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HISTOIRE

DE
L’ARMÉE
ALLEMANDE
HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE
(1918-1946)

Premiere p6riode :
L’ENTREDEUX-GUERRES
I
L’effondrement (1918-1919 ) .
II
La discorde (1919-1925).
III
L’essor (1925-1937).
IV
L’expansion ( 1937-1938).
Y
Les épreuves de force (1938).
VI
Le défi (1939).

Deuxiême p&io&e:
LA SECONDE GUERRE MONDIBLE
(à paraître).
BENOIST-MECHIN

HISTOIRE
DE
L’ARMÉE
ALLEMANDE
VI
LE DEFI
1939
Avec 4 car&

ÉDITIONS ALBIN MICHEL


22, RUE HUYGHENS
PARIS
IL A ÉTÉ TIRÉ DE
L' UEISTOIRE D E L'ARMÉE ALLEMANDEP
110 E X E M P L A I R E S SUR VÉLIN DU MARAIS,
DONT CENT NUMÉROTÉS DE 1 A 100
ET DIX EXEMPLAIRES HORS COMMERCE,
NUMÉROTÉS H.C. I. A H.C. X,
LE NUMÉRO JUSTIFICATIF DE CHAQUE SÉRIE
SE TROUVANT EN TÊTE DU DERNIER TOME DE L'OUVRAGE.

Dmib da badudion et de repduetion rdneds pour tous paya.


Q ÉDITIONS ~ X MXCHBL,
N 1966.
(( L’agresseur est celui qui oblige ses adoer-

saires à recourir aux armes. ))


FRÉDÉRIC II.
PREMIhRE PARTIE

DE MXlNICH A PRAGUE
I

L’OCCIDENT A LA CROISEE DES CHEMINS

Au lendemain de la signature des Accords de Munich, les


peuples de l’Europe se sont sentis délivrés d’un cauchemar
et ont pensé que la paix était assurée pour longtemps. C’est
pourquoi ils ont laissé déborder leur joie. (( On peut reprendre
son travail et retrouver son sommeil, on peut jouir de la
beauté d’un soleil d’automne »,a écrit Léon Blum l. Ces mots
expriment fidèlement le soulagement de tous. (( Le monde
voulait la paix I), écrit de son côté Grégoire Gafenco. (( I1
la voulait désespérément, car il sentait qu’en dehors d’Hitler,
personne n’était réellement préparé à affronter les épreuves
e t les malheurs de la guerre 2. ))
Mais de quelle paix s’agit-il?
Pour le maître du IIIe Reich, le fait que la France et
l’Angleterre ont accepté ses exigences signifie qu’elles sont
d’accord pour que l’Europe soit partagée en deux zones d’in-
fluence - d’un côté les Démocraties occidentales, de l’autre
la puissance tutélaire du Grand Reich - et qu’elles lui
laissent désormais ((les mains libres à l’est D. E n d’autres
termes, qu’elles lui permettent de modeler l’Europe centrale
et orientale à sa guise, à condition qu’il renonce à toute visée
sur l’occident. C’est en cela que réside sa victoire, bien plus
que dans l’incorporation des Sudètes. Car il considère l’érec-
tion d’un Reich de cent cinquante millions d’Allemands à l’est
de l’Europe comme la mission pour laquelle il a été créé et à
laquelle - quoi qu’il advienne - il ne renoncera jamais 3.
1. Voir vol. V, p. 501.
2. Grégoire GAFENCO, Derniers Joura de l‘Europe, p. 23.
3. Voir vol. IV, p. 288 e t s.
12 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

Pour lui, les Accords de Munich ont ce sens -


et ne peu-
vent en avoir d‘autre.
Mais les Démocraties occidentales? Considèrent-elles les
Accords de Munich comme la permission tacite accordée à
Hitler de poursuivre ses plans d’expansion jusqu’à l’Oural?
Sont-elles prêtes à se retirer définitivement de l’Europe cen-
trale et à ne plus dresser aucun obstacle sur sa route? Ou bien
ne voient-elles dans la Conférence du Führerbau qu’un répit
destiné à leur permettre de réarmer, pour pouvoir prendre
leur revanche à la première occasion? Selon que telle ou telle
conception prévaudra, le monde s’orientera vers un avenir
différent ...
Les journées qui suivent Munich ont la limpidité rayon-
nante des lendemains d’orage. Elles représentent un suspense
où tout paraît possible, où l’étau de la fatalité semble s’être
desserré. Mais elles contiennent aussi tous les malentendus,
toutes les équivoques. N Les meilleurs traités »,a dit Paul
Valéry, ((sont ceux qui seraient conclus entre les arrière-
pensées. D Or c’est loin d’être le cas.
Sitat retombée l’euphorie des premiers jours, des voix
s’élèvent, de plus en plus nombreuses, pour exprimer leur
réprobation.
Litvinov est rentré très déprimé de Genève l. Les Accords
de Munich représentent pour lui une grave défaite diploma-
tique. Staline avait bien raison de penser que Paris et Londres
finiraient par s’entendre avec l’Allemagne, au détriment de
la Tchécoslovaquie!
- (( Vous êtes devenus les satellites de l’Allemagne

et les instruments dociles de sa politique D, d i t 4 avec


colère à M. Fierlinger, le chargé d’affaires tchécoslova-
que à Moscou. u Quel dommage que vous n’ayez pas
fait appel à la S. d. N., comme je vous l’avais conseillé!
C’était le seul moyen de faire passer en jugement, devant
l’opinion mondiale, les instigateurs de la politique étrangère
française et de faire taire toutes les voix qui, à tort ou à

1. Avant de regagner Moscou, il est passé par Paris où il a déversé sa rage


sur Bonnet et Chamberlain. u I1 fallait empêcher à tout prix le Premier Ministre
d’aller à Berchteagadon et à Godesberg II,a-t-il déclaré le 1“ octobre h un groupe
de diplomatei Qtrangers.a Mais ces deux fautes ne sont rien, comparées à I’énor-
mité de ce qui dest passé à Munich! D (Documents on British Foreign Policy, III,
100.) Buliitt s’est empressé de transmettre ces propos à Washington.
2. Die Anhilngael Deulschlanùa.
DE MUNICE A PRAGUE 13
raison, vous pressaient de faire des concessions territoriales
à l’Allemagne l. D
En Amérique, la signature des Accords de Munich a coïn-
cidé avec les fêtes juives de la nouvelle année, ce qui a
permis aux communautés israélites de New York et de
Chicago de rappeler les mesures discriminatoires prises à
l‘égard de leurs coreligionnaires par les autorités nazies 2.
De plus, les dirigeants du Congrès juif mondial, qui ont
demandé à Chamberlain de ne conclure avec Hitler (( aucun
accord qui ne sauvegarderait pas les droits des Juifs en
Tchécoslovaquie »,sont indignés du peu de cas qu’il a fait
de leur requête. Ils dépêchent un des leurs, M. Bernard
Baruch, auprès de Roosevelt pour attirer son attention sur
la gravité decIa situation et le supplier d’intensifier le réar-
mement des Etats-Unis 4. Certains membres de son entourage
- notamment MM. Frankfurter, Margenthau, Harold Ickes
et Bullitt - le pressent de suivre ce conseil. Aussi le Président
décide-t-il de mettre àl’étude un programme de constructions
aéronautiques destiné à porter à 10.000 le nombre des avions
de l’Armée de l’Air américaine. Comme les généraux auxquels
il fait part de son intention se récrient qu’il n’existe ni aéro-
dromes ni hangars suffisants, e t que c’est par les installations
à terre qu’il faudrait commencer, Roosevelt leur répond :
- (( Ce ne sont ni les aérodromes ni les hangars qui impres-

sionneront Hitler, mais le nombre et la puissance de nos


bombardiers. D’ailleurs, au point ou nous en sommes, nous
n’avons plus le choix : l’Amérique doit se préparer à défendre
l’hémisphère occidental, du pôle Nord au pôle Sud 6. ))
A Paris, Daladier ne s’est pas remis du choc que lui
a causé la vue de la foule massée sur le terrain du Bour-
get. Convaincu qu’elle était .venue pour lui faire un
mauvais sort, il a été stupéfait de s’entendre acclamer
par elle 6. C’est dire qu’il n’est pas rentré de Munich avec
I.Fierlinger, Zdenék, Ve sluabdch CRS Lamiti z druhého o d b o j e , ~ 166 . et S.,
p. 175.
2, L’Accord de Munich yu des États-Unis, dans le Temps, 16 octobre 1938. La
propagande antimunichoise des Juifs et des émigrés allemands connaît une recru-
descence d’activité, par suite de l’arrivée en Amérique du professeur Sigmund
Freud, de Thomas Mann et du sénateur Benès, le frère du Président de la Répü-
Mique tchécoslovaque.
3. Voir vol. V, p. 445-446.
4 . Paris-Midi, 10 janvier 1939.
5. Helmut G. DAEMS,Roosevelt und der Krieg, p. 22.
écrira-t-il plus de vingt ans après, a par cette foule énorme,
6. P Je fus surpris II,
délirante de joie. a (Le Nouveau Candide, septembre 1961.)
14 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

l’esprit tranquille. A un journaliste qui lui demande l’im-


pression que lui a faite Hitler, il répond :
- a C’est un homme qui sait où il va et qui, eil tout cas,
a son franc-parler l . 1)
Pour un peu courte que soit cette formule, on ne saurait
en dire autant du Président du Conseil français. Tiraillé
par des sentiments contradictoires, il se demande s’il a
sauvé la paix ou s’il a capitulé honteusement. Munich l’in-
quiète moins que les prolongements de Munich. I1 donne
volontiers raison à ceux qui lui assurent que la puissance
allemande menace le monde entier 2. Mais lorsque Ramadier,
le ministre du Travail, lui apporte sa démission pour protester
contre ce qu’il considère comme (( un abandon inexcusable »,
il le remplace par Frossard, qui est un (( Munichois », et
se trouve ainsi à la tête d’un Cabinet divisé qui est à l’image
de sa propre incertitude. Après avoir fait ratifier les Accords
de Munich à une écrasante majorité s, il s’engage, devant la
Chambre u à accélérer le réarmement de la nation 1). Mais il
ne parvient pas à lui insuffler l’élan unanime qui l’enga-
gerait, d’une façon résolue, sur le chemin de la paix ou sur
celui de la guerre.
Pourtant, ce n’est pas à Pans, c’est à Londres que l’oppo-
sition se manifeste avec le plus de vigueur.
Le 3 octobre s’ouvre un grand débat à la Chambre des
Communes. Chamberlain a voulu lier l’approbation des
Accords de Munich à l’adoption d’un vaste programme de
réarmement. Celui-ci prévoit la construction de 3.000 avions
avant la fin de l’année, et de 8.000 autres au cours de l’année
1939. Les crédits militaires sont portés de 400 à 800 millions
de livres sterling. La puissance de feu de la flotte sera quin-
tuplée par rapport à 1914. Quant à l’Armée de Terre, elle
comprendra 6 divisions régulières, dont 2 blindées, et 13
divisions territoriales destinées à servir outre-mer 4.

1. Cf. Henri NOGUÈRES, Munich ou ta dr6le de paix, p. 298.


2. A partir de ce moment, cette opinion se répandra de plus en plus dans les
capitales occidentales. Pourtant, les dirigeants du IIIe Reich ne cesseront de
protester contre clle. a On nous a accusé de vouloir dominer le monde, de concert
avec l’Italie et le Japon )I,déclarera Ribbentrop au Tribunal militaire interna-
tional de Nuremberg, dans un Affidavit signé le 15 octobre 1946, c’est-à-dire la
veille de sa mort. a Une telle accusation est aussi fausse que mensongère. Les trois
Puissances n’ont jamais songé à rien de semblable, même en rêve. D
3. 535 voix contre .75 et 3 abstenfions. (Voir vol. V, p. 502, n. 3.)
4. Ce chiflre sera porté à 32 divisions, en avril 1939. (Keith FEILING, The
Life of Neville Chamberkin, p. 388.)
DE MUNICH A PRAGUE 15
T o u t e s ces mesures s o n t adoptées sans difficulté. Mais
lorsqu’il s’agit d e voter la motion d e confiance, rédigée d a n s
les termes s u i v a n t s : a L a Chambre approuve la politique d u
Gouvernement de S a Majesté, qui a permis d‘écarter le danger
de guerre pendant la crise qui went de finir, et soutient les efforts
que fait le Gouvernement pour assurer une paix durable »,
l e Labour P a r t y s’insurge. Duff Cooper, Premier L o r d d e
l’Amirauté, exprime d e sérieuses réserves e t W i n s t o n Chur-
chill p r e n d la parole pour faire e n t e n d r e le point d e v u e d e
l’opposition conservatrice :

(( Le Premier Ministre »,déclare-t-il, (( voudrait voir notre

pays entrer en relations cordiales avec l’Allemagne. I1 n’y a pas


la moindre difficulté à cela. Nos cœurs sont pleins de sympathie
pour le peuple allemand. Mais ce peuple est impuissant, et jamais
nous ne pourrons avoir des liens d’amitié avec les gouvernants
actuels de l’Allemagne. Jamais il ne pourra exister des senti-
ments d‘amitié entre la démocratie britannique e t la puissance
nazie, puissance qui repousse avec mépris les principes de la
morale chrétienne, qui exploite un paganisme barbare pour
s’encourager dans sa marche en avant, qui vante l’esprit
d’agression e t de violence, qui tire sa force de la persécution
e t y prend un plaisir pervers, e t enfin, qui utilise avec une
impitoyable brutalité, comme nous l’avons vu, la menace du
meurtre e t de la violence pour parvenir à ses fins. Cet É t a t
nazi ne peut jamais devenir, pour la démocratie britannique,
un ami auquel elle fasse confiance... n

Churchill parle s u r ce t o n p e n d a n t une heure e t demie.


I1 évoque la Magna Charta e t la Pétition des Droits, qui sont
à la base de la vie politique anglaise e t insiste sur lesincom-
patibilités idéologiques q u i r e n d e n t t o u t accord impossible
e n t r e Londres e t Berlin. I1 termine p a r c e t t e péroraison,
d’une envolée superbe :

(( Quant à notre peuple fidèle et courageux, qui était prêt à

faire son devoir quoi qu’il p û t lui en coûter, je ne saurais lui


reprocher l’explosion spontanée de joie et de soulagement à
laquelle il s’est livré, lorsqu’il a appris que cette dure épreuve
1. a Le Premier Ministre vous expliquera sous peu en quoi les détails des condi-
tions de Munich different de l’ultimatum de Godesberg. I1 y a des différences
notables et importantes, et c’est un grand triomphe pour le Premier Ministre
d’avoir pu les obtenir. J’ai passé la plus grande partie de la journée de vendredi
à essayer de me persuader que ces conditions pouvaient me satisfaire. J’ai essayé
de les avaler... mais elles me sont restées dans la gorge. D (Déclarafion de Du#
Cooper à la Chambre des C O I I ~ I ~ W C S . )
4.6 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

ne lui serait pas imposée pour le moment. Mais il faut qu’il sache
la vérité. Il faut qu’il sache qu’il y a eu de graves négligences,
qu’il y a de graves lacunes dans notre Défense; il faut qu’il
sache que nous avons subi, sans guerre, une défaite dont les
conséquences nous accompagneront loin sur notre route; il
faut qu’il sache que ces événements marquent une étape ter-
rible de notre histoire et que tout l’équilibre de l’Europe s’en
trouve bouleversé; qu’il sache que les redoutables paroles ont
été maintenant prononcées - pour un temps du moins -
contre les Démocraties occidentales : u Tu as été pesé dans la
baiunce, et on t’a trouvé légerlx E t n’allez pas vous figurer
que ce soit fini! Ce n’est encore que le commencement du grand
règlement de comptes. I1 ne s’agit que d‘un simple avant-
goût. Nous n’avons bu que du bout des lèvres à la coupe
amère qui nous sera offerte chaque année, à moins que nous ne
retrouvions, par un suprême effort, la santé morale e t la
vigueur martiale, à moins que nous ne nous dressions tout
droits, pour redevenir,, comme autrefois, les champions de la
Liberté l! n

Lorsque Churchill se rassied, il est longuement applaudi,


n o n seulement p a r les députés d u Labour, mais p a r les mem-
bres de l’extrême-droite q u i p a r t a g e n t s a manière d e voir.
A n t o n y E d e n , Lord Cranborne, Lord Lloyd, M. Amery s’em-
pressent a u t o u r d e lui. Duff Cooper, Premier Lord d e l’Ami-
r a u t é , donne s a démission d u Cabinet e t v a rejoindre l e
c a m p des adversaires d e Chamberlain a. P o u r t a n t , la crise est
évitée. L a Chambre des Communes a p p r o u v e la politique
d u Gouvernement p a r 369 voix, contre 150 3. Mais a u t e r m e
d e ces d é b a t s q u i s’étalent s u r q u a t r e jours, beaucoup d e
gens e n Angleterre commencent à se demander (( si Munich
n’a p a s rapproché la guerre, a u lieu d e l’éloigner 4 ».

+ +
Hitler n e p e u t s’empêcher d e froncer les sourcils e n lisant
le réquisitoire d e Churchill. Ainsi donc, c’est e n t a n t q u e
1. Winston CEURCH~LL, Diacourq Londres, 1943. Traduction de M. Priestman-
Bréal.
2. (I II m’est extrêmement pénible, au moment de votre grand triomphe D,
écrit Duff Cooper à Neville Chamberlain, a d’être obligé de faire retentir une
..
note discordante. Mais, pour des raisons que vous connaissez. je me méfie pro-
fondément de la politique étrangère que poursuit le présent Gouvernement et
qu’il paraît devoir poursuivre. Mes sentiments étant réels, j’ai considérd que
l’honneur et la loyauté exigeaient que je vous remette ma démission. n
3. Le Parti travailliste tout entier a voté contre.
4; Keith FEILING,The Life of NwiUe Chamberlain, p. 386.
DE MUNICH A PRAGUE 17
défenseur de la Liberté que le député de Waltham Abbey
aurait voulu maintenir trois millions e t demi d’Allemands sous
la férule des Tchèques? Comment peut-il concilier les attaques
qu’il profère contre son régime avec les paroles qu’il pronon-
çait un an auparavant : On peut ne pas aimer le système
d‘Hitler et admirer cependant l’œuvre patriotique qu’il a
accomplie. Si jamais notre pays connaissait la défaite, j’espère
que nous trouverions un champion aussi indomptable que
lui, pour nous rendre notre courage et nous conduire de
nouveau à la place qui nous est due dans le concert des
nations ?» I1 l’accuse d’avoir recours à la menace et à la
violence, mais croit-il que l’Empire britannique se soit édi-
fié autrement? Comment cet homme, qui a été Premier
Lord de l’Amirauté en 1914, ne comprend-il pas que l’équi-
libre européen auquel il se réfère est aussi périmé que la marine
à voiles 2, qu’en ce milieu du xxe siècle il faut élargir cette
conception aux dimensions de la planète et qu’en face des
puissances grandissantes de l’Amérique et de l’Asie, la seule
solution possible est une alliance anglo-allemande qui assu-
rerait au Reich la prépondérance sur le continent et à 1’Em-
pire britannique l’hégémonie des mers? Qu’il serait beau de
voir l’univers gouverné par les deux rameaux réconciliés
de la noble race saxonne 3! Y parvenir serait une des
ambitions de sa vie. Ne l’a-t-il pas assez répété au cours de
ces dix dernières années 4 ?
Mais c’est un langage auquel Churchill est totalement
imperméable. Il n’est pas un Saxon sorti des forêts allemandes,
mais un gentleman de I’Oxfordshire, fier de son insularité
et dans les veines duquel coule une forte proportion de sang
1. Discours du 17 sepiembre 1937.
2. a Churchill est l’homme d‘une conception politique dépassée - celle de
l’équilibre européen, Cela n’appartient plus au domaine des réalités. D (HITLER,
Libres Propos. I, p. 197.)
3. a C’est l’apport de sang saxon I, dira un jour Hitler à Bormann, c qui a
donné aux Anglais la vigueur et l’obstination grâce auxquelles ils ont survécu
à la tempête des siècles et ont édifié le plus bel empire que l’on ait vu depuis
le temps des Romains. n
4. Au lendemain de la signature de l’accord naval du 18 juin 1935, Ribbentrop
a proposé à Sir John Simon de mettre douze divisions allemandes à la disposi-
tion de l’Angleterre a pour l’aider à défendre son empire colonial, si le besoin
s’en faisait sentir D. (Voir vol. III, p. 266.) Quant à Hitler lui-même il dira, dans
son discours du 29 avril 1939 : a L’existence de l’Empire britannique est une valeur
.
inappréciable pour la civilisation humaine e t l’économie mondiale.. Le peuple
anglo-saxon a accompli une œuvre immense de colonisation dans le monde. J’ai
pour cette œuvre une admiration sincère. Si l’on envisage les choses d’un point de
vue élevé, la pensée que l’on puisse vouloir détruire le fruit de ce travail m’appa-
raît comme une démence digne d‘Érostrate. n
VI 2
18 HISTOIRE,DE L’ARMÉE ALLEMANDE

américain. Ncn seulemmt sa mère, Jennie Jerome, était ori-


ginaire des Etats-Unis, mais il cousine avec les Price, les
Deacon et les Vanderbilt l. Leur fortune a redoré le blason
de sa famille et a permis de maintenir le faste de Blenheima.
C’est pourquoi l’association fraternelle des peuples de langue
anglaise - The Community of the English speaking Peoples
-lui paraîtra préférable à un accord avec les Allemands,
qu’il hait depuis toujours S. C’est aussi pourquoi, à l’heure
du danger, il se tournera instinctivement vers l’Amérique e t
n’hésitera pas à dire que (( s’il avait à choisir entre l’Eu-
rope et le large, il choisirait le large ))...
Sans doute Churchill n’est-il pas membre du Gouvernement
et peu nombreux sont les Anglais qui souhaitent qu’il le
devienne. S’ils rendent volontiers hommage à son talent
d’orateur 4, ils redoutent son caractère coléreux et impulsif,
son refus de se plier aux règles communes et son goût trop
prononcé pour les rôles de premier plan. Mais au lendemain
de Munich, il n’en prétend pas moins être la voix de l’Angle-
terre, non point le Lion - comme il le dit lui-même - mais
c le rugissement du Lion 5 ».C’est un avertissement suffisant
pour qu’Hitler en tienne compte. D’autant plus que si la
France, l’Angleterre et les Etats-Unis réarment, à quoi
peuvent être destinés leurs armements, sinon à l’écraser?
Aussi la riposte vient-elle, fulgurante. Le 9 octobre, alors
que l’occupation des Pays sudètes est à peine terminée, Hitler
s’adresse, à Sarrebruck, à plusieurs milliers d’ouvriers qui
travaillent aux fortifications de l’Ouest :
(( Au début des années 20 u, leur dit-il, t au lendemain de

notre effondrement, quand je n’étais encore qu’un ancien


1. Lilian Price a épousé en secondes noces George Charles Spencer Churchill,
88 duc de Marlborough (1844-1892);Consuelo Vanderbilt e t Gladys Deacon
ont épousé l’une après l’autre Charles Richard John Spencer Churchill, 90 duc
de Marlborough (1871-1934).
2. Le palais donné aux Marlborough en 1704 par la reine Anne, et où Wins-
ton Churchill est né au cours d’un bal, le 30 novembre 1874.
3. E n 1939, Churchill dira à M. Gafenco, ministre des Affaires étrangères de
Roumanie : a J e sais bien que les Allemands sont prêts à s’entendre avec nous.
Mais à quel prix! E t contre qui? Toutes les fois qu’Hitler veut faire la paix d’un
côté, c’est pour mieux faire la guerre de l’autre. D (Derniers Jours de L’Europe,
p. 111.)
4. a II est impossible de porter l’art de la parole à un plus haut degré de per-
fection D, a dit de lui Lloyd George. E t Chamberlain affirme, dès 1930,que a toute
la puissance oratoire du Parlement se trouve au banc de la Trésorerie a (que
Churchill occupait à cette époque). (Cf. Keith FEILIHG, Op. ci;., p. 88.)
5. Cité par Aneurin BEVAN,dans Le Nouvel Observateur, 21 janvier 1965,
p. 16.
DE MUNICH A P R A G U E 19
combattant inconnu, j’ai décidé de ramener au Reich les
dix millions d’Allemands qui vivaient en dehors de ses fron-
tières. J e savais parfaitement, dès cette époque, que ce résultat
ne pouvait être obtenu que par notre propre force.
u Le reste d u monde n’a pas vu, ni voulu voir, que ces
dix millions d’Allemands étaient séparés d u Reich en violation
d u droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ni qu’ils étaient
martyrisés précisément parce qu’ils étaient Allemands. E t il
n’a pas compris non plus, ni voulu comprendre, que ces mil-
lions d’hommes n’avaient qu’un seul désir : faire retour à leur
patrie.
u Ces citoyens du monde qui s’apitoient chaque fois qu’un
criminel de droit commun est déféré devant les tribunaux
allemands, sont restés sourds pendant vingt ans au cri de
détresse de dix millions d’Allemands. C’est pourquoi une déci-
sion inflexible devait être prise. I1 s’est trouvé chez nous des
hommes pusillanimes qui ne l’ont pas compris l. Pourtant, j’ai
passé outre car c’est le devoir e t l’honneur des véritables
hommes d‘État d’assumer ce genre de responsabilité.
(( La réincorporation au Reich de dix millions d’Allemands et

d‘environ 110.000 kilomètres carrés a été l’œuvre de l’année


1938. Nous sommes heureux qu’elle se soit effectuée sans
tirer un seul coup de feu.
(( J e dois en remercier tout d‘abord le seul véritable ami que

nous possédions aujourd’hui dans le monde, Benito Mussolini.


Nous savons tous, ce que nous lui devons.
u J e voudrais aussi rendre hommage aux deux autres
hommes d’État qui se sont efforcés, avec nous, de trouver une
solution pacifique à ce problème.
u Les chefs de gouvernement qui nous font face affirment
qu’ils veulent la paix et nous devons les croire. Mais ils gou-
vernent des pays dont la structure permet à tout instant de les
remplacer par d’autres, qui ne la veulent pas. I1 suffirait qu’un
Duff Cooper, un Eden ou un Churchill prenne la place de
Chamberlain? pour qu’ils déclenchent aussitôt une seconde
guerre mondiale, car telle est leur intention. Ils ne s’en cachent
pas : ils le proclament ouvertement.
u Cette constatation nous oblige à veiller sur la sécurité d u
Reich avec une vigilance accrue. C’est pourquoi j’ai décidé de
poursuivre avec la dernière énergie le renforcement de nos
fortifications de l’ouest, dont j’avais annoncé la construction
dans mon discours de Nuremberg 2. J’ai également ordonné
d’inclure dans la zone fortifiée les deux grandes avancées
d’Aix-la-Chapelle et de Sarrebruck.
1. Hitler fait allusion ici au général Beck et aux membres de l’opposition
militaire et politique.
2. Voir vol. V, p. 246.
20 3ISTOIRE D E L’ARMBE ALLEMANDE

(( En tant qu’État fort, noua sommes prêts à nous entendre

avec tous nos voisins. Nous n’avons aucune revendication à


formuler à leur égard. Mais je voudrais leur donner un aver-
tissement, qui a trait avant tout ti nos relations avec l’Angle-
terre : il serait bon qu’on y renonce à certaines allures qui sont
une survivance de ïdP0 ue de Versailles. Nous n’avons pas
...
1
besoin de leçons de mora e, N-des conseils d’une gouvernante
anglaise Que ces messieurs s’occupent de leurs propres
affaires...
(( Aucun peuple n’a plus besoin de paix que le peuple

allemand. Mais aucun ne sait mieux que lui ce qu’il en coûte


d’être faible et de tomber sous la coupe des autres. C’est un
miracle que la résurrection allemande ait pu s’accomplir en si
peu d’années. Les choses auraient pu se passer tout autre-
ment! C’est pourquoi je compte sur vous tous pour préserver
ce qui a été acquis et pour sacrifier, le cas échéant, vos
intérêts personnels aux intérêts plus vastes du peuple et du
Reich! D
Quoique moins virulent que celui de Churchill, ce discours
d’Hitler consterne l’opinion. Le 5 octobre, le jour même où
le chef de l’opposition britannique avait prononcé son réqui-
sitoire devant la Chambre des Communes, Hitler avait
remercié, en termes chaleureux, R les deux grands hommes
d’Etat - Daladier e t Chamberlain - qui, dans une heure
historique, avaient su régler un des problèmes les plus brû-
lants de l’Europe en recourant à la conciliation ».Et voilà
qu’il évoque des menaces de guerre, ordonne le renforcement
des fortifications de l’Ouest et invite ses compatriotes à
redoubler de vigilance! Comme ses paroles sont retransmises
par tous les postes d’Allemagne, alors que peu de personnes
ont entendu l’appel aux armes de Churchill2, chacun se
demande ce qui a bien pu se passer,
La réplique d’Hitler a piqué Churchill au vif. Saisissant la
balle au bond, il reprend 1a.parole à la radio, le 16 octobre.
Et cette fois-ci, il s’adresse à l’Amérique entière :
(( On dit que nous ne devrions pas nous laisser entraîner à

créer un antagonisme entre nazisme et démocratie D, déclare-


t-il. (( Mais cet antagonisme existe déjà. C’est dans ce conflit
1. Discours prononcé au Sportpalaat, pour l’inauguration de la campagne du
Secours d’hiver. (5 octobre 1938.)
2. a Dans l’allégresse qui avait suivi l’angoisse générale u, écrit Grégoire Gafenco,
ale monde était peu disposé à écouter les Cassandre. Le discours de Churchill
n’avait soulevé qu’un faible écho. I (Derniers Jours de l’Europe, p. 22.)
D E MUNICH A PRAGUE 21
même d’idées morales et spirituelles que les pays libres puisent
une grande partie de leur force. Des canons, des avions, on
peut en fabriquer en série. Mais comment dompter les élans
naturels du cœur humain qui, depuis tant de siècles d’épreuves,
d’expériences et de progrès, a hérité de toute une panoplie de
connaissances redoutables et indestructibles... La cause de la
Liberté possède en elle-mêmeune puissance de renouvellement,
une vertu qui lui fait puiser dans l’infortune même ses forces
et son espoir... Je prévois que les principes qui ont imprimé
son caractère à la civilisation libre et tolérante de la Grande-
Bretagne s’étendront un jour bien au-delà des confins de cette
île fortunée, pour régner sur le monde turbulent et formi-
dable qui nous entoure 1. n

Ces paroles de Churchill ont la valeur d‘un avertisse-


ment. Mais Hitler n’y répondra pas. I1 se borne, cinq jours
plus tard, à envoyer trois directives à son Etat-Major. La
première a trait aux mesures à prendre pour renforcer la
sécurité des frontières du Reich 2 ; la seconde se rapporte
à l’occupation du Territoire de Memel; la troisième ordonne
de préparer sans retard l’anéantissement de ce qui reste
de la Tchécoslovaquie :
L’Armée n, y lit-on, (( doit se tenir prête à tout moment à
écraser ce qui reste de la Tchécoslovaquie si elle fait mine de
poursuivre une politique antiallemande.
(( Les préparatifs de la Wehrmacht, à cet effet, seront m’cessai-

rement moins amples que ceux prévus dans le Plan VERT. E n


revanche, d u fait qu’il faille renoncer à toute mesure de mobilisa-
tion méthodique, les unités devront être maintenues constamment
e n état &alerte, de façon à pouvoir déclencher une attaque fulgu-
rante, de nature à enlever a u x TcMques toute possibilité de résis-
tance, à détruire ce qui subsiste de leurs forces et à remporter un
succès rapide et décisif 8. n
1. Winston CHURCHILL, Discours a d r e d au peuple des États-Unw d‘Amérique,
le 16 octobre 1938.
2. Son inspection des fortifications tchhques l’a convaincu que la Ligne Siegfried
&ait insuffisante.
3. Directives donnéea par le Führer à Berlin, le 21 octobre 1938, et transmises
par le général Keiiel aux Generalkommanàoa de la Wehrmacht, O . K . W . L. Ia,
no@ 236/38.
II

L’ARBITRAGE DE VIENNE

(2 novembre 1938)

En apposant leurs signatures au bas des Accords de Munich,


Daladier, Chamberlain, Hitler et Mussolini n’ont pas seu-
lement réglé le problème des Sudètes : ils ont signé l’arrêt
de mort de la Ire République tchécoslovaque, telle qy’elle
avait été créée en 1919. A sa place est apparu un nouvel Etat :
la IIe République tchéco-slovaque. L’insertion d’un trait
d’union entre les mots (( tchèque )) et (( slovaque )) n’est pas
un simple artifice typographique : elle signifie que la struc-
ture unitaire de 1’Etat a volé en éclats sous le choc des
événements. Au lieu d’être centralisée, la nouvelle Tchéco-
Slovaquie aura un caractère fédératif. Au lieu d’être soumis à
la primauté des Tchèques, les Slovaques et les Ruthènes y
jouiront de l’autonomie que Masaryk leur avait promise l, que
les Alliés leur avaient confirmée 2, mais que les autorités
de Prague ne leur avaient dispensée qu’avec la plus extrême
parcimonie.
Le 4 octobre,Benès adresse une lettre au général Sirovy
pour l’informer qu’il a décidé de se démettre de ses fonctions
de président de la République :
(c J’ai été éEu »,lui écrit-il, (( duns des circonstances trop diffé-
rentes de l‘état actuel des choses pour que ma personne ne soit
pas un obstacle à l‘œuvre d’adaptation qui s’impose à notre
I.Par les Accords de Pittsburgh et de Homestead. (Voir vol. V, p. 97 et
98.)
2. Par le Traité de Saint-Germain, sur les minorités. (Voir vol. V, p. 157-
158.)
DE MUNICH A PRAGUE 23
pays dans le domaine international, ainsi qu’au rétablissement
rapide de la tranquillité dans toute la région qui nous entoure...
Tirant les conclusions de cette situation, j’ai estimé nécessaire
de renoncer à mes fonctions. n

Le lendemain, le général Sirovy fait part de cette décision


au Parlement de Prague :
a Avec toute la douleur que peut éprouver un ancien Légion-
naire qui a contribué à l’édification de cet État »,déclare-t-il
aux députés, (( je remplis la tâche la plus pénible qui soit
en vous annonçant que le Président de la République,
M. Edvard Benès, a renoncé à ses fonctions, demeurant jusque
dans cet acte un radieux exemple d’abnégation l. Cette déci-
sion du Président est pour nous si douloureuse que les mots
ne peuvent exprimer qu’un pâle reflet de nos sentiments 2. n

Le général Sirovy annonce ensuite que, (( pour ne pas laisser


le pays sans chef dans une période aussi critique »,il assu-
mera les fonctions de Chef de 1’Etat jusqu’à ce qu’un nouveau
Président ait pu être élu a. Puis il fait connaître qu’il a décidé
de remanier le Cabinet. Lui-même continuera à exercer les
fonctions de Président du Conseil et de ministre de la Défense4.
E n revanche, M. FrantiSek Chwalkovsky, le chargé d’affaires
tchécoslovaque à Rome, remplacera M. Krofta au ministère
des Affaires étrangères et le portefeuille de l’Intérieur sera
confié à M. Jean Cerny.
Simultanément, un Gouvernement autonome de Ruthénie
(Podkarpatska Rus %) se constitue à Uzhorod sous la prési-

1. I fidouard Benès ne représentait plus désormais dans son pays qu’une défaite,
un deuil, un passé )), écrit Léon Blum dans le Populaire du 6 octobre. I Par sur-
croit, la haine que lui porte le Führer-Chancelier a été exprimée avec une vio-
lence trop publique pour qu’il puisse l’ignorer et il fait encore, à la tranquillité
de son pays, le sacrifice de sa personne. u
2. Déclaration du général Sirovy au Parlement de Prague, le 5 octobre 1938.
Avec le départ de Benès, c’est toute la Tchécoslovaquie des Légionnaires qui
s’écroule.
3. Si le général Sirovy a jamais été persona grata à Moscou, il cesse de l’être
à partir de ce moment. E n 1945, il sera arrêté par les Russes et condamné à une
lourde peine de prison, pour être resté au pouvoir après Munich.
4. Fonctions qu’il détenait depuis le 22 septembre, date ti laquelle son Cabi-
net d’Union nationale s’est constitué sous la pression de la rue. (Voir vol. V,
p. 441.)
5 . M. Krofta, qui a été longtemps le bras droit de Benès, le suit dans sa retraite.
6. Ou n Ukraine subcarpathique a. C‘est le nom sous lequel lea Ruthènes
désignent leur pays, pour souligner qu’il fait partie d’un ensemble plus vaste.
Par le Traite de Saint-Germain sur les minorités, les Tchèques s’étaient engagés
& donner aux Ruthènes a la plus large autonomie compatible avec l’unité de
24 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

dence de M. André Brodyl, et un Gouvernement autonome


de Slovaquie se forme à Bratislava sous l’égide de Mgr Tizo S.
Mais contrairement au chef du Gouvernement ruthène,. qui
préfère marquer ses distances à l’égard de Prague, celui du
nouveau Gouvernement slovaque fera partie du Gouverne-
ment central. Mgr Tizo siégera donc dans le Cabinet Sirovy,
avec le titre de a Ministre pour les Affaires slovaques * n.

4 4

Le 6 octobre, M. Benès se retire avec sa famille dans sa


propriété de Sezimovo Usti, en Bohême du Nord. Mais à
peine a-t-il quitté le palais du Hradjin que les critiques les
plus acerbes se déchaînent contre lui. Déjà, avant la crise, de
graves divergences de vues l’avaient mis en conflit avec
MM. Hodja, Beran, et les principaux dirigeants du Parti
agrarien tchèque 4.
- (( Ce qui est arrivé était facile à prévoir »,déclare
M.Beran au Comité directeur de son Parti. a Nous en avions
maintes fois prévenu M. Benès, mais il n’a jamais voulu
nous écouter. D’ailleurs, il n’était pas des natres. I1 ne repré-
sentait pas l’opinion de la masse des paysans tchèques, catho-
liques et réalistes, mais celle d’une petite clique d’idéologues
progressistes et francs-maçons qui avait trop longtemps vécu
à l‘étranger et qui cherchait ses mots d’ordre à Genève
et à Paris. De toutes les fautes qu’il a commises, la plus
grave a été son Pacte avec Moscou. A vouloir trop forcer la
l’État D. (Voir vol. V, p. 157.) P a r la suite, a Prague a tourné la difficult8
en empêchant une Diéte locale de se constituer, en réduisant au maximum les
pouvoirs du Gouverneur élu et en plaçant toute l’administration entre les mains
de fonctionnaires tchèques *. (Cf. Clarence A. MANNING, Twentieth century
Ukraine, New York, 1951, p. 122.)
1. M. Brody est arrêté quelques jours plus tard par ordre du Gouvernement
de Prague, sous prétexte qu’il prépare l’incorporation de la Ruthénie à la Hon-
grie. (Originaire de la portion du pays où la population hongroise est prédomi-
nante, Brody est anti-ukrainien et magyarophile.) II est aussitôt remplacé par
un prêtre orthodoxe ukrainien, Mgr Augustin VoloSin, qui annonce que des e l x -
tions générales auront lieu sous peu.
2. Mgr Tizo, de confession catholique, a succédé à Mgr Hlinka à la têto du
Parti populaire slovaque. Le 19 septembre, c’est-&dire dix jours avant Muriich,
ce Parti a tenu un Congrés à Bratislava, à l’issue duquel il a adopté une motion
déclarant : s Les populations slovaques passeront aux actes si l’autonomie ne
leur est pas rapidement accordée. B
3. Les liens entre Bratislava et Prague ne sont donc pas encore rompus.
4. Voir vol. V, p. 186, 188, 197, 352, note 1 , e t p. 355, note 6.
Les vues de ce parti se rapprochaient davantage des thèurî de M. KramarE,
que de celles des chefs de la a Résistance extérieure n. (Sur IC conflit Kwrriar6-
Benès, voir vol. V, p. 86 e t 116-118.)
DE MUNICH A PRAGUE 25
dose, il a tout fait craquer. Sa politique personnelle a imposé
à la Tchécoslovaquie un rôle incompatible avec sa situation
géographique et qui ne pouvait que nous attirer l’inimitié
de tous nos voisins l. n
I1 est certain qu’au cours des années écoulées, Benès s’est
fait beaucoup d’ennemis, non seulement parmi ses adversaires
mais panni ses anciens amis. I1 s’est brouillé avec Osusky,
son ministre à Paris, qui l’accuse de n’avoir tenu aucun
compte de ses conseils 2. I1 s’est brouillé avec M. Chwal-
kovsky, son ministre à Rome, qui lui adresse le même
reproche S. Bref, le mécontentement s’accroît dans de telles
proportions que le Parlement décide de constituer une Com-
mission d’enquête, dont il confie la présidence au sénateur
MatouSek. Celle-ci aura pour tâche :
10 De rechercher les causes de la (( catastrophe nationale ))
et d’établir le rôle personnel joué par M. Benès;
20 D’enquêter sur les conséquences de l’attitude observée
par l’ancien régime dans le domaine de la politique inté-
rieure;
30 De faire toute la lumière sur le r6le du Service de Presse
du ministère des Affaires étrangères et sur l’usage fait par
ce service des fonds spéciaux mis à sa disposition 4;
40 De définir le rôle joué pendant la crise, entre le mois
de mai e t le mois de septembre? par certaines personnalités
et notamment par certains ministres à l’étranger S.
Etant donné la nature de ces accusations, chacun pense
que l’ancien Président de la République ne tardera pas à
être traduit devant les tribunaux

I . Déclarations de M. Beran, Secréiaire gênbral du Parti agrarien, devant le


Comité direcieur de ce parti, réuni en séance extraordinaire à Prague, le 7 octobre
1938.
2. II ne lui a pas pardonné, non plus, l’envoi, derrière eon dos, de M. NeEas
Paris. (Voir vol. V, p. 393 et 394, note 2.)
3. Celui-ci envoie aux chefs des Partis formant la coalition gouvernementale une
lettre dans laquelle il dit notamment : a Les rapports que j’ai fait parvenir A mon
Gouvernement durant mon séjour à Rome, ont été neutralisés par des informa-
tions provenant d’autres sources. Personne n’a suivi mes conseils. Les documents
concernant mon activité se trouvent au ministère des Affaires étrangéres. J e
les présenterai au Parlement. I (Kessings Contemporary Archiu, 14 novembre
1938.)
4. Le ministère des Affaires Btrangères dtait, depuis vingt ans, le a domaine
réservé B de Benès.
5. KEESINO,Id., ibid.
6. La Commission Matoubek devra ddposer ses conclusions dans un délai
maximum de trois mois. Mais i’affaire n’aura pas de suites car le payn aura subi,
dans l’intervalle, de nouveaux ébranlements.
26 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE
Comme si cette levée de boucliers n’était pas suffisante,
le Gouvernement allemand fait savoir à Prague, ((que ses
plans concernant la Tchéco-Slovaquie ne pourront être que
provisoires, aussi longtemps que M. Benès restera dans le
pays D. Effrayé par cette menace -
car l’Allemagne n’a pas
désarmé - le nouveau Gouvernement dépêche plusieurs
émissaires à Sezimovo Usti, pour presser Benès de s’en aller
au plus vite l. Sentant que l’opinion lui devient de plus en
plus hostile, l’ancien Président de la République ne se
le fait pas dire deux fois : le 22 octobre, il prend l’avion pour
Londres, (( afin de ne pas compliquer encore la tâche du
nouveau Cabinet ».
t
* *
Tandis que la Tchéco-Slovaquie s’avance à grands pas sur
la route de la dislocation, des scènes inattendues se déroulent
en Ruthénie, auxquelles l’opinion occidentale n’a pas prêté
suffisamment attention.
Abusés par la propagande moscovite, la plupart des gens
considèrent l’Ukraine comme une simple entité géogra-
phique, alors qu’elle constitue, en réalité, une nationa-
lité, ayant son histoire, sa langue et sa personnalité. Ce
pays, qui s’étend des pentes orientales des Carpathes jus-
qu’aux contreforts du Caucase et dont la population
dépasse 41 millions d’habitants, n’est pas seulement le
plus riche d‘Europe par ses ressources naturelles 4. C’est
aussi la nation la plus déchirée du continent, car elle n’a cessé

1. E n réalité, le Gouvernement de Prague est très embarrassé à l’idée de faire


passer Benès en jugement. I1 n’est que trop heureux de s’abriter derrière la menace
allemande, pour le presser de quitter le territoire national.
2 . hfemoirs of Dr Benès, Londres, 1954, p. 51. Benès quittera l’Angleterre
le 2 février 1939, à bord du George Washington,, pour se rendre en Amérique,
où il a été nommé chargé de conférences à l‘Université de Chicago.
3. Sa superficie totale est d’environ 800.000 km*.
4 . Production ihdustrielle (en 1937) : charbon : 81 millions de tonnes; pétrole :
22.664.000 tonnes; fer : 21 millions de tonnes; manganèse : 442.000 tonnes; alu-
minium : 40.000 tonnes; zinc : 5.000 tonnes, etc.
Production agricole (durant la même année) : blé : 106.100.000 quintaux; seigle :
68.500.000 quintaux; orge : 56.700.000 quintaux; avoine : 33.200.000 quintaux;
millet : 10.900.000 quintaux; maïs : 4.400.000 quintaux; betteraves à sucre :
111 millions de pouds (1 poud = 16 kg. 500).
Pourcentages de la production ukrainienne, par rapport à l’ensemble de la pro-
duciion de 1’U. R . S . S. :manganèse : 75 %; fer et fonte : 70 %; charbon :
69,8 %; acier : 63,3 %; soufre : 50 %; ciment : 45,4 %. Sucre : 69,5 % ; graisses
végétales : 33,3 yo;viande : 27,7 yo.
DE MUNICH A PRAGUE 27
d’être morcelée entre plusieurs États l. Son asservissement
a commencé à la fin du x v ~ esiècle e t s’est accentué en
1667, quand le Tsar Alexis la scinda en deux, abandonnant
toute sa moitié occidentale à la Pologne 2. I1 s’est encore
aggravé sous les règnes de Pierre le Grand3 et de Cathe-
rine II 4. Depuis lors, les Ukrainiens pleurent leur liberté
perdue. Ils ont cherché à la reconquérir à la faveur de révoltes
qui ont presque toujours été noyées dans le sang. La der-
nière en date est celle de 1917-1920, où la Rada de Kiev a
proclamé son indépendance et où des milliers de volontaires,
animés d’un patriotisme farouche, se sont groupés autour de
Simon Petlioura pour libérer le territoire des forces étran-
gères qui l’avaient occupé à la suite de la débâcle des armées
tsaristes : Autrichiens, Allemands, Russes Blancs et Polo-
nais 5. Ils ont succombé finalement sous le poids des armées
rouges 6 e t le joug moscovite est retombé sur eux. Mais
ce désastre n’a pas entamé leur courage et leurs chefs, réfu-
giés dans les capitales étrangères 7) n’ont pas cessé de pro-
clamer que la lutte pour leur libération n’était pas terminée *.
Or, l’autonomie dont vient de se doter la Ruthénie en
fait le seul fragment de l’Ukraine qui ne soit pas soumis à
une tutelle étrangère. Sans doute la (( Podkarpatska Rus 1)
n’est-elle qu’un tout petit fragment du territoire national S.
Uzhorod, sa capitale, n’est qu’une ville insignifiante, com-
parée à Kiev, à Kharkov, à Odessa ou à Dniepropetrovsk.
Mais c’est la seule qui soit libre lo. C’est unelucarneouverte

1. La Russie, la Pologne, l’Autriche, la Hongrie, la Roumanie et enfin la Tché-


coslovaquie.
2. Par le Trait6 d‘dndrussovo (1667), la Pologne reçut toute la partie de
l’Ukraine située ;1 l’ouest du Dniepr. La partie orientale, avec Kiev, échut a
la Russie.
3. Pierre le Grand écrasa les troupes de I’hetman Mazeppa au lendemain de
la défaite infligée Charles XII à Poltava (1709) et en profita pour réduire les
libertés ukrainiennes.
4. Par l’ukase du 15 décembre 1763, Catherine II imposa le servage à tous
les paysans ukrainiens. E n 1764,elle supprima la fonction d’Hetman, qui ne
fut plus qu’un titre honorifique e t divisa l’Ukraine en cinq provinces, gouver
nées chacune par un fonctionnaire nommé par clic. a Des anciennes libertés ukrai-
niennes, il ne subsista plus rien a (Borschak).
5. Notamment des Légionnaires de Pilsudski, qui auraient voulu annexer toute
l’Ukraine occidentale pour redonner à la Pologne ses frontières de 1667.
6. Commandées par Boudienny, Blücher et Ordjonikidzé.
7. Notamment Skoropadski, Petlioura, Konovaletz et Melnyk.
8. Cf. le Testament politique de Petlioura. (Le Trident, n o 1, octobre 1925.)
9. A peine 14.900 km’ sur 800.000, et 569.000 habitants sur 41 millions.
IO. Lee autres sont placée, sous le contrôle de Moscou ou de Varsovie.
28 HISTOIRE DE L’ARMER ALLEMANDE

sur un avenir meilleur, le refuge de tous les rêves, le tremplin


de tous les espoirs ...
Lorsque les colonies ukrainiennes, dispersées à travers le
monde apprennent que la Ruthénie s’est émancipée et
que le drapeau bleu et or flotte de nouveau sur les églises
et les hatels de ville, elles se sentent soulevées par un frémis-
sement d’espérance. (( Maintenant »,se disent-elles, (( l’heure
de notre libération ne va pas tarder à sonne;. )) Des délé-
gations venues d’Allemagne, de France, des Etats-Unis e t
du Canada arrivent à Uzhorod pour apporter à Mgr Voloiin a
des encouragements et des subsides. Des vétérans de la guerre
de 1918-1920 accourent pour mettre sur pied les premiers
bataillons d’une nouvelle Légion ukrainienne 3. Dans ‘les
écoles, on rapprend aux enfants les chansons de leurs ancê-
tres. On y évoque les exploits des grandes figures du passé -
Stenka Razine, Chmelnitzki, Mazeppa - et le soir, sur les
places des villages, des jeunes gens déclament devant des
auditoires enthousiastes le poème d’un des combattants de
l’épopée de Petlioura :
Ah! qu’elle est belle, la patrie ressuscitée I
Hier on y pleurait encore,
Tandis que le glas funèbre sonnait parmi les ruines.
Mais une force nouvelle s’est révélée soudain.
Elle fait claquer nos drapeaux
Et se déchaîne comme une tempête.
L’aigle endormi rouvre enfin les yeux&!

En quelques jours, Uzhorod est devenu le siège d‘une


activité intense. Mais, comme bien l’on pense, tout ce remue-
ménage ne va pas sans inquiéter les pays voisins : la Hon-
e i e , qui ne revendique pas seulement la minorité magyare
vivant en Ruthénie 5 mais la Subcarpathie tout entière
comme ayant appartequ, depuis le lxe siècle, aux Pays de
la Couronne de saint Etienne; les Polonais, car plus de six
millions d’ukrainiens vivent en Galicie orientale, ce qui fait
craindre au Gouvernement de Varsovie qu’ils ne réclament
1. On évalue à 1.340.000 le nombre des Ukrainiens gui vivent à l’étranger,
dont 700.000 aux Etats-Unis et 270.000 au Canada.
2. Le nouveau chef du Gouvernement qui a succédé à M. Brody. (Voir plus
haut, p. 24, note 1).
3. Malgré la pénurie d’armes et la quasi-impossibilité de den procurer.
4. o. Oh.
5. Notamment dans les régions d’Uzhorod et de Munkacevo.
DE MUNICH A PRAGUE 29
eux aussi leur émancipation; enfin YU. R. S. S. qui, bien que
n’ayant pas de frontière commune avec la Ruthénie, se sent
encore plus directement visée. a Certes »,se disent les diri-
geants du Kremlin, u toute cette agitation ne nous impres-
sionne guère. La disproportion des forces est trop écrasante’. B
Mais une sourde inquiétude n’en persiste pas moins dans
leur esprit. Qu’arriverait-il si Hitler se faisait le champion
de l’indépendance ukrainienne et se servait de ce mot d’ordre
pour envahir la Russie2?
*
+ +

Pourtant leurs craintes sont injustifiées. Hitler a, pour


l’instant, d’autres soucis en tête. Ce qui se passe en.Ruthé-
nie le laisse indifférent.
Les Accords de Munich ont prévu que les Quatre Grands
se réuniraient de nouveau ccau cas où le problème de la
minorité hongroise de Tchécoslovaquie n’aurait pas été réglé
dans un délai de trois mois, par un accord direct entre les
Gouvernements intéressés 8 )). Dès le début d’octobre, des
délégués de Prague e t de Budapest. se sont rencontrés à
Komorn 4 pour établir le tracé de la nouvelle frontière. Mais
après plus d’une semaine de délibérations, ils se sont sépa-
rés en constatant qu’ils ne pouvaient s’entendre sur rien
(14 octobre). Comme le temps presse et qu’Hitler entend
écarter la France et l’Angleterre de toute nouvelle décision
concernant l’Europe centrale, il lui faut trouver rapidement
une autre solution.
A cette raison d’agir vite, s’en ajoute une seconde. A
Munich, Hitler a obtenu ce qu’il désirait : les Sudètes. Mais

I. (I II est évidemment possible 1, déclare Staline le 10 map9 1939, devant le


XVIII” Congrès du Parti communiste, a qu’il existe des fous en Allemagne qui
rêvent d’annexer l’éléphant, c’est-à-dire l’Ukraine Soviétique, au moustique, c’est-
à-dire à la dénommée Ukraine Carpathique. S’il existe vraiment de tels insensés
en Allemagne, ils peuvent être assurés que nous avons suffisamment de camisoles
de force toutes prêtes pour eux dans notre pays. Que l’on imagine le moustique
...
allant trouver l’éléphant pour lui dire : a Hélas, mon frère, t u me fais pitié! A
a te voir, j e ne puis m’empêcher de penser qu’il n’y a pas d‘autre espoir, pour toi,
a que de t’agréger à moi! 8
2. Ce n’est pas sans raison que M. Potemkine, vice-commissaire du Peuple
aux Affaires étrangères, s’entretenant le 28 septembre avec M. von der Schulen-
berg, l’ambassadeur d’Allemagne B Moscou, a fait figurer l’Ukraine p a r d les
pays auxquels le Reich ne tardera pas 2t s’attaquer. (Voir vol. V, p. 480.)
3. Annam I I . (Voir vol. Y, p. 490.)
4. Une petite ville aituée aur le Danube, à la frontière hungaro-slovaque.
30 HISTOIRE DE L’ARYSEALLEMANDE

Mussolini attend toujours que la minorité magyare revienne


à la Hongrie, ne serait-ce que pour valoriser le rôle tuté-
laire qu’il continue à vouloir assumer à l’égard de Buda-
pest1. Or, voici que les choses prennent mauvaise tournure.
Craignant de voir s’écouler sans résultat les trois mois au
bout desquels il faudra recourir aux Alliés, le Duce s’impa-
tiente. I1 demande à Berlin d‘accélérer le règlement.
Finalement, les deux dictateurs se mettent d’accord pour
instituer une Commission d’arbitrage italo-allemande, qui
tranchera le différend sans consulter Londres ni Paris.
Reste à obtenir le consentement des Parties. Berlin et
Rome ayant exercé une double pression sur Prague et Buda-
pest, celles-ci déclarent (( accepter d’avance la décision que
pourront prendre l’Allemagne et l’Italie )) (30 octobre).
La Commission d’arbitrage se réunit le 2 novembre 1938
au palais du Belvédère, à Vienne. Le décor est somptueux.
Des rangées de laquais en culotte courte et en perruque
poudrée, tenant à la main des flambeaux d’argent, font la
haie des deux côtés de l’escalier monumental, tandis qu’une
foule de diplomates et de militaires, revêtus d’uniformes
chamarrés et constellés de décorations, remplit les salons
de l’ancienne résidence du prince Eugène. M. von Ribben-
trop y représente le Führer-Chancelier et le comte Ciano,
Victor-Emmanuel III, roi d’Italie, Empereur d’Ethiopie.
Les deux ministres des Affaires étrangères prennent place
à une grande table, recouverte d’un tapis vert fran-
gé d’or. Après avoir examiné le point de vue hongrois
exposé par M. de Kanya 2, et le point de vue tchéco-
slovaque défendu par M. Chwalkovskys, ils rendent leur
sentence : une longue bande de terrain, s’étirant d’est
en ouest, contenant 746.000 Magyars et représentant toute
la partie méridionale de la Slovaquie sera restituée à la
Hongrie
Le Protocole de Vienne s’inspire, par plus d’un côté, des
Accords de Munich. Une carte y est annexée, sur laquelle

1. C’est la raison pour laquelle le Duce a insist6 pour que le rbglement du pro-
blème de la minorité hongroise soit expressément évoqué dans les Accords de
Munich.
2. Le ministre des Affaires étrangères de Hongrie.
3. Le nouveau ministre.des Affaires étrangéres de Tchéco-Slovaquie.
6 . L’Armée hongroise avait cherché à conserver ce territoire par la force en
décembre 1918; elle avait voulu le reconquérir en juin 1919.Mais Clemenceau avait
stoppé ses offensives par deux ultimatums successifs. (Voir vol, V, p. 129 e t 147.)
32 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE
figurent les territoires à rétrocéder 1. Leur évacuation par
les forces tchéco-slovaques commencera le 5 novembre et
devra être achevée le 10. Toutes les installations militaires
ou d’intérêt public devront être remises intactes aux auto-
rités hongroises. Enfin, le Protocole a un caractère ultimatif :
c’est une sentence sans appel que les Parties s’engagent à
appliquer sans modifications.
Cet arbitrage, rendu en dehors de la France et de l’Angle-
terre, est ressenti comme un affront par les Puissances occi-
dentales. Celles-ci avaient accepté le règlement de Munich,
mais elles n’avaient pas renoncé pour autant à jouer un rale
en Europe centrale. Par leur proposition conjointe du 19 sep-
tembre 2, elles s’étaient engagées à garantir les frontières de
la nouvelle Tchéco-Slovaquie e t cette promesse avait été
confirmée dans l’Annexe I de l’Accord 3. Elles s’attendaient
donc à être au moins consultées. Or,en les évinçant de 1’Arbi-
trage de Vienne, Hitler a marqué un peu plus sa volonté de
les repousser hors de ce qu’il considère comme u son espace
vital. A François-Poncet qui lui demande pourquoi il a
agi ainsi, il répond avec désinvolture :
- K C’était pour rendre service à l’Europe et épargner
à la France des troubles de conscience. Une conférence
élargie aurait provoqué une nouvelle crise. ))
D’avoir été placés ainsi devant le fait accompli entraîne,
pour Londres et Paris, une sérieuse perte de prestige. Mais
pour la Slovaquie, le choc est encore plus rude. Le tracé de
la nouvelle frontière a beau suivre de près la frontière lin-
guistique, les populations sont si étroitement imbriquées les
unes dans les autres que 75.000 Slovaques seront inclus contre
leur gré dans 1’Etat magyar. Coup sévère pour Mgr Tizo dont
l’accession au pouvoir coïncide avec un deuil national ...
Les Ruthènes,.quant à eux, sont encore plus mal lotis.
Sans doute l’Arbitrage de Vienne ne leur enlève-t-il qu’une
faible portion de leur territoire, celle où les Hongrois sont
incontestablement en majorité. Mais cette partie contient
les deux villes les plus importantes du pays : Uzhorod et
MunkaEevo 3. Force est à Mgr Volozin de se replier sur Chust,

1. Voir la carte p. 31.


2. Voir vol. V, p. 397 et 400, 8 VI.
3. Voir vol. V, p. 488-490.
4. Auxquelles les Hongrois i’empreasent de redonner leurs anciens noms d‘Un-
p a r et de Munkacz.
DE MUNICH A PRAGUE 33
une bourgade montagnarde accrochée au flanc des Car-
pathes, et d’y transférer le siège de son gouvernement.
L’indifférence manifestée par les autorités allemandes à
l’égard des Ukrainiens agit sur leur enthousiasme comme
une douche glacée. Ils n’en perdent pas pour autant confiance
en l’avenir. Mais beaucoup d’entre eux commencent à se
demander si Hitler a vraiment compris l’atout qu’ils repré-
sentent et s’ils ont raison de compter sur son appui pour
réaliser le rêve qui leur tient tant à cœur : la libération du
reste de l’Ukraine.

Y1
III

LES SOURCES D’OMBRE GRANDISSENT :


L’ASSASSINAT DU CONSEILLER VOM RATH
ET LA NUIT DE CRISTAL

(7-9 novembre 1938)

Au matin du 7 novembre, par un beau soleil d’automne,


un jeune homme vêtu d’une gabardine mastic et d’un complet
élimé arpente la rue de Lille, à Paris. Rien dans son aspect
ni dans son comportement ne le signale à l’attention des
passants. Mais son visage est triste, son regard un peu fié-
vreux et ses mains tremblent légèrement lorsqu’il allume une
cigarette.
Arrivé devant le 78, où se trouve l‘Ambassade d’Alle-
magne, il croise sur le trottoir un homme d’allure distinguée
qui se dirige vers le grand portail. C’est le comte Welczek,
ambassadeur du Reich, qui rentre de sa promenade mati-
nale. L’inconnu, qui ne sait pas à qui il a affaire, s’approche
de lui et lui demande à quelle porte doit s’adresser le
public. L’ambassadeur la lui indique et disparaît dans l’im-
meuble.
L’inconnu pénètre à son tour dans l’ancien hôtel de
Beauharnais. I1 demande à l’huissier de voir un fonction-
naire de la Légation.
- a J’ai des documents importants à remettre n, dit-il,
a J e voudrais Btre reçu personnellement. n
D E MUNICH A PRAGUE 35
L’huissier veut tout d‘abord le diriger sur le bureau du
conseiller Achenbach, mais celui-ci est absent l. I1 le conduit
donc au premier étage, au bureau d’un jeune conseiller
d’ambassade, M. Ernst vom Rath, qui vient de prendre
son service. L‘huissier, qui a déjà annoncé le visiteur par
téléphone, l’introduit dans la pièce et referme la porte der-
rière lui.
Le conseiller vom Rath, qui est assis face à la fenêtre devant
sa table de travail, fait pivoter sa chaise tournante pour
accueillir le visiteur. I1 lui indique un fauteuil, l’invite à
s’asseoir et le prie de lui montrer les documents annoncés.
A ce moment, le visiteur met la main à sa poche, en sort
un revolver - qu’il a acheté le matin même à un armurier
de la rue du Faubourg Saint-Martin -
et tire à bout por-
tant cinq balles sur le conseiller. Deux d’entre elles I’at-
teignent en plein ventre.
Alerté par les coups de feu, l’huissier revient précipitam-
ment sur ses pas. I1 rentre dans le bureau et aperçoit vom
Rath qui crispe les deux mains sur son ventre et lui dit d’une
voix éteinte :
- (( J e suis touché là. ))
Le meurtrier est debout, immobile à côté de sa victime.
I1 ne cherche pas à s’enfuir. Incapable de faire un geste, il
est en proie à un tremblement intense. On le remet à la
police française, tandis qu’une ambulance transporte vom
Rath à la clinique la plus proche 2. Les docteurs accourus
à son chevet 3 décèlent une hémorragie interne et estiment
qu’une intervention chirurgicale s’impose d’urgence. Mais
malgré les efforts des médecins, vom Rath expire le surlen-
demain 9 novembre, à 16 h. 30. L’Ambassade d’Allemagne
prend le deuil, car vorn Rath n’était pas seulement un jeune
fonctionnaire de 29 ans, promis au plus bel avenir ; il était
estimé de tous, aussi bien de ses collègues allemands que
de ses amis français.

1. S’il avait été présent ce jour-là, il ne serait pas devenu, par la nuite, député
au Bundestag de Bonn. Le détail a son importance,.caril prouve qu’il n’y avait
aucun lien personnel entre le meurtrier et sa victime.
2. La clinique de l’Alma, 166, rue de l’Université.
3. Le DE Madier, médecin de l’Ambassade. et le professeur Baumgartner.
36 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

+ *
Qui est donc l’inconnu qui a tiré sur lui e t quels sont les
motifs qui ont inspiré son acte?
Interrogé par la police, le meurtrier décline son identité.
I1 s’appelle Herschel Grynszpan. Agé de 18 ans, il est né
à Hanovre en 1920, de parents juifs polonais, installés
comme brocanteurs en Allemagne depuis 1911. I1 a com-
mencé à faire des études talmudiques, mais s’est expatrié
en 1935 et s’est réfugié en France, après avoir franchi
clandestinement la frontière. Depuis lors, il vit à la charge
de son oncle et de sa tante, qui habitent rue des Petites-
Écuries, Faute de papiers en règle, il ne trouve guère
d’emploi. Arrêté plusieurs fois pour infraction à la légis-
lation des travailleurs étrangers, il a été l’objet d’un
arrêté d’expulsion, qui est devenu exécutoire le 15 août 1938.
Or, l’idée d‘être renvoyé en Allemagne le remplit d’horreur.
Pour comble de malheur, il reçoit, le 3 novembre, une carte
de sa sœur lui annonçant que sa famille est ruinée et que
ses parents vont être refoulés sur la Pologne en même temps
que 12.000 de leurs coreligionnaires l. Cette fois-ci c’en est
tropi Expulsé de France, refoulé d‘Allemagne, accueilli en
Pologne à coups de baïonnette, Grynszpan se sent moins un
homme qu’une bête traquée.
Qui a armé son bras? Une association juive? Des agents
provocateurs? Non. Grynszpan ne connaissait pas vom Rath
et il a agi seul.
Mais un Juif Gomme lui n’est jamais seul, car il est habité
par l’angoisse, la colère et la peur qu’ont accumulées en lui
des siècles de tribulations. Ses parents lui ont raconté
- s’il ne les a pas vus lui-même -
les sévices dont les
1. Alors que 170.000 Juifs ont quitté l’Allemagne entre 1933 et 1938,
557.000 Juifs polonais sont venus s’y installer, pour fuir l’antisémitisme qui règne
en Pologne. En mars 1938,le Parlement polonais a interdit la nourriture 8 kascher ID
sur toute l’étendue du territoire et, le 5 octobre 1938,il a retiré la nationalité polo-
naise nux Juifs émigrés. Au m&memoment, le Gouvernement allemand a décidé
de refouler sur la Pologne 50.000 Juifs originaires de Galicie. Sendel Grynszpan,
le père de Herschel, sa femme et sa fille sont du nombre. Mais la police polonaise
les empêche de franchir la frontiére et lea rejette vers l’Allemagne à COUPS de
baïonnette. Force est au Gouvernement du Reich de les retranaporter vers leurs
lieux de domicile, mais avec le statut de a Juifs apatrides B, ce qui leur enlève
toute protection légale. C’est la nouvelle qui est parvenue à Herschel Grynszpan,
quatre jours avant qu’il ne commette son attentat. (Cf. Erich KERN, Opfergang
eines Volkes, p. 159-160.)
DE MUNICH A PRAGUE 37
siens ont été victimes dans les ghettos du a Judengrabenl D,
le cri des blessés piétinés par les charges de la police, les hurle-
ments de la foule, le bruit sourd des matraques, les yeux
vitreux des morts. Le souvenir de ces scènes atroces, auxquel-
les s’ajoutent à présent les interdictions qui découlent des
lois raciales allemandes, le hantent comme un cauchemar.
- La veille du jour où je me suis décidé à agir »,dira-t-il
à son juge d’instruction, c j ’ai eu une nuit très agitée durant
laquelle j’ai eu des rêves. J e voyais mes parents maltraités,
frappés, et ces visions me faisaient souffrir. J e voyais aussi
des hitlériens qui me saisissaient à la gorge pour m’étrangler.
J’ai revu des scènes de boycottage auxquelles j’avais per-
sonnellement assisté à Hanovre )) ...
A son réveil, dans la chambre qu’il a louée pour la nuit
à l’hôtel Idéal-Suez, boulevard de Strasbourg, il a rédigé
sur le dos d‘une vieille photographie, un message à sa famille
dans lequel il lui dit : (( Mes chers parents, je n’ai pu faire
autrement. Que Dieu me pardonne. Mon cœur saigne lorsque
je pense à notre tragédie et à celle des 12.000 Juifs. J e dois
protester de sorte que le monde entier entende ma protes-
tation et cela, je vais le faire. Excusez-moi. ))
Ce jeune homme silencieux et renfermé est un écorché vif.
I1 avance dans la vie entouré d’une cohorte invisible de mar-
tyrs et de morts, dont la présence lui paraît plus réelle que
celle des vivants. Ce sont eux dont les implorations muettes
l’ont poussé à assumer le rôle de vengeur et de justicier.

* *
L’attentat perpétré par Grynszpan contre vom Rath sou-
lève en Allemagne une émotion d’autant plus considérable
que ce n’est pas la première fois qu’un tel fait se produit.
Le 31 janvier 1936, Wilhelm Gustloff, le chef pour la Suisse
de l’organisation des Allemands à l’étranger, a déjàété abattu
à Davos par un Juif, du nom de David Frankfurter. Le Parti
a fait de la victime un héros national et a donné son nom à
l’un des paquebots de la c Force par la Joie n. Bien que vom
Rath ne soit qu’un personnage mineur, ce second coup
1. On se sert de ce terme, qui signifie I le fossé des Juifs U, ,pour désigner la
zone d’Europe orientale peuplée de centaines de milliers de Juifs, qui va de la
Baltique à la mer Noire en passant par la Pologne, la Galicie, la Bucovine, la
Roumanie et la Bessarabie.
38 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

de revolver donne à la police allemande l’impression qu’il


s’agit d‘un complot organisé visant à abattre, les uns après
les autres, les principaux représentants du Reich à l’étranger.
La nouvelle du décès de vom Rath est connue en Alle-
magne dans la soirée du 9 novembre. Ce soir-là, le Führer est
à Munich, où il fête le quinzième anniversaire du putsch
de 1923. I1 se trouve dans la salle de l’hatel de ville,
entouré de ses gauleiters et des membres de la Vieille
Garde )) en qui s’incarne avec le plus d’intransigeance, l’idéo-
logie du Parti. Au cours de la réunion, on annonce à
M. Sprenger, le gauleiter de Hesse, que la population de
sa province a commencé à saccager les magasins juifs et à
incendier les synagogues. Gœbbels demande au Führer
quelles mesures il convient de prendre pour réprimer ces
désordres.
- (( Aucune D, répond Hitler. (( J e ne vois, pour ma part,
aucune raison d‘intervenir : la réaction spontanée de l a
population nous fournira peut-être le moyen de régler le
problème juif, une fois pour toutes. 1)
Sur ces paroles ambiguës, le Führer quitte la salle. Les
gauleiters, qui les interprètent comme une approbation des
excès - ce qu’elles sont en effet -se précipitent au téléphone
pour dire aux Sections d’Assaut d’y aller carrément l.
Cet ordre sera exécuté avec une brutalité inouïe. Dans
toutes les villes d’Allemagne, la nuit du 9 au 10 novembre,
à laquelle on donnera comme par dérision le nom poéti-
que de (( Nuit de Cristal)), sera marquée par des scènes
d‘une incroyable sauvagerie. Les vitres des magasins juifs
voleront en éclats, leurs portes seront défoncées, leurs
demeures saccagées, leurs sanctuaires profanés et incendiés.
Des dizaines de milliers de Juifs seront arrêtés ou molestés.
A Dresde et à Berlin, une pègre surgie des bas-fonds profite
de l’occasion pour donner libre cours à ses instincts de
pillage. Bientôt, la frénésie est telle qu’elle commence à
échapper au contrale du Parti. M. Kaufmann, gauleiter de
Hambourg, le seul qui, par hasard, ne se soit pas trouvé à
Munich, réussit à limiter les dégâts dans sa circonscription.
Gœbbels lui-même prend peur. Après avoir déclaré : Voilà
la réponse du peuple allemand! 1) il téléphone à la police
pour lui demander de mettre un terme aux actes de vio-

1. Fritz W~EDBNANN,
Der Mann der Feldherr werah -Ute, p. 189490.
DE MUNICH A PRAGUE 39
lence. Le comte Helldorf, préfet de police de Berlin, qui
est en vacances, rentre précipitamment dans la capitale.
Le ministre de la Propagande le convoque dans son bureau
aux premières heures du jour. Plus intelligent que la
plupart de ses collègues du Parti, il est consterné par les
conséquences matérielles et morales de cette explosion de
fanatisme :
- N Regardez ce qu’ont fait ces idiots de Munich, ces
imbéciles à tête carrée qui ne comprennent rien à la poli-
tique! )) dit-il à Helldorf. (( De tels procédés nous font un
tort inimaginable. Ils risquent de nous coûter un million de
soldats allemands l! ))
Le 12 novembre, N afin de donner un caractère légal à la
colère populaire »,Gœring promulgue deux décrets visant
à (( réglementer la situation des Juifs en Allemagne n. Le
premier les condamne à payer collectivement un milliard de
Reichsmarks, à titre de réparation pour l’assassinat de vom
Rath. Le second a pour effet de mettre au ban de la nation
les quelque 500.000 Juifs qui y vivent encore. Désormais,
ceux-ci ne pourront plus posséder ni magasins, ni entreprises
de transport, ni comptoirs d’achat. Ils ne devront plus
exercer de profession libérale, ni être présidents, admi-
nistrateurs ou directeurs de sociétés. I1 leur sera interdit
d’exposer leurs marchandises sur les marchés et dans les
foires. Ils ne pourront plus faire partie d’aucune association.
Ils n’auront pas le droit d’acheter des immeubles ou des
terrains, e t seront expropriés de ceux qu’ils possèdent déjà.
Ils ne pourront plus faire le commerce de l’or, des bijoux,
ou des pierres précieuses. Ils devront déclarer leurs avoirs
et leurs titres, qui seront soumis à un contrôle bancaire
rigoureux. S’ils veulent s’expatrier, ils ne pourront en
emporter que 5 % avec eux 4.
Les lois de Nuremberg étaient graves; mais elles n’étaient
encore qu’un prélude. Elles ne visaient qu’à établir une
ségrégation de principe entre les Allemands et les Juifs.

1. Prince Friedrich-Christian zu SCHAUMBURG-LIPPE, Dr G., p. 182-183.


2. En réalité, la grande masse du peuple allemand n’a pris aucune part à ces
scènes de violence et les a même vivement rhprouvées. A Berlin, on a vu des
agents de police pleurer devant le spectacle de ces désordres. a Nous sommes
là pour maintenir l’ordre D, disent-ils, u et on nous empêche d’intervenir ! D
(Cf. WIEDEMANN, Op. cit., p. 190.)
3. Sühneleistung.
6. Contre 75 % eq 1933. (Cf. TANSILL, Back Door fo War, p. 434.)
40 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

Cette fois-ci, il s’agit de les expulser de la collectivité, de


briser leur puissance financière et économique et de les
réduire à une existence misérable.
Ces mesures sont encore aggravées par une Ordonnance de
police, prise par Himmler le 3 décembre 1938, et qui s’étend
sans distinction à tous les territoires du Reich, y compris
la Sarre, l’Autriche et les Pays sudètes l. Les Juifs n’auront
plus le droit de se montrer dans les réunions et les lieux
publics (hôtels, restaurants, théâtres, cinémas, salles de
concert, etc.) en dehors de certaines heures. Leurs permis de
conduire leur seront retirés. Ils n’auront plus le droit de
publier des livres, d’écrire dans la presse, de participer à la
création ou à l’exploitation de films et de pièces de théâtre,
à moins qu’ils ne traitent de sujets juifs et soient exclusive-
ment réservés à un public israélite. Bref, les Juifs sont consi-
dérés désormais comme des parias -
et traités comme tels.
*
* *
Faut-il s’étonner, dans ces conditions, si toutes les com-
munautés juives réparties à la surface du monde comme un
fin tissu nerveux e t déjà sensibilisées à l’extrême par les lois
de Nuremberg, se crispent de douleur devant le traitement
inhumain infligé à leurs frères? Même si elles n’étaient pas
unies, comment ne le deviendraient-elles pas? Déjà au début
du siècle on avait coutume de dire : Le Juif de New York
crie, si l’on marche sur le pied d’un Juif de Varsovie. n Et
Schopenhauer avait remarqué : La Patrie des Juifs, c’est
l’ensemble des Juifs. Du ministre baptisé au mendiant polo-
nais, ils forment une chaîne. Cette communauté d’intérêts et
de sensibilité est un des traits caractéristiques du Judaïsme. 1)
Les journaux duReich ont beau tenter de justifier ces mesures
par (( la place exorbitante occupée par les Juifs dans l’éco-
nomie et la vie culturelle allemapdes )I, par (( le rôle de premier
plan qu’ils ont joué dans l’écroulement de l’Empire et dans
la révolution de 1919 D, par (( les fortunes scandaleuses édi-
fiées par certains d’entre eux à la faveur de l’inflation 2 D;
ils ont beau invoquer des articles de la presse judéo-anglo-
américaine dans lesquels les Juifs eux-mêmes se déclarent
1. Oô la législation raciale allemande n’a pas encore été introduite.
2. Dokuments und Berichfe ..., non 21-26, p. 256-257 ; Deutsch8 Diplomatische
Korreapondm~,no 202.
DE MUNICH A PRAGUE 41
en guerre avec le Reich depuis 1933 et affirment qu’ils se
sont juré de détruire l’Allemagne 1, comment ne voient-ils
pas la haine qu’ils sont en train d’accumuler contre eux?
D’autant plus que les Juifs ne sont pas les seuls à réagir.
Si la ((Nuit de Cristal )) soulève un fort mouvement de
réprobation en Europe, elle révolte l’Amérique entière. Le
14 novembre, une grande campagne radiophonique réunis-
sant les représentants des milieux les plus divers, flétrit
en termes virulents ce qui vient de se passer en Allemagne.
Parmi les principaux orateurs figurent l’ancien président
Hoover 2, Harold L. Ickes, ministre de l’Intérieur, le
R. P. Gannon, président de l’université catholique de Ford-
ham et l’évêque Edwin Hughes, de l’Eglise méthodiste
épiscopale. Le même jour, M. La Guardia, le maire de New
York, déclare :
- (( Le 3 mars 1937, devant la section féminine du Congrès

juif américain, j’ai proposé que l’on construise à 1’Exposi-


tion internationale de New York, en 1939, un temple consacré
à la liberté religieuse. J’ai suggéré que l’on place à son centre
une Chambre des Horreurs avec, comme point de mire, une
effigie de ce fanatique en chemise brune qui menace la paix
du monde. On a dit à l’époque que j’exagérais 3. Dix-huit
mois se sont écoulés et l’on voit aujourd’hui combien j’avais
raison! ))
Le 15, Roosevelt réunit une conférence de presse à la
Maison-Blanche, au cours de laquelle il stigmatise les méthodes
du régime nazi :
- (( Jamais je n’aurais cru possible n, déclare-t-il, (( que

de pareilles horreurs puissent se passer en plein X X siècle


~ 4! ))
I1 annonce le rappel de M. Hugh Wilson, l’ambassadeur des
1. u Les peuples juifs du monde entier déclarent la guerre financière e t éco-
nomique à l’Allemagne. D (Doily Espress, 24 mars 1933.) a Le Congrès mondial
juif est, depuis sept ans, en guerre avec l’Allemagne. D (Rabbin M. PERLZWEIG,
Toronto Evening Telegram, 26 février 1940.) u Nous sommes en guerre avec 1’Alle-
magne depuis le premier jour de la prise du pouvoir par Hitler. D (Jewish Chro-
nicle, Londres, 8 mai 1942.)
2. Le président Hoover a fait, l’année précédente, un voyage en Allemagne
dont il est revenu très favorablement impressionné.(Voir vol. V, p. 331, note 6.)
A partir de novembre 1938, son opinion change du tout au tout.
3. Le Milwaukee Journal, le Brooklyn Dail!/ Eagle, le Detroit Free Press et
le Rochesfer Democrat und Chronicle, avaient protesté u contre les outrances ver-
bales du maire de New York D. Cette fois-ci, aucun journal ne relève ses propos.
4 . New York Times, 15-16 novembre 1938. Le comte Potocki, ambassadeur
de Pologne A Washington écrit, le 12 janvier 1939, à son Gouvernement : u Les
excès antisémites qui ont eu lieu récemment en Allemagne ont déclenché ici
une campagne antiallemande d‘une rare violence. A cette campagne ont p a r
42 HISTOIRE DE L ’ A R Y ~ E ALLEMANDE

États-Unis à Berlin l. A quoi l’Allemagne riposte par le rappel


de M. Dieckhoff, l‘ambassadeur du Reich à Washington 2.
Mais Rooserelt ne s’en tient pas aux protestations verbales.
I1 introduit devant le Congrès une procédure tendant à
modifier la loi de neutralité et à remplacer la clause cash
and carry par le système (( prêt et baila ».I1 se déclare favo-
rable au boycott des produits allemands aux États-Unis,
insiste pour que l’on accélère la réalisation de son programme
d’armements 4 et exerce une pression croissante sur le Gou-
vernement anglais, pour qu’il renonce à sa politique de conci-
liation 5.
Rien ne rend mieux compte de l’évolution survenue chez
les dirigeants dela Maison-Blanche que les deux faits suivants :

ticipé divers intellectuels et financiers juifs, Bernard Baruch, Frankfurter, Juge


à la Cour suprême, Morgenthau, Secrétaire d‘fitat au Trésor, et d’autres qui
sont personnellement liés d’amitié avec Roosevelt. Ce groupe de personnes, qui
occupent les plus hautes situations dans le Gouvernement américain... se rat-
tachent par d’indissolubles liens à l’Internationale juive ... D Même observation
chez Chastenet : e Le redoublement, à partir de novembre 1938, de la terreur
antisémite en Allemagne déclencha dans le monde une série de réactions passion-
nément antiailemandes, spécialement dans les milieux financiers et intellectuels
de New York. D (Hiabire de la Troiaidme République, VII, p. 92.)
I. Juste avant de recevoir sa lettre de rappel, M. Wilson a fait savoir à M. Cor-
dell Hull que M. Reynolds, sénateur de la Caroline du Nord, l’a prié de lui ménager
une entrevue avec Hitler.$- Étant donné les circonstances actuelles I , lui répond
le Secrétaire d’État, a nous estimons qu’il serait inopportun, de la part de l’Am-
bassade, de ,solliciter ou d’organiser une entrevue avec Hitler, pour aucun Amé-
ricain, qu’il soit officiel ou non, a 8 Manifestement a, remarque Tansill à ce
propos, u Hull considérait que tous les Américains devaient être protégés du moindre
contact avec Hitler. D (Op. cit., p. 437.)
2. L’ambassadeur Dieckhoff est très préoccupé par l’hostilité manifestée par
l’opinion américaine à l’égard de l’Allemagne. II signale à son gouvernement
a que des hommes comme Dewey, Hoover, Hearst et beaucoup d’autres, ont
adopté soudain une attitude amère et violente envers le régime hitlérien D, et
que u les excès nazis ont engendré aux États-Unis une atmosphère générale de
haine D. (Documents on German Foreign Policy, 1918-1945,IV, p. 639-640.)a J’ai
essayé de lui faire comprendre ces choses n, dira Dieckhoff à M. von Weizsacker
IC 21 décembre 1938, en lui rendant compte de sa derniére conversation avec
M. Sumner Welles, a mais j’ai d û interrompre ma conversation sur ce point,
tant il était sans cspoir d‘arriver à la convaincre. D (Zd., p. 663-663.)
3. Le système fl prêt et bail I> favorise incontestablement la France e t l’An-
gleterre au détriment de l’Allemagne. Mais malgré ses efforts, Roosevelt ne
réussira à le faire adopter par le Congrès que le 11 mars 1941.
4. Malgré l’insistance de Roosevelt, l’industrie aéronautique américaine est
lente à démarrer. Les U. S. A. ont construit 1.800 avions en 1938;ils n’en cons-
truiront que 2.141 en 1939. (The Aircraft Yeurbook for 1945, p. 400.)
5. En février 1939,M. Bullitt dira à M. Lucasiewicz, ambassadeur de Pologne
à Paris : a Les États-Unis disposent de moyens de pression formidables à l’égard
de l’Angleterre. La seule menace de leur emploi devrait suffire à empêcher le
Gouvernement britannique de poursuivre sa politique de conciliation. I) (Livre
BZUACallemund, no 3, publié par le ministère des Affaires étrangères d u Reich,
d’après les Archives officie1k.q polomiros, saisies à Varsovie en 1960.)
DE MUNICH A PRAGUE 43
Le 29 août 1938, c’est-à-dire un mois avant Munich, lorsque
Bullitt préparait son discours la Pointe de Grave, c’est
tout juste si le Département d’Etat l’avait autorisé à dire :
a Si un conflit éclatait en Europe, personne ne pourrait pré-
dire si - oui ou non - les États-Unis y seraient entraînés l. n
Le 15 novembre, c’est-à-dire cinq jours après la Nuit de
Cristal, le même Bullitt a un long entretien avec le comte
Potocki, ambassadeur de Pologne à Washington, au cours
duquel il lui déclare :
- a Seules la force et, finalement, la guerre pourront mettre
un terme à l’expansion insensée de l’Allemagne. ))
E t comme son interlocuteur lui demande si les États-Unis
y participeraient, Bullitt lui répond sans hésiter :
-((Assurément. Mais à condition que les Anglais et les
Français frappent les premiers a. ))

1. Voir vol. V, p. 334.


2. Livra Blanc ullemand, no 3.
IV

LA SIGNATURE DU PACTE
DE NON-AGRESSION FRANCO-ALLEMAND
(6 ddcembre 1938)

Pourtant, malgré les exhortations de Churchillet les éclats


de voix de M. La Guardia, le Gouvernement britannique
nTa nullement l’intention de modifier sa ligne de conduite.
Chamberlain est rentré de Munich en brandissant la décla-
ration anglo-allemande du 30 septembre, à laquelle il attache
une importance capitale. Le Premier Ministre se dit qu’à
Munich la paix a été sauvée de justesse. Maintenant, il faut
la consolider et la rendre durable. Aussi donne-t-il à entendre
au Gouvernement français qu’il aurait intérêt à suivre son
exemple, en concluant, lui aussi, un Pacte de non-agression
avec l’Allemagne.
A vrai dire, l’opinion française s’est étonnée que Daladier
soit revenu de Munich sans en rapporter aucune assurance
relative à l’Alsace-Lorraine. Aussi Bonnet accueille-t-il favo-
rablement la suggestion que lui fait François-Poncet, dans
sa lettre du 13 octobre :
u Votre Gouvernement )I, écrit l’ambassadeur, (( doit être
préoccupé de mettre dans l‘autre plateau de la balance, e n face
d u prix énorme dont nous avons payé la paix, le plus de gages
possrbles que la paix pourra durer... Il faut tâcher de faire
signer par Hitler une reconnaissance écrite des frontières de la
France, l’engagement de ne pas y toucher, et celui de ne rien
entreprendre de nature à affecter les relations entre les d e w pays
sans consultation préalable l... ))
La D&fenss de lo Paix, II, p. 23-24.
1. Georges BONNET,
DE MUNICH A PRAGUE 45
Étant du même avis, le ministre français des Affaires,
étrangères charge l’ambassadeur de s’en ouvrir à Hitler,
à la première occasion.
Cette occasion ne tarde guère. Cinq jours plus tard
(18 octobre), François-Poncet, qui va bientôt quitter Berlin,
est invité par le Führer à lui rendre visite à Berchtesgaden
pour lui faire ses adieux1. Les deux hommes ont, en pré-
sence de Ribbentrop, un long entretien sur la situation poli-
tique.
Hitler, quoique très détendu, est d’humeur maussade. I1
ne cache pas sa déception.
- u J’ai cru D, déclare-t-il à l’ambassadeur de France,
u que la rencontre des quatre chefs de gouvernement à
Munich marquerait le début d’une ère de rapprochement et
de meilleures relations entre les peuples. Or il n’en est rien.
La crise n’est pas conjurée; elle risque d’éclater de nouveau
à brève échéance. L’Angleterre retentit de paroles mena-
çantes et d’appels aux armes. Rien ne peut lui retirer l’idée
naïve qu’elle est investie de droits supérieurs à ceux des
autres nations D ...
M. François-Poncet lui pose alors un certain nombre de
questions :
- (( L’Allemagne serait-elle prête à substituer au recours

à la violence, la libre discussion et la négociation diploma-


tique? Le Chancelier verrait-il un inconvénient à ce que la
France et l’Allemagne signent un accord, .par lequel elles
reconnaîtraient réciproquement leurs frontieres et accepte-
raient de se concerter chaque fois qu’un problème risquerait
de provoquer des difficultés internationales? 1)
Le Führer répond que, p.Our sa part, il y serait tout disposé.
A la fin de l’entrevue, il invite Ribbentrop à faire préparer
des projets donnant une forme juridique aux diverses idées
qui viennent d’être échangées. François-Poncet, assez pessi-
miste depuis quelque temps, est agréablement surpris par
cet empressement. I1 voit dans le succès de cette ultime
démarche le couronnement des efforts qu’il n’a cessé de
déployer durant son ambassade à Berlin pour amener une
meilleure compréhension entre les deux pays 2.
1. Il vient d’être nommé ambassadeur ti Rome e t sera remplacé à Berlin par
M. Goulondre, qui occupait jusqu’ici le poste d’ambassadeur de France à Moscou.
2. a Aucun gouvernement saisi d’une suggestion semblable ne pourrait
répondre : Je ne veux pas entendre D, écrit-il à Bonnet. a C‘est un strict devoir
de ne négliger aucune des voies qui conduisent à la paix. Telles qu’aujourd’hui
46 HISTOIRE DE L’ARM$E ALLENANDE

Le 21 octobre, Georges Bonnet lui confirme son accord et


lui transmet les félicitations du Gouvernement français. Le
25, au moment où François-Poncet quitte Berlin, les grandes
lignes du projet sont définitivement élaborées. Rien ne semble
plus s’opposer à sa signature l.
*
+ +
Mais alors survient une série de contretemps qui semblent
devoir chaque fois tout remettre en question. Durant quinze
jours, Bonnet n’entend plus parler de rien. Lorsqu’il s’en-
quiert des raisons de ce silence, on lui répond que l’atmos-
phère a changé à Berlin et que les (( irréductibles 1) qui font
partie de l’entourage du Führer ont repris de l’influence, à la
suite des discours menaçants de Churchill. Déjà défavorables
aux Accords de Munich, ils regrettent que le Chancelier n’ait
pas recouru à la force et veulent le dissuader de contracter
de nouveaux engagements à l’ouest a. Le 2 novembre, c’est
l’Arbitrage de Vienne qui soulève une vague de mauvaise
humeur au Quai d’Orsay et à Downing Street. Le 7,
Grynszpan abat le conseiller vom Rath. Dans la nuit du
9 au 10, éclatent les scènes de violence de la u Nuit de
Cristal ».Le 15, c’est la conférence de presse du Président
Roosevelt, déconseillant tout contact avec le maître du
IIIe Reich Cependant, le 19 novembre, le comte Welczek
vient apporter à Bonnet l’accord définitif du Gouvernement
allemand et propose que les signatures soient échangées entre
le 28 novembre e t le 3 décembre.
les choses se présentent, c’est l’Allemagne qui exprime le vœu d’en prendre i’ini-
tiative; c’est elle qui cherche à élaborer des formules et à dresser un pian; en
lui fermant les oreilles, nous lui procurerions, à notre détriment, l’alibi qu’elle
souhaite peut-être pour couvrir ses entreprises futures. B (BONNET,Op. cit., p. 25.)
1. Le 23 novembre, l’Agence allemande D. N. B. publie le communiqué sui-
vant : a Au cours des dernières semaines, les conditions d’un accord franco-alle-
mand dans le sens de la Déclaration anglo-allemande de Munich se sont présen-
tées sous un jour extrêmement favorable. C’est pourquoi l’on peut envisager
un voyage prochain de M. von Ribbentrop à Paris. D
2. IRibbentrop aurait repris son ancien ascendant D, écrit Carl Burckhardt.
u Lui et Himmler ne font qu’exciter l’humeur déjà extravagante du Führer, en
écartant tous ceux qui pourraient lui donner un avis sensé et en lui présentant
exclusivement les critiques de Ir presse étrangère susceptibles de l’exaspérer,
notamment les caricatures politiques de sa personne: et, de façon générale, ils se
persuadent qu’il n’y a rien à craindre de la Grande-Bretagne et pas grand-chose
de la France. B (fifa Mission à Dantzig,p. 206-207.)
Déjà au moment de la Conférence de Munich, Ciano avait trouvé Himmler dans
les mêmes dispositions d’esprit. (Journui politique, II, p. 199.)
3. Voir plus haut, p. 42, note 1.
D E MUNICH A PRAGUE 47
Alors, c’est du côté français que surgissent les obstacles.
La C. G. T. ordonne une grève générale pour le 30 novembre.
Les motifs invoqués sont d’ordre professionnel, mais il est
évident que cette grève a un caractère politique1. Deux
voyages de ministres étrangers viennent d’être annoncés :
celui de M. Neville Chamberlain et de Lord Halifax, qui doi-
vent être reçus dans quelques jours à Paris, et celui de
Ribbentrop. Ce n’est donc pas seulement le ministre allemand
qui est visé. Les milieux syndicalistes ne pardonnent pas à
Chamberlain et à Halifax leur politique de non-intervention
en Espagne et leur reconnaissance de facto du Gouvernement
de Franco a. (( On ne pouvait manquer d’éprouver des inquié-
tudes »,écrit Georges Bonnet, (( devant cette manifestation
de forces occultes, assez puissante pour contrecarrer l’action
du Gouvernement. Celui-ci se trouvait dans une position
embarrassée. Serait-il contraint de décommander le voyage
bes ministres étrangers? Quel aveu d’impuissance pour un
Etat souverain qui se montre incapable d’assurer la marche
d’un train entre la frontière et Paris 3! ))
Le 23 novembre, le Conseil des Ministres se réunit à
l’Élysée. Certains membres du Gouvernement expriment des
réserves et semblent s’ingénier à décourager Bonnet 4. Fina-
lement, l’unanimité se fait, moins sur l’utilité de l’Accord que
sur l’impossibilité de ne pas le signer. Mais dès le lendemain,

1. Les éléments communistes, qui prédominent au sein de la Confédération


Générale du Travail, ont reçu l’ordre de Moscou de mettre tout en œuvre pour
contrecarrer la signature de l’Accord franco-allemand et empêcher la création d‘un
bloc des quatre Puissances occidentales, éventualité que les dirigeants du
Kremlin redoutent par-dessus tout.
2. Les cris hostiles qui les accueilleront, lors de leur arrivee à la gare du Nord,
ont t o w pour thème l’Espagne e t la politique anglaise à l’égard de Franco.
3. Georges BONNET, La DéIfensede la Paiz, II, p. 30.
4. a Plusieurs de mes collègues a, écrit Georges Bonnet, a parmi lesquels Mon-
zie e t Mandel, s’inquiétèrent de savoir si nos relations avec la Pologne et
I’U. R. S. S. resteraient inchangées et si, en particulier, notre traité d’alliance
franco-polonais de 1921 était bien maintenu. J e leur en donnai l’assurance.
Deux autres questions me furent également posées. u La signature de la décla-
ration franco-allemande ne risque-t-elle pas d’affaiblir nos liens avec l’Angle-
terre? )) - u E n aucune façon a, expliquai-je, a puisqu‘elle est la réplique de
la Déclaration anglo-allemande du 30 septembre, signée par Chamberlain, ,qui
nous a formellement invité à suivre son exemple. u - Quelles seront les reac-
tions du peuple français? a - a I1 ne faut pas oublier a, répondis-je, u la sur-
prise manifestée par l’opinion francaise six semaines auparavant, au moment
de la signature de la déclaration angio-allemande Chamberlain-Hitler, en
constatant que nous n’avions obtenu aucune assurance relative à l’Alsace-
Lorraine. Cette regrettable lacune va être enfin comblée, Comment pourrait-on
nous le reprocher? 10
Pour finir, un débat s’engage sur les incidents de rue que pourrait entraîner
48 HISTOIRE DE L’ARME= ALLEMANDE

24 novembre, des grèves générales aveo occupations d’usi-


nes se déclenchent à Paris, dans le Nord et dans la Seine-
Inférieure. Litvinov, qui apprend cette nouvelle au cours
d’un dîner diplomatique, B’en réjouit ouvertement :
- (( Bravo! I) s’exclame-t-il, (( Daladier est foutu I! I)

Mais le Président du Conseil riposte avec vigueur. Refup


sant de se laisser manœuvrer par le Kremlin, il décide de
faire Bvacuer par la troupe toutes les usines occupées de la
région parisienne. Malgré la résistance des piquets de grève
et des militants syndicalistes, l’opération est menée à bien,
sans effusion de sang.
Rien ne semble plus s’opposer à la signature de l’Accord.
Mais au moment où tous les obstacles paraissent surmontés,
de nouvelles dificultés surgissent du côté de l’Italie. Le Duce,
qui ne voit pas sans anxiété un rapprochement s’esquisser
entre l’Allemagne et la France a, a monté une manœuvre
astucieuse, destinée à torpiller l’Accord franco-allemand. Le
30 novembre, une séance tumultueuse a lieu au Parlement
romain. Pendant le discours de Ciano, en présence de l’am-
bassadeur de France, un certain nombre de députés italiens
crient : u Nice! La Corse! La Tunisie! Djibouti 5 B
L’Allemagne soutient-elle ces revendications? Etant donné
les relations étroites qui lient Hitler et Mussolini, il n’y aurait
...
là rien d’impossible3 I1 faut que le comte Welczek vienne

la présence de Ribbentrop à Paris. a I1 y aura des bagarres D, dit-on à Bonnet.


c La vie de Ribbentrop peut être en danger. Un attentat est possible. N’est-ce
pas aller à l’encontre davotre but, qui est d‘amener une détente franco-allemande?
Souvenez-vous de l’assassinat du roi de Yougoslavie e t deBarthou à Marseille! D
Monzie suggere que la signature de l’accord ait lieu, non à Paris, mais dans une
*lie de provinoe.
- c I1 est tout de m&meimpossible D, rétorque Bonnet, c de laisser entendre
à un gouvernement étranger ue la sécurité d’un de ses ministres ne serait pas
assurée dans notre capitale! ~ q C f La
. Défense de Za Pa&, II,.p. 31-32.)
1. Georges BONNET, Ls Quai d’Orsay #ou8 trois Républrques, p. 237. Lefire
de l’attach-4 militaire à I‘Ambaaaaùe de France à Mamou.
2. I D’aprbs les informations de très bonne souroe allemande D, écrit M. Cor-
bin, ambassadeur de France à Londres, i~ia diplomatie italienne aurait multi-
plié ses efforts depuis une quinzaine de jours pour empêcher, ou tout au moins
..
retarder, la signature de la déclaration franco-allemande. Cependant, Hitler
et Ribbentrop se seraient refusés à surseoir et auraient laissé entendre au Gouver-
nement italien que, malgré lea excellents rapports entre les deux pays, la poli-
tique extérieure de l’Allemagne ne pouvait pas être dictée par l’Italie. L (TéZé-
gramme d Georgso Bonnet, la 24 novembre 1938.)
Un télégramme de M. François-Ponoet, en provenance de Rome, confirme l’in-
formation de M. Corbin.
3. u Si yos revendications Bont réelles 8, dit François-Poncet à Ciano, a u len-
demain de cette séance, a ce ne sont pas des moustiques qu’il y a entre nous,
mais des éléphants1 D (Ci. Georges BONNBT, ...,
Lc Quai d’ûraay p. 248.)
DE MUNICH A PRAGUE 49
dissiper les inquiétudes qu’a fait naître cet incident en décla-
rant à Georges Bonnet :
- « Le Gouvernement du Reich n’a pas été averti de
cette manifestation. Cette mise en scène a été imaginée
par les Italiens pour empêcher la venue de Ribbentrop à
Paris, car la seule annonce de sa visite a sufi à les mettre
en rage 1. ))
Que de bruit! (( E t tout cela D, ne peut s’empêcher de
remarquer Georges Bonnet avec une pointe de mélancolie,
(( parce que, de son plein gré et sans qu’il nous en coûtât rien,

le ministre des Affaires étrangères d’Allemagne venait à


Paris pour reconnaître que l’Alsace et la Lorraine étaient
françaises et devaient le rester 2... 1)
*
* *
Ribbentrop arrive à la gare des Invalides le 6 décembre
1938. La douceur du temps contraste avec la froideur de
l’accueil. Aussitôt après le déjeuner offert par Daladier à la
Présidence du Conseil, le représentant d’Hitler est conduit
au Quai d’Orsay, où il a un long entretien avec Georges
Bonnet 3. Voulant en avoir le cœur net, le ministre français
des Affaires étrangères lui demande ce qu’il pense des reven-
dications italiennes.
- (L Jamais le Gouvernement italien ne m’en a parlé »,
répond Ribbentrop d’un ton catégorique. (( J e vais expliquer
ce soir, par la radio, au peuple allemand et au peuple fran-
çais, que l’Allemagne renonce solennellement à l’Alsace-
Lorraine. Comment pouvez-vous supposer un instant qu’elle
serait prête à faire la guerre pour donner Djibouti ou la
Corse à l’Italie?
Bonnet insiste ensuite pour que l’Allemagne donne rapi-
dement sa garantie aux frontières de la nouvelle Tchéco-
Slovaquie. Mais sur ce point, Ribbentrop se montre beaucoup
plus réticent.

I. a Le but de Mussolini n’en est pas moins partiellement atteint a, écrit Georges
Bonnet, a car beaucoup de Français sont persuadés que le Duce et le Führer
jouent le même jeu et que leur mesentente quant aux revendications italiennes
n’est qu’une feinte. n (LaDéfeBse de la Paix, II, p. 34.)
2. Id., p. 40.
3. Seuls assistent B l’entretien le comte Welczek et M. Alexis Léger. Ribben-
trop n’a pas cru nécessaire d‘amener avec lui l’interprète Schmidt, car il parle
couramment le fqançais.
VI 4
50 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

- (( Nous n’y sommes guère encouragés par l’attitude de

cet État, qui persiste à demeurer hostile à l’Allemagne »,


répond-il. (( L’influence de Benès continue à s’y faire
...
sentir 1)
- (( Ce n’est pas la question D, l’interrompt sèchement

Georges Bonnet. (( Le Reich a pris des engagements à Munich.


I1 doit les tenir, maintenant que le problème des minorités
hongroise et polonaise est réglé 1. n
- (( J e réexaminerai la chose à mon retour à Berlin »,
répond Ribbentrop.
Mais quand Bonnet veut aborder la question des persé-
cutions contre les Juifs, le ministre des Affaires étrangères
du Reich l’arrête net et lui répond d’un ton glacé :
- (( C’est là une question de politique intérieure alle-

mande. J e ne suis pas autorisé à la traiter d’une manière


officielle. J e ne pourrais vous en parler qu’à titre purement
privé 2. ))
Les deux ministres se livrent ensuite à un large tour d’ho-
rizon. Bonnet évoque, tour à tour, l’alliance franco-polo-
naise, la solidarité franco-britannique et les relations entre
la France et l’Union Soviétique. Sur ces points, Ribbentrop
se montre plus accommodant.
- (( Nous aussi »,déclare-t-il, K nous avons un pacte de
non-agression avec la Pologne et nous nous entendons fort
bien avec le Gouvernement de Varsovie. Toutefois, la vérité
m’oblige à vous avouer que la politique d’amitié que la France
poursuit avec l’Angleterre, la Pologne et la Russie bolché-
vique apparaît à l’opinion allemande comme une survivance
fâcheuse de la politique d’encerclement 8. 1)
L’heure fixée pour la signature de l’Accord ayant sonné,
Ribbentrop et Bonnet se rendent dans le Salon de l’Horloge.
La pièce est brillamment éclairée. Une foule de journa-
listes, de photographes e t de curieux se presse autour des
deux ministres. Sur une table dressée devant la grande
cheminée, sont posés les originaux de la Déclaration. On
y lit :
I. La minorit6 polonaise, Q la suite de l’ultimatum adresse par Varsovie B
Prague, le 30 septembre; la minorité hongroise, par l’Arbitrage de Vienne, du
2 novembre.
2. Tout ce que Bonnet peut obtenir de lui, c’est que le Reich envoie un obser-
vateur à la Conférence des États d‘Europe qui doit s’ouvrir prochainement en
Hollande, p?ur s’occuper du sort des apatrides et des réfugiés.
3. Voir Livre Jaune français, pièces 30-32.
DE MUNICH A PRAGUE 51
a L e Ministre allemand des Affaires étrangères, M. Joachim
von Ribbentrop, et le Ministre français des Affaires étrangères,
M . Georges Bonnet, réunis à Paris le 6 décembre 1938, sont
convenus de ce qui suit a u nom de leurs Gouvernements respec-
tifs :
I . Les Gouvernements français et allemand s’accordent à
reconnaître que des relations pacifiques et de bon voisinage entre
la France et l’Allemagne sont un des éléments essentiels d u main-
tien de la paix. Ils s’engagent, e n conséquènce, à tout mettre
e n œuvre pour assurer ce caractère a u x relations entre leurs deux
Pays.
I I . Les deux Gouvernements constatent qu’il n.’existe plus
aucun litige territorial entre les deux Pays, et reconnaissent solen-
nellement, comme définitive, la frontière franco-allemande, telle
qu’elle existe aujourd‘hui.
I I I . Les deux Gouvernements sont décidés, compte tenu des
relations qu’ils peuvent avoir avec de tierces Puissances, de
rester e n contact pour régler toutes les questions d’intérêt mutuel
et dè se consulter a u cas où l’évolution Ultérieure de ces questions
serait de nature à entraîner des complications internationales.
L a présente Déclaration entre immédiatement e n vigueur

Ribbentrop et Bonnet y apposent leur signature. Après


quoi, le ministre des Affaires étrangères du Reich se lève
pour prononcer une courte allocution :
- (( La Déclaration que nous venons de signer »,dit-il,
((met un terme définitif aux querelles de frontières qui ont
ensanglanté nos deux peuples pendant des siècles. Elle consa-
cre le fait qu’il n’existe plus aucun motif de contestation
vital, susceptible d’engendrer un nouveau conflit entre eux.
Puisse-t-elle inaugurer une nouvelle ère d’amitié, de pros-
périté et de paix. ))
Bonnet lui répond en formulant les mêmes vœux. Quelques
instants plus tard, Ribbentrop quitte le Quai d’Orsay. Tandis
que Bonnet le raccompagne au bas des marches, il se penche
vers lui et lui dit :
- a Ne sous-estimez pas le sacrifice que cette renoncia-
tion représente pour l’Allemagne! Soyez-en certain : cette
Déclaration sera un coup douloureux pour notre amour-
propre national, en raison de notre attachement à des
provinces qui nous ont longtemps appartenu. I1 fallait un
homme ayant l’autorité d’Hitler pour l’imposer à notre

1. Dokumente und Berichte..., non 21-24, 19 décembre 1938, p. 242.


52 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

peuple. Mais c’est un sacrifice nécessaire. Nous savons bien


que si, après une guerre heureuse, nous vous reprenions
l’Alsace-Lorraine, ce serait, un jour ou l’autre, la cause d’un
nouveau conflit entre la France et l’Allemagne l. ))
La journée du lendemain est consacrée à des réceptions
officielles. Le surlendemain, 8 décembre, Ribbentrop et les
membres de sa suite reprennent le train pour l’Allemagne.
Contrairewent à ce que prédisaient les adversaires de l’Accord,
leur voyage à Paris s’est passé sans incidents. I1 n’y a eu,
durant tout leur séjour, ni manifestations ni cris hostiles.
Au retour, le train qui emmène Ribbentrop à Berlin fait
une halte forcée à Creil, à un endroit où un grand nombre
d’ouvriers de la région travaillent à la réfection de la voie.
Ceux-ci reconnaissent le wagon officiel et applaudissent le
ministre qui vient de signer la Déclaration franco-alle-
mande. a Ce geste D, écrit Georges Bonnet, K traduisait
très exactement l’état d’esprit du peuple français, e t la sin-
cérité avec laquelle il souhaitait une entente propre à main-
tenir la paix. ))
Mais la froideur de l’accueil fait à l’envoyé d’Hitler par
les milieux officiels 2, les réticences de la presse, le malaise
engendré par la Nuit de Cristal et l’incertitude de l’avenir
contribuent à minimiser considérablement un acte qui, en
d’autres temps, aurait été célébré avec beaucoup plus d’éclat.
1. Georges BONNET, La Défense de la Paix, II, p. 40.
2. Aucune reception n’a eu lieu en son honneur à 1’8lysée et on ne lui a pas
remis les insignes de grand oficier de la Légion d’honneur, comme il est de
coutume en pareil c a e Ribbentrop n’en a rien dit ;mais il s’en souviendra.
V

LA FIN DE LA TCHÉCO-SLOVAQUIE
(13-15 mars 1939)

Pendant ce temps, les événements se précipitent en Tchéco-


Slovaquie._Le 29 novembre, le Dr Emil Hacha, président du
Conseil d’Etat-l, a été élu Président de la République, en rem-
placement d’Edouard Benès, qui a quitté le pays 2. Né en
1872 à Trhové Sviny, en Bohême du Sud, c’est un homme que
ses troubles cardiaques ont prématurément vieilli et auquel
on donnerait bien plus que ses 67 ans. Elevé dans la tradition
des grands fonctionnaires autrichiens qui ont fait la grandeur
de l’Empire des Habsbourg, il est entré en 1898 dans les
services juridiques de la Diète de Bohême. En 1916, le Gouver-
nement de Vienne l’a appelé à siéger au Conseil d‘État autri-
chien, où il est’demeuré jusqu’à la révolution d? 1918 3. De
là, il est passé sans transition au Conseil d’Etat tchéco-
slovaque, dont il a été nommé Premier Président, le 22 juillet
1925. C’est à ce titre qu’il a pris part aux négociations avec
Henlein 4.
Hacha est aux antipodes de son prédécesseur. (( J e suis
un juriste qui n’a jamais éprouvé le moindre intérêt pour les
querelles de partis )), dira-t-il de lui-même. (( J e n’étais ni
l’ami de Masaryk -que je voyais une fois par an, au banquet
de la Magistrature-ni de Benès, que je voyais encore
moins. J’ai toujours désapprouvé leur politique, car je n’ai
jamais cru possible de faire vivre ensemble des populations
4. Oberster Vewaltungmat.
2. Benès a pris l’avion pour Londres le 22 octobre. (Voir plus haut, p. 26.)
3. C’est dire qu’il n’a pris aucune part B la libération de son pays.
4. Voir vol. V, p. 315, note 3.
54 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

qui se haïssaient. J’étais porté à croire que les Tchèques


étaient enclins à se rapprocher de l’Allemagne, ne serait-ce
qu’en raison de leur situation géographique, alors que les
Slovaques penchaient plutôt pour la Hongrie. J e n’étais
d‘ailleurs pas le seul à penser ainsi : quatre-vingts pour cent
de la population partageait cette manière de voir l.
Le 2 décembre, le général Sirovy lui a remis la démission
de son Cabinet. M. Hacha a constitué alors un nouveau gou-
vernement, dont il a confié la présidence à M. Rudolf Beran 2.
M. Karol Sidor3 a été nommé Vice-président du Conseil
et ministre pour les Affaires slovaques 4. M. Chwalkovsky
est demeuré ministre des Affaires étrangères, tandis que
M. Ottokar Fischer et le général Sirovy sont devenus
respectivement ministre de l’Intérieur et ministre de la
Défense 6.
Simultanément, les liens se relâchent encore un peu plus
entre la Tchéquie et la Slovaquie. Une Diète s’est constituée
à Bratislava 6. Appelés à se prononcer sur l’avenir du pays,
98 % des électeurs se sont déclarés en faveur de l’autonomie?.
Le 23 février, ils ont remis les pleins pouvoirs à Mgr Tizo,
qui a constitué dès le lendemain un gouvernement exclusi-
vement slovaque 8.
Les mêmes tendances centrifuges se manifestent en
Ukraine subcarpathique O, où des élections générales ont
eu lieu le 2 février 1939. 92,4 yo des électeurs ayant voté
pour Mgr Volozin lo, le chef des nationalistes ukrainiens
s’est trouvé confirmé dans ses fonctions de chef du Gouver-
nement.
1. Déclaration de M. Hacha, le 15 mari 1939. (Akten ZUT Deutschen Auawar-
tigen Polifik, IV, no 228.)
2. L’ancien secrétaire général du Parti agrarien est, lui aussi, un adversaire
de la politique de Benés.
3. M. Sidor a conduit une des délégations oficieiles, chargées d’accueillir le
Dr Hl’etko à son arrivée en Pologne. (Voir vol. V, p. 243.)
4. En remplacement de Mgr Tizo, qui s’est rëtiré du Gouvernement centrai.
5. N’étant plus en mesure de défendre I’fitat, le général S i r o w a accepté ce
poste pour pouvoir défendre l’Armée contre ceux qui voudraient réduire consi-
dérablement ses effectifs. En sa double qualité d’ami de Benés et d‘ancienlégion-
naire, il en fera, en peu de temps, un bastion de la résistance à 1’ a ordre nouveau D.
6. A la suited‘une motion votée le 6 octobre par le Parti a’utonomiste slovaque,
d u n i en Congrès à Sillein.
7. Les 2 % d’opposants représentent la minorité hongroise.
8. Mgr Tizo y cumule les fonctions de. Président du Conseil, de ministre de
l’Intérieur e t de ministre de la Santé publique.
9. Ex-Ruthhie.
IO. Ce qui équivaut à une option en faveur de l’autonomie. Les 7,6 % d’oppw
sants représentent la minorité hongroise.
D E MUNICH A PRAGUE 55
Le nouvel État va-t-il enfin trouver son équilibre? I1 serait
téméraire de le croire. Car si quelque 350.000 Tchèques
ont été inclus dans les frontières du Reich l, 175.000 Alle-
mands sont demeurés à l’intérieur de la nouvelle Tchéco-
Slovaquie a. Ce n’est pas sans amertune que ceux-ci se sont
vu écarter du règlement de Munich S. (( Pourquoi nos frères
sudètes ont-ils été libérés, et pas nous? )) se demandent-ils.
((Ne sommes-nous pas tout aussi Allemands qu’eux? 1) La
victoire remportée par Hitler les a remplis d’orgueil. Mais
elle leur a donné, en même temps, un sentiment de frustration
qui les pousse à adopter une attitude de défi à l’égard des
Tchèques et à provoquer des incidents qui rendent la coha-
bitation de plus en plus difficile.
Inversement, les Tchèques, traumatisés par les Accords
de Munich, éprouvent une hostilité accrue envers les frac-
tions de la population allemande demeurées sur leur terri-
toire. (( Puisqu’ils sont nos ennemis, qu’ils s’en aillent »,se
disent-ils. (( Nous voulons être les maîtres chez nous! Aussi
prennent-& à leur égard des mesures discriminatoires de plus
en plus vexantes. Des milliers d’ouvriers allemands sont ren-
voyés de leur travail. Leurs familles, privées d’allocations
de chamage, sont soumises à une surveillance policière qui
rend leur sort encore pire qu’avant la crise de septembre

1. Le chiffre de 800.000, avancé par les Tchèques, est beaucoup trop élevé.
(Voir vol. V, p. 491 e t 511, note 3.)
2. II suffit de comparer la carte des minorités (vol. V, p. 167) et la carte annexée
au mémorandum de Godesberg (vol. V, p. 433) pour voir que les Allemands
se situent : 10 dans les districts situés à proximité des nouvelles frontières, où
ils repdsentent une forte minorité, sans atteindre toutefois 50 yo de la population;
20 dans les régions d’Iglau, d’Olmütz et de Brünn, situées à l’intérieur du terri-
toire tchèque, où leur pourcentage varie entre 33,5 et 66,3 %. (Gustav FOCHLER-
HANCKE, Deutscher Volksboden und Deutuchm Yolksturn in der Tschccbslouakai,
p. 49.)
3. u C’est grâce à l’Allemagne 1, dira Hitler à Mgr Tizo, <I que la Tchécoslova-
quie n’a pas été plus morcelée qu’elle ne l’est aujourd’hui. Nous avons renonce
à certains îlots linguistiques, our permettre à la Tchécoslovaquie de disposer
d’un espace vital cohérent. n $locumants du Tribunal mililaire international de
Nuremberg, XXXI, p. 150 et s.)
4. A Brünn, les Allemands ont voulu pavoiser pour célébrer l’incorporation
des Sudètes au Reich (21 novembre). Furieux, les Tchèques ont arraché les
emblèmes à croix gammée et les ont remplacés par des drapeaux tchèques.
Des bagarres ont alors éclaté entre membres du S. d. P. e t patriotes tchèques.
De pareilles échauffourées se renouvellent quotidiennement. u J’ai reçu l’ordre I,
dira Fritzsche, un des adjoints de Gœbbels, a de monter ces incidents en épingle
dans la presse du Reich. Mais, voulant éviter le retour des exagérations commises
par le service de propagande des Sudètes avant la crise de Munich, j’ai soumis
toutes les nouvelles en provenance de la Tchéco-Slovaquie à un contrôle sévère.
Je reconnais qu’elles étaient souvent présentees d’une façon tendancieuse, mais
56 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

Pour rendre la situatioil plus tendue encore, l’Armée


ne désarme pas. Protégée par Sirovy, elle reste sur le pied
de guerre, convaincue que le conflit qui a été évité à Munich
ne tardera pas à éclater et qu’elle sera appelée sous peu à
reconquérir ses anciennes frontières. Les fabriques d’arme-
ments continuent à travailler à plein l. Des tracts clandestins
circulent dans les casernes, exhortant les soldats à ne pas perdre
courage. c Tenez bon! 1) y lit-on, (( le jour est proche où
les armées françaises, anglaises et russes viendront vous
délivrer 2. ))
Benès s’est exilé. Mais de Londres, il envoie des directives
à ses amis 3. Ceux-ci souffrent de voir leur pays s’en aller
à vau-l’eau. Demeurés résolument hostiles au principe
fédératif, ils entament une violente campagne de presse
contre le nouveau régime, dont ils dénoncent la faiblesse et
la docilité à l’égard des Allemands. Du coup, le Gouverne-
ment prend peur et cherche à faire machine arrière. Le
6 mars 1939, sous l’influence de Sirovy, Hacha envoie en
Ukraine subcarpathique le général tchèque Prchala, qu’il
nomme de sa propre autorité ministre de l’Intérieur, des
Finances et des Transports. Ces fonctions lui confèrent un
pouvoir quasi dictatorial. Mgr Volozin proteste contre cette
violation de l‘autonomie ruthénienne, pourtant inscrite dans
la Constitution de la IIe République 4.
Un précédent étant ainsi créé, Hacha s’en prend à la Slo-
vaquie. Voulant mettre un terme aux tendances séparatistes,
il somme Mgr Tizo de venir s’expliquer avec lui. Mgr Tizo s’y
refuse. Seuls se rendent à Prague MM. Karol Sidor et Te-
plansky, ministre slovaque des Finances. Ils exigent le renvoi
du général Sirovy et réclament une part plus grande dans le

elles n’étaient jamais inventées de toutes piAces. n (Documenfs d u Tribunal mi&


taire international de Nuremberg, VI, p. 74.)
1. Les plus importantes d’entre elles, les usines Skoda, sont situées à Pilsen,
en territoire tchèque, à quelques kilométres de la nouvelle frontière. Leur pro-
duction est infiniment supérieure a u x besoins de la seule Tchécoslovaquie, car
la Bohême a toujours servi d’arsenal à l’Europe centrale tout entière. Autrefois,
elles fournissaient leur matériel aux armées austro-hongroises. Depuis 1918,
elles en livrent à la France, à la Russie et à certains pays de la Petite Entente.
2. Ces tracts émanent des milieux socialo-communistes et notamment de
M. Gottwald, le chef du P. C. tchécoslovaque, qui s’est réfugié en U. R. S. S.
3. I1 ressort des instructions envoyées par Benés, de Londres, à la fin de 1938
et au début de 1939,que celui-ci incitait Prague a à rétablir l’ancien état de choses
et à renoncer au fédéralisme I).(Cf.Ladislaw K. FEIERABBND, Ve Yladdch Druhé
Republihy, New York, 1961.)
4. Adam BUCKREIS, Politik. de# zwanzigstsn Jahrhunderit. 1939, p. 58.
DE MUNICH A PRAGUE 57
contrale de l’Armée l. M. Hacha leur oppose une fin de non-
recevoir catégorique. Furieuse, la Garde de Hlinka entre en
effervescence 2. Le 10 mars, espérant rétablir l’autorité du
Gouvernement central, Hacha destitue Mgr Tizo et trois
autres ministres slovaques s, fait occuper la capitale par la
troupe, dissout la Diète de Bratislava, fait arrêter trois
membres influents du Parlement connus pour leurs ten-
dances séparatistes, MM. Adalbert Tuka, Cernak et Mach4
(qu’il fait transporter à Brünn manu militari), désarme la
Garde de Hlinka, rétablit les anciens fonctionnaires de la
police tchèque e t suspend les relations postales et ferro-
viaires avec le Reich 5. Rompant tout contact avec Prague,
Mgr Tizo se retire en Slovaquie occidentale, dans le pres-
bytère de son village natal, tandis que son bras droit,
M. Ferdinand Durcansky se réfugie à Vienne 6.
Passant par-dessus la tête du peuple, M. Hacha consti-
tue alors un nouveau gouvernement slovaque, dont il confie
la présidence à M. Sivak, l’ancien ministre de 1’Education
nationale. M. Sivak est à Rome, où il représente Mgr Tizo
au couronnement de Pie X I I 7. I1 apprend sa nomination par
les journaux et refuse formellement de prendre en main
le gouvernement. Force est alors à M. Hacha de supplier
Mgr Tizo de revenir au pouvoir. Mais Mgr Tizo se récuse : il
ne veut plus rien avoir à faire avec les autorités de Prague.
Tandis que la situation devient de plus en plus chaotique,
la Slovaquie est à la merci de qui veut la prendre ...
Cet état de choses incite la Pologne et la Hongrie à sortir
1. Akfen Bur Deufschen AuswUrtigen Politik, IV, p. 196 et s.
2. La a Garde de Hlinka D est une organisation qui sert de milice au Parti natio-
naliste slovaque. Elle s’apparente à la a Garde de Fer D, constituée en Roumanie
par Corneiiù Codréanu, et aux a Crois fléchées a, constituées en Hongrie par
M. Szalassi.
3. La décision est prise à Prague, dans la nuit du 9 mars, au cours d’un conseil
des ministres restreint auquel ont pris part MM. Hacha, Beran, Chwalkovsky,
et le général Sirovy. Ce dernier, qui se sent menacé, pousse M. Hacha à faire preuve
d‘énergie.
4. MM. Tuka, (fernak et Mach, disciples de Mgr Hlinka, sont des partisani
farouches de l’Indépendance. M. Tuka s’est rendu le 12 février à Beriin, pour
expliquer à Hitler que la Slovaquie aspirait à se détacher de Prague, et demander
au Führer d‘assurer sa protection. Cette démarche a contribué a précipiter les
choses.
5 . D. RABEL,Zur jüngsten Entwickelung der Slovakischcn Frage, IX, no 2
de la revue : Zeifachrift f ü r ausl8ndischer Bffentlicher R cht und Volkerrecht.
6. Sous le titre de ministre de la Justice, M. DurcanLy exerce en réalité les
fonctions de ministre des Affaires étrangères (auquel, en principe, un gouvernement
autonome n’a pas droit).
7. Cette cérémonie a lieu Ie 1 2 mari 1939.
58 HISTOIRE DE L’ARWÉE ALLEMANDE

de leur réserve. Le Gouvernement de Varsovie déclare tout à


coup ne pas pouvoir se contenter de la restitution du district
de Teschen. I1 exige une frontière commune avec la Hongrie1
et propose à la Roumanie de partager avec lui l’Ukraine
subcarpathique 2. Le Gouvernement hongrois, de son côté,
a été ulcéré par l’Arbitrage de Vienne, qui ne lui a concédé
qu’une petite bande de terrain au sud de la Slovaquies,
alors qu’il revendiquait la Slovaquie et la Ruthénie tout
entières. L’Armée hongroise se concentre en bordure de la Slo-
vaquie et s’apprête à envahir le pays 4. De Vienne, M. Dur-
cansky lance un appel radiodiffusé à ses compatriotes pour
les exhorter à résister à la fois aux Hongrois et aux Tchè-
quesb. Effrayé par la violence de la réaction populaire,
M. Sidor 6 supplie le Président Hacha de retirer ses troupes
de Slovaquie et de relâcher dans les vingt-quatre heures les
personnalités politiques arrêtées la veille 7. MM. de Lacroix,
Eisenlohr, Newton et Sir Nevile Henderson * envoient des
messages alarmés à leurs gouvernements.
Le lendemain 12 mars, Hitler, qui suit les événements
de près, donne l’ordre à l’Armée et à la Luftwaffe de se
tenir prêtes à envahir la Bohême le 15 mars, à 6 heures
du matin 9. Le même jour, le Secrétaire d‘Etat von Weizsa-
cker révèle à M. Carl Burckhardt, Haut-Commissaire de la
Société des Nations pour Dantzig, que tous les préparatifs
sont faits pour l’occupation de Prague lo. Une fois de
1. Le colonel Beck, ministre des Affaires étrangères de Pologne, déclare à la
Commission du Sénat : a A travers le territoire slovaque passe une route très
importante pour ï E t a t polonais, celle qui a permis à notre peuple de conserver
pendant des siècles un contact étroit avec la nation hongroise. II
2. Grégoire GAPENCO, Derniers iours de l’Europe,
.~ p. 31.
3. Voir la carte, p. 31.
4. Quatre divisions motorisées hongroises sont aignaléei au sud de la rhgion
de Bratislava; d‘autres se concentrent face à la Slovaquie orientale et à 1’Ukraine
subcarpathique, cependant que les Polonais maintiennent deux divisions dans
la région d’Oka. (Akten pur Deutschen Auswdrtigen Politik, IV, p. 205.)
5 . D. RABEL,Op. eit.
6 . Que M. Hacha a envoy6 à Bratislava pour y exercer le pouvoir, en atten-
dant qu‘un nouveau Gouvernement ait pu être form&.
7. Documents du British Foreign Policy, IV, no 224.
8. a L’ennui dans cette affaire D, écrit Sir Nevile Henderaon à Lord Halifax,
a c’est qu’aucune solution ne peut être trouvée, pour régler le problème tchèque,
si elle n’a pas reçu l’approbation préalable du Gouvernement allemand. Dans
ces conditions, on peut se demander s’il n’est pas dans l’intérêt même des Tchèques
de laisser l’initiative à Berlin. D (Docwnents du British Foreign Policy, IV,
no 203.)
9. E n attendant, les troupes devront être maintenues à dix kilomètres des
frontières. (Waiter G ~ R L I T Z ,GeneralfeMrnarschaU Keitel, p. 200.)
10. Burekhard s’empresse de communiquer cette nouvelle à Genève. (Ma
DE MUNXCH A PRAGUE 59
plus, l’Europe centrale est Bur le. point de prendre
feu ... t
* *
Tandis que le ciel se couvre de nuages, que fait donc
Mgr Tizo? I1 boude dans son presbytère. Ne voit-il pas
que son pays peut devenir d’un moment à l’autre, le
lieu de rencontre des armées tchèque, hongroise et polo-
naise?
A vrai dire, Mgr Tizo est parfaitement conscient de la
commotion qui se prépare. S’il paraît indécis, c’est qu’il
hésite à franchir le pas qui sépare l’autonomie de l’in-
dépendance. Avant de s’y décider, il voudrait connaître les
intentions du Reich.
Le 13 mars, aux premières heures du jour, deux émissaires
de Ribbentrop se présentent à son domicile. Ils lui apportent
un message du Führer, l’invitant à venir se concerter avec
lui à Berlin. C’est une façon indirecte de provoquer a l’appel
à l’aide )), que le Chancelier attend, mais qui tarde trop à
venir. Mgr Tizo accepte, à condition d‘être couvert par le
Parti populaire slovaque. Ayant obtenu son assentiment
dans le courant de la matinée, il se met immédiatement
en route. Au début de l’après-midi, il arrive ,à Vienne, où
l’attendent M. Durcansky et le ministre d’Etat Keppler,
qui a joué un grand rôle dans l’Anschluss l. Hitler l’a envoyé
à Bratislava comme observateur. I1 en revient, fort mécon-.
tent de son entretien avec M. Sidor 2. Mgr Tizo e t KeppIer
font connaissance dans l’avion spécial qui les amène à Berlin.
- (( I1 faut que je sois rentré cette nuit même »,lui dit
Mgr Tizo, (c car j’ai convoqué le Parlement slovaque pour
demain matin. J e dois lui faire une communication de la
plus haute importance 3. ))
Mimion d Dantzig, 1937-1939, p. 294.) Informé de son côté, Churchill pronon-
cera le 14 mars 8. Waltham Abbey, un discours dans lequel il dira en substance :
E J e vous avais prévenus! Maintenant, il est trop tard. Nous n’y pouvons plus
rien. D (Winston S. CHURCHILL, Discours, 1938-1940, p. 8.)
1. Voir vol. IV, p. 539 e t 8 .
2. a J e suis un soldat de Prague D, lui a affirmé ce dernier. 8 Jamais je ne lais-
serai rompre les liens entre la Tchéquie e t la Slovaquie. D On peut en inférer que
Keppler a insist6 auprés de lui pour qu’il accompagne Mgr Tizo à Berlin et qu’il
a essuyé un refus. M. Sidor estime, en efiet, que les deux parties de la Tchéco-
Slovaquie doivent rester unies, sous peine d’être englouties, l’une par l’Allemagne,
l’autre par la Hongrie.
3. Dans sa déposition devant le Tribunal de Nuremberg, Keppler afirmera
que Mgr Tizo lui aurait dit : a Une communication relative 8. la proclamation
60 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

A 18 h. 40,Mgr Tizo et M. Durcansky arrivent à la Chan-


cellerie. Hitler les reçoit en présence de M. von Ribbentrop,
des généraux Keitel et Brauchitsch, des ministres d’Etat
Meissner et Keppler, et du secrétaire d’Etat Dietrich.
Le Führer commence par énumérer, une fois de plus, ses
griefs contre les Tchèques.
- (( Hier encore »,dit-il, R des incidents graves ont éclaté à
Brünn et à Iglau. Alors que le calme règne chez nous, tout
va à hue et à dia en Tchéco-Slovaquie. L’Allemagne ne peut
plus tolérer de pareils désordres. A Munich, j’ai voulu régler
le problème tchèque sur des bases ethniques. Puisque cela
n’a rien donné, je vais le régler à présent par la manière
forte : ce n’est plus qu’une question d‘heures.
(( J’avoue m’être trompé en ce qui concerne la Slovaquie.

On m’avait tellement répété que ce pays voulait être rat-


taché à la Hongrie, que j’avais fini par le croire. C’est seu-
lement durant la crise, que j’ai compris que les Slovaques
préféraient vivre à part. J’ai agi en conséquence. Mais je
me suis attiré, de ce fait, l’inimitié des Hongrois, en les
empêchant d’annexer la totalité du pays comme ils comp-
taient le faire.
(( J e vous ai fait venir pour savoir ce que la Slovaquie

désire réellement. J e ne veux pas que les Hongrois conti-


nuent à me reprocher de vouloir conserver à tout prix ce
qui ne tient pas à l’être. La question est la suivante : la
Slovaquie veut-elle être libre, ou non? Si oui! je suis prêt
à garantir son indépendance. Sinon, je n’aurai qu’à laisser
les choses suivre leur cours. Si la Slovaquie hésite à
rompre les liens qui la rattachent à Prague, je l’abandon-
nerai à son sort et me désintéresserai de la suite des évé-
nements l. I1 faut, dans les heures qui viennent, que la
Slovaquie se prononce elle-même, d‘une façon claire et irré-
vocable. ))
Hitler se tourne alors vers Ribbentrop et lui demande
s’il a quelque chose à ajouter.
- (( Rien, mon Führer », répond le ministre des Affaires
de l’indépendance. D II en déduira que la question était déjà tranchée avant la
venue de Mgr Tizo à Berlin. (Documents de Nuremberg. Procès Je la Wilhelmstrnsse,
Cas 11, vol. XXXVIII, p. 12.991 et S.) Gela semble peu plausible. Mgr Tizo
était trop avid pour proclamer l’Indépendance avant d’avoir la garantie
d’Hitler. Or, à ce moment, il ne sait pas encore ce que le Chancelier va lui dire.
1. En d’autres termes: eSi la Slovaquie ne veut pas devenir hongroise, qu’elle
cesse d’être tchèque. 1
DE MUNICH A PRAGUE 61
étrangères, u si ce n’est qu’il s’agit effectivement d‘une ques-
tion d’heures, e t non de jours. ))
Ribbentrop tend alors au Führer une dépêche qu’on vient
ne lui apporter. Elle signale d’importantes concentrations
de troupes hongroises à la frontière slovaque. Hitler la lit
et la remet à Mgr Tizo.
- (( Voyez où nous en sommes D, remarque-t-il. (( Pour
ma part, je n’ai aucune visée sur la Slovaquie. Elle n’a
jamais fait partie du Reich et je ne lui sacrifierai pas la
vie d’un seul soldat allemand, à moins qu’elle ne me demande
de garantir ses frontières. Encore faut-il que la Slovaquie
dise clairement si elle le veut, ou pas. D
- (( J e .prends acte de vos paroles et vous en remercie D,
répond Mgr Tizo. (( I1 y a longtemps que je désirais entendre
de votre bouche ce que vous pensez de mon pays et
vos intentions à son égard. J e suis trop ému pour vous
répondre immédiatement d’une façon formelle. J e vais consul-
ter mes amis e t examiner toute cette affaire à tête reposée.
Mais soyez tranquille : la Slovaquie ne vous décevra pas.
Sa réponse sera digne de l’intérêt que vous lui portez l. n
La séance prend fin à 19 h. 15. A 20 heures, Mgr Tizo
et M. Durcansky reprennent l’avion pour Bratislava.
t
* *
Le lendemain 14 mars, à 10 heures du matin, le Prési-
dent du Conseil et le ministre de la Justice se présentent
devant le Parlement slovaque qui a été convoqué la veille z.
M. Durcansky commence par rendre compte de l’entrevue
avec Hitler. Puis Mgr Tizo monte â la tribune e t déclare
d’une voix forte :
- (( Le Gouvernement de Prague ayant violé notre auto-
nomie par son coup de force du 10 mars, je romps défini-
tivement les liens qui nous unissaient à lui. En vertu du
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, je proclame l’In-
dépendance de la Slovaquie. Que ceux qui m’approuvent se
lèvent 3! ))
Tous les députés se lèvent et entonnent l’hymne natio-
1 Procès-verbal de l’entrevue entre le Chancelier Hitler et le Premier Ministre
de Slovapie Mgr Tizo, Berlin, 13 mars 1939. (Documents du Tribunal militaire
international de Nuremberg, XXXI, p. 150 e t S.)
2. Voir plus haut, p. 59.
3 . Monatshefte für Auswdrtige Politik, VI, 1939, p. 355 e t II.
62 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

na1 1. Aussitôt, Mgr Tizo envoie le télégramme suivant à


Gœring :
(( J e vous prie de porter ce qui suit à la connaissance d u Führer

et Chancelier d u Reich :
(( En témoignage de l‘entière confiance que vous lui témoignez,

l’État slovaque se place sou& votre protection. Il vous prie de


bien vouloir assumer c i son égard le rôle de Protecteur. n
Hitler répond à Mgr Tizo :
(( J’ai l’honneur de vous accuser réception de votre télégramme.

J’assu.me désormais la protection de l‘État slovaque. u


*
* +
A 1 h. 30 du matin, Mgr Volozin, entouré des membres
de son Cabinet et d’un groupe de parlementaires, a remis
la déclaration suivante au consul d’Allemagne à Chust :
(( Au nom du Gouvernement de I’ Ukraine subcarpathique, j’ai

l‘honneur de porter à votre connaissance que notre pays a pro-


clamé son Indépendance et qu’il se phce sous la protection du
Reich. D
Le Premier Ministre :
Mgr VOLO~IN 2.

Ce message est arrivé à Berlin le 14 mars, à 6 heures


du matin. Mais Hitler refuse d’accorder sa protection à
l’ancienne Ruthénie, pour laquelle il n’éprouve aucun inté-
rêt. Ribbentrop en informe aussitôt le Gouvernement de
Budapest. I1 notifie à ce dernier qu’il ne doit pas toucher aux
frontières de la Slovaquie, telles qu’elles ont été fixées par
l’Arbitrage de Vienne, mais qu’il lui laisse carte blanche en
Ukraine subcarpathique.
Au reçu de ce message, le Régent Horthy adresse le télé-
gramme suivant à Hitler :
(( J e n’oublierai jamais ce témoignage d’amitié. Votre Excel-
lence peut compter sur ma reconnaissance éternelle 8. ))
Et déjà, les troupes hongroises se mettent e n marche a...
1. Dokumenten-Bund Lenz ...,Heidelberg, 1964, no 7.
2. Akien zur Deutschcn Auscrdrligen Poliiik, IV, p. 219.
3. Id. IV, p. 210.
4. Le 14 mars 1939, à 14 h. 30, M. Erdmannsdori, chargé d’affaires allemand
à Budapest, transmet à Berlin la copie des ordres donnés aux chefs de la Honved :
DE MUNICH A PRAGUE 63

*
+ *
Cette cascade de nouvelles, survenant coup sur coup, a
semé la panique dans les milieux dirigeants de Prague.
Ils ont l’impression de voir le pays s’écrouler verticalement
autour d’eux. Complètement désemparé, M.Hacha demande
à être reçu par Hitler le plus rapidement possible1. Le Chan-
celier ayant répondu qu’il était prêt à le recevoir le jour
même, Hacha part pour Berlin à 16 heures, accompagné par
son ministre des Affaires étrangères, M. Chwalkovsky. I1
voyage en train spécial, car son état de santé ne lui permet
pas de prendre l’avion.
A la Chancellerie règne une grande animation. Gœring,
qui était parti le 2 mars pour faire une cure de longue durée
à San Remo2, a été rappelé de toute urgence dans la capi-
tale. A Keitel, qui arrive à midi pour prendre les dernières
consignes concernant l’invasion de la Bohême centrale,
prescrite pour le lendemain 3, Hitler dit brièvement :
-((Le Président Hacha a demandé à me voir,. pour
s’entretenir avec moi de la situation, J e l’attends ici, ce
soir même. 1)
a Déclenchement des opérations le 18 mars a u matin. E n attendant, petites
opérations locales de corps francs : le 14 mars, Munkacz et Nagyszollos; le 15,
Ungvar; le 16, Munkacz. Mise sur pied d’un groupe carpathique dans les secteurs
de Tiszanjlak, Munkacz, Ungvar, Nagykapos, Csap-Beregszasz, soit : 3 brigades
d’infanterie, 1 brigade motorisée, plusieurs brigades d’infanterie renforcées,
2 régiments d’infanterie, 1 escadron de cavalerie, 6 batteries d’artillerie.
a Mission : avance en direction nord-est, avec une aile gauche forte, jusqu’à
la frontihe polonaise.
I En cas d’attaque à p a r h d u territoire slovaque, tenir en réserve : 2 brigades
d’infanterie au nord de Komarom, 1 brigade d’infanterie près de Kassa, 1 bri-
gade d’ordre (Friedensbrigade) au nord de Budapest. Les troupes ennemies
stationnées en territoire ukrainien sont estimées à Idivision et demie.
u Sign6 :WREDE,ERDMANNSDORF. a

A cette nouvelle, les Tchkques retirent précipitamment toutes leur troupes


de Ruthhie. Le général Prchala se réfugie à Prague.
1. Note de M. Chwalkovsky à M. Eisenlohr, ministre du Reich à Prague :
a Me référant à notre entretien téléphonique d’hier, j’ai l’honneur de demander,
par votre bienveillante entremise, si Son Excellence le Chancelier du Reich serait
disposé à accorder une audience personnelle au Président Hacha. n (Akten zur
Deutschen Auswdrtigen Politik, IV, p. 223.) Ce message est daté du 14 mars 1939,
à 11 h. 25. I1 a donc été envoyé immédiatement après la séance du Parlement
slovaque.
2. Ce détail a son importance : il prouve que personne à Berlin ne s’attendait,
au début du mois, à une évolution aussi rapide des événements.
3. Cet ordre fait suite aux instructions données à Keitel, le 21 octobre 1938.
(Voir plus haut, p. 21.)
64 HISTOIRE DE L’ARMSEALLEMANDE
- N Dans ces conditions, dois-je donner à YO. K. H. l’ordre
de surseoir aux opérations? lui demande Keitel.
- (( I1 n’en est pas question I), répond Hitler. (( Nous entre-
rons en Bohême demain matin, quel que soit le résultat de
ma conversation avec Hacha. Tenez-vous à ma disposition
à partir de 21 heures, pour pouvoir transmettre mes ordres
à l’O. K. H. et à l’O. K. L.
Hitler est convaincu, en effet, que le Gouvernement Hacha
n’a plus longtemps à vivre et qu’un coup d’État militaire
destiné à ramener Benès au pouvoir2, va éclater à Prague
d’un moment à l’autre.
* *
Le Président Hacha arrive à Berlin à 22 h. 40, sous une
violente tempête de neige. I1 est accueilli à la gare d‘Anhalt
par M. Mastny, ministre de Tchéco-Slovaquie à Berlin et
par M. Meissner, Secrétaire d‘Etat à la Chancellerie. Au
moment où il va passer en revue la compagnie d‘honneur
de la Leibstundarte Adolf Hitler, M. Mastny, qui paraît
très nerveux, lui dit à voix basse :
- (( Les troupes allemandes ont déjà franchi la frontière
à Ostrava 3. 1)
M. Hacha pâlit et porte la main à son cœur. Son visage
trahit une immense lassitude.
Après avoir attendu deux heures dans un salon de I’hatel
Adlon, où il a un premier entretien avec Ribbentrop 4,
M. Hacha est conduit à la Wilhelmsplatz, où il arrive à
1. C’est-+dire au Commandement en chef des Forces de Terre, et au Com-
mandement en chef de la Luftwaffe. (Walter GORLITZ, CeneralfeMmarschall
Keitd, p. ZOO.)
2. Les services de renseignements l’ont informé que la veille au soir, 13 mars,
un avion mystérieux venant de Prague a atterri à Crovdon, l’aéroport de Londres.
I1 transportait une douzaine d’officiers de haut rang‘appartenant au 110 Bureau
de l’État-Major tchèque. (Cf. Wenzel JAKSCE, Ewopas Weg nach Potsdam, p. 351
e t S.; R. URBAN, Die Demokratsnpresse im Lichte Prager Geheimakten.) Ces douze
officiers, avertis de l’arrivée imminente des troupes allemandes, se sont réfugiés
A Londres pour ne pas être faits prisonniers. Mais Hitler en a déduit qu’une conju-
ration est nouée entre Benés et Sirovy, et qu’il n’a plus une minute à perdre s’il
veut en dejouer les effets.
3. Ostrava (en allemand Mahrisch-Ostrau) se trouve en territoire tchèque, à la
pointe méridionale de l’ancienne Silésie autrichienne. Cette mesure a pour objet
de verrouiller la frontiére e t d’empêcher les forces polonaises d’envahir la Slova-
quie pour se porter au-devant de l’Armée hongroise.
4. Au cours de cet entretien, Hacha a dit à Ribbentrop :a J e suis venu pour
remettre le sort de la Tchéco-Slovaquie entre les mains du Führer. n Ribbentrop
en a aussitôt prévenu le Chancelier, qui l’a chargé d’esquisser un projet d’accord
allant dans ce sens. (Documente du Tribunal militaire international de Nurem-
berg, X, p. 291.)
DE MUNICH A PRAGUE 65
1 h. 15 du matin, toujours accompagné par M.Chwalkovsky l.
Hitler les reçoit dans son bureau de la nouvelle Chancellerie,
une pièce immense et assez sombre qu’ornent un portrait
en pied de Bismarck et une statuette équestre de Frédéric II.
Autour de lui se tiennent M. von Ribbentrfp, le maréchal
Gœring, le général Keitel, l e s ministres d‘Etat Meissner et
Keppler, les Secrétaires d’Etat Weizsacker et Dietrich, l’in-
terprète Schmidt et le conseiller d’ambassade Hewel, chargé
de rédiger le procès-verbal.
Hacha s’avance vers Hitler, en lui tendant les deux bras S.
- (( Excellence »,
lui dit-il avec un fort accent bohémien,
(( VOUS ne pouvez savoir combien je vous admire! J’ai lu tous

vos ouvrages; je me suis arrangé pour entendre presque


tous vos discours; et maintenant, j’ai la joie de faire enfin
votre connaissance 4! 1)
Toutes les personnes présentes sont stupéfaites par cette
entrée en matière, dont l’exubérance cadre si mal avec le
tragique de la situation. Elles s’asseyent autour d’une table
ronde, disposée devant la cheminée. Mais alors, sans laisser à
Hitler le temps de placer un mot, Hacha prend la parole pour
raconter longuement son passé, se disculper des mesures qu’il a
dû prendre contre la Slovaquie (- Ayant présidé longtemps
le Conseil d’Etat, je sais mieux que quiconque ce qui est
légal ou illégal D; - (( si la Slovaquie veut s’en aller, j e ne
verserai pas une larme sur elle D -) ;marquer ses distances
à l’égard de l’ancien régime et assurer qu’il n’est pas un
politicien, mais un juriste. Hitler l’écoute avec une impa-
tience étonnée.
- K Durant des siècles »,poursuit Hacha, (( nos deux
peuples ont vécu côte à chte, et les Tchèques ne se sont
jamais si bien portés que lorsqu’ils se sont accordés
avec les Allemands. C’est pourquoi j’ai demandé à vous
voir, afin de dissiper les malentendus qui ont pu surgir
entre nos deux pays et vous remettre le sort de mon peuple,
1. Aucun autre Tchhque n’assistera Q la Coniérence, pas même M. Mastny,
Hitler ayant posé comme condition que M. Hacha ne vlenne accompagné que
par M. Chwalkovsky.
2. A toutes fins utiles, car MM. Hacha et Chwalkovskyparient très bien l’alle-
mand.
3. u Étant donné les dimensions de la pièce n, dira plus tard M. Keppler Q
l’auteur, a il m’a fait l’impression d’un nageur se jetant ?I l’eau. D
4 . Ddposition de Keppler devant le Tribunal de Nuremberg (Documents du Tri-
bunal mililaire international. Procès de la Wilhelmsirasse, Cas XI, vol. XXXVIII,
p. 12.997 et 8.)
vi 5
66 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

convaincu qu’il ne saurait être placé entre de meilleures


mains. D
- (( J e regrette que vous ayez dû vous imposer un voyage

aussi fatigant D, répond Hitler d’une voix sourde, (( mais ce


matin même, après mûre réflexion, j’ai pensé qu’il pourrait
être d’une grande utilité pour votre pays. n
Après quoi, il recommence à fulminer contre l’ancienne
Tchécoslovaquie. I1 s’excite en parlant, élève peu à peu
la voix et en vient à s’exprimer avec une certaine véhémence.
u Mais D, nous dit Schmidt, qui assiste à l’entretien, (( son
ton n’a rien de comparable avee la tempête qui a marqué
son dialogue avec Sir Horace Wilson, à la veille de Munich l. N
Pourtant cette nuit laissera à l’interprète du Führer un
souvenir sinistre 2.
- (( La Tchécoslovaquie a toujours été animée d‘inten-

tions hostiles à l’égard du Reich D, poursuit Hitler. (( E n


1936, lorsque j’ai réoccupé la Rhénanie, -
qui était pour-
tant un territoire allemand, -
le Gouvernement de Prague
a adressé une note à Paris, proposant de me poignarder
dans le dos si la France décidait de recourir à des représailles
militaires. A Genève, Benès a toujours pris des positions
hostiles à l’Allemagne et à l’Italie. E n 1938, il a mobilisé,
alors que je n’avais encore pris aucune mesure de ce
genreS. A partir de ce moment, la situation est devenue
si intolérable, que le 30 mai4, j’ai décidé d’en tirer les
conséquences. n
Hitler évoque alors la Conférence de Munich et poursuit
en ces termes :
- u Malheureusement, depuis lors, les choses n’ont pas
changé. Le nouveau régime n’a pas été capable de surmonter
l’esprit de l’ancien. J e sais que vous n’y êtes personnelle-
ment pour rien. Mais je suis obligé de regarder les choses
en face. On s’est refusé de ramener votre armée à des
effectifs correspondant à l’étendue de votre territoire. Qu’est-
ce que cela signifie? Qu’on lui assigne une mission interna-
tionale, car son entretien représente une charge écrasante

1. Voir vol. V, p. 461-462.


2. Paul SCHMIDT, Statist auf Diplornatischer Biihne, p. 429-430.
3. Hitler fait allusion à la mobilisation partielle décrétée par Benès le 21 mai
1938. (Voir vol. V, p. 227-228.)
4. C’est la date à laquelle Hitler a notifié à Keitel a sa décision irrévocable d‘écra-
ser la Tchécoslovaquie D. (Voir vol. Y,p. 229.)
DE MUNICH A P R A G U E 67
pour un petit État comme le vôtre. L’esprit de votre armée
n’a pas changé non plus. J e sais ce qui s’y passe : on y
attend avec impatience l’heure de la revanche. C’est ainsi
que les dés sont tombés dimanche dernier 1 et que j’ai
donné l’ordre à la Wehrmacht d’envahir ce qui reste de
la Tchéco-Slovaquie pour l’incorporer au Reich 2. Demain
matin, à 6 heures, l’Armée allemande pénétrera en Bohême
et en Moravie par tous les côtés à la fois et la Luftwaffe
occupera tous les aérodromes tchèques. J’ai presque honte
de vous le dire, monsieur le Président, mais devant chacun
de vos bataillons se trouvera une division allemande, car
les opérations se dérouleront sur une très grande échelle.
Voilà pourquoi je vous ai fait venir ici. C’est le dernier
service que je puisse rendre au peuple tchèque. Maintenant,
de deux choses l’une : ou bien l’Armée tchèque n’offrira
aucune résistance à l’avance des troupes allemandes. Dans
ce cas, il y aura encore de belles perspectives d’avenir pour
votre peuple. J e lui laisserai une autonomie plus grande
qu’il n’aurait jamais pu en rêver du temps de l’Autriche.
Ou bien vos troupes résisteront. Dans ce cas, elles seront
écrasées par tous les moyens dont je dispose. ))
Si Hitler a commencé par écouter Hacha avec surprise,
c’est au tour de Hacha et de Chwalkovsky d’être abasourdis.
La foudre tombant à leurs pieds ne leur ferait pas plus
d’effet. Ils avaient cru se rendre à Berlin pour dissiper
les malentendus qui avaient pu surgir entre Hitler et eux.
E t voilà qu’ils s’aperçoivent qu’Hitler ne les a laissés venir
que pour leur signifier sa volontéa. Aussi restent-ils cloués
sur place, immobiles,. pétrifiés, tandis que leurs regards
expriment un désarroi total.
-(( J e me rends bien compte que toute résistance est
inutile »,dit enfin Hacha d’une voix étranglée, u mais il
est bientôt 2 heures du matin. Vous me dites que vos
troupes entreront en Tchéco-Slovaquie à 6 heures. Com-
ment voulez-vous que j’aie le temps, d’ici là, d’empêcher
le peuple tchèque de recourir aux armes? ))
1. C‘est-à-dire le 12 mars 1939.
2. Voir plus haut, p. 21.
3. a Ce n’était pas une discussion D, écrit Schmidt. a Ce n’était pas même un
entretien direct d’homme à homme : le cercle des auditeurs était trop grand.
Mais en dehors d’Hitler, tous paraissaient de simples comparses, y compris Gœ-
ring et Ribbentrop. Cette observation s’appliquait également à Hacha et B
Chwaikovsky. D (Statkt au/ Diplomafischw Bühne, p. 429.)
68 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

- (( Vous n’avez qu’à téléphoner à Prague D, réplique


froidement Hitler. (( Mettez-vous en rapport avec votre
ministre de la Défense, le général Sirovy. Dites-lui de donner
l’ordre à ses troupes et à la population de n’offrir aucune
résistance. Dans ce cas, le peuple tchèque jouira d’une lon-
gue période de paix. Sinon, il sera écrasé 1.
- « S i le but que vous recherchez est le désarmement
de l’Armée tchèque, on pourrait trouver un autre moyen
d’y parvenir ... ))
- (c Ma décision est irrévocable »,rétorque Hitler, et son
visage prend à ce moment une expression très dure.
(( C’est un ordre du Führer. Vous savez ce que cela signi-

fie? I1 n’y a pas d’autre moyen, pour désarmer l’Armée


tchèque, que d’en charger la Wehrmacht. Si vous voulez
vous retirer un moment pour vous concerter avec M. Chwal-
kovsky, je n’y vois aucun inconvénient. Mais le temps presse.
Chaque minute perdue peut entraîner une catastrophe. D
- (( Puisqu’il en est ainsi )), dit Hacha dans un gémis-
sement, « i l n’y a rien d’autre à faire qu’à téléphoner à
...
Prague Cette démarche est la plus pénible de ma vie.
Peut-être comprendra-t-on plus tard, combien elle m’aura
coûté... n
Sur ce, Hacha et Chwalkovsky se retirent dans un petit
salon attenant, tandis que l’interprète Schmidt est chargé
d’établir la liaison avec Prague 2.
Mais la tempête de neige qui sévit sur toute l’Europe
centrale a perturbé les lignes téléphoniques, de sorte qu’il
est impossible d’obtenir la communication. Pendant ce temps
les minutes passent, interminables, -ces minutes dont Hitler
a dit que chacune d’elles pouvait entraîner un bain de sang...
Ribbentrop s’énerve de la longueur de l’attente.
- N Que se passe-t-il donc? n demande-t-il à Schmidt.
a Trouvez le responsable! Ce silence est inadmissible! n
Schmidt met le ministère des Postes sens dessus dessous.
On lui répond que la ligne allemande fonctionne, mais que
Prague ne répond pas.
- Q Appelez immédiatement le ministre des Postes n,

I . a Au nom de Sirovy, j’ai ern voir un éclair de haine passer dans le regard
de Hacha D, déclarera Keppler à l’auteur. a I1 m’est apparu alors que ies deux
hommes ne s’aimaient guère et que Hacha rendait Sirovy responsable de la situa-
tion impossible oii il se trouvait, ainsi que son pays. 8
2. Procès-verbal de l’entrevue entre le Chancelier Hitler et le Prhidenf Hacha,
Berlin, 15 mars 1939. (Akfen zur Deutschen Awnvârfigen PoZitik, IV, no 228.)
DE MUNICH A PRAGUE 69
s’écrie Ribbentrop, empourpré de colère. Dites-lui qu’il aura
affaixe à moi si la communication n’est pas établie immé-
diatement! D
Schmidt s’escrime tant qu’il peut, tandis que Hacha
s’entretient avec Gœring dans le salon voisin.
- ( ( S i vous ne vous décidez pas à temps »,lui dit le
Commandant en chef de la Luftwaffe, mille avions pul-
vériseront Prague demain matin. I1 n’en restera pas pierre
sur pierre l... D
Enfin, on annonce que Prague est au bout du fil. Schmidt
se précipite dans la pièce où Hacha et Gœring s’entretiennent
sur un ton qui ne semble trahir aucune émotion. Schmidt
en est d’autant plus étonné qu’il est lui-même au comble
de l’exaspération. Dès que Hacha apprend que Prague est
à l’écoute, il va vers le téléphone et prend l’appareil. Mais
à peine a-t-il pu échanger quelques mots que la commu-
nication est coupée.
- (( Allez chercher le ministre des Postes en personne! ))
hurle Ribbentrop qui ne se contient plus. (( Tirez-le de son
lit, dites-lui qu’il sera révoqué demain matin ainsi que tout
son personnel, si la communication n’est pas rétablie avant
une heure! n
Schmidt recommence à tourner frénétiquement la mani-
velle du standard, lorsqu’il entend une voix qui crie :
- (( Un docteur! Vite un docteur! Appelez le Dr Morel12!
Le Président Hacha vient d’avoir une syncope! ))
(( Cette fois-ci, c’est la fin de tout! 1) se dit Schmidt.
(( Si Hacha meurt ici, avant d’avoir pu parler avec Prague,

le monde entier dira demain que nous l’avons assassiné. 1)


Puis il entend dire à Gœring, d’une voix soucieuse :
- (( J e vous remercie, docteur. Espérons qu’il s’en tirera.
C’était une journée harassante pour un homme de son âge... D
Une demi-heure plus tard, la communication avec Prague
ayant pu enfin être rétablie, Schmidt retourne vers le petit
salon. Gceringet Hacha ont repris leurentretien. Lapiqûreadmi-
nistrée par Morel1a ranimé le Président. Mais les deux hommes
se parlent à voix si basse qu’onn’entend qu’un chuchotement.
1. Cette phrase ne figure pas au procks-verbal. Mais Gœring ne l’a pas contes-
tee devant le Tribunal de Nuremberg. Hitler avouera plus tard à Bormann qu’il
aurait été bien gêné, s’il avait été oblig4 de mettre cette menace B exécution, car
le brouillard empêchait les avions de prendre leur vol et reatrei@ait considérable-
ment l’activité de la Luftwaffe. (Libres Propos, I, p. 200.)
2. Le médecin personnel d’Hitler.
70 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

Pourtant Hacha se lève et se rend au téléphone. L’audi-


tion est mauvaise. I1 faut parler fort et lentement. Hacha,
n’en ayant pas la force, passe l’appareil à Chwalkovsky.
Celui-ci s’entretient assez longuement avec le général Sirovy.
I1 lui décrit la situation, lui annonce que les troupes
allemandes vont envahir la Bohême à 6 heures du matin,
et lui enjoint, au nom du Président de la République, de
donner l’ordre à l’armée et à la population de ne leur oppo-
ser aucune résistance.
Mais Sirovy obéira-t-il? Cet homme dur e t tout d‘une
pièce ne va-t-il pas se cabrer devant un ordre- pareil? Ne
va-t-il pas profiter de l’absence du Chef de l’État pour
reprendre la Présidence et appeler le peuple à l’insur-
rection?
Non. Car il se trouve lui-même dans une situation déses-
pérée. L‘Armée tchèque est puissamment armée, mais elle
a perdu ses fortifications et elle est encerclée. La défection
de la Slovaquie ne lui permet pas de retraiter vers les
Carpathes. De plus, elle est en pleine déliquescence car,
depuis la proclamation de l’Indépendance, le Gouvernement
de Bratislava a ordonné à tous les officiers et soldats
d’origine slovaque de quitter leurs unités et de regagner
leur pays 1. Résister, dans ces conditions, équivaudrait à
un suicide ...
La mort dans l’âme, Sirovy prend sa plume et rédige
le message suivant :
a Le Gouvernement de Prague a donne’ tordre de n’opposer
aucune résistance aux troupes allemandes qui vont faire inces-
samment leur entrée dans le pays, et d‘exécuter leurs consignes
en toutes circonstances 2. n

Pendant ce temps, le Secrétariat de la Chancellerie du


1. Le départ du contingent sudéte a déjà ouvert une brèche dans les rangs
de l’Armée tchèque. Avec le départ des Slovaques, c’est l’écroulement. Pourquoi
les Slovaques, qui ont proclamé leur indépendance et qui se sont placés sous
la protection du Reich, lutteraient-ils contre les Allemands, pour les empêcher
de pénétrer en Bohême? Par cette mesure, Mgr Tizo s’acquitte d‘une dette de
reconnaissance envers i’Allemagne, qui a empêché la Hongrie de submerger son
pay=*
2. La formule 8 le Gouvernement de Prague B est significative : le général
Sirovy ne sait même plus quel nom donner B son pays, puisque la I P République
tchéco-slovaque est morte, du fait de la scission de la Slovaquie. Ce message sera
diffusé par la radio tchéque à partir de 5 h. 15 du matin. Les ordres ont dQ
être donnés à l’Armée un peu auparavant.
DE MUNICE A PRAGUE 71
Reich a mis a? point la déclaration que doivent signer les
deux chefs d’Etat l. Elle tient en quelques lignes :
I( Le Führer et Chancelier d u Reich a reçu aujourd’hui, sur
sa demande, le Président de la République tchécoslovaque, e n
présence de M . von Ribbentrop et de M . Chwalkovsky.
(I Au cours de leur entrevue, ils ont examiné en toute franchise
la situation très grave survenue ces jours derniers sur le terri-
toire de l’ancienne Tchécoslovaquie. Ils sont convenus de conju-
guer leurs efforts en vue Zassurer I‘ordre et la paix dans cette
partie de l‘Europe centrale.
a A cet effet, le Président de la République tchéco-slovaque a
déclaré remettre, e n toute confiance, le destin d u peuple et d u
territoire tchèques entre les mains d u Führer d u Reich allemand.
Le Führer a pris acte de cette déclaration. Il a exprimé sa volonté
de placer le peuple et le territoire tchèques sous la protection d u
Reich allemand et $assurer aux populations un développement
autonome, conforme à leur natures. P)

Ce texte est signé par Hitler, Hacha, Ribbentrop et


Chwalkovsky à 3 h. 55 du matin, c’est-à-dire deux heures
et cinq minutes avant que les troupes allemandes ne
se mettent en marche.
A 4 h. 30, MM. Hacha et Chwalkovsky quittent la Chan-
cellerie, accompagnés par M. Meissner. Ils sont complète-
ment épuisés. Dans la voiture qui les ramène à l’hôtel
Adlon, Chwalkovsky dit au Président :
- u Notre peuple nous maudira, bien que nous lui ayons
sauvé la vie. E t pourtant nous lui avons épargné un
effroyable bain de sang 3. ))
Dehors, les rafales de neige redoublent de violence.
1. Le texte de cette déclaration a été rédigé àl’avance par Ribbentrop, à la suite
de son entretien avec le Président Hacha, à l’hôtel Adlon. (Voir plus haut,
p. 64, note 4 . )
2. Dokumente der Deuisehen Potifik, V11-2, no 82.
3. Dans le rapport qu’il adresse le lendemain à Paris, M. Coulondre situe
cette phrase au moment de la signature de la déclaration, mais aucune des
personnes présentes ne l’a entendue. Elle a été prononcée dans la voiture, selon
le témoignage de M. Meissner, qui ajoute : a M. Hacha m’a dit : a Ce jour est le
e plus sombre de ma vie. Jamais je n’ai eu à prendre une décision aussi cruelle.
a Mais je demeure convaincu d’avoir fait ce qu’il fallait, compte tenu des circons-
a tances, et d’avoir agi conformément aux intérêts supérieurs de mon Pays. a
( S o schnell schlügt Deutschlands Hert, p. 479, et S.)
VI

LE SILENCE DU HRADJIN

15 M A R S 1939, 8 HEURES : PREMIER


COMMUNIQUS
DE LA
WEERMACHT 1 :

N Ce matin, aux premières heures d u jour, des troupes alle-


mandes placées sous le commandement du général Blaskowitz
et du général List ont franchi la frontière germano-tchéque et
marchent vers les objectifs qui leur ont été assignés en Bohême
et en Moravie. Dès hier soir, des éléments de ïArmée et une
partie de la Leibstandarte Adolf Hitler ont occupé Mührkch-
Ostrau et Witkowitz ?-.
u A la même heure, des escadres de la Luftwaffe, placées
sous le commandement des généraux de l'Air Kesselrmg et
Sperrle, et d u lieutenant-général Lohr, ont franchi la frontière
aérienne germano-tchéque. n
12 HEURES : D E U X I È M E C O M M U N I Q U ~D E LA WEHRMACHT:
((Malgré les routes verglacées et la tempête de neige, les
troupes allemandes progressent rapidement. Pilsen 3 et Olmütz
ont été occupées dés le début de la matinée. Des unités du général
Blaskowitz sont entrées à Prague à 9 hures. D
15 HEURES : T R O I S I È M ECOMMUNIQUEDE LA WEHRMACHT:
(( Nos troupes ont atteint Iglau à 10 h. 15. Le général com-

mandant le X V I I I e corps d'armée a fait son entrée à B r ü n n à


1. C'est la première fois que le public entend à la radio la formule qui se rkp&
tera si souvent par la suite : a Das Oberkommando der Wehrmacht gibt bekannt... D
2. C'est le mouvement dont M. Mastny a informé M. Hacha, lors de son arrivée
A Berlin. Il a pour objet de bloquer une avance éventuelle des Polonais. (Voir
plus haut, p. 64.)
3. La région de Pilsen est l'arsenal de la Tchécoslovaquie. C'est là où se trouvent
les usines Skoda, l'équivalent des usines Krupp pour la Bohême.
DE MUNICH A PRAGUE 73
midi. Au cours de notre avance e n Bohême et e n Moravie, la
Luftwaffe a occupé de nombreux aérodromes. U n grand nombre
d’avions militaires tchéques ont été capturés a u sol 1. a

Avant la fin du jour, tout le territoire tchèque est virtuel-


lement occupé. L’ordre du général Sirovy a été suivi
partout a. Aucun coup de feu n’a été tiréS. Les soldats, consi-
gnés dans leurs casernes, sont rapidement désarmés. Les
usines d’armement, les dépôts de munitions, les parcs d’ar-
tillerie passent sous le contrale allemand.
*
* *
Pendant ce temps, les troupes hongroises envahissent
l’Ukraine subcarpathique 4. Mais contrairement à la façon
dont les choses se déroulent en Bohême, cette occupation
donne lieu de violents combats. Soldats et volontaires
courent aux armes. Refoulés de la frontière par les divisions
hongroises, ils se retranchent autour de Chust et dans les
hautes vallées des Carpathes. Ils luttent avec la frénésie du
désespoir pour tenter de sauver, moins le misérable lambeau
de terre auquel ils se cramponnent, que l’immense espoir
de liberté dont il était le symbole.
Mortellement inquiet, car il n’a reGu aucune réponse de
Berlin à sa déclaration de la veille 5, Mgr Volozin envoie un
second message à la Wilhelmstrasse :
(( J e vous confirme que l‘État d‘Ukraine subcarpathique
a proclamé son indépendance »,câble-t-il. (c Je vous prie
instamment de me dire si le Gouvernement allemand accepte de
lui accorder sa protection, ou s’il a décidé de le livrer à la
Hongrie, dont les troupes sont passées & l’offensive sur toute
notre frontière sud-est 6. n
1. Ils l’ont surtout été par l’infanterie, car le mauvais temps gêne considéra-
blement l’activité de l’aviation.
2. Hitler y verra la preuve que les Tchèques n’avaient guère envie de se battre :
6 Le seul fait que les ordres de non-résistance de Simvy aient été transmis jus-
qu’aux échelons inférieurs en moins de trois quarts d‘heure et qu’ils aient été
obéis partout est significatif à cet égard D, dira-t-il plus tard. (TischgesprUche,
Édition Picker, p. 90.)
3. Sauf à Mghrisch-Ostrau, où une caserne a refusé de se rendra aux Alle-
mands. Cette résistance a été rapidement jugulée. I1 est vrai que cet accrochage
a eu lieu au soir du 14 mars, avant que le Gouvernement de Prague ait donné
l’ordra de non-résistance.
4. Voir carte, p. 31. II *’agit de la partie du territoire marquée en pointillé.
5. Voir plus haut, p, 62.
6. Akten ZUT Deutschen Auswürtigen Politik, IV, p. 239.
74 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

Dans le courant de l’après-midi, il renouvelle son appel en


termes plus pressants encore :
a Je supplie b Reich de venir à notre secours et de nous
protéger contre les Hongrois et les Tchèques l. D
Cette fois-ci la réponse vient sans tarder. Elle ne laisse
place à aucun espoir :
a Veuillez faire savoir verbalement à Mgr Volozin )), télé-
graphie M. von Weizsacker au consul d‘Allemagne à Chust,
(c que le Reich n’est pas disposé, dans les circonstances actuelles,
à étendre son Protectorat à 2’ Ukraine subcarpathique. E n
conséquence, le Gouvernement alkmand conseille au Gouoerne-
ment ukrainien de ne pas opposer de résistance aux forces
hongroises qui avancent sur un large front 2. D
Dès lors, Mgr Volozin sait que tout est perdu S. Pourtant,
sourds aux conseils du Reich, des groupes de volontaires
opposent une résistance acharnée à l’avance des régiments
hongrois. Mais la lutte est par trop inégale. Bientôt les coups
de feu s’espacent. Ayant épuisé leurs munitions, les derniers
combattants ukrainiens s’égaillent dans les montagnes. Qua-
rante-huit heures plus tard, les troupes hongroises arrivent
à la frontière polonaise e t la Ruthénie est rayée de la
carte d’Europe, sans que personne n’élève la moindre pro-
testation *. *
+ *
Le 15 mars, à 6 h. 30 du matin, Hitler a quitté Berlin en
train spécial pour Bohmisch-Leipa, où l’attend une colonne
1. Akten zur Deutschen Awnuürtigen Politik, IV, p. 240. Ce troisième mea-
sage arrive à Berlin le 15 mars, à 16 heures.
2. Id., ibià.
3. Ni les Roumains ni les Polonais ne lui viendront en aide. Le drame
s’accomplira dans l’indifférence générale.
4. a L‘Ukraine subcarpathique D, écrit Clarence A. Manning, a retourna à la
Hongrie, aussi dépourvue de privilèges que durant les siécles précédents. I (Twen-
tieth Century Ukraine, p. 130.) Le point de vue des Hongrois est naturellement
très différent. a I1 serait arbitraire D, disent-ils, a de ranger les habitants de ce
pays parmi les Ukrainiens, alon qu’une minorité seulement s’était déclarée, à un
moment donné, solidaire d’eux ... L’attitude de la Hongrie ne peut être jugée
impartialement.qu’A la lumière des luttes soutenues par les patriotes [hongrois]
contre la politique de M. Ben& ... E n occupant la Ruthénie, la Hongrie a fait
œuvre de libération D (Lettre de M. Frawois Ho&, ministre de Hongrie à Pa&,
d l’auteur, le 3 septembre 1941.)
Quant à Hitler, en se désintéressant de la Ruthénie, il a réussi une triple opé-
ration diplomatique :10 s’attirer la reconnaissance des Hongrois; 20 satisfaire les
vœux des Polonais; 3 O rassurer 1’U. R. S. S., qui voit s’éloigner avec soulagement
le spectre de I’indbpendance ukrainienne.
DE MUNICH A P R A G U E 75
de voitures. A la frontière, les barrières se lèvent devant
lui pour le laisser passer. La colonne s’ébranle parmi les tour-
billons de neige et traverse lentement la Tchéco-Slovaquie.
Elle arrive à Prague un peu après 19 heures. La vie poursuit
son cours normal dans l’ancienne capitale des rois de Bohême,
mais la foule est clairsemée en raison du mauvais temps.
Le convoi traverse la ville sans être remarqué et se dirige
vers le Hradjin. Arrivées dans la cour d’honneur, les autos
s’arrêtent. Hitler en descend et s’engouffre dans le palais.
Comme son arrivée n’a pas été annoncée, personne ne fait
attention à lui.
Une heure plus tard, le Président Hacha, dont le train
spécial a quitté Berlin au début de la matinée, arrive à
son tour au Hradjin. I1 est stupéfait d’y trouver Hitler
en train de dicter ses ordres au général Blaskowitz et croit
être victime d’une hallucination l.
Sans lui laisser le temps de revenir de son saisissement,
Hitler lui demande de lui présenter les membres de son
Cabinet et les principaux chefs de l’Administration civile.
Convoqués par téléphone, les fonctionnaires accourent aux
ordres. Ils défilent devant Hitler, qui leur donne ses
consignes, et se retirent, la tête basse, sans proférer un
mot.
Une fois le passation des pouvoirs terminée, e t l’étendard
à croix gammée ayant été hissé sur le Hradjin, Hitler ouvre
la fenêtre et sort sur le balcon. I1 fait nuit. Le vent s’est
calmé, mais la neige tombe toujours. Aussi loin que porte le
regard, de gros flocons blancs descendent lentement du ciel
et recouvrent d’un linceul ouaté les rues, les ponts, les toits
des maisons et les coupoles des églises. Pas un cri. Pas une
acclamation. La ville est plongée dans un silence de mort.
Seuls quelques passants lèvent la tête e t s’étonnent.
I1 fait froid. Hitler ferme la fenêtre et rentre dans la salle.

+ *
Le lendemain, 16 mars, le Führer annonce la fin de la
Tchéco-Slovaquie et l’instauration du Protectorat deBohême-
Moravie. M. von Neurath y représentera personnellement le
1: Friedrich LENZ,Nie w i d e r Münched, I, p. 70. Témoignage d’Erich Kemp-
ka, le chauffeur d‘Hitler.
76 HISTOIRE DE L’ARYBE ALLEMANDE

Chancelier, avec le titre de Reichsprotektor et des fonctions


qui équivalent à peu près à celles des Statthalter d u temps
des Habsbourg. M. Hacha continuera à présider le gouver-
nement local, mais avec des attributions considérablement
réduites, car le Reich exercera dorénavant tous les droits
souverains en ce qui concerne la Défense nationale., la Poli-
tique étrangère, les Finances et l’Économie. I1 aura le droit
d’intervenir comme il l’entend en cas de troubles et de
réquisitionner la police pour assurer le maintien de l’ordre.
La Bohême et la Moravie seront intégrées au système
douanier allemand. Enfin, d’un trait de plume, l’Armée est
ramenée de 150.000 à 7.000 hommes 1.
Dans le courant de l’après-midi, on commence à apporter
à Hitler des états du butin saisi par la Wehrmacht. Des
documents provenant des services de l’O. K. H. s’accu-
mulent sur son bureau. Lorsqu’on additionne leurs chiffres,
ils donnent un total impressionnant :1.582 avions, 501 canons
de défense antiaérienne, 2.175 pièces d’artillerie lourde et
légère, 785 lance-mines, 468 chars de combat, 43.876 mitrail-
leuses, 114.000 pistolets, 1.090.000 fusils, plus de 1 milliard
de cartouches d’infanterie, plus de 3 millions d’obus,
sans parler d u matériel de ponts, d’écoute, de projection
e t d’une quantité énorme de véhicules spéciaux moto-
risés 2.
- (( E n entrant à Prague »,dira plus tard Hitler, (( j’ai
écrasé d’un coup de talon une mèche qui était sur le point
de faire sauter cette poudrière n ...
Mais ce faisant, il a mis le feu à une autre poudrière dont
l’explosion risque d’être beaucoup plus dangereuse pour lui.

Car rien ne contraste davantage avec le silence du Hradjin


que la tempête de protestations qui s’élève dans les capitales
occidentales.
Le premier à s’exprimer est Neville Chamberlain, dont

i. Dokumente und Berichie ..., 25 mars 1939, p. 38 et 1. Le même jour,


enhardi par la défaite que vient de rubir le général Sirovy, le général
Gayda, d’illustre mémoire, sort de l’ombre pour inviter ses compatriotes à coi-
laborer loyalement avec les autorités allemandes. (FRIEDRICH LENZ,Nie wieder
Mùnehenf, I. p. 98.)
2. Chifbos cités par Hitler dans son discoun au Reichatag, le 28 avril 1939.
DE MUNICH A PRAGUE 77
u n discours à la Chambre des Communes était annoncé
pour l’après-midi du 15 mars. De prime abord, l’événe-
ment ne lui cause que peu d’émotion. I1 semble même dis-
posé à l’accueillir avec sérénité, car il y voit un moyen de
dégager l’Angleterre de ses obligations envers la Tchécoslo-
vaquie, obligations qui lui ont toujours paru contraires aux
traditions britanniques et qu’il n’a contractées qu’à contre-
cœur, à la demande des Françaisa. Aussi se borne-t-il à
déclarer, d’une voix égale :
- (( En proclamant son Indépendance, la Slovaquie a
provoqué l’effondrement intérieur de la République tchéco-
slovaque. De ce fait, la situation qui nous_zlvait amenés à
donner notre garantie aux frontières de cet Etat - situation
que nous avions toujours considérée comme temporaire -
a cessé d’exister. En conséquence, le Gouvernement de Sa
Majesté ne se sent plus lié par cette obligation ... J e déplore
profondément ce qui vient de se passer, mais ce n’est pas une
raison pour nous écarter de la route que noua avons suivie
jusqu’ici ... N’oublions pas que l’esprit de tous les peuples du
monde reste toujours tourné vers les espoirs de paix. D
Pourtant, lorsqu’il apprend l’instauration du Protectorat
de Bohême-Moravie et constate la tempête d’indignation que
cette nouvelle suscite, tant au sein du Parlement que dans
la quasi-totalité des journaux britanniques, Chamberlain
comprend qu’il ne s’en tirera pas à si bon compte et qu’il va
être obligé de réviser toute sa politique. Dès ce moment, il se
sent atteint au plus profond de lui-même. A la fois par le
geste d’Hitler et par la réaction de ses compatriotes qui,
oubliant leurs acclamations récentes, le rendent responsable
de ce qui est arrivé. Pour le Premier Ministre, la déception
est amère. En se rendant à Munich, il a pris une initiative
hardie. I1 a bravé l’opposition pour assurer la paix euro-
péenne e t l’avenir de la Tchécoslovaquie. Or, la Tchécoslo-
vaquie est morte et la paix paraît plus menacée que jamais.
La Conférence du Führerbau n’aura-t-elle été qu’une halte
- combien brève! -
sur le chemin de l’abîme?
La consternation s’accroît encore lorsque Lord, Halifax

1. a Les âmes anglaises reculent inatinctivement devant toute proposition


tendant A faire garantir par la Grande-Bretagne la situation créée par le trait6
de Paix en Europe orientale D, affirmait le journal The Economist. dans son édi-
torial du 11 novembre 1931.
2. Voir vol. V, p. 397.
78 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

v i e n t l e prévenir q u e s o n allocution d e la veille a fait u n e


impression déplorable sur la Chambre des Communes. S’il n e
revient p a s i m m é d i a t e m e n t s u r ses déclarations p o u r se
m e t t r e à l’unisson d e la r é p r o b a t i o n générale, il y a fort à
parier q u e l e Cabinet sera renversé ...
L e 17 mars, à Birmingham, Chamberlain prononce donc
un second discours, t r è s différent d u précédent p a r le t o n et
p a r l a forme, car il e s t à la fois u n plaidoyer e t un réqui-
sitoire :

(( On a prétendu »,s’exclame-t-il, (( que l’occupation de la

Tchécoslovaquie était la conséquence directe de mes visites


en Allemagne à l’automne dernier et que les événements récents
équivalaient à une rupture des Accords de Munich. On a dit que
le Premier Ministre avait voulu poursuivre une politique per-
sonnelle et qu’en conséquence c’était à lui, e t à lui seul, de
porter sur ses épaules, la responsabilité du sort infligé à la
Tchécoslovaquie. C’est là une afirmation que je ne puis
...
accepter Certes, je n’ai jamais prétendu que les conditions
obtenues à Munich étaient celles que j’aurais souhaitées. Mais
le problème que j’avais à résoudre n’était pas nouveau. 11
datait du Traité de Versailles et aurait été résolu depuis
longtemps, si les hommes d’État d’il y a vingt ans avaient eu
une conception plus généreuse, plus large et plus lucide de
leur mission. Le mal trop longtemps négligé avait fait de tels
ravages qu’une intervention chirurgicale était devenue néces-
saire.
a J e n’ai vraiment pas besoin de défendre mes voyages en
Allemagne à l’automne dernier, car nous n’avions pas le
choix. Rien de ce que nous aurions pu faire, rien de ce
qu’auraient pu faire la France e t la Russie n’aurait empêché la
Tchécoslovaquie d’être envahie e t détruite. E t même si nous
étions tous entrés en guerre pour punir l’Allemagne de son
agression, e t si nous étions sortis victorieux de ce conflit,.qui
nous aurait infligé à tous des pertes e t des destructions
irréparables, nous n’aurions pas pu rétablir la Tchéco-
slovaquie, telle qu’elle avait été créée par le traité de
Versailles. n

Voilà pour le plaidoyer. Maintenant l e réquisitoire :


(( Mais nous nous trouvons à présent devant u n tout autre

problème. E n vertu d’une proclamation, publiée avant-hier


à Prague, la Bohême et la Moravie sont incorporées au Reich.
Leurs habitants non allemands -auxquels appartiennent natu-
DE MUNICH A PRAGUE 79
rellement les Tchèques - sont soumis à un Protecteur alle-
mand, dans un Protectorat allemand. Ils doivent se plier aux
exigences politiques, militaires e t économiques du Reich.
On les appelle un É t a t à administration autonome, mais le
Reich prend en main leur politique étrangère, leurs douanes,
leurs finances e t désarme leur armée. Pis encore : on voit
entrer en action la police secrète d’État, avec ses arrestations
de personnalités éminentes e t tout ce qui s’ensuit.
(( Notre cœur se tourne avec sympathie vers le peupIe
fier e t courageux qui a été subitement victime de cette inva-
sion, dont les libertés sont amputées e t dont l’indépendance
nationale a disparu. Qu’est devenue la déclaration : (( Les
Sudètes sont la dernière revendication territoriale que j’aie à
formuler en Europe n? Qu’est devenue l’affirmation : (( Je ne
veux d’aucun Tchèque à l‘intérieur du Reich ))? Qu’a-t-on
fait du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ce principe
autour duquel Hitler e t moi avions bataillé à Berchtesga-
den et au nom duquel il exigeait que les territoires sudètes
soient séparés de la Tchécoslovaquie et incorporés a u Reich?
« O n nous dit que l’occupation du territoire a été rendue
nécessaire par des troubles intérieurs. Mais ces troubles n’ont-ils
pas été fomentés de l’extérieur? E t à qui fera-t-on croire,
en dehors de l’Allemagne, que la petite Tchécoslovaquie pou-
vait représenter un danger pour son puissant voisin?
(( Une autre série de questions se pose à nous. L‘Allemagne

nous a ménagé, ces temps derniers, une succession de surprises :


l’occupation de la Rhénanie, l’Anschluss de l’Autriche, I’in-
corporation des Sudètes, qui ont dressé contre elle l’opinion
d u monde entier. Mais même si les méthodes employées ont
paru répréhensibles, certains arguments plaidaient en faveur
de ces changements.
(( Cependant, les choses qui se sont passées cette semaine

- a u mépris total des principes que le Reich lui-même avait


constamment invoqués - appartiennent à une autre catégorie
e t nous amènent à nous demander : Est-ce la fin d’une vieille
aventure, ou le début d’une nouvelle? Est-ce la dernière
agression contre un petit É t a t , ou d’autres vont-elles suivre?
Est-ce le premier pas vers la domination d u monde par la
force?
(( Ce sont là des questions graves. J e ne prétends pas y répondre

...
ce soir Mais que l’on puisse se les poser, et qu’un pareil
défi ait pu avoir lieu, est en soi-même effrayant. Encore une
fois, je n’ai pas l’intention de lier notre pays par des engage-
ments vagues e t imprévisibles. Mais parce que nous considé-
rons la guerre comme un fléau absurde e t cruel, il ne faudrait
pas en déduire que nous sommes émasculés au point de ne pas
lutter jusqu’à notre dernier soume contre une provocation
80 HISTOIRE DE L’ARMSEALLEMANDE
de ce genre, si elle devait se reproduire. Ceux qui penseraient
le contraire commettraient une erreur tragique. J e sais
pouvoir compter sur l’appui de toute la nation lorsque j’af-
firme que si nous plaçons la Paix très haut, nous plaçons la
Liberté plus haut encore l! D
c Ce discours sonne le glas de la politique de conciliation n,
se disent la plupart des Anglais. u En vingt-quatre heures,
Chamberlain a tourné le dos à son passé. Dorénavant, un
nouveau Munich n’est plus possible 2. D
Eden, Duff Cooper et Churchill s’en félicitent ouvertement.
Le descendant des Marlborough ne se place pas sur le ter-
rain de la morale mais sur celui! plus concret, de l’équilibre
des forces sur le continent. I1 a delà dit, il y a quelque temps,
à Ribbentrop : (( Si l’Allemagne devient trop puisssante, nous
l’écraserons de nouveauS. D I1 pense que ce moment ne tardera
guère et pressent l’approche d’une tempête qui lui permettra
de donner enfin sa mesure et de jouer le rôle exceptionnel
auquel il aspire. ((L’Angleterre n’a plus qu’à s’armer sur
terre, sur mer et dans les airs »,déclare-t-il. (( Elle doit
revêtir sa cuirasse la plus étincelante et s’apprêter à faire
face à l’orage le plus terrible que le monde ait connu 4! n
A Paris, Daladier fulmine contre (I le guet-apens 3 tendu à
M.Hacha. (( Hitler m’a bafoué et ridiculisé »,s’exclame-t-il.
Georges Bonnet convoque le comte Welczek, ambassadeur
du Reich au Quai d’Orsay et lui dit :
- (( J e vous ai prévenu, il y a trois jours, qu’une invasion
de la Tchéco-Slovaquie représenterait un pas décisif vers la

parLord Haliîax. - - -
1. Livre bleu britannique, no 9. Ce discours a été rédigé pour Chamberlain

2. A l’issue de ce discours, le roi George VI écrit au Premier Ministre : a Je


tiens à vous dire combien je partage ws sentiments à l’égard de la conduite récente
du Gouvmnement allemand. Bien que le coup s€vère port€ à ws eflorts courageuz
pour assurer la paix et iu bonne entente en Europe doive vous remplir, je le crains,
d’une profonde tristesse, je ruis sûr que ces eflorts n’auront pas été vains, car ils
ont convaincu le monde entier de wire amour de la paiz et de wtre désir sincère de
régler, par voie de tadgociation, lea litiges pouvani survenir enfre nous et n’importe
queüe autre nation. n
Le lendemain 19 mars, Chamberlain note dans son journal : (I Dès que j’ai eu
b temps de réfichir, j’ai w qu’il était impossible de traiter awe Hitler, après iu
fwon dont il avait jeté au vent sea proprcs aasuranced. I (Keith FEILING. The life
of Neville Chamberlain, p. 401.)
3. Ribbentrop lui a répondu : r Cette fois-ci. ce ne sera plus aussi facile, car
l’Allemagne a beaucoup d’amis. B A quoi Churchill a Atorqué : a Oh, nous sau-
rons fort bien les amener de notre côté. n (RIBBENTROP, Zwischen London und
Moskau, p. 97.)
4. I1 semble paraphraser l’invocation célbbre de Chateaubriand : R Levez-wur
vite, orages a i r & . . .
DE MUNICH A PRAGUE 81
guerre européenne. A présent, la tragédie est consommée.
Les Accords de Munich ont été l’objet de la violation la plus
flagrante. I1 en est de même de l’Accord franco-allemand du
6 décembre 1938, puisque le Reich a agi sans même nous
consulter 1. D
Puis, sans perdre un instant, il fait venir M. Souritz,
ambassadeur de 1’U. R. S. S., e t lui déclare :
- (( Dans l’immédiat, il est trop tard pour faire quoi que
ce soit. Mais le moment paraît opportun pour que Paris et
Moscou se concertent et soient prêts à résister ensemble à
toute nouvelle tentative d’agression d’Hitler 2. n
Les dirigeants du Kremlin n’ont d’ailleurs pas attendu
cette démarche pour exprimer leur désapprobation. Ils ont
affirmé que la décision de M. Hacha était inconstitutionnelle,
parce que le Président de la République l’avait prise sans
consulter préalablement le Parlement de Prague e t sans
permettre au peuple tchèque d’exprimer sa volonté 3.
Le Gouvernement polonais, lui, est dans une situation
plus embarrassée, carila fait cause commune avec l’Allemagne
durant toute la crise qui a abouti à Munich. Sans doute
n’est-il pas fâché de ce qui vient d’arriver aux Tchèques,
étant donné le mépris qu’il leur a toujours voué. Mais l’accord
Hitler-Tizo, en vertu duquel l’Allemagne a étendu sa pro-
tection à la Slovaquie, l’indispose e t l’inquiète. A Varsovie,
l’homme de la rue a une réaction purement slave contre
l’avance constante du germanisme en Europe orientale.
(( Après tout »,se dit-il, (( les Slovaques sont nos .amis. Ils

parlent une langue apparentée à la nôtre et nous avons tou-


jours soutenu leurs aspirations à l’Indépendance. Nos inté-
rêts dans cette région font partie de notre histoire. Ce geste
n’est-il pas dirigé contre nous 47 n
Les colonies tchèques d’Amérique adoptent, quant à elles,
1. Georges BONNET, La Déjense de la Paix, II, p. 150-151;Le Quai d’Orsay sous
frois Rkpubliques, p. 260. M. Welczek lui répond : a Le Pacte consultatif franco-
allemand portait sur des questions européennes. Or, l’occupation de Prague
a été rendue nécessaire par la désagrégation intérieure du pays. De plus, il
fallait agir vite. Nous n’avions pas le temps. D (Akfen zur Deufschen Auswdrfigen
Politik, IV, p. 245.) La faiblesse de cette argumentation trahit l’embarras de
Welczek. I1 sait fort bien que si la France avait été consultée, elle aurait opposé
Bon veto à l’occupation de Prague.
2. Georges BONNET, La Défense de la Paix, II, p. 154.
3. Akfen zw Deufschen AuswBrfigen Politik, VI, no 50. Cependant, l’Union
Soviétique ne proteste pas contre l’occupation par les Hongrois de l’Ukraine
subcarpathique, que Litvinov accueille a avec une évidente satisfaction n.
4. Ci. Livre biam polonais, no 61.
OI 6
82 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

une attitude dénuée de toute ambiguïté : elles crachent feu


et flammes, car elles n’ont pas oublié le rôle de premier plan
qu’elles ont joué dans l’émancipation de leur pays. D’accord
avec Ia Maison-Blanche, Benès - qui s’est installé à Chicago
depuis le mois de février - s’emploie à mettre sur pied un
gouvernement tchèque en exil et lance à ses compatriotes la
proclamation suivante :
(( Tchèques et Slovaques libres, disséminés de par le monde,

sachez que la lutte pour l’Indépendance n’est pas terminée! Ce


combat ne cessera as, aussi longtemps que l’Europe centrale ne
sera pas libérée de l‘emprise nazie et que les Tchèques et les
Slovaques ne vivront pas sur une terre qui leur appartienne e n
propre. Restez unis et fidèles à l’idéal de Thomas Masaryk!
L’heure de la résurrection sonnera I! 1)

L’opinion américaine n’est pas moins prompte à s’émou-


voir que l’opinion européenne. Le 16 mars, M. Thomsen,
chargé d’affaires allemand 2, informe le Gouvernement des
Etats-Unis de l’instauration du Protectorat de Bohême-
Moravie. La réaction de la Maison-Bianche est immédiate.
Dès le lendemain, le Département d’Etat publie le commu-
niqué suivant :
(( L e Gouvernement des Etats-Unis, qui se fonde sur les prin-

cipes de la liberté humaine et de la démocratie, ne peut s’abstenir


de faire savoir qu’il condamne, de la façon la plus formelle, les
événements qui ont abouti, ces jours derniers, à l’abolition des
libertés d‘une nation indépendante avec laquelle le peuple des
États- Unis a entretenu des relations particulièrement étroites et
amicales depuis la fondation de la République tchécoslovaque...
De tels actes, caractérisés par un usage arbitraire de la violence,
menacent la paix du monde et les fondements mêmes de la civi-
lisation 3. ))

Le 18 mars, recevant le prince de Ligne, envoyé extraor-


dinaire de Belgique à Washington, M.Cordell Hull lui déclare,
sur un ton où perce sa colère :
-
u Si une guerre éclate à vos frontières, dites-vous bien
1. Appel reproduit par Die Zukunff, organe de l’émigration aliemande A Paris,
no 12, p. 2.
2. Rappelons que l’ambassadeur, M. Dieckhoff, a quitté Washington au len-
demain de la Nuit de Cristal. (Voir plus haut, p. 42.)
3. Peace and War, Unital States Foreign Policy, Washington, 1943, no 126.
DE MUNICH A PRAGUE 83
que nous interviendrons! J e ne puis vous dire si ce sera au
bout de trois jours, de trois semaines ou de trois mois but we
will move - nous bougerons l. n
Le surlendemain 20 mars, le Secrétaire d’État répond en
ces termes à la note de M. Thomsen :
(( L e Gouvernement des États-Unis a pris connaissance du

fait que les territoires de la Bohême et de la Moravie sont placés


d e facto sous administration allemande. L e Gouvernement des
États-Unis ne reconnaît aucun fondement légal au statut e n
question. 1)

Sous la plume de M. Cordell Hull, cette formule équivaut


à une condamnation sans appel.

* *
Simultanément, en plein accord avec Downing Street, le
Quai d’Orsay adresse une note de protestation à Berlin :

N L e Gouvernement français »,y lit-on, (( considère qu’il se


trouve en face d’une violation flagrante des Accords de Munich.
Les Gouvernements qui avaient donné leur accord à u n compro-
mis destiné à assurer la survivance de la Tchécoslovaquie ne
sauraient assister e n silence au démembrement d u peuple tchèque
et à l’annexion forcée de son territoire. La soumission d u Gou-
vernement de Prague, qui a été brutalement imposée par la pres-
sion allemande, ne peut être invoquée pour libérer la France de
ses obligations.
(c L e Gouvernement français ne peut reconnaître la légitimité
de la situation nouvelle, créée en Tchécoslovaquie par l‘action d u
Reich z. 1)

C’est avec un visage crispé, que M. von Weizsacker reçoit


les ambassadeurs de France e t de Grande-Bretagne venus lui
signifier la désapprobation de leurs gouvernements.
M. Coulondre commence p a r poser sa note sur la table et
demande au Secrétaire d’Etat d’en prendre connaissance.
- (( A quoi se réfère-t-elle? )) lui demande M. von Weizsac-
ker, sans même y jeter les yeux.
- (( Elle contient une protestation contre les agissements
1. Livre blanc allemand, III, no 20.
2. Livre jaune français, no 7 6 .
84 HISTOIRE DE L’ARYEE ALLEMANDE

de l’Allemagne à l’égard de la Tchécoslovaquie B, répond


M. Coulondre.
- u Alors reprenez-la »,rétorque le Secrétaire d’État aveo
une raideur hautaine. N Si vous la laissez sur ma table, j e la
traiterai comme si elle m’avait été envoyée par la poste. Je
ne suis disposé à accepter aucune protestation de votre part
concernant I’aff aire tchécoslovaque, car elle ne serait fondée
ni en politique, ni en morale, ni en droit. Veuillez dire à votre
Gouvernement d‘en revoir les termes... n
- u I1 n’est pas en mon pouvoir de suggérer à mon Gou-
vernement de modifier son point de vue »,répond l’ambas-
sadeur de France.
- u Dans ce cas, je refuse formellement d’en prendre
connaissance. Au point de vue du droit, il existe une décla-
ration conjointe du Président de la République tchécoslo-
vaque e t du Chancelier dv Reich1. C’est sur sa propre ini-
tiative que le Chef de 1’Etat tchèque est venu à Berlin8.
C’est spontanément qu’il a exprimé, au ministre des Affaires
étrangères du Reich, le désir de remettre les destinées de son
peuple entre les mains du Führer 8. J e ne puis croire que le
Gouvernement français se montre plus royaliste que le roi
en s’immisçant dans une affaire qui s’est déroulée normale-
ment entre Berlin e t Prague. Au point de vue politique, il
s’agit de territoires dont M. Georges Bonnet a dit qu’il se
désintéressait, comme il l’a déclaré expressément à M. von
Ribbentrop au début de décembre. S’il en avait été autre-
ment, jamais l’Accord franco-allemand du 6 décembre 1938
n’aurait été signé. Une démarche comme la vôtre n’est pas
seulement une entorse à cet accord : ellele vide de toute
signification 4... n
M. Coulondre a beau protester contre cette interprétation
des faits e t soutenir que Georges Bonnet n’a jamais rien dit
de pareil 6, M. von Weizsacker demeure inébranlable.
Mais si le Secrétaire d’Etat allemand tient tête à l’orage,
il n’en est pas moins dans une situation inconfortable, car

1. Voir plus haut, p. 71.


2. Voir plus haut, p. 63, n. 1.
3. M. Hacha l’a déclad en effet, dans l’entretien qu’il a eu avec Ribbentrop A
l’Hôtel Adion, avant d’être reçu à la Chancellerie. (Voir plus haut, p. 64, note 4.)
4. Dokumnte und Baichte, 25 mars 1939, p. 40. Akkn zw Deutschen Aunvb-
Zigen PoZitik, VI, p. 16 et s.
5. Livre j a m français, no 78. Georges Bonnet d e n défendra €gaiement avec
la derniAm énergie. (Livre j w M f r q a b , no 81.)
DE MUNICH A PRAGUE 85
aussitôt après l’intervention de M. Coulondre, il doit subir
les assauts de l’ambassadeur d’Angleterre. Comme précé-
demment, il refuse de prendre connaissance de la note que
lui apporte Sir Nevile Henderson.
- (( Dans les circonstances actuelles »,lui dit-il, a je
n’attends rien de bon de votre démarche. J e ne puis vous
donner qu’un conseil : suggérez à votre Gouvernement de
reconsidérer la question l... D
- (( C’est impossible! )) réplique Sir Nevile Henderson.
- (( Dans ce cas, j’ai le regret de vous dire que l’Allemagne

se verra obligée de réviser toute sa politique à son égard 2... 1)


Cette phrase menaçante est suivie d’un long silence.
- (( And what nezt? 1) demande Sir Nevile Henderson,
visiblement décontenancé 3.

La fin de non-recevoir opposée par l’Allemagne aux notes


de protestation française et britannique a déchaîné la colère
du Président Roosevelt. Le 14 avril, il adresse le message
suivant à Hitler :

a Vous ne devez pas ignorer - j’en suis convaincu - qu’au-


jourd’hui, dans le monde entier, des centaines de millions de gens
vivent dans la crainte permanente d’une guerre, ou $une série
de guerres. L’existence de cette crainte - et la posscbilité d’un
conflit - constitue un souci sérieux pour le peuple américain,
a u nom duquel je parle. Elle est aussi un sujet de préoccupation
pour les autres nations réparties dans tout l’hémisphère occiden-
tal... Trois nations européennes et un peuple africain ont v u
disparaître depuis peu leur indépendance. Une large portion du
territoire appartenant à une autre nation indépendante, située
e n Extrême-Orient, a été occupée par son voisin. Selon des
rumeurs, que nous espérons infondées, de nouvelles agressions
se prépareraient contre d‘autres nations indépendantes ...
a Êtes-vous disposé à me donner l’assurance que vos armèes
n’attaqueront ni les territoires ni les possessions des nations
énuméries ci-après : la Finlande, l’Estonie, la Lettonie, la
1. Akten zur Deutschen Auwürtigen Politik, VI, p. 16 et 22.
2. Deutsche Dipinmatisch-Politische Information, 20 mars 1939; Dokumente der
Deutschen Poiitik, VII, I, p. 155.
3. t Cette &flexion traduit la nervositb de l’ambassadeur de Grande-Bre-
tagne et donne à peu près le ton de tout I’entretien n, note Weizsacker. (Akten
ZUT Deutuschen Airavdrtigen Politik, VI, p. 16 et 33.)
86 HISTOIRE D E L’ARM$E ALLEMANDE

Lituanie, la Suède, la Norvège, le Danemark, les Pays-Bas, la


Belgique, la Grande-Bretagne et l‘Irlande, la France, le Portugal,
l‘Espagne, la Suisse, le Liechtenstein, le Luxembourg, la Pologne,
la Hongrie, la Roumanie, la Yougoslavie, la Russie, la Bulgarie,
la Grèce, la Turquie, l‘Irak, les Pays arabes, la Syrie, la Pales-
tine, l‘Égypte et l’Iran?
(( Il va de soi qu’une telle assurance ne doit pas se limiter au

moment présent, mais doit s’étendre à un délai ‘assez long pour


permeitre à un état de paix durable de s’instaurer par des moyens
pacifiques.
c J e vous propose, e n conséquence, de prendre le mot n avenir n
dans son acception la plus large, de sorte que votre garantie de
non-agression s’itende sur une période de dix ans, voire # u n
quart de siècle, si nous avons le courage de regarder aussi loin1 n ...
C’est alors au tour d’Hitler de sursauter de colère devant
ce qui lui apparaît comme n u n monument d’impudence,
d’irréalisme e t d’absurdité n. Mais il ne sous-estime pas pour
autant l’effet psychologique que le message de Roosevelt
peut avoir sur les pays intéressés. Aussi adresse-t-il à chacun
d’eux un questionnaire, dans lequel il leur demande de lui
dire s’ils se sentent menacés par le Reich, et si la question que
lui pose le Président des etats-Unis a été faite à leur insti-
gation, ou tout au moins avec leur consentement. Tous les
pays consultés ayant répondu par la négative, Hitler réunit
le Reichstag e t réfute point par point les accusations de
Roosevelt, dans un discours qui est u n des plus mordants
quIil ait jamais prononcés 2. C’est un torrent d’éloquence,
qui dure plus de deux heures e t où les sarcasmes alternent
avec les coups d’étrivières.

(( Ce n’est pas sans raison »,rugit-il, (( que la crainte des

guerres a toujours rempli l’humanité. Rien que depuis la


conclusion du Traité de Versailles, c’est-à-dire de 1919 à 1938,
quatorze guerres ont eu lieu, auxquelles l’Allemagne n’a pris
aucune part, mais auxquelles ont participé des Etats de
l’hémisphère occidental, dont M. Roosevelt se fait le porte-
parole... Les États-Unis, ? i seuls ont procédé six fois, depuis
eux
1918, à des interventions militaires. La Russie Soviétique a

1 . Akten zur Deutschen Auswdrtigen Politik, VI, no 200. Pour empêcher Hitler
de passer ce message sous silence, Roosevelt en a communiqué le texte à la presse
américaine, avant méme de l’envoyer à son destinataire. C’est dire qu’il ne s’attend
guère à ce que le Chancelier y réponde par l’affirmative.
2. Discours du Führer-Chancelier aux député8 du Reichstag, le 28 avril 1939.
D E MUNICH A PRAGUE 87
fait, depuis 1918, dix guerres e t actions militaires, ayant
entraîné des effusions de sang. Non seulement l’Allemagne n’y
a pris aucune part, mais elle n’a pas été la cause de ces opé-
rations.. .
a M. Roosevelt déclare en outre que trois nations indépen-
dantes en Europe e t une en Afrique ont v u mourir leur indé-
pendance. J’ignore quelles sont les trois nations auxquelles il
se réfère. Mais s’il s’agit des provinces réincorporées a u Reich,
qu’il me permette d’attirer son attention sur l’erreur historique
qu’il est en train de commettre, Ce n’est pas maintenant que
ces nations ont perdu leur indépendance. Ce fut en 1918, lors-
que a u mépris des promesses les plus solennelles faites p a r un
Président des États-Unis, on les arracha a u x communautés
dont elles faisaient partie, pour leur donner l’estampille de
nations - ce qu’elles ne voulaient pas être, e t ce qu’elles
n’étaient d’ailleurs pas - en leur imposant une indépendance
qui n’en était pas une, mais qui ne pouvait être, tout a u plus,
qu’une dépendance à l’égard d’une Puissance étrangère qu’elles
haïssaient.
(( Quant z i la nation d’Afrique qui aurait perdu sa liberté,

M. Roosevelt commet également une erreur. Ce n’est pas une


seule nation qui a perdu sa liberté en Afrique. Presque tous les
anciens habitants de ce continent ont été soumis avec une
brutalité sanglante à la souveraineté d’autres peuples et
o n t perdu ainsi leur liberté. Marocains, Berbères, Arabes,
Nègres, etc., tous ont été les victimes d’une force étrangère
dont le glaive ne portait pas la marque Made in Germany,
mais Made by the Democraties. n

Hitler p o u r s u i t en p o s a n t l a q u e s t i o n s u i v a n t e :
(( M. Roosevelt trouve-t-il équitable de suggérer a u Gouver-

nement d u Reich de conclure un pacte de non-agression avec


trente e t un pays, sans demander en même temps à ces autres
pays de prendre des engagements similaires envers 1’Alle-
magne? Nous serions en droit de demander de notre côté
uels sont les buts que poursuit la politique étrangère des
B tats-Unis et quelles sont les intentions dont cette politique
s’inspire, notamment en ce qui concerne les É t a t s de l’Amé-
rique centrale e t de l’Amérique du Sud. Al. Roosevelt ne
manquerait pas d’invoquer en pareil cas la doctrine de Monroe
- à bon droit, j’en conviens, - e t il rejetterait une pareille
exigence comme une ingérence dans les affaires intérieures
d u continent américain. Aussi me garderai-je de la poser,
convaincu que M. Roosevelt la considérerait comme u n
manque de tact. Mais qu’il sache que nous autres, Allemands,
nous professons la même doctrine quant à l’Europe, tout a u
88 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

moins en ce qui concerne la sphère et les intérêts du Reich


grand-allemand.. .
u M. Roosevelt croit en outre que les nations devraient
entrer dans une salle de conférence comme on se présente
devant un Tribunal, convaincues que justice sera effective-
ment rendue à chacune d’elles. Mais nous autres Allemands
avons appris à nos dépens ce qu’il en coûte de s’en iemettre à
ce genre de tribunal. Nous l’avons assez vu à Versailles et à
Saint-Germain. Aussi puis-je vous assurer, M. Roosevelt, que
c’est ma volonté inébranlable de faire en sorte, non seulement
aujourd’hui, mais à tout jamais, qu’aucun Allemand ne
pénètre sans défense dans une salle de conférence, mais que la
force unie de la nation allemande se tienne pour tous les temps
derrière chaque négociateur allemand, et elle s’y tiendra,
croyez-moi,aussilongtemps que Dieu me maintiendra en vie.,. n
Mais Hitler a beau invoquer les iniquités des Traités de
Paix e t l’incapacité de la Société des Nations à résoudre,
pendant vingt ans, aucun problème européen; il a beau
s’évertuer à dire que ce n’est pas le peuple tchèque qui a été
démembré, que c’est la communauté allemande par les vain-
queurs de 1918; qu’en réincorporant la Bohême e t la Moravie
au Reich, il n’a fait que rétablir un état de choj3es millénaire;
qu’il a agi en parfait accord avec le Chef de 1’Etat tchécoslo-
vaque; que le traitement qu’il réserve aux Tchèques est
infiniment plus libéral que celui _que l’Angleterre a infligé
aux populations des Indes, de l’Egypte, de la Palestine et
du Transvaal; qu’on ne voit pas au nom de quelle morale
internationale les Etats-Unis interdiraient à l’Allemagne de
posséder son (( espace vital »,alors qu’ils s’abritent eux-
mêmes derrière la doctrine de Monroe pour justifier leur
hégémonie sur l’Amérique latine; enfin, qu’il ne pouvait
tolérer dans son flanc la menace que représentait (( le porte-
avions tchécoslovaque )) et qu’il est intervenu pour éviter
un massacre général, on ne l’écoutera plus parce que tous ces
arguments sont en contradiction avec ceux qu’il a invoqués
jusque-là.
A force de répéter que sa seule ambition consistait à
ramener dans le sein du Reich toutes les populations d’origine
authentiquement germanique, Hitler avait fini par faire
admettre son point de vue c comme une variante nationale-
socialiste du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes 1 ».
Témoignage pour l’hiuioirs, p. 126.
1. Paul STEHLIN,
DE MUNICH A P R A G U E 89
Mais en occupant Prague, il a mis la main sur un territoire
non allemand, dont les populations ne demandaient nulle-
ment à faire partie du Reich. Le silence du Hradjin n’en
est-il pas le témoignage irrécusable?
En passant de la politique des (( nationalités 1) à celle des
sphères d‘intérêt »,le fondateur du IIIe Reich a inquiété
le monde entier. I1 a coupé bras et jambes aux partisans
de la paix et a mis un atout formidable entre les mains de
ses adversaires. a Roosevelt exagère D, se disent-ils, (( mais les
inquiétudes qu’il exprime n’en sont pas moins fondées.
Puisque Hitler a englouti la Tchécoslovaquie, sur quel pays
va-t-il se précipiter demain? Sur la Pologne? Sur la Rou-
manie? Sur le Danemark? Sur la Hollande? E t pourquoi pas
sur la France dont il a écrit, dans Mein Kampf, que l’Alle-
magne n’avait pas de pire ennemie? Sa politique, fondée sur
le principe que le Reich devait contenir tous les Allemands,
mais ne devait comprendre qu’eux, le maintenait malgré tout
à l’intérieur de certaines limites. Maintenant qu’il les a
franchies, où s’arrêtera-t-il? 1)
Ce qui a été tué à Prague, ce n’est pas tel ou tel paragraphe
des Accords de Munich : c’est l’espoir d’arriver à liquider
par des voies pacifiques les derniers foyers de discorde créés
par le Traité de Versailles e t de fonder la paix européenne
sur un équilibre nouveau. A partir de ce moment, l’ère des
négociations est close. Tous les problèmes qui se poseront
devront être réglés par la force.
Mais depuis que le monde existe, les a-t-on jamais réglés
autrement?
DEUXIEME PARTIE

L'HEURE DES DICTATURES


VI1

MEMEL REVIENT AU REICH


MUSSOLINI S’EMPARE DE L’ALBANIE

(25 mars - 25 avril 1939)

a Et maintenant, l’Allemagne hitlérienne va-t-elle faire la


pause pour digérer les dix-huit millions de sujets nouveaux
...
qu’elle vient de s’incorporer? Ou bien, poussée par la
vitesse acquise, va-t-elle faire un nouveau bond en avant? n
se demande M. Coulondre, le nouvel ambassadeur de France
à Berlin 1.
A vrai dire, même si Hitler voulait s’arrêter, il ne le pour-
rait plus. I1 se trouve placé devant une réaction en chaîne
dont il est obligé de suivre le mouvement. Le rattachement
de l’Autriche a enfiévré les Sudètes; le rattachement des
Sudètes a fait entrer en effervescence les minorités allemandes
deBohême et de Moravie; l’occupation de Prague a provoqué
le soulèvement des Allemands de Memel, cette bande de ter-
rain située au-delà du Niémen que Napoléon avait enlevée
à la Russie en 1807 pour la remettre à la Prusse et que le
Traité de Versailles avait enlevée à la Prusse pour la donner
à la Lituanie*. Le jour m&me où les troupes du général
Blaskowitz sont entrées à Prague, les Memelois ont hissé
des drapeaux à croix gammée sur les toits des mairies e t
des hôtels de ville. Des cortèges ont parcouru les rues en
1. Rapport de M. Coulondre d Gwrgea Bonnet, le 19 mars 1939.
2. Par le Trait6 de Tilsit. Le tracé de cette frontière correspondait à celui qui
avait été fixé, en 1466, par le Traité de Thorn entre la Pologne et lea Cheva-
liers teutoniaues.
3. SuperfiGe du territoire : 2.848 km*; nombre d’habitants : 153.000. (Voir
vol. IV, p. 237.
94 HISTOIRE D E L’ARMBE ALLEMANDE

chantant le Deutschland über alles e t en proclamant leur


volonté de faire retour au Reich. Le chef du Parti nazi
local, le Dr Neumann, s’est rendu aussitôt au Landtag pour
conférer avec les députés allemands des autres tendances.
I1 leur a dépeint les dangers de la situation. Par bonheur, il
n’y a encore eu aucun accrochage sérieux. Mais la popula-
tion est très excitée et le pire serait à craindre si le Gouver-
nement lituanien décidait de réprimer le soulèvement par
les armes. Effrayés, les députés allemands décident de faire
bloc derrière M. Neumann et le chargent de prendre en
leur nom toutes les mesures qu’il jugera nécessaires.
Le lendemain, 16 mars, M. Neumann se fait annoncer chez
le Président lituanien du Gouvernement local et le Gouver-
neur de la Province. Il les adjure de s’incliner devant le vœu
de la population et de ne pas provoquer, en s’y opposant,
un affrontement dramatique. Mais les autorités lituaniennes
ne veulent rien entendre. E n fin d’après-midi, M. Neumann
rend compte à ses collègues de l’échec de ses négociations.
Pendant quarante-huit heures, la situation se tend de
plus en plus. Le Gouvernement de Kaunas ne veut pas
céder; les Allemands de Memel non plus. Mais que peut
faire la petite Lituanie, déjà en mauvais termes avec
1’U. R. S. S. 1 et la Pologne *, si le Reich sort ses griffes?
Le 20 mars, le Président du Conseil lituanien décide
d’envoyer à Berlin son ministre des Affaires étrangères,
M. Urbsys.
- K La situation est aussi simple pour vous que pour
nous », lui dit M.von Ribbentrop. u Ou bien la Lituanie rétro-
cède le territoire de Memel au Reich par un accord amiable.
Dans ce cas, ce sera la paix et l’Allemagne lui accordera des
avantages économiques substantiels. Ou bien le Gouverne-
ment lituanien so-us-estimerala gravité de la situation. Dans
ce cas, il y aura des troubles, des fusillades et finalementun
massacre. Le Führer ne pourra pas y assister en spectateur.
I1 interviendra par la force. La solution du problème quittera
alors le plan politique, pour passer entre les mains des mili-
taires. A partir de ce moment, nul ne peut prédire où les choses
s’arrêteront, ni où seront fixées les nouvelles frontières. n

I . Moscou revendique la Lituanie, comme ayant appartenu jusqu’en 1919 à


l’Empire des Tsars.
2. Varsovie revendique également la Lituanie, comma ayant fait partie de
la Pologne au temps des Jagellons (qui étaient eux-mêmes Lituaniena).
L’BEURE D E S DICTATURES 95
- (( Ne pourrait-on laisser au Gouvernement lituanien un
délai pour réfléchir? n demande M. Urbsys.
- (( Non D, répond Ribbentrop. (( La situation est beau-
coup trop tendue. Le Parlement lituanien part en vacances
le 25 mars. Si vous n’avez pas envoyé des plénipotentiaires
à Berlin avant cette date, je ne réponds plus de rien 1. n
De retour à Kaunas, le 21 mars, M. Urbsys rend compte
à son gouvernement de son entretien avec Ribbentrop. Le
Conseil des Ministres se réunit à 14 heures pour délibérer.
Mais ses membres ne parviennent pas à se mettre d’accord.
Cinq heures plus tard, ils délibèrent toujours ...
Pendant ce temps, toutes les troupes du Wehrkreis I
(Konigsberg) ont été mises en état d’alerte 2. Les permissions
ont été suspendues et les officiers en congé rappelés d’urgence à
leurs corps. Dans la soirée du 21, la l r e division d’ Insterburg,
la I l e division d’Allenstein, la 21e division d’Elbing et une
brigade de cavalerie se mettent en marche vers le nord-est
et prennent position face à Kaunas, à Tilsit et tout le long de
la rive gauche du Niémen. Craignant de se réveiller le lende-
main en plein champ de bataille, la population lituanienne de
Memel reflue précipitamment vers l’intérieur du pays S.
Effrayé par ce branle-bas de combat, le maréchal Rydz-
Smigly, Inspecteur général de l’Armée polonaise, ordonne à
son tour de mobiliser les 9e, 20e et 30e divisions d’infanterie, la
brigade de cavalerie de Novogrodek, la 26e division d’infan-
terie de Lodz, ainsi qu’une vingtaine d’unités spécialisées et
certaines catégories de réservistes 4.
Contre qui est dirigé ce déploiement de forces? La Litua-
nie ou l’Allemagne?
L’Allemagne, car le colonel Beck craint qu’Hitler ne
profite des circonstances pour faire main basse sur Dan-
tzig5. Mais dans la nuit du 21 mars, le Gouvernement
lituanien s’incline. Le 22, à 14 heures, une déléga-
1. Procès-verbal de l’enfreoueRibbentrop-Urbsp, ]Berlin, ie 20 mars 1939. (Akten
zur Deufschen Austvcirtigen Politili, V, no 399.)
2. Voir le dépliant I, à la fin du volume.
3. Les banques et les compagnies de transport de Memel se trouvant aban-
données par les Lituaniens, le Dr Neumann charge immédiatement sa milice
d’en assurer la protection. (Akten zur Deutschen Auwiirtigen Politik, V, p. 441.)
Cette mesure fait dire aux Lituaniens que les Allemands ont pillé les dépôts des
banques.
4 . Hans Roos, Wehnvissenschafliche Rundschau, IV, avril 1957.
5. La concentration du gros de ces forces en Pomérélie et le long de la fron-
tière de la Prusse-Orientale laisse clairement présumer une action contre l’AI-
lemagne.
96 HISTOIRE D E L ’ A R M b A L L E M A N D E

tion présidée par MM. Urbsys et Skirpa quitte Kaunas


en avion pour Berlin, afin d’y signer l’accord dont le
texte a été rapidement préparé par les services de la
Wilhelmstrasse. I1 stipule la restitution à l’Allemagne de
tout le territoire compris entre le Niémen et la ligne
Napoléon (Art. P);l’évacuation immédiate du terri-
toire par les troupes et la police lituaniennes (Art. Z),
et l’octroi à la Lituanie d’une zone franche sur la mer Bal-
tique (Art. 3) 1. I1 se termine par un pacte mutuel de non-
agression (Art. 4 ) . Ce traité est signé le même jour, à
19 heures 2.
Ribbentrop en informe immédiatement le Führer, qui
n’est pas à Berlin. I1 vogue à travers les eaux grises
de la Baltique à bord du cuirassé Deutschland. C’est la pre-
mière fois de sa vie qu’il fait un voyage en mer s. Le ciel est
couvert et le vent s o d e par rafales. La proue du Deutschland
fend les vagues en soulevant des panaches d’écume. Hitler se
sent très mal à son aise. Ce fantassin, né au cœur de l’Europe
centrale, n’a pas le pied marin. I1 éprouve, dès ce moment,
une aversion instinctive pour les choses de la mer cette -
mer dont il ignorera toujours la puissance et les secrets.
c( Sur terre, je suis un homme I), dira-t-il plus tard à Bormann,
(( mais sur mer je perds tous mes moyens. J e ne l’ai jamais

si bien senti que lors de mon voyage à Memel 4. n


Informé à 1 h. 30 de la signature du Traité germano-
lituanien, Hitler, toujours à bord du Deutschland, promulgue
dans le quart d‘heure qui suit, une loi réintégrant le terri-
toire de Memel au Reich. Une demi-heure plus tard, une
vedette le dépose à quai et il fait son entrée dans la ville.
Contrairement à ce qui s’est passé à Prague, il y est folle-
ment acclamé. I1 reçoit les notables, prononce une allocu-
tion sur les marches du théâtre, félicite le Dr Neumann de
son énergie et de son sang-froid, passe en revue la milice
qu’il a créée et donne l’ordre de l’incorporer au 1058 régi-
ment de S. S. Simultanément, les unités de la Wehr-
macht, commandées par le général von Küchler, et des
formations de la Luftwaffe, commandées par le lieutenant-
1. Memel était le seul débouché de la Lituanie aur la Kuriache HaE et la mer
Baltique.
2. Deulsche Infanterie, p. 715.
3. On ne peut compter comme tel sa participation a i la revue navale de Naples,
en mai 1938. (Voir vol. IV, p. 594, e t s.)
4. Libra P r o p .
L’HEURE CIES DICTATURES 97
général Wimmer, franchissent la ligne d u Niémen et occu-
pent le territoire 1.
A force de se renouveler, ce scénario perd beaucoup de son
intérêt. Mais le retour de Memel au Reich n’en a pas moins
son importance : il porte à 635.215 km2 la superficie de
l’Allemagne et à 86,6 millions le chiffre de sa population.
Le même jour (23 mars) ,Ribbentrop signe à Berlin avec M p
Tizo, le Dr Tuka et le Dr Durcansky, un traité en vertu duquel
le Reich assure son Protectorat à la Slovaquie pour une durée
de vingt-cinq ans. Cet accord autorise l’Allemagne à entre-
tenir des troupes à l’est des Petites Carpathes, des Carpathes
blanches et du mont Javornika. Cette disposition a pour
objet de tenir en respect la Pologne et la Hongrie et de
garder ouvertes les portes du Danube ...
c
* *
Qu’Hitler s’enfonce dans les brumes de la Baltique n’a
rien pour déplaire à Mussolini. Au contraire. Mais que son
influence grandisse dans le bassin danubien et les Balkans 3,
que Budapest, Sofia et Bucarest tournent leurs regards vers
Berlin plutôt que vers Rome, l’inquiète visiblement 4. Parti-
I . Comrnuniqu.4 oficiel de la Wehrmacht, le 23 mars 1939, à 16 heures.
2. Deutsch Infanterie,p. 117.
3. Le 20 octobre 1938, Rudolf Hess a inauguré le premier tronçon du canal
Rhin-Danube, qui permettra à des péniches de 1.200 tonnes de circuler librement
de la mer du Nord à la mer Noire, e t vice versa. a Ainsi sera réalisé s, écrit Lucien
Romier, a P ïéchelle des besoins les plus modernes, un rêve que fit déjà Char-
lemagne e t auquel IC roi Louis de Bavière, il y a un peu moins d’un siècle, par
la construction du canai Ludwig, donna un commencement de portée pratique. D
(L’Are Ouest-Est, Le Figaro, 5 juillet 1938.)
Les importations de produits allemands dans les pays danubiens et balka-
niques ont augmenté, de 1929 à 1936, dans les proportions suivantes (par rap-
port aux importations totales) :
1929 1936
Bulgarie..
Roumanre.
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .
22,2 %
24,1 %
66,7 %
55,2 %
Turquie.
Hongrie
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
15,3 %
20,O %
47,9 yo
42,5 yo
Yougoslavie.
Grèce.
............
...............
15,6 %
9,4 %
37,O %
24,7 %
Entre 19â2 e t 1937,les importations de produits yougoslaves en Allemagne sont
pasréee de 413 millions de dinars à 1.848 millions de dinars; les importations de
marchandises allemandes en Yougoslavie, de 482 millions de dinan à 1.883 millions
de dinars. (Le Temps, 21 juin 1938.)
Au oours d’une tournée récente dans les capitales balkano-danubiennes, le
Dr Funk, ministre de l’Économie du Reich, a exprimé le désir de voir l’Allemagne
accroître encore sa collaboration économique avec ces différents pays.
4. Cinq ann plus tôt (17 mra 1984), Mussolini signait à Rome un a Paote
VI 7
98 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

culièrement préoccupante est la situation en Yougoslavie,


où Croates et Slovènes supportent la tutelle des Serbes avec
une impatience grandissante. Sous l’influence de Matchek l,
les Croates manifestent une volonté d’indépendance de plus
en plus marquée. Depuis l’incorporation de l’Autriche, le
Reich dispose d’une frontière commune avec ce pays. Qu’arri-
verait-il si Hitler en profitait pour renouveler, à Zagreb, l’opé-
ration qui lui a si bien réussi à Bratislava et à Prague 2? Cette
seule idée sufit à plonger le Duce dans une sombre agitation.
- N Si Matchek proclamait l’indépendance de la Croatie
et se mettait sous la protection du Reich »,dit-il à Ciano,
u il n’y aurait pour nous pas d’autre alternative que de tirer
le premier coup de fusil contre l’Allemagne ou d’être balayés
par une révolution provoquée par les fascistes eux-mêmes,
car personne, chez nous, ne tolérerait de voir la croix gammée
flotter sur les rives de l’Adriatique 3. 1)
Si ces problèmes d’ordre politique inquiètent Mussolini,
d’autres facteurs, de caractère psychologique, contribuent
également à aigrir son humeur. Les victoires successives
remportées par Hitler l’ont relégué peu à peu au second
plan. C’est tout juste s’il ne fait pas figure de comparse. Où
est le temps où il refusait de lui dédicacer sa photographie,
sous prétexte que ce serait faire trop d’honneur à un petit
agitateur bavarois? Quel chemin a été parcouru depuis lors,
et quelle situation intolérable pour son orgueil ombrageux!
Certes, le Führer continue à le traiter avec beaucoup
d’égards. I1 ne cesse de faire son éloge dans ses discours,
répète qu’il est son (( seul vrai ami 4 1) et le tient au courant
de ses projets par l’entremise du prince de Hesse. Mais à
quoi cela l’avance-t-il?
- a Chaque fois qu’Hitler prend un pays, il m’envoie un

consultatif italo-austro-hongrois P avec MM. Dollfuss e t Gombœs. A cette bpoque,


l’influence de l’Italie était prépondérante dans le bassin danubien. (Voir vol. IV,
p. 102.)
1. Le chef du Mouvement Paysan Croate, de tendances séparatistes.
2. Hitler saisit d’ailleurs parfaitement l’importance du bassin danubien.
# L e Danube est la voie qui conduit au cœur du continent, et c’est pourquoi
il faut considérer le Danube comme un fleuve allemand B, dira-t-il à Bormann.
a La question est, en eiïet, de savoir si le Danube sera allemand, ou s’il ne le sera
pas. Toute l’organisation du trafic de l’est à t’ouest dépend de la réponse qui
sera apportée A cette question. I1 serait inutile, et mtme insensé, de construire
des canaux, si nous ne parvenions pas à mettre cette artère fluviale définitive-
ment sous notre contrôle. 8 (Libres Propoa, II, p. 177.)
3. CIANO, Journal politiqua I, p. 57.
6. Voir le discoura de Sarrebruck. (Plus haut, p. 18.)
L’HEURE DES DICTATURES 99
message! remarque le Duce avec une ironie amère 1. Com-
ment arriver à compenser cette perte de prestige?
- (( E n annexant l’Albanie! )) lui répète inlassablement

Ciano. L’Albanie est une plaque tournante, d’où l’on peut


imposer sa volonté à la Yougoslavie, à la Bulgarie e t à la
Grèce. De là on menace les deux grandes voies ferrées
Budapest-Istanbul et Budapest-Athènes. Qui tient 1’Alba-
nie, tient les Balkans! D
Mais Mussolini hésite a. Il doute que l’annexion d’un pays
aussi pauvre que l’Albanie puisse compenser l’acquisition
d’un pays aussi riche que la Bohême. De plus, il craint qu’une
intervention de sa part dans cette région de l’Europe
n’ébranle l’équilibre des Pays balkaniques et ne serve,
en fin de compte, qu’à faciliter l’expansion de son rival.
Après mûre réflexion, le Duce se décide aux alentours du
23 mars S. L’opération est rondement menée 4. Elle débute
à l’aube du 5 avril, qui est le Vendredi Saint 5. Des troupes
amphibies débarquent à Durazzo. Ciano participe à l’action,
à la tête d’une escadre de cent avions, auxquels le Duce a
prescrit de faire une démonstration de. force au-dessus de
Tirana 3‘. (( Le temps est clair et doux )), écrit-il dans son Jour-
nal. ((A 7 h. 45, nous sommes au-dessus de Durazzo. Le
spectacle est magnifique. Nos navires de guerre sont ancrés
dans la rade, immobiles et solennels, tandis que les bateaux
à moteur, les mahonnes, les remorqueurs qui transportent
les troupes de débarquement, sillonnent le port. La mer
brille comme un miroir. La campagne est verte et les
montagnes, hautes et massives, sont couronnées de neige.
A Durazzo, on n’aperçoit que peu de monde. Mais il doit
y avoir quelque résistance, car je vois des escouades de
bersagliers qui se sont embusquées derrière des tas de
charbon pour défendre le port et j’en remarque d’autres
qui montent rapidement la colline en file indienne pour
1. CIANO,Op. cit., I, p. 54.
2. a C’est dommage! n écrit Ciano. a A mon avis, la descente en Albanie aurait
relevé le moral du pays : après avoir récolté ce fruit, nous aurions pu réexami-
ner notre politique, également à l’égard de l’Allemagne, dont l‘hégémonie com-
mence bi prendre des aspects inquiétants. n (Journal politique, I, p. 55.)
3. Le jour même où Hitler a fait son entrée à Memel.
4. Elle est confiée au général Guzzoni, commandant du corps d’armée d’Udine,
et au général Messe.
5. Bien que la population albanaise soit en majorité musulmane, le choix
de cette date indigne les milieux chrétiens e t soulève des protestations de la
part du Vatican.
6. L a capitale de l’Albanie.
100 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

encercler la ville. On tire de quelques fenêtres. Je continue


mon vol sur Tirana. La route est déserte et je ne vois nulle
part de travaux de défense. Dans la capitale, la foule circule
tranquillement dans les ruesl. n
En fait, il n’y aura pour ainsi dire pas de combats. Auxpre-
miers coups de feu, le roi Zog et la reine Géraldine s’enfuient
en Grèce *.
La plupart des Albanais accueillent à bras
ouverts les (( envahisseurs italiens »,qui ont construit leurs
routes, leur chemin de fer et les rares industries qui existent
dans ce pays de pâtres 3. Huit jours plus tard, l’affaire est
terminée. Le 16 avril, une délégation de parlementaires vient
apporter la couronne d’Albanie au roi Victor-Emmanuel 4.
La Yougoslavie n’a pas bronché; l’Angleterre n’a protesté
que pour la forme...
Mais Roosevelt s’indigne. I1 enveloppe Mussolini et Hitler
dans la même réprobation et adresse au Duce un double du
message qu’il a déjà envoyé au Führer, celui qui -
contient la liste des trente et un pays qu’il lui demande de
ne pas attaquer e t où figurent à peu près toutes les nations
d’Europe 6. Mussolini le reçoit au moment où il est en confé-
rence avec Gœring et Ciano6. I1 part d’un grand éclat de rire
et le tend à Gœring.
- (( Chamberlain est gâteux! Quant à ce vieux fou de

Roosevelt, il perd complètement la tête n, dit-il. (( Ces deux


ganaches, l’un atrophié par l’âge e t l’autre par la paralysie
infantile, ont du culot de me demander d’entrer dans leurs
alliances 7! D
Comme on le voit, la conquête de l’Albanie lui a rendu sa
bonne humeur.
1. CIANO,Journal politiqw, I, p. 73-71.
2. a Neveu du ministre de la Guerre de Turquie *, écrit Roy Macgregor-Hastie,
et s’était frayé une voie jus-
a le roi Zog avait appris son métiez politique P Istanbul
qu’au trône par un judicieux dosage de corruption, d’assassinat et d’intrigue. Ses
sujets ne considérèrentpas son départ comme une perte. I) (LeJ o u r du Lion, p. 288.)
3. ROY MACGREGOR-HA8TiE, op. Cil., p. 288.
4. a Au Palais Royal, remise de la couronne d’Albanie au roi d’Italie 9, écrit
Ciano. a Perdus dans les grands salons du Quirinal. les Albanais ont l’air déprimés
Verlaci prononce son discours d‘un ton las et sans conviction. Le Roi répond
...
d‘une voix incertaine et tremblante; décidément, ce n’est pas un orateur fait
pour impressionner son public. Quel curieux spectacle que ces Albanais mon-
tagnards et guerriers, qui regardent avec un mélange de stupeur e t d’intimida-
tion ce petit homme assis suc une grande chaise dorée, aux pieds de laquelle
se tient un géant bronzé, Mussolini! I) (Journal politique, I, p. 78.)
5 . Voir plus haut, p. 85-86.
6. Gœring est venu à Rome, en visite offieielle, pour presser Mussalini de ne
plus retarder la conclusion d’une alliance militaire avec le Reich.
7. Roy MACGREGOR-HASTIE, Op. cit., p. 289.
HITLER FÊTE SON CINQUANTIÈME
ANNIVERSAIRE

(20 avril 1939)

Le cinquantième anniversaire du Führer approche, ce qui


permet à chacunde mesurer le chemin parcouru et de compa-
rer l’état du pays avec celui où il se trouvait vingt ans aupa-
ravant l.
- (( L’année 1938 »,a dit Hitler dans le message de nouvel
an qu’il a adressé le l e r janvier 1939 à la nation allemande,
(( a été, de toute notre histoire, la plus riche en événements.

Ceux-ci ont tous convergé vers un but unique : la forma-


tion, au centre de l’Europe, d’un seul bloc ethnique de plus
de 80 millions d’Allemands 2. E n treize mois, la population
du Reich a augmenté de 10.553.000habitants 3. Son terri-
toire s’est agrandi de 115.583km carrés4. La Tchécoslovaquie,
ce (( bastion franco-russe )) constitué au flanc du Reich, a
été rasée. L’Allemagne a érigé à sa place le Protectorat de
Bohême-Moravie et a étendu, pour vingt-cinq ans, sa protec-
tion à la Slovaquie S. La physionomie de l’Europe centrale
et orientale s’en trouve bouleversée. Le Reich domine
désormais tout l’espace qui s’étend du Rhin à la frontière
soviétique. I1 a directement accès aux Balkans 6. Les portes
1. Le 7 mai 1919, les conditions du Tiaité de Versailles étaient remises à la
délégration allemande dans la Galerie des Glaces. (Voir vol. I, p. 319.)
2. Contre 63,2 millions en 1919.
3. Autrichiens : 6.760.000. Sudètes (y compris les Allemands de Bohême et
de Moravie) : 3.640.000. Allemands du territoire de Memel : 153.000.
4 . Autriche : 83.764 km*. Pays sudètes : 28.971 kma. Memel : 2.848 km*.
5 . Voir plus haut, p: 97.
6. *L’Allemagne agit en maitresse absolue dans des dgions qui ne peuvent
102 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ ~ E
ALLEMANDE

de l’orient lui sont ouvertes 1. La construction d’une zone


fortifiée à sa frontière occidentale lui assure une plus grande
liberté pour porter ses regards vers l’est et mettre d’une façon
définitive à l’abri de toute attaque l’œuvre d’unification
nationale accomplie depuis six ans.
Le rattachement successif de l’Autriche, des Pays sudètes
e t duterritoire de Memel a étéle triomphe d’une idée: celle
du Volkstum. Contrairement à ce que l’on croit souvent,
ce n’est pas une idée nouvelle 2, Elle court, squs-jacente, à
travers toute l’histoire allemande e t a puisé un regain de
forces dans le désastre de 1918.Non seulement les populations
amputées de la mère patrie, mais tous les îlots germaniques 4
disséminés à travers la Hongrie, la Transylvanie, le Banat,
la Bessarabie, les Pays baltes et la plaine russe ont eu la
même réaction devant le malheur :ils ont senti revivre en
eux, avec une acuité poignante, la conscience d’appartenir à la
même communauté. Cette idée, Hitler n’a fait que la reprendre
à son compte mais il l’a exploitée à fond et lui a conféré
un dynamisme qu’elle n’avait pas auparavant. C’est pour
avoir proclamé, le premier, que ((lespeuples d’un même sang
devaient appartenir au même É t a t »,c’est pour avoir parlé
au nom de 80 millions d’Allemands dont il avait réalisé
l’unité morale avant même que les poteaux-frontières fussent
tombés,. qu’Hitler a pu faire triompher ses revendications 7 .
Mais lamais il n’y serait parvenu s’il ne les avait pas for-

plus se soustraire à son iduence a, écrit Gaston Castéran. a A i’heure actuelle,


il faut bien le reconnaître, 80 millions d‘Allemands imposent leur volonté dans
tout le bassin du Danube, devenu politiquement et économiquement le vassal
du Reich allemand. n (L’Expansion économique allemande dans le bassin danu-
bien, Le Temps, 12 novembre 1938.)
1. Le Reich a consenti un prîtt de 150 millions de marks au Gouvernement
d’Ankara, destiné à financer la construction d’un port et d’autres grandes instal-
lations industrielles. (Le Temps, 18 octobre 1938.) Pour marquer tout le
prix qu’il attache à l’amitié germano-turque, Hitler y a envoyé comme ambas-
sadeur un personnage de premier plan : l’ancien Chancelier du Reich Franz von
Papen.
2. Hitler ne l’a pas plus inventée que Staline n’a inventé le panslavisme.
3. Que l’on relise les ouvrages de Naumann et de Sorbik.
4 . Die germankchen Sprachinseln. (Voir la carte, vol. IV, p. 280-281.)
5. II n’y songeait même pas au début de sa carrière. Cette idée lui a été appor-
tée par les groupements nationaux-socialistes d’Autriche e t de Bohême, fondés
bien avant la N. S. D. A. P. allemande. (Voir vol. V, p. 28, n. 6.)
6. Premières lignes de Mein Kanipf.
7. Cf. Paul STEHLIN, Témoignage pour l‘histoire, p. 126. Cette observation
de l’attaché français de l’Air à Berlin rejoint un conseil donné par Hitler à Gœb-
bels : a Nous ne devons pas nous comporter comme si le Grand Reich allemand
était encore B créer. Nous devons parier et agir comme s’il existait déji. D
L’HEURE DES DICTATURES 103
mulées a u nom d’un Reich puissamment armé et si ses divi-
sions blindées e t son aviation - devenue, en peu de temps,
la plus forte du continent - n’avaient pas joué un rôle
décisif en t a n t que facteur d’intimidation l. (( Sans la .menace
militaire »,écrit Paul Stehlin, (( sans la volonté du Chance-
lier allemand, l’Allemagne en serait restée aux frontières
qui lui avaient été imposées par la victoire alliée de 1918. A
l’étranger, dans notre pays notamment, les méthodes
employées par lui avaient été qualifiées de chantage à la
guerre e t de (( bluff ».E n réalité, c’étaient la France et l’Angle-
terre qui avaient (( bluffé )), en faisant croire que la politique
de sécurité collective, les alliances et l’influence franco-bri-
tannique en Europe feraient reculer le dictateur allemand 2. 1)
Plus exactement, la France et l’Angleterre s’étaient trom-
pées en croyant que les peuples de l’Europe centrale sup-
porteraient éternellement le découpage arbitraire que
leur avait imposé le Traité de Versailles. (( I1 y a vingt ans »,
déclarera M. von Neurath, (( nous étions réduits à l’impuis-
sance et relégués au second rang. Aujourd’hui, nous sommes
devenus la Puissance dont dépend le destin du continent 3. D
t
r r

Pendant ce temps, à l’intérieur du Reich, les usines et les


mines travaillent à plein 4. Le niveau de vie de la population

1. C‘étaient elles, jointes à la volonté du dictateur d’aller jusqu’au bout, de


ne pas reculer devant une guerre, qui avaient amené la France e t l’Angleterre
à faire, sans grande résistance, des concessions auxquelles elles n’auraient jamais
consenti autrement.
2. Paul STEHLIN, Op. cit., p. 127.
3 . AUocuiion prononcée à l’occasion de l’anniversaire d u Führer, le 20 avril
1939. (Dokurnente und Berichte ..., avril-mai 1939, p. 91.)
4. En 1938, le Reich a produit environ 15 millions de tonnes de minerai
de fer, auxquclles il faut ajouter 4 millions de tonnes de fer et 10 millions de tonnes
de ferraille. II en a importé près de 1 million de tonnes de Suède. L’importation
de minerai de fer espagnol est passée de 460.000 tonnes en 1932, à 1.381.000 tonnes
en 1937. De 1932 à 1937, la production de ciment est passée de 2.600.000 tonnes
à 11.600.000 tonnes; celle de la houille, de 8.700.000 tonnes à 14.495.000 tonnes;
celle du coke, de 1.647.000 tonnes A 3.487.000 tonnes; celle de la lignite de
9.273.000 tonnes à 14.666.000 tonnes. (Déclaration du général Hannecken, chef
du Service 8talistique du Plan de Quaire ans, Paris-Midi, 25 janvier 1939.)
Sa production d’aluminium s’élève à 127,000 tonnes (soit 13 fois plus qu’en
1933).
Sur une consommation globale de 5 millions de tonnes de carburant,
1.850.000 tonnes de gazoil, de mazout, de pétrole et d’essence - soit 36 % des
besoins en temps de paix -sont tirés désormais de matiéres premiéres aile-
mandes (contre 562.000 tonnes en 1933). Un enort considérable a été fait dans
104 HISTOIRE DE L’ARMA& ALLEMANDE

s’élève1. Le chamage a disparu*. Les autoroutes s’allongents.


Les cités ouvrières se multiplient 4.
A ces réalisations d‘ordre social, s’ajoute tout un ensemble
de constructions monumentales. A Berlin, le ministère de
l’Air, le ministère de la Propagande et la nouvelle Chan-
cellerie sont déjà sortis de leurs échafaudages. I1 en va de
même, à Munich, du Musée de l’Art allemand, du Führerbau
et des mausolées qui abritent les morts de 1923. Mais ce
n’est qu’un début. Hitler a chargé une pléiade d’architectes 5
d’édifier à Nuremberg une salle de Congrès où pourront
siéger 60.000 déléguése; un stade de dimensions propre-
ment cyclopéennes 7, dont les gradins pourront contenir
400.000 spectateurs; les tribunes du Champ de Mars et du
Zeppelinfeld, où les rassemblements du Parti pourront se
dérouler devant deux millions d’invités *; à Chiemsee, une
École supérieure pour les cadres du Parti; à Berlin, I’im-
meuble du Haut Commandement de la Wehrmacht et un

ce secteur. 500 millions de marks (soit 7 milliards de francs français de l’époque)


ont été investis dans l’industrie des carburants synthétiques (Leunawerke, etc.).
La production des machines s’est élevée, en valeur globale, de 1.546.600.000 marks
à 4.500.000.000 marks. (Cf. Georges BLUN, Le gigantesque eflort de Z’Alk-
magne industrielle, dans Le Journal, 16-17 juillet 1938.)
1. Les salaires horaires ont augmenté de I O %, les salaires hebdomadaires
de 20 % depuis 1932. Les sommes payées en salaires e t traitements se sont élevées
en 1937, à 20.915 millions de marks pour les ouvriers, et à 17.418 millions.pour
les employés et fonctionnaires, au total, plus de 38 milliards, contre 25 milliards
en 1932. (Le Temps, 22 décembre 1938.) En revanche, durant les six dernières
années, l’indice du prix de la vie n’est passé que de 116 à 126. (F. F. LEGUEU,
Les Finances du I I I e Reich, Revue de Paris, l e r novembre 1938.)
2. Rien que dans le territoire de l’ancien Reich, le nombre des travailleurs
occupés était en août 1938, de 20.300.000. Il a encore augmenté de 1.100.000
entre aoGt et décembre. Le Reich est obligé de faire venir des travailleurs de
l’étranger : italiens, polonais, turcs e t yougoslaves. Le marché du travail est
devenu si tendu que Gœring a dû signer, le 22 juin 1938, une Ordonnance pour
remédier à la @nurie de la main-d’œuwe. (Dokumente und Berichte, no’ 11-12,
3 juillet 1938.) A partir de 1939, cette Ordonnance est appliquée d‘une façon
très stricte, car le D* Ley, chef du a Front du Travail n s’efforce de dégager un mil-
lion et demi de travailleurs supplémentaires, par la suppression des u emplois
improductifs 8 dans la bureaucratie, pour accroître d‘autant les effectifs des
entreprises travaillant pour la Défense nationale.
3. Sur 7.000 kilomètres de routes projetées, 3.000 sont déjà ouvertes à la
circulation; 4.000 sont en chantier. (Déclarations du D i Todt, 23 mars 1939.)
4. En six ans, on a construit 1.800.000 logements. Mais il en manque encore
pour 1.500.000 familles. (Le T e m p , 22 décembre 1938.)
5. Notamment Ludwig Troost, Leonhard Gall, Ludwig et Franz Ruff, Her-
mann Ciesler, Wilhelm Kreis, Albert Speer et le sculpteur Arno Breker.
6. Ce sera la plus grande salle couverte du monde.
7. Construit par Albert Speer, ce stade aura 540 mbtres de long, et 445 mètres
de large. (Neue Deutsch Baukunst, Berlin, 1940, p. 36. Das Bauen im drittm
Reich, Bayreuth, 1938, p. 32 et S.)
8. Libra Propoa, II, p. 200.
L’HEURE DES DICTATURES 105
Palais de la Nation dont la coupole, haute de cent cinquante
mètres, s’élèvera au bout du grand axe Est-Ouest, lui-même
long de cinq mille mètres et large de trois cents, que bordera de
part et d’autre une enfilade de musées et d’arcs de triom-
phe. ((Ceux qui m’accusent de consacrer trop d’argent à ces
projets manquent de sens politique »,dira Hitler à Bormann.
a Ces constructions, à elles seules, valent trois guerres gagnées.
Les pays étrangers y verront la preuve la plus éclatante du
génie et de la puissance créatrice de l’Allemagne. S’inclinant
devant cette œuvre grandiose, ils diront : nous marchons
avec vous n
Enfin - perspective rassurante - le prochain rassem-
blement du Parti qui doit se tenir à Nuremberg à la mi-sep-
tembte s’intitulera le u Congrès de la Paix ».I1 y a évidem-
ment des ombres au tableau : la tension internationale qui
ne cesse de grandir, l’autarcie financière qui empêche les
Allemands de voyager à l’étranger et - last but not least -
le sort misérable fait à la communauté juive. Mais les Juifs
se cachent. On n’en voit plus nulle part 2. Le peuple alle-
mand ignore qu’environ 40.000 d’entre eux s’entassent der-
rière des barbelés 3. Ou s’il le sait, il pense qu’il s’agit de
trafiquants ou de détenus de droit commun. Après tant d’an-
nées de misère, de chômage, de combats et de coups de force,
dont le souvenir ne s’est pas encore effacé des mémoires,
il assiste, avec une surprise heureuse, à la transformation du
pays et espère pouvoir jouir enfin d’une tranquillité qu’il
n’a plus connue depuis 1914.
t
+ +
Mais le désir manifesté par le peuple allemand de savourer
enfin les bienfaits de la paix provoque l’irritation d’Hitler
car il y voit un obstacle à la réalisation de ses projets. Les
Allemands seraient-ils en train de s’embourgeoiser? Auraient-
ils oublié que la vie n’est qu’un combat? Ne comprennent-ils
donc pas que rien n’est encore acquis et que le plus dur
reste à faire?
1. Libres Propos.
2. Sur les quelque 500.000 Juifs vivant en Allemagne en 1933, 170.000 ont
pris le chemin de l’exil entre 1933 et 1938. Depuis lors, cet exode s’est encore
amplifié.
3. Ce qui confirme cette vérité, sans exception à travers les siècles, a que tout
État fondé sur la Volonté de Puissance, contient un coin sombre, où gémissent
des suppliciés D. (Marguerite Yourcenar.)
106 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

Deux faits récents, d’ordre psychologique, l’ont particu-


lièrement frappé. Au soir du 27 septembre 1938, c’est-à-dire
trente-six heures avant la Conférence de Munich, au moment
où la rupture paraissait consommée avec Londres et Paris,
il avait donné l’ordre à une division motorisée de défiler à
travers les quartiers résidentiels de Berlin l. I1 était sorti sur
le balcon de la Chancellerie pour la voir passer. Mais le
résultat avait été le contraire de celui qu’il escomptait :
aucune acclamation n’était montée vers lui. La foule avait
contemplé ce spectacle dans un silence angoissé.
Deux jours plus tard, lorsqu’il était rentré à Berlin, passa-
blement agacé par l’accueil enthousiaste que les Munichois
avaient fait à Chamberlain a, près d’un million de personnes
l’avaient ovationné. Mais Hitler ne s’y était pas trompé :ce
que la foule acclamait en lui, ce n’était pas l’homme qui
avait obligé toutes les volontés à plier devant la sienne;
c’était celui qui avait su régler l’affaire des Sudètes sans
tirer un coup de feu. Pour la première fois, des accla-
mations lui ont laissé un goût amer. I1 a dû se rendre à
l’évidence :le peuple allemand ne veut pas la guerre. Depuis
lors, au fond de lui-même, Hitler ne décolère pas. Ses compa-
triotes ne comprennent-ils donc pas - ou bien refusent-ils
de comprendre? - que tout ce qui a été accompli jusqu’à
ce jour n’est qu’un déblayage préliminaire, un moyen d’ouvrir
la route menant au grand affrontement final qui sera l’abou-
tissement et le couronnement de toute leur histoire? Le
peuple allemand aurait-il perdu le sens de l’héroïsme? Ne
veut-il que des conquêtes faciles, des victoires sans effort?
Avant d’accéder à la Chancellerie, Hitler n’a jamais
recueilli que 37,21 % des suffrages exprimés 3. Depuis

1. Voir vol. V, p. 467-468.


2. a E n accompagnant Chamberlain dans sa voiture à travers Munich a, écrit
Paul Schmidt, a je pus constater combien était chaleureux l’accueil de la foule.
Les gens se pressaient autour du Premier Ministre, cherchaient à lui serrer la main
et criaient : I Nous te remercions, bon vieux Chamberlain, d‘avoir sauvé
la paix! D Cet accueil spontané en faveur d’un représentant des Démocratics
.
occidentales paraissait une critique envers Hitler.. Celui-ci était profondément
déçu de constater que le peuple allemand réagissait d’une tout autre façon,
devant la perspective d’une guerre, que ne le prescrivaient les manuels d‘héroïsme
du Parti national-socialiste. D (Statist nuf diplornafischer BiJme, p. 418.)
3. (1 Aux élections présidentielles LI remarque Paul-C. Berger, (I il a obtenu
30,l % le 13 mars 1932, et 36,8 % le 10 avril de la même année. Aux élections Ikgis-
latives de 1932, il a réuni 37.2 % des bulletins le 31 juillet; 33,l % le 6 novembre
et - seulement après la prise du pouvoir - 43,9 y! le 5 mars 1933. Cela nous
montre qu’il n’obtint même pas la majorité des suffrages au moment où Goeb-
L’HEURE DES DICTATURES 107
lors, sa base populaire s’est considérablement élargie l.
Est-ce uniquement parce qu’il s’est emparé, entre-temps, de
tous les moyens d’information, de persuasion et de coercition,
c’est-à-dire de la presse, de la radio e t de la police? Ce serait
une erreur de le croire. Bien que n’appartenant pas au Parti
nazi, des millions d’Allemands ont voté pour lui parce qu’ils
approuvaient sa politique sociale, lui savaient gré d’avoir
brisé les chaînes du Traité de Versailles et voyaient en lui un
rempart contre le Communisme. Mais à présent que les ques-
tions se posent en termes de guerre ou de paix, la grande
masse hésite et semble se dérober S. L’emprise magique qu’il
exerce sur les foules, l’effluve mystérieux qui les fait fris-
sonner comme une houle et les transforme, dès qu’il apparaît,
en une forêt de bras tendus, seraient-ils en train de s’émous-
ser? I1 a voulu faire de l’Allemagne une communauté armée,
manœuvrant au cœur de l’Europe comme une gigantesque
phalange macédonienne, mais ce résultat est encore loin
d’être atteint. Toutes les mesures qu’Hitler édictera au
cours des semaines qui suivent auront pour effet de reprendre
en main les masses, de tendre leurs énergies...
t
+ *
Le 10 novembre 1938, il a convoqué à la Chancellerie
tous les dirigeants de la Presse allemande et leur a dit :
u Messieurs,
(( C’était jadis, ma plus grande fierté d’avoir su forger

un Parti qui, dans les périodes d’adversité, se groupait encore


plus fanatiquement autour de moi. I1 faut inculquer, A présent,
bels pouvait mettre en branle tous les moyens de propagande de l’État. R (Rivarol,
15 octobre 1964.)
1. Hitler a recueilli 88,9 % de a oui R lorsqu’il a succédé h Hindenburg commo
chef de l’gtat (19 août 1934); 90,8 % lors du référendum relatif au rattachement
de la Sarre (13 janvier 1935); 99 % au lendemain de la remilitarisation de la
Rhénanie (29 mars 1936); 99,8 % après le rattachement de l’Autriche ( I O avril
1937); 98,9 % après le rattachement des Sudètes (4 décembre 1938). Ces chiffres
étaient-ils truqués? On ne saurait suspecter, en tout cas, ceux de la Sarre, où la
consultation a été faite sous le contrôle de la Société des Nations. E n ce qui concerne
ceux du référendum de 1934, le prince de Schaumburg-Lippe, aide do camp de
Gœbbels, nous apporte une indication intéressante. Surpris par le nombre élevé
des I( oui »,Hitler proposa à Gœbbels de diminuer ce chiffre pour le rendre plus
plausible et désarmer la critique. Gœbbels s’y opposa. I De toute façon a, répondit-
il, n nos adversaires nous accuseront d’avoir falsifié les chiffres. E t puisque le
peuple a eu IC courage do se prononcer aussi clairement pour nous, il serait
indigne de notre part de ne pas le reconnaître. D (Dr C.,p. 39.)
2. Que de fois l’auteur, qui se trouvait à Berlin en juillet 1939, ne s’est-il pas
entendu dire : a Deux guerres dans une seule vie, c’est trop! 1)
108 HISTOIRE D E L’ARM$B ALLEMANDE

le même esprit au peuple allemand tout entier. I1 faut lui


apprendre à croire, tout aussi fanatiquement, à la victoire
finale et à ne considérer les revers - si nous devions en
subir - que comme un mal passager. I1 y a eu un chef de
guerre prussien qui a incarné cet état d’esprit d’une façon
exemplaire : c’est Blücher. Nul, peut-être, n’a subi autant de
revers que lui. Mais il a toujours conservé une confiance
inébranlable dans la victoire finale, et c’était là l’essentiel.
Tel est le sens dans lequel nous devons éduquer l’ensemble
de la Nation. II faut lui inculquer la certitude absolue,aveugle,
indéracinable, que nous atteindrons, pour finir, tous les objec-
tifs nécessaires à notre vie1... n

Voilà pour les paroles. Mais les actes vont suivre. Dès le
mois de janvier, toutes les organisations d u Parti sont mises
en état d’alertez. Le chef des Sections d’Assaut de la
région de Berlin réunit ses cadres e t leur dit :
- (( L’année 1939 sera une grande année pour 1’Alle-
magne. Personne ne se doute encore de l’importance des
événements qui se préparent, ni des succès qu’elle apportera
a u peuple allemand. Tout le monde sera surpris. ))
Himmler regroupe les S. S. Verfügungstruppen e t les
transforme en Wufien S. S. dotés de toutes les armes
appartenant aux grandes unités de l’Armée 3. Des régi-
ments de parachutistes sont rapidement constitués a u
Centre d’expériences tactiques de Barth 4. A la fin du
mois de mars, Gœring procède à une réorganisation de la

I.A h c u t w n d’Hitler auz e h / s de la Presse, Berlin, 10 novembre 1938. (H. A.


JACOBSON, 1939-1945, Der Zweite Weltkrieg i n Chronik und Dokumenten, p. 91.)
2. Notamment 1’Arbeitsdien.spl et le Corps motorisé du Parti (N. S. K. K.).
3. Au lendemain des événements du 30 juin 1934 (voir vol. III, p. 169-206),
la S. S. avait donné naissanco à la S. S. Verfiigungstruppe, véritable garde préto-
rienne du régime. La S. S. Yerlicgungstruppe se transforme à son tour en Woflen
S. S., SOUS le commandement direct d’Hitler. Au cours de ce développement,
chaque soldat devient sous-oficier e t un soldat sur trois, officier. A la fin de 1938,
les eflectih de la Woflen S. S. s’élèvent à 500 oficiers, 1.500 sous-officiers, e t
16.000 hommes. (En 1945, ces effectifs s’élèveront à 18.000 officiers, 52.000 sous-
oficiers e t 600.000 hommes.) (Général STEINER, Die Annec d v CeBchtefen, p. 59,
note 53.)
4. a Grâce aux ofliciers d’un pays neutre, qui avaient fait u n stage Q l’Académie
de Guerre de Berlin II, écrit Paul Stehlin, nous avions obtenu des renseignements
de valeur sur l’organisation e t l’emploi des formations de parachutistes. Nous
savions que, pendant longtemps, le Commandement allemand s’était montré
sceptique à ce sujet. [Le g6néral Beck, déjà hostile aux divisions blindées, ne
voulait pas en entendre parler.] Mais a p r h une série d’exercices, en particulier
a u Centre d’expériences tactiques de Barth, il avait donné à cette arme un dévelop-
pement rapide. D (Témoignage pow l’histoirs, p. 142-143.)
L’HEURE DES DICTATURES 109
Luftwaffe. Les cadres supérieurs sont rajeunis. Une qua-
trième flotte aérienne est créée à Vienne l.
L’Amirauté allemande, elle non plus, ne reste pas inac-
tive. Elle met en chantier de nouveaux bâtiments, en exé-
cution d’un programme échelonné sur six années, qui
prévoit la construction de 6 cuirassés de 50.000 tonnes (en
plus du Bismarck et du Tirpitz), de 8 croiseurs rapides de
20.000 tonnes, d’un grand nombre de croiseurs légers et de
233 sous-marins z. A Kummersdorf et à Peenemünde, où
l’on travaille dans le plus grand secret à la mise au point
d’armes (( spéciales »,le colonel Dornberger, Wernher von
Braun4, Klaus Riedel, Helmut Grœttrup et les équipes de
techniciens qui les assistent, sont invités à accélérer leurs
travaux S.
Enfin, le Plan de quatre ans, qui oriente et coordonne toute
les activités de l’industrie allemande, reçoit une impulsion
nouvelle. Tous les citoyens allemands, sans distinction d’âge
ni de sexe, qui ne sont pas déjà employés à plein temps,
doivent consacrer plusieurs heures par jour à des entreprises
(( d’intérêt national ».Fabrications de guerre, stockage de

matières premières et de vivres6, réquisitions de camions et


de matériel ferroviaire se multiplient à une cadence vertigi-
neuse. Peu à peu, toute l’Allemagne se transforme en camp
retranché.
* i

Enfin arrive le 20 avril 1939, qui marque le cinquantième


anniversaire du Führer. La veille au soir, du Rhin au Niémen
1. a Au lendemain de l’occupation de Prague (15 mars 1939), cette quatrième
flotte a été constituée par le regroupement des unités stationnées en Autriche, dans
les Pays sud&es, en Bohême et en Moravie. I La création de cette quatrième
a flotte D, a fait remarquer un journal allemand, a assure à notre Armée de l‘Air
a une augmentation de puissance qui dépasse toutes nos prévisions. D Selon le
général Bodenschatz, les effectifs de la Luftwaffe auront triplé en 1941. B (Paul
STEALIN, Op. cit., p. 140.)
2. Ce programme devait tout d‘abord étre achevé en 1948. Hitler l’a approuve
le l e ? janvier 1939, mais a exigé qu’il soit terminé au plus tard en 1946. (Gross-
Admiral Karl D~NITZ, Zehn Jahre und Zwansig Tage, p. 140.)
3. Personne ne les eonnatt encore. Hitler y a fait allusion pour la première
fois au cours de la Conférence militaire secrete du 5 novembre 1937. (Voir
vol. IV, p. 310.)

4. Agé de vingt-six ans à cette époque.
5. a Dès 1936, l’étude d’une ohamhre de combustion d e 25 tonnes de poussée
avait été entreprise sous la direction de l’ingénieur Walter Thiel. D (Ernst KLEE
e t Otto MERK,Les Pionniers de l‘Espace, trad. P. Humbert-Droz, p. 52.)
6. L’Allemagne a construit 40.000 m* de frigorifiques e t 153.000 silos d’une
contenance totale de 4 millions de mètres cubesi 600 millions d’œufs, 17.000 tonnes
110 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

et de la mer du Nord aux contreforts du Vorarlberg, toutes


les cloches des églises ont carillonné pendant une demi-
heure, comme le leur a prescrit l’Assemblée des évêques
allemands, N pour attirer la bénédiction d u ciel sur la tête
d u Chancelier 1 ».
Durant la nuit, les télégrammes de félicitation se sont
amoncelés sur son bureau. Ils émanent de l’Empereur du
Japon; du Roi et de la Reine d’Angleterre, Empereur et Impé-
ratrice des Indes; de Victor-Emmanuel, Roi d’Italie et
d’Albanie, Empereur d’Éthiopie; de Mussolini, des maré-
chaux Balbo et Graziani, d u comte Ciano, de M. Federzoni,
de M. Alfieri, ministre italien de la Propagande; des Rois
de Bulgarie, de Roumanie, de Suède, de Norvège, de Bel-
gique, d u Danemark, de Grèce, d’Égypte, d’Arabie Séou-
dite e t d’afghanistan; de l’Empereur du Manchoukouo;
de la Reine des Pays-Bas; de la Grande-Duchesse de Luxem-
bourg; d u Prince-Régent de Yougoslavie; du Régent d’Irak;
du Conseil de Régence du Siam; de l’amiral Horthy, Régent
de Hongrie, du Président du Conseil hongrois, le comte
Téléki; du Chef de l’État espagnol, le général Franco; des
Présidents des Républiques de Pologne, de Finlande, de
Lituanie, de Lettonie, du Portugal, de Turquie et de Boli-
vie; du maréchal Tchang Kaï-chek; du prince de Liech-
tenstein; de l’ancien Roi Ferdinand de Bulgarie e t de l’an-
cien Président du Conseil yougoslave, M. Stoyadinovitch z.
De bonne heure, le corps diplomatique, conduit par son
doyen, le Nonce apostolique Mgr Orsenigo, se rassemble à
la Chancellerie pour présenter ses vœux au maître du
IIIe Reich. Puis c’est au tour de M. von Neurath et du
Président Hacha, au nom d u Protectorat de Bohême-Mora-
de beurre, I million de porcs s’entassent dans les chambres froides. Les importa-
tions de viande de bœuf et de bœuf congelé en provenance de l’Amérique du
Sud, ont triplé depuis 1937.
1. 11 Suivant un mandement des Évêques d’Allemagne les cloches de toutes
nos Églises carillonneront ce soir, veille du 20 avril, pour porter l’appel à la prière
Q travers toutes les terres allemandes. Par là, i’fipiscopat allemand veut marquer
d’une façon toute spéciale le cinquantième anniversaire de notre Führer et Chan-
celier... I1 y a véritablement de quoi remercier la Providence divine de s’être
montrée de nouveau miséricordieuse envers notre peuple et d’avoirremis sa destinée
Q un homme d’État qui a réussi à réunir entre ses mains des pouvoirs sans précédent.
C’est seulement ainîi qu’il a été possible de tenir tête au Bolchévisme et de conjuguer
toutes les forces nécessaires pour lutter contre lui. De même que sa vie a été
consacrée jusqu’ici à la grandeur et à l’avenir de notre peuple, de même 1’Alle-
magne continuera Q lui consacrer la totalité de ses forces. D (MüncheBer Kathoiische
Kirchenzeilung, 19 avril 1939.)
2. Berichte und Dokumente ..., 24 mai 1949, p. 94.
L’HEURE D E S DICTATURES 111
vie; de Mgr Tizo et du Dr Durcansky au nom de la Slova-
quie. Après quoi, le gauleiter Forster lui présente un par-
chemin le nommant citoyen d’honneur de la ville de
Dantzig.
Tandis qu’une foule énorme s’amasse sur la Wilhelmsplatz,
Hitler, debout au milieu de sa salle de travail, reçoit l’une
après l’autre, des délégations venues de toutes les régions du
Reich et même de l’étranger. Comme le temps presse, car la
journée est soumise à un minutage rigoureux, les aides de
camp doivent interrompre le flot interminable des visiteura.
La dernière délégation à être reçue est une députation
dantzickoise. Mais cette journée sera pour elle une décep-
tion. Car lorsque ses membres s’avancent vers le Führer avec
une allure fière et une mine pleine d’espoir7pour lui deman-
der (( si ce sera bientôt leur tour »7 il leur répond :
- (( I1 n’est pas question, pour le moment, de rattachement
de Dantzig au Reich. I1 faut que vous patientiez encore... 1)
La délégation repart, le front bas et le visage contristé.
Une fois la présentation des vœux terminée, Hitler se rend
à Charlottenburg, où doit se dérouler la plus grande parade
militaire que l’Allemagne ait jamais vue. Depuis huit jours,
cette démonstration a donné lieu à des préparatifs d’une
ampleur monstrueuse, car ce défilé gigantesque doit à la
fois susciter l‘admiration et provoquer la peur.
A 10 heures, Hitler quitte la Chancellerie dans sa Mer-
cedes blindée et passe devant les formations massées le
long du grand axe Est-Ouest. Puis, de la tribune officielle
dressée sur la place de l’École supérieure technique de Char-
lottenburg où ont déjà pris place les commandants en
chef des trois armes et les invités d’honneur, il salue les
troupes qui défilent devant lui de 11 heures du matin à
3 heures de l’après-midi, en une coulée ininterrompue de
chair e t d’acier.
(( Quatre années de suite D, nous dit Paul Stehlin, (( j’ai

occupé la même place dans cette tribune, tout près de l‘es-


trade où se tient HitIer J’ai pu l’observer, suivre ses gestes,
deviner sa satisfaction, déceler l’exaltation qui le gagne.
Combien de temps encore se contentera-t-il de montrer la
force qu’il a créée pour réaliser ses ambitions? La tentation
de s’en servir, pour transformer cette revue en un grand

1. C‘est la place réservée aux attachés militaires étrangers.


112 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

défilé de la victoire, ne peut que hanter son imagination


dans cet ouragan interminable de clameurs, de marches mili-
taircis, de bottes frappant le sol, de bruits de moteurs, de
cliquetis de chars. I1 a cinquante ans. L’heure est venued’ac-
célérer le rythme de ses conquêtes l. B
M. Grégoire Cafenco, ministre des Affaires étrangères de
Roumanie, qui assiste lui aussi à ce défilé, nous en trace de
$6n adté ce tableau saisissant :
- u Pendant six heures, les troupes motorisées du Reich
défilèrent en ùne suite ininterrompue de chars d’assaut, de
-
mortiers, d’obusiers, de canons.géants spectacle grandiose,
débutaat allégrement aux sons joyeux des fanfares, sous un
ciel bleu de printemps; se prolongeant ensuite, des heures
durant, dans un bruit obsédant de ferraille; puis, devant des
spectateurs harassés, aux nerfs brisés, s’éternisant oomme
une vision d’enfer, comme un lourd cauchemar qui ne vou-
lait pas prendre fin.., Un cauchemar de six heures, prélude
angoissant au drame de six ans qui allait suivre Hitler, ...
debout, immobile, ne quittait pas des yeux l’immense armée
en marche. C’était comme s’il lui eût cédé la parole, afin de
gagner par elle - argument suprême e t irréfutable
tière compréhension du monde a. n
-
l’en-

1. Pau! STEELIN,TémoigMks pow Z’hwtowa, p. 164.


2. Grégoire GAFENfO, Dernrds JoWS de I‘EurOpe, p. 94.
IX

LE PACTE D'ACIER

(22 mai 1939)

Le 17 décembre 1938, le Palais Chigi a notifié officiellement


au Quai d'Orsay que le Gouvernement italien (( ne tenait
plus pour valables les accords signés à Rome le 8 janvier 1935
par Laval et Mussolini D et qu'en conséquence il ne res-
tait aucune base solide à l'amitié franco-italienne 2 ».
Dix jours plus tard (27 décembre), Lord Perth, ambassa-
deur de Grande-Bretagne à Rome, a adressé un long mémo-
randum à Lord Halifax dans lequel il lui a dit :
N Gardez-vous de croire les Français lorsqu'ils vous assurent
que Mussolini est fini et qu'une alliance avec l'Italie serait
une trahison idéologique que ne compenserait aucun renforce-
ment de potentiel militaire ... L'autorité de Mussolini reste
absolument incontestée. L'immense majorité des Italiens lui
demeure fidèle et le suivrait comme elle ne suivrait personne
...
d'autre Malgré les critiques qu'on lui adresse dans certains
milieux, Mussolini a s u garder la confiance des paysans
et des travailleurs manuels ... Les paysans sont arrivés à le
considérer comme leur père et leur protecteur. Quant a u x ouvriers
de l'industrie, ils se félicitent de le voir évoluer de façon cons-
tante vers la gauche, et apprécient l'ampleur et l'efficacité de
ses réalisations sociales a.., n
1. Voir vol. IV, p. 105-106.
2. Lorsqu'il s'est agi de nommer un nouvel ambassadeur au Palais Farnèse,
Mussolini a fait savoir à Paris u qu'il préférait un diplomate de carrière à un homme
politique, mais surtout pas Laval D. Il considère que ce dernier l'a trahi dans
l'affaire des Sanctions, en ne le défendant pas sufisamment à Genève. C'est dire
A quel point les relations franco-italiennes se sont détérior6es depuis trois ans.
3. Lord P ~ ~ m , R a p pà~Lord
r l Halifaz sur la situation actuelle de l'Italia.(Docu-
menta on British Foreign Policy, III, p. 496 et 8 . )
TI a
114 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

Sir Eric Phipps, ayant déclaré que Lord Perth était


devenu (( beaucoup plus fasciste que le roi d’Italie »,
l’ambassadeur l’avait pris de haut ét lui avait répondu :
(( Les prétextes invoqués par les Français pour justifier leur

attitude sont fondés sur des préjugés indéfendables et des infor-


mations inexactes. Ils ont pour seul résultat de forger deplus e n
plus solidement une alliance italo-allemande ...L a France reproche
à l‘Italie d‘occuper illégalement les Baléares. Or, ces îles ont
été occupées d‘accord avec l‘un des partis belligérants d’Es-
pagne 2. Les Français ont choisi d‘aider le parti perdant, voilà
tout, mais on peut difficilement e n blâmer Mussolini. L e Duce a
été journaliste avant de devenir dictateur et il est particulièrement
sensible aux flots d’injures que la presse française ne cesse de
déverser sur lui, et pas seulement l’Humanité a... ))

L’ambassadeur de Grande-Bretagne auprès du Quirinal


avait terminé sa lettre par cette constatation pessimiste :
(( Si l’on souhaite la paix, les Français rendent la politique

européenne aussi dificile que possible; mais si c’est la


guerre que l’on veut, ils la rendent aussi inévitable que
possible 4. ))
Le 11 janvier 1939, Chamberlain et Halifax arrivent à
Rome, pour une visite officielle de trois jours. Ils viennent
dans l’espoir de détendre l’atmosphère et de donner quelque
consistance à l’Accord du 16 avril 1938s. ((Duranttrois jours»,
écrit Macgregor-Hastie, (( ils se promènent d‘une démarche
tremblotante, prononcent des discours polis et déclament
des platitudes courtoises. N Mais c’est peine perdue 6. Musso-
lini est stufo 7 de la France, et stufo de l’Angleterre qu’il
soupçonned’encourager ensous-mainles antifascistes français.
1. a Ne croyez-vous pas nt a-t-il dit notamment, a que les Français aient
quelque raison de manifester leur mauvaise humeur devant les revendications
italiennes sur Djibouti, la Tunisie et la Corse, encore qu’ils ne les prennent pas
au sérieux? D
2. Le génhal Franco.
3. Lord Perth, considéré comme trop pro-italien, sera remplacé bientat à Rome
par Sir Percy Loraine.
4. Roy MACGREGOR-HASTIE. La J o u r du Lion, p. 284.
5. Sur l’Accord anglo-italien du 16 avril 1938, voir vol. IV, p. 593, note 1.
6. a Au cours de leurs conversations particulières avec Mussolini D, écrit
Macgregor-Hastie, E ils [Chamberlain et Halifax] le trouvèrent poli, mais nulle-
ment cordial. Mussolini leur &suma toutes les mesures qu’il avait prises depuis
...
cinq ans pour sauvegarder la paix I1 se plaignit d’avoir rencontré, à chaque
pas, .plus d’obstacles que d’aide de la part des Démocraties, qui persistaient à
coniidérer l’Italie comme un pays de marchands de glaces ambulants. a (Op.
cit., p. 285.)
7. II en a a plein le dos D.
L’EEURE DES DICTATURES 115
- (( Si Paris et Londres veulent que j’unisse la Pax italica
à la Pax Germanica »,dit-il, (( ils n’ont qu’à continuer... n

Comme Londres et Paris cpntinuent, Mussolini perd


patience l. Le 30 janvier 1939, il charge son ambassadeur
Berlin, M. Attolico, d’entamer des pourparlers avec le Reich,
pour transformer l’Axe en alliance militaire.
Le 4 février, Mussolini réunit le Grand Conseil fasciste en
séance secrète au Palais de Venise 2.
- (( J e vous ai fait venir D, dit-il aux membres du Conseil,
(( pour vous faire part de mes intentions et vous guider pen-

dant un temps court ou long, peut-être très long... Voici


les principes sur lesquels se fonde ma politique :
(( Les nations sont plus ou moins indépendantes selon la

position maritime qu’elles occupent...L’ltalie est bordée par


une mer intérieure, laquelle communique avec l’océan par
le canal de Suez qui peut facilement être bloqué, et par le
détroit de Gibraltar que contrôle l’Angleterre. E n fait,
l’Italie ne communique pas librement avec les océans. Elle
est encagée dans la Méditerranée. Plus sa population
et sa puissance augmenteront, plus elle souffrira de son
emprisonnement S. Les barreaux de sa prison sont la Corse,
la Tunisie, Malte et Chypre. Ses gardiens sont Gibraltar et
Suez.
(( La tâche de la politique italienne consiste tout d’abord

à briser les barreaux de sa prison. Ensuite, elle n’aura plus


qu’un objectif : la marche vers l’océan. Mais quel océan?
L’océan Indien, à travers le Soudan qui unit la Libye à
l’Abyssinie? Ou l’océan Atlantique, à travers l’Afrique du
Nord française? Dans un cas comme dans l’autre, nous nous
heurterons aux Anglais et aux Français. Chercher à

1. Le voyage effectué par Paul Baudouin à Rome au début de février 1939


n’y change rien. Ce voyage, qui devait être tenu rigoureusement secret, a été
divulgué à la presse par Ribbentrop lui-même. (CIANO, Journal politique, I, p. 58.)
C’est la réponse du berger A la bergère pour la façon dont Ciano a tenté de torpiller
son voyage à Paris. (Voir plus haut, p. 48.) II est vrai que si les Italiens voient
d’un mauvais œil tout rapprochement entre l’Allemagne et la France, Berlin ne
désire pas non plus que la France se rapproche de I’ltalie.
2. Cette réunion rappelle, par plus d’un côté, la Conférence militaire secrète
tenue par Hitler à la Chancellerie du Reich, le 5 novembre 1937. (Voir vol. IV,
chap. XVII.)
3. Comme on le voit, ce ne sont pas seulement les aEnités idéologiques qui
rapprochent Mussolini et Hitler. C‘est le fait qu’ils sont tous deux en proie à la
hantise de l’encerclement, l’un sur terre, l’autre sur mer. a Nous succomberons
à l’encerclement, si nous n’attaquons pas à temps B, a dit Hitler à Mussolini, dans
le train qui les amenait de Kufstein à Munich. (Voir vol. V, p. 482.)
116 HISTOIRE D E L’ARMBE ALLEMANDE

résoudre ce problème avant d’avoir assuré nos arrières sur


le continent serait une folie 1, La politique de l’Axe Rome-
Berlin répond à une nécessité vitale 2.
(( Sommes-nous, aujourd’hui, dans des conditions idéales

pour faire la guerre? Un pays n’est jamais dans des condi-


tions idéales pour faire la guerre, si l’on entend par là être
mathématiquement sûr de remporter la victoire ... I1 est
hors de doute que nous serons mieux préparés dans quelques
années, quand nous aurons renouvelé notre artillerie, comme
je compte le faire d’ici 1942; quand nous aurons mis en
service huit nouveaux cuirassés et peut-être deux fois plus
de sous-marins que nous n’en possédons actuellement; quand
l’Empire, complètement pacifié, se suffira à lui-même et
pourra nous fournir des contingents indigènes; enfin, quand
nous aurons organisé, à la fin de 1942, une exposition qui
montrera au monde ce que le fascisme a réalisé en vingt
ans de pouvoir, et nous permettra d’augmenter nos réserves
de devises 1).
Puisqu’il est prématuré de songer à la guerre, il faut recou-
rir à l’alliance. Certes, celle-ci comporte un risque grave :
de voir le Reich, obéissant à ses propres intérêts poli-
tiques et stratégiques, entraîner l’Italie dans u n conflit
sans tenir compte de son état d’impréparation militaire.
(Les événements qui ont précédé la Conférence de Munich
ont prouvé qu’Hitler ne pensait qu’à l’Allemagne.) Mais
de même qu’on ne déclare pas toujours la guerre quand
on est (( idéalement prêt à la faire », on ne contracte
pas des alliances au moment que l’on préférerait. Étant
donné le raidissement marqué par la France et par
l’Angleterre, jamais l’Italie n’atteindra l’année 1942 sans
être attaquée, si elle n’est pas (( couverte )) par l’alliance
1. u En dehors de son contenu idéologique 11, écrit F. W. Deakin, a le but d‘une
alliance italo-allemande était, en s’associant avec la plus grande puissance terrestre
de l’Europe, de garantir à l’Italie sa position sur le continent et de lui permettre
de poursuivre, en MBditerranée et en Afrique du Nord, une politique d‘un intérêt
vital pour elle. 1i (TheBrutal Friendship, p. 6.)
2. Dans son Rapport sur In situation actwile & l’ltalie, Lord Perth a prévenu
son Gouvernement: a L’Italie considère une alliance avec la France et l’Angleterre
comme inutile, parce u’en cas de victoire, celles-ci se montreront aussi ingrates
que la première fois. ?Voir vol. IV, p. 90-92.) Une alliance avec l’Allemagne, en
revanche, donnerait à l’Italie l’espoir d‘hériter d‘une partie de l’Empire français
d’Afrique du Nord, peut-être même des positions anglaises en Égypte et dans
le Moyen-Orient. ~i (Documents on British Foreign Policy, III, p. 496 et S.)
3. Archives diplomatiques italiennes, Discours du Duce devant le Granù Conseil
fasciste, Rome, 4 février 1939. Voir aussi Mario TOSCANO, Ls Origini diplomaticha
del Patto à‘rtcciaio.
L’HEURE DES DICTATURES 117
allemande. D u moins est-ce ainsi q u e Mussolini raisonne 1
e t , d a n s son esprit, ceci compense cela.
Ce q u i le r e t i e n t d e f r a n c h i r le p a s décisif, ce s o n t les
efforts faits p a r Berlin p o u r se concilier les bonnes grâces
d e l’Angleterre. Jusqu’ici, ces avances n’ont p a s é t é suivies
d’effet. Mais s i d e m a i n - p a r e x t r a o r d i n a i r e - H i t l e r
o b t e n a i t l’alliance anglaise e t si Downing S t r e e t y m e t t a i t
c o m m e condition l’abandon d e l ’ l t a l i e , l e Führer hésiterait-il
à lâcher son a l l i é e e ? D a n s quelle s i t u a t i o n se t r o u v e r a i t
alors le Gouvernement r o m a i n ?
Or, l e 28 avril, H i t l e r parle d e v a n t l e Reichstag. I1 consacre
la plus g r a n d e p a r t i e d e son discours à r é p o n d r e au mes-
sage d e Roosevelt, p a r lequel l e P r é s i d e n t des E t a t s - U n i s
lui a d e m a n d é d e n e p a s a t t a q u e r t r e n t e e t un E t a t s d o n t
il lui a f o u r n i la liste 3. Mais son passage essentiel e s t
ailleurs 4. L e voici :

(c J’ai entendu la déclaration du Premier Ministre britan-


nique, dans laquelle il dit ne pouvoir accorder aucune confiance
aux assurances données par l’Allemagne. Dans ces circons-
tances, j’estime qu’il est logique de ne pas lui imposer, ni à
lui ni au peuple anglais, une situation qui ne peut se concevoir
que dans un climat de confiance réciproque ... Poursuivant ma
politique constante d’amitié avec l’Angleterre, j’avais moi-
même proposé de limiter volontairement l’armement naval
de l’Allemagne. Cette limitation supposait, toutefois, la
volonté et la conviction qu’une guerre entre l’Angleterre e t
l’Allemagne était désormais exclue.
(c I1 me faut malheureusement constater que la politique de
l’Angleterre ne laisse subsister aucun doute sur le fait qu’à

I. Mussolini est persuadé que l’Angleterre ne lui a pas pardonné le fait de s’être
tiré victorieusement de l’affaire des Sanctions et que si Eden revenait au pouvoir,
il en profiterait pour prendre sa revanche. La façon dont les Puissances occiden-
tales réagissent devant I( l’humiliation de Munich u l’ancre dans cette conviction.
2. a Si j’avais à choisir entre Mussolini et les Anglais 9, a dit un jour Hitler à
son aide de camp Wiedemann, a je n’hésiterais pas, j’irais naturellement avec les
Anglais, bien que Mussolini me soit plus proche au point de vue idéologique. J e
connais les Anglais depuis la guerre mondiale. Ce sont des gens durs. Si Mussolini
croit que ses avions chasseront la flotte anglaise de la Méditerranée, il se trompe. B
(Der Mann der Fe[dherr werden wollte. p. 151.) Le Duce, naturellement, n’ignore
pas cet état d’esprit.
3. Voir plus haut, p. 85-86.
4. I1 fait suite à la déclaration de M. von Weizsacher à Sir Nevile Henderson,
le 18 mars, lorsque celui-ci. est venu lui apporter la note de protestation anglaise
contre l’occupation de Prague. a Puisqu’il en est ainsi n, lui a répondu le secrétaire
d’État à la Wilhelmstrasse, Il’Allemagne se verra obligée de réviser toute sa poli-
tique B l’égard de l’Angleterre. D (Voir plus haut, p. 82.)
118 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ALLEMANDE

Londres on ne pa.rtage pas cette conviction, mais qu’on y est


d’avis, au contraire, que, quel que soit le conflit dans lequel
l’Allemagne puisse être engagée, la Grande-Bretagne doive
systématiquement prendre position contre elle. On considère
là-bas la guerre contre l’Allemagne comme allant de soi, et
on y reprend la vieille politique d’encerclement que nous
connaissons bien l...
a Dans ces conditions, la base du traité naval anglo-allemand
du 18 juin 1936 se trouve détruite. Je l’ai fait connaître
aujourd’hui même au Gouvernement britannique 2. ))

Cette fois-ci, la rupture entre Londres e t Berlin paraît


définitive. Les uns après les autres, les traités se brisent.
Mussolihi a mis fin aux Accords de Rome; Hitler dénonce
l’Accord naval anglo-allemand. La division de l’Europe
en deux camps s’accentue ...
* *

Le lendemain, 29 avril, Mussolini réunit le Conseil des


Ministres pour examiner les rapports que lui ont fournis
les ministres de la Guerre, de l’Air e t de la Marine. D’après
eux, la situation militaire de l’Italie serait catastrophique -
si catastrophique que Mussolini, selon le témoignage de
Bottai, refuse tout d’abord de l’admettre.
Considérée sans parti pris, la situation est la suivante : la
partie la plus moderne des Forces armées - l’aviation, les
corps blindés,les brigades de parachutistes e t les régiments de
a squadristes - sont en bon état; la flotte est parfaitement
prête et bien entraînée. Mais un excès d’enthousiasme pour

1. Le l e t murs, la presse anglaise a annoncé la mise en chantier d’un programme


de constructions navales comprenant 2 cuirassés, 1 porte-avions, 5 croiseurs,
2 flottilles de destroyers de,chacune 10 unités, 5 sous-marins, 2 escorteurs, 20 escor-
teurs rapides, 10 dragueurs de mines, 1 mouilleur de mines rapide et 6 torpilleurs
légers. Le 21 murs, Lord Halifax a rédigé de sa propre main un projet de décla-
ration selon laquelle la France, l’Angleterre, la Pologne et 1’U. R. S. S. a agiraient
ensemble au cas où l’Allemagne ferait mine de poursuivre ses desseins agressifs B.
Le 21 murs, la Chambre des Communes a voté une loi instaurant le service mili-
taire obligatoire en Angleterre. Le ministre de la Défense, M. Hore-Belisha, a
annoncé son intention de porter à 32 le nombre des divisions de l’Armée anglaise.
Le 31 mam. la France et l’Angleterre ont donné leur garantie à la Pologne. Le
1 3 utril, la France et l’Angleterre ont donné leur garantie à la Grèce et à la Rou-
manie. Tel est le contexte international dans lequel s’inscrit ce discours.
2. Noie du Gouvernement d u Reich au Couvernement de Sa Majesté, le 27 avril
1939. (Akten zur Deutschen Awwbrtigen Politik, V I , no 277.)
L’HEURE DES DICTATURES 119
les armes nouvelles a fait négliger les armements classiques,
notamment l’artillerie traditionnelle, les services de ravitail-
lement et les transports. Ceux-ci, à vrai dire, sont dans un
état lamentable l.
Cette situation devrait engager Mussolini à se montrer
circonspect. Or c’est tout le contraire. (( Jamais nous n’attein-
drons 1942 si nous restons isolés I), se dit-il. (( La diplo-
matie la plus habile n’y suffira pas : l’Italie est trop vulné-
rable pour que ses ennemis ne soient pas tentés d’en profiter.
Seule l’alliance allemande peut nous mettre à l’abri 2. n
C’est en vain que le Vatican cherche à attirer l’attention
de Londres sur l’état d’esprit du Duce. Mgr Maglione,
Cardinal Secrétaire d’État, fait savoir à Sir EricPhipps ((qu’il
n’est peut-être pas trop tard pour empêcher Mussolini de
lier entièrement son sort à celui d’Hitler, à condition de
faire vite et d’accorder à l’Italie les quelques conces-
sions qu’avait recommandées Lord Perth ». Mais le
Foreign Office accueille cette suggestion avec beaucoup de
scepticisme. Il estime qu’il est trop tard ...
I1 est trop tard, en effet. Le 6 mai, Ribbentrop arrive
à Milan pour mettre au point le texte définitif de l’alliance.
Le ministre des Affaires étrangères du Reich voudrait en
faire un Pacte à Trois, en y incluant le Japon. Mais le Japon
montre peu d’empressement à s’y associer. Par ailleurs,
Mussolini, pour des raisons de prestige, préférerait être
seul en tête à tête avec Hitler 3. Finalement, la formule
du Pacte t~ Deux l’emporte. Ciano est agréablement surpris

1. a Au Conseil des ministres du 29 avril n, écrit Ciano, a on approuve quelques


décisions destinées à augmenter la puissance des forces armées, dont le Duce
est nettement mécontent, à l’exception de la marine. I1 a l’impression, e t non
sans raison, que derriere une façade plus ou moins bien entretenue, il y a trés
...
peu de chose On a fait une inflation d‘hommes, on a multiplié le nombre des
divisions; en réalité, celles-ci sont si réduites qu’elles sont à peine plus fortes
qu’un régiment. Les dép8ts sont dégarnis; l’artillerie est vétuste; les armes anti-
aériennes et antichars font tout à fait défaut. On a fait beaucoup de bluff dans le
secteur militaire e t on a trompé le Duce lui-même. Mais c’est un bluff tragique. II
(Journal politique, I , p. 85.)
2. Lors du voyage d’Hitler à Rome, Ribbentrop avait tenté l’impossible auprés
de Ciano, pour amener le Gouvernement italien A conclure une alliance. Mais en
vain. Ciano avait mis le projet dans sa poche et s’était dérobé à toute discussion.
(Voir vol. IV, p. 599.) Depuis lois, beaucoup d’eau est passée sous les ponts du
Tibre.
3. Extraits du Journal politique de Ciano.- I8 février 1939 : Le Duce est
mécontent des retards japonais dans la conclusion du Pacte tripartite et il déplore
la Iégéreté avec laquelle Ribbentrop a assuré que le Gouvernement de Tokio
était d‘accord. I1 préférerait conclure l’alliance à deux, sans le Japon.- 2 avril :
120 HISTOIRE DE L’ARMSEALLEMANDE

par l’attitude détendue de Ribbentrop1. Le soir même, après


un banquet offert à l’hôtel Continental, les deux ministres
fixent le protocole de signature et la publicité qu’il convient
de lui donner immédiatement.
Le 21 mai, Ciano arrive à Berlin. La capitale allemande
a revêtu sa parure des grands jours. Oriflammes à croix
gammée, drapeaux vert-blanc-rouge, guirlandes de verdure,
pylônes sommés d’aigles e t de faisceaux romains, banquets,
défilés et manifestations de masse, rien n’a été négligé
pour donner à la cérémonie le maximum d’éclat. La signa-
ture elle-même a lieu le lendemain dans la grande salle du
Conseil de la nouvelle Chancellerie. Hitler est souriant.
Gœring est radieux; son visage ne se rembrunit que lorsque
Ciano passe au cou de Ribbentrop le collier de l’annonciade,
qui fait du ministre des Affaires étrangères du Reich le
cousin du roi d’Italie.
- (( C’est à moi I), dit-il, (( que cet honneur aurait dû
revenir! J e suis le véritable promoteur de l’alliance ger-
mano-italienne 2. ))
Le texte du Traité est rédigé comme suit :

J e reçois Shiratori [l’ambassadeur du Japon à Rome] porteur de la réponse japo-


naise pour l’Alliance tripartite. Dans l’ensemble, elle est satisfaisante. Elle contient
cependant deux réserves : 1 0 Tokio wudrait faire savoir à Londres, d Paris et t i
Waehington que, selon ha conceptwn japonaise, l’alliance est dirigée contre Moscou;
20 Tokio désire ajouter une déciuraiwn spécifiant qu’en CMI de conflit en Europe,
l‘aide japonaise aux Puissances àe l‘Am pourra dire limit&. - 6 mai :De Tokio,
Auriti [ambassadeur d’Italie au Japon] m’a communiqué la dernière formule
imaginée [par les Japonais] pour le Pacte à trois. Elle est très faible. Ribbentrop
en est également mécontent. Mais l’ambassadeur me prévient qu’il est difficile
d’aller plus loin e t que nous sommes près du breakingpoini. - 7 mai :Mussolini m’a
demandé de faire annoncer le Pacte bilatéral, qu’il a toujours préféré à l’alliance
triangulaire. Ribbentrop qui, au fond du cœur, a toujours tendu à l’inclusion d u
Japon dans le Pacte, a d’abord hésité, mais il a fini par céder, en réservant I’appro-
bation d‘Hitler. Celui-ci a donné immédiatement son consentement par téléphone.
Lorsque j’en ai informé le Duce, il a manifesté une satisfaction particulière. i
La non-inclusion du Japon dans le Pacte aura une influence considérable sur la
suite des événements.
1. Pour la première fois B, écrit Ciano, a j’ai trouvé mon collègue allemand
dans une a@able détente nerveuse. I1 ne voulait pas, comme d’habitude, foncer
en avant, tête baissée. Au contraire, il s’est fait personnellement le héraut
d‘une politique de modération et d’entente. Naturellement, il a dit que, dans
quelques années, les Allemands devront aller ici e t prendre là, mais la suspension
momentanée de son dynamisme est déjà une chose remarquable. a ( J o u r d
politique, I, p. 89.)
2. CIANO,Op. ai., I, p. 97. C’est d’ailleurs exact, Gœring a toujours été pour
l’alliance avec l’Italie, depuis le jour où il s’est réfugié à Venise, après le putsch
de 1923. (Voir vol. I, p . 310-311.)Ribbentrop était plutôt l’homme de l’alliance
anglaise. C‘est lui qui avait négocié l’accord naval du 18 juin 1936, dont la
dénonciation a ouvert la voie a u a Pacte d’Acier 8 .
L'HEURE DES DICTATURES 121
Le Chancelier d u Reich allemand,
L e Ministre d u Reich pour les Affaires étrangères, M. Joa-
chim von Ribbentrop,
S a Majesté le Roi d'Italie et d'Albanie, Empereur d'Éthiopie,
L e Ministre italien des Affaires étrangères, le comte Galeazzo
Ciano di Cortelazw,
Réunis à Berlin a u palais de la Chancellerie, sont convenus
des dispositions suivantes :
ART. Ier. - Les Hautes Parties contractantes resteront e n
contact d'une façon permanente, pour se consulter à l'occasion
de toutes les questions concernant leurs intérêts communs ou la
situation générale e n Europe.
ART. II. - Au cas où les intérêts communs des Hautes
Parties contractantes se trouveraient mis en danger par u n
événement international, celles-ci se consulteront immédiate-
ment sur les mesures à prendre pour sauvegarder ces intérêts.
A u cas où la sécurité ou quelque autre intérêt vital de l'un
des deux contractants se trouverait menacé, l'autre l u i appor-
tera tout son appui politique et diplomatique afin d'écarter cette
menace.
ART III. - Si, contrairement a u x vœux et a u x désirs des
Hautes Parties contractantes, l'une des deux se trouvait engagée
dans une guerre avec une ou plusieurs autres Puissances,
l'autre sera immédiatement à ses côtés en tant qu'alliée et lui
apportera l'appui de toutes ses forces armées sur terre, sur mer
et dans les airs.
ART. IV. - Afin d'assurer, le cas échéant, l'exécution rapide
des obligations stipulées dans l'article 111, les deux Parties
contractantes approfondiront leur coopération dans les domaines
de l'Armée et de l'Économie de guerre ...
ART.V. - Les Hautes Parties contractantes s'engagent dès
à présent, en cas de guerre menée en commun, à ne conclure
ni armistice ni paix séparés.
ART. VI. - Les deux Parties contractantes déclarent que
les accords qu'elles ont déjà conclus avec des tierces Puissances
ne subissent aucune modification du fait de la conclusion d u
présent traité.
ART. VII. - Ce pacte entre immédiatement en vigueur.
Il a une durée de 10 ans. Avant l'expiration de ce délai, les
Hautes Parties contractantes engageront des pourparlers en vue
d8 sa reconduction.
Fait à Berlin, le 22 mai 1939.
An XVII de l ' h e fasciste.
122 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

Le Führer ayant quitté la salle aussitôt après la signature,


les ministres des Affaires étrangères prononcent des allo-
cutions à la radio qui se terminent toutes deux par la
même affirmation :
(( A dater de ce jour, 150 millions d’Allemands et d’Italiens

ont décidé de marcher côte à côte pour défendre leur essor


national e t leurs droits imprescriptibles à la vie. Ils forment,
avec leurs amis dans le monde, un bloc invincible 1. n

Après quoi Hitler, le Roi Victor-Emmanuel et Mussolini


échangent des télégrammes de félicitations.
Mais le Duce n’est pas entièrement rassuré. I1 craint
toujours qu’Hitler ne l’entraîne dans une aventure. Main-
tenant que le Pacte est signé et qu’il bénéficie de ses avan-
tages, il voudrait aussi en éliminer les dangers. Le 30 mai,
il envoie à Berlin le général Ugo Cavallero, porteur d’un
message confidentiel pour Hitler :
a LRP deux Puissances européennes de l’Axe »,lui dit-il,
u ont besoin d‘une période de paix qui devrait s’étendre a u moins
sur trois ans. C‘est seulement à partir de 1943 qu’un effort de guerre
...
aura le plus de chances de mener à la victoire L’Italie fasciste,
bien que convaincue que la guerre est inévitable, ne désire pas
précipiter les événemenis. Elk peut mobiliser proportionnel-
lement plus d‘hommes que l’Allemagne, mais l’abondance de
ses effectifs se trouve limitée, dans ses effek, par la déficience
d u matériel t. n

Hitler s’empresse de dissiper les appréhensions du dicta-


teur romain :
- (( Duce, n’ayez aucune crainte 9, lui répond-il. u II
n’y aura pas de guerre avant 1942-1943. Tous les
litiges susceptibles de survenir entre-temps se régleront à
l’amiable. ))
Mussolini pousse u n soupir de soulagement : il estime
avoir devant lui tout le temps nécessaire pour reconstituer
son artillerie et préparer l’Exposition de Rome qui lui tient
tant à cœur.
1. Dokumente und Berichte..., 24 mai 1939, p. 78.
2. Archive8 diplomatiques italiennes. Note de Musadini à Hitier, Is 30 mai
1939.
X

LE RETOUR DE LA LEGION CONDOR

(6 juin 1939)

Le 28 mars 1939, le général Franco a fait son entrée


victorieuse à Madrid, à la tête de ce qui reste de sa Garde
maure, des régiments de Castille et des formations de la
Phalange 1.
Un des premiers actes du généralissime consiste à annoncer
l’adhésion de l’Espagne au Pacte anti-Komintern 2. u Main-
tenant que le Communisme qui a déchaîné la guerre civile
en Espagne a été définitivement vaincu sur le champ de
bataille »,déclare le communiqué du 7 mars, (( le Gouverne-
ment espagnol a décidé d’adhérer au Pacte anti-Komintern,
pour marquer sa volonté de poursuivre la lutte contre le
péril communiste S. ))
En réalité, la conclusion de l’Accord a eu Iieu à Burgos,

1. Le 27 février, la France e t la Grande-Bretagne ont reconnu officiellement


le Gouvernement nationaliste. A cette occasion, M. Attlee, chef du P a d libéral,
a prononcé à la Chambre des Communes, un discours où s’est exhalée toute la colère
des partis de gauche : a Nous considérons cet acte II, a-t-il dit, O( comme une lourde
trahison envers la démocratie, comme le couronnement de deux a n s et demi
d’un simulacre hypocrite de non-intervention et de complaisance continuelle
ti l‘égard de l’agression. E t cela n’est qu’un pas de plus dans la marche descen-
dante du Gouvernement de Sa Majesté ou, à chaque palier, les intérêts perma-
nents du pays ne sont pas même bradés, mais donnés. Ce Gouvernement ne fait
rien pour édifier la paix ou arréter la guerre, mais se borne à faire savoir au monde
que celui qui a l’intention de recourir à la force peut toujours compter qu’il trou-
vera un ami dans le Premier Ministre britannique. m (Cité par Hugh THOMAS,
La Guerre d’Espagne, édition de 1965, II, p. 233.)
2. Protocole germano-nippon du 25 novembre 1936 (voir vol. IV, p. 78), com-
plété par le Protocole it&-germano-nippon du 6 novembre 1937. (Voir vol. IV,
p. 188.)
3. Dokumenfe und Berichte...,24 mai 1939, p. 81.
124 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

dix jours auparavant. I1 a été signé par MM. Eberhard von


Stohrer, pour l’Allemagne; Guido Viola, comte de Campalto,
pour l’Italie; Makotu Yano, pour le Japon, et par le comte
Jordana, pour l’Espagne, le 27 mars 19391, a n X V I I de
l’Ère fasciste, XIVe année de l’Ère Showa, et I l l e année
triomphale d u nouvel État espagnol.
Troisième annéé triomphale! La formule est belle, à
condition de la prendre pour ce qu’elle est : un défi à la
souffrance, car le pays est ravagé et la nation saignée à
blanc. (( Les pertes »,écrit Charles ROUX,(( peuvent rai-
sonnablement être évaluées à 850.000 ou 900.000 personnes,
sur lesquelles 150.000 peuvent être considérées comme
ayant été assassinées. Sur une population totale de 24 mil-
lions d’âmes, le pourcentage des disparus est un des
plus atroces que l’on ait connus 2. )) I1 n’est pas exagéré
de dire, en effet, que la guerre civile espagnole a dépassé
en férocité la plupart des guerres internationales. Elle a
coûté, en dépenses tant intérieures qu’extérieures, 30 mil-
liards de pesetas. Le dommage le plus important a été
la perte de main-d’œuvre, tant à cause des morts et des
mutilés, que de l’exode de 340.000 personnes à la fin de
la guerre. Les pouvoirs publics nationalistes évaluent
à 4.250 millions de pesetas les destructions infligées à la
propriété foncière, et ce chiffre est probablement inférieur
à la réalité. 150 églises ont été entièrement détruites et
4.850 endommagées, dont 1.850 plus qu’à moitié démolies.
Il y a eu 183 villes si gravement dévastées que le général
Franco a dû les (( adoptern- ce qui veut dire que son
gouvernement prendra en charge le paiement de leur recons-
truction. 250.000 maisons environ ont été rendues inhabi-
tables, auxquelles on peut en ajouter 250.000 autres,
partiellement détériorées. L’Espagne a perdu un tiers de
son cheptel. Le réseau des communications a subi environ
325 millions de pesetas de dommages. Les chemins de fer
ont perdu 61 % de leurs wagons de voyageurs, 22 % de
leurs wagons de marchandises et 27 % de leurs locomotives S.
Les hommes n’ont pas subi moins de blessures que les
1. C’est-à-dire la veille de l’entrée de Franco à Madrid.
2. Georges Roux, Lu Guerre civils d’Espagne, p. 297. Hugh Thomas évalue
pour sa part le nombre des morte A 640.000 dont 100.000 personnes assassinées
ou exécutées sommairement, 220.000 environ, mortes de maladie ou de dénu-
trition et 320.000 tuées en combattant. (Lu guerre d’EspagBc, II, p. 257.)
3. Hugh THOXAS, Op. cit., II, p. 257. 258.
L’HEURE DES DICTATURES 125
choses. (( Presque tous les premiers rôles du demi-siècle
mouvementé qui vient de prendre fin sont morts ou en exil.
Les vainqueurs ont eu eux-mêmes t a n t de victimes! Qui
pourra jamais oublier les treize évêques assassinés à la tête
d’une armée de 7.000 cadavres de religieux? Sanjurjo,
l’amateur de jolies femmes, Mola, le conspirateur, le
brillant Calvo Sotelo, et José Antonio Primo de Rivera,
au charme incomparable, Onesimo Redondo, le fasciste de
Valladolid et Ledesma, avec sa mèche à la Hitler, tous sont
morts. Morts de mort violente. Pas un seul parti, chez les
vaincus de la guerre civile, n’a subi une hécatombe compa-
rable à celle de la Phalange - à moins que les poètes,
qui ont été, eux aussi, férocement massacrés, ne soient
considérés comme un parti. Unamuno, le grand humaniste
pénétré de la crainte de Dieu, est mort de chagrin à Sala-
manque; Garcia Lorca gît dans une tombe anonyme quelque
part près de Grenade; Machado s’est éteint dans une pension
...
de Collioure Et derrière tous ces disparus célèbres se
lèvent en masse les spectres de ces milliers de combattants
connus e t inconnus qui ont presque tous donné leur vie
-plus que dans d’autres guerres - pour la cause que,
de part et d’autre, ils avaient crue la plus noble l . ))
Que reste-t-il, à présent, de ces églises béantes et de ces
villes éventrées, sur lesquelles ont retenti, tour à tour,
les chants des Brigades internationales e t ceux de la Pha-
lange? Des décombres fumants, dont se dégage encore une
odeur de chair carbonisée. L’Espagne a flambé comme un
bûcher médiéval. Un baiser au drapeau, un baiser à
l’épée! )) Mais ses flammes ont illuminé quelques hauts
lieux d’héroïsme dont le nom restera à jamais gravé dans
les mémoires, parce que le courage et la volonté de l’homme
y ont dépassé les limites humaines : Teruel, Saragosse,
Guadalajara, la Cité Universitaire et - par-dessus tout -
l’Alcazar de Tolède sur lequel flotte, symboliquement,
le drapeau de Lépante %...

+ +
Après trois années d’horreur, la guerre est terminée. Les
cinq flèches et le licol ont remplacé partout la faucille e t le
I. Hugh THOMAS, Op. cit., II, p. 259, 260.
2. Cf. Henri MASSIS et Robert BRASILLACH, Les Cadcla da I’dlcaiar, p. 92.
126 HISTOIRE D E L’ARMI~E ALLEMANDE

marteau. Les Brigades Internationales se sont dispersées.


Les troupes italiennes ont évacué les Baléares. La Légion
Condor et les unités de la Luftwaffe envoyées par Hitler
pour appuyer Franco, rentrent, elles aussi, dans leurs foyers.
Le 6 juin, les Berlinois sont invités à fêter leur retour.
La prise d’armes et le défilé qui auront lieu sur l’esplanade
du Lustgarten seront très différents de la parade monstre
du 20 avril. Ils seront beaucoup plus courts, car il ne s’agit
que de 10.000 hommes -la valeur d’une division 1. Mais ils
se dérouleront dans une atmosphère plus émue et revêtiront
une signification plus profonde qu’une simple revue mili-
taire. Les unités qui avaient défilé devant le Führer pour
fêter son cinquantième anniversaire étaient composées de
jeunes recrues qui n’avaient pas encore reçu le baptême du
feu. Les officiers et les soldats de la Légion Condor, eux, ont
participé à une guerre atroce. Ils en reviennent, pour la plu-
part, trempés par l’expérience des champs de bataille et
balafrés de cicatrices recueillies au cours des centaines
d’engagements auquels ils ont pris part. Ils représentent
une des avant-gardes combattantes de la Croisade anticom-
muniste. Leur intervention en Espagne avait un double
objectif : aider le général Franco à remporter la victoire,
mais aussi mettre au point la tactique de coordination des
avions e t des chars, au cours d’opérations qui ont servi de
banc d’essai au nouveau matériel de la Wehrmacht 2. A ce
double point de vue, ils ont rempli avec succès la mission
qui leur avait été confiée.
En raison du r61e important joué par les formations de la
Luftwaffe 3, Gœring les accueille le premier. Il énumère les
actions auxquelles ils ont pris part : Madrid, Bilbao, San-
1. Les effectifs allemands en Espagne ont atteint 10.000 hommes pendant
l’automne de 1936. Au total, 16.000 Allemands ont servi la cause nationaliste,
mais ce chiffre comprend de nombreux civils et le personnel instructeur. La Légion
par elle-même comptait 6.000 hommes et était complétée par 30 compagnies,
antichars. Elle a participé à 192 engagements de chars, selon le colonel von Thoma,
qui commandait le corps blindé. Son entretien a coûté 354 millions de Reichs-
marks. 300 hommes de cette unité ont trouvé la mort en Espagne. (Hugh THOMAS,
Op. cit., p. 636.) Sur la composition de la Légion Condor, voir vol. IV, p. 326,
note 1.
2. Cf. Général DUVAL,Les Leçons de la guerre d’Espagne.
3. L’avance de l’Armée d’Afrique, de Séville vers le nord, a été rendue possible
grâce à I’interventionde l’aviation allemande. En tout, 10.500hommes ont été trans-
portés d’Afrique en Espagne par des formations de Junkers 62 en juillet et août
1936, et 9.700 en septembre. Cette opération - -
remarquable pour l’époque a
constitué le premier E pont aérien I) de l’histoire. a Franco devrait élever un monu-
ment à la gloire des Junkers 52 n, dira Hitler à Bormann en 1942. u Ce sont ces
L’HEURE DES DICTATURES 127
t a n d e r , B r u n e t e , Teruel, les batailles d e l’fibre, d e l a C a t a -
logne, de Barcelone et de Valence l. Après a v o i r r e n d u hom-
m a g e à leurs m o r t s , il termine s o n allocution p a r ces m o t s :

a Nous possédons aujourd’hui une puissante Wehrmacht,


a u cœur d’une Allemagne plus puissante encore, parce que la
Providence nous a donné un chef d’une énergie indomptable.
E n pette heure solennelle, nous voulons assurer à notre
Führer que la Wehrmacht exécutera ses ordres en toutes
circonstances, avec a u t a n t de courage que d’intrépidité ...
Vous êtes partis avec l’ordre de combattre, et vous revenez
avec la satisfaction d‘être vainqueurs 2.

Hitler m o n t e e n s u i t e à l a t r i b u n e et adresse a u x Légion-


naires un discours de b i e n v e n u e où il m e t s u r t o u t l’accent
s u r l’expérience militaire qu’ils o n t acquise e t s u r la signi-
fication p o l i t i q u e de l e u r c o m b a t .

(( Mes camarades I), leur dit-il, (( je suis heureux de pouvoir

vous saluer moi-même, et plus heureux encore de vous voir


devant moi, car je suis fier de vous! ... Partis pour aider
l’Espagne dans une heure de détresse, vous voici revenus en
soldats confirmés. Votre regard n’a pas seulement pris con-
science des exploits accomplis par les soldats allemands durant
la Première Guerre mondiale : l’expérience que vous avez
acquise vous qualifie pour servir d’exemples et d’instructeurs
aux jeunes recrues de notre nouvelle Wehrmacht. P a r là, vous
contribuerez à renforcer la confiance de notre peuple dans
l’invincibilité de notre armée et dans la valeur de nos armes.
(( Vous avez vu de vos propres yeux le sort terrible infligé

à l’Espagne et les destructions effroyables que ce pays a


subies. Vous savez à présent ce qui arriverait a u nôtre, si
les hordes du Bolchévisme venaient à le submerger. Vous avez
lutté contre ce fléau a u x côtés de vos frères d’armes italiens 3,
sous la conduite d’un chef de guerre valeureux qui n’a jamais
douté de la victoire et sous la direction duquel nous souhaitons
un nouvel essor a u noble peuple espagnol.

avions qui ont permis à la Révolution espagnole de triompher. D Cette dernirire


affirmation est aventurée, bien qu’on ne puisse nier que la Luftwaffe ait joué
un rûle considérable dans cette opération,
-
1. I1 passe sous silence - et cela vaut mieux le bombardement de Guer-
nica.
2. Deuische Infanterie, p. 721.
3 . Les légionnaires des Flèches noires, des Flèches bleues, des Flèches vertes,
et les combattants de la division Litforb, commandée par le général Gambara.
128 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

Vive le peuple espagnol e t son chef Franco!


Vive le peuple italien e t son Duce Mussolini!
u Vive notre peuple e t le Grand Reich allemand! n

Après quoi Hitler remet un insigne spécial à la 53e escadre


aérienne, au 9erégiment de D. C. A., au3erégiment de liaisons
aériennes et des décorations aux Légionnaires qui se sont
particulièrement distingués l. Ceux-ci sont répartis ensuite,
comme instructeurs, parmi les unités de la Wehrmacht.
1 . Deuîsche Infanterie, p. 723.
XI

LA WEHRMACHT DE 1939

L e retour de la Légion Condor coïncide avec le moment


où la puissance militaire allemande atteint son niveau
le plus élevé depuis l’effondrement de l’Armée impériale.
Ici encore, quel chemin parcouru depuis le 5 juillet 1919,
date à laquelle le général von Seeckt avait posé les fondations
de la Reichswehr de métierl! A cette époque, l’Armée alle-
mande n’avait le droit de posséder aucun organe de comman-
dement supérieur au corps d‘armée. Les échelons les plus
élevés de la hiérarchie étaient les deux Gruppenkommandos
de Berlin et de Cassel *, qui n’avaient pas le droit de se réunir.
Le Grand État-Major avait été dissous; l’Académie de Guerre
fermée 3. La Reichswehr, dont les effectifs étaient limités
à 100.000 hommes, n’avait le droit de posséder ni artillerie
lourde, ni chars, ni aviation &. La construction de fortifica-
tions lui était interdite. La Marine était réduite à sa plus
simple expression S.
Vingt ans plus tard, la structure de la Wehrmacht est
devenue la suivante :
Au sommet, le Führer-Chancelier Adolf Hitler, chef
suprême des Forces de Terre, de Mer, et d’Air, assisté par
un État-Major spécial interarmes : L’OBERKOMMANDO DE
LA WEHRMACHT (O. K. W.) 6. Celui-ci comprend :
1. Voir vol. I, p. 364.
2. Voir vol. II, le déptiant p. 389.
3. Traild de Versailles, partie V, art. 160.
4. Voir vol. I, p. 320 et S.
5. La quasi-totalité de la flotte impériale, faite prisonniére par les Anglais,
s’était sabordée à Scapa-Flow, le 21 juin 1919. (Voir vol. I, p. 354, 355.) Depuis
lors, interdiction avait été faite à l’Allemagne de reconstituer une marine de
guerre.
6. Constitué par le décret du 4 février 1938. (Voir vol. IV, p. 335.)
Vl 9
130 HISTOIRE DE L ' A R M ~ E ALLEMANDE

- Le général Keitel, chef de l'O. K. W .


- Le général Jodl, chef d'État-Major de l'O. K . W .
- Le lieutenant-colonel von Lossberg l.
- Le colonel Warlimont, chargé de la section u Opéra-
tions n.
Immédiatement au-dessous se trouvent :
I. LE HAUTCOMMANDEMENT
DES FORCES
DE TERRE :
- Général von Brauchitsch, Commandant en chef,
- Général Halder, chef d'État-Major général.
II. LE HAUTCOMMANDEMENT
DES FORCES
DE L'AIR :
- Maréchal Gœring, Commandant en chef,
- Colonel Jeschonnek, chef d'État-Major général.
III. - LE HAUTCOMMANDEMENT DES FORCES DE MER :
- Amiral Ræder, Commandant en chef.
- Amiral Schniewind, chef d'État-Major général,
-Contre-amiral Fricke, chef de la section u Opéra-
tions n.
Les Forces de terre comprennent six Commandements
de Groupe d'armées (Heeresgruppenkommandos), répartis
comme suit 5 :
I. Berlin :général von Bock.
II. Francfort-sur-Main :général von Witzleben.
III. Dresde :général Blaskowitz.
IV. Leipzig :général von Reichenau.
V. Vienne :général List.
VI. Hanovre :général Kluge.
Ces six commandants de Groupe d'armées - qui devien-
dront tous maréchaux en juillet 1940, à l'exception du
-
général Blaskowitz ont sous leurs ordres dix-huit Com-
mandements d'armée (Generalkommandos) 3' .
1. Qui a remplace depuis peu le colonel Zeitzler, dans la fonction d'officier
de liaison avec l'fitat-Major de l'Armée de Terre (O.K. H.)*
2. Oberkommando des Heeres ( O . K. H.).
3 . Oberkommando der Luftwaffe (O. K. L.).
4 . Oberkommando der Marine ( O . K. M:).
5. Voir le dépliant I à la fin du volume.
6. Ces dix-huit Ceneralkommandos (dont les limites se confondent avec celles
des Régions militaires, ou Wehrkreise) sont répartis comme suit :
I. K6nigsberg :général von Küchler; II. Stettin : général Strauss; III. Ber-
lin : général Haase; IV. Dresde : général von Schwedler; V. Stuttgart :général
Geyer; VI. Miinster : général Forster; VIL Munich :général Ritter von Scho-
bert; VIII. Breslau : général Busch; IX. C w e l :général Dollmann; X. Hom-
L’HEURE D E S DICTATURES 131
Les unités stationnées dans chacun des dix-huit Wehrkreis
correspondent en moyenne à trois divisions. En 1939, la
Wehrmacht peut donc mettre en ligne :
55 divisions d’active (dont un certain nombre sont moto-
risées),
35 divisions de réserve,
I division de troupes de forteresse, soit 91 divisions d’infan-
terie, auxquelles il faut ajouter :
3 divisions d’infanterie de montagne l,
1 brigade de cavalerie 2, e t le Corps blindé créé par le général
Guderian.
Celui-ci comprend, au printemps de 1939, cinq divisions
cuirassées (Panzerdivisionen), réparties comme suit :
Ire P. D. : Weimar.
IIe P. D. : Vienne.
IIIe P. D. : B e r l i n .
IVe P. D. : Würzburg.
Ve P. D. : Oppeln (Haute-Silésie) S.
Plusieurs autres Panzerdivisionen sont en voie de forma-
tion, de sorte que la Wehrmacht disposera de six divisions
cuirassées à la fin du mois d’août et de sept à la mi-septembre,
ce qui représente un total de 2.574 chars 4.
t
i r
Les forces de l’Air comprennent quatre Flottes aériennes :
Luftflotte I (Est), à Berlin :
Commandant : Général Kesselring,
Chef d’Etat-Major : Colonel Speidel.
Luftflotte I I (Nord), à Brunswick :
Cornmandant : Général Felmy,
Chef d’Etat-Major : Colonel Kammhuber.
bourg : général Knochenhauer; XI. H a w w e : général Ulex; XII. Wiesbaden :
général Schrott; XIII. Nuremberg I général Freiherr von Weichs; XIV. Magde-
bourg :général von Wietersheim; XV. Iéna :général Hoth; XVI. Berlin : géné-
ral Hoepner; XVII. Vienne :général Kienitz; XVIII. Salzbourg : général Bayer.
1. La Ire, à Garmisch-Partenkirchen; Ia IIe, à Innsbruck; la IIIe, à Graz. Ces
trois divisions alpines sont composéesde recrues originaires de I’Ostmark (ancienne
Autriche).
2. A Inaterburg, en Prusse-Orientale.
3 . Oberstleutnant Dr K. HESSE, Deutsche Wehrmachtorganisation, Berliner,
Morgenpost, 4 décembre 1938.
4. Général Heinz GUDERIAN, Panzerführer, Appendice III.
5 . Voir le dépliant II à la fin du volume.
132 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

Luftflotte ZZZ (Ouest), à Munich .-


Commandant : Général Sperrle l,
I
Chef d’Etat-Major : Colonel Ritter von Pohl.
Luftflotte IV (Sud-Est), à Vienne .-
Commandant : Général Lohr,
Chef d‘Etat-Major : Colonel Korten,
auxquelles il faut ajouter le
Luftwaffen Kommando de Prusse-Orientale :
Commandant : Général Wimmer 2.
Au point de vue territorial, ces forces sont réparties en
dix Régions aériennes ou Luftgaukommandos 3. Dix Inspec-
tions, chargées chacune d’un secteur particulier 4, sont pla-
cées sous l’autorité du général Milch, Inspecteur général de
la Luftwaffe.
L’ensemble des forces de l’Air comprend :
30 groupes de Bombardiers
18 de Heinkel 111
11 de Dornier 17
1 de Junkers 86, soit. ........ 1.180 appareils
13 groupes de chasse
12 de Messerschmitt 109
1 d‘Arad0 68, soit. ......... 771 appareils
9 groupes de Stukas
Junkers 87, soit ........... 336 appareils
10 groupes de chasseurs lourds
Messerschmitt 109 et 110, soit. .... 408 appareils
1. Rappelons que le général Speerle a commandé l’aviation de la Légion Condor,
durant la guerre d‘Espagne.
2. Ce sont les unités aériennes appartenant au Luftwaflen Kommando de Prusse-
Orientale qui ont occupé, le 23 mars 1939, les aérodromes du Territoire de Memel.
(Voir plus haut, p. 97.)
3. Luftgaukommando I (en union personnelle avec le Luftwaflen Kommando de
Prusse-Orientale) : ICOnigsberg (générai Wimmer); I I I : Berlin (générai Weise);
IV : Dresde (général Mayer); VI :Münster (général Schmidt); VI1 : Munich (gén8-
rai Zenetti); VI11 : Breslau (général Dankelmann); X I : Hambourg (générai
WoiR); XII :Wiesbaden (général Weissmann); XII1 : Nuremberg (générai Heiling-
brunner); XVII : Vienne (général Hirschauer). (Les chiRres manquants repré-
sentent des Luftgaukommandos destinés à être créés ultérieurement.)
4. Nomenclature des Inspectwns. I : avions de reconnaissance; I I : Stukas;
III : chasseurs; IV : bombardiers; V : D. C. A.; V I : sécurité du territoire; VI1 :
matériel; VI11 : liaisons; I X : bases; X : personnel.
5. Sturzkampflugzeuge ou avions de combat en piqué.
L’HEURE DES DICTATURES 133
I groupe d’avions d’assaut1
Heinschel 123, soit. ......... 40 appareils
2 groupes d’avions de transport
Junkers 52, soit . . . . . . . . . . . 552 appareils
23 escadrilles de reconnaissance
Dornier 17, soit . . . . . . . . . . . 379 appareils
30 escadrilles d‘éclaireurs3
Heinkel 45
Heinkel 46
Henschell26, soit .......... 342 appareils
18 formations aéro-navales
14 escadrilles côtières
2 escadrilles d’hydravions 4
2 escadrilles de porte-avions, soit . . . 240 appareils
I formation à emploi spécial 5, soit. . . 55 appareils
en tout 4.303 appareils 6 constituant 6 divisions aériennes’,
1division de parachutistes 8 et 1 division d’instruction 9.

Les Forces navales sont réparties en trois groupes :


I. Le Groupe maritime Ouest (Wilhelmshafen) lo,
Amiral Saalwachter.
II. Le Groupe maritime Est (Kiel) l1,
Amiral Albrecht.
III. Le Commandement des Forces de haute mer (Kiel) la,
Amiral Bœhm.
1 . SchEachtpugzeuge. Ceux-ci interviennent comme soutien tactique des troupes
terrestres. (En anglais : Low level attack phne, ou fighter-bomber.)
2. A grand rayon d’action.
3. Agissant en liaison avec les forces de Terre.
4 . Bordpiegersfafieln, ou hydravions distribués deux par deux à bord des cui-
rassés, croiseurs, etc.
5 . Fliegerführer zur besondere? Venvendung (général von Richthofen).
6. Karlheinz KENSe t Heinz J. NOWARRA, Die rkutschen Flugzeuge, Munich,
1964.
7 . Ou Flieger-Divistonen. I r e F. D. :génbrai Grauert: 20 F. D. : général Lœrzer;
3e F. D. : général Putzier; 4 e F. D. : général Keller; 5e F. D. :général von Greim;
6e F. D. : gbnéral Dessloch.
ô. V I P Flieger-Division (ghéral Student).
9. LuffWaffen-~r-DivisioB(général Forster).
I O . Marinegruppe W e t , chargé de la sécurité des approches de la mer du Nord.
11. Marinegruppe O&, chargé de la sécurité des approches de la merBakique.
12. Flottenkommando Kiel.
134 EISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

dont dépendent :
1. L e Commandant des bâtiments cuirassés,
2. L e Commandant des Forces de reconnaissance,
3. L e Chef des torpilleurs (Zerstorer),
4. L e Chef des vedettes rapides (Schnellboote),
5. L e Chef des sous-marins (capitaine de vaisseau Donitz).
Les forces de haute mer comprennent :
2 croiseurs de bataille :
L e Scharnhorst (31.800-38.900 t.) l,
L e Gneisenau ( i d . ) .
3 cuirassés dits cuirassés de poche :
L’Admira1 Graf Spee (12.100-16.200 t.),
L’Admira1 Scheer ( i d . ) ,
L e Deutschland (11.700-15.900 t.).
2 croiseurs lourds :
L’Admira1 H i p p e r (13.900-18.600 t.),
L e Bliicher (id.).
6 croiseurs légers :
L e Niirnberg (6.980-8.280 t.),
L e L e i p z i g (6.710-8.290 t.)’
L e K o l n (6.650-8.130 t.)’
L e Karlsruhe ( i d . ) ,
L e Konigsberg (id.)’
L’Emden (5.600-6.990 t.).
2 navires-école a :
L e Schlesien (12.100-14.900 t.),
Le Schleswig-Holstein (id.).
21 contre-torpilleurs, 11 torpilleurs, 32 dragueurs de
mines, 30 sous-marins côtiers, 27 sous-marins de haute
mer et 17 vedettes rapides.
A ces unités viendront s’ajouter, en 1941 et 1942, trois
autres bâtiments actuellement en chantier :
1. Le premier chiffre indique le deplacement reel; le second, le déplacement en
charge, avec le plein complet de combustible, de munitions et d’approvisionne-
ments.
2. Bateaux anciens entrés en service en 1906.
L’HEURE DES DICTATURES 135
2 cuirassés de bataille :
Le Tirpitz (42.900-52.600 t.),
Le Bismarck (41.700-50.900 t.) l.
1 croiseur lourd :
Le P r i n z Eugen (14.800-19.800 t.).
t
c c

Mais derrière cette structure imposante tout n’est pas


aussi parfait qu’il le paraît sur le pa ier. Bien des points
faibles subsistent, qui préoccupent 1’l! tat-Major allemand.
Cette machinerie est trop compliquée pour ne pas engendrer
des rivalités de services et des enchevêtrements de compé-
tences. Même après le départ du général Beck, l’O. K. H.
ne subira pas sans impatience la tutelle de l’O. K. W. et
le général Warlimont sera sévère pour les déficiences du
Wehrrnachtführungstab z. Le refus d’Hitler de tenir les mili-
taires informés de ses décisions politiques les mettra plus
d’une fois dans de graves embarras. I1 n’y a pas de plans
opérationnels contre la France et l’Angleterre (en dehors
des mesures défensives prévues dans le Plan VERT);pas de
plan d’opérations contre la Pologne, avant le 3 avril 1939
(Plan BLANC); le stockage des vivres est nettement insufi-
sant il en est de même pour certaines matières premières
stratégiques, comme le fer et le manganèse, dont l’industrie
sidérurgique allemande importe 80 yo de l’étranger 4. L‘in-
sertion des unités de Waffen-S.S. dans l’Armée de terre5,
l’adaptation de l’industrie aux exigences de l’économie de

1. Au moment de son entrée en service, en 1941, le Bismarck sera le navire de


guerre le plus puissant de son époque, à l’exception des deux mastodontes japo-
nais de 63.600 tonnes, le Yamato et le Musashi. (Voir vol. IV, p. 45.)
2. Général Walter WaRLImoNT, I m Hauptquartier der Deutschen Wehrmacht,
p. 24 et s.
3. Déposition du générai JODL, Tribunal militaire international de Nuremberg,
XV, p. 385.
4. L. P. LOCHNER, Die Mdchtigen und der Tyrann, p. 226.
5 . L’Ordonnance d’Hitler du 17 août 1938, relative au recrutement, à I’instnic-
tion et à I’ernploi des S. S. traduit bien le caractère spécial de ces formations.
a En cas de mobilisation a, y lit-on, e ils [&s S. S.]se trouvent placés sous l’autorité
du Commandant en c h f de 1’ArmL. Ils sont incorporés à 1’Armee de terre [Kriegsheer]
et sont soumis exclusivement aux lois et règlements en vigueur dans l’Armée, tout en
demeurant un organismc politique de la N . S. D . A . P.
a En cas d‘utilisation à l’intérieur [du Reich], ils agissent selon mes directivea.
Dana ce cas, ils sont soumis d l’autorité du Reichaführer S. S. et chel de la Police
allemands [ifimmkr].m (DOMARUS, Hiller, I, p. 881-882.)
136 HISTOIRE DE L ’ A R M J ~ E ALLEMANDE

guerre 1, les rivalités entre organismes du Parti et services


de l’État posent beaucoup de problèmes où les questions
de personne jouent un rôle au moins aussi important que
leurs aspects techniques a.
Certes, le matériel est ultra-moderne. Mais les pneus des
camions et les joints des moteurs d’avion sont en caoutchouc
artificiel. Au lieu d‘être en soie, l’étoffe des parachutes est
en rayonne. Les chars et les avions marchent au carburant
synthétique 3. Comme l’a fait remarquer le général Halder :
a Notre véritable réarmement n’a commencé qu’après le
déclenchement des hostilités. Nous sommes entrés en guerre
avec 75 divisions; 60 yo de la population en âge de porter
les armes n’avait pas encore reçu d’instruction militaire*. ))
Une observation similaire s’applique à la Luftwaffe, où
la leçon des chiffres est particulièrement éloquente. Sur les
4.303 appareils dont elle dispose, seuls 2.775 sont suscep-
tibles d’être engagés en première ligne 5. Au point où elle
en est de son développement, l’Armée aérienne allemande
n’est adaptée qu’à une guerre courte, limitée à un seul front.
A !a fin du mois de mai 1939, le colonel Jeschonnek, chef
d’Etat-Major général de la Luftwaffe, a dit à ses collègues,
au cours d’une conférence militaire : (I Messieurs, ne nous y
trompons pas! Chaque Etat cherche à surpasser l’autre dans
...
le domaine des armements aériens Toute avance technique
finit par être rattrapée. Mais il y a la tactique aérienne. Là,
tout est s i jeune et si neuf! C’est dans ce domaine qu’il peut
nous venir des idées qui nous assureront la suprématie sur
nos adversaires 6. O
Même son de cloche en ce qui concerne la Marine :N De 1933
à 1938 »,dira l’amiral Ræder, (( nous n’avions établi aucun
plan tendant à la construction d’une flotte de haute mer
1. Le passage de l’industrie de paix à l’industrie de guerre devra être l i t t é
ralement improvisé aprés le déclenchement des hostilités, car il n’existe ni pros-
pectives, ni plans de coordination, ni normalisation des types. (Bilan2 dea Zweiten
Weltkrwges, p. 272.)
2. Le fait que Gœring est Fifardchal, joint à la place qu’il occupe au premier
rang du Parti, l’amèneront à prendre ses directives d’Hitler lui-même, en passant
par-dessus la tête de l’O. K. W.; voire même B faire alliance avec Keitel, contre
Brauchitsch e t Halder.
3. Il est aussi riche en octane que l’essence naturelle, mais use plus rapide-
ment les moteurs. La même constatation s’impose en ce qui concerne les lubri-
fiants synthétiques.
4. Peter BOR, Geaprüch mit Halder, p. 128.
5. Selon les États journaliers etablis par le colonel Hans-Georg von Seidel,
QuartierMaître générai de la Luftwaffe.
6. Cf. Cajus BEKXER,Angriflehdhe 4.000, p. 17-18.
L’HEURE DES DICTATURES 137
capable de rivaliser avec celle de l’Angleterre. Nos 2 croiseurs
de bataille et nos 3 cuirassés légers avaient en face d’eux
22 bâtiments similaires français et anglais. Nous n’avions
pas un seul porte-avions, alors que nos adversaires en possé-
daient 7. A nos 2 croiseurs lourds correspondaient 22 croi-
seurs alliés de la même catégorie. La proportion était de 6
contre 61 pour les croiseurs légers; de 33 contre 255 pour les
torpilleurs »,et de 57 contre 135 pour les sous-marins a.
Ces derniers »,déclarera Donitz à Ræder en juin 1939,
(( auront à supporter tout le poids de la guerre sur mer. Or, ils

ne pourront infliger à l’Angleterre que des piqûres d’épingle 3. D


Tous ces faits amèneront Ribbentrop à déclarer devant le
Tribunal de Nuremberg :(( L’histoire devra me croire lorsque
j’afirme que si nous avions voulu déclencher une guerre
générale, nous l’aurions préparée un peu mieux que cela 4! n
Soumettant toutes ces données à une analyse rigoureuse,
un homme d’une autorité aussi incontestée que Liddell-Hart
en a déduit : (( Croire que les victoires remportées par les
Allemands durant les phases initiales de la guerre ont été
dues à une supériorité écrasante des effectifs et du matériel
est une des grandes illusions des historiens contempoyains. En
1939, la Wehrmacht n’était nullement prête à faire la guerres.
Après ces opinions négatives, écoutons ce que nous dit
Kurt von Tippelskirch qui, lui aussi, fait autorité : (( Sans
doute »,écrit-il, (( notre armée de 1939 n’était pas exempte
de bien des imperfections. Elle n’était certainement pas
prête au sens absolu et superlatif que les Êtats-Majors
donnent à ce mot. Mais elle n’en avait pas moins un certain
nombre de qualités qui ne devaient se révéler pleinement
que sur les champs de bataille. Dans l’ensemble, l’armée
allemande était mieux équipée, mieux organisée et mieux
instruite que toutes les armées adverses 6. La supériorité de
son organisation et de son armement provenait de ce qu’elle
était une armée neuve et de ce que le Gouvernement avait
dégagé des ressources extraordinaires pour les consacrer à
sa reconstruction. Dès le temps de paix, les effectifs des divi-
1. Erich RRDER,Mein Leben, II, p. 172-173.
2. Bilanz des Zweiten Wettkrieges, p. 118.
3 . Kriegstagebuch des Oberkommandos der Wehrmacht 1940-1945, I, p. 229 E.
6. Documents du Tribunal militaire international de Nuremberg, XXII, p. 426.
5. Liddell HART, The Military Rm’ew, article reproduit dans la Nafion&
Rundschau, no 36, 7 septembre 1957, p. 9.
6 . De cette époque. Il ne faut jamais comparer la situation de 1939-1942 avec
celle de 1943-1945, oil l’état des armements mondiaux n’était i n v e d .
138 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

sions d’active atteignaient presque le niveau des effectifs du


temps de guerre. Leur équipement était plus moderne et plus
diversifié que celui des nations voisines 1. Par la création des
divisions blindées e t des divisions légères motorisées, 1’Alle-
magne s’était lancée hardiment dans une voie révolutionnaire
où les autres pays ne devaient la suivre qu’avec hésitation,
ou pas du tout. En somme, notre armée était à la hauteur
des tâches correspondant aux premières phases de la
guerre et elle allait s’en acquitter d’une façon qui devait
la surprendre elle-même a.
Où est la vérité, parmi ces témoignages contradictoires?
Elle n’est pas -
comme il arrive souvent -
à mi-chemin
des deux, mais dans leur superposition, car ces diverses a E r -
mations ne sont contradictoires qu’en apparence. Ce qu’on
découvre alors est d’un intérêt capital. Car si l’état de la
nation a constamment déterminé la structure de l’Armée,
ici, la structure de l’Armée nous dévoile les conceptions
politiques et stratégiques de ses dirigeants.
E n 1939, le Reich est formidablement armé pour une guerre
courte et localisée contre u n seul adversaire; il ne l’est nullement
pour une guerre de longue durée, contre une coalition mondiale3.
Or,cette coalition mondiale (qui était la hantise du général
Beck 4), Hitler ne la fait pas entrer en ligne de compte, soit
qu’il la tienne pour imprgbable, soit qu’il se croie en mesure
d‘abattre chacun de ses adversaires éventuels, l’un après
l’autre en une sorte de combat d‘Horace contre les Curiaces 5.
1. Elle aurait pu l’être encore bien davantage, si 1’0. K. W.avait eu plus de
confiance dans les travaux des savants allemands, puisque Hahn e t Strassrnann
avaient réussi la première fission nucléaire, que le premier chasseur ti réaction
a volé en Allemagne avant septembre 1939 (Cajus BEKKBR, Angriflshlihe 4.000,
(p. 447),et que l’expérimentation de fusées A3 e t A5 était déjà très poussée.
(Ernst KLEEe t Otto MERCK, Les Pionniers de l‘Espace, p. 44 e t S.)
2. Kurt von TIPPELSKIRCH, Geschichte des Zweiten Weltkrieges, p. 7-8. Cette
constatation rejoint l’axiome d’Hitler : a C‘est en combattant qu’une armée
se forge. Elle n’atteint jamais le maximum de sa puissance dans le silence
des bureaux, mais dans le fracas des champs de bataille. César n’a pas gagné
la bataille de Pharsale avec son armée des Gaules; ni Napoléon, Austerlitz
avec l’armée d’Italie; ni Foch la guerre de 1918 avec l’armée de 1914. Si
notre État-Major n’est pas capablc d’en faire autant avec le matériel humain
dont il dispose, c’est qu’il n’est pas 8. la hauteur de sa réputation. a
3. Cette vérité a été mise en évidence par l’historien russe A. M. Nekritsch :
a L’Allemagne hitlérienne ne pouvait faire qu’une guerre courte, e t contre un seul
adversaire à la fois B, é c r i t 4 dans Politika angliskowo imperialisma w ewope,
Moscou, 1955, A c d m i e des Sciences de VU.R. S. S., p. 436. (Voir égaiement
Hanson W. BALDXN, Hitler’s Power in 1939, New York Times,9 mai 1948.)
4. Voir vol. V, p. 270.
5. a La force militaire dont disposait le Reich D, écrit Grégoire Gafenco, Ilui
donnait un net avantage sur tous lea Etats voisins, e t cet avantage ne pouvait
L’HEURE DES DICTATURES 139
Le fait qu’aucun plan opérationnel n’existe contre la
France et l’Angleterre, qu’aucune stratégie à l’échelon conti-
nental n’a été mise au point pour la Luftwaffe et que la
construction d’une flotte de haute mer n’a pas été plus
poussée, démontre en outre que la Wehrmacht envisage
une guerre sur terre, non sur mer, et qu’en conséquence
cette guerre est orientée vers l’est, non vers l’ouest.
Enfin la Wehrmacht de 1939 est à l’image de l’économie
allemande. C’est l’armée d’une nation dépourvue de matières
premières - blé, fer, manganèse, caoutchouc, pétrole, cui-
vre, wolfram, etc., - qui est obligée de s’en tirer avec les
moyens du bord et qui ne pourra acquérir les ressources qui
lui manquent, si la guerre se prolonge, qu’en se livrant
à une série d’offensives fulgurantes pour s’approprier les
régions capables de lui en fournir : la Norvège pour le fer
et le bois; la Roumanie pour le pétrole; le bassin du Donetz
pour le fer, le charbon, le manganèse; la Caspienne pour le
pétrole; l’Ukraine pour le blé. Comme le dira très justement
Keitel : (( L’Amérique possède un poumon d’acier : Detroit,
Chicago et le bassin du Mississipi; la Russie aussi :le Donetz,
la Caspienne, l’Oural et la Sibérie; l’Angleterre a également
le sien : le Canada et l’Australie. Tout ces territoires sont
hors de portée des canons ennemis. L’Allemagne, elle,
n’a pas cet avantage, parce qu’elle manque d’espace. En
dehors de la Ruhr, qui est très vulnérable puisqu’elle se
trouve à une demi-heure de vol de ses frontières, elle n’a
que des ressources limitées et pas de territoires lointains
pour lui en fournir. Elle est donc perpétuellement condam-
née à l’offensive. Pour pouvoir respirer, il lui faut aller
de l’avant 1. ))
En somme, le Reich est un guerrier revêtu d’une cuirasse
impressionnante, mais qui risque l’asphyxie s’il ne l’emporte
pas rapidement. Cette nécessité -
qui est à la base dc la
politique d’expansion d’Hitler -
déterminera également
les grandes options de sa stratégie.
plus être neutralisé ai le Reich agissait à temps. I1 fallait par conséquent que
sa diplomatie poursuivît un double but : elle devait, d’une part, empêcher par
tous les moyens la collusion des grands empires, capables de former plusieurs fronts
de combat et prdparer, d’autre part, une action precise et rapide qui pût s’accom-
plir pendant que l’avantage de la force était encore du cdté allemand. n (Derniers
Jour8 de (’Europe, p. 73.)
1. Déclarations du Maréchal Keitel à l’auteur, décembre 1941.
2. Voir vol. IV, p. 288.
TROISIÈME PARTIE

LA CRISE GERMANO-POLONAISE
XII

LONDRES E T PARIS S’EFFORCENT


DE DRESSER UN NOUVEAU BARRAGE
A L’EST
(16-31 mars 1939)

Étant donné la cadence haletante des événements et la


montée vertigineuse des armements du Reich, chacun se
sent entraîné dans une aventure dont il se demande ce que
contiendra le prochain chapitre. (( De toute façon n, se dit-on,
u Hitler ne va pas en rester là. I1 n’a pas rassemblé entre ses
mains toutes les énergies d’un pays de 80 millions d’habi-
tants pour demeurer immobile. n Mais dans quelle direction
va-t-il porter ses regards? Comme l’extension de l’influence
allemande dans le bassin danubien a été très rapide au cours
de ces derniers mois, la plupart des observateurs s’accordent
pour déclarer que sa prochaine poussée sera en direction des
Balkans.
Lord Halifax le croit également. C’est pourquoi il estime
nécessaire de prendre lui-même en main la direction de la
diplomatie britannique, car Chamberlain est démoralisé par
l’échec de sa politique de conciliation l. Un redressement
énergique s’impose d’autant plus qu’un vent de révolte
1. a Je resterai marqué par Munich jusqu’à la Fin de mes jours i-, dit-il à cette
époque. a Mes ennemis soutiendront que ma politique a expiré dans l’ignominie
et que ma crédulité a détruit la démocratie en Tchécoslovaquie, comme elle l’a
fait en Espagne. a I1 se sent désemparé comme s’il y avait deux hommes en lui :
celui que les foules continuent à acclamer où qu’il aille, et celui qui se rend à la
Chambre des Communes pour entendre le flot d’injures que l’on y déverse sur
lui. I1 lui arrive alors de se dire : a Celui-là est le vrai. D Ces jours-là, il se sent
découragé et seul. (Keith FEILING,The Life of Neville Chamberlain, p. 401-
402.)
144 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

soume sur la Chambre des Communes. L’existence même du


Cabinet est menacée. Non seulement le Parti travailliste se
déchaîne contre lui, mais les Libéraux montrent les dents.
De plus, le groupe Churchill-Eden a déposé une motion de
censure qui a recueilli la signature de trente membres dis-
sidents du Parti conservateur. Cette motion viendra en
discussion le 28 mars 1939 l. Si un coup de barre vigoureux
n’est pas donné dans l’intervalle, le Cabinet risque fort
d’être mis en minorité.
Par ailleurs, Lord Halifax, toujours très attentif à ce qui
se passe à Washington, redoute que les relations anglo-amé-
ricaines ne se détériorent encore plus s’il ne fait rien pour
y remédier. Roosevelt ne l’a-t-il pas averti, dans la nuit
du 14 au 15 mars (( qu’un fort courant antianglais se déve-
lopperait rapidement aux États-Unis, si l’Angleterre n’adop-
tait pas une politique résolument antiallemande I)? N’a-t-il
pas ajouté que si la Grande-Bretagne ne s’y décidait pas,
elle ne devrait plus compter sur l’aide américaine »? Même
s’il n’y était pas déjà décidé, tout inciterait le chef du Foreign
Ofice à mettre un cran d’arrêt aux ambitions hitlériennes.
Pour cela, il n’y a qu’une solution : reconstruire rapide-
ment un barrage à l’est, maintenant que le bastion tchéco-

1. Keith FEILINO, Id., ibid.


2. ALLEN et PEARSON, Washington Times Herald, 14 avril 1939. Giselher
Wirsing attache la plus grande importance à ce message. (Cf. Rooseuelt et l‘Eu-
rope, p. 268-271.) Il ne figure pas dans les Archives officielles et certains auteurs
américains en contestent I’antbenticité. (Cf. Friedrich LENZ,Nie W i d e r Mün-
chen I , I, p. 160-161.) Toutefois, on trouve ce passa e significatif dans le Journal
de Forrestal, l’ancien secrétaire à la Défense des ttats-Unis :
u 27 décembre 1945 : Joué au golf avec Joe [Joseph Kennedy]. L’ai interrogé
sur ses conversations avec Roosevelt et Neville Chamberlain à partir de 1938.
I1 m’a dit que la position de Chamberlain en 1938 était que l’Angleterre n’avait
rien pour combattre et ne pouvait pas risquer une guerre avec Hitler. Point de
vue de Kennedy : a Hitler aurait combattu la Russie sans entrer en conflit avec
a l’Angleterre si Bullitt n’avait &pété sans cesse à Roosevelt, durant tout l’été
a de 1939, que les Allemands devaient être stoppés net dans l’affaire polonaise;
a jamais la France, ni l’Angleterre n’auraient fait un casus belli de la Pologne,
(I sans les perpétuels coups d‘épingle de Washington. Bullitt passait son temps

a à dire à Roosevelt que les Allemands ne se battraient pas; Kennedy, qu’ils se


a battraient et submergeraient toute l’Europe. Chamberlain, déclare-t-il, lui a
a affirmé que l’Am6rique et les Juifs du monde entier avaient contraint l’Angle-
u terre à la guerre. Dans ses conversations téléphoniques avec Roosevelt durant
rl’été de 1939, le Président lui répétait sans cesse de pousser le fer dans les
E reins de Chamberlain. I1 [Kennedy] lui répondait que cela ne servait à rien
à moins que les Anglais n’eussent eux-mêmes du fer pour combattre, et ils n’en
a avaient pas.. .D
I I1 y a indiscutablement quelque chose de fondé dans l’opinion de Kennedy
selon laquelle l’attaque d’Hitler aurait pu être détournée sur la Russie. B (The
Forrestal Diaries, New York, 1951, p. 121-122.)
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 145
slovaque a sauté. Ce barrage ne peut être constitué que
par la Pologne et la Roumanie, avec, en seconde ligne, la
Grèce et la Turquie l. Barrage fragile, objectera-t-on. Certes.
Ni l’Armée polonaise, ni l’Armée roumaine ne sont de taille
à endiguer longtemps les entreprises de la Wehrmacht si elles
ne sont pas épaulées par 1’U. R. S. S. Pour rendre cet endigue-
ment plus dificile encore, Bucarest et Varsovie entretien-
nent depuis quelque temps des relations amicales avec Ber-
lin. Elles n’adressent plus aucune demande aux Puissances
occidentales, de crainte d’attirer sur elles les foudres alle-
mandes. I1 s’agit donc de les amener à durcir leurs posi-
tions, à refuser de s’incliner devant les exigences d’Hitler,
et même à lui résister par les armes si celui-ci fait mine de
vouloir les attaquer. En théorie, c’est facile. Mais prati-
quement, comment y parvenir? C’est ce que se demandent
avec perplexité Halifax et Vansittart, lorsqu’une démarche
inattendue de M. Virgil Tilea, ministre de Roumanie à
Londres, vient à point nommé pour les tirer d’embarras z.
Le 16 mars 3, M. Tilea se présente à Downing Street. I1
est très agité et déclare qu’il a une communication urgente
à faire. I1 est immédiatement reçu par M. Orme Sargent,
l’adjoint de Sir Alexander Cadogan.
M. Tilea lui explique que - bien que sa démarche ait
un caractère strictement personnel et qu’il n’en ait pas été
chargé par son Gouvernement - il a tout lieu de croire que
l’Allemagne vassalisera rapidement la Hongrie. Après quoi,
de concert avec Budapest et Sofia *, elle procédera au démem-
1. L a Bulgarie et la Hongrie sont trop inféodées à l’Axe pour que l’on puisse
eompter sur elles. Quant à la Yougoslavie, son économie est devenue tributaire
de l’industrie allemande. (Voir plus haut, p. 97, n. 3.)
2. Cette démarche tombe d’une façon SI opportune, elle correspond si par-
faitement aux préoccupations anglaises, que certains auteurs se sont demandé
si elle n’avait pas été provoquée par le Foreign Onice lui-même. Cela reste à
prouver. Toutefois P. H. NICOLL, dans son livre : Englands War against Germany,
affirme avoir vu des documents prouvant que la démarche de Tilea aurait été
précédée par des entretiens secrets entre lui et Vansittart, au cours desquels des
commissions lui auraient été promises sur toutes les commandes d’armes passées
par la Roumanie à l’Angleterre. Interrogé sur ce point après la guerre, Tilea se
bornera à répondre :E J’ai agi sur un coup de téléphone venu de Paris. I)
3. C’est-à-dire le lendemain de l’occupation de Prague, avant même que Cham-
berlain ait prononcé son discours de Birmingham (17 m a n au soir). Rappelons
que ce discours a été rédigé par Halifax et que Chamberlain éprouvait quelque
hésitation à le prononcer, car il savait qu’il sonnait le glas de sa politique de
conciliation. Les déclarations de M. Tilea, dont Halitax l’a informé, ont contribué
à lever ses derniers scrupules.
4. Le Hongrie &clame à la Roumanie la restitution de la Transylvanie et
de la Bucovine; la Bulgarie, celle de la Dobroudja mdndionale.
VI 10
146 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

brement de la Roumanie et transformera ce pays en Protec-


torat, comme elle vient de le faire pour la Slovaquie.
- (( A la faveur des négociations commerciales en cours »,

poursuit-il, (( le Reich a formulé des exigences si exorbitantes


que toutes les ressources roumaines passeront sous son
contrôle l, Que fera l’Angleterre si la Roumanie refuse de
s’incliner et se trouve, de ce fait, victime d’une agression?
Viendra-t-elle à son secours? Serait-elle au moins dispo-
sée à lui consentir un prêt de dix millions de livres sterling
pour lui permettre d’acheter - ailleurs qu’en Allemagne -
le matériel militaire dont elle a u n besoin urgent 2 ? Le
temps presse. C’est une affaire de semaines, peut-être de
jours S... ))
- (( Ce que vous me dites là est d’un intérêt capital I),
lui répond M. Sargent. (( J’en ferai part aujourd’hui même
à Lord Halifax. D
Le lendemain, 17 mars, Tilea est convoqué en fin d’après-
midi au Foreign Office 4. Cette fois-ci, il est reçu par Lord
Halifax en personne. Mais le ministre britannique des Affaires
étrangères n’est plus l’homme qui, il y a quelques jours
encore, écoutait les rapports des ambassadeurs avec un
flegme imperturbable. Son regard est tendu, ses sourcils
sont froncés et ses poings se crispent par moments, comme
s’il voulait frapper un ennemi.
Tilea l u i répète ce qu’il a dit la veille à M. Orme Sargent.
- (( I1 serait de la plus haute importance »,ajoute-t-il,
1. Les milieux financiers de la City ont, en Roumanie, des intérêts beaucoup
plus Considérables qu’il n’en ont jamais eu en Tchécoslovaquie, notamment dans
les pétroles, les banques et l’industrie du bois.
2. La Roumanie a passé un accord avec la Tchécoslovaquie portant sur la
livraison d’armements équivalant à l’équipement complet de quatre divisions.
Depuis l’occupation des usines Skoda par les troupes allemandes, ces livrai-
sons ont été bloquées.
3. Cf. Documents on British Foreign Policy, IV, no 298.
4. Vers 15 h. 30, juste avant de se rendre à Downing Street, Tilea va voir
M. Joseph Kennedy, ambassadeur des Etats-Unis à Londres, pour lui raconter
son histoire e t lui dire : a J e vais de ce pas au Foreign OfFce pour poser trois
questions ti Lord Halifax :10 L’Angleterre est-elle disposée à intervenir? 20 Est-
elle décidés à tirer une ligne au-delà de laquelle il sera interdit à Hitler d’avancer,
et cette ligne inclura-t-elle non seulement la Turquie et la Grèce, mais la You-
goslavie e t la Roumanie? 30 Si la Roumanie résiste par les armes, l’Angleterre
la soutiendra-t-elle? u Tilea ne prononce pas le mot ultimatum, mais il ajoute :
a I1 y a huit ou dix jours, l’Allemagne a posé au Gouvernement de Bucarest des
exigences économiques telles, que leur acceptation équivaudrait à la fin de la
Roumanie. II (Rapport de W.Kennedy à M . Cordell Hull, Foreign Relations of
the United States, I, no 72.) M. Tilea se livre à des démarches similaires auprès
de M. Hore Belisha, ministre de la Défense, e t du Premier Lord de l’Amirauté.
(L.-B. NANIER, Prelude dipiornatique, Londres, 1948, p. 102 et S.)
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 147
a que, devant le véritable ultimatum posé par l’Allemagne
à la Roumanie, le Gouvernement de Sa Majesté précise la
nature de l’assistance qu’il serait prêt à lui accorder, au cas
où celle-ci serait victime d’une agression. Sa volonté de résis-
tance serait grandement accrue si elle savait que la France
et l’Angleterre faisaient bloc derrière elle. Dans ce cas, il
serait encore possible de redresser la situation. Mais, je le
répète : le temps presse. Ce n’est plus qu’une question de
jours l. N
Lord Halifax écoute M. Tilea avec un intérêt manifeste.
Mais comment se fait-il (ce qui est surprenant) qu’il prenne
ses déclarations au pied de la lettre, sans songer à en
vérifier l’exactitude à Bucarest 2 ? Comment se fait-il (ce
qui est plus surprenant encore) qu’il ne se dise pas que
la Roumanie et l’Allemagne n’ont pas de frontière com-
mune, que 480 kilomètres les séparent l’une de l’autre et
qu’avant de pouvoir attaquer la Roumanie, la Wehrmacht
devrait traverser tout le territoire hongrois?
C’est que les propos de M.Tilea vont trop exactement dans
le sens de ses propres désirs pour qu’il ne soit pas tenté de
les exploiter à fond. I1 se dit qu’en s’en servant pour déclen-
cher une crise internationale, il créera une atmosphère de
tension, voire même de panique parmi les États de l’Est
européen, qui lui permettra de ressusciter 9 chaud, et SOUS
forme d’alliance, la (( sécurité collective n qui s’était étiolée
dans la morne tiédeur des bureaux genevois.
- (( L’Angleterre ne demande pas mieux que de soutenir

la Roumanie dans ses efforts pour résister aux exigences


d’Hitler »,répond Halifax. (( Mais votre pays est éloigné.
Étant donné l’urgence et la difficulté d’assurer les communi-
cations à travers la mer Noire, le mieux serait de lui trouver
un allié plus proche : la Pologne, par exemple. Les deux pays
ont une frontière commune; ils sont d’accord sur bien des
points 3. Si l’Angleterre donnait sa garantie à la Pologne,
nul doute que celle-ci ne garantisse la Roumanie. ))
Tilea est un peu surpris par cette proposition. I1 était
1. Doeurnenis on British Foreign Policy, IV, no 395.
2. D’autant plus que M. Tilea a pris soin de souligner que sa démarche avait
un caractère a strictement personnel Y.
3. Notamment la crainte de l’Allemagne et la haine de la Russie. Tout récem-
ment encore, la Pologne a proposé à la Roumanie de partager la Ruthénie avec
elle, plutôt que de la laisser tout entière aux Hongrois. Cette solution aurait
eu l’avantage d’élargir leur frontière commune, ce qui leur aurait permis de mieux
SB défendre contre leur voisine de l’est. La Roumanie a préféré s’abstenir.
148 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

venu pour solliciter l’appui de l’Angleterre et voici qu‘on


lui offre... le soutien de la Pologne! 11 doute fort que
Varsovie se prête à aette combinaison. Mais il est prisonnier
des paroles qu’il a dites. I1 s’est trop engagé pour revenir
en arrière.
Aussitôt après le dé art de M. Tilea, Halifax téléphone
à Sir Howard Kennari, ambassadeur de Grande-Bretagne
à Varsovie, pour le prier de faire savoir au colonel Beck,
ministre polonais des Affaires étrangères, qu’il serait heureux
de le recevoir le plus rapidement possible à Londres, pour
s’entretenir avec lui de la situation internationale Puis,
entre 21 et 22 heures, le chef du Foreign OBce télégraphie
aux Missions anglaises à Ankara, Athènes, Belgrade, Paris,
Moscou e t Bucarest 2, pour les informer que l’Allemagne
a posé à la Roumanie des conditions si dures qu’elles équi-
valent à un ultimatum3 :(( Veuillez en avertir les Gouverne-
ments auprès desquels vous êtes accrédités »,leur dit-il,
(( et faites-moi connaître immédiatement leurs réactions. 1)

Le soir même, Sir Eric Phipps demande à parler de toute


urgence à Daladier. Celui-ci le reçoit à la Chambre des Dépu-
tés, où il y a séance. L’arrivée inopinre de l’ambassadeur de
Grande-Bretagne est vite connue et commentée avec inquié-
tude dans les couloirs du Parlement. Daladier convoque
immédiatement en Conseil les membres du Gouvernement.
Il leur annonce la décision anglaise de garantir les fron-
tières de la Roumanie et les raisons qui la déterminent. (( Le
jour où l’Allemagne sera maîtresse des pétroles roumains »,
explique-t-il, (( elle pourra faire la guerre à l’Europe tout
entière, car elle sera certaine de pouvoir tenir pendant des
années 4. n Le Conseil approuve ce point de vue à I’unani-
mité et accepte de s’aligner sur l’attitude anglaise S.
Tandis que les Missions britanniques à l’étranger sont
mises en état d’alerte, Sir Robert Vansittart s’emploie
à enfiévrer les esprits. I1 fait venir à Downing Street

1. Documents on Britkh Foreign Policy, IV, no 306.


2. II paraît étrange que Londres estime utile e d’informer D son représentant
à Bucarest de ce qui se passe en Roumanie. Et plus encore qu’il le charge e d’en
avertir n le Gouvernement roumain.
3. Documents on British Foreign Policy, IV, no’ 388-390. Le message à Ankara
est recoupé par un télégramme de M. Massigli à Georges Bonnet. ( D é l e m de
lu Pa&. II, p. 156.)
4 . Georges BONNET, La Défense de La Paix, II. p. 155.
5. &tant donné que la France a signé en 1926, un pacte consultatif avec la
Roumanie, il n’y a 18 rien d‘btonnant.
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 149
MM. Mac Donald et Gordon Lennox, rédacteurs diploma-
tiques du Times et du Daily Telegraph, pour leur dépeindre
en termes très sombres la menace qui pèse sur la Roumanie.
Afin de donner plus de poids à ses affirmations, il leur assure
que de forts mouvements de troupes allemandes ont été signa-
lés à l’est de Prague. Effrayés, MM. Mac Donald et Gordon
Lennox se précipitent à leurs bureaux pour rédiger leurs I

éditoriaux du lendemain l.
.+
* +
Le 18 mars au matin, le Times et le Daily Telegraph
publient la nouvelle 2. Aussitat, la radio retentit d’infor-
mations alarmistes où les mots (( ultimatum allemand ))
reviennent comme un leitmotiv. (( Plusieurs agences affir-
ment »? écrit Georges Bonnet, (( que le Gouvernement rou-
main, pris de peur, a abandonné à l’Allemagne toutes les
ressources d e son sol, au mépris des contrats en cours avec
l’Angleterre et avec la France S. 1) A Paris, comme à Londres,
l’émotion est à son comble. Machines à écrire et téléscrip-
teurs crépitent dans les salles de rédaction. Les cours de la
Bourse marquent un fléchissement inquiétant.
Vivement ému, Georges Bonnet convoque M. Tataresco,
ambassadeur de Roumanie à Paris, pour obtenir de lui
quelques éclaircissements.
- (( Ces nouvelles sont exagérées ü, lui répond M.Tataresco
en employant un euphémisme courant dans le langage diplo-
matique. (( Certes, depuis quelque temps, une mission écono-
mique allemande dirigée par le Dr Clodius est à Bucarest.
Elle a présenté tout d’abord,des conditions inacceptables;
les conversations ont continué sur une base plus raisonnable
et ont abouti à un accord commercial dont la signature est
prochaine. Aucune opération politique avec l’Allemagne n’y
est envisagée et il ne lui est accordé aucun monopole. Tous
les droits des autres nations, ceux de la France e t de l’An-
gleterre en particulier, sont sauvegardés 4. ))
A Bucarest, M. Gafenco, ministre roumain des Affaires
1. Norbert TONNIES, Der Krieg wr dem Kriege, p. 211-212.
2. Le Times, suivant sa coutume, en termes modérés; le Daily Telegraph en
termes vindents.
3. Georges BONNET,La DbfeBse de la Paix, II, p. 154,
4. Id., ibX
150 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

étrangères, est submergé de télégrammes affolés. I1 publie


sur-le-champ un démenti officiel :

(( Les conversations germano-roumaines se poursuivent d’une

jaçon absolument normale. Les nouvelles concernant un ulti-


matum allemand sont dénuèes de tout fondement. De pareil-
les allégations sont simplement ridicules1. n

Sir Reginald Hoare, ministre de Grande-Bretagne à Buca-


rest, dément lui aussi avec vigueur. I1 demande à son Gou-
vernement d’arrêter sa campagne radiophonique et surtout de
n’y faire aucune allusion dans ses communications officielles,
sous peine de nuire gravement au prestige de l’Angleterre 2.
Le roi Carol de Roumanie, interrogé de divers côtés 3, déclare
(( tout ignorer de l’affaire ».M.Günther, ministre des États-
Unis, télégraphie à M.Cordell Hull : (( M. Gafenco est furieux.
I1 attribue tout ce tintamarre à un excès de zèle de M. Tilea.
I1 l’a sévèrement réprimandé et le rappellerait volontiers de
Londres, s’il ne craignait d’indisposer Lord Halifax 6. )) Le
ministre de France en Yougoslavie informe le Quai d’Orsay
(( que les demandes allemandes n’ont jamais revêtu la forme

d’un ultimatum 13 ». M. Potemkine oppose à l’ambassadeur


de Grande-Bretagne à Moscou un scepticisme absolu 7. La
presse polonaise passe l’affaire sous silence 8. Quant au
colonel Beck, il se borne à déclarer à Sir Howard Kennard :
- J’ai peine à croire que le ministre de Roumanie à
Londres ait vraiment tenu les propos qu’on lui prête 9! n
1. Documents on British Foreign Policy, IV, no 399.
2 . Id., IV, no 397.
3. Notamment par M. Fabricius, M. Arciszewski, e t Sir Reginald Hoare res-
pectivement ministres du Reich, de Pologne et de Grande-Bretagne à Bucarest.
(En ce qui concerne ce dernier, voir Documents on British Foreign Policy, IV,
p. 443.)
4. Deutsche Aussenpolitik, VI, no 30.
5. Foreign Relations of the United States, 1939, I, p. 74 et s. Invité par Gafenco
à s’expliquer sur son attitude, Tilea lui répondra : u J’ai simplement cherché à
me rendre utile. J’ai été envoyé à Londres avec mission d’amener l’Angleterre
à nous consentir un prêt de 10 millions de livres sterling. J e me suis efforcé de
l’obtenir à la faveur de l’émotion générale. B
6. Georges BONNET,La Défense de la Paix, II, p. 158.
7 . Documents on British Foreign P o l i y , IV, no 389.
8. Les journaux polonais ne soufflent pas mot de l’affaire avant le 1 8 mars. Ils
n’en parlent que très peu les jours suivants. (Voir CZAS, Gazeto Polska, etc.)
9. Documents on British Foreign Policy, IV, nos 390-400. Beck fait à Kennard
un tableau tout différent de la situation, e t lorsque le ministre de Grande-Bre-
tagne lui parle d‘une alliance polono-roumaine, Beck l’écoute a sans manifester
le moindre intérêt D.
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 151
Une telle cascade de démentis va-t-elle refroidir l’ardeur
de Lord Halifax? Nullement. Malgré les protestations de Sir
Reginald Hoare, il ne demande pas à la presse anglaise de
rectifier son tir, ni à la radio de baisser le ton. I1 laisse l’une
et l’autre se déchaîner de plus belle, car toute cette agitation
crée une atmosphère propice à la réalisation de son projet
Mais Chamberlain s’en alarme. Le Premier Ministre , qui
comptait passer le week-end à Birmingham pour yfêter son
soixante-dixième anniversaire en famille, rentre précipitam-
ment à Londres - où les cours de la Bourse se sont effondrés
- et réunit le Conseil des Ministres pour lui demander des
explications. On est en droit de penser que l’atmosphère
doit être à l’orage, car jyste avant le Conseil, Halifax fait
venir l’ambassadeur des Etats-Unis et lui dit :
- (( Si Hitler envahit la Roumanie, l’Angleterre ne res-
tera pas plus longtemps inactive. Le Gouvernement de Sa
Majesté doit savoir à quoi s’en tenir. Ou bien Hitler bluffe,
et alors il faut l’obliger à abattre ses cartes. Ou bien il ne
bluffe pas. Dans ce cas, il faut le mettre au pied du mur et
le plus tôt sera le mieux. D’ailleurs le discours que le Pre-
mier Ministre a prononcé hier à Birmingham nous oblige à
agir. Si M. Chamberlain s’y oppose avec trop de vivacité
ce sera la rupture entre lui et moi a. D
Le Conseil des Ministres délibère pendant deux heures
et demie. C’est une des séances les plus longues depuis
1919. Durant ce temps, la foule s’est massée dans Downing
Street. Elle guette les allées et venues des ministres et cherche
à lire sur leurs visages le degré d’acuité de la crise, car les
journaux du soir - renchérissant sur ceux du matin - ont
annoncé que l’entrée des troupes allemandes en Roumanie
était imminente.

1. Le 17 mare., Halifax charge Sir Ronald Lindsay, ambassadeur de Grande-


Bretagne à Washington, de faire part à la Maison-Blanche des déclarations de
Tilea, a bien que certains doutes se soient fait jour quant à la véracité de ses
dires D. Sir Ronald Lindsay n’in transmet pas moins le message à M. Cordell
Hull. (Documents on British Foreign Policy, IV, no 454.)
2. Rapport de l’ambaesadew Joseph Kennedy à M. Cordell Hull, 18 mara 1939.
740.00/630. Confidential File, MS. Deparfment of State.
Quelques jours plus tard (29 mars), Sir Alexander Cadogan demandera B brûle-
pourpoint à Jan Colvin, le correspondant du News Chronicle à Berlin. a Cela
ferait-il une bonne impression en Allemagne [c’est-à-dire sur les milieux allemands
antihitlériens] si Chamberlain passait immédiatement les pouvoirs à Lord Hali-
fax? B (Sunday Express, 8 novembrc 1953.) Durant cette quinzaine agitée, la ques-
tion, comme on le voit, était à l’ordre du jour.
152 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

Halifax expose sans ménagement son point de vue à ses


collègues :
- (( La politique de conciliation a fait faillite »,leur
dit-il. (( Elle a été enterrée à Prague et nul ne peut songer
à la ressusciter. I1 ne doit pas y avoir de Munich polonais.
Si l’Angleterre veut sauver la paix et empêcher Hitler d’ac-
complir un nouveau bond en avant, elle doit faire ce à
quoi elle s’est toujours refusée jusqu’ici : prendre des enga-
gements à l’Est de l’Europe et garantir les frontières de la
Pologne et de la Roumanie. Elle doit même aller plus loin
et renforcer cette coalition en lui adjoignant la Russie. Vous
me direz que cette politique s’inspire du projet de (( Grande
Alliance n préconisé par Churchill l. E h bien soit! Au point
où nous en sommes, il faut regarder les choses en face
e t inaugurer un chapitre nouveau dans notre histoire
diplomatique. Agir autrement serait assumer la responsa-
bilité d’un désastre. Si le Cabinet ne se sent pas disposé à
franchir ce pas, qu’il cède le pouvoir à d’autres qui le fran-
chiront à sa place! ))
Cette allusion à Churchill est comprise de tous. Mais Cham-
berlain n’a aucune envie de se démettre en faveur de son rival,
ni même de l’appeler à participer à son Cabinet 2. Pour éviter
une crise, et malgré sa répugnance à engager des pourparlers
avec Moscou, il finit par se rallier au point de vue d’Halifax.
Le chef du Foreign Ofice l’a emporté. I1 peut développer
sa manœuvre. Mais avant d’aller plus loin, il voudrait s’as-
surer que Tilea ne se rétractera pas. Pour cela, il charge
Sir Alexander Cadogan de le convoquer à Downing Street
et de lui faire subir un véritable contre-interrogatoire.
Tilea ne peut évidemment pas désavouer ce qu’il a dit
la veille. Mais il se montre tout à coup beaucoup moins afir-
matif.
- (( L’ultimatum allemand doit remonter à une dizaine de

jours »,répond-il. u Le Gouvernement roumain l’a repoussé,


1. a Tout, dans les mesures du Gouvernement B, remarque Gaienco, e rappe-
lait le projet Churchill. C‘était en consolidant les points les plus menacés : Pologne,
Roumanie, Balkans, que Halifax espérait conjurer la guerre. n (Derniers Jours
de l’Europe, p. 128.)
2. a Chamberlain n’avait jamais surmonté la dificuité qu’il éprouvait à colla-
borer avec un tempérament aussi différent du sien, écrit Keith Feiling, mais
1P n’était pas la question... *. S’il subsiste une possibilité quelconque d’arriver
a ti une détente avec les dictateurs B, disait-il, a je ne voudrais pas la compro-
a mettre en faisant un geste qu’ils considéreraient certainement comme un défi. I)
(TheLife of Neviüe Chamberlain, p. 406.)
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 153
mais la chose est certaine. J e tiens mon information d’une
source autorisée. J’ai téléphoné hier à notre ministre de
l’Économie. I1 m’a dit, en gros, que les conversations se
poursuivaient avec l’Allemagne, mais il n’a pas démenti la
réalité de l’ultimatum. ))
- N I1 ne l’a pas confirmée non plus ... )) remarque
Cadogan, subitement inquiet.
- c Oh, vous savez »,réplique le ministre de Roumanie,
(( il y a beaucoup de courants contradictoires dans la poli-

tique roumaine! Si vous voulez les écouter tous, vous n’y


comprendrez plus rien. Fiez-vous plutôt à l’adage : il n’y
a jamais de fumée sans feu! ))
Cadogan, dont le but n’est pas de savoir la vérité,- sans
quoi il s’adresserait directement à Bucarest, - mais sim-
plement de s’assurer que Tilea ne reviendra pas sur ses décla-
rations, se contente de cette explication. a Dans ces condi-
tions »,se dit-il, (( les deux versions doivent être bonnes.
L’ultimatum peut fort bien avoir été remis, puis retiré. Avec
un homme comme Hitler, il faut s’attendre à tout l. ))
D’autant plus que le lendemain, non seulement Tilea
continue à répandre son histoire dans les milieux parle-
mentaires - malgré le démenti de M. Gafenco - mais
M. Thierry, ambassadeur de France à Bucarest, lui apporte
un semblant de confirmation en annonçant que la Rou-
manie, qui s’attend d’un moment à l’autre à être envahie
par la Wehrmacht, est en train de mobiliser 2.
Comme l’histoire de l’ultimatum, celle de l’invasion alle-
mande ne repose sur rien 3. I1 n’y a aucune unité allemande
à proximité de la Roumanie 4. La vérité est q u e j a Honved
est en train d’occuper la Ruthénie 5, et que 1’Etat-Major
roumain, par mesure de précaution, a massé plusieurs divi-

1. Cf. Documents on British Foreign Policy, IV, no 428.


2. Voir la dépêche de M. Thierry dans Georges BONNET, La Défense de la Paix,
II, p. 156-157.
3. Elle démontre la nervosité dans laquelle sont plongés les diplomates à cette
époque et leur peu de soin à vérifier le bien-fondé de leurs informations.
4. Non seulement l’État-Major allemand n’a établi aucun plan de campagne
à cet effet, mais les unités allemandes stationnées le plus à l’est se trouvent à
la frontière de la Moravie e t de la Slovaquie, c’est-à-dire à 350 kilomètres de la
Roumanie. Encore sont-elles peu nombreuses (deux divisions, tout a u plus).
(Déclarations d u Marbchal Keitel à l’auteur.)
5 . Voir plus haut, p. 73 et s. Une offensive orientée d’ouest en est, en direction de
la Roumanie, à travers la Slovaquie e t la Ruthénie déjà impraticable en temps
normal, se heurterait en plus aux mouvements de l’armée hongroise, orieatés
du sud ou nord, dont les unités remontent vers la frontière polonaise.
154 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

sions en bordure de la frontière hongroise, pour éviter un


débordement du côté de la Bucovine.
Comment l’opinion publique ne serait-elle pas enfiévrée
par cette succession de nouvelles, toutes plus alarmantes les
unes que les autres et dont elle ne peut pas vérifier l’authenti-
cité? Mais Halifax considère cette fièvre comme un de ses meil-
leurs atouts. Décidé à battre le fer tant qu’il est chaud, il
prend la parole, le 20 mars, devant la Chambre des Lords, pour
annoncer que u le Gouvernement de Sa Majesté, tirant la
leçon des événements et décidé à barrer la route à des projets
ambitieux de domination universelle, est entré en consulta-
tion avec plusieurs gouvernements! pour leur proposer de
conclure un pacte en vertu duquel ils opposeront une résis-
tance commune à toute nouvelle menace contre un pays
européen ».
Le lendemain 21 mars, MM. Albert Lebrun et Georges
Bonnet arrivent à Londres pour une visite officielle. La
population leur fait un accueil chaleureux. Halifax montre
à Georges Bonnet son projet de Pacte collectif incluant la
Pologne, la Roumanie, la France et l’U. R. S. S. Le ministre
français des Affaires étrangères se félicite de voir l’Angleterre
consentir enfin à associer l’Union Soviétique à son système
de sécurité, car c’est le seul moyen de le rendre efficace 2.
N’a-t-il pas proposé lui-même une solution de ce genre à
M. Souritz, l’ambassadeur d’U. R. S. S. à Paris a?
Durant tout le séjour du Président de la République en
Angleterre, on parle peu de la Pologne, mais beaucoup de
la Roumanie. La presse et la radio ont rempli leur office :
nul ne conteste plus la réalité de l’ultimatum allemand. Bon-
net peut mesurer également l’évolution des esprits4. I1 serait
1. Le même jour, le Gouvernement britannique adresse une note aux Gouver-
nements de Paris, de Varsovie et de Moscou a les invitanl à se consulter sur les
mesures à prendre, au caa où une nouveüe action serait entreprise contre l’indé-
pendance politique d’un État européen B.
2. A la même époque, M. Gaienco constate, au cours d‘un voyage à Londres
a le soin méticuleux avec lequel Lord Halifax entend procéder à l’encerclement
de l’Allemagne *. (Derniers Jours de Z’Europe, p. 131.)
3. Vo’r plus haut, p. 81.
4. u Ah cours de ces trois journées de fêtes e t de réceptions D, écrit Bonnet,
a je mesurai l’évolution considérable qui s’&tait opérée dans les esprits depuis
noire dernière visite à Londres. Un an plus t6t, la majorité des hommes politi-
ques, des industriels, des financiers, des dirigeants de la presse était résolument
pacifiste. Les partisans de la résistance à tout prix, dût-elle conduire à la
guerre, représentaient en 1938 une minorité agissante, mais isolée dans I’ensem-
ble du pays. En ce début de printemps 1939, l’occupation de la Bohhe-Moravie
avait transformé l’atmosphère. A la soirée de Buckingham, l’élégante femme
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 155
exagéré de dire que les Anglais sont décidés à la guerre, mais
ils sont moralement prêts à relever le défi 1.
* c

Pendant ce temps, le Conseil des Ministres polonais, réuni


au Palais Brühl, à Varsovie, examine les propositions anglaises
concernant un Pacte collectif anglo-polono-russe.
- (( Bien que nous ayons réussi à maintenir jusqu’ici de
bonnes relations avec Berlin B, déclare le colonel Beck,
(( il serait imprudent de croire que cette accalmie durera tou-

jours. La menace allemande grandit. Les problèmes de


Dantzig et du Corridor ne vont pas tarder à se poser sous
une forme aiguë. Or, je suis décidé à ne céder sur aucun de
ces points. Pour cela, la garantie anglaise nous est d’un grand
secours, car seule la présence de l’Angleterre à nos côtés peut
faire réfléchir Hitler. En revanche, conclure un pacte avec
l’Union Soviétique est absolument impossible. J e ne m’expli-
que pas l’insistance des Occidentaux à vouloir enfermer dans
l a même cage, la poule et le renard. Conclure un pacte avec
1’U. R. S. S. serait non seulement provoquer la colère de
Berlin, mais préparer de nos propres mains un quatrième
partage de la Pologne. Une fois les Russes entrés chez nous,
ils n’en sortiront plus. ))
Les ministres polonais sont entièrement d’accord avec lui.
La seule idée de signer un pacte avec Moscou sufit à les
mettre hors d’eux 2. Aussi décident-ils, à l’unanimité, de
repousser le projet anglais.
d’un important fonctionnaire anglais me dit avec passion : a J’ai plusieurs
a fils que j’aime, mais je préférerais les voir mourir plutôt que d’accepter une
u Europe sous la domination d‘Hitler. Au cours de ces trois journées, j’entends
tenir plus d‘une fois des propos analogues. La poussée de l’opinion publique
avait été si violente que le cabinet britannique aurait été balayé si M. Neville
Chamberlain n’avait afirmé publiquement à Birmingham, le 17 mars, sa volonté
de s’opposer désormais aux entreprises allemandes. B (Lo Défense de la Pa&,
II, p. 164.)
1. Helmut Sündermann, l’adjoint du D‘ Dietrich, le chef des Services de Presse
du Reich, qui se trouve à Londres à peu près à cette époque, est frappé lui aussi
par le changement survenu dans l’opinion britannique depuis son voyage pré-
cédent, en 1937. a Partout a, écrit-il, a dans le métro, dans les restaurants, ailleurs
encore, la question que se posent’lles Anglais n’est plus : Y own-t-il la guerre?
mais ;Q u a d aurons-nous la guerre? Q u o d recevrons-nous la visite des bombar-
diers allemands? a (Deutsche Notizen, 1945-1965, p. 113.)
2. Le 21 mars, M. Lueasiewicz, ambassadeur de Pologne, arrive au Quai d’Orsay
tout empourpré de colère par les propos que vient de lui tenir M. Bullitt. L’am-
bassadeur des États-Unis Paris, lui a dit en elfet : a La Pologne a tort de ne
pas s’entendre avec I’U. R. S. S. II faut enterrer ces vieilles querelles et laisser
l’Armée Rouge opérer sur votre territoire. DI Comme Alexis Léger semble vouloir
156 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

Le m&mejour, le Kremlin fait savoir à Londres et à Paris


que si la Pologne ne signe pas l’accord, 1’U. R. S. S. ne le
signera pas non plus.
Georges Bonnet, qui croyait l’affaire en bonne voie, est
profondément déçu. u L’Angleterre D, écrit-il, (( a besoin que
la Pologne l’aide à soutenir la Roumanie, et 1’U. R. S. S.,
d’autre part, vient de faire connaître qu’elle n’accepte pas
de faire, sans la Pologne, la déclaration contre l’agresseur.
C’est une fois de plus, dressé sur notre route, l’obstacle que
nous n’avons pas pu surmonter en 1938l. M. Beck nous
répond, en effet, qu’il ne peut donner satisfactionaux désirs
de 1’U. R. S. S. z. Mais sans la signature polonaise, nous
n’avons pas la signature soviétique : la déclaration commune
est torpillée par le refus polonais 3. n
Si Bonnet est déçu, Halifax est ulcéré. Toute sa
combinaison est par terre, avant d’avoir vu le jour
Sans l’accord de la Pologne, plus de pacte collectif, et -
ce qui est plus grave - pas de soutien à la Roumanie!
Après tout le tintamarre fait autour de l’ultimatum alle-
mand, l’écroulement du système échafaudé par le chef
du Foreign Ofice est plus qu’un échec diplomatique :
une humiliation morale 5. Comment avouer au public
anglais que l’Empire britannique a offert son alliance à la
Pologne, et que celle-ci l’a refusée? Pour aggraver encore
les choses, on annonce à Bucarest la signature de l’accord
commercial germano-roumain (23 mars). Au cours de la
réception organisée à cette occasion, autorités roumaines
soutenir le même point de vue, M. Lucasiewicz ne se contient plus. Une dis-
cussion très âpre s’ensuit, au cours de laquelle les deux hommes en viennent
presque aux mains. Léger croit pouvoir en conclure a que la Pologne sera une
aussi mauvaise alliée pour l’Angleterre qu’elle l’a été pour la France 8 . (Foreign
Rdaiwna of the United Slates, 1939, I, p. 79 et s., 84 e t s.)
1. Avant Bonnet,.Barthou, Laval e t Delbos avaient fait la même expérience.
(Voir vol. V, p. 207, 213 e t 217.)
2. L’Union Soviétique demande que, sitôt l’accord signé, des unités de l’Armée
rouge soient autorisées à stationner sur le territoire polonais, pour être mieux
A même de participer à sa défense. Les Polonais voudraient, de leur côté, que
les Russes limitent leur aide à la fourniture d‘armements e t de matières pre-
mières.
3. Georges BONNET,La Défenae de la Paix, II, p. 166.
4. Sir Howard Kennard l’avait pourtant prévenu, dès le 21 mars, que ala Pologne
n’accepterait jamais de conclure une alliance militaire avec l’Union Soviétique 1.
Jusqu’à la dernière minute, Halifax a espéd que la Pologne modifierait son
attitude, sous l’empire de la nécessité.
5. D’autant plus qu’Halifax a assu&, deux jours auparavant, à l’ambassadeur
Kennedy, E qu’il était à peu près certain du succ&s de sa négociation e t qu’il
était décidé 21 mettre tout en œuvre pour qu’elle aboutisse rapidement n.
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 157
et négociateurs allemands échangent des toasts très cor-
diaux. Ils y évoquent u l’atmosphère de compréhension
amicale dans laquelle se sont déroulées les négociations B
et souhaitent (c une collaboration économique toujours plus
étroite entre leurs deux pays 1 1). Si l’Angleterre ne réagit
pas rapidement, toute l’agitation qu’elle a déchaînée autour
de cette affaire va se retourner contre elle ...
Beck a besoin de l’Angleterre pour tenir tête à l’Alle-
magne, car l’affaire de Dantzig est en train de s’envenimer.
Mais il comprend immédiatement que l’Angleterre a besoin
de la Pologne pour sauver son prestige et qu’il est devenu,
de ce fait, le maître de la négociation. I1 va jouer de cet
avantage avec infiniment d‘habileté.
Le 24 mars, il charge M. Raczinsky, son ambassadeur à
Londres, de dire à Lord Halifax :
-uÉtant donné le cours rapide des événements et la
perte de temps qu’entraînera inévitablement une négociation
multilatérale, le Gouvernement anglais ne pourrait41 envi-
sager de parer au plus pressé en couchant sans délai un pacte
bilatéral avec la Pologne 2? n
Toute la politique de Beck tient dans ces quelques mots.
I1 désire une entente bilatérale et sans délai, parce qu’il est
pressé d’arrêter au plus tôt l’offensive diplomatique alle-
mande qui se dessine e t d’apaiser les remous de son opi-
nion publique. Mais il refuse de se laisser enserrer dans
l’étau d‘un système de sécurité collective. I1 entend opposer
au Reich l’alliance anglaise, sans provoquer Hitler par une
alliance russe. Sans doute la signature d‘un pacte d’assis-
tance anglo-polonais soulèvera-t-elleune vague de réproba-
tion à Berlin. Mais il se fait fort de rétablir l’équilibre,
une fois l’orage passé 3.

I . Frankfurter Zeitung, Mlkischer Beobachter, etc., 24 mars 1939. Grégoire


Gafenco écrit à ce sujet : a Favorable au Reich, l’accord économique n’était
pas désavantageux pour l’économie roumaine et ne g h a i t en rien les rapports
économiques de la Roumanie avec les autres pays.. . Le zèle que le Reich apportait
à s’emparer des marchéa danubiens et balkaniques était à mettre en regard de
l’immense indifférence des Puissances occidentales pour l’économie de ces régions.
L’Allemagne avait Bvidemment là-bas des intérêts économiques plus impoilants
que ceux que pouvaient faire valoir les Puissances d’occident. II n’était ni juste
ni sage, de contrarier en Europe le jeu naturel des intérêts complémentaires. D
(Dernier8 Jours de l’Europe, p. 33, 133.)
2. id., p. 58.
3. i~L’alliance anglaise D, dira le colonel Beck à M. Gafenco, (I n’est en somme
qu’un complément naturel et logique B notre alliance avec la France, e t le Chan-
celier n’en a jamais pris ombrage. E n quoi l’alliance angiaiee peut-elle être plun
158 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ ~ E
ALLEMANDE

Qui est donc ce colonel Beck qui se sent assez sûr de lui
pour tenir la dragée haute à Moscou, tout en jouant au plus
fin avec Londres et Berlin? Car telle est bien la politique qu’il
entend poursuivre et il estime que son passé l’y a admirable-
ment préparé. Ancien officier de cavalerie de la Légion polo-
naise, où il s’est couvert de gloire durant la campagne de 1917-
1920, cet homme brave jusqu’à la témérité s’est adonné
ensuite à la diplomatie avec un esprit retors et une noncha-
lance féline. «Ce souple cavalier se prend pour un sagecalcula-
teUr», dira de lui le ministre roumain des Affaires étrangères.
S’il méprise profondément (( le verbiage des Chancelleries », il
s’attribue un don particulier :celui de saisir intuitivement (( la
réalité des choses)). Arrivé très jeune au pouvoir sous l’aile
protectrice du Maréchal Pilsudski, il y a sept ans qu’il dirige la
diplomatie polonaise, ce qui en fait le doyen des ministres
des Affaires étrangères. Ce lancier rompu aux exercices de
haute voltige estime avoir suivi assez longtemps les dévelop-
pements de la politique européenne pour en connaître tous
les secrets et en démêler tous les fils. Son ambition person-
nelle a grandi parallèlement à ses ambitions nationales.
Tout en lui est empreint d’une assurance superbe. Pour-
tant il inquiète plus qu’il ne rassure, car derrière ses
manières séduisantes apparaissent tout à coup, au moment
où on s’y attendait le moins, le tempérament d’un joueur
et les réflexes d’un spadassin. Son goût du risque le rend
sourd aux conseils de la raison. I1 appartient, hélas! à cette
catégorie de Polonais dant Balzac a écrit : (( Montrez-leur un
précipice, ils s’y jetteront aussitôt. 1)
M. Grégoire Gafenco, qui l’a beaucoup pratiqué, a admi-
rablement dépeint le fond de son caractère : (( Turbulent par
calme plat et tranquille pendant l’orage I), écrit-il, (( Beck
avait une âme de reître, violente et orgueilleuse. Son patrio-
tisme était ardent mais ombrageux, et il se fiait plus volontiers
à la parole d’un adversaire qu’aux assurances d’un ami.
Ainsi, il était dangereux aux autres, mais plus dangereux
encore à lui-même. Sans doute son emportement romantique,
qu’il prenait pour du réalisme, n’était-il pas dépourvu de
grandeur. Mais le rayonnement insolite qui se dégageait de
gênante pour le Reich que l’alliance française? Si jamais la France devait porter
secours à la Pologne, n’est-il pas certain que l’Angleterre, avec ou sans accord,
serait amenée à intervenir elle aussi? En acceptant un pacte d’assistance avec
l’Angleterre, je ne consens, en somme, qu’à donner une expression juridique
à un s y s t h e de sécurité qui existe déjà. L (Dernier0 Jours de l’Europe, p. 59-60.)
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 159
lui l’apparentait fâcheusement à ces personnages historiques
qui semblent destinés à commander aux événements, alors
qu’ils sont déjà les instruments de la fatalité l. ))
i
+ +

A condition d’agir vite, la conclusion d’un pacte bilatéral


anglo-polonais apparaît au Foreign Office comme une planche
de salut, car nul ne s’apercevra qu’il masque l’échec d’un
plan plus ambitieux. Mais elle oblige Halifax à choisir entre
la Pologne et la Russie. Option délicate, quand on met en
balance le poids respectif des deux pays!
Chamberlain, pour sa part, a déjà pris parti. I1 n’a accepté
qu’à contrecœur d’inclure 1’U. R. S. S. dans le Pacte collec-
tif. I1 considère toujours Moscou comme une Puissance asia-
tique qu’il serait dangereux d’introduire dans les affaires
européennes2. Non seulement il n’a aucune confiance dans
la valeur de l’Armée Rouge, mais il considère une coalition
formée de deux blocs ayant des intérêts antagonistes ((comme
une source intarissable de discussions et de querelles )). I1 est
presque reconnaissant à Beck d’avoir posé la question en
termes aussi nets 3. I1 considère sa proposition comme une
chance inespérée et presse Halifax de la saisir au vol.
Surtout qu’il fasse vite : les Polonais sont si versatiles! Qu’il
n’attende pas la visite que Beck doit lui faire à Londres,
au début d’avril, pour le lier irrévocablement et l’empêcher
de changer d’avis ...
Halifax se range aux vues du Premier Ministre. (( Après
tout I), se dit-il, u on trouvera bien, par la suite, un moyen
d’y associer les Russes. )) Mais il estime que la déclaration
Op. cit., p. 62-63.
1. Grégoire GAFENCO,
2. a J e dois confesser que j’éprouve la plus grande méfiance envers la Russie D,
é c r i t 4 à sa sœur le 26 mars 1939. ci J e n’ai aucune confiance dans sa capacité de
maintenir une offensive efficace, même si elle le voulait. Et je me méfie de ses
motifs, qui me semblent n’avoir aucun rapport avec nos idées de liberté... De
plus, elle est suspectée par beaucoup de petits h a t s , notamment par la Pologne,
la Roumanie e t la Finlande. D (Keith FEILINO, The Life of Neville Chamberlain,
p. 403.)
3. a On nous assure D, écrit Chamberlain, n qu’il [le colonel Beck] est trés dési-
reux de ne pas se lier à la Russie, non seulement parce que les Polonais n’aiment
pas les Russes, mais en raison des répercussions qu’un tel acte ne manquerait
pas d’avoir sur l’opinion et la politique allemandes. Une telle association pour-
rait inciter Hitler à déclencher une agression ... J’avoue que je suis fort de son
avis (I very much agree with hiin) car je considère les Russes comme des amis
peu sûrs, mais doues d’un immense pouvoir d‘irritation sur les autres. D’ (Keith
FEILINC, The Life of Neville Chamberlairr, p. 408.)
160 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

aurait plus de poids si Chamberlain la faisait lui-même 1.


Le 31 mars, le Premier Ministre annonce donc à la Chambre
des Communes :
u Dans le cas d‘une action quelconque, mettant nettement
en danger l’Indépendance polonaise e t à laquelle le Gouverne-
ment polonais estimerait de son intérêt vital de résister avec
ses forces nationales, le Gouvernement de Sa Majesté se
considérerait comme tenu de soutenir immédiatement, par
tous les moyens, le Gouvernement polonais. N
Cette déclaration recueille l’approbation des chefs de tous
les partis et des groupes de la Chambre. Seul, Churchill est
d’un avis différent. Convaincu qu’il ne s’agit pas d’endiguer
Hitler, mais de l’écraser (car il le considère comme un
danger mortel et ne dormira pas tranquille tant qu’il sera
en vie), il estime qu’une combinaison de petits pays ne sau-
rait y suffire et que seule une coalition des quatre grandes
Puissances - l’Angleterre, la France, 1’U. R. S . S. e t les
Etats-Unis - est capable d’y parvenir. L’alliance polonaise
lui paraît une faute d’autant plus grave qu’elle risque de pré-
cipiter un conflit avec l’Allemagne, tout en privant l’Angle-
terre du concours de la Russie. La Pologne n’est pas de taille
à jouer le rôle qu’on lui assigne. C’est une nation rancunière,
capricieuse et brouillonne à laquelle on aurait tort de faire
le moindre crédit. Chamberlain commet une erreur monu-
mentale en en faisant un des piliers de sa politique étrangère
et il ne se gêne pas pour le lui dire crûment :
(c De 1919 à 1939 »,écrit-il dans ses Mémoires, on n’a
cessé de faire des concessions à l’Allemagne... E t maintenant
que tous ces avantages ont été gaspillés, la Grande-Bretagne,
tenant la France par la main, s’avance pour offrir sa garantie
à la Pologne, à cette Pologne qui, avec un appétit d’hyène, a
participé, il y a six mois à peine, à la destruction et au par-
tage de la Tchécoslovaquie ...
(( Maintenant, les deux démocraties occidentales se dé-

clarent prêtes à mettre en jeu leur existence pour sauver


l’intégrité territoriale de cette étrange République de
Pologne! On peut fouiller dans tous ses recoins, ce tableau
des crimes et des folies du genre humain qu’on appelle
l’Histoire, sans y trouver aucun équivalent à ce revirement
soudain e t total par lequel une politique de facilité et de
1. Étant Lord, Halifax n’a pan le droit de prendre la parole devant la Chambre
des Communes.
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 161
conciliation, vieille de cinq ou six ans, se trouve transformée
du jour au lendemain en une sorte d’empressement à accepter
une guerre, évidemment imminente, dans les plus mauvaises
conditions et sur la plus vaste échelle possible l. D
M. Robert Coulondre, ambassadeur de France à Berlin,
éprouve, à ce sujet, la même appréhension. (( Sans souci des
transitions »,écrit-il à Paris, (( avec une brusquerie où éclate
sa bonne foi, Chamberlain a renversé sa position. Par
malheur, il va passer ainsi d’un extrême à l’autre ... Après
avoir été joué par Hitler, il va l’être par Beck et compro-
mettre une partie qui s’annonce comme capitale pour les
intérêts de la paix 2. n

* *
L’ambassadeur ne croit pas si bien dire car, en faisant sa
déclaration devant la Chambre des Communes, Chamberlain
n’a pas compté avec la susceptibilité de Beck. Celui-ci
n’admet pas que l’on octroie une garantie unilatirale à la
Pologne. I1 estime que c’est la rabaisser au rang de Puissance
subalterne. I1 entend traiter avec l’Angleterre d’égal à égal,
et que la déclaration de Chamberlain soit remplacée par un
pacte bilatéral comportant, pour les deux Parties, des enga-
gements similaires. Puisque l’Angleterre off re de garantir les
frontières de la Pologne, la Pologne, de son côté, garantira
celles de l’Angleterre et viendra à son secours si elle est
menacée.. .
Bien que la chose soit proprement risible, Chamber-
lain et Halifax acceptent cette proposition parce qu’ils
espèrent exercer ainsi une influence modératrice sur les
affaires polonaises. Ce faisant, ils commettent une seconde
erreur. En accédant aux désirs de Beck, ils se sont mis à sa
merci. Celui-ci a repris des mains d’Halifax la bombe que
M.Tilea y avait déposée. Désormais, c’est à lui, et à lui seul,
qu’il appartient ou non de la faire exploser. Le texte de la
déclaration anglaise ne laisse place à aucune équivoque :
c’est Beck qui déterminera si l’indépendance polonaise est
menacée; c’est lui qui décidera si ses intérêts vitaux sont en
jeu et s’il doit résister avec ses forces nationales. Ce jour-là,

1. Winston CAURCRILL,L’Orage approche, I, p. 354-355.


2. Livre j a m français, p. 261.
VI 11
162 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

sous peine de manquer à sa parole, l‘Angleterre - qu’elle y


soit prête ou non - devra entrer en lice l. Le pouvoir de
décision est passé à Varsovie...
Lorsque le vicomte Davignon, ministre de Belgique à
Berlin, lit Ie texte de la déclaration anglaise, il n’en croit pas
ses yeux.
- u L’Angleterre »,s’exclame-t-il, (( vient de remettre à
la Pologne un véritable chèque en blanc 2! n
Quant au colonel Beck, il n’est pas peu fier d’être parvenu
aussi vite à un’pareil résultat S.
- u J e n’ai pas perdu mon temps, comme vous le voyez »,
dit-il quelques jours plus tard à M. Gafenco avec un sourire
de triomphe. (( I1 ne m’a pas fallu plus de dix jours pour
retomber sur mes pieds. L’affaire de Prague ne se renou-
vellera pas. Hitler a trouvé à qui parler *! D
1. Ce ne serait pas le cas si, au lieu d’évoquer une action quelrnnque D, la
(I

déclaration anglaise se référait à e une agression non prowpée a, comme Sir Howard
Kennard s’en étonne, Halifax lui répond :a J’ai fait expres de ne pas employer
le qualificatif a non provoqué I, parce que les méthodes d’agression allemandes
sont si diverses et si rusées, qu’il est possible que le Gouvernement polonais lui-
même doive recourir pour s’en défendre, à quelque provocation d’ordre tech-
nique. D Kennard lui ayant fait observer que, dans ces conditions, l’Angleterre
s’en remettait entièrement à la Pologne, Halifax le prie de recommander aux
Polonais a d e ne pas faire preuve d‘intransigeance à l’égard des Allemands et
d’éviter tout ce qui pourrait ressembler à une provocation D. (Documenfs on Bri-
tish Foreign Policy, IV, no 584.)
2. Vicomte J. DAVIGNON, Berlin 1936-1940, Souvenirs d’une Mission, p. 102.
3. Dix jours se sont écoulés entre le 20 mars, date à laquelle Halifax a annoncé
son projet de pacte collectif à la Chambre des Lords, et le 31 mars, date à laquelle
Chamberlain a donné sa garantie à la Pologne devant la Chambre des Communes.
4. Grégoire GAFENCO, Derniers Jours dc I‘Europe. p. 59.
XII1

LES RELATIONS GERMANO-POLONAISES


S’ENVENIMENT

Hitler observe avec la plus grande attention les efforts de


l’Angleterre pour reconstituer un barrage à l’Est, en trans-
férant à Bucarest et à Varsovie le rôle dévolu auparavant à
Prague. Du côté de la Roumanie, il n’a pas grand-chose à
craindre l. Mais la Pologne? Qu’elle prête une oreille complai-
sante aux propositions du Foreign Ofice le déçoit profon-
dément, car il s’est toujours efforcé de maintenir de bonnes
relations avec elle, en dépit des deux foyers de discorde que
les artisans du Traité de Versailles semblent avoir créés à
dessein pour empêcher tout rapprochement entre Berlin e t
Varsovie : l’érection de Dantzig en (( Ville libre 1) et la
création du (( Corridor * ».
1. Aucun litige territorial n’oppose les deux pays et leurs économies sont
complémentaires. La Roumanie a besoin de matériel agricole, d’équipements
militaires et de machines-outils que l’Allemagne est bien placée pour lui fournir;
le Reich a besoin de blé et de pétrole, que la Roumanie produit en quantités
excédentaires.
2. E n 1919, lors des négociations de paix, le territoire entourant le port de
Dantzig e t la ville elle-même, bien que peuplés de 96 % d’Allemands et de 4 % de
Polonais, ont été enlevés au Reich, sans que les populations aient été consultées.
Lloyd George ayant fait remarquer que ce territoire, d’une superficie de 1.912 km’
et peuplé de 331.000 babitants, était spécifiquement allemand, les Polonais ont
contesté ce point de vue en invoquant des arguments historiques e t économiques.
La délégation allemande a alors déclaré qu’arracher Dantzig au Reich serait
une violation flagrante des principes du Président Wilson, contre laquelle elle
élèverait une protestation solennelle. Elle a ajouté qu’en confiant aux Polonais
le trafic de Dantzig et le soin de défendre ses intérêts à l’étranger, on créerait
à l’est de l’Europe K une menace de guerre perpétuelle D.
u Placé devant ce problème u, écrit Carl Burckhardt, Haut-Commissaire de
la Société des. Nations pour Dantzig, u on recourut à un compromis. On inventa
la a Ville libre B de Dantzig, laquelle n’était point libre, mais en tous points condi-
tionnée. Ce fut sans doute l’une des créations les plus complexes issues du cerveau
164 HISTOIRE D E L’ARMEE A L L E M A N D E

En 1933,lorsque Hitler était devenu Chancelier, le général


Schleicher lui avait dit, en lui passant ses pouvoirs :
- u En ce qui concerne la Pologne, la politique de 1’Alle-
magne doit être la suivante : elle doit conclure une entente
avec la France et 1’U. R. S. S. C’est seulement par le moyen
d‘un accord avec la Russie que l’on pourra procéder à la
liquidation de la Pologne. ))
Hitler avait bouillonné intérieurement en entendant ces
mots. Sitôt l’ancien Chancelier reparti, il s’était tourné vers
Gering, et lui avait dit :
- (( Moi, je ferai exactement le contraire l. D
En formulant sa recommandation, Schleicher n’avait pas
seulement parlé en son nom personnel; il avait exprimé l’opi-
nion des milieux nationaux-conservateurs, des Junkers p y s -
siens et des dirigeants de la Reichswehr 2. Pour eux, l’Etat
polonais était l’ennemi no 1. Dans la période confuse qui avait
de théoriciens e t de juristes internationaux en mai d‘improvisation. On créa
un État miniature, privé d’indépendance réelle et disposant de droits souverains
fort relatifs. Une partie importante de ces droits fut cédée A la Pologne. Quant
au statut de Dantzig, qui semblait fait tout exprès pour susciter de perpétuels
conflits, on y incorpora encore la S. d. N. comme garante, nantie de droits
impossibles à appliquer en cas de litige. Ni la Ville libre, ni la République polo-
naise, ni la S. d. N. ne possédaient d’attributions bien définies. a ( M a Mission à
Dantzig, p. 23-24.) Les populations allemandes n’avaient jamais accepté cette
amputation. Depuis lors, elles avaient réclamé sans cesse un plébiscite comme
celui qui avait été institué pour la Sarre, mais en vain.
Quant a u a Corridor D, résultant de la remise A la Pologne de la majeure partie
de la Prusse-Occidentale pour lui permettre d‘avoir un débouché sur la mer,
sa création avait engendré une situation si inextricable que Jean Montigny
n’hésite pas A la qualifier de a pire malfaçon d u Traité de Versailles B. Le territoire
annexé à la Pologne coupait le Reich en deux. 11 comprenait 630.000 Polonais e t
620.000 Allemands, qui n’avaient pas été consultés non plus. Dans le nord, l’élé-
ment allemand représentait jusqu’à 98 % de la population. Ce pourcentage décrois-
sait en allant vers le sud, où le pourcentage des Polonais augmentait en proportion
inverse. La solution imposée par la Commission pour la Pologne, présidée par
Jules Cambon, avait provoqué l’indignation du Président Wilson. (Cf. R. S. BAKER,
Woodrow Wilson, II, p. 47.) Elle avait été un des motifs pour lesquels le Congrès
américain avait refusé de ratifier le Traité de Versailles. Le maréchal Foch, quant
à lui, n’avait pas hésité A dire un jour, au major Polson-Newman : a C‘est là que
se trouve l’amorce d’un nouveau conflit mondial. D (Britain and the Baltic, p. 219.)
Personne n’avait jamais pensé que cette situation se prolongerait longtemps, pas
même la délégation polonaise à la Conférence de la Paix, dont le chef, M. Roman
Dnowski, répétait à qui voulait l’entendre : a Le Corridor ne nous sert à rien si
nous n’obtenons pas en même temps la Prusse-Orientale, car l’Allemagne s’effor-
cera toujours de se frayer un passage à travers lui. a (Mdmorandum adre& le
8 octobre 1918 au Prhideni Wibon.)
1. Comte Jean SZEMBEK, Journal, 31 janvier 1935, p. 33.
2. Le fondateur de la Reichswehr n’avait-il pas déclaré : a L’existence de la
Pologne est intolérable. Elle est incompatible avec les exigences vitales de l’Aile-
magne. Elle doit disparaître - avec notre aide - sous les effets conjugués de #a
propre faiblesse intérieure e t de la Russie D? (Général von RABENAU,Seeckt, AIU
meinem b k n , Leipzig. 1940, p. 316.)
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 165
s$vi l’effondrement de 1918, certains membres du Grand
Etat-Major, et notamment le colonel Reinhardt l, n’avaient-
ils pas été jusqu’à soutenir qu’il fallait repousser le Traité de
Versailles et abandonner le Reich pour sauver l’intégrité de
la Prusse 2? Pour eux, Konigsberg était un pôle d’attraction
autrement puissant que Munich ou Vienne, car il était le
sanctuaire d u nationalisme prussien et ils n’oubliaient pas
que Hindenburg et Ludendorff étaient nés tous deux à l’est
de l’Oder 3. I1 avait fallu toute l’autorité de Grœner et toute
la patience de von Seeckt pour leur faire comprendre que
la Prusse ne pouvait pas trancher les liens qui l’unissaient
au reste de l’Allemagne sans jeter par-dessus bord tout
l’héritage de Bismarck. Mais au fond d’eux-mêmes la
volonté de récupérer le Corridor et de rétablir l’unité du
territoire prussien était restée très vivace et, bien qu’ils
n’en parlassent jamais, ils y pensaient toujours.
Se rapprocher de la Russie pour écraser la Pologne avait
donc été, pendant quinze ans, une des constantes de la poli-
tique de la Reichswehr. Même Stresemann avait partagé
ce point de vue. Le premier traité avec la Russie, signé à
Berlin le 6 mai 1921, le second, signé à Rapallo,.par Tchitché-
rine et Rathenau le 16 avril 1922 5 et le troisieme, conclu à
Berlin le 24 avril 1926, avaient été autant d’étapes sur la
route menant à une collaboration germano-russe. Même si
la nation allemande n’en avait guère tiré profit, ces accords
avaient apporté à la Reichswehr des avantages appréciables.
Grâce à eux, elle avait pu amorcer son réarmement clandes-
tin à l’abri des regards indiscrets des Alliés. Grâce à eux, des
usines de produits chimiques et des centres d’expérimenta-
tion pour toutes les armes prohibées par le Traité de Versailles
avaient pu se constituer en U. R. S. S. 6. Des officiers alle-
mands s’étaient rendus à Laïchewsk, au bord dufleuve Kama ’,
OUles Soviets avaient mis un grand champ de manœuvre à
leur disposition, pour leur permettre de s’initier à la tactique
1. Le ministre de la Guerre de Prusse.
2. Voir vol. I, p. 345 et s.
3. Hindenburg était né à Posen même; Ludendorff à Kruszewnia, en Posna-
nie.
4. Ni Grœner, ni Seeckt n’étaient Prussiens, ce qui explique peut-être leur
plus grande indépendance d’esprit à l’égard de ce probkme. Grœner était W u r
tembergeois. Seeckt était originaire du Schleswig, c’est-à-dire d’un pays qui
n’avait été rattaché à la Prusse qu’en 1867.
5 . Voir vol. II, p. 210-212.
6. Voir vol. II, p. 376-377.
7. Au sud de Kazan.
166 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

des chars. E n échange, des officiers de 1’Ar.mée Rouge et -


notamment Toukhatchevski - étaient venus faire des stages
h l’ficole de Guerre de Berlinl. On évoquait, au cours de ces
rencontres, l’aide apportée par la Russie à la Prusse en 1813
et une sorte de fraternité d’armes avait commencé à s’établir
entre militaires russes et allemands, en prévision d‘une nou-
velle (( guerre de Libération a D.
Or, cette politique répugnait profondément à Hitler, ne
serait-ce qu’à cause de la collusion qu’elle impliquait avec
l e régime bolchéviste. On peut presque dire que c’était contre
elle qu’il avait formé son Parti. Jamais les cris d’«Allemagne
réveille-toi! 1) n’avaient retenti plus fort sur les collines du
Harz et de la Bavière qu’au lendemain de l’assassinat de
Rathenau, qui en avait été un des principaux artisans 8 .
Hitler y voyait l’œuvre des Juifs, de la Finance internationale
et des réactionnaires prussiens, aveuglés par leur haine tra-
ditionnelle envers leur voisine de l’est. Que Schleicher ait
fait sienne cette politique ne l’étonnait nullement. Elle lui
paraissait conforme au caractère tortueux de ce u général
rouge »,qui tendait une main aux Communistes et l’autre
aux réactionnaires. Cette politique, non seulement il ne la
pratiquerait pas : il en prendrait le contre-pied. (( Les natio-
naux allemands sont tombés dans un piège »,dira-t-il plus
tard à Carl Burckhardt. Ils se sont ligués avec les Russes
pour harceler les Polonais. J e ne me ferai pas le succes-
seur des conservateurs prussiens et de leur politique bor-
née 4... n
A ses yeux la Pologne n’est pas un Etat artificiel comme la
Tchécoslovaquie. Elle est une réalité permanente, que rien
ne saurait jamais changer ni faire disparaître. Sa person-
1. 8 Tout le monde sait maintcnant #, écrit le général Krivitski, a que pendant
ces premières années [1922-19331, il y eut un accord spécial entre la Reichswehr
et L’Armée Rouge. La Russie soviétique permit à la République allemande d’échap-
per ai l’interdiction de Versailles concernant la formation d‘officiers d‘artillerie,
le développement de l’aviation et de I’ktat-Major de guerre. Tout cela sc faisait
en territoire soviétique. L’Armée Rouge, de son cBté, profitait de l’expérience
e t de la science militaire de l’Allemagne. Les deux armées écbangcaient leurs
renseignements. Tout le monde sait également que le commerce entre la Russie
aoviétique et l’Allemagne prospéra durant ces dix ans. B (Agent de Staline, p. 19-20.)
2. 8 Le Gouvernement polonais en était naturellement informé s, écrit Carl
Burckhardt. 8 On connaissait A Varsovie les contacts fréquents entre offciers
supérieurs allemands et moscovites. Kama était le mot dont on sc servait pour
désigner cette collaboration militaire. D (Ma Mission à Dantzig, p. il.)
3. Voir vol. II, p. 219 et S.
4. Déclaration ai Carl Burckhardt, le 20septembre 1937. (Ma Mission à Dantzig,
p. 111.)
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 167
nalité a survécu aux trois partages de 1772, 1793 et 1795.
Elle n’a jamais fait partie du Reich. Vouloir l’y incorporer
serait une absurdité, car l’histoire l’a investie d’un tout autre
rôle : servir d’gtat-tampon entre l’Allemagne et la Russie,
et les empêcher ainsi d’avoir une frontière commune. (( Les
deux piliers de ma politique étrangère »,affirme-t-il, (( seront :
à l’ouest, l’entente avec Londres; à l’est, l’entente avec Var-
sovie l. )) Certes, les questions de Dantzig et du Corridor
devront être réglées un jour ou l’autre par un accord amiable.
Tous les esprits clairvoyants en conviennent 2. Mais détruire
la Pologne pour récupérer la Prusse-Occidentale serait payer
son retour d‘un prix trop élevé.
Quant à la Pologne elle-même, prise entre une Russie
qui ne lui a pas pardonné le Traité de Riga et une Allemagne
qui ne lui a pas pardonné le Traité de Versailles 3, elle vit
dans la hantise permanente d’un quatrième partage 4. Aussi
1. Rapport de di. Lipski, ambassadeur de Pologne à Berlin, au comte Szembek,
le 8 octobre 1935.
2. Même Churchill, qu’on ne saurait suspecter de germanophilie, n’avait pas
hésité à dire à la Chambre des Communes, le 23 novembre 1932, en réponse au
message du Roi :R Mieux vaudrait soulever des questions comme celles du Corri-
dor de Dantzig, malgré toutes les dificultes qu’elles comportent, pour les aborder
avec calme et sang-froid, tant que les États vainqueurs ont encore une suffisante
supériorité de forces, que d’attendre et de se laisser pousser, pouce par pouce e t
pas à pas, jusqu’l ce que de gigantesques blocs de Puissances, également bien
armées, s’aflrontent de nouveau. m
3. A la suite du Traité de Riga, signé avec l’Union Soviétique le 18 mars 1921,
la Pologne s’est annexé de vastes territoires à l’est de la ligne Curzon, contenant
les villes de Vilno, Grodno, Brest-Litowsk, Pinsk, Lvov et Tarnopol. (Voir vol. IV,
p. 237.) La Russie n’avait jamais abandonné l’idée de les reprendre. Au prin-
temps de 1939, M. Litvinov, traversant Bialystok en voiture aux côtés de M. Bul-
litt, dira à l’ambassadeur des États-Unis : a Rien de ce que vous voyez ici n’est
polonais. Tout est russe et le redeviendra. D
Par le Traité de Versailles, la Pologne a arraché à l’Allemagne la Posnanie et
une partie de la Haute-Silésie et de la Prusse-Occidentale, avec les villes de Neu-
stadt, Stargard, Graudenz, Kolmar, Bromberg, Thorn et Posen. Si le peuple
allemand s’était résigné au retour de l’Alsace à la France B, note M. Coulondre,
a il lui avait été impossible d’admettre l’amputation de ses territoires à l’est. D
(De Staline à Hitler, Souvenirs de deuz ambassades, 1936-1939, p. 260.) On voit
par là que la Pologne, telle que l’avait façonnée le Traité de Versailles, n’était
pas une nation : elle ressemblait plutôt à un petit empire. Comme la Tchécoslo-
vaquie, elle tenait SOUS sa coupe une mosaïque de peuples étrangers : Ukrainiens,
Biélorusses, Allemands et Lituaniens, qui aspiraient tous à s’émanciper de la
tutelle de Varsovie. Pilsudski lui-méme avait déclaré un jour à M. Diamand,
député au Seym polonais : <t I1 est vrai, d’une façon générale, que Yon est d‘au-
t a n t plus puissant que l’on possbde plus de terres. Mais la Pologne comprend
beaucoup trop de peuples étrangers parmi sa population, pour qu’il ne soit pas
plus sage de renoncer à certaines terres afin de renforcer l’unité nationale. D
(Axel SCHMIDT, Gegen dan Korridor, p. 27.)
4. C’est pourquoi des crises surviennent sans cesse A Dantzig. Une des plus
graves a eu lieu en 1920. A cette époque, la Pologne se battait contre la ruée
bolchévique. Les Français avaient débarqué des armes à Dantzig pour soutenir
168 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

observe-t-elle de près les efforts des Allemands pour se


rapprocher des Russes, car elle sait que ces tentatives sont
dirigées contre elle. Lorsque Pilsudski a vu Hitler arriver
à la Chancellerie, il a été convaincu que ce nationaliste for-
cené reprendrait à son compte la politique traditionnelle de
la Maison de Brandebourg1. I1 a immédiatement proposé à la
France de déclencher une guerre préventive contre lui, sans
laisser au IIIe Reich le temps de se consolider. Barthou lui
a fait répondre qu’il n’y fallait pas songer, que les jours du
régime hitlérien étaient comptés et qu’il ne tarderait pas à
s’écrouler de lui-même
Mais Pilsudski n’en avait rien cru. L‘attitude des diri-
geants français lui était apparue comme une démission
incompréhensible. Ne pouvant conclure un accord avec
1’U. R. S. S., et ayant perdu confiance en l’appui de la
France -de laquelle le séparait à présent une armée dont les
effectifs et les armements grandissaient de jour en jour-il
avait immédiatement tiré la leçon des événements en s’effor-
çant de désamorcer l’hostilité du Reich. Lorsqu’il avait
découvert qu’Hitler éprouvait pour lui la plus vive admi-
ration s, qu’il était l’ennemi irréductible des Soviets et qu’il
manifestait l’intention de ménager la Pologne, il en avait
éprouvé plus que du soulagement. I1 avait même fini
par souhaiter qu’Hitler se maintînt au pouvoir, car il
estimait que le gouvernement socialiste qui lui succéderait
reprendrait inévitablement la politique de Rapallo. Ainsi
était né le Pacte d’amitié et de non-agression germano-polo-
nais du 26 janvier 1934, qui avait complètement modifié les
relations entre les deux pays.
Ce revirement n’avait d’ailleurs pas été facile, car ce traité
son effort, mais les dockers allemands, se solidarisant avec les communistes,
avaient refusé de les décharger et s’étaient mis en grève. Il avait fallu que des
troupes anglaises procédassent elles-mêmes à cette opération. (Carl BURCKHARDT,
op. c i t . , p. 27.)
1. N’était-ce pas elle qui avait fait la grandeur de la Prusse? L’alliance avec
la Russie avait permis à Stein et à Blücher de gagner la guerre de Libération
de 1813; à Bismarck et à Moltke de gagner les guerres contre l’Autriche (1866)
et contre la France (1870-1871). Le Chancelier de Fer n’avait jamais pardonné
à Guillaume II d’avoir rompu l’alliance entre Berlin et Saint-Pétersbourg.
2. C’était une opinion assez répandue en France à la veille des événements
sanglants du 30 juin 1934. (Voir vol. III, p. 489, note 2.)
3. Le Maréchal Pilsudski est à la fois un grand soldat et un grand homme
d’État D, dira-t-il à Bormann. K En repoussant les Russes devant Varsovie, il
a sauvé l’Europe. Sans lui, aujourd‘hui, nous serions tous Bolchkviks. D E t à
Burckhardt :a Le grand Maréchal Pilsudski e t moi avons passé outre à la d b h i -
rure du Corridor, ce diabolique élément de conllit. n
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 169
avait suscité une vive opposition, aussi bien du côté allemand
que du côté polonais. A Berlin, les conservateurs, certains
chefs de la Deutsche Volkspartei et les dirigeants de l’Ar-
mée accusaient Hitler d’avoir abandonné ses compatriotes
de Dantzig e t du Corridor. (( Comment cet Autrichien, né
sur les bords de l’Inn, comprendrait-il la vocation histo-
rique de la Prusse? n se disaient-ils. En Pologne, l’opposition
se recrutait surtout parmi les éléments de gauche. (( Pil-
sudski a trahi la Démocratie »,affirmaient les porte-parole
des Partis socialiste et démocrate-libéral l. (( Il a consenti
à mettre sa main dans celle du dictateur allemand. D’ail-
leurs, nous l’avons toujours soupçonné d’être germano-
phile z. D Mais ni Hitler ni Pilsudski ne s’étaient laissé
intimider par ces récriminations.
D’autant plus qu’à partir d’avril 1934, sous l’impulsion
d‘Herriot, de Barthou èt de Laval, la France avait multiplié
les efforts pour se rapprocher de Moscou. Mieux encore : elle
s’était efforcée de mettre sur pied un système de sécurité
collective, au sein duquel la Pologne aurait été rivée à
YU.R. S . S . Or, recourir à l’aide des Soviets en cas de conflit
était la dernière chose que la Pologne pût se permettre. I1
en était résulté lin net refroidissement dans les relations
franco-polonaises. Pendant ce temps, Hitler accumulait les
professions de foi antibolchévistes et redoublait de préve-
nances à l’égard de Varsovie.
Agissait-il ainsi, simplement pour endormir la Pologne
et la brouiller avec la France, en attendant le jour où il
pourrait fondre sur elle? Non. A cette époque, il échafaudait
des plans OC la Pologne avait sa part : il voulait l’associer
à sa Croisade contre la Russie 3. I1 comptait lui offrir une
partie de l’Ukraine, pour compenser la perte de prestige
que pourrait lui occasionner la rétrocession de Dantzig. (( La
Pologne »,se disait-il, u ne peut manquer de comprendre
1. Notamment les amis de M. Roman Dmowsky, l’ancien chef du Parti démo-
crate-libéral, qui avait toujours &téhostile au chef du P. O. W.
2. Voir vol. IV, p. 232, note 1.
3. Lorsque Alexandre Ier avait introduit la Russie dans le a concert euro-
péen a, à la wite de la victoire des coalisés contre Napoléon, il avait inauguré
une politique russe en Europe dont ses Buccesseurs ne devaient plus s’écarter.
Elle consistait à vassaliser la Pologne et 21 repousser l’Allemagne vers l’ouest.
Au Congres de Vienne, en juin 1815, le Tsar avait obtenu que le duché de Pologne
soit enlevé à la Prusse et remis à la Russie. En échange, il avait fait octroyer
à Frédéric-GuiIIaume III, la Westphalie et les Provinces rhénanes. (Voir vol.
IV, p. 357.) Hitler, lui, veut pratiquer la politique inverse : repousser la Pologne
vers l’est et l’amener à s’agrandir aux dépens de 1’Ukraine.
170 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

combien il serait avantageux pour elle de se débarrasser de


sa minorité allemande tout en s’incorporant des Slaves. D
Le 31 janvier 1935, Gœring avait été invité à une chasse
à l’auroch dans la forêt de Bialowieza, au cours de laquelle
il avait commenté les intentions du Führer avec une fran-
chise brutale qui avait fait plus d’effet sur ses interlocuteurs
que toutes les précautions diplomatiques.
-«Procéder à un nouveau partage de la Pologne? 1)
avait-il déclaré au comte Szembek l. n Rien ne serait plus
facile! I1 sufirait de reprendre la collaboration germano-
russe. Mais en y regardant de plus près, on s’aperçoit que ce
ne serait pas du tout souhaitable, car cela obligerait l’Al-
lemagne à avoir une frontière commune avec 1’U. R. S. S.
L‘Allemagne a besoin d’une Pologne forte, pour constituer
avec elk. un barrage contre la Russie. Seul, le Chancelier
Hitler a compris sous son vrai jour le problème des relations
polono-allemandes. Tous ses devanciers, sans en excepter
Stresemann, ont eu d’autres visées ...
Hitler a renversé
complètement la situation en proclamant, une fois pour
toutes, que toute collusion avec le communisme était
radicalement exclue 2. n
Le lendemain, Gœring avait profité d’un entretien avec
les généraux Babrycy et Sosnkowski, qui occupaient tous
deux des postes clés dans l’État-Major polonais, pour déve-
lopper ces arguments.
- (( Comme on le comprend très bien chez nous D, leur
avait-il dit, (( la Pologne n’est en mesure de faire une
politique indépendante et de grande envergure qu’à condi-
tion d’avoir affaire à un Reich qui nourrit envers elle
des sentiments amicaux. Pourquoi ne vous intéressez-vous
pas davantage à l’Ukraine? Ce serait pour la Pologne une zone
d’expansion toute trouvée. Une alliance militaire germano-
polonaise ouvrirait à nos deux pays de bien grandes pers-
pectives *...
))

1. Le comte Szembek, Sp&aire d‘ktat au ministère des Affaires étrangères,


et en quelque sorte l’homologue polonals de M. von Weizdcker.
2. Gœring redira la même chose au Maréchal Rydz-Smigly, le 16 février 1937.
(Grégoire GAPENCO,Derniers Jours de l’Europe, p. ,44.)
3. Le même soir, le comte Romer, chef du Protocole au ministère polonais
des Affaires étrangères, avait informé Szembek a que Goering s’était avancé jusqu’d
proposer aux généraux polonais une alliance antisoviétique et une marche en
commun sur Moscou. ~ ( S Z E M BJEoK w n, d , 1933-1939, p. 341.) .Les coloniesne nous
intéressent pas; nous ne saurions qu’en faire D, disait A cette époque Erich Koch,
le Gauleiter de Prusse-Orientale. (I L’Ukraine, c’est autre chose. Mais pas
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 171
A ces mots, les généraux polonais avaient dressé l’oreille.
L‘idée de prendre leur revanche sur la défaite qu’ils avaient
subie aux bords du Dniepr en mai 1920 et de rétablir la
Pologne dans ses frontières d‘avant 1772 avait tout pour
les séduire. Ils se rappelaient encore la scène dramatique qui
s’était déroulée à Varsovie et le cri de douleur qu’avait poussé
Pilsudski, en route pour le Te Deum qui devait célébrer sa
victoire, lorsqu’il avait appris que les Russes s’étaient empa-
rés de Kiev. Mais quinze ans s’étaient écoulés depuis lors.
Le pouvoir des Soviets s’était considérablement renforcé et
il avait fallu que le Maréchal intervienne en personne pour
leur conseiller la prudence.
- (( Ne lâchez pas la proie pour l’ombre )), leur avait-il
dit. (( Croyez-en ma vieille expérience : ne jouez pas tout
l’avenir de la Pologne sur un simple coup de dés!
Le 11mai 1935, sentant venir la mort s, le vieux Maréchal
avait appelé à son chevet son disciple préféré, le colonel
Beck, pour lui confier ses dernières volontés.
- (( Méfiez-vous des Tchèques D, lui avait-il recommandé.
N Limitez les contacts avec la France à des conversations
entre ministres des Affaires étrangères. Poursuivez ma poli-
tique de détente avec l’Allemagne et n’acceptez jamais de
vous lier avec la Russie. Mais ne la provoquez pas non plus.
J’ai arrêté l’Armée Rouge devant Varsovie. C’était un
miracle ... I1 ne faut pas s’attendre à ce qu’un miracle se
renouvelle.. n .
+ *
Arrivé au pouvoir, Beck avait scrupuleusement respecté
le testament de son prédécesseur. Six semaines plus tard
(9 juillet 1935), il s’était rendu à Berlin pour confirmer le
Traité de non-agression. Il avait eu, à cette occasion, son
premier entretien avec Hitler. Le Chancelier lui avait répété
les paroles qu’il avait dites, dix-huit mois plus tôt, à l’am-
bassadeur Lipski :
aujourd’hui, pas demain; et pas seuls :avec les autres. D (Carl BURCKHARDT, Ma
Mission à Dantzig, p. 227.) Le comte Szembek ajoutait : e Tout indique que les
Allemands se rendent compte qu’ils ne peuvent pas rkaliser leurs projets ukrai-
niens SUM la participation de ka Pologne. D (Journal, p. 700.) Comme on le voit, les
deux points de vuc n’étaient pas loin de se rejoindre.
1. Voir vol. IV, p. 230-231; plus haut, p. 159-160.
2. Depuis le Traité d’Andrussovo (1667) juçqu’au partage de 1772, la a Grande
Pologne D avait occupé toute la partie occidentale de l’Ukraine jusqu’au Dniepr.
3. Le Maréchal Pilsudski est mort le 12 mai 1935.
172 HISTOIRE DE L’ARYBE ALLEMANDE

- Q Le moment pourrait bientôt venir o ù nos deux États


seraient obligés de se défendre contre une invasion venant
de l’est. La politique ‘menée par les gouvernements alle-
mands qui m’ont précédé, et en particulier par la Reichswehr,
qui consistait en une entente avec la Russie dirigée contre
l a Pologne, a été la plus grande absurdité politique. J’ai eu,
à ce propos, une violente altercation avec le général Schlei-
cher. Une politique de ce genre ne pourrait aboutir qu’à une
chose : renforcer le plus grand danger qui puisse menacer
l’Allemagne - le danger soviétique l...
Et après un moment de silence, il avait ajouté : [( Toute
nouvelle guerre mondiale ne pourrait profiter qu’au commu-
nisme. La Pologne est un bastion avancé2 de l‘Europe du
côté de l’Asie. Sa destruction représenterait un terrible
malheur, car elle nous mettrait en contact direct avec les
masses asiatiques. Les autres $tats doivent comprendre ce
...
rôle de bastion avancé de la Pologne L’accord que nous
avons conclu, le Maréchal Pilsudski et moi, a bien plus
d’importance pour la paix européenne que tous les bavar-
dages réunis que l’on prononce à Genève8. D
Beck était sorti enchanté de cette entrevue.
- a Croyez-moi, rien ne vaut un entretien d‘homme à
homme »,avait-il dit à son Secrétaire d’État, le comte Szem-
bek. u Ma conversation avec Hitler m’a fait la meilleure
impression. Hitler m’est apparu comme étant absolument
sincère dans ses idées politiques, et très direct dans ses
raisonnements 4. N
Le ministre polonais des Affaires étrangères envisageait à
ce moment l’avenir avec tant d’optimisme qu’il avait été
jusqu’à ajouter :
- R I1 faut en finir avec la fiction selon laquelle nous ne
parlerons jamais avec l’Allemagne au sujet de Dantzig. J’en-
trevois même la possibilité d’un règlement généreux 5. Le

2. DBdaration faite par le Chancelier Hitler à l‘ambassadeur Lipki, lors de


la conclusion de l’Accord germano-polonais (26 janvier 1934).
2. Ein Vorposlen.
3. a D’une part la réalité et la durée éternelle de la Pologne; de l’autre, l’ha-
nité des bavardages de Genève n, écrit Grégoire Gafenco, a Hitler exprimait
là - non sans intention - le fond de la pensée politique du Maréchal Pilsudski
et de ses disciples. D (Derniers Jours de l’Europe, p. 42.)
4. Comte SzEMnEK, Journal, 1933-1939, 9 juillet 1935, p. 106.
5. Cette solution consiste transférer à la Pologne le Protectorat exercé sur
Dantzig par la Société des Nations. En compensation, l’Allemagne recevrait
le territoire entourant la ville. (Comte SZEYBEK, Journal, 1933-1939, p. 143.)
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 173
problème polono-dantzickois n’est pas un problème en soi.
I1 se ramène, en fin de compte, à la nature des relations
polono-allemandes. D

+ +

Aussi Beck s’est-il gardé de troubler cette harmonie


dans laquelle il voit la possibilité de faire (( une politique
indépendante et de grande envergure ».La Pologne ne s’est
pas insurgée, lorsque Hitler a remilitarisé la rive gauche du
Rhin (7 mars 1936). Elle n’a pas protesté au moment de
l’Anschluss (13mars 1938).Elle a refusé de s’associer aux
démarches franco-britanniques à Berlin, lorsque Prague a fait
courir le bruit que le Reich a mobilisé (20 mai 1938 l). Lors
de la crise tchèque elle s’est alignée sur Berlin, en récla-
mant sa part des dépouilles de la Tchécoslovaquie. Politique
payante, e r somme, puisque Beck a obtenu ainsi le territoire
de Teschen et qu’il a partagé la joie des triomphateurs en
se laissant acclamer au balcon par une foule enthousiaste a.
Mais ce tumulte joyeux est à peine apaisé qu’une nou-
velle inquiétante parvient à Varsovie. Le 24 octobre 1938, -
quelques jours après l’occupation des Pays sudètes - M.von
Ribbentrop fait savoir à M. Lipski u que le moment serait
venu d’envisager une solution d’ensemble pour le problème
de Dantzig et du Corridor 4 )I. Beck fronce les sourcils. Bien

1. Quelques jours plus tôt, un journaliste du nom de Poliakow a publié, sous


le pseudonyme d’Augur, un article affirmant que Beck aurait déclaré à M. von
Moltke, ambassadeur du Reich à Varsovie, N qu’en cas de guerre (pour la Tché-
coslovaquie) la Pologne combattrait aux côtés de la France m. Cet article a vio-
lemment indisposé le colonel Beck, qui a chargé immédiatement Szembek de le
contredire.
2. Grégoire GAFENCO, Op. cit., p. 41.
3. Eine Gesamtlosung.
4. La solution proposée par le ministre des Affaires étrang&resdu Reich est
la suivante :
10 Retour de la Ville libre de Dantzig au Reich.
20 Établissement à travers le Corridor d’une autoroute allemande à voie quadruph
jouissant du privilège de l’exterritorinlité ei reliant directement Biitcw à Dirchau.
3. La Pologne recevra kgalement dans le Territoire de Dantzig une route jouis-
sant de Z’eztetritorinlité, ou une autoroute et une raie ferrée, ainsi qu’un port franc.
40 La Pologne recevra une garantie relative au &ébauché de se8 marehandiaes
dans le port de Dantzig.
50 Les deux nations reconnaissent leurs frontières cornmunea; dles garantissent
réciproquement leurs territoires.
60 Le Pacte germano-polonais est prolongé de dix à vingt-cinq a m .
70 Les deux pays ajoutent à leur traité u n e elawe wBsultdiw. (Livre blanc polo-
Mie, no 44.)
174 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

qu’encore lointain, est-ce le premier roulement de tonnerre


d’un orage approchant? I1 charge aussitôt Lipski de répondre
u qu’il ne voit malheureusement aucune possibilité d’entente,
en ce qui concerne le rattachement de Dantzig au Reich 1 )I.
Mais Ribbentrop ne pousse pas la conversation à fond, de
sorte que les choses en restent là et, lorsque Hitler reçoit
à son tour M. Lipski le 5 novembre, cette audience donne
lieu à la publication du communiqué suivant :
a Au cours de l‘entretien qu’ont eu aujourd’hui le Führer-
Chancelier et I‘dmbassadeur de Pologne, il a été établi que les
relations germano-polonaises ne seraient pas troublées par la
question dantzickoise. ))
Dans son compte rendu d’audience, l’ambassadeur de
Pologne rapporte en ces termes rassurants les propos tenus
par le Chancelier :
(( Aucune modification ne sera apportée a u statut politique
légal de Dantzig, m’a-t-il affirmé. Les droits de la Pologne
ne seront lésés en rien. L’accord que j’ai signé avec vous sera
respecté, même en ce qui concerne Dantzig. Il ne saurait être
question d‘une action par surprise. J e souhaite uniquement que
la population allemande de Dantzig puisse opter elle-même pour
le système de gouvernement qui convient le mieux aux Alie-
m a d 2. n
Malgré ce rappel discret d u droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes, Beck respire. I1 a l’impression qu’Hitler
a battu en retraite devant son refus d’aborder la question
de Dantzig. Mais croit-il pouvoir éluder indéfiniment la
discussion? Un jour ou l’autre, il faudra bien regarder la
réalité en face ...
Pour l’instant,Beck ne songe qu’à gagner du temps. Avec
une nonchalance feinte, il ne répond que le 19 novembre aux
propositions formulées par Ribbentrop le 24 octobre. C’est
un refus nuancé. Beck s’efforce visiblement de ne pas couper
les ponts. Mais Hitler est choqué par le caractère négatif de

1. u Jamais de telles prétentions n’avaient encore été formulées devant moi m,


dira Beck A Gafenco. a J’avais tout lieu d’être furieux. Pourtant je gardai tout
mon sang-froid et j’envoyai à Lipski des instructions précises. Tout en acceptant
l’idée d’une Gesamtlosung, je refusai catégoriquement l’incorporation de Dantzig
à l’Allemagne. B (Derniers Jours de (‘Europe, p. 47.)
2. Liwe blanc pobBais, no 41.
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 175
sa note, et plus encore par sa lenteur à venir, qui lui paraît de
mauvais augure. A toutes fins utiles, il adresse, quelques
jours plus tard, la directive suivante au général von
Brauchitsch :

Berlin, 24 novembre 1938.


COMPLÉMENTAUX INSTRUCTIONS NO 2361381.
u Outre les trois cas prévus dans mes directives d u 22 octobre
1938 2, il convient de prendre les dispositions nécessaires pour
que les troupes allemandes puissent occuper rapidement la
Ville libre de Dantzig. Pour ces dispositions, il faut s'inspirer
des principes suivants :
10 Prévoir une occupation de Dantzig dans le genre (( coup de
main n, en profitant d'une situation politique favorable, mais
non d'une guerre avec la Pologne.
20 L'occupation armée s'effectuera par la Prusse-Orientale 3.
30 L a Kriegsmarine appuiera l'opération par une intervention
navale, après instructions plus précises reçues du Haut-
Commandement de la Wehrmacht.
40 Les forces de combat participantes agiront en liaison étroite
avec ï A r m é e 4.
50 L'appui qui pourra leur être donné par la marine et I'avia-
tion sera f i é d'un commun accord par les États-Majors des
différentes armes.
Les modalités d'exécution devront m'être remises a u plus tard
le 10 janvier 19395. n
- (( Toutefois »,précise Hitler à Brauchitsch, (( je n'ai
l'intention de recourir à ces mesures que si Lipski me fait
comprendre que le Gouvernement polonais ne veut pas
1. Voir plus haut, p. 21.
2. Ces trois cas sont :10 le renforcement de la sécurité des frontières; 20 I'anéan-
tissement du reste de la Tchécoslovaquie; 3O l'occupation de Memel.
3. Le territoire de la Ville libre de Dantzig et la Prusse-Orientale ont une
frontière commune. C'est par là que devront passer les troupes. Elles ne viole-
ront donc aucune frontière polonaise e t ne toucheront pas au Corridor. (Voir
carte, chap. XXX.)
4. Hitler envisage de faire exécuter l'opération par une Légion autonome,
recrutée sur place, sur le modèle du Corps franc des Sudètes, mais appuyée par
des formations de l'Armée et de la Luftwaffe appartenant au Wehrkreis I. S'il
a soin de préciser que I les forces de combat participantes agiront en liaison
étroite avec l'Armée D, cela tient à ce que te général Blaskowitz s'est plaint
des actions décousues des volontaires de Henlein, qui avaient gêné l'avance
des unités régulières de la Wehrmacht, lors de l'occupation des Pays sudètes.
5. Cf. Michael FREUND,Der Weg a w n Krieg, 1938-1939,n o 140.
176 HISTOIRE DE L’ARMI~E ALLEMANDE

assumer, devant son opinion publique, la responsabilité de


la rétrocession de Dantzig et que sa tâche se trouverait
facilitée si l’Allemagne le plaçait devant un fait accompli 1. P

+ +
Est-celà ce que le Führer espère entendre de la bouche
du colonel Beck lorsqu’il le reçoit au Berghof, le 5 janvier
19397 Dans ce cas, il se prépare une sérieuse déconvenue.
L’entrevue a lieu en présence de M. von Ribbentrop et
du comte von Moltke, ambassadeur du Reich à Varsovie.
Le ministre polonais des Affaires étrangères est accompagné
par le comte Lubienski, son chef de Cabinet, et par
M. Lipski.
- J e m’efforcerai de maintenir envers la Pologne la ligne
politique inaugurée par l‘accord de 1934 n, commence par
déclarer le Chancelier. (( Selon moi, la communauté d’in-
térêts de l’Allemagne et de la Pologne à l’égard de la
Russie est totale. Pour le Reich, la Russie est toujours
aussi dangereuse, qu’elle soit tsariste ou soviétique. C’est
pourquoi une Pologne forte nous est indispensable. Chaque
division polonaise engagée contre la Russie économiserait
une division allemande. J e ne m’intéresse à l’Ukraine qu’au
point de vue économique. Son statut politique me laissa
indifférent a.
u En ce qui concerne Dantzig, toute la difficulté provient
de ce que cette ville est allemande et devra, t ô t ou tard, faire
retour au Reich. Toutefois, cela ne limitera en rien les droits
de la Pologne. A mon avis, il devrait être possible de trouver
une solution au problème qui garantirait, sous une forme
quelconque, les intérêts des deux pays. Si on réussissait
à réaliser une pareille entente, toutes les autres dificultés
se résorberaient d‘elles-mêmes, d‘une façon complète e t
définitive. J e serais disposé à faire, le cas échéant, une décla-
ration semblable à celle que j’ai faite à la France pour l’Al-
sace et la Lorraine, ou à l’Italie pour le Tyrol du sud. Enfin,
j’attire votre attention sur la nécessité de faciliter et d’accé-
lérer les communications entre le Reich et la Prusse-Orien-
tale n...
1. Entretien Hitler-Brauchifach, consigné par le lieutenant-colonel Siewert.
(Akfen zur Deufschen Auswürfigen Politik, VI, p. 98.)
2. Goering l’a déjà dit aux généraux Babrycy et Sosnkoweki. (Voir plus haut,
p. 170.)
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 177
Durant tout ce monologue, Beck a écouté parler Hitler
avec une nervosité croissante. L’affirmation que (( Dantzig
est une ville allemande qui doit revenir au Reich I), a fait
passer dans ses yeux une lueur de colère.
- (( Les vues que vous venez d’exprimer sur Dantzig 11,
répond-il d’un ton sec, (( ne sont certes pas de nature à suppri-
merles difficultés entre nos deux pays. Au contraire! I1 n’y a
aucun équivalent politique à Dantzig et c’est pourquoi cette
affaire ne peut pas se régler par voie de compensation l ! J e
tiens à vous le dire. C’est un point sur lequel la Pologne
tout entière à des idées très arrêtées ...
Comme Hitler lui répète, d’un ton conciliant, qu’il s’agit
de trouver à ce problème une solution équitable qui satis-
fasse les intérêts de tous, Beck ne pousse pas plus loin. I1
ne veut pas s’exposer à une rupture de l’entretien en si
nombreuse compagnie. Mais le lendemain, à Munich, il
déclare à Ribbentrop :
- (( Veuillez dire au Chancelier que jusqu’ici, après chacun
de mes contacts avec des hommes d’État allemands, j’ai
toujours éprouvé un sentiment d’optimisme. Aujourd’hui,
pour la première fois, le pessimisme s’est emparé de moi 2. 1)
Ribbentrop s’en étonne :
-a Le Führer n’a pourtant rien dit qui puisse justifier
la moindre anxiété... n
Mais Beck est trop fin pour n’avoir pas senti qu’on appro-
chait de la zone dangereuse. Les seuls mots de (( Dantzig,
ville allemande )) ont retenti à ses oreilles comme un signal
d’alarme. I1 a perçu le danger, mais pas encore la catas-
trophe 3...
Trois semaines plus tard (26 janvier 1939),le ministre des
Affaires étrangères du Reich se rend à Varsovie pour fêter
le cinquième anniversaire du Pacte germano-polonais. I1 y
signe un accord spécifiant que :
u Au cas où la Société des Nations se retirerait de Dantzig,
1. Beck veut dire par 18 : II Vous me proposez des agrandissements en Ukraine
en compensafion de Dantzig et du Corridor. C’est impossible. L’acquisition de nou-
veaux territoires ne m’intéresse qu’à condition qu’ils s’ajoutent à ceux que je
possbde déjà.
2. Comte SZEMBEK, Journal, 1933-1939, p. 404-407.
3. Pourtant, les avertissements ne lui ont pas fait défaut. u Combien de temps
les Polonais devront-ils attendrc le quatrième partage de la Pologne - qu’ils
provoquent à présent d’une manière aussi folle - et où trouveront-ils alors des
amis? n a demandé, des le 8 octobre 1938, l’éditorialiste de la revue anglaise
The Economist.
VI 12
178 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

ce retrait serait impddiatement suivi d’une déclaration germano-


polonaise affirmant que le statu quo à Dantzig sera maintenu
jusqu’au moment 06 une entente interviendrait entre la Pologne
et l‘Allemagne. D
Cette confirmation du fait que le Reich n’entend pas agir par
surprise est manifestement destinée à dissiper les appréhen-
sions du colonel Beck. Mais le Führer a laissé percer trop
clairement ses intentions pour que le ministre polonais des
Affaires étrangères puisse s’en contenter. Visiblement trou-
blé, Beck estime qu’il serait sage de redonner quelque poids à
l’alliance franco-polonaise, malgré la façon cavalière dont
il a traité la France pendant toute la crise tchèque. I1 charge
donc M. Lucasiewicz de faire quelques avances au Quai
d’Orsay. A Paris, oh les mémoires sont courtes et où
l’amitié avec Varsovie est une vieille tradition ((( Vive la
Pologne, Messieurs! n) on enregistre ce dégel avec satisfac-
tion. Mais la France entrera-t-elle en guerre pour défendre
la Pologne, si elle n’est pas assurée du concours de l’An-
gleterre? L’exemple de Munich permet d‘en douter. Aussi
le colonel Beck s’eff orce-t-il de sonder l’opinion britannique.
Les réponses qu’il reçoit de Londres sont plutôt découra-
geantes :
- N Ne vous y trompez pas »,lui dit-on de divers côtés.
K Personne en Angleterre ne comprendrait une guerre pour
Dantzig, car tout le monde ici le considère comme une ville
allemande l. n
Pour la première fois dans sa carrière, le colonel Beck sent
le sol se dérober sous ses pas.

+ *
Le 15 mars 1939, les troupes de la Wehrmacht font leur
entrée à Prague. En moins de quarante-huit heures, la situa-
tion est retournée. Le 17 mars, Chamberlain prononce son
discours à Birmingham. Le 20, Halifax annonce à la Chambre
des Lords que l’Angleterre est prête à conclure, (( avec plu-
sieurs gouvernements, un pacte de sécurité collective n. Le
même jour, Downing Street envoie à la France, à 1’U. R. S. S.,
à la Pologne et à la Roumanie une note invitant ces quatre
pays, (( à se consulter afin d’opposer une résistance commune
1. Cf. la déclaration de Sir William Kennard au professeur Kucharzewski.
(Comte SZESiOSK, Journal, 1933-1989, p. 451.)
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 179
à toute nouvelle menace dirigée contre l’indépendance d’un
État européen D.Et ici, le mot (( menace )) est pris dans son
sens le plus large : il ne signifie pas seulement une agres-
sion militaire, mais un diktat économique ou encore des (( actes
de dislocation fomentés à l’intérieur )) 2.
C’est alors au Berghof que tinte la sonnette d‘alarme.
Non qu’Hitler craigne de voir la Pologne s’allier à la Rus-
sie. I1 sait que c’est impossible. Mais il redoute que la
proposition anglaise n’encourage Beck à lui résister. A
présent, s’il veut arriver à un règlement amiable de la ques-
tion de Dantzig, il lui faut agir vite.
Chose étrange, mais qui ressort de3 archives officielles :
Hitler, qui était décidé coûte que coûte à faire la guerre à la
Tchécoslovaquie -et qui n’en a été empêché à la dernière
minute que par la Conférence de Munich - ne tient nul-
lement à la faire pour Dantzig et le Corridor, tant il est
convaincu que ce litige doit pouvoir se régler à l’amiable.
Cette fois-ci, c’est vraiment l’ultime lambeau de territoire
allemand qui doive revenir au Reich, et l’absurdité des
solutions imposées par le Traité de Versailles y apparaît
encore plus clairement qu’ailleurs. Hitler voudrait cueillir
ce dernier fruit (( sans tirer un seul coup de feu ». N’a-t-il
pas suffisamment répété que ce serait une erreur de détruire
la Pologne et de créer une frontière commune entre 1’Alle-
magne et YU. R. S. S. ? C’est pourquoi il n’y aura ni tem-
pête, ni éclats de voix, ni mémorandum impératif comme
celui de Godesberg. Les propositions du Führer seront
d’autant plus modérées, qu’il veut mettre la Pologne dans
son tort, si elle persiste à les refuser.
A première vue les difficultésne devraient pourtant pas être
insurmontables. Que veut l’Allemagne? Rattacher Dantzig au
Reich, tout en lui permettant de rester dans l’orbite écono-
mique de la Pologne. Que désire la Pologne? Permettre à la

1. Voir plus haut, p. 154.


2. a L’Allemagne peut : soit attaquer directement la Pologne ou la Roumanie;
soit miner l‘indépendance de ces pays; soit recourir à la pénétration économique;
soit provoquer une dislocation nationale, comme cela a été le cas pour la Tché-
coslovaquie; soit exercer une pression militaire indirecte qui pourrait prendre,
pour la Roumanie, la forme d‘une concentration de troupes hongroises. Veuillez
demander aux gouvernements polonais et roumain s’ils seraient prêts A recourir à
une &sistance active, au cas où leur indépendance serait menacée de l’une quel-
conque de ces façons. n (Znstruciiom de Lord Halifax auz ambassadeurs de
Grande-Bretagne à Varsovie et d Bucarest, le 27 mars 1939. Documente on British
Foreign Poliy. IV, no 538.)
180 HISTOIRE D E L’ARMEE ALLEMANDE
population allemande de Dantzig de s’administrer librement,
à condition de ne pas restreindre son accès à la mer. Com-
ment un tel différend, surgissant entre deux peuples qui
prouvent depuis plusieurs années leur désir de s’entendre,
pourrait-il mener à la guerre? Cela paraît invraisemblable, et
pourtant la tragédie est là. En intervenant pour garantir les
frontières de la Pologne, l’Angleterre s’efforce évidemment
de sauvegarder la paix. Mais elle va aboutir au résultat
contraire parce que, si elle a pris la mesure des ambi-
tions d’Hitler, elle a sous-estimé le caractère aventureux
de Beck. Se croyant désormais à l’abri de toute attaque,
celui-ci va se montrer de plus en plus intransigeant. Hitler
en fera autant, ce qui rendra tout arrangement amiable
impossible l. Pour finir, les deux hommes transformeront
Dantzig en une question de prestige 2, cet élément impon-
dérable dont Gafenco nous dit que (( lorsqu’il s’attache à
un problème, aussi insignifiant qu’il paraisse, il en fait une
cause de triomphe ou d’effondrement S. D
Le 21 mars, c’est-à-dire dès le lendemain du discours
d’Halifax à la Chambre des Lords, Ribbentrop convoque
Lipski à la Wilhelmstrasse et lui dit :
-((Comme vous le savez, le Führer a toujours œuvré
dans le sens d‘un rapprochement avec la Pologne. I1 poursuit
toujours le même objectif. Mais il est surpris de constater
un raidissement inattendu dans votre pays. I1 sufïit de jeter
un coup d’œil sur votre presse pour s’en rendre compte4.
A la longue, il ne lui sera plus possible de laisser passer
de pareilles attaques sans y répondre. Ces polémiques, enve-
nimées de part et d’autre, finiront par engendrer une situa-
tion qui réduira à néant tous nos efforts. J’estime qu’une
1. Hitler &clame Dantzig, parce que la population de la ville est allemande
dans une proportion de 96 %; Beck, parce que Dantzig a appartenu à la Pologne
pendant plus de cinq cents ans.
2. u Ce n’est qu’une question de nuances D, dira M. Franassovici, ambassadeur
de Roumanie à Varsovie, à son collégue allemand. A quoi, hf. von Moltke lui
répondra : I Détrompez-vous. Ce n’est pas une question de nuances mais de
couleurs. Regardez cette carte : l’Allemagne y est marquee en jaune et l’État
libre de Dantzig en bleu. Eh bien, la petite tache bleue doit disparaître. Il faut
du jaune à cet endroit. I1 le faut absolument. II y va du prestige du Führer. C‘est
très sérieux. (GAFENCO,Op. cit., p. 54.)
3. Id, ibià.
4. I Le Haut-Commissaire [Burckhard] a entendu dire qu’Hitler était telle-
ment exaspér6 par les démonstrations antiallemandes qui ont eu lieu récemment
en Pologne, qu‘il s’apprêtait à donner une leçon aux Polonais. s (Tklégramrne
de M. S h e p h d à Lord Halifaz, le 6 mars 1939. Documents on British Foreign
Policy, IV, no 265.)
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 181
nouvelle rencontre entre les deux hommes d’État serait
indispensable pour remettre sur les rails la politique polono-
allemande. Que le colonel Beck vienne à Berlin. Le Führer
sera heureux de l’y recevoir.
u Mais il faut bien vous mettre dans l’esprit que les Alle-
mands sont unanimes à considérer l’existence du Corridor
comme une des séquelles les plus lourdes du Traité de Ver-
sailles. Aucun autre gouvernement que le nôtre n’aurait
pu la rayer de sa liste de revendications, sans être balayé
dans les quarante-huit heures. Le Führer a, sur ce point, une
autre opinion que ses prédécesseurs. I1 reconnait le droit de la
Pologne d’avoir un libre accès à la mer. I1 est le seul homme
d’État allemand capable de renoncer définitivement au
Corridor. Toutefois, les conditions d’une telle renonciation
sont les suivantes :
a 10 Le retour de Dantzig au Reich allemand;
(( 20 La création à travers le Corridor d’une autoroute et

d’une voie ferrée, reliant le Reich à la Prusse-Orientale


et dotées du privilège de l’exterritorialité.
(( En échange, le Reich serait prêt à garantir vos frontières.

Allez porter ce message à Varsovie. J e le répète : au point


où nous en sommes, il m’apparaît capital de régler rapide-
ment le contentieux germano-polonais. D’autant plus que le
Führer s’étonne de l’attitude étrange prise récemment par la
Pologne sur toute une série de questions. I1 est très important
qu’il n’ait pas l’impression que votre gouvernement est
décidé à repousser toutes ses propositions, quelles qu’elles
puissent être l. D
t
* *
Le 22 mars, le Conseil des Ministres polonais se réunit au
Palais Brühl pour examiner les propositions anglaises de
pacte collectif et les propositions allemandes formulées par
Ribbentrop. L’offre anglaise est rejetée pour les raisons que
nous avons déjà exposées a. Mais Beck décide de repousser
aussi les propositions allemandes :
- (( Moi, abandonner Dantzig? )) s’écrie-t-il avec véhé-

mence. (( Jamais! Si Hitler compte sur moi pour le lui donner,

1. Procès.verbal de l’entretien entre M . cwn Ribbentrop et M . Lipski d Berlin,


le 21 mars 1939. Livre blanc allemand, II, no 203.
2. Voir plus haut, p. 155.
182 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

il se trompe! J e suis le dernier qui puisse abandonner Dantzig.


Après cinq années d’entente parfaite, au cours desquelles
je n’ai failli à aucun de mes engagements, Hitler essaye de
me porter un coup mortel. Mais je saurai le parer! Les Anglais
sont nos amis. Ils le seront davantage encore demain. Dantzig
est en sûreté et je suis encore debout. Qu’on le sache à
Berlin! Pourtant je n’ai pas changé de politique. J e reste
fidèle à mes principes. J’ai évité jusqu’ici tout acte irrépa-
rable, pour sauvegarder la paix. Mais nous ne sommes pas
des Tchèques. Si l’on touche à Dantzig, ce sera la guerre l ! n
Pourquoi parle-t-il ainsi? D’abord, parce que les proposi-
tions allemandes lui paraissent trop modérées pour &re
sincères. (( Ce n’est qu’une feinte )), se dit-il. (( Hitler veut
pratiquer la politique de l’artichaut. I1 veut manger la
Pologne feuille après feuille. Après avoir obtenu Dantzig,
il réclamera davantage. I1 est impossible qu’il renonce défi-
nitivement au Corridor. Nous avons déterminé la ligne de
nos intérêts directs, au-delà delaquelle il y a un nonpossumus
polonais. C’est très simple : nous nous battrons! n
E t il ajoute à l’intention du comte Szembek : (( Dantzig
est un symbole. Si nous devions nous ranger au nombre
de ces €hats de l’est qui permettent qu’on leur dicte la
loi, je ne sais pas où nous irions. Mieux vaut aller au-devant
de l’ennemi que d‘attendre qu’il marche sur nous. Hitler
a perdu toute mesure, dans la pensée et dans l’action. I1 peut
les recouvrer, s’il rencontre enfin quelqu’un qui soit décidé
à lui tenir tête, ce qui ne lui est encore jamais arrivé jus-
qu’ici. Les Grands se sont montrés humbles devant lui
et les faibles ont capitulé d’avance, sans même sauver leur
honneur. Avec neuf divisions, l’Allemagne se promène
aujourd’hui dans toute l’Europe, mais personne ne s’empa-
rera de la Pologne avec de telles forces. Hitler et ses col-
laborateurs le savent. C’est pourquoi notre règlement de
compte politique avec les Allemands ne ressemblera pas
aux autres 2. ))
En prononçant ces mots, Beck a-t-il bien réfléchi à toutes
leurs implications? I1 ne le semble pas. Ses auditeurs non
plus, qui attribuent sa fermeté à son patriotisme alors
qu’elle est inspirée en grande partie par la peur. Non d’Hitler,
1. Cf. Déelaratwn du colonel Beck à Grégoire Gafenco. (Derniers Jours a% l‘Eu-
rope, p. 36-37.)
2. Comte SZEMBEK, Journal, 1933-1939, 24 mare 1939, p. 435.
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 183
qu’il se fait fort d’amener à résipiscence, mais du fossé dan-
gereux qui se creuse entre son opinion publique et lui.
Depuis l’occupation de Prague, la presse, les partis de
gauche, les milieux cléricaux et la jeunesse nationaliste
- enflammée par les discours belliqueux du maréchal Rydz-
Smigly marquent une hostilité croissante à sa politique
’-

d’entente avec le Reich l . La population se livre à des mani-


festations antiallemandes; les étudiants se massent devant le
Palais Brühl pour le conspuer 2. Beck ne peut faire face à la
vague d’impopularité qui monte contre lui qu’en refusant
de faire la moindre concession sur Dantzig. S’il avait l’air
de s’incliner, il serait renversé.
Pour prouver à ses compatriotes qu’ils peuvent lui faire
confiance et démontrer à Hitler qu’il doit prendre son refus
au sérieux, il l’appuie par une mesure spectaculaire : la
mobilisation partielle de l’armée. L’annexion de Memel,
qui a lieu le même jour, et l’agitation qui règne à la
frontière lituanienne viennent à point nommé pour lui en
fournir le prétexte.
Le 23 mars, il réunit en Conseil de Guerre le Maréchal
Rydz-Smigly, inspecteur général de l’Armée, le général
Kasprycki, ministre de la Guerre, le général Stachiewicz,
chef d’État-Major général, le général Sosnkowski, qui a
établi le plan d’opérations contre l’Allemagne, d’autres
encore. Ceux-ci approuvent sa décision à l’unanimité.
Le même jour, les réservistes des classes 1931 à 1934 - ce
qui représente environ 334.000 hommes - sont rappelés
sous les drapeaux. En vingt-quatre heures, les effectifs de
l’armée polonaise sont doublés S.

1. a L’attitude de la presse polonaise D, h i t l’ambassadeur von Moltke à


M. von Weizsacker et d’autres facteurs de l’opinion polonaise sont devenus, ces
(I

derniers temps, nettement plus défavorables à l’Allemagne.. . Des éléments juifs,


francs-maçons et marxistes, toute l’opposition de gauche, les milieux nationalistes et
aussi, comme on pouvait s’y attendre dans un pays aussi catholique, des influences
cléricales s’emploient sans cesse, sous un prétexte ou sous un autra, à créer une
atmosphère d’hostilité envers le IIIe Reich. D (Akten zur Dcutschen Auawdlrtigen
Politik, V , 53.)
2. a L‘opinion était agitée, l’opposition élevait la voix et les étudiants se livraient
à de bruyantes manifestations dans les rues. 1) (GAFENCO. Op. cit., p. 49.)
3. Doci~rnentson the Events preceding the Outbreak of the War, New York, 1940,
p. 212. Sir Howard Kennard câble à Halifax : a 750.000 Polonais sont sous les
armes. Beaucoup de diplomates, ici, pensent que la Pologne veut provoquer une
guerre. Pour ma part, je ne crois pas que le Gouvernement polonais cherche à
tout prix un casus belli avec l’Allemagne. Mais il est certain que cette mobilisa-
tion partielle va engendrer une crise grave. (Documenls on British Foreign Poliy,
IV, no 573.)
184 HISTOIRE DE L’ARMER ALLEMANDE

Comment Hitler va-t-il réagir en apprenant cette nou-


velle? Va-t-il se laisser emporter par la colère e t foncer droit
devant lui, comme il l’a fait quand Schuschnigg a annoncé
son plébiscite l, ou quand Benès a mobilisé une partie du
contingent tchécoslovaque 2? Non. Contrairement à son
habitude, il garde son calme, car il ne veut pas jeter Beck
dans les bras des Anglais, ni compromettre les dernières
chances de voir aboutir les pourparlers. I1 se contente de
faire venir le général von Brauchitsch et lui dit :
- (( Des négociations très importantes sont en cours avec la
Pologne. Elles tendent au règlement de tous les litiges ger-
mano-polonais. J e ne veux donc pas entrer en conflit avec elle.
J e me suis abstenu de soutenir les aspirations des Ukrainiens
à l’indépendance, pour ne pas indisposer le Gouvernement
de Varsovie. J e n’ai pas non plus l’intention de lui réclamer
la restitution de la Prusse-Occidentale ou des territoires
silésiens. J e demeure optimiste en ce qui concerne les pos-
sibilités d‘arriver à u n accord. La mobilisation polonaise
est une provocation injustifiée à laquelle je ne répondrai
pas par des contre-mesures militaires. Bornez-vous, à titre
préventif, à renforcer la protection de notre frontière de
l’est 3. n
Mais lorsque le lendemain, 24 mars, Hitler apprend que
Beck a propos6à Lord Halifax de substituer un accord anglo-
polonais à son projet mort-né de pacte collectif; lorsqu’il
reçoit, le 26 mars, la réponse polonaise, qui est un rejet pur
e t simple de ses propositions 4; lorsqu’il entend, le 31 mars,
Chamberlain annoncer à la Chambre des Communes que
(( l’Angleterre soutiendra la Pologne par tous les moyens P;

lorsqu’il voit Beck se rendre à Londres; lorsqu’il lit le Com-

1. Voir vol. IV, p. 513 et s.


2. Voir vol. V, p. 228 et s.
3. Joseph LIPSKI,Stosunki Pobko-Niemieckie w swietie A k t w Norymbmkich
in Sprawy Mieùzynarodowa, 2-3, London, 1947, p. 25 et s.
u Jusque-Ià D, nous dit Manstein, a c’est-à-dire jusqu’au printemps de 1939,
1’0. K. H. n’avait élaboré aucun plan d’attaque contre la Pologne. En ce qui
concerne I’est de l’Europe, toutes les dispositions militaires qu’il avait dans ses
tiroirs étaient de caractère strictement défensif. D (Verlorene Siege, p. 17.)
4. Ce jour-18, Lipski déclare A Ribbentrop : a J’ai le triste devoir de VOUS i n f o r
mer que la poursuite des projets allemands, notamment ceux concernant le retour
de Dantzig au Reich, signifiera la guerre. D
Le ministre des ARaires étrangères du Reich ayant attin5 son attention sur la
mobilisation partielle polonaise, et l’ambassadeur de Pologne lui ayant assuré
qu’il s’agissait de simples mesures de précaution, Ribbentrop lui a répondu :
(I Prenez garde! Si les choses continuent à évoluer de cette façon, il s’ensuivra mpi-
LA CRISE CERWANO-POLONAISE 185
muniqué anglo-polonais du 6 avril 1939 par lequel Beck et
Halifax annonqent la signature prochaine d’un pacte d’as-
sistance, il comprend qu’il serait vain de se faire encore des
illusions et que Beck s’est rangé dans le camp de ses ennemis.
Dès le lendemain, 3 avril, il convoque Keitel à la Chan-
cellerie et lui dicte les directives suivantes :

Berlin, 3 avril 1939.


PLANBLANC.
L’attitude actuelle de la Pologne exige de prendre des disposi-
tions militaires allant au-delà des mesures de sécurité normales
déjà en vigueur le long de notre frontière de l’est. Ces disposi-
tions sont destinées, le cas échéant, à écarter définitivement toute
menace venant de ce côté.

I . - Conditions politiques préliminaires et définition des


objectifs :
L’attitude allemande à l‘égard de la Pologne reste dominée
par le souci d’éviter tout incident. L a Pologne a pratiqué jus-
qu’ici la même politique. Toutefois, s i elle venait à en changer
pour adopter une attitude hostile a u Reich, un règlement de
comptes définitif pourrait devenir nécessaire.
Le but sera alors d’anéantir les farces armées polonaises et
de créer, à l’est, une situation permettant d’assurer la défense
de notre territoire.
L a tâche de la direction politique du Reich consistera à isoler
autant que possible la Pologne, afin de circonscrire la guerre
à ce pays.
Une aggravation de la crise intérieure en France, jointe à
une réserve accrue de la part de l’Angleterre, pourraient faire
naître cette situation dans un délai rapproche‘.
Une intervention de la Russie, pour autant qu’elle en soit
capable, ne sera, selon toute probabilité, d’aucune utilité à la
Pologne, car elle équivaudra à sa destruction par le Bolché-
visme.
L’attitude des pays limitrophes dépendra exclusivement des

dement une situation tras grava. Une violation du territoire de Dantzig par les
troupes polonaises serait considBrBe, en Allemagne, comme Bquivalant à une viola-
tion des frontihres du Reich! ~i(Ahten tur Deutschen Auwdrtigen Politik, VI,
no 101.)
Georges Bonnet situe à ce moment, c’est-à-dire au 26 mars 1939, l’origine de
la rupture entre Berlin et Varsovie. (La DEfenue de la Poi+, II, p. 172.)
1. Dêdaration du marêchal Keitel au Tribunal miliiaire internaiional de Nureni-
berg, X, p. 576. Voir également Helmuth GREINER,Die Oherste M‘ehrniachtfürung,
1939-1943, p. 30.
186 HISTOIRE DE L'ARMER ALLEMANDE

pressions militaires exercées par l'Allemagne. O n ne peut tabler


avec certitude sur le concours de la Hongrie. L'attstuds de
l'Italie est déterminée par l'Axe.
II. - Corollaires militaires :
Les grands objectifs poursuivis par l'édification de la Wehr-
macht restent conditionnés par l'hostilité des Démocraties occi-
dentales. Le Plan BLANC n'est donc qu'un complément des pré-
paratifs e n cours. II ne doit e n aucun cas être considéré comme
le prélude à un conflit avec nos adversaires de l'ouest.
L'isolement de la Pologne se maintiendra durant un temps
d'autant plus long après le déclenchement des hostilités, que la
guerre débutera par des coups fulgurants, menant à des succès
rap ides.
III. - Tâches assignées à la Wehrmacht :
L a tâche de la Wehrmacht consiste à anéantir l'Armée polo-
naise. Pour y parvenir, elle doit préparer une attaque éclair,
et l'exécuter rapidement. L a mobilisation générale, ouverte ou
camouflée, sera annoncée a u plus tôt la veille d u déclenchement
de l'offensive.
Aucune nouvelle disposition n'est à prévoir en ce qui concerne
les forces chargées de la protection de notre frontière à l'ouest.
I V . - Missions des diverses armes de la Wehrmacht :
a ) Forces de Terre :
Le but des opérations à l'est est l'anéantissement de l'Armée.
polonaise. A cette fin, l'aile sud pourra utiliser le territoire
slovaque comme base de départ; l'aile nord devra établir rapi-
dement les communications entre la Poméranie et la Prusse-
Orientale.
L a question de savoir si les forces destinées à assurer la pro-
tection de nos frontières de l'ouest doivent occuper les secteurs
prévus ou peuvent être utilisées à d'autres fins, dépendra de lu
situation politique.
b) Forces de Mer :
Dans la mer Baltique, les missions suivantes incombent à la
Kriegsmarine :
l o Détruire ou mettre hors de combat les forces navale8
polonaises.
20 Verrouiller toutes les voies d'accès maritimes aux points
d'appui polonais, et principalement à Gdynia.
30 Intercepter tout trafic commercial polonais par mer.
40 Assurer les liaisons maritimes entre le Reich et la Prusse-
Orientale.
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 187
50 Protéger le trafic maritime allemand avec la Suède et teiz
Pays Baltes.
60 S'assurer que des forces navales soviétiques ne puissent
pas sortir d u golfe de Finlande et se prémunir contre leurs
attaques éventuelles.
Dans la mer du Nord, des forces appropriées & la Kriegs-
marine seront chargées de la défense des côtes de la mer d u Nord
et de leurs approches.
Dans la partie sud de la mer du Nord et a u Skagerrak, des
mesures doivent être prises pour empêcher une intervention par
surprise des forces navales des Puissances occidentales. Tou-
&fois, ces mesures devront se limiter a u strict minimum. Leur
présence ne doit pas se faire remarquer. Il faut éviter toute
action capable d'enveminer l'attitude politique des Puissances
occidentales.
e) Forces de l'Air :
Tout e n conservant les forces nécessaires à l'ouest, la Luft-
waffe devra déclencher une attaque éclair contre la Pologne.
Outre la destruction la plus rapide possibledes forcesaèriennespolo-
naises, les tâches essentielles qui lui incombent sont les suivantes :
10 Perturber a u maximum la mobilisation polonaise et empê-
cher le déploiement des armées ennemies.
20 Soutenir étroitement l'action de nos forces de terre prin-
cipalement les unités avancées, dès qu'elles auront franchi les
frontières,
U n transfert éventuel d'unités aériennes du Reich e n Prusse-
Orientale doit s'effectuer de façon à ne pas compromettre l'effet
de surprise.
Ces directives sont accompagnées d'une lettre portant la
mention :Délais de préparation. Elle commence par ces mots:
u Selon les directives d u Führer, la préparation du Plan
BLANC doit s'effectuer de telle sorte, que son exécution puisse
avoir lieu n'importe quel jour à partir d u l e r septembre 1939 l. n
Comme on le voit, le colonel Beck, lui aussi, va trouver à
qui parler.
1. Documents du Tribunal militaire internulionalde Nuremberg, XXXIV, p. 429.
XIV

LA TENSION INTERNATIONALE S’ACCROIT

Pendant oe temps, l’État libre de Dantzig se met à


bouillonner comme un chaudron de sorcière. Le 5 mars
1933, lors de son accession au pouvoir le Parti national
socialiste n’avait recueilli en Allemagne que 43,9 % des
voix. A Dantzig, il avait remporté 50,03 yo des suffrages
- soit 38 mandats sur 72, au Sénat de la ville - ce qui lui
avait assuré la majorité absolue 1. A cette époque, la Ville
libre comptait 40.726 chameurs! pour une population de
450.000 habitants. Sous l’impulsion du gauleiter Forster et
d’Arthur Greiser, le président du Sénat, un programme de
grands travaux a été mis en train. Quatre ans plus tard
(1937), le nombre des chômeurs est tombé à 2.636 2. Mais si
ce programme a fourni du travail à, la quasi-totalité des
ouvriers sans emploi et s’il a rallié à la N. S. D. A. P. la
grande majorité des habitants des campagnes, il a fortement
obéré les Gnances de la ville. En août 1933, les réserves
en or de Dantzig s’élevaient encore à 35 millions de florins.
En 1935, elles étaient tombées à 13 millions et demi3.
1. De nouvelles élections ont eu lieu le 5 avril 1935. Les Nazis espéraient enre-
gistrer des progrès qui leur auraient permis d’atteindre la majorité des deux
tiers, requise pour toute modification légale de la Constitution de la Ville. Mais
malgré une forte pression exercée sur l’électorat, le Parti hitlérien n’a gagné
que 4 nouveaux sièges. N’ayant que 42 députés sur 72 (au lieu des 48escomptés),
force lui a été de recourir aux mêmes méthodes qu’A l’intérieur du Reich : le
Parti communiste a été déclaré illégal; le Parti Deutsch-National s’est rallié au
Parti Nazi; le Centre et le Parti Socialiste ont été mis en demeure de disparaître;
les éléments syndicalistes ont été absorbés par le Front du Travail. Bref, en
1939, la population de Dantzig n’est pas seulement allemande : elle eat devenue
foncièrement hitlhienne.
2. Cari BIJRCKEARDT, M a Mission d Dantzig, p. 91.
3. Id., p. 42.
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 189
Cette situation s’est trouvée encore aggravée par le marasme
grandissant des affaires. A la suite des conflits perpétuels
qui opposent les autorités allemandes aux autorités polo-
naises l, le Gouvernement de Varsovie s’est rendu compte
qu’il ne pouvait faire fond sur Dantzig pour assurer d’une
façon régulière son trafic maritime. I1 a donc entrepris de
moderniser le petit port de Gdynia (Gdingen), situé quelques
kilomètres plus à l’ouest, en plein Corridor c’est-à-dire-
en territoire soumis à la souveraineté polonaise 2. Gdynia
s’est développé rapidement, grâce à l’amux de capitaux
français, et a fini par drainer une grande partie du trafic qui
passait auparavant par Dantzig. Du coup la Ville libre
s’étiole, menacée d’asphyxie. Tous ces facteurs n’ont pas
peu contribué à exacerber l’irrédentisme de la population
dantzickoise. Pour elle u retourner au Reich 1) est devenu
une question vitale, la seule manière de retrouver sa pros-
périté perdue.
Aussi ne comprend-elle pas pourquoi Hitler temporise et
veut régler le problème par une solution négociée, quand il
lui serait si facile de le trancher par un coup de force3. Dans
l’espoir de provoquer une crise qui l’obligera à intervenir,
elle multiplie les incidents. Ceux-ci se renouvellent si fré-
quemment qu’ils finissent par plonger1 es Dantzickois dans
un état de fièvre obsidionale.
Ni l’annonce que la Pologne a signé un pacte d’assistance
avec l’Angleterre, ni les conclusions qu’Hitler en tire, dans
le discours qu’il prononce devant le Reichstag le 28 avril 1939,
ne sont de nature à faire baisser la température.
A présent »,déclare le Führer en s’adressant aux députés,
a je voudrais vous dire quelques mots des rapports germano-
1. De 1922 à 1933, 106 cas litigieux entre la Pologne et Dantzig ont été trait&
par le Conseil de la S. d. N. (Carl BURCKHARDT, Op. cit., p. 38.) Après une courte
période de détente, le nombre des incidents a augment6 de nouveau et ceux-ci
sont survenus dans une atmosphére beaucoup plus explosive.
2. Voir la carte, p. 467.
3. N’ayant sous les yeux que la situation locale, ils raisonnent comme les
activistes autrichiens à la veille de l’attentat contre le Chancelier Dollfuss. (Voir
vol. IV, p. 433 et s.) Ils croient qu’il suffirait d’ouvrir la frontière qui sépare le
Territoire de Dantzig de la Prusse-Orientale, et de laisser amuer dans la Ville
libre les formations de S. A. e t de S. S. stationnées dans le Wehrkreis I SOUS
l’autorité du gauleiter Koch, pour que le tour soit joué. Ils oublient que le statut
de Dantzig relève du Droit international e t ne se rendent pas compte que la
Pologne detient une arme redoutable : les sanctions économiques qu’elle peut
décréter à titre de représailles. En coupant Dantzig de l’hinterland qui fait vivre
le port, elle Btablirait un blocus qui aboutirait A son aiphyxie totale.
190 HISTOIRE D E L’ARMBE ALLEMANDE

polonais. Ici encore, le Traité de Versailles a infligé au peuple


allemand la plus douloureuse des blessures. I1 s’agissait, en
fixant d‘une façon arbitraire les limites du Corridor, destiné à
donner à la Pologne un accès à la mer, de rendre à tout jamais
impossible une entente entre la Pologne et l’Allemagne. En
dépit de ce fait, j’ai toujours estimé que la Pologne avait abso-
lument besoin d’un libre accès à la mer et qu’en principe, les
peuples que la Providence a appelés - ou condamnés, si vous
préférez - à vivre côte à côte, n’avaient aucun avantage à
se rendre artificiellement la vie encore plus amère. Le Maréchal
Pilsudski partageait ma manière de voir. C’est ainsi que nous
en vînmes à conclure un accord aux termes duquel l’Allemagne
et la Pologne résolurent de renoncer à la guerre, en tant que
moyen de régler leurs différends éventuels l.
(( Cet arrangement ne comportait qu’une seule exception :

il fut convenu que l’Accord germano-polonais n’affecterait en


rien les accords existant antérieurement à lui, en l’occurrence
le Pacte d’assistance franco-polonais. Mais il allait de soi que
cette réserve ne pouvait s’appliquer qu’au traité déjà en vigueur,
non à ceux que la Pologne pourrait conclure par la suite.
a I1 y avait cependant une question pendante entre nos deux
pays qui devait, tôt ou tard, trouver sa solution :celle de la ville
allemande de Dantzig. Car Dantzig est une ville allemande et
elle veut appartenir ti l’Allemagne. (Applaudissements.)
J’admettais, comme je vous l’ai dit, que la Pologne eût
un accès à la mer. Mais il fallait que la Pologne comprît
de son côté, que l’Allemagne désirait avoir un accès à sa pro-
vince de Prusse-Orientale. (Applaudissements prolongés.) Ce
problème n’avait aucun caractère militaire. I1 relevait exclu-
sivement du domaine économique et psychologique. Impos-
sible de le résoudre d’après quelque vieille formule. I1 fallait
s’engager hardiment dans des voies nouvelles.
u J’ai donc fait au Gouvernement polonais la proposition
suivante 2 :
u 1. Dantzig, en tant qu’État libre, rentre dans le cadre du Reich;
(( 2. L‘Allemagne obtient, à travers le Corridor, une route et une

ligne de c h m i n de fer dont elle puisse disposer librement


et qui aient le même caractère extraterritorial pour 1’Alle-
magne, que le Corridor pour la Pologne.
En échange, l’Allemagne est prête :
(( 10 A reconnaître tous les droits économiques de la Pologne à

Dantzig;
1. Allusion au Pacte de non-agression du 6 janvier 1934.
2. Ces conditions correspondent à celles que Ribbentrop a proposées à Lipski
lors de leurs entretiens du 24 octobre 1938 et du 21 mars 1939. (Voir plus haut,
p. 173, note 4, e t p. 180-181.)
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 191
<I20 A assurer à la Pologne un port-franc à Dantzig, dont les
dimensions seraient déterminées par la Pologne elle-même
et dont l’accès serait complètement libre;
u 30 A reconnaître et à accepter, .par là même, comme étant
définitivement fiées, les frontreres entre l’Allemagne et la
Pologne;
u 40 A conclure avec la Pologne un pacte de non-agression de
vingt-cinq ans, c’est-à-dire dépassant la durée probable de
ma vie.
u Le Gouvernement polonais a décliné mon offre. (Oh! Oh!
sur plusieurs bancs.) I1 s’est déclaré prêt à traiter uniquement
la question d u remplacement du Haut-Commissaire de la
Société des Nations e t à envisa er quelques facilités pour le
k
transit à travers le Corridor. ( clats de rire.)
(( J’ai regretté sincèrement cette attitude. Mais j’aurais pris

patience, convaincu que la Pologne finirait par mieux com-


prendre ses intérêts e t abandonnerait l’idée absurde que
Dantzig puisse jamais devenir une ville polonaise.
(( Là-dessus, imitant l’exemple de la Tchécoslovaquie il y

a un a n l, la Pologne, agissant sous la pression d’une campagne


d’excitation mensongère, a cru devoir mobiliser ses troupes,
bien que l’Allemagne n’ait, de son côté, ni mobilisé unseul
homme, ni entrepris une action quelconque contre la Pologne 2.
(Cris, protestations.)
(( J’ai gardé mon calme et n’ai pris aucune contre-mesure

militaire 3. Mais ce n’est pas tout.


cc Les projets d’agression attribués à l’Allemagne par la
seule imagination de la presse internationale, ont eu comme
conséquence l’offre anglaise de garantie à la Pologne, que VOUS
connaissez tous, et i’acceptation par la Pologne d’un pacte
d‘assistance polono-anglais, pacte essentiellement dirigé contre
ïAllemagne, puisqu’en cas de conflit avec n’importe quelle
autre Puissance, l’Angleterre serait amenée, de par ses enga-
gements envers la Pologne, a prendre militairement position
contre nous. (Huées et protestations.)
(( Cette fois-ci, c’en est trop! (Tonnerre d’applaudissements.)

Cet engagement est en contradiction formelle avec l’accord que


j’ai conclu autrefois avec le Maréchal Pilsudski. Celui-ci ne
comportait d’exception que pour un seul pacte :le Pacte franco-
polonais. Si cette exception avait dû s’étendre a tous les autres

1. Allusion à la mobilisation partielle tchécoslovaque du 20 mai 1938. (Voir


vol. V, p. 227.)
2. Allusion à la mobilisation partielle polonaise des 22-23 mars 1939. (Voir
plus haut, p. 95 et p. 183.)
3. Voir plus haut, p. 184.
192 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

pactes que la Pologne pouvait conclure par la suite, je n’aurais


jamais consenti à le signer.
(( Pour cette raison, je considère l’accord conclu en 1934

entre le Maréchal Pilsudski et moi comme unilatéralement


violé par la Pologne et donc comme ayant cessé d’exister. Je
l’ai notifié officiellement au Gouvernement polonais l. (Ap-
plaudissements nourris.)
u Toutefois, je répète que cette dénonciation ne modifie en
rien mon attitude à l’égard des problèmes que je viens d’évo-
quer. Si le Gouvernement polonais désire arriver à un nouveau
règlement contractuel de ses relations avec l’Allemagne, je
répondrai volontiers à ce désir. A condition toutefois qu’un
tel règlement repose sur des obligations absolument claires
et réciproques pour les deux Parties. n

+ *
Beck avait prévu que l’acceptation d’un Pacte anglo-polo-
nais soulèverait une vague de mécontentement à Berlin,
mais il se faisait fort (( de rétablir l’équilibre, une fois la
période de tension passée ». L’initiative d’Hitler le prend
au dépourvu, car il n’a jamais pensé que le Chancelier irait
jusque-là. Va-t-il renouer le dialogue, en profitant de l’invi-
tation à négocier que le dictateur allemand lui lance dans la
dernière partie de son discours? Nullement. Dans le mémo-
randum qu’il adresse, le 5 mai, au Gouvernement allemand,
il refuse d’apporter la moindre modification au statut de
Dantzig, rejette la proposition de route extraterritoriale,
affirme que le Pacte germano-polonais ne limitait en rien
la liberté d u Gouvernement polonais de contracter des
alliances avec des tierces Puissances 8 et conteste formelle-
ment à l’Allemagne le droit de dénoncer, unilatéralement
et sans préavis, un accord conclu pour une durée de dix

1. Cf. le Mémorandum du Gouvernement allemand à la Poiognc et à l’Angleterre


du 27 avril 1939. (Akfenzur Deutschen AuPwGrtigen Politik, VI, no 276.) La dénon-
ciation du Pacte germano-polonais est immédiatement suivie de la dénonciation
du Pacte naval germano-anglais. (Voir plus haut, p. 117-118.) Ce sont les deux
volets d’une même contre-offensive diplomatique.
2. Déciaratwn de Beck à Gafenco. (Voir plus haut, p. 157.)
3. u E n reprochant à l a Pologne d‘avoir accepté que la Grande-Bretagne garan-
tisse son indépendance n, dit le Mémorandum du 5 mai, a et en considérant cet
acte comme la première violation faite par la Pologne à l’Accord de 1934, le
Gouvernement du Reich oublie les accords qu’il a lui-même conclus Acemment
avec l’Italie, ainsi que les Conventions qu’il a passées les 18 et 23 mars derniers
avec la Slovaquie, e t dans lesquelles l’installation de garnisons allemandes en
Slovaquie occidentale (voir plus haut, p. 97) peut être considérée comme une
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 193
ans. Enfin, il accuse Hitler d’avoir déchiré l’Accord germano-
polonais (( sans même attendre la note par laquelle le Gou-
vernement polonais s’apprêtait à lui démontrer, d’une façon
irréfutable, qu’un Traité anglo-polonais est parfaitement
compatible avec l’accord de 1934 n.
Les arguments qu’invoque la réponse polonaise ne sont
pas sans fondement. Mais l’insolence qui s’en dégage met
Hitler hors de lui. Puisque Beck ne veut rien entendre,
tant pis pour lui. Il va apprendre à ses dépens ce qu’il
en coûte de lui tenir tête. Le 23 mai, il convoque une
conférence militaire dans son bureau de là nouvelle Chan-
cellerie, pour dire aux chefs de la Wehrmacht qu’un conflit
armé avec la Pologne lui paraît désormais inévitable2.
- Q J’ai voulu m’entendre avec la Pologne », leur dit-il.
(( I1 n’y faut plus compter. Les Polonais ne sont pas pour

nous des ennemis occasionnels. I1 se sont dressés contre nous


tout au long de leur histoire. La Pologne sera toujours du côté
de nos adversaires. Malgré les pactes d’amitié, l’intention a
toujours persisté, en Pologne, d’exploiter chaque occasion
contre nous. Tout accroissement de notre puissance l’inquiète,
et c’est pourquoi elle cherchera toujours ànous ravirlavictoire.
uSi nous faisons la guerre, ce ne sera pas pour Dantzig,
mais pour étendre notre espace vital à l’est e t assurer la
subsistance de nos générations futures. Nous ne pouvons tirer
notre ravitaillement que des régions où la densité de la popu-
lation est faible. Les méthodes d’exploitation allemandes,
ajoutées à la fertilité du sol, accroîtront considérablement
le rendement des terres. E n Europe, aucune autre possi-
bilité ne nous est offerte. L’octroi de colonies ne résou-
drait rien, car nous resterions toujours à la merci d’un
blocus. De plus, si le destin nous accule à un conflit avec
l’occident, mieux vaut disposer à l’avance d’un plus grand
espace à l’est. I1 ne s’agit pas de droit, ou d’absence de droit :
il s’agit de l’existence de quatre-vingts millions d’Allemands.
(c J e doute que la Pologne représente un barrage eficace
contre le Bolchévisme. Je ne dirais pas cela si le Maréchal
mesure dirigée contre la sécurité de la Pologne. Pourtant, celle-ci n’en B paa
pris ombrage.
1. Livre blanc polonais, ho 78.
2. Y assistent : le maréchal Gœring, les amiraux Ræder et Schniewind, les
gbéraux Keitel, von Brauchitsch, Halder, Milch et Bodenschatz, lea colonels
Jeschonnek et Warlimont, le lieutenant-colonelSchmundt, le capitaine de corvette
Albrecht, les capitaines Engel et von Below.
Y1 13
194 HISTOIRE D E L’ARMSEALLEMANDE

Pilsudski vivait encore. Mais j’ai tout lieu de penser que le


Gouvernement polonais actuel ne résisterait pas longtemps
à une pression sérieuse de Moscou1. J’ai donc renoncé à
considérer la Pologne comme un bastion contre l’Asie. C’est
pourquoi je n’ai plus aucune raison de la ménager. La
seule question qui se pose, désormais, est le moment le plus
favorable pour l’écraser.
(( I1 ne faut pas s’attendre à une répétition du processus

tchèque. Cette fois-ci, on en viendra aux mains. Mais il


importe d’éviter à tout prix qu’une guerre avec la Pologne
n’entraîne un conflit simultané avec la France et l’Angleterre.
I1 faut donc l’isoler. La réussite de cet isolement aura une
influence capitale sur la suite des événements. Votre tâche
consiste à préparer les opérations de telle sorte que nous
puissions porter à l’adversaire, dès le début de la campagne
un coup, ou pour mieux dire le coup qui l’anéantira. Le mien
consiste à isoler la Pologne, pour empêcher les Puissances
occidentales de venir à son secours. Ce but ne peut être atteint
que par une politique habile. C’est pourquoi je me réserve
de fixer moi-même le moment où il conviendra de donner
l’ordre d’attaque définitif 2. D
Après une question de Gœring, relative à l’intensification
des fabrications de guerre, les chefs militaires se retirent en
silence. La plupart des choses qu’Hitler leur a exposées ne

I.Le 12 mai, M. Potemkine, Vice-ministre soviétique aux Affaires étrangères,


est passé à Varsovie où il a eu a un long et confiant entretien avec le colonel Beck
qui a reconnu que la Pologne était fatalement liée à 1’U. R. S. S. et obligée de
s’appuyer sur elle P. M. Léon Noël écrit à ce propos à Paris : (I M. Beck m’a
confirmé les indications que je vous ai fait parvenir sur son entretien avec Potem-
kine. I1 m’a dit que, depuis 1932, il avait eu pour la première fois avec un rep&-
sentant de 1’U. R. S. S. une conversation exempte de toute méfiance de part
et d’autre. D’après M. Beck, M. Potemkine a parfaitement compris la politique
polonaise. D (Rapport au Quai d’ûruay, du 13 mai 1939.) Même son de cloche
à Moscou, d‘où M. Payart, chargé d’affaires français, écrit à Georges Bonnet :
a M. Potemkine m’a fait part de l’impression favorable que lui a laissée sa
conversation avec M. Beck. n (Rapport au Quai d’ûroay, du 15 mai 1939.) Un
des résultats de cette visite est la r6ouvertm de 1’Ambassade soviétique à Var-
sovie, restée sans titulaire depuis trois ans.
2. Procès-oerbal de h Conft?rencemilitaire du 23 mai 1939. Petit rapport Schmunùt.
L. 79. (Documents du Tribunal militaire international de Nuremberg, XXXVII,
p. 546.) Les passages reproduits ci-dessus sont certainement authentiques. Mais
ce procès-verbal contient en outre un certain nombre de considérations sur la
guerre à l’ouest que nous nous sommes abstenu de reproduire parce qu’elles
fourmillent d‘invraisemblances et sont en contradiction avec les circonstancea
du moment. On ne saurait s’en étonner quand on connaît les faits suivants :
ce document (qui n’est pas un compte rendu stbnographique) a été trouvé en
Allemagne, on ne sait comment, ni par qui. Il est parvenu par des voies détour-
nées aux hats-Unis, où il a été Idécouvert D par les membres du Minist& publio
L A CRISE GERMANO-POLONAISE 195
sont pas nouvelles pour eux. Mais ils se disent que désormais
le conflit est proche, et que si le Führer reste sur l’expecta-
tive ce n’est plus pour ménager la Pologne, mais pour se
donner le temps d’achever son encerclement.

+ i

La plupart des observateurs voient monter la tension avec


une appréhension compréhensible. Mais le plus angoissé de
tous est peut-être Carl Burckhardt, que ses fonctions de
Haut-Commissaire de la Société des Nations pour Dantzig
placent au cœur des événements. Chargé d’arbitrer les diffé-
rends entre le Sénat de la Ville libre et le Gouvernement polo-
nais, sa mission devient chaque jour plus dificile à remplir.
Le l e r juin 1939, il rend visite à M. Attolico, l’ambassadeur
d’Italie à Berlin qui a été son prédécesseur à Dantzig de
1920 à 1921, pour prendre son conseil l .
Attolico a beaucoup vieilli depuis le jour où il est arrivé
tout haletant, à la Chancellerie, pour annoncer à Hitler que
Mussolini offrait sa médiation dans l’affaire des Sudètes 2.
I1 apparaît à Burckhardt (( comme un homme grisonnant,
prisonnier d’une situation politique sans issue, qui en voit,
d’un œil lucide, tous les aspects effroyables 3 ».
- (( J e suis malade D,dit-il au Haut-Commissaire genevois,
(( je n’ai plus pour longtemps à vivre. J’espérais avoir encore

sur le tard quelques années pour moi. Mais je ne le puis.


J e dois essayer d’empêcher, par tous les moyens dont je
dispose, cette absurdité, cette criminelle absurdité, ce conflit
polonais qui menace. A présent, il y va du tout pour le tout.
américain. Ceux-ci l’ont emporté à Londres, o ù il a été enregistré sous la cote
L. 79, e t envoyé de là à Nuremberg. (I. M. T.,II, p. 281.) Le texte n’est pas daté.
I1 porte des corrections qui ne sont pas de la main de I’auteur. On ne sait pas
tt quel moment il a été rédigé. I1 n’a été soumis, à l’époque, à aucune des per-
sonnes ayant participé à la conférence. Son auteur, qui a été tué lors de l’attentat
du 20 juillet 1944, n’a pu fournir aucune explication à son sujet. En 1946, son
exactitude a été contestée par Gœring (IX, p. 331-332); par l’amiral Raeder,
qui l’a déclaré a inexact et sans valeur probatoire I (XIV, p. 44-45 et 140); par
le maréchal Milch (IX, p. 56-58) et par l’amiral Schulte-Mbtig, chef d’État-
Major de la Kriegsmarine (XIV, p. 323-325,348-350), qui a déclaré a qu’il ne cor-
respondait nullement, dans son ensemble, au récit que l’amiral Raeder lui avait
fait de la conférence, en mai 1939 P.
1. Attolico informe Ciano de la visite de Burckhardt par une lettre en date
du l e * juin 1939. (Docurnenti dipbmatici ifaliani, série VIII, 1935-1939, vol. 12,
no 82.)
2. Voir vol. V, p. 476.
3. Carl BURCEHARDT, Ma Mission à DaBlzig, p. 338.
196 HISTOIRE D E L’ARYBB ALLEMANDE

Nous sommes à la veille d’une seconde guerre mondiale P ...


-«Que faire pourl’empêcher? slui demandeBurckhardt.a Je
reçois tous les jours la visite de résistants allemands qui vien-
nent me trouver. Ils sont révoltés, désespérés, prêts à tout... n
- (( Ne vous faites pas d’illusions »,répond Attolico.

(( Ce sont des isolés. Des conservateurs, des oficiers, parfois

même des socialistes, mais il n’y a pas de coordination entre


eux, pas de méthode. Ils sont imprudents et légers. Les Alle-
mands n’ont pas l’étoffe de conspirateurs. Pour ourdir une
conspiration, il faut tout ce qui leur manque : la patience,
la connaissance des hommes, la psychologie, le tact. Non.
Ils seront fusillés, ils disparaîtront dans des camps. Contre des
régimes de force prêts à employer à tout moment leurs
moyens de coercition, toute révolte est impossible D ...
- (( Mais alors que faire? n

- (c Arracher jour après jour, tout ce qu’il est possible


d’arracher à la dure réalité. Ce qui se cache derrière la catas-
...
trophe imminente, personne ne le voit Seule a cours, en
ce moment, une politique nationale. Peut-être le nationa-
lisme est-il arrivé à son apogée et ne peut-il aller plus loin.
Mais il est à son zénith. Vous devez compter avec ce nationa-
lisme petit-bourgeois allemand, avec le nationalisme fiévreux
des Polonais, comme avec deux graves maladies. Mais derrière
les dangers de ces nationalismes, s’en dresse un autre, bien
plus grave, que personne n’évalue à sa juste mesure.
(( Allez trouver Beck. Parlez-lui. I1 est aussi intelligent que

vaniteux. Dites-lui que si l’on en vient à la guerre, lui aussi


...
sera perdu, tous seront perdus Dites-le-lui! Vous pouvez lui
parler plus franchement que moi, qui ne suis qu’un vieux
diplomate de carrière l. 1)
Mais Burckhardt n’a guère envie de jouer les intermé-
diaires. La presse dantzickoise ne l’a-t-elle pas averti :
a Dantzig n’a que faire d’un nouveau Runciman 2? 1)
E t puis sufirait-il d’effectuer une démarche de ce genre
auprès du colonel Beck pour le ramener au sens des réa-
lités et l’empêcher de jouer avec le feu?
*
* *
Durant tout le mois de juin, la situation empire. a Pendant
les quatre semaines qui présentaient journellement un risqueu,
1. Carl BURCKHARDT, M a Mission à Dantzig, p. 339-343.
2. Danzigsr Vorpoaten, 26 mai 1939.
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 197
écrit le Haut-Commissaire de la Société des Nations, N le
Président du Sénat et le consul général d’Allemagne 2
s’étaient absentés de la Ville libre. Le Gauleiter 3 était, la
plupart du temps, en tournée en Allemagne. I1 n’arrivait
que de façon inattendue, foudroyante, descendant du ciel
dans le nouvel avion dont son maître venait de lui faire
cadeau. A chaque arrivée, il apportait de nouvelles instruc-
tions, plus menaçantes les unes que les autres.
(( Les Polonais, de leur côté, faisaient preuve d’une ner-

vosité extrême. Les notes, continuellement échangées, pre-


naient un ton d’une vivacité inusitée. Quant aux procédés
administratifs employés de part et d’autre, ils se réglaient
selon la loi du talion.
(( Chez les Polonais une conception dangereuse se faisait

jour. On admettait et, pis encore, on disait qu’une guerre


générale serait l’unique et le dernier salut pour la République.
On commençait à s’habituer à l’idée qu’une catastrophe
était inévitable; des paroles dénuées de toute mesure furent
prononcées et le résultat de tout cela fut une sorte d’empoi-
sonnement psychique dans cette cité malheureuse où com-
mençaient à évoluer, en oiseaux de mauvais augure, des
bandes de journalistes empressés à accentuer la crise, soit
par leurs interventions personnelles dans le débat local, soit
par leurs reportages plus que fantaisistes. Dans tout cela,
nous nous appliquions à démêler l’inextricable 4... ))
Le 5 juillet, on signale que de nombreuses formations para-
militaires allemandes - unités de S. A., de S. S. et sections
motorisées - ont débarqué dans le port. Les nouvelles les
plus extravagantes circulent dans la population : on assure
que le Führer va faire son entrée à Dantzig d’un moment
à l’autre 5, que M. Greiser s’apprête à hisser des étendards
à croix gammée sur tous les édifices de la ville, que le rat-
tachement de Dantzig au Reich n’est plus qu’une question
d’heures. Les autorités polonaises commencent à perdre la
tête, tandis que les journaux du Reich affirment péremptoi-
rement u que la famine règne en ville et que des accrochages

1. M. Greiser.
2. M. Martin von Janson.
3. M. Forster.
4. Carl BURCXEARDT, Op. tit., p. 353.
5. Le Sénat dantzickois l’a nommé citoyen d’honneur de la ville, à l’occasion
de son cinquantieme anniversaire. (Voir plus haut, p. 111.)
198 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

sérieux ont eu lieu tout le long de la frontière polono-


dantzickoise D.
Comme, finalement, il ne se passe rien, - car toutes
ces rumeurs sont totalement controuvées - on enregistre
dans les jours qui suivent une baisse de tension. Mais à
peine cet accès de fièvre s’est-il calmé, qu’un nouvel inci-
dent éclate, p p s grave que les autres. I1 debute, le l e r août,
à la suite d u n e querelle fomentée par l’importation, en
Pologne, de harengs et de margarine en provenance de
Dantzig.
La presse locale allemande profite de ces circonstances
pour faire savoir que les Polonais viennent de doubler le
nombre de leurs inspecteurs des douanes par rapport à 1929.
Comme le trafic du port est tombé à 10 yo de ce qu’il était
à cette époque, le Danziger Vorposten voit, dans ce ren-
forcement d’effectifs, la volonté d’étrangler définitivement
la ville et demande que la police dantzickoise boycotte systé-
matiquement tous les agents en surnombre.
Sur ces entrefaites, un soldat polonais, du nom de Bud-
ziewicz, est abattu dans des conditions mystérieuses, par un
douanier allemand. I1 s’agit, semble-t-il, d’un règlement de
Comptes et l’affaire, fort heureusement, s’est déroulée sur le
territoire dantzickois. Mais les correspondants de presse
polonais câblent aussitôt à leurs journaux que tout le per-
sonnel polonais est l’objet de sévices intolérables et que
Budziewicz a été assassiné sur le territoire polonais. Les
esprits sont donc extrêmement montés, lorsque, dans la nuit
du 4 au 5 août, M.Chodacki, représentant diplomatique de l a .
Pologne à Dantzig, adresse à M. Greiser l’ultimatum suivant :

Dantzig, 4 août 1939


u Monsieur le Président d u Sénat,
c( J’ai appris que les fonctionnaires des douanes locales dant-
zickokes, installés a u x postes-frontières situés entre la Ville
libre de Dantzig et la Prusse-Orientale, ont adressé a u x inspec-
teurs des douanes polonais une déclaration sans exemple dans
son genre, b u r notifiant que les organes d‘exécution dantzickois
avaient décidé d‘interdire a u x inspecteurs des douanes polonais
d’exercer leurs fonctions à dater d u 6 août à 7 heures d u matin,
alors que ces fonctions découlent des droits imprescriptibles que
le Gouvernement polonais exerce à sa frontière. J e suis convaincu
que cette décision des organismes locaux repose soit sur un
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 199
malentendu, soit sur une interprétation erronée des instructiom
d o n d e s par la Ville libre de Dantzig.
Vous estimerez comme moi, M . le Président d u Sénat, que
le Gouvernement polonais ne saurait tolérer en aucun cas une
pareille aiteinte à ses droits fondamentaux.
a J’attends de vous, au plus tard le 5 août, à 18 heures, une
réponse m’assurant que vous avez donné des instructions annulant
les agissements de vos subordonnés.
« D u fait que lesdits agissements ont eu lieu à une série de
postes-frontières, je me vois dans l’obligation de vous avertir,
M . le Président d u Sénat, que tous les inspecteurs des douanes
polonais ont reçu l‘ordre d‘assurer leur service e n uniforme et e n
armes à partir du 6 août, à tous les endroits de la frontière où ils
estimeront devoir exercer un contrôle... Toute tentative pour les
en empêcher, tout incident ou intervention de vos agents de
police, seront considirès, par le Gouvernement polonais, comme
des agressions commises envers des fonctionnaires officiels
de l’État polonais dans l‘exercice de leurs fonctions. Si des
incidents de ce genre me sont signalés, le Gouvernement polo-
nais prendra immédiatement des mesures de rétorsion et exer.
cera, contre la Ville libre, des reprèsailles dont la responsa-
bilité incombera exclusivement a u Sénat de la Ville libre.
n J’espère recevoir de vous une réponse satisfaisante dans lea
délais prescrits I. fi

Comme M. Greiser - qui ne sait pas de quoi il s’agit


se borne à faire dire à M.Chodacki qu’aucune mesure n’a été
-
prise à l’encontre des douaniers polonais et qu’il va prescrire
une enquête, le représentant du Gouvernement de Varsovie
lui adresse, guelques heures plus tard, une seconde note que
son ton ironique rend plus blessante encore :

u Le Gouvernement polonais exprime son étonnement de voir


que la réponse à une uestion aussi simple, suscite des dificultés
d
techniques a u Sénat e la Ville libre de Dantzig. J e prends acte
du fait qu’aucun acte de violence ne sera commis à l‘égard de nos
douaniers et que ceux-ci pourront assurer normalement leur
service. J e confirme néanmoins que les avertissements formulk
dans la note que je vous ai adressée le 4 août, à 23 h. 40,demeurent
en vigueur 3. n

1. Livre bùzw alIemand, no 432.


2. Livre blanc allemand, no 433. En même temps, M.Chodacki informe M.Burc-
khardt de l’incident et lui annonce qu’il a ordonné I’évacuation des femmes et
des enfants des fonctionnaires polonais résidant sur le territoire de la Ville libre.
200 HISTOIRE‘ D E L’ARMÉE ALLEMANDE

Pour aggraver les choses, un certain M. Beyl - dont le


nom ressemble à s’y méprendre à celui du président du
Volkstag - prend sur lui d’adresser une lettre à M. Cho-
dacki pour lui dire u que les autorités dantzickoises s’oppo-
seront par la force à toute tentative des douaniers polonais
pour assurer leur service en uniforme et en armes ».
Les Polonais écument, car ils croient que la lettre de
M.Beyl est la réponse à leur ultimatum. a Nos canons sont
braqués sur Dantzig u, écrit le journal conservateur Czas,
de Varsovie. u Ils y défendent l’honneur de la Pologne! Que
chacun sache qu’ils n’hésiteront pas à ouvrir le feu, -mal-
gré l’amour que tous les Polonais portent aux vieux
remparts de Dantzig -
si les autorités de la Ville libre
placent la Pologne devant un fait accompli a. 1)
L’affolement est à son comble.
- a Cette fois-ci »,se disent les Dantzickois, (( la pou-
drière va sauter! ))
M. Burckhardt s’entremet pour éviter l’irréparable
M. Greiser et le gauleiter Forster échangent des coups de
téléphone fébriles avec Berlin. Pourtant, Hitler les calme
et leur demande de ne pas envenimer les choses 4.
Se conformant à ces instructions, M. Greiser téléphone le
7 août à M. Chodacki pour lui dire :
- u Votre ultimatum est sans objet. Les autorités dant-
zickoises n’ont jamais songé à s’opposer à l’activité des
douaniers polonais. n
- a Ce n’est pas ce que m’a écrit le président du Volkstag! 1)
réplique M. Chodacki.
- (t La lettre en question émane d’un fonctionnaire subal-
terne qui n’a rien de commun avec le président du Volkstag.
D’ailleurs, le ton de l’ultimatum polonais, la brièveté des
délais impartis et les menaces qui les accompagnent, rendent
toute réponse impossible. J’attends la suite des événements. x

1. Le Sénat est chargé d’administrer la ville. A c8té de lui siège un Parlement


local, ou V o h t a g , chargé d’administrer les communes rurales incluses dans le
périmétre de l’État libre.
2. Livre blanc allemand, II, no 448, note.
3. I1 fait valoir à M. Chodacki que sa note, jointe à l’évacuation projetée des
femmes et des enfants, ne provoquera pas seulement à Dantzig, mais probable-
ment chez Hitler, une réaction personnelle W s violente.
4. Ce faisant, il se borne à confirmer les instruetione qu’il a déjà donnéea la
veille au gauleiter Forster et qui consistent à prendre les dupositions nécessaires
a en vue de détendre l’atmosphère B Dantzig B. (Note du c0naeiUer de Légation
Bergrnann, 147/78.924-925. Akten zw Deutschen Auswdrtigen Polit&, VI, p. 897.)
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 201
Mais M. Chodacki ne veut pas se contenter d’explications
verbales. I1 exige une réponse écrite.
Consulté une seconde fois, Hitler conseille à M. Greiser
de s’incliner. Bien que le gauleiter Forster soit d’un avis
contraire, M. Greiser envoie donc la lettre suivante à
M. Chodacki :
(( Dantzig, le 7 août 1939.
(( Monsieur le Ministre,
u En réponse à vos deux notes d u 4 ct, dont la deuxième ne
m’est parvenue que le 5 août, !’e ne puis que vous exprimer ma
surprise de voir que vous vous etes servi d’une rumeur totalement
incontrôlée pour adresser au Gouvernement de Dantzig un
ultimatum impératif d u Gouvernement polonais, a u risque de
susciter, e n cette période troublée, des réactions dont les consé-
quences peuvent être imprévisibles.
(( L‘ordre brusquement donné par le Gouvernement polonais à

tous ses inspecteurs des douanes, d‘assurer leur service e n uni-


forme et e n armes est contraire à nos accords, et ne peut être
considéré que comme une provocation destinée à entraîner des
incidents et des actes de violence.
(( A i n s i que l’a établi l’enquête, dont je vous a i aussitôt commu-

niqué les résultats par téléphone, dans la matinée d u 5 août,


aucun service de la Ville libre de Dantzig n’a envoyé à ses subor-
donnés l’ordre de s’o poser, de quelque façon que ce soit, à ce que
d
des inspecteurs des ouanes polonaises accomplissent leur service
à dater du 6 août, à 7 heures d u matin.
(( L e Gouvernement de Dantzig élève la protestation la plus

dnergique contre les mesures de rétorsion dont le menace le


Gouvernement polonais, et dont les conséquences retomberaient
exclusivement sur lui 1. a

La remise de cette note détend rapidement l’atmosphère.


Le Gouvernement de Varsovie estime qu’il a imposé à Dant-
zig- et à travers Dantzig, à Hitler lui-même -une épreuve
de force dont il est sorti vainqueur. Le soir même, le colonel
Beck déclare à M. Léon Noël :
- a La situation générale continue à être sérieuse; cepen-
dant, dans l’attitude que le Sénat de Dantzig vient de
prendre après avoir consulté Berlin, je vois un symptôme
favorable qui ne peut que nous inciter à persévérer, les uns

1. Livre blanc allemand, no 434.


202 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

et les autres, dans notre politique commune de fermeté. Seul,


le maintien de cette politique doit pouvoir nous permettre
de surmonter, sans que la guerre en sorte, une nouvelle crise
à laquelle je m’attends pour la fin du mois d’août ou le début
de septembre l. ))
Mais le colonel Beck n’a pas le triomphe modeste. I1 laisse
la presse polonaise s’en prendre directement à Hitler, en
déclarant qu’il s’est dégonflé )), qu’il a sufi d’une note un
peu raide (( pour le mettre à genoux ».
Le gauleiter Forster est hors de lui.
- J e vous l’avais bien dit! n s’écrie-t-il. (( I1 ne fallait pas
répondre aux Polonais! A présent, ils prétendent que la peur
nous a fait reculer. 1)
L’irritation gagne les milieux berlinois. Le 9 août, M. von
Weizsacker convoque le prince Lubomirski, chargé d’affaires
polonais, et lui dit :
- (( Veuillez avertir votre gouvernement que toute nou-
velle demande adressée à la Ville libre sous forme d’un ulti-
matum, ou qui contiendrait des menaces de représailles,
conduirait immédiatement à une aggravation des relations
polono-allemandes dont la responsabilité incomberait au
Gouvernement de Varsovie 2. D
Ne voulant pas être en reste, Beck convoque le lendemain,
au Palais Brühl, le chargé d’affaires allemand, M. von Wüh-
lisch, et lui fait dire par M. Miroslaw Arciszewski, Sous-
Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères :
- (( Le Gouvernement polonais dénie à l’Allemagne tout
droit de s’interposer entre la Pologne et la Ville libre et
d’intervenir dans les affaires qui ne concernent qu’elles.
J’avertis le Gouvernement allemand que toute nouvelle
intervention de sa part, effectuée au mépris des droits et des
intérêts polonais à Dantzig, sera considérée comme un acte
d’agression 3. ))
Le dialogue, comme on le voit, .end un ton de plus en
plus acerbe. Quant à Hitler, exaspére par le torrent d’injures
que la presse polonaise vient de déverser sur lui, il est dans
un de ces états de rage concentrée qui préludent généralement
à une explosion de violence. I1 ne cache pas à son entourage

1. DdpEche de M. Lkon Noël à M. Georges Bonnet, le 7 août 1939. (Livre iaune


francais, piéce no 183.)
2. Cf. Sir Nevile HENDERSON, D e w ana awe Hitler, p. 267.
3. Sir Neviie HENDERSON, Id., ibià.
L A CRISE GERMANO-POLONAISE 203
q u e t o u t e nouvelle a c t i o n de la Pologne c o n t r e D a n t z i g
déclenchera les hostilités ».
P e n d a n t ce t e m p s , t o u t e la population dantzickoise est
en ébullition. L e gauleiter F o r s t e r a o r g a n i s é , . p m r le soir d u
10 a o û t , u n e r e t r a i t e a u x flambeaux et a invite l a foule à se
rassembler s u r l a L a n g e Platz, p o u r clamer son indignation
c o n t r e (( l’attitude inqualifiable des autorités polonaises ».A
la l u e u r des torches, il prononce u n g r a n d discours, au cours
d u q u e l il p r e n d à t é m o i n les hommes d‘Etat é t r a n g e r s
- n o t a m m e n t Lloyd George e t Churchill - q u i o n t déclaré
q u e D a n t z i g et le Corridor é t a i e n t c u n e des pires mons-
truosités d u T r a i t é d e Versailles ».

(( Quant à nous », poursuit-il, (( qui connaissons ces questions


beaucoup mieux que les chefs de gouvernement étrangers,
parce que nous en subissons les conséquences jour après jour
dans notre chair, les menaces de guerre constamment répétées
et les campagnes d’excitation auxquelles participent les milieux
officiels polonais nous obligent à exprimer notre propre opi-
nion, d’une façon aussi claire que définitive. Que la Pologne
en prenne acte!
a Les menaces de guerre, aussi arrogantes soient-elles, ne
nous effraient nullement. Elles ne provoquent aucun réflexe
de peur dans la population dantzickoise.
a Nous autres Nationaux-socialistes avons fait en sorte que
les Dantzickois ne perdent pas les nerfs, parce que les expé-
riences qu’ils ont recueillies jusqu’ici ont affermi leur confiance
dans le régime national-socialiste et qu’ils savent que ses
chefs prendront les décisions qui s’imposent a u moment
opportun.
( ( A u cours de ces dernières semaines, nous avons pris les
mesures nécessaires pour repousser toute attaque ou tout coup
de main - quels qu’ils soient - contre notre ville.
a Que la Pologne se le dise! Dantzig n’est ni seul, ni aban-
donné dans le monde. E n cas d’attaque polonaise, le Grand
Reich allemand, qui est notre patrie, et notre Führer Adolf
Hitler, seraient à nos côtés pour nous protéger!
(( Quand on lit la presse étrangère, on croirait que tous les

peuples de la terre, - les Français, les Anglais et plus encore


les Polonais -n’ont qu’une préoccupation : le sort de Dantzig,
comme si Dantzig était français, anglais ou polonais ...
(( Or c’est à nous - e t à nous seuls - qu’il appartient de

fixer notre sort et de déterminer notre avenir. C’est notre droit


inaliénable. I1 découle des faits suivants :
1. E. Philipp SCHÂFER, l à Tage Weltgcrchichte, p. 120.
204 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

a Depuis sa fondation, qui remonte Q environ huit cents ans,


Dantzig a toujours été une ville authentiquement allemande.
a Durant toute son histoire,, jusqu’en 1919, seuls des Alle-
mands ont présidé à ses destinees.
a Rappelez-vous, qu’en 1576, lorsque gtienne Batory a
voulu restreindre les droits de la vieille ville hanséatique, les
Dantzickois l’ont vaincu par les armes et .l’ont contraint à
capituler. Les Dantzickois d’aujourd‘hui n’ont pas plus peur
des canons de Rydz-Smigly, que leurs pères n’ont eu peur de
ceux des anciens rois de Pologne II

A la même heure, M. Burckhardt, Haut-Commissaire de


la Société des Nations, offre un dîner d’adieu à M.Perkowski,
un membre de la délégation polonaise à Dantzig qui vient
d’être rappelé à Varsovie. Vers 23 heures, le téléphone sonne
à son domicile. Le gauleiter Forster demande à lui parler. I1
est encore tout excité par la réunion qu’il vient de tenir.
- a Le Führer lui-même vient de m’appeler de l’0ber-
salzberg D, d i t 4 au Haut-Commissaire, (( il veut vous voir
demain à quatre heures de l’après-midi. Demain, parce
qu’après-demain il doit recevoir Ciano. 1)
Comme Burckhardt se récrie que les délais sont beaucoup
trop courts, car il doit obtenir auparavant l’assentiment de
ses chefs, Forster ajoute :
- a Tout cela est prévu. Le Führer vous envoie son avion
privé. Nous partons demain matin sur le coup de 9 heures;
allez à l’aérodrome dans votre voiture personnelle pour ne
pas attirer l’attention. D
- (( Si M.le Chancelier m’envoie son avion privé )), objecte

Burckhardt, ((le monde entier sera informé de cette ren-


contre... n
- (( N’ayez crainte, tout est réglé n, répond Forster. a A

partir de cette nuit, minuit, jusqu’à demain matin, l’aéro-


drome est bloqué. Personne ne sera informé de votre
départ a. 1)
Burckhardt se dit que la situation doit être grave pour
que l’on prenne de pareilles mesures de précaution, et que le
Führer insiste pour le voir si rapidement. Espérant contre
tout espoir, que sa visite aura un effet apaisant et se rappe-
lant la recommandation d’bttolico : a I1 faut arracher jour

1. Dokumenie der Deutschen Polifik, VII/Z, no 110.


2. Carl J. BURCKEARDT, M a Mieoion d Dantzig, p. 374:
LA CRISE GERYANO-POLONAISE 205
après jour, tout ce qu’il est possible d’arracher à la dure
réalité »,le Haut-Commissaire accepte. Le lendemain, à
9 heures, en compagnie du gauleiter Forster, il décolle de
Dantzig en direction de Salzbourg, mais seulement après
en avoir informé le colonel Beck, Lord Halifax, Georges
Bonnet et ses chefs genevois, pour qu’on ne l’accuse pas de
mener une politique personnelle l.
t
* +
- u Vous avez derrière vous une semaine bien fatigante n,
lui dit Hitler en l’accueillant sur le seuil de sa maison. B Mais
j’ai désiré vous voir, pour m’entretenir avec vous des événe-
ments récents. M. Beck a trouvé bon de se livrer à un acte
inconsidéré, alors que s’il avait eu recours à vos bons offices
toute cette affaire aurait pu se régler facilement. Au lieu de
cela, il a téléphoné à Greiser d’une manière offensante et
une demi-heure plus tard, il lui a envoyé un mémorandum
inadmissible. Sur l’observation de Greiser que cet ultimatum
était sans objet, M. Beck a cru devoir annoncer à son de
trompe dans le monde entier qu’il avait remporté une vic-
toire sur 1’Ailemagne. La presse a fait chorus. Elle a eu l’au-
dace de dire que j’avais perdu la guerre des nerfs, qu’il suffi-
sait d’élever la voix pour me faire battre en retraite. Elle a
dit que la menace était la seule méthode à employer avec
Hitler, que si mon (( bluff N avait réussi l’année dernière, c’est
parce que je n’avais pas trouvé à qui parler, tandis que cette
année, ce bluff avait été éventé et déjoué par les Polonais.
Le courage aurait manqué aux autres, seule la Pologne saurait
comment il faut me traiter! J’ai vu des manchettes de jour-
naux français annonçant en gros titres, que j’avais perdu les
nerfs et que la Pologne, elle, avait gagné Za guerre des nerfs n ...
- (( C’est faire beaucoup d’honneur aux journalistes que
de se montrer à ce point sensible à leurs élucubrations »,
répond Burckhardt. Le Chancelier du Reich doit être au-
dessus de ces petitesses. ))
1. I M. Chodacki informa aussitôt téléphoniquement le colonel Beck D, écrit
Burckhardt, a qui, cette même nuit, notifia son accord. Je pus joindre sans retard
le baron de la Tournelle, qui se chargea de prévenir le ministre Bonnet et, par
l’intermédiaire de son colldgue suédois, le ministre Sandler. Le consul général
Shepherd vint immédiatement me trouver. Le matin, avant mon départ, il m’ap-
porta l’assentiment de Lord Halifax, qui m’avait d’ailleun engagé à avoir encore
une fois un entretien, pour ainsi dire in atremia, avec le Chancelier. (Ma Mis-
own à Dantzig, p. 375-376.)
206 HISTOIRE D E L’ARMBE ALLEMANDE

- u Monsieur »,réplique Hitler d‘un ton à la fois calme et


triste, u je ne puis montrer vis-à-vis de la presse l’indiffé-
rence que vous me conseillez. J e suis un prolétaire. Tout mon
passé, toute ma doctrine, toute l’essence du Mouvement natio-
nal-socialiste m’interdisent de considérer les choses sous ce
jour. I1 faut que les hommes d’État étrangers le comprennent
e t comptent avec la nécessité où je suis1, s’ils ne veulent pas
que nous allions tous à la catastrophe. I1 n’est pas vrai d’ail-
leurs que les Anglais n’aient pas d’action sur leur presse. I1
est tout à fait remarquable que les journaux britanniques
ne parlent jamais de ce qui déplaît à leur gouvernement.
Mais laissons cela.
Sur mon ordre, Weiszacker a fait venir Lipski pour lui
dire que les temps étaient révolus, qu’une heure nouvelle
avait sonné au cadran de l’histoire. Cela, c’est ma réponse aux
ultimatums et à la prétendue défaite que j’aurais subie dans
la guerre des nerfs. Si, maintenant, la moindre chose arrive
sans que j’en sois prévenu, je fondrai comme l’éclair sur ces
Polonais avec toute la puissance d’un armement mécanisé
dont ils n’ont pas la moindre idée. ( I l hurle.) M’entendez-
vous? n
BURCKHARDT. -N Fort bien, monsieur le Chancelier. Mais,
je sais aussi que ce sera la guerre générale. n
HITLER, avec une expression de souffrance et de colère.
- a Soit! Si je dois faire la guerre, je préfère la déclencher
aujourd’hui plutôt que demain... J e me battrai à outrance,
jusqu’à la dernière possibilité ... J’ai la certitude que l’Italie
combattra à nos côtés. (Après une légère hésitation) :Le
Japon aussi. Avec une partie de mes divisions, appuyées
sur mes fortifications, je tiendrai le front occidental. J e
jetterai le reste sur les Polonais, qui seront liquidés en
trois semaines. Par où les autres m’attaqueront-ils? Par la
voie des airs? Aujourd’hui, la tendance générale est de m’im-
pressionner par les chiffres du réarmement des aviations
étrangères. (Hitler éclate de rire.)
J e ris, Monsieur, parce que le spécialiste pour le réarme-
ment, c’est moi, ce ne sont pas les autres. Leur armée aérienne,
en voici le bilan : l’Angleterre a 135.000 hommes dans son
aviation; la France, 75.000. Mais moi, j’en ai 600.000 en
temps de paix, et 1million en temps de guerre. Ma D. C. A. est
1. Hitler entend par là qu’il a affaire ides populations en b t a t d’enervescence,
non A une simple querelle diplomatique.
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 207
la meilleure du monde. Elle l’a prouvé en Espagne. Quant aux
Russes, nous les connaissons mieux que personne. Des cen-
taines de nos officiers ont servi pendant des mois, il y a
quelques années, dans les armées russes. Celles-ci n’ont
aucune force offensive. On n’assassine pas tous ses officiers
supérieurs, pour s’engager le lendemain dans une guerre mon-
diale. Allez! Les Français et les Anglais ne me donneront pas
la chair de poule en me menaçant avec l’armée russe... Mais
parlons calmement.
u Ces éternelles discussions sur la guerre sont une folie.
Elles mettent les peuples dans un état de démence. De quoi
s’agit-il en réalité? De ceci, et rien que de ceci :
u L’Allemagne a besoin de blé et de bois.
(( Pour le blé, j’ai besoin d’un espace à l’est.

u Pour le bois, j’ai besoin d’une colonie.


u Certes, nous pouvons vivre encore. Nos récoltes ont battu
tous les records en 1938 et 1939. Nous les avons obtenues
grâce au zèle de nos populations et à l’emploi intensif
d‘engrais chimiques. Mais un jour, le sol allemand sera las
de ce traitement. I1 fera grève, comme le corps humain
lorsqu’il a été dopé. Mon peuple devra-t-il alors endurer la
famine? Devrai-je lui faire supporter cette situation?... Nous
savons, nous, ce que cela veut dire :mourir de faim! Peut-être
certaines personnes en Suisse se rappellent-elles encore la
mine de nos enfants à l’issue de la guerre, en 1919. Me compre-
nez-vous? J e ne veux pas revoir cela...
c J e n’ai pas d’aspirations romantiques, je n’ai pas d’appétit
de domination. Avant tout, je ne cherche rien en Occident.
Ni aujourd’hui, ni demain. J e n’ai aucune ambition sur cette
partie si dense de l’Europe. Une fois pour toutes, je déclare
que je n’ai aucun dessein sur elle. Toutes les idées que l’on
me prête à ce sujet sont des inventions.
((Mais je dois avoir les mains libres du côté de l’est. I1
s’agit pour moi d’obtenir en quantité suffisante le blé néces-
saire à mon pays. Et, en dehors de l’Europe, il me faut une
colonie susceptible de me donner du bois.
u Une fois pour toutes, il faut qu’on sache que je suis prêt
à négocier, à parler de tout cela. Mais là où il n’y a .pas
pour moi de possibilité de négociation, c’est lorsqu’on m’of-
fense et lorsqu’on essaye de me compromettra devant l’opi-
nion par des ultimatums N ...
Burckhardt affirme à Hitler que tous ces problèmes peu-
208 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

vent &re résolus par la voie diplomatique, que les pays de


l’ouest sont toujours prêts à recourir à cette méthode paci-
fique, mais que le 15 mars - c’est-à-dire l’occupation de
Prague - a rendu les choses beaucoup plus difficiles.
- u Avant cette date n, assure-t-il, a l’argument ethnique
agissait ... n
-
HITLER. (( Vous voulez dire que le 15 mars a torpillé
cet argument? Croyez-moi,l’ai souvent pensé à cet argument
des autres. Mais il s’agissait pour moi d’éliminer un danger
aigu... Vous ne vous faites aucune idée de l’arsenal que j’ai
trouvé là-bas! Nos militaires n’en revenaient pas. Le maté-
riel de guerre était en excellent état. L’exactitude et l’ordre
des Tchèques ont rempli nos officiers d’admiration. Les plans
de leur État-Major étaient précis, modestes, mais sans
envergure. Absolument différents de ceux de l’État-Major
polonais que je possède e t qui dépassent de loin ceux de
Napoléon et d’Alexandre le Grand. En revanche, l’organisa-
sion technique de l’Armée polonaise est lamentable. Aussi
nos militaires sont-ils ahuris de l’impertinence de la Pologne.
L’année dernière, mes généraux étaient très prudents. Cette
fois, c’est moi qui dois les retenir. Après mon discours au
Reichstag, ils m’ont entouré et ils m’ont dit : (( Mon Führer,
(( avec tout le respect que nous vous devons, Dieu soit loué

u que les Polonais n’aient pas accepté vos propositions! n


Mais, Monsieur, pour moi c’eût été une solution accep-
table. Cette autoroute, vraiment, aurait-elle enlevé une pierre
à la couronne de la souveraineté polonaise? La Pologne
aurait gardé son accès à la mer, les routes allemandes et polo-
naises se seraient croisées par des passages superposés. Elles
ne se seraient nullement gênées les unes les autres et notre
province séparée aurait eu ses communications naturelles
avec le Reich. C’eût été mon offrande sur l’autel de la
paix n...
BURCKHARDT. - a Cette solution est-elle définitivement
écartée? ))
-
HITLER. (( Malheureusement oui, étant donné l’attitude
du Gouvernement polonais. I1 s’est mis lui-même dans l’im-
possibilité de l’accepter ... n
Sur ces mots Hitler se lève et propose à Burckhardt de lui
montrer son domaine. Les deux hommes sortent et se rendent
au (( nid d’aigle »,creusé dans le rocher qui domine Ober-
salzberg. Hitler lui fait admirer le paysage.
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 209
-
HITLER. (( Voici Salzbourg, voici l’Autriche L’Au- ...
triche où je suis né, et o h pendant des années, je n’ai
pas eu le droit de mettre les pieds. )) I1 serre le bras de Burc-
khardt en poussant un soupir. (( Si vous saviez combien je
suis heureux ici, et combien j’aurais besoin de repos ... n
BURCKHARDT. - (( I1 ne dépend que de vous, monsieur le
Chancelier, de trouver et de donner ce repos au monde. N
HITLER, d’une voiz rauque. - (( Non. Plus maintenant )) ...
I1 s’avance vers la baie vitrée et regarde les montagnes.
(( Monsieur, si j’avais la certitude que l’Angleterre et la France

poussaient la Pologne à la guerre, je préférerais accepter le


conflit cette année, plutôt que l’année prochaine. Mais mon
Dieu, mon Dieu! on devrait pourtant pouvoir trouver une
issue raisonnable! Si les Polonais laissaient Dantzig tran-
quille et cessaient de jouer le sort de la Ville libre avec des
cartes truquées, je pourrais encore attendre. A une condition
cependant : il faut que les minorités allemandes cessent
d’être molestées ...Si on voulait parler de tous ces problèmes
...
avec moi, j’accepterais la conversation Mais m’offenser,
se moquer de moi, me narguer comme en 1938, cela je ne
l’admettrai jamais. J e ne fais pas de (( bluff ».A présent, si
la moindre des choses arrive à Dantzig, ou si mes minorités
en Pologne sont molestées, je frapperai, et je frapperai dur! 1)
Au moment où Burckhardt va quitter le Berghof, Hitler le
prend à part et lui dit :
- (( Avant qu’il ne soit trop tard,je voudrais m’entretenir
encore une fois avec un Anglais qui sache l‘allemand. n
- (( On m’assure que Sir Nevile Henderson parle couram-
ment votre langue. n
- (( Cela n’aurait aucun sens », réplique Hitler en secouant
la tête. (( C’est un diplomate de la vieille école avec un œillet
à la boutonnière. J e voudrais parler à un homme comme Lord
Halifax. J’ai éprouvé pour lui une sympathie spontanée.
Bien qu’on m’en ait dit beaucoup de mal ces derniers
temps, je conserve à son égard mon premier sentiment.
J e sais qu’il cherche, comme vous, des solutions pacifiques.
Peut-être lui-même ne peut-il plus venir, mais qu’en serait-il
du général Ironside, dont on me dit du bien l? Pourriez-vous
dire cela aux Anglais 2 ? ))
1. Le chef de l’gtat-Major impérial britannique.
2. Documents o n British Foreign Policy, VI, no 659, A pendice 2 b. Ce passage
ne figure pas dans le texte du compte rendu français freproduit dans Georges
VI 14
210 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

Pour la première fois, depuis son arrivée au Berghof,


Burckhardt a l’impression que sa visite n’aura pas été inutile.
Aussi est-ce avec une lueur d’espoir qu’il redescend à
Salzbourg.
Sitôt arrivé à Bâle, il prie MM. Arnal, ministre de France
et Roger Makins, du Foreign Ofice, de venir à son domicile
pour leur faire un compte rendu de sa visite au Berghof.
I1 a été convenu que leur rencontre serait tenue rigoureuse-
ment secrète. C’est pourquoi. il ne peut réprimer un mouve-
ment d’humeur lorsque le téléphone interrompt son exposé
et qu’une voix inconnue demande à parler à M. Arnal.
Comment se fait-il que l’on sache qu’il est chez lui?
- (( Le seul qui en soit informé est notre ambassadeur à
Berne »,explique Arnal. N Ce ne peut être que lui qui m’ap-
pelle chez vous. 1)
Arnal sort de la pièce. Durant son absence, Burckhardt
transmet à M. Makins le souhait formulé par Hitler de ren-
contrer Sir Edmund Ironside.
Lorsque Arnal revient, quelques instants plus tard, son
visage est décomposé.
- (( L’ambassadeur »,dit-il, G vient de m’annoncer que
toute votre visite au Berghof a été publiée dans Paris-Soir
avec force détails aussi sensationnels que faux. L’auteur de
l’article assure, entre autres, qu’Hitler vous a confié une
lettre pour Chamberlain dans laquelle il invite le Premier
Ministre à s’associer à une croisade allemande contre la
Russie l! n
Ces (( révélations D d’un journaliste en mal de copie sont
inventées de toutes pièces. Pourtant, elles auront un effet
désastreux. Impossible de donner suite au vœu du Chancelier
de s’entretenir directement avec une haute personnalité
britannique; impossible d’organiser une rencontre à laquelle
il semblait attacher beaucoup de prix ...
(( Cette nouvelle )I, écrit Burckhardt, (( détruisait complè-

tement les espérances que j’avais rapportées de ma conver-

BONNET, La Délense de la Pais, II, p. 267 et s.), parce qu’il était exclusivement
destiné aux Anglais. On le trouve en revanche dans les Documents on British
Foreign Policy, VI, no 659, Appendice 2 b.
1. Cette indiscrétion a été due à un jeune journatiste français que la recom-
mandation d‘amis communs avait amené Burckhardt à recevoir chez lui et qui,
abusant de la confiance du Haut-Commissaire, avait tir6 des conclusions erm-
nées de certaines observations qu’il avait faites à son domicile. (Lettre ds Bure
wlardl à Wolteru, le 13 août 1939.)
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 21 1
sation sur l’obersalzberg. Ces espoirs, caressés envers e t
contre tout, avaient été en fait, la substance même de ma
mission à Dantzig. A présent, ils étaient réduits à néant ))
1. c d BURCKHAnDT, Ma Miarion d Dantzig, p. 387.
xv

PARIS ET LONDRES RECOURENT AU KREMLIN


I . - La phase politique,
(14 avril-24 juillet 1939)

D’autant que ni Halifax ni Chamberlain n’ont envie de


reprendre le chemin de Munich. L’occupation de Prague a
détruit tout espoir de voir les représentants de la France, de
l’Angleterre, de l’Allemagne et de l’Italie s’asseoir une
seconde fois autour de la même table.
Mais plus la situation s’envenime à Dantzig, plus Londres
et Paris se demandent si l’Armée polonaise sera de taille à
résister longtemps aux assauts de la Wehrmacht. Si la
Pologne est attaquée, par où la France et l’Angleterre lui
porteront-elles secours? Le problème est aussi insoluble
que pour la Tchécoslovaquie. Les forces franco-britanniques
devront d’abord enfoncer les fortifications allemandes de
l’ouest, puis traverser victorieusement tout le territoire
du Reich Avant qu’elles y soient parvenues, la Pologne
sera engloutie. Une seule Puissance est capable de lui venir
rapidement en aide : 1’U. R. S. S. Amener la Russie à
soutenir la Pologne est donc la grande préoccupation de
Londres et de Paris. Mais si le Quai d’Orsay et Downing
Street tendent tous deux au même but,leur façon d’aborder
le problème est bien différent.
Depuis le 2 mai 1935, la France est liée à l’Union Sovié-
tique par un Pacte d’assistance mutuelle qui oblige les deux
partenaires, en cas d’agression, (( à se prêter réciproque-
ment aide et assistance, sous le contrôle de la Société des
Nations n. En le signant, le Gouvernement français a a obéi
1. Avec tout ce que cela comporte d‘insécurité pour les arrières, à moins que
l’Allemagne ne soit écrasée en quelques jours.
2. Enl’occurrence,PierraLaval.(Voirvol. III, p. 274, 283, et vol. V, p.209-212.)
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 213
à trois préoccupations essentielles :protéger la France contre
une attaque de l’Allemagne; empêcher un rapprochement
germano-russe qui entraînerait un retour à la politique de
Rapallo; obtenir de Moscou qu’il renonce à s’immiscer dans
les affaires intérieures françaises. Or, aucun de ces objectifs
n’a été atteint. Le Pacte franco-russe ne protège nullement
la France contre une agression allemande l ; il n’empêche
en rien un rapprochement germano-russe; enfin, depuis
l’arrivée au pouvoir d u Front populaire, les ingérences du
Komintern dans la politique intérieure française n’ont
jamais été plus nombreuses, ni plus flagrantes2. Par ailleurs,
aucune desdispositions duTraité ne prévoit que 1’U. R. S. S.
doive apporter son aide à la Pologne ou à la Roumanie. Bref,
au moment où la France se tourne vers l’Union Soviétique,
elle s’aperçoit tout à coup qu’elle a les mains vides 3. Le
seul résultat tangible du Pacte a été de fournir à Hitler
un prétexte pour dénoncer le Pacte de Locarno et remilita-
riser la rive gauche du Rhin. Sans forcer les mots, on peut
dire que la diplomatie française a fait un marché de dupe,
mais c’est seulement en 1937 que l’on commencera à s’en
apercevoir 4.
L’Angleterre, elle, est dans une situation différente. Elle
n’a jamais contracté d’engagements avec les Pays de l’est.
Elle n’a conclu aucun pacte avec la Russie. Mais main-
tenant qu’elle a donné sa garantie à la Pologne, elle se
demande comment elle fera pour tenir sa promesse. Mal-

l. a Nous conservions ce Pacte avec soin #, écrit Georges Bonnet, 0 et pourtant


il faut avouer qu’il ne pouvait nous être que d’un faible secoum. E n effet, la Russie,
depuis le Traité de Versailles, était privée de frontière commune avec l’Allemagne,
et elle ne pouvait nous donner son assistance qu’en faisant passer ses troupes
par la Pologne ou la Roumanie, qui, toutes deux, s’y opposaient résolument.
Ainsi, le Pacte franco-soviétique, tel qu’il était rédigé, nous donnait un sentiment
de sécurité illusoire. D (La Défense de la Paiz, II? p. 1 7 6 . )
2. a Le Pacte franco-soviétique ne nous garantit ni contre une entente entre
1’U. R. S. S. et l’Allemagne, ni contre une intensification de l’action du Komintern
en France. 1 (Rapport de M.Coubndre, alors ambassadeur à Moscou, le 19 octobre
1938, cité par BONNET,i d . , ibid.)
3 . n A la vérité u, écrit Georges Bonnet, a ce fut une erreur grave de ne pas
avoir conclu une convention militaire d’application en même temps que l’accord
politique de 1935, ce qui nous aurait obligés à poser la question du passage des
troupes russes à travers les pays limitrophes de 1’U. R. S . S. On se serait alors
aperçu, ou de l’inanité du pacte que noua venions de conclure, ou de son incompa-
tibilitil avec nos autree alliances. a (Georges BONNET,Id., ibid.)
4 . A la suite d’une conversation entre Blum et Potemkine (17 f6vrier 1937).
Ce jourlà, l’ambassadeur des Soviets a pose la question du passage des troupes
russes à travers la Pologne et la Roumanie : a Nous ne pourrons vous appuyer
iolidement que si nos soldats peuvent passer n, a-t-il dit à Léon Blum. usinon, noua
214 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

gré la répugnance de Chamberlain à entrer en pourparlers


avec les Soviets, la garantie qu’il a donnée au colonel Beck
l’y oblige. Les Trade-unions, le Labour Party et une grande
partie de la presse l’y poussent de toutes leurs forces I, aux-
quelles Halifax joint les siennes, car il n’a pas renoncé à son
projet de sécurité collective a. Mais malgré toutes les pres-
sions qui s’exercent sur lui, le Premier Ministre ne s’engagera
dans cette voie qu’avec beaucoup de circonspection a.
Pour comprendre les péripéties de la négociation qui va
s’ensuivre il faut garder les faits suivants présents dans sa
mémoire :
10 Les gouvernements de Londres et de Paris frappent
aux portes du Kremlin en solliciteurs. Bien qu’ils refusent
d’en convenir, ils ont plus besoin de la Russie, que la Russie
n’a besoin d’eux ;
20 Les dirigeants de la diplomatie soviétique vont en pro-
fiter pour mener le jeu, et mettre à leur acceptation des condi-
tions impératives;
30 La France, pressée d’aboutir *, sera plus disposée à les
accepter que son alliée d’outre-Manche.
De ce fait, Paris devra mener une double négociation :
a) avec les Russes, pour obtenir leur accord;
b) avec les Anglais, pour rapprocher leurs positions
de celles du Kremlin.
ne pourrons rien faire. D En même temps, il a demandé à la France de fournir des
armes à 1’U. R. S. S.A quoi le Gouvernement français a répondu :a Nous an sommes
incapables. a (Georges BONNET,Négociationd avec I‘Unwn Sodtique, Paris,
1952, p. 1-2.)
1. a Plus l’impuissance de la Pologne e t de la Roumanie, laissées à elles-mêmes,
apparaissait clairement, plus la majorité de l’opinion ministérielle penchait pour
l’alliance russe. Des informations venues de France insistaient sur le fait que
la rançon de I’insuccés (the penality of failure) serait un pacte germano-russe. I
(Keith FEILING,The Life of NeviUe Chamberiain, p. 408.)
2. Une phrase, prononcée par M. Raczinsky, le 26 mars, a retenu l’attention
de Lord Halifax : a Pourquoi ne pas conclure sans délai un accord bilatéral
avec Varsovie, sans préjuger du sort ultérieur de la négociation générale? D Le
chef du Foreign Ofice a cru pouvoir en déduire qu’une fois l’Accord polono-
anglais signé, le colonel Beck ne s’opposerait pas à un élargissement des conver
sations.
3. Cette circonspection est due, en particulier, B la raison suivante. u Le Gouver-
nement britannique est d’autant moins disposé à faire des concessions à 1’U. R. S.S.
qu’il croit davantage ti la puissance irrésistible de l’Armée française n, écrit Georges
Bonnet. a Le général Gamelin se vante, dans ses Souranirs. d’avoir entretenu
cette illusion chez nos allibs, de maniére, dit-il, à ne pas les décourager. D ( L a
Défense de (a Pa&, II, p. 181.) Plus tard, le général Gamelin justifiera son atti-
tude en disant : a I1 était de mon devoir d’affirmer en tout cas que notre armée,
était prête. n
4. Habitués à négocier avec les Soviete, les Français savent, par expérience,
LA CRISE G E R M A N O - P O L O N A I S E 215

+ *
La négociation débute le 14 avril par l’envoi à Moscou
de propositions anglaises et françaises un peu différentes,
mais tendant toutes deux à la conclusion d’un pacte par
lequel (( la France, l’Angleterre et I’U. R. S. S. garantiraient
l’indépendance de la Pologne et de l a R o u m a n i e , au cas où
celles-ci seraient attaquées p a r l’Allemagne ».
Le 19 avril, le Gouvernement de 1’U. R. S. S. répond par
des contre-propositions : que l’Angleterre, la France et
1’U. R. S. S. commencent par s’assister mutuellement, en
cas d’agression dirigée contre l’une d’entre elles; que les
Pays Baltes2 soient compris dans le nouveau pacte; que
les modalités militaires de ,l’assistance soient étudiées en
commun; qye les trois États s’engagent à ne pas signer de
paix séparee; que la Pologne et la Roumanie modifient
la nature de leur alliance en déclarant qu’elle joue contre
tout agresseur (alors qu’elle ne vaut jusqu’ici que contre
la Russie).
Le 22 avril, le Gouvernement français se rallie à ce projet.
Mais l’Angleterre trouve les propositions soviétiques trop
étendues et trop compliquées. Lord Halifax veut amener la
Russie à soutenir la Pologne, mais de là à garantir la Russie
elle-même, il y a un pas considérable qu’il hésite à fran-
chir. Aussi s’en tient-il à sa formule initiale : que les
trois Puissances commencent par garantir la Pologne et la

que les discussions avec les Russes sont toujours longues et ardues. De pl^,
une pression trés forte, émanant des milieux de gauche, s’exerce sur le Gou-
vernement français en faveur de l’Accord. Enfin Daladier, comme Churchill,
attache plus d’importance à l’alliance russe qu’à l’alliance polonaise.
1. Voici le texte de la proposition française : 11 A u cas où la France et la Grande-
Bretagne se trouveraient en état de guerre avec l’Allemagne par suite de l’action
qu’elles auraient exercée en vue de porter aide et assistance à la Roumanie ou à la
Pologne, victimes d’une agression non provoquée, l‘U. R. S. S. leur porterait immé-
diatement aide et assistance.
a A u cas où l ‘ ü . R. S. S. se trouverait en guerre avec l’Allemagne par suite de
l’action qu’elle aurait exercée ea cwc de porter aide et assistance à la Roumanie ou
à la Pologne, victimes d u n e agression non prowquée, la France et la Grande-Bre-
tagne lui porteraient immédiatement aide et assistance.
u Les trois gouvernements ae concerteront sans délai sur les modalités de cette assis-
tance dans l‘un et l’autre cas envisagés et ikr prendront toutes dispositions pour lui
assurer sa pleine efficacité. n
Le texte anglais ne comporte pas la formule : a En cas d’agression non provo-
quée. D Nous avons déjà dit pourquoi. (Voir plus haut, p. 162, n. 1.)
2. Notamment l’Estonie et la Lettonie.
216 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

Roumanie. On verra ensuite s’il y a lieu d’adhérer à un


pacte plus général 1.
Quant aux Pays Baltes, auxquels on a demandé entre-
temps s’ils accepteraient une garantie anglo-franco-russe,
ils ont répondu qu’ils y étaient irréductiblement hostiles S.
Le Gouvernement français cherche alors une formule
transactionnelle, acceptable à la fois pour Londres et pour
Moscou. I1 propose que l’assistance s’applique d tous les p a y s
de l’Europe centrale et orientale, sans les citer nommément.
Les Pays Baltes subsisteraient donc, en tant qu’États indé-
pendants. Mais, malgré leur refus, ils seraient protégés contre
une agression allemande.
L’Angleterre estime ce texte encore trop compliqué. Elle
trouve qu’il entraînera de trop longs débats et demande
l’adoption d’une formule plus restreinte. Sur quoi, survient,
le 4 mai, un premier coup de théâtre : sans prévenir personne,
Staline destitue M. Litvinov et le remplace par M. Molotov.
Est-ce le signe que la politique soviétique va changer
de cap? (( Pas le moins du monde! D s’empressent de
déclarer les ambassadeurs russes à l’étranger. (( Ce remplace-
ment a de tout autres causes. M. Litvinov était trop rigide
en matière de sécurité collective. De plus, il nourrissait pour
la Pologne, une antipathie trop marquée. Si on lui avait
demandé de choisir entre Berlin et Varsovie, il aurait été

1. Texte de la réponse anglaise : a La première tâche doit être de conetruire


une première barrière infranchissable contre toute agression en Europe centrab,
en concluant des accorda destinés à garantir la sécuritd des États les plup directement
menacés. C’est uniquement après que MUS aurons franchi cetie étape que n o m serons
à même d‘examiner l’extension d‘un accord ci d’autres États, .comme l’Union Sovid-
tique, qui sont moins immediaternent menacés. n On imagine sans peine l’effet qu’a
dû faire à Moscou cette a déclaration de non-assistance à 1’U. R. S. S. a.
2. Le 28 maps, M. Litvinov - qui se présente volontiers comme le défenseur
des petits peuples - a fait remettre au Gouvernement estonien un véritable
ultimatum où il lui signifie : a Tout accord, quel qu’il soit, conclu librement ou
SOUS pression extérieure, qui aurait pour résultat un amoindrissement ou une res-
triction de l’indépendance de l’Estonie, l’admission chez elk de la domination poli-
tique, économique ou autre d‘un tiers État, l’octroi à celui-ci de droits ou privilèges
I uelcoques, serait cnnsidtd p a r le Gouvernement soviétique comme intokhble. I
Téldgramme du ministre de France à Tailin au Quai d’Orsay, les 5 et 22 avril
1938.)
Des ultimatums semblables, portant la signature de Litvinov, ont été adressée
aux autres États baltes.
Le Gouvernement estonien a répondu le 7 avril, a qu’il ne consentirait jamais,
ni librement, ni sou8 pression extérieure, à aucune restriction de son indépendance s;
mais il a fait observer, non sans vivacite, a qu’à lui seul appartenait le droit exclu-
sif & juger dana que& mesure aes actes correspondaient à sea obligations interna-
tionales et qu’il maintenait son entièce liberté de décision #. (Georges BONNET, La
Déleme de la PaixpII, p. 187.)
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 217
capable de choisir Berlin! Avec M. Molotov, membre du
Politburo et dépositaire de la pensée de Staline, la politi-
que extérieure soviétique ne pourra que gagner en préci-
sion e t en clarté. La France et l’Angleterre n’auront pas
à le regretter l. ))
...
E n effet Quelques jours plus tard, 1’U. R. S. S. repousse
les propositions anglaises, en déclarant u qu’elles ne sont pas
même acceptables comme base de discussion D.
Le 21 mai, le Conseil de la Société des Nations se réunit
à Genève. A cette occasion, Lord Halifax, Georges Bonnet
et M. Maiski2 ont un long entretien. Le représentant de la
France presse le chef du Foreign Office de faire un effort
pour se rapprocher des thèses moscovites. Lord Halifax fait
alors deux concessions importantes :
10 il déclare que l’Angleterre est prête à apporter son
aide à 1’U. R. S. S. en cas d’agression;
20 il accepte de faire entrer dans l’Accord tous les pays
de l’Europe centrale, y compris les Pays Baltes, ù condition
d’obtenir leur consentement préalable.
Le 25 mai, ces propositions sont officiellement transmises
à Moscou.
Le 31, M. Molotov fait venir Sir William Seeds et
M. Naggiar pour leur faire les plus expresses réserves sur
les propositions anglaises. I1 formule à présent deux nou-
velles exigences :
10 Que la garantie soit donnée automatiquement en cas d’agrm-
sion, et sans porter l‘affaire devant la Société des Nations 4;
20 Que la garantie accordée aux Pays Baltes et à la Finlande
soit donnée sans le consentement de ces pays,et même contre
leur gré.
La France se déclare prête à accepter ces deux conditions S.
Mais l’Angleterre estime impossible d’imposer la volonté des
1. Rapport de M. Couiundre à M . Georges Bonnef, le 4 mai 1939.
2. M. Maiski, ambassadeur soviétique à Londres, cumule avec ces fonctions
celles de délégué de 1’U. R. S. S. à la S. d. N.
3. Respectivement ambassadeurs de Grande-Bretagne et de France au Kremlin.
4. Ainsi donc, I‘U. R. S. S., qui n’a cessé durant toute Ia crise tchéque de faire
dépendre son intervention d’un vote de la Société des Nations, refuse à présent
tout recours à l’organisme de Genève! Btant donné la lenteur extrême de cette
P rocédure, Georges Bonnet estime, pour sa part, ne pouvoir lui donner tort.
Remarquons, à ce propos, que le principe du recoure à la S. d. N. avait été
inclus dans le Pacte franco-russe de 1935 à la demande de Lavai, contre l’avis
de M. Potemkine, qui aurait voulu que le Pacte ait un caractére automatique.)
5. Georges BONNET,La Ddielense de la Paix, II, p. 286.
218 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

(IGrands )) aux petites nations. Elle entend rester fidèle aux


principes qui ont été à l’origine de la négociation : assurer
la protection des peuples faibles contre les entreprises de
leurs voisins trop puissants. Agir comme le propose Moscou
serait tomber de Charybde en Scylla, en laissant s’instaurer
une hégémonie russe sur la Baltique, sous prétexte d’em-
pecher une hégémonie allemande sur l’Europe centrale. De
plus, le Gouvernement de Londres estime que vouloir forcer
les Pays Baltes à accepter la garantie soviétique aurait pour
résultat de les rejeter dans les bras de l’Allemagne 1, Aussi
répète-t-il le 12 juin, dans un aide-mémoire, qu’il n’ins-
crira pas, dans l’Accord, des pays qui n’auraient pas étk préa-
la blement consultés.
Le Quai d‘Orsay redoute que cette attitude n’indispose
M. Molotov. Pour détendre l’atmosphère, il propose à
Londres d’accepter au moins deux des conditions formu-
lées par les Soviets : l’abandon de tout recours à la
Société des Nations et l’interdiction de conclure une paix
séparée2. I1 suggère, pour équilibrer les trois Pays Baltes,
que l’on ajoute à la liste des États assistés trois pays occi-
dentaux-que l’on s’abstiendra de nommer, du moins dans un
premier temps - mais qui seraient la Hollande, le Luxem-
bourg et la Suisse. Cela porterait à huit le nombre des États
bénéficiant de la garantie générale S. Après beaucoup d’hési-
tation, l’Angleterre se range à cette manière de voir. Sur
ces entrefaites, elle envoie à Moscou M. Strang, un haut
fonctionnaire du Foreign Ofice, avec mission d’accélérer la
négociation 4.
1. a Les trois Ihats Baltes s’Qpposent vivement à être l’objet d’une garantie
ou même au fait d’être simplement mentionnés dans l’Accord. Le ministre des
Affaires étrangères d’Estonie, dans une récente déclaration publique, i~dit que
si une grande Puissance désirait jouer le r6le de défenseur, en vue de soutenir
ses propres intérêts vitaux dans la Baltique, un semblable système serilit consi-
d é d comme une agression eonlre laquelle les États Baltes sont prêts à lutter avec
toutes Zeurs forces. Les gouvernements letton e t finlandais partagent cette façon
...
de voir n(Ai&-Mémoire britannique au Gouvernement français, du 1 2 juin 1939.)
2. Tdlégramme de GeorgesBonnet à M.Corbin,ambasmdeur de France à Lonàrea,
le 17 juin 1939, 21 h. 15.
3. La Pologne e t la Roumanie, plus trois l h a t s Baltes (Estonie, Lettonie,
Finlande), plus trois États occidentaux (Hollande, Luxembourg, Suisse).
4. Bonnet avait d’abord proposé d’envoyer Eden, mais Chamberlain n’avait
pas voulu donner suite à cette id&e,Eden étant considéré par lui comme trop
russophile.(Cf. F E I L I N G cit.,
, ~ ~ p.
. 409.) Après quoi, M. Maiski avait demandé
à Lord Halifax de se rendre lui-même à Moscou. Halifax avait répondu d’un
ton solennel: E J e vais y réfléchir m, mais il n’avait rien fait. (Alexander WERTA,
L a Russie en guerre, I, p. 41.) u Chaque fois qu’il y avait une affaire d‘importance
vitale d discuter avec Hitler a, écrit Werth, u le Gouvernement [britannique]
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 219
Celle-ci va-t-elle enfin aboutir? Pas le moins d u monde.
Le 22 juin, Molotov remet tout en question, en déclarant
que la nouvelle proposition britannique est inacceptable.
(( D’abord 11, objecte-t-il, (( elle ne tient aucun compte de la

nécessité où se trouve 1’U. R. S. S. de préciser d’une façon


claire l’assistance qu’elle devra apporter aux pays garantis;
ensuite, elle ne contient pas la désignation expresse des huit
pays que la France et l’Angleterre demandent à la Russie
de garantir. 1) E n d’autres termes, Molotov s’en tient à ses
exigences initiales. Si l’Angleterre continue à les repousser,
force sera de se contenter d’un traité triparti par lequel la
France, l’Angleterre e t 1’U. R. S. S. se prêteront mutuel-
lement assistance. Mais cette formule laissera de côté la
Pologne e t la Roumanie. Or, n’est-ce pas précisément pour
protéger ces pays que la France et l’Angleterre ont engagé
les pourparlers? Comment échapper à ce cercle vicieux?
La France propose alors à Londres que les huit États en
question soient nommément désignés, mais pas dans l’Accord
lui-même : dans une annexe secrète qui ne sera publiée qu’au
tout dernier moment. L’Angleterre répugne à cette manière
de faire. E n outre, elle estime que l’assistance doit être subor-
donnée à deux conditions préalables : d’abord, que tout
État assisté en fasse d’abord la demande; ensuite, qu’il se
défende lui-même contre son agresseur. Les ministres anglais
mettent au point une formule qui évite de nommer les États
garantis et limite l’octroi de l’assistance à ces deux condi-
tions. Elle est communiquée le 27 juin à Moscou et à Paris.
Molotov fronce les sourcils en en prenant connaissance.
- (( Cela ne va pas du tout! D répond le Commissaire du

peuple aux Affaires étrangères. (( Comment voulez-vous que


l’union Soviétique garantisse des États dont elle ne connaît
même pas le nom? Ensuite, il est indispensable q u a l’as-
sistance joue de toute façon l. ))
(( I1 n’est pas douteux », télégraphie Georges Bonnet à

M. Corbin, (( que si la réserve britannique est maintenue, elle


annulera aux yeux de I’U. R. S. S. toute la portée de l’effort
lui envoyait Eden, Simon, Halifax ou Chamberlain en personne. Mais le Premier
Ministre semblait estimer qu’un haut fonctionnaire expérimenté du Foreign
Ofice comme M. Strang aurait à Moscou une autorité sufihante pour une
mission que Chamberlain voulait seulement exploratrice, ou simplement des-
tinée A apaiser l’opposition. I1 n’est donc pas surprenant que le choix de Strang
n’ait guère suscité d’enthousiasme à Moscou. P ( I d . , i b i d . )
1. Georges BONNET, La Défense de la Paix, II, p. 191.
220 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

que nous avons déjà fait pour répondre à ses demandes, et


elle amènera M. Molotov à écarter cette formule, comme les
précédentes l. )) Cédant aux instances de l’ambassadeur de
France, le Foreign Ofice se résigne à modifier son texte
pour le rendre plus conforme aux exigences du Kremlin. I1
accepte également que tous les États garantis soient nommé-
ment désignés dans le protocole secret (29 juin).
Le l e r juillet, M. Molotov reçoit de nouveau les ambassa-
deurs de France et de Grande-Bretagne. I1 constate avec
satisfaction que les problèmes de l’Estonie, de la Lettonie et
de la Finlande ont enfin trouvé une solution2. Mais il sur-
saute en lisant les noms des autres pays garantisj figurant
sur la liste secrète.
- (( C’est impossible! )J s’écrie-t-il. (( L’Union Soviétique ne
peut garantir d’aucune façon la Hollande et la Suisse! Ces
deux pays n’ont pas reconnu YU. R. S. S. N’insistez pas
sur ce point! Le maintien de ces deux pays sur votre liste
soulèverait des dificultés insurmontables a... )J
Les deux ambassadeurs ont beau faire valoir que la Hol-
lande et la Suisse sont bien plus directement menacées par
l’Allemagne que les Pays Baltes; qu’il n’est pas équitable que
l’Angleterre et la France doivent faire la guerre pour protéger
l’Estonie et la Lettonie, alors que la Russie ne serait pas
tenue d’en faire autant si ce malheur devait s’abattre sur
la Hollande ou la Suisse, M. Molotov ne veut pas en
démordre. Force est donc à la France et à l’Angleterre de
rayer la Hollande, la Suisse et le Luxembourg de leur liste.
La Russie a fini par obtenir ce qu’elle désirait, sans contrac-
ter, de son côté, aucun engagement supplémentaire :
Mais alors, M. Molotov soulève deux nouvelles dificultés,
qui n’avaient encore jamais été invoquées jusque-là : la
définition de 1’«agression indirecte )) et la subordination de
la Convention politique à un accord militaire.
En ce qui concerne 1’ (( agression indirecte )I; le Gouverne-
ment soviétique propose la définition suivante : ((L‘État
garant aura le droit d’intervenir dans tout pays où survien-
1. Georges BONNET, La Ditense de la Paix, II, p. 191.
2. a Les États Baltes B, écrit Churchill dans ses Mémoires, u furent finalement
confiés à la haute garde de 1’U. R. S. S., c’est-&dire que celle-ci fut reconnue
comme leur protectrice, nana leur aveu et même à leur insu. Dans son discours
du 13 juillet 1946, Daladier a avoué que la France avait donné son assentiment
B cette demande des Russes. a
3. Télégramme de M. Naggiar, le 4 juillet 1939.
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 221
drait un coup d‘État intérieur, ou un changement d’orien-
tation politique favorable à l’agresseur 1). Dans la prati-
que, chacun des trois pays signataires sera appelé à apprécier
lui-mêmesi cette formule s’applique ou non au cas envisagé 2.
Le Gouvernement britannique attire l’attention du Quai
d’Orsay sur l’extrême gravité d’une pareilIe définition. I1
s d r a i t , par exemple, qu’un des pays garantis modifiât la
composition de son ministère, pour autoriser I’U. R. S. S . à y
intervenir par les armes. Du même coup, la France et l’An-
gleterre seraient obligées de la suivre, ce qui déclencherait
.automatiquement une guerre européenne! Le Foreign Office
précise qu’un texte semblable (( justifierait les plus graves
suspicions des Pays Baltes, dont l’objection au traité repose
principalement sur la crainte qu’ils ont d’une ingérence russe
dans leurs affaires intérieures ».Mais il ajoute qu’il est prêt
à donner satisfaction à la demande de M. Molotov, tout au
moins en ce qui concerne la Russie : l’Angleterre serait
prête à l’assister (( si elle était victime d’une agression indi-
recte, du genre de celle qui a eu lieu le 15 mars dernier
contre la Tchécoslovaquie 3.
Chose extraordinaire : le 8 juillet, M. Molotov accepte de
reporter à quelques jours la discussion de sa formule de
1’ agression indirecte ».En revanche, il se montre intraitable
en ce qui concerne la subordination de l’accord politique à la
conclusion d’un pacte militaire. I1 admet à la rigueur que
chacun des articles de l’accord politique soit paraphé, un
à un, dans leur texte en trois langues, ce qui permettrait
aux trois gouvernements d’annoncer publiquement leur
accord. Mais il persiste à déclarer que le Pacte politique
n’aura aucune valeur, tant qu’une Convention militaire
n’aura pas été conclue4.
M. Georges Bonnet, qui craint qu’une nouvelle crise ger-
mano-polonaise n’éclate au mois d’août, presse l’Angleterre
d‘accepter la définition russe de 1’ (( agression indirecte n et
d’accélérer la discussion de la Convention militaire.
1. Id.
2. Les Pays Baltes ont des gouvernements de tendance profasciste. I1 suffirait
donc d‘une simple accentuation de cette tendance, pour que 1’U. R. S. S. se dbcla-
rât victime e d‘une agression indirecte D.
3. Cela ne l’engage guère, car on ne voit pas Staline se rendre à Berlin dans
les mêmes conditions que M. Hacha, pour remettre entre les mains d’Hitler le
sort du peuple russe.
4.M. Molotov redoute manifestementque le nouvel accord ne soit jamais suivid’une
eonvention militaire, comme cela a été le cas pour l’accord franco-russe de 1935.
222 HISTOIRE D E L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

(( Tenir en suspens toute la négociation jusqu’à l’élaboration

complète d’un accord militaire »,fait-il dire par M. Corbin à


Lord Halifax, ((c’est risquer de nous trouver a u mois d’août
devant l’alternative suivante :ou bien avoir à passer par toutes
les exigences du Gouvernement soviétique a u point de vue mili-
taire ... ou bien avoir à accepter une rupture des négociations
militaires qui jetterait à bas, en même temps, l‘accord militaire
et l‘accord politique. Il serait d’autant plus facile [à la Russie]
de jouer ce jeu contre nous, que, pour trouver son efficacité à
l‘est, l’exécution de l’accord militaire nécessite, vous le savez,
l‘assentiment de la Pologne ...Là aussi, nous avons des difficultés
à prévoir, que le Gouvernement russe ne manquera pas d’in-
voquer pour justifier la limitation de son concours I... P

Et le ministre français des Affaires étrangères ajoute, à


l’intention de M. Corbin :

u Veuillez marquer avec insistance tout le prix que rattache à


la prompte conclusion de ces négociations; il semble qu’une large
liberté de mouvement devrait être désormais laissée à nos ambas-
sadeurs à Moscou. P

Mais Londres commence à en avoir assez. Pour Halifax,


la négociation avec la Russie ressemble trop à un chantage.
Depuis qu’il a donné sa garantie à la Pologne, il est amené
à contracter des engagements toujours plus nombreux et
toujours plus vastes, dont il ne voit pas la fin. I1 a l’im-
pression de s’enfoncer dans une steppe sans limites. E t les
visites perpétuelles de M. Corbin, qui vient lui répéter chaque
...
matin : (( I1 faut céder; il faut céder ! )) accroissent encore
sa mauvaise humeur. Que diable! I1 ne veut pas l’alliance russe
pour faire la guerre, mais au contraire pour l’empêcher. Comme
Chamberlain avait raison de dire qu’une coalition composée de
deux blocs ayant des intérêts antagonistes ne pouvait être
qu’une source intarissable de discussions et de tracas!
Le 13 juillet, M. Corbin informe le Quai d’Orsay que le
chef du Foreign Ofice a adressé à son représentant à Moscou
une note très dure, dont la teneur est la suivante :
(( L e Gouvernement britannique déclare que, cette fois, il est
à bout de patience. Il estime qu’il lui est impossible d‘accepter
la formule de M. Molotov sur l’agression indirecte. Il insiste
1. Télégramme a% M. Georges Bonnet d M. Corbin, Is 10 juillet 1939, %heuren.
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 223
pour que M . Molotov se rallie a u texte anglais. Ce texte couvre
tous les cas possibles ... Toute autre définition, allant plus loin,
éveillerait les craintes des États limitrophes et aboutirait certai-
nement à un résultat contraire ...
u L e Gouvernement britannique n'accepte pas davantage que
l'accord politique soit subordonné à la conclusion d'un accord
militaire. I l fait les plus rigoureuses objections à ce procédé
tout à fait anormal. Une telle requête révèle à l'égard de notre
sincérité et de notre bonne foi des soupçons d'autant plus injus-
tifiés que nous sommes prêts à ouvrir des conversations mili-
taires immédiatement après la signature de l'accord politique.
En agissant ainsi, le Gouvernement de 2'U. R. S. S. aurait42
l'intention de nous forcer à accepter des conditions militaires
contraires à nos vues?
u Nous arrivons a u point où nous ne pouvons plus continuer
la méthode qui consiste à accepter chaque nouvelle demande, mise
en avant par le Gouvernement de 1' U . R. S.S. Afin de satisfaire
M . Molotov, nous avons déjà fait les concessions suivantes :
u 10 Nous avons accueilli la demande d u Gouvernement de
1'U. R. S. S.tendant à englober les États Baltes dans le Traité;
u 20 Nous avons renoncé à demander que les Pays-Bas, la
Suisse et le Luxembourg soient compris parmi les pays que
l'accord doit couvrir;
u 30 Nous avons accepté de parer au cas d'agression indirecte;
u 40 Nous avons accepte, à notre corps défendant, de définir
ce cas;
u 50 Nous sommes prêta à insérer cette définition dam l'accord
lui-même;
u 60 Nous avons accepté, comme M . Molotov le proposait,
que l'accord contienne une clause interdisant aux signataires
de conclure séparément un armistice ou la paix.
u En dépit de toutes ces concessions, le Gouvernement de
I'U. R. S. S. n'est pas disposé à s'entendre avec nous sur les
deux points maintenant en discussion.
u Notre patience est à peu près épuisée et le Gouvernement
soviétique ne doit plus escompter désormais que nous serons prêts
à céder chaque fois qu'il formule une nouvelle demande ... Si les
choses devaient continuer ainsi, le Gouvernement de S a Majesté
pourrait être amené à réexaminer sa position l. M

C'est donc porteurs d'instructions rigoureuses que Sir


William Seeds et M. Strang reprennent, le 18 juillet, contact
avec M. Molotov. Mais les dirigeants du Kremlin ne peuvent
s'empêcher de sourire, en s'entendant dire que (( le Gouver-
1. Télégramme de M. Corbin à ceOrge0 Bonnet, le 13 juillet 1939, 14 h. IO.
224 HISTOIRE DE L’ARMÉB ALLEMANDE

nement de Sa Majesté pourrait être amené à réexaminer sa


position n. Ils savent fort bien que ce n’est pas possible.
Maintenant que l’Angleterre a donné sa garantie à la
Pologne elle a trop besoin de 1’U. R. S . S. pour pouvoir
se dégager. La promesse qu’elle a faite au colonel Beck
l’oblige à vider, jusqu’au bout, la coupe des exigences
soviétiques.. .
Aussi M. Molotov demeure-t-il intransigeant. I1 repousse
la note anglaise et répète que le Pacte politique n’aura
aucune valeur, tant que la Convention militaire n’aura pas
été conclue.
Les négociations sont-elles à la veille d’être rompues?
Georges Bonnet le redoute tellement qu’il téléphone à M. Cor-
bin :
- (( Quelles que soient nos déceptions », lui dit-il, a il
faut aboutir. J’attachais la plus extrême importance à ce
que l’accord politique fût conclu, signé et publié immédia-
tement. Mais je renonce moi-même à cette prétention, puisque
nos Ambassadeurs nous assurent que, sur ce point, 1’U. R. S . S.
reste intraitable. Quant à I’agession indirecte, je me rallie
de force à la formule de M. Molotov l. n
Cette prise de position satisfait pleinement Moscou.
Puisque Paris s’incline, Londres s’inclinera aussi.. .
Mais Londres ne s’incline pas encore. Le Cabinet britan-
nique accepte à contrecœur la liaison de l’accord politique
et de la convention militaire. Mais il continue à repousser
la formule russe d‘agression indirecte. Le Quai d‘Orsay s’en
émeut d’autant plus qu’il pense qu’on est désormais à
deux doigts d’aboutir. C’est pourquoi Georges Bonnet
décide d’exercer une pression suprême sur Lord Halifax,
pour l’amener à surmonter ses derniers scrupules. Le 19 juil-
let, il prie Sir Eric Phipps de lui remettre la lettre sui-
vante :
...
u Je désire vous adresser cet appd personnel Je n’ignore pas
les concessions très importantes que nos deux Gouvernementa
ont déjà consenties au Gouvernement de 2‘U. R. S. S. Mais nous
arrivons à un moment décisif où il nous paraît nécessaire de ne
rien négliger pour réussir. Il ne faut pas se dissimuler l’effet
désastreux, non seulement pour nos deux pays mais pour le
maintien de la paix, que produira l‘échec des négociations en

1, Georges BONNET,L<i Défense de h Paiz, II. p. 198.


LA CRISE GERMANO-POLONAISE 225
cours. Je redoute même que ce ne soit le signa2 d’une action de
l‘Allemagne sur Dantzig.
(( Cette négociation dure depuis plus de quatre mois. Les opi-

nions publiques y attachent dans tous les pays la plus grande


importance. Elle a pris, de ce fait même, un caractère symbo-
lique 1. D

Le m&me jour, Georges Bonnet envoie des instructions


pressantes à M. Corbin pour que toutes les demandes sovié-
tiques soient acceptées et que les conversations militaires
commencent sur-le-champ a ».
L’ambassadeur de France à Londres revient donc à la
charge. Une fois de plus, il presse Chamberlain et Halifax de
s’incliner. Mais ni le Premier Ministre, ni le chef du Foreign
Ofice ne se résignent à accepter la définition de l’agression
indirecte, telle que la désire M. Molotov. Ils considèrent
uqu’elle consacre le droit de la Russie à s’ingérer dans les
affaires intérieures de certains États tiers, et à exercer sur
eux une pression incompatible avec leur indépendance ».
Mais que peuvent-ils faire, pris comme ils le sont entre
la rigidité de Moscou et l’empressement de Paris? Va-t-on
assister à une rupture du front franco-britannique 4? De
guerre lasse, Halifax consent à (( mettre plus d’élasticité
dans les instructions qu’il adresse à Sir William Seeds ».I1
l’autorise même à chercher u une formule transactionnelle D.
Georges Bonnet transmet immédiatement cette bonne
nouvelle à M. Naggiar 6 . Le Gouvernement britannique
s’est rangé à nos vues »,lui écrit-il. (( Tant de patience, de
ténacité et d’efforts de conciliation n’auront pas été vains 6 »...
Le 24 juillet, M.Molotov réunit les ambassadeurs de France
et de Grande-Bretagne. Cette fois-ci l’atmosphère est beau-
coup plus détendue et cela se conçoit. (( Nous sommes
d‘accord sur tous les articles n, écrit Georges Bonnet. (( Toutes
I. Id., p. 199.
2. Id., ibiù.
3. Télégramme de M. Corbin, le 20 juillet 1939, 19 h. 55.
4. a Nous avons soutenu toutes les demandes de 1’U. R. S. S. a, écrit Georges
Bonnet, a en nous efforçant constamment d‘obtenir l’accord du Gouvernement
britannique. D (Op. eit., p. 181.) I1 eat évident que cette attitude gêne Halifax
qui aurait préféré pouvoir opposer un front uni aux exigences de Moscou. Le
général Gamelin, en revanche,estime qu’il aurait mieux valu I ne pas mêler les
Anglais à la négociation, ce qui aurait permis d‘aboutir plus rapidement. a
(Servir, II, p. 406, note 1.)
5 . Télégramme de George8 Bonnet d M. Naggim, le 21 juillet 1939, 18 h. 20.
6. Georges BONNET,La Défense da la Paix, II, p. 201.
YI 15
226 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

les difficultés ont pu être surmontées, puisque les e t a t s Baltes


sont compris dans le Protocole, que l’Angleterre donne sa
garantie à 1’U. R. S. S., que toute paix ou armistice séparé
est interdit à chacun de nous, .que la liaison entre l’Accord
politique et la convention militaire est nettement établie.
Sur la définition même de l’agression indirecte, il n’y a plus
que des divergences de détail, sans importance et faciles à
régler. M. Molotov constate ces résultats (( avec satisfaction D.
I1 faut commencer sur-le-champ les pourparlers militaires l. ))
A présent, les ambassadeurs vont pouvoir quitter la scène,
pour faire place aux généraux. Mais avant qu’ils ne s’éloignent,
M. Naggiar tient à prévenir Paris (( que les autorités mili-
taires soviétiques ne se borneront pas à un examen super-
ficiel du problème, qu’elles pousseront à fond une discussion
qui sera extrêmement serrée ».
Après la façon dont se sont déroulées les négociations poli-
tiques, il faudrait être bien naïf pour croire qu’il puisse en
être autrement...
1. I d . , ibiù.
2. Télégramme de M.Naggiar au ministre de In Guerre (Daladier), le 28 juillet
1939.
XVI

PARIS ET LONDRES RECOURENT AU KREMLIN

II. - La phase militaire


(12-21 août 1939)

La négociation politique a duré près de cinq mois. La négo-


ciation militaire ne durera pas dix jours, La tension interna-
tionale s’aggravant d’heure en heure, Paris et Londres
répètent que le temps presse, qu’il faut se hâter d‘en finir.
Pourtant, dix-neuf jours s’écoulent entre la fin des pourpar-
lers politiques et l’arrivée à Moscou des Missions militaires.
Que signifie ce retard1? N’ayant déjà qu’une confiance mitigée
dans les Puissances occidentales, les dirigeants du Kremlin
deviennent plus méfiants encore a.
La première séance de travail s’ouvre au Kremlin le
12 août 1939, à 11 h. 30. La délégation russe se compose
du Maréchal Vorochilov, Commissaire du peuple à la Défense;
du général Chapochnikov, chef d’État-Major général de

1. Les délégations ont déjà perdu dix jours avant de se mettre en route. Après
quoi, elles ont pris un cargo très lent, qui a encore mis six jours pour les trans-
porter à Léningrad. (Cf. Alexander WERTH,La Russie en guerre, I, p. 45.)
2. Cette méfiance s’exprime clairement dans l’Introduction aux Comptes rendus
des séances de la Conférence militaire, publiés en 1960 par le Service de Presse
de l’Ambassade soviétique à Bonn. u Déjà au cours des négociations politiques II,
y lit-on, a il était apparu que les gouvernements français et britannique n’étaient
pas disposés à conclure avec 1’U. R. S. S. un accord eEcace pour résister a I’agres-
seur. Ils soumirent aux Soviets des projets d’accord, qui assuraient bien l’appui
militaire de 1’U. R. S. S. à la Grande-Bretagne, A la France et aux pays auxquela
ceux-ci avaient donné leur garantie, mais qui leur donnaient toute latitude de se
dérober eux-mêmes à l’obligation d’assister l’Union Soviétique. Ce qui signi-
fiait qu’en cas d‘agression de la part de l’Allemagne fasciste, l‘Union Soviétique
aurait d û se defendre neule. Y
228 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

l’Armée Rouge; de l’amiral Kousnetzov, Commissaire du


peuple à la Marine; du général Loktionov, Commandant en
chef des Forces aériennes soviétiques et du général Smoro-
dinov, chef d’Etat-Major général adjoint. La Mission fran-
çaise, présidée par le général Doumenc, se compose d u général
Valin et du commandant Villaume; la Mission anglaise, de
l’amiral Draxl, du maréchal de l’Air Barnett et du général
Heywood.
Si le retard avec lequel ces missions sont arrivées à Moscou
a déjà fait mauvaise impression aux Russes, leur scepticisme
s’accroît encore en constatant que Londres et Paris ne leur
ont envoyé que des personnalités de second plan2. Mais où
leur mécontentement s’exprime sans réserve c’est, lorsque au
moment d’échanger leurs pouvoirs, l’amiral Drax déclare
qu’il n’en a pas, qu’il est seulement habilité à mener des
négociations, non à signer une convention militaire.
- (( Comment cela se fait-il? n demande Vorochilov en
fronçant les sourcils.
- (( La délégation soviétique a l’avantage de siéger dans
sa propre capitale »,répond l’amiral Drax. (( Elle peut consul-
ter aisément son gouvernement. I1 n’en va pas de même pour
nous. Si la Conférence se tenait à Londres, j’aurais tousles pou-
voirs requis. Mais étant donné la distance qui sépare Londres
de Moscou, je ne puis signer aucune convention sans que mon
gouvernement en ait pris d’abord connaissance. )>
Dés ce moment, l’opinion des Russes est faite : les Anglais
n’ont pas réellement l’intention de traiter. Ils veulent engager
1’U. R. S. S. dans la guerre, sans s’y engager eux-mêmes 3.
I1 n’en faut pas davantage pour qu’ils y flairent un piège 4.
1. L’amiral Plumkett, primitivement désigné, est tombé malade e t a été rem-
placé à la dernière minute par l’amiral Drax.
2. II est certain que les délégations française e t anglaise ne font pas le poids
devant la délégation russe. Le général Doumenc a beau être un grand spécialiste
des chars, sa réputation ne dépasse pas les limites de l’École de Guerre.
3. Dans ses Mémoires, Churchill assure avoir entendu Staline lui déclarer :
a Nous avions l’impression que les gouvernements britannique e t français n’étaient
pas décidés à entrer en guerre si la Pologne était attaquée, mais qu’ils espéraient
qu’un alignement diplomatique de l’Angleterre, de la France et de la Russie
retiendrait Hitler. Nous étions sûrs, nous, qu’il n’en serait rien. I) (L‘Orage approche,
I, p. 398.)
4. Déjà, au cours des négociations politiques, le peu d’empressement marqué
par les Anglais à donner leur garantie aux Paya Baltes et leur réticence à enté-
riner la définition de 1’ a agression indirecte formulée par Molotov, ont vivement
indisposé les Russes. Ils ont été jusqu’à y voir une indication fournie à Hitler,
&r territoires à partir desquela il pourrait attaquer 1‘U. R. S. S. (Introduction
a u Comptar Rendus, p. 4.)
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 229
Mais ce ne sont encore là que des escarmouches préli-
minaires. Une nouvelle dificulté surgit, dès la première séance,
lorsque Vorochilov demande à l’amiral Drax et au général
Doumenc de bien vouloir lui exposer leurs plans de défense
communs.
- a Puisque je suis venu ici sur l’invitation du Gouverne-
ment soviétique »,répond l’amiral Drax, (( j’ai pensé que
c’était à vous de me soumettre d’abord vos projets ... B
- a E t nous »,rétorque Vorochilov avec un geste d’impa-
tience, (( naus avons pensé que vous nous soumettriez d’abord
les vôtres, puisque nos conversations font suite à des négo-
ciations politiques qui ont été entamées à la demande du
Gouvernement anglais I. D
- n Nous avons évidemment un plan »,riposte l’amiral
Drax. ((Maisil n’est encore esquissé que dans ses grandes lignes.
Notre départ de Londres a été trop précipité. Songez que
l’Allemagne a déjà deux millions d’hommes sous les armes.
On s’attend à ce qu’elle déclenche les hostilités le 15 août.
Or, nous sommes le 12. I1 n’y a pas de temps à perdre. Nous
voudrions savoir en quoi consistent vos projets ... 1)
- (( E t nous »,réplique Vorochilov, visiblement exaspéré,
anous vous avons priés de venir ici, pour connaîtreles vôtres. n
- (( Pardon, pardon! n interrompt le général Doumenc, qui
sent que l’atmosphère est en train de tourner à l’aigre. a J e
crois qu’il conviendrait de faire une distinction entre les
principes, les objectifs et les plans. J e propose, pour gagner
du temps, que nous les examinions séparément et dans leur
ordre. J e pose, pour commencer les trois principes suivants :
(( 10 I1 faut opposer à l’ennemi deux fronts solidement cons-

titués à l’ouest et à l’est;


n 20 I1 faut établir des liaisons entre les deux, de façon à
établir un front continu;
(( 30 I1 faut engager dans la guerre toutes les forces dont

nous disposons. n
- Ces principes sont excellents, je n’ai rien à y redire »,
répond Vorochilov. (( Mais, je le répète : l’essentiel est que
nous connaissions nos moyens e t nos plans réciproques, afin
de les ajuster à une stratégie commune. n
- (( Dans ces conditions », déclare l’amiral Drax, (( je
demande une suspension de séance, pour me permettre de
1. Par ces mots, Vorochilov tient B souligner, dès le début, que Londres et
Paris sont lea demandeurs.
230 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE
consulter mes collègues français e t de mettre au point nos
dossiers. n
- u J e n’y vois aucun inconvénient n, répond Vorochilov.
La séance est levée à 13 h. 10.
Durant toute la séance du lendemain, 13 août, les conver-
sations piétinent. Quand elles ne se cantonnent pas dans des
généralités, elles s’attardent à un inventaire détaillé des
effectifs et des armements, sans qu’il en résulte rien de
concret sur le moyen de les utiliser. Auprès des 110 divisions
françaises annoncées par le général Doumenc, les 6 divisions
anglaises, dont 1 mécanisée font une impression piteuse sur le
Maréchal Vorochilov, qui affirme, quant à lui, que 1’U. R. S. S.
pourra opposer à l’agresseur 120 divisionsd’infanterie, 16divi-
sions de cavalerie, 5.000 canons lourds, 9.000 à 10.000 chars
et 5.000 à 5.500 avions.
Cependant, les trois délégations parviennent à rédiger le
préambule et les deux premiers articles d’un Projet
d’Accord militaire anglo-franco-russeD, dont l’article 2 sti-
pule :
(( Afin d‘opposer une résistance commune aux opérations mili-

taires de l’ennemi, les trois Parties contractantes sont convenues


d’engager, sur tous les fronts, la totalité de leurs forces
terrestres, aériennes et maritimes, jusqu’à l‘écrasement find de
la Puissance allemande l. ))

Mais le lendemain, 14 août, dès le début de la troisième


séance, Vorochilov, qui en a assez des (( distinctions préli-
minaires D, pose brutalement ce qu’il appelle la u question
cardinale )) :
- (( Si l’Allemagne attaque la Pologne ou la Roumanie,
ou les deux à la fois »,demande-t-il, (( comment la France et
l’Angleterre se représentent-elles notre lutte commune contre
l’agresseur? ))
- (( Ces pays défendront leur territoire D, répond le général
Doumenc, et nous leur prêterons assistance dès qu’ils nous
la demanderont. n
VOROCHILOV. - u E t s’ils ne la demandent pas?
DOUMENC. - (( Pourquoi ne la demanderaient& pas?
Nous savons qu’ils en ont besoin n ...
1. Die Verhandlungen der Militdrmissionen der UdSSR, Grossbritaniens und
Frarheichs in Moskau, August, 1939, Sitwngsprotokoll, p. 27.
2 . En allemand Die Kardinalfrage.
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 231
-
VOROCHILOV.(( Mais s’ils ne la demandent pas à temps?
Cela veut-il dire qu’ils lèvent les bras et capitulent? ))
DOUMENC. - (( Ce serait fatal... n
VOROCHLIOV. - (( Que fera alors l’Armée française? ))
DOUMENC. - (( Elle retiendra, sur son front, le plus de
forces possible, tout en maintenant les communications avec
vous... 1)
VOROCHILOV. - (( Les communications par mer? ))
DOUMENC. - (( Oui. J e me réserve d’examiner plus tard
cette importante question ... 1)
VOROCHILOV. - (( Non! Pardonnez-moi ma franchise, mais
nous autres soldats avons le devoir d’être francs. Rien dans
tout cela ne m’indique comment les forces soviétiques par-
ticiperont physiquement au combat. ))
DOUMENC. - (( J e voudrais, à mon tour, vous poser une
question. Au cas où l’Allemagne attaquerait la Pologne, ?A
quel moment 1’U. R. S. S. pourrait-elle se porter à son
secours? A peu près au moment où l’attaque se déclenche-
rait? ))
VOROCHILOV, d’un ton cassant. - (( A la guerre, il n’y a
pas d’à-peu-près! n
DRAX.- (( Si 1’U. R. S. S., l’Angleterre et la France sont
alliées, je ne doute pas que la Pologne et la Roumanie
demandent leur assistance. Mais ce n’est qu’une opinion
personnelle. Pour en avoir la certitude, il faudrait poser
la question à Varsovie. n (L‘amiral Drax et le général
Doumenc se concertent un moment à voix basse.) (( Permettez-
moi de recourir à une image. Si un homme se noie dans
une rivière et qu’un second homme se trouve sur la berge
avec une ceinture de sauvetage, pourquoi le premier refuse-
rait-il l’aide du second? ))
VOROCHILOV. - (( Si vous vous mettez à parler par para-
boles, je vais en faire autant : si la ceinture de sauvetage
est trop éloignée de l’homme qui se noie pour qu’il puisse
la saisir, à quoi voulez-vous qu’elle lui serve? 1)
DOUMENC. - (( La réponse est très simple : la ceinture
de sauvetage doit être aussi rapprochée que possible de
l’homme qui se noie.
VOROCHILOV. - u Entièrement d’accord. 1)
DOUMENC. - Monsieur le Maréchal, j e prends acte avec
satisfaction de ce que vous venez de dire. n
Mais le général Doumenc ne sait pas encore ce qui l’attend,
232 HISTOIRE DE L’ARMSE ALLEMANDE

car à peine a-t-il prononcé ces mots que le Commissaire


du peuple à la Défense, balayant toutes les paraboles, va
droit au cœur du problème :
VOROCHILOV. - u Puisqu’il en est ainsi, je vous demande
de répondre clairement aux trois questions suivantes :
u Première question : Les Forces soviétiques seront-elles
autorisées à pénétrer en territoire polonais, en empruntant
le couloir de Vilna?
(( Deuxième question : Les Forces soviétiques seront-elles

autorisées à traverser le territoire polonais, pour établir


un contact avec les troupes de l’agresseur, en partant de
la Galicie?
u Troisième question :Les Forces soviétiques seront-elles
autorisées à utiliser le territoire roumain, au cas où l’agres-
seur attaquerait dans cette direction?
u Pour la Mission soviétique, une réponse affirmative à
ces trois questions est d‘une importance capitale. Si nous
ne l’obtenions pas, la poursuite de nos conversations devien-
drait sans objet. n
L’amiral Drax et le général Doumenc auraient bien voulu
éluder cette question qui, pourtant, est inéluctable. Aussi
demandent-ils cinq minutes de suspension pour mettre au
point leur réponse.
Au bout de dix minutes, le général Heywood revient et
lit une courte note, au nom des deux chefs de Mission :
u Il convient de ne pas oublier que la Pologne et la Roumanie
sont des États indépendants. Les Forces soviétiques ne peuvent
traverser ou utiliser leur territoire sans leur consentement.
Cette question est d’ordre politique. Elle doit donc être posée
par le Gouvernement soviétique aux gouvernements polonais
et roumain. C‘est incontestablement la méthode la plus simple
et la plus directe.
u Toutefois, si le Maréchal insiste pour que nous lui fournis-
sions nous-mêmes une réponse, nous pourrons nous mettre en
rapport avec nos Gouvernements respectifs pour qu’ils interrogent
à ce sujet Varsovie et BucarMt 1. II

- u I1 est profondément regrettable », répond Vorochilov,


u que les Missions militaires française et britannique ne se
soient pas posé à elles-mêmes ces questions avant de venir

i. SitzungaprotokoU, p. 33-34.
L A CRISE GERMANO-POLONAISE 233
ici et qu’elles n’aient pas apporté avec elles une réponse
précise. ))
- (( L’Allemagne peut attaquer d’un moment à l’autre »,
fait observer le général Doumenc. (( Ne serait-il pas sage,
dans ces conditions, de poursuivre nos travaux en atten-
dant que la question politique soit tranchée? D
C’est alors au Maréchal Vorochilov de demander une sus-
pension d’un quart d‘heure, pour permettre à la Mission
soviétique de formuler son point de vue 1. Au bout de
quinze minutes, le Commissaire du Peuple à la Défense
revient dans la salle des séances et donne lecture du mémo-
randum suivant :
u 1. - L a Mission militaire soviétique n’a pas oublié - et
n’oublie pas - que la Pologne et la Roumanie sont des États
indépendants. A u contraire. C‘est en partant de cette donnée
irréfutable qu’elle a prié la Mission militaire franco-britan-
nique de répondre à la question :u Les Forces armées soviétiques
u seront-elles autorisées à traverser le territoire roumain ou I

u polonais, en empruntant le couloir de Vilno et la GalicM 2,


(( a u cas d’une agression contre la France et l’Angleterre, ou

u contre la Pologne et la Roumanie? D


(( Cette question est d‘autant plus justifiée que la France a

une alliance politique et militaire avec la Pologne et que l’An-


gleterre est liée à la Pologne par un pacte d‘assistance mutuelle.
(( I I . - L a Mission militaire soviétique partage l’opinion
des Missions militaires française et britannique, à savoir que
cette question est d’ordre politique. Mais elle est, à u n plus
haut degré encore, une question militaire.
(( I I I . - E n ce qui concerne la déclaration des Missions
militaires française et britannique selon laquelle la méthode
la plus simple et la plus directe serait que le Gouvernement
soviétique posât lui-même la question a u x gouvernements
polonais et roumain, la Mission militaire soviétique tient à
faire observer que - puisque l‘U. R. S . S . n’a de convention
militaire ni avec la Pologne ni avec la Roumanie3 et que ce
1. I1 est plus que probable que Vorochilov a profité de cette pause pour consulter
Staline.
2. I1 est à remarquer que les territoires que comptent emprunter les Russes
sont prkciadment ceux que les États limitrophes de ka Pologne ne considèrent pas
comme étant polonais. Les Lituaniens revendiquent le couloir de Vilno, les Ukrai-
niens revendiquent la Galicie orientale et YU. R. S. S. revendique le tout.
C’est pourquoi la Pologne est convaincue qu’une fois les armées rouges installées
dans ces territoires, elles ne les évacueront plus.
3. On comprend à présent pourquoi M. Litvinov s’était toujoura refusé à poser
la question à Varsovie et à Bucarest. Comment I’U. R. S. S. pouvait-elle solliciter
234 EISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

sont la Pologne, la Roumanie, la France et l’Angleterre qui


sont menacées e n première ligne par une agression e n Europe1 -
c’est a u x gouvernements britannique et français qu’il appartient
de régler, e n accord avec la Pologne et lu Roumanie, la question
du droit de passage pour des Forces armées soviétiques, ainsi
que celle de leur utilisation du territoire de ces deux États.
u IV. - L a Mission militaire soviétique regrette vivement
que les Missions militaires de France et de Grande-Bretagne
n’aient pas été à même de lui fournir une réponse précise à la
question d u droit de passage des Forces armées soviétiques à
travers la Pologne et la Roumanie.
u L a Mission militaire soviétique considére qu’en rabsence
d‘une réponse affirmative à cette question, tous les pourparlers
entrepris e n vue de conclure une convention militaire entre
la Grande-Bretagne, la France et 1’U. R. S. S. sont condamnés
à l’insuccès. C’est pourquoi la Mission militaire soviétique
ne peut prendre sur elle de recommander à son gouvernement
la poursuite d’une entreprise s i manifestement vouée à l‘échec 2. D
Depuis le temps que chaque négociation avec les Soviets
vient buter contre ce problème, comment les Démocraties
occidentales ne se sont-elles pas aperçues que tous les
pourparlers sont vains tant qu’il n’est pas résolu? La
chose est pourtant simple : pas d’alliance russe sans droit
de passage à travers la Pologne, et pas de droit de pas-
sage sans le consentement du Gouvernement polonais 3. A
force de tourner en rond, la négociation franco-anglo-russe
est revenue à son point de départ. La clé du problème
n’est ni à Londres, ni à Paris, ni à Moscou : elle est à Var-
sovie. Tout dépend, à présent, de ce que répondra le
colonel Beck ...
deux Jhats d’accepter son assistance, alors qu’ils étaient liés par une alliance
contre elle? N’était-ce pas se mettre dans une posture impossible? Pis encore :
la moindre insistance de aa part n’aurait-elle pas été interprétée comme une
confirmation du fait qu’elle nourrissait des ambitions territoriales à leur encontre?
Déjà la Roumanie, par la voix de M. Gafenco, a fait part de sa méfiance à
Lord Halifax. a Ne vous engagez pas avec la Russie a, lui a-t-il conseillé le 25 avril
1939.II Les Russes n’ont pas les mêmes conceptions que nous, et ne sont pas vrai-
ment intéressés à la paix, telle que la conçoit le reste du monde. D (Rapport de
l’ambasaadew Kennedy à M. Cordell HuU, 25 avril 1939. 740.00/1160. Conpden-
tial Fik, MS. Department of State.)
1. Une fois de plus, Vorochilov tient à marquer que Moscou n’est pas deman-
deur.
2. Sitzungsprotokoll, p. 35.
3. L’attitude des Puissances occidentales paraît si inconcevable aux Russes,
qu’ils attribuent à des intentions machiavéliques, ce qui n’est, en dalité, qu’un
manque de réalisme.
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 235

* *
Londres n’en paraît pas gravement affecté. Chamberlain
ne s’est engagé qu’à son corps défendant dans la négociation
avec les Soviets et la tournure qu’elle a prise confirme ses
prévisions. Par ailleurs, le Cabinet britannique, fort des assu-
rances que ne cesse de lui prodiguer le général Gamelin,
demeure convaincu que l’Armée française est en mesure
de remplir toutes ses obligations, c’est-à-dire de secourir
la Pologne et de faire échec à la Wehrmacht. Si les Russes
ne veulent pas marcher, on se passera de leur concours.
De toute façon, ni Chamberlain, ni Halifax ne croient à
la valeur offensive de l’Armée Rouge. Ils ne la font entrer
dans leurs calculs que comme facteur de dissuasion 1.
Mais il n’en va pas de même à Paris, bien au contraire.
Le contenu des dépêches qui arrivent de Moscou2 et le
ton comminatoire du mémorandum de Vorochilov ne laissent
guère de doute sur la gravité de la situation. (( Que va faire
la Pologne? 1) se demande Georges Bonnet. (( Va-t-elle réduire
à néant, par son aveuglement, tant de semaines de patience
et d’efforts de conciliation? ))
Le 15 août, au début de l’après-midi, le ministre français
des Affaires étrangères convoque dans son bureau M. Luca-
siewicz.
- (( Le colonel Beck »,lui dit-il d’un ton ferme, (( doit
accepter l’entrée en Pologne de l’infanterie russe, sinon tout
est à redouter. J e n’exclus même pas la possibilité d’une
entente germano-russe contre Varsovie. n
- (( M. Beck ne consentira jamais à laisser occuper par
les Russes les territoires que nous leur avons repris en 1921! n
réplique M. Lucasiewicz. (( Accepteriez-vous, comme Fran-
çais, de faire garder l’Alsace-Lorraine par les Allemands? D
- (( Certainement pas »,répond Bonnet, (( mais n’oubliez
pas que vous avez comme voisines à l’est et à l’ouest, deux
grandes Puissances. Vous êtes maintenant engagés dans une

1. (I Durant toute la durée des négociations ID,écrit M. von der Schulenburg,


ambassadeur du Reich en U. R. S. S., u les attachés militaires britanniques en
poste à Moscou se sont montrés trds sceptiques quant au succès des conver-
sations. u (Lettre privée du 7 août, citde par Peter Kleist, Die Europdische Tra@die,
p. 65.)
2. Notamment la dbpéch de M. Naggiar du 15 août 1939, 5 heures du matin.
236 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

épreuve de force avec l’Allemagne, épreuve qui vous oblige


à vous assurer l’appui soviétique. Tout récemment encore,
Hitler a déclaré à M. Burckhardt qu’en trois semaines, il
abattrait la Pologne avec son armée mécanisée, dont vous
n’avez pas même idée l. D
- (( Détrompez-vous n, répond M. Lucasiewicz. (( C’est
l’Armée polonaise qui envahira l’Allemagne dès les pre-
miers jours! B
- J e le souhaite ardemment »,réplique Georges Bonnet.
(( E n attendant, répondez tout de suite et affirmativement

à la demande soviétique, car du succès de votre négociation


dépend la paix ou la guerre. D
L’ambassadeur lui promet de transmettre fidèlement sa
requête à Varsovie, mais il lui laisse entendre que la réponse
de Beck sera certainement négative 2,
Nullement rassuré par les propos de l’ambassadeur de
Pologne, Bonnet se rend chez Daladier pour lui faire part
de ses inquiétudes. Par un hasard heureux, le général
Musse, attaché militaire français à Varsovie, se trouve à
Paris. A la demande du Président du Conseil, il repart le
jour même pour Varsovie, afin d’appuyer les démarches de
M. Noël auprès du colonel Beck. Simultanément, Bonnet
télégraphie à l’ambassadeur, pour lui demander de faire
comprendre au ministre polonais des Affaires étrangères
a que son refus lui ferait porter la responsabilité d’un échec
des pourparlers militaires, avec toutes les conséquences qui
en découleraient a n.
Le 18 août,M. Noël et le général Musse se rendent auprès
du colonel Beck pour l’exhorter à donner une réponse
affirmative au mémorandum du Maréchal Vorochilov.
C’est alors qu’éclate au grand jour l’incompatibilité fon-
cière qui existe entre la politique des Puissances occidentales
et celle de la Pologne. Vue de Londres et de Paris, l’accep-
tation de l’aide russe est la dernière chance de salut: vue
de Varsovie, elle apparaît comme un suicide.
u M . Beck, prévenu par M. Luca-siewicz attendait ma dé-
marche »,câble Léon Noël à Paris. <( En entrant dans son bureau,
1. Voir plus haut, p. 206. Le compte rendu de sa conversation avec Hitler,
dicte par M. Burckhardt à son domicile de Bâle, sitat aprh son retour du Berghof,
a 6th transmis à Georges Bonnet par M. Arnal.
2. Georges BONNET, La Ddfense de la Paix, II, p. 271-218.
3. T4légamme da George-s Bonnet à Uon N o d , 16 août 1939, 21 h. 65.
L A CRISE GERMANO-POLONAISE 237
T a i eu immédiatement l’impression de retrouver e n lui, malgr6
sa courtoisie habituelle, l‘interlocuteur avec lequel ?ai eu, dans
ces dernières années, des explications souvent vives ...
u Tout e n se réservant de me donner une réponse définitive
demain matin, ou peut-être ce soir, le mrnistre a formulé une
série d’objections dont voici l‘essentiel :
u lo Si la Pologne se prête à la combinaison envisagke,
l’Allemagne e n sera aussitôt informée. Les Russes eux-mêmes
se chargeront de la prévenir et la guerre deviendra inévitable.
u 20 Depuis le début des négociations engagées à Moscou
par la France et la Grande-Bretagne, le Gouvernement soviétique
manœuvre pour faire retomber la responsabilité de l‘échec sur
la Pologne.
K 30 En attendant que la Pologne accepte ce qui est proposé,
1‘ U.R. S. S. ne tiendra pas ses engagements d‘ordre militaire -
elle est matériellement incapable de le faire - mais elle e n
profitera pour se procurer des gages de nature politique.
u En quittant M . Beck, r a i insisté pour qu’il cherche avec
les chefs de l‘Armée polonaise une formule pratique de nature
à éviter la rupture des pourparlers de Moscou. Il m’a dit :
u Noua chercherons, mais f a i peu d‘espoir1. n

Le général Musse n’est pas plus heureux dans sa démarche


auprès de l’etat-Major :
(( Au cours d’un entretien qui a duré plusieurs heures »,
f a i t savoir Léon Noël, (( le général Musse et Z’attaché militaire
britannique ont essayé ce matin de vaincre les oljjections d u
général Stachiewicz 2... Tous leurs efforts sont demeurés vains.
L e général Stachiewicz a invoqué sans cesse une des consignes
laissées par Pilsudski :la Pologne ne peut pas accepter que des
troupes étrangères pénètrent dans son territoire. Ce principe,
il est vrai, n’aurait pas la même valeur, une fois les hostilités
engagées. n

Le 19 août, M.Beck donne sa réponse officielle et définitive,


aprhs en avoir délibéré avec le Maréchal Rydz-Smigly :
c’est un non catégorique.
- K Je n’admets pas D, dit-il, (( qu’on discute, de quelque
façon que ce soit, l’utilisation d’une partie de notre territoire
national par des troupes étrangères. C’est pour nous une
1. TUgrarnms de U o n Noël d Georges Bonnuf, 18 août 1939, 17 h. 30.
2. Le chef d’lhat-bfajor genéral de 1’Armbe polonaise.
238 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

question de principe. Nous n’avons pas d’accord militaire


avec l’U. R. S. S.; nous ne voulons pas en avoir 1. ))
Georges Bonnet est atterré en lisant cette réponse. Le
colonel Beck a rejeté les propositions d’Hitler dans des
termes qui rendent un conflit germano-polonais à peu près
inévitable. Et voilà qu’il repousse également tout arrangement
avec les Russes, qui proposent de lui venir en aide au cas
où il serait attaqué! Ne comprend-il donc pas la situation
où il se trouve? Les suites de son inconséquence devraient
le terrifier ...
Mais le colonel Beck n’est nullement terrifié. I1 paraît au
contraire très satisfait de lui-même. D’être sollicité à la
fois par toutes les chancelleries, lui donne une haute idée
de son importance. I1 fera appel aux Russes une foisla guerre
déclenchée, mais certainement pas avant 2. Pourquoi agit-il
ainsi?
Tout d’abord par calcul: il estime -
à tort ou à raison -
qu’Hitler considérera un accord polono-russe comme un
casus be22i qui provoquera de sa part une riposte fulgurante 3.
Ensuite par vanité :de même qu’il a refusé une garantie unila-
térale de l’Angleterre, parce qu’il la considère incompatible
avec la dignité de la Pologne, de même il veut se réserver
le droit de demander l’assistance de 1’U. R. S . S. au moment
qu’il aura choisi, non de la recevoir comme une grâce des
mains de Londres et de Paris. La Pologne ne saurait être un
É t a t ((assisté». Ou du moins, entend-elle définir de son
propre chef les conditions de cette assistance.
Mais si un conflit éclate? A vrai dire, cette éventualité lui

1. Télégramme de U o n Noël à Georges Bonnet, 19 août 1939, 22 h. 37.


2. a M. Beck persistera dans cette opinion jusqu’à la dernière minute B, écrit
Georges Bonnet. a Le 18 août, au moment OB Moscou posera officiellement la ques-
tion, il affirmera - avec le Maréchal Rydz-Smigly - la nécessité pour la Pologne
d’une collaboration militaire avec 1’U. R. S. S. des que la guerre aura éctaté. Pour-
quoi alors la refuser quelques jours avant cette échéance évidente?... D Comme
le remarquera M. Naggiar : a Si M. Beck se méfie des Russes au point de ne pas
vouloir rendre possible leur coopération encadrée par la France et l’Angleterre,
on ne comprend pas comment, ni pourquoi, il se réserve la faculté d’obtenir
seul, à la derniére minute et quand il aura engagé toutes ses forces dans la guerre,
une assistance qui lui paraît si dangereuse lorsqu’elle lui est offerte avec l’appui
de la France et de l’Angleterre. n (La Dé/efense de la Paix, II, p. 211.)
3. a J e continuerai à tenir tête à Hitler à ma manière D, affirme-t-il, a en ren-
forçant la position internationale de la Pologne et en me montrant plus intran-
sigeant qu’aucun Polonais dans l’affaire de Dantzig; mais je saurai éviter le pire :
la guerre, car je ne toucherai pas à ce que j’estime avoir été la raison profonde
et inaltérable de la paix germano-polonaise: l’attitude commune des deux pays
envers la Russie. n (Grégoire GAFENCO,Derniers Jour8 de l’Europe, p. 57.)
LA C R I S E GERMANO-POLONAISE 239
paraît exclue, tant il est convaincu que sa politique de fer-
meté fera reculer Hitler l . Mais s’il éclate quand même?
Cela ne le préoccupe pas davantage car en cas d’hostilités,
((il opposera la souplesse polonaise à la rigidité mécanique
allemande, et l’on verra alors qui aura le dessus 1). Comme
Gamelin, il ne croit pas à la supériorité des chars et se fait
fort de les culbuter par des charges de cavalerie. Plus la
réalité s’assombrit et plus il s’enivre d’illusions ...
t
2 4

Pendant ce temps, les pourparlers militaires se poursuivent


à MOSCOU,car le Maréchal Vorochilov a consenti à ne pas les
rompre en attendant la réponse de Bucarest et de Varsovie.
Mais ces conversations n’ont plus aucun intérêt. Le général
Doumenc, le général Valin, l’amiral Drax et le maréchal
de l’Air Barnett prennent tour à tour la parole. Ils parlent
pendant des heures, mais ils parlent dans le vide. Les Russes
ne les écoutent qu’avec une indifférence polie.
Trois séances ont encore lieu les 15, 16 et 17 août. A la fin
de cette dernière, la Conférence décide de s’ajourner au 21,
à moins qu’une réponse polonaise ne soit arrivée dans l’in-
tervalle.
Le 20 août, Georges Bonnet prie M. Noël de tenter une
suprême démarche à la fois auprès du colonel Beck et du
Maréchal Rydz-Smigly. I1 s’agit de leur faire mesurer u toute
l’étendue des responsabilités qu’assumerait le Gouvernement
polonais, si son attitude devait aboutir à la rupture des
négociations avec 1’U. R. S. S. n. Mais malgré les objurgations
de M. Noël, le ministre des Affaires étrangères et le Com-
mandant en chef restent sur leurs positions.
- c Avec les Allemands, nous risquons de perdre notre
liberté »,répond Rydz-Smigly, a mais avec les Russes nous
perdrons notre âme 2. 1)
Le même jour, M. Naggiar adresse un S. O. S. à Paris.
u Afin de donner une réponse affirmative à la délégation
russe, et faire progresser la négociation militaire »,il suggère
1. a Si le bastion polonais devait tomber D, déclare-t-il à Gafenco, a les portes
de l’Europe s’ouvriraient devant la poussée soviétique. Croyez-vous qu’Hitler
veuille cela? Moi, je sais qu’il ne le veut pas! Certes, il désire Dantzig, mais jamais
il ne consentira à payer d‘un tel prix l’acquisition de la Ville libre. iP(Derniers Jours
de l’Europe, p. 57.)
2. Georges BONNET,La Défense de la Paix, II, p. 284.
240 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

que le général Doumenc reçoive sans tarder N des instruc-


tions lui donnant pouvoir de traiter et de signer au mieux de
l’intérêt commun 1 n. Daladier accepte cette proposition.
I1 envoie sur-le-champ les pouvoirs nécessaires au général
Doumenc *.
Le 21 août, la Conférence anglo-franco-russe se réunit
comme convenu. Mais dès le début de la séance, le Maréchal
Vorochilov propose de suspendre les négociations, u non point
pour une durée de quatre ou cinq jours, mais pour un temps
indéterminé ».
L’amiral Drax lui en exprime son étonnement.
- u Une telle nouvelle risque d’avoir un effet déplorable
sur l’opinion publique »,déclare-t-il. a N’y aurait-il pas lieu
de publier au moins un communiqué, pour assurer que
les négociations sont en bonne voie et qu’elles reprendront
sous peu? n
- u J e n’en vois pas la nécessité n, répond Vorochilov
d’un ton glacial.
Comme l’amiral Drax insiste, le Commissaire du peuple
à la Défense lit la déclaration suivante :

Q L’intention de la Mission militaire soviétique est et reste


de s’accorder avec les Missions anglaise et française sur l‘orga-
nisation pratique d‘une coopération des Forces militaires des
trois pays.
u L’U. R. S. S. n’ayant pas de frontière commune avec 1’Alle-
magne ne peut donner aide à la France, à l’Angleterre, à la
Pologne et à la Roumanie qu’à condition de faire passer ses
troupes sur les territoires polonais et roumain, puisqu’il n’existe
pas d’autre chemin pour entrer en contact avec tagresseur.
N De même que, durant la guerre mondiale, les troupes bri-
tanniques et américaines n’auraient pas p u colla borer avec
les armées françaises si elles n’avaient pas eu la possibilité
d‘opérer sur le territoire français, de même les tro.upes soviétipues
ne peuvent pas collaborer avec les armées françaues et anglacses,
s i on ne les laisse pas pénétrer en Pologne et e n Roumanie.
C‘est là un axiome.
1. Téiégamme de M. Naggiar, 20 août 1939.
2. Téiégramme de Paris à Moscou, 21 août 1939, 16 heures. Le même jour,
le Gouvernement français demande au Gouvernement britannique de donner
des pouvoirs analogues à sa délégation. (Télégrammede Paris à Londres, 21 août
1939, 15 heures.)
3. Pour justifier cette interruption, Vomchilov déclare que aces Messieun
de la délhgation soviétiquedoivent participer aux grandes manœuvres d’autonineB.
Il est permis d’en déduire que la Conférence est remise sine die.
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 241
u L a Mission soviétique est extrêmement déçue de constater
que les États-Majors français et britannique n’ont p a déjà
étudié et résolu la question, avant d’envoyer des Missions
militaires négocier la conclusion d’un pacte avec 1’ U.R. S. S.I.
(c Si à présent, les Français et les Anglais veulent trans-
former cet axiome en un problème dont l’étude exigera de longs
délais, il y a tout lieu de douter de la sincérité de leur désir de
collaborer militairement avec 1‘U. R. S . S .
a En conséquence, la responsabilité de la prolongation et de
l‘interruption des négociations incombe exclusivement aux délé-
gations française et britannique 2. )I

L’amiral Drax proteste contre l’accusation d’insincérité


portée par Vorochilov contre les Missions militaires alliées.
I1 pose encore quelques questions auxquelles les Russes ne
répondent pas, La séance est levée à 17 h. 25. Les Missions
militaires quittent le Kremlin et regagnent leurs ambas-
sades. Vorochilov s’est réservé de les convoquer (( sitôt que
les conversations pourront reprendre avec quelques chances
de succès ».
Dans la soirée, M. Coulondre adresse une dépêche alar-
inante à Paris. I1 y signale que la concentration des forces
allemandes s’accélère. Les unités et la division blindée de
Berlin ont quitté la capitale; le matériel des chars d’assaut
a été embarqué par chemin de fer au cours de l’après-midi.
Sur la voie ferrée en direction de la Silésie, des trains de
troupes e t de chars de combat se sont succédé durant toute
la journée. Une colonne motorisée de plus de cent kilomètres
de long est en marche vers la Poméranie, par l’autoroute
Berlin-Stettin S. Un certain nombre de réservistes ont été
convoqués, en plus des deux millions d’hommes déjà sous
les armes.
Ce télégramme émeut vivement les dirigeants français,
car il semble indiquer que le déclenchement des hostilités
n’est plus qu’une question d’heures. I1 les amène à tenter
une nouvelle démarche auprès des autorités russes. Le
22 août, le général Doumenc demande à voir le Maréchal
1. Les 15, 16 et 17 mai 1939, le générai Gamelin a bien eu, à Paris,des entre-
tiens avec le général Kaspnycki, ministre des ARaires militaires de Pologne,
sur la coordination des deux armées. Mais le probl8me d’une intervention des
Forces soviétiques n’y a pas été soulevé. (Cf. colonel Joseph BECK,Dernier Rap-
port, p. 345-346.)
2 . Sitzungsprotokoll, p. 67-68.
3. Georges BONNET, La Ddfsme de la Paix, II, p. 285.
VI 16
242 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ ~ EALLEMANDE

Vorochilov. S’appuyant sur les pleins pouvoirs qu’il vient de


recevoir de Paris, il décide de jouer son va-tout et déclare
au Commissaire du peuple à la Défense :
- u La France vous donne l’assurance, au lieu et place de
la Pologne, que les troupes russes pourront traverser son
territoire en empruntant le couloir de Vilno. I1 n’y a donc
plus aucun obstacle entre nous. J e suis prêt à signer immé-
diatement la Convention militaire, en vertu des pouvoirs
qui m’ont été conférés par le Gouvernement français 1. D
Le Maréchal Vorochilov croit tomber des nues en enten-
dant ces mots, car le Gouvernement polonais n’est toujours
pas revenu sur son veto, et lui seul peut accorderàl’U. R. S.S.
le droit de passage sur son territoire. (( De deux choses l’une »,
se dit-iI. (( Ou bien Paris s’apprête à sacrifier ses alliés rou-
mains et polonais. Dans ce cas, que valent ses déclarations
sur la défense des petits pays? Ou bien, il nous tend un piège,
en nous faisant prendre pour argent comptant un engage-
ment sans valeur. Nous croit-il assez naïfs pour donner dans
ce panneau? n
Aussi le Commissaire du peuple à la Défense répond-il
sèchement :
- La Pologne est un État souverain. La France ne peut
prendre aucun engagement en son nom 2. n
Tout cela, d’ailleurs, est déjà dépassé. Le général Dou-
menc n’aura même pas le temps de faire part à Paris de
l’échec de sa tentative car, le même jour à O h. 15, l’Agence
allemande D. N. B. a publié l’information suivante :

‘U.R. S.S.
(( Le Gouvernement du Reich et le Gouvernement de 1

ont décidé de conclure un Pacte de non-agression. M . von Rib-


bentrop, ministre des Affaires étrangères du Reich, est en routs
pour Moscou afin de signer le traités. ))

1. a Le 21 août D, écrit Churchill dans ses Mt?moirce, sans tenir compte des
désira des deux pays, Daladier reconnut aux Soviets le droit de traverser la Pologne
et la Roumanie et donna au général Doumenc, chef de la délégation française à
Moscou, le pouvoir de signer l’Accord militaire dans les meilleures conditions
possibles. a
2. n Que peuvent, hélas! nos négociateurs, m8me munis de pleins pouvoirs? a
écrit Georges Bonnet. a C’est de la Pologne que 1’U. R. S. S. attend le mot décisif.
Or, le Gouvernernent polonais maintient sa position négative. a (La Déjeme de
ta P<iiz, II, p. 284-285.)
3. Communiqué du Deufeche Nachriehten BGro, du 22 août 1939. La nouvelle
est reprise aussitôt par Reuter.
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 243
En apprenant cette nouvelle stupéfiante, Georges Bonnet
télégraphie aussitôt à M. Naggiar :
u Une information D . N , B. annonce que M . Ribbentrop
arriverait à Moscou le 23 août pour y signer un pacte de non-
agression germano-soviétique. Veuillez me transmettre toutes
explications que v o w recevriez & ce sujet l.

Quelques heures plus tard, il téléphone lui-même à l’ambas-


sadeur de France à Moscou, pour lui exprimer son éton-
nement :
(( Comment se fait-il qu’hier encore, notre Mission militaire

ait p u délibérer longuement avec la Mission militaire soviétique,


sans qu’on l’informât des pourparlers en cours avec Berlin 2 3

Mais l’ambassadeur de France ne sait que répondre.


Le 24, un communiqué conjoint de l’Agence Tass et du
D. N. B. annonce que le Pacte germano-soviétique est signé.
Le 25, l’amiral Drax et le général Doumenc sont convo-
qués au ministère de la Défense, où le Maréchal Vorochilov
leur signifie leur congé 3.
Totalement désemparées, les Missions militaires alliées
reprennent le train pour Léningrad, d’oh elles regagneront
Londres et Paris. Le correspondant du News Chronicle, qui
se trouve par hasard à la gare de Moscou au moment de
leur départ, est alors le témoin d’une scène étrange.
Sitôt le train parti, il voit les officiers soviétiques qui
étaient venus raccompagner les délégations française et
britannique, se diriger vers le buffet de la gare. Là, se croyant
à l’abri des regards indiscrets, ils trinquent bruyamment à
la santé de Staline, en échangeant des tapes dans le dos et en
poussant de grands éclats de rire
Que s’est-il donc passé?
1 . Tdlégramme de Georges Bonnet à M. Naggiar, 22 août 1939, 1 h. 50.
2. Georges BONNET, La Défense de la Paix, II, p. 287. I1 confirme sa question
par télégramme, ie même jour, à 13 h. 25.
3. Sir William Strang, pour sa part, est déjà reparti le 7 août.
4. News Chronick, 28 août 1939.
XVII

LE PACTE GERMANO-SOVIOTIQUE

I.-La nkgociation secrète.

- N J e hais le bolchévisme! J e hais les Russes! Tant


que je serai là, on ne parlera pas à ces gens-là! ))
Tels sont les propos qu’Hitler tenait à Burckhardt, le
20 septembre 1937 l. Deux ans à peine se sont écoulés, et
voici que les journaux sont remplis de photographies mon-
trant Ribbentrop au Kremlin, signant un pacte de non-
agression avec Molotov, sous les regards souriants du général
Chapochnikov a et de Staline! I1 y a là, on en conviendra,
de quoi faire tourner les têtes ...
Une foule de questions viennent immédiatement à l’esprit.
Comment Hitler et Staline ont-ils pu surmonter l’abîme
idéologique qui les séparait? Comment ont-ils pu se mettre
d’accord aussi vite? Lequel des deux a fait les premiers
pas? Toutes ces questions seraient peut-être demeurées
sans réponse si le général Krivitsky ne nous apportait, sur
ces points, un témoignage d’autant plus intéressant que ses
anciennes fonctions lui permettent de parler en connaissance
de cause S.
(( Avant la conclusion du Pacte germano-soviétique )),
écrit-il, a l’idée prévalait qu’Hitler et Staline étaient des
ennemis mortels : ce n’était qu’un mythe, une image défor-
mée, créée par un camouflage intelligent et par les artifices
de la propagande. La véritable image de leurs relations
1. Carl BURCKEARDT, Ma Mission à Dantzig, p. 111.
2. Rappelons que le général Chapochnikov, chef d’gtat-Major général de l’Ar-
mée Rouge, a participé à toutes les négociations avec l’amiral Drax et le général
Doumenc.
3. Jusqu’en 1938,le générai Krivitsky a dirigé les Services de Renseignements
soviétiques en Europe occidentale.
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 245
était celle d’un solliciteur perpétuel, qui ne se laissait pas
décourager par les rebuffades. Staline était le solliciteur.
I1 y avait de l’hostilité du côté d’Hitler. Du côté de Staline,
il y avait de la crainte. Si l’on peut parler d‘un pro-Allemand
au Kremlin, c’était de Staline, qui n’a jamais cesséde l’être.,.
Sa politique internationale, de 1933 à 1939, n’a été qu’une
série de manœuvres destinées à le mettre dans une posi-
tion favorable pour traiter avec Hitler ... I1 calculait tous ses
mouvements en gardant les yeux fixés sur Berlin. Son
espoir était d’arriver à occuper une position telle, qu’Hitler
pût trouver avantageux d’accepter ses avances l. n
Faut-il voir, dans ces lignes, l’opinion d’un exilé,
brouillé avec Staline depuis la grande purge de 1937, et qui
cherche à jeter le discrédit sur son ancien patron 2? I1 ne le
sembIe pas. Bien que Staline ait été un personnage inson-
dable, même pour ses intimes, beaucoup de ses réactions
ne s’expliquent que si on les situe dans cette perspective.
A la veille du 30 juin 1934, lorsque certains membres du
Politburo lui avaient assuré que le régime hitlérien était
à la veille de s’écrouler, Staline leur avait répondu :
- (( Les événements d’Allemagne n’annoncent nullement

la chute du régime nazi. Au contraire. Ils amèneront la


consolidation de ce régime, en renforçant le pouvoir person-
nel d’Hitler. ))
La décision avec laquelle le Führer avait étouffé dans le sang
la rébellion des Chemises brunes lui avait rappelé la façon
dont Pierre le Grand avait écrasé la révolte des Streltsy,
et nous savons qu’il avait une vive admiration pour ce souve-
rain. Du coup, Hitler avait grandi dans son estime. Celui-ci
avait démontré pour la première fois aux dirigeants du Krem-
lin, qu’il savait comment tenir le pouvoir, qu’il était un dicta-
teur, non seulement de nom, mais de fait. (( Si Staline avait eu
auparavant des doutes sur la capacité d’Hitler de régner en
despote, d’écraser l’opposition et d’affirmer son autorité,
même sur les plus hauts personnages de l’Armée et de la
politique 11, écrit Krivitsky, ces doutes étaient maintenant
dissipés. A partir de cette date, Staline reconnut en lui un
homme capable de lancer un défi au monde 3. )) C’est cela,
1. GQnéralW. G. KRXVXTSKY, Agent de Staline, p. 17-18.
2. Réfugié aux %tats-Unisà partir de 1939, le général Krivitsky est mort
mystérieusement en 1941, dans un hbtel de Washington.
3. KRIVITSKY, Op. cit., p. 29.
246 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

avant tout, qui l’avait incité à rechercher un accord avec


lui. Quinze jours plus tard, il avait autorisé Radek à publier
dans les lzoestia un article qui se terminait par ces mots :
(( I1 n’y a aucune raison pour que l’Allemagne fasciste et

la Russie soviétique ne marchent pas ensemble D


La crainte que lui inspirait la montée de la puissance
nazie avait encore augmenté le 25 novembre 1936, lorsque
l’Allemagne avait signé le Pacte anti-Komintern avec le
Japon 2. Non que ce pacte servît à couvrir un traité secret,
comme on l’a cru longtemps S. Mais peu de temps auparavant,
les services de contre-espionnage soviétiques avaient réussi
à se procurer, en microfilm, une copie de toute la corres-
pondance secrète entre Ribbentrop et Oshima 4. I1 en ressor-
tait que le Japon et l’Allemagne s’engageaient à concerter
leur politique envers l’Union Soviétique et la Chine, et à
n’entreprendre aucune action en Europe sans s’être consul-
tés. Berlin acceptait en outre de mettre Tokyo au courant
de ses progrès dans le domaine des armements et d’échan-
ger des missions militaires avec le Japon. Du coup, Staline
s’était senti pris à la gorge. La crainte d’avoir à faire la
guerre sur deux fronts s’était emparée de lui. E t cette crainte
lui paraissait d’autant plus fondée qu’il avait l’habitude de
ne parler à personne des projets qui lui tenaient le plus à
cœur. Or, les pourparlers germano-nippons s’étaient déroulés
sous la direction personnelle d’Hitler et avaient été entourés
du secret le plus absolu 6.
La diplomatie soviétique avait immédiatement réagi en
adhérant au système de la sécurité collective et en invitant
tous les pays, petits et grands, à constituer un front unique
contre le fascisme dont le but réel était d’assurer la défense
de YU. R. S. S. Mais cette activité, toute en surface n’avait
pas empêché Staline de poursuivre, en profondeur, sa poli-
tique personnelle. Dans le moment même où Litvinov battait
le rappel des démocraties, il avait chargé David Kandelski,
l’attaché commercial soviétique à Berlin qui était un de ses

1. Zwcstia, 15 juiliet 1934.


2. Voir vol. IV, p. 77 et s.
3. Les archives allemandes et japonaises ont été fouillées de fond en comble :
on n’en a jamais trouvé trace.
4. L’attaché militaire nippon à Berlin.
5. Aucun diplomate accrbdité,allemand ou japonais, n’avait été mis au courant
de ces tractations.
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 247
amis, de tenter l’impossible pour trouver un terrain d’entente
avec Hitler.
Ce que Staline voulait éviter à tout prix, c’était d‘être
entraîné dans une guerre dont la Russie ferait tous les frais
et dont les Puissances occidentales retireraient tous les
bénéfices. C’était une position à laquelle il ne devait jamais
se laisser acculer, car il savait que, quels que fussent les
reproches qu’on lui adresserait, l’histoire le jugerait finale-
ment sur sa capacité à maintenir l’héritage de Lénine. Pour
y réussir, l’U. R. S. S. devait envenimer les a contradic-
tions D entre pays capitalistes, rester à l’écart du conflit qui
en résulterait et n’intervenir qu’au tout dernier moment pour
imposer son arbitrage aux belligérants épuisés. C’est pour-
quoi Staline avait réagi avec violence, lorsque Toukha-
tchevski lui avait suggéré de lancer la Russie dans une guerre
préventive contre l’Allemagne. C’était là, justement, ce qu’il
ne fallait pas faire! Pour échapper à ce danger, où risquaient
de l’entraîner des généraux à courte vue, il n’avait pas hésité
à décapiter l’Armée Rouge La purge avait été effroyable.
Mais il l’avait estimée nécessaire pour échapper à la tutelle
des militaires, asseoir définitivement son autorité dans le
pays et rester libre de mener, comme il l’entendait, sa poli-
tique étrangère.
Durant la période de tension internationale qui avait
précédé Munich, Iéjov2 avait attiré son attention sur le
mecontentement qui régnait à l’égard d’Hitler au sein de
l’Etat-Major et des milieux monarchistes allemands. Mais
Staline lui avait répondu, avec un haussement d’épaules :
- N Qu’est-ce que tous ces radotages sur le mécontente-
ment provoqué par Hitler dans l’Armée allemande? Que
faut-il pour contenter une armée? De fortes rations? Hitler
les lui fournit. Le prestige et les honneurs? Hitler les lui
procure. Le sentiment de la force et de la victoire? Hitler
leur donne tout cela. Les racontars sur l’agitation dans l’Ar-
mée allemande sont des sottises a... ))
Staline avait conclu en disant : (( L’Allemagne est forte.
Elle est devenue la première Puissance du continent. C‘est

1. Voir vol. IV, chap. xv.


2. L’ancien chef du N. K. V. D., élevb par Staline au rang de Commissaire
du peuple à IlIntérieur.
3. 11 est intéressant de rapprocher ces propos des déclarations faites par Atto-
lico à Burckhardt. (Voir plus haut, p. 196.)
248 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

l’œuvre d’Hitler. Quel homme de bon sens ne le reconnaî-


trait pas? Quant à l’U. R. S. S. elle n’a qu’un chemin à
suivre : s’entendre avec une Puissance de premier plan,
telle que l’Allemagne nazie l. ))
Si la chose n’avait dépendu que de Staline, il y a long-
temps que l’entente aurait été faite. N’avait-il pas signé, dès
1933, un pacte de non-agression avec Mussolini 2? Mais en ce
qui concernait le Reich, il se heurtait à un obstacle dont il
n’était pas le maître : l’obstination d’Hitler à repousser ses
avances a. Le Führer était irréductiblement hostile à tout
rapprochement avec les Soviets. N’avait-il pas répété sans
cesse, et récemment encore à Burckhardt : a I1 n’existe qu’un
ennemi véritable de toute civilisation : c’est le Bolchévisme.
Qui pactise avec lui, commet un crime atroce*! n L‘anti-
bolchévisme était à la base de son rapprochement avec la
Pologne et c’était pour éviter toute collusion avec Moscou
qu’il avait refusé de s’engager dans la voie préconisée par
Schleicher. Depuis son accession au pouvoir, il avait brisé l’un
après l’autre tous les liens que dix années de coopération
avaient tissés entre l’Armée Rouge et la Reichswehr. En 1935,
sur le conseil du Dr Schacht, il avait autorisé la Reichsbank à
ouvrir un crédit de 500 millions de marks au Gouvernement
soviétique 6. Mais lorsqu’il avait appris que 1’U. R. S. S.
se proposait d‘affecter ces crédits à l’achat d’un croiseur, de
plusieurs sous-marins et au développement de ses indus-
tries pptique et chimique -
grâce au concours technique
des Etablissements Zeiss et de 1’1. G. Farben - Hitler
avait immédiatement donné l’ordre d’annuler le contrat.

1. Déclarations faites par Staline à Iéjov e t reproduitas par KRIVXT~~XY,


Agenf de Sfalins, p. 40.
2. Ce Pacte, signe à Rome le 2 septembre 1933 par Mussolini et Potemkine,
avait soulevé la colère d’Hitler. I1 avait accus6 le Duce d‘avoir commis Iune
trahison idéologique a.
3. En août 1935,Staline avait fait procéder ilune enquête surla question suivante:
a Quelles sont, en Allemagne, les forces favorables à un accord avec YU. R. S. S.
et de quelle autorité jouissent-elles? Ses services de renseignements avaient
répondu : a Tous les efforts de 1’U. R. S. S. pour arriver à se concilier Hitler sont
condamnés. Le principal obstacle à un accord avec Moscou, c’est Hitler lui-même.
(KRIVITSKY, Agent ds Staline, p. 31-32.)
4 . Carl BURCKHARDT, M a Mission à Dantzig, p. 113.
5. Le ministre des Finances lui avait fait valoir que l’Allemagne dépendait de
VU. R. S. S. pour ses fournitures de bois, de blé, de pétrole et d’un certain nombre
d’autres matières stratégiques; que le Gouvernement soviétique remboursait en
or;qu’outre le fait qu’elies pallieraient la pbnurie de devises dont souffrait la Reichs-
bank, les commandes russes accéléreraient la relance de l’industrie et faciliteraient
la résorption du ch8mage.
LA CRISE GERIANO-POLONAISE 249
Tant qu’il serait là, (( on ne parlerait pas à ces gens-là B.
Qu’est-ce donc qui l’avait amené à modifier son attitude
au point de commettre ce qu’il considérait jusque-là comme
u un crime atroce n? S’était-il laissé convaincre par ceux qui
lui assuraient que Staline avait cessé d’être le chef de la révo-
lution mondiale pour devenir un nationaliste russe, qu’il se
comportait plus en héritier de Pierre le Grand qu’en disciple
de Lénine? Assurément pas. Hitler n’était pas homme à se
laisser impressionner par ce genre d’arguments. I1 savait par-
faitement que Staline n’avait pas cessé d’être Marxiste pas plus
qu’il n’avait cessé lui-même d’être National-socialiste. Mais
les réalités du pouvoir sont parfois plus astreignantes que les
exigences de l’idéologie. Lorsqu’il avait constaté que ses rela-
tions avec la Pologne se détérioraient de jour en jour, lorsqu’il
avait vu le colonel Beck refuser tout acserd sur Dantzig et
accepter la garantie de l’Angleterre, lorsqu’on lui avait
annoncé que des délégations franco-anglaises allaient se
rendre à Moscou pour y négocier une convention militaire,
il avait compris qu’il n’qvait pas d’autre choix que de se
rapprocher du Kremlin. S’inclinant devant la nécessité, il
avait fait table rase de tous les antagonismes idéologiques
pour ne plus considérer que la convergence des intérêts l. A
partir de ce moment, c’est lui qui était devenu demandeur,
et un demandeur combien pressant! Mais ses propositions
n’auraient jamais été si bien, ni si rapidement accueillies, si
elles n’étaient tombées sur un terrain propice et si la hantise
d’un encerclement à l’est et à l’ouest n’avait poussé 1’Alle-
magne e t l’Union Soviétique dans les bras l’une de l’autre.
t
+ +
Quand commence le dégel? Certains observateurs ont
cru pouvoir le situer le 12 janvier 1939. Ce jour-là, le Corps
diplomatique s’était réuni à la Chancellerie,pour présenter au
Führer ses vœux de nouvel an. Hitler, qui se bornait d’ha-
bitude A serrer la main de l’ambassadeur de YU. R. S. S.
sans lui adresser la parole, s’était arrêté un long moment
devant M. Merekalov et avait échangé avec lui des

1. Au printemps de 1934, Hitler avait confi6 à Hermann Rauschning : a Peut-


être ne pourrai-je pas &iter l’alliance avec la Russie. Mais je garde cette possibilité
comme mon dernier atout. Ce coup de poker sera peut-être l’acte décisif de ma
vie. D (Hitier m’a dÎt..,, p. 155.)
250 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

propos dont l’amabilité tranchait sur son comportement


habituel. Tous les diplomates présents en avaient été
frappés. Ils avaient aussitôt télégraphié à leurs gouverne-
ments respectifs pour leur dire (( qu’un changement semblait
être intervenu dans les relations germano-soviétiques et
qu’il devait y avoir anguille sous roche ». Mais ils se trom-
paient : en agissant ainsi, Hitler n’avait, semble-t-il,,pas
d’autre intention que de donner un avertissement à 1 am-
bassadeur de Pologne l.
Durant les semaines suivantes, il ne s’était rien passé 2. Et
puis, le 10mars 1939,sortant soudain de sonmutisme 3, Staline
avait prononcé un grand discours devant le XVIIIe Congrès
du Parti communiste. On n’y trouvait plus aucune des
attaques habituelles contre le National-Socialisme, mais cer-
taines critiques s’y faisaient jour à l’égard des démocra-
ties. Staline y dénonçait leur propension regrettable à
utiliser la Russie pour leurs propres fins. (( L’Union Sovié-
tique D, a v a i t 4 déclaré, (( n’a pas la moindre intention de
tirer les marrons du feu pour les démocraties occidentales.
Au contraire. Le Gouvernement soviétique n’est pas opposé,
en principe, à une amélioration de ses rapports avec le
Reich 4. )) Mais Hitler n’avait pas voulu entendre l’invite
1. Pour bien comprendre la négociation germano-soviétique, il est indis-
pensable de la situer dans son contexte international. Le 24 octobre 1938,
Ribbentrop a proposé à Lipski a une solution d’ensemble pour les questions de
Dantzig et du Corridor 1). Le 19 novembre, le colonel Beck y a répondu par une
fin de non-recevoir. Le 24 novembre, Hitler a donné B la Wehrmacht l’ordre de
préparer une occupation éclair de Dantzig, mais en subordonnant son exécution
à un accord tacite de Varsovie. Le 6 janvier 1939, Hitler a reçu le colonel Beck
au Berghof. Pour la premiére fois leur désaccord a éclaté au grand jour. A l’issue
de cet entretien, Beck a fait part de son pessimisme à Ribbentrop. (Voir plus
haut, p. 177.)
2. Le 26 janvier 1939, Ribbentrop s’est rendu en visite officielle à Varsovie
dans l’espoir de ramener le colonel Beck à de meilleurs sentiments. Simultané-
ment, à la demande de M. Merekalov, M. Schnurre, expert économique de la
Wilhelmstrasse, est parti pour Moscou, afin d’y réamorcer les pourpar!ers en
vue d’un accord commercial. Mais la presse de Londres et de Paris, qui en a
eu vent, a annoncé à grand fracas a qu’une importante délégation économique
allemande était en route pour Moscou D. Ribbentrop y a vu une tentative
pour saboter les conversations qu’il poursuit à Varsovie. I1 a donné l’ordre à
M. Schnurre de faire demi-tour, et les pourparlers économiques germano-sovié-
tiques en sont demeurés là. Les dirigcants moscovites s’en sont montrés trbs
.
aftectés
3. Durant toute l’année 1938, Staline a gardé le silence. II a observé sans rien
dire l’Anschluss, la crise germano-tchèque, la Conférence de Munich. Pendant
ce temps, Litvinov a subordonné l’intervention de 1’U. R. S. S. à une décision de
la S. d. N., mais sans jamais la solliciter lui-même.
4. Cinq jours plus tard, les troupes allemandes sont entrées à Prague, et les
troupes hongroises ont occupé la Ruthénie. (Voir plus haut, p. 73-74.)La disparition
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 251
de Staline. Les relations germano-soviétiques étaient demeu;
rées inchangées.
(( Les idées qui transforment le monde viennent à pas de

colombe »,a dit Nietzsche. C’est sous cette forme impondé-


rable que s’amorcera le dialogue. I1 commencera par une
tasse de thé, la fumée d’une cigarette et quelques paroles
négligemment jetées en l’air...

+ +
L’affaire débute réellement le 7 avril, par un coup de
téléphone de Ribbentrop au Dr Peter Kleist l.
- (( Connaissez-vous personnellement les diplomates de
l’ambassade soviétique à Berlin? D lui demande le ministre
des Affaires étrangères. du Reich.
- (( Non »,répond Kleist, d’autant plus surpris que son chef
lui avait prescrit jusque-là d’éviter tout contact avec eux.
- (( Veuillez améliorer vos relations avec ces Messieurs n,
lui dit Ribbentrop.
Kleist s’efforce d’obtenir quelques éclaircissements complé-
mentaires, mais le ministre des Affaires étrangères refuse
d’en dire davantage. I1 lui demande seulement de lui faire
un rapport ((dès qu’il sera parvenu à un résultat intéres-
sant 2 ».
Quelques jours plus tard, Kleist, accompagné par un des plus
importants commerçants de l’est de l’Allemagne, franchit le
portail du joli palais courlandais de I’Unter den Linden qui
sert d’ambassade à l’U. R. S. S. I1 répond à une invitation
que lui a adressée le chargé d’affaires soviétique, M. Asta-
chov. Celui-ci est un diplomate grand et mince, d’allure dis-
tinguée, qui porte une petite barbe en pointe et parle cou-
ramment l’allemand. Les trois hommes s’assoient autour
de l’Ukraine subcarpathique a cause un vif soulagement au Kremlin où l’on a
toujours craint que ce a pays nain D serve de centre de cristallisation à une
vaste politique d’émancipation de l’Ukraine. Une cause de friction entre Moscou
e t Berlin a disparu. (Ddclurution de Litvinov à M. ton Tippelskirch, charge
d’affaires allemand t~ Moscou e t adjoint de l’ambassadeur von der Schulenburg.)
(Cf. Philipp W. FABRY,Dei Hitler-Stalin Pukf, 1939-1941,p. 14.)
1. Le Dr Peter Kleist, pr6sident du Comit6 Allemagne-Pologne est égalemeht
chargé de la section a Russie n au n Bureau Ribbentrop pi. A ce titrt, son intervention
est moins marquée que s’il appartenair à la Wilbelmstrasse.
2. Rappelons le contexte : le 20 mar#, Lord Halifax a annoncé eon projet de
Pacte collectif; le 31 mars, Chamberlain a garanti les frontibres de la Pologne;
depuis quelques jours, le colonel Beck est à Londres, où il étudie les modalit6s
d’un Pacte anglo-polonais.
252 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

d’une table à thé. Kleist, qui n’est pas autorisé à aborder


les questions politiques, ne sait trop comment entamer la
conversation. Ayant admiré les très beaux tableaux qui
ornent la pièce, il commence par un sujet qui n’offre aucun
danger : la peinture impressionniste française.
- (( Pourquoi un musée moscovite, qui en possède une
collection superbe, la qualifie-t-il d’art décadent du capi-
talisme bourgeois? 1) demande-t-il à Astachov.
- u Si je répondais à votre question sérieusement e t à
fond », répond le chargé d’affaires, (( nous nous engagerions
sur le terrain du dogmatisme, ce qui n’est pas un champ
d’action pour un homme politique. Laissons donc ces conver-
sations, habituelles autour d’une tasse de thé, pour nous
occuper de choses plus intéressantes. n
Astachov expose alors avec une clarté qui ne laisse rien
à désirer, qu’il est stupide de la part de l’Allemagne et de
l’Union Soviétique de se combattre (( pour des coupages de
cheveux en quatre sur des questions idéologiques n au lieu
de faire ensemble de a! grande politique.
- Un homme d’Etat doit savoir faire abstraction de
tout, même de son ombre n, poursuit-il. u Décidons-nous donc
à mener une politique commune, au lieu de nous heurter
mutuellement de front, pour le plus grand profit de troi-
sièmes larrons. n
-«Mais ce que vous appelez le coupage de cheveux en
quatre correspond à des réalités n, répond Kleist. (( Celles-ci
constituent un obstacle sérieux à tout rapprochement,.. n
- (( Jamais de la vie n, réplique Astachov, en repoussant
cette objection d’un geste de la main. (( Staline et Hitler
créent eux-mêmes ces réalités. Ils ne se laissent pas dominer
par elles. 1)
Kleist est d’autant plus stupéfait d’entendre ces propos
qu’il sait, par expérience, qu’hstachov n’a pas exprimé une
opinion personnelle : aucun fonctionnaire soviétique ne
pourrait se le permettre. I1 n’a pu parler ainsi que sur ordre
du Kremlin et ses paroles ne peuvent avoir qu’une signi-
fication : elles soulignent et confirment ce que Staline a déjà
laissé entendre dans son discours du 10 mars.
Mais Kleist. n’est pas encore’au bout de ses surprises. Car
lorsqu’il rend compte de cette conversation à Ribbentrop,
celui-ci, b i n d’en être enchanté, paraît contrarié par le
rythme accéléré que les Russes semblent vouloir donner à
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 253
l’affaire. Au lieu de féliciter Kleist, il lui reproche d’être sorti
du cadre qu’il lui avait fixé.
- N Dérobez-vous dorénavant à tout nouveau contact
avec Astachov »,lui dit-il. (( J e ne crois pas que le Führer
soit désireux de voir se poursuivre ces conversations I... n
Ribbentrop, qui n’a manifestement reçu d’Hitler que la
permission de se livrer à une mission d’exploration, n’ose
avancer que très prudemment sur ce terrain glissant.
Quant à Goering, pourtant favorable à un rapprochement
germano-russe, il se borne à répondre à Attolico, qui attire
son attention sur l’intérêt qu’aurait le Reich à s’entendre
avec les Soviets :
- u J e ne dis pas non. Mais je ne vois vraiment pas com-
ment le Führer pourrait recevoir au Berghof le Juif Lit-
vinov a. ))
Cette réflexion est-elle parvenue aux oreilles de Staline?
Ce n’est pas impossible. Car, le 3 mai, Litvinov disparaît
comme dans une trappe aussitôt remplacé par Molotov.
Comme tout le monde, Hitler se demande ce que signifie
ce changement. Bien qu’il le juge favorable, il ordonne à
Ribbentrop de rester sur l’expectative. Toutefois, il autorise
M. von der Schulenburg à faire un pas en avant. Au cours
de la première visite qu’il fera à Molotov, (( que l’ambassa-
deur du Reich propose la réouverture de conversations éco-
nomiques, mais sans aborder aucun sujet politique ».
Molotov reçoit Schulenburg avec beaucoup d’affabilité.
Mais son visage se renfrogne lorsqu’il l’entend proposer
l’ouverture de pourparlers économiques, tout en se refusant
à la moindre discussion sur les problèmes politiques.
- (( La façon dont se sont déroulées jusqu’ici les conversa-
tions économiques a été plutôt décourageante s)), déclare-t-il.
a Le Gouvernement soviétique ne peut envisager leur
reprise que si les bases politiques nécessaires sont créées4... B
Schulenburg essaye d’amener Molotov à préciser quelles
pourraient être ces bases. Mais le Commissaire du peuple
aux Affaires étrangères préfère garder le silence. Ribbentrop
en conclut qu’il joue double jeu et cherche simplement à

1. Peter KLEIST, Entre Hitler et Staline, p. 10-12.


2. Le vrai nom de Litvinov est Wallach.
3. Allusion au voyage décommandé de M. Schnurre. le 26 janvier 1939. (Voir
plus haut, p. 250, note 2.)
4. Akten zur Deutschen Aunvdrtigen Politik, VI, no 624.
254 HISTOIRE D E L ’ A R Y ~ E ALLEMANDE

obtenir de bonnes conditions deBerlin, pour tenter daenobtenir


de meilleures encore de Londres et de Paris. Aussi prescrit-il
à son ambassadeur a de se tenir sur la réserve et de voir si
les Russes reprendront la conversation )).
Ils la reprennent, et rapidement. Le 30 mai, M. Astachov
fait une visite à M. von Weizsacker. La question qui l’amène
est d’ordre purement technique, mais il en profite pour lui
dire :
- B M. Molotov ne demande pas mieux que d’aller de
l’avant. Mais il estime que, dans nos relations, l’économie
et la politique ne peuvent être dissociées 1.
Astachov fait plus encore, pour désarmer la méfiance alle-
mande. Durant la quinzaine qui suit, il va voir M. Draga-
nov, ministre de Bulgarie à Berlin - avec lequel il n’en-
tretient pourtant aucune relation personnelle - et lui parle
pendant deux heures. Le ministre de Bulgarie comprend
ce que son collègue soviétique attend de lui. Le 15 juin, il
rapporte ses propos à la Wilhelmstrasse dans les termes
suivants :
- N L’Union Soviétique hésite devant l’actuelle situa-
tion mondiale. Trois possibilités s’ouvrent devant elle :
conclure un pacte avec l’Angleterre et la France; poursuivre
de façon dilatoire les négociations au sujet de ce pacte, ou
bien opérer un rapprochement avec l’Allemagne. C’est vers
cette dernière solution qu’elle incline, en faisant abstraction
de toute idéologie. I1 y a aussi quelques autres points qui la
préoccupent, par exemple le fait qu’elle n’a pas reconnu la
prise de possession de la Bessarabie par la Roumanie. Mais
elle est surtout retenue par la crainte d’une agression alle-
mande à travers les Pays Baltes ... Si l’Allemagne donnait
l’assurance qu’elle n’a aucune intention d’attaquer l’Union
Soviétique, ou si elle acceptait de conclure avec elle un
Pacte de non-agression, Moscou renoncerait volontiers à
signer un accord avec l’Angleterre 2. D
1. Le 5 juin, Sehulenburg confirme l’afirmation d‘Astachov. a A ce qu’il me
semble II,écrit-il B Ribbentrop, a on a eu l’impression d Berlin qu’au cours de son
entretien avec moi, M. A4olotov aurait déclid ïoflre d’un rapprochement germano-
.
soviétique.. La réalité, au contraire, est que M.Molotov nous a invités formellement
d ouvrir des conversations politiques. Notre proposition de limiter ces conversations
à des sujets économiques lui a paru insuffisante. 1i (Peter KLEIST, Entre Hitler et
Staline, p. 24.)
2. Akten ZUT Deutschen Auswdrtigen Politik, VI, no 529. Les dirigeants du
Kremlin ont été trés impressionnés par les mots que M. von der Schulenburg a
prononcés au cours d’une réception : a En cas de c o d i t germano-polonais D, a
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 255
Bien que transmises par un tiers, ces indications sont
claires. De la Baltique à la mer Noire, elles circonscrivent
exactement les problèmes sur lesquels devrait porter la négo-
ciation. Mais le Gouvernement du Reich continue à faire
la sourde oreille. I1 persiste à se cantonner dans l’écono-
mie, quand le Kremlin voudrait parler politique. Schu-
lenburg s’entretient plusieurs fois avec Molotov. Hilger, son
attaché commercial, relance Mikoyan. Mais il n’en résulte
rien de nouveau. Berlin refuse de faire un pas de plus tant
que Moscou n’aura. pas abattu ses cartes. E t Moscou refuse
d’ajouter un mot, tant que Berlin n’aura pas abattu les
siennes.. .
i +

Soudain, le 26 juillet 1939, Ribbentrop sort de sa réserve


et se jette en avant avec une précipitation égale à la pru-
dence avec laquelle il s’est borné jusqu’ici à tâter le terrain.
A quoi faut-il attribuer ce brusque revirement?
Au fait que la veille, 25 juillet, la presse occidentale a
annoncé que la France, la Grande-Bretagne et 1’U. R. S. S.
sont parvenues à se mettre d’accord et qu’une Mission
militaire franco-anglaise va se rendre à Moscou pour conclure
une alliance militaire. u Si les choses en sont arrivées là »,
se dit-on à Berlin, (( toute réserve devient désormais super-
flue. I1 n’y a plus un moment. à perdre si l‘on veut rompre
l’encerclement qui est en train de s’amorcer l. ))
A partir de ce moment, une véritable course contre la
montre s’engage entre le Reich et les Alliés.
La fièvre qui s’est emparée de la Wilhelmstrasse trans-
paraît jusque dans les instructions que Weizsacker et Rib-
bentrop envoient à Schulenburg.
- (( Si le Gouvernement soviétique préfère une alliance
avec l’Angleterre, tant pis pour lui N, déclare à qui veut
l’entendre l’ambassadeur du Reich. (( La Russie sera laissée
face à face avec l’Allemagne. En revanche, si l’Union
déclaré l’ambassadeur, a la Pologne ne pose militairement aucun problème. Même
si les Puissances occidentales doivent intervenir, elles arriveront trop tard. Si,
à ce moment-là, la Russie a signé un pacte avec la France et l’Angleterre, elle
devra en supporter les conséquences D. ( I d . , VI, no 441.)
1. L’accord politique anglo-franco-russe a été effectivement conclu le 24 juil-
let. (Voir plus haut, p. 225.)
256 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

Soviétique choisissait de s’entendre avec l’Allemagne, sa


sécurité serait assurée 1. B
Revenant à la charge, il ajoute quelques jours plus tard :
- (( Les Français et les Anglais essayent, une fois de plus,
de pousser la Russie à faire la guerre à l’Allemagne, En
1914, cette politique a déjà eu des conséquences néfastes
pour la Russie. L’Allemagne et la Russie n’ont aucun inté-
rêt à se massacrer pour les beaux yeux des démocraties
occidentales B *.
A Berlin, Astachov est si frappé par l’évolution des esprits
qu’il câble à son gouvernement :

u Les Allemands sont visiblement préoccupés par la négocia-


tion avec les militaires anglais et français. Ils ne ménagent ni
les argumenis, ni les promesses pour empêcher la conclusion
d u n accord. Je considère qu’ils sont maintenant prêts à faire
des déclarations et des gestes qui auraient été inconcevables il
y a seulement six mois 8. B

Astachov a raison. En ce début d’août 1939, toute la


pensée d’Hitler est dominée par deux problèmes : isoler la
Pologne et empêcher la formation d’une coalition qui l’obli-
gerait soit à remettre à plus tard le règlement de l’affaire
dantzickoise 4, soit à accepter une guerre sur deux fronts S.
Pour échapper à ce dilemme, il lui faut absolument l’appui
de la Russie et, pour l’obtenir, il est prêt à bien des sacrifices.
S’il l’obtient finalement, cela tient moins à l’insist,ance
de ses négociateurs, qu’au fait que Staline doit faire
face aux mêmes problèmes que lui. Comme Hitler, il est
hanté par la crainte de devoir livrer une guerre sur deux
fronts. I1 sait que 1’U. R. S. S. ne résisterait pas à une
offensive conjuguée de l’Allemagne et du Japon. Or cette
éventualité n’est pas une fiction.
Quand il regarde vers l’ouest, que voit-il? Une Allemagne

1. Histoire de la Grande Guerre patriotique de l‘Union Soviitique, I, p. 174-175.


2. Id., ibid.
3. Id., ibid.
4. Après la campagne de Pologne, Bitler reconnaîtra que Isi 1’U. R. S. S. et
les Puissances occidentales étaient parvenues à un accord, il await tenu le Congrès
de Nuremberg et aurait remis toute l’affaire polonaise à une date ultérieure D.
(H. C. DEUTSCH, Strange inlerludc, The Soviet-Nazi Liawon of 1939-1941, dans
la revue The Historian, no 9, 1946-1947. p. 114.)
5. C‘est la situation qu’il n’a cess6 de dénoncer I comme la’faute la plus imp-
donnable de la diplomatie de Guillaume II D.
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 257
dont la puissance ne cesse de grandir, dont les armements
augmentent d’une façon vertigineuse, dont les dirigeants ont
axé toute leur politique sur l’anticommunisme et qui ne
cessent de proclamer que l’avenir du peuple allemand ne peut
être assuré que par l’annexion de vastes territoires prélevés
sur la Russie. C’est pourquoi toute la région de Kiev a été
décrétée (( zone frontière n et mise sur le pied de guerre l,
pour lui permettre de résister à une attaque éventuelle de la
Wehrmacht a.
Mais lorsqu’il regarde vers l’est, ce qu’il y aperçoit n’est
guère plus rassurant. Depuis le mois de janvier, l’Armée
Rouge d’Extrême-Orient est aux prises avec les forces
japonaises de Mandchourie qui opèrent à la lisière de la
Mongolie extérieure. Au début de l’année, une première col-
lision a eu lieu sur les bords du lac Hassan 3. A présent, des
mêlées furieuses se déroulent à Halkin-Go14 et à Nomon-
Han S. Or, il ne s’agit pas de simples accrochages, mais
de véritables batailles, mettant en jeu, de part et d’autre,
plus de cent mille combattants.
Signer un pacte avec la France et l’Angleterre, n’est-ce
pas précipiter l’ouverture d’un front européen, sans apporter
aucun remède au front asiatique? Mais repousser les avances
de Londres et de Paris n’est-ce pas s’exposer seul aux coups
germano-nippons? Quel que soit l’angle sous lequel on aborde

1. Le 4 mars 1939,la Pracida a publié, sous une grande photographie de Khrouch-


tchev, Secrétaire du Comité central du Parti Communiste d’Ukraine, un message
à Staline annonçant que Il’organisation du Parti Communiste d’Ukraine n’a
épargné aucun effort pour faire de la province de Kiev un bastion inexpu-
gnable de l’Union Soviétique D.
2. a Qu’un territoire situé aussi loin à l’intérieur des terres ait pu être décrété
zone frontSe donne une idée de la nervosité qui règne au Kremlin B, écrit Alexan-
der WERTA. (Ur Russie en guerre, I, p. 30.) L’auteur ajoute : a Les campagnes
de la presse occidentale, en France surtout, en faveur d’une a C r u d e Ukraine n
qu’on détacherait de l’Union Soviétique e t qui fournirait A l’Allemagne le Lebens-
r a m dont elle avait tant besoin, avaient manifestement causé en Russie une
impression profonde. D Toute une partie du XVIIIe Congrès du Parti, tenu dans
la première quinzaine de mara 1939, a été consacrée au problème de la défense
de l’Ukraine. La disparition d e la Ruthénie (15-17 mars) a fait baisser un peu la
tension. Mais les autorités soviétiques sont restées sur le qui-vive, car elles
n’ignorent pas le rôle qu’Hitler assigne à l’Ukraine, dans ses plans de coopération
germano-polonaise. C‘est pourquoi elles ont vu, avec un réel soulagement, les
relations s’envenimer entre Varsovie e t Berlin.
3. Alexander WERTH,La Russie en guerre, I, p. 28-29.
4. Id., p. 54.
5. A Nomon-Han, les Russes ont intligéune défaite cuisante aux Japonais, dont
une division a été entièrement anéantie. (Colonel Masanobu Tsuor, Singapore,
The Japanme Version, p. 14.)
n 17
258 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

le problème, la solution la plus raisonnable serait un accord


avec le Reich1 ...
A l’approche du péril, les dirigeants du Kremlin découvrent
l’immense pouvoir défensif que contient le sentiment natio-
nal. Ils s’efforcent de l’exalter par tous les moyens. Un décret
abroge le fameux Prikaz no 1 de la Révolution, qui avait
supprimé le salut militaire. Les galons, les insignes de tous
ordres, les uniformes chamarrés sont rétablis. Des étoiles
d’or serties de pierres précieuses, d’un luxe inconnu dans le
monde bourgeois, reparaissent sur la poitrine des maréchaux.
Les autorités soviétiques multiplient à tout propos les défilés
et les prises d’armes. Elles glorifient l’héroïsme traditionnel
du combattant russe et chantent les louanges de l’Armée
Rouge, (( ce rempart inexpugnable du peuple et de la Révo-
lutionZ ». Mais Staline n’ignore pas les faiblesses de son
appareil militaire 3. I1 sait que la guerre vient trop tôt, que
l’Armée ne s’est pas encore remise de la terrible saignée de
1937, et qu’il lui faudrait encore deux ou trois ans pour
se réorganiser. Quant au peuple, bien que mal informé, il
ressent instinctivement l’imminence du danger. u On saisis-
sait toutes les occasions de glorifier les Forces armées »,
écrit Alexander Werth, a mais les chœurs qui chantaient à
pleine voix l’invincibilité de’l’Armée Rouge avaient quelque
chose de l’air que l’on sime pour se rassurer dans le noir :
ils dissimulaient une inquiétude profonde 4. D

4 4

Le 2 août, Ribbentrop franchit un pas décisif. I1 fait venir


Astachov et lui dit :
- (( L‘Allemagne est prête à effectuer un renversement
de ses rapports avec 1’U. R. S. S., mais à deux conditions :
1. Lorsque Khrouchtchev dénoncera a les crimes d e Staline B devant le
XXe Congrès du Parti Communiste (25 février 1956), il accusera son ancien chef
de bien des méfaits. Mais jamais il ne le blâmera d’avoir signé le Pacte germano-
russe de 1939, tant celui-ci paraissait seul capable d’écarter un danger auquel
la Russie n’était pas prête à faire face.
2. a L’Armée Rouge est invincible D, écrit E. Schadenko, Commissaire du peuple
à la Défense, dans la Pravdo du 23 juillet 1939, a elle est prête à riposter à toute
attaque des militaristes, par des coups d‘une puissance écrasante. n
3. Puissante par le nombre, l’Armée Rouge est faible quant à son organisation
et à ses cadres, car c’est seulement au cours de 1938 que les grandes purges ont
pris fin. (Voir vol. IV, p. 269-270.) Staline se vante lorsqu’il déclare pouvoir
mettre en ligne deux cent dix divisions.
4. Alexander WERTE,Op. ci:., p. 29.
L A CRISE GERMANO-POLONAISE 259
(( 10 L’Allemagne et l’Union Soviétique s’abstiendront
désormais de toute ingérence dans leurs affaires intérieures;
(( 20 L’Union Soviétique abandonnera toute politique diri-

gée contre les intérêts vitaux du Reich.


(( Si Moscou refuse, nous saurons à quoi nous en tenir et

nous agirons en conséquence; si Moscou accepte, il n’y a


de la Baltique à la mer Noire, aucun problème qui ne puisse
être résolu entre nous. Sur la Baltique, je l’affirme, il y a
assez de place pour nous deux et les intérêts russes n’y entre-
ront nulle part en compétition avec les nôtres. En ce qui
concerne la Pologne, nous attendons les événements avec
impassibilité. Si elle nous provoque, nous lui réglerons son
compte en quelques semaines. En prévision de cette éven-
tualité, je suggère que nous nous entendions dès à présent
sur le sort qu’il convient de réserver à ce pays. ))
Mais comme il n’est pas certain qu’Astachov rapportera
fidèlement ces suggestions en haut lieu, Ribbentrop envoie
une note à Schulenburg, dans laquelle il confirme ce qu’il
vient de dire au chargé d’affaires soviétique. L’ambassadeur
la reçoit à temps pour pouvoir l’utiliser au cours de l’entrevue
qu’il a, le 4 août, avec Molotov.
Le Commissaire du Peuple l’écoute attentivement. I1 n’a
plus la mine renfrognée qu’il avait au cours des entretiens
précédents. I1 sourit, et se montre (( extraordinairement
réceptif D. Mais il ne fait pas les deux gestes qu’espérait Rib-
bentrop : il n’informe pas Londres et Paris que l’envoi d’une
Mission militaire est devenu superflu; il n’invite pas le
ministre des Affaires étrangères du Reich à venir discuter
avec lui à Moscou.
Hitler en est déçu. Après avoir temporisé longtemps, rien
ne va plus assez vite à son gré. Le 3 avril, il a enjoint à la
Wehrmacht de se tenir prête à envahir la Pologne (( n’importe
quel jour, à partir du l e r septembre ». Depuis lors, il a
décidé d’avancer cette date au 26 août 3. I1 n’a donc plus que
1. Compte rendu d’audience de M. o n der Schulenbwg, Moscou, 4 août 1939.
2. Voir plus haut, p. 187.
3. Hitler en expliquera dans quelques jours les raisons à Ciano. E I1 faut que
la Pologne ait pris politiquement position au plus tard à la fin du mois d’août D,
lui dira-t-il, a car, en cas de guerre, la partie décisive des opérations prendra
quinze jours. La liquidation finale exigera encore de deux à quatre semaines.
L’affaire ne pourra donc être terminée qu’à la fin de septembre ou au début d’oc-
tobre. C’est pourquoi l’échéance de fin août revêt un caractére impératif. B (Pro-
cès-verbal de l’enîrelien Hiller-Ciano, Berghof, le 13 août 1939. Aklen ZUT Deutschen
AuswUrligen Politik, VII, no 47.)
260 HISTOIRE DE L’ARIIIÉE ALLEMANDE

trois semaines devant lui pour faire aboutir la négociation.


C’est très court. Son irritation est d’autant plus marquée
qu’il ne reçoit, de partout, que de mauvaises nouvelles.
Ce jour-là, le général Ott, son ambassadeur à Tokyo, lui
signale qu’une détente paraît s’amorcer entre l’Angleterre
et le Japon. Le 21 juillet, Sir Robert Craigie, ambassadeur de
Grande-Bretagne, a signé avec M.Arita, ministre des Affaires
étrangères, un accord par lequel l‘Angleterre a reconnu
(( les besoins spéciaux des troupes japonaises opérant en
Chine, et leur droit de prendre des mesures appropriées
pour assurer leur sécurité I), bien qu’elles continuent
assiéger les concessions européennes à Tien-tsin l. Le
24 juillet, le Times a publié une interview du baron Hira-
numa, dans laquelle le Premier Ministre nippon a déclaré :
u Le Japon est parvenu récemment à la conclusion qu’il
devrait rester neutre en cas de conflit en Europe. ))
Ces paroles sont d’autant plus graves qu’elles semblent
confirmer ce que le président du Conseil japonais a dit, peu
de temps auparavant, au chargé d’affaires américain :
- (( La possibilité d’une seconde guerre mondiale me fait

horreur, car elle entraînera la destruction totale de la civili-


sation. J e crois que la meilleure façon de l’éviter serait que le
Japon joue le rôle de médiateur entre les dictatures et les
démocraties *.))
La Wilhelmstrasse n’a pas dissimulé son mécontentement
devant ces prises de position, dans lesquelles elle a vu une
volonté de se distancer de l’Allemagne. Ribbentrop en a fait
le reproche à Oshima.
- (( Comment de telles déclarations sont-elles compatibles

avec les accords qui nous lient? )) lui a-t-il demandé. (( Est-ce
le commencement d’un lâchage? ))
Comme Oshima s’est récrié qu’il n’en était rien, qu’il ne
fallait pas attacher trop d’importance aux propos du baron
Hiranuma, Ribbentrop lui a fait remarquer combien de telles
déclarations étaient inopportunes.
- (( Ne voyez-vous pas qu’en rassurant l’Angleterre du

1. C. C . TANSILL, Back Door to War, p. 617; SHICEMITSU,Die Schicksalsjahrs


Japans, p. 161; E . L. PREISSEISEN,Germany and Japan, A Study in Totalitarian
Diplomay, 1933-1941, La Haye, 1958, p. 164 e t s.
2. Dklnration du baron Hiranuma à M . Dooman, char& #affaires dea E t a i r
Unw,la 23 mai 1939. (C.C. TANBILL, Back Door to War,p. 506.)
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 261
caté asiatique, elles risquent d’accroître d’autant sa volonté
d’intervenir dans l’affaire polonaise? n
Mais le Japon n’est pas le seul à donner des soucis à l’Alle-
magne. L’Italie en fait autant.
A Rome, où l’on signale également un certain flottement
dans les esprits, Mussolini suit avec inquiétude le déroulement
des événements. Hitler ne lui a-t-il pas promis, par l’entre-
mise du général Cavallero, que le Pacte d’Acier ne jouerait
pas avant deux ou trois ans e t que (( tous les litiges qui pour-
raient survenir dans l’intervalle se régleraient d’une façon
amiable »? Or, les choses semblent prendre une tournure
très différente. Les deux dictateurs devaient se rencontrer
le 4 août, au Brenner, pour faire le point de la situation.
Hitler espérait surprendre - e t rassurer - son partenaire
de l’Axe, en lui annonçant la signature d’un pacte avec les
Soviets. I1 comptait lui faire valoir que cet accord plaçait
la Pologne dans un isolement tel, qu’il écartait tout risque
d‘intervention de la France e t de l’Angleterre. Malheureuse-
ment, l’affaire n’est pas encore au point, de sorte qu’Hitler
a été obligé de décommander la rencontre.
Mussolini en est d’autant plus contrarié, qu’il avait l’inten-
tion de profiter de l’entrevue pour exposer clairement ses
doléances au Führer 2.
(( L’Italie »,
comptait-il lui dire, (( considère que son pacte
avec l’Allemagne a été conclu sur la base de l’accord verbal
selon lequel la guerre serait évitée pendant les trois premières
années 3. En agissant comme elle le fait, sans tenir aucun
compte des intérêts de sa partenaire, l’Allemagne ne res-
pecte pas ses engagements. Mais on se tromperait en croyant
que l’Italie se laissera entraîner aveuglément à la remorque
du Reich.
(( L’Italie ne peut pas désirer qu’une guerre éclate dès cette

année, parce que les conditions requises pour lui assurer une
issue victorieuse ne lui paraissent pas réunies. Persuadée
qu’une guerre n’était pas imminente e t convaincue qu’en
t a n t qu’alliée de l’Allemagne, elle était en mesure d’imposer
1. Voir plus haut, p. 122.
2. Bien que cette confrontation n’ait pas eu lieu, un rapport de M. von Macken-
sen, ambassadeur du Reich à Rome, en date du 23 août 1939, basé sur u les décla-
rations d’un informateur qui se trouve en contact direct avec le palais Chigi D,
nous permet de connaître, d’une façon précise, les arguments que s’apprêtait à
invoquer Mussolini.
3. Allusion A l’entretien Hitler-Cavallera.
262 HISTOIRE DE L’ARMÉE A L L E M A N D E

à l’Europe le respect de la paix, elle a entrepris un vaste


programm? de travaux publics, s’étendant sur l’Albanie, la
Sicile et 1’Ethiopie. Elle prépare en outre une Exposition inter-
nationale à Rome, pour célébrer le vingtième anniversaire
de l’avènement du fascisme. Tous ces travaux comportent
l’investissement de plusieurs milliards et les finances ita-
liennes ne peuvent supporter, en plus, le fardeau d’une guerre.
Par ailleurs, la Marine italienne ne dispose actuellement que
de deux cuirassés, e t le tonnage des navires en construction
exige les deux années de paix convenues avec Berlin. L’artil-
lerie, elle aussi, est loin d’être prête. Les Italiens seraient
obligés de partir en guerre avec des canons tirant à six kilo-
mètres, alors que la portée des canons français est de douze
kilomètres.
c( Outre qu’il n’est pas certain que la Pologne puisse être
liquidée en quelques semaines, ce que nous avons appris sur
l’attitude des Puissances occidentales ne concorde pas avec
le point de vue allemand. Berlin est d’avis que la France et
l’Angleterre n’interviendront pas; à Rome en revanche, on
n’a aucun doute sur le fait qu’elles interviendront immédia-
tFment et qu’elles seront suivies, à brève échéance, par les
Etats-Unis.
(( Le premier résultat d’une intervention franco-britan-

nique sera de couper les relations maritimes entre l’Italie et


ses possessions africaines; la Libye e t 1’Ethiopie seront isolées.
(( Pour toutes ces raisons, l’Italie doit s’opposer à une
politique qui ne peut que mener directement à la guerre.
u Il ne faut pas oublier non plus que l’alliance est fondée sur
l’égalité totale des deux partenaires. La décision d’entrer en
guerre doit être prise en commun. Or, Berlin semble consi-
dérer qu’il appartient à la seule Wilhelmstrasse de formuler
les directives d’une politique commune et que Rome, en tant
que brillant second, n’a qu’à obéir. Nous voulons bien être
les amis et les alliés de l’Allemagne. Mais ses esclaves, non! n
Voilà ce que le Duce se proposait de dire à Hitler, si
l’entrevue du Brenner n’avait pas été décommandée. Comme
le temps presse, il charge son gendre d’aller en Allemagne à
sa place e t d’exposer son point de vue aux dirigeants du
Reich.
Ciano arrive le 12 août au Berghof, où Hitler le reçoit avec
beaucoup de cordialité. Sans doute s’attend-il à ce qu’il lui
apporte un témoignage de fidélité inconditionnelle. Mais
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 263
lorsqu’il lui demande l’appui total de l’Italie, conformément
aux dispositions du Pacte d’Acier, et qu’il voit Ciano se
retrancher derrière des arguments dilatoires comme (( les
promesses faites au général Cavallero »,ou (( la politique tra-
ditionnelle de la Maison de Savoie »,son visage se rembrunit
e t il ne peut s’empêcher de grommeler :
- (( Si je comprends bien, tradition, chez vous, est syno-
nyme de trahison l! 1)
Bien que piqué au vif, Ciano fait semblant de ne pas avoir
entendu. I1 explique longuement à Hitler que l’Italie n’est
pas prête, qu’il lui faut gagner du temps, que ses réserves de
matières premières ne couvrent ses besoins que pour un mois,
que ses chances d e remporter la victoire ne sont que de 50 %,
alors que, dans trois ans, elles seront de 80 yo.Mais aucun
de ces arguments n’a prise sur son interlocuteur. Celui-ci
reste inébranlable. (( I1 parle debout »,note Ciano dans son
Journal, (( devant une table où sont déployées plusieurs
cartes géographiques. I1 fait preuve d’un savoir militaire
vraiment profond. Mais j’ai beau l’avertir que l’Italie ne se
joindra pas à une guerre qui se déclencherait à cause de la
Pologne, il n’en tient aucun compte. I1 est décidé à frapper
e t il frappera. Aucun argument ne pourra plus l’arrêter 2. ))
Le lendemain, 13 août, une nouvelle rencontre a lieu entre
Hitler et Ciano. Elle est plus brève e t - contrairement à ce
que prétend ce dernier - moins tendue que la précédente.
La veille, le ministre italien des Affaires étrangères a appli-
qué scrupuleusement les consignes de Mussolini. I1 a affirmé
1. Georges BONNET, La Dh/ense de la Pair, IT, p. 372-273. Le ministre français
des Affaires étrûngdrcs sc fonde sur un rapport de M. Coulondre.
2 . CIANO,Journal politique, I, p. 128.
3. Nous avons sur ce point le témoignage de Paul Schmidt, qui assista à l’en-
tretien en qualité d’interprhte (Sfatkt au/ dipbmatischer Bühn, p. 439-440), et
celui de M. von Mackensen, ambassadeur du Reich à Rome, qui écrit, dans son
rapport du 23 août 1939 : u Ciano n’a pas parlé avec la a franchise brutale LI dont
il se targue, mais s’est laissé influencer, plus qu’il n’en a convenu, par la maniére
dont le Führer lui a exprimé sa conviction d’une localisation du conflit ger-
mano polonais. D
Filippo Anfuso, qui fut longtemps le directeur de Cabinet de Ciano, consulté
par l’auteur à plusieurs reprises, a tenu à le mettre en garde contre les manipu-
lations que le gendre de Mussolini a fait subir à son Journal. u Ciano n, lui a-t-il
afirmé, a conservait son manuserit dans son coffre-fort particulier, placé dans
la piece qui lui servait de bureau au palais Chigi. II le sortait de temps à autre
pour le corriger et le mettre au godt du i o w , de façon à s’attribuer une attitude
avantageuse, quelle que fût l’issue des événements. II en a envoyé, en 1943, une
copie à Ribbentrop, qui ne correspond nullement h sa version finale. C’est ainsi
qu’il s’est vanté d’avoir été hostile à l’Allemagne, bien avant le moment où il le
devint effectivement.
264 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

que l’Italie n’entrerait pas en guerre, que ce serait une folie


de se lancer dans une aventure pareille à cause de la Pologne.
A présent, il cède sur toute la ligne et n’insiste même plus
pour que la décision finale soit prise d’un commun accord.
Pourquoi parle-t-il ainsi? A-t-il succombé au magnétisme
d’Hitler, ou estime-t-il que toute discussion est désormais
superflue? Toujours est-il que lorsque le Führer lui affirme :
- (( J e suis inébranlablement convaincu que ni la France,

ni l’Angleterre ne déclareront la guerre »,Ciano lui répond :


-«Vous avez déjà eu si souvent raison, quand nous
n’étions pas d’accord, qu’il est possible que cette fois-ci aussi,
vous jugiez les choses plus correctement que nous n
Les adieux, bien qu’aimables, sont empreints d’une cer-
taine froideur. A partir de ce moment, Hitler éprouvera pour
Ciano un sentiment de méfiance. Et sans doute n’a-t-il pas
tort, car en blessant son amour-propre, il s’en est fait un
ennemi.
Dès son retour à Rome, Ciano rend compte de son voyage
au Duce. En plus du rapport oficiel)),écrit-il, N je luidonne
((

franchement mon opinion sur la situation, les hommes et les


événements. J e rentre dégoûté de l’Allemagne, de ses chefs,
de leurs façons d‘agir. Ils nous ont trompés et nous ont
menti. E t maintenant ils sont sur le point de nous entraîner
dans une aventure que nous n’avons pas voulue et qui peut
compromettre le régime e t le pays ... Etant donné leur
comportement, j’estime que nous avons les mains libres et
je propose au Duce d’agir en conséquence, c’est-à-dire de
déclarer que nous n’avons pas l’intention de participer à un
conflit que nous n’avons ni voulu, ni provoqué ... Ce sont eux
les traîtres et nous ne devons pas avoir scrupule à les
lâcher 2... D
Mais les réactions de Mussolini sont contradictoires. Tout
d’abord, il donne raison à son gendre. Puis il déclare que
l’honneur l’oblige à marcher avec l’Allemagne. Enfin, il
affirme qu’en cas de guerre, il veut sa part du butin en
Croatie et en Dalmatie ...

Sfaiisf auf diplomaiischer Biiirne, p. 440.


1. Paul SCHMIDT,
2. CIANO,Jourml politique, I, p. 129.
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 265

t
+ +

Tandis que ces scènes se déroulent au Berghof et au Palais


de Venise, les conversations entre Berlin e t Moscou se pour-
suivent sans désemparer l. Hilger et Mikoyan se rencontrent
plusieurs fois par jour pour mettre au point les clauses d'un
accord économique2.
Au soir du 14 août, Ribbentrop, qui mène à présent l'af-
faire tambour battant, adresse à M. von der Schulenburg
un télégramme qu'il estime de nature à balayer tous
les obstacles :
u Berlin, 14 août 2939, 10 h. 53 du soir.

(( J e vous prie d'aller voir M . Molotov personnellement et de

lui faire la communication ci-après :


u 1. Les divergences idéologiques entre l'Allemagne natwnale-
socialiste et l'Union Soviétique ont été, a u cours des années
passées, l'unique raison. pour laquelle l'Allemagne et 1' U.R. S. S.
étaient opposées l'une c i l'autre dans LILX camps isolés et hos-
tiles. Les développements survenus a u cours de la période récente
semblent montrer que des divergences de conceptions idéologiques
n'excluent pas l'existence de relations raisonnables entre les deux
États, ni le rétablissement d'une coopération amicale d'un genre
nouveau. La période d'opposition dans le domaine de la poli-
tique étrangère peut être close une fois pour toutes et la voie est
ouverte à de nouvelles perspectives d'avenir pour les deux pays.
(( 2. I l n'existe pas de réels conflits d'intérêts entre l'Allemagne
et 1'U. R. S. S. L'espace vital de l'Allemagne et celui de la
R w s i e sont contigus, mais leurs besoins nuturek ne s'opposent
pas. R i e n ne justifie donc une attitude agressive de l'un des
pays à l'égard de l'autre. L'Allemagne ne nourrit pas d'inten-
tions agressives contre l'U. R. S. S. L e Gouvernement du Reich
1. (I Le problame russe est traité ici d'une façon extraordinairement pressante I),
note M. Schnurre. a Au cours des dix derniers jours! (ai eu au moins une conver
sation directe ou téléphonique par jour avec le ministre des Affaires étrangères
du Reich, e t je sais que ce dernier se tient en contact permanent avec le Führer.
Cela provient de ce que le ministre n'entend pas seulement régler le problème du
c8té négatif (la rupture des négociations avec l'Angleterre), mais aussi du côté
positif (le rapprochement avec nous).r (Philipp W. FABRY, Der Hitler-Stdin Pakt,
1939-1941, p.c49.)
2. Gering, qui est t&s favorable A un rapprochement avec la Russie en raison
des avahtuggs Bconomiques qui en résulteraient pour la réalisation du Plan de
Quatre Ans, presse Hitler de a faire un geste D, avant qu'il soit trop tard. (Les
négociations militaires anglo-franco-russes ont commencé, en effet, il y a qua-
rante-huit heures.)
266 HISTOIRE DE L ' A R M ~ E ALLEMANDE

estime qu'il n'existe, entre la Baltique d la mer Noire, aucune


question qui ne puisse être réglée à la complète satisfaction des
deux pays. Au nombre de ces questions il y a notamment : la
mer Baltique, la zone de la Baltique, la Pologne, les questions
d u Sud-Est, etc. L a coopération politique entre les deux pays
ne saurait avoir qu'une influence favorable sur ces problèmes.
II e n est de même pour les économies allemande et soviétique
qui sont susceptibles d'être développées dans toutes les directions.
(( 3. Il ne fait pas de doute que la politique germano-sovié-

tique soit parvenue aujourd'hui à un tournant historique. Les


décisions relatives à la politique qui sera suivie dans l'avenir
immédiat, à Berlin et à MOSCOU, marqueront d'une façon déci-
sive, pour des générations, le caractère des relations entre le
peuple allemand et les peuples de l'U. R. S.S. Il dépendra de
ces décisions que les deux peuples reprennent un jour les armes
l'un contre l'autre sans raison majeure, ou qu'ils entretiennent
des relations amicales. Dans le passé, les événements ont tourné
à l'avantage des deux pays lorsque ceux-ci étaient amis, et
leur désavantage lorsqu'ils étaient ennemis.
N 4. Il est exact que, par suite de l'antagonisme de leurs
conceptions idéologiques respectives qui dure depuis des années,
l'Allemagne et l'U. R. S. S. se regardent actuellement avec
méfiance. Beaucoup d'absurdités qui se sont accumulées devront
être balayées. I l faut dire cependant que, même durant cette
période, la sympathie naturelle des Allemands pour les Russes
n'a jamais disparu. La politique des deux États peut être rebâtie
sur cette base.
u 5. L e Gouvernement d u Reich et le Gouvernement Soviétique
doivent, tirant la l.eçon de toute l'expérience du passé, tenir pour
certain que les Démocraties capitalistes de l'Occident sont des
ennemies implacables à la fois de l'Allemagne nationale-socia-
liste et de l'U. R. S. S. Actuellement, elles tentent à nouveau,
en concluant une alliance militaire, d'entraîner l'U. R. S. S.
dans la guerre contre l'Allemagne. En 1914, cette politique a
eu des conséquences désastreuses pour la Russie. Les deux pays
ont un intérêt majeur à éviter à tout jamais l'anéantissement
de l'Allemagne et de l'U. R. S.S.,dont profiteraient seules les
Démocraties occidentales.
(( 6. L a crise qui a été provoquée par la politique anglaise

dans les relations germano-polonaises, de même que l'excitation


anglaise à la guerre et les tentatives d'alliance qui sont liées à
cette politique, rendent désirable une clarification rapide des
relations germano-russes. Autrement, ces questions pourraient,
sans qu'aucune initiative intervienne de la part de l'Allemagne,
prendre une tournure qui enlèverait aux deux gouvernements
la possibilité de rétablir l'amitié germano-soviétique et, peut-
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 267
être, de résoudre d'un commun accord les questions territoriales
qui se posent e n Europe orientale. E n conséquence, les dirigeants
des deux pays ne devraient pas laisser les choses aller à la dérive,
mais devraient agir au moment opportun. I l serait funeste que,
par suite de notre ignorance mutuelle de nos vues et de nos
intentions, nos peuples dussent être. finalement divisés.
((Ainsique nous e n avons été rnformés, le Gouvernement
Soviétique désire également une clarification des relatipns ger-
mano-russes. Mais, étant donné que, comme l'expérience du
passé le prouve, cette clarification ne pourra être réalisée que
lentement par la voie diplomatique habituelle, M . von Ribben-
trop, ministre des Affaires étrangères d u Reich, est prêt à faire
un court voyage à Moscou afin d'exposer à M . Staline les vues
d u Führer, au nom de ce dernier. Selon l'opinion de M. 00%
Ribbentrop, c'est seulement par une discussion directe de ce
genre qu'un changement pourra être opéré et il ne devrait pas
être impossible, de cette façon, de jeter les bases d'une nette
amélioration des relations germano-russes.
Addenda : J e vous prie de ne pas remettre ces observations
par écrit à M . Molotov, mais de les lui lire. J e considère qu'il
est important qu'elles parviennent à M . Staline sous une forme
aussi exacte que possible et je vous autorise, en même temps, à
demander de ma part à M . Molotov à être reçu e n audience
par M. Staline de manière à pouvoir faire aussi, directement
à C E dernier, cette importante communication.
cc Outre une conférence avec Molotov, une conférence étendus
avec Staline serait une condition dont dépendrait mon voyage.
(( RIBBENTROP
l. 1)

Cette note arrive à Moscou le 15 août, à 4 h. 40 du matin,


Le jour même, à 15 heures, M. von der Schulenburg va trou-
ver Molotov et lui annonce que Ribbentrop est prêt àvenk
à Moscou pour s'entretenir directement avec lui-même et
Staline. Le Commissaire du Peuple accueille cette nouvelle
(( avec le plus vif intérêt )). Mais il est évident qu'elle arrive

un peu trop tôt pour ne pas déranger ses calculs. C'est seule-
ment la veille, 14 août, que Vorochilov a remis à l'amiral
Drax e t au général Doumenc le mémorandum par lequel il
leur a demandé de lui dire si l'Armée Rouge serait autorisée,
oui ou non, à traverser les territoires de la Pologne et de la
Roumanie2. Comme il est peu probable que Varsovie y
1. Documents reintifs aux relations germano-soviétiques, 1939-1941, publiés par
le Département d'État américain, édition française, p. 65-67.
2. Voir plus haut, p. 232.
268 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

consente, le Kremlin n’a plus guère d’espoir de conclure un


accord militaire avec Londres et Paris. Mais Molotov ne veut
à aucun prix divulguer des tractations secrètes avec Berlin
tant qu’il n’aura pas en main le refus du colonel Beck. Agir
autrement serait assumer la responsabilité de la rupture.
Or, il veut qu’elle retombe sur le Gouvernemei,t polonais.
Pour être entièrement à couvert, il lui faut gagner quelques
jours.
- u J e serai enchanté de m’entretenir personnellement
avec le ministre des Affaires étrangères du Reich I), répond-il
à l’ambassadeur. u J e vais dès à présent préparer sa venue.
Pourtant, si M.von Ribbentrop vient à Moscou, il est impor-
tant qu’on n’en reste pas au stade des conversations, mais
que des décisions puissent être prises. Pour cela, il est néces-
saire, qu’au préalable, certaines questions soient précisées
et éclaircies 1. n
Le lendemain, 16 août, Ribbentrop adresse un nouveau
message à Schulenburg, encore plus pressant que le précédent :

u J e vous prie de rendre à nouveau visite à M.Molotov, pour


lui dire que vous avez à lui communiquer, e n addition a u mes-
sage d’hier à M . Staline a, une instruction complémentaire que
vous venez de recevoir de Berlin.
u Le Führer &time que, eu égard à la situation actuelle et
au fait que des incidents sérieux peuvent se produire d‘un jour
à l‘autre (veuillez alors expliquer à M . Molotov que l‘Allemagne
est déterminée à ne pas tolérer indéfiniment la provocation polo- ,
w i s e ) , il est désirable de procéder à une mise a u point rapide
des relations germano-russes et à un règlement des questions
urgentes. Pour ces motifs, le ministre des Affaires étran-
gères d u Reich déclare être disposé à se rendre e n avion à Mos-
cou, à n’importe quelle date après le vendredi 18 août pour
traiter, e n vertu des pleins pouvoirs d u Führer, tout l‘ensemble
des questions germano-russes et, Is cas échéant, pour signer les
traités appropriés 8. n

Mais plus les Allemands manifestent leur hâte, plus


Molotov est décidé à ne pas se laisser bousculer. Une fois

1. Compte rendu d’audience de M. von der Schuienburg, Moscou, 15 août 1939.


2. I1 s’agit du message parti le 14 de Berlin, et remis le 15 (donc la veille) à
Molotov.
3. Nazi-Wet Relations, 1939-1941, Documents publiés par le Département
d’État amdricain (1948), édition française, p. 69.
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 269
de plus, il fait répondre à Ribbentrop que beaucoup de
questions demandent encore à être approfondies ...
Au cours des journées suivantes, les télégrammes se
succèdent à une cadence telle que le fil télégraphique entre
les deux capitales n’a guère le temps de se refroidir. C’est
un va-et-vient incessant de notes et de contre-notes, de
demandes et de répons.es portant sur les zones d’influence,
la mer Baltique, les pays limitrophes de la Russie (Fin-
lande, Lettonie, Estonie), la suppression des attaques réci-
proques à la radio e t dans la presse, la fourniture à
l’Allemagne de matières premières et la possibilité pour le
Reich de faire pression sur le Japon, afin de l’amener à mettre
un terme à ses agressions aux frontières mongolo-mand-
chouesl. Dans la soirée du 18 août, l’accord économique
est presque au point. Molotov, de son côté, rédige les grandes
lignes d’un pacte de non-agression.
Durant ce temps, Paris et Londres s’efforcent désespéré-
ment d’amener le colonel Beck et le Maréchal Rydz-Smi-
gly à autoriser le passage des troupes russes à travers le
territoire polonais.
* .
i i

Si le 4 août a été pour Hitler un jour sombre, le 19, en


revanche, ne lui apporte que des satisfactions.
Vers midi, le Kremlin est saisi de la réponse polonaise rela-
tive au passage de l’Armée Rouge à travers son territoire a.
C’est un refus catégorique 3.
Voilà qui clôt la discussion.
Staline réunit aussitôt les membres du Politburo pour
leur exposer la situation et leur faire savoir qu’il a décidé
1. La question japonaise tient dans les négociations une place presque aussi
grande que le Pacte de non-agression lui-même.
Le 15 août, Schulenburg confirme à Molotov ce qu’il lui a déjà fait dire, par
l’entremise de M. Rosso, l’ambassadeur d’Italie à Moscou, à savoir que l ’ A h -
magne serait disposée à user de son influence sur le Japon pour l’amener à
améliorer ses relations avec l’Union Soviétique et à mettre un terme au conflit des
fronttiéres.
Le 16 août, Sehulenburg répète à Molotov que l’Allemagne est prête à Mer
de son influence auprès du Japon, pour amener une amdlwration et une conao-
lidatwn des relations russo-japonaises. (Cf. Akten zur Deuischen Auswffrtigen
Politik, VII, no 88.)
2. II s’agit de la réponse officielle. Moscou semble avoir eu connaissance du
refus polonais dès la veille, 18 août.
3. Voir plus haut, p. 237-238.
270 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

de signer un pacte de non-agression avec l’Allemagne l.


Comme tous les membres du Politburo sont à sa dévotion,
sa proposition est a.doptée à l’unanimité 2.
Le soir même, l’accord commercial germano-russe est signé
à BerlinS. En contrepartie d’un crédit de200millions de Reichs-
marks, portant intérêt à 5 % et remboursables en sept ans
et demi, YU. R. S. S. fournira dès maintenant pour 180 mil-
lions de Reichsmarks de bois, de céréales fourragères, de
tourteaux, de coton brut, de pétrole, de lubrifiants, de phos-
phates, de platine, d’amiante, de minerai de manganèse et
1. Selon certaines sources, - mais on ne peut les citer que sous toutes réserves,
car jamais le Kremlin n’a publié le compte rendu d’une séance du Politburo
- Staline lour aurait tenu le langage suivant :
a L a paix ou la guerre dépendent de la position que prendra l’Union Sovié-
tique. Si nous concluons un traité d‘alliance avec la France e t la Grande-Bre-
tagne, l’Allemagne se verra obligée de reculer devant la Pologne e t de chercher
un modus vivendi avec les Puissances occidentales. De cette façon la guerre.pourra
être évitée et, alors, le développement ultérieur de cet état de choses prendra
un caractère dangereux pour nous.
a En revanche, si nous acceptons la proposition de l’Allemagne de conclure
avec elle un pacte de non-agression, l’Allemagne attaquera certainement la Pologne
e t l’intervention de l’Angleterre e t de la France dans cette guerre deviendra
inévitable.
a Dans ces circonstances, nous aurons beaucoup de chances de rester à l’écart
du conflit e t nous pourrons attendre avantageusement notre tour. C‘est précis&
ment ce qu’exige notre intérêt.
a Ainsi notre choix est clair : nous devons accepter la proposition allemande
e t renvoyer dans leurs pays, avec un refus courtois, les missions anglaise et
française.
a Je vous le répète : il est dans notre inté& que la guerre éclate entre le Reich
e t le bloc anglo-français. I1 est essentiel pour nous que cette guerre dure le plus
longtemps possible, afin que les deux parties s’épuisent. C‘est pour ces raisons
que nous devons accepter le pacte proposé par l’Allemagne e t travailler à ce que
la guerre, une fois déclarée, se prolonge au maximum. D (The international Law
Review, Genève, 1939, nQ 3, p. 247-249. Ce texte est reproduit dans l’ouvrage
posthume du colonel BECK,Dernier Rapport. Politique polonaise, 1926-1939, p: 322.)
Bien qu’il soit impossible de garantir l’exactitude des termes, il est certain que
Staline a d û employer sinon ces arguments, du moins des arguments similaires,
car ils correspondent aux grandes lignes de sa politique. I1 a dû ajouter que
la conclusion d‘un pacte avec l’Allemagne permettrait de mettre un terme
à la menace japonaise, e t qu’ainsi 1‘U. R. S. S. serait garanfie sur toufes sen
frontSres.
2. Les membres du Politburo sont- outre Staline -Andreiv, Kaganovitch, Kali-
uine, Molotov, Idanov et, depuis mars 1939, Khrouchtchev qui a dû cet avan-
cement à l’énergie avec laquelle il a appliqué les méthodes staliniennes en Ukraine.
3. Cet accord est signé par M.Schnurre, expert économique allemand, at M. Ba-
barine, chef de la délégation commerciale soviétique à Berlin. Le crédit allemand
a pour grand avantage de constituer un prêt commercial : l’Union Soviétique
peut payer en liquide les firmes allemandes. Le taux d’intérct annuel de ce
prêt est de 5 %, donc plus bas que celui des prêts antérieurs. a La seule pers-
pective de relations commerciales pacifiques germano-sovidtiques pour plus de
sept ans D, écrit Alexander Wertli, a était assez impressionnante, en un moment
où l’Allemagne était à deux doigts d‘envahir la Pologne. D (La Russie en guerre,
I, p. 54.)
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 271
de peaux brutes. Quant à l’Allemagne, elle livrera à l’Union
Soviétique, sur deux ans, pour 125 millions de Reichsmarks
d’équipements mécaniques : machines-outils, marteaux-
pilons et presses à forger.
L’éditorialiste de la Pruvdu salue l’événement comme a une
étape importante vers l’amélioration des rapports soviéto-
allemands non seulement économiques, mais politiques 1 ».
Après quoi, Molotov prie M. von der Schulenburg de trans-
mettre à Berlin son projet de pacte. Le préambule en est
ainsi conçu :

u Le Gouvernement de Z’U. R. S. S. et le Gouvernement alle-


mand, désireux de renforcer la cause de la paix parmi les nations,
et se basant sur les dispositions essentielles de l‘Accord de neu-
tralité conclu en avril 1926 entre 1‘U. R. S. S. et l‘Allemagne,
ont réalisé l‘accord suivant, etc. II

Le Pacte est prévu pour une durée de cinq ans. I1 entrera


en vigueur le jour où il sera ratifié. Mais le projet de Molotov
comporte un post-scriptum, beaucoup plus important que le
traité lui-même :
n Le présent Pacte ne sera valable que si un protocole parti-
culier, comprenant les points auxquels les Hautes Parties contrac-
tantes sont intiressées dans le domaine de la politique étrangère,
est signé simultanément. Le protocole sera partie intégrante du
Pacte 2. n

Toutefois, en remettant son projet à l’ambassadeur du


Reich, Molotov prend soin de préciser qu’à son avis, une
semaine devrait s’écouler entre la signature de l’accord com-
mercial et celle du pacte politique. En conséquence, M. Rib-
bentrop pourrait arriver à Moscou aux alentours du 26 ou
du 27 août S.
Le 26 ou le 27 août? le jour ou le lendemain du jour où
doit se déclencher l’attaque contre la Pologne? Attendre
jusque-là paraît impossible à Hitler, car le Pacte n’aura
pas le temps de faire son effet sur les capitales occiden-
tales. Ribbentrop est sur des charbons ardents. Quant

1. Cité par Alexander WERTA,Op. cit., p. 54.


2. Nazi-Soviet Relations, 1939-1941. édition française, p. 13-14.
3. Id., p. 73.
272 HISTOIRE D E L'ARMÉE ALLEMANDE

à Hitler, plus on approche du but et moins il peut se contenir.


Le 20 août, pour accélérer le départ de Ribbentrop, il décide
d'envoyer un message personnel à Staline :

a Berlin, 20 août 1939, 4 h. 45 d u soir.

u A MONSIEUR
JOSEPH STALINE,
VISSARIONOVITCH Moscou.

u C'est avec un plaisir sincère que j'accueille la signa-


ture d u nouvel Accord commercial germano-soviétique comme
le premier pas vers la normalisation des rapports entre nos
deux pays.
(( L a conclusion d'un pacte de non-agression avec l'Union
Soviétique signifie pour moi l'établissement d'une politique alle-
mande de longue portée. Ce faisant, l'Allemagne reprend une
orientation politique qui fut profitable aux deux États a u cours
des siècles passés. Par suite, le Gouvernement d u Reich est
résolu à agir d'une manière qui corresponde entièrement à ce
changement d'orientation.
(c J'accepie le projet de Pacte de non-agression que votre
ministre des Affaires étrangères, M . Molotov, m'a remis, mais
je considère qu'il est de la plus haute nécessité d'élucider le plus
tôt possible les questions qui s'y rattachent.
{c Le Protocole complémentaire désiré par le Gouvernement de
l'Union Soviétique pourra, f e n suis convaincu, être considèra-
blement clarifié dans le plus bref délai possible si un homme
d'État allemand responsable peut venir e n personne à Moscou
pour négocier. Autrement, le Gouvernement d u Reich ne voit
pas comment le Protocole complémentaire pourrait être mis a u
point et réglé à bref délai.
u L a tension entre l'Allemagne et la Pologne est devenue into-
lérable. L'attitude de la Pologne à l'égard d'une grunde Puis-
sance comme l'Allemagne est telle qu'une crise peut survenir
d'un jour à l'autre. Quoi qu'il en soit, en présence d'une telle
arrogance, l'Allemagne est décidée à sauvegarder, dès maintenant,
les intérêts d u Reich par tous les moyens en son pouvoir.
u A mon avis, étant donné les intentions qu'ont les deux États
de nouer ensemble de nouvelles relations, il est désirable de ne
perdre aucun temps. En conséquence, je vous propose à nou-
veau de recevoir mon ministre des Affaires étrangères, le mardi
22 août ou, a u plus tard, le mercredi 23 août. J'ai donné pleins
pouvoirs a u ministre des Affaires étrangères d u Reich pour éta-
blir et signer, tant le Pacte de non-agression que le Protocole.
En raison de la situation internationale, il est impossible que le
ministre des Affaires étrangères du Reich séjourne à Moscou
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 273
plus d’un jour ou deux au maximum. Je serais heureux de
recevoir promptemeni votre réponse.
u Adolf HITLER
1. n

Ayant rédigé ce message, Hitler décommande tous les


autres rendez-vous et s’enferme au Berghof pour y attendre
la réponse de Staline.
t
+ +

L’arrivée d’un message spécial du Chancelier adressé à


a M.Joseph Vissarionovitch Staline n, a été annoncée à Schu-
lenburg par un télégramme de Weizsacker. Expédié de Berlin
le 20 août à 17 h. I O , celui-ci lui parvient le même jour, à
20 h. 50: Comme il est d’usage pour la correspondance entre
chefs d’Etat, le message du Führer doit être remis à son
destinataire sous forme manuscrite. Par malchance, le 20 août
1939 est un dimanche. Impossible de joindre Molotov à une
heure aussi tardive. Le ministère des Affaires étrangères est
fermé. Schulenburg fait des efforts désespérés pour toucher
un fonctionnaire de service susceptible d’alerter le ministre,
ou de lui dire au moins où il se trouve. I1 n’y parvient pas.
A 23 h. 45,le message autographe d’Hitler n’est toujours
pas entre ses mains. Pendant ce temps, Ribbentrop envoie
télégramme sur télégramme pour demander à l’ambassadeur
s’il a pu s’acquitter de sa mission. Quand il apprend que
non, il tempête.
- u Remuez ciel et terre I), lui câble-t-il. (( C’est extrême-
ment urgent. I1 n’y a pas une minute à perdre! ))
Schulenburg multiplie ses efforts, mais ils restent infruc-
tueux. C’est seulement le lendemain, lundi 21 août, dans le
courant de la matinée, qu’il réussit à toucher Molotov pour
lui dire qu’il cherche à le joindre depuis la veille au soir
afin de lui remettre un message personnel du Führer pour
Staline. Molotov lui donne rendez-vous au début de l’après-
midi. Le message est enfin délivré le 21 août, vers 15 heuresa.
Pendant ce temps, Hitler, qui ne sait à quoi imputer ce
retard, attend avec une nervosité croissante la réaction de
Staline. Mais aucune réponse n’arrive. Le Kremlin reste
silencieux. Hitler ronge son frein durant toute la journi&
i. Nazi-Soviet Relations, édition française. p. 75.
2. Philipp W. FABRY, Dw Hitlsr-Sldin Pakt, p. 66.
VI 18
274 HISTOIRE D E L’ARMEE ALLEMANDE

du 21. Il marche de long en large dans son salon du Berghof.


Le 22, à 3 heures du matin, n’y tenant plus, il téléphone à
Gœring et s’emporte contre lui :
- u C’est vous qui m’avez poussé en avant dans cette
affaire )), lui dit-il. J’ai commis une faute stupide >) ...
Non seulement il a laissé dissocier l‘accord commercial du
Pacte politique, mais il a adressé à Staline une lettre com-
promettante, alors que Staline, jusqu’ici, n’a pas prononcé
un mot. Comment a-t-il pu être assez imprudent pour se
mettre à la merci de son pire ennemi? Qu’arrivera-t-il
demain, si Staline ne répond pas?
Mais ‘il a tort de s’inquiéter. Staline tient autant que lui
au Pacte. I1 a pris connaissance du messqge d‘Hitler avec
beaucoup de satisfaction, Une lueur indéfinissable est passée
dans ses yeux lorsqu’il a lu le passage où le Führer lui dit :
(( Une crise peut éclater d’un moment à l’autre Devant ...
une telle arrogance, le Reich est résolu à défendre ses intérêts
..
par tous les moyens. )) C’est le signe qu’Hitler n’attend
que la signature du Pacte pour se précipiter sur la Pologne.
Du moment que YU. R. S. S. n’a pas pris d’engagement
envers ce pays, Staline, pour sa part, n:y voit aucun incon-
vénient. Pourquoi empêcherait-il les Etats capitalistes de
s’entredéchirer ?
Le 22 août, à 3 h. 30 du matin, la réponse de Staline
arrive enfin au Berghof :

u Moscou, le 21 août 1939,7 h. 30 du soir.

DU REICHALLEMAND ADOLFHITLER.
((Au CHANCELIER
u Je vous remercie de votre lettre. J’espère que le Pacte de
non-agression germano-soviétique marquera un tournant favo-
rable dans les relations politiques entre nos deux pays ...
(( Le Gouvernement soviétique m’a autorisé à vous informer

qu’il accepte que M . von Ribbentrop arrive à Moscou le 23 août.


(( Joseph STALINEn

En lisant ce message, Hitler explose littéralement de joie.


I1 a l’impression d‘avoir gagné une des parties les plus dif-
1. Lettre de Staline au Chancelier du Reich, Nazi-Soviet Relations, 1939-1941,
6dition française, p. 76-77.
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 275
ficiles de sa vie. Ses yeux gris lancent des éclairs et toute la
tension nerveuse qui s’est accumulée en lui au cours de ces
dernières journées se décharge dans ce cri :
- (( A présent, j’ai le monde dans ma poche l! ))

1. A Rossi, Deux ans d’alliance germano-aov2tique, août 1939-juin 1941, p.48.


Cette phrase a été confirmée A l’auteur par le général Schmundt, aide de camp
du Führer.
XVIII

LE PACTE GERMANO-SOVIÉTIQUE

II. - Le coup de tonnerre du 23 août 1939.

La réponse de Staline ouvre au représentant du Reich la


route de Moscou. Désormais, tout va s’accomplir avec une
rapidité fulgurante. Le temps de téléphoner à Ciano, de
prévenir Oshima et Ribbentrop s’envole avec sa suite en
direction de l’est z. Les deux avions Condor F W 200, qui
ont quitté Berlin dans la soirée du 22 août, se posent un peu
avant minuit sur l’aérodrome de Konigsberg.
a Il est très difficile de retrouver aujourd’hui l’état d’es-
prit qui animait ce petit groupe de voyageurs »,écrit Peter
Kleist. u J’ai cependant conservé parmi beaucoup d’autres,
une impression extrêmement nette : celle de l’effroyable
tension avec laquelle nous nous engagions dans cette aven-
ture. Personne ne pouvait avoir l’assurance que les Soviets
ne nous accueilleraient pas à Moscou par l’annonce que leur
1. 11 avait été convenu que Ribbentrop et Ciano se rencontreraient le 23 août,
au Brenner. a Le coup de théâtre s’est produit hier soir à 10 h. 30 I, écrit Ciano
à ce sujet. a Ribbentrop a téléphoné qu’il préférait me rencontrer à Innsbruck
plut8t qu’à la frontière, car il devait partir ensuite pour Moscou, afin d‘y signer
un accord politique avec les Soviets. Je déclarai vouloir m’en réfbrer au Duce
avant de prendre une décision. Il a été d’accord avec moi que mon voyage en
Allemagne n’était plus opportun. J’ai retéléphoné à Ribbentrop pour lui dire que
..
notre éventuelle rencontre sera renvoyée à son retour de Moscou. D (Journal
politigue, 22 août 1939, I, p. 134-135.)
Quant au général Oshima, c’est M. von Weizsiicker qui est chargé de le p d -
venir.
2. Ribbentrop est accompagné par le gauleiter Forster ;MM. Gaus, directeur du
Service juridique dela Wilhelmstrasse; Hewel, agent de liaison entre Ribbentrop
et Hitler; Peter Kleist, qui a amorce la nhgociation avec Astachov; Paul-Karl
Schmidt, chef des Services de presse de la Wilhelmstrasse; Paul-Otto Schmidt,
interpr6te du Führer; Hoffmann e t Laux,.photographes ollhiels; des secrétaires,
des attachés de presse, en tout une trentaine de personnes.
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 277
accord était conclu avec les Anglais et les Français; personne
ne pouvait dire si Ribbentrop n’aurait pas à s’engager dans
une de ces longues et épuisantes négociations dont la diplo-
matie orientale a le secret. Peut-être reviendrions-nous sans
gloire dans quelques jours, riches d’une nouvelle déception.
Mais nous étions au moins aussi émus par l’étrangeté de ce
destin qui nous conduisait à Moscou, que nous avions tou-
jours considéré jusque-là comme l’ennemi de la civilisation
européenne et notre adversaire le plus redoutable l. D
Durant l’escale à Konigsberg, Ribbentrop, qui a apporté
avec lui le projet de Molotov, ne s’accorde aucun repos.
Réuni avec sa suite au Parkhotel, il passe toute la nuit à com-
pulser ses dossiers, à interroger ses collaborateurs, à télépho-
ner à Berchtesgaden e t à rédiger des notes, d‘une écriture
de plus en plus grande au fur et à mesure que les heures
avancent.
Après une nuit sans sommeil où il a tenu toute sa délé-
gation en haleine, Ribbentrop se remet en route le 23 août,
à 7 heures du matin. Du haut des avions qui les emmènent
vers Moscou, les membres de sa suite voient se dérouler un
paysage très différent de celui dont ils ont l‘habitude et qui
leur donne l’impression d’être entrés dans un monde étran-
ger. La plaine russe s’étend à perte de vue, recouverte d’une
immense toison de forêts. Pas une route, pas une ville. De
loin en loin, quelques isbas misérables recouvertes de chaume,
dont le brun foncé contraste avec les pimpantes tuiles rouges
des villages allemands. Même les voies de chemin de fer ont
un aspect insolite, car au lieu de s’inscrire en noir sur un
paysage plus clair, elles tracent de longues striures blanches
sur un paysage plus sombre.
Au bout de quatre heures de vol, une mer de maisons appa-
raît à l’horizon, qui ne se distingue guère de Londres ou
de Berlin. C’est Moscou. Le visage collé aux vitres, les
membres de la délégation allemande écarquillent les yeux,
fascinés comme à l’approche d’une planète inconnue a. Les
avions atterrissent vers midi, heure locale. L’aérodrome est
pavoisé. Mais tout s’est fait si rapidement que le service
du protocole russe a été pris de coiirt. Ne possédant pas de
drapeaux allemands, il a dû en faire confectionner à la der-
nière minute, en cousant des croix gammées noires sur des
1. Peter KLEIST,Entre Hitler et Sfaline, p. 34-35.
2. Paul SCHMIDT,Statist au/ diplomaîiachcr Bühnc, p. 642.
278 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

drapeaux rouges soviétiques. Mais les swastikas ont été


posés à l’envers, ce qui leur donne, B eux aussi, un aspect
insolite 1.
Un petit groupe d’hommes vêtus de noir vient au-devant
du ministre du Reich. I1 ne comprend que des fonctionnaires
soviétiques de second rang. Molotov ne s’est pas dérangé. Il
s’est fait remplacer par Potemkine, le Vice-Commissaire dii
Peuple aux Affaires étrangères. Celui-ci est accompagné par
MM. Stepanov, premier Vice-Commissaire pour le Commerce
extérieur; Merkulov, premier Vice-Commissaire pour 1’Inté-
rieur; Korolev, représentant du Conseil municipal de Moscou;
Alexandrov, Directeur des Affaires d’Europe au Com-
missariat des Affaires étrangères et Barkov, chef du Proto-
cole. A côté d’eux s’avancent le comte von der Schulenburg,
ambassadeur du Reich à Moscou; le général Kostring, attaché
militaire allemand; le capitaine de frégate Baumbach, attaché
naval, M. Rosso, ambassadeur d’Italie et le colonel di Bonzo,
attaché militaire italien. Après les présentations d’usage, le
ministre des Affaires étrangères du Reich et sa délégation
montent en voiture - une colonne de Buick américaines,
qui les attendent en bordure de l’aéroport.
Au bout d’une demi-heure de trajet à travers la ville, où
circule une foule animée, la file de voitures arrive à l’ancienne
Ambassade d’Autriche, où les services diplomatiques alle-
mands se sont installés depuis l’Anschluss. L’immeuble
comprend un parc, entouré d’un mur élevé, derrière lequel se
trouvent logés - coïncidence étrange - le général Doumenc
et les membres de la délégation militaire française.
Ici encore, Ribbentrop ne s’accorde aucun répit. Après
avoir déjeuné à la hâte, il demande à Schulenburg et à
Hilgera de le renseigner sur le développement de la situa-
tion à Moscou et sur le protocole observé en U. R. S. s., à
l’occasion de visites officielles de ce genre. Les deux diplo-
mates lui exposent le programme prévu pour les jours sui-
vants. S’appuyant sur leur longue expérience de l’orient,
ils lui conseillent de prendre son temps et de ne manifester
aucune hâte. Mais Ribbentrop leur coupe la parole d’un
geste impatient. Sans autre explication, il prie Schulenburg
de prévenir le Kremlin qu’il lui faut être de retour en
Allemagne dans les vingt-quatre heures.
1. Peter KLEIST,Entre Hitler et Staline, p. 35.
2. L’attaché commercial qui a mené les négociations avec Mikoyan.
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 279
Cet ordre est promptement exécuté. Moins d’une heure
plus tard, le ministre, accompagné seulement par MM. von
der Schulenburg et Hilger, est en route pour le Kremlin 1.
Pendant ce temps, les autres membres de la délégation se
trouvent désœuvrés. Peter Kleist en profite pour visiter la
ville, en compagnie du général Kostring. a Le tourbillon
humain de la capitale surpeuplée nous engloutit tousles deux »,
écrit-il. (( A côté d’innombrables maisons de bois, vétustes et
bancales, s’élevaient les géants en béton de l’ère nouvelle.
Nous suivîmes la rue Gorki et débouchâmes au cœur de la
cité. La Place Rouge s’ouvrit devant nous, offrant une pers-
pective magnifique sur la demeure des maîtres de la Russie
d’hier et d’aujourd’hui. Une très haute muraille, couronnée
de tours de guet, clôturait l’immense triangle, avec ses
palais, ses cathédrales, ses bâtiments d’habitation ou admi-
nistratifs. L’ Ivanovskaia Kolokolnia, élancée, ivoirine e t
coiffée d’une coupole dorée, dominait le tout. A gauche, la
cathédrale Saint-Basile fermait la PIace Rouge, avec ses
tours aux bulbes étrangement chantournés ... En face de
nous, se dressait un monument moderne aux lignes
dépouillées, en marbre gris et noir : le mausolée de Lénine.
La curiosité nous fit prendre la file qui approchait à pas
lents de l’entrée. Nous descendîmes dans la crypte à demi
obscure où, dans un cercueil de cristal, repose le corps
embaumé de Lénine, veillé par deux soldats de l’Armée
Rouge. Nous contemplâmes avec étonnement le petit visage
de Kalmouk, aux reflets de cire,_sur lequel semblait s’attar-
der l’ombre d’un sourire rusé. Etait-ce là le créateur d’un
monde nouveau? Qui pouvait le dire? Nous savions seule-
ment que son monde ne pourrait jamais être le nôtre. E t
nous savions aussi qu’il était le plus terrible destructeur du
monde ancien ...
(( Mais non loin de là, derrière l’impénétrable muraille du

Kremlin, le ministre des Affaires étrangères du Reich dis-


cutait, avec les successeurs de cet homme, les termes d’un
pacte qui allait décider de la vie ou de la mort du conti-
nent 2. 1)
2. Les dirigeants soviétiques ont tenu, pour la premikre rencontre, à ce que
le nombre des personnes présentes soit aussi réduit que possible. Comme M. Hil-
ger parle couramment le russe, la présence de l’interprète Schmidt n’a pas été
jugée nécessaire. Par ailleurs, Staline a décidé de se servir de M. Pavlov, son
interprète personnel.
2. Peter KLEIST, Entre H i t h et Sldine, p. 36-37.
280 HISTOIRE DE L’ARMBB ALLEMANDE

i
* *
Dès son arrivée au Kremlin, à 15 h. 30, Ribbentrop, tou-
jours accompagné par Schulenburg et Hilger, a été conduit
à une pièce où il a été reçu, à sa plus grande surprise, non
seulement par Molotov, mais par Staline lui-même. C’est un
fait sans précédent dans les annales du régime, car les diri-
geants moscovites tiennent à maintenir la fiction selon
laquelle le Secrétaire général du Parti ne s’occupe pas de poli-
tique étrangère. I1 semble que le dictateur soviétique ait voulu
faire comprendre par là à l’envoyé d’Hitler (( que si l’accord
n’était pas signé sur-le-champ, il ne le serait jamais D.
Le comportement de Staline est naturel et plein de
bonhomie. Mais Ribbentrop est frappé par le ton cas-
sant avec lequel il parle à ses subordonnés et par l’atti-
tude servile de tout son entourage 2. En dehors de Molotov
et de Vorochilov, il ne fait guère d’exception que pour son
interprète Pavlov.
Cette première conversation, qui dure près de trois heures,
n’apporte rien de très nouveau, car Hitler a déjà approuvé,
dans son ensemble, le projet de Pacte proposé par Molotov.
On se borne donc à en récapituler les termes. Mais une dif-
ficulté surgit lorsqu’il s’agit de délimiter les u zones d‘inté-
rêt »,car Staline exige tout à coup, avec une insistance
particulière, que les ports lettons de Windau et de Libau
soient inclus dans la sphère russe3.
Cette exigence est grave pour plusieurs raisons. D’abord,
la possession de ces ports fournit aux Russes la possi-
bilité de se libérer de l’étroitesse du golfe de Kronstadt, au
fond duquel se trouve Léningrad, e t d‘accroître leur hégé-
monie sur toute la mer Baltique; ensuite, elle permet à
YU. R . S. S. de menacer l’indépendance de la Finlande;
enfin, elle donne aux Soviets toute latitude d’y construire
des installations militaires qui pourront éventuellement ser-
vir à des opérations contre l’Allemagne a.

1. G. HILGER,
Wir und der Kreml., p. 286.
2. Plus tard, Churchill sera frappé, lui aussi, par le ton dur et autoritaire dont
Staline se sert à l’égard de son entourage. (Voir vol. IV, p. 271, note 1.)
3. Voir la carte du vol. II, p. 21. On se souvient des combats acharnes que
les corps francs du Baltikurn avaient livn5s au printemps de 1919, pour chasser
les formations rouges de ces villes. (Vol. II, chap. I A III.)
4. a L’immoralité de cette transaction a, écrit l’historien anglais G. Gathornet
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 281
Mais Staline les réclame avec tant d’insistance que cette
exigence paraît à Ribbentrop une condition sine qua non
de la signature de l’accord.
Malgré l’étendue de ses pouvoirs, le ministre des Affaires
étrangères du Reich hésite à accepter cette exigence de
son propre chef. La conversation est donc suspendue vers
18 h. 30, pour lui permettre de consulter le Führer.
Rentré à l’ambassade, Ribbentrop ne dissimule pas sa
satisfaction. I1 est visiblement enchanté de ce premier
contact.
- (( Les négociations sont en bonne voie )), déclare-t-il à

ses collaborateurs. a J e ne me suis encore jamais trouvé


devant un partenaire tel que Staline, qui ouvre son grand
livre et expose sa position de façon claire et nette. Nous
nous sommes mis rapidement d’accord sur le cas de la
Pologne. plus dificile est la délimitation de la frontière du
côté des Etats Baltes, que l’Angleterre et la France n’ont
cessé de vendre aux Soviets. Staline veut non seulement
s’étendre au-delà de la Düna, mais voir englober les ports
courlandais de la Lettonie dans sa zone d’influence. Cela
dépasse le cadre qui m’a été assigné par le Führer. C’est à
lui de décider s’il veut faire cette concession l. 1)
Durant le dîner, qui a lieu dans la grande salle à manger
de l’ambassade, une secrétaire installée dans une pièce voi-
sine égrène d’une voix monotone les chiffres du télégramme
suivant :

u Veuillez rendre compte immédiatement au Führer qu’une


première conversation de trois heures avec Staline et Molotov
vient de se terminer. Elle s‘est déroulée d’une façon tout à fait
positive pour nous, mais le point décisif pour aboutir au résul-
tat final est une demande des Russes pour que nous reconnaas-
sions comme inclus dans leur zone d‘influence les ports de Libau
et de Windau. Je serais heureux de savoir, avant 20 heures,
heure allemande, si le Führer est d’accord. On a prévu la signa-
ture d‘un protocole secret sur la délimitation des dew zones

Hardy, a est peut-être moins étonnante que l’impudence avec laquelle 1’U. R. S. S.
e+ge des mesures qui ne se justifiaient que dans la perspective d’un futur conflit
avec le Reich. n (Kurze Geschitchte der Iniernatwnalen Pditik 1920 bis 1939,
p. 586.)
1. I1 semble qu’il n’ait pas été dans l’intention d’Hitler de sacrifier la côte
lettone, et que la ligne de démarcation prévue par lui à l’origine ait été le cours
de la Diina. (HOFER,Dia Entfesselung dcs Zweiten Weltkrieges, p. 75.)
282 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

d’influence dans toutes les régions orientales et j’y ai donné mon


plein assentiment.
a RIBBENTROP
l. D

Moins d‘une demi-heure plus tard, la réponse du Führer


arrive. Elle tient en cinq mots :
- G La réponse est oui, d’accord 2. n
t
+ *
Aussitat en possession de ce télégramme, Ribbentrop
retourne au Kremlin. I1 est d’excellente humeur. Cette fois-ci,
le gauleiter Forster et une suite nombreuse l’accompagnent.
Les grandes portes de la tour du Rédempteur s’ouvrent pour
laisser entrer les voitures. Des hommes du Guépéou surgis-
sent de l’ombre, des signaux lumineux clignotent, des son-
neries retentissent. Les automobiles pénètrent lentement
dans la cité mystérieuse. Elles passent devant la plus grosse
cloche du monde qui s’est fêlée avant d’avoir tinté, devant
le plus gros canon de son temps, si énorme qu’on n’a jamais
osé le tirer, devant de petites maisons de bois et de hautes
églises, et s’arrêtent enfin devant le bâtiment administratif
moderne, où Staline attend ses hates, entouré de Molotov,
de Potemkine, du général Chapochnikov et de plusieurs
autres dignitaires du régime.
Le visage rayonnant de joie, Ribbentrop va vers lui et lui
annonce qu’Hitler a donné son accord à la dernière demande
soviétique.
En entendant ces mots, Staline blêmit. I1 ne saisit pas
immédiatement la main que lui tend le ministre du Reich.
L‘acceptation aussi rapide d’une exigence aussi grave éveille
ses suspicions. Elle lui donne à penser que les Allemands ne
sont pas sincères, qu’ils n’ont cédé les ports lettons que
parce qu’ils ont l’intention de les reprendre à la première
occasion. Staline, qui croyait avoir pris ses interlocuteurs au
piège, se demande avec effroi si ce piège n’est pas en train
de se refermer sur lui. Certes, ses arrière-pensées et celles
d’Hitler ,diffèrent du tout au tout. Staline signe le Pacte
pour rendre la s e r r e inévitable; Hitler? parce qu’il est
convaincu qu’il la rendra impossible. Mais l’un et l’autre
1. Peter KLEIST,Entre Hiiler et Staline, p. 37-38.
2. a Die Antwort bt Ja. Einversfanàen. a
L A C R I S E GERMANO-POLONAISE 283
n'ont pensé jusqu'ici qu'à une guerre entre l'Allemagne e t
les Puissances occidentales. Voilà qu'un spectre nouveau
est apparu, fugitif comme une ombre, mais il est apparu
quand même : l'éventualité d'une guerre germano-russe,
provoquée par la cession des ports courlandais.
Pourtant le désarroi de Staline ne dure que quelques
secondes. I1 reprend vite contenance e t saisit la main de
Ribbentrop? qu'il serre longuement. Les éclairs de magné-
sium remplissent la pièce de leur clarté blafarde. Les pho-
tographes enregistrent la scène pour la postérité ...

+ +
I1 n'y a plus qu'à rédiger le texte définitif du Pacte. Le
voici :
TRAITE D E NON-AGRESSION ENTRE LE REICH ALLEMAND
ET L'UNION DES RÉPUBLIQUES SOCIALISTES SOVIÉTIQUES.

L e Gouvernement d u Reich allemand et le Gouvernement de


1' Union des Républiques Socialistes Soviétiques, mus par le
désir de consolider la cause de la paix entre l'Allemagne et
l'U. R. S. S. et partant des dispositions fondamentales d u
Traité de neutralité conclu entre l'Allemagne et Z'U. R. S. S.
e n avril 1926, sont parvenus à l'accord suivant :
ARTICLEI. - Les deux Parties contractantes s'engagent à
s'abstenir de tout acte de violence, de toute action agressiveset
de toute attaque, l'une contre l'autre, soit isolément, soit conjoin-
tement avec d'autres Puissances.
ARTICLE II. -Dans le cas où l'une des deux Parties coritrac-
tantes ferait l'objet d'une action de guerre de la part d'une tierce
Puissance, l'autre Partie contractante ne donnerait e n aucune
manière son soutien à cette tierce Puissance.
ARTICLE III. - Les Gouvernements des deux Parties contrac-
tantes resteront à l'avenir e n contact constant entre eux, afin de
se consulter et d'échanger des informations sur les problèmes
affectant leurs intérêts communs.
1. Cette rédaction différe du texte rédigé par Molotov. Ce dernier avait pro-
posé la formule suivante : a Mus par le désir de consolider la paix enire les peuples. u
Hitler l'avait refusée. K II est évident que cette formule 1, remarque Philipp
W. Fabry, a placée en tête d u n pacte dont l'objet essentiel était l'écrasement
de la Pologne, aurait suscité une tempête d'indignation dans tous les paya neutres. D
(Der Hiller-SialinPakt, p. 74.)
284 HISTOIRE DE L'ARMBE ALLEMANDE

ARTICLEIV. - S i des différends ou des conflits surgissaient


entre les Parties contractantes sur telle ou telle question, les deux
Parties régleraient ces différends ou ces conflits uniquement a u
moyen d'échanges de vues amicaux ou, s i c'était nécessaire, en
nommant des Commissions d'arbitrage.
ARTICLE V. - Le présent Traité sera conclu pour une période
de dix a n s f , étant entendu que s'il n'est pas dénoncé par l'une
des Parties contractantes un a n avant l'expiration de cette période,
la durie de validité de ce Traité sera automatiquement prolongée
de cinq autres années.
ARTICLEVI. - Le présent Traité sera ratifié dans le délai
le plus rapide possible =.Les instruments de ratification seront
échangés à Berlin. Le Traité entrera en vigueur dès qu'il aura
été signé.
Fait en double original, en langues allemande et russe.
Moscou, 23 août 1939.

Le Traité proprement dit est suivi d'un Protocole addi-


tionnel secret, rédigé en ces termes :

A l'occasion de la signature d u Traité de non-agression entre


le Reich allemand et l'Union des Républiques Socialistes Sovié-
tiques, les plénipotentiaires soussignés des deux Parties ont eu
des conversations strictement confidentielles sur la question de
leurs sphères d'intérêt respectives en Europe orientale. Ces
conversations ont e u le résultat suivant :
1. Dans le cas d'une modificaion territoriale et politique sur-
venant dans les territoires qui font partie des Étqts Baltes
(Finlande, Estonie, Lettonie et Lituanie), la frontière septen-
trionale de la Lituanie constituera la frontière des sphères
d'intérêt de l'Allemagne et de l'U. R. S . S. L'intérêt de la
Lituanie a u territoire de Vilna est, à cet égard reconnu par
les deux Parties.
2. Dans le cas d'une modification territoriale et politique sur-
venant dans les territoires qui font partie de l'État polonais,
les sphères d'intérêt de l'Allemagne et de 1'17 R.
. S. S. seront
délimitées approximativement par la ligne formée par les
rivières Narew, Vistule et San.
1. Staline avait proposé que la durée du traité soit fixée à cinq ans (voir plus
haut, p. 271), Hitler avait propose une durée de vingt-cinq ans. Les deux Parties
Be sont mises d'accord sur un moyen terme : de dix ans.
2. Les instruments de ratification seront échangés à Berlin, le 24 août.
Voir Reichsgesetzblatt 1939, 2 e partie, p. 968.
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 285
La question de savoir si l‘intérét des deux Parties laisse appa-
raître souhaitable le maintien d’un État polonais indépendant,
et de quelle manière les frontières de cet État devront être tracées,
ne pourra recevoir de riponse définitive qu’au cours des futurs
développements politiques.
En tout cas, les deux Gouvernements rdsoudront cette question
à l‘aide d‘un accord amiable.
3. En ce qui concerne l‘Europe d u sud-est, o n fait ressortir,
d u c6té soviétique, l‘intérêt porté à la Bessarabie. Du côté
allemand o n fait valoir un total désintéressement politique d
l‘égard de ces territoires.
4. Ce protocole sera tenu strictement secret par les deux
Parties.
Moscou, 23 août 1939.

Fait étrange : ce Protocole additionnel reproduit presque


textuellement les dispositions du Traité de Tilsit, conclu
le 8 juillet 1807 entre Napoléon et Alexandre Ier l.
Tandis qu’on lit une dernière fois les textes avant de
procéder à leur signature, Hitler adresse le télégramme sui-
vant à Ribbentrop :
u L e Führer souhaiterait vivement que soit exprimé, dans le
cadre des conversations actuelles, le fait qu’à la suite de l‘entente
intervenue entre l’Allemagne et la Russie sur les problèmes de
l‘Europe orientale, ceux-ci soient considérés comme appartenant
exclusivement au% sphéres d’intirêt de l‘Allemagne et de l a
Russie z. n

Si les termes de cette dépêche sont volontairement vagues,


leur sens est limpide. I1 signifie que si la France et l’Angle-
terre intervenaient pour défendre la Pologne - devenue du
I. a C’est à Tilsit B, rcmarque Gafenco, (I que Napoléon essaya d’intégrer la
Russie à son nouvel ordre européen. Le mot Europe n’y fut certes pas souvent
prononcé. II s’agissait de partages et de compromis. On parla collaboration. On
répartit entre soi des zones f’influence. On coupa en deux et en plusieurs mor-
ceaux les pays intermédiaires. Le Tsar réclama la Finlande, la Bessarabie, les
principautés danubiennes. Napoléon ne souleva aucune objection. I1 reçut en
contrepartie une promesse d’appui dans sa guerre contre l’Angleterre, et les
maina libres en Europe. D (Prélirnirwirur de Ira G w r e à l’est, p. G I . )
2. Ln plupart des historiens n’ont pas prêté une attention suffisante à ce mes-
sage, qui est pourtant d’un grand intérêt. On sait qu’il a été t4léphoné de Salz-
bourg, Is 23 août 1939, au ministhre des Affaires étrnnghrei de Berlin, pour être
transmis d’urgence è Moscou. Mais on n’a aucune indiontion sur eon h e m d‘sr
nVb.
286 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

jour au lendemain a sphère d’intérêt germano-russe )), -


1’U. R. S. S. serait tenue de prendre les armes contre elles.
Hitler y voit un moyen supplémentaire d‘empêcher une
intervention de leur part l. Mais Staline est bien trop fin
pour y souscrire, car une déclaration de ce genre irait à
l’encontre du but qu’il poursuit : n’être entraîné d’aucune
façon dans le conflit qui se prépare. Aussi écarte-t-il poli-
ment la proposition d’Hitler, e t Ribbentrop - qui craint
de tout remettre en cause - n’ose pas insister.
I1 est environ 2 heures du matin, lorsque Molotov et Rib-
bentrop apposent leur signature au bas du Traité2.

+ *
Alors, tout à coup, le décor change. L‘insipide bureau,
rempli de meubles d’acajou sombre à l’ancienne mode, se
transforme en salle de banquet. La table brune se couvre
rapidement de toutes les excellentes choses qui font la répu-
tation de la cuisine russe. Staline renvoie la vieille servante
et joue lui-même le rôle d’amphitryon. I1 débouche les bou-
teilles de champagne et remplit à la ronde les verres de ses
invités. Les nasdorooiye se succèdent sans arrêt, les longues
papyros s’allument, l’ambiance s’échauffe rapidement. Sta-
line pousse l’amabilité jusqu’à prononcer quelques mots
d’allemand. I1 dit u Prosit! )) et u Gesundheit! )) La conver- *.
sation s’anime de plus en plus. Hilger et Pavlov, les deux
interprètes, échangent des bons mots comme des balles de
ping-pong. L’ivresse causée par le champanskoye (on nomme
ainsi le champagne de Crimée) se mêle à l’euphorie que pro-
voque la réussite d’une aventure, où, d’un seul coup et de la
façon la plus inattendue, le tableau de la politique mon-
diale se trouve radicalement transformé.
Mais si, comme le dit Ribbentrop, Staline prend tout à
coup les allures (( d’un bon père de famille »,il ne faudrait
pas en déduire qu’il cesse d’être aux aguets. Cette petite
fête improvisée lui permet de poursuivre, à bâtons rompus,
1. Car elles auraient aiora affaire à la fois au Reich et à 1’U. R. S. S. Un commu-
nique conjoint rédigé dans le sens de cette depêche aurait eu pour effet de
transformer le Pacte de non-agression en Pacte d’assistance mutuelle.
2. Bien que daté du 23 août, le Pacte germano-russe a b t é signé en réalité le
28, vers 2 heures du matin.
3. r A votre santhl D
L A CRISE G E R M A N O - P O L O N A I S E 287
une conversation politique au cours de laquelle il cherche
à percer les arrière-pensées de ses interlocuteurs. Peut-être
est-ce dans ces moments-là - où sa volonté de puissance se
dissimule derrière une jovialité factice - qu’il est le plus
inquiétant,..
Molotov ayant amené, comme par hasard, la conversa-
tion sur le Japon, Ribbentrop lui assure que l’amitié ger-
mano-nippone n’est nullement dirigée contre 1’U. R. S. S.
- (( Tant mieux D, réplique Staline, (( car les provocations
japonaises dépassent la mesure, La patience de l’Union
Soviétique a des limites. Si le Japon veut la guerre, il peut
l’avoir! L’Union Soviétique ne la redoute pas. Elle est prête
à y faire face. N
- (( Je m’emploierai volontiers à aplanir les dificultés
entre l’Union Soviétique et le Japon n, déclare le ministre
des Affaires étrangères du Reich, en veine d’amabilité.
(( J’en parlerai à Tokyo, où nous ne sommes pas sans
influence et je tiendrai le représentant soviétique à Berlin
au courant du résultat. D
- (( Fort bien D, répond Staline en se frottant les mains,
(( mais à condition que les Japonais n’aient pas l’impression

que c’est nous qui sommes à l’origine de cette démar-


che. ))
Après avoir évoqué rapidement 1‘Italie et la Turquie,
Staline et Ribbentrop en viennent à parler de l’Angleterre.
Staline s’exprime en termes péjoratifs sur la Mission
militaire anglaise.
- (( Jamais les Anglais ne nous ont avoué ce qu’ils vou-
laient réellement »,afirme-t-il.
- (( L’Angleterre est faible »,répond Ribbentrop. (( Elle
veut amener d’autres nations à se battre, pour réaliser son
arrogante prétention de dominer le monde. 1)
- n Très juste, très juste D, opine Staline en éclatant
de rire. (( L’Armée britannique est faible. La Marine bri-
tannique ne mérite plus son ancienne réputation. Quant à
son Armée de l’Air, elle a été augmentée ces derniers temps,
mais elle manque encore de pilotes. Si, malgré cela, l’An-
gleterre domine le monde, cela tient à la stupidité des autres
pays, qui se laissent toujours berner par elle... ))
- (( J e vous approuve entièrement »,répond Ribbentrop,
(( mais tout cela va changer. J’ai proposé au Führer d’infor-

mer les Britanniques qu’à tout acte hostile de leur part, en


288 HISTOIRE DE L’ARM$B ALLEMANDE

cas de conflit germano-polonais, il serait répondu par un


bombardement de Londres n ...
On voit que le champanskoye commence à faire ses effets.
- u De mieux en mieux! u s’exclame Staline, (c mais mal-
gré sa faiblesse, l’Angleterre fera la guerre avec ruse et opi-
...
niâtreté Quant à la France, son armée mérite une certaine
considération.. , ))
- (( Bah! I) répond Ribbentrop, (( la France ne peut appe-
ler que 150.000 recrues par an, alors que l’Allemagne dis-
pose d’un contingent annuel de 300.000 hommes. Quant à la
ligne Siegfried elle est cinq fois plus puissante que la ligne
Maginot. Si la France veut nous faire la guerre, elle sera
battue ... ))
Le maître du Kremlin aborde alors, sans en avoir Yair,
la question brûlante du Pacte anti-Komintern.
- (( Ce Pacte est essentiellement dirigé, non pas contre
l’UnionSoviétique,mais contre les démocraties occidentales »,
lui répond Ribbentrop. (( Si j’en juge d’après le ton de la
presse russe, le Gouvernement soviétique ne s’y est pas
trompé n ...
- u Vous avez pleinement raison n, assure Staline avec
un sourire sarcastique. u Le Pacte anti-Komintern a sur-
tout épouvanté la City et les petits boutiquiers londoniens. u
- u L’opinion du peuple allemand à ce sujet n, ajoute
Ribbentrop, u ressort d’une manière h i d e n t e de ce bon
mot lancé il y a quelque temps par les Berlinois : Staline
lui-même finira par y adhérer l! n
Tandis que Staline et Ribbentrop donnent libre cours à
leur gaieté et que les bouteilles de vodka oirculent à la ronde,
le temps passe. I1 est près de 3 heures du matin. Le moment
des toasts approche.
- a J e sais combien la nation allemande aime son Führer n,
déclare Staline. u C’est pourquoi je désire boire à sa santé! u
- a E t moi )), ajoute Molotov, u j e voudrais boire à la
santé du ministre des Affaires étrangères du Reich et à
celle de l’ambassadeur von der Schulenburg! 1)
Ribbentrop répond en portant des toasts à Staline, à
Molotov et Èi l’amitié germano-russe.
1. Compte rendu ofliciel d’une eonversalion qui s’eat dérauUe au Kremlin dana
lo nuit du 23 au 24 août, enire b minibtre de8 Aflairrs étrangères du Reich,
d’une part, M M . Staline el Molotov, Président du Conseil des Commissaires du
Peuple, de l‘autre. Très secret. The Nazi-Soviet Relations, Publication du Départe-
ment d’État américain (1948), édition trnnçaise, p. ûû.
LA CRISE G E R M A N O - P O L O N A I S E 289
- n J e lève mon verre en l’honneur de notre grand chef
Staline »,reprend Molotov. u C’est son discours du 10 mars,
bien compris en Allemagne, qui a provoqué le retournement
que nous fêtons aujourd’hui. D
Molotov et Staline boivent encore, à plusieurs reprises,
pour célébrer le Pacte de non-agression et la nouvelle ère
qui s’ouvre dans les relations germano-russes. Après quoi,
les deux délégations prennent congé l’une de l’autre.
E n reconduisant Ribbentrop à sa voiture, Staline, ehcore
manifestement troublé par la facilité avec laquelle Hitler a
abandonné les ports lettons, dit au ministre des Affaires
étrangères du Reich, en soulignant chaque mot :
- n Le Gouvernement soviétique prend le nouveau Pacte
trés au sérieux. I1 peut garantir, sur son honneur, que
l’Union Soviétique ne trahira pas son partenaire l.
EspéPe-t-il une déclaration similaire de Ribbentrop? Dans
ce cas, son attente est déçue.

* *
Le ministre des Affaires étrangères du Reich et sa suite
rentrent à l’ambassade & 4 heures du matin. Ribbentrop,
qui vient de passer deux nuits blanches et qui est visi-
blemènt excité par le champagne de Crimée, n’a aucune
envie de dormir. I1 s’entretient durant tout le reste de la
nuit avec sés collaborateurs et raconte à ceux qui n’y
ont pas assisté les diverses péripéties de sa rencontte
avec Molotov. Puis, aux premières heures de la matinée,
il reçoit le correspondant du D. N. B. à Moscou, auquel
il fait la déclaration suivante :
Dans le passé, l’Allemagne et la Russie se sont trouvées
((

en mauvaise posture chaque fois qu’elles ont été ennemies,


mais en excellente posture lorsqu’elles étaient amies. La
journée d’hier a été providentielle pour les deux nations. Le
Führer et Staline ont choisi l’amitié... Nous venons de vivre
le tournant le plus important dans l’histoire des deux peu-
ples. Une tentative a été faite pour encercler l’Allemagne et
la Russie, et c’est précisément de cet encerclement qu’est
née l’entente germano-russe. N
1. Nazi-Soviet Relations, Id., p. 82.
2. Deutscher Nachrichien B W .
VI 19
290 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

Vers midi trente, Ribbentrop et les membres de sa délé-


gation regagnent l’aéroport. En traversant la ville, ils aper-
çoivent de longues files d’hommes qui se pressent devant
les kiosques à journaux. Ils achètent en passant le dernier
numéro de la Pravda. Toute la première page est consacrée
à la signature du Pacte germano-russe. La nouvelle s’y étale
en caractères énormes. Elle est illustrée par des photographies
de Molotov signant le Traité et de Staline serrant la main
de l’envoyé d’Hitler. Le ministre des Affaires étrangères
du Reich les regarde avec satisfaction.
Cette fois-ci l’aérodrome est décoré d‘une profusion de
drapeaux à croix gammée. A 13 h. 20, c’est-à-dire vingt-
cinq heures après être arrivés à Moscou, les deux Condors
F. W. 200 décollent en direction de Konigsberg. Ils font une
courte escale dans la capitale de la Prusse-Orientale, où
Ribbentrop est accueilli par le gauleiter Koch. Celui-ci lui
apprend que le gauleiter Forster vient d’être nommé chef
de l’Etat libre de Dantzig.
Après avoir fait leur plein d’essence, les avions repartent
pour Berlin. A partir de ce moment, ils sont escortés par une
escadrille de chasse et doivent faire un grand détour au-
dessus de la mer Baltique pour éviter de survoler le Corridor.
La veille, en effet, à 14 h. 28, un avion de transport alle-
mand 1 a été abattu par la D. C. A. polonaise, au moment
où il se trouvait au-dessus du territoire dantzickois.
- Si nous en sommes déjà là )), se disent avec effroi les
membres de la suite de Ribbentrop, N la guerre peut éclater
d’un moment à l’autre. Aurons-nous encore le temps de
rentrer chez nous? 1)
Mais en fin de soirée, les deux avions se posent sans
encombre sur l’aérodrome de Tempelhof.
1. L’avion DADUP, Bisberslein, de la Luhhansa, piloté par le commandant
Gutscbmidt.
XIX

HITLER CONVOQUE SES GÉNÉRAUX


AU BERGHOF

Si Ribbentrop exulte, Hitler est rayonnant. I1 n’a même


pas attendu que le ministre des Affaires étrangères du
Reich soit rentré de Moscou, pour convoquer ses généraux
et les mettre au courant de la situation. Venus les uns par
avion, les autres par la route, ils arrivent le 22 août, à
ObersaIzberg et se réunissent, à midi, dans le grand salon
du Berghof. Ils sont près d’une centaine, revêtus de leurs
uniformes et représentant ce qu’il y a de plus élevé dans
la hiérarchie de la Wehrmacht :les membres de 1’0. K. W.,
les commandants _supérieurs des trois armes accompagnés
de leurs chefs d’Etat-Major, les commandants de groupes
d’armées et d’armée, les commandants des flottes aérien-
nes, des divisions blindées et des forces de Haute mer.
- (( J e vous ai fait venir »,leur déclare Hitler, (( pour
renforcer votre confiance et vous exposer les raisons qui
m’ont incité à prendre un certain nombre de déci-
sions a.
1. On a prétendu que les généraux avaient reçu l’ordre de venir en civil, pour
ne pas se faire remarquer. C‘est inexact. Si les propos tenus à cettc conférence
militaire devaient rester secrets, la réunion elle-même n’avait rien de clandestin.
Comme le Maréchal von Küchler l’a fait remarquer aux juges du Tribunal de
Nuremberg : a L‘arrivée d’un si grand nombre de généraux en uniforme à Ober-
salzberg - c’est-à-dire dans une région remplie de touristes, à cette saison de
l’année - ne pouvait d’aucune façon passer inaperçue. n
2. II n’existe pas moins de cinq versions différentes - et souvent contradictoires
- de la conférence militaire tenue au Berghof, le 22 août 1939. Ce sont :
A.- Une prerniére version, présentée dans deux documents portant I’indica-
tion U. S. A.-29 et U. S. A.-30, enregistrés par le Tribunal Militaire International
de Nuremberg sous les cotes PS-798 (première allocution du Führer) et PS-1014
(seconde allocution du Führer), publiés dans les Akfen zw Deutschen Awnvdrligen
Politik, vol. VII, no 192.
-
B. Une oemnde woion, rédigée par l’amiral Bœhm le soir du 22 août 1939
292 HISTOIRE DE L’ARM&E ALLEMANDE

N I1 m’est apparu depuis longtemps que nous n’échappe-


rions pas, tôt ou tard, à une explication avec la Pologne.
à l’hôtel Vier Jahreszeiten à Munich, authentifiée à Niiremberg le 17 avril 1946
par le Dr W. Siemers, avocat de l’ancien commandant en chef de la Kriegsmarine,
sous la référence Ezhibit Rseder, no 27, et publiée dans Friedrich LENZ,Dokumen-
tenband, no 74 b, p. 164-170.
-
C . Une froidme wsion, connue sous la référence L. 003 (U. S. A.-28) rédi-
gée par le journaliste américain Louis Lochner, remise le 24 aoiit 1939 à Sir Ogil-
vie Forbes, chargé d‘affaires britannique à Berlin et publiée dans les Akten zur
Deutschen Aunvdrtigen Politik, vol. Vli, no 193, note 1, p. 171-172.
D.- Uhe quatrième wsion, incluse dansi l’Agenda personnel du gkaéral Halder,
publiée en appendice au volume VI1 des Akfen ZW Deutschen Awwdrtigen Politik,
p. 467 à 469.
E.- Une cinquihe version, due au Ministerialrat Dr Helmuth Greiner, chargé
de la rédaction du Journal de la Wehrmacht, rédigée d’après les informations
fournies par le colonel Warlimont sitôt après son retour du Berghof à Berlin,
complétées par les notes prises en sténographie par l’amiral Canaris durant la
conférence, publiée dans Helmuth GREINER,Die Oberste Wefumachtführung,
1939-1943, et reproduite en 1965 dans le Kriegstagebuch des Oberkommandor der
Wehrmacht, vol. I, p. 947.

EXAMEN
DES TEXTES :

Lea docurnenf8 A (PS-798et PS-1014)sont de simples feuillets dactylographiés,


sans en-tête, sans date, sans signature, ni indieatidn de provehaace. kidentit8 du
style et de la frappe semble prouver qu’ils ont été écrits par le même individu e t
tapés sur la même machine. Bien que rédigés à la premiere personne, ils n’émanent
pas d’Hitler lui-même, sans quoi ils scraiedt feprodüits avec les caracthres spé-
ciaux propres aux machines à écrire qu’utilisait son secrétaridt. Certains passages
de ces textes ont suscité les plus extrsmes réserves de la part des Maréchaux von
Rundstedt, von Brauchitsch, +on Leeb, von Mdnhstein e t f o n Kuchler aihsi que
des amiraux Raeder, Schnienind et Schulte-Mbntig. Ils ont également été récusés
P a r le Dr Laternser (avocat de Manstein) et par le D’ Siemers (avocat de Ræder).
Cf. l’analyse détaillée qu’en donne le professeur H. G. Séraphim, de l’Université
de Gbttingen, dans la Festschrift fur H . K r a w , sous le titre Naçhkrieg8promse und
Zeitgeschichliche Fdrschung.)
Le document B (Ezhibit &der, no 27), quoique moins tendancieux, ne saurait
remplacer un eompte rendu stbnographique, qlii n’existe pas.
Le document C (L. 008, U. S. A.-28) dont M. Dodd, ancien ahbassadeur des
Etats-Unis à Berlin, a déclaré à Nuremberg : II nous est parvenu g r k e à I’obli-
(I

geance d’un journaliste américain D, a été composé par M. Louis Lochner dans
les bureaux de I’Asaociafed Pres8 de Berlin, sur la base d‘informations recueillies
de seconde main. L’auteuî- semble l’avoir rédigé dans l’intention de convaincre
les Alliés qu’Hitler serait renversé au lendemain du jour où ils lui déclareraient
la guerre, ce qui I’obiigedit à affirmer que le maître du IIIe Reich avait repoussé
d’avance toute médiation en faveur de la paix. (Cf. Annelies von RIBBENTROP,
Verschwf3rung gegcn den Frieden, p. 428.) Lé Tribunal de Nuremberg a lui-même
renoncé à se servir de ce document, en raison de son caractère suspect.
Le professeur Séraphim en conclut : a Dans l’état actuel de nos connaissances,
e t faute de documents nouveaux, tout historien scrupuleux devrait n’abstenir
d’utiliser ces aoureecl. s
Le ddcwnent D (Agenda personnel du général Halder) est constitué par des
notes prises à la volée par le chef d’)bat-Major général peur son usage personnel.
Elles offrent un caractere trop décousu pour que l’on puisse en dégager une phy-
sionomie complète de la eonférence.
Reste le document E, publié par le Ministerialrat Helmuh GREINERdans son
ouvrage Die Obwrta Wahrniachtfùhrung, 1089-1943 e t reproduit dans le Kriegsta-
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 293
C’est au printemps que j’ai pris la résolution d’agir, lorsque
le colonel Beck a repoussé mes propositions concernant un
règlement des questions de Dantzig et du Corridor. Des
considérations importaptes m’ont dissuadé de remettre
l’affrontement à plus tard, c’est-à-dire à un moment qui
pourrait nous être moins favorable. &es voici :
(( Premièrement :jamais un chef d’Etat germanique n’in-

carnera, au même degré que moi,la volonté de l’ensemble du


peuple allemand. J e possède, de ce fait, une autorité que
personne, en Allemagne, n’a encore eue avant moi. Mais il
n’est pas exclu que je sois assassiné par un fou ou par un
imbécile. La puissante personnalité du Duce me garantit la
fidélité de l’alliance italienne. Mais Mussolini lui aussi, peut
disparaître du jour au lendemain et l’on ne peut faire fond sur
le roi et la Cour qui sont résolument hostiles à sa politique.
De l’Espagne, il ne faut attendre qu’une neutralité bienveil-
lante, et seulement pour autant que Franco sera à sa tête.
((Deuxièmement :dans le camp opposé, il n’existe aucune
personnalité d’envergure. Pour nos adversaires, la décision
de faire la guerre est beaucoup plus dificile à prendre que
pour nous, parce qu’ils ont tout à risquer et peu à gagner.
Pour nous, la chose est plus facile car nous n’avons rien à
perdre. D’ailleurs nous n’avons pas le choix. Notre situation
économique est si dificile que nous ne pourrons pas tenir
au-delà de quelques années. Le Maréchal Gœring pourrait
vous le confirmer. Ou bien nous frapperons les premiers, ou
nous périrons, plus ou moins rapidement ...
a Troisièmement :Une tension- permanente règne en Médi-
terranée depuis la guerre d’Ethiopie. En Palestine, les
événements ont alarmé l’ensemble du monde musulman.
En Extrême-Orient, le conflit sino-japonais immobilise
une partie des forces anglo-saxonnes. En Grande-Bretagne,
comme en France, les conséquences de la dernière guerre
mondiale se font sentir d’une façon de plus en plus aiguë.
gebuch dea Oberkornrnandos der Wehrmacht, Francfort, 1965, vol. I, p. 947-949.
C‘est, jusqu’à nouvel ordre, le document le plus complet et le moins contestable
sur la question. Le Maréchal von Manstein déclare à son sujet : a II concorde,
pour l’essentiel, avec le contenu de la conférence du 22 août 1939, bien qu’il
puisse contenir - comme le Journal de Halder - certaines choses que leurs
auteurs peuvent avoir entendu dire Q Hitler en d’autres circonstances. *( Verbrene
Siege, p. 19.)
C’est la version Greinerà laquelle nous nous sommes conformé, tout en lui adjoi-
gnant quelques détails empruntés il 1’Ezhibit Ræder, no27, pour autant qu’ils n’aient
pas été contestés par les témoins.
294 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

L‘Irlande s’est à peu près totalement séparée de l’Empire


britannique. L’Afrique du Sud tend à une indépendance
toujours plus grande. Aux Indes et au Proche-Orient, l’An-
gleterre devra faire face à des difficultés grandissantes. Son
Empire est menacé de dislocation en beaucoup d’endroits.
En ce qui concerne la France, sa courbe démographique
la voue au déclin. La corruption et l’incohérence de sa
politique intérieure achèvent de l’affaiblir. De plus, elle est
menacée par l’Italie en Méditerranée. Dans les Balkans,
l’équilibre des forces se trouve rétabli depuis que l’Italie a
occupé l’Albanie. On pourrait considérer la Yougoslavie
comme une amie de l’Allemagne. Mais elle est faible et
contient en elle des germes de destruction, du fait de sa
complexité intérieure et de sa vulnérabilité. La Roumanie
se sent menacée par la Hongrie et la Bulgarie. Etant
donné la faiblesse des dirigeants turcs, on ne saurait en
attendre une politique énergique. Ces conditions, qui nous
sont éminemment favorables dans les Balkans, existeront-
elles encore dans deux ou trois ans? I1 est permis d’en douter.
a Enfin, il est extrêmement important que la Wehrmacht,
avant d’affronter les Puissances victorieuses de la guerre
mondiale, fasse l’épreuve de ses forces dans le cadre d’un
conflit localisé. Elle y puisera un surcroît de confiance en
elle-même et son prestige en sortira grandi aux yeux du
monde. ))
Après s’être livré à ce rapide tour d’horizon, Hitler en
revient au problème germano-polonais.
- u Ce n’est pas sans peine »,poursuit-il, u que je me suis
résolu à pratiquer envers la Pologne la politique que j’ai
suivie depuis 1934, car elle allait à l’encontre des sentiments
intimes du peuple allemand. L’Angleterre est probablement
intervenue auprès du colonel Beck, pour l’empêcher d’accep-
ter les propositions que je lui ai faites, en vue de régler les
problèmes de Dantzig et du Corridor, et de garantir les
frontières de la Pologne pour une durée de vingt-cinq ans.
Les Polonais ont répondu à cette offre par une mobilisation
partielle et des concentrations de troupes autour de Dant-
zig 1. I1 en est résulté une tension intolérable. Cet état de
choses ne saurait se prolonger. Deux pays ne peuvent
rester longtemps face à face avec des fusils chargés.

1. Voir plus haut, p. 95 e t p. 183.


LA CRISE GERMANO-POLONAISE 295
(( C‘est pourquoi j’ai estimé le moment venu d’isoler la

Pologne. Le déclenchement d‘opérations militaires contre


ce pays n’en demeure pas moins un acte audacieux. Nous
devons en assumer le risque avec une énergie farouche.
Comme l’année dernière et comme au printemps passé, je
demeure convaincu que cet acte, aussi hardi soit-il, sera cou-
ronné de succès. Sans doute la France et l’Angleterre se
sont-elles engagées à secourir la Pologne, mais elles n’ont
aucun moyen pratique de le faire. I1 me paraît exclu qu’un
homme d’Etat britannique prenne le risque de déclen-
cher une guerre, au moment où la situation mondiale de
l’Empire britannique est aussi précaire. Quant à la France,
qui traverse une période de classes creuses, il lui est impos-
sible de supporter la saignée que lui infligerait une guerre
prolongée. Les démocraties occidentales n’ont que deux
moyens d’aider la Pologne : le blocus économique de 1’Alle-
magne et une offensive à l’ouest.
(( Le blocus? I1 serait inefficace, car nous disposons à pré-

sent de toutes les ressources de l’Est. Une attaque frontale à


travers la ligne Maginot? J e la tiens également pour impos-
sible, à moins de violer la neutralité belge et hollandaise, ce
qui me paraît peu probable de la part des démocraties. Le
secteur qui va de Sarrebrück à Bâle est puissamment fortifié
e t ne pourrait être percé qu’au prix d’une hécatombe.
Encore faudrait-il que la France dispose de moyens techni-
ques qu’elle n’a pas. Elle ne saurait remporter que des
succès locaux, incapables de soulager la pression sur le front
oriental. Quant à l’Angleterre, elle ne peut plus rien pour
la Pologne. C’est pourquoi la guerre sera brève. Si le
général von Brauchitsch m’avait dit : N J’ai besoin de
quatre ans pour battre la Pologne »,j’aurais répondu :
(( C’est une autre affaire! ))

(( Les Puissances occidentales ont toujours caressé l’espoir

de nous voir aux prises avec les Russes, sitôt la Pologne


écrasée. Pour eux, cet espoir a disparu. Ils ont sous-estimé
ma capacité de décision, car un pacte de non-agression
germano-russe vient d’être conclu à Moscou. L’initiative est
venue du côté russe. J’ai toujours été convaincu que Staline
n’accepterait jamais les propositions britanniques. Quel inté-
rêt aurait-il au maintien de la Pologne? I1 sait fort bienque
cela signifierait la fin de son régime, que ses soldats
soient vainqueurs ou non. Le départ de Litvinov a
296 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

marqué le tournant décisif. A partir de ce moment, j’ai


révisé mon attitude à l’égard de l’U. R. S. S. A l’occasion
de pourparlers assez vagues autour d’un accord commercial,
nous en sommes venus à discuter politique. On a envisagé
un pacte de non-agression. Puis, la Russie a proposé un
règlement global. J’ai pris, il y a quatre jours, une déci-
sion capitale à laquelle la Russie a répondu hier, en disant
qu’elle était prête à conclure un accord. Le contact per-
sonnel est établi avec Staline. Ribbentrop est en route pour
signer le pacte. A présent, Varsovie est isolée. Tout risque
d’encerclement de l’Allemagne est écarté. J’ai amené la
Pologne où je voulais la mettre!
(( Le pacte de non-agression germano-russe fait tomber les

cartes des mains des Puissances occidentales, ce qui aura une


influence psychologique considérable sur leur comporte-
ment ultérieur. Pour l’Allemagne, le Traité ne signifie pas
seulement un accroissement énorme de son potentiel écono-
mique. I1 sonne le glas de l’hégémonie britannique. Main-
tenant que j’ai achevé ces préliminaires politiques, c’est
au tour des soldats d’aller de l’avant! n
Après une interruption d’une heure, pour permettre aux
généraux de déjeuner, Hitler reprend la parole à 15 heures.
I1 poursuit son exposé en ces termes :
- (( I1 est naturellement impossible de prédire avec cer-
titude quelle sera l’attitude de la France e t de l’Angleterre.
De notre côté, la situation exige une volonté d’acier. Plus
que jamais, les chefs doivent donner l’exemple. Le peuple
allemand est encore traumatisé par la défaite qu’il a subie
en 1918. I1 ne se retrempera que dans le feu d’une nouvelle
guerre. Ce ne sont pas les machines, mais les hommes qui
gagnent les batailles. C’est pourquoi les facteurs moraux
sont prépondérants. Pour arriver au résultat final, il nous
faut une force d’âme égale à celle dont a fait preuve Frédéric
le Grand. I1 nous a démontré qu’une telle attitude contenait
en elle-même la certitude de la victoire.
a La mission de la Wehrmacht consistera à anéantir
les forces armées polonaises, même si une guerre doit se
déclencher à l’ouest. I1 ne faut économiser ni les munitions,
ni le matériel. Les opérations doivent être menées avec une
rigueur implacable. I1 ne s’agit pas de savoir si nous avons
le droit pour nous mais de gagner la guerre, car on ne
demande jamais de comptes aux vainqueurs. I1 s’agit d’as-
LA CRISE GERMANO-POLONAISE 297
surer l’avenir de quatre-vingts millions d’Allemands, qui ne
peuvent plus vivre dans l’espace trop étroit oii ils sont
confinés aujourd’hui.
(( Le succès dépend avant tout de la rapidité des opéra-

tions. Nos armées doivent agir d’une façon fulgurante. Elles


doivent s’enfoncer comme deux coins dans le territoire
polonais e t progresser sans désemparer jusqu’à la Vistule e t
la Narew. Le commandement doit s’adapter aux situations
imprévues, écraser immédiatement toute tentative de regrou-
pement des forces adverses e t pilonner l’ennemi sous les
coups de notre aviation. Notre supériorité technique doit
briser les reins des Polonais, e t leur prouver que toute résis-
tance est inutile l.
(( J’ai une confiance absolue dans le courage et les capacités

du soldat allemand. J’ai également la certitude que la


Wehrmacht sera à la hauteur de sa tâche et saura surmonter
victorieusement toutes les épreuves! ))
Lorsque Hitler se tait, les généraux se disent que le
Führer est résolu à régler le différend germano-polonais
d’une manière ou d’une autre, dans les délais les plus brefs.
Pourtant, malgré le ton belliqueux de son allocution, la plu-
part d’entre eux considèrent qu’une solution pacifique est
encore parfaitement possible 2. La plus grande surprise de
la journée a été l’annonce de la conclusion du pacte ger-
mano-soviétique, qui modifie de fond en comble toutes les
données du problème. Comment la France e t l’Angleterre
feront-elles pour secourir leur alliée ? Encerclée sur toutes
ses frontières, la Pologne se trouve à présent dans une
situation désespérée. Ce fait est trop évident pour avoir
échappé au Gouvernement de Varsovie. Comment croire,
dans ces conditions, que le colonel Beck sera assez fou pour

1. En parlant ainsi, Hitler applique le principe qu’il a souvent répété à Rib-


bentrop : a Quand on s’adresse à des militaires, il faut toujours leur parler comme
si la guerre devait se déclencher le lendemain matin. D (Ci. Annelies von RIBBEN-
T R O P , Verschwdrung gegen den Frieden, p. 424.)
2. Erich von MANSTEIN, Verlorene Siege, p. 19-20. Halder déclarera de son côté :
I Nous avions déjà entendu si souvent Hitler employer ce langage, dans ses dis-
cou= au Sportpalast ou ailleurs, que nous ne primes pas ses déclarations entib-
rement au sérieux. Nous pensâmes qu’il s’agissait, une fois de plus, d’un épisode
de la guerre des nerfs. Même Si nous devions en venir à un c o d i t armé, nous
crûmes que celui-ci prendrait la tournure d’une guerre des fleurs (Blumenkrieg). m
On avait pris l’habitude de désigner sous ce nom, les opérations effectuées lors
de l’Anschluss de l’Autriche ou du rattachement des Sudètes, où les populations
avaient accueilli les soldats allemands avec des brassées de fleurs.
298 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

mener son pays à l’abîme, en refusant d’accepter la moindre


transaction?
L’amiral Ræder, pour sa part, n’est pas convaincu
que Beck s’inclinera. I1 se demande, dans ces conditions, si
Hitler juge correctement la situation et s’il ne sous-estime
pas la détermination des Anglais. Est-il absolument certain
que Londres ne réagira pas si une guerre se déclenche entre
le Reich et la Pologne? Après s’être concerté avec l’amiral
Schniewind, il se rend auprès du Führer pour lui faire
part de ses appréhensions l.
Mais après avoir brandi ses foudres, Hitler tient à terminer
la journée sur une note plus conciliante.
- (( Rassurez-vous I), ditAl au chef de la Kriegsmarine,
( ( j e surmonterai toutes ces dificultés sans guerre, pa: la
seule voie diplomatique. Pour l’instant, les négociations
continuent. J e vous donnerai, en temps opportun, mes ins-
tructions définitives. ))
1. Erich REDER,Mein Leben, II, p. 166 e t S.
QUATRIÈME PARTIE

..
LA PAIX SE MEURT. LA PAIX
EST MORTE
xx

LES REACTIONS DANS LE MONDE


1. -Dans le camp de l’Axe.

(( Jamais changement politique ne fut plus soudain, ni

plus extraordinaire que celui opéré à Tilsit par Napoléon


et Alexandre Ier D, écrit Thiers1. On pourrait en dire
autant du Pacte germano-soviétique. De tous les événements
-
survenus depuis 1933 la remilitarisation de la rive gauche
du Rhin, l’Anschluss, l’incorporation des Sudètes et l’occupa-
tion de Prague - c’est celui qui cause la sensation la plus
forte par le secret dont il a été entouré et sa rapidité d’exé-
cution. I1 ne fait pas seulement basculer le rapport des forces
politiques et militaires : il plonge les esprits dans le désarroi
le plus profond.
Hitler le sent si bien qu’à peine paru le communiqué
du D. N. B. annonçant la signature de l’Accord, il fait venir
M. Dietrich, le directeur des services de presse du Reich,
et lui demande :
- R Avez-vous reçu les dernières nouvelles de Londres
et de Paris sur les réactions produites par notre traité?
Que m’apportez-vous au sujet des crises ministérielles? 3)
Dietrich, qui ne sait que répondre, lui demande de quelles
crises il veut parler.
- (( Parbleu )I, répond Hitler, (( de la chute des ministères
britannique et français! Aucun gouvernement démocratique
ne peut survivre à une pareille défaite. Notre pacte avec
Moscou constitue un véritable camouflet pour Daladier et
Chamberlain 2! 1)
A Rome, la nouvelle a été accueillie avec beaucoup de
1. Adolphe THIERS,
Histoire du Conaulai et de l‘Empire.
2. Peter KLEIST,
Entre Hitler et Staline, p. 44.
302 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ ~ EALLEMANDE

satisfaction. Mussolini y voit un acte de réalisme auquel il


ne se serait pas attendu de la part d’Hitler, un équi-
valent du pacte qu’il a signé avec les Soviets le 2 sep-
tembre 19331, Ciano lui-même en est ébranlé. (( I1 n’y a
pas de doute n, écrit-il dans son Journal, ((les Allemands
ont réussi un coup de maître : la situation en Europe est
bouleversée. La France et l’Angleterre, qui ont fondé toute
leur politique contre l’Axe sur une alliance avec les
Soviets, pourront-elles maintenant compter sur l’appui
inconditionnel des masses extrémistes? Et le système de
l’encerclement de l’Allemagne au moyen des petits États,
tiendra-t-il encore, alors que le point d’appui moscovite
s’est écroulé a? n
M. von Mackensen, ambassadeur du Reich à Rome,
estime de son côté que, bien que la signature du Pacte
ait été prévue par certains, cette nouvelle a produit immé-
diatement l’impression que la situation s’était modifiée de
fond en comble. Cette action du Reich représente un succès
indéniable. La politique d’encerclement a fait faillite.
La Grande-Bretagne et la France ont reçu un coup fatal et
la politique de l’Axe en sort renforcée. Maintenant, les Polo-
nais n’ont plus rien d’autre à faire qu’à négocier avec le
Reich. Mais même en supposant qu’ils en aient encore le
temps, la plupart des gens, ici, pensent qu’ils ne le veulent
d’aucune façon ».
Comme chaque pas en avant accompli par Hitler incite
Mussolini à suivre son exemple, celui-ci s’apprête à saisir
sa part de butin en Croatie et en Dalmatie. (( Le Duce
a déjà constitué à cet effet une armée commandée par
Graziani », écrit Ciano avec une joie non dissimulée.
a Quant à moi, j’ai alerté nos amis croates, en Italie et
sur place 4. n
La même satisfaction se manifeste en Slovaquie6, en

1. Lorsque Mussolini avait signé cet accord, Hitler l’avait considéré comme
un traître envers le fascisme I). C‘est au moins une critique que le Filhrer ne
formulera plus.
2. Comte Galeazao CIANO,Jownal politique, I, p. 134.
3. Akfen zur Deutschen Awnvdrfigen Politik, VII. Rapport de M . ton Mackemen
d M. w n Ribbentrop, 23 août 1939.
4 . Ciano, J O W I poliïique,
~ I, p. 135.
5. Après, il est vrai, un premier moment d’inquiétude. Le Gouvernement de
Bratislava a craint tout d’abord que la Slovaquie n’ait servi de monnaie d’échange
entre Berlin et Moscou. I1 a fallu que la Wilhelmstrasse lui donne, à ce sujet,
loi assuiances les plus formeiies.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 303
Hongrie et en Bulgarie, où le président du Conseil déclare
au ministre du Reich à Sofia :
-((Tout le monde ici a accueilli le Pacte avec joie et
soulagement. Sa conclusion est un coup de maître de la
part du Führer D

Cependant, tous les pays ne partagent pas cet optimisme.


Le ministre des Affaires étrangères de Finlande fait part
de ses appréhensions à M. von Blücher, ministre du Reich à
Helsinki :
- n: J’admets que le risque de guerre ait diminué pour le
moment )), lui dit-il, a mais je crains que l’Allemagne ne
laisse à la Russie les mains libres dans la Baltique ou que,
même sans cela, l’Union Soviétique ne se tourne plus tard
contre ses plus proches voisins parmi les Etats Baltes, sous
le couvert du Pacte de non-agression 2. n
Quant aux Ruthènes de l’Ukraine subcarpathique, l’an-
nonce de la signature du Pacte les plonge dans un déses-
poir sans nom. Leur grand rêve d’une Ukraine libre ne
pouvait se réaliser qu’à la faveur de la croisade antibol-
chévique prêchée par Berlin. Or, non seulement le Reich
les a livrés aux Hongrois, au lendemain de l’occupation
de Prague a, mais l’accord entre Berlin et Moscou détruit
leurs dernières espérances. La rapidité avec laquelle le
Pacte a été conclu leur donne à penser qu’il y a une com-
plète identité de vues entre les deux pays totalitaires.
Jamais ils ne se sont sentis plus écrasés. Le 16 mars, ils ont
eu l’impression de descendre au tombeau. A présent, la
pierre tombale s’est refermée sur eux.

+ i

Les conséquences du Pacte ne se limitent d’ailleurs pas à


l’Europe. C’est à l’autre bout du monde, c’est-à-dire au
Japon, que les réactions sont peut-être les plus vives, car

1. Akten IUT Deutschen Auswdrtigen Politik, &pêche du ministre d’Allemagne d


Sofia, 26 août 1939, 17 h. 30.
2. Akten zur Deutschen Auswdrtigen Politik, VII. Ddpêche de M. yon B l a h ,
ministre d‘Allemagne d Helsinki, 25 août 1939, 19 h. 35.
3. Voir plus haut, p. 73-74.
304 HISTOIRE DE L’ARM6E A t L E M A N b E

à l’effet de surprise viennent s’ajouter des sentiments db


colère et de frustration.
Le géfiéral Oshima est profondément ulcéré. Dans la
correspondance secrète que l’ambassadeur du Japon à
Berlin avait échangée avec Ribbentrop en 1936, lors dé la
signature du Pacte anti-Komintern 1, il avait été convenu
(( que ie Japon et l’Allemagne concerteraient leur politique

envers l’Union Soviétique et n’entreprendraient aucune


action en Europe sans s’être consultés a H. Si Ribbentrop a
cru devoie plotester lorsque le Japon a signé l’Accord
Craigie-Arita et lorsque le baron Hirahuma a proposé
(( d’assumer le rôle de médiateur entre les dictatures et

les démocraties3 H, que dire de la conclusion du Pacte


germano-soviétique! Oshima n’a même pas été informé de
l’ouverture des négociations - fût-ce d’une manière confi-
dentielle - et c’est par ud simple coup de téléphone de
M.von Weizsacker qu’il a été placé devant le fait accompli4.
Cette façon délibérée de le tenir à l’écart n’est pas seulement
pour lui une humiliation cuisante; elle le met dans une
posture délicate à l’égard de son gouvernement et il n’est
nullement étonné lorsque le correspondant berlinois de
l’agence américaine United Press vient lui demander,
d’un air narquois, s’il n’a pas l’intention de démission-
ner s.
Si Oshima est déçu, à Tokyo l’opinion publique est
exaspérée. Certains journalistes japonais accrédités à Ber-
lin, notamment le représentant de l’Agence Domei et
les correspondants des journaux Asahi Shimbun et Nishi-
Nishi, avaient bien fait courir le bruit n que certaines trac-
tations secrètes ayant pour but un partage de la Pologne
étaient en cours entre Mosaou et Berlin H. Mais les autorités
officielles avaient déclaré ces rumeurs dénuées de tout
fondement. Interpellé à ce sujet au Padement nippon, le
baron Hiranuma avait répondu sans hésiter :
- (( Ces allégatioiis infâmes sont une calomnie envers
nos partenaires allemands. Si des négociations de ce genre
avaient lieu, broyez bien que j’en serais le premier informé! 1)
1. Voir vol. IV, p. 77-78.
2. Voir plus haut, p. 246.
3. Voir plus haut. P. 260.
4. Voir plus haut, p. 276.
5 . Archives secrètes de la WiWielmira8se, VII, no 178 (Rnpporfdu princed’Uraeh3
chef de la seciwn V I I I du Dipartemeni d’lnforinatwn et de Presse).
L A PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 305
Or, quarante-huit heures à peine se sont écoulées,que la
nouvelle de la signature du Pacte éclate comme une bombe.
Quelle situation affreuse! E t cela au moment même où les
forces japonaises sont aux prises avec l’Armée Rouge aux
confins de la Mandchourie! Le général Ott, ambassadeur du
Reich à Tokyo, est convoqué au ministère des Affaires étran-
gères, où on lui demande des explications. I1 se défend de son
mieux en déclarant que (( l’action de l’Allemagne ne pouvait
réussir qu’en restant absolument secrète »,et que (( les conti-
nuelles indiscrétions japonaises de ces derniers mois ne
garantissaient pas que le secret serait gardé 1 ».Cet argument
ne convainc nullement les dirigeants nippons. Leur colère
est si vive que le général Ott se sent tenu d’en avertir Berlin :

u Certains milieux d u ministère des Aflaires étrangères et


ceux de l’Armée »,câble-t-il à M. von Weizsacker, u tout en
reconnaissant la nécessité et l’efficacité de la mesure prise par
l‘Allemagne, expriment des craintes sérieuses sur la possibilité
d‘une pression russe accrue e n Extrême-Orient et ils espèrent
que l‘Allemagne a tenu compte de ce danger 2. n
u Tous les milieux, surtout ceux de l’Armée, expriment leur
contrariété e n constatant que le Japon, partenaire d u Pacte
anti-Komintern, a été placé devant le fait accompli 8. n
M. Attolico, ambassadeur d’Italie à Berlin, communique
de son côté à M.Wœrmann, directeur des Affaires politiques
à la Wilhelmstrasse, le rapport que l’attaché militaire italien
à Tokyo a fait parvenir au palais Chigi :

i( Au ministère japonais de la Guerre ») écrit-il, a on m’a


déclaré que la conclusion d u Pacte germano-soviétique a soulevé
une irritation extraordinaire contre l’Allemagne et que ce traité
constitue une violation d u Pacte anti-Komintern. O n trouve
particulièrement répréhensible le fait qu’au Japon, personne

1. Akten zur Deutschen Auswdrtigen Politik. Télégramme du géntal Ott, no 358,


24 août 1939, 23 heures.
2. Dès le 5 juin, M. von der Schulenburg, ambassadeur du Reich à Moscou, a
fait savoir à Berlin que a le Japon voyait d’un mauvais ceil tout rapprochement
entre Berlin et Moscou, car moins la pression allemande s’exercerait sur ses fron-
tières orientales, plus le poids de l’Union Soviétique se ferait sentir dans l’Est asia-
tique i.(Akten ZIU Deutschen A w d r t i g e n Poiitik, VI, p. 534.) En réalité, l’Alle-
magne craint d‘être encerclée par la France, l’Angleterre et 1’U. R. S. S. ;
1’U. R. S. S. craint d’être encerclée par l’Allemagne et le Japon; le Japon craint
d’étre encerc\é par 1’U. R. S. S., l’Angleterre et les États-Unis.
3. Id., ibià.
91 20
306 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

n’en a été avisé auparavant. Voici quelles semblent devoir en


être les conséquences probables :
(( 1. Chute d u Gouvernement japonais et remplacement du
Cabinet Hiranuma par un Cabinet probritannique;
(( 2. Changement d‘orientation en politique étrangère;

(( 3. Rappel de l‘ambassadeur d u Japon à Berlin et, proba-

blement, de l‘ambassadeur d u Japon à Rome;


(( 4. Débarquement de troupes fraîches a u Shantoung, afin
d‘être en mesure de parer à une menace soviétique accrue sur la
frontière mandchoue 1. n
Le lendemain, M.Arita, ministre nippon des Affaires étran-
gères, câble les instructions suivantes à M. Oshima :

Q Veuillez notifier ce qui suit a u Gouvernement allemand :


u 1. selon l’interprétation d u Gouvernement japonais, la conclu-
sion d u Pacte de non-agression a mis un terme définitif
au21 négociations antérieures entre le Japon et l‘Alle-
magne a u sujet de l‘alliance tripartite avec l‘Italie 2;
(( 2. le Gouvernement japonais considère qu’en concluant un
Pacts de non-agression avec la Russie, l’Allemagne a violé
les dispositions secrètes d u Pacte anti- Komintern. Il élève,
en conséquence, une protestation solennelle auprès d u Gou-
vernement allemand 8. n

Mais lorsque M. Oshima vient apporter cette protestation


à M. von Weizsiicker, celui-ci lui ménage un accueil glacial.
- u Dans les périodes graves de l’existence des nations »,
lui dit-il, u ce ne sont pas les arguties juridiques qui
comptent, mais les réalités. Si, à un moment comme
celui-ci, le Gouvernement japonais trouve opportun de se
livrer à notre égard à de telles récriminations et, en outre,
de nous les présenter par écrit sous forme de u protesta-
tion solennelle »,je puis vous assurer ceci : que votre
gouvernement recevra une réponse cinglante, qui ne sera
sûrement pas faite pour améliorer les relations entre 1’Alle-
1 . Akten zw Deutschen Auswdrtigen Politik, VII. Note de M.Wœrmann, 24 août
1939.
2. Le Ja on à vrai dire, n’avait jamais témoigné beaucoup d’empressement à
y adhérer. [Voir plus haut, p. 119, note 3.) Mais Ribbentrop n’en avait pas moina
poursuivi ses consultations, afin de transformer le Pacte d’Acier en une alliance
germano-italo-nippone.
3. Akten zw Deutschen Auswdrtigen Poütik, VIL Téiégramme du général Ott
à la Willielmstroase, no 3631, 25 août 1939, 8 h. 40.
LA PAIX S E MEURT... L A PAIX EST MORTE 307
magne et le Japon... Reprenez donc votre note et donnez-
vous vingt-quatre heures de réflexion, pour voir comment
vous pourrez éviter d’exécuter les instructions de votre
Gouvernement, celles-ci sont peut-être dictées par des consi-
dérations de politique intérieure, mais elles ne cadrent nul-
lement avec les intérêts bien compris de nos deux pays 1. ))
Cette démarche d’Oshima ne sufiira d’ailleurs pas à sauver
le Cabinet nippon, car il lui est arrivé ce qu’il y a de pire
en Asie: il a perdu la face. Le 28 août, le baron Hiranuma
est contraint de démissionner 2. Le bruit court que 1’Em-
pereur songe àle remplacer par un Cabinet probritannique,
présidé par M. Momoru Shigemitzu, ambassadeur du Japon
à Londres. On pense qu’un des premiers actes de ce dernier
sera de dénoncer le Pacte anti-Komintern et de donner un
cours nouveau à la politique étrangère japonaise.
Alors, l’Armée s’émeut. Elle n’entend pas que la crise
se solde par un retour du libéralisme, qui porterait atteinte
à ses prérogatives. Devant cette perspective peu ras-
surante, elle retrouve son unanimité. Tenants du Tosei-ha
(qui détiennent tous les leviers de commande depuis
le putsch manqué de février 1936 et qui préconisent le
(( coup d’épée vers le sud c’est-à-dire en direction des pos-
sessions anglaises et hollandaises) et tenants du Kodo-ha
(hostiles à 1’U. R. S. S., qui préconisent le (( coup d’épée vers
le nord »,c’est-à-dire en direction de la Mongolie et du Sin-
Kiang 4, s’accordent pour reconnaître qu’ils ne sauraient
s’accommoder, ni les uns ni les autres, d’une dénonciation
du Pacte anti-Komintern ou de la constitution d’un Cabinet
probritannique. Sentant que les éléments anglophiles
gagnent du terrain, le ministère de la Guerre publie, le
26 août, une déclaration dans laquelle il exprime (( la
déception causée au peuple japonais par le rapprochement
germano-russe »,mais souligne a la détermination du Japon
de maintenir son opposition au Komintern et de poursuivre
sa politique en Chine, sans tenir compte des modifications
survenues dans la situation en Europe ».
1. Archives secretes de la Willaelmstrasse, 1‘11, no 284.
2. Selon la tradition japonaise, il montre par 18 < qu’il assume la responsabilité
de la situation à l’égard de l’Empereur B.
3. Voir vol. IV, chap. V, notamment p. 63-71.
4. Sur l’opposition entre les tenants du KO&-ha et du Tosei-ha, voir vol. IV,
carte p. 59.
5. Akten xur Deutschen Auswdrtigen Politik. Télégrnrnrne du gh4ral Ott à la
Wilhelmstrasse, no 371, 28 août 1939, 5 heures.
308 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

Le prince Konoye 1 conseille alors à l’Empereur de ne pas


aggraver la crise en recourant à M. Shigemitzu, mais d’y
mettre un terme en confiant le pouvoir au général Abea.
L’Empereur se range b l’avis du prince Konoye. Quatre
jours plus tard (30 août), le nouveau Cabinet est constitué 3.
Le général Ott se félicite du résultat, car l’alerte a été
chaude. I1 câble à la Wilhelmstrasse :

Il résulte jusqu’à présent de la ferme attitude de I‘Armée, que


le Pacte anti-Komintern n’a pas été dénoncé et que la formation
d’un Cabinet probritannique, qui paraissait probable, a été
évitée. Pourtant, la confiance en l’Allemagne d’une grande partie
de la population japonaise a été fortement ébranlée. C‘est pour-
quoi je .serais heureux que nous manifestions par un geste
notre appréciation de la manière dont l‘Armée s’est obstinément
maintenue dans la ligne de l‘Allemagne 4. n

Une fois de plus, les militaires l’ont emporté. Mais la


blessure infligée à l’amour-propre nippon sera plus longue à
se cicatriser. (c Puisque l’Allemagne ne veut en faire qu’à
sa tête n, se dit-on à Tokyo, a nous n’avons qu’à l’imiter.
E t si nous devons un jour être entraînés dans une guerre,
que ce soit au moins la nôtre. n
Malgré les efiorts d’Oshima et les déclarations officielles
d u nouveau gouvernement, l’amitié germano-nippone ne
sera plus jamais ce qu’elle était avant la signature du
Pacte.
1. Celui-ci a été Premier Ministre de juin 1937 à janvier 1939; il a occupé le poste
de ministre sans portefeuille d h s le Cabinet Hiranuma, de janvier à août 1939.
2. 1.0 général Abe est le beau-frère du marquis Kido, ancien ministre de I’Inté-
rieur et confident très intime du prince Konoyc. C’est aussi un ami du général
Oshima, aux côtés duquel il a servi à l’État-Major. 11 a été détaché longtemps en
Allemagne, comme capitaine, auprès d’un régiment d’artillerie à Thorn, et a
également occupé les fonctions d‘attaché militaire à Derlin.
3. Le général Abe y cumule les fonctions de Premier Ministre et de ministre
des AiTaires étrangéres. Le général Hata, ancien commandant en chef de l’Armée
de Chine centrale, se voit attribuer le portefeuille de la Guerre, le vice-amiral Godo
celui de 1’8conomie et de l’Agriculture. L’amiral Nagaï - membre de l’exécutif du
Parti Minseito, qui a préconisé à diverses reprises une alliance avec les Puissances
de l’Axe - devient ministre des Transports et des Chemins de fer. M. Kawarada,
qui reçoit le poste de ministre de l’cducation, est un ami intime du prince Kctcoye.
M. Endo, nouveau secrétaire du Cabinet, est un supporter de l’Armée.
Le Cabinet comprend également les généraux Mogaï et Tada, qui ont commandé
jusque-là les armées du Kouantoung. En revanche, l’amiral Yamamoto, hostile
à tout resserrement des liens avec l’Allemagne, s’en trouve écarté. II recevra un
commandement au front.
4. Akten M Deutschen Auavârtigen Politik, VII. TéUgramme du gén6rd Ott d
la W iihelmtrosae, no 371, 28 aoGt 1939, 5 heures.
XXI

LES REACTIONS DANS LE MONDE

II. -Dans le camp des démocraties.

Jusqu’au 16 août 1939, Chamberlain, toujours optimiste,


n’a pas voulu croire que la querelle polono-allemande dégé-
néroait en conflit armé. I1 est parti prendre des vacances
en Ecosse; après avoir assuré à ses amis qu’ils pouvaient
suivre son exemple. Quatre jours plus tard, l’annonce du
voyage de Ribbentrop à Moscou l’a obligé à revenir préci-
pitamment à Londres 1. Lorsqu’il apprend que 1’U. R. S. S.
a signé un Pacte de non-agression avec le Reich, il se borne
à remarquer :
- (( Voilà une bien mauvaise nouvelle 2! n
Sitôt rentré à Downing Street, il convoque ses ministres 8 .
La plupart d’entre eux ont un visage morose, mais aucun
ne songe à démissionner. Si Hitler a cru que la signature
du Pacte provoquerait une crise ministérielle en Angleterre,
il s’est trompé. Tout incite, au contraire, les collaborateurs
de Chamberlain à serrer les rangs autour du Premier
Ministre.
La question qui se pose à eux est naturellement la sui-
vante : faut-il rompre avec la politique poursuivie par
Lord Halifax et dénoncer la garantie donnée à la Pologne?

1. Keith FEILINC, The Life of Netille Chamberlain, p. 414.


2 . a This is unpleasant newsla En s‘exprimant ainsi, Chamberlain fait preuve
d’un sens de l’understatement presquP excessif, même pour un Anglais. Churchill,
quant à lui, s’écrie : 8 Ce message de malheur a explosé comme une bombe sur
l’univers entier ! D
3. M. Hore-Belisha, ministre de la Défense, qui se trouve B Paris, a été rappelé
d‘urgence à Londres.
310 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

Tous estiment que c’est impossible. Ils pensent au fond


d’eux-mêmes ce que Henderson dira quelques jours plus
tard a u secrétaire d‘Etat Meissner :
- c Aucun chien dans le monde n’accepterait plus un os de
nous, si nous manquions à notre parole. Le Commonwealth
ne se maintient que par le respect réciproque. C’est pour-
quoi nous sommes obligés de combattre, même si cela nous
déplaît. 1)
Comment Hitler ne le comprend-il pas? Parce qu’il rai-
sonne suivant une ligne tout à fait différente. I1 ne voit
dans le monde que des rapports de force. I1 sait que l’Angle-
terre ne peut rien pour la Pologne. Sa position géographique
l’en empêche; l’insuffisance de ses armements le lui interdit.
La Pologne sera morte avant qu’elle n’ait bougé. I1 lui paraît
donc invraisemblable que l’Angleterre mette son existence
en péril et expose son Empire tout entier à la, dislocation,
à seule fin de contrecarrer le retour de Dantzig au Reichl.
Aussi est-il convaincu que l’attitude britannique n’est que
du bluff et que le Gouvernement de Sa Majesté tirera son
épingle du jeu à la dernière minute.
I1 sait pourtant qu’il ne s’agit plus de Dantzig -ne l’a-t-il
pas déclaré lui-même à ses généraux 2? -
mais de quelque
chose de beaucoup plus vaste : la position future de 1’Alle-
magne dans le monde. Mais il refuse d’admettre que ses
adversaires s’en aperçoivent eux aussi. De plus, il ne se
rend nullement compte à quel point ses menaces réitérées
et sa façon de transformer la moindre discussion en épreuve
de force ont fini par exaspérer ses interlocuteurs 3. Il
aurait tout à gagner à agir autrement. Mais le lui conseiller
est impossible : cela reviendrait à lui demander de n’être
pas qui il est.
D’une voix calme, mais grave, Chamberlain fait le point
de la situation. u Le Pacte anglo-polonais, déclare-t-il, a été
conclu indépendamment de tout accord avec Moscou. La
défection de 1’U. R. S.S. ne saurait être un motif valable pour
1. Beck n’a-t-il pas déclaré lui-même à Gatenco : e Dantzig est plus national-
socialiste que toute l’Allemagne D ? (Derniers Jours de I’Europe, p. 50.)
2. Voir plus haut, p. 193.
3. a II ne s’agit pas tant du principe que constitue le problème de Dantzig et
du Corridor, que de la méthode employée par l’Allemagne pour le résoudre D,
déclarera Pierre-Êtienne Flandin à un membre de l’Ambassade d’Allemagne à
Paris. II Si le Chancelier réussissait à convaincre les nations intéressées que leura
droits et leurs intérêts vitaux ne seront pas menacés, la paix pourrait encore être
sauvée à la onzième heure. D (Archiva secrètes de la Wilhelmstrusse, VU, p. 213.)
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 311
le dénoncer. Ne pas tenir nos promesses d’assistance faites
& la Pologne serait perdre la face et s’avouer vaincu d’avance.
Une telle attitude serait plus dommageable au prestige bri-
tannique que les aléas d’une guerre qui - d’ailleurs -
n’est pas encore déclarée. I1 y a fort à parier qu’Hitler
reculera devant un veto franco-anglais clairement exprimé.
Lui non plus n’a pas intérêt à jeter dans la balance l’exis-
tence même du Reich pour un enjeu secondaire. 1) Les arme-
ments anglais sont certes insuffisants. La R. A. F. a fait
de grands progrès depuis quelques mois, mais elle manque
encore de personnel qualifié. La mise sur pied d’une armée
de terre ne démarre que lentement. Mais il y a l’Armée
française, dont le général Gamelin ne cesse d’assurer qu’elle
est prête à faire face à toutes ses obligations. Par ailleurs, le
Premier Ministre ne cache pas qu’il n’a jamais fait grand
cas de l’Armée Rouge, dont la puissance offensive est loin
de correspondre à ce que prétendent les dirigeants du
Kremlin. Qu’elle se retire de l’affaire ne l’amige pas outre
mesure.
En revanche, la situation intérieure anglaise le préoccupe
gravement. Lorsque, au début du mois, les députés aux
Communes se sont séparés pour une période de quatre
semaines, ils n’y ont consenti qu’après un débat pénible.
Churchill, Amery et Sinclair, le chef dv Parti libéral, ont
soutenu un amendement travailliste, demandant que les
vacances de l’Assemblée soient réduites à trois semaines.
C’était dire que les actes du Premier Ministre avaient besoin
d’être contrôlés. a Si nous avions été au pouvoir depuis
1938 », a déclaré Sinclair, (( il n’y aurait pas eu Munich,
et nous aurions l’alliance russe! )) Churchill l’a bruyamment
approuvé, ce qui a obligé Chamberlain à poser la question
de confiance. Mais au moment du vote, il a été lâché par
une partie de ses troupes - qui jugent sa politique trop
timorée à l’égard de l’Allemagne - et n’a recueilli que
118 voix 1, alors qu’il en avait obtenu 369 au lendemain
de Munich 2. Ce rétrécissement de sa majorité lui a permis
de mesurer la fragilité de son pouvoir. Encore quelques défec-
tions de ce genre et il sera renversé ...
Chamberlain ne peut donc faire autrement que de durcir

1. Keith FEILING, Op. cit., p. 411.


2. Voir plus haut, p. 16.
312 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

sa position. Que de fois ne lui a-t-on pas assuré, depuis


octobre 1938 : ( ( E n vous rendant à Berchtesgaden, vous
avez fait tomber les armes des mains de ceux qui s’apprê-
taient à renverser Hitler. Quarante-huit heures plus tard,
c’eût été chose faite. Vous avez tout gâché par votre préci-
pitation. )) Fondé ou non, le Premier Ministre ne tient pas à
s’exposer une deuxième fois à ce reproche. Quoi qu’on pense,
il n’y aura pas de Munich polonais ».La garantie anglaise
sera maintenue envers e t contre tout. Contrairement à ce
qui s’est passé pour Benès, aucune pression ne sera exercée
sur le colonel Beck pour l’amener à accepter les conditions
allemandes. Bien plus : Chamberlain a l’intention de convo-
quer le Parlement pour lui demander de voter 1’Emergency
Powers Bill, qui mettra en sommeil les lois existantes et
permettra à son gouvernement de prendre toutes les
mesures qu’exigent les circonstances ...
Les membres du Cabinet l’approuvent avec u n sentiment
de soulagement. Une crise gouvernementale survenant en
ce moment entraînerait une dissolution de l’Assemblée, sui-
vie d’élections générales, et il n’est pas certain qu’ils soient
réélus.
Le Premier Ministre partage leurs inquiétudes et c’est
pourquoi il se cramponne au pouvoir. Comme beaucoup de
politiciens vieillissants, il’identifie son maintien au gouver-
nement à l’accomplissement d‘un devoir, - u n devoir qu’il
pare des raisons les plus flatteuses. (( Quand je cesserai d’être
membre du Parlement »,écrit-il, (( ma carrière sera finie.
J e voudrais vivre assez longtemps pour voir aboutir ma
politique et je crois sincèrement que, si cela m’est permis,
je mènerai ce pays, au cours des prochaines années, hors de
la zone de guerre, vers la paix et la reconstruction. Mais une
interruption serait fatale, car elle m’obligerait de passer la
main à quelqu’un d’autre, qui suivrait une ligne très diffé-
rente de la mienne 1. N
...
Passer la main à quelqu’un d‘autre I1 est clair que ces
mots sont une allusion à Churchill, dont l’influence au sein
du Parlement ne cesse de grandir et qui hante ses nuits
comme la statue du Commandeur. Lui remettre le pouvoir
- ou l’appeler à collaborer avec lui - est une solution à
laquelle il ne se résignera qu’à la dernière extrémité, car il

Op. cit., p. 412.


1. Keith FEILINO,
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 313
est convaincu qu’avec Churchill la guerre sera inéluctable,
une guerre qu’il espère encore pouvoir éviter.
Le même soir, la presse annonce que le Premier Ministre
a convoqué le Parlement pour le 24 août. A 20 heures, le
speaker de la B. B. C. lit un communiqué du Gouvernement,
qui déclare : a Les minispes se sont réunis cet après-midi
en Conseil de Cabinet. Etant donné la situation nouvelle
créée par la signature du Pacte germano-russe, ils ont décidé
de demander aux Chambres de voter les pleins pouvoirs
qui leur permettront de prendre toutes les mesures politiques
et militaires qui s’imposent.
A cette nouvelle, les Trade-unions et le Parti Travail-
liste invitent leurs membres à manifester leur approbation.
Des cortéges se forment. Ils parcourent les rues de la capi-
tale en chantant le Rule Britannia et en brandissant des
pancartes où s’inscrit l’appel célèbre de Nelson à la veille
de Trafalgar : England expects every man to do his duty,
((

l’Angleterre attend de chaque homme qu’il fasse son devoir. B

+ *

Aux États-Unis, la surprise n’est pas moins grande que


dans les capitales européennes. L’opinion publique est tel-
lement décontenancée qu’elle ne sait quelle attitude prendre
à l’égard d’un événement dont la presse est unanime à
souligner l’importance mondiale 1. N D’une manière géné-
rale)), câble M. Thomsen, le chargé d’affaires allemand à
Washington 2, n: on sent que la position de l’Amérique s’est
profondément modifiée 3 . 1 )
La division des Américains en deux camps s’accentue.
D’un côté, les Isolationnistes intensifient leur propagande
pour persuader les Etats-Unis de se tenir plus que jamais

1. Influencé par les intellectuels de gauche, l’Américain moyen a vu, jus-


que-là, dans 1’U. R. S. S.,le champion de la paix et le défenseur des petits peuples
menacés par les agresseurs fascistes. E t voilà qu’il apprend que Staline, tendant la
main aux Nazis, vient de s’allier aux pires ennemis du communisme pour adopter,
lui aussi, une politique impérialiste! Sa déconvenue est totale. a Jamais les choses
ne se seraient passées ainsi D, se dit-il, a si Litvinov était resté en place. a
2. Celui-ci a remplacé l’ambassadeur Diekhoff, rappelé à Berlin en décembre
1938. (Voir plus haut, p. 42.1
3. Archives secrétes de la Wiüielrnstrasse, VIII, no 194. Le rapport de M. Thom-
sen commence par ces mots : # Le texte exact du Pacte de non-agression germano-
russe a détruit ici les derniers espoirs de voir la Russie hésiter, le cas échéant, A
rejoindre complbtement le camp des Puissances de l’Axe... D
314 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

en dehors d’un conflit européen. Le sénateur Vandenberg


(leader de l’opposition, qui redoute que Roosevelt ne profite
des circonstances a pour se livrer à un de ces actes de provo-
cation dont il est coutumier ))) demande au Congrès de se
réunir d‘urgence, pour renforcer le contrôle du Parlement
sur les décisions autocratiques du Président * n. De l’autre,
les Interventionnistes -
parmi lesquels se recrutent la plu-
part des conseillers de Roosevelt - font valoir que, depuis
la défection de la Russie, le risque a considérablement grandi
de voir la France et l’Angleterre subir une défaite qui modi-
fierait de fond en comble l’équilibre des forces dans le monde
et compromettrait même l’existence des Etats-Unis. a Le
Président Roosevelt »,poursuit M. Thomsen, (( qui défend
ce point de vue avec l’autorité incontestée dont il dispose,
est résolu, pour sa part, à soutenir les démocraties avec
toute la puissance morale et matérielle du continent 4. ))
Dans l’espoir d’enfoncer un coin entre les Puissances de
l’Axe, Roosevelt adresse le message suivant au roi d’Italie :
Washington, 23 août 1939.
Une fois de plus, une crise dans les affaires mondiales met en
relief la responsabilité qui incombe aux chefs des nations dans
le sort de leurs propres peuples et, en fait, dans celui de 1‘Huma-
nité entière.
C e s t en raison de l’entente traditionnelle entre l’Italie et les
États-Unis et des liens de consanguinité qui lient votre peuple
à des millionsde mes concitoyens, que j’estime pouvoir m’adrssser
à Votre Majesté dans l’intérêt du maintien de Ea paix mondiale.
C‘est mon sentiment et celui du peuple américain, que Votre
Majesté et le Gouvernement de Votre Majesté peuvent exercer
une grande influence pour empêcher la guerre d‘éclater.
Toutes les nations, qu’elles soient belligérantes ou neutres,
1. Dhelaration du sénateur Vandenberg au gkJral Pershing.
2. En somme, l’attitude du Congrès américain est l’inverse de celle du Parle-
ment anglais. Le premier veut sc &unir pour tenir Roosevelt en lisière; le second,
pour pousser Chamberlain en avant.
3. Notamment Harold Ikes, ministre de I’Intkrieur; Henry Morgenthau,
ministre du Trésor; William Bullitt, Harry Hopkins, Fiorello La Guardia, m a r e
de New York et Felix Frankfurter.
4. Face au volume considérable de matières stratégiques que 1’U. R. S. S.
fournira désormais au Reich, en application de l’accord commercial du 19 aoQt
1939, Roosevelt semble vouloir rétablir l’équilibre en fournissant le maximum
d’armes et de matières premiéres américaines aux gouvernements de Londres et
de Paris.
5 . Peace and War,no 136; Livre bleu anglais, I, no 122, p. 169-170. Tansill,
pour sa pari, trouve que ce message n’a pas grand sens - a &ea not make much
sense 8 . (Backdoor to War,p. 542.)
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 315
victorieuses ou vaincues, souffriraient d’une guerre générale, et
celle-ci ferait certainement des ravages parmi les peuples -
peut-être même parmi les gouvernements - de quelques-uns
des pays les plus directement intéressés.
Ce serait avec u n chagrin réel que les amis du peuple italien,
a u premier rang desquels figure le peuple américain, verraient
détruire la grande euore que les nations européennes, et enparti-
culier la nation italienne, ont édifiée a u cours d’une génération.
Nous autres, e n Amérique, qui avons réussi à amalgamer de
nombreuses nationalités pour en faire une nation homogène,
avons peine à comprendre les animosités qui si souvent ont
provoqué des crises parmi les nations d’Europe, infërieures à
la nôtre quant à la superficie et à la population. Mais nous
admettons comme un fait que ces nations ont le droit absolu
de maintenir leur indépendance nationale, si elles le désirent.
S i cette doctrine est juste, elle doit s’appliquer a u x nations les
plus faibles comme aux plus fortes. Son acceptation signifie la
paix, parce qu’elle met fin à la crainte de l’agression.
L’autre terme de l‘alternative, qui implique que le plus fort
cherche à imposer sa domination a u plus faible, ne conduira pas
seulement à la guerre, mais à de longues années d’oppression
de la part des vainqueurs et de rébellion de la part des vaincus.
Tel est l’enseignement de l‘Histoire.
L e 14 avril dernier, ?ai proposé une entente aux termes de
laquelle aucune force armée ne devrait attaquer ou envahir le
ierritoire d’une autre nation indépendante. Cela étant assuré,
?ai suggéré d‘entreprendre des conversations pour rechercher
un soulagement progressif a u fardeau des armements et ouvrir
les voies d u commerce international,. y compris les sources de
matières premières nécessaires à l’exzstence pacifique de chaque
Pay?
J a i déclaré que les États-Unis seraient heureux de prendre
part à ces conversations pacifiques qui donneraient toute possi-
bilité à des gouvernements autres que celui des États-Unis
d‘entamer la discussion des problèmes politiques et territoriaux
qui les intéressent directement.
S’il était possible a u Gouvernement de Votre Majesté de for-
muler des propositions tendant à une solution pacifique de 2a
crise actuelle, il serait assure de la profonde sympathie des États-
Unis.
Les gouvernements de l‘Italie et des États-Unis peuvent
servir aujourd‘hui la cause des idéaux du Christianisme qui
semblaient trop souvent obscurcis ces temps derniers.
Les voix d‘innombrables millions d’êtres humains, q u i ne
peuvent se faire entendre, demandent qu’on ne les sacrifie pas
de nouveau e n vain.
D. ROOSEVELT.
FRANKLIN
316 HISTOIRE DE L’ARYÉE ALLEMANDE

Puis, le Président demande au Congrès de se réunir en


session spéciale pour leverl’ embargo sur les armes prescrit par
la Loi de neutralité l. Comme le Congrès refuse de lui donner
satisfaction (car il craint que l’envoi d’armes à des belligé-
rants ne soit un premier pas vers une entrée en guerre),
Roosevelt se rabat sur un certain nombre d’autres mesures.
I1 fait recenser tous les avoirs allemands en Amérique, pour
pouvoir procéder rapidement à leur mise sous séquestre. I1
convie les éditorialistes des journaux démocrates à tout
mettre en œuvre pour persuader la population qu’une inter-
vention américaine est inévitable, en proclamant par antici-
pation la culpabilité de l’Allemagne. Enfin, il demande aux
agences de presse de donner la plus large publicité aux
grandes manœuvres qui se déroulent dans l’Arizona depuis
une quinzaine de jours.
Ces manœuvres, destinées à inspirer confiance aux démo-
craties et à faire peur aux dictatures, vont à l’encontre
du but poursuivi, car elles dévoilent la faiblesse surpre-
nante de l’appareil militaire américain :
u Les importantes manœuvres de l‘Armée américaine aux-
quelles j’ai assisté a u cours des deux dernières semaines et qui
m’ont donné u n aperçu d’ensemble »,écrit à ce sujet le général
Botticher, attaché militaire allemand, (( confirment mes pré-
cédents rapports selon lesquels, outre la pénurie de personnel
entraîné, l‘insufisance des stocks e n ce qui concerne le maté-
riel de guerre moderne, constitue une faiblesse notoire de l‘Ar-
mée américaine. Il ne faut pas s’attendre, s i une guerre éclate,
à ce que l’Amérique soit e n mesure d’envoyer avant u n a n des
unités sur un théâtre d’opérations extérieur. Il en est de même
pour l‘aviation.
u Pour pallier l‘insuffisance des préparatifs de guerre améri-
cains, le Président va essayer de créer les conditions psycholo-
giques requises pour pouvoir fournir à la Grande-Bretagne et
à la France des armes, des matières premières, du carburant et
des kquipements. Les messages que Roosevelt se propose d’adres-
ser à certains chefs &&at étrangers, et qu’il intitule (( Appels
pour le maintien de la paix mondiale n, sont manifestement
destinés à cacher sa propre faiblesse et, e n face d‘un sentiment
public qui n’est e n aucune façon unanimement anti-allemand,
à mettre L’Allemagne d a m son tort e n cas de conflit et à

I . La IV‘ Loi de neutralité, v o t h par le Congrès le 3 mars 1937, interdit tout


envoi d’armes à des nations bellighantes. Les livraisons doivent cesser le jour
où elles entrent en guerre. (Voir vol. V, p. 332.)
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 317
détruire l‘opinion, encore très répandue ici, .que l’Allemagne ne
revendique pas autre chose que son bon drort.
(( Ainsi doivent également être créées les conditions susceptibles

de briser l‘obstruction du Congrès et de l’amener à approuver


I?U levée de l‘embargo sur les armes, levée que la France et l‘An-
gleterre souhaitent ardemment. Celles-ci sont manifestement déCues
par le retard apporté à la livraison des armes qu’elles ont com-
mandées depuis longtemps et par le fait que la part de la pro-
duction aéronautique américaine destinée à l’exportation doit
être sévèrement contingentés, pour satisfaire les besoins du réar-
mement américain.
u Les attachés militaires des États de l‘Amérique centrale et de
l’Amérique latine ont éti frappés comme moi, a u cours de ces
manœuvres, par l’impréparation évidente de l’Armée américainel. n

Comme on le voit, le Président Roosevelt se trouve dans


une situation très inconfortable. Bridé dans ses initiatives par
l’hostilité du Congrès, paralysé par la faiblesse de l’Armée
américaine, obligé de réduire les livraisons d’armes aux
démocraties européennes pour satisfaire aux exigences de son
propre réarmement, il ne sait trop que faire pour dissimuler
son embarras 2. Certes, il peut flétrir, morigéner et menacer ;
mais il ne peut pas frapper. Surmontera-t-il un jour le
contraste qui existe entre son impuissance et les ressources
quasi illimitées de son pays? I1 ne le sait pas encore. E t
pourtant, il est bien décidé à avoir le dernier mot...
*
i i

Si Chamberlain conserve son sang-froid et si Roosevelt


est perplexe, il y a un homme en revanche quidevrait être
1. Rapport du géndrd BGtlicher, contresigné par M. Thornsen, 25 août 1939,
7 h. 45. (Archives secrètes de Ia Wilhelmslrasse, VII, no 215.)
2. Daladier a répété en 1946, devant la Commission d’enquête, les propos que
lui tenait Roosevelt en 1939 :
e Ne VOUS dissimulez pas que la majorité de l’opinion américaine est Isolation-
niste. Ne vous dissimulez pas non plus que le Sénat américain exigera, d‘abord,
l’embargo sur toutes les armes que vous avez commandées aux États-Unis. Mais
je ferai l’impossible pour surmonter ce courant.
u J e vous donnerai du matériel, mais vous savez quelle est notre situation.
Nous avons une petite armée, notre protection aérienne n’augmente qu’A cause
des commandes que vous nous avez passées; mais l’Amérique, lorsqu’elle est décidée
à faire un effort, est vraiment sans rivale dans le domaine de l’utilisation de l’outil-
lage e t de l’organisation du travail. D
Il ajoutait : * J e crois qu’il se fera, dans l’opinion américaine, un travail assez
profond pour que I’Isoktionnisme ne tarde pas trop A être en recul. Mais je ne veux
pas non plus vous dissimuler qu’une entrée en guerre des Américains n’est pas
possible avant la prochaine 6lection pdsidentielle, qui aura lieu en automne 1940. a
318 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

affolé : c’est le colonelBeck. Lui qui se trouve au centre du


cyclone et n’est séparé de l’Allemagne ni par une mer ni
par un océan, ne se rend-il pas compte que la signature du
Pacte germano-russe parachève son encerclement, que des
divisions allemandes toujours plus nombreuses se rap-
prochent de ses frontières et que 150.000 hommes sont mas-
sés en Prusse-Orientale, sous prétexte de commémorer le
vingt-cinquième anniversaire de la bataille de Tannen-
berg l?
Pas le moins du monde, Toujours impavide, il paraît
encore plus détendu que les jours précédents. a M. Beck
est très calme »,câble à Paris l’ambassadeur Léon Noël,
(( et ne semble nullement troublé par ce coup de théâtre.

I1 considère que, matériellement, il n’y a pas grand-chose


de changé. I1 observe qu’en posant, comme il l’a fait, la
question de la collaboration militaire, le Gouvernement
soviétique - qui connaissait d’avance la réaction de Var-
sovie - se préparait à en prendre prétexte pour. rompre,
après les avoir traînées en longueur, ses négociations avec
la France a. 1)
Beck estime, en effet, comme le Maréchal Rydz-Smigly,
que l’Armée polonaise est parfaitement en mesure de tenir
tête victorieusement aux divisions allemandes, .que la sou-
plesse de sa cavalerie l’emportera sur la rigidité mécani-
que de la Wehrmacht e t qu’en quelques jours elle aura
occupé la Prusse-Orientale. I1 se dit également car -
des émissaires secrets ne cessent de le lui répéter - que
l’Allemagne n’est ni matériellement ni moralement en
état de faire la guerre, que le peuple allemand se révol-
tera contre Hitler dès le déclenchement des hostilités, que
quarante-huit heures plus tard le régime nazi sera renverse.
et que les avant-gardes polonaises feront sans difficulté leur
entrée à Berlin, où elles tendront la main aux avant-gardes
françaises. Jamais la situation nelui a parue meilleure et il
a chargé ses représentants de le faire savoir dans toutes
les capitales étrangères. C‘est ainsi que l’ambassadeur de

I . Victoire remportde par Hindenburg sur les armées tsaristes, entre le 27 et


le 29 août 191L
2. Ttlégramme de a n Noël à Georges Bonnet, 22 août 1939, 5 heures : I Les
propos de Beck sont la condamnation de son attitude B, écrit Georges Bonnet.
a S’il était convaincu que c’était là le prétexte cherche, pourquoi y avoir prêt6 la
main par son refus? D (LaDéfe~eede kr Paix, II, p. 287, note 3.)
LA PAIX S E MEURT... LA PAIX EST MORTE 319
Pologne à Moscou, rencontrant M. Naggiar, l’ambassadeur
de France, lui déclare avec assurance :
- (( J e vois les choses avec optimisme. L’offre allemande
et la visite de Ribbentrop à Moscou prouvent que le Reich
se trouve dans une situation désespérée l. u
1. Id., II, p. 288.
XXII

M. DALADIER REUNIT LE COMITE PERMANENT


DE LA DEFENSE NATIONALE
(Mercredi, 23 août 1939)

A Paris, Georges Bonnet est trop intelligent pour partager


ces illusions. Le 23 août, vers 8 heures du matin, il a pris
connaissance d’un long télégramme de M. Naggiar, expédié
de Moscou à O h. 12 :

(( M . Molotov D, lui écrit l’ambassadeur de France, a m’a

dit. que, dès les premières réunions des délégations militaires,


la Mission russe avait été extrêmement surprise de constater
qu’aucune réponse n’avait p u être donnée à la question du
passage des troupes russes, en vue de leur permettre d‘entrer
,en contact avec l’agresseur.
u C‘est seulement après s’être convaincu qu’il n’y avait rien
à attendre de positif à cet égard que le Gouvernement de l’U.R.S.S.
a accepté La proposition allemande de négocier un traité de
non-agression et de recevoir la visite de M . von Ribbentrop, dont
l’initiative venait de Berlin.
(( J e me suis naturellement élevé avec vivacité contre cette
manière de voir. J’ai dit en outre que je ne voyais pas bien les
relations de cause à effet, et ensuite que, justement sur la question
d u passage, le général Doumenc avait p u aujourd’hui même,
donner a u maréchal Vorochilov une indication affirmative I.
N En ce qui concerne le passage des troupes russes, M. Molo-
tov a fait remarquer que notre réponse est venue malheureusement
après que la visite de M . von Ribbentrop eut été acceptée; ensuite
que Les Britanniques ne s’y sont pas associés; enfin qu’il n’appa-
raît pas que les Polonais y soient consentants...
1. Voir plus haut, p. 242.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 3
a
(( Je lui ai demandé comment il pouvait concilier les pourparlers

avec Ribbentrop et les négociations en cours, y compris les


conversations militaires. Il m’a répondu qu’il était préférable,
à son avis, de marquer un temps d’arrêt et qu’on verrait
ensuite ce qu’il conviendrait de faire I... n

C’est avec un serrement de cœur que Georges Bonnet


a terminé la lecture de ce télégramme qui marque
l’échec d’une négociation dont dépendait, à ses yeux, la
guerre ou la paix 2. Nous avions réussi », se dit-il, (( à
force de patience et de persuasion, à concilier les points
de vue si opposés de 1’U. R. S. S. et de la Grande-Bre-
tagne. E t voici que survient cette rupture à l’heure où
la crise européenne est la plus menaçante ... I1 ne me
reste plus qu’à tirer les conséquences de cette dramatique
défection 3. D
Le ministre français des Affaires étrangères considère, en
effet, qu’engager une guerre contre l’Allemagne pour soutenir
la Pologne, sans être assuré de l’appui de la Russie, est une
entreprise pleine d’inconnus et de périls. Après la rup-
ture des pourparlers avec 1’U. R. S. S. »,estime-t-il, (( la
situation diplomatique et militaire est incontestablement
bouleversée. I1 est urgent et nécessaire d’exposer ces faits
aux chefs de notre Défense nationale, de connaître leur
opinion sur le plan technique et d’en dégager avec eux
une conclusion 4. ))
Vers 10 heures, le ministre des Affaires étrangères va
donc trouver Daladier pour lui demander de convoquer
d’urgence le Comité permanent de la Défense nationale
et lui indiquer les raisons qui justifient cette réunion.
- (( Tout d’abord »,explique Georges Bonnet, il est évi-
dent que l’Allemagne; après avoir ainsi garanti ses fron-
1. Télégramme de M . Naggiar à M . Georges Bonnet, Moscou, 23 août, O h. 12,
arrivé à Paris à 4 heures du matin.
2. Trois jours plus tard (25 août), M. Molotov confirmera son point de vue
dans les termes suivants : u Le Gouvernement soviétique, ayant constaté que,
malgré les efforts des trois gouvernements français, britannique et russe, le refus
obstiné de la Pologne d’accepter l’aide militaire russe rendait impossible le Pacte
d’assistance tripartite, a dû se résoudre a signer un Pacte de non-agression avec
...
l’Allemagne I1 a rejeté toute la responsabilité sur le Gouvernement de Varsovie.
Un grand pays comme 1’U. R. S. S. ne pouvait pas aller jusqu’A supplier la Pologne
d’accepter une assistance russe dont elle ne voulait à aucun prix. u (Télégramme
de M. Naggiar, Moscou, 25 août 1939, 22 h. 50.)
3. Georges BONNET, La Defense de la Paix, II, p. 288-297.
4 . Id., ibid.
111 21
322 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

tières de l’est, va jeter ses armées sur la Pologne, si un accord


n’intervient pas entre Varsovie et Berlin.
a E n outre, le Pacte germano-russe rompt l’équilibre des
forces au profit de nos adversaires. Nous avions pu penser,
jusqu’ici, que la Russie prendrait une attitude bienveillante
à l’égard de la Pologne et lui apporterait au moins l‘appui
de son aviation et de son matériel, ce qui aurait permis
à la France et à l’Angleterre de soutenir efficacement leur
alliée. Mais aujourd’hui, l’espoir d‘une aide militaire sovié-
tique à la Pologne est complètement exclu. Tout notre sys-
tème d’alliance et de défense, établi après tant d’efforts, se
trouve gravement compromis. On ne peut ignorer cette
situation nouvelle. Ne faut-il pas reconsidérer nos engage-
ments envers la Pologne et, dans notre intérêt à tous, entrer
en conversation avec elle et avec l’Angleterre, en tenant
compte des réalités actuelles?
u Nous sommes autorisés, en bonne justice, à nous poser
cette question )>, poursuit-il. (( La France va s’engager demain
dans un conflit mondial, à la tête d’une coalition où tous les
alliés sont solidaires, où chacun d’eux est indispensable, et
singulièrement la Russie. Or celle-ci va nous faire défaut.
I1 faut examiner si l’œuvre commune n’est pas maintenant
en péril. La lutte de l’idéal démocratique contre les Nazis
dépasse infiniment les intérêts particuliers de la Pologne,
et ceux-ci se confondent avec l’intérêt général, ce que
M. Beck n’a pas compris. Que deviendra son pays si les
Alliés sont battus? I1 est inadmissible que Ie succès d‘une
grande et dangereuse entreprise soit compromis par l’obsti-
nation d’un seul de nos alliés. Nous lui avons pardonné sa
défection au moment de l’affaire tchèque, en 1938. E t voici
que M. Beck porte, pour une large part, la responsabilité
de l’échec de nos pourparlers avec I’U. R. S. S. Malgrénos
objurgations, il a obstinément repoussé tous les secours que
YU. R. S. Ç. pouvait lui apporter, en interdisant aux troupes
russes d’entrer sur le territoire polonais l, et ceci a été la

1. 11 n’est que juste de rappeler, à la décharge de la Pologne, que les territoires


à travers lesquels le Gouvernement français la presse de laisser passer les armées
russes, sont précisément ceux que l’Union Soviétique revendique comme lui appar-
tenant et qu’Hitler a offerts à Staline, par le protocole additionne1 du Pacte ger-
mano-soviétique. (Voir plus haut, p. 284.) II n’est donc pas étonnant que Varsovie
ne veuille à aucun prix y laisser pénétrer les divisions soviétiques. Ce qu’on ne
s’explique pas, c’est que le colonel Beck refuse de négocier avec l’Allemagne,
alors qu’il ne peut - ni ne veut- bhéficier de l’aide russe. A aucun moment il
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 323
cause - ou le prétexte - de la rupture. Peu importe, en
effet, de savoir si la Russie escomptait ce refus. Le fait
incontestable, c’est que le Gouvernement polonais, une fois
de plus, a joué son jeu sans s’occuper de ses partenaires : il
a fait échouer un Pacte que nous nous efforcions de faire
aboutir à tout prix. I1 a donné une réponse défavorable à
l’U. R. S. S., alors que la France l’avait averti que, de sa
réponse, dépendait le succès ou l’échec des négociations
militaires 1.
(( J’estime que cette situation doit être exposée devant les

chefs de l’Armée et qu’il faut les entendre avant de prendre


une décision. I1 est évident, en effet, que si l’on oblige M.Beck
à accepter un compromis, celui-ci sera préjudiciable à la
Pologne et, en même temps, à l’efficacité d’une alliance que
l’on considère, depuis vingt ans, comme l’un des piliers de
notre sécurité. Or, l’État-Major français est seul qualifié pour
peser le pour et le contre et résoudre cette question. S’il
s’agit au contraire de faire la guerre, il n’est pas moins indis-
pensable de savoir très précisément dans quelle mesure
notre armée est en état d’affronter l’armée allemande 2. n
Impressionné par cet exposé, Daladier donne son accord
à Bonnet. Au début de l’après-midi, il lui fait savoir par
téléphone que le Comité permanent de la Défense natio-
nale se réunira dans son bureau à 18 heures.
Vers 17 h. 30, Bonnet se rend rue Saint-Dominique. Dès
son arrivée, il y rencontre le général Decamps, directeur
du Cabinet militaire du Président du Conseil, auquel il
explique, en quelques mots, les raisons pour lesquelles il a
demandé cette réunion.
- (( E n une heure aussi grave »,lui dit-il, u nous attendons
du général Gamelin qu’il nous donne son avis sur la situa-
tion militaire e t qu’il nous dise si l’armée française est
capable de battre l’armée allemande. D
- (( J e comprends très bien votre point de vue »,lui
répond le général Decamps, (( mais vous aurez de la peine
à obtenir une réponse nette du général Gamelin. Dans les
rapports subtils qu’il adresse au Président Daladier, on
trouve le pour e t le contre, le blanc et le noir, mais jamais
ne semble emeuré par l’idée qu’Hitler et Staline auraient pu s’cntendre pour
procéder a un quatriéme partage de son pays.
1. Voir plus haut, p. 236.
2. Georges BONNET, La Déferne de la Paix, Il, p. 299-301.
324 HISTOIRE DE L’ARMfiE ALLEMANDE

la position ferme. I1 est comme l’anguille qui passe toujours


à travers les mailles du filet l . ))
A 18 h. 05, le Président du Conseil ouvre la séance. Y
assistent, outre les trois ministres de la Défense nationale
- Daladier, Campinchi, ministre de la Marine et Guy La
Chambre, ministre de l’Air, - de nombreux oaciers géné-
raux, notamment les trois commandants en chef de l’Armée
de Terre, de la Marine et de l’Aviation : le général Gamelin,
l’amiral Darlan et le général Vuillemin; le contrôleur général
Jacomet, secrétaire général du ministère de la Guerre; le
général Colson, chef d’État-Major de l’Armée; le général
Têtu, chef d’État-Major de l’Armée de l’Air, et le général
Aubé, inspecteur général de la Défense aérienne du Terri-
toire. Le général Decamps remplit l’office de secrétaire. Le
Président du Conseil est assis à son bureau. Les généraux
se sont groupés en demi-cercle devant lui. I1 ouvre la
séance en exposant qu’il s’agit de répondre aux trois
questions suivantes :
- a 10 La France peut-elle assister, sans réagir, à la dispa-
rition de la carte de l’Europe, de la Pologne et de la Rouma-
nie, ou de l’une de ces deux Puissances 2?
(( 20 Quels moyens a-t-elle de s’y opposer?

a 30 Quelles sont les mesures à prendre actuellement? ))


Après quoi, le Président du Conseil passe la parole au
ministre des Affaires étrangères.
- (( Le Pacte germano-russe », déclare Bonnet, a modifie
totalement l’équilibre des forces. Dorénavant, la Pologne
ne pourra plus trouver aucun appui en U. R. S. S.
Peut-être même peut-on craindre pire. :une entente germano-
russe contre la Pologne. La Roumanie, elle, sera contrainte
de donner à l’Allemagne tous les approvisionpements dont
elle aura besoin, notamment le pétrole. La Tubquie, n’étant
plus épaulée par YU. R. S. S.,.n’entrera en guerlre, désormais,
que si une Puissance balkanique se trouve elle-même atta-
quée, L’Angleterre, par contre, sera complètement à nos
côtés, mais elle n’est qu’au début de son réarmement ter-
restre. Sur les intentions du Gouvernement allemand, aucune

1. Id., p. 301-302.
2. On voit que le bruit fait par la radio anglaise, B la suite des démarches
de M. Tilea (voir plus haut, p. 149), a laissé une trace profonde dans les esprits,
car il n’est nullement question d‘un conilit germano-roumain. La Roumanie, au
contraire, deviendra l’alliée de l’Allemagne.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 325
illusion n’est .permise : il ne bluffe pas. I1 est résolu à
reprendre Dantzig et le Corridor, même s’il doit en résulter
une guerre générale. Tels sont les faits.
u Or, c’est le refus opposé par Varsovie au passage des
troupes russes à travers le territoire polonais, qui constitue
le motif invoqué par l’Union Soviétique pour rompre les
négociations avec nous.
a Quelle doit être notre attitude? Faut-il appliquer aveu-
glément notre alliance avec la Pologne? Vaut-il mieux, au
contraire, pousser Varsovie à un compromis? Nous pourrions
ainsi gagner du temps pour accroître notre puissance mili-
taire et améliorer notre situation diplomatique, de manière
à résister plus efficacement à l’Allemagne, au cas où elle se
tournerait plus tard contre nous l. Mais un compromis
risque d‘affaiblir l’alliance franco-polonaise. Or, celle-ci a
toujours été considérée comme essentielle à la défense de la
France. Ce point de vue e s t 4 toujours celui de l’État-
Major français? ))
Après un instant de réflexion, le général Gamelin remarque :
- (( I1 est très important que l’Italie reste neutre, d’au-
tant plus qu’aucune opération militaire décisive n’est pos-

1. La politique suivie par Georges Bonnet se dessine ainsi clairement.


En 1938, durant la crise tchèque, alarme par les sombres pronostics des gene-
raux Gamelin et Vuillemin (voir vol. V, p. 295-304),il s’emploie de toutes ses
forces à éviter la guerre et à faciliter la réunion de la Conference de Munich.
Après l’occupation de Prague (15 mars 19393, il s’associe à la politique a d’endi-
guement n (containment) préconisée par l‘Angleterre, et pense que la paix ne peut
être sauvée qu’en dressant un barrage à l’est devant les ambitions d’Hitler. Mais,
contrairement à Chamberlain, il estime qu’une coalition de petits États n’y s u a r a
pas e t qu’il faut à tout prix y associer 1’U. Ji. S. S. Aussi se m e t 4 en flèche dans la
négociation anglo-franco-russe e t fait l’impossible pour rapprocher les points de
vue de Londres et de Moscou. (Voir plus haut, p. 224-225.)
Après le 22 août 1939 et la signature du pacte germano-soviétique, il pense que
l’équilibre est rompu en faveur de l‘Allemagne e t qu’il serait imprudent pour la
France de se lancer dans un conflit dont tout le poids retombera sur elle - du
moins pour commencer - étant donné le retrait russe, l’impréparation anglaise
et l’Isolationnisme américain. I1 penche donc pour une nouvelle tentative de conci-
liation, qui amènera le colonel Beck à se montrer plus raisonnable.
A une personnalit6 politique française qui lui conseille de démissionner, en
prétextant que u son attachement à la paix risque de pousser Hitler à la guerre,
en l’ancrant dans l’idée que la France n’interviendra pas D - ce dont on ne trouve
aucune trace dans les documents allemands - Bonnet répond avec force: a Hitler
ne peut pas penser cela, après les déclarations formelles que Yai faites au comte
Welczek, ou que j’ai prié M. Coulondre de transmettre à Berlin. J e m’en irais
volontiers, si je croyais qu’Hitler bluffait. Mais j e nuis convaincu du contraire.
C’est pourquoi je considère comme mon devoir de rester en place, pour tenter
jusqu’à la fin d’éviter une guerre dont chacun s’accorde à reconnaître qu’elle
serait, pour l’Europe, une catastrophe sans précédent. I )
326 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

sible contre elle à travers les cols des Alpes, à l’approche de


l’hiver l. ))
L’amiral Darlan, qui pense à nos transports militaires à
travers la Méditerranée, appuie l’opinion du général Game-
lin.
- a Notre diplomatie ne cesse de faire des efforts pour
que la neutralité italienne soit maintenue I), répond Georges
Bonnet S. (( Mais revenons à la question : malgré la défec-
tion russe, l’alliance polonaise constitue-t-elle toujours un
élément militaire de première importance pour la France?
E t combien de temps les forces de la Pologne tiendraient-
elles contre l’Allemagne? ))
- (( L’armée polonaise D, déclare le général Gamelin,
(( offrira une résistance honorable à l’armée allemande. Le

froid et le mauvais temps arrêteront rapidement les hosti-


lités, si bien qu’au printemps de 1940 3, la bataille se pour-
suivra encore à l’est. A ce moment, l’armée française sera
renforcée par de nombreuses divisions britanniques débar-
quées sur le continent 4. D
1. La neige les rend impraticables aux mouvements de troupes à partir du
10 septembre.
2. Depuis le mois de février, Bonnet négocie avec l’Espagne pour obtenir sa
neutralité e t même sa collaboration amicale sur les Pyrénées et au Maroc, en
échange de l’or e t des objets d’art apportés en France par le Gouvernement répu-
blicain. Ces tractations ont abouti à l’accord Bérard-Jordana, signé à Burgos le
25 février 1939.
En ce qui concerne l’Italie, Bonnet a entamé des conversations avec le Gou-
vernement romain, dans le dessein de maintenir l’Italie en dehors du conflit. Ces
pourparlers menés par M. Hervé Alphand, directeur des Affaires commerciales
au Quai d’Orsay, et bl. Giannini, son homologue au Palais Chigi, se concrétise-
ront à San Remo, le 5 septembre 1939, par la déclaration de u non-belligérance I)
italienne, en échange d’avantages économiques e t commerciaux. u C‘est là D, écrira
François-Poncet à Bonnet, a un remarquable succès pour nous; la déclaration de
non-belligérance a été accompagnée d‘un revirement total à notre égard, puisque
l’Italie est allée jusqu’à nous fournir de la poudre, des explosifs, des mines anti-
chars e t même des avions. P (Cf. Le Figaro, 17 juillet 1945.)
3. C’est-à-dire dans huit mois.
4. Georges BONNET,La Ddtense de la Paix, II, p. 304. Voici les précisions four-
nies, à ce sujet, par le Commandant en chef : u La France a environ 120 divisions
à opposer aux 200 divisions allemandes. Elle est donc en état de grande infério-
rité. C’est pourquoi elle doit eonserver l’appui des 80 divisions polonaises, qui la
mettent à égalité avec l’Allemagne. Au printemps de 1940,la France pourra donc
compter tout d’abord sur les 200 divisions que représenteront les forces fran-
çaises et polonaises, auxquelles s’ajouteront une quarantaine de divisions britan-
niques. E t si l’Allemagne viole la neutralité hollandaise e t belge, elle aménera à
nos côtés 30 divisions supplémentaires hollandaises et belges, soit au total 270 divi-
sions contre 200. D
Ces chiffres appellent quelques observations : 10 en août 1939, l’Allemagne
ne dispose pas de 200 divisions, mais de 97 (dont 6 cuirassées); 20 la Pologne ne
mettra pas en ligne 80 divisions d‘infanterie, mais 38; 30 le 10 mai 1940,les
divisions anglaises débarquées sur le continent ne s’élèveront pas à 40,mais tl 9.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 327
En d’autres termes, à la première question posée par
Georges Bonnet : c N’y a-t-il pas intérêt pour la France, au
point de vue militaire, à reconsidérer son alliance avec la
Pologne et à profiter du temps gagné pour augmenter ses
armements? n le Comité de la Défense nationale répond
par un non catégorique l.
On examine ensuite le deuxième point : ((L’Armée, la
Marine et l’Aviation françaises sont-elles en état de nous
permettre de tenir nos engagements envers la Pologne? ))
- (( Oui! )) répondent sans hésiter le général Gamelin et
l’amiral Darlan. (( L’Armée de Terre et la Marine sont prêtes.
Au début d’un conflit, elles peuvent peu de choses contre
l’Allemagne ; mais elles seraient susceptibles d’agir vigou-
reusement contre l’Italie, si cette Puissance entrait en
guerre z. Par ailleurs, la mobilisation française apportera,
par elle-même,un certain soulagement à la Pologne, en rete-
nant, face à nos frontières,un grand nombre d’unités alle-
mandes 3. D
1. Georges BONNET, Op. ci:., p. 304.
2. Procès-verbal de la réunion tenue au ministère de la Guerre, le 23 m û t 1939,
d 18 heures, sous la présidence de M.Daladier.
Le générai Gamelin contestera par la suite l’exactitude de ce procès-verbal,
ddigé par le général Decamps à la demande de Daladier. 8 Je n’ai certainement
pas été aussi formel, ni aussi simpliste II,afirme-t-il dans ses Mémoires. a D’ailleurs,
comment est-il possible de résumer en trois pages une discussion qui a duré une
heure et vingt-cinq minutes? I) (&ruir, I, p.. 26, 32.) C‘est l’évidence même. Aussi
fidèle que soit un procès-verbal, il ne saurait remplacer un compte rendu sténo-
graphique. La même observation s’impose ici, que pour les conférences militaires
d’Hitler.
3. Les 15, 16 et 17 mai 1939, le général Gamelin a eu, à Paris, des entretiens
avec le général Kasprzycki, ministre des Affaires militaires de Pologne, à l’issue
desquels (19 mai) il a signé, de sa propre initiative et sans que ie Gouvernement
français ait étd consulté, un Protocole militaire secret qui stipule, entre autres :
a En cas d’agression allemande contre la Pologne ou en caa de menaes de d e s
intérèts v i t a m à Dantzig qui prowquerait une action par les armes de la part de
la Pologne, l‘Armée française déclencherait automatiquement une action de ses
diverses forces armées, et cede ka façon suivante :
10 La France &cute immediatement U M acfwn aérienne, d’après u n plan
fixé d‘avance;
20 D b qu’une parfie des Forces françaises sera préte (vers le troisième jour
après le jour initial de la mobilisation), la Frawe déclenchera d m opé-
rations offensives, à objectifs limités;
30 Dès que l’effort principal allemand s’accentuerait contre la Pologne, la
France déclencherait une action offensive contre l’Allemagne avec le gros
de ses forces (à partir du quinzième jour). D
(Protocoie Gamelin-Kasprzycki du 19 mai 1929,reproduit dans : colonel Joseph
BECK,Dernier Rapport, Neuchâtel, 1951,Document 15, p. 345-346.)
Lorsque Georges Bonnet et Alexis Léger, secrétaire général du Quai d’Orsay,
ont appris cette nouvelle, ils n’en sont pas revenus de la légèreté avec laquelle
le général Gamelin a fait cette incursion @ansprécédent dans le domaine politique,
328 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

M. Guy La Chambre, ministre de l’Air, indique ensuite


que l’Aviation française est en grand progrès depuis un an1.
- (( Au point de vue chasse »,affirme-t-il, a nous dispo-

sons maintenant d’appareils modernes, sortant en grande


série, et les moyens franco-anglais équilibrent sensiblement
les moyens italo-allemands.
u Notre aviation de bombardement ne sort pas encore en
grande série. I1 faut attendre le début de 1940. Mais d’ici
là, l’Angleterre prend à sa charge les bombardements massifs
en Allemagne du Nord. La coopération avec les forces ter-
restres peut être assurée dans de bonnes conditions.
(( Malgré ce que nous savons des forces allemandes
(4.000 avions de guerre en ligne, 5.000 en réserve e t
3.000 avions de coopération) la situation de notre avia-
tion ne doit donc plus peser sur les décisions du Gouverne-
ment, comme elle l’a fait en 1938, au moment de Munich. ))
Le général Vuillemin et le général Têtu, chef d’$tat-
Major de l’Armée de l’Air, qui sont présents aux côtés de
Guy La Chambre, écoutent les déclarations de leur ministre
sans formuler aucune réserve.
Seul, le général Aubé, inspecteur général de la Défense
puisque le Protocole évoque non seulement le cas d’une e agreasion alleman&*,
mais celui où a une menace de sea intérPts vitaux à Dantzig provoquerait une action
par ICs armm de la part de la Pologne a. Ils cherchent aussitôt à le joindre par télé-
phone, mais sans y parvenir.
Interrogk quelques jours plus tard à ce sujet, Gamelin répondra :
r- J’ai CN que le Protocole additionnel à notre alliance était déjà signé. B
Pour réparer sa bévue, il devra faire connaître par écrit, à Varsovie, que la
Convention militaire secrète n’entrera en application a que lorsque le nouvel
accord politique aura été signé a. (La Dé/ense de lo P a , II, p. 222-223.)
1. C‘est exact.
E n 1938, la production mensuelle d’avions en France s’élevait à 59 appareils
dont :
6 aviom de chasse, dont 4 modernes (vitesse maximale supérieure à 400 km.);
14 avions de bombardement (vitesse maximale supérieure à 230 km.) ;
40 avions de coopération (vitesse maximale inférieure à 330 km.).
En 1939 ia production se monte à 221 appareils dont :
191 aviom de chasse (vitesse maximale supérieure à 500 km.);
12 avMw de bombardement (vitesse maximale supérieure à 450 km.);
18 avions ds coopdration (vitesse maximale supérieure à 460 km.).
(&at comparatif oficiel 4tabli par Is ministère de VAir, août 1939, reproduit
par Georges BONNETdans Ut Défense de lo Paix, I, Annexe IX, p. 374.)
Ge progrès est dû au temps gagné par Munich. Mais aussi méritoire qu’il soit,
il est encore trbs insufisant pour combler notre retard. On s’étonnerait du silence
observé par le général Vuillemin, si l’on ne savait que certains membres du Gou-
vernement l’avaient blâmé des propos pessimistes qu’il avait tenus les 28 et 29 avril
1938, devant le Comité permanent de la Défense nationale (voir vol. IV, p. 295),
et n’avaient exercé une forte pression sur lui pour l’empêcher de récidiver.
2. Ces chiffres sont inexacts. L’Allemagne ne dispose, en 1939, que de
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 329
du Territoire, apporte une note qui tranche sur l’optimisme
général. I1 fait valoir que la défense du territoire est très
insuffisante et qu’elle lui cause de graves soucis.
- (( I1 faut craindre le bombardement des populations
civiles »,déclare-t-il, (( et des précautions doivent être prises
pour sauvegarder le moral du pays l. 1)
Mais cet avertissement ne retient guère l’attention des
membres du Comité 2. Après divers échanges de vues, ceux-ci
aboutissent aux conclusions suivantes :
K La France n’a pas le choix. L a seule solution à envisager
est de tenir nos engagements envers la Pologne, engagements
qui sont d’ailleurs antérieurs à l’ouverture des négociations
avec I‘U. R. S . S . S. 1)
E n conséquence, le Comité permanent de la Défense natio-
nale décide de poursuivre la mise en place progressive des
Forces militaires françaises de façon à avancer le plus pos-
sible leur concentration, avant le déclenchement éventuel
des hostilités 4.
La séance est levée à 19 h. 30.
*
* *
u Après ces débats »,écrit Georges Bonnet, comment
pouvais-je défendre, auprès de nos alliés, une politique d’ar-
rangement ou d’attente, en invoquant l’infériorité de nos
forces? Une telle attitude était devenue impossible. Les
gouvernements britannique et polonais étaient convaincus
que nous pouvions résister indéfiniment derrière notre ligne
Maginot. S’ils avaient pu imaginer que l’Allemagne occupe-
rait tous les ports français, de Calais à Hendaye, après
quelques semaines de combat, leur état d’esprit eût été tout
autre. Mais le langage du général Gamelin enlevait toute
crainte de cette nature. Bien plus, il faisait apparaître que
2.785 avions de I r * ligne et de 2.433 appareils en réserve. (Kriegstagebuch des
Oberkommandos der Wehrmacht, I, p. 110 E.)
1. Procb-verbal du gknéral Decamps. (Cf. Georges BONNET, Op. cit., II, p. 307.)
2. Les experts militaires estiment en effet que la D. C. A. a perdu beaucoup de
son importance, au bénéfice de l’aviation de chasse.
3. Ces engagements découlaient du Traité franco-polonais signé par Aristide
Briand et M. Sapieha, le 19 février 1921.
4. Cette mise en place comporte plusieun échelons : dispositifs de sécurité,
couverture, couverture renforcée, mobilisation générale. Le Comité permanent
P rend, dès ce moment, les mesures nécessaires pour que la mobilisation générale
laquelle comporte à la fois la mobilisafion et la concentration) puisse commencer
le 2 septembre.
330 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

la France se trouverait elle-même en danger, si elle laissait


abattre la Pologne. Cette affirmation de notre Général en
chef devait peser fortement sur la détermination de la France
et de ses alliés.
(( Le 23 août 1939,nous avions encore l’occasion de cher-

cher à nous dégager et à nous refuser à la guerre, du fait


que nous ne disposions pas du concours russe. Nous pouvions
répondre ainsi à la manœuvre de Staline, qui, elle, laissait
véritablement à Hitler les mains libres à l’ouest.
(( L’avis du généralissime, suivi par le Comité permanent,

ne le permit pas 1.1)


Pourquoi le général Gamelin a-t-il parlé avec tant d’assu-
rance? Parce qu’il a une confiance absolue dans la valeur
de nos armes? Parce qu’il entend rester fidèle aux promesses
qu’il a faites au général Kasprzycki? Parce qu’il s’est laissé
endoctriner par les militaires polonais, qui se font fort de
résister pendant des mois aux assauts de la Wehrmacht et
même de faire leur entrée à Berlin, à la suite d‘un effondre-
ment rapide de IIIe Reich 2 7
Au procès de Riom, en 1941,le général Gamelin déclarera :
- Q J e n’avais pas le droit de dire au Gouvernement que
nous ne pouvions pas gagner la guerre 8. ))
Dans ses Mémoires, publiés en 1946, l’ancien Comman-
dant en chef reviendra longuement sur la réunion du 23 août
19394. D’abord pour faire remarquer qu’il n’a jamais dit
que (( l‘Armée était prête 11, mais seulement que (( les mesures
étaient prêtes »,et qu’il fallait entendre par là a les mesures
de mobilisation et de concentration D; ensuite pour préciser
(( qu’il n’avait pas cru devoir signaler les déficiences existant

1. Georges BONNET, Le Nouveau Candide, 7-14 mars 1963.


2. Le colonel Beck n’est d’ailleurs pas le seul à parier ainsi. Enflammés par les
discours patriotiques du Maréchal Rydz-Smigly, un grand nombre d‘étudiants et
d’oiliciers partagent son optimisme.
-
A une réunion d’étudiants, le colonel Lindau s’est écrié : a J’entrerai plu-
t ô t en uniforme à Konigsberg, que je ne retournerai à Dantzig en civil, car Dantzig
nous reviendra, aussi sûrement que je me tiens aujourd‘hui devant vous! B
Depuis la mi-août, le Gouvernement polonais a fait placarder partout des
affiches repdsentant une carte de la Pologne, où celle-ci englobe Berlin et Lübeck
et portant l’inscription : a Telles étaient nos frontières au temps du roi Boleslas.
Chaque grain de poussière de la terre polonaise doit nous faire retour. B (Cf. Werner
Picht : Das Oberkommando der Wehrmacht gibt bekannt, p. 15.)
3 . Maurice R ~ B E TLe, Pro& de Riom, p. 336.
4 . Général GAMELIN,Servir, I, p. 23-43. L’auteur consacre vingt pages à l’ana-
lyse du prochverbal.
5. Le général Gamelin ajoute : a Les conditions dans lesquelles ne sont
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 331
encore dans notre armement et notre mobilisation indus-
trielle, qui ne regardaient point M. Georges Bonnet )), mais
s’était borné à répondre à la seule question de principe
qui le concernait : à savoir si les chefs militaires considé-
raient que nous pouvions ou non accepter l’éventualité
d’une guerre1. A cette question -
qui était effectivement
celle que lui posait Bonnet, -
le général Gamelin recon-
naît avoir répondu affirmativement 2. Mais il ajoute aus-
sitôt, à l’adresse du ministre des Affaires étrangères :
- (( Qu’espérait-il donc voir répondre aux militaires? Que
la France était hors d’état de faire la guerre, comme l’avaient
déclaré, à la veille de Munich, le ministre de l’Air et son chef
d’État-Major général? Cela eût évidemment permis de reje-
ter sur leur aveu d’impuissance, la cause d’une reculade aux
plus graves conséquences 3, ))
Mais plus que ces arguments formulés après coup, peut-
être les propos suivants, tenus par le généralissime quelques
jours après la réunion du Comité permanent, au cours d‘un
déjeuner offert par M. Le Provost de Launay, ancien Prési-
dent du Conseil municipal de Paris, nous apportent-ils un
peu de lumière sur sa manière de raisonner.
Le général Gamelin ayant demandé à l’un des convives ce
qu’il pensait de la Wehrmacht, et celui-ci lui ayant répondu
que, d’étape en étape, elle avait fini par représenter une
force qu’il serait dangereux de sous-estimer, - sans pouvoir
préciser pour autant le nombre exact de divisions qu’elle
était capable de mettre en ligne, - le général avait répondu,
avec un sourire condescendant :
déroulées, en août et septembre 1939, mobilisation e t concentration ont montré
que je ne m’étais point trompé à cet égard. La seconde s’est déroulée sans
accrocs. Quant à la premibre, il n’y eut que des défaillances locales dans le
domaine de l’habillement et du campement. D (Servir, I, p. 24.) Mais à qui fera-t-on
croire que le Président du Conseil et le ministre des Affaires étrangères avaient
réuni les commandants en chef des trois armes e t leurs chefs d’État-Major res-
pectifs, simplement pour savoir si la France était en mesure de mobiliser?
1. Général GAMELIN, Servir, I, p. 25.
2. Georges BONNET, La Défense de la Paix, II, p: 309.
3. Général GAMELIN, Servir, I, p. 40. A quoi Bonnet rétorque : a Les Conséquences
d’une reculade diplomatique [qui aurait amené le colonel Beck ti jeter du lest
dans la question de Dantzig] auraient-elles été plus graves que la prise de Paris
et l’occupation de la France? Si l’on en croit ce passage des Mémoires du général,
ses affirmations au cours de la réunion du 23 août n’auraient été qu’une ruse de
guerre et l’adversaire qu’il fallait tromper, le Gouvernement français. Qu’atten-
dais-je du général Gamelin? Mais simplement un exposé sincère, objectif, qui nous
permît de prendre, avec nos alliés e t en pleine connaissance de cause, les déci-
sions graves et urgentes dont dépendait le sort de l’Europe. D (LaDefense de la
Pais, II, p. 309.)
332 HISTOIRE DE L’ARYEE ALLEMANDE

- u J e vais vous dire une chose qui vous surprendra peut-


&re : que la Wehrmacht dispose de dix, de vingt ou de cent
divisions m’importe peu, car si nous sommes obligés de faire
la guerre à l’Allemagne, je n’aurai sans doute jamais affaire
à l’armée allemande 1) ...
Cette déclaration ayant provoqué une certaine surprise,
le général s’en était expliqué dans les termes suivants :
- (( C’est bien simple : le jour où la guerre sera déclarée

à l’Allemagne, Hitler s’effondrera. Au lieu de défendre les


frontières du Reich, l’Armée allemande devra marcher sur
Berlin, afin de réprimer les troubles qui y auront éclaté.
Les troupes stationnées dans la ligne Siegfried n’offriront
que peu de résistance. Nous entrerons alors en Allemagne
comme dans du beurre. D
L’étonnement des auditeurs eût été moins vif s’ils
avaient su - ce que nous. savons aujourd’hui - que la rue
Saint-Dominique et notre Etat-Major étaient submergés à
cette époque par des rapports tendancieux, faits pour
impressionner le généralissime. L’un d’eux disait :
(( Des papillons auraient été affichés àI Lorrach dans la nuit

d u 28 a u 29, avec l’inscription : (c A bas Hitler! P et même, d


Constance, des placards annonceraient : u Nous ne voulons
pas la guerre, mais d u pain! n
(( Une grande irritation régnerait dans IBs milieux ouvriers

de Hambourg. Des paysans badois, conversant avec des Alsa-


ciens, auraient prié ceux-ci de faire savoir e n France. qu’ils
(( en avaient assez de leurs dirigeants u . Ils se sont plaints de
l’attitude des militaires à l’égard de la population civile, per-
...
sonnes et biens La population se voit revenue aux plus mauvais
...
jours de 1917 L a foule groupée devant la Chancellerie d’État
manifeste plus d’anxiété que d’enthousiasme. Propos subvarsifs
...
tenus par les anciens combattants Mauvais esprit parmi les
...
réservistes C’est seulement e n Prusse-Orientale et à N u r f m -
berg, capitale d u National-Socialisme, que l’esprit patrrotcque
...
demeurerait absolument intact Des rapports parvenus des
autres régions parlent de désarroi et d’accablement ... Dans la
guerre des nerfs, c’est l‘Allemagne qui paraît maintenant
...
atteinte La général von Brauchitsch aurait offert sa demission ...
(( O n rapporte également que le Pacte germano-russe aurait
provoqué parmi les hitlériens des discussions si vives que le
Parti National-Socialiste serait, à plus ou moins brève échèance,
menacé de scission I n
Sertir, II, p. 451-652. Le fait que le général reproduit ces
1. Générai GAMELIN,
LA PAIX SE MEURTI.. LA PAIX EST MORTE 333
Un autre document est plus éloquent encore :
a Li général Halder, chef de l‘État-Major général, a démis-
sioniaé hier et a été remplacé par le général Reichenaul. L e
général Brauchitsch est d’accord avec le gènéral Halder, mais
demeurera à son poste (général commandant e n chef). L a
position d u génèral Halder est identique à celle d u général
Beck en septembre 1938. S a démission ne sera pas rendue publi-
que ...
N Les fortifications occidentales (Mur de l‘ouest) ne sont
fortes que par endroits, comme l’expèrience l’a démontré, Des
points faibles existent, notamment dans les régions de Fribourg-
=.
Saarebriick-Aix-la-Chapelle L’État-Major général redoute la
possibilité d’une fissure dans le M u r de l‘Ouest.
K M . Hitler a eu à Berchtesgaden un affaissement nerveux...
L e Dr Bunck, de Munich, a été appelé 6 son chevet; il s’est
rétabli, mais le docteur est encore chez lui ce matin, prêt à inter-
venir.
(< L’État-Major général espère utiliser l’ètat nerveuz d’Hitler

pour lui permettre de rendre possible un coup d’État militaire,


mais l’État-Major désire d‘abord avoir la certitude que le minis-
tère de la Guerre ne le lâchera pas. Le bureau de M . von Rib-
bentrop affirme à l’État-Major que l’Angleterre forcera la
PoZogne à abandonner Dantzig et appuiera les demandes alle-
mandes en vue d’obtenir une frontière orientale satisfaisante
pour 2‘Allemagne. S i l’État-Major pouvait être certain que le
Mur de l‘Ouest sera attaqué, sa position serait considérable-
ment renforcée s.,. ))

L’origine de ces documents est trop évidente pour qu’il


soit nécessaire de nous y attarder. Ils recoupent ce que Jac-
ques Heilbronner, envoyé en Allemagne en mission d’in-
formation, dira au Président Daladier à son retour de voyage,
comme étant l’opinion de l’ancien Chancelier Wirth :

documents en appendice 21 ses Mémoires permet de déduire qu’il les considhre


comme une justification.
1. Le général Halder restera chef d‘gtat-Major de l’Armée jusqu’au 24 sep-
tembre 1942. C’est seulement à cette date qu’il sera remplacé par le général Zeitz-
ler.
2. C’était vrai en 1938. Ce ne l’est plus en 1939. Dans l’intervalle, 342.000
hommes de l’Organisation Todt e t 100.000 hommes du Service du travail, ont
travaillé jour et nuit h fortifier ces points faibles. E n août 1939,le Mur de l’Ouest
comprend 22.000 casemates, échelonnées de la mer du Nord à la frontière suisse.
Ces travaux ont englouti 6 millions de tonnes de ciment, 695.000 mètres cubes de
bois et 3 millions de rouleaux de fil de fer barbelé.
3. Général GAMELIN, Servir, IT. p. 453-654. Traduction d‘un t a t e remis au
28 Bureau p a r l’agent de liaison britannique (Extraits). On peut en inférer que
les mêmes nouvelles étaient en circulation à Londres.
334 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

- u Ne craignez rien : avant un mois, l’Allemagne


viendra mendier la paix.
Enaccordant tant de crédit à ce genre d’informations,
Gamelin est certainement de bonne foi, mais il se trompe
d’époque. Depuis la crise de 1938, une foule de renseigne-
ments lui sont parvenus, concernant l’opposition manifestée
par certains généraux et leur espoir de renverser Hitler à la
veille de Munich l. Mais depuis lors, les choses ont changé.
Beck a été limogé, Brauchitsch est rentré dans le rang et
personne n’a élevé la moindre protestation lors de la der-
nière conférence militaire tenue au Berghof 2. Ce qu’une
petite poignée d’hommes avait tenu pour possible en
1938 ne l’est plus en 1939, car le Haut-Commandement
allemand, dans sa grande majorité, est beaucoup plus favo-
rable à une guerre contre la Pologne que contre la Tchéco-
slovaquie. Nombre de généraux, impressionnés par les succès
qu’ont représentés pour Hitler l’incorporation de l’Autriche,
la Conférence de Munich, l’occupation de Prague et la signa-
ture du Pacte germano-soviétique, pensent comme Ciano :
(( Vous avez déjà eu si souvent raison quand nous n’étions

pas d’accord, qu’il est possible que, cette fois-ci aussi, vous
jugiez les choses plus correctement que nous 3. 1) Même s’ils
1. Voir vol. V, p. 283 et 383.
2. L a raison en est simple e t le Maréchal von Manstein nous l’explique claire-
ment : u A l’issue de la conférence prononcée par Hitler n, écrit-il, u ni le général
-
von Rundstedt, ni moi-même - ni sans doute aucun des autres généraux présents
n’eûmes l’impression que la guerre était inévitable. Deux considérations sem-
blaient militer, au contraire, en faveur d’un arrangement pacifique conclu comme
à Munich, à la dernière minute.
a La première était que la signature d u Pacte avec l’Union Soviétique plaçait
la Pologne, d’entrée de jeu, dans une situation désespérbe. Du fait que l’arme du
blocus avait été arrachée des mains de l’Angleterre, le seul moyen de secourir la
Pologne consistait en un assaut sanglant à l’ouest. II paraissait donc probable
que -poussée par la France -elle [l’Angleterre] conseillerait A la Pologne de céder.
a L’autre était qu’il devait être désormais évident, pour la Pologne, que la garantie
britannique était pratiquement sans effet. Elle devait bien plutôt se dire que, si
elle en venait à la guerre avec l’Allemagne, les Soviets lui tomberaient dans le
dos, pour assouvir leurs vieilles revendications sur la Pologne Orientale. Etait-il
concevable, devant une pareille situation, que Varsovie refusât de céder ? B
(Maréchal von MANSTEIN, Verlorene Siege, p. 20-21.)
3. Voir plus haut p. 264. a Le Pacte germano-russe du 23 août B, écrit Gerhardt
Ritter, a étouffa dans l’œuf toute pensée d’une tentative de putsch chez les géné-
raux. Non pas parce que dans leur majorité ils étaient ravis de reprendre contact,
comme à l’époque de Seeckt, avec l’Armée Rouge, mais tout simplement parce
...
qu’ainsi la balance penchait du côté de l’Allemagne La menace que l’Armée
française faisait peser sur le Rhin n’était pas assez considérable pour qu’on puisse
dire qu’elle représentait un danger immédiat pour le Reich. Ainsi, les arguments
avancés par l’État-Major, pour exprimer sa crainte d’une nouvelle guerre sur deux
fronts, manquaient O prwrr de force convaincante. Hitler pouvait dire à ses géné-
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 335
font des réserves au point de vue technique, comment pour-
raient-ils s’opposer moralement à une opération dont le but
est de restituer à l’Allemagne Dantzig et le Corridor, et de
ressouder les deux parties de la Prusse? Ils ont trop long-
temps désapprouvé la politique pro-polonaise d’Hitler pour
pouvoir s’insurger contre lui, au moment où il applique
la politique inGerse. Le Führer n’a rien exagéré lorsqu’il
a dit à Burckhardt : N L’année dernière, mes généraux
étaient prudents. Cette fois-ci, c’est moi qui dois les rete-
nir ))
En répandant des bruits comme ceux dont nous venons
de parler, et en faisant croire à Londres et à Paris que la
guerre n’offrait aucun risque, les résistants antinazis ont
contribué à rendre l’affrontement inévitable, et ce dans les
plus mauvaises conditions possibles pour les démocraties,
dans lesquelles ils mettaient pourtant tout leur espoir.
*
* *
Ainsi, à l’entrée de la semaine décisive qui se prépare, on
dirait que chacun est victime de sa propre idée fixe.
Hitler croit que la signature du Pacte germano-soviétique
exclut toute possibilité de guerre généralisée : ou bien le
colonel Beck finira par accepter ses propositions, et il récu-
pérera Dantzig et le Corridor a sans tirer un seul coup de
feu N; ou bien il y aura un conflit polono-allemand localisé,
auquel ne participeront ni l’Angleterre ni la France. Cette
guerre-là, il ne fera aucune concession pour l’éviter, tant il
est convaincu qu’elle se terminera rapidement et à son
avant age.
Beck croit que ses alliances avec Londres et Paris le
mettent à l’abri de toute agression allemande et qu’il suffira
de tenir tête à Hitler pour le faire reculer, car jamais il
n’osera aller jusqu’à la guerre.
Halifax a voulu (( raidir )) la Pologne, mais il a provoqué
chez elle UR raidissement excessif.
Chamberlain croit qu’en avertissant solennellement Hitler
que l’Angleterre interviendra s’il touche à la Pologne, il
l’empêchera de pousser les choses au pire, sans se rendre
raux que jusqu’g présent, A chacune de ses entreprises, ils l’avaient instamment
mis en garde, mais qu’il avait eu chaque fois raison contre eux. u (gchec au
Dictateur, p. 171.)
1. Voir plus haut, p. 208.
336 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

compte qu’Hitler ne l’écoute même pas, tant il est convaincu


que l’Angleterre est incapable de mettre sa menace à exécu-
tion.
Daladier et Gamelin, persuadés que l’Armée française
est sufisamment au point et que la résistance polonaise se
prolongera pendant des mois - à moins qu’elle ne soit
abrégée par un effondrement d u régime nazi - estiment
qu’ils sont à même de gagner la guerre et préfèrent, à tout
prendre, en affronter les aléas, plutôt que de s’exposer à
une nouvelle humiliation.
Staline se dit que toute agression allemande contre la
Pologne engendrera une guerre longue e t généralisée. C’est
précisément ce qu’il désire, puisque cette guerre se déchaî-
nera, non contre lui, mais à l’occident. Protégé de tout
danger par les dispositions de son Pacte, il lui sera donc
loisible d’y assister en spectateur et de choisir le moment
le plus propice pour imposer son arbitrage aux belli-
gérants exténués.
Tel est l’amoncellement d’erreurs, de faux calculs et de
malentendus dont sortira le plus terrible cataclysme qui ait
jamais ravagé la planète.
Devant cette situation, où commence à transparaître le
visage de la fatalité, on ne peut s’empêcher d’évoquer cette
parole du Pape Jules III :
- n Regarde le monde, mon fils, et apprends avec combien
peu de sagesse il est gouverné! D
XXIII

CHAMBERLAIN ADRESSE UN SUPRÊME


AVERTISSEMENT A HITLER

(Mercredi, 23 août 1939)

A partir de ce moment, démarches d’ambassadeurs,


échanges de lettres et de télégrammes, ordres et
contrordres militaires se multiplient et s’enchevêtrent à tel
point que pour arriver à les suivre, il faut les examiner jour
après jour, et même heure après heure.
Le 18août, Sir Nevile Henderson, ambassadeur de Grande-
Bretagne à Berlin, a télégraphié à Lord Halifax pour lui
dire : (( Si l’on veut préserver la paix, il est impossible de
permettre que la situation actuelle se prolonge. Le seul
moyen d’éviter la guerre réside dans un recours rapide à la
médiation 1. Il a renouvelé, à cette occasion, la suggestion
qu’il a faite quelques jours auparavant, à savoir ((que le
Premier Ministre adresse une lettre personnelle à Hitler,
qui lui sera remise par un émissaire venu directement de
Londres D.
Quarante-huit heures plus tard, il a renouvelé son appel,
en insistant sur les mouvements de troupes qu’on lui signale
de divers côtés et sur l’augmentation des forces militaires
allemandes concentrées en Prusse-Orientale S. I1 redoute
qu’Hitler ((n’ait déjà pris quelque décision de nature à
précipiter les choses 4 ».Les rapports confidentiels parvenus
1. Sir Nevile HENDERSON, Deux am avec Hitler, p. 270.
2. Id., p. 271.
3. Voir plus haut, p. 318.
4. Op. cit., p. 271.
91 22
338 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

e&re ses mains l’ont convaincu que le Führer a fixé au


25 août la date d’invasion de la Pologne l.
Sir Nevile Henderson ne se trompe que de peu : l’ordre
d’attaque a effectivement été donné à l’O. K. W. pour
l’aube du 26 août. Seule, l’heure H reste encore à h e r . Le
général Jodl a inscrit dans son agenda :u 4 h. 30 du matin a. n
Le général Halder hésite entre deux heures différentes :
((4 h. 1517 4 h. 30 ?? 1) Toutefois, Hitler a notifié h son
État-Major que u la mise en place des troupes sur leurs
positions de départ doit s’effectuer de telle sorte qu’elles
puissent à tout moment être arrêtées par un contrordre4».
La plupart des généraux ont cru pouvoir en déduire que
les mesures édictées ne signifiaient pas encore la guerre,
qu’elles étaient simplement destinées à intensifier la pression
exercée sur la Pologne 6.
Ce n’est pas sans émotion que Chamberlain a lu les appels
de Henderson. Sa position est prise, depuis le Conseil de
Cabinet où les ministres britanniques ont décidé que l’An-
gleterre tiendrait ses engagements envers la Pologne 6 . Pour-
tant, sa conscience se révolte à l’idée de laisser s’accomplir
l’irréparable sans avoir adressé un suprême avertissement
à Hitler. Mais comment s’y prendre? Aller lui-même en
Allemagne, comme il l’a fait l’année précédente? Il n’en
saurait être question. Envoyer un émissaire à sa place,
comme le lui suggère Henderson? Ce n’est guère possible
non plus 7. I1 ne voit d’autre moyen qu’un recours aux voies

1. Sir Nevile HENDERSON, op. Cit., p. 271.


2. Documents du Tribunal militaire international de Nuremberg, XXVIII, p. 389.
3. Journal de Halder, Akten zur Deutschen Auswürtigen Politik, VII, p. 470. 1
4 . Déclaration du géndral Milch.
5. I( Les mesures militaires prises en août 1939 n, écrit le Maréchal von Manstein,
a pouvaient fort bien - malgré l’ordre de marche du Plan OLANC - n’être desti-
nées qu’à intensifier la pression politique sur la Pologne, pour l’amener à compo-
sition... Même la mise en marche des divisions d‘infanterie sur la rive orientale
de l’Oder, prescrite durant le dernier tiers du mois d’août, et l’avance des divi-
sions cuirassées et motorisées, tout d‘abord sur la rive occidentale de l’Oder,
.n’étaient pas non plus, nécessairement, de véritables préparatifs d’attaque, mais
pouvaient représenter un moyen de pression politique. I (Verbrene Siege, p. 17
et S.)
6. Voir plus haut, p. 309-310.
7. On se souvient que lors de son entretien du 11 août evec Carl Burckhardt
(voir plus haut, p. 209), Hitler avait exprimé le désir de s’entretenir avec une
personnalité britannique de premier plan comme Lord Halifax ou le général Sir
Edmond Ironside. Le Haut-Commissaire de la Société des Nations à Dantzig
avait été empêché de communiquer ce souhait à Londres, par suite de I’indiscré-
tion d’un journaliste français. Mais il en avait parié à M. Roger M a k i s , et M. von
Weizslcker en avait fait part, de son c8té, à Sir Nevile Henderson.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST M O R T E 339
habituelles : adresser une lettre personnelle au Führer, qui
lui sera remise par l’ambassadeur de Grande-Bretagne.
Dans le même bureau où, le 13 septembre 1938, Chamber-
lain avait envoyé à Hitler l’appel angoissé par lequel il
lui avait demandé de le recevoir à Berchtesgaden I, le Pre-
mier Ministre rédige à son intention le message suivant :

10 Downing Street, 22 août 1939.


Votre Excellence aura déjà eu connaissance de certaines
mesures prises par le Gouvernement de S a Majesté et publiées
ce soir même, dans la presse et par la radio 2..
Dans l’opinion d u Gouvernement de S a Majesté, ces mesures
ont été rendues nécessaires par les mouvements de troupes
signalés d‘Allemagne et par le fait que certains milieux berlr-
nois semblent considérer l‘annonce d‘un Accord germano-
soviétique comme l’indice que l’intervention de la Grande-Bre-
tagne en faveur de la Pologne n’est plus une éventualité avec
laquelle il faille compter. L’on ne saurait commettre une erreur
plus grave. Quelle que puisse être, finalement, la nature de l’Ac-
cord germano-soviétique, il ne saurait modifier les obligations
de la Grande-Bretagne à l’égard de la Pologne, telles qu’elles
ont été confirmées en public, de façon claire et répétée par le
Gouvernement de Sa Majesté, et auxquelles ce dernier est
fermement résolu à se conformer.
O n a parfois prétendu que,& le Gouvernement de S a Majesté
avait indiqué plus clairement sa position en 1914, la grande
catastrophe aurait été évitée 3. Quel que soit le bien-fondé de
cette opinion, le Gouvernement de S a Majesté est résolu à faire
en sorte que, cette fois-ci, un malentendu aussi tragique ne se
reproduise pas ...

Le Premier Ministre pose la plume et réfléchit un instant.


Hitler comprendra-t-ille sens exact. de ces mots 4 ? Désireux
d’éviter toute équivoque, il ajoute :
1. Voir vol. V, p. 382.
2. Allusion au communiqué publié parla B. R. C. à l’issue du Conseil de Cabinet
où Chamberlain a annoncé qu’if avait convoqué le Parlement pour lui demander
de voter 1’Emergency Powers Bill. (Voir plus haut, p. 313.)
En même temps, la Home Fleet et la Méditeranian Fleet ont été mises en
état d’alerte. On signale une animation inaccoutumée non seulement à Suez, à
Malte et à Gibraltar, mais sur tous les aérodromes et les ports de guerre anglais.
3. Cette préoccupation hantait déjà Chamberlain à l’époque, de Munich. (Voir
vol. V, p. 381.)
4. Dans la nuit du 7 septembre 1938, M. Thé0 Kordt, de l’ambassade d’Aile-
magne à Londres, s’était rendu sechitement B Downing Street où il avait été intro-
340 HISTOIRE DE L ’ A R Y ~ E ALLEMANDE

Si la nécessité se prhente, le Gouvernement de Sa Majesté


est décidé et prêt d m t t r e e n œuvre sans délai toutes les
forces dont il dispose, et il est impossible de prévoir la fin
des hostilités, une fois qu’elles seront commencées. Ce serait une
dangereuse illusion de croire que la guerre se terminerait rapi-
dement, même s i u n succès initial avait p u être remporté sur l’un
des divers fronts où elle s’engagera.

Ayant formulé cette mise en garde, Chamberlain poursuit


son message sur un ton plus conciliant :
Après avoir ainsi défini notre position de façon parfaite-
ment claire, je désire vous répéter ma conviction qu’une guerre
entre nos deux peuplss serait la plus grande calamité qui p û t
s’abattre sur eux. J e suis certain qu’elle n’est désirée ni par
notre peuple, ni par le vatre, et je me refuse à croire qu’il y ait
quoi que ce soit dans les questions pendantes entre l‘Allemagne
et la Pologne qui ne puisse et ne doive être résolu sans recours
à la force, si seulement une atmosphére de confiance pouvait
être rétablie, qui permettrait a u x discussions de se poursuivre
dans un climat différent de celui qui règne aujourd’hui.
Nous avons été, et nous serons e n tout temps, disposés à
prêter notre assistance à la création ds conditions dans lesquelles
de pareilles négociations pourraient s’ouvrir, et où il serait
possible de discuter e n même temps des problèmes plus vastes,
affectant l‘avenir des relatiom internationales, y compris les
questions qui nous intéressent, nous et vous.
Cependant, les difficultés qui, dans l’état de tension actuel,
s’opposent à toute discussion pacifique sont évidentes et, plus
longtemps cette tension subsistera, plus la raison aura de perne
d prévaloir.

duit par une porte dérobée donnant sur le jardin. a Les temps exceptionnels exigent
des moyens exceptionnels D, avait-il déclaré à Lord Halifax. a Je ne me présente
pas à vous en tant que chargé d’affaires du Reich, mais en tant que porte-parole
politique des cercles militaires de la Wehrmacht qui veulent tout mettre en
œuvre pour empêcher une guerre. a
Il avait expliqué ensuite au chef,de la diplomatie anglaise que tous les conjurés
étaient $accord pour considérer que, faute d’une déclaration franche et claire du
Gouvernement britannique sur son attitude en can de conflit, ni le peuple, ni la
troupe ne comprendraient le péril où ne trouvait l’Allemagne, et n’apporteraient
leur soutien aux conjurés D. (a. Hans ROTEFBLS, Die Deuische Opposition gegsn
Hitler, p. 74; Helmuth R~NNSFARTE, Die Sudsiankriss i n . & internationaien
Politik, I, p. 503; Erich KORDT,Nicht am den A b , II, p. 244.)
Iniormé de cette visite, Chamberlain l’avait accueillie avec beaucoup de scepti-
cisme. E t ai ces Messieurs réussinsent a, avait-il demand4, 6 qu’est-ce qui me
garantit que l’Allemagne ne deviendra pas communiste? a
Depuis lors, on l’avait beaucoup blâmé de son attitude. Cette fois, le Premier
Ministre s’exprimera d’une façon sutfisanment 8 franche e t claire a pour que nd
ne puLse douter de sa résolution.
LA PAIX SE HEURT... LA PAIX EST MORTE 341
Ces difficultés, cependant, pourraient être rdduites, sinon .
supprimées, s i des deux côtés - et en fait de tous les côtés -
o n commençait par instaurer une sorte de trêve dans les polé-
miques de presse et dans toutes les campagnes d’excitation.
S’il était possible de s’entendre sur une telle trêve, a u cours
de laquelle des mesures pourraient être prises pour étudier et
confronter les plaintes formulées des deux côtés, sur le traite-
ment des minorités, il est raisonnable d’espérer que l’on pourrait
établir les conditions favorables à l’instauration de négocia-
tions directes entre l‘Allemagne et la Pologne, a u sujet des
questions qui les opposent (avec l‘aide d’un t<uchement neutre,
s i l’on estimait des deux côtés qu’une telle Entervention était
utile).
J e suis cependant obligé de dire que l‘espoir de mener de telles
négociations à bonne fin serait mince, s’il n’était pas entendu
a u préalable que tout arrangement auquel o n pourrait arriver
serait, uns fois conclu, garanti par d’autres Puissances. L e
Gouvernement de S a Majesté serait prêt, s i le désir e n était
exprimé, à contribuer dans la mesure de ses moyens, à la mise
e n application pratique de telles garanties.
J’avoue ne voir e n ce moment aucun autre moyen d‘éviter
une catastrophe qui entraînerait l’Europe dans la guerre.
Devant les graves conséquences que l’action de ses dirigeants
peut faire subir à I‘humanité, je compte que Votre Excellence
examinera, avec la plus extrême attention, les considerations que
je viens de lui soumettre.
Sincèrement à vous.
NEVILLE
CHAMBERLAIN ’.
Le 22 août, un peu avant 21 heures, le Foreign Office
transmet à Henderson les instructions suivantes :
- (( Vous allez recevoir d‘un moment à l’autre une lettre

du Premier Ministre pour Hitler. Veuillez la remettre per-


sonnellement et sans délai à son destinataire. ))
Henderson se met aussitôt en rapport avec la Wilhelm-
strasse. Mais Ribbentrop Ment de partir pour Moscou.
M. von Weizsacker est également absent :il est allé accom-
pagner le ministre à l’aérodrome. Seul M. Hewel, qui assure
la liaison entre la Wilhelmstrasse et la Chancellerie, est
disponible. To_utefois, il n’est pas conforme aux usages
qu’un Chef d’Etat reçoive un ambassadeur étranger en I’ab-
sence du ministre des Affaires étrangères. Hewel demande

Deux ans CWBG Hitler, Appendice


1. Sir Nevile HENDBRSON, II,, p. 323-325.
342 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

donc à Henderson de bien vouloir patienter jusqu’au retour


de Ribbentrop.
- (( C’est impossible! )) répond Henderson, toujours
convaincu que l’ordre d’attaque est pour le 25 et que son
intervention vient déjà trop tard. (( I1 faut que je voie le
Führer de toute urgence! ))
Vers 23 heures, il réussit enfin à joindre M.von Weizsacker
et lui expose les motifs impérieux de sa démarche. Pour
mieux l’en convaincre, il lui remet une copie du message
de Chamberlain, afin qu’il puisse en faire établir immédia-
,tement une traduction. Après plusieurs communications
téléphoniques, une entrevue entre Henderson et Hitler est
arrangée pour le lendemain. Le 23 août, à 9 h. 30 du
matin, l’ambassadeur de Grande-Bretagne quitte Berlin
dans un avion spécial, en compagnie de MM. von Weiz-
sacker et Hewel.
Pendant le trajet, qui dure deux heures, Weizsacker met
Henderson au courant de l’état d’esprit du Führer. Celui-ci
est très nerveux et de fort mauvaise humeur. I1 espérait
s’entretenir avec une haute personnalité britannique, non
avec un diplomate portant un œillet rouge à la bouton-
nière)).De plus le contenu du message de Chamberlain (dont
la traduction lui a été immédiatement téléphonée) l’a vive-
ment irrité par son ton sentencieux et par la volonté qu’y
manifeste le Premier Ministre britannique de se poser en
arbitre entre l’Allemagne et la Pologne. Quand donc l‘An-
gleterre cessera-t-elle de se mêler de ce qui ne la regarde pas?
- (( J e vous préviens », dit Weizsacker à Henderson,
(( qu’Hitler mettra l’accent sur les mauvais traitements
infligés à la minorité allemande. Surtout, parlez le premier,
sans quoi l’entretien ne durera pas cinq minutes ...))
L’ambassadeur d’Angleterre n’est guère rassuré, car il
connaît les explosions de colère du Führer.
L’avion se pose sur l’aérodrome de Salzbourg-Ainring
vers midi. A 13 heures, Henderson arrive au Berghof, tou-
jours accompagné par Weizsacker et Hewel.
Hitler a son visage sombre et contracté des mauvais jours.
I1 est extrêmement agité. Conformément au conseil de
Weizsacker, Henderson prend la parole en premier pour
lui annoncer qu’il est porteur d’un message personnel de
Chamberlain.
- u On avait d’abord envisagé de vous le faire remettre
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 343
par un émissaire plus digne que moi n, ajoute-t-il, (( mais la
rapidité des événements ne l’a pas permis, d’autant plus
que le Gouvernement britannique a été pris de court par
la signature du Pacte germano-soviétique. ))
- (( J’ai déjà entre les mains une traduction du mes-

sage »,répond Hitler d’un ton rogue. (( Je suis en train d’y


préparer une réponse écrite. Mais puisque vous vous êtes
dérangé pour venir jusqu’à moi, je veux en profiter pour
vous faire quelques commentaires oraux. 1)
- (( Espérons qu’il sera possible de trouver une issue

favorable à la situation dificile où nous nous trouvons »,


réplique Henderson. (( On a compris, en Angleterre, combien
une coopération anglo-allemande est nécessaire à la paix
européenne. ))
HITLER.- (( On aurait mieux fait de le comprendre
plus tôt! ))
-
HENDERSON. (( L’Angleterre a donné des garanties.
Elle est obligée de s’y tenir. n
HITLER. - Ce n’est pas l’Allemagne qui porte la res-
ponsabilité des garanties données par l’Angleterre, mais
l’Angleterre elle-même. Qu’elle en tire, à présent, les
conséquences! J’ai prévenu le Gouvernement polonais
que toute nouvelle persécution d’Allemands en Pologne
entraînerait immédiatement des représailles de la part du
Reich. Par ailleurs, j’ai appris que Chamberlain a renforcé
son dispositif militaire. Les mesures prises par l’Allemagne
ont un caractère strictement défensif. Si j’apprends, aujour-
d’hui ou demain, que de nouvelles mesures de ce genre ont
été mises à exécution chez vous, j’ordonnerai immédiate-
ment la mobilisation générale. )>
HENDERSON. - (( Alors, ce sera la guerre? I)
HITLER. - (( On dit toujours, en Angleterre, quel’atmos-
phère a été empoisonnée. Mais la vérité est que l’Angle-
terre en est elle-même la cause. Sans elle, je serais arrivé
l’année dernière à une entente pacifique avec la Tchéco-
slovaquie, et il en aurait été de même, cette année-ci, avec
la Pologne. L’affaire de Dantzig serait déjà réglée. La res-
ponsabilité de la tension actuelle incombe exclusivement à
l’Angleterre et l’Allemagne tout entière en est convaincue.
Des centaines de milliers d’Allemands sont molestés
aujourd’hui par les Polonais, jetés dans des camps de concen-
tration, expulsés de leurs foyers. J e possède, sur ce sujet,
344 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

une masse d’informations que je n’ai pas voulu publier


jusqu’ici I... n
Hitler s’échauffe en parlant. Ses poings se crispent. Sa
voix s’enfie :
- N La Pologne n’agirait pas ainsi, si l’Angleterre ne lui
avait pas donné un blanc-seing. A présent, qu’elle le paye!
J e ne laisserai pas massacrer des dizaines de milliers de mes
compatriotes, à seule fin de satisfaire un caprice de
l’Angleterre! Naguère, j’ai entretenu de bonnes relations
avec les Polonais. J e leur ai fait des propositions raison-
nables e t modérées. Ces propositions ont été sabotées par
les Puissances occidentales. Cela s’est déjà passé avec la
Tchécoslovaquie. Rappelez-vous les rapports tendancieux
des attachés militaires, relatifs à une prétendue mobilisa-
tion allemande )) ...
HENDERSON. - N Vous oubliez que l’Angleterre a donné
sa garantie à la Pologne bien après que la Pologne ait
rejeté vos propositions D ...
Mais le Führer ne l’écoute pas,
HITLER. - (( Chamberlain ne pouvait mieux s’y prendre
pour amener tous les Allemands à faire bloc derrière
moi, que de proposer un règlement de l’affaire de Dantzig
favorable à la Pologne. Je ne crois pas qu’il soit pos-
sible de régler cette question par la négociation, pour la
bonne raison que le Gouvernement britannique, tout le
premier, .n’y tient pas. J e ne peux que le répéter : 1’Alle-
magne décrétera la mobilisation générale si l’Angleterre
procède à de nouvelles mesures militaires. I1 en va de
même pour la France. D’ailleurs, je préciserai tout cela par
...
écrit 1)
Puis il ajoute, après un moment de silence :
- (( J’ai fait humainement l’impossible pour éviter d’en
arriver là. L’Angleterre s’est fait un ennemi de l’homme
qui ne demandait qu’à devenir son plus grand ami. Mainte-
nant les Anglais vont apprendre à connaître une tout
autre Allemagne que celle qu’ils ont connue jusqu’ici. B
1. Il est certain que les autorités polonaises mènent la vie dure au million et
demi d’Allemands qui vivent sur leur territoire et dont elles redoutent qu’ils ne se
livrent à unn insurrection armée. Perquisitions et arrestntions se multiplient.
Mais la répression est loin d’atteindre la violence que lui attribue Hitler. I1
n’est cependant pas impossible qu’il l’ait cru, car il reçoit sans arrêt des rapports
dans lesquels le moindre incident est démesurément grossi et où la situation lui
est dépeinte sous son jour le plus sombre.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 345
-
HENDERSON. n L’Angleterre sait que l’Allemagne est
forte. Elle vous l’a prouvé, ces derniers temps, à diverses
reprises. n
-
HITLER. u J’ai fait à la Pologne des offres généreuses,
mais l’Angleterre est intervenue pour .les contrecarrer. Ici
même, j’ai proposé un règlement au colonel Beck. I1 m’a
répondu que mon projet venait trop brusquement, mais
qu’il y voyait une possibilité l. En mars, j’ai renouvelé mes
propositions 2. A ce moment, la Pologne se serait certaine-
ment déclarée prête à entamer des négociations, si l’Angle-
terre ne l’en avait pas dissuadée. La presse anglaise a écrit
à cette époque que l’indépendance de la Pologne et de la
Roumanie était menacée 3. J’interviendrai à la moindre
tentative des Polonais pour brimer les Allemands du Corri-
dor ou de Dantzig. Quant à une mobilisation des Puissances
occidentales, j’y répondrai par la mobilisation générale de
la Wehrmacht! D

-
-
HENDERSON.s Est-ce une menace? ))
HITLER. a Non! C’est une précaution. Le Gouver-
nement britannique a préféré n’importe quelle solution à
une collaboration avec l’Allemagne. Dans sa volonté de
nous détruire, il s’est tourné vers la France, vers la Turquie,
vers la Russie )) ...
-
HENDERSON.(( Mais l’Angleterre ne songe nullement à
détruire l’Allemagne! n
-
HITLER. (( Malgré tout ce quevous pourrez me dire, j’en
demeure convaincu. C’est pourquoi j’ai consacré neuf mil-
liards de marks à construire les fortifications de l’ouest, afin
de me prémunir contre toute agression de ce côté. n
-
HENDERSON. (( Le revirement de l’opinion anglaise a
été provoqué par les événements du 15 mars 4. 1)
HITLER. - (( Pourtant vous n’avez pas protesté quand la
Pologne a voulu s’annexer la Ruthénie 5! De plus, la situa-
tion qui régnait à l’intérieur de la Tchécoslovaquie était
devenue intolérable pour l’Allemagne. Après tout, ce sont
les Allemands, et non les Anglais, qui ont apporté la civi-
1. Voir plus haut, p. 172.
2. Voir plus haut, p. 180.
3. Voir plus haut, p. 149.
4. C‘est-&dire l’occupation de Prague.
5. I1 est de fait que la Pologne avait proposé ti la Roumanie de se partager la
Ruthénie, pour élargir leur frontière commune. La Roumanie avait refusé. Fina-
lement,la Ruthénie avait été absorbée par la Hongrie le 16 mars 1939.(Voir plus
haut, p. 73 et a.)
346 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

lisation à la Bohême et à la Moravie! Croyez-moi, la solution


que j’ai imposée était la meilleure. Le Président Hacha a
été heureux de trouver une issue à la crise. Qu’est-ce que
cela pouvait faire à Londres ou à Paris, que les gens s’entre-
tuent au cœur de l’Europe centrale? )) ...
Puis d’un ton plus calme :
HITLER.- (( J e vous assure, monsieur l’Ambassadeur, que
je n’ai, en ce qui vous concerne, aucun reproche à vous
adresser. J’ai toujours apprécié vos efforts en faveur de
l’amitié anglo-allemande. ))
-
HENDERSON. (( Nous allons nous engager dans une tra-
...
gédie effroyable 1)
HITLER. - Si l’on en vient à la guerre, ce sera une lutte
à la vie ou à la mort. C’est l’Angleterre, d’ailleurs, qui aura
le plus à y perdre. ))
HENDERSON. - a I1 est certain que chacun fera son devoir
jusqu’au bout. Mais Clausewitz a dit que la guerre compor-
...
tait toujours des surprises D
HITLER.- (( L’Allemagne n’a jamais rien entrepris qui
puisse causer le moindre préjudice à l’Angleterre, et pour-
tant l‘Angleterre a constamment pris position contre elle.
Voyez l’affaire de Dantzig et d u Corridor! l’Angleterre s’est
dit : plutôt la guerre que d’accorder le moindre avantage
à l’Allemagne! 1)
-
HENDERSON.u J’ai fait de mon mieux. J’ai écrit récem-
ment à un de vos ministres : Hitler a mis dix ans pour
conquérir l’Allemagne; qu’il laisse un peu de temps à l’Angle-
terre pour se retourner... ))
HITLER.- u Le fait que l’Angleterre ait pris position
contre l’Allemagne dans l’affaire de Dantzig a indigné le
peuple allemand. 1)
-
HENDERSON.(( L’Angleterre n’a pas pris position contre
...
l’Allemagne! Elle s’est élevée contre l’emploi de la force! D
HITLER.- u Et quand donc l’Angleterre a-t-elle imposé
une négociation, pour résoudre la moindre iniquité du
Traité de Versailles? ))
Comme Henderson ne sait que répondre, Hitler remarque
à voix basse :
- u Comme dit le proverbe allemand, pour pouvoir
s’aimer, il faut être deux ... 1)
Cette dernière réflexion détend l’atmosphère.
- u Pour ma part »,avoue Henderson, u je n’ai jamais
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 347
cru à la réalisation d’un Pacte anglo-franco-russe. A mon
avis, la Russie a voulu désarçonner Chamberlain par ses
atermoiements, pour pouvoir profiter de la guerre qui en
résulterait. Pour ma part, je préfère que ce soit l’Allemagne -
plutôt que mon pays -
qui ait un traité avec la Russie ...
- (( Ne vous y trompez pas »,répond Hitler, (( ce traité

durera longtemps! D’ailleurs, je vous remettrai ma réponse


écrite dans le courant de l’après-midi. ))
L’entretien prend fin sur ces mots l.
*
* *
Vers 14 h. 30, Henderson retourne à Salzbourg où il
attend qu’Hitler le rappelle au Berghof. Pendant ce temps,
le Führer met au point sa réponse à Chamberlain. La voici :
L’Ambassadeur de Grande-Bretagne vient de me remettre,
a u nom du Gouvernement britannique, une communication da?
laquelle, Votre Excellence attire mon attention sur u n certatn
nombre de points a u q u e l s elle attache une importance
cup itale.
Qu’il me soit permis d‘y répondre de la façon suivante :
1. L‘Allemagne n’a jamais cherché un conflit avec l’Angle.
terre et ne s’est jamais dressée contre des intérêts anglais.
A u contraire. Elle s’est efforcée depuis des années -mais malheu-
reusement en vain - de se concilier l’amitié de l‘Angleterre.
Dans ce but elle a accepté de limiter ses propres intérêts dans
une zone étendue de l‘Europe, limitations qui, en toute autre
circonstance, auraient été incompatibles avec une politique
nationale.
2. Cependant, le Reich allemand a, comme tous les autres
,!?tats, certains intérêts bien définis auxquels il lui est impossible
de renoncer. Ces intérêts sont déterminés par toute l’histoire de
l‘Allemagne et découlent d‘exigences économiques vitales et préé-
ta blies. Certaines de ces questions ont présenté, et présentent
toujours, une importance d’un caractère national et psycholo-
gique qu’aucun gouvernement allemand n’est en droit d‘ignorer.
Parmi ces questions, figurent celle de la ville allemande de
Dantzig et le problème du Corridor, qui lui est connexe. Même
en Angleterre, un grand nombre d’hommes d’État, d‘historiens
et d‘écrivains en ont convenu, du moins jusqu’à ces derniers
temps. J e voudrais ajouter que tous ces territoi!es, situés dans
la sphère d‘intérêts allemande ci-dessus mentionnée, et plus

I . Procès-wbal de l’entretien Hitler-Henderson du 23 août 1939, établi par le


conseiller von Lœsch. (Livre blanc allemand, I, no 455.)
348 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

particulièrement les pays qui ont fait retour a u Reich il y a


dix-huit mois, ont reçu leur culture non point des Anglais, mais
exclusivement des Allemands, et cela à une époque remontant
à plus de mille années.
3. L’Allemagne était prête à régler les questions de Dantzig
et du Corridor par voie de négociation et sur des bases si magna-
nimes, qu’on e n chercherait vainement E e uioalent ailleurs 1.
‘t
Les accusations anglaises relatives à une mo ilisation allemande
contre la Pologne, l’assertion que l’Allemagne nourrissait des
desseins agressifs contre ta Roumanie, la Hongrie, etc. 2, tout
comme les garanties qui leur ont été donnéespar la suite, ont
cependant dissipé chez les Polonais, tout désir de négocier sur
une base de ce genre, qui eût été également acceptable pour
1‘Allemagne.
4. L’assurance inconditionnelle donnée par l’Angleterre à
la Pologne de lui prêter assistance e n toutes circonstances et
quelles que soient les raisons dont pourrait naître un conflit,
n’a p u être intsrprétée par ce pays que comme un encourage-
ment à déchaîner, sous le couvert d‘une telle charte, une vague
de terrorism abominable contre le million et demi d ’ A l l e m a d
vivant sur son territoire. Les atrocit& qui, depuis lors, se sont
produites dans ce pays, sont terribles pour les victimes, mais
intolérables pour une grande Puissance comme le Reich dont
on semble attendre qu’il conserve devant elles l‘attitude d‘un
spectateur impassible. La Pologne s’est rendue coupable de
nombreux manquements a u x obligations juridiques qu’elle avait
contractées envers la Ville libre de Dantzig; elle a présenté des
exigences ayant un caractère d‘ultimatum; elle s’est mise e n
devoir de l‘étrangler économiquement.
5. En conséquence, le Gouvernement d u Reich a fait récem-
ment informer le Gouvernement po1on:is qu’il n’était pas prêt
à tolérer passivement que cette sztuatzon se perpétue; qu’il ne
tolérerait pas plus longtemps que des notes ayant un caractère
d’ultimatum soient adressées a u Sénat de Dantzig u’il ne tolé-
‘1
rerait pas non plus que continuent les persécutions e la minorite
allemande; qu’il ne tolérerait pas davantage que la Ville libre
de Dantzig soit ruinée par l’application de mesures économiques
ou, e n d‘autres mots, que les bases vitales de la population de
Dantzig soient réduites à nëant par une sorte de blocus douanier,
et qu’enfin, il ne tolérerait aucun nouvel acte 0% provocation
envers le Reich. Ceci dit, les questions d u Corridor et de Dantzig
doivent être réglées, -et elles te seront.
6. Votre Excellence m’informe, a u nom d u Gouvernement
1. Allusion aux propositions de a règlement global O, faites par Ribbentrop
le 21 mam 1939 (voir plus haut, p. 180) et rbvoquées par Hitler dans son dis-
cou= du 28 avril. (Voir plus haut, p. 190-192.)
2. Voir plue haut, p. 153.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 349
britannique, que vous serez obligés de venir en aide à la
Pologne a u cas où l'Allemagne se livrerait à une intervention
de ce genre. J e prends note de votre affirmation et vous assure
qu'elle ne saurait modifier en rien la résolution d u Gouverne-
ment d u Reich de sauvegarder ses intérêts, tels qu'ils sont
énumérés dans le paragTaphe 5 ci-dessus. Vous me dites que,
dans une telle éventuahté, vous prévoyez que la guerre sera
longue. C'est aussi mon opmion. L'Allemagne, s i elle est attaquée
par l'Angleterre, se trouvera prête et résolue. Plus d'une fois
déjà, r a i déclaré devant le peuple allemand et devant le monde,
qu'il ru pouvait subshter le moindre doute sur la résolution
d u nouveau Reich d'accepter toutes les privations et toutes les
épreuves aussi longtemps qu'il le faudra, plutôt que de sacrifier
ses intérêts nationaux, sans parler de son honneur.
7. Le Gouvernement d u Reich a appris que le Gouverne-
ment britannique avait l'intention de procéder à des mesures de
mobilisation qui, a u x termes des déclarations contenues dans
votre propre lettre, sont nettement dirigées contre la seule Alle-
magne. L'on dit que ceci est vrai également pour la France.
Étant donné que l'Allemagne n'a jamais eu l'intention de
prendre, contre l'Angleterre ou la France, d'autres mesures mili-
taires que celles ayant un caractère strictement défensif et que,
comme elle l'a déjà déclark avec insistance, elle n'a jamais eu,
et n'aura jamais, l'intention d'attaquer l'Angleterre ou la
France, il dernuit que cette déclaration, telle que vous me la
confirmez, Monsieur le Premier Ministre, ne peut s'interpréter
que comme un geste de menace, dés maintenant prévu et dirigé
exclusivement contre le Reich. En conséquence, ?informe Votre
Excellence que, dans le cas o ù ces déclarations seraient réelle-
ment suivies d'effet, j'ordonnerai immédiatement la mobilisation
des forces allemandes.
8. L e règlement des problèmes européens sur une base pacifi-
que ne relève p a s d'une décision de l'Allemagne. Elle incombe
a u premier chef à ceux qui, depuis le Diktat de Versailles, se
sont obstinément et constamment opposés à toute révision paci-
fique du Traité. C'est seulement Iorsqu'un changement de mentalité
sera survenu chez les Puissances responsables qu'il pourra y
avoir une modification réelle dans les relations entre nos deux
pays. Toute ma vie, ?ai lutté pour l'amitié anglo-allemande;
l'attitude adoptée - tout a u moins à l'hure présente -
par la
diplomatie britannique m'a cependant convaincu de la futilité
de mes efforts. S i , dans l'avenir, un changement quelconque
devait se produire sous ce rapport, personne n'en serait plus
heureux que moi.
I
ADOLPHITLER
1. Réponse du Chcrncelier Hiller au Premier Ministre bitannique, remise de
350 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

+ +
Pendant ce temps, Sir Nevile Henderson se morfond à
Salzbourg, dans l’attente de la réponse allemande. Vers
18 heures, un coup de téléphone l’avertit que le Führer
l’attend. I1 monte aussitôt en voiture pour se rendre au
Berghof.
Dès son arrivée, Hitler lui tend la lettre qu’il vient de
rédiger. Le Führer est beaucoup moins agité que lors de
l’entrevue précédente. On dirait que le fait d‘avoir couché
sa pensée sur le papier l’a calmé.
Henderson prend rapidement connaissance du message
pour Chamberlain. Mais lorsqu’il arrive au bas du para-
graphe 7, qui a trait à la mobilisation allemande, son sang
se fige.
- (( Cela signifie-t-il la guerre? )) demande-t-il à Hitler,

d’un ton angoissé.


- a Les mesures de mobilisation prescrites par la France
et l’Angleterre m’ont convaincu que ces deux Puissances
s’apprêtaient à m’attaquer »,répond-il. (( Elles me mettent
dans l’obligation d’en faire autant, à titre préventif. Cette
phrase est avant tout un avertissement à la France ... 11
Henderson en déduit que le Gouvernement français en
sera informé. I1 pense qu’en incluant cette menace dans son
message, Hitler a surtout voulu obéir à deux motifs essen-
tiels : prouver que I’bllemagne ne se laissait pas intimider,
et se couvrir, au cas oii il déciderait lui aussi de décréter
la mobilisation générale 1. Mais l’ambassadeur ne veut pas
s’en tenir aux hypothèses. Pour en avoir le cœur net, il fait
valoir à Hitler qu’en tout état de cause, les mesures mili-
taires prescrites par Londres et Paris sont loin d’atteindre
l’importance de celles qu’il a déjà prises lui-même.
- (( En agissant comme vous le faites », lui dit-il, (( vous
assumez une responsabilité dont les conséquences peuvent
être incalculables! B
Mais Hitler est buté. I1 ne sait que répéter :
- u Cette responsabilité incombe exclusivement à l’An-
gleterre! ))

la main à la main à l’ambassadeur de Sa Majesté, le 23 aoOt 1939. (Sip Nevile


HENDERSON, D e m ans avec Hitler, Appendice III, p. 325-329.)
1. Documente on British Foreign Policy, VII, no 232.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST M O R T E 351
- ((C’est faux! )) s’écrie Henderson.
- Non! l’Angleterre veut anéantir l’Allemagne. J e viens
((

d’avoir cinquante ans. J e préfère faire la guerre à cinquante


ans que lorsque j’en aurai cinquante-cinq ou soixante! ))
- (( Mais il est absurde de parler d’anéantissement! Les

nations ne peuvent pas être exterminées! L’existence d’une


Allemagne paisible et prospère est dans l’intérêt de l’Angle-
terre. Cette guerre ne profitera qu’aux races inférieures. ))
- (( C’est l’Angleterre qui combat pour les races infé-

rieures. Moi, je ne combats que pour l’Allemagne1! Cette


fois-ci les Allemands lutteront jusqu’au dernier. Si j’avais
été Chancelier en 1914, les choses se seraient passées tout
autrement,. je vous l’assure! Autrefois, j’ai eu confiance en
Chamberlain, mais plus maintenant qu’il est revenu à la
politique d’encerclement. B
- (( Vous vous fiez à des apparences trompeuses )I ...
- (( Non! J’ai longtemps fait l’impossible pour m’entendre

avec l’Angleterre, mais j’ai fini par me ranger à l’avis de


ceux qui m’affirment que l’Allemagne et l’Angleterre ne
s’entendront jamais! ))
- ((Vous vous exagérez l’importance du Pacte germano-
russe... ))
- (( C’est l’Angleterre qui m’a contraint de m’entendre
avec la Russie. Mais quand je passe un accord de ce genre,
c’est pour longtemps. Les termes mêmes du Pacte l’attestent.
Vous serez peut-être surpris de le voir complété un jour
par quelque chose de plus vaste et de plus positif qu’un
Pacte de non-agression 2. ))
- N J e ne puis conclure qu’une chose de tout ce que vous
venez de me dire : c’est que ma mission en Allemagne a
lamentablement échoué. J e le regrette amèrement 3. 1)
Hitler se lève pour montrer que l’entretien est terminé.
I1 n’a duré en tout qu’une vingtaine de minutes.
*
* +
Tandis que Weizsacker demeure au Berghof, Henderson
redescend à Salzbourg où il reprend l’avion pour Berlin.
1. a Le terrible n, dit Gaienco, a c’est qu’il ne pense jamais qu’à ses Allemands.*
2. Hitler veut laisser entendre par id que l’Allemagne et 1’U. R. S. Ç. seraient
sur le point de signer un Pacte d’assistance militaire.
3. Sir Neviie HENDERSON, D e w ans avec Hitler, p. 275.
352 HISTOIRE DE L’ARM$E ALLEMANDE

La nuit tombe sur l’Europe. A travers les hublots de


son appareil, l’ambassadeur cherche à scruter le paysage.
Mais il a beau faire, il n’aperçoit rien. Ni les villes, ni les
villages, ni les routes, ni les voies ferrées ne sont éclairés,
car un exercice de black-out a été prescrit pour cette région.
Tout semble avoir sombré dans une obscurité impénétrable.
Alors, Henderson s’abîme dans ses propres pensées :
... ...
a i l n’y a plus rien à dire m a dernière entrevue avec cet
homme m’a démontré qu’il est pratiquement impossible de
...
négocier avec l u i Hitler a tempêtk et a f u l m i né... j e s u i s
demeuré calme pour l u i prouver qu’il devait prendre nos aver-
...
tissements a u sérieux s i Hitler est capable d’être convaincu,
i l f a u t le convaincre ...
s’il n’en est p a s capable, seule l a
guerre le convaincra ...
m a i s j e m’imagine qu’il a d û être
ébranlé par mes arguments, sans quoi i l n’aurait p a s demandé
...
à m e revoir j’ai insist4 sur le rôle que les événements d u
15 mars avaient j o u é dans le revirement de l’opinion bri-
...
tannique j e n’ai cessé de l u i dire qu’il exagérait, que ses
...
vues étaient fausses m a i s chacune de mes objections n’a fait
...
que l’exaspérer davantage i l était dans un état d’esprit oh i l
était impossible da le raisonner ...
u ..,dommage que j e n’aie pas p u m’entretenir avec Weizsacker
à l’issue des deux entretiens. II! a été aussi cordial et serviable
que possible. Il m’avait prévenu qu’Hitler axerait toute la
conversation 6ur les mauvais traitements infligés à la minorité
allemande, et ignorerait tout le reste. C’était u n renseignement
précieux. J’ai cherché à le parer e n me concentrant de m o n côté
sur la détermination de l a Grande-Bretagne d’honorer ses enga-
gements envers la Pologne. Cela me déchirait le cœur, d’autant
p l u e que, depuis Ie début de ta
crise, j’ai toujours considgrs
que les Polonais agissaient #uns façon stupide et folle. M a i s
...
c’est ainsi peut-être la Providencs considère-t-elle qu’une
guerre est nécessaire, ne serait-ce que pour nous apprendre à n e
p a s recommencer... maintenant qu’Hitler est sûr de la Russie,
il n’a aucune raison de descendre de cheval si la Pologne ...
préfère être détruite que de céder? j e crains qu’elle n’en a i t
...
beaucoup à souffrir nous auast d’ailleurs. pour ma part, ..
...
j e ne vois plus aucune issue aucune issue I.. n
1. Cf. Documenta on Brithh Foreign Policy, VII, no 257.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 353

Tandis que l'ambassadeur de Grande-Bretagne, engourdi


par le grondement des moteurs, vole à travers des ténèbres
que ne perce aucune lumière, bien des choses se sont passées
depuis son départ de Berlin.
Au début de l'après-midi, un premier message est arrivé
de Dantzig. I1 annonce :

(( Conformément à une suggestion d u Gauleiter Forster, le

Sénat de Dantzig a adopté aujourd'hui, à midi, la résolution


suivante :
(( Le Sénat décide de déclarer le Gauleiter de la N. S. D. A. P.

chef de l'État de la Ville libre de Dantzig. ))

(Suivent les signatures de tous les sénateurs.)


allemain matin, le Sénat promulguera un décret par lequel
la résolution ci-dessus, amendant la Constitution, aura force
de loi.
((Le président du Sénat, M. Greiser, remettra alors person-
nellement a u Gauleiter Forster une lettre dans laquelle une
copie certifiée de la résolution et du décret sera portée à sa
connaissance, avec une requête le priant d'assumer les fonctions
de Chef de .?%tat de la Ville libre de Dantzig. L e Gauleiter
Forster accédera à cette requête l.
(( Le Sénat continuera à exercer les pouvoirs gouvernementaux

dans la Ville libre de Dantzig et le président Greiser restera à


sa tête.
((Le fait que le Gauleiter Forster est devenu Chef de I'État de
la Ville libre de Dantzig ne sera publié que par la presse; il ne
sera pas notifié officiellement aux Gouvernements étrangers. D
BERGMANN
2.

Ce message est suivi à brève échéance par un second :

(( Le vice-consul Grolman, du consulat général d'rllldmagne


à Dantzig, vient de téléphoner :
(( L e cuirassé d'escadre Schleswig-Holstein arrivera demain
à Dantzig, sans notification préalable a u Gouvernement polo-
nais. L e navire jettera l'ancre à Westerplatte, et non à l'endroit

1. A partir de ce moment, tous les pouvoirs de l'État libre, de la Ville libre et


du Parti sont réunis dans une même main.
2. Archives 8ecrdte8 de la WiUelmtra.we, VII, no 179.
II 23
354 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ ~ EALLEMANDE

prévu par le chef piloie (un Polonais) pour la visite du croiseur


Konigsberg I)
BERGMANN
2.

La même nuit, Gœring lance un mystérieux appel télé-


phonique à Stockholm.
1. Sur l’ordre des Polonais, le K6nigsberg avait été amarré dans le port mili-
taire de la presqu’île de Héla, située en face de Dantzig, de l’autre côté du Put-
ziger Wiek. TI se trouvait, de ce fait, sous le contrôle des autorités polonaises. En
jetant l’ancre A Westerplatte, qui se trouve 9 l‘intérieur du territoire de l‘État
libre. le Sclileswig-Holstein y échappera. C‘est pourquoi les règlements internatio-
naux, fixant le statut de I’ktat libre de Dantzig, interdisaient aux bateaux de
guerre de venir mouiller A cet endroit.
2. Archiwusecrètes de la WiUlelmsfrasse,VII, no 180.
XXIV

LA FIÈVRE MONTE DANS LES CAPITALES

(Jeudi, 24 août 1939)

Le soleil se lève dans un ciel incroyablement pur. La


journée s’annonce superbe. Aux premières heures de la mati-
née, le Schleswig-Holstein, arborant le grand pavois, entre
dans la baie de Dantzig au milieu des acclamations et
jette l’ancre le long du quai de Westerplatte.
Les autorités polonaises élèvent immédiatement une pro-
testation énergique contre cette violation du statut inter-
national de l’État libre. Les négociations qui se pour-
suivaient depuis quelques jours s u r la réduction du nombre
des agents de douane polonais - à laquelle le Gouverne-
ment de Varsovie semblait tout d’abord disposé à donner
son acquiescement - sont brutalement interrompues l.
L’arrivée du Schleswig-Holstein a encore accru l’anxiété
qui règne dans la ville. La délégation polonaise a déjà
quitté Dantzig. M. Shepherd, consul de Grande-Bretagne,
s’est éclipsé, sans même prendre congé du Sénat. Qvant à
M. de la Tournelle, consul général de France, il reste en
déclarant (( qu’il espère être bien traité 2 ».Mais il n’en pré-
pare pas moins ses valises.
A 11 h. 30, Carl Burckhardt rend une dernière visite à
M. Greiser. Celui-ci lui notifie officiellement que le Gauleiter
1. Archives secrètes de la Wilhelrnstrasse, VII, no 187. Le président du Sénat
de Dantzig avait demandé le retrait de tous les fonctionnaires frontaliers et la
réduction à 10 ou 15 (c’est-à-dire d’environ 90 %) du nombre des inspecteurs
polonais des douanes. (Zd., no 209.)
2. Id., ibid.
356 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

Forster a été nommé Chef d’État de la Ville libre. Le Haut-


Commissaire de la Société des Nations demande s’il doit en
référer au Comité des Trois, à Genève l.
- a J e laisse cela à votre appréciation D, lui répond le pré-
sident du Sénat. (( Mais quelle que soit la réaction du Comité
des Trois, elle ne saurait plus avoir aucun effet sur les réso-
lutions que nous venons de prendre S. N
- (( Dans ces conditions », déclare le Haut-Commissaire,
( ( j e compte demander au président du Comité des Trois de
me relever de mes fonctions. Ma présence ici est devenue
sans objet, puisque l’évolution interne est parvenue à son
terme et que le sort de Dantzig dépend désormais de la tour-
nure que prendra la politique internationale. ))
- (c Vous avez raison D, lui répond M. Greiser. (( Votre
place n’est plus ici. Je n’en garderai pas moins un excellent
souvenir des efforts que vous avez constamment déployés
pour arranger les choses. J’espère vous revoir un jour, en
Suisse ou en Allemagne, quand l’orage sera passé 1) ...
Ainsi se rompent, l’un après l’autre, tous les liens qui
unissaient Dantzig au monde extérieur.
En apprenant que le gauleiter Forster a été nommé Chef
d’État de la Ville libre, M. Chodacki, président de la Délé-
gation diplomatique polonaise, adresse la note suivante
à M. Greiser :

N M o n Gouvernement ne voit aucune base légale à la résolu-


tion du Sénat de la Ville libre, créant une nouvelle fonction
dans l’État, à laquelle, semble-t-il, toutes les autorités de la Ville
libre seraient su bordonnées. L e Gouvernement polonais se réserve
le droit de fixer son attitude à cet égard.
(c A cette occasion, le Gouvernement polonais estime néces-
saire de rappeler aux autorités de la Ville libre qu’il les a déjà
mises e n garde, à plusieurs reprises, contre une politique de
faits accomplis, dont les conséquences peuvent être des plus graves.
Leur responsabilité incombera exclusivement a u x autorités de
la Ville libre 8. D

1. Émanation du Conseil de la S. d. N. le Comité des Trois, présidé par le repré-


-
ssntant d’un pays neutre, était chargé d’examiner et de soumettre au secrbtariat
general- tous les litiges
- -pouvant survenir entre le Sénat de Dantzig et les auto-
&tés polonaises.
2. Archiva smàtso da Ur Wilhelmtrasss, VII, no 186.
3. Id., VII, no214.
LA PAIX SE iiiEURT... LA PAIX EST MORTE 357

*
* *
Tandis que la situation se tend de plus en plus à Dantzig,
la nervosité s’accroît dans tous les pays d’Europe. E n Alle-
magne, les routes sont sillonnées de colonnes motorisées qui
se dirigent vers l’est. E n Roumanie, où l’on redoute depuis
des mois une attaque de la Honved l, 80.000 hommes font
mouvement vers la frontière hongroise En Slovaquie, où
deux avions polonais ont atterri par mégarde, le général
Barckhausen demande à Mgr Tiso d’interdire le survol de
son territoire aux appareils étrangers. Tout avion contre-
venant à cet ordre sera immédiatement abattu 8. E n Hol-
lande, on pose des mines dans la région située entre Nimègue
et Maestricht et on limite l’exportation de certaines matières
premières. E n Belgique, où l’on procède à une mobiIisa-
tion partielle, l’armée s’apprête à prendre position le long
des deux frontières -
française et allemande pour bien -
marquer que le pays luttera contre quiconque tentera de
violer sa neutralité. En France, les premières mesures
décidées la veille par le Comité permanent de la Défense
nationale commencent à se faire sentir. Les gares sont
envahies par des jeunes gens, appartenant aux 19e, 21‘3 et
23e divisions d’infanterie ainsi qu’à la 3e division d’infan-
terie coloniale, qui rejoignent leurs corps4. Ils sont encombrés
de valises et de musettes. Les civils les regardent passer
avec un air attristé.
- K Ne vous en faites pas! D leur crie l’un d‘eux pour les
encourager. a Vous serez rentrés chez vous avant la fin de
la semaine! ))
Mais les jeunes gens ne sont pas d’humeur à plai-
santer. Ils en ont assez d‘être rappeIés sous les drapeaux

1. a Depuis le mois de mars de cette annke I, déclare M. Dome Sztojay, ministre


de Hongrie à Berlin, u une mobilisation presque ininterrompue a lieu en Roumanie
bien que le Gouvernement hongrois ait, dès le 25 mars, notifié au Gouvernement
roumain que les mesures militaires prises par lui avaient été stoppées ou contre-
mandées. Le Gouvernement roumain a déclaré, le 26 mars, qu’il agirait de même,
mais en dépit de cette assertion, il a continué i prendre des mesures militaires. a
(Archives secrètes de Za WiZheZrnstrasse, VII, no 208, Annexe.)
2. Rapport de M . Erdrnannsdori, ministre d’Allemagne à Budapest, 24 août 1939,
15 h. 20. (Archives secrètes de la WiZheZmstrasse, no 191.)
3. Id., no 135.
4. Général GAMELIN, 8chelonnemenfdes dispositions militaires. (Servir, II, p. 446.)
. 358 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

à chaque nouvelle crise e t se demandent s’il ne vaudrait


pas mieux en finir une fois pour toutes...

+ +

Au début de l’après-midi, la Chambre des Communes e t


la Chambre des Lords se réunissent à Westminster1. Les
deux salles d u Parlement sont pleines à craquer et c’est au
milieu d’un silence pesant que Chamberlain prend la parole :

a Je ne veux pas cacher à l’honorable assemblée »,déclare-


t-il, (( que l’annonce du Pacte germano-soviétique a été, pour
le Gouvernement de Sa Majesté, une surprise, et une surprise
très désagréable. Sans doute des rumeurs circulaient-elles
depuis quelque temps, relatives à une modification des rela-
tions entre l’Allemagne et l’Union Soviétique. Mais aucune
indication précise ne nous était parvenue à ce sujet, ni de la
part de la France, ni de la part des Soviets...
((La Chambre se souviendra que notre garantie a été donnée
à la Pologne à un moment où il n’était pas question d’un
accord, quel qu’il soit, avec la Russie, et sans qu’il ait jamais
été dit qu’elle fût liée à la conclusion d‘un accord de ce genre.
Comment pourrions-nous, sans manquer à l’honneur, nous
dérober à des obligations si fréquemment et si clairement
répétées? C’est pourquoi notre premier geste a été de publier
une déclaration précisant que nos obligations envers la
Pologne et d’autres pays conservaient leur validité. Ces
obligations se concrétiseront dans des traités, dont la négo-
ciation est déjà très avancée. Lorsque ces traités auront été
signés, ils définiront nos obligations de façon formelle, mais
ils ne modifieront en rien les obligations d’assistance mutuelle
que nous avons déjà contractées. Ils ne leur ajouteront,
ni ne leur enlèveront rien.
u Quant au communiqué, publié cette semaine dans la
presse, à l’issue de la réunion du Cabinet, il faisait également
mention de certaines mesures de défense que nous avons déjà
prises. On se souviendra, comme je l’ai dit, que l’Allemagne
a déjà des effectifs énormes sous les drapeaux, et que des
préparatifs militaires de tous ordres sont pris - ou vont
l’être - dans la plupart des pays.
(( Les mesures auxquelles nous avons eu recours jusqu’ici

ont un caractère strictement préventif et défensif. Elles ont

1. Voir plus haut, p. 313.


LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 359
pour but de donner du poids à notre décision et de mettre
notre pays en état de faire face à toutes les éventualités.
Mais je tiens à assurer, d’une façon formelle, qu’elles n’ont
aucunement le caractère à‘une menace - si tant est qu’un
tel soupçon doive s’exprimer. Rien de ce que nous avons fait
ou projetons de faire, ne menace les intérêts légitimes de l’&le-
magne.
(( J’ai déjà exprimé à d’innombrables occasions ma certi-

tude qu’une guerre entre nos deux pays serait la plus grande
catastrophe qui puisse nous arriver. Elle n’est d’ailleurs
souhaitée ni par le peuple allemand, ni par le nôtre.
(( Mais si, malgré tous nos efforts pour sauvegarder la paix

- et Dieu sait si j’en ai fait! - nous nous voyons contraints,


malgré tout, d’engager un combat qui apportera des souffrances
et des misères indicibles à toute l’humanité, nous ne lutterons
pas pour l’avenir politique d’une ville étrangère, mais pour
le maintien de principes dont j’ai déjà parlé, et dont la des-
truction équivaudrait à celle de toute possibilité de paix et
de sécurité pour tous les peuples de la terre. Cependant, le
choix entre la paix et la guerre ne nous appartient plus et je
veux croire que ceux auxquels cette responsabilité incombe
penseront aux millions d’êtres humains, dont le sort dépend
du choix auquel ils s’arrêteront l...))

Winston Churchill, Anthony Eden, Duff Cooper, Arthur


Greenwood a, Sir Archibald Sinclair d’autres encore approu-
vent ostensiblement le Premier Ministre. A la même heure,
Lord Halifax s’adresse à la Chambre des Lords. I1 prononce
& peu près le même discours que Chamberlain, car les
deux allocutions ont été calquées l’une sur l’autre. Les
Pairs du royaume manifestent eux aussi leur satisfaction.
A l’issue de courts débats, Chamberlain demande a u Parle-
ment de voter 1’Emergency Powers Bill. Les Communes
l’adoptent par 447 voix contre 4.
Chamberlain respire. C’est la plus forte majorité qu’il ait
jamais obtenue, plus forte même que celle qu’il a recueillie
au lendemain de Munich 3. Nul doute que l’opinion britan-
nique ne soit plus favorable aux mesures de force qu’aux
tentatives de conciliation. Le Premier Ministre ne craint

1. Discours de Chamberlain d la Chambre des Communen, le 24 août 1939


(Extraits). Liwe bleu anglais, no 64.
2. II remplace M. Clement Attlee, chef du Parti Libéral, qui est souffrant.
3. 369 voix. Rappelons que Chamberlain n’en avait obtenu que 118 I’avant-
veille.
360 HISTOIRE DE L'ARMÉE ALLEMANDE

plus d'être désarçonné, à condition de rester fidèle à sa


politique de fermeté.

* +
A l'heure où Chamberlain prononce son discours devant
la Chambre des Communes, le Président Roosevelt lance
l'appel suivant à Hitler :
Wash'ington, 24 août 1939.
u Dans le message que i e vous a i adressé le 14 avril dernier 1,
r a i dit qu'il était a u pouvoir des dirigeants des grands peuples
de détourner la catastrophe qui planait sur leurs pays, mais que
la crise qui menaçait le monde se terminerait inévitablement
par une catastrophe, si l'on ne s'efforçait pas de trouver S a m
délai, avec une bonne volonté réciproque, une solution paci-
fique et constructive a u x différends actuels. Cette catastrophe
paraît aujourd'hui terriblement rapprochée.
u J e n'ai reçu aucune réponse à mon message d u 14 avril 2.
Cependant, comme r a i la conviction inébranlable que la cause
de la paix mondiale - qui se confond avec la cause de l'Huma-
nité - domine toutes les autres considérations, je me tourne de
nouveau vers vous dans l'espoir que la guerre qui nous
menace, avec tous les malheurs qu'elle engendrera pour tous
les peuples, pourra encore être évitée.
u C'est pourquoi i e vous lance un appel pressant et grave
- u n appel semblable est lancé simultanément a u Président
de la République polonaise -pour que les Gouvernements alle-
mand et polonais s'abstiennent de toute agression durant une
période donnée, et qu'ils s'engagent, suivant un accord mutuel, à
régler les différends qui les opposent e n recourant à l'une
des trois méthodes suivantH :
10 Des négociations directes; 20 e n soumettant leur litige à u n
tribunal d'arbitrage investi de leur confiance réciproque; 30 par
voie de conciliation. L e médiateur ou le président chargéd'appli-
quer ces procédures devrait être le citoyen d'un des pays tra-
ditionnellement neutres de l'Europe, ou encore d'une des
Républiques américaines, dont aucune n'est directement ou
indirectement mêlée a u x affaires de votre continent.

1. I1 s'agit du message dans lequel Roosevelt énumérait trente et un pays qu'il


demandait à Hitler et à Mussolini de ne pas attaquer. (Voir plus haut, p. 85
et p. 100.)
2. Hitler y a répondu pendant plus d'une heure, dans le discours qu'il a pmnonc6
devant le Reichstag, le 28 avril. (Voir plus haut, p. 87.)
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 361
u Comme la Pologne et l’Allemagne sont deux États.souverains,
il va de soi qu’après l’acceptation d’une des trois méthodes pré-
conisées par moi, les deux États devraient s’engager à respecter
scrupuleusement leur indépendance et leur intégrité territoriab.
u L e peuple des États-Unis est unanimement opposé à toute
politique de conquête et de domination militaires. Il est unanime
à condamner la doctrine selon laquelle u n chef d’État ou un peuple
quelconques ont le droit de réaliser leurs desseins par des moyens
qui plongeront d’innombrables millions d’hommes dans une
guerre qui apportera des souffrances et une misère inouïes à tous
les peuples de l‘univers - qu’ils soient neutres ou belligérants
- surtout quand ces objectifs peuvent être atteints par des négo-
ciations pacifiques ou par des procédures d’arbitrage, pour
autant que ces objectifs soient raisonnables et légitimes.
a J e fais appel à vous, a u nom d u peuple des États-Unis
- et je crois pouvoir dire aussi, a u nom de tous les hommes et
de toutes les femmes de par le monde qu’inspire u n amour sin-
cère de la paix - pour que vous régliez le litige pendant entre
votre Gouvernement et le Gouvernement polonais, en acceptant
une des trois méthodes énoncées ci-dessus. J e n‘ai pas besoin de
répéter que, s i les gouvernements d’Allemagne et de Pologne
se montraient disposés à régler le différend qui les oppose par
un des moyens pacifiques que r a i évoqués, le Gouvernement
des États-Unis serait prêt, e n tout temps, à apporter sa contri-
bution à la solution des problèmes qui menacent la paix du
monde, comme je l’ai dit déjà dans mon mvssage du 14 avril 1. R

A peu près au même moment, une autre voix s’élève sur


les ondes : c’est celle du Pape Pie XII. Elle ne s’adresse à
aucun Chef d‘Etat en particulier, mais à tous les peuples
de la terre, pour les exhorter à se ressaisir avant qu’il
ne soit trop tard :
R Une heure grave sonne de nouveau pour la grande famille
humaine »,déclare le Souverain Pontife, (( une heure où vont
être prises de terribles décisions, dont Notre autorité spirituelle
ne saurait se désintéresser et qui Nous incitent à faire appel
aux cœurs et aux esprits, pour qu’ils ne s’écartent pas du
chemin de la Justice et de la Paix.
u Nous sommes aujourd’hui avec vous, dirigeants des
peuples, hommes de la politique et des armes, commenta-

1. Le Président des États-Unis adresse le même jour un appel à M. Moscicki,


Président de la République polonaise. Mais il est plus court et son ton est trés
différent. Il se borne à énumérer les trois moyens de régler le différend par des
voies pacifiques et demande simplement à la Pologne de se rallier à l’un d‘eux.
362 EISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

teurs de la radio et orateurs publics qui exercez une influence


sur la conduite de vos frères et êtes, de ce fait, responsables
de leur destin. Nous qui ne sommes armés aujourd’hui que
de la seule Parole divine, Nous qui Nous trouvons au-dessus
de toute ambition terrestre et en dehors de tous les partis,
Nous vous parlons au nom de Dieu ...
(( Nous invitons l’humanité entière à lever ses regards vers

le ciel e t à adresser au Seigneur ses prières les plus ferventes


pour qu’il répande sur le monde la plénitude de Sa Grâce,
pour qu’il apaise les passions e t fasse rayonner dans le ciel
le signe annonciateur d’un avenir meilleur. C’est dans cette
attente e t avec cet espoir que Nous envoyons à tous, du plus
profond de Notre cœur, Notre bénédiction paternelle. ))

* *
Le texte du discours de Chamberlain aux Communes est
parvenu en fin d’après-midi à Berlin, d‘où il a été immédia-
tement transmis au Berghof. Les experts l’ont trouvé plus
modéré qu’ils ne s’y attendaient. Ils ont noté, en particulier,
le passage dans lequel le Premier Ministre souligne que les
mesures militaires prises par le Gouvernement de Sa Majesté
ont un caractère strictement défensif et ne sauraient en
aucun cas être considérées comme une menace envers l’Alle-
magne. Comme l’Angleterre ne peut prêter assistance à la
Pologne qu’en recourant à des mesures offensives, les obser-
vateurs croient pouvoir en déduire que la Grande-Bretagne
prend ces précautions pour la forme, mais n’a pas réelle-
ment l’intention de prêter main-forte à Varsovie. L’espoir
subsiste donc de localiser le conflit, peut-être même de voir
Londres exercer in eztrernis une pression sur le colonelBeck,
pour l‘amener à engager des négociations directes avec
1’Allemagne.
Tandis que le soleil descend sur les Alpes bavaroises,
Hitler se promène de long en large sur la terrasse du Berghof.
Comme à la veille de toutes les décisions impartantes, il tient
à être seul. I1 marche, la tête baissée et les poings dans ses
poches. Les montagnes, embrasées par les feux du couchant,
passent lentement de l’or au cramoisi, et du cramoisi au
pourpre. Mais Hitler ne leur jette qu’un regard distrait. I1
soupèse dans son esprit le discours de Chamberlain et l’appel
de Roosevelt. Au bout d’un moment il fait venir son aide
de camp le colonel Schmundt et lui dit :
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 363
- u Tout compte fait, je ne suis pas encore certain qu’il
faille prendre à la lettre ce que disent les Anglais I.. 1)
Puis il commande son avion pour regagner Berlin.
t
* *
A l’heure où Ie Junkers d’HitIer s’envole de Salzbourg,
le crépuscule tombe sur les rives de la Baltique. La soirée
est d’une beauté exceptionnelle. Pas un nuage dans le ciel;
pas une ride sur la mer. Tout est transparent et immobile,
comme immergé dans la paix.
Un paysan marche à côté d‘une charrette de foin. Un
garçon, âgé d’une douzaine d‘années, est juché sur le tas
d’herbes. Le cheval rentre à sa ferme d’un pas lent et égal.
- ((Bonsoir! 2 dit le paysan à un jeune homme qu’il
croise sur sa route.
- (( Bonsoir »,répond l’étranger. (( Quelle journée magni-
fique! I1 semble impossible qu’une guerre puisse éclater
par un temps pareil 1) ...
Le paysan secoue la tête.
- (( Détrompez-vous »,réplique-t-il. u J e reconnais ce

calme. C’était le même, durant les derniers jours qui ont


précédé la guerre de 1914. Vous êtes trop jeune pour l’avoir
connu. Mon plus jeune fils aussi. Mais moi, je m’en souviens.
Mon aîné est déjà parti. Quand reviendra-t-il? N
- (( I1 faut espérer, envers et contre tout... N
- (( Non, Monsieur. J e sais ce que je dis : ce calme, c’est
...
.Is guerre. I1 faut s’y résigner C’est dur. Mais à quoi bon
se faire des illusiohs? N
Ayant achevé sa tâche, le paysan disparaît avec sa char-
rette au fond d’un chemin creux. Les ombres s’épaississent.
Les premières étoiles s’allument. Mais la journée n’est pas
encore terminée pour tout le monde.
*
* *
Alerté par l’appel téléphonique que Gœring lui a lancé
la veille au soir, un personnage mystérieux s’est envolé de
Stockholm à 8 heures du matin. I1 est descendu d’avion à
Berlin et s’est rendu aussitôt à l’hatel Esplanade. Mais il
n’y est pas resté longtemps, car peu après, une auto est
venue le prendre pour le conduire à Karinhall, où il est
1. Journal & Jodl, 24 août 1939.
364 HISTOIRE DE L’ARMI~E ALLEMANDE

arrivé à 14 heures. Le commandant en chef de la Luftwaffe,


qui l’attend avec impatience, l’a accueilli par ces mots :
- a Soyez le bienvenu, monsieur Dahlerus! D
Birger Dahlerus -car tel est son nom -
est un indus-
triel suédois, spécialisé dans la fabrication des roule-
ments à billes. I1 a dirigé pendant plusieurs années la
Skefko Ball Bearing CO, à Luton, dans le Bedfordshire, et
a conservé, depuis lors, de nombreuses relations avec les
milieux d’affaires britanniques. Gœring, qui a fait sa connais-
sance à Berlin en 1934, l’a revu à diverses reprises et notam-
ment le 7 août 1939, au cours d’une réunion tenue à Sonke
Nissen Koog, un domaine situé dans le Schleswig-Holstein,
à proximité de la frontière danoise. A cette conférence ont
pris part un groupe de personnalités britanniques, entre
autres M. Charles F. Spencer, un des membres influents du
Parti conservateur l. Avant de se séparer, les assistants se
sont juré de favoriser autant qu’ils le pourraient, les ren-
contres entre représentants qualifiés d e l’Allemagne et de
l’Angleterre 2.
- a J e vous ai prié de venir me voir »,explique Gœring
à Dahlerus, parce que la situation est grave et parce que
je ne pense pas que notre ministère des Affaires étrangères
soit capable -ni même désireux -de maintenir un contact
suffisamment étroit avec le Foreign Office Or, il est plus *.
indispensable que jamais d’éviter tout malentendu entre
l’Angleterre et nous, car il pourrait entraîner une catas-
trophe épouvantable. J’ai songé à vous, pour une mission
de confiance. Acceptez-vous de me seconder dans mes
efforts pour éviter un second confiit mondial? D
- (( Cela va de soi »,répond Dahlerus.
- ( ( J e vous en remercie D, dit Gœring avec émotion.

1. Étaient présents du côté allemand, outre Gering, le général Bodenschatz,


le Conseiller d’État Knrner, le Conseiller ministériel Gornert et le Dr Schrotter,
qui servait d‘interprète.
2. Déposition de M . Dalùerw devant le Tribuml Militaire Internatwnai de
Nuremberg, IX, p. 490.
3. Gœring n’a, en efiet, qu’une piètre opinion des capacités diplomatiques de
Ribbentrop, qu’il soupçonne en outre de n’avoir pas pardonné aux Anglais le peu
de sympathie qu’ils lui ont manifesté durant son ambassade à Londres.
On s’étonne, en effet, du rôle insignifiant joué, durant ces journées, par M. von
Dirksen, l’ambassadeur du Reich à Londres. Aucune communication importante
ne passe par ses mains. (D’ailleurs,il est souvent en vacances.)Toutes les relations
avec le Foreign Ofice sont assumées par le chargé d’&aires, M. Théodor Kordt.
Or Kordt appartient aux milieux de l’opposition, ce qui n’est un secret pour
personne, sauf peut-être pour Ribbentrop lui-même.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 365
(IVeuillez retourner à Berlin e t vous tenir à ma disposition.
Je vous téléphonerai mes directives dans le courant de la
soirée. n
Sitôt Dahlerus reparti, Gœring fait venir l’ambassa-
deur Lipski. I1 a un long entretien avec lui, au cours
duquel il lui dit :
-u Vous savez aussi bien que moi que le motif réel de
la tension entre la Pologne et l’Allemagne n’est pas Dantzig,
...
mais l’alliance polono-anglaise D
D’un ton jovial, il invite M.Lipski à une partie de chasse
pour le lendemain.
- u Tout peut encore s’arranger »,lui assure-t-il. u L’es-
sentiel est de se voir, de se parler d’homme à homme ... x ,
Complètement désemparé, Lipski accepte l’invitation
du Maréchal. I1 ne sait absolument pas à quoi attribuer ce
geste, qui tranche agréablement sur la rigidité de Ribben-
trop.
A 23 h. 30, Gœring appelle Dahlerus au téléphone.
-u Tout va bien »,dit-il. u I1 faut, à présent, que vous
vous rendiez immédiatement à Londres. Voyez M. Cham-
berlain. Dites-lui que nous avons lu attentivement son dis-
cours, que rien n’est perdu tant que l’irréparable n’est pas
accompli. Répétez-lui ce que je vous ai dit à Sonke Nissen
Koog, à savoir que, sur mon honneur de soldat et bien que
je commande la plus puissante aviation du monde, je ferai
tout ce que je pourrai pour empêcher une guerre. Mais
pour avoir des chances de réussir, votre mission doit rester
rigoureusement secrète. Un avion spécial vous attend à
Tempelhof. Embarquez-vous sans délai et tenez-moi au
courant d u résultat de vos conversations. ))
Une heure plus tard, l’avion transportant M. Dahlerus
en Angleterre décolle de Tempelhof. I1 décrit un large
cercle au-dessus de l’aérodrome et disparaît ea direction
de l’ouest.
xxv

LES COUPS DE THÉÂTRE SE SUCCÈDENT

(Vendredi, 25 aoltt 1939)

Si la journée du 24 août a été celle du piétinement et


de l'expectative, la journée du 25 va &re jalonnée d'inci-
dents et de coups de théâtre. Ceux-ci se succèdent du matin
au soir, et presque d'heure en heure, dans une tension
d'autant plus dramatique que l'ouverture des hostilités est
prévue pour le lendemain.
Durant la nuit, accrochages et coups de main se sont
multipliés de part et d'autre, le long des frontières germano-
polonaises. Du côté allemand, des commandos armés effec-
tuent une série d'incursions en territoire polonais. Ils s'y
livrent à des expéditions punitives au cours desquelles ils
incendient des fermes et abattent un certain nombre de
gardes-frontière 1. Mais il n'est que juste de dire que ces
1. a Le 24 août, à 16h. 30, une patrouille allemande a pénétr6 de 900 mètres en
territoire polonais, près de la ville de Myszyniec (Voïvodie de Bialystock). Le sous-
oficier qui la commandait, le sergent Knpenhagen, du l e r régiment de cavalerie
d'Insterburg, a été abattu par les gardes-frontière polonais. Son corps a été iden-
tifié par le maire de Myszyniec et conservé à la mairie de cette ville, en attendant
d'être remis aux autorités allemandes.
a A Tarnowskié-Gory, au cours d'une patrouille, le garde-frontihre Piatkowski
a été tué par des coups de feu tirés par un groupe de six jeunes gens, embusques
dans le parc de M. Donnersmarck, situé de l'autre c8té de la frontière, en terri-
toire allemand.
a A minuit, un certain nombre de personnes ont franchi la frontière polonaise
près de Szczyglowie (Voïvodie de Silésie), à la borne 252, et ont tiré environ
300 coups de feu sur la maison des gardes-frontière.
a A 5 heures, un autre groupe a attaqué le poste frontière près de Chwalecic, dam
le district de Rybnik. Le groupe, comprenant une quarantaine de personnes,
était équipé de six mitrailleuses légères.
a Depuis 11 h. 55, Swanowice est attaqué par deux bandes comprenant 150
hommes environ. Ceux-ci ont pris position le long de la frontih, sans toutefois
LA PAIX’SEMEURT... LA PAIX EST MORTE 367
raids sont souvent motivés par la nécessité d’aller dégager
des colonnes de fuyards allemands que les Polonais cherchent
à refouler des frontières, en les prenant sous le feu de leurs
armes automatiques l. A Bielitz, en particulier, un accro-
chage a fait huit morts et plusieurs blessés du côté
allemanda. Par ailleurs, au large de Gdynia, des avions
civils allemands qui se rendaient en Prusse-Orientale ont
essuyé le tir des batteries côtières polonaises.
Dans le courant de la matinée, les services d‘information
du Reich font parvenir à Hitler des rapports détaillés sur
ces divers incidents.
- (( Cette fois-ci ma patience est à bout! D s’écrie-t-il en

les lisant. (( I1 est impossible de laisser se prolonger une


situation pareille! n
I1 prend aussitôt sa plume et rédige une lettre pour Mus-
solini, dans laquelle il l’avertit qu’il sera vraisemblablement
obligé d’ouvrir sous peu les hostilités contre la Pologne.
Après avoir passé en revue les raiqons qui l’ont amené à
conclure un pacte avec les Soviets, il lui dit :

a Les relations entre l’Allemagne et la Pologne se sont dété-


riorées depuis le printemps, non par la faute de l‘Allemagne,
mais surtout par suite de l’ingérence de l’Angleterre, et elles
sont devenues intolérables au cours des dernières semaines. Les
rapports sur les persécutions que subissent les Allemands de
cette région ne sont pas des fables inventées par la presse et ils
ne représentent qu’une faible part de la terrible vérité. L’étran-
glement de Dantzig par la politique douanière de la Pologne 3,
qui a pour effet, depuis des semaines, de paralyser complètement
tout trafic commercial, anéantira la ville s’il se prolonge, ne
serait-ce que peu de temps encore.

la franchir. On a observé deux mitrailleuses lourdes, servies par des soldats. La


fusillade continue D. (Notes de protestation polonaises, 8. 487 et 8. 488.)
En remettant ces notes à la Wilhelmstrasse, l’ambassade de Pologne à Berlin
prie le ministère allemand des Affaires étrangères a de procéder à une enquête
sur les faits incriminés et de punir sévèrement ceux qui en sont responsables D.
(Archives secrètes de la Wilhelmstraase, VII, no 285, Annexes I et II.)
1. L’exode des populations frontalières allemandes, commencé il y a plus d’une
semaine, s’intensifie depuis quarante-huit heures, ear les radios de Posen e t de
Breslau, loin de prêcher le calme, entretiennent de part e t d‘autre une atmosphere
de panique.
2. Archives secrètes de la Wilhelmstrasse, VII, no 221. Note du chel du dépar-
tement politique, 25 août 1939.
3. Comme les marchandises transitant par Gdynia acquittent des droits de
douane beaucoup moins élevés que celles passant par Dantzig, le trafic commer
cial de la Ville libre se trouve largement déficitaire.
368 HISTOIRE DE L’ARMdE ALLEMANDE

a Quant à la situation à la frontière germano-polonaise, je


peux seulement dire à Votre Excellence que nous sommes depuas
des semaines en état d’alerte; que les préparatifs militaires de
l’dllemagns ont naturellement .marché de pair avec ceux de la
Pologne et qu’au cas oc des rncidents intolérables se produi-
raient, j’agirais instantanément.
Q Lors ue le Gouvernement polonais affirme qu’il n’est pas
b
responsa le des actes inhumains, des innombrables violations de
frontière (il s’en est produit 21, a u cours de la seule nuit der-
nière), nr du fait qu’un avion civil allemand - qui avait déjà
reçu l’ordre de voler vers la Prusse-Orientale en passant par la
mer, pour éviter tout incident - ait été mitraillé, il prouve sim-
plement par là qu’il n’est plus capable de contenir la soldatesque
qu’il a lui-même déchaînée. Depuis hier, Dantzig est cerné par
des troupes polonaises, ce qui est en soi une situation intolérable.
Dans de pareilles conditions, personne ne peut prédire ce qu’ap-
portera l‘heure suivante.
a J e peux seulement vous affirmer qu’il y a des limites en deçd
desquelles je ne reculerai pas.
a Pour conclure, je voudrais v o w assurer, Duce, que j’aurais
une totale compréhension pour l‘Italie, s i elle se trouvait dans
une situation analogue, et que, le cas échéant, vous pourriez être
certain de mon attitude. n
Adolf HITLER
* *
A peine ce message est-il parti pour Rome que trois nou-
velles, d’inégale importance, arrivent à la Chancellerie.
La première est une lettre personnelle de Roosevelt, par
laquelle le Président des Etats-Unis fait savoir à Hitler que
M. Moscicki, Président de la République polonaise, se déclare
prêt 2 i régler le différend germano-polonais par une des trois
voies qu’il a préconisées dans sa lettre du 23 août : les
négociations directes, l’arbitrage ou la conciliation. Son
message se termine par la formule suivante :

u L e monde entier prie pour que I‘dllemagne adopte la même


attitude 2. D
Par malheur, le Président de la République polonaise n’a
jamais rien dit de tel et il faut vraiment solliciter le texte de
1. Lettre d’Hitler d M u s d i n i . (Akten zur Deutsclien AuswMigen Pditik, VIX,
no 266.)
2. Lettre du Prhident Roosevelt au Chancelier du Reich. (Amerika und Deutsch-
bnd, 1936-1945, p. 27.)
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 369
sa réponse pour aboutir à cette conclusion. I1 s’est borné
à déclarer que u l’arbitrage et les négociations directes
étaient - sans conteste - les meilleurs moyens de régler
les litiges internationaux )), que (( la Pologne, pour sa part,
s’était toujours rangée à ce point de vue »,e t qu’on pou-
,vait en voir la preuve (( dans le fait qu’elle avait conclu des
pactes de non-agression avec l’Allemagne et la Russie ».
Après avoir énoncé ces vérités générales, il a ajouté :

Comme, dans la crise actuelle, ce n’est pas la Pologne qui


demande à un autre État de lui faire des concessions, il va sans
dire qu’elle est prête à s’abstenir de tout acte hostile, sous réserve
que la partie adverse e n fasse autant 1. u

Mais on ne trouve dans sa lettre aucune allusion à


Dantzig ou au Corridor.
Hitler repousse l’invite américaine du revers de la main.
En ce qui le concerne, il ne désire rien d’autre que des
contacts directs : c’est le colonel Beck qui s’y refuse depuis
plus de six mois 2. Si le Gouvernement polonais est prêt à
entamer les conversations, pourquoi en informe-t-il le Pré-
sident des Etats-Unis? I1 n’a qu’h envoyer des plénipo-
tentiaires à Berlin ...
Hitler recevra d‘ailleurs, dans quarante-huit heures, un
rapport de M. Thomsen qui accroîtra encore sa méfiance à
l’égard des (( initiatives pacifiques )) de la Maison-Blanche :

(( Les appels à la paix de Roosevelt qui se succèdent rapidement ny

écrit le chargé d’affaires allemand à Washington, (c sont moins


des initiatives inspirées par le désir d’empêcher la guerre qu!
des efforts pour isoler I‘dllemagne, pour faire porter à ses dira-
geants la responsabilité d‘un conflit eventuel aux yeux d u monde
et d u peuple américain et pour jeter dès maintenant dans la
balance tout le poids d u soutien moral que l’Amérique est décidé6
à apporter a u x démocraties 8. n

La seconde nouvelle est plus préoccupante. Dans la nuit

1. Rdponse du President Mosc’ieki au Président Roosweit. (Livre bianc polonais,


no 90.)
2. Exactement depuis le 5 janvier 1939, date à laquelle remonte leur derniére
entrevue. (Voir plus haut, p. 176.)
3. Rapport de M . Thornsen,26 août 1939, 14 h. 57. (Archives secrètes de la Wil-
helnstrasse, VII, no261.)
Y8 24
370 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

du 23 au 24 août, alors que Ribbentrop était encore au


Kremlin, Hitler lui avait télégraphié pour lui demander
d’obtenir de Staline, sous une forme ou sous une autre,
une déclaration spécifiant que (( les problèmes de l’Europe
orientale seraient considérés, dorénavant, comme apparte-
nant exclusivement aux sphères d’intérêt de l’Allemagne
et de la Russie ». C’eût été signifier & la France et à
l’Angleterre qu’elles se heurteraient ù lu fois au Reich et
à 1’U. R. S. S. si elles persistaient à vouloir soutenir la
Pologne. Hitler y voyait un moyen supplémentaire de les
en dissuader. Mais Staline s’était gardé de donner suite &
cette suggestion a.
N’ayant pas obtenu satisfaction, Hitler est revenu à ’la
charge en demandant au Gouvernement soviétique d’accré-
diter un nouvel ambassadeur à Berlin et d‘envoyer de toute
urgence une importante mission militaire en Allemagne. Sans
doute a-t-il pensé que la présence de nombreux officiers de
l’Armée Rouge dans la capitale du Reich persuaderait les
Anglais que le Pacte allait plus loin que la non-agression
et que les deux partenaires s’étaient entendus sur quelque
formule d’assistance mutuelle S. Lorsque M. von der Schu-
lenburg en a formulé la demande à Molotov, celui-ci a
répondu avec un sourire ambigu :
- (( J’apprécie pleinement le désir de l’Allemagne et je

ferai de mon mieux pour lui donner satisfaction 4. n


Mais au matin du 25 août, les membres de la Mission
militaire soviétique n’ont toujours pas quitté Moscou, sous
prétexte qu’une lettre du Maréchal Vorochilov, qui leur est
indispensable pour pouvoir se mettre en route, ne leur est
pas encore parvenue 5.
Ce mauvais vouloir prouve, d’une façon évidente, que
1. Voir plus haut, p. 285.
2. En bon disciple de Lénine, Staline pense qu’un communiste ne doit être
ni pacifiste ni belliciste par principe, qu’il doit être contre les guerres qui nuisent
au progrès de la révolution, mais pour celles qui le favorisent. (Cf. Berthold C.
FRIEDL, Les Fondements théoriqws de la guerre et de la paix en U.R. S. S., p. 112-
113.)
3. C’est pour cela qu’Hitler a dit à Sir Nevile Henderson, au cours de son
entrevue du 23 août : a Vous serez peut-être surpris d’apprendre sous peu que les
Accords germano-soviétiques ont Bté complétbs par quelque chose de plus vaste
et de plus positif qu’un pacte de non-agression. D (Voir plus haut, p. 351.)
4 . Tiidgramme de M. yon der Schulenburg. - (Akten
. zur Deutschen Atrswârtigen
Politik, VII, no 381, note 2.)
5. Télégramme de M. w n der Schuknburg, 25 août 1939. (Archives secrètes de
la Wilh$mstrasse, VIX, n o 238.)
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 371
Staline n’a aucune envie de pousser la collaboration ger-
mano-russe au-delà des limites fixées par le Traité l.
La troisième nouvelle est encore plus inquiétante. Elle
émane de l’ambassade du Reich à Londres :
(( Les déclarations gouvernementales d‘hier n, écrit le conseiller

von Seltzam, (( les débats dela Chambre des Communes,l’ensemble


des journaux d’aujourd’hui, de même que les observations faites
e n province, montrent que le peuple britannique se tient en ordre
serré derrière le Gouvernement. Le retrait de l’ordre de grève
dans les chemins de fer est symptomatique. L a mise à exécution
de la garantie donnée à la Pologne est devenue un point d‘hon-
neur qu’on ne discute plus. L e tableau de l’ensemble est celui
d’un peuple prêt à toute éventualité et confiant e n face d‘une guerre
qu’il n’a pas désirée, mais qu’il considère néanmoins comme à
peu près inévitable z.

La lecture de ce rapport rend Hitler songeur. Il ne cor-


respond nullement au compte rendu optimiste qu’on lui a
transmis la veille au soir et qui lui a fait dire au moment
de quitter le Berghof : a Tout compte fait, je ne crois pas
qu’il faille prendre à la lettre les déclarations des Anglais 3. n
Aurait-il commis une erreur d‘appréciation? Pour en avoir
le cœur net, il fait venir l’interprète Schmidt, auquel il
demande de lui traduire, mot à mot, les passages essentiels
de la lettre de Chamberlain et de son discours à la Chambre
des Communes 4.
Schmidt s’en acquitte fidèlement, en insistant tout par-
ticulièrement sur cette phrase du Premier Ministre : (( La
signature du Pacte a été célébrée à Berlin comme une grande
victoire diplomatique de nature à écarter tout risque de
guerre. On en a déduit -
avec un certain cynisme -
1. Les démarches réitérées de M. von der Schulenburg pour accélérer leur
départ n’aboutiront h rien. D’atermoiement en atermoiement, les attachés mili-
taires soviétiques n’arriveront A Berlin que le 2 septembre, c’est-à-dire quand
il sera trop tard pour que leur présence dans la capitale du Reich produise l’effet
escompté.
2. Archives secrètes de la Wilhelrnstrasse, VII, p. 242. Le texte intégral de ce
rapport, envoyé à Derlin par avion, n’y arrivera que le 26, A ô h. 45.Mais son contenu
a été téléphoné dans la matinée du 25.
3. Voir plus haut, p. 363.
6. Paul SCEMXDT, Statist auf Diploinatischer Bithne, p. 449. II s’agit de la lettre
que Sir Nevile Hendersun a remise à Hitler au Berghol dans I’aprês-midi du 23 août.
Sans doute le Führer se demande-t-il si certains de ses passages ont été correcte-
ment traduits, car ce jour-18, Schmidt, qui faisait partie de la suite de Ribbentrop,
n’était pas encore rentré de Moscou.
372 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ EALLEMANDE

que ni la France, ni nous-mêmes, ne remplirions plus nos


obligations envers la Pologne. On ne saurait commettre une
erreur plus grave n ...
Ces mots ont sans doute fait impression à Hitler, car il
paraît troublé. I1 sait que dans seize heures, ses armées vont
partir à l’assaut. Se dit-il qu’avant de franchir ce pas
décisif, il doit tenter un suprême effort pour dissocier l’An-
gleterre de la Pologne? Se dit-il que pour y parvenir, il lui
faut un peu de temps? Toujours est-il qu’à midi, après être
resté un long moment perdu dans ses songes, il revient
brusquement sur terre et appelle Keitel.
Le chef de l’O.K. W. accourt.
- (( Quelle est l’heure limite à laquelle vous devez être
en possession des ordres d’attaque? n lui demande-t-il.
- (( Trois heures de l’après-midi D, répond Keitel.

- a Veuillez surseoir jusque-là à tout mouvement de


troupes. J e vous donnerai en temps utile mes instructions
finales l. 3
Tandis que Keitel se précipite sur son téléphone pour
transmettre cet ordre à 1’Etat-Major, Hitler prie le secré-
taire d’Etat Meissner de convoquer l’ambassadeur d‘Angle-
terre.

+ *
Sir Nevile Henderson arrive à 13 h. 30 à la nouvelle
Chancellerie, où il est immédiatement introduit dans le
bureau d’Hitler. Celui-ci est très calme. I1 parle d’une
voix grave, avec toutes les apparences de la sincérité z.
- (( A la fin de notre dernier entretien, au Berghof )),
commence par dire le Führer, (( vous avez formulé l’espoir
qu’une entente anglo-allemande puisse encore se réaliser.
Depuis lors, j’ai réfléchi à vos paroles et j’ai décidé de faire, en
faveur de l’Angleterre, un geste aussi spectaculaire que celui
que j’ai accompli récemment à l’égard de la Russie. De plus,
les discours prononcés par M. Chamberlain à la Chambre des
Communes, et par Lord Halifax à la Chambre des Lords,
m’ont incité à avoir un nouvel entretien avec vous. I1 est
absurde de prétendre que l’Allemagne veuille conquérir
1. Cf. General HALDER,
Journal, 25 août 1939, 12 heures.
Compte rendu de mon entretien avec Adoif Hiikr,
2. Sir Nevile HENDERYON,
le 25 août 1939. (Livre bieu ari#hia, no 69.)
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 373
le monde. L’Empire britannique couvre 40 mjllions de
kilomètres carrés, la Russie 19 millions et les Etats-Unis
9 millions et demi, alors que l’Allemagne n’en a que 600.000.
I1 est donc facile de voir de quel côté sont les conquérants.
(( Mais les provocations polonaises sont devenues into-

lérables. Quand le Gouvernement polonais déclare qu’il


n’y est pour rien, cela prouve simplement qu’il a perdu
tout contrôle sur les échelons inférieurs de ses organismes
militaires. Vingt et un incidents de frontière ont eu lieu
cette nuit et des avions allemands ont été mitraillés au-dessus
de la Baltique. Les Polonais sont incapables de tenir leurs
gens en main. L’Allemagne est décidée à mettre fin, coûte
que coûte, à l’anarchie qui règne à ses frontières orientales
c Les problèmes de Dantzig et du Corridor doivent être
réglés. Le Premier Ministre a prononcé un discours qui n’est
nullement de iiature à modifier la position du Reich. De
ce discours ne peut résulter qu’une guerre meurtrière
entre l’Allemagne et l’Angleterre, infiniment plus meur-
trière que celle de 1914-1918. Contrairement à ce qui s’est
passé alors, l’Allemagne n’aura pas à mener la guerre sur
deux fronts. Notre accord avec la Russie est inconditionne€
et représente un revirement durable de la politique étran-
gère du Reich.
(( Et pourtant, j’ai toujours souhaité une entente avec

l’Angleterre. Dans le meilleur des cas, une guerre entre


nos deux pays n’apportera d’avantages qu’à l’Allemagne.
Naturellement cette guerre, je compte la gagner. L’Angle-
terre aussi. Mais de toute façon, même si elle la gagne, ce
ne sera plus la même Angleterre qu’aujourd’hui. Les véri-
tables vainqueurs seront les peuples asiatiques.
(( C’est pourquoi j’ai décidé de faire une suprême tentative

pour éviter l’irréparable. Je suis prêt à faire à l’Angleterre


une proposition d’une ampleur sans précédent. Sachez
que je suis l’homme des grandes décisions et que j’ai l’habi-
-de de mettre mes actes en accord avec mes paroles.
Ecoutez bien ceci :
(( A condition qu’il soit fait droit à mes revendications

coloniales - que je suis prêt à limiter, et pour le règlement


desquelles j’accepterai, s’il le faut, des délais raisonnables -;
à condition également qu’il ne soit pas porté atteinte à

1. Textuellement : u Die Mdzedonische Zustdnde. a


374 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

mes relations amicales avec l’Italie - et je ne demande


pas non plus à l’Angleterre de renoncer à celles qu’elle
entretient avec la France - j e suis prêt à conclure avec
la Grande-Bretagne des accords qui ne garantiront pas
seulement son existence, quelles que soient les circonstan-
ces, mais en vertu desquels je m’engagerai à me porter au
secours de l’Empire britannique, avec toutes les forces de
l’Allemagne, quel que soit l’endroit du monde où ce secours
serait requis l. J’ajoute que je n’exigerai même pas, en
contrepartie, une rectification de mes frontières occiden-
tales. Celles-ci ont été fixées une fois pour toutes par la
construction des fortifications de l’ouest.
(( Si le Gouvernement britannique accepte mon offre,
il en résultera les plus grands bienfaits, à la fois pour 1’Alle-
magne et pour l’Empire britannique. Si, par malheur, il
la repousse, alors ce sera la guerre - une guerre d’où
l’Angleterre ne pourra sortir que diminuée, comme l’a
déjà prouvé le conflit précédent.
(( Voilà les propositions que je suis prêt à faire à l’Angle-

terre, sitôt le conflit germano-polonais liquidé. Prenez


l’avion pour Londres et veuillez les transmettre à votre
gouvernement 2. n
Une discussion très serrée s’engage alors entre le Chancelier
du Reich et l’ambassadeur du Royaume Uni.
HENDERSON. - (( Excellence, l’Angleterre ne peut en
aucun cas renier les promesses-qu’elle a faites à la Pologne.
Votre offre ne sera prise en considération que si elle signifie
que vous êtes prêt à régler la question polonaise par voie
de négociation. n
HITLER. - (( I1 m’est impossible de vous le garantir.
D’un instant à l’autre, une provocation polonaise peut
m’obliger h intervenir pour assurer la protection de mes
compatriotes. D ..
HENDERSON. - (( Nous ne pouvons pourtant pas aban-
donner la Pologne à son sort! Le colonel Beck et M. von
Ribbentrop devraient se rencontrer quelque part et trouver
un terrain d’entente. C’est le seul moyen d’épargner une
guerre à l’Europe. D
1. Ribbentrop avait déjd fait une proposition analogue - quoique moins
étendue - lors de la signature de l’Accord naval angio-allemand du 18 juin 1935.
Les Anglais l’avaient repoussée. (Voir vol. III, p. 266.)
2. Déclaration du Chancelier Hitler à Sir Nerile Henderson, le 25 août 1939, à
13 h. 30. (Liwe blanc allemand, II, p. 457.)
L A PAIX SE MEURT... L A PAIX EST M O R T E 375
HITLER.- (( J’ai déjà invité le colonel Beck à venir me
voir en mars dernier, pour discuter de la question. I1 a
décliné mon invitation. 1)
-
HENDERSON. (( J e vous le répète, le Premier Ministre
ne pourra prendre votre offre en considération que si elle
est liée à un règlement négocié de l’affaire polonaise. n
HITLER.- (( Si vous estimez que mon offre est dénuée
d’intérêt, eh bien! ne la transmettez pas. J’admets volontiers
que Beck et Lipski soient pleins de bonnes intentions. Mais
ils ont perdu tout contrôle sur ce qui se passe dansleur pays ...
Regardez-moi : je suis un artiste, pas un homme politique.
Une fois l’affaire polonaise réglée, je voudrais finir ma vie
en artiste, pas en faiseur de guerres! J e n’ai aucune envie
de transformer l’Allemagne en une gigantesque caserne.
J e ne le ferai que si on m’y force. Quand l’affaire polonaise
sera liquidée, je me retirerai. J e n’ai aucun intérêt à pousser
l’Angleterre à manquer de parole envers la Pologne. J e
n’ai pas non plus l’intention de me montrer mesquin envers
les Polonais. Tout ce dont j’ai besoin, pour m’entendre
avec eux, c’est d’u.n geste de l’Angleterre prouvant que mes
propositions ne sont pas déraisonnables l... D
Lorsque Sir Nevile Henderson rentre à son ambassade,
il y est rejoint, une demi-heure plus tard, par l’interprète
Schmidt.
- (( Le Führer m’a prié de vous apporter cet aide-mé-
moire »,lui dit-il. (( I1 souhaite ardemment une entente avec
l’Angleterre et vous prie de conseiller au Gouvernement
de Sa Majesté de prendre son offre très auhérieux.
Henderson parcourt rapidement la note que lui tend
l’interprète. Celle-ci résume, en six points, ce qu’Hitler
vient de lui dire :

lo L’Allemagne est prêts à conclure une alliance avec l’Angle-


terre;
20 L’Angleterre devrait aider l‘Allemagne à récupérer Dantzig
et le Corridor;
30 Une fois cette opèraiion faite, l’Allemagne garantirait les fion-
tières polonaises;
40 Il devrait être possible d’arriver à un accord sur les colonies
allemandes;
1. Sir Nevile HENDERSON, Compte rendu de mon entretien avec le Chancelier
Hiiler, le 25 aoùt 1939. (Livre bleu anglais, no 69.)
376 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

50 Des garanties sufisantes devraient être données, en ce qui


concerne le traitement des minorités allemandes en Pologne;
60 L’Allemagne s’engage sur l‘honneur à défendre l‘Empire bri-
tannique avec l‘Armée allemande, sur tout point o& cet
Empire pourraii être menacé I.

Sir Nevile Henderson trouve cette dernière proposition


tellement stupéfiante qu’il ne sait trop qu’en penser. Faut-
il la prendre au sérieux? Ou bien n’est-ce qu’une manœuvre
destinée à séparer l’Angleterre de la Pologne, et à dissua-
der le Gouvernement britannique de donner suite au traité
anglo-polonais ?
4
* *
A peine Sir Nevile Henderson a-t-il quitté la Chancellerie,
qu’on annonce M. Attolico. Hitler l’attend avec la plus
grande impatience, car il espère qu’il lui apporte une réponse
de Mussolini. Aussi est-il très déçu lorsqu’il entend Attolico
lui dire :
- a Rome m’a avisé que j’allais recevoir des instructions
d’un moment à l’autre, mais elles ne me sont pas encore
parvenues. n
Hitler est si pressé de connaître la réaction du Duce qu’il
demande à Ribbentrop de téléphoner à Ciano. Un quart
d’heure plus tard, Ribbentrop revient, la mine déconfite.
- (( Impossible de le joindre »,déclare-t-il. (( Personne
ne sait où il est ... ))
Du coup, Attolico est congédié sans ménagements.
A ce moment précis, le Dr Fritz Hesse qui représente à
Londres l’Agence D. N. B., téléphone une nouvelle sensa-
tionnelle : le Gouvernement britannique et le Gouvernement
polonais sont en train de signer un traité d‘alliance! Ribben-
trop est abasourdi. Faute d’en connaître encore la teneur
exacte, le ministre des Affaires étrangères du Reich se
raccroche à l’espoir que les clauses du traité sont rédigées en
termes assez vagues pour permettre plusieurs interprétations.
Mais quand le texte arrive, cet espoir lui aussi doit être
abandonné. Le traité est rédigé avec une telle précision
qu’il ne laisse aucune échappatoire aux Parties contrac-
tantes.
1. Documents du Tribunal Militaire International de Nuremberg, IX, p. 495.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 377
P

Ribbentrop, visiblement désemparé, en remet le texte au


Chancelier. Celui-ci s’assied à une table e t le parcourt des
yeux, tandis que Schmidt, penché son sur épaule, le lit en
même temps que lui :
ACCORD ANGLO-POLONAIS D’ASSISTANCE MUTUELLE

Article premier i A u cas o ù l’une des Parties contractantes


aurait à subir l’agression d‘une Puissance européenne et se
trouverait entraînée ainsi dans une guerre, l’autre lui apporterait
immédiatement toute l’aide et l’assistance en son pouvoir.
Art. I I : Ces stipulations s’appliqueront également :
10 Au cas où une action quelconque d’une Puissance européenne
menacerait clairement, directement ou indirectement, l’indépen-
dance d‘une des Parties contractantes et serait de nature telle
que la Partie en question considérerait qu’il est vital pour elle
d’y résister par les armes;
20 Au cas où l’une des Parties contractantes se trouverait
engagée dans des hostilités avec une Puissance européenne à
la suite d’une action de cette Puissance menaçant l’indépendance
ou la neutralité d’un autre État européen, d’une manière telle
qu’elle constitue une menace non déguisée pour la sécurité de cette
Partie contractante.
Art. I I I : Si unePuGssanceeuropéenne cherchait à saper l’indé-
pendance de l’une des Parties contractantes par des mesures de
pénétration économiques ou de toute autre nature, les Parties
contractantes s’aideront mutuellement à résister à de telles tenta-
tives...
Art. IV : Les méthodes d‘application des engagements d‘assis-
tance mutuelle, contenus dans le présent uccord, sont établies
entre les autorités compétentes navales, militaires et aériennes
des Parties contractantes.
...........................
Art. VI11 : Le présent accord est conclu pour une période de
cinq ans, à moins qu’il ne soit dénoncé six mois avant l’expiration
de cette période.
Fait à Londres, le 25 août 1939,
Édouard RACZYNSKI
HALIFAX, 1.

- (( C’est insensé! )) dit Ribbentrop. (( Ces clauses imposent


à l’Angleterre des obligations sans précédent dans l’his-
toire diplomatique! Le Gouvernement de Londres ne se
contente pas d‘assister la Pologne : il se met littéralement
à sa merci! 1)
1. Livre blanc allemand, II, no 459; colonel BECK,Dernier rapport, p. 349-350.
378 HISTOIRE D E L’ARY$E ALLEMANDE

Encore ne sait-il pas - ce qu’il apprendra plus tard - que


ce Pacte d’assistance est complété par un Protocole secret
dont le paragraphe I spécifie :
A. : Le terme u Puissance européenne tel qu’il est employé
dans le traité d’assistance, désigne exclusivement l’Allemagne;
B. : au cas où la Pologne serait victime d’une agression
de la part d’une Puissance européenne autre que l‘Allemagne,
les deux Parties se consulteront sur les mesures à prendre 1.
Hitler est très pâle. I1 reste un long moment assis
à sa table, sans prononcer un mot. Puis il se lève, va
vers la porte, l’ouvre, et lance ces deux mots au général
von Vormann qui se trouve dans une pièce attenante :
- (( Plan BLANC !
I1 est 15 h. 02. C’est l’heure limite fixée par le général
Keitel pour être en possession des ordres d’attaque, si l’on
veut que l’offensive se déclenche le lendemain.
Le général von Vormann comprend immédiatement ce
que cela veut dire: l’invasion de la Pologne commencera
à l’aube. I1 transmet promptement la consigne à 1’0berkom-
mando de la Wehrmacht. Au Grand Quartier Général
c’est le branle-bas de combat. Les instructions s’entre-
croisent et partent dans toutes les directions. Les communi-
cations téléphoniques des Missions étrangères sont cou-
pées. Tout trafic aérien est suspendu. Les ressortissants
allemands qui se trouvent en France, en Angleterre, en
Belgique et en Pologne sont invités à regagner leur
pays le plus rapidement possible.
Après avoir été arrêtée pendant trois heures, l’énorme
machine de guerre allemande se remet en marche.

* *
A 17 h. 30, on annonce l‘arrivée de M.Coulondre, ambas-
sadeur de France. Hitler s’avance vers lui et lui dit :
1. Michael FREUND,Ceschichte des Zweiten Weltkrieges in Dokumenten, III,
Document 101, p. 251.
On s’étonne que le Gouvernement polonais se soit contenté d’un pareil traité,
qui s’appliqueà une agression allemande, mais ne joue pas en cas d’agressionrusse,
ce qui limite singulièrement la portée de la garantie anglaise. Faut-il l’attribuer à
l’incroyable légèreté du colonel Beck? Non. Si téméraire qu’il soit, il ne l’est pas
à ce point. La seule explication plausible est que, si le Gouvernement polonais
s’attend à ce que la guerre éclate, il ne s’attend nullement à devoir la faire jusqu’au
bout - avec tous les risques que cela comporte -. De plus, il ne prévoit nulle-
ment une agression de la Russie.
LA PAIX S E MEURT... LA PAIX EST MORTE 379
- Étant donné la gravité de la situation, j’ai désiré
vous faire une déclaration que je vous prie de transmettre
d’urgence au Président Daladier.
(( Comme je le lui ai dit moi-même, je n’ai aucune hosti-

lité envers la France. d’ai renoncé formellement à l’Alsace-


Lorraine; j’ai reconnu la frontière franco-allemande, telle
qu’elle existe actuellement. J e ne veux pas de conflit avec
votre pays. La pensée que je puisse être amené à combattre
la France à cause de la Pologne m’est infiniment pénible.
Mais les provocations polonaises ont créé, pour le Reich,
une situation qui ne saurait se prolonger.
I1 y a plusieurs mois, j’ai demandé à la Pologne de me
restituer Dantzig en même temps qu’une petite bande de
terrain permettant de relier cette ville à la Prusse-Occiden-
tale. C’était là une proposition extrêmement modérée. Mais
la garantie donnée par le Gouvernement britannique a raidi
les Polonais et les a rendus intraitables. Le Gouvernement
polonais n’a pas seulement repoussé mes propositions, il a
fait subir les pires traitements à la minorité allemande et
a procédé, en outre, à des mesures de mobilisation.
(( Au début, j’ai donné l’ordre aux journaux allemands de

ne rien publier sur les sévices infligés à nos frères de race.


Mais & présent, la situation est devenue intolérable. Savez-
vous qu’on me signale des cas de castration? Savez-vous
que 70.000 réfugiés encombrent actuellement nos centres
d’hébergement? Sept Allemands ont été tués hier à Bielitz
par la police polonaise et à Lodz, trente réservistes allemands
ont été abattus à coups de mitrailleuse. Nos avions ne
peuvent plus voler d’Allemagne en Prusse-Orientale sans
être mitraillés. J’ai fait changer leurs itinéraires pour évi-
ter tout incident, mais maintenant ils sont attaqués au-
dessus be la mer. L’avion dans lequel voyageait le secré-
taire d’Etat Stuckart a été pris sous le feu de navires polonais.
C’est là un fait nouveau, que je n’ai pas encore eu le temps
de porter à la connaissance de Sir Nevile Henderson.
(( I1 serait indigne d’une nation, fière de porter ce nom,

de supporter en silence de pareils outrages. La France ne le


supporterait pas plus que nous. Ces choses ont assez duré
et je répondrai à toute nouvelle provocation par la force. J e
tiens à le répéter : je souhàite éviter un conflit avec votre
pays. J e n’attaquerai pas la France. Mais si elle entre dans
le conflit, l’irai jusqu’au bout. J e viens, vous le savez, de
380 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

conclure un accord avec Moscou qui n’est pas seulement


théorique, mais positif. J e vaincrai, je pense, et vous croyez
que vous vaincrez. Mais une chose est certaine : c’est que
le sang français et le sang allemand couleront, le sang de
deux peuples également braves. J e le dis à nouveau; il m’est
très pénible de penser que nous pourrions en arriver là.
Dites-le de ma part, je vous prie, au Président Daladier. n
Le Chancelier se lève, pour signifier à l’ambassadeur que
l’entretien est terminé. M. Coulondre ne peut donc répondre
que brièvement.
- (c Maintenant que toute équivoque est dissipée n, lui
dit-il, (( je n’en attache que plus de prix à vous donner ma
parole.de soldat que, si la Pologne est attaquée, la France
se trouvera & ses côtés avec toutes ses armées. Mais je puis
vous donner en même temps ma parole d’honneur que le
Gouvernement de la République fera, jusqu’au dernier
moment, tout ce qui est en son pouvoir pour sauvegarder
la paix. I1 ne manquera pas de prodiguer les conseils de
modération au Gouvernement polonais. ))
- (( J e le crois )), répond Hitler. (( J e crois même que des
hommes comme Beck sont modérés. Mais ils ne sont plus
maîtres de la situation. ))
M. Coulondre évoque alors les horreurs, les misères et les
destructions de la guerre.
- a Pourquoi », s’écrie Hitler, a oui, pourquoi avez-vous
donné un chèque en blanc à la Pologne? 1)
- (( C’est la rançon des événements du 15 mars dernier »,

répond M. Coulondre. (( L’occupation de Prague a profon-


dément choqué les sensibilités françaises. Elle a engendré
partout un sentiment d’insécurite qui a incité la France à
resserrer ses alliances. Notre vœu le plus cher n’en est pas
moins de sauver la paix. Nous continuerons à user de notre
influence à Varsovie pour y prêcher la modération l. J e me
refuse à croire qu’avec un peu de bonne volonté, on ne
puisse pas mettre un terme aux incidents de frontière que
vous venez d’évoquer 2. 1)

1. a Durant toute cette période n, écrit Georges Bonnet, a selon mes instructions
qui sont d‘ailleurs conformes à ses tendances personnelles, M. Noel ne cesse de
prodiguer les conseils de sagesse et de prudence au Gouvernement de Varsovie. D
(La D4fense de la Pair, II, p. 317.)
S. I1 est clair que M. Coulondre n’attache pas la même importance qu’Hitler
à ces incidents. II les soupçonne d’être grossis pour les besoins de la cause. Certains
L A PAIX SE MEURT... L A PAIX EST MORTE 381
-a En tout cas, transmettez mon message à M. Dala-
d‘ier. n
- J e vais le faire séance tenante.
((

C’est sur ces mots que prend congé l’ambassadeur de


France
t
* +
Tandis que les visiteurs se succèdent à la Chancellerie,
l’après-midi s’avance et Mussolini n’a toujours pas répondu
au message qu’Hitler lui a envoyé au début de la matinée.
Que se passe-t-il donc à Rome? Pourquoi ne parvient-on
pas à joindre Ciano?
Si le maître du IIIe Reich balance encore entre la négo-
ciation e t l’emploi de la force, le dictateur romain, lui, est
déchiré par des sentiments contradictoires. Lors de son
voyage à Berlin en septembre 1937, il a proclamé au Maifeld,
devant plus d’un million d’auditeurs : (( Le fascisme a une
éthique à laquelle il entend rester fidèle. Elle consiste, quand
on a un ami, à marcher avec lui jusqu’au bout 2. N Plus
récemment encore, lors de la signature du Pacte d’Acier
(22 mai 1939), il a autorisé Ciano à dire : (( A dater de ce
jour, 150 millions d‘Allemands et d’Italiens ont décidé de
marcher côte à côte... Aucune manœuvre de leurs ennemis
ne parviendra à les dissocier ... Ils forment, avec leurs amis
dans le monde, un bloc invincible 8. n
Mais au moment de passer des paroles aux actes, Musso-
lini s’aperçoit que cela lui est impossible, que l’Italie n’a
pas les moyens d’affronter une guerre. Quelle humiliation
pour son amour-propre, après tous les discours qu’il a lancés
du balcon du Palais de Venise!
Sans doute Hitler en est-il le principal responsable et
Ciano ne manque pas une occasion de le lui rappeler. D’abord,
le Führer n’a pas respecté les clauses du Pacte d‘Acier en
d’entre eux le sont incontestablement et il y a eu bien des provocations du côté
allemand. Mais il ne faut pas tomber dans l’excès contraire, en déniant à ces
incidents toute existence réelle. La seule présence, côte à côte, de deux popuia-
tions hétérogènes, violemment hostiles l’une à l’autre, quotidiennement enfiévrées
par les émissions de la radio et prêtes à chaque instant à se sauter à la gorge,
suffit à expliquer le nombre et la violence des accrochages, dont le massacre de
Bromberg sera une illustration tragique.
1. Compte rendu de M . CouIOndre sur son entretien avec Adolf Hitler, le 28 août
1925. (Livre jaune francais, no 242.)
2. Voir vol. lV, p. 186.
3. Voir plus haut, p. 122.
382 HISTOIRE D E L’ARMÉE. ALLEMANDE

vertu desquelles Rome et Berlin doivent se consulter N au cas


où leurs intérêts communs seraient mis en danger 1). Confor-
mément à son habitude, le Führer est allé de l’avant sans
se préoccuper le moins du monde des intérêts de ses parte-
naires. I1 n’a informé le Duce de ses négociations avec
Moscou que lorsque Ribbentrop est parti pour le Kremlin 2.
Ensuite, il a violé la promesse faite le 30 mai au général
Cavallero, à savoir que la guerre n’aurait pas lieu avant
deux ou trois ans et qu’il se faisait fort de régler à l’amiable
tous les litiges susceptibles de se présenter dans l’inter-
valle 3. Sans doute le croyait-il, le jour où il a pris cet
engagement. Mais ce n’est pas une excuse, car il n’a rien fait
depuis lors pour diminuer la tension internationale. Si
l’Europe se trouve aujourd’hui au seuil de la guerre, cela
tient en grande partie à sa façon de brusquer les choses et
à sa manière exaspérante de vouloir toujours imposer sa
volonté.
Mais ces considérations rétrospectives ne changent rien à
l’affaire. En signant un traité d’alliance avec l’Allemagne,
Mussolini a voulu se protéger contre une attaque anglo-
française en Méditerranée. Doit-il, à présent, la provoquer
délibérément, tout en sachant qu’il n’a pas les moyens d’y
faire face? I1 a voulu bénéficier des avantages de l’accord
sans subir ses inconvénients. E t voilà qu’il en recueille les
inconvénients, sans avoir profité de ses avantages! On
comprend qu’il soit hésitant ...
Encore n’est-ce pas assez dire. Depuis plusieurs jours, il
est en proie à un désarroi intérieur dont le Journal de Ciano
nous révèle l’acuité :
20 août :« Entretien à trois avec Mussolini et Attolico. Le
((Duce est décidé à agir. I1 allègue l’argument suivant : il
(( est trop tard pour lâcher les Allemands. Si nous le faisions,

((la presse du monde entier dirait que les Italiens sont des
N lâches, qu’ils n’étaient pas prêts, qu’ils ont reculé devant le
u spectre de la guerre. J’essaye de discuter, mais c’est peine
(( perdue, ce soir. Le Duce tient fermement à son idée ... J e

(( réussis pourtant à obtenir que toute décision soit repoussée

(( à demain matin. J’ai encore l’espoir de pouvoir venir à bout

1. Arfides I el I I du Pacte. (Voir plus haut, p. 121.)


2. Voir plus haut, p. 276.
3. Voir plus haut, p. 122.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 383
de son entêtement, tandis qu’Attolico quitte le Palais de
(( Venise, découragé et abattu. ))
21 août :(( Aujourd’hui, j’ai parlé clairement et brûlé toutes
(( mes cartouches. Lorsque je suis entré dans la pièce, Mus-

(( solini m’a confirmé sa décision de marcher avec les Alle-

(( mands. (( Duce, lui ai-je dit, vous ne pouvez et ne devez

(( pas faire cela! La loyauté avec laquelle je vous ai servi dans

(( votre politique de l’Axe m’autorise à vous parler sans ména-

(( gement. J e suis allé à Salzbourg pour convenir d’une poli-

(( tique commune et je m’y suis trouvé placé devant un dik-

(( tat. Ce n’est pas nous, ce sont les Allemands qui ont violé

le Pacte par lequel nous devions être des associés et non pas
(( des esclaves... Voulez-vous que j’aille moi-même à Salz-

u bourg? Eh bien! J’irai, et je saurai parler aux Allemands


comme il convient. Hitler n’éteindra pas ma cigarette
(( comme il a éteint celle de Schuschnigg. ))

(( Voilà ce que je lui ai dit, et bien d’autres choses encore.

(( I1 en a été très impressionné et a approuvé ma proposition

(( de faire venir Ribbentrop au Brenner, p,our lui parler en

(( toute franchise et revendiquer nos droits d associés. Le Duce

(( ne veut pas que l’Axe se brise, pour le moment. Mais s’il

(( devait se rompre, ce n’est certes pas moi qui en pleurerais ...

(( En fin d’après-midi, nouvel entretien avec le Duce. I1

approuve le mémoire que j’ai rédigé en vue de la discussion


(( avec Ribbentrop et il propose quatre points concernant les

(( différentes éventualités qui pourraient se présenter. A mon

avis, trois sur quatre ne comptent pas et un seul point est


(( essentiel : celui qui prévoit que nous n’interviendrons pas,

(( si le conflit est provoqué par une attaque contre la


(( Pologne. n

23 août : u Journée chargée d’électricité et pleine de


(( menaces... Cédant à mes instances, le Duce m’autorise à

a proposer à Sir Percy Loraine une solution comportant


(( d’abord l e retour de Dantzig à l’Allemagne. Après quoi,

(( des négociations et une Conférence générale de la Paix.


a L’émotion ou la chaleur, je ne sais, ont fait que Percy
(( Loraine s’est presque évanoui dans mes bras ...

(( Nouvelle conversation avec le Duce ... Ce soir, il est


(( belliciste, il ne parle que d’armées et d’attaques; il a reçu

(( Pariani qui lui a donné de bonnes nouvelles sur l’état

1. L’ambassadeur de Grande-Bretagne à Rome, oh il a succédé à Lord Perth.


384 EISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

a de nos troupes. Pariani est un traître et un menteur l. n


24 août :(( J e me rends à Sant’Anna di Valdieriz pour
(( conférer avec le Roi ... J e lui soumets les quatre points

(( fixés avec le Duce sur la conduite à suivre. I1 les approuve

(( tous, mais surtout le troisième, celui qui concerne la neu-

a tralité.
a A son avis, nous ne sommes absolument pas en mesure
(( de faire la guerre : l’armée est dans un état pitoyable, la

(( revue et les manœuvres récentes ont pleinement révélé la

triste condition d’impréparation de nos grandes unités. La


((défense de la frontière est également insuffisante. I1 a
(( accompli trente-deux inspections et il est persuadé que les

(( Français pourraient la franchir, et même avec facilité.

a Les officiers ne sont pas à la hauteur de leur tâche, le maté-


a riel est usé et défectueux ... ))
25 août .-«Bastianinis m’informe que, pendant mon
(( absence, Mussolini a de nouveau adopté une attitude belli-

a ciste à outrance4. En effet, c’est dans cet état d‘esprit que


je le trouve ce matin. J’insiste beaucoup sur les opinions
(( du Roi pour le décourager, et je réussis à lui faire approuver

(( l’envoi d’une communication à Hitler, par laquelle nous lui

a annoncerons notre non-intervention pour le moment, nous


a réservant de réexaminer la situation dans son ensemble
a lorsque nous aurons complété nos armements.
J’étais très heureux de ce résultat, mais le Duce m’a
K rappelé au Palais de Venise. I1 a encore changé d’avis :
a il a peur d‘être jugé sévèrement par les Allemands et veut
u intervenir sur-le-champ. Inutile de lutter. J e me résigne et
(( retourne au Palais Chigi, où la consternation remplace

(( l’euphorie qui y régnait il y a quelques instants S.

Sur ces entrefaites, M. von Mackensen, l’ambassadeur


du Reich à Rome, demande à être reçu par le Duce, car il
a un message personnel à lui remettre de la part d’Hitler.

1. La vérité est que le sous-secrhtaired’État à la Guerre est venu mettre Musso-


lini en garde contre les agissements de son gendre, et étudier avec le Duce les
pians de mobilisation.
2. Château de la famille royale dans le Piémont.
3. Le sous-secrétaire d’8tat aux Affaires étrangères.
4. a Certains membres de son entourage, favorables à l’alliance allemande,
sont venus lui hire honte de sa pusillanimité et le supplier de ne pas se rendre la
risée de l’Europe, en trahissant son allié, après tous les discours claironnants
qu’il a lancés au peuple. n (Décluration de Filippo Anfwo, chef de Cabinet de
Ciano, à l’auteur.)
5. Galeazzo CIANO, J o d politique, I, p. 133-137.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 385
(C’est celui où le Führer lui demande de lui apporter a la
compréhension de l’Italie 1) et l’assure (( qu’il serait indéfec-
tiblement à ses côtés, si jamais il se trouvait dans une
situation analogue )I.)
La visite de l’ambassadeur lui est désagréable, car elle va
le mettre au pied du mur et l’obliger à prendre parti. Fini
l’ère des tergiversations! I1 va falloir dire (c oui n ou non ».
Un instant, il se cabre comme un cheval devant l’obs-
tacle. Mais très vite, il se ressaisit et dit d’une voix
assurée :
- c J e suis prêt à recevoir l’ambassadeur d’Allemagne. n
La remise de la lettre a lieu à 15 h. 20, en présence
de Ciano.
Mussolini commence par lire le message d‘Hitler en entier.
Puis il le reprend et le commente phrase par phrase.
- (( La détérioration des relations germano-polonaises
a atteint une telle acuité »,déclare-t-il, u qu’un conflit
armé est devenu inévitable. 11 est trop tard pour songer
aux moyens de l’empêcher. Les Polonais n’entendront
raison de personne. Le soutien anglais leur a tourné la
tête. S’ils avaient eu le moindre bon sens et s’ils avaient
apprécié correctement le danger qui les menace, ils auraient
recherché depuis longtemps des contacts directs avec Berlin
et auraient jeté sur la table, avant toute négociation, leur
renonciation sans réserve à Dantzig, ne serait-ce que pour
prouver au Führer combien ils étaient désireux de s’en-
tendre avec lui.
a On aurait pu songer, alors, à régler les autres points
en litige- -
le Corridor, la Silésie, etc. par des conversa-
tions directes entre l’Angleterre et l’Allemagne, ce qui aurait
été du domaine du possible. Enfin une conférence générale
aurait pu se réunir, pour examiner tous les autres problèmes
en suspens - le différend italo-français, les colonies alle-
mandes, la répartition des matières premières, la question
du désarmement - et leur apporter des solutions raison-
nables qui auraient assuré à l’Europe quinze à vingt années
de paix. A présent, toutes ces considérations sont dépassées.
Pour ma part, ma conviction est faite : la conflagration
n’est pas seulement inévitable; elle est imminente. La
question qui me préoccupe au premier chef est de savoir
la date exacte où elle éclatera. Pouvez-vous me fournir
quelques précisions à cet égard? 1)
vl 25
386 HISTOIRE D E L’ARM$E ALLEMANDE

- (( J e ne puis rien vous dire de plus que ce que le Führer


vous écrit dans sa lettre »,répond prudemment Mackensen.
Mussolini reste un moment silencieux.
- (( J e comprends poursuit-il. (( La situation évolue si
vite que nul ne peut prédire, vingt-quatre heures à l’avance,
ce qui va se passer ... I1 me serait pourtant indispensable de
le savoir, et ce le plus rapidement possible... Certes, j’aurais
préféré que le conflit n’éclatât que dans deux ou trois ans,
ne serait-ce qu’en raison de l’état de votre flotte. Mais le
cours des événements en a décidé autrement. En tout cas,
dites au Führer que je serai totalement et inconditionnelle-
ment à ses côtés. Je suis d’ailleurs convaincu qu’un conflit
armé entre l’Allemagne et la Pologne se terminera rapide-
ment, et à notre avantage. ))
Ciano accompagne l’ambassadeur jusqu’au bas de l’es-
calier.
- (( Dorénavant, ce qui inspirera nos actes ne sera plus

le mot pais, mais le mot victoire! )) dit-il à Mackensen en


prenant congé de lui l.
Mais sitat l’ambassadeur parti, Ciano remonte l’escalier
quatre à quatre, entre en coup de vent dans le bureau de
son beau-père‘et se livre sur lui à un assaut en règle pour
l’amener à réviser sa position. I1 lui énumère tous les argu-
ments qui prouvent, à l’évidence, que l’Italie n’est pas en
mesure de soutenir une guerre. I1 lui fait valoir combien
il sera difficile de convaincre le peuple italien qu’il doit
verser son sang pour permettre à l’Allemagne de récupérer
Dantzig. I1 lui décrit l’impopularité qui en rejaillira sur
le régime, l’hosti!ité non déguisée du Roi et de la Cour, les
réticences de 1’Etat-Major, la pénurie des stocks et enfin
l’insuffisance des armements italiens.
Le Duce l’écoute parler sans rien lui répondre. I1 souffre
visiblement. Mais au bout d’une demi-heure, Ciano finit par
l’emporter, car au fond de lui-même, Mussolini sait qu’il a
raison. (( J e persuade le Duce d’écrire à Hitler que nous
(( ne sommes pas prêts à marcher )), écrit Ciano dans son

Journal, (( que nous ne le ferons que s’il nous accorde


(( tout le matériel de guerre et toutes les matières premières

(( dont nous pourrions avoir besoin. Ce n’est pas la note

1. Compte rendu de M . yon Mackensen sur son entretien avec Mussolini, dans
l’après-midi du 25 août 1939. (Akten zur D e u t s c h AuswffrtigenPolitik, VII,
n o 280.)
LA P A I X SE MEURT... LA P A I X EST MORTE 387
(I que j’aurais voulu envoyer, mais c’est tout de même
(( quelque chose. Le premier pas est fait. J e téléphone
(( moi-même cette note à Attolico, en le priant de la porter

(( immédiatement ? Hitler
i l. ))

t
* s

A 18 heures, M. Attolico arrive à la Chancellerie pour


remettre à Hitler la réponse de Mussolini. Enfin! voilà des
heures que le Führer attend ce message, car au terme de
cette journée décevante, il espère y trouver du réconfort
et des encouragements. I1 s’enferme avec Attolico et Ribben-
trop pour en prendre connaissance.
L’ambassadeur d’Italie lui remet tout d’abord un billet
personnel du dictateur romain :
(( C’est un des moments les plus pénibles de m a vie »,lui écrit le

Duce, (( que d‘être contraint de vous déclarer que l’Italie n’est pas
prête à faire la guerre. D’après les rapports que m’ont faits les chefs
responsables de nos forces armées, les approvisionnements d’es-
sence de l’aviation italienne sont tout juste suffisants pour deux
semaines d’hostilités. I l en est de même pour les approvisionne-
ments de l’armée et pour beaucoup d’autres matières premières.
Seul, le chef de la flotte a p u medéclarer qu’il n’avait àse reprocher
aucune négligence, que la flotte était prête à combattre et qu’elle
disposait d’un stock de combustible suffisant. J e vous demande
de bien comprendre m a situation. J’ai donné l’ordre de faire
disparaître ces déficiences dans les délais les plus brefs. J e
suis malheureusement obligé de vous dire que l’Italie, ne possé-
dant pas les matières premières et les armes nécessaires, ne peut
pas entrer en guerre. N

Puis Attolico lui tend la note officielle :


Rome, 25 août 1939.
Führer,
J e réponds à la lettre que votre ambassadeur, M . von Macken-
sen, vient de me remettre à l’instant.
10 En ce qui concerne le Pacte germano-russe, i e l’approuve
entièrement..,
20 Je crois utile d‘éviter une rupture ou même u n refroidisse-
ment des relations avec le Japon...
1. CIANO, Journal politique, I, 25 août 1939, p. 137.
388 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

30 L’accord de Moscou bloque la Roumanie et peut modifier


l’attitude de la Turquie...
40 En ce qui concerne la Pologne, j’ai une totale compréhension
pour l‘attitude allemande et pour le fait qu’une situation aussi
tendue ne saurait durer indéfiniment.
50 Quant a u comportement pratique de l’Italie, dans le cas
#une action militaire, voici quel est mon point de vue :
Si l‘Allemagne attaque la Pologne et si le conflit reste localisé,
l‘Italie fournira à l‘Allemagne une aide politique et économique
sous la forme que celle-ci lui demandera.
S i la Pologne 1 attaque et si ses alliés se livrent à une contre-
attaque contre l‘Allemagne, je vous fais savoir à l’avance qu’il
serait opportun pour moi de ne pas prendre l’initiative d‘opé-
rations militaires en considération de l’état actuel des pré-
paratifs de guerre italiens que nous vous avons fait connaître,
ainsi qu’à M . von Ribbentrop, à différentes reprhes et en temps
utile.
Notre intervention peut néanmoins avoir lieu sans délai, s i
l’Allemagne nous livre immédiatement le matériel de gllerre et
les matières premières qui nous sont indispensables pour résister
à l’attaque que Français et Britanniques dirigeront sans doute
en premier lieu contre nous.
Lorsque nous nous sommes rencontrés, la guerre avait été
envisagée pour 1942. A ce moment-là, j’aurais été prêt sur terre,
sur mer et dans les airs.
En outre, je suis d’avis que les mesures d‘ordre purement mili-
taire qui ont déjà été prises par nous, et qui seront bientôt suivies
par d’autres, immobiliseront en Europe et en Afrique des forces
françaises et britanniques considérables 3.
J’estime qu’il est de mon devoir de vous dire, en ami loyal,
toute la vérité et de vous renseigner à l‘avance sur la situation
réelle. N e pas le faire pourrait entraîner, pour vous comme
1. Ici le mot n Allemagne D a été biffé, et remplacé par a Pologne D. Cette modifi-
cation ne figure pas sur une autre copie de la traduction allemande. Le texte
italien dit : a Se la Germania attaca la Polonia et gli Alleaii diquestacontrattaccano
la Germania.. .B
2. (I V i prospetto l‘opporiunitd ... I)
3. Depuis la veille, Mussolini a pris un certain nombre de mesures militaires
dont il escompte qu’elles fixeront environ 300.000 soldats français sur l’axe
Briançon-Bastia-Bizerte. Pour cela, il a donné l’ordre au général Pariani (sans
douta a u cours de l’entretien dii 23 août, signalé par Ciano) de concentrer
13 divisions sur la frontière occidentale e t de les renforcer, au cours des journées
qui viennent, par 4 divisions supplémentaires, 25 bataillons d’Alpini e t un cer-
tain nombre de formations de la milice frontaliére. Ces forces, estime-t-il, devraient
suffire à empêcher toute pénétration des Français en territoire italien.
De plus, une division de renfort a été envoyée en Libye. Elle sera suivie A bref
délai par une seconde, à laquelle se joindra un corps de 15.000 hommes, recruté
parmi les colons. (CY. Rapport de M . uon Mackemen, 27 août 1939, Akten zur
Deutschen AuswMigen Pditik, VII, no 349.)
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 389
pour moi, les pires de’boires. Tel est mon point de vue.
Comme je dois convoquer très prochainement les plus hautes
instances du régime, je vous prie de me faire connaître le vôtrel.
MUSSOLINI3.
On imagine ce qu’il a dû lui e n coûter pour écrire ces
lignes! Mais leur lecture cause à Hitler une telle déception,
qu’il en reste muet. I1 prend congé d’bttolico avec une
froideur marquée. Puis, se tournant vers Ribbentrop, il lui
dit à foix basse :
- N Les Italiens agissent exactement comme en 1914*!u
A vrai dire, le message de Mussolini l’a littéralement
terrassé. (( Le Führer est très abattu »,note Halder qui
le voit quelques instants plus tard. E t il faut reconnaître
qu’il y a de quoi : le Japon boude et refuse de poursuivre
les pourparlers en vue de la conclusion d’un Pacte tripar-
tite *; Staline fait la sourde oreille et retarde l’envoi
d’une mission militaire à Berlin; les Anglais ont confirmé
solennellement leur garantie à la Pologne. E t voilà que
Mussolini se dérobe et déclare n’être pas en mesure d’affron-
ter une guerre! Toutes les combinaisons diplomatiques qu’il
a patiemment échafaudées au cours de ces derniers mois
sont en train de s’écrouler. Seul subsiste l’espoir que Cham-
berlain accueillera favorablement la proposition d’alliance
qu’il lui a fait transmettre il y a quelques heures, par
Sir Nevile Henderson. Mais à présent il lui faut absolu-
ment gagner quelques jours, pour permettre à cette opéra-
tion de se développer.,.
A 19 h. 30, Hitler appelle une seconde fois Keitel.
- N Faites annuler les ordres d’attaque »,lui dit-il d’un
ton las. u J’ai besoin de temps pour négocier. D
Puis il s’enferme dans son bureau avec ses principaux
collaborat.eurs, pour faire le point de la situation 5.
1. Au cours du mdme après-midi, Mussolini écrit au roi Victor-Emmanuel :
a Durant la première phase de la guerre, tout au moins, l’Italie se bornera B obser-
ver une attitude purement démonstrative. Les Français et les Anglais nous ont
laissé savoir qu’ils agiraient de même à notre égard. n (Documenti Diplomntici
Italiani, no 269.) Le Roi a répondu u qu’il approuvait cette façon d’agir D.
2 . Akten zur neutschen Auswdrtigen Politik, VII, no 271.
3. On sait qu’en 191 4, l’Italie, quoique membre de la Triplice et alliée, à ce titre,
de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie, était demeurée neutre. (Voir vol. IV,
p. 88.)
4. Voir plus haut, p. 306.
5. Jusqu’à la fin de SÛ vie, Hitler restera convaincu que la défection de Murso-
lini a été connue à Londres dans la matinde du 25 aoîit, et que c’est elle qui a
390 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

t
+ *

Tandis qu’Hitler examine avec Goering et Ribbentrop, les


conséquences de la défection de Mussolini, une réunion mysté-
rieuse a lieu dans le bureau de l’amiral Canaris, le chef de
l’Abwehr1. Plusieurs membres de l’opposition militaire clan-
destine- dont font partie les généraux von Witzleben,Halder,
Thomas et le colonel Oster -
se concertent sur les moyens
de renverser Hitler. L’opération leur paraît à la fois plus
dificile et plus facile à réaliser qu’en 1938. Plus dificile,
en ce sens que le gros des troupes étant concentré en
Bordure de la Pologne, il ne reste guère d’unités dispo-
nibles à Berlin. Plus facile en ce sens que, pour avoir
quelque chance de réussir, le coup de force doit aller de pair
avec une déclaration de guerre de l’Angleterre. Celle-ci a
fait défaut, au moment de Munich. Cette fois, on peut la
tenir pour assurée. Puisque l’invasion de la Pologne doit
avoir lieu à l’aube, t o u t permet de penser que la déclaration
de guerre aura lieu le lendemain. Pourtant, rien n’est prêt
et les délais pour agir se rétrécissent d’heure en heure 2...
incité Halifax à signer le Pacte d’assistance anglo-polonais. a Cette guerre a été
sabotée dès le début par une certaine clique B, dira Hitler à ses intimes, le 20 mai
1943. a Oui, dès le début! Elle a été sabotée tout d’abord en 1939... La guerre
n’aurait jamais eu lieu s i l’Italie avait déclaré sans ambages qu’elle était solidaire
de l’Allemagne, comme l’y obligeaient les traités. Alors, les Anglais n’auraient
pas commencé, e t les Français non plus. Car en ce qui concerne les Anglais, les
choses se sont passées de la façon suivante : deux heures après la décision de non-
belligérance prise par Mussolini - décision qui a été immédiatement communi-
quée à Londres - l‘Angleterre s’est empressée de conclure une alliance avec la
Pologne. Jusque-là, le Traité n’était pas signé. I1 l’a été deux heures après l’en-
tretien [Mussolini-Mackensen]. Nous l‘avons appris par la suite : chaque mémo-
randum que j’ai adressé a u Duce a été immédiatement transmis à Londres. C’est
pourquoi je ne lui ai plus écrit que des choses que je voulais que l’on sache en
Angleterre. I (Lagebesprechungen, p. 226-227.)
Bien qu’Hitler ait constamment soutenpi ce point de vue, il ne semble pas que
son opinion soit fondée. Les Anglais étaient au courant des hésitations d e Musso-
lini depuis plusieurs jours. La conversation téléphonique que Ciano avait eue
avec Mussolini durant son voyage à Salzbourg (11-13août) avait été interceptée
par le journaliste anglais Williams et transmise immédiatement à l’Intelligence
Service. (Archives secrètes de la Wilhelnrstrasse, VII, no 211.) De plus, le g6néral
Roatta avait des relations suivies avec l’État-Major britannique et Ciano lui-
même tenait rkgulièrement Sir Percy Loraine a u courant de l’évolution de la
situation. Que la dérobade de Mussolini et la signature du pacte anglo-polonais
se soient suivies à quelques heures d’intervalle est une simple coïncidence, un
(I hasard historique a, comme on en rencontre de temps à autre.

1. Le Service de renseignements et de contre-espionnage allemand.


2. a L’espace de temps compris entre le moment où serait prise la décision
politique de faire la guerre et le début des opérations B, écrit Gerhard Ritter, a s’était
réduit à six jours, à cinq et finalement à une demi-journée. I1 n’&ait possible
LA PAIX SE MEUR.T... LA PAIX EST MORTE 391
Parallèlement à ces projets, le Dr Schacht, ancien ministre
des Finances et président de la Reichsbank, veu? opposer
à toute initiative d’Hitler, non point un coup d’Etat, mais
le droit constitutionnel. Celui-ci prescrit que le Conseil des
Ministres soit entendu avant toute déclaration de guerre.
Les généraux von Brauchitsch, commandant en chef de
l’Armée et Halder, chef d’Etat-Major général, seraient
invités à faire appel à ce droit pour contrecarrer l’action
hitlérienne. Mais Brauchitsch acceptera-t-il? Et comment
aller de l’avant, si le commandant en chef de l’Armée refuse
de jouer le jeu? Faire arrêter Brauchitsch? Halder s’y oppose.
I1 estime que ce serait contraire à l’honneur et qLe perso-nne
n’exécuterait un ordre pareil. De plus, un (( coup d’Etat
légal n’est-il pas utopique, puisqu’il postule un soulève-
ment de l’Armée et que, selon le général Thomas, 75 yo
de la population et la quasi-totalité des jeunes officiers sont
derrière Hitler ? Puisque, de toute évidence, l’entreprise
ne peut réussir qu’à la faveur d’une extrême confusion, ne
vaudrait41 pas mieux commencer par assassiner le Führer?
Une fois le tyran abattu, il serait normal que le pouvoir
passât aux mains de l’Armée, ne serait-ce que sous prétexte
d’éviter le chaos ...
Mais le souvenir du putsch de Kapp hante l’esprit des
généraux 2. Ils ne redoutent rien tant que de voir se renou-
veler cette aventure malencontreuse 3. I1 ne faudrait pas
non plus que l’assassinat d‘Hitler le pare de l’auréole du
martyre ou provoque, en sa faveur, une vague d’indigna-
tion populaire. Au fond de lui-même le chef d’Etat-
Major pense que l’attentat ne devrait pas être inspiré par
les hautes sphères de l’Armée, dont l’autorité morale serait
aussitôt détruite. I1 préférerait qu’il soit le fait d’un autre
milieu 4. Mais lequel? ‘
Les conjurés sont perplexes et n’arrivent toujours pas
à trouver une solution, lorsque le colonel Warlimont pré-
vient 1’O.K.H. que les ordres d’attaque ont été rapportés.
d’avoir de renseignements exacts sur la date de l’attaque, ni chez Weizaacker
aux Aiïaires étrangères, ni auprès du Commandant suprême de la Wehrmacht, et
l’on sait que jusqu’au dernier moment l’incertitude a régné à ce sujet, même à la
Chancellerie du Reich. I (Échec au Dictateur, p. 171-172.)
1. Gerhardt RITTER,Op. cit, p. 189.
2. Voir vol. II, p. 78 à 122.
3. Elle a brisé les reins B l’Armée tt a retard6 sa renaissance d’une dizains
d‘années,
4. Gerhardt RITTER, Échec au Dictateur, p. 189.
392 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

Du coup, ni l’invasion de la Pologne ni la déclaration de


guerre de l’Angleterre ne sont pour le lendemain. Une des
poutres maîtresses de la conjuration s’écroule. En moins de
temps qu’il ne faut pour le dire, les projets de l’opposition se
trouvent dépassés. Peut-être même sont-ils devenus sans
objet ...
- u Ces ordres et ces contrordres ont au moins un avan-
tage »,déclare le colonel Oster. u Ils renforcent notre position
en faisant perdre tout prestige Hitler aux yeux des militaires.
Voila ce qui arrive quand des caporaux se mêlent de diriger
une guerre! Il s’est porté à lui-même un coup dont il ne se
remettra jamais. A présent la paix est assurée pour vingt ans! 1)
I1 est certain que si le désarroi est grand parmi les conju-
rés, le mécontentement ne l’est pas moins parmi les généraux
loyalistes. Leur réaction est avant tout professionnelle et
technique. Ils estiment qu’une fois qu’un plan a été adopté,
il ne faut plus y toucher l. Surtout s’il est en cours d’exé-
cution.. .
Or, les ordres de marche ont été mis au point avec la
plus extrême minutie. Chaque commandant d’unité sait dans
quel secteur il doit se rendre, les routes qu’il doit emprunter
pour y parvenir et l’heure exacte à laquelle il doit y arriver.
Tout a été calculé à la minute près : les horaires des trains,
les durées de transport, les temps d’embarquement et de
débarquement. Voilà plusieurs semaines que l’on procède
à la mise en place du dispositif. Or, à midi, Hitler l’a
stoppée. A 15 heures, il l’a remise en marche et à 19 h. 30,
il l’arrête de nouveau! Le Führer sait-il seulement ce qu’est
une armée moderne, la délicatesse et la multiplicité de ses
rouages, la masse énorme de services et d’organismes dont elle
dépend? De pareils à-coups ne sont pas seulement des causes
de désordre et de confusion : ils risquent de détraquer com-
plètement la machine.
Au Grand Quartier Général, installé à Zossen 2,1’agitation
est à son comble. Les téléscripteurs et les machines à écrire
crépitent. Les téléphones sonnent sans arrêt. Le général
1. On se souviendra que lorsque, le 1er août 1914,Guillaume II avait voulu
modifier à la dernière minute la disposition des armées, Moltke lui avaitrepondu,
sèchement, <I que c’était impossible;-que le Plan Schiieffen était intangible et que,
-
puisque la mobilisation générale était en cours, il était impossible de l’arrêter a.
(Voi; vol. V, p. 258.)
2. Là même où Noske a pass6 en revue le Corps des Chasseurs volontaires du
général Maercker, le 4 janvier 1919. (Voir vol. I, p. 126.)
LA P A I X S E MEURT... LA P A I X EST MORTE 393
Heusinger, du Service des Opérations, nous décrit d’une
façon saisissante l’ambiance gui y règne.
LE PREMIER OFFICIER D’ETAT-MAJOR DE LA SECTION
OPÉRATION, décrochant son appareil. -
u A vos ordres mon
Général. Qu’y a-t-il de nouveau? ))
LE G É N É R A L JODL,à I‘autre bout d u fil. (( Le Führer -
demande si les mouvements de troupes peuvent être arrêtés
et si, avant l’aube, toutes les unités peuvent être ramenées
sur leurs positions de départ. N
LE PREMIER OFFICIER. - c J e ne peux pas vous le dire
immédiatement. Cela dépend des transmissions. I1 faut
que je le demande d’abord à Fellgiebel l. 1)
LE G É N É R A L JODL. - B Bien. Rappelez-moi dès que vous
aurez sa réponse. ))
LE PREMIER OFFICIER, au général Fellgiebel. - u Ne vous
fâchez pas, mon Général. Le Führer demande s’il est encore
temps d’arrêter les troupes. D
LE G É N É R A L FELLGIEBEL. - (( Sont-ils devenus fous, là-
haut? Ils vont un peu fort! Un front aussi gigantesque ne
se manœuvre pas comme un simple bataillon! J e ne réponds
de rien en ce qui concerne les deux ailes avancées, en Prusse-
Orientale et en Slovaquie. J e ne sais pas si j’aurai la liaison
assez vite. Pour le reste du front, cela doit être possible ... ))

LE P R E M I E R O F F I C I E R . - (( Merci. J e vous transmettrai


immédiatement l’ordre définitif. )) - u Allô! Mettez-moi en
communication avec le général Jodl. )) - a C’est vous, mon
Général? L’arrêt est possible, sauf pour les forces constituant
l’extrémité des deux ailes. 1)
LE G É N É R A L JODL.- u Alors confirmez l’ordre. Que Fell-
giebel fasse Yjmpossible 2! ))
Parti de 1’Etat-Major, l’ordre se propage rapidement vers
les échelons intermédiaires et finit par atteindre les unités
du front. Les officiers sont furieux. I1 faut faire revenir les
patrouilles, arrêter les colonnes de camions et d’artillerie,
faire revenir en seconde ligne les chars que l’on avait poussés
en avant et les remplacer par de l’infanterie. Un commari-
dant s’écrie :
- C’est insensé! Veut-on nous ridiculiser aux yeux de
nos hommes? En avant! En arrière! C’est encore un coup
de ces sacrés diplomates 1) ...
1. Le chef du Service des Transmissions B 1’0. K. H.
2. Général HEUSINGER, Befehl irn Widerstreit, p. 57-58.
394 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

A 20 h. 30,le général von Manstein, qui dîne avec le général


von Rundstedt à son P. C. de Heiligenkreuzstift sur la Neisse,
en Silésie l, est dérangé soudain par un coup de téléphone.
- a Allô! Ici 1’0.K. H. L’ouverture des hostilités est
interdite jusqu’à nouvel ordre, Arrêtez immédiatement les
troupes. La mobilisation continue. n
a Tout soldat »,écrit Manstein, a mesurera sans peine ce
que signifie un arrêt des ordres de marche, donné à la toute
dernière heure. Trois armées, qui occupaient l’espace compris
entre la Basse-Silésie et la Slovaquie orientale et qui étaient
en plein mouvement vers la frontière, devaient être stoppées
en quelques heures. Tâche d’autant plus délicate que tous
les €hats-Majors, au moins jusqu’à ceux des divisions, étaient
eux-mêmes en marche et que les communications par radio
étaient encore interdites, pour ne pas révéler l’emplacement
des unités. Malgré toutes ces difficultés, l’ordre d’arrêt fut
transmis à temps, et exécuté partout. Belle prouesse pour
nos services de liaison et de transmission! ... Toutefois, un
régiment motorisé qui s’avançait en Slovaquie orientale, ne
put être stoppé que parce qu’un officier bondit dans un
Fieseler Storch à la dernière seconde et atterrit en pleine nuit
en tête de la colonne.
(( Quant aux motifs qui avaient incité Hitler à renoncer

à la guerre au dernier mament, on ne nous en fournit aucune


explication. On se borna à nous dire :
- u Les négociations continuent ))
t
+ +
Elles continuent en effet. Au cours de la conférence tenue
à la Chancellerie, Gœring et Ribbentrop ont fait valoir à
Hitler que tout espoir n’était peut-être pas perdu du côté
de Mussolini. Après tout, sa lettre n’est pas un refus formel :
le chef du Gouvernement italien se retranche derrière le
mauvais état de ses armements et l’insuffisance de ses stocks.
Si le Reich lui fournissait ce dont il a besoin? peut-être
changerait-il d’avis? C’est en tout cas une possibilité à ne
pas négliger...
Hitler en convient. A 19 h. 30, il rédige une seconde lettre
pour le Duce, dans laquelle il lui dit :
1. Le général von Manstein vient d’être nommé chef d’lhat-Major du génkral
von Rundstedt, qui cammande le Groupe d’armées sud.
2. Maréchal von MANSTEIN, Verlorene Siege, p. 22.
LA P A I X S E MEURT... LA P A I X E S T MORTE 395
Vous me faites savoir que votre participation à un grand
conflit européen ne pourrait avoir lieu que si l‘Allemagne vous
fournissait immédiatement le matériel de guerre et les matières
premières nécessaires pour résister à l’attaque que Français et
Britanniques dirigeront sansdoute contre vous l. J e vous prie de
me faire savoir de quel matériel de guerre et de quelles matières
premières vous avez besoin et dans quel délai, afin que je sois à
même de juger si, et dans quelle mesure, je puis satisfaire à
vos demandes.
Au surplus, je vous remercie de lout cœur pour les maures
d’ordre militaire déjà prises par l’Italie 2, dont ?ai eu connais-
sance entre-temps et qui représentent en elles-mêmes un allége-
ment considérable.
Adolf HITLER
3.

La dérobade de Mussolini a en tout cas une conséquence :


elle donne une importance accrue au projet d’alliance anglaise.
Gœring a payé d’audace en envoyant Dahlerus à Londres, à
l’insu de Ribbentrop. I1 s’est demandé un moment s’il
ne s’était pas trop avancé. A présent, il ne regrette plus son
initiative, car la présence de l’industriel suédois sur les bords
de la Tamise est de nature, croit-il, à faciliter l’acceptation
de la proposition allemande.
Voyageant sous un nom d’emprunt, Dahlerus est arrivé
à Londres au début de la matinée. I1 s’est installé dans l’ap-
partement de son ami Charles F. Spencer. Levoilà, justement,
qui appelle Gœring au téléphone.
- ((D’où me parlez-v us? n lui demande Gœring.
DAHLERUS. 9
- (( Du Ca Iton, où j’ai dîné avec nos amis
de Sonke Nissen Koog4. J’ai cherché à vous joindre par
téléphone vers 22 h. 30, mais n’ai pu avoir que le général
Bodenschatz. I1 m’a dit que vous étiez en conférence avec
le Führer et plusieurs membres du Gouvernement et qu’on
ne pouvait pas vous déranger. D
G~ERING -. (( C’est exact. Comment la journée s’est-elle
passée? 1)
-
DAHLERUS. (( J’ai pu voir Lord Halifax. I1 est optimiste.
I1 attend Henderson, qui doit arriver demain matin. L’am-
bassadeur considère que sa dernière entrevue avec le Führer
1. Voir plus haut, p. 388.
2. Voir plus haut, p. 388, note 3.
3. Akten ZUT Deutschen AuswUrtigen Politik, VII, no 277. Cette lettre, téléphonés
à Rome à 19 h. 40, est remise à Mussolini par Mackensen à 21 h. 30.
4. Voir plus haut, p. 366.
396 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

ouvre des perspectives intéressantes. J’ai dit à Halifax que


vous m’aviez chargé d’une mission auprès de lui. Comme il
était pressé, il m’a demandé de lui remettre une note écrite,
J e l’ai rédigée et la lui remettrai demain. En me quittant,
il m’a dit qu’il conservait bon espoir. ))
GCERING, agacé. - a Bon espoir? Ici nous craignons que
l a guerre n’éclate d’un moment à l’autre. D
DAHLERUS. - u Que s’est-il donc passé depuis mon
départ? n
GCERING. - (( Les Anglais ont signé un pacte d’assistance
avec la Pologne. Hitler considère ce geste comme une provo-
cation. ))
Sitôt cette conversation terminée, Dahlerus prend contact
avec Mr. Roberts, chef du Département central du Foreign
Office, pour l’informer de l’effet déplorable qu’a produit, à
Berlin, la signature du Pacte anglo-polonais. Roberts s’en
étonne.
- u J e ne vois vraiment pas pourquoi »,répond-il. a Le
Pacte ne fait que répéter les garanties d’assistance déjà
formulées dans le communiqué anglo-polonais du 6 avril1. n
Dahlerus ignore que l’invasion de la Pologne était prévue
pour le lendemain. I1 ne sait pas non plus que les ordres
d’attaque ont été décommandés. Mais malgré le peu d’infor-
mations dont il dispose, il a l’impression que tout n’est pas
irrémédiablement perdu, que la dernière lueur d’espoir n’est
pas encore éteinte ...
* *
Jusque tard dans la nuit, les fenetres du Foreign Office
et du Quai d’Orsay demeurent éclairées. Maintenant que
le Traité anglo-polonais a été signé, il s’agit de mettre au
point la procédure commune que suivront Londres et Paris,
dès que le conflit aura éclaté. Chamberlain - qui paraît
redouter un certain flottement du côté de la France pro- -
1. Voir plus haut, p. 955. Le communiqué conjoint précisait en effet . a E n
attendant la mise au point d’un accord permanent, destiné à remplacer l’nssurance
temporaire et unilatérale donde par k Gouvernement de Sa Majesté au Gouverne-
ment polonais, M . Beck a donné au Gouvernement de Sa Majesté I‘assurance que le
Gouvernement polonaid se considérerait sous l’obligation de prêter assistance au
Gouvernement dr Sa Majest6 dam dw conditions identiques à celles prévues dans
l‘assurance temporaire déià donde à la Pologne par k Gouvermment de Sa Majesté. D
(BECK,Dernier Rapport, p . 344-345.) En réalité, le Pacte d’assistance et surtout
8011 Protocole annexe vont beaucoup plus loin que le commbniqué du 6 avril.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 397
pose à Daladier un projet de note que les deux ambassadeurs
remettront ensemble à Hitler, si les frontières de la Pologne
devaient être violées. Les gouvernements français et anglais
fixeront alors un délai au Chancelier, à l’expiration duquel
les hostilités commenceront s’il n’a pas évacué les territoires
qu’il aura occupés l.
Daladier donne à Chamberlain son accord de principe. Mais
il tient à consulter Bonnet sur la formule britannique.
- (( Nous sommes évidemment tenus d’adresser un ulti-
matum à l’Allemagne en cas d’agression »,lui répond Bonnet,
(( mais la Constitution exige qu’il soit d’abord approuvé par

un vote du Parlement. D
Cette obligation contrarie manifestement Daladier, car
il se demande si une déclaration de guerre recueillera une
majorité à l’As‘semblée.
- (( Cette autorisation préalable est-elle vraiment néces-
saire dans le cas de la Pologne? )) demande-t-il à Bonnet.
Les militaires m’assurent que non, puisqu’il s’agit de l’exé-
cution d’un traité déjà connu et approuvé par les Chambres 2. 1)
- (( La Constitution est formelle »,répond le ministre des
Affaires étrangères. (( Tous les juristes que j’ai consultés
sont d’accord sur ce point 3. Mais la Chambre peut donner
son assentiment par n’importe quelle manifestation de sa
volonté : vote d’un crédit, si minime soit-il, vote d’une
motion, vote d’un ordre du jour. ))

A minuit, Hitler se fait apporterles dépêches que Ribben-


trop a envoyées, en fin d’après-midi, aux représentants du
Reich à La Haye, Bruxelles, Luxembourg et Berne, pour les
prier de faire savoir aux gouvernements auprès desquels ils
sont accrédités que l’Allemagne respectera la neutralité
1. Georges BONNET, La Défense de la Paix, II, p. 315.
2. II s’agit du Traité d’assistance franco-polonais du 19 février 1921. (Voir
vol. v, p. 201-202.)
3. M. Henry Bérenger, Président de la Commission des Affaires Btrangères
du Sénat, a également apporté à Bonnet une note de son bureau, précisant que
II malgré les clauses impératives de notre alliaiice, aucun acte de guerre contre
l’Allemagne ne peut être entrepris sans un vote préalable du Parlement B. (BONNET,
Op cit., p. 317.) L’article 9 de la Constitution du 16 juillet 1875 stipule eneRet :
a Le Président de la République ne peut declarer la guerre sans l‘aaseniirnenfpréalable
dss deux Chambres. n
398 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

de leurs pays respectifs 1; puis il étudie les réactions des


Gouvernements intéressés : celles-ci sont partout favorables.
Alors, d’un trait de plume, il décommande les cérémonies
commémoratives de la victoire de Tannenberg.
Dieu, que cette attente, que ce piétinement sont épuisants!
La guerre est là, toute proche. On perçoit déjà son soume à
travers les événements. Mais il lui faut encore quelques jours
pour mûrir,..
1. Archives secrètes de la Wilhelmstrasse, VII, no 227.
XXVI

L’AXE VACILLE

(Samedi, 26 août 1939)

Lorsque Hitler a exposé son projet d’alliance anglo-


allemande à Henderson, celui-ci n’en a pas mesuré toutes
les implications, parce que son esprit était accaparé par la
question de Dantzig. Mais durant la nuit, il y a réfléchi et
ses conséquences possibles lui ont paru incommensurables.
A condition que le litige polono-allemand soit préalablement
réglé, cet acte pourrait modifier tout le cours de l’histoire.
Aussi est-il très ému lorsqu’il s’envole de Tempelhof, &
7 h. 50 du matin, pour porter à Chamberlain la proposi-
tion du Führer.
Cette émotion transparaît dans la lettre qu’il adresse
avant son départ à M. von Ribbentrop et dans laquelle
il lui dit :

((Cher Ministre du Reich,


(( J e pars ù l’instant et je reviendrai dès que j’aurai p u me rendre

comptede la température qui règne [à Londres].Comprenez aussi


que le Chancelier du Reich a fait au Gouvernement de Sa Majesté
une proposition importante qui doit être soigneusement examinée,
u Comme j e l‘ai dit hier ù M . Hitler, je manquerais gravement
à mon devoir s i je ne laissais pas entendre clairement que mon
gouvernement ne peut pas discuter u n tel projet et être en même
temps wortbriichig I.

1. En allemand dans le texte. Ce mot veut dire P parjure 1).


400 HISTOIRE D E L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

a Pendant quatre mois, M . Hitler a manifesté une grande


fermeté dans sa patience. Aussi tendue que soit aujourd’hui
la situation et quels que soient les plans qu’il ait p u élaborer,
est-ce trop demander que de le prier d’attendre encore un ins-
tant ’ 8.ui pourrait tout changer?
u J ecris ceci e n toute hâte et à titre purement personnel, mais
veuillez dire a u Chancelier que je ne cherche pas à gagner inu-
tilement d u temps si je ne suis pas de retour aujourd’hui ou
demain. Ce que je souhaite par-dessus tout, c’est d’empêcher la
pire de toutes les catastrophes - une autre guerre entre l‘Alle-
magne et l’Angleterre. - J e l’adjure de croire à m a bonne foi
et à la sincérité de mes efforts l. ))

Mais dans l’avion qui l’amène à Londres, l’ambassadeur


de Grande-Bretagne est assailli de doutes. I1 voit bien les
avantages de la proposition d’Hitler, mais aussi les obstacles
qui s’opposent à sa réalisation. u Le plus grave »,se dit-il,
u est qu’il faille obtenir le consentement préalable des
Polonais. Tout dépend d’eux. Nous ne pouvons pas les chas -
ser du Corridor, s’ils nous opposent un refus 2! Et si l’on
doit réellement en arriver à une guerre germano-polonaise,
comment parvenir à la localiser 3? 1)
Pendant ce temps, des craquements sinistres se font
entendre un peu partout, comme si l’édifice européen
commençait à se disloquer. Dans le but de maintenir la
réserve d’or de la Banque d’Angleterre, le Fonds d’égalisa-
tion des changes a retiré son soutien à la livre sterling,
qui a subi de ce fait ‘une dépréciation importante par rapport
au dollar 4. E n France, la frontière italienne a été fermée,
et le survol du territoire interdit à l’est de la ligne Calais-
Paris-Marseille. En Allemagne, toutes les communications
sont coupées avec la Pologne, la Lituanie et la Slovaquie...
Pourtant, ce qui préoccupe le plus les dirigeants alle-

1 . Documenta du British Foreign Policy, VII, no 354.


2. En d’autres termes, la décision est entre los mains du colonel Beck. II
est le maître de la situation et ne i’ignore pas. C‘est cette certitude qui lui
donne tant d’assurance.
3. Cf. Rappori confidentiel d’un membre du Bureau Ribbentrop, basé sur lea
informations fournies au correspondant de l’Agence américaine International
NEWSService par un membre de l’ambassade de Grande-BretagneA Berlin. (Archive8
secrètes de la Wilhelmstrasse, VII, no 318.)
4. Bien que cette mesure ait été prise en accord avec les autorités françaises et
américaines, elle n’en représente pas moins un coup sévère pour la puissance
financière de la City.
LA P A I X SE M E U R T . . . LA P A I X EST M O R T E 401
mands, c’est de n’avoir toujours pas reçu la liste des
matières premières et des armes réclamées par Mussolini.
Vers 11h. 15, M. Paul-Karl Schmidt, le chef des Services de
Presse de la Wilhelmstrasse ’, téléphone à Rome pour dire
que la situation s’aggrave e t que le ministre est pressé de
connaître les desiderata italiens *.
Moins d‘une heure plus tard, c’est-à-dire à 12 h. IO,
M. Attolico apporte la réponse de Mussolini. C’est un véri-
table coup de massue :
Q Führer!
((J’ai convoqué ce matin une réunion des chefs d‘État-Major
de l’Armée, de la Marine et de l’Aviation, à laquelle ont assisté
le ministre Ciano et le ministre des Communications, et voici -
e n plus de ce que nous possédons déjà-le minimum requis
par les Forces armées italiennes pour être àmême de soutenir
une guerre de douze mois :
Charbon, pour le gaz et la métallurgie. . 6 millions de tonnes
Acier. . . . . . . . . . . . . . . . 2 millions -
Pétrole. . . . . . . . . . . . . . . 7 millions -
Bois . . . . . . . . . . . . . . . . 1 million -
Cuivre . . . . . . . . . . . . . . . 150.000 tonnes
Nitrate de sodium . . . . . . . . . . 220.000 -
Sels de potasse. . . . . . . . . . . . 70.000 -
Colophane. . . . . . . . . . . . . . 25.000 -
Caoutchouc . . . . . . . . . . . . . . 22.000 -
Benzol méthylique . . . . . . . . . . 18.000 -
Térébenthine . . . . . . . . . . . . 6.000 -
Plomb . . . . . . . . . . . . . . . 10,000 -
Etain. . . . . . . . . . . . . . . . 7.000 -
Nickel . . . . . . . . . . . . . . . 5.000 -
Molybdène . . . . . . . . . . . . . 600 -
Tungstène. . . . . . . . . . . . . . 600 -
Zirconium. . . . . . . . . . . . . . 20 -
Titane . . . . . . . . . . . . . . . 400 -
(( La couverture de nos besoins en produits alimentaires et en

textiles sera assurée en recourant au rationnement.


(( Vous n’ignorez pas qu’en dehors de nos besoins en matières

premières mentionnés ci-dessus, il en est qui résultent du fait


que toute notre industrie ds guerre be trouve située dans le qua-

g . Qu’il ne faut pas confondre avec Paul Otto Schmidt, l’interprète du Führer.
2. Archives secrètes de la WiUielmstrûsee, VII, no 254.
VI 26
402 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

drilatère Turin-Gênes-Milun-Savone et le long des côtes de la


mer Tyrrhénienne, c’est-à dire à une demi-heure de vol de la
Corse.
a L’envoi immédiat de 150 batteries de canons de 90 mm, avec
les munitions appropriées, est indispensable pour assurer la
protection de ces établissements industriels, dont la destruction
paralyserait littéralement notre effort de guerre.
(c L e général Keitel est e n possession de la liste des machines
qui nous sont nécessaires pour accélérer notreproduction de guerre.
u Führer, je ne vous aurais pas envoyé cette liste, ou e n tout cas
elle aurait contenu un bien plus petit nombre d’articles et e n
quantités bien moindres,si j’avais e u le temps, comme nous e n
avions convenu, d‘accumuler des stocks et d‘accélérer le rythme
de l’autarcie.
u I l est de mon devoir de vous dire que, si je n’étais pas certain
de recevoir ces fournitures, les sacrifices que, sûr d’être obéi, je
demanderais a u peuple italien, seraient vains et compromettraient
votre cause aussi bien que la mienne.
« S i vous pensez qu’il y ait encore une possiblité quelconque de
solution politique e suis prêt - comme je l‘ai fait en d’autres
circonstances - fri’vous donner mon appui total et à prendre
telle initiative que vous pourriez estimer utile pour atteindre le
but envisagé. u
MUSSOLINI1.
Comme le dit Ciano dans son J o u r n a l : a Nous avons
dressé une liste capable d’assommer un taureau, si un taureau
pouvait la lire 2. )) Pour aggraver les choses, en commentant
cette lettre, Attolico commet (( une erreur n : il demande la
livraison i m d d i a t e de toutes ces fournitures s, ce qui est
matériellement impossible, puisqu’il s’agit d’environ 17 mil-
lions de tonnes de marchandises, ce qui exigerait au bas
mot 17.000 trains 4. Comment ceux-ci feraient-ils pour
franchir le Brenner?
1. Michael FREUND: Die Geschichte des Zweiten WeItkrieges in Dokurnenien
III, Document no 79, p. 217 et s.
2. CIANO,Journal politique, 26 aobt 1939, JI p. 138. a Mackensen I, écrit-il,
u qui est hostile à l’aventure militaire, me recommande de faire un relevé très
complet, dans l’espoir que cela retiendra son Gouvernement. D (Zd., p. 138.) L’am-
bassadeur du Reich ne se doute pas Q quel point il sera suivi.
3. L’exemplaire original de la lettre porte en marge l’annotation suivante de
la main de Ribbentrop : a Guerre de douze mois. Le matériel doit être en Italie
avant que n’éclate la guerre. D E t plus loin: a Tout le matériel de la liste Keitel
aussi avant la guerre. a (Archives secrètes de la Wilhelrnstrasse, VII, no 256. note 1.)
4 . CIANO, Journal politique, I, p. 138. En marge, Ciano a noté cette phrase :
(I Dans une conversation ultérieure, Attolico m’a dit qu’il ne s’agissait nullement

d’une équivoque, mais qu’il s’était trompé intentionnellement, pour décourager


les Allemands de satisfaire à nos demandes.r
L A PAIX S E M E U R T . . . L A PAIX EST MORTE 403
Ribbentrop lève les bras a u ciel et se demande si les Ita-
liens ne sont pas devenus fous. On assiste à un chassé-croisé
de coups de téléphone entre Berlin et Rome, pour tirer au
clair les délais de livraison l. Finalement, Mussolini remettra
les choses au point en précisant que l’arrivée des fourni-
tures demandées pourrait s’échelonner sur douze mois.
Mais, même étalé sur un an, un tel programme est irréali-
sable...
Contrairement à son entourage, Hitler n’est pas tellement
surpris par l’ampleur de ces demandes. A partir du moment
où Mussolini a commencé à se dérober, il lui a paru évident
qu’il se retrancherait derrière des chiffres énormes, pour
justifier son abstention. Ce qui l’étonne, en revanche, c’est
que le Duce envisage d’emblée une guerre générale. Aux yeux
du Chancelier, les risques de voir le conflit se généraliser
sont minimes, surtout si l’Italie fait preuve de fermeté.
La campagne de Pologne - si toutefois elle a lieu - sera
terminée avant que les démocraties aient pu intervenir. On
en reviendra alors à la paix, sans que l’Italie ait eu besoin
de faire usage de ses armes. Que Mussolini ne le comprenne
pas l’étonne. (Mussolini de son côté, s’étonne qu’Hitler ne
comprenne pas que l’Italie, entourée de trois côtés par la
mer, est beaucoup plus vulnérable que l’Allemagne aux
coups de la flotte britannique.)
Tandis que les experts allemands continuent à discuter
tonnage et transports, l’atmosphère de la Chancellerie
devient orageuse. Personne n’ose plus paraître devant
Hitler, ni lui adresser la parole. I1 est comme une dynamo
tournant à toute vitesse qui émet, par pulsations, des ondes
électriques. Chacun a peur d’en recevoir la décharge, en
provoquant sa mauvaise humeur. D’ailleurs, personne ne
sait au juste ce qu’il pense, car il oscille constamment entre
la paix et la guerre, entre la colère et l’abattement.
Tout autre est l’attitude de Ribbentrop. Lui aussi est
d’une humeur massacrante et chacun essaye également de
l’éviter, Mais on ne décèle chez lui aucune trace d’irré-
solution. Que l’Angleterre ne se soit pas comportée selon ses
prévisions est pour lui un affront personnel. Son prestige
auprès d’Hitler est en jeu et il s’efforce de lui démontrer,
par tous les moyens possibles, que l’Angleterre bluffe,

1. Archves secrètes de lu Wilhelmstrasse, VII, non 257, 266.


404 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

que ses tentatives de conciliation elles-mêmes ne sont que


des aveux de faiblesse.

+ +
Pourtant Londres ne donne jusqu’ici aucun signe de
fléchissement. Dahlerus a remis sa note à Halifax, mais il
n’a pas réussi à en tirer davantage, car le chef du Foreign
Office ne veut pas se prononcer avant d’avoir vu Henderson,
dont l’arrivée est attendue d’un moment à l’autre.
L’ambassadeur de Grande-Bretagne à Berlin se présente
B Downing Street au début de l’après-midi et remet &
Halifax la dernière proposition d’Hitler. Surpris par l’offre
d’alliance, Halifax en informe aussitôt Chamberlain. Les
deux hommes estiment que l’affaire est trop importante
pour qu’ils puissent prendre sur eux de l’accepter ou de la
rejeter, sans avoir consulté l’ensemble du Cabinet. Les
ministres, convoqués d‘urgence à Downing Street, s’enfer-
ment dans le bureau du Premier Ministre pour en délibérer.
Depuis lors, c’est le silence.
Dans le courant de l’après-midi, Sir Ogilvie Forbes,
Chargé d’Affaires britanniques à Berlin, remet à M. von
Weizsacker l’aide-mémoire suivant :
a Le Gouvernement de Sa Majesté étudie avec soin le message
de M . Hitler, en consultation avec Sir Nevile Henderson. La
réponse du Gouvernement de S a Majesté est en préparation et
sera examinée à une réunion plénière du Cabinet. Sir Nevile
Henderson reprendra, dimanche 27 août dans l’après-midi, l‘avion
pour l‘Allemagne, avec le texte définitif de la réponse l. n

N’espérant plus être reçu dans les heures qui viennent


- car le Conseil de Cabinet se prolonge indûment - Dahle-
rus décide de regagner Berlin. Vers 15 heures, la direction
de la Lufthansa téléphone à la Wilhelmstrasse :
u Notre agence d’Amsterdam nous informe que notre avion
régulier de Londrm arrivera aujourd‘hui à 17 h. 30 à Tem-
pelhof, ayant à bord M.Dafirus, uns personnalité du Foreign
Ofice (sic) 2. D
1. Archives secrèîes de la Wilhelmstrasse, VII, no 281.
2. Archives secrètes de la Wilhelmstrasse, VII, no 261. Note de M . Myer-Hyden-
hagen.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 405

A défaut de propositions concrètes, l’industriel suédois rap-


porte avec lui ce feuillet, rédigé de la main de Lord Halifax :
Q Veuillez faire savoir a u Maréchal Gœring que nous avom
bien reçu son message. Veuillez également lui transmettre ce qui
suit :
u Nous pensons que ressentie2 est de gagner quelques jours.
Nous ne sommes as entièrement fixés sur Is sens de la propo-
sition [allemander l. L’ambassadeur 2 nous aidera sans doute
à y voir plus clair. Il nous faut du temps pour formuler notre
réponse, après en avoir délibéré avec lui. Dans l’intervalle, nous
ferons preuve du même esprit que celui qui inspire le Führer,
d savoir le désir de trouver une solution satisfaitante aux pro-
blèmes qui nous préoccupent.
u Durant ce répit, il est essentiel d’éviter une aggravation de
la situation locale, en empêchant le renouvellement des incidents
de frontière et les accrochages entre membres des deux minorités.
Nous pressons les Polonais d‘exercer u n contrôle des plus sévères.
Nous espérons que le Maréchal Gœring usera de toute l’influence
dont il dispose, du côté allemand, pour aider a u rétablissement
d’une atmosphère plus calme S. n

* *
Les experts économiques ayant achevé vers 17 heures
l’examen des demandes italiennes, Hitler rédige un troisième
message pour Mussolini 4. I1 lui déclare qu’il peut couvrir
ses besoins en ce qui concerne le charbon, l’acier, le bois et
les sels de potasse, mais qu’il ne saurait en &re question
pour le pétrole, le cuivre et le nickel S.
(( E n ce qui concerne la D. C. A. »,poursuit-il, (( k Reich

pourrait livrer 30 batteries de 4 canons immédiatement, 30 autres


batteries après la fin des opérations e n Pologne, et 30 autres
dans u n an... Mais l’ambassadeur Attolico ayant spécifié que
tout le matériel demandé devait être livré avant le début de la
1. I1 s’agit de la proposition d’alliance.
2. Sir Nivile Henderson.
3. Michael FREUND,Op. cit., III. Document no 106, p. 296,
4. Le premier date du 25 août, dans la matinée; le second, du même jour
à
-~21 h. 30.
5. K €’&oyant la pénurie de cuivre n, écrit Hitler, a l’Allemagne en est déjà
arrivée à utiliser, dans la plupart des domaines, des métaux légers, ou d‘autres
matériaux de remplacement. La livraison de nickel ne pourrait pas non plus être
satisfaisante, à beaucoup prés, car l’industrie allemande elle-même se contente
déjà ppesque exclusivement d’aciers ne contenant que peu ou pas de nickel. Nos
propres besoins, dans ce domaine, ont presque complètement disparu. a
406 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

guerre, j’ai le regret d e vous dire que je suis dans l’impossibilité


de satisjaire vos désirs.
u Dans ces conditions, Duce, je comprends quelle est votre
situation et tout ce que je vous demande est d’essayer de fixer les
forces anglo-françaises par une propagande active et des démons-
trations militaires adéquates, ainsi que vous me l‘avez proposé.
(c Comme ni la France ni l’Angleterre ne pourront obtenir l e ,
moindre succès décisif à l’ouest; comme l‘Allemagne, grâce à son
accord avec la Russie, pourra, après la défaite de la Pologne,
retourner vers l’ouest toutes les forces qu’elle a massées actuel-
lement à l’est; comme a u surplus la suprématie aérienne est
certainement de notre côté, je ne crains pas de m’attaquer a u
problème oriental et de le résoudre, même a u risque de compli-
cations à l’ouest 1. n

A 18 h. 42, Mussolini répond à Hitler :

a Führer1
u J e crois que le malentendu dont Attolico a été la cause invo-
lontaire est maintenant dissipé. .. Ce que je vous demandais,
- à l‘exception des batteries de D. C. A. -, c’était que les livrai-
sons soient échelonnées sur une période de douze mois. Mais
même maintenant que le malentendu est dissipé, il est évident
qu’il vous est impossible de m’aider matériellement à combler
les larges brèches que les guerres d’Éthiopie et d’Espagne ont
creusées dans les armements italiens.
u J’adQpterai donc l’attitude que vous conseillez, a u moins
dans la phase initiale d u conflit, c’est-à-dire en immobilisant le
plus possible de forces franco-britanniques, tout en accélérant
a u maximum mes préparatifs militaires.
a Vous pouvez imaginer quel est mon état d’esprit en me voyant
contraint par des forces indépendantes de ma volonté, de renoncer
à vous manifester une réelle solidarité a u moment de l‘action.
a C‘est aussi pour cette raison que je me permets d‘insister
à nouveau sur l’opportunité d’une solution politique, que je
considère toujours comme possible et comme pouvant donner
pleine satisfaction morale et matérielle à l’Allemagne n =.
Cet aveu de faiblesse a un accent pitoyable qui n’échappe
pas à Hitler. En cet instant,il mépriserait Mussolini s’il était
1. Akten ZUT Deutechen Auswürtigen Politik, VIX, no 307. Comme Hitler est
convaincu que tout ce qu’il écrit à Rome est communiquri à Londres (voir plus
haut, p. 389, n. 5), ce dernier paragraphe est rédigé moins à l’intention de Musso-
lini, qu’à celle des Anglais.
2. Michael FREUND,Die Geschichte des Zweiten Weltkrieges in Dokumenten,
III, Document no 81.
L A PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 407
capable d’oublier l’affaire autrichienne. La facilité avec
laquelle le Duce a renoncé aux fournitures demandées lui
prouve combien peu il a envie de faire la guerre. Et puis, son
insistance à suggérer une (( solution politique D - qui lui
permettrait de sauver la face, tout en assumant aux yeux du
monde le rôle d’un arbitre et d’un pacificateur - l’irrite au
plus haut point. Croit-il vraiment lui avoir rendu un si
grand service à Munich? I1 lui a fait tomber les armes des
mains, sans lui assurer pour autant sa liberté d’action
à l’est. Depuis lors, il a perdu une année, que ses adver-
s’aires ont employée à dresser la Pologne contre lui. C’est
pourquoi, il ne se laissera pas enliser une deuxième fois
dans une conférence internationale. I1 ne renoncera à la
guerre que si Beck vient à Canossa. Et comme toujours,
quand les choses ne vont pas selon son gré, il raidit sa
position.. .
t
+ *

Telle est l’atmosphère qui règne à la Chancellerie, lorsque


M. Coulondre y arrive quelques instants plus tard, por-
teur d’un message de M. Daladier l.
(( A l’heure où vous évoquez la plus lourde responsabilité que

puissent éventuellement assumer deux chefs de gouvernement »,


écrit à Hitler le Président du Conseil, (( - celle de laisser
répandre le sang de deux grands peuples qui n’aspirent qu’à la
paix et au travail -,je vous dois à vous-même, je dois à nos deux
peuples de dire que le sort de la paix est entre vos seules mains. n
Le chef du Gouvernement français poursuit en évoquant
l’honneur national, les liens qui unissent la France à la
Pologne et sa conviction que tous les griefs invoqués par
l’Allemagne contre le Gouvernement de Varsovie pourraient
encore être réglés d’une façon amiable.

(( En une heure aussi grave écrit-il, ( ( j e crois sincère-


ment qu’aucun homme de cœur ne pourrait comprendre qu’une
gzerre de destruction puisse être engagée, sans qu’une dernière
tentative d’arrangement pacifique ait lieu entre l’Allemagne et

1. Ce message est la réponse aux propos qu’Hitler a tenus a l‘ambassadeur de


France, lors de leur entrevue de la veille, à 17 h. 30. (Voir plus haut, p. 379.)
408 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

la Pologne ... Chef d u Gouvernement français, je suis prêt à


faire tous les efforts qu’un honnête homme peut accomplir afin
d’assurer le succès de cette tentative.
Vous avez été, comme moi-même, un combattant de la der-
nière guerre. Vous savez, comme moi, tout ce que la conscience
des peuples garde à jamais d‘horreur et de réprobation des
désastres de la guerre, quelle qu’en soit tissue. L‘idée même que
je puis me faire de votre rôle éminent comme chef d u peuple alle-
mand, m’incite à vous demander une réponse à cette proposition.
Si le sang français et le sang allemand coulent de nouveau, comme
il y a vingt-cinq ans, dans une guerre encore plus longue et
plus meurtrière, chacun des deux peuples luttera avec une
confiance absolue dans sa victoire, mais la victoire la plus cer-
taine sera celle de la destruction et de la barbarie. ))
DALADIER
l.

Ce sont là de nobles paroles. Mais pour Hitler elles passent


à c8té de la question. La guerre est entre ses mains? Peut-
être. Mais la paix est entre celles du colonel Beck. Si Daladier
veut éviter un conflit, qu’il presse Varsovie $accepter ses
conditions. C’est pourquoi les exhortations du Président
du Conseil ne l’impressionnent guère.
Ayant terminé sa lecture, Hitler fixe les yeux sur l’am-
bassadeur. D’une voix sèche, il rend hommage aux senti-
ments exprimés par Daladier, mais il ajoute aussitôt :
- n: Depuis que la Pologne a reçu la garantie anglaise,
il est vain de vouloir l’amener à une saine compréhension de
la situation. Au point où nous en sommes, les choses sont
allées trop loin ... 1)
M. Coulondre ayant fait mine de l’interrompre, Hitler
l’arrête d’un geste de la main, comme pour lui signifier que
tout c0 qu’il pourra ajouter n’y changera rien. Mais l’am-
bassadeur refuse de garder le silence. Les paroles montent
à ses lèvres sans qu’il puisse les refréner. Comme jadis Fran-
çois-Poncet à la veille de Munich, il adjure Hitler de l’écouter,
ne fût-ce qu’une dernière fois :
- (( Les choses »,lui dit-il (( ne sont pas allées si loin,
puisque rien d’irréparable ne s’est encore produit. Ce que vous
demande le chef du Gouvernement français, c’est d’accepter
l’ouverture de négociations qui n’ont jamais été réelle-
ment engagées jusqu’ici, et ce qu’il vous affirme, sur son
honneur, c’est sa volonté de s’employer à les faire aboutir.
1. Livre blanc allemand, II, no 460.
LA PAIX SE MEORT... LA PAIX EST MORTE 409
Pouvez-vous rester sourd à un tel appel et refuser de faire
cette suprême tentative avant de vous lancer dans une guerre
qui, vous le savez, sera générale? Vous savez aussi quels
seront ses ravages et quelles responsabilités terribles assu-
mera, envers la civilisation occidentale, celui qui l’aura
déchaînée. Vous avez bâti un empire sans verser le sang. Ne
faites pas couler celui des soldats et aussi celui des femmes
et des enfants, sans vous être assuré que cette hécatombe
affreuse ne pouvait être évitée. N’écartez pas cette dernière
chance, pour le repos de votre conscience, pour votre pres-
tige même : il est assez grand en Allemagne pour n’avoir
pas à souffrir d’un geste d’apaisement. I1 en recevra, au
contraire, un nouvel éclat : les hommes,.qui vous craignent,
s’étonneront peut-être, mais vous admireront; les femmes
vous béniront. En cette heure décisive, vous êtes face à
l’histoire, monsieur le Chancelier, et elle vous jugera suivant
la décision que vous prendrez. n
Quelques secondes s’écoulent dans le silence. Puis Hitler
murmure :
- (( Ah! Les femmes et les enfants, j’y ai souvent pensé1 r ...
I1 lève les yeux sur Ribbentrop, qui est debout à ses côtés
et qui a gardé depuis le début de l’entretien un visage de
pierre. I1 se lève, saisit Ribbentrop par le bras et l’en-
traîne dans l’embrasure d’une fenêtre. Tandis que les deux
hommes s’entretiennent à voix basse, Coulondre a une
minute d’espoir insensé. Aurait-il réussi à convaincre, à
émouvoir le Chancelier?
Mais Hitler revient. Son visage? qui avait pris pendant
un instant une expression plus humaine, s’est de nouveau durci.
- (( C’est inutile »,lui dit-il. (( La Pologne ne cédera pas
Dantzig, et je veux que Dantzig revienne au Reich. D’ailleurs
je répondrai moi-même à M. Daladier. ))
Durant vingt minutes encore, l’ambassadeur fait un
suprême effort pour essayer de le convaincre. Mais il sait
que c’est peine perdue. Pour laisser malgré tout la porte
entrouverte, il lui lance en se retirant :
- u J’espère, monsieur le Chancelier, que vous n’avez pas
dit votre dernier mot. ))
De retour à l’ambassade de France, M. Coulondre appelle
Daladier au téléphone.
...
1. rAchi Die Frauen und die Kindern,daran Iiabe ich off gedaehf r(Enal1emand
dans les Mémoires de Coulondre.)
410 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

- 6 Le Chancelier n’a pas retenu votre proposition »,lui


dit-il.
- a Mais il fallait lui lire ma lettre, la commenter! répond ))

le Président du Conseil.
- (( Monsieur le Président, quarante minutes durant, j’ai

épuisé les arguments, les exhortations, les adjurations! n


Pendant toute une partie durepas qui suit cette audience,
Hitler reste sombre et silencieux, ce qui laisse présumer à
son entourage que l’entrevue a dû être dramatique. Puis,
sortant brusquement de son mutisme, on l’entend murmurer :
- a J’aurais dû répondre à l’ambassadeur de France que
si le sang des femmes et des enfants devait couler, je n’en
serais pas responsable, car si la guerre éclate, ce ne sera pas
moi qui donnerai, le premier, l’ordre de bombarder les popu-
lations civiles l. 1)
* r

Mais avant que la soirée ne s’achève, UQ nouvel incident


va surgir. I1 a pour origine le conflit qui oppose, depuis
quelques jours, Ribbentrop et Gœring.
Le Commandant en chef de la Luftwaffe a fondé un orga-
nisme secret, -
(( l’Institut de Recherches »,- composé
de techniciens spécialisés dans l’interception et le décryp-
tement des télégrammes. Ceux-ci ont enregistré les conver-
sations téléphoniques de Dahlerus et ont reconstitué toutes
ses allées et venues. Conformément à leur règlement, ils en
ont informé le ministère des Affaires étrangères, car on a
oublié de leur dire de s’en abstenir, en ce qui concernait
ce cas particulier.
On imagine sans peine la colère de Ribbentrop en appre-
nant que Gœring a envoyé, derrière son dos, u n émissaire
privé à Londres. I1 y voit immédiatement une tentative
pour saper son influence auprès du Chancelier. Comment
p e u t 4 mener la politique étrangère du. Reich si tout le
monde s’en mêle? Pour déjouer la manœuvre, il va trouver
Hitler et lui dit :
- (( Savez-vous que ce Dahlerus est un individu dangereux?
C’est un agent de l’Intelligence Service! Voilà le genre de
personnes auxquelles Gœring fait confiance! 1)

1. Robert COULONDRE,De Staline à Hitler, p. 290-291.


2. Forschungsinstitut.
LA PAIX SE MEURT... L A PAIX EST MORTE 411
I1 sait qu’aucun argument n’est mieux fait pour éveiller
la méfiance d’Hitler. Comme celui-ci a peine à le croire,
Ribbentrop lui montre le message envoyé à 15 heures par
la direction de la Lufthansa l.
- (( Lisez, mon Führer, lisez! Ce Dahlerus se présente lui-
même comme un membre du Foreign Ofice! ))
Gœring n’a qu’un moyen de parer le coup : c’est de passer
à la contre-attaque. Payant d’audace, il conduit le Suédois
jusque dans la gueule du loup, c’est-à-dire à la Chancellerie.
Le Führer ne dort pas encore malgré l’heure tardive et
Dahlerus gardera un souvenir inoubliable de cette visite
nocturne. Car à ce moment, toute la rage que le Führer a
accumulée en lui durant la journée éclate avec une vio-
lence inouïe. Marchant de long en large dans son bureau,
il. commence par commenter longuement, et d’une façon très
détaillée, les propositions qu’il a fait tenir au Gouvernement
anglais.
- (( J’ai offert l’alliance du Reich à l’Angleterre )), rugit-il,
(( j’ai offert de défendre, avec toute l’Armée allemande, 1’Em-

pire britannique OU qu’il soit menacé! Songez à tout ce que


cela implique, pour le présent et pour l’avenir! C’est une oRre
grandiose, la dernière que je présenterai à l’Angleterre ...
Qu’elle la saisisse au vol, car je ne la renouvellerai plus.., n
Puis, d’une voix fulminante. il se met à vanter l’écrasante
puissance militaire que représentera bientôt la Grande
Allemagne.
- «. Si l’Angleterre rejette mon offre et s’il y a la guerre,
j e construirai des sous-marins, des sous-marins et encore des
sous-marins! 1)
Après quelques secondes de silence, il se redresse de toute
sa taille e t poursuit, comme s’il s’adressait à une foule
immense :
- (( Je construirai des avions, encore des avions, toujours
plus d’avions et je pulvériserai mes ennemis... N
(( A ce moment »,nous dit Dahlerus, (( il ressemblait plus

à un démon qu’à un être humain. 1)


Subitement, il cesse d’arpenter son bureau. Immobile au
milieu de la pièce, l’index pointé vers son interlocuteur, il
s’écrie :
- (( Monsieur Dahlerus! J e vous ai livré le fond de ma
1. Voir plus haut, p. 404.
412 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

pensée. Vous connaissez à présent ma façon de voir. Partez


immédiatement pour Londres et faites-en part au Gou-
vernement britannique. J e crains que Henderson ne m’ait
pas bien compris et je désire sincèrement aboutir à un
accord l! n
En amenant Dahlerus à la Chancellerie, Gœring a voulu
neutraliser Ribbentrop, gagner quelques jours, - comme le
lui a demandé Halifax-, et conserver entre ses mains la
direction de la conciliation anglo-allemande. Mais en char-
geant Dahlerus de retourner à Londres, Hitler a arraché
l’initiative à Gœring et a fait de l’industriel suédois, non
plus l’envoyé du Maréchal mais son émissaire personnel.
1. Birger DAHLERWS,
The Lzat Attempt, Londres,-1947.
XXVII

L’ESPOIR RENAIT
(Dimanche, 27 août 2939)

En se réveillant au matin du 27 août, les Allemands


apprennent par la radio une série de mauvaises nouvelles.
Le Congrès de Nuremberg, qui devait se tenir comme chaque
année à la mi-septembre, est décommandé. Si l’annulation
des fêtes de Tannenberg a semblé de bon augure, la suppres-
sion du Reichsparteitag apparaît d’autant plus comme un
signe de guerre, qu’il devait s’appeler, cette année-ci, le
(( Congrès de la Paix ».

Autre mauvaise nouvelle : on annonce la mise en vigueur


des cartes de rationnement. Des affiches, apposées sur les
murs des mairies, font savoir que chaque Allemand n’aura
droit désormais qu’à 700 grammes de viande, 280 grammes
de sucre, 150 grammes de céréales, 125 grammes de savon
et 63 grammes de café par semaine; à 60 grammes d’huile,
de beurre ou de produits laitiers et à 2 décilitres de lait par
jour. Les vêtements, le linge, les textiles sont contingentés.
Des services de contrôle et de répartition s’installent dans
les mairies. En vertu du a Décret destiné à assurer les besoins
vitaux du peuple allemand »,les contrevenants seront punis
de peines sévères z. Premier avant-goût des privations qu’en-
traîneront les hostilités ...
Quand ils sortent de chez eux, les Berlinois s’aperçoivent
que la physionomie des rues a changé. La moyenne d’âge

1. Reichsgeseisbldt, no 149 du 27 août 1939.


2. Henderson voit dans ces mesures la confirmation du fait que la guerre devait
éclater la veille, 26 août. I1 ense que sa dernière visite au Berghof a contribué à
retarder l’échéance fatale. f D e m ans avec H i t b , p. 275-276.)
414 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

des passants s’est brusquement élevée. On n’y rencontre que


des hommes de plus de quarante ans, car toute la jeunesse
a mystérieusement disparu. Répondant à leurs feuilles de
rappel individuelles, les jeunes gens sont partis rejoindre
leurs unités. Tout s’est effectué en silence et dans le plus
grand secret. Point de sonneries de clairons ni d’affiches mul-
ticolores. On ne prend conscience de ce qui se passe qu’au
vide insolite des villages et des villes. Les trains se font plus
rares, les routes sont à peu près désertes. L’essence étant
rationnée, la plupart des stations-service refusent de four-
nir les voyageurs attardés. D’ailleurs, la réquisition des
camions et des voitures s’est multipliée à tel point au cours
de ces derniers jours, que la circulation est très clairsemée.
On dirait que le Reich va tomber en syncope ...
Même spectacle dans les campagnes, où des paysans gri-
sonnants achèvent de rentrer la récolte. Toutes les forces
vives de la nation ont été drainées par l’Armée. Avant que
la guerre n’éclate, on dirait que la paix se meurt dans un
soupir...
r i
Oui, le dimanche 27 août s’annonce sous de sombres aus-
pices. Ce matin-là, où qu’on tourne ses regards, on n’aper-
çoit que des signes avant-coureurs de la tempête. Tout semble
confirmer la phrase de Mussolini : N Le conflit n’est pas seu-
lement inévitable : il est imminent. 1)
Tard dans la nuit, après avoir reçu M. Dahlerus, Hitler,
qui a fini par prendre son parti de la défection italienne,
a rédigé une nouvelle lettre pour le Duce :
u Duce!
(( J’ai reçu la communication relative à votre prise de position

définitive »,lui écrit-il. (( J e respecte les raisons et les motifs


qui vous l‘ont dictée. Dans certaines circonstances, elle peut même
donner de bons résultats. A condition, toutefois, que le monde
ignore jusqu’à l’ouverture des hostilités quelles sont les véritables
intentions de l‘Italie. J e vous prie donc cordialement de soutenir
ma lutte, par votre presse ou par d‘autres moyens appropriés.
J e vous demande aussi, Duce, s i cela vous est possible, d‘obliger,
par des démonstrations, la France et la Grande-Bretagne à
immobiliser une partie de leurs forces, ou tout a u moins de les
laisser dans Sexpectative.
LA PAIX S E MEURT... LA PAIX EST MORTE 415
u Mais voici, Duce, IL plus important. Comme ie l’ai dit, s’il
faut en venir à une guerre généralisée, la décision sera acquise
à l’est avant même que les deux Puissances occidentales aient
obtenu le moindre succès. J’attaquerai alors ù l’ouest avec des
forces a u moins égales à celles de la France et de la Grande-Bre-
tagne réunies. L e blocus.s’avérera peu efficace, p a r suite des cir-
constances nouvelles intervenues à l‘est et aussc gràce ù mes pré-
paratifs autarciques. L e danger qu’il présente n’augmentera pas,
mais ira en diminuant a u fur et à mesure que la guerre se pro-
longera I... ))

Pour finir, Hitler demande à Mussolini de lui envoyer de


la main-d’œuvre pour son agriculture et son industrie.
Puis, après avoir pris quelques heures de repos, il met la
dernière main à sa réponse à Daladier. I1 n’y est ques-
tion ni de morale, ni de civilisation. Dans le texte serré de
ce document de sept pages, le Chancelier s’en tient aux
faits et dresse un ultime réquisitoire contre le Traité de
Versailles.
(( J e comprends I), écrit-il au Président d u Conseil, a les inquié-

tudes que vous exprimez. J e n’aijamais perdu de vue, moi non


plus, la responsabilité qui incombe aux conducteurs de peuples.
En tant qu’ancien combattant, je connais, comme V O U S , les horreurs
de la guerre. Cette connaissance et cette conviction m’ont incité
à m’efforcer loyalement d’éliminer tous les motifs de conflit
entre nos deux peuples. D
Hitler raqpelle qu’il a renoncé solennellement à reven-
diquer l’Alsace et la Lorraine, bien que ces pays aient long-
temps fait partie du Reich; qu’il a déclaré, après le retour
de la Sarre, qu’il n’y avait plus aucun motif de conflit entre
la France et l’Allemagne et que les milliards qu’il avait
consacrés à la construction du mur fortifié de l’ouest attes-
taient sa volonté de considérer la frontière franco-allemande
comme intangible et définitive.
(( Mais »y poursuit-il, (( cette limitation volontaire des reven-
dications vitales de l’Allemagne à l’ouest ne peut pas être consi-
dérée comme signifiant l‘acceptation d u Diktat de Versailles en
ce qui concerne d’autres territoires n ...
1. Leftre du Chancelier HitIer à Mussolini, le 27 août 1939 à O h. 10 du matin,
reçue à Rome à 3 h. 40 e t remise au Duec à 9 h. 10. (Akten sur Deutscher8 Aw-
wdrtigen Politik, VII, no 341.)
416 EISTOIRE DE L'ARM&E ALLEMANDE

Hitler énumère ensuite les efforts qu'il a faits pendant


des années, pour obtenir la révision des clauses les plus dérai-
sonnables de ce diktat. Mais sans aucun résultat. D'où la
nécessité pour lui de recourir à d'autres méthodes.
u J ' a i fait a u Gouvernament polonais une offre qui a alarmé
le peuple allemand. N u l autre que moi n'aurait osé se présenter
devant l'opinion puMique avec une offre pareillel. C'est pourquoi
elle ne pouvait être formulée qu'une seule fois. J e suis profon-
dément convaincu que si, à cette époque, l'Angleterre, a u lieu de
déchaîner contre l'Allemagne une violente cam agne de presse, avait
persuadé la Pologne - d'une façon ou J u n e autre - d'être
raisonnable, l'Europe pourrait jouir aujourd'hui de vingt-cinq
années de paix. Au contraire, on a surexcité l'opinion publique
polonaise en propageant le mensonge d'une agression allemande
et on a rendu plus dificiks a u Gouvernement polonais les déci-
sions qu'il avait à prendre. Surtout, o n l'a empêché de v6ir juste
et de se rendre compte d'une manière réalistedeslimitesdupossible,
en lui promettant une garantie qui est u n blanc-seing. L'opinion
publique polonaise, persuadée que la Grande-Bretagne et la
France combattraient pour la Pologne, a commencé à émettre des
exigences qu'on aurait sans doute p u qualifier de folies ridicules,
si elles n'avaient pas été tellement dangereuses. Alors s'est ins-
tauré un règne de terreur; les Allemands dont le nombre est,
somme toute, d'un million et demi dans lBs territoires enlevés
a u Reich par la Pologne, ont été soumis à une oppression
physique et économique intolérable. J e ne veux pas parler ici
des sévices abominables dont ils ont été victimes. Par suite des
continuels abus de pouvoir des autorités polonaises, Dantzig s'est
V U de plus en plus abandonné à I'arbiiraire d'une Puissance
totalement étrangère a u caractère national de la ville et de sa
population n ...
Hitler demande ensuite à Daladier comment il réagirait
si la France était coupée en deux par un couloir étranger, et
si Marseille n'avait pas le droit de se proclamer française.
I1 affirme, une fois de plus, que Dantzig et le Corridor
doivent revenir à l'Allemagne, et que les conditions anar-
chiques qui règnent aux frontières orientales du Reich
doivent disparaître. Enfin, il. termine par ces mots :

u J e ne vois aucun moyen d'inciter ta Pologne à adopter une


solution pacifique, car elle se croit inattaquable sous la protec-

I . I1 s'agit de sa proposition du 21 mars 1939. (Voir plus haut. p. 180.)


LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 417
tion dss garanties qui lui ont été gratuitement octroyée$. Mais je
désespérerais d’un avenir honorable pour mon peuple si, dans
de telbs circonstances, nous a’étions pas résolus à résoudre le
problèmed>une mgnière ou d’une autre. S i donc le destin obli eait
de nOuveau nos deux peuples à combattre, il y aurait une cfiffé-
rence entre leurs mobiles. J e me battrais avec mon peuple, mon-
sieur Daladier, pour que soit réparée l’injustice qui nous a été
faite, et IS aptres se battraient pour qu’elle se perpétue. ceci est
&autant plus tragique que bon nombre de personnes parmi les
plus importantes, même dans votre pays, ont reconnu l’absur-
dité de la solution de 1919, ainsi que I’irnpossibilitd de la main-
tanir. perpétuellement. J e me rends parfaitement compte des consé-
quences d‘un tel conflit. M a i s je crois que c’est la Pologne qui
aura c i en souffrir le plus car, uelle que soit I‘issue d’une
guerre qui éclaterait à ce sujet, PEtat polonais actuel dispa-
raîtra l. n
C’est Ribbentrop qui lit cette lettre à M. Coulondre
avant de la lui remettre, car Hitler ne veut pas rouvrir
le débat avec l’ambassadeur de France*. I1 a dit ce qu’il
avait à dire et n’y reviendra plus ...
t
4 4

Les derniers ponts vont-ils être coupés entre Berlin et


Paris? L’horizon, comme on le voit, s’assombrit d’heure en
heure.
Et tout à coup, une petitc lueur d’espoir apparaît. Oh,
bien faible et bien vacillante ... Mais une lueur quand même...
A la fin de la matinée, le comte Lubienski, chef de Cabinet
du eolonel Beck, qui se trouve de passage dans la capitale
allemande, se présente au Bureau Ribbentrop et demande
à parler au Dr Peter Kleist, le chef du comité germano-
polonais. I1 est accompagné par M. Kara, le consul gériéral
de P o l o p e ai Berlin. Lubienski a l’aspect d’un homme étreint
par l’angoisse, qui fait un suprême effort POUF endiguer in
extremis,le raz de marée qui rique de submerger son paysS.
i. Ldtre du Chancelier Hitler au President DplatEier, 27 aods 1989. (LWrc blanc
allemand, I I , no 461.)
2. D’autant plus que Daladier commence par demander que ni sa lettre ni
la & p o w d’Hitler iie soient publiées. C‘est seulement à 22 heures que, sur les
instances de l’ambassade d‘Allemagne, le Gouvernement français renonce à
lea garfie? secrém. (Archives secr8te-s de la WWlmsirasse, V I I , no 311.)
3. Rappelow que le comte Lubienski assisté à la dernière entrevue entw
Beck et Hitler, le 5 janvier 1939. (Voir plus haut, p. 176.) En tant que chef de
VI 27
418 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

-a Le colonel Beck se rend parfaitement compte de


la situation »,déclare-t-il. (( I1 ne sous-estime nullement la
puissance de ‘l’armée allemande, bien que le Maréchal
Rydz-Smigly se fasse toujouns fort de la tailler en pièces
dans une nouvelle bataille de Grunwald 1. I1 connaît égale-
ment les faiblesses des armées française et britannique.
Par ailleurs, la détente survenue entre l’Allemagne et l’Union
Soviétique lui cause le plus grand souci. Mais il faut aussi
vous rendre compte que le sentiment natio_nal polonais a
été chauffé & blanc et qu’aucun homme d’Etat n’est plus
en mesure de trouver la formule cabalistique capable de
maîtriser les esprits déchaînés ... 1)
- (( Mais votre pacte avec l’Angleterre? 1) demande Kleist.

- (( I1 n’a fait qu’embrouiller encore les choses »,répond

Lubienski. u Ce n’est qu’un fétu de paille. I1 nous fallait le


saisir, bien sûr, mais il ne diminue en rien les risques d’un
choc armé. Le colonel Beck le sait. Ce qu’il veut, pour le
moment, c’est, tout d’abord, gagner du temps pour apaiser
le délire populaire; ensuite, - mais seulement après un cer-
tain délai - présenter des offres acceptables pour aboutir
à une solution générale de tous les problèmes germano-
polonais.. n .
C’est tout juste si Lubienski ne dit pas à son interlo-
cuteur que Beck est pris la gorge par son opinion publique.
- (( Dites-vous bien »,poursuit-il avec force, (( que Beck
et son entourage restent, dans le pays, les seuls hommes
capables de juger froidement la situation. I1 serait désirable
de voir l’Allemagne en profiter, pour arriver & une détente
sans déchaîner une catastrophe. Ne pourriez-vous pas le
faire comprendre à Ribbentrop? S
Kleist ne demande pas mieux, mais il se demande comment
s’y prendre. I1 ne faut pas que sa démarche ait l’air d‘une
initiative personnelle, car Ribbentrop n’a pas encore digéré
l’intervention de M. Dahlerus. Ensuite, il est si monté contre
les Polonais, que tout propos en leur faveur risque de le
braquer encore davantage. Finalement, Kleist découvre
dans ses dossiers une dépêche que M. von Moltke, ambas-

Cabinet du ministre polonais des Affaires étrangires, il est particulièrement bien


placé pour connaître la pensée intime de son chef.
1. Nom que les Polonais donnent B la première bataille de Tannenberg, 03 les
Polonais et les Lituaniens taillèrent en pièces les forces des Chevaliers Teutoniques
en 1410.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 419
sadeur du Reich Zt Varsovie, a adressée à la Wilhelmstrasse
le 23 mai précédent et qui semble de nature à étayer ses
affirmations :
u Au cours d’un déjeuner intime avec M . Arciszewski 1 »,
a écrit à cette date l‘ambassadeur du Reich, (( mon hôte s’est
employé à disculper le colonel Beck. Ilaffirmeque Beck n’a suivi
toute cette politique 2 qu’à contrecœur, sous la pression des mili-
taires et de son opinion publique. D u fait que l’entretien décisif
avec Lipski 3 a eu lieu moins d’une semaine après l’occupation
de Prague et e n pleine tension memeloise, celui-ci a provoqué un
tel sursaut d’indignation à Varsovie que Beck n’a plus été à
.même de repousser l’offre anglaise. En raison de l’hostilité de
l’opinion, il a estimé inopportun de poursuivre la discussion,
jusqu’au moment o ù le discours du Führer 4 l’a mis a u pied d u
mur. S a réponse devant le Seym 6 où, sous l’empire de la néces-
sité, il a dû faire une politique qui n’était pas la sienne et l’explo-
sion d’enthousiasme qui a salué son discours, l’ont rempli d’amer-
tume. M . Arciszewski m’a décrit, d’une façon dramatique, une
scène qui s’est déroulée le lendemain f à la suite de son discours,
Beck a reçu un monceau de télégrammes de félicitations. Pris
de colère, il les a froissés d’un geste rageur et les a jetés dans un
coin de la pièce. Aujourd‘hui encore il demeure, e n son for inté-
rieur, partisan de l‘ancienne politique [celle de Pilsudski]. Cepen-
dant, il n’arrive pas à comprendre pourquoi la population de
Dantzig doit revenir à tout prix a u Reich, alors que le Reich a
renoncé a u Tyrol du Sud et à I‘Alsace-Lorraine 6. Par ailleurs,
il lui paraît insensé que l’Allemagne et la Pologne - deux pays
relativement pauvres - aillent s’entre-déchirer dans u n combat
qui ne servira, e n fin de compte, que les intérêts des pays les
plus riches 7... n
Couvert par ce rapport, Kleist va trouver Ribbentrop
et lui fait part de la conversation qu’il vient d’avoir avec
Lubienski. Après un premier mouvement d’agacement, le
1. Le sous-secrétaire d’État polonais aux Affaires étrangères.
2. C’est-à-dire la politique de raidissement fondée sur la garantie anglaise.
3. Celui du 21 mars 1939. (Voir plus haut, p. 180.) Rappelons que l‘occupation
de Prague a eu lieu le 15 mars, e t le rattachement de Memel au Reich le 22 du
même mois.
4. I1 s’agit du discours prononcé par le Fuhrer devant le Reichstag, le 28 avril
1939.
5 . On appelle ainsi le Parlement polonais.
6. Inversement, le Gouvernement du Reich ne comprend pas pourquoi Beck
se cramponne à Dantzig, puisqu’il cherche, en même temps, à se passer de la
ville en détournant tout le trafic maritime sur Gdynia.
7. Rapport de M . w n Moltke, ambassadeur du Reich à Varsovie, le 23 mai 1939.
(Alrten zw Deutschen Auswürtigen Politik, VI, no 249, p. 471-472.)
420 HISTOIRE D E L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

ministre des Affaires étrangères du Reich se ravise. Contrai-


rement à toute attente, il accueille avec intérêt la note que
lui remet le chef du Comité germano-polonais et la porte 4
Hitler 1. Une détente va-t-elle en résulter entre Berlin
e t Varsovie?
Hélas, non!
- n Comme je l’ai déjà dit à Henderson)),répond Hitler,
((je crois volontiers que Beck et Lipski sont remplis de
bonnes intentions2. Mais ils ne sont plus maîtres de la
situation, Ils sont prisonniers d’une opinion publique portée
à l’incandescence par les outrances de leur propre propa-
gande et les rodomontades des militaires. Même s’ils VOU-
laient néigocier, ils ne lq pourraient pas. C’est là qu’est le
nœud de la tragédie ... Regardez!
Hitler tend à Ribbentrop un télégramme qu’il vient de
recevoir,
a Le 24 août, à ,13 h. 15, un avion de transport civil de la Luft-
hama, D-ABHF, volant à une distance de 15 à 20 kilomètres
de la côte de Hela ù une altitude de 1.500 mètres, a essuyé le feu
de batteries antiaériennes polonaises et d‘un ndvire polonais se
trouvant à 40 kilomètres de la côte; les éclatements de huit salves
ont étts observés de l’avion.
u Le 25 août, à 12 h. 47, un avion de transport civil de la
Lufthansa, D-AHIH, a essuyé le feu de batteries antiaériennes
polonaises, à 20 kilomètres de Heisternest. Les coups sont passés
si près de l’avion, que les détonations ont été nettement perçues
à l‘intérieur de la cabine. Parmi les passagers se trouvait le
secrétaire d%tat Stuckart... n

- a Tout cela nous le savions déjà *, mais voici qui est


nouveau :
R L e 25 août, à 14 h. 18, un hydravion de la Kriegsmarine,
venant de Pillau, a été canonné non loin de la côte, à hauteur de
Brcsen, la deuxième fois par six salves. Les coups provenaient
de Hela ou de navires polonais 4. n
a Quand nous demanderons au Gouvernement de Varsovie
qu’il nous fasse des excuses, il nous répondra, comme d’habi-
1. Sana doute sait-il gré à Kleist du râle qu’il a joué dans I’amowage des n6go-
2. Voir plus haut, p. 375. ‘ -
ciations eermano-soviétiaues. (Voir dus haut.. .D . 251.)
3. Hitlerena déjà parléB Henderson et à Coulondre. (Voir plus haut p. 373 et 379.)
6. Archiva secrètes de l u Wilhelmstrasse, VII, no 310.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 421
...
tude, qu’il n’y est pour rien C’est le règne de l’anarchie ...
Que voulez-vous y faire? n ...
Comme Ribbentrop suggère que l’on pourrait peut-être
établir des contacts utiles par l’entremise du Comité germano-
polonais, Hitler s’étonne :
- a Comment? Ce Comité existe encore? Veuillez le
dissoudre immédiatement. J’aurais pensé que c’était chose
faite depuis longtemps! ))
Ainsi s’éteint la lueur d’espoir, un instant entrevue...
*
* *
Mais à peine s’est-elle éteinte, du côté de Varsovie,
qu’une autre lueur s’allume. Cette fois, c’est à Londres.
A .midi, l’avion spécial de Dahlerus s’est posé sur l’aéro-
drorrie de Croydon, où toute vie paraît absente, car l’en-
semble du trafic aérien avec l’étranger a été suspendu.
Une voiture du Foreign Ofice l’attend à l’aéroport. Dés sa
descente de l’appareil, le Suédois est conduit à Downing
Street, où il est accueilli par Neville Chamberlain, Lord
Halifax, Sir Horace Wilson et Sir Alexander Cadogan. I1
commence par leur décrire son entrevue nocturne avec
Hitler.
- (( Quel effet vous a fait le Chancelier? Avez-vous pu dis-
cuter avec lui, ou était-il dans une de ces colères qui rendent
toute discussion impossible? )) demande Sir Horace Wilson,
qui se souvient encore de son entretien orageux avec le
Führer, à la veille de Munich1.
- (c Discuter n’est pas le mot n, répond Dahlerus. (( C’est
un homme d’une éloquence volcanique, qui possède l’art
de présenter son point de vue sous le jour le plus favorable.
Mais il souffre d’une regrettable incapacité : celle de com-
prendre ou de respecter ceIui des autres. De toutes façons,
ce n’est pas un homme c.ommode. J e ne voudrais pas l’avoir
pour partenaire ... 1)
Dahlerus expose alors le sens qu’Hitler donne 21 sa propo-
sition.
- (( I1 attache à son offre la plus extrême importance )),

déclare-t-il. u I1 la considère sous l’angle le plus large et


pense qu’elle pourrait changer l’avenir du monde. n
1. Voir vol. V, p. 461.
422 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

- (c Vos déclarations ne correspondent pas exactement


à la version que Sir Nevile Henderson nous a rapportée de
Berlin »,remarque Lord Halifax.
- (( J e vous ai pourtant répété les propos du Führer de
la façon la plus scrupuleuse »,répond Dahlerus.
- (( Comprenez-nousbien, Mister Dahlerus »,fait observer
le Premier Ministre. (( I1 est impossible au Gouvernement de
Sa Majesté de discuter avec l’Allemagne toute une série
de problèmes les plus divers touchant les relations anglo-
allemandes, alors qu’au même moment, l’Allemagne peut
attaquer la Pologne d‘un instant à l’autre, précipitant
ainsi l’Angleterre dans un conflit avec elle D ...
- (( I1 faudrait commencer par amorcer des négociations
directes entre l’Allemagne et la Pologne »,déclare Lord
Halifax, (( mais cela exige, de part et d’autre, un minimum de
...
confiance.,. Cela demande aussi du temps N’allez surtout
pas déduire de mes mots, que le Gouvernement de Sa Majesté
ne soit pas désireux d’arriver à un règlement. I1 y attache,
je vous l’assure, la plus extrême importance... n
- (( Avez-vous une idée des conditions d’Hitler à l’égard
de la Pologne? )) demande Chamberlain.
- (( Non »,répond Dahlerus. a Le Führer ne m’en a pas
parlé. Pourtant, je crois savoir qu’il exige le retour de
Dantzig et du Corridor. En échange, il accorderait aux
Polonais un port franc sur la Baltique et un couloir reliant la
Pologne à Gdynia. D
- Alors, il n’y a aucune chance de règlement! )) s’exclame
Chamberlain. (( Les Polonais pnéféreront mourir que de
céder le Corridor. En ce qui les concerne, je crois que le
maximum des concessions qu’ils soient prêts à faire est le
retour de Dantzig au Reich, moyennant le maintien de
certains droits polonais, et une route exterritoriale alle-
mande à travers le Corridor, assortie de garanties interna-
...
tionales ))
- (( De toute façon D, objecte Dahlerus, u les éonditions
germano-polonaises ne sont pas l’objet de ma mission.
C’est à M. von Ribbentrop et à M. Lipski de les discuter
entre eux. J e suis venu pour vous exposer l’offre d’alliance
du Chancelier. Le fait qu’il vous propose de mettre toutes
les forces armées allemandes au service de l’Empire britan-
nique pour le défendre au cas où il serait menacé, n’est pas peu
..
de chose! Une offre aussi exceptionnelle mérite réflexion. FI
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 423
Mais cette offre, qu’Hitler considère comme a une propo-
sition grandiose »,est précisément celle qui offusque le
plus les Anglais. Elle leur paraît humiliante pour leur
prestige et injurieuse pour leur amour-propre. C’est Carthage
proposant de protéger Rome! Le Führer croit-il donc que
l’Angleterre soit en si grand péril qu’elle ait besoin de son
secours et qu’elle n’ait plus assez de forces pour défendre
elle-même son Empire ?
Quand Sir Robert Vansittart prend connaissance de cette
proposition, il ne peut s’empêcher de s’exclamer :
- (( Voilà une offre aussi absurde qu’irréaliste! Défendre

l’Empire britannique? Mais contre qui? Personne ne le


menace. Un accord? Soit. Une alliance? Jamais! Quelle
alliance pourrions-nous conclure avec les dirigeants de
l’Allemagne actuelle? Ce serait le meilleur moyen de nous
brouiller avec l’Amérique et de perdre l’amitié de tous nos
amis en Europe : la France, la Hollande, la Belgique, la
Yougoslavie, la Roumanie, la Grèce, les Pays scandinaves. ..
I1 importe de faire comprendre à Sir Nevile Henderson
qu’il doit éviter à tout prix d’aborder ce sujet, et l’empêcher
de s’engager sur ce terrain glissant I... n
- (( I1 y a quelque chose de très fort dans les observations
de Sir Robert remarque Chamberlain, (( et je crois que
nous ferions bien d’y conformer notre conduite2. n
Mais ceci dit, les Anglais sont trop réalistes pour rejeter
en bloc la proposition d’Hitler. La perspective d’un règle-
ment général anglo-allemand contient trop d’aspects posi-
tifs pour ne pas mériter un examen attentif. Après mûre
réflexion, - et sans que Dahlerus s’en rende pleinement
compte, cari1 n’est pas rompu aux finesses dela diplomatie-
ils en retiennent le principe, mais en inversant l’ordre des
facteur$. Hitler leur dit : (( J e vous offre mon alliance, à
condition que vous m’aidiez ensuite à régler le problème de
Dantzig. n Le Gouvernement britannique va lui répondre :
«Nous ne demandons pas mieux que de vous écouter, à
condition que vous régliez tout d’abord le problème de
Dantzig. Si ce règlement s’effectue selon des voies paci-
fiques, il en résultera une détente générale, à la faveur de
laquelle toutes les négociations anglo-allemandes devien-
dront possibles. )) Mais ils pensent qu’Hitler apercevra la
1. Documents on British Foreign Policy, VII, no 455.
2. Id., ibid.
424 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

manœuvre et craignent qu’il n’en profite pour rompre


brutalement. Aussi ne savent-ils trop comment formuler
leur réponse.
C’est M. Dahlerus qui les tire d’embarras.
- a C’est bien simple n, leur dit-il. n J e suis venu ici en
éclaireur. Retenez Sir Nevile Henderson à Londres pendant
encore vingt-quatre heures. Entre-temps, j’irai à Berlin. J e
ferai part au Führer de ce que vous venez de me dire et
vous informerai de sa réaction. Vous pourrez alors rédiger
votre réponse en pleine connaissance de cause. n
- (( Voilà une excellente idée! répond Halifax.
Une heure plus tard, Dahlerus s’envole de Croydon.
*
+ *

A minuit, le Suédois est de retour à Tempelhof, où il est


attendu par Gœring. I1 lui explique la position des Anglais.
Que le Gouvernement de Sa Majesté fasse preuve d’une
certaine réserve à l’égard du projet d’alliance et ne montre
aucun empressement à rétrocéder une colonie, déçoit visi-
blement le Maréchal. Mais Dahlerus, toujours optimiste,
lui fait valoir que Chamberlain n’a pas opposé un refus
catégorique à l’offre d’Hitler. il lui montre l’aide-mémoire
en trois points qu’il a rapporté de Downing Street :

u i o Le Gouvermment de S a Majesté renouvelle solennelle-


ment son désir de maintenir de bonnes relations avec l‘Allemagne.
Aucun membre d u Cabinet ne pense autrement;
20 L a Grande-Bretagne se sent tenue, par l‘honneur, de res-
pecter ses obligations envers la Pologne;
30 L e différend polono-allemand doit donc être résolu pacifi-
quement. Si une telle solution peut être atteinte, de meilleures
relations [anglo-allemanoh] e n résulteront immédiatement 1. P

Porteur de ces indications, Gœring se rend auprès d’Hitler.


Dans quel état d’esprit va-t-il le trouver?
Celui-ci est beaucoup plus détendu que la veille. I1 a reçu,
en fin d’après-midi, un nouveau message de Mussolini, qui,

1. Procès-verbal de la réunion tenue au Foreign OIFU, le 27 aoGt 1939 entre b


Premier Ministre, Lord Halifax et Birger Dahierw. (Michael FREUND,Geschichte
des Zweiten Weltkriegen in Dokumenten, III, Document no 108, p. 298 et S.)
L A PAIX SE MEURT... LA P A I X EST MORTE 425
pour la première fois depuis trois jours, lui a donné satis-
faction :
(( L e monde ne saura pas, avant l’ouverture des hostilités, quelles

sont mes intentions véritables n, lui a écrit le Duce, u mais il


apprendra en revanche, que l‘Italie a concentré ses forces sur
les frontières des grandes démocraties.
(( Sur la frontière française, l’ai actuellement concentré dix-sept

divisions, plus vingt-sept bataillons d’dlpini, plus les gardes-


frontière.
( ( D e u x nouvelles divisions partent pour la Libye - point
faible de notre dispositif stratégique - ce qui portera à s i x le
nombre des divisions métropolitaines, outre quatre divisions
d‘Arabes libyens. Ces mesures sont plus qu’une démonstration :
elles laisseront les Français et les Britanniques duns l’incer-
tiiude, et les mettront en face de forces a u moins égales aux
leurs ...
(1 Tout ce qui peut être fait, au point de vue psychologique, pour
souligner la solidarité germano-italienne sera intensifié par l a
presse, la radio, le cinéma et une propagande appropriée ...
(( M o n désir est de rester e n contact étroit avec vous, afin de

coordonner l’action de nos deux pays et de la conformer - dans


tous les domaines - aux exigences résultant d u cours des èvéne-
ments 2. N

Cette fois-ci, une rupture entre l’Allemagne et l’Italie


paraît évitée. L’Italie n’entrera pas en guerre, mais Mussolini
n’en jouera pas moins le rôle de facteur de dissuasion.
Aussi Hitler accueille-t-il le mémorandum de Dahlerus d’une
façon beaucoup plus favorable qu’on ne s’y serait attendu.
A 2 heures du matin, Gœring appelle Dahlerus au télé-
phone. Au seul ton de sa voix, le Suédois comprend qu’il a
remporté un succès.
- (( Le Führer admet la façon de voir de l’Angleterre »,lui
annonce le Maréchal avec un accent joyeux. c I1 accueille
avec plaisir le désir manifesté par la Grande-Bretagne de
parvenir à un accord amical avec l’Allemagne... I1 respecte
sa décision de maintenir la garantie qu’elle a donnée à la
frontière polonaise ... I1 accepte sa proposition de régler la
question de Dantzig et du Corridor par des négociations
1. Les divisions Pavia et Brescia.
2. Lettre de Mussolini au Chancelier Hitler, transmise en code par téléphone
A l’ambassade d’Italie à Berlin, le 27 août 1939, à 16 h. 30. (Archives secrète8 de
la WiUielmsfrasse, VII, no 305.)
426 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

directes avec Varsovie. De plus, il accepte d’attendrela démo-


bilisation générale et le retour à des conditions normales
pour aborder la discussion du problème colonial )) ...
- (( Comment a-t-il pris le silence des Anglais quant à la
défense en commun de l’Empire britannique? N demande
Dahlerus.
- u Sur ce point, il n’a fait aucune observation »,répond
Gœring. (( Mais il compte fermement que la réponse qu’ap-
portera Henderson sera conforme à la vôtre. D’ailleurs,
attendez-moi. J’arrive dans quelques minutes. J e vous donne-
rai de vive voix des détails complémentaires. ))
Quelques instants plus tard, c’est chose faite.
A 2 heures du matin, M. Dahlerus appelle l’ambassade
d‘Angleterre au téléphone. Mais il ne peut obtenir que le
chargé d’affaires, Sir Ogilvie Forbes. Celui-ci n’a jamais
entendu parler de M. Dahlerus. Aussi se montre-t-il plus
que réticent à l’idée d‘envoyer un message de sa part au
Foreign Office, et ce à une heure aussi tardive. Mais le
Suédois insiste. I1 lui assure que c’est très important, que
Lord Halifax, avec qui il a conféré le matin même, attend
sa réponse dans les délais les plus brefs. Ogilvie Forbes
prend donc sous sa dictée le compte rendu suivant :
(c Pour Lord Halifax.
(( M. Dahlerus m’a contacté à 2 heures du matin, à la suite

d’un entretien qu’il a eu avec le Maréchal Gœring, lequel avait


eu lui-même une conversation avec Hitler.
(( Voici les commentaires du Führer relatifs a u mémorandum

e n trois points que vous l’avez chargé de l u i transmettre :


u 10 La Grande-Bretagne désire solennellement u n règlement
amical avec l’Allemagne.
(( Commentaire du Führer : R Cela signifie-t-il u n accord ou

une alliance? D
a 20 L a Grande-Bretagne doit tenir ses promesses envers la
Pologne.
(( M. Hitler l’admet.
cc30 L a Grande-Bretagne considère comme essentiel que des
négociations directes aient lieu entre l’Allemagne et la Pologne, et
que tout accord entre ces deux pays reçoive la garantie de toutes
les grandes Puissances européennes 1.
e Commentaire du Führer : Que la Grande- Bretagne

î. Grande-Bretagne, France, Italie et U. R. S. S.


L A P A I X SE MEURT... LA P A I X EST M O R T E 427
convainque elle-même la Pologne $entamer immédiatement les
négociations avec l‘Allemagne.
a Il serait extrêmement souhaitable que la réponse qu’appor-
tera Henderson fasse mention d u fait que l’Angleterre s’engage
à faire un geste pour convaincre Varsovie. Dahlerus a ex osé
à Gœring la nécessité d’une garantie de l’indépendance la de
Pologne par les Grandes Puissances. Dahlerus a eu l’impression
qu’Hitler était d‘accord. Se fondant sur sa conversation de cette
nuit avec Gœring, Dahlerus est absolument convaincu que la
méthode employée l’année dernière e n ce qui concerne la Tché-
coslovaquie, ne pourra pas être appliquée une seconde fois.
Voilà pour les îrois points précités ».

A ces premières indications, M.Dahlerus jugeutile d’ajouter :


40 Colonies.
((

M . Hitler a commencé par prendre ombrage des délais


((

réclamés pour la restitution des colonies. M . Dahlerus a expliqué


qu’il n’était pas possible de régler ce problème dans l’état actuel
des choses. M . Hitler et le Maréchal ont fini par e n convenir.
M . Dahlerus estime que l’affaire pourrait être réglée, si la réponse
faisait allusion a u fait que la Grande-Bretagne serait disposée à
discuter la question coloniale, sitôt L’affaire polonaise règlée et
la situation étant redevenue normale.
u 50 Après e n avoir référé à Hitler, le Maréchal Gœringdemande
que la réponse anglaise ne soit ni publiée ni communique’e au
Parlement, avant que le Chancelier ait eu le temps de l’étudier et,
éventuellement, d’y apporter des modifications.
a 60 Dahlerus explique que l’atmosphère est favorable à l’ouver-
ture de négociations et qu’Hilter est Convaincu du désir sincère
de l’Angleterre d’arriver à un règlement d’ensemble avec 1’Alle-
magne. Il insiste sur la nécessité absolue de mettre e n route les
négociations avec la Pologne. Après mûre réflexion, M . Dahle-
rus pense qu’il serait extrêmement utile que la réponse contienne
l’affirmation que l’Angleterre a déjà fait le nécessaire auprès de
la Pologne, pour l u i faire comprendre qu’il est indispensable
qu’elle entame des négociations directes avec l’Allemagne.
((LeMaréchal Gœring a souligné l‘importance que revêt le
passage de l’offre d‘Hitler, où celui-ci se porte garant d u maintien
de l’Empire britannique. Bien que la nature délicate de cette
affaire apparaisse d’une façon évidente, Dahlerus n’en estime pas
moins qu’une allusion bienveillante à cette éventualité, insérée dans
la rBponse britannique, serait de nature à fachter les choses l. n
1. Rapport de Sir Ogilvie Forbes, le 28 août 1939, à 2 heures du matin, sur
son entretien téléphonique avec M. Dahlerus. (Michael FREUND,Die Gedchichte
des Zweiten Weltkriegnr in Dokurnenten, III, Document no 111.)
428 HISTOIRE D E L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

En reposant son téléphone, M. Dahlerus a l’impression


d’avoir bien travaillé pour la paix. Quant à Ogilvie Forbes,
après avoir transmis ce compte rendu à Londres, il demeure
un instant perplexe et se demande s’il n’a pas été victime
d’une mystification ...
*
* +
Mais au cours de cette journée, une autre petite lueur s’est
allumée & Paris.
L’ambassadeur d’Italie, M. Guariglia, a rapporté au chargé
d‘affaires allemand la conversation qu’il a eue la veille avec
M. Georges Bonnet.
- (( J e n’avais pas vu le ministre depuis quatre semaines »,
déclare-t-il à M. Braüer. (( Or celui-ci m’a prié, sans aucun
motif spécial, de passer le voir au Quai d’Orsay. Dès le
début de l’entretien, il m’a dit : (( Après la dernière conver-
sation que le Führer a eue avec l’ambassadeur de Grande-
Bretagne, j’aperçois de nouveau une faible lueur d’espoir.
Le geste du Führer laisse entrevoir qu’il ne rejette pas le
principe de a conversations ».Peut-être sera-t-il possible de
trouver ainsi des voies et moyens qui permettraient de
régler à l’amiable le conflit germano-polonais...
a J’ai fait comprendre à M. Bonnet que, selon le point de
vue italien, le fait, pour la France, de déclarer la guerre à
l’Allemagne à cause de la Pologne, équivaudrait à un suicide;
que dans une telle guerre, la Pologne serait la première vic-
time et qu’elle serait rayée de la carte, quelle que soit l’issue
du conflit; qu’enfin, dans ces conditions, le devoir de la
France me paraissait être d‘user de son influence sur la
Pologne, pour l’amener à faire les sacrifices nécessaires au
maintien de la paix.
a L’ai-je convaincu? J e ne sais; car d’une part Bonnet a
insisté sur le fait que si l’Allemagne recourait à la force contre
la Pologne, la France et l’Angleterre seraient tenues de lui
porter secours; mais de l’autre, il a laissé entrevoir qu’il
n’excluait pas totalement la possibilité d’une solution si, en
cédant sur certains points, les Polonais pouvaient avoir la
certitude que leur indépendance et leur honneur resteraient
intacts l... n
1. Télégramme de M.Braüer ù M. wn Weizsffcker,Paris 27 août 1939,16 h. 50.
(Archives secrètes de la Wiiheimtrasse, VII, no 306.)
L A P A I X SE MEURT... L A P A I X EST MORTE 429
M. Guariglia ne peut s’empêcher d’interpréter les propos
de Bonnet comme une invite à l’Italie pour qu’elle exerce
une influence modératrice sur Berlin, voire même comme l’in-
dication qu’une médiation du Gouvernement italien ne serait
pas mal accueillie par le Quai d’Orsay...
Ainsi, par petites touches, l’horizon semble s’éclaircir, au
terme d’une journée qui a si mal commencé.
XXVIII

L’ESPOIR GRANDIT

(Lundi, 28 août 1939)

Ce n’est tout d‘abord qu’un chuchotement imperceptible,


mais il s’enfle et se répand partout. Nul ne sait comment il
est né ni sur quoi il repose, mais chacun en est intimement
convaincu : on va vers la détente; la crise est surmontée ...
Une activité fébrile règne dans toutes les chancelleries.
Celles-ci s’interrogent et se consultent sans arrêt, comme si
elles tenaient entre elles une conférence par téléphone. Les
mots qui reviennent le plus souvent dans les conversations
sont : (( Cela va un peu mieux ... I1 paraît que l’on s’oriente
vers des conversations directes ... Une médiation anglaise ...
Ce n’est pas possible!.. Mais si, de source autorisée...Bravo! ...
Ne nous réjouissons pas trop tôt ... C’est quand même un
progrès ... n
La nouvelle se propage d’autant plus vite que les esprits sur-
chauffés ne demandent qu’à l’accueillir. D’ailleurs, d’autres
indices, recueillis un peu partout, semblent lui donner corps.
A Varsovie, M. von Wühlisch, le chargé d’affaires alle-
mand, s’est rendu au Palais Brühl pour se plaindre des
attaques réitérées de la D. C. A. polonaise contre des avions
allemands. I1 a été reçu par le comte Lubienski l. Celui-ci
lui a bien fait observer que des appareils de la Lufthansa
ont violé trente-deux fois l’espace aérien polonais en moins
de vingt-quatre heures. Mais au lieu de repousser purement
et simplement la protestation allemande, il a promis de
soumettre les cas signalés à une enquête approfondie*.
1. Le chef de Cabinet du colonel Beck est rentré à Varsovie aussitôt après sa
démarche au Bureau Ribbentrop. (Voir plus haut, p. 417.)
2. Archives secrètes de la Wilhelrnstrasse. Rapport de M. w n Wiihlisch à Berlin,
27 août 1939, à 23 h. 58, reçu le 28 août à 2 h. 40, VIII, no 314.
LA PAIX SE M E U R T . , . L A P A I X EST MORTE 431
A Bucarest, M. Gafenco a déclaré au ministre du Reich
que la Roumanie était résolue rester neutre dans un conflit
entre le Reich et la Pologne, même si la France et l’Angleterre
y participaient l. (( La seule chose qui pourrait faire aban-
donner sa neutralité à la Roumanie »,a ajouté le ministre
des Affaires étrangères, (( serait qu’elle soit attaquée par la
Bulgarie ou la Hongrie. C’est pourquoi, nous avons pris des
précautions militaires le long de nos frontières. Mais en même
temps nous avons proposé un pacte de non-agression à
Budapest 2. D
A Rome, l’Italie semble de plus en plus encline à assumer
le rôle de médiatrice. M. Attolico est venu voir M. von
Weizsacker et lui a dit :
- Le Duce songe toujours à un plan pour résoudre la
crise actuelle, mais il hésite à mettre une nouvelle suggestion
en avant. Entre nous, voici ce qu’il pense : les droits de
l’Allemagne sur Dantzig devraient être reconnus à priori.
Après quoi, une conférence pourrait être convoquée, pour
discuter les autres questions pendantes entre l’Allemagne et
la Pologne, ainsi que le problème colonial, celui des matières
premières et celui de la limitation des armements. I1 suggère,
si l’on préfère cette procédure,.que les questions purement
politiques entre l’Allemagne e t la Pologne - de même
que celles qui opposent la France à l’Italie - ne figurent
pas à l’ordre du jour, mais soient réglées en dehors du pro-
gramme de la conférence, quoique simultanément 3... ))
M. von Weizsacker l’a écouté avec attention, sans fur-
muler toutefois d’opinion définitive.
Enfin, une dépêche d’agence, en provenance de Moscou,
annonce que le Gouvernement soviétique a donné l’ordre
de retirer 250.000 hommes de la frontière polonaise 4.
Tout cela tendrait à prouver que l’horizon s’éclaircit, s’il
n’y avait pas une ombre au tableau :l’Angleterre n’a toujours
pas répondu aux offres allemandes : ni à celles qu’Hitler a
remises à Henderson le 25 août 5, ni à celles qu’il a fait trans-

1. On se rappelle que c’est à la suite des démarches de M. Tilea, et pour sau-


vegarder l’indépendance de la Roumanie, que l’Angleterre a donné sa garantie à
la Pologne.
2. Archives secrètes de la Wilhelmstrasse. Rapport de M. Fabricius, VII, no 316.
3. Archives secrètes de la Wilhelmstrasse. Note d u Secrétaire d‘État, 28 août
1939, VII, no 350.
4 . Cf. Archives secrètes de la Wilhelmsirasse, VII, no 315.
5. Voir plus,haut, p. 375.
432 HISTOIRE D E L’ARMgE ALLEMANDE

mettre à Londres par Dahlerus dans la nuit du 26 au 27 1.


A quoi attribuer ce silence?
Dahlerus, qui s’en inquiéte, se rend de bon matin chez
Goering. Le Maréchal habite à présent un train spécial sta-
tionné à Oranienburg, à proximité du Quartier Général de
la Luftwafze. Dahlerus le trouve revêtu d’un coquet costume
de chasse vert pomme, rehaussé de boudes en diamants.
- u Vous n’avez guère eu le temps de dormir, cette nuit D,
lui dit le Maréchal avec cordialité. a Avez-vous au moins
mangé quelque chose? ))
- a Non B, lui rhporid Dahlerus.
- a Mais quand prenez-vous le temps de manger et de
dormir? B
- a Plus tard, plus tard »,dit Dahlerus. u J’ai, pour le
moment, des choses plus importantes à faire. J e ne m’ex-
plique pas pourquoi le Gouvernement anglais ne donne
aucun signe de vie n ...
Les deux hommes trouvent, en effet, que ce silence est
inquiétant.
- u I1 faudrait faire quelque chose pour accélérer la
réponse anglaise D, déclare Dahlerus.
Goering en convient.
De retour à Berlin, Dahlerus se rend chez le ministre de
Suède, M. Arvid Richert. I1 lui divulgue sa mission, le
prie d’en informer le Gouvernement suédois et lui laisse
entendre qu’il sera peut-être nécessaire de faire appel aux
bons offices du roi de Suède pour amener le Foreign Office
à sortir de son mutisme. Puis il se rend à l’ambassade
d’Angleterre, où il demande à parler à Sir Ogilvie Forbes.
- a J e vous en supplie D, lui dit-il, a pressez le Gouverne-
nement de Sa Majesté de faire connaître sa réponse! Chaque
heure est précieuse. J’ai appris, de bonne source, que la
Wehrmacht a reçu l’ordre d’attaquer la Pologne dans la
nuit du 31 août au l e r septembre a! D
Sir Ogilvie Forbes transmet immédiatement cette infor-
mation à Londres.
1. Voir plus haut, p. 411412.
2. Bien que cette hypothèse doive se vérifier, au moment oii Dahierus parle,
il ne peut pas lo savoir, pour la bonne raison qu’Hitler ne le Bait pas lui-même, La
seule explication possible est que Goering ait évoqué, devant lui, le Plan BLANC,
dont I’btablissement remonte au 3 avril 1939, et dont l’exécution doit pouvoir
avoir lieu a n’importe quel jour à partir du 1- septembre 1939 II. (Voir plus haut,
p. 187.)
LA P A I X SE MEURT... LA P A I X EST MORTE 433
t
* +
Mais pour silencieux qu’il soit à l’égard de Berlin, le Gou-
vernement britannique, n’est pas demeuré inactif. Dès
le début de la matinée Chamberlain, Halifax, Sir Alexan-
der Cadogan et Sir Nevile Henderson se sont réunis au
10,Downing Street pour mettre au point la réponse anglaise.
Ils ont examiné tour à tour les propositions apportées par
Henderson, les déclarations de Dahlerus et le compte rendu
téléphoné à 2 heures du matin par Sir Ogilvie Forbes. Le
passage du compte rendu, où Dahlerus affirme qu’Hitler
u admet que l’Angleterre doive tenir ses obligations envers
la Pologne et qu’il est prêt à entamer des conversations
directes avec Varsovie )) les a favorablement impressionnés.
Ils ont également retenu qu’Hitler souhaiterait que l’An-
gleterre convainque le colonel Beck de faire les premiers
pas l.
Avant d’arrêter définitivement les termes de sa réponse,
Halifax a un entretien avec l’ambassadeur de Pologne.
- (( Nous avons reçu des offres intéressantes du Chan-
celier »,dit-il à M. Raszynski. (( I1 serait bon que la Pologne
fasse, elle aussi, un geste de bonne volonté. I1 ne faudrait pas
tout compromettre par une intransigeance excessive. 1)
Puis, le chef du Foreign Ofice télégraphie à Sir Howard
Kennard :
(( Je vous envoie, dans mon prochain télégramme les grandes

lignes de notre réponse à Hitler », lui dit-il. u Veuillez aller


trouver Beck dès que vous les aurez reçues et téléphonez-moi immé-
diatement sa réponse. S’il nous donne en temps voulu une réponse
afirmative, nous dirons à Hitler que le Gouvernement polonais
est prêt à entrer en discussion avec le Gouvernement du Reich,
sur les bases indiquées 2. n
Après quoi les ministres anglais suspendent leurs travaux,
en attendant la réaction de Varsovie.
A 16 heures, la réponse de Sir Howard arrive :
1. Voir plus haut, p. 426-427.
2. Documenta on British Foreign Policy, VII, no 430, p. 333. Les bases indiquées
sont les suivantes : a Notre projet de réponse au Chancelier Hitler établit une
distinction sans équivoque entre les méthodes permettant d’arriver à un accord
et la nature de cet accord lui-même. En ce qui concerne les méthodes, nous tenons
Q exprimer clairement notre point de vue, à savoir que le seul moyen adéquat
consiste en des conversations directes, poursuivies entre Parties investies de
droits Bgaux. D (Livre bleu anglais, no 73.)
VI 28
434 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

a Le colonel Beck exprime sa reconnaissance a u Gouvernement


de Sa Majesté pour le projet de réponse à M. Hitler, et l’autorise
à informer le Gouvernement du Reich que la Pologne est prête
à entamer immédiatement les discussions drrectes avec 1’Alle-
magne. Toutefois, il serait heureux d‘apprendre, en temps oppor-
tun, quelle serait la forme de garantie internationale envisagéel. ))

Beck va-t-il abandonner la thèse du statu quo, qu’il défend


avec rigidité depuis plus de six mois? On ne tardera pas à le
savoir dans les heures qui viennent 2...
Mais les ministres anglais n’ont guère le temps de s’adon-
ner aux hypothèses, car le télégramme de Sir Howard
Kennard leur est remis en même temps que le message
d’0gilvie Forbes, annonçant que l’invasion de la Pologne est
prévue pour la nuit du 31 août au l e r septembre3. I1 n’y a
décidément plus une minute à perdre. I1 faut mettre au
point rapidement la réponse britannique. La voici :

u I . - L e Gouvernement de Sa Majesté a reçu le message d u


Chancelier d u Reich et l’a examiné avec toute l’attention qu’il
mérite.
(( Il prend note de ce que le Chancelier exprime son désir de

faire de l’amitié la base des relations entre l’Allemagne et 1’Em-


pire britannique, désir que le Gouvernement de Sa Majesté
partage pleinement. Il croit, comme lui, que si une entente totale
et durable pouvait être réalisée entre les deux pays, elle leur
apporterait des bienfaits inappréciables.
u II. -Le message d u Chancelier traite de deux groupes de
questions :celles qui concernent les affaires actuellement pen-
dantes entre l‘Allemagne et la Pologne, et celles qui affectent
les futures relations entre l‘Allemagne et la Grande-Bretagne.
Concernant ces dernières, le Gouvernement de S a Majesté
est tout prêt à les prendre, avec quelques additifs, comme bases
de discussion et serait disposé, - si le différend entre l‘Alle-
magne et la Pologne était réglé pacifiquement -, à procéder dès
que la chose sera possible, à leur examen approfondi avec le
désir sincère d‘aboutir à u n accord.
-
(( I I I . Toutefois, le Chancelier pose une condition préalable
à ses propositions : à savoir qu’intervienne u n règlement du
différend entre l‘Allemagne et la Pologne. Quant à cela, Is Gou-
vernement de Sa Majesté est entièrement d’accord avec lui. Cepen-

I. Documents on British Foreign Policy, VII, no 430, p. 328.


2. E. Philipp SCEAFER,13 Tage Weltgesdichte, p. 214.
3. Les deux messages arrivent au Foreign Office à 16 heures.
LA PAIX S E MEURT... LA PAIX EST MORTE 435
dant, tout dépend de la nature du règlement et de da méthode à
employer pour y arriver. S u r ces points, dont l’importance ne
peut échapper à l’esprit d u Chancelier, son message est silen-
cieux. Or le Gouvernement de S a Majesté a envers la Pologne des
obligations qui le lient et auxquelles il a l‘intention de faire hon-
neur. Quels que soient les avantages offerts à la Grande-Bretagne,
le Gouvernement de S a Majesté ne pourrait acquiescer à un
règlement qui compromettrait l’indépendance d’un État auquel
il a donné sa garantie.
(( IV. - De l’avis du Gouvernement de S a Majesté, une solu-

tion des différends entre l’Allemagne et la Pologne pourrait et


devrait intervenir a u moyen d’un accord direct entre les deux
pays qui sauvegarderait les intérêts essentiels de la Pologne, et
il rappelle que, dans son discours d u 28 avril dernier 1, le Chan-
celier d u Reich a reconnu lui-même l’importance de ces intérêts.
(< Mais, comme l’a déclaré le Premier Ministre dans la lettre a u

Chancelier allemand d u 23 août a, le Gouvernement de S a Majesté


considère comme essentiel a u succès des discussions qui précéde-
raient l’accord, qu’il soit préalablement entendu que tout règlement
auquel on aboutirait serait garanti par d‘autres Puissances 3.
(( L e Gouvernement de S a Majesté serait prêt, si on le désirait,

à contribuer à rendre opérante une telle garantie. I l s’ensuit,


dans l’esprit du Gouvernement de S a Majesté, que la première
chose à faire serait d’instaurer des discussions directes entre les
Gouvernements allemand et polonais sur une bas0 conforme
aux principes énoncés ci-dessus, c’est-à-dire la sauvegarde des
intérêts essentiels de la Pologne et la garantie internationale à
donner a u règlement.
(( Le Gouvernement de Sa Majesté a déjà reçu du Gouver-

nement polonais l’assurance formelle que ce dernier est pr6t


à entamer des discussions sur cette base et il espère que le
gouvernement allemand, de son côté, sera disposé à consentir à
cette manière de procéder.
u Si, ainsi que l’espère le Gouvernement de Sa Majesté, de
telles discussions aboutissaient à un accord, la voie serait alors
ouverte à la négociation de cette entente plus étendue et plus
complète entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne que désirent
l‘un et l’autre pays.
(( V.- L e GouvGrnement de S a Majesté admet, avec le Chan-
celier allemand, que l‘un des principaux dangers de la situation

I. Voir plus haut, p. 190.


2. I1 s’agit de la lettre de Chamberlain remise à Hitler le 23 août par Sir Nevile
Henderson, lors de sa derniére visite au Berghof. (Voir plus haut, p. 339-341.)
3. En d’autres termes, cela signifie que l’Angleterre ne se contentera plus d’une
e promesse de garantie I) semblable à celle qui a été incluse dans les Accords de
Muqich, et qui n’a pas été tenue.
436 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

germano-polonaise naît de ce que l’on rapporte concernant le


traitement des minorités.
a L’état présent de tension, avec les incidents de frontière qui
e n résultent, les rapports sur les sévices et les excitations de la
propagande, constituent un danger permanent pour la paix.
Il est manifestement d’une extrême urgence que les incidents de ce
genre soient rapidement et rigoureusement supprimés, et que des
rapports non vérifiés ne puissent plus circuler. Cette période
qui serait caractérisée par l’absence de provocations de part et
d‘autre, serait employée à examiner les possibilités d’un règlemmt.
L e Gouvernement de S a Majestè est convaincu que les deux gou-
vernements intéressés attachent à ces considérations toute l’impor-
tance qu’elles méritent.
-
(( VI. Le Gouvernement de S a Majesté e n a suffisamment
dit pour faire clairement connaître son point de vue à l’égard des
questions qui opposent l’Allemagne et la Pologne. I l est convaincu
que le Chancelier allemand ne croira pas, parce que le Gouver-
nement de Sa Majesté tient scrupuleusement compte de ses obli-
gations envers la Pologne, qu’il n’est pas désireux d‘user de toute
son influence pour aider a trouver une solution qui puisse se
recommander à la fois à l’Allemagne et à la Pologne.
(( L e fait qu’un tel règlement doive être réalisé paraît essentiel

a u Gouvernement de S a Majesté, non seulement pour des raisons


e n rapport avec le règlement lui-même, mais aussi pour des consi-
dérations plus vastes, dont le Chancelier a parlé avec beaucoup
de conviction.
(( VII.- 11est inutile desouligner dans cette réponse, les avan-
tages que présenterait un règlement pacifique, sur une décision
de régler le litige par la force des armes. Les résultats qu’entraî-
nerait un recours à la force ont été clairement exposés dans la
lettre d u Premier Ministre a u Chancelier e n date d u 22 août et
le Gouvernement de S a Majesté, prenant acte avec intérêt de ce
que dit le Chancelier allemand dans le message, actuellement
soumis à son examen, concernant une limitation des armements,
croit que, si un règlement pacifique pouvait être obtenu, o n pour-
rait compter avec confiance sur l’aide d u monde, pour assurer,
par des mesures pratiques, le passage sans danger ni à-coups
de la préparation de la guerre a u x activités normales résultant
de transactions pacifiques.
(( VIII.- U n règlement équitable des questions pendantes
entre l’Allemagne et la Pologne peut ouvrir la voie à la paix
mondiale. En revanche, le fait de ne pas arriver à ce règlement
ruinerait les espoirs d‘une meilleure entente entre l’Allemagne
et la Grande-Bretagne; il ferait entrer les deux pays e n conflit
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 437
et risquerait de plonger le monde entier dans la guerre. U n tel
résultat serait une calamité sans précédent dans l’histoire I. n

Voilà qui est à la fois souple dans la forme et inflexible


quant au fond.
Pour éviter de perdre du temps, Sir Nevile Henderson
s’envole de Croydon pour Berlin à 17 heures, c’est-à-dire
avant même que la rédaction de cette note soit tout à fait
terminée. A 48 heures, Lord Halifax téléphone à Sir Ogilvie
Forbes pour lui dire :
- a kous vous envoyons le texte de la note. Veuillez pré-
venir le Chancelier d u Reich que l’ambassadeur de Grande-
Bretagne se tiendra à sa disposition à partir de 21 heures. ))
Puis il informe Washington, Paris, Varsovie et Rome du
contenu de la réponse britannique 2.
Henderson atterrit à Tempelhof à 20 h. 30. Dès sa des-
cente d’avion, Forbes l’avertit que’ la réponse anglaise est
arrivée et qu’Hitler l’attend à la Chancellerie à 22 heures.
Mais l’ambassadeur de Grande-Bretagne veut faire traduire
en allemand la note du Gouvernement britannique avant
de la présenter au Chancelier, car ghaque mot doit en être
pesé soigneusement. I1 demande que le rendez-vous soit
reporté à 22 h. 30.
Arrivé à l’ambassade, il soupe légèrement et boit une
demi-bouteille de champagne pour se donner du courage,
avant d’affronter ce qu’il considère comme (( la démarche
la plus grave et la plus importante de sa vie D.
t
* *
A 22 h. 15, Sir Nevile Henderson se met en route. Trois à
quatre cents mètres séparent l’ambassade de la Chancellerie,
mais comme des exercices de black-out ont été prescrits à
Berlin pour la durée d’une semaine, la Wilhelmstrasse est
plongée dans l’obscurité la plus complète. Une foule consi-
dérable est massée sur la place, en face de l’entrée de la
cour par laquelle sa voiture doit passer. Elle est immobile
et silencieuse. Aucune acclamation ne s’en élève. Mais il ne
s’en dégage pas, non plus, une impression d’hostilité 3.
1. Mkmorandum du Gouvernement briïanniyue, téléphonb à l’ambassade de
Grande-Bretagne à Berlin le 28 août 1939, à 18 heures. (Livre bleu anglais, no 7 4 . )
2. Documents on Bristish Foreign Policy, VIJ, no 431.
3. Sir Nevile HENDERSON, Deux ans avec Hitler. p. 281.
438 HISTOIRE DE L’ARM$E ALLEMANDE

Fait exceptionnel pour un ambassadeur, Henderson est reçu


avec les honneurs réservés aux chefs d’Etat, car Hitler
- qui espère peut-être qu’il lui rapporte l’alliance anglaise -
a tenu à donner à sa visite le maximum de solennité. Lorsque
Henderson descend de voiture, la boutonnière ornée $un
superbe œillet rouge, il est accueilli par le secrétaire d’Etat
Meissner et le commandant Brückner, aide de camp du
Führer. Meissner lui dit :
- (( Excellence, je suis heureux de constater que votre
boutonnière est fleurie. Dois-je l’interpréter comme u n signe
d’espoir l? D
Au moment où Henderson va répondre, un roulement de
tambour s’élève dans la cour d’honneur. C’est le même qui a
accueilli Chamberlain à Munich. Mais dans la nuit, ce gron-
dement assourdi prend un caractère funèbre.
Une compagnie de la Leibstandarte présente les armes.
Henderson passe lentement devant elle et pénètre dans la
Chancellerie. Comme toutes les fenêtres ont été obturées,
elle est brillamment éclairée. Les lustres de la galerie de
marbre, dessinés par Speer, scintillent de tous leurs feux et
donnent à l’intérieur de l’édifice une atmosphère de festivité
qui contraste avec les ténèbres qui règnent à l’extérieur.
Meissner introduit Henderson dans le bureau du Chance-
lier, où l’attendent le Führer, Ribbentrop et l’interprète
Schmidt.
Henderson remet l’original de la réponse anglaise au
ministre des Affaires étrangères et la traduction allemande
au Chancelier. Celui-ci la lit avec attention. Son visage est
détendu. I1 est très calme - d’un calme dont il ne se dépar-
tira pas durant tout l’entretien. Au moment où Hitler a
fini sa lecture et passe son document à Ribbentrop, Mender-
son prend la parole.
- (( Excellence »,dit-il, ( ( j e voudrais compléter le texte

que vous venez de lire par quelques observations, faites


d’après les notes que j’ai rapportées de Londres. On y consi-
dère comme absurde l’opinion qui semble prévaloir au sein
1. a J’avais toujours porté à Berlin un œillet rouge 1, écrit Henderson, a à l’excep-
tion des trois journées critiques de la semaine qui avait précédé Munich. Alors que
j’accompagnais à Tempelhof Sir Horace Wilson qui retournait à Londres, quelques
journalistes allemands m’avaient demandé la raison de mon oubli. Je leur avais
répondu qu’il ne s’agissait pas d’un oubli, mais que je considérais comme déplacé
d’arborer une fleur à sa boutonnière à un moment aussi grave. Ma réponse avait
été répétée et la remarque de Meissner me parut significative. D ( I d , ibid.)
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 439
du Gouvernement du Reich, suivant laquelle la Grande-
Bretagne se serait inébranlablement fixé comme objectif
de sa politique, la destruction de l’Allemagne. Mais on s’y
étonne tout autant qu’on mette en doute, en Allemagne,
que nous combattrions pour la Pologne si son indépen-
dance ou ses intérêts vitaux étaient menacés. Nous avons
donné notre parole. Nous ne la renierons pas. Vous désirez
l’amitié de l’Angleterre. Mais quelle serait la valeur de cette
amitié, si nous l’inaugurions en étant infidèles à un ami?
Quoi que puissent dire certains, le peuple britannique désire
une entente avec l’Allemagne et le Premier Ministre plus
que quiconque. Aujourd’hui, il a toute l’opinion publique
derrière lui, comme l’atteste le dernier vote de la Chambre
des Communes Toutefois, le Premier Ministre ne peut faire
une politique de rapprochement avec l’Allemagne que si
Votre Excellence y contribue. I1 est totalement faux de
croire, que le Cabinet britannique soit divisé ou que le
pays ne soit pas unanime derxière lui. Si vous préférez
sacrifier ce rapprochement, pour faire la guerre ou imposer
à la Pologne des conditions inacceptables, c’est vous qui en
porterez la responsabilité. Nous vous offrons notre amitié,
mais seulement sur la base d‘une solution pacifique et libre-
ment négociée du différend germano-polonais. ))
- (( J e négocierais volontiers 11, répond Hitler, (( si le Gou-
vernement polonais voulait se montrer raisonnable et prou-
vait qu’il était capable de tenir son pays en main. Mais les
sévices qu’iI laisse commettre sont abominables. J e lui ai fait,
en mars dernier, une proposition généreuse. La Pologne l’a
rejetée en termes outrageants. Regardez où nous en sommes
arrivés aujourd’hui! A présent, le moins dont je puisse me
contenter est le retour de Dantzig et de tout le Corridor,
ainsi que d‘un ajustement de frontières en Silésie, où 90 % de
la population se serait prononcée pour l’Allemagne s’il n’y
avait pas eu le soulèvement de Korfanty 2. ))
- (( Excellence »,répond Henderson, (( il vous faut choisir
aujourd’hui entre la Pologne et l’Angleterre. Si vous posez
des conditions déraisonnables aux Polonais, il n’y a aucun
1. Celui du 24 août 1939,qui a marqué l’adoption de I’Emergency Powers Bill,
où Chamberinin a recueilli 447 voix s u r 452. (Voir plus haut, p. 359.)
2. 59, 6 yo de la population a voté pour le rattachement B l’Allemagne, lors du
plébiscite du 21 mars 1921, ce qui indique une majorité allemande de 226.752
voix pour l’ensemble du territoire. (Voir vol. II, p. 173 et s.) Sur l’insurrection de
Korfanty, voir vol, II, Le8 combats de Hairte-.%@8ie,chap. x, XI e t XII.
440 HISTOIRE DE L’ARM$E ALLEMANDE

espoir d’arriver à une entente. Le Corridor est aujourd’hui


presque entièrement peuplé de Polonais )) ...
- a Peut-être )), riposte Hitler. u Mais cela tient au fait
qu’un million et demi d’Allemands en ont été expulsés
depuis 1919... a
- a Le choix est entre vos mains a, répète Henderson. (( En
mars, vous avez proposé la création d’un couloir à travers
le Corridor. J e dois vous le dire honnêtement :je ne pense pas
que la Pologne puisse accepter davantage. Réfléchissez-y
bien, avant de faire de la surenchère. ))..
HITLER :-(( Quand j’ai proposé aux Polonais de renoncer
au Corridor, ceux-ci ont repoussé mon offre avec dédain. J e
ne la renouvellerai pas une deuxième fois )) ...
HENDERSON :- a Mais vous l’avez formulée sous la forme
d’un diktat! C’est là toute la différence... ))
-
HITLER: a Vous me demandez de choisir entre l’amitié
anglaise et la guerre avec la Pologne. Mais je ne choisis pas
la guerre avec la Pologne! J e choisis mon propre peuple, qui
saigne par la faute de la Pologne. Aussi haut que je place
l’amitié britannique, je suis obligé de donner la préférence à
mon pays! La Pologne ne sera jamais raisonnable. Depuis
qu’elle sait avoir la France et l’Angleterre à ses côtés, elle
s’imagine que, même vaincue, elle récupérera à la fin des
...
fins plus qu’elle n’aura perdu Ne comprend-elle donc
pas que je suis en mesure de l’anéantir? ))
HENDERSON -: u Vos paroles me rappellent ce que
vous disiez l’an dernier à propos des Tchèques! ))
HITLER:-«Mais vous n’êtes même pas capables de rame-
ner les Polonais à la raison! ))
HENDERSON : - a C’est justement le précédent de la
Tchécoslovaquie qui nous en empêche. Nous hésitons à exer-
cer une pression sur le colonel Beck. Nous n’en conservons
pas moins le droit de juger, par nous-mêmes ce qui est rai-
sonnable ou déraisonnable en ce qui concerne l’Allemagne
et la Pologne. Nous voulons conserver nos mains libres à
cette fin... 1)
-
HITLER: u I1 est inadmissible de placer sur le m&me
rang la Pologne et une grande Puissance comme l’Allemagne!
C’était déjà injurieux en ce qui concernait la Tchécoslovaquie.
Aujourd’hui mon peuple saigne, monsieur l’Ambassadeur.
Pourquoi ne demanderais-je pas à l’Angleterre de choisir
entre la Pologne et moi? J e serais en droit de le faire, moi
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 441
aussi. D’autant plus qu’aucun intérêt vital anglais, que je
sache, n’est engagé, à Dantzig ou dans le Corridor n ...
HENDERSON, avec obstination :- (( Vous avez à choisir,
monsieur le Chancelier, entre l’amitié de l’Angleterre telle
que mon gouvernement vous l’offre, et le fait de poser à la
Pologne des conditions exorbitantes qui détruiront tout
espoir d’amitié anglo-allemande. Pour arriver à une entente,
nous serons obligés, nous aussi, de faire des sacrifices. 1)
HITLER: - (( Vous avez beau dire, j’ai à satisfaire d’abord
les revendications de mon peuple. Mon armée est prête et ne
demande qu’à combattre. Toute la nation allemande est
unie derrière moi. J e ne tolérerai pas que les Allemands de
Pologne subissent plus longtemps de pareils outrages 1) ...
HENDERSON : - (( I1 ne s’agit pas, en fin de compte, de
Dantzig et du Corridor, mais de savoir si vous êtes convaincu
que nous sommes décidés à répondre à la force par la force 1)...
HITLER: - (( Rappelez-vous que j’ai réincorporé la Rhé-
nanie, l’Autriche et les territoires sudètes au Reich sans
tirer un seul coup de feu! Vous avez été bien contents d’être
délivrés de ces affaires, que vous n’étiez pas capables de
régler par vous-mêmes ))...
HENDERSON, avec vivacité : - (( Mais pas des événements
du 15 mars, oti vous avez occupé Prague sans notre consen-
tement. ))
Pour la première fois, le visage d’Hitler s’assombrit.
La discussion commence à tourner en rond. Pour y couper
court, Henderson pose deux questions au Chancelier :
- Excellence, êtes-vous prêt à entamer des conversa-
tions directes avec la Pologne? E t si oui, êtes-vous prêt à
envisager un échange de populations? D
-«Ouin, répond Hitler, ((mais je ne peux pas vous
donner ma réponse définitive avant d’avoir étudié à fond
la note d u Gouvernement de Sa Majesté. n
Durant l’entretien, Hitler s’est tourné plusieurs fois vers
Ribbentrop, dont le visage a marqué plus de compréhension
que d’habitude.
- u I1 faudra y e nous demandions au Maréchal Gœring
de venir l’examiner avec nous »,lui dit-il.
Sentant que le moment de la séparation approche, Hen-
derson cherche à résumer, en quelques mots, l’essentiel de
t’entretien.
- u Le choix est désormais entre vos mains D, déclare-
442 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

t-il. (( Ou la guerre avec l a Pologne, ou l’amitié de l’Angle-


terre. Si vous êtes disposé à acquérir cette amitié au prix
d’un geste généreux à l’égard de la Pologne, vous aurez d’un
seul coup toute l’opinion publique avec vous, et pas seule-
ment en Angleterre, mais dans le monde entier. ))
C’est alors à Ribbentrop d’intervenir dans le débat.
- (( Pouvez-vous me garantir »,demande-t-il à Hender-

son, (( que le Premier Ministre soit en mesure d’entraîner


toute son opinion publique avec lui, s’il opte pour une poli-
tique d’amitié avec l’Allemagne? ))
- (( Cela ne fait aucun doute », répond Henderson. (( Non
seulement il le voudra, mais il le pourra. A condition que
l’Allemagne se montre prête à coopérer avec lui.
Mais Hitler est déçu que la note anglaise ne contienne
aucune allusion à l’alliance, qui était dans son esprit, la pièce
maîtresse de sa proposition. Aussi demande-t-il à son tour :
- (( L’Angleterre serait-elledisposée à conclure une alliance
avec l’Allemagne? D
HENDERSON :- (( Pour ma part, je n’exclus nullement
cette éventualité l. A condition, bien entendu, que les évé-
nements s’y prêtent.
HITLER : - (( I1 faut que j’étudie attentivement la note
anglaise. J e FOUS donnerai demain ma réponse par écrit )) ...
HENDERSON : - (( J’attendrai volontiers jusque-là )) ...
HITLER, entre les dents. - Attendre, toujours attendre ...
Nous n’avons plus le temps d’attendre 2... n
I1 est 11h. 45. L’entretien est terminé. I1 a duré une heure
et quart et s’est déroulé d’un bout à l’autre {ans une atmos-
phère de calme et de dignité. Le secrétaire d’Etat Meissner et
l’interprète Schmidt reconduisent Sir Nevile Henderson à sa
voiture, au milieu d’un nouveau roulement de tambours.
t
* *
Rentré à l’ambassade u n peu avant minuit, Henderson
rédige un compte rendu pour Lord Halifax, en même temps
qu’une lettre où il résume ses impressions personnelles :
1. Cette réponse, quand il en aura connaissance, provoquera la colére de Sir
Robert Vansittart. v Qu’attend-on, demandera-t-il, pour donner à Sir Nevile
Henderson, l’ordre formel de ne pas aborder ce sujet scabreux? Si les mots ont
un sens, une alliance signifie une alliance militaire, et cela nous n’en voulons
B aucun prix. D (Documents on British Foreign Policy, VIII, no 455.)
2. Compte rendu de Sir Nevile Henderson à Lord Halifax. (Documents on Bri-
tish Foreign Policy, VII, no 455.)
LA PAIX S E MEURT... LA PAIX EST MORTE 443
u L e Chancelier avait bonne mine, et était très calme »,écrit
l’ambassadeur. (( 11 a souligné sans cesse qu’il ne bluffait pas
et que ce serait une grave erreur de le supposer. J e lui a i répondu
que nous e n étions convaincus et que nous ne bluffions pas non
plus. Hitler m’a dit qu’il l‘admettait volontiers...
u C e qui me paraît de bon augure, malgré son insistance à
obtenir tout le Corridor et ses allusions à une rectification de
frontière e n Silésie, c’est son affirmation réitérée qu’il voulait
tout d’abord étudier attentivement notre réponse, ainsi que le
fait que Gœring soit invité à participer à cet examen... Peut-être
ai-je parlé un peu plus longtemps que je n’aurais dû, mais je
n’étais pas e n mesure de peser chacune de mes paroles.
(( J’ai fait allusion, par exemple, à un passage à travers le

Corridor comme étant une solution possible. Mais croyez-moi :


c’est un minimum absolu. J’ai quelque espoir que la réponse
d’Hitler ne sera pas trop déraisonnable. I l commencera sans
doute par demander trop, de même que la Pologne offrira trop
peu. En conclusion, s i nous nous montrons fermes à l’égard de
l‘Allemagne, nous ne devons pas l‘être moins à l’égard de
la Pologne. Les Français, les Américains et les Italiens (ces
derniers sur les instances de Ciano) se pressaient à m a porte,
en attendant mon retour. M a i s aucune trace de l’ambassadeur
de Pologne, bien que j’entretienne avec lui les meilleures rela-
tions! L a Pologne a , elle aussi, le devoir de contribuer à la paix.
Elle a encore plus d’intérêt que quiconque à éliminer le plus
totalement possible les motifs de friction entre elle et son puis-
sant voisin. J e vous e n prie, montrez-vous forts ici aussi, si,
comme je l’espère, la réponse d’Hitler offre la moindre possibi-
lité à un règlement pacifique de passer entre les mailles d u
filet.
(( Quoi qu’il en soit, j’aurai fait de mon mieux. L’atmosphère

générale a été amicale, même chez Ribbentrop. J e n’ai jamais eu


une haute opinion de mon pouvoir de persuasion, ni de mes capa-
cités diplomatiques, mais f e n a i recueilli un témoignage inattendu
à la sortie. Meissner et le D’ Schmidt m’ont accompagné jusqu’à
m a voiture et ce dernier, qui est un homme de bien et un ardent
défenseur de la paix, m’a dit : u Vous avez été admirable! ))
Comme j’étais plutôt accablé par le sentiment de m a propre
insuffisance, cet avis d‘un Allemand impartial m’a redonné
confiance.. .
(( Tout ce qu’on peut faire à présent est d‘attendre la réponse

allemande. A mon avis, Beck e n personne devrait venir ici, s i


Hitler donne son accord à des négociations directes. Nous avons
fait, comme d’habitude, tout le travail préparatoire auprès des
Allemands. Ce serait aux Français, à présent, d’en faire autant
auprès des Polonais. Si nous permettons à ces derniers d‘invoquer
à tout bout de champ leur amour-propre, leur prestige et leur crainte
444 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

de manifester le moindre signe de faiblesse, nous ne serom pas sans


reproche s’il arrive une catastrophe. Pourvu que la réponse d’Hit-
ler n o w laisse un interstice par où passeri La situation de la
Pologne -et même la nôtre - serait infiniment meilleure si l’on
arrivait à un accord, assorti d‘une garantie internationale. Mais
je crains fort que toute victoire diplomatique de ce genre ne
paraisse aux Polonais égale à zéro 1 n ...
t
c *

Tandis que Sir Nevile Henderson laisse courir sa plume


sur le papier, Dahlerus se morfond à l’hôtel Esplanade,
où il est resté enfermé depuis la fin de la matinée. I1 ne
connaît toujours pas la teneur de la réponse anglaise, -
cette réponse à l’envoi de laquelle il a tant contribué. I1
ne sait rien de ce qui se passe et commence à s’énerver.
Pourquoi Gœring ne lui donne-t-il aucune nouvelle?
Soudain, à 1 h. 15, le téléphone retentit. Dahlerus
décroche l’appareil. I1 entend, à l’autre bout du fil, la voix
du lieutenant-colonel Conrad qui lui dit :
- a Le Maréchal Gœring est retenu à la Chancellerie et
s’excuse de ne pouvoir vous parler lui-même. I1 m’a chargé
de vous dire que la réponse rapportée de Londres par Sir
Nevile Henderson est en tous points conforme à vos indica-
tions. Le Maréchal est heureux de vous assurer que les pers-
pectives de paix sont donc excellentes 2. I1 compte vous voir
demain matin. ))
En entendant ces mots, Dahlerus se sent envahi par une
joie indicible. I1 appelle sa femme par téléphone à Djursholm
pour lui raconter tout ce qui s’est passé et la prier d‘en faire
part à M. Hansson, le Premier Ministre suédois 3.
Puis il s’écroule sur son lit, terrassé par le sommeil.
1. Lettre de Sir Nevile Henderson à Lord Halifax, le 28 août 1939. (Documenfs
on British Foreign Policy, VII, no 501.)
2. a Die Aussichten aut den Frieden Sind also die besten. n
3. Birger DMILERUS, The last Attempt. (Cf. également Documents du Tribunal
Militaire de Nuremberg, IX, p. 498.)
XXIX

LE CIEL SE COUVRE

( M a r d i , 29 août 1939)

Par malheur, durant la nuit, des rapports alarmants


sont parvenus à Berlin, dont voici quelques exemples :
LES AUTORITÉS POLONAISES ANNONCENT :

cc Entre 8 et 9 heures, une patrouille de cavalerie allemande a


franchi la frontière dans la région de Byaludy-Mlynarskie.
Vers 1 heure, les Allemands ont mitraillé une patrouille de gardes-
frontière aux environs de la ferme de Borocicz-Mile. A la même
heure, des coups de feu ont été tirés du territoire allemand sur
la gare et le poste de gardes-frontière de Brzecie. Entre 11 et
12 heures, deux patrouilles d’infanterie allemandes ont franchi
la frontière à Skoroszow (district de Kepno). n

LE POSTE D E DOUANES ALLEMAND- DE BEUTHEN SIGNALE :

c( Vers 1 heure, une mitrailleuse polonaise a tiré plusieurs


rafales sur u n groupe de mitrailleurs de la Grenzrvacht, cantonné
dans u n hangar situé près du terrain de sport des Établissements
Borsig. B

LE COMMISSAIRE D E POLICE D’OPPELN SIGNALE :

Vers 1 heure, des troupes polonaises ont été repérées sur la


route frontalière allant de Ratibor à Hohenbirken, en Haute-
Silésie orientale, alors qu’elles avaient pénétré de 150 mètres en
territoire allemand. Une batterie de D. C. A. allemande a ouvert
le feu sur elles. Lss troupes polonaises se sont alors retirées. n
446 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

LE COMMISSAIRE D E POLICE D’ELBINC SIGNALE :

u Vers i h. 45,le poste de garde d‘Ah-Eiche, district de Rosen-


berg (Prusse-Occidentale), a été attaquépar des troupes régulières
polonaises. Les Polonais ont commencé par attaquer u n groupe
de gardes-frontière qui s’est replié sur la gare d’Alt-Eiche. A u
même moment, dix autres soldats polonais, venant d‘une autre
direction, ont surgi brusquement et sont passés à l’attaque. L e
groupe allemand a réoccupé ses positions et a ouvert le feu. Les
Polonais ont répondu par des salves nourries. A u cours de cet
engagement, le soldat Grudzinski, de Hansdorf, a été atteint et
plusieurs autres gardes, plus ou moins grièvement blessés. Après
quoi, les soldats polonais se sont retirés derrière la frontière. 1)
LE SERVICE DES DOUANES D E GLEIWITZ SIGNALE :

(( Vers 22 h, 45, les agents des douanes Fleischer et Quenzel,

de service a u poste de Neuberstein ont essuyé le feu de mitrail-


buses et de fusils polonais. Après cet accrochage avec les doua-
niers allemands, le feu des Polonais s’est prolongé pendant une
vingtaine de minutes. n
Ainsi, de la Prusse-Occidentale à la Haute-Silésie, coups
de main et mitraillages, un instant assoupis, reprennent de
plus belle, faisant ruisseler le sang le long des frontières.
A Paris, à force d’insistance, l’ambassade d’Allemagne a
obtenu du Gouvernement français qu’il publie les lettres
échangées entre Daladier et Hitler. Mais outre que la diffu-
sion en a été tsès restreinte 1, elle a été accompagnée d’un
commentaire résolument hostile de l’Agence Havas.
(( La publication de l’échange de lettres est qualifiée de

propagande allemande »,câble le chargé d’affaires du Reich.


a On y considère la renonciation à l’Alsace-Lorraine comme
sans importance et superflue; on y souligne le caractère inac-
ceptable des demandes allemandes; on y met en doute les
sévices à l’égard de notre minorité; on y déclare totalement
infondée notre revendication en faveur du retour au Reich
de deux millions d’Allemands de Pologne (qui ne seraient en
réalité que 700.000). Bref, le ton malveillant de cette décla-
tion et la manière dont elle est rédigée font l’effet d’une pro-
vocation3. ))
1. La lettre d’Hitler h’a paru, tout d’abord, que le 28 août, dans les derniéres
éditions du Journal.
2. Sans doute pour dissuader d’autres iournaux de les reproduire.
3. Archives secrètes de la Wilhelttistrasse, VII, no 332.
LA P A I X SE MEURT... L A P A I X EST MORTE 447

En réalité, le commentaire en question - approuvé par


le Cabinet du Président Daladier - répond à une préoccu-
pation de politique intérieure. I1 vise avant tout à réduire
a u silence les voix de plus en plus nombreuses qui s’élèvent
dans la presse parisienne pour protester contre la façon dont
la France semble glisser à la guerre et dont l’interrogation
anxieuse de Marcel Déat : (( Faut-il mourir pour Dantzig? ))
demeure le témoignage le plus marquant 1.
En d’autres temps, Hitler aurait sans doute laissé éclater
son mécontentement. Mais en cette matinée du 29 août, il a
des préoccupations plus graves.
En Belgique, la mobilisation est entrée dans sa seconde
phase. Douze divisions ont été mises sur le pied de guerre.
Des mesures défensives commencent à être prises le long
de la frontière française. En Suisse, le Conseil fédéral a
décrété le rappel des troupes de couverture de frontière. En
France, 600.000 hommes ont rejoint leurs centres mobilisa-
teurs. Une partie d’entre eux occupent leurs positions dans
la ligne Maginot. Sur le Rhin, tout le trafic fluvial a été sus-
pendu et, à minuit, le dernier train français a franchi le pont
de Kehl. En Slovaquie, le Gouvernement de Bratislava a
mis son territoire à la disposition de la Wehrmacht, pour
permettre aux troupes allemandes de se déployer jusqu’au
col de Dukla 2.
En Espagne, le Gouvernement du général Franco a donné
l’ordre de construire des fortifications dans les Pyrénées
et au Maroc espagnol, oii 87.000 hommes sont déjà concen-
trés. Un nouveau commandement territorial d’une division
a été créé à Gibraltar 3. En Turquie, une partie du contin-
gent a été rappelée et les forts des Dardanelles mis en
état d’alerte.
1. L’article paru sous ce titre dans Z’QC’uwe du 4 mai 1939 a eu un retentisse-
ment énorme. Charles Maurras a prévenu de son cûté, dans l’dclion française
du 25 août 1939, CI qu’une intervention militaire en faveur de la Pologne serait
un geste aussi coûteux qu’inutile, en raison de l’existence de la ligne Siegfried )I.
2. Id., VII, no 356. Cette mesure, prise à la demande du général Rarckhausen,
fait partie du dispositif ayant pour objet l’encerclement de la Pologne.
3. Téiégramme de M . von Strohrer, ambassadeur du Reich à Madrid. (Archives
secrètes de la Wilhelmstrasse, VII, na 347.) u Le colonel Bcigbeder, nouveau ministre
espagnol des Affaires étrangères, m’a affirmé que l’Espagne voulait être préte à
toute éventualité 2 , câble l’ambassadeur. (( La France ne pourra pas retirer un
seul homme du Maroc... En agissant comme elle le fait, l’Espagne pense nous
être utile ainsi qu’à l’Italie. II Le Maréchal Pétain, ambassadeur de France
à Madrid a protesté contre ces mesures, qui lui paraissent incompatibles avec les
Accords Bérard-Jordana. (Voir plus haut, p. 326, note 2..)
448 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

Le Gouvernement italien, quant à lui, a considérablement


renforcé son dispositif aérien. Les Forces de l’Air italiennes
ont été réparties en cinq escadres, dotées chacune de leur
propre Etat-Major et disposées codme suit :

I. - Haute Italie;
II. - Rome, avec les divisions aériennes u Italie centrale D et
a Sardaigne ».
III. - Sicile,
IV. - Bari, avec les divisions aériennes u Italie méridionale n et
u Albanie )I;
V. - Libye, incluant le Dodécanèse.
Le nombre des avions de guerre prêts à entrer en ligne
est de 2.300, dont 2.000 en Italie et 300 en Abyssinie. Le
total des appareils à opposer à la Tunisie est de 350, en
Sicile, en Sardaigne et en Libye, contre 300 apcpareils fran-
çais, de types plus anciens. Chypre, Haïffa, 1’Egypte et le
canal de Suez peuvent également être attaqués en partant
du Dodécanèse. La production mensuelle des avions, qui
s’élève à cette époque à 300, sera portée à 400 h partir
de fin octobre1.
En Hongrie, le Régent Horthy a repoussé l’offre de Pacte
de non-agression proposée par Bucarest z. Du coup, la
Roumanie rappelle certaines catégories de réservistes. La
Hongrie mobilise. La Bulgarie en fait autant 3. Une guerre
danubienne semble couver, au milieu des menaces de guerre
européenne ...
Tout cela est plus que sufisant pour faire remonter la
tension qui avait eu tendance à se relâcher la veille. Mais
cette tension, justement, est désirée par les dirigeants
du Reich. Ceux-ci veulent amener le colonel Beck à se
rendre à Berlin. Or, ils savent qu’ils n’y parviendront pas
dans une atmosphère de détente. Pour provoquer sa
venue, il est indispensable de maintenir, voire d’accroître
les pressions qui s’exercent sur lui et de lui faire sentir
1. Données fournies à l’ambassadeur von Mackensen par le général Valle
sous-secrétaire d’État à l’Aviation et chef d’ktat-Major général de 1’Armée de
l’Air italienne. (Archives secrèfe8 de & Wiihelrnstrasse, VII, no 378.)
2. Télégramme de M . Fabricius, ministre du Reich à Bucarat. (Archiva secréta,
de & Wilhelmstrasse, VII, no 340.)
3. Déclaraiwn du roi Carol de Roumanie au ministre du Reich. ( A r c h i m aewètcs
de la Wiihelmslrasse, VII, no 341.)
LA P A I X SE MEURT... L A P A I X EST MORTE 449
physiquement le danger qui le menace. Aussi la Wilhelm-
strasse a-t-elle très mal pris la nouvelle selon laquelle le
Gouvernement soviétique aurait retiré 250.000 hommes de
l’Armée Rouge, de la frontière russo-polonaisel. Que signifie
ce geste, au moment OUl’Europe entière se hérisse de canons?
M.von M’eizsacker a câblé aussitôt à M. von der Schulen-
burg :
( ( L a tension augmente constamment e n ce qui concerne le
conflit germano-polonais. Veuillez tenter de vous assurer discrè-
tement, auprès de M . Molotov,
(( 1 0 s’il est exact que la Russie soviétique ait retiré des troupes
de la frontière polonaise2;
(( 20 s’il ne serait pas possible, a u cas où ce retrait aurait été

ordonné, de rapporter cet ordre, car le seul fait que la Pologne


paraisse également menacée par la Russie contribuerait natu-
rellement à détendre la situation à l’ouest et pourrait même contri-
buer à dissuader les Puissances occidentales de venir e n aide à
la Pologne S. n

Mais Staline ne tient nullement (( à détendre la situation


à l’ouest ».Ce n’est pas pour empêcher la guerre, mais pour
l’écarter de lui, qu’il a signé le Pacte germano-soviétique
et il n’a aucune envie de faciliter le jeu de Berlin. Aussi,
M. Molotov répond-il à M. von der Schulenburg que le
nouvel ambassadeur à Berlin n’est pas encore nommé, (( faute
de pouvoir mettre la main sur une personnalité douée de
toutes les qualités requises pour un si haut emploi D et que
l’envoi d’une Mission militaire en Allemagne est retardé
(( par le peu d’empressement témoigné par les autorités
suédoises à délivrer à ses membres les visas nécessaires ».
Quant au retrait des troupes russes de la frontière polo-
naise, le Commissaire du Peuple aux Affaires étrangères se
borne à répliquer :
- (( C’est une nouvelle d’agence. On publie tant de sot-
1. Voir plus haut, p. 431.
2. Par la meme occasion, M. von Weizsiicker charge M. von der Schulenburg
de tenter l’impossible pour accélérer l’envoi à Berlin d‘un nouvel ambassadeur e t
d’une Mission-militairi soviétique.
3. Archives secrétes de la WiUleZrnstrasse, VII, no 315. La these allemande est
la suivante : plus la tension sera forte àl’est, plus la détente sera marquée à l’ouest.
Le Kremlin poursuit obstinément la politique inverse.
4. Pour gagner du temps les officiers soviétiques devaient se rendre à Berlin
par avion, via Stockholm. (Philipp W. FABRYDer Hi!ler-Stalin Pakt, p. 131-132.)
n 29
450 ~ I Ç T O I R E D E L’ARMÉE ALLEMANDE

tises! Si c’est dans les journaux que vous puisez vos sources
d’information l... 1)
De sorte que M. von der Schulenburg est reparti sans
avoir pu tirer la chose au clair. Ce n’est pas encore ce
jour-là, qu’un ambassadeur étranger aura pu pénétrer les
intentions du Kremlin
Simultanément, M. von Ribbentrop intervient & Kowno,
pour demander au Gouvernement lituanien de masser
quelques troupes à la frontière lituano-polonaise 3.

+ +

Dans son bureau du Palais Brühl, le colonel Beck sent


l’étau se resserrer autour de lui. Le Maréchal Rydz-Smigly
et le général Kasprzycki le pressent de prendre les mesures
nécessaires, avant qu’il ne soit trop tard. Depuis le 24 août,
vingt-cinq divisions d’infanterie, la plupart des brigades de
cavalerie et un certain nombre d’unités spéciales soit les -
trois quarts des forces polonaises - sont sous les armes.
Officiers, sous-officiers et soldats ont été convoqués par
appels individuels, pour éviter $e placarder des ordres de
mobilisation générale. Mais 1’Etat-Major polonais estime
que ce n’est pas suffisant.
La veille, le colonel Beck a reçu la visite de Sir Howard
Kennard, qui l’a pressé d’engager des conversations directes
avec l’Allemagne 4. Cette démarche l’a inquiété. I1 s’est

1. RCponse de M. con der Schulenbwg à M. w n Weimïcker. (Archives secrètes


de la Wilhelrnstrasse, VII, no 338, 379.)
2 . Toutefois, le 30 août, un communiqué de l’Agence Tass, reproduit dans
toute la presse soviétique, démentira le retrait des 250.000 hommes e t précisera
même, au nom du Haut Commandement de l’Armée Rouge, a que, par mesure de
précaution, toutes les garnisons situées aux frontières occidentales de 1’U. R. S. S.
ont été renforcées v.
3 . Archives secrètes de la Wilhelrnotrasse, 1’11, no 384.
4. u L’ambassadeur d u Royaume Uni 8. Berlin se faisait des illusions D, écrit
bf. Lipski. u II croyait que la catastrophe pouvait encore être évitée par des négo-
ciations e t des discussions. L’ambassadeur de France, lui, savait qu’on ne pouvait,
par la persuasion, empêcher Hitler d’entrer en guerre. a (Joseph LIPSKI,Sprawy
Miedzynarodowe, 1947. no 4, p. 38 e t 30.)
L’opinion prêtée 8. M. Coulondre est corroborée par le rapport d’un membre
du Bureau Ribbentrop, qui déclare : u L’ambassadeur de France a mis confiden-
tiellement quelques diplomates étrangers 8. Berlin (y compris l’ambassadeur de
Belgique [le vicomte Davignon]) au courant de la manière dont s’est déroulée
sa dernière conversation avec le Führer. (Voir plus haut, p. 439 et s.) Au cours de
cette conversation, Coulondre s’est convaincu de l’absolue détermination du
Führer de résoudre maintenant le problème germano-polonais, sur la base de sa
correspondance avec Daladier. D (Archives secrétes de la Wilhelrnstrasse, VII, n o 359.)
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST M O R T E 451
demandé s’il ne fallait pas y voir les signes avant-coureurs
d’un (( lâchage 1) de l’Angleterre. I1 a répondu par l’affirma-
tive à la suggestion de l’ambassadeur, mais au fond de lui-
même, il n’a pas l’intention d’y donner suite. Son opinion
publique ne le tolérerait pas. D’ailleurs, il est convaincu que
cette tentative - qu’il attribue à une manœuvre de Hen-
derson - est vouée à l’échec. I1 partage plutôt l’opinion
de M. Coulondre, qui pense qu’Hitler est décidé à frapper et
que rien ne le retiendra plus. Toutefois, si l’Angleterre
insiste, et s’il faut malgré tout entamer des pourparlers, du
moins vaut-il mieux le faire à, partir d’une position de
force. Dans le courant de l’après-midi, il réunit un Conseil
de Cabinet, au cours duquel il demande aux ministres de
proclamer la mobilisation générale. Celle-ci deviendra effec-
tive le 30 août, à 16 heures.
Au moment où le Conseil prend cette grave décision, Beck
charge le comte Szembek d’en informer Léon Noël et Sir
Howard Kennard. Une demi-heure plus tard, les deux ambas-
sadeurs accourent au Palais Brühl et protestent avec émotion
contre cette mesure intempestive.
- (( C’est de la folie! D s’écrient-ils. (( Non que la mobili-

sation générale soit en elle-même injustifiée, étant donné le


volume des effectifs que l’Allemagne a déjà rappelés sous
les armes. Mais au point de vue politique, le placardage
des affiches annonçant urbi et orbi que la Pologne mobilise
va prendre aux yeux d’Hitler l’aspect d’une provocation.
Elle peut l’amener brusquement à déclencher la guerre. Et
cela, au moment précis où il semblait enclin à accepter
une transaction! 1)
- Que le Cabinet polonais ait pu prendre une décision
aussi inopportune sans même consulter le Gouvernement
britannique me paraît confondant! 1) s’exclame Sir Howard
Kennard. (( Ne pourriez-vous pas, au moins, en retarder
l’annonce de quelques heures? C’est ce soir qu’Hitler doit
remettre sa réponse à Henderson )) ...
- (( Impossible! répond Beck. (( Retarder l’annonce de
la mobilisation, ne serait-ce que de quatre heures, nous obli-
gerait à en différer l’exécution d’une journée. Impossible
également de renforcer par d’autres moyens les mesures de
sécurité indispensables, car la limite de la mobilisation par
voie d’appels individuels est déjà dépassée 1) ...
- « En agissant comme vous le faites »,réplique Sir
452 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

Howard Kennard, (( vous prouvez que le Gouvernement


polonais n’attache guère d’importance aux efforts entrepris
par l’Angleterre pour sauvegarder la paix! C’est là une atti-
tude qui peut avoir les incidences les plus fâcheuses sur la
coopération amicale entre nos deux pays l. I)
Mais cette observation n’impressionne nullement le colo-
nel Beck. I1 a prévu depuis longtemps que le moment pour-
rait venir où il devrait forcer la main à l’Angleterre pour
l’obliger à tenir ses engagements.
- a J e regrette »,répond-il d’un ton catégorique. (( Main-
tenant que les ordres ,de mobilisation sont donnés, il est
trop tard pour y apporter la moindre modification. n
Comme les deux ambassadeurs n’en continuent pas moins
à protester avec véhémence, Beck leur déclare qu’il pour-
rait tout au plus demander aux autorités militaires s’il serait
possible de différer jusqu’au soir la pose des afiches de mobi-
lisation à Varsovie, quitte & imposer une censure à la
presse et aux télégrammes.
- (( Mais je vous en préviens », ajoute-t-il d’un ton mena-
çant, (( nous tiendrons vos gouvernements pour responsables
si l’Allemagne nous attaque et s’il nous manque dix divi-
sions sur le champ de bataille! J e vous préviens aussi que,
personnellement, je ne demanderai pas à l’Armée de revenir
sur cette mesure, car, en tant qu’officier, la sécurité de l’fitat
doit l’emporter, chez moi, sur toute autre considération 2. D
Aussitôt après le départ des ambassadeurs, Beck va trou-
ver le Maréchal Rydz-Smigly et lui fait part de leur démarche.
I1 lui assure qu’il n’a pas cédé d’un pouce devant leurs
objurgations.
- (( Etant donné la gravité de l’heure »,lui dit-il, (( et
si- comme je l’espère - vous estimez devoir maintenir
l’ordre de mobilisation, je fais mon affaire des dificultés
diplomatiques qui pourront en résulter 3! 1)

1 . Rapport de Sir Howard Kennard à Lord Iialifaz, relatif à la mobilisation


polonaise. (Documents on British Foreign Potinj, VII, no 482.)
2. Colonel Joseph BECK,Dernier Rapport, p. 218.
3. Cependant, A 18 heures, après un entretien avec le général Stachiewicz, le
Maréchal Rydz-Smigly acceptera de retarder la mobilisation d‘un jour. Beck
en avertira immédiatement les ambassadeurs de France et d‘Angleterre, en
ajoutant : a C‘est IC plus grand effort que puissent faire les autorités polonaises
pour aligner leur tactique sur celle de leurs alliés. Personnellement je n’ai pas été
partisan de cet ajournement. J’espére que les Alliés, appréciant notre sang-froid,
y répondront en accélérant leura propres préparatifs militaires. (id., p. 219.)
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 453
- (( J e vous en remercie »,répond le Maréchal Rydz-Smi-
gly en lui serrant la main avec émotion. (( J e reconnais bien
là le langage d’un ancien Légionnaire! ».
A partir de ce moment, on peut dire que le colonel Beck
a brûlé ses vaisseaux derrière lui.
t
* *
Depuis le début de la journée, il n’y a eu, en tout et
pour tout, que deux éclaircies : l’annonce que le roi des
Belges et la reine des Pays-Bas ont offert leurs bons ofices
en vue d’une médiation, et une courte note de Mussolini
disant au Chancelier :
u Rome, 16 h. 40.
(( L’ambassadeur Attolico m’informe qu’il a appris de Ribben-

trop que vous alliez étudier aujourd’hui la note britannique,


- que je connais -, et que vous allez prendre vos décisions.
(( En véritable ami de votre personne et d u peuple allemand,

je voudrais vous dire qu’à mon avis, les propositions britanniques


contiennent les conditions préalables et les éléments d‘une solu-
tion favorable de tous les problèmes qui intéressent l‘Allemagne.
S i vous acceptiez cette solution, le rythme de.oos magnifiques
réalisations ne serait pas interrompu et vous aloutercez un nou-
veau succès à ceux que vous avez déjà remportés.
Vous savez qu’en ces moments dificiles, les principes direc-
teurs de mes actes ont été définis d‘accord avec vous. Veuillez
donc considérer mon appel comme une nouvelle preuve de m a
constante solidarité. n
MUSSOLINI
l.

Ce message est accompagné d’une note non signée, remise


en même temps par Attolico :
u C‘est avec empressement que le Duce entreprendrait, dans le
domaine politique et dcplornatique, toute action que le Führer
considérerait comme opportune...
(( Alors que les relations de I’ltalie avec la France sont telles

que l‘Italie ne pourrait, ni ne voudrait, rien entreprendre à Paris,


ses rapports avec l’Angleterre sont b o w , et même cordiaux. S i
l’Allemagne désire que l’Italie entreprenne ou dise quelque chose
à Londres, le Duce est entièrement à la disposition d u Führer2. n
1. Archives secrètes de la WiUlelmsfraass, VII, no 372.
2. Id., no 373.
454 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

*
+ +

La nouvelle de la mobilisation générale polonaise est


connue à Berlin en fin d’après-midi. Comme on pouvait le
prévoir, elle y suscite une émotion intense dans les milieux
militaires. Keitel, Jodl, Brauchitsch, d’autres généraux encore
vont trouver Hitler pour lui faire part de leurs appréhensions.
Depuis la nuit du 25 au 26 août, où les ordres d’attaque
ont été rapportés 1, l’Armée s’impatiente. Des échelons
inférieurs aux grades les plus élevés, les officiers ne cachent
pas leur mécontentement. Ils commencent à se demander
(( ce que font les diplomates ». On leur a donné pour toute
explication : (( Les négociations continuent ... D Pourtant, ils
ne voient rien venir et se demandent ce qui so passe. Certes,
il est bon que la politique ait le pas sur la stratégie, mais
pas au point de rendre toute stratégie impossible ...
- (( Cette incertitude ne peut pas s’éterniser D, disent les

généraux au Führer. a Elle nous fait perdre, l’un après


l’autre, nos atouts les plus précieux et, tout d’abord, l’effet
de surprise2.Allez-vous laisser à la Pologne le temps de mobi-
liser? Cela risque de modifier toutes les données du problème ...
u De plus, vous n’ignorez pas qu’il faudra au moins quinze
jours pour disloquer l’Armée polonaise, plus quinze autres
pour achever sa liquidation, cela dans 1 hypothèse la plus
favorable S. Or, l’automne approche. Nous allons entrer
dans la saison des pluies. Le brouillard paralysera l’action
de la Luftwaffe. Les routes, déjà mauvaises, deviendront
impraticables. Le terrain détrempé et parsemé de marécages
se transformera en bourbier, où,nos chars et nos colonnes
motorisées s’enliseront. Chaque journée perdue accroît la
difficulté. Si l’on n’engage pas les opérations à très brève
échéance, nous n’aurons plus le temps de les mener à bien 4.
1. Voir plus haut, p. 393-394.
2. Au col de Dukla, notamment, une patrouille allemande avait occup6 un tunnel
d’une grande importance stratégique, car c’est par lui que devaient passer les
troupes de la Wehrmacht. Le retrait des ordres d’attaque a obligé les Allemands
à se rep1ier.L~~ Polonais se sont immédiatement portés en avant et ont fait sauter
le tunnel, obligeant le Haut Commandement allemand à modifier tous ses plans
dans ce secteur.
3. II l’a alfirmé lui-même â. Ciano, lors de sa dernière visite au Berghof. (Voir
plus haut,, p: 259, n. 3.)
4. L’opinion des généraux allemands rejoint, sur ce point, les prévisions du général
Gamelin. Celui-ci n’a-t-il pas déclaré, au Conseil de Guerre du 23 août, que ale
froid et le mauvais temps arrêteraient rapidement les hostilités, si bien qu’au prin-
temps de 1940, la bataille se poursuivrait encore à l’est D? (Voir plus haut, p.326.)
L A PAIX S E MEURT... LA P A I X EST MORTE 455

Mieux vaudrait, dans ce cas, remettre toute l’affaire au


printemps prochain ... ))
- (( I1 n’en est pas question! )) leur répond Hitler. (( Nous

sommes arrivés au dernier quart d’heure. ))


- (( En tout cas, il nous faut à présent un oui ou un non
catégoiique. Sinon, nous ne répondons plus de rien! ))
Hitler n’a jamais tenu compte des récriminations de ses
généraux. Mais cette fois-ci il les écoute, car elles lui paraissent
fondées. L’incertitude, en se prolongeant, risque de compro-
mettre son autorité, - cette autorité qui est sortie grandie
de toutes les crises précédentes.
Aussitôt, sa décision est prise. I1 ne laissera plus traîner
les choies en longueur. La mobilisation polonaise lui
assigne une date limite. Si les négociations n’aboutissent
pas dans les quarante-huit heures qui viennent, il y mettra
un terme d’un geste rapide.
t
+ i

A 19 h. 15, Sir Nevile Henderson se rend à la Chancel-


lerie, pour recevoir des mains du Führer la réponse alle-
mande au message qu’il‘lui a remis la veille, au nom du
Gouvernement britannique. Le matin même, il a lu dans les
journaux que six Allemands ont été tués par des soldats
polonais 1. Dans l’après-midi, il a appris que la mobilisa-
tion générale a été décrétée à Varsovie. Aussi s’attend-il
à ce que l’entrevue soit orageuse.
Mais si Hitler est plus froid et plus intransigeant que la
veille 2, Henderson le trouve moins agité qu’il ne l’avait
craint. Dès son arrivée, Hitler lui remet le texte de sa
réponse. Bien qu’elle soit assez longue, Henderson la par-
court rapidement des yeux, tant il est impatient d’en
connaître le contenu :
(( L’ambassadeur de Grande-Bretagne à Berlin »,lit-il pour

commencer, (( a soumis au Gouvernement britannique les pro-


positions que j e me suis cru tenu de faire pour :
1. Henderson, pour sa part, est convaincu que cette affaire a été montée de
toutes pièces pour exaspérer Hitler. Elle serait l’amvre d’éléments extrémistes du
Parti qui craignent de le voir faiblir. (Deux ans avec Hitler, p. 282.)
2. Hitler a été déçu par la lecture du discours que Chamberlain a prononcé
au début de l’après-midi à la Chambre des Communes. Le Premier Ministre n’y
a pas fait mention de la proposition d’alliance de i’dllemagne. Il a longuement
insisté, en revanche, sur les mesures de défense qu’il a prises G pour permettre
B l’Angleterre de faire faoe à toutes les éventualitbs D. (Litre bleu anglais, no 77.)
456 HISTOIRE DE L’ARMfiE ALLEMANDE

10 Exprimer une fois de plus la volonté d u Gouvernement


du Reich de réaliser une entente sincère avec la Grande-Bretagne,
basée sur la coopération et l’amitié anglo-allemandes;
(( 2oNe laisser aucun doute sur le fait que cette entente ne sau-

rait être achetée a u prix d’une renonciation à des intérêts vitaux


allemands, encore moins a u prix de l’abandon de revendications
fondées autant sur la justice humaine que sur la dignité et l‘hon-
neur national de notre peuple. n

Après quoi, Hitler - car il semble que ce soit lui qui a i t


rédigé la note - fait, une fois de plus, l’historique de ses
relations avec les dirigeants polonais et explique son peu
de confiance dans le succès de négociations directes, (( car »,
dit-il, (( le Gouvernement allemand a essayé à plusieurs
reprises de s’engager dans cette voie, sans essuyer autre
chose que des rebuffades et être brusquement placé devant
des mesures militaires, qui ont abouti à la situation où nous
nous trouvons actuellement ».
Cette allusion à la mobilisation polonaise ne passe pas
inaperçue de Henderson, qui s’attend à lire ensuite une
longue énumération de griefs et de menaces. Mais le ton
de la note change soudain du tout au tout; elle se pour-
suit en ces termes :

(( L e Gouvernement britannique attache une importance pri-


mordiale à deux considérations :
(( 10 Que le danger d‘une explosion imminente soit éliminé
aussi promptement que possible, par voie de négociations directes ;
(( 20 Que l’existence de l’État polonais, dans la forme où
il continuerait à exister, soit sauvegardée dans le domaine écono-
mique et politique, a u moyen ds garanties internationales.
(( A ce sujet, le Gouvernement allemand fait la déclaration

suivante :
(( Bien que sceptique quant aux perspectives de succès, il n’en

est pas moins prêt à accepter la proposition anglaise et à entrer


e n pourparlers directs avec la Pologne. Il le fait uniquement
sous l‘effet de l’impression favorable que lui a laissée la décla-
ration écrite reçue du Gouvernement britannique, qui indique
que l u i aussi désire conclure avec l‘Allemagne un pacte d’amitié
conforme aux lignes générales exposées à 2‘ambassadeur du
Royaume- Uni. Par là, le Gouvernement allemand désire donner
a u Gouvernement et à la Nation britanniques, une preuve de
la sincérité avec laque& il désire contracter une amitié durable
avec la GrandeBrstagne.
LA PAIX S E MEURT... LA PAIX EST MORTE 457
(( L e Gouvernement d u Reich estime toutefois devoir signaler

a u Gouvernement britannique que, dans le cas où surviendrait


un remaniement territorial e n Pologne, il ne serait plus à même
de donner des garanties - ou d’y participer - S a m que
1’U. R. S. S. y soit associée. B
Sir Nevile Henderson trouve inquiétante cette référence à
l’U. R. S. S., qui semble indiquer qu’il existe un accord
secret entre Moscou et Berlin, comportant des clauses
relatives à la Pologne qui ne figurent pas dans le Pacte lui-
même. Mais il n’en laisse rien paraître, car il s’est interdit
de faire le moindre commentaire avant d’avoir achevé sa
lecture. Ce qui vient ensuite, le satisfait pleinement :

u Pour le rèste, e n faisant ces propositions, le Gouvernement


allemand n’a jamais eu l‘intention de toucher a u x intérêts vitaux
de la Pologne ou de mettre e n question l’existence d’un État polo-
nais indépendant... L e Gouvernement allemand accepte l’oflre de
bons offices du Gouvernement britannique pour obtenir l‘envoi
à Berlin d‘un émissaire polonais, muni de pleins pouvoirs 1) ...
- u Voilà qui est parfait n, se dit Henderson. (( Sans doute
y aura-t-il des difficultés, lorsqu’il s’agira de définir u les
intérêts vitaux de la Pologne »,d’une façon satisfaisante
pour les deux Parties à la fois. Mais on peut considérer,
malgré tout, que l’affaire est en bonne voie ... »,lorsqu’il
trébuche sur la phrase suivante, qui fait tout basculer :
u L e Gouvernement allemand compte sur l’arrivée d u pléni-
potentiaire polonais demain, mercredi 30 août 1939.
u L e Gouvernement allemand établira immédiatement des pro-
positions e n vue d’une solution qu’il pourrait lui-même acc!pter
et les transmettra, s i possible, a u Gouvernement britannrque,
avant l’arrivée du négociateur polonais l. ))

- u Vous n’y songez pas! n s’exclame Henderson. (( Vous


donnez vingt-quatre heures au négociateur polonais pour
arriver à Berlin! Ces délais sont beaucoup trop courts. Pour-
quoi tant de précipitation? Cela sonne comme un ultima-
tum... ?)
La scène du mémorandum de Godesberg va-t-elle se renou-
veler 2?
1. Livre bhnc alkmand, II, n o 464.
2. Voir vol V, p. 435.
458 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

- e Mais pas du tout! 1) répond Hitler avec chaleur,


tandis que Ribbentrop l’approuve de la tête, (( cette phrase
ne fait que souligner l’urgence du moment. Songez qu’un
incident grave peut éclater d’une minute à l’autre, que deux
armées mobilisées se trouvent face à face 1) ...
- a Ce délai est insufisant ... 1)
- (( Quand MM. Chamberlain et Daladier sont venus à

Munich, ils y sont arrivés le lendemain du jour où l’invi-


tation leur a été transmise. Pourquoi le représentant du
Gouvernement polonais ne pourrait-il en faire autant? I1
sufit d’une heure et demie d’avion pour se rendre de Var-
...
sovie àBerlin ))
- I( Ecoutez-moi... n
- (( Non! Voilà une semaine que nous répétons les mêmes

choses. Nous échangeons interminablement des notes et


des réponses. Ce jeu absurde peut durer éternellement. Les
événements, eux, n’attendent pas. Replaçons-nous devant
la réalité. Songez aux divisions qui piétinent, aux soldats
que l’on retient, aux fusils qui risquent de partir tout
seuls. Songez que mon peuple saigne jour après jour 1) ...
- (( Le peuple polonais pourrait en dire autant ... 1)
- Raison de plus! Vous autres Anglais, cela vous est
bien égal! D
En entendant ces mots, Henderson sursaute comme s’il
avait reçu un coup de cravache en pleine figure et perd
littéralement toute contenance. Hurlant au point de domi-
ner la voix d’Hitler et le regardant fixement dans le blanc
des yeux, il s’écrie :
- (( Une telle accusation est proprement abominable!
Les Anglais ne sont pas ce que vous pensez! J e ne permets
à personne, pas même à vous, de dise une chose pareille! E t
surtout pas à moi, qui n’ai jamais cessé depuis que je suis à
Berlin, de lutter de toutes mes forces pour empêcher la
guerre et éviter les effusions de sang... Vous exagérez tou-
jours. Si c’est la guerre que vous voulez, et bien vous l’aurez! ))
(- (( J’ignore ce qu’en ont pensé Ribbentrop et Schmidt »,
écrira-t-il deux heures plus tard à Lord Halifax, (c parce que,
durant toute cette sortie, je n’ai cessé de dévisager fixe-
ment le Führer. I1 n’a pas répondu, mais s’est mis à vanter
la puissance de l’Armée allemande et sa détermination de
faire la guerre jusqu’à la dernière cartouche. J’ai répliqué
que l’Angleterre n’y était pas moins résolue et qu’elle
LA P A I X SE MEURT... LA P A I X EST MORTE 459
tiendrait un peu plus longtemps que l’Allemagne. J’ai peut-
être eu tort, mais au point où nous en étions, il m’a paru
inutile de continuer à discuter posément. J e regrette d’avoir
dépassé la mesure, mais j’avoue que c’est intentionnelle-
ment que je me suis livré à cet éclat 1. »)
Maîtrisant sa colère, Henderson demande alors à Hitler
quelles seraient ses conditions.
- (( Rien de moins que la révision complète du Traité de
Versailles »,répond Hitler, (( c’est-à-dire le retour de Dantzig
et du Corridor au Reich, ainsi que des assurances formelles
concernant la protection de la minorité allemande en
Pologne. ))
- (( J e transmettrai vos propositions au Gouvernement
de Sa Majesté »,répond Henderson en reprenant peu à peu
le contrôle de lui-même. (( Mais si un émissaire polonais vient
h Berlin pour les discuter, peut-on être assuré qu’il sera bien
reçu et que les conversations se dérouleront sur un pied
d’égalité parfaite? n
- (( Naturellement »,réplique Hitler en haussant les
épaules, car il a bien compris que l‘ambassadeur faisait
allusion à la visite du président Hacha.
Une dernière fois, Henderson revient sur la brièveté des
délais.
- (( Le temps accordé est trop court »,insiste-t-iI. (( C’est

là que réside la principale pierre d’achoppement. I1 est peu


probable que le Gouvernement, de Sa Majesté puisse décider
un plénipotentiaire polonais à se mettre en route aussi vite ...
Pourquoi ne pas avoir recours à la procédure habituelle? ))
- (( Qu’entendez-vous par là? )) demande Ribbentrop.
- a Remettez vos conditions à l’ambassadeur de Pologne
et laissez-lui le temps de les transmettre à son gouverne-
ment. Celui-ci les étudiera à tête reposée, concurremment
avec le Gouvernement britannique. Après quoi, les deux
gouvernements vous enverront leur réponse ... n
- (( Jamais de la vie! )) réplique Hitler d’une voix gron-

dante. (( Ce serait beaucoup trop long,Une semaine a déjà


été perdue en palabres inutiles. Mon Etat-Major me press’e
de prendre une décision. Mes soldats me demandent un (( oui
ou un (( non 1) catégorique. 1)
Que pourrait ajouter l’ambassadeur, après cette dernière
1. Rapporta de Sir Nevile Henderson d Lord Halifax. (Documents on British
Foreign Policy, VII, r P 490, 493, 508 e t 565.)
460 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

déclaration? Henderson prend donc congé, en se disant que


les chances de paix ne tiennent plus qu’à un fil. En traver-
sant la galerie de marbre qui relie le bureau du Chancelier
à la sortie, il aperçoit une foule d’officiers en uniforme,
parmi lesquels il reconnaît les généraux Keitel et von Brau-
chitsch. Leur présence n’est pas de nature à dissiper ses
craintes. u J e quittai la Chancellerie »,écrira-t-il plus tard,
u en proie à de so-mbres pressentiments 1)
Le secrétaire d’Etat Meissner, qui le reconduit à sa voiture,
remarque aimablement :
- u J e suis heureux de constater que votre boutonnière
est toujours fleurie... D
- a Oui »,répond Henderson avec mélancolie, u mais
c’est sans doute la dernière fois que vous me voyez ici
avec un œillet à la boutonnière D

* *
Pourtant, malgré son abattement, Sir Nevile Henderson
refuse d’abandonner la partie. De retour à son ambassade,
il se convainc que tout espoir n’est pas encore perdu et que
la réponse d’Hitler contient, malgré tout, certains aspects
positifs. I1 regrette presque de s’être abandonné à un accès
de colère et craint d’avoir claqué lui-même la porte qu’il
s’efforçait désespérément de maintenir entrouverte...
u Après tout »,se dit-il en faisant le point de la situation,
u Hitler a accepté la médiation anglaise. I1 s’est déclaré
prêt à entamer des négociations directes. Quand je lui ai
demandé ce qu’il entendait par u intérêts vitaux »,il m’a
répondu que le Gouvernement allemand établirait immé-
diatement des propositions acceptables, et les mettrait à
la disposition du Gouvernement britannique, si possible
avant l’arrivée du négociateur polonais.
«Tout dépend donc de deux choses : d’une part, de la
nature de ces propositions; de l’autre, du fait que le gouver-
nement polonais accepte d’envoyer immédiatement Berlin
un négociateur ou un plénipotentiaire. J e ne peux évidem-
ment exercer aucune influence sur la première; mais je peux
faciliter la réalisation de la seconde 3. ))
1. Sir Nevile HENDERSON,
Deux ans avec Hitler, p. 285.
2. Id., p. 282.
3. Id., p. 285.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 461
C’est pour quoi il demande à M. Lipski de venir le voir
sans tarder.
L’ambassadeur de Pologne arrive quelques instants plus
tard. Henderson lui raconte les péripéties de sa dernière
conversation avec Hitler et s’efforce de lui faire comprendre
la nécessité d’une action immédiate.
- (( L’armée et l’aviation allemandes sont prêtes à frap-

per )), lui dit-il. (( Vous savez que je ne me suis jamais fait
d’illusions sur la capacité de la Pologne à résister, au-delà
d’une courte période, aux divisions allemandes fortement
motorisées et à l’écrasante supériorité de la Luftwaffe. J e
ne vous ai jamais caché mon opinion à cet égard. Aujour-
d’hui, je vous adjure dans l’intérêt même de la Pologne,
de presser votre gouvernement de nommer sans délai un
représentant, en vue -des négociations proposées par Ber-
lin. ))
Après quoi, il se met en rapport avec M.Coulondre auquel
il communique l’essentiel de la réponse allemande.
- (( J e vous demande instamment »,lui dit-il, n: de recom-
mander au Gouvernement français d’intervenir à Varsovie.
Qu’il exhorte le colonel Beck à venir immédiatement à Berlin!
A mon avis c’est la dernière chance qui nous reste. Hitler ne
bluffe pas. I1 peut frapper d’un moment à l’autre. Si le Gou-
vernement polonais consent à envoyer un plénipotentiaire,
il convaincra le monde entier qu’il a tenté l’impossible pour
sauverla paix. C’est son devoir de faire cette ultime démarche.
C’est aussi son intérêt, car si eIIe échoue, nu1 n’en souffrira
davantage que lui 1. D
Enfin, il fait venir M. Attolico qui a eu un court entretien
avec Hitler, aussitôt après son départ de la Chancellerie.
- (( Comment avez-vous trouvé le Führer? n lui demande

l’ambassadeur de Grande-Bretagne avec une pointe d’in-


quiétude.
- (( I1 m’a paru relativement calme »,répond Attolico.

(( I1 m’a lu les passages essentiels de la réponse qu’il vient

de vous faire, en me demandant de les communiquer à


Mussolini. D
- u Ecoutez-moi »,lui dit alors Henderson. (( J e VOUS en
supplie de la façon la plus pressante : demandez au Gouver-
nement italien d’intervenir a Varsovie. Qu’il dise au colonel

1. Sir Nevile HENDERSON,


Deux ans avec Hitler, p. 286.
462 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

Beck de venir lui-même à Benlin! S’il estime que c’est impos-


sible, que Beck envoie au moins un plénipotentiaire. J e l’ai
dit à Lipski. J e l’ai répété à Londres. C’est la dernière
chance qui nous reste. Ne la laissons pas échapper! n
- (( Vous pouvez compter sur moi »,répond Attolico.
(( Dans un moment pareil, les questions de prestige et de

personnes ne jouent plus. J e vais, de ce pas, alerter le


Palais de Venise 1. ))
Aussitôt Attolico parti. Henderson rédige un compte rendu
pour Halifax, destiné à compléter le texte de la note alle-
mande. I1 y relate son entrevue avec Hitler et les entretiens
qu’il vient d’avoir avec les ambassadeurs de France et d’Italie.
I1 insiste sur les délais très courts impartis par le Führer et
revient encore une fois sur ce point, qui lui paraît capital :
(( Hitler ne bluffe pas. Il est prêt à frapper. La venue du colonel

Beck à Berlin est, à mes yeux, la dernière chance qui subsiste


d‘éviter la guerre. n
*
* *
Oui,que Beck vienne! Et surtout qu’il vienne vite! Comme
cela a été plusieurs fois le cas durant ces dernières semaines,
la clé de la situation est entre ses mains. En cette heure fati-
dique, la guerre ou la paix dépendent de lui...
Mais Beck n’y songe pas. Toutes les pressions de Londres,
de Paris ou de Rome, loin de le faire changer d’avis, ne feront
que l’ancrer davantage dans sa résolution.
Se précipiter à Berlin, pour y être reçu comme Schuchs-
nigg et Hacha? Jamais! Cette seule perspective le fait
frémir d’horreur. Comment ne voit-on pas que la briè-
veté des délais fixés par le Chancelier suErait à donner à
sa démarche le caractère d’une capitulation? A quoi servirait
ce voyage à Canossa puisqu’il a décidé de rejeter les
conditions allemandes, quelles qu’elles puissent être et sans
même les avoir lues? (( Si Hitler compte sur moi pour lui
d o u e r Dantzig, il se trompe! J e suis le dernier qui puisse y
consentir »,a-t-il dit au Conseil des Ministres du 22 mars 8.
Ce n’est pas sous la menace qu’il va se déjuger. L’épreuve
de force arrive à son point culminant. C’est donc moins que
1. Sir Nevile HENDERSON : Rapport à Lord Halifm, 29 août 1939, soir.
(Docurnenfs on British ForeignRelations,VI1 nw 490 e t 565.)
2. Voir plus haut, p. 181-182.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 463
jamais le moment de fléchir. I1 n’est que de se raidir, de
s’arc-bouter, de tenir bon, et l’on verra bien, pour finir, qui
sera désarçonné!
D’ailleurs, qu’il le veuille ou non, Beck, ne peut plus
faire autrement. Pris dans l’étau fatal de sa mobilisation e t
de ses alliances, il s’est trop engagé pour pouvoir reculer.
Encerclé à l’extérieur, pressé à l’intérieur par une opinion
publique qui crie sous ses fenêtres : u A Berlin! A Ber-
lin! )) - mais dans un tout autre sens que ne le souhaitent
Attolico ou Henderson, - il n’a qu’une seule issue : se
montrer intraitable et foncer sur l’obstacle.
Après être passé de l’illusionnisme à l’aveuglement, Beck
va assumer à présent le dernier rôle de sa vie : celui de
pilote-suicide, de Kamikaze polonais. Semblable à ces héros
romantiques, invinciblement attirés par la catastrophe qui
VQ les engloutir, il s’élance, les yeux fermés, sur le chemin
de la perdition. I1 y a, dans son orgueil, quelque chosed’émou-
vant et on l’admirerait volontiers, s’il n’entraînait pas avec
lui tout son pays à l’abîme ...
t
- 1

Plus l’heure avance, et plus Henderson se sent assailli


de scrupules. Epuisé de fatigue, il se pose mille questions.
A-t-il vraiment fait l’impossible pour éviter la catastrophe?
N’a-t-il pas tout compromis par son altercation? Par-des-
sus tout, aura-t-il su convaincre Halifax de l’imminence du
péril?
(( J’étais à mon hôtel, tard, le soir, aux environs de

22 h. 30))) raconte Dahlerus, ((lorsque je fus appelé au


téléphone par Forbes l. Celui-ci me dit qu’il désirait me voir
immédiatement. I1 vint à mon hôtel et m’expliqua que la
dernière réunion entre Hitler et Henderson avait mal tourné
et qu’ils s’étaient séparés après une violente discussion. I1
me demanda de lui suggérer ce que l’on pouvait faire z... ))
Au même instant, la sonnerie du téléphone retentit.
C’est Gœring. Le Maréchabconfirme à Dahlerus ce que
vient de lui dire Forbes.
- (( Que faire? )) demande le Suédois.
- Allez immédiatement à Londres »,répond Gœring
1. Sir Ogilvie Forbes, le chargé d’affaires à l’ambassade d’Angleterre.
2. Docunienis d u Tribunal Militaire International de Nuremberg, IX, p. 498.
464 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

sans hésiter. (( Essayez d’expliquer ce malheureux incident


au Gouvernement britannique. Dites-lui qu’Hitler est occupé
en ce moment à rédiger le texte de ses propositions à la
Pologne. Celles-ci doivent être prêtes pour demain, car il
attend dans la journée la venue d’un plénipotentiaire polo-
nais l. I1 compte surprendre les Anglais par la modération
de ses exigences )) ...
+ i

A la même heure, à Downing Street, Halifax examine


la,réponse d’Hitler et le compte rendu d’audience de Hen-
derson, qui lui sont parvenus respectivement à 21 h. 15 eL
à 22 h. 25 2. I1 télégraphie aussitôt à Henderson :

u Nous allons étudier attentivement la réponse du Gouverne-


ment allemand, mais il est évidemment déraisonnable d‘escompter
que nous puissions faire arriver un plénipotentiaire polonais à
Berlin d’ici à vingt-quatre heures. L e Gouvernement d u Reich
ne doit pas y compter.
a Il serait bon que vous en avertissiez les autorités intéressées
par les moyens que vous jugerez les mieux appropriés. 8
Ce message peu encourageant arrive à Berlin le 30 août,
à 4 heures du matin.
Une heure plus tard, Dahlerus s’envole une troisième
fois pour Londres.
1. Déposition de Birger Dahlerus au Tribunal de Nuremberg. (Docurnenfs du
Tribuna2 Milifaire InternationaZ, I X , p. 498.)
2. Documents on British Foreign Policy, V11, nw 490 e t 493.
xxx

L’ESPOIR S’ÉCROULE
(Mercredi, 30 août 1939)

En se réveillant au matin du 30 août, les Polonais aper-


çoivent, placardées sur les murs de tous les édifices publics,
les affiches blanches annonçant la mobilisation générale.
Ils voient aussi, à la première page de leurs journaux, une
photo représentant la Maréchale Rydz-Smigly, coiffée d‘un
élégant chapeau à plumes, creusant une tranchée dans
une rue de Varsovie.
Les Parisiens, eux, s’étonnent de trouver des blancs dans
leurs quotidiens habituels. C’est que le Gouvernement
français s’est arrogé, depuis le 28 mai, tous les droits de
censure. Ceux-ci ont été confiés à Jean Giraudoux, le délicat
poéte de la Guerre de Troie n’aura pas lieu,qui les exerce
avec une nonchalante gentillesse. Mais les consignes données
par la Présidence du Conseil n’en sont pas moins sévères :
(( En ces temps où la Nation s’apprête à demander de grands

sacrifices à ses enfants »,lit-on, (( il s’agit d’insuffler à tous


une ardeur semblable à celle des combattants de Valmy et
de Verdun. Le temps n’est plus aux tergiversations ni aux
conseils de prudence. D A quoi Giraudoux répondra :
- (( Croyez-vous qu’il soit facile d’insumer aux militaires
...
les haines des civils? N
A Dantzig, le croiseur Schleswig-Holstein prolonge sa
N visite d’amitié »,sous prétexte que les salves d’artillerie
dont les batteries polonaises ont gratifié les avions alle-
mands qui survolaient le territoire, l’exposeraient à un grave
danger s’il prenait la mer. Personne, bien entendu, n’est
dupe de cette explication.
VI so
466 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

A la Chancellerie, Hitler a réuni autour de lui une équipe


de diplomates et de juristes pour mettre au point les condi-
tions qu’il compte remettre au plénipotentiaire polonais, au
cours de la journée. Vers la fin de la matinée, ce texte est
enfin prêt :
CONVENTION POLONO-ALLEMANDE

1. D u fait de son caractère allemand et de la volonté unanime


de sa population, la Ville libre de Dantzig fait immédiatement
retour au Reich.
2. L e territoire d u u Corridor 11, qui s’étend de la mer Baltique
jusqu’à la ligne Marienwerder- Graudenz-Kulm-Bromberg ( y
compris ces villes) et à l’ouest jusqu’& Schonlanke, décidera lui-
même de son rattachement à l’Allemagne ou à la Pologne I.
3. A cette fin, un plébiscite aura lieu dans ce territoire 2. Auront
droit de vote tous les Allemands qui y étaient domiciliés le
l e = janvier 1918 ou qui y sont nés depuis cette date, de même que
tous les Polonais, Cachoubes, etc. 3, remplissant les mêmes condi-
tions. Les Allemands expulsés de cette région y retourneront
pour participer a u vcte. Afin de garantir la sincérité du vote et
d‘assurer les préparatifs nécessaires à cette opération, cette région
sera placée, à l’instar de la Sarre, sous le contrôle d’une Commis-
sion internationale qui devra être formée immédiatement et qui
sera constituée par des représentants des quatre grandes Puis-
sances : l’Italie, l’Union Soviétique, la France et la Grande-
Bretagne 4. Cette Commission exercera tous les droits de souve-
raineté sur ce territoire. A cet effet, celui-ci sera évacué dans un
délai extrêmement bref, mais encore à déterminer, par l’Armée,
la Police et les Autorités polonaises.
4. L e port polonais de Gdynia sera exclu de la zone d u plé-
biscite et considéré comme un territoire de souveraineté exclusi-
1. La grande concession que fait Hitler dans ces propositions - mais qui n’ap-
paraît pas tout de suite à un lecteur non initié-n’est pas la renonciation à
toute revendication sur Gdynia (Art. 4). C‘est qu’en fixant O la ligne Marienwerder
Graudenz-ICulm-Brumberg-Schonlanke la limite du territoire où aura lieu le
plébiscite (Art. 2), il renonce implicitement à la province de Posen, qui a pourtant
lait partie de la Prusse de 1793 à 1919.
Ce faisant, Hitler limite ses prétentions aux territoires que Lloyd George s’était
efforcé de maintenir à l’intérieur des frontiéres de l’Allemagne, lors des négocia-
tions de la Conférence de la Paix, et ce par le moyen même que préconisait le
Premier britannique : un plébiscite contrôlé par une Commission internationale.
Cette concession est faite plus à l’opinion anglaise qu’aux Polonais. Le Führer
l’estime de nature à recueillir l’adhésion de Downing Street et de la Chambre des
Communes.
2. C‘est ce que les populations de cette région demandent depuis 1919.
3. Les Cachoubes sont un groupe ethnique d’origine slave, mais ne parlant
pas le polonais, qui s’est installé en Prusse-Occidentale depuis des temps lointains
e t dont le nombre ne dépasse guère 100.000.
4. Ni l’Allemagne ni la Pologne n’en feront donc partie.
L E S PROPOSITIONS ALLEMANDES DU 30 AOUT 1939
468 HISTOIRE D E L'ARMÉE ALLEMANDE

vement polonaise. Les frontières de ce port polonais serortt f i d e s


d'un commun accord entre l'Allemagne et la Pologne, ou, s i
c'mt nécessaire, par un tribunal d'arbitrage international.
5. Afin d'assurer le temp# dcsssaire aux ampleo travaux pré-
paratoires qu'exige un plébiscite équiiabb, celui-ci n'aura p m
lieu avant un dilai de douze m o h révolus.
6. Des routes et des v o i e ferrées seront spécialement désignées
en vue de garantir, durant cette période, les libres communications
tntre I'Allemagne et la Pruase-Orientale d'une part; entre la
Pologne et la mer, ds l'autre. Il n'y sera perçu qua les taxes
nécessaires à l'entretien des routes et a u service des transports.
7. L a majorité simple des suffrages exprimés décidera d u
rattachement de ce territoire à l'Allemagne ou à la Pologne.
0. Le vota urn f o k acquis, et quel qu'en soit le résultat, b s
dkpositions suivantes seront p r i e s pour assurer à l'dlleniagne
sa liaison avec sa province de Dantzig (Prusse-Orientde) ou
à la Pologne, sa liaison avec ka mer :
a. - A U CAS OÙ CE TERRITOIRE S E PRONONCERAlT POUR LA
POLOGNE, il sera accordé a u Reich une zone exterritorials allant
approximativement de Bütow à Dantzig ou à Dirschau, pour y
construire une autoroute et une ligne de chemin de fer à quatre
voies. L a route et la voie ferrée seront construites de manière à
ne pdp affecter les lignes de communication olonaises, c'est-
à-dire qu'elles passeront au-dessus (ou a u - L s o u s ) , t a r des
viaducs ou des tunnels. La largeur de cette zone sera @ee à u n
kilomètre et sera territoire de souveraineté allemande.
b. - A U CAS 06 CE TERRITOIRE S E PRONONCERAIT POUR LE
REICE, la Pologne obtiendra des droits analogues à ceux qui
auraient été accordés à l'Allemagne dans le cas contraire, c'est-à-
dire des communications exterritoriales par route et par voie
ferrée susceptibles de lui assurer un accès libre et sans entraves
d son port de Gdynia.
9. Au cas 05 le u Corridor ID ferait retour a u Reich allemand,
ce dernier se déclare prêt à procéder à un échunge depopulation
avec la Pologne, dans la mesure où le <I Corridor ID s'y prête.
1O. Si la Pologne désire éventuellement obtenir des droits s p 6
ciaux dam le pori de Dantzig, ceux-ci seront négociés aur une
base paritaire contre des droit0 égaux à accorder à l'Allemagne
dans ie port de Gdynia.
11. Afin de supprimer sur ce territoire tout sentiment de
menace pour l ' u w ou l'autre Partie, Dantzig et Gdynia recevront
le statut de v i l b purement c o m m e r ç a W , c'est-à-dire qu'elles
M comporteront ni instaudions militaires, ni fortifications.
LA PAIX SE MEURT... LA P A l X EST MORTE 469
12. L a presqu’île de Hela qui, selon le résultat du plébiscite,
serhi soit polonaise soit allemande, devra être démilitarisée dans
l’un et l‘autre cas.
13. L e Gouvernement d u Reich ayant des réclamations éner-
giques à formuler contre le traitement de sa minorité en Pologne,
et le Gouvernement polonais croyant également devoir élever des
réclamations contre l’Allemagne, les deux Parties conviennent
de soumettre ces réclamations à une Commission d‘enquête inter-
nationale chargée d‘examiner toutes les plaintes relatives à des
dommages économiques et physiques, ainsi qu’à tous autres actes
de terreur. L’Allemagne et la Pologne s’engagent à rèparer tous les
dommages, économiques ou autres, qui ont p u être occasionnés
à leurs minorités respectives depius 1918, à annuler éventuelle-
ment toutes les expropriations et à dédommager complètement
ceux qui en ont été victimes.
14.Afin d’ôter aux Allemands restant en Pologne, et aux Polo-
nais restant en Allemagne, le sentiment d‘être sans protection
légale internationale, et de leur donner avant tout la garantie qu’ils
ne pourront pas être astreints à des actes ou à des services incompa-
tibles avec leur sentiment national, l’Allemagne et la Pologne
se mettent d‘accord pour garantir les droits des minorités respec-
tives par des Conventions détaillées et exécutoires, assurant à ces
minorités la conservation, l‘épanouissement et le libre exercice
de leur caractère et de leurs droits nationaux. Les minorités auront
notamment le droit de s’organiser comme elles l‘entendent. Les
deux Parties contractantes s’engageront à ne pas astreindre les
membres de ces minoritès a u service militaire.
15. Dans le cas où un accord se réaliserait sur la base de ces
propositions, l‘Allemagne et la Pologne se déclareraient prêtes
à effectuer immédiatement la démobilisation de leurs forces armées.
16. Les mesures propres à accélérer l’exécution de la présente
Convention seront prises, d‘un commun accord, entre l’Allemagne
et la Pologne 1.
Une carte est annexée à la présente Convention 8.

Ces conditions répartissent si équitablement les avantages


et les servitudes des deux Parties contractantes que certains
auteurs ont cru pouvoir en inférer qu’Hitler n’avait jamais
eu l’intention de les appliquer. u Lorsque j’en pris connais-
sance », écrit l’interprète Schmidt, (( je n’en crus pas
mes oreilles. Je m’imaginai être revenu à Genève, car ces
1. Proiet allemand d u 30 aotit 1939 tendant au règlemeni des question8 de Dantzig
et d u Corridor.(Livreblanc allemand, II, no 466.)
2. Voir la carte, p. 467,
470 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

conditions qui prévoyaient un plébiscite contrôlé par une


Commission internationale, s’inspiraient d’un esprit peu
conforme aux méthodes habituelles du National-Socialisme
et rendaient un son très différent des déclarations que
j’avais entendu formuler antérieurement par Hitler l. n
Pourtant ces conditions ont été rédigées à temps pour pou-
voir être remises à un plénipotentiaire polonais dans l’après.
midi du 30 août. Leur délai d’acceptation a été prolongé au
31 2. Elles ont été communiquées à Londres, à Rome et à
Moscou. Comme le remarque trés justement Tansill : a Alibi
ou non, il ne dépendait que des Polonais de les saisir au vol. n
A partir de ce moment, Hitler aurait été lié par elles. Quant
aux craintes exprimées par le colonel Beck de voir son négo-
ciateur placé brusquement devant de tout autres exigences,
elles sont dénuées de fondement puisque l’Angleterre, la
France, l’Italie et l’U. R. S. S. devaient être garantes de
l’accord conclu.
Certes, ces conditions représentent un sacrifice pour Hitler :
la renonciation à la province de Posen, dont les richesses
en fer et en houille auraient représenté un appoint sérieux
pour l’économie allemande. Mais elles comportent aussi un
certain nombre d’avantages, qu’il serait vain de sous-
estimer :
10 Le plébiscite proposé par Hitler est calqué sur le plé-
biscite sarrois, instauré le 13 janvier 1935 sous le contrôle
de la Société des Nations. Or, celui-ci lui a apporté 90,s yo
des voix-chiffre que personne n’a pu contester -et a
été considéré comme un des succès les plus retentissants de
son régime S. Pourquoi ne pas appliquer le même système
au Corridor?
20 Elles exigent plus que ses propositions du 21 mars 1939,
qui comportaient la renonciation formelle du Reich a u
1. Paul ÇcamroT, Statist au/ diplomatischer B&Iane,p. 456.
2. Le lendemain, 1er septembre, Lady Diana, épouse de Duff Cooper - l’an-
cien Premier Lord de l’Amirauté qui a démissionné du Cabinet Chamberlain au
lendemain de Munich - trouvera ces conditions a si raisonnables D que son mari
sera effrayé à l’idée que l’opinion britannique puisse partager l’opinion de sa
femme. II interviendra aussitat aupr+s du Daily Mail et du Daily Telegraph pour
inviter ces journaux à les présenter sous lem jour le plus défavorable. (Duff
COOPER, This cannol be forgotten, édition allemande, Munich, 1954,. p. 593.)
M. Lucasiewicz, pour sa part, déclarera à Georges Bonnet : u Elles [cas condi-
tions] sont si exorbitantes qu’iI faut que le Gouvernement allemand soit devenu
fou, ou qu’il se livre aujourd‘hui à une véritable provocation pour pousser à
bout le Gouvernement polopais. a (LaDéfense de la Pais, II, p. 342.)
S. Voir vol. III, p. 258.
LA PAIX SE MEURT... L A PAIX EST MORTE 471
Corridor l, - propositions imprudemment déclinées par les
Polonais et dont Hitler a déclaré qu’il ne les renouvel-
lerait pas ;
30 Elles écartent tout risque d’échec, puisqu’elles postu-
lent le retour dans leurs foyecs de tous les Allemands
expulsés du Corridor depuis 1918;
40 Enfin - et sur ce point Gœring est formel - elles
sont conçues pour (( surprendre les Anglais par leur modé-
ration 1) et les inciter à donner suite & l’offre d’alliance
anglo-allemande 2.
En rédigeant ces conditions comme il l’a fait, Hitler a
manifestement visé Londres, autant que Varsovie. Mais
il a voulu également mettre tous les atouts dans son jeu:
obtenir l’essentiel, si les négociations s’engagent; écraser la
Pologne, si elles ne s’engagent pas.
t
* *
Tandis que les experts, réunis à la Chancellerie, s’emploient
à mettre la dernière main à ce texte, Dahlerus, quia atterri
à Londies au début de la matinée, confère à Downing Street
avec Chamberlain, Loid Halifax, Sir Horace Wilson et
Sir Alexander Cadogan.
- (( Hitler n’a pas pris au tragique l’algarade de Hender-
son »,assure le Suédois. (( Plus dangereux, en revanche, sont
les incidents qui surviennent quotidiennement à la frontière
germano-polonaise. L’atmosphère s’éclaircirait si le Gouver-
nement polonais donnait d’une façon très stricte, les instruc-
tions suivantes à tous ses agents militaires et civils :
(( 10 Ne pas tirer sur les fuyards ou sur les membres

de la minorité allemande qui causent des troubles, mais se


contenter de les mettre en état d’arrestation;
20 S’interdire toute violence contre les membres de la
minorité allemande et empêcher la populationd’encommettre;
3 O Permettre le libre passage de la frontière aux membres
de la minorité allemande qui désirent quitter la Pologne :

1. Voir plus haut, p. 181.


2. Rappelons que le plébiscite sarrois avait vivement impressionné les Anglais
et avait ouvert la voie A l’accord naval anglo-allemand du 18 juin 1935. (Voir
vol. III, p. 258 et s.)
472 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

u 40 Mettre fin aux excitations de la propagande radio-


phonique. ))
Halifax accepte d’envoyer une dépêche dans ce sens
à Sir William Kennard. Mais la réponse de l’ambassadeur
de Grande-Bretagne à Varsovie n’est pas très rassurante.
Lorsqu’il transmet ce vœu à Beck, le ministre des Affaires
étrangères le reçoit assez fnaîchement et lui répond :
- (I Veuillez faire savoir au Gouvernement britannique
que le Gouvernement polonais n’a aucune intention de
provoquer des incidents, de quelque ordre que ce soit.
En revanche, j’attire votre attention sur le fait que les
provocations allemandes à Dantzig deviennent de plus en
plus insupportables. ))
Quelques instants plus tard, arrive un nouveau télé-
gramme de Sir William Kennard, plus inquiétant encore :
écrit-il, a qu’il sera impossible de décider
(( J e suis certain »,

le Gouvernement polonais à envoyer à Berlin M . Beck ou tout


autre délégué pour y discuter u n règlement sur les bases proposées
par M . Hitler l. Il préférera assurément combattre et succomber,
plutôt que de consentir à un semblable abaissement, surtout
après les exemples de la Tchécoslovaquie, de la Lituanie et de
l’Autriche.
a Si des négociations doivent s’engager entre des partenaires
égaux e n droits, il serait important qu’elles se déroulent dans un
pays neutre ou, faute de mieux, en Italie. I l serait nécessaire, en
outre, de f i e r d‘avance que ces pourparlers auraient lieu sur
Ea base d‘un compromis entre les propositions formulées par
l’Allemagne a u mois de mars dernier et le statu quo auquel on
s’est constamment maintenu, d u côté polonais 2. n
Halifax plisse le front en lisant ce message.
- u Comprenez-nous bien »,dit-il à Dahierus. (( I1 nous

est difficile de suggérer au colonel Beck de se rendre à Berlin,


aussi longtemps que nous n’avons pas été saisis officiellement
des conditions allemandes. N’y aurait-il pas moyen d‘en
connaître au moins l’essentiel? 1)
- (( Pour cela, il faudrait que j e puisse consulter Gœring »,

répond Dahlerus.
1. Remarquons qu’A ce moment, les conditions allemandes ne sont pas encore
connues a Varsovie. Hitler est en train de les mettre au point.
2. Cela revient à dire que le Gouvernement polonais ne négociera que sur des
bases situées en deCd des propositions allemandes du 21 mars et ne comportant
la rétrocession ni de Dantzig, ni du Corridor. C‘est rendre d’avance toute négo-
ciation impossible.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 473
- u Faites D, dit Halifax, en lui désignant le téléphone.
A 12 h. 30, la communication est établie avec Berlin.
- Lord Halifax voudrait être éclairé sur les grandes
lignes des exigences allemandes n, dit Dahlerus au Maréchal.
GCERING : -
J e ne peux pas vous garantir que le Führer
proposera un plébiscite, mais j’en ai la conviction, car il
espère se rallier ainsi l’amitié de la Grande-Bretagne, à
laquelle il attache le plus grand prix, et montrer au monde
que les Allemands ne sont pas aussi noirs qu’on veut bien
les dépeindre. C’est pourquoi j ’ai l’impression très nette
que le principe d’un plébiscite sera retenu. Hitler y tra-
vaille au moment où je vous parle. D
DAHLERUS : -
(( Et les minorités? ))

GCERING : - (( En ce qui les concerne, Hitler est prêt à


accepter des transferts de populations. Celles qui resteront,
sur place, seront dispensées du service militaire. Les Alle-
mands de Pologne seront traités comme des Allemands; il
en ira de même des Polonais en Allemagne. n
DAHLERUS : -
(( Lorsque les propositions seront prêtes,

ne pourrait-on les remettre à M. Lipski? Ce serait plus facile


que de faire venir quelqu’un de Varsovie... n
Le Maréchal ne semble pas hostile à cette procédure.
DAHLERUS : - Bien entendu, les propositions seront
prêtes aujourd’hui même? 1)
G<ERING : - u Cela va de soi. Hitler est en train d’y mettre
la dernière main. Mais je le répète, le temps presse l ! n
Après avoir pris connaissance de ces indications, Halifax
demande it Dahlerus de rappeler Gœring pour lui dire que
bien des choses dépendent de la forme dans laquelle les
propositions seront rédigées et qu’il ne faut à aucun prix
qu’elles aient le caractère d’un (( diktat ».
Un second entretien, très court, a lieu à 13 h. 15.
GERING: - (( Non, ce n’est pas un diktat. Le Führer a
donné à ses propositions le caractère d’une ((base de discus-
sion ».C’est inespéré. Mais il exige absolument que quelqu’un
vienne de Varsovie,.,pour en prendre connaissance 2. 1)
A 15 heures, troisieme coup de téléphone de Dahlerus à
Gœring.

1. Notes d‘écoute du Foreign Offce sur les conversations téléphoniques Dahlerus-


Gœring,le 30 août 1939, entre 12 h. 30 e t 15 heures. (Michael FREUND,Die Ge-
schichte des Zweiten Weltkrieges in Dokurnenien, III, no 132.)
2. Id., ibid.
474 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

DAHLERUS : -(( Est-il vraiment indispensable que quel-

qu’un vienne de Varsovie? ))


GCERING : - (( Oui, c’est indispensable. Le Führer y tient
absolument. Toute autre procédure ne sera qu’un gaspil-
lage de temps. Or, il n’y a pas une minute à perdre 1)
Pourquoi tant de précipitation? On ne joue pas la guerre
ou la paix sur une simple question d’heures! L’insistance que
met le Führer à vouloir qu’un émissaire vienne exprès de
Varsovie et les délais si courts qu’il a prescrits à sa venue
alarment Chamberlain. Ils lui donnent l’impression qu’Hitler
veut, malgré tout, humilier les Polonais, les obliger à capi-
tuler, comme Hacha e t Schuschnigg. I1 se dit que lorsque
Hitler tiendra Beck - ou son représentant - à sa merci, il
brandira un papier et lui dira d’un ton comminatoire :
- (( Signez! Sinon, demain matin, mes avions bombarde-
ront Varsovie! ))
Et il faut reconnaître que tant de précipitation paraît inex-
plicable et sufiità justifier les plus terribles soupçons. Pourquoi
Hitler agit-il ainsi? Parce qu’il est talonné par ses militaires?
Parce qu’il sait que la saison des pluies approche et que
toute la campagne sera compromise s’il ne la déclenche pas
rapidement? Parce qu’il veut mettre un terme aux inci-
dents qui ensanglantent la frontière? Mais quel que soit
le nombre des victimes, une guerre en fera bien davantage ...
Est-ce parce qu’il ne croit plus en la négociation et qu’il
est décidé, - quoi qu’il advienne - à recourir aux armes?
Ou bien se sent-il poussé en avant par une force obscure qui
ne lui laisse aucun répit, et le contraint d’accélérer sans
cesse la cadence de ses décisions? (( Notre malheur, à nous
autres, Allemands n, dira-t-il plus tard à Bormann, (( est que
nous n’avons jamais assez de temps devant nous. Les cir-
constances nous talonnent. Que le temps nous fasse défaut
provient de ce que nous manquons d’espace. Avec leur
domaine immense, les Russes peuvent s’offrir le luxe d’at-
tendre et de temporiser. Le temps trakaille pour eux, mais
pas pour nous. Même si la Providence m’accordait une longé-
vité exceptionnelle, vous pouvez être certain que nos enne-
mis ne me permettraient pas d’en profiter. Ils feraient le
nécessaire pour nous détruire, avant de se trouver devant

1. Id., ibid.
L A P A I X SE MEURT... L A PAIX EST MORTE 475
une Allemagne dont l’unité physique et morale aurait été
forgée et qui serait alors pratiquement invincible 1. 1)
C’est là un état d’esprit que Chamberlain ne peut pas com-
prendre et qu’il ne comprendra jamais, lui qui est placé à
la tête d’un empire né d’une accumulation séculaire de vic-
toires et d’efforts. Aussi se borne-t-il à répéter & Dahlerus,
ce qu’il a déjà dit à Sir Horace Wilson durant la semaine
qui a précédé Munich :
- u I wont let myself be hurried into haste a. ))

t
* *

Les conditions allemandes sont prêtes, mais aucun émis-


saire polonais ne vient en prendre connaissance. Tout
l’après-midi se passe dans l’attente. Les heures s’écoulent.
Toujours personne. Pas même un coup de téléphone. Varsovie
demeure muet.. .
Au cours de cette journée, Sir Nevile Henderson subit une
transformation profonde. On dirait que ses récentes entre-
vues avec Hitler ont épuisé ses dernières réserves de patience.
I1 a tout fait, t o u t tenté. Mais en vain. A présent, il se durcit.
Halifax lui a transmis la copie d’une note remise au Foreign
Office par M. Raczynski, assurant que les incidents de fron-
tière invoqués par Hitler sont forgés de toutes pièces, qu’ils
ne sont que des mensonges, des artifices de propagande
auxquels on ne saurait accorder le moindre crédit 3.
Par ailleurs, il a reçu la visite d’un membre de l’opposition
allemande, en relation étroite avec le ministère de la Guerre.
Celui-ci lui a communiqué les informations suivantes :
- (( L’Armée gronde. Le mécontentement des généraux est
à son comble. Hitler a obligé 1’Etat-Major à modifier son
plan de campagne contre la Pologne, en substituant une
attaque frontale en direction de Varsovie au double mouve-
ment en tenaille primitivement prévu. Halder a démissionné
hier. I1 a été remplacé par Reichenau 4, Brauchitsch est entiè-

1. H ~ T L E RTischgesprürhe,
, p. 58.
2. a Je ne me laisserai pas pousser à la précipitation. n
3. Documents on British Foreigo Policy, VII, no 563,
4 . Ce rapport recoupe exactement celui que le génbral Gamelin a publik en
annexe de ses Mémoires (Servir, II, p. 453) et que nous avons reproduit plus haut,
p. 333. Les deux documents psoviennent manifestement de la même source.
476 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

rement d’accord avec Halder. Mais il restera commandant


en chef et, jusqu’à nouvel ordre, la démission de Halder ne
sera pas rendue publique. La position de Halder coïncide
avec celle du général Beck, en septembre dernier 1. Le mur
fortifié de l’ouest n’est solide que sur certains points, mais
des secteurs faibles subsistent, notamment dans les régions
de Fribourg, de Sarrebruck et d’Aix-la-Chapelle 2. L’État-
Major craint qu’une rupture ne se produise à l’ouest. Le
Führer a eu une dépression nerveuse... FEtat-Major voudrait
en profiter pour déclencher un coup d’Etat. Mais sa position
serait plus forte s’il était certain que les fortifications de
l’ouest seront attaquées ... Les ordres avaient été donnés de
lâcher six cent cinquante bombes sur Varsovie, dimanche
dernier 3. Cet ordre a été rapporté, en raison d’impor-
tantes démarches diplomatiques. Le facteur temps est
capital. Ribbentrop assure partout que l’Angleterre n’atta-
quera pas. Si l’gtat-Major pouvait être assuré du contraire,
les éléments de l’opposition s’en trouveraient fortifiés. Je
sais que mes informations sont dificilement croyables. Mais
nous vivons dans un monde fantastique et Hitler intervient
dans les questions purement militaires 4... N
Henderson se demande si ces confidences émanent d’un
ami ou d‘un agent provocateur. Mais il est ébranlé. A quoi
bon se dépenser comme il le fait pour sauvegarder la paix,
s’il sufft d’une déclaration de guerre pour provoquer la chute
d’Hitler? I1 transmet immédiatement ces renseignements à
Londres. Sir Yvone Kirkpatrick remarque à leur sujet :

( ( J e ne peux pas identifier cet oficier d’après ce rapport,


mais je crois qu’il est en liaison étroite avec les éléments réaction-
naires de l’État-Major. Il nous a donné en septembre dernier
une foule d’informations qui se sont révélées à peu près exacies,
au moment où il nous pressait de prendre position contre Hitler.
Cette note sera lue au Premier Ministre, demain matin, 31 août 5. N

1. Voir vol. V, chapitre XIII.


2. Nous avons déjà dit ce qu’il fallait en penser (voir plus haut, p. 334, n. 3).
3. Le 27 août?
4 . Rapport de Sir Nevile Henderson à Lord Halifax, sur la base de renseigne-
ments fournis par un Allemand, le 30 août 1939. (Documents on British Foreign
Policy, VII, no 546.) On voit que, pour l’auteur de ce rapport, les interventions
d’Hitler dans les d a i r e s mi1ilairt.s sont le probléme essentiel. I1 trahit par là son
appartenance à l’O. K. H.
5 . Id., in fine.
L A P A I X SE MEURT... L A P A I X EST MORTE 477
Cet après-midi-là, des rumeurs du même genre circulent
un peu partout 1,
Vers 18 heures, M. Coulondre reçoit la visite de l’écrivain
allemand Friedrich Sieburg, qu’il a connu à Paris a.
- u Vous devez savoir n, lui dit Sieburg, u que la situation
s’aggrave rapidement en Allemagne. Hitler hésite, le Parti
flotte, le peuple murmure. L’Allemagne devait attaquer la
Pologne, le 26 au matin. Au dernier moment, le Führer y a
renoncé et a rapporté l’ordre d’attaque. Maintenant il ne
peut plus revenir sur cette décision. Les Puissances occiden-
tales sauront-elles se montrer compréhensives en face de cette
situation? Hitler se contenterait aujourd’hui de Dantzig et
d’un couloir à travers le Corcidor. Un ministre anglais ne
pourrait-il venir à Berlin? Ne pourrait-on envisager la
réunion, sous la présidence du Führer, d’une conférence pour
la révision du Traité de Versailles? Mais l’Angleterre est
implacable; elle va vouloir aller jusqu’au bout. S’il en est
ainsi, vous devez savoir que tous les Allemands se grouperont
autour du Führer et combattront sous sa bannière ... ))
Sieburg se tord les mains et pleure. I1 doit être bien ren-
seigné e t son désespoir est réel. L’ambassadeur n’est pas sûr
de ses sentiments, mais ii connaît ses accointances avec les
dirigeants nazis. Aussi ne peut-il réprimer sa joie en enten-
dant ses paroles.
u Voilà donc »,se dit-il, a l’explication de la détente
observée 4 l’ambassade d’Italie 3! Les mesures adrninistra-
tives de guerre parues dans la presse du 26 août étaient
bien des flammèches d’une bombe qui avait fait long feu.
L’épreuve de force tournerait donc à notre avantage!
Certes, la partie est loin d’être gagnée, mais tout de même
l’échéance tragique a déjà été reculée et l’entourage d’Hitler
semble, défaut de guerre, reporter ses espoirs sur une confé-
rence comme celle de Munich. Selon toute apparence, on
double un cap : il faut prévenir immédiatement Paris 4 . n
1. Dans son numéro du 24 août, l’hebdomadaire Die Zukunft, organe des émigrés
allemands à Paris, a publié un manifeste, signé d’une cinquantaine de person-
nalités, invitant tons leurs amis en exil a à redoubler d‘efforts pour abattre la
barbarie nazie D.
2. L’auteur de Dieu est-il Français? a été pendant plusieurs années correspon-
dant à Paris de la Frankfurter Zeitung.
3. Le matin même, un secrétaire de l’ambassade d’Italie a dit, d’un air entendu,
à l’un des collaborateurs de l’ambassadeur de France : a On a franchi le point
culminant de la crise. u (Robert COIJLONDRE, De Staline à Hitler, p. 298.)
4. Robert COULONDRE,De Staline ci Hitler, p. 298-299.
478 HISTOIRE DE L’ARMÉE A L L E M A N D E

Mais comment faire? Impossible de télégraphier. Un télé-


gramme, s’il était déchiffré par les services secrets allemands,
découvrirait l’informateur. De plus, il risque d’y avoir des
fuites. (I1 y en a déjà eu à Paris.) L’ambassadeur se demande
quel moyen employer, lorsque le consul de France à Franc-
fort, M. Dayet, se présente à l’ambassade. I1 rentre à Paris
par la route l. Quel hasard providentiel! M. Coulondre rédige
immédiatement une lettre, pour informer M. Daladier de la
manœuvre qui se dessine :
Berlin, 30 août 1939, a u soir.
Monsieur le Président,
L’épreuve de force tourne à notre avantage. J’apprends de
source sûre que depuis cinq jours, M . Hitler se montre hésitant,
qu’il y a flottement a u sein d u Parti et que les rapports signalent
un mécontentement grandissant dans le peuple.
L’attaque contre la Pologne était fixée à la nuit du 25 a u
26 aodt. Pour des raisons encore mal connues, a u dernier moment,
M . Hitler a reculé. Seules sont sorties certaines mesures comme le
rationnement des vivres, qui a consterné la population.
L e ton cassant de la réponse a u Gouvernement britannique a
n’avait d’autre obiet que de masquer ce fléchissement. I l ne faut
p a s s’y laisser prendre.
I l n’est que de eontinuer à tenir, tenir, tenir.
Certes, nous ne sommes pas a u bout et il faudra déployerencore
beaucoup d‘énergie; mais à vous communiquer ce premier bul-
letin, Monsieur le Président, mon cœur est gonflé d’émotion.
Suivant ce qui m’est dit, M . Hitler se demande comment sortir
de l’impasse où il s’est engagé. I l veut encore e n sortir avec béné-
fice. Si T a i bien compris il voudrait Dantzig et un couloir dans
le Corridor. I l faut, par notre attitude de fermeté, l‘amener à se
convaincre qu’il n’obtiendra plus rien par les méthodes qu’il a
employées jusqu’ici. Ce résultat acquis, il faudra éviter de le
pousser à un acte de désespoir.
Vous êtes pêcheur, je crois. Eh bien! L e poisson est ferré. Il
faut maintenant manœuvrer avec l‘habileté nécessaire pour le
noyer, sans qu’il casse le fil,
Comme il est capital que ces indications ne s’ébruitent pas
et que je suis pris par le temps, je vous écris à v o w seul cette

1. a Devant la gravité des événements u, écrit l’ambassadeur, u j’avais donne


à notre corps consulaire l’ordre de se replier par échelons. Y ( O p . cit., p. 299.)
2. L’ambassadeur fait sans doute allusion à la note remise par Hitler à Hender
son, le u23 août D (voir plus haut, p. 347-349), car celle du 29 août ne saurait
êîze qualifiée de cassante.
LA PAIX S E MEURT... LA P A I X EST MORTE 479
lettre manuscritè par porteur sûr, vous laissant le soin de la
communiquer à M . Bonnet et à Léger.
Veuillez agréer, etc.

Puis M. Coulondre cachète sa lettre et la tend à M. Dayet,


en le priant de la remettre en main ppopre au Président du
Conseil 2.

+ +

Les aiguilles tournent au cadran des horloges. Les heures


passent. Le soir tombe. Aucun plénipotentiaire polonais ne
s’est encore présenté et les délais fixés pour sa venue expirent
à minuit.
Pendant ce temps, un point noir traverse le ciel au-dessus
de la mer du Nord. C’est l’avion transportant Dahlerus,
qui cingle vers Berlin.
A 23 heures, Ribbentrop demande à Henderson de passer
le voir à la Chancellerie. Rendez-vous est pris pour 23 h. 30.
Mais au moment de se mettre en route, l’ambassadeur reçoit
plusieurs messages de Londres qu’il veut d’abord faire tra-
duire, de sorte que la rencontre doit être retardée d’une demi-
heure.
Henderson arrive à la Chancellerie un peu après minuit 3.
I1 ne porte plus d’œillet à la boutonnière et son visage est
crispé. L’atmosphère est d’ailleurs chargée d’électricité,
car Ribbentrop - qui revient à l’instant de chez Hitler -
est si nerveux que ses mains tremblent.
La figure pâle, les lèvres serrées, le ministre des Affaires
étrangères du Reich reçoit l’ambassadeur de Grande-Bretagne
avec une raideur glacée. L’interprète Schmidt assiste à l’en-
trevue, mais à titre de témoin muet, car Henderson parle
la plupart du temps en allemand. I1 commence par lire les

1. Robert COULONDRE, De Staline à Hitler, p. 299, n. 2.


2. M. Coulondre s’abrite derrière a les relations amicales qu’il entretenait
avec le Président du Conseil 1. I1 n’en est pas moivs certain que sa démarche est
incorrecte. I1 aurait dû informer en premier lieu son chef hiérarchique, M. Georges
Bonnet. Mais il semble avoir éprouvé uno certaine réticence à l’égard du ministre
des Affaires étrangères, qu‘on se plaisait à lui dépeindre comme passionnément
dévoué à la cause de la paix u. A cette époque, cette formule (qui nous paraît
aujourd’hui un brevet de lucidité) n’était pas nécessairement une recommanda-
tion.
3. Ribbentrop le soupçonnera toujours d’avoir retardé sa visite à dessein,
pour n’arriver à la Chancellerie qu’après l’expiration des défais.
480 HISTOIRE DE L’ARMÉB ALLEMANDE

déphches qu’il vient de recevoir de Londres. La première


déclare (c qu’il est déraisonnable de penser que le Gouverne-
ment britannique puisse amener, en vingt-quatre heures, le
Gouvernement de Varsovie à dépecher un émissaire à Berlin ».
- N Les délais sont écoulés »,remarque Ribbentrop en
s’efforçant de garder son calme. (( OU est le Pdonais que
votre gouvernement devait nous envoyer? 1)
Pour touteréponse, Hendersonlui lit un second message de
Chamberlain : (( Nous sommes intervenus auprès du Gouver-
nement polonais »,.y déclare le Premier Ministre, (( pour lui
recommander d’éviter les incidents de frontière. Mais on
ne peut s’attendre à une réserve totale de sa part, si le Gou-
vernement du Reich n’observe pas la même attitude. Des
rapports nous signalent que les Allemands de Pologne se
livrent à des actes de sabotage qui justifieraient les contre-
mesures les plus énergiques du Gouvernement polonais 1. ))
- (( Ce sont les Polonais qui sont.les provocateurs, pas

nous! )) ré lique Ribbentrop d’un ton cinglant. a Vous vous


F
trompez adresse. D
Henderson formule ensuite la proposition suivante :
- (( Au lieu d’exiger la venue d’un émissaire de Varsovie,

mon gouvernement vous suggère de recourir à la procédure


normale. Remettez vos conditions àl’ambassadeur de Pologne,
en le priant de les transmettre à son gouvernement. n
Alors, Ribbentrop explose.
- (( C’est matériellement impossible après tout ce qui
s’est passé! s’écrie-t-il. (( Jamais je ne demanderai & Lipski
de venir me voir! Nous exigeons qu’un pléni otentiaire
P
vienne exprès & Berlin, muni de pleins pouvoirs 1 autorisant
B négocier avec nous au nom de son gouvernement. n
A son tour, Henderson commence B perdre patience. Ses
mains se mettent à trembler, tandis qu’il entreprend de
lire la réponse de Halifax B la communication remise la
veille par Hitler, par laquelle le Führer faisait savoir
qu’il était disposé à entamer des pourparlers directs avec
les Polonais *.
a: Durant ces pourparlers n, dit la note anglaise, anous exi-
geons queles deux Parties s’abstiennent de tout acte agressif. n
- a C’est un outrage inadmissible n, s’écrie Ribbentrop en
1. Archivu aecrètur de la Wilhelmtrasse, VII, no 416.
2. Voir plus haut, p. 466.
L A PAIX SE E ~ B U I R T . .LA
, PAIX EST MORTE 481
croisant les bras et en toisant Hendersori d’un regard mépri-
sant. t( N’avez-vous rien d’autre à me dire? n
Sans doute espère-t-il que Henderson va lui parler enfin
d e l’alliance, mais l’ambassadeur fait déborder la coupe en
h5p6tÉCnt I
- (( Mon Gouvernement est en possession de rapports
assùrarit que les Allemands de Pologne se livrent, jour après
jour, Èi des actes de sabotage inadmissibles l . n
- (( G’est un mensonge éhonté! n hurle Ribbentrop. (( Tout

&eque je puis vous dire, monsieur Henderson, c’est que la


situaticln est sacrément grave 2! ))
Alors, perdant toute retenue, Henderson pointe l’index
sizt Ribbentrop et lui lance en pleine figure :
- (( Vms avez dit sacrément grave? Ce n’est pas un
langage d’homme d’État, dans une situation pareille! n
Pendant plusieurs secondes, Ribbentrop en reste pan-
tois, U h simple diplomate at, par-dessus le marché, un
Anglais présomptueux, assumant le r61e de maître d’école,
s’est permis de le rappeler aux convenances comme un éco-
lier mal élevé? D’un bond, il est debout et crie à tue-tête :
- e Qu’est-ce que vous venez de dire? n
Henderson s’est dressé lui aussi. Les deux hommes sont
face à face et semblent prêts à s’empoigner. Leurs yeux
jettent des éclairs. Schmidt se demande ce qu’il doit faire.
Se lever lui aussi? Le protocole l’exigerait. Mais le proto-
cole ne prévoit pas le rale de l’interpnète, quand un ministre
des Affaires étrangères et un ambassadeuf sont sur le point
d’en venir aux mains. I1 reste donc assis et fait semblant
de griffonner quelque chose sur son bloc-notes. Au-dessus
de sa tête, il entend les deux hommes haleter, au paroxysme
de la colère. Ils frémissent de tout leur corps, comme des
coqs de combat. Vont-ih se sauter à la gorge? Par bonheur,
ils se retiennent. Schmidt les entend pousser deux OU trois
soupirs profonds. Puis, ils se rasseyent.
La conversation reprend sur un ton moins tumultueux.
A ce momelit, Ribbentrop sort un papier de sa poche. Ce
sonti les seize points rédigés par Hitler, en vue du règlement

1. Henderson fait sans doute allusion B la note remise le matin même au Foreign
Ofice par M.Raczynski, et dont Halifax lui a transmis une copie. (Voir plue haut,
p. 475.)
2. a Veràammt ernstl D
VI SI
482 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

des problèmes de Dantzig et du Corridor : (( Le ministre


des Affaires étrangères )), nous dit Schmidt, (( lit la note en
allemand, sans précipitation excessive -
comme on l’a sou-
vent prétendu par la suite - en ajoutant même quelques
commentaires sur certains points 3. )) Mais alors survient
un incident sans précédent.
- (( Pouvez-vous me remettre ce texte pour que je le trans-

mette à mon Gouvernement? )) demande l’ambassadeur, qui


n’a manifestement pas suivi la lecture de cette note avec
sufisamment d’attention pour en retenir tous les .termes,
convaincu qu’il aurait toute latitude de le faire à l’ambassade.
C’est un procédé si courant dans les usages diplomatiques
que Schmidt s’étonne presque de voir Henderson poser cette
question. Aussi n’en croit-il pas ses oreilles lorsqu’il entend
Ribbentrop lui répondre, d’un ton hésitant :
- ((Non! I1 m’est impossible de vous remettre ce projet 4. ))
Sans doute Henderson, lui aussi, croit-il avoir mal entendu,
car il réitère sa demande. A ce moment, Ribbentrop jette
le papier sur la table d’un geste rageur et déclare :
- (( D’ailleurs tout cela est dépassé puisqu’il est plus de
minuit et qu’aucun négociateur polonais ne s’est présenté
en temps voulu. ))
I . Voir plus haut, p. 466.
2. u Quand j’eus fini de lui faire mes différentes communications D, écrit Hender-
son dans ses Mémoires, u il [Ribbentrop] produisit un document d’une certaine
longueur qu’il me lut en allemand ou, plus exactement débita aussi rapidement
que possible sur un ton d’extrême exaspération. Des seize articles gui le campo-
saient, j’ai pu saisir le sens de cinq ou six; mais il m’eût été totalement impossible
de garantir l’exactitude absolue de ces derniers, sans une étude attentive du texte
lui-mdme. P Le témoignage de Schmidt fait justice de ce grief. Comme on ne sau-
rait mettre en doute la bonne foi de l’ambassadeur, la seule explication plausible
est que le u bredouillage N qu’il impute à Ribbentrop était en réalité un d i e t de
sa propre nervosité.
3. Paul SCHMIDT, Statist au/ Diplornatischer Buhne, p. 459. L’interprBte de la
Chancellerie écrit : u Ohne sich jedoch, wie dies vielfach spater behauptet worden
ist, besonders dabei zu beeilen. n
4. On a vu une véritable machination dans le refus de Ribbentrop de commu-
niquer la note à Henderson et l’on en a déduit qu’Hitler n’avait jamais eu l‘inten-
tion de remettre ses conditions aux Polonais. Même l’interprète Schmidt a eu cette
impression. Nous connaissons aujourd’hui les raisons de ce refus.
Jusqu’au dernier moment, Hitler avait cherché une formule acceptable pour
l’Angleterre, mais il n’était pas entièrement satisfait du résultat. Il avait eu avec
Ribbentrop, quelques instants avant l’arrivée de Henderson, un entretien au cours
duquel il lui avait dit : u Ne remettez en aucun cas le manuscrit. J e veux y appor-
ter encore quelques retouches. n Ribbentrop était sorti très énervé du bureau du
Chancelier e t s’était trouvé dans la pénible ohligation de ne pas remettre le docu-
ment à Henderson. D‘oh sa gene, car malgré sa colere, il savait parfaitement qu’il
manquait aux usages. Ribbentrop l’a avoué lui-même à plusieurs de se8 collabo-
rateurs. (Déclaration de M . von Weizsücker d l’auteur.)
LA PAIX SE MEURT... L A PAIX EST MORTE 483
- Ainsi donc »,s’exclame Henderson, (( le délai de vingt-
quatre heures fixé par votre note du 29 août était bel et
bien un ultimatum? ))
Schmidt comprend tout à coup qu’on est arrivé au der-
nier acte du drame. Bouleversé, il tente un suprême effort
pour permettre à Henderson de se faire une idée plus pré-
cise du contenu du mémorandum. I1 le dévisage fixement,
d’un air interrogateur, comme pour lui dire :
- (( Ne désirez-vous pas que je vous le traduise en
anglais? ))
Schmidt sait que Ribbenttop ne pourra pas s’y opposer
et il est résolu à procéder si lentement que Henderson pourra
prendre des notes au fur et à mesure qu’il traduira. Mais
l’ambassadeur d’Angleterre ne réagit pas. Sans doute
n’a-t-il pas compris l’intention informulée que contenait
son regard? I1 ne reste plus à Schmidt qu’à tirer un trait
rouge 4 travers SOG bloc-notes, au-dessous de la dernière
réplique de Ribbentrop. Cela signifie, dans son esprit :
- (( A présent tout est fini! Les dés sont jetés. 1)
Quant à Henderson, il se retire en silence et regagne son
ambassade, emportant avec lui le sentiment que le dernier
espoir de paix vient de s’évanouir 1.
*
+ +

Dahlerus, qui est rentré de Londres un peu avant minuit,


s’est rendu immédiatement chez Gœring, pour lui faire part
de l’entretien qu’il a eu, le matin même, avec Chamberlain
et Halifax.
Le Commandant en chef de la Luftwaffe est d’excellente
humeur.
- (( Regardez »,dit-il à Dahlerus d’un ton jovial, en lui
montrant le texte du mémorandum d’Hitler. (( N’est-ce pas
magnifique? Comme je vous l’ai laissé prévoir ce matin au
téléphone, Hitler a accepté le principe d’un plébiscite. I1
admet même qu’il soit contrôlé par une Commission inter-
nationale, composée de la France, de l’Angleterre, de
1’U. R. S. S. et de l’Italie. Vraiment c’est inespéré! On
peut dire, à présent, que la situation est sauvée. Après des
conditions pareilles, comment pourrait-il y avoir la guerre? D

1. Sir Nevile HENDERSON,


D e w ans avee Hitler, p. 291.
484 HISTOIRE IIB L’ARMÉE ALLEMANDIP

Dahlerus lui aussi est plein d’optimisme. Vaulant faire


partager sa joie à Sir Ogilvie Forbes, il l’appelle au télé-
phone :
- a Alors, vous @tescontent? n lui dit-il.
- (( Comment cela, content? 1) lui répond Ogilvie Forbes.
a Vous voulez dire que c’est la catastrophe! n
Dahlerus en a le soume coupé.
- (( Comment ... ...
la catastrophe? Pouflant les termes de
la note... 1)
- (( Ribbentrop s’est borné à la lire à toute vitesse en
bredouillant. Henderson n’a pu en retenir que quelques
bribes I, et lorsque l’ambassadeur a demandé qu’il lui en
remette le texte, Ribbentrop s’y est catégoriquement
refusé ... 1)
Dahlerus est abasourdi. I1 repose l’écouteur et se tourne
vers Gœring.
- (( Vraiment, c’est inadmissible! B s’exclame-t-il au
comble de la colère. a Si Ribbentrop profite de toutes les
occasions pour saboter les propositions de règlement, il n’y
a plus aucun espoir que vos tentatives et les miennes soient
couronnées de succès! C’est une honte de traiter ainsi l’am-
bassadeur d’une grande Puissance comme l’Angleterre, et
cela quarante-huit heures après lui avoir offert son alliance!
Si vous avez vraiment le désir d’aboutir à une entente avec
l’Angleterre, il est indispensable de réparer immédiatement
la faute commise par Ribbentrop. I1 faut à tout prix donner
connaissance à l’ambassade britannique du contenu véri-
table de la note à la Pologne, Vous avez vous-même sou-
ligné son caractère équitable! C’est bien le moins qu’elle
soit communiquée au Gouvernement britannique n ...
Gœring, qui fait les cent pas dans la pièce, s’arrête de
marcher. I1 réfléchit un instant, puis dit à Dahlerus :
- a Vous avez raison! Rappelez l’ambassade. Lisez la
note à Forbes. J’en prends la responsabilité. n
Dahlerus décroche l’appareil et demande à parler au chargé
d’affaires. Il lui lit lentement la note et vérifie que son
1. a Que ceux qui désirent se faire librement une idée sur ce que Ribbentrop
appelle, par euphémisme, des R informations précises a lisent eux-mêmes la tra-
duction anglaise du texte de ces propositions>,écrit Henderson dans ses Souvenirs.
a M. von Ribbentrop avait4 donc une si haute idée de ma mémoire qu’il me croyait
capable, aprés avoir entendu ce flot de paroles indistinctes, de rendre compte de
maniere péremptoire au Gouvernement de Sa Majesté, ou au Gouvernement
polonais, d’un texte aussi long et aussi compliqué? 8 ( D e w am avec ifitler, p. 291.)
LA PAIX SE MEURT... L A P A I X EST MORTE 485
contenu a été correctement noté. Puis, il raccroche et dit à
Gœring :
- (( Espérons quand même que tout n’est pas perdu ... ))
Puis Gœring téléphone à Hitler pour lui dire qu’il a pris
sur lui de communiquer ses seize points aux Anglais.
- u Vous avez bien fait D, lui répond le Führer.
Mais en cette nuit du 30 août oii les malentendus foi-
sonnent, la malchance va s’acharner sur ceux qui s’efforcent
d’éviter le pire.
Lorsque à 2 heures du matin,Sir Ogilvie Forbes, enfin en
possession du texte complet du mémorandum, veut le com-
muniquer à l’ambassadeur, celui-ci est introuvable. I1 a
quitté l’ambassade sans prévenir personne, de sorte que
Forbes n’a d’autre ressource que de poser la note sur son
bureau. L‘ambassadeur n’en aura connaissance que le
lendemain matin.
Oh est donc parti Sir Nevile Henderson? Par acquit de
conscience - et bien qu’il ne se fasse pas beaucoup d’illu-
sions, - il s’est rendu chez l’ambassadeur Lipski pour lui
raconter brièvement sa convensation avec Ribbentrop, sans
insister sur l’ambiance dans laquelle elle s’est déroulée. (( J e
mentionnai que la cession de Dantzig et un plébiscite dans
le Corridor constituaient les deux points essentiels des pro-
positions allemandes n, écrit-il dans ses Mémoires. (( J’indi-
quai que - pour autant qu’il me fût possible de m’en rendre
compte - elles n’étaient point, dans leur ensemble, par
trop déraisonnables et je lui suggérai de recommander à
son Gouvernement de pnoposer immédiatement une ren-
contre entre les Maréchaux Rydz-Smigly et Gœring. J e
me crus tenu d’ajouter que je ne pouvais concevoir le
succès d’une négociation quelconque, si elle était engagée
sous l’égide de M. von Ribbentrop l. ))
Bien que M. Lipski accepte de transmettre cette sugges-
tion à Varsovie, Henderson ne peut surmonter le sentiment
qu’il est déjà trop tard.

Deux ans avec Hitier, p. 291-292.


1. Sir Nevile HENDERSON,
XXXI

LA PAIX SE MEURT
(Jeudi,31 août 1939)

Au cours de la nuit, M. Attolico a télégraphié au Palais


Chigi :4 Durant toute la journée du 30, le Gouvernement du
Reich a attendu en vain la venue d’un plénipotentiaire
polonais. A présent, les délais fixés par Hitler sont écoulés.
Le pire peut survenir d’un moment à l’autre. ))
Mussolini a reçu ce message aux premières heures du jour.
I1 comprend que, s’il veut intervenir, il doit le faire tout de
suite, sous peine d’arriver trop tard. Encouragé par Pie XII,
qui a adressé un appel pathétique à HitIer et à M. Mos-
cicki 1, le Duce propose sa médiation à Varsovie e t à Ber-
lin. Mais Varsovie se tait e t Berlin fait la sourde oreille.
- (( J e ne rëviendrai certainement pas sur ma propo-
sition », répond Hitler d’un ton cassant. Si la Pologne
veut négocier, c’est à elle, à présent, d’en prendre l’initia-
tive. ))
Malgré le caractère peu encourageant de cette réponse,
Mussolini en déduit qu’il dispose encore de quelques heures.

1. a Sa Sainteté supplie, a u nom de Dieu, les Couuerneinents polonais et allemand


de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour &iter les incidents et s’abstenir de tout
acte susceptible d‘accroître lu tension actuelle. 1)
Depuis quelques jours, Pie XII s’est enfermé à Castelgandolfo avec Mgr Maglione,
Cardinal Secrétaire d‘État, pour élaborer un r Plan de Paix u fondé sur les principes
suivants :
I . - Une t r b e de dix à quinze jours sera conclue entre l’Allemagne et la Pologne;
I I . -Durant ce temps, une conférence internationale se réunira, à laquelle parti-
ciperont les États-Unis et le Vatican;
I I I . - Cette conférence aura pour but de procéder d une révision pacifique d u
Traité de Versailles et d’élaborer une Convention générale de non-agression.
Comme on le voit, les efforts du Vatican s’exercent, à quelques nuances prèe,
dans le même sens que ceux de Mussolini.
L A PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 487
I1 en revient alors au projet auquel il songe depuis plusieurs
jours : réunir une conférence internationale qui n’appor-
tera pas seulement une solution au litige germano-polonais,
mais réglera toutes les séquelles dangereuses du Traité de
Versailles.
- a Ce traité est mort et bien mort »,dit-il à Bottai.
(( Pourtant son cadavre continue à empuantir l’atmosphère.

A présent, il faut l’enterrer - ou enterrer l’Europe. Si l’on


parvenait à s’asseoir autour d’un tapis vert et à régler les
problèmes encore pendants entre les grandes Puissances,
le monde serait sauvé. Non seulement on éviterait la guerre,
mais l’Europe connaîtrait une longue période de prospérité
et de paix. Les peuples ne désirent pas autre chose. Mais les
hommes d’État? Préféreront-ils se suicider plutôt que d’ac-
complir ce dernier pas? Même au seuil du chaos, ne sont-ils
pas capables d’un sursaut d’intelligence? 1)
Bottai écoute son chef avec une émotion profonde. Jamais
Mussolini ne lui a paru aussi grand.
- (( Arrêter l’Europe sur la pente de la guerre et lui
ouvrir, à la dernière minute, d’aussi vastes perspectives de
bonheur »,lui dit-il, (( voilà une œuvre qui ferait de vous
le digne successeur d’Auguste! Si vous réussissez, à imposer
cette Pax romana, les peuples vous béniront! 1)
Mussolini appelle alors Ciano et lui expose ses vues.
Le ministre des Affaires étrangères les approuve avec enthou-
siasme 2.
- (( Veuillez établir un plan dans ce sens, avant midi »,

lui dit le Duce. (( Faites-en connaître les grandes lignes à


Londres et à Paris et tenez-moi au courant de leurs réactions. D
*
* I

En arrivant dans son bureau, Sir Nevile Henderson a


trouvé sur sa table le texte des propositions allemandes
que Sir Ogilvie Forbes y a déposé à 2 heures du matin.
I1 en a téléphoné le contenu à Londres. Puis il s’est mis en
rapport avec M. Dahlerus.
- (( Je vous remercie de vos efforts »,lui dit-il. (( Grâce
à vous, j’ai pu transmettre à Londres le texte des conditions
allemandes. J’ai tout lieu de penser que mon Gouvernement
1 . Voir plus haut, p. 431.
2. Comte CIANO,Journal politique, 1, p. 143.
488 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

les fera parvenir d’urgence à Varsovie. Mais j’ai encore un


service à vous demander : pour gagner du temps, ne pour-
riez-vous pas les porter vous-même à M. Lipski? n
- (( Bien volontiers n, a répondu le Suédois.
A 10 heures, Dahlerus se rend donc à l’ambassade de
Pologne, accompagné par Forbes. I1 lit à Lipski le texte
du mémorandum d’Hitler. Mais Lipski l’écoute avec indiff é-
rence 1. Comme Forbes s’en étonne, Lipski lui répond :
- (( Pourquoi voulez-vous que j’accorde le moindre intérêt
aux notes ou aux offres allemandes? J e n’ai aucune raison
de négocier avec le Gouvernement allemand. Voilà cinq
ans et demi que je vis dans ce pays. J e sais fort bien ce qui
s’y passe. Si une guerre a lieu entre l’Allemagne et la
Pologne, une révolution éclatera en Allemagne e t les troupes
polonaises marcheront sur Berlin a. ))
De toutes les illusions que l’on puisse se faire, celle-là
paraît à Dahlerus la plus dangereuse et la plus folle. De retour
à l’ambassade d‘Angleterre, il se précipite au téléphone e t
demande à être mis en communication avec Lord Halifax.
Comme Halifax est occupé, on lui passe Sir Horace Wilson.
- (( J e vous parle de l’ambassade de Grande-Bretagne
à Berlin »,lui dit-il d’une voix vibrante d’indignation.
c( J e viens de voir Lipski. Les Polonais sabotent délibérément

toute possibilité de négociation. C’est insensé! n ...


- (( Calmez-vous »,lui dit Wilson, u. et surveillez vos
paroles. D
Mais Dahlerus est beaucoup trop excité pour écouter ce
conseil.
- (( Avez-vous lu les conditions allemandes? n poursuit-
il. (( Elles vous ont été téléphonées ce matin même par Sir
Nevile Henderson n ...
- (( J e ne les ai pas encore reçues n ...
- (( Elles sont extraordinairement libérales Gœring m’a ...
dit qu’en les rédigeant comme il l’a fait, Hitler a voulu
montrer à l’Angleterre tout le prix qu’il attachait à une
entente avec elle. I1 a ajouté )) ...
Ici, la communication est brouillée par un grésillement.
On entend une voix, puis plusieurs, qui parlent en allemand.
1. A toutes Fins utiles, il a pourtant demandé à Dahlerus de les dieter à sa
secrétaire.
2. DBpsition de Birger Dahlerus. (Documents du Tribunai Militaire Interna-
tional de Nuremberg, I X , p. 500.)
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 489
La liaison n’est rétablie que quelques secondes plus tard.
- a Rendez-vous compte 11, poursuit Dahlerus, de plus
en plus excité, Lipski m’a dit que les conditions allemandes
ne méritaient même pas d’être prises en considération! Les
Polonais détruisent sciemment toute possibilité de négocia-
...
tion n
- u Calmez-vous! 1) lui répond Wilson d’un ton commi-
natoire.
Comme Dahlerus, loin de se calmer, s’énerve de plus en
plus, Wilson raccroche le récepteur. u Décidément, ce Sué-
dois devient importun »,se dit-il.
Wilson passe dans le bureau du Premier Ministre, où il
trouve Halifax en conversation animée avec Chamberlain.
- (( Ne croyez-vous pas »,leur demande-t-il, (( qu’il serait
bon de mettre Sir Nevile en garde contre de pareilles
imprudences? n
Halifax adresse aussitôt un télégramme très sec à Henderson
dans lequel il lui fait la recommandation suivante :

a A l’avenir, veuillez empêcher des personnes étrangère


à l‘ambassade de se servir de votre ligne téléphonique. Toute
la conversation que M . Dahlerus a eue ce matin avec le Foreign
Ofice, a été écoutée par les services allemands l. n
*
+ +
Si Halifax n’a pas répondu lui-même à Dahlerus, c’est
qu’il est, depuis le début de la matinée, en relation télé-
phonique constante avec Varsovie et Paris 2.
En cette matinée du 31 août, Chamberlain se trouve en
présence de deux documents : l’un contient les conditions
en seize points du mémorandum allemand 8; I’autre est la
note d’information que Sir Nevile Henderson lui a adressée
la veille, assurant que le mécontentement grondait au sein
de l’État-Major allemand, qu’Hitler était en plein désarroi
et que les généraux de l’opposition songeaient à utiliser
cette situation pour fomenter un coup d’État 4.
1. Compte rendu de Sir Horace Wilson sur sa conversation idléphonique avec
M.Dahlerus, le 31 aoilt & 12 h. 30 du matin. (Documentaon British Foreign Poliey,
VII. no 589.)
2. Le télégraphe est devenu trop lent pour transmettre les nouvelles.
3. Voir plus haut, p. 466.
4. Voir plus haut, p. 475476.
490 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

Par ailleurs, le Gouvernement britannique a promis à la


Pologne de l’assister avec toutes ses forces si elle était
attaquée; il s’est également porté garant de toute solution
négociée. Chamberlain se sent donc paré, quoi qu’il advienne.
Mais que Beck s’oppose avec t a n t de rigidité à tout contact
avec les Allemands lui paraît maladroit. L’envoi d’un émis-
saire à Berlin, ne serait-ce qu’à titre d’information, ne lui
coûterait pas grand-chose e t empêcherait Hitler de rejeter
sur lui la responsabilité d’une rupture! I1 lui dépêche Sir
Howard Kennard pour lui faire part de son sentiment.
Georges Bonnet, lui, est beaucoup plus sceptique quant
aux possibilités d’un putsch militaire en Allemagne. De plus
il a regu un coup de téléphone de Coulondre. L’ambassadeur
de France paraît tout à coup moins optimiste que la veille,
-((Sir Nevile Henderson vient de me faire savoir à
l’instant D, lui a-t-il dit, (c que le Gouvernement allemand
est très mécontent de n’avoir reçu aucune réponse de la
Pologne. I1 est à craindre qu’il ne donne l’ordre d’attaquer
immédiatement, si une réponse ne lui est pas parvenue à
...
la fin de la matinée Certes, nous devons conserver notre
calme e t notre dignité. Mais le Gouvernement polonais
aurait tout intérêt à faire connaître à Berlin, sans délai,
qu’il approuve la prise de contact e t qu’il envoie M. Lipski,
muni de toutes les instructions, comme plénipotentiaire
avec le pouvoir de traiter ... Ne conviendrait-il pas, pour
gagner du temps, que vous téléphoniez vous-même à Var-
sovie dans ce sens l? ))
Bonnet ne veut rien faire sans en informer Londres. Un
quart d’heure plus tard, il téléphone à M. Corbin, auquel
il lit le message de M. Coulondre et ajoute :
-((Veuillez mettre le Foreign Ofice au courant de ce
message. Dites-lui que le Gouvernement français estime qu’il
serait bon de conseiller au Gouvernement polonais d’accepter,
d’extrême urgence, des conversations directes avec 1’Alle-
magne 2. ))
Puis, le ministre français des Affaires étrangères téléphone
à Varsovie pour demander à M. Léon Noël de faire une
démarche pressante auprès du colonel Beck 3.

1. Georges BONNET,La Défense de la Paiz, II, p. 329-330.


2. Id.! ibid.
3. Id.. ibid.
LA PAIX S E M E U R T . . . L A PAIX EST MORTE 491
A peine M. Bonnet a-t-il reposé l’appareil, que M. Fran-
çois-Poncet l’appelle du Palais Farnèse.
- a J e viens d’être reçu par M. Ciano 11, déclare l’ambassa-
deur de France à Rome. (( I1 est extrêmement ému. I1 estime
que le silence de la Pologne - qui n’a même pas donné une
réponse affirmative de principe à Hitler - sera considéré
comme un refus et va amener l’Allemagne à brusquer les
choses. C’est l’opinion formelle d’Attolico. Une interven-
tion de Mussolini serait encore possible, mais il ne peut pas
se présenter les mains vides. I1 faudrait une concession du
Gouvernement polonais. Si celui-ci se résignait à ce que
Dantzig fût rattaché immédiatement au Reich, il serait
peut-être encore possible d’éviter la guerre l . n
4
+ +
Telle est l’ambiance qui règne à Downing Street et au
Quai d’Orsay, à l’heure où Sir Howard Kennard se rend au
Palais Brühl, suivi, quelques minutes plus tard, par M. Léon
Noël.
L’arrivée des deux ambassadeurs ne cause aucun plai-
sir au colonel Beck. Pourquoi viennent-ils l’importuner
en insistant pour qu’il négocie? Londres et Paris ne voient-
ils pas que la partie est sur le point d’être gagnée? Ramenée
à l’essentiel, la situation est pourtant claire :
Hitler a donné l’ordre d’attaquer la Pologne au matin
du 26 août. Puis il y a renoncé. Trois jours se sont écoulés,
sans que rien ne se passe. Le 29, sentant que son pouvoir
était en train de chanceler, il s’est livré &unsuprême chantage :
il a donné vingt-quatre heures au Gouvernement polonais
pour lui envoyer un plénipotentiaire. Le Gouvernement
polonais n’a pas mordu à l’hameçon. Aucun plénipotentiaire
ne s’est présenté. Le délai fixé a pris fin à minuit. Depuis
lors, il ne s’est rien passé non plus. Le bluff d’Hitler est
maintenant patent. S’il n’a pas attaqué la Pologne, c’est
qu% n’est pas en mesure de le faire.
Mais ce n’est qu’un commencement. I1 faut pousser les
choses à fond. Quand deux ou trois jours se seront encore
écoulés sans qu’Hitler ait bougé - et comment bougerait-
il, puisqu’il ne le peut pas? - son impuissance éclatera

I.Georges BONNET,
O p . c i t . , p. 330.
492 HISTOIRE DE L’ARM$B ALLEMANDE

au grand jour. Alors ce sera l’écroulement rapide et fatal.


Voilà pourquoi Beck est plus calme et plus résolu que
jamais. Faire, à cet instant, la moindre concession à Hitler,
équivaudrait à le sauver au moment oii son aventure
touche à sa fin. I1 faut, au contraire, se refuser à tout contact
et maintenir, autour de Berlin, la quarantaine du silence.
Londres et Paris insistent pour que la Pologne Q fasse
un geste »,ne serait-ce que pour mettre (( les avantages
moraux D de son côté? Soit. Le colonel Beck ne s’y refu-
sera pas. Mais ce ne sera qu’un geste, car il ne saurait être
question d’entamer réellement des négociations.
Dans sa réponse à Sir Howard Kennard, le chef de la
diplomatie polonaise se borne à répéter ce qu’il lui a déjà
dit le 28 août1, à savoir que le Gouvernement polonais accepte
le principe de conversations directes et qu’il est prêt à
assurer que les forces armées polonaises n’attaqueront pas
le Reich durant les pourparlers. I1 estime cependant que
ceux-ci devraient être précédés par l’établissement d‘un
modus vivendi provisoire à Dantzig et demande qu’on lui
précise la nature de la garantie internationale que l’on
donnerait à un éventuel accord germano-polonais.
- (( Comme le Gouvernement polonais n’a encore reçu
aucune réponse à cette question », déclare-t-il pour finir,
Q on comprendra qu’il réserve sa position jusqu’au moment

où les éclaircissements désirés lui auront été fournis z. 1)


Solidement retranché derrière ces arguments dilatoires,
Beck consent à ce que M. Lipski se rende à la Wilhelm-
strasse.
Londres et Paris n’en demandent pas davantage. Sitôt
rentré du Palais Brühl, M. Léon Noël téléphone à Georges
Bonnet, pour lui dire :
- (( M. Beck est en train de rédiger sa réponse. 11 m’a
promis qu’elle serait prête à midi. J’ai tout lieu de penser
qu’elle sera positive. 1)
Sir Howard Kennard envoie les mêmes assurances au
Foreign Office. Bonnet en informe aussitôt M. Coulondre à
Berlin, tandis que Lord Halifax en fait autant auprès de
Sir Nevile Hendersons.

1. Voir plus haut, p. 434.


2. Réponse du Gouvernement polonais au Gouvernement de Sa Majesté, le 31 août

4
1939. Livre blanc polonais, no 108.)
3. es communications téléphoniques, d’apparence anodine et comme perdues
LA PAIX SE MEURT,.. LA PAIX EST MORTE 493
A 13 h. 30, l’ambassadeur de Grande-Bretagne se piéci-
Pite à la Wilhelmstrasse, où il demande à parler d’urgence
à M. vun Weizsacker.
- (( Le Gouvernement de Sa Majesté »,lui dit-il, c tient à
faire savoir au Gouvernement allemand que le Gouvernement
polonais prend des mesures pour établir le contact avec lui,
par l’entremise de l’ambassadeur de Pologne. Il demande
au Gouvernement du Reich de consentir à l’établissement
d’un modus vivendi provisoire à Dantzig et propose de char-
ger M. Burckhardt de surveiller son application l. ))
Cette nouvelle parvient à Hitler au moment précis oh
il s’apprêtait à signer la Directive no 1 pour la conduite de
la guerre.
Le Führer pose sa plume et décide d’attendre encore
jusqu’à la fin de la journée 2. Certes, il aurait préféré un
autre intermédiaire que Lipski. Mais peu importe, après
tout, la personnalité du négociateur. L’essentiel est qu’il
soit nanti des pouvoirs nécessaires...
4
+ +

Parties de Varsovie à 12 h. 40,les instructions du colonel


Beck parviennent à 14 heures entre les mains de l’ambas-
sadeur de Pologne. Elles sont rédigées comme suit :
u Veuillea demander une audience a u ministre des Affaires
étrangères o u a u secrétaire d’État pour lui faire la communi-
cation suivante :
(( Le Gouvernement polonais a été informé cette nuit par le

Gouvernement britannique de son échange .de. vues avec le


Gouvernement du Reich, a u sujet de la possibilité de négocia-

dans le brouhaha général, ont en réalité une importance capitale. Elles persuaderont
- d fort - Chamberlain et Daladier que la Pologne accepb, purement et sim-
plenrent, d’entamer d w titgocialions directes avec I’AZlemagne, alors qu’il n’en eut
rien. Cette erreur aura des conséquences tragiques, c o m e on le verra par la
suite.
1. Sir Nevile HENDERSON, D e m an8 avec Hitler, p. 292.
2. u Le 30 août, je crois u, déclarera Keitel au proces de Nuremberg (mais sa
mémoire est endéfaut, il s’agit du 31 août), a le jour de l’attaque, qui se déclencha
effectivement le l e ’ septembre, fut de nouveau reculé de vingt-quatre heures. Pour
cette raison, Brauchitsch et moi fûmes de nouveau convoqués ti la Chancellerie
e t - autant que je me souvienne -la raison donnée fut que l’on attendait un
plénipotentiaire du Gouvernement polonais. Tout dut être encore retardé de
24 heures. w (Documents du Tribunal Milituire Internationcd de Nuremberg, X,
p. 534.)
3. M. von Weizsàcker.
494 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

tions directes entre ce dernier et le Gouvernement polonais.


u Le Gouvernement polonais examine avec bienveillance les
propositions du Gouvernement britannique, auquel il a déjà
été répondu. n

Tel est du moins le texte que Lipski présentera à la


Chancellerie. Mais il contient à la fois une addition et une
lacune.
Une addition, du fait quele mot N bienveillant D ne figure pas
dans l’original polonais (c’est Lipski qui l’ajoutera de sa
propre main); une lacune, en ce sens que les instructions
du colonel Beck comportent ce post-scriptum secret, dont
l’importance est beaucoup plus grande que celle de la
note elle-même :
u Ne vous laissez entraîner en aucun cas à des discussions
techniques. Si le Gouvernement du Reich vous fuit des propo-
sitions orales ou écrites,, vous déclarerez que vous ne possédez
nullement les pleins pouvoirs pour recevoir ou discuter ces
propositions, que vous êtes seulement habilité à les transmettre
à votre Gouvernement et à solliciter de nouvelles instructions 1. D

Par malheur, les services techniques de Gœring ont


décrypté ce message e t en ont remis le texte intégral au
Maréchal, de sorte que celui-ci est au courant des restric-
tions qu’il contient. Bien qu’il soit en relation tendue’ avec
Ribbentrop, il estime ne pouvoir garder cette information
pour lui et la lui porte immédiatement. Lorsque le ministre
des Affaires étrangères parcourt des yeux la pelure brune
émanant du service de décryptage, il entre dans une violente
colère. Brandissant dans son poing le télégramme polonais, il
se tourne vers Peter Kleist, qui se trouve par hasard dans
son bureau, e t s’écrie :
- (( Voilà ce qu’il faut penser des bonnes intentions de
votre colonel Beck! Vous qui m’assuriez qu’il était favo-
rable à une entente et qu’il ne pratiquait sa politique de
raidissement que sous la pression de son opinion publique 3! ))
Puis, s’adressant à Gœring :
1. Déposition de M . Birger Dahlerus. (Docunients du Tribunal Militaire Inter-
national de Nuremberg, I X , p. 500.)
2. I1 s’agit du Forschungsinstitut, qui a déjh mis Ribbentrop au courant des
déplacements de M. Dahlerus.
3. Ribbentrop fait allusion à la demarche que Peter Kleist a faite auprès de lui,
à la suite de son entretien avec le comte Lubienski. (Voir plus haut, p. 419.420.)
LA PAIX S E MEURT... L A PAIX EST M O R T E 495

- (( C’est bien simple »,déclare-t-il, (( si Lipski me demande


une audience, je refuserai de le recevoir! D
Mais Gœring qui sait toute l’importance qu’Hitler attache
à cette démarche, s’efforce de le calmer.
- a C’est moins que jamais le moment de céder à un
geste de m a y a i s e humeur )), lui dit-il. (( Laissez donc
venir Lipski. Ecoutez ce qu’il a à vous dire. C’est seulement
après sa visite, que le Fühwr décidera ce qu’il convient de
...
faire D
t
+ +

Entre-temps, Mussolini a mis au point les grandes lignes


de son projet. A 13 heures, M. François-Poncet appelle
M. Bonnet au téléphone pour lui dire :
- (( M. Mussolini offre, si la France et l’Angleterre accep-
tent, d’inviter l’Allemagne à une conférence qui se réunira
le 5 septembre et aura pour but d’examiner les clauses du
Traité de Versailles qui sont à l’origine des troubles actuels.
L’invitation ne serait adressée à l’Allemagne qu’après que
la France et la Grande-Bretagne auraient donné leur assen-
tirnentl. Le comte Ciano fait la même communication à
l’ambassadeur d’Angleterre. I1 demande une réponse d’ur-
gence, dans la crainte qu’entre-temps les hostilités n’aient
commencé z. n
- (( Nous y voilà! 1) s’écrie Alexis Léger 3, en prenant
connaissance de ce message. ( ( J e m’attendais à ce piège!
Gardons-nous d’y tomber 4.1)
La réaction de Bonnet est très différente. I1 accueille
avec faveur cette intervention de la dernière heure, qui
lui paraît contenir quelques motifs d’espoir. I1 n’a qu’une
confiance mitigée dans l’efficacité des conversations directes
et estime qu’une conférence groupant plusieurs nations
serait plus avantageuse pour la Pologne qu’un simple
tête-à-tête, car elle y trouverait des appuis qui lui permet-
traient de mieux résister à la pression allemande. Enfin,
1. Mussolini a opté pour cette formule parce qu’il sait - après le rejet de son
offre de médiation - qu’Hitler sera le plus dificile à rallier à son projet. Aussi
cherche-t-il en quelque sorte à lui forcer la main, en le plaçant devant une
acceptation préalable de la France et de l’Angleterre.
2. Georges BONNET, La Défense de la Paiz, II, p. 335.
3. Alexis Léger, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, occupe
des fonctions analogues à celles de Sir Robert Vansittart au Foreign Ofice.
4. Anatole de MONZIE,Ci-devant, p. 147.
il se rappellé ce que I d ont eouvent répété MM. Guariglia
et François-Poncet : u Seule une proposition de Mussolini,
faite à la minute suprême, pourrait peut-être arr&ter la
décision d’Hitler.
Quelques hauts fonotioanaires du Quai d’Orsay, qui se
trouvent dans soh bureau, s’efforceat de le dissuadep de
d o n m suite à la proposition italienne,
- u Hithi s’est engagé dans une impasse, d‘oc il ne
peut sortir qu’avec l’aide de Mussolini 11, lui disent-ils.
(( Celui-ci n’a proposé cette conférence que pour permettre

à son complice de faire main basse sans aucun risque sur


de vastes territoires. Ne tombons pas dans le piège machiné
par les dictateurs. Ils sont dé cdnffittehce, liés qu’ils sont
par l’amitié et par l’identité de leurs doctrines. n
Mais Bonnet refuse de faire sien ce point de vue. 11
estime que repousser de but en blanc la proposition de
Mussolini risqiie de précipiter l’Italie dans la guerre.
A 13 h. 30, tandis que cette disctission se poursuit, Boiinet
est appelé au téléphone par M. Corbin.
- a Le Premier Ministre vient de me faire appeler )),
lui dit-il. u I1 a reçu une offre de conférehce de Mussolini.
I1 pense qu’il peut s’agir d’un piège. I1 estime qu’il serait
malhabile d’y apposer un reflis brutai, mais qu’il faut poser
une condition préalable :la dkmobilisatiani des armées dans
tous les pays. I1 est probable qu’Hitler refusera de se plier
à cette exigence. M.Chantberlain insiste pour que le Oouver-
nement français lai fasse cohnaître au plus tôt Bon opinion.
I1 souhaite que les réponses françéiise et anglaise soient
concertées et envoyées en même temps à Rome 1. n
- c Lé Conseil des injqistres français auia P en délibéter h,
rBpohd Bonnet. a Je VOUS ferai codIralltre aiissit8t 8 8 décision. ))
t
* *
Décommandant une réception oficielb, Bannet se rend
imtddiaterneat chez Daladier, qti’il trouve en train de ter-
miner son dé euner dans sa modeste salle à manger de la
rue Anatole- c ie-la-Forge. I1 lui décrit les pépipéties de cette
matinée ~ o u v e ~ e n t éeet, codclut en lui relatant le coup de
téléphone de François-Poncet,

La Défense de Ici Pa&, II.


1. Georges BONNET, p. 387.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 497
- (( Monsieur le Président »,lui dit-il, u il est désormais
certain que la guerre éclatera à brève échéance si l’on ne
peut arriver à un règlement de l’affaire de Dantzig et du
Corridor. J’estime donc que nous devons accepter la propo-
sition italienne, mais à deux conditions : d‘abord que la
Pologne soit invitée; ensuite, que la conférence puisse
régler non seulement le conflit germano-polonais, mais
l’ensemble des problèmes européens. En outre, il faut que
nous conservions toutes nos armées mobilisées pendant la
durée de la conférence1. D
- Je suis pleinement d’accord avec vous »,répond
Daladier. (( Mais je me souviens de la conférence de Munich,
où j’étais seul avec Cham6erlain. I1 est dificile de se retirer
d‘une conférence, une fois qu’elle est engagée... D
- (( C’est vrai »,répond Bonnet, (( mais notre situation
militaire n’est plus du tout la même 2. Rappelez-vous ce
qu’a dit le général Gamelin à la dernière réunion du Comité
permanent de la Défense nationale S. Nos chefs militaires
assurent que notre armée est prête à affronter l’épreuve
d’une guerre. I1 nous sera donc possible de rompre, si nous
trouvons les conditions d’Hitler exagérées. D
- (( Vous avez raison », répond Daladier. (( Nous ne
pouvons pas refuser cette proposition. J e vais convoquer le
Conseil des ministres pour 18 heures. n
Rentré auQuai d’Orsay, Bonnet rédige unprojet deréponse
à Mussolini, qu’il compte faire entériner par le Conseil
des ministres :

u Le Gouvernement français est prêt à s’associer à toute


initiative ayant pour but de permettre le règlement à I‘amiable
du conflit qui a surgi entre l‘Allemagne et la Pologne.
u Le Gouvernement frünçais rend donc hommage à. l’effort
entrepris dans le même but par le Gouvernement itahen et le
remercie de sa communication relative à un projet de conférence,
auquel il donne une réponse favorable.
u Il doit toutefois faire observer qu’à son avis, il ne saurait
être disposé des intérêts d‘une Puissance, hors de la présence
de cette Puissance.

1. Sur ce point, Bonnet est d’un avis différent de Chamberlain, qui pose, comme
condition préalable, une démobilisation générale.
2. Bonnet se réfhre à la réunion du 23 août 1939. (Voir plus haut, chap. XXII,
notamment p. 326.)
3. Voir plus haut, p. 327.
n 82
498 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

u Le Gouvernement français estime qu’une telle conférence


ne devrait pas se borner à rechercher des solutions partielles
et provisoires à des problèmes limitis et immédiats; elle devrait,
en évoquant I‘ensemble des problèmes qui sont à l’origine de
tout conflit, aboutir à un apaisement général permettant de
rétablir et d’organiser sur des bases solides la paix du monde 1. u
c
i *

Pendant ce temps, Henderson, Forbes et Dahlerus se


sont rendus au domicile du Maréchal Gœring.
Quarante-huit heures plus tôt, Hitler a institué un (( Conseil
suprême de la Défense )I, à la tête duquel il a placé le com-
mandant en chef de la Luftwaffe 2. Cette nomination a fait
officiellement de lui le deuxième personnage du Reich et
c’est en cette qualité qu’il reçoit ses visiteurs.
La rencontre a été organisée à la demande de Sir Nevile
Henderson, qui a appris par hasard que le Gouvernement
allemand se proposait de radiodiffuser, dans la soirée, le
texte intégral en 16 points de ses conditions à la Pologne.
Or cette publication préoccupe gravement l’ambassadeur,
car il redoute qu’elle ne détruise les dernières chances -
combien ténues - de voir s’amorcer une négociation.
Aussi prie-t-il Gœring de tout faire pour l’empêcher.
- a J’ai toujours cherché à vous être agréable »,lui
répond le Maréchal, (( mais cette fois-ci, vous m’en deman-
dez trop. Le Gouvernement allemand se doit de faire
connaître ses propositions pour que le monde entier puisse
juger de leur modération et se convaincre ainsi de la jus-
tesse de notre cause. ))
La conversation se prolonge pendant plus de deux
heures, sans aboutir à rien.
- (( Songez aux horreurs d’une guerre! D s’exclame Hen-

derson. (( I1 se peut que vous bombardiez l’Angleterre et


que moi qui su& tranquillement en train de prendre du t h
avec vous, je sois déchiqueté par une de vos bombes. n
- (( Si ce malheur devait arriver »,répond Gœring, (( je
monterais moi-même en avion et j’irais jeter une couronne
sur votre tombe 9 ...
1. Livre jaune francais, no 321.
2. Rappelons que Gœring est égaiement président du Reichstag. Font aussi
partie du a Conseil de Défense B le Dr Frick, le Dr Lammen et le DI Funck qui
représentent l’aile modérée du Parti. Les a ultras B - dont la tâche consistera
-
B maintenir l’ordre à l’intérieur en sont exclus.
L A P A I X S E MEURT... L A P A I X EST MORTE 499
Henderson, qui ne goûte pas beaucoup cette plaisan-
terie, augure le pire du fait que le Maréchal puisse lui
consacrer, à un moment pareil, une si grande partie de
son temps. (( Pourrait-il se le permettre »,se demande-t-il
avec angoisse, (( si tout, jusqu’au moindre détail, n’était pas
déjà prêt pour l’action l? D

i +

Vers 17 h. 30, c’est-à-dire juste avant de se rendre au


Conseil des ministres, M. Daladier téléphone à M. Corbin.
Le Président du Conseil voudrait savoir exactement ce que le
Gouvernement britannique pense de la proposition italienne.
A 13 h. 30, M. Corbin a dit à Georges Bonnet que
(( M. Chamberlain insistait pour connaître au plus t ô t la

position française D. Depuis lors, l’ambassadeur a revu le


Premier Ministre et celui-ci semble avoir changé d’opinion.
I1 n’est plus du tout pressé de connaître la position fran-
çaise, ni même de remettre la réponse anglaise a u Palais
Chigi. I1estime, plus que jamais, (( qu’il est urgent d’attendre ».
A quoi tient ce revirement?
Depuis quelques jours, Downing Street e t l’ambassade
de Pologne sont submergées par un flot de lettres, de péti-
tions e t de messages anonymes, qui répètent tous à l’envi :
- a: Vous n’allez tout de même pas céder, au moment où
nous touchons au but? 1)
Ces lettres sont appuyées de coups de téléphone impéra-
tifs, émanant de parlementaires influents comme Winston
Churchill 3, Brendon Bracken, Duncan Sandys, Hugh Dalton,
Lloyd George 4, Harcourt Johnston, d’autres encore 5. Ils
1. Sir Nevile HENDERSON, Dew am avec Hitler, p. 294.
2. Voir plus haut, p,. 496.
3. On s’étonne de voir Churchill prendre cette position, lui qui a dénoncé l’alliance
anglo-polonaise comme une erreur dangereuse dans laquelle il voit (1 un emprcsse-
ment sans équivalent à accepter une guerre, évidemment imminente, dans les
plus mauvaises conditions et sur la plus grande échelle possible II. (Voir plus
haut, p. 160-161.)
4. On s’étonne également de voir l’ancien Premier Ministre de la guerre de
1914-1918, qui a bataillé à la Conférence de la Paix pour l’instauration d’un
plébiscite dans la région du Corridor, prendre aussi violemment position contre un
règlement du litige germano-polonais fondé sur les principes qu’il a lui-même
préconisés. Cette volte-face s’explique parce qu’il ne s’agit plus, à ses yeux, de
Dantzig et du Corridor, mais de mettre enfin un terme à l’essor de la puissance
ailemande. a I1 n’y a pas de place dans le monde pour l’Empire britannique et
un Reich Grand-ailemand », pense-t-il, à ce moment-là, comme la plupart de ses
compatriotes.
5. Edouard RACZYNSKI, I n Allied London, p. 20-24.
500 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

ont eu vent de la proposition italienne e t exhortent le Gouver-


nement polonais et le Cabinet britannique (( à tenir bon, à se
refuser à toute négociation, à ne pas tomber dans le piège
que leur tendent les dictateurs ».Ils affirment que le meilleur
moyen de sauver la paix est d’acculer Hitler à la guerre,
u car l’acculer à la guerre, c’est provoquer sa chute D. Cette
campagne d’opinion est puissamment orchestrée l.
Sous l’effet de ces démarches dont la pression ne cesse
de s’accentuer, Chamberlain se rappelle le dernier scrutin
de la Chambre des Communes. I1 sait qu’il ne peut maintenir
l’unité de son parti qu’en faisant preuve de fermeté. Plus
la guerre approche e t moins l’ancien pèlerin de la paix
semble la redouter. (( Si l’Allemagne n’attaque pas demain »,
se dit-il, Hitler ne survivra pas à cette démonstration
d’impuissance. Dès lors à quoi bon réunir une conférence
pour résoudre des problèmes qui ne se poseront plus? E t s’il
attaque quand même? C’est pour le coup qu’une confé-
rence de la Paix deviendra superflue... ))
Sans partager le pessimisme de Lord Halifax, qui répète
depuis quelques jours à qui veut l’entendre : u Ma raison
ne me montre aucune autre issue que la guerre e »,Cham-
berlain estime que mieux vaut attendre, que de mettre
trop tôt le doigt dans l’engrenage...
Daladier fronce les sourcils : (( Voilà qui ne cadre pas du
tout avec ce que vient de m’assurer Bonnet! )) se dit-il.
N Est-ce une erreur involontaire, ou chercherait-il à me
tromper? u
I1 commence h nourrir d‘étranges soupçons à l’égard de
son ministre des Affaires étrangères et s’abstient de le
mettre au courant des dernières informations que vient de
lui communiquer l’ambassadeur.

* *
Le Conseil des Ministres s’ouvre à 18 heures, sous la
présidence d’Albert Lebrun. Quel n’est pas l’étonnement
1. a Je téléphonais presque quotidiennement A Lord Halifax qui m’honorait
de sa confiance I, écrit l’ancien ambassadeur de Pologne. a I1 me montrait clai-
rement, de temps A autre, qu’il partageait pleinement mes vues [à savoir qu’il
fallait se refuser à toute nbgociation...I. I1 notait d’habitude mes commentaires,
pour s’en servir comme munitions A l’intérieur de ce Forum [Ie Cabinet bri-
tannique]. n ( i n Allied London, p. 23-24.)
2. Foreign Relaîwns of th United Stater, 1939, I, p. 342.
LA PAIX SE MEURT... L A PAIX EST MORTE 501
de Bonnet, en arrivant à l’filysée, d‘y trouver un Daladier
très différent de celui avec lequel il s’est entretenu au début
de l’après-midi. Son visage est renfrogné; son regard, buté.
De Monzie lui trouve l’aspect (( d‘un hérisson toutes pointes
dressées contre on ne sait qui, on ne sait quoi 1 n.
Bonnet, qui ne sait à quoi attribuer cette mauvaise
humeur, commence par exposer les faits :
- a La situation est critique », dit-il. a Le danger de
guerre est imminent et toute la matinée on a pu craindre
que les troupes allemandes n’envahissent la Pologne. Main-
tenant, l’Italie vient de faire une proposition de conférence
pour le 5 septembre ... ))
I1 énumère ensuite les raisons qui militent en faveur
d’une acceptation :
-((D’abord, il faut persévérer dans nos efforts pour
maintenir la paix. Puis, il faut nous dire que le temps
travaille pour les démocraties. La saison des pluies approche.
Elle rendra les opérations de plus en plus difficiles pour
l’Allemagne. Enfin, on ne court aucun risque en allant à
la conférence, puisqu’on ne démobilisera pas avant qu’elle
ait donné des résultats satisfaisants. ))
Cet exposé est simple, sincère et démonstratif. Mais
Bonnet est trop sensible pour n’avoir pas senti combien
l’ambiance lui était défavorable. Dès la première minute,
Daladier lui a tourné le dos. I1 l’écoute avec une moue de
réprobation et ne l’interrompt pas. Mais ce silence hérissé
est pire qu’une hostilité verbale. I1 fait perdre à Bonnet
beaucoup de ses moyens, de sorte que sa voix paraît à
Monzie sans vigueur et sans éclat. Pour donner plus de
poids à ce qu’il vient de dire, le ministre des Travaux publics
intervient dans le débat :
- (( I1 nous est impossible de repousser la proposition
italienne I), affirme-t-il avec force, (( ne serait-ce que par
crainte de jeter l’Italie dans la guerre. Le général Gamelin
n’a-t-il pas souligné toute l’importance qu’il attache à sa
neutralité? 1)
Campinchi, ministre de la Marine, est d’un avis opposé :
il préférerait un accrochage immédiat sur les Alpes. Paul
Reynaud sourit des efforts de Monzie et de Bonnet, comme
s’il savait d’avance qu’ils se briseront contre l’opposition

1. Anatole de MONZIE, Ci-devant, p. 146.


502 HISTOIRE D E L’ARMBE ALLEMANDE

du Foreign Ofice. Fidèle à ses habitudes, Camille Chau-


temps évite de se prononcerl.
- (( Nous pouvons encore attendre des nouvelles de
Varsovie n, suggère-t-il d’une voix feutrée.
- u Non, Messieurs! )) réplique Georges Bonnet. (( Nous ne
pouvons plus attendre. Les minutes sont comptées. Le Cabi-
net britannique est pressé de connaître notre réponse )) ...
Alors Daladier sort brusquement de son mutisme :
- Ce n’est pas du tout ce que vient de me dire M. Cor-
bin! )) affirme-t-il d’un ton péremptoire. (( I1 m’a assuré que
le Cabinet britannique n’était nullement pressé, et qu’il
ROUS déconseillait de faire preuve de précipitation. ..
Cette interruption provoque des (( remous divers )) dans
l’assistance. Tous les visages se tournent vers Bonnet.
Celui-ci veut protester. Mais Daladier enchaîne, sans lui
laisser le temps de placer un mot. Tout en lançant des coups
d’œil impatients à la porte, comme s’il attendait quelqu’un,
il parle de l’obligation où l’on se trouve de rester ferme,
de ne pas faiblir devant le risque »...
A ce moment la porte s’ouvre. Un officier de la Maison
’ militaire du Président de la République entre dans la
pièce, se dirige vers Daladier et lui remet un pli a. Le Prési-
dent du Conseil l’ouvre et én tire une lettre manuscrite qu’il
parcourt rapidement des yeux.
- (( C’est une lettre personnelle de notre ambassadeur
à Berlin »,explique-t-il. (( Je le connais depuis longtemps.
Nous sommes du même pays. Écoutez ce qu’il m’écrit :
(( L’épreuve de force tourne à notre avantage ... Hitler hésite ...

Le Parti flotte... le peuple est mécontent... A vous communiquer


ce premier bulletin, monsieur le Président, mon cœur se gonfle
d‘émotion... Le poisson est ferré. II n’est que de tenir, tenir,
...
tenir n
C’est la lettre que M. Coulondre a confiée la veille a u soir
à M. Dayet, en le chargeant de la remettre en main propre
1. C‘est Chautemps qui était Président du Conseil au moment de l’Anschluss
et qui a préféré démissionner, plutôt que de prendre position. (Voir vol. IV, p. 522.)
2. u Ce pli ne paraissait pas inattendu D, souligne Monzie. (Ci-devant, p. 167.)
On ne retirera jamais de son esprit que cette lettre avait été reçue par Daladier
want le Conseil des ministres et que l’entrbe du messager n’était qu’une mise en
scène.
Le contenu de cette lettre, connu avant la séance, s’ajoutant a u coup de télé-
phone de Corbin de 17 h. 30, expliquerait l’aigreur de Daladier P l’égard de Bonnet.
LA PAIX S E MEURT... LA PAIX EST MORTE 503
au Président du Conseil (( Cette lettre serait assez banale »,
note Monzie, c sans l’adjuration qui la termine : Tenez
bon! Si vous tenez bon, Hitler s’effondrera! I1 s’agit de
bluffer. Celui qui bluffera le dernier aura l’avantage décisif.
Bluff à Berlin! Piège à Rome! I1 n’est que de crâner. Quand
il s’agit d’attendre et de crâner, l’enthousiasme et la faci-
lité se conjuguent. Plus de débat! L’avis de Coulondre clôt
le bec aux récalcitrants z. 1)
Bonnet ne sait plus que dire, car les conseils de Coulondre
- comme les propos de Corbin - ne correspondent nulle-
ment à ce que les ambassadeurs de France à Londres et
à Berlin lui ont téléphoné le matin même3. Qui trompe-t-on
ici : le ministre des Affaires étrangères ou le Président du
Conseil?
Les membres du Gouvernement se séparent après des
débats confus. A la sortie de l’Élysée, Campinchi déclare à
un journaliste :
- (( Hitler ne sait comment se tirer d‘une sale affaire ... D

- (( Hitler se dégonfle d’heure en heure »,confie Reynaud


à Jean Prouvost.
On ne peut pourtant pas laisser Ciano sans réponse.
Monzie est consterné. A I’issue du Conseil, il échange plu-
sieurs coups de téléphone avec Bonnet :
- (( Georges »,lui dit-il, (( une question se pose ce soir

pour vous, pour nous deux et pour ceux qui plus discrète-
ment sont avec nous. Si le projet de conférence échoue
- e t nos réserves, nos hésitations, nos façons d’atermoyer
favorisent cet échec - nous serons pris, roulés, broyés dans
l’engrenage de la guerre : vous comme moi, nous comme les
autres, j’entends par là les camarades qui n’ont pas peur
du conflit 4. Si nous ne démissionnons pas demain, après-
demain il sera trop tard : nous ne pourrons pas aban-
donner le gouvernement sans commettre un acte de quasi-
trahison, un abandon de poste devant l’ennemi. J e vous en
prie, si la conférence n’est pas décidée, partons ensemble et
vite. ))

1. Voir plus haut, p. 479.


2. Anatole de MONZIE,Ci-devant, p. 147.
3. Voir plus haut, p. 490, 496.
4. Ces mots semblent faire écho à ceux adressés par M. Attolico à Carl Burck-
hardt : n Dites au colonel Beck que, si l’on en vient à la guerre, lui aussi sera perdu,
tow seront perdtu ... II (Voir plus haut, p. 196.)
504 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

Bonnet, qui a retrouvé tous ses moyens l, lui répond avec


noblesse. :
- u Impossible, cher ami! Nous devons rester pour sou-
tenir une proposition qui est de salut. Nous partis, c’est
la décision de guerre. Nous avons le choix entrel’accusation
de lâcheté, que justifierait notre départ immédiat, et le
reproche de compromission que nous vaudra notre présence
dans un gouvernement de guerre. J e me refuse à la lâchetéa. n
Plutôt que de céder au découragement, Bonnet trouve plus
sage de faire le point de la situation. Où en est-on au juste?
Au cours du Conseil, les ministres ont exprimé des opi-
nions diverses. Beaucoup de paroles ont été prononcées
mais, sur le seul point important -
le caractère affirmatif
de la réponse à l’Italie -, il n’y a pas eu de contestations S.
Daladier a simplement demandé qu’on y ajoute la clause
suivante :
(c Le Gouvernement français observe qu’une conversation
directe germano-polonaise étant engagée, c’est seulement en
cas d’échec de cette conversation que la conférence devrait se
réunir 4. D
Bonnet a trouvé cet amendement inutile. I1 l’a néanmoins
inséré dans son texte parce qu’il ne modifie en rien le sens
de sa réponse et qu’il donne satisfaction au Gouvernement
britannique S.
Ayant complété sa note en y ajoutant cette formule, il
l’adresse à M. Corbin, pour qu’il en soumette les termes à
M. Chamberlain, avant de l’envoyer au gouvernement italien.
Mais les nouvelles qu’il apprend tout à coup de Berlin,
l’incitent à différer jusqu’au lendemain l’envoi de sa réponse
à Rome.
1. Aussitôt après le Conseil, Bonnet s‘est rendu chez Daladier, dans son bureau
de la rue Saint-Dominique. a J e lui demandai D, écrit-il, (I d‘appeler au téléphone
M. Corbin, en ma présence, pour l’interroger sur ses entretiens avec M. Chamber-
lain. L’ambassadeur nous dit alors de quelle façon l’opinion du Premier anglais
s’était modifiée au cours de la journée. Vers 13 heures, celui-ci désirait recevoir
d’urxence notre réponse; il s’était montré beaucoup moins pressé vera 17 heures,
lontque Daladier lui avait téléphoné. D (Lu Défense de In Puiz, 11, p. 240-241.)
pincident est donc clos et Daladier, qui n’est pas rancunier, n’en conserve
aucun ressentiment à l’égard de Bonnet.
2. Anatole de MONZIE, Ci-&vant, p. 148.
3 . Aucun communiqué officiel n’a été soumis à l’approbation préalable des
ministres. La déclaration lue par Albert Sarraut à la presse, et qui laisse entendre
que la proposition italienne a été repoussée, n’engage que lui.
4 . Georges BONNET, La Détense de kr Paix, II, p. 342, note 1.
5. N’est-ce pas lui qui a pris l’initiative des conversations directes?
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 505

t
$ 4

Vers 16 heures, M. Lipski a demandé une audience à la


Wilhelmstrasse. Rendez-vous lui a été fixé pour 18 h. 30.
A l’heure convenue, l’ambassadeur de Pologne s’est rendu
à la Chancellerie où le ministre des Affaires étrangères l’a
reçu debout.
- (( Avez-vous les pleins pouvoirs pour négocier? D lui
a-t-il demandé l.
- a Non »,a répondu Lipski. a J’agis en ma seule qualité
d’ambassadeur. ))
M. Lipski remet a l o e au ministre des Affaires étrangères
du Reich la note qu’il a reçue h 14 heures du colonel Beck 2.
Ribbentrop y jette un coup d’œil rapide.
- (( Vous savez pourtant D, lui dit-il en soulignant chaque
mot, (( qu’en réponse à des propositions de Londres, le
Gouvernement du Reich s’est déclaré prêt à: discuter directe-
ment avec un délégué polonais muni des pouvoirs néces-
saires, et que nous l’avons attendu en vain durant toute la
journée d’hier? 2
- (( J e ne l’ai appris qu’indirectement D, répond Lipski 8 .

Mais il ne demande pas à prendre connaissance des condi-


tions allemandes.
- c J’ai supposé que vous étiez nanti des pleins pouvoirs
pour négocier n, réplique Ribbentrop d’un ton glacial. (( Vous
me dites que non. Dans ces conditions, il est inutile de
poursuivre cet entretien. J e rendrai compte de votre démarche
au Chancelier. n
M.von Ribbentrop fait reconduire M. Lipski par un huis-
sier. L’entrevue n’a duré que quelques minutes *.
Jusqu’à la fin, les choses se seront déroulées comme le
souhaitait le colonel Beck : les propositions allemandes n’au-
ront fait l’objet d’aucune négociation.
Lorsque M. Lipski, rentré chez lui, veut téléphoner à

1. Ribbentrop connaît d’avance la réponse, grâce aux feuilles décryptées que


lui a remises Gœring.
2. Voir plus haut, p. 493.
S. C’est exact. 11 n‘en a été informé jusqu’ici que par l’entremise de Dablerus
et de Forbes. (Voir plus haut, p. 488.)
4. C‘est l’entrevue la plus courte B laquelle j’aie jamais assisté a, écrit l’inter
pdte Schmidt. (Statist ouf Diplomatkcher B ü h e , p. 460.)
506 HISTOIRE D E L’ARMEE ALLEMANDE

Varsovie pour faire savoir au colonel Beck comment s’est


déroulée sa dernière visite à la Chancellerie, il s’aperçoit que
c’est impossible : toutes les lignes téléphoniques de l’ambas-
sade ont été coupées.

4 +

a Grand-mère est morte! ))

E n entendant ces mots à la radio de sa voiture, Alfred


Naujocks, un agent du S. D., comprend que le moment
est venu d’exécuter la mission secrète dont il a été chargé,
quinze jours auparavant, par Reinhard Heydrich, le chef
des Services de Sécurité du Reich l.
Naujocks et les six hommes qui l’accompagnent revêtent
rapidement des uniformes polonais et se précipitent sur
la station de radio de GIeiwitz, une petite ville allemande
située en Haute-Silésie, à proximité de la frontière polonaise.
Ils font irruption dans la salle d’émission, prononcent une
courte allocution sur un émetteur de secours, déchargent leurs
revolvers en l’air et évacuent rapidement les lieux. L’un des
hommes, qui s’est blessé à la main en manipulant son arme,
retire son uniforme taché de sang et le jette dans un fossé d‘.
Une demi-heure plus tard, toutes les radios d’Allemagne
diffusent ce rapport du chef de la police de Gleiwitz :

1. Reichssicherheilsdiensf,souvent désigné par les lettres S. D.C’est du moins ce


qu’asrmera Naujocks dans sa déposition devant le Tribunal de Nuremberg.
(Documents du Tribunal Militaire International de Nuremberg, XXXI, PS-2751,
p. 90.)
2 . La matérialité de ce raid ne saurait être mise en doute. Mais les conditions
dans lesquelles il a été exécuté et les mobiles qui l’ont inspiré restent sujets à
discussion. Les seules personnes que les témoins invoquent Q ce propos, sont
Heydrich et Canaris, c’est-à-dire deux morts. Goering semble avoir tout ignoré
et il n’en a pas été question dans son interrogatoire. Keitel dira pour sa part :
a J e n’ai été m i s au courant de cette opération qu’ici même, par les dépositions des
témoins. J e n’avais jamais su qui s’était chargé de cette besogne et n’avais pas
été informé de ce raid sur la station émettrice de Gleiwitz, avant les dépositions
faites à ce tribunal. J e ne me rappelle pas non plus en avoir rien su, àl’époque
où cet incident ne produisit. (&cume& du Tribunal Militaire Znlernatwnal,
x, 534.)
Certains auteurs estiment que c’était la provocation qu’Hitler attendait pour
donner l’ordre d‘envahir la Pologne. Cette hypothèse semble difficilement conci-
liable avec la situation générale et notamment avec le fait qu’Hitler était sur le
point de signer l’ordre d’attaque d’abord le 25 août à 15 h. 02, puis le 31, entre
13 h. 45 e t 14 heures, c’est-Q-diw à des moments où le raid n’avait pas encore eu
lieu.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 507
a Vers 20 heures, le poste émetteur de Gleiwitz a été attaqué
et temporairement occupé par un groupe d’insurgés polonais
en armes. Les assaillants ont été repoussés par des agents de
la police frontalière allemande. A u cours de cet engagement,
un des insurgés a été mortellement bkssél. B
*
* *
A 19 heures, Hitler, qui se trouve avec Attolico, lui dit
d’un air sombre :
- (( A présent, tout est fini. D
I1 lui remet le texte de ses conditions à la Pologne, pour
qu’il le transmette à Mussolini.
- (( Estimez-vous encore souhaitable que le Duce pour-

suive ses efforts en vue d’une médiation? )) lui demande


Attolico.
- (( Mieux vaudrait attendre la suite des événements »,
répond Hitler. (( J e ne suis pas d’humeur à encaisser plus
longtemps les camouflets des Polonais. J e ne veux pas non
plus placer Mussolini dans une situation délicate. D’ailleurs,
dans l’état d’esprit où ils se trouvent actuellement, je doute
fort que les Polonais écoutent les conseils du Duce... ))
Puis Hitler évoque la dernière visite de Lipski.
- (( L‘ambassadeur était non seulement dépourvu des
pleins pouvoirs nécessaires pour négocier, mais il n’a même
pas demandé à connaître les conditions allemandes »,dit-il à
Attolico. Les Anglais ont fait preuve de beaucoup de bonne
volonté dans toute cette affaire, mais les Polonais n’ont pas
répondu à leur attente. L’initiative britannique a fait long
feu. Elle est maintenant dépassée. Même les conditions
allemandes doivent être considérées comme caduques 2. n
Après le départ d’httolico, Hitler se tourne vers le secré-
taire d’État Meissner e t lui dit :
- (( Au fond, je suis très heureux que les Polonais n’aient
pas accepté mes propositions. J e les ai faites à contrecœur,
mais si les Polonais les avaient acceptées, j’aurais été lié
par elles. Leur refus me rend ma liberté d’action. Cela vaut
mieux, à tout prendre, pour l’avenir du Reich 3. 1)
A 21 h. 15, et à 21 h. 25, Sir Nevile Henderson et M. Cou-

1. Livre blanc allemand, II, no 470.


2. Archives secrètes de la Wilhdmstrasse, VI& p. 433.
3. Otto MEISSNEFI, Staatssekretar, p. 518.
508 HISTOIRE D E L'ARMÉE ALLEMANDE

londre sont convoqués à la Chancellerie M. von Weizsacker


leur remet, (( à titre d'information D, le texte en 16 points
des conditions allemandes. Un quart d'heure plus tôt
(21 heures) la radio du Reich les a diffusées en les faisant
précéder d'un assez long commentaire, qui se termine par
ces mots :
K L e Führer et le Gouvernement d u Reich ont attendu en
vain, pendant d e w jours, la venue d'un plénipotentiaire polo-
nais. De ce fait, le Gouvernement du Reich considère ses condi-
tions comme pratiquement repoussées, bien qu'à son avis, elles
étaient non seulement plus qu'équitables, mais acceptables dans
la forme où elles avaient été rédigées et portées à la connais-
sance d u Gouvernernent britannique 2. #

A peine cette émission est-elle terminée que la radio de


Varsovie y répond en termes virulents :
u L e communiqué officiel diffusé, à 21 heures, .par le Gouver-
nement d u Reich a révélé clairement les intentions et les buta
de sa politique. II prouve sa volonté d'agression contre la Polo-
logne ... Il prétend avoir attendu e n vain, pendant deux jours,
un émissaire polonais et que la réponse du Gouvernement polo-
nais aurait éié la mobilisation générale! Aucun mot ne saurait
exprimer plus clairement les plans d'agression des nouveaux
H u m 31 n

+ +
A la même heure, Hitler fait venir Keitel et lui remet la
DIRECTIVE POUR LA CONDUITE D E LA GUERRE.

O. K.W . W . F A. 170/39g. k. Berlin, le 31 août 1939.


1. Maintenant que tous les moyens politiques permettant de
mettre u n terme, par des voies pacifiques, à la situation

1. Les deux ambassadeurs avaient demandé à être reçus en même temps.


M.von Weizsacker n'avait pas cru devoir donner suite à leur requête, et les avait
priés de se présenter à dix minutes d'intervalle.
2. Liwe blanc allemand, II, no 468. Ribbentrop estime, dans ses Mémoires,
que si, ci ce moment encore, a la Pologne avait saisi au vol la perche que noua lui
tendions et que, par radio, elle eût manifesté son désir d'entamer des négocia-
tions, il eût été possible de changer le cours des événements m. (De Londrur d
Moscou, p. 157.)
3. Livre blanc &mad, II, no 469.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 509
intotérable qui règne sur nos frontières de Z’est, se trouvent
épuisés, j’ai décidé de régler ce problème par la force.
2. L’attaque contre la Pologne doit être exécutée conformément
aux préparatifs prévus dans le Plan BLANC, compte tenu
des modifications résultant d u fait qu’en ce qui concerne
l’Armée, la concentration des forces est pratiquement achevée.
L a répartition des tâches et le plan opérationnel demeurent
inchangés.
Jour de l’attaque. ..... l e r septembre 1939.
Heure de l’attaque ..... 4 h. 45.
Ce jour et cette heure s’appliquent également aux opérations
Gdynia-Baie de Dantzig ‘et pont de Dirschau.
3. A l‘ouest, il importe de laisser, sans aucune équivoque
possible, la responsabilitè de l’ouverture des hostilités à l’Angle-
terre et à la France. O n se bornera donc à op oser des forces
purement locales a u x violations de frontière peu d‘impor-
tance qui pourraient se produire.
L a neutralité de la Hollande, de la Belgique, d u Luxembourg
et de la Suisse, que nous avons garantie, doit être scrupu-
leusement respectée.
Sur terre, la frontière occidentale ne doit être franchie à
aucun endroit sans mon autorisation expresse ...
4. S i la Grande-Bretagne et la France ouvrent les hostilités
contre l‘Allemagne, la tâche des formations de la Wehrmacht
opérant à l’ouest consistera à économiser a u maximum leurs
forces pour permettre la conclusion victorieuse des opérations
contre la Pologne. Dans le cadre de ces limitations, les forces
armées ennemies et leurs ressources économico-militaires
devront être endommagées autant que possible. Dans chaque
cas, j e me réserve de donner personnellement les ordres de
passer à l’attaque.
L’Armée de terre tiendra le mur fortifié de l’ouest et prendra
les dispositions nécessaires pour éviter d’être débordée, a u
nord, par une violation des territoires de la Belgique OU de
la Hollande, effectuée par les Puissances occidentales. Si
des forces françaises pénètrent a u Luxembourg, l’armée est
autorisée à faire sauter les ponts situés & La frontière l... n

Le reste a trait à des détails concernant les opérations de


la Kriegsmarine et de la Luftwaffe. Les hostilités contre la
Pologne s’ouvriront donc le l e * septembre, c’est-à-dire à la

1. Walther HUBATSCH,
Hitler8 Weisungen fLzr die Kriegfuhrung, 1939-1945,
p. 19-20.
510 HISTOIRE DË L ’ A R M ~ ALLEMANDE

date même qu’Hitler avait fixée dans ses Directives du


3 avril l.
Pourtant, tout s’est fait si vite qu’aucun des membres de
l’opposition n’a le temps de réagir.
1. Voir plus haut, p. 185.
XXXIl

LES ARMEES DU REICH ENVAHISSENT


LA POLOGNE
(Vendredi, l e r septembre 1939)

Le jour se lève. A l’est, une mince raie grise apparaft à


l’horizon. Le ciel est couvert.
A 4 h. 26, -
dix-neuf minutes avant l’heure officiellement
fixée pour le déclenchement des hostilités - trois Stukas
décollent du terrain d’Elbing, en Prusse-Orientale 2. Dans
l’aube indécise, ils se dirigent vers l’ouest. Le lieutenant
Bruno Dilley, qui commande la formation, a peine à s’orienter
tant la brume est épaisse. Les avions volent à 50 mètres
d’altitude. Leur objectif est le pont de Dirschau, sur la
Vistule. Mais le lieutenant Dilley a peur de le manquer, bien
qu’il ne soit qu’à huit minutes de vol de sa base de départ.
Ce pont a une importance stratégique primordiale. C’est
par là que doivent passer les troupes allemandes chargées
d’occuper la ville de Dantzig. L’État-Major allemand a donné
l’ordre de s’en emparer dès le début des opérations : une
colonne blindée, commandée par le colonel von Medem 3,
doit se précipiter sur le pont e t en garder les approches,
pour empêcher les Polonais de le faire sauter. Or, le Service
des Renseignements allemand a appris que le mécanisme
commandant le dispositif de minage n’était pas situé au

1. 4 h. 45. (Directive n o 1 pour la conduite de la guerre.)


2. I1 s’agit de trois J U 87 B, appartenant à l’escadre aérienne no 1 d’hsterburg.
Ils ont été transférés à Elbing quelques jours auparavant, pour les rapprocher de
la frontière.
3. Le colonel von Medem est apparenté au capitaine von Medem qui a organisé
en 1919 un corps franc portant son nom, avec lequel il a libéré Riga de l’emprise
des Rouges. (Voir vol. II, p. 26.)
512 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

pont même, mais dans le remblai sud de la voie du chemin


de fer qui le traverse, à égale distance du pont et de la gare
de Dirschau. C’est ce mécanisme que l’escadrille a reçu l’ordre
de détruire, avant que les Polonais aient eu le temps de
le faire fonctionner.
L’opération, est délicate, car l’objectif à atteindre n’est
qu’un point imperceptible sur la carte, pas plus gros qu’une
tête d’épingle. Avec ce brouillard qui gêne la visibilité,
Dilley craint de ne pas le repérer. Aussi décrit-il une large
bouclé vers le sud, pour rejoindre la voie ferrée et la suivre
jusqu’à Dirschau.
A 4 h. 30, Dilley voit se dessiner une large bande noire :
c’est la Vistule. Encore quelques secondes e t voici le pont.
I1 zest intact! Toute la campagne environnsnte est encore
plongée dans la paix. Dilley réduit l’altitude e t descend à
10 mètres. Son avion e t les deux Stukas qui le suivent volent
maintenant en rase-mottes, à travers des traînées de brouil-
lard de plus en plus épaisses.
Enfin, voici le remblai du chemin de fer. A 4 h. 34, Dil-
ley lâche une bombe de deux cent cinquante kilos - la
première de la guerre - et remonte en chandelle. Une vio-
lente explosion secoue son appareil, suivie à bref intervalle
par deux autres, car les Stukas qui l’accompagnent ont
exécuté la même manceuvre. Les torpilles sont tombées en
plein but : le dispositif de minage est détruit. Les trois
avions reprennent de la hauteur e t disparaissent à l’est.
Mais des équipes de sapeurs polonais accourent sur les
lieux. Ils déblaient fébrilement les décombres, remettent le
dispositif en état e t font quand même sauter le pont de
Dirschau. Lorsque le colonel von Medem y arrive un quart
d’heure plus tard à la tête de sa colonne blindée, le tablier
du pont s’est effondrédans la Vistule e t ne forme plus qu’un
amas de ferrailles tordues.
Le première mission de la Luftwaffe a réussi. Et pourtant,
elle se solde par un échec l.

c *

A 4 h. 45, toutes les armées du Reich, qui piétinent depuis


six jours sur leurs positions de départ, se ruent en avant et

1. Ci. cajus BEKKEH, Angriflshbhe 4.000, p. 19-20.


LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 513
franchissent les frontières de la Pologne1. De la Prusse-
Orientale à la Slovaquie, le,tonnerre des canons se réveille -
un tonnerre qui ne cessera plus pendant près de six années.
Les forces de la Wehrmacht s’élèvent à 53 divisions :
39 divisions d’infanterie, 4 divisions motorisées, 4 divisions
légères et 6 divisions cuirassées, auxquelles viendront s’aj ou-
ter, dans quelques jours, 7 divisions d’infanterie et 1division
blindée supplémentaires. Elles sont réparties en deux groupes :
A : Le Groupe d’Armées Nord, commandé par le général
von Bock (chef d’État-Major général von Salmuth),
qui comprend :
- la IIIe Armée (général von Küch’er);
- la IV0 Armée (général von Kluge).
B : Le Groupe d’Armées Sud, commandé par le général
von Rundstedt (chef d’gtat-Major général von Man-
stein), qui comprend :
- la VI110 armée (général Blaskowitz);
- la Xe Armée (général von Reichenau);
- la XIVe Armée (général List).
Leur mission consiste à anéantir les forces polonaises,
à établir la jonction entre le Reich et la Prusse-Orientale
et à foncer sur Varsovie.
A Dantzig même, le Schleswig-Holstein, qui a décapelé ses
pièces aux premières heures du jour, ouvre le feu à 4 h. 50
sur Westerplatte, où sont concentrées plusieurs unités
polonaises a.
Au même instant, les avions des Flottes aériennes IV

1. Le général Haider, chef d’État-Major générai, note dans son Journal 2


a6 h. 30. Les frontières sont franchies partout. Conditions météorologiques :
XIVe Armée, très bonnes; Xe Armée, ciel’couvert avec éclaircies; VIIIe Armée,
brouillard. 8 h. 50 : à l’ouest, rien de nouveau. D
2. Les ordres donnés par l’État-Major de la Marine au commandant du Schbswig-
Holstein sont les suivants :
I. - Réduire au silence les batteries c8tières polonaises, pour autant qu’elles
soient à poktée de canon du Schleswig-Holstein, c’est-&-dire en premier lieu les
batteries de 105 prés dOxhoft et de Hochredlau, ainsi qu’une batterie de 305
qui doit se trouver à l’ouest de Gdynia;
II. - Bombarder le port militaire de Gdynia, pour le rendre inutilisable aux
Polonais comme base maritime;
III. - Réduire au silence la batterie de 105 polonaise qui se trouve à la pointe
sud de la presqu’île de Hela;
IV. - Combattre, le cas échéant, les forces navales polonaises. (Marine Gruppen-
Konimando Ost, no 250/39.)
Le commandant Sucharski, qui commande les forces polonaises de Wester-
platte, annonce par radio à Gdynia : a Depuis 4 h. 50, le Schleswig-Holstein f a i t
feu de toutes ses pièces. Le bombardement continue. D
91 83
514 HISTOIRE DE L’ARYÉE ALLEMANDE

(général Lohr) et I (général Kesselring) prennent leur vol.


Le grondement de leurs moteurs s’ajoute au tonnerre des
canons. A 6 heures, Varsovie se réveille sous le sifflement
des bombes 1. Parallèlement à cette action, les formations
de bombardiers en piqué se livrent à une série d’attaques-
éclair sur les aérodromes polonais. En quelques heures, les
bases aériennes de Rahmel, Putzig, Graudenz, Posen, Plock,
Lodz, Tomaszow, Radom, Ruda, Katowice, Cracovie, Lwov,
Brest-Litovsk et Terespol sont pilonnées et mises hors
d’usage 2. Un grand nombre d’appareils sont détruits au
sol. A la fin de la journée, l’Arme aérienne polonaise est
sinon anéantie, du moins tellement endommagée qu’elle
n’est plus en mesure de participer au combat. Dans tout
l’espace compris entre l’Oder et le Bug, la Luftwaffe s’est
arrogé la maîtrise absolue.
t
+ +
A 8 heures du matin le Sénat de Dantzig, convoqué la
veille par M. Greiser, se réunit à l’Artushof. Le gauleiter
Forster, chef de l’État libre, annonce que Dantzig, ville
allemande, et le territoire qui l’entoure (( se proclament
d’eux-mêmes partie intégrante du Reich n. Son discours, que
ponctuent les salves du Schleswig-Holstein, soulève un
enthousiasme indescriptible. Toute l’assistance se lève et
entonne le Deutschland über alles. Cette dkcision est immé-
diatement notifiée à Berlin.
A l’issue de cette cérémonie, le gauleiter Forster se présente
à la tête d’un petit détachement de Heimwehren au siège
de la délégation de la Société des Nations a et demande à
parler à M. Burckhardt 4.
- (( Monsieur le Haut-Commissaire », lui dit M. Forster,
(( vous représentez ici le Traité de Versailles. Or, le Traité

1. Elles sont lancées par des escadrilles de Henckel 111 et de Dornier 17.
2. Werner PICHT,Das Oberlcommando der Wehrmacht gib# bekannt, der Polen-
feidrug, p. 12.
3. Au même moment, un commando de la S. S.-Heimwebr s’est présenté à
l’h8tel des Postes, sur la Heveliusplatz, et a obligé les fonctionnaires polonais
à évacuer les lieux. I1 en va de même au bureau de la Délégation diplomatique
polonaise, présidée par M. Chodacki.
4. Celui-ci a pris congé de M. Greiser le 24 août. (Voir plus haut, p. 355.) Mais
au moment de quitter la ville, M.Burckhardt a reçu une dépêche de Genève lui
demandant de retarder son départ, en lui laissant entendre que l’on pourrait encore
avoir besoin de ses services, au cas où l’Allemagne et la Pologne accepteraient
d’établir un modus vivendi provisoire à Dantzig. (Voir plus haut, p. 492.)
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 515
de Versailles n’existe plus. Le F ü h r e r l’a déchiré définitive-
m e n t ce matin. Je vous d o n n e d e u x heures p o u r quitter le
territoire 1. D

+ *
A 10 heures, Hitler se rend a u Reichstag, p o u r y prononcer
un g r a n d discours. Les t r a v é e s de l’Opéra K r o l l s o n t moins
pleines q u e d’habitude, c a r c e n t d é p u t é s manquent à l’appel :
ils s o n t allés rejoindre leurs unités a u front. Goering préside
l a séance. Hitler m o n t e à l a tribune. I1 a échangé sa vareuse
b r u n e de chef d u Parti, p o u r l a t u n i q u e (( feldgrau 1) des
soldats de la Wehrmacht.

a Députés ! Hommes du Reichstag allemand ! D

déclare-t-il d’une v o i x forte,


((Nous souffrons tous depuis des mois du tourment que
nous cause un problème, posé jadis par le Diktat de Versailles
e t que les excès mêmes qu’il a engendrés en se prolongeant
ont fini par rendre intolérable ... Dantzig a toujours été, e t
est une ville allemande. Le Corridor a toujours éîé, et est
allemand ...
Or, Dantzig nous a été arraché. Le Corridor a
été annexé par la Pologne. Les minorités allemandes qui y
vivent sont maltraitées de la facon la plus cruelle. Plus d’un
million e t demi d’hommes de sang allemand ont déjà dû
quitter leur pays en 1919-1920. Ici, comme ailleurs, j e me suis
efforcé de porter remède à cet état de choses, en demandant
une révision pacifique du traite. On prétend, en certains
lieux, que nous cherchons toujours à imposer nos révisions
p a r la force. C’est un mensonge ! Durant les quinze années
qui ont précédé l’avènement du National-Socialisme, les
occasions n’ont pas manqué de procéder à des révisions p a r
des voies pacifiques. On s’y est toujours refusé. Dans chaque
cas, j’ai proposé de ma propre initiative - e t pas une seule
fois, mais plusieurs - des solutions susceptibles de mettre
un terme à ces situations intolérables. Toutes mes proposi-
tions ont été rejetées. D

1. Carl BURCKHARDT, Ma Mission ù Dantzig, p. 393-394. Quelques minutes


plus tard, le consul général d’Allemagne à Dantzig téléphone à Berlin : 01 Le Haut-
Commissaire, accompagné de son secrétaire, a quitté Dantzig en automobile en
direction de la Prusse-Orientale. B (Archives secrétes de la Wilhelmstrasse, VII,
no 453.)
516 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

Hitler f a i t ensuite l’historique de ses propositions à l a


Pologne :

(( Quatre mois durant B, poursuit-il, j’ai assisté avec


calme à la dégradation progressive de la situation, mais pas
sans renouveler mes avertissements. J e les ai encore accentués
ces derniers temps. J’ai fait savoir à l’ambassadeur de Pologne,
il y a plus de trois semaines 1, que si la Pologne continuait à
envoyer des ultimatums à Dantzig, si elle continuait à prendre
des mesures de coercition envers la population allemande ou
si elle persistait, par sa politique douanière, à asphyxier
toute vie économique à Dantzig, l’Allemagne ne pourrait pas
rester plus longtemps inactive. J e n’ai laissé subsister aucun
doute sur le fait qu’il ne fallait pas confondre l’Allemagne
d’aujourd’hui avec celle qui l’a précédée...
(( J’ai encore tenté u n ultime effort. Bien que je fusse
convaincu que le Gouvernement polonais ne cherchait pas
réellement une entente, j’ai accepté une proposition de média-
tion du Gouvernement britannique. E n vue de ces pourpar-
lers, j’ai élaboré les conditions que vous connaissez. Puis,
pendant deux journées entières, je suis resté là, avec mon
Gouvernement, à attendre que le Goyvernement polonais
veuille bien nous envoyer un délégué muni de pleins pouvoirs.
Jusqu’à hier soir, il ne nous avait envoyé personne, mais il
a fait connaître p a r son ambassadeur qu’il examinait la
question de savoir si, e t dans quelle mesure, il était en é t a t
d’envisager les propositions anglaises. Après quoi, il com-
muniquerait sa décision à l’Angleterre.
(( Messieurs les Députés! Si le Reich allemand e t son Chef

supportaient de tels procédés, la nation allemande aurait


mérité de disparaître de la scène politique. Ni mon amour
de la paix, ni la patience dont j’ai fait preuve ne doivent
être pris pour de la faiblesse ou de la pusillanimité. J’ai donc
fait savoir hier a u Gouvernement britannique que j e ne
discernais, du côté polonais, aucune inclination à entamer
réellement des pourparlers sérieux avec nous.
u Cette offre de médiation a donc échoué. Comme seule
réponse à cette proposition sont survenues, entre-temps, la
mobilisation générale en Pologne e t de nouvelles atrocités.
Alors que récemment, 21 incidents de frontière ont été enre-
gistrés a u cours d’une seule nuit, il y en a eu 14 la nuit der-
nière, dont trois très graves. J e me suis donc décidé à parler
à la Pologne le langage qu’elle nous tient depuis des mois.
N Si des hommes d’État occidentaux déclarent que cela

1. Voir plua haut, p. 202.


LA PAIX S E MEURT... LA PAIX E S T MORTE 517
lèse leurs intérêts, j e ne puis que le déplorer. Mais une
telle déclaration ne saurait me faire hésiter une seconde,
dans l’accomplissement de mon devoir D ...
H i t l e r évoque ensuite les garanties qu’il n’a cessé de
d o n n e r à la F r a n c e e t à l’Angleterre, ainsi q u e le p a c t e qu’il
a signé avec 1’U. R. S. S. Puis, il revient a u x objectifs de
sa lutte :
a A présent, je suis décidé :
u 10 à résoudre la question de Dantzig;
N 20 à résoudre celle d u Corridor;
((30 à faire en sorte qu’intervienne, dans les relations entre
l’Allemagne e t la Pologne, un changement qui garantisse
un état de paix durable a u x frontières de ces deux pays.
Pour cela, je suis *prêt à combattre jusqu’à ce que le Gou-
vernement polonais actuel soit disposé à réaliser ce change-
ment, ou qu’un autre Gouvernement polonais y consente.
(( Cette nuit, pour la première fois, l a Pologne a fait tirer

sur notre territoire national par des soldats de son armée régu-
lière. Depuis 4 h. 45, on répond maintenant à leur feu. Dès
à présent, on rendra bombe pour bombe. Celui qui combat
avec des gaz, sera combattu par les gaz. Celui qui se soustrait
aux règles de la guerre, ne doit pas s’attendre à être traité
selon ces règles. Si la Pologne croit pouvoir appliquer des
méthodes inverses, elle recevra une réponse qui la laissera
sourde e t aveugle. J e mènerai cette lutte contre qui que ce
soit, jusqu’à ce que la sécurité du Reich e t ses droits soient
garantis!
(( J’ai travaillé pendant plus de six ans à reconstruire
i’Armée allemande. Au cours de cette période, nous avons
dépensé plus de 90 milliards de marks pour la reconstitution
de la Wehrmacht. Elle est aujourd’hui l’armée la mieux équi-
pée d u monde e t ne souffre aucune comparaison avec celle
que nous possédions en 1914. Ma confiance en elle est iné-
branlable!
N Si j’ai maintenant fait appel à cette force armée e t si
j’exige du peuple allemand les sacrifices les plus lourds, f e n
ai le droit! Car je n’exige d’aucun Allemand autre chose que
ce que j’ai fait moi-même pendant quatre ans. I1 ne doit y
avoir, pour les Allemands, aucune privation que je n’accepte
moi-même. Plus que jamais, toute ma vie appartient au
peuple allemand. Je ne veux être rien d’autre que le pre-
mier soldat d u Reich.
u J’ai repris la tenue qui m’est la plus chère et la plus
518 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

sacrée. Je ne la quitterai qu’après la victoire, ou bien,


cette fin, je ne la verrai pas!
((S’il devait m’arriver quelque chose au cours de cette
lutte, mon premier successeur serait mon camarade Gœring.
S’il devait arriver quelque chose au camarade Gœring, son
successeur serait le camarade Hess. Vous leur devriez, en
tant que Führer du Reich, la même fidélité et la même
obéissance aveugle qu’à moi. Au cas où quelque chose arri-
verait aussi au camarade Hess, le Reichstag se réunirait et
c’est lui qui aurait alors à élire le plus digne de ses membres,
c’est-à-dire le plus brave.
J’entre dans cette lutte avec un cœur indomptable. Ma
vie entière n’a été qu’un seul et unique combat pour mon
peuple, pour son redressement, et cette lutte s’est inspirée
d’un seul sentiment : ma foi dans le peuple allemand!
u I1 y a un mot que je n’ai jamais connu : c’est celui de
capitulation... I1 n’y aura plus jamais de novembre 1918 dans
l’histoire de l’Allemagne! ... n
Après avoir lancé un appel aux députés du Reichstag,
aux femmes e t à la jeunesse allemandes pour les exhorter à
rester unis, il termine par ces mots :
(iJe tiens à répéter ici la déclaration que j’ai faite lorsque
j’ai commencé ma lutte pour la conquête du pouvoir : si la
volonté de chacun est assez forte pour ne pas plier deyant la
détresse, la volonté de la Nation fera plier l’adversité1! D
Le discours d’Hitler est salué par une interminable ova-
tion. Après quoi les députés adoptent à main levée un texte
de loi incorporant a u Reich 1’Etat libre et la ville de Dantzig.
Au même instant, à Dantzig, des étendards à croix gammée
sont hissés sur les toits des bâtiments publics. En quelques
minutes, toute la ville se couvre de drapeaux et d’oriflam-
mes.
*
+ +
Ayant terminé son discours, Hitler quitte l’Opéra Kroll
et retourne à la Chancellerie. Avant la séance du Reichs-
tag, M. Attolico est venu le trouver sur la demande du
Duce,.pour lui dire que le chef du Gouvernement italien
souhaiterait être délié des obligations militaires découlant
1. Livre b b n c d b d , II, no 471.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 519
pour lui du Pacte d’Acier. A tout autre moment, Hitler
aurait certainement répondu par un geste de colère. Mais,
en cette matinée du l e r septembre, où il est heureux d’en
avoir fini avec la période d’attente et où les nouvelles qui
lui parviennent du front dépassent ses espérances, il adresse,
sans se faire prier, le télégramme suivant à Mussolini :

Berlin, l e r septembre 1939, 11 heures.


((Duce!
( ( J e vous remercie très cordialement pour le soutien diplo-
matîque et politique que vous avez récemment apporté à .Y&e-
magne et à sa juste cause.
( ( J e suis convaincu que n o w pouvons nous acquitter de
la tâche qui nous est imposée avec les seules /orces militaires
allemandes. En conséquence, je ne pense pas avoir besoin d‘une
aide militaire de I‘ltalie.
( ( J e vous remercie aussi, Duce, pour tout ce que vous ferez
dans l’avenir pour la cause commune du Fascisme et du Natio-
nal-Socialisme! a
Adolf HITLER l.

Aux environs de midi, Ribbentrop arrive à la Chancellerie,


accompagné de Peter Kleist et d’Otto Abetz, chargés respec-
tivement des affaires polonaises et françaises dans ses
services diplomatiques. Hitler s’avance vers lui d’un air
joyeux e t lui donne un aperçu de la situation militaire.
- (( Nos armées progressent rapidement sur tous les
fronts »,lui dit-il. u Pour peu que les opérations se pour-
suivent à cette cadence, la campagne de Pologne sera
terminée avant même que les Puissances occidentales aient
eu le temps de rédiger leurs notes de protestation! Quelles
nouvelles avez-vous reçues de Paris et de Londres? D
Mais avant que Ribbentrop ait eu le temps de répondre,
Abetz s’élance vers Hitler et lui dit :
- (( Mon Führer! Cette fois-ci, la France ne se contentera
pas de protester. Elle ne se satisfera pas non plus d’une
conférence. La guerre de l’Allemagne contre la Pologne,
c’est la guerre de la France contre l’Allemagne, même si
tous les experts militaires devaient le lui déconseiller! Y
Hitler lève les bras d’un air enjoué et se tourne vers Rib-
bentrop :
1. Livre iaune français, no 367; Archicas secrètes de la Wilhelmlrasao, VII,
no 439.
520 HISTOIRE DE L’ARBffiE ALLEMANDE

- (( Epargnez-moi, je vous prie, l’opinion de vos spécia-


listes! n lui dit-il. (( Qu’est-il arrivé, chaque fois que j’ai
demandé leur avis à ces messieurs? J e les ai interrogés
avant le rétablissement du service militaire obligatoire.
11s m’ont. répondu : (( C‘est la guerre! n J e les ai interrogés
de nouveau lors de la réoccupation de la Rhénanie et ils
m’ont encore répondu : (( C’est la guerre l! D I1 en a été de
même lors de l’Anschluss avec l’Autriche, lors de la crise
des Sudètes et avant l’occupation de Prague. I1 n’en va pas
autrement avec messieurs les militaires. De deux choses
l’une : ou bien les diplomates sont trop absorbés par leurs
devoirs mondains pour juger la situation, dans les pays où
ils se trouvent, mieux que je ne le fais moi-même de Berlin;
ou bien, ma politique ne leur plaît pas et ils faussent la
véritable situation dans leurs rapports, pour m’empêcher de
suivre mes voies. Vous comprendrez, Ribbentrop, que j’aie
renoncé une fois pour toutes à prendre le conseil de gens qui
m’ont déjà mal renseigné - pour ne pas dire menti - une
douzaine de fois, et que je préfère m’en tenir uniquement à
mon propre jugement qui, dans tous les cas que je viens d’énu-
mérer, s’est avéré supérieur à celui des spécialistes z... 1)
De toute évidence, Hitler est convaincu que les aver-
tissements de la France et de l’Angleterre ne sont que des
rodomontades et que le conflit germano-polonais restera
localisé.
t
4 4

Mais tandis que ces événements se déroulent à Berlin,


bien des choses se sont passées dans les autres capitales
européennes.
A Varsovie, le colonel Beck a été tiré de son sommeil par
l’annonce que la Wehrmacht a franchi les frontières de
la Pologne. I1 s’est mis aussitôt en rapport avec l’État-
Major général 3. Les nouvelles qu’il en apprend sont propre-
ment effrayantes. I1 ne s’agit pas, comme on l’avait espéré
tout d’abord, d‘une action partielle et localisée, mais bien
d’une offensive générale. Les armées allemandes attaquent
sur tous les fronts à la fois : en Prusse-Orientale, en Pomé-
1. Hitler prononce ces mots en français.
2. Peter KLEIST, Entre Hitler et Staline, p. 68-70.
3. Colonel BECK,Dernier Rapport, p. 219.
LA PAIX SE MEURT.., LA PAIX EST MORTE 521
ranie, en Silésie, da.ns les monts Beskides. Les opérations
de la Luftwaffe se développent suivant un plan rigoureux :
pilonnage des aérodromes, des gares, des lignes de chemin
de fer, des jonctions de routes, des dépôts de munitions,
des installations industrielles. Ces attaques visent à paralyser
ou à détruire les centres vitaux du pays. Le trafic ferro-
viaire s’en trouve perturbé, ce qui gêne considérablement la
concentration des troupes.
A peine le ministre des Affaires étrangères a-t-il reposé
l’appareil, que les sirènes se font entendre. Leur hurlement
lugubre est bientôt suivi par le sifflement des torpilles.
Des explosions sourdes ébranlent le sol : Varsovie subit
son premier assaut aérien. Pour Beck, ce ne sont pas seule-
ment des tonnes d’acier qui tombent du ciel : ce sont aussi
ses illusions qui commencent à chanceler.
Lorsqu’il descend dans son bureau, il y trouve un télé-
gramme que Halifax lui a envoyé à O h. 50 et qui n’a été
déchiffré qu’à 4 heures du matin l. Le chef du Foreign
Ofice lui dit :
(( J’apprends avec satisfaction que I’ambassadeur de Pologne
à Berlin a reçu des insîructions l‘invitant à prendre contact
avec le Gouvernement d u Reich. J e suis pleinement d‘accord sur
la nicessité de soumettre à un examen approfondi les conditions
prialabltw à l‘ouverture de conversations directes, et je ne pense
p a qu’une visite d u colonel Beck à Berlin soit à recommander
pour le moment. Cependant, je n’aperçois pas les raisons pour
lesquelles le Gouvernement polonais éprouverait des dificultés
à autoriser l‘ambassadeur de Pologne à accepter un document
d u Gouvernement allemand, du moment qu’il ne s’agit pas
d’un ultimatum ... Quant a u modus vivendi que vous prico-
nisez z... n

Beck interrompt sa lecture et passe la main sur son front.


I1 se demande s’il rêve. De quel modus vivendi pourrait-il
bien s’agir, quand les bombes pleuvent sur Varsovie, que
les ponts sautent, que les premières victimes tombent,
fauchées par la mitraille? I1 ne s’agit plus de parler, de
louvoyer, de gagner du temps. I1 s’agit de faire la guerre.
Avant même que l’alerte soit terminée, Beck appelle Sir
Howard Kennard au téléphone.
1. C‘est-&-diretrois quarts d’heure avant le déclenchement de l’offensive.
2. Documenta on British Foreign Policy, VII, no 632.
522 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

-«:Vous entendez ce qui se passe? D lui demande-t-il,


en faisant un effort pour maîtriser son émotion. ((Les
Allemands sont passés à l’attaque! Sans aucune démarche
diplomatique, sans aucune déclaration de guerre, le Reich
se livre depuis l’aube à une agression caractérisée contre
notre pays. C’est un casus foederis! J e ne vois plus aucun
moyen d’empêcher une guerre européenne. I1 faut que la
France et l’Angleterre entreprennent immédiatement une
action militaire, pour soulager la pression qui s’exerce sur
notre théâtre d’opérations ... (A ce moment une explosion
plus rapprochée fait trembler les vitres du Palais Brühl ...)
...
Allô? J e vous entends mal ... Pessimiste, moi? Pas le
moins du monde. La concentration des troupes se poursuit.
Le moral de la population est magnifique. Mais il faut agir,
agir immédiatement ))...
Sir Howard Kennard avait pour instructions de presser
le Gouvernement polonais d’accélérer la prise de contact avec
Berlin. Tout cela lui paraît soudain dérisoire. En quelques
heures, la situatiou s’est transformée du tout au tout.
Aussi n’ose-t-il plus prononcer les mots de (( négociations n
ni de u modus vivendi )).I1 se borne à rendre compte à son
gouvernement de la conversation téléphonique qu’il vient
d’avoir avec le colonel Beck.
Beck, de son côté, informe M. Léon Noël de l’évolution
dramatique de la situation. Puis il téléphone à Paris et à
Londres pour prier MM. Lucasiewicz et Raczynski d’inter-
venir auprès des Gouvernements français et britannique.
- (( Rappelez-leur que nos traités prévoient une assis-
tance immédiate »,leur dit-il. (( Pressez-les d’intervenir dans
les délais les plus brefs. D
* *
A Londres, la nouvelle de l’attaque allemande a éclaté
comme un coup de tonnerre. Personne ne s’attendait à
une décision aussi rapide. Chamberlain a convoqué d’urgence
le Cabinet. Tous les ministres ont estimé que l’Angleterre
devait remplir ses obligations envers la Pologne et qu’une
conflagration générale ne pouvait plus être évitée. Toutefois,
ils ont décidé de ne pas déclarer immédiatement la guerre
à l’Allemagne, mais de lui remettre d’abord un ultima-
tum, la sommant d’arrêter ses attaques et de retirer ses
troupes du territoire polonais.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 523
A 16 heures, Chamberlain se rend à la Chambre des Com-
munes, pour la mettre a u courant des décisions du Gou-
vernement.
(( Ce soir », dit-il, ((je n’ai pas l’intention de prononcer
beaucoup de paroles. Le moment est arrivé où les actes
pèsent plus que les mots. I1 y a un an et demi, l’ai exprimé
devant cette Chambre l’espoir que je n’aurais jamais à
demander à ce pays d’assumer la terrible responsabilité d’une
guerre. Je crains aujourd’hui de ne pouvoir y échapper.
Toujours est-il qu’au moment d’assumer ce fardeau, je ne
pourrais souhaiter des circonstances qui m’indiquent plus clai-
rement OUse trouve mon devoir. Personne ne pourra dire que le
Gouvernement de Sa Majesté aurait pu faire davantage pour
faciliter un règlement pacifique et équitable de la querelle
survenue entre l’Allemagne et la Pologne. Nous n’avons,
par ailleurs, négligé aucune occasion d’avertir l’Allemagne,
d’une façon dénuée de toute ambiguïté que, si elle persistait à
vouloir recourir à la force, comme elle l’a fait dans le passé, elle
nous trouverait tout aussi résolus à lui répondre par la force. ))
Chamberlain relate ensuite les diverses péripéties de la
négociation : l’offre de médiation anglaise, le refus de
Ribbentrop de remettre le texte du mémorandum d’Hitler à
Sir Nevile Henderson, les délais beaucoup trop brefs imposés
à la venue d’un négociateur polonais, enfin la volonté très
nette des dirigeants du IIIe Reich de n’avoir plus aucun
contact avec M. Lipski.
Hier soir encore »,poursuit le Premier Ministre, (( l’ambas-
((

sadeur de Pologne a rendu visite à M. von Ribbentrop. I1


lui a répété ce que le Gouvernement polonais a déjà affirmé
publiquement : à savoir qu’il était prêt à entrer en pour-
parlers avec l’Allemagne sur tous les points litigieux, à condi-
tion que ces conversations aient lieu entre deux interlocuteurs
jouissant d’une pleine égalité de droits1. Et quelle a été la
réponse de l’Allemagne? Sans ajouter UR mot, les forces
armées du Reich ont franchi à l’aube les frontières de la
1. I1 sufit de comparer ce passage du discours de Chamberlain avec les instruc-
tions envoyées par le colonel Beck à M. Lipski le 31 août à 1 2 h. 40(voir plus haut,
p. 4 9 4 ) , pour se rendre compte que la déclaration du .Premier Ministre ne corres-
pond pas tout à fait à la réalité. Peut-être confond-il avec le télégramme que lui
a adressé le colonel Beck, le 28 août? (Voir plus haut, p. 434.) Toujours e s t 4 que
celui-ci n’a jamais été publié par le Gouvernement anglais et que le Gouverne-
.ment polonais-n’y a pas donné suite. On semble se trouver ici devant un nouveau
malentendu provenant du fait que le colonel Beck n’a pas cru devoir divulguer
B Londres la teneur exacte des dernières instructions qu’il a envoyées à Lipski.
Cette a omission D aura les conséquences les plus graves.
524 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

Pologne. Depuis lors, elles bombardent les villes ouvertes,


selon les rapports que nous avons reçus. Dans ces conditions,
il ne nous restait plus d’autre recours que de sommer le
Gouvernement allemand de cesser ses attaques et de retirer
ses troupes derrière sa frontière, sans quoi nous serions
obligés d’apporter à la Pologne toute l’assistance à laquelle
nous nous sommes engagés. Cette décision va lui être notifiée
ce soir même,par notre ambassadeur à Berlin.
u Si la réponse à cet ultime avertissement est négative
- et j e n’ai aucune raison de croire qu’il en soit autrement -
l’ambassadeur de Sa Majesté demandera ses passeports.
Nous sommes prêts à faire face à la situation qui en résuitera.
Hier, nous avons prescrit certaines mesures destinées à com-
pléter nos préparatifs de défense. Ce matin, nous avons
ordonné la mobilisation totale de la Flotte, de l’Armée e t
de la Royal Air Force. Nous avons également pris certaines
dispositions dans ce pays et ailleurs. L’honorable Assemblée
comprendra que je ne les lui décrive pas en détail. Qu’il me
sufise de dire qu’elles représentent les derniers échelons d’un
plan établi à l’avance n ...
Après quoi, le Premier Ministre passe à sa péroraison,
une péroraison où il souligne le caractère idéologique du
conflit et semble réveiller tous les démons du Hradjin :
u Quant à nous n, déclare-t-il, u il ne nous reste plus qu’à
serrer les dents e t à aborder ce combat, que nous avons t o u t
fait pour éviter, avec la volonté de le mener jusqu’à sa fin.
Nous l’abordons avec une conscience tranquille, avec le
soutien des Dominions et de l’Empire britannique e t avec
l’approbation morale de la plus grande partie du monde.
Nous n’avons aucun motif de querelle avec le peuple allemand,
si ce n’est qu’il se laisse gouverner par un régime nazi’.
Aussi longtemps que ce gouvernement existera, e t persis-
tera dans les méthodes qu’il a appliquées avec t a n t de brutalité
a u cours des deux dernières années, il n’y aura pas de paix
pour l’Europe. Nous irons simplement de crise en crise e t
nous verrons les pays attaqués les uns après les autres, selon
des méthodes dont nous avons appris à connaître la technique
révoltante. Ces méthodes, nous sommes résolus à y mettre
fin. Si, après ce combat, nous rétablissons dans le monde
la confiance réciproque e t la renonciation à la violence, les
sacrifices qu’il nous aura coûtés seront amplement justifiés 2. n
1. Faut-il voir, dans ce passage, un appel au peuple allemand pour l’inviter
Q se soulever contre ses dirigeants?
2. Livre bleu anglais, no 105 (Extraits).
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 525
Pour les membres du Parlement, ces paroles ne peuvent
avoir qu’un sens : si la guerre n’est pas encore déclarée,
elle va l’être dans les heures qui viennent.

* +
A Paris, Georges Bonnet déploie une activité fébrile.
Dans son bureau, les visites d’ambassadeurs se succèdent;
les messagers vont et viennent, apportant ou emportant des
télégrammes; le téléphone carillonne sans arrêt. Le ministre
des Affaires étrangères a abandonné tout espoir de voir
s’amorcer des conversations directes. Mais il pense que le
projet de conférence générale, présenté par Mussolini, ren-
ferme, malgré tout, une ultime chance de salut. Aussi
multiplie-t-il les efforts pour le faire aboutir. A cette fin,
il doit accomplir trois choses à la fois : encourager Musso-
lini à aller de l’avant, rallier l’Angleterre au projet italien et
convaincre la Pologne de ne pas y faire obstacle. Les difi-
cultés à vaincre sont presque insurmontables. Mais en cette
journée du l e r septembre 1939, la paix est à ce prix ...
Dès 8 heures du matin, une sonnerie de téléphone reten-
tit. C’est le directeur de i’bgence Havas qui lui annonce la
terrible nouvelle :
- (( Depuis 4 heures ce matin lui dit-il, (( les troupes
d’Hitler ont franchi la frontière polonaise. De formidables
escadrilles de bombardiers allemands s’efforcent de détruire
les champs d’aviation et les nœuds de communications de
la Pologne. ))
Bonnet se demande s’il a bien compris, et prie son infor-
mateur de répéter ce qu’il vient de lui dire :
- (( Avez-vous d‘autres détails? ))
- (( Je ne sais rien de plus l. ))
Bonnet transmet immédiatement la nouvelle à Daladier.
Le Président du Conseil a tant de peine à y croire, qu’il lui
demande, lui aussi, de répéter son message.
Aussitôt informé du déclenchement des hostilités, Daladier
se rend au ministère de la Guerre, rue Saint-Dominique,
où Bonnet vient le retrouver quelques instants plus tard.
Les deux hommes se mettent rapidement d’accord sur les
mesures à prendre : réunir le Conseil des ministres pour

1. Georges BONNET,Ur Défense de ka Pau, II, p. 345.


526 HISTOIRE D E L ’ A R M ~ E A L L E M A N D E

approuver la mobilisation générale; convoquer les Chambres,


dont le vote est nécessaire pour permettre au Gouver-
nement français d’adresser un ultimatum à l’Allemagne;
envoyer à Rome - sans plus tarder -
la réponse française
à la proposition italienne l.
A son retour au Quai d’Orsay, le ministre des Affaires
étrangères y trouve M. Lucasiewicz. Son visage est décom-
posé.
- (( Voilà cinq heures que l‘état de guerre existe entre
l’Allemagne et mon pays », dit-il, (( cinq heures que les
bombes pleuvent sur les villes polonaises! Que comptez-vous
faire? 1)
- (( La mobilisation générale sera décrétée aujourd’hui

même »,lui répond Bonnet.


- (( E t les opérations? 1) insiste Lucasiewicz.
- (( Notre Constitution nous interdit d’accomplir aucun
acte de guerre contre l’Allemagne ou de lui adresser un
ultimatum avant que le Parlement en ait délibéré. Celui-ci
est convoqué pour demain après-midi 1) ...
- Mais c’est effroyablement long! 1) s’écrie M. Luca-
siewicz. (( Songez que la Pologne saigne... 1)
-((Ce délai de vingt-quatre heures est nécessaire pour
faire revenir les députés et les sénateurs qui sont en vacances )),
lui répond Bonnet.
M. Lucasiewicz se retire, visiblement décontenancé.
Alors commence une sarabande ininterrompue de coups
de téléphone :
9 h. 30 :M.Corbin appelle de Londres. I1 a été au Foreign
Office pour connaître la réponse anglaise à l’Italie. I1 n’a
pu obtenir aucune indication précise 2.
10 h. 30 :M.Bonnet appelle M. François-Poncet à Rome.

1. Bonnet devra cependant en retirer la phrase qu’il y a ajoutée la veille au


soir, à la demande de Daladier, relati.vc au fait que a la conférence ne se réunira
qu’après l’échec dcs conversations directes. n (Voir plus haut, p. 504.)Cestade est
dépassé. Vingt-quatre heures ont été perdues entre le moment où Mussolini a
lancé sa proposition et le moment oil Londres et Paris ont fait connaître leur
réponse.
2. Presque au m&memoment, Sir Ncvile Henderson télégraphie à Lord Halifax :
Y Si faible que soit mon espoir de voir se réaliser ma suggestion, je crois de
mon devoir de vous dire que la seule possibilité de sauver encore la paix serait que
le Maréchal Rydz-Smigly se rende immédiatement en Allemagne, en qualité de
plénipotentiaire et de soldat, pour discuter toute l’affaire directement avec le
Maréchal Goering. D (Documents on British Foreign Poliy, VII, no 645.) Cette
proposition ne sera pas retenue.
LA P A I X SE M E U R T . . . L A PAIX EST MORTE 527
I1 lui annonce qu’il recevra, avant midi, une réponse de
principe, favorable à la réunion d’une conférence.
10 h. 40 :Bonnet demande à M. Corbin s’il a bien reçu
le texte de la réponse française A l’Italie, qui vient de lui
être téléphoné e t qui sera transmis à Rome avant la fin de
la matinée.
.-
I I heures M. Corbin rappelle de Londres. I1 a vu Lord
Halifax. Celui-ci a pris acte de la note française avec un
déplaisir marqué et lui a indiqué les grandes lignes de la
réponse britannique. Le Gouvernement anglais ne repousse
pas à priori le projet de conférence, mais il pose comme
condition préalable, la cessation des hostilités et le retrait
des troupes allemandes derrière la frontière l.
t
+ +
Bonnet reçoit cette communication à l’Élysée, où le Conseil
des ministres siège depuis 10 h. 30.
C’est un conseil terne e t morose, nous dit Monzie, (( où
les petits soins ordinaires occupent encore trop de place )).
La recommandation de Coulondre : (( être fermes, tenir
bon et il ne se passera rien D, - domine toutes les
pensées et commande toutes les attitudes. Personne ne
semble se rendre compte du tragique de la situation. Mandel
est le seul qui ait une opinion nette. I1 croit la guerre
inévitable : plutôt maintenant que plus tard. (( Oui! Mais
sommes-nous prêts? )) Peu importe. (( La France a besoin
d’être en guerre pour se mettre en mesure de faire la guerre. ))
I1 réédite brièvement, à l’usage de Monzie, (( ses axiomes
terribles e t familiers ». Quelques ministres laissent percer
une sourde rancune contre la Pologne ... (( Après tout, la
Tchécoslovaquie, Teschen ...)) M. Lebrun est du nombre.
Mandel proteste. a Cependant »,dit Monzie en se penchant
vers son voisin Paul Reynaud, (( c’est bien pour la Pologne
que nous nous battrons demain, si Mussolini ne parvient pas
à organiser une conférence! )) Paul Reynaud sourit. I1 est le
seul à sourire 2.
Après beaucoup d’euphémismes e t de circonlocutions
où le mot (( guerre n est soigneusement évité, le Conseil
1. Sir Alexander Cadogan confirmera ces conditions i Dehlerus au début de
I’aprés-midi. (DAHLEHUS, The Last Attempt, p. 122 et 123.)
2. Anatole de MONZIE,Ci-devant, p. 150-152.
528 EISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

décide de convoquer les Chambres, pour leur demander de


voter soixante-quinze milliards de crédits militaires. I1
faut espérer que le montant de cette somme suffira à faire
comprendre aux parlementaires ce dont il s’agit ...
A ce moment, un huissier apporte une dépêche au ministre
des Affaires étrangères. C’est une communication de l’ambas-
sade d’Angleterre à Rome. Sir Percy Loraine vient de voir
le comte Ciano, qui lui a déclaré : a Quoi qu’il advienne,
l’Italie ne prendra pas les armes contre l’Angleterre ni la
France 1. D
Cette nouvelle est accueillie avec soulagement par un grand
nombre de ministres. Mais la suite des délibérations, où
les esprits sont flottants e t où personne ne veut prendre
ouvertement position, donne l’impression à Monzie (( que les
préparatifs de guerre ne sont qu’une feinte et que la France
n’ira pas plus loin que la mobilisation 2. n
Rappelé au Quai d’Orsay par des communications
urgentes, Bonnet quitte l’elysée avant la fin d u Conseil.

* i

Et aussitôt la sarabande des coups de téléphone recom-


mence :
11 h. 50 :Bonnet dicte à François-Poncet la note par
laquelle le Gouvernement français accepte la conférence s.
13 heures :M.Thierry, ambassadeur de France à Bucarest,
met le ministre au courant des renseignements qu’il a reçus
sur les bombardements de Varsovie et de Cracovie.
15 heures :M. François-Poncet donne la réponse du comte
Ciano à la note française : l’Italie accepte que la Pologne
1. Télégramme de Sir Percy Loraine à Lord Halifax : a Le comte Ciano vient
de me dire que, dans trois heures, le Gouvernement romain fera une déclaration
oficieile, assurant que l’Italie ne prendra pas l’initiative des hostilités.. .En cons&
quence, je prie instamment l’Angleterre, comme la France, de s’abstenir de toute
mesure militaire ayant le caractère d’une provocation, comme de tout commentaire
sur l’attitude de l’Italie susceptible d’exciter l’opinion publique italienne, ou de
provoquer une +action défavorable de la part de Mussolini. B (Documents on
Briatish Foreign Policar, VII, no 653.)
2. I En tout état de cause P, écrit-il, a ces préparatifs manquent de frisson.
L’absence de frisson me rassure presque : à l’évidence, on chronomètre une feinte
nationale. L’habitude de mobiliser par feinte. Au pire, une passe d’armes. m (Ci-
devant, p. 151).
3. e Notre ambassadeur voit ensuite le ministre italien, qui le remercie d’une
réponse dont il se félicite. I1 ajoute qu’il n’est pas en mesure de dire si la propo-
sition italienne pourra encom être envoyée Hitler. D (La Défense de la Pub,
II, p. 347.)
L A PAIX SE MEURT... L A P A I X EST MORTE 529
soit invitée. Elle demande à la France d’insister à Varsovie
pour obtenir du Gouvernement polonais une réponse favo-
rable. Celle-ci sera ensuite transmise à Hitler.
Aussitôt informé que l’Italie accepte la présence d’un
représentant polonais à la conférence, Bonnet demande
la communication téléphonique à la fois avec Varsovie et
Bucarest, pour le cas où les lignes avec Varsovie seraient
coupées.
16 heures :M. Bonnet obtient M. Noël à Varsovie. I1 le
prie d’informer le colonel Beck de l’invitation italienne et
d’insister sur le fait qu’elle est d’initiative française. La
conférence n’aura d’ailleurs lieu que si la Pologne est
consentante.
16 h. 05 : Bonnet parle avec l’ambassade de France à
Bucarest. Comme la communication précédente a été très
mauvaise, il la répète au chargé d’affaires. (( Veuillez télé-
phoner d’urgence à Varsovie )), lui dit-il. (( I1 faut que M. Noël
obtienne rapidement la réponse de la Pologne au projet
italien. C’est très important ... A l’heure où nous sommes,
rien ne doit être négligé l...
16 h. 35 :Bonnet essaie de nouveau d’entrer en rapport
avec Varsovie pour tenter de savoir à quelle heure on aura
la réponse de M. Beck. Mais cette fois, sans aucun succès.
17 heures : Lord Halifax téléphone à Georges Bonnet.
I1 lui lit un projet de note qu’il compte faire remettre à
Ribbentrop, dans la soirée. I1 voudrait que M. Coulondre
s’associe à la démarche de Sir Nevile Henderson et que les
deux ambassadeurs réclament leurs passeports immédiate-
ment.
- n En ce qui concerne la note, je suis d’accord avec
vous »,lui répond Bonnet. u Mais en ce qui concernela
demande des passeports, c’est impossible. I1 faut attendre
le vote des Chambres. Celles-ci pourraient reprocher au Gou-
vernement d’avoir consommé la rupture sans les avoir consul-
tées. ))
Halifax ne peut cacher son mécontentement. Ce forma-
lisme lui paraît excessif a. Quant au projet de conférence,
il ne l’intéresse à aucun degré. Talonné par son opinion
I . En réponse à ce message, l’ambassade de France à Bucarcst fait savoir
aque M. Noël verra M. Beck à 17 heures n.
2. Daladier lui-même aurait souhait6 échapper à cette obligation. (Voir plus
haut, p. 397.)
VI 84
530 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

publique, chez qui l’entrée des troupes allemandes en Pologne


a provoqué un sursaut de colère, et par une Chambre des
Communes qui commence à entrer en ébullition l, il voudrait
faire vite. Pour lui donner quelque satisfaction, Bonnet
convient que Sir Nevile Henderson et M. Coulondre se
rendront ensemble à la Wilhelmstrasse, et présenteront la
même note de pcotestation à Ribbentrop. Le ministre
français des Affaires étrangères se dit qu’Hitler saura par
là que son entreprise risque de le conduire, dansquelques
heures, à une guerre avec la France et l’Angleterre et que
sa seule chance d’y échapper est d’accepter la conférence...
17 h. 55 :Bonnet envoie par téléphone des instructions
à M. Coulondre, le priant de s’associer à la démarche britan-
nique 2.
18 heures :Bonnet appelle M. Corbin à Londres pour lui
préciser sa position.
- (( M. François-Poncet »,lui dit-il, (( m’a confirmé que
M. Mussolini envisageait de réaliser l’idée de conférence
qu’il nous a proposée hier. J e me suis mis immédiatement
en rapport avec vous, pour vous demander quelle était, sur
ce point, la pensée du Gouvernement britannique. Vous
m’avez indiqué que le secrétaire d’État [Halifax] estimait
qu’à l’heure actuelle, ce projet ne lui paraissait guèreviable.
J e vous prie de faire observer que j e ne partage p a s cette
opinion.
Certes, nous avons la ferme volonté de tenir nos engage-
ments. J e viens de donner tout à l’heure ma pleine appro-
bation au projet de note qui m’a été communiqué par le
Gouvernement britannique et j ’ai convenu que nos ambas-
sadeurs à Berlin la signifieraient ensemble au Gouverne-
ment du Reich.
(( Mais je pense que la fermeté même de notre résolution

nous commande, jusqu’à la dernière minute, de ne négliger


aucun effort pour tenter de rétablir la paix. J’ai d’ailleurs
demandé par téléphone à notre ambassadeur à Varsovie
de bien vouloir me faire connaître l’avis des autorités polo-
naises sur le projet de conférence s. ))
1. Aprés le discours que Chamberlain vient de prononcer à 16 heures devant
la Chambre des Communes, la plupart des parlementaires britanniques s’étonnent
que la guerre ne soit pas encore déclarée à l’Allemagne. (Voir plus haut, p. 525.)
2. Livre jaune français, no 337.
3. Georges BONNET, La Défense de ia Pais, II, p. 250. Cette démarche à Varsovie
sera vue, à Londres, d’un trés mauvais œil.Les dépêches diplomatiques anglaises y
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 531
Ah, si seulement le colonel Beck faisait savoir qu’il accep-
tait! Son ralliement entraînerait l’adhésion de l’Angleterre.
Mais Beck ne répond pas. Les communications avec Var-
sovie semblent définitivement rompues...
t
4 4

A 21 h. 30, Sir Nevile Henderson so présente à la Wilhelm-


strasse l, porteur du message suivant qu’il est chargé de
lire à M. von Ribbentrop avant de le lui remettre :
((Excellence,
(( A u nom du ministre des Affaires étrangères de Sa Majesté,

?ai l’honneur de vous communiquer ce qui suit :


( ( A u x premières heures du j o w , le Chancelier du Reich a
adressé une proclamation à la Wehrmacht où s’exprime claire-
ment sa volonté d’attaquer la Pologne.
(( Des nouvelles qui sont parvenues a u Gouvernement de Sa

Majesté, comme a u Gouvernement français, il ressort que les


forces allemandes ont franchi les frontières de la Pologne et
que des attaques sont en cours contre les villes polonaises.
((Dans ces conditions, il apparaît au Gouvernement de Sa
Majesté, comme a u Gouvernement français, que le Gouverne-
ment allemand a créé par son action ( u n acte de force de carac-
tère agressif perpétré contre la Pologne et mettant e n péril l’indé-
pendance de ce pays) les conditions qui requièrent, de leur part,
l’accomplissement des promesses d’assistance auxquelles ils
se sont engagés à l’égard de la Pologne.
(( En conséquence, je suis chargé de vous faire savoir que le

Gouvernement de Sa Majesté remplira sans hésiter ses obliga-


iions envers la Pologne, si le Gouvernement du Reich ne lui
donne pas des assurances satisfaisantes qu’il a suspendu toute
action agressive contre la Pologne et qu’il est prêt à retirer
promptement ses forces du territoire polonais.
(( Veuillez agréer, etc. a... D

font allusion en termes peu amicaux. a M. Bonnet a chargé M. Noël de s’entre-


tenir avec le colonel Beck d‘un projet italien mal défini de Conférence à Cinq.
Le Gouvernement de Sa hlajesté n’a été ni informé de celte démarche, ni consulté à
son sujet. D (Documents on British Foreign Policy, VII, no 479.) De deux choses
l’une : ou bien M. Corbin a omis de transmettre au Foreign Oflice la fin du message
de Bonnet; ou bien l’afirmation anglaise est inexacte.
1. Conformément aux instructions qu’ils avaient reçues de leurs gouvernements
respectifs, l’ambassadeur de Grande-Bretagne et l’ambassadeur de France avaient
demandé à être reçus ensemble. Mais M. von Ribbentrop s’y était refusé. Il avait
donné rendez-vous à Sir Nevile Henderson à 21 h. 30, et à M. Couiondre à 22 heures.
2. Liwe blanc allamand, II, no 472.
532 HISTO1RE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

u Des mots, des mots »,se dit Ribbentrop en écoutant


parler l’ambassadeur. Aussi prend-il cette note sans mani-
fester beaucoup d’émotion, ni meme s’enquérir de fia
nature exacte. I1 semble la considérer comme une simple
formalité. A première vue, elle le confirmerait plutôt dans
sa conviction que la France et l’Angleterre ne bougeront
pas. Si elles étaient décidées à déclarer la guerre, c’est
maintenant qu’elles le feraient ...
Ne voulant pas provoquer un débat en posant des questions
inutiles, il se borne à remarquer :
- (( La responsabilité incombe uniquement aux Polonais.

Nous n’avons fait que répondre à leurs provocations. J e


transmettrai votre message au Führer et vous ferai connaître
sa réponse dès qu’elle me parviendra n ...
- (( J e comprends cette nécessité »,répond Nevile Hender-
son avec une courtoisie glacée. (( J e serai à votre disposition,
à n’importe quelle heure où vous serez en mesure de me
donner la réponse du Chancelier 1. n
Puisque l’ambassadeur de Grande-Bretagne ne fixe aucun
délai à la remise de la réponse, Ribbentrop en déduit que
Londres n’est pas tellement pressé de la recevoir.
Une demi-heure plus tard, la démarche de M. Coulondre
se déroule suivant le même scénario.

Au Quai d‘Orsay, c’est un branle-bas comme on n’en a


plus vu depuis les derniers jours de septembre 1938. Bien
qu’il se fasse tard, tous les collaborateurs de Bonnet sont
à leur poste et ne quitteront pas leurs bureaux pendant trois
nuits consécutives. Les salons, dont les lustres brillent de
tous leurs feux comme pour un soir de fête, sont pleins de
journalistes et de parlementaires qui viennent aux nouvelles.
Dans les rues obscurcies, les affiches blanches ordonnant
la mobilisation générale ont été apposées au début de la
soirée. Elles forment sur les murs des taches livides. Et
tout le long du quai, des grilles du ministère jusqu’à 1’Espla.
nade des Invalides, une foule anxieuse stationnera jusqu’au
petit jour ...
1. Sir Neviie HENDERSON,
D e w ans avec Hitier, p. 297-298.
LA PAIX SE MEURT... L A PAIX EST MORTE 533
Un peu avant minuit, Bonnet reçoit un télégramme de
M. Coulondre, annonçant qu’il a accompli la démarche
prescrite auprès de hl. von Ribbentrop. La paix n’est plus
qu’un soume, en train d’expirer. Si seulement l’on avait
une réponse du colonel Beck!
E n réalité, le colonel Beck a déjà répondu. Mais les
difficultés de transmission sont devenues telles, que le
télégramme de M. Noël, parti de Varsovie le l e * septembre à
21 h. 31, n’arrivera à Paris que le 2, à 2 h. 15. C’est seu-
lement le lendemain qu’on en connaîtra la teneur et que
l’on salira comment les choses se sont passées.
Touché vers 16 h. 30, par le message que lui a transmis
M. Thierry, ambassadeur de France à Bucarest, M. Noël
a demandé immédiatement une audience au colonel Beck.
Rendez-vous lui a été donné pour 17 heures. Mais à Varsovie,
bombardée depuis le matin et où les alertes succèdent aux
alertes, les déplacements ne sont pas faciles. I1 a fallu que
l’ambassadeur traverse la ville en auto durant un bombar-
dement. Arrivé au Palais Brühl, il a dû attendre, pour être
reçu, que l’alerte soit terminée et que le ministre des Affaires
étrangères soit remonté de son abri. Celui-ci est entré
devant lui dans son bureau, un masque à gaz suspendu
à son épaule.
(( Je pensais qu’il était au courant de l’initiative italienne n,

écrit l’ambassadeur. (t I1 m’a affirmé qu’il ignorait tout l...


J e l’ai averti que le Gouvernement italien avait proposé de
réunir une conférence. J’ai attiré son attention sur l’impor-
taiice qu’y attachait le Gouvernement français, ainsi que
sur l’intérêt que pouvait avoir la Pologne à ne pas la repousser
d’emblée 2...
En entendant ces mots, le colonel Beck est allé à la fenêtre.
D’un geste, il a montré le ciel où, quelques instants plus
tat, les avions se livraient à leur carrousel meurtrier.
- (( Nous sommes en pleine guerre D, a-t-il répondu, ((comme
suite à une agression non provoquée. La question qui se
1. a I1 semble qu’il en &ait bien ainsi D, écrit Léon Noel. a J e l’ai vérifié depuis :
ni l’ambassadeur d’Italie à Varsovie n’en avait parlé au Gouvernement polonais,
ni l’ambassadeur de Pologne à Rome n’en avait été informé. Les documents diplo-
matiques publiés jusqu’à présent, n’indiquent pas que les représentants de la
Pologne A Paria et à Londres aient été davantage prévenus.. .Comme je ne possédais
moi-même aucune précision sur elle [la Conférence], mon intervention se borna
à une communication assez vague. n (Léon NOEL,L’Agression allemande wntre
la Pologne, p. 474-476.)
2. Id.. Ibrd.
534 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

pose n’est pas celle d’une conférence, mais celle de l’action


que les Alliés doivent mener en commun pour repousser
cet assaut l! 1)
Il ne se doute pas que dans dix-neuf jours, la Pologne
aura cessé d’exister.
1. Cf. Livre jaune français, no 343.
XXXIII

LA CONFÉRENCE IMPOSSIBLE
(Samedi, 2 septembre 1939)

De très bonne heure, Georges Bonnet, qui n’a pas dormi


de la nuit, se rend chez le Président Daladier pour faire
le point des événements diplomatiques et militaires. Dans
son esprit, quatre faits dominent la situation : les notes
remises la veille au soir à M. von Ribbentrop par Sir Nevile
Henderson et M. Coulondre l; la Conférence italienne, dont
on n’entend plus parler; la réunion du Parlement français,
qui doit avoir lieu à 15 heures, et l’envoi consécutif d’un
ultimatum à l’Allemagne.
- (( A quelle date cet ultimatum doit-il expirer? D demande
le ministre des Affaires étrangères au Président du Conseil.
- (( J e vais consulter notre État-Major »,répond Daladier,
qui appelle aussitôt le général Gamelin au téléphone.
Le généralissime a installé son Quartier Général au
château de Vincennes pour s’écarter de l’atmosphère trop
(( politique )) de la capitale a et réfléchir plus calmement aux

problèmes qui se posent à lui.


Mais au moment où les responsabilités les plus lourdes
vont passer entre ses rhains, le général Gamelin adopte une
attitude très différente de l’optimisme qu’il a manifesté
le 23 août, à la réunion du Comité permanent de la Défense
nationale 3. Quels renseignements nouveaux a-t-il reçus dans
l’intervalle? Quel secret pressentiment le fait hésiter devant
1. Voir plus haut, p. 531, 532.
2. Cf. génhal GAMELIN, Servir, II, p. 456. Le générai Georges, pour sa part,
s’est installé z i La Ferté-sous-Jouarre et l’amiral Darlan, à Maintenon. Cette
dispersion est un facteur de sécurité en cas de bombardements, mais elle ne facilite
pas les liaisons.
3. Voir plus haut, p. 327.
536 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

l‘événement? Toujours est-il qu’il se rallie soudain à l’opinion


du général Aubé - à laquelle il n’avait guère prêté attention
sur le moment même - à savoir que notre aviation est
insuffisante et que la défense aérienne du territoire n’est
nullement assurée 1.
- (( I1 me faut absolument un délai de quarante-huit

heures )I, déclare-t-il à Daladier. (( Les hostilités ne pourront


commencer,au plus tôt, que le lundi 4 septembre, à 21 heures,
lorsque la mise en place de nos armées sera terminée... ))
Comme Daladier s’en étonne, le généralissime lui explique
que la mobilisation générale bat son plein, que les gares
sont envahies par les hommes qui rejoignent leurs unités,
que les trains sont pris d’assaut par des civils qui quittent
la capitale pour se replier en province. Certes, l‘on pourrait
attaquer avec les troupes de couverture qui sont déjà en
place. Mais le premier engagement risque de déclencher des
bombardements massifs de la Luftwaffe sur les gares et sur
les voies ferrées, ce qui exposerait la population à un véri-
table carnage. Mieux vaut ne pas commencer la guerre
sous de pareils auspices ...
Daladier se rend bien compte du poids de cet argument.
Mais il est surpris de constater que c’est seulement à ce
moment que le Haut Commandement s’en avise. Bonnet,
quant à lui, voit dans ces quarante-huit heures de répit dont
on ne saurait lui imputer la responsabilité, un délai de
grâce dont on pourra peut-être tirer parti pour faire abou-
tir la Conférence.
De retour au Quai d’Orsay, il y trouve M. Lucasiewicz qui
l’attend avec impatience. Celui-ci n’est plus du tout dans les
mêmes dispositions que la veille. Littéralement hors de lui,
l’ambassadeur de Pologne commence par s’enquérir si un
délai a été stipulé dans la note remise à Ribbentrop.
- (( Aucun »,répond Bonnet. ([ Comme je vous l’ai déjà
dit, nous ne pouvons rien entreprendre sans l’autorisation
des Chambres. Elles se réuniront cet après-midi. C’est
seulement après leur vote que nous pourrons adresser un
ultimatum à l’Allemagne )) ...
I. Le général Aubé avait signalé que la défense aérienne du territoire lui causait
les plus graves soucis, au triple point de vue de l’organisation, du plan d’emploi
et des moyens, et a qu’il fallait craindre le bombardement des populations civiles,
qui risquerait de porter un coup grave au moral du pays n. (Procès-verbal de h
réunion du Comité permanent. Voir plus haut, p. 328-329.)
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 537
- « E t cet ultimatum, au bout de combien de temps
expirera-t-il ? n demande M. Lucasiewicz.
- u Au bout de quarante-huit heures, je suppose... ))
- u Mais c’est beaucoup trop tard! n s’exclame Luca-
siewicz. u Voilà trente-six heures que la Pologne est en
guerre! Nos villes sont bombardées, nos aérodromes détruits!
Czestochowa, notre sanctuaire national, est en flammes!
Nos populations sont déchiquetées par les bombes... n
- B En quoi cela les soulagera-t-il n, répond Bonnet
avec vivacité, u que les populations françaises subissent le
même sort? n
- a Où est la riposte fulgurante que le général Gamelin
avait promise au général Kasprzycki l? n hurle l’ambassa-
deur. a Vous savez que nos traités prévoient une assistance
immédiate? C’est une dérobade honteuse. Que vaut, dans
ces conditions, la parole de la France? D
Perdant toute retenue, M. Lucasiewicz en vient à proférer
des propos si injurieux que M. Bonnet est obligé de le
rappeler à l’ordre. Mais l’ambassadeur continue à tempêter z.
Pour le calmer, M. Bonnet lui promet d’en référer au Prési-
dent du Conseil qui, en t a n t que ministre de la Défense
nationale, est mieux qualifié que quiconque pour savoir s’il
est possible de hâter, sans danger, l’intervention de la France.
- (( J e vais lui écrire moi-même »,déclare l’ambassadeur

d’un ton menaçant. u J e lui expliquerai, moi, la situation


de mon pays! D
Bonnet l’y encourage vivement, ne serait-ce que pour
mettre un terme à cette conversation pénible. M. Luca-
siewicz écrit sur-le-champ à Daladier pour l’adjurer de
ramener à vingt-quatre heures les délais de l’ultimatum.
La question repasse à Gamelin, qui répète que c’est impos-
sible.
Bien que le caractère de l’ambassadeur soit loin d’être sans
reproche - il brille plus par la sufisance que par la pondéra-
tion et n’a cessé de vouloir faire danser le Quai d’Orsay aux

1. a La France exécute irnrnédinternent une action aérienne, d’après un plan fix4


d’avance B, stipulait l’article 1 de l’Accord Gamelin-Kasprzycki du19 mai 1939.
(Voir plus haut, p. 327, note 3.)
2. Dans ses Mémoires, Bonnet jette un voile discret sur cette scène. Monzie est
plus explicite : E II [Lucasiewicz] nous accuse de ruser, de biaiser, de nous dérober a,
écrit-il. Pour un peu il nous reprocherait le précédent de Munich, ce qui est un
comble, quand on se rappelle le rôle qu’y a joué la Pologne. I1 a presque injurié
Bonnet. D (Ci-devant, p. 153.)
538 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

violons de Varsovie - il faut reconnaître que son émotion


est justifiée. La situation de la Pologne est vraiment dra-
matique. Son système ferroviaire est à moitié détruit, ses
fortifications fracassées, ses armées disloquées. Les divi-
sions cuirassées allemandes enfoncent leurs coins d’acier
dans la chair du pays, malgré les charges réitérées de la
cavalerie polonaise. Déjà tout le Corridor est aux mains de la
Wehrmacht. La IIIe Armée von Küchler fonce sur Ciechanov
et Przasnysz; la IVe Armée von Kluge approche de Kulm
et de Bydgoszcz (Bromberg); la VIIIe Armée Blaskowitz a
dépassé Kempen et progresse en direction de Lodz; la
Xe Armée von Reichenau s’est emparée de Czestochowa et se
dirige sur Kaminsk; la XIVe Armée List se rue sur Cracovie.
(( Dès le deuxième jour de la bataille »,déclarera un peu

plus tard le Maréchal Rydz-Smigly, (( je savais que la guerre


était perdue pour nous. Toutes les liaisons étaient détruites.
Chaque groupe d‘armées combattait isolément. A partir de
ce moment j’étais résolu à demander la paix. Mais les
Anglais me supplièrent de n’en rien faire. Ils m’assurèrent
qu’ils allaient venir à notre secours d’une manière efficace,
sur terre, sur mer et dans les airs. Une nouvelle s’était même
répandue dans les milieux gouvernementaux polonais, affir-
mant que des forces anglaises avaient débarqué à Wester-
platte et que des soldats britanniques combattaient déjà à
côté des nôtres l. n
Pendant ce temps, le colonel Beck multiplie les appels à
l’aide :
((Durant la journée d’hier »,câble-t-il à Londres et à
Paris, (( les combats du front ont pris un caractère d’extrême
gravité. Sans doute les attaques allemandes se heurtent-elles
partout à une vive résistance de notre part, mais le plus
grand handicap réside, pour nos troupes, dans le fait que le
Reich a engagé le gros de ses forces aériennes contre nous.
La Luftwaffe ne bombarde pas seulement les formations
militaires, mais les usines et les villages. Dans ces conditions,
une initiative des Alliés, obligeant la Luftwaffe à transférer
sur un autre front une partie de ses forces, représenterait
pour nous un soulagement inappréciable 2. 11

1. Interview accordée le 30 septembre à un journaliste roumain. (Cf. Adam


BUCKREIS,
Politik der zwanzigsten Jahrhunùerts, p. 304.)
2. Télégramme de Sir Howard Kennard à Lord Halifax, 2 septembre 1939,
13 h. 13. (Documents on British Foreign Policy, VII, no 705.)
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 539
Quelques heures plus tard, n’ayant reçu aucune réponse,
Beck fait demander à Kennard, par l’entremise de 1’Etat-
Major de l’Air polonais :
-«Quand donc arriveront les avions que nous vous
avons achetés l? ))
I1 va sans dire que ces appareils ne peuvent plus être
livrés : ils seraient détruits avant de parvenir à destination.
En outre, l’Angleterre a besoin, à présent, de tous les
appareils qu’elle construit, pour renforcer les effectifs de
la Royal Air Force.
Beck se sent alors effleuré par un soupçon atroce : si la
France et l’Angleterre, malgré leurs belles promesses, se
désintéressaient de la Pologne et l’abandonnaient à son
sort? Si elles ne s’étaient servies de lui que comme d’un
détonateur, pour faire éclater une guerre dont elles n’osaient
pas prendre l’initiative directe 2 ? I1 n’a plus qu’un seul
espoir : une révolution à Berlin3. Pour cela, il ne faut à
aucun prix qu’aboutisse la conférence italienne dont on lui
a vaguement parlé, Elle représente pour lui un danger aussi
grand que la progression implacable des divisions alle-
mandes...

* +
A Rome, le point de vue est exactement à l’inverse. Mus-
solini e t Ciano mettent tous leurs fers au feu pour faire abou-
tir la conférence, car ils y voient un dernier espoir d’ar-
rêter le conflit et de l’empêcher de s’étendre à l’ensemble du
continent.
Lorsque le chef du Gouvernement italien a lancé son
projet le 31 août, au début de l’après-midi, il représentait
une solution acceptable, car les hostilités n’étaient pas encore
engagées. Maintenant que les blindés de la Wehrmacht
foncent à travers la plaine polonaise, ne vient-il pas trop
tard? N’est-il pas, comme le dira dans quelques heures
Lord Halifax, (( un geste aussi vain que de jeter de l’eau
bénite sur un cadavre »?
Pourtant Mussolini s’y cramponne. Pourquoi? Est-ce

I. Documents on Briiish Foreign Policy, VII, no 705.


2. Déclaration de M. Jean Ciechanov& à l’auteur.
3 . C’est un espoir que les bulletins de victoire diffusés par le Haut Commande-
ment allemand rendent d’heure en heure plus illusoire.
540 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE
parce qu’au-delà du conflit germano-polonais, il pressent
la catastrophe effroyable qui va s’abattre sur l’Europe?
Est-ce parce qu’il ne veut pas renoncer aux avantages qui
en découleraient pour lui : le règlement du litige franco-
italo-anglais et l’établissement d’un équilibre nouveau en
Méditerranée? Ou bien, plus simplement, veut-il jouer (( un
rôle historique B? De toutes les hypothèses, cette dernière
est la moins plausible, car il est trop fin politique pour ne
pas mesurer les dificultés qui l’attendent ...
A 8 heures, l’Agence Havas a publié, à Paris, un commu-
niqué disant :
(( L e Gouvernement français, comme plusieurs autres gouver-

nements, a été saisi, hier, d‘une proposition italienne visant


nu règlement des dificultés européennes. Après en avoir discuté,
il a donné une réponse positive. 1)

Rome y a vu une invite à persévérer. Toutefois, sous


l’effet d’une pression anglaise, l’Agence Havas a publié,
une heure plus tard, cette rectification :
L’Agence Havas retire son annonce d’une réponse fran-
çaise, favorable à l‘initiative italienne l. 1)

Mais entre-temps (8 h. 30), Ciano a téléphoné à Paris


pour savoir si la note remise la veille au soir à Ribbentrop
avait le caractère d’un ultimatum. M. Guariglia lui a répondu
que non, que l’ultimatum ne serait remis qu’après le vote des
Chambres qui devaient se réunir dans le courant de l’après-
midi et que, d’ici là, rien ne s’opposait, du côté français,
à ce que se déployât l’initiative italienne. Bien plus : le
Quai d’Orsay faisait des vœux pour qu’elle réussisse.
A 10 heures, Mussolini a donc chargé l’ambassadeur Atto-
lico de faire parvenir le message suivant à Hitler :
(( A titre d’information et tout en laissant la décision a u Führer,

l’Italie fait savoir qu’elle aurait encore la possibilité de faire


accepter par la France, l‘Angleterre et la Pologne a une confé-
rence fondée sur les propositions suivantes :
(( 1. U n armistice qui laisserait les armées sur les positions

qu’ella occupent actuellement;


1. BUCKREIS, O p . c i t . , p. 245; Erich KORDT: Wahn und Wirklichkeit, p. 216.
2. On se demande sur quoi Mussolini se fonde pour formuler cette afirmation,
car l’Angleterre est plus que réticente et la Pologne, résolument hostile.
L A PAIX SE MEURT.,, LA PAIX EST MORTE 541
u 2. L a convocation d’une conférence dans u n délai de deux
OU trois jours;
3. Une soluiion du conjlii germano-polonais qui ne pourrait
((

être que favorable à l’Allemagne, étant donné l’état actuel des


choses.
u L a France s’est déclarée aujourd‘hui particulièrement favo-
rable à cette idée d u Duce.
a Dantzig est déjà retourné à l’Allemagne et le Reich &tient
d‘ores et déjà des gages suffisants pour assurer la réalisation
de la plupart de ses revendications. De plus, il a obtenu
une satisfaction morale. Si le Führer acceptait ce projet de
conférence, il atteindrait la totalité de sea objectifs, tout en évitant
une guerre qui apparaît, dès à présent, comme devant être
longue et généralisée.
a Sans vouloir exercer la moindre pression, le Duce n’en
attache pas moins la plus grande importance à ce que la com-
munication ci-dessus soit portée immédiatement à la connais-
sance de M . von Ribbentrop et du Führer l. n

La veille au soir, quand Ribbentrop a transmis 4 Hitler


les deux notes que venaient de lui remettre M. Coulondre
et Sir Nevile Henderson, le Führer a secoué la tête, en signe
de dénégation.
- u Moi, évacuer les territoires polonais? )) a-t-il répondu.
u I1 n’en est pas question! D’abord, les territoires dont s’est
emparée la Wehrmacht ne sont pas polonais, mais alle-
mands. Ensuite, comment donner l’ordre de repli à des
armées qui n’ont subi aucun échec, mais qui volent au
contraire de victoire en victoire? J e me discréditerais
complètement aux yeux de mes généraux. Enfin, le monde
entier croira que je m’incline, par peur, devant la France
et l’Angleterre, alors qu’elles n’ont même pas les moyens
de me faire la guerre! ))
Aussi, 10rsqueAttolico se rend à 12 h. 30 à la Wilhelm-
strasse,pour apporter à Ribbentrop le message de Mussolini,
n’a-t-il pas grande confiance dans le succès de sa démarche.
I1 n’en est que plus surpris de voir que le ministre des
Affaires étrangères du Reich ne repousse pas d’emblée sa
proposition.
- u J e vais vous avouer une chose n, lui dit Ribbentrop.
1. Akten zur Deufschen Auswdrfigen Politik, VII, p. 425. Primitivement, Musso-
lini ne comptait prendre contact avec l’Allemagne qu’aprés avoir reçu I’accepta-
tion de la France et de l’Angleterre. Mais la iaqon dont les choses se sont précipitées
depuis quarante-huit heures l’a incité à intervertir l’ordre des démarches.
542 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE
((Au moment où vous êtes arrivé ici, le Gouvernement du
Reich s’apprêtait à donner une réponse négative aux notes
remises hier soir par les ambassadeurs de France et de
Grande-Bretagne. Jusqu’ici, rien n’a été fait. J e veux
bien surseoir à tout geste, jusqu’à nouvel ordre. Mais avant
de vous donner ma réponse définitive, il y a un point
qu’il faudrait élucider. Ces deux notes ont-elles, oui OU
non, le caractère d’un ultimatum? Si oui, il va sans dire
que nous ne pourrions que les rejeter n ...
- (( A l’heure où je vous parle, ces notes sont dépassées D,
répond Attolico. ((Ce matin mkrne, à 8 h. 30, c’est-à-dire
postérieurement à leur remise, Ciano en a eu confirmation
de Paris. D
- (( I1 me faudrait en avoir l’assurance formelle »,insiste
Ribbentrop. Veuillez vous en informer à Rome. Inter-
rogez également M. Coulondre et Sir Nevile Henderson.
De plus, il me faudrait un peu de temps pour formuler une
réponse. Celle-ci ne pourrait guère être prête avant demain,
dimanche, à midi I . . . n
A l’issue de cet entretien, Attolico se rend à l’ambassade
d’Angleterre pour questionner Henderson.
- (( Non »,lui répond l’ambassadeur, n: la note que j’ai
remise hier soir à Ribbentrop n’a pas le caractère d‘un
ultimatum. J e l’aurais dit au ministre sur-le-champ, s’il me
l’avait demandé 2. 1)
Rassuré, Attolico retourne à 12 h. 50 à la Chancellerie,
pour communiquer cette déclaration à Ribbentrop.
t
+ +
Au Quai d’Orsay, Georges Bonnet est toujours à l’affût
de nouvelles de Rome. Mais plus les heures passent, plus
l’espoir lui semble vain. Tandis qu’il constitue d’un air
triste son dossier pour la séance de la Chambre - qui doit
s’ouvrir dans trois quarts d’heure --.la sonnerie du télé-
phone retentit. Bonnet décroche l’appareil avec un geste d’im-
patience. Encore un importun? Le téléphoniste annonce :
- (( On vous parle de Rome. C’est le comte Ciano, ministre
des Affaires étrangères d’Italie.

1. Akien zur Deuisclien Aurwüriigen Politik, VII, p. 421.


2. Id. p. 428.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 543
Un des collaborateurs de Bonnet saisit l’écouteur et
transcrit la conversation au fur et à mesure.
- (( J’ai dans mon bureau les ambassadeurs de France et
de Grande-Bretagne », déclare Ciano. (c J e viens d’avoir
une conversation avec eux. M. François-Poncet m’a conseillé
de vous téléphoner directement, car il n’y a pas de temps à
perdre J’ai une importante communication à vous faire.
(( J’ai communiqué à Berlin notre projet de conférence.

M. Hitler n’a pas refusé de le prendre en considération. Mais


il se trouve en présence de deux notes, l’une française, l’autre
anglaise, qui lui ont été remises hier soir. Si ces notes ont
le caractère d’un ultimatum, il répondra catégoriquement
non aux gouvernements de Londres et de Paris, et le projet
sera abandonné.
(c J e vous prie donc de me mettre en mesure de répondre
à la question posée par Ribbentrop. Sir Percy Loraine qui
est à côté de moi, m’a donné l’assurance que, dans l’esprit
du Gouvernement anglais, la note remise hier à Berlin
n’avait pas un caractère d’ultimatum 2. J e voudrais connaître
le point de vue du Gouvernement français. J’ajoute que la
Pologne sera invitée à la conférence. ))
La Pologne invitée, l’Allemagne presque consentante...
ces nouvelles inespérées raniment l’espoir de Bonnet.
- (( La note remise hier à la Wilhelmstrasse n’a pas un
caractère d’ultimatum, puisque aucun vote des Chambres
n’est encore intervenu »,répond-il sans hésiter. (( Pour
ma part, j’acquiesce pleinement à votre proposition et
j’ai tout lieu de penser que le Conseil des ministres sera
du même avis. Mais avant de vous donner une réponse
définitive, il faut que je consulte le Gouvernement britan-
nique et le Président du Conseil. J e vous rappellerai moi-
même tout à l’heure, pour vous dire ce qu’il en est. ))
I1 y a, dans la voix de Bonnet, quelque chose de si chaleu-
1. a E n réalité D, écrit François-Poncet, n durant les joun qui précédhrent la
guerre, je ne cessai pas d’insister auprès du comte Ciano pour que Mussolini
intervînt et, malgré son premier échec [le refus d’Hitler d’accepter sa médiation],
renouvelàt son intervention. C‘est à ma demande expresse qu’au lieu de faire passer
l’offre du Duce par le canal ordinaire des ambassadeurs, le comte Ciano se résolut
à appeler personnellement au téléphone les ministres francais et anglais des Affaires
étrangères. J e n’eus pas de peine à le convaincre que le contact direct, à la voix,
aurait plus d’effet qu’un télbgramme déchiffré et, par là mEme, retardé, et souli-
gnerait mieux le caractére pressant, décisif, de la communication. D (Georges
BONNET, Le Quai d’Orsay sous trois Républiques, p. 299-300.)
2. L’opinion de Sir Percy Loraine corrobore celle de Sir Nevile Henderson.
544 EISTOIRE DE L’ARYÉE ALLEMANDE

reux et de a i persuasif que Ciano et les deux ambassadeurs


ont l’impression que la partie est gagnée. Tandis que les
services téléphoniques du Palais Chigi appellent le Foreign
Office, ils ébauchent déjà entre eux les plans de la future
Conférence de San Remo l.
Quelques minutes plus tard, la communication est établie
avec Londres. Comme Ciano s’exprime très mal en anglais,
c’est Sir Percy Loraine qui prend l’appareil. I1 commence
par répéter textuellement à Lord Halifax ce que le gendre
de Mussolini vient de dire à Bonnet.
- u Le Gouvernement italien »,poursuit-il, u a approché
Hitler pour lui dire que, s’il était disposé à arrêter les
hostilités et à accepter l’ouverture d’une Conférence, le
Gouvernement italien pensait que les Gouvernements fran-
çais et britannique seraient en mesure d’y rallier la Pologne ...
J’ai sous les yeux un télégramme de M. Attolico, qui vient
d’arriver à l’instant et dans lequel il dit :
u J e tiens à souligner que le Führer sf prkparait à donner
une réponse négative aux deux notes gut l u i ont été remises
hier soir par les ambassadeurs de France et de Grande-Bretagne,
Il n’a décidé de surseoir à cette réponse, que dans l’attente des
assurances contenues dans mon précédent télégramme. u
(Ces assurances sont : l’arrêt des hostilités sur les posi-
tions actuelles et l’ouverture d’une conférence dans les
vingt-quatre heures qui suivront .)
u La réponse de M. Bonnet a été très satisfaisante. Le
Gouvernement italien n’attend plus que la vatre 2. n
Mais l’accueil que Lord Halifax fait à cette proposition
est très différent de celui de son collègue français.
- (( L’offre du Duce B, déclare-t-il d’un ton véritablement

glacial, ((ne pourrait être retenue que si les troupes alle-


mandes reculaient jusqu’à la frontière et évacuaient jusqu’à
la dernière parcelle du territoire polonais. Ceci n’est évidem-
ment que mon opinion personnelle, mais je doute fort que
1e.Cabinet britannique ne la partage pas. )I
1. André FRANÇOIS-PONCET, Lettre d Georges Bonnet, reproduite dans le Quai
d’Orsay noua trois Républiques, p- 300. Ciano note de son côté : s Je constate que
ma communication avec Bonnet, à en juger par le ton de sa voix et par les paroler
prononcbes, a produit la plus grande satisfaction à Paris. i (Journal politique,
I, p. 145.)
2. Protocob ds M. Harvey, du Foreign Ofice, star Io conversation téléphonique
entre le comfe Ciano et Lord Ilalifcrz, le 2 septembre 1939 A 2 h. 30 p. m. (Docurnentr
on British Foreign Policy,VII, no 710.)
LA PAIX 5B MEURT... L A P A I X EST MORTE 545
Sir Pepuy Loraine transmet ces paroles à Ciano. Celui-ci
lève les bras, dans un geste de dénégation.
- u J e viens de communiquer votre réponse au comte
Ciano n, reprend Sir Pemy Lsraine. u I1 craint que ce ne soit
impossible. Le maximum que le gouvernement italien puisse
obtenir de Berlin est un armistice immobilisant les armées
sur place. n
-- u Je vais en parler au Premier Ministre B, déclare
Halifax. u I1 soumettra la question au Conseil de Cabinet.
Celui-ci doit se réunir à 16 heures pour mettre au point
la déclaration que le Gouvernement doit faire, à 18 heures,
à la Chambre des Communes. J e vous rappellerai pour vous
faire connaître ootre décision définitive 1.
Cette déclaration fait Yeffet d’une douehe froide à Ciano
et à François-Poncet. Elle tend à réduire à néant toutes
leurs esphrances. Mais que faire? Sane l’accord de l’Angle-
terre, la conférence projetée ne peut pas avoir lieu. I1 ne
reste qu’à prendre patience et & attendre la réponse défi-
nitive du gouvernement de Londresz.
Cependant, avant qu’elle ne parvienne à Rome, un évé-
nement capital se sera déroulé à Paris : la réunion du Par-
lement, qui a été convoqué pour 16 heures.
t
+ +
Lorsqua M. Lucasiewicz est eorti du Quai d’Orsay, il
s’est rendu chez le ministre des Travaux publics sur lequel
il a prolongé sa colère. L’indignation qui soulève l’ambas-
sadeur de Pologne a rappelé à Monzie deux ver8 écrits par
Montalembert, sous l’influence de Mickiewicz :

Aeosrdez-nous la guerre gsdrale pour la libération des peuples,


Nous vous en conjurons, Seigneur BI

1 . Id., ibid.
2. u Nous nous séparâmes B, écrit François-Poncet, E en attendant les réponses
définitives de Paris et de Londres, mais nos illusions d’un instantavaient déjà
les ailes coupées: car nous avions le sentiment, le pressentiment que Londres
...
confumerait I’avii de Halifax et que Paris suivrait Londaes II n’y a aucun
douta que c’est l’Angleterre qui a réduit à d a n t l’offre italienne, offre qui n’avait
pas été formulée sans que Hitler eût été au préalable consulté et B laquelle, en
ne qui vous oonceme, vous aviez pleiwment acquiescé. ~i (Lettre ù Georges Bonnet,
Le Vuai d’Orsay sous trois Républiques, p. 300.)
3. MONTALEMBEIIT,Le Livre des pèlerins polonais.
vl 35
546 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

Mais force lui est de convenir, en même temps, que


si la litanie de 1833 est toujours vivante dans le cmur de
l’ambassadeur, elle ne l’est pas dans celui des Français.
a I1 est assez désagréable de constater »,écrit-il, (( qu’a la
veille de nous battre pour les Polonais, nous ne dissimulons
pas notre déplaisir d’être leurs alliés. I1 y a de la mauvaise
grâce dans notre fidélité I... 1)
Rien n’est plus exact. Placés devant la terrible échéance
- à laquelle la plupart des Français ne comprennent pas
grand-chosea - beaucoup d’entre eux se disent que la
guerre 4 laquelle on les convie est mal engagée. Un pres-
sentiment obscur semble les avertir que nos préparatifs
militaires sont insuffisants. La question, posée quelques
semaines auparavant par Marcel Déat : a Faut-il mourir
pour Dantzig? )) remonte à bien des lèvres. Depuis lors, les
conseils de prudence n’ont pas manqué, mais ils ont été
submergés par les clameurs de ceux qui assurent que la lutte
contre le Fascisme n’est pas seulement inévitable, qu’elle
est un devoir sacré. Pourtant, si forte que soit leur voix
et si impérieux leurs mots d’ordre, un malaise demeure
au fond des consciences.
Aussi Daladier éprouve-t-il quelque inquiétude à l’idée
d’affronter les Chambres S. I1 voudrait qu’elles l’investissent
sans discussion d’une confiance unanime et il ne sait même
pas si elles lui donneront la majorité! Pourtant il a pris
toutes les précautions possibles, car il prévoit que la séance
sera tumultueuse.
Lorsque, au matindu l e r septembre, le Conseil des ministres
a décidé de convoquer le Parlement pour lui demander de
voter, non point la guerre - c’eût été trop risqué - mais
soixante-quinze milliards de crédits militaires 4, M. Jardel,
directeur du Budget au ministère des Finances, a été chargé
de rédiger l’exposé des motifs du projet de loi. En toute
franchise, il a indiqué qu’il s’agissait de faire face (( aux trois
premiers mois des hostilités D. Paul Reynaud a corrigé ce
texte parce que le l e r septembre- ou même le 2- il
1. Anatole de MONZIE,Ci-devant, p. 154.
2. Aucune nouvelle n’a filtré dans la presse, relative à la conférence pmpos6e
par Mussolini. Les journaux n’en parleront qu’A partir du 3 septembre, c’est-à-dire
quand il sera trop tard.
3. Les questions qu’il a posées A Bonnet, le 25 août (voir plus haut, p. 397),
prouvent qu’il aurait préféré s’en dispenser.
4. Voir plus haut, p. 528.
LA P A I X S E MEURT... L A P A I X EST MORTE 547

n’est pas permis de parler d’hostilités, la guerre n’étant pas


encore déclarée. I1 a rectifié de sa main : (( Dépenses pour
faire face aux obligations résultant de nos alliances. )) Puis
il a porté son texte à Daladier qui l’a encore édulcoré en le
remplaçant par la formule : (( Pour faire face aux obligations
résultant de la situation internationale l. 1) De plus, il a été
convenu entre les trois présidents -M. Daladier, président du
Conseil, M. Herriot, président de la Chambre, et M. Jeanne-
ney, président d u Sénat - qu’il n’y aurait pas de délibé-
ration préalable, pour éviter un débat sur le fond 2.
A 15 heures, M. Daladier monte donc à la tribune pour
lire la déclaration du Gouvernement :
Messieurs,
((

Le Gouvernement a décrété hier la mobilisation générale.


((

La Nation tout entière répond à son appel avec un calme


((

grave e t résolu. Les jeunes hommes ont rejoint leurs régiments.


Ils couvrent maintenant nos frontières. L’exemple de courage
et de dignité qu’ils viennent de donner au monde doit dominer
ces débats. (Applaudissements.) Ils ont oublié, dans un grand
élan de fraternité nationale, tout ce qui, hier encore, pouvait
les diviser. Ils ne connaissent plus d’autre service que le
service de la France. En leur adressant le salut reconnais-
sant de la Nation, faisons le serment de nous montrer dignes
d’eux. (Applaudissement s u r tous les bancs.)
I. Anatole de MONZIE,Ci-devont, p. 271. a Ainsi u, dira Adrien Marquet, u la
déclaration de guerre sera enveloppée dans du papier de soie, pour éviter de heurter
les épidermes sensibles. Y
2. Écoutons ce que nous dit, à ce propos, M. Jean Montigny, député de la
Sarthe e t membre de la Commission de l’Armée :
r( Pour étouffer les débats, un astucieux scénario avait été mis au point par
Daladier, Herriot et Jeanneney.
a Une première astuce consistait à faire approuver par le Parlement non un
ultimatum à l’Allemagne, mais des crédits militaires, contre lesquels il serait
plus dificile à l’opposition de s’élever.
a La seconde devait être la promesse faite par Daladier à la Commission des
Finances de la Chambre - et aussitôt violée - de ne pas déclarer la guerre sans
nouvelle consultation du Parlement.
K Lu troisidme f u t de demander, et d’obtenir des présidents des groupes de la

Chambre, une décision eb vertu de laquelle le droit à la parole serait escamoté :


le vote des crédits devait suivre sans débats la déclaration du président du Conseil.
a La puatriéme, et la plus scandaleuse, fut de prévoir des votes à main levée
qui noieraient les responsabilités de chacun dans l’anonymat.
u La cinquidme :si I’AssemblCe se réunissait en Comité secret, un débat difficile
pour le gouvernement s’engagerait et serait enregistré à l’officiel, pour l’histoire.
Aussi fut-il prévu que si une demande de Comité secret était formulée, elle serait
6cartée sans débats et à main levée.
a Toutes ces précautions prouvaient la mauvaise conscience du gouvernement,
qui savait la majorité des Français et un tiers au moins des parlementaires hostiles
à une guerre mai engagée. D (Mémoires.)
548 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

( ( L e Gouvernement a mis la France en é t a t d‘agir selon


son intérêt vital e t selon son honneur ...
(( I1 y a déjà plusieurs jours que la paix était de nouveau

en danger. Les exigences allemandes à l’égard de la Pologne


risquaient de susciter un conflit. J e vous montrerai dans u n
instant comment toutes les forces pacifiques d u monde se
sont conjurées pendant toutes ces journées, pour sauver la paix.
Mais alors qu’on pouvait garder l’espérance que tous ces
efforts renouvelés allaient être couronnés de succès, 1‘Alle-
magne les a brusquement réduits à néant.
(( Dans la journée d u 31 août,la crise a atteint son point

culminant. Lorsque l’Allemagne eut enfin fait connaître à


l’Angleterre qu’elle accepterait une négociation directe avec
la Pologne, la Pologne, malgré la terrible menace provoquée
par la soudaine invasion de la Slovaquie par les armées
allemandes l, tentait immédiatement de recourir à cette
méthode pacifique. A une heure de l’après-midi, M. Lipski,
ambassadeur de Pologne en Allemagne, demandait une
audience à M. von Ribbentrop, La paix semblait sauvée.
Mais le ministre des Affaires étrangères du Reich n’acceptait
de recevoir M. Lipski qu’à 19 h. 4 5 3 . Tandis que ce dernier
apportqit l’adhésion de son gouvernement à des conversa-
tiona directes le ministre allemand se refusait à communiquer
les revendications de l’Allemagne à l’ambassadeur de Pologne4,
sous prétexte que celui-ci n’avait pas pleins pouvoirs pour
les accepter ou les refuser sur-le-champ. A 21 heures, la
radio allemande faisait connaître la nature e t l’ampleur de
ces revendications ; elle ajoutait que la Pologne les avait
repoussées. C’est un mensonge, puisque la Pologne ne les
avait même pas connues S. (Sensation à l’extrême gauche,
ù gauche, au centre et ù droite.)
(( E t , le l e r septembre à l’aube, le Führer donnait l’ordre

d’attaquer à ses troupes. Jamais agression ne fut plus évi-

1. Voir plus haut, p. 447. Cependant, il ne s’agit pas d‘une invasion proprement
dite mais d’une oecupation effectuée en vertu d’un accord passé entre le générai
Barekhausen, représentant de l’Allemagne, et Mgr Tizo, Président de la République
slovaque.
2. Non. Lea instructions envoyées par le colonel Beck à M. Lipski ont quitté
Varsovie a 12 h. 40. Ellen sont parvenues à Lipski à 14 heures. Lipski a demandé
audience vers 16 heures. II a été reçu à 18 h. 30. (Voir plus haut, p. 505.)
3. Non. Les instructions de Lipski n’en faisaient pas mention. (Voir plus haut,
p. 494.) Daladier cernmet iei la même erreur que Chamberlain. Cela confirme
le faif que ni le Premier Ministre ni le Président du Conseil ne connaissaient la
tenetir exacte des instructions enwydea par le colonel Beck à M . Lipski.
4. Non. Lipski ne les a pas demandées. Ce que voyant, Ribbentrop n’a pas jugé
utile de les lui remettre. (Voir plus haut, p. 505.)
5. L’observation de Lucasiewicz à Bonnet (voir plus haut,. p. 470, note 2)
prouve qu’on les connaissait ti Varsovie par suite de la transmission que Dahlerus
e t Forbes en avaient faite B Lipski.
LA P A I X SE MEURT... LA P A I X EST MORTE 549
dente et plus odieuse; jamais aussi, pour la justifier, ne furent
mis en œuvre plus de mensonges et de cynisme. (Applaudis-
sements nourris.)
((Ainsi, la guerre se déclenche alors que s’étaient placées
au service de la paix les forces les plus considérables, les
autorités les plus respectées, alors que le monde entier s’était
conjuré pour inciter les deux parties à entrer en rapport
direct, afin de régler pacifiquement le conflit qui les oppose.
(( Le chef de la Chrétienté avait fait entendre la voix de

la raison et de la fraternité 1; le Président Roosevelt avait


adressé d’émouvants messages et proposé une conférence
générale a; les pays neutres s’étaient employés activement
à offrir leurs bons ofices impartiauxS. Ai-je besoin de dire
que chacun d’eux a trouvé auprès du Gouvernement français,
un accueil immédiat et chaleureux4T n (Applaudissements au
centre et à droite.)
Daladier évoque ensuite les événements de 1938, concer-
nant l’Autriche e t les Sudétes. M. Lucasiewicz, qui assiste
4 la séance dans la tribune diplomatique, bout littéralement
d’impatience. Toutes ces considérations lui paraissent hors
de saison. Une seule chose l’intéresse : la déclaration de guerre.
I1 faut que Sir Eric Phipps, l’ambassadeur d’Angleterre
qui se trouve à côté de lui, intervienne pour le calmer.
- (( Tout cela n’est pas inutile »,lui dit-il à voix basse.
((Le Président d u Conseil a raison de démontrer à son
opinion publique que la guerre n’a été déclarée que lorsque
toutes les possibilités de règlement pacifique ont été épuisées.
Mieux vaut - pour la Pologne elle-même - qu’il ait derrière
lui, quelques heures plus tard, une nation unie que, quelques
heures plus tôt, un pays divisé S... D
a La Pologne »,poursuit Daladier, (( a été l’objet de l’agres-
sion la plus brutale e t la plus injuste. Les nations qui ont
garanti son indépendance sont tenues d‘intervenir pour sa
défense...
- (( Qu’elles le fassent, mon Dieu! Qu’elles le fassent ... »,
murmure M. Lucasiewicz, en joignant les mains.
1. Voir plus haut, p. 361.
2. Voir plus haut, p. 360.
3. Allusion B l’offre de médiation du roi des Belges et de la reine des Pays-
Bas. (Voir plus haut, p. 453.)
4. Daladier passe entièrement sous silence la proposition de conférence faite
par Mussolini.
5. Documenta on British Foreign Policy, VII, no 271.
550 HISTOIRE DE L ’ A R M I ~ E ALLEMANDE

N La France et la Grande-Bretagne ne sont pas des Puis-


sances qui renient leur signature.
(( Dès hier soir, l e r septembre, les ambassadeurs de France

et de Grande-Bretagne faisaient, auprès d u Gouvernement


allemand, une démarche commune. Ils remettaient entre les
mains de M. von Ribbentrop la communication suivante,
au nom de leurs gouvernements respectifs )) ...
M. Daladier d o n n e alors l e c t u r e de l a note remise par
M. Coulondre, l a veille a u soir à 22 heures l.

u Ces efforts pour la paix, s’ils furent impuissants jusqu’ici,


ont du moins marqué la responsabilité de l’Allemagne. Ils
assurent à la Pologne le concours effectif et la solidarité
morale des nations et des hommes libres. ))

L a solidarité morale! M. Lucasiewicz croit défaillir e n


e n t e n d a n t ces mots. Ces formules vides d e sens s o n t ce
qu’il r e d o u t e le plus. Mais l a phrase suivante, l’inquiète
encore d a v a n t a g e :

(( Ce que nous avons fait avant le commencement des


hostilités, nous sommes prêts à le refaire. Si la démarche de
conciliation se renouvelle, nous sommes encore prêts à nous y
associer. )) (Tonnerre d’applaudissements sur tous les bancs.)

P o u r t a i i t la déclaration qui s u i t , e t où Daladier semble faire


sien l e point d e v u e d u Cabinet britannique, rassure à la
fois l’ambassadeur d e Pologne e t l’ambassadeur d’Angleterre :

u Si le combat s’arrêtait, si l’agresseur regagnait ses fron-


tières et si une telle négociation pouvait encore s’engager,
croyez bien, Messieurs, que le Gouvernement frangais n’épar-
gnerait aucun effort. afin de permettre aujourd‘hui encore,
son succès, dans l’intérêt de la paix du monde. (Ovations
prolongées sur tous les bancs.)
(( Mais le temps presse! La France et l’Angleterre ne peuvent

assister en spectatrices à l’anéantissement d‘un peuple ami ...


(( S’agit-il seulement d’un conflit germano-polonais? Non,

Messieurs! I1 s’agit d’un nouveau pas, accompli par la dicta-


ture hitlérienne, dans la voie de la domination de l’Europe
et du monde ... (Applaudissements.)
1. Voir plus haut, p. 531. Le texte remis par M. Coulondre est identique à celui
qui a été remis par Sir Nevile Henderson.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 551
(( Notre devoir est d‘en finir maintenant avec les entreprises

de l’agression et de la violence. Par les règlements pacifiques,


si nous le pouvons encore. Par l’usage de notre force, si tout
sens moral, si toute lueur de raison ont disparu chez les agres-
seurs.
(( Si nous ne tenions pas nos engagements, si nous laissions
l’Allemagne écraser la Pologne, dans quelques mois, dans
quelques semaines peut-être, que dirions-nous à la France s’il
lui fallait de nouveau se dresser contre l’agresseur? Alors,
ces soldats si résolus nous demanderaient ce que nous avons
fait de nos amitiés. Ils se sentiraient seuls sous la plus terrible
des menaces et perdraient cette confiance qui les anime aujour-
d’hui. En ces heures où se décide le destin de l’Europe, la
France nous parle par la voix de ses fils... Retrouvons, comme
eux, l’esprit qui anime tous les héros de notre histoire...
C’est la France qui commande aujourd’hui! (Ovation pro-
))

longée.)
Aussitôt après la déclaration du Président du Conseil,
M. Herriot est obligé, malgré tout, d’informer l’Assemblée
qu’une demande de réunion en Comité secret a été déposée
par MM. Gaston Bergery et René Château.
Comme Bergery demande la parole pour justifier sa propo-
sition, Herriot lui répond :
- (( Je ne conteste pas votre droit à l’intervention, mais
je vous rappelle que les présidents de groupe ont décidé que
le vote aurait lieu sans débats. D
Le député de Mantes - qui sait à quoi s’en tenir sur
l’état de nos armements - tente de parler quand même,
mais sa voix est couverte par les huées et les protestations
d’une moitié de la Chambre. Du haut de sa tribune, Herriot
se penche vers lui e t lui dit, d’un ton apitoyé :
- (( Voyons, Bergery! J e vous en prie, ne parlez pas!
Faites ça pour moi! D
Le vacarme devient t.el, que Bergery doit renoncer à
poursuivre.
Le Président annonce alors que la séance est suspendue,
pour permettre à la Commission des Finances d’entendre
Daladier. Là, survient l’accrochage inévitable.
- (( Nous ne refusons pas de voter les crédits que vous
nous demandez D, déclare M. Frot, député de Montargis,
amais nous ne voulons pas que vous considériez ce vote
comme une autorisation de déclarer la guerre. ))
- (( Promettez-nous, au moins »,insiste François Piétri,
552 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

député de Sartène, uque vous ne la déclarerez pas avant


d’avoir consulté à nouveau le Parlement! ))
Daladier en prend l’engagement.
Lors de la reprise de la séance, le rapporteur de la Com-
mission des Finances, s’appuyant sur la promesse du prési-
dent du Conseil, émet un avis favorable à l’octroi des crédits.
I1 n’y a plus qu’à passer au scrutin.
Herriot annonce alors que le vote aura lieu à main
levée, pour ne pas rompre la belle unanimité de 1’Assem-
blée 1).
- (( Avis favorable? 1) demande-t-il d’une voix forte.
Un grand nombre de bras se lèvent. Les députés opposés
à la guerre se regardent en silence. C’est le moment, pour
eux, de jouer leur va-tout. a Quoi qu’il dût nous en coûter
par la suite )), écrira Jean Montigny, (( nous nous disposions
à faire le geste qui aurait au moins libéré nos consciences 1. ))
Ils attendent que le Président prononce la phrase tradition-
nelle : (( Avis contraires? )) pour lever à leur tour le bras,
en signe de protestation.
Mais Herriot se garde de poser la question.
- (( La séance est levée! n déclare-t-il brièvement, ce
qui permettra au Journal officiel d’imprimer le lendemain,
que la demande de crédits militaires a été adoptée à l’una-
nimité 2.
A la même heure, une séance identique se déroule au
Sénat où, après lecture de la déclaration gouvernementale
par M. Chautemps, Pierre Laval réclame un débat sur le
fond. Mais le président Jeanneney s’y refuse.
- Une communication du gouvernement D, lui répond-il
en le coupant dès sa première phrase, ((ne comporte pas
de discussion. J e ne peux donc vous donner la parole S. I>
Laval insiste, car il craint que la guerre ne s’engage dans
des conditions détestables. Mais sa voix est couverte par
des clameurs indignées. I1 est, lui aussi, réduit au silence.

1. Jean MONTIGNY,Mémoires, MS,p. 223.


2. Fait digne de remarque, les députés communistes votent tous pour l’adop-
tion des crédits militaires - c’est-à-dire pour la guerre. Après la signature du
Pacte germano-soviétique, on se serait attendu à ce que le Kremlin leur donnât la
consigne de s’abstenir. Or, il n’en est rien. Ce fait démontre, une fois de plus, que
Staline ne fera aucun geste pour empêcher le conflit, bien que l’Humanité se soit
efforcée de presenter l’accord Ribbentrop-Molotov a comme une importante
contribution à la cause de la paix n. (Ci. Jacques MAULOY, Paroles francaises,
31 janvier 1947.)
3. Jownnl officiel, 3 cleptsmbre 1939, p. 140.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 553
Comme le Gouvernement interprète le vote des crédits
militaires comme entraînant implicitement l’autorisation
d’adresser un ultimatum à l’Allemagne 1 (car la promesse
faite à la Commission des Finances ne sera pas tenue), on
peut dire que la déclaration de guerre aura été obtenue,
sinon par des moyens inconstitutionnels - comme l’ont
affirmé certains 2 - du moins par prétérition 8.
Au moment où l’existence m&mede la Nation est en jeu,
débats et explications de vote auront été escamotés...

.+
Comparée à l’anxiété qui étreint une partie de l’opinion
française, la détermination anglaise offre un contraste absolu.
La Grande-Bretagne a réagi comme un seul homme à
l’annonce que les troupes allemandes avaient envahi la
Pologne. Aucune voix discordante ne s’est élevée dans la
presse, ni au Parlement. Conservateurs, Libéraux, Travail-
listes, tous sont décidés à relever le défi. I1 y a quelques
jours, un inconnu a répandu devant le Foreign Ofice une
caisse de boules noires portant l’inscription : u Make Peace! ))
u Faites la paix! )) La police a dû intervenir pour empêcher
la foule de le lyncher.
Mais si l’opinion est unanimement orientée vers la guerre,
il ne faudrait pas en déduire qu’elle est exempte de toute
préoccupation. La première est la crainte qu’Hitler, après
s’être emparé rapidement de tous les territoires qu’il reven-
dique comme étant allemands, n’arrête brusquement les
hostilités et ne propose une négociation. u Si d’ici douze
heures Hitler ayant atteint ses objectifs, immobilise ses
troupes et offre la.paix, nous serons dans de beaux draps D,
se dit-on à Londres 4.
La seconde est la lenteur du Cabinet à passer aux actes.
1. C’est bien ainsi que le comprend la majorité des parlementaires.
2. Georges Bonnet s’élèvera vivement contre ce point de vue (LaDéfense de la
Po&, III, p. 357, note 1) et les magistrats de la Cour de Riom ratifieront son opi-
nion. Pierre Laval, en revanche, ne ceaaera d’affirmer, jusque devant les juges de la
Haute Cour en 1945, que la guerre a été déclarée en violation de la Constitution.
(Alfred MALLET, Pierre Lavaal, I, p. 134.)
3. u Ce tour de passe-passe ne vous portera pas bonheur 1, aurait grommelé
Laval en se rasseyant. Jean Montigny, de son côté, écrit dans ses Mémoires :a La
guerre fut votée, sans l’être, tout en l’étant, anonymement et à la nauvette. I
4. Georges SUARES, L’Agonie de la Paix, p. 240. Ce propos répété à Paris par
Paul Reynaud, qui entretient des relations étroites avec Churchill et son entourage,
reflète exactement les appréhensiom des milieux londoniena.
554 HISTOIRE DE L7ARM$E ALLEMANDE

A O h. 30, Churchill a écrit à Chamberlain pour lui dire :


- Voilà trente heures que les Polonais subissent les
((

assauts de l’armée allemande et j’apprends avec inquiétude


que l’on parle, à Paris, d’une nouvelle note. J e tiens pour
acquis que vous serez en mesure de nous annoncer notre
déclaration de guerre commune, au plus tard cet après-midi,
à la séance du Parlement l. 1)
Comme on le voit, le député de Waltham Abbey parle en
maître au Gouvernement de Sa Majesté. I1 peut se le per-
mettre parce que sa position est devenue extrêmement forte.
En quelques jours, les événements ont confirmé toutes ses
prédictions. I1 y a encore six mois, les Anglais l’écoutaient
avec scepticisme; à présent, ils l’approuvent et le poussent
au pouvoir. Tous les partis politiques tendent à faire bloc
autour de lui. C’est lui, en réalité, qui anime les débats de
la Chambre des Communes.
Face à cet orage grandissant, le Cabinet voit sa liberté
de manœuvre se rétrécir d’heure en heure. I1 sait qu’il
sera balayé au moindre faux pas. Aussi est-ce avec une
perplexité teintée d’effroi que Chamberlain et Halifax ont
pris connaissance de la proposition de Mussolini. Ils y voient
non une planche de salut, mais un danger supplémentaire,
qu’ils sont résolus à écarter à tout prix2.
t
* +
C’est pourquoi HaliQax a le front soucieux, lorsque le
Conseil de Cabinet se réunit à 16 heures, et qu’il fait part
à ses collègues du coup de téléphone qu’il a reçu, à 14 h. 30,
du comte Ciano.
- (( Comment pourrions-nous discuter n, déclare-t-il d’un
ton grave, (( sous la menace d’une reprise des hostilités
qu’Hitler serait libre de déclencher à l’heure qu’il choisirait?
Mieux encore : comment pourrions-nous décider librement
de l’attribution de territoires que l’Allemagne tient déjà
sous sa coupe? Nous aurions l’air, tout simplement, d’enté-
1. Winston CHURCHILL, Mémoires, I, 2, p. 8.
2. L’acceptation de Georges Bonnet leur a fait mauvaise impression, même
tempérée par la déclaration de Daladier Q la Chambre des Députés : a S i le combat
s’arr€tait et si l’agreeseur regagnait see fronfières... le Gouvernement frangais
n’épargnerait aucun effort afin de permettre, aujourd’hui encore, le succès
d’une tentative de conciliation dans l’intérêt de la paix du monde. u (Voir plus
haut, p. 550.)
L A PAIX SE MEURT... L A PAIX EST M O R T E 555
riner l’agression. A mon avis, nous ne pouvons accepter la
réunion de la Conférence qu’à coxidition que le Reich retire
immédiatement ses troupes derrière ses frontières, qu’il
évacue jusqu’à. la dernière parcelle de territoire polonais
- ainsi que l’Etat libre et la ville de Dantzig - et qu’il
rétablisse le statu quo existant le 31 août. Le Premier Ministre
l’a dit à la Chambre des Communes et Sir Nevile Henderson
l’a signifié au Gouvernement allemand. I1 me paraît impos-
sible de revenir là-dessus. Si, à ce moment-là, Berlin et Var-
sovie veulent reprendre les conversations directes, je n’y
verrai pas d’inconvénient. Mais pas avant. J e l’ai confirmé
à Ciano. J e pense qu’aucun de vous ne sera d’un avis
contraire. N
-((Vous avez tout à fait raison 11, répond le Premier
Ministre. (( Agir autrement serait non seulement perdre la
face, mais subir une humiliation morale dont l’Angleterre
ne se relèverait pas ... D
A l’unanimité, les membres du Cabinet adoptent la déci-
sion de Lord Halifax. Non seulement il faut éliminer tout
risque de conférence, mais .iJ faut pouvoir l’annoncer à
18 heures, à la Chambre des Communes. Cela calmera
au moins les plus impatients ...
A 17 heures, Sir Alexander Cadogan informe Georges
Bonnet de la décision que vient de prendre le Cabinet bri-
tannique 1. Lord Halifax la notifie & 18 h. 38 au ministre
des Affaires étrangères italien 2.
- (( J e vous apporte la réponse définitive du Cabinet
britannique »,dit-il & Ciano. (( Le Gouvernement de Sa
Majesté ne peut accepter la conférence qu’à condition que
l’Allemagne commence par évacuer tous les territoires
qu’elle détient, y compris Dantzig. ))
- (( Ah non! n s’écrie Mussolini en apprenant cette nou-
velle. (( I1 m’est impossible de transmettre de pareilles
exigences à Hitler! D’abord, il ne les acceptera pas. En ce
qui concerne Dantzig, il faudrait déclarer nul et non avenu
un vote unanime du Sénat de la Ville libre. J e ne vois pas
comment ce serait possible, ni en fait, ni en droit. Ensuite,
1. Conversation téléphonique entre Sir Alexander Cadogan et Georges Bonnet,
le 2 septembre 1939 à 17 heures. (Documents on British Foreign Policy, VII,
no 718.) Bonnet apporte un compte rendu de cet entretien au Conseil des ministres
qui se tient à l’Élysée à 19 heures, après la séance de la Chambre.
2. Conversation téléphonique entre Lord Halifax et le comte Ciano, le 2 septembre
1939, à 18 h. 38. (Documents on British Foreign Policy, VII, no 728.)
556 HISTOIRE DE L’ARMSE
ALLEMANDE

elles déchaîneront chez lui une violente colère contre l’Italie.


I1 se demandera - à juste titre - quel rôle j’ai joué dans
toute cette affaire! Comment puis-je lui demander, moi qui
suis son allié, d’évacuer purement et simplement les terri-
toires qu’il a conquis? J e préfère dans ces conditions,
abandonner la partie l...
A 20 h. 30, Georges Bonnet téléphone à son tour à Ciano
pour lui donner la réponse définitive du Gouvernement
français a.
- (( Après nous être concertés avec le Gouvernement

britannique n, lui dit-il, u nous jugeons, nous aussi, que la


conférence ne peut s’ouvrir sous le signe de la force et que,
pour que l’idée puisse aboutir, les armées allemandes devraient
d’abord évacuer les territoires qu’elles occupent en Pologne. n
- (( C‘est en effet la condition préalable que posent
les Anglais D, répond Ciano d’un ton amer. (( Lord Halifax
m’en a lui-même informé il v a un moment. Mais le Duce
estime ne pas pouvoir transmettre une telle proposition à
Hitler.
(( Puisque les Français s’alignent sur la position anglaise »,

se dit le ministre italien des Affaires étrangères en reposant


l’appareil, ((il n’y a plus rien à faire. n
Le projet de conférence est définitivement enterré.
t
* +
Pour Bonnet, la déception est cuisante, car il est para-
lysé par le veto anglais. Mais Monzie n’arrive pas à en
prendre son parti.
Vers 21 h. 30, il téléphone à Bonnet, du ministère des
Travaux publics. Son émotion est poignante.
- u N e pourrait-on avoir encore une chance de réunir

1. La note, remise le matin même par Attolico à la Wilhelmstrasse, parlait d‘un


a arrêt des troupes sur leurs positions actuelles 1. (Voir plus haut, p. 540.) Hitler
a différé sa réponse aux notes de Coulondre et de Henderson a dans l’attente
d’assurances confirmant cette proposition D. Le Duce pense que c’est la concession
maximale qu’il puisse obtenir d‘Hitler. Lui en proposer d’autres porterait un
coup fatal Q l’Axe.
2. Le retard apporté à transmettre la réponse française à Ciano provient de
ce que Bonnet a tenu, auparavant, à prendre l’avis du Conseil des ministres qui
s’est réuni de 19 à 20 heures. I1 y a exposé successivement la positionbritannique
et la position italienne. Finalement le Gouvernement français s’est rallié au point
de vue de Downing Street. (Cf. Georges BONNET, La Défense de b Poiz, II, p. 359-
360.)
LA P A I X S E MEURT... L A P A I X EST MORTE 557
la conférence »,lui d i t 4 d’une voix brisée, (( si les troupes
allemandes arrêtaient leur avance et opéraient un recul
symbolique sur tout le front? Puis-je encore faire cette
suggestion à l’ambassadeur Guariglia, que j’ai l’occasion
de rencontrer tout à l’heure? 1)
-(I Hélas! lui répond Bonnet, une nous faisons pas
d’illusions. I1 n’y a plus maintenant, je pense, aucune force
qui puisse empêcher la France d’être en guerre, d’ici à
quelques heures. Vous pouvez néanmoins présenter votre
suggestion à Guariglia. J e ne crois pas qu’elle ait la moindre
chance d’être acceptée par Hitler. Si, par miracle, vous
réussissiez, le Gouvernement français, en délibérerait aus-
sitôt avec Varsovie et Londres. 1)
Un peu plus tard, M. Guariglia informe Georges Bonnet
qu’à Rome, on juge un recul (( symbolique 1) des troupes
allemandes aussi impossible que l’évacuation totale des
territoires 1.
t
+ +

Au milieu de la nuit, M. Léon Noël a une nouvelle entre-


vue avec le colonel Beck. Celui-ci lui exprime, en termes
sévères, la déception que lui cause l’attitude de la France.
Qu’attend-elle pour voler au secours de son alliée? L’am-
bassadeur ne sait que lui répondre, car il n’a reçu aucune
instruction à ce sujet. Depuis plusieurs heures, il est même
coupé de tout contact avec Paris.
Sans ajouter un mot, le colonel et madame Beck recondui-
sent M. Noël à la sortie. Tels des spectres, les trois person-
nages traversent les salons du Palais Brühl, envahis par le
silence. Les huissiers, les plantons, les secrétaires sont par-
tis. Les lumières sont éteintes. Le bâtiment tout entier
semble frappé de mort. Sentant Beck au bord du déses-
poir, l’ambassadeur ne peut s’empêcher de lui dire, pour le
réconforter :
- (( En vérité, les engagements souscrits par la France
et l’Angleterre sont trop clairs, pour que leurs deux gouverne-
ments puissent songer à abandonner la Pologne à son sort. 1)
1. Georges BONNET, La Défense de la Paix, II, p. 360. Ciano écrit de son c8té :
aAu milieu de la nuit, on me téléphone du ministère parce que Bonnet a demandé
A Guariglia s’il ne serait pas possible d’obtenir au moins un retrait symbolique
des forces allemandes de Pologne. Rien B faire. J’écarte cette proposition, sans
même en informer le Duce. D (Journal politique, I. p. 146.)
XXXIV

LA TENSION FRANCO-BRITANNIQUE
(Nuit du 2 au 3 septembre 1939)

Lorsque le l e r septembre, à 17 heures, Lord Halifax


a téléphoné à Georges Bonnet pour lui dire : ((Sir Nevile
Henderson remettra à 21 h. 30 une note à la Wilhelmstrasse.
I1 serait bon que M. Coulondre s’associe à cette démarche
et que les deux ambassadeurs réclament leurs passeports
immédiatement »,le ministre français a acquiesce à la pre-
mière partie de cette demande - la démarche commune -
mais il s’est opposé à la seconde : le retrait des passeports l.
- (( Aucun geste de rupture ne peut être accompli sans
un vote préalable des deux Chambres », a-t-il répondu.
u La Constitution nous y oblige. ))
Une heure plus tard, ayant appris que Lord Halifax
considérait la proposition italienne comme (( inopportune
et inviable »,Bonnet a prié Corbin de faire savoir au chef
du Foreign Ofice N qu’il ne partageait pas cette opinion
et qu’il avait l’intention, quant à lui, de ne négliger aucun
effort pour la faire aboutir ».
Ces deux marques d’indépendance à l’égard des prises
de position britanniques ont paru singulières à Lord Halifax.
Voilà déjà tant d’années que la France se soumet docile-
ment aux directives de Londres! Sans doute, en 1919,
lors de la Conférence de la Paix, Clemenceau a-t-il souvent
tenu tête à Lloyd George, réussissant sur bien des points
à faire prévaloir sa volonté 3. Mais depuis lors?
1. Voir plus haut, p. 529.
2. Voir plus haut, p. 530.
3. De même, Barthou a occupé la Ruhr en 1923, contre l’avis des Anglais (voir
L A PAIX S E MEURT... LA PAIX EST MORTE 559
Le 15 mars 1935, lorsque Hitler a rétabli le service mili-
taire obligatoire, l’Angleterre a dissuadé la France de protes-
ter trop vivement. Le 7 mars 1936, lorsque Hitler a réoccupé
la Rhénanie, l’Angleterre a empêché le Gouvernement
français de recourir à des sanctions l. Le 11‘mars 1938, à la
veille de l’Anschluss, l’Angleterre a fait comprendre à Berlin
qu’elle se désintéressait de l’Autriche, paralysant d’avance
toute réaction de Paris z. En septembre 1938, Chamberlain
est parti de sa propre initiative pour Berchtesgaden et
Godesberg, entraînant dans son sillage Daladier à Munich 3.
Puis, lorsque, au lendemain de l’occupation de Prague,
l’Angleterre a brusquement changé de cap et a jeté par-
dessus bord sa politique de conciliation, pour pratiquer à
l’égard de l’Allemagne une politique de fermeté, la France,
malgré les raisons qu’elle pouvait avoir de se distancer de
la Pologne, lui a encore emboîté le pas. Depuis près de
quatre ans, à tous les moments décisifs, Londres a décidé et
Paris a suivi. Le pli est si bien pris que les Anglais ont fini
par considérer la chose comme allant de soi.
C’est pourquoi la moindre velléité française de ne pas
s’associer immédiatement aux décisions britanniques cause à
Londres un sentiment de stupeur, presque de scandale. Au
moment de franchir le pas décisif, le Quai d’Orsay aurait-il
l’intention de faire cavalier seul?
Halifax a froncé les sourcils en apprenant que Bonnet
avait donné son acquiescement à la proposition italienne.
Mais il les a froncés encore bien davantage lorsque le 2 sep-
tembre, & 17 heures, Sir Alexander Cadogan l’a informé,
u qu’ayant téléphoné au ministre français des Affaires étran-
gères pour lui faire savoir que le Gouvernement de Sa
Majesté se proposait de remettre le soir même un ultimatum
h l’Allemagne, la sommant de retirer immédiatement ses
troupes de Pologne, faute de quoi les hostilités commence-

vol. II, p. 257) et a claqué la porte de la Conférence du Désarmement, le 17 mars


1934, sans tenir compte des objurgations de Lord Tyrell et de Sir John Simon.
(Voir vol. III, p. 155.)
1. Voir vol. III, p. 295-298.
2. Voir vol. IV, p. 521-522.
3. Voir vol. V, p. 448 et s. En acceptant la remilitarisation de la Rhénanie,
l’Angleterre n’a pas voulu voir que cette decision placait la France au contact
direct des forces allemandes. De même, qu’en acceptant le démembrement de la
Tchécoslovaquie, elle ne s’est pas arrêtée au fait qu’elle privait ainsi la France de
l’appui du bastion tchbque, en cas d’hostilités avec l’Allemagne.
560 HISTOIRE DE L‘ARMPB ALLBMAWDE

raient minuit D, il s’est entendu répondre par Georges

-
Bonnet :
I Impossible! IJ nwe faut absolument un battement
de quarante-huit heures. Nous ne pourrons commencer lee
hostilités que le 4 se embre au soir$. Retardez votre
dbcision. Un dbsalage t? ans la démarche des deux ambassa-
deurs aurait UP effet déplorable ...
Comme Cadogan &orque que des raisons impérieuses
empbahent le Gouverpement britannique d’apporter le

-
moindre cmeetif h cet horaire, Bonnet ajoute :
u Si l’Angleterre persiste h vouloir entamer les hosti-
lités aujourd’hui même & minuit, elle asmmera une lourde
responsabilité B l’égard de la Francs. Notre mobilisation
n’est pas terminée. Nos villes de l’est ne sont pas encore
évacuées. Nos trains sont encombrés par une foule de
femmes et d‘enfants. Ne pas attendre quarante-huit heures

-
serait exposer nos populations à un véritable massacre... D
a Mais alors *, insiste Cadogan, E( quand donc la France
sera-t-elle en mesure d’intervenir? B
- u Le Conseil des ministres doit se réunir à 19 heures n,
répond Bonnet. (( J e lui soumettrai la question. ))
- (( E t à quelle heure puis-je espérer recevoir votre
réponse? ))
- (( A 21 heures. n
- a C’est trop tard, beaucoup trop tardi N’y a-t-il aucun
moyen de raccourcir ce délai? D
- (( J e tâcherai de vous rappeler B 20 heures 3, répond
Bonnet a.
Cette péponse consterne littéralement le Foreign Offce.
La façon dont Paris se fait tirer l’oreille y heille les pires
soupçons. Au moment où l’Angleterre veut passer aux actes,
voilh que le Gouvernement français semble y faire obstruc-
tion! Que signifie cette attitude? La France songerait-elle
à se désolidariser de l’Angleterre? Hypothèse inconcevable!
...
E t pourtant A cette seule pensée les dirigeants anglais
se sentent glacés d’effroi.

1. Bonnet se borne à répéter les déclarations faites, le matin même, par le


général Gamelin à Daladier. (Voir plus haut, p. 536.)
2. Compte rendu d’une conversation téléphonique entre Sir Alexander Cadogan
et M. Georges Bonnet, le 2 septembre 1939, vers 17 heures. (Documents OR British
Foreign Policy, VII, no 717); Rapport a% M.Corbin à Georges Bonnet (hDéfense
aè la Paiz, II, p. 363).
L A PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 561
L’Angleterre veut déclarer la guerre le soir même. Mais
avec quoi veut-elle la faire? Avec ses six divisions d’infan-
terie, dont une seule est mécaniséel? Avec son aviation
en progression constante mais qui manque encore de pilotes
et dont les 1.130 appareils de première ligne sont à peine
suffisants pour assurer la protection des Iles britanniques 2 1
Avec sa flotte? Mais que peut faire sa flotte pour protéger
Varsovie?
Assurément pas. Elle compte pour cela sur les 120 divi-
sions de l’Armée française, dont le général Gamelin n’a
cessé de lui répéter a qu’elles étaient en mesure de faire
face à toutes leurs obligations 3 D. Celles-ci vont-elles lui
faire défaut à la dernière minute? La Reine des coalitions,
comme l’appelait Napoléon, va-t-elle se trouver seule, en
face de la Wehrmacht?
Que l’ouverture des hostilités expose le territoire français
à des bombardements aériens est évident. Mais comme il
paraît impossible que le général Gamelin ne l’ait pas prévu
depuis longtemps, les réticences françaises doivent avoir
une autre cause...
Dès 11h. 55, Lord Halifax a télégraphié & Sir Eric Phipps,
ambassadeur de Grande-Bretagne à Paris, pour lui faire
part de ses inquiétudes :
(( Sachez, pour votre information personnelle, .que i’attitude

d u Gouvernement français nous cause, ici, bien du souci.


Nous vous serons reconnaissants de tout ce que vous pourrez
faire, pour insufler d u courage et de la résolution à M . Bonnet.
(( SL le Gouvernement français estime -sur la foi de rapports
signalant que le mécontentement et l‘indécision grandissent e n
Allemagne - qu’une .tactique dilatoire est opportune, veuillez
lui dire qu’à notre avis, la seule manière d’exploiter cette situa-
tion à notre profit est une action ferme et immédiate 4. Cela seul
peut nous permettre de franchir cette journée 6. D
1. Lorsque l’amiral Drax a énoncé ces chiffres ii la Conférence du Kremlin, ils
ont fait sourire le Maréchal Vorochilov et lui ont donné à penser que l’Angleterre
ne voulait pas réellement faire la guerre, mais cherchait à s’assurer le concours
de l’Armée Rouge, pour pallier l’insdisance de ses propres effectifs. (Voir plus
haut, p. 230.) I1 est vrai que deux autres divisions - dont une mécanisée
- sont en train d‘être mises sur pied. Mais mirme ainsi...
2. 500 bombardiers, 200 chasseurs, 30 avions de combat et 400observateurs-
éclaireurs. (Hans-Adolf JACOBSEN et Hans DOLLINCER, Der Zweite Weltkrieg.)
3 . Voir plus haut, p. 311.
4. Comme on le voit, le Gouvernement anglais n’abandonne pas l’espoir d’un
soulèvement en Allemagne.
5 . Documente on British Foreign Policy, VII, no 690. e Franchir cette journée D
VI 86
562 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

Au fur e t à mesure que les heures passent, l’énervement


grandit à Whitehall et à Downing Street. Un peu avant
18 heures, Halifax, revenant à la charge, téléphone h Sir
Eric Phipps :
-
HaLiFAX : (( L’attitude du Gouvernement français met
le Gouvernement de Sa Majesté dans une situation intenable!
Nous devons faire tout à l’heure une déclaration au Parle-
ment. Or, nous n’avons jusqu’ici aucun accord avec Paris
sur certains points essentiels, notamment sur le délai qui
doit être fixé dans l’ultimatum final. 1)
PHIPPS : - (( Le Gouvernement français est formel : il a
absolument besoin d’un délai de quarante-huit heures. Inter-
rogé par moi, Bonnet m’a répondu que ce délai devait courir
à partir de la remise de l’ultimatum. n
HALIFAX : -
(( Ce délai de quarante-huit heures est pro-

prement inadmissible! Les services de l’Amirauté nous


signalent qu’il permettra aux Allemands de prendre tous
leurs dispositifs de sécurité sans que nous puissions les en
empêcher. Ils pourront faire sortir leurs sous-marins dans
la mer du Nord, poser des champs de mines, etc. N’y
a-t-il vraiment pas moyen de convaincre M. Daladier que
l’ultimatum doit expirer aujourd’hui, à minuit?
PHIPPS : - Le Gouvernement français estime que c’est
absolument impossible, car l’évacuation des femmes et
des enfants n’est pas terminée I... ))
Bref, 4 18 heures, au moment où le Cabinet doit se pré-
senter devant la Chambre des Communes, il est dans le plus
cruel embarras, car il n’a encore aucune indication précise
concernant les intentions finales du Gouvernement français2.
*
+ +
La séance est d’ailleurs tumultueuse à souhait. Savam-
ment orchestrées par les porte-parole de l’opposition -
mais l’opposition est maintenant partout : sur les bancs
des Travaillistes, des Libéraux et même des Conservateurs -
des vagues d’indignation soulèvent l’assemblée. L’atmos-
phère est étouffante et chargée d’électricité. La veille, à la
eat une allusion à la séance de la Chambre des Communes, convoquée pour 18 heures,
qui promet d‘être mouvementée.
1. Documents on British Foreign Policy, VII, no 727.
2. Puisque le Conseil des ministres se réunira à 19 heures, et que Bonnet ne
pourra faire part de ea décision qu’A 20 heures, au plus tôt. (Voir plus haut, p. 560.)
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 563
même heure, le Premier Ministre a prononcé un discours
dont la péroraison a donné à penser aux députés que la
déclaration de guerre était pour le soir même l . Depuis
lors, vingt-quatre heures se sont écoulées. La Wehrmacht
a publié des communiqués retentissants. La radio de Var-
sovie multiplie les appels à l’aide. Qu’a fait le Gouverne-
ment de Sa Majesté? Rien. Quelle décision a-t-il prise?
Aucune. Hitler a lancé un défi au monde et personne ne
relève le gant ... Situation intolérable! Les questions fusent
de tous côtés. Chamberlain, dont la gêne est visible, ne sait
que répondre aux interpellateurs. Dans les couloirs de
Westminster un bruit sinistre s’est répandu : la France
s’apprêterait à lâcher l’Angleterre 2! Du coup, des critiques
acerbes s’élèvent contre Paris et contre le Cabinet fran-
çais, dont les hésitations risquent de compromettre l’hon-
neur britannique.
- (( Hier soir »,lance un député, ((vous nous avez dit
que les actes comptaient plus que les paroles. Quels actes
avez-vous accomplis depuis que les troupes allemandes ont
envahi la Pologne? ))
- (( Nous avons adressé un avertissement au Reich »,
répond Chamberlain d’une voix qui tremble d’énerve-
ment. (( Jusqu’ici nous n’avons pas reçu de réponse ... ))
- (( E t que comptez-vous faire? ))
- (( I1 est possible que ce retard soit imputable à l’examen
d’un projet proposé par l’Italie, qui aurait pour objet une
cessation des hostilités, immédiatement suivie par une confé-
rence à laquelle participeraient la Grande-Bretagne, la
France, la Pologne, l’Allemagne e t l’Italie... 1)
Cette déclaration soulève un tollé général. (On se demande
d’ailleurs pourquoi Chamberlain s’y réfère puisque ce stade
est dépassé.)
- (( Que faut-il espérer? 1) demande un député, sans que
l’on sache exactement à quoi il fait allusion.
Comme Chamberlain semble perdre pied, le ministre de
la Défense vient à sa rescousse.
- (( Si c’est la guerre que vous espérez »,riposte Hore-
Belisha, u dites-vous que votre vœu sera réalisé demain ... ))
- (( Que Dieu vous entende! D s’écrient plusieurs députés.
1. Rapport de M.Corbin à M. Georges Bonnet. (La Defense de la Paix, II, p. 361-
362.)
2. Id.,ibid.
564 HISTOIRE DE. L’ARMÉE ALLEMANDE

Mais l’intervention de Chamberlain - qui est très fati-


gué - a fait une mauvaise impression sur la Chambre.
Tout le monde est convaincu qu’un mauvais coup se pré-
pare, qu’à la toute dernière heure le Gouvernement va
renouveler la capitulation de Munich. Churchill ne dit pas
un mot. A la surprise de tous, il reste muet comme un
sphinx et fait semblant de dormir. Mais une lueur féroce
perce entre ses paupières, comme s’il s’apprêtait à porter
le coup de grâce à son rival. Plusieurs députés, dont Duff
Cooper et Amery, rouges de fureur, pressent Eden de prendre
la parole.
- (( Parlez, parlez! )) lui disent-ils. a Sommez le Gouver-

nement de déclarer la guerre ou de s’en aller immédiate-


ment! ))
Chamberlain est sur des charbons ardents. Avant l’ouver-
ture de la séance, tous les ministres lui ont remis leur lettre
de démission pour lui permettre de constituer un Cabinet
d’Union nationale, dans lequel entreront des représentants
des trois partis. Mais le Premier Ministre hésite à en faire
usage.
A ce moment, l’orage qui couvait depuis le début de
l’après-midi éclate. Des éclairs strient le ciel autour du
dame de la cathédrale Saint-Paul et de Big-Ben. Des
coups de tonnerre se succèdent à brefs intervalles, faisant
trembler les verrières de Westminster et couvrant la voix
des orateurs. On dirait que la cplère de toute une nation
s’est communiquée aux éléments déchaînés. La séance se
termine dans une atmosphère de désarroi et d’indignation.
La Chambre décide de se réunir de nouveau le lendemain
matin, à 11 heures.
La vie du Gouvernement ne tient plus qu’à un fil, et
ce fil est la déclaration de guerre. Si Chamberlain ne peut
...
pas l’annoncer à la prochaine séance, il sait qu’il est perdu

+ +

A l’issue de la séance de la Chambre des Communes, le


Premier Ministre dîne en compagnie de Lord Halifax.
Jamais le chef d u Foreign Ofice n’a vu Chamberlain
aussi troublé, ni aussi abattu. On dirait un homme à la
dérive, qui ne sait plus à quoi se raccrocher.
- (( J e dois vous avouer que votre déclaration à la
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 565

Chambre n’a pas fait bon effet »,lui dit-il sans ména-
gements. a Les députés ont mal interprété vos propos. Ils
ont attribué à de la pusillanimité ou à de l’indécision votre
incapacité à leur dire l’heure précise à laquelle se déclen-
cheront les hostilités. n
- Vous avez raison D, lui répond Chamberlain. N Si
nous ne faisons pas quelque chose d’ici demain, je doute fort
que le Gouvernement survive à la prochaine séance des
Communes... n
Mais voici que l’on annonce la visite de M. Corbin. I1
apporte la réponse du Gouvernement français. Va-t-elle
permettre enfin de rapprocher les points de vue?
Hélas, non! Le Conseil des ministres s’est réuni à l’Élysée.
Les membres du Gouvernement français ont été unanimes
à reconnaître que le délai de quarante-huit heures devait
être maintenu. Y renoncer serait une terrible imprudence.
Le général Gamelin l’exige e t il a raison. Quelques heures
de plus ou de moins ne changent rien à l’affaire. Que le
Gouvernement britannique comprenne cette nécessité...
Quand Chamberlain entend ces mots, il en est consterné.
Comment les Français ne se rendent-ilspas compte de la situa-
tion où il se trouve? La vie de son gouvernement, la sécurité des
Iles britanniques, l’honneur de l’Angleterre, tout est un jeu.
- (( Comprenez-moi! 1) dit-il à Corbin d’un air sévère.
J e viens d’affronter la Chambre des Communes. La séance
a été la plus houleuse que j’aie jamais connue. J’ai été en
butte à l’assaut de tous les partis. La mauvaise humeur des
députés s’est tournée contre moi et contre la France,
que l’on accuse dans les couloirs de vouloir se dérober ... ))
- (( I1 n’en est pas question »,réplique Corbin avec viva-
cité. (( Mais songez à la position particulière de mon pays.
N’étant pas protégé par la mer, il est beaucoup plus vulné-
rable que le vôtre aux attaques de l’aviation allemande.
Imaginez l’embouteillage de nos gares, l’engorgement de nos
voies ferrées, nos trains pris d’assaut par des milliers de femmes
et d’enfants! Déclencher les opérations à minuit, comme vous
insistez pour le faire, entraînerait une catastrophe. Le moral
de la nation s’en ressentirait. Par ailleurs, notre mobilisa-
tion s’exécute dans un ordre parfait, Il est essentiel qu’elle
puisse se poursuivre sans attaques de l’ennemi l...

1. Rapport de M . Corbin. (Georges BONNET,


La Défense de la Pair, II, p. 362.)
566 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

Le Premier Ministre n’est nullement réceptif à ce genre


d’arguments. I1 ne se déclare pas satisfait et demande à par-
ler personnellement à M. Daladier pour lui exposer les diffi-
cultés auxquelles il est en butte. Pourtant Daladier, appelé
au téléphone à 21 h. 50, maintient intégralement sa position :
- (( J e regrette, mais il m’est impossible de renoncer
au délai de quarante-huit heures »,déclare-t-il. (( C’est l’avis
formel de notre etat-Major. Le Gouvernement français ne
pourrait modifier sa décision que si l’aviation de bombar-
dement anglaise nous apportait immédiatement son concours
pour couvrir notre territoire et protéger notre mobilisation1. D
Quelques instants plus tard, Halifax appelle Bonnet au
téléphone.
- (( Chamberlain vient d’avoir Daladier au téléphone »,
lui dit le chef du Foreign Ofice. (( Celui-ci refuse d’avancer
l’heure d’entrée en guerre de la France. Dans ces conditions,
je n’aperçois qu’une solution : c’est que nos ambassadeurs
à Berlin agissent séparément, Sir Nevile Henderson faisant
tout de suite sa démarche à minuit et M.Coulondre quelques
heures plus tard. 1)
- (( C’est très fâcheux »,répond Bonnet. (( Notre mobilisa-
tion est en cours; l’État-Major nous demande de ne rien
tenter avant lundi soir. I1 paraît un peu ridicule d’aller
réveiller Ribbentrop à minuit, pour signifier à Hitler que
les hostilités ne commenceront que quarante-huit heures
plus tard! Écoutez-moi bien : je reviens de la gare d’Orsay
OU je viens de voir des queues impressionnantes de femqes,
leurs enfants sur les bras. S’il y avait maintenant en France
des bombardements sérieux, ce serait u n effroyable massacre.
Une action séparée des ambassadeurs de France et d’Angle-
terre aura un effet déplorable. Qu’ils fassent ensemble,
demain matin, leur démarche à la Wilhelmstrasse. On n’en
est pas à six heures près, alors qu’il s’agit d‘un conflit dont
vous m’avez dit vous-même qu’il durera plusieurs années 2! D
Lord Halifax paraît ébranlé. Mais les arguments de Bon-
net ne résolvent en rien les problèmes auxquels il doit faire
face. Quand il les rapporte à Chamberlain, le Premier Ministre
lève les bras, d’un air découragé.
1. Georges BONNET,La Défense de la Paix, II, ibid. Le compte rendu anglais
de cette conversation minimise considérablement la demande de concours de I’avia-
tion britanique, formulée par Daladier. (Cf. Documents on British Foreign Policy,
VII, no 740.)
2. Georges BONNET, La Défense de la Paix, II, p. 362-363.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 567
- (( Je ne vois qu’une solution », dit-il. (( Réunir un
nouveau Conseil de Cabinet. D

Tandis que Londres et Paris échangent ces coups de


téléphone frénétiques, le Dr Fritz Hesse, conseiller de
presse du D. N. B. à Londres l, tente une suprême démarche
auprès de Sir Horace Wilson pour empêcher la remise de
l’ultimatum anglais. Parlant au nom de Ribbentrop,
il affirme qu’Hitler (( serait disposé moyennant certaines
conditions à évacuer la Pologne »,et demande qu’une per-
sonnalité britannique de premier plan -
Sir Horace Wilson
lui-même, par exemple - 5e rende à Berlin pour en discuter
avec le Gouvernement alIemand 2.
- (( J e ne puis même pas transmettre votre proposition
au Cabinet britannique, tant elle aurait peu de chances
d’être retenue n, lui répond Sir Horace Wilson. (( Vous ne
vous rendez pas compte à quel point la situation a changé,
ici, depuis quarante-huit heures. Churchill va entrer inces-
samment dans le Cabinet et vous savez que sa participation
au gouvernement implique la déclaration de guerre. Roose-
velt a adressé un télégramme à Chamberlain pour le presser
d’aller de l’avant et lui promettre qu’il le soutiendra contre
vents et marées. Nous savons également que la Russie ne
combattra pas à vos côtés 3. Comment voudriez-vous, dans
ces conditions, que Chamberlain recule? n
-a Mais si vous êtes toujours fidèle à votre idéal de
paix, vous ne pouvez pas garder cette communication
pour vous! n lui répond Hesse.
- (( J e vais vous dire la vérité »,poursuit Wilson.
(( Depuis qu’Hitler a donné l’ordre d’envahir la Pologne,

1. Deutscher Nachrichten Büro, l’Agence de presse oflicielle du Gouverne-


ment allemand. C‘est le DI Hesse qui, le 25 août, a été le premier à informer
Ribbentrop de la signature du Pacte anglo-polonais. (Voir plus haut p. 376.)
2. Les origines de cette démarche restent entourées de mystère. On n‘en trouve
aucune trace dans les archives allemandes e t il semble peu probable que Hesse
ait été réellement chargé de la mission qu’il s’attribue. Cependant, sa visite à
Sir Horace Wilson ne saurait être mise en doute, pas plus que la réponse du diplo-
mate anglais.
3. Les atermoiements apportés par le Gouvernement Soviétique à l’envoi
d’une Mission militaire à Berlin (voir plus haut, p. 370) ne sont pas passés ina-
perçus des observateurs britanniques.
568 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

il s’est passé des choses qui interdisent à tout Anglais


d’écouter une proposition émanant de lui. La seule possi-
bilité serait qu’il ramène ses troupes sur leurs positions
de départ et qu’il reconnaisse publiquement ses torts. Or
vous savez aussi bien que moi qu’il ne le fera jamais. I1 y
a quarante-huit heures, nous avons sommé le Gouverne-
ment français derespecter ses alliances et de marcher à nos
côtés ... Le Gouvernement français semble hésiter. Mais
s’il veut faire encore des manières, soyez assuré que nous
avons les moyens de l’obliger à tenir sa parole... Aujourd’hui
l’Angleterre est la première Puissance du monde. Elle ne
renoncera pas volontairement à cette position et nous
combattrons pour la conserver, si un autre pays prétend
nous la contester. L’Angleterre a toujours pris parti contre
la Puissance prépondérante du continent, car elle ne peut
tolérer qu’une autre qu’elle exerce l’hégémonie sur l’Europe,
sans décliner et voir chanceler les principes sur lesquels
reposent son Empire et son prestige mondial. Nous avons
lutté vingt-deux ans contre Napoléon. Nous lutterons cent
ans, s’il le faut, contre Hitler et l’Allemagne. 1)
- (( Avant de prendre une décision aussi lourde de consé-
quences, songez aux sacrifices immenses qu’elle entraînera! 1)
remarque le Dr Hesse.
- (( C’est tout réfléchi )), répond Sir Horace Wilson. u Notre
décision est prise l. n

*1.

L‘orage, qui avait semblé vouloir s’apaiser, redouble de


violence lorsque le second Conseil de Cabinet de la journée
se réunit à 22 heures. Le ciel de Londres est zébré
d’éclairs, le tonnerre gronde et la foudre tombe par inter-
mittence, comme si les bombardements aériens avaient
déjà commencé.
Réunis autour d’une table verte, les membres du Cabinet
écoutent Chamberlain et Halifax leur rendre compte de
leurs dernières conversations téléphoniques avec Paris. Les
ministres anglais sont unanimes à considérer que le Cabinet
sera renversé s’il se présente, le lendemain, devant la
Chambre des Communes, sans que la déclaration de guerre

1. Cf. Fritz HESSE,Das Spiel urn Deutschland, p. 214 e t S.


LA PAIX B E MEURT... LA PAIX EST MORTE 569

soit devenue effective. Cependant, comme ils ne peuvent pas


se passer du concours de la France, ils font un effort pour
se rapprocher du point de vue de Paris. Ils renoncent à
fixer le début des hostilités à minuit. (Les deux heures qui
restent à courir ne seraient d’ailleurs pas sufisantes pour
mettre en place tous les dispositifs d’alerte.) Ils renoncent
même à les faire débuter à 6 heures du matin. Mais comme
la Chambre des Communes doit se réunir à 11 heures, ils
décident que l’ultimatum britannique sera remis à 9 heures
et que les hostilités commenceront au plus tard à 11heures,
ce qui leur permettra de l’annoncer à la séance du Parle-
ment.
Aussitôt après la fin des délibérations, Lord Halifax
convoque M. Corbin à Downing Street. I1 l’informe de la
décision que vient de prendre le Cabinet britannique et lui
demande si le Gouvernement français ne pourrait pas se
conformer à cet horaire.
Corbin transmet immédiatement cette demande à Paris.
- a Les démarches doivent à présent se succéder de si
près », remarque Bonnet, (( qu’il me paraît absurde de ne
pas les faire concorder. I1 doit bien y avoir un moyen d’y
parvenir! Ne pourrait-on remettre la séance des Communes
à midi, par exemple? n
- N Impossible! répond Corbin. N Mais le Gouverne-
ment français, de son côté, ne peut-il faire un effort pour
raccourcir les délais prévus? 1)
- J e vais voir n, dit Bonnet. (( Veuillez tenir la ligne.
Bonnet,.qui sait que le manque de synchronisation est
dû essentiellement à des (( raisons techniques », appelle
sur une autre ligne le ministère de la Guerre. Après plu-
sieurs minutes d’attente, on finit par lui répondre ce
qu’on a déjà dit à Daladier :
- a Demandez à Londres si l’on peut mettre demain
l’aviation de bombardement britannique à notre dispo-
sition. Dans ce cas, l’État-Major français pourrait accepter
une réduction du délai l. ))
Bonnet transmet cette proposition à M. Corbin pour qu’il
la soumette au Foreign Ofice. Mais l’État-Major britannique,

1. Georges BONNET, La Défense de la Paix, II, p. 364. L’État-Major du général


Vuillemin a déjà proposé cette solution à Daladier. Le Président du Conseil en
a parlé à Chamberlain lors de sa conversation téléphonique de 21 h. 50. (Voir
plus haut, p. 566.)
570 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

consulté par Chamberlain, fait savoir qu’il ne peut abso-


lument pas prêter son aviation de bombardement l.
Du coup, l’État-Major français demeure sur ses positions.
Une fois de plus tout est bloqué, faute de moyens matériels ...
z
* *
Pendant ce temps, une scène extraordinaire se déroule au
domicile de Churchill, où tous les (( ultras )) du Parti conser-
vateur se sont donné rendez-vous.
Avant de s’y rendre, Duncan Sandys est passé à l’ambas-
sade de Pologne, pour y glaner les dernières nouvelles de
Varsovie et apporter des encouragements à l’ambassadeur.
I1 a trouvé M. Raczynski en proie à un découragement
profond.
- (( Jamais, non jamais je n’aurais cru cela possible,
de la part de l’Angleterre, ni de la France! 1) gémit-il.
(( Pourquoi nous avoir fait tant de belles promesses, si c’était

pour nous abandonner au dernier instant? m


- (( Ne perdez .pas courage »,lui dit Duncan Sandys.
(( Tout n’est pas perdu. J e puis vous assurer que Churchill

et ses amis ne céderont pas. Ils peuvent compter non seule-


ment sur le soutien d u Labour Party, mais sur celui des
Libéraux et d’une grande partie des Conservateurs. Ils
sont tous décidés à ne pas capituler. Si Chamberlain fait
encore preuve de faiblesse à la séance de demain matin,
ils le renverseront 2. 1)
En arrivant à la maison de Churchill, Sandys y retrouve
Anthony Eden, Duff Cooper, Robert Boothby et Brendan
Bracken. Ils sont tous dans un état de fureur indes-
criptible. Sandys rend compte à Churchill de la visite
qu’il vient de faire à l’ambassade de Pologne et lui dépeint
l’état de prostration où il a trouvé l’ambassadeur. Churchill
bondit au téléphone et demande à parler à M. Raczynski.
L’ambassadeur, qui n’a pas quitté son bureau lui répond
en personne.
- (( Quelles sont les dernières nouvelles du front? 1) lui
demande Churchill.
1. Georges BONNET, Lc Quai d’Orsay s o w irois R&publiquca,p. 305. a Comprenne
qui pourra D, écrit Bonnet. On pousse le ministre des Affaires étrangères à déclarer
la guerre au plus tbt. Mais quand il invite les États-Majora à entrer en action,
chacun se dérobe. .. n
2. Edouard RACZYNSKI, in allied London, p. 29.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 571
- (( Mauvaises, très mauvaises! )) répond l’ambassadeur.
((Malgré les efforts héroïques de nos soldats, les Allemands
avancent d’une façon irrésistible. D’heure en heure, des
villes nouvelles tombent entre leurs mains. A ces motifs
d’angoisse vient s’en ajouter un autre : le silence incompré-
hensible du Gouvernement britannique. Que compte-t-il
faire? Pouvez-vous me donner quelques éclaircissements à
ce sujet? n
Raczynski paraît plongé dans un abîme de désespoir.
- (( Les heures passent »,dit-il d’une voix éteinte. Les
décisions de Londres et de Paris sont toujours en suspens.
Que va-t-il arriver? n
Churchill ne sait que lui répondre. Que peut-il lui pro-
mettre, à cette heure tardive? I1 grommelle entre ses dents,
quelques mots dont Raczynski ne saisit pas le sens. Puis
il ajoute :
...
- (( J’espère ... j’espère que l’Angleterre tiendra sa... n
Terrassé par l’émotion, sa voix s’achève dans un sanglot
et l’ambassadeur de Pologne l’entend distinctement pleurer
à l’autre bout du fil l.
Mais l’ancien Premier Lord de l’Amirauté n’est pas homme
à s’abandonner à ses nerfs, surtout à un moment pareil. Son
tempérament combatif reprend le dessus. Très vite, la colère
l’emporte sur le découragement. Elle monte en lui comme un
ouragan et infuse à tous ses actes une énergie surhumaine.
I1 demande au téléphone l’ambassade de France. D’une
voix fulminante qui fait vibrer l’appareil, il somme M. Corbin
de rappeler son Gouvernement au respect de ses engage-
ments. I1 hurle, il menace, il morigène.
- (( I1 faut que la France déclare la guerre immédiate-
ment! )) rugit-il. (( J’ai toujours lutté pour l’Entente cordiale.
C’est peut-être la dernière occasion où la France et l’Angle-
terre sont appelées à conjoindre leurs forces. Si elles se
divisent, dans des circonstances aussi graves, l’Angleterre
se retranchera dans son île. Elle combattra farouchement,
mais elle se désintéressera des affaires de l’Europe ... ))
- (( La France fait en ce moment un effort immense »,
lui répond M. Corbin. (( Elle est en train de mobiliser plusieurs
millions d’hommes. Au lieu de hurler comme vous le faites,

1. Adrian BALL,The last Day of the Old World, p. 26. a Churchill paraissait
anxieux et cruellement humilié N, note M. Raczynski dans son journal.
572 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

vous feriez mieux de pousser vos compatriotes à intensifier


leurs préparatifs militaires! D
Mais Churchill n’écoute pas. La rage qui l’étouffe le rend
littéralement sourd. I1 continue à tempêter, si bien que
M. Corbin est obligé de le rappeler aux convenances. Finale-
ment, comme l’ambassadeur de France n’arrive pas à
placer un mot, il raccroche le téléphone (( pour mettre au
moins un terme à ses aboiements ».
M. Corbin est d’autant plus agacé que le rez-de-chaussée
de l’ambassade est envahi par des délégations de parlemen-
taires qui viennent aux nouvelles et veulent exercer une
pression sur lui pour qu’il pousse son gouvernement à
intervenir sans délai. I1 descend au grand salon pour dire
quelques mots à ces visiteyrs nocturnes et leur expliquer
les raisons pour lesquelles 1’Etat-Major français estime néces-
saire de retarder de quelques heures l’ouverture des hosti-
lités. Il faut croire que les paroles de l’ambassadeur sont
persuasives, car les parlementaires se retirent, rassurés
et calmés.
Mais Churchill, lui, ne se calme pas. Bien au contraire.
De plus en plus déchaîné, il ressemble à présent à un Nep-
tune en furie, appelant à sa rescousse toutes les puissances
de l’Océan. Une force élémentaire émane de sa personne.
I1 est indigné contre Chamberlain, qu’il accuse de le bafouer,
de l’humilier, de le traiter indignement. I1 sent que cette
heure est la sienne, et non à l’homme qui est allé capituler
à Munich. Tous ses instincts combatifs se réveillent à
l’approche de la tempête qu’il appelle de tous ses vœux,
car il pressent qu’elle lui permettra enfin de donner sa
mesure. I1 est au seuil de la guerre, au seuil du pouvoir et
ces deux choses n’en font qu’une seule dans sa tête. Voilà des
mois qu’il se prépare à cette minute suprême. Mais on le
tient à l’écart, on l’empêche de franchir le dernier pas qui
lui permettrait de galvaniser toutes les énergies de la
nation!
- u Chamberlain m’a fait venir vendredi dernier »,s’écrie-
t-il. (( I1 m’a offert un poste dans le Gouvernement, en me
disant que les dés étaient jetés et qu’il avait besoin de moi.
J’ai naturellement accepté. Depuis lors, il ne m’a plus rien
... ..
dit J e ne sais plus ce qui se passe. ))

1. Adrian BALL,Op. c i f . , p. 34.


LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 573
- (c Chamberlain a perdu la confiance du Parti conser-
vateur! )) remarque Robert Boothby. u I1 ne dépend que de
vous de le renverser demain. Après la séance de ce soir,
vous ne pouvez plus accepter de vous mettre à son service. n
- (( Cette décision est graven, fait remarquer un des assis-
tants. (( Si vous soutenez Chamberlain demain, vous pouvez
encore le sauver. Cela offre des inconvénients. Mais est-il
sage de diviser le pays dans un moment pareil? Pour-
quoi n’avez-vous pas pris la parole, à la Chambre des
Communes? 1)
- u J e me considérais déjà presque comme un membre
du Cabinet »,répond Churchill. (( Voilà ce qui m’a empêché
de passer à l’attaque... D
Renverser Chamberlain? Le soutenir in extremis? Tel est
le grave débat de conscience qui se pose à Churchill.
- J’ai écrit ce matin au Premier Ministre »,déclare-t-il.
u J e vais lui adresser une seconde lettre )) ...
Déjà il prend la plume pour rédiger son message, lorsque
le téléphone carillonne. Churchill saisit l’appareil d’un geste
machinal. I1 entend, au bout du fil, une voix qui lui dit :
- (( Le Cabinet vient de terminer ses délibérations. I1
a décidé d’envoyer un ultimatum à l’Allemagne à 9 heures
du matin, c’est-à-dire avant l’ouverture de la séance du
Parlement. L’état de guerre sera effectif à partir de 11heures. 1)
Churchill repose l’écouteur. Son visage se détend. L’infor-
mation qu’il vient de recevoir a fait brusquement tomber
sa colère. I1 annonce la nouvelle à ses amis d’une voix
apaisée.
- (( Voilà qui change tout! n déclare-t-il. (( Nous ne pou-
vons pas renverser un Cabinet qui nous apporte la déclara-
tion de guerre )) ...
- (( C’est l’évidence même I), remarque Eden.
Churchill sourit. Son premier objectif est atteint. Reste
à atteindre le second : briser les derniers obstacles qui le
séparent du pouvoir. Au moment où ses amis prennent congé
de lui, il leur dit :
- (( J e vais quand même écrire au Premier Ministre. II
Aussitôt après leur départ, il s’assied à son bureau et
rédige la lettre suivante :

a Je n’ai plus rien entendu de vous depuis notre entrevue


ds vendredi, 012 VOW m’avez demandé de collaborer avec VOW
574 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

e n acceptant une place dans votre Gouvernement, et où vous


m’avez dit que vous alliez publier cette décision séance tenante.
J e ne sais ce qui s’est passé a u cours de cette journée tumul-
tueuse, mais il me semble que de tout autres idées ont prévalu
sur celles que vous m’aviez exposées lorsque vous m’avez dit :
u Les dés sont jetés. n
a Ce soir, à la Chambre des Communes, o n a eu le sentiment
que l‘esprit d’union nationale avait subi des dommages sérieux,
par suite d’une défaillance duns notre résolution. J e ne sous-
estime pas les dificultés que vous rencontrez du côtédes Fran-
çais, mais j’attends avec assurance que vous preniez votre
décision e n toute indépendance et que vous serviez ainsi d‘exemple
à nos amis français, pour autant que ce soit nécessaire. Nous
avons besoin de la coalition la plus large et la plus forte qui
puisse se concevoir 1. J e vous prie, e n conséquence, de ne rien
publier concernant la constitution du Cabinet de Guerre, avant
que n o m ne nous soyons revus.
u Comme je voua l‘ai écrit ce matin, je me tiens entièrement
à votre disposition, avec le désir sans réserve de v o w aider
dans votre tâche z. D

I1 est 23 h. 45. L’on entend gronder au loin un dernier


roulement de tonnerre. L‘orage s’éloigne ...
Au cours de la même nuit, Lord Ismay, secrétaire du
Conseil de la Défense impériale - qui doit pourtant bien
connaître l’état des armements anglais - tombe à genoux
et adresse au ciel le prière suivante :
- a Mon Dieu! Faites que nous ayons la guerre demain
matin, sans quoi l’Angleterre ne sera plus jamais ce qu’elle
était auparavant 3! n
1. Dans ses Mémoires, Churchill présentera les choses un peu différemment:
a J’ai dit à Paul Reynaud D, écrira-t-il,a que, selon mon point de vue du moment,
l’Angleterre devait entrer en guerre aux côtés de la Pologne, dût-elle s’y trouver
seule. >I (Ct. Adrian BALL, Op. cit., p. 34.)
2. Adrian BALL, The laat Day of the Old World, p. 28.
3. New York Herald Tribune, 2 septembre 1959. Déclaration de Lord Ismay,
faite au cours d‘un banquet offert au général Eisenhower à Winfield-House, à
Londres, le l e t août 1959.
xxxv

LA PAIX EST MORTE


(Dimanche, 3 septembre 1939)

La dernière nuit de la paix est passée. Bonnet, qui n’a


pas cessé d’être sur la brèche depuis quatre jours, est épuisé,
mais sa tension nerveuse ne lui permet de prendre aucun
repos. I1 lit les derniers télégrammes qui amuent sur sa
table. L’aube se lève. De sa fenêtre, il voit le jardin du
Quai d‘Orsay éclairé par les premiers rayons du soleil. Le
ciel est sans nuages. Une belle journée s’annonce, mais il
pense, avec tristesse, que ce sera une journée de guerre.
Pour la deuxième fois depuis le début du siècle, une tor-
nade de feu va passer sur le continent1 ...
A 5 heures du matin, Halifax a prévenu Sir Nevile
Henderson de se tenir prêt à remettre, à 9 heures, l’ulti-
matum final à l’Allemagne. Pour éviter toute erreur, il lui
en a fait parvenir le texte à l’avance :

u Dans la note que T a i eu l’honneur de remettre à Votre Excel-


lence le l e * septembre, sur ordre d u Secrétaire d’État pour les
Affaires étrangères d u Gouvernement de S a Majestè, je vous
a i averti que le Gouvernement britannique remplirait sans hési-
ter ses obligations envers la Pologne si le Gouvernement d u
Reich ne l u i donnait pas des assurances satisfaisantes qu’il avait
suspendu toute action agressive contre la Pologne et qu’il était
prêt à retirer promptement ses forces d u territoire polonais.
( ( B i e n que cette communication remonte à plus de vingt-
quatre heures, elle n’a pas encore reçu de réponse. En revanche,

1. Cf. Georges BONNET,


UC Défenee de h Paix, II, p. 365.
576 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

les attaques contre la Pologne se sont poursuivies et intensifiées.,


u J’ai Z‘honneur de vous faire savoir en conséquence que S L
le Gouvernement du Reich ne fait pas parvenir à Londres, au
Gouvernement de Sa Majesté, aujourd’hui 3 septembre avant
11 heures du matin (heure anglaise d‘été) des assurances satis-
faisantes dans le sens indiqué plus haut, l’état de guerre ezktera
à partir de cette heure entre les deux pays.
(( Veuillez agréer, etc. ))

NEVILEHENDERSON
l.

Dès le reçu de ce texte, le secrétariat de l’ambassade de


Grande-Bretagne a téléphoné à la Wilhelmstrasse :
-a L’ambassadeur du Royaume Uni demande à être
reçu à 9 heures. I1 a une note importante à remettre au
ministre des Affaires étrangères du Reich. 1)
Comme il ne peut s’agir d’une communication agréable,
Ribbentrop ne manifeste aucune envie de recevoir l’am-
bassadeur personnellement. I1 se tourne vers l’interprète
Schmidt e t lui dit :
- (( Au fond, vous pourriez aussi bien le recevoir à ma
place! Demandez donc aux Anglais si cela leur conviendrait.
Dites-leur que le ministre des Affaires étrangères du Reich
ne sera pas libre à cette heure-là. B
L’ambassade, consultée, répond qu’elle n’y voit aucun
inconvénient. L’essentiel est que l’ambassadeur soit reçu
à l’heure dite.
A 9 heures précises, Sir Nevile Henderson se présente donc
à l’ancienne Chancellerie où il est introduit dans le bureau
de Ribbentrop. Le ministre des Affaires étrangères est
absent. Henderson est accueilli par l’interprète Paul Schmidt.
Après lui avoir serré la main, Schmidt lui désigne un siège.
Mais Henderson refuse de s’asseoir. Debout, au milieu de
la pièce, il lit l’ultimatum anglais d’un ton solennel. Sa voix
tremble légèrement et son visage est grave. Puis il tend le
document à Schmidt en lui disant :
- (( I1 m’est pénible de devoir vous remettre un docu-
ment pareil, à vous qui vous êtes toujours montré si ser-
viable et si compréhensif. 1)
Après quoi Henderson prend congé de l’interprète. L’en-
trevue n’a duré que quelques minutes.
1. Livre blanc allemand, II, no 477. L’heure anglaise d‘été ayant BtB avancée
de soixante minutes par rapport à l’heure G . M. T., elle coïncide avec celle de
Berlin.
LA P A I X SE MEURT... LA P A I X EST MORTE 577
I1 est 9 h. 15. Le Gouvernement allemand n’a qu’une
heure trois quarts pour se prononcer. I1 est matériellement
impossible de rédiger une réponse et de la faire parvenir à
Londres en temps voulu. Encore moins de prendre des
mesures qui puissent être considérées comme des (( assu-
rances satisfaisantes D... Malgré tout, Schmidt se dit qu’il
n’y a pas une minute à perdre. I1 range l’ultimatum dans sa
serviette et le porte séance tenante à la nouvelle Chancellerie.
Dans la galerie de marbre qui donne accès au bureau du
Führer, se presse une foule de militaires, de membres du
Gouvernement, de dignitaires d u régime. Schmidt a peine
à se frayer un chemin à travers leur cohue.
- (( Qu’y a-t-il de nouveau? n lui demandent plusieurs

personnes de sa connaissance, en cherchant à le retenir par


la manche. Schmidt se borne à leur répondre par un haus-
sement d’épaules et pénètre dans le bureau d’Hitler. Le
Führer est-assis à sa table de travail. Ribbentrop se tient
debout, à quelques pas sur sa droite, dans l’embrasure
d’une fenêtre. Tous deux jettent sur Schmidt un regard
interrogateur. L’interprète leur traduit lentement le texte
de l’ultimatum britannique. Lorsqu’il a fini sa traduction,
un silence de mort règne dans la pièce, - u n silence qui
rappelle à Schmidt celui qui a suivi l’annonce de la mobili-
sation tchèque au cours de l’entrevue de Godesberg1, e t
durant lequel il a cru entendre u le roulement de tim-
bales du destin ».
Sans faire un geste, le regard fixé devant lui, Hitler
demeure assis à sa table, comme pétrifié. Après un long
moment, qui paraît à Schmidt une éternité, il se tourne
vers Ribbentrop, qui est demeuré immobile, lui aussi, devant
la fenêtre.
- u Et à présent? )) lui demande-t-il avec un regard
réprobateur, comme pour lui dire : (( Vous m’avez complè-
tement trompé sur les réactions britanniques. ))
- N J e suppose », répond Ribbentrop d‘une voix blanche,
(( que dans l’heure qui vient, les Français vont nous appor-

ter un ultimatum semblable )) ...


Ayant achevé sa mission, Schmidt quitte la pièce 9.
Ce qu’Hitler et Ribbentrop ont pu se dire ensuite, nul
ne le saura jamais ...
V, p. 436.
1. Voir vol.
2. Paul SCHMIDT, Statist auf diplornafischer Bûhne, p. 463-464.
VI 87
578 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

Tandis que ces scènes se déroulent à Berlin, Dahlerus


s’est rendu à Oranienburg, au train spécial de Gœring, où
le Commandant en chef de la Luftwaffe l’a reçu à 8 h. 40.
Le Suédois a passé une partie de la nuit à l’ambassade
d‘Angleterre, où il a fait le point des derniers événements
avec Sir Ogilvie Forbes. Le chargé d’affaires anglais lui a
paru aussi calme, aussi lucide e t aussi sincère que d’habi-
tude. I1 lui a avoué avec franchise que les problèmes de
Dantzig et du Corridor n’avaient plus qu’une importance
secondaire e t que le but réel de la politique britannique
était d’en finir une fois pour toutes avec le régime hitlérien.
C’est pourquoi aucun accommodement ne lui paraissait
possible.
- (( Nous devons faire comprendre clairement aux diri-
geants de l’Allemagne actuelle qu’ils doivent opérer un
changement radical dans leurs méthodes de gouvernement »,
lui a-t-il déclaré. ((Le monde ne peut pas vivre dans un
état de crise permanent. Les événements de ces dernières
années ont démontré qu’Hitler ne comprenait que le lan-
gage de la force. Regardez notre ambassadeur! J e n’ai
jamais rencontré personne qui ait été aussi sincèrement
attaché à la paix. Pourtant, il en est venu à penser, lui
aussi, que la guerre était la seule issue possible. 1)
Dahlerus a écouté parler Forbes avec une attention sou-
tenue. Le fait d’avoir travaillé tour à tour en Allemagne et en
Angleterre, lui permet de comprendre, mieux que qui-
conque, les réactions des deux pays. C’est qu’il n’a, à leur
égard, aucun préjugé, aucune haine. Pas même une posi-
tion personnelle à défendre. Le seul sentiment qui l’anime
est une commisération infinie pour les peuples que la guerre
plongera dans un abîme de souffrances.
C’est dans cet état d‘esprit qu’il s’est rendu à Oranien-
burg, sans autres armes que ses mains nues et sa bonne
volonté, ce qui n’est pas beaucoup pour faire reculer une
guerre. I1 y a trouvé Gœring décontenancé et furieux. Décon-
tenancé parce qu’il ne s’attendait pas à l’ultimatum bri-
tannique; furieux parce que les conditions posées par les
Anglais lui paraissent inacceptables.
- a Ils veulent que nous commencions par évacuer la
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 579
Pologne »,s’écrie-t-il, (( mais quand a-t-on vu une armée
victorieuse obligée de battre en retraite, avant même que
des négociations aient été engagées? D
I1 évoque le Traité de Versailles qui, dit-il, (( n’aurait
jamais été signé, si l’Allemagne n’avait pas stupidement
déposé les armes, pour s’en remettre ensuite à la générosité
des vainqueurs D..
Interrompant sa tirade, il s’absente un instant pour
téléphoner à Ribbentrop et s’enquérir des termes exacts de
l’ultimatum. Lorsqu’il revient, il est près de 10 heures.
Dans soixante minutes environ, les délais seront écoulés.
- Bien que la marge de manœuvre qui nous reste soit
infime n, dit-il à Dahlerus, (( je vais m’efforcer de persuader
Hitler qu’il doit répondre à l’ultimatum en termes courtois
et conciliants, ne serait-ce que pour souligner son désir
d’arriver à un accord. ))
Mais Oranienburg se trouve à une quarantaine de kilo-
mètres de la capitale. Même si Gœring part immédiatement
pour Berlin, il y arrivera trop tard. Mû par une impulsion
subite, Dahlerus décide d’entrer directement en contact
avec le Foreign Office. Le wagon-salon de Gœring est doté
des appareils de transmission les plus perfectionnés : la
radio, le télégraphe, le téléphone sans 61, deux télex. Mais
il préfère se rendre au poste du wagon-restaurant, où il
sait que personne ne viendra le déranger.
Dahlerus commence par demander Londres à la centrale
de Berlin. Une voix de femme lui répond que les communi-
cations avec l’étranger sont interdites.
- (( J e vous en supplie, Mademoiselle »,dit-il à l’opéra-
trice, (( donnez-moi Londres à tout prix. ))
- (( Est-ce vraiment si urgent? n
- (( Urgent? C’est une question de vie ou de mort! ))
Emue par son accent, l’opératrice le met en liaison avec
la centrale de Londres. Là, on lui refuse la communication
avec Downing Street. I1 doit recommencer tout son plai-
doyer, ce qui lui fait perdre des minutes précieuses. Enfin,
à 10 h. 16, il entend au bout du fil la voix de M. Roberts,
le chef du service central du Foreign Office.
-((C’est Dahlerus qui vous parle du train spécial de
Gœring »,lui dit-il. (( I1 y a encore une chance de sauver
la paix, La réponse allemande va vous parvenir d’un instant
à l’autre. Que le Gouvernement britannique l’examine avec
580 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

bienveillance. J e vous en conjure, allez trouver immédia-


tement Chamberlain. Dites-lui qu’étant donné la situation
en Allemagne, Hitler ne peut pas accepter plus qu’un stand-
still, c’est-à-dire un arrêt des hostilités, immobilisant les
armées sur place. ))
Roberts prend note du message sans faire aucun commen-
taire et promet de le transmettre G à la plus haute autorité P.
Voilà qui est vague et pas très encourageant. Dahlerus
se prend la tête entre les mains et se demande ce qu’il doit
faire. Après quelques secondes de réflexion, il se lève et
regagne le wagon-salon de Gœring.
- a I1 n’y a plus qu’une solution »,d i t 4 au Maréchal
avec une conviction brûlante. N Partez immédiatement
pour Londres en avion, accompagné d’une petite délégation,
pour négocier un accord avec le Gouvernement britannique.
Mais pour que votre démarche ait des chances de réussir,
il faut que vous ayez quitté le territoire allemand avant
11 heures et que vous arriviez à Londres le plus tôt pos-
sible. P
- a Vous avez raison »,répond Gœring, B c’est la seule
chose à faire. Mais il faut que j’obtienne, auparavant, l’au-
torisation du Führer. P
I1 est 10 h. 30. Sans attendre, Gœring fait venir le général
Bodenscha t z.
- (( Préparez immédiatement un avion »,lui dit-il. a Qu’il
soit prêt à décoller d’une minute à l’autre et veillez à ce
qu’il ait assez d’essence pour gagner l’Angleterre. ))
Puis il appelle la Chancellerie. La conversation avec le
Führer dure encore près de dix minutes. I1 est 10 h. 40.
- (( Le Führer est d‘accord pour que j’aille à Londres )),
dit Gœring à Dahlerus. (( Mais avant de donner son acquies-
cement définitif il voudrait être certain que l’Angleterre
accepte que les négociations aient lieu sur la base du stand-
still. Si les Anglais y consentent, je m’engage à quitter le
sol allemand avant 11 heures, pour me rendre directement
à Londres. u ’

A 10 h. 42, Dahlerus appelle Forbes au téléphone pour


lui faire part de ce projet. Mais Forbes ne se montre guère
plus encourageant que Roberts.
- a Je ne pense pas »,déclare-t-il, (( que Londres veuille
se prononcer sur la venue de Gœring, avant de connaître
la teneur de la réponse allemande à notre ultimatum. P
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 582
A 10 h. 45, Dahlerus rappelle le Foreign Office. I1 avise
M.Roberts du projet de voyage de Gœring et lui demande, de
la façon la plus instante, d’en informer le Premier Ministre.
- (( Attendez un moment n, lui répond Roberts.
Parle-t-il avec Halifax ou avec Chamberlain? Le Suédois
n’en sait rien. Au bout de quelques minutes, Roberts revient
à l’appareil et déclare d’une voix ferme :
- (( Le Gouvernement de Sa Majesté ne peut pas donner
suite à votre suggestion, tant qu’il n’est pas en possession
de la réponse allemande. C’est seulement lorsqu’il en connaî-
tra les termes qu’il sera en mesure de dire si la venue de
Gœring est souhaitable ou non. 1)
Mais Dahlerus refuse d’abandonner la partie.
- (( Je vous rappellerai à 11 h. 30 »,répond-il. (( D’ici
là, vous aurez sans doute reçu la réponse allemande et vous
pourrez me dire si la rencontre est possible n...
Cette fois-ci, aucune voix ne répond plus à la sienne. I1
n’entend que le déclic lointain du téléphone que l‘on rac-
croche.
Dahlerus va retrouver Gœring et lui fait part de sa
conversation. Elle semble lui causer une vive déception.
- N La seule chose que vous puissiez faire à présent est de
téléphoner à Hitler »,dit Dahlerus au Maréchal. Tentez ((

l’impossible pour que la réponse à l’ultimatum soit rédigée


en termes conciliants et que son contenu soit sufisamment
positif pour permettre à votre voyage à Londres de s’effec-
tuer quand même... n
Gering réfléchit quelques secondes, puis il dit d’un tonbref:
- K Veuillez me laisser seul un instant. J e vais télépho-
ner au Führer. ))
Tandis w e le Maréchal appelle la Chancellerie, Dahlerus
descend du wagon et se promène de long en large sur le
terre-plein qui borde la voie. Onze coups sonnent au clo-
cher d’un village voisin. C’est l’heure fatidique. Dahlerus
jette un coup d’œil sur sa montre. C’est bien ça... I1 corn-
mence à s’énerver, car l’entretien se prolonge ...
Au bout de quelques minutes, Gœring reparaît. I1 reste
un moment songeur. Puis il va s’asseoir devant une table
pliante, disposée en plein vent sous un bouquet de hêtres. I1 ne
dit rien à Dahlerus de sa conversation avec Hitler. Mais il
ne peut cacher le souci que lui cause le fait que son voyage
n’ait pas pu avoir lieu avant l’expiration des délais prescrits.
582 HISTOIRE D E L’ARMEE ALLEMANDE

A 11 h. 15, un groupe d’officiers supérieurs s’approche


de lui. L’un deux lui remet un télégramme de la part du
secrétaire d‘État Korner.
Comme Dahlerus, emporté par son élan, continue à écha-
fauder des projets d’accord, Gœring l’arrête d‘un geste.
- (( C’est inutile n, lui dit-il. Maintenant il est trop
tard. Lisez cette dépêche. ))
Dahlerus prend le papier et le parcourt rapidement :
(( Chamberlain vient d’annoncer à la radio que la Grande-

Bretagne et Z’dllemagne se trouvent en état de guerre, du fait


que le Gouvernement du Reich n’a pas répondu avant 11 heures
à l’ultimatum anglais l. 1)

* *
Au même moment Chamberlain prend la parole devant
la Chambre des Communes. Les députés sont littéralement
suspendus à ses lèvres.
n Lorsque j’ai parlé hier soir aux membres de l’honorable
assemblée »,leur dit-il, n il ne m’a pas échappé que beaucoup
d’entre eux éprouvaient des doutes, et même un certain
désarroi. Ils se demandaient si le Gouvernement ne faisait
pas preuve d’incertitude, d’irrésolution, voire de pusillanimité.
Je ne saurais les en blâmer. Dans de pareilles circonstances,
si j’avais été à leur place au lieu de me trouver au bam
du Gouvernement et en possession de toutes les informations
qui leur faisaient défaut, j’aurais probablement eu la même
réaction qu’eux ...
n La déclaration que j’ai à vous faire ce m a t h dissipera
vos craintes et vous prouvera à quel point elles étaient peu
fondées. Devant le développement de la situation et l’inten-
sification des attaques allemandes contre la Pologne, nous
avons estimé nécessaire de clarifier notre position. Nous avons
donc envoyé des instructions à notre ambassadeur à Berlin,
le priant de remettre à 9 heures l’ultimatum suivant au
ministre des Maires étrangères du Reich D ...
Chamberlain donne alors lecture de la note remise, deux
heures auparavant, par Sir Nevile Henderson à l’interprète
1. Birger DAXLIXWS, The last Attempt, p. 134 e t s.; DCpoaitwn de Birger D a h b
rua au Tribunal Militaire International de Nuremberg, IX, p. 502; Adrian BALL,
The b3t Day Of t b old WOf’ld,p. 95-98; E. Phiiipp $CHAFER, 18 Tage Wdt#*
chichte, p. 334 a t 8.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 583
Schmidt, et qui se termine par ces mots : (( Si le Gouver-
nement du Reich ne fait pas parvenir, avant 11 heures du
matin, des assurances satisfaisantes au Gouvernement de
Sa Majesté, l’état de guerre existera entre les deux pays. 1)
(( Comme à l’heure où je vous parle, nous n’avons reçu aucune

assurance de ce genre, notre pays se trouve donc en guerre


avec l’Allemagne. Une démarche identique du Gouvernement
français - avec lequel nous sommes restés en contact étroit
durant toute la journée d’hier - va être faite incessam-
ment.
(( Ce jour est triste pour nous tous, mais il est encore plus triste

pour moi..Tout ce pour quoi j’ai travaillé et lutté, tout ce


que j’ai espéré, tout ce en quoi j’ai cru durant ma carrière
politique n’est plus que ruines. Il ne me reste qu’à rassembler
toutes mes forces et toute mon.énergie pour les mettre au
service d‘une cause pour la victoire de laquelle nous sommes
prêts à assumer les plus grands sacrifices. Je ne sais quel
rôle l’avenir me réserve. Mais j’espère vivre assez longtemps
pour voir Ie jour où l’hitlérisme sera détruit et oii une Europe
libérée resurgira de ses décombres n
Cette déclaration recueille l’approbation unanime de l’As-
semblée.
- (( L’atmosphère dans laquelle nous nous trouvons réunis
aujourd’hui est complètement changée »,déclare M. Green-
wood a u nom du Parti travailliste. (( Au terme de la lutte
titanesque qui s’engage et dont l’histoire entière ne nous
offre aucun équivalent, il faut que Ie nazisme ait défini-
tivement disparu. B
- (( Le monde entier doit savoir »,ajoute sir Archibald
Sinclair au nom du Parti libéral, cique le peuple anglais
est décidé à briser pour toujours la domination nazie et
à rétablir un ordre fondé sur la justice et la liberté. 1)
Lloyd George apporte lui aussi son adhésion au Gouver-
nement :

1. Au sujet de ce discoura, le &nCd snglair J. F. C. Fuller écrit dans l’ouvrage


qu’il a consacré à la Deuxième Guerre mondiale : a Lorsque la guerre a été décla-
rée, le 3 septembre 1939, au lieu de lui donner un but stratégique, on lui a assigné
un objectif moral. La guerre a reçu de ce fait, le caractère d’une croisade. Elle
a cessé d’être une guerre politique pour devenir une guerre idéologiqhe, une guerre
dont le but &tait d’anbantir Hitler et l’hitlérisme, comme saint Georges avait
terrassé le dragon. CeIa ressort clairement du discoura de Chamberlain, comme
des déclarations faites ce jourlà A la Chambre des Communes, par les porte-
parole de tous les p h @ . *
584 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

- a J’ai déjà vécu tout cela, il y a vingt-cinq ans n,


dit-il en secouant sa crinière blanche. a Le Gouvernement
ne pouvait pas agir autrement qu’il ne l’a fait. 1)
L’union nationale est pratiquement rétablie. Rien n’em-
pêche plus Chamberlain de constituer son Cabinet de guerre.
A 11 h. 15, tandis que les députés se pressent autour
du Premier Ministre pour le féliciter, Lord Halifax remet
un court mémoire au chargé d’affaires allemand, lui noti-
fiant l’état de guerre entre la Grande-Bretagne et le Reich.
*
+ +
A 11 h. 30, Sir Nevile Henderson, qui a été convoqué à
la Wilhlemstrasse une demi-heure plus tôt, se rend à pied
à la Chancellerie pour y recevoir la réponse allemande à
son ultimatum. En chemin, il croise le comte Davignon,
ambassadeur de Belgique.
- u Ma mission a échoué D, lui dit-il. a: Je suis un homme
qui a f a i t naufrage. Pourtant, je ne regrette aucun de mes
efforts. Croyez-vous que mes compatriotes se battraient
comme je suis sûr qu’ils le feront, s’ils n’étaient pas intime-
ment convaincus que tout a été tenté, jusqu’à la dernière
minute, pour épargner au monde la terrible épreuve qui
l’attend? Cette épreuve sera longue et cruelle. Le plus
triste est que rims ne puissions rien faire pour secourir la
Pologne. Elle est perdue 9...
Cette fois-ci, Sir Nevile Henderson est reçu par Ribben-
trop. Le ministre des Affaires étrangères du Reich lui remet
une note assez longue qui commence ainsi :
N i le Goupernement d u Reich ni le peuple allemand ne
sont dispos& à recevoir de l’Angleterre des notes ayant un
...
caractère d’ultimptum, et encore moins à y obtempérer n

La note évoque ensuite la situation chaotique qui règne,


depuis quelque temps, aux frontières germano-polonaises;
elle en rejette la responthbilité sur le Gouvernement bri-
tannique, qui a encouragé la Pologne à multiplier ses pro-
vocations en lui donnant l’impression qu’elle pouvait s’y
livrer impunément. Elle se termine par ces mots :
a Le peuple et le Gouvernement allemands n’ont pas, comme
ta Grande-Bretagne, la prétention de dominer le monde, mais
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 585
ib sont rèsolus à défendre leur liberté, leur indépendance et
par-dessus tout, leur vie. Ils ont pris note de la déclaration
faite par M.King HaU au nom du Gouvernement britannique,
à savoir que celui-ci se proposait de détruire le peuple allemand
plus radicalement que ne ïavait fait le Traité de Versailles.
A toute. attaque de l’Angleterre, nous riposterons dans la même
forme et avec lea mêmes armes 2. lo

Le ton de cette note est violent. Pourtant l’ultime entre-


tien qu’auront Ribbentrop et Henderson se poursuivra dans
une atmosphère détendue, presque sereine. Maintenant que
le Styx est franchi et que tout est consommé, les deux
hommes se parlent sur le ton détaché d’êtres qui se retrouvent
au royaume des Ombres.
- N L’histoire jugera de quel côté se trouvent les véri-
tables responsabilités »,déclare Henderson.
- n L’histoire a déjà apporté la preuve des faits D, répond
Ribbentrop. (( Personne n’a travaillé avec plus d’acharne-
ment qu’Hitler à l’établissement de bonnes relations entre
nos deux pays, mais l’Angleterre a préféré rejeter toutes
ses propositions ... En ce qui vous concerne, je ne vous veux
que du bien. D
- (( Je regrette profondément l’échec de tous mes efforts
en faveur de la paix »,assure Henderson. (( J e n’en garde
aucun ressentiment envers le peuple allemand 3, D
Après quoi, il demande qu’on lui remette ses passeports.
*
* *
E t la France? Que fait-elle pendant ce temps?
A 8 heures du matin, Bonnet s’est rendu chez Daladier.
Avant d’envoyer l’ultimatum français à Hitler, le ministre
des Anaires étrangères a besoin de savoir la date exacte
et l’heure où il doit expirer. I1 demande que le délai soit
réduit le plus possible, afin que la France commence les
hostilités en même temps que les Anglais.
- « En face de l’Allemagne R, fait observer Bonnet,
a l’unité d’action franco-britannique est un facteur d’une
importance capitale. D
Daladier en convient. Mais il doit vaincre les objec-
1. M. King Hall est le porte-parole du Foreign OEce à la radio britannique.
2. Liwe blanc ailernand, II, no 479.
3. Sir Nevile HSNDERSON, D e w ana avec Hitler, p. 304.
586 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

tions de son État-Major. Finalement il fixe l’ouverture des


hostilités au lundi 4 septembre, à 5 heures du matin. Bonnet
insiste pour que le délai soit abrégé et que les hostilités
suivent rapidement la déclaration de guerre.
- (( Je vais consulter encore une fois le général Gamelin

répond Daladier. ( ( J e vous rappellerai au Quai, dès que


j’aurai sa réponse. t)
A 9 h. 15, le Président du Conseil appelle Bonnet au
téléphone.
- u Après avoir consulté le général Colson lui dit:il,
a je maintiens la date du 4 septembre, à 5 heures du matin,
pour l’ouverture des hostilités. 1)
Bonnet n’a plus qu’à rédiger les instructions finales pour
M. Coulondre 1. I1 prend sa plume et écrit :
(( Vous vous prekenterez aujourd’hui, 3 septembre à midi, à

la Wilhelmstrasse et vous demanderez la réponse d u Gouverne-


ment allemand à la communication que vous lui avez remise
le l e r septembre, à 22 heures 2.
(( S i la réponse a u x questions posées dans cette communica-

...
tion est négative vous notifierez a u ministre des Affaires
étrangères d u Reich ou ti son représentant, que le Gouvernement
français se trouve, du fait de la réponse allemande, dans l’obli-
gation de remplir à partir de demain, 4 septembre, 5 heures
d u matin, les engagements que la France a contractés envers
la Pologne et qui sont connus d u Gouvernement allemand.
N Vous pourrezy dès ce moment, demander VOS passeports. n

Mais à peine ce texte est-il parti pour Berlin! que M. Cor-


bin appelle Bonnet au téléphone. On a appris à Londres
que la France n’entrera en guerre que le 4 septembre à
5 heures du matin. Cette nouvelle y a produit ( ( u n effet
déplorable 1). Bonnet ne s’en étonne pas. Mais qu’y faire?
A tout hasard, il téléphone à Daladier. Celui-ci a également
reçu des messages pressants des Anglais. I1 ne faut pas que
la France ait l’air d’être réticente; mais il ne faut pas non
plus que l’Angleterre ait l’air de mener le jeu ...
A 11h. 30, Daladier rappelle encore Bonnet. I1 s’est livré,
avec le général Colson à un nouvel examen de la situation.

1. Celui-ci a déjà été avisé, au cours de la nuit, de se tenir prét B apporter


l’ultimatum franqais à la Wilhelmstrasse, à midi.
2. Voir plus haut, p. 531.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 587
Le premier moment d’affolement passé, les trains sont
moins encombrés. La mobilisation a atteint un stade
satisfaisant. Dans ces conditions, 1’Etat-Major accepte de
réduire de douze heures le délai prévu pour l’ouverture des
hostilités 1.
- N Les délais peuvent être abrégés »,annonce le Prési-
dent du Conseil. c Déclarez donc dans l’ultimatum que les
hostilités s’ouvriront aujourd’hui même, 3 septembre, à
17 heures, et non demain à 5 heures du matin. ))
I1 faut rattraper. à tout prix le texte envoyé à Berlin.
I1 est 11 h. 45,et M. Coulondre doit se présenter à midi à
la Wilhelmstrasse. I1 y a insisté tout particulièrement auprès
de M. von Weizsiicker.
Enfin, Bonnet obtient l’ambassade de France. M. Cou-
londre est en train de partir pour la Chancellerie. On n’a
que le temps de le retenir et de le faire remonter dans son
bureau, où Bonnet lui dicte la rectification. L’ambassadeur
trouve invraisemblable qu’une heure à peine avant de
remettre un document aussi capital, le Gouvernement fran-
çais ne soit pas encore fixé sur sa date d’expiration. Crai-
gnant une supercherie, il demande que le message lui soit
répété par deux autres personnes dont il reconnaîtra la
voix. Bonnet passe successivement le téléphone à M. Léger
et à M, Bressy, qui sont à ses cbtés z. Après quoi, il faut
remettre tout le document au net. Coulondre bout d’impa-
tience, car il a peur d’arriver en retard à son rendez-vous.
*
+ *
Depuis deux jours, une foule d’une centaine de personnes
stationne devant l’ambassade de France. Les passants s’ar-
rêtent un moment, intrigués par l’épaisse fumée qui sort
d’une des cheminées de l’immeuble (c’est celle qui dessert la
pièce où l’on incinère les archives). Mais elle ne se livre à
aucune manifestation hostile. Elle est simplement plus
morne et plus anxieuse Que d’habitude.

1. IEn fin de matinbe du 3 septembre 8, écrit le général Gamelin, a le Président


Daladier me fit demander par le générai Colson de commencer les hostilités le
même jour, à 5 heures. Je ne pouvais plus m’y refuser. Je prévins donc le général
Georges. Dans la pratique, j’arrivai encore à gagner jusqu’au lendemain matin. D
(Servir, II, p. 456-457.)
2. Georges BONNET,La Défense de la Paix, p. 367-368.
588 HISTOIRE DE L’ARM$E ALLEMANDE

Au moment où l’ambassadeur va monter en voiture, un


jeune homme d’une quinzaine d’années se détache d’un
groupe et s’avance vers lui. Veut-il se livrer à un attentat?
Non. I1 lui tend une carte postale avec un stylo et lui
demande un autographe. Bien qu’il soit très pressé, Sam-
bassadeur ne veut pas lui refuser ce dernier plaisir. I1 signe
la carte en souriant et lui caresse la joue.
Enfin l’auto démarre et file vers la Wilhelmsplatz. Midi
sonne au moment où l’ambassadeur franchit le portail du
ministère des Affaires étrangères. On l’ilitroduit aussitôt
dans le bureau de M. von Weizsacker.
- a La réponse du Gouvernement allemand à ma lettre
du l e r septembre est-elle positive ou négative? )) demande-
t-il au secrétaire d’État.
- (( J e ne suis pas en mesure de vous répondre )), lui

répond M. von Weizsacker, uni même de vous dire si une


réponse peut y être faite. Le mieux serait que vous voyiez
M. von Ribbentrop lui-même. I1 est actuellement chez le
Führer, mais ne va pas tarder à revenir. ))
Après s’être tant pressé, force est à l’ambassadeur
d’attendre une demi-heure.. .
A 12 h. 30, on le conduit à la nouvelle Chancellerie. Une
animation intense règne dans la galerie de marbre qui mène
au bureau d’Hitler. Des estafettes vont et viennent. Parmi
la foule de personnages en uniforme qu’il croise en cours
de route, M-. Coulondre reconnaît plusieurs généraux appar-
tenant à 1’Etat-Major de l’armée. I1 a l’impression qu’on le
regarde avec une’ certaine curiosité. Peut-être le décalage
entre les démarches des deux ambassadeurs a-t-il fait espé-
rer que leurs réponses seraient différentes? On l’introduit
dans le bureau du Chancelier, où Ribbentrop l’attend
debout, au milieu de la pièce.
M. Coulondre lui demande s’il<peut fournir une réponse
satisfaisante à la lettre qu’il lui a remise le l e * septembre,
à 22 heures.
- (( Le délai apporté à vous répondre n, déclare Ribben-

trop, (( est dû à l’initiative prise le 2 septembre par M.Musso-


lini. Le Duce nous a saisis d‘un projet de conférence, en
nous assurant que la France y était favorable. Plus tard,
M. Mussolini nous a annoncé l’échec de sa tentative, qui
s’est heurtée à l‘intransigeance anglaise.
a Ce matin, l’ambassadeur de Grande-Bretagne nous a
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 589

remis un ultimatum inacceptable, que nous avons repoussé.


Si le Gouvernement français se croit tenu, par ses enga-
gements envers la Pologne, d’entrer dans le conflit, je ne puis
que le regretter. C’est seulement si la France nous attaque
que nous nous battrons contre elle, et ce sera, de sa part,
une guerre d’agression. u
- (( Dois-je conclure de vos propos n, lui demande l’am-
bassadeur, (( que la réponse du Gouvernement allemand à
ma lettre du l e r septembre est négative? n
- a Oui »,répond Ribbentrop.
M. Coulondre se raidit et déclare alors :
- Puisque le Gouvernement allemand refuse de sus-
pendre toute action agressive contre la Pologne et de retirer
ses forces du territoire polonais? j’ai la pénible mission de
vous notifier qu’à partir d’aulourd’hui, 3 septembre, à
17 heures, le Gouvernement français se trouvera dans l’obli-
gation de remplir les engagements que la France a contrac-
tés à l’égard de la Pologne et qui sont connus du Gouverne-
ment allemand. ))
- (( Eh bien n, répond Ribbentrop d’une voix sourde,
a la France sera l’agresseur! ))
- L’histoire jugera! )) réplique M. Coulondre.
Les deux hommes se séparent sans se serrer la main.
Le représentànt de la France rentre à son ambassade
un peu comme un automate. Maintenant qu’il n’est plus
dans l’action, il éprouve l’impression singulière d’être déta-
ché de lui-même et de ce qui l’entoure. I1 se sent indifférent,
étranger à tout. Le front appuyé sur la vitre froide de son
bureau, il regarde pendant un long moment la foule amorphe
qui remue à peine sur la Pariserplatz
Puis il reprend ses esprits, se dirige vers sa table de
travail et téléphone à Georges Bonnet pour lui dire :
- (( J’ai accompli la mission dont vous m’aviez chargé... 1)

+ +

Après ce dénouement, le rideau tombe. Le rale du ministre


des Affaires étrangères est terminé. Le Quai d’Orsay n’est
plus qu’une scène vide, d’où la foule - curieux, journalistes,
photographes - se retire, pour se précipiter au ministère

1. Robert COULONDRE,De Stdim d Hitler, p. 313-315.


590 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

de la Défense nationale, où va se jouer la suite du drame.


(( Dans cette première journée de guerre »,écrit Georges

Bonnet, (( rien ne semble plus mort que notre ministère;


la cour, le vestibule, les salons sont déserts et les téléphones,
comme épuisés, restent silencieux. I1 n’y a plus qu’à attendre.
Dans mon bureau règne un silence insolite. Une lourde
angoisse pèse sur nous tous 1.1)
1. Georges BONNET, La Défense ds la Paix, II, p. 3ô8-369.
XXXVI

DEUX MONDES S’AFFRONTENT

A présent la parole n’est plus aux diplomates : elle est


aux canons.

u Au cours de l‘après-midi d’hier et aux premières heures de


la journée »,annonce le communiqué oficiel de la Wehrmacht,
u l’avance des troupes allemandes s’est poursuivie avec succès
sur tous les fronts. Nos armées s’enfoncent toujours plus pro-
fondément en territoire polonais.
(( Czestochowa a été prise. L a Warthe a été franchie à l‘est

de Wielun.
a Des troupes polonaises encerclées dans le Corridor ont cher-
ché à effectuer une percée vers le sud. Leur tentative a été
repoussée. Berent est entre nos mains.
u Après l‘action décisive accomplie hier par la Luftwaffe,
les divisions des deux flottes aériennes engagées contre la Pologne
exercent la maîtrise absolue sur l’espace airien polonais. Regrou-
pées sur leurs bases de départ, elles se tiennent disponibles pour
de nouvelles tâches. Les unités des flottes aériennes, non .encore
engagées, se tiennent également prêtes à entrer en actron ’. n

A 13 heures, Hitler signe la


DIRECTIVE No 2 POUR LA CONDUITE D E LA GUERRE
O K W ~ W F A , no 175139 Berlin, 3 septembre 1939.
1. Après la déclaration de guerre du Gouvernement anglais,
l‘Amirauté britannique a donné l’ordre d‘ouvrir les hostilités
le 3 septembre 1939 à 11 h. 17.
La France a déclaré qu’elle se trouvera en état de guerre

1. Werner PICHT,Das Oberkomrnanào der Wehrmacht gibt bekanni, p. 16-18.


592 HISTOIRE DE L'ARMÉE ALLEMANDE

avec l'Allemagne à partir d u 3 septembre 1939, à 17 heures.


2. L e but de la stratégie allemande demeure, ?qu'à nouvel
ordre, l'achèvement rapide et victorieux des operations contre
la Pologne.
Tout transfert de forces important, de l'est à l'ouest, reste sou-
mis à mon approbation.
3. Les principes directeurs de la conduits de la guerre à
l'ouest demeurent identiques à ceux énoncés dans ma Direc-
tive no 1 1.
Toutefois, l'annonce de l'ouverture des hostilités par l'Angle-
terre et la déclaration de l'état de guerre par la France entraînent
les conséquences suivantes :
A L'EGARD DE L'ANGLETERRE :
Sur mer :
Les attaques [contre les bâtiments de guerre] sont autorisées.
L a guerre contre les navires marchands, même menée par les
sous-marins, doit se limiter aux arraùsonnements et a u x prises.
Préparer une intensification [des attaques] allant jusqu'à la
désignation de zones de danger. J e me réserve d'ordonner moi-
même la mise e n vigueur des mesures d'intensification.
Dans les airs :
N e procéder à des attaques contre les formations navales
anglaises concentrées dans les ports ou naviguant e n haute mer,
ainsi que contre les transports de troupes clairement reconnus,
que lorsque des attaques aériennes anglaises auront eu lieu
contre des objectifs similaires [allemand!] et que les chances de
succès paraîtront assurées. Cette prescrcptcon s'applique égale-
ment a u x formations de l'aéro-navale.
Les attaques contre la métropole et les navires marchands
n'auront lieu que sur mon autortkation expresse.
A L'ÉGARD D E LA FRANCE :
Sur terre :
A l'ouest, laisser à l'adversaire le soin d'ouvrir les hostilités.
LB chef de l'O. K . H. décidera s'il y a lieu de renforcer notre
armée de l'ouest par des forces disponibles.
Dans les airs :
N e déclencher d'attaques aériennes contre le territoire français
qu'en riposte à des attaques françaises sur le territoire allemand.
Directive dans ce domaine : ne pas provoquer l'ouverture de la
guerre aérienne par des mesures [de concentration] allemandes.
1. iLaiaser sans équivoque d ka F r m et à I'Angleterre, l'initiative du àéckn-
&ment der opbathm. D (Voir plus haut, p. 509.)
LA P A I X SE MEURT... L A PAIX EST MORTE 593
J’ordonne la transformation complète ds l‘économie en demo;
mie de guerre.
Les autres mesures de mobilisation, dans le secteur civil, seront
ordonnées par le Haut Commandement de la Wehrmacht, .sur
proposition des Autorités supérieures du Reich.
ADOLPHITLER
1.

4 4

E t déjà des événements surviennent qui donnent au monde


un avant-goût dé la terrible aventure dans laquelle il s’est
engagé.
Le premier a lieu à Bromberg (Bydgoszcz) une ville située
au milieu du Corridor, sur la ligne délimitant, au sud, le
territoire à l’intérieur duquel aurait dû avoir lieu le plébis-
cite proposé par Hitler 2.
Avant 1919, la population y était allemande dans une
proportion de 79 yo3. Depuis lors beaucoup d’Allemands
ont préféré s’expatrier plutôt que de subir les brimades des
autorités polonaises, de sorte que les Polonais ont fini
par devenir légèrement majoritaires 4. En apprenant que
les avant-gardes de la IVe Armée von Kluge approchent
de la ville, la minorité allemande s’est soulevée pour
faciliter l’avance de leurs (( libérateurs 3. Des groupes de
francs-tireurs se sont constitués et ont ouvert le feu sur les
arrière-gardes polonaises, au moment où elles évacuaient
la ville. Fous de rage, les Polonais sont revenus en force.
Allemands et Polonais se sont alors trouvés face à face
et se sont entre-massacrés pendant plusieurs heures.
Seule l’arrivée des troupes de von Kluge a mis un terme
à cette tuerie. Mais on compte 228 morts du côté polonais
e t 223 du côté allemand.
L’affaire de Bromberg est grave parce qu’elle montre le
degré de violence qu’ont atteint les antagonismes raciaux.
Le ruisseau de sang qui naît en cette journée du 3 septembre
ne s’arrêtera pas de grandir et finira par atteindre les dimen-
sions d‘un fleuve. Pendant cinq ans, en effet, Polonais et
1. Walther HUBATSCH,Hitkrs Weisungen iür dis Kriegfüihrung 1939-1945,
p. 22-23.
2. Dans sa note du 31 août. (Voir plus haut, p. 466 et carte p. 467.)
3. Ce pourcentage était dû, en partie, à la présence d‘une importante garnison
prussienne.
4. C‘est pourquoi Hitler avait exigé que les Allemands expatriés depuis 1919,
revinssent dans leurs foyers pour participer au plébiscite.
11 38
594 HISTOIRE D E L’ARMÉE A L L E M A N D E

Allemands de Bromberg, voulant venger leurs morts, se


dresseront les uns contre les autres avec une rage inexpiable.
De 1939 à 1944,219 soldats allemands seront assassinés par
des activistes polonais. Mais suivant les dépositions de
témoins au procès de Nuremberg, 10.500 Polonais habitant
la ville auront été passés par les armes et 13.000 autres
mourront dans des camps de concentration.
Un autre événement a lieu en haute mer, à 200 milles
au nord-ouest de la côte d’Irlande. Le sous-marin alle-
mand U-30, qui croise dans ces parages, aperçoit à la tombée
de la nuit un bâtiment de 13.500 tonnes qui navigue tous
feux éteints. Le lieutenant de vaisseau Fritz Lemp, qui
commande le sous-marin, le prend pour un transport de
troupes. En réalité, il s’agit du paquebot Athenia, apparte-
nant à la Donaldson Atlantic Line, qui se rend de Glasgow à
Liverpool, ayant à bord 1.400 passagers, dont beaucoup
de femmes et d’enfants, et 28 Américains.
Le lieutenant Lemp met son submersible en plongée et
donne l’ordre d’ouvrir le feu. Trois torpilles jaillissent de
leurs tubes et tracent leur sillage d’écume. L’une d’elles
atteint de plein fouet la poupe du navire. On entend une
explosion formidable. L’Athenia coule, assez lentement heu-
reusement pour que le pétrolier norvégien Knute Nelson,
le yacht suédois Southern Cross et les torpilleurs britan-
niques Elektra et Escort aient le temps de venir à sa res-
cousse et de sauver les passagers.
I1 n’y a pas de victimes. Mais Churchill, que Chamberlain
vient d’inviter à faire partie du Cabinet de guerre en tant
que Premier Lord de l’Amirauté - poste qu’il occupait
déjà en 1914 - voit immédiatement tout le parti qu’il peut
tirer de l’incident. Se souvenant du choc psychologique que
le torpillage du Lusitania a donné en 1915 à l’opinion
américaine, il lui assure, par la radio, une diffusion énorme.
Tous les bateaux qui sillonnent les mers du globe se sentent
personnellement visés.
Lorsque Hitler apprend le torpillage de l’rlthenia, il refuse
d’y croire. Sa Directive no 2 n’interdit-elle pas toute attaque
contre les navires marchands anglais sans son autorisation
expresse l? Gœbbels accuse Churchill d’avoir monté lui-
même l’affaire, dans un but de propagande.

1. Voir plus haut, p. 592.


LA PAIX S E MEURT... LA PAIX EST MORTE 595
I1 va sans dire qu’il n’en est rien. Mais les autorités alle-
mandes ne connaîtront la vérité qu’à la fin de septembre,
quand 1’U-30 rentrefa au port de Wilhelmshafen. Le
lieutenant Lemp avouera alors son erreur.
- a J’ai été consterné n, dira-t-il au commandant Donitz,
u lorsque j’ai vu à travers mon périscope, une foule de
femmes et d’enfants affolés se précipiter sur le pont. D
Lemp sera puni d’arrêts de rigueur et, pour la première
fois dans l’histoire de la Kriegsmarine, toute mention de
cet incident sera effacée du livre de bord de 1’17-30l. Mais
du fait que ces sanctions seront tenues secrètes, un doute
continuera à planer sur cette affaire jusqu’à la fin des hos-
tilités 2...
t
* i

En donnant le maximum de publicité au torpillage de


l’dthenia, Churchill a voulu avant tout impressionner 1’Amé-
rique et fournir un casus belli au Président Roosevelt.
Quelle sera sa réaction en apprenant qu’il y avait 28 Amé-
ricains à bord? Justement, l’hôte de la Maison-Blanche doit
prononcer une de ces (( causeries au coin du feu )) qu’il a
coutume de faire tous les dimanches soir. Va-t-il en profiter
pour annoncer l’entrée en guerre des États-Unis?
Après l’attitude qu’il a prise depuis son discours de (( Qua-
rantaine 3 »,cela ne serait que normal, car il n’a cessé d’exer-
cer une pression constante sur Londres et sur Paris pour les
amener à se durcir à l’égard du IIIe Reich. I1 sufit de lire
les dépêches du State Department pour se rendre compte
à quel point cette politique a été poussée. I1 est intervenu
à Varsovie, pour dissuader le colonel Beck d’accepter le
pacte de non-agression de vingt-cinq ans que lui proposait
Hitler 4; il a reconnu de facto le gouvernement en exil consti-
tué par Benès dès son arrivée en Amérique5; il a retiré
1. D6cluration de l’amiral Eberhard Coth au Tribunal Militaire International
de Nuremberg. Ce fait se reproduira une deuxième fois, un peu plus tard, lorsqu’un
sous-marin allemand coulera, par mégarde, un bateau allemand rentrant du Japon.
2. Lemp s’est-il vraiment trompé? Ou bien a-t-il succombé u z i l’excitation
provoquée par les premières heures de la guerrer? L’année suivante, lui-même
et tout l‘équipage de 1’U-30 seront transférés sur un autre sous-marin, I’U-110;
celui-ci périra corps et biens au couis d’une mission dans l’Atlantique nord,
le 9 mai 1941, entraînant avec lui son secret au fond des mers.
3. PiononcB A Chicago le 5 octobre 1937. (Voir vol. IV, p. 74.)
4. D&kwatwn de William Bullitt ci Karl con Wiegand, de l’agence Internu-
t h a l News Service. (Sur le pacte de vingt-cinq ans, voir plus haut, p. 191.)
5. Voir plus haut, p. 82.
596 EISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

son ambassadeur de Berlin, au lendemain des scènes de 60-


lente de la Nuit de Cristal 1, dans l’espoir que les autres pays
en feraient autant; il est revenu constamment à la charge
auprès de l’ambassadeur Kennedy pour qu’il presse Cham-
berlain d’aller de l’avant, l’épée dans les reinsa; il vient,
tout récemment encore, d’envoyer un télégramme au Premier
Ministre pour lui assurer qu’il le soutiendrait contre vents
et marées s’il déclarait la guerre 3. Nul doute qu’il ne met-
trait ses actes en accord avec ses paroles, s’il pouvait agir
à sa guise, car ses sentiments sont connus et il n’imagine
pas une Croisade des Démocraties, sans qu’il soit à sa tête.
Mais M. Cordell Hull lui conseille de faire preuve d‘une
extrême prudence. Une vague d’isolationnisme déferle s u r
l’Administration et le secrétaire d’État imagine avec frayeur
la lutte qu’il faudrait engager avec le Congrès pour l’amener
à modifier l’Acte de Neutralité. La moindre allusion à un
abandon de ce principe ne ferait que renforcer l’opposition.
Devant ce tir de barrage, Roosevelt décide de se montrer
circonspect.

u Ce soir n, déclare-t-il, u mon seul devoir est de parler à


l’Amérique tout entière. Jusqu’à 4 h. 30, ce matin, j’ai espéré
contre tout espoir qu’un miracle épargnerait à l’Europe une
guerre dévastatrice et mettrait un terme à l’invasion de la
Pologne par l’Allemagne. Depuis quatre longues années une
succession de guerres ouvertes4 et de crises réitérées ont
ébranlé le monde e t ont menacé, chaque fois, de déclencher le
conflit gigantesque qui est malheureusement devenu aujourd’-
hui une réalité ...
u I1 est naturellement impossible de prévoir l’avenir Mais ...
que personne ne songe, ou ne parle à la légère d‘envoyer des
armées américaines sur les champs de bataille européens! Je
m’en abstiendrais, même s’il n’existait aucun Acte de Neu-
tralité. Dans les jours qui viennent, notre neutralité deviendra
de plus en plus effective...
(( La plupart d’entre nous, aux Etats-Unis, croient aux
valeurs spirituelles. La plupart d’entre nous quelle que-
soit i’Égiise à laquelle ils appartiennent -
croient en l’esprit
du Nouveau Testament, ce grand enseignement qui s’oppose

1. Voir plus haut, p. 41.


2. Voir plus haut, p. 144, n. 2.
3. Dddaratwn de Sir Horace Wilaon au Dr Hesse. (Voir plus haut, p. 567.)
4. Roosevelt fait allusion à la guerre de Chine et P In guerre d’Éthiopie.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST M O R T E 597
A l’emploi de la force, à l’intervention des armées et aux bom-
bardements aériens ...
u J’ai répété, non point plusieurs fois, mais des centaines
de fois : j’ai vu la guerre et je hais la guerre. J’espère que
les États-Unis se tiendront en dehors de ce conflit e t je crois
qu’ils le feront. J e puis vous assurer que tous les efforts de
votre Gouvernement tendront à les en empêcher. J’y veille-
rai scrupuleusement et tant que ce sera en mon pouvoir, il
n’y aura aucune éclipse dans la paix aux États-Unis... D

Le lendemain, le Congrès décrète l’embargo sur les


armes Au moment où l’Angleterre et la France en auraient
le plus pressant besoin, l’arsenal américain se ferme ...
*
+ +

Après avoir signé sa ((Directive no 2 pour la conduite


de la guerre »,Hitler rédige u n long message pour Mussolini.
u J e dois tout d‘abord vous remercier pour votre derniéreten-
tative de médiation n, lui écrit-il. u J’aurais été prêt à l’accepter
à condition que soit trouvée une possibilité de me garantir que
la confërence aboutisse. Car, depuis deux jours, l‘avance des
troupes allemandes e n Pologne se poursuit, et cela, par endroits,
d’une façon si rapide, qu’il aurait été impossible de reperdre,
par des intrigues diplomatiques, les sacrifices sanglants qu’elle
a déjà coûtés. J e crois nianmoins qu’un moyen aurait p u être
trouvé, si l’Angleterre n’avait pas été résolue d‘avance et quoi
qu’il en soit, à en venir d la guerre. J e n’ai pas cédé devant la
menace anglaise, Duce, parce que je ne crois pas que la paix
aurait pu être maintenue au-delà de six mois ou d’un an. Dans
ces conditions, j’aî estimé que le moment présent était le plus
favorable pour agir.
(( L a supériorité de la Wehrmacht e n Pologne est actuellement

s i écrasante, dans tous les domaines techniques, que l’Ar-


mée polonaise s’effondrera dans très peu de temps. J e doute
que ce même résultat aurait p u être obtenu aussi rapide-
ment dans u n ou deux ans. L’Angleterre et la France auraient
continué à armer leurs alliés, de telle sorte que la supériorité
technique de la Wehrmacht n’aurait pas p u se manifester

1. Selon les termes de la loi, l’embargo sur les armes aurait dû être décrété
vingtquatre heures plus t6t. Mais Washington a dû s’informer, auparavant, si
la déclaration de guerre se limitait à l’Angleterre, ou ai elle englobait le Canada
et lea autre8 pays du Commonwealth.
VI 38‘
598 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

d’une façon aussi éclatante. J e sais, Duce, que le combat dans


lequel je m’engage est une lutte à la vie ou à la mort. M o n destin
personnel ne compte pas. Je suis également conscient du fait
qu’à la longue, cette lutte ne pouvait être évitée et qu’il fallait
choisir, avec une tête froide et après mûre réflexion, lemoment
de la résistance, de façon à lui assurer les plus grandes chances
de succés et ma foi en ce succès est aussi ferme que le roc.
u Vous m’avez assuré récemment, de la façon la plus amicale,
que vous pensiez pouvoir m’aider dans certains domaines. Je
vous en remercie d‘avance, d’une façon sincère. Mais je crois
aussi que, même si nous suivons e n ce moment des chemins
différents, le destin ne nous liera pas moins l‘un à l’autre. S i
l‘Allemagne nationale-socialiste était détruite par les Démocra-
ties occidentales, l‘Italie fasciste connaîtrait, elle aussi, u n
avenir difficile. Personnellement, T a i toujours cru que les destins
de nos deux régimes étaient liés et je sais que vous-même, Duce,
partagez ma conviction.
u E n ce qui concerne la situation en Pologne, je voudrais
dire brièvement que nous laissons naturellement de côté tout
ce qui n’est pas essentiel et que nous ne gaspillons pas u n seul
homme à des tâches secondaires. Tous nos actes sont gouvernés
par des considérations de stratégie générale. L‘Armée polonaise
d u Nord, qui se trouve dans le Corridor, est déjà totalement
encerclée. Il ne l u i reste plus qu’à s’user ou à se rendre. Par
ailleurs, toutes les opérations s’effectuent conformément à notre
plan. Les résultats quotidiens obienus par nos troupes ont lar-
gement dépassé nos prévisions. L a maîtrise de notre Luftwaffe
est totale, bien qu’à peine un tiers de ses effectifs soit engagé
e n Pologne.
a A l’ouest, nous conserverons une attitude défensive. Que
la France y verse son sang la première. L e moment viendra
où nous nous retournerons contre l‘adversaire, avec toutes les
forces de ta nation.
(( Veuillez accepter une fois de plus, Duce, mes remerciements

pour toute l‘aide que VOUS m’avez apportée dans le passé et


que je vous prie de ne pas me refuser à l‘avenir. D
ADOLFHITLER
l.

Le Führer remet cette lettre à Attolico en fin d’après-midi


pour qu’il la fasse parvenir à son destinataire. Elle est très
bien accueillie au Palais de Venise, où l’atmosphère est à
l’optimisme. K A 11 heures »,écrit Ciano dans son Journal,
anous est parvenue la nouvelle que la Grande-Bretagne
1 . Docurnenti Diplornafici Italiani, XIII, no 639. Ce message, remis à Attolico
vers 17 heures, est envoyé à Rome à 20 h. 51, où il arrive le même jour à23 heures.
L A PAIX SE MEURT.., L A PAIX EST MORTE 599
avait déclaré la guerre à l’Allemagne. La France en a fait
autant, à 5 heures de l’après-midi. Mais cette guerre,
comment la feront-elles? L’avance allemande en Pologne
est foudroyante. Une conclusion ultra-rapide est, dès à
présent, vraisemblable. Comment la France et l’Angleterre
pourront-elles aider les Polonais? Et lorsque ceux-ci auront
été liquidés, voudront-elles continuer une guerre qui n’aura
plus d’objet? Le Duce croit que non. I1 penche en faveur
d’une paix à brève échéance, sans que se soit produit le
choc des armées, qu’il estime impossible au point de vue
militaire l. n

+ +
A 18 heures, Hitler adresse, par radio, la proclamation
suivante au peuple allemand :
u Peuple allemand!
a Depuis des siècles, l’Angleterre s’est toujours efforcée de
désarmer les peuples européens devant sa volonté d’hégémo-
nie mondiale, en proclamant le principe de l’équilibre des
forces, au nom duquel elle s’est arrogé le droit d’attaquer
et de détruire - sous un prétexte quelconque - l’État euro-
péen qui lui paraissait le plus dangereux. C’est ainsi qu’elle
a combattu tour à tour l’Espagne, la Hollande, la France
et - depuis 1871 -l’Allemagne. Nous avons tous été témoins
de la politique d’encerclement qu’elle a pratiquée à notre
égard, dans les années qui ont précédé la première guerre
mondiale.
a Aussitôt que le Reich allemand, grâce à sa direction
nationale-socialiste, s’est remis des conséquences terribles du
Traité de Versailles et a commencé à surmonter la crise où
il était plongé d’une façon permanente, les tentatives d’en-
cerclement britanniques ont recommencé. Les fauteurs de
guerre anglais, que nous avons appris à connaître durant la
guerre de 1914-1918, ne veulent pas que le peuple allemand
vive. A cette époque, ils ont prétendu mensongèrement qu’ils
ne combattaient que la Maison de Hohenzollern et le mili-

1. Ciano, pour sa pari, en est moins certain. a Je ne sais comment la guerre se


déroulera I, écrit4 dans son Journal, CI mais elle sera longue, incertaine, impla-
cable. La participation de la Grande-Bretagne m’en donne la certitude. Mainte-
nant que Londres a déclaré la guerre & Hitler, il faut, pour qu’elle prenne fin,
u’Hitler disparaisse ou que la Grande-Bretagne soit battue. .. D (Journal politique,
.
TL P 146.) Mais il se peut que ce passage ait été rajouté par la suite.
600 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

tarisme prussien. Ils ont assuré qu’ils n’avaient aucune visée


sur les colonies allemandes, ni aucune intention de nous
ravir notre flotte de commerce. Après quoi, ils noug ont imposé
le Diktat de Versailles, dont l’application rigoureuse aurait
entraîné, à la longue, la disparition de vingt millions d’Alle-
mands.
a J’ai entrepris de mobiliser la nation allemande, pour lui
permettre de résister à ces prétentions inadmissibles et lui
redonner du pain et du travail. Mais, dans la mesure même
où une révision pacifique du Traité de Versailles semblait
en bonne voie et où le peuple allemand commençait à
revivre, l’Angleterre a pratiqué une nouvelle politique d’encer-
clement.
a J’ai maintes fois offert au peuple anglais la compréhen-
sion et l’amitié du peuple allemand. Toute ma politique a
été fondée sur cette pensée. Mes offres ont été constamment
repoussées et, sous le couvert de déclarations hypocrites, l’An-
gleterre a cherché sans cesse de nouveaux prétextes pour
restreindre l’espace vital allemand et pour compliquer ou
entraver notre propre existence, même là où aucun intérêt
vital britannique n’était en jeu.
L’Angleterre a incité la Pologne à prendre une attitude
qui a rendu toute entente pacifique impossible. En accordant
sa garantie au Gouvernement polonais, elle lui a donné à
penser qu’elle pouvait provoquer, et même attaquer l’Aile-
magne sans courir de risques. Mais il y a un point sur lequel
l’Angleterre s’est trompée : c’est que l’Allemagne de 1939
n’est plus celle de 1914 et que le Chancelier du Reich actuel
ne s’appelle plus Bethmann-Hollweg.
a Je n’ai jamais laissé subsister le moindre doute sur le
fait que, malgré notre patience et notre longanimité, les
attaques contre les Allemands de Pologne et contre la Ville
libre de Dantzig devaient cesser. Fortifiée par la garantie
britannique et par les assurances que lui ont prodiguées les
fauteurs de guerre anglais, la Pologne a cru pouvoir prendre
cet avertissement pour du vent. Maintenant, depuis deux
jours, la Wehrmacht se bat à l’est, pour rétablir la sécurité
du territoire allemand.
a La résistance polonaise sera brisée par nos soldats. Mais
que 1’Angleterrele sache! Aujourd’hui 90 millions d’hommes
sont réunis dans le Reich allemand. Ils sont décidés à ne pas
se laisser étrangler par l’Angleterre. Ils n’ont pas conquis,
comme les Anglais, 40 millions de kilomètres carrés de la
surface du globe. Mais ils sont résolus à vivre sur la terre
qui leur appartient et à ne pas se laisser arracher cette vie
par i’hgleterre.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 601
a Nous savons que le peuple anglais, dans son ensemble,
n’est pas responsable de la situation actuelle. Les responsables
appartiennent à cette clique de dirigeants qui considèrent
tous les autres peuples du monde comme leurs esclaves et
qui haïssent notre Reich parce qu’ils y voient le champion
d’un système social dont ils redoutent la contagion pour
leur propre pays.
u Nous reprenons donc le combat contre cette nouvelle
tentative pour nous anéantir. Ce combat, nous le mènerons
avec la résolution fanatique que nous autres Nationaux-
Socialistes apportons à toutes nos entreprises. Les ploutocrates
anglais, avides de puissance et d’argent, apprendront ce qu’il
leur en coûtera d’avoir poussé l’Allemagne nationale-socia-
liste à la guerre, car l’Allemagne ne capitulera jamais!
a Vivre sous un second Traité de Versailles, encore plus dra-
conien que le premier, n’aurait aucun sens. Nous n’avoni
jamais été un peuple d’esclaves et ne voulons pas le
devenir. Les sacrifices que des Allemands ont faits dans le passé,
pour assurer la survie de notre peuple et de notre Reich, n’ont
pas été plus grands que ceux que nous sommes prêts à nous
imposer aujourd’hui. Cette décision est irrévocable. Mais elle
entraîne pour nous tous un certain nombre de devoirs.
a Quand nos soldats combattent au front, nul ne doit pro-
fiter de la guerre; quand nos soldats meurent au front, nul, à
l’arrière, ne doit se soustraire à ses devoirs. Quiconquese
dérobe à ses obligations doit s’attendre à être traité comme
un ennemi de la nation. Quiconque compromet l’unité de
la nation sera impitoyablement châtié 1.
cc Mais si notre peuple remplit avec courage et abnégation
cette mission suprême, il pourra compter sur l’aide que Dieu
ne refuse jamais à ceux qui s’aident eux-mêmes.
a J e pars ce soir pour le front 2. a

Le lendemain, Chamberlain répond à ce discours par une


proclamation adressée, non au peuple britannique, mais
au peuple allemand lui-même e t qui est u n appel non
déguisé a u soulèvement contre le régime. Mais si la défaite
est la mère des rébellions, a-t-on jamais vu un peuple ou une
armée se révolter contre la victoire?

I.Le même jour, Reinhard Heydrich, chef des Serviees de Sécurit4 du Reich,
signe un décret prescrivant d’écraser impitoyablement toute tentative pour
(I

saboter l’effort de guerre allemand ou tout acte de nature à porter atteinte,


par des paroles, par des dcrita ou par des actes, au moral de la nation, sans
tenir aucun compte du rang ou de la personnalité des coupables B .
2. Proclamation d’Hitler au p e u f i ailemand, prononde à la radio le 3 wp-
tembre 1939, à 18 heures.
602 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ EALLEMANDE

a Peuple allemand! )) s’exclame le Premier Ministre, Q votre


payset le mien sont maintenant en guerre. Votre Gouvernement
a bombardé et attaqué l’fitat libre et indépendant de Pologne,
que mon pays s’était engagé à défendre, sur l’honneur. Cette
guerre a été provoquée par le fait que vos troupes ne se sont
pas repliées, à la suite d’une note adressée par le Gouverne-
ment britannique au Gouvernement allemand.
(( Nous connaissons les horreurs de la guerre. Dieu m’est

témoin que mon pays a fait tout ce qui était en son pouvoir
pour éviter ce malheur. Mais maintenant que l’Allemagne a
envahi la Pologne, il est devenu inévitable.
(( Votre Gouvernement vous dit que vous combattez par.ce

que la Pologne a repoussé les offres de votre Führer et a recouru


à la force. Or quels sont les faits? La prétendue (( offre I) a
été faite mercredi soir à l’ambassadeur de Pologne, deux
heures avant que votre Gouvernement n’annonce son refus.
Or, loin d’avoir été refusée, le Gouvernement polonais, n’a
même pas eu le temps de l’examiner... Ce n’est pas là une
négociation : c’est un diktat. Aucun État puissant et cons-
cient de sa dignité ne peut accepter des méthodes pareilles.
Des négociations, fondées sur la liberté et l’égalité des droits,
auraient fort bien pu régler ce litige.
N Vous vous demanderez peut-être : en quoi cette affaire
concerne-t-elle l’Angleterre? Elle nous concerne, parce que
nous avons donné à la Pologne notre parole d’honneur de
la défendre. Mais pourquoi avons-nous jugé nécessaire de
défendre cet État oriental, alors que tous nos intérêts sont
en occident et que votre Führer nous a dit q.u’il n’avait aucune
ambition à l’ouest? La réponse est simple. Elle tient au fait
- j e regrette de devoir le dire - que personne, dans notre
pays, n’accorde plus la moindre confiance a la parole de
votre Führer.
I1 a juré de respecter le Traité de Locarno, et il n’a pas
tenu sa parole l. I1 a juré qu’il n’avait aucun désir d’annexer
l’Autriche, et il n’a pas tenu sa parole. I1 a déclaré qu’il ne
voulait pas incorporer les Tchèques au Reich, et il les a incor-
porés. I1 a juré, après Munich, qu’il n’avait plus aucune
revendication territoriale à formuler en Europe, et il n’a pas
tenu sa parole. I1 a juré qu’il ne voulait aucune province
polonaise et il n’a pas tenu sa parole. I1 nous a juré pendant
des années qu’il était l’ennemi mortel du Bolchévisme et
aujourd’hui il est son allié.
(( Faut-il s’étonner, dans ces conditions, si sa parole ne vaut

même pas, pour nous, le papier sur lequel elle est inscrite?
I . Sur les conditioni de la dénonciation du Pacte de Locarno, voir vol. III,
p. 276 et a.
LA PAIX SE MEURT... LA PAIX EST MORTE 603
u Le Pacte germano-russe a été une volte-face cynique,
dont le seul but était de disloquer le front de la paix, destiné
à empêcher de nouvelles agressions. Par bonheur, ce jeu a
échoué. Le front de la paix est solide. Et maintenant votre
Führer vous sacrifie vous-mêmes à ce terrible jeu de hasard
qu’est une guerre, pour se tirer de la situation inextricable
dans laquelle il s’est placé, et vous avec lui!
(( Dans cette guerre, nous ne combattrons pas contre vous,

peuple allemand, envers lequel nous n’éprouvons aucun senti-


ment d’amertume, mais contre un régime tyrannique et par-
jure qui n’a pas seulement trahi son propre peuple, mais
l’ensemble de la civilisation occidentale et tout ce qui vous
est le plus cher!
u Que Dieu protège le Droit l! ))

Quant à Churchill, il a répondu par avance à la procla-


mation d’Hitler a u cours de l’intervention qu’il a faite, le
matin même, à la Chambre des Communes :
(( I1 faut qu’on le sache »,
s’est-il écrié. (( Nous ne combattons
pas pour Dantzig ou la Pologne. Nous combattons pour déli-
vrer le monde entier du fléau de la tyrannie nazie et pour
défendre tout ce que l’homme a de plus sacré. Cette guerre
n’a pas pour but une domination, un accroissement de puis-
sance impérialiste ou un gain matériel. Elle n’est pas menée
non plus pour enlever à quiconque ses possibilités de dévelop-
pement ou sa place au soleil. Que l’on examine les motifs
réels! On verra alors qu’elle a pour objet de fonder sur des
bases intangibles les droits de l’individu et d’assurer la renais-
sance et la survie de la personnalité humaine... Cette épreuve,
nous devons l’aborder avec toutes les forces dont nous dis-
posons et avec la volonté d’en sortir victorieux ...
(( En avant, soldats du Christ 2! ))

Ainsi commence une guerre qui fera cinquante millions


de morts.
1. Abcution de M . Necdüe Chamberlain au peupb allemand, prononch B la
radio de Londres, le 4 septembre 1939. (Livre bieu anglais, no 144.)
2 . Winston CAURCAILL, Discours prononcé devant la Chambre des Communes,
le 3 septembre 1939, à 11 h. 15. (Discours, no 16.)
REPARTITION
D E S FORCES
TERRESTRES ALLEMANDES (étir 1939).
R É P A R T I T I O N DES FORCES
A I ~ I E N N E SA L L E M A N D E S ( A t & 1939).
TABLE DES CARTES

.
I. - L’arbitrage de Vienne (2 novembre 1938). . 31
II. - Les propositions allemandes du 30 août 1939. 467
III. - Répartition des forces terrestres allemandes.
. . ... .. ..
. . . . . . dépliant, p. 604
IV. - Répartition des forces aériennes allemandes..
. . . . . . . . . . . . . . . dépliant, p. 605
TABLE DES MATERES
DU TOME SIXmME
-P PARTIE
DE MUNICH A PRAGUE

I. - L’Occident d‘ la croisés des chemins. ...... 11


- Point de vue d’Hitler (11).
De quelle paix s’agit-il? (11).
- Les mains libres à l’est (11). - Point de vue des démo-
craties (12).- Déception de Litvinov (12).- Réactions en
Amérique (13). - Réaction de Daladier (13). - Réaction
à Londres (14). - Débat aux Communes (14). - Programme
de réarmement britannique (14). - Discours de Churchill
(15). -Les Accords de Munich sont ratifiés par 369 voix
contre 150 (16).- Hitler e t l’Angleterre (16).- Les deux
rameaux de la race saxonne (17). - Portrait de Churchill
(17). - J e choisirais le large... (18).- Discours d’Hitler B
8
- D
Sarrebruck (18). Réplique de Churchill (20).- Hitler
envoie de nouvelles directives à son État-Major (21).

II. - L’arbitrage de Vienne ( 2 novembre 1938). ... 22


L’arrêt de mort de la Ire République tchécoslovaque (22).-
La II. ‘République tchéco-slovaque (22).- Démission de
Benes (22).- Discours du général Sirovy (23). - Sirovy
remanie le Cabinet (23). - Le gouvernement autonome de
-
Ruthénie (23). Le gouvernement autonome de Slovaquie
(24).- Benès se retire à Sezimovo-Usti (24).- Critiques
contre Benes (24).- Déclaration de M. Bertin (24).- Ins-
titution d’une Commission d‘enqubte (25).- Benes s’expa-
trie à Londres, puis à Chicago (26).- L’Ukraine morcelée
-
(26). L’autonomie de la Ruthénie souleve de grands espoirs
(27).- Le gouvernement de Mgr VoloZin (28).-L‘Ukraine
va-t-elie ressusciter? (28).- Le probleme de la minorité hon-
-
groise de Slovaquie (29). Hitler e t Mussolini veulent agir
-
vite (29).- L’arbitrage de Vienne (30). Mécontentement
- -
B Paris e t 8 Londres (32). Un coup sévére pour M g r Tizo
-
(32). Inquiétude/des Ruthenes (32). Hitler comprend41
l’unportanoe de l’Ukraine5 (33).
610 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE
III. - Les sources d’ombre grandissent :l’assassinat du
conseiller vom Rath et la Nuit de Cristal (7-9 novembre
1938). .................... 34
L’assassinat du conseiller vorn Rath (34).-Herschel Grynsz-
pan (36).- Son passé (36).-Ses motifs d’agir (37).- Colère
en Allemagne (37). - Le meurtre de Gustloff (37). - Hitler
fête le 15e anniversaire du putsch de Munich (38).-La Nuit
de Cristal (38). - Inquiétude de Gœbbels (38). - Sanctions
contre les Juifs (39).- Réactions des Juifs américains (41). -
Déclaration de La Guardia, maire de New York (41).-Confé-
rence de presse de Roosevelt (41). - Roosevelt rappelle son
ambassadeur de Berlin (42). - Déclaration de Bullitt au
comte Potocki (43).

IV. - La signature du Pacte de non-agression franco-


allemand (6 décembre 1938). ........... 44
Suggestion de François-Poncet à Georges Bonnet (44). - Un
pendant à la déclaration anglo-allemande (44). - Entrevue
Poncet-Hitler (45). - François-Poncet quitte Berlin (46). -
Les N durs D de I’entourage d’Hitler l’emportent (46). - Une
série de contretemps (46). - Grèves en France (47). - Satis-
faction de Litvinov (48). - Daladier réagit (48). - Incidents
en Italie (48). -Arrivée de Ribbentrop à Paris (49).-Entre-
tien Ribbentrop-Bonnet (49). - Signature du pacte (50). -
Départ de Ribbentrop (52).

V. - La fin de la Tchéco-Slovaquie(13-15 mars 1939)- 53


Les événements se précipitent à Prague (53). - Emil Hacha
élu Président de la République (53). - Ses opinions (53).-
Le nouveau gouvernement tchèque (54). - M. Chwalkovsky,
ministre des Affaires étrangères (54). - Le général Sirovy
devient ministre de la Défense (54). - Les élections en Slo-
vaquie et en Ukraine subcarpathique (54). - Réaction des
Allemands de Bohême e t de Moravie (55). - Réaction des
Tchèques (55). - L’armée ne désarme pas (56). - Benès
encourage l’opposition (56). - Le pays se disloque (56). -
Hacha envoie le général Prchala en Ukraine subcarpathique
(56).- Protestations de Mgr VoloZin (56).-Hacha dissout la
Diète de Bratislava (57).-Le coup de force du 10 mars en Slo-
vaquie (57).- Retraite de Mgr Tizo (57).-La Pologne et la
Hongrie s’apprêtent à intervenir (57). - L’armée hongroise
se concentre le long de la frontière méridionale de la Slovaquie
(58).- L’Europe centrale va-t-elle prendre feu? (59). -
Visite de Mgr Tizo à Berlin (13 mars 1939) (59). - Entrevue
Tizo-Hitler (60). - Mgr Tizo et M. Durcansky reprennent
l’avion pour Bratislava (61). - La Dihte de Bratislava pro-
clame l’indépendance de la Slovaquie (61). - Appel de
TABLE DES MATIÈRES 611
Mgr Tizo à Hitler (62). - Réponse d’Hitler (62). - Appel
de Mgr VoloZin à Hitler (62). - Hitler refuse sa protection à
l’Ukraine subcarpathique (62). - Satisfaction de l’amiral
Horthy (62). - Hacha demande à être reçu par le Chance-
lier (63). - I1 part pour Berlin (63). - Animation à la Chan-
cellerie (63). - Déclaration d’Hitler à Keitel (63). - Ani-
vée de Hacha à Berlin (64). - On le fait attendre à l’hôtel
Adlon (64). - Entrevue Hacha-Ribbentrop (64). - Arrivée
de Hacha à la Chancellerie (64). - Son entrée en matière (65).
- Riposte d’Hitler (66). - fl Les troupes allemandes entre-
ront en Tchéco-Slovaquie demain, à 6 heures D (67).-Désar-
roi de Hacha e t de Chwalkovsky (67). - u Téléphonez à
Prague! a (68). - Le téléphone est perturbé par la tempête
de neige (68). - Efforts frénétiques de Schmidt pour établir
la liaison avec Prague (69). - Colère de Ribbentrop (69). -
Hacha a une syncope (69). - La communication avec Prague
est enfin établie (70). - Hacha donne l’ordre de ne pas résis-
ter aux troupes allemandes (70). - Que fera Sirovy? (70). -
Sirovy s’incline (70). - Signature de l’accord Hitler-Hacha
(71). - Hacha et Chwalkovsky quittent la Chancellerie (71).

VI. -Le silence du Hradjin. ........... 72


Les troupes allemandes franchissent la frontière germano-
tchèque (72). - Elles occupent Prague (72). - Les troupes
hongroises occupent l’Ukraine subcarpathique (73). - Pre-
mier appel A l’aide de Mgr VoloZin (73). - Deuxième appel à
l’aide de Mgr VoloZin (74). - Fin de non-recevoir allemande
(74). - La Ruthénie est rayée ‘de la carte d’Europe (74). -
Hitler arrive à Bohmisch-Leipa (74). - I1 traverse la Bohême
sous une tempête de neige (75). -Son entrée au Hradjin (75).
- M. Hacha y arrive à son tour (75). - La passation des
pouvoirs (75). - Prague demeure silencieux (75). - L’ins-
tauration du Protectorat de Bohême-Moravie (75).-Le butin
de la Wehrmacht ( 7 6 ) . - Première réaction de Chamberlain
(77). - Sa colère augmente (77). - Chamberlain prononce
un discours à Birmingham (17 mars 1939) (78). - Le glas de
la politique de conciliation (80). - Daladier fulmine (80). -
Entrevue Bonnet-Welczek (80). - Entrevue Bonnet-Souritz
(81). - Réactions russes (81). - Réactions polonaises (81).
- Réactions des colonies tchèques d’Amérique (81).-Pro-
clamation de Benès (82). - Benès met sur pied un Gouver-
nement tchèque en exil (82). - Réaction des États-Unis (82).
- Notes de protestation française et anglaise (83). - M. von
Weizsacker refuse d’en prendre connaissance (83). - Roose-
velt adresse un message à Hitler (14 avril 1939) (85).-Colère
d’Hitler (86). - Réponse d’Hitler devant le Reichstag (28 avril
1939) (86). - Ce qui est mort à Prague (88).
612 HISTOIRE D E L’ARYBE ALLEMANDE

L’HEURE DES DICTATURES


VIL - Memel revient au Reich :Mussolini s’empare de
l’Albanie (15 mars-15 avril 1939). ........ 93
Que va faire l’Allemagne? (93). - Une réaction en chaîne
(93). - Les habitants du territoire de Memel se soulhvent
(93). - Démarches de M. Neumann (94). - Le Gouverne-
ment lituanien refuse de négocier (94). - Entrevue Ribben-
trop-Urbsys (94). - Les troupes du Wehrkreis I sont misee en
état d’alerte (95). - Mobilisation partielle polonaise (95). -
Le Gouvernement lituanien s’incline (21 mars 1939) (95).
Une délégation lituanienne se rend à Berlin (22mars) (96). -
-
Le traité germano-lituanien (96). - Hitler vogue vers Memel
sur le Deufschland (96). - Il signe la loi incorporant le terri-
toire de Memel au Reich (97).- Ribbentrop conclut un traité
de protectorat avec la Slovaquie (97). - L’influence alle-
mande s’accroît dans le bassin danubien (97). - Inquiétude
de Mussolini (98). - Ciano préconise l’annexion de ilAlbanie
(99). - Mussolini se décide (99). - Les Italiens débarquent
à Durazzo (99). - Fuite du roi Zog (100). - Victor-Emma-
nuel reçoit la couronne d’Albanie (100). - Mussolini rejette
une note.de Roosevelt (100). - Le Duce a retrouvé sa bonne
humeur (100).

VIII. - Hitler fête son cinquantième .anniversaire


(20 avril 1939). . . . . . . . . . . . . . . . . 101
Le bilan de l’année 1938 (101). -La physionomie de l’Europe
centrale est bouleversée (101). - Dynamisme de l’idée de
Volkstum (102). -La puissance allemande grandit (103). -
Usines et mines travaillent & plein (103). - Le chômage a
disparu (104). - Les constructions monumentales (104). -
Les Allemands voudraient jouir des bienfaits de la paix (105).
- Mécontentement d’Hitler (106). - L’Allemagne a-t-elle
peur de combattre? (106). -L’essentiel reste à faire(lO6). -
Hitler tend toutes les énergies (107). - Discours d’Hitler
aux dirigeants de la presse allemande (107). - a L’année 1939
sera une grande année! B (108). - Himmler crée les Waffen-
S.S. (108). - L’Amirauté entreprend un vaste programme de
constructions navales (109). - Les a armes spéciales D (109).
- L’Allemagne se transforme en camp retranché (109). - Le
cinquantième anniversaire du Führer (20avril 1939)(109). -
Carillons sur toute l’Allemagne (110). - Les télégrammes de
félicitation s’amoncellent (110). - Réception B la Chancel-
-
lerie (1IO). La délégation de Dantzig est éconduite (111). -
TABLE DES MATIÈRES 613
La grande parade de Charlottenburg (111).-Une coulée inin-
terrompue de chair et d’acier (111).- Description de M. Gré-
goire Gaîenco (112). - s L’entière compréhensiondu monde D
(112).

IX.- Le Pacte d’Acier (22 mai 1939) ....... 113


Les liens se rompent entre la France et l’Italie (113).-Aver-
tissements de Lord Perth (113).- Réponse de Sir Eric Phipps
(114). - Visite de Chamberlain et Halifax à Rome (11 jan-
vier 1939) (114). - Mussolini entame les négociations avec
Berlin (115). - Les tâches de la politique italienne (115). -
La Conférence du 5 février 1939 au Palais de Venise (115). -
Nécessité de l’alliance allemande (116). - Hitler dénonce
l’accord naval angio-allemand (117). - La rupture entre
Londres e t Berlin paraît définitive (118). - La réunion du
Conseil des Ministres à Rome, du 29 avril 1939 (118). - État
déficient des armements italiens classiques (118). - Pas d’ar-
tillerie (119). - Effectifs mal instruits (119). - Ribbentrop
arrive à Milan (119). - Négociations en vue d’un Pacte à
Trois (119). - Réticences du Japon (119). - Ciano se rend
à Berlin (120). - Signature du Pacte d’Acier (120). - Texte
du traité d’alliance germano-italien (121).- Mussolini charge
le général Cavallero d’une mission à Berlin (122). - Pro-
messes d’Hitler à Cavallero (122). - Pas de guerre avant
1942-1943 (122). - Soulagement de Mussolini (122).

X . - Le retour de la Légion Condor (6 juin 1939). . 123


Le général Franco fait son entrée à Madrid (28 mars 1939)
(123). - Adhésion de l’Espagne au Pacte anti-Komintern
(123). - Le bûcher.espagnol(l24).- Le drapeau de Lépante
(125). - Le retour des volontaires allemands d‘Espagne (126).
- Prise d’armes au Lustgarten (126). - Discours de Gœring
-
(127). Harangue d’Hitler (127). - La Croisade antibol-
chbvique (127).

XI.- La Wehrmacht de 1939 . .......... 129


Vingt ans de reconstruction militaire (129). - Le Haut Com-
mandement de la Wehrmacht (129). - Hitler, chef suprême
des Forces de Terre, de Mer et d’Air (129). - Le Haut Com-
mandement des forces de terre :général von Brauchitsch (130).
- Le Haut Commandement des forces de l’air : maréchal
Gœring (130). - Le Haut Commandement des forces de mer :
amiral Ræder (130). - Les Six Commandements de Groupes
d‘armées (130). - Les dix-huit Commandements d’armée
(130). - Effectifs des forces de terre (131). - Le Corps
blindé (131). - Les quatre flottes aériennes (131). - Les dix
Régions aériennes (132). - Les dix Inspections générales de
614 HISTOIRE DE L’ARMkE ALLEMANDE

la Luftwaffe (132). - Effectifs d e l’Armée d e l’air (132). -


Répartition des forces navales (133). - La flotte allemande
d e 1939 (134). - Points forts e t points faibles d e la Wehr-
macht (135). - Critiques du général Halder, chef d ’ É t a t -
Major général (136). - Critiques d e l’amiral Ræder e t d u
commandant, Dœnitz (136). - Opinions d e Liddell-Hart e t
d e Tippelskirch (137). - Aucun p l a n opérationnel contre
l’Ouest (139). - Insumsance d e matières premières (139). -
La W e h r m a c h t condamnée à l’asphyxie, si elle ne l’emporte
p a s rapidement (139).

LA CRISE GERMANO-POLONAISE

XII. - Londres et Paris s’efforcent de dresser un nou-


veau barrage à l’est (16-31mars 1939). . . , 143 ..
L’Allemagne soupçonnée d e vouloir s’annexer les pétroles
roumains (143). - U n v e n t d e révolte passe s u r la Chambre
des Communes (144). - Halifax décidé à e n finir avec l a
politique d e conciliation (144). - a Plus jamais de Munich! D
(144). - I1 f a u t constituer u n nouveau barrage avec l a
Pologne, la Roumanie, l a Turquie e t l a Grèce (145). -
Démarche d e M. Tilea à Downing Street (145). - E n t r e t i e n
Tilea-Orme Sargent (146). - E n t r e v u e Tilea-Halifax (17 mars
1939) (146). - L’Angleterre propose une alliance polono-rou-
maine (147). - Halifax invite le colonel Beck à venir à
Londres (148). - Halifax informe les Missions britanniques à
l’étranger q u e l’Allemagne a adressé u n ultimatum 5i la
Roumanie (148). - Émotion à Londres e t à Paris (148). -
Démenti d e M. Tataresco (149). - Démenti de M. Gaienco
(150). - Dérneilti d e Sir Reginald Hoare (150). - Scepti-
cisme du colonel Beck, d e M. Günther e t de M. Potemkine
(151). - Halifax poursuit son plan (151). - Chamberlain
s’en inquiète (151). - Réunion orageuse du Cabinet britan-
nique (151). - Point d e v u e de Lord Halifax (152). - E n t r e -
tien Tilea-Sir Alexander Cadogan (152). - Pirouetta d e
M. Tilea (153). - Cri d’alarme d e M. Thierry (153). - L a
flhvre monte à Londres e t à Paris (154). - Visite de MM. Al-
b e r t Lebrun et Georges Bonnet à Londres (21-24 mars 1939)
(154). - Les Anglais I moralement prêts à relever le défi D.
(155). - Conseil des Ministres polonais a u Palais Brühl (155).
- Beck repousse le projet anglais de pacte collectif (155). -
Halifax est ulcéré (156). - Signature d e l’accord commercial
germano-roumain (156). - Beck propose à Halifax la signa-
ture sans délai d’un pacte bilatéral anglo-polonais (157). -
Un équilibre dangereux (157). - C a r a c t h e de Beck (158). -
TABLE D E S MATIÈRES 615
Chamberlain accepte l e principe d’un pacte bilatéral (159). -
Halifax répugne à choisir entre la Pologne e t 1’U. R. S. S.
(159). -I1 finit par s’y résigner (159). - Déclaration de
Chamberlain à la Chambre des Communes (31 m a r s 1939)
(160). - Désapprobation de Churchill e t de Coulondre (160).
-
- Beck est devenu le maître d u jeu (161). K U n cheque
en blanc à l a Pologne P (162). - Satisfaction de Beck (162).

XIII. - Les relations germano-polonaises s’enveniment. 163


Hitler observe l a politique anglaise avec a t t e n t i o n (163).
Deux constructions artificielles d u Traité de Versailles : le
-
a Corridor D e t la u Ville libre n de Dantzig (163). - L a poli-
tique de Schleicher (164). - Hitler décide de faire le contraire
(164).- L a osition de l a Reichswehr à l’égard de l a Pologne
(164).- L’&at-Major p r ê t à sacrifier le Reich à l’unité de
la Prusse (165). - L a politique d e Rapallo : R a t h e n a u e t
Tchitcherine (165). - L a collaboration militaire germano-
russe (165). - Les trois partages de 1772, 1793 e t 1795 (166).
- I1 ne f a u t pas chercher à incorporer la Pologne a u Reich
(167). - L a Pologne prise entre le Traité de Versailles e t le
T r a i t é de Riga (167). - Pilsudski préconise une guerre pré-
ventive contre l’Allemagne (168). - Revirement de Pilsudski
(168). - L e P a c t e germano-polonais d u 26 janvier 1934 (168).
- La F r a n c e se rapproche de la Russie (169). - L a Pologne
s’en éloigne (169). - Voyage de Gcering en Pologne (170). -
Gcering v e u t associer la Pologne Ci la croisade antibolchbvique
(170). - c L’Ukraine serait, pour la Pologne, une zone
d’influence t o u t e trouvée Y (170). - Les généraux polonais
dressent l’oreille (171). - Le Te Deum de Kiev (171). -
Conseils de prudence de Pilsudski (171). - Mort d u Maréchal
Pilsudski (171). - Beck applique le testament de Pilsudski
(171). - Beck se rend à Berlin (171). - Premier entretien
Hitler-Beck (172). - Excellente impression de Beck (172). -
L a Pologne s’aligne sur la politique de Berlin (173). -L’entre-
vue Ribbentrop-Lipski d u 24 octobre 1938 (173). - La ques-
tion d e Dantzig est posée pour l a première fois (173). -Beck
refuse de discuter le problème (174). - C o m p t e rendu de
M. Lipski sur son entretien avec Hitler (174). -Beck cherche
à gagner d u t e m s (174). - Hitler donne de nouvelles ins-
tructions & son &at-Major (175). - Déclaration d’Hitler à
Brauchitsch (175). - E n t r e v u e Beck-Hitler d u 5 janvier
1939 (176). - Pessimisme de Beck (177). - R i b b e n t r o p se
r e n d à Varsovie (26 janvier 1939) (177). - Communiqué sur
Dantzig (177). - Beck se tourne vers Londres e t Paris
(178). - Réponse déoourageante de Londres (178). - Beck
s e n t le sol se dérober sous ses pas (178).- E n t r é e des troupes
allemandes à P r a g u e (178). - L’Angleterre invite la France,
I’U. R. S. S., la Pologne e t la Roumanie à signer u n pacte
d’assistance collectif (178). - Hitler comprend qu’il doit agir
vite (179). - Hitler ne veut pas faire la guerre pour Dantzig
616 HISTOIRE D E L’ARYBE ALLEMANDE

- -
(179). Une question de prestige (180). Nouvel entretien
Ribbentrop-Lipski (21 mars 1939) (180). - a I1 est temps de
songeràunrèglement global^ (181).-La suggestion des auto-
routes entrecroisées (181). - Le Conseil des Ministres polo-
-
nais du 22 mars 1939 (181). Beck repousse les propositions
allemandes (182). - a Moi abandonner Dantzig? Jamais1 m
(182). - Déclarations du colonel Beck au comte Szembek
(182). - L’opinion publique polonaise se raidit (182). - La
mobilisation partielle polonaise (183). - Hitler reste calme
-
(184). Déclaration d’Hitler à Brauchitsch (23 mars 1939)
(184). - Beck noue des relations toujours plus étroites avec
Londres (184). - Hitler dicte le a Plan blanc n Q Keitel
(3 avril 1939) (185). - a Ces opérations doivent pouvoir &tre
mises à exécution n’importe quel jour à partir du 1.r sep-
tembre 1939 s (187).

XIV. - La tension internationale s’accrott . ..... 188


L’État libre de Dantzig se met à bouillonner (188). - Les
Nationaux-Socialistes y exercent tous les pouvoirs (188). -
M. Greiser, Président du Sénat; M. Forster, gauleiter du Parti
(188). - La lutte contre le ch6mage (188). - Les finances
municipales sont obérées (188). - Marasme grandissant des
affaires (189). - La concurrence de Gdynia (189). - Le dis-
cours d’Hitler du 28 avril 1939 (189). - Le Chancelier expose
ses propositions à la Pologne (190). - I1 dénonce le pacte de
non-agression germano-polonais (192). - Mémorandum de
Beck au Gouvernement allemand (5 mai 1939) (192). - La
Conférence militaire du 23 mai 1939 (193). - Hitler dit aux
chefs de la Wehrmacht qu’un conflit avec la Pologne lui paraît
désormais inévitable (193). - Angoisse croissante de Carl
Burckhardt (195).- Entretien Burckhardt-Attolico (195). -
II Dantzig n’a que faire d’un nouveau Runcimanl D (196). -
La situation empire (196). - Nervosité croissante chez les
Polonais (197). - La querelle des douaniers (198). - Ulti-
matum polonais à M. Greiser (4 août 1939) (198).- Second
ultimatum polonais (199). - La lettre de M. Bey1 (200). -
MM. Greiser et Forster demandent conseil à Berlin (200). -
Entretien téléphonique Greiser-Chodacki (200). - Hitler
conseille la modération (201). - Lettre de M. Greiser à
M. Chodacki (201). - L’atmosphère se détend (201). - En-
tretien Beck-Léon Noël (201).- La presse polonaise triomphe
(202). - Colère du gauleiter Forster (202). - Notification
de M. von Weizsacker au prince Lubomirski (9 août 1939)
(202). - Notillcation du colonel Beck à M. von Wühlisch
(10 août 1939) (202). -Le dialogue prend pn ton acerbe
(202). - La population dantzickoise entre en ébullition (203).
- Discours aux flambeaux de M. Forster, à Dantzig (10 août
1939) (203). - a Dantzig est allemand1 P (203). - Hitler
demande Q voir M. Burckhardt (204). - M. Burckhardt se
rend au Berghof avec M. Forster (204). - L’entrevue Hitler-
TABLE DES MATIÈRES 617
Burckhardt du 11 aoat 1939 (205). - Hitler demande à voir
Lord Halifax ou le général Ironside (209). - Burckhardt
rentre à Bâle (12 août 1939) (210). - I1 rend compte de son
entrevue à MM. Arnal et Makins (210). - Un article intem-
pestif de Paris-Soir (210). - Tous les espoirs de Burckhardt
sont r6duits & néant (210).

XV. - Paris et Londws recourent au Kremlin : I. La


phase politique (14 avril-24 juillet 1939). ..... 212
L’armée polonaise est-elle de taille à tenir tete B la Wehr-
macht? (212). - Le Pacte franco-soviétique du 2 mai 1935
(212). - Un marché de dupe (213). - Position de l’Angle-
-
terre (213). Elle n’a pas d’engagements à l’Est (213). -
Comment tenir ses promesses envers la Pologne? (213). -
Le concours de la Russie est indispensable (214). - Une
triple négociation :franco-russe, anglo-russe et franco-anglaise
(214). - Les propositions françaises et anglaises du 14 avril
1939 (215). - Contre-propositions russes (19 avril 1939)
(215). - Le Gouvernement français se rallie au projet russe
(22 avril) (215). - Lord Halifax renâcle (215). -L’Angle-
terre ne veut pas garantir 1’U. R. S. S. (216). - Le Gouver-
nement français cherche une formule transactionnelle (216).
- M. Litvinov est remplacé par M. Molotov (216). - Quelle
est la raison de ce changement? (216). -LIU. R. S. S.repousse
les propositions anglaises (217). - Réunion de Lord Halifax,
Georges Bonnet et M. Maiski à Genbve (21 mai) (217). -
Lord Halifax fait deux concessions (217). - L’Angleterre
accepte d’étendre son aide à la Russie et aux Pays Baltes
(217). - M. Molotov fait a les plus expresses réserves D sur les
propositions anglaises (31 mai) (217). - I1 demande que la
garantie soit N automatique D (217). - La France accepte
(217). - L’Angleterre exige le consentement préalable de la
Finlande et des Pays Baltes (218). -Paris propose deux
concessions à Londres : pas de recours à la S. d. N.; pas d’ar-
mistice séparé (218).- La garantie sera étendue à la Hol-
lande, au Luxembourg et à la Suisse (218). - L’Angleterre
envoie M. Strang à Moscou (218). - M. Molotov remet tout
en question (22 juin) (219). - La Pologne et la Roumanie
seront mises à l’écart (219). - La France propose que les huit
États garantis ne soient nommés que dans une annexe secrète
(219). - L’Angleterre finit par y consentir (219). - M. Molo-
tov repousse cette procédure (27 juin) (219). - I L’Union
Soviétique ne peut pas garantir des pays dont elle ignore le
nom s (219). - On décide de nommer les pays garantis (220).
- M. Molotov refuse de garantir la Hollande e t la Suisse
(220). - L’Angleterre e t la France n’insistent pas (220). -
M. Molotov soulève deux nouvelles dimcult& (220). - Le
problbme de 1’ agression indirecte n (220). - La subordina-
(I

tion de l’accord politique à la signature d‘une convention


militaire (220). - M. Georges Bonnet presse Lord Halifax
VI 39
618 HISTOIRE DE L’ARM$E ALLEMANDE

d’accepter (221).- Londres s’insurge (222). - Note anglaise


très dure à Moscou (13 juillet) (222). - Sir. William Seeds i t
M. Strang reprennent contact avec Molotov (18 juillet 1939)
(223). - Les négociations sont sur le point d’être rompues
(224). - M. Bonnet lance un appel pressant à Lord Halifax
(224). - Halifax finit par s’incliner (225). - L’atmosphère
se détend (24 juillet 1939) (225). - Les négociations mili-
taires peuvent enfin commencer (226).

XVI. - Paris et Londres recourent au Kremlin :II. La


phase militaire (12-21 août 1939). ........ 227
Première séance de travail au Kremlin (12 août) (227). -
Le Maréchal Vorochilov préside la délégation russe (227).
Le général Doumenc préside la délégation française (228). -
-
L’amiral Drax préside la délégation britannique (228). -
Retard dans l’arrivée des délégations occidentales (228). -
Les missions occidentales n’ont pas le pouvoir de signer un
accord (228). - Surprise des Russes (228). - Vorochilov
demande à connaître les plans franco-anglais (229). -
L’amiral Drax demande & connaître les plans russes (229). -
Aucun des interlocuteurs ne veut abattre ses cartes en pre-
mier (229).- Colère de Vorochilov (229).- Intervention du
général Dournenc (229). - L’amiral Drax demande une sus-
pension de séance (229). - La séance reprend le lendemain,
13 août (230). - Comparaison des effets anglais et soviétiques
(230). - On rédige le Préambule de l’Accord (230). - N Com-
ment la France et l’Angleterre envisagent-elles l’assistance à
la Pologne et à la Roumanie? D (230). - Drax et Vorochilov
parlent par paraboles (231). - Vorochilov pose trois ques-
tions cardinales (232). - Réponse du général Heywood (232).
- Vorochilov demande une suspension de séance (233). -
Mémorandum très dur des Russes (233). - u I1 faut poser la
question au colonel Beck D (234). - Démarche de Bonnet
auprès de M. Lucasiewicz (15 août 1939) (235). - Démarche
de Léon Noël auprhs du colonel Beck (236). - Démarche du
général Musse auprès de l’État-Major polonais (236). - Le
colonel Beck refuse catégoriquement de laisser passer les
troupes russes (237). - Le général Musse se heurte au veto
des généraux polonais (237). - Refus officiel du Gouverne-
ment polonais (237). - Georges Bonnet est atterré (238). -
Tout est remis en cause par suite du refus polonais (238).
Illusions du colonel Beck (239). - La conférence s’ajourne
-
au 21 août (239). - Nouvelle démarche de M. Léon Noël au
Palais Brühl (239). - Le colonel Beck et le Maréchal Rydz-
Smigly demeurent sur leurs positions (239). - Suggestion de
M. Naggiar à Paris (239). - Daladier envoie au générai Dou-
menc les pouvoirs nécessaires pour traiter (240). - Séance
du 21 août (240). - Déclaration du Maréchal Vorochilov
(240). - Prot,estation de l‘amiral Drax (241). - Nouvelles
alarmantes transmises par M. Coulondre, de Berlin (241). -
TABLE DES MATIARES 619
Le général Doumenc demande à voir le Maréchal Vorochilov
(22 août) (241). - Le délégué irançais propose de reconnaître
aux troupes russes le droit de passage à travers la Pologne
(242). - Le Maréchal Vorochilov croit tomber des nues (242).
- a La France ne peut prendre aucun engagement de ce
genre au nom de la Pologne1 D (242). - Annonce de la signa-
ture imminente d’un Pacte germano-soviétique (242). -Bon-
net est stupéfait (243). - I1 questionne M. Naggiar (243). -
L’ambassadeur de France ne sait que répondre (243). - Le
Maréchal Vorochilov signifie leur congé à l’amiral Drax e t au
général Doumenc (243). - Les délégations militaires fran-
çaise et anglaise quittent Moscou (25 août) (243). - Les géné-
raux russes éclatent de rire (243).

XVII. - Le Pacte germano-soviétique : I. La négocia-


tion secrète .. ................ 244
Comment l’accord a-t-il pu se faire entre Hitler et Staline?
(244). - Témoignage du général Krivitsky (244). - Atti-
tude de Staline à l’égard du Reich (245). - Attitude d’Hitler
à l’égard des Soviets (246). - Politique ofilcielle du Kremlin
et politique personnelle de Staline (246). - Staline ne croit
pas au mécontentement du Haut Commandement allemand
(247). - I1 redoute d’être entraîné dans une guerre préven-
tive (247). - L’accord commercial germano-russe de 1935
(248). - Hitler l’annule (248). -- Hitler fait table rase des
antagonismes idéologiques (249). Réception du corps diplo-
matique, le 12 janvier 1939 (249). - Hitler échange des pro-
pos aimables avec M. Merekalov (250).- Discours prononcé
par Staline, le 10 mars 1939, au XVIIIe Congrès du Parti
communiste russe (250). - Hitler ne répond pas à l’invite
(251). - Coup de téléphone de Ribbentrop au Dr Peter Kleist
( 7 avril 1939) (251). - Premier entretien Kleist-Astachov
(251). - Astachov propose de faire de la a grande politique D
(252). - Ribbentrop freine les conversations (253). -Molotov
propose à M. von der Schulenburg d’entamer des conversa-
tions politiques (253). - Schulenburg cherche à en faire pré-
ciser les bases (253). -Molotov s’y dérobe (253). -Démarche
de M. Astachov chez le ministre de Bulgarie (254). - Trois
voies s’ouvrent & 1’U. R. S. S. (254). - La Russie préférerait
un accord avec l’Allemagne (254). - Ribbentrop sort de sa
&serve (26 juill. 1939) (255). - Une course contre la montre
entre le Reich e t les Alliés (255). - La fièvre s’empare de la
Wilhelmstrasse (255). - Rapport d’Astachov au Kremlin
(256). - Ce que Staline voit à l’ouest (256). -Cequ’ilvoità
l’est (257). - L’offensive japonaise aux lisières de la Mon-
golie (257). - Batailles de Halkin-Go1et de Nomon Ha (257).
- Renaissance du patriotisme russe (258). - Chœurs & la
gloire de l’Armée Rouge (258). - En réalité, la Russie a peur
(258).- Entretien Ribbentrop-Aetachov du 2 août 1939
(258).- Schulenburg confirme les propositions allemandes à
620 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

-
Molotov (259). - Molotov ne réagit pas (259). Hitler en
est déçu (259). - I1 est de plus en plus pressé (259). -
Annonce de l’accord Craigie-Arita (21 juill.) (260). - D%cla-
rations inquiétantes du baron Hiranuma (260). - Mussolini
s’alarme du déroulement des événements (261). - L’entre-
vue du Brenner est décommandée (261). - Point de vue ita-
-
lien (261). Ciano se rend au Berghof (12 août) (262).
Entretien Ciano-Hitler (262). - Ciano expose le point de vue
-
italien (263). - a Chez vous, tradition est synonyme de trahi-
son! B (263). - Deuxibme rencontre Hitler-Ciano (13 août)
(263). - Les deux hommes se séparent dans une atmosphère
tendue (264). - Ciano rend compte de son voyage à Musso-
lini (264). - Réactions de Mussolini (264). - Conversations
économiques Hilger-Mikoyan (265). - Lettre de Ribbentrop
à Schulenburg du 14 août 1939 (265). -Le ministre des
Affaires étrangères du Reich demande à &re reçu par Staline
(267). - Cette demande coYncide avec la remise du mémoran-
dum du Maréchal Vorochilov à l’amiral D r a (267). - Rib-
bentrop revient à la charge (16 août) (268). - Molotov n’est
pas pressé (269). - Refus catégorique de Beck de laisser
passer les troupes russes à travers la Pologne’(19 août) (269).
- Staline réunit les membres du Politburo (269). - Argu-
ments de Staline (270). - Signature de l‘accord commercial
germano-russe (19 août) (270). - Projet de pacte politique
rédigé par Molotov (271). - Le pacte est lié à la signature
d’un protocole secret (271). - Ribbentrop pourrait venir à
-
Moscou le 26 ou le 27 août (271). Hitler trouve que c’est
trop tard (271). - Hitler écrit directement à Staline (20 août
-
1939) (272). - Molotov est introuvable (273). La lettre
d’Hitler n’est remise à Molotov que le 21 août (273). - Hitler
ronge son frein au Berghof (273).- I1 blâme Wring de l’avoir
poussé dans cette affaire (274). - I1 craint d’avoir fait une
bourde (274). - La réponse de Staline arrive enfln (21 août
-
1939)(274). Hitler explose de joie (274). - a A présent j’ai
le monde dans ma poche1 D (276).

XVIII. - Le Pacte germano-soviétique :II. Le coup de


tonnehe du 23 août 1939 ...... .....
. 276
La route de Moscou est ouverte à Ribbentrop (276). - Rib-
bentrop et sa suite s’envolent pour KOnigsberg (22 août 1939)
(276). - Escale à Konigsberg (277). - Arrivée h Moscou
(277). - Les croix gammées à l’envers (277). - Ribbentrop
se rend à l’ambassade d’Autriche (278). - Ribbentrop fait
savoir qu’il doit &re rentré à Berlin dans vingt-quatre heures
(278).- Ribbentrop, Schulenburg et Hilger se mettent en
route pour le Kremlin (279). - Le mausolée de Lénine (279).
- Premier entretien Ribbentrop-Molotov-Staline (280). -
Staline réclame les ports lettons (280). - Retour de Ribben-
trop à l’ambassade (281). - Ribbentrop consulte Hitler (281).
-
- 4 Oui, d’accord1 1 (282). Deuxième entretien Ribben-
TABLE DES MATIARES 621
trop-Staline (282). -Ribbentrop lui annonce l’accord d’Hitler
-
(282). Staline bl%mit (282).- Rédaction définitive du
Pacte (283).- Texte du Pacte (23août 1939)(284).-Texte
du Protocole secret (284).- Hitler demande que la Pologne
soit considérée comme a zone d’intérêt germano-russe n (285).
- Staline s’y reiuse (286).- Ribbentrop n’ose pas insister
(286).- Signature du traité germano-russe (286).- Change-
ment de décor à vue (286).- Champagne et zakouskis (286).
Staline !ait l’amphitryon (286).- Entretien à bâtons rom-
pus entre Ribbentrop et Staline (287).- Ribbentrop propose
de modérer l’ardeur des Japonais (287).- L’Angleterre (287).
- La France (288). - Le pacte anti-Komintern (288).-
Les toasts (288). - Déclaration de Ribbentrop au D. N. B.
(289).- Le retour (290).- Escale à Konigsberg (290).-
Arrivée à Berlin (290).

XIX. - Hitler convoque ses généraux au Berghof. . . 291


Les chefs militaires arrivent à Obersalzberg (291).- Hitler
leur expose ses motifs d’action (292).- a Nous n’avons rien
à perdre (293).- La situation mondiale (293).- La Pologne
est isolée (295).- Ni la France, ni l’Angleterre ne peuvent
rien pour elle (295).- Le blocus n’est plus h redouter (295).
- Une attaque des iortifications de l’ouest est impossible
(296).- Motils d’action de Staline (296).- Rapidité néces-
saire des opérations (297).- a J’ai confiance en la Wehr-
machtl I (297).- Opinion des généraux (297).- 8 Je régle-
rai la question par la seule voie diplomatique P (298).

QUATRICNZE PARTIE
LA PAIX SE MEURT...
LA PAIX EST MORTE
XX. - Les réactions dans le monde : I. D a n s le camp
de1’Axe.. .................. 301
Hitler attend la chute des gouvernements Chamberlain et
Daladier (301). - Satisfaction de Mussolini (302).- Opi-
nion de Ciano (302).- Opinion de Mackensen (302).- Satis-
faction en Slovaquie, en Hongrie et en Bulgarie (303).-
Inquiétude en Finlande (303).- Désespoir des Ruthènes
(303).- Les réactions japonaises (304).- Mécontentement
d’Oshima (304).- Colère à Tokyo (304).- Rapport du
général Ott (305).- Rapport de l’attaché militaire italien
(305).- Protestation d’Oshima à Berlin (306).- Réponse
de Weizsacker (306).- Le Cabinet nippon est renversé (307).
- Progrès des éléments anglophiles (307).- L’armée réagit
622 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

(307). - Communiqué du ministère de la Guerre (307). -


L’Empereur conne le pouvoir au général Abe (308). - Satis-
faction du général Ott (308). - Le Japon suivra sa propre
politique (308).

XXI. - Les réactions dans le monde :II. Dans le camp


des démocraties. ................ 309
Chamberlain rentre précipitamment B Londres (309). - Réu-
nion du Cabinet britannique (309). - L’Angleterre tiendra
ses engagements envers la Pologne (310). - Faux raisonne-
ment d’Hitler (310). - Chamberlain fait le point de la situa-
tion (310). - Opinion de Flandin (310). - L’opposition gagne
du terrain (311). - Inquiétudes de Chamberlain (312). -
Manifestations ti Londres (313). - a Rule Britannia! D (313).
-- Surprise aux États-Unis (313). - Message de Roosevelt au
roi d’Italie (314). - Les grandes manœuvres américaines
(316). - Le Président Roosevelt est embarrassé (317). -
Réaction de Beck (318). - I1 estime que la Pologne peut
gagner la guerre (318).- r Le Reich est dans une situation
désespér4e D (319).

XXII. - M . Daladier réunit le Comité permanent de la


Défense nationale (mercredi, 23 août 1939). .... 320
Dép&chede M. Naggiar (320). - Georges Bonnet estime qu’il
faut reconsidérer la politique française (321). - Daladier réu-
nit le Comité permanent de la Défense nationale (323).-
Opinion du général Decamps sur le général Gamelin (323). -
Exposé de Georges Bonnet (324). - L’armée française est-elle
en mesure d’affronter l’armbe allemande? (327). - Opinions
du général Gamelin, de l’amiral Darlan et de Guy La Chambre
(327). - Craintes du général Aube (328). - Le Comité accé-
lère les premières mesures de mobilisation (329). - Bonnet
est paralysé (329). - Optimisme du général Gamelin (331).
- a Nous entrerons en Allemagne comme dans du beurre! a
(332). - Les rapports tendancieux sur l’Allemagne (332). -
Erreur de jugement de Gamelin (334). - Évolution de la
situation psychologique, chez les g6néraux allemands (334).
- Chacun poursuit son idée fixe (335). - L’engrenage de la
fatalité (336).

XXIII. - Chamberlain adresse un suprême avertisse-


ment à Hitler (23 août 1939). .......... 337
Avertissements de Sir Nevile Henderson (337). - L’ordre
d‘attaque est donné B la Wehrmacht pour le 28 août (338). -
Chamberlain rédige un message pour Hitler (339). - Hender-
son se rend au Berghof (342). - Premiere entrevue Hitler-
TABLE DES MATIEREÇ 623
Henderson (342). - Hitler rédige une réponse à Chamberlain
(347). - Seconde entrevue Hitler-Henderson (350). - Hen-
derson rentre à Berlin (352). - Monologue intérieur de Hen-
derson (352). - Le gauleiter Forster est nommé Chef de
l’État de la Ville libre de Dantzig (353). - On annonce la
visite du Schleswig-Holstein (353). - Gœring téléphone a
Stockholm (354).

XXIV. - La fièvre monte dans les capitales (24 août


1939). .................... 355
Le Schleswig-Holstein arrive à Dantzig (355). - Protestation
polonaise (355). - Derniére visite de M. Burckhardt à
M. Greiser (355). - Les Polonais protestent contre la nomi-
nation de M. Forster (356). - La tension s’accroît en Europe
(357). - Départ des mobilisés français (357). - Discours de
Chamberlain à la Chambre des Communes (358). - L’Erner-
gency Powers Bill est adopté par 447 voix contre 4 (359). -
Chamberlain est rassuré (359). - Appel de Roosevelt à Hitler
(360). - Appel de Pie XII (361). - Le soleil se couche sur
les Alpes bavaroises (362). - Hitler ne prend pas à la lettre
les déclarations anglaises (363). - N Ce calme, c’est la guerre! D
(363). - Arrivée de M. Dahlerus à Berlin (363). - Premier
entretien Dahlerus-Gœring B Karinhall (364). - Entrevue
Gœring-Lipski (365). - Départ de Dahlerus pour Londres
(365).

XXV. - Les coups de théâtre se succèdent (25 août


1939). .................... 366
Accrochages et coups de main se multiplient à la frontière
germano-polonaise (366). - Première lettre d’Hitler i Mus-
solini (367). - Lettre personnelle de Roosevelt à Hitler (368).
- La réponse du Président Moscicki (368). - Rapport de
M. Thomsen (369). - Molotov évite d’envoyer une mission
militaire à Berlin (370). - Position de Staline (370). - Rap-
port du conseiller von Seltzam (371). - Hitler est ébranlé
(372). - Hitler donne l’ordre à Keitel de surseoir à tout mou-
vement de troupes jusqu’à 15 heures (372). - Nouvelle entre-
vue Hitler-Henderson (372). - Hitler offre son alliance à
-
1’Angleterre (373). Schmidt apporte un aide-mémoire à
Henderson (374). - Visite de M. Attolico à la Chancellerir
(376). - L’Angleterre signe un pacte d’assistance avec la
Pologne (376). - Texte du pacte (377). - Annexe secrète
(378). - Hitler remet en marche le Plan blanc (378). -
Visite de M. Coulondre à la Chancellerie (378). - Entretien
Hitler-Coulondre (379). - Débat de conscience de Mussolini
(381). - Entretien Mussolini-Mackensen (384). - Exposé de
Mussolini (385). - Intervention de Ciano (386). - Réponse
-
de Mussolini à Hitler (387). Déception d‘Hitler (389). -
624 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

Hitler annule les ordres d’attaque (389). - Les généraux de


l’opposition cherchent à renverser Hitler (390). - Désarroi
au Grand Quartier Général (392). - Commentaire de Man-
stein (394). - Deuxihme lettre d’Hitler à Mussolini (395). -
Entretien Dahierus-Gœnng (395). - Paris et Londres se
concertent sur la procédure à suivre (396). - Hitler décom-
mande les fêtes commémoratives de Tannenberg (398).

XXVI. - L’Axe vacille (26 août 1939). . . . . . . 399


Henderson part pour Londres (399). - Lettre de Henderson à
Ribbentrop (399). - Hésitations de Henderson (400). - Le
continent européen commence à craquer (400). - Mussolini
présente une liste de demandes (401). - Commentaire de
Ciano (402). - Erreur volontaire d’Attolico (402). - Cons-
ternation à Berlin (403). - Dahlerus rentre à Berlin (404).
- Le communiqué de la Lufthansa (404). - Aide-mémoire
de Lord Halifax (405). - Réponse d’Hitler à Mussolini (405).
- Message de Mussolini (406). - Coulondre apporte un mes-
sage de Daladier (407). - Commentaire d’Hitler (408).
Réponses de Coulondre (409). - Confiit Gœring-Ribbentrop
-
(410). - Manœuvre de Ribbentrop pour évincer Dahlerus
(410). - Contre-attaque de Gœring (411). -.Visite nocturne
de Dahlerus à la Chancellerie (411). - Déclarations fulmi-
-
nantes d’Hitler (411). Hitler propose son alliance à l’An-
gleterre (411). - a Des avions, des avions, encore des avions1 D
(411). -Hitler charge Dahlerus de retourner I# Londres (412).

XXVII. - L’espoir renaît (27 août 1939). . . . . . 413


Hitler décommande le Congres de Nuremberg (413).
Le rationnement en Allemagne (413). - Nouveau message
-
d’Hitler B Mussolini (414). - Réponse d’Hitler à Dala-
dier (415). -Visite du comte Lubienski Berlin (417). -
L’opinion publique polonaise est déchaînée (418). - Rapport
de M. von Moltke (419). - Nouveaux tirs de la D. 6. A.
polonaise (420). - Dahlerus arrive à Downing Street (421).
- Conférence avec Chamberlain e t Halifax (421). - L’offre
d’alliance offusque les Anglais (423). - Opposition de Sir
Robert Vansittart (423). - Chamberlain inverse l’ordre des
facteurs (423). - a I1 faut régler d’abord le litige germano-
polonais n (424). - Dahlerus retourne A Berlin (424). - I1
rapporte un aide-mémoire en trois points (424). - Entretien
Dahlerus-Gœring (424). - Nouveau message de Mussolini
(425). - Compte rendu nocturne de Dahlerus à Sir Ogilvie
Forbes (426). - Entretien Guariglia-Bonnet (428). - Bon-
net entrevoit une lueur d’espoir (428).
riglia (429).
- Satisfaction de Gua-
TABLE DES MATIÈRES 625
XXVIII. - L’espoir grandit (28 août 1939). . . . . 430
La crise est-elle surmontée? (430). - Attolico expose à Weiz-
sacker le plan de Mussolini (431). - Silence de l’Angleterre
(432). - Halifax prend contact avec Beck (433). - Réponse
de Beck (434). - La Pologne accepte les négociations directes
(434). - Réponse du Gouvernement de Sa Majesté à Hitler
(434). - Henderson se rend à la Chancellerie (437). - I1 y
est reçu avec les honneurs souverains (438). - L’œillet rouge
(438). - Discussion Hitler-Henderson (438). - I1 faut choi-
sir entre l’Angleterre et la Pologne (440). - a J e choisis mon
peuple! D (440). - a Le choix est entre vos mains B (441). -
Henderson quitte la Chancellerie (442). - Lettre de Hender-
son à Halifax (443). - Optimisme de Gœring (444). - Joie
de Dahlerus (444). - I1 téléphone à sa femme (444).

XXIX. - Le ciel se couvre (29 août 1939). ..... 445


Les incidents de frontière se multiplient (445). - Publication
de l’échange de lettres Hitler-Daladier (446). - Commen-
taire de l’Agence Havas (446). - Mesures militaires en Bel-
gique, en Suisse, en Slovaquie, en Espagne et en Turquie
(447). - Dispositif aérien de l’Italie (448). - La tension
remonte (448). - Prodromes d’une guerre balkanique (448).
- M. von der Schulenburg proteste contre le retrait de
250.000 hommes de l’Armée Rouge à la frontière russo-polo-
naise (449). - Staline et Molotov 88 refusent à toute explica-
tion (449). - Ribbentrop demande à la Lituanie de masser
des troupes à la frontière polono-lituanienne (450). - Sir
Howard Kennard presse le colonel Beck d’engager les négo-
ciations (450). - Beck annonce la mobilisation générale polo-
naise (451). - PrQtestations de Kennard et de LBon Noël
(451). - Beck demeure intransigeant (452). - Mussolini
conseille à Hitler d’accepter une médiation (453). - Inter-
vention des généraux allemands auprès d’Hitler (454). - Ils
exigent a un oui ou un non m catégorique (455). - Hitler
décide d‘en finir (455). - Visite de Sir Nevile Henderson à
la Chancellerie (455). - Réponse d’Hitler à la note de Cham-
berlain (455). - Un plénipotentiaire polonais doit se présen-
ter le lendemain (457). - Henderson proteste contre la briè-
veté du délai (457). - Violente altercation entre Hitler et
Henderson (458). - a Mes soldats exigent une décision! D
(459). - Henderson analyse la situation (460). - Entretien
Henderson-Lipski (461). - Entretien Henderson-Coulondre
(461). - Entretien Henderson-Attolico (461). - Compte
rendu de Henderson à Halifax (462). - a Que Beck vienne! D
(462). - Beck s’y refuse (462). - Un kamikaze polonais
(463). - Beck sur le chemin de la perdition (463). - Entre-
tien Dühlerus-Forbes (463). - Gœring conseille à Dahlerus
de retourner à Londres (463). - Halifax examine la rBponse
d’Hitler (464).-TroisiBmevoyagedeDahlerusà Londres(464).
626 BISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

XXX. - L’espoir s’écroule (30 aodt 1939). ..... 465


Le Schleswig-Holstein prolonge sa visite B Dantzig (465). -
Les 16 points du projet de Convention polono-allemande
(466). - Les conditions du plébiscite (466). - Le Statut de
Gdynia (468). - Les voies extraterritoriales (468). -- Des
clauses équilibrées (469). - Avantages et désavantages pour
Hitler (470). - Conférence Dahlerus-Chamberlain (471). -
Londres presse Beck d’éviter les incidents (472). - Impos-
sible d’amener Beck à se rendre B Berlin (472).-Entretiens
téléphoniques Dahlerus-Gœring (473). - Méfiance de Cham-
berlain (474). - Pourquoi Hitler fait41 montre de tant de
précipitation? (474). - Note sur le mécontentement des géné-
-
raux allemands (475). Visite de Sieburg B Coulondre (477).
- Lettre de Coulondre à Daladier (478). - a Le poisson est
ferré! 8 (478). - Aucun plénipotentiaire polonais ne se pré-
sente à Berlin (479). -Entretien orageux entre Ribbentrop et
Henderson (479). - Ribbentrop refuse de remettre les condi-
tions allemandes B Henderson (482). - Effort désespéré de
Schmidt (483). - a A présent, les dés sont jetés1 n (483). -
Optimisme de Gœring (483). - Pessimisme de Forbes (484).
- Gœring autorise Dahlerus à lire les conditions allemandes
A Forbes (484). - Forbes cherche Henderson pour les lui
remettre (485). - Henderson demeure introuvable (485). -
I1 est all6 rendre visite à Lipski (485).

XXXI. - La paix se meurt (31 août 1939) . .. .. 486


Télégramme d’Attolico au Palais Chigi (486). - a Le pire peut
survenir d’un moment à l’autre D (486). - Mussolini expose
à Bottai son projet de conférence (487). - a Le Traité de
Versailles est mort1 D (487). - Approbation de Ciano (487).
- Henderson remercie Dahlerus de ses efforts (487). - I1
lui demande de transmettre les conditions allemandes à
Lipski (488). - Indifférence de Lipski (488). - a Nous mar-
cherons sur Berlin s (488). - Indignation de Dahlerus (488).
Entretien téléphonique Dahlerus-Sir Horace Wilson (488).
Position de Chamberlain (489). - Entretien Bonnet-Cou-
-
londre (490). - Nouvelle démarche de Léon Noël et de Sir
Howard Kennard auprBs de Beck (490). - Appel télépho-
nique de François-Poncet à Georges Bonnet (491). - Irrita-
tion de Beck (491). - I1 feint d’accepter les négociations
directes (492). - Henderson en prévient M. von Weizsgcker
(493). - Instructions du colonel Beck à Lipski (493). - Le
Post-scriptum secret (494). - Les services techniques de
Gœring décryptent le message (494). - Gœring le porte à
Ribbentrop (494).-Colére de Ribbentrop (494). - Mussolini
transmet à Paris et B Londres les grandes lignes de son projet
de conférence (495). - Réaction défavorable de Léger (495).
- Réaction favorable de Bonnet (496). - Chamberlain
insiste pour recevoir rapidement la réponse française (496). -
TABLE DES MATIÈRES 627
-
Bonnet explique la situation à Daladier (497). Daladier
accepte le projet de conférence (497). - Bonnet prépare une
réponse pour Mussolini (497). - Entretien Henderson-Forbes-
Dahlerus chez Gœring (498).-Le Conseil suprême de Défense
du Reich (498). - a J’irai jeter une couronne sur votre
tombel B (498). - Daladier téléphone à M. Corbin (499). -
Revirement de Chamberlain (499). - Une opposition bien
orchestrée (500). - Suspicions de Daladier envers Bonnet
(500). - Le Conseil des Ministres du 31 août (501). - Dala-
dier est renfrogné (501). - Plaidoyer de Bonnet en faveur de
la paix (501). - Intervention d’Anatole de Monzie (501). -
Divergences entre Daladier et Bonnet (502). - Daladier lit
la lettre de Coulondre (502). - Un débat confus (503). -
Monzie propose à Bonnet de quitter le gouvernement (503). -
Bonnet s’y refuse (504). - Bonnet rédige la réponse française
B Mussolini (504). - I1 en diffbre l’envoi au lendemain (504).
- Visite de Lipski à Ribbentrop (505). - Lipski n’a pas les
pouvoirs nécessaires pour traiter (505). - Ribbentrop coupe
court à toute discussion (505). - II n’y aura pas de négocia-
tions germano-polonaises (505). - a Grand-mére est mortel P
(506). - L’agression simulée de la station de radio de Glei-
Witz (506). - a A présent tout est finil (507). - Hitler est
content que les Polonais n’aient pas accepté ses conditions
(507). - Les conditions allemandes sont remises a pour infor-
mation D aux ambassadeurs de France et d’Angleterre (508).
- Communiqué omciel allemand (508). - Riposte polonaise
B la radio (508). - Hitler remet à Keitel la Directive
no 1 pour la conduite de la guerre (508).

XXXII. - Les armées du Reich envahissent la Pologne


( l e r septembre 1939) .............. 511
Premier raid de la Luftwaffe pour empêcher les Polonais de
faire sauter le pont de Dirschau (511). - Les premières tor-
pilles de la guerre (512). - Les Polonais font quand même
sauter le pont (512). -Les armées du Reich se ruent en
avant (512). - Le Schleswig-Holstein ouvre le feu sur Wes-
terplatte (513). - La Luftwaffe s’arroge la maîtrise aérienne
(514). - Dantzig proclame son rattachement au Reich (514).
- Discours d’Hitler au Reichstag (515). - I1 nomme Gœring
son successeur (518). - a L’Allemagne ne capitulera jamais1 B
(518). - Hitler délie Mussolini des obligations du Pacte
.d’Acier (519). - Intervention d’hbetz (519). - Hitler ne se
fie qu’à son propre jugement (520). - Beck est réveillé par
l’explosion des bombes (521).- I1 lit le dernier télégramme
d’Halifax (521). - Entretien téléphonique Beck-Sir Howard
Kennard (522). - Beck rappelle que Londres et Paris lui
doivent une assistance immédiate (522). -Discours de Cham-
berlain à la Chambre des Communes (523). - Bonnet est
informé de l’offensive allemande (525). - Entretien Bonnet-
Daladier au ministere de la Guerre (525). - Entretien Bon-
628 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEM ANDE

net-Lucasiewicz au Quai d’Orsay (526). - Bonnet téléphone


à Londres et à Rome (526). - Conseil des Ministres à 1’Clysée
(527). - Bonnet téléphone à Rome, &Varsovie,à Bucarest e t
à Londres (529). - Mécontentement de Halifax (529). -
Bonnet fait savoir à Londres qu’il a l’intention d’accepter la
-
proposition italienne (530). Démarche de Sir Nevile Hen-
derson à la Wilhelmstrasse (531). - Dialogue Henderson-
Ribbentrop (532). - Démarche parallèle de M. Coulondre
(532), - Branle-bas au Quai d’Orsay (532). - Démarche de
M. Noel auprès du colonel Beck (533). - a Ce n’est plus le
temps des conférences; il faut faire la guerre1 I (533).

XXXIII. - La conférence impossible ( 2 septembre


1939), .. . .... .. . . . . . . . .. . . 535

Bonnet demande à Daladier la date d’expiration de l’ultima-


tum (535). - Gamelin demande un délai de quarante-huit
heures (536). - Nouvel entretien Bonnet-Lucasiewicz (536).
- Colère de l’ambassadeur de Pologne (537). - Les armées
allemandes avancent (538).- Beck soupçonne la France et
l’Angleterre de vouloir le lâcher (539). - Mussolini se cram-
ponne à son projet de conférence (540). - I1 s’en ouvre à
Hitler (540). - Hitler y consent, mais refuse d’évacuer les
territoires polonais occupés par ses troupes (541). - Entre-
tien Attolico-Ribbentrop (541). - Bonnet attend des nou-
velles de Rome (542). - Entretien Bonnet-Ciano (543).
Bonnet accepte la proposition italienne (543). - Entretien
-
Halifax-Sir Percy Loraine (544). - Halifax exige le retrait
des troupes allemandes (544). - Visite de M. Lucasiewicz à
M. de Monzie (545). - Daladier est inquiet à l’idée d’affronter
les Chambres (546). - Exposé des motifs du projet de loi
(546). - Accord Daladier-Herriot-Jeanneney pour Bviter un
débat sur le fond (547). - Daladier lit la déclaration du gou-
vernement (547). - Angoisse de M. Lucasiewicz (549). -
Gaston Bergery demande que la Chambre se réunis,se en
Comité secret (551). -Vacarme assourdissant (551). - Dala-
dier fait un exposé devant la Commission des Finances (551).
- François Pietri lui demande de ne pas déclarer la guerre
sans consulter de nouveau le Parlement (552). - Daladier s’y
engage (552). - Avis favorable du Rapporteur (552). -
Manœuvre d’Herriot (552).-Les crédits militaires sont votés
(552). - Séance du Sénat (552). - Intervention de Pierre
Lavai (552). - Jeanneney lui coupe la parole (552). - Atmo-
sphère à Londres (553). - Lettre de Churchill à Chamberlain
(554). - Réunion du Cabinet (554). -Le Gouvernement bri-
tanniquî étudie la proposition de Mussolini (555). - Il exige
l’évacuation des territoires polonais, y compris Dantzig (555).
- Mussolini refuse de transmettre ces exigences a Hitler
(556). - La Conférence est enterrée (556). - Déception de
Bonnet (556). - Proposition de Monzie (556). - Elle se
TABLE DES MATIÈRES 629
heurte à un refus (557).- Nouvelle entrevue Beck-Léon
Noël (557).- Le Palais Brühl paraît frappé de mort (557).

XXXIV. - La tension franco-britannique (nuit du


2 au 3 septembre 1939) . . . . . . . . . . . , 558 .
Divergences entre le Quai d’Orsay et Downing Street (558).-
La France à la remorque de l’Angleterre (559). - L’Angle-
terre veut entamer les hostilités à minuit (560).- La France
ne le veut pas avant le 4 septembre au soir (560).- L’Angle-
terre compte sur l’armée française (561).- Consternation du
Foreign Ofice (561). - Télégramme de Lord Halifax à Sir
Eric Phipps (561).- Réponse de Phipps (5621. - E Ce sera
un carnagel R (562).-Désarroi du Gouvernement britannique
(562).- Séance tumultueuse à la Chambre des Communes
(562)- Intervention maladroite de Chamberlain (563). -
Silence de Churchill (564).- Colère de Duff Cooper et d’Amery
(564).- L’orage éclate sur Londres (564).- Foudre et
éclairs (564).- La Chambre décide de se réunir le lendemain
matin, à 11 heures (564).- La vie du gouvernement Cham-
berlain ne tient plus qu’à un fil (564).- Halifax dfne avec le
Premier Ministre (564).- I1 lui fait part de ses appréhensions
(565).- Arrivée de M. Corbin (565).- Discussion Corbin-
Chamberlain (565).- Entretien téléphonique Chamberlain-
Daladier (566).- Daladier reste inflexible (566).- Entretien
teléphonique Halifax-Bonnet (566).- Bonnet maintient son
point de vue (566).- Entretien du Dr Fritz Hesse avec Sir
Horace Wilson (567).- Aveu de Sir Horace Wilson (568).-
a L’Angleterre se battra pour maintenir son hégémonie1 D
(568).- L’orage redouble de violence (568).- Deuxième
réunion du Cabinet britannique (568).-Les ministres anglais
font un effort pour se rapprocher du point de vue français
(569). - Entretien Corbin-Bonnet (569). - L’État-Major
français demande que l’Angleterre mette son aviation de
bombardement à sa disposition (569).- L’État-Major anglais
refuse (570).- Duncan Sandys passe à l’ambassade de
Pologne (570). - Entretien Sandys-Raczynski (570).- Réu-
nion nocturne chez Churchill (570).- Dialogue Churchill-
Raczynski (571).- Churchill se déchaîne (571).- Entretien
téléphonique Churchill-Corbin (571).- Corbin raccroche pour
mettre 8n à ses a aboiements D (572).-Corbin expose la situa-
tion à des délégations de parlementaires anglais qui ont envahi
l’ambassade de France (572).- Churchill tempête (572).-
Il accuse Chamberlain de le bafouer (572).- I1 veut la guerre
et le pouvoir (572).- Faut-il renverser le Cabinet? (573).-
Churchill apprend l’envoi de l’ultimatum final (573).- EVoilà
qui change tout1 D (573).- Churchill se rassérène (573).-
Nouvelle lettre de Churchill à Chamberlain (574).- L’orage
s’éloigne (574).- La prière de Lord Ismay (574).
630 EISTOIRE D E L ’ A R M ~ ~ EALLEMANDE

XXXV. - La paix est morte ( 3 septembre 1939). . . 575


La dernière nuit de la paix (575). -L’aube de la guerre
(575). - Texte de l’ultimatum final (575). - Henderson
remet l’ultimatum à l’interprète Schmidt (576). - Schmidt
porte l’ultimatum à la Nouvelle Chancellerie (577). - Stu-
peur d’Hitler (577). - Vous m’avez trompé sur les réac-
tions anglaises1 B (577). - Entrevue Dahlerus-Gœring à Ora-
nienburg (578). - Les dernières minutes de la paix (578). -
Dahlerus conseille à Gcering de partir pour Londres (580). -
Gœring prépare son départ (580). ‘- Ultime entretien
Dahlerus-Roberts (581).- Les Anglais raccrochent (581). -
c Maintenant, il est trop tard! n (582). - Discours de Cham-
berlain à la Chambre des Communes (582). - I1 annonce
l’état de guerre entre l’Angleterre et le Reich (583).-Appro-
bation unanime (583). - Henderson se rend une dernière
fois à la Wilhelmstrasse (584). - Ultime entretien Hender-
son-Ribbentrop (585). - Bonnet demande à Daladier de pré-
ciser la date d’expiration de l’ultimatum français (585).- La
date est fixée au 4 septembre, à 5 heures du matin (586). -
Bonnet rédige le texte de l’ultimatum français (586). - Dala-
dier change de date in eztrernis (587). - I1 faut rattraper
Coulondre (587). - La foule stationne devant l’ambassade
de France (587). - Coulondre arrive à la Wilhelmstrasse
(588). - I1 lit la déclaration française à Ribbentrop (588).-
Ultime dialogue Coulondre-Ribbentrop (589). - a L’his-
toire jugeral n (589). - Coulondre retourne à l’ambassade
(589). - u J’ai accomplila mission dont vous m’aviez chargé1 D
(589). - Le rideau tombe sur le Quai d’Orsay (589).

XXXVI. - Deux mondes s’affrontent. . . . . . , . 591


La parole est aux soldats (591). - Communiqué de la Wehr-
macht (591). - Hitler signe sa Directive no 2 (591). -
Le massacre de Bydgoscz (593). - Le torpillage de 1’Afhénfu
(594). - Discours de Roosevelt (596). - Le Congrès améri-
cain décrète l’embargo sur les armes (597). - Message d’Hit-
ler tI Mussolini (597). - Discours radiodiffusé d’Hitler (599).
- u J e pars ce soir pour le front1 Y (601). - Appel de Cham-
berlain au peuple allemand (602). - Discours de Churchill
(603). - La Deuxième Guerre mondiale commence (603).

TABLEDES CARTES. . . ............. 605


ACHEVÉ D’IMPRIMER
-LE 15 AVRIL 1966 -
PAR L’IMPRIMERIE FLOCH
A MAYENNE (FRANCE)
(6701)

NUMÉRO D’ÉDITION : 3800


DÉPOT LEGAL : 2 e TRIMESTRE 1966
PRINTED IN FRANCE

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