « qu’on ne pouvait faire
confiance aux Russes et se reposer sur eux{3759} » ? Selon l’historien
Arkadi Vaksberg, Beria occupait un poste important dans les services du
Moussavat{3760} : « Beria était responsable de nombreux fiascos des
communistes, y compris avec une issue fatale{3761}. » Le dossier
d’accusation de Beria contient en effet des documents provenant des
archives du Moussavat et qui prouvent que Beria était fort actif dans la
chasse aux communistes. Ainsi a-t-il participé à une perquisition dans les
locaux de l’Iskra à Bakou{3762}. Il fit aussi partie de la « commission de
liquidation » chargée d’éradiquer les organes bolcheviques{3763}. Les
enquêteurs parvinrent même à retrouver un militant bolchevique arrêté par
Beria en 1919. Les moussavatistes réussirent à démanteler l’organisation
militaire bolchevique en mars 1920, mais ces succès ne purent empêcher
la soviétisation de l’Azerbaïdjan en avril ; le Moussavat fut impuissant
contre la collaboration entre les bolcheviks, les réseaux d’agents turcs et
les officiers turcs dans l’armée azerbaïdjanaise, qui s’efforçaient d’opérer
la jonction entre la Turquie et la Russie bolchevique afin de faciliter
l’acheminement de l’aide russe aux kémalistes. Quel fut le rôle de
Mikoïan dans ces circonstances troubles ? Ne s’opposa-t-il pas à la
collusion soviéto-kémaliste qui ne présageait rien de bon pour l’Arménie ?
N’est-ce pas en accord avec lui que Beria s’acquitta avec zèle de sa tâche
au sein du contre-espionnage moussavatiste ? Ceci expliquerait une phrase
autrement cryptique des Mémoires de Sergo Beria :

Il [mon père] me raconta que les Turcs avaient déployé un important


et puissant réseau de renseignement à Bakou à l’époque. Mikoïan le
chargea de lutter contre ce réseau turc, bien qu’il l’ait nié par la
suite{3764}.

Dès 1920, Beria eut à se justifier devant les bolcheviks de son passage
dans les services moussavatistes : G. N. Kaminski, qui était alors
secrétaire du Parti d’Azerbaïdjan, reçut une plainte dénonçant Beria –
celui-ci avait été reconnu par un bolchevik qu’il avait arrêté quelques mois
auparavant lorsqu’il travaillait dans le contre-espionnage de l’Azerbaïdjan
indépendant. Cette affaire fut discutée lors d’une session du Comité
central du Parti azerbaïdjanais. Dzerjinski voulait fusiller Beria, mais
Ordjonikidzé intervint et Beria s’en tira{3765}. En 1925, il fut
officiellement exonéré par le Comité central du PC d’Azerbaïdjan{3766}.
Cependant, Kaminski conservait des doutes et, devenu ministre de la Santé
publique, il évoqua le passé trouble de Beria lors du Plénum de juin 1937 –
il fut ensuite arrêté et fusillé en février 1938. Beria n’a jamais nié son
passage dans les services du Moussavat, mais a toujours affirmé y avoir
été infiltré par les bolcheviks. Pourtant, en 1953, les enquêteurs établirent
qu’aucune trace ne subsistait d’une mission du Parti confiée à Beria.
Autre zone d’ombre de la biographie de Beria : ses arrestations à
répétition par la police menchevique. Beria fut arrêté trois fois dans la
Géorgie menchevique. La première fut en novembre 1917, il resta en
prison deux mois et fut expulsé{3767}. La deuxième, qui eut lieu en avril
1920 avec les autres communistes géorgiens, fut brève car la Géorgie était
en train de négocier un traité d’amitié avec la Russie bolchevique et les
communistes furent libérés le 9 juin sur intervention de G. Stouroua qui
représentait les bolcheviks dans les négociations ; Beria partit à Bakou
d’où il fut renvoyé en Géorgie comme clandestin, chargé par les
bolcheviks de Bakou d’y acheminer des lettres secrètes{3768}. Il fut
arrêté une troisième fois avant d’atteindre Tiflis et fut détenu en juin et
juillet à la prison de Koutaïssi ; en août, les bolcheviks détenus furent
expulsés à Bakou après une grève de la faim à laquelle Beria ne participa
pas.
La police du gouvernement menchevique géorgien était bien plus
efficace que celle du gouvernement azerbaïdjanais. Noé Ramichvili, le
ministre de l’Intérieur, avait créé un Département spécial chargé de lutter
contre la subversion bolchevique, dirigé par Meki Kedia et Djakeli. Dans
l’émigration à Paris, Ramichvili et Meki Kedia se souvenaient que Beria
avait livré tout son réseau à la police menchevique{3769}. C’est du moins
ce qu’affirma Chalva Berichvili appelé à témoigner contre Beria{3770}.
Ce dernier aurait donc été recruté par les mencheviks lors de son deuxième
séjour en prison. Et le fait que Beria ne fût pas fusillé quoiqu’il eût avoué
être un espion bolchevique laisse à penser qu’il avait, à l’époque, été
retourné par les mencheviks et renvoyé chez les bolcheviks comme agent
double{3771}, à moins que les mencheviks ne l’aient relâché à la
demande des Britanniques, comme le soupçonnèrent les
enquêteurs{3772}. Le vieux bolchevik F. Makharadzé aurait confié à
Redens qu’en 1918{3773}, lorsque lui-même et d’autres bolcheviks se
trouvaient incarcérés dans le château de Metekhi, Beria avait été introduit
dans leur cellule par les mencheviks comme agent provocateur. Les
détenus l’ayant démasqué, il fut expulsé. Lorsqu’il refit une apparition
dans leur cellule, il fut roué de coups. À cette époque, Talakhadzé, un autre
bolchevik, se trouvait aussi incarcéré au même endroit et il a confirmé par
écrit le témoignage de Makharadzé, étayé par celui de
S. Kavtaradzé{3774}. Beria aurait donc été renvoyé chez les bolcheviks de
Bakou comme agent menchevique{3775}. L’archiviste G. Kostomarov
témoigna que, lorsque des officiers du NKVD géorgien étaient venus
récupérer deux dossiers des archives du contre-espionnage du
gouvernement menchevique géorgien, il avait eu le temps de les feuilleter
et de constater que Beria figurait dans une liste des agents du contre-
espionnage de la Géorgie indépendante{3776}.
Les enquêteurs se penchèrent longuement sur l’affaire Kedrov. Le vieux
bolchevik Ja. D. Berezine, chef de la Tcheka de Moscou, avait raconté à
son fils que Dzerjinski lui avait, en décembre 1921, donné l’ordre d’arrêter
Beria. Cette décision avait été prise après l’inspection de la Tcheka
azerbaïdjanaise par M. S. Kedrov au printemps 1921, liée aux plaintes
contre la terreur de masse et la protection accordée par cette Tcheka aux
adversaires politiques. Kedrov avait découvert à cette occasion les liens de
Beria avec le contre-espionnage du Moussavat. La commission spéciale
qu’il présidait avait établi que Beria « libérait les ennemis du régime
soviétique et arrêtait des innocents ». Beria était en outre accusé d’attiser
la haine entre les nations et Kedrov avait recommandé de le limoger. Mais
Staline était intervenu à la demande de Mikoïan et l’ordre avait été
révoqué{3777}. Or, en 1940, Igor Kedrov voulut dénoncer Beria au
Comité central et Beria le fit arrêter et condamner à mort.
Le dossier d’accusation de Baguirov cite en effet nombre de cas où des
agents des services du Moussavat ou des mencheviks furent libérés et
« blanchis » par Beria et Baguirov, puis promus à des postes de
responsabilité dans la Tcheka{3778}. Ce fut le cas de Soumbatov-
Topouridzé, un menchevik à qui Beria fit une attestation mensongère de
prétendue infiltration dans le Parti bolchevique en 1918, ce qui lui permit
de faire carrière dans la Tcheka.
Le rôle de Beria au moment de l’insurrection menchevique de 1924 fut
aussi examiné à la loupe. Un témoin rapporta que, selon Ordjonikdzé,
Beria avait détruit des documents compromettant les mencheviks
géorgiens et il avait convoqué les chefs mencheviques au moment où
ceux-ci se laissaient aller au découragement et aux récriminations
mutuelles pour les exhorter à reprendre courage, à tenir bon et à résister à
la propagande bolchevique{3779}. Les enquêteurs crurent déceler une
complicité de Beria avec les émigrés en 1924 :

Beria était au courant de l’insurrection imminente, mais non


seulement il ne fit rien pour s’y opposer, non seulement il n’avertit
pas la direction du parti et de la Tcheka de Transcaucasie, mais il
soutint les mencheviks… L’insurrection ne fut écrasée que par
l’intervention énergique d’Ordjonikidzé, de Miasnikov, d’Atarbekov
et de Moguilevski… Or en août 1925 ces trois derniers trouvèrent la
mort dans un accident d’avion… L’enquête menée par Beria sur les
circonstances louches de l’accident ne donna rien… Nombreux
étaient ceux qui voyaient en Beria l’auteur de l’attentat{3780}.

L’enquête montra aussi qu’Ejov avait rassemblé en 1938 les preuves de


la trahison de Beria, qu’il avait lancé un mandat d’arrêt contre lui, que
Beria s’en était sorti en se faisant recevoir par Staline et en lui apportant
un dossier ; et qu’il avait dû s’expliquer devant lui par écrit, ce qu’il avait
fait avec l’aide de Merkoulov.
Même l’assassinat de Trotski suscita des soupçons : le Parquet étudia de
près la correspondance entre Beria et Eitingon au printemps-été 1940, au
moment de la préparation de l’attentat contre Trotski{3781}.
L’enquête de l’automne 1953 se contenta souvent de reprendre les fils
de l’investigation lancée par Staline au moment de l’affaire mingrélienne.
De nombreux détenus furent à nouveau appelés à déposer contre Beria,
comme Chalva Berichvili et Ourouchadzé. Merkoulov témoigna qu’en
1946 E. Gueguetchkori avait envoyé à Nina Beria, par le courrier
diplomatique, une lettre remise à Beria{3782}. Nina et Sergo Beria furent
tous deux interrogés sur les liens de leur famille avec les mencheviks de
Paris, comme s’en souvint Sergo :

J’avais très peur après notre arrestation qu’on impute à ma mère sa


parenté avec les émigrés de Paris. Mais mon père avait été prudent à
l’extrême concernant toutes les relations avec les mencheviks : il
avait fait rédiger des protocoles pour toutes les lettres, tous les
voyages et toutes les rencontres avec les mencheviks géorgiens.
Staline avait des copies de ces protocoles. J’ai su par Tsaregradski
qu’une correspondance était menée au nom de ma mère, chaque lettre
était enregistrée et il y avait là un dossier considérable. Il était facile
de montrer que c’étaient des faux. Quant à la correspondance réelle
que ma mère avait menée, ils n’avaient aucun moyen d’en savoir quoi
que ce soit{3783}.

Or Sergo Beria ne se doutait pas de ce que les enquêteurs avaient


découvert, notamment de ce que rapporta Lomtatidzé. Celui-ci, arrêté par
les Soviétiques à Prague en 1945, avait été le secrétaire du ministre de
l’Intérieur de la Géorgie menchevique, Ramichvili, à qui il avait présenté
le dossier de Beria et celui de F. Makharadzé. Et il témoigna :

Par ses émissaires envoyés en Géorgie et par les lettres de Géorgie


reçues en 1937, Noé Jordania disposait d’informations selon
lesquelles L. P. Beria dirigeait un mouvement antisoviétique en
Géorgie. De nombreuses sources en Géorgie attestaient que
L. P. Beria avait entrepris d’unir les communistes qui lui étaient
personnellement dévoués avec les mencheviks qui vivaient en
Géorgie et d’autres éléments mécontents du régime
soviétique{3784}.

« Tous les émigrés mencheviques géorgiens étaient persuadés que Beria


s’apprêtait à devenir le Bonaparte géorgien{3785}. » Conclusion des
enquêteurs :

Les preuves assemblées permettent d’affirmer que l’émigration


géorgienne contre-révolutionnaire avait créé un culte de Beria dans
lequel elle voyait un bourgeois nationaliste proche de ses vues. Elle
se disait prête à soutenir Beria s’il réalisait un coup d’État contre-
révolutionnaire. De son côté Beria, qui avait la possibilité de lutter
avec efficacité contre l’émigration géorgienne à l’étranger, non
seulement ne l’a pas fait, mais de surcroît sabotait les mesures prises,
restant à dessein inactif contre les émigrés… Afin d’établir des
contacts avec les dirigeants de l’émigration, Beria leur a à maintes
reprises envoyé ses émissaires et de son côté il est lui-même entré en
relation avec leurs agents infiltrés en URSS qui travaillaient pour de
nombreux services étrangers. L’instruction dispose de documents
authentiques qui prouvent l’existence de contacts secrets étroits entre
Beria et les chefs de l’émigration géorgienne contre-
révolutionnaire… Ainsi ces documents prouvent que Beria avait des
relations criminelles permanentes avec l’émigration géorgienne
contre-révolutionnaire, qu’il la protégeait de l’annihilation, ce qui lui
valait le soutien des cercles émigrés réactionnaires liés aux services
de renseignements des États impérialistes{3786}.

Il est curieux que ce thème ait été à peine évoqué au procès – du moins
selon les extraits déclassifiés dont nous disposons –, à l’inverse de celui
des activités au sein du contre-espionnage moussavatiste, que Beria – ou le
personnage qui en tint lieu – reconnut lui-même lors du procès. Dès
octobre 1953, la volonté de clore l’affaire Gueguelia apparut clairement
dans les interrogatoires que les enquêteurs du MGB firent subir à
Roukhadzé{3787}. L’explication la plus vraisemblable de cette curieuse
omission tient à ce que l’existence du réseau menchevique de Beria était
très embarrassante pour les membres du Politburo qui ne se souciaient
guère d’amasser des preuves réelles du double jeu de Beria.
Concernant la lutte du MVD contre le Parti, les accusations du Plénum
de juillet 1953 furent reprises et amplifiées. On reprocha à Beria d’avoir
nommé des responsables locaux du MVD sans avoir soumis les
candidatures aux secrétaires d’obkom, d’avoir voulu faire du MVD « une
sorte de centre gouvernemental{3788} », d’avoir saboté le système
kolkhozien, d’avoir « ranimé les vestiges d’éléments nationalistes
bourgeois dans les républiques fédérées en vue de semer l’inimitié et la
discorde entre les peuples de l’URSS ».
L’enquête développa aussi les griefs formulés lors du Plénum des 2-
7 juillet concernant les opinions iconoclastes de Beria. Des proches de
Beria, Charia, Ordyntsev et Lioudvigov, témoignèrent qu’il « couvrait
Staline de sarcasmes blasphématoires{3789} ». Charia déclara que Beria
était « un homme d’État de type non soviétique{3790} ». M. T. Pomaznev,
un fonctionnaire du Conseil des ministres, témoigna dans une note que
Beria

ne supportait pas les activistes du Parti et des organisations de masse,


ni leurs activités qu’il considérait comme une perte de temps. Il
affichait son mépris pour l’appareil du Comité central. Chaque fois
qu’il y avait un coup de fil de Beria au moment d’une réunion du
Parti cela se terminait par un esclandre. Il répétait que seuls des bons
à rien pouvaient supporter ces réunions{3791}.

Strokatch affirma l’avoir entendu dire à Mechik : « Nous avons besoin


de gens qui sachent travailler et non de bavards qui n’ont que Lénine et
Staline à la bouche du haut des tribunes{3792}. »
L’enquête établit que Beria avait été en contact secret avec quatorze
services de renseignements étrangers. Il fut accusé d’avoir affaibli à
dessein les services de renseignements soviétiques à la veille de la guerre,
mais aussi au printemps 1953. Dans un premier temps, avides de prouver
la trahison de Beria, les enquêteurs s’intéressèrent aux contacts entre Beria
et l’ambassadeur de Bulgarie Stamenov, le 25 juillet 1941, en vue de
sonder les Allemands pour leur proposer un nouveau Brest-Litovsk en
échange d’un armistice. Beria avait confié ces entretiens confidentiels à
Soudoplatov qui fut longuement interrogé à ce propos. L’idée était
d’accuser Beria d’avoir voulu s’appuyer sur Hitler en lui proposant des
concessions territoriales en échange de l’aide allemande pour renverser
Staline{3793}. Il était tentant de faire grief à Beria d’avoir voulu
orchestrer une reddition désastreuse pour l’Union soviétique. Mais cette
accusation prometteuse dut être mise en sourdine à cause du rôle de
Molotov et de Staline dans ce sondage raté{3794}. Il ne fut pas possible
de prouver quoi que ce soit à ce propos, bien que Malenkov eût envoyé en
Bulgarie N. Pegov, le secrétaire du Présidium du Soviet suprême, pour
interroger Stamenov. Plus tard, le procureur Roudenko fit allusion à cette
affaire :

Beria affirma pendant son procès qu’il avait envoyé Soudoplatov


chez l’ambassadeur bulgare à la demande de Staline. Nous n’avons
pas pu le prouver, c’est difficile à faire, mais Beria a dit que Molotov
était présent quand cette conversation avait eu lieu{3795}.

L’enquête se porta aussi sur le rôle de Beria pendant la bataille du


Caucase en 1942. L’accusation entreprit de prouver qu’il voulait ouvrir à
la Wehrmacht les cols du Caucase afin de favoriser l’occupation étrangère
et sa mainmise sur le pétrole du Caucase. On lui reprocha d’avoir, de son
propre chef, relevé le commandement de la 46e armée, d’avoir promu son
favori le général Leselidzé et de l’avoir encouragé à l’insubordination à
l’égard du commandement militaire. Avec l’appui de Beria, Leselidzé
refusait en effet de renforcer la protection des cols avec la 394e division
d’infanterie déployée à Soukhoumi : il affirmait que les Allemands
risquaient davantage de débarquer en Abkhazie que de franchir les cols.
Les enquêteurs trouvèrent tout aussi suspecte la passivité du front du
Caucase et du groupe de Maslennikov au moment de la bataille de
Stalingrad. En effet, contrairement à la directive de la Stavka, les forces
allemandes ne furent pas encerclées et purent se retirer du Caucase{3796}.
Beria fut accusé d’avoir voulu empoisonner les dirigeants soviétiques
pendant la guerre{3797}, et d’avoir dissimulé les « agissements de
traître » de la « clique de Tito » en 1947-1948{3798}, d’avoir annulé
l’ordre d’enlever les chefs de l’émigration géorgienne à Paris, et d’avoir
empêché Soudoplatov d’assassiner Kerenski et Tito{3799}. En ce qui
concerne la protection accordée par Beria et ses hommes à des agents de
l’étranger infiltrés, les archives du procès n’ont pas été déclassifiées, mais
on sait par les archives du ministère de la Sécurité de Géorgie que les
Mingréliens furent à nouveau interrogés à ce propos. Faute de documents,
il est donc difficile d’avoir une idée de ce que les enquêteurs du MVD
avaient découvert des activités troubles de Beria. On lui reprocha en
particulier d’avoir ordonné, fin mai 1953 et à l’insu de Malenkov, le vol
d’un bombardier de Mourmansk à la Norvège puis à l’Angleterre,
l’accusant d’avoir mis à l’essai une voie d’évasion en cas d’échec de sa
tentative de putsch sous couleur de tester la défense anti-aérienne de
l’OTAN{3800}. Roudenko demanda aussi à Soudoplatov de lui raconter
comment Beria avait voulu utiliser l’« espion anglais » Maïski pour établir
des contacts secrets avec Churchill{3801}. Les enquêteurs essayèrent en
vain d’obtenir de Koboulov des preuves de la trahison de Maïski{3802}.
Beria expliqua devant les juges qu’il avait fait libérer Maïski car les
accusations portées contre lui s’étaient révélées inconsistantes{3803}.
L’enquête s’intéressa de nouveau aux causes de l’arrestation de l’espion
atomiste Fuchs. En décembre 1953, Paniouchkine demanda à Krouglov
d’enquêter pour savoir si ce n’était pas Beria qui avait provoqué
l’arrestation de Fuchs. Ces interrogations étaient légitimes puisque cette
arrestation était due aux mêmes négligences qui avaient entraîné la chute
de l’Orchestre rouge : un télégramme codé envoyé à Moscou par la
résidence de New York avait été chiffré selon un codage déjà utilisé, ce qui
permit au contre-espionnage britannique de le déchiffrer ; l’un des
messages codés émanant de New York citait même le nom de Fuchs. En
outre, sur l’ordre du Centre{3804}, les Soviétiques avaient mis en contact
deux réseaux en employant le même courrier, Harry Gold, pour contacter
Fuchs et le réseau Rosenberg{3805}. Ces imprudences avaient aussi causé
la perte des Rosenberg : dans un message déchiffré par Venona, Ruth
Greenglass était nommée et citée comme belle-sœur du « Libéral » – nom
de code de Rosenberg{3806}. On se proposait d’interroger à ce propos
Beria, Merkoulov et Koboulov. Mais un document cité dans les Carnets de
Vassiliev porte une résolution de l’officier du MGB L. R. Kvasnikov datée
du 18 décembre 1953 : « Comme nous avons des soupçons et non des
preuves, il est inutile de les interroger, nous n’arriverons pas à les
coincer{3807}. »
On s’interrogea aussi sur les raisons qui avaient poussé Beria à
collectionner des renseignements techniques. Par exemple, fin 1950, il
avait demandé une liste de tous les rapports obtenus par le NKGB
concernant la technique à réaction et la radio-localisation. De même, des
dossiers sur le nucléaire lui avaient été fournis et n’avaient jamais été
restitués.
Enfin on insinua que Beria avait voulu abandonner la RDA car c’était en
Saxe que l’URSS se procurait chaque année mille tonnes d’uranium, alors
que l’URSS ne couvrait encore que 20 % de ses besoins en
uranium{3808}. Il fut aussi reproché à Beria d’avoir libéré les médecins
juifs, sans tenir compte des écoutes qui révélaient l’antisoviétisme
virulent d’un certain nombre d’entre eux{3809}.
La plupart de ces accusations sont aujourd’hui balayées d’un revers de
la main par les historiens russes, comme si elles n’avaient été que le
produit d’une machine judiciaire encore empreinte de stalinisme. En
réalité, ce que nous avons exposé dans les chapitres précédents montre
qu’elles reposent sur des faits bien réels. Bien plus, à examiner ce que
nous avons pu obtenir des documents du procès Beria dans les archives
géorgiennes, on a l’impression que les dirigeants soviétiques ne croyaient
pas vraiment, en juin-juillet 1953, à leurs accusations de haute trahison ;
mais au fur et à mesure que l’enquête se poursuivait, qu’étaient exhumées
les pièces du dossier de l’affaire mingrélienne, les hommes du Kremlin
s’aperçurent que Beria avait bel et bien joué un double jeu pendant toutes
ces années. Lorsqu’ils mesurèrent l’étendue de sa tromperie, ils prirent
peur et décidèrent de se rabattre sur les aspects de droit commun et les
affaires de mœurs. Ils commencèrent à bâcler délibérément l’enquête. En
décembre 1953, quand s’acheva l’instruction du procès, Gueguelia fut
libéré et innocenté des charges formulées contre lui quelques mois plus
tôt. À partir de janvier 1954, des témoins cruciaux furent renvoyés en
Géorgie : de toute évidence les anciens collègues de Beria ne voulaient pas
en savoir plus sur ses agissements. Les vétérans du KGB garderont
d’ailleurs l’impression qu’il n’y eut aucune tentative de scruter en
profondeur l’action complexe de Beria{3810}.

Les abus de pouvoir.


Les enquêteurs et ensuite les propagandistes du Comité central
favorisèrent surtout cette dernière catégorie d’accusations. On fit grief à
Beria de s’être approprié le travail d’autrui en publiant sous son nom le
rapport de juillet 1935 sur l’histoire des organisations bolcheviques en
Transcaucasie, rédigé par un groupe d’historiens. Beria avait alors coiffé
au poteau toute une série de plumitifs officiels qui rivalisaient pour
rédiger une biographie de Staline{3811}. Ce n’est pas la falsification de
l’histoire qui fut imputée à Beria, mais d’avoir signé une brochure qu’il
n’avait pas écrite. Cette accusation était pour le moins de mauvaise foi car
rares étaient les dirigeants communistes qui rédigeaient eux-mêmes leurs
discours et l’abondante littérature qui paraissait sous leur nom. Les
principaux auteurs de la brochure périrent dans les purges de 1937-1938,
sans doute parce qu’ils eurent l’imprudence de s’indigner en public de ce
qu’un autre ait récolté les honneurs pour leur travail.
Beria fut accusé d’avoir intrigué contre Ordjonikidzé et de l’avoir
acculé au suicide, en persécutant de manière impitoyable toute sa famille,
en particulier son frère Papoulia, arrêté en novembre 1936, ce qui affecta
profondément Ordjonikidzé. Ces accusations sont peut-être fondées en
partie mais elles passent sous silence le rôle de Staline qui adorait monter
ses proches les uns contre les autres. Il est impossible de déterminer si
Beria poursuivait une vengeance personnelle en faisant incarcérer et
exécuter les proches d’Ordjonikidzé et de Lakoba ou s’il exécutait les
ordres de Staline enclin à s’acharner contre les familles de ceux qu’il avait
anéantis.
Les enquêteurs se sont surtout penchés sur la terreur de 1937-1938 en
Géorgie. Ils dépouillèrent treize volumes des archives du NKVD de
Géorgie et y découvrirent de nombreux documents signés de Beria et
ordonnant des arrestations et des tortures. Le dossier rassemblé était
accablant pour Beria et ses subordonnés Koboulov et Goglidzé. Ainsi
Beria ordonnait-il de rouer de coups les condamnés à mort avant leur
exécution : « avant de les expédier dans l’autre monde cassez-leur la
gueule », dit-il à l’un de ses hommes de main{3812}. La troïka présidée
par Koboulov fit fusiller 1 233 « ennemis du peuple » et celle présidée par
Goglidzé 6 767{3813}. Ce volet du procès Beria – et des procès les années
suivantes de ses proches comme Rapava et Baguirov – jouera un rôle
important dans la déstalinisation khrouchtchévienne. Car les dirigeants
soviétiques se rendirent bien compte que la position des enquêteurs de
l’automne 1953, consistant à présenter la terreur de 1937 en Géorgie
comme un phénomène imputable à la seule conspiration de la « bande de
Beria », était intenable.
On s’intéressa à nouveau au laboratoire toxicologique auprès du NKVD
dirigé par le professeur Grigori Maïranovski jusqu’à l’arrestation de ce
dernier en 1951 en liaison avec l’affaire du CAJ. Ce laboratoire était
chargé de l’analyse des aliments destinés aux dirigeants du Politburo. À
partir de 1938, on commença à y pratiquer des essais sur des êtres
humains. Maïranovski testait sur des prisonniers des drogues létales et des
« sérums de vérité » destinés à faciliter les interrogatoires du NKVD.
Beria et Merkoulov avaient autorisé ces expériences et Beria avait même
donné l’ordre à Maïranovski, en 1949, de développer des poisons agissant
par inhalation{3814}.
Beria fut aussi accusé d’avoir organisé l’assassinat, en juillet 1939,
d’Ivan Bovkoun-Louganiets, le résident soviétique en Mandchourie, et de
son épouse, ainsi que de l’épouse serbe du maréchal G. I. Koulik.
Bovkoun-Louganiets aurait été mêlé à un trafic d’opium et Staline aurait
ordonné son assassinat maquillé en accident de voiture pour éviter que ses
collègues également compromis ne fassent défection. Quant à la
maréchale Koulik, elle était accusée d’espionnage. Pour ces deux affaires
les enquêteurs ne cherchèrent nullement à remonter au vrai coupable qui
avait donné l’ordre de ces assassinats pour des raisons obscures{3815}.
Dans le cas de la maréchale Koulik, l’enquête montra que Merkoulov avait
tenté de sauver cette jeune femme âgée de dix-huit ans en alléguant
qu’elle avait accepté de travailler pour le NKVD, mais que Staline avait
malgré tout ordonné son assassinat{3816}.
Plus accablante pour Beria et ses complices était l’affaire de vingt-cinq
exécutions à Kouibychev, ordonnées par Beria en octobre 1941, sans
enquête et sans jugement et dont les verdicts avaient été « régularisés »
a posteriori. Il semble que le but de l’opération était de faire disparaître
discrètement le vieux tchékiste M. S. Kedrov en l’insérant dans une liste
d’autres condamnés à mort.
Beria fut accusé d’avoir utilisé le Groupe spécial, créé en juin 1941,
pour tenter de liquider ses ennemis personnels. Comme la capitale avait
été minée par la brigade motorisée du Groupe spécial dirigé par
Soudoplatov en octobre 1941, on accusa Beria d’avoir, à cette occasion,
placé en secret des explosifs sous les résidences gouvernementales et de
les avoir laissés dans les datchas des dirigeants, à l’insu du Service de
sécurité du Kremlin{3817}, de manière à pouvoir les faire sauter au
moment voulu. Soudoplatov fut longuement interrogé sur cet
épisode{3818}. Et il est vrai que le NKVD négligea de retirer toutes les
mines lorsque l’alerte fut passée : en 1981 on trouva des explosifs sous le
bâtiment du Gosplan !

Les accusations de droit commun.


De tous les crimes imputés à Beria ce sont les affaires de femmes qui
frappèrent le plus les imaginations. Beria lui-même (ou son sosie)
reconnut volontiers sa débauche alors qu’il se défendait pied à pied contre
les autres accusations. Lors de l’instruction du procès, les enquêteurs se
penchèrent avec une délectation particulière sur cet aspect des activités de
l’ancien chef du NKVD. Ils collectionnèrent les listes des maîtresses de
Beria trouvées dans les carnets de ses gardes du corps – 9 listes, 62
femmes ! – et découvrirent que Beria avait été soigné pour la syphilis en
1943. On voulut faire témoigner ces femmes. Les dépositions des
intéressées donnaient ceci : « Beria me proposa une position contre-nature,
et je refusai. Il m’en proposa une autre, également contre-nature, et
j’acceptai{3819}. »
L’une des prétendues victimes de Beria, la jeune Valentina Drozdova,
adressa au procureur Roudenko une déclaration pathétique dans laquelle
elle affirma avoir été violée par Beria en mai 1949, à l’âge de seize ans. La
lettre se terminait ainsi :

L’ennemi du peuple Beria est démasqué. Il m’a privée des plaisirs de


l’enfance et de la jeunesse, de tout ce qui est bon dans la vie de la
jeunesse soviétique. Je vous prie d’inclure dans ses forfaits la
dépravation de ce suborneur d’enfants{3820}.

Le cas de Drozdova est le seul cas de viol mentionné dans le verdict


contre Beria. En 1952, Beria avait arrangé pour elle un avortement, à une
époque où ceux-ci étaient interdits en URSS. En 1953, il l’avait installée
dans la datcha de l’un de ses collaborateurs. Elle avait eu de lui une fille
illégitime à laquelle Beria semblait fort attaché puisqu’il recommanda à
son fils Sergo de prendre soin de sa demi-sœur au cas où il lui arriverait
malheur. On comprend donc que la jeune femme, prise de panique en
apprenant la chute de Beria, s’empressa de rédiger le témoignage
mentionné ci-dessus.
D’autres maîtresses de Beria se crurent obligées de raconter qu’il les
avait violées ; ce fut le cas de Vardo Maximelichvili qui avait été sa
maîtresse pendant quinze ans. Comme le fit aigrement remarquer Nina
Beria, ces dames préféraient se poser en victimes innocentes plutôt que de
passer pour ce qu’elles étaient, des mouchardes du NKVD. Ceci n’est pas
pour « blanchir » Beria : celui-ci ordonnait bel et bien d’enlever des jeunes
femmes dans les rues de Moscou par les hommes de sa garde. Il les
amenait chez lui, leur offrait un dîner fin et passait la nuit avec elles. Beria
fut sans nul doute un coureur de jupon effréné ; mais fut-il le violeur
pathologique qu’a dépeint l’historiographie khrouchtchévienne ? Lors de
ses interrogatoires en juillet 1953, Rafael Sarkisov, le rabatteur de femmes
de Beria, dit n’avoir jamais entendu parler de viols commis par son
chef{3821}.
D’autres témoignages incitent au scepticisme dans ce domaine.
N. V. Alexeeva, l’une des maîtresses de Beria en 1952-1953, a laissé des
Mémoires où elle le décrit comme un amant attentionné et généreux,
amateur de fleurs et de bonne chère, admirateur du cinéma américain –
« Ça c’est du vrai cinéma ! » – et des parfums français. Elle décrit un
Beria pragmatique – « Il faut savoir utiliser sa beauté », lui dit-il un
jour{3822} –, à cran en 1952, euphorique après la mort de Staline – « Quel
beau mois d’avril nous a été offert à toi et à moi ! », « Le pays va
connaître de grands changements{3823} » –, même s’il ne fit jamais la
moindre remarque politique devant elle. Elle le dépeint au printemps
1953 : « Je le sentais seul, dans une intense concentration intellectuelle.
Autour de lui, il n’avait que des ennemis, il ne pouvait se fier à personne.
En ce sens il ressemblait à Staline{3824}. » Cette dame fait aussi justice
des rumeurs effroyables courant sur la maison de Beria rue Katchalov.
Selon la légende urbaine, Beria assassinait des femmes dans sa baignoire
et évacuait les cadavres par une trappe dans le plancher. Or, N. Alexeeva
fut souvent seule dans la résidence de Beria, elle la visita de fond en
comble et n’y remarqua rien de suspect. Au total, ce fut un amant « galant
et prévenant ». Lorsqu’ils se quittèrent d’un accord mutuel, il lui dit : « Tu
es une femme bien, mais je ne veux pas me bercer d’illusions. […] Tu
n’éprouves rien pour moi. Ne garde pas un mauvais souvenir de
moi{3825}. »
D’autres témoignages sont comiques ; ainsi la déposition de la
citoyenne K., repérée à son balcon par Beria au moment de l’enterrement
de Jdanov :

Quel ne fut pas mon étonnement lorsque dans une voiture arrêtée
devant ma maison je vis Beria. Je m’assis machinalement dans la
voiture. J’étais bouleversée et je lui dis : « Comment pouvez-vous
faire une chose pareille ? Tout le monde est en deuil sur la place
Rouge et vous… » Beria répondit : « Quand on se heurte aux choses
tristes, on est attiré par le vivant »{3826}.
Dans une veine similaire, citons un épisode sans doute véridique : en
1938, une secrétaire avait commis l’erreur de taper « Stalingad » – ce qui
en russe signifie « Staline est un salaud » – au lieu de Stalingrad. Bien
entendu, elle s’était retrouvée en prison, accusée d’appartenir à une
organisation contre-révolutionnaire. Au bout de six mois de détention, elle
fut amenée à la datcha de Beria qui la reçut en peignoir : « Il paraît que
vous oubliez des lettres dans des textes importants. Vous dites que vous
n’avez pas fait exprès ? On parle de votre beauté à Moscou. Mais en vrai
vous êtes encore plus belle qu’on ne le dit. » La jeune personne se
déshabilla et s’aperçut qu’elle déplaisait à Beria : elle était trop maigre. Il
lui dit : « Votre crime est une vétille. Mais je voulais vous voir pour m’en
convaincre. Ne parlez à personne de cette rencontre. En souvenir d’elle je
vous libère. Mais soyez maligne et n’en dites rien. » Beria se retira et la
jeune personne s’endormit. À son réveil, elle fut ramenée à Moscou par un
garde qui lui remit un billet de train et un mot de Beria où il lui souhaitait
bien du bonheur dans la construction du communisme{3827}. Beria
semble avoir toujours été à la recherche d’agents féminins. La jeune
femme en question qui avait attiré son attention par un lapsus prometteur
le déçut probablement moins par sa maigreur que par sa sottise.
Beria confiait les tâches les plus confidentielles à ses maîtresses. Pour
lui la réputation d’homme à femmes était utile, car elle lui permettait de
disparaître de temps en temps pendant quelques heures en fournissant à
Staline une explication au-dessus de tout soupçon, ainsi que de camoufler
des contacts sans doute importants à ses yeux. Sarkisov, le chef de la garde
personnelle de Beria, témoigna que Beria cherchait de manière
systématique à nouer des liaisons avec des femmes qui étaient les
maîtresses de correspondants, de diplomates et d’attachés militaires
étrangers{3828}. On peut imaginer que plus d’une rumeur sur les intrigues
du Kremlin naquit de cette manière dans la presse étrangère. Outre sa
liaison avec l’actrice Zoia Fiodorova, déjà évoquée, il en entretint une
avec une autre actrice, Tatiana Okounevskaia, pour laquelle Tito eut le
béguin et qui fut la maîtresse de l’ambassadeur yougoslave Vlado Popovic
en 1947, puis d’un autre diplomate occidental. Elle fut arrêtée le
13 décembre 1948 pour « agitation antisoviétique » et espionnage et
affirma avoir été violée par Beria, mais sa propre fille considère qu’elle a
inventé cette histoire de toutes pièces{3829}.

Le procès et le verdict.
L’instruction de l’affaire Beria s’acheva le 14 septembre 1953. Son
dossier comportait trente-neuf volumes. Le 10 septembre, Roudenko
présenta au Présidium du Comité central le premier projet d’acte
d’accusation qui fut examiné le 17 septembre. Il fut décidé d’en confier à
Souslov la rédaction définitive{3830}. Les grandes lignes de l’acte
d’accusation du 10 décembre reprenaient le canevas que les orateurs du
Plénum du 2 au 7 juillet avaient dû étoffer de leurs broderies. L’enquête
aurait établi les faits suivants : profitant de sa position au MVD, Beria
avait rassemblé autour de lui un groupe de conspirateurs hostiles à l’Union
soviétique. Il voulait utiliser le MVD contre le Parti communiste et le
gouvernement ; dans le centre et dans les régions, il voulait placer le MVD
au-dessus du Parti pour prendre le pouvoir, liquider le régime soviétique,
restaurer le capitalisme et le pouvoir de la bourgeoisie. Durant des années,
Beria avait masqué sa trahison, mais après la mort de Staline, « alors que
les forces impérialistes réactionnaires redoublaient d’efforts en vue de
subvertir l’État soviétique », Beria avait accéléré la mise en œuvre de ses
« desseins criminels », ce qui l’avait démasqué et avait permis sa
neutralisation. Beria avait cherché à noyauter le MVD, à détruire le
système kolkhozien, à « ranimer les éléments bourgeois nationalistes »
dans les républiques de l’URSS, à semer l’animosité entre les peuples en
brouillant le « grand peuple russe » avec les autres peuples, à « affaiblir la
capacité de défense de l’URSS » par des actes de trahison. Beria avait été
un agent double dès 1919 et pendant toute sa carrière il avait maintenu des
contacts avec les services étrangers en protégeant les espions envoyés par
ceux-ci. Il avait aussi maintenu des contacts avec les mencheviks
géorgiens émigrés et commis nombre de crimes pour éviter d’être
démasqué{3831}.
Ce dossier est aussi intéressant par ses lacunes que par ce qui y figure.
Ainsi l’assassinat de Trotski n’est pas imputé à Beria ou à ses proches.
L’assassinat des officiers polonais en 1940 n’est pas davantage mentionné,
pas plus que la déportation des peuples du Caucase ou l’assassinat de
Wallenberg. Par ailleurs, la terreur de 1937-1938 en Géorgie est présentée
comme la manifestation de l’arbitraire que faisaient régner Beria et sa
bande dans la république et on feint d’oublier que toutes les régions de
l’URSS étaient le théâtre d’horreurs analogues. Un fait retient l’attention :
jusqu’à aujourd’hui, c’est le passé lointain d’agent double de Beria qui est
souligné, alors qu’il y a peu de choses sur son comportement pour le
moins équivoque pendant la guerre froide. Les enquêteurs ont-ils négligé
cet aspect ou est-il resté ultrasecret jusqu’à aujourd’hui ? Nous penchons
pour la seconde hypothèse. La manière dont Beria est perçu dans les
milieux bien informés du KGB transparaît dans une remarque de Vladimir
Poutine à propos de sa bête noire, le président géorgien Mikheïl
Saakachvili. En octobre 2006, il reprocha à celui-ci de suivre la tradition
de la politique de Beria, en précisant : « Ces gens pensent que comme ils se
trouvent sous l’aile de sponsors étrangers ils peuvent se sentir en
sécurité{3832}. » Il est clair que le traumatisme de l’affaire Beria a été
ravivé en Russie par la politique de la Géorgie post-soviétique.
Le procès eut lieu du 18 au 23 décembre et fut retransmis au
Kremlin{3833}. Les membres du jury étaient au nombre de huit : deux
militaires, le maréchal Konev et le général Moskalenko – ce dernier avait
participé à l’arrestation et à l’instruction du procès et sa présence dans le
jury était donc totalement contraire au droit ; deux juristes, E. L. Zeidine
et L. A. Gromov ; un représentant du Parti, N. A. Mikhaïlov ; des
syndicats, N. M. Chvernik ; du MVD, K. F. Lounev ; et un Géorgien de
Mingrélie, M. I. Koutchava. On fit déposer les accusés qui tous
s’empressèrent d’accabler leur chef.
Koboulov :

Après avoir lu le dossier d’accusation, je suis doublement indigné.


D’abord parce que Beria a trompé le Parti et le gouvernement ;
ensuite car il a avili et anéanti ma vie{3834}.
Dekanozov :

Beria n’était pas un homme du Parti et [en avril 1953] il s’imaginait


que j’étais resté celui que j’étais dans les années 20 et 30. En réalité
j’avais changé durant les huit années pendant lesquelles j’ai travaillé
dans d’autres organismes que le NKVD{3835}.

Ils plaidèrent non coupables du crime de haute trahison, reconnaissant


leur culpabilité pour des délits moins graves, comme l’abus de pouvoir ou
la dépravation sexuelle. Beria fut condamné pour des délits définis dans
les articles 58-1b (haute trahison), 58-8 (actes terroristes), 58-13 (« action
contre-révolutionnaire dans un gouvernement contre-révolutionnaire
pendant la guerre civile »), 58-11 (« activité contre-révolutionnaire
organisée ») du Code pénal soviétique{3836}.
Officiellement Beria fut fusillé par P. F. Batitski le 23 décembre à 19 h
50, en présence de Roudenko et Moskalenko ; ses complices furent
exécutés le même jour à la prison Boutyrka à 21 h 20. Selon la version du
bourreau Batitski, Beria se montra poltron au dernier moment, « pleurant
hystériquement, suppliant à genoux, faisant dans la culotte ». Toutefois le
major M. G. Khijniak, l’un des geôliers de Beria, présent à l’exécution,
témoigne que ces affirmations de Batitski sont mensongères. Très pâle,
Beria affronta la mort sans broncher{3837}.
L’acte de décès de Beria, daté du 23 décembre 1953, ne porte la
signature d’aucun médecin, à la différence de celui des autres condamnés.
Il n’y a pas non plus d’acte d’incinération de son corps, alors que celui-ci
existe pour les autres condamnés. Ces anomalies renforcent la thèse de
ceux qui estiment que Beria était déjà mort au moment du procès.
La mère de Beria, « une femme profondément pieuse » qui « va à
l’église et prie pour son fils l’ennemi du peuple » selon une note du
premier secrétaire de Géorgie Mirtskhoulava à Khrouchtchev{3838}, fut
déportée de Géorgie avec toute sa famille et celle des autres condamnés.
Nina et Sergo Beria furent incarcérés puis exilés. Sergo Beria fut accusé
d’avoir usurpé les travaux d’autrui pour passer sa thèse et « d’exagérer les
compétences des savants étrangers et de dénigrer les savants
soviétiques » : « Il tenait compte uniquement des savants étrangers… Il
n’assistait pas aux réunions du Parti et ne s’intéressait pas à l’activité de la
cellule du Parti{3839} » ; après sa libération, il repassa tous ses diplômes
et fit une carrière discrète dans un bureau d’études construisant des
missiles. D’autres proches de Beria – Rapava, Tsereteli, Roukhadzé et
Baguirov – furent jugés et condamnés à mort en 1954-1956.
Dès que la nouvelle du procès et de l’exécution de Beria fut annoncée,
les observateurs étrangers eurent l’impression que les dirigeants
soviétiques avaient précipité l’instruction. Le diplomate américain Charles
Bohlen nota le 24 décembre 1953 :

Le régime n’a guère essayé de prouver de manière concluante que


Beria était un agent de l’impérialisme étranger tout en travaillant la
main dans la main avec le Politburo, à cause des conséquences
extrêmement embarrassantes de cette accusation. À lire la presse de
la semaine passée, on peut douter que les dirigeants soviétiques
souhaitent réellement persuader la population soviétique du bien-
fondé des accusations contre Beria{3840}.

On remarqua aussi que les accusations d’espionnage portées contre


Beria étaient très vagues, que les pays dont il était soi-disant l’agent
n’étaient pas spécifiés dans l’acte d’accusation, et qu’un délai plutôt long
avait couru entre l’arrestation et le procès. Le journal Le Monde du
22 décembre 1953 releva qu’une des accusations portées contre Beria par
la Pravda du 11 décembre était atypique comparée aux précédentes
accusant Beria d’une tentative de coup d’État : on lui reprochait « d’avoir
accordé sa protection à des espions introduits en URSS par les services de
renseignements étrangers ». Ce n’avait été le cas ni pour Yagoda ni pour
Ejov.
La meilleure analyse fut celle de Boris Nicolaevski. Ce vétéran du
menchevisme comprit de manière remarquable que derrière les
accusations dirigées contre Beria on pouvait distinguer les contours d’un
programme politique véritable, et que des faits vérifiables étayaient les
accusations{3841}.
L’originalité du « cas Beria » est confirmée par les décisions de la
justice russe postcommuniste. La révision du procès de Beria demandée
par les familles de ses coaccusés n’a pas eu lieu. Le 29 mai 2000, le
Collège militaire de la Cour suprême de Russie a en effet publié son
verdict : la condamnation prononcée en décembre 1953 contre Beria
restait inchangée. Toutes les accusations formulées contre lui – espionnage
à la solde de l’étranger, haute trahison, activité contre-révolutionnaire,
terreur et viols – ont été maintenues, alors que pour Ejov l’accusation
d’espionnage a été retirée{3842}. De façon surréaliste, pour Dekanozov,
Mechik et Vlodzimirski la peine de mort fut commuée en vingt-cinq ans
de détention, plus d’un demi-siècle après leur exécution !
Cependant, soixante ans après le procès et l’exécution de Lavrenti
Beria, les 39 volumes de son procès n’ont toujours pas été déclassifiés,
alors qu’ils auraient dû l’être au bout de trente ans selon la loi en vigueur,
sous le prétexte ridicule que plus de la moitié concerne des femmes dont
l’honneur et la réputation seraient en jeu{3843} ! En 2003, la rumeur a
couru que quelques volumes du dossier Beria avaient disparu des archives
du Parquet militaire, ce qui a suscité un virulent démenti officiel{3844}.
Les chercheurs doivent continuer à se contenter des comptes-rendus des
interrogatoires adressés aux membres du Politburo, déclassifiés ces
dernières années.

CONCLUSION
Les réformes entreprises par Beria au printemps 1953 avaient-elles pour
seul but d’améliorer ses positions dans la lutte pour le pouvoir ? Ce fut la
thèse de ceux qui l’ont renversé et assassiné. Il nous semble que le
comportement de Beria au printemps 1953 dément cette hypothèse. À la
tête du MVD, Beria eût pu facilement se débarrasser de ses collègues en
organisant un putsch, comme eux le firent avec lui. Mais pendant ces cent
quatorze jours il ne se comporta pas en apparatchik soviétique soucieux
avant tout de renforcer sa position et celle de son administration au
détriment de ses rivaux au Kremlin. Il réduisit de manière systématique
l’empire du MVD qui était le sien, amenuisant ses compétences et ses
effectifs. Il consacra l’essentiel de son temps non à l’intrigue, mais à des
réformes de fond ayant pour but de permettre aux citoyens misérables du
bloc communiste de « vivre autrement », comme il le disait naïvement à
ses collègues. Il prit des risques en s’attaquant aux piliers du régime, alors
qu’il aurait pu couler des jours tranquilles s’il était resté un apparatchik
soviétique conformiste comme le fut Mikoïan. Bien plus, il semble que ce
soient les obstacles mis par ses collègues à la réalisation de son
programme de changements qui poussèrent Beria à vouloir se donner des
moyens de pression sur ceux-ci, alors que le témoignage de Khrouchtchev
montre abondamment que, dès les heures qui suivirent la mort de Staline,
les rivaux de Beria consacrèrent l’essentiel de leurs efforts non à la
réforme du système, mais à la lutte pour la première place au sommet. À
partir du 5 mars 1953, Beria se comporta non en cynique mais en homme
de conviction : comme le dirent méchamment ses collègues, il montra son
vrai visage. Il en oublia sa sécurité personnelle et le paya de sa vie.
Notre longue enquête est partie d’une question fondamentale : y eut-il
une conversion de Beria, une sortie du stalinisme et du communisme ? Et,
si oui, quand eut-elle lieu ? Comment cet homme qui, selon de multiples
témoignages, participait aux tabassages des détenus, qui – à ce qu’on
raconte à Tbilissi – avait crevé les tympans du compositeur géorgien
Evgueni Mikeladzé avant de le mettre à mort, en était-il venu à dénoncer
la torture dans les termes vigoureux que nous avons cités ? Comment
cerner cette personnalité qui a revêtu tant de masques, cet acteur perpétuel
à qui il était interdit sous peine de mort d’être lui-même ? À partir de
quand se mit-il à haïr Staline ? Dès le début, les relations entre les deux
Géorgiens furent complexes. Staline ne se permit jamais avec Beria ce
qu’il se permettait à l’égard de ses autres proches : il ne l’humilia pas
publiquement et n’osa ni coucher avec son épouse ni arrêter la belle Nina :
« Il le vouvoya toujours quoique mon père fût beaucoup plus jeune que lui.
Il savait que mon père ne pardonnerait jamais un affront ou une
humiliation{3845}. »
Beria éprouva d’abord pour lui la vénération d’un petit provincial pour
un compatriote qui a réussi. Il l’admira toute sa vie, si l’on en croit le
témoignage de son fils :

Mon père a profondément subi l’influence de Staline, même si celui-


ci n’a jamais paralysé sa volonté. Il admirait la manière dont Staline
était capable de prévoir, de mener à bien ses projets, quoique les
objectifs poursuivis par Staline n’eussent pas été les siens. Lorsqu’il
commença à m’ouvrir les yeux petit à petit sur certains faits, à me
préparer à comprendre qu’il existait entre Staline et lui un
affrontement, il prit toujours soin de souligner que Iossif
Vissarionovitch n’avait pas son pareil dans l’histoire pour ce qui était
de la persévérance et de la capacité à atteindre ses buts. « Lis
l’histoire de Byzance, vois les intrigues dont elle est pleine, me
disait-il. Et bien ce n’est rien comparé à ce que Iossif Vissarionovitch
a réussi à accomplir dans un État qui n’était pas le sien, avec un
peuple qui n’était pas le sien. Les circonstances l’ont aidé ; mais il a
aussi du génie. »

Un « génie du mal », disait-il encore. « Il domine tout son entourage par


son intelligence », me disait-il. « Regarde Molotov. Devant Staline il
n’existe pas, il est comme dissous. On dirait un lapin devant un
boa{3846}. » Au début Beria attribuait les atrocités du bolchevisme au
poids de la tradition russe :
Mon père mit du temps à mesurer l’étendue de la méchanceté de
Staline. Au début il la prenait pour une position politique, sans
deviner la perversité qui se cachait derrière cette politique. […] En
Géorgie déjà il était critique du système (il rejetait la dictature
bolchevique), mais […] il excusait Staline en expliquant son
comportement par la nécessité de tenir compte de la politique russe
héritée de Lénine. […] Parlant de Staline, il répétait souvent : « C’est
un autocrate russe »{3847}.

Ainsi on peut penser que pendant sa période géorgienne Beria expliqua


les tares du système par l’héritage tsariste. Une fois monté à Moscou,
fréquentant de près Staline, il perça mieux à jour le jeu de ce dernier. La
tutelle de tous les instants imposée par le dictateur à ses intimes lui fut
vite insupportable. La guerre fut une parenthèse vite refermée.
Mais il semble que ce soient les dernières années de Staline, alors que
Beria s’attendait à être arrêté d’un jour à l’autre avec ses proches, qui
radicalisèrent sa perception du régime, le firent sortir de sa perspective
purement caucasienne et l’amenèrent à une réflexion politique plus
générale. La véhémence avec laquelle au printemps 1953 Beria dénonça la
terreur passée, véhémence attestée par de nombreux témoignages, révèle à
quel point la révolte s’était accumulée en lui durant ces années de plomb.
On l’a vu, c’est aussi pendant cette période qu’il élabora le programme
qu’il allait mettre en œuvre au lendemain de la mort du dictateur. Et Beria
croyait que ses collègues, ayant fait la même expérience, étaient prêts à
aller aussi loin que lui.
Il n’y eut donc pas de « conversion » de Beria au sens d’une sortie de
l’idéologie comme l’ont connu de nombreux communistes, en Europe de
l’Est et de l’Ouest. Tous ceux qui ont connu Beria s’accordent sur un
point : non seulement Beria était imperméable à l’idéologie marxiste-
léniniste, mais il n’hésitait pas à remettre en cause ses vaches sacrées, et
ce devant ses collègues et ses proches. Il confia un jour à son compatriote
Tcharkviani : « L’URSS ne s’en sortira pas tant qu’elle n’aura pas instauré
la propriété privée{3848}. » Il était étonnamment dépourvu de la
mentalité obsidionale qui pesait sur l’URSS comme une chape de plomb.
Un jour qu’il jouait avec sa petite-fille, il laissa tomber : « Elle fera ses
études à Oxford{3849}. » Se promenant en hors-bord avec un ami sur la
mer Noire, Beria coupa soudain le moteur et lui dit : « Dis, si on se barrait
en Turquie ? » L’autre répondit : « Mais les Turcs vont nous pendre. »
Beria rétorqua : « Toi oui, tu es marxiste. Mais moi je suis un partisan des
harems. Je trouverai une langue commune avec eux{3850}. »
Beria était si éloigné de l’idéologie qu’il n’en mesura jamais vraiment
les ravages chez les autres ; il raisonnait en termes de rapports de forces,
mais en Caucasien et non en bolchevik ; pour lui l’idéologie n’était qu’un
instrument dans la lutte pour le pouvoir. Il s’imaginait que, débarrassés de
la peur du tyran, les Soviétiques se mettraient à penser en hommes libres.
Cette sous-estimation de l’emprise idéologique, de l’abêtissement durable
qu’elle entraîne, fut la principale cause de sa chute en 1953.
S’il n’y eut pas de conversion anticommuniste chez Beria, il y eut chez
lui une longue rébellion, nourrie par des blessures d’amour-propre, par la
résistance d’un esprit pragmatique obligé d’appliquer des politiques
absurdes, par l’existence inhumaine imposée à tous les citoyens de
l’Union soviétique, du kolkhozien au membre du Politburo. Cette rébellion
franchit un seuil critique à la fin du règne de Staline. Pris dans l’intensité
de sa haine, Beria commit l’erreur d’identifier le régime au tyran. Il
s’imagina qu’à la mort de celui-ci il serait facile de retirer les carcans qui
empêchaient le développement naturel des pays du bloc communiste. Il
diagnostiqua les points faibles du régime avec une exactitude clinique.
Mais il ne comprit pas que l’emprise de Staline sur les élites soviétiques
ne tenait pas seulement à la peur, mais à l’orgueil qu’il leur avait instillé
d’appartenir à un État russe dominant la moitié de l’Europe. Dès que les
réformes de Beria semblèrent vouloir remettre en cause cet État et cette
puissance, elles suscitèrent une virulente réaction de rejet. La perspective
d’une amélioration de la situation matérielle ne pouvait compenser aux
yeux des élites russes la perte d’un empire conçu comme le trophée gagné
au prix de durs sacrifices pendant la Deuxième Guerre mondiale. Le
régime de Staline survivait dans son projet de puissance – et pour
longtemps.
Glossaire
Abwehr : Service de renseignement de l’armée allemande.
AFL : American Federation of Labour, centrale syndicale des USA.
AK : Armia Krajowa (armée de l’Intérieur), forces armées clandestines
en Pologne subordonnées au gouvernement polonais en exil.
AL : Armia Ludowa, forces armées des communistes polonais.
Amcomlib : Comité américain pour la libération des peuples de l’URSS
créé en février 1951.
APAR : Administration politique de l’Armée rouge, chargée du contrôle
du Parti sur l’armée.
Armée rouge : Nom donné dès 1918 à l’armée du pouvoir communiste
en Russie puis en URSS.
Association des anciens détenus : Association créée en 1921, regroupant
les anciens prisonniers politiques du régime tsariste, et dissoute en 1935.
BDO : Union des officiers allemands, formée en 1943 par les
Soviétiques avec des officiers prisonniers de guerre.
Brigades internationales : Formations de volontaires venus du monde
entier combattre dans le camp républicain lors de la guerre civile en
Espagne, totalement contrôlées par les communistes.
Bund : Mouvement socialiste juif créé dans l’Empire russe en 1897,
proche des mencheviks.
CAJ : Comité antifasciste juif, créé en URSS à l’automne 1941.
CALPO : Comité Allemagne libre pour l’Ouest, créé en 1943 afin de
recruter les déserteurs de la Wehrmacht et de collecter des renseignements
pour la Résistance.
Casque d’acier : Organisation paramilitaire nationaliste allemande créée
en 1918, recrutant parmi les anciens combattants de la Première Guerre
mondiale frustrés par la défaite allemande et les conditions du traité de
Versailles.
CDU : Parti démocrate-chrétien allemand.
CED : Communauté européenne de défense, projet d’armée européenne.
Centre de coordination de la lutte antibolchevique : Organe réunissant
les émigrés russes et non russes, créé en 1951 à l’initiative des USA.
Centre national géorgien : Organe dirigeant créé en 1926, regroupant
tous les partis de l’émigration antibolchevique géorgienne participant au
mouvement Prométhée.
CGT : Confédération générale du travail, centrale syndicale française,
dirigée à partir de 1946 par les communistes.
Charachki : Bureaux d’études créés par le NKVD, employant des
savants détenus au développement d’armements nouveaux.
CIA : Central Intelligence Agency, service de renseignements américain
créé en 1947.
Collège militaire de l’URSS : Organisme de la Cour Suprême de
l’URSS chargé de juger les officiers de haut rang, les accusés de haute
trahison et d’activité contre-révolutionnaire.
Collège spécial du NKVD : Organisme extrajudiciaire chargé de
sanctionner les délits présentant un « danger social », pouvant infliger des
peines de détention, voire, pendant la guerre, la peine de mort.
Commissariat du peuple : Nom donné par Lénine en 1917 aux différents
ministères de son gouvernement (Sovnarkom).
Comité anti-Vlassov : Comité créé à l’initiative du NKVD en 1944 dont
le but était l’infiltration et le ralliement à la résistance des unités des
volontaires de l’Est de la Wehrmacht.
Comité central : Organisme dirigeant du parti communiste de l’URSS.
Comité de l’indépendance du Caucase : Organe dirigeant des
organisations caucasiennes participant au mouvement Prométhée, créé en
1926. En 1935 il devient le Conseil de la confédération du Caucase.
Comité de Lublin ou PKWN : Comité national polonais noyauté par les
communistes créé en décembre 1943 à l’initiative de Staline, auquel celui-
ci confia l’administration des territoires polonais occupés en 1944 par
l’Armée rouge et dont il fit ensuite le gouvernement polonais.
Comité panslave : Comité créé en 1941 sous l’égide du Sovinformburo,
chargé de rassembler les Slaves dans la lutte contre l’occupant allemand.
Conseil mondial de la Paix : Organisation internationale créée à
l’initiative de l’URSS en 1949 en vue de mener la « lutte pour la paix »
dans les pays occidentaux.
Département étranger du NKVD : Département chargé du
renseignement à l’étranger.
Département opérationnel du NKVD : Département chargé des
arrestations, des perquisitions, de la surveillance et des filatures.
Département politique secret de la GPU : Département chargé de la lutte
contre l’opposition.
DST : Direction de la surveillance du territoire, organe de contre-
espionnage du gouvernement français.
Einsatzgruppen : Unités de police politique militarisées du IIIe Reich,
chargées, à partir de septembre 1939, de l’extermination des résistants, des
Juifs et des communistes dans les territoires occupés de l’Est.
Ejovshina : Nom donné à la Grande Terreur, dirigée par Nikolaï Ejov.
FBI : Federal Bureau of Investigation.
FDGB : Centrale syndicale officielle de la RDA.
Fédération de Transcaucasie : Fédération réunissant la Géorgie,
l’Arménie et l’Azerbaïdjan, créée en 1922 et dissoute par Staline en 1937.
FFI : Forces française de l’intérieur, regroupant au printemps et à l’été
1944 l’ensemble des forces armées de la résistance, sous la direction du
gouvernement du général de Gaulle.
FHO : Fremde Heere Ost, département de l’état-major de la Wehrmacht
chargé du renseignement sur l’URSS.
FTPF : Francs-tireurs et partisans français, organisation regroupant les
forces armées du PCF de 1942 à 1944.
GKO : Conseil d’État à la Défense, cabinet de guerre créé le 29 juin
1941 par les proches de Staline, présidé par Staline.
Glavlit : Organe central de la censure en URSS.
Gosplan : Organe de la planification centrale de l’économie soviétique.
Goulag : Administration des camps pénitentiaires en URSS, désigne par
extension l’ensemble du système concentrationnaire soviétique.
GPU : Administration chargée de la Sécurité d’État, elle remplace la
Tcheka en 1922 et deviendra l’OGPU en 1923, puis sera remplacée en
1934 par le NKVD.
GRU : Service de renseignement de l’Armée rouge.
Grande Terreur : Opération d’extermination de masse de différentes
catégories sociales et nationales, dirigée par Staline de juillet 1937 à
octobre 1938.
Internationale syndicale d’Amsterdam : Internationale réformiste,
opposée dans les années 1920-1930 à l’Internationale syndicale rouge
créée par le Komintern.
Joint Distribution Committee : Organisation caritative juive américaine
fondée en 1914.
Kavburo : Organisme créé en avril 1920 afin de coordonner la
soviétisation du Caucase et d’œuvrer au rapprochement turco-bolchevique.
KGB : Comité pour la Sécurité de l’État créé en 1954.
KI : Comité d’information créé en 1947, coiffant les services de
renseignement soviétiques.
Kolkhoze : Ferme collective.
Kominform : Organisation de coordination des partis communistes
entre 1947 et 1956, sous la direction du PCUS.
Komintern : Acronyme russe de l’Internationale communiste ou IIIe
Internationale, créée par Lénine en 1919 et regroupant jusqu’en 1943 les
partis et mouvements communistes du monde entier.
Komsomol : Organisation des Jeunesses communistes en URSS.
Koulak : Terme russe désignant en principe le paysan riche, mais en
réalité tout paysan s’opposant à la collectivisation forcée.
KPD : Parti communiste allemand.
Légion géorgienne : Formation militaire de la Wehrmacht recrutée à
partir de 1942 parmi les anciens prisonniers de guerre soviétiques.
LDP : Parti libéral d’Allemagne.
Mencheviks : Faction du Parti ouvrier social-démocrate de Russie après
la scission de ce parti au congrès de Londres en 1903, par opposition aux
bolcheviks.
MfS : Ministère de la sécurité d’État de la RDA.
MGB : Ministère de la sécurité d’État en URSS de 1946 à mars 1953.
MI-6 : Département du Secret Intelligence Service, chargé du
renseignement extérieur.
MID : Ministère des Affaires étrangères de l’URSS.
MOI : Main-d’œuvre immigrée, organisation regroupant au sein du PCF
tous les communistes étrangers militant en France.
Moussavat : Parti azerbaïdjanais de tendance social-démocrate, hostile
aux bolcheviks.
MVD : Ministère de l’Intérieur de l’URSS à partir de 1946.
NDPD : Parti national démocrate d’Allemagne.
NEP : Nouvelle économie politique lancée par Lénine en 1921,
rétablissant en partie l’économie privée.
NKGB : Commissariat du peuple à la Sécurité d’État.
NKID : Commissariat du peuple aux Affaires étrangères.
NKVD : Commissariat du peuple à l’Intérieur, il succède à l’OGPU en
1934.
NSC : Conseil national de Sécurité des USA.
NTS : Organisation des solidaristes russes créée dans les années 1930
sous l’influence du fascisme italien.
Obkom : Organisation du parti au niveau de la région.
OGPU : Administration chargée de la Sécurité d’État créée en 1923.
Okhrana : Police politique du régime tsariste.
OMSBON : Brigade motorisée spéciale dépendant du NKVD pendant la
guerre dont la mission était le sabotage des communications ennemies, la
destruction des stocks de carburant et la coordination de l’action
clandestine.
Orgburo : Organisme créé en mars 1919, dont la fonction est d’assister
le Politburo.
ORPO : Département des cadres du Secrétariat du Comité central.
OSS : Office of Strategic Services, agence de renseignement du
gouvernement américain créée en juin 1942.
Ostministerium : Ministère allemand des territoires occupés à l’Est,
confié à A. Rosenberg.
OTAN : Organisation du Traité de l’Atlantique Nord.
OUN : Organisation des nationalistes ukrainiens créée en 1929.
Parti national démocrate géorgien : Parti de droite nationaliste
antibolchevique créé en 1917.
PCbUS : Parti communiste bolchevique d’Union soviétique.
PCUS : Parti communiste d’Union soviétique.
PCF : Parti communiste français.
PGU : Première administration principale du NKVD.
PKWN : voir Comité de Lublin.
Plénum : Session plénière du Comité central.
Politburo : Bureau Politique, organe dirigeant restreint du PCUS.
POUP : Parti communiste polonais issu de la fusion imposée par Staline
en 1948 entre le parti ouvrier (PPR), communiste, et le parti socialiste
(PPS).
Pravda : Journal quotidien officiel de l’URSS.
Présidium du Comité central du PCUS : Organisme dirigeant du PCUS
remplaçant le Politburo à partir de fin 1952.
Prométhée : Mouvement créé par le maréchal polonais Pilsudski en
1926 en vue d’unir les peuples allogènes de l’URSS et misant sur la
décomposition de l’empire soviétique.
Radio Free Europe : Radio américaine anticommuniste émettant vers les
pays à régime communiste.
Raikom : Organisation du PCUS au niveau du district.
RDA : République démocratique allemande, nom donné en 1949 à la
zone d’occupation soviétique en Allemagne.
RFA : République fédérale d’Allemagne, nom donné aux trois zones
d’occupation américaine, anglaise et française en Allemagne après leur
fusion en 1949.
RIAS : Radio in the American Sector, radio américaine émettant vers la
RDA.
ROVS : Union des militaires russes, organisation antibolchevique créée
en 1924 réunissant des officiers russes blancs.
RSFSR : République socialiste fédérative soviétique de Russie, l’une
des 15 républiques de l’URSS
RSHA : Reichssicherheitshauptamt, Office central de la sécurité du
Reich créé en septembre 1939.
SA : Formation paramilitaire du Parti national-socialiste.
SD : Sicherheitsdienst, service de sécurité intégré au RSHA, constitué
de deux départements, l’Amt III, SS-Inland, chargé de contre-espionnage
et du recueil de renseignements à l’intérieur du Reich et l’Amt VI, SS-
Aussland, service de renseignements à l’étranger, dirigé par Schellenberg.
SDECE : Service de documentation extérieure et de contre-espionnage,
service de renseignements français créé en décembre 1945.
SDN : Société des Nations.
SED : Parti socialiste unifié créé en 1945, nom du parti communiste de
RDA.
SFIO : Section française de l’Internationale ouvrière, parti socialiste
français.
SIM : Service de renseignement de l’armée de la république espagnole
pendant la guerre civile.
SIS : Secret Intelligence Service, service de renseignement britannique
SKK : Commission de contrôle soviétique en Allemagne, remplace la
SMAD en 1949.
SMAD : Administration militaire soviétique en Allemagne.
SMERCH : Acronyme russe signifiant « mort aux espions », service de
contre-espionnage militaire créé en 1943.
SOE : Special Operations Executive, service secret britannique créé par
Churchill en juillet 1940, avec pour mission de soutenir les mouvements
de résistance dans les pays occupés par l’Allemagne.
Sonderstab Kaukasus : Organisme formé par les Allemands à l’été 1942,
chargé de créer une administration civile pour les territoires caucasiens
occupés par la Wehrmacht.
Sovinformburo : Agence de presse soviétique créée le 24 juin 1941, qui
patronna les différents Comités antifascistes.
Sovmin : Bureau du Conseil des ministres de l’URSS.
SPD : Parti social-démocrate d’Allemagne.
Stavka : Haut commandement des forces armées de l’Union soviétique.
Sovkhoze : Exploitation agricole d’État.
Sovnarkom : Conseil des commissaires du peuple, nom donné au
gouvernement soviétique par Lénine en 1917.
TASS : Agence de presse officielle de l’URSS.
Tcheka : Police politique créée par Lénine en décembre 1917, devenue
OGPU, NKVD, MVD puis KGB.
Tchervontsy : Monnaie valant 10 roubles mise en circulation fin 1922.
UNRRA : United Nations Relief and Rehabilitation Administration,
organisme américain fondé en 1943 et rattaché à l’ONU en 1945, chargé
du secours aux victimes de la guerre.
UPP : Union des patriotes polonais, organisation des Polonais en URSS
créée en mars 1943.
URSS : Union des Républiques socialistes soviétiques.
Venona : Entreprise américaine de décryptage des messages envoyés par
les services de renseignement soviétiques interceptés entre 1942 et 1945 et
déchiffrés à partir de 1946.
Voice of America : Service de diffusion internationale par radio du
gouvernement américain.
Wilhelmstrasse : Désigna jusqu’en 1945 le ministère allemand des
Affaires étrangères.
Zakkraikom : Organisme dirigeant de la Fédération de Transcaucasie.
Zek : Acronyme russe désignant le prisonnier du Goulag.

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{1} Walter Lippmann, New York Herald Tribune, 18 juillet 1953.


{2} Le meilleur échantillon de cette « historiographie » est l’ouvrage
d’Elena Prudnikva, Beria, poslednij rycar Stalina (Beria, le dernier
chevalier de Staline), Saint-Pétersbourg, Neva, 2006. Pour elle, « Beria et
Staline n’étaient pas au service d’un peuple mais de l’Empire. Le grand
Empire russe qui était ressuscité après 1917 », p. 402. Mentionnons aussi
Andrej Toptygin, Neizvestnyj Beria, Moscou, Olma-Press, 2002 ; cet
auteur justifie le massacre de Katyn et trouve bien des excuses à la
déportation des peuples du Caucase.
{3} Voir l’ouvrage récent de Sergej Kremljëv, Beria, lučšij manadžer XX
veka (Beria, le meilleur manager du XXe siècle), Moscou, Eksmo, 2008.
{4} Roj et Žores Medvedev, Neizvestny Stalin, Moscou, Folio, 2001.
{5} A. Pirožkova, « Ekaterina Pavlovna Peškova », Oktjabr’, n° 7, 2003,
p. 180.
{6} Note de la main de Staline dans l’ouvrage de Lénine, Matérialisme et
empiriocriticisme, cité dans Boris Ilizarov, Tajnaja žizn Stalina, Moscou,
Veče, 2003, p. 81.
{7} Hippolyte Taine, Les Origines de la France contemporaine, Paris,
Robert Laffont, 1972, p. 474.
{8} Voir Sergo Beria, Beria mon père, Paris, Plon - Critérion, 1999, p. 20.
{9} Ibid., p. 22.
{10} Cité dans Andrej Sukhomlinov, Kto vy, Lavrentii Beria ?, Moscou,
Detektiv Press, 2004, p. 101.
{11} Comme l’atteste un document trouvé dans son coffre-fort après son
arrestation, que Baguirov lui avait remis en décembre 1939 (GAPPOD,
Archives nationales des partis et mouvements politiques de la république
d’Azerbaïdjan, Archives du Comité central du PC d’Azerbaïdjan, Section
secrète, vkh n° 307, Affaire Baguirov, p. 47).
{12} Tevossian, Plénum du 2-7 juillet 1953, dans Viktor Naumov, Juri
Sigačev, Lavrenti Beria, 1953, Moscou, Meždunarodny fond
« Demokratia », 1999, p. 211.
{13} Vladimir Karpov, Rasstreljannye maršaly, Moscou, Veče, 1999,
p. 213.
{14} V. Eldar Ismailov, Vlasť i narod, Bakou, Adiljogly, 2003, p. 51-52 ; et
GAPPOD, Affaire Baguirov, p. 40 s.
{15} R. Guseinov, « Kholodnoe leto 1953 goda », Tribuna, n° 28, 31 juillet
2008, p. 22.
{16} Sergej Kremljëv, Beria, lučšij manadžer xx veka, Moscou, Eksmo,
2008, p. 58. Par la suite, Beria ne cessera de propulser Baguirov qui
deviendra premier secrétaire du PC d’Azerbaïdjan en 1932.
{17} S. Beria, Beria…, p. 24 s.
{18} Voir par exemple Alexandre Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1922-1936,
Moscou, Materik, 2003, p. 78-80.
{19} Voir Bertram Wolfe, Lénine, Trotski, Staline, Paris, Calmann-Lévy,
1951. Pour l’histoire de la Géorgie, voir Alexandre Manvelichvili,
Histoire de la Géorgie, Paris, Nouvelles Éditions de la Toison d’Or, 1951.
{20} Le groupe de Makharadzé s’est allié aux groupes de Kote Tsintsadzé
et de Boudou Mdivani en mai 1922.
{21} Archives du ministère de la Sécurité de Géorgie (AMSEG), f. 14,
op. 1, d. 359, p. 106-107.
{22} AMSEG, Affaire Boudou Mdivani, t. 2, p. 680.
{23} AMSEG, f. 14, op. 2, d. 28.
{24} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo Beria, Moscou,
Kučkovo Pole, 2012, p. 142, 436.
{25} Déposition de Chalva Berichvili, 25 août 1953, dans O. B. Mozokhin,
A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 316-317. L’oncle par alliance de
Merkoulov, Viktor Yakhontov, était un général tsariste réfugié aux États-
Unis (ibid., p. 355).
{26} Alexandre Orlov, « The Beria I knew », Life, 20 juillet 1953.
{27} Note de Merkoulov à Khrouchtchev, 21 juillet 1953, dans Ivan
Kovalčenko (dir.), Neizvestnaja Rossija, xx vek, t. 3, Moscou,
« Istoričeskoe Nasledie », 1993, p. 64.
{28} Voir Mikhaïl Ilinski, Narkom Jagoda, Moscou, Veče, 2002, p. 421-
422.
{29} Voenno-Istoričeski Žurnal, n° 1, 1990, p. 73.
{30} Cité dans S. Kremljëv, Beria…, p. 76.
{31} Archives de l’émigration géorgienne et S. Beria, Beria…, p. 29-30.
{32} Colonel de Souramy, « Le calvaire de la Géorgie », Prométhée,
n° 110, janvier 1936, p. 18-25. Et sur l’insurrection voir Georges
Mamoulia, Les Combats indépendantistes des Caucasiens entre URSS et
puissances occidentales, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 75-89.
{33} S. Beria, Beria…, p. 32.
{34} L. S. Gatavova, L. P. Košeleva, L. A. Rogova (dir.), CK RKP (b)-
VKP(b) i nacionalnyj vopros, Moscou, Rosspen, 2005, t. 1, p. 232-233.
{35} S. Beria, Beria…, p. 32, nous soulignons.
{36} RGANI, f. 85, op. 413, d. 29.
{37} S. Beria, Beria…, p. 31.
{38} A. V. Kvašonkin, A. Ja. Livšin, O. Khlevnjuk (dir.), Sovetskoe
rukovodstvo. Perepiska 1928-1941, Moscou, Rosspen, 1999, p. 204.
{39} Nikolaj Zenkovič, Maršaly i genseki, Smolensk, Rusič, 1998, p. 190-
191.
{40} V. Antonov, V. Karpov, Tajnye informatory Kremlia-2, Moscou,
Olma-Press, 2003, p. 65-68.
{41} Chalva Berichvili, « Sans enjoliver – Notes d’un émigré » (en
géorgien), Tbilissi, 7 juillet 1993. Ainsi, dans l’émigration, Beria se
présentait comme le vengeur du peuple géorgien, car les trois victimes de
l’accident passaient pour les organisateurs des sanglantes représailles de
1924.
{42} APP (Archives de la préfecture de police de Paris), BA 1W840.
Eugène Doumbadzé sera bientôt considéré comme un agent double ou
triple par les autorités françaises.
{43} « Rapport de la préfecture de police au sujet de M. Veshapely
Gregoire », février 1926 (Archives de la préfecture de police de Paris,
APP, BA 2382, dossier URSS, « De l’activité des minorités ethniques.
Géorgiens. Généralités »).
{44} APP, Affaire Aftandil Merabichvili, BA 1W0396.
{45} Archives de l’émigration géorgienne. Merabichvili fut acquitté et
expulsé en juillet 1927.
{46} S. Piroumov, Lettre au Zakkraïkom du VKPb au sujet des
négociations avec les dachnaks et de l’affaire Tchelokaev, novembre 1926,
AMSEG, f. 13, d. 75, op. 3, p. 154-155.
{47} « Renseignement au sujet de Samsoun Themour Corachvili »,
20 mars 1932. Service historique de l’armée de terre (SHAT), carton n° 7,
NN 3086, Fol. 64-65. « Procès-verbal de la déclaration de Krouachvili S. à
Dhubert, commissaire spécial à la résidence de Marseille, officier de
police judiciaire, auxiliaire du procureur de la République », 13 mars
1932, SHAT, carton n° 7, NN 3086, Fol. 61-62.
{48} L. S. Gatavova, L. P. Košeleva, L. A. Rogova (dir.), CK RKP (b)-VKP
(b)…, p. 310.
{49} AMSEG, f. 13, op. 3, d. 306.
{50} Akaki Mgueladzé, Stalin. Kakim ja evo znal, Tbilissi, 2001, p. 66.
{51} Nikolaj Rubin, Lavrenti Beria Mif i realnosť, Moscou - Smolensk,
Rusič, 1998, p. 50.
{52} Note de Pavlounovski à Staline du 25 juin 1937, citée dans N. Rubin,
Lavrenti Beria…, p. 60-61.
{53} Note de Merkoulov à Khrouchtchev, 21 juillet 1953, dans
I. D. Kovalčenko (dir.), Neizvestnaja…, t. 3, p. 65-66.
{54} Interrogatoire de Dekanozov du 9 septembre 1953, cité dans
A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 185.
{55} Vladimir Alliluev, Alliluevy Stalin, Moscou, Molodaja Gvardia,
2002, p. 89-90 ; O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…,
p. 436-437.
{56} Témoignage d’Anna Larina, l’épouse de Boukharine, cité dans
V. F. Nekrasov (dir.), Beria : Konec kariery, Moscou, Politizdat, 1991,
p. 202.
{57} A. Orlov, « The Beria I knew ». Cette affaire explique sans doute
l’animosité du clan Allilouev à l’égard de Beria.
{58} Déposition du 17 octobre 1953, dans O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov
(dir.), Politburo i delo…, p. 450.
{59} Boris Sokolov, Beria, Moscou, Veče, 2003, p. 40-47.
{60} Archives présidentielles de Géorgie (APG), f. 14, op. 6, d. 1, p. 603-
609.
{61} B. Sokolov, Beria, p. 54.
{62} Igor Pykhalov, « Severnij Kavkaz, pričiny deportacii 1943-1945
gg. », Molodaja gvardia, n° 10, 2002, p. 71-98.
{63} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1922-1936, p. 229-230.
{64} B. Sokolov, Beria, p. 57.
{65} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka…, p. 191.
{66} Ibid., p. 35 (déposition du 11 mars 1939).
{67} L. S. Gatavova, L. P. Košeleva, L. A. Rogova (dir.), CK RKP (b) –
VKP (b)…, p. 673-684.
{68} Mémoires de S. Nadaraïa. Archives personnelles de la famille.
{69} Note de Merkoulov à Khrouchtchev, 21 juillet 1953, dans
I. D. Kovalčenko (dir.), Neizvestnaja…, p. 68.
{70} V. Khaustov, L. Samuelson, Stalin, NKVD I repressii 1936-1938 gg.,
Moscou, Rosspen, 2009, p. 122.
{71} Oleg Khlevnjuk, R. U. Davis et al., Stalin i Kaganovič, Perepiska.
1931-1936, Moscou, Rosspen, 2001, p. 51.
{72} S. Beria, Beria…, p. 34.
{73} Kandid Čarkviani, Gantsdili da naazrevi (Choses vécues et
comprises), Tbilissi, Merani, 2004, p. 452 (en géorgien).
{74} O. V. Khlevnjuk, R. U. Davis et al., Stalin i Kaganovič…, p. 68.
{75} V. F. Nekrasov (dir.), Beria : Konec kariery, Moscou, Politizdat,
1991, p. 150.
{76} Mémoires de S. Nadaraïa. Archives personnelles de la famille.
{77} Témoignage d’Akaki Mgueladzé, Stalin. Kakim ja evo znal, Tbilissi,
2001, p. 66.
{78} K. Čarkviani, Gantsdili…, p. 451.
{79} Nikolaj Zenkovič, Tajny ukhodjaščevo veka, Moscou, Olma-Press,
1999 p. 60.
{80} V. F. Nekrasov (dir.), Beria…, p. 151.
{81} K. Čarkviani, Gantsdili…, p. 453-454.
{82} Ibid., p. 19.
{83} L. S. Gatavova, L. P. Košeleva, L. A. Rogova (dir.), CK RKP (b) –
VKP (b)…, p. 671.
{84} O. V. Khlevnjuk, R. U. Davis et al., Stalin i Kaganovič..., p. 185, 189.
{85} Le 12 août, ibid., p. 276.
{86} A. V. Kvašonkin, A. Ja. Livšin, O. Khlevnjuk (dir.), Sovetskoe
rukovodstvo. Perepiska 1928-1941, Moscou, Rosspen, 1999, p. 187-188.
{87} V. Mikhaïl Šreider, NKVD iznutri, Moscou, Vozvraščenie, 1995,
p. 175. Schreider tenait ces détails de Mirzoïan, l’ancien chef du PC
d’Azerbaïdjan.
{88} Note de Merkoulov à Khrouchtchev, 21 juillet 1953, dans
I. D. Kovalčenko (dir.), Neizvestnaja…, p. 69.
{89} N. Zenkovič, Maršaly i genseki, p. 239.
{90} S. Kremljëv, Beria…, p. 102.
{91} Voir par exemple A. V. Kvašonkin, A. Ja. Livšin, O. Khlevnjuk (dir.),
Sovetskoe rukovodstvo…, p. 197-198, 202-204.
{92} Lettre de Beria à Ordjonikidzé, 2 mars 1933, RGANI, f. 85, op. 29,
d. 414.
{93} V. Džanibekian, Provokatory, Moscou, Veče, 2000, p. 347.
{94} Dans la note d’autojustification destinée à Khrouchtchev qu’il
rédigea après la chute de Beria, Merkoulov reconnut avoir vu pour l’année
1919 deux feuillets signés par Kaminski où le nom de Beria figurait.
Merkoulov prétendait avoir oublié leur contenu. Voir note de Merkoulov à
Khrouchtchev, 21 juillet 1953, dans I. D. Kovalčenko (dir.),
Neizvestnaja…, p. 59.
{95} A. Mikojan, Tak bylo, Moscou, Vagrius, p. 582.
{96} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 698.
{97} V. F. Nekrasov (dir.), Beria…, p. 203.
{98} Leonid Mlečin, KGB, predsedateli organov bezopasnosti, Moscou,
Centrpoligraf, 2002, p. 196-197.
{99} Pietro Quaroni, Croquis d’ambassade, Paris, Plon, 1955, p. 90.
{100} S. Kremljëv, Beria…, p. 95.
{101} The Archival Bulletin, appendice au n° 3, Tbilissi, 2008, p. 16 s.
{102} F. Nekrasov (dir.), Beria…, p. 22.
{103} K. Vačnadze, Vstreči i vpečatlenia, Moscou, Goskinoizdat, 1953,
p. 86.
{104} Nikita Khruščev, Vremia Ljudi Vlast, Moscou, « Moskovskie
Novosti », 1999, t. 1, p. 140.
{105} Ibid., p. 177.
{106} Patrice Guennifey, La Politique de la Terreur, Paris, Fayard, 2000,
p. 254.
{107} Note d’I. I. Talakhadzé à E. I. Tcherkezia, 8 janvier 1957, Archives
personnelles de Georges Mamoulia. Ce document se trouvait dans les
archives du ministère de la Sécurité de Géorgie. Son original a brûlé
pendant la guerre civile en 1992.
{108} Nous soulignons. Amy Knight, Beria, Princeton, Princeton
University Press, 1993, p. 76-77.
{109} Voenno-Istoričeski Žurnal, n° 7, 1989, p. 86-87.
{110} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 47.
{111} Témoignage recueilli par l’auteur.
{112} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka…, p. 255.
{113} Ibid.
{114} Ibid., p. 252-255.
{115} S. Beria, Beria…, p. 56.
{116} V. Khaustov, L. Samuelson, Stalin, NKVD…, p. 249. Litvine se
suicida lorsque Beria succéda à Ejov.
{117} Archives personnelles de Georges Mamoulia. Affaire
I. I. Talakhadzé.
{118} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka…, p. 415-416.
{119} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 272-273.
{120} Déposition de B. Koboulov du 11 août 1953, dans O. B. Mozokhin,
A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 249.
{121} L’original de ce document a également brûlé en 1992. Une copie est
conservée dans les archives du musée de la Littérature géorgienne
G. Leonidzé. Affaire M. Djavakhichvili.
{122} Ibid.
{123} Récit de Tcharkviani enregistré en février 1991, recueilli par Toma
Tchaguelichvili, auteur de la série télévisée « La Géorgie au XXe siècle ».
{124} Leonid Naumov, Stalin i NKVD, Moscou, Eskmo, 2010, p. 238-239.
{125} V. A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 168.
{126} Hippolyte Taine, Les Origines de la France contemporaine, Paris,
Robert Laffont, 1972, p. 382.
{127} Ibid., p. 186.
{128} Rudolf Balandin, Sergej Mironov, « Klubok » vokrug Stalina,
Moscou, Veče, 2003, p. 205.
{129} Jurij Žukov, Inoj Stalin, Moscou, Vagrius, 2003, p. 42 s.
{130} Oleg Khlevnjuk, 1937 : Stalin, NKVD i sovetskoe obščestvo,
Moscou, Respublika, 1992, p. 39.
{131} V. Gavrilov, E. Gorbunov, Operacia « Ramzaj », Moscou, « Krasnyj
proletarij », 2004, p. 71.
{132} L’ouvrage de Ju. N. Žukov (Inoj Stalin) est le meilleur exemple de
cette tendance. L’auteur a eu accès à de nombreux documents d’archives,
mais faute de juger Staline à ses actes et non aux mesures de propagande
dont il camouflait sa politique, il en arrive à présenter Staline comme un
grand démocrate contrarié par ses collègues du Politburo rétrogrades.
{133} V. Gavrilov, E. Gorbunov, Operacia « Ramzaj », p. 70.
{134} Robert Conquest, La Grande Terreur, Paris, Robert Laffont, 1995,
p. 416-418.
{135} AMSEG, Affaire Boudou Mdivani, t. 2, p. 769.
{136} Ju. N. Žukov, Inoj Stalin, p. 114.
{137} Ju. N. Žukov, « Repressii i konstitucia SSSR 1936 », Voprosy
Istorii, n° 1, 2002, p. 3-26.
{138} Déposition du 28 avril 1937, dans A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka,
1937-1938, Moscou, Meždunarodny fond « Demokratia », 2004, p. 145.
{139} Cité dans V. Krivicki, Ja byl agentom Stalina, Moscou, Terra, 1996,
p. 287.
{140} N. Khruščev, Vremia…, t. 1, p. 97-98.
{141} Grigori A. Tokaev, Comrade X, Londres, Harvill Press, 1956, p. 21.
{142} V. Khaustov, L. Samuelson, Stalin, NKVD…, p. 96.
{143} L’Écho de la lutte (Revue mensuelle du Parti social-démocrate
ouvrier de Géorgie), Paris, juin 1935, n° 54, p. 4 (en géorgien).
{144} Les mencheviks géorgiens de Paris firent état des démarches
d’Enoukidzé en ce sens dans leurs publications, voir Kavkaz, n° 26, février
1936, p. 2.
{145} Déposition du 28 avril 1937, dans A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka,
1937-1938, p. 145.
{146} Kavkaz, n° 8-9, août-septembre 1934, p. 16.
{147} Ivan M. Maïski, Dnevnik diplomata, 1934-1943, Moscou, Nauka,
2006, p. 53. Note du 23 décembre 1934.
{148} L’Écho de la lutte, juin 1935, n° 54, p. 4.
{149} Ju. N. Žukov, Inoj Stalin, p. 122.
{150} Ibid., p. 133 s. Et aussi A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1922-1936,
p. 599 s.
{151} À partir de mai 1937, après son arrestation, Yagoda avoua avoir
essayé de protéger Enoukidzé et les autres droitiers qui préparaient une
révolution de palais, en dérivant l’enquête sur des personnages mineurs et
des vétilles (Ju. N. Žukov, « Tajny “kremljovskovo dela” 1935 i sud’ba
Avelja Enukidze », Voprosy Istorii, n° 9, 2000, p. 108).
{152} Voir AMSEG, Affaire Boudou Mdivani, t. 1, p. 435-436.
{153} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1922-1936, p. 660.
{154} Teodor K. Gladkov, Korotkov, Moscou, Molodaja Gvardia, 2005,
p. 74.
{155} Ju. N. Žukov, Inoj Stalin, p. 167.
{156} Ju. N. Žukov, « Tajny “kremljovskovo dela” 1935… », p. 109, nous
soulignons.
{157} Roj et Ž. Medvedev, Neizvestny Stalin, Moscou, Vremia, 2007,
p. 545.
{158} S. Kremljëv, Beria…, p. 101.
{159} Prométhée, n° 95, Paris, octobre 1934, p. 29.
{160} Grigol Lordkipanidzé, Pikrebi sakartveloze (Réflexions sur la
Géorgie), Tbilissi, Éditions de l’université de Tbilissi, 1995, p. 303-325.
{161} AMSEG, PR 14799/n° 4539, Affaire Apollon Ourouchadzé.
{162} G. Lordkipanidzé, Pikrebi…, p. 303-325.
{163} V. Khaustov, L. Samuelson, Stalin, NKVD…, p. 68-69.
{164} Ju. N. Žukov, Inoj Stalin, p. 237.
{165} Ju. N. Žukov, « Tajny… », p. 11.
{166} Sergej Sluč, « Stalin i Gitler, 1933-1941, rasčëty i prosčëty
Kremlja », dans J. Zarusky (dir.), Stalin i Nemcy, Moscou, Rosspen, 2009,
p. 87.
{167} Lev Bezymenski, Gitler i Stalin pered skhvatkoj, Moscou, Veče,
2000, p. 91.
{168} Ibid., p. 97-98.
{169} S. Sluč, « Stalin i Gitler », p. 90
{170} L. Naumov, Stalin i NKVD, p. 291.
{171} Ibid., p. 293.
{172} J. Goebbels, Journal, 1933-1939, Paris, Tallandier, 2007.
{173} B. Ilizarov, Tajnaja žizn Stalina, p. 339.
{174} V. F. Nekrasov, Beria…, p. 52.
{175} H. Nicolaysen, « SD networks in Transcaucasia and Stalin : the rise
of a regional party functionary (1887-1902) », Hoover Institution, juillet
1991, p. 68.
{176} S. Beria, Beria…, p. 44.
{177} Ju. N. Žukov, Inoj Stalin, p. 64.
{178} Colonel de Souramy, « Le calvaire de la Géorgie », Prométhée,
n° 109, décembre 1935, p. 11.
{179} Ju. N. Žukov, Inoj Stalin, p. 173.
{180} V. Khaustov, L. Samuelson, Stalin, NKVD…, p. 56-57.
{181} Discours de G. Dimitrov au VIIe Congrès du Komintern (juillet
1935), cité dans Ju. N. Žukov, Inoj Stalin, p. 192.
{182} Georgi Dimitrov, The Diaries of Georgi Dimitrov, Ivo Banac (dir.),
Yale, Yale University Press, 2003, p. 65.
{183} S. Kremljëv, Beria…, p. 115. Ces lignes donnent une clé au
processus de décision soviétique.
{184} Gennadi V. Kostyrčenko, Tajnaja politika Stalina, Moscou,
Meždunarodnye otnošenia, 2001, p. 204.
{185} Ju. N. Žukov, Inoj Stalin, p. 387.
{186} A. Mikojan, Tak bylo, p. 516.
{187} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 165.
{188} Ju. N. Žukov, Tajny…, p. 92-93.
{189} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 132.
{190} Marc Jansen, Nikita Petrov, Stalin’s loyal executioner : people’s
commissar Nicolai Ezhov, Stanford, Hoover Institution Press, 2002, p. 71-
72.
{191} O. F. Suvenirov, Tragedia RKKA, 1937-1938, Moscou, Terra, 1998,
p. 24.
{192} Pour cette analyse nous nous inspirerons de l’ouvrage savant de Ju.
N. Žukov, Tajny Kremlja, dont les thèses sont fort contestables mais dont
la documentation est remarquable.
{193} Voir A. I. Mikojan, Tak bylo, p. 129.
{194} Le Procès du centre antisoviétique trotskiste, compte-rendu
sténographique des débats, Moscou, 1937.
{195} Soveršenno Sekretno, n° 8, 1990.
{196} S. Beria, Beria…, p. 63.
{197} B. Sokolov, Razvedka, Moscou, AST Press, 2001, p. 6.
{198} Aleksej Poljanski, Ežov, Moscou, Veče, 2001, p. 159-165.
{199} Selon Sergo Beria, Malenkov comptait hériter du poste d’Ejov (S.
Beria, Beria…, P. 67). Après le limogeage d’Ejov on le vit tous les jours au
NKVD (voir l’intéressant témoignage de V. S. Riasnoï, dans Feliks Čuev,
Soldaty imperii, Moscou, Kovčeg, 1998, p. 157).
{200} S. Beria, Beria…, p. 68.
{201} N. Khrouchtchev, Souvenirs, 1971, p. 328.
{202} R. Medvedev, Oni okružali Stalina, Moscou, Politizdat, 1990,
p. 280.
{203} Andrej Malenkov, O mojom otse Georgii Malenkove, Moscou,
Fermer, 1992, p. 33.
{204} Ju. N. Žukov, Tajny…, p. 51-64.
{205} Boris Sokolov, Istrebljonnye maršaly, Smolensk, Rusič, 2000,
p. 492.
{206} M. Jansen, N. Petrov, Stalin’s loyal executioner…, p. 128-129.
{207} A. Papčinski, M. Tumšis, NKVD protiv VČK, Moscou, Sovremennik,
2001, p. 39.
{208} Nil Nikandrov, Grigulevič, Moscou, Molodaja Gvardia, 2005, p. 74.
{209} R. Balandin, S. Mironov, « Klubok » vokrug Stalina, p. 292.
{210} D. Prokhorov, O. Lemekhov, Perebežčiki…, p. 80.
{211} Andrej Sudoplatov, Tajnaja žizn generala Sudoplatova, Moscou,
Olma-Press, 1998, p. 103.
{212} V. Gavrilov, E. Gorbunov, Operacia « Ramzaj », p. 160-162 et 169.
{213} John Costello, Oleg Tsarev, Deadly Illusions, New York, Crown,
1993, p. 300.
{214} Ibid., p. 43.
{215} Ibid., p. 309.
{216} Ibid., p. 306 ; et aussi Edward Gazur, Alexander Orlov, the FBI’s
General, New York, Caroll & Graf, 2001, p. 197.
{217} N. Rubin, Lavrenti Beria…, p. 94-95 ; et aussi Soudoplatov, dans
Krasnaja Zvezda, 27 au 28 avril 1994.
{218} Z. P. Šarapov, Naum Eitingon, karajuščii meč Stalina, Saint-
Pétersbourg, Neva, 2003, p. 65, 80. Peu avant sa mort, Orlov confia à
l’agent du FBI chargé de son debriefing qu’il détenait un secret
sensationnel capable de « mettre le monde en état de choc ». Mais il
semble être mort en emportant ce secret. Peut-être s’agissait-il de Beria
(E. Gazur, Alexander Orlov…, p. 543-544) ?
{219} A. Sudoplatov, Tajnaja žizn…, p. 131.
{220} T. K. Gladkov, Korotkov, p. 56.
{221} A. Sudoplatov, Tajnaja žizn…, p. 212.
{222} N. Nikandrov, Grigulevič…, p. 79.
{223} N. Khruščev, Vremia…, t. 1, p. 190.
{224} Cité dans O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…,
p. 896.
{225} Recueilli par l’auteur de ces lignes. Mirtskhoulava est un
communiste géorgien proche de Beria, nommé par lui à la tête du PC de
Géorgie au printemps 1953.
{226} Pour ces détails voir V. Džanibekian, Provokatory, p. 373.
{227} Arkadi Vaksberg, Vychinski, le procureur de Staline, Paris, Albin
Michel, 1991, p. 332.
{228} V. F. Nekrasov (dir.), Beria…, p. 60-61. Cet épisode fut rapporté par
F. T. Konstantinov, l’ancien secrétaire de Dimitrov, qui le tenait de ce
dernier (N. Zenkovič, Maršaly i genseki, p. 240-241).
{229} En mai 1935, le Politburo avait créé une Commission spéciale de
lutte contre les ennemis du peuple dirigée par Jdanov et Ejov qui y avait
fait entrer Malenkov (Teodor K. Gladkov, Lift v razvedku, Moscou, Olma-
Press, 2002, p. 78).
{230} N. Khruščev, Vremia…, t. 1, p. 179-180.
{231} Note de Merkoulov à Khrouchtchev, 21 juillet 1953, dans
I. D. Kovalčenko (dir.), Neizvestnaja…, t. 3, p. 70.
{232} M. Šreider, NKVD iznutri…, p. 164.
{233} N. Khruščev, Vremia…, t. 1, p. 180-181.
{234} Ibid., p. 183.
{235} Interrogé sur l’identité de ce personnage en août 2002 par l’auteur
de ces lignes, Tokaev, âgé de 93 ans, a estimé « prématurée » la révélation
du nom de ce proche de Beria qui le patronnait !
{236} Grigori A. Tokaev, Le Paradis de Staline, Paris, Éd. Vieux
Colombier, 1957, p. 148-149.
{237} A. Maximovič, dans V. F. Nekrasov (dir.), Beria…, p. 141.
{238} V. Rtsiladzé (dir.), Les Géorgiens sous le drapeau allemand durant
la Deuxième Guerre mondiale, Tbilissi, Ganatleba, 1984 (en géorgien),
p. 111-112.
{239} Sur l’occupation britannique au Caucase, voir le rapport du général
Milne au War Office (11 août 1920), dans A. I. Kurkča (dir.), Kaspiiskii
tranzit, Moscou, Tanais, 1996, p. 310-332.
{240} Džamil Gasanli, Russkaja revoljucia i Azerbajdžan, Moscou, Flinta,
2011, p. 446.
{241} Pitovranov, responsable du NKVD avant guerre, confia à l’historien
Volkogonov que Beria était profondément « apolitique », voir
V. F. Nekrasov (dir.), Beria…, p. 166.
{242} S. Beria, Beria…, p. 397.
{243} Ibid., p. 398.
{244} L. Mlečin, Osobaja Papka, Moscou, 2003, p. 15.
{245} Ibid., p. 23.
{246} Archives de la préfecture de police (APP), BA 1980.
{247} Les Tcheka régionales créèrent des sections étrangères à partir
d’avril 1920 (voir T. K. Gladkov, Lift v razvedku, p. 25).
{248} Ceci est confirmé par des sources récentes, voir A. Papčinski,
M. Tumšis, NKVD protiv VČK, Moscou, Sovremennik, 2001, p. 55.
{249} Alexander Vassiliev’s Notebooks, Yellow Notebook, 3, p. 11.
Alexander Vassiliev’s Notebooks, http://www.wilsoncenter.org/index.cfm ?
topic_id=1409&fuseaction=topics.documents&group_id=511603
{250} S. Beria, Beria…, p. 28.
{251} PAAA, Berlin, R 31700, p. 6-7.
{252} AMSEG, Affaire Chalva Berichvili ; APP, GA 77W722.
{253} APP, BA 2382 1. 00. 817. 20.
{254} AMSEG, Affaire Chalva Berichvili.
{255} Archives de l’émigration géorgienne.
{256} P. A. Soudoplatov, Missions spéciales, Paris, Éd. du Seuil, 1994,
p. 104.
{257} N. Rubin, Lavrenti Beria…, p. 52. En 1931, Lordkipanidzé remplaça
Beria à la tête de la GPU de Géorgie. En 1935, Lordkipanidzé devient chef
du NKVD de Crimée et il périt dans les purges en 1937.
{258} J. Costello, O. Tsarev, Deadly Illusions, p. 48.
{259} Témoignage d’Akaki Ramichvili, le fils de Noé Ramichvili,
recueilli par l’auteur.
{260} Déposition de Chalva Berichvili, 21 août 1953, dans
O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 293.
{261} L’Action géorgienne, n° 2, juin 1954 ; voir aussi G. Mamulia,
Kavkazskaja Konfederacia v oficialnykh deklaraciakh, tajnoj perepiske i
sekretnykh dokumentakh dviženia « Prometej », Moscou, Mysl, 2012,
p. 32.
{262} CIA, Kedia file, Release 2, 180.
{263} Rapport du 6 juin 1935, APP, BA 2382 1. 00. 817. 25.
{264} AMSEG, Affaire Chalva Berichvili.
{265} CIA, Kedia file, Release 2, 180.
{266} Ibid.
{267} AMSEG, Affaire Ourouchadzé.
{268} AMSEG, f. 14, op. 1, d. 196, p. 238.
{269} AMSEG, Affaire Mikhailovski et Affaire Gueguelia.
{270} AMSEG, Affaire Berichvili.
{271} APP, 77W 1297. La mesure fut rapportée le 17 juillet 1945.
{272} E. M. Primakov (dir.), Očerki istorii rossiiskoj vnešnej razvedki,
t. 3, Moscou, Meždunavodnye otnošenia, 2003, p. 67.
{273} AMSEG, Affaire Berichvili.
{274} AMSEG, Affaire Odicharia.
{275} AMSEG, Affaire L. Pataridzé.
{276} AMSEG, Affaire K. Khochtaria.
{277} AMSEG, Affaire M. Djavakhichvili.
{278} AMSEG, Affaire Chalva Berichvili.
{279} AMSEG, Affaire Gueguelia.
{280} AMSEG, Affaire Kirill Guelovani.
{281} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 183, 235-
236.
{282} Anthony Beevor, The Mystery of Olga Chekhova, New York, Viking,
2004, p. 153.
{283} CIA, Kedia file, Release 2, 286 et 358.
{284} AMSEG, Affaire S. M. Tchavtchavadzé.
{285} M. Šreider, NKVD iznutri…, p. 111.
{286} Archives de l’émigration géorgienne.
{287} AMSEG, Affaire Chalva Berichvili.
{288} Chalva Berichvili, « Sans enjoliver… », 6 juillet 1993. Ces
passionnants Mémoires de Berichvili furent rédigés en 1986 et publiés par
l’historien Gouram Charadzé. Berichvili est mort en septembre 1989.
{289} APP, BA 1W0653.
{290} AMSEG, « Ma mission en Turquie », Affaire Chalva Berichvili.
{291} APP, BA 2382 1. 00. 817. 20. Les archives communistes
géorgiennes ne contiennent aucune trace de cette réunion.
{292} Archives de l’émigration géorgienne.
{293} Ch. Berichvili, « Sans enjoliver… ».
{294} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj vojne, Moscou, Olma-Press, 2005,
p. 19 ; A. Sudoplatov, Tajnaja žizn…, p. 39.
{295} G. Mamoulia, Les Combats indépendantistes…, p. 133.
{296} Albert Norden, Fälscher, Berlin, Dietz Verlag, 1960, p. 42. Voir
aussi AMSEG, Affaire Kobakhidzé.
{297} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1922-1936, p. 112.
{298} N. West, O. Tsarev, The Crown Jewels, Londres, Harper Collins,
1998, p. 14-19.
{299} Albert Norden, Fälscher, p. 76-79.
{300} Archives de l’émigration géorgienne.
{301} Pour un récit de cette affaire d’après les archives de la GPU, voir
O. Mozokin, Lubianka, VČK-OGPU, Moscou, Jauza Eksmo, 2004, p. 253-
257.
{302} SHAT, Série 7NN 3086, p. 86-89.
{303} AMSEG, Note de la GPU de Transcaucasie du 6 avril 1927.
{304} Archives de l’émigration géorgienne. APP, BA 2382 1. 00. 817. 20.
{305} Akten zur Deutschen Auswärtigen Politik, Serie B, vol. 14, doc. 96,
p. 205 ; G. Hilger, A. Meyer, The Incompatible Allies, New York,
Macmillan, 1953, p. 230-231.
{306} Kavkaz, n° 12, décembre 1934, p. 26.
{307} Ibid.
{308} O. Mozokin, Lubianka, VČK-OGPU, p. 257.
{309} PAAA, Berlin, R 31700, p. 6
{310} AMSEG, II, f. 13, op. 5, d. 60, p. 17-18.
{311} T. K. Gladkov, Korotkov, p. 39.
{312} G. Hilger, A. Meyer, The Incompatible Allies, p. 148.
{313} G. Yagoda, déposition du 26 avril 1937, dans A. N. Jakovlev (dir.),
Ljubjanka, 1937-1938, p. 136.
{314} Aveux de G. Yagoda à son procès, dans L. Naumov, Borba v
rukovodstve NKVD v 1936-38 gg., Moscou, Modern-A, 2003, p. 61.
{315} AMSEG, Affaire Boudou Mdivani, 1, p. 359-366.
{316} Ibid.
{317} I. Dzhirkvelov, Secret Servant, New York, Harper & Row, 1987,
p. 75-78.
{318} AMSEG, Affaire Ourouchadzé. Voir aussi O. B. Mozokhin, A. Ju.
Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 485-486.
{319} Orlov a déclaré au FBI que l’OGPU utilisait volontiers les cabinets
dentaires pour les rencontres vraiment importantes. Voir J. Costello,
O. Tsarev, Deadly Illusions, p. 50. Un grand nombre d’agents confidentiels
de Beria sont médecins ou dentistes.
{320} Nous soulignons.
{321} AMSEG, Affaire Ourouchadzé.
{322} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 444.
{323} Ibid., p. 294.
{324} Dans une lettre à l’historien de l’émigration Gouram Charadzé
rédigée en 1986. Cité dans G. Souladzé, L’Émigration géorgienne
antisoviétique et les services spéciaux 1918-1953, Tbilissi, Erovnuli
mtserloba, 2010 (en géorgien), p. 542-543.
{325} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 370.
{326} Interrogatoire de Beria, 18 au 23 décembre 1953 ; AMSEG, Affaire
Ourouchadzé.
{327} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 486.
{328} AMSEG, Affaire Apollon Ourouchadzé, PR 14799 Delo n° 4539.
{329} L. Mlečin, Osobaja Papka, Moscou, Eksmo, Jauza, 2003, p. 63.
{330} « The sensational secret behind the damnation of Stalin », Life,
n° 17, 23 avril 1956.
{331} J. Costello, O. Tsarev, Deadly Illusions, p. 368-369.
{332} D’autres sources attestent que Balitski et Yakir s’appelaient eux-
mêmes « la fraction des généraux ». Voir V. Khaustov, L. Samuelson,
Stalin, NKVD…, p. 115.
{333} G. Dimitrov, The Diaries…, p. 70, nous soulignons.
{334} L. Naumov, Stalin i NKVD, Moscou, Novy Khonograf, 2010, p. 17.
{335} Déposition de Chalva Berichvili, 21 août 1953, dans
O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 293.
{336} Arioutunov, Plénum du 2-7 juillet 1953, p. 202.
{337} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 1043-
1047.
{338} Archives de l’émigration géorgienne.
{339} Ibid.
{340} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 156-157.
{341} Ibid., p. 483-484.
{342} Pietro Quaroni, Croquis d’ambassade, p. 86-88.
{343} S. Beria, Beria…, p. 45.
{344} Nous soulignons.
{345} Cité par B. Sokolov, Beria, p. 62-63.
{346} Rapport sur le clergé arménien, Revue du monde arménien moderne
et contemporain, n° 2, 1995-1996, p. 135-162.
{347} Prométhée, n° 71, Paris, octobre 1952, p. 17-18. Voir aussi
S. Kremljëv, Beria, lučšij manadžer XX veka, Moscou, Eksmo, 2008,
p. 113.
{348} F. Nekrasov (dir.), Beria…, p. 153.
{349} Istočnik, n° 2, 1994, p. 87.
{350} Ibid., p. 86.
{351} Archives nationales des partis et mouvements politiques de la
république d’Azerbaïdjan (GAPPOD), f. 1, op. 168, d. 6. l. 55. L’auteur
doit ce document à la courtoisie du professeur E. Ismailov.
{352} Note de G. T. Karanadzé à V. P. Mjavanadzé, 31 août 1955
(AMSEG).
{353} AMSEG, PR 14799 Delo n° 4539, Affaire Apollon Ourouchadzé.
{354} S. Beria, Beria…, p. 36-37, nous soulignons.
{355} Kavkaz, n° 29, mai 1936, p. 2.
{356} Déposition de I. I. Nibladzé – vice-ministre de la Sécurité d’État de
1942 à septembre 1951 –, le 31 juillet 1953 (AMSEG, Affaire Talakhadzé).
{357} Rapport de Talakhadzé à E. Tcherkezia, 8 janvier 1957 (AMSEG,
Affaire Talakhadzé).
{358} Déposition de I. I. Talakhadzé le 29 août 1953 (AMSEG, Affaire
Talakhadzé).
{359} Rapport de Talakhadzé à E. Tcherkezia, 8 janvier 1957 (AMSEG,
Affaire Talakhadzé).
{360} Mirtskhoulava, Plénum du 2-7 juillet 1953, dans V. Naumov, Ju.
Sigačev, Lavrenti Beria…, p. 182-183.
{361} Témoignage de sa fille.
{362} Déposition de I. I. Nibladzé, 31 juillet 1953 (AMSEG, Affaire
Talakhadzé).
{363} S. Beria, Beria…, p. 57.
{364} N° 126, mai 1937, p. 20-22.
{365} A. Ju. Bezugolny, Narody Kavkaza i Krasnaja Armia, Moscou, Veče,
2007, p. 145.
{366} Ceci a d’ailleurs été confirmé à l’auteur de ces lignes par Sergo
Beria.
{367} O. Mozokhin, T. Gladkov, Menżinski, intelligent s Ljubjanki,
Moscou, Jauza Eksmo, 2005, p. 147.
{368} G. V. Kostyrčenko (dir.), Gosudarstvenny antisemitizm v SSSR,
Moscou, Meždunarodny fond « Demokratia », 2005, p. 75.
{369} G. A. Tokaev, Comrade X, p. 208.
{370} N. Khruščev, Vremia…, t. 1, p. 189.
{371} Témoignage de V. S. Riasnoj, dans F. Čuev, Soldaty imperii,
Moscou, Kovčeg, 1998, p. 159.
{372} Cité dans B. Sokolov, Beria, p. 103. Ce qui d’ailleurs n’empêchera
pas Frinovski d’envoyer à Staline, le 11 mars 1939, une lettre de délation
critiquant Ejov pour les « violations flagrantes de la légalité » qu’il avait
commises. V. E. Šoškov, « Ne v svoikh sanjakh », Rodina, n° 5, 1997,
p. 94.
{373} N. Petrov, « Kak Beria vošël v doverie », Novaja gazeta, n° 42,
21 avril 2010, p. 22.
{374} Oleg Khlevnjuk, Khozjain, Stalin i utverždenie stalinskij diktatury,
Moscou, Rosspen, 2010, p. 343.
{375} Note de Merkoulov à Khrouchtchev, 21 juillet 1953, dans
I. D. Kovalčenko (dir.), Neizvestnaja…, t. 3, p. 60.
{376} Témoignage de V. S. Riasnoj dans F. Čuev, Soldaty imperii, p. 160.
{377} T. K. Gladkov, Korotkov, p. 110.
{378} Témoignage de V. S. Riasnoj dans F. Čuev, Soldaty imperii, p. 160.
{379} A. I. Romanov, Nights are longest there, Boston, 1972, p. 55.
{380} Ibid., p. 179.
{381} E. Petrov, Empire of Fear, Londres, Praeger, 1956, p. 86-87.
{382} V. Ju. N. Žukov, Tajny…, p. 101 ; G. V. Kostyrčenko, Tajnaja
politika…, p. 205.
{383} Ju. N. Žukov, Tajny…, p. 619.
{384} Les clans territoriaux jouaient un rôle important au NKVD. Ainsi
Ejov s’était appuyé sur le clan des Nord-Caucasiens (voir A. Sudoplatov,
Tajnaja žizn…, p. 91-98).
{385} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 300.
{386} W. Semjonow, Von Stalin bis Gorbatschow : ein halbes Jahrhundert
in diplomatischer Mission, Berlin, Nicolaische Verlagsbuchhandlung,
1995, p. 93.
{387} S. S. Montefiore, The Court of the Red Tsar, Londres, Weidenfeld
and Nicholson, 2003, p. 473. Il était chargé des gardes à la conférence de
Téhéran.
{388} F. Blagoveščenski, « V gostjakh u P. A. Šarii », Minuvšee,
Atheneum, 1989, p. 458.
{389} O. Volin, « S berievcami vo vladimirskoj tjurme », Minuvšee,
Atheneum, 1989, p. 371.
{390} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 652.
{391} Note de Merkoulov à Khrouchtchev, 21 juillet 1953, dans
I. D. Kovalčenko (dir.), Neizvestnaja…, p. 71-72. En fait lui-même avait
écrit à Beria le 21 novembre 1938 pour lui demander de lui confier un
poste à Moscou (voir A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 122).
{392} L. Naumov, Stalin i NKVD, p. 375.
{393} O. F. Suvenirov, Tragedia RKKA, 1937-1938, Moscou, Terra, 1998,
p. 208.
{394} V. M. Čebrikov (dir.), Istoria sovetskikh organov gosudarstvennoj
bezopasnosti, Moscou, Vysšaja krasnoznamennaja škola KGB, 1977,
p. 290.
{395} O. S. Smyslov, General Abakumov, p. 111.
{396} S. Kremljëv, Beria, lučšij…, p. 224.
{397} O. Khlevnjuk, Khozjain, Stalin…, p. 366.
{398} S. Beria, Beria…, p. 68. La commission n’achève ses travaux que le
10 janvier 1939.
{399} Pour le texte de la résolution, voir S. V. Stepašin (dir.), Organy
gosudarstvennoj bezopasnosti SSSR v Velikoj Otečestvennoj Vojne,
Moscou, Kniga I bizness, 1995, t. 1, p. 3-7. Le NKVD continua toutefois à
procéder à des arrestations sans respecter cette disposition, ce dont
Vychinski se plaignit à Staline le 31 mai 1939 (voir A. N. Jakovlev (dir.),
Ljubjanka, 1939…, p. 94).
{400} O. F. Suvenirov, Tragedia RKKA…, p. 222.
{401} Ibid., p. 275.
{402} M. Jansen, N. Petrov, Stalin’s loyal executioner…, p. 165.
{403} V. Khaustov, L. Samuelson, Stalin, NKVD…, p. 221.
{404} Ju. N. Žukov, Tajny…, p. 82-83.
{405} A. I. Mikojan, Tak bylo, p. 337-338.
{406} GARF, f. 9401, op. 2, d. 1, 10-11.
{407} V. M. Čebrikov (dir.), Istoria sovetskikh…, p. 289-290.
{408} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1939…, p. 26.
{409} O. F. Suvenirov, « Narkomat oborony i NKVD v predvoennye
gody », Voprosy istorii, n° 6, 1991, p. 34.
{410} O. F. Suvenirov, Tragedia RKKA…, p. 148.
{411} N. Khruščev, Vremia…, t. 1 p. 189.
{412} T. K. Gladkov, Lift v razvedku, p. 124. Selon d’autres données
fournies par l’archiviste russe R. Pikhoïa, en 1938, il y avait 700 000
détenus politiques et en 1939 on en dénombrait 40 000 (voir « XX s’ezd »,
9e émission, Radio Svoboda, 1996). Les chiffres fournis par Gladkov sont
plus vraisemblables, bien que celui-ci ne cite pas ses sources.
{413} A. N. Jakovlev (dir), Goulag, Moscou, Meždunarodny fond
« Demokratia », 2000, p. 447.
{414} O. Khlevnjuk, Khozjain, Stalin…, p. 365.
{415} A. Vaksberg, Vychinski…, p. 173.
{416} Socialističeski Vestnik, 27 décembre 1938.
{417} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1939…, p. 23. La proposition fut
adoptée en avril.
{418} GARF, f. 9401, op. 2, d. 1, 136-139.
{419} Lettre de Poloukarpov à Khrouchtchev, 13 juillet 1953, dans
O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 165.
{420} P. Sudoplatov, Raznye dni tajnoj vojny i diplomatii, 1941 g.,
Moscou, Olma-Press, 2001.
{421} Istoričeski Arkhiv, n° 3, 1993, p. 87 ; A. Suljanov, Arestovat’ v
Kremle, Minsk, Harvest, 1991, p. 99.
{422} S. Beria, Beria…, p. 268.
{423} O. Khlevnjuk, Khozjain, Stalin…, p. 363.
{424} Ibid., p. 364.
{425} Ibid., p. 378 ; A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1939…, p. 101.
{426} Anne Applebaum, Goulag, Paris, Grasset, 2005, p. 149-150, 224. De
1938 à 1939, la mortalité dans les camps passa de 5 % à 3 %, mais elle fut
très élevée pendant les années de guerre. En 1942, un prisonnier sur quatre
mourut. Ibid., p. 460.
{427} A. Antonov-Ovseenko, dans V. F. Nekrasov (dir.), Beria…, p. 71.
{428} A. Applebaum, Goulag, p. 187.
{429} D. Prokhorov, O. Lemekhov, Perebežčiki, Moscou, Veče, 2001,
p. 65.
{430} La purge du NKVD organisée par Ejov après la chute de Yagoda
avait frappé 14 000 tchékistes (voir A. Poljanski, Ežov, p. 24).
{431} Pour l’affaire Ejov nous nous référons à A. Poljanski, Ežov, p. 191
s.
{432} N. Petrov, Ivan Serov, Moscou, Materik, 2005, p. 22.
{433} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1937…, p. 564-568.
{434} Ibid., p. 22.
{435} L. Naumov, Stalin i NKVD, p. 263.
{436} V. Khaustov, L. Samuelson, Stalin, NKVD…, p. 309.
{437} Ibid., p. 253-255.
{438} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1939…, p. 45.
{439} Ibid., p. 46.
{440} Ibid., p. 49.
{441} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1939…, p. 52. Déposition d’Ejov
du 27 avril 1939.
{442} Ibid., p. 60-61.
{443} A Papčinski, M. Tumšis, NKVD protiv VČK, Moscou, Sovremennik,
2001, p. 228.
{444} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1939…, p. 67-72.
{445} Ibid., p. 49. Déposition de Frinovski du 11 mars 1939.
{446} Ibid., p. 76.
{447} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1937…, p. 254.
{448} J. Fest, La Résistance allemande à Hitler, Paris, Perrin, 2009, p. 80.
{449} En juin 1937, Ejov avait accusé Yagoda d’avoir voulu lancer contre
Moscou 35 000 détenus d’un camp du Goulag pour s’emparer du pouvoir
(voir V. Khaustov, L. Samuelson, Stalin, NKVD…, p. 69).
{450} A. Poljanski, Ežov, p. 305.
{451} Voir Istoričeski Arkhiv, n° 3, 1993, p. 22.
{452} Note de D. N. Soukhanov du 21 mai 1956, dans O. Khlevnjuk (dir.),
Politburo CK VKP (b) i Sovet Ministrov SSSR, 1945-1953, Moscou,
Rosspen, 2002, p. 203.
{453} Malenkov et Beria avaient commencé à collaborer en 1937, lorsque
Malenkov avait été envoyé à Erevan pour y organiser les purges (voir
R. G. Pikhoia, Sovetskii sojuz : istoria vlasti, 1945-1991, Novosibirsk,
Sibirski khronograf, 2000, p. 44).
{454} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 432-433.
{455} Krasnaja Zvezda, 27 avril 1994.
{456} E. M. Primakov (dir.), Očerki istorii rossiiskoj…, t. 3, p. 16-17.
{457} Ce fut le cas de A. M. Korotkov, limogé en décembre 1938, et du
résident illégal aux États-Unis I. A Akhmerov, rappelé en décembre 1939
(voir V. I. Trubnikov [dir.], Očerki istorii rossiiskoj…, p. 146 et 222).
{458} L. Mlečin, Osobaja Papka, p. 79.
{459} A. Sudoplatov, Tajnaja žizn…, p. 178-180.
{460} V. Nekrasov (dir), Beria…, p. 90.
{461} Alexander Vassiliev’s Notebooks, White Notebook, 1, p. 122-124.
{462} Staline trouvait que Beria faisait traîner les choses (voir
N. Nikandrov, Grigulevič, Moscou, Molodaja Gvardia, 2005, p. 84).
{463} T. K. Gladkov, Korotkov, p. 83 ; P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…,
p. 371.
{464} Ibid., p. 24.
{465} Alexander Vassiliev’s Notebooks,
http://www.wilsoncenter.org/index.cfm ?
topic_id=1409&fuseaction=topics.documents&group_id=511603
{466} Alexander Vassiliev’s Notebooks, White Notebook, 1, p. 131.
{467} Ibid., p. 127-128.
{468} Ibid., p. 165-166.
{469} J. E. Haynes, H. Klehr, Venona, Yale, YUP, 1999, p. 74-75.
{470} Voir http://foia.fbi.gov/foiaindex/soble_j.htm
{471} T. K. Gladkov, Korotkov, p. 458.
{472} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 31.
{473} C’est Orlov qui persuada Artuzov en 1931 de développer des
réseaux d’illégaux, après une série de fiascos des résidences légales (voir
E. Gazur, Alexander Orlov, the FBI’s General, p. 15).
{474} Gill Bennett, Churchill’s Man of Mystery, Londres, Routledge,
2009, p. 136 s., 193.
{475} Alexander Vassiliev’s Notebooks, White Notebook, 1, p. 122-124.
{476} Ibid., p. 39.
{477} T. K. Gladkov, Korotkov, p. 226.
{478} A. I. Mikojan, Tak bylo, p. 335.
{479} N. Khruščev, Vremia…, t. 1, p. 222.
{480} Ibid., p. 85.
{481} A. Mikojan, Tak bylo, p. 553.
{482} N. Khruščev, Vremia…, t. 1, p. 190.
{483} S. Beria, Beria…, p. 69, nous soulignons.
{484} Ju. Rubcov, Alter ego Stalina, Moscou, Zvonnica MG, 1999, p. 122-
128.
{485} Ju. N. Žukov, Tajny…, p. 131.
{486} Amy Knight, Beria…, p. 94.
{487} Ju. N. Žukov, Tajny…, p. 133.
{488} Nous soulignons.
{489} A. Mgueladzé, Stalin. Kakim ja evo znal, p. 28.
{490} N. Khruščev, Vremia…, t. 1, p. 270.
{491} Voir Zbrodnia Katynska w swietle dokumentow, Londres, « Gryf »,
1982, p. 81.
{492} Ju. Rubcov, Alter ego Stalina, p. 141. Le 10 juin 1941, Mekhlis
avait proposé d’établir des inspecteurs dépendant de son commissariat
dans les régions. En 1941, le budget militaire absorbait plus de 43 % des
ressources de l’État.
{493} N. Khruščev, Vremia…, t. 1, p. 287.
{494} L. Naumov, Borba v rukovodstve NKVD, p. 46.
{495} V. Loginov, Teni Stalina, Moskva, Sovremennik, 2000, p. 137.
{496} Roj et Ž. Medvedev, Neizvestny Stalin, p. 31.
{497} Štykov, dans Istoričeski Arkhiv, n° 1, 1994, p. 35.
{498} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1939…, p. 12.
{499} Ibid., p. 9-10.
{500} F. Čuev, Soldaty imperii, p. 107.
{501} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1939…, p. 109.
{502} A. Applebaum, Goulag, p. 150.
{503} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 202 ; D. G. Nadjafov,
Z. S. Belousova, Stalin i kosmopolitism, Moscou, Materik, 2005, p. 209.
{504} G. V. Kostyrčenko (dir.), Gosudarstvenny antisemitizm v SSSR,
p. 167.
{505} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 329.
{506} W. Semjonow, Von Stalin bis Gorbatschow : ein halbes Jahrhundert
in diplomatischer Mission, p. 93.
{507} V. Semjonov, « Iz dnevnika… V. S. Semjonova », Novaja i
Novejšaia Istoria, n° 3, 2004, p. 107-108.
{508} A. Vaksberg, Vychinski…, p. 232, 240.
{509} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 119. Le NKVD offrit à
Vychinski la datcha de Serebriakov après l’exécution de ce dernier (ibid.,
p. 329).
{510} A. A. Danilov, A. V. Pyžikov, Roždenie sverkhderžavy, Moscou,
Rosspen, 2001, p. 16.
{511} P. Sudoplatov, Raznye dni tajnoj vojny i diplomatii 1941 god,
Moscou, Olma-Press, 2001, p. 13. Il n’était guère apprécié par ses
interlocuteurs américains : Umanski « cannot under any circumstances be
considered a friend of the United States », note le diplomate Charles
Bohlen (FRUS, 1943, vol. 3, p. 530). À son retour des États-Unis,
Oumanski sera nommé à la direction de TASS.
{512} P. Sudoplatov, Raznye dni tajnoj…, p. 47.
{513} Ibid., p. 49.
{514} Ibid., p. 84.
{515} Ibid., p. 45 et 89.
{516} Ibid., p. 92.
{517} Ibid., p. 46.
{518} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 68-69.
{519} Vladimir Lota, « Alta » protiv « Barbarossy », Moscou, Molodaja
Gvardia, 2004, p. 48.
{520} J. Costello, O. Tsarev, Deadly Illusions, p. 45.
{521} Ce processus est amplement attesté par le Journal de Dimitrov.
Ainsi celui-ci note le 25 novembre 1938 : « Chez Beria jusque tard dans la
soirée (nous avons travaillé avec Vychinski et Merkoulov) » (G. Dimitrov,
The Diaries…, p. 90).
{522} Ibid., p. 210.
{523} Ibid., p. 190-192.
{524} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1939…, p. 15-16.
{525} S. Kremljëv, Beria, lučšij…, p. 378. Pendant la guerre, Staline
communiquait avec ses généraux par les lignes contrôlées par le NKVD.
{526} L. Naumov, Stalin i NKVD, p. 43-44.
{527} Oleg Khlevnjuk, Khozjain…, p. 437.
{528} M. Čebrikov (dir.), Istoria sovetskikh…, p. 303.
{529} Témoignage de Ja. E. Čadaev, dans G. A. Kumanev, Rjadom so
Stalinym, Moscou, Bylina, 1999, p. 427.
{530} A. I. Mikojan, Tak bylo, p. 346.
{531} Ibid., p. 340.
{532} P. Sudoplatov, Raznye dni tajnoj…, p. 42-43.
{533} Ibid., p. 65.
{534} A. V. Korolenkov, « O kharaktere sovetskoj vnešnej politiki v 1936-
1941 », Otečestvennaja Istoria, n° 1, 2008, p. 169.
{535} S. Beria, Beria…, p. 88, nous soulignons.
{536} Déposition de A. M. Tamarine les 20 et 21 mai 1939, dans
A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1939…, p. 87.
{537} Ibid., p. 89.
{538} Ibid., p. 88.
{539} P. et A. Soudoplatov, Missions spéciales, p. 131.
{540} P. Sudoplatov, Specoperacii, Moscou, Olma-Press, 1997, p. 147.
{541} A. Lustiger, Stalin and the Jews, New York, Enigma Book, 2003,
p. 102.
{542} J. Goebbels, Journal, 1939-1942, Paris, Tallandier, 2009, p. 38.
{543} G. A. Tokaev, Comrade X, p. 166.
{544} Ibid., p. 158.
{545} Gabriel Gorodetsky, Grand Delusion, Yale, Yale University Press,
1999.
{546} S. Beria, Beria…, p. 89-90.
{547} N. S. Lebedeva, M. M. Narinskii (dir.), Komintern i Vtoraja
Mirovaja vojna, Moscou, Pamjatniki istoričeskoj mysli, 1994, p. 241.
{548} C. Bohlen, Witness to History, Norton, 1973, p. 93.
{549} F. Blagoveščenski, « V gostjakh u P. A. Šarii », Minuvšee,
Atheneum, 1989, p. 458.
{550} Jelisei T. Sinitsyn, Rezident svidetelsvuet, Moscou, Geja, 1996,
p. 40-49.
{551} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 85.
{552} P. Sudoplatov, Raznye dni tajnoj…, p. 95.
{553} S. Beria, Beria…, p. 91.
{554} P. Sudoplatov, Raznye dni tajnoj…, p. 85.
{555} Ibid., p. 95.
{556} S. Beria, Beria…, p. 97.
{557} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 97.
{558} M. I. Meltjukhov, Upuščenny šans Stalina, Moscou, Veče, p. 149.
{559} Ibid., p. 153.
{560} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 106-107.
{561} M. Ilmiarev, « Byl li vybor ? Baltiiskie strany i trekhstoronnie
peregovory 1939 goda », Rossiiskaja Istoria, n° 4, 2008, p. 47-66.
{562} N. Rubin, Lavrenti Beria Mif i realnost’, Moscou/Smolensk, Rusič,
1998, p. 117.
{563} V. Semjonov, « Iz dnevnika… V. S. Semjonova », Novaja i
Novejšaia Istoria, n° 3, 2004, p. 96-136.
{564} S. Beria, Beria…, p. 98-99, nous soulignons.
{565} M. I. Meltjukhov, « Spory vokrug 1941 goda : opyt kritičeskovo
osmyslenia odnoj diskussii », Otečestvennaja Istoria, n° 3, 1994, p. 4-22.
{566} A. G. Dongarov, G. N. Peskova, « SSSR i Strany Pribaltiki (avgust
1939-avgust 1940) », Voprosy Istorii, n° 1, 1991, p. 33-49.
{567} Gill Bennett, Churchill’s Man of Mystery, Londres, Routledge,
2009, p. 158 s.
{568} R. Bassett, Hitler’s Spy Chief, Londres, Cassell, 2005, p. 165.
{569} P. Sudoplatov, Raznye dni tajnoj…, p. 12, nous soulignons.
{570} Alexander Vassiliev’s Notebooks, Black Notebook, p. 166-167.
{571} Anthony Cave Brown, « C », New York, Macmillan, 1987, p. 281-
282.
{572} N. Petrov, Ivan Serov, p. 24.
{573} V. M. Parrish, The Lesser Terror, Westport, Praeger, 1996, p. 54,
117.
{574} V. Mar’ina, « Čekhoslovackij legion v SSSR (1939-1941) »,
Voprosy Istorii, n° 2, 1998, p. 58-73.
{575} V. N. S. Lebedeva, M. M. Narinski (dir.), Komintern i Vtoraja
mirovaja vojna, Moscou, Pamjatniki istoričeskoj mysli, 1994, p. 95, 278.
{576} D. Brandes, Grossbritanien und seine osteuropäischen Alliirten
1939-1943, Munich, Oldenburg, 1988, p. 73.
{577} Ibid., p. 84.
{578} N. S. Lebedeva, Katyn, Moscou, “Progress-Kultura”, 1994.
{579} F. Moravec, Master of Spies, New York, Bodley Head, 1975, p. 190.
{580} D. Brandes, Grossbritanien und..., p. 140.
{581} M. I. Meltjukhov, « Sovetskaja razvedka i problema… », p. 13.
{582} AMSEG, Affaire Spiridon Tchavtchavadzé.
{583} F. McLynn, Fitzroy Maclean, Londres, John Murray, 1992, p. 68-69,
72.
{584} J. Klimkowski, Byłem adjutantem Andersa, Varsovie, Wyd.
Ministerstwa obrony narodowej, 1959, p. 72-73.
{585} V. S. Parsadonova, « Vladislav Sikorski », Voprosy Istorii, n° 9,
1994.
{586} Ibid.
{587} Voir à ce propos M. Kukiel, General Sikorski, Londres, 1995,
p. 110-111, 129-131.
{588} S. Dorril, MI6, New York, The Free Press, 2000, p. 250.
{589} E. Raczynski, W sojuszniczym Londynie, Londres, Orbis, 1960,
p. 56. Litauer fut démis de son poste en 1944 pour « propagande
bolchevique en coulisse », voir Alexandra Viatteau, Staline assassine la
Pologne, Paris, Éd. du Seuil, 1999, p. 222.
{590} F. McLynn, Fitzroy Maclean, p. 73-74.
{591} E. Raczynski, W sojuszniczym…, p. 70.
{592} Pour le texte de ce projet, ibid., p. 419.
{593} Ibid., p. 37.
{594} Pour le texte du mémorandum, voir Documents on Polish-Soviet
Relations, 1939-1945, t. 1, Instytut Historyczny imenia Generała
Sikorskiego, Heinemann, 1961, p. 95.
{595} D. Brandes, Grossbritanien und…, p. 83-84.
{596} Ibid., p. 84.
{597} Documents on Polish…, p. 573.
{598} Ibid., p. 103-108.
{599} S. Jaczynski, Medzy slawe i potepieniem, Varsovie, “Książka i
Wiedza”, 1993, p. 68.
{600} S. V. Stepašin (dir.), Organy gosudarstvennoj bezopasnosti SSSR v
Velikoj Otečestvennoj Vojne, Moscou, Kniga I bizness, 1995, t. 1, vol. 1,
p. 93.
{601} M. Parrish, The Lesser Terror, p. 55.
{602} Nous devons ces détails à un survivant, le professeur Stanisław
Swianewicz (voir Zbrodnia Katynska w swietle dokumentow, Londres,
Gryf, 1982, p. 19-20, 27).
{603} J. Klimkowski, Byłem adjutantem Andersa, p. 106.
{604} A. F. Noskova (dir.), Iz Warszawy. Moskva, tovarišču Beria…,
Moscou, Sibirski Khronograf, 2001, p. 139.
{605} Z. Berling, Wspomnienia, Z lagrow do Andersa, Varsovie, Polski
Dom Wydawniczy, 1990, p. 121.
{606} J. Jaruzelski, Kniaze Janusz, Varsovie, DiG, 2001, p. 34.
{607} A. Sudoplatov, Tajnaja žizn…, p. 331.
{608} Wacław Jedrzejewicz, Janusz Cisek, Kalendarium zycia Jozefa
Piłsudskiego, Varsovie, Rytm, 1998, t. 3, p. 33.
{609} L. Bezymenski, Tretii Front, Moscou, APN, 2003, p. 52-53, 64 s.
{610} J. Jaruzelski, Kniaze Janusz, p. 137.
{611} Sapieha fut condamné à mort et sa peine fut commuée en 15 ans de
détention. Voir J. Jaruzelski, Kniaze Janusz, p. 39.
{612} V. Z. Stypulkowski, Invitation à Moscou, Paris, Les Îles d’Or, 1952,
p. 46.
{613} Documents on Polish…, v. 2, p. 497.
{614} P. Sudoplatov, Specoperacii, p. 171-173 ; du même Pobeda v
tajnoj…, p. 102-103 ; et J. Jaruzelski, Kniaze Janusz, p. 38.
{615} M. Żegota-Januszajtis, Życie moje tak burzliwe, Varsovie, Bis-
Press, 1993, p. 110.
{616} Ibid.
{617} Ibid., p. 112.
{618} Ibid., p. 113.
{619} Ibid., p. 115.
{620} Ibid., p. 114.
{621} Ibid., p. 29.
{622} Ibid.
{623} Ibid., p. 115.
{624} Ibid., p. 31-32.
{625} Ibid., p. 119-128.
{626} V. S. Parsadanova, « Vladislav Sikorski », Voprosy Istorii, n° 9,
1994.
{627} B. Sokolov, Razvedka, p. 11. Le nonce en Allemagne rapporta au
Vatican que Dekanozov, interrogé sur le sort des catholiques en URSS,
répondit qu’il n’était pas au courant, mais qu’ils « se trouvaient plutôt
quelque part dans le Caucase ». V. A. Viatteau, Staline assassine la
Pologne, Paris, Éd. du Seuil, 1999, p. 117. Le NKVD envisagea peut-être
de renouer avec la tradition des tsars et d’exiler les Polonais dans le
Caucase.
{628} A. Viatteau, Staline assassine…, p. 40.
{629} Polish Institute and Sikorski Museum PRM-8.
{630} Zbrodnia Katynska w swietle dokumentow, Londyn, « Gryf », 1982,
p. 46.
{631} Documents on Polish…, vol. 1, p. 525.
{632} Zbrodnia Katynska w swietle dokumentow, « Gryf », p. 60
{633} R. Bassett, Hitler’s Spy Chief, p. 181.
{634} N. Lebedeva, Katyn, p. 179.
{635} « Stalin, Beria i sudba armii Andersa », Novaja i Novejsaja Istoria,
n° 2, 1993, p. 76.
{636} S. Jaczynski, Medzy slawe…, p. 80.
{637} V. F. Nekrasov (dir.), Beria…, p. 181.
{638} Zbrodnia Katynska…, p. 49.
{639} Ibid., p. 49.
{640} M. Kozłowski, Sprawa premiera Leona Kozłowskiego, Varsovie,
Iskry, 2005, p. 184.
{641} N. Petrov, Ivan Serov, p. 28-29.
{642} J. E. Haynes, H. Klehr, Venona, p. 44. Pour le texte de la lettre, voir
https ://www.cia.gov/library/center-for-the-study-of-intelligence/csi-
publications/books-and-monographs/venona-soviet-espionage-and-the-
american-response-1939-1957/20f.gif
{643} E. Duraczynski, Polska Dzieje politiczne, Varsovie, “Alfa”, 1999,
p. 92.
{644} Ibid., p. 93.
{645} S. Jaczynski, Miedzy slawe…, p. 86.
{646} Ibid., p. 82-84.
{647} Z. Berling, Wspomnienia, Z lagrow do Andersa, Varsovie, Polski
Dom Wydawniczy, 1990, p. 78 s.
{648} S. Jaczynski, Miedzy slawe…, p. 85.
{649} Z. Berling, Wspomnienia…, p. 82.
{650} Ibid., p. 82-84.
{651} Ibid., p. 87.
{652} « Stalin, Beria i sudba armii Andersa », p. 60-61.
{653} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1939…, p. 191-193.
{654} Stanislaw Kot, Listy s Rosji do gen. Sikorskiego, Londyn, Jutro
polski, 1956, p. 179.
{655} Z. Berling, Wspomnienia…, p. 89.
{656} Ibid., p. 95.
{657} M. Żegota-Januszajtis, Życie moje…, p. 116.
{658} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 118.
{659} Z. Berling, Wspomnienia…, p. 56.
{660} R. Bassett, Hitler’s Spy Chief, p. 205.
{661} Bradley F. Smith, Sharing Secrets with Stalin, University Press of
Kansas, 1996, p. 32.
{662} Ibid.
{663} A. V. Korolenkov, « O kharaktere sovetskoj vnešnej politiki v 1936-
1941 », p. 171.
{664} Keith Jeffrey, MI6, 1909-1949, Londres, Bloomsbury Publishing,
2010, p. 564-565.
{665} P. Sudoplatov, Raznye dni tajnoj…, p. 124-125.
{666} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 374.
{667} G. Dimitrov, The Diaries of Georgi Dimitrov, p. 125.
{668} Gabriel Gorodetsky, Grand Delusion, p. 62.
{669} Voir R. Bassett, Hitler’s Spy Chief, p. 208.
{670} P. Sudoplatov, Raznye dni tajnoj…, p. 124.
{671} G. Dimitrov, The Diaries of Georgi Dimitrov, p. 136.
{672} Ibid., p. 137.
{673} G. Gorodetsky, Grand Delusion, p. 75-84 ; G. Dimitrov, The Diaries
of Georgi Dimitrov, p. 139.
{674} N. P. Patrušev (dir.), Načalo, Organy gosudarstvennoj bezopasnosti
v velikoj otečestvennoj vojne, t. 1, Moscou, ‘‘Kniga i Bizness’’, 2000,
p. 22.
{675} G. Gorodetsky, Grand Delusion, p. 142.
{676} P. Sudoplatov, Raznye dni tajnoj…, p. 126-136 ; cité dans
N. P. Patrušev (dir.), Načalo, Organy…, t. 1, p. 22.
{677} P. Sudoplatov, Raznye dni tajnoj…, p. 131.
{678} Jan Pomian, Jozef Retinger, Varsovie, Pavo, 1994, p. 130.
{679} H. Höhne, Der Krieg im Dunkel, p. 327-328.
{680} R. Dunlop, Donovan America’s Master Spy, New York, Rand
McNally, 1982, p. 256-259.
{681} D. Brandes, « Confederation plans in Eastern Europe during World
War II », dans Michel Dumoulin (dir.), Plans des temps de guerre pour
l’Europe d’après-guerre, Bruxelles, Nomos Verlagsgesellschaft, 1995,
p. 85.
{682} Venona désigne une opération secrète lancée par les services
spéciaux américains en 1943, consistant à déchiffrer les codes des
messages du NKID et du NKVD envoyés des États-Unis et d’autres pays.
Les messages déchiffrés sont disponibles sur internet.
{683} http://www.nsa.gov/public_info/_files/venona/1940/11jul_mary.pdf
{684} http://www.nsa.gov/public_info/_files/venona/1940/4oct_poultry-
dealer.pdf
{685} H. Höhne, Der Krieg im Dunkel, p. 336.
{686} G. Gorodetsky, Grand Delusion, p. 141.
{687} P. Sudoplatov, Raznye dni tajnoj…, p. 133.
{688} Dokumenty vnešnej politiki, t. 23, 2, 1998, p. 452-456.
{689} Ibid., p. 490.
{690} Ibid., p. 491-496.
{691} R. Bassett, Hitler’s Spy Chief, p. 210-211.
{692} P. Sudoplatov, Specoperacii, Moscou, 1997, p. 178 ; Roj et
Z. Medvedev, Neizvestny Stalin, Moscou, Vremia, 2007, p. 249.
{693} F. H. Hinsley, British Intelligence in the second World War,
Londres, Stationery Office Books, 1979, vol. 1, p. 369-370.
{694} G. Dimitrov, The Diaries of Georgi Dimitrov, p. 152.
{695} R. Bassett, Hitler’s Spy Chief, p. 215.
{696} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 124.
{697} MAE Guerre 1939-1945 Vichy Guerre, 846, f. 5.
{698} Felix Tchouev, Conversations avec Molotov, Paris, Albin Michel,
1995, p. 40.
{699} N. Khruščev, Vremia…, t. 1, p. 289.
{700} A. I. Mikojan, Tak bylo, p. 381.
{701} V. Semjonov, « Iz dnevnika… V. S. Semjonova », p. 118.
{702} Propos rapporté par Igor Moisseev présent à ce banquet (voir
G. Borovik, « Žestokie zabavy voždja », Soveršenno Sekretno, mars 2000).
{703} A. Antonov-Ovseenko, dans V. F. Nekrasov (dir.), Beria…, p. 89.
Pour tout ce qui va suivre, voir V. Matrosov, « Na Pervom Rubeže Vojny »,
Krasnaja Zvezda, 5 juin 1991 ; L. A. Bezymenski, « Sovetskaja razvedka
pered vojnoj », Voprosy Istorii, n° 9, 1996, p. 78-90 ; O. V. Višljov,
« Možet byt, vopros eščje uladitsja mirnym putjom », dans
O. A. Ržeševski, Vtoraja Mirovaja Vojna, Moscou, Nauka, 1995, p. 40.
{704} V. Karpov, Rasstreljannye maršaly, Moscou, Veče, 1999, p. 233.
{705} L. Mlečin, Osobaja Papka, p. 83.
{706} N. Zenkovič, Tajny ukhodjaščevo veka 2, Moscou, Olma-Press,
1998, p. 84.
{707} L. Mlečin, Osobaja Papka, p. 85.
{708} V. A. Sudoplatov, Tajnaja žizn…, p. 282.
{709} V. Gavrilov, E. Gorbunov, Operacia « Ramzaj », Moscou, Krasny
Proletarii, 2004, p. 51.
{710} V. V. Zakharov, Pered voennoj grozoj 1941 goda, Moscou, 1991,
p. 40 ; A. Antonov-Ovseenko, dans V. F. Nekrasov (dir.), Beria…, p. 91.
{711} Alexander Vassiliev’s Notebooks, Black Notebook, p. 45.
{712} E. M. Primakov (dir.), Očerki istorii rossiiskoj…, t. 3, p. 231.
{713} Ibid., p. 231-232.
{714} V. I. Trubnikov (dir.), Očerki istorii rossiiskoj…, t. 4, p. 262.
{715} C. Andrews, V. Mitrokhin, The Mitrokhin Archive, Londres,
Penguin Press, 1999, p. 112.
{716} Ibid., p. 109.
{717} Ibid., p. 112.
{718} N. West, O. Tsarev, The Crown Jewels, Londres, Harper Collins,
1998, p. 148.
{719} Ibid., p. 158.
{720} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 1020.
{721} E. M. Primakov (dir.), Očerki istorii rossiiskoj…, t. 3, p. 329.
{722} L. Mlečin, Osobaja Papka, p. 79.
{723} T. K. Gladkov, Korotkov, p. 134.
{724} Ju. Rubcov, Alter ego Stalina, p. 101.
{725} Ibid., p. 108.
{726} E. M. Primakov (dir.), Očerki istorii rossiiskoj…, t. 3, p. 144-145.
{727} Voir les Mémoires de P. M. Fitine, dans V. I. Trubnikov (dir.),
Očerki istorii rossiiskoj…, t. 4, p. 17-25.
{728} Ibid., p. 172.
{729} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 345.
{730} P. et A. Soudoplatov, Missions spéciales, p. 94.
{731} V. N. Zenkovič, Pokušenia i inscenirovki, Moscou, Olma-Press,
1998, p. 297.
{732} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 336-338,
374.
{733} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1939…, p. 28-29.
{734} Lettre de B. M. Kedrov à Malenkov, 21 décembre 1953, dans
O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 560.
{735} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 309-311. V. Karpov, Rasstreljannye
maršal, p. 224-227.
{736} Voir Karpov, Rasstreljannye maršaly, p. 224-227 ; V. F. Nekrasov
(dir.), Beria…, p. 200.
{737} Il avait été interrompu en novembre 1938. Voir V. Peščerski,
« Krasnaja kapella » Sovetskaja razvedka protiv Abvera i Gestapo,
Moscou, Centrpoligraf, 2000, p. 64.
{738} Teodor K. Gladkov, Lift v razvedku, Moscou, Olma-Press, 2002,
p. 211-223.
{739} A. Beevor, The Mystery of Olga Chekhova, New York, Viking, 2004,
p. 160-161.
{740} L. Bezymenski, « 1953-Beria will die DDR beseitigen », Die Welt,
15 octobre 1995.
{741} « Ces notes équivoques ressemblaient plus à de la désinformation
des dirigeants soviétiques par les services de l’adversaire », constate
V. Peščerski, « Krasnaja kapella »…, p. 156.
{742} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 168.
{743} L. Mlečin, Osobaja Papka, p. 483, 496 ; A. Sudoplatov, Tajnaja
žizn…, t. 1, p. 289.
{744} T. K. Gladkov, Lift v razvedku, p. 136.
{745} Cette directive était signée non par Merkoulov mais par son adjoint
Soudoplatov, ce qui en réduisait la portée (voir T. K. Gladkov, Lift v
razvedku, p. 234).
{746} V. Peščerski, « Krasnaja kapella »…, p. 143-145.
{747} E. M. Primakov (dir.), Očerki istorii rossiiskoj…, t. 3, p. 262.
{748} Ibid., p. 293.
{749} V. Gavrilov, E. Gorbunov, Operacia « Ramzaj », p. 371.
{750} H. Höhne, Der Krieg im Dunkel, p. 347.
{751} E. M. Primakov (dir.), Očerki istorii rossiiskoj…, t. 3, p. 421 ;
T. K. Gladkov, Lift v razvedku, p. 228.
{752} T. K. Gladkov, Korotkov…, p. 222-225.
{753} V. I. Trubnikov (dir.), Očerki istorii rossiiskoj…, t. 4, p. 149.
{754} Novaja i Novejšaja Istoria, n° 1, 2000, p. 82-89.
{755} E. M. Primakov (dir.), Očerki istorii rossiiskoj…, t. 4, p. 306.
{756} K. Gladkov, Lift v razvedku, p. 279.
{757} L. Mlečin, Osobaja Papka, p. 81.
{758} Déposition de A. Korotkov au procès Beria, voir A. Sukhomlinov,
Kto vy…, p. 346.
{759} V. L. Peščerski, « Nerazgadannyje tajny “Krasnoj Kapelly” »,
Novaja i Novejšaja Istoria, n° 3, 1996, p. 175.
{760} E. M. Primakov (dir.), Očerki istorii rossiiskoj…, t. 3, p. 431-432.
{761} Ibid., p. 452.
{762} V. Peščerski, « Krasnaja kapella »…, p. 71.
{763} J. Costello, O. Tsarev, Deadly Illusions, p. 400.
{764} Arkadi Vaksberg, Vychinski…, p. 220.
{765} Anthony Cave Brown, « C », New York, Macmillan, 1987, p. 282,
322.
{766} Martin Allen, Himmler’s Secret War, New York, Robson Books,
2005, p. 92-125.
{767} Voir H. Höhne, Der Krieg im Dunkel, p. 351.
{768} Dokumenty vnešnej politiki, XXIII, 1, Moscou, Meždunarodnye
otnošenia, 1995, p. 586-589.
{769} E. M. Primakov (dir.), Očerki istorii rossiiskoj…, t. 3, p. 441-446.
{770} V. Peščerski, « Krasnaja kapella »…, p. 184-186.
{771} L. A. Bezymenski, « Sovetskaja razvedka pered vojnoj », Voprosy
Istorii, n° 9, 1992, p. 88.
{772} B. Sokolov, Razvedka, p. 52.
{773} A. Vaksberg, Vychinski…, p. 219.
{774} T. K. Gladkov, Lift v razvedku, p. 269.
{775} V. L. Peščerski, « Nerazgadannyje tajny… », p. 174.
{776} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 22.
{777} G. Hilger, The Incompatible Allies, p. 331.
{778} Voenno-Istoričeski Žurnal, n° 6, 1991, p. 18-23.
{779} Pour les entretiens Dekanozov-Schulenburg, voir A. N. Jakovlev
(dir.), 1941 god, Moscou, Meždunarodny fond « Demokratia », 1998, t. 2,
p. 167-196. Joukov a affirmé par la suite que Staline envoya bien une
lettre à Hitler. Il utilisa sans doute pour cela le canal Koboulov-Ribbentrop
(voir L. A. Bezymenski, « Sovetskaja razvedka… », p. 88).
{780} D. Prokhorov, O. Lemekhov, Perebežčiki, p. 116.
{781} V. V. Zakharov, Pered voennoj grozoj 1941 goda, p. 41 ;
A. Vaksberg, Vychinski…, p. 219.
{782} Joseph Goebbels, Journal, 1939-1942, p. 304, note du 14 juin 1941.
{783} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1939…, p. 150.
{784} RGVA, f. 33987, op. 3, d. 1305, p. 246.
{785} Ce fragment est inédit, cité dans A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka…,
t. 2, p. 502 ; voir aussi A. Suljanov, Arrestovat v Kremle, p. 158.
{786} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 133.
{787} N. V. Petrov, Ivan Serov, p. 30.
{788} A. Ščerbakov, « Četyre nebesnykh asov », Voprosy Istorii, n° 1,
1998, p. 137.
{789} P. et A. Soudoplatov, Missions spéciales, p. 160.
{790} A. Vaksberg, Vychinski…, p. 221.
{791} V. I. Trubnikov (dir.), Očerki istorii rossiiskoj…, t. 4, p. 130.
{792} V. Peščerski, « Krasnaja kapella »…, p. 194.
{793} G. A. Tokaev, Le Paradis de Staline, Paris, La Colombe, 1957,
p. 223.
{794} AMSEG, Affaire S. M. Tchavtachavadzé.
{795} AMSEG, Note de Koboulov du 7 avril 1938.
{796} AMSEG, Affaire Odicharia.
{797} L. Sockov, Neizvestny separatism, Moscou, Ripol Klassik, 2003,
p. 101.
{798} Archives de l’émigration géorgienne, Box 60 (b. 10-20).
{799} P. von zur Mühlen, Zwischen Hakenkreuz und Sowjetstern,
Düsseldorf, Droste Verlag, 1971, p. 29.
{800} AMSEG, Note de Ch. Maglakelidzé, 20 juin 1968.
{801} « Pour une vétille comme le corridor de Dantzig la guerre éclata
entre la Pologne et l’Allemagne. Si Pilsudski avait été vivant la guerre
aurait été évitée : il haïssait la Russie et admirait l’Allemagne », écrit-il.
V. V. Rtsiladzé (dir.), Les Géorgiens sous le drapeau allemand durant la
Deuxième Guerre mondiale, Tbilisi, 1984 (en géorgien), p. 148-153.
{802} AMSEG, Note de Ch. Maglakelidzé, 20 juin 1968.
{803} Archives de la préfecture de police de Paris (APP), GA 77W459.
{804} Déposition de Dekanozov le 18 décembre 1953, voir
A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 303.
{805} Guiorgui Tsitsichvili (dir.), Le Dossier d’accusation contre Chalva
Noutsoubidzé, Tiblissi, Presses de l’université de Tbilissi, 1998 (en
géorgien).
{806} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 285.
{807} Archives de l’émigration géorgienne, Box 60 (b. 10-20).
{808} AMSEG, Affaire Odicharia.
{809} G. Mamoulia, Les Combats indépendantistes…, p. 239.
{810} S. V. Stepašin (dir.), Organy gosudarstvennoj bezopasnosti SSSR v
Velikoj Otečestvennoj Vojne, t. 1, vol. 1, p. 270.
{811} AMSEG, « Ma mission en Turquie », Affaire Chalva Berichvili.
{812} Déposition de Chalva Berichvili, 21 août 1953, dans
O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 294.
{813} Archives de l’émigration géorgienne, Box R.
{814} Socialističeski Vestnik, Paris, 2 décembre 1939.
{815} Archives de l’émigration géorgienne, Box R.
{816} G. Mamoulia, Les Combats indépendantistes…, p. 244.
{817} G. Dimitrov, The Diaries of Georgi…, p. 115.
{818} J. Goebbels, Journal…, p. 309, note du 16 juin 1941.
{819} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (éd.), Politburo i delo…, p. 294.
{820} AMSEG, Affaire Chalva Berichvili.
{821} S. V. Stepašin (dir.), Organy gosudarstvennoj…, p. 270-271.
{822} AMSEG, « Ma mission en Turquie », Affaire Ch. Berichvili.
{823} Service historique de l’armée de terre (SHAT) 27N9-3, Dossier
projet d’opération aérienne au Caucase (bombardement des pétroles de
Bakou), note du 17 janvier 1940.
{824} Déposition de Chalva Berichvili, 21 août 1953, dans
O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 294.
{825} AMSEG, Affaire S. M. Tchavtchavadzé.
{826} Voir A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1939…, p. 158.
{827} AMSEG, Affaire Ch. Berichvili.
{828} Ibid.
{829} Il fut pris en 1942, à son retour d’une mission confiée par Jordania,
voir O. Volin, « S berievtsami vo vladimirskoi tjurme », Minuvšee, Paris,
1989, p. 363.
{830} AMSEG, Affaire L. Pataridzé.
{831} AMSEG, Affaire S. Goguiberidzé.
{832} Ibid.
{833} SHAT 27N6-1, Dossier politique militaire Alliés dans les Balkans et
au Proche-Orient. Note sur l’assistance qui pourrait être prêtée à la
Turquie contre une agression allemande et (ou) russe, dans le cas d’une
neutralité italienne assurée, 24 décembre 1939.
{834} MAE Z Europe, Russie (Géorgie), 659, p. 190-191.
{835} AMSEG, « Ma mission en Turquie », Affaire Ch. Berichvili.
{836} Ibid.
{837} Au cours de ses interrogatoires, il affirma avoir jeté cette lettre dans
la cour de l’ambassade soviétique en Turquie, pour cacher sa première
incursion en Géorgie et peut-être dissimuler la connivence avec les
hommes de Beria dès cette époque.
{838} AMSEG, Affaire M. N. Koukoutaria, Interrogatoire de Chalva
Berichvili du 29 mars 1952, Affaire Ch. Berichvili.
{839} AMSEG, Affaire Ch. Berichvili.
{840} Ibid.
{841} Ibid.
{842} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 117.
{843} AMSEG, Affaire S. Goguiberidzé.
{844} AMSEG, Affaire Ch. Berichvili.
{845} Ibid.
{846} AMSEG, Affaire L. Pataridzé.
{847} MAE Guerre 1939-1945 Vichy Guerre, 835, f. 36.
{848} G. Gorodetsky, Grand Delusion, p. 57.
{849} S. V. Stepašin (dir.), Organy gosudarstvennoj…, p. 277. Dans ses
entretiens avec l’auteur de ces lignes, Sergo Beria insista à plusieurs
reprises sur l’importance que son père attachait au sort des Lazes de
Turquie, qui sont apparentés aux Mingréliens.
{850} F. Thom, « Le 22 juin 1941 : le débat historiographique en Russie et
les faits », Cahiers du Centre d’études d’histoire de la Défense, n° 13,
2000.
{851} MAE Guerre 1939-1945 Vichy Guerre, 835, f. 99.
{852} V. Gavrilov, E. Gorbunov, Operacia « Ramzaj », p. 285.
{853} MAE Guerre 1939-1945 Vichy Guerre, 835, f. 93.
{854} Leur soulagement en juin 1941 fut de courte durée : l’occupation
soviéto-anglaise de l’Iran leur fit craindre que la Turquie ne connût un sort
semblable (voir AMSEG, Affaire Simon Goguiberidzé).
{855} A. N. Jakovlev (dir.), 1941 god…, t. 1, p. 77-78.
{856} Les seules régions où, pendant quelque temps, il y eut une
authentique coopération entre OSS, SOE et NKVD, furent les Balkans et le
Caucase.
{857} A. Vaksberg, Vychinski…, p. 223.
{858} Victor A. Kravtchenko, J’ai choisi la liberté, Paris, Éd. Self, 1947,
p. 476-467.
{859} V. N. Zenkovič, Tajny ukhodjaščevo veka, Moscou, Olma-Press,
1999, p. 354.
{860} Nous suivons ici la description de Mikoïan (A. I. Mikojan, Tak bylo,
p. 389-390).
{861} N. Khruščev, Vremia…, t. 1, p. 594.
{862} Ibid., p. 301.
{863} V. Semjonov, « Iz dnevnika… V. S. Semjonova », Novaja i
Novejšaia Istoria, n° 3, 2004, p. 118.
{864} S. Beria, Beria…, p. 117.
{865} A. A. Pečenkin, « Gossudarstvenny Komitet Oborony v 1941
godu », Otečestvennaja Istoria, n° 4-5, 1994.
{866} A. I. Mikojan, Tak bylo, p. 346.
{867} Ibid., p. 391.
{868} N. Khruščev, Vremia…, t. 1, p. 301.
{869} G. A. Kumanev, Rjadom so Stalinym, p. 29.
{870} V. Khrouchtchev, Souvenirs, p. 295.
{871} S. Beria, Beria…, p. 117.
{872} Discours de Khrouchtchev au VIe Plénum du POUP, 20 mars 1956,
Cold War International History Project Bulletin, n° 10, mars 1998, p. 49.
{873} S. Beria, Beria…, p. 119.
{874} Ibid., p. 116
{875} N. Khruščev, Vremia…, t. 1, p. 405.
{876} N. P. Patrušev (dir.), Načalo, t. 1, p. 383. Deux mois plus tard
Meretskov était nommé à la tête de l’état-major soviétique.
{877} V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.), Lavrenti Beria…, 1953, p. 76-77.
{878} G. A. Kumanev, Rjadom so Stalinym, p. 141.
{879} Cette disposition sera annulée en 1947, voir G. A. Kumanev, Rjadom
so Stalinym, p. 141.
{880} Les décisions du GKO sont d’ailleurs rarement couchées par écrit,
voir A. Mikojan, Tak bylo, p. 465.
{881} V. Ju. Rubcov, Alter ego Stalina…, p. 207.
{882} L’auteur tient ce détail de Sergo Beria ; voir aussi V. Pečatnov,
Stalin, Roosevelt, Truman, SSSR i SŠA v 1940-kh godakh, Moscou, Terra,
2006, p. 38.
{883} J. Goebbels, Journal…, p. 353, note du 12 août 1941.
{884} Timothy Snyder, Terres de sang, Paris, Gallimard, 2012, p. 329.
{885} David Irving, Göring, le complice de Hitler, Paris, Albin Michel,
1991, t. 2, p. 361.
{886} L. Mlečin, KGB, predsedateli organov bezopasnosti, Moscou,
Centrpoligraf, 2002, p. 223.
{887} N. Khruščev, Vremia…, t. 1, p. 349.
{888} A. Mikojan, Tak bylo, p. 517.
{889} N. P. Patrušev (dir.), Načalo…, t. 2, p. 196.
{890} Ju. N. Žukov, Tajny…, p. 212.
{891} A. Mgueladzé, Stalin. Kakim ja evo znal, p. 34.
{892} A. Beevor, The Mystery of Olga…, p. 172.
{893} V. A. Kravtchenko, J’ai choisi…, p. 502.
{894} Ibid., p. 499-500.
{895} A. Mikojan, Tak bylo, p. 420.
{896} G. A. Tokaev, Comrade X, p. 215-216.
{897} Ibid.
{898} V. Pečatnov, Stalin, Roosevelt…, p. 22
{899} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 379, 441.
{900} G. Dimitrov, The Diaries of Georgi…, p. 197.
{901} G. A. Kumanev, Rjadom so Stalinym, p. 418-419.
{902} Izvestia TsK KPSS, n° 4, 1991, p. 218.
{903} F. Tchouev, Conversations avec Molotov, p. 64.
{904} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 357.
A. Beevor, The Mystery of Olga…, p. 176-179. Il fut aussi question
d’envoyer Knipper en Turquie pour assassiner von Papen. En 1942, le
couple devait être utilisé pour assassiner Hitler, opération annulée par
Staline après Stalingrad.
{905} V. Voronov, « Moskva v trotilovom ekvivalente », Soveršenno
Sekretno, n° 8, 2005.
{906} Voenno-Istoričeski Žurnal, n° 10, 1991, p. 39.
{907} S. Beria, Beria…, p. 125.
{908} V. I. Demidov, Leningradskoe delo, Lenizdat, 1990, p. 401-402.
{909} I. D. Kovalčenko (dir.), Neizvestnaja Rossia, XX vek, t. 3, Moscou,
Istoričeskoe Nasledie, 1993, p. 178.
{910} V. Semjonov, « Iz dnevnika… », p. 127.
{911} A. Mikojan, Tak bylo, p. 417-421.
{912} V. A. Kravtchenko, J’ai choisi…, p. 504.
{913} Ju. N. Žukov, Tajny…, p. 213.
{914} A. Mikojan, Tak bylo, p. 421.
{915} G. A. Kumanev, Rjadom so Stalinym, p. 428.
{916} A. Mgueladzé, Stalin. Kakim ja evo znal, p. 145. « Je dus lui
expliquer durant quelques minutes l’importance politique de cette
mesure », raconta plus tard Staline à Mgueladzé.
{917} A. Mikojan, Tak bylo, p. 424-425.
{918} Ju. N. Žukov, Tajny…, p. 217-221.
{919} G. A. Kumanev, Rjadom so Stalinym, p. 350.
{920} A. Mikojan, Tak bylo, p. 463.
{921} Ju. N. Žukov, Tajny…, p. 273-274.
{922} Vladimir Lota, « Bez prava na ošibku », Moscou, Molodaja
Gvardia, 2005, p. 10-11.
{923} O. Khlevnjuk, I. Gorlicki, Kholodny mir, Moscou, Rosspen, 2011,
p. 23.
{924} G. A. Kumanev, Rjadom so Stalinym, p. 51.
{925} S. Kremljëv, Beria, lučšij manadžer, p. 364-365.
{926} Z. P. Šarapov, Naum Eitingon, karajuščii meč Stalina, SPb Neva,
2003, p. 106.
{927} Sur ce sujet, voir I. G. Starinov, Zapiski diversanta, Moscou,
Vympel 3, 1997 ; P. K. Ponomarenko, Vsenarodnaja borba v tylu nemecko-
fašistkikh zakhvatčikov, Moscou, Nauka, 1986 ; S. V. Kaftanov,
« Mémoires », Khimia i Žizn, n° 3, 1985.
{928} I. Starinov, Zapiski diversanta…, p. 132.
{929} A. Ju. Popov, « Organisacia rukovodstva partisanskim dviženiem v
tylu vraga v 1941-1943 godakh », Voprosy Istorii, n° 10, 2004, p. 145-150 ;
A. Ju. Popov, « Iz istorii načalnovo etapa partisanskovo dviženia »,
Otečestvennaja Istoria, n° 2, 2005, p. 71-75.
{930} Ju. Rubcov, Alter ego Stalina, p. 170.
{931} G. A. Kumanev, Rjadom so Stalinym, p. 129.
{932} V. Nekrasov, Beria…, p. 96.
{933} Assisté de ses adjoints Nikolaï Melnikov et Varlam Kakoutchaïa.
Voir Z. P. Šarapov, Naum Eitingon…, p. 106.
{934} G. A. Kumanev, Rjadom so Stalinym, p. 131.
{935} S. Kremljëv, Beria, lučšij…, p. 398.
{936} J. Armstrong (dir.), Partisanskaja vojna, Moscou, Centrpoligraf,
2007, p. 112.
{937} Note du 25 janvier 1943. Cité dans Zakhidna Ukrajna, n° 36, 1992.
{938} G. A. Kumanev, Rjadom so Stalinym, p. 138.
{939} Polish Institute and Sikorski Museum PRM 41/4 1, p. 1-3.
{940} E. Raczynski, W sojuszniczym Londynie, p. 119.
{941} V. Pečatnov, Stalin, Roosevelt…, p. 24.
{942} S. Kot, Listy s Rosji do gen. Sikorskiego, Londres, Jutro polski,
1956, p. 21.
{943} Andrzej Albert, Najnovwsza historia Polski, Londres, PULS, 1994,
t. 1, p. 481.
{944} N. P. Patrušev (dir.), Načalo…, t. 1, p. 134.
{945} Jan Pomian, Jozef Retinger, p. 115.
{946} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka…, p. 148-149.
{947} M. Żegota-Januszajtis, Życie moje tak…, p. 29, 117.
{948} Waclaw Jedrzejewicz, Janusz Cisek, Kalendarium życia Jozefa
Piłsudskiego, Varsovie, Rytm, 1998, t. 3, p. 40.
{949} S. Beria, Beria…, p. 120.
{950} Wladyslav Anders, Mémoires, Paris, La Jeune Parque, 1948, p. 78.
{951} Hemar Marian (dir.), General Anders Życie i chwala, Varsovie,
Polish Cultural Foundation, 1970, p. 14.
{952} W. Anders, Mémoires, p. 76-77.
{953} Z. Berling, Wspomnienia…, p. 109.
{954} S. Jaczynski, Między slawę…, p. 98.
{955} Z. Berling, Wspomnienia…, p. 110.
{956} Ibid., p. 111.
{957} Zbrodnia Katynska…, p. 66.
{958} A. Viatteau, Staline assassine…, p. 137.
{959} Z. Berling, Wspomnienia…, p. 116.
{960} S. Kot, Listy s Rosji…, p. 19, 96.
{961} M. Żegota-Januszajtis, Życie moje…, p. 184. En mars 1953, il
appellera au démembrement de l’URSS, le « seul salut possible pour les
peuples opprimés par la Russie », ibid., p. 290.
{962} Ibid., p. 188.
{963} J. Pomian, Jozef Retinger, p. 116.
{964} Terlecki Olgierd, Barwne Życie szarej eminencji, Cracovie, KAW,
1978, p. 45-46 ; et M. Kukiel, General Sikorski, p. 180.
{965} E. M. Primakov (dir.), Očerki istorii rossiiskoj…, t. 3, p. 291-292.
{966} Documents on Polish…, v. 1, p. 159-160.
{967} Ibid., p. 165.
{968} S. Jaczynski, Między slawę…, p. 120.
{969} A. Viatteau, Staline assassine…, p. 134.
{970} Documents on Polish…, v. 1, p. 233.
{971} Polish Institute and Sikorski Museum, PRM 41/4 10, p. 68-72.
{972} Documents on Polish…, v. 1, p. 180.
{973} S. Kot, Listy s Rosji…, p. 87.
{974} N. P. Patrušev (dir.), Načalo…, t. 1, p. 134.
{975} Polish Institute and Sikorski Museum, PRM 59/A 5, p. 18.
{976} Ibid., A.7.53/2G.
{977} V. Pečatnov, Stalin, Roosevelt…, p. 44-45.
{978} Polish Institute and Sikorski Museum, PRM 42/2 20, p. 52.
{979} Documents on Polish…, v. 1, p. 596.
{980} S. Kot, Listy…, p. 22.
{981} Ibid., p. 91. Lettre à Mikolajczyk du 10 septembre 1941.
{982} Ibid., p. 140.
{983} J. Klimkowski, Byłem adjutantem…, p. 149.
{984} Ibid., p. 171.
{985} Jeffrey Bines, « The Polish Country Section of the SOE 1940-1946.
A British Perspective », Thèse soutenue en 2008 à l’université de Stirling.
{986} Câble d’Eden à l’ambassadeur britannique auprès du gouvernement
polonais de Londres, 15 septembre 1941, N. P. Patrušev (dir.), Načalo…, t.
2, p. 112.
{987} A. Polonsky, The Great Powers and the Polish Question, 1941-1955,
Londres, Orbis Books, 1976, p. 90.
{988} Documents on Polish…, v. 1, p. 157.
{989} Ibid., p. 169-170.
{990} Ibid., p. 171.
{991} Polish Institute and Sikorski Museum, PRM 42/1 21, p. 54.
{992} Anthony Eden, Mémoires, Paris, Plon, 1965, p. 279.
{993} Documents on Polish…, v. 1, p. 171.
{994} Ibid., p. 584.
{995} J. Klimkowski, Byłem adjutantem…, p. 160.
{996} Documents on Polish…, v. 1, p. 584.
{997} A. Eden, Mémoires, p. 279.
{998} Polish Institute and Sikorski Museum, A.7.53/2G.
{999} J. Klimkowski, Byłem adjutantem…, p. 151.
{1000} Ibid., p. 166.
{1001} A. Albert, Najnovwsza historia Polski, t. 1, p. 485.
{1002} J. Klimkowski, Byłem adjutantem…, p. 153.
{1003} Polish Institute and Sikorski Museum, PRM 41/4 24.
{1004} Documents on Polish…, v. 1, p. 177.
{1005} Ibid., p. 584.
{1006} E. Duraczynski, Polska Dzieje politiczne, Varsovie, Alfa, 1999,
p. 198.
{1007} J. Klimkowski, Byłem adjutantem…, p. 168.
{1008} Polish Institute and Sikorski Museum, PRM 41/3 20, p. 65-72.
{1009} Documents on Polish…, v. 1, p. 584.
{1010} S. Beria, Beria…, p. 127-128.
{1011} Documents on Polish…, v. 1, p. 183.
{1012} Ibid., p. 184.
{1013} S. Kot, Listy…, p. 190.
{1014} Documents on Polish…, v. 1, p. 227.
{1015} Mémorandum au MAE, 8 novembre 1941, Polish Institute and
Sikorski Museum, PRM 42/5 32, p. 2.
{1016} Documents on Polish…, v. 1, p. 201.
{1017} Interview du général Anders par Z. S. Siemaszki le 31 juillet 1967,
dans H. Marian (dir.), General Anders…, p. 58. Dans cet entretien Anders
affirme aussi qu’aucun de ses interlocuteurs soviétiques n’avait essayé de
le convertir au communisme.
{1018} S. Kot, Listy…, p. 374.
{1019} Ibid., p. 155.
{1020} Ibid., p. 154.
{1021} Documents on Polish…, v. 1, p. 233.
{1022} Ibid., p. 209.
{1023} Ibid., p. 208-211.
{1024} A. Polonsky (dir.), The Great Powers…, p. 93-94.
{1025} Polish Institute and Sikorski Museum, PRM 59A/7, p. 26.
{1026} H. Marian (dir.), General Anders…, p. 56.
{1027} J. Retinger, Memoirs of an Eminence Grise, Sussex University
Press, 1972, p. 128.
{1028} S. Kot, Listy…, p. 199.
{1029} A. Polonsky (dir.), The Great Powers…, p. 97.
{1030} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1939…, p. 322.
{1031} J. Pomian, Jozef Retinger, p. 123-124.
{1032} Lettre de Sikorski à Churchill du 17 décembre 1941, voir
Documents on Polish…, v. 1, p. 254-255.
{1033} E. Duraczynski, Polska Dzieje…, p. 205.
{1034} Documents on Polish…, v. 1, p. 592.
{1035} V. Pečatnov, Stalin, Roosevelt…, p. 82.
{1036} Polish Institute and Sikorski Museum, PRM 41/4, p. 23.
{1037} J. Klimkowski, Byłem adjutantem…, p. 140.
{1038} S. Kot, Listy…, p. 88.
{1039} Ibid., p. 89.
{1040} Documents on Polish…, v. 1, p. 591.
{1041} Lettre à Sikorski du 10 octobre 1941, S. Kot, Listy…, p. 126.
{1042} Ibid., p. 118.
{1043} M. Żegota-Januszajtis, Życie moje tak…, p. 183.
{1044} Polish Institute and Sikorski Museum, PRM 41/3, p. 92-94.
{1045} Ibid., PRM 41/4, p. 42.
{1046} Câble à Sikorski du 20 décembre 1941, voir S. Kot, Listy… p. 260.
{1047} Ibid., p. 90.
{1048} Documents on Polish…, v. 2, p. 113.
{1049} M. Kozłowski, Sprawa premiera…, p. 84-94.
{1050} Ibid., p. 95.
{1051} Ibid., p. 116.
{1052} Ibid., p. 121.
{1053} J. Klimkowski, Byłem adjutantem…, p. 164.
{1054} M. Kozłowski, Sprawa premiera…, p. 132-133.
{1055} Ibid., p. 139.
{1056} L. Kozłowski, Moje przeżycia, Varsovie, LTW, 2001, p. 11.
{1057} M. Kozłowski, Sprawa premiera…, p. 142.
{1058} Ibid., p. 210.
{1059} L. Kozłowski, Moje przeżycia, p. 160-162.
{1060} Ameryka-Echo, 4 janvier 1953.
{1061} Entretien entre Staline et O. Lange, 17 mai 1944, dans Novaja i
Novejšaia Istoria, n° 3, 2008, p. 132.
{1062} À partir de début mars, le GRU multiplia les avertissements, voir
A. B. Martirosian, 22 junia, Moscou, Veče, 2005, p. 48.
{1063} Polish Institute and Sikorski Museum, A.7.53/2F.
{1064} N. P. Patrušev (dir.), Krušenie blitzkriga, t. 1, p. 51-52.
{1065} Voir le câble d’A. Biddle à Cordell Hull le 30 mars 1942, dans
A. Polonsky (dir.), The Great Powers…, p. 103.
{1066} « Stalin, Beria i sudba armii Andersa », Novaja i Novejsaja
Istoria, n° 2, 1993, p. 69 s.
{1067} G. Dimitrov, The Diaries of Georgi…, p. 216.
{1068} N. P. Patrušev (dir.), Krušenie blitzkriga, t. 1, p. 440-442.
{1069} H. Marian (dir.), General Anders…, p. 57.
{1070} S. Beria, Beria…, p. 144.
{1071} Documents on Polish…, p. 277-280.
{1072} J. Klimkowski, Byłem adjutantem…, p. 128.
{1073} Ibid., p. 146.
{1074} Bradley F. Smith, Sharing Secrets with Stalin, p. 68.
{1075} Documents on Polish…, p. 595.
{1076} Ibid., p. 296-298.
{1077} « Stalin, Beria i sudba… », p. 76-83.
{1078} Documents on Polish…, p. 303-309.
{1079} S. Kot, Listy…, p. 42-43.
{1080} « Stalin, Beria i sudba… », p. 86.
{1081} Documents on Polish…, v. 2, p. 8.
{1082} S. Kot, Listy…, p. 35.
{1083} Documents on Polish…, v. 1, p. 319.
{1084} Ibid., p. 346-347.
{1085} N. P. Patrušev (dir.), Krušenie blitzkriga, t. 1, p. 502-503.
{1086} S. Kot, Listy…, p. 46.
{1087} Documents on Polish…, v. 2, p. 10.
{1088} E. Raczynski, W sojuszniczym Londynie, p. 142.
{1089} M. Kukiel, General Sikorski, p. 203.
{1090} E. Duraczynski, Polska Dzieje politiczne, p. 218-219.
{1091} N. P. Patrušev (dir.), Krušenie blitzkriga, t. 1, p. 502.
{1092} O. A. Ržeševski (dir.), Stalin i Churchill…, p. 330.
{1093} Documents on Polish…, v. 1, p. 369-370.
{1094} Ibid., p. 375.
{1095} S. Kot, Listy…, p. 50.
{1096} Documents on Polish…, v. 1, p. 381.
{1097} S. Kot, Listy…, p. 443.
{1098} M. Kukiel, General Sikorski, p. 205.
{1099} Documents on Polish…, v. 2, p. 9.
{1100} A. Applebaum, Goulag, p. 500.
{1101} S. Kot, Listy…, p. 45-47.
{1102} Ibid., p. 70.
{1103} T. Olgierd, Barwne Życie szarej…, p. 52.
{1104} S. Kot, Listy…, p. 313.
{1105} Ibid., p. 384.
{1106} « Stalin, Beria i sudba… », p. 88-89.
{1107} S. Beria, Beria…, p. 121 ; J. Klimkowski, Byłem adjutantem…, p.
270.
{1108} H. Marian (dir.), General Anders…, p. 15.
{1109} M. Kukiel, General Sikorski, p. 205.
{1110} Z. Berling, Wspomnienia…, p. 240.
{1111} E. Raczynski, W sojuszniczym Londynie, p. 143.
{1112} B. F. Smith, Sharing Secrets…, p. 115.
{1113} Documents on Polish…, v. 1, p. 421.
{1114} Ibid., p. 427.
{1115} V. Pečatnov, Stalin, Roosevelt…, p. 60, 68-69, 72.
{1116} E. Raczynski, W sojuszniczym Londynie, p. 144.
{1117} Z. Berling, Wspomnienia…, p. 264.
{1118} S. Beria, Beria…, p. 144.
{1119} FRUS, 1943, vol. 3, p. 660.
{1120} Z. Berling, Wspomnienia…, p. 281-282.
{1121} Interview de V. Velebit, dans Soveršenno sekretno, n° 3, 2002 ;
S. Beria, Beria…, p. 145.
{1122} A. Cave Brown, « C », p. 617-619.
{1123} G. A. Tokaev, Comrade X, p. 195.
{1124} K. Stoljarov, Igry v pravosudie, Moscou, Olma-Press, 2000 p. 238.
La propagande soviétique lui reprochera plus tard d’avoir refusé de
combattre et d’avoir gagné l’Iran pour y assister à la fin de l’Armée rouge.
Voir R. Ivanov, Stalin i sojuzniki, Smolensk, Veče, 2000, p. 365, 380.
{1125} Alexander Dallin, La Russie sous la botte nazie, Paris, Fayard,
1970, p. 179.
{1126} M. Wildt, Generation des Unbedingten, Hamburg, Hamburger
Edition, 2003, p. 517.
{1127} Ibid., p. 518.
{1128} « Unternehmen Mainz I », Archives privées de la famille von
Mende. Cette description d’une des principales opérations du
renseignement allemand en URSS a été rédigée après 1948 à l’intention
des Américains. Von Mende s’efforçait de persuader la CIA que le
Caucase était le « ventre mou » de l’Empire soviétique.
{1129} CIA, Kedia file, Release 2, 031. Il menace de faire sauter
Schickedanz, un proche de Rosenberg, dans les deux semaines s’il est
installé comme Reichskommissar dans le Caucase (CIA, Kedia file,
Release 2, 185).
{1130} « Unternehmen Mainz I ».
{1131} Hoover Institution Archives, Alexandre Dallin collection, Box 6,
Folder 6.
{1132} E. M. Primakov (dir.), Očerki istorii rossiiskoj…, t. 3, p. 67.
{1133} AMSEG, Affaire Gueguelia.
{1134} Archives de la préfecture de police de Paris (APP), 77W 1297.
{1135} AMSEG, Affaire Berichvili.
{1136} Voir Archives privées de la famille von Mende.
{1137} AMSEG, Affaire Gueguelia.
{1138} Je dois ces détails aux Géorgiens de Paris, notamment Tamaz
Naskidachvili et Akaki Ramichvili.
{1139} À la Libération, les Juifs reconnaissants firent beaucoup pour
atténuer les rigueurs de l’épuration à ceux qui les avaient aidés durant ces
années tragiques.
{1140} P. Korzec, J. Burko, Le Gouvernement polonais en exil et la
persécution des Juifs en France, Paris, Éd. du Cerf, 1997, p. 77.
{1141} Ibid., p. 86-89.
{1142} S. Čuev, Specslužby III Reicha, Saint-Petersburg, Neva, 2003, t. 1,
p. 299.
{1143} Hoover Institution Archives, Alexandre Dallin collection, Box 6,
Folder 6 ; N. P. Patrusev (dir.), Načalo, t. 1, p. 518.
{1144} AMSEG, Affaire Mate Kereselidzé.
{1145} S. Beria, Beria…, p. 105.
{1146} Leverkuehn représentait aussi la fausse princesse Anastasia qui
prétendait hériter des biens de la famille impériale russe aux États-Unis.
Voir Anthony Cave Brown, The Last Hero, Wild Bill Donovan, New York,
Times Books, 1982, p. 127.
{1147} P. Leverkuehn, German Military Intelligence, New York, Praeger,
1954, p. 13. Il ne cite pas son nom, mais il s’agit probablement de
Menagarichvili, ou de Chalva Berichvili qui lui avait été présenté par
l’attaché militaire japonais.
{1148} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 287.
{1149} Dokumenty ministerstva inostrannykh del Germanii, II,
Germanskaja politika v Turcii (1941-1943), Moscou, Ogiz, 1946, p. 34-39.
{1150} S. Beria, Beria…, p. 127.
{1151} Rapport de Merkoulov du 20 août 1941, dans N. P. Patrušev (dir.),
Načalo, t. 1, p. 493.
{1152} B. F. Smith, Sharing Secrets…, p. 18.
{1153} V. I. Trubnikov (dir.), Očerki istorii rossiiskoj…, t. 4, p. 264.
{1154} B. F. Smith, Sharing Secrets…, p. 45-47.
{1155} Pendant trois ans, le capitaine G. B. H. Fawkes fournira une
abondante moisson de renseignements sur la Russie du Sud. Voir ibid.,
p. 55.
{1156} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1939…, p. 314-315.
{1157} B. F. Smith, Sharing Secrets…, p. 69.
{1158} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 289-291.
{1159} P. Sudoplatov, Raznye dni tajnoj…, p. 297-299.
{1160} B. F. Smith, Sharing Secrets…, p. 88.
{1161} Ibid., p. 86.
{1162} V. I. Trubnikov (dir.), Očerki istorii rossiiskoj…, t. 4, p. 264.
{1163} R. J. Aldrich, The Hidden Hand, Londres, John Murray, 2001,
p. 30.
{1164} Pour tout ce qui suit, voir G. Mamoulia, Les Combats
indépendantistes…, p. 296 s.
{1165} AMSEG, Affaire Berichvili.
{1166} Ibid.
{1167} A. Cave Brown, « C », p. 654.
{1168} AMSEG, Affaire Ch. Berichvili.
{1169} AMSEG, Affaire A. Kotchakidzé.
{1170} AMSEG, Affaire Ch. Berichvili.
{1171} Ibid.
{1172} Ibid.
{1173} Ibid.
{1174} AMSEG, Affaire S. Goguiberidzé.
{1175} A. Ju. Bezugolny, Narody Kavkaza…, p. 216.
{1176} A. Mgueladzé, Stalin. Kakim ja evo znal, p. 91.
{1177} Cette accusation ne figure pas dans le verdict officiel car le
maréchal Gretchko avait servi dans le Caucase sous les ordres de Beria.
{1178} A. Knight, Beria, p. 121.
{1179} B. Sokolov, Narkomy strakha, Moscou, AST-Press, 2001, p. 214.
{1180} N. Khruščev, Vremia…, t. 1, p. 449.
{1181} N. P. Patrušev (dir.), Ot oborony k nastupleniu, p. 168-169.
{1182} V. A. Šapovalov (dir.), Bitva za Kavkaz, Stavropol, SGU, 2003,
p. 179-180.
{1183} A. Antonov-Ovseenko, dans V. F. Nekrasov (dir.), Beria…, p. 97.
{1184} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 391-392.
{1185} A. Ju. Bezugolny, Narody Kavkaza…, p. 234.
{1186} Ibid., p. 242-243.
{1187} V. F. Nekrasov (dir.), Beria…, p. 97.
{1188} Ibid., p. 99.
{1189} B. Sokolov, Istrebljonnye maršaly, Smolensk, Rusič, 2000, p. 428.
{1190} N. P. Patrušev (dir.), Ot oborony k nastupleniu, p. 57.
{1191} N. P. Patrušev (dir.), Krušenie blitzkriga, p. 376.
{1192} G. Dimitrov, The Diaries of Georgi…, p. 229.
{1193} Déposition de Tioulenev au procès Beria. Voir A. Ju. Bezugolny,
Narody Kavkaza…, p. 224.
{1194} S. Kremljëv, Beria, lučšij manadžer…, p. 486.
{1195} A. Ju. Bezugolny, Narody Kavkaza…, p. 232.
{1196} MAE Guerre 1939-1945 Vichy Guerre 864, f. 21.
{1197} N. P. Patrušev (dir.), Ot oborony k nastupleniu, p. 256-257.
{1198} V. J. Armstrong (dir.), Partisanskaja vojna, Moscou, Centrpoligraf,
2007, p. 211.
{1199} Socialističeski Vestnik, Paris, 18 janvier 1946, p. 20.
{1200} A. Ju. Bezugolny, Narody Kavkaza…, p. 166.
{1201} Ibid., p. 167.
{1202} AMSEG, Affaire Rapava.
{1203} S. Beria, Beria…, p. 135.
{1204} N. P. Patrušev (dir.), Krušenie blitzkriga, p. 282.
{1205} Ibid., p. 463-465, 477.
{1206} N. P. Patrušev (dir.), Ot oborony k nastupleniu, p. 240-241.
{1207} Ibid., p. 510.
{1208} N. P. Patrušev (dir.), Sekrety operacii…, p. 423.
{1209} Rapport de Beria au GKO le 13 septembre 1942. Voir
N. P. Patrušev (dir.), Ot oborony k…, p. 242.
{1210} P. Sudoplatov, Specoperacii…, p. 237.
{1211} Lettre à Petre Charia du 20 février 1946.
{1212} P. et A. Soudoplatov, Missions Spéciales, p. 194.
{1213} L’auteur est redevable de ces détails à l’historien géorgien David
Abachidzé.
{1214} « Communist Takeover and Occupation of Georgia », p. 85,
Special Report n° 6 on the select committee on communist aggression,
House of representatives, 31 décembre 1954.
{1215} AMSEG, Affaire Charia.
{1216} On peut comparer cette indulgence avec le sort des 32 savants
léningradois, accusés d’avoir organisé un comité de salut public, jugés fins
1941-début 1942. Voir G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 389.
{1217} AMSEG, Affaire Ourouchadzé.
{1218} GAPPOD (Archives nationales des partis et mouvements
politiques de la république d’Azerbaïdjan), f. 1, op. 168, d. 6. l. 55.
{1219} Archives privées de la famille von Mende. La note est datée du
10 février 1949.
{1220} Ces détails se trouvent dans une note de von Mende rédigée en
1953 à l’occasion de la chute de Beria. Von Mende avait compris que
Beria était tombé car il avait heurté le nationalisme grand-russe.
{1221} Fragment über die « Zeppelin »-Unternehmen. Archives privées de
la famille von Mende. Le 8 septembre 1942, Hitler s’était laissé
convaincre par ses militaires de promettre l’indépendance aux peuples du
Caucase. Voir Joachim Hoffmann, Die Ostlegionen 1941-1943, Freiburg,
Verlag Rombach, 1976.
{1222} Note de 1953. Archives privées de la famille von Mende.
{1223} B. Sokolov, Istrebljonnye maršaly, p. 438-439 ; I. Pykhalov,
« Severnii Kavkaz, pričiny deportacii 1943-1945 gg », Molodaja gvardia,
n° 10, 2002, p. 71-98.
{1224} Fragment über die « Zeppelin »-Unternehmen.
{1225} PA AA, Inland II Geheim, SD Berichte Rußland :
Transkaukasisches Georgien, S. 362 437-474.
{1226} P. von zur Mühlen, Zwischen Hakenkreuz…, p. 203-204.
{1227} Nous retrouverons ce procédé dans les rapports du MVD du
printemps 1953 sur la RDA, les républiques baltes et l’Ukraine.
{1228} B. Sokolov, Razvedka…, p. 282-291.
{1229} P. von zur Mühlen, Zwischen Hakenkreuz…, p. 206-207.
{1230} Hoover Institution Archives, Alexandre Dallin collection, Box 6,
Folder 6.
{1231} AMSEG, Affaire Mate Kereselidzé.
{1232} AMSEG, Affaire Charia, interrogatoire de Kobakhidzé du 24 avril
1952.
{1233} AMSEG, Affaire Chavdia.
{1234} Mikhaïl Kavtaradzé, Les Janissaires. Souvenirs d’un émigré,
Tbilissi, 2001(en géorgien), p. 117.
{1235} G. Gabliani, Souvenirs. La Deuxième Guerre mondiale, Koutaisi,
Lomisi, Stamba, 1998 (en géorgien), p. 283-284.
{1236} V. Rtsiladzé (dir.), Les Géorgiens sous le drapeau allemand durant
la Deuxième Guerre mondiale (en géorgien), p. 186.
{1237} AMSEG, Affaire Krouachvili.
{1238} Voenno-Istoričeski Žhurnal, 1991, n° 8, p. 36.
{1239} N. P. Patrušev (dir.), Ot oborony k nastupleniu, p. 399-403.
{1240} Voir G. Mamoulia, Les Combats indépendantistes…, p. 296-298.
{1241} G. A. Tokaev, Comrade X, p. 236.
{1242} Déposition de E. A. Lomtatidzé, 24 juillet 1943. Voir
O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 157.
{1243} H. Zolling, H. Höhne, Le Réseau Gehlen, Paris, Calmann-Lévy,
1973, p. 59-61, 220 ; M. Wildt, Generation des Unbedingten, p. 402.
{1244} CIA, Kedia file, Release 2, 031.
{1245} AMSEG, Affaire Ch. Berichvili.
{1246} « Unternehmen Mainz I », Archives privées de la famille von
Mende.
{1247} Hoover Institution Archives, Alexandre Dallin collection, Box 6,
Folder 6.
{1248} Lettre de M. Kedia à Gerhard von Mende. Archives privées de la
famille von Mende.
{1249} Interrogatoire de Chalva Berishvili du 29 mars 1952 (AMSEG,
Affaire M. N. Koukoutaria).
{1250} Berichvili faisait allusion à Nicolas Gueguetchkori.
{1251} Chalva Berichvili, « Sans enjoliver… », 15 juillet 1993.
{1252} AMSEG, Affaire V. D. Togonidzé.
{1253} Il fut même question de parachuter cette dame auprès de Beria !
Témoignage recueilli par l’auteur de ces lignes auprès de Nina Kikodzé
qui resta prudemment en Allemagne après la guerre.
{1254} CIA, Kedia file, Release 2, 286 et 358.
{1255} En août 1942, Mgueladzé avait été nommé commissaire de
l’arrière du front de Transcaucasie. Voir A. Mgueladzé, Stalin. Kakim ja
evo znal, p. 101.
{1256} Note de Chtemenko à Khrouchtchev, 21 juillet 1953, dans
I. D. Kovalčenko (dir.), Neizvestnaja…, t. 3, p. 50.
{1257} Fragment über die « Zeppelin »-Unternehmen. Archives privées de
la famille von Mende. Gorgochidzé resta auprès de Kedia. Plus tard nous
le retrouverons en Italie du Nord (AMSEG, Affaire Djorjadzé
[Chakhovski]).
{1258} C. Berichvili, « Sans enjoliver… ».
{1259} CIA, Kedia file, Release 2, 232.
{1260} Ibid., 171. Pour la fiche sur Gueguetchkori, voir CIA, Kedia file,
Release 2, 167.
{1261} Hoover Institution Archives, Alexandre Dallin collection, Box 6.
{1262} Kedia a infiltré sept hommes en Géorgie, en deux groupes, voir
CIA, Kedia file, Release 2, 032.
{1263} Fragment über die « Zeppelin »-Unternehmen.
{1264} Ibid.
{1265} CIA, Kedia file, Release 2, 249.
{1266} AMSEG, Affaire L. Pataridzé.
{1267} Archives présidentielles de Géorgie, f. 14, op. 17, d. 189, l. 43.
{1268} Fragment über die « Zeppelin »-Unternhme. La rupture des
relations diplomatiques entre la Turquie et l’Allemagne en août 1944 mit
fin à l’opération Mainz I.
{1269} Ibid.
{1270} « Unternehmen Mainz II ». Archives privées de la famille von
Mende.
{1271} « Das Unternehmen Mainz I ». Archives privées de la famille von
Mende.
{1272} H. Zolling, H. Höhne, Le Réseau Gehlen, p. 63.
{1273} S. Kot, Listy…, p. 210. Les officiers polonais regroupés dans les
camps d’Asie centrale fin 1941 parlaient de porter secours aux Turkmènes
et Kazakhs insurgés. Voir J. Klimkowski, Byłem adjutantem…, p. 188.
{1274} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 217,
226.
{1275} T. K. Gladkov, Korotkov, p. 229.
{1276} V. Peščerski, « Krasnaja kapella »…, p. 265.
{1277} Stefan Roloff, Die Rote Kapelle, Berlin, Ullstein, 2004, p. 132-
133.
{1278} H. Höhne, Der Krieg im Dunkel, p. 359.
{1279} A. Kolpakidi, D. Prokhorov, Imperia GRU, Moscou, Olma-Press,
1999, p. 341-342, 379.
{1280} T. K. Gladkov, Korotkov, p. 285.
{1281} L. Mlečin, Osobaja Papka, p. 502.
{1282} V. Léopold Trepper, Le Grand Jeu, Paris, Tallandier, 1975, p. 199.
{1283} V. Lota, « Alta » protiv…, p. 429.
{1284} V. Peščerski, « Krasnaja kapella »…, p. 72.
{1285} En juin 1945, Bart se rendit aux Américains en déclarant qu’il
était un agent soviétique. Livré aux Soviétiques, il fut accusé de trahison
et fusillé le 23 novembre 1945. Voir T. K. Gladkov, Korotkov, p. 299.
{1286} A. Kolpakidi, D. Prokhorov, Imperia GRU, p. 370.
{1287} W. Von Schramm, Doppelspiel, Düsseldorf, Deutscher
Bücherbund, 1967, p. 221 ; A. Kolpakidi, D. Prokhorov, Imperia GRU, p.
376-377, 383-384.
{1288} Anatoly Gourevitch, Un certain monsieur Kent, Paris, Grasset,
1995, p. 270.
{1289} V. L. Trepper, Le Grand Jeu, p. 308.
{1290} Ibid. p. 104.
{1291} L. A. Bezymenski, « Sovetskaja razvedka pered vojnoj », Voprosy
Istorii, n° 9, 1992, p. 89.
{1292} Mark Štejnberg, « Kinozvezdy Gitlera », Niezavisimoe voennoe
obozrenie, 9 juillet 2004.
{1293} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 277-278.
{1294} V. G. Makarov, « Radioigri sovetskoj i nemeckoj razvedok v gody
vekikoj otečestvennoj vojny », Novaja i Novejšaja Istoria, n° 1, 2007,
p. 149-180.
{1295} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 389.
{1296} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1939…, p. 344.
{1297} Z. P. Šarapov, Naum Eitingon, karajuščii meč Stalina, SPg, Neva,
2003, p. 108-112. Ainsi le NKVD imitait l’exemple des Britanniques et
soutenait discrètement Canaris face à ses rivaux.
{1298} Note de Merkoulov du 10 mai 1943. Cité dans N. P. Patrušev (dir.),
Sekrety operacii « Citadel », t. 1, Moscou, Rus, 2008, p. 456.
{1299} N. West, O. Tsarev, The Crown Jewels, p. 187-203.
{1300} V. G. Makarov, « Radioigri sovetskoj… », p. 178-179.
{1301} P. Leverkuehn, German Military…, p. 172-173.
{1302} N. P. Patrušev (dir.), Sekrety operacii…, p. 428-429.
{1303} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1939…, p. 420-422.
{1304} S. Dorril, MI6, p. 419-420.
{1305} http://www.nationalarchives.gov.uk/releases/2004/may21/dienstell
e_klatt.htm
{1306} http://wikispooks.com/wiki/Anton_Turkul ; S. Dorril, MI6, p. 420-
421.
{1307} GARF, Osobaja papka Stalina f.r. -9401, op. 2, d. 169.
{1308} H. Höhne, Der Krieg im Dunkel, p. 436-437.
{1309} Jeffrey Bines, « The Polish Country… », Thèse soutenue en 2008 à
l’université de Stirling.
{1310} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 459.
{1311} Tchitchaev se fera briefer sur l’Intelligence Service par Moravec,
le chef du renseignement tchèque, auquel il demandera d’espionner Bénès.
Voir F. Moravec, Master of spies…, p. 228-229.
{1312} Bradley F. Smith, Sharing Secrets…, p. 15.
{1313} R. J. Aldrich, The Hidden Hand…, p. 30-31 ; S. Dorril, MI6, p. 10-
11.
{1314} B. F. Smith, Sharing Secrets…, p. 20.
{1315} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 384.
{1316} B. F. Smith, Sharing Secrets…, p. 79.
{1317} V. Karpov, « Sekretnaja missia Ivana Čičaeva », Dialog, 8 janvier
2001, p. 69-75.
{1318} T. K. Gladkov, Korotkov, p. 316-318.
{1319} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 463.
{1320} Ibid., p. 464.
{1321} G. Dimitrov, The Diaries of Georgi…, p. 219.
{1322} R. J. Aldrich, The Hidden Hand…, p. 32. Ces opérations conjointes
prirent fin en mai 1944.
{1323} Mary Glantz, « An Officer and a Diplomat ? The Ambiguous
Position of Philip R. Faymonville and United States-Soviet Relations,
1941-1943 », The Journal of Military History, n° 72, janvier 2008, p. 169.
{1324} T. K. Gladkov, Korotkov, p. 340.
{1325} Voir les Mémoires de Pavel M. Fitine, dans V. I. Trubnikov (dir.),
Očerki istorii rossiiskoj…, t. 4, p. 17-25.
{1326} Alexander Vassiliev’s Notebooks, White Notebook, 1, p. 85.
{1327} V. O. Pečatnov, « Moskovkoe posolstvo Averella Harrimana (1943-
1946) », Novaja i Novejšaja Istoria, n° 3, 2002, p. 188.
{1328} V. P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 78-79.
{1329} A. Cave Brown, « C », p. 623.
{1330} R. Dunlop, Donovan…, p. 535.
{1331} Ibid., p. 432-435 ; P. Grose, Gentleman Spy, Londres, Amherst,
1995, p. 225.
{1332} Alexander Vassiliev’s Notebooks, White Notebook, 1, p. 85-89.
{1333} Ibid., p. 97.
{1334} J. E. Haynes, H. Klehr, Venona, p. 48.
{1335} V. John R. Deane, The Strange Alliance, New York, The Viking
Press, 1947, p. 57 ; W. A. Harriman, Special Envoy, p. 293-294.
{1336} B. F. Smith, Sharing Secrets…, p. 187.
{1337} Alexander Vassiliev’s Notebooks, White Notebook, 1, p. 91.
{1338} Le 29 avril 1944, Deane signale Zagraf, un Roumain qui vit à
Bucarest et dirige un réseau contre l’URSS, ce que l’OSS a appris par des
Allemands de Turquie. Alexander Vassiliev’s Notebooks, White Notebook,
1, p. 90.
{1339} Ibid.
{1340} Ibid., p. 91.
{1341} À Londres l’officier de liaison était Tchitchaev, mais à Stockholm
il n’y avait personne. Voir ibid., p. 93.
{1342} Stephen Koch, La Fin de l’innocence, Paris, Grasset, 1995, p. 197-
198.
{1343} James Srodes, Allen Dulles, Master of Spies, Washington, Regnery
Publishing, 1999, p. 308.
{1344} Alexander Vassiliev’s Notebooks, White Notebook, 1, p. 94-95.
{1345} Ibid., p. 105
{1346} B. F. Smith, Sharing Secrets…, p. 222.
{1347} Alexander Vassiliev’s Notebooks, White Notebook, 1, p. 98.
{1348} Ibid., p. 100.
{1349} Ibid., p. 102.
{1350} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 463.
{1351} I. Fleischhauer, Die Chance des Sonderfriedens, Berlin, Siedler
Verlag, 1986, p. 223.
{1352} P. Grose, Gentleman Spy, p. 78.
{1353} Alexander Vassiliev’s Notebooks, White Notebook, 1, p. 103-106 ;
Pečatnov, Stalin…, p. 286-289.
{1354} H. Höhne, Der Krieg im Dunkel, p. 474.
{1355} Ibid., p. 481.
{1356} Ibid., p. 475.
{1357} Anthony Cave Brown, The Last Hero, Wild Bill Donovan, New
York, Times Books, 1982, p. 679-681 ; P. Grose, Operation Rollback, New
York, Houghton Mifflin Company, 2000, p. 37-39.
{1358} J. Srodes, Allen Dulles…, p. 268.
{1359} John R. Deane, The Strange Alliance, p. 57 ; W. A. Harriman,
Special Envoy, p. 293-294.
{1360} J. E. Haynes, H. Klehr, A. Vassiliev, Spies, YUP, 2009, p. 172.
{1361} L. Leshuk, US Intelligence Perceptions of Soviet Power, 1921-
1946, Londres, Frank Cass Publisher, 2003.
{1362} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 443.
{1363} B. F. Smith, Sharing Secrets…, p. 87, 144.
{1364} V. Pečatnov, Stalin, Roosevelt…, p. 48.
{1365} Ibid., p. 47 ; voir aussi Mary Glantz, « An Officer and a
Diplomat ? The Ambiguous Position of Philip R. Faymonville and United
States-Soviet Relations, 1941-1943 », p. 141-177.
{1366} V. Pečatnov, Stalin, Roosevelt…, p. 118 s.
{1367} Alexander Vassiliev’s Notebooks, White Notebook, 2, p. 36.
{1368} http://www.nsa.gov/public_info/_files/venona/1944/4aug_harry_d
exter_white.pdf
{1369} V. Pečatnov, Stalin, Roosevelt…, p. 176 ; R. Ivanov, Stalin i
sojuzniki…, p. 441. Staline voulait proposer un accord économique
similaire à celui que l’URSS avait avec Hitler.
{1370} W. A. Harriman, Special Envoy, p. 386.
{1371} http://www.nsa.gov/public_info/_files/venona/1945/18jan_harry_d
exteer.pdf
{1372} V. Pečatnov, Stalin, Roosevelt…, p. 177.
{1373} Ibid., p. 406-407. L’offre de crédit fut finalement proposée le
21 février 1946, assortie d’une longue liste de conditions politiques.
{1374} S. Kot, Listy…, p. 23.
{1375} L. Mlečin, Začem Stalin sozdal Izrail ?, Moscou, Eksmo, Jauza,
2005, p. 32-33.
{1376} Pour cette affaire des relations entre communisme et sionisme,
voir Laurent Rucker, Staline, Israël et les Juifs, Paris, PUF, 2001.
{1377} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 351.
{1378} M. Geizer, Mikhoels, Moscou, Molodaja Gvardia, 2004, p. 158.
{1379} J. Costello, O. Tsarev, Deadly Illusions, p. 240.
{1380} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 210.
{1381} A. Sudoplatov, Tajnaja žizn…, p. 359.
{1382} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 355.
{1383} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 119.
{1384} L. Rucker, Staline, Israël…, p. 160.
{1385} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 241.
{1386} Ibid., p. 231.
{1387} V. Lietuvos ypatingasis Archyvas (Archives du ministère de la
Sécurité de Lituanie), f. k-1, ap. 10, d. 4, p. 179-198.
{1388} L. Mlečin, Začem Stalin…, p. 75.
{1389} M. Geizer, Mikhoels, p. 224.
{1390} S. Kot, Listy…, p. 24-25.
{1391} Ibid., p. 82.
{1392} Polish Institute and Sikorski Muzeum, PRM 42/5, p. 32.
{1393} S. Kot, Listy…, p. 249.
{1394} P. Korzec, J. Burko, Le Gouvernement polonais…, p. 27.
{1395} Ibid.
{1396} E. Raczynski, W sojuszniczym…, p. 156-157 ; David Engel, Facing
a Holocaust : the Polish Government in Exile and the Jews 1943-1945,
University of North Carolina Press, 1993, p. 17 ; E. Duraczynski, Polska
Dzieje politiczne, Varsovie, Alfa, 1999, p. 358-359.
{1397} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 239. Oumanski périt en
janvier 1945 dans un accident d’avion auquel aurait été mêlé le résident
soviétique L. P. Vassilevski.
{1398} L. Bezymenski, Budapesti Messia Raul Wallenberg, Moscou,
Kollekcia Soveršenno sekretno, 2001, p. 32-49 (contient le texte intégral
rédigé par Oumanski).
{1399} A. Lustiger, Stalin and the Jews, New York, Enigma Book, 2003,
p. 83.
{1400} S. Kot, Listy…, p. 136.
{1401} Ibid., p. 269.
{1402} Ibid., p. 252.
{1403} L. Mlečin, Začem Stalin…, p. 92. En même temps l’Agence juive
essayait en vain d’obtenir de Churchill l’autorisation de lever une armée
juive en Palestine.
{1404} Ibid., p. 76.
{1405} Ibid., p. 88.
{1406} Pour l’affaire Erlich et Alter, voir Camille Huysmans (dir.), The
Case of Henryk Erlich and Victor Alter, Londres, Liberty Publications,
1943.
{1407} En 1917, Erlich avait été envoyé par le Soviet de Petrograd en
Europe occidentale pour y condamner le sionisme. Voir G. V. Kostyrčenko,
Tajnaja politika…, p. 67.
{1408} A. Lustiger, Stalin and the Jews, p. 325-326.
{1409} Polish Institute and Sikorski Muzeum, PRM 57 1, p. 21.
{1410} Shimon Redlich, « Propaganda and nationalism in wartime
Russia », East European Quarterly, 1982, p. 17.
{1411} A. Lustiger, Stalin and the Jews, p. 89.
{1412} S. Beria, Beria…, p. 169.
{1413} Les Juifs étaient représentés au Conseil national polonais de
Londres. Voir P. Korzec, J. Burko, Le Gouvernement polonais…, p. 19.
{1414} Polish Institute and Sikorski Muzeum, A.7.53/2G.
{1415} A. Lustiger, Stalin and the Jews, p. 90.
{1416} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 233.
{1417} D. Engel, Facing a Holocaust…, p. 224.
{1418} N. P. Patrušev (dir.), Načalo, t. 1, p. 63-64.
{1419} Ž. A. Medvedev, Stalin i evreiskaja problema, Moscou, Iz-vo
Prava čeloveka, 2003, p. 61.
{1420} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 30, f. 12.
{1421} Selon Soudoplatov, Krasnaja Zvezda, 4 mai 1994.
{1422} A. Vaksberg, Stalin against the Jews, New York, Alfred Knopf,
1994 p. 106-107.
{1423} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 126.
{1424} S. Redlich, G. Kostyrčenko (dir.), Evreiski antifašistki komitet v
SSSR 1941-8, Moscou, Meždunarodnye otnošenia, 1996, p. 21.
{1425} S. Kot, Listy…, p. 95. Lettre à Sikorski du 15 septembre 1941.
{1426} L. Rapoport, Stalin’s War against the Jews, New York, Free Press,
1990, p. 63.
{1427} Jean-Jacques Marie, Les Derniers Complots de Staline, Bruxelles,
Complexe, 1993, p. 32.
{1428} S. Redlich, G. Kostyrčenko (dir.), Evreiski…, p. 19.
{1429} Polish Institute and Sikorski Muzeum, PRM 43/5, p. 1-6.
{1430} Avant de se réfugier à Londres, le gouvernement Sikorski avait
créé en France une légion polonaise dans laquelle nombre de Juifs
polonais se portèrent volontaires. Voir P. Korzec, J. Burko, Le
Gouvernement polonais…, p. 36.
{1431} Polish Institute and Sikorski Muzeum PRM 43/5.
{1432} Paradoxalement, ce projet avait aussi la faveur des antisémites
nombreux dans l’armée polonaise.
{1433} D. Engel, Facing a Holocaust…, p. 247-248.
{1434} S. Kot, Listy…, p. 136.
{1435} Ibid., p. 272.
{1436} A. Viatteau, Staline assassine…, p. 142.
{1437} Polish Institute and Sikorski Muzeum, PRM 42/5.
{1438} S. Redlich, G. Kostyrčenko (dir.), Evreiski antifašistki…, p. 33. En
septembre 1942, E. Rudnicki, un représentant de l’Agence juive, affirmera
que le gouvernement soviétique pourrait consentir à recruter une légion
juive de Palestine parmi les Juifs se trouvant en URSS, si les
gouvernements britannique et américain faisant pression pesaient en ce
sens et, en novembre 1942, Ben Gourion sollicita le concours du
gouvernement polonais en exil en vue de créer une armée juive. V. David
Engel, Facing a Holocaust…, p. 21 et 51.
{1439} F. Loevenheim, H. Langley, Roosevelt and Churchill, New York,
Dutton & Co, 1975, p. 566.
{1440} A. Lustiger, Stalin and the Jews, p. 90.
{1441} S. Kot, Listy…, p. 435.
{1442} Polish Institute and Sikorski Muzeum, PRM 43/5.
{1443} Ibid.
{1444} S. Kot, Listy…, p. 128.
{1445} Ibid., p. 124.
{1446} Ibid., p. 130.
{1447} Documents on Polish…, v. 1, p. 504.
{1448} A. Lustiger, Stalin and the Jews, p. 91.
{1449} J. Czapski, « Erlikh i Alter v Kuibyševe », Narodnaja Pravda,
avril 1949, p. 12-13.
{1450} A. Lustiger, Stalin and the Jews, p. 91.
{1451} D. Engel, Facing a Holocaust…, p. 224.
{1452} Š. Redlich, G. Kostyrčenko (dir.), Evreiski antifašistki…, p. 18.
{1453} D. Engel, Facing a Holocaust…, p. 225.
{1454} S. Redlich, G. Kostyrčenko (dir.), Evreiski antifašistki…, p. 19 ;
Polish Institute and Sikorski Muzeum, PRM 41-2 87 ; B. F. Smith, Sharing
Secrets…, p. 76.
{1455} A. Lustiger, Stalin and the Jews, p. 92.
{1456} Polish Institute and Sikorski Muzeum, PRM 41-2 87.
{1457} S. Kot, Listy…, p. 209.
{1458} Ibid., p. 261.
{1459} Polish Institute and Sikorski Muzeum, PRM 43/5.
{1460} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 354 ; S. Trubin, « Tovarišč
Stalin odobril etot tekst », Ščit i meč, 3 septembre 1992.
{1461} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 353.
{1462} S. Trubin, « Tovarišč Stalin… ».
{1463} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 235-236.
{1464} D. Engel, Facing a Holocaust…, p. 112.
{1465} S. Beria, Beria…, p. 169-170.
{1466} V. I. Trubnikov (dir.), Očerki istorii rossiiskoj…, t. 4, p. 203.
{1467} G. Kostyrčenko, V plenu krasnovo faraona, Moscou,
Meždunarodnye otnošenia, 1994, p. 27.
{1468} N. Khrouchtchev, Souvenirs, p. 247.
{1469} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 236. Mais Mikhoëls avait
reçu l’ordre de ne pas quitter Moscou le 15 octobre 1941 à cause de sa
nomination à la tête du CAJ. Voir V. M. Geizer, Mikhoels, p. 223.
{1470} A. Lustiger, Stalin and the Jews, p. 78.
{1471} G. V. Kostyrčenko (dir.), Gosudarstvenny…, p. 17-20.
{1472} S. Redlich, G. Kostyrčenko (dir.), Evreiski antifašistki…, p. 326.
{1473} D. G. Nadjafov, Z. S. Belousova, Stalin i kosmopolitism, p. 99.
{1474} S. Redlich, G. Kostyrčenko (dir.), Evreiski antifašistki…, p. 32.
{1475} Ibid., p. 59, note de Mikhoëls et Epshtein à Chtcherbakov, le
2 mars 1942.
{1476} Ibid., p. 115, proposition du 18 janvier 1943.
{1477} Ibid., p. 55.
{1478} D. Engel, Facing a Holocaust..., p. 82-83.
{1479} Le procureur Roudenko confirma en 1955, lors de la réhabilitation
des activistes du CAJ, que B. Goldberg était un agent du MGB. Voir
G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 372.
{1480} P. Sudoplatov, Raznye dni tajnoj vojny i diplomatii 1941 god,
Moscou, Olma-Press, 2001, p. 66.
{1481} L. Rapoport, Stalin’s War…, p. 68.
{1482} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 239.
{1483} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 355.
{1484} P. et A. Soudoplatov, Missions…, p. 357 ; P. Sudoplatov, Pobeda v
tajnoj…, p. 357.
{1485} V. P. Naumov (dir.), Nepravednyj sud, Moscou, Nauka, 1994,
p. 234.
{1486} L. Rapoport, Stalin’s War…, p. 71-72.
{1487} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 99-100 ; L. Bezymenski,
Budapesti Messia Raul Wallenberg, Moscou, 2001, p. 140 ; A. Lustiger,
Stalin and the Jews, p. 57-60.
{1488} Cette phrase a sans doute été soufflée par l’enquêteur du MGB.
G. Kostyrčenko, V plenu…, p. 33. Sur ce projet de Crimée juive, voir aussi
P. et A. Soudoplatov, Missions spéciales, p. 357-362.
{1489} M. Geizer, Mikhoels, p. 246, 250.
{1490} L. Rapoport, Stalin’s War…, p. 69.
{1491} M. Geizer, Mikhoels, p. 230-232.
{1492} D. Engel, Facing a Holocaust…, p. 83, 222.
{1493} G. V. Kostyrčenko (dir.), Gosudarstvenny…, p. 23-24.
{1494} L. Rapoport, Stalin’s War…, p. 78.
{1495} G. V. Kostyrčenko (dir.), Gosudarstvenny…, p. 41.
{1496} Ibid., p. 50-52.
{1497} Ibid., p. 40-44. Le NKVD ukrainien se vit aussi reprocher son
inaction à l’encontre des nationalistes ukrainiens.
{1498} S. Redlich, G. Kostyrčenko (dir.), Evreiski antifašistki…, p. 164.
{1499} Ibid., p. 75-78.
{1500} G. V. Kostyrčenko (dir.), Gosudarstvenny…, p. 49.
{1501} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 247.
{1502} Roj et Z. Medvedev, Neizvestny Stalin, p. 363-372.
{1503} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 356.
{1504} En Ossétie la rumeur courait que la Crimée serait attribuée aux
Ossètes en récompense de leur comportement exemplaire pendant la
guerre. Voir G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 433.
{1505} L. Rapoport, Stalin’s War…, p. 121.
{1506} G. V. Kostyrčenko (dir.), Gosudarstvenny…, p. 170.
{1507} Z. A. Medvedev, Stalin i evreiskaja…, p. 61.
{1508} L. Mlečin, Začem Stalin…, p. 231.
{1509} L. Rapoport, Stalin’s War…, p. 121.
{1510} G. V. Kostyrčenko (dir.), Gosudarstvenny…, p. 148.
{1511} Ibid., p. 175. Chimeliovitch, l’un des accusés au procès du CAJ,
témoigna : « Epshtein me dit que cette lettre avait été rédigée sur
instruction d’en haut », V. P. Naumov (dir.), Nepravednyj sud, M., Nauka,
p. 371.
{1512} G. Kostyrčenko, V plenu…, p. 34-35 ; V. P. Naumov (dir.),
Nepravednyj sud ; L. Rucker, Staline, Israël…, p. 149.
{1513} G. V. Kostyrčenko (dir.), Gosudarstvenny…, p. 125.
{1514} Z. A. Medvedev, Stalin i evreiskaja…, p. 86-89.
{1515} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 231.
{1516} R. Ivanov, Stalin i sojuzniki, p. 441.
{1517} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 358.
{1518} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 436.
{1519} L. Rapoport, Stalin’s War…, p. 73.
{1520} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 440.
{1521} G. V. Kostyrčenko (dir.), Gosudarstvenny…, p. 173.
{1522} N. Khrouchtchev, Souvenirs, p. 248.
{1523} N. Khruščev, Vremia…, t. 2, p. 168.
{1524} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 362.
{1525} Ibid., p. 371.
{1526} G. V. Kostyrčenko (dir.), Gosudarstvenny…, p. 84.
{1527} Ibid., p. 88-91.
{1528} D. G. Nadjafov, Z. S. Belousova, Stalin i kosmopolitism, p. 99.
{1529} Ibid., p. 101.
{1530} Ibid., p. 103.
{1531} G. V. Kostyrčenko (dir.), Gosudarstvenny…, p. 100.
{1532} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 364-365.
{1533} Ju. N. Žukov, Tajny…, p. 435.
{1534} R. Ivanov, Stalin i sojuzniki, p. 386.
{1535} Il s’agissait des journalistes américains Parker et Shapiro. Voir
G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 375.
{1536} Ž. A. Medvedev, Stalin i evreiskaja problema, p. 46.
{1537} L. Rapoport, Stalin’s War…, p. 117.
{1538} D. G. Nadjafov, Z. S. Belousova, Stalin i kosmopolitism, p. 194.
{1539} Ju. N. Žukov, Tajny…, p. 480.
{1540} Rapport de Chkiriatov et d’Abakoumov du 29 décembre 1948.
D. G. Nadjafov, Z. S. Belousova, Stalin i kosmopolitism, p. 209.
{1541} V. P. Naumov (dir.), Nepravednyj sud, p. 136.
{1542} A. Lustiger, Stalin and the Jews, p. 217.
{1543} G. V. Kostyrčenko (dir.), Gosudarstvenn..., p. 189.
{1544} P. Korzec, J. Burko, Le Gouvernement polonais…, p. 56.
{1545} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 437.
{1546} S. Beria, Beria…, p. 156.
{1547} N. L. Pobol, P. M. Poljan (dir.), Stalinskie deportacii, 1928-1953,
Moscou, Materik, 2005, p. 496.
{1548} N. P. Patrušev (dir.), Ot oborony k nastupleniu, t. 3, Moscou,
‘‘Kniga i Bizness’’, 2003, p. 197.
{1549} S. Beria, Beria…, p. 370.
{1550} V. Berežkov, Riadom so Stalinym, Moscou, Vagrius, 1998.
{1551} P. et A. Soudoplatov, Missions spéciales, p. 383, nous soulignons.
{1552} L. Rucker, Staline, Israël…, p. 458.
{1553} G. V. Kostyrčenko (dir.), Gosudarstvenny…, p. 172.
{1554} L. Rapoport, Stalin’s War…, p. 66.
{1555} S. Redlich, G. Kostyrčenko (dir.), Evreiski antifašistki…, p. 166.
{1556} Ibid., p. 17.
{1557} L. Rucker, Staline, Israël…, p. 232-244.
{1558} P. et A. Soudoplatov, Missions spéciales, p. 363.
{1559} K. Stoljarov, Igry v pravosudie, p. 73.
{1560} A. Sudoplatov, Tajnaja žizn…, t. 2, p. 299, nous soulignons.
{1561} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 30, f. 5.
{1562} GARF, Osobaja papka Stalina f.r. -9401, op. 2, d. 97-102.
{1563} N. P. Patrušev (dir.), Krušenie blitzkriga, t. 1, p. 419.
{1564} L. Sockov, Neizvestny separatism, p. 321-323.
{1565} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1939…, p. 431.
{1566} CIA, Kedia file, Release 2, 034 ; 079-83.
{1567} Ibid., Release 2, 035.
{1568} Ibid., Release 2, 051.
{1569} Ibid., Release 2, 091-3.
{1570} Ibid., Release 2, 104.
{1571} Ibid., Release 2, 136.
{1572} Ibid., Release 2, 141.
{1573} Grâce à la recommandation de Gueguetchkori et Kobakhidzé.
Ibid., Release 2, 054.
{1574} Ibid., Release 2, 076.
{1575} CIA, Kedia file, Release 2, 209 et 213.
{1576} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 65, f. 40-43.
{1577} Archives de la préfecture de police, GA 77W3881.
{1578} Voir Gaston Laroche (alias Boris Matline), On les nommait des
étrangers, Paris, Éditeurs français réunis, 1965, p. 11-13. Signalons que,
dans Jean Maitron (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier
français, Paris, Éd. Ouvrières, 1971, t. 36, p. 95, Gaston Laroche est
confondu par erreur avec Abraham Matline.
{1579} L. H. Manderstam, From the Red Army to the SOE, Londres,
Kimber, 1985, p. 121.
{1580} APP, GA 77W1255.
{1581} AMSEG, Affaire Gueguelia, Déposition de Gouzovski du 11 août
1953.
{1582} Sur ce camp et d’autres, voir Georges Coudry, Les Camps
soviétiques en France, Paris, Albin Michel, 1997.
{1583} AMSEG, Affaire Kobakhidzé.
{1584} Archives de la préfecture de police, 77W 1297.
{1585} APP, BA 1W0814.
{1586} AMSEG, Note de G. Gueguelia de juin 1952.
{1587} Archives personnelles du colonel Philippe de Cacqueray.
{1588} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 66, f. 226.
{1589} Socialističeski Vestnik, 15 avril 1947, p. 74-75.
{1590} Sur l’action de ces légionnaires, voir Jean-Jacques Gillot, Pascal
Audoux, Les Mystères du Périgord, Riom, De Borée, 2011, p. 154-180 ; et
aussi le témoignage de Pierre Kitiaschvili, Du Caucase à l’Atlantique. De
l’Armée rouge aux maquis de France, Biscaye Imprimeur, 1985.
{1591} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 65, f. 28 et 30.
{1592} APP, 77W 1297.
{1593} AMSEG, Affaire Gueguelia.
{1594} Archives présidentielles de Géorgie, f. 14, op. 19, d. 447.
{1595} MAE Europe URSS 77, dossier 2 f. 19-20.
{1596} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 66, f. 228.
{1597} AMSEG, Affaire Mikhailovski. Chose étonnante, les maquisards
communistes étaient opposés au rapatriement forcé des prisonniers
soviétiques. Voir L. H. Manderstam, From the Red Army…, p. 121.
{1598} AMSEG, Affaire Gueguelia, Déposition de Gouzovski du 11 août
1953.
{1599} Archives personnelles du colonel Philippe de Cacqueray.
{1600} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 65, f. 28-29.
{1601} Archives présidentielles de Géorgie, f. 14, op. 19, d. 447.
{1602} Socialističeski Vestnik, 15 mars 1946, p. 83.
{1603} AMSEG, Affaire Gueguelia, Déposition de Gouzovski du 11 août
1953.
{1604} AMSEG, Affaire Gueguelia, Déposition de Tavadzé du 29 août
1953.
{1605} AMSEG, Affaire Gueguelia, Déposition de Maximelichvili du 1er
septembre 1953, Maximelichvili affirme que, par ses sources au sein des
services français, elle savait que Gueguelia n’était pas un agent double.
{1606} V. A. Kozlov, S. V. Mironenko, « Osobaja papka » I.V. Stalina,
Moscou, Blagovest, 1994, p. 59-60.
{1607} C’est le professeur Takaichvili qui avait suggéré sa candidature à
l’ambassade d’URSS.
{1608} APP, BA 2382 1. 00. 817. 20.
{1609} AMSEG, Affaire Gueguelia.
{1610} Lettre de K. Chavichvili au Comité exécutif du Conseil national
géorgien, 31 mai 1953, Archives de l’émigration géorgienne, Box R.
{1611} AMSEG, Affaire Gueguelia.
{1612} Lettre de K. Chavichvili au Comité exécutif du Conseil national
géorgien, 31 mai 1953, Archives de l’émigration géorgienne, Box R.
{1613} AMSEG, Affaire Gueguelia.
{1614} AMSEG, Affaire S. M. Tchavtchavadzé.
{1615} AMSEG, Affaire Kobakhidzé.
{1616} Le Monde, 11 septembre 1946 et 17 septembre 1946.
{1617} AMSEG, Affaire Gueguelia, Déposition de Gouzovski du 11 août
1953.
{1618} AMSEG, Affaire Gueguelia.
{1619} Ibid.
{1620} CIA, Kedia file, Release 2, 174.
{1621} APP, GA 77W3881.
{1622} Archives du MGB de Géorgie, Affaire Chalva Berichvili.
{1623} CIA, Kedia file, Release 2, 215-6.
{1624} Lettre de K. Chavichvili au Comité exécutif du Conseil national
géorgien, 31 mai 1953, Archives de l’émigration géorgienne, Box R.
{1625} CIA, Kedia file, Release 2, 226.
{1626} AMSEG, Affaire Charia.
{1627} Ibid.
{1628} AMSEG, Affaire Mataradzé.
{1629} CIA, Kedia file, Release 2, 149.
{1630} Z. Berling, Wspomnienia…, p. 260 ; S. Jaczynski, Między slawę…,
p. 136.
{1631} Z. Berling, Wspomnienia…, p. 306-307.
{1632} Ibid., p. 17.
{1633} E. Duraczynski, Polska Dzieje politiczne, p. 319-320 ;
J. Ciechanowski, Powstanie Warszawskie, Varsovie, Bellona, 1984, p. 48-
50.
{1634} Z. Berling, Wspomnienia…, p. 23-35.
{1635} Ibid., p. 38-42.
{1636} Ibid., p. 33.
{1637} Ibid., p. 148.
{1638} Ibid.
{1639} Ibid., p. 60.
{1640} F. Zbiniewicz, Armia polska w ZSRR, Varsovie, Wyd. Ministerstwa
obrony narodowej, 1963, p. 49.
{1641} Z. Berling, Wspomnienia…, p. 75-80.
{1642} Berling cite ces noms.
{1643} Z. Berling, Wspomnienia…, p. 104.
{1644} Ibid., p. 213.
{1645} Ibid., p. 231-242.
{1646} Ibid., p. 312.
{1647} A. F. Noskova, « Stalin, pol’skie kommunisty i sozdanie PKNO »,
Slavianovedenie, n° 3, 2008, p. 7.
{1648} F. Zbiniewicz, Armia polska…, p. 110.
{1649} S. Jaczynski, Między slawę…, p. 186, 244-245.
{1650} F. Zbiniewicz, Armia polska…, p. 114.
{1651} S. Jaczynski, Między slawę…, p. 191-194.
{1652} J. Ciechanowski, Powstanie…, p. 65.
{1653} FRUS, 1943, vol. 3, p. 584.
{1654} J. Ciechanowski, Powstanie…, p. 66.
{1655} T. V. Volokitina (dir.), Sovetski factor v vostočnoj Evrope, t. 1,
Moscou, Rosspen, 1999, p. 57-58.
{1656} A. Polonsky, The Great Powers…, p. 177 s.
{1657} S. Jaczynski, Między slawę…, p. 204-205.
{1658} A. F. Noskova, « Stalin, pol’skie kommunisty… », p. 11 s.
{1659} J. E. Haynes, H. Klehr, Venona, p. 235.
{1660} Ibid., p. 235.
{1661} Times, 8 mai 1944.
{1662} Rapport de Dewitt Poole (OSS), 9 juin 1944.
http://www.nsa.gov/public_info/_files/venona/1944/9jun_oss.pdf
{1663} T. V. Volokitina (dir.), Vostočnaja Evropa v dokumentakh
rossiiskikh arkhivov, Moscou/Novossibirsk, Sibirski Khronograf, 1997,
p. 38.
{1664} T. V. Volokitina (dir.), Sovetski factor v vostočnoj Evrope, t. 1,
Moscou, Rosspen, 1999, p. 60.
{1665} Times, 22 mai 1944.
{1666} Major Jordan’s Diaries, chap. xi, 1952. Voir http://www.mail-
archive.com/ctrl@listserv.aol.com/msg14403.html
{1667} T. V. Volokitina (dir.), Vostočnaja Evropa…, p. 20-23. Lange
deviendra le premier ambassadeur de la Pologne d’après-guerre aux États-
Unis.
{1668} http://www.nsa.gov/public_info/_files/venona/1944/8aug_oscar_la
nge.pdf
{1669} FRUS, The British Commonwealth and Europe, vol. 3 (1944),
p. 1287.
{1670} Justine Faure, L’Ami américain, Paris, Tallandier, 2004, p. 51.
{1671} A. Polonsky, The Great Powers…, p. 199.
{1672} Ibid., p. 198.
{1673} Ibid., p. 203.
{1674} FRUS, The British Commonwealth…, p. 1409.
{1675} A. Viatteau, Staline assassine…, p. 286.
{1676} Tadeusz Bór-Komorowski, Histoire d’une armée secrète, Paris,
Les Îles d’Or, 1952, p. 180.
{1677} S. Jaczynski, Między slawę…, p. 263.
{1678} J. Ciechanowski, Powstanie…, p. 334.
{1679} J. Zawodny, Powstanie warszawskie w walce i diplomacji,
Varsovie, IPN, 2005, p. 115.
{1680} J. Ciechanowski, Powstanie…, p. 181.
{1681} Ibid., p. 185.
{1682} A. Polonsky, The Great Powers…, p. 204-205.
{1683} J. Ciechanowski, Powstanie…, p. 196 ; E. Raczynski, W
sojuszniczym Londynie, p. 268.
{1684} G. Bennet, Churchill’s Man…, p. 239.
{1685} Jan Pomian, Jozef Retinger, Varsovie, Pavo, 1994, p. 144-166.
{1686} Jeffrey Bines, « The Polish Country… », Thèse soutenue en 2008 à
l’université de Stirling.
{1687} J. Ciechanowski, Powstanie…, p. 449.
{1688} J. Bines, « The Polish Country… », p. 175.
{1689} Z. Berling, Wspomnienia…, p. 256. Beria lui avait offert en janvier
1941 la direction de la résistance clandestine de la région de Lvov.
{1690} V. Khristoforov, P. Merecki (dir.), Powstanie Warszawskie 1944,
Varsovie/Moscou, Instytut Pamięci Narodowej, 2007, p. 924.
{1691} J. Zawodny, Powstanie warszawskie…, p. 143.
{1692} E. Duraczynski, Polska Dzieje politiczne, p. 428.
{1693} J. Bines, « The Polish Country… », p. 180-189.
{1694} B. Martin, S. Lewandowska (dir.), Der Warschauer Aufstand 1944,
Varsovie, Polska Akademia Nauk, 1999, p. 115.
{1695} F. I. Čuev, Kaganovič, Šepilov, Moscou, Olma-Press, 2001, p. 308.
{1696} J. Zawodny, Powstanie warszawskie…, p. 277.
{1697} J. Bines, « The Polish Country… », p. 190. Le SOE ne tint pas ses
promesses. Gubbins fut accusé d’avoir encouragé les Polonais en dépit des
directives données au SOE par l’état-major. Voir S. Dorril, MI6, p. 251-
252 ; et Norman Davies, « Britain and the Warsaw Rising »,
http://www.warsawuprising.com/paper/davies1.htm
{1698} A. Viatteau, Staline assassine…, p. 181-182.
{1699} V. J. Ciechanowski, Powstanie…, p. 460-461.
{1700} A. Fitova, A. Noskova (dir.), NKWD i polskie podziemie, Cracovie,
TAIWPN, 1998, p. 129. Anders considérait que les responsables de
l’insurrection de Varsovie devaient être jugés. Voir B. Martin,
S. Lewandowska (dir.), Der Warschauer…, p. 105.
{1701} J. Ciechanowski, Powstanie…, p. 348 ; A. N. Jakovlev (dir.),
Ljubjanka, 1939…, p. 459.
{1702} A. Viatteau, Staline assassine…, p. 178.
{1703} B. Martin, S. Lewandowska (dir.), Der Warschauer…, p. 94.
{1704} A. Polonsky, The Great Powers…, p. 211.
{1705} J. Zawodny, Powstanie warszawskie…, p. 243.
{1706} T. Bór-Komorowski, Histoire d’une…, p. 233-235 ; T. Bór-
Komorowski, Powstanie warszawskie, Varsovie, Rytm, 1986, p. 74-76 ;
V. Khristoforov, P. Merecki (dir.), Powstanie Warszawskie…, p. 470.
{1707} Zbigniew Stypulkowski, Invitation à Moscou, Paris, Les Îles d’Or,
1952, p. 138.
{1708} V. Khristoforov, P. Merecki (dir.), Powstanie Warszawskie…,
p. 258.
{1709} J. Bines, « The Polish Country… », p. 200-201 ; J. Zawodny,
Powstanie warszawskie…, p. 295.
{1710} T. V. Volokitina (dir.), Sovetski factor…, t. 1, p. 85.
{1711} FRUS, The British Commonwealth…, p. 1312.
{1712} B. Martin, S. Lewandowska (dir.), Der Warschauer..., p. 95.
{1713} T. Bór-Komorowski, Powstanie Warszawskie, p. 78.
{1714} Rapport du Kommando de la Sipo, 8 septembre 1944.
V. Khristoforov, P. Merecki (dir.), Powstanie Warszawskie…, p. 162, 202.
{1715} T. V. Volokitina (dir.), Sovetski factor…, t. 1, p. 89.
{1716} K. Rokicki, S. Stępien, W objęciach wielkiego brata, Varsovie,
Instytut Pamięci Narodowej, 2009, p. 367.
{1717} V. V. Marjina, « Soveckii sojuz i slovackoe nacionalnoe
vosstanie », Novaja i Novešjaia Istoria, n° 5, 1996, p. 100-130.
{1718} V. Khristoforov, P. Merecki (dir.), Powstanie Warszawskie…,
p. 840.
{1719} Ibid., p. 470, 510, 836.
{1720} J. Zawodny, Powstanie warszawskie…, p. 246.
{1721} E. Duraczynski, Polska Dzieje…, p. 543 ; S. Jaczynski, Między
slawę…, p. 321-322.
{1722} S. Jaczynski, Między slawę…, p. 339.
{1723} S. Beria, Beria…, p. 277.
{1724} V. Pečatnov, Stalin, Roosevelt…, p. 301.
{1725} Alexander Vassiliev’s Notebooks, Black Notebook, p. 50.
{1726} A. Viatteau, Staline assassine…, p. 291.
{1727} Pour toute cette affaire, voir Z. Stypulkowski, Invitation à
Moscou, p. 185-313.
{1728} FRUS, 1945. Europe, vol. 5 (1945), p. 143.
{1729} Interview du général Anders par Z. S. Siemaszki le 31 juillet 1967,
dans H. Marian (dir.), General Anders…, p. 61.
{1730} A. Fitova, A. Noskova (dir.), NKWD i polskie…, p. 107-109. Le
5 avril il envoya un rapport plus détaillé narrant le début des contacts entre
le NKVD et la clandestinité polonaise (ibid., p. 131-134).
{1731} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1939…, p. 504-506.
{1732} Z. Stypulkowski, Invitation à Moscou, p. 190-191.
{1733} E. Raczynski, W sojuszniczym…, p. 329-331, 402-406.
{1734} Ibid., p. 408.
{1735} A. Viatteau, Staline assassine…, p. 295.
{1736} A. F. Noskova (dir.), Iz Warszawy. Moskva, tovariscu Beria…,
Moscou, Sibirski Khronograf, 2001, p. 24.
{1737} A. Fitova, A. Noskova (dir.), NKWD i polskie…, p. 113-115.
{1738} N. Petrov, Ivan Serov.
{1739} V. A. F. Noskova (dir.), Iz Warszawy…, p. 147-148.
{1740} A. Fitova, A. Noskova (dir.), NKWD i polskie…, p. 130.
{1741} Ibid., p. 135.
{1742} A. F. Noskova (dir.), Iz Warszawy…, p. 151.
{1743} A. Fitova, A. Noskova (dir.), NKWD i polskie…, p. 151.
{1744} A. F. Noskova (dir.), Iz Warszawy…, p. 205.
{1745} A. Fitova, A. Noskova (dir.), NKWD i polskie…, p. 184.
{1746} Z. Stypulkowski, Invitation à Moscou, p. 283.
{1747} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 465.
{1748} V. Pečatnov, Stalin, Roosevelt…, p. 245.
{1749} S. Beria, Beria…, p. 141.
{1750} Ibid.
{1751} V. W. Leonhard, Spuren Suche, Köln 1992/1994, Kiepenheuer &
Witsch, p. 270-271.
{1752} Ibid., p. 78.
{1753} L. Reschin, General von Seydlitz, Berlin, Bechtermüntz, 1995,
p. 8.
{1754} G. R. Ueberschär (dir.), Das Nationalkomitee Freies Deutschland
und der Bund Deutscher Offiziere, Francfort/Main, Geschichte Fischer,
1996, p. 32, 80-82 ; voir aussi dans ce recueil Jörg Morré, « Das Institut
99 », p. 133-137.
{1755} L. Reschin, General von…, p. 10-11.
{1756} N. Khruščev, Vremia Ljudi Vlast, p. 441.
{1757} G. Dimitrov, The Diaries of Georgi…, p. 242.
{1758} L. Reschin, General von…, p. 9.
{1759} P. Erler, H. Laude, M. Wilke, « Nach Hitler kommen wir », Berlin,
Akademie Verlag, 1994, p. 30-42.
{1760} Ibid., p. 45-49.
{1761} A. Applebaum, Goulag, p. 478.
{1762} Sur Gouralski, voir N. Nikandrov, Grigulevič, p. 155-156 ; et
Mikhaïl Panteleiev, « Abraham Gouralski. Itinéraire d’un kominternien »,
Communisme, n° 53-54, 1998, p. 73-92. Sur les communistes allemands,
voir Jacques Droz (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier
international. L’Allemagne, Paris, Éd. Ouvrières, 1990.
{1763} P. Sudoplatov, Specoperacii, p. 173.
{1764} N. B. Gisevius, Bis zum bittern Ende, Zurich, Fretz & Wasmut,
1946, p. 259.
{1765} http://www.nsa.gov/public_info/_files/venona/1943/5jul_randolph.
pdf
{1766} H. Zolling, H. Höhne, Le Réseau Gehlen, Paris, Calmann-Lévy,
1973, p. 55-56.
{1767} http://www.nsa.gov/public_info/_files/venona/1943/3may_vlasov.
pdf
{1768} H. Bungert, Das Nationalkomitee und der Westen, Stuttgart, Franz
Steiner Verlag, 1997, p. 39.
{1769} Selon le témoignage d’Anton Ackermann, son départ pour la
Bulgarie en 1945 contribua à la détérioration des relations entre le Comité
et les dirigeants soviétiques. Voir V. Schoenhals, The Free Germany
Movement, Greenwood Press, 1989, p. 39.
{1770} Wolfgang Leonhard, Die Revolution entlässt ihre Kinder, Köln,
Kiepenheuer & Witsch, 1957.
{1771} Bodo Scheurig, Freies Deutschland, Munich, Nymphenburger
Verlagshandlung, 1961, p. 83.
{1772} W. Leonhard, Spuren Suche, Köln, Kiepenheuer & Witsch, 1992-
1994, p. 78.
{1773} FRUS, 1943, vol. 3, p. 530.
{1774} G. Dimitrov, The Diaries of Georgi…, p. 279-280.
{1775} Helmut Müller-Enbergs, « Das Manifest des NKFD vom 13 Juli
1943 », dans G. Ueberschär, Das Nationalkomitee…, p. 93-101.
{1776} M. Veyrier, La Wehrmacht rouge, Paris, Julliard, 1970, p. 66.
{1777} I. Fleischhauer, Die Chance des Sonderfriedens, Berlin, Siedler,
1986, p. 182.
{1778} Voir à ce propos R. Bassett, Hitler’s Spy Chief, p. 261.
{1779} P. Erler, H. Laude, M. Wilke, « Nach Hitler… », p. 66.
{1780} Heinrich Graf von Einsiedel, Der rote Graf, Frankfurt/Oder, Frank
Schumann, 1994, p. 39.
{1781} Klemens von Klemperer, Die verlassenen Verschwörer : der
deutsche Widerstand auf der Suche nach Verbündeten, 1938-1945, Berlin,
Siedler, 1994, p. 221.
{1782} W. Leonhard, Die Revolution entlässt…, p. 273.
{1783} H. Graf von Einsiedel, Der rote Graf, p. 43.
{1784} Ibid., p. 17.
{1785} En 1944, le NKVD autorisa la préparation d’une conférence des
prêtres catholiques et des pasteurs luthériens de l’armée allemande. Voir
V. A. Kozlov, S. V. Mironenko, « Osobaja papka » I.V. Stalina, p. 28.
{1786} B. Scheurig, Freies Deutschland, p. 111 ; et B. Ihme-Tuchel, « Der
Arbeitskreis für kirchliche Fragen beim NKFD », dans G. Ueberschär
(dir.), Das Nationalkomitee…, p. 64-65.
{1787} M. Veyrier, La Wehrmacht rouge, p. 73.
{1788} B. Scheurig, Freies Deutschland, p. 141.
{1789} « Za Germaniu, protiv Gitlera ! Dokumenty », Voprosy Istorii,
n° 3, 1995, p. 168.
{1790} Voir par exemple L. Reschin, General von…, p. 20-22.
{1791} Walther von Seydlitz, Stalingrad. Konflikt und Konsequenz,
Oldenburg, 1977, p. 280.
{1792} N. P. Patrušev (dir.), Načalo, t. 2, p. 163.
{1793} L. Reschin, « General v. Seydlitz, der BDO und die Frage einer
deutschen Befreiungsarmee unter Stalin », dans G. Ueberschär, Das
Nationalkomitee…, p. 226.
{1794} H. Bungert, Das Nationalkomitee…, p. 25 ; H. Graf von Einsiedel,
Der rote Graf, p. 50.
{1795} Quelques mois plus tard, les généraux qui participaient au complot
contre Hitler verront dans la Wehrmacht « le noyau des forces armées
européennes ». Voir L. Bezymenski, Tretii Front, Moscou, APN, 2003,
p. 312.
{1796} L. Reschin, General von…, p. 32-35.
{1797} H. Bungert, Das Nationalkomitee…, p. 29.
{1798} H. Graf von Einsiedel, Der rote Graf, p. 50.
{1799} Ibid., p. 127.
{1800} L. Reschin, General von…, p. 39.
{1801} K. P. Schoenhals, The Free Germany Movement, p. 40-45 ;
L. Reschin, General von…, p. 48.
{1802} L. Rešin, « Die Bemühungen um den Eintritt von
Generalfeldmarschall Paulus in das NKFD und den BDO im Spiegel
Moskauer Akten », dans G. Ueberschär (dir.), Das Nationalkomitee…,
p. 227.
{1803} L. Reschin, General von…, p. 40.
{1804} S. Beria, Beria…, p. 142.
{1805} L. Babicenko, « Zur Neubewertung der Zusammenarbeit des
Zentralkomitees ders KPdsU und anderer sowjetischer Stellen mit dem
NKFD und dem BDO », dans G. Ueberschär (dir.), Das Nationalkomitee…,
p. 87-88.
{1806} W. Semjonow, Von Gorbachev…, p. 159.
{1807} P. Erler, H. Laude, M. Wilke, « Nach Hitler… », p. 304-310.
{1808} FRUS, 1943, vol. 3, p. 555.
{1809} J. et L. Schecter, Sacred Secrets, Washington, Brassey’s, 2002,
p. 98-99.
{1810} A. Polonsky (dir.) The Great Powers…, p. 145.
{1811} http://www.nsa.gov/public_info/_files/venona/1943/9aug_newswe
ek.pdf
{1812} FRUS, 1943, vol. 3, p. 557.
{1813} H. Bungert, Das Nationalkomitee…, p. 211-215.
{1814} Une note du NKGB datée du 20 mai 1943 signale que le Vatican
souhaite plus que tout la préservation de la machine militaire allemande,
qui doit, selon lui, avec la monarchie des Habsbourg, former l’ossature de
la future Fédération européenne. Voir N. P. Patrušev (dir.), Sekrety operacii
« Citadel », t. 1, p. 484.
{1815} I. Fleischhauer, Die Chance des Sonderfriedens, p. 197.
{1816} Istočnik, n° 0, 1993, p. 88-89.
{1817} M. Veyrier, La Wehrmacht rouge, p. 92.
{1818} http://www.nsa.gov/public_info/_files/venona/1943/31oct_new_ge
rman_gov.pdf
{1819} H. Bungert, Das Nationalkomitee…, p. 45.
{1820} P. Grose, Gentleman Spy, p. 203.
{1821} L. Reschin, « Die Bemühungen um… », p. 228-229.
{1822} N. B. Gisevius, Bis zum bittern…, p. 304.
{1823} Ibid., p. 109 ; Ulrike Hörster-Philipps, Joseph Wirth 1879-1956.
Eine politische Biographie, Paderborn, Ferdinand Schöningh, 1998,
p. 548 ; Gilbert Merlio, Les Résistances allemandes à Hitler, Paris,
Tallandier, 2003, p. 287.
{1824} Istoričeski Arkhiv, n° 5, 1994, p. 141.
{1825} V. P. Grose, Gentleman Spy, p. 213.
{1826} L. Reschin, General von…, p. XIX.
{1827} Istoričeski Arkhiv, n° 5, 1994, p. 145.
{1828} L. Babičenko, « Zur Neubewertung der… », p. 89, 91.
{1829} W. Leonard, Die Revolution entlässt…, p. 259.
{1830} Heinrich Gerlach, Odyssée en rouge, Paris, Presses de la Cité,
1968.
{1831} Istoričeski Arkhiv, n° 5, 1994, p. 149-157.
{1832} B. Scheurig, Freies Deutschland, p. 133.
{1833} Istoričeski Arkhiv, n° 5, 1994, p. 158-159.
{1834} Ces documents sont publiés dans Istoričeski Arkhiv, n° 5, 1994,
p. 139-164.
{1835} K. Schoenhals, The Free Germany…, p. 123.
{1836} G. Ueberschär (dir.), Das Nationalkomitee…, p. 47, n. 23.
{1837} C. Müller, Stauffenberg, Düsseldorf, Droste Verlag, 2003, p. 405.
{1838} M. Veyrier, La Wehrmacht rouge, p. 199.
{1839} T. K. Gladkov, Lift v razvedku, p. 377.
{1840} K. Schoenhals, The Free Germany…, p. 93-95.
{1841} W. Leonhard, Die Revolution entlässt…, p. 278. Pour l’adhésion de
Paulus au BDO, voir L. Reschin, « Die Bemühungen um… », dans
G. Ueberschär (dir.), Das Nationalkomitee…, p. 239-250.
{1842} S. Beria, Beria…, p. 140.
{1843} T. K. Gladkov, Lift v razvedku, p. 377.
{1844} H. Höhne, Der Krieg im Dunkel, p. 473.
{1845} R. Ivanov, Stalin i sojuzniki, Smolensk, Veče, 2000, p. 452.
{1846} J. Goebbels, Journal, 1943-1945, Paris, Tallandier, 2005, p. 696
(Note du 6 février 1945).
{1847} L. Bezymenski, Tretii Front, p. 325.
{1848} L. Reschin, General von…, p. VIII.
{1849} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 18, f. 23.
{1850} W. Leonhard, Spuren Suche, p. 89.
{1851} http://www.nsa.gov/public_info/_files/venona/1945/8apr_oppositi
on_movements.pdf
{1852} GARF, Osobaja papka Stalina f.r. -9401, op. 2, d. 99.
{1853} N. V. Petrov, Ivan Serov, p. 93-94.
{1854} L. Reschin, General von…, p. XII.
{1855} Rapport d’A. Kobulov, 30 novembre 1949, Istoričeski Arkhiv, n° 5,
1994, p. 163.
{1856} Le Monde, 11 octobre 1955.
{1857} H. Bungert, Das Nationalkomitee…, p. 289.
{1858} W. Semjonov, Von Stalin bis Gorbatschow…, p. 229.
{1859} M. Veyrier, La Wehrmacht rouge, p. 244.
{1860} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 36, f. 156-8.
{1861} H. Bungert, Das Nationalkomitee…, p. 281, 272.
{1862} SDECE n° 0/00621/235/EPDA 1.00.105/SR, p. 85.
{1863} GARF, Osobaja papka Stalina f.r. -9401, op. 2, d. 92.
{1864} H. Bungert, Das Nationalkomitee…, p. 74.
{1865} James Srodes, Allen Dulles…, p. 360.
{1866} Archives de la préfecture de police. BA 1994 27 699.
{1867} W. A. Harriman, Special Envoy, New York, Random House, 1975.
Voir aussi W. Casey, La Guerre secrète contre Hitler, Paris, Robert
Laffont, 1991, p. 100 : « Nous étions de plus en plus nombreux à
considérer la doctrine de reddition inconditionnelle comme un boulet. »
{1868} N. B. Gisevius, Bis zum bittern…, p. 272.
{1869} K. von Klemperer, Die verlassenen Verschwörer…, p. 272.
{1870} V. F. Lewis, Red Pawn : the Story of Noel Field, New York,
Doubleday, 1965.
{1871} Robert Harris Smith, OSS, University of California Press, 1972,
p. 218 ; H. Bungert, Das Nationalkomitee…, p. 200-201. Donovan disait :
« Je ferais financer Staline par l’OSS si je pensais que cela pourrait
contribuer à la défaite de Hitler », ibid., p. 203.
{1872} Svoboda avait fait partie de l’organisation fascisante l’Union des
légionnaires, voir Narodnaja Pravda, janvier 1951, p. 24-25.
{1873} V. Mar’ina, « Čekhoslovackie vojnskie časti v SSSR », Novaja i
Noveišaja Istoria, n° 3, 2010, p. 84-85.
{1874} J. Klimkowski, Byłem adjutantem…, p. 194.
{1875} V. Mar’ina, « Čekhoslovackie vojnskie… », p. 90.
{1876} Le NKVD aurait mis la main sur son journal intime, dans lequel il
ne cachait pas sa piètre opinion des dirigeants soviétiques, et l’aurait fait
chanter. Voir F. Moravec, Master of Spies, p. 227.
{1877} F. Polak, « Kak Čekhoslovakia stala satellitom », Narodnaja
Pravda, janvier 1951, p. 24-27.
{1878} S. Beria, Beria…, p. 146.
{1879} Ibid.
{1880} V. Mar’ina, « Sovetskij Sojuz i Čekhoslovakia. 1945 god », Novaja
i Noveisaja Istoria, n° 3, 2005, p. 41-42.
{1881} W. A. Harriman, Special Envoy…, p. 246.
{1882} Camil Ring, Staline m’a dit, Paris, Creator, 1952, p. 33.
{1883} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1939…, p. 409.
{1884} Ibid., p. 426-429.
{1885} S. Beria, Beria…, p. 276.
{1886} Ibid., p. 140.
{1887} W. von Seydlitz, Stalingrad. Konflikt und Konsequenz, p. 355.
{1888} Note du Centre à « Kent » (Gourevitch), 30 août 1944. Voir
Vladimir Lota, « Bez prava na ošibku », Moscou, Molodaja Gvardia, 2005,
p. 144, 149.
{1889} R. Bassett, Hitler’s Spy Chief, p. 251.
{1890} L. Trepper, Le Grand Jeu, p. 167-168.
{1891} Stanislav Peskov, « Muller i Beria protiv Kenta », Argumenty i
Fakty, n° 37, 1997.
{1892} Arkadi Vaksberg, Alexandra Kollontaï, Paris, Fayard, 1996, p. 427-
428.
{1893} W. Semjonow, Von Stalin bis Gorbatschow…, p. 54.
{1894} R. Bassett, Hitler’s Spy Chief, p. 252.
{1895} H. Höhne, Der Krieg im Dunkel, p. 422-433.
{1896} Magnus Ilmiarv, « Byl li vybor ? », Rossiiskaia Istoria, n° 4, 2008.
{1897} P. Kleist, Entre Hitler et Staline, Paris, Plon, 1953.
{1898} R. Bassett, Hitler’s Spy Chief, p. 254.
{1899} W. Semjonow, Von Stalin bis…, p. 138.
{1900} L. Bezymenski, Tretii Front, p. 361.
{1901} J. E. Haynes, H. Klehr, Venona, p. 8.
{1902} CIA, Kedia file, Release 2, 232.
{1903} Alexander Fischer, Sowjetische Deutschlandpolitik im zweiten
Weltkrieg, 1941-1945, Stuttgart, Anstalt, 1975.
{1904} FRUS, 1943, vol. 3, p. 668.
{1905} R. Bassett, Hitler’s Spy Chief, p. 254.
{1906} K. von Klemperer, Die verlassenen…, p. 220.
{1907} H. Höhne, Der Krieg im Dunkel, p. 424.
{1908} Les Américains l’apprirent le 13 août. Voir FRUS, 1943, vol. 3,
p. 687.
{1909} B. Martin, S. Lewandowska (dir.), Der Warschauer…, p. 43.
{1910} I. Fleischhauer, Die Chance des..., p. 177-178.
{1911} Ibid.
{1912} Ibid., p. 204.
{1913} Ibid., p. 187.
{1914} Ibid., p. 191-192.
{1915} FRUS, 1943, vol. 3, p. 690.
{1916} I. Fleischhauer, Die Chance des…, p. 193.
{1917} V. Sokolov, « Germanski posol v Moskve v 1934-1941 », Novaja i
Novešjaia Istoria, n° 2, 2010, p. 154-170.
{1918} J. Goebbels, Journal, 1943-1945, p. 245.
{1919} Ibid., p. 289.
{1920} Ibid., p. 292.
{1921} Ibid., p. 326 (Note du 27 octobre 1943).
{1922} I. Fleischhauer, Die Chance des…, p. 204. Un rapport du NKVD
daté du 9 décembre 1943, émanant de Stockholm, fait référence à une
conférence tenue en Allemagne au cours de laquelle Kleist aurait insisté
pour un changement de ministre des Affaires étrangères. Pressenti, Papen
aurait refusé ce poste pour des raisons de santé.
V. http://www.nsa.gov/public_info/_files/venona/1943/9dec_german_conf
erence.pdf
{1923} I. Fleischhauer, Die Chance des…, p. 202.
{1924} L. Bezymenski, Tretii Front, p. 354-358.
{1925} W. A. Harriman, Special Envoy…, p. 247.
{1926} W. Semjonow, Von Stalin bis…, p. 143.
{1927} http://www.nsa.gov/public_info/_files/venona/1943/17dec_semeno
v.pdf
{1928} W. Semjonow, Von Stalin bis…, p. 145.
{1929} Igor Ignatčenko, « Nemecki ‘‘drug’’ Sovetskovo Sojuza »,
Nezavisimoe Voennoe obozrenie, 17 février 2012.
{1930} D. Irving, Göring, le complice de Hitler, t. 1, p. 263 s., t. 2, p. 293-
295.
{1931} T. K. Gladkov, Korotkov, p. 220.
{1932} V. Peščerski, « Krasnaja kapella »…, p. 173.
{1933} E. M. Primakov (dir.), Očerki istorii rossiiskoj…, t. 3, p. 386-393 ;
V. Peščerski, « Krasnaja kapella »…, p. 97-105.
{1934} N. P. Patrušev (dir.), Krušenie blitzkriga, t. 1, p. 534-535.
{1935} B. Martin, S. Lewandowska (dir.), Der Warschauer…, p. 90.
{1936} D. E. Murphy, S. A. Kondrashev, G. Bailey, Battleground Berlin,
Yale, Yale University Press, 1997, p. 4.
{1937} Robert Harris Smith, OSS…, p. 202.
{1938} M. Allen, Himmler’s…, p. 165 s. En juin 1943, Schellenberg
proposa aux Britanniques la paix sur le front ouest et le remplacement de
Hitler par Himmler.
{1939} A. Cave Brown, « C », p. 564.
{1940} M. Allen, Himmler’s…, p. 168.
{1941} C. Müller, Stauffenberg, p. 211 s.
{1942} N. P. Patrušev (dir.), Sekrety operacii…, p. 175-179.
{1943} M. Allen, Himmler’s…, p. 179-181.
{1944} C. Müller, Stauffenberg, p. 320-323.
{1945} J. Fest, La Résistance allemande…, p. 189.
{1946} A. Cave Brown, « C », p. 564.
{1947} M. Allen, Himmler’s…, p. 129 ; Peter Tennant, Touchlines of War,
The University of Hull Press, 1992, p. 93.
{1948} Jacques Derogy, Raoul Wallenberg, Paris, Stock, 1994.
{1949} J. Fest, La Résistance allemande…, p. 214 ; L. Bezymenski,
Budapesti Messia…, p. 26.
{1950} Gill Bennett, Churchill’s Man…, p. 236-237.
{1951} I. Fleischhauer, Die Chance des…, p. 205.
{1952} L. Bezymenski, Budapesti Messia…, p. 26.
{1953} A. Cave Brown, « C », p. 587.
{1954} R. Dunlop, Donovan…, p. 450-451.
{1955} I. Fleischhauer, Die Chance des…, p. 230.
{1956} L. Bezymenski, Tretii Front, p. 300.
{1957} C. Müller, Stauffenberg, p. 398.
{1958} Ibid., p. 401.
{1959} Ibid., p. 421.
{1960} A. Cave Brown, The Last Hero…, p. 728-729.
{1961} I. Fleischhauer, Die Chance des…, p. 228.
{1962} L. Bezymenski, Tretii Front, p. 360.
{1963} I. Fleischhauer, Die Chance des..., p. 242-244.
{1964} Ibid., p. 236-241.
{1965} Ibid., p. 246, 252.
{1966} C. Müller, Stauffenberg, p. 239-240.
{1967} Hoover Institution Archives, Alexandre Dallin collection, Box 6,
Folder 6.
{1968} CIA, Kedia file, Release 2, 029.
{1969} CIA, Kedia file, Release 2, 174.
{1970} M. Veyrier, La Wehrmacht rouge, p. 163.
{1971} C. Müller, Stauffenberg, p. 405.
{1972} Mark Štejnberg, « Kinozvezdy Gitlera », Niezavisimoe voennoe
obozrenie, 9 juillet 2004.
{1973} N. B. Gisevius, Bis zum bittern…, p. 278-279.
{1974} Ibid., p. 280.
{1975} M. Veyrier, La Wehrmacht rouge, p. 156.
{1976} I. Fleischhauer, Die Chance des…, p. 237.
{1977} N. B. Gisevius, Bis zum bittern…, p. 280-281.
{1978} C. Müller, Stauffenberg, p. 395. Field l’avait mis en contact avec
Dulles. Voir J. Srodes, Allen Dulles…, p. 330.
{1979} N. B. Gisevius, Bis zum bittern…, p. 319-329.
{1980} I. Fleischhauer, Die Chance des…, p. 249.
{1981} H. Bungert, Das Nationalkomitee…, p. 156-157, 227-228.
{1982} Ce point de vue est développé par C. Müller dans sa biographie de
Stauffenberg. Voir C. Müller, Stauffenberg, p. 358 s.
{1983} Alexander Vassiliev’s Notebooks, White Notebook, 1, p. 96-97.
{1984} M. Veyrier, La Wehrmacht rouge, p. 184. Von Trott était
effectivement un russophile proche de Schulenburg. Voir I. Fleischhauer,
Die Chance des…, p. 203.
{1985} Le Feldmarschall Witzleben déclara par exemple :
« Personnellement j’ai toujours cru qu’il nous serait plus facile de trouver
une entente avec les Soviets qu’avec les puissances occidentales, mais cela
ne veut pas dire que je sois lié d’une manière quelconque au Comité
Allemagne libre », Istočnik, n° 1, 1998, p. 148.
{1986} Ceci est rapporté par le NKVD le 25 août 1944.
http://www.nsa.gov/public_info/_files/venona/1944/25aug_diplomatic_rep
orting.pdf
{1987} « Novy istočnik po istorii zagovora protiv Gitlera 20 julia
1944… », Novaja i Novejšaia Istoria, n° 3, 2002, p. 152.
{1988} Ibid., p. 125.
{1989} M. Veyrier, La Wehrmacht rouge, p. 178.
{1990} I. Fleischhauer, Die Chance des…, p. 246, 252-253.
{1991} « Novy istočnik po istorii… », p. 148-179.
{1992} K. von Klemperer, Die verlassenen…, p. 352.
{1993} H. Bungert, Das Nationalkomitee…, p. 156.
{1994} R. Dunlop, Donovan…, p. 453.
{1995} B. Martin, S. Lewandowska (dir.), Der Warschauer…, p. 52-53.
{1996} N. P. Patrušev (dir.), Načalo, t. 2, p. 155.
{1997} Alexander Vassiliev’s Notebooks, Black Notebook, p. 178.
{1998} N. P. Patrušev (dir.), Krušenie blitzkriga, t. 1, p. 439-440.
{1999} http://www.nsa.gov/public_info/_files/venona/1943/6jun_coverna
mes.pdf
{2000} http://www.nsa.gov/public_info/_files/venona/1943/17jul_zayats.p
df
{2001} Alexander Vassiliev’s Notebooks, White Notebook, 3, p. 135-136.
{2002} L. Bezymenski, Budapesti Messia…, p. 26.
{2003} http://www.nsa.gov/public_info/_files/venona/1942/13apr_waldme
r_von_oppenheim.pdf
{2004} L. Bezymenski, Budapesti Messia…, p. 25.
{2005} K. von Klemperer, Die verlassenen…, p. 300, 329 ; V. I. Trubnikov
(dir.), Očerki istorii rossiiskoj…, t. 4, p. 197-198.
{2006} La traduction de ces documents a été adressée à Malenkov,
Istočnik, n° 1, 1998, p. 142-153.
{2007} L. Bezymenski, Budapesti Messia…, p. 26.
{2008} V. I. Trubnikov (dir.), Očerki istorii rossiiskoj…, p. 158.
{2009} Cl. et D. Pierrejean, Les Secrets de l’Affaire Wallenberg, Paris,
L’Harmattan, 1998, p. 215.
{2010} P. et A. Soudoplatov, Missions spéciales, p. 331-333 ;
Z. Voskresenskaja, E. Šarapov, Tajna Zoi Voskresenskoj, Moscou, Olma-
Press, 1998 ; V. I. Trubnikov (dir.), Očerki istorii rossiiskoj…, p. 158.
{2011} J. Srodes, Allen Dulles…, p. 219.
{2012} Cl. et D. Pierrejean, Les Secrets de l’Affaire…, p. 191.
{2013} J. T. Sinitsyn, Resident svidetelstvuet, p. 255-264 ; J. Derogy,
Raoul Wallenberg, Stock, 2001.
{2014} L. Bezymenski, Budapesti Messia…, p. 26.
{2015} Ibid., p. 53-58.
{2016} Cl. et D. Pierrejean, Les Secrets de l’Affaire…, p. 70-71.
{2017} Ibid., p. 145.
{2018} Ibid., p. 19.
{2019} L. Bezymenski, Budapesti Messia…, p. 9.
{2020} L’un d’entre eux lui dit même : « Vous ne connaîtrez jamais les
circonstances réelles et la cause de la mort de Raoul Wallenberg », ibid.,
p. 133.
{2021} J. T. Sinitsyn, Rezident svidetelsvuet, p. 256-264
{2022} Le cas Wallenberg rappelle celui de V. N. Iline, chef du
Département politique secret du NKGB, arrêté par Abakoumov en avril
1943. V. Iline, qui était un protégé de Beria à cause de ses liens avec
l’intelligentsia, fut incarcéré à la Loubianka, mais ni Beria ni Merkoulov
ne purent le faire libérer avant la chute d’Abakoumov. Voir T. K. Gladkov,
Lift v razvedku, p. 424.
{2023} L. Bezymenski, Budapesti Messia…, p. 116.
{2024} Ibid., p. 117-118.
{2025} Ibid., p. 151.
{2026} Ibid., p. 149.
{2027} Ibid., p. 150.
{2028} A. Beevor, The Mystery of Olga…, p. 199-204.
{2029} L. Bezymenski, Budapesti Messia…, p. 137-138.
{2030} A. Sudoplatov, Tajnaja žizn…, p. 274.
{2031} L. Bezymenski, Budapesti Messia…, p. 123-124.
{2032} Il est curieux que des détenus de la prison de Vladimir –
Gogoberidzé, Charia et Munters – affirmèrent plus tard que Wallenberg
était leur codétenu à l’époque de Khrouchtchev. Voir Cl. et D. Pierrejean,
Les Secrets de l’affaire…, p. 183.
{2033} G. Kostyrčenko, V plenu krasnovo…, p. 32.
{2034} Z. Voskresenskaja, E. Šarapov, Tajny Zoi Voskresenskoj, p. 95.
{2035} L. Rucker, Staline…, p. 297.
{2036} A. A. Danilov, A. V. Pyžikov, Roždenie sverkhderžavy, Moscou,
Rosspen, 2001, p. 54 ; Nikita Petrov, Po scenariu Stalina : rol’ organov
NKVD-MGB SSSR v sovetizacii stran central’noj I vostočnoj Evropy 1945-
1953 gg., Moscou, Rosspen, 2001, p. 238.
{2037} Ibid., p. 241.
{2038} MAE Europe 1949-1955, Tchécoslovaquie 134, f. 16.
{2039} Ibid., f. 61-102.
{2040} Jiri Pelikan (dir.), The Czechoslovak Political Trials, Stanford
University Press, 1971, p. 47.
{2041} Ibid., p. 176.
{2042} N. Petrov, Po scenariu Stalina…, p. 196-201.
{2043} Lettre à Youri Jdanov le 6 octobre 1949, citée dans D. G. Nadjafov,
Z. S. Belousova, Stalin i kosmopolitism, p. 516.
{2044} S. Beria, Beria…, p. 265.
{2045} A. Mikojan, Tak bylo, 1999, p. 513.
{2046} GARF, Osobaja papka Stalina f.r. -9401, op. 2, d. 97.
{2047} S. S. Montefiore, The Court…, p. 483.
{2048} Ju. N. Žukov, Tajny…, p. 337.
{2049} V. Ju. Rubcov, Alter ego Stalina, p. 47.
{2050} V. O. Pečatnov, « Moskovskoe posolstvo Averella Harrimana
(1943-1946) », Novaja i Novejšaja Istoria, n° 4, 2002, p. 122.
{2051} A. Mikojan, Tak bylo, p. 464.
{2052} Pour tout ce qui concerne les réorganisations du pouvoir en URSS
de 1945 à 1952, voir Yu. N. Žukov, « Borba za vlast v rukovodstve SSSR v
1945-1952 godakh », Voprosy Istorii, n° 1, 1995 ; et la contribution de Yu.
Joukov au colloque sur Khrouchtchev dont les Actes ont été publiés en
1994 par la Fondation Gorbatchev.
{2053} V. I. Demidov, Leningradskoe delo, p. 310.
{2054} A. I. Kokurin, « Novy kurs L.P. Beria », Istoričeskij Arkhiv, n° 4,
1996, p. 159.
{2055} V. O. Pečatnov, « Sojuzniki nažimajut na tebia dlia tovo, čtoby
slomit u tebia voliu », Istočnik, n° 2, 1999, p. 73.
{2056} Ibid., p. 74-75.
{2057} Ibid., p. 76.
{2058} V. I. Demidov, Leningradskoe delo, p. 24.
{2059} Ju. N. Žukov, Tajny…, p. 364.
{2060} V. Roj et Z. Medvedev, Neizvestny Stalin, Moscou, Vremia, 2007,
p. 20, 66.
{2061} C’est l’hypothèse de Boris Sokolov auquel nous allons souvent
nous référer ici. B. Sokolov, Narkomy strakha, p. 222-238.
{2062} Peter Grose, Operation Rollback, p. 82.
{2063} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 31, f. 179.
{2064} V. O. Pečatnov, « Moskovskoe posolstvo… », p. 139.
{2065} B. Sokolov, Narkomy strakha, p. 228.
{2066} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 18, f. 90.
{2067} Ibid., f. 115.
{2068} Ibid., f. 130.
{2069} Youri Aksioutin, « Piatyj premjer », Rodina, n° 5, 1994, p. 81-88.
{2070} N. V. Petrov, Ivan Serov, p. 64.
{2071} Ju. N. Žukov, Tajny…, p. 365.
{2072} B. Sokolov, Narkomy strakha, p. 230.
{2073} V. Pečatnov, Stalin, Roosevelt, Truman…, p. 397.
{2074} V. O. Pečatnov, « Sojuzniki nažimajut na… », p. 82.
{2075} J. Brent, V. Naumov, Stalin’s Last Crime, p. 68.
{2076} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 8, f. 115.
{2077} V. O. Pečatnov, « Sojuzniki nažimajut na… », p. 83.
{2078} A. A. Danilov, A. V. Pyžikov, Roždenie sverkhderžavy, Moscou,
Rosspen, 2001, p. 200.
{2079} B. Sokolov, Narkomy strakha, p. 232.
{2080} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 8, f. 113bbbb.
{2081} O. Khlevnjuk (dir.), Politburo CK VKP (b), p. 195.
{2082} B. Sokolov, Narkomy strakha, p. 232-234.
{2083} O. Khlevnjuk (dir.), Politburo CK VKP (b)…, p. 198.
{2084} B. Sokolov, Narkomy strakha, p. 237.
{2085} V. O. Pečatnov, « Štrikhi k portretu genseka », Istočnik, n° 3, 2000,
p. 97-98.
{2086} B. Sokolov, Narkomy strakha, p. 236.
{2087} O. Khlevnjuk (dir.), Politburo CK VKP (b)…, p. 201.
{2088} D. G. Nadjafov, Z. S. Belousova, Stalin i kosmopolitism, p. 37 ;
O. Khlevnjuk (dir.), Politburo CK VKP (b)…, p. 197.
{2089} Cette interprétation des changements du printemps 1946 doit
beaucoup aux analyses de Boris Nicolaevski dans Socialističeski Vestnik,
18 avril 1946, p. 88-89.
{2090} Rudolf G. Pikhoia, Sovetskii sojuz, 2000, p. 45.
{2091} A. Mikojan, Tak bylo, p. 564.
{2092} O. Khlevnjuk, I. Gorlicki, Kholodny mir, Moscou, Rosspen, 2011,
p. 39.
{2093} O. Khlevnjuk (dir.), Politburo CK VKP (b)…, p. 25-26.
{2094} V. I. Demidov, Leningradskoe delo, p. 31-33.
{2095} T. K. Gladkov, Lift v razvedku, p. 124.
{2096} A. Vaksberg, Vychinski…, p. 201.
{2097} O. Khlevnjuk (dir.), Politburo CK VKP (b)…, p. 195.
{2098} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 18, f. 154 et 210.
{2099} V. Roj et Z. Medvedev, Neizvestny Stalin, p. 355.
{2100} O. Khlevnjuk, I. Gorlicki, Kholodny mir, p. 74.
{2101} Viktor Naumov, Juri Sigačev, Lavrenti Beria, p. 109.
{2102} Épisode narré par Serov à son gendre. Voir E. Khrucki,
« Khrustalëv, mašinu ! », Soveršenno Sekretno, octobre 2005.
{2103} S. S. Montefiore, The Court..., p. 472.
{2104} Ibid., p. 550.
{2105} Z. P. Šarapov, Naum Eitingon, karajuščii meč Stalina, SPb, Neva,
2003, p. 102-105 ; D. Prokhorov, O. Lemekhov, Perebežšiki, p. 117-120.
{2106} N. P. Patrušev (dir.), Sekrety operacii « Citadel », p. 288-289.
{2107} D. F. Bobkov, KGB i Vlast, Moscou, “Veteran MP”, 1995, p. 99.
{2108} O. S. Smyslov, General Abakumov, Moscou, Vece, 2005, p. 203.
{2109} M. Čebrikov (dir), Istoria sovetskich organov gosudarstvennoj
bezopasnosti, Moscou, Vysšaja krasnoznamennaja škola KGB, 1977,
p. 346.
{2110} GARF, Osobaja papka Stalina f.r. -9401, op. 2, d. 98.
{2111} P. et A. Soudoplatov, Missions spéciales, p. 211.
{2112} K. Stoljarov, Palači i žertvy, Moscou, Olma-Press, 1997, p. 111 ;
M. Parrish, The Lesser Terror, Westport, Praeger, 1996, p. 106 ; A. Liskin,
« Zapiski voennovo jurista », Ščit i meč, 11 février 1993.
{2113} P. et A. Soudoplatov, Missions spéciales, p. 209.
{2114} Z. Voskresenskaja, E. Šarapov Tajny Zoi Voskresenskoj, Moscou,
Olma Press, 1998, p. 188.
{2115} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1939…, p. 461.
{2116} https ://www.cia.gov/library/center-for-the-study-of-
intelligence/csi-publications/books-and-monographs/venona-soviet-
espionage-and-the-american-response-1939-1957/10.gif
{2117} The Zarubin file, https ://www.cia.gov/library/center-for-the-
study-of-intelligence/csi-publications/books-and-monographs/venona-
soviet-espionage-and-the-american-response-1939-1957/20f.gif. Et aussi
J. E. Haynes, H. Klehr, Venona, p. 44-45.
{2118} C. Andrews, V. Mitrokhin, The Mitrokhin Archive, p. 142.
{2119} http://www.nsa.gov/public_info/_files/venona/1943/25jun_maksi
m.pdf
{2120} Ibid.
{2121} S. Beria, Beria…, p. 250.
{2122} P. et A. Soudoplatov, Missions spéciales, p. 250.
{2123} Alexander Vassiliev’s Notebooks, Black Notebook, p. 182-183.
{2124} N. Nikandrov, Grigulevič, Moscou, Molodaja Gvardia, 2005,
p. 318-320.
{2125} The Zarubin file, https ://www.cia.gov/library/center-for-the-
study-of-intelligence/csi-publications/books-and-monographs/venona-
soviet-espionage-and-the-american-response-1939-1957/20f.gif
{2126} P. et A. Soudoplatov, Missions spéciales, p. 40.
{2127} http://foia.fbi.gov/foiaindex/soble_j.htm
{2128} http://www.nsa.gov/public_info/_files/venona/1944/10aug_soviet_
defector_kravchenko.pdf
{2129} Gary Kern, The Kravchenko Case : One Man’s war on Stalin, New
York, Enigma Press, 2007.
{2130} M. Milštejn, « O predatel’stve veka », Soveršenno Sekretno, n° 3,
1995, p. 24-25.
{2131} Alexander Vassiliev’s Notebooks, Yellow Notebook, 1, p. 34.
{2132} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 433.
{2133} http://www.nsa.gov/public_info/_files/venona/1946/7apr_reissue_
guzenko.pdf
{2134} Alexander Vassiliev’s Notebooks, Black Notebook, p. 76.
{2135} Ibid., p. 184.
{2136} Boris Morros, My Ten Years, p. 32, 36.
{2137} Alexander Vassiliev’s Notebooks, White Notebook, 1, p. 1-15.
{2138} Ibid., 2, p. 23-25.
{2139} Ibid., p. 32.
{2140} On sait peu de choses de cet organisme et Mironenko a laissé des
témoignages sujets à caution. Voir http://rutube.ru/tracks/3047256.html ?
autoStart=true&bmstart=1000
{2141} V. Loginov, Teni Stalina, Moskva, Sovremennik, 2000, p. 132-133.
{2142} Lettre du 1er décembre 1945, dans A. N. Jakovlev (dir.),
Ljubjanka, 1939…, p. 544-545.
{2143} O. S. Smyslov, General Abakumov, p. 293.
{2144} V. Kutuzov, « Mërtvaja Petlja Abakumova », Rodina, n° 3, 1998,
p. 86-90.
{2145} N. Petrov, « Kak Beria vošël v doverie », Novaja gazeta, n° 42,
21 avril 2010, p. 22.
{2146} P. et A. Soudoplatov, Missions spéciales, p. 299, 391.
{2147} T. K. Gladkov, Korotkov, p. 388.
{2148} Note de Merkoulov à Khrouchtchev, 21 juillet 1953, dans
I. D. Kovalcenko (dir.), Neizvestnaja Rossia..., t. III, Moscou,
“Istoričeskoe Nasledie”, 1993, p. 73.
{2149} K. Stoljarov, Igry v..., p. 84.
{2150} M. Čebrikov (dir.), Istoria sovetskikh organov, p. 460, 464.
{2151} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika, p. 291.
{2152} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 306.
{2153} O. Khlevnjuk (dir.), Politburo CK VKP (b)…, p. 208-209.
{2154} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 301.
{2155} A. Mgueladzé, Stalin. Kakim ja evo znal, Tbilissi, 2001, p. 66.
{2156} A. V. Kiselëv, Stalinskii favorit s Lubjanki, Moscou, Olma-Press,
2003, p. 48.
{2157} S. S. Montefiore, The Court..., p. 551.
{2158} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 235.
{2159} Aleksej Barinov, « Zvezda i smert Zoi Fedorovoj », Argumenty i
Fakty, n° 24, 23 décembre 2004 ; et http://taina.aib.ru/biography/zoja-
fedorova.htm ; et aussi B. Sopelnjak, « Zagnannykh lošadej
pristrelivajut », Soveršenno Sekretno, n° 6, 1995.
{2160} Vladimir Lota, « Alta » protiv « Barbarossy », p. 356.
{2161} T. K. Gladkov, Korotkov, p. 392.
{2162} Ibid., p. 394.
{2163} P. et A. Soudoplatov, Missions spéciales, p. 445.
{2164} M. Čebrikov (dir), Istoria sovetskikh organov…, p. 457.
{2165} N. V. Petrov, Ivan Serov, p. 82.
{2166} R. G. Pikhoia, Sovetskii sojuz…, p. 62.
{2167} Ibid., p. 57.
{2168} C. Andrews, V. Mitrokhin, The Mitrokhin Archive, p. 140-141.
{2169} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 363-364.
{2170} Pour le programme nucléaire soviétique, voir David Holloway,
Stalin and the Bomb, Yale, Yale University Press, 1994 ; P. et
A. Soudoplatov, Missions spéciales, p. 221-277 ; J. et L. Schecter, Sacred
Secrets, Washington, Brassey’s, 2002 ; Nigel West, Mortal Crimes, New
York, Enigma Books, 2004. Voir aussi Cold War International History
Project (CWIHP), Woodrow Wilson Center for Scholars, Washington, DC,
n° 6-7, 1996 ; et V. Roj et Z. Medvedev, Neizvestny Stalin, p. 80-157.
{2171} N. West, Mortal Crimes…, p. 19.
{2172} S. Beria, Beria…, p. 246.
{2173} D. Holloway, Stalin and the Bomb, p. 115.
{2174} Alexander Vassiliev’s Notebooks, Yellow Notebook, 1, p. 68.
{2175} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1939…, p. 336-338.
{2176} E. P. Velikhov, Ju. V. Gaponov, « Igor Vasilevic Kurčatov »,
Voprosy istorii estestvoznaniia i tekhniki, n° 3, 2009, p. 3-42.
{2177} Ibid., p. 129.
{2178} M. G. Pervukhin, « Kak byla rešena atomnaja problema v našej
strane », Novaja i Novejšaja Istoria, n° 5, 2001, p. 123.
{2179} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 385-386.
{2180} Alexander Vassiliev’s Notebooks, Black Notebook, p. 106-107.
{2181} Alexander Vassiliev’s Notebooks, Yellow Notebook, 1, p. 14.
{2182} Z. P. Šarapov, Naum Eitingon, karajuščii meč Stalina, Moscou,
SPb Neva, 2003, p. 117.
{2183} Les documents personnels de Beria concernant le projet nucléaire
n’ont pas été déclassifiés.
{2184} Témoignage de Soudoplatov, CWIHP, n° 5, printemps 1995,
p. 156.
{2185} John Earl Haynes, Harvey Klehr, Alexander Vassiliev, Spies, Ann
Arbor, Yale University Press, 2009.
{2186} V. Lota, « Kliuči ot ada », Soveršenno sekretno, n° 8, 1999 ;
E. P. Velikhov, Ju. V. Gaponov, « Igor Vasilevič Kurčatov », p. 3-42.
{2187} V. Roj et Ž. Medvedev, Neizvestny Stalin, p. 133.
{2188} Ibid., p. 92.
{2189} « Frederic Joliot Curie i sovetskie jadernye issledovania »,
Voprosy Istorii, n° 1, 2004, p. 5-10.
{2190} V. A. Kozlov, S. V. Mironenko, « Osobaja papka » I.V. Stalina,
p. 110.
{2191} S. Beria, Beria…, p. 249.
{2192} P. et A. Soudoplatov, Missions spéciales, p. 254.
{2193} V. Roj et Z. Medvedev, Neizvestny Stalin, p. 94.
{2194} Ju. N. Žukov, Tajny…, p. 355.
{2195} Aux États-Unis, 125 000 personnes travaillaient au projet
nucléaire. Voir V. Roj et Z. Medvedev, Neizvestny Stalin, p. 96.
{2196} V. Zubok, C. Pleshakov, Inside the Kremlin’s..., p. 43.
{2197} Alexander Vassiliev’s Notebooks, Black Notebook, p. 115.
{2198} V. Zubok, C. Pleshakov, Inside the Kremlin’s…, p. 44.
{2199} S. Kremljëv, Beria, lučšij manadžer XX veka, Moscou, Eksmo,
2008, p. 613.
{2200} A. A. Danilov, A. V. Pyžikov, Roždenie sverkhderžavy, p. 114.
{2201} P. et A. Soudoplatov, Missions spéciales, p. 257.
{2202} S. Beria, Beria…, p. 249.
{2203} Ž. Medvedev, « Atomnyj Gulag », Voprosy istorii, n° 1, 1001,
p. 44-59.
{2204} E. P. Velikhov, Ju. V. Gaponov, « Igor Vasilevič Kurčatov », p. 3-
42.
{2205} Déposition de V. A. Makhnev le 11 juillet 1953 dans
O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 84.
{2206} N. K. Bajbakov, Ot Stalina do Elcina, Moscou, GazOIL Press,
1998, p. 97.
{2207} V. Nekrasov, Beria…, p. 229, 237.
{2208} B. Sokolov, Istrebljonnye maršaly, Smolensk, Rusič, 2000, p. 454.
{2209} V. Nekrasov, « Lavrentii Beria », Sovetskaja Milicija, n° 3, 1990,
p. 18.
{2210} S. Kremljëv, Beria…, p. 415-416.
{2211} Ibid., p. 525.
{2212} P. et A. Soudoplatov, Missions spéciales, p. 260.
{2213} B. Sokolov, Istrebljonnye marsaly, p. 453.
{2214} Andreï Sakharov, Mémoires, Paris, Éd. du Seuil, 1990, p. 169.
{2215} P. et A. Soudoplatov, Missions spéciales, p. 236.
{2216} S. Kremljëv, Beria, lučšij manadžer…, p. 564-565.
{2217} S. Beria, Beria…, p. 252.
{2218} V. B. Adamskii, Ju. N. Smirnov, « Julii Borisovic Khariton »,
Voprosy Istorii, n° 10, 1997.
{2219} Interfaks AIF, 26 août 1999.
{2220} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 392.
{2221} V. Roj et Z. Medvedev, Neizvestny Stalin, p. 118.
{2222} N. K. Bajbakov, Ot Stalina do Elcina, p. 99.
{2223} Interview de Pervoukhine par G. A. Koumanev, Novaja i Novejšaja
Istoria, n° 5, 2003, p. 129.
{2224} V. Roj et Z. Medvedev, Neizvestny Stalin, p. 97.
{2225} S. Beria, Beria…, p. 253.
{2226} V. Roj et Z. Medvedev, Neizvestny Stalin, p. 112.
{2227} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 368-370.
{2228} P. et A. Soudoplatov, Missions spéciales, p. 237-238.
{2229} Ju. N. Smirnov, « I. Kurčatov i vlast », Voprosy istorii
estestvoznaniia i tekhniki, n° 1, 2003, p. 42.
{2230} V. Ševeljov, « Sekretny Khariton », Moskovskie Novosti, 17 août
1999.
{2231} D. Holloway, Stalin and the Bomb, p. 211.
{2232} A. Kononovič, « Režim sekretnosti kak sposob zaščity ot
durakov », Nezavisimaja Gazeta, 29 juillet 1997.
{2233} G. V. Kostyrčenko, V plenu…, p. 276-277.
{2234} S. Kremljëv, Beria…, p. 539.
{2235} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 609.
{2236} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 1013.
{2237} Alexander Vassiliev’s Notebooks, Yellow Notebook, 1, p. 32-35.
{2238} Ibid., p. 34.
{2239} Yuri Smirnov, « The KGB mission to Niels Bohr : its real
“success” », CWIHP, n° 4, automne 1994, p. 55.
{2240} Ibid., p. 56.
{2241} Témoignage de Georgi Egnatachvili dans V. Loginov, Teni Stalina,
p. 31.
{2242} Durant l’été 1950 les Soviétiques parvinrent à produire de
l’uranium 235 enrichi à 90 %. C’est probablement de ce succès qu’il est
question ici. Voir V. Kornev, Atomnoe nasledie Stalina, Moscou, Paleia,
2001, p. 48.
{2243} V. Loginov, Teni Stalina, p. 133.
{2244} Ibid., p. 38.
{2245} N. Khruščev, Vremia…, t. 2, p. 31.
{2246} Ibid., p. 56.
{2247} Ibid., p. 57.
{2248} A. Mgueladzé, Stalin…, Tbilissi, 2001, p. 147.
{2249} N. Khruščev, Vremia…, t. 2, p. 35.
{2250} W. Semjonow, Von Stalin…, p. 286.
{2251} S. S. Montefiore, The Court of…, p. 632.
{2252} Ju. N. Žukov, Tajny…, p. 549.
{2253} Joseph et Steward Alsop, « The aging tyrant », New York Herald
Tribune, 13 avril 1949.
{2254} M. Parrish, The Lesser Terror, p. 216 ; V. I. Demidov,
Leningradskoe delo, Lenizdat, 1990, p. 61.
{2255} G. V. Kostyrčenko, V plenu…, p. 177-206.
{2256} Ju. N. Žukov, Tajny…, p. 506 ; O. Khlevnjuk (dir.), Politburo CK
VKP (b)…, p. 66-67.
{2257} V. I. Demidov, Leningradskoe delo, p. 64.
{2258} N. Khruščev, Vremia…, t. 2, p. 29.
{2259} R. G. Pikhoia, Sovetskii sojuz…, p. 52.
{2260} N. Khruščev, Vremia…, t. 1, p. 110.
{2261} A. Mikojan, Tak bylo, p. 567.
{2262} N. Khruščev, Vremia…, t. 2, p. 31.
{2263} A. Mikojan, Tak bylo, p. 560-561 ; V. I. Demidov, Leningradskoe
delo, p. 302.
{2264} Ju. N. Žukov, Tajny…, p. 507.
{2265} Des purges ont lieu dans les ministères. Voir G. V. Kostyrčenko, V
plenu…, p. 258-259.
{2266} Ibid., p. 293.
{2267} K. Stoljarov, Igry v…, p. 70.
{2268} V. I. Demidov, Leningradskoe delo, p. 263.
{2269} K. Stoljarov, Igry v…, p. 88, 98 ; et aussi L. Mlečin, KGB,
predsedateli organov bezopasnosti, Moscou, Centrpoligraf, 2002, p. 318.
{2270} V. I. Demidov, Leningradskoe delo, p. 157.
{2271} Ju. N. Žukov, Tajny…, p. 527.
{2272} R. G. Pikhoia, Sovetskii sojuz…, p. 52.
{2273} N. Khruščev, Vremia…, t. 2, p. 25.
{2274} V. I. Demidov, Leningradskoe delo, p. 37-39.
{2275} Ibid., p. 40.
{2276} N. Khruščev, Vremia…, t. 2, p. 22.
{2277} Récit de Mikhaïl Smirtioukov, fonctionnaire du Conseil des
ministres, Kommersant-Vlast’, 2 août 2000.
{2278} Témoignage d’un des codétenus de Mamoulov. Voir O. Volin, « S
berievcami vo vladimirskoj tjurme », Minuvšee, Atheneum, 1989, p. 365.
{2279} A. A. Danilov, A. V. Pyžikov, Roždenie sverkhderžavy, Moscou,
Rosspen, 2001, p. 59.
{2280} K. Stoljarov, Igry v…, p. 68.
{2281} Nikita Petrov, Po scenariu Stalina…, p. 189.
{2282} Ibid., p. 191.
{2283} M. Rakosi, « Mémoires », Istoričeski Arkhiv, n° 3, 1997, p. 110.
{2284} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 269.
{2285} Ibid., p. 270-271.
{2286} Ju. N. Žukov, Tajny…, p. 523.
{2287} B. I. Želicki, « Tragičeskaja sud’ba Laslo Rajka”, Novaja i
Novejšaja Istoria, n° 3, 2001, p. 166-186.
{2288} N. Petrov, Po scenariu Stalina…, p. 193.
{2289} Voir le témoignage inédit de Brankov, « Affaire Rajk : le
témoignage d’un survivant », Communisme, n° 26-27, 1990, p. 29-45.
{2290} N. Petrov, Po scenariu Stalina…, p. 212.
{2291} G. P. Muraško, « Delo Slanskovo », Voprosy Istorii, n° 3, 1997,
p. 3-20 et n° 4, 1997, p. 3-18.
{2292} N. Petrov, Po scenariu Stalina…, p. 213.
{2293} A. F. Noskova, « Moskovskie sovetniki v stranakh vostočnoj
Evropy », Voprosy Istorii, n° 1, 1998, p. 104-113.
{2294} J. Pelikan (dir.), The Czechoslovak Political Trials, Stanford
University Press, 1971, p. 76.
{2295} N. Petrov, Po scenariu Stalina…, p. 214-216.
{2296} J. Pelikan (dir.), The Czechoslovak…, p. 72.
{2297} Secrétaire du Parti de la région de Brno, accusé en 1950
d’espionnage en faveur des Occidentaux.
{2298} R. Levy, Ana Pauker, University of California Press, 2001.
{2299} Alexander Vassiliev’s Notebooks, Yellow Notebook, 1, p. 94.
{2300} N. V. Petrov, Ivan Serov, p. 101.
{2301} L. Mlečin, Osobaja Papka, p. 125.
{2302} Ju. N. Žukov, Tajny…, p. 552-553.
{2303} L. Mlečin, KGB, predsedateli…, p. 324.
{2304} K. Stoljarov, Igry v…, p. 84.
{2305} B. Pjadyšev, « Guy Burgess », Meždunarodnaja žizn’, n° 2, 2005,
p. 9.
{2306} J. Pelikan (dir.), The Czechoslovak…, p. 102.
{2307} J. Brent, V. Naumov, Stalin’s…, 2003, p. 99.
{2308} A. Lustiger, Stalin and…, p. 218.
{2309} J. Brent, V. Naumov, Stalin’s…, p. 179.
{2310} Ibid.
{2311} K. Stoljarov, Igry v…, p. 108 ; aussi P. et A. Soudoplatov, Missions
spéciales, p. 371 ; A. G. Malenkov, O mojom otse Georgii Malenkove,
Moscou, Fermer, 1992 p. 55 ; Ju. N. Žukov, Tajny…, p. 558.
{2312} A. I. Kokurin, N. V. Petrov, Ljubjanka 1917-1991, Moscou,
Meždunarodny fond « Demokratia », 2003, p. 659. On trouve le texte
intégral de la lettre de Rioumine dans cet ouvrage, p. 658-660.
{2313} O. Khlevnjuk (dir.), Politburo CK VKP (b)…, p. 344.
{2314} N. V. Petrov, Ivan Serov, p. 103.
{2315} A. Liskin, « Zapiski voennovo jurista », Ščit i meč, 1er janvier
1993.
{2316} O. Khlevnjuk (dir.), Politburo CK VKP (b)…, p. 343-346.
{2317} A. I. Kokurin, N. V. Petrov, Ljubjanka 1917…, p. 661.
{2318} K. Stoljarov, Igry v…, p. 17.
{2319} MAE, Europe URSS 113, f. 81.
{2320} G. V. Kostyrčenko, V plenu…, p. 315.
{2321} L. Mlečin, Osobaja Papka, p. 126.
{2322} N. V. Petrov, Ivan Serov, p. 105.
{2323} Lietuvos ypatingasis Archyvas (Archives du ministère de la
Sécurité de Lituanie), f. k-1, ap. 3, d. 393, p. 85 ; ap. 8, d. 93, p. 171.
{2324} Ibid., d. 93, p. 82.
{2325} Ibid., d. 88, p. 20-22.
{2326} Ibid., p. 79-85.
{2327} L. Mlečin, Osobaja Papka, p. 119-121. Savtchenko avait été
promu après l’assassinat de l’évêque uniate Romja. Voir A. Sudoplatov,
Tajnaja žizn…, t. 2, p. 254-256.
{2328} P. A. Soudoplatov, Missions spéciales, p. 408-409.
{2329} D. F. Bobkov, KGB i Vlast, Moscou, Veteran MP, 1995, p. 127.
{2330} J. Brent, V. Naumov, Stalin’s…, p. 153.
{2331} M. Čebrikov (dir.), Istoria sovetskikh organov…, p. 458.
{2332} N. V. Petrov, Ivan Serov, p. 106.
{2333} J. Brent, V. Naumov, Stalin’s…, p. 176-177.
{2334} Durant l’après-guerre, le 5e Département était chargé de revoir les
« affaires classées dans les archives de façon injustifiée ». Voir
G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 457-458.
{2335} N. V. Petrov, Ivan Serov, p. 108.
{2336} G. P. Muraško, « Delo Slanskovo », Voprosy Istorii, n° 3, 1997,
p. 10-15.
{2337} N. Rubin, Lavrenti Beria…, p. 303.
{2338} J.-J. Marie, Les Derniers Complots…, p. 93.
{2339} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 431-433.
{2340} J. Brent, V. Naumov, Stalin’s…, p. 152.
{2341} N. Rubin, Lavrenti Beria…, p. 306.
{2342} R. G. Pikhoia, Sovetskii sojuz…, p. 69.
{2343} J. Brent, V. Naumov, Stalin’s…, p. 109.
{2344} K. Stoljarov, Igry v…, p. 49.
{2345} R. G. Pikhoia, Sovetskii sojuz…, p. 72-73.
{2346} K. Stoljarov, Igry v…, p. 54.
{2347} Ibid., p. 55.
{2348} Ibid., p. 59.
{2349} Lettre de Poloukarpov à Khrouchtchev, 13 juillet 1953, dans
O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 165.
{2350} J. Brent, V. Naumov, Stalin’s…, p. 130.
{2351} K. Stoljarov, Igry v…, p. 50.
{2352} O. Khlevnjuk, I. Gorlicki, Kholodny mir, Moscou, Rosspen, 2011,
p. 165.
{2353} S. Kremljëv, Beria…, p. 667.
{2354} Ju. N. Žukov, Tajny…, p. 540 ; S. Kremljëv, Beria…, p. 492-493.
{2355} N. Petrov, Po scenariu Stalina…, p. 230-231.
{2356} T. K. Gladkov, Korotkov, p. 396-397.
{2357} A. A. Danilov, A. V. Pyžikov, Roždenie sverkhderžavy, Moscou,
Rosspen, 2001, p. 69.
{2358} A. Sudoplatov, Tajnaja žizn…, p. 229, 233.
{2359} S. J. Zaloga, Target America, Presidio, 1993, p. 129.
{2360} Mémoires de Rakosi, dans Istoričeski Arkhiv, n° 5-6, 1997, p. 7.
{2361} Karel Kaplan, Dans les archives du Comité central, Paris, Albin
Michel, 1978, p. 165.
{2362} R. Levy, Ana Pauker, p. 197.
{2363} A. A. Danilov, A. V. Pyžikov, Roždenie sverkhderžavy, p. 87-88.
{2364} G. Wettig, Stalin and the Cold War in Europe, Landham, Rowman
& Littlefield, 2008, p. 212.
{2365} R. Levy, Ana Pauker, p. 197.
{2366} J. Pelikan (dir.), The Czechoslovak Political Trials, p. 100.
{2367} E. Scherstjanoi, « Vyzrevanie političeskovo krizisa v GDR v 1953
godu », Novaja i novejšaja istoria, n° 2, 2006, p. 37-38.
{2368} S. Beria, Beria…, p. 319.
{2369} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 89.
{2370} Ibid., p. 90.
{2371} S. Beria, Beria…, p. 324.
{2372} Ja. Golovanov, « N. Doležal », Komsomolskaja Pravda, 28 octobre
1999.
{2373} S. Beria, Beria…, p. 324.
{2374} G. V. Kostyrčenko, V plenu…, p. 288.
{2375} L. Mlečin, KGB, predsedateli…, p. 311.
{2376} A. A. Danilov, A. V. Pyžikov, Roždenie sverkhderžavy, p. 94.
{2377} V. Zubok, C. Pleshakov, Inside the Kremlin’s…, p. 75.
{2378} Ibid., p. 72.
{2379} S. Beria, Beria…, p. 316.
{2380} Ibid., p. 317.
{2381} Voenno-istoričeskii Žurnal, n° 1, 1995.
{2382} Voenno-istoričeskii Žurnal, n° 2, 1993.
{2383} S. Beria, Beria…, p. 318.
{2384} A. M. Filitov, « SSSR i GDR, god 1953 », Voprosy Istorii, n° 7,
2000, p. 123.
{2385} MAE, Europe 1944-1960, sous-série URSS, 140, f. 120.
{2386} Ibid., 141, f. 253.
{2387} Ibid., 115, f. 110.
{2388} Ibid., 140, f. 21.
{2389} Ibid., 140, f. 111.
{2390} Ibid., 140, f. 115.
{2391} K. Larres, Churchill’s Cold War, Yale, Yale University Press, 2002,
p. 159. Pour tout cet épisode, voir ibid. p. 158-161.
{2392} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 140, f. 62.
{2393} A. Mikojan, Tak bylo, p. 529-531.
{2394} Socialističeski Vestnik, juin 1950, p. 103.
{2395} Alexis Schiray, « La Conférence économique internationale de
Moscou », Politique étrangère, 1952, n° 2, p. 57.
{2396} À partir d’avril 1943, Grigorian fut membre du collège du MID
jusqu’à la chute de Beria.
{2397} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 141, f. 266.
{2398} Ibid., 173, f. 88.
{2399} Ibid., 172, f. 20 et f. 153.
{2400} A. Schiray, « La Conférence économique… », p. 50.
{2401} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 173, f. 67.
{2402} K. Larres, K. Osgood (dir.), The Cold War After Stalin’s Death,
Landham, Rowman & Littlefield, 2006, p. 215.
{2403} Ju. N. Žukov, Tajny..., p. 556.
{2404} A. Schiray, « La Conférence économique…», p. 59.
{2405} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 140, f. 133.
{2406} M. Višnjak, « Očerednoj prjanik », Socialističeski Vestnik, n° 5,
1952, p. 79-81.
{2407} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 140, f. 191.
{2408} Ibid., f. 280, 298.
{2409} Ibid., f. 277-8.
{2410} Ju. N. Žukov, Tajny..., p. 564-565.
{2411} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 45, f. 62.
{2412} Ibid.
{2413} Pour l’affaire Malinine voir Joseph Alsop, « Matter of fact », The
New York Herald Tribune, 1er janvier 1954 ; D. E. Murphy,
S. A. Kondrashev, G. Bailey, Battleground…, p. 411-414 ; « Memorandum
[concerning Gen. Leonid A. Malinin] for the Director, Central
Intelligence, ca. 9 December 1947 (MORI : N° 144117) » dans Donald
P. Steury (dir.), On the Front Lines of the Cold War : Documents on the
Intelligence War in Berlin, 1946 to 1961, History Staff Center for the
Study of Intelligence, CIA, 1999,
http://www.cia.gov/csi/books/17240/index.html ; N. V. Petrov,
K. V. Skorkin, Kto rukovodil NKVD 1934-1941, Moscou, „Zvenja“, 1999,
p. 282 ; MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 37, f. 284.
{2414} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 44, f. 214.
{2415} Ibid., f. 248-249.
{2416} Socialističeski Vestnik, 15 avril 1947, p. 73.
{2417} S. Beria, Beria…, p. 328.
{2418} S. Dorril, MI6, p. 147-148.
{2419} Ibid., p. 155.
{2420} J. E. Haynes, H. Klehr, A. Vassiliev, Spies, p. 128.
{2421} Alexander Vassiliev’s Notebooks, Yellow Notebook, 3, p. 13.
{2422} Ibid., p. 39.
{2423} Ibid., p. 19.
{2424} http://foia.fbi.gov/foiaindex/soble_j.htm.
{2425} Alexander Vassiliev’s Notebooks, White Notebook, 2, p. 79.
{2426} Boris Morros, My Ten Years…, p. 86.
{2427} Si l’on en croit la date fournie dans ses Mémoires (B. Morros, My
Ten Years…, p. 3). Mais dans ses interviews en 1957 il affirmait être un
agent double depuis douze ans.
{2428} Alexander Vassiliev’s Notebooks, Yellow Notebook, 3, p. 29-30.
{2429} Ibid., p. 32.
{2430} Ibid., p. 26-29.
{2431} Ibid., p. 31.
{2432} B. Morros, My Ten Years…, p. 86.
{2433} Alexander Vassiliev’s Notebooks, Yellow Notebook, 3, p. 33-37.
{2434} FBI, file n° 100-HQ-202315 Section 38.
{2435} Ibid.
{2436} Ibid.
{2437} B. Morros, My Ten Years…, p. 151-157.
{2438} Ibid., p. 159.
{2439} Ibid., p. 175.
{2440} Ibid., p. 180.
{2441} Richard H. Cummings, Cold War Radio, McFarland Publishers,
2009, p. 8-9.
{2442} Gregory Mitrovich, Undermining the Kremlin, Cornell University
Press, 2000, p. 36.
{2443} Peter Grose, Operation Rollback, New York, Mariner Books, 2000,
p. 202.
{2444} Vojcek Mastny, The Cold War and Soviet Insecurity, Oxford
University Press, 1996, p. 120.
{2445} G. Mitrovich, Undermining…, p. 67.
{2446} Ibid., p. 59.
{2447} Ibid., p. 9.
{2448} Ibid., p. 6.
{2449} Ibid., p. 68-75.
{2450} Ibid., p. 117-120.
{2451} K. Larres, Churchill’s Cold War, p. 164.
{2452} G. Mitrovich, Undermining…, p. 81-82.
{2453} Pour cette partie, voir S. Melgunov, « Rasbitye illiusii », Rossiiskij
Demokrat, n° 1, 1951, p. 1-22.
{2454} Eugene Lyons, Our Secret Allies, New York/Boston, Arco, 1953,
p. 321.
{2455} Possev, n° 45, 11 novembre 1951. Pour la partie qui va suivre nous
avons utilisé de nombreuses publications et des tracts de l’émigration, qui
sont conservés dans les archives des mencheviks géorgiens au château de
Leuville.
{2456} Gene Sosin, Sparks of Liberty, Pennsylvania University Press,
1999, p. 2.
{2457} E. Lyons, Our secret…, p. 317.
{2458} P. Grose, Operation Rollback, p. 132-133 ; S. Švarc, « Posle
Visbadena », Socialističeski Vestnik, n° 12, 1951, p. 230-232.
{2459} P. Sudoplatov, Specoperacii…, p. 522.
{2460} S. Dorril, MI6, p. 497.
{2461} AMSEG, Plainte en cassation d’A. Méounarguia du 7 décembre
1952.
{2462} AMSEG, Affaire Tavadzé.
{2463} AMSEG, Affaire Tavadzé.
{2464} G. P. Kynin, J. Laufer (dir.), SSSR i germanskii vopros, 1941-1949,
t. 3, Moscou, Meždunarodnye otnošenia, 2000, p. 80.
{2465} Témoignage de Nelly Mdivani, ancienne secrétaire de
Kobakhidzé, recueilli par l’auteur ; et AMSEG, Affaire Tavadzé.
{2466} AMSEG, Affaire Gueguelia.
{2467} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 396-
399.
{2468} Archives présidentielles de Géorgie, f. 14, op. 20, d. 253.
{2469} Nous résumons ici les dossiers d’instruction de l’affaire Charia et
des procès des rapatriés (A. Nijeradzé, S. Tsitsichvili, G. Gueguelia)
découverts dans les archives du ministère de la Sécurité d’État de Géorgie.
{2470} AMSEG, Affaire Baramia. Baramia avait été nommé premier
secrétaire du PC d’Abkhazie en mars 1940.
{2471} S. Dorril, MI6, p. 211.
{2472} CIA, Kedia file, Release 2, 255.
{2473} Déposition de Gueguelia du 1er avril 1953, AMSEG, Affaire
Gueguelia.
{2474} Archives présidentielles de Géorgie, f. 14, op. 20, d. 253.
{2475} G. P. Kynin, J. Laufer (dir.), SSSR i germanskii vopros…, t. 3,
p. 409.
{2476} CIA, Kedia file, Release 2, 218-224.
{2477} A. Tchenkeli, « West must regain the initiative from Soviet
Russia », Daily Mail, 7 septembre 1948.
{2478} A. Tchenkeli, « The point of attack if we have to fight Russia »,
Daily Mail, 25 août 1948.
{2479} AMSEG, Affaire Gueguelia.
{2480} AMSEG, Affaire Charia, interrogatoire de Varden Jguenti du
31 mai 1952.
{2481} CIA, Kedia file, Release 2, 242.
{2482} Kim Philby, My Silent War, Londres, Panther, 1969, p. 128 s.
{2483} AMSEG, Affaire P. Roukhadzé.
{2484} Pour le côté britannique, voir Keith Jeffrey, MI6, 1909-1949,
Londres, Bloomsbury Publishing, 2010, p. 709-711.
{2485} AMSEG, Affaire Samkharadzé. Dépositions de N. Roukhadzé du
23 et du 30 mars 1954.
{2486} AMSEG, Plainte en cassation d’A. Méounarguia du 7 décembre
1952.
{2487} AMSEG, Plainte en cassation d’A. Méounarguia du 7 décembre
1952.
{2488} AMSEG, Affaire Gueguelia.
{2489} Déposition de Tavadzé le 29 août 1953, AMSEG, Affaire
Gueguelia.
{2490} Déposition de Gouzovski du 11 août 1953, AMSEG, Affaire
Gueguelia.
{2491} George McGhee Oral History Interview A :\Truman Library-
George C_McGhee Oral History Interview.htm.
{2492} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 140, f. 18.
{2493} V. Mastny, The Cold War and Soviet Insecurity, p. 120.
{2494} A. A. Fursenko, « Konec ery Stalina », Zvezda, n° 12, 1999.
{2495} W. Semjonow, Von Stalin bis…, p. 286.
{2496} D. T. Šepilov, « Vospominania », Voprosy Istorii, n° 3, 4 et 5, 1998.
Ici n° 6, 1998, p. 34.
{2497} O. Volin, « S berievcami vo vladimirskoj tjurme », Minuvšee,
Atheneum, 1989, p. 368.
{2498} K. Tcharkviani, Expériences vécues…, p. 665 (en géorgien).
{2499} AMSEG, Affaire Charia.
{2500} O. Khlevnjuk (dir.), Politburo CK VKP (b)…, p. 266-267.
{2501} C’est d’ailleurs peut-être en mesure de rétorsion que Beria fit
arrêter Ivan Fedosseev, intendant d’une des datchas de Staline. Serov mena
l’enquête et lui fit avouer que Vlassik voulait empoisonner Staline. Celui-
ci convoqua Fedosseev qui expliqua que ces aveux lui avaient été
extorqués sous la torture. Staline confia alors l’affaire à Abakoumov.
V. N. Rubin, Lavrenti Beria…, p. 317 ; V. Loginov, Teni Stalina, p. 138.
{2502} K. Stoljarov, Igry v…, p. 145.
{2503} Archives présidentielles de Géorgie, f. 14, op. 24, d. 283.
{2504} AMSEG, Affaire Gueguelia.
{2505} K. Stoljarov, Igry v…, p. 150.
{2506} S. Beria, Beria…, p. 334.
{2507} Note de Tchoubinidzé, AMSEG.
{2508} K. Stoljarov, Igry v…, p. 153-154.
{2509} N. Khruščev, Vremia…, t. 1, p. 382.
{2510} Ibid., t. 2, p. 81.
{2511} N. Zenkovič, Tajny ukhodjaščevo…, p. 72.
{2512} N. Khruščev, Vremia…, t. 2, p. 59.
{2513} A. Mgueladzé, Stalin…, p. 139.
{2514} N. Khruščev, Vremia…, t. 2, p. 59.
{2515} V. Loginov, Teni Stalina, p. 134.
{2516} K. Stoljarov, Igry v…, p. 205.
{2517} A. Mgueladzé, Stalin..., p. 142-143.
{2518} MAE Europe URSS 111, f. 123.
{2519} FRUS, vol. 8 (1952-1954), p. 1025.
{2520} A. Mgueladzé, Stalin..., p. 24.
{2521} K. Stoljarov, Igry v…, p. 151-152.
{2522} Ibid., p. 156.
{2523} Les archives de l’émigration géorgienne contiennent un échange
de lettres entre Gueguetchkori et l’amiral Stevens mentionné plus haut.
{2524} Archives de la préfecture de police, BA 2006 43 438.
{2525} Voir le récit enregistré de l’affaire mingrélienne par Tcharkviani,
recueilli par Toma Tchaguelichvili, auteur de la série télévisée « La
Géorgie au XXe s. ».
{2526} Cette décision sera annulée en avril 1953.
{2527} A. Mgueladzé, Stalin..., p. 123.
{2528} O. V. Khlevnjuk (dir.), Politburo CK VKP (b)…, p. 349-351.
{2529} Témoignage recueilli par l’auteur.
{2530} Archives présidentielles de Géorgie, f. 14, op. 25, d. 2.
{2531} Ibid., p. 18.
{2532} Archives présidentielles de Géorgie, f. 14, op. 25, d. 2, p. 90.
{2533} Ibid., p. 141.
{2534} Témoignage de A. Nijeradzé, AMSEG.
{2535} Archives présidentielles de Géorgie, f. 14, op. 25, d. 6.
{2536} Ibid.
{2537} Baramia avait soutenu une thèse intitulée : « Le rôle considérable
de Beria dans la défense du Caucase ». Voir. K. Stoljarov, Igry v…, p. 205.
{2538} D. Šepilov, Voprosy Istorii, n° 6, 1998, p. 34.
{2539} AMSEG, Affaire Rapava.
{2540} P. et A. Soudoplatov, Missions spéciales, p. 380, 399.
{2541} AMSEG, Affaire Chalva Berichvili.
{2542} P. et A. Soudoplatov, Missions spéciales, p. 397-401.
{2543} V. Naumov, Ju. Sigačev, Lavrenti Beria…, p. 34.
{2544} M. Parrish, The Lesser Terror, p. 240.
{2545} A. Mgueladzé, Stalin…, p. 105.
{2546} A. Mikojan, Tak bylo, p. 529-531.
{2547} V. I. Demidov, Leningradskoe delo, p. 170.
{2548} Archives présidentielles de Géorgie, f. 14, op. 25, d. 6, p. 42.
{2549} Témoignage de Nina Roukhadzé, recueilli par Georges Mamoulia.
{2550} Ibid., p. 158-159.
{2551} K. Stoljarov, Igry v…, p. 194.
{2552} AMSEG, Affaire Gueguelia. Lors du procès de Roukhadzé,
A. A. Gouzovski, l’ancien consul soviétique en France, témoignera que
Gueguelia avait été un agent irréprochable et celui-ci sera libéré en
décembre 1953.
{2553} K. Stoljarov, Igry v…, p. 156-157.
{2554} Ibid., p. 157.
{2555} N. V. Petrov, Ivan Serov, p. 112-113.
{2556} AMSEG, Affaire Gueguelia
{2557} AMSEG, Affaires Mataradzé, Tavadzé, Maximelichvili.
{2558} Nous utiliserons pour cette partie le dossier Chavdia conservé au
ministère de la Sécurité d’État de Géorgie (affaire n° 4404), ainsi que les
dossiers des rapatriés. Un grand nombre de ces procès-verbaux
d’interrogatoire étaient expédiés à Staline.
{2559} Témoignage de A. Nijeradzé, AMSEG.
{2560} C’est la version de Soudoplatov. Voir P. Sudoplatov,
Specoperacii…, p. 550.
{2561} K. Stoljarov, Igry v…, p. 206-209.
{2562} Archives présidentielles de Géorgie, f. 14, op. 27, d. 12, p. 97.
{2563} V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.), Lavrenti Beria…, p. 18.
{2564} AMSEG, Affaire Charia.
{2565} Ibid.
{2566} « Comment Staline a liquidé les républiques du Caucase du
Nord », Le Rassemblement ouvrier, 31 décembre 1948.
{2567} GARF, f. 9401, op. 2, d. 97, l. 139-142.
{2568} J. Etinger, « Palač v roli reformatora », Vremia MN, 26 juin 2003.
{2569} Ceci a été confirmé à l’auteur de ces lignes par Akaki Ramichvili,
fils de Noé Ramichvili.
{2570} V. Rtsiladzé (dir.), Les Géorgiens sous le drapeau…, p. 119-120
(en géorgien).
{2571} AMSEG, Affaire Kobakhidzé.
{2572} N. P. Patrušev (dir.), Načalo…, t. 1, p. 187.
{2573} AMSEG, Affaire Kobakhidzé. Kobakhidzé sera déporté à Perm
puis finalement autorisé à s’installer en Géorgie.
{2574} AMSEG, Affaire Kobakhidzé.
{2575} S. Beria, Beria…, p. 337.
{2576} S. S. Montefiore, The Court of…, p. 633.
{2577} AMSEG, Affaire Rapava.
{2578} AMSEG, Affaire Chalva Berichvili.
{2579} Ibid.
{2580} Interrogatoire de Chalva Berichvili du 28 avril 1952, AMSEG,
Affaire Rapava.
{2581} AMSEG, Affaire Rapava.
{2582} Note de S. Davlianidzé, l’adjoint de Rapava en 1944-1945, à
Roukhadzé sur Rapava (17 novembre 1951).
{2583} Archives présidentielles de Géorgie, f. 14, op. 31, d. 300, p. 10.
{2584} Voir Gaston Laroche [Boris Matline], On les nommait des
étrangers, Paris, Éditeurs français réunis, 1965.
{2585} R. G. Pikhoia, Sovetskii sojuz…, p. 73, 114.
{2586} O. Khlevnjuk (dir.), Politburo CK VKP (b)…, p. 352.
{2587} K. Stoljarov, Igry v…, p. 169.
{2588} N. Rubin, Lavrenti Beria…, p. 313.
{2589} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 236.
{2590} K. Stoljarov, Igry v…, p. 173.
{2591} V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.), Lavrenti Beria…, p. 31.
{2592} AMSEG, Affaire Baramia.
{2593} Archives présidentielles de Géorgie, f. 14, op. 26, d. 19.
{2594} S. Beria, Beria…, p. 338.
{2595} Archives présidentielles de Géorgie, f. 14, op. 26, d. 19, p. 95.
{2596} Ibid., d. 14.
{2597} Zaria Vostoka, 17 avril 1952.
{2598} N. Rubin, Lavrenti Beria…, p. 313.
{2599} N. Khruščev, Vremia..., t. 2, p. 60-61.
{2600} S. Beria, Beria…, p. 337.
{2601} V. Loginov, Teni Stalina, p. 135.
{2602} Ibid., p. 72.
{2603} L. Mlečin, KGB, predsedateli…, p. 340-341.
{2604} Ibid., p. 370. Dans les documents des archives de l’affaire
mingrélienne conservés à Tbilissi le nom de Beria n’apparaît pas.
{2605} S. Beria, Beria…, p. 342-343.
{2606} Cette rumeur a été rapportée à l’auteur de ces lignes par
A. Ramichvili qui la tenait de K. Chavichvili.
{2607} Lettre de K. Chavichvili au Comité exécutif du Conseil national
géorgien du 31 mai 1953 où il considère que Michel Kedia est l’agent de
Beria en Suisse (Archives de l’émigration géorgienne, Box R).
{2608} N. Khrouchtchev, Souvenirs, p. 240.
{2609} F. Tchouev, Conversations avec Molotov, Paris, Albin Michel,
1995, p. 267-269.
{2610} Arrêté le 12 mai 1952.
{2611} Propos recueillis par l’auteur.
{2612} Ces détails ont été fournis à l’auteur de ces lignes par Georges
Mamoulia qui les tenait de David Abachidzé, fils du poète Grigol
Abachidzé, témoin de ces événements. Le prétexte de la brouille fut la
décision de Mgueladzé de faire arrêter le chef du Komsomol Zodelava et
de déclencher une violente attaque contre les Jeunesses communistes de
Géorgie accusées d’« engouement pour l’histoire ancienne de la Géorgie
en négligeant de manière flagrante l’histoire du PC ». Or Roukhadzé était
opposé à l’arrestation de Zodelava.
{2613} Archives présidentielles de Géorgie, f. 14, op. 26, d. 380.
Mgueladzé en voulait à Kvirkvelia car, lors du XVe Congrès du Parti en
1949, celui-ci avait dénoncé les abus en Abkhazie (Archives du MGB de
Géorgie, Affaire I. I. Talakhadzé).
{2614} AMSEG, Affaire I. Talakhadzé.
{2615} O. Khlevnjuk (dir.), Politburo CK VKP (b)…, p. 356.
{2616} Archives présidentielles de Géorgie, f. 14, op. 27, d. 9.
{2617} Ibid., op. 26, d. 27, p. 41.
{2618} Archives présidentielles de Géorgie, f. 14, op. 18, d. 165.
{2619} K. Stoljarov, Igry v…, p. 177.
{2620} M. Parrish, The Lesser Terror, p. 239.
{2621} AMSEG, Affaire Baramia.
{2622} A. Mgueladzé, Stalin..., p. 99.
{2623} R. G. Pikhoia, Sovetskii sojuz…, p. 77.
{2624} Archives présidentielles de Géorgie, f. 14, op. 26, d. 27.
{2625} G. Mamoulia, « Les premières fissures de l’URSS d’après-guerre.
Le cas de la Géorgie et du Caucase du Sud 1946-1956 », Cahiers du monde
russe, n° 46/3, 2005, p. 604.
{2626} Lietuvos ypatingasis Archyvas (Archives du ministère de la
Sécurité de Lituanie), f. k-1, ap. 8, d. 88, p. 208.
{2627} W. Semjonow, Von Stalin bis…, p. 171.
{2628} Nikita Petrov, Po scenariu Stalina…, p. 6.
{2629} W. Semjonow, Von Stalin bis…, p. 271.
{2630} Ibid., p. 54.
{2631} G. P. Kynin, J. Laufer (dir.), SSSR i germanskii…, t. 2, p. 16.
{2632} W. Leonhard, Spuren Suche, Cologne, Kiepenheuer & Witsch,
1992-1994, p. 121-122.
{2633} G. P. Kynin, J. Laufer (dir.), SSSR i germanskii..., t. 2, p. 734-735.
{2634} Ibid., p. 803.
{2635} L. Mlečin, Osobaja Papka, p. 103.
{2636} G. P. Kynin, J. Laufer (dir.), SSSR i germanskii..., t. 3, p. 14.
{2637} L. Bezymenski, Operacia « Mif », Moscou, APN, 1995, p. 80.
{2638} T. K. Gladkov, Korotkov, p. 364.
{2639} V. Semjonov, « Iz dnevnika… V. S. Semjonova », Novaja i
novejšaia istoria, n° 3, 2004, p. 96.
{2640} N. V. Petrov, Ivan Serov, p. 59.
{2641} GARF, Osobaja papka Stalina f.r. -9401, op. 2, d. 98.
{2642} L. Bezymenski, Operacia « Mif ».
{2643} N. V. Petrov, Ivan Serov, p. 62.
{2644} W. Semjonow, Von Stalin bis…, p. 281.
{2645} T. K. Gladkov, Lift v razvedku, p. 398 ; T. K. Gladkov, Korotkov,
p. 337.
{2646} G. P. Kynin, J. Laufer (dir.), SSSR i germanskii…, t. 3, p. 32.
{2647} G. Dimitrov, The Diaries of Georgi…, p. 373.
{2648} N. Petrov, Po scenariu Stalina…, p. 25-26.
{2649} Ibid., p. 22.
{2650} G. P. Kynin, J. Laufer (dir.), SSSR i germanskii..., t. 3, p. 39.
{2651} Ibid., p. 186.
{2652} N. V. Petrov, Ivan Serov, p. 77.
{2653} W. Semjonow, Von Stalin bis…, p. 170-171.
{2654} The New York Herald Tribune, 19 mars 1949.
{2655} D. E. Murphy, S. A. Kondrashev, G. Bailey, Battleground…, p. 418.
{2656} A. N. Jakovlev (dir.), Ljubjanka, 1939…, p. 503.
{2657} GARF, Osobaja papka Stalina f.r. -9401, op. 2, d. 100.
{2658} D. E. Murphy, S. A. Kondrashev, G. Bailey, Battleground…, p. 31.
{2659} G. P. Kynin, J. Laufer (dir.), SSSR i germanskii…, t. 2, p. 14.
{2660} Ibid., p. 155.
{2661} B. Bonwetsch, G. Bordjugov, N. Naimark (dir.), SVAG 1945-1949,
Moscou, Rossia molodaja, 1994, p. 28-29.
{2662} W. Semjonow, Von Stalin bis…, p. 226.
{2663} G. P. Kynin, J. Laufer (dir.), SSSR i germanskii…, t. 2, p. 21.
{2664} Ibid., p. 309-310.
{2665} Voir à ce propos W. Leonhard, Spuren Suche, p. 163.
{2666} G. P. Kynin, J. Laufer (dir.), SSSR i germanskii…, t. 3, p. 37-38.
{2667} Norman Naimark, The Russians in Germany, Harvard University
Press, 1995, p. 43, 47.
{2668} W. Semjonow, Von Stalin bis…, p. 223.
{2669} G. P. Kynin, J. Laufer (dir.), SSSR i germanskii…, t. 2, p. 61.
{2670} Ibid. p. 255.
{2671} Ibid., p. 217.
{2672} N. Naimark, The Russians…, p. 20.
{2673} G. P. Kynin, J. Laufer (dir.), SSSR i germanskii…, t. 2, p. 24.
{2674} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 37, f. 31.
{2675} G. P. Kynin, J. Laufer (dir.), SSSR i germanskii…, t. 2, p. 21-22.
{2676} Note du 18 décembre 1945, ibid., p. 311.
{2677} W. Semjonow, Von Stalin bis…, p. 152.
{2678} Ibid., p. 154.
{2679} Wilfried Loth, Stalins ungeliebtes Kind, Berlin, Rowohlt, 1994,
p. 30.
{2680} N. Naimark, The Russians…, p. 48-49.
{2681} G. Raanan, International Policy Formation in the USSR, Archon,
1983, p. 32.
{2682} V. Kutuzov, « Mërtvaja petlja Abakumova », Rodina, n° 3, 1998,
p. 86-90.
{2683} W. Loth, Stalins ungeliebtes…, p. 50.
{2684} Ibid., p. 349-350.
{2685} N. Naimark, The Russians…, p. 281.
{2686} W. Semjonow, Von Stalin bis…, p. 274.
{2687} G. P. Kynin, J. Laufer (dir.), SSSR i germanskii…, t. 2, p. 749.
{2688} N. V. Petrov, Ivan Serov, p. 68-71.
{2689} GARF, f. 7317, op. 10, d. 37, p. 230.
{2690} N. Naimark, The Russians…, p. 192, 233.
{2691} Pour les intrigues menées par Abakoumov contre Joukov et Serov,
voir les documents publiés dans Voennyj Arkhiv, 1993, p. 175-245 ;
Voenno-istoričeskij Žurnal, n° 12, 1992 et n° 6 et 8, 1994.
{2692} G. P. Kynin, J. Laufer (dir.), SSSR i germanskii…, t. 2, p. 670.
{2693} B. Bonwetsch, G. Bordjugov, N. Naimark (dir.), SVAG 1945-1949,
p. 153.
{2694} N. Naimark, The Russians…, p. 404-405.
{2695} Pour ce rapport de Tioulpanov, voir B. Bonwetsch, G. Bordjugov,
N. Naimark (dir.), SVAG 1945-1949, p. 155-176.
{2696} Ibid., p. 69-71.
{2697} Ibid., p. 203.
{2698} D. E. Murphy, S. A. Kondrashev, G. Bailey, Battleground…, p. 404.
{2699} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 36, f. 132.
{2700} N. Naimark, The Russians…, p. 46, 63 ; G. P. Kynin, J. Laufer
(dir.), SSSR i germanskii…, t. 3, p. 35.
{2701} Ibid., p. 24-25.
{2702} Ibid., p. 251-252.
{2703} Ibid., p. 27.
{2704} N. Naimark, The Russians…, p. 340.
{2705} V. Rtsiladzé (dir.), Les Géorgiens sous le drapeau…, p. 217-218
(en géorgien).
{2706} Pour la politique allemande de Beria dans l’après-guerre, voir
S. Beria, Beria…, p. 285-291.
{2707} A. Knight, Beria…, p. 143 ; A. Suljanov, Arestovat’ v Kremle,
Minsk, Harvest, 1991, p. 224.
{2708} N. Naimark, The Russians…, p. 190.
{2709} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 48, f. 299.
{2710} N. Naimark, The Russians…, p. 238-250.
{2711} Ibid., p. 137.
{2712} N. Grišin, « Uran – oružie mira », Socialističeski Vestnik, juin-
juillet 1952, p. 113-115.
{2713} D. E. Murphy, S. A. Kondrashev, G. Bailey, Battleground…, p. 49.
{2714} W. Leonhard, Spuren Suche, p. 311.
{2715} G. P. Kynin, J. Laufer (dir.), SSSR i germanskii…, t. 3, p. 433.
{2716} Ibid., p. 475.
{2717} GARF, f. 7317, op. 10, d. 17.
{2718} D. E. Murphy, S. A. Kondrashev, G. Bailey, Battleground…, p. 9.
{2719} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 36, f. 185.
{2720} Ibid., f. 171.
{2721} Ibid., f. 175-175.
{2722} M. M. Narinski, « Berlinski Krisis 1948-1949 », Novaja i
novejšaja istoria, n° 3, 1995, p. 16-29.
{2723} GARF, f. 7317, op. 3, d. 1, p. 8-10.
{2724} G. P. Kynin, J. Laufer (dir.), SSSR i germanskii…, t. 3, p. 46-47.
{2725} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 37, f. 285.
{2726} D. E. Murphy, S. A. Kondrashev, G. Bailey, Battleground…, p. 33.
{2727} B. Bonwetsch, G. Bordjugov, N. Naimark (dir.), SVAG 1945-1949,
p. 210-215.
{2728} A. M. Filitov, Germanskii Vopros ot raskola k objedineniu,
Moscou, Meždunarodnye otnošenia, 1993, p. 104.
{2729} G. P. Kynin, J. Laufer (dir.), SSSR i germanskii…, t. 3, p. 582-583.
{2730} W. Leonhard, Spuren Suche, p. 218.
{2731} Ibid., p. 222.
{2732} GARF, f. 7317, op. 3, d. 1, p. 305.
{2733} W. Loth, Stalins ungeliebtes…, p. 135.
{2734} B. Bonwetsch, G. Bordjugov, N. Naimark (dir.), SVAG 1945-1949,
p. 218-219.
{2735} Lucius Clay, Guerre froide à Berlin, Paris, Berger-Levrault, 1950,
p. 398.
{2736} MfS SdM 2377 62.
{2737} W. Leonhard, Spuren Suche, p. 225.
{2738} H. Höhne, Der Krieg im Dunkel, p. 523.
{2739} GARF, f. 7317, op. 3, d. 1, p. 121-144.
{2740} GARF, f. 7317, op. 3, d. 1, p. 154-159.
{2741} GARF, f. 7317, op. 3, d. 1, p. 218.
{2742} GARF, f. 7317, op. 3, d. 1, p. 284-292.
{2743} Rapport de Rousskikh à Souslov, 12 janvier 1949 (GARF, f. 7317,
op. 3, d. 4).
{2744} GARF, f. 7317, op. 3, d. 4, p. 30-40.
{2745} T. K. Gladkov, Lift v razvedku, p. 401.
{2746} W. Loth, Stalins ungeliebtes…, p. 145.
{2747} D. E. Murphy, S. A. Kondrashev, G. Bailey, Battleground…, p. 70.
{2748} W. Loth, Stalins ungeliebtes…, p. 150.
{2749} N. Naimark, The Russians…, p. 56.
{2750} The New York Herald Tribune, 19 mars 1949.
{2751} GARF, f. 7317, op. 3, d. 4, p. 121-124.
{2752} N. Naimark, The Russians…, p. 57-59.
{2753} GARF, f. 7317, op. 3, d. 4, p. 125.
{2754} B. Bonwetsch, G. Bordjugov, N. Naimark (dir.), SVAG 1945-1949,
p. 232 ; G. P. Kynin, J. Laufer (dir.), SSSR i germanskii…, t. 3, p. 755.
{2755} B. Bonwetsch, G. Bordjugov, N. Naimark (dir.), SVAG 1945-1949,
p. 233-234.
{2756} Ibid., p. 238.
{2757} W. Semjonow, Von Stalin bis…, p. 273.
{2758} Ibid., p. 267, 274-275.
{2759} Ibid.
{2760} Karl Schirdewan, Aufstand gegen Ulbricht, Berlin, Aufbau, 1995,
p. 41.
{2761} MAE Europe 1949-1955, Allemagne, 417, f. 68.
{2762} Ibid., f. 106.
{2763} W. Loth, Stalins ungeliebtes…, p. 172.
{2764} MAE Europe 1949-1955, Allemagne, 417, f. 114.
{2765} Ibid., f. 129.
{2766} Ibid., f. 161.
{2767} Ibid., f. 195.
{2768} J. Zarusky (dir.), Die Stalin-Note von 1952, Munich, Oldenburg,
2002, p. 67-70.
{2769} Ibid., p. 72-73.
{2770} Ibid., p. 76-77.
{2771} Ibid., p. 125.
{2772} Ibid., p. 30.
{2773} Ibid., p. 45.
{2774} A. M. Filitov, Germanskii Vopros…, p. 143.
{2775} N. Petrov, Po scenariu Stalina…, p. 122-125.
{2776} S. Beria, Beria…, p. 291.
{2777} A. M. Filitov, Germanskii Vopros…, p. 146.
{2778} Ulrike Hörster-Philipps, Joseph Wirth…, p. 480 s.
{2779} Ibid., p. 554.
{2780} Ibid., p. 556.
{2781} The Rote Kapelle : The CIA’s… Alcoolique et vaniteux, partisan
depuis toujours de l’Ostpolitik, Wirth était une cible rêvée pour le NKVD.
{2782} U. Hörster-Philipps, Joseph Wirth..., p. 721-756.
{2783} Ibid., p. 739.
{2784} Ibid., p. 737.
{2785} Ibid., p. 740.
{2786} The Rote Kapelle…, p. 208.
{2787} U. Hörster-Philipps, Joseph Wirth..., p. 746.
{2788} Ibid., p. 765.
{2789} W. Semjonow, Von Stalin bis…, p. 274, 279.
{2790} A. Filitov, « Nota 10 marta 1952 : discussia, kotoraja nie
končaetsa », dans J. Zarusky (dir.), Stalin i Nemcy, Moscou, Rosspen,
2009, p. 216.
{2791} Ju. Kvicinski, « Rossia i Germania. Vospominania o buduščem »,
Naš sovremennik, n° 3, 2006, p. 189.
{2792} S. Kondrašëv, « Berlin 17 junja 1953 goda », Meždunarodnaja
žizn’, n° 6, 2003, p. 152.
{2793} R. Badstübner, W. Loth, Aufzeichnungen zur Deutschlandpolitik,
Berlin, 1994, p. 375-397.
{2794} N. Petrov, Po scenariu Stalina…, p. 72.
{2795} G. Wettig, Stalin and the Cold War…, p. 212.
{2796} Ilko-Sascha Kowalczuk, Armin Mitter, Stefan Wolle, Der Tag
X. Siebzehnter Juni 1953, Ch. Links Verlag, 1996, p. 306.
{2797} U. Hörster-Philipps, Joseph Wirth..., p. 824.
{2798} Éric Roussel, Jean Monnet, Paris, Fayard, 1996, p. 654.
{2799} U. Hörster-Philipps, Joseph Wirth..., p. 819.
{2800} MfS SdM 2377 72-98.
{2801} MfS SdM 2377 78.
{2802} MfS SdM 2377 80.
{2803} MfS SdM 2377 83.
{2804} SAPMO-BA DY30 IV 2/4/391.
{2805} Justine Faure, L’Ami américain, Paris, Tallandier, 2004, p. 235-
240.
{2806} D. E. Murphy, S. A. Kondrashev, G. Bailey, Battleground…, p. 148.
{2807} Ibid., p. 117.
{2808} G. Wettig, Stalin and the Cold War…, p. 221.
{2809} Karl Schirdewan, Aufstand…, p. 34. Schirdewan dirigeait l’organe
dirigeant du Parti et des organisations de masse, puis il fut en charge de la
politique des cadres et dut fournir au Comité central des informations sur
l’état d’esprit des membres du Parti et de la population.
{2810} Helmut Müller-Enbergs, Der Fall Rudolf Herrnstadt, Berlin, Links
Druck Verlag, 1991, p. 150.
{2811} H. Höhne, Der Krieg im Dunkel, p. 529.
{2812} R. Herrnstadt, Das Herrnstadt-Dokument. Das Politburo der SED
und die Geschichte des 17. Juni 1953, Berlin, Rowohlt, 1990, p. 264-278.
{2813} W. Leonhard, Spuren Suche, p. 177.
{2814} A. Lustiger, Stalin and the Jews, p. 270.
{2815} Ibid., p. 272-273.
{2816} Ibid., p. 270-272.
{2817} H. Höhne, Der Krieg im Dunkel, p. 528.
{2818} K. Schirdewan, Aufstand..., p. 46.
{2819} D. E. Murphy, S. A. Kondrashev, G. Bailey, Battleground..., p. 156.
{2820} H. Höhne, Der Krieg im Dunkel, p. 529.
{2821} M. Wolf, L’Homme sans visage, Paris, Plon, 1998, p. 67-69.
{2822} P. Przybylski, Tatort Politbüro, Berlin, Rowohlt, 1991-1992, p. 79.
{2823} A. Vaksberg, cité dans D. Holloway, Stalin & the Bomb, Yale
University Press, 1994, p. 292.
{2824} Ibid., p. 292.
{2825} L. Mlečin, KGB, predsedateli…, p. 311.
{2826} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 141, f. 69-74.
{2827} Ibid., f. 112.
{2828} Ibid., f. 113-114.
{2829} MAE Europe URSS 113, f. 53.
{2830} Projet de lettre à Louis Joxe rédigé en janvier 1953. MAE Europe
1944-1960, sous-série URSS, 141, f. 119.
{2831} Ibid., f. 111.
{2832} Louis Joxe 24 décembre 1952. MAE Europe 1944-1960, sous-série
URSS, 141, f. 45-47.
{2833} Ameryka-Echo, 18 janvier 1953.
{2834} K. Larres, Churchill’s Cold War, p. 185-186.
{2835} S. Beria, Beria…, p. 330.
{2836} A. S. Jakovlev, Cel’ žizni, Moscou, Političeskaja Literatura, 1987,
p. 375.
{2837} Plénum du 2-7 juillet 1953, dans Viktor Naumov, Juri Sigačev,
Lavrenti Beria…, p. 166.
{2838} Discours de Khrouchtchev aux communistes de Leningrad, 8 mai
1954, Istočnik, n° 6, 2003, p. 9.
{2839} D. Šepilov, Neprimknuvši, Moscou, Vagrius, 2001, p. 16.
{2840} O. S. Smyslov, General Abakumov, Moscou, Veče, 2005, p. 387-
388.
{2841} V. Loginov, Teni Stalina, p. 26, 54.
{2842} A. T. Rybin, Rjadom so Stalinym, Moscou, Veteran MP, 1992,
p. 53.
{2843} V. Loginov, Teni Stalina, p. 80-81.
{2844} N. Zenkovič, Pokušenia i inscenirovki, Moscou, Olma-Press, 1998,
p. 268.
{2845} J. Brent, V. Naumov, Stalin’s…, p. 241. Pour l’affaire Varfolomeev,
ibid., p. 235-248.
{2846} A. I. Mikojan, Tak bylo, p. 354.
{2847} J. Brent, V. Naumov, Stalin’s…, p. 105.
{2848} D. Šepilov, Neprimknuvšii, p. 228.
{2849} A. T. Rybin, Rjadom so Stalinym, p. 48.
{2850} MAE Europe URSS 111, f. 168.
{2851} Ibid., f. 180.
{2852} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 140, f. 229.
{2853} A. I. Mikojan, Tak bylo, p. 355.
{2854} N. Khrouchtchev, Souvenirs, p. 263.
{2855} Récit d’A. T. Rybine dans Molodaja Gvardia, n° 11, 2001, p. 52.
{2856} J. Brent, V. Naumov, Stalin’s…, p. 168.
{2857} Ibid., p. 13-21, 49-50, 87.
{2858} J. Etinger, « Palač v roli reformatora », Vremia MN, 26 juin 2003.
{2859} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 22, f. 223 ; voir aussi
MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 21, f. 74b.
{2860} J. Brent, V. Naumov, Stalin’s…
{2861} J. Brent, V. Naumov, Poslednee delo Stalina, Moscou, Izd-tvo
Prospekt, 2004, p. 143.
{2862} J. Brent, V. Naumov, Stalin’s…, p. 171.
{2863} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 637.
{2864} V. Loginov, Teni Stalina, p. 80-81.
{2865} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 637.
{2866} J. Brent, V. Naumov, Stalin’s…, p. 130.
{2867} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 469.
{2868} Ibid., p. 637.
{2869} J. Brent, V. Naumov, Stalin’s…, p. 193.
{2870} Ibid., p. 204.
{2871} G. V. Kostyrčenko, V plenu…, p. 305.
{2872} R. G. Pikhoia, Sovetskii sojuz…, p. 68.
{2873} A. A. Danilov, A. V. Pyžikov, Roždenie sverkhderžavy, Moscou,
Rosspen, 2001, p. 260.
{2874} N. Zenkovič, Pokušenia i inscenirovki, p. 191-193.
{2875} RGANI f 89, 18-21.
{2876} J. Brent, V. Naumov, Stalin’s…, p. 212.
{2877} Ibid., p. 135.
{2878} Jakov Etinger, « Vrači i ikh ubiicy », Soveršenno sekretno, n° 6,
2006.
{2879} Cold War International History Project, Virtual Archive,
http://www.wilsoncenter.org/topics/va2/docs/19520919_minconv_Stalin-
ZhouEnlai.pdf
{2880} N. Khruščev, Vremia…, t. 1, p. 630.
{2881} Ibid., p. 92.
{2882} J. Brent, V. Naumov, Stalin’s…, p. 220-221.
{2883} R. G. Pikhoia, Sovetskii sojuz…, p. 70.
{2884} N. Khruščev, Vremia…, t. 2, p. 95.
{2885} Dépêche du 23 septembre 1952, MAE Europe URSS 111, f. 258.
{2886} M. G. Pervukhin, « Korotko o perežitom », Novaja i Novejšaja
Istoria, n° 5, 2003, p. 140-148.
{2887} D. T. Šepilov, Neprimknuvšii, p. 32.
{2888} S. Beria, Beria…, p. 316.
{2889} D. T. Šepilov, Neprimknuvšii, p. 221.
{2890} A. Mikojan, Tak bylo, p. 569.
{2891} C’est la publication de l’opuscule de Staline qui convainquit
Ulbricht de lancer la « construction accélérée du socialisme en RDA ». En
novembre 1952, il entreprit d’éradiquer la petite propriété qui subsistait en
RDA. Voir Scherstjanoi E., « Vyzrevanie političeskovo krizisa v GDR v
1953 godu », Novaja i novejšaja istoria, n° 2, 2006, p. 41-42.
{2892} Déposition de B. Lioudvigov du 10 juillet 1953, dans
O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 65.
{2893} D. T. Šepilov, Neprimknuvšii, p. 221.
{2894} Voir la déposition de Poskrebychev le 11 juillet 1953 au Présidium
du Comité central, dans O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i
delo…, p. 41.
{2895} N. Khruscev, Vremia…, t. 2, p. 98.
{2896} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 114, f. 75.
{2897} A. Mikojan, Tak bylo, p. 572.
{2898} N. Khrouchtchev, Souvenirs, p. 265-266.
{2899} L’historien Jaurès Medvedev pense que Staline avait consulté
Souslov. Voir Ž. A. Medvedev, Stalin i evreiskaja…, p. 252.
{2900} Ce texte est extrait des notes prises par L. N. Efremov. Voir Dosje
Glasnosti, specvypusk 13 décembre 2001. Il n’existe pas de sténogramme
officiel de ce discours de Staline, qui jusqu’ici n’était connu que par le
récit de témoins comme Khrouchtchev, Mikoïan et Chepilov. Les notes
d’Efremov sont incomplètes si l’on compare sa version à celles des autres
témoins. Nous donnerons plus loin les passages du discours de Staline
cités par Mikoïan.
{2901} D. Šepilov, Voprosy Istorii, n° 3, 1998, p. 9.
{2902} L. Bezymenski, Tretii Front, p. 111.
{2903} A. Mikojan, Tak bylo, p. 574.
{2904} Ibid., p. 496-497.
{2905} Ibid., p. 575-576.
{2906} Ibid., p. 584.
{2907} N. Khruščev, Vremia…, t. 2, p. 103.
{2908} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 114, f. 4 ; f. 151.
{2909} A. Mikojan, Tak bylo, p. 577.
{2910} N. Khrouchtchev, Souvenirs, p. 281.
{2911} A. Mikojan, Tak bylo, p. 580.
{2912} D. T. Šepilov, Neprimknuvšii, p. 232.
{2913} W. Semjonow, Von Stalin…, p. 276-280.
{2914} J. Brent, V. Naumov, Stalin’s…, p. 218.
{2915} Ibid., p. 218-219.
{2916} Ibid., p. 218.
{2917} N. Khruščev, Vremia…, t. 2, p. 93.
{2918} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 649.
{2919} N. V. Petrov, Ivan Serov, p. 121.
{2920} J. Brent, V. Naumov, Stalin’s…, p. 134.
{2921} G. V. Kostyrčenko, V plenu…, p. 338.
{2922} Ju. N. Žukov, Tajny..., p. 581.
{2923} R. G. Pikhoia, Sovetskii sojuz…, p. 71.
{2924} Ce document fut découvert par Andropov qui l’envoya à Brejnev
le 15 avril 1973, accompagné d’une note où Andropov remarquait que
« toutes les remarques de Staline n’ont rien perdu de leur actualité ». Voir
Istočnik, n° 5, 2001, p. 130-131.
{2925} N. V. Petrov, Ivan Serov, p. 118-119.
{2926} D. E. Murphy, S. A. Kondrashev, G. Bailey, Battleground…, p. 46 ;
T. K. Gladkov, Korotkov, p. 410.
{2927} Ibid., p. 410-411.
{2928} N. V. Petrov, Ivan Serov, p. 122-123 ; J. Brent, V. Naumov,
Stalin’s…, p. 153-156.
{2929} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 657.
{2930} R. G. Pikhoia, Sovetskii sojuz…, p. 60.
{2931} J. Brent, V. Naumov, Stalin’s…, p. 269-271.
{2932} Ju. N. Žukov, Tajny…, p. 581 ; J.-J. Marie, Les Derniers
Complots…, p. 130-131 ; N. V. Petrov, Ivan Serov, p. 124.
{2933} Ibid., p. 124.
{2934} D. Šepilov, Voprosy Istorii, n° 6, 1998, p. 34 ; et Ju. N. Žukov,
Tajny..., p. 582.
{2935} A. A. Danilov, A. V. Pyžikov, Roždenie sverkhderžavy, p. 259.
{2936} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 658.
{2937} P. et A. Soudoplatov, Missions spéciales, p. 411.
{2938} V. M. Čebrikov (réd.), Istoria sovetskikh organov…, p. 459.
{2939} A. T. Rybin, Riadom so Stalinym, p. 71.
{2940} A. Lustiger, Stalin and the Jews, p. 249.
{2941} J. Brent, V. Naumov, Stalin’s…, p. 167.
{2942} Ibid., p. 267.
{2943} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 651-653.
{2944} K. Stoljarov, Igry v…, p. 264.
{2945} N. Khruscev, Vremia…, t. 2, p. 82.
{2946} http://rutube.ru/tracks/3047256.html ?
autoStart=true&bmstart=1000
{2947} N. Rubin, Lavrenti Beria…, p. 347.
{2948} J. Brent, V. Naumov, Stalin’s…, p. 131-132.
{2949} T. K. Gladkov, Korotkov, p. 470 ; Document du 20 février 1953.
V. N. Nikandrov, Grigulevič, p. 372.
{2950} E. Scherstjanoi, « Vyzrevanie političeskovo krizisa v GDR v 1953
godu », Novaja i novejšaja istoria, n° 2, 2006, p. 45.
{2951} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 659-660.
{2952} N. Zenkovič, Pokušenia i inscenirovki, p. 195.
{2953} Istočnik, n° 1, 1994, p. 91-92.
{2954} G. V. Kostyrčenko (dir.), Gosudarstvenny antisemitizm…, p. 279-
281.
{2955} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 668-670.
{2956} On trouve le texte de cette lettre dans J. Brent, V. Naumov,
Stalin’s…, p. 300-306.
{2957} A. A. Fursenko, « Konec ery Stalina », Zvezda, n° 12, 1999.
{2958} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 679-682.
{2959} R. et Z. Medvedev, Neizvestny Stalin, p. 63.
{2960} A. Sudoplatov, Tajnaja žizn…, p. 318.
{2961} D. E. Murphy, S. A. Kondrashev, G. Bailey, Battleground…, p. 154.
{2962} J. Brent, V. Naumov, Stalin’s…, p. 309-311.
{2963} C’est l’explication de J. Brent, ibid., p. 308.
{2964} N. Khruščev, Vremia…, t. 2, p. 47-48.
{2965} Jung Chang, Jon Halliday, Mao, the Unknown Story, Londres,
Ancor, 2005, p. 391.
{2966} N. Zenkovič, Tajny ukhodjaščevo veka 3, p. 173.
{2967} A. A. Danilov, A. V. Pyžikov, Roždenie sverkhderžavy, p. 267.
{2968} Z. A. Medvedev, Stalin i evreiskaja…, p. 217.
{2969} Voir l’article de Richard Lowenthal dans The Observer le 1er mars
1953.
{2970} Kaganovitch au Plénum du 2-7 juillet, dans Viktor Naumov, Juri
Sigačev, Lavrenti Beria, 1953, Moscou, Meždunarodny, « Demokratia »,
1999, p. 130. Nous citerons les orateurs du Plénum des 2-7 juillet d’après
la version publiée dans cet ouvrage, la plus complète.
{2971} Ibid., p. 91.
{2972} James Srodes, Allen Dulles…, Washington, Regnery Publishing,
1999, p. 252.
{2973} R. et Z. Medvedev, Neizvestny Stalin, p. 20.
{2974} D. Volkogonov, Stalin, Moscou, Novosti, 1996, t. 2, p. 597-598.
{2975} Pour un récit détaillé de la mort de Staline qui confronte tous les
témoignages disponibles, voir N. Zenkovič, Tajny ukhodjaščevo veka, 3,
p. 88-205 ; et J. Brent, V. Naumov, Stalin’s…, p. 312-317.
{2976} R. et Ž. Medvedev, Neizvestny Stalin, p. 29, 42.
{2977} S. Beria, Beria…, p. 347.
{2978} S. Allilueva, Dvadcat pisem k drugu, Moscou, « Kniga », 1989,
p. 7.
{2979} N. Khrouchtchev, Souvenirs, p. 301.
{2980} N. Zenkovič, Tajny ukhodjaščevo, p. 121.
{2981} Plénum des 2-7 juillet, op. cit. p. 89.
{2982} A. Mikojan, Tak bylo, p. 580.
{2983} F. I. Čuev, Molotov, Moscou, Olma-Press, 1999, p. 396.
{2984} Discours du 24 mai 1964, cité dans N. Zenkovič, Tajny
ukhodjaščevo…, p. 192.
{2985} Ibid., p. 193.
{2986} R. et Ž. Medvedev, Neizvestny Stalin, p. 15.
{2987} J. Brent, V. Naumov, Stalin’s…, p. 319.
{2988} « Dosje Glasnosti », 2001, p. 22.
{2989} J. Brent, V. Naumov, Stalin’s…, p. 321 ; A. A. Danilov,
A. V. Pyžikov, Roždenie sverkhderžavy, p. 263-265.
{2990} R. G. Pikhoia, Sovetskii sojuz…, p. 76.
{2991} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 115, f. 171.
{2992} Ibid., 114, f. 133, Louis Joxe, dépêche du 12 mars 1953.
{2993} R. G. Pikhoia, Sovetskii sojuz…, p. 87.
{2994} Plénum du 31 janvier 1955, Cold War International History
Project Bulletin, n° 10, mars 1998, p. 36 ; R. G. Pikhoia, Sovetskii sojuz…,
p. 86.
{2995} Ibid., p. 89.
{2996} D. Šepilov, Voprosy Istorii, n° 3, 1998, p. 14-15.
{2997} F. I. Čuev, Molotov, p. 398.
{2998} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 114, f. 95.
{2999} FRUS, vol. 8 (1952-1954), p. 1117. Note du 11 mars 1953.
{3000} G. K. Žukov, « Iz vospominanii… », Istoričeski Arkhiv, n° 3, 1999,
p. 44-45.
{3001} R. G. Pikhoia, Sovetskii sojuz…, p. 87.
{3002} Ibid., p. 90.
{3003} N. Zenkovič, Tajny ukhodjaščevo…, p. 137.
{3004} D. Šepilov, Voprosy Istorii, n° 8, 1998, p. 11.
{3005} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 115, f. 96.
{3006} Istoričeski Arkhiv, n° 4, 1993, p. 78.
{3007} R. G. Pikhoia, Sovetskii sojuz…, p. 88.
{3008} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 114, f. 172.
{3009} K. Larres, K. Osgood (dir.), The Cold War…, p. 80.
{3010} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 114, f. 7.
{3011} Public Records Office, Foreign Office (PRO FO), 371 106515.
{3012} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 114, f. 11.
{3013} K. Larres, Churchill’s Cold War, p. 188.
{3014} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 114, f. 167 ; K. Larres,
K. Osgood (dir.), The Cold War…, p. 80.
{3015} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 141, f. 157.
{3016} N. Zenkovič, Tajny ukhodjaščevo…, p. 220.
{3017} Note de Merkoulov à Khrouchtchev, 23 juillet 1953, dans
I. D. Kovalčenko (dir.), Neizvestnaja Rossia…, t. 3, p. 76.
{3018} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 115, f. 101.
{3019} PRO, FO 371 106516.
{3020} S. Beria, Beria…, p. 348.
{3021} D. Šepilov, Voprosy Istorii, n° 3, 1998, p. 23.
{3022} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 114, f. 98.
{3023} Ju. Afiani, « Sovetsko-jugoslavskie otnošenia », Istoričeski
Arkhiv, n° 2, 1999, p. 5.
{3024} PRO, FO 371 106517.
{3025} N. Zenkovič, Tajny ukhodjaščevo…, p. 220.
{3026} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 141, f. 245.
{3027} Ju. N. Žukov, Tajny..., p. 606.
{3028} PRO, FO 371 106516.
{3029} D. Holloway, Stalin and the Bomb, p. 334.
{3030} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 141, f. 257.
{3031} A. Knight, Beria…, p. 186.
{3032} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 114, f. 235.
{3033} K. Larres, K. Osgood (dir.), The Cold War…, p. 84.
{3034} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 115, f. 48.
{3035} Ibid., f. 22.
{3036} Ibid., f. 51.
{3037} Ibid., 141, f. 169.
{3038} CWIHP, n° 11, hiver 1998, p. 176-199.
{3039} N. Zenkovič, Tajny ukhodjaščevo…, p. 349 ; Avraamii
Zaveniaguine, Plénum des 2-7 juillet 1953, op. cit., p. 188.
{3040} S. Kremljëv, Beria…, p. 613.
{3041} Mikoïan, Plénum des 2-7 juillet 1953, op. cit., p. 169.
{3042} Ju. N. Žukov, Tajny..., p. 617.
{3043} Ibid., p. 623-624.
{3044} Le Monde, 7 mars 2004.
{3045} K. Larres, K. Osgood (dir.), The Cold War…, p. xiv-xv.
{3046} Ibid., p. 235-242.
{3047} Plénum des 2-7 juillet 1953, dans V. Naumov, Ju. Sigačev, Lavrenti
Beria…, p. 136.
{3048} Ibid., p. 204.
{3049} Mikoïan, Plénum des 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju. Sigačev,
Lavrenti Beria…, p. 167.
{3050} V. F. Nekrasov (dir.), Beria…, p. 256 ; P. Deriabin, Fr. Gibney, The
Secret World, New York, Ballantine, 1987, p. 199.
{3051} T. K. Gladkov, Korotkov, p. 413.
{3052} Yu. Krotkov dans V. F. Nekrasov (dir.), Beria…, p. 256.
{3053} L. Mlečin, KGB, predsedateli organov…, p. 367.
{3054} V. V. Karpov, Rasstreljannye maršaly, p. 248.
{3055} L. Mlečin, Osobaja Papka, p. 112.
{3056} N. V. Petrov, Ivan Serov, p. 138.
{3057} Note de Merkoulov à Khrouchtchev, 23 juillet 1953, dans
I. D. Kovalčenko (dir.), Neizvestnaja Rossia…, p. 63.
{3058} Interrogatoire de Goglidzé le 2 juillet 1953, dans A. Sukhomlinov,
Kto vy…, p. 165.
{3059} Ju. N. Žukov, Tajny..., p. 627.
{3060} R. G. Pikhoia, Sovetskii sojuz…, p. 95.
{3061} Centralny deržavny arkhiv gromadskikh obednan Ukrainy, 1, 1,
1142, p. 51.
{3062} Déposition de G. Ordyntsev le 7 juillet 1953, dans
O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 57.
{3063} Lettre de Poloukarpov à Khrouchtchev, 13 juillet 1953, ibid.,
p. 167.
{3064} N. Khruščev, Vremia…, t. 2, p. 53.
{3065} G. V. Kostyrčenko (dir.), Gosudarstvenny…, p. 164.
{3066} V. A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 37-38.
{3067} D. B. Pavlov, « Pis’mo Majskovo… », Istoričeski Arkhiv, n° 2,
1997, p. 63.
{3068} A. Sudoplatov, Tajnaja žizn…, p. 351 ; O. B. Mozokhin, A. Ju.
Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 290-291.
{3069} V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.), Lavrenti Beria…, p. 41.
{3070} Ibid., p. 17.
{3071} F. Blagoveščenski, « V gostjakh u P. A. Šarii », Minuvšee,
Atheneum, 1989, p. 454.
{3072} K. Stoljarov, Igry v…, p. 211.
{3073} Lettre de Poloukarpov à Khrouchtchev, le 13 juillet 1953, dans
O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 163.
{3074} Ibid., p. 249.
{3075} R. et Z. Medvedev, Neizvestny Stalin, p. 329.
{3076} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 1050.
{3077} R. G. Pikhoia, Sovetskii sojuz…, p. 91. Rioumine sera exécuté en
juillet 1954.
{3078} V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.), Lavrenti Beria…, p. 19.
{3079} K. Stoljarov, Igry v…, p. 77.
{3080} V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.), Lavrenti Beria…, p. 21-23.
{3081} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 59.
{3082} V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.), Lavrenti Beria…, p. 25-28 ;
Z. A. Medvedev, Stalin i evreiskaja…, p. 11-15.
{3083} V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.), Lavrenti Beria…, p. 23-24.
{3084} N. Zenkovič, Tajny ukhodjaščevo…, p. 348.
{3085} J. Etinger, « Palač v roli reformatora », Vremia MN, 26 juin 2003
(il tenait ce détail de Boulganine).
{3086} N. Zenkovič, Tajny ukhodjaščevo…, p. 348.
{3087} MAE Europe URSS 115, f. 6.
{3088} K. Larres, K. Osgood (dir.), The Cold War…, p. 125-126.
{3089} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 115, f. 12.
{3090} Ibid., f. 24-5.
{3091} Ibid., f. 64.
{3092} V. Naumov, Ju. Sigačev, Lavrenti Beria…, p. 29-37.
{3093} Ibid., p. 40.
{3094} Citation de Kirov dans Zaria Vostoka le 5 mai.
{3095} V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.), Lavrenti Beria…, p. 41.
{3096} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 11.
{3097} R. G. Pikhoia, Sovetskii sojuz…, p. 93.
{3098} A. Applebaum, Goulag, p. 518.
{3099} Ibid., p. 485.
{3100} O. Khlevnjuk, I. Gorlicki, Kholodny mir, p. 162.
{3101} A. Applebaum, Goulag, p. 521.
{3102} O. Khlevnjuk, I. Gorlicki, Kholodny mir, p. 157.
{3103} A. Applebaum, Goulag, p. 519.
{3104} B. Sokolov, Istrebljonnye maršaly, p. 463.
{3105} V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.), Lavrenti Beria…, p. 19-21.
{3106} R. G. Pikhoia, Sovetskii sojuz…, p. 93-94.
{3107} A. Artizov, Ju. Sigačev (dir.), Reabilitacia, kak eto bylo, Moscou,
Meždunarodny, « Demokratia », 2000, p. 17.
{3108} Ibid., p. 23.
{3109} A. Knight, Beria…, p. 185.
{3110} Déposition de Boris Lioudvigov du 4 juillet 1953, dans
O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 37.
{3111} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 114, f. 224.
{3112} Ibid., 115, f. 82.
{3113} P. et A. Soudoplatov, Opérations spéciales, p. 440.
{3114} V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.), Lavrenti Beria…, p. 28-29.
{3115} Ibid., p. 136-137.
{3116} W. Leonhard, Spuren Suche, p. 292.
{3117} V. N. Zenkovič, Tajny ukhodjaščevo…, p. 317.
{3118} F. I. Čuev, Molotov, p. 396.
{3119} Récit enregistré de Tcharkviani, recueilli par Toma
Tchaguelachvili, auteur de la série télévisée « La Géorgie au XXe siècle ».
{3120} You. Krotkov, dans V. F. Nekrasov, Beria…, p. 257.
{3121} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 277.
{3122} Plénum des 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.),
Lavrenti Beria…, p. 168.
{3123} Baïbakov, Plénum des 2-7 juillet 1953, ibid., p. 213.
{3124} Déposition de A. S. Kouznetsov au procès Beria le 22 décembre
1953. Voir A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 339.
{3125} K. Simonov, dans V. F. Nekrasov, Beria…, p. 188.
{3126} N. Zenkovič, Tajny ukhodjaščevo…, p. 362.
{3127} L. Mlečin, KGB, predsedateli…, p. 347-348.
{3128} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 658.
{3129} Note de Chtemenko à Khrouchtchev, 21 juillet 1953, dans
I. D. Kovalčenko (dir.), Neizvestnaja Rossia..., p. 52-53.
{3130} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 114, f. 22.
{3131} Ibid., 115, f. 140.
{3132} K. Larres, K. Osgood (dir.), The Cold War…, p. 84.
{3133} Ibid., p. xvi-xvii.
{3134} G. Mitrovich, Undermining…, p. 128-130.
{3135} Ibid., p. 130.
{3136} K. Larres, K. Osgood (dir.), The Cold War…, p. 80-81 ; et
K. Larres, Churchill’s Cold War, p. 199-203.
{3137} E. J. Hughes, le rédacteur des discours d’Eisenhower, avait
commencé à composer ce discours dès la nouvelle de la maladie de
Staline. Voir K. Larres, K. Osgood (dir.), The Cold War…, p. 99.
{3138} Ibid., p. 85.
{3139} Voir l’analyse très fine de Philippe Garabiol, « Berlin, 17 juin
1953 », Revue d’histoire diplomatique, n° 1-2, 1990, p. 57-73.
{3140} D. E. Murphy, S. A. Kondrashev, G. Bailey, Battleground…, p. 154.
{3141} Boris Pjadyšev, « Avstria niezavisima… », p. 149.
{3142} Voprosy Istorii, n° 9, 1998, p. 12-13.
{3143} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 115, f. 122.
{3144} Ibid., 141, f. 290.
{3145} FRUS, vol. 8 (1952-1954), p. 1165-1166.
{3146} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 115, f. 142.
{3147} Ibid., f. 146.
{3148} Ibid., 142, f. 77.
{3149} S. Dorril, MI6, p. 500.
{3150} Joseph Alsop, « Matter of fact », The New York Herald Tribune,
1er janvier 1954.
{3151} K. Larres, K. Osgood (dir.), The Cold War…, p. 143.
{3152} Plénum du 31 janvier 1955, CWIHP (Cold War International
History Project), n° 10, mars 1998, p. 35.
{3153} Krouglov, Plénum du 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju. Sigačev
(dir.), Lavrenti Beria…, p. 155.
{3154} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 96.
{3155} S. M. Fedosseev, « Khoču peredat’ vam privet ot Lavrentia Berii »,
VIP, n° 9, 1995, p. 55-57 ; et aussi V. V. Zubok, « Soviet intelligence and
the cold war : the “small” committee of information, 1952-1953 », Cold
War International History Project, Woodrow Wilson International Center
for Scholars, décembre 1992 ; VIP, 9, 1995.
{3156} S. M. Fedosseev, « Khoču peredat’ vam… », p. 55-57.
{3157} Epichev, Plénum du 29 juillet 1953 (Ukraine), Centralny deržavny
arkhiv gromadskikh obednan Ukrainy, 1, 1, 1142, p. 81 ; et aussi
O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 1026-1027.
{3158} A. V. Kiselëv, Stalinskii favorit…, p. 81.
{3159} L. Mlečin, Osobaja Papka, p. 131.
{3160} A. V. Kiselëv, Stalinskii favorit…, p. 82.
{3161} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 297. Déposition de
B. P. Obroutchnikov au procès Beria le 22 décembre 1953. Voir ibid.,
p. 337. Epichev, Plénum du 29 juillet 1953 (Ukraine), Centralny deržavny
arkhiv gromadskikh obednan Ukrainy, 1, 1, 1142, p. 79.
{3162} Krouglov, Plénum des 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju. Sigačev
(dir.), Lavrenti Beria…, p. 155. Rapport de Krouglov et Serov à
Khrouchtchev et Malenkov le 22 août 1953.
{3163} D. E. Murphy, S. A. Kondrashev, G. Bailey, Battleground…, p. 159-
160.
{3164} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 1017 ;
D. E. Murphy, S. A. Kondrashev, G. Bailey, Battleground…, p. 160.
{3165} Déposition de S. R. Savtchenko au procès Beria le 22 décembre
1953. Voir A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 340.
{3166} GARF, 9401c, 1g, 521.
{3167} Déposition de S. R. Savtchenko. Voir A. Sukhomlinov, Kto vy…,
p. 341.
{3168} L. Mlečin, Osobaja Papka, p. 130-131.
{3169} T. K. Gladkov, Korotkov, p. 421.
{3170} Markus Wolf, L’Homme sans visage, Paris, Plon, 1998, p. 69.
{3171} S. Beria, Beria…, p. 355.
{3172} Déposition de B. Lioudvigov le 8 juillet 1953 dans
O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 66.
{3173} Lazare Kaganovich, Plénum des 2-7 juillet, V. Naumov, Ju.
Sigačev (dir.), Lavrenti Beria…, p. 127.
{3174} Nikolaï Boulganine, Plénum des 2-7 juillet, ibid., p. 112.
{3175} Lazare Kaganovitch, Plénum des 2-7 juillet, ibid., p. 125.
{3176} Ibid., p. 101.
{3177} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 65.
{3178} Plénum des 2-7 juillet, V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.), Lavrenti
Beria…, p. 146.
{3179} Déposition de B. P. Obroutchnikov au procès de Beria le
22 décembre 1953. Voir A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 336-337.
{3180} Plénum des 2-7 juillet, V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.), Lavrenti
Beria…, p. 109.
{3181} A. Andreev, Plénum des 2-7 juillet, ibid., p. 207.
{3182} Ju. N. Žukov, Tajny..., p. 625.
{3183} Ibid., p. 625-626.
{3184} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 115, f. 184.
{3185} Vourgoun avait été critiqué par Baguirov au début de 1953, MAE
Europe 1944-1960, sous-série URSS, 115, f. 213-217.
{3186} Objedinjënnyj Kavkaz, n° 10, 1953, p. 10.
{3187} Nos sources principales sont les Plénums de juin-juillet 1953.
Dans les républiques un plénum se tint début juin 1953 pour mettre en
œuvre les nouvelles directives imposées par Beria. Après la chute de Beria
et le Plénum du 2-7 juillet 1953, les républiques organisèrent elles aussi
des plénums condamnant Beria. Les minutes des plénums tenus début juin
dans ces républiques pour mettre en œuvre les instructions de Beria, puis
celles des plénums tenus fin juillet pour le dénoncer après sa chute sont
des sources inestimables pour retracer la politique de Beria sur le terrain.
En particulier le Plénum ukrainien du 29 juillet « démasquant » Beria est
une mine d’informations concernant la politique du MVD sur le terrain
pendant les cent quatorze jours de Beria. Voir pour l’Ukraine Centralny
deržavny arkhiv gromadskikh obednan Ukrainy (CDAGOU) 1, 1, 1121
Plénum du 6 juin 1953, et 1, 1, 1142, Plénum du 29 juillet 1953.
{3188} Plénum des 2-7 juillet, V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.), Lavrenti
Beria…, p. 132.
{3189} N. Khruščev, Vremia…, t. 2, p. 172.
{3190} V. Molotov, Plénum des 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju. Sigačev
(dir.), Lavrenti Beria…, p. 105.
{3191} V. Boulganine, Plénum des 2-7 juillet 1953, ibid., p. 115.
{3192} V. Nazarenko, Plénum des 2-4 juin 1953, CDAGOU, 1, 1, 1121,
p. 278. Beria voulut renouer avec sa politique juive de 1941. Il chargea le
MVD d’obtenir la réouverture du théâtre juif et d’organiser la publication
d’un journal juif.
{3193} Plénum du 29 juillet 1953, CDAGOU, 1, 1, 1142, p. 65-66.
{3194} Plénum des 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.),
Lavrenti Beria…, p. 159-160.
{3195} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 92.
{3196} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 464.
{3197} Plénum du 29 juillet 1953, CDAGOU, 1, 1, 1142, p. 128.
{3198} D. Vedenev, Ju. Šapoval, « Byl li Lavrenti Beria ukrajnskim
nacionalistom ? », Zerkalo Nedeli, 7 juillet 2001.
{3199} Plénum du 29 juillet 1953, CDAGOU, 1, 1, 1142, p. 73.
{3200} G. Malenkov, Plénum des 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju. Sigačev
(dir.), Lavrenti Beria…, p. 221.
{3201} Grichko, Strokatch, Plénum du 29 juillet 1953, CDAGOU, 1, 1,
1142, p. 66.
{3202} Kiritchenko, Plénum des 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju. Sigačev
(dir.), Lavrenti Beria…, p. 160.
{3203} Plénum du 29 juillet 1953, CDAGOU, 1, 1, 1142, p. 67.
{3204} Strokatch, Plénum du 29 juillet 1953, CDAGOU, 1, 1, 1142, p. 70.
{3205} Plénum du 29 juillet 1953, CDAGOU, 1, 1, 1142, p. 70-71.
{3206} Gapii, Plénum du 29 juillet 1953, CDAGOU, 1, 1, 1142, p. 156.
{3207} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 332.
{3208} Plénum du 29 juillet, CDAGOU, 1, 1, 1142, p. 155.
{3209} Ibid., p. 7.
{3210} D. Vedenev, Ju. Šapoval, « Byl li Lavrenti Beria… »
{3211} A. Gorčakov, « Dokumenty T. A. Strokača… », Novaja i novešjaia
istoria, n° 3, 1989, p. 172.
{3212} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 376.
{3213} V. Nekrasov, « Lavrenti Beria », Sovetskaja Milicija, n° 3, 1990,
p. 43.
{3214} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 170-
171.
{3215} Témoignage de Snieckus, rapportant le récit du vice-ministre de
l’Intérieur, Martavicius, Plénum des 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju.
Sigačev (dir.), Lavrenti Beria…, p. 149-150.
{3216} Plénum des 2-7 juillet 1953, ibid. ; Déposition de P. P. Kondakov
du 22 décembre 1953 ; A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 343-344.
{3217} A. Gorčakov, « Dokumenty T. A. Strokača… », p. 172.
{3218} Plénum du 29 juillet 1953, CDAGOU, 1, 1, 1142, p. 129.
{3219} Serdiouk, Plénum des 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju. Sigačev
(dir.), Lavrenti Beria…, p. 118.
{3220} Plénum du 6 juin 1953, CDAGOU, 1, 1, 1121.
{3221} CDAGOU, 1, 1, 1142, p. 75.
{3222} G. Malenkov, Plénum des 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju. Sigačev
(dir.), Lavrenti Beria…, p. 221.
{3223} Plénum du 29 juillet, CDAGOU, 1, 1, 1142, p. 162.
{3224} « Memorandum Lavrentia Berii o položenii na Zapadnoj Ukraine v
1953 godu », Nezavisimaja gazeta, n° 264, 3 décembre 2004.
{3225} Plénum des 2-4 juin 1953, CDAGOU, 1, 1, 1121, p. 251.
{3226} CADGOU, 1, 1, 1142, p. 63.
{3227} Plénum des 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.),
Lavrenti Beria…, p. 162, 150.
{3228} Déposition de Strokatch au procès de Beria le 22 décembre 1953.
Voir A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 334.
{3229} Z. T. Serdiouk, Plénum des 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju.
Sigačev (dir.), Lavrenti Beria…, p. 119.
{3230} L. Kaganovitch, Plénum des 2-7 juillet 1953, ibid., p. 130-131.
{3231} Ibid., p. 148.
{3232} Témoignage de Korotchenko au Plénum des 2-4 juin, CDAGOU, 1,
1, 1121, p. 75-6. V. aussi p. 116.
{3233} V. Litvin, « Leonid Kravčuk. Put na Olimp », Kievskie Novosti,
n° 15, 8 avril 1994, p. 8-9.
{3234} CDAGOU 1, 1, 1121.
{3235} Istoričeski Archiv, n° 6, 1993, p. 75 ; V. Naumov, Ju. Sigačev,
Lavrenti Beria…, p. 49-51.
{3236} Sniečkus au Plénum des 2-7 juillet 1953, ibid., p. 149.
{3237} Baguirov, Plénum du 2-7 juillet 1953, ibid., p. 142-143.
{3238} Déposition de Boris Lioudvigov au Plénum du 4 juillet 1953, dans
O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 38.
{3239} Plénum des 2-4 juin 1953, CDAGOU, 1, 1, 1121, p. 19.
{3240} Ibid., p. 157.
{3241} Ibid., p. 21.
{3242} Ibid., p. 33-46.
{3243} Ibid., p. 133.
{3244} V. Podgorny au Plénum du 29 juillet 1953, CDAGOU, 1, 1, 1142,
p. 64.
{3245} Plénum des 2-4 juin 1953, CDAGOU, 1, 1, 1121, p. 14-16.
{3246} Ibid., p. 33-46.
{3247} Ibid., p. 103.
{3248} Ibid., p. 240.
{3249} Plénum du 29 juillet, CDAGOU, 1, 1, 1142, p. 176.
{3250} Plénum des 2-4 juin 1953, CDAGOU, 1, 1, 1121, p. 22 et 90.
{3251} Ibid., p. 236-237.
{3252} Ibid., p. 51.
{3253} G. V. Kostyrčenko, Tajnaja politika…, p. 692.
{3254} Strokatch, Plénum du 29 juillet 1953, CDAGOU, 1, 1, 1142, p. 73.
{3255} Begma, ibid., p. 119.
{3256} Plénum des 2-4 juin 1953, CDAGOU, 1, 1, 1121, p. 7.
{3257} Plénum des 2-4 juin 1953, CDAGOU, 1, 1, 1121, p. 232-235.
{3258} Ibid., p. 313.
{3259} Ibid., p. 166.
{3260} Strouev, Plénum du 29 juillet 1953, CDAGOU, 1, 1, 1142.
{3261} Plénum du 29 juillet 1953, CDAGOU, 1, 1, 1142, p. 115.
{3262} Plénum des 2-4 juin 1953, CDAGOU, 1, 1, 1121, p. 228.
{3263} Ibid., p. 25.
{3264} Ibid., p. 47.
{3265} Ibid., p. 225-226.
{3266} Strouev, ibid., p. 127.
{3267} Ibid., p. 93-102.
{3268} Ibid., p. 286.
{3269} Ibid., p. 331.
{3270} Ibid., p. 292.
{3271} V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.), Lavrenti Beria…, p. 61-62.
{3272} Ju. N. Žukov, Tajny…, p. 639.
{3273} Déposition de Baskakov au procès de Beria le 22 décembre 1953.
Voir A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 335.
{3274} Istoričeski Arkhiv, n° 4, 1996, p. 157-158.
{3275} I. D. Kovalčenko (dir.), Neizvestnaja Rossia…, p. 45-48.
{3276} Déposition de Stepan Mamoulov le 8 juillet, dans O. B. Mozokhin,
A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 69.
{3277} Ibid., p. 136.
{3278} Lietuvos ypatingasis Archyvas (Archives du ministère de la
Sécurité de Lituanie), f. k-1, ap. 10, p. 244.
{3279} Dans une de ses lettres écrites en captivité adressée à Malenkov,
Beria semble estimer que c’est là l’une des principales erreurs qu’il ait
commise. Voir V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.), Lavrenti Beria…, p. 73.
{3280} V. G. Bezirgani, « Sto dnej Lavrentia Berii », Delovoj Mir, 30 avril
1993, p. 12.
{3281} N. Zenkovič, Tajny ukhodjaščevo…, p. 313.
{3282} Ibid., p. 343.
{3283} Plénum des 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.),
Lavrenti Beria…, p. 129.
{3284} Ibid., p. 99.
{3285} N. Khruščev, Vremia…, p. 163.
{3286} N. Zenkovič, Tajny ukhodjaščevo…, p. 318.
{3287} L. Mlečin, KGB, predsedateli…, p. 343.
{3288} Ibid., p. 381.
{3289} Plénum des 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.),
Lavrenti Beria…, p. 157.
{3290} Patolitchev, Plénum des 2-7 juillet 1953, ibid., p. 158.
{3291} CDAGOU, 1, 1, 1142, p. 68-70.
{3292} Grichko, Strokatch, Plénum du 29 juillet 1953, CDAGOU, 1, 1,
1142, p. 67.
{3293} Ibid., p. 169.
{3294} Cet épisode a été narré à l’auteur de ces lignes par Stanislavas
Raguotis, un apparatchik du Comité central du PC lituanien de l’époque.
{3295} Témoignage recueilli par l’auteur de ces lignes.
{3296} Eesti Riigiarhiivi Filiaal, f. 1, nim. 4, 1466, 51-2.
{3297} Lietuvos ypatingasis Archyvas (Archives du ministère de la
Sécurité de Lituanie), f. k-1, ap. 8, d. 93, p. 256-257.
{3298} Z. T. Serdiouk, Plénum du 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju. Sigačev
(dir.), Lavrenti Beria…, p. 120-121.
{3299} N. Rubin, Lavrenti Beria…, p. 419.
{3300} Plénum du 2-7 juillet, V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.), Lavrenti
Beria…, p. 136.
{3301} Témoignage recueilli par l’auteur.
{3302} Lietuvos ypatingasis Archyvas, f. k-1, ap. 10, p. 244.
{3303} Rapport de Vildžiunas à Snieckus le 15 juin 1953 (Lietuvos
ypatingasis Archyvas, f. k-1, ap. 10, d. 151, p. 231).
{3304} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 13.
{3305} Rapport de Vildžiunas à Snieckus le 13 juin 1953 (Lietuvos
ypatingasis Archyvas, f. k-1, ap. 10, p. 227-228).
{3306} Ibid., f. k-1, ap. 10, p. 244.
{3307} Ibid., f. k-1, ap. 3, d. 412, p. 266-267, 281.
{3308} Rapport de Vildžiunas à Snieckus le 13 juin 1953, ibid., f. k-1, ap.
10, d. 153, p. 57-58.
{3309} D. F. Bobkov, KGB i Vlast, p. 98.
{3310} P. et A. Soudoplatov, Missions spéciales, p. 437.
{3311} Ces propos ont été rapportés à l’auteur de ces lignes par l’historien
ukrainien Arkady Joukovski qui les tenait de Slipyi lui-même. Ce dernier
était persuadé que Beria aurait démantelé l’Empire soviétique s’il n’avait
pas été arrêté.
{3312} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 692-
693.
{3313} GARF 5446, op. 87, 1c 1008.
{3314} Strokatch, Plénum du 29 juillet 1953, CDAGOU, 1, 1, 1142, p. 73.
{3315} Déposition de Strokatch au procès de Beria le 22 décembre 1953.
Voir A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 334.
{3316} Terme ukrainien péjoratif désignant les Russes.
{3317} RGALI, f. 5, op. 30, 6-11. Ces lettres seront transmises le
17 juillet à la direction du Secrétariat du Comité central.
{3318} Lietuvos ypatingasis Archyvas, f. k-1, ap. 10, d. 150.
{3319} Selon le témoignage de la famille recueilli par l’auteur, Žemaitis
fut amené à Moscou non en prisonnier mais presque en chef d’État.
{3320} S. Kremljëv, Beria…, p. 620 ; discours de Sniečkus au Plénum du
2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.), Lavrenti Beria…, p. 149.
{3321} Plénum du 29 juillet, CDAGOU, 1, 1, 1142, p. 131.
{3322} Déposition de Strokatch au procès de Beria le 22 décembre 1953.
Voir A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 333.
{3323} D. Vedenev, Ju. Šapoval, « Byl li Lavrenti Beria… ? ».
{3324} Plénum du 29 juillet 1953, CDAGOU, 1, 1, 1142, p. 72-73.
{3325} Il avait été capturé en octobre 1952. Voir D. Vedenev, Ju. Šapoval,
« Byl li Lavrenti Beria… ? »
{3326} B. Starkov, « Sto dnej lubianskovo maršalla », Rodina, n° 11,
1993, p. 82.
{3327} N. Rubin, Lavrenti Beria…, p. 419-420.
{3328} Déposition de Fadeev, officier du MVD, au procès de Beria le
21 décembre 1953. Voir A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 313.
{3329} S. Beria, Beria…, p. 363.
{3330} Yu. Krotkov dans V. F. Nekrasov (dir.), Beria…, p. 255-259.
{3331} Archives présidentielles de Géorgie, f. 14, op. 27, d. 9.
{3332} Bakradzé, Plénum du 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju. Sigačev
(dir.), Lavrenti Beria…, p. 123-124.
{3333} Archives présidentielles de Géorgie, f. 14, op. 27, d. 12.
{3334} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 1022.
{3335} O. Volin, « S berievcami vo vladimirskoj tjurme », Minuvšee,
Atheneum, 1989, p. 364.
{3336} Osvoboždenie, 1er octobre 1953, p. 3.
{3337} Le mémorandum a été publié dans Osvoboždenie, l’organe des
allogènes de l’URSS, du 31 mai 1953.
{3338} United Caucasus n° 3-4, mars-avril 1953.
{3339} B. Nicolaevski, « Čto bylo v Munšene ? », Bulleten Centralnovo
Biuro Koordinacionnovo Centra Antibolševistkoj borby, n° 2, novembre
1953, p. 3.
{3340} A. Kerensky, « Kerensky offers new Beria theory », New York
Times, 23 janvier 1955.
{3341} S. Beria, Beria…, p. 362-363.
{3342} A. Sudoplatov, Tajnaja žizn…, p. 321-322.
{3343} Déposition de A. S. Kouznetsov au procès de Beria le 22 décembre
1953. Voir A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 339 ; V. Karpov, Rasstreljannye
maršaly, p. 252-255. Karpov y voit l’indice d’un coup d’État en
préparation car il a recueilli le témoignage de Soukhanov, le secrétaire de
Malenkov. Strokatch et un certain Barsoukov en avertirent Khrouchtchev.
{3344} L. Kaganovitch, Plénum du 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju.
Sigačev (dir.), Lavrenti Beria…, p. 132-133.
{3345} L. Mlečin, KGB, predsedateli…, p. 368.
{3346} Plénum du 28 juillet, CDAGOU, 1, 1, 1142, p. 140-141. Bogdan
Khmelnitski fut le chef d’une rébellion cosaque contre la noblesse
polonaise. Il persuada les Cosaques de se mettre sous la protection du tsar
de Moscou, ce qui aboutit au traité de Pereïaslav en 1654.
{3347} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 674.
{3348} A. Applebaum, Goulag, p. 137.
{3349} Ibid., p. 512-514.
{3350} Témoignage de Jonas Čeponis, ancien détenu de Norilsk, recueilli
par l’auteur de ces lignes.
{3351} A. Applebaum, Goulag, p. 531-537.
{3352} V. Serebrovski, « Čërnye flagi gorlaga », Rodina, n° 2, 1997, p. 68-
70.
{3353} Andrea Graziosi, « The Great Strikes in Soviet Labor Camps in the
accounts of their participants : a review », Cahiers du monde russe et
soviétique, n° 4, octobre-décembre 1992, p. 419-446.
{3354} A. Artizov, Ju. Sigačev (dir.), Reabilitacia…, p. 43-45.
{3355} Ibid., 137, f. 136.
{3356} Pour cette partie, voir GARF, f. 6991 c, op. 3c, d. 53, 84, 93, 101,
107 ; op. 1c, d. 868, 869, 1003, 1004, 1008-14.
{3357} Lietuvos ypatingasis Archyvas, f. k-1, ap. 10, d. 151.
{3358} A. Artizov, Ju. Sigacev, I. Sevcuk, V. Khlopov (dir.),
Reabilitacia…, p. 40.
{3359} Ibid., p. 43-46.
{3360} A. Applebaum, Goulag, p. 526.
{3361} N. V. Petrov, Ivan Serov, p. 141.
{3362} A. I. Kokurin, « Novy kurs L. P. Beria », Istoričeski Arkhiv, n° 4,
1996, p. 154-155.
{3363} GARF, 9425c, op. 1, 834.
{3364} GARF, 9401c, op. 1a, 515. Ordre du MVD n° 00320.
{3365} Ibid., p. 1003.
{3366} Témoignages recueillis par Sabine Dullin.
{3367} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 1029.
{3368} Gapii, Plénum du PC ukrainien du 29 juillet, CDAGOU, 1, 1, 1142,
p. 153.
{3369} V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.), Lavrenti Beria…, p. 62-64.
{3370} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 1031.
{3371} L. Kaganovitch, Plénum du 2-7 juillet, V. Naumov, Ju. Sigačev
(dir.), Lavrenti Beria…, p. 137.
{3372} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 67.
{3373} W. Semjonow, Von Stalin bis…, p. 290.
{3374} W. Loth, Stalins ungeliebtes…, p. 196.
{3375} A. Mitter, Untergang auf Raten. Unbekannte Kapitel der DDR-
Geschichte, Munich, Bertelsmann, 1993, p. 43.
{3376} F. Ostermann (dir.), Uprising in East Germany, 1953, CEU Press,
2001, p. 8.
{3377} SAPMO-BA DY30 IV 2/2 270.
{3378} Pour la biographie de Herrnstadt, voir Helmut Müller-Enbergs,
Der Fall Rudolf…, 1991.
{3379} V. Gavrilov, E. Gorbunov, Operacia « Ramzaj », p. 91.
{3380} A. Kolpakidi, D. Prokhorov, Imperia GRU, Moscou, Olma-Press,
1999, p. 327-328.
{3381} SAPMO-BA DY30 IV 2/4/388.
{3382} SAPMO-BA DY30 IV 2/4/388.
{3383} SAPMO-BA DY30 IV 2/4/390, p. 163.
{3384} N. Naimark, The Russians…, Harvard, Harvard University Press,
1995, p. 135-136.
{3385} MfS SdM 2377 58.
{3386} SAPMO-BA DY30 IV 2/4/390 p. 159-161.
{3387} SAPMO-BA DY30 IV 2/4/391.
{3388} SAPMO-BA DY30 IV 2/4/390, p. 24.
{3389} Ibid., p. 110-113.
{3390} Ibid., p. 185.
{3391} SAPMO-BA DY30 IV 2/4/391, p. 48-81.
{3392} Erich Wollenberg, « Wilhelm Zaisser – ruka Stalina v Germanii »,
Narodnaja Pravda, janvier 1951, p. 27-28.
{3393} H. Müller-Enbergs, Der Fall Rudolf..., p. 54-55.
{3394} Témoignage de Hanna Wolf, 10 août 1953, MfS SdM 2377 81.
{3395} D. E. Murphy, S. A. Kondrashev, G. Bailey, Battleground…, p. 131.
{3396} H. Höhne, Der Krieg im Dunkel, p. 526-527.
{3397} Témoignage de Hanna Wolf, 10 août 1953, MfS SdM 2377 86.
{3398} Ibid., MfS SdM 2377 82.
{3399} SAPMO-BA DY30 IV 2/4/391.
{3400} Ibid.
{3401} Témoignage de Hanna Wolf 10 août 1953, MfS SdM 2377 87.
{3402} Déclaration à la Commission d’enquête le 11 septembre 1953,
SAPMO-BA DY30 IV 2/4/391, p. 114-142.
{3403} R. Gehlen, The Gehlen Memoirs, Londres, World pub., 1972,
p. 170.
{3404} W. Loth, Stalins ungeliebtes…, p. 196 ; K. Larres, K. Osgood (dir.),
The Cold War…, p. 195.
{3405} W. Loth, Stalins ungeliebtes…, p. 197.
{3406} A. Mitter, Untergang auf…, p. 47.
{3407} Déposition de B. Lioudvigov le 10 juillet 1953, dans
O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 80.
{3408} C. F. Ostermann, « This is not a Politburo, but a Madhouse »,
CWIHP, n° 10, mars 1998, p. 62-63.
{3409} W. Loth, Stalins ungeliebtes…, p. 198.
{3410} Voir l’introduction de R. Löwenthal dans A. Baring, Der 17. Juni
1953, Stuttgart, DVA, 1983.
{3411} C. F. Ostermann (dir.), Uprising in East Germany…, p. 8.
{3412} P. et A. Soudoplatov, Missions spéciales, p. 447.
{3413} L. Bezymenski, « A Beria ne uspel », Soveršenno sekretno, n° 11,
1993, p. 14.
{3414} P. Sudoplatov, Specoperacii…, p. 561-562.
{3415} C. F. Ostermann, « This is not a Politburo… », p. 63.
{3416} S. Kondrašëv, « Berlin 17 junja 1953 goda », Meždunarodnaja
žizn’, n° 6, 2003, p. 154.
{3417} D. E. Murphy, S. A. Kondrashev, G. Bailey, Battleground…, p. 158.
{3418} Ibid.
{3419} A. Sudoplatov, Tajnaja žizn…, p. 372.
{3420} A. M. Alexandrov-Agentov, Ot Kollontai do Gorbačeva, Moscou,
Meždunarodnye otnošenia, 1994, p. 91. Semionov disparut de la scène
allemande pour six semaines et on disait qu’il était en négociations
secrètes avec la Finlande et la Suède (MAE Europe 1944-1960, sous-série
URSS, 142, f. 9).
{3421} W. Leonhard, Spuren Suche, p. 178.
{3422} P. Przybylski, Tatort Politbüro, Berlin, Rowohlt, 1991-1992, p. 81.
{3423} K. Schirdewan, Aufstand…, p. 40.
{3424} A. M. Filitov, Germanskii Vopros…, p. 140.
{3425} I. Kowalczuk, Der Tag X…, p. 148.
{3426} A. Mitter, Untergang auf…, p. 47-48.
{3427} C. F. Ostermann (dir.), Uprising in East Germany…, p. 11.
{3428} Willy Brandt, Mémoires, Paris, Gallimard, 1978, p. 41, 141.
{3429} Konrad Adenauer, Mémoires, Paris, Hachette, 1967, t. 2, p. 188.
{3430} C. F. Ostermann, « This is not a Politburo… », p. 74-78.
{3431} B. L. Khavkin, « Berlinskoe žarkoe leto 1953 goda », Novaja i
novejšaja istoria, n° 2, 2004, p. 169.
{3432} V. W. Semjonow, Von Stalin…, p. 290.
{3433} Ibid., p. 291.
{3434} W. Loth, Stalins ungeliebtes…, p. 201.
{3435} Voprosy Istorii, septembre 1998, p. 12-13 (nous soulignons).
{3436} Ibid.
{3437} Plénum des 2-7 juillet, V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.), Lavrenti
Beria…, p. 102-103.
{3438} F. I. Čuev, Molotov…, p. 405.
{3439} Plénum des 2-7 juillet, V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.), Lavrenti
Beria…, p. 111.
{3440} Ibid., p. 97.
{3441} A. Mikojan, Tak bylo, p. 584.
{3442} B. Sokolov, Istrebljonnye maršaly, p. 513.
{3443} P. Sudoplatov, Specoperacii…, p. 562.
{3444} W. Semjonow, Von Stalin…, p. 293.
{3445} Ju. Kvicinski, « Rossia i Germania. Vospominania o buduščem »,
Naš sovremennik, n° 3, 2006, p. 189.
{3446} SAPMO-BA NY 4036/29 235.
{3447} « Dokumenty centralnovo arkhiva FSB Rossii o sobytiakh 17 junja
1953 goda v GDR », Novaja i Novejšaja Istoria, n° 1, 2004, p. 75.
{3448} C. F. Ostermann, « This is not a Politburo… », p. 79-81.
{3449} V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.), Lavrenti Beria…, p. 55-59.
{3450} W. Loth, Stalins ungeliebtes…, p. 204.
{3451} C. F. Ostermann, « This is not a Politburo… », p. 66.
{3452} K. Schirdewan, Aufstand…, p. 47.
{3453} Ibid., p. 46.
{3454} Plénum des 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.),
Lavrenti Beria…, p. 97.
{3455} « Après la chute de Beria les camarades dirigeants de l’ambassade
et ceux à Moscou m’ont dit que, si Beria était resté, j’aurais eu les plus
gros ennuis », K. Schirdewan, Aufstand…, p. 50.
{3456} Ibid., p. 49.
{3457} W. Loth, Stalins ungeliebtes…, p. 203.
{3458} Ibid., p. 204-205.
{3459} Voir la confession rédigée le 4 décembre 1953 par Herrnstadt,
SAPMO-BA DY30 IV 2/4/391, p. 48-81.
{3460} Herrnstadt est en contact avec Ilitchev, c’est lui qui laisse entendre
que Moscou souhaite la mise à l’écart d’Ulbricht. V. SAPMO-BA DY30
IV 2/4/391.
{3461} Ibid.
{3462} V. W. Semjonow, Von Stalin..., p. 291.
{3463} W. Loth, Stalins ungeliebtes…, p. 203.
{3464} R. Herrnstadt, Das Herrnstadt-Dokument…, p. 69.
{3465} C. F. Ostermann, « This is not a Politburo… », p. 66.
{3466} P. et A. Soudoplatov, Missions spéciales, p. 448.
{3467} R. Herrnstadt, Das Herrnstadt-Dokument…, p. 74.
{3468} SAPMO-BA DY30 IV 2/4/389.
{3469} I. Spittman, K. W. Fricke (dir.), Der 17 Juni 1953, Cologne, Verl.
Wiss. U. Politik, 1988, p. 143.
{3470} W. Brandt, Mémoires, p. 28-29.
{3471} SAPMO-BA DY30 IV 2/4/391.
{3472} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 142, f. 49.
{3473} V. K. W Fricke, « Juni-Aufstand und Justiz », dans I. Spittmann,
Der 17 Juni 1953, p. 70-86.
{3474} Le Monde, 12 juin 1953.
{3475} V. Udo Baron, « Die fünfte Kolonne ? Die evangelische Kirche in
der DDR und der Aufbau des sozialismus », dans I. Kowalczuk (dir.), Der
Tag X..., p. 311-334.
{3476} Ibid., p. 149.
{3477} SAPMO-BA NY4090/456 104-105.
{3478} Le Monde, 12 juin 1953.
{3479} SAPMO-BA NY4090/456 250.
{3480} A. Mitter, Untergang auf…, p. 57.
{3481} GARF, 5446, op. 87, 1c 1012.
{3482} Le Monde, 12 juin 1953.
{3483} SAPMO-BA DY30 IV 2/4/390, p. 165-178.
{3484} W. Loth, Stalins ungeliebtes…, p. 205.
{3485} I. Kowalczuk (dir.), Der Tag X…, p. 302.
{3486} SAPMO-BA DY30 IV 2/4/391.
{3487} H. Zolling, H. Höhne, Le Réseau Gehlen, p. 149-154.
{3488} D. E. Murphy, S. A. Kondrashev, G. Bailey, Battleground…,
p. 176 ; O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 723.
{3489} Krouglov, Plénum des 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju. Sigačev
(dir.), Lavrenti Beria…, p. 155 ; L. Mlečin, KGB, predsedateli…, p. 340
(nous soulignons).
{3490} D. E. Murphy, S. A. Kondrashev, G. Bailey, Battleground…, p. 160-
161.
{3491} V. Karpov, Rasstreljannye maršaly, p. 224.
{3492} I. Spittmann, Der 17 Juni 1953, p. 67.
{3493} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 142, f. 49.
{3494} H. Müller-Enbergs, Der Fall Rudolf..., p. 186-187.
{3495} SAPMO-BA DY30 IV 2/4/391.
{3496} C. F. Ostermann, « This is not a Politburo… », p. 67.
{3497} I. Kowalczuk, Der 17 Juni 1953, p. 49.
{3498} A. Mitter, Untergang auf…, p. 69.
{3499} R. Gehlen, The Gehlen Memoirs, p. 215-216.
{3500} Joseph et Steward Alsop, « Everybody’s satellites », The New York
Herald Tribune, 25 juin 1953.
{3501} Steward Alsop, « Matter of fact », The New York Herald Tribune,
22 juillet 1953.
{3502} C. F. Osterman, « This is not a Politburo… », p. 67.
{3503} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 116, f. 92.
{3504} A. Baring, Der 17. Juni 1953, p. 105.
{3505} D. E. Murphy, S. A. Kondrashev, G. Bailey, Battleground…, p. 163-
165.
{3506} SAPMO-BA DY30 IV 2/4/391, p. 408.
{3507} I. Kowalczuk, Der Tag X., p. 106.
{3508} D. E. Murphy, S. A. Kondrashev, G. Bailey, Battleground…, p. 167.
{3509} W. Semjonow, Von Stalin..., p. 294.
{3510} R. Herrnstadt, Das Herrnstadt-Dokument…, p. 84.
{3511} MfS SdM 2377 79.
{3512} A. Mitter, Untergang auf…, p. 60.
{3513} SAPMO-BA DY30 IV 2/4/391, p. 48-81.
{3514} C. F. Osterman, « This is not a Politburo… », p. 68.
{3515} W. Semjonow, Von Stalin…, p. 296. Semionov prétend que Beria
lui a reproché « d’économiser les cartouches », ibid., p. 295.
{3516} S. Šwarc, « Novy kurs v vostočnoj Germanii », Socialističeski
Vestnik, septembre 1953, p. 156.
{3517} K. Larres, Churchill’s Cold War, p. 252.
{3518} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 116, f. 8.
{3519} C. F. Osterman, « This is not a Politburo… », p. 67.
{3520} D. E. Murphy, S. A. Kondrashev, G. Bailey, Battleground..., p. 169.
{3521} W. Semjonow, Von Stalin…, p. 294.
{3522} D. E. Murphy, S. A. Kondrashev, G. Bailey, Battleground..., p. 169.
{3523} K. Larres, Churchill’s Cold War, p. 251.
{3524} Ibid., p. 252.
{3525} SAPMO-BA NY4182/891 86-89.
{3526} Voir par exemple SAPMO-BA NY4090/437 117.
{3527} A. M. Filitov, Germanskii Vopros…, p. 153.
{3528} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 142, f. 52.
{3529} H. Müller-Enbergs, Der Fall Rudolf…, p. 194.
{3530} K. Schirdewan, Aufstand…, p. 55.
{3531} L. Bezymenskij, « A Beria ne uspel », p. 15.
{3532} V. Semionov prétend dans ses Carnets qu’ils étaient chargés de
prouver que Semionov avait préparé l’insurrection. Voir Semjonov, « Iz
dnevnika… V. S. Semjonova », Novaja i novejšaia istoria, n° 3, 2004,
p. 106.
{3533} D. E. Murphy, S. A. Kondrashev, G. Bailey, Battleground…, p. 171.
{3534} Ibid., p. 172.
{3535} Une vague d’arrestations eut lieu le 18 juin (1 744 à Berlin).
{3536} I. Kowalczuk, Der Tag X…, p. 171.
{3537} Ibid., p. 211.
{3538} Hermann Weber, Aufbau und Fall einer Diktatur, Cologne, Bund
Verlag, 1991, p. 55.
{3539} SAPMO-BA DY30 IV 2/2 291.
{3540} A. Mitter, Untergang auf…, p. 116 ; K. Schirdewan, Aufstand…,
p. 56.
{3541} I. Kowalczuk, Der Tag X..., p. 106.
{3542} A. Mitter, Untergang auf…, p. 121.
{3543} Ibid., p. 119.
{3544} K. Schirdewan, Aufstand…, p. 57.
{3545} I. Kowalczuk, Der Tag X…, p. 289.
{3546} SAPMO-BA DY30 IV 2/2 295.
{3547} W. Loth, Stalins ungeliebtes…, p. 207 ; A. Beevor, The Mystery of
Olga…, p. 227.
{3548} A. Beevor, The Mystery of Olga…, p. 227 ; L. Bezymenski, « 1953-
Beria will die DDR beseitigen », Die Welt, 15 octobre 1995.
{3549} C. F. Ostermann (dir.), Uprising in East Germany…, p. 281-282.
{3550} W. Semjonow, Von Stalin…, p. 297-298 ; A. Kovaliov, A. Blatov,
Alexandre Avaldouev ont rédigé ce rapport avec Semionov.
{3551} MfS SdM 2377 48.
{3552} W. Loth, Stalins ungeliebtes…, p. 208.
{3553} MfS SdM 2377 66.
{3554} MfS SdM 2377 67.
{3555} MfS SdM 2377 39.
{3556} C. F. Osterman, « This is not a Politburo… », p. 68.
{3557} Nous reprenons ici l’excellente analyse de Ph. Garabiol « Berlin,
17 juin 1953 », Revue d’histoire diplomatique, n° 1-2, 1990, p. 66.
{3558} L. Bezymenski, « 1953-Beria will die DDR beseitigen », Die Welt,
15 octobre 1995.
{3559} L. Mlečin, Osobaja Papka, p. 131.
{3560} MAE Europe 1949-1955, Tchécoslovaquie, 137, f. 119-122.
{3561} Ibid., f. 150.
{3562} Ibid., f. 249.
{3563} C. F. Ostermann (dir.), Uprising in East Germany…, p. 115 et 121.
Comme en RDA un plénum d’inspiration libérale se tiendra après les
événements (4 juin 1953), qui sera critiqué en juillet 1953. Ibid. p. 124.
{3564} K. Larres, K. Osgood (dir.), The Cold War…, p. 11.
{3565} Mikoïan, Plénum des 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju. Sigačev
(dir.), Lavrenti Beria…, p. 170.
{3566} Les envoyés de Beria seront rappelés à Moscou après sa chute.
Voir L. Mlečin, KGB, predsedateli…, p. 340-341.
{3567} A. Antonov-Ovseenko, Beria, Moscou, AST, 1999, p. 431. Dans
une note Antonov-Ovseenko donne une référence erronée à cet épisode.
{3568} C. F. Ostermann (dir.), Uprising in East Germany…, p. 144-153.
{3569} Plénum du 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.), Lavrenti
Beria…, p. 91.
{3570} Il avait fait exclure Nagy du Politburo en septembre 1949 pour
« révisionnisme », car Nagy avait vigoureusement critiqué la
collectivisation et les campagnes contre les « koulaks », en alléguant
l’échec de l’agriculture soviétique. Voir B. I. Želicki, « Imre Nad’ »,
Voprosy Istorii, n° 8, 2006, p. 54.
{3571} V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.), Lavrenti Beria…, p. 73.
{3572} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 299.
{3573} T. K. Gladkov, Lift v razvedku, p. 459.
{3574} Malenkov, Plénum des 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju. Sigačev
(dir.), Lavrenti Beria…, p. 222-233.
{3575} Krouglov, Plénum des 2-7 juillet 1953, ibid., p. 156.
{3576} Jean-François Revel, Comment les démocraties finissent, Paris,
Grasset & Fasquelle, 1983. Le communiste Leino avait été nommé
ministre de l’Intérieur par Mannerheim en novembre 1944.
{3577} B. Sokolov, Istrebljonnye maršaly, p. 513 ; A. Sukhomlinov, Kto
vy…, p. 368.
{3578} C. F. Ostermann (dir.), Uprising in East Germany…, p. 16-17.
{3579} Ibid., p. 224.
{3580} K. Weathersby, « Deceiving the Deceivers… », CWIHP, n° 11,
hiver 1998, p. 179.
{3581} Ibid. p. 176-177.
{3582} Plénum du 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.), Lavrenti
Beria…, p. 125.
{3583} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 95.
{3584} V. par exemple A. M. Filitov, « SSSR i GDR, god 1953 », Voprosy
Istorii, n° 7, 2000, p. 123-135.
{3585} Walter Lippmann, New York Herald Tribune, 18 juillet 1953.
{3586} Khrouchtchev au 6e Plénum du POUP, 20 mars 1956.
{3587} S. Beria, Beria…, p. 350.
{3588} Yu. Krotkov dans V. F. Nekrasov (dir.), Beria…, p. 255-257.
{3589} Ibid., p. 265.
{3590} F. I. Čuev, Molotov, p. 415.
{3591} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 1035.
{3592} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 115, f. 176.
{3593} Plénum des 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.),
Lavrenti Beria…, p. 98.
{3594} Z. P. Šarapov, Naum Eitingon, karajuščii meč Stalina, SPb, Neva,
2003, p. 138.
{3595} A. Antonov-Ovseenko, Beria, p. 435-438.
{3596} Plénum des 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.),
Lavrenti Beria…, p. 139.
{3597} F. I. Čuev, Molotov, p. 414.
{3598} N. S. Leonov, Likholetie, Moscou, Meždunarodnye otnošenia,
1995, p. 90-91.
{3599} S. Beria, Beria…, p. 357.
{3600} N. Khruščev, Vremia…, t. 2, p. 164.
{3601} P. Deriabin, Fr. Gibney, The Secret World, New York, Ballantine,
1987, p. 201.
{3602} Ibid., p. 202.
{3603} T. K. Gladkov, Lift v razvedku, p. 456.
{3604} Soveršenno sekretno, n° 9, 1990, p. 31.
{3605} V. Karpov, Rasstreljannye maršaly, p. 259 ; N. Zenkovič, Maršaly
i genseki, Smolensk, Rusič, 1998, p. 95.
{3606} V. Nekrasov, « Nikolaj Dudorov », Sovetskaja Milicija, n° 6, 1990,
p. 20.
{3607} F. I. Čuev, Kaganovič, Šepilov, Moscou, Olma-Press, 2001, p. 81.
{3608} Jean Le Roy, chargé d’affaires en URSS, MAE Europe 1944-1960,
sous-série URSS, 115, f. 191.
{3609} Ibid., f. 181.
{3610} F. I. Čuev, Molotov, p. 411.
{3611} Plénum du 31 janvier 1955, CWIHP, n° 10, mars 1998, p. 34.
{3612} N. Khruščev, Vremia…, t. 2, p. 164.
{3613} P. Deriabin, F. Gibney, The Secret World, p. 199, 202.
{3614} Ibid., p. 200.
{3615} R. G. Pikhoia, Sovetski sojuz…, p. 98.
{3616} I. Dzhirkvelov, Secret Servant, New York, Harper & Row, 1987,
p. 143-144.
{3617} R. G. Pikhoia, Sovetskii sojuz…, p. 107.
{3618} V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.), Lavrenti Beria…, p. 64-66.
{3619} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 116, f. 272.
{3620} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 14.
{3621} O. A. Gorčakov, « Dokumenty T. A. Strokača… », Novaja i
novešjaia istoria, n° 3, 1989, p. 166-176.
{3622} Ibid., p. 171.
{3623} Selon Molotov, Beria avait dû garder Krouglov contre son gré.
Voir F. I. Čuev, Molotov, p. 411 ; T. K. Gladkov, Korotkov, p. 419.
{3624} N. Khruščev, Vremia…, t. 2, p. 159-175.
{3625} Plénum des 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.),
Lavrenti Beria…, p. 97.
{3626} D. T. Šepilov, Neprimknuvšii, p. 259.
{3627} F. Čuev, Tak govoril Kaganovič, Moscou, RTO, 1992, p. 65-66
(nous soulignons).
{3628} G. K. Žukov, « Iz vospominanii… », Istoričeski Arkhiv, n° 3, 1999,
p. 45-46.
{3629} V. F. Nekrasov (dir.), Beria…, p. 289-203.
{3630} K. Stoljarov, « Cepnoj pës Berii », Soveršenno sekretno, n° 9,
1994, p. 18.
{3631} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 116, f. 129.
{3632} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 18. Un grand nombre des détails qui
vont suivre sont puisés dans cet ouvrage.
{3633} D. T. Šepilov, Neprimknuvšii, p. 261-262.
{3634} B. Sokolov, Istrebljonnye maršaly, p. 477-478.
{3635} L’écrivain V. Karpov a découvert le récit de Joukov dans les notes
manuscrites laissées par le maréchal. V. Karpov, Rasstreljannye maršaly,
p. 263-264.
{3636} N. Khrouchtchev, Plénum des 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju.
Sigačev (dir.), Lavrenti Beria…, p. 98.
{3637} Plénum du 31 janvier 1955, CWIHP, n° 10, mars 1998, p. 36.
{3638} A. Mikojan, Tak bylo, p. 588.
{3639} Ibid., p. 586-587.
{3640} Ibid., p. 167.
{3641} V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.), Lavrenti Beria…, p. 70.
{3642} F. I. Čuev, Molotov…, p. 413.
{3643} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 35.
{3644} Récit de Joukov cité dans V. F. Nekrasov (dir.), Beria…, p. 283.
{3645} Récit de Moskalenko cité dans ibid., p. 287-288.
{3646} S. Beria, Beria…, p. 374.
{3647} Boulganine, Plénum des 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju. Sigačev
(dir.), Lavrenti Beria…, p. 112.
{3648} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 36.
{3649} B. Sokolov, Istrebljonnye maršaly, p. 505.
{3650} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 142, f. 68-69.
{3651} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 24.
{3652} Témoignage recueilli par l’auteur de ces lignes.
{3653} Plénum des 2-7 juillet 1953, V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.),
Lavrenti Beria…, p. 176-177.
{3654} Andreev, Plénum des 2-7 juillet 1953, ibid., p. 207.
{3655} Ibid., p. 98.
{3656} Kaganovitch, ibid., p. 127.
{3657} Ibid., p. 204.
{3658} Ibid., p. 186.
{3659} Ibid., p. 107.
{3660} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 48.
{3661} New York Herald Tribune, 23 février 1954.
{3662} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 116, f. 36.
{3663} Ibid., f. 304-305.
{3664} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 116, f. 62.
{3665} Semionov prétend qu’ils étaient chargés de rassembler des faits
compromettants prouvant que lui-même et Tchouïkov avaient organisé le
putsch fasciste. W. Semjonow, Von Stalin…, p. 298.
{3666} P. et A. Soudoplatov, Missions spéciales, p. 450.
{3667} V. Semjonov, « Iz dnevnika… V. S. Semjonova », Novaja i
novejšaia istoria, n° 3, 2004, p. 112.
{3668} P. Sudoplatov, Specoperacii…, p. 565.
{3669} Témoignage de Hanna Wolf 10 août 1953, MfS SdM 2377 88.
{3670} SAPMO-BA DY30 IV 2/2 299.
{3671} A. Mitter, Untergang auf…, p. 130.
{3672} MfS SdM 2377 47.
{3673} MfS SdM 2377 36.
{3674} MfS SdM 2377 83.
{3675} R. Herrnstadt, Das Herrnstadt-Dokument…, p. 112-118.
{3676} MfS SdM 2377 35.
{3677} MfS SdM 2377 69.
{3678} MfS SdM 2377 70.
{3679} MfS SdM 2377 69.
{3680} K. Larres, K. Osgood (dir.), The Cold War…, p. 202.
{3681} SAPMO-BA NY 4036/29 235.
{3682} SAPMO-BA DY30 IV 2/4/390, p. 162-163.
{3683} Youdine trouva que « ce n’est pas un concept marxiste ! ». Voir
R. Herrnstadt, Das Herrnstadt-Dokument…, p. 152.
{3684} Ibid., p. 256-260.
{3685} SAPMO-BA DY30 IV 2/2 307.
{3686} Celle de Herrnstadt a été déclassifiée. Voir MfS SdM 2377 46-71.
{3687} SAPMO-BA DY30 IV 2/4/391, p. 82-84.
{3688} MfS SdM 2377 23 ; 2580 101.
{3689} MfS SdM 2377 24.
{3690} Zaisser déclarera à la Commission : [Si j’avais dit cela] « tout
mon travail serait devenu absurde, y compris les préparatifs à la défense
éventuelle qui seraient devenus sans objet ». (SAPMO-BA DY30 IV
2/4/391, p. 114-142).
{3691} MfS SdM 2377 25-26.
{3692} MfS SdM 2580 103.
{3693} MfS SdM 2580 103.
{3694} SAPMO-BA DY30 IV 2/4/391.
{3695} MfS SdM 2377 77.
{3696} SAPMO-BA DY30 IV 2/4/391.
{3697} MfS SdM 2377 59.
{3698} SAPMO-BA DY30 IV 2/4/391.
{3699} SAPMO-BA DY30 IV 2/4/391.
{3700} SAPMO-BA DY30 IV 2/4/391.
{3701} A. Mitter, Untergang auf…, p. 153.
{3702} SAPMO-BA DY30 IV 2/4/391.
{3703} A. M. Filitov, Germanskii Vopros…, p. 15.
{3704} SAPMO-BA DY30 IV 2/4/391.
{3705} SAPMO-BA DY30 IV 2/4/391, p. 263.
{3706} SAPMO-BA DY30 IV 2/4/391, p. 365-391 et MfS SdM 2377 27-
29.
{3707} R. Herrnstadt, Das Herrnstadt-Dokument…, p. 264-278.
{3708} SAPMO-BA DY30 IV 2/4/391 p. 365-391 et MfS SdM 2377 f. 9.
{3709} R. Gehlen, The Gehlen Memoirs, p. 182. Gehlen mentionne le
« renversement et l’exécution de Beria ». Son informateur en URSS
croyait Beria mort.
{3710} K. Larres, K. Osgood (dir.), The Cold War…, p. 87.
{3711} Voir par exemple André Pierre, « L’armée russe est parvenue à
décapiter la police politique », Le Monde, 29 décembre 1953.
{3712} Joseph Alsop, « Matter of fact », The New York Herald Tribune,
1er janvier 1954.
{3713} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 116, f. 35.
{3714} R. Gehlen, The Gehlen Memoirs, p. 183. On a l’impression que
Gehlen regretta fort le remplacement de Zaisser par Wollweber qui
déclencha immédiatement une virulente offensive contre l’organisation
Gehlen.
{3715} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 116, f. 86.
{3716} Jean Le Roy, note du 6 août 1953, MAE Europe 1944-1960, sous-
série URSS, 116, f. 199.
{3717} K. Larres, Churchill’s Cold War, p. 261.
{3718} M. Guilbert, Winston Churchill, vol. 8, Londres, Houghton
Mifflin, 1988, p. 863.
{3719} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 116, f. 91-95.
{3720} B. Nicolaevski, « Značenie dela Beria », Socialističeski Vestnik,
janvier 1954, p. 3-7.
{3721} Le Monde, 29 septembre 1953. En réalité on avait confondu Beria
avec le communiste allemand Gerhard Eisler qui lui ressemblait.
{3722} Objedinjënnyj Kavkaz, n° 9, 1953, p. 39.
{3723} A. Kerensky, « Kerensky offers new Beria theory », New York
Times, 23 janvier 1955.
{3724} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 116, f. 260.
{3725} Jean-Marie Soutou, Un diplomate engagé, Paris, Éd. de Fallois,
2011.
{3726} MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 116, f. 252.
{3727} Récit de Mikhaïl Smirtioukov, fonctionnaire du Conseil des
ministres, Kommersant-Vlast’, 2 août 2000.
{3728} A. V. Pyžikov, « Problemy kulta ličnosti v gody khruščevskoj
ottepeli », Voprosy Istorii, n° 4, 2003, p. 47-57.
{3729} « Iz dosje KGB na akademika L. D. Landau », Voprosy Istorii,
n° 8, 1993, p. 112-118.
{3730} Jakov Etinger, « Vrači i ikh ubiicy », Soveršenno sekretno, juin
2006.
{3731} Plénum du 29 juillet 1953, p. 58.
{3732} Rapport de Vildžiunas à Snieckus du 9 juillet 1953, Lietuvos
ypatingasis Archyvas (Archives du ministère de la Sécurité de Lituanie),
f. k-1, ap. 10, d. 156, p. 16-19 ; ap. 3, d. 413, p. 45-55.
{3733} Eesti Riigiarhiivi Filiaal, f. 1, nim. 4, 1466, 72-73.
{3734} Cité dans R. Bassett, Hitler’s Spy Chief, Londres, Cassell, 2005,
p. 264.
{3735} Hippolyte Taine, Les Origines de la France contemporaine, Paris,
Robert Laffont, 1972, p. 567.
{3736} S. Gorjajnov, « Operacia Osobnjak », Nedelja, n° 22, 1997, p. 26-
27.
{3737} V. Naumov, Ju. Sigačev (dir.), Lavrenti Beria…, p. 71-79.
{3738} Ibid., p. 79 (nous soulignons).
{3739} A. Zviagincev, Ju. Orlov, Prokurory dvukh epokh, Moscou, Olma-
Press, 2001, p. 227 (nous soulignons).
{3740} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 467.
{3741} N. Khruščev, Vremia…, t. 2, p. 175.
{3742} Note de Merkoulov à Khrouchtchev, 23 juillet 1953, dans
I. D. Kovalčenko (dir.), Neizvestnaja Rossia…, p. 77.
{3743} N. Khruščev, Vremia…, t. 2, p. 175.
{3744} S. Beria, Beria…, p. 382-383.
{3745} A. Vaksberg, Vychinski…, p. 165.
{3746} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 34.
{3747} New York Herald Tribune, 7 octobre 1953.
{3748} S. Kremljëv, Beria…, p. 697.
{3749} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 289.
{3750} N. Khrouchtchev, Souvenirs, p. 334.
{3751} Discours de Roudenko au Plénum de juin 1957, Istoričeski Archiv,
n° 1, 1994, p. 57.
{3752} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 245.
{3753} Ibid., p. 75.
{3754} L’ouvrage le plus complet est celui d’O. B. Mozokhin, A. Ju.
Popov (dir.), Politburo i delo…, recueil de documents du procès soumis au
Politburo. Voir aussi celui de A. Sukhomlinov, Kto vy… On trouve aussi
des détails du procès dans V. F. Nekrasov (dir.), Beria…
{3755} S. Beria, Beria…, p. 23.
{3756} Note de Merkoulov à Khrouchtchev, 21 juillet 1953, dans
I. D. Kovalčenko (dir.), Neizvestnaja Rossia…, p. 59.
{3757} Tadeusz Swietochowski, Russian Azerbaijan, Cambridge,
Cambridge University Press 1985, p. 166-167.
{3758} A. I. Denikin, Očerki russkoj smuty, t. 4, Berlin, Slovo, 1925,
p. 246.
{3759} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 414. Ces informations provenaient
d’agents bolcheviques et se trouvaient dans un dossier spécial du Comité
central, et donc connues avant 1953.
{3760} A. Vaksberg, Neraskrytye tajny, Moscou, Novosti, 1993 p. 64 s.
{3761} Ibid., p. 130.
{3762} V. Karpov, Rasstreljannye maršaly, p. 211.
{3763} GAPPOD, Archives du Comité central du PC d’Azerbaïdjan,
Section secrète, vkh n° 307, Affaire Baguirov, p. 90.
{3764} S. Beria, Beria…, p. 23.
{3765} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 411 ; V. Khaustov, L. Samuelson,
Stalin, NKVD…, p. 134.
{3766} L. Mlečin, Osobaja Papka, p. 17.
{3767} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 102.
{3768} Discours de Mikoïan au Plénum des 2-7 juillet 1953, p. 165.
{3769} B. Sokolov, Beria, p. 26.
{3770} B. Sokolov, Istrebljonnye maršaly, p. 399.
{3771} V. Karpov, Rasstreljannye maršaly, p. 213.
{3772} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 289.
{3773} Le témoin a sans doute confondu les dates. En 1918 Beria se
trouvait à Bakou. Les événements décrits ont pu se produire en 1920.
{3774} Témoignage de M. A. Iakobashvili, fonctionnaire du ministère de
la Culture, le 26 octobre 1953 (Archives du MGB de Géorgie, Affaire
I. I. Talakhadzé Delo n° 7891/50).
{3775} V. Karpov, Rasstreljannye maršaly, p. 213.
{3776} Lettre à Khrouchtchev du 7 juillet 1953, dans O. B. Mozokhin,
A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 54-55.
{3777} N. Zenkovič, Pokušenia i inscenirovki, p. 297.
{3778} GAPPOD, Archives du Comité central du PC d’Azerbaïdjan,
Section secrète, vkh n° 307, Affaire Baguirov, p. 64 s.
{3779} V. Oppokov, « Kavkazkij portret Berii », Molodaja Gvardia, n° 4,
2002, p. 149.
{3780} Voenno-istoričeskij Žurnal, n° 3, 1990, p. 83.
{3781} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 35.
{3782} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 318.
{3783} S. Beria, Beria…, p. 379.
{3784} AMSEG, Affaire Emelian Lomtatidzé. Ce dossier a brûlé dans
l’incendie des archives de la Sécurité d’État de Géorgie, mais l’historien
A. Aslanichvili avait eu le temps de l’étudier et de prendre des notes que
nous citons ici.
{3785} Déposition de E. A. Lomtatidzé, 24 juillet 1943, citée dans
O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 157.
{3786} AMSEG, Affaire Emelian Lomtatidzé.
{3787} AMSEG, Affaire Gueguelia.
{3788} Témoignage de Mamoulov, cité dans A. Sukhomlinov, Kto vy…,
p. 96.
{3789} Ibid., p. 95.
{3790} V. Nekrasov, « Lavrenti Beria », Sovetskaja Milicija, n° 3, 1990,
p. 18.
{3791} S. Kremljëv, Beria…, p. 556.
{3792} Ibid., p. 613.
{3793} P. et A. Soudoplatov, Kto vy…, p. 191.
{3794} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 467.
{3795} Discours de Roudenko au Plénum de juin 1957, Istoričeski Arkhiv,
n° 1, 1994, p. 60.
{3796} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 215.
{3797} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 475.
{3798} Ibid., p. 477.
{3799} Ibid., p. 475-476.
{3800} A. Sudoplatov, Tajnaja žizn…, p. 369.
{3801} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 475.
{3802} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 298.
{3803} Déposition du 21 décembre 1953, ibid., p. 323.
{3804} Alexandr Feklisov, Priznanie razvedčika, Moscou, Olma-Press,
1999, p. 177.
{3805} John Earl Haynes, Harvey Klehr, Alexander Vassiliev, Spies, Ann
Arbor, Yale University Press, 2009, p. 132.
{3806} Ibid., p. 138.
{3807} Alexander Vassiliev’s Notebooks, Yellow Notebook, 1, p. 56.
{3808} Lettre de V. Makhnev à Malenkov du 11 juillet 1953, dans
O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…
{3809} Lettre de Poloukarpov à Khrouchtchev, 13 juillet 1953, ibid.,
p. 162.
{3810} Beria, 2012, p. 88. L. Bezymenski, Budapesti Messia…, p. 117.
{3811} D. L. Brandenberger, « Sostavlenie i publikacia oficialnoj
biografii vozdja – katakhisisa stalinisma », Voprosy Istorii, n° 12, 1997,
p. 141-150.
{3812} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 92. Beria traita ce témoin de menteur.
{3813} Ibid., p. 152, 168.
{3814} Arkadi Vaksberg, Le Laboratoire des poisons, Paris, Buchet-
Chastel, 2007, p. 194.
{3815} Bovkoun-Louganiets aurait été mêlé à un trafic d’opium et Staline
aurait ordonné son assassinat maquillé en accident de voiture pour éviter
que ses collègues également compromis ne fassent défection. La
maréchale Koulik était accusée d’espionnage.
{3816} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 135.
{3817} P. Sudoplatov, Pobeda v tajnoj…, p. 478.
{3818} V. Voronov, « Moskva v trotilovom ekvivalente », Soveršenno
Sekretno, n° 8, 2005.
{3819} K. Stoljarov, Igry v…, p. 232.
{3820} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 226.
{3821} O. B. Mozokhin, A. Ju. Popov (dir.), Politburo i delo…, p. 35.
{3822} N. V. Alexeeva, Zapiski ljubovnicy, Moscou, AST-Press, 2004,
p. 27.
{3823} Ibid., p. 238, 258.
{3824} Ibid., p. 257-258.
{3825} Interview de N. Alexeeva, Komsomolskaja Pravda, 8 avril 1998.
{3826} K. Stoljarov, Igry v…, p. 229.
{3827} L. Vassilieva, Kremljovskie žony, Moscou, Vagrius, 1992, p. 366-
368. L. Vassilieva cite également le cas d’une jeune fille que Beria avait
choisie dans la rue mais qu’il avait relâchée sans la toucher lorsqu’elle lui
avait dit qu’elle était vierge (ibid., p. 375-382).
{3828} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 241.
{3829} On lui reprochait d’avoir prononcé un toast, dans la villa de Konev
près de Vienne, à « ceux qui croupissent dans les camps » et d’avoir traité
les communistes de « menteurs et d’escrocs », d’avoir voulu rester à
l’étranger et d’avoir traité Staline de « despote oriental ».
http://taina.aib.ru/biography/tatjana-okunevskaja.htm ;
http://www.biograph.ru/bank/okunevskaya.htm ; Express Daily, 27 août
2003.
{3830} A. Zviagincev, Ju. Orlov, Prokurory dvukh epokh, Moscou, Olma-
Press, 2001, p. 230.
{3831} V. Naumov, Ju. Sigačev, Lavrenti Beria…, p. 382-385.
{3832} « Tropoiu Berii », Vremia novostej, n° 179, 2 octobre 2006, p. 1
(nous soulignons).
{3833} Il se prolongea à Tbilissi en 1955, lorsque furent jugés les hommes
de Beria en Géorgie, Tsereteli, Roukhadzé et Rapava, et à Bakou, où
Baguirov fut condamné à mort en 1956.
{3834} A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 296.
{3835} Ibid., p. 302.
{3836} N. Zenkovič, Maršaly i genseki, p. 212.
{3837} G. K. Žukov, « Iz vospominanii… », Istoričeski Arkhiv, n° 3, 1999,
p. 46 ; Ju. Kazarin, « Kak major Khižnjak strig maršala Beriju »,
Večernjaja Moskva, 28 juillet 1994, p. 3.
{3838} Note du 25 août 1953, cité dans A. Sukhomlinov, Kto vy…, p. 441.
{3839} Istočnik, n° 6, 1994, p. 99.
{3840} FRUS, vol. 8 (1952-1954), p. 1222-1223.
{3841} B. Nikolaevski, « Značenie dela Berii », Socialističeski Vestnik,
n° 1, 1954, p. 5-7.
{3842} M. Jansen, N. Petrov, Stalin’s loyal executioner…, p. 190.
{3843} Argumenty i fakty, n° 4, 22 janvier 2003, p. 5.
{3844} Ibid.
{3845} S. Beria, Beria…, p. 209.
{3846} Ibid., p. 402-403.
{3847} Ibid., p. 401-403.
{3848} S. S. Montefiore, The Court of…, p. 633.
{3849} Ibid., p. 522.
{3850} Ju. Krotkov, « Rasskazy o maršale Berii », Novy Žurnal, n° 95, juin
1969, p. 96.
Table of Contents
index
INTRODUCTION
Première Partie. – UNE ASCENSION FULGURANTE
1. – Le Rastignac caucasien
La face visible.
Les débuts tchékistes.
De la GPU au Parti.
2. – Un parcours sans fautes
Le projet de Constitution et la fronde des méridionaux.
La mue du régime.
La nomination de Beria à la tête du NKVD.
3. – Les réseaux géorgiens de Beriaà l’étranger
L’héritage caucasien.
L’émigration géorgienne.
Une connivence secrète ?
L’affaire des faux tchervontsy.
4. – Bolchevik exemplaire ou patriote géorgien ?
L’exception géorgienne.
5. – Beria patron du NKVD
La fin de la Grande Terreur.
Beria s’empare du renseignement extérieur.
Les conséquences politiques de la Grande Terreur.
La contre-offensive de Staline.
6. – Le pacte germano-soviétique
Le sort de la Finlande.
Le sort des États baltes.
La sape du pacte germano-soviétique.
Le projet d’armée tchèque sur le sol soviétique.
Le projet d’armée polonaise sur le sol soviétique.
Beria et les prisonniers polonais.
Le massacre des officiers polonais : un crime bâclé.
Beria reprend sa politique polonaise.
Beria et les Balkans.
7. – Le NKVD et l’erreur de Staline
La neutralisation des réseaux de renseignement.
Orchestre rouge et réseau Beria à Berlin.
Le rôle d’Amaïak Koboulov et de Dekanozov.
8. – Beria et les réseaux caucasiens à la veille de la guerre
Deuxième Partie. – L’ÉPREUVE DE LA GUERRE
9. – La guerre
La crise du régime.
10. – Beria et l’armée polonaisedu général Anders
Le choix d’Anders.
La lune de miel soviéto-polonaise.
La défense du Caucase confiée à l’armée d’Anders ?
Des signes de mauvais augure.
Un projet britannique : le remplacement
des Soviétiques en Iran par l’armée polonaise.
L’ultime embellie.
L’ébauche d’une collaboration entre NKVD, Polonais et Britanniques.
La mystérieuse affaire Kozlowski.
Vers l’évacuation des forces polonaises.
11. – Beria et la Géorgie en guerre
La collaboration de l’émigration géorgienne avec les Allemands.
La collaboration de Beria avec les Anglo-Saxons dans le Caucase.
La politique des émigrés.
Beria sur le front du Caucase.
Le sort des parachutistes.
La préparation d’un gouvernement de collaboration.
Les tentatives de négocier avec les Allemands et les appels du pied à la
Wehrmacht.
Les activités des émigrés – le rôle du réseau mingrélien.
Un complot de Beria ?
La tentative de sondage de Mgueladzé.
Les tentatives pour que le Reich mène une Ostpolitikplus intelligente.
Les opérations Mainz I et Mainz II.
La déportation des peuples montagnards.
12. – Le NKVD pendant la guerre
L’arrestation de l’Orchestre rouge.
La préparation de gouvernements de collaboration et « Max ».
La coopération avec les Occidentaux.
13. – Beria et le Comité antifasciste juif
Polonais et Soviétiques face à l’enjeu juif.
La naissance du Comité antifasciste juif.
Le Comité antifasciste juif première mouture.
Le CAJ deuxième mouture.
La tournée de Mikhoëls et Fefer à l’étranger.
Le réveil de la conscience nationale des Juifs soviétiques.
Le projet de Crimée juive.
L’agonie et la fin du CAJ.
14. – Beria récupère les légionnaires de la Wehrmacht
et les émigrés géorgiens
Le Comité anti-Vlassov et le rôle de Gueguelia.
Le séjour de Charia à Paris.
La revendication des terres géorgiennes.
15. – Le sort de la Pologne
La division Kosciuszko.
Une formule à la Bénès ?
L’insurrection de Varsovie.
Ultimes tentatives, ultimes échecs ?
16. – La politique allemande de Beria
Le Comité Allemagne libre.
L’Union des officiers allemands.
Les réseaux étrangers d’Allemagne libre.
Les autres unités militaires en URSS.
17. – Pour une paix séparée avec l’Allemagne ?
L’opposition allemande et la conjuration du 20 juillet 1944.
Les tentatives de paix séparée avec les Occidentaux et l’affaire
Wallenberg.
Troisième partie. – LE TEMPS DES AFFRONTEMENTS
18. – Fin de la guerre
Les attentes de réformes.
Staline raffermit son pouvoir personnel.
Beria perd la direction du MGB.
Du policier au technocrate.
19. – La guérilla au sommet
L’affaire de Leningrad.
L’affaire Abakoumov.
La lutte pour le MVD.
20. – L’affrontement en politique étrangère
Guerre inévitable ou coexistence.
La Conférence économique.
Des avertissements secrets de Beria ?
Boris Morros, l’agent double.
La mise en œuvre du rollback et la guerre psychologique américaine.
L’utilisation des émigrés.
21. – La Géorgie dans la guerre froide
22. – Staline attaque Beria
Prologue : l’éclatement du clan Beria en Géorgie.
Un congé bien rempli.
Le coup d’envoi.
Beria aux abois.
L’affaire Chavdia et l’affaire des légionnaires géorgiensde la Wehrmacht
{2558}
L’affaire Charia
{2564}
L’affaire Kobakhidzé.
L’affaire Rapava.
Des mois critiques.
La contre-offensive et le retournement.
La chute de Roukhadzé.
23. – L’enjeu allemand
Les protagonistes.
La première manche.
La guérilla des bureaucraties.
Le fief économique du clan Beria.
La cristallisation des projets concurrents.
La préparation de l’après-Staline.
L’opération Wirth.
Le choix ultime de Staline et la victoire d’Ulbricht.
Dans l’attente du dénouement.
24. – La dernière année
Le complot des « blouses blanches ».
Le XIXe Congrès du PCUS.
Les ultimes manœuvres.
Un crescendo dans l’hystérie.
La lettre des intellectuels juifs.
Quatrième partie. – LES CENT JOURS DE BERIA
25. – La mort de Staline
« Un coup d’État intime et silencieux
{2992}
Les premiers signes du « dégel ».
26. – Le Blitzkrieg de Beria
Beria inaugure les réhabilitations.
Beria démantèle le Goulag et révise le Code pénal.
La « démythification » de Staline.
Les premiers tiraillements.
Le branle-bas dans le renseignement.
27. – L’assaut contre le Parti
La réforme de l’empire.
Les résolutions de mai-juin 1953 inspirées par Beria.
Le Plénum ukrainien des 2, 3 et 4 juin.
Dans les autres républiques.
28. – Beria accélère encore la cadence
Ouvertures secrètes vers les nationalistes anticommunistes.
La Géorgie et le Caucase.
Effervescence au Goulag.
L’assouplissement de la politique religieuse
{3356}
Les dernières mesures.
29. – Beria et la crise en RDA
Rudolf Herrnstadt et Wilhelm Zaisser, deux hommes de Beria.
Les premiers jalons.
L’entêtement d’Ulbricht.
Le début de l’offensive contre Ulbricht.
L’affrontement.
Le « nouveau cours » et la crise du SED.
Les principales réformes.
Beria lâche les rênes.
Le 17 juin et ses retombées politiques.
Les retombées de la crise.
Les autres démocraties populaires et les autres initiativesde politique
étrangère.
30. – La chute de Beria
Le putsch de Khrouchtchev.
L’arrestation de Beria.
Le Plénum des 2-7 juillet 1953.
Les retombées de l’arrestation de Beria.
La lecture des événements en Occident.
Les réactions en URSS.
31. – Le procès de Beria
Les principales accusations.
Les abus de pouvoir.
Les accusations de droit commun.
Le procès et le verdict.
CONCLUSION
Glossaire
Bibliographie et sources
Archives
Archives privées.
Archives publiées.
Revues
Archives on line
Biographies de Beria
Ouvrages et mémoires sur la période stalinienne
La période géorgienne de Beria et les années 1930. Le Caucase
La guerre
Le NKVD et la guerre des services secrets
La déportation des peuples
Le projet atomique
La politique polonaise
Les démocraties populaires
La politique juive
La politique allemande
La fin du règne de Staline et le printemps 1953
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