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HISTOIRE

DE
L’ARMÉE
ALLEMANDE
HISTOIRE DE L'ARMEE ALLEMANDE
(1918-1946)
i

Ceffondrement (1918-1919).

II

La discorde (1919-1925).

III

L'essor (1925-1937).

IV
L'expansion (1937-1938).

V
Les épreuves de force (1938-1939).

VI
L'apogée (1939-1942).

v11

Le tournant (1942-1943).
v111

Le reflux (1943-1944).
IX
L'agonie (1944-1945).

x
Le jugement (1945-1946).
BENOIST-MÉCHIN

HISTOIRE
DE

L’ARMIE
ALLEMANDE
II
LA DISCORDE
(1919-1925)
Avec 6 cartes

EDITIONS ALBIN MICHEL


22, RUE HUYGHENS
PAR IS
IL A ÉTÉ TIRÉ D E
L' I( HISTOIRE DE L'ARMÉE ALLEMANDE n:
110 EXEMPLAIRES SUR VÉLIN DU MARAIS,
DONT CENT NUMÉROTÉS D E 1 A 100
ET DIX EXEMPLAIRES E O R S COMMERCE,
NUMÉROTÉS H. C. I. A H. C. X,
L E NUMÉRO JUSTIFICATIF D E CHAQUE S É R I E
Si3 TROUVANT E N TÊTE D U DERNIER TOME D E L'OUVRAGE.

Clroiid de traduction et de rsprodudkn, réssr& pour tow pays.


1938 J 1964 by ~ D ~ T I O NAL8iN
S MICHRL.
Tout le monde avoue que l'homme
qui raconte l'Histoire doit dire la
vérité clairement. Mais pour cela,
il faut avoir le courage de descendre
aux plus petits détails. C'est là, ce
me semble, le moyen unique de ré-
pondre à la defiance du lecteur.
STENDHAL,
Mémoires sur Napoléon.
PREMIÈRE PARTIE

L'ERE DES COUPS D'ETAT


(1919-1923)
I

L’ÉQUIPEE ALLEMANDE
DANS LES PAYS BALTES

I. - L e s antécédents historiques. L’offensive de von der Goltz.


Une terre sablonneuse et triste, semée de forêts et d‘étangs,
un ciel illimité oii soume un vent venu du fond des steppes
asiatiques, une mer glauque et mélancolique dont l’horizon
nacré contraste avec la sombre verdeur des pins, telles sont
les côtes de la Baltique, première amorce de la plaine qui se
déploie jusqu’à l’Oural.
Peu de contrées ont suscité des passions plus effrénées,
peu de terres ont été abreuvées de plus de sang. Pendant
près de dix siècles, chrétiens e t païens, Germains et Slaves
se sont entre-tués pour la possession de ce pays. Nulle part,
l’histoire ne s’est répétée avec plus d’obstination. D’âge en
âge on y voit reparaître les mêmes rivalités, les mêmes anta-
gonismes, de sorte qu’il est dificile de comprendre la cam-
pagne de 1919, avec son cortège de violences et d’aspirations
inassouvies, si l’on ne connaît pas auparavant l’arrière-plan
historique sur lequel elle s’inscrit.
Pour Hérodote, ce pays appartenait à la contrée mysté-
rieuse dont des voyageurs thraces avaient dit N qu’elle était
remplie d’essaims d’abeilles si épais qu’il était impossible
d‘y pénétrer D. Longtemps, ces régions restèrent environnées
de fables e t de légmdes l. Puis, avec le temps, le mirage se
dissipa. Des relations commerciales se nouèrent entre les
Grecs e t les Esthiens - car tel f u t le nom donné, sans dis-
tinction, à tous les habitants de cette côte. Le miel, la cire,

Lo Germanie, XLV.
1. Cf. TAC~TX,
12 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

l’ambre circulèrent le long d‘une piste reliant la Baltique à


la Méditerranée. C’est cette (( route de l’ambre qui devait
bientôt retentir du galop des Goths et des Vandales descen-
dant, en une cavalcade furieuse, vers Carthage, Byzance et
Rome.
La chute de l’Empire romain replongea ces contrées dans
les ténèbres, et c’est seulement au X I I siècle
~ que nous voyons
reparaître leur nom dans les récits des chroniqueurs. En
1180, un moine augustin du diocèse de Brême, nommé
Meinhard, fit voile pour les côtes de Livonie afin de conver-
tir les païens au christianisme. Albert de Brême lui succéda
en 1199. Énergique e t ambitieux, il rêvait de créer un É t a t
indépendant sur les rives de la Baltique, directement soumis
à l’autorité pontificale. I1 obtint d’Innocent I I I une bulle,
invitant les fidèles de Saxe et de Westphalie à prendre part
à la (( Croisade de l’est )) et leur promettant, en échange, la
rémission de leurs péchés. En 1200, une escadre de croisés se
mit en route pour la Livonie où elle arriva quelques semaines.
plus tard. Albert fonda Riga e t créa les Frères des milices
du Christ (Fratres Militiae Christi), inspirés des ordres mili-
taires e t religieux de la Palestine. Innocent I I I leur donna
un statut identique à celui des Templiers : les membres de
cette communauté portèrent le grand manteau blanc des
Chevaliers de Saint-Jean, orné d’une croix rouge et d’une
épée, d‘oùleur nom de Chevaliers porte-glaive. Ce furent eux
qui entreprirent la colonisation du pays.
E n 1207, les Livoniens furent écrasés. E n 1212, ce fut le
tour des Lettons, à la suite d‘une dispute née entre les
paysans e t les chevaliers pour la possession des essaims
d’abeilles l. Puis, en 1220, les chevaliers repoussèrent une
agression danoise grâce à l’intervention miraculeuse de la
Vierge Marie z. Mais cette période de succès fut suivie de
revers graves. Profitant de la mort d’Albert, survenue en
1229, les Lithuaniens attaquèrent les forces allemandes à
Saule et les mirent en déroute. Les Chevaliers porte-glaive
furent décimés. Ils n’étaient pas de taille à lutter contre
leurs ennemis coalisés et firent appel à un Ordre plus puis-
sant que le leur : les Chevaliers teutoniques.
Ceux-ci s’installèrent sur les bords de la Vistule dès 1237
et commencèrent à coloniser la Prusse e t la Livonie. Puis,
1. Origines Liwnb, p. 168.
2. Ibid., p. 258.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 13
en 1242, ils occupèrent militairement la Courlande où ils
construisirent une chaîne de forteresses dont les hauts donjons
carrés, reliés par des remparts de brique à lourds cram-
pons de bronze, devinrent les bastions avancés de l’Europe
chrétienne.
Divisés en deux branches résidant l’une en Prusse et
l’autre en Livonie, les chevaliers étendirent peu à peu leur
domination sur le pays. Afin d’accroître les forces militaires
dont ils avaient besoin pour parachever leur conquête, le
pape Alexandre III promit des terres à tous ceux qui
s’installeraient en Livonie à l’expiration de la croisade et
publia en 1256 une bulle aux termes de laquelle tous les
condamnés de droit commun échapperaient au bras séculier
s’ils se plaçaient sous la protection des Chevaliers teuto-
niques. Alors amuèrent vers les provinces baltes, venant
de toutes les régions du Saint-Empire, outre ceux qu’illumi-
nait l’espérance du salut, des milliers d’individus douteux,
d’aventuriers sans scrupules et de repris de justice, alléchés
par l’appât de terres et la perspective de butin.
Le XI+ siècle marqua l’apogée de la colonisation alle-
mande dans le nord-est de l’Europe Grâce à la soumis-
sion des Zeingaliens et à l’acquisition de l’Esthonie, la (( Terre
de la Vierge Marie s’étendit de la Vistule au lac Peipus.
))

Marienburg, Riga, Mitau, Dünaburg devinrent des foyers de


culture et des marchés florissants. L’ère de la charrue avait
succédé à l’ère de l’épée et au bourdonnement des ruches se
mêlaient à présent les hymnes des monastères. Mais cet âge
d’or ne devait être que de courte durée, car cette prospérité,
justement, entraîna la ruine de l’Ordre en provoquant la
convoitise des voisins puissants : Russes, Scandinaves e t
Polonais.
Voulant s’assurer le monopole du commerce maritime, les
chevaliers commirent l’imprudence de chasser les marchands
polonais de Dantzig et privèrent la Pologne de son accès à
la mer. Furieux, Polonais et Lithuaniens s’allièrent pour
mettre un frein à l’ambition des chevaliers.. Ils leur livrèrent
bataille, le 15 juillet 1410. L’armée teutonique, forte de
quatre-vingt-trois mille hommes fut taillée en pièces dans la

1. a Par suite de cette puissante expansion commerciale, écrit H.-H. Jacobs,


la mer Baltique était devenue une mer allemande, ou plus exactement une mer
saxonne. a (Heinrich der LBwe, p. 26.)
14 HISTOIRE D E L’ARMkE ALLEMANDE

plaine de Tannenberg. Cette défaite détruisit le prestige de


l’Ordre en tant que puissance militaire.
E n 1521, la Réforme luthérienne lui porta le coup de
grâce, en tant que puissance religieuse. Le 8 avril 1525, par
le traité de Cracovie, le grand maître de l’Ordre Albrecht de
Brandebourg et le roi de Pologne convinrent de séculariser
toutes les terres appartenant aux chevaliers de la branche
prussienne. Albrecht devint ainsi le premier duc de Prusse,
sous la suzeraineté du roi de Pologne. Puis la branche
prussienne de l’Ordre fut dissoute.
La branche livonienne survécut quelque temps encore.
En 1535, les chevaliers repoussèrent une invasion du tzar
Ivan IV, au cours de laquelle les campagnes furent ravagées
par les armées tartares et les habitants mis à mort N avec
des tourments exquis 1 ».En 1562, la branche livonienne fut
sécularisée à son tour, et son grand maître Gottfried Kettler
fut nommé duc de Courlande. Par un Acte spécial, le roi de
Pologne confirma dans leurs droits tous les Allemands ins-
tallés dans le pays. Ainsi se trouva créée une noblesse nou-
velle : celle des barons baltes, ou Bahenritter, descendants
des anciens colons germaniques. Ceux-ci restèrent posses-
seurs des huit dixièmes des terres. La population lettonne,
réduite en servitude, dut se contenter d’obéir aux seigneurs
étrangers.
Au cours du X V I I ~sihcle, ces territoires furent l’enjeu
d’une lutte acharnée entre Suédois, Danois, Polonais et
Russes qui s’efforcèrent à tour de rôle d’y imposer leur suze-
raineté, La Pologne réussit tant bien que mal à s’y tailler
la première place. Mais après ses démembrements successifs,
elle dut renoncer à exercer sa tutelle sur les provinces baltes.
Ce furent les Russes qui recueillirent sa succession. A la fin
du X V I I I ~siècle, I’Esthonie, la Lettonie et la Lithuanie furent
incorporées à l’empire des t,zars par Catherine II. Pourtant,
ces trois provinces continuèrent à former, jusqu’à la fin du
X I X siècle,
~ un e t a t dans l’gtat, doté d’une administration,
d’écoles et de tribunaux allemands. Ce fut seulement à partir
de 1890, sous l’influence croissante du panslavisme, que
Saint-Pétersbourg resserra ses liens avec Riga et imposa à
la Courlande une administration tzariste.
Telle était, à grands traits, la situation du pays, lorsque
1. Cum tormenfk rzquisifis,6crit le chroniqueur. C’est cette campagne qui valut
à Ivan IV le surnom de a Terrible D .
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 15
éclata la guerre de 1914, et que la route de l’ambre
retentit de nouveau de la rumeur des armées en marche.
Alors le flux et le reflux séculaires des Germains et des
Slaves recommence. Les Russes prennent l’offensive et enva-
hissent la Prusse-Orientale. Mais, aux derniers jours d’août
1914, le général Hindenburg met en déroute les divisions
du général Samsonoff, d’abord à Tannenberg, non loin de
l’endroit OÙ les Chevaliers teutoniques avaient été écrasés
en 1410, puis, à deux reprises, dans la région des lacs Mazuri-
ques. A la suite de ces victoires, les Allemands pénétrent
en Courlande. Libau et Goldingen sont pris. Mitau est occupé
le le* août 1916. E n septembre 1917, la VIIIe armée
allemande fait son entrée à Riga.
Par le traité de Brest-Litowsk, conclu en février 1918, les
Russes sont mis en demeure de renoncer à l’Esthonie, à la
Lettonie et à la Lithuanie. La noblesse de Courlande songe
à ériger le pays en royaume et à offrir la couronne à un
prince allemand. Mais, neuf mois plus tard, l’effondrement
du front occidental et la révolution spartakiste obligent les
Allemands à renoncer à ces territoires. Lentement, les
armées du front oriental remontent vers la Baltique l. Ne
pouvant passer par la Pologne, elles empruntent, une fois
de plus, le chemin de la Courlande. Mais les routes sont
en mauvais état, les vivres insuffisants. Le désordre et la
panique augmentent d’étape en étape. Travaillés par la
propagande révolutionnaire des Conseils de soldats, les
hommes se mutinent et désarment leurs officiers. Un soviet
militaire se constitue à Libau.
Voulant endiguer l’avance des Bolchéviks, un oficier
d’une rare énergie, le commandant Bischoff, rassemble
autour de lui six cents volontaires et forme, avec ces débris
de la VIIIe armée, une (( Brigade de Fer 1). Celle-ci ne recule
que pas à pas devant l’assaut des régiments rouges. Mais
comment résisterait-elle longtemps à un ennemi si supé-
rieur en nombre? Riga est évacuée le 3 janvier 1919. Cinq
jours plus tard, c’est le tour de Mitau. Le 8 janvier, à midi,
une explosion formidable ébranle la ville. Soixante-dix mai-
sons s’écroulent, ensevelissant leurs habitants sous un mon-
ceau de décombres. Avant d’évacuer Mitau, la Brigade
de Fer a fait sauter d‘un coup la poudrerie et l’arsenal.

1. Voir vol. I, pp. 240 e t S.


16 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

Le lendemain, à l’aube, la ville est occupée par les premiers


cavaliers bolchéviques, montés sur leurs petits chevaux
tartares e t coiffés de bonnets d‘astrakan où brille, non plus
l’aigle des Romanoff, mais l’étoile soviétique.
f
* *
La situation qui règne en Lettonie à cette époque est des
plus confuses. Plusieurs groupes se sont installés à Libau
e t se disputent le pouvoir. D’abord les barons baltes qui
voudraient reconstituer un É t a t inspiré de l’Ordre teuto-
nique et accroître leurs privilèges traditionnels avec l’ap-
pui des Allemands. Puis, un gouvernement national letton,
présidé par M. Ulmanis, qui lutte pour établir une répu-
blique lettonne indépendante, avec l’appui des Alliés. Enfin,
un Conseil de soldats révolutionnaire, issu de la VI110 armée
allemande en déroute,. qui s’efforce d’instaurer la dictature
du. prolétariat, en liaison avec les Soviets. Peu de temps
après, arrive à Libau une mission militaire alliée, composée
en majeure partie d’officiers britanniques, qui espère trans-
former la Lettonie en zone d’influence anglaise l. Mais
toutes ces combinaisons ne sont possibles - abstraction
faite des buts poursuivis par le Conseil de soldats - que
si les Bolchéviks sont définitivement expulsés du pays. Or,
ceux-ci, occupent les huit dixièmes du territoire. Riga et
Mitau sont entre leurs mains ...
Au prix des plus grands efforts, Ulmanis a tenté d‘or-
ganiser une armée lettonne pour s’opposer à l’envahisseur.
I1 a réussi à mettre sur pied un régiment de volontaires,
placé sous les ordres du colonel Ballodis, auquel est venu se
joindre un détachement de Russes blancs, commandé par
le prince de Lieven. Les Baltes, de leur côté, ont constitué,
sous les ordres du major Fletscher, une Landeswehr, dont
le noyau est formé par une troupe de choc, commandée
par le jeune baron de Manteuffel. Mais ces formations, pour
la plupart mal armées et mal équipées, sont d’une valeur
militaire très inégale. Certaines unités sont composées de
jeunes gens âgés de seize à dix-huit ans. De plus, Baltes
e t Lettons se haïssent mutuellement. Si la Brigade de
1. Cette mission, commandée par le colonel Keenan, est appuyée par plusieurs
vaisseaux de guerre appartenant à l’escadre anglaise de la Baltique, et par un aviso
français.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 17
Fer du commandant Bischoff, qui continue à tenir tête
aux Russes dans la région de Mitau, quittait la Lettonie
pour rentrer en Allemagne, le pays tout entier serait sub-
mergé par les Bolchéviks.
Effrayé par cette perspective, Ulmanis s’adresse aux
Anglais et leur demande du secours. Une conférence a lieu
à bord du Princess Margaret, à l’issue de laquelle Ulmanis
e t les membres des missions militaires alliées s’accordent
pour reconnaître que, tant que la Lettonie ne possédera
pas d‘armée régulière, elle devra s’abriter derrière les troupes
allemandes.
Ulmanis entame aussitôt des négociations avec M. Win-
nig haut-commissaire de Prusse. Les 7 e t 20 décembre 1918,
il conclut avec lui deux accords par lesquels le gouvernement
du Reich consent à maintenir en Lettonie des forces s u a -
santes pour endiguer l‘avance des troupes soviétiques. En
échange, le gouvernement letton - dont les ressources finan-
cières sont à peu près nulles, -
s’engage à donner à chaque
soldat allemand soixante arpents de terre à l’expiration de
la campagne et, s’il le désire, la nationalité lettonne. Cet
arrangement ne sourit guère à Ulmanis, car il accroîtra le
pourcentage des éléments germaniques établis en Lettonie.
Mais le plus urgent est de repousser les Russes. Pour le
reste, on verra...
Le Haut-Commandement allemand institue alors un orga-
nisme spécial, 1’Armee Oberkommando Nord, dont l’objet
est de diriger les opérations dans les provinces baltes l.
L‘A. O. K. Nord établit ses quartiers à Bartenstein, en
Prusse-Orientale. I1 est placé sous les ordres du général von
Quast, auquel on donne, comme chef d’Etat-Major, le géné-
ral von Seeckt. Un des principaux officiers de l’A. O. K.
est le commandant von Fritsch, le futur commandant en
chef de l’armée allemande.
Peu après, le général comte Rüdiger von der Goltz est
nommé commandant en chef des troupes allemandes de
la Baltique 3. Chargé par l’A. O. K. Nord de défendre les
1. On sait que le Grand Etat-Major allemand était d’avis de conserver une
bande de terrain eztérieure aux frontidres de 1914, pour mettre la Prusse-Orientale
à l’abri d’une incursion des armées rouges. (Voir vol. I, p. 225.) Quelques mois
plus tard, l’A. O. K. Nord fut transformé en Cruppenkommando I I I et passa SOUS
les ordres du général von Estorff.
2. On a prétendu que cette nomination avait été sollicitée par les barons baltes
et ce n’est pas impossible, car le général von der Goltz jouissait d’un grand prestige
II 2
18 EISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

frontières de Prusse-Orientale contre une invasion bolché-


vique, von der Goltz débarque à Libau le l o r février 1919
e t s’occupe, dès son arrivée, d’établir son plan d’opérations.
I1 commence par se faire confirmer les accords passés les
7 et 29 décembre entre Ulmanis et le Haut-Commissaire
de Prusse. Puis, nanti de cette promesse du gouvernement
letton, il élabore un programme qui dépasse de beaucoup la
simple défense des frontières de l’est. I1 veut :
10 Attirer et fixer en Lettonie tous les soldats démobi-
lisés qui ne peuvent trouver un emploi en Allemagne et
créer en Courlande une vaste colonie militaire et agricole1.
20 Installer ces hommes dans les domaines des barons
baltes dont ils mettront les terres en valeur, mais toujours
pourvus de leur armement et constitués en unités avec
leurs cadres.
30 Se servir de ces troupes pour marcher sur Pétrograd
avec l’aide des Russes blancs afin d’y rétablir une monar-
chie tzariste, alliée de l’Allemagne 2.
Ce projet (du moins en ce qui concerne ses deux premiers
points, car le troisième doit rester provisoirement dans l’om-
bre) est favorablement accueilli par les autorités du Reich.
Les pangermanistes y voient la continuation d’un plan
d’expansion séculaire. Les socialistes y découvrent un
moyen de purger l’Allemagne de tous les éléments indési-
rables qui continuent à rôder dans les villes et les campa-
gnes. A l’aide d‘une propagande intensive, le gouvernement
prussien invite les jeunes gens à chercher fortune en Letto-
nie e t à contracter un engagement qui leur assurera, plus
aupras de l a noblesse de Courlande. Aprés l’entrée des troupes allemandes i Riga,
en 1917, il avait pris le commandement d‘une division spéciale nommée ii Division
de la Baltique 2, qui avait chassé les Russes de Finlande et libéré Iielsingfors, CII
liaison avec les regiments finlandais du général Mannerheim. En décembre 19 18
il avait été envoyé en Silésie pour y enrayer une incursion des Tchèques. Son retour
en Lettonie, au printemps de 1919, n’était à ses yeux que la continuation d’uitr
série d’opérations momentanément interrompues.
,I. Von der Goltz adqpii., on le voit, la politique trüditioiiriellc des Grai~ds
Yaîtres de l’Ordre teutonique.
2. u Pourquoi ne pas reprendre sous uric fornic nouvelle, d’accord avec les Hurïrs
blancs e t sous le drapeau de la lutte antibolcliévique, notre ancienne politiqur
orientale, arrêtbe en août 1918? 8 écrit von der Goltz dans ses IIémoires. Pour-
(,

quoi surtout ne pas amorcer un rapprochement économique e t politique avec 1;i


Russie de demain? Avec cette Russie qui, après avoir massacré son élite intellcï-
tuelle, a besoin de marchands, d’ingénieurs et de chefs, e t dont les provinces-
frontidres, dévastées e t dépeuplées, pouvaient offrir u n terrain fertile aux labo-
rieux paysans allemands? Avec un parcil but devant les yeux, allais-jc me laisser
arrêter par un fétu de paille? u (Meine Senditng in Finland c m 2 iitt BaZfikurrt,
p. ,127.)
L’ÈRE DES C O U P S D’ÉTAT 19
tard, la possession de terres et de droits nationaux1. A
cet effet, un centre de recrutement spécial est créé à Berlin,
sous le nom d’dnwerbestelle Baltenland.
Parallèlement à cette propagande, poursuivie dans 1es
milieux civils, 1’Armee Oberkommando Nord envoie des ren-
forts à von der Goltz. Au début de février, l’escadron de
volontaires de Knesebeck, le ler régiment de Uhlans et une
partie de la Ire division de réserve de la Garde arrivect par
mer à Libau. La majeure partie de ces troupes d’élite va
renforcer la Brigade de Fer du commandant Bischoff,
qui devient la Division de Fer. Peu après, arrivent le
corps franc du comte de Yorck, le corps franc de Ham-
bourg, le corps franc von Rieckhoff, le corps franc Diebitsch
et diverses formations autonomes appartenant au Grenz-
schutz-Ost. Ceux-ci sont incorporés à la Landeswehr balte.
Ces renforts, dont l’ensemble constitue le VIe corps d’armée
de réserve, portent à plus de vingt-cinq mille hommes le
total des forces allemandes dans la Baltique. A présent,
von der Goltz peut passer à l’offensive.
(( J’avais quatre ennemis à combattre, écrit-il, l’armée
bolchévique, le Conseil de soldats de Libau, le gouverne-
ment letton germanophobe et les Alliés. Suivant les bons
vieux préceptes de l’École de Guerre, je résolus de ne pas
les combattre tous à la fois, mais l’un après l’autre - en
commençant par les Bolchéviks 2. n
t
+ +

Au début de février 1919, les divisions soviétiques occupent


un front en demi-cercle qui va de Sackenhausen, sur la
mer Baltique, à la frontière polonaise, en passant par Hasen-
pot, Schrunden, Telschi, Rossienny et Kowno. Au cours
d’une inspection en première ligne, von der Goltz s’aperçoit
que les Russes ont dû dégarnir leurs positions, pour faire
face aux offensives de Denikine et de Koltchak, et décide
de passer immédiatement à l’offensive.
La marche en avant, commencée le 3 mars, s’effectue
en s’appuyant sur la voie ferrée Libau-Mouravievo-Mitau.
L’aile droite de l’armée allemande est formée par la Ire divi-
1. Cette piuclaiiiatiun, e t d’autres similaires, évoquent étratigement les bulles
pontificales de 1243 e t de 1256.
2. Von der G O L ~ Zop.
, rit., y . 118.
20 HISTOIRE D E L’ARM$E ALLEMANDE

sion de réserve de la Garde. La Division de Fer forme le


centre des troupes de choc. Puis vient le bataillon letton
du colonel Baliodis. L’aile gauche est formée par la Lun-
deswehr balte. Le 5 mars, Mouraviev0 est pris après un
combat acharné. Le 13, les régiments germano-baltes
atteignent la ligne Grusdi-Shorani-Frauenburg-Kandau-Tal-
sen. Le 18 mars, les formations baltes e t lettonnes font
leur entrée à Mitau, suivies, le 22, par la Division de Fer.
Mais quel spectacle affreux s’offre aux regards des volon-
taires, lorsqu’ils pénètrent dans la ville! Calés contre un
mur de la cathédrale et coiffés de casques à pointe, les corps
embaumés des ducs de Courlande se dressent comme des
spectres déchiquetés par les balles. Violant leurs sépultures,
les Bolchéviks ont sorti leurs cadavres de leurs caveaux
e t les ont mitraillés à bout portant. Puis, avant d’évacuer
Mitau, ils ont rassemblé dans la cour de la citadelle une
partie des otages - hommes, femmes et enfants - qu’ils
avaient incarcérés lors de leur arrivée en janvier 1919. Postés
au sommet des murs, les soldats rouges ont déchiqueté les
groupes hurlants à coups de grenades. L’arrivée des troupes
baltes a interrompu ce carnage. Mais les Russes ont atta-
ché à leurs chevaux tous les otages encore vivants e t les
ont traînés dans la neige, de Mitau à Riga. La route est
striée de longues traînées de sang et les fossés remplis de
cadavres aux membres disloqués. Certains ont les yeux cre-
vés, le nez e t les oreilles coupés, la langue arrachée...
Ivres de rage, les Baltes veulent se jeter à la poursuite
des Russes, entrer dans Riga e t massacrer tous les Bolché-
viks avant qu’ils n’aient eu le temps de faire de nouvelles
victimes. Mais von der Goltz est obligé de calmer leur
frénésie. Puisque les Russes ont desserré leur étreinte sur
Mitau, puisque la I r e division de réserve de la Garde et le
corps franc de Yorck se sont emparés de Bauske et de
Stalgen, la première étape de son programme est accom-
plie. I1 serait imprudent de pousser plus loin, avant d’avoir
fortifié sa base d‘opérations. C’est à Libau, en effet, que se
trouvent les magasins de vivres, les dépôts de munitions,
l’administration, le commandement général, bref le cerveau
de l’armée. La deuxième partie du plan de von der Goltz
consiste à ne pas laisser plus longtemps la ville aux mains
du Conseil de soldats.
22 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

t
* *
Ce Conseil, en effet, est en relations directes avec le
Comité central du Parti spartakiste, à Berlin, peut-être
aussi avec le Soviet de Pétrograd. Soutenu par trois batail-
lons de soldats allemands mutinés, il publie des proclama-
tions chaque jour plus incendiaires e t cherche à saboter le
ravitaillement des troupes.
Usant d’intimidation, von der Goltz commence par mettre
un homme énergique, le major Gotze, à la tête des trois
bataillons allemands révoltés. Puis il fait venir du front de
Mitau le détachement Schauroth. Celui-ci arrive à Libau
le 3 avril. Un coup de main, rapidement exécuté, permet
d’emprisonner les chefs. Quelques condamnations sommaires
ont tôt fait de remettre les troupes à la raison. Le Conseil
de soldats est dissous. Débarrassé de cet adversaire gênant,
von der Goltz passe à la troisième partie de son programme :
la lutte contre le gouvernement letton.
t
+ +

Pour permettre aux unités du front de Mitau de prendre


un peu de repos, un roulement a été organisé entre les
diverses formations. Le détachement Schauroth - qui vient
de maîtriser le Conseil de soldats - est remplacé à Libau
par la troupe d’assaut de la Landeswehr balte, commandée
par le baron de Manteuffel. Von der Goltz n’ignore pas que
ce jeune officier, aveuglément obéi par ses hommes, est
l’espoir de la noblesse de Courlande et qu’il a des visées
politiques sur le pays. Son transfert à Libau, à cette époque
troublée, est significatif.
Le 16 avril, Ulmanis vient se plaindre à von der Goltz
des agissements du corps franc de Pfeffer, nouvellement
arrivé d’Allemagne, qui a été chargé de la police du port
militaire. Au cours d‘une perquisition dans les casernes, les
volontaires allemands ont ouvert le feu sur des soldats let-
tons et les ont désarmés, sous prétexte d’assurer leur propre
sécurité. Puis, le capitaine von Pfeffer, agissant de sa propre
autorité, a fait prisonnier tout l’État-Major de la nouvelle
armée lettonne, soit cinq cent cinquante officiers. Ulmanis
exige leur libération immédiate et laisse entendre que la
L’ÈRE D E S COUPS D’ETAT 23
concentration à Libau de la Landeswehr balte et de plu-
sieurs corps francs allemands lui fait craindre que von der
Goltz ne prépare un coup de force contre lui. Von der
Goltz lui répond avec hauteur que (( si telle était son inten-
tion, il n’aurait pas besoin de troupes aussi nombreuses
pour balayer un gouvernement odieux à son propre pays 1 ».
Par contre, il accuse le cabinet Ulmanis de préparer un
soulèvement bolchévique pour le lendemain, 17 avril.
Le même jour, à 15 heures, en rentrant d’une courte
promenade à travers la ville, von der Goltz rencontre par
hasard la troupe d’assaut de la Landeswehr balte qui
revient d’un exercice de tir au bord de la mer. I1 apprend
alors, de la bouche des soldats, qu’ils viennent d’empri-
sonner les principaux membres du gouvernement Ulmanis,
parce qu’ils ne sont, ii leurs yeux, qu’une bande d’usur-
pateurs.
(( Le désarmement des soldats lettons par le corps franc

de Pfeffer, ajoute von der Goltz, n’avait précédé que de


peu l’action de la Landeswehr. Mais cette coïncidence était
tout à fait fortuite et. il n’y avait aucune entente entre les
deux troupes. ))
Ulmanis se réfugie sur le vapeur Saratov et se place SOUS
la protection de la mission britannique. Mais quel gouver-
nement les Allemands vont-ils constituer pour le remplacer?
Nul n’est très pressé de prendre sa succession. Plusieurs
jours se passent en discussions stériles. Le 26 avril, les Alliés
exigent le rétablissement d’UImanis.
- I1 f a u t , déclare von der Goltz qui commence à s’im-
patienter, que le nouveau gouvernement soit en place demain,
avant midi 2.
Le 27, à 8 h. 30 du matin, le nouveau Cabinet est formé.
Le pasteur Needra, à peu près inconnu la veille, est élu
président. Si Ulmanis était un usurpateur, Needra, lui,
est l’homme de paille des barons baltes et de l’État-Major
allemand.
Les Anglais s’inquiètent de la puissance croissante de
von der Goltz, qui exerce à présent une véritable dicta-
ture en Courlande. Ils exigent le renvoi du capitaine von
Pfeffer, qui a outrepassé ses pouvoirs en désarmant les sol-
dats lettons.
1. Von der GOLTZ,op. tif., p. 179
2. Von der GOLTZ,op. cit., p. 184.
24 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

- Impossible! répond von der Goltz. Avant de pouvoir


s’emparer de lui, il faudrait massacrer tous ses hommes ...
-Alors, que l’on éloigne au moins le baron de Man-
teuffel.
- Ce n’est guère plus facile. Étant de nationalité let-
tonne, nul ne peut lui faire un grief d’avoir renversé son
propre gouvernement.
L’Entente se tourne alors vers Berlin e t demande la des-
titution du commandant en chef. Le cabinet d‘Empire fait
remarquer ue von der Goltz n’a pris aucune part active
E
au coup d’ t a t e t que, pour le reste, il a agi conformé-
ment aux instructions de 1’Armee Oberkommando Nord. C’est
sur le conseil des Anglais qu’Ulmanis a demandé aux forces
allemandes de demeurer en Courlande, afin de repousser
l’invasion des armées rouges. Mais, si la politique allemande
dans les pays baltes déplaît aux Alliés, qu’à cela ne tienne :
le Reich retirera ses troupes. Ce sera alors à l’Entente de
protéger la Lettonie et la Lithuanie contre les Bolchéviks.
Or, les Anglais n’ont aucune envie d’envoyer un corps
expéditionnaire dans les provinces baltes. Ils consentent à
ce que le Reich y maintienne provisoirement ses effectifs,
à condition que les régiments allemands restent sur leurs
positions e t que von der Goltz renonce à toute nouvelle
offensive. Absorbé par la lutte contre les séparatismes
saxon e t bavarois, le gouvernement du Reich accepte ce
compromis.
Le Cabinet de Berlin ordonne donc à von der Goltz de
rester sur la défensive e t de renoncer à son plan de colo-
nisation. Encore n’est-ce là qu’un geste symbolique. Car
lorsque von der Goltz demande des instructions pour le cas
où la Landeswehr balte passerait à l’action, le ministre de
la Guerre de Prusse lui fait répondre évasivement que N ce
serait là une affaire purement lettonne, dans laquelle la
responsabilité du gouvernement allemand ne se trouverait
pas engagée D. Pour von der Goltz, le sens de cette réponse
est clair. Si les Baltes attaquent les Russes, les troupes
allemandes devront faire cause commune avec eux, ne
serait-ce que pour ne pas rompre l’unité du front anti-
bolchévik.
];‘ERE DES COUPS D’ETAT 25
t
* c

fitrange rassemblement, en vérité, que celui de tous ces


volontaires prêts à bondir sur Riga, dont les tours de la
cathédrale se profilent à l’horizon! (( I1 y avait là, écrit l’un
d’eux, des formations bien ordonnées, commandées par des
chefs sûrs, recrutées et marchant selon un ordre imposé. I1
y avait des bandes d’aventuriers que l’inquiétude fouettait,
qui cherchaient la guerre et, avec elle, le butin et la vie
sans contrainte. I1 y avait des corps de patriotes qui ne
pouvaient se résigner à la débâcle de la patrie e t voulaient
défendre ses frontières contre la ruée du flot rouge écumant.
I1 y avait aussi la Landeswehr balte, composée des seigneurs
du pays, décidés à sauver à tout prix leur culture vigou-
reuse e t raffinée. Et il y avait enfin ces bataillons allemands,
formés d‘hommes rustiques qui voulaient coloniser, qui
humaient ce sol rugueux et le tâtaient pour s’assurer des
ressources qu’il aurait à leur offrir 1. ))
Chaque compagnie possède ses insignes et son fanion par-
ticuliers. Le corps franc de Hambourg a l’étendard rouge
sang à trois tours d’argent de la ligue hanséatique, sur-
monté de la flamme noire des pirates frisons. D’autres ont
des étendards blancs marqués de la croix de Malte des
Chevaliers de Saint-Jean. D’autres encore des étendards
noirs brodés de têtes de morts et de tibias entrecroisés. A
leur hampe scintillent des croix gammées d’argent. Tous
ces hommes, qui ont laissé derrière eux une Allemagne
effondrée, n’ont plus d’autre patrie que leurs bataillons, leurs
drapeaux et leurs chansons de route, dont certains remontent
à la fin du moyen âge. E t quelle passion fanatique les anime!
(( Guerre et aventure, sédition et pillage, exerçaient dans

nos cœurs une pression inconnue, torturante, qui nous


poussait en avant. Faire une brèche dans le monde hostile
qui nous encerclait, marcher sur des champs de feu, passer
par-dessus des ruines et des cendres qu’un souffle emporte
au loin, nous creuser à coups de dents un chemin victorieux
vers l’est, vers ce pays blanc et brûlant, sombre et froid qui
s’allongeait entre nous et l’Asie - telle était notre volonté.
Et encore, le voulions-nous? Le pourquoi de nos actes se
perdait dans une pénombre millénaire. Nous étions des
Les Réproudo, p. 69-71.
1. Ernst von SALOMON,
26 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

obsédés, dans lesquels la soif de destruction, cette jouissance


première de l’homme, palpitait et reprenait ses droits 1.1)
Telies sont les troupes auxquelles, le 23 mai au matin,
le général von der Goltz donne le signal de l’offensive.
Aussitôt, Baltes et Lettons bondissent en avant, bientôt
suivis par la Division de Fer. Surpris par cette attaque
brusquée, les Russes se replient rapidement dans les bois
situés à l’est de la route Mitau-Riga. Les bataillons de la
Landeswehr les poursuivent au pas de charge. Retranchés
sur les berges de la Düna, au nord-est de Mitau, les Bolché-
viks se ressaisissent et leur opposent une vive résistance.
Le pont du chemin de fer est enlevé après une lutte achar-
née, au cours de laquelle le baron de Manteuffel est tué.
Le capitaine von Medem, chef des corps francs allemands
incorporés à la Landeswehr balte, prend le commandement
à sa place. Les Russes, délogés de leurs positions, battent
en retraite et dégagent la route qui mène à Riga.
En une ruée folle, le capitaine von hledem et ses hommes
se précipitent vers la ville pour sauver les otages et éviter le
renouvellement des massacres de Mitau. Ils arrivent aux portes
de la citadelle, les franchissent d‘un trait et courent jusqu’à
la prison dont ils enfoncent les lourds vantaux de fer. Hélas!
pour des centaines de malheureux, les Baltes sont arrivés
trop tard : leurs cadavres ensanglantés gisent au fond des
cachots. Le capitaine von Medem doit se contenter de libérer
les survivants 2.
Le nombre des prisonniers faits au cours de la journée
s’élève à 2.500 environ. Des canons, des munitions et d’assez
fortes sommes d‘argent sont également pris à l’ennemi. Le
major Fletscher, chef de la Landeswehr balte, est nommé
commandant militaire de Riga. La ville, divisée en trois
secteurs, est occupée par des détachèments allemands,
lettons et baltes.

I . Salimion ihid., p. 71.


2. (ILa prise de Riga, écrit le lieutenant-colonel Du Parquet, délégué français
B la Commission militaire interalliée de Lettonie. fut marquée tout d’abord par
d’horribles massacres exécutés par les Bolchkviks. Les prisons regorgeaient d’habi-
tants détenus sous la seule accusation de n’être pas iavorables au gouvernement
des Sovicte. Lorsqu’il fut évident que les troupes baltes allaient s’emparer de la
ville, les soldats rouges rccurent l’ordre de met.tre tous les prisonniers à mort avant
d’évacuer la ville. ils reiushrcnt de se livrer h une parcille boucherie. L‘muvre fut
dors accomplie avec une sauvagerie inouïe par de3 femmes bolchiriquea, de.;
mégères qui furent natiir.4lempnt passées par les armes. I) (L’AvenIicrn nlinmnruir
en Lefbnir, p. 72.)
L’ERE DES COUPS D’ETAT 27
Le 24 mai et les jours suivants les troupes du général
von der Goltz poursuivent leur avance et consolident leurs
positions. Le 27, elles forment, en avant de Riga, une sorte
de bouclier tourné vers l’est, allant de 1’Aa de Livonie jus-
qu’à Brunowicki, en passant par le lac de Jagel, Uxküll
et Bauske. Le 29, le colonel Ballodis, poussant une pointe
vers le nord, opère sa jonction à Lemsal avec le colonel
Semitanl, ce qui porte à 5.000 hommes le total des forces
settones. Le même soir, von der Goltz, ayant atteint tous
les objectifs, ordonne aux troupes germano-baltes d’arrêter
l’offensive.

u u

Alors, à la terreur rouge succède la terreur blanche. Les


villages brûlent, les fusillades crépitent, on tue et on mas-
sacre soi-disant à titre de représailles, mais en réalité
pour assouvir les passions déchaînées. 500 prisonniers sont
fusillés à Mitau, 200 à Tukkum, 125 à Dünamünde, sous
la seule inculpation d’avoir été favorables à l’occupation
soviétique. L’état de siège est proclamé à Riga. Tous les
habitants qui détiennent des armes, tous les membres des
Comités bolchéviques qui ne se présenteront pas à la police
dans les quarante-huit heures, toute personne qui hébergera
des réfugiés ou refusera de les dénoncer, tout individu trouvé
dans la rue entre 18 heures et 6 heures du matin sans auto-
risation spéciale, seront punis de mort.
Ces mesures draconiennes portent à leur paroxysme la
haine mutuelle des Lettons et des Baltes. Les Lettons
accusent les (( seigneurs étrangers )) de vouloir rétablir leur
dictature médiévale. Les Baltes accusent les Lettons d’être
infectés du virus révolutionnaire. On assiste à des scènes
d’une sauvagerie inouïe. Chaque fois que les Lettons peuvent
s’emparer d’un Balte isolé, iIs le brûlent vif ou le crucifient
1. Lors de l’avance des Bolchéviks en 1918, les quelques troupes lettonnes,
mises rapidement sur pied par le gouvernement Ulmanis, s’étaient trouvées cou-
pées en deux tronçons. L’un, commandé par le colonel Ballodis, s’était replié vers
le sud, c’est-i-dire vers la Courlande. L’autre - le plus fort - commandé par Ir
rolonel Sernitan, avait battu en retraiie vers le nord, c’est-&-dire vers 1’Esthonie.
Soutenus par ICs forces esthoniennes, I C s bataillons du colonel Semitan avaient
réussi B repousser les nolchéviks et étaient descendus progressivement vers le siid,
tandis que les bataillons du colonel Rallodis. appuyés par les divieinne allemandPC.
remontaient vers le nord.
28 HISTOIRE DE L ’ A R M I ~ ALLEMANDE

à un arbre après lui avoir crevé les yeux. Les champs sont
parsemés de cadavres nus et affreusement mutilés. Certains
ont le bas-ventre arraché et leurs plaies sont remplies de
pierres brûlantes. Les Baltes ripostent par des exécutions
en masse. Toutes les passions accumulées au cours des
siècles semblent se donner libre cours, sous un ciel ensan-
glanté par la lueur des incendies.
Les nouvelles de ces excès parviennent à Libau, où elles
suscitent l’indignation de la mission britannique. Par ailleurs,
les projets de von der Goltz inquiètent sérieusement les
Alliés. Ses plans de colonisation et de croisade antisovié-
tique ne seraient-ils pas un prétexte pour camoufler la
création de vastes camps militaires et d‘arsenaux, soustraits
aux investigations des Commissions interalliées de contrôle?
Von der Goltz n’aurait-il pas l’intention de se servir de la
Courlande comme d’une base d’opérations, pour marcher
sur Berlin au moment propice, afin d‘y renverser la répu-
blique et d’y rétablir la monarchie l?
Une conférence a lieu à Libau, dans la deuxième quinzaine
de mai, entre les missions militaires alliées et Ulmanis, afin
d’étudier les mesures à prendre pour obtenir une évacuation
accélérée de la Baltique. Mais Ulmanis fait remarquer que
le retrait des troupes allemandes présuppose : 10 l’existence
d‘une armée lettonne assez forte pour assurer à elle seule
la sécurité du pays; 20 la création d’un gouvernement de
1. Telle était, en effet, l’intention de von der Goltz, mais il la dissimulait soi-
gneusement à cette époque, et n‘en souma mot dans l’édition de ses Mémoires,
parue en 1920. C’est seulement dans la réédition de ses souvenirs, parue en 1936
sous le titre Ah polilischer Genera2 irn Osten, qu’il en convint pour la première fois.
Rendons hommage à la perspicacité du lieutenant-colonel Du Parquet, qui l’avait
deviné dès 1919.
Le texte oh von der Goltz fait allusion h ce projet e3t trop intéressant pour ne
pas être cité en entier, car il nous montre que ce plan allait à l’encontre des aspi-
rations des volontaires :
a L’idée de marcher sur Berlin pour y renverser le gouvernement, dont je voulais
me servir comme d’un dernier atout si l’on nous empêchait de demeurer dans la
...
Baltique, écrit von der Goltz, ne trouva aucun écho dans la troupe Chacun vou-
lait rester [en Courlande].
a De mon côte, j’étais conscient de l a difficulté d’une marche sur Berlin. De
Mitau à Berlin, il y a environ 1.000 kilombtres. J’ai longtemps espéré qu’un mou-
vement contre-révolutionnaire se déclencherait à Berlin, puis je finis par aban-
donner mon projet. a (Ak polilischer General irn Osten, p. 166-167.)
Hitler, de son côté, affirmera plus tard : G Si pes corps francs] avaient pu se
maintenir dans les Paya baltes, toutes sortes de gens y auraient aNlué. Ils y auraient
constitué un mouvement de résistance et seraient repartis de ià pour marcher
contre l’Allemagne. 1 Cette opinion découle de sa conviction * qu’aprés une dbfaite,
ce sont toujoun lee meilleurs qui refusent de A’ndmettre . s (iagsbmprechungm,
p. 570.)
L’ÈRE DES COUPS D’BTAT 29
coalition, au sein duquel tous les partis politiques devraient
être représentés.
A l’issue de cette conférence, les Alliés remettent aux
Allemands une note stipulant la création d’un gouverne-
ment national letton. Mais M. Needra s’y oppose et soumet
aux Anglais un contre-projet, dont l’application assurerait
la prépondérance aux éléments germano-baltes. Les pour-
parlers sont rompus.
Telle est la situation le 20 juin 1919, date à laquelle s’en-
gagent les ultimes négociations pour la signature du Traité
de Versailles. Si le gouvernement allemand refuse de signer
le Traité ce sera la reprise des hostilités. Devant la gravité
des événements qui risquent de se produire au cours des
journées suivantes, les missions alliées quittent Libau e t
s’installent à bord des navires de guerre britanniques. A
leur tour, les troupes d’occupation allemandes évacuent le
port et se retirent à douze kilomètres à l’intérieur des terres,
pour se mettre hors de portée des canons anglais. Elles sont
remplacées par le détachement russe du prince de Lieven l.
Soudain, le 23 juin, dans la soirée, la flotte anglaise reçoit
un télégramme de l’amirauté britannique : n Hourra! La paix
est signée. Vive l’Angleterre! n La nouvelle se répand comme
une traînée de poudre. A Libau, la foule envahit les rues
de la ville en poussant des cris de joie. Le lourd obélisque
de granit et de bronze érigé dans le port en 1915 pour
commémorer l’entrée des troupes allemandes est renversé
et brisé.
Le 24, au matin, les missions militaires alliées reviennent
à terre. La délégation anglaise est placée sous les ordres
du brigadier général Burt. Le général Gough, l’ancien com-
mandant de la Ve armée britannique, est nommé président
de toutes les missions alliées en Lettonie. I1 arrive à Libau
le 26 juin tandis que les navires de guerre reprennent leur
ancien emplacement dans la rade. En constatant l’enthou-
siasme suscité par la signature du Traité, le général Gough
décide de rétablir immédiatement le gouvernement Ulmanis
et de profiter, pour cela, du retrait des troupes d‘occupa-
tion allemandes.
Le lendemain 27 juin, à 14 heures, le présideht Ulmanis
quitte le vapeur Saratov et débarque à Libau. Les soldats
1. Von der Goltz pensait, A juste titre, que les Anglais ne tireraient pa0 sur
leurs anciens alliés.
30 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

du prince de Lieven lui rendent les honneurs. Une tribune


décorée de feuillage a été dressée au bord du quai, où des
discours sont prononcés par diverses personnalités lettonnes 1.
Puis le cortège se rend à l’hôtel de ville, au milieu des fan-
fares et des acclamations.
Le soir même, les missions militaires alliées envoient un
télégramme à M. Needra, pour lui signifier sa déposition et
l’avènement d’un gouvernement nouveau. Espérant pou-
voir s’opposer à cette décision avec le concours des baïon-
nettes allemandes, Needra accourt à Libau. Mais la situation
qu’il y trouve est tout autre qu’il ne l’avait prévue. Arrêté
dès son arrivée, il est interné à l’hôtel de Pétrograd et placé
sous la garde de volontaires lettons. L’opposition, privée de
chef, est réduite au silence. Quelques jours plus tard, le
gouvernement Ulmanis se transporte à Riga, où il reprend
en main les affaires du pays.
1. En particulier par M. Tschaakste, présideiit du Cuniite letton A la C o r i f i
rerice de la Paix, arrivi? la veille de Paris.
II

L’ÉQUIPÉE ALLEMANDE
DANS LES PAYS BALTES

II. - La guerre contre 1’Esthonie.


L’offensive de Bermondt-Awaloff.

Pourquoi von der Goltz n’est-il pas intervenu pour empê-


cher Ulmanis de débarquer à Libau et s’opposer à la res-
tauration de son ancien adversaire? C’est qu’il vient de
subir un revers grave au nord-est de Riga et que la situa-
tion où il se trouve l’oblige à concentrer tous ses efforts
dans ce secteur.
Pour bien comprendre le déroulement des opérations, il
faut revenir un peu en arrière. Le plan primitif des Anglais
et d’Ulmanis consistait - nous l’avons vu - à opposer les
divisions allemandes aux forces soviétiques et à constituer,
grâce à elles, une sorte de bouclier à l’abri duquel le gou-
vernement letton pourrait organiser une armée nationale.
Renversant la situation, von der Goltz a profité de la
jonction du colonel Ballodis et du colonel Semitan pour
déployer les forces lettonnes face à la Russie et pour pour-
suivre hardiment sa marche vers le nord.
Cette nouvelle campagne doit le mener aux portes de
l’Esthonie,, position stratégique de premier ordre pour une
avance uIterieure en direction de Pétrograd. Mais Ies Estho-
niens n’entendent pas se soumettre sans lutter à la tutelle
allemande. Ainsi se trouve créée, à l’arrière du front russo-
letton, orienté du nord au sud, une seconde ligne
de combat germano-esthonienne, orientée d’ouest en est,
qui relègue au second plan la croisade antisoviétique.
Dès le 4 juin, la Landeswehr balte se dirige vers Wenden,
32 HISTOIRE DE L’ARMhE ALLEMANDE

suivie, dans la nuit du 7 au 8 juin, par la Division de Fer.


Bientat douze mille hommes se trouvent concentrés dans
cette région. La campagne s’ouvre par une offensive victo-
rieuse des Allemands. Divisées en six colonnes, les troupes
germano-baltes progressent en direction de Walk. Le 21,
dans la matinée, elles dépassent Wenden, où l’État-Major
esthonien a massé le gros de ses forces. Mais l’avance s’effec-
tue imprudemment e t dans un désordre croissant. Au cours
de l’après-midi, les Esthoniens déclenchent une contre-
offensive brusquée, e t prennent les troupes allemandes de
revers. Assaillie à l’improviste e t cernée par le feu croisé
des canons esthoniens, la Division de Fer est obligéc de
battre en retraite, entraînant dans son repli la Landeswehr
balte l.
Le 22 e t le 23 juin, le désarroi s’accentue. Le 24, l’armée
allemande arrive à reprendre pied derrière l’Aa de Livonie.
Mais une nouvelle attaque des Esthoniens contre l’aile gauche
allemande contraint la Division de Fer à évacuer cette
seconde position e t à se replier en bordure de la rivière
Jagel.
Le 27 juin, l’armée rouge, restée calme jusqu’ici, attaque
inopinément les Lettons à Kreuzburg, en face de Jakob-
stadt. Les régiments du colonel Ballodis, chargés de défendre
un front immense, sont trop faibles pour contenir la poussée
des divisions soviétiques. Réduits à leurs seules forces e t
sans aucune troupe de réserve, ils reculent le long de la
Düna. Une poche dangereuse se creuse dans le flanc droit
de von der Goltz, dont la situation devient de plus en plus
critique. Pour éviter l‘encerclement, il doit battre en retraite.
Le 29 juin, les Esthoniens accentuent leur pression e t
parviennent à quelques kilomètres de Riga, qu’ils prennent
sous le feu de leurs canons. Toute la nuit, les rafales d’obus
s’abattent sur la ville, malgré le barrage de l’artillerie lourde
allemande. Alarmées par la tournure imprévue des événe-
ments, les missions alliées se réunissent à Libau. Les délé-

1. Le général von der Goltz attribue la défaillance de la Division de Fer à I’hété-


rogénéité des éléments qui la composaient. (Cf. Meine Sendung in Finland und im
Balfikum, p. 214.) Von artzen écrit de son côté : a Dans la Landeswehr balte on
émit l’opinion que l’on n’avait pas é t é soutenu avec assez d’élan par la Division
de Fer. Dans la Division de Fer, par contre, plus d’une voix s’éleva pour dire qu’il
n’y avait aucune raison de se faire mitrailler pour les intérêts des barons baltes.
Bref, l’ambiance générale n’était rien moins que satisfaisante. a (Dus Deutache
Freikorps, p. 89.)
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 33
gués anglais e t américains conseillent de laisser faire les
Esthoniens : si von der Goltz est battu, l’évacuation de la
Courlande en sera facilitée d‘autant l.
Mais Ulmanis n’est pas de cet avis. I1 redoute de voir
les Esthoniens entrer en trombe à Riga, car il connaît leur
haine farouche pour les Baltes et craint que leur arrivée ne
soit le prélude de massacres plus terribles que tous ceux
auxquels on a assisté jusqu’ici. De plus, il pense qu’une fois
installés à Riga, les Esthoniens refuseront de s’en aller, à
moins d‘y être contraints par les armes : ce sera une nouvelle
guerre en perspective. Cela sufit comme cela ...
Pour éviter les complications, le. lieutenant-colonel Du
Parquet, délégué français, propose d’obliger von der Goltz
et les Esthoniens à conclure un armistice aux termes duquel
ces derniers s’arrêteraient sur leurs positions en bordure
de la Jagel, tandis que les Allemands reprendraient leur
ancien front de Mitau. a A la faveur de cet arrêt des uns
e t de ce recul des autres, écrit le lieutenant-colonel Du Par-
quet, il serait possible de faire occuper la zone neutre, c’est-
à-dire Riga et les rives de la Düna, par les troupes du colonel
Ballodis e t le détachement russe du prince Lieven, c’est-
à-dire par des troupes n’ayant pris aucune part à la lutte
contre les Esthoniens 2. )) Ce plan est approuvé par les mis-
sions alliées et le lieutenant-colonel Du Parquet est chargé
d’en faire accepter les conditions au général von der Goltz.
Celui-ci ne se résout qu’à contrecœur à évacuer Riga, où
l’État-Major allemand a entreposé pour plusieurs millions de
marks de matériel. Mais la position où il se trouve ne lui
laisse pas le choix. I1 ne peut lutter à la fois contre les
Esthoniens, les Bolchéviks et le nouveau front letton, en
train de se constituer dans son dos, entre LibauetTukkum.
Ses troupes sont harassées et ont besoin de repos. L’arran-
gement qu’on lui propose le sauve peut-être d’un désastre.
Aussi, les négociations, entamées le 2 juillet à la ferme
de Strassenhof, à douze kilomètres à l’est de Riga, aboutis-
sent-elles à un accord 3. Le 3 juillet, à 3 h. 30 du matin,
1. Signalons que les Esthoniens, eux aussi, étaient armés et équipés en grande
partie par les Anglais.
2. Lieutenant-colonel Du PARQUET, L’Aventure allemande cn LeUonie, p. 104.
3. Voici les dispositions principales de l’armistice de Strassenhof :
1 0 Les hostilités cesseront le 3 juillet, dans l‘après-midi.
20 Tous les oficiers allemands et leure troupes quitteront irnrnddiatement Riga
et les envirom. Cette dvacuation derva &re terminde le 5 juiild, à 6 heures du mir.
II 3
34 EISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

un armistice est conclu entre von der Goltz e t le général


Gough. Le 4 et le 5 juillet, les divisions de von der Goltz
évacuent leurs cantonnements et quittent l’ancienne capitale
des ducs de Courlande.
t
1 +

L’armistice de Strassenhof semble inaugurer une période


de détente. Les canons se taisent, les hostilités sont suspen-
dues. Mais un travail fébrile ne s’en poursuit pas moins à
l’arrière des fronts immobilisés.
Pour le gouvernement d‘ulmanis, il s’agit de profiter de
la trêve pour mettre enfin sur pied une armée lettonne capa-
ble de défendre le pays sans concours étranger. Cependant,
cette tâche se heurte à des dificultés sérieuses. Sans doute
les recrues répondent-elles en masse à l’appel d u gouveriie-
ment l. Mais l’armement et les munitions restent insuffisants.
Le gouvernement letton ne possède en tout que 10.000 fusils
russes (dont la plupart sont hors d’usage), 1.700 fusils alle-
mands, 500 fusils japonais, 91 fusils-mitrailleuses, 13 canons
et 4 lance-mines. Le matériel roulant se limite à 3 autos
blindées, 8 -camions, 26 automobiles et quelques motocy-
clettes.
E n ce qui concerne l’équipement e t l’habillement, la
situation est pire encore. II n’y a d’uniformes que pour
5.000 hommes, de chaussures que pour 4.000, de chemises
que pour 1.000 et aucune couverture. Le solùat de iaction
devant le ministère de la Guerre monte la garde les pieds
nus 2. Aussi le président Ulmanis adresse-t-il un appel pres-
sant aux Alliés.
Informé de ce qui se passe en Lettonie par le lieutenant-
colonel Du Parquet, - qui s’est rendu entre-temps à Paris
pour renseigner le ministre de la Guerre - l’Entente décide
d’envoyer à Riga de quoi équiper complètement 10.000 hom-
mes, 19.500 fusils et 500 fusils-mitrailleuses, 150 mitrail-
leuses lourdes et légères, 25 millions de cartouches, 2 groupes
complets d’artillerie de 75 à 3 batteries et 50.000 obus. Ce
30 La Landebwehr quiitera irnrnddiutement Riga et ses environs pour se relirer
derrière la Düna.
40 Les Esllioniena n’avanceront pa8 au-deli des potiiions qu’ils occupent Is 3 juil-
let, 4 3 lieureu d u matin.
1. Au bout de quelques semaines, le total des effectifs lettons passa de 5.000 5
24.700 hommes.
2. Lieutenant-colonel Du PARQUET, op. cit., p. 116.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 35
matériel arrive par convois successifs dans le courant de
l’été et de l’automne. I1 permet de compléter l’armement des
deux divisions déjà existantes, la division de Courlande et
la division de Livonie, et de procéder à la constitution de
deux divisions nouvelles : la division de Latgale et la divi-
sion de Zemgalie.
Simultanément, la Landeswehr balte est envoyée à Tuk-
kum afin d’en éliminer tous les sujets allemands et de la
transformer en une unité exclusivement lettonne. Ce travail
d’épuration et de réorganisation est confié à un oficier
anglais, le colonel Alexander, qui prend le commandement
provisoire de la Landeswehr. Forte de 8.000 hommes au l e r
juillet, cette troupe n’en compte plus que 2.000 à la fin
du mois. Les 6.000 soldats allemands licenciés rejoignent les
forces de von der Goltz, tandis que le reste de la L a n d e s -
wehr est envoyé sur le front russe.
Pendant que ce travail se poursuit du côté‘letton, des
transformations non moins profondes s’effectuent du côté
allemand. Cédant aux injonctions des Alliés l, le gouverne-
ment du Reich se résout à ordonner, une fois de plus, l’éva-
cuation de la Courlande. Mais cette fois-ci, il entend faire
respecter sa volonté. I1 fait parvenir à von der Goltz les
instructions suivantes :
10 Les troupes d u V l e corps d’armée de riserve se retireront
inrrnidiaiement par jer el par rouie vers la re‘gion de Sçliaiden
(Chavli) et, de là, vers l‘Allemagne.
20 Les troupes qui resteront e n Courlande le feront à titre
strictement privé. Aucune solde ne leursera plus allouée à dater
d u 30 septembre.
30 Tous les oficiers qui n’auront pas réintégré l‘Allemagne à
cette date seront rayés des contrôles de l’armée.
40 L e recrutement de volontaires pour la Baltique est interdit
dans toute l’Allemagne 2.
1. L’article 433 du traité de Versailles spécifiait que l’Allemagne évacuerait
les provinces baltes, mais il hissait :î la Commission d’armistice IC soin d’en fixer
Ics modalités. Le 5 août, le marechal Foch adressait l’ultimatum suivant aux
autorités allemandes : 10 Le général vorr der Colt: sern destitué; 20 L’évacuation
iles territoires occupés sera aclietde avant le 20 août; 30 Les troupes allemandes seront
rapatriées p a r eau; 4 O Elles n’emporteront avec elles que les armes autorisées par Is
ginéral Gough. I( Lorsque le général Gough me présenta le texte de cet ultimatum,
écrit von der Goltz, et me demanda si j’entcridnis me conformer aux ordres de
l’Entente, je lui répondis que je n‘en ferais rien et que je ne laisserais jamais désar-
mer mes hommes, les abandonnant sans défense au bon plaisir des Anglais et 3
la vindicte des Lettons. pi ( A k plilischar General im Osten,.p. 241.)
2. De son côté, le général von der Goltz &rit : u I1 y avait déj3 eu tant d’ordres
36 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

La première unité rappelée par le gouvernement allemand


est la Division de Fer. Le 24_aoÛt, les soldats du l e r régi-
ment d’infanterie sont massés dans la gare de Mitau, atten-
dant avec angoisse le signal du départ. Le visage pâle e t
crispé, les officiers circulent parmi les groupes, répondant
d’un air maussade aux questions de leurs hommes. Tous
espèrent qu’au dernier moment un miracle surviendra, qu’un
contrordre sera donné. Les wagons se remplissent lente-
ment. Soudain, un remous se dessine A l’entrée du contrôle.
Un oficier de haute taille, le visage tanné par les intempé-
ries, apparaît sur le quai. A son cou scintille l’ordre K Pour
le Mérite ». C’est le commandant Bischoff, le chef de la
Division de Fer. Soldats et officiers se pressent autour de
lui, mus par un espoir inconscient.
Le commandant Bischoff jette un regard vers le train.
Puis, levant la main, il s’écrie d’une voix forte :
- J’interdis le départ de la Division de Fer!
Cet acte e st des plus graves. C’est le signal de la mutinerie,
la rupture avec Berlin. Mais les soldats ne voient qu’une
chose : leur chef leur a épargné l’humiliation du retour.
Aussi l’acclament-ils longuement sur le quai de la gare. E t
le soir, les volontaires des corps francs de Mitau organisent
en son honneur une retraite aux flambeaux l.
(( Nous étions fous, écrit l’un d’eux, et nous savions que
nous l’étions. Nous savions que nous serions abattus par la
colère de tous les peuples qui s’agitaient autour de notre
cohorte téméraire. Notre folie n’était qu’une orgueilleuse
obstination. Mais nous étions prêts à en supporter toutes
les conséquences 2. D
Les jours suivants, les chefs des corps francs réunissent
leurs hommes et leur exposent la situation. A présent il
faut choisir : soit de rester en Courlande à leurs risques
et périls, sans autre perspective qu’une lutte désespérée
et le mirage incertain de terres à conquérir; soit d’obéir
aux ordres d u Reich et de retourner vers une Allemagne
humiliée et amoindrie, ((semblableà une plaie dont les bords,

d’évacuation que personne ne les prenait plus au sérieux. On les croyait rédigés à
l’adresse de l’Entente, pour se couvrir vis-à-tis d‘elle. 8 ( O p . cit., p. 151.)
1. Le lendemain, von der Goltz passe en revue la Division de Fer. a Ce fut IC
point culminant de cette période extraordinaire, brit-il, l’heure la plus exaltée
avant la catastrophe finale. I
?. h i s t von SALOMON, Le8 i?Eprou&, p. 105
L’ÈRE DES COUPS D’I~TAT 37
pressés par des mains brutales, laissent couler le sang e t le
pus 1).
Les premiers à s’en aller sont les corps de patriotes. Pour
leurs chefs, élevés dans l’observance des vieilles traditions
prussiennes, la mutinerie reste la mutinerie, c’est-à-dire un
acte inadmissible. Puis c’est le tour des individus douteux,
attirés en Lettonie par le seul espoir du butin, mais qui
craignent à présent d’en revenir les mains vides. Le noyau de
ceux qui persistent dans leur refus diminue de jour en
jour. Le service des étapes, les compagnies de police, la gen-
darmerie de campagne disparaissent l’un après l’autre.
Mais les convois qui les ramènent en Prusse-Orientale
croisent en cours de route une foule de nouveaux volontaires
qui traversent la frontière soit isolément, soit en groupes,
recrutés dans toutes les régions du Reich par les agents
secrets des corps francs 2. Dès le début de juillet, 600 chas-
seurs venant d’Allemagne centrale passent à Prekuln,
embranchement des lignes Riga-Libau, Riga-Memel, avec
6 mitrailleuses, 6 minenwerfer, 4 canons de 105,100 chevaux,
1 train blindé e t 2 wagons de munitigns. Les 9 e t 10 juillet,
on signale dans la même gare, le passage de 1.500 volontaires
se dirigeant vers Mitau. Le 11 au matin, c’est un train
transportant 500 hommes, bientôt suivi d’un second de même
force. Des troupes encore plus nombreuses amuent par la
ligne Tilsitt-Schaulen. Noske évalue à plusieurs milliers le
nombre des recrues nouvelles qui arrivent en Lettonie au
cours de l’été 1919 4. De sorte que, malgré les défections
I . Id., ibid., p. 98.
2. La méthode de recrutement pratiquée par les corps francs de la Baltique
nous est révélée par l’ordre du jour de la Division de Fer, du 17 octobre 1919 :
L a question des renforts es1 réglée & la f q o n suivante :
A. - Les hommes de troupe sonf recrulés par les organes de la Division e n Alle-
magne et réparfis entre les corps de froüpe suivant les besoins.
B. -Des hommes disciplinés el sûrs se rendant en permission, reçoivent plusieur8
titres de permission avec lesquels ils ramènenf des gens de leur connaissance. Ce pro-
cédé présente de groves inconvénients pour la froupe, si le choix des racoleurs n’est
pas f a i t avec soin. Le racoleur ne doit opérer 9ue dans le cercle de ses connaissances.
Le nom6re des imprimés à lui confier doif étre limifé a u minimum.
C. - Les corps de troupe rechercheront, dans chaque compagnie, escadron ou bat-
terie, u n sous-oflcier énergique et sûr et un soldnf apéciakmenl qualifiés pour recrufer
des iionimes en Allemagne et les ramener à la Division.
BISCAOFF.
3. C’est un groupe de Chasseurs du général Mærcker, las de monter la garde
autour du théâtre de Weimar, où siège le Parlement.
4. a La fièvre balte, écrit Noske, avait saisi des milliers d’individus, provo-
quant un amux de voloritaire8 qu’il fut impoasible d’endiguer, même lorsque l’on
38 HISTOIRE D E L ’ A R M ~ ~ EALLEMANDE

nombreuses, les effectifs allemands en Courlande s’élèvent,


vers le début d’octobre, à près de 50.000 hommes 1.
Par l’esprit, ce deuxième contingent diffère sensiblement
du premier. I1 ne contient plus des vétérans des armées de
l’est qui luttent pour défendre les frontières orientales, ni
des adolescents imberbes, trop jeunes pour avoir fait la guerre
et qui rêvent de faire le coup de feu comme leurs aînés.
I1 est formé en majeure partie d’hommes qui, au sortir des
tranchées, ont retrouvé l’Allemagne ensanglantée par la
guerre civile, humiliée et bafouée par les démagogues e t les
profiteurs. S’ils vont vers la Baltique, ce n’est pas par goût
du risque, mais par dégoût de ce qu’ils ont vu à Berlin et
ailleurs. Ils cherchent un horizon nouveau pour y faire peau
neuve et oublier le passé. Ils ont rompu tous les liens qui
les rattachent à la République de Weimar et quittent leur
pays avec l’intention bien arrêtée de n’y jamais revenir.
L’afflux de tous ces volontaires pose au général von der
Goltz un terrible cas de conscience. Que va-t-il faire de
ces milliers d’hommes qui ont mis leur confiance en lui?
Dans quelques semaines le Reich leur coupera les vivres.
L’article 433 du Traité de Versailles a délié Ulmanis de sa
promesse de leur donner des terres à coloniser. Lui-même
ne peut plus les commander, en tant que général allemand,
sans exposer son pays à de graves représailles. Jadis, il avait
incorporé une partie de ses corps francs à la Landeswehr
balte. Depuis lors, celle-ci lui a été retirée. Une seule issue
demeure : les camoufler derrière les Russes blancs du prince
de Lieven.
Mais il semble que les Alliés aient éventé la mèche car,
vers le milieu d’août, le prince de Lieven reçoit l’ordre
de quitter la Lettonie avec ses troupes et d’aller rejoindre
l’armée de Judenitsch à Narva. Tout espoir semble donc
perdu pour von der Goltz, lorsque se produit, in extremis,
un coup de théâtre : au moment de quitter Libau, le régi-
ment du prince de Lieven se scinde en deux. Renouvelant
le geste de la Division de Fer, une partie des Russes blancs
sut qu’aucun de leurs rOves ne se réaliserait. 8 Les Socialistes voulurent rendre le
ministre de la Reichswehr responsable de cet état de choses. a Lorsque j’étais h
Dalilem, leur répondit-il, absorb6 par le problème de la reconquiite de Berlin,
comment pouvais-je m’occuper de tous les petits Wallenstein qui se constituaient
des bandes armées pour les mener dans l’est? I (Von Kiel bid Kapp, p . 177-178.)
1. Certains auteurs disent 80.000, mais ce chiiïro doit inclure les efiectifs des
Russes blancs, qui s’dlevaient h cette époque à 25.000 homme8 environ.
L’ÈRE DES COUPS D ’ ~ T A T 39
refuse de s’embarquer l. Et c’est alors qu’apparaît sur la
scène un personnage nouveau, d’un romantisme achevé : le
colonel prince Bermondt-Awaloff.

4 4

Qui est cet individu? D’où vient-il? Nul ne le sait au


juste. ((C’était u n homme jeune encore et portant beau,
revêtu de la longue houppelande et du bonnet de fourrure
des Circassiens, avec tout un arsenal de cimeterres, de poi-
gnards, de pistolets et cartouchières en sautoir »,nous dit
le lieutenant-colonel Du Parquet qui lui rendit visite à cette
époque a. (( Colonel d‘opérette et prince de comédie n, écrit
de son côté le capitaine Vanlande (( soldat de fortune,
aventurier, mégalomane en crise permanente, ex-chef d’or-
chestre »,assure la légende. Et Noske, qui le reçut à Berlin
quelques semaines plus tard, nous le dépeint (( revêtu d’un
uniforme de colonel tcherkesse à brandebourgs fantastiques,
e t la tête remplie de projets plus fantastiques encore n.
Tout est excessif, chez cet ancien oficier d’État-Major
du XXXIe corps d’armée russe, comme les épithètes de ses
détracteurs et les éloges de ses partisans. Certes, il a fière
allure quand il apparaît, tel Mazeppa, au milieu de sa garde
d’honneur. Beau parleur, prestigieux cavalier, sachant tirer
parti à merveille de ses dons de séduction, il rêve à présent
de marcher sur Petrograd, pour y restaurer le Tzar, et cherche
à grouper autour de lui tous ceux qui sont prêts à mourir
a pour la Croix et les Évangiles ».
Avec l’ancien directeur d‘une compagnie de chemins de
fer, d’un avocat letton et de quelques comparses, Bermondt
commence par créer de toutes pièces un (( gouvernement de
1. n Le détachement, d’abord unique, du prince de Lieven, écrit le lieutenant-
colonel Du Parquet, fortement accru de renforts arrivés d’Allemagne et de Pologne,
avait été scindé en deux groupes dont l’un, composé des éléments du début, était
resté sous l’autorité de ce même chef, tandis que l’autre, composé en majeure
partie d’éléments ayant longtemps séjourné dans les camps de concentration alle-
mands, se trouvait sous les ordres des colonels Bermondt et Virgolitsch. Ces deux
officiers avaient refusé de reconnaître l’autorité du prince de Lieven et secondaient
de tout leur pouvoir les plans allemands; ils refusérent de par tir, prétextant qu’ils
n’btaient pas prlits. D (L’Ac-epturE aZZemaBde en Lettonie, p. 147.)
2. Lieutenant-colonel Du PARQUET, op. cit., p. 147.
3. Capitaine VANLANDE, Avec le général Niessel en Prusse et en Lithuanie, p. 27.
I Prince de comédie D est d’ailleurs inexact. A la mort de son père, Bermondt
avait été adopté par le frére de sa m&e, le prince Awaloff. C’est de lui qu’il tenait
ion titre.
40 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

la Russie de l’Ouest ».Puis, comme les forces dont il dispose


sont insuffisantes pour réaliser ses projets, il propose à von
der Goltz d’incorporer à (( l’Armée russe de l’Ouest n toutes
les troupes allemandes stationnées en Courlande. C’est,
pour von der Goltz, une solution inespérée. Dans le courant
de septembre, celui-ci se rend à Berlin où il se fait relever
de ses fonctions de commandant du VIe corp9 d‘armée de
réserve. Après quoi il revient en Courlande, à titre privé,
a pour seconder l’effort de ses braves soldats et servir de
conseiller technique au gouvernement de la Russie occi-
dentale u.
Le 21 septembre, von der Goltz conclut un traité en règle
avec Bermondt, lui remettant le commandement dee troupes
allemandes dans la Baltique et le chargeant de veiller au
rapatriement des unités qui refuseraient de rester en Cour-
lande. Les jours suivants, Bermondt établit son plan de
campagne et dresse le statut des volontaires passés sous son
commandement. Le 6 octobre, reprenant à son compte les
accords conclus entre MM. Ulmanis et Winnig, il signe le
traité suivant avec les chefs des différents corps francs :

10Les droits de cité et de colonisation accordés antérieurement


par le gouvernement letton sont confirmés. Chaque volontaire
ayant combattu pendant un mois contre les Bolchéviks aura droit
à 80 arpents de terre.
20 En outre, tout membre des corps francs allemands aura
droit, après six mois de service à compter de la signature d u
présent accord, à 20 arpents supplémentaires; après douze mois,
à 60 arpents; après dix-huit mois, à 90 arpents; après vingt-
quatre mois, à 140 arpents.
30 Ces terres seront mises à la disposition des volontaires d
la moitié d u prix local de 1914.
40 L e droit à la terre visé par les paragraphes I et I I est
conféré à chaque combattant par la remise d’un certificat d u
commandement allemand. Ce certificat concède en même temps
la nationalité russe.
50 Les certificats des colons peuvent être transmis, mais seule-
ment avec I‘autorisation de l’Office central de répartition des terres.
60 L a Division de Fer, d‘accord avec la Légion allemande, se
charge de créer un Office central de répartition qui prendra livrai-
son de la terre par l’intermédiaire des Conseils. Cet Office central
assurera la distribution des terres, e n veillant à ce que deux certi-
ficats ne se trouvent pas entre les mêmes mains, et que les colonies
ne dépassent pas 140 arpents.
L'ÈRE DES COUPS D'ÉTAT 41
Ainsi se trouve échafaudé un des plans les plus extraor-
dinaires de notre siècle : du jour au lendemain, comme par
un coup de baguette magique, 50.000 soldats allemands
sont naturalisés russes et rompent les derniers liens qui
les rattachent à leur pays.
(r Nous arborâmes la cocarde russe à nos casquettes, écrit
Ernst von Salomon. Nous acceptâmes avec un sourire les
billets de banque que Bermondt fit tout simplement impri-
mer et qui étaient gagés par le matériel de guerre que nous
allions conquérir; la rage au ventre, nous buvions la vodka
et nous apprenions à jurer en russe. Ne pouvant plus être
Allemands, nous étions devenus des Russes.
(( Le mot d'ordre contre le bolchévisme, nous ne le prenions

pas du tout a u sérieux. Nous avions sufisamment eu l'occa-


sion d'apprendre à qui profiterait notre combat. La première
lutte, nous l'avions gagnée pour l'Angleterre. Dans cette
seconde lutte, nous voulions frustrer les Britanniques des
fruits de la première l. n

L' (( Armée des volontaires de l'Ouest n, commandée par Ber-


mondt-Awaloff comprend, à cette époque, quatre groupes :
A. - Le l e r corps de l'ouest u Keller n, commandé par le
colonel Jawreïnoff, qui occupe le front allant de la mer à la
chaussée de Mitau.
B. - Le ZZe corps de l'ouest a Virgolitsch I), commandé par
le colonel Virgolitsch, cantonné dans la région de Radziwi-
liski-Schaulen.
C . - La Division de Fer, commandée par le major Bischoff,
qui occupe le front allant de la chaussée de Mitau à la ligne
Merzendorf-Eckau.
D. - La Légion allemande (ou Deutsche Legion) comman-
dée par le capitaine de vaisseau Sievert, et divisée en trois
groupes :
10 Le premier groupe, échelonné à l'est de la ligne Merzen
dorf-Eckau.
20 Le corps franc Weickemann, placé au sud de Friedrich-
stadt.
30 Le corps von Plehwe, concentré en face de Libau.

tSr R@'OW, p. 107.


1. Ernst von SALOMON,
42 EISTOIRE DE L’ARM$E ALLEMANDE

Pendant tout le mois de septembre, raids et coups de


main se renouvellent sur le front allemand, témoignages
d‘une activité intense, mais clandestine. De toutes parts on
signale des mouvements de troupes inquiétants. Une atmos-
phère fiévreuse règne à Riga, où chacun sent l’approche
d’événements décisifs. (( La Lettonie, écrit le lieutenant-colo-
nel Du Parquet, ressemble à un volcan dont les gronde-
ments souterrains s’accusent tous les jours davantage, accom-
pagnés de convulsions locales qui font présager l’imminence
d’une forte et terrible éruption l. u
Voulant devancer les premiers froids de l’hiver, Bermondt,
ayant terminé ses préparatifs, décide de ne pas différer plus
longtemps l’offensive. Le 8 octobre, au matin, il adresse le
télégramme suivant au président Ulmanis :
Trouvant le moment venu d’aller sur le front bolchévique, is
prie Votre Excellence de faire le nécessaire pour me donner la
possibilité de diriger mes troupes contre les bandes de l‘Armée
rouge de la Russie soviétique.
Je vous prie de m’informer des mesures que vous comptez
prendre pour permettre aux troupes placées sous mon comman-
dement d‘exécuter leur marche en avant sans dificulte‘s 2.
Le Commandant de l‘Armée russe de l‘ouest,
colonel AWALOFF.

A 18 heures, n’ayant reçu aucune réponse du gouver-


nement letton, Bermondt donne à ses divisions l’ordre
de marcher sur Riga. Alors, comme si la guerre, après avoir
ravagé l’Europe pendant cinq ans, ne pouvait se rési-
gner à mourir, le tonnerre des canons déchire une fois de
plus le silence des campagnes. Les régiments des (( Plastuns
de la division Keller prennent l’offensive entre Schlock et
Mitau, tandis que la Division de Fer et la Légion allemande
appuient le mouvement, de Mitau à Friedrichstadt.
Dès que la nouvelle de l’attaque est parvenue à Riga,
un sursaut de colère a soulevé la population. Organisés
en toute hâte, les bureaux d’enrôlement ont été immé-
1. Lieutenant-colonel Du PARQUET, L’Aventure allemande en Lettonie, p. 131.
2. Le plan de Bermondt, nous dit von der Goltz, consistait, aprés s’étre assuré
d’une base solide (en Lettonie), à marcher sur Witebsk-Wilejka par Dünaburg e t
i établir sa jonction avec Judenitsch et l’armée du Nord, aux environs de Pskow-
Narwa. C‘&taitla réédition du plan élaboré par Ludendorff en 1918, pour s’em-
parer de Petrograd. (Ci. von der GOLTZ,Ab poliiischer C r w a l ina Oaten, p. 283.)
L’ÈRE DES COUPS D’I~TAT 43
diatement envahis. Vieillards, jeunes gens, ouvriers, com-
merçants, viennerit s’inscrire en foule. u Des compagnies,
des bataillons, des régiments furent aussitôt constitués, les
armes et les équipements tout récemment arrivés d’Angle-
terre pour la Lettonie et la Lithuanie leur furent distribués
en totalité, mais pas d’uniformes, naturellement. A peine
réunies, armées, encadrées, c’est-à-dire en moins de deux
heures, les nouvelles unités ainsi formées étaient envoyées
au front, aux abords des faubourgs de Riga ou dansles
tranchées de seconde ligne... E t ces unités nouvelles, où l’on
voyait des jeunes hommes, des hommes faits, des vieillards
à cheveux blancs et des enfants pas plus hauts que leurs
fusils, traversaient la ville en bon ordre, musique en tête,
et tous chantaient des chœurs patriotiques, tandis que le
canon grondait de tous côtés et que les obus commençaient
d’arriver sur la ville l. D
Toute la nuit, le combat fait rage, d’autant plus dur pour
les troupes lettonnes que leurs positions sont violemment
bombardées par l’aviation allemande. Pourtant elles par-
viennent à contenir l’offensive germano-russe, à douze kilo-
mètres en avant de Riga.
Le 9 octobre, au matin, les Lettons contre-attaquent et
réussissent à reprendre une partie du terrain perdu la veille.
Mais dépourvus d’artillerie et de mitrailleuses, ils ne peuvent
conserver leurs positions. Gut-Romansdorf est enlevé dans
la soirée et les Lettons sont obligés de se replier jusqu’aux
lisières des faubourgs de Riga, sur la rive gauche du fleuve.
Le 10 octobre, à midi, les Allemands s’étant rendus maîtres
de toute la rive gauche de la Düna - d’Uxküll jusqu’à
Dünamünde - un violent bombardement s’ouvre au tra-
vers du fleuve. Pris SOUS le feu des mitrailleuses allemandes,
les navires français et anglais se retirent en aval et vont jeter
l’ancre en face de Bolderaa, à l’embouchure de la Düna.
Le 11 octobre, Bermondt invite le gouvernement letton
à conclure un armistice. Une conférence a lieu entre Ulma-
nis et les missions militaires alliées. Mais, d’une part, Jude-
nitsch a publié l’avant-veille un ordre du jour déclarant le
colonel Bermondt (( traître à la patrie 1) pour avoir enfreint
ses ordres2 et pour avoir entrepris de sa propre autorité
1. Lieutenant-colonel Du PARQUET, L’Aventure allemande en Lemnie, p. 169.
2. II s’agit du rehs de Bermondt de B’embarqiier pour Narwa avec ie prince
de Lieven.
44 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMAN D E

des opérations militaires contre les troupes lettonnes; de


l’autre, les Alliés, exaspérés par une lutte qui menace de
s’éterniser au mépris de tous les traités, affirment qu’il faut
en finir une fois pour toutes avec (( l’aventure balte D. Aussi
le gouvernement letton répond-il au (( Commandant en chef
de l’Armée russe de l’Ouest qu’il refuse catégoriquement de
traiter avec lui.
En possession de la réponse d’ulmanis, Bermondt pro-
clame (( que le peuple letton a signé son propre arrêt de mort »,
et ordonne à ses troupes de ne plus faire de quartier. La
lutte finale qui s’engage sera d’une férocité inouïe. Elle
ne se terminera que par l’anéantissement d’un des deux
adversaires.
III

L’ÉQUIPÉE ALLEMANDE
DANS LES PAYS BALTES

III. - La défaite et le reflux.


Les 11, 12 et 13 octobre, le bombardement de Riga conti-
nue. Nuit et jour, les obus de 105 pleuvent sur la ville, cau-
sant de nombreuses victimes parmi la population civile l.
La mission interalliée est obligée de se retirer à Wenden, où
se sont déjà réfugiés les principaux services du gouverne-
ment letton.
Le 13 octobre, les Allemands, voulant installer de l’ar-
tillerie lourde i Dünamünde pour intensifier le bombarde-
ment, demandent aux vaisseaux alliés de se retirer vers le
large, afin de ne pas &re pris sous le feu de leurs canons.
La situation de l’armée lettonne devient de plus en plus
alarmante. Toute la rive gauche de la Düna est au pouvoir
des Allemands et un mouvement de grande envergure se
dessine en direction de Jacobstadt. L’entrée de Bermondt à
Riga ne semble plus qu’une question d’heures. Une vague
de découragement passe sur l’armée lettonne. A quoi bon lut-
ter plus longtemps contre un ennemi si supérieur en nombre
e t dont la fureur belliqueuse semble croître de jour en jour?
Les Alliés se rendent compte qu’à moins d’un miracle
l’armée lettonne va être complètement anéantie. Seule, une
intervention rapide de.leur part pourrait encore conjurer le
désastre. I1 sufirait qu’un incident leur en fournît le pré-
texte.
1. Les obus tombent en moyenne à la cadence de 100 par jour et de 50 par
nuit. On peut se faire une idée des souffrances endurées par la population de Riga,
quand on sail que 1û ville qui comptait 500.000 habitants avant la guerre, n‘en
comptera plus que 180.000 au début de 1920.
46 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

Cet incident ne se fera pas attendre longtemps. Car, dans


la soirée du 14, des canons allemands ouvrent le feu par
méprise sur une chaloupe britannique. Désormais, la déci-
sion de l’amiral Cowan, commandant de l’escadre anglaise
de la Baltique, est prise : puisqu’un acte d’agression a été
commis sur la flotte de Sa Majesté, il se considère en guerre
avec Bermondt e t se range délibérément du côté des Let-
tons l. Le capitaine de vaisseau Brisson prend le commande-
ment des navires français e t anglais embossés à l’embouchure
de la Düna et, le 15 octobre, à 13 heures, le croiseur cuirassé
anglais Dragon, soutenu par les canons des quatre avisos
français Lestin, Garnier, Marne et Aisne, ouvre le feu
sur les positions allemandes.
E n entendant le tonnerre des pièces de marine qui com-
mencent à pilonner les avant-postes allemands, les régi-
ments lettons reprennent brusquement courage. (( L’ouver-
ture du feu par les navires alliés, écrit le lieutenant-colonel
Du Parquet, fut le stimulant, le coup de fouet, qui réveil-
lèrent les énergies un moment déprimées. Les premiers coups
de canon anglais et français déterminèrent parmi les troupes
et dans la population un enthousiasme extraordinaire :puisque
les Alliés se mettaient de la partie ...la victoire était assurée2. ))
Soutenu par le feu des navires alliés, un bataillon letton,
massé à Mühlgraben, traverse la Düna sur des chalands e t
occupe sans coup férir Dünarnünde et le village de Boldcraa.
Les Russes qui s’y trouvent jettent leurs armes et sc reiidcnt
en masse. Les Lettons font 200 prisonniers et prennent
1 canon, 15 mitrailleuses, 1 station de T. S. P., une quantité
considérable de matériel de guerre. C’est leur premier suc-
cès depuis le début de la campagne.
Au cours de l a nuit, des troupes de renfort lettonnes
débarquent à Bolderaa e t occupent, sur la rive gauche de la
Düna, un nouveau front qui s’étend de l’embouchure de
1’Aa de Courlande jusqu’à 7 kilomètres au sud-ouest de
Dünamünde.
1. Du c6té allemand on conteste cet incident. D’aprés les documents publiés
CU 1937-1938 par le ministère de la Reichswehr, l’Amiral commandant la flottc
anglaise de la Baltique aurait sommé a le Commandant des forces allemandes a
Dünamünde et i Mitaur d’évacuer ces localités avant le 15,à midi. Cet ultimatum
n’ayant pas été suivi d‘effet, des bitiments britanniques e t français battant pavil-
lon letton auraient bombardé Dünamünde et y aumient débarqué un fort contin-
gent de Lettons, appartenant h la Division de Latgalc. (Naehkriegskümpfe, III,
p. 104-105.)
2. Lieutenant-colonel Du PmQuwr, L’Aventure allemande en Lettonie, p. 183.
48 HISTOIRE D E L’ARYÉE ALLEMANDE

Désorientées un moment par le feu des canons alliés, les


divisions germano-russes cherchent à reprendre le terrain
perdu. Le 18 octobre, elles tentent une attaque sur Buschhof,
au sud de Kreuzburg. Celle-ci échoue. Irrités par la défense
obstinée des Lettons, les Allemands cherchent alors à forcer
le passage de la Düna à Friedrichstadt, mais sans plus de
succès. L‘attaque, renouvelée trois fois au cours de la jour-
née du 19, est repoussée avec des pertes sévères.
Pendant ce temps, l’État-Major letton concentre des forces
toujours plus nombreuses sur la rive gauche de la Düna.
Le 3 novembre, le colonel Ballodis, nommé commandant
en chef de l’armée lettonne, ordonne à ses troupes de procéder
à l’attaque méthodique des faubourgs ouest de Riga. Ainsi
s’amorce une opération qui prendra, au cours des journées
suivantes, une extension de plus en plus considérable et se
terminera, le 11 novembre, par la bataille de Thorensberg.

Mais tandis que l’offensive du colonel Ballodis se déve-


loppe en avant de Riga, un facteur nouveau vient seconder
l’ardeur de la jeune armée lettonne. C’est l’Entente, encore,
qui intervient au sud, comme elle est déjà intervenue au
nord et à l’ouest. E t cette intervention n’est pas faite, cette
fois-ci, de cuirassés, d’avisos, de troupes et de canons, mais
de l’indomptable énergie d’un chef énergique entre tous :
le général Niessel l.
Son action, commencée à Berlin, continuée à Tilsitt et à
Schaulen, va saper dans ses bases les efforts de l’Allemagne
pour soutenir et ravitailler les corps francs de Courlande.
Endigués à l’est par le front bolchévique, harcelés au nord
et à l’ouest par les régiments lettons, ceux-ci voient à pré-
sent un ennemi nouveau se dresser dans leur dos : ils sont
pris désormais comme dans une souricière, tandis que le
terrain sur lequel ils luttent se rétrécit de jour en jour.
Dès son arrivée à Berlin, au début de novembre, le général
Niessel a fait savoir à Noske et au gouvernement du Reich
que les Alliés refusent de reconnaître la naturalisation russe
des anciennes troupes de von der Goltz et exigent leur retour

1. Lieutenant-colonel Du PARQUET,
op. cP., p. 199.
L’ÈRE D E S COUPS D’ÉTAT 49
immédiat en Allemagne l. De ce fait, les Allemands se voient
obligés de nommer un nouveau commandant en chef des
troupes allemandes de la Baltique :c’est le général Eberhardt.
On lui adjoint, comme chef d’Etat-Major, le commandant
von Fritsch, attaché jusqu’ici à 1’Armee Oberkommando Nord.
Le 5 novembre, le général Eberhardt envoie un ultima-
tum au commandant Bischoff, lui enjoignant de liquider
l’entreprise balte, faute de quoi le gouvernement du Reich
se verra dans l’obligation de lui couper les vivres 2. Les ofTi-
ciers de la Division de Fer sont indignés, et répondent le
7 novembre par un refus catégorique. Malgré les revers qu’ils
viennent de subir, les volontaires de Courlande ne sont pas
près de lâcher prise.
(( C’est alors, écrit Ernst von Salomon, q.ue Rossbach vint

à nous. Ce fut à Weichsel, où il faisait partie du Grenzschutz,


que notre appel lui parvint. I1 refusa l’obéissance au gou-
vernement du Reich et partit pour la Baltique avec son
corps de volontaires. Sur l’ordre de Noske, un détachement
de Chasseurs de la Reichswehr lui barra la route. Mais les
Chasseurs se joignirent à Rossbach. Ses troupes traversèrent
la Prusse-Orientale et arrivèrent à la frontière. Là, ils bous-
culèrent les formations qui la gardaient et entrèrent en
Lithuanie. Des détachements furent dépêchés pour s’oppo-
ser à leur passage; au cours de brefs combats, Rossbach e t
ses hommes les balayèrent. Ils arrivèrent à la ligne de che-
min de fer qu’ils remirent en état, et l’utilisèrent pour se
rendre à Mitau 3. D
Le 9 novembre, les 1.500 hommes de ce corps franc défilent
à travers les rues de Mitau, avec leur étendard de soie noire,
brodé d’un R d‘argent. Leur arrivée suscite un espoir immense
chez les Allemands. Voici un an, j o u r pour jour, que la révo-
lution éclatait à Berlin et à Kiel. Le moment n’est-il pas
venu de venger cet outrage et de laver le souvenir humiliant
de la défaite?
Or, voici que l’on apprend à Mitau que la Division de
1 . Le énéral NIESSEL a relaté les péripéties de sa mission dans son livre inti-
tulé : L’&ncuation des pays baltiques par les Allemands, (Paris, 1935).
2. Dès le l e r novembre, Noske avait publié l’ordonnance suivante : E n vertu
de la loi sur l’éfat de siège d u 4 juin 1851, tout soutien a p p r î é auz gouvernemenls
et aux troupes se trouvant dans les provinces balles est interdit, en particulier le
recrtrfenienf, l’envoi de malériel, d’armes et de vitres. Les confretannnls seronf pas-
sibles d‘une peine de prison allanf jrrsqu‘à un air, pour autant p ’ ï < peine ~ plus
forte n’csf pas prévue par les lois actuellement en vigueur.
3. Ernst von SALOMON,Les Réprouvés, p. 119.
Il c
50 HISTOIRE D E L’ARMÉE -4LLEMANDE

Fer vient de subir un nouvel échec devant Thorensberg et


que certains de ses éléments sont encerclés dans la ville.
Sans perdre un instant, le corps franc de Rossbach s’avance
par marches forcées, ramassant au passage les troupes en
déroute, et tombe sur les Lettons après une course effrénée,
à très peu de distance de Thorensberg. (( Sans rompre leur
ordre de marche, ils se préparèrent à l’attaque et, pour la
première fois dans la Baltique, on entendit les clairons alle-
mands sonner l’assaut. Rossbach s’élança. I1 foiidit sur les
Lettons enivrés de leur victoire et, d’une poussée irrésistible,
il pénétra jusqu’au cœur de la ville, mit le feu aux maisons
et se heurta bientôt à des colonnes serrées. I1 les dispersa
et délivra les troupes encerclées qui luttaient avec l’énergie
du désespoir dans cette situation sans issue. Mais Thorens-
berg n’en f u t pas moins perdu pour nous l. 1)
Le lendemain, 10 novembre, les Lettons reprennent l’offen-
sive. Progressant vers le sud, l’aile droite du colonel Bal-
lodis avance jusqu’à Schwarzenhof, tandis que le centre
s’empare de Lindeiiruch. Enfin, le 11 novembre, après des
combats acharnés dans les rues de Thorensberg, les Lettons
se rendent entièrement maîtres de la ville. Leur butin s’élève
à 12 canons, dont 2 lourds, 97 mitrailleuses, 15 lance-mines,
6.000 obus, 2.000 mines, 26 voitures, G cuisines roulantes,
11O chevaux, 80 appareils téléphoniques, 2 projecteurs e t
uiie grande quantité de fusils et de cartoiiclies.
Le 12 novembre, les forces gcrinano-russes de Bermoiidt-
Awaloff sont rejetées des lignes qu’elles occupaient avant
le 8 octobre 2. Bien que les Allemands battent partout en
retraite, les Lettons sont obligés de s’arreter pour repren-
dre soufile. N I1 leur était dificile de faire plus pour le moment,
dit le lieutenant-colonel Du Parquet. Noublions pas que
ces troupes étaient formées en majeure partie de jeunes
recrues, hâtivement armées (je ne dis pas habillées), et jetées
dans la fournaise. I1 est admirable d’avoir pu obtenir un
résultat pareil dans de pareilles conditions. La bataille de
Thorensberg montre ce que peuvent le patriotisme et l’idée
de lutte pour l’existeiice e t la liberté3. N
1. Ernst von ÇALOXON, op. cit., p. 119-120. De son côté, le lieutenant-colonci
Du Parquet écrit, en parlant des Allemands : a L’ennemi fit preuve de beaucoup
de bravoure. A Thorensberg, un officier resta seul et servit sa mitrailleuse jus-
qu’à ce qu’il fût tué sur sa pièce. I (L’Aventure aUemande en Leftonie, p. 195.)
2. C’est-à-dire avant le commencement de l’offensiva.
3. Lieutenant-colonel Du PARQUET, op. cit., p. 196.
L’ÈRE D E S COUPS D’ÉTAT 51

+ +

Tandis que les canons et les munitions envoyés par les


Alliés s’accumulent à Libau et à Riga, du côté allemand
le matériel et les vivres diminuent de jour en jour. Division
de Fer et Légion allemande ne sont plus que des bandes
en haillons qui luttent pour retenir une dernière parcelle de
la terre qui leur a été promise.
(( Les premiers jours de novembre, écrit l’auteur des
Réprouvés, amenèrent un froid coupant et des rafales de
neige. Nous nous enveloppions le corps avec de vieilles loques,
les jambes et le cou dans des cache-nez en lambeaux et
nous étions plus couverts de poux que jamais. Nous patau-
gions dans des trous remplis de neige et nous rampions
sous des bois blancs, profonds et calmes. Nous n’avions rien
pour faire la soupe, car les rares pommes de terre que nous
possédions étaient gelées ... Nos blessés étaient atteints de
gangrène et mouraient. Nous avions bien un médecin, mais il
avait à combattre et nous n’avions ni bandes de pansement
ni médicaments ... Pourtant, nous aurions assommé comme
un traître quiconque nous eût invités à rentrer en Allemagne,
selon les ordres du Reich 1. ))
Le 12 novembre, la progression lettonne, un moment sus-
pendue, reprend sur tout le front. La 3’3 division de Latgale
s’einpaite de Schlock. La 2e division de Courlande atteint
la voie ferrée Mitau-Friedrichstadt, tandis que la I r e division
de Livonie, opérant sa jonction avec les deux groupes pré-
cédents, prend position à cinq kilomètres au sud-ouest de
Friedrichstadt. Alors, comme une bête aux abois, l’armée
germano-russe donne de tous côtés de formidables coups
de tête. Le 15 novembre, une action d’envergure est tentée
sur Libau.
K Encore une fois, nous dit Ernst von Salomon, nous
nous relevâmes et prîmes l’offensive sur tout le front. Encore
une fois, nous entraînâmes jusqu’au dernier de nos hommes
hors des abris et fonçâmes dans les bois. Nous étions enragés.
Nous chassions les Lettons comme des lièvres à travers
champs, nous incendiions toutes les maisons, nous réduisions
en miettes tous les ponts jusqu’au dernier pilier, nous abat-

I. b a t von SALOYOII, LU fibprOU&8, p. i l a .


52 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

tions tous les poteaux télégraphiques. Nous jetions les cada-


vres au fond des puits et nous lancions des grenades par-
dessus. Nous voyions rouge. Rien des3 sentiments humains
ne subsistait en nous... Partout où nous passions, il ne res-
tait que des décombres, des cendres, des débris de bois rou-
geoyants comme un large ulcère sur les champé dévastés.
Des drapeaux de fumée noire jalonnaient notre route. Nous
avions allumé un bûcher où il n’y avait pas que des objets
inanimés qui brûlaient : nos espoirs, nos aspirations y brû-
laient aussi, les lois de la bourgeoisie, les valeurs du monde
civilisé, tout y brûlait, les derniers vestiges du vocabulaire
e t de la croyance aux choses et aux idées de ce temps, ce
bric-à-brac poussiéreux qui traînait encore dans nos cœurs1. ))
On croirait que toute l’obstination et le désespoir de l’Alle-
magne se concentrent, à la périphérie de l’Europe, dans
cette poignée de volontaires qui luttent, avec une énergie sau-
vage, pour échapper à la mort 2. Le bombardement des posi-
tions lettonnes commence le 14 novembre et une première
attaque se déclenche à 20 heures. Le bombardement reprend
le 15, à 3 heures du matin. Une seconde, puis une troisième
attaque suivent le bombardement. Mais, ici encore, l’assaut
des volontaires allemands se brise contre une volonté plus
forte que la leur. En approchant de Libau, ils sont pris
sous les rafales du garde-côte anglais Hercules, dont les pièces
de gros calibre font de larges brèches dans leurs rangs.
Les Allemands sont obligés de se replier sur Prekuln, en
abandonnant sur le terrain leurs morts et leurs blessés.
Le 16 novembre, après Thorensberg et Friedrichstadt,
Bauske tombe à son tour entre les mains des Lettons, à la
suite d‘un combat sanglant au cours duquel le capitaine de
vaisseau Sievert, chef de la Légion allemande, est tué. Dans
la nuit du 18 au 19 novembre, malgré les protestations de
certaines unités, qui considèrent ce geste comme une capi-
tulation, l’Armée des volontaires de l’Ouest, épuisée par les
pertes qu’elle vient de subir, fait savoir qu’elle se replace
sous le commandement des autorités allemandes. Le général
Eberhardt, qui s’est transporté le 16 novembre de Tilsitt
à Schaulen, entame aussitôt les négociations avec le gouver-

1. Ernst von SAI.OUOU, op. cit,, p. 121.


2. a Une arcelle de i’esprit qui rdgne ici sufirait pour refaire de l’Allemagne
un grand &at B, s’brie le capitaine Sievert, quelques heures avant sa mort. (Cité
par von der COLTZ,A& polirischer General rm Osfen, p. 282).
L’ARE DES COUPS D’ÉTAT 53
nement letton. Le 19 novembre, à minuit, voulant sauver
les corps francs d’une extermination totale, il demande une
trêve d’armes pour négocier un armistice l.
Mais les divisions lettonnes progressent sur toute la ligne.
Le 20 novembre, elles arrivent aux portes de Mitau. Ulmanis
craint de mécontenter la nation et l’armée s’il empêche cette
dernière de profiter jusqu’au bout de sa victoire. Alléguant
que les mesures sont déjà prises pour l’attaque e t qu’il est
trop tard pour les contremander, du fait de l’étendue du
front a, le gouvernement lett.on répond au général Eber-
hardt qu’il ne peut donner suite à sa demande et que la
prise de Mitau aura lieu dans les conditions prévues.
t
+ *

L’attaque se déclenche le 21 novembre, à l’aube, après


un violent bombardement. Les Allemands se cramponnent
désespérément à cette dernière citadelle de Courlande, où
ils ont entreposé des quantités énormes d‘armes et de muni-
tions. Toute la journée la bataille fait rage, d‘abord aux
alentours, puis dans les rues de la ville. Lettons e t Alle-
mands s’étreignent en un corps à corps furieux. Longtemps
la lutte reste indécise. Mais à la tombée du jour, sentant
qu’il va falloir abandonner la place, les Allemands mettent
le feu partout - aux écoles, à la mairie, aux casernes, au
château. Mitau n’est plus qu’une torche immense dont les
reflets colorent la neige à plusieurs kilomètres à la ronde.
Avant de se replier, les corps francs briîlent leurs derniers
stocks de munitions : plus de 10.000 fusils neufs et des
monceaux de cartouches. Deux heures plus tard, les régi-
ments du colonel Ballodis sont maîtres de la ville. Malgré
la destruction systématique pratiquée par les Allemands, les
Lettons s’emparent d’un butin considérable : 20 canons, près
de 12.000 obus, 1 train blindé, 5 bateaux blindés armés de
canons ct de mitrailleuses, plus de 200 wagons, 2 locomotives,
plus de 10.000 grenades à main, 30 camions et du matériel
d’aviation.
1. De son côté, le général Niessel confirme, le 20 novembre, la demande du
général Eberhardt et demande B la mission française de faire pression sur le colo-
nel Ballodis pour obtenir la suspension des hostilités.
2. Le front s’étendait, B ce moment, sur plus de cent kilomètres et lea commv
nications &aient îrb mauvaisea.
54 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

A présent, c’est la retraite dans toute son horreur. a E n


arrière! E n arrière! N Ce cri monotone se répète le long des
colonnes grises qui se replient vers le sud-ouest, sous
les bourrasques de neige, suivies de longues files de char-
rettes aux essieux grinçants où s’entassent les malades e t
les blessés. Toute la nuit, les formations défilent, comme
une armée de spectres, parmi le ronflement des tracteurs
e t le hennissement des chevaux.
Le lendemain et le surlendemain, la retraite continue. Les
troupes du corps fraric de Rieckhoff sont en pleine déroute.
Celles qui occupent la région de Tukkum sont battues à
leur tour et se retirent en toute hâte vers Frauenburg, après
avoir réquisitionné tous les chevaux e t toutes les voitures
de la région. L’évacuation du secteur de Libau se poursuit
jusqu’à Prekuln.
Une €ois de plus, l’antique ‘I( route de l’ambre x retentit
du tumulte des troupes, cette rumeur, toujours la même,
entremêlée de coups de feu, de râles et de gémissements.
Des détachements entiers sont fauchés par les obus lettons.
La Division de Fer, forte de 10.000 hommes au début de
la campagne, n’en compte plus que 5.800. Les Hambourgeois,
qui formaient, à leur arrivée, un bataillon de 600 hommes,
ne sont plus que 24, commandés par un lieutenant.
Le 23 novembre, Ulmanis se décide enfin à répondre à
la demande d’armistice formulée par le général Niessel et
explique en ces termes les raisons de son refus :
Prenant en considération que les Allemands, même après la
prise de Mitau, continuent leurs contre-attaques, n’évacuent le
territoire de la Lettonie qu’après être battus et même, en se reti-
rant, détruisent les biens de la population civile,
Je suis obligé, pour assurer la sécurité et sauvegarder les biens
du peuple letton, de poursuivre sans relâche l‘ennemi,jusqu’à la
frontière lettonne, brisant les résistances et les contre-attaques
allemandes ...
Cependant, le 24, sur une nouvelle demande de la mission
alliée, le commandant en chef de l’armée lettonne prescrit
une trêve de quarante-huit heures. Les seules portions du
territoire encore occupées par les Allemands sont la région
de Gross-Autz e t de Alt-Autz, sur la ligne de Mouravievo, à
50 kilomètres au sud-ouest de Mitau, e t la région au sud
de Prekuln allant jusqu’à la frontière.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 55
Le général Niessel exige que l’évacuation s’effectue suivant
un plan méthodique. Mais il a toutes les peines du monde
à faire respecter ses décisions, tant par suite du mauvais
vouloir des autorités militaires allemandes, qu’en raison de
l’esprit de révolte qui gronde au sein des corps francs l.
Malgré l’énergie dont il fait preuve, l’évacuation n’est pas
terminée le 26 novembre, date à laquelle expire la suspension
d’armes. Aussi le colonel Ballodis ordonne-t-il à ses troupes
de reprendre la poursuite.
Trois jours plus tard, les dernières formations allemandes
arrivent enfin à la frontière de Lithuanie. Le 30 novembre
à minuit, la Courlande est entièrement libérée.
t
* L

Une fois parvenus sur le territoire lithuanien, les corps


francs reprennent soume, se rassemblent et se dénombrent.
Mais ils n’ont guère le temps de se reposer, car le général
Niessel a fixé au 13 décembre la date extrême à laquelle
toutes les formations allemandes devront avoir rejoint la
Prusse-Orientale. Aussi, les corps francs reprennent-ils leur
mouvement de retraite, suivis pas à pas par les divisions
lithuaniennes qui ont l’ordre de les attaquer s’ils se trouvent
encore sur leur territoire, passé les délais prescrits.
Mais, au fur e t à mesure qu’ils se rapprochent de la Prusse-
Orientale, les volontaires de la Baltique sentent croître leur
colère à l’égard de leur gouvernement. Aucun des engage-
ments pris envers eux n’a été tenu. Ce sont eux qui ont
chassé les Bolchéviks de Courlande, mais leur victoire n’a
profité qu’aux Lettons et aux Anglais. Bernés par les agents
recruteurs du Reich qui leur avaient promis des terres à
coloniser, trahis par Ulmanis qui avait confirmé solennelle-
ment cette promesse, ils ont été trompés en outre par Ber-
mondt-Awaloff, qui a fait miroiter devant leurs yeux
des espérances chimériques. Alors qu’ils étaient (( les der-
niers soldats allemands à déposer les armes devant l’enne-
mi »,et qu’ils luttaient comme des forcenés (( pour sauver
sept cents ans d’expansion germanique »,leur propre gou-

1. a Rempli de solliciiude pour nous, écrit Ernst von Salomon, le gouvernement


allemand délégua un de ses généraux, avec la mission de ramcner les troupes
de la Baltique au sein de la patrie. Nous jetâmes des grenades sous son wagon-
d o n . B (Les Réprourb p. 120.)
56 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

vernement leur a porté u n coup de poignard dans le dos,


aussi mortel que celui des extrémistes en 1918. I1 les a
saignés à blanc en leur coupant les vivres, en défendant à
leurs compatriotes de leur envoyer des munitions, e t en
donnant l’ordre de tirer sur tous ceux qui franchiraient la
frontière pour venir à leur secours l. Aussi vouent-ils une
haine féroce aux parlementaires de Weimar, une haine qui
ne prendra fin qu’avec ce régime exécré.
De leur côté, les autorités du Reich ne sont pas peu
effrayées par le retour des régiments de Courlande. Malgré les
pertes qu’ils ont subies, leurs effectifs s’élèvent encore à
plus de 20.000 hommes, - 20.000 hommes que l’on dit prêts
à se déverser sur l’Allemagne comme u n torrent de fer e t
de feu 2. La Reichswehr sera-t-elle assez forte pour les
contenir? Ne vaudrait-il pas mieux les aiguiller vers Memel
et les cantonner aux confins de la Prusse-Orientale, où des
casernements ont été préparés pour les recevoir?
Mais le général Niessel s’oppose à ce projet. I1 pense, non
sans raison, que si la Division de Fer et la Légion allemande
restent en Prusse-Orientale, elles n’auront qu’une idée :repar-
tir à la conquête de la Lettonie. I1 faut liquider cette affaire
une fois pour toutes. Les formations de la Baltique devront
rentrer en Allemagne, pour y être dissoutes.
A cet effet, le colonel Dosse, chef d‘État-Major du géné-
ral Niessel, adressc au général Eberhardt une note spécifiant
u qu’aucune troupe ni aucun élément isolé ne devront sortir
des provinces baltes autrement que par voie ferrée, ce qui
ne modifie en rien la date limite d’évacuation, fixée au
13 décembre ». Une fois arrivés aux postes-frontière, les
volontaires devront remettre leurs armes aux détachements
de la Reichswehr.

+ *

Lentement, les convois roulent vers la frontière allemande,


tandis que des bataillons de la Reichswehr, de plus en plus
nombreux, montent à leur rencontre pour leur enlever leurs

1. Cf. Général von der GOLTZ,A b polifisclier General im Osten,.q. 156. I1 faut
lire le dernier chapitre de ce livre pour se faire une idée de la vio.ence des sen-
timents qui animaient les volontaires allemands ti l’égard de leur propre gouver-
nement, lors de leur retour en Allemagne.
2. NOSKE.. Von KÙl bis Kapp, p. 183.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 57
fusils, leurs équipements et leurs chevaux. Le dernier acte
de la tragédie se prépare.
Comment les corps francs vont-ils se comporter à l’égard
des bataillons gouvernementaux? Va-t-on voir l’armée se
dresser en deux camps opposés, prêts à s’entre-tuer sur un
ordre de leurs chefs? Mais au dernier moment, les événements
prennent une tournure inattendue. Malgré l’engagement for-
mel de s’embarquer par chemin de fer, une grande partie
de la Division de Fer se met en route par voie de terre.
E n arrivant à la frontière, elle rencontre les détachements
de la Reichswehr venus pour la désarmer. Alors, fonçant à
travers champs, elle bouscule le cordon de troupes gouver-
nementales et franchit la frontière avec armes et bagages.
D’autres formations imitent son exemple et échappent au
contrôle des Commissions de désarmement.
Pour les volontaires, cette dernière humiliation est peut-
être la plus amère de toutes. Se peut-il que les autorités du
Reich aient donné l’ordre aux officiers de la Reichswehr de
les traiter comme des rebelles 1 T Se peut-il que les officiers
aient accepté, sans protester, de désarmer leurs anciens
compagnons d’armes, et cela - circonstance aggravante -
en présence e t sous le contrôle d’officiers de l’Entente?
En partant pour la Courlande, les volontaires de la Bal-
tique avaient voulu faire peau neuve et oublier la défaite. Ils
avaient espéré briser tous les liens qui les rattachaient à
l’Allemagne vaincue. A présent, ils s’aperçoivent qu’ils ont
fait fausse route. Ce n’est pas aux confins de l’Europe qu’il
f a u t se créer une patrie nouvelle : c’est le Reich lui-même
qu’il s’agit d‘éventrer, pour le reconstruire de fond en comble.
Ils sont animés d’une sorte de nihilisme exacerbé et, si leurs
chefs le leur commandaient, ils marcheraient droit sur Ber-
lin, en une ruée folle, comme ils ont marché jadis sur Mitau
et sur Riga2.
1. Les Socialistes voulurent, un moment, faire passer le commandant Bischoff
et les chefs de la Légion allemande devant un conseil de guerre, mais Noske s’y
opposa.
2. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre l’ordre du jour du 13 décembre,
adressé par Rossbach aux hommes de son corps franc :

Camaraùessoùida, ‘
Lc temps de notre séjour en Courlande et en Lithuanie est terminé. A présent,
now rentrons en Allemagne et MUS ignorons le sort qui nous y atlend ...
Je suis persuadé qu’au printemps, mua aurona d’aulrea devoirs à remplir. VOUS
demandez lesquels? c‘est un secret pow le moment, comme toute notre politique pi
58 HISTOIRE D E L ’ A R M ~ ~ EALLEMANDE

Mais comme tout leur paraît étrange dans cette Alle-


magne que la plupart d’entre eux avaient quittée en pleine
anarchie! Ils s’attendaient à retrouver l’Empire en fermen-
tation, les villes palpitantes d’inquiétude et vivant dans l’at-
tente de quelque événement grandiose e t terrible. Or, le
Reich semble calme, ses blessures se referment. La popula-
tion civile se résigne à son sort.
Comme des blessés épuisés par une trop grande perte de
sang, les corps francs désespérés se laissent dissoudre sans
opposer de résistance l. L’fitat-Major de la Division de Fer
est dirigé sur le camp de Münster, entre Berlin et Brême,
tandis que les officiers et les hommes sont dispersés en Pomé-
ranie et au Mecklembourg.
u E n somme, conclut Noske, l’affaire se termina beaucoup
mieux qu’on ne pouvait l’espérer z. n Les volontaires de la
Baltique sont absorbés par la terre allemande.
Mais le ministre de la Reichswehr a tort de croire tout
péril écarté, car la terre allemande ne les absorbera pas
longtemps.
doit restsr cachde aux AU&. Soyez wnfianta, et n’oubli= jamah pue w u êtes AUe-
mad.
Soldats allemands1 Je suis persuadd q m c ’ o u ne manquerez pap à l’obdissanee.
Je prends sur moi la responsabilitd de lous les &ea passis.
Vive la Pairie!
I.Pas tous, cependant. Le corps franc de Rossbach refusa de se laisser dissoudre
et publia l’annonce suivante, dans la Deuîsche Tageszeitung, du 23 décembre 1919 :
a Le détachement Rossbach fait connaftre qu’il a l’inlention de ne pas se dissoudre,
mais de continuer la vie en commun au service de particuliers qui wuriront bien
l‘employer dans un but d’intkrét national D.
2. Nossx, op. cit., p. 183.
IV

L’AGITATION RfiACTIONNAIRE
ET L E PROCES DU HAUT-COMMANDEMENT

Lorsqu’au début de juin 1919, le général Grœner avait


voulu se faire une opinion exacte de l’état d’esprit de la
population allemande, avant de se prononcer pour ou contre
la signature du traité de Versailles, il avait chargé quelques-
uns de ses officiers d’État-Major de se livrer à une enquête
dans les diverses régions du Reich. A leur retour, les messa-
gers avaient déclaré qu’il ne fallait pas compter sur un
soulèvement populaire et que le peuple paraissait prêt à
toutes les concessions, pourvu qu’on le laissât en paix e t
qu’on lui donnât suffisamment à manger
Or, ces affirmations correspondent à la réalité. Après
quatre années de guerre et h i t mois de révolution, le peuple
allemand, dans sa grande majorité, n’aspire qu’au repos.
Harassé par la lutte qu’il vient de soutenir et sous-alimenté
depuis des mois par les effets du blocus, il sent un besoin
pressant de refaire ses forces, de panser ses blessures. Les
paysans ont hâte de réparer leurs demeures, de labourer
leurs champs. Les ouvriers, de leur côté, sont retournés à leurs
ateliers. La lutte pour l’existence quotidienne suffira à absor-
ber toute l’énergie qui leur reste. Comme les soldats du
front au lendemain de l’armistice, qui accueillaient avec
faveur tout ce qui leur parlait de retour, bourgeois, ouvriers
et paysans entendent se consacrer désormais à la recons-
truction de leurs foyers.
Tout autre est l’esprit qui règne à l’intérieur de l’armée.
Pour leur part, les soldats sont écœurés par l’ingratitude du

1, Voir val. I, p. 344.


60 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

gouvernement. Tant que le Cabinet a eu besoin d’eux, il les


a comblés de promesses e t de bonnes paroles. Maintenant
qu’il peut se passer de leurs services, il se désintéresse de
leur sort. (( Le gouvernement e t la majeure partie de l’As-
semblée nationale, écrit le général Mærcker, trouvaient tout
naturel que les soldats fissent pour eux le sacrifice de leur
vie, au cours de combats atroces contre leurs propres com-
patriotes. Cela ne leur donnait droit à aucune récompense.
Les mercenaires ne faisaient qu’accomplir la tâche pour
laquelle ils étaient payés 1. n
A ces humiliations morales viennent s’ajouter un certain
nombre de vexations matérielles, dues à l’incurie et au mau-
vais vouloir des autorités civiles. L’habillement laisse gra-
vement à désirer. La nourriture est insuffisante. Les casernes
sont en mauvais état. Pourtant, toute amélioration des condi-
tions de logement est impossible, car les bâtiments neufs
ont été affectés aux services du ministère des Finances, dirigé
par Erzberger. C’est en vain que les généraux von Lüttwitz
et Mærcker interviennent auprès des pouvoirs publics : ils
se heurtent à une incompréhension absolue des besoins de
la troupe.
Le mécontentement des officiers n’est pas moins grand
que celui des honimes. L’abandon de l’étendard impérial
noir-blanc-rouge leur semble une trahison envers leurs cama-
rades tombés au champ d’honneur. Ils n’arborent pas sans
répugnance les nouvelles cocardes aux couleurs républi-
caines. A ces motifs patriotiques s’en joignent d’autres, assu-
rément moins désintéressés : questions de préséance et désirs
d’avancement. Or,Erzberger - qui semble s’ingénier à exas-
pérer les milieux militaires - s’oppose à tout avancement
comme à toute augmentation de solde, alléguant que le
budget ne pourrait supporter les charges supplémentaires
qui en résulteraient. Mais comme les officiers voient le gou-
vernement se lancer dans des dépenses tout à fait inutiles,
ils interprètent cette interdiction comme le désaveu impli-
cite de tous les services qu’ils ont rendus depuis le 9 novembre
1918.
C’est dans cette atmosphère déjà tendue que l’on apprend
qu’ilvafalloirréduirel’arméeà200.000,puisà100.000hommes
et que 300.000 volontaires vont se trouver sur le pavé. La

1. Général MZRCKER, Vom Kaiserher zur Reichswehr, p. 317.


L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 61
situation des soldats est d’autant plus précaire que le
gouvernement ne fait rien, ou à peu près, pour faciliter
leur reclassement l. Dans les cours des casernes, soldats e t
sous-officiers tiennent des meetings de protestation 2. L’agi-
tation, déjà sensible en juillet e t en août, atteint, au cours
de l’automne, des proportions inquiétantes.
Tout cela ne facilite guère la tâche des chefs de corps. Les
24 brigades de la Reichswehr provisoire doivent être rame-
nées à 10 dans un délai de six mois, et c’est aux généraux
qu’incombe le soin de procéder aux premiers licenciements.
a Les effectifs du corps des Chasseurs volontaires s’élevaient
à 19.600 hommes, écrit le général Mærcker. Comme le traité
de Versailles ne m’autorisait à en garder que 8.934, il fallait
congédier la moitié des soldats. J’ordonnai à toutes les unités
de réduire graduellement leurs effectifs, en ne conservant
que les meilleurs éléments 3. ))
Une armée va mourir, une autre va naître. La liquidation
de la Reichswehr provisoire suit, à un an de distance, la disso-
lution de l’armée impériale. Et, comme en décembre 1918,
la politique s’infiltre de nouveau dans la troupe. Les Spar-
takistes recommencent leur propagande dans les casernes.
Pour empêcher que les régiments ne se laissent contaminer,
Noske ordonne aux chefs de corps de changer très souvent
leurs unités de garnison, de sorte que, pendant toute la
seconde moitié de 1919, l’Allemagne est sillonnée de régi-
ments en marche qui passent de ville en ville, semant sur
leur passage une atmosphère de fièvre et parfois de sédition.

+ +

Quant à l’gtat-Major, il ne voit pas sans appréhension la


dissolution de la Reichswehr provisoire, car son pouvoir va
s’en trouver singulièrement amoindri. Ne plus commander
qu’à 100.000 hommes, quand on a tenu en main un peuple
de 65 millions d’habitants, ne sourit guère aux généraux.
I. Le générai von der Golts a attiré l’attention des autorités allemandes sur
la nécessité de trouver, à l’intérieur du pays, des possibilités d’établir les volon-
taires licenciés. Mais le gouvernement ne fait rien pour résoudre ce probléme.
2. Interrogés par le général Mærcker sur les motifs de leurs réunions, les hommes
de confiance de son corps lui répondent : II Le service dans la Reichswehr n’olfre
aucune chance d’avenir. Le gouvernement ne fait rien pour nous... Dès qu’on
n’a plus besoin de nous, on nous flanque B la porte. II vaut mieux chercher t o u t
de suite un autre métier. B (M.cncxm, op. c k , p. 321.)
3. Général M B R C K E n , op. cit., p. 297.
62 HISTOIRE DE L’ARM$E ALLEMANDE

Dès le lendemain du jour où Ebert a informé le Conseil


suprême que l’Allemagne acceptait les conditions des Alliés,
c’est-à-dire le 24 juin dans l’après-midi, une grande confé-
rence des chefs militaires a lieu à Berlin. Noske y assiste,
ainsi que le colonel Reinhardt, ministre de la Guerre de
Prusse. Mais depuis quarante-huit heures, l’ancien gouver-
ne Ur de Kiel a perdu beaucoup de son prestige aux yeux des
ofhiers. L’avant-veille encore, le général Mærcker lui assu-
rait : (( Monsieur le Ministre, mes Chasseurs et moi-même
sommes prêts à nous faire hacher pour vous D, et les membres
du Grand Rtat-Major le considéraient comme (( l’homme qui,
sorti du peuple, s’était élevé au rang de héros national, de
sauveur de l’Allemagne )) l. A présent, ils ont l’impression
de s’être trompés sur son compte : Noske n’est après tout
qu’un politicien comme les autres. Ils l’avaient investi de
leur confiance, espérant qu’il en profiterait pour prendre le
pouvoir et instaurer une dictature. Au dernier moment, il
s’est dérobé et a préféré s’incliner devant la volonté des
parlementaires.
Aussi la réunion prend-elle rapidement le caractère d‘une
mise en accusation. Dès le début de la séance, le général
von Lüttwitz fait part à Noske de la déception des officiers,
en le voyant capituler devant l’Assemblée nationale.
- En t a n t que représentant de l’armée, lui dit le com-
mandant en chef des troupes de Berlin, vous auriez dû vous
désolidariser du Cabinet, car vous vous etes mis en contra-
diction avec les milieux militaires.
- Le gouvernement civil, répond Noske avec colère, n’a
pas de leçons à recevoir des militaires. Si le Cabinet a décidé
de ratifier le Traité, c’est qu’il y a été contraint par les évé-
nements. J e ne puis admettre l’immixtion de la troupe dans
la politique du Reich, pas plus que je ne tolérerai que l’on
agisse par-dessus la tête du Cabinet responsable!
Malgré la violence de cette réplique, le général von Lütt-
Witz expose au ministre de la Reichswehr les revendications
de l’armée. Mais Noske, irrité par le ton sur lequel les exi-
gences lui sont présentées, refuse de les prendre en considé-
ration et lève la séance au milieu d’un silence glacial.

1. E. O. Vuucxmu, La Rivolution allemande, p. 254.


L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 63

+ +

Quelques jours plus tard (30 juin), le général Grœner se


rend auprès du président du Reich et lui déclare qu’il désire
suivre le maréchal Hindenburg dans sa retraite.
Les événements récents ont suscité, au sein du corps des
officiers, des antagonismes qui risquent de briser son unité
morale. Jusqu’ici, toutes les difficultés ont pu être surmon-
tées en faisant appel à la discipIine traditionnelle. Mais la
crise qui se dessine apparaît comme infiniment plus grave
que toutes celles qui l’ont précédée.
Restez unis )I, a recommandé le maréchal Hindenburg
dans sa lettre de démission. Or, le général Grœner a peur,
s’il demeure à son poste, d’être, pour l’armée, un élément
de désunion et de trouble1.
Ebert et Noske s’emploient de leur mieux à le faire chan-
ger d’avis. Ils songent aux services éminents que Grœner a
rendus à son pays. Mais Grœner répète que sa décision est
irrévocable. I1 sent qu’il faut, pour diriger les officiers, un
homme qui ait été mqins intimement mêlé aux événements
de ces derniers jours. I1 suggère à Ebert de faire appel au
général von Çeeckt, avec qui il est en profonde communion
d’idées, e t qu’il estime capable, au premier chef, de consti-
t u e r la jeune armée qui succédera à la Reichswehr provisoire2.
Pour que son départ n’ait pas l’air d‘un blâme à l’égard du
gouvernement, Grœner accepte d’être nommé temporaire-
ment chef du Grenzschutz-Ost. Sa mise à la retraite effec-
tive n’aura lieu que le 30 septembre 1919.

4 9

Maintenant que le maréchal Hindenburg a pris sa retraite,


que les attributions du général Grœner sont limitées au
Grenzschutz-Ust et que le Grand Quartier Général est dissous,
1. i Aucun de nous ne pouvait plus souffrir Grœner, écrit Rudolf Mann, un
des ofliciers de la brigade Ehrhardt, depuis juin 1919, date B laquelle il s’était
rendu au Crenlscfiutz-Ost, d’où il avait envoyé un télégramme au bas duquel
aucun de nous n’aurait voulu mettre son nom. En noua amenant h signer une
paix honteuse, ce télégramme néfaste nous avait brisé les ailes. au moment précis
où nous nous apprêtions à les déployer de nouveau. D ( M i t Efirfiaràt durch Deulsch-
land, p. 140.)
2. Cf. E. O. VOLKMANN, La Rdtdulion abmande, p. 255.
64 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

le général von Lüttwitz se considère comme le chef suprême


de l’armée. Commandant effectif du G r u p p e n k o m m a n d o I,
il dirige depuis le 14 mai 1919 les opérations stratégiques du
G r u p p e n k o m m a n d o II, ce qui le rend, en somme, maître
absolu de la Reichswehr. Or, - comme nous l’avons déjà
dit - on ne pourrait imaginer de contraste plus frappant
qu’entre Noske et lui, et leur apparence physique souligne
encore la différence de leur origine e t de leur caractère. Alors
que la carrure massive et plébéienne du bûcheron brande-
bourgeois évoque la force élémentaire des Germains de Tacite,
Lüttwitz, petit, très mince, d‘une élégance raffinée, fait pen-
ser plutôt à ces officiers prussiens que l’on voit, sur les gra-
vures du X V I I I ~siècle, caracolant à côté de Frédéric I I sur
les champs de bataille de Silésie. Ses traits racés et aigus,
ses gestes rapides et précis sont le reflet de son tempérament
nerveux et autoritaire. Il est l’homme le moins fait pour
comprendre la démocratie allemande et, inversement, l’ou-
vrier ne voit en lui que l’incarnation typique des Excellences
de l’ancien régime a.
Le 26 juillet, de sa propre initiative, le général von Lütt-
Witz convoque les officiers de son Etat-Major, les généraux
von Hoffmann, von Ovens, von Heuduck, von Hülsen,
Mærcker, von Lettow-Vorbeck, von der Lippe, les majors
von Stockhausen et von Hammerstein et un certain nombre
de chefs de corps. Ce conseil militaire a pour but d’examiner
la situation politique et l’attitude à prendre à l’égard des
autorités civiles.
(( Nous nous accordâmes pour reconnaître, écrit Lüttwitz,

qu’il nous fallait défendre plus énergiquement que jamais


les intérêts de l’armée, et l’on rédigea à cet effet les direc-
tives suivantes :
10 L a livraison des prétendus G coupables de guerre 11 ne doit
avoir lieu à aucun prix;
20 L a diminution des effectifs de la Reichswehr est inadmis-
sible, tant que le péril bolchévique rend nécessaire le maintien des
effectifs actuels;
30 L’accès a u gouvernement sera interdit à tout membre d u
parti indépendant;
1. Voir vol. I, p. 113.
2. L’écrivain allemand Ernst Jünger a dit qu’il était exactement a le pendant
prussien du générai de Gailifet n,
3. Le général von Oven, qui avait commandé l‘expédition de Munich, avait
été nommé depuis lors commandant du Welrrkreis III (Berlin).
L’ÈRE ‘ D E S COUPS D’ÉTAT 65
4 O Le bien-être matériel de la troupe doit faire l’objet de plus
de soins et l’on doit s’occuper davantage des conditions d’existence
des soldats licencihs;
50 L’unité d u Reich doit être préservée 1.

Ces principes sont adoptés à l’unanimité. Mais de graves


divergences se font jour quant h la manière de les appliquer.
Une partie des officiers penche pour la rupture avec les auto-
rités civiles et pour un recours à la force. Les autres insistent
pour que l’État-Major maintienne le contact avec Ebert
et Noske et se borne à exercer une pression sur le gouverne-
ment. Ainsi, deux tendances contradictoires se manifestent
au sein du corps des officiers. Comme à la veille de la signa-
ture du Traité de Versailles, modérés et irréductibles s’af-
frontent au nom de deux conceptions opposées du rôle de
l’armée dans l’État.
Les irréductibles - c’est-à-dire le général von Lüttwitz,
le général von Lettow-Vorbeck, le colonel Reinhard et un
certain nombre de chefs de corps - considèrent que rien
ne les lie plus au gouvernement actuel. Le Haut-Commande-
ment est passé de l’Empereur à Hindenburg, et d’I-Iinden-
burg à Lüttwitz, mais cette transmission n’a altéré en rien
les principes sur lesquels il se fonde. En abdiquant, Guil-
laume I I a intimé aux officiers l’ordre de collaborer avec
ceux qui détiennent effectivement le pouvoir en Allemagne
afin de protéger le peuple contre les dangers menaçants de
l’anarchie, de la famine et de la domination étrangère *)).
Or, aucune de ces conditions ne se trouve réalisée. Le
gouvernement s’est lâchement soumis à la tutelle des Alliés.
I1 a signé le Traité de paix sans en disjoindre les clauses qui
portent atteinte à l’honneur de l’armée. I1 s’apprête à présent
à en licencier les trois quarts. I1 n’y a donc pas lieu de pour-
suivre une collaboration qui n’est qu’une duperie. Sans
doute, l’État-Major a-t-il trouvé, en Noske, un instrument
docile pour sa lutte contre les extrémistes. Mais puisque
Noske se dérobe et refuse de poursuivre la lutte avec la même
docilité qu’auparavant, son concours devient inutile : il n’y
a plus qu’à le briser.
Les modérés - et dans ce camp il faut ranger le général
Mærcker, le général von Oven, le major von Stockhausen,
1. Général von LÜTTWITZ, Irn Karnpf gegen die Notarnberretolution, p. 85.
2. Acte d’abdication de Guillaume II, voir vol. I, p. 30.
II 5
ti6 HISTOIRE D E L’ARYÉE ALLEMANDE

le major von Hammerstein, gendre de Lüttwitz, d’autres


encore - estiment que cette attitude ne peut mener qu’à
un désastre et que, de plus, elle est incompatible avec les
traditions prussiennes. K Faire de la politique, déclare le
général Mærcker, c’est concevoir la meilleure forme possible
de gouvernement e t s’efforcer de la faire adopter par le pays.
Telle n’est pas la fonction du soldat : celle-ci consiste à
défendre contre toutes les attaques, qu’elles viennent du
dedans ou du dehors, la forme de gouvernement existante.
Le soldat doit se borner à protéger, quoi qu’il advienne, la
forme de régime établie par la volonte populaire l. ))
A n’en point douter, le peuple allemand n’est pas prêt
à accepter une dictature militaire. Le général von Oven,
les majors von Stockhausen et von Hammerstein qui ont
secondé Msercker dans sa lutte contre les extrémistes,
confirment ce point de vue. Vouloir s’opposer à la volonté
des masses est impossible; se passer de Noske, une folie.
Toutes les expériences du passé démontrent que l’État-
Major a subi un échec chaque fois qu’il a voulu se substituer
au gouvernement civil.
Le général von Lüttwitz met un terme à la discussion en
déclarant d’un ton sec K qu’il n’est pas dans ses intentions de
s’entretenir avec ces messieurs sur le choix d’un chancelier
d’Empire ou sur la personne de Noske, et qu’il les a réunis
pour fixer avec eux une ligne de conduite commune )I. I1
destituerait volontiers les majors von Stockhausen et von
Hammerstein, pour leur apprendre à lui tenir tête. Mais les
divergences d’opinion qui se sont manifestées au sein du
Conseil lui ont montré qu’il est encore trop tôt pour passer
aux actes. Aussi maîtrise-t-il sa colère e t c’est sur un ton
persifleur qu’il déclare à ses contradicteurs :
- Eh bien, puisque ces messieurs de mon État-Major se
révoltent contre moi, je n’ai plus qu’à me soumettre!
De cette réunion, Lüttwitz pensait faire surgir une conspi-
ration armée de pied en cap. Or, loin de rallier l’unanimité
des suffrages, la thèse du coup de force a été repoussée par la
moitié de son Etat-Major. Le commandant du Gruppen-
kommando I est ulcéré par K l’opportunisme )) de ses géné-
raux. Les opinions sont flottantes, les esprits indécis. I1 y
a un sérieux travail de redressement à opérer au sein des

1. Général MBRCKBR, Vom KaiserIteer w r Reichwehr, p. 325.


L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 67
régiments. a J’en conclus, écrit Lüttwitz, qu’il fallait tenir
la troupe et ses chefs plus étroitement en main. C’est à cela
que je décidai de consacrer mes prochaines tournées d’ins-
pection l. ))
+ L

Pendant que le général voii Lüttwitz se rend dans les


principaux Wehrkreise pour sonder l’esprit des troupes et
chercher des dliés, le capitaine Pabst, expulsé de l’armée
pour avoir fomenté une révolte au sein du corps des Tirail-
leurs de la Garde montée, a fondé, d’accord avec Ludendorff;
une ligue destinée à fédérer tous les groupements nationa-
listes existants et à empêcher l’influence républicaine de s’in-
filtrer dans la troupe 2.
Cette a Union nationale n, ou Nazionale Vereinigung,
compte parmi ses adhérents - outre Ludendorff qui se tient
orgueilleusement à l’arrière-plan - un certain nombre de
personnalités politiques d’extrême droite, notamment le
comte Westarp, ancien leader conservateur au Reichstag, le
colonel Walter Bauer 8, M. Helfferich, ancien ministre du
Trésor impérial, le pasteur Traub, chapelain attitré à la
Cour de Guillaume II, l’ancien préfet de police de Berlin
Traugott von Jagow et Ie Generdhndschaftsdirektor de
Prusse-Orientale, Wolfgang Kapp.
Un Junker à tous crins, un archi-réactionnaire, tels
sont les mots qu’emploient les représentants de la classe
ouvrière pour dépeindre celui en qui les chefs des partis de
droite croient discerner un futur dictateur, le successeur
éventuel d’Ebert et de Noske. C’est un homme de haute
taille e t de carrure imposante, dont les traits rappellent,
1. General von LÜWW~TZ, I m Kanipf gegen die Nwernberrewlution, p. 8Î.
2. Déji au lendemain de la défaite, et avant méme que les combattants du
front fussent rentrés en Allemagne, deux organisations secrètes du mCme genre
avaient été fondées. Le 28 novembre 1918 voyait naître la a Ligue des ofliciers
allemands P (Deulscher Ofiziersbund), dont le but reconiiu était a de maintenir
intacte l’ancienne classe dirigeante, considérée comme indispensable d la renais-
sance de la nation n. Elle était suivie, le 16 décembre 1918 par I’ a Association
nationale des Ofliciers D, (Nazionaltwband àeuî.scher Ofiziere) qui se proposait
a de fournir une organisation politique combattante et une troupe de choc pour
la défense de l’Allemagne nationale et monarchique 1. (Cf. comte Rüdiger von
ùer GOLTZ,Vau( und Reich der Deutschen, Berlin, 1929, vol. II, p. 161.)
3. Le colonel Bauer avait joué, en 1916, un rôle important dans la nomination
de Ludendorff au commandement suprême des armées et était resté, depuis lors, son
homme de confiance. C‘est lui qui aurait dressé les grandes lignes du fameux
s plan Hindenburg P.
68 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

en moins dur, ceux de Ludendod. Mais les observateurs


plus pénétrants savent que sous ces dehors robustes se dissi-
mule une faiblesse cachée : Kapp est un homme malade,
plus gravement atteint qu’il ne le sait lui-même e t dont les
forces vitales sont déjà sérieusement diminuées l.
Très vite, Kapp a pris la direction du mouvement, et très
vite, également, les membres de la Ligue s’aperçoivent que
leur action ne saurait se limiter à un simple travail de regrou-
pement et de propagande. Un plan beaucoup plus ambitieux
germe dans leur esprit : renverser le gouvernement socialiste
pour le remplacer par un Cabinet nouveau, de caractère dic-
tatoria12. Mais ce projet ne peut se réaliser qu’avec le
concours de l’armée. Tandis que le commandant du Gruppen-
kommando I fait ses tournées d’inspection, le directeur de
1’Unionnationalechercheàentrerencontactavecl’gtat-Major.
La rencontre de Kapp e t de Lüttwitz était donc inévitable.
Elle a lieu le 21 août 1919. n. Ce jour-là, écrit Lüttwitz,
je reçus pour la première fois la visite du Generallandschafts-
dtrektor Kapp. I1 me dit que le souci de la patrie l’avait
mené vers moi. Nos opinions se rencontrèrent, car nous
étions tous deux convaincus que la révolution avait été un
...
crime Kapp était d‘avis qu’il fallait intervenir rapide-
ment... I1 affirma que la population saluerait cette inter-
vention comme une délivrance, que la troupe se tiendrait
tout entière derrière moi, e t qu’elle exécuterait mes ordres
par-dessus la tête des généraux indécis. Ludendorff et beau-
coup d’autres partageaient cette manière de voir 3. ))
On imagine aisément les sentiments du général von Lütt-
Witz en entendant prononcer ces paroles, qui reflètent si
exactement ses convictions intimes. Sans doute pense-t-il
que son interlocuteur fait preuve d’un peu trop de confiance
en lui-même 4. Mais il ne peut s’empêcher de voir en Kapp
i. L’écrivain bavarois Dietrich Eckart, qui lui rendit visite à la veille de son
coup de force, fut frappé par cc mélange de vigueur et de débilité. I L’histoire
dira de lui, écrit-il, que ce n’était ni un homme trAa fort, ni même un homme trés
sain. Sa volonté ne jetait plus l’éclat d’une flamme ardente. C’était un cœur
vibrant, rempli de compassion pour le pauvre peuple indignement trahi. Sans
étre l’homme que le pays attendait, c’était un homme quand même. .. bien que
son énergie f û t trop souvent paralysée par la grisaille de sa pensée. D (Au/ Gut
Deutsch, cahier 11 décembre 1920 p. 147.)
2. a C’est maintenant qu’il faut frapper! D a écrit Kapp au colonel Hcye, le
5 j,uillet 1919 : mais le chef de l’État-Major de l’armée du Nord ne lui a donné
qu une réponse évasive.
3. General von L Ü ~ W I T Z , Zrn Kanipf gegen die Noveniberrerolution, p. 97.
4 . Id., ibià.
L'ÈRE DES COUPS D'ÉTAT 69
l'homme à poigne qu'il appelle de tous ses vœux, le nouveau
Noske qui parachèvera l'œuvre amorcée par son prédéces-
seur, et c'est avec la conscience de disposer de plus d'appuis
qu'il ne le pensait qu'il entreprend d'éclairer le ministre de
la Reichswehr sur le sort qui l'attend s'il continue à s'oppo-
ser aux revendications de l'armée. Le l e r septembre 1919,
il lui adresse la lettre suivante, où perce comme un écho
de sa conversation avec Kapp :

A monsieur le ministre de la Reichswehr.


J'ai exposé le 17 août, au Chancelier d'Empire, puis à mon-
sieur le président d u Reich, ma conception de notre situation
intérieure... J e ne puis me défendre de l'impression que les
milieux gouvernementaux jugent notre situation avec trop d'op-
timisme... Nous allons au-devant d'une catastrophe.
Malgré des conflits de conscience douloureux, le corps des of];-
ciers s'est déjà placé par deux fois - e n novembre 1918 et e n
j u i n 1919 - derrière la République, pour la seconder dans la
lourde tâche de rétablir l'ordre. M a i s il règne, au sein d u corps
des officiers, comme dans la majeure partie des troupes, la crainte
légitime de voir le gouvernement ne faire aucun usage de sa force.
Deux choses nous sont indispensables : l'ordre et le travail.
Nous pouvons les obtenir toutes deux, mais pas par des discours.
Toutes les tentatives pour amener le peuple à reprendre le travail
par la dmceur et la persuasion ont échoué. Il n'y a que la coerci-
tion qui puisse le contraindre à travailler.
D e ce fait découlent les nécessités suivantes :
l o La suppression des allocations de chômage. L e précepte :
quiconque ne travaille pas, ne doit pas manger, doit être remis e n
vigueur, comme auparavant;
20 Toutes les grèves politiques et économiques doivent être
rigoureusement interdites.
... Pour rétablir l'ordre, le gouvernement doit être fort. Or la
force, il la possède encore. L'armée est prête à contribuer à la
victoire d'un gouvernement énergique. M a i s si le gouvernement
laisse passer le temps sans agir, il perdra sa puissance militaire,
par suite de la réduction de l'armée, et accroîtra d'autant la force
d u bolchévisme. D u fait que le gouvernement dépend entiérement
de la collaboration active de la troupe, il doit éviter tout ce qui
est de nature à exciter l'esprit de l'armée contre le gouvernement
...
et les partis qui le composent Aujourd'hui, comme hier, l'ar-
mée est le fondement de la puissance de l'État.
70 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

Je renouvelle en conséquence mes avertissenenis pressants. II


fautagir vite, sans quoi nom serons débordés par les événements.
Ide géniral commandant en chef,
VON LÜTTWITZ1.
* +
Lorsque Noske lit cette lettre au Conseil de Cabinet, les
ministres sont stupéfaits. Les (( recommandations )) du géné-
ral von Lüttwitz ne trahissent pas seulement une grave
méconnaissance des problèmes sociaux et politiques : elles
sont formulées sur le même ton hautain que les exigences
du Grand État-Major, au matin du 9 novembre 1918. Lui
aussi, à cette date, traitait de haut le gouvernement civil
et lui disait : a Le Haut-Commandement attend le Haut- ...
Commandement exige ... )) Mais, depuis lors, la situation a
bien changé : il n’y a plus trois millions d’hommes à ramener
en Allemagne, ni dix mille Conseils de soldats qui se dis-
putent le pouvoir. E t le gouvernement civil s’appuie sur
une Constitution dûment ratifiée.
Tout cela, le général von Lüttwitz ne l’ignore pas. Mais
s’il parle comme il le fait, c’est qu’il lutte pour conserver à
l’armée la position centrale qu’elle occupait avant la guerre.
I1 se refuse à voir que la Constitution de Weimar a complète-
ment modifié sa situation au sein de l’État. E n donnant au
Cabinet des conseils sur sa politique sociale, il ne pense
pas outrepasser les droits légitimes d‘un commandarit en
chef.
Pour le gouvernement républicain, le problème est inverse :
il s’agit de faire rentrer l’armée dans le cadre assigné par la
nouvelle Constitution. Elle doit devenir - comme dans
toutes les démocraties - un des rouages de l’administra-
tion, un agent d‘exécution dont l’importance, certes, ne
saurait être sous-estimée, mais qui ne doit se distinguer en
rien des autres Corps de l’État.
Or, c’est là, justement, ce qui révolte les officiers. Ils ne
refusent pas de servir, mais à condition de rester, comme
jadis, les premiers serviteurs de l’État. Le principe. qui les
unit est d‘origine mystique et ne saurait être ravalé à une
fonction administrative. Servir obscurément, sans murmurer,
1. Général von L~TTWITZ,
op. ci#., p. 89 et suiv,
L ’ ~ EDES COUPS D’ÉTAT 71
un gouvernement qui leur déplaît est une forme de patrio-
tisme qu’ils ont encore à apprendre. Au lieu de s’ouvrir
largement à l’esprit des temps nouveaux, l’armée se contracte
et se replie sur elle-même. Elle fait, si l’on peut dire, de
l’autarchie militaire.
Pourtant, ni Ebert ni Noske ne croient que l’gtat soit
sérieusement menacé. Ils pensent que le malaise de l’armée
a des motifs trop différents chez les officiers et chez les sol-
dats pour donner naissance à une insurrection commune.
Pour remédier à la situation, il suffira de donner suite à
quelques-unes des revendications formulées par l’État-Major :
améliorer les casernements e t l’ordinaire et fournir du tra-
vail aux volontaires licenciés. La transformation des esprits
ne peut s’effectuer en un jour. Noske met ses collègues en
garde contre toute mesure répressive qui aurait pour effet
de précipiter les événements.
Le chancelier Bauer, Erzberger et toute la gauche du
Cabinet sont d’un avis tout différent. Le général von Lütt-
Witz, affirment-ils, n’est pas un cas isolé. Le général Mærcker
et le major von Stockhausen ont été sollicités, à plusieurs
reprises, de se joindre au.x mécontents l. Sans doute ont-ils
refusé. Mais combien d’officiers seront assez clairvoyants
pour résister longtemps aux arguments de ceux qui préco-
nisent un recours à la force? Le colonel Reinhard n’a-t-il
pas été jusqu’à traiter les ministres de (( bande de voyous D,
dans une allocution à ses soldatsa. Le gouvernement doit
sévir énergiquement avant qu’il soit trop tard.
- On ne réprimera pas l’insubordination des chefs en
s’inclinant devant leurs revendications, déclare Erzberger,
mais en renforçant le pouvoir des éléments de gauche.
- Ce qu’il faudrait surtout, ajoute M. David, ministre
de l’Intérieur, c’est détruire le prestige moral dont s’entoure
le corps des officiers.
Au cours des réunions suivantes quelques membres du
Parlement suggèrent d’instituer au sein de l’Assemblée
nationale une Commission d’enquête chargée de faire la
lumière K sur certains événements survenus avant et pen-
dant la guerre n. I1 faudrait mettre un terme à la légende
du (( coup de poignard I), qui commence à s’accréditer dans
1. Par le colonel Bauer et par Kapp.
2. Scheidcmann, parlant au nom du Parti Focialiste, avait demande ea radia-
tion immédiate, m a i s Ebert s’y &rit rehisé.
72 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

les milieux les plus divers. Sous prétexte de leur demander


des éclaircissements, pourquoi ne pas citer à la barre Hin-
denburg et Ludendorff? Pourquoi ne pas démontrer que
c’est à eux qu’incombe, avant tout, la responsabilité de
la défaite? Leur prestige ne pèsera plus bien lourd, quand
le peuple les aura vus en posture d’accusés. L’écroulement
des (( Seigneurs de la guerre )) lui permettra de mesurer la
(( Majesté de la démocratie ».E n élargissant le débat, il sera

alors possible de discréditer la caste à laquelle ils appar-


tiennent : le procès du Haut-Commandement deviendra en
quelque sorte le procès de l’armée.

+ +

Ce procès s’ouvre le 21 octobre, au palais du Reichstag.


La Commission d’enquête, dont les principaux protagonistes
sont MM. Cohn, Gothein et Zinzheimer, se compose de vingt-
huit membres appartenant au centre et au Parti socialiste.
Les premières audiences sont consacrées à la déposition
du comte Bernstorff, ancien ambassadeur d‘Allemagne à
Washington. Puis, le 31, c’est le tour de l’ex-Chancelier
Bethmann-Hollweg. A vrai dire, l’homme au ((chiffon de
papier n fait assez piteuse figure. (( Vous verrez, s’écrie Schei-
demann, le 5 novembre, à la tribune de l’Assemblée, que
nous allons saisir ces messieurs au collet 1. D
Le 11 novembre, M. Struve et l’amiral von Capelle com-
paraissent à leur tour devant la Commission. Mais les débats
piétinent. Questions et réponses se succèdent sans apporter
aucune lumière. L’opinion publique commence à s’impatien-
ter.
Le lendemain, 12 novembre, la déposition d’ Helfferich
secoue la torpeur de la Commission. Bretteur féroce et polé-
miste passionné, l’ancien sous-secrétaire d’atat aux Finances
et à l’Intérieur de Guillaume I I passe résolument à l’attaque
et, d’accusé, se fait accusateur. I1 lance à la face de ses juges
les arguments de la polémique qu’il soutient, depuis quelques
semaines, dans la Kreuzzeitung :
-Vous cherchez, leur demande-t-il, qui est cause de

1. Cf. ifindenbtug i n Vernehrnung. Verlag der Taeglichen Rundschau, p. 25.


2. L’amiral von Capelle avait succéd6 h von Tirpitz h la tête de l’État-Major
de la marine impériale.
3. Voir les numéros de la I(rcuzzeifung du ldrau 30 juillet 1919.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 73
notre ruine? Eh bien, je vais vous le dire : c’est Erzberger,
dont le nom restera éternellement lié à la misère et à la
honte de l’Allemagne! C’est Erzberger qui nous conduira
à l’anéantissement total si on ne lui met pas les menottes
avant qu’il soit trop tard! Il n’y aura pas de salut pour
l’Allemagne, tant que ce cri ne retentira pas d’un bout à
l’autre du pays : chassez Erzberger!
Le 13 novembre, le maréchal Hindenburg arrive à Berlin.
I1 n’y vient pas en homme cité devant des juges, mais en
héros victorieux, en idole du peuple, en père des Allemands l.
L’armée s’est chargée d’organiser son voyage. On a amené
pour lui un wagon-salon spécial de Hanovre. I1 est reçu, à
son arrivée, par le colonel Reinhardt, ministre de la Guerre
de Prusse. D’accord avec le général von Lüttwitz, celui-ci
a commandé une compagnie d‘honneur qui s’est déployée
devant la gare avec sa musique et ses drapeaux. Quatre
aides de camp honoraires sont mis à sa disposition. Au zon
de l’hymne national, le Maréchal passe les soldats en revue.
Des groupes de jeunes gens et des étudiants nationalistes
brandissant des drapeaux noir-blanc-rouge, l’entourent et
l’acclament. Puis le Maréchal monte en voiture et se rend
chez Helfferich, qui a mis à sa disposition sa luxueuse villa
de la Hitzigstrasse pour la durée du procès.
Tandis que les rues de Berlin sont sillonnées de cortèges
qui chantent, les uns, le Deutschland über alles, les autres
l’Internationale et des chants révolutionnaires, que des
bagarres éclatent Cà et là dans la capitale et que les corps
francs, tous drapeaux déployés, défilent devant la villa
de Helfferich, Hindenburg et Ludendorff, arrivé la veille de
Munich, se concertent pour mettre au point la déclaration
qu’ils liront devant la Commission d’enquête. Ces deux
hommes ne se sont pas revus depuis le jour où l’Empereur
signifia sa disgrâce au Grand Quartier-Maître général, et il
n’a fallu rien de moins que la contrainte des événements
pour les amener à se retrouver côte à côte. Pourtant, ils
restent aussi fermés l’un à l’autre qu’au matin de leur sépa-
ration : si l’un a la dureté du bronze, l’autre a la nervosité
vibrante de l’acier, et ce contraste va se manifester jusque
dans leurs dépositions.
C’est dans une atmosphère chargée d’électricité que Hin-

î. Cf. John W. WEEELER-BENNETT,


Le Dra& de l ’ a r d e allemandu, p. 70.
74 EISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

denburg et Ludendorff comparaissent, le 18 novembre,


devant la Commission d’enquête. Les tribunes sont bondées
depuis les premières heures du matin, e t le public a peine à
maîtriser sa fébrilité. Enfin, le vainqueur de Tannenberg
est appelé à la barre. (( Un géant à large poitrine dont la
tête puissante s’encadre de cheveux blancs, une apparition
d‘une grandeur proprement préhistorique fait son entrée dans
la salle, écrit un témoin oculaire. Involontairement, chacun
se lève et retient son souffle, tandis que Hindenburg s’avance
vers le tribunal. Son regard est rivé sur le député Gothein
- qui préside la séance. Celui-ci est visiblement intimidé.
Ne sachant quelle attitude prendre, il tend amicalement la
main au hlaréchal. Mais celui-ci ne fait aucun geste pour la
saisir : on ne serre pas la main de son juge l. )) Avant d‘avoir
prononcé un seul mot, Hindenburg a mis son adversaire en
état d’infériorité.
Une fois la prestation de serment accomplie, le président
Gothein se tourne vers Hindenburg :
- La première question est la suivante, lui dit-il d’une
voix mal assurée. A quelle date le Commandement suprême
a-t-il décidé la guerre sous-marine à outrance 8 1
- Avant de répondre à cette question, réplique le Maré-
chal, je demande la permission de lire un bref exposé des
principes qui ont guidé nos pensées, nos décisions e t nos
actes pendant la guerre.
Pris de court par cette demande imprévue, le président
Gothein hésite, puis consent, a à condition que le Maréchal
s’en tienne strictement aux faits e t s’abstienne de tout juge-
ment de valeur ».
- J e me borne à évoquer des faits historiques, répond le
Maréchal, et je considère qu’il est indispensable de les rap-
peler brièvement à la mémoire de ces messieurs.
Ces mots sont prononcés d’un ton courtois, sans ombre de
I . Hindenburg i n Vernehrnung (brochure anonyme), p. 53.
2. Toutes les paroles citées sont empruntées aux comptes rendus sténogra-
phiques de la IIe Commission d’enquête du Reichstag,l4e audience, 18 novembre
1919.
3. On peut se demander pourquoi l’interrogatoire de M. Cothein commence
précisément p a - cette question. Ce point s’éclaire si on se rappelle que les pre-
mières critiques adressées par le Reichstag au Grand État-Major avaient été f o r
mulécs par Erzberger dans son discours du 6 juillet 1917. Celui-ci avait déclench6
l’offensive, B propos de la guerre sous-marine. Le député du Centre avait décou-
vert lo paint vuln6rable de l’État-Major et savait que c’était la que devaient
porter ses coups. En commençant par cette question, M. Gothein ne fait dnnc
que repwndro la tactique d’Erzberger.
L’BRE DES COUPS D’ÉTAT 75
menace. Mais chacun sent qu’ils ne sont qu’une passe d’armes
préliminaire : le véritable combat ne va pas tarder à s’en-
gager.
Sans se presser, Hindenburg sort ses lunettes de sa poche
et commence à lire son mémorandum. I1 y expose la situation
des forces en présence au moment où il accède au Com-
mandement suprême, l’extension formidable des fronts, l’ac-
croissement vertigineux des effectifs et du matériel, les difi-
cultés grandissantes éprouvées par le Haut-Commandement à
faire prévaloir sa volonté, la nécessité d’une collaboration
toujours plus étroite entre l’armée et Ie pays. (( Or, poursuit
le Maréchal, tandis que chez l’ennemi toutes les classes de la
population s’unissaient toujours plus fortement dans l’union
sacrée, chez nous - où cette union était encore plus néces-
saire en raison de notre infériorité numérique - les dissen-
sions des partis commencèrent à se faire jour ... ))
Quelques membres de la Commission protestent. La salle
devient houleuse. Des applaudissement nourris crépitent sur
les bancs réservés au public. Le président Gothein agite sa
sonnette et menace de faire évacuer la salle.
- L’arrière, poursuit Hindenburg lorsque le tumulte s’est
apaisé, l’arrière ne nous a plus soutenus et nous avons vécu
dans la crainte constante qu’il s’effondre... C’est à cette
époque que la flotte et l’armée furent soumises à un travail
de désagrégation systématique ... Les braves soldats qui ne
se laissèrent pas contaminer par la propagande bolchévique
eurent beaucoup à souffrir de la conduite indigne de leurs
camarades révolutionnaires : ils durent supporter à eux seuls
tout le poids de la lutte ...
Le tumulte reprend de plus belle. Le public applaudit à
tout rompre. La clochette de M. Gothein se perd dans un
vacarme assourdissant. I1 rappelle le Maréchal à l’ordre, et lui
demande de ne plus prononcer de nouveaux ((jugementsde
valeur ». Mais le Maréchal, qtii s’adresse à l’Allemagne par-
dessus la tête de la Comrnission d’enquête, ne s’occupe plus
des admonestations du président.
- Les plans du Haut-Commandement, continue-t-il, ne
purent être exécutés. Dans ces conditions, nos opérations
étaient vouées à l’échec. L’effondrement était inévitable. Ln
révolution ne fut qu’un aboutissement I... IJn général anglais

1. Dis Reooliction war nvr ein ScMüstlein.


76 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

m’a dit : (( L’armée allemande a été poignardée dans le dos. D


Aucune faute ne saurait être reprochée aux éléments sains
de notre armée. Leurs exploits furent admirables, comme
ceux de notre corps d’officiers. Les coupables sont ailleurs
et leurs responsabilités sont clairement établies.
Toute la salle, debout, acclame le Maréchal. Le président
Gothein ordonne une suspension d’audience. Lorsque le
Maréchal retourne à sa place, les assistants se pressent autour
de lui pour lui offrir des fleurs et lui serrer la main.
A présent c’est le tour de Ludendorff, mais sa déposition
n’a ni l’ampleur ni la résonance de celle d’Hindenburg.
I1 fait un exposé technique des opérations militaires, admi-
rable au dire des experts; mais le public ne s’intéresse guère
aux problèmes de stratégie et de ravitaillement. A la suite
d’une remarque désobligeante du président, le Grand Quar-
tier-Maître général perd contenance, s’emporte e t frappe du
poing sur la table. Va-t-il s’enferrer? Si on pouvait le mettre
en contradiction avec le Maréchal, la Commission serait
sauvée.
Mais Hindenburg, qui devine la manœuvre que Ludendorff
n’aperçoit pas, vient au secours de son ancien chef d’État-
Major :
- Ludendorff et moi avons toujours agi en pleine com-
munauté d’idées, déclare-t-il d’un ton ferme. Sans doute
savions-nous qu’il faudrait bientôt mettre un terme à la
guerre. Mais nous espérions la conclure par une paix hono-
rable ... J e ne sais pas si ces messieurs connaissent un souci
de la patrie semblable à celui que nous avons porté dans nos
cœurs durant tant d’années.
Après ce dernier coup de boutoir, il ne reste plus au pré-
sident qu’à lever la séance. Toute la salle fait à Hindenburg
une ovation indescriptible. Si la Commission d‘enquête a
voulu discréditer le Haut-Commandement, elle a abouti au
résultat diamétralement opposé 1.
Le lendemain, ayant été informé que c ces messieurs du

1. a Si Ebert et le gouvernement du Reich, remarque à ce sujet Wheeler-Ben-


nett, s’étaient imaginé qu’ils parviendraient à discréditer l’armée et le Haut-
Commandement en les citant devant la Commission d’enquête, ils devaient tris-
tement déchanter. Car c’est exactement le contraire qui s’était produit. Grâce à
l’habileté d’Helffericb, le Haut-Commandement était sorti de l’épreuve avec un
...
prestige renforcé... Inversement, Erzberger et les Socialistes sortaient de là salis
et calomniés, portant à eux seuls toute la responsabilité de la défaite et l’opprobre
du coup de poignard dans le dos D. (LeDrame de l’am& allemands, p. 71.)
L’ÈRE DES COUPS D ’ ~ T A T 77
Reichstag n’ont plus I’intention de lui poser de nouvelles
questions D, Hindenburg fait demander à Noske, par l’en-
tremise du ministère de la Reichswehr, si le gouvernement
ne voit pas d’inconvénient à ce qu’il retourne chez lui. L’ofi-
cier chargé de cette démarche s’enquiert, .par la même occa-
sion, s’il doit commander une compagnie d’honneur pour
le départ du Maréchal.
- Commandez-en deux s’il le faut, lui répond-on, pourvu
qu’il s’en aille I!
Le gouvernement n’a plus qu’une idée : être débarrassé
de lui.
Le 20 novembre, Hindenburg quitte Berlin. Pour le vieil-
lard de soixante-douze ans, ce départ est un adieu, et ce
n’est pas sans un serrement de cœur qu’il voit disparaître
le palais impérial OU il a assisté à tant de prises d’armes et
de remises de décorations. Les ovations dont il a été l’objet
lui semblent le dernier écho d’une existence bien remplie.
I1 ne se doute pas que, dans cinq ans, sa voiture repassera
sous la porte de Brandebourg, e t que les acclamations qui
monteront vers lui s’adresseront alors au président du Reich.
1. Colonel REINHARD,1918-1919, p. 118.
V

LE PUTSCH KAPP-LÜTTWITZ

I. - La conspiration.
Après le départ du Maréchal, la capitale va-t-elle retrouver
sa physionomie coutumière? Non. Car à peine Hindenburg
est-il reparti que c’est au tour du maréchal von Mackensen
de faire son entrée à Berlin. C’est de nouveau tout un déploie-
ment d’honneurs militaires. L’ancien vainqueur de la Galicie
est reçu à la gare d’Anhalt par le général von Seeckt, qui a
été longtemps son chef d’État-Major. Les drapeaux claquent
au vent, les musiques retentissent, tandis que les Hussards
de la Mort - le propre régiment du Maréchal - font la
haie sur son passage. Cette cérémonie ostentatoire provoque
la colère des populations ouvrières de Wedding et de Neu-
kœlln. Pendant ce temps, une sourde irritation continue à
régner dans les casernes et une lutte invisible, souterraine,
se poursuit entre les milieux militaires et le gouvernement 1.
Le mécontentement latent se trouve encore accru, à la
fin de décembre, par le retour des volontaires de la Baltique.
Du fait que la Division de Fer et la Légion allemande ont
été ramenées en Allemagne centrale où elles ont été dislo-
quées a, le ferment de révolte qu’elles rapportent avec elles
1. Cette période est marquée par une série de mutations. Le l e r novembre,
le général Mærcker est nommé commandant du Wehrkreis IV (Dresde), e t la
XVP brigade de la Reichswehr (l’ancien corps des Chasseurs), passe sous les
ordres du général von Hagenberg. Le 12 décembre, le colonel Reinhard est m i s à
la retraite d’office, 3 la suite d‘une intervention de Scheidemann qui ne lui a pas
pardonné son allocution sur la a bande de voyous 8.
2. Une partie des Baltes avait été placée dans des domaines privés, comme
travailleurs agricoles. Mais certains chefs de corps n’avaient pas voulu se priver
de ces soldats d’élite, aguerris par les combats très durs qu’ils venaient de livrer,
L’ÈRE DES C O U P S D’ÉTAT 79
se trouve communiqué aux régiments de l’intérieur. Les
esprits s’échauffent. Les récriminations se font plus âpres,
car les Baltes apportent des arguments nouveaux aux adver-
saires du gouvernement.
Enfin, le 10 janvier 1920, le traité de Versailles entre en
vigueur, ce qui replace au premier plan les deux points qui
préoccupent le plus vivement l’armée : la livraison des
x coupables de guerre )) et la réduction des effectifs.
C’est dans cette atmosphère malsaine, agitée de soubre-
sauts profonds, que vient exploser comme une bombe la note
alliée du 3 février 1920. Elle exige la remise d’une première
tranche de criminels de guerre, en vue de leur jugement.
La liste comprend près de neuf cents noms, parmi lesquels
figurent ceux de l’Empereur, du Kronprinz et de deux de
ses frères, quatre maréchaux - le prince Rupprecht de
Bavière, le duc Alfred de Wurtemberg, Hindenburg e t Mac-
kensen - le grand-amiral von Tirpitz, les généraux Luden-
dorff et von Falkenhayn, von Kluck, von Bülow et von
Below, l’amiral von Capella, les anciens chanceliers Beth-
mann-Hollweg e t Michaëlis, l’ancien vice-chancelier Helf-
ferich et le comte Bernstorff. A la suite de tous ces noms
célèbres viennent une quantité d’autres noms d’ofiiciers et
de sous-officiers de tous grades. Les Alliés ajoutent que cette
liste n’est pas close 1.
Lorsque cette note est publiée dans la presse allemande,
elle produit un effet foudroyant. (( I1 n’y eut pour ainsi
dire pas un Allemand, sans distinction de classe ou d’opi-
nion, écrit Wheeler-Bennett, qui ne se sentît outragé par
cet ordre d’avoir à livrer des hommes que le pays considérait
comme des héros nationaux et dont une bonne partie avait
déjà été publiquement absous par la Commission d’enquête.
Depuis les Socialistes majoritaires à gauche, jusqu’aux natio-
nalistes à droite, la réaction unanime fut une fureur indi-
gnée 2. )) Seuls les Spartakistes et les Indépendants osent
manifester une certaine approbation. La grande majorité

et en avaient incorporé un certain nombre i leurs rkgiments. C’est ainsi que le


corps franc von Plehwe avait été repris dans la brigade Eiirliardt. (Cf. Rudolf
MANN,Mit Ehrhardt durch Deutschland, p. 125.)
1. Lorsque le baron von Lersner, représentant allemand h Paria, reçoit cette
note, il refuse de la transmettre à son gouvernement et se démet de ses fonctions.
par courrier spécial. -
I1 faut que M. Millerand, président du Conseil français, envoie la note à Berlin
2. John 1%’.WHEELER-BENNETT, Le Dnrme de l’arnrée allemande, p. 73.
80 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

des Allemands partagent l’opinion d‘Otto Braun, premier


ministre social-démocrate de Prusse, qui déclare, à propos
de cette note : n C’est une prétention insensée de vouloir
obliger l’Allemagne à livrer le Kaiser et plus de huit cents
hommes prétendus criminels de guerre! u
Chez les chefs militaires, cette indignation touche à la
frénésie. Dans un discours public, le général von Lüttwitz
prêche la résistance à tout prix, même au risque d’une guerre.
Le 9 février, le général von Seeckt réunit ses officiers d’Etat-
Major et ses principaux chefs de service dans ses bureaux de
la Bendlerstrasse et leur déclare que si, par impuissance ou
par pusillanimité, le gouvernement ne repoussait pas caté-
goriquement cette exigence des Alliés, la Reichswehr nou-
velle - qui se considère comme l’héritière des traditions
sacrées de l’ancienne armée impériale - s’opposcrait à son
exécution par tous les moyens en son pouvoir, même si cela
devait entraîner la reprise des hostilités.
- Personnellement, leur confie-t-il sous le sceau du secret,
je ne pense pas que les Alliés envahissent le Reich pour
faire respecter leur volonté. Mais s’ils devaient le faire, j e
n’hésiterais pas à appliquer le plan suivant : les troupes
allemandes stationnées dans l’Ouest de l’Allemagne se reti-
reront derrière la Weser e t ïElbe, en luttant pied à pied.
Tandis que s’effectuera cette action retardatrice, nos forces
stationnées à l’est attaqueront la Pologne et s’efforceront
d’établir des contacts avec la Russie soviétique. Une fois les
Polonais écrasés, nous pourrons, avec l’aide de la Russie,
nous retourner contre la France et l’Angleterre l... En tout
état de cause, aucune vente ni aucune destruction nouvelle
de matériel de guerre allemand ne seront autorisées. Noske
va signer une circulaire confidentielle à cet effet 2, de sorte
que la réduction de l’armée ne s’effectuera que sur le papier.
Devant cette véritable levée de boucliers, le cabinet Bauer
se rend compte qu’il ne peut en aucun cas donner suite à la
demande des Alliés. S’il acceptait de livrer les (( coupables
de guerre D, il sait bien que dans l’heure qui suivrait les
1. Cette prise de position est d’un intérêt capital. Rompant avec I’anticommu-
nisme foncier dont ils ont fait preuve jusqu’ici, les nouveaux dirigeants militaires
allemands envisagent pow la première fois un accord avec les Soviets qui leur
permettra de se retourner contre les Puissances occidentales. Cette ligne de pen-
sée, quoique refoulée à l’arrière-plan, réémergera sans cesse au cours des années
qui viennent.
2. La circulaire en question fut effectivement expédiée.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 81
cadavres des ministres se balanceraient aux réverbères de
la Wilhelmstrassel. Mais il n’oppose pas aux exigences dea
vainqueurs le refus catégorique et spectaculaire que souhai-
teraient les chefs de l’armée. I1 préfère louvoyer, gagner du
temps et adopter une procédure dilatoire qui aboutira fina-
lement au résultat désiré, puisque le Conseil suprême, sous
la pression des Anglais (qui ne tiennent guère à voir passer
en jugement un petit-neveu de la reine Victoria) renoncera
à l’application des articles 227 à 230 du Traité. Le tumulte
soulevé par cette affaire finit par s’apaiser. Mais ce succès
ne inscrira pas à l’actif du gouvernement. Les d i e u x
militaires l’interpréteront comme leur propre victoire, con-
vaincus que si leur réaction avait été moins vive, le gouver-
nement aurait capitulé.
Moins spectaculaire, mais plus lourde de conséquences est
la question de la réduction des effectifs, car sur ce point les
Alliés sont décidés à demeurer intransigeants. Jusqu’ici,
les régiments dissous étaient stationnés, pour la plupart, à
la périphérie du Reich. A présent la cadence des licencie-
ments s’accélère et atteint les unités groupées dans la région
de Berlin.
C’est le moment que choisissent les Spartakistes pour ten-
ter un raid sur le Reichstag. Le 12 janvier, plusieurs milliers
de manifestants, massés sur la Konigspldz, se ruent sur le
palais du gouvernement pour le prendre d’assaut. Surprise
par cette attaque brusquée, la police ouvre le feu sur les
assaillants : on compte 42 morts et 105 blessés.
Devant cette recrudescence inopinée des éléments extré-
mistes, le général von Lüttwitz considère comme un devoir
patriotique de s’opposer à toute nouvelle réduction des eff ec-
tifs de l’armée. Les Alliés ont l’intention de ne pas céder sur
ce point? C’est possible. Pour sa part le commandant du
Gruppenkommando I est bien décidé à ne pas céder non
plus.
t
+ *

A partir de ce moment, le conflit cntre le gouvernement


civil et les autorités militaires entre dans sa phase aiguë. Le
1. I Si le gouvernement s’était incliné, écrit Noske, il aurait fallu a’attendre
une &volte de la troupe. C‘est pourquoi je déclarai catégoriquement qu’il ne
fallait pas donner suite h la livraison des coupables. Finalement, nous réussîmes
éviter cet écueil. D (Von Kiel bia K ~ p p p.
, 202.)
U 6
82 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

l e r mars, la IIe brigade de la marine, commandée par le


capitaine de corvette Ehrhardt, fête le premier anniversaire
de sa fondation. Après un service religieux, auquel sont invi-
tés le général von Lüttwitz et l’amiral von Trotha, une revue
a lieu sur le terrain d’exercice de Doberitz. Les troupes
défilent au pas de parade. Les étendards noir-blanc-rouge et
les pavillons de marine claquent dans la brise, tandis que
retentit le rythme entraînant des vieilles marches prussiennes.
Puis un carré se forme autour des drapeaux. Les officiers
retracent les événements marquants auxquels la brigade a
pris part depuis un an. Mais une ombre plane sur les esprits :
l’ordre de dissoudre la brigade est arrivé au P. C. du com-
mandant Ehrhardt et tous les hommes se demandent avec
angoisse de quoi sera fait le lendemain.
Alors, le général von Lüttwitz prend la parole. I1 remercie
les volontaires pour la loyauté dont ils ont toujours fait
preuve à son égard et termine son allocution par ces paroles
qui retentissent comme un défi au milieu du silence général :
- J e ne souffrirai pas que l’on vienne détruire une troupe
aussi belle, en des temps aussi chargés d’orage 1.
Les soldats acclament le commandant en chef. Ils voient,
dans sa déclaration, la promesse qu’il les défendra contre
toute tentative de dissolution, et c’est d’un cœur plus léger
qu’ils regagnent leurs casernements.
Quelques heures plus tard, le général von Oldershausen,
informé des paroles que vient de prononcer le général von
Lüttwitz, convoque le colonel Arens, chef de la police de
sûreté de Berlin et l’avertit que l’éventualité d’un coup de
force paraît se rapprocher. On n’aura pas de trop, dans ce cas,
des 9.000 hommes de la police, car le général von Lüttwitz
sera soutenu par la brigade Ehrhardt, forte de 6.000 hommes,
et il est à prévoir que d’autres corps francs se joindront au
mouvement.
Effrayé par cette perspective, le chef de la police tente
une démarche auprès du général von Lüttwitz pour le dis-
suader de recourir à des moyens illégaux. I1 lui dépeint la
situation sous le jour le plus sombre et lui demande s’il s’est
assuré au moins le soutien des partis nationaux.
Lüttwitz lui répond que cette idée ne l’a même pas effleuré,
tant il a peu de confiance dans les parlementaires. Cédant

1. Cf. E. O. VOLKMANN,
La Réwlution aller>iande, p. 270-273.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 83
aux instances pressantes d’Arens, il consent néanmoins à
avoir une entrevue avec MM. Heintze et Hergt, chefs des
fractions conservatrice e t libérale du Reichstag.
Après une discussion animée, Heintze et Hergt suggèrent
au général d’adopter la procédure suivante : les partis de
droite demanderont au gouvernement de dissoudre 1’Assem-
blée nationale, désormais sans objet à partir du moment
où la Constitution sera votéel, et d’élire un nouveau Reichs-
tag et un nouveau président du Reich. I1 y a tout lieu de
penser que les élections donneront une majorité de droite.
On procédera alors à un remaniement ministériel, e t les
buts poursuivis par le général Lüttwitz seront atteints par
la voie légale.
Le commandant du Gruppenkommando I consent à ne pas
poser d’ultimatum au gouvernement avant de connaître le
résultat de cette démarche.
- J e patienterai encore quelques semaines, déclare-t-il,
mais à la fin du mois d’avril la situation sera critique;
passé ce délai, je ne pourrai plus prendre aucun engagement.
t
+ +

Entre-temps le Generallandschaftsdirektor Kapp, prévenu


par Lüttwitz que l’heure de la décision approche, a chargé
son homme de confiance, le journalis te Schnitzler, d’établir
les modalités de la prise du pouvoir.
Quarante-huit heures plus tard, Schnitzler soumet à Kapp
le plan demandé : Ia brigade Ehrhardt occupera Berlin par
surprise. Les membres du gouvernement seront arrêtés
durant la nuit. Le lendemain matin, on proclamera l’état
de siège et l’on mobilisera 1’Einwohnerwehr. Kapp assumera
simultanément les fonctions de Chancelier du Reich et de
président du Conseil de Prusse. Puis il constituera une sorte
de Directoire, avec la collaboration d’un certain nombre de
personnalités, préalablement pressenties 2.
1. L’Assemblée nationale n’a été élue que pour élaborer la nouvelle Constitu-
tion. Une fois cette tâche accomplie (11 août 1919), son maintien deviendra super-
flu, pour ne pas dire illégal.
2. Schnitzler songeait à offrir le portefeuille de l’intérieur A M. von Jagow,
ancien directeur de la police à Berlin; M. Bang prendrait les Finances; M. von
Wangenheim, l’Agriculture; le pasteur Traub, l’Instruction publique et les Cultes;
le général von Falkenhausen deviendrait chef de la Chancellerie d’État. Une fois
le nouveau gouvernement bien en selle, des postes importants seraient donnés à
Ludendorff, au colonel Bauer, peut-être même au Kronprinz.
84 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

Malgré l’optimisme de Schnitzler, Kapp ne peut se défen-


dre d’un sentiment d‘appréhension. Ce projet a quelque chose
de chimérique et d‘inconsistant. Est-il vraiment si facile de
s’imposer à un peuple de soixante millions d’habitants? On
ignore comment réagiront la Reichswehr, la police, les com-
mandants des Wehrkreise. On ne connaît pas davantage l’at-
titude des partis parlementaires et des syndicats ouvriers.
- I1 faudrait, suggère Kapp, avoir des engagements for-
mels de la part des chefs et ne pas se lancer à la légère
dans une aventure aussi grave.
Mais Lüttwitz intervient avec force pour dissiper les
craintes du Generallandschaftsdirektor. Toute l’Allemagne
n’attend qu’un geste de lui pour se rallier à sa cause. Son
caractère ne serait-il pas à la hauteur de la situation? Va-
t-il faire comme Noske, et se dérober au dernier moment?
Ce serait une déception terrible pour ceux qui ont mis
leur confiance en lui ...
Le 9 mars, Hergt transmet à Lüttwitz la réponse d’Ebert
et de Bauer aux propositions des parlementaires, deman-
dant la dissolution de l’Assemblée nationale et à son rempla-
cement par un Reichstag issu de nouvelles élections. C’est
un refus pur et simple.
Cette réponse ne surprend nullement Lüttwitz.
-Vous voyez à quoi mènent toutes vos machinations
politiques, dit-il à Hergt d’un ton sarcastique. J e préfère
m’en remettre au courage de mes bataillons.
Une dernière fois, Hergt prévient Lüttwitz des dangers
que comporterait un recours aux armes.
- Excellence, lui dit-il, je me permets d’insister sur ce
point : les partis de droite ne marcheront pas avec vous,
Si vous cherchez à déclencher une épreuve de force!
Mais Lüttwitz ne l’écoute plus : son opinion est faite. I1
sait à quoi s’en tenir sur (( les politiciens de pacotille D.
- Immer noch Kadett! Toujours Cadet, soupire Hergt à
Heinze en sortant de l’entrevue.
Le soir même, le général von Lüttwitz prend ses dispo-
sitions pour agir. I1 charge le colonel Bauer de sonder les
Alliés et de savoir quelle serait leur réaction devant un coup
de force éventuel. Le lendemain, au cours d’un entretien
avec le général Malcolm, chef de la délégation militaire bri-
tannique à Berlin, le colonel Bauer laisse entendre à son
interlocuteur qu’un putsch est dans l’ordre des choses pos-
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 85
sibles e t lui demande quelle serait, dans ce cas, l’attitude du
gouvernement anglais.
- Chercher à renverser le gouvernement Bauer serait de
la folie!)ui répond sans ambages le général Malcolm. Aucun
coup d’Etat ne serait accepté, ni toléré par les Alliés.
Mais cet avertissement ne décourage nullement les cons-
pirateurs. Ils demeurent convaincus que l’Angleterre s’incli-
nera devant le fait accompli et que la France isolée n’osera
pas intervenir 1.

+ +

Malgré le secret dont on les entoure, les conversations


poursuivies par le général von Lüttwitz n’ont pas échappé
aux milieux gouvernementaux. Mais Noske, malgré les rap-
ports alarmants qui lui parviennent de divers côtés 2, se
refuse encore à croire que les officiers soient assez fous pour
se lancer dans une aventure aussi insensée. A supposer même
qu’ils réussissent à s’emparer du pouvoir! qui mettront-ils
à la tête du gouvernement? Ni Kapp, ni Pabst, ni Lütt-
Witz ne sont de taille à se rallier les masses. Seul Hinden-
burg le pourrait. Mais les Alliés ne toléreraient jamais de
le voir à la présidence du Reich, lui dont le nom figure
au premier rang sur la liste des coupables de guerre. Alors,
que signifie toute cette agitation?
Bien qu’il lui en coûte de sévir contre ses anciens colla-
borateurs, le ministre de la Reichswehr n’en prend pas moins
quelques précautions. Justement, il a reçu, la veille, une note
de la Commission de contrôle, l’invitant à incorporer les
deux brigades de la marine aux quinze mille matelots auto-
risés par les clauses navales du Traité. Profitant de l’occasion,
Noske donne l’ordre d’enlever la brigade Ehrhardt au géné-
ral von Lüttwitz, et de la placer sous l’autorité de l’amiral
von Trotha.
A cette nouvelle, le général von Lüttwitz comprend qu’il

1. Cf. John W. WHEELER-BENNETT, Le Drame de l’armée allemande, p. 7 5 .


2. Cf. NOSKE,Von Kiel bis K a p p , p. 204. Les préparatifs du putsch étaient
connus et son imminence était couramment évoquée en public. Dès le 2 mars,
c’est-à-dire la veille de l’entrevue de Lüttwitz avec Heinze et Hergt, la police
avait été avertie des possibilités d’un soul8vement. Le 5 mars, Stresemann en
avait eu connaissance à Hambourg. Toutes les missions alliées et les journalistes
6trangers s’attendaient A quelque chose depuis déji quelques mois.
86 HISTOIRE D E L’ARMÉE A L L E M A N D E

n’a plus une minute à perdre. S’il se laisse déposséder de


la brigade Ehrhardt, tous ses projets seront réduits à néant.
I1 demande une audience immédiate au président du. Reich
qui la lui accorde le jour même. L’entrevue a lieu le 10 mars,
h 18 heures, en présence de Noske, du général von Olders-
hausen et du général von Oven.
Lüttwitz commence par poser une série de revendications :
- J’exige, déclare-t-il d’un ton comminatoire, que les
licenciements soient suspendus, que le général Reinhardt 1
soit remplacé par le général von Wrisberg, et que la brigade
Ehrhardt demeure sous les ordres du Gruppenkommando de
Berlin ...
Noske l’arrête d’un geste bref.
- Aucun général, répond-il en martelant chaque mot, n’a
le droit de poser des conditions au gouvernement. La brigade
Ehrhardt restera sous les ordres de l’Amirauté. La réduc-
tion des effectifs sera exécutée à la lettre. J e ne songe nulle-
ment à destituer le général Reinhardt, mais j’éliminerai sans
hésiter tout général sur lequel planerait le moindre soupçon
de déloyauté à l’égard des autorités légales.
Lüttwitz s’emporte :
- J e n’ai pas l’habitude, s’écrie-t-il, de m’entendre parler
sur ce ton. J’exige que l’on élise un nouveau Reichstag et
que le peuple soit appelé à désigner un nouveau président.
La réunion devient de plus en plus orageuse. Encore une
fois, Noske lui coupe la parole :
- La discussion a assez duré, dit-il d’une voix ferme,
l’heure est venue de se soumettre ou de se démettre. Vous
V O U S trompez, général, si vous croyez avoir toute la Reichs-
wehr derrière vous. Une insurrection armée déclencherait
des troubles graves, mais elle serait écrasée à coup sûr.
Les deux hommes se dévisagent d’un air menaçant. Puis,
d’un geste sec, Lüttwitz salue et se retire.
- Après cet esclandre, déclare Ebert, le général n’a $us
qu’à donner sa démission.
Mais le lendemain, 11 mars, au lieu de recevoir la démis-
sion du général von Lüttwitz, Noske apprend qu’une agi-
tation inusitée règne dans les bureaux de l’Union nationale.
Agacé par cette atmosphère de sédition perpétuelle, le minis-

1. Le colonel Walther Reinhardt, ministre de la Guerre de Prusse, avait été


promu major ghnérai quelque temps auparavant.
L’ÈRE DES COUPS D’BTAT 87
tre de la Reichswehr donne l’ordre au directeur de la police
de faire arrêter sur-le-champ Kapp, Pabst, Bauer et Schnitz-
ler. Avertis par un complice 1, les conspirateurs n’ont que
le temps de s’enfuir. Quand les agents de la police se présen-
tent au siège de l’Union nationale, la maison est vide.
A 10 heures, Noske fait appeler son chef du personnel e t
ordonne de relever immédiatement le général von Lüttwitz
de son commandement. Le général von Oven prendra sa
succession à la tête du Gruppenkommando I .
Une heure plus tard, le général von Oldershausen adresse
ce télégramme confidentiel à tous les commandants de
Wehrkreis .-
Berlin, Ilmars 1920. Urgent.
Le général von Lüttwitz va être destitué. Motif : désaccord
avec le ministre de la Reichswehr et le président du Reich.
Toute tentative pour modifier la forme du gouvernement échoue-
rait immanquablement, car des mesures ont été prises en consé-
quence et les négociations en cours avec l‘Entente ne doivent pas
être compromises par des désordres intérieurs z.

t
* *
Lorsque l’on examine attentivement les documents relatifs
au putsch de mars 1920, on ne peut manquer d’être frappé
par les conditions déplorables dans lesquelles il a été engagé.
(( Le géinéral von Lüttwitz, écrit un polémiste de gauche,
n’a pas hésité à déclencher un coup d’État pour satisfaire
ses ambitions personnelles et accroître son pouvoir déjà exor-
bitant. 1) De tels arguments font sourire. Au moment où il
se décide à passer aux actes, Lüttwitz est, en réalité, dans
une position critique. C’est un général que l’on vient de
relever de son commandement et qui sent vaciller autour de
lui tous les appuis sur lesquels il compte. Une partie de son
État-Major 3, les commandants de Wehrkreis, le ministre de
la Reichswehr, le gouvernement civil, les partis parlemen-
taires de droite et de gauche l’ont prévenu tour à tour

1. Probablement par un fonctionnaire de la police afilié A l’Union nationale.


2. E. O . VOLKMANN, La Révolution allemande, p. 278.
3. En particulier, le général von Oldershausen et son gendre, le major YOD
Hammerstein.
88 HISTOIRE D E L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

qu’ils ne le suivraient pas 1. Pourtant il refuse de se soumettre


et se lance dans une aventure extravagante, sans collabora-
teurs sérieux et sans programme défini 2. Pourquoi agit-il
ainsi?
C’est qu’il se sent acculé à l’action par ses troupes. I1
n’a cessé de les galvaniser par des appels véhéments et
s’est trop engagé envers elles pour pouvoir reculer. Elles
sont là, à l’arrière-plan, qui grondent e t s’énervent. Elles
se mettront en marche d’elles-mêmes, si Lüttwitz ne leur
en donne pas l’ordre. Et ce n’est pas seulement la bri-
gade Ehrhardt, c’est le corps franc de Rossbach, les volon-
taires d’Auloclr e t de Schmidt, de Lützow et de Pfeffer,
qui viennent de la Silésie e t de la Ruhr, de la Rhénanie
et de la Baltique 3. (( Ils avaient combattu aux frontières,
écrit Ernst von Salomon, ayant derrière eux un pays
désespéré... Mais lorsqu’ils s’aperçurent qu’ils n’avaient
plus d’arrière-pays, plus de centre de gravité, ils se tour-
nèrent vers Berlin. Ils exigèrent que Berlin leur fournît
des précisions sur son attitude. Mais Berlin ne pouvait
leur en donner et ils attendaient, sombres et résolus,
l’arme au poing ... Les officiers guettaient les courriers e t
les courriers faisaient le récit des négociations idiotes et mes-
quines qui avaient lieu entre le général von Lüttwitz et
Noske. L’affaire n’avait pas bonne tournure et nous crai-
gnions qu’elle ne finît par un compromis. Mais nous étions
décidés à marcher coûte que coûte, sans Lüttwitz et sans
Kapp, si c’était nécessaire. Peut-être même contre eux 4. D
On voit donc que le colonel Reinhard n’a pas tort d’écrire
que le général von Lüttwitz fut débordé par ses propres
troupes 5. I1 avait attendu trop longtemps avant de se déci-

1. I Comme mon état-major, influencé par son chef (le général von Oldershau-
sen), m’ignora délibérément à partir de ma mise en congé, écrit le générai von
Liittwitz, et comme le général von Oven (commandant du Wehrkreis 111) évita
de se montrer, je fus obligé d’organiser à moi seul toute cette affaire. Ce fait,
joint au peu de temps dont je disposais, explique bien des imperfections dans les
préparatifs. D ( i r n Karnpf gegen dia A’ouemberretdution, p. 118-119.)
2 . a La direction politique n’était pas prête non plus. D (Id., ibid.) En public,
Kapp faisait preuve du plus grand optimisme. Mais il se montrait moins sur de
lui dans des conversations privées et n’hésitait pas i parler du a stupide ultima-
t u m du général, qui l’avait ob1,igé i s’emparer du pouvoir plus tôt qu’il n’aurait
convenu. D (CI. E. O . V o L I i m N N , La Révoldon allemande, p. 280.)
3. a Toute une partie de mon corps des Chasseurs fut cntraînée dans le tour-
billon D, écrit le générai KERCIIER (Vom Kaiserheer ZUT Reichswehr, p. 532).
4. Ernst von SALOMON, Les Rhprouvés, p. 131-134.
5. .Aûn de prévenir la dissolution, Ehrhardt marcha sur Berlin plus t6t que
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 89
der 1. A présent, il a presque toutes les chances contre lui.
La nation n’est pas encore prête à accepter une dictature
et la Reichswehr est déjà à demi licenciée. La tragédie du
putsch de Kapp peut se résumer en quelques mots : au
point de vue politique il était encore trop tôt pour agir;
au point de vue militaire, il était déjà trop tard.

4 4

Sitat informé qu’un mandat d’arrêt a été lancé contre les


dirigeants de l’Union nationale, Lüttwitz se rend en toute
hâte au camp de Doberitz, où il se place sous la protection
du capitaine Ehrhardt. La fin de la journée s’écoule sans
incident. Mais le 12 mars au matin, le gouvernement apprend
coup sur coup que la brigade de la marine s’est retranchée
à Doberitz, à dix-huit kilomètres de Berlin, que des fils de
fer barbelés et des mitrailleuses protègent l’entrée du camp,
et que personne n’a le droit d’y entrer ou d’en sortir.
Alarmé par ces nouvelles, Noske décide d’aller lui-même
à Doberitz pour voir ce qui s’y passe. Le général Reinhardt
l’en dissuade : en ces heures de crise aiguë, la place du
ministre de la Défense nationale est à Berlin. Or, s’il se
rend à Doberitz, il risque d’y être fait prisonnier.
Noske se range à cet avis; il y envoie à sa place l’amiral
von Trotha. Choix étrange, car l’amiral est plus ou moins
complice des conjurés. I1 téléphone à Ehrhardt pour le
prévenir de sa venue 2.
Aussitôt, le capitaine Ehrhardt réunit ses hommes et leur
dit de se tenir prêts pour un exercice de nuit. Puis il
réunit ses officiers et leur communique le plan de campagne.
On se mettra en route à 22 heures pour marcher sur Berlin.
Une compagnie de choc précédera le gros des troupes avec
une batterie d’obusiers. Toute résistance sera brisée sans
merci. E n attendant, que les hommes se couchent e t fassent
comme si de rien n’était.
ne le prévoyait Kapp. Ce dernier fut obligé de suivre le mouvement. a (Coloncl
R E i N n A n D , 1918-1919, p: 129).
1. LurTwIrz rcconnnit lui-même ( I m i<arnpf gegen die n’otamberretolulion,
p. 84-85), qu’il aurait dû agir plus tôt.
2. a J’apprij plus iard, écrit Xoske, que von Trotha avait donne un coup de
téléphone au camp pour annoncer son arrivée. y (Von K i e l bis Iiapp, p. 20s). Ce
coup de téléphone fit accuser von Trotha d’avoir trahi IC gouvernement. L’amiral
demanda ultérieurement à se disculper devant un conseil de guerre : il fut acquitté.
90 HISTOIRE D E L’ARIIÉE A L L E M A N D E

Un peu avant 22 heures, l‘amiral von Trotha arrive à


Doberitz. Le camp est plongé dans l’obscurité.
- Le bruit court, dit l’amiral à Ehrhardt, que la brigade
se prépare à marcher sur Berlin cette nuit même.
- La troupe est au camp. Les hommes dorment, répond
le capitaine. Vous pouvezvous en assurer de vos propres yeux.
- C’est fort heureux, dit l’amiral. J’espère que vous ne
tenterez rien de déraisonnable. Vous savez quelle effrayante
responsabilité serait la vôtre, si les bruits qui circulent étaient
fondés.
Ehrhardt propose une seconde fois à l’amiral de visiter le
camp, pour se rendre compte qu’il y règne la tranquillité
la plus absolue.
- Non, non. C’est inutile, répond l’amiral. J e ne suis pas
venu pour vous espionner. J e me fie à votre parole.
Trotha rentre à Berlin et fait son rapport à Noske.
- Tout est calme à Doberitz, dit-il au ministre de la
Reichswehr, aucun trouble ne semble à redouter pour l’ins-
t a n t , mais la situation peut changer d’un moment à l’autre.
Une demi-heure plus tard, la brigade Ehrhardt est en
marche l.

Dès que Berlin est informé qu’Ehrhardt et sa brigade se


dirigent vers la capitale, c’est, au ministère de la Reichs-
wehr, un branle-bas général. Noske convoque d’urgence le
général von Oldershausen, le général von Oven et le colonel
Wetzell, et les charge d’alier au-devant des rebelles
pour leur donner l’ordre de retourner immédiatement à leur
camp. Quelques instants après, une puissante automobile
emporte les trois officiers dans la direction de Doberitz.
Un peu avant minuit, les délégués de Noske croisent, à la
hauteur de la Havel, les détachements avancés de la brigade
de la marine. Le général von Oldershausen demande à par-
ler au capitaine Ehrhardt. Un enseigne de vaisseau lui répond
que le capitaine est resté au camp. Harassé par les incidents
de la journée, il a voulu prendre un peu de repos avant de

1. Même à ce moment, le gouvernement n’était encore au courant de rien. Ce


fut un journaliste qui prit sur lui de téléphoner A Noske, pour l’informer de ce
qui se passait.
L’ÈRE DE S COUPS D’ÉTAT 91
s’engager dans l’action. L’automobile des généraux poursuit
sa route vers Doberitz.
Réveillé en sursaut par l’arrivée des généraux, Ehrhardt
croit tout d‘abord qu’on vient l’arrêter et empoigne son
revolver.
- Haut les mains! s’écrie-t-il.
- Ne tirez pas! lui répond le général von Oven. Le gou-
vernement nous envoie pour négocier avec vous.
- Négocier? A quoi bon? répond Ehrhardt en abaissant
son arme, je ne fais qu’exécuter les ordres du général von
Lüttwitz. Il n’est pas en mon pouvoir d’arrêter les événe-
ments.
- Voulez-vous donc déclencher une lutte fratricide entre
les différents éléments de la Reichswehr?
- Croyez-vous qu’on en arrive à cette extrémité?
- Sans aucun doute.
- Dans ce cas, dit Ehrhardt après un moment de réflexion,
je n’ai pas le droit d’écarter la possibilité d’un accord.
J e n’avancerai que jusqu’au Tiergarten. Là, j’attendrai de
connaître l’acceptation ou le refus de nos conditions.
- Quelles sont-elles?
Ehrhardt griffonne rapidement sur un papier les mots
d’ordre qu’il a entendu prononcer les jours précédents par
le général von Lüttwitz : élection présidentielle, élections
législatives, création d’un Cabinet de techniciens, réintégra-
tion du général von Lüttwitz au Gruppenkommando I, dési-
gnation d’un général de son chois au poste de ministre de
la Reichswehr. I1 demande une réponse avant 7 heures du
matin.
Nantis de ces conditions, les généraux retournent à Berlin,
tandis qu’Ehrhardt s’empresse d’aller rejoindre sa brigade.
Mais le délai de grâce qu’il vient d’accorder au gouverne-
ment réduit à néant toute la tactique des insurgés. Le plan
du général von Lüttwitz consistait à agir par surprise et à
emprisonner tous les ministres dans la nuit du .12 au 13 mars.
A présent, ce plan est devenu inexécutable. Les heures qui
s’écoulent entre le départ de la brigade Ehrhardt et son
entrée à Berlin vont permettre au Cabinet d’organiser les
premiéres mesures de défense e t de se mettre à l’abri de ses
adversaires.
92 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEXANDE

t
c c

Vers 1h. 30 du matin, le général Reinhardt, le major von


Gilsa, chef d’État-Major de Noske, le général von Seeckt,
chef du Truppenant, l’amiral von Trotha, le général von
Oldershausen, le général von Oven, le conseiller Rauscher
et d’autres officiers supérieurs se réunissent dans le bureau
du ministre de la Reichswehr pour envisager les mesures à
prendre à l’égard des rebelles. Les nouvelles, recueillies çà
e t là, ne sont guère rassurantes. I1 est à craindre que la gar-
nison de Potsdam ne fasse cause commune avec les (( Kap-
pistes )) et que la police de la capitale ne se joigne au mou-
vement. Le général von Oven donne lecture des conditions
d’Ehrhardt.
- Cette nuit marque la faillite de toute ma carrière,
s’écrie Noske. Ma confiance daiis le corps des officiers est
irrémédiablement brisée!
Pourtant le ministre de la Reichswehr n’est pas disposé à
sc rendre sans lutte.
- J e livrerai bataille aux éléments contre-révolution-
naires, rugit-il, et j’écraserai la rébellion par les armes! Que
les officiers qui sont prêts à me suivre lèvent la main!
Mais seules deux mains se lèvent : celle du général
Reinhardt et celle du major von Gilsa. Tous les autres offi-
ciers, y compris l’amiral von Trotlia, refusent de s’engager
dans cette voie. Alors, dans le silence oppressé qui a suivi
la question de Noske, le général von Seeckt prononce ces
paroles désormais historiques :
- La Reichswehr ne tire pas sur la Reichswehr! Avez-
vous l’intention, monsieur le Ministre, de tolérer une bataille
rangée devant la porte de Brandebourg, entre des troupes
qui, il y a peu de temps encore, combattaient côte à côte
contre l’ennemi?
Par ces mots, le général von Seeckt veut-il sauver les
insurgés? Sans doute. Mais il mesure plus encore les consé-
quences tragiques qu’aurait cette lutte fratricide. Dès que
la Reichswehr aura frappé la Reichswehr, toute camarade-
rie, toute union auront disparu au sein du corps des officiers.
La catastrophe, si péniblement conjurée depuis le 9 novembre
1918, sera devenue un fait accompli.
Tels sont les arguments qu’il exprime. Mais il en est
,,’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 93
d’autres, qu’il tait, e t qui n’en contribuent pas moins à
façonner son attitude. Si l’armée se croise les bras, jusqu’à
ce qu’on puisse y voir plus clair dans cette épreuve de force,
elle pourra entrer ii ce moment dans l’arène, et prendre place
aux côtés du vainqueur. (( Si ce vainqueur est von Lüttwitz,
l’armée recouvrera tous ses droits et sa splendeur d’avant la
révolution; si c’est Ebert, von Seeckt est assez intelligent
pour savoir qu’un régime républicain, maintenu au pouvoir
grâce à une grève générale, sera obligé par la suite de s’ap-
puyer fortement sur l’armée pour enrayer l’anarchie 1. )) Ainsi
donc, quoi qu’il arrive, l’armée sera la clef de voûte du pou-
voir h l’inthieur du Reich.
Mais Noske, dont la pensée suit d’autres chemins, ne voit
qu’une chose : l’armée refuse de prendre parti.
- Puisque vous ne voulez pas combattre pour défendre le
gouvernement, dit-il, il ne me reste qu’à appeler les ouvriers
aux armes.
- Ce n’est guère possible, objecte le conseiller Rauscher.
L’ultimatum expire dans cinq heures. Le délai est trop court.
- Que l’on mobilise au moins la police de sûreté! adjure
le ministre de la Reichswehr.
Mais là encore, le général von Seeckt lui enlève tout espoir.
Certains éléments de la police ont déjà pactisé avec les insur-
gés.
- Vous m’abandonnez tous! rugit Noske. I1 ne me reste
qu’à me suicider!
Sous la violence de cette apostrophe, les généraux baissent
la tête. Alors le ministre de la Reichswehr se lève :
-C’est bon, dit-il d’un ton laconique, le Conseil des
ministres décidera.
t
+ i

Le 13 mars, à 3 heures du matin, tous les ministres sont


réunis chez Ebert. Noske fait un exposé rapide de la situa-
tion e t rend compte de sa conversation avec les généraux.
D’emblée, Ebert écarte toute mesure susceptible de déclen-
cher la guerre civile. Ce n’est pas par la résistance armée que
l’on viendra à bout des rebelles, mais par la grève générale.
Elle seule est capable de briser les reins au mouvement
1. CI. Jolin W.WUEELER-BENNETT,
Le Drame de l‘armie allemanùe, p. 77.
94 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

contre-révolutionnaire. Afin de res ter maître de la situation,


le Cabinet doit se mettre hors de portée de Kapp e t de
Lüttwitz. Les ministres décident, en conséquence, de trans-
férer le siège du gouvernement à Dresde où ils se placeront
sous la protection du général Mærcker 1. Seuls, le vice-chan-
celier Schiffer, le général von Seeckt et les sous-secrétaires
d’État, resteront à Berlin en tant qu’observateurs. Le temps
de téléphoner aux principaux fonctionnaires d’Empire pour
leur interdire de collaborer avec le nouveau gouvernement,
et le ministère se met en route.
A 5 h. 40, une première auto emporte vers la Saxe le
président Ebert, qu’accompagnent M. Muller, ministre des
Affaires étrangères et M. Meissner, chef de la Chancellerie.
Peu après, un camion où ont pris place Noske, le chancelier
Bauer, le major von Gilsa et le capitaine Hahn, du ministère
de la Reichswehr, s’éloigne à son tour. Deux cents députés
s’enfuient comme ils le peuvent, les uns en voiture, les autres
par le train. Erzberger, qui a donné sa démission du Cabi-
net la veille, se réfugie à Tempelhof, au couvent du ((Bon
Pasteur D. Aux premières heures du jour, le gouvernement
s’est volatilisé.
I.On mcsure par là combien la situation a changé. En avril 1919, la Saxe était
en pleine dissidence et un ministre du Reich, RI. Neuring, y avait été lynche par
la foule. (Voir vol. I, p. 300). A présent (mars 1920), la situation a subi un tel
retournement que le gouvcrnement du Reich peut s‘y réfugier sans craindre d’être
molesté. Ce n’est pas l’hostilité de la population qui obligera le Cabinet à quitter
la capitale de la Saxe mais - comme nous le verrons plus loin - l’attitude amhi-
guë du général hfacrcker.
VI

LE PUTSCH KAPP-LÜTTWITZ

II. - L e coup de force.


A 7 heures, un soleil radieux se lève sur Berlin. N’ayant
reçu aucune réponse à son ultimatum, le capitaine Ehrhardt
commande à sa brigade, massée dans le Tiergarten, de se
mettre en marche. Quelques instants plus tard, la colonne
défile, tous drapeaux déployés, sous la porte de Brandebourg.
A la même heure, la garnison de Potsdam et divers corps
francs font leur entrée dans la \-ille, venant du sud-ouest e t
de l’est. Ehrhardt accorde un délai de quarante minutes aux
soldats du gouvernement pour se retirer s’ils le désirent.
La plupart demeurent en place et continuent à moiiter la
garde - mais pour Kapp 1.
Le quartier des ministères et les principaux points stra-
tégiques sont rapidement occupés. Une partie des soldats
d’ Ehrhardt campe devant la Chancellerie, tandis que le gros
de la brigade s’installe au ministère de la Marine. Personne
à Berlin ne se doute de rien. On a étranglé la République
à la muette, sans qu’aucun bruit suspect ne soit venu trou-
bler la paix de cette nuit 2.
Lorsque la capitale se réveille, les premiers promeneurs
sont surpris de voir l’ancien drapeau impérial flotter sur la
Chancellerie et sur les principaux édifices publics. Les rues
sont sillonnées de patrouilles en armes qui dispersent les
attroupements et font circuler les curieux. N Sicherheitswehren
et Reichswehr n’inquiètent guère, écrit Louis de Brouckère,
La Contre-RétaZrclion en Allemagne, p. 2.
1. Louis de BROUCKÈRI~,
2. ID., ibid., p. 12.
96 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

mais aux carrefours, dans les cours, sur les places, voici que
campent les Baltilcums, et ceux-là, les Berlinois ne les voient
pas sans frissonner. Combien sont-ils? Nul ne peut le dire
...
avec précision De toute façon, ils forment des bandes
redoutables, campées dans la nation ... Ajoutons qu’ils sont
formidablement armés. Ils portent le fusil chargé, baïon-
nette au canon. Ils ont à la ceinture le pistolet automatique
avec une gaine de bois qui prolonge au besoin la crosse pour
faire une façon de carabine. Ils ont aussi deux grenades à
manche, dont l’explosion dans la foule provoquerait de ter-
ribles massacres. Leur casque s’orne de la double croix anti-
sémite 1. Ils sont jeunes, tout jeunes pour la plupart. Ils ont
le teint terreux des hommes qui ont longtemps fait cam-
pagne. Ils sont sveltes et souples, entraînés. Ce sont de beaux
soldats. Ceux qui ne sont pas de service se promènent,déjà
par la ville... Ils examinent les richesses et les beautés de la
grande cité avec une curiosité où parfois l’on sent passer
comme une sauvage convoitise... Les Gaulois devaient être
comme cela, aux premières heures de la conquête de Rome z. D
t
* *
A peine les troupes ont-elles pris possession de la ville que
Kapp s’installe à la Chancellerie e t signe les premiers décrets
de son gouvernement. I1 nomme le général von Lüttwitz
commandant en chef et ministre de la Reichswehr. L’état
d’exception est promulgué dans la région de Berlin. L’Uni-
versité est fermée, les journaux suspendus. Puis Kapp
fait afficher en ville une proclamation, exposant les inten-
tions du nouveau gouvernement.
Mais ce manifeste incolore, où les mots (( le gouvernement
...
s’engage n reviennent treize fois comme un refrain mono-
tone, ne produit aucun effet sur la population berlinoise.
(( I1 faudrait à cette heure, écrit l’auteur du Siebsn-Tagebuch,

quelqu’un qui sût manier l’opinion publique. Or Kapp et ses


collaborateurs ignorent tout de cette arme, la plus moderne
1. e En ce qui concerne les croix gammées, écrit Rudolf Mann, beaucoup de
nos hommes les portaient i leur casque. Les uns prétendaient que c’était le mono-
gramme personnel d’Ehrhardt; les autres, qu’il s’agissait d’un symbole folklorique
letton, rapporté en Allemagne par les Baltes. Mais la plupart des volontaires
savaient le sens exact de ce signe, et le portaient en pleine connaissance de cause. D
(fifit Ehrhardt àurch Deuiadiiund, p. 181.)
2. Louis de BROUC~~ERE, La Contre-Révolution en Allenaagne, p. 23.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 97
e t la plus redoutable de toutes l. )) Au lieu d’hommes éner-
giques et compétents on voit affluer à la Chancellerie une
cohue invraisemblable de profiteurs de la contre-révolu-
tion. La plupart sont en guêtres blanches et en chapeau haut
de forme. Est-ce là le Cabinet de (( techniciens )) qu’Ehrhardt
et Lüttwitz réclament depuis des semaines? Non, certes. Mais
les vrais ((techniciens»,ceux que l’on avait pressentis pour des
postes importants, demandent à réfléchir avant de laisser
figurer leur nom sur la liste ministérielle.
Tandis que Kapp est assailli d’intrigants et d’importuns,
le général von Lüttwitz arrive au ministère de la Reichs-
wehr.
I1 commence par destituer le général Reinhardt, ministre
de la Guerre de Prusse, et place tous les services du ministère
de la Reichswehr sous les ordres du général von Wrisberg. Le
général von Seeckt, écarté du Truppenamt 2, est remplacé
par le général von der Goltz, le héros de la Baltique. Le
général von Oldershausen, chef d’État-Major Général, est
remplacé par le colonel Bauer, homme de confiance du géné-
ral Ludendorff. Enfin, le général von Oven, commandant
du Wehrkreis I I I , est remplacé par le colonel Reinhard,
l’ancien commandant du 4e régiment de la Garde qui vient
d’être rayé des cadres à la demande de Scheidemann3.
S’étant ainsi entouré d’hommes sûrs, - ou qu’il croit tels
- le général von Liittwitz s’occupe d’augmenter les effec-
tifs de ses troupes. I1 lance une série de télégrammes à la
Division de Fer, à Stade, a u 23e régiment d’artillerie, à
Hambourg, au corps franc de Rossbach, à d’autres forma-
tions encore, dont quelques-unes sont déjà dissoutes ou en
voie de dissolution, pour leur ordonner de se tenir prêts à
marcher sur Berlin. La police de sûreté et YEinwohnerwehr
sont également mobilisées. (( De sorte que le 13 mars, à midi,
écrit le colonel Bauer, tous les Etats-Majors, la police et les
troupes du Gruppenkommando I s’étaient résolument rangés
de notre côté 4, n
1. Sicben-Tage-Bucli, p. 12.
2. 4 Le générai von Sccckt, écrit Lüttwitz, se retira en apparence des affaires.
Maiheurcusement, je nhgligeai de le faire surveiller étroitement. J’appris seule-
ment plus tard qu’il était l’âme de la résistance militaire contre notre entreprise. D
(Zm Kampf gegen die h’otamberretdution, p. 122).
3. Voir plus haut, p. 78, note 1.
4. Colonel BAISER, Der 13fe MUrz 1920, p. 16.

II 7
98 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

c +

Un peu après midi, le gouvernement Ebert-Noske arrive


à Dresde, où il est reçu par le général Mmcker, entouré de
son État-Major. L’ancien commandant du corps des Chas-
seurs commence par déclarer qu’en tant que soldat, il est
tenu d‘exécuter les instructions de son chef, le général von
Lüttwitz, et qu’il a reçu l’ordre de placer le gouvernement
en détention préventive.
- Qu’entendez-vous par là? dit Ebert, interloqué.
- J’interprète l’ordre du général von Lüttwitz de la façon
suivante : mon devoir est de veiller étroitement sur votre
sécurité.
- Ne savez-vous donc pas que le général von Lüttwitz
a été destitué? demande Noske, surpris et irri’té par cette
déclaration ambiguë.
Mais le général Mærcker se retire sans fournir d’explica-
tions.
L’attitude équivoque du commandant du Wehrkreis I V
ne rassure guère les membres du Cabinet, et les incite à ne
pas prolonger leur séjour à Dresde. Après avoir expédié
quelques messages urgents, le président Ebert décide de
transférer le siège du gouvernement légal à Stuttgart, où le
loyalisme du général Bergmann lui garantit une sécurité
absolue.
. I

Au soir du 13 mars, douze heures après l’entrée de la bri-


gade Ehrhardt à Berlin, la situation du Reich est à peu près
la suivante :
Toutes les troupes du Gruppenkommando I sont favo-
rables à Kapp. Toutes celles qui dépendent du Gruppenkom-
mando I I sont neutres ou même hostiles. De ce fait, 1’Alle-
magne se trouve déchirée en deux : les régions agraires du
nord et de l’est ont pris parti pour le nouveau gouverne-
ment, tandis que les régions en majorité industrielles du
sud et de l’ouest - où le Generallandschaftsdirektorest pour
ainsi dire inconnu - restent fidèles à Ebert et au gouver-
nement légal.
(( N’hésitez pas à intervenir, avait dit Kapp à Lüttwitz,

lors de leur première entrevue. Les troupes n’attendent


L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 99
qu’un geste de vous et exécuteront vos ordres par-dessus
la tête des gtnéraux indécis. )) Cette prédiction ne s’est réa-
lisée que d’une façon partielle. Loin de s’étendre à tout le
Reich, comme l’avait espéré Lüttwitz, le putsch reste cir-
conscrit à Berlin e t à l’Allemagne du Nord. Il a même pro-
voqué en Bavière une réaction inattendue.
Car, dans la nuit du 13 au 14 mars, des bataillons d’en-
gagés temporaires e t des formations de l’ûrgesch com-
mandées par le lieutenant Oesterreicher et le capitaine
Escherisch, se mutinent et décident de renverser le Cabinet
socialiste, présidé par M. Hoffmann 2. Soutenues par le colo-
nel von E p p 3 e t M. Pohner, directeur de la police, des
milices armées cernent le Cabinet bavarois e t l’obligent à
se démettre en faveur d’un nouveau gouvernement de ten-
dance nationaliste, présidé par M. von Kahr4. Ce brusque
changement d’orientation dans la politique intérieure bava-
roise aura des conséquences considérables par la suite. Mais,
pour l’instant, il n’améliore en rien la situation du général
von Lüttwitz. Malgré le coup de force, exécuté par des élé-
ments étrangers à l’armée, les trois divisions de la Reichs-
wehr stationnées en Bavière et commandées par le général
von Mœhl, gardent, à l’égard de Berlin, la neutralité la
plus stricte.
+ +

Le 14, au matin, des complications nouvelles surgissent


à l’horizon. La veille au soir, les fractions bourgeoises du
Reichstag 5 ont décidé de se désolidariser officiellement du
nouveau gouvernement. Les députés Heintze et Hergt avaierit
bien prévenu Lüttwitz qu’ils ne le suivraient pas sur le ter-
rain de l’illégalité. Mais le général n’avait pas cru devoir
tenir compte de leurs conseils. A présent, il mesure toute
l’étendue de son erreur. (( L’attitude passive des partis bour-
geois, écrit-il, fut pour nous une déception plus amère encore
1 . Sur la structure et le rôle des Engagés temporaires et de I’ûrgesch, voir plus
loin, p. 148, note 4.
2. C’est l’ancien président du gouvernement de Bamberg, qui avait réintégré
Munich B la suite de l’expédition de Noske.
3. L’ancien commandant du corps des Tkailleurs bavarois. (Voir vol. I, p. 290).
4. On trouvera un récit détaillé de ce coup d’État dans Walter FRANK,Franr,
Ritter ron Epp, p. 95 et suiv.
5. C’est-i-dire le Centre, IC Parti démocrate, le Parti populaire allemand, et
le Parti Deutscii-national.
100 EISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

que la défection du Gruppenkommando I I . Déjà nous ne


pouvions plus compter sur le concours des troupes de cette
région. Dorénavant, les troupes de mon propre Gruppenkom-
mando I ne reçurent aucune impulsion nouvelle, du fait
qu’elles ne se sentaient pas soutenues par la population
civile 1. ))
Non seulement la population civile ne soutient plus la
troupe : elle ne va pas tarder à se tourner contre elle. Les
coups de téléphone lancés par Ebert avant de quitter Berlin
interdisant aux fonctionnaires de collaborer avec les (( usur-
pateurs »,commencent à porter leurs fruits. Dans la mati-
née du 14, le Comité directeur du parti Socialiste fait dis-
tribuer des tracts en ville, invitant tous les ouvriers à cesser
le travail 2. Le Comité central des syndicats ouvriers, la
Fédération des associations d’employés et le Cartel des tra-
vailleurs des services publics proclament, à leur tour, la
grève générale. Le centre catholique approuve cette décision,
les démocrates l’acceptent. En queIques heures, l’unité d’ac-
tion est réalisée.
Au début de l’après-midi, les usines commencent à fermer
leurs portes, les machines s’arrêtent. Le mouvement prend
rapidement une ampleur irrésistible. A cinq heures, la grève
est générale dans tout le Reich. C’est le plus vaste mouve-
ment gréviste que le monde ait jamais connu. Toute acti-
vité est suspendue. I1 n’y a plus ni trains ni tramways. Les
ateliers sont au repos, les magasins ferment. Les centres
nerveux de la capitale cessent de fonctionner l’un après
i’autre. Le ravitaillement est interrompu. Les services publics
aussi. I1 n’y a plus d’eau, plus de gaz,, plus d’électricité S.
(( Dès lors, écrit le général von Lüttwitz, il ne fallut plus

songer à une transformation durable du régime. Mais nous


pouvions encore obtenir bien des choses en nous appuyant
sur notre force armée et en exerçant une pression sur l’ancien
gouvernement. Le tout était de tenir assez longtemps pour
permettre aux négociations de s’engager avec le cabinet
d’Ebert 4, D
1. General von L ~ T ~ V I Tl eZi , Xaiil/Jf gegen die Notamberrevolution, p. 125.
2. a Voici une nouveauté frappante et bien caractéristique des temps où nous
vivons, Bcrit Louis de Brouckère, un gouvernement appelant le peuple à la grève,
comme moyen suprême de défendre la légalité. D (La Contre-Récolution en A b
magne, p. 39).
3. E. O. VOLKMANN, La Revolution allemande, p. 295.
4. General von LUTTWITZ, I m Kampf gegen die Novemberrswlulwn, p. 125.
L’ÈRE D E S C O U P S D’ÉTAT 101
Le lundi 15, la capitale est comme frappée de paralysie.
Tous les moyens de transport chôment. Les brigades de
secours techniques (Technische Nothilfe) sont incapables
d’assurer le fonctionnement des usines à gaz et des centrales
électriques. Mais pour le gouvernement, le pire est peut-
être la non-parution des journaux, que Kapp n’avait voulu
interdire que pour quelques heures l . A présent Lüttwitz
voudrait les faire reparaître de force, mais il est trop tard :
les imprimeurs sont liés par l’ordre des syndicats. C’est en
vain que les chefs de service de la presse s’efforcent de lutter
contre une situation qui les dépasse. On essaie de faire occu-
per les imprimeries par la troupe, mais les typographes
refusent de travailler sous la surveillance des soldats. Lorsque
l’on trouve enfin un atelier qui consent à imprimer des tracts
pour le nouveau gouvernement, les ouvriers en sont empê-
chés par le manque de courant élcctrique 2.
Maintenant que Kapp et ses collaborateurs sont en pré-
sence de difficultés graves, que les circonstances les pressent,
ils n’ont de solution pour rien, ne font rien. Le gouverne-
ment rival est à Stuttgart. Ils ne savent ni comment l’abattre,
ni comment se le concilier ... Ils semblent n’avoir pas prévu
que le gouvernement d’Ebert pourrait s’établir en province
et y trouver un point d’appui solide. lis n’ont certainement
pas escompté la grève générale qui les étreint maintenant
de sa puissance terrible et silencieuse 3.
Et, comme il fallait s’y attendre, la population civile sent
croître sa colère contre ceux qu’elle accuse d’avoir brisé la
renaissance économique du pays 4. Dans toute l’Allemagne,
la révolution, si durement réprimée, commence à gronder
de nouveau. Partout les extrémistes s’arment, sentant venir
l’heure de la revanche. Les centres d’agitation sont ceux-là
mêmes où la révolte avait pris corps en novembre 1918. On
se bat, à Kiel, à Halle, à Francfort, à Chemnitz. Le sang
coule en Saxe et en Thuringe. Une armée rouge s’organise
hâtivement dans la Ruhr. A Wilhelmshafen, les équipages
se sont emparés de l’amiral von Lewetzow et l’ont enfermé
1. Richard BERNSTEIN,Der Kapp-Puhch und seine Lehren, p. I O .
2. Cf. Hindenburg in Vernehrnung. Verlag der Taeglichen Rundschaic, p. 18.
3. Louis de BROUCKÈRE, La Confre-Révolution en Allemagne, p. 44-46.
4 . a Le chômage était en régression, écrit le général hlarcker, le pouvoir
d’achat de notre monnaie commençait & se rétablir, le goût du travail revenait.
Ces symptômes d’une renaissance économique furent brusquement brisés par l’in-
tervention de Kapp. D (Vom Kaiserlieer ZUT Reichswehr, p. 331).
102 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

avec quatre cents officiers dans la Tausendmannkaserne.


Enfin, les premières bagarres éclatent à Berlin : dans YIn-
validenstrasse, à la porte de Halle, à Steglitz et à la porte de
Kottbus.
Redoutant que les troupes de Berlin n’engagent une action
rangée contre les grévistes, le gouvernement d’Ebert adresse
une proclamation à l’armée 1 :

Soldats de la Reichswehr!
V o u s vous êtes engagés sur la foi d u serment à défendre la
Constitution d‘Empire et à obiir a u gouvernement ligalement
institué par l’Assemblée nationale. N o u s e n appelons à votre
honneur de soldats et de citoyens d’un pays libre. Restez fidèles
a u seul gouvernement ligal!
Exécutez scrupuleusement ses ordres et repoussez avec indigna-
tion toute tentative pour vous inciter a u parjure et à la trahison.
Faites de votre mieux, avec nous, pour sauver notre peuple du
danger de mort qui le guette et pour le conduire vers un avenir
meilleur, après cette ère de souffrances et d‘horreurs.
Le ministre de la Reichswehr, Le président du Reich,
NOSKE. EBERT.

(( Dans la nuit du 15 au 16 mars, écrit un témoin oculaire,

Berlin dormit mal. On s’attendait à quelque cataclysme mons-


trueux, au déchaînement de toutes les forces de l’abîme 2. ))

+ +

Le mardi 16 mars, la situation a encore empiré. Hier il


n’y avait plus de transports, ni d’eau, ni d’éclairage. Aujour-
d’hui, ce qui commence à manquer, c’est la viande, c’est le
pain. Par surcroît, le gouvernement n’a plus d’argent pour
payer ses troupes. I1 lui faudrait dix millions de marks pour
faire face à ses obligations. Or, M. Havenstein, président de
la Reichsbank, refuse d’honorer le billet à ordre que lui pré-
sente un émissaire de Kapp, en se retranchant derrière le
fait qu’il ne porte pas le contreseing du ministère des
Finances. En désespoir de cause, Kapp charge Ehrhardt de
prendre un bataillon de sa brigade et de forcer les caveaux
1. Cette proclamation fut jetee sur les casernes par des ovions gouvernemen-
taux ou distribuée aux soldats par l’entremise des syndicats.
2. Rudolph MANN,hlii Ehrhardt durch Deutschland, p. 176.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 103
de la banque. Ehrhardt refuse d’exécuter cet ordre : il n’a
pas marché sur Berlin, déclare-t-il, pour fracturer des coffres-
forts.
D’heure en heure, l’étau se resserre autour des insurgés.
Le seul moyen d’y échapper serait de conclure un accord
avec le gouvernement d‘Ebert. Mais celui-ci se dérobe e t fait
traîner les choses Pourquoi se hâterait-il, d’ailleurs, puisque
le temps travaille pour lui?
Enfermé dans les bureaux de la Chancellerie, Kapp, qui
lutte depuis quarante-huit heures contre des problèmes qui
le dépassent, ne dispose plus que d’une seule arme :la troupe.
Jusqu’ici, Lüttwitz n’a pas voulu s’en servir. Mais l’attitude
intransigeante des autorités d’Empire lève ses derniers scru-
pules : puisque Ebert et Noske refusent de négocier, ce sera
la guerre civile.
A 15 heures, le général von der Goltz, qui a succédé au
colonel Reinhard à la tête du Wehrkreis de Berlin 2 donne
l’ordre aux chefs de corps de fusiller tous les meneurs ainsi
que les ouvriers qui participeraient aux piquets de grève. Ce
décret doit entrer en vigueur le jour même, à 16 heures.
Bien qu’ils sachent que de pareilles mesures ne peuvent
que précipiter sa chute, les ennemis du général von Lütt-
Witz sont épouvantés par cette nouvelle. Deux heures, trois
((

heures, quatre heures! écrit Louis de Brouckère, nous ten-


dons anxieusement l’oreille, craignant d’entendre crépiter les
fusils des premiers pelotons 3. )) Soudain, le ministère de la
Reichswehr transmet aux chefs de corps l’ordre de surseoir
à l’exécution du décret. Que s’est-il donc passé?
A force de patieiice et de ténacité, le capitaine Pabst a
réussi à prendre contact avec les chefs des fractions de droite
et leur a demandé d’entamer les négociations avec Stuttgart.
- C’est très dificile, lui répond le vice-chancelier Schiffer .
1. Accompagné du commissaire d’État von Berger, le général Mærcker était
venu à Berlin, dans la soirée du 14 mars, pour offrir sa médiation au général von
Lüttwitz. Après l’avoir reçu avec une froideur marquée, le commandant du Crup-
penkornrnando I lui avait remis ses conditions. C’était à peu près les mêmes que
celles formulées le soir du 1 2 mars par le capitaine Ehrhardt, avec, en plus, une
demande d’amnistie générale pour tous ceux qui avaient pris part au putsch. Le
général Mærcker transmit ces conditions au gouvernement d’Empire, à Stuttgart,
qui lui fit remarquer qu’il ne l’avait pas mandaté pour entrer en pourparlers avec
le général von Lüttwitz, et refusa de les prendre en considération.
2. Le colonel Reinhard venait d’être placé à la tête d’une division. (Cf. 1918-
1919, p. 129.)
3. Louis de BROUCXÈRB,La Contre-Réwluiion en Allemagne, p. 50.
104 HISTOIRE D E L’ARM ÉE ALLEMANDE

Mais je puis vous assurer que le gouvernement d‘Ebert songe


à procéder à des élections législatives et à faire élire par le
peuple un nouveau prksident du Reich.
Ces deux points correspondent & deux des revendications
essentiellcs formulées par Kapp. Puisque le Cabinet d’Em-
pire semble prêt à les adopter, mieux vaut ne pas envenimer
la situation l. En conséquence, le général von Lüttwitz remet
au lendemain l’application des mesures de coercition. La
soirée s’écoule sans nouveaux incidents.
Mais dans la nuit du 26 au 17, survient un événement
d’une g r a d é exceptionnelle. Émus par la proclamation de
Noske aux soldats de la Reichswehr, les pionniers caser-
nés dans la Kœpcnlckerstrasse se niutinent et emprisonnent
leurs officiers. 11 faut qu’Ehrhardt envoie un bat,aillon de la
brigade de la maririe armé de lance-miiies, pour cerner la
caserne et libérer les prisonniers. L‘importance de ce hit
n’échappe pas au génPral von Lüitwitz : les troupes de la
garnison sont en train de l’abandonner.
Le lendemain, 17 mars, les conséquences de cette mutine-
rie apparaisseut dans toute leur ampleur. La police de sûreté
de Berlin déclare qu’elle se désolidarise du nouveau gou-
vernement et réclame la démission immediate de Kapp.
D’autres régiments menacent de faire cause commune avec
la police. N D’Uii seùl coup, écrit Lüttwitz, la situation était
devenue extrêmement grave. J e ne. pouvais plus me fier à
la majorité des troupes de Berlin, ni 9 leurs chefs. I1 ne fal-
lait plus songer à vaincre par la force. La brigade Ehrhardt
suffisait à maintenir l’ordre dans la population révoltée, mais
elle ne pouvait faire front, eii même temps, contre les a.utres
troupes et la police. Il ne me restait plus qu’a hâter les
négociations avec ies chefs de parti ... et à liquider l’affaire 2. D
Mais les chefs de parti, ayant appris la révolte des pion-
niers, se montrent soudain beaucoup plus réservés que la
veille. M. Schiffer, qui s’htait engagé B obtenir une amnistie
du gouvernement d‘Empire, retire toutes les promesses qu’il
a faites au capitaine Pabst, et déclare qu’il lui est impossible
1. D’autant plus qu’8 la méme heure, une délégation de chefs d’industrie, pré-
sidée par M. Ernst von Borsig, s’est présentée h la Chancellerie et a fait savoir
à Kapp que les industriels de Berlin préféraient fermer leurs usines, plutôt que de
laisser s’effectuer un pareil massacre. u L’unanimité est telle au sein de la
classe ouvrière, déclarent-ils, qu’il est impossible de distinguer les meneurs des
millions d’ouvriers qui ont cessé le travail. D
2. General von LGnwin, I m Kampf gegen die Novemberrewlutwn,p. 129-130.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 105
de poursuivre les conversations, aussi longtemps que Kapp
demeurera à la Chancellerie.
Le Generallandschaftsdirektor chancelle sous le coup. Mais
deux autres nouvelles le frappent, plus durement encore :
au début de l’après-midi, on apprend que le général Mær-
cker, rentré à Dresde, s’est rallié définitivement au gouver-
nement d’Ebert. Presque en même temps, le général Mal-
colm fait savoir au général von Lüttwitz que l’Angleterre,
et par conséquent les Alliés, ne reconnaîtront jamais le nou-
veau régime de Berlin. Cette notification consomme la défaite
des conjurés.
Physiquement et moralement brisé par la lutte de ces
derniers jours, Kapp se résout à démissionner sans condi-
tions. Dans un manifeste qui paraît le 17 mars, en fin d‘après-
midi, l’ancien Generallandschuftsdirektor de Prusse-Orientale
déclare qu’il considère sa mission comme terminée et qu’il
remet le pouvoir au général von Lüttwitz.
On hèle précipitamment un taxi et Kapp, qui était entré
le samedi matin à la Chancellerie, vêtu d’une jaquette pro-
tocolaire et coiffé d’un haut de forme reluisant, en ressort le
mercredi soir, le visage dissimulé par un cache-nez et u n cha-
peau mou enfoncé jusqu’aux oreilles. Pas de bagages : on lui
jette en toute hâte un paquet de papiers, tandis qu’un ballot
fait d‘un drap noué aux quatre coins et contenant ses effets
personnels est lancé sur le toit de !a voiture. Sa fille l’accom-
pagne. Elle est en larmes. Le taxi les emporte rapidement
vers Tempelhof où un avion les attend pour les amener en
Suède.
Le règne du dictateur a duré exactement cent heures
i
4 4

A présent, tout le poids des événements repose sur Lütt-


Witz. Parviendra-t-il à redresser la situation? Ludendorff lui
conseille de (( prendre le taureau par les cornes ».Son pre-
mier souci est de renouer les négociations interrompues avec
le gouvernement d’Ebert. Mais au moment où il va se rendre
au ministère de la Just.ice, où l’attend une délégation des

1. I1 rentrera bientôt en Allemagne et se rendra aux autorités du Reich.


Jeté en prison, il y mourra en 1922 avant de passer en jugement, terrasse par
le mai qui le rongeait depuis quelque temps.
106 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

partis parlementaires 1, les principaux officiers du ministère


de la Reichswehr arrivent h la Chancellerie et demandent à
lui parler.
Le commandant du Gruppenkommando I les fait entrer
dans son bureau. I1 y a là le général von der Goltz, le géné-
ral von Oven, le général von Hülsen, le général von Klewitz,
le général von der Lippe, le colonel Heye, le colonel Bauer,
le colonel Reinhard, d‘autres encore. Le général von Lütt-
Witz leur explique que son devoir lui commande de rester
en fonctions le plus longtemps possible, pour conjurer un
désastre et maintenir l’unité dans les troupes de la garnison.
Alors le colonel Heye, bras droit du général von Seeckt,
se détache du groupe des officiers et déclare d’une voix
ferme :
- Votre Excellence se trompe, si elle croit avoir encore
la confiance des troupes 2.
Lüttwitz tressaille sous ce coup inattendu.
- Votre Excellence doit donner immédiatement sa démis-
sion, poursuit Heye. I1 n’y a pas d’autre issue. Tout retard
ne ferait qu’aggraver la situation.
Lüttwitz maîtrise à grand-peine sa colère.
- J e ne tolérerai pas que l’on me dicte mes décisions,
s’écrie-t-il, et si vous ajoutez un seul mot, j e vous fais arrêter!
Au même instant, le capitaine Pabst vient informer Lütt-
Witz que les chefs de parti s’impatientent. Force lui est donc
de lever la séance, pour se rendre au ministère de la Justice.
Pendant son absence, les généraux restés à la Chancellerie
se concertent pour fixer leur ataitude à son égard. Luden-
dorff et le capitaine Ehrhardt se sont joints au Conseil.
Prenant la parole le premier, en tant que doyen d’âge, le
général von Oven confirme le point de vue du colonel Heye
et déclare à son tour que le commandant eh chef ne pos-
sède plus la confiance des officiers. Puis le général von der
Lippe annonce que la garnison de Potsdam s’est mutinée.
Le colonel Heye affirme qu’il n’y a plus qu’un moyen de
sauver la situation : que le général von Lüttwitz se retire,
et remette son commandement à un militaire qui n’a pris

1. Cette délégation se composait de MM. Stresemann (parti populaire), Hergt


et Westarp (parti national), Gothein (parti démocrate) et Trimborn (Centre).
2. Dans cette scène qui évoque, sur le mode mineur, le Grand Conseil de Guerre
de Spa du 9 novembre 1918, le colonel Heye joue exactement le même r81e que
le général Gmner.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 107
aucune part au coup d’État, c’est-à-dire au général von
Seeckt
Presque tous les assistants approuvent ce choix a. Seuls,
Ehrhardt et Rauer protestent avec véhémence. Ce dernier
demande que le commandement des troupes soit remis à Luden-
dorff. Le Grand Quartier-Maître Général commence par accep-
ter. Mais en apprenant que les caisses du gouvernement sont
vides et qu’il n’y a même plus de quoi payer la solde des
troupes il se ravise et quitte la Chancellerie sans ajouter
un mot 3.
ISceuré par tout ce qu’il vient d’entendre, le capitaine
Ehrhardt se prkcipite au ministère de la Justice, pour aver-
tir Lüttwitz de la dhfection de ses officiers.
- J’ai disposé une compagnie d’assaut dans la cour de
la Chancellerie, lui dit le commandant de la brigade de la
marine. Tous les généraux et les chefs de corps sont cernés.
Votre Excellence voit-elle un inconvénient à ce que je les
fasse arrêter?
Le gériéral von Lüttwitz réfléchit un instant. Déclencher
la terreur blanche? A quoi bon, puisque tout espoir est irré-
médiablement perdu ...
- C’est inutile, répond-il en baissant la tête, je vais don-
ner ma démission, ,puisque ces messieurs l’exigent.
((Ce jour-là, écrit Rudolf Mann, fut pour nous le jour
noir. Ce ne fut pas celui où l’on parla de grève générale; ni
celui où nous apprîmes que des bagarres avaient éclaté dans
plusieurs villes et que des coupables mouraient avec des
innocents; ni celui of^ l’on s’aperçut que les fonctionnaires
refusaient, par lâcheté, d’obéir aux ordres du nouveau gou-
vernement; ni m6me celui où la Reichshank décliiia le paie-
merit des chèques émis par Kapp. Tout cela pouvait s’ar-
ranger. Mais ce qui s’était passé à présent était irréparable.
On ne conquiert pas un pays avec des officiers opportunistes.

1. u Ainsi donc, remarque WheelerBennett, comme cela s’était produit pour


Guillaume II et plus tard pour Noske, les chefs militaires du Reich décidhrent de
jeter leurs leaders par-dessus bord pour sauver l’armée. Par une coïncidence
curieuse, c’est le colonel Heye qui, i chacune de ces occasions, dut se charger
du message. D (Le Drame de Z’ArmCe allemande, p. 81.)
2 . u La plupart des officiers se tournèrent soudain contre Lüttwitz, écrit Rudolf
Mann, et se découvrirent soudain une âme (I constitutionnelle n. Ils jughrent leur
chef avec des mots cinglants, alors que rien ne leur donnait le droit de s’ériger
en juges. D ( I m Karnpf gegen die Nweniberretolulion, p. 186.)
3. Cf. Rapport d’un agent secret des AUi6, publié dans l’Europe nouvel&, numbro
du 9 avril 1921, p. 477 et suiv.
108 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

A nous autres jeunes, on transmit cette nouvelle accablante


avec une brutalité toute militaire. On nous dit laconique-
ment : Les généraux se sont mutinés 1. ))
Rentré à la Chancellerie, le général von Lüttwitz rédige sa
lettre de démission. Puis il saute dans une automobile, e t
part avec son oficier d’ordonnance pour une destinat.ion
inconnue 2.
Aussitôt M. Hirsch, président du Conseil de Prusse, réunit
ceux d’entre ses collègues qui sont rest& à Berlin et confie
a u général von Seeclct le commandement des troupes sta-
tionnées sur le territoire du Gruppenkommando I. Peu après,
le chancelier Bauer, averti par téléphone, annonce à l’As-
semblée nationale, réunie à Stuttgart, que le gouvernement
Kapp-Lüttwitz s’est définitivement écroulé.
t
* *
A peine investi de ses nouvelles fonctions, le génkal von
Seeckt se voit placé devant une tâche des plus ardues : obte-
nir que les troupes rebelles évacuent rapidement Berlin afin
de les remplacer par des unités fidèles au gouvernement
républicain. Pour la plupart des régiments, ce sera relati-
vement facile. Mais que vont faire les Baltes? Que va faire
Ehrhardt, surtout, avec ses six mille hommes formidable-
ment armés?
Abordant le problème de front, Seeckt convoque le com-
mandant de la brigade de la marine et lui fait part de ses
intentions.
- J e compte sur la collaboration de tous les chefs de corps
pour m’aider à rétablir l’ordre, lui dit-il avec autorité. I1
faut que l’Allemagne recouvre des conditions d‘existence nor-
males. J e vous demande de vous retirer à Charlottenburg,
sans créer d‘incidents fàcheux.
- Soit, répond le capitaine Ehrhardt. J’y consens, mais
à condition que la brigade rie soit pas désarmée. J e vous
demande de nous épargner cette suprême humiliation.
Von Seeckt le lui promet 3. (( Au fond, nous n’étions pas
1. Rudolf MANN,Mit Ehrhmdt durch DeutPchland, p. 187.
2. On ne sut que beaucoup plus tard qu’il s’était réfugié d’abord chez le prince
Lynar, puis en Hongrie.
3. Plus tard, les adversaires de Seeckt le blâmeront d’avoir laissé partir la
brigade Ehrhardt sans la désarmer. s Si j’avais agi de la sorte, répondit Seeckt,
j’aurais détruit le seul corps vraiment discipliné qui existait encore ea Allemagne. n
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 109
fâchés de quitter la Wilhelnistrasse, écrit Rudolf Mann. Un
combat contre les Spartakistes ne nous disait plus rienqui
vaille. En quelques heures, notre humeur était complète-
ment retournée 1. ))
Cinq jours plus tôt, Ehrhardt et ses hommes faisaient leur
entrée à Berlin par une aube radieuse et sous un soleil écla-
tant. A présent, ils quittent la capitale dans la grisaille du
crépuscule, et sous une petite pluie pénétrante. Malqré le
mauvais temps, les trottoirs jont noirs de monde. Lente-
ment., l’infanterie et les équipages s’ébranlent. Les soldats
s’avancent le long des Idinden,le visage sombre et menaçant.
Les coups de simet et les huées s’élèvent sur leur passage.
Ils s’enflent et finissent par couvrir la musique qui dispa-
raît à l’angle de la porte de Brandebourg. La foule a tort de
jouer ainsi avec les nerfs surtendus des hommes, car I’inévi-
table arrive : quelques soldats, exaspérés par les insultes
qu’on leur crache au visage, se précipitent vers la foule pour
rosser un manifestant.
Soudain, des coups de feu crépitent au troisième étage
d’un immeuble : un homme, en bleu de travail, a tiré SUP la
troupc. Plusieurs soldats sont blessés. Prise de panique, la
foule se précipite vers l’hôtel Adlon pour y chercher un
refuge. Tout se passe avec la rapidité de l’éclair.
(( Cette fois-ci c’en est trop! écrit Rudolf Mann. Une dizaine

de soldats mettent la foule en joue et ripostent par un feu de


salve. Des rangées de civils tombent, fauchées. Les comman-
dants de compagnie - de mauvais cavaliers pour la plupart,
car ce sont des marins - ne parviennent pas à maîtriser
leurs montures qui se cabrent et s’.abattent sur le macadam
glissant. Croyant qu’on a tué leur capitaine, deux soldats
ouvrent un feu nourri sur la foule. Des cadavres de plus en
plus nombreux sont amenés dans le hall de l’hôtel Adlon.
Sans qu’on leur en ait donné l’ordre, des compagnies
forment le carré. Une grenade tombe à terre et fait explo-
sion. Des chevaux blessés détalent à fond de train vers les
Linden, traînant après eux un chariot plein de grenades.
Enfin retentit le commandement : (( Serrez les rangs! )) Dans
un silence de mort, on entend le bruit des gouttes de pluie
tambourinant sur l’asphalte et le piétinement précipité des

1. Rudolf MANN, op. cit., p. 194. Ehrhardt, lui-même, était découragé par la
I trahison D des généraux.
110 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

civils qui s’enfuient. La colonne se reforme. La marche conti-


nue 1.
Derrière le Tiergarten, nouvelle, mais courte fusillade.
Enfin la brigade Ehrhardt arrive à Charlottenburg où elle
s’installe dans les principaux bâtiments publics.
Malheureusement, l’évacuation ne s’est pas effectuée sans
effusion de sang. Épuisés par la fatigue, l’insomnie et, la
tension excessive à laquelle ils ont été soumis depuis une
semaine, les soldats n’ont plus été maîtres de leurs nerfs.
((Tirer sans en avoir reçu l’ordre, écrit Rudolf Mann, est
évidemment le signe d’un manque de discipline. I1 est triste
qu’une aussi belle troupe ait eu a u dernier moment un ins-
tant de défaillance 2. )) Mais c’est peu de chose quand on
songe que la guerre civile a été évitée de justesse, et que les
victimes auraient pu se chiffrer par dizaines de mille.
1. Rudolf MANN, op. c k , p. 196.
2. ID., ibid., p. 198.
VI1

LE PUTSCH KAPP-LÜTTWITZ

III. - La liquidation d u coup d’gtat


et les combats dans la R u h r .

Le 18 mars, le gouvernement d’Ebert rentre à Berlin.


Lüttwitz et Kapp ont abandonné le pouvoir; mais le p u t s c h
lui-même est loin d’être liquidé. L’Allemagne a reçu un choc
dont on ne mesure pas encore la gravité. Une effervescence
inquiétante continue à régner dans tout le pays. Dès son
retour dans la capitale, le Cabinet d’Empire est placé en
face de deux problèmes des plus délicats : un problème mili-
taire, un problème politique.
Deux fois, en cinq jours, le général von Seeckt a réussi à
éviter la catastrophe. La première fois, en empêchant Noske
de déclencher une bataille rangée entre les divers éléments
de la Reichswehr. La deuxième fois, en obtenant l’évaciia-
tion rapide des troupes rebelles. Ces deux succès, joints à sa
neutralité à l’égard du gouvernement Kapp-Lüttwitz, en
font - comme il l’avait prévu - l’arbitre de la situation.
Aussi, un des premiers actes du gouvernement d’Ebert e s t 4
de nommer von Seeckt commandant en chef de l’armée alle-
mande.
Le même jour (18 mars)? Seeckt adresse sa première pro-
clamation au corps des officiers :
L’heure décisive, dit-il, a sonné pour le corps des officiers.
S o n attitude a u cours des journées à venir, prouvera s’il est
digne, ou non, de conserver la direction de la jeune armée. on
verra, d u même coup, si la Reichswehr est capn ble de sauver ce
qu’il y a de meilleur dans notre passé pour l‘intégrer a u présent
et le transmettre à l‘avenir ...
112 HISTOIRE D E L'ARMÉE ALLEMANDE

A de multiples indices je constate que beaucoup de membres


de la Reichswehr ne voient pas encore clairement dam quelle
situation nous ont placés les événements récents. Ceux-ci ont été
le fait d'individus isolés, égarés par une politique à courte vue et
frisant la trahison. C'est la destinée tragique d'aventures de ce
genre de faire payer à l a masse innocente I>erreur de quelques
exaltés 1.
Toutefois, je ne p u i s nier ni dissimuler que, dans nos rangs
aussi, des fautes graves aient été commises, et ces fautes demandent
une réparation. Si nous n'en faisons pas nous-mêmes l'aveu,
s i nous ne faisons pas notre autocritique et s i nous n'expulsons
pas nous-mêmes les brebis galeuses, nous n'aurons pas à nous
plaindre s i des mesures de redressement nous sont imposées d u
dehors. J e ne suis disposé ni à tolérer le retour de pareils faits,
ni à oublier ceux qui ont été commis. Il n'y a pas de place, dans
la Reichswehr, pour des troupes qui ont porté atteinte à I'honneur
militaire.
C'est avec une confiance absolue dans le corps des officiers que
j'assume le commandement en chef de la Reichswehr. Voici trente-
cinq ans que je vis dans l'armée, et pour l'armée. L e reste de
mes forces lui appartient. Nul n'est plus sensible que. moi aux
souffrances et à la détresse génirales. Si nous restons unis, nous
surmonterons, une fois de plus, toutes ces difficultés. J e n'attends
pas que tous approuvent, dans leur camr, l'évolution des temps.
M a i s tous doivent être pénétrés de cette idée que notre route ne
remontera vers les sommets que si chaque soldat reste fidèle aux
devoirs que lui impose la Constitution2.

Cependant, les syndicats ouvriers et les partis de gauche


ne se contentent pas de paroles, aussi nobles soient-elles.
Avant de donner l'ordre de cesser la grève, ils exigent que
tous les Kappistes soient déîérés à un tribunal révolution-
naire et que les corps de troupe compromis soient immédia-
tement dissous. Obligé de ménager la classe ouvrière, dont
l'intervention lui a permis de reprendre le pouvoir, le gou-
vernement s'associe à ces revendications.
Alors, la répression se déchaîne sur toute l'Allemagne. Le
général Mærclrer, le général von Estorff, le général von Let-
tow-Vorbeck, les colonels von Wangenheim, von Oven e t
1. Cetie proclamation provoqua la colére des anciens membres du gouverne-
ment de Kapp. IEn s'abaissant i flétrir les hommes du 13 mars, écrit le colonel
Bauer, porte-parole de Ludendorff, le général von Sceckt a montré jusqu'oii
peuvent mener la haine et l'aveuglement. Ce faisant, il s'est discrédité pour tou-
jours aux yeux des officiera qui ont conservé le culte des vraies traditions prus-
siennes. (Der 23b Mürz 1920, p. 28.)
2. Heinz BUUWEILER,Cenerdle in der dcuischen Republik, p. 39.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 113
von Ledebour sont mis à la retraite. Des maiidats d’arrêt
sont lancés contre le général von Lüttwitz, le général von
der Goltz, le major von Lichterfeld, l’amiral von Lewetzow.
L’amiral von Trotha est cité devant une conimission d’en-
quête. L’Union nationale est dissoute. Ludendorff s’enfuit
précipitamment en Bavière, sous le nom de M. Lange. Le
capitaine Pabst se réfugie en Autriche, où il se consacrera
désormais à l’organisation des Heinawehren. Quant au capi-
taine Ehrhardt, rentré 5 Doberitz le dimanche 21 mars, il
devient fou de colère en apprenant que le Cabinet d’Em-
pire exige la dissolution de sa brigade, malgré la promesse
contraire que lui a faite von Seeckt. I1 menace de partir
pour la Prusse-Orientale, en se forçant un passage à travers
le territoire polonais. Le commandant en chef lui fait remar-
quer sévèrement que cet acte risque de provoquer un conflit
armé avec la Pologne. Après plusieurs semaines de discus-
sions, Ehrhardt se résigne à l’inévitable. Le 15 mai, un man-
dat d’arrêt est lancé contre lui. Nanti d’un faux passeport,
il réussit à franchir la frontière autrichienne. Une semaine
plus tard, la brigade est dissoute.
Dans la série des hauts et des bas, plus contrastés que le
noir et le blanc des couleurs prussiennes, qui jalonnent l’his-
toire militaire de l’Allemagne depuis l’armistice, les jour-
nées qui suivent immédiatement le putsch de Kapp comptent
parmi les plus sombkes qu’ait connues le corps des officiers.
Le général von Seeckt intervient auprès d’Ebert, pour lui
demander de modérer la colère des partis de gauche. Hin-
denburg et Grœner, quoique h l’écart de3 affaires, inter-
cèdent dans le même sens. Le président du Reich s’entremet
auprès des autorités locales pour empêcher que les coupables
soient trop durement châtiés. Tout en maintenant les
sanctions envers les chefs responsables, il promulgue une
amnistie pour les hommes de troupe et les offciers subal-
ternes qui ont pris part au coup de force l. Puis, dans une
adresse aux soldats de la Reichswehr, Ebert renouvelle,
avec le général von Seeckt, le pacte qu’il avait scellé, un an
et demi auparavant, avec Hindenburg et Grœner a.
1. C’est ce qui a fait dire i la plupart des écrivains de gauche a que !e travail
d’épuration ne s’était fait qu’A moitié, et que la République avait laissé passer la
chance unique qui s’offrait i elle d’asscoir le régime démocratique sur les ruines
du militarisme allemand D. (Cf. Richard BERNSTEIN, Der Kapp-P&ch und seins
LeBren, p. 12.)
2. E. O. VOLXMANN, La Rétolution aüemands, p. 305.
If 8
114 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

Outre la condamnation des factieux, les partis de gauche


demandent une refonte complète de la Reichswehr et son
remplacement par une armée de milices, dont le recrute-
ment sera contrôlé par les syndicats ouvriers. Mais là, Ebert
les arrête sans hésiter. Impossible de remplacer l’armée de
métier par des milices ouvrières, puisque cette formule a
été écartée une fois pour touted par les Alliés. Impossible
également de recruter les soldats dans les milieux syndicaux,
car seuls sont prêts à s’engager pour une durée de douze ans
des hommes profondément épris du métier des armes. Ainsi,
la vague de socialisme qui déferle sur l’Allemagne et risque
de balayer les derniers vestiges de l’édifice militaire alle-
mand vient se heurter, en dernier ressort, au barrage que
constitue le traité de Versailles l.
t
+ +

Plus délicate est la liquidation du problème politique, car


si la déroute de. factions nationalistes a été si rapide, ce
résultat a été dû, avant tout, à la grève générale. Or les
ouvriers qui ont sauvé la République ne se sont pas croisé
les bras pour permettre à Noske de reprendre le pouvoir.
Pendant toute la première moitié de 1919, ils ont dû s’in-
cliner devant les chars et les mitrailleuses du (( bourreau de
Berlin ».Maintenant que l’heure du réglement de comptes a
sonné, ils ne reprendront le travail que lorsque le ministre
de la Reichswehr aura donné sa démission.
N Le I 4 mars au matin, tandis que nous roulions sur la
route de Dresde, écrit Noske, von Gilsa, qui était assis à
côté de moi dans l’aiitomobile se demanda ce qui le gênait.
I1 fouilla SOUS le coussin de la banquette et en retira une
grenade à main. Pendant toute la durée du trajet, nous
avions été assis sur une grenade, prête à faire explosion 2. 1)
Cette grenade symbolise exactement la situation, car
Noske est mis en demeure de quitter le ministère. On estime
que la bienveillance dont il a constamment fait preuve envers
les militaires a été, pour les factieux, un puissant motif d’en-
1. Richard Bernstein se trompe, quand il écrit : a Un gouvernement ouvrier,
instauré au lendemain du putsch de Kapp, aurait eu la force de remplacer l’armée
par des milices populaires. D (Der Kapp-Putsch und seine Leltren,,p. 12.) Pas plus
que le gouvernement d’Ebert, il n’aurait pu modifier la volonte des Alliés.
2. NOSKE,Von Zfiel bis Kapp, p. 211.
L’ÈRE D E S C O U P S D’ÉTAT 215
couragement. a J e fus la victime expiatoire de fautes que
d‘autres que moi avaient commises »,écrit-il avec amer-
tume, en terminant ses mémoires. Le 24 mars 1920, il trans-
met ses fonctions à M. Gessler, député démocrate qui est
nommé ministre de la Reichswehr à sa place. I1 ne repa-
raîtra plus sur la scène politique.
Mais le départ de Noske n’est qu’une des multiples reven-
dications des partis ouvriers. Ceux-ci exigent, en outre, une
épuration radicale de toutes les grandes administrations, la
révision de la législation sociale, la nationalisation des trusts
du charbon et de la potasse, enfin la participation des syn-
dicats à leur gestion l.
Ces exigences provoquent une vive tension entre les par-
tis ouvriers et les partis bourgeois. Ceux-ci ont conjugué leurs
forces avec celles de l’extrême gauche, pour couper court à
une aventure qui ne pouvait avoir de lendemain. Mais ils
n’entendent nullement supporter les frais de l’opération, en
perdant la propriété de leurs usines et de leurs mines. De
leur côté, les milieux extrémistes - Gonimunistes et Indé-
pendants - font une propagande intense dans les milieux
ouvriers et leur répètent que jamais ils ne retrouveront une
occasion aussi favorable de faire adopter leur programme.
Une agitation croissante se manifeste, de ce fait, dans le
bassin de la Ruhr. Déjà, en février 1919, les corps francs
avaient été obligés d’intervenir dans cette rGgion z. Depuis
lors, le statut territorial de l’Allemagne de l’Ouest a subi des
modifications profondes. En vertu des articles 42 et 43 du
traité de Versailles, une zone neutre, large de cinquante kilo-
mètres a été établie en bordure des territoires occupks par
les contingents alliés - zone dans laquelle le gouvernement
allemand n’a IC droit de maintenir que des garnisons réduites,
en attendant sa démilitarisation totale; qui doit avoir lieu le
10 avril3. Or c’est dans cette bande de terrain contestée,
déjà i moitiG soustraite à l’autorité militaire du Reich, que
les extrémistes ont établi leur quartier général rt procèdent,
en toute hâte, à l’organisation de milices révolutionnaires.
1 . Ce programmc avait été élaboré par les partis d’estrime gauche et par les
syndicats, réunis B la maison des Travailicurs du bois dans la soirée du I T mars.
2. Voir vol. I, p. 189 ct s.
3. C’est-8-dire trois mois après l’entrée en vigueur du Traité ( I O janvier 1920).
Jusqu’au 10 avril, l’Allemagne était autorisée B conserver dans la zone neutre
20 bataillons, 10 escadrons et 2 batteries. Après cette date, ces troupes devaient
céder la place b de simples formations de police.
116 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
t
r z

Depuis le 13 mars, jour où la brigade Ehrhardt a fait son


entrée à Berlin, la révolte gronde à Mülheim et à Dortmund.
Les formations ouvrières, armées par les grévistes qui ont
pillé les magasins d’armes et de munitions des usines Krupp,
commencent à attaquer les troupes stationnées à l’intérieur
de la zone neutre. Le 14, à Wetter, le capitaine Hasenclever
et un détachement de cent dix-sept hommes sont cernés
par plusieurs milliers de manisfestants en armes, rasse m-
blés au son des sirènes par la municipalité communiste 1.
Soixante-quatre hommes de troupe et le capitaine Hasencle-
ver sont tués. Le reste du détachement est fait prisonnier par
les rouges, traîné en prison et assommé à coups de crosse.
Des collisions du même genre se multiplient à la limite nord
du bassin minier, à Dinslaken, à Recklinghausen e t dans
la région de Wesel. Le 19 mars, à Essen, une vingtaine de
soldats de la Reichswehr qui font une patrouille en ville,
sont à moitié lynchés par la foule, puis conduits aux abat-
toirs, oii ils sont dépecés à coups de hache z.
Alarmé par les appels au secours que multiplient les auto-
rités locales 3, le gouvernement d’Empire se voit contraint
de renforcer l’état de siège et de grouper sous les ordres du
général von Watter, commandant du Wehrkteis V I (Müns-
ter), tous les bataillons stationnés dans la zone neutre et
dans la Ruhr. Cependant, rendu méfiant envers l’armée par
les événements récents, il refuse de remettre le pouvoir exécu-
tif au général. I1 le place sous le contrôle d’un député socia-
liste, M. Severing, nommé commissaire du Reich dans le
territoire du Wehrkreis V I 4.
Estimant que les forces dont il dispose sont insuffisantes
pour tenir tête aux insurgés, dont on évalue le nombre à
plus de quatre-vingt mille 5, le général von Watter demande
1. Hans SPETIINANN, L‘Armie rouge dans lu Ruhr et sur le Rhin, Berlin, 1930
D.
x- 63-65.
- - ~~-
2. ID., ibid., p. 78-79.
3. Cf. la Proclaination ci 1’Arnde rouge, du 20 mars 1920.
4. hI. Severing avait été délégué dans cette région dès 1919, comme Commis-
saire du gouvernement. I1 a retracé son activité pendant cette période dans son
ouvrage, 1919-1910,in1 Wetter rind Watter.wide[, publié A Biclefeld on 1927.
hIalheurcusemcnt cct ouvrage, 3. la fois scctairc e t plein d’inexactitudes, no peut
scrvir de hase unc documentation ebjectivc. (Voir les réfutations du général
Ernst I<ABISCH, dans icritische Tage i n der Ruhrkanipf, D e u t s c h Ofiziei-.+Bund,
Ainfliche B u d e s Zeitschrifl, 8e année, non 32 et 36, 1929.)
5. Le 23 mars, le quartier générai des formations axtrémistei, établi à Hagen,
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 117
qu’on lui envoie des renforts. L’une des premières unités à se
mettre en route est la brigade des Tirailleurs bavarois du
colonel von Epp l. Celle-ci quitte Munich dans la soirée du
19 et arrive, vingt-quatre heures plus tard, à Warburg, en
Westphalie.
Le même jour (20 mars), a lieu une réunion de chefs
socialistes e t indépendants, à l’issue de laquelle les délégués
adressent au général von Watter l’ultimatum suivant :
Nous exigeons :
10 Le désarmement immédiat des troupes de la Reichswehr
coupables d‘odieuses provocations à l’égard de la classe ouvrière;
20 Eépuration de l‘armée et de la police;
30 La création d‘une milice populaire, dont les effectifs et les
chefs seront exclusivement recrutes parmi les partis de gauche,
et qui remplacera la Reichswehr dans le bassin minier.
Pendant la période intermédiaire, qui précédera l’organisation
de cette milice, l’ordre sera assuré par des formations ouvrières
armées, chargées d‘assurer l‘ordre et la sécurité 2.

I1 va sans dire que le général von Watter repousse ces


conditions. En guise de représailles, la dictature des Conseils
est proclamée à Düsseldorf, Duisburg, Hagen, Remscheid,
Dortmund, Essen et Mülheim (23 mars). La rapidité de ce
mouvement démontre qu’il s’agit d’une action concertée.
Craignant que les garnisons de ces villes assiégées par les
extrémistes ne soient massacrées, le général von Watter
veut se porter à leur secours. Mais le gouvernement lui
intime l’ordre de rester sur place. I1 refuse d’employer la
force avant d’avoir épuisé toutes les possibilités de conci-
liation. I1 envoie deux ministres dans la Ruhr, MM. Gies-
berts et Braun, pour y négocier avec les chefs des syndicats
ouvriers S.
Le lendemain, 24 mars, une conféreiice a lieu à Bielefeld
estimait B 120.000 hommes les effectifs de l’Armée rouge. Quoique ce chiffre soit
trop élevé pour ce jour-Ii - du côté de la Reichswehr, on l’estimait entre 80,000
et 100.000 - il correspond i peu près au nomhre des miliciens armés entre le 25
et le 29 mars. (Cf. H. SPETHJIANN, L’ArmCe rouge dans la Ruhr et sur le Rhin,
p. 97.)
1. Le colonel von Epp, dont nous avons déjB parlé à diverses reprises, est
accompagné de son chef d’État-Major, le capitaine Rohm et d’un je.une aide-de-camp
d’origine autrichienne, le prince Stahremberg.
2. Cf. Alénioirs du ministère de la Reichswehr sur l’Armée rouge et la réralte dans
la Ruhr en mars 1920.
3. Cf. Hans SPETEXANN, L’Armee rouge dans la Ruhr et sur le Rhin, p. 156-157.
118 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

entre délégués du gouvernement et chefs syndicalistes. Ceux-ci


se mettent d’accord sur les conditions suivantes :les milices
ouvrières déposeront les armes et le travail reprendra dans
les usines aussi rapidement que possible. De son caté, le
général von Watter restera sur ses positions et n’agira que
sur un ordre écrit du ministère de la Reichswehr.
Une trêve de quarante-huit heures est conclue sur ces
bases, pour permettre le désarmement des populations civiles.
Mais N l’armistice de Bielefeld 1) est violé dès le lendemainl.
Loin de déposer les armes, les milices ouvrières se concentrent
dans la région de Hagen, tandis que des forces militaires de
plus en plus nombreuses se massent aux environs de Müns;
ter, en bordure de la zone neutre z.
Le 27 mars, le général Kabisch est encerclé à Wese13.
Les troupes de la garnison, bloquées dans leurs casernes,
doivent soutenir l’assaut d’une foule armée, quatre à cinq
fois supérieure en nombre. Craignant d’arriver trop tard, le
général von Watter donne l’ordre B plusieurs régiments de
la Reichswehr d’aller les délivrer : à 14 heures, les premières
troupes complémentaires franchissent la limite de la zone
neutre.
t
+ *
Saisie de l’incident, la Conférence des Ambassadeurs se
réunit à Paris, le 31 mars, sous la présidence de M. Jules
Cambon. A la suite d‘un exposé du général Nollet 4, M. Mil-
lerand adresse une note de protestation au gouvernement
du Reich, déclarant que (( l’entrée des troupes complémen-
’ taires dans la zone neutre est une violation des articles 43
1. Ceci s’explique par le fait que les délégués du gouvernement avaient négocié
avec les chefs des syndicats modérés, q,ui n’étaient pas les instigateurs du mouve-
ment, et n’avaient plus aucune autorite sur les ouvriers. Les meneurs extrémistes,
eux, n’avaient pas pris part h la conférence et n’étaient nullement liés par un
accord qu’ils n’avaient pas signé. (Voir la proclamation Aux solda& de l’Armée
rouge, du commandant en chef de la section ouest, Gottfried Karrusseit, i Gel-
senkirchen, lo 26 mars 1920.)
2. On évalue le total de ces troupes i 24.000 hommes environ. (Cf. Paul ROQUES,
Le Conirdle militaire interallié en Allemagne, p. 105.)
3. Cf. Général Ernst KADISCH, Les Journées critiques dans la Ruhr, KBlnwche
Zcitung, no 469, du 6 juillet 1927.
4. a I1 existait dans la Ruhr, écrit le général Nollet, 34 bataillons, 8 escadrons,
30 batteries, sans compter les unités de liaison, les batteries de minenwerfer, etc.
Les unités étaient, il est vrai, Q effectifs réduits. D (Une ezpérience de &surmement,
p. 228.)
120 HISTOIRE D E L’ARJIÉE A L L E M A N D E

et 44 du traité de Versailles 1, et que cette mesure paraît en


outre inutile e t superflue ».
Mais tandis que les ambassadeurs discutent à Paris, un
incident très grave survient à Pelkum. Les extrémistes
attaqueqt un détachement avancé de la brigade du colonel
von Epp. Exaspéré par les atermoiements du gouvernement
et par l’action paralysante des contrôleurs socialistes, le
colonel von Epp exécute de sa propre autorité un mouve-
ment concentrique qui écrase les assaillants. Puis le 3 avril,
il ordonne à ses hommes de marcher sur Dortmund.
Les troupes de la Reichswehr poursuivent leur avance
au cours des journées suivantes. Désemparés par cette
attaque, à laquelle ils ne s’attendaient pas, les insurgés
déposent les armes à Bochum, à Lauenberg et à Heiligenham.
Mais à Dortmund et à Essen, les meneurs exhortent la foule
à résister à outrance.
Le 4 avril, la France avertit le Reich que des sanctions
seront prises si les effectifs dans la zone neutre ne sont pas
immédiatement ramenés au niveau prescrit par le Traité.
Le chancelier d’Empire répond que ces effectifs sont indis-
pensables pour rétablir l’ordre dans le bassin minier et que
s’il ne réprime pas sans délai l’agitation révolutionnaire,
celle-ci s’étendra de nouveau à tout le territoire du Reich.
Le gouvernement français refuse d’entrer dans ces consi-
dérations et, le mardi 6 avril, à 5 heures du matin, vingt
mille soldats français e t marocains occupent Francfort et
Darmstadt.
Dès lors le Reich décide de jouer son va-tout. A l’heure
même où les troupes françaises font leur entrée à Franc-
fort, le colonel von Epp pénètre à Dortmund, tandis que
les régiments du général von Watter s’emparent de
Bottrop. Le 7 avril, ils prennent Essen, après un combat
d’artillerie très meurtrier, et progressent jusqu’à la ligne

1. Art. 4 2 . - I l est interdif à l’Allemagne de maintenir ou de construire des for-


tificaiions, soif sur la rive gairche d u Rhin, soit sur la rive droiie, à l’ouest d’une
ligne tracée à 50 kilomètres de ce fleuve.
Art. 43. - Sont également interdits, dans la w n e définie à l’arficle 42, l’entrefien
ou le rassemblemenf & forces armées, soif à titre permanent, soil à fifre femporaire,
aussi bien que L OW les manceuwes milifairu de quelque nafurs qu’elles soient e(
IC maintien de fo.rftx facilifés mdrielles de mobilisation.
Art. 44. - Au u l a où l’Allemagne conireviendraif, de guelque manière que ce soit,
aux dispositions des arficles 42 ef 43, elle seraif considérée comme commeüunt u n
acie hostile ris-à-rie des Puissances signafuires du prdaeni Traiid et comme cherchant
d troubler la p a i s du monde.
L’ÈIIE D E S COUPS D’ÉTAT 121
-
Ratingen- Steele Bochum - Hœrde - Schwerte - Iserlohn. Les
formations rouges sont disloquées et dispersées. Des miliciens
spartakistes refluent par milliers dans la zone d’occupa-
tion anglaise, où ils sont désarmés l.

.+
Une fois de plus, les révolutionnaires sont écrasés. Mais
l’opération de la Ruhr laisse une impression de malaise h ceux
qui y ont participé. Les atermoiements et l’indécision des
autorités civiles montrent que quelque chose est brisé dans
la machine militaire allemande. L’offensive sur Essen et
Dortmund, constamment retardée par les négociations et les
contrordres, n’a pas l’allure fulgurante des opérations
exécutives menées par Noske et Mærcker. Aux yeux des
commandants de corps, les nouveaux dirigeants n’ont pas
(( la manière 1). (( Aucun chef militaire ne peut collaborer
efficacement avec un pareil gouvernement, écrit le colonel
von Epp. Les empiétements constants sur son autorité le
condamnent à l’impuissance et l’exposent, soit à recevoir
des réprimandes, soit à donner sa démission 2. ))
Vers la fin d’avril, qyelques formations rouges se sont
regroupées dans le Bergisches Land et, plus au nord, dans
la région de Velbert et de Neviges. Le général von Watter
demande les pouvoirs nécessaires pour liquider ces derniers
foyers d’agitation. Le gouvernement du Reich les lui refuse.
Le 27 avril, le commandant du Wehrlcreis V I adresse sa
démission au ministre de la Reichswehr. Le Cabinet socia-

l . Cf. la déclaration de Mr. R.-S. Ryan, délégué anglais d e la Haute-Commis-


sion interalliée des territoires rhénans. Par ailleurs, l’occupation de Darmstadt e t
de Francfort suscita une réaction très vive du Cabinet britannique. Le 8 avril
lord Curzon adressait une note de protestation à M.Millerand, déclarant que I’ac-
tion du général von Watter n répondait c i une opération de police indispensable n
e t accusant la France d’avoir agi d’une façon trop hàtive, sans prendrc le temps
de consulter ses alliés. L’Italie adopta la même attitude.
Le gouvernement anglais demanda la réunion immédiate d’une conférence. A
San Remo, Lloyd George et Nitti firent pression sur le gouvernement français
pour obtenir une liquidation rapide de l’occupation de Francfort. hi. Millerand
dut céder.
Le 18 avril, les plénipotentiaires alliés firent connaître i l’Allemagne que Franc-
fort et Darmstadt seraient évacués sitôt que les troupes de la zone neutre auraient
été ramenées a leur effectif autorisé. L‘Allemagne composa. Dès le surlendemain
(20 avril), la brigade von Epp fut ramenée a Munich. Les autres unités complé-
mentaires ne tarderent pas a en faire autant. Francfort e t Darmstadt furent
bvacués le 17 mai 1920.
2. Walter FRANK,Franz, Ritter von Epp, p. 96,
122 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

liste s’empresse de l’accepter, et n’a aucun mot de gratitude


pour le libérateur de la Ruhr 1.
C’est maintenant, en effet, que les milieux militaires alle-
mands mesurent tout ce qu’ils ont perdu, par suite du putsch
de Kapp. Sans doute, les journées de mars et d’avril 1920
n’ont-elles pas été marquées par des scènes aussi drama-
tiques que la semaine sanglante de Berlin, ou l’expédition
de Munich. Mais le putsch n’en a pas moins labouré le pays
jusque dans ses profondeurs. L’armée s’est discréditée par
son action irréfléchie. Elle sort de la tourmente isolée et
amoindrie.
Aussi, les événements de cette époque sont-ils une dure
leçon pour les généraux allemands. Leur première erreur
a consisté à croire que la Reichswehr était en mesure de
gouverner elle-même le pays.. L‘échec du coup d’fitat a
prouvé qu’il n’en était rien. La Reichswehr ne peut gouver-
ner que par personnes interposées, c’est-à-dire qu’elle peut
soutenir - ou laisser tomber - un gouvernement.
((Une autre erreur de Kapp, écrit le général Mærcker,
fut de ne pas s’apercevoir que le centre de gravité du Reich
s’était déplacé. I1 n’est plus, aujourd’hui, comme il y a cin-
quante ans, dans les provinces agricoles sises à l’est de l’Elbe,
mais dans la région industrielle de l’Ouest. Or Kapp y était
totalement inconnu. I1 croyait disposer de l’Allemagne, du
seul fait qu’il s’était rendu maître de Berlin. Erreur dange-
reuse : Berlin n’est pas Paris. Pour dominer l’Allemagne,
il faut avoir avec soi les fitats de l’ouest et du sud 2. ))
Pour la deuxième fois, depuis novembre 1918, l’armée
allemande est à reconstruire. E t cette fois-ci, ni Mærcker,
ni Noske ne seront chargés de cette tâche, car leur rôle his-
torique est désormais terminé. Les destinées militaires de
l’Allemagne passent entre d’autres mains : la parole, à pré-
sent, est au général von Seeckt.
1. Hans SPETHMANN,L’Armée rouge dans (a Ruhr el sur Is Rhin, p. 224.
2. General MERCKER, Vom Kaiserheer ZUT Reichswehr, p. 363.
VI11

L’EUVRE D U CENÉRAL VON SEECKT


ET LA LOI DU 23 MARS 1921

On a oublié que les cadres sont ce qu’il


y a de plus précieux dans une armée.
C’est par eux qu’il faut commencer.
NAPOL~O
aNMETTERNICH.

Quel est donc ce général von Seeckt dont nous avons déjà
rencontré le nom à plusieurs reprises et qui va jouer désor-
mais un rôle de tout premier plan dans les annales militaires
de son pays? Quel est cet homme tenace et silencieux, dont
les historiens compareront bientôt l’œuvre à celle de Boyen
et. de Scharnhorst?
Né le 22 avril 1866 à Schleswig, chef-lieu de la province
prussienne du même nom, Hans von Seeckt appartient à
Urie famille catholique, d’origine danoise, OU. les traditions
militaires ont toujours été en honneur. Tout jeune, il a
décidé d’embrasser la carrière des armes et est entré, le
4 août 1885, comme Fahnenjunker, dans le régiment Empe-
reur Alexandre des grenadiers de la Garde, corps dont tous
les officiers étaient recrutés parmi l’élite de l’aristocratie
prussienne et dont on a dit que le rôle, dans la société berli-
noise, n’était comparable qu’à celui que jouait à Potsdam
le l e r régiment de la Garde à pied, surnommé le (( premier
régiment de la Chrétienté ».
C’est dans ce milieu élbgant et raffiné que von Seeckt a
acquis cette courtoisie de manières et cette large culture
intellectuelle qui donneront, toute sa vie, une coloration par-
ticulière à sa personnalité. Après avoir suivi les cours de
l’Académie militaire, il a accompli un stage au Grand État-
Major. La déclaration de guerre l’a trouvé à Berlin, où il
124 HISTOIRE D E L’ARMEE ALLEMANDE

exerce les fonctions de chef d’État-Major du IIIe corps


d’armée (brandebourgeois), avec le grade de lieutenant-colo-
nel.
Toute la campagne, von Seeckt l’a faite sur différents
fronts, et toujours en tant que chef d‘État-Major. I1 faut
connaître l’importance attribuée à ce poste, dans l‘ancienne
arinée allemande, pour comprendre le sens d‘une telle
carrière.
I1 arrivait souvent, avant 1914, que le commandement
d’une division ou d’un corps d’armée fût confié à un membre
de la famille impériale ou à un prince moins qualifié pour
ce rôle par ses capacités militaires que par son attachement
à la couronne. De ce fait, tout le poids et la responsabilité
des opérations retombaient sur le chef d’État-Major. Celui-
ci n’était en rien, comme dans d’autres armées, (( un brillant
second ».C’était lui, le stratège, le cerveau inspirateur,<dont
les plans étaient presque toujours acceptés sans discussion.
Ce système avait fini par se généraliser dans toutes les
grandes unités de l’armée impériale, même là où le comman-
dement était exercé par une personnalité de valeur. Peut-
être est-ce pour avoir tenu longtemps ce rôle, que von Seeckt
a pris le goût du travail discret et persévérant, accompli
sans vaine publicité, à l’abri des regards indiscrets. Ses adver-
saires ont vu en lui un des ennemis les plus redoutables de
la République, ce en quoi ils n’avaient sans doute pas tort.
Mais, déconcertés par son mutisme, ils l’ont accusé d’être
un esprit tortueux et impénétrable, un (( sphinx )) dont il
était impossible de prévoir les réactions, et là, ils se trom-
paient. Tous les actes de von Seeckt s’enchaînent avec une
clarté et une logique rigoureuses. Toutes ses pensées sont
d’une limpidité cristalline. Ce n’est pas avec lui, mais avec
ses successeurs que commenceront les énigmes.
1915 nous montre von Seeckt, d’abord sur le front fran-
çais oil une action d’éclat accomplie par ses troupes dans le
secteur de Soissons lui vaut l’ordre (( Pour le Mérite ),-puis
sur le front oriental où il organise, en tant que chef d’Etat-
Major de la XIe armée, l’offensi-.-e foudroyante de Tarnow-
Gorlice. Quelques mois plus tard, nous le retrouvons aux
côtés du général von Mackensen, cette fois-ci en qualité de
chef d’État-Major du groupe d’armées des Balkans 1. C’est
I. Ce groupe comprenait la XXIP armée demande, l’armée austro-hongroise
du générai Kœwesz et l’armée bulgare.
L’ARE DES COUPS D%TAT 125
là que von Seeckt conquiert l’estime du tzar Ferdinand de
Bulgarie. I1 préconise une marche rapide sur Salonique, afin
d’y prévenir un débarquement des Alliés, mais ne réussit
pas à dissiper les inquiétudes que ce projet inspire au géné-
ral von Falkenhayn et à Guillaume II.
1916 marque l’apogée de sa carrière militaire. L’Oberbe-
fehlshaber-0st ayant étendu son contrôle à toute une partie
du front austro-hongrois, von Seeckt est nommé Che€ d’Etat-
Major de la VIIe armée autrichienne, commandée par l’ar-
chiduc Charles. Poste de confiance particulièrement délicat,
puisque l’archiduc Charles ne tardera pas à succéder à l’em-
pereur François-Joseph et que toutes les intrigues qui agitent
la monarchie danubienne se nouent déjà autour de l’héritier
présomptif.
Pourtant, un homme ne voit pas sans une secrète appréhen-
sion l’ascension de ce brillant oficier d’État-Major qui semble
réussir à merveille dans !e rôle de conseiller des rois : c’est
Ludendorff. Attentif à écarter de l’entourage de Guillaume II
tous ceux dont la personnalité pourrait porter ombrage k la
sienne, le Grand Quartier-Maître Général décide d’éloigner
von Seeckt du théâtre d‘opérations occidental et l’envoie
à Sofia, puis à Constantinople, avec les attributions mal
définies de (( plénipotentiaire militaire ».Malgré le succès de
sa mission en Turquie, où il a dressé les plans d’une offen-
sive-éclair sur Suez et participé activement à la campagne
de Palestine 1, jamais plus von Seeckt iie reçoit un comman-
dement actif. Lorsqu’il rentre en Allemagne, la guerre est
terminée.
Peut-être le futur commandant en chef de la Reichswehr
croit-il, à ce moment-là, que sa carrière est terminée. L’ave-
nir ne tardera pas à montrer qu’il n’en est rien. Une période
nouvelle s’ouvre devant lui. Son rôle historique ne fait que
commencer.
4
+ *

Dès les premières scniaincs de, lo révolution, von Seeckt


reprend contact avec le Grand Etat-Major et se distingue,
au Grand Quartier Général de Cassel, par une attitude
empreinte de modération et de fermeté 2. Aussi est-il dési-
1. Cf. BEnorsr-Mtciiix, Musiopha lib m i, p. 171 et suiv.
2. voir vol. I, p. 72
126 HISTOIRE D E L ’ A R M É E ALLEMANDE

gné - après un stage comme chef d’Etat-Major à l’armée


Oberkommando-Nord - pour accompagner à Versailles la
délégation allemande de la paix 1.
Ayant assisté sur place à la rédaction finale des clauses
militaires, von Seeckt rentre à Berlin avec une connaissance
approfondie du Traité. I1 en a étudié chaque paragraphe e t
scruté chaque alinéa au cours de ses entretiens avec le comte
Brockdorf-Rantzau. Nul n’est donc plus qualifié que lui pour
prendre en main l’organisation des services du ministère
de la Reichswehr e t dresser les plans de l’armée nouvelle. Le
5 juillet 1919, - c’est-à-dire huit jours après la signature
du Traité - von Seeckt est nommé président de la C o m m i s -
sion préparatoire de l’armée de p a i x 2.
Au lendemain de la dissolution de l’armée impériale, on
a vu surgir une infinité de petits groupes de volontaires,
qui se sont amalgamés en corps francs et en bataillons, en
régiments et en brigades. La Reichswehr provisoire s’est
édifiée, en quelque sorte, de bas e n haut. Pour constituer la
Reichswehr de métier, von Seeckt décide de procéder en
seps inverse, c’est-à-dire de h a u t e n bas, en commençant par
1’Etat-Major pour aboutir à la troupe.
Transformé et, agrandi par Moltke et Schlieffen, le Grand
État-Major prussien comprenait, avant la guerre, un bureau
central et un certain nombre de services, groupés en sections,
OU Abteilzmgen, sous la direction de quatre généraux portant
le titre de Oberquartiermeister, ou Grands Quartiers-Maîtres.
Ces quatre sections avaient les attributions suivantes :
I. - Opérations et concentration.
II. - Armées étrangères.
III. - Instruction.
IV. - Forteresses.
Tout cet édifice a été dissous en vertu de l’article 160 du
Traité. Mais quarante-huit heures après sa nomiiiation à la
présidence de la C o m m i s s i o n préparatoire de l’armée de p a i x ,
von Seeckt crée un nouvel organisme, l’dllgemeiner T r u p p e n -
a m t , dont il est iiomnié chef le 9 juillet 1919.
1. Voir vol. I, p. 325.
2. Voir vol. I, p. 364. Hindenburg ayant pris sa retraite e t le Grand &at-
Major étant dissous, von Seeckt porta provisoirement le titre de chef d’État-
Major générai, comme étant le dernier oficier de l’ancienne armée royale prus-
((

sienne D. C‘est ainsi que u le dernier oflicier de l’armée prussienne D devint a le pre-
mier oficier de l’armée du Reich D.
L’ÈRE D E S COUPS D’ÉTAT 127
Peu après, ce Truppenarnt, au nom jusqu’alors inconnu
dans l’organisation militaire allemande, se subdivise à son
tour en quatre sections, possédant respectivement‘les attri-
butions suivantes :

I . - Opérations.
I I . - Organisation.
I I I . -Armées étrangères.
IV. - Transports 1.

Comment ne pas apercevoir une similitude étrange entre


ces quatre sections nouvelles et celles que dirigeaient, avant
1914, les quatre Grands Quartiers-Maîtres Généraux? Le
Truppenamt est en réalité l’embryon d’un nouveau Grand
État-Major. Sa structure est la même; son nom seul a
changé 2.
Le général von Seeckt est depuis neuf mois à la tête de
cet organisme, lorsque éclate le putsch de Kapp. Bien des
traits le rapprochent du général von Lüttwitz : ses origines
aristocratiques, ses convictions monarchistes, son long séjour
à 1’Etat-Major du IIIe corps d’armée, son horreur du socia-
lisme e t du régime parlementaire, en qui il voit les ennemis
déclarés de la grandeur allemande. Mais il a plusieurs avan-
tages sur ie commandant d u Gruppenkominando I : un sang-
froid à toute épreuve, une connaissance approfondie de la
politique des Alliés et une appréciation beaucoup plus juste
de la situation intérieure allemande. Dès le début, il a jugé
que le coup d’État était une entreprise hasardeuse, vouée à
un échec certain. I1 sait que le redressement du pays sera
une œuvre de longue haleine et ne voit pas sans appréhen-
sion se déclencher un mouvement qui risque de replonger
l’Allemagne dans le chaos.
I1 ne peut venir à l’esprit du général von Seeckt de prendre
le parti du prolétariat communiste. Mais embrasser la cause
des généraux réactionnaires, c’est risquer, après la liquida-
tion du putsch, d’être évincé de la direction des affaires mili-

1. Cf. le tableau comparatif puLlié par Ic lieutcnant-colonel REBOWL,dans


son ouvrage intitulé : Non! L‘Allemagne n’a pas désarmé. Annexe III, p. 315.
2. Cf. colonel L. KCELTZ,Le Grand État-iilajor allemand, de Scharnliorst à tan
Blomberg. La Revue hebdomadaire, numéros des 4 et 11 avril 1936. E n 1936,
aux obsèques du général Wever, le général Beck, Chef d’Êtat-Major Générai,
prononcera une allocution au cours de laquelle il déclarera a qu’au temps de l’an-
cicnne Reichswehr le Truppenamt avait joué IC rôle du Grand &at-Major u.
128 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

taires. Von Seeckt prévoit que les partis de gauche cherche-


ront à profiter de leur victoire - et cette victoire ne fait à
ses yeux aucun doute - pour exercer une véritable main-
mise sur l’armée e t placer leurs hommes de confiance à tous
les leviers de commande. Son devoir lui prescrit donc de
rester à l’écart du mouvement pour pouvoir arbitrer le
conflit après la chute de ses instigateurs.
Nous avons dit plus haut comment il s’est acquitté de
cette tâche et comment, en s’interposant à deux reprises, il
a empêché le putsch de dégénérer en guerre civile. En l’es-
pace de huit jours, il a su imposer sa volonté à Noske et à
Ehrhardt, et quand Kapp e t Lüttwitz doivent abandonner
la partie, von Seeckt devient le maître de la situation.
Assuré de l’appui d’Hindenburg et de Grœner, il est à même
de poser ses conditions au gouvernement.
Aussi lorsque, le 18 mars 1920, Ebert le nomme chef de
la Heeresleitung, c’est-à-dire commandant en chef de l’ar-
mée allemande, en remplacement du gé.néra1 Reinhardt l,
rien ne l’empêche d’appliquer, à la réorganisation de la
Reichswehr, les principes dont il s’est inspiré à la tête du
Truppenamt.
Un des principaux soucis de von Seeckt est de faire, de
la Heeresleitung et du ministère de la Reichswehr, un milieu
homogène et fermé, dont tout élément civil sera rigoureu-
sement exclu et où les successeurs de Moltke et de Rohn
pourront travailler en silence à la reconstruction de la puis-
sance militaire du Reich. Tout comme le Grand État-Major
au lendemain de l’armistice, la Heeresleitung doit se défendre
contre deux ennemis : l’ennemi extérieur, c’est-à-dire la
Commission interalliée de contrôle; l’ennemi intérieur, c’est-
à-dire le Parlement allemand.
En promulguant la dissolution du Grand État-Major, l’ar-
ticle 160 du traité de Versailles a spécifié que celui-ci ne
pourra être reconstitué sous aucune forme, quelle qu’elle soit.
Les organes de commandement les plus élevés de la nouvelle
Reichswehr doivent donc être les commandants des deux
Gruppenkommandos de Berlin et de Cassel, directement SOU-

1. Le gouvernement proposa, tout d’abord, au général Reinhardt, qui dirigeait


la Heereskilung depuis novembre 1919 et avait m i s sur pied la Reichswehr pro-
visoire, d’organiser la nouvelle Reichswehr de métier. Mais Reinhardt déclina cette
offre et suggéra au gouvernement de confier cette tâche au général von Seeckt,
qui lui iemblait avoir, plus que lui, les qualités requises pour la mener à bien.
L’ÈRE DES COUPS D’I~TAT 129
mis au ministère de la Reichswehr. Sans doute le gouverne-
ment allemand peut-il répondre qu’aucune clause du Traité
ne réglemente la structure interne du ministère de la
Reichswehr lui-même l . Mais la création de la Heeresleitung
n’en est pas moins une infraction à l’article 160. Infraction
peu grave en vérité tant que les services du nouvel orga-
nisme restent modestes. Mais à partir du 11 août 1920,
ceux-ci commencent à prendre une ampleur qui ne peut
manquer d’attirer l’attention de la Commission de contrôle.
(( Ainsi, nous dit le général Nollet, il était constitué un

organe de commandement supérieur au corps d’armée; le


chef de la Heeresleitung faisait figure de généralissime e t
celle-ci prenait la physionomie de l’ancien Grand État-Major.
Les gouvernements alliés ne s’accommodèrent pas de cette
situation. Ils demandèrent que la Heeresleitung fût réorga-
nisée suivant les prescriptions du Traité et que le chef de
la Heeresleitung fût dessaisi de ses pouvoirs de généralissime,
Certaines satisfactions leur furent données en ce qui concerne
l’organisation ... Mais le chef de la Heeresleilung ne fut pas
dépouillé de son caractère de généralissime.
(( L’occasion se présenta de faire cette modification lorsque

le général von Seeckt fut remplacé par le général Heye.


Mais ce dernier reçut aussitôt le rang de général de l’infan-
terie, avec rétroactivité au l e r décembre 1924, et devint ainsi
le chef de l’armée allemande par le seul droit de l’ancien-
neté 2. ))
Plus longue et plus âpre sera la lutte contre ((l’ennemi
intérieur », car si les discussion3 avec la Commission de
contrôle n’offrent qu’un caractère purement technique, le
duel entre l’État-Major et le Reichstag prend d’emblée un
caractère politique et moral. Son enjeu n’est rien de moins
que la prépondérance au sein du Reich. I1 ne faut jamais
perdre de vue que le traité de Versailles a imposé à 1’Alle-
magne une armée monarchique 3, au moment précis où l’As-

I. L‘article 160 se bornait à dire : a Le personnel oficier OUassimilé des minis-


iéres de la Guerre d w diflërenis l?t/ik de l’Allemagne el des adrninislrationa qui leur
sont ailachées ne devra pas dépasser 300 officiers, compris d a m l’effectif mazirnurn
de 4.000 m On remarquera qu’ici on parle des ministères de la Guerre dw
diflérenk Étais, ce qui est en contradiction avec le principe de l’armée unique
et laissait tout Q fait à l’écart la question de l’organisation du ministère de la
Reichswehr.
2. Général NOLLET,Une expdrience de désarmemeni, p. 201.
3. Voir vol. I, p. 328-329.
Il 9
130 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ALLEMANDE

semblée de Weimar vient de la doter d‘un régime libéral.


Cette situation paradoxale doit nécessairement conduire à
un divorce entre ces deux groupes - divorce d’autant plus
inéluctable qu’ils ne sont issus, ni l’un ni l’autre, de la volonté
profonde du pays l , et ne peuvent trouver, par conséquent,
aucun terrain d’entente. Dans la longue guerre d’usure que
l’armée et le parlement se livreront pendant des années, il
faudra, de toute évidence, que le plus faible soit brisé.
M. Albert Grzesinski, ancien ministre de l’Intérieur de
Prusse, nous raconte, dans ses mémoires, ses efforts réitérés
pour soumettre l’etat-Major de la Reichswehr au contrôle
des autorités civiles. (( J’écrivis à Noske, nous dit-il, pour
attirer son attention sur le danger qu’il y avait à laisser
reconstituer l’armée et le ministère de la Guerre par le seul
Grand État-Major ... Le 16 aout 1919, je proposai d’adjoindre
à la Commission préparatoire deux fonctionnaires de l’ancien
ministère prussien de la Guerre, avec voix non seulement
consultative, mais délibérative. J e n’eus aucun succès ni
auprès de Noske, ni auprEs du chancelier Hermann Müller...
Toute influence civile fut écartée lors de l’élaboration de la
nouvelle armée et continua de l’être lorsqii’elle fut consti-
tuée. n
Pourtant M. Grzesinski ne se tiendra pas pour battu. Un
peu plus tard, il remettra la question sur le tapis, à l’occa-
sion d‘une discussion du budget militaire. (( Afin d’éviter le
gaspillage d’argent, poursuit-il, je demandai que l’on créât
un poste de contrôleur civil au ministère de la Reichswehr.
Ce poste serait occupé par un sous-secrétaire d’État, civil,
représentant le ministre. Bien entendu, j e poursuivais aussi
des fins politiques ... Mais l’influence des militaires sur le Cabi-
net du Reich fut plus forte que la mienne. L’homme qui fut
nommé sous-secrétaire d’État au ministère de la Reichswehr
s’y heurta immédiatement à la plus vive résistance et
ne trouva aucun appui auprès du ministre. I1 fut bientôt
tenu tout à fait à l’écart et donna volontairement sa démis-
sion. Les membres de l’État-Major étaient de nouveau entre
eux. Pour écarter le danger qye pourrait leur faire courir
un nouveau sous-secrétairè d’Etat civil, on fit occuper ce
poste par le général von Feldmann. Ainsi la mesure que nous
avions préconisée se tournait au profit même de l’Etat-Maj or.

1. Cf. Major F ~ R T S CWelmnacht


A, im nalionakozialktkchen Reich, p. 4.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 131
Lorsque le général von Feldmann prit sa retraite, on ne lui
donna pas de successeur l. N
Une troisième fois, M. Grzesinski reviendra à la charge
et s’efforcera de faire triompher son point de vue, mais
sans plus de succès que les fois précédentes. (( Lorsque, à la
suite des élections du 20 mai 1928, les sociaux-démocrates
entrèrent de nouveau dans le cahinet du Reich, j’exigeai
cette fois - car j’étais alors ministre de l’Intérieur de Prusse
-que le poste de sous-secrétaire d’État à la Reichswehr
fût occupé par un social-démocrate. Mais, sur la proposi-
tion du ministère des Finances, et sous prétexte d’écono-
mies, la charge fut supprimée. A la place du sous-secrétaire
d‘Etat, Schleicher proposa de nommer un directeur général
du ministère qui jouerait le rôle de représentant permanent
du ministre. Cette solution fut adoptée au Conseil de Cabi-
net du 27 février 1929, et ce poste fut confié ... au général
von Schleicher lui-même 2. )) Jusqu’en 1938, la citadelle de
la Bendlerstrasse restera inviolée.
Mais revenons en 1920. Sitôt nommé chef de la Heereslei-
tung, Seeckt remet la direction du Truppenamt au colonel
Heye, - promu au rang de major-général - afin de se
consacrer tout entier à ses nouvelles fonctions. Le cerveau
est constitué, c’est-à-dire l’État-Major. Reste à créer le corps,
c’est-à-dire l’armée elle-même.

* *
(( Priver le peuple allemand de toute instruction militaire

par l’abolition du service obligatoire; affaiblir le prestige de


l’armée en lui infligeant le caractère d’une légion de merce-
naires; maintenir l’Allemagne dans un état d’infériorité per-
manent en limitant ses effectifs à 100.000 hommes; décapi-
ter l’armée en lui interdjsant d’avoir un commandement
unique, supérieur aux Etats-Majors des deux Gruppen-
kommandos; faire des soldats allemands des soldats de
second ordre, en leur interdisant toute connaissance des
1. M. Gessler, alors ministre de la Reichswehr, employa une argumentation
curieuse pour démontrer qu’il était impossible de créer un poste de sous-secrétaire
d’État civil : n Ce sous-secrétaire d’Etat, déclara-t-il à la séance du Reichstag
du 16 février 1927, devrait être le conseiller technique du ministre. Or, selon les
traités conclus avec les Alliés, ce conseiller technique est le chef de la Heereslei-
tung. L’Allemagne, à elle seule, ne peut rien changer à cet état de choses. I)
2. Albert GRZESINSKI,La Tragi-Cornddie de la Républigue allemande, p. 85-87.
132 HISTOIRE DE L’ARMÉB ALLEMANDE

armes modernes; enfin, isoler totalement l’armée au sein de


la nation en coupant tous ses liens avec la population civile,
notamment avec la jeunesse des écoles et des universités »,
tels sont, selon von Seeckt, les buts poursuivis par les experts
alliés, en rédigeant comme ils l’ont fait les clauses militaires
du Traité.
Mais si l’ancien chef .du Truppenamt considère le présent
avec tristesse, il garde néanmoins confiance en l’avenir. I1
sait que l’Allemagne traverse une période sombre de son
histoire, mais qu’elle s’est déjà tirée victorieusement de dif-
ficultés du même genre. L’exemple de 1812 est dans toutes
les mémoires et, comme pour resserrer les liens avec le passé,
le premier discours que von Seeckt prononce, après son
entrée en fonctions, est un éloge du maréchal Yorck, une
des figures les plus typiques des guerres de la libération 1.
L’idée directrice de Seeckt peut se formuler à peu près
de la façon suivante :
10 Comment contourner les clauses du Traité et neutraliser
ses effets sans attirer trop ostensiblement l’attention des Alliés?
20 Comment permettre à l’Allemagne d’atteindre le moment où,
ayant brisé les chaines du Traité, elle pourra revenir au service
militaire obligatoire?
(( L’erreur de tous ceux qui organisent des armées, écrit

von Seeckt, est de prendre l’état de choses momentané pour


un état définitif. Ils oublient que les nations se transforment
sans cesse et que, pour rester vivante, une armée doit épouser
la courbe des événements 2. N Or, dès 1920, von Seeckt est
convaincu que la Reichswehr de 100.000 hommes sera rem-
placée, tôt ou tard, par une armée nationale. Tout en répon-
dant dans ses grandes lignes aux exigences des Alliés, il faut
donc que la Reichswehr de métier puisse servir de cadre et
de matrice à l’armée future. (( Impossible, objectera-t-on,
de concilier ces deux formules contradictoires et de travailler
à la fois au présent et à l’avenir. D Pourtant, c’est dans la
rigueur même des restrictions qu’on lui impose, que von
Seeckt va trouver le moyen de vaincre cette antinomie. Le
rôle de la Reichswehr est d’assurer la sécurité intérieure e t

I. Discours prononcé à Hambourg, en avril 1920.


2. General Hans von SEECKT, Die Reiciwehr, Berlin 1933, p. 31. Dans cet
ouvrage capital, l’ancien commandant en chef de l’armée allemande a exposé en
détail ses principes d’action. Nous aurons souvent l’occasion de nous y référer
par la suite.
L’ÈRE D E S COUPS D’ÉTAT 133
extérieure du Reich. Il lui faut, pour cela, une certaine puis-
sance. Or cette puissance, on ne peut la chercher ni dans un
accroissement des effectifs ni dans une augmentation des
armements, puisque sur ces deux points les Alliés imposent
à l’Allemagne des limitations formelles. La seule façon de
compenser la faiblesse matérielle de la troupe sera d’accroître
sa qualité professionnelle et son niveau moral. La valeur
intrinsèque du personnel ainsi formé en fera des instructeurs
hors ligne, le jour où l’Allemagne pourra rétablir la cons-
cription.
La même pensée se retrouve dans la nature de l’instruc-
tion imposée aux soldats. (( L’instruction des soldats de la
Reichswehr, déclare von Seeckt, commeiice le jour de leur
entrée dans l’armée et se poursuit sans relâche pendant toute
la durée de leur service. Elle ne saurait connaître de fin, ni
de répit, car il reste toujours quelque chose à apprendre ou
à perfectionner. D I1 ne s’agit pas, en effet, de former en deux
ou trois ans d’excellents combattants et de maintenir le
niveau atteint pendant les neuf ou dix ans qui restent. L’ar-
mée succomberait rapidement à la sclérose inhérente au ser-
vice à long terme 1. Au bout de quelques années, les (( mer-
cenaires )) s’enliseraient dans l’inaction et la routine.
La seule façon de parer à ce danger est d‘imposer à l’ar-
mée une activité incessante et de donner à cette activité un
but toujours plus élevé. Une première étape dans l’éduca-
tion du soldat aura pour objet de lui permettre de jouer plei-
nement et rapidement le rôle qui lui incombe au sein de sa
troupe. Une fois cette première étape accomplie, on élèvera
progressivement le niveau de son instruction, afin d’accroître
ses connaissances et, par conséquent, son utilité. Aucun
terme ne peut être assigné à ce nouveau travail, puisqu’il
s’agit de tirer le maximum de chaque individu. (( Du fait que
la Reichswehr avait pour objet de fournir des cadres e t des
instructeurs à la future armée nationale, écrit von Seeckt,
les hommes voyaient se dessiner devant eux des tâches pour
lesquelles douze ans de service semblaient à peine suffisants. ))
Cours d’application et de perfectionnement, stages prolon-
gés dans les différentes armes, manœuvres répétées et démons-
trations sur Ie terrain, tout sera mis en œuvre pour mainte-
nir le mordant et la souplesse de la troupe, tout en préparant

1. C’Btait 18, justement, ce qu’escomptaient les Anglais.


134 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

les hommes à l’exercice du commandement 1. u L’idée


d’élever sans cesse le niveau de l’instruction, écrit von Seeckt,
découlait de la volonté de faire de la Reichswehr, non point
une armée de mercenaires, mais une armée de chefs 2. D

t
+ +

Cependant, la Reichswehr n’a pas seulement pour tâche


de préparer l’avenir. Sa mission consiste aussi à conserver le
passé, à perpétuer les traditions de l’ancienne armée prus-
sienne. Von Seeckt apportera un soin tout particulier à
renouer les liens que les Alliés avaient cru trancher en modi-
fiant de fond en comble la structure de l’armée allemande.
(( Le caractère conservateur des armées, écrit-il, est étroi-

tement lié à leur rôle dans l’histoire 3. D Sans doute les grands
bouleversements de l’écorce terrestre, les transformations
géographiques e t climatiques, les courants civilisateurs e t
les échanges commerciaux ont-ils joué, dans le passé, un
rôle plus important que les batailles et les guerres. Mais leur
souvenir n’est pas associé à des personnalités marquantes,
ils ne se gravent pas dans la mémoire avec des contours aussi
,aigus que les événements militaires. Cela tient à ce que les
armes et la forme des armées ont changé, mais que les
hommes sont restés les mêmes à travers les siècles, avecleurs
qualités e t leurs défauts, leur abnégation et leur héroïsme.
Si les nations glorifient la mémoire de ceux qui sont morts
sur les champs de bataille, ce n’est pas par romantisme :
c’est par un instinct plus profond que l’on pourrait appeler
ia reconnaissance historique.
(( La conscience de participer à une tradition glorieuse,

écrit von Seeckt, a une influence indéniable sur la valeur


d’une troupe. )) C’est pourquoi toutes les armées attachent
t a n t de prix à maintenir vivant le souvenir de leur passé.
Déjà,lors de la formation de la Reichswehr provisoire, les
chefs des corps francs s’étaient efforcés de marquer leur
filiation avec les régiments dissous. (( Filiation plus étroite
1. En vertu de ce principe, les 100.000 hommes de la Reichswehr compren-
dront, en 1924, 4.000 ofIlciers, 21.000 sous-officiers, 30.000 caporaux et seulement
44.000 soldats, eux-mêmes pourvus d‘une instruction équivalant au grade de sergent
dans les armées à court terme.
2. Nidi ein Soldnerhem, sodern cin Fiihrerhecr.
3. General Hans von SEBCXT, O p . Ca., p. 46.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 135
encore qu’on ne le pense, écrivions-nous, car enpassant de
l’armée impériale aux corps francs, et des corps francs à la
Reichswehr provisoire, les formations initiales, ou S t a m m -
truppabteilungen, ont conservé, dans plus d‘un cas, les
fanions, les insignes et les archives des régiments auxquels
elles ont appartenu jadis l. D Von Seeckt va conserver ce
système et lui donnera une ampleur et une signification
insoupçonnées. De même qu’il n’y a eu aucune solution de
continuité entre l’armée impériale et la Reichswehr provi-
soire, il n’y en aura aucune entre la Reichswehr provisoire
et la Reichswehr de métier.
Car chaque régiment de l’armée nouvelle comprendra un
certain nombre de (( compagnies de tradition »,ou Traditions-
abteilungen, chargées de monter la garde autour des dra-
peaux et des étendards des unités dissoutes. E n attendant
le jour de leur résurrection, ces petites unités symboliques
perpétueront le souvenir des régiments disparus. Toute,l’an-
cienne armée impériale se trouvera ainsi représentée au sein
de la Reichswehr, chaque compagnie assurant la survivance
d’un régiment entier.
Pour resserrer encore les liens entre le présent et le passé
ces (( compagnies de tradition )) seront placées autant que
possible dans les garnisons occupées avant la guerre par les
unités qu’elles représentent, et ce système sera étendu à
l’affectation des officiers. n Cet ensemble de mesures destiné
à perpétuer dans les formations nouvelles le souvenir de corps
dont l’histoire était enracinée dans la tradition monarchique
fut sévèrement critiqué, écrit von Seeckt. Son sens profond
ne pouvait être compris par ceux auxquels toute pensée
militaire était étrangère. Ils accusèrent ce système de s’ins-
pirer d’un fétichisme ridicule ou d’un bureaucratisme périmé.
Ils ne pouvaient saisir sa triple signification historique,
sociale, et éducatrice. 1) Elistorique, parce qu’elle faisait de
la Reichswehr la dépositaire et la gardienne des traditions
militaires allemandes. Sociale, parce qu’elle assurait la liaison
entre chaque compagnie de la Reichswehr e t l’association
d’anciens combattants du régiment qu’elle représentait. Edu-
catrice, enfin, parce que les vétérans de la grande guerre
étaient fiers de voir l’armée nouvelle conserver le culte de
leurs hauts faits et que les jeunes recrues s’enorgueillissaient,

i. Voir vol. I, p. 176.


136 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

de leur côté, d‘être les héritiers et les continuateurs de la


génération du feu.
Le maintien de la tenue de campagne est également signi-
ficatif. Beaucoup d’officiers espéraient que le retour à la
paix amènerait un retour aux anciens uniformes. Mais le
général von Seeckt s’y oppose formellement. La guerre, elle
aussi, fait partie des traditions que la Reichswehr a pour
mission de sauvegarder et de maintenir. C’est entre 1914 et
1918 que fut forgée l’unité militaire allemande. Si la loi du
6 mars 1919 a créé une armée unique pour tout le territoire
du Reich, c’est sous le feu des canons que cette unité s’est
manifestée pour la première fois. L’uniforme feldgrau en reste
le symbole. De plus, si l’Allemagne civile a retrouvé la paix,
il n’en est pas de même en ce qui concerne l’armée. Pour
les soldats de la Reichswehr, la guerre continue. Le port de
la tenue de campagne et du casque d’acier les maintient
dans un état de (( mobilisation permanente D. Tel le veilleur
antique au sommet de sa tour, c’est de leur vigilance que
dépend la survie de l’Empire.
t
+ *
Mais la préparation de l’armée future e t la conservation
des traditions historiques n’épuisent pas encore le rôle assigné
à la Reichswehr. Celle-ci doit garder, en outre, le contact
avec la population. I1 ne faut pas qu’elle se laisse isoler,
qu’elle devienne un corps étranger au reste de la nation.
Pour que le redressement espéré puisse s’accomplir un jour,
il ne lui sufit pas de veiller sur l’intégrité territoriale de
l’Allemagne : elle doit encore conserver la direction morale
de ses habitants.
(( En imposant à l’Allemagne une armée de mercenaires,

écrit von Seeckt, on a voulu trancher les liens entre l’armée


e t la nation. 1) L’abolition de la conscription et l’interdic-
tion de former des réservistes risquent de porter un coup
mortel à la vitalité de la Reichswehr. Elles la privent de
tout amux de sang nouveau et réduisent au minimum ses
contacts avec le peuple. Aussi von Seeckt devra-t-il avoir
recours à des moyens détournés pour empêcher l’armée de
s’étioler et de dépérir.
Déjà les sections de tradition établissent la liaison entre
les unités nouvelles et les Associations d’anciens combattants.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 137
Bientôt des officiers spéciaux, dits (( officiers d’instruction »,
propageront le culte de l’armée parmi la jeunesse des écoles
et des universités. Mais c’est surtout dans la longueur des
contrats d’engagement que von Seeckt va trouver un auxi-
liaire précieux. S’il est bon, avec le service militaire à court
terme, que les conscrits apprennent à connaître des régions
de leur pays qu’ils ignorent encore, on ne peut songer à
transplanter dans des garnisons lointaines des soldats et des
officiers astreints respectivement à douze et à vingt-cinq
ans de service. On les maintiendra donc dans leurs provinces
natales. Là, au sein de leurs familles et souvent dans les
villes même dont ils sont originaires, ils serviront de trait
d’union entre le peuple et l’armée, et permettront à la
Reichswehr d’échapper à l’isolement auquel la condamnent
les dispositions du Traité.
(( Grâce à ces mesures, écrit von Seeckt, les Allemands

reconnurent peu à peu (( leurs )) régiments. Le peuple s’aper-


çut que l’armée parlait la même langue que lui, qu’elle était
formée de sa chair et de son sang. Ainsi ressuscitèrent les
souvenirs du passé, et lorsqu’on vit que les vieux principes
survivaient toujours sous l’uniforme nouveau, que les jeunes
gens s’efforçaient d’égaler leurs aînés, bourgeois et paysans
regrettèrent de ne pas trouver de place pour leurs fils dans
les régiments où ils avaient eux-mêmes servi autrefois.
Quant aux éléments dont il a besoin pour constituer sa
troupe, le chef de la Heeresleitung n’a que l’embarras du
choix. I1 dispose des 350.000 honimes et des 40.000 officiers
de la Reichswehr provisoire, parmi lesquels il n’a qu’à puiser
à pleines mains l. (( Ce qui compliquait ma tâche, avoue-t-il,
ce n’était pas la pénurie des effectifs : c’était plutôt leur
excès.
Cependant, cette abondance va lui permettre de procéder
A un choix. Par une série d’éliminations de plus en plus sévères,
il pourra écarter les moins bons éléments, pour ne conserver
que l’élite. Sans doute cette opération ne se fera-t-elle pas
sans douleur et il y aura, dans le nombre, beaucoup de sacri-
1. Le général von Lüttwitz, qui avait gardé rancune h Seeckt de n’avoir pas
embrassé sa cause lors du pufich de Kapp, fait remarquer dans ses mémoires :
a Sans vouloir diminuer l’œuvre du général von Seeckt, il faut reconnaiire cepen-
dant qu’il n’a pas tout créé. Une part nous revient dans les éloges qu’on lui décerne.
C’est nous qui avons forgé Ies corps francs de toutcs pikes. I1 n’a CU qu’à tailler
dans l’étoffe que nous lui avons fournie. I (Zm iianipf gegen die A’ovmberrecoiu-
t h , p. 87-88.)
138 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

fiés. Pourtant, von Seeckt poursuivra son travail avec une


rigueur inexorable, sans se laisser troubler par les attaques
de ses adversaires et les critiques des mécontents. (( La tâche
de la Reichswehr était trop haute, écrit-il, pour ne pas exi-
ger le maximum de ceux qui y entraient. Elle ne pouvait
servir d’exemple au reste de la nation qu’à condition de Iie
cont,enir que les meilleurs d’entre les meilleurs 1. ))

* l

Examinons à présent la structure de la Reichswehr de


inétier, telle qu’elle découle de la loi du 23 mars 1921. Celle-ci
apparaît comme une synthèse entre les clauses militaires
du traité de Versailles et la loi du 6 mars 1919 sur la Reichs-
wehr provisoire.
Suivant l’article l e r de cette loi, (( l’armée de la République
allemande est la Reichswehr 1). Ses effectifs s’élèvent à
96.000 hommes et 4.000 officiers. L’ensemble de ces troupes
forme 7 divisions d’infanterie e t 3 divisions de cavalerie 2,
dépendant de deux Gruppenkommandos établis respective-
ment & Berlin e t & Cassel.
Les ’24 brigades de la Reichswehr provisoire sont suppri-
mées 3. Le nombre des Wehrkreise est ramen6 à 10, et leur
1. Certains oficiers, lésés par ce choix, accuseront von Seeckt d’agir d’une
façon injuste et arbitraire. Voici ce que le commandant en chef de la Reichswehr
leur répondra : a Les corps francs avaient groupé dans leurs rangs tous les élé-
ments de l’armée impériale qui étaient encore prêts à se battre et à se sacrifier
pour leur pays. De même que leur forme, leur valeur était très diverse e t dépen-
dait, le plus souvent, de la personnalité de leur chef. Leur genèse et leur composi-
tion leur donnaient un caractère de bande de lansquenets, qui ne les destinait
guère à servir de base à l’armée nouvelle. Les corps francs ont considéré mon
attitude envers eux comme une marque d’injustice et d’ingratitude. Quiconque
pense ainsi oublie que l’édifice nouveau exigeait des fondations particulièrement
solides et devait être organisé suivant un plan méthodique auquel les corps francs
ne pouvaient s’adapter, ni par leur composition, ni par leur structure. I1 s’agissait,
à présent, de faire œuvre de paix, et tous ceux qui avaient accompli brillamment
leur devoir, pendant la période exceptionnelle qui avait suivi la guerre, n’étaient
pas nécessairement qualifiés pour cette tâche. I> (Die Reichswehr, p. 14.)
2. Réparties de la façon suivante : 1‘’ division d’infanterie :Koenigsberg (géné-
ral von Dassel); 2’ division :Stettin (général Weber); 3‘ division :Berlin (général
Rumschottel); 4‘ division : Dresde (général von Stolzmann); 5 e division : Stutt-
gart (général Reinhardt, ancien ministre de la Guerre de l’russe); 60 division .-
Münster (général von Lossberg, ancien chef d’État-Major du XIII’ corps d’ar-
mée); 7’ division : Munich (général von MohI, ancien commandant de l’armée de
Bamberg); Ire division de cacnicrie : Francfort-sur-l’Oder (général von Horn);
Ze division de cavalerie :Breslau (général van Preinitzer); 3 e dilision de cavalerie .-
Cassel (général Koch). Voir la carte V, à la fin du volume.
3. A vrai dire, elles n’avaient pas été toutes constituées. Un certain nombre
d’entre elles étaient restées à l’état embryonnaire.
L’ÈRE DES COUPS D’$TAT 139
siège établi dans les villes où se trouvent les États-Majors
de division.
Le commandement de la Reichswehr appartient au chef de
la Heeresleitung, c’est-à-dire au général von Seeckt, auquel
est adjoint un Etat-Major général, qui constitue les cadres
du ministère de la Reichswehr. Le chef suprême des armées
de terre et de mer est le président du Reich (art. 8).
La formule de serment reste inchangée. Des hommes de
confiance seront élus dans tous les États-Majors et les corps
de troupe (art. 9).
Particulièrement intéressants sont les articles de la loi
relatifs à la création des Landesmannschaften. En iiistituant
une armée unique pour l’ensemble du Reich, l’Assemblée
de Weimar avait procédé à une innovation hardie. Cette
réforme avait provoqué des réactions très vives de la part
de certains États, et, à l’issue de l’expédition de Munich,
Noslte avait même été obligé de promettre au président
Hoffmann que les troupes stationnées sur le territoire de la
Bavière seraient exclusivement recrutées parmi les ressor-
tissants du pays
Une fois l’ordre revenu, les gouvernements des États
avaient marqué quelque humeur devant une mesure qui les
dépouillait d‘une partie de leurs prérogatives. Ils obligèrent
le gouvernement du Reich à leur faire certaines concessions.
Peut-être ces concessions auraient-elles même été plus
grandes si le traité de Versailles ne leur avait fait obstacle,
en imposant une réglementation uniforme (( à l’armée des
Etats qui composent l’Allemagne ». Cette formule permit
au Cabinet de Berlin de ne pas céder entièrement aux reven-
dications des Pays, en se retranchant derrière la volonté
des Alliés.
La création des Landesmannschaften nous prouve en effet
combien l’unité militaire allemande était encore fragile à
cette époque, et combien les États étaient attentifs à pré-
server tout ce qui subsistait de leur ancienne autorité. L’ar-
ticle 14 de la loi déclare, en effet :
T o u s les officiers et les fonctionnaires des unités stationnées
dans un Pays devront, sans exception, appartenir à ce Pays.
Il en va de même des hommes, dans la mesure où le permettra
l’afflux des volontaires. Les unités bavaroises formeront, de ce
1. Voir vol. I, p. 297.
140 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

fait, un groupe homogène et fermé, placé sous un commandement


autochtone.
D’une façon absolue, les troupes auront leurs garnisons per-
manentes dans les pays dont elles sont originaires. Dans la dési-
gnation des troupes, l‘indication de leur P a y s d’origine devra
suivre immédiatement leur numéro d‘ordre.
Sans doute, ces dispositions ne portent-elles pas atteinte
à la souveraineté du Reich en matière militaire. Mais, en
rétablissant e n fait les quatre contingents abolis en principe,
elles présentent un recul indéniable par rapport à la loi du
6 mars 1919.
Les articles 19 à 22 règlent la durée du service (douze
ans pour les soldats e t vingt-cinq ans pour les officiers).
Ils définissent également les cas dans lesquels l’État est
autorisé à résilier les contrats d’engagement.
L‘École des Cadets e t l’Académie de guerre étant suppri-
mées, l’enseignement militaire est concentré dans quatre
écoles affectées chacune à une arme particulière :l’infanterie
à Dresde, la cavalerie à Hanovre, l’artillerie à Jüterbog
et le génie à Munich. L’article 23 spécifie que chaque
homme et chaque sous-officier recevront pendant la durée
de leur service, outre leur instruction militaire, une instruc-
tion professionnelle suffisante pour leur permettre d’exercer
un métier lors de leur retour à la vie civile 1.
Chaque membre de la Reichswehr peut accéder aux plus
hauts grades de l’armée, selon la mesure de ses capacités
(art. 24) 2. I1 ne peut se marier sans l’autorisation de ses
supérieurs. Cette autorisation ne lui est accordée que passé
l’âge de vingt-sept ans (art. 31). I1 a l’obligation de garder
le secret absolu sur toutes les questions touchant son ser-
vice, même après son départ de l’armée (art. 34). L’éduca-
tion du soldat comprend des cours de civismc qui le rendent
conscient de ses devoirs en temps de guerre, comme en temps
de paix (art. 35).
Toute activité politique est interdite aux membres de l’ar-
1. Nous retrouvons ici l’idée du général Macrcker, qui ne voulait pas que les
soldats de la Reichswehr devinssent des déclassés à l’expiration de leur temps de
service. Le système scolaire instauré Q cet effet Q l’intérieur de la X V P brigade,
se trouve étendu, à présent, à l’armée entière. (Voir vol. I, p. 172.173.)
2. A cet effet, les effectifs sont divisés en trois catégories : A. ceux qui servent
sans projets d’avancement; B. ceux qui veulent suivre la carrière de sous-officier;
C. ceux qui veulent cmbrasser la carrière d‘oillcier.
(Das Deuischa R e i c h k , Organisatwmn und Laufbahiten, par Ludwig von der
LEYEN,capitaine d’Etat-Major, Berlin 1925.)
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 141
mée. Les soldats ne doivent appartenir à aucun parti et ne
doivent prendre part à aucune manifestation politique. Ils
ne jouissent pas du droit de vote. Tous les journaux sont
autorisés, mais le ministre de la Reichswehr se réserve le
droit d’interdire dans les casernes ceux dont il juge la lec-
ture préjudiciable au bon moral et à la discipline de la
troupe (art. 36).
Enfin, un tableau de concordances indique avec préci-
sion à quel régiment de l’ancienne armée impériale corres-
pond chaque compagnie ou escadron de l’armée nouvelle.
C’est ainsi que les l e r , 2e, 3 e et 4 e régiments de la Garde à
pied sont représentés respectivement par les I r e , I l e , 2 e et
10e compagnies du 9 e régiment d’infanterie de la Reichs-
wehr, le régiment des Gardes du Corps par le l e r escadron
du 4 e régiment de cavalerie, le l e r régiment de Uhlans par
le 2e escadron du 1 2 e régiment de cavalerie, et ainsi de
suite l. Ce système permet aux jeunes gens de s’engager dans
les régiments chargés de perpétuer les traditions des corps
oii les membres de leurs familles ont servi, de père en fils,
depuis des générations, de sorte que la survivance du passé
se trouve doublement assurée : par la transmission des dra-
peaux et par Ia continuité du sang, illustrant ainsi le pré-
cepte de Nietzsche : a L’essentiel, sur la terre comme au ciel,
est d’obéir longtemps dans la même direction z. ))
Ainsi naît une armée très différente de la Reichswehr pro-
visoire, par sa structure, sa discipline et sa (( densité morale ».
La Reichswehr provisoire était, en quelque sorte, une armée
surgie du regroupement spontané des forces vives de la
nation. La Reichswehr de métier, elle, est une armée métho-
diquement structurée e t aristocratique qui porte, du haut
en bas, la marque de son chef. C’est la troisième armée
allemande depuis novembre 1918.

1. On pourrait multiplier ces exemples B.l’inGni, car ce tableau oecupc sept


pages et demie, sur quatre colonnes, dans le manuel du capitaine d’État-Major
Ludwig von der LEYEN: Dm Deutsche Reichsheer, Organisationen und Laufbahnen
(p. 77-84). En confrontant ce tableau avec l’annuaire des oficiers de la Reiehs-
wehr pour 1921, on voit que 75 yo des oficiers du 9e régiment d’infanterie, qui
succéde, z i Potsdam, aux différents régiments de la Garde impériale, ont servi,
avant la révolution, dans les rangs de la Garde. De même, on retrouve les des-
cendants des familles aristocratiques de Westphalie qui assuraient, depuis des
temps immémoriaux, les cadres du célèbre régiment de Cuirassiers de Münster,
groupés dans les escadrons correspondants du 15e régiment de cavalerie de la
Reichswehr, en garnison à Münster et A Paderborn.
2. FrBdéRo NIETZSCBE, Par-ddd bien d Is mai,v, 8 188.
IX

GARDES D’HABITANTS, ENGAGES TEMPORAIRES


CORPS FRANCS ILLÉGAUX
ET ASSOCIATIONS SECRÈTES

Depuis le retour de l’armée impériale, en décembre 1918,


nous avons vu se former deux groupes différents au sein du
corps des officiers : d’une part, les modérés, hésitant à heur-
ter de front le gouvernement républicain, préférant tempo-
riser, cherchant à éluder un conflit dont l’issue risquerait
d’anéantir ce qui subsiste de leur autorité, mesurant à sa
juste valeur la profondeur des remous qui agitent le pays;
de l’autre, les ultras, turbulents, partisans de la manière
forte, pressés d’en finir par une action d’éclat qui portera le
coup de grâce à la République et nullement conscients de
l’ampleur des transformations subies par l’Allemagne depuis
l’écroulement de l’Empire. Ce qui distingue les membres de
ces deux clans, ce n’est pas une idéologie précise mais une
différence de tempérament. Sans doute vouent-ils une haine
égale au communisme et à la démocratie, mais ils sont divi-
sés sur des questions de tactique. Les modérés préconisent
une guerre d’usure qui aboutira à la prise de possession
légale du pouvoir par le dedans; les ultras accordent leur
préférence à l’esprit offensif qui leur permettra, par une
série de coups de force, de procéder à la conquête du pou-
voir par le dehors. Hindenburg et Grœner sont les porte-
parole des uns; Ludendorff et Lüttwitz servent de pôle
d’attraction aux autres.
Tout au long de la première et de la deuxième révolu:ion,
ces deux tendances se sont affrontées au sein du Grand Etat-
Major et l’ont emporté alternativement, tandis que gran-
dissait le spectre d’une scission redoutée. A présent, la rupture
est consommée. Entraînés par leur impatience, les ultras
L’ÈRE DES COUPS D’BTAT 143
ont tenté leur chance - et ils ont perdu la partie. En obli-
geant Lüttwitz à abandonner son commandement, l’échec
du coup d’État de mars 1920 a consacré le triomphe des
modérés.
Car en pratiquant des coupes sombres dans la Reichswehr
provisoire, von Seeckt ne cherche pas seulement à grouper
autour de lui (( les meilleurs d’entre les meilleurs ». I1 a une
conception très précise du rôle de l’officier dans 1’Etat et
ne veut s’entourer que d’éléments dont il soit sûr. Au der-
nier moment, Lüttwitz a été débordé par ses propres troupes
et le chef de la Heeresleitung ne veut pas s’exposer à la même
surprise : encore un putsch manqué, et c’en sera fait de l’ar-
mée allemande. I1 n’y a pas de place, dans la Reichswehr
nouvelle, pour les tempéraments impulsifs ou les aventuriers.
Les Pabst, les Rossbach, les Ehrhardt en seront impitoya-
blement bannis. Sans doute le Traité de paix oblige-t-il von
Seeckt à ne conserver que 100.000 hommes sur 350.000.
Mais il le laisse libre de les choisir comme il l’entend. Or
son choix suit presque exactement le clivage qui sépare,
depuis 1918, les modérés des ultras. Désormais, le corps
des officiers se trouve scindé en deux : d’un côté, l’armée
régulière, les représentants officiels de la tradition militaire
allemande, les (( élus D qui serviront de cadre e t d’exemple
à la nation; de l’autre, les (( réprouvés »,les condottieri et
les hommes de main, toujours liés à leurs camarades par
des liens qu’aucune disposition légale ne saurait briser, mais
que leurs camarades plus heureux feignent souvent d’ignorer,
et qui doivent accepter cette humiliation en silence.
Sans doute, les officiers de la Reichswehr connaissent-ils,
eux aussi, des épreuves pénibles. Ils sont souvent en butte
aux injures d’une population hostile e t doivent servir sous
les couleurs noir-rouge-or de la République qu’ils haïssent.
Mais ils s’en consolent en regardant flotter les anciens dra-
peaux prussiens, à l’heure de la relève de la garde, quand
leurs régiments, marchant au pas de parade, remontent l’Un-
ter den Linden au son des fifres et des tambours.
Combien moins enviable, en revanche, est le sort de leurs
anciens compagnons d’armes, qui n’avaient d’autre patrie
que leurs bataillons dissous! Vont-ils se résigner à leur sort
et disparaître, absorbés par la vie civile? Pas tous, loin de
là. (( J’ai quitté l’uniforme, écrit l’un d’eux à Rudolf Mann,
mais je reste soldat quoi qu’il advienne. N Un autre se laisse
144 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

arracher cet aveu significatif : G J’ai cherché à apprendre


u n métier. J’ai accepté les travaux les plus durs. J’ai tout
fait pour oublier la vie militaire. C’est impossible. Quand
on a ça dans le sang, on ne peut plus faire autre chose l. 1)
Lorsque l’armée impériale s’était volatilisée dans cette four-
naise chauffée à blanc qu’était l’Allemagne révolutionnaire,
les corps francs s’étaient constitués spontanément autour de
quelques chefs résolus. Ils avaient pris eux-mêmes l’initia-
tive de l’action, décidés à périr plutôt que de subir.
A présent, le même phénomène se reproduit une seconde
fois mais dans un cadre différent. Incapables de se réadapter
à la vie civile, les anciens volontaires d’Ehrhardt, de Bis-
choff et de Rossbach vont se grouper dans les innombrables
formations illégales qui continueront à graviter autour de
la Reichswehr : Heimwehren et Selbstschütze, ligues clan-
destines et associations secrètes, sans cesse dissoutes et tou-
jours reformées, mystérieuses et insaisissables, dissimulant
des dépôts d’armes dans des fermes isolées et entretenant
dans le pays une atmosphère de fièvre, d’inquiétude et de
meurtre. Dans la patrie classique des complots et des conju-
rations, les sociétés secrètes vont proliférer à l’infini. Renou-
velant les exploits de la Sainte-Vehme, leurs membres tra-
meront dans l’ombre leurs coups de main et leurs attentats,
convaincus qu’ils n’ont pas à obéir aux lois, puisqu’ils ne
reconnaissent pas le régime qui les a instituées.
D’autres préféreront quitter l’Allemagne et s’expatrier. Ils
iront à travers le monde, en Autriche et en Irlande, au Japon
et en Bolivie, en Mandchourie et dans le Riff. On les ren-
contrera partout où se préparent des soulèvements, partout
où l’on a besoin d’instructeurs et de soldats perdus. Tels les
vestiges de quelque gigantesque naufrage, on retrouvera leurs
corps consumés par la fièvre ou déchiquetés par les balles
dans les marais du Chaco, au pied de la muraille de Chine
ou dans les sables africains.
Quant aux relations qui peuvent exister entre la Reichs-
wehr et les associations secrètes, celles-ci sont très malaisées
à définir car elles varient suivant les cas et, dès qu’on s’ef-
force de préciser leur nature, on se heurte à une série d’obs-
tacles - écrans de silence et polémiques passionnées, démen-
tis officiels et témoignages contradictoires - qui ne facilitent
1. Rudolf MANN,Mit Eivlrardt durch Deu@chlund, p. 217.
L ’ È R E DES COUPS D’ÉTAT 145
guère la recherche de la vérité. D’une façon générale, il faut
garder présent à l’esprit le fait que, sur les 40.000 officiers
de la Reichswehr provisoire, seuls 4.000 ont trouvé place
dans la Reichswehr de métier. Pour ces derniers, les officiers
licenciés ne sont pas seulement des exaltés, qui ont grave-
ment compromis l’armée au moment du putsch de Kapp :
ce sont des rivaux qui jalousent leur place et n’hésiteraient
pas à la prendre si on la leur offrait. I1 s’agit donc de n’avoir
avec eux que des relations espacées et - surtout - d’évi-
ter toute collusion qui prendrait des allures de complicité.
Cependant, les officiers de la Reichswehr ne renient pas
pour autant leurs anciens compagnons d’armes. Le but
auquel ils travaillent n’est-il pas identique? Tout en conser-
vant les distances, ils les approuvent au fond d’eux-m@mes.
Eux qui sont assermentés à la Constitution, ils leur savent
gré d’aller hardiment de l’avant, de les débarrasser de leurs
adversaires les plus gênants, de déblayer le terrain où ils
s’installeront un jour. La plupart du temps, la Reichswehr
ignore les auteurs des attentats politiques et, lorsqu’elle
les connaît, elle ne les dénonce pas. C’est à la police de les
découvrir, aux tribunaux de les juger. Quand un meurtre
aura été commis, la Reichswehr fermera les yeux.
Très différente, en revanche, est l’attitude des membres
des associations illégales à l’égard des officiers de la Reichs-
wehr. Tout en enviant leur situation, ils les méprisent en
secret. Ils ont, pour eux, le sentiment du loup envers le chien
de la fable. Pour leur part, ils ont tout sacrifié au triomphe
de leur cause : sécurité, foyer, et même l’honneur. Mais
eux, du moins, ne portent pas le collier de la République
et leur fanatisme se nourrit d’une sombre exaltation. Ils sont
les instruments d’un avenir qu’ils appellent de tous leurs
vœux mais dont ils ignorent encore comment il se réalisera.
A l’heure où leur courage fléchit et ,où leur conscience se
cabre, ils se bornent à répéter tout bas la formule rédemp-
trice : (( Nous ne sommes pas des assassins, nous sommes
des justiciers! n
A partir de mars 1920, l’armée allemande prend l’aspect
d’un fleuve qui se divise en deux bras : d‘un côté l‘armée
légale, c’est-à-dire la Reichswehr; de l’autre, l‘ensemble des for-
mations illégales ou secrètes.

Il 10
146 HISTOIRE D E L ’ A R M É E A L L E M A N D E

t
+ +

E n gros, ces formations peuvent se répartir en trois groupes


caractérisés par leur degré croissant d’illégalité 1. Les pre-
mières sont ouvertement constituées et dépendent de cer-
tains organismes du gouvernement 2. Les dernières vivent
en marge de la loi et leur existence est entourée d’un halo
de mystère. E n passant des unes aux autres, on a I’impres-
sion de s’enfoncer au cœur d‘une forêt vierge. Les lisières
de la forêt sont encore claires e t aérées. Mais plus on avance,
e t plus la végétation devient touffue. Les arbres et les
lianes ont tôt fait de cacher le ciel. Pour finir, la piste se
perd dans les ténèbres de la jungle ...
Le premier groupe se compose des Gardes civiques, des
Engagés temporaires, des Troupes de secours techniques et des
Gardes d’habitants.
Lorsque les Alliés eurent imposé à l’Allemagne de rame-
ner son armée à 100.000 hommes, les autorités du Reich
crurent pouvoir tourner la difficulté en créant divers sys-
tèmes de milices en marge de la Reichswehr. Les premières
d’entre elks furent les Gardes civiques, ou Volkswehren, char-
gées d’assurer la surveillance des casernes et la police des
villes. Ces Gardes civiques conservaient un caractère local
e t ne devaient pas être employées en dehors de leurs gar-
nisons. C’est en cela seulement qu’elles se distinguaient de
la Reichswehr, dont elles conservaient, par ailleurs, l’arme-
ment, la structure, la solde et la discipline. Elles portaient
au col, au lieu d’un numéro d’ordre, l’écusson de la ville où
elles étaient casernées.
Aux Gardes civiques, de caractère strictement défensif,
les autorités du Reich adjoignirent bientôt une milice offen-
sive : les Engagés temporaires, ou Zeitfreiwilligen, composée
de soldats engagés pour une durée de trois mois. Ces troupes
étaient destinées à renforcer la Reichswehr en cas de troubles
sociaux et à venir grossir ses effectifs, soit en tant que for-

1. I1 va sans dire que cette classification n’a rien d’absolu et l’on remarquera
bien des variations au sein de chaque catégorie.
2. C’est-à-dire qu’illégales vis-&vis du traité de Versailles, elles sont cependant
légales vis-à-vis des lois allemandes.
3. Par une ordonnance du ministre de la Reichswehr du 11 mai 1919.
L’ÈRE D E S C O U P S D’ÉTAT I47
mations complémentaires, soit en s’incorporant directement
à ses unités.
Concurremment avec les Engagés volontaires, le Reich
constitua des troupes de secours techniques, ou Technische
Nothilfe, composées d’ingénieurs, de chimistes, d’étudiants
des grandes écoles, de contremaîtres et d’ouvriers volon-
taires. Destinées à parer aux occupations d’usines, prati-
quées par les Spartakistes, leur mission consistait à assurer,
en cas de grève, la marche des services indispensables à la
vie de la nation : eau, gaz, électricité, transports, etc. 1.
PIacées sous le commandement d’un corps d’ingénieurs, les
troupes de secours techniques étaient directement rattachées
au ministère de la Reichswehr.
Enfin, des Gardes d’habitants, ou Einwohnerwehren, avaient
été instaurées dans toutes les communes d’Allemagne, en
vertu d’une ordonnance du 25 avril 1919. Rattachées elles
aussi au ministère de la Reichswehr, les Einwohnerwehren
avaient pris rapidement une grande extension 2. Militaires
quant à leurs cadres, mais civiles quant à leurs effectifs, ces
milices bourgeoises étaient destinées à veiller sur la sécurité
publique dans les villages et dans les villes. Recrutées par
l’entremise des commandants de place, encadrées d’officiers
ou de sous-officiers qui s’étaient distingués au front, leur
armement consistait en carabines et en fusils, en pistolets
et en mitrailleuses. Un ceinturon avec un sabre ou un bâton,
un casque d’acier, une musette et une gourde, deux bandes
de pansement et un brassard spécial, constituaient leur équi-
pement.
Les articles 177 et 178 du traité de Versailles ayant inter-
dit toutes les organisations armées en dehors de la Reichs-
wehr et de la police des États, les autorités du Reich enle-
vèrent les Gardes d’habitants au ministère de la Reichswehr
pour les rattacher au ministère de l’Intérieur, où elles pas-

1. Une scction spéciale, la Garde des communications, ou Verkehrswehr, grou-


pait dans ses rangs les fonctionnaires c t employés de chemins dc fer, des Postes,
télégraphes, téléphones, etc. Une autre section, les Gardes-côtcs, ou Kiisferi-
wehren, dont un régiment se trouvait i \\’ilhelmshûven, un bataillon i Cuxhaven
e t un autrc B Bremerhaven, étaient chargée de la surveillance des côtes e t de la
police des ports. (Cf. Paul GENTIZON,L’Armce allernande n j ~ r è sIa défaite, p. 16%)
2. ri Leur effectif ne f u t pas connu exactement de la Commission de contrôle,
écrit le générai Noilet, mais il dépassa certainement IPmillion, puisque le nombre
déclaré des armes distribuées après l’armistice f u t de W8.000 fusils c t 8.500 mitrail-
leuses. D (Urie wpdrience de disarrrierrwit, p. 219.)
148 H i S T O i R E D E L ’ A R J I k E ALLEMANDI?:

sèrent sous les ordres d’un Commissaire civil 1. Mais leur


armement resta le même et le décret spécifia que les Gardes
d‘habitants, une fois mobilisées, pourraient repasser immé-
diatement sous le commandement des autorités militaires.
Dès le l e r décembre 1919, les Alliés se virent obligés d’in-
tervenir pour demander la dissolution de ces formations qui
constituaient de véritables réserves instruites, OU l’État-
Major n’aurait eu qu’à puiser, en cas de mobilisation.
(( Tout en protestant, écrit le général Nollet, le gouverne-

ment [du Reich] transmit aux divers Etats les injonctions


des Alliés. I1 les invita même à supprimer les Einwohner-
svehren, sauf à leur substituer telles autres organisations de
protection qu’ils jugeraient à propos, sous réserve que la
création de ces dernières ne pût faire conclure à une viola-
tion du Traité. La plupart des États entrèrent dans la voie
qui leur était indiquée. Ils s’évertuèrent à trouver un compro-
mis entre les exigences des Alliés et les voeux de leurs popu-
lations. Seules, la Prusse-Orientale et la Bavière se refusèrent
catégoriquement à composer )), -la Prusse-Orientale parce
qu’elle se sentait menacée par une invasion de l’armée sovié-
tique 3, la Bavière parce qu’à la suite du putsch de Kapp,
elle était devenue le refuge de toutes les forces réactionnaires
du Reich et que l’Einwohnerwehr bavaroise, issue de l’Or-
gesch, était un des piliers du gouvernement de von Kahr *.
A partir de ce moment, la discussion entre les Alliés et
le gouvernement allemand prit un tour plus aigre.
Afin de couper court aux récriminations de Berlin, les

1. En vertu d’un décret du 5 juillet 1919.


2. Générai NOLLET, op. cit., p. 220.
3. C‘est l’époque de l’offensive soviétique contre la Pologne, qui se terminera
par la bataille do Varsovie et la victoire de Pilsudski.
4. Le refus du gouvernement dc Munich était d’autant plus inquiétant, que
I’Einwohncr~vchrbavaroise offrait un caractère militaire beaucoup plus acccntué
que Ics Gardes d’habitants dos autres États. Elle était née de la fusion de deux
organisations trhs puissantes : l’organisation Escherisch, ou Orgescli, et I’Organi-
sation ICanzler ou Orku.
L’ûrgesch, fondée par le conseiller dcs Eaux et Forêts Escherisch, s’efforçait de
grouper toutes les associations conservatrices du Reich, sous la direction d’un
organisme uniquc qui devait en étre le Grand lhat-Major. Intcrdite en Prusse par
un arrété du ministre Severing ( l o r novembre 1920), elle s’était maintenue CU
Bavière, où elle jouissait de la protection des autorités gouvernementales.
L’Orku avait pour mission de servir de trait d’union entre les corps francs
bavarois et les fieirnweiiren autrichienncs. Après leur fusion, ces deux associations
n’en formércnt plus qu’unc seule, dont IC Olerjorstrut Eschcrisch devint IC chef
suprémc, le capitaine Kanzlcr, le chct adjoint e t IC licui.eriûrit-coloncl ICriebel, le
chef d‘lhat-Major.
L ’ È R E DES COUPS D’ÉTAT 149
Alliés, réunis à la conférence de Boulogne, exigèrent pure-
ment et simplement la dissolution de toutes les Gardes d’ha-
bitants existantes avant le l e r janvier 1921, faute de quoi
ils procéderaient à l’occupation d’une nouvelle partie du
territoire allemand 1.
Effrayé par cette perspective, le Reich promulgua une
loi (( Sur le désarmement des populations civiles n (8 août
1920) 2, suivie, le 22 mars 1921, d’une seconde loi ((Sur
l’exécution des articles 177 et 178 du Traité 3 »,mais la
Bavière n’en persista pas moins dans son refus. Bravant à la
fois les Alliés et les autorités d’Empire, le Cabinet de Munich
répondit que les Einwohnerwehren ne tombaient pas sous
le coup des paragraphes invoqués, et qu’elles subsisteraient,
en Bavière, sous leur forme actuelle, car la défense de la
patrie était un devoir moral, supérieur à toute obligation
politique.
Irrités par cette résistance obstinée, les Alliés, réunis à
Londres, adressèrent, le 5 mai 1921, un nouvel ultimatum
au Reich, le sommant de dissoudre toutes les troupes d’auto-
défense avant le 30 juin 1921, faute de quoi les sanctions
prévues seraient immédiatement appliquées.
Du coup la situation devint franchement mauvaise. Les
g t a t s allemands conjurèrent le gouvernement bavarois de
céder afin de ne pas envenimer la discussion entre le gou-
vernement du Reich et les Alliés et ne pas exposer le pays
à des représailles. Pris entre les dangers d’une scission et
d’une seconde action exécutive de la Reichswehr, le gou-
vernement bavarois finit par se soumettre. I1 décréta la dis-
solution de 1’Einwohnerwehr. Celle-ci ne disparut d’ailleurs
pas complètement : la plupart de ses membres se regroupèrent
dans des associations illégales, notamment dans le corps
franc Oberland.
t
* *
Venons-en à présent au deuxième groupe, qui comprend
l’ensemble des associations illégales : Rossbach, Oberland,
1 . Note rie Boulogne, du 22 juin 1920, confirmée par le protocole de Spa, du
9 juillet 1920.
2. Reickgesefrb~nff, 1920, p. 1353. Aux termes de cette loi, toutes les armes
illégalement détenues par des particuliers devaient Bire remises i un Commissaire
du Reich, préposé à cet effet (art. 6)
3. Roichsgesetzblatt, 1921, p. 235.
150 HISTOIRE D E L’ARMÉE A L L E M A N D E

Aulock, Heydebreck, Hubertus, Arnim, Schmidt, etc. L’ac-


tivité de ces corps francs forme un des épisodes les plus
curieux de cette époque et rien ne saurait en donner une
image plus saisissante que de suivre, pas à pas, la vie d’un
de ces groupements.
E n décembre 1918, le jeune lieutenant Gerhard Rossbach,
du 175e régiment d’artillerie, constitue de sa propre autorité
une compagnie de Grenzschutz, qui prend bientôt le nom de
Section d’Assaut des volontaires de Rossbach (Freiwilbige
Sturmabteilung Rossbach). C’est, à cette époque, un détache-
ment de cent quatre-vingts hommes, où toutes les armes
sont représentées. Le 29 janvier 1919, les volontaires de
Rossbach s’emparent de la ville de Culmsee, en Prusse-Occi-
dentale, occupée à cette époque par des milices polonaises 1.
A la suite de ce coup de main audacieux, la Section d’Assaut
est incorporée à la Reichswehr provisoire, sous le nom de
37e bataillon de Chasseurs (Reichswehr Jagerbataillon 37).
Le 28 juillet 1919, le Traité de paix est signé. Indigné par
ce qu’il appelle la capitulation honteuse du gouvernement
((

de Weimar »,Rossbach déchire ses insignes et se donne un


nouveau drapeau : deux bandes transversales en argent,
surmontées d’un grand (c R n brodé, sur fond noir. Puis il fait
prêter serment à ses hommes et déclare : ( ( A partir de ce
jour, le bataillon est assermenté.
Malgré la défense formelle des autorités du Reich, Ross-
bach décide d’aller rejoindre la Division de Fer, qui lutte
devant Riga sous les ordres de Bermondt-Awaloff.Au moment
OU il s’apprête à pénétrer en Lithuanie, dans la nuit du
30 octobre 1919, il reçoit la visite d’un émissaire du général
von Seeckt, le major Hess, qui lui notifie l’interdiction de
quitter le territoire du Reich.
- Nous ne céderons qu’à la force, répond Rossbach, qui
fonce à travers la frontière avec armes et bagages, entraî-
nant à sa suite une partie des troupes venues pour l’arrêter 2.
Les effectifs du corps s’élèvent à ce moment à mille cinq
cents hommes. Le 7 novembre, Rossbach arrive à Mitau,
où il apprend que les troupes allemandes battent partout
en retraite. Bondissant en avant, Rossbach se précipite sur
Thorensberg, où il réussit à délivrer un bataillon de la Divi-
sion de Fer, encerclé par les Lettons. Mais le repli s’accentue
1. Voir vol. I, p. 238.
2. Voir plus haut, p. 49.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 151

et Rossbach est obligé de suivre le mouvement. Au début


de décembre, les volontaires de la Baltique évacuent la Cour-
lande. Le 12, Rossbach rentre en Allemagne, où il est inculpe
de désertion, et sa troupe exclue de l’armée pour insubor-
dination 1. Mais Rossbach refuse de laisser dissoudre son
bataillon. I1 fait paraître une annonce dans les journaux,
offrant ses services aux particuliers qui voudraient l’em-
ployer dans un but d’intérêt national2. Les milieux qui
préparent le putsch de Kapp - peut-être l’Union nationale
-lui fournissent des subsides pour lui permettre de sur-
vivre 3.
En mars 1920, le putsch de Kapp se déclenche. Appelé à
Berlin par le général von Lettow-Vorbeck, le corps franc de
Rossbach est réintégré dans la Reichswehr sous son ancienne
dénomination. Un mois plus tard, le putsch ayant échoué,
le bataillon Rossbach est dissous pour la seconde fois. Mais,
comme en 1919, ses membres refusent de se disperser. D’ac-
cord avec la Ligue agraire poméranienne (Pommersche Land-
bund), le bataillon se transforme en Communauté de tra-
vail ou Arbeitsgemeinschaft. Les armes, déposées à Güs-
trow lors de la dissolution du corps, lui sont envoyées en
Poméranie sous la désignation de pièces détachées.
Cette Communauté de travail est une organisation semi-
militaire, semi-agricole, du genre de celles que von der Goltz
se proposait d’installer dans les Pays Baltes. Ses membres
sont hébergés chez de grands propriétaires terriens, dont ils
cultivent les domaines en attendant de reprendre les armes.
Ce moment ne tarde guère. Au printemps de 1921, Ross-
bach rassemble ses volontaires pour les mener en Haute-
Silésie. Le corps compte alors quatre mille hommes environ.
En quarante-huit heures, deux régiments e t une compagnie
de cyclistes sont sur pied. Le corps comprend en outre des
sections d’autos e t de camions, qui transportent le service
sanitaire, la clique et les bagages. Pendant plus de trois
mois, les volontaires de Rossbach se battent contre les Polo-
nais, en liaison avec les corps francs Oberland, Aulock,
Schmidt et Heydebreck 4.
1. K.-O. RARCK, EIistoire du corps franc de Rossbach. V6lkischer Kurier, janvier
1925.
2. Deutsrlie Tageszeitung, 23 décembre 1919. Voir plus haut, p. 58,. note 1.
3. Cf. General von HAMMERSTEIN, Stelfiner Abendposl, du 26 février 1929.
4. Nous y reviendrons plus loin, dans les chapitres relatifs aux combats de
Ilaute-Silésie
152 RISTOIRE D E L ’ A R M É E ALLEMANDE

En juillet 1921 un armistice est conclu par le général


Hofer, et les troupes d’autoprotection sont dissoutes en
Haute-Silésie. Elles doivent remettre leurs armes à la Com-
mission de désarmement mais parviennent à les dissimuler
dans des fermes e t des châteaux. &happant au contrôle de
la police, les formations de Rossbach rentrent en Poméra-
nie où elles reprennent leur ancienne activité au sein de
I’Arbeitsgemeinschuf~.Leurs armes les y rejoignent quelques
semaines plus tard.
Mais, entre-temps, la Communauté de travail a été inter-
dite, en vertu de la loi sur l’application des articles 177 e t
178 du traité de Versailles (22 mars 1921). Cette mesure est
renforcée, le 24 novembre 1921, par un décret prescrivant
la dissolution des corps francs illégaux dans tout le Reich
(et notamment Rossbach, Oberland, Heydebreck, Huber-
tus e t Aulock).
Rossbach transforme alors sa Communauté de travail
en Mutuelle d‘épargne, ou Sparuereinigung, dont le centre
est à Kalsow, dans le Mecklembourg, et les bureaux à Ber-
lin-Wannseel. Arrêté le 11 novembre 1922, pour complot
contre la sûreté de l’État, Rossbach est relâché quelques
jours plus tard. Le 16 novembre, un décret du ministre
Severing interdit la Mutuelle. Le 18,Rossbach fonde l’Union
pour la formation agricole (Verein für Landwirtschuftliche
Berufsbildung). Le 24, un nouveau décret de Severing inter-
dit l’Union pour la formation agricole.
Dans cette lutte acharnée contre les pouvoirs publics,
Rossbach ne se décourage pas. N J e fonderai des associations,
déclare-t-il, plus vite que les autorités ne pourront les dis-
soudre. )) En décembre 1922 il est à Munich, où il célèbre
le quatrième anniversaire de la constitution de son corps
franc. Tous les anciens Baltes résidant en Bavière - ils sont
près de cent cinquante - sont conviés à la cérémonie. Ils
y viennent avec leurs insignes et leurs brassards. La plupart
portent l’uniforme sous leurs manteaux civils. -
1. Répartis en régions (Gauen), en districts (Kreise) et en subdivisions (Absch-
nitten), les a soldats en congé D occupent des postes de gardes champêtres et de
forestiers. Ils doivent remettre une partie de leurs salaires à la caisse centrale de
l’organisation. Des sections sont constituées dans le Mecklembourg, en Poméranie,
en Haute et en Basse-Silésie. 500 volontaires de Rossbach sont 6tablis dans la
seule rBgion de Wismar-Ost. Chaque domaine a sa troupe, dont les effectifs varient
suivant sa superficie. Chaque troupe obéit à un chef, nomme par le chef de région
(Cnuführer).
L’ÈRE D E S C O U P S D’ÉTAT 153
Rossbach entre alors au parti National-Socialiste, dont il
devient le délégué dans le Mecklembourg. I1 y organise des
Unions de Jeunesses sportives ou Turnerschaften. Arrêté une
deuxième fois en octobre 1923, Rossbach réussit à gagner
Munich où il prend une part active au putsch du 9 novembre.
Après l’échec de ce coup d’État, il se réfugie à Vienne où les
autorités autrichiennes lui accordent le permis de séjour.
L’histoire du corps franc Oberland présente une grande
analogie avec celle du bataillon Rossbach, à cela près que
cette formation n’a jamais fait partie de la Reichswehr pro-
visoire : elle est issue de 1’Einwohnerwehr bavaroise.
Appelé dès l’automne de 1920 par la section silésienne
de l’Orges&, le corps franc Oberland est un des premiers
à se rendre en Haute-Silésie. Les convois d’armes passent
d’abord par la Saxe; puis, quand le gouvernement saxon
s’y oppose, pàr Berlin. Le corps prend une part active à
tous les combats contre les Polonais. Lorsqu’en juillet 1921,
les troupes doivent évacuer la région soumise au plébis-
cite, la Commission de contrôle exige qu’elles déposent leurs
armes avant de partir. L’opération doit avoir lieu à Leob-
Schütz, le 9 juillet. Mais les chefs du corps franc Oberland
ne remettent aux oficiers de contrôle qu’une masse de fusils
brisés et de mitrailleuses hors d’usage.
Unemoitié du corps franc se réfugie en Bavière. L’autre, res-
tée en Silésie, se transforme en colonie agricole. En décembre
1921, la Commission de contrôle exige la dissolution de toutes
les Arbeitsgemeinschajten installées en Silésie. Celles-ci pro-
testent énergiquement et refusent de se disperser, malgré
les injonctions réitérées du gouvernement de Berlin. C’est
seulement en février 1922 que l’État-Major du corps franc
se décide à faire rentrer ses derniers hommes en Bavière.
En janvier 1923, le gouvernement bavarois, pressé par les
autorités du Reich, donne l’ordre au corps franc Oberland
de se dissoudre définitivement. Ses membres se regroupent
alors dans l’Union Oberland, puis dans l’association Treu-
Oberland et dans le Blücherbund.
Le corps franc Aulock connaît une destinée semblable.
Formé au début de 1919 par le chef d’escadron Aulock,
de l’ancien 4’3 régiment des Hussards bruns 1, nous le retrou-
vons en Haute-Silésie, où il combat aux côtés de Rossbach

1. Voir vol. I, p. 153.


154 HISTOIRE D E L’ARILIÉE ALLEbfANDE

et d’Oberland. Après l’armistice de juillet 1921, il se trans-


forme, lui aussi, en communauté de travail et s’installe dans
le Riesengebirge où ses hommes se livrent à des travaux
forestiers. Les autorités du Reich lui ordonnent de se dis-
soudre, mais les soldats menacent de se défendre par les
armes si l’on touche à leur association. Décimé par les
combats meurtriers auxquels il a pris part, le corps franc
Aulock ne compte plus que huit cents hommes au dCbut de
1922. Aussi finit-il par disparaître, faute de moyens financiers,
de même qu’un grand nombre d‘autres petits corps francs,
telles les formations Arnim, Heydebreck, Hubertus, etc.

Le chemin que nous avons suivi, au cours de ce chapitre,


nous a menés des Einwohnerwehren aux corps francs illégaux,
et des corps francs illégaux aux communautés de travail.
A présent nous pénétrons au cœur de la forêt. Car après
leur dislocation, corps francs illégaux et communautés de
travail s’émiettent à leur tour en associations rigoureusement
secrètes. Composées en majeure partie d’anciens officiers et
d’étudiants, celles-ci conservent, suivant leur origine, un
caractère militaire plus ou moins accusé. Insaisissables e t
protéiformes, pourvues de ramifications aussi nombreuses que
ténues, elles changent constamment d’aspect, de résidence
et même de nom, soit pour échapper aux investigations de
la police, soit pour éliminer ceux d’entre leurs membres qui
leur paraissent suspects 1. Comme pour les corps francs de
1919, il ne peut être question d’en donner ici une liste
complète. Bornons-nous à en énumérer quelques-unes :
A Berlin et dans le Brandebourg : le Bismarkbund, le
Sel bstschutz-Charlottenburg, le Sportklub-Olympia, du géné-
ral von Heeringen, dont plusieurs chefs seront inculpés de
complot contre la sûreté de l’État, à la suite d‘une perqui-
sition dans les locaux du club; le Bund der Aufrechten dont
les dirigeants sont le général von Stein, ancien ministre de

1. En additionnant les membres de chaque organisation, on arriverait à un


total tout à fait inexact, car beaucoup de ligueurs font partie de plusieurs a s o -
ciaiions à la fois, et t o u ~ e sles ligues n’ont pas existé en même temps. On estimait,
en 1921, le nombre total de leurs adhérents h 250.000, mais ce chiffre ne peut être
donné que sous toutes réserves.
L’ÈRE D E S COUPS D’ÉTAT 155
la Guerre de Prusse, le comte Westarp et le prince Oscar de
Hohenzollern; le Bund für Freiheit und Ordnung, etc.
A Hambourg et à Altona : la Wehrkraft-Hamburg, l’asso-
ciation Lücke, fondée par l’industriel du même nom, le Bund
der Niederdeutschen, qui possède plusieurs dépôts d’armes
clandestins, le Jungdeutscher-Bund, dont le chef est l’amiral
von Scheer.
En Prusse-Orientale, les associations sont particulièrement
nombreuses. On y trouve : la Tatbereitschaft (à Kœnigsberg),
composée en majeure partie d’élèves des écoles techniques;
la ligue Graf Yorclc von Wartenburg (à Pillkallen), la ligue Alt-
Preussen (à Kaukehmen), la ligue Jung-Preussen (à Ragnitz),
la ligue Neu-Preussen (à Gumbinnen), le Kœnigsberger W a n -
der und Schutzverein, la ligue Preussen (à Tilsit), la ligue
von Lützow (à Budwethen), la ligue von Schill (à Lengwe-
then), etc.
En Bavière : le Vikingbund, qui groupe un grand nombre
d’anciens volontaires de la brigade Ehrhardt; le Blücher-
bund, issu du corps franc Oberland après sa dissolution, l’An-
dreas Hofer Bund, l’Arminius-Bund, le Roland-Bund, le Bund
Frankenland, etc.
Mentionnons encore un certain nombre d’associations de
jeunesses nationalistes, encadrées par d’anciens officiers d’ac-
tive, qui s’efforcent de maintenir le culte de l’armée dans
le milieu des écoles et des universités, teIIes le Jungdeut-
scher-Orden ou Jungdo, dont les membres sont répartis en
groupes et en sections d’assaut, le Germanen-Orden, le Deut-
scher Waffenring, la ligue Adler und Falke (Aigle et Faucon),
à Fribourg-en-Brisgau, le Deutschvolkischer Jugendbund, à
Rathenow-an-der-Havel, le Scharnhorst-Bund, le Jugend-
bund Yorck von Wartenburg, fondé par le lieutenant Ahle-
mann, la ligue Jung-Deutschland, fondée par le capitaine
Wullenweber, le Helmuth von Mücke Bund, etc.

+ c

Ce foisonnement de groupes et d’associations de toutes


sortes entraîne la désagrégation et l’émiettement des forces
nationalistes. Peu à peu, les ligues oublient le but en vue
duquel elles ont été créées, pour se jalouser et se combattre
comme les factiorts du moyen âge.
Tantôt c’est un chef qui a été insulté, ce qui entache
156 HISTOIRE D E L’ARMfiE ALLEMANDE

l’honneur de l’association tout entière. Tantôt c’est le recru-


tement des adhérents qui provoque des querelles, car chaque
association cherche à s’agrandir au détriment de ses rivales.
Le plus souvent, les troubles naissent à la suite des mesures
d’épuration qui excluent périodiquement des ligues un cer-
tain nombre d’individus initiés à leurs secrets. Ceux-ci, pour
se venger, vont alors à la police et racontent tout cequ’ils
savent. Or, c’est là ce que les ligues redoutent par-dessus
tout, car la plupart d’entre elles possèdent des dépôts d’armes
clandestins qu’elles dissimulent jalousement aux autorités du
Reich. Souvent, ces dépôts n’excèdent pas quelques caisses
de cartouches et deux ou trois cents fusils (( empruntés )) aux
unités de l’armée dissoute. C’cst plutôt leur multiplicité qui
les rend inquiétants. Mais les ligues y tiennent comme à un
bien inestimable, car ces dépôts d’armes justifient leur exis-
tence e t leur permettront de s’armer le jour - prochain
peut-être - du a grand soulèvement national )I. E t comme
il y a de tout dans les associations secrètes, non seulement
d’anciens officiers et des patriotes fervents, mais aussi des
agents provocateurs et des repris de justice, les dénoncia-
tions sont fréquentes, et les représailles implacables.
D’autant plus implacables que les associations secrètes)
vivant en marge de la loi, ne peuvent en appeler aux tri-
bunaux pour régler leurs différends. Elles doivent faire elles-
mêmes leur propre justice. Malheur à ceux qui refusent
d’obéir à leurs chefs, ou qui dénoncent des dépôts d’armes
aux autorités civiles! Condamnés par leurs camarades, ils
seront exécutés par eux, au nom de la Sainte-Vehme l. Ils
disparaîtront un jour sans laisser de traces et on neretrou-
vera leurs corps que beaucoup plus tard, étranglés au coin
d’un bois ou noyés dans un canal.
Ces mesures de répression entretiennent, au sein des ligues,
1. En se prévalant de l’exemple de la Sainte-Vehme, les mcmbres des asso-
ciations secrètes tentaient de ressusriter une institution dont l’origine remonte au
début du X I V ~siècle. L’extinction de la dynmtie dcs Hohenstaufen inaugura une
période de désordre e t d’anarchie. Des seigneurs se réunirent alors i Soest, en
Westphalie, et instaurèrcnt une Cour de justice spéciale, dont l’autoritb se substi-
tua bientôt L celle dcs tribunaux d’Empire : ce fut la Vehme. Elle avait pour but
principal de châtier ceux qui se rendaient coupables de trahisons e t de manque-
ments B l‘honneur. Ses membres n’étaient pas seulement chargés de prononcer
des sentences, mais de les exbcuter. La Vehme ne connaissait qu’une seulc peine :
la mort. Le milieu du xve siecle marqua son apogée. Elle déclina au cours des
siécles suivants e t ne rendit plus que des sentences symboliques. Le dernier tri-
bunal de la Vehme fut dissous par Napoléon. (CI. Karl PAGEL,Die Feme des
deufsclwn Milleialfers, Berlin, 1935.)
L’ÈRE D E S C O U P S D ’ ~ T A T 157
une atmosphère de violence et de terreur perpétuelles. Tra-
qué, espionné, poursuivi, chaque membre des associations
secrètes sait que sa vie est constamment en danger et que,
s’il échappe aux mailles de la police, il succombera peut-être
à la vindicte de ses camarades. A force de vivre en dehors
des lois, il ne tarde pas à se considérer au-dessus d’elles.
(( Ces hommes, pour reprendre la formule de Georges Sorel,

sont engagés dans une guerre qui doit se terminer par leur
triomphe ou par leur esclavage, et le sentiment du sublime
doit naître tout naturellement des conditions de la lutte 1. ))
Ce sentiment peut tremper leur volonté, mais il brouille
leurs idées et les rend de moins en moins conscients du but
qu’ils poursuivent. Enivrés par un orgueil chaque jour plus
effréné, ils agissent sans plan d’ensemble et sans programme
défini. (( S’enrôler en masse dans les corps de francs-tireurs,
mourir en héros les armes à la main, voilà de quoi étaient
capables les meilleurs représentants de la jeunesse allemande.
Mais il aurait été vain d’attendre de cette jeunesse une par-
ticipation à une politique réfléchie : elle ne possédait ni les
capacités ni les moyens de faire triompher ses idées, d’ail-
leurs vagues et nébuleuses. )) Cette remarque de Constantin
de Grünwald sur les corps francs de 1812 2, s’applique mot
pour mot aux ligues de 1921.
Alors, un certain nombre de jeunes gens, .pour la plupart
des Baltes et des membres de l’ancienne brigade Ehrhardt,
écœurés par les querelles intestines et l’impuissance des
ligues, décident d’agir pour leur propre compte et de passer
à l’action directe. Puisque la Sainte-Vehme supprime ceux qui
trahissent les secrets de leurs associations, n’ordonne-t-elle
pas, à bien plus forte raison, d’abattre ceux qui trahissent
le Reich et que la presse nationaliste dénonce, jour après
jour, comme les artisans du déshonneur allemand? Sans
doute certains chefs révolutionnaires ont-ils déjà été assas-
sinés. Cependant Erzberger, Auer, Rathenau, Scheidemann
vivent encore, et tant qu’ils sont vivants, l’Allemagne est
en péril ...
Sitôt ce principe admis, le contact s’établit de lui-même
entre les conjurés. (( Dans les mois qui suivirent, écrit l’un
d’eux, un filet résistant, invisible, élastique se forma, dont
chaque maille ré.agissait, sitôt que dans un endroit quel-
l. Georges SOREL, Réflexions sur l~ uiolence, p. 323.
2. Constantin de C R ~ N W A LSiein,
D . p. 279.
158 E I S T O I R E D E L’ARMÉE A L L E M A N D E

conque un signal était donné. Nos hommes s’étaient infil-


trés dans toutes les associations, dans tous les camps, dans
tous les métiers. Une grande et unique volonté les animait.
Ils agissaient avec cette certitude enivrante : à savoir que
la situation étant partout la même, elle donnait partout
naissance aux mêmes décisions l. ))
Ces actes de terrorisme, fréquemment répétés, témoignent
évidemment d’un mépris total de la vie humaine. (( C’est la
guerre qui a ramené chez nous ces mœurs abominables! ))
s’écrie le député démocrate Erkelenz, à la tribune du Reichs-
tag. Mais les conjurés haussent les épaules devant ces cris
d’indignation. N’ont-ils pas fait eux-mêmes abstraction de
leur vie? E t peut-on nommer paix, le spectacle qu’offre l’Al-
lemagne, labourée par les émeutes et les coups d’État conti-
nuels? Libre aux partis de gauche de mettre leur espoir dans
les actions de masse. Pour les conjurés de droite, c’est l’in-
dividu qui fait l’histoire. Ils savent qu’il suffit de tuer ses
chefs pour paralyser toute une armée a.
Pourtant, malgré la certitude d’agir pour le bien de leur
pays, ces réprouvés sont incapables de formuler le but qu’ils
poursuivent. u Lorsqu’on nous demandait : Que voulez-vous
au juste? nous ne pouvions rien répondre, écrit Ernst von
Salomon, parce que nous ne comprenions pas le sens de cette
question et que, si nous avions tenté de nous expliquer,
notre interlocuteur n’aurait pas compris le sens de notre
réponse. Les deux adversaires ne luttaient pas sur le même
plan. Pour ceux d’en face, il s’agissait de conserver des biens
matériels. Pour nous, il s’agissait de purification. Nous n’agis-
sions pas, les choses agissaient en nous. Ce que nous espé-
rions s’exprimait en un langage muet ... Nous cherchions
autour de nous l’homme capable de prononcer le mot libé-
rateur. Mais lorsque nous jetions les yeux sur nos milieux
dirigeants, nous ne pouvions que sourire et détourner le
regard. Y avait-il, en dehors du silencieux von Seeckt, un
seul homme susceptible de marquer dans l’histoire, un seul
homme qui fût plus que la vedette d’un moment 3? 1)
1. Ernst von SALOMON, Les Réprouvés, p. 239.
2. a Actuellement, écrit le professeur Gumbel, en 1922, la gauche n’a aucun
homme éminent en qui les masses puisscnt avoir confiance. Ces pertes ont certai-
nement retardé de plusieurs années le mouvement prolétarien, si bien qu’il est
impossible, aujourd’hui, de nier IC succ8s de cette méthode. n ( L a Ps~clioiopieries
rneurfrcs polifiques, L’Europe norrr,elle, numho du 26 aoîlt 1922.)
3. Ernst von SALOXON, Lm RbprouL+s, p. 243, 244.
L’ÈRE D E S COUPS D’ÉTAT 159

Peut-être un individu puissant émergera-t-il un jour du


chaos des factions rivales. Mais les conjurés ne peuvent se
contenter de cette vague espérance. Pour que cet homme
puisse surgir, il faut lui frayer la voie. Pour faire une brèche
dans les partis de gauche, il faut les frapper à la tête. Pour
hâter la résurrection du Reich, - il faut décapiter la Répu-
blique.
X

LES COMBATS DE HAUTE-SILESIE

I. - Le premier et le deuxième soulèvement polonais.


L’expansion germanique dans l‘est s’est effectuée au cours
des siècles suivant deux axes principaux. L’un, orienté vers
le nord-est, traverse les provinces riveraines de la Baltique
e t va de Lübeck à Reval en passant par Dantzig, Kœnigs-
berg et Riga. C’est la route qui mène à Léningrad, à la Fin-
lande et à la mer Blanche. L’autre, infléchi vers le sud-est,
suit l’artère puissante de l’Oder, pénètre au cœur des terres
et, longeant le massif des Carpathes, débouche dans les plaines
fertiles de l’Ukraine. C’est la route qui mène à Kiev, à
Odessa et à la mer Noire.
La première - l’ancienne route des Vandales et des inva-
sions scandinaves - servit de décor à l’activité conquérante
des Chevaliers teutoniques. La seconde - l’ancienne route
des invasions slaves et mongoles - vit déferler sur 1’Alle-
magne centrale les hordes venues des hauts plateaux asia-
tiques. Comme la Courlande, la Silésie était donc destinée
à devenir le lieu de rencontre des races les plus diverses.
Depuis la plus haute antiquité, les Romains avaient
exploré cette voie commerciale qui leur permettait de tour-
ner, plus aisément que par le Rhin, les massifs montagneux
et les forêts de la Germanie. Jusqu’au VI^ siècle, la vallée
de l’Oder resta peuplée d’une mosaïque de tribus germa-
niques et slaves - Quades, Lygiens, Wendes, etc. - masse
confuse et mouvante aux traits malaisément discernables.
Aussi l’historien allemand Grünhagen n’a-t-il pas t o r t de
dire que u les mille premières années de l’ère chrétienne sont,
pour la Silésie, une page blanche, non écrite 1).
L’ÈRE D E S COUPS D’ÉTAT 161
C‘est seulement dans les toutes dernières années du
xe siècle que la Silésie fit son entrée dans l’histoire. En 999,
Boleslas le Grand, roi de Pologne, l’arracha à la Bohême et,
pendant tout le siècle suivant, des luttes acharnées se pour-
suivirent pour sa possession. En 1139, le premier démem-
brement de la Pologne permit à la Silésie d’accéder à l’indé-
pendance. Sous l’influence de Frédéric Barberousse, elle se
divisa en deux duchés autonomes, ayant pour capitales res-
pectives Breslau et Ratibor.
C’est à ce moment que l’influence germanique commença
à se faire sentir 1. Breslau devint un centre commercial des
plus importants et se signala par ses foires de la Saint-Jean
et ses foires de la laine. Grâce à ses relations avec les plaines
de l’est, la capitale de la Silésie connut bientôt une pros-
périté comparable à celle de Nijni-Novgorod.
Prospérité de courte durée d’ailleurs, car, le 9 avril 1241,
une formidable armée mongole déboucha en Silésie et livra
bataille à Henri le Pieux sous les murs de Liegnitz. Les
forces européennes, fortes de trente mille hommes, furent
écrasées par Kaidou et Baïbars, deux petits-fils de Gengis
Khan. Ceux-ci, dit-on, firent couper une oreille à chacun
de leurs ennemis morts (( et remplirent ainsi neuf sacs qu’ils
portèrent à leur prince ».
A la suite de ce désastre, les empereurs germaniques,
absorbés par leur politique italienne et leurs querelles avec
la papauté, se désintéressèrent de la Silésie qui retomba,
en 1337, sous le sceptre de la Bohême. Celle-ci, ayant été
annexée par les Habsbourg en 1546, la Silésie devint autri-
chienne et le demeura jusqu’en 1742, date à laquelle Fré-
déric II l’enleva à Marie-Thérèse et l’incorpora à la Prusse
en vertu du traité de Breslau 3.

1. u Arrêtés par les travaux de défense que la Pologne avait accumulés en deçi
du fleuve, nos ancêtres n’avaient pu l’atteindre, écrit Frédéric Barberousse, en
1157. Mais nous avons enlevé leun tranchées, installées dans les défilés des forêts,
et, à notre armée, nous avons fait franchir l’Oder, qui entoure cette contrée comme
un mur. D
2. Cf. Harold L a m , Gengis-Khan, p. 273, note 8.
3. ii Quiconque étudie cette époque avec un regard libéré de tout préjugé, écrit
Kurt lheysig, professeur H l‘université de Berlin, ne peut s’empêcher de déplo-
rer que les ûttons, les Saliens e t les Hohenstaufen n’aient pas consacré toutes
leurs forces ci accroiirc leur empire dans le sens... que leur indiquait avec clarté
l’instinct populaire. S’ils s’étaient rendus dans les provinces de l‘est, au lieu de
s’établir i Naples e t i Amalfi, alors un Reich aurait surgi au centre de l’Europe,
si vaste, si solide e t si invincible, qu’aucune pousde slave n’aurait jamais pu
l’entamer et que. de nos jours, la vitalité sans cesse croissante de notre peuple
II 11
162 HISTOIRE DE L’ARMÉE
ALLEMANDE

Alors, une seconde poussée germanique reprit, à cinq cents


ans de distance, l’œuvre amorcée par les marchands du
X I I ~siècle. D’innombrables Prussiens - militaires, fonction-
naires ou grands propriétaires terriens - vinrent s’installer
à Breslau, à Oppeln et à Gleiwitz. Mais ils ne se mélangèrent
pas à la population autochtone, dont les séparaient de trop
grandes différences de tradition, de langue et de religion.
Protestants pour la plupart, ils se groupèrent dans les villes,
tandis que les Polonais, en majorité catholiques, continuèrent
à former le fond de la population rurale.
Stimulée par une législation qui la favorisait,la colonisation
allemande marqua un progrès continu de 1742 à 1861, tnn-
dis que la population polonaise était partout en recul. Mais
l’ère industrielle, dont le début coïilcide avec la deuxième
moitié du x ~ x esiècle, allait modificr complètement cette
situation.
Jusqu’alors, la Silésie avait été une province exclusive-
ment agricole. Soudain, l’on découvrit que son sous-sol conte-
nait des richesses insoupçonnées : de la houille, du fer, du
zinc, d’autres minerais encore. En moins de cinquante ans,
l’aspect du pays se métamorphosa. On creusa des mines, on
construisit des usines; des hauts fourneaux jaillirent de terre,
le bassin industriel se couvrit de voies ferrées et de canaux.
Desservie par l’Oder, la Haute-Silésie devint le second pilier
économique de l’Empire : elle faisait pendant, dans l’est,
au gigantesque bassin minier rhéno-westphalien.
Ce travail de prospection, de construction et de mise en
valeur fut presque exclusivement l’œuvre des techniciens
allemands. Ceux-ci vinrent s’établir dans le pays en qualité
de chefs d’entreprise et d’ingénieurs, de fonctionnaires des
chemins de fer et de contremaîtres d’usine. Tous les leviers
de commande furent bientôt entre leurs mains. Cependant,
le développement des mines et des fonderies exigeait une
main-d’œuvre considérable. Elle attira en Silésie une vague
d’immigration polonaise venue de Galicie et de la Pologne
russe. Ces ouvriers, pFuvres et prolifiques, s’installèrent
autour des puits de mine, de sorte que le pourcentage de
la population polonaise augmenta de 80 yo entre 186.1 et
1905.
Jusque-là, ces deux éléments avaient travaillé côte à côte,
disposerait de tout l‘espace nécessaire b son déploiement. D ( V o m deulschen Geisl,
Berlin, 1932, p. 89.)
L’ÈRE D E S C O U P S D’ÉTAT 163
dans un esprit de collaboration amicale. Mais le réveil du
nationalisme polonais n’allait pas tarder à susciter des fric-
tions entre ces deux groupes sociaux qui formaient, en
quelque sorte, deux couches superposées. Aux élections de
1912, la Silésie envoya au Reichstag cinq députés polonais
qui firent bloc avec les députés polonais de la province de
Posen. (( Etrange territoire, écrit Lord Robert Cecil, où les
villes se réclament d’un pays et les campagnes qui les
entourent d’un autre, et dont l’ensemble constitue un véri-
table casse-tête ethnique et culturel n
A ces frictions, à vrai dire encore assez bénignes, mais qui
semblaient les signes avant-coureurs d’antagonismes plus
violents, vinrent s’ajouter, pour les métallurgistes silésiens,
d’autres motifs d’inquiétude. Les réserves de charbon demeu-
raient considérabIes, mais le minerai de fer commençait à
se raréfier. De plus, la proximité de la frontière russe faisait
peser, sur la Haute-Silésie une menace qui paralysait son
développement.
Tout semblait donc présager une crise assez sérieuse,
lorsque éclata la guerre de 1914. Celle-ci suscita des espoirs
très différents chez les uns et chez les autres : les Polonais
y virent l’annonce de leur libération prochaine, tandis que
les Allemands, escomptant une victoire rapide de leurs armes,
projetaient un élargissement des frontières qui doterait la
Silésie des matières premières et des débouchés qui commen-
çaient à lui faire défaut.
I
* *

Tout d’abord, les événements semblèrent devoir confir-


mer les espérances allemandes et, dès 1917, Ludendorff pou-
vait écrire u qu’il fallait améliorer la situation stratégique
du bassin minier silésien en lui annexant une large bande
de terrain qui lui servirait de glacis n. Le traité de Brest-
Litowsk, consécutif à !’efîondrement du front russe, allait
permettre au Grand Etat-Major allemand de donner à ce
programme une extension inespérée. A peine les hostiliths
eurent-elles pris fin, que les divisions austro-allemandes du
général Grœner s’enfoncèrent en Ukraine et s’échelonnèrent
1. Lord Robert CECIL,The quesfion of Upper-Silesia, Londres, 1922, p. 3 .
2. LUDENDORFF, Souuenirs de guerre, vol. II, p. 128-130.
164 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

jusqu’à Tifiis, après avoir occupé Kiev e t Odessa 1. Jamais


les théoriciens du Drang nach Osten n’avaient rêvé une
pareille victoire. Désormais, les magnats de Haute-Silésie,
dont les charbonnages seraient liés aux mines de fer de la
Pologne, voyaient s’ouvrir devant eux des possibilités illi-
mitées : ils allaient devenir les grands fournisseurs d’acier de
l’Europe orientale et pourraient procéder à l’industrialisa-
tion de la Russie.
Mais pour réaliser ce plan, il fallait que la Pologne fût
définitivement soumise à la tutelle allemande. Bismarck
n’avait-il pas écrit que (( le jour ou l’aigle blanc de Pologne
reprendrait son vol, l’aigle noir de Prusse recevrait un coup
fatal))? Or, ce moment était beaucoup plus proche que ne
le pensaient les dirigeants du IIe Reich. Dès 1914 les décla-
rations du grand-duc Nicolas et l’héroïsme des légions de
Pilsudski avaient rendu l’espérance au peuple polonais. Cette
espérance s’était transformée en certitude le jour où le pré-
sident Wilson avait inscrit, parmi ses quatorze points, (( la
création d’un État polonais indépendant, comprenant tous
les territoires composés de populations indiscutablement
polonaises )) z.
t
+ +

Le 11 novembre 1918, l’Allemagne dépose les armes et


la révolution Spartakiste submerge le pays. Par la Thuringe
et la Saxe, la révolte gagne la Silésie. Des Conseils de soldats
se constituent à Breslau et à Gleiwitz, à Oppeln et à Rati-
bor. Les ouvriers cessent le travail. Les hauts fourneaux
s’éteignent.
C’est le moment que choisissent les Polonais pour trans-
former la révolution Spartakiste en soulèvement national.
Reprenant en Silésie la tactique qui leur a si bien réussi à Posen,
les délégués du P. O. W. s’infiltrent dans les Conseils de
soldats, en évincent les éléments allemands et plantent le
drapeau amarante et blanc sur le toit des hôtels de ville.
Devançant la signature du traité de Versailles, ils veulent
placer les Alliés devant le fait accompli, certains que le
Conseil suprême ratifiera leur initiative.
1 Voir vol. 1. p. 220.
2. M B S S Udtr~ Eprésiderhl Wilson nu Congrès ameriixin du 8 janvier 1918, et
Discours du 27 septembre 1918.
L ’ È n E D E S C O U P S D’ETAT 165
Mais le Grand État-Major allemand ne l’entend pas ainsi.
A l’appel du maréchal Hindenburg, bataillons de Grenz-
schutz-Ost et corps francs se concentrent à Breslau e t à Franc-
fort-sur-l’Oder. Les premières collisions ont lieu au début
de février 1919. Alertés par le cri d’alarme des autorités
polonaises, les Alliés décident de briser ce projet d’offen-
sive. Le 16 février, le maréchal Foch convoque la Commis-
sion d’armistice à Trèves e t trace une ligne de démarcation
que les forces allemandes ne seront pas autorisées à franchir
e t qui servira de frontière provisoire entre l’Allemagne et
la Pologne, en attendant que le Conseil suprême ait tranché
la question 1.

Le bilan de ce premier soulèvement est nettement favo-


rable aux Polonais. Pour que la Silésie soit officiellement
rattachée à la Pologne, il suffirait que la ligne de démar-
cation provisoire soit transformée en frontière définitive.
C’est à quoi vont s’employer les plénipotentiaires polonais à
la conférence de Paris.
Ceux-ci commencent par souligner que la Pologne a tous
les droits sur la Silésie qui lui a appartenu pendant quatre
siècles 2; que les éléments slaves y sont prédominants
e t que le fait d’avoir élu cinq députés polonais au Reichstag,
lors des élections de 1913, démontre éloquemment l’irré-
dentisme des populations. Au point de vue stratégique,
ils réclament une rectification de frontière à l’avantage
de la Pologne, partout oii la ligne de démarcation ethno-
graphique aurait besoin d’6tre retouchée S. Enfin, ils rap-
pellent que tout État moderne, soucieux d’assurer son indé-
pendance économique, doit posséder sa propre production
de fer. Or, la Pologne possède bien du minerai de fer, mais
elle ne peut l’exploiter sans la houille silésienne. Ludendorff
ne soutenait-il pas, dès 1917, que le bassin silésien possédait
1 . Voir vol I , p. 239
2 On trouvera tous ces arguments éloquemment développés dans la brochure
d u g é n h i Du hlonrez, La ifnide-Silésie, Paris, 1921. Cf. également Auguste
ZALESKI,Ln P o l i / i p e d8 l’Albniagne envers 1n Pologne, e t Louis DUMONT-WILDEN,
Le Problème de Haute-SilPsia, Paris, 1921
3 . Commission polonaise de tracnm prdparatoirm a11Congrès de la Paix. Commcn-
fairs historique sur les revendications plonnises reloiicw à la froniièrr germano-
polonaise, p. 7 .
166 H I S T O I R E D E L’ARMÉE ALLEMANDE

un hinterland trop étroit pour se suffire à lui-même, et


qu’il fallait lui annexer une bande de territoire polonais?
Quelle erreur! Ce n’est pas une partie de la Pologne qu’il
faut annexer à la Silésie, c’est la Silésie tout entière qu’il
faut annexer à la Pologne. D’autant plus que cette der-
nière, ayant recouvré son indépendaiice, va être amenée
à mettre en œuvre un vaste programme de construction
de voies ferrées, d’usines et d’arsenaux, ce qui va provoquer
un accroissement considérable de la consommation de l’acier.
Priver la Pologne de la Silésie, c’est briser, dès sa naissance,
essor industriel; c’est la replacer cine fois de plus sous
sol
la utelle germanique.
Ces affirmations, solidement étayées de citations et de sta-
tistiques, trouvent un écho favorable au sein du Conseil
suprême. Le 7 mai 1919, M. Clemenceau remet à la délégation
allemande un projet de traité comportant la cession pure
et simple de la Silésie à la Pologne 1.
Mais cette exigence soulève une tempête de protestations
de la part des Allemands. Jamais l’Assemblée de Weimar
n’acceptera de céder la Haute-Silésie, dont le bassin minier
représente une richesse inestimable et dont la mise en valeur
est due exclusivement aux ingénieurs et aux capitaux alle-
mands. Dans une note, datée du 29 mai 1919, le comte
Brockdorf-Rantzau entreprend de réfuter, une à une, les
thèses polonaises et lui dénie tous droits sur la Haute-
Silésie. I1 rappelle que cette province n’a plus fait partie
de la Pologne depuis 1139;. que sa population, en majorité
allemande, n’a aucune envie de devenir polonaise 2; que les
statistiques polonaises sont odieusement truquées et qu’en-
fin, si la Silésie est indispensable à La Pologne, elle l’est
encore bien davantage à l’Allemagne car celle-ci, déjà privée
des complexes sidérurgiques de la Sarre et de la Lorraine
ne pourra faire face aux obligations :financières du Traité
si on l’ampute aussi du bassin silésien. E n terminant, le
comte Brockdorf-Rantzau adjure solennellement les Alliés

1. Cf. le texte primitif du Traité (conditions remises au comte Brockdnrf-Rant-


zau, le 7 mai 1919, section VIII, Pologne, art. 87, 88), publié dans le Rapport de
M. Charlcs Benoist, sur le projet de loi portant approùaiion du traité de P a i z conclu
d Versailles, le 28 juin 1919.
2. Aux élections de 1907, 176.287 Silésiens avaient voté pour l‘Allemagne e t
115.090 pour la Pologne (majorité allemande : 60 %); en 1912, 210.199 Silésiena
avaient voté pour l’Allemagne et 93.620 pour la Pologne (majorité allemande :
69 %I.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 167
a de ne pas détacher du Reich une province qui en fait
harmonieusement partie depuis des siècles, sans que la popu-
lation de ce territoire ait été consultée l. ))
Ce plaidoyer n’impressionne guère les plénipotentiaires
français. Mais il attire l’attention des membres de la délé-
gation britannique et, en particulier, de M. Keynes, con-
seiller financier de Lloyd George 2.
A la réunion suivante du Conseil suprême, Lloyd George
insiste pour qu’un plébiscite soit organisé en Haute-Silésie.
Clemenceau, piqué au vif, s’y refuse avec humeur et se lance
dans une diatribe cinglante contre ceux a pour qui le mot
de justice est synonyme d’hégémonie ».Alors Lloyd George
s’emporte :
- J e ne sais pas qui cherche ici à imposer son hégémonie,
déclare-t-il d‘un tonmordant, mais, pour ma part, je ne tolé-
rerai pas que l’on soustraie à l’Allemagne! pour les attribuer
une autre nation, plus d’Allemands qu’il n’est strictement
nécessaire ... La proposition polonaise, tendant à soumettre
2.100.000 Allemands à la tutelle d’un peuple de religion
différente, et dont toute l’histoire n’a jamais fourni la preuve
qu’il fût capable de se gouverner lui-même, risque de susciter
tat ou tard, une nouvelle guerre européenne.
A la suite de ces paroles, une Giscussior, très vive se
déchaîne autour de la table verte. M. Lamont, conseiller
économique américain, conteste que la Silésie ait appartenu
à la Pologne pendant quatre siècles. Le professeur Lord,
expert anglais, rétorque que les Allemands ne sont en Silé-
sie que depuis deux cents ans. Des mots blessants sont
prononcés de part et d’autre. A son tour, le président Wilson
intervient dans le débat.
- Puisque l’Allemagne et la Pologne revendiquent l’une et
l’autre ces populations, dit-il en appuyant sur chaque mot,
le plus sage n’est-il pas de les départager en laissant les
populations se prononcer elles-mêmes?
Le ’délégué italien se range à cette façon de voir. Fina-
lement, Clemenceau, dont la position juridique n’est évidem-
ment pas très solide, est contraint de battre en retraite 4.
1. H.-W.-V. Vol. II, p. 266.
T E h I P E n L E Y , o p . d.,
2. Cf. J.-M. KEYNES, Les Conséquences dconorniquss de la paix, p. 7 4 , 75.
3. Ce chiffre comprend, outre les Silésiens, les Allemands de la région d’Al-
lenstein.
4. Cf. Dr E.-J. DILLON,The inside history of the Peace conferewe, Londrec
New York. 1920.
168 HISTOIRE DE L'ARMÉE ALLEMANDE

Vers la mi-juin, les Alliés remettent à la délégation allemande


le texte définitif du Traité où la section VI11 relative à la
Silésie a été complètement remaniée.
Les clauses prévoyant la cession directe de la Silésie à
la Pologne sont supprimées, et remplacées par les disposi-
tions suivantes :

U n plébiscite sera institué e n Haute-Silésie, e n vertu duquel


les habitants seront appelés à désigner par voie de suffrage s'ils
désirent être rattachés à l'Allemagne ou à la Pologne. L'Alle-
magne déclare dès à présent renoncer e n faveur de la Pologne à
tous droits et titres sur la partie de la Haute-Silésie située au-delà
de la ligne frontière f i é e e n conséquence d u plébiscite (art, 88).
L a Pologne s'engage de son côté à autoriser l'exportation e n
Allemagne, pendant une durée de quinze ans, des produits des
mines transférées à la Pologne e n vertu d u présent Traité (art. 90).

Une annexe est jointe aux articles précités réglant les


conditions dans lesquelles le plébiscite aura lieu :

$ 1. -Dès la mise e n vigueur d u présent Traité et dans un


délai qui ne devra pas dépasser quinze jours, les troupes et les
autorités allemandes devront évacuer la zone soumise a u plébis-
cite. Toutes les sociétés militaires et semi-militaires formées dans
ladite zone par des habitants de cette région seront immédiate-
ment dissoutes. Les membres de ces société; n o n domiciliés dans
ladite zone devront I'évacuer.
2. - L a zone d u plébiscite sera immédiatement placée sous
l'autorité d'une commission interalliée de quatre membres dési-
gnés par les États-Unis d'Amérique, la France, l'Empire bri-
tannique et l'ltalie. Elle sera occupée par les troupes des Puis-
sances alliées et associées.
3. - (Statut juridique et pouvoirs de la Commission inter-
alliée.)
-
§ 4. L e droit de suffrage sera accordé à toutes les personnes
sans distinction de sexe, satisfaisant a u x conditions suivantes :
a) avoir 20 ans révolus au l e 1 janvier de I'année dans laquelle
aura lieu le plébiscite;
b) être né dans la zone soumise a u plébiscite ou y avoir son
domicile depuis une date à f i e r par lu Commission interalliée,
mais qui ne saurait être postérieure a u l e r janvier 1919.
L e résultat d u vote sera déterminé par commune.
§ 5. - A la clôture d u vote, le nombre des voix dans chaque
commune sera communiqué par la Commission a u x principales
Puissances alliées et associées, e n même temps qu'une proposi-
L’ÈRE DES coups D’ÉTAT 169
tion sur le tracé qui devrait être adopté comme frontière de l‘Alle-
magne en Haute-Silésie, en tenant compte du vœu exprimé par
les habitants, ainsi que de la situation géographique et écono-
mique des localit&.
$ 6. - (Dispositions administratives.)
*
* +
A présent, c’est aux Polonais de donner libre cours à leur
indignation. Ils croyaient remporter aisément la victoire, et
voilà qu’on leur impose un plébiscite qui déjoue tous leurs
calculs! Leur colère n’a d’égale que leur désillusion l. Ce qui
les irrite, surtout, c’est la clause stipulant que (( toutes les
personnes nées en Silésie B pourront prendre part au vote,
car ce paragraphe va permettre aux Allemands de faire par-
ticiper au plébiscite près de 200.000 émigrés, fils d’anciens
oficiers ou de fonctionnaires prussiens qui n’habitent plus
la région depuis de nombreuses années et n’ont pour ainsi
dire aucune attache avec cette province 2.
Pourtant, à y regarder de plus près, les Polonais s’aper-
çoivent que le plébiscite se déroulera dans des conditions
avantageuses pour eux. Les autorités et les troupes alle-
mandes vont être obligées d’évacuer la zone plébiscitaire.
Celle-ci sera administrée par une Commission interalliée, pré-
sidée par un général français et disposant d’un fort contin-
gent de troupes françaises. Or, la France s’est trop
étroit,ement associée à la thèse polonaise pour qu’une vic-
toire allemande en Silésie ne soit pas une défaite pour elle.
Les Polonais pensent donc que les Français feront l’impos-
sible pour assurer le triomphe de leur cause.
Mais comme le résultat d’un plébiscite est toujours aléa-
toire, mieux vaudrait s’emparer à l’avance des points les
plus importants du territoire. Pour ne pas entraîner de com-
plications diplomatiques, cette opération devrait s’effectuer
antérieurement à l’arrivée de la Commission interalliée. Ainsi

1. Beaucoup de Français partageaient ce sentiment : u Quelle peut être la valeur


morale d’un plébiscite, écrit M. Noulens, appliqué a un pays tel que la Silésie,
où les populations autochtones ont été systématiquement décimées, opprimées
et contraintes à l’expatriation pendant des siècles? x (Les Archives de la Grande
Guerre, no 24, juillet 1921; Le Point de vue politique, p. 8.)
2. A deux reprises, la France interviendra pour obtenir que l’on fasse une dis-
crimination entre les sujets allemands nés en Silésie, mais n’y résidant plus, et
ceux qui y ont conservé leur domicile. Chaque fois, les Alliés s’opposeront ii toute
distinction de ce genre.
170 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

naît, dans l’esprit des dirigeants polonais - et peut-être


avec le consentement tacite de la délégation française -l’idée
d’un recours à la force, qui se matérialisera bientôt sous la
forme d’un second soulèvement.
t
* *
Dès les premiers jours de juillet, une effervescence insolite
se manifeste dans les villes de Knurow, Schoppinitz, Lubli-
nitz, Kattowitz, Chorzow, Ratibor et Gleiwitz l. A plusieurs
reprises, les autorités allemandes saisissent à la frontière
germano-polonaise des camions d’armes et des ballots de
tracts invitant la population à se tenir prête à toute éven-
tualité. L’insurrection, qui doit prendre l’apparence d’un
soulèvement spontané, est minutieusement organisée par les
agents du P. O. W. Tous les fils de la conspiration convergent
vers un Comité directeur établi sur le territoire polonais, non
loin de la frontière allemande. Ce Comité a nommé des délé-
gués dans les différents districts de Silésie qui s’appuient,
à leur tour, sur les Sokols, ou associations nationales de gym-
nastique, composées des éléments les plus actifs de la popu-
lation polonaise.
Pendant les journées qui suivent, meetings et réunions se
multiplient. Une atmosphère de fièvre se répand sur la pro-
vince. Chacun chuchote que le soulèvement est imminent.
Les 10 et 11 juillet, des agents secrets polonais font sauter
les ponts du chemin de fer entre Kattowitz et Leobschütz,
le pont de Czarnowanz sur la ligne Oppeln-Breslau et un
pont près de Cosel. Ces actes de sabotage ont pour objet
d‘empêcher l’arrivée de renforts allemands. Le 16, une grève
générale éclate dans le bassin minier. Toutes les usines cessent
le travail. Chacun sent approcher la tempête, dont les
éclairs prémonitoires strient déjà l’horizon
Enfin, après plusieurs ajournements, l’insurrection éclate
dans la nuit du 16 au 17 août. Vers 2 heures du matin,
la compagnie allemande qui garde le parc d’artillerie de

1. A vrai dire, le calme n’était jamais tout à fait revenu en Silésie depuis le
premier soulhement polonais (janvier-février 1919).
2. Notamment à Kreuzburg, Rosenberg, Lublinitz, Rybnik, Hindenburg, Glei-
Witz et Pless.
3. Zur Vorgeschichte des polniachen Augustusaufstandes in Ober-Schlesien, Char
lottenburg, 1919, p. 35.
L’ÈRE D E S COUPS D’ÉTAT 171
Paprotzan, à 2 km au sud de Tichau, est assaillie par
surprise. Les insurgés polonais s’emparent d‘une quantité
importante de canons, d‘obus et de grenades à main. Puis
ils occupent la gare, la poste, et les principaux édifices
publics de Tichau. A la même heure, un feu nourri de
mitrailleuses et de lance-mines éclate tout le long de la fron-
tière sud, obligeant les troupes allemandes à se replier vers
le nord
Le lendemain matin (17 août), les agents du P. O. W.
font afficher partout la proclamation suivante :

Patriotes polonais!
Aujourd’hui, depuis 9 heures, l’insurrection est maîtresse de
toute la Haute-Silésie. Que chaque homme valide se joigne à
nous avec ses armes (ou une faux, à défaut d’arme) pour nous
aider à briser les chaînes de l>Étranger.
L’ORGANISATION
MILITAIRE POLONAISE
POUR LA S I L É S I E ~ .

Les Polonais répondent en masse à l’appel du P. O. W. 3


et le mouvement d’insurrection, gagnant de proche en proche ,
s’étend à tous les centres importants de la zone industrielle.
Le 18 au matin, les insurgés sont maîtres des districts de
Tarnowitz, de Beuthen et de Kattowitz, tandis que des coin-
bats très violents se poursuivent dans le secteur de Rybnik.
Le soir, tout le saillant oriental de la Haute-Silésie est entre
leurs mains.
Alors les Allemands, effrayés par la tournure des événe-
ments, décident de riposter par une contre-offensive vigou-
reuse. II leur faut agir vite, car, s’ils laissent l’insurrection
s’étendre vers i’ouest, nul ne sait dans quelles conditions
1. Le plan des Polonais consistait à envahir la Silésie de deux côtés différents :
un premier groupe d’insurgés, venant du nord, devait occuper la région indus-
trielle de Beuthen et de Kattowitz, tandis qu’un second groupe, remontant du
sud. devait s’emparer des régions agricoles de Pless e t de Rybnik, où les Polonais
disposaient d’une majorité écrasante. Une fois cette premiere étape accomplie,
les deux groupes devaient opérer leur jonction à Gleiwitz, coupant ainsi toutes
les communications entre l’Allemagne et le liassin minier. Puis, les insurgés comp-
taient marcher ensemble sur Oppeln où devait les rejoindre une t r o i s i h e
colonne venue à leur rencontre par Kreuzburg et Rosenberg.
2. Zur Vorgeschichte des polnischen Augustusaufstandes in Ober-Schlesien,. p. 42.
3. D’après les informations recueillies par Joseph Bulla, chef d’fitat-hfajor des
insurges, les forces en presence s’élevaient à ce moment à 15.369 volontaires alle-
mands contre 21.799 miliciens polonais.
172 HISTOIRE D E L’AR3IEE ALLEMANDE

s’effectuera le plébiscite 1. Le plan élaboré par les chefs des


corps francs comporte trois actions distinctes : l’une dans
le secteur nord, avec pour objectif Beuthen; la seconde dans
le secteur du centre, le long de la ligne Kattowitz-Myslo-
Witz; la troisième dans le secteur sud, en direction de Pless
et de Rybnik.
Le 19 aoQt, l’état de siège est proclamé dans toute la
Silésie orientale, et, dès l’après-midi, les corps francs alle-
mands commencent l’épuration du secteur nord. Beuthen est
repris à la nuit tombante. Des combats sanglants se dérou-
lent à Laurahütte, où les insurgés polonais sont poursuivis
à coups de grenade jusqu’au fond des puits de mine.
Le lendemain, 20 août, tout le secteur central est dégagé
à son tour et une offensive menée le long de la ligne
Kattowitz-Myslowitz permet à la 132e demi-brigade, issue:
de l’ancienne 117e division d’infanterie, de reconquérir
Gieschewald, Nikischacht, Janow, Wilhelmshütte, Rosdzin
et Schoppinitz. L’épuration de ce secteur s’avère particu-
lièrement difficile, car un va-et-vient continuel s’effectue de
part et d’autre de la frontière 2. Au soir du 21, malgré la
résistance des Polonais, les troupes allemandes ont atteint
tous leurs objectifs.
Le 22, la troisième offensive se déclenche dans le secteur
sud. Tichau, Neuberun et tout l’angle méridional de la
Silésie sont repris dans la journée. Décontenancés par la
vigueur de la riposte allemande et insuffisamment armés pour
tenir tête aux corps francs, les insurgés renoncent à pour-
suivre la lutte. Le 23, l’effervescence s’apaise. Le 24 août,
la deuxième insurrection polonaise est définitivement répri-
mée.
Un mois plus tard, lorsque les régiments de la Reichswehr
viennent relever en Silésie les corps francs qui ont pris part
à l’offensive, ils trouvent une contrée à peu près pacifiée.
Mais ils auraient tort de s’y fier, car le feu couve sous la
cendre. Les Polonais ont dissimulé leurs armes dans des abris
forestiers. I1 sufirait d’une étincelle pour rallumer l’incen-
die ...
1. Le général von Hûlsen pensait même que a si les insurgés se rendaient maîtres
de la Silésie, le plébiscite n’aurait plus lieu, car les Français amdneraient les autres
Puissances alliées à s’incliner devant le fait accompli n. (Der Kampf urn Ober-
Schlesien, Stuttgart, 1922, p. 11.)
2. II s’agit de l’ancienne frontière germano-russe de 1914.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 173

Le 10 janvier 1920, le traité de Versailles entre en vigueur.


Conformément aux clauses du Traité 1, les troupes alle-
mandes évacuent la Haute-Silésie e t sont remplacées par une
police spéciale, l’APO, ou Abstimmungspolizei. Le 11 février
1920, la Commission interalliée prend possession de la zone
plébiscitaire. Elle est présidée par le général Le Rond, repré-
sentant de la France, auquel sont adjointsle colonelsir Harold
Percival, représentant de la Grande-Bretagne, e t le général de
Marinis, représentant de l’Italie 2. 11.500 soldats français et
2.000 soldats italiens accompagnent la Commission,. pour
assurer le maintien de l’ordre pendant la durée du plébiscite.
Durant tout le reste de l’année 1920, une effervescence
sporadique se manifeste dans le bassin minier 3. Redoutant
que le plébiscite ne provoque une recrudescence de troubles,
les Alliés décident de renforcer le corps d’occupation. Au
début de mars 1921, quatre bataillons britanniques, détachés
de la zone de Cologne, vont grossir les effectifs alliés sta-
tionnés en Silésie.
Enfin, après une série d’atermoiements, la date fatidique
arrive. Jour après jour, les trains spéciaux déversent les
émigrés allemands à Oppeln et à Gleiwitz. Les autorités du
Reich ont fait un immense effort de propagande pour que
tous les ressortissants allemands puissent prendre part au
vote 4. Certains émigrés malades ont même été transportés
sur des civières...
Le plébiscite a lieu le 21 mars 1921, et se déroule, à la
surprise générale, dans un calme parfait. Quelques jours plus
tard, la Commission interalliée proclame le résultat du vote :
sur la totalité des suffrages exprimés, 707.554 voix, soit
59, 6 %, vont à I’dllemagne et 478.802 à la Pologne, ce qui
indique une majorité allemande de 226.752 voix pour l’en-
semble du territoire.
1. Section VIII, Annexe, § I. (Voir plus haut, p. IGY.)
5. Primitivement, les fitats-Unis devaient envoyer également un representant.
Mais entre-temps, le Congres américain a refusé de ratifier le traité de Versailles
et les U. Ç. A. se sont désintéressés de la question.
3. En particulier les 17-19 août 1920, anniversaire du deuxième soulèvement
polonais, où des collisions sanglantes ont lieu à Kattowitz entre la population
civile et les troupes françaises.
4. Sur les 185.000 émigrés inscrits sur les listos, 180.000 environ revinrent
pour vuter.
XI

LES COMBATS DE HAUTE-SILÉSIE

II. - Le troisième soulèvement polonais


et la bataille de I‘dnnaberg.

Aussitôt ce résultat connu, c’est, dans tout le Reich, une


explosion de joie. Puisque l’Allemagne a obtenu près de
60 % des suffrages dans l’ensemble de la province l, la ques-
tion est réglée : la Silésie entière doit lui revenir. Aussi la
journée d u 21 mars est-elle célébrée comme une victoire par
les journaux allemands.
Mais les Alliés ont t ô t fait de calmer cette exaltation.
Ils ont institué un plébiscite pour ne pas attribuer à la
Pologne des populations allemandes, et n’ont aucune raison
de laisser à l’Allemagne les 40% de la population qui ont
opté pour la Pologne. Le traité de Versailles stipule que
les résultats du vote seront transmis par commune, ainsi
qu’un projet de ligne de démarcation. I1 est donc décidé
de procéder au partage du territoire.
Toutefois, si le plébiscite indique clairement la volonté des
habitants, il n’a pas divisé la Silésie en deux parties dis-
tinctes, à l’intérieur desquelles l’influence allemande ou l’in-
fluence polonaise serait prépondérante. Les résultats du vote
indiquent que cette province est constituée par une série
d’îlots enclavés les uns dans les autres. C’est un échiquier
où les groupes ethniques s’enchevêtrent d’une façon inextri-
cable.

1. Remarquons que ce chiffre correspond à peu près aux élections de 1907 e t


de 1912. (Voir plus haut, p. 166, note 2.)
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 175
Certaines villes font ressortir une forte majorité allemande,
tandis que les districts ruraux qui les entourent ont une
majorité polonaise. Par ailleurs, certaines localités de majo-
rité allemande sont situées en bordure de la frontière polo-
naise, tandis que d’autres centres, de majorité polonaise, sont
enfoncés plus à l’ouest, en direction de l’Allemagne 1.
Enfin, le plébiscite ne tient aucun compte des données
économiques, ni de la configuration du sous-sol. Dans les
rares endroits où la ligne d e partage ethnique se dessine
avec une certaine netteté, elle coupe la zone industrielle en
deux; séparant les nœuds de voies ferrées des villes dont
ils dépendent, isolant certaines usines des canaux qui les
desservent et morcelant les mines en tronçons inexploitables.
En chargeant les membres du Conseil suprême de tracer
une frontière qui tienne compte à la fois du vœu exprimé
par les habitants et de la situation géographique e t écono-
mique des localités, le Traité leur a assigné une tâche inexé-
cutable.
Les Polonais, de leur côté, sont profondément déçus par
les résultats du plébiscite et se refusent à admettre la possi-
bilité d’une partition. Leur irritation, déjà très vive, est
portée à son paroxysme lorsqu’ils apprennent que les Alliés ne
peuvent se mettre d’accord sur aucune ligne de démarcation.
Les Anglais et les Italiens ne veulent leur attribuer que les
districts où ils jouissent d’une majorité substantielle, soit
les deux districts ruraux de Pless et de Rybnik, ainsi qu’une
partie du district de Kattowitz-campagne. C’est la ligne
préconisée par le colonel Percival. Les Français refusent de
souscrire à une décision qui n’attribuerait i la Pologne qu’un
sous-sol sans valeur et donnerait 350.000 Polonais à 1’Alle-
magne. Ils proposent une autre ligne, suggérée par le géné-
ral Le Rond2, qui attribue toute la zone industrielle à la
Pologne et remonte assez loin vers le nord-ouest. A leur
tour, Anglais et Italiens repoussent cette solution qui don-
nerait près de 400.000 Allemands à la Pologne.
Craignant de perdre une province qu’ils convoitent depuis
1. Quelques chiffres feront comprendre la complexité du probléme : Oppeln-
ville, 1.111 voix polonaiscs; Oppeln-campagne, 2 4 . 8 6 2 ; Kattowitz-ville, 3.897 voix
polonaises; Kattowitz-campagne, 66.049. D’autre part, Kreuzburg, situé en bor-
dure de la frontiére polonaise, donne 1.796 Polonais contre 43.262 Allemands.
Rybnik, situé plus A l’ouest, donne 53.473 Polonais contre 27.976 Allemands.
(Chiffresoficiels de la Commission interalliée.)
2. Cf. la carte publiée par l’Europe nouvelle, numéro du 20 aoiit 1921, p. 2085.
176 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

si longtemps, les Polonais décident pour la troisième fois


de recourir à la force. Ils se disent que le jour où toute la
Silésie sera entre leurs mains, il faudra ou bien que les
Alliés s’inclinent devant le fait accompli, ou bien qu’ils
déclarent la guerre à la Pologne. Or, cette dernière éventua-
lité leur paraît exclue. Quant au succès du coup de force,
il ne paraît pas douteux : du fait qu’il n’y a plus de troupes
allemandes à l’intérieur de la zone contestée, les insurgés
pourront s’avancer jusqu’à l’Oder sans rencontrer de résis-
tance. Les Polonais paraissent donc avoir toutes les chances
de l’emporter.
Comme en novembre 1918 et en août 1919, cette troisième
insurrection devra prendre l’aspect d’un soulèvement spon-
tané. I1 faudra que le monde y voie (( la protestation véhé-
mente d’une population dont l’âme nationale est douloureu-
sement meurtrie 1 D. Mais les chefs du P. O. W. savent que
cette insurrection ne pourra réussir que si elle est étayée
par des formations militaires solidement encadrées et dotées
d’un armement puissant.
t
+ +

Dès les premiers jours d’avril, les agents polonais se


mettent activement à l’œuvre. Tous les cadres constitués
par le P. O. W., à l’occasion du deuxième soulèvement,
subsistent; il sufit de les remobiliser e t de leur imprimer
une impulsion nouvelle.
Le Comité directeur est remanié e t transformé en un
véritable gtat-Major comprenant 243 membres, dont 18 of%
ciers, 25 adjudants-chefs, 192 sous-officiers et 8 soldats
Cet organisme est placé sous les ordres d’un commandant
en chef, auquel sont adjoints un chef d’État-Major et de
nombreux services. Son quartier général est à Sosnowice,
en territoire polonais, à 4 kilomètres de la frontière alle-
mande.
Une fois cet organisme en place, les effectifs des Sokols,
qui formeront les cadres des unités de combat, sont renfor-
1. M. NOULENS, Le Poirrt ùe cue politique. Les Arciiicws de la C r u d e Guerre,
no 24, juillet 1921, p. 9.
2. Cet Etat-Major comprend neuf sections, dont les plus mportantes sont la
Ire section (organisation et formations de combat), la II’ section (recrutement),
1û III’ section (personnel). la ive section (armements), la VI’ section (liaison et
reiiseignements) e t la VIX’ section (propagande).
L’ÈRE D E S C O U P S D’ETAT 177
cés à l’aide d’anciens légionnaires en disponibilité et de sol-
dats provenant de l’armée du général Haller 1. Tout le terri-
toire plébiscitaire est divisé en 9 districts, subdivisés à
leur tour en 24 rayons. La plus petite unité de combat
est la décurie, composée d’un chef, de son lieutenant et
de 8 hommes. Dans chaque rayon, le noyau autour duquel
viendront s’amalgamer les combattants est constitué par
une section d’assaut et une décurie de mitrailleurs.
Même préparation minutieuse en ce qui concerne les arme-
ments. Ceux-ci proviennent tantôt de dépôts clandestins
situés en Silésie même, tantôt de stoclrs considérables amas-
sés en Pologne, en bordure de la frontière allemande z. Pen-
dant les premières semaines d’avril, c’est un va-et-vient
continuel entre les principales villes de Haute-Silésie et le
quartier général de Sosnowice.
La population allemande s’inquiète de ces préparatifs, qui
ne peuvent passer inaperçus en raison de leur ampleur. Cette
atmosphère de fièvre et de conspiration, ces conciliabules
secrets, ces tracteurs couverts de lourdes bâches qui tra-
versent les villages la nuit, tous feux éteints, ne sont-ils
pas les symptômes d’une nouvelle explosion de violence?
Avertis de ce qui se prépare par les agents de l’A. P. O.,
les autorités locales allemandes se hâtent de prendre des
mesures d’autodéfense. Dans les villes et les villages, des
compagnies de Selbstschützen se constituent spontanément,
commandées par des officiers et des sous-officiers démobilisés.
Mais la Commission interalliée exige la dissolution immé-
diate des Selbstschützen et comme les Allemands s’y refusent,
alléguant qu’ils n’ont qu’une confiance relative dans la pro-
tection des soldats français, le général Le Rond donne l’ordre
d’arrêter tous les chefs allemands au matin du 25 avril.
Aucun acte ne saurait être plus favorable à la cause polo-
naise. Désormais, la voie est libre : l’insurrection pourra

1. I1 y avait, Icette époque, environ 2.000 soldats de l’armée Haller, en Haute-


Silésie. En vertu d’une ordonnance du ministère des Finances polonais (du 23 mars
1920, no 7-1-17 244 /N) ceux-ci, bien qu’oficiellement démobilisés, continuaient
it touchcr leur solde entière pendant toute la durée du plébiscite.
2. Ces stocks provenaient en partie des grandes quantités d’armes e t de muni-
tions fournies par la France A la Pologne pour la lutte contre les Bolchéviks, en
2920. N’étant arrivées qu’aprés la bataille de Varsovie, elles étaient restées inuti-
lisées e t l’État-Major polonais les avait aiguillées vers la frontiére silésienne. C’est
ce qui explique que les Allemands, voyant les insurgés en possession de fusils de
provenance française, crurent que c’était la Commission interalliée qui les avait
armés.
It I?
178 HISTOIRE D E L’ARBIÉB ALLEMANDE

se déployer jusqu’à l’Oder sans rencontrer d’obstacle sérieux.


((Le soulèvement pouvait commencer, écrit le général von
Hülsen, sitôt que les meneurs en donneraient le signal l. ))

Le dimanche l e r mai 1921, à 16 heures, la Commission


interalliée, réunie à Oppeln, au palais du gouvernement,
annonce officiellement l’intention des Alliés de procéder au
partage de la Haute-Silésie. C’est l’instant attendu par
les chefs de l’insurrection. Le soir même, des tracts polo-
nais répandent la nouvelle dans toute la province, invitant
les mineurs à suspendre le travail (( pour protester contre
cette iniquité et exiger que la Haute-Silésie soit rattachée
tout entière à la Pologne ».
Le lundi 2 mai, la grève générale se déclenche dans les
usines e t les fonderies. Plus de 100.000 ouvriers se croisent
les bras et les paysans des districts ruraux se joignent au
mouvement de protestation. C’est le premier acte du sou-
lèvement, celui auquel on ne peut dénier un caractère quasi-
spontané. Mais à partir de ce moment les événements se
précipitent. Le deuxième acte va suivre, à quelques heures
d’intervalle.
Dans la nuit du 2 au 3 mai, Korfanty, le fils d’un. mineur
polonais de Reichtal qui a combattu toute sa vie pour l’indé-
pendance silésienne, que les Allemands méprisent comme un
agitateur sans scrupules mais que ses compatriotes consi-
dèrent comme un héros national, qui fut député au Reichs-
tag en 1912 et que le gouvernement polonais a nommé
Commissaire du plébiscite I), est relevé de ses fonctions par
le Cabinet de Varsovie sous prétexte qu’il n’a rien fait
pour s’opposer à la grève.
Korfanty éclate de rire en apprenant cette nouvelle.
S’opposer à la grève? Non seulement il n’y a pas songé,
mais il l’a encouragée par tous les moyens. E t cela, les
autorités polonaises le savent aussi bien que lui ...
Délié de toutes ses attaches officielles et disposant, de ce
fait, d‘une complète liberté d‘action, Korfanty prend aussitôt
la direction du mouvement et transforme le soulèvement
1. Bernhard von HÜLSBN, Der Kampf um Ober-Schlesien, Stuttgart, 1932, p. 15.
L ’ È R E D E S C O U P S D’ÉTAT 179
populaire en insurrection armée. Le 3 mai, au matin, il fait
afficher partout la proclamation suivante :

Concitoyens!
L e gouvernement polonais m’a relevé de mes fonctions de
Commissaire du plébiscite, SOUS prétexte que je n’ai pas pris
les mesures nécessaires pour réprimer le coup de force. J e ne
suis plus Commissaire du plébiscite, mais un des vôtres par mon
sang et par m a vie, u n fils d u peuple silésien, fier de la confiance
que vous m’avez témoigne’e depuis vingt ans, et qui, pendant
vingt ans, n’a cessé de lutter pour vos droits et votre indépen-
dance. Ouvriers grévistes et combattants, j e suis désormais parmi
vous comme votre frère et, d‘accord avec nos partis polonais, je
prends la tête de notre mouvemert.
... Afin d’organiser le mouvement des masses, je nomme
Nowina Doliva chef suprême de toutes les forces armées des
insurgés. Tous les commandants de district, les chefs et les
insurgés eux-mêmes lui doivent une obéissance absolue.
J e transfère à la Cour martiale le droit de juger et de punir
les insurgés coupables, ainsi que les civils capturés par nos
hommes.
Au Quartier Général de Beuthen, le 3 mai 1921,
anniversaire de la Constitution polonaise,
KORFAKTY.

Aussitôt la révolte s’étend avec une rapidité foudroyante.


et les actes de terreur se multiplient l. E n moins de douze
heures, les insurgés sont maîtres des districts de Pless,
Rybnik, Kattowitz, Beuthen, Tarnowitz, Gleiwitz , Hinden-
burg, Ratibor, Cosel, et le mouvement s’étend irrésistiblement
vers l’ouest.
Simultanément, les armes accumulées sur le territoire polo-
nais se déversent sur le pays, car si le gouvernement de
Varsovie a désavoué le Commissaire du plébiscite, il n’a pas
cru nécessaire pour autant de fermer la frontière. Trains
blindés et artillerie lourde, lance-mines et grenades à main,
escadrons du train et formations sanitaires pénètrent en Silé-
sie et sont immédiatement répartis entre les différentes for-
mations insurgées, tandis que plusieurs bataillons de l’armée

1. a Des Allemands sont torturés et mutilés avant d’être tués. Des villages et
des chateaux sont piiiés et incendiés... Lcs scènes que reproduisent les photogra-
phies du Livre Blanc allemand dépassent en horreur les pires atrocités. n ( R e d
MARTEL, The Easkrn fronliers of Germany, Londres, 1930, p. 79-88.)
180 HISTOIRE DE L’ARMEE
ALLEMANDE

régulière viennent renforcer les effectifs des troupes de Kor-


fanty 1.
Débordée par la violence de ce raz de marée, la Commis-
sion interalliée commence par proclamer l’état de siège dans
les priecipales villes de Silésie. Puis, elle affirme qu’elle ne
reculera devant aucun moyen pour rétablir l’ordre. Mais
là se borne son activité. Tandis que les Italiens s’efforcent
de s’opposer par les armes à l’avance des insurgés - ce qui
leur coûte 40 morts et près de 200 blessés, - les troupes
françaises qui forment le gros du corps d’occupation restent
l’arme au pied et laissent passer les colonnes de camions et
de fantassins.
Le plan des insurgés est le suivant :
10 S’emparer de tous les centres de la zone industrielle;
20 Faire avancer des corps de troupe puissamment armés vers
les positions d’une ligne dite (( Ligne Korfanty n :
30 Détruire les ponts sur l‘Oder et rompre toutes les commu-
nications avec le nord2.

Ces trois opérations sont exécutées avec une précision


remarquable. Le 5 mai, au soir, la totalité de la zone indus-
trielle est aux mains des Polonais et la positiondes adver-
saires est à peu près la suivante : tout le territoire situé à
l’est de la ligne Landsberg-Oberwitz et rejoignant au sud
la vallée de l’Oder est occupé par les insurgés. A l’ouest
de cette ligne 3, les Allemands sont parvenus à désarmer les
bataillons polonais e t ont réussi à leur opposer un barrage
de milices locales et de formations improvisées. Les Alle-
mands conservent en outre, sur la rive droite de l’Oder, trois
1. Dans une note adressbe le 3 mai 1921 aux gouvernements allibs, Korfanty
explique la force de ses armements en déclarant que les insurgés se sont emparés
des grandes quantités d’armes introduites par les Allemands dans la zone plébis-
citaire. Le 7 mai, le gouvernement du Reich réplique : a Il est pratiquement
impossible que Korfanty ait trouvé en Silésie même les quantités énormes d’armes
e t de munitions, les mitrailleuses lourdes et légères, les lance-mines, les lance-
flammes, les camions, les colonnes de bagages et les formations sanitaires dont
dispose l’insurrection. I1 est prouvé que ceux-ci viennent de Pologne. I)
Ce point de vue est corroboré par le correspondant du Times,en Haute-Silésie :
a Le quartier général pour l’organisation du ravitaillement et l’assistance de la
Pologne, écrit-il, est maintenu i Sosnowice. Il y a un fait sur lequel il est impos-
sible de fermer les yeux : c’est que la frontihe entre la Pologne e t la Haute-Silé-
sie est aussi ouverte que le pont de Londres. I (Times,10 mai 1921, p. 9.)
2. Déclaration de Nowina Doliva, commandant en chef des forces insurgées
au correspondant du Times (numéro du 10 mai 1921).
3. C‘est cette ligne que les Polonais appellent la ligne Korfanty. Elle coïncide
presque exaciernelit avec la ligne de dbmarcntion prop0si.e par le général Le Rond.
L’ÈRE D E S COUPS D’ÉTAT 181
petites têtes de pont - près de Ratibor, de Cosel e t de
Krappitz - contre lesquelles viennent se briser les vagues
d’assaut polonaises.
c Au point de vue militaire, écrit le général von Hiilsen,
notre situation était désespérée. DUcôté polonais, les insurgés
disposaient d’une organisation puissante, dont les effectifs
et les armements croissaient d’heure en heure, par suite de
l’afliux des réserves fournies par l’hinterland polonais Du ...
côté allemand, nos contre-organisations avaient été écrasées.
Seuls quelques individus courageux avaient réussi à dresser
une première ligne de défense. Mais il n’y avait rien derrière
eux pour leur servir de soutien et aucune force armée pour
leur envoyer des renforts l, n

+ +

La nouvelle que les Polonais ont fait irruption en Haute-


Silésie et que les flots de l’Oder reflètent, comme il y a
sept cents ans, la lueur sinistre des villages incendiés, sou-
lève en Allemagne une émotion indescriptible. Les 2, 3, 4,
5 et 7 mai, le gouvernement du Reich adresse une série de
notes et de télégrammes aux Alliés les suppliant de prendre
les mesures nécessaires pour mettre fin au plus t ô t à cette
situation intolérable. Au cours d’un meeting de prostesta-
tion, tenu à Berlin, Rathenau adjure le Conseil suprême (( de
ne pas laisser s’ouvrir au milieu de l’Europe une plaie qui
ne pourra être guérie que par le rétablissement de la Jus-
tice »,et adresse une exhortation pressante (( & toutes les
puissances de la civilisation, de la raison et de la conscience
universelles D.
Mais là où la colère et l’indignation sont les plus vives,
c’est parmi les anciens volontaires de la Reichswehr provi-
soire, chez les combattants du Baltikum et du putsch de
Kapp, bref chez tous ceux que les décrets récents ont exclus
de l’armée régulière. Ceux-là ne se contentent pas de mee-
tings de protestation. Pour eux la seule façon de libérer la
Silésie est d’en chasser les insurgés à main armée, et de
répondre à l’insurrection par une action offensive. La Reichs-
wehr ne peut intervenir, puisqu’elle est assermentée à un
1. Bernhard von H ~ L S E NDer
, Karnpt urn Ober-Schlesien, p. I C ,
2. Discours prononce B Berlin, le 22 mai 1921.
182 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

gouvernement impuissant. C’est donc à eux d’agir, avec


les moyens dont ils disposent.
Dès que l’annonce du soulèvement leur parvient, ces
hommes se mettent en route, les uns isolément, les autres
par groupes. Ils viennent de Bavière et du Tyrol, de la Sarre
et de la Ruhr, du Mecklembourg, de la Poméranie et de la
Prusse-Orientale. Tous les trains qui se dirigent vers Lieg-
nitz et Breslau sont remplis de jeunes gens vêtus d’uniformes
rapiécés et arborant à leurs casquettes des insignes de toutes
sortes. I1 y a là des membres du Jungdo et du Stahlhelm,
des adhérents de 1’0rgesch et des anciens volontaires d’Ehr-
hardt. Ils charrient avec eux un fourniment insolite : des
roues de voiture, de lourds cylindres enveloppés dans de la
toile et d’étranges objets empaquetés dans du carton. Ce
sont des canons démontés et des mitrailleuses, des bandes
de cartouches et des grenades à main.
Comme à l’époque de l’offensive dans les provinces baltes
où les volontaires amuaient sous les murs de Riga, tous les
corps francs convergent à présent vers la Silésie. I1 y a là
le corps franc Oberland et le corps franc Rossbach, les corps
francs Heydebreck, Hubertus et Arnim. Mais l’esprit qui
règne dans ces groupes est très différent de celui qui animait
les volontaires de von der Goltz. Ce qui les inspire, ce n’est
pas le désir de conquérir des terres. Ce qui les meut, c’est
quelque chose à la fois de plus direct et de plus pressant :
(( Parmi ceux qui étaient partis pour la Haute-Silésie, écrit

Ernst von Salomon, il n’y en avait pas un seul qui l’eût


fait pour faire respecter la sainteté des traités. Pas un seul
ne marchait dans nos rangs pour en appeler aux puissances
de la civilisation, de la raison ou de la conscience universelles.
E t si l’un d’entre eux voyait planer un droit éternel dans
le ciel, c’était alors le droit de la jeunesse à chercher la
justice dans la vengeance ... Que nous importaient les chiffres,
les statistiques, les notes, les ultimatums, les droits hérédi-
taires et les résultats d’élections? L’appel nous avait frappés
en plein cœur; il avait tué sur-le-champ toute réflexion, toute
hésitation. Ce pays était allemand, il était menacé, et nous
marchions, prêts à verser notre sang pour le reprendre 1. n
Tandis que les volontaires allemands franchissent le cor-
don de police établi par le gouvernement du Reich et se

Lea RéprouuCs, p. 212-213.


1. Ernst von SALOMON,
L’ÈRE D E S C O U P S D’ÉTAT IS3
concentrent à l’arrière de la zone de combat, les Selbst-
schützen silésiens organisent eux aussi leur ligne de défense.
Un Comité central est constitué, qui prend aussitôt la direc-
tion des opérations et, dès le 8 mai, le front germano-polonais
est divisé en trois secteurs :

10 L e secteur sud, parallèle à la vallée de l’Oder et compre-


nant tout le territoire situé entre la frontière tchèque et la
ligne Friedland-Brézina (quartier général : Ratibor);
20 L e secteur central, situé à l’est d’oppeln, s’appuyant sur
le secteur sud et montant jusqu’à la ligne hlichelwitz-Frie-
drichsgratz (quartier général : d’abord au château de Schur-
gast, près d’oppeln, puis à Lowen).
30 Le secteur nord, rejoignant au nord-est la frontière polo-
naise, à mi-chemin entre Landsberg e t Rosenberg (quartier
général : Namslau) l.

Le point le plus vulnérable du secteur sud est la tête de


pont située à l’est de Cosel. Aussi est-ce là que les Polonais
décident de porter tous leurs efforts. Le 9 mai, après une
forte préparation d’artillerie, ils enlèvent la tête de pont,
franchissent l’Oder, et parviennent à prendre pied sur la rive
gauche du fleuve. Une contre-attaque allemande les en déloge
le 15. Trois nouvelles attaques polonaises sont repoussées
les 15, 16 et 17 mai. Enfin, aux environs du 20 mai, le front
paraît se stabiliser.
Tout autre est la situation dans le secteur central. Dans
cette région boisée, aucun fleuve n’offre, comme l’Oder, une
ligne de défense naturelle. Aussi les Allemands se contentent-
ils d’occuper le terrain à l’aide de petits pelotons mobiles.
Comme les Polonais évitent d’exercer une pression sérieuse
sur ce secteur, situé à proximité d’0ppeln où siège la
Commission interalliée, on n’y signale que des escarmouches
sans grande importance.
Le secteur nord, en revanche, est le théâtre de combats
sanglants. Ici aussi, des forêts épaisses compliquent la tâche
de l’État-Major allemand; de plus, la frontière polonaise
dessine un arc de cercle autour de Rosenberg et de Kreuzburg
ce qui expose les Selbstschützen à être attaqués de trois côtés
à la fois.
Prenant l’offensive au matin du 12 mai, les Polonais com-
1. Bernhard von HÜLSEX, Der Kampf urn Ober-Schlesicn, p. 17,
184 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

mencent par s’emparer de Rosenberg et de Landsberg, tandis


que les Allemands se cramponnent désespérément à Kreuz-
burg. Le 20 mai, une nouvelle attaque polonaise se déclenche
le long de la voie ferrée Kreuzburg-Zembowitz, soutenue
par un train blindé armé de deux canons de 105. A la suite
du bombardement, une vague d’assaut polonaise, forte de
200 à 300 hommes, s’élance à la conquête des positions alle-
mandes. Les volontaires de la section Hindenburg laissent
approcher les assaillants jusqu’à 100 mètres de leurs avant-
postes. Puis ils ouvrent un feu nourri de mitrailleuses, qui
sème la mort dans les rangs des insurgés.
Le lendemain, 21 mai, le capitaine von Arnim décide de
passer à la contre-offensive. Après des combats frénétiques,
il parvient à reconquérir la gare de Sausenberg et s’apprête,
le 22, à pénétrer à Rosenberg, lorsqu’il reçoit un ordre du
commandant en chef, lui enjoignant de renoncer à l‘attaque,
de revenir sur ses positions de la veille, et de rester sur la
défensive.
* *

A quoi faut-il attribuer ce brusque revirement?


Jamais combats ne furent plus étroitement commandés
par la situation politique I), écrit le général von Hülsen, et
c’est à la politique de nous expliquer l’attitude du comman-
dement en chef allemand.
Depuis le début de l’insurrection, la Commission interalliée
a perdu tout contrôle sur la Haute-Silésiel. Son autorité
n’est plus reconnue que dans les grands centres urbains.
Dans les districts ruraux, par contre, les insurgés la traitent
en quantité négligeable. A l’intérieur de la Commission elle-
même, l’accord est loin d’être parfait. Les Italiens, qui ont
de nombreuses victimes à déplorer, sont très montés contre
Korfanty et demandent l’arrestation immédiate des cou-
pables. Les Anglais, eux, trouvent inadmissible que le
délégué français (( confonde son rôle d’arbitre international
avec celui de mandataire des intérêts polonais »,et exigent
une intervention énergique des troupes d’occupation. Quant
au général Le Rond, quoiqu’il n’ait jamais pris officielle-
ment parti pour les insurgés 2, il lui répugne de prendre des
1. Cf. lord Robert CECIL, The question of Upper-Silesia, p. 6.
2. NOUS avons sur ce point un témoignage d’autant plus précieux qu’il émane
OPÉRATIONS D E HAUTE-SILÉSIE.
(5 mai - 20 juin 1921)
186 HISTOIRE D E L’ARMEE ALLEMANDE

mesures de coercition contre les Polonais, alliés de la France,


e t pour lesquels la plupart de ses officiers ont une sympa-
thie marquée.
Les mêmes divergences se retrouvent au sein du Conseil
suprême, où la discussion, déjà aiguë, s’envenime de jour
en jour. Le 9 mai, l’ambassadeur de France à Berlin remet
à la Wilhelmstrasse une note spécifiant u que tout envoi de
troupes de la Reichswehr en Haute-Silésie serait considéré
comme une violation du traité de Versailles et que la France
y répondrait par l’occupation de la Ruhr ».
Le désaccord franco-anglais, limité jusque-là aux milieux
politiques, prend tout à coup une ampleur inattendue. Le
13 mai, Lloyd George porte le débat devant l’opinion
publique en prononçant à la Chambre des Communes un
discours qui est un réquisitoire à peine déguisé à l’adresse
de la France. Faisant allusion à la note française du 9 mai,
il déclare qu’il n’y a que deux façons de résoudre le problème :
(( Ou bien les forces alliées doivent rétablir l’ordre elles-

mêmes, ou bien les troupes allemandes doivent être auto-


risées à le faire. Interdire aux troupes dont dispose l’Alle-
magne de participer au rétablissement de l’ordre n’est pas
équitable (is not fair). Le fair play a toujours été le principe
dont s’est inspiré la Grande-Bretagne, et je propose que nous
...
y restions fidèles jusqu’au bout Quoi qu’il advienne, nous
ne nous inclinerons pas devant le fait accompli 1.1)
(( A la suite de ces déclarations, écrit laconiquement lord

Robert Cecil, les relations franco-anglaises devinrent des plus


tendues z. ))

d’un adversaire : a Jamais, écrit le général von Hiilsen, le général Le Rond, ni


aucun de ses collaborateurs n’a officiellement approuvé l’insurrection. Les erreurs
commises par des sous-ordres n’entrent pas en ligne de compte. B (Der Zcarnpf
urn Oh-Schlesien, p. 53.)
1. Le même jour, le délégué britannique de la Commission interalliée à Kreuz-
burg, déclarait au correspondant du Manchester Guardian : a Comme presque
tous les officiers anglais en Haute-Silésie, je me sens honteux et humilié, car je
me rends parfaitement compte que la Commission interalliée a failli à sa promesse
de faire respecter la loi et de maintenir l’ordre dans cette province. Le délégué
italien partage entiérement ma façon de voir. a (Manchesfer Guardian, numéro
du 14 mai 1921, p. 9.) I1 est de fait qu’en Haute-Silésie, les officiers français fra-
ternisaient avec les insurgés, tandis que les officiers italiens et anglais encoura-
geaient les volontaires allemands, situation peu faite pour donner une haute idée
de la solidarité interalliée.
2. Lord Robert CECIL, The question of Upper-Silesia, p. 6 . Méme h Paris, on
commençait à se rendre compte de la situation délicate où se trouvait la France.
Tout en excusant les sentiments qui avaient poussé les Polonais à recourir aux
armes, M. Noulens reconnaît que cet acte f u t facheux pour eux-mêmes c o m e
L’ÈRE D E S COUPS D’ÉTAT 187

* *
Tandis que ces discussions se déroulent entre Londres et
Paris, des transformations ont eu lieu au Quartier Général
allemand. L’extension prise, depuis peu, par l’aspect poli-
tique de la question et l’arrivée en Silésie de corps francs
toujours plus nombreux, ont obligé le Comité central à limiter
son activité aux négociations diplomatiques et à remettre
la direction des opérations au général Hœfer, dont la nomi-
nation a été ratifiée par les chefs des corps francs 1.
Aussitôt investi du titre de Commandant en chef; le géné-
ral Hœfer remanie le dispositif de combat. Les trois secteurs
existants seront remplacés par deux groupes autonomes, le
Groupe nord et le Groupe sud, commandés respectivement
par le lieutenant-colonel Grützner et le général von Hülsen.
Vers le 20 a lieu, à Krappitz, un conseil de guerre au
cours duquel le général Hœfer expose à ses subordonnés la
tactique qu’il entend suivre.
- Nos formations, déclare-t-il, doivent attendre que la
Commission interalliée leur donne le mandat de libérer le
territoire occupé par les insurgés, I1 ne faut à aucun prix
entreprendre de nouvelle offensive, car nos troupes risque-
raient de s’exposer à un échec, qui compromettrait irrémé-
diablement le succès de notre cause z.
- J e regrette de ne pouvoir partager cette manière de
voir, réplique le général von Hülsen. Jamais la Commis-
sion interalliée ne nous donnera un mandat de cette nature.
Le premier devoir des Selbstschützen est d’agir. Le moindre
succès de nos troupes renforcera notre situation a u s points de
vue politique, militaire et moral, et la Commission interalliée
pour l’influence des Alliés qui avaient lié leur sort i celui de la Pologne D. (Les
Archives de la Grande Gtcerre, Le Point de c u e politique, p. 9.) Frank H. S I M O N D S
souligne de son côté, dans le New York Herald du 29 mai 1921 : ( I Pour toutes
les grandes Puissances, cette affaire polonaise était un terrible contretemps. Les
Français eux-mêmes ne pouvaient qu’admettre l’illogisme de la situation : l’Ai-
lemagne, sommée de désarmer, mais voyant en même temps dcs territoires sur
lesquels elle avait encore des droits (puisque le Conseil suprtmc ne s’était pas
encore prononcé) envahis par des troupes polonaises, tandis que les forces mili-
taires allemandes étaient condamnées il’inaction. 1
1. I1 importe de souligner ce point : le général Hccfer n’est ni le représentant
du gouvernement alicmand, ni celui du ministère de la Reichswehr, mais l’élu du
Comité central e t des chefs des corps francs.
2. Le générai Hmfer redoutait une collision entre les formations allemandes
e t les contingents alliés. C‘est ce qui explique le contrordre adressé, le 22 mai,
au capitaine von Arnim.
188 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

sera obligée d’en tenir compte. L’éventualité d’un échec ne


doit pas nous effrayer. Je dirai plus :nous devons être prêts
à en courir le risque. La situation nous commande de passer
immédiatement à l’offensive, ne serait-ce que pour arracher
à l’adversaire l’initiative des opérations.
Longtemps, le commandant en chef hésite entre ces deux
tactiques. Enfin, le Comité central autorise le Groupe sud
à procéder à une offensive limitée. a: Aussitôt en possession
de cette autorisation, déclarele général von Hülsen, le Groupe
sud décida d’en faire l’usage le plus étendu 1. ))

+ +

u La rive droite de l’Oder, écrit dans ses mémoires l’ancien


commandant du Groupe sud, est bordée, sur toute sa lon-
gueur, par une chaîne de collines qui domine la vallée et
...
la rive gauche du fleuve La plus importante de ces collines
est l’Annaberg, dont les flancs escarpés, coupés de ravins
profonds, se dressent à 10 kilomètres à l’est de Krappitz.
Sa masse abrupte jaillit directement de la plaine et s’allonge
vers le sud-est pendant près de 20 kilomètres pour retomber
verticalement près d’Ujest dans la vallée du Klodnitz. A
son sommet, qui surplombe de 300 mètres la vallée de l’Oder,
s’élève le couvent de Sainte-Anne avec sa vierge miraculeuse,
lieu de pèlerinage célèbre et sanctuaire national de tous les
Silésiens. La conquête de l’bnnaberg ne pouvait manquer
d’avoir des conséquences morales incalculables. Cette victoire
serait comme un phare éclairant la nuit sombre. Elle insuf-
flerait une force nouvelle à nos cœurs déchirés et rendrait
courage à ceux qui commençaient à désespérer.
u La conquête de ce saillant aurait également pour effet de
faire tomber la menace polonaise sur Cosel et de faire sauter
le verrou qui ferme les routes menant à Gleiwitz et à la zone
industrielle. La première étape de la libération de la Haute-
Silésie serait alors accomplie z. ))
L’enjeu, comme on le voit, est de première importance.
Mais les corps francs disposent-ils de forces suffisantes? Sept
bataillons nouvellement formés et n’ayant pas encore subi
l’épreuve du feu pourraient, à la rigueur, être concentrés
dans ce secteur. Mais alors, il n’y aura plus un seul homme
1. Bernhard von HÙLSEIP, Der Karnpf urn Obsr-Schlesien, p. 22.
1. Bernhard von H ~ L S E Nop.
, cil.
D E L'ANNABERG
BATAILLES ET DU KLODNITZ
(21 mai-6 juin 1921).
190 HISTOIRE D E L ’ A R M É E ALLEMANDE

pour défendre le reste du front, long de 60 kilomètres. Si


l’on veut conquérir l’hnnaberg envers e t contre tout, il fau-
dra donc se contenter des quelques unités disponibles. Après
avoir mûrement pesé le pour et le contre, le général von
Hülsen décide de courir sa chance et, le 21 mai, à 1 h. 30 du
matin, les sections d’assaut traversent en silence le pont
de Krappitz, pour rejoindre leurs positions de départ sur
la rive droite du fleuve.
Les formations allemandes sont divisées en deux colonnes :
4.0 La colonne von Chappuis, composée des bataillons Lensch
Winckler e t Bergerhoff;
20 La colonne Horadarn, composée du corps franc Oberland
(bataillons (Estreicher, Finsterlin, Siebringhaus, compagnie
von Eicke) et de la Section d’Assaut Heintz

A 2 h. 30 précises, les Sections s’élancent à l’attaque,


mais elles se heurtent partout à une vive résistance des Polo-
nais. Soit que les mouvements des corps francs aient été
aperçus, soit que le plan d’attaque ait été divulgué, l’effet de
surprise est manqué. Bientôt parviennent au Q. G. allemand
des demandes pressantes de renforts, auxquelles le général
von Hülsen est obligé de rester sourd. u Nous apprîmes alors
à notre corps défendant, écrit-il, combien il est dur de mon-
ter à l’assaut d’une position fortifiée sans aucun soutien
d’artillerie 2. 1) Que s’est-il donc passé?
Au moment d’escalader les hauteurs de Wygoda, la colonne
von Chappuis est tombée dans une embuscade. Pendant ce
temps, le bataillon CEstreicher a enlevé de haute lutte le
village de Strebinow, tandis que les Bavarois du corps franc
Oberland se sont emparés du port d’oderhafen et des hau-
teurs de Dombrowka.
Mais une fois parvenus sur ces positions, les volontaires
allemands ont d û subir une puissante contre-attaque polo-
naise. Dévalant des hauteurs en formations compactes, les
insurgés ont cherché à disloquer leur front. Après un moment
de flottement, les bataillons Finsterlin et Siebringhaus ont
réussi à les disperser à coups de grenades. Bientôt, la vague
polonaise reflue en désordre vers le sommet de la colline,

1. Cela fait beaucoup d’unités, mais le total des effectifs ne dépasse pas
3.000 hommes.
2. Bernhard von HÜLSEN, op. cit., p. 23.
L’ERE DES COUPS D’ÉTAT 191
dégageant du même coup les hauteurs de Wygoda. De ce
fait, la colonne von Chappuis, qui a subi un temps d’arrêt,
peut reprendre son avance sur le même rythme fougueux
que la colonne Horadam. En quelques heures, les bataillons
Winckler, Lensch, et Bergerhoff s’emparent de Roswadze,
Deschowitz, Solownia, et de la gare de Leschnitz.
Le reflux des Polonais a permis aux volontaires du corps
franc Oberland d’effectuer un nouveau bond en avant.
Ceux-ci se sont emparés de Jeschona, de Dalline et de
Sakrau, où ils ont réussi à capturer deux canons allemands,
abandonnés sur le terrain par les insurgés.
Au lever du jour, les colonnes allemandes parviennent au
pied de l’Annaberg1. Mais les chefs du corps franc Ober-
land estiment qu’il est impossible de rester sur ces positions,
en laissant les insurgés maîtres des hauteurs qui les sur-
plombent. Ils décident de procéder séance tenante à l’assaut
de la colline, en profitant du désarroi causé par la rapidité
de leur avance.
L’attaque débute par la prise d’oleschka, un petit village
perché en nid d’aigle à mi-hauteur du sommet, que les insur-
gés ont transformé en redoute fortifiée. A dos d’homme, les
artilleurs du corps franc hissent les deux canons conquis à
Sakrau le long de la paroi escarpée, les mettent en batterie
h 1.200 mètres d’0leschka et ouvrent le feu sur les positions
polonaises.
Entre-temps, le chef du corps franc, accompagné de huit
hommes, a réussi à contourner le village sans être aperçu
et s’est élancé à l’improviste dans le dos des insurgés. Se
croyant cernés, les Polonais évacuent le village en toute
hâte. Désormais tout le saillant occidental de l’bnnaberg
est investi.
A 11heures, les Bavarois déclenchent une nouvelle attaque
dont l’objet est de s’emparer du sommet de la colline.
La tenaille formée par les différentes unités du corps franc
Oberland se resserre peu à peu.
A midi, l’avant-garde du bataillon CEstreicher et l’État-
Major du corps franc atteignent la lisière orientale de la
forêt de Wyssoka. Le clocher du couvent se dresse vers le
ciel, juste au-delà d’un dernier mamelon rocheux. (( Cette
image galvanisa tous ceux qui la virent, écrit un combat-
1. Par prudence, l’État-Major du Groupe sud leur avait assigné pour le pre-
mier jour des objectifs relativement rapprochés.
292 H ISTOII~E D E L’ARMÉE ALLEMANDE

t a n t du corps franc Oberland. C’est là qu’était notre but 1! B


A présent c’est l’ultime assaut. Haletants, les chemises
déchirées, les visages maculés par la poussière et l a sueur,
les Bavarois se ruent à la conquête du dernier escarpement.
A midi dix, un hourra 1) enthousiaste retentit de trois côtés
à la fois : YAnnaberg a été enlevé de haute lutte. u Le cœur
des plus braves tressaillit d’une joie indescriptible, écrit un
volontaire anonyme, en voyant le drapeau noir-blanc-rouge
apparaître au sommet du clocher. C’était la première victoire
allemande depuis les j o u r s i g n o m i n i e u x de novembre 1918.
Les formations polonaises étaient disloquées... Quant à nous,
notre troupe était au feu depuis plus de quinze heures et
avait accompli, pieds nus, une marche de près de 30 kilo-
mètres 2. ))
(( Le succès de cette journée .dépassait toutes nos espé-

rances, écrit de son côté le général von Hülsen. Nous avions


pris 6 canons e t de nombreuses mitrailleuses. E n outre,
28 villages avaient été libérés 3. D
Le lendemain, 22 mai, les Allemands consolident leurs posi-
tions, en prévision d’une contre-offensive polonaise. Celle-ci
se déclenche vingt-quatre heures plus tard. Préférant ne pas
attaquer de front les crêtes de l’Annaberg, les insurgés
assaillent les Allemands dans la plaine, où leurs effectifs sont
plus clairsemés. Déconcertés un moment par cette manœuvre
inattendue, les corps francs se ressaisissent et finissent par
repousser les Polonais après un violent corps à corps au
cours duquel les volontaires du bataillon Finsterlin, à court
de munitions, sont obligés de faire usage de haches et de
coutelas. Toute la journée, le combat fait rage, car les Polo-
nais résistent avec une grande bravoure. Enfin, vers le soir,
le tumulte s’apaise. Les Allemands restent maîtres de tout
le terrain conquis.
(( Cette victoire, écrit, non sans amertume, le général von

Hülsen, ne fut pas appréciée comme elle le méritait par nos


milieux dirigeants. D Car le lendemain, 24 mai, le président
du Reich promulgue un décret interdisant le recrutement
des corps francs et frappant d’emprisonnement ou d’une
amende pouvant aller jusqu’à 100.000 marks quiconque

1. O6erland in Ober-Scklesien, sans nom d’auteur, S. Lindauer, Munich, sans


date (1922).
2. Ibid., p. 14 et 15.
3. Beiiihard von HÜLSEN, Der Kampf uni Obw-Sclrksien, p. 25.
L’ÈRE DES C O U P S D’ÉTAT 193
tente de constituer des formations de caractère militaire,
ainsi que tous ceux qui feraient partie de semblables orga-
nisations 1.
Les conquérants de l’Annaberg accueillent cette ordon-
nance avec un rugissement de colère. Ce n’est pas qu’elle
les surprenne : ils savaient que leur gouvernement les désa-
vouerait. Mais ils ne pensaient pas que sa désapprobation
irait jusqu’au blâme, ni qu’il assimilerait leur héroïsme à
un crime contre la patrie. Ils ignorent dans quelles condi-
tions ce décret a été promulgué. Ils ne peuvent pas savoir
- et c’est une des tragédies de la République allemande
- qu’Ebert ne s’est résigné à le signer que la mort dans
l’âme, à la suite d’un ultimatum adressé au Reich par les
Alliés z. Pour eux, ce texte marque, une fois de plus, l’in-
compatibilité absolue entre l’idéal qu’ils poursuivent et les
objectifs de la République. Aussi leur mépris pour les diri-
geants de l’Allemagne nouvelle ne connaît-il plus de bornes.
Loin d’abattre leur moral, ce décret redouble leur rage et
les confirme dans leur intention de continuer la lutte, jus-
qu’à la libération totale de la Silésie.
1. Reichsgesetzblaft, 1921, p. 711.
2. Voir plus haut, p. 149. La note allike du 5 mai 1921, rkdigée durant la confb
rence de Londres, était surtout dirigée contre I’Einwohncrwehr bavaroise et les
formations militaires situées d I’intérieur du Reich. Mais elle n’en frappait pas
moins les corps francs de Silésie, et le fait que l’ordonnance qui en découlait fut
promulguée le lendemain de la conquête de I’Annaberg. au moment où les volon-
taires étaient exaltés par leur victoire, fut, au point de vue psychologique, une
coïncidence déplorable.

II 13
XII

LES COMBATS DE HAUTE-SILÉSIE

III. - La bataille du Klodnitz et le retour des Selbstschützen.


Au point de vue moral, la conquête de l’bnnaberg a consi-
dérablement accru le prestige des corps francs. Mais au point
de vue militaire, ses conséquences sont plus grandes encore,
car elle oblige les insurgés à modifier leur méthode de combat.
L’échec réitéré de leurs attaques a prouvé aux Polonais
qu’ils ne pouvaient plus atteindre leurs objectifs par la seule
force des armes. Tirant la leçon des événements, Korfanty
publie une nouvelle proclamation dans laquelle il déclare
que les Polonais reconnaissent l’autorité de la Commission
interalliée, qu’ils se placent sous sa protection et obéiront
sans réserves à toutes les décisions qu’elle jugera bon de
prendre.
Satisfait de ce résultat, le général Le Rond considère
que le moment est venu d’entamer les négociations avec les
chefs des corps francs. I1 envoie une délégation d’officiers
anglais au général Hœfer et commence par exiger l’évacua-
tion immédiate de l’bnnaberg. Le général Hœfer s’y refuse,
alléguant qu’il ne peut abandonner sans déshonneur une
position que ses hommes ont conquise de haute lutte. Mais
il recommande à ses troupes de ne plus effectuer de nou-
velles attaques e t de rester sur la défensive. En même temps,
prenant acte de la déclaration de Lloyd George à la Chambre
des Communes, il offre sa collaboration à la Commission
interalliée, pour l’aider à chasser les insurgés de Silésie.
I1 va sans dire que cette proposition est repoussée par le
général Le Rond.
L’ÈRE D E S COUPS D’ÉTAT 195
- J e ne peux tout de même pas faire des corps francs
allemands les gendarmes de l’Entente! déclare-t-il d’un ton
sec.
Pour faire face à la situation, il demande au Conseil
suprême de lui envoyer des renforts. Une division britan-
nique est détachée en Haute-Silésie. Ses premiers éléments
débarquent à Oppeln dans la journée du 28 mai.
Le surlendemain (30 mai), la Commission interalliée trans-
met au général Hœfer un plan d’évacuation bilatéral. Les
Polonais commenceront par reculer de vingt kilomètres, puis
les Selbstschützen en feront autant, et ainsi de suite jusqu’à
ce que la province se trouve entièrement libérée. Simulta-
nément, les troupes alliées, et plus particulièrement le contin-
gent anglais, se déploieront dans la zone neutre ainsi créée
entre les deux fronts adverses. Mais le général Haefer repousse
également cette proposition, sous prétexte qu’elle placerait
les corps francs sur un pied d’égalité avec les insurgés, ce
qui lui paraît inadmissible puisque ce sont les Polonais qui
ont envahi l’Allemagne.
Tandis que ces négociations se poursuiven; entre la Com-
mission interalliée et le Q. G. de Lœwen, l’Etat-Major alle-
mand voit les troupes dont il dispose se renforcer de jour
en jour e t c’est sans doute ce qui explique son intransi-
geance 1.
Mais malgré la tournure défavorable prise par les événe-
ments, Korfanty ne se tient pas encore pour battu. Sans
doute n’obtiendra-t-il plus la Silésie entière. Mais il suffi-
rait que les Allemands fussent rejetés sur la rive gauche de
l’Oder,. pour que le fleuve fût adopté comme frontière ger-
mano-polonaise. Cette espérance l’incite à ne pas relâcher
ses efforts.
Tandis que Korfanty regroupe hâtivement ses formations,
les volontaires allemands s’énervent et rongent leur frein.
Va-t-on leur faire perdre tout le bénéfice de leur victoire?
Ce serait le moment ou jamais de bousculer les insurgés,
sans leur Iaisser le temps de reprendre haleine. Chaque heure

1 . D’après les sources françaises, le total dcs effectifs allemands s’élevait entre
40.000 et 60.000 hommes. Le général von Hülsen déclare cc chiffre très exagéré,
sans fournir de précisions. On trouve cependant, i la fin de son ouvrage, la liste
complète des corps francs allemands qui prirent part aux combats. (CI. également
la nomcnciature générale des corps francs dans Edgar von ScHoriDT-PauLr, Ge-
schichte der Freikorps, Stuttgart, 1936).
196 B I S T O I R E D E L’ARMÉB ALLEMANDE

qui s’écoule pourrait être décisive e t ils restent immobiles,


retenus sur leurs positions par des ordres inexplicables ...
cc Devant cet ensemble de faits, écrit le général von Hül-
sen, il était permis de se demander si la passivité imposée
aux Selbstschützen n’était pas une erreur. D Convaincu qu’une
3ff ensive rapide serait non seulement couronnée de succès,
mais marquerait l’effondrement définitif des projets de Kor-
fanty, le commandant du Groupe sud soumet au Comité
central un plan audacicux visant à l’encerclement de toutes
les formations insurgées stationnées entre l’Oder et la vallée
du Klodnitz. Mais pour cela, il faudrait agir vite, car l’at-
taque ne doit pas se heurter aux bataillons de l’Entente qui
commencent à s’insinuer entre les deux fronts, restreignant
de jour en jour la zone de combat. Déjà le colonel Salvioni,
commandant du contingent italien, a reçu l’ordre de neu-
traliser une large bande de terrain dans le secteur de Cosel,
afin de séparer les Polonais des Allemands.
Mais le général Hœfer, dont les qualités maîtresses sont
le sang-froid et la prudence, refuse de se laisser entraîner
dans une aventure aussi risquée. I1 craint qu’une offensive
éclair ne provoque une réaction violente de la part des
insurgés, que la Pologne n’y voie un casus belli qui lui per-
mettrait d’envoyer des troupes régulières en Silésie, et que
la. France n’y réponde, de son côté, par des mesures de
représailles. E n conséquence, dans un Ordre du jour du
29 mai, il défend formellement aux chefs de corps francs
de procéder à toute nouvelle attaque et renouvelle cette
interdiction deux jours plus tard, dans une proclamation à
ses troupes.
Les nerfs des volontaires allemands sont mis à rude
épreuve, car les formations polonaises ne cessent de les har-
celer. Le 31 mai, à 1heure du matin, les Polonais attaquent
la gare de Schimischow e t se déploient de part et d’autre
de la route Gross Strehlitz-Krappitz: La compagnie Sprin-
ger, du corps franc Oberland, réussit à disperser les assail-
lants, mais ses pertes sont sévères : les six officiers de la
compagnie sont tués. Une nouvelle attaque polonaise se
déclenche le 2 juin, suivie le lendemain d’une troisième,
plus meurtrière encore,
Considérant que rien n’est plus démoralisant pour une
troupe que de se laisser décimer sans avoir le droit de ripos-
ter, le général Hœfer finit par autoriser les Selbstschützen à
L’ERE DES cours D’ÉTAT 197
sortir de leurs positions, chaque fois qu’ils auront été l’objet
d’agressions non provoquées.
Le général von Hülsen n’en demande pas davantage. Il
peut enfin se porter en avant sans désobéir à son chef et
décide de profiter de cette autorisation à la première occa-
sion.
Cette occasion se présente avant que le jour s’achève.
Le 3 juin, dans l’après-midi, une batterie polonaise ouvre
le feu à l’improviste sur la ville de Cosel, tandis que des
petits groupes d’infanterie insurgée - imprudence ou pro-
vocation? - pénètrent dans la zone neutre établie par les
Italiens. C’est assez pour permettre au général von Hülsen
d’exécuter son plan - ce plan dont il nous dit lui-même
qu’il n’était pas exempt d’une audacieuse élégance 1.
t
4 v

La manœuvre conçue par le Groupe sud doit s’effectuer


en deux temps :
l o Franchissant les lignes polonaises, une colonne s’enfoncera
en territoire ennemi et atteindra aussi rapidement que possible
le village de Slawentzitz;
20 Une fois maîtresse de cette localité, ladite colonne exécutera
un mouvement tournant dans le dos des insurgés et suivra le
canal du Klodnitz pour regagner l‘Oder O la hauîeur de Cosel,
où elle fera sa jonction avec le reste des forces allemandes 2.

Cette opération aura pour effet de prendre comme dans


une nasse toutes les formations polonaises stationnées dans
le quadrilatère compris entre l’bnnaberg, l’Oder et le Klod-
nitz.
Le 4 juin, à 2 h. 30 du matin, le corps franc Oberland,
renforcé par les sections Heintz et Bergerhoff, se met en
marche sous les ordres du colonel comte Magnis 3. S’avan-
çant vers le sud-est, parallèlement aux derniers contreforts
de l’Annaberg, il s’empare une heure plus tard de Salesch,
malgré une résistance très vive des Polonais, puis de Pop-
pitz e t atteint Slawentzitz vers 4 h. 15.
1. Bernhard von HÜLSEN, Der Kampf urn Ober-Sclrlesien, p. 36.
2. Voir la carte p. 189.
3. Rappelons que le colonel Magnis commandait une brigade de Tirailleurs
montés, lorn de l’expédition de Munich. (Voir vol. I, p. 290.)
19s HISTOIRE D E L’ARMÉE A L L E M A N D E

Le corps franc Oberland est attendu vers 10 heures sur la


ligne de l’Oder. Mais l a matinée se passe, midi arrive, et
l’on n’a toujours aucune nouvelle de la colonne Magnis.
Serait-elle tombée dans une embuscade?
Nullement. Mais par suite d’un malentendu inexplicable,
au lieu de foncer directement sur l’Oder, le corps franc Ober-
land est demeuré à Slawentzitz, où il a attendu l’ordre de
poursuivre Sa route. Cette erreur risque de compromettre
toute l’opération. A présent, il faut rattraper à tout prix
le temps perdu. La colonne se remet en marche, sous une
chaleur accablante.
Malgré le retard avec lequel elle s’effectue, cette marche
rapide à travers le territoire ennemi est couronnée de suc-
cès. Partout les Polonais se débandent ou déposent les
armes, stupéfaits de voir surgir dans leur dos les volontaires
allemands. Complètement fourbus, les Bavarois ‘du colonel
Magnis arrivent à 16 heures à l’oderhafen, où ils opèrent leur
jonction avec un groupe de Selbstschützen qui a franchi
l’Oder pour venir à leur rencontre.
Une demi-heure plus tard, le cercle est fermé. D’innom-
brables colonnes d’insurgés qui cherchent à atteindre les
ponts du Klodnitz sont prises sous le feu des mitrailleuses
allemandes et ne parviennent nulle part à se frayer un pas-
sage.
Alors, saisies de panique, toutes les format)ions polonaises
refluent vers le sud. Celles qui combattaient sur la ligne
Januschkowitz-Roschiwa apparaissent les premières, bien-
t ô t suivies par celles qui se trouvaient, plus à l’est, au fond
du cul-de-sac. (( I1 est dificile de tracer un tableau des
combats qui se déroulèrent au cours de cet après-midi et
de distinguer les mouvements des différentes unités, écrit le
général von Hülsen. Les ponts étaient l’objectif vers lequel
toutes se ruaient. Une section allemande venait à peine de
les franchir, lorsqu’on vit les Polonais faire une tentative
désespérée pour les traverser à leur tour. Des groupes de
Selbstschützen survinrent sur ces entrefaites : ils se heur-
tèrent à angle aigu avec les formations polonaises 1. ))
C’est, pendant plusieurs heures, une mêlée indescriptible,
rendue plus confuse encore par la tombée du jour. Même
la nuit n’amène aucun répit, car un corps à corps furieux

1. Bernhard von HILLSEN,Dsr Kampf wn Ober-Schlcsien


L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 199
se poursuit jusqu’à l’aube, tout le long de la ligne du Klod-
nitz, de I’Oderhafen à Slawentzitz.
Le 5 juin, au matin, le corps franc Heydebreck, resté
jusque-là en réserve, entre en ligne à son tour et enlève de
haute lutte le village et la gare de Kandrzin, tandis qu’une
section du détachement Martin occupe Pogorzelletz.
Le 6, les corps francs atteignent Alt-Cosel et la lisière de
la forêt de Klein-Althammer. Cette journée marque l’écrou-
lement de la résistance polonaise. Encore quelques contre-
attaques d’une violence décroissante, e t le tumulte s’apaise.
(( Bien que nous fussions trop épuisés pour exploiter cette

victoire, écrit le général von Hülsen, le résultat de ces der-


nières journées était considérable ... De l’aveu même du com-
mandement en chef polonais, 8.000 insurgés avaient été
contraints de déposer les armes. Cosel était libéré, ainsi qu’un
grand nombre de localités importantes. )) E t le commandant
du Groupe sud ajoute, non sans fierté : (( Cette victoire n’était
pas due au hasard, mais à une manœuvre d’encerclement
méthodiquement réalisée, visant l’anéantissement du gros
des forces adverses. La tactique employée reproduisait, en
petit, celle de la bataille de Cannes 1. ))

+ *
Tandis que ces opérations ont lieu dans le secteur du
Groupe sud, des combats plus décousus, mais non moins
meurtriers, se déroulent sur le front nord. Sans cesse les
corps francs de Rossbach et d’Arnim, d’hulock et de Schmidt,
de Christensen et d’Hübner s’élancent en avant et dis-
persent les formations ennemies. Sans cesse le front des
insurgés se reforme et les bandes polonaises, un moment
éparpillées, reviennent harceler les positions allemandes. Le
8 juin, la section Hindenburg, envoyée en reconnaissance aux
environs de Zembowitz, est victime d’un guet-apens et perd
80 % de ses hommes.
Cette guérilla implacable décime les groupes de volontaires
allemands. Leurs effectifs fondent avec une rapidité angois-
sante. Jour après jour, on voit des pelotons de Selbstschützen

?. Io., ibid., p. 39. Pour comprendre pleinement la portée de c e t t e phrase, il


faut se rappeler que la tactique d'Annibal à la bataille de Cannes était considérée
par les professeurs de l’Académie de Guerre allemande, comme le nee plus ultrn
de l’art militaire.
200 HISTOIRE D E L’ARnfEE A L L E M A N D E

s’enfoncer dans la forêt silésienne e t y disparaître, comme


engloutis par une nature indifférente. Comment songer à
libérer la zone industrielle avec ces troupes harassées e t
presque dépourvues de munitions? I1 faudrait que des forces
fraîches viennent leur donner une impulsion nouvelle. Or le
gouvernement du Reich a renforcé depuis peu le cordon de
police qui sépare la Silésie du reste de l’Allemagne, barrant
le passage aux volontaires qui voudraient se porter au secours
de leurs camarades et empêchant toute arrivée de renforts et
de munitions.
On assiste alors à des scènes dramatiques qui évoquent
les derniers jours de l’équipée allemande dans la Baltique.
(( Dans les villes sur lesquelles pesaient la fumée, la faim et

le désespoir, écrit Ernst von Salomon, nos groupes dégue-


nillés et traqués allaient à l’aventure ...
Ils fonçaient dans
les ténèbres déchirées par les balles, toujours prêts, toujours
attaquant, et risquant leur dernier enjeu l. )) Silésiens, Tyro-
liens, Bavarois s’élancent dans la forêt immense, à la pour-
suite des Polonais. Et puis, soudain, ils se retrouvent seuls,
a petites bandes téméraires, cachées dans les bois, campant
dans les fermes abandonnées et traversant, hors d’haleine,
...
les ravins et les vallons Car plus rien ne venait derrière
eux, pour soutenir leur effort ».
Mais bien que les volontaires entraînés par leur élan,
insistent pour combattre encore, le général Hœfer est obligé
de tenir compte d’une situation d’ensemble, dont certains
facteurs échappent aux combattants de première ligne.
Derrière lui, le gouvernement allemand, qui redoute les
sanctions de l’Entente 3, paralyse peu à peu ses moyens de
défense. Devant lui, la Commission interalliée, exaspérée p~
la prolongation du conflit, menace d’abandonner à leur sort
(c’est-à-dire aux représailles des Polonais) les populations
allemandes de la zone industrielle, et déploie un rideau de
troupes entre les deux fronts adverses. Puisque toute nou-
velle attaque est rendue impossible, le plus sape n’est-il
pas de conclure un cessez-le-feu?
A cet effet, les Allemands instituent tin Comité de douze
membres, dénommé a Directoire politique de Haute-Silésie »,
1. Ernst von SALOYON, Les Rlprouds, p. 226.
2. Io., ibid., p. 225.
3. La France a romobilis6 la c l a m 19i9, et ccs renforts, maintenus en Rh6na-
nie, n’ont pas encore été renvoyés dans leurs foyers.
L’ÈRE D E S C O U P S D’ETAT 20.1
qui reprend les pourparlers avec la Commission interalliée.
Après plusieurs journées de négociations orageuses, les deux
parties aboutissent enfin à un accord. Le 20 juin, les insurgés
ayant quitté Ratibor et s’étant repliés en direction de la
Pologne, le commandant en chef des Selbstschützen accepte
de se retirer en direction de l’Allemagne et ordonne à ses
troupes d’évacuer l’bnnaberg. (( Les corps francs, écrit le
général Hülsen, exécutèrent cet ordre en grinçant des dents,
mais avec une discipline parfaite l. )) Le 28 juin, nouveau
recul des Polonais, qui se replient vers l’est, jusqu’à Glei-
Witz et Hindenburg. Les 29 et 30 juin, les Selbstschützen
évacuent la majeure partie du terrain conquis.
Le l e r juillet, Polonais et Allemands marquent un temps
d’arrêt dans leurs mouvements de retraite. Le lendemain et
le surlendemain, les insurgés évacuent une nouvelle bande de
terrain. Le 4, nouveau temps d’arrêt. Enfin, le 5 juin, la
zone soumise au plébiscite est entièrement libérée.

4 *

La troisième insurrection polonaise est terminée. Cepen-


dant la question du partage n’a fait aucun progrès, car les
représentants de la France e t de l’Angleterre continuem à
se disputer au sujet de la ligne de démarcation. Clemenceau
e t Millerand ont quitté le pouvoir, mais Lloyd George est
toujours là, e t ce n’est pas après l’échec de l’insurrection
polonaise qu’il va mettre moins d’ardeur à défendre ses
thèses.
Le 8 août, le Conseil suprême se réunit à Paris et, comme
il fallait s’y attendre, le désaccord est total. Les lignes Le
Rond et Percival ont été abandonnées, mais les lignes nou-
velles, proposées par la France et l’Angleterre, ne coïncident
toujours pas. Le comte Sforza, ministre des Affaires étran-
gères d’Italie, a bien suggéré une ligne intermédiaire. Mais
celle-ci coupe la zone industrielle en deux, et le Parlement
italien, hostile à toute idée de partage, oblige le comte
Sforza à donner sa démission. La perspective d’un règlement
semble s’éloigner de plus en plus.
En désespoir de cause, le Conseil suprême décide de
remettre l’affaire à la Société des Nations et se décharge sur

Der Kampf um Obm-Sdikaien, Q. 50.


1. Bernbarà von H~LSBN,
202 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

elle du soin de lui trouver une solution l. Le l e r septembre,


le Conseil de la S. D. N. nomme une commission de quatre
membres - les délégués de la Belgique, du Brésil, de la
Chine et de l’Espagne - pour examiner la question. Ceux-ci
chargent à leur tour deux experts - un Tchèque et un Suisse
- de leur fournir un rapport, et quand enfin Chinois et
Brésiliens, Japonais et Espagnols ont examiné le problème
sous toutes ses faces, le Conseil rend une sentence qui est
un véritable jugement de Salomon : les Polonais reçoivent
beaucoup moins que ne le désiraient les Français, mais un
peu plus que ne le proposaient les Anglais 2. La zone écono-
mique est coupée en deux. Enfin, par un raffinement suprême,
on s’est efforcé (( d’équilibrer les minorités )) en attribuant
autant d’Allemands à la Pologne, que de Polonais à l’Alle-
magne 3. Solution abstraite et inorganique, qui ne tient aucun
compte de l’unité historique et économique de la Silésie, mais
qui a au moins le mérite de mettre fin - pour combien de
temps? - aux disputes nées d‘un problème insoluble, du
moins dans les termes où il était posé.
t
* *
(( La nouvelle frontière, écrit Ernst von Salomon, ...fut
reconnue par le gouvernement du Reich et supportée avec
force récriminations par Korfanty e t les Polonais. E t il se
trouva que cette ligne coïncidait presque exactement avec
celle du front allemand après l’attaque contre 1’Annaberg
et l’offensive de Rossbach 4. D
I1 n’en faut pas davantage pour persuader les corps
francs que, sans leur intervention, l’Allemagne n’aurait
jamais obtenu une frontière aussi favorable et que c’est
eux - et eux seuls! - qui ont empêché l’amputation com-
1. A cet effet, M. Briand, président du Conseil suprgme, adresse, le 12 août,
une lettre au vicomte Ischii, président en exercice de la Société des Kations, e t
l’informe que les Alliés acceptent d‘avance la solution que proposera l’organisme
de Genéve.
2. La ligne adoptée par la S. D. N. correspondait c i peu de chose près, ila
frontière proposée par le comte Sforza. D’où le nom de nligne Sforza D donné
communément par les Allemands à la ligne établie par la S. D. N.
3. E Kattowitz et Iionigshütte, écrit lord Robert Cecil, villes où la majorité
allemande est écrasante, ont été, il est vrai, annexées B la Pologne, mais ICs minc-
rités nationales sont sensiblement égales, bien q u e les Polonais jouissent d’un
avantage de 22.000 voix sur 1.200.000, soit moins de l/5Oe de l’ensemble des
votants. m (The quesiion of Upper-Silesia, p. 14.)
4. Ernst von SALOMON, Lu Rtprouo&, p. 227-228.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 203
plète de la Silésie. La part du territoire qui leur échappe est
celle où ils n’ont pas réussi à pénétrer. Pourquoi? Parce
qu’en interdisant l’arrivée de renforts et de munitions, le
Cabinet de Berlin a délibérément saboté leur victoire. (( Les
deux tiers de la province, écrit l’auteur des Réprouvés, ont
été conservés à l’Allemagne par le Selbstschutz, et si celui-ci
n’a pas pu lui conserver le dernier tiers, c’est parce qu’un
décret allemand lui a brisé les reins.
N A ceux qui menaçaient les Polonais de la réprobation
universelle, et nous de la prison, nous avions tendu la victoire,
comme une coupe précieuse, entre nos mains prêtes au sacri-
fice. Mais ils l’avaient laissé tomber à terre et elle s’était
brisée à leurs pieds 1)
Cette image est belle, mais elle n’est pas entièrement
vraie. Quand les volontaires des corps francs affirment que,
sans leur intervention, les Polonais seraient restés maîtres
de la Silésie, rien ne permet de les contredire. Mais quand ils
soutiennent qu’ils auraient reconquis la Silésie entière si
on les avait laissés faire, on ne peut leur donner raison. Par
le traité de Versailles, le gouvernement du Reich avait admis
l’éventualité d’un partage puisqu’il avait renoncé à l’avance
a à tous ses droits et titres sur la portion du territoire attri-
buée à la Pologne en conséquence du plébiscite 2 ». E n expul-
sant les Polonais de la partie de la Silésie où ils n’avaient
pas la majorité, les corps francs ont empêché qu’une situa-
tion de fait ne se transforme en une situation de droit. I1
est douteux, en revanche, que l’Angleterre les eût suivis
(pour ne parler ni de la France, ni du reste de l’Europe)
s’ils avaient tenté de substituer à cette situation de droit
une nouvelle situation de fait, retournée à leur avantage.
E n d’autres termes, s’ils avaient occupé la zone industrielle
tout entière, ils auraient certainement été obligés de l’éva-
cuer 3.
E t pourtant, malgré la faillite de leurs espérances, les
volontaires allemands ne peuvent se résigner à quitter la

1. ID., ibià. Le général von Hülsen partageait entièrement cette manière de


voir. (Cf. Der Karnpf urn Ober-Schlesien, p. 53-54.)
2. Cf. Traité de Versailles, partie III, section VIII, art. 88.
3. La frontière adoptée par la Ç. D. N. ne correspond pas exactement au front
des Selbstschüfzen : elle est sensiblement plus favorable i l’Allemagne. Ce qui
prouve que la Ç. D. N. nc s’est pas basée sur la situation de fait - les positions
occupées en dernier lieu par les corps francs - mais bien sur la situation de droit,
c’est-à-dire les résultats du plébiscite.
204 HISTOIRE D E L’ARMÉE A L L E M A N D E

Silésie. Afin d’échapper au contrôle de la Commission inter-


alliée e t de dissimuler leurs armes à la police allemande,
les corps francs se transforment en Communautés de tra-
vail et s’installent dans des domaines comme travailleurs
volontaires l. (( Nous séjournâmes encore deux mois en
Haute-Silésie, écrit Ernst von Salomon. Nous étions de
soi-disant ouvriers agricoles et, pendant la journée, nous
liions des gerbes, nous les chargions sur des chars branlants,
nous fauchions e t nous battions le blé. Mais durant la nuit
nous faisions la contrebande des armes et nous surveillions
la frontière polonaise a. n
Si bien camouflé qu’il soit, le caractère militaire de ces
associations n’échappe évidemment pas à la Commission de
contrôle, qui demande aux autorités d’Empire de les dis-
perser sans retard.
Par décret du 24 novembre 1921, le ministre de l’Intérieur
du Reich ordonne la dissolution des Selbstschützen dans tout
le territoire du Reich. Cette mesure est renforcée, au début
de décembre, par une ordonnance interdisant les Arbeitsge-
meinschaften en Silésie.
A présent, il semble que toute résistance soit inutile. Un
certain nombre d’associations disparaissent, faute de moyens
d’existence, car l’hiver est rigoureux et les domaines ne
sont pas assez grands pour les nourrir. Les autres retournent
vers l’intérieur du Reich, plus que jamais décidés à régler
son compte au gouvernement qui les a trahis ...
I.Le corps franc Rossbach s’installa dans les cercles de Neustadt, Neisse, Glatx,
Frankenstein, Reichenbach et Jauer; les corps francs Heintz, Richthofen, Winckler
el Nessel, dans la région sise à droite de l’Oder; le corps franc Aulock, dans le
Riesengebirge, et le corps franc Oberland, à Liegnitz, Haynau, Goldberg et Gor-
liiz.
2. Ernst von SALOMON, Les Réprotctds, p. 228-229.
XII1

LA TRAGBDIE DE RATHENAU

Tandis que les corps francs refluent vers l’intérieur du


Reich, la République allemande se débat dans des dificul-
tés qui, pour être d’un autre ordre, n’en sont pas moins dra-
matiques. Problèmes économiques et financiers atteign’ent
une ampleur qui défie les cerveaux des experts les plus quali-
fiés, et emportent toutes les classes de la nation dans un
tourbillon vertigineux. (( Pour cette période, écrit Max Her-
mant dans son essai sur les Paradoxes économiques de I‘Alle-
magne, on ne peut que relater les faits sans chercher à
établir aucune corrélation entre eux. I1 n’y a plus delien
logique entre le cours du mark, l’indice des prix, celui des
salaires, le niveau de la production, le montant de la circu-
lation monétaire. 1) La valeur du dollar, par rapport au
mark-papier, atteint des cours astronomiques :

l e r octobre 1918 . . ........ 4. ))

2 janvier 1921 . . ........ 74.40


l e r juillet 1921. . . ........ 75. N
2 janvier 1922 . . ........ 186.75
l e r juillet 1922, . . ........ 401.49
2 janvier 1923 . . ........ 7.260. n
l e r juillet 1923. . . ........ 160.000. 1)
l e r août 1923 . . . ........ 1.100.000. 1)
4 septembre 1923. ........ 13.000.000. N
l e r octobre 1923 . . ........ 242.000.000. 1)
l e r novembre 1923 . ........ 130.000.000.000.~~
30 novembre 1923 . ........ 4.200.000.000.000. n

1. Statistiques oficielles de la Reichsbnnk.


206 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

a. Le mark, poursuit Max Hermant, cessa complètement


d’être un étalon des valeurs. Aucun commerçant ne pouvait
plus afficher ses prix; il fallait les changer d’heure en heure.
u Les ouvriers, et à plus forte raison les employés à trai-
tement mensuel, demandaient à être payés par jour; encore
les marks qui leur étaient remis le matin, souvent par sacs
entiers, perdaient-ils avant midi la plus grande part de
...
leur pouvoir d’achat Personne ne voulait plus avoir en
marks que ses dettes. On recourait aux banques,,.qui recou-
raient elles-mêmes à la Reichsbank. Le taux d intérêt des
prêts devint invraisemblable : 9 % pour un jour (soit 3.130 yo
par an), 400 yo pour un mois (soit 4.750 yo par an) ... Le
nombre des chômeurs tripla de septembre à décembre 1923.
Les agriculteurs refusèrent de vendre leurs bestiaux ou leur
blé, ne voulant pas échanger une denrée quelconque contre
des marks. Le désert se faisait sur les marchés, la famine
menaçait les villes. Ce fut le blocus intérieur. On vit alors
des razzias à main armée dans les campagnes, le pillage des
granges bien garnies après une bonne récolte. Selon le mot
du comte Westarp, l’Allemagne mourait de faim avec ses
greniers bien remplis 1 ».
Voilà donc la paix, promise par les socialistes et les démo-
crates, par tous ceux qui avaient affirmé au peuple - et le
peuple les avait crus -qu’il suffirait de chasser les Hohenzol-
lern et de briser le pouvoir de la caste militaire, pour retrou-
ver une ère de calme et de prospérité! Au lieu de cela, que
voit-on? De longues files de sans-travail et d’enfants rachi-
tiques qui encombrent les bureaux de bienfaisance et les
mairies, tandis que les bourses sont assaillies par une nuée
de trafiquants et de spéculateurs.
Et, dans les bas-fonds de l’édifice social, comme un bélier
invisible dont on entend les chocs sourds, une force mysté-
rieuse est à l’œuvre, abattant l’un après l’autre tous les
représentants de la République. Liebknecht, Rosa Luxem-
burg, Kurt Eisner ont été tués pendant la guerre civile. A
présent, la guerre civile est terminée, mais les attentats
continuent. Une bande de terroristes insaisissables poursuit
l’œuvre commencée par le lieutenant von Pflugk-Hartung
e t le comte Arco Valley. Le 26 janvier 1920, premier
attentat sur Erzberger. Le 10 juin 1922, le député bavarois

1. Cf. L a Revue hebdomadaire, numéro du 17 octobre 1931, p. 234-235.


L’ÈRE DES C O U P S D’ÉTAT 207
Gareis est assassiné à Munich. Le 26 aoGt 1921, Erzberger est
assailli une seconde fois au cours d’une promenade par deux
anciens officiers de la brigade Ehrhardt et abattu à coups de
revolver. Le 4 juin 1922, attentat sur Scheidemann. (( Le
meurtre se glissait le long des rues, écrit Ernst von Salomon.
Le poison, le coutelas, le revolver, la bombe, paraissaient
être les instruments d’une bande de criminels sans entrailles,
sortis des ténèbres de la confusion allemande. Les coups de
feu crépitaient dans les villes. Des hommes qui occupaient
une place en vue tombaient sous les balles. Le peuple
affamé, buté, aigri, faiseur de grèves, commença à s’agiter
en sourdine. I1 protestait contre un danger insaisissable,
mais dont il voyait distinctement les ombres se profiler
devant lui l . ))
C’est dans cette atmosphère de cauchemar, striée de coups
de feu et éclaboussée de sang, où la nation entière subit
les affres d’un organisme dont les cellules se dissocient et
s’entre-détruisent,. qu’apparaît sur la scène un homme nou-
veau, en qui va s’incarner la tragédie de la République alle-
mande : c’est Walther Rathenau.

N Sur le champ d’action le plus démocratique et le plus


impersonnel qui soit, où le public souverain, réuni en Assem-
blées d’actionnaires, décide statutairement des nominations
et des mises à pied, il s’est formé au cours d’une génération,
une oligarchie aussi fermée que celle de l’ancienne Venise.
Trois cents hommes, qui se connaissent tous, dirigent les
destinées économiques du continent et se cherchent des suc-
cesseurs parmi leur entourage 2. )) Dans cette phrase, écrite
par Walther Rathenau en 1909, perce déjà l’orgueil d’un
homme qui sait qu’il appartient à cette petite caste d’élus,
entre les mains desquels repose l’avenir économique du
monde.
Son père ne lui a-t-il pas légué un trust gigantesque,
dont les ramifications s’étendent sur plusieurs continents?
Disposant en 1921 d’un capital total de près de 15 mil-

l.Ernst von SALOMON, Les Réprouvés, p. 231-233.


2. Neue Freie Presse, numéro dc NoEl, 1909.
208 HISTOIRE D E L ’ A R M É E A L L E M A N D E

liards de marks-or l’A. E. G., ou Allgemeine Elektrizit6t.s


Gesellschaft, possède 307 succursales dont 188 à l’étranger,
185 usines électriques, usines à gaz et compagnies télé-
graphiques, 168 fabriques de locomotives et de wagons,
41 fabriques de machines électro-mécaniques et de câbles,
112 compagnies de transport, 72 usines de produits chi-
miques, 38 fabriques de porcelaine et de terre cuite, 43 mines
de charbon, 154 usines sidérurgiques et 17 mines de fer.
Non seulement l’A. E. G. fournit la lumière à Berlin et à
la plupart des villes allemandes, mais par l’entremise des
sociétés locales ou des banques qu’elle contrôle, elle éclaire
encore Madrid, Lisbonne, Milan, Gênes, Naples, Christiania,
Mexico, Rio de Janeiro, Buenos Aires, Valparaiso, Odessa,
Kiev, Irkoutsk et Moscou.
Cependant, dès qu’il a été en âge de réfléchir par lui-même,
le jeune Walther n’a pas tardé à s’apercevoir ((qu’étantJuif,
il est né citoyen de deuxième classe, et que quels que soient
sa valeur ou les services qu’il pourra rendre dans l’Empire
de Guillaume II, il est contraint de le demeurer ». Durant
son année de service militaire dans les cuirassiers de la Garde,
où son père a réussi à le faire entrer par faveur, il ne reçoit
aucun avancement e t ses camarades évitent ostensiblement
de le fréquenter. Pourtant, que ne donnerait-il pour être un
de ces brillants officiers de cavalerie, auxquels toutes les
portes sont ouvertes et à qui la fortune semble sourire!
Ainsi, à peine entré dans la vie, son caractère se trouve
marqué par un double sentiment d’attirance et d’humilia-
tion :l’humiliation de voir ses capacités méconnues et l’atti-
rance pour un type humain auquel il n’appartient pas.
Dès lors un mur de verre semble le séparer de ses sem-
blables, une paroi diaphane et résistante qu’il ne parvient
pas à briser. Ni à la tête de ses usines, ni à l‘office des matières
premières que le général von Falkenhayn l’a chargé d’orga-
niser peu après le début des hostilités, Rathenau ne parvient
à s’évader de sa solitude. Ses collaborateurs du ministère
de la Guerre le tiennent à distance, tout comme ses anciens
camarades de régiment. a Un jour, écrit le comte Kessler,
il trouva ses bureaux entourés d’une palissade qu’on avait
élevée durant la nuit pour les séparer des autres services du
1. Cf. Paul U F s n n i a N N et Carl H Ü C L I N , Die A . E . C., Berlin, Verlag für Sozial-
wissensclinff, 1922.
2. Comte Harry I<Essmn, Wriiiler Rollienciu, p. 25.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 209
ministère, comme s’il se fût agi d’un département de pesti-
férés l. N Alors, il se prend à haïr (( ce régime hybride et non
viable, ou le commerce et l’industrie sont ouverts à tous,
mais où la politique et l’armée sont restées l’apanage exclusif
d’une caste vaniteuse e t incompétente )) - d’une caste où,
malgré ses efforts, il n’a pas pu pénétrer.
A partir de ce moment, il voit arriver la débâcle et prévoit
qu’elle atteindra des proportions inouïes. Mais ce cataclysme
qui le terrifie et dont il s’efforcera jusqu’à la fin de retarder
l’échéance, qui peut affirmer qu’il ne l’ait pas secrètement
désiré, qu’il ne l’ait pas attendu comme une délivrance? Ne
fallait-il pas que l’Empire s’écroulât, pour qu’il pût donner
sa mesure?
Lorsque la catastrophe arrive, elle dépasse toutes ses pré-
visions. (( C’est un bûcher, s’écrie-t-il, le bûcher de l’édifice
social européen! 1) Le IIe Reich est à terre et toutes les bar-
rières qui s’opposaient à l’essor de Rathenau sont brisées.
Pourtant la délivrance espérée ne vient pas. Alors que les
foules rouges de novembre élèvent tant de Juifs sur le pavois,
la révolution allemande se détourne de lui. Pour l’homme
de la rue - Spartakiste, Indépendant ou Socialiste majori-
taire - qu’est-il sinon un représentant de la haute finance
internationale, un bourgeois qui vit dans des châteaux somp-
tueux, tandis que ses ouvriers s’entassent dans d’affreuses
bâtisses?
C’est seulement après le putsch de Kapp que commence
l’ascension politique de Rathenau. D’abord très discrète-
ment, puis d’une façon de plus en plus ostensible, on le voit
apparaître autour du tapis vert des conférences internatio-
nales. E n juillet 1920, M. Wirth, alors ministre des Finances,
l’emmène avec lui à Spa. On le retrouve ensuite à Bruxelles,
à Londres, ailleurs encore. Sa nonchalance un peu féline, ses
dons d’élocution et sa culture cosmopolite tranchent sur le
ton souvent professoral des autres délégués allemands. C’est
au cours de ces entretiens qu’il fait son apprentissage de
futur ministre des Affaires étrangères et élabore les grandes
lignes de sa (( politique d’exécution n.
Pour Rathenau, en effet, jamais l’Allemagne ne pourra
faire face aux obligations financières du Traité si on ne lui
consent pas des emprunts à l’étranger. Mais pour cela, il

1. Comte Harry KEWLEII,op. cd., p. 254.


II 16
210 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

faut que le Reich inspire confiance à ses créditeurs et, pour


inspirer confiance, il doit renoncer une fois pour toutes à
sa mystique militaire. Seule l’exécution loyale du Traité
lui ouvrira les crédits nécessaires à l’assainissement de ses
finances et lui permettra de prendre place parmi les grandes
puissances démocratiques de l’occident.
On imagine sans peine l’accueil fait à cette politique dans
les milieux qui touchent, de près ou de loin, au ministère de
la Reichswehr. Mais au cours de ses négociations, Rathenau
se heurte à un autre groupe d’adversaires, non moins ardents
que les généraux à défendre leurs privilèges. C’est l’industrie
lourde des Krupp, des Thyssen, des Hugenberg, les maîtres
de forges de la Ruhr et les fabricants d’acier, déjà sévère-
ment touchés par le traité de Versailles et pour qui les plans
de Rathenau équivaudraient à la ruine. Eux, ne veulent
pas entendre parler d’une politique qui réduirait encore la
consommation de l’acier, et préconisent l’attitude diamétra-
lement contraire.
Cependant, la République allemande n’a aucune raison de
ménager ces hobereaux de la métallurgie. Pour montrer qu’il
approuve sa a politique d’exécution »,Wirth, devenu chan-
celier le 10 mai 1921, confie à Rathenau le ministère des
Réparations dans son nouveau Cabinet. Neuf mois plus tard
(31 janvier 1922), le président de l’A. E. G. est nommé
ministre des Affaires étrangères du Reich, et c’est en cette
qualité qu’il se rend à la conférence de Gênes.
Conférence assez terne et sans grands résultats pratiques,
qui se confondrait dans notre mémoire avec toutes les autres
conférences de cette époque, si elle ne s’était marquée, à la
stupéfaction de l’Europe, par un coup de tonnerre : la signa-
ture du traité de Rapallo, entre l’Allemagne et 1’U. R. S. S.
(16 avril 1922) l.
N Une atmosphère de légende entoura dès le premier jour
ce traité, écrit le comte Harry Kessler qui fut, pendant la
conférence de Gênes, le secrétaire politique de Rathenau.
On a voulu y voir une alliance militaire secrète; et le fait
qu’il fut signé à Gênes apparut comme un défi concerté
envers les Alliés. Tout cela est faux. Le traité ne compor-
tait aucune clause écrite ou verbale en dehors du texte ano-
din qui fut aussitôt publié. I1 est vraiment incroyable et
1. On trouvera le texte intégral de ce traité dans l’Europe nouvelle, numéro
du 29 avril 1952, p. 530-531.
L’ÈRE D E S COUPS D’ÉTAT 211
passablement absurde de penser que Rathenau, qui n’avait
qu’un mépris hautain pour la guerre et aucune confiance
dans la valeur des armements, ait été soupçonné d’avoir
signé des accords militaires secrets l. )) I1 semble plutôt qu’il
ait voulu substituer un gigantesque (( marché commun N ger-
mano-russe aux rêves d’expansion et de conquête militaire
dans l’est, chers à Ludendorff, à Hoffmann et à la plupart
des anciens membres du Grand État-Major; qu’il ait voulu
démontrer à l’Allemagne que l’on pouvait aboutir aux mêmes
résultats par des moyens différents, et qu’aux expéditions
armées devait succéder à présent le système plus moderne
de la pénétration économique 3.
Quoi qu’il en soit, le traité de Rapallo eut des consé-
quences très différentes de celles que Rathenau avait prévues.
Sans doute régla-t-il les relations germano-russes, restées en
suspens depuis le traité de Berlin du 6 mai 1921 4. Mais il
suscita une tempête d’indignation dans le camp des Alliés 6
qui y virent une base de collaboration entre la Reichswehr

1. Comte Harry KESSLER, op. cif.,p. 259. Il faut cependant reconnaître que le
traité de Rapallo n’était pas tout à fait aussi (i anodin D que le prétend Kessler.
Avec son coup d’œil habituel et son sens du raccourci, Clemenceau a fort bien
défini sa portée, lorsqu’il écrit : u L’Allemagne faisait remise aux Soviets de ses
créances sur la Russie, sans en avoir demandé l’autorisation aux Puissances i qui
pourtant appartenait un privilège de premier rang sur tous ses biens. (Art. 248 du
Traité.) Elle assurait à la Russie le régime de la nation la plus favorisée. Elle
mettait à son service les moyens industriels qu’elle refusait de faire servir au
règlement plus rapide des réparations. Bref, elle reprenait aux yeux du monde
son indépendance. Y (Grandeurs el Misères d’une cicloire, p. 266, note 1.)
Beaucoup plus importantes que les entretiens Rathenau-Tchitchérine furent les
négociations, poursuivies en marge de la conférence, entre Radek, Nicolaï et le
major von Hammerstein, relatives a la coopération entre la Reichswehr et l’Ar-
mée rouge.
2. Quelque chose dans le genre de l’accord conclu entre la General Electric de
New York et l’A. E. G. de Berlin, par lequel ces deux trusts se partageaient le
monde pour la fourniture de l’électricité.
3. Le comte Bernstorff partageait cette manière de voir. a La Russie, décla-
rait-il, est le pays que nous pouvons exploiter le plus commodément. La Russie a
besoin des capitaux et des intelligences que notre industrie peut lui fournir. Par-
dessus tout, maintenant que le Bolchévisme commence à se répandre en Allemagne,
nous sommes en train de devenir les cousins germains des Russes. I1 faut que nous
nous accordions avec les Bolchéviks. D (Cité par TANSILL, Back Door io war, p. 25.)
4 . Ce traité, qui passa presque inaperçu à l’époque, était en réalité beaucoup
plus important pour les relations germano-russes que le traité de Rapallo. (Cf.
l’Europe nouveelle du 25 mai 1921, p. 698-700.)
5 . On sait que si Rathenau signa précipitamment le Traité, ce fut pour devan-
cer M. Barthou qui cherchait, de son côté, à jeter les bases d’un accord franco-
soviétique. M. Poincaré coupa court à la manœuvre en faisant savoir à Barthou
qu’un traité de cette nature porterait le plus grand tort au prestige de la France
e t lui ferait perdre ses alliances. (Cf. l’article de M. TARDIEU, dans Gringoire, du
22 octobre 1936.)
212 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

e t l’Armée rouge e t leur donna à penser que toute la a poli-


tique d’exécution )) n’était qu’une feinte; il redoubla la colère
des nationalistes allemands qui accusèrent le président de
l’A. E. G. d’avoir vendu son pays en pactisant avec le Bol-
chévisme l; il consolida le pouvoir des dirigeants soviétiques
et leur fournit un tremplin nouveau pour leur propagande
révolutionnaire 2. Enfin, confirmant a posteriori les soupçons
de l’Entente, il fournit effectivement à 1’Etat-Major de la
Reichswehr u n moyen de tourner certaines clauses du traité
de Versailles.

etrange figure, en vérité, que celle de ce a citoyen de


deuxième classe devenu, en quelques années, ministre des
Affaires étrangères d’un pays de soixante millions d’habi-
tants! Tantôt très en dessous de ses concitoyens qui le
traitent en paria, tantôt les dominant de toute la puissance
de son intelligence, jamais il n’est de plain-pied avec ceux
qui l’entourent. Toujours il oscille entre ces deux pôles
extrêmes : un survol dédaigneux ou une admiration muette.
Cette dualité se retrouve jusque dans les traits de son
visage : un front immense de mage assyrien dominant deux
yeux sombres où passent, par moments, des fulgurations
étranges. Et, comme pour démentir l’autorité du regard, une
bouche amère e t désabusée, prête aux aveux, aux sup-
pliques, aux implorations. (( C’est une nature divisée qui ne
comprend pas ce qui la divise »,a écrit Rathenau en par-
lant de Guillaume II. Lui aussi est une nature divisée, mais
qui, pour son malheur, n’ignore rien de ce qui la déchire.
Tempérament mélancolique, obsédé depuis son enfance par
le pressentiment de la fatalité, c’est surtout le soir qu’il se
dépouille de son trouble intérieur. Le front appuyé contre la
1. Le Traité comportait, de la part d e l’Allemagne, la renonciation a O. toute
revendication résultant de la mise en pratique des lois e t mesures de la Russie
des Soviets, ayant affecté les droits privés des ressortissants allemands et les
droits du Reich, lui-même D (art. 2) en échange de l‘application des Soviets à
l’Allemagne II de la clause de la nation la plus favorisée D (art. 4) et de a facilités
pour la conclusion e t l’exécution d e contrats économiques entre 1’U. R. S. S. et
les industries privées D (art. 5).
2. c En concluant le traité de Rapallo, le gouvernement soviétique fit une brèche
dans le front des Puissances impérialistes e t il utilisa habilement les contradic-
tions impérialistes dans l’intérêt... de la sécurit8 de la Russie soviétique. D ( H i e
toire du Parti cornmunida de l’Union mviétiquc, Moscou, 1960, p. 417.)
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 213
vitre de son bureau, à l’heure où s’allument les millions de
globes électriques de la capitale berlinoise, il sait que chacun
de ces feux rend hommage à sa puissance, à lui, le maître
incontesté de la lumière artificielle, et qu’à la même heure,
dans des centaines de villes, le même miracle s’accomplit.
Comme il les méprise, alors, ces industriels réactionnaires qui
s’efforcent de contrecarrer ses desseins, petits contremaîtres
enrichis qui ne voient pas plus loin que les murs de leurs
usines et encore tout empêtrés dans leurs vieux préjugés
nationaux!
Ne voient-ils pas que ce sont eux qui trahissent l’économie
en voulant l’enfermer à l’intérieur de frontières qui ne sont
qu’une survivance arbitraire du passé? Les uns l’accusent
de pactiser avec le Bolchévisme, les autres, de machiner un
accord secret avec l’Armée rouge, lui, le technocrate éclairé
dont la pensée demeure irréductiblement fermée à tout ce
qui est militaire e t féodal. Non, ce qu’il voit dans l’avenir,
ce ne sont pas des défilés de chars et des vagues de bom-
bardiers, ce sont des barrages gigantesques sur le Dniepr et
la Volga, ce sont des torrents de lumière se déversant sur
les ténèbres de la Sibérie et de la Chine ...
Fini les nations, les frontières, les armées! L’économie
doit liquider toutes ces séquelles du moyen âge car l’indus-
trie est le premier pas vers les temps futurs. Fini l’héritage,
la richesse, les différences de classe, car la voie doit s’ou-
vrir à une réglementation de la propriété par l’État, en vue
de l’égalisation des fortunes. Fini la patrie, le pouvoir, la
culture, tous ces biens qui ne justifient pas l’état de vio-
lence et de meurtre où l’univers demeure plongé en leur
nom, en temps de paix comme en temps de guerre. Un
ordre nouveau doit se substituer à l’anarchie millénaire. Les
nations doivent se transformer en sociétés anonymes, dont
l’objet primordial sera de satisfaire les besoins essentiels de
l’individu, où la propriété sera totalement dépersonnalisée,
et où les collectivités humaines obéiront à une autorité supé-
rieure plus puissante que tous les pouvoirs exécutifs, puis-
qu’elle disposera de l’administration économique du monde.
Telle est la direction dans laquelle Rathenau veut entraî-
ner l’Allemagne. Mais de même qu’il faut la nuit pour que
s’allument les millions de lumières qui lui rendent hommage,
de même ses pensées s’inscrivent sur un fond de pessimisme
absolu.
214 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

Car Rathenau a peur, e t ce sentiment dont il ne peut se


défaire, l’étreint devant la brutalité des faits comme devant
toute supériorité intellectuelle, morale ou sociale. Réfléchis-
sant sur cette angoisse, il a fini par considérer que la peur et
le courage sont les deux forces contraires qui animent toute
la création et que la tendance à attaquer et la tendance à
fuir dominent, de la naissance jusqu’à la mort, l’âme des
individus, des peuples et des races. (( Quel que soit le crédit,
écrit le comte Kessler, que l’on accorde à ce mythe d’une
race de la peur, brune et intellectuelle, opposée à une race
blonde dominatrice, brave e t sans esprit, le fait que Rathe-
nau croyait à ce mythe et en fit le point de départ de sa
philosophie prend la valeur d’un aveu l. n
Même au faîte du pouvoir, malgré sa richesse immense et
ses dons prodigieux, jamais Rathenau n’a pu oublier qu’il
était, pour reprendre ses propres termes, (( le fils d’une race
brune, asservie et craintive »,et c’est ici où, quittant le plan
de la politique, sa destinée rejoint celui de la tragédie. Car
cette race blonde e t courageuse )) parmi les rangs de laquelle
se recrutent ses adversaires, il pourrait la haïr, ou du moins
l’éviter. Tout au contraire, Rathenau ressent pour elle une
attirance pathétique. Jamais il n’a pu se défaire d’une secrète
admiration pour les jeunes officiers de la Garde qui refu-
saient de le fréquenter. Obstinément, avec une maladresse
qui a fait douter de sa sincérité, il essaie de se faire passer
pour ce qu’il n’est pas, de s’identifier à un type humain
auquel il n’appartiendra jamais. Lui qui n’a pas ménagé ses
critiques envers les Hohenzollern, il habite à Freienwalde
l’ancien château de la reine Louise, dont il a reconstitué
l’ameublement avec un goût exquis e t son cabinet de tra-
vail s’orne de dessins de Schinkel et de Gilly représentant des
projets d’embellissements pour les palais de Potsdam. Lui
qui a tant contribué à dissoudre les cadres du IIe Reich,
il entretient une correspondance suivie avec des étudiants
racistos. A force de patience e t de ténacité il espère triom-
pher de tout ce qui dénonce ses origines sémites et acquérir
les traits du milieu étranger dans lequel il vit. Mais quand
il s’aperçoit qu’il poursuit un rêve impossible, que jamais
il ne franchira l’abîme qui le sépare de ce qu’il convoite,
il se résigne à l’inévitable et accepte la catastrophe.

1. Comte Harry KESSLER,


Walther Rathenau, p. 24-25.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 215
Ceux qui le fréquentent à cette époque sont frappés par
l’étrange sérénité qui s’est emparée de son âme. De tous
côtés lui parviennent des lettres de menaces et, bien qu’il
sache que sa vie est en danger, il refuse de se faire protéger
par des gardes du corps. Au comte Kessler qui l’adjure d’être
prudent, il répond : (( Tout cela n’est rien. Qui donc pourrait
me faire du mal? )) Mais en même temps, on dirait qu’il
appelle la mort de tous ses vœux et s’acharne à la provoquer
parce qu’elle ne vient pas assez vite. Chacun de ses actes
accroît la haine de ses adversaires, chacun de ses discours
semble fait pour les blesser. Ils n’ont qu’à lire ses ouvrages
pour y trouver, à profusion, des arguments qui renforcent
et justifient leur vindicte. D’abord cet aphorisme, écrit bien
avant la guerre et qui prend à leurs yeux la valeur d’un
blasphème : (( Quand donc un homme blond fils des dieux
du nord, a-t-il jamais accompli quelque chose de grapd
dans le domaine de la pensée ou de l’art? )) Puis cette réflexion
qui date de 1917 : u Si le Kaiser rentrait victorieux de la
guerre et passait sur son cheval blanc sous la porte de Bran-
debourg, l’histoire universelle aurait perdu toute significa-
tionl. D Enfin, cette apostrophe, rédigée aux heures san-
glantes de la guerre civile et lancée comme un défi à la face
de la jeunesse allemande : (( Qu’attendez-vous pour réagir?
Seriez-vous donc des lâches? Ce n’est pas de souffrir, qui
avilit, mais de tolérer! ))

A partir de ce moment, ses jours sont comptés. Car des


jeunes gens venus d‘un tout autre côté de l’horizon poli-
tique, des jeunes gens qui ont fait le coup de feu avec Mær-
cker e t von Epp à Halle et à Munich, avec von der Goltz
et Bermondt dans les plaines de la Baltique, qui ont marché
sur Berlin avec la brigade Ehrhardt et guerroyé contre les
Polonais avec Heydebreck et Rossbach, décident de ne plus

1. Rathenau expliqua que cette phrase n’avait pas le sens qu’on lui prêtait,
qu’il avait simplement voulu dire a qu‘avec les généraux qu’elle possédait, 1’Alle-
magne ne pouvait pas gagner la guerre D. Ce n’est pas là l‘important. L’important,
c’est qu‘en citant cette phrase B la barre de la Commission d’enquête du Reichs-
tag, Ludendorff stigmatisa Rathenau devant une grande partie de l’opinion
a comme un être nuisible, un criminel envers qui la vengeance devenait un devoir
national D. (Comte Harry KESSLBR,op. cit., p. 220.)
216 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

tolérer un homme dont chaque parole semble un outrage


envers tout ce que le passé leur a légué de plus sacré.
Ils ne peuvent se rappeler sans dégoût l’explosion de
haine contre tout ce qui était national qui a accompagné
l’avènement de la République. Ils ne peuvent oublier l’in-
sulte faite à leurs chefs, à leurs drapeaux et, à travers eux, à
tous leurs camarades tombés sur les champs de bataille.
Car, de toute évidence, si la patrie n’existe pas, ceux qui
lui ont sacrifié leur vie n’ont été que des dupes et l’ensemble
des valeurs pour lesquelles ils ont versé leur sang n’est qu’une
odieuse et gigantesque mystification.
Cela, toute une partie de la nation allemande n’en a pas
conscience parce qu’elle est intoxiquée par la propagande
marxiste. Mais cet aveuglement n’étonne nullement les
anciens combattants des Pays Baltes et de la Silésie. I1 leur
confirme, s’il en était besoin, la nécessité de la lutte. Convain-
cus que la résurrection de l’Allemagne est liée au réveil
de son instinct national, ils sentent qu’ils doivent défendre
ce principe avec d’autant plus d’acharnement qu’il se
confond, pour eux, avec la mémoire de leurs morts. (( Devant
la confusion générale des esprits, écrit l’auteur des Réprou-
vés, nous nous devions de poser les questions de la façon
la plus tranchante, nous dont l’action était marquée par
l’intransigeance la plus absolue. 1)
Or, que voient-ils? Des foules, brandissant des drapeaux
rouges, montant à l’assaut du pouvoir et cherchant à écraser,
au nom de la lutte des classes, les derniers soubresauts de
l’instinct national. Mais ces foules n’obéissent pas à une
impulsion spontanée. Elles sont menées par une légion de
militants e t d’agitateurs. Et ces agitateurs, qui sont-ils? A
Berlin, Landsberg et Hasse, Liebknecht et Rosa Luxemburg;
à Munich, Kurt Eisner, Lipp et Landauer, Toller, Léviné
et Lewien; à Magdebourg, Brandès; à Dresde, Lipinsky,
Geyer et Fleissner; dans la Ruhr, Markus e t Levinsohn; à
Bremerhaven e t à Kiel, Grünewald et Kohn. Dans le Pala-
tinat, Lilienthal et Heine. En Lettonie, Ulmanis. Autant de
noms, autant de Juifs. Sans doute objectera-t-on qu’il n’y
a que deux Israélites - Hirsch et Heine - sur les cent
quarante-cinq députés du Landtag de Prusse. Mais ils sont
respectivement président du Conseil et ministre de 1’Inté-
rieur. Quand les partis de gauche décident d’instituer une
Commission d’enquête, et d’y faire comparaître Hindenburg
L’ÈRE D E S COUPS D’BTAT 217
e t Ludendorff, quels en sont les animateurs? MM. Kohn,
Gothein e t Zinsheimer, e t l’on pourrait allonger la liste à
l’infini. Comment ne pas y voir une véritable conspiration?
Et il faudrait tolérer, à présent, qu’un Juif prît la direction
de la politique étrangère du Reich? Cela, c’est impossible.
D’autant plus impossible que Rathenau, en raison de la
sincérité de ses convictions, représente, pour l’Allemagne
nationale, un danger beaucoup plus redoutable que la plu-
part de ses coreligionnaires. Même ses adversaires sont obli-
gés de reconnaître qu’il a rendu à la politique allemande
une ampleur, une direction et une signification qu’elle ne
possédait plus depuis longtemps. Mais ce qu’il cherche, c’est
à entraîner l’Allemagne dans une voie qui n’est pas la sienne,
à lui imposer des directives contraires à son génie, et qui ne
pourraient s’implanter que si elle reniait d’un seul coup ses
traditions et son histoire, c’est-à-dire, en un mot, si elle
cessait d’exister. Quand il parle de l’Allemagne, Rathenau
veut dire l’économie allemande, et son principal argument
est toujours que Ies torts faits à l’économie allemande sont
des torts commis envers l’économie mondialel. Sa plus
grande ambition est de faire entrer le Reich dans le concert
des grandes Puissances occidentales, c’est-à-dire (( celles qui
se sont soumises à la tyrannie des lois économiques ». Or,
écrit Ernst von Salomon, (( s’il y a une tyrannie à laquelle
nous ne pourrons jamais nous soumettre, c’est celle des lois
économiques. Car étant donné qu’elle est foncièrement étran-
gère à notre nature, elle est à tout jamais incapable de nous
faire progresser ».
Cette conception d’un monde OUles nations, transformées
en sociétés anonymes, seraient gouvernées par un Conseil
d’administrateurs irresponsables et où l’homme déchu au
rang de simple machine à consommer, ne vivrait plus
que pour satisfaire ses besoins matériels, leur fait propre-
ment horreur. Dans un univers asservi aux seules exigences
de la production et des échanges commerciaux, quelle place
serait faite à l’officier, au soldat? La reconstruction écono-
mique de la Russie ne les intéresse guère. Ce que veulent
les anciens volontaires d’Ehrhardt et de Rossbach, c’est
I . a Napoléon, écrit RATHENAU dans ses Aphorismes, a dit Q Gœthe, à Erfurth :
la politique, c’est la destinée. Cette parole, certes, est restée vraie, mais pour un
temps limité. Le jour est proche où il faudra dire : l’économie, c’est la destinée. D
2. Ernst von SALOMON, Les Réprouda, p. 273.
2 18 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

entrer à Riga, à Kiev, à Odessa par la voie triomphale des


conquérants, non par l’escalier de service des fournisseurs.
A une conception de la vie basée sur l’anonymat, l’égalité
et le profit, ils opposent une éthique fondée sur l’autorité,
la hiérarchie et le sacrifice. (( Nous ne luttons pas, écrivent-ils,
pour que le peuple soit heureux. Nous luttons pour lui impo-
ser une destinée l. ))
Aux yeux des nationaux, l’œuvre d’un Rathenau n’est
pas moins destructrice que celle d’un Liebknecht ou d’un
Kurt Eisner. Or, ce que veulent les anciens volontaires
d’Ehrhardt e t de Rossbach, ce n’est pas l’abolition des
classes, dans un nivellement total des conditions d’existence,
mais la communion des classes, dans le service d’une des-
tinée historique qui leur soit commune. Cet antagonisme
n’est pas la simple confrontation de deux théories politiques,
mais la lutte de deux conceptions opposées du devenir
humain. C’est ce qui lui donne un caractère dramatique,
absolu, et l’empêche de se terminer par aucun compromis.
a On a, ou on n’a pas, le sens de la hiérarchie des valeurs,
écrit Ernst von Salomon, et l’on ne discute pas avec ceux
qui la nient. n
On ne discute pas, en effet, - on les supprime.
t
+ +
Le 24 juin 1922, c’est-à-dire deux mois après la signature
du traité de Rapallo, Rathenau quitte sa villa de Grunewald
vers 10 h. 30 du matin et monte en auto pour se rendre au
ministère. Un peu avant 10 h. 45,le maçon Krischbin, seul
témoin oculaire du drame, voit deux voitures descendre la
Konigsallee, venant de Hundekehle. La première est occupée
par le ministre des Affaires étrangères e t son chauffeur.
Dans la seconde - une grosse torpedo grise à six places -
ont pris place trois jeunes gens portant des manteaux de
cuir. L’un tient le volant, les deux autres sont assis à l’arrière.
La voiture grise rattrape celle du ministre, qui a ralenti
dans un tournant, la doubIe et la repousse contre le trottoir
de gauche. Au même instant, l’un des deux jeunes gens se
lève, saisit un fusil et le braque sur Rathenau. Plusieurs
détonations claquent. A peine a-t-il fini de tirer que son

1. ID., iàid., p. 278.


L’ÈRE DES COUPS D’BTAT 219
compagnon se dresse e t lance une grenade à main dans
l’auto du ministre.
Toute cette scène se déroule avec la rapidité de l’éclair.
Déjà la voiture grise a disparu dans une rue latérale. Frappé
à mort, Rathenau s’est écroulé sur la banquette. Le chauffeur
donne un brusque coup de frein et crie : ((Au secours! ))
Quelques secondes plus tard, la grenade explose, faisant voler
en éclats une partie de la carrosserie. Une jeune fille qui
passe par là, l’infirmière Hélène Kaiser, saute courageuse-
ment dans la voiture et soutient le ministre inanimé qui
perd abondamment son sang. Le chauffeur fait demi-tour
et ramène à toute allure le moribond, d’abord au poste de
police d’Hundekehle situé à quelque trente mètres de là,
puis à son domicile.
Avec mille précautions, on porte le ministre dans son
cabinet de travail où on le dépose sur le sol. (( I1 ouvrit une
dernière fois les yeux, écrit le comte Kessler, lorsque son
domestique s’approcha pour aider à l’étendre. Mais le doc-
teur, arrivé aussitôt après, ne put que constater la mort.
Cinq balles avaient pénétré dans son corps. La colonne ver-
tébrale e t la mâchoire inférieure étaient brisées l. ))
Dans la soirée, quelques intimes sont admis à le voir. II
est toujours à la même place, mais couché dans un cercueil
ouvert, la tête légèrement penchée vers la droite, et bien
que son expression soit très calme, il y a quelque chose d’indi-
ciblement tragique dans cette face mutilée. (( Sur la partie
abîmée du visage, on avait étendu un mouchoir fin qui en
couvrait tout le bas, depuis la courte moustache grise 2. ))
Walther Rathenau est mort, et la nouvelle de son assas-
sinat propagée d’un bout à l’autre du Reich a provoqué
partout un sentiment de stupeur. De tous côtés amuent
les messages de deuil et de sympathie. Mais à l’heure
où quelques amis fidèles veillent sur son dernier sommeil
et où les télégrammes s’amoncellent sur sa table de tra-
vail, une scène étrange se déroule au fond des campagnes
allemandes. D’abord isolés, puis de plus en plus nombreux,
d’immenses feux de joie s’allument, car c’est la nuit de la
Saint-Jean. Depuis le Harz et le Taunus jusqu’aux Alpes
bavaroises et au Riesengebirge, des groupes de jeunes gens
ardents et graves font cercle autour des flammes, suivant
1. Comte Harry KESSLER,Walther Rafhenau, p. 287.
2. ID., ibid., p. 288.
220 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

la vieille coutume germanique. Ils jurent de rester fidèles


aux destinées de leur race. E t l’on entend soudain monter
avec un frémissement contenu, un appel qui s’enfle, grandit
et se propage, repris comme un signal de colline en colline :
- Deutschland erwachel Allemagne, réveille-toi!
+ i

C’est seulement le lendemain que le peuple allemand


commence à mesurer la portée de l’événement. (( Un soume
glacial passa sur le pays, écrit Ernst von Salomon. Égarés,
les gens s’attroupaient en groupes confus, puis se disper-
saient comme si la menace des détonations lointaines planait
encore au-dessus de leurs têtes. Une atmosphère accablante
pesait sur les foules, cette atmosphère pleine de tressaille-
ments, avant-coureuse de la panique au milieu de laquelle
il suffit d’un seul geste, d’un seul mot pour rompre toutes
les digues des passions l. n
Les funérailles ont lieu le 27 juin. Jamais encore la Répu-
blique allemande n’a rendu de tels honneurs à un de ses
citoyens. Dans la salle des séances du Reichstag, voilée
de crêpe, le cercueil de Rathenau est exposé à la place du
siège présidentiel, recouvert d’un grand drapeau noir-rouge-
or. E n signe de deuil, les syndicats ont décidé d’arrêter
le travail dans tout le Reich, du mardi à midi, jusqu’au
mercredi matin. Des manifestations monstres se déroulent
dans les principales villes de l’Empire : plus d’un million
d’hommes défilent à Berlin, cent cinquante mille à Munich
et à Chemnitz, cent mille à Hambourg, à Breslau, à Essen et à
Elberfeld. (( Comme obéissant à un même mot d’ordre, écrit
Ernst von Salomon, les foules massées sous les drapeaux
flottants s’avançaient, murailles vivantes de corps serrés.
Elles emplissaient les villes du martèlement de leur pas et
faisaient vibrer l’air du grondement de leur colère 2. ))
...
Alors les représailles s’abattent sur les partis de droite
Quelques jours plus tard, le Reichstag vote une loi «Pour
la protection de la République »,en vertu de laquelle d’in-
nombrables associations patriotiques sont poursuivies et
dissoutes. Les meurtriers de Rathenau sont traqués de ville
en ville. Les deux chefs de la bande, Kern et Fischer, se
1. Ernst von SALOMON, Les Réprou&a, p. 290.
2. ID., ibid., p. 291.
L’ÈRE DES COUPS D’BTAT 221
réfugient dans la pièce la plus haute du château de Saaleck
où ils se barricadent. Le 17 juillet, ils y sont découverts par
la police e t soumis à un siège en règle, au cours duquel
Kern est frappé d’une balle à la tempe. C’est un ancien
officier de marine de la brigade Ehrhardt, âgé de vingt-
cinq ans, à la mine franche et ouvertel, (( représentant
assez bien, nous dit le comte Kessler, ce type blond clair aux
yeux bleus que - tragique coïncidence - Rathenau admi-
rait tant ». Son camarade Fischer, officier de marine lui
aussi, le dépose sur un lit de camp, étanche le sang qui coule
sur sa figure et lui ferme les yeux. Puis il s’allonge à côté de
lui et se fait sauter la cervelle. Quand la police pénètre dans
la pièce, elle ne trouve que deux cadavres.
Peu à peu, tous les autres membres de la bande sont
appréhendés. Les uns sont des anciens ofhiers, comme
Tillessen, Tachow et Ernst von Salomon, les autres des
étudiants nationalistes, comme Günther et Stubenrauch.
Traduits en justice, ils sont condamnés à des peincs variant
entre deux ans de prison et quinze ans de forteresse.
En confrontant les dépositions des témoins, on s’aperçoit
que les principaux attentats politiques, perpétrés depuis
deux ans, ont été commis par le même groupe d’individus.
Dans le cas d’Erzberger : Schulz et Tillessen. Dans le cas
de Scheidemann : le frère de Tillessen. Dans le cas de Rathe-
nau : Tillessen e t son frère, Plaas, Fischer, Kern, Schulz et
Techow. c( Ces hommes, déclare le procureur général Eber-
mayer, sont en relations avec les associations les plus diverses.
On a, malgré soi, le pressentiment de se trouver en présence
des maillons d’une chaîne, d‘une bande organisée dont les
membres agissent isolément 8. D
E t comme toujours, quand le public a ce genre de pressen-
timents, les journaux lui fournissent tout ce qu’il faut
pour confirmer ses soupçons.
Parce que le lieutenant-capitaine Manfred von Killinger,
trésorier de l’O. C., ou Organisation Consul, a prêté assis-
tance à Schulz et à Tillessen après le meurtre d’Erzberger,
en gardant en dépôt leur malle et en recevant leur courrier,
on en déduit que tous les assassins de Rathenau font partie
de cette association, et u qu’il n’y a sans doute aucun meurtre
1. Déposition du témoin Krischbin, le 24 juin 1922.
2. Comte Harry KESSLER, Walther Rafhsnau, p. 281.
3. Professeur GUYBEL, Verriilsr ver/allm der Feme, p. 76.
222 HISTOIRE D E L’ARMEE ALLEMANDE

politique commis en Allemagne 2u cours des derniers temps,


auquel l’organisation Consul n’ait pas participé 1 ».
Parce que la plupart des meurtriers ont appartenu à la
brigade du capitaine Ehrhardt, et que ce dernier est resté,
depuis le putsch de Kapp, l‘ennemi public no 1 des partis
de gauche; parce qu’Ehrhardt a déclaré, aiprès la dissolution
de sa troupe (( que les liens entre les anciens volontaires n’en
subsisteraient pas moins D; parce qu’il a été pourvu par la
police de Munich d’un faux passeport au nom de Consul von
Eschwege, on croit pouvoir assurer qu’il est le chef de cette
organisation.
Parce qu’Ehrhardt est resté en liaison avec Ludendorff
et Helfferich, qui n’ont cessé de désigner Rathenau à la
vindicte des nationalistes; parce qu’il a été administrateur
d’une banque en Hongrie dont les capita.ux étaient fournis
par les milieux réactionnaires; parce que la politique de
Rathenau a dressé contre lui les magnats de l’industrie
lourde, on affirme qu’Ehrhardt e t ses hommes de main
étaient à la solde de ceux qui avaient intérêt à faire dispa-
raître à tout prix le champion de la (( politique d’exécution ».
Toutes ces hypothèses ont été émises -- mais ce ne sont
que des hypothèses. Les indices sur lesquels elles reposent
sont troublants, mais fragiles. Quand on cherche à les étayer
par des faits, on ne trouve que des présomptions. Soit que la
magistrature ne tienne pas à ce que la lumière se fasse, soit
que la police se montre négligente dans ses enquêtes, on ne
peut mettre la main sur aucune preuve formelle.
Au procès de l’O. C., vingt-six membres de cette ligue sont
condamnés pour reconstitution de ligue dissoute, mais
l’accusation abandonne la question de leur participation au
meurtre de Rathenau 2. Rien de précis ne transpire, non plus,
de l’interrogatoire des conjurés.
Mais s’il est impossible d’établir un lien direct entre les
meurtriers de Rathenau et l’organisation Consul, entre l’Or-
ganisation Consul et le capitaine Ehrhardt, il n’en est pas
moins certain que ces groupes ont existé. 11 est certain, éga-
lement, qu’ils ont eu des rapports entre eux. Mais lesquels?
Sans doute ne le saura-t-on jamais. Parmi les conjurés, les
uns ont emporté leur secret dans la tombe. Les autres se
sont tus, par crainte de la Sainte-Vehme.
1. ID., Europe nouvelle, 25 août 1923, p. 1073.
2. Professeur GIJMDEL,Verrdier verfullen drr Feme, p. 76.
L’ÈRE D E S COUPS D’ÉTAT 223
On a beau tourner et retourner les documents que l’on
possède, il n’en émane qu’une lumière vacillante et incer-
taine, suffisante pour confirmer les plus graves suspicions,
insufisante pour transformer ces suspicions en certitudes.
Pour finir, la piste s’embrouille et se perd dans le vide ...
Mais après tout, qu’importe? Que le ministre des Affaires
étrangères du Reich ait péri sous les balles de terroristes
isolés, ou qu’il ait succombé aux coups de telle ou telle orga-
nisation secrète, ces faits ont pu passionner l’opinion publique
du moment. Aujourd’hui, nous savons que ce qui donne à
la tragédie de Rathenau son caractère symbolique est ailleurs
que dans les procès-verbaux ou les enquêtes de police. Plus
que les détails matériels, ce qui nous intéresse est le contenu
idéologique et la violence du conflit.
Deux forces obscures, encore informulées, cherchaient à
s’étreindre dans l’Allemagne de cette époque. Par le contraste
absolu de leur nature comme par la pureté des types humains
qu’ils incarnaient, Rathenau et ses assassins leur ont fourni
un terrain de rencontre idéal. Dans une clarté fulgurante,
toutes les lignes de force de l’avenir s’y dessinent en un
raccourci saisissant.
A ce titre, le meurtre du 24 juin 1922 revêt une impor-
tance beaucoup plus grande qu’un simple attentat politique.
C’est le premier roulement de tonnerre d’un orage appro-
chant, la première décharge brusque entre deux mondes
antagonistes.
XIV

HITLER ENTRE EN SCÈNE

A l’époque où Kapp s’apprêtait à prendre le pouvoir, il


avait reçu la visite de Dietrich Eckart, un écrivain bavarois
d’extrême droite, plus connu pour l’intransigeance de ses
opinions que pour ses talents de poète l.
- I1 n’y a qu’un moyen de sauver le pays, avait-il déclaré
à Kapp d’un ton péremptoire. Mettez tous les Juifs en pri-
son préventive, abolissez la tyrannie du taux d’intérêt et
rétablissez l’ancien système corporatif qui a fait la grandeur
du Saint Empire germanique ...
Kapp avait écarquillé les yeux à l’énoncé de ce prograinme.
- Les idées que vous m’exposez sont fort intéressantes,
avait-il répondu à Eckart. Mais la maison brûle et les cir-
constances m’obligent à parer au plus pressé. J e crains que
la réalisation de vos théories n’exige de longues années. Nous
en reparlerons plus tard, si vous le voulez bien ...
Déçu par le manque d’imagination du Generallandschafts-
direktor, Dietrich Eckart était rentré à Munich, convaincu
que Kapp n’était nullement l’homme providentiel dont il
attendait la venue, et que son coup d’État -même s’il réus-
sissait - ne serait qu’un expédient temporaire. N’y avait-il
donc personne pour diagnostiquer la nature réelle des
maux dont souffrait l’Allemagne et pour comprendre qu’il
fallait recourir à des solutions autrement radicales qu’une
simple restauration monarchique, si on voulait la tirer du
chaos où elle était en train de sombrer? Se pouvait-il que
l’énergie déployée par la multitude des corps francs, des
1. Voir plus haut, p. 68, note 1.
2. Zinsherraehafl.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 225
associations secrètes et des groupements nationalistes se
dispersât dans le vide et qu’aucune personnalité d’enver-
gure ne surgît du brassage politique qui labourait le pays
jusque dans ses profondeurs?
Dietrich Eckart, quant à lui, se refusait à l’admettre.
Convaincu que l’homme qu’il espérait existait quelque part
- fût-ce au tréfonds de la nation où on ne l’apercevait pas
encore - il avait décidé de le chercher jusqu’à ce qu’il l’eût
trouvé.
Depuis le début de 1919, il travaillait avec un jeune socio-
logue d’origine balte, le Dr Alfred Rosenberg, à jeter les
bases d’une nouvelle doctrine nationale allemande, lorsque,
le 15 octobre, les deux amis reçurent une carte d’un parti
politique qui venait de se fonder : le Parti ouvrier allemand
ou Deutsche Arbeiter Partei. Son président, Anton Drexler, les
informait que leurs travaux avaient attiré son attention et
qu’il serait heureux de les compter parmi ses collabora-
teurs. I1 les priait, en outre, d’assister à une réunion
publique qui devait avoir lieu le lendemain et où les princi-
paux orateurs du Parti prendraient la parole.
Les groupuscules de ce genre foisonnaient déjà à Munich. On
y entendait le plus souvent des messieurs grisonnants vitu-
pérer contre la cherté de la vie, ou dénoncer pour la millième
fois les traîtres qui avaient poignardé l’Allemagne dans le dos.
Aussi Dietrich Eckart et Rosenberg s’étaient-ils rendus sans
grand enthousiasme à la brasserie du Hofbrauhaus, où devait
se tenir la réunion.
Tout d’abord, la séance n’avait offert qu’un médiocre
intérêt. Plusieurs orateurs s’étaient succédé à la tribune,
où ils avaient débité des banalités, d’une voix monotone.
Un public clairsemé les écoutait en somnolant lorsque, sou-
dain, un orateur inconnu avait bondi sur l’estrade et s’était
mis à parler, d’une voix rauque et véhémente. Son visage
était pâle. Une mèche brune barrait son front et son regard
avait une intensité presque intolérable. Dès ses premières
paroles, on eût dit qu’un courant électrique avait parcouru
l’auditoire. Surpris par la violence inusitée de son discours,
Eckart et Rosenberg tendirent l’oreille. Quelques instants
plus tard, ils étaient subjugués.
(( Jamais je ne pourrai oublier l’espèce de choc que je res-

sentis sur-le-champ, écrit ce dernier. J e sus immédiatement


que je me trouvais en présence d’un homme qui formulait,
II 15
226 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

avec une certitude infaillible, ce qui allait devenir la tâche


de toute une génération 1. ))
Cette voix rauque, poussée parfois jusqu’au rugissement,
qui déverse sur ses auditeurs un flot de paroles où se mêlent
des considérations sur l’Allemagne éternelle, sur la honte de
sa défaite, sur l’avenir illimité qui s’ouvrirait à elle si elle
savait protéger la pureté de sa race et conquérir l’espace
nécessaire à son épanouissement; cette voix qui convie ses
compatriotes à poursuivre la lutte (( jusqu’au jour où ils
seront en possession d’un nouveau Reich, plus vaste et plus
puissant que celui qui vient de s’écrouler n, est celle d’hdolf
Hitler.
t
* *
Né le 20 avril 1889 à Braunau-sur-l’Inn, une petite ville
autrichienne de 12.000 habitants située en bordure de la
frontière allemande, il est le troisième enfant d’Aloïs Hitler,
qui occupe des fonctions modestes dans l‘administration des
Douanes de l’Empereur François-Joseph, et de Clara Pœlz,
une paysanne du village de Spital.
Tout le long de son cours inférieur jusqu’à Passau, où il
se jette dans le Danube, l’Inn sert de frontière entre l’Au-
triche et l’Allemagne. Mais de part et d’autre de la rivière,
les gens sont pareils. Ils ont le même visage, les mêmes cou-
tumes et parlent la même langue, de sorte que le petit Adolf
se demande ce que signifie cette barrière dressée entre deux
populations de même origine. Pourquoi n’appartiennent-ils
pas tous au même pays? C’est, p?ur son esprit d’enfant, une
énigme insondable... Plus tard, il verra un symbole dans le
fait d’être né à Braunau, (( cette petite ville sise à la limite
des deux États allemands que la génération montante aura
pour tâche de réunir par tous les moyens ... car les hommes
de même sang doivent avoir la même patrie D. Mais ces
aspirations sont encore enfouies dans un avenir lointain ...
E n 1895, Aloïs Hitler prend sa retraite. I1 met son fils
Adolf, alors âgé de six ans, à l’école primaire de Fischlhamm,

1. Illudrierter Beobachkr. Jahresheft 1936, p. 34.


2. Les deux premiers enfants, Gustav et Ida, sont morts en bas âge. Un qua-
trième fils Edmund, né en 1894, ne vivra que six ans. Enfin une fille, Paula,
née en 1896, survivra à son frère Adolf.
3. Mein Kanipf, p. 1, 4.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 227
un village situé à quelques kilomètres au sud-ouest de Linz,
Mais durant les années qui suivent, le douanier retraité
- mû semble-t-il par son humeur instable - change plu-
sieurs fois de domicile, sans parvenir à se fixer. A quinze
ans, Adolf aura connu sept changements d’adresse et cinq
écoles différentes. Pendant deux ans, il suit les cours du
monastère bénédictin de Lambach, près duquel son père a
acheté une ferme. Il fait partie de la chorale, prend des
leçons de chant et se grise des beautés de la liturgie catho-
lique. Lorsqu’il voit le Père Abbé officier à l’autel, au milieu
des cantiques et des nuages d’encens, il lui apparaît comme
un être d’extraction supérieure, sans commune mesure avec
les autres habitants du village. I1 aspire à lui ressembler, à
être entouré, lui aussi, de pompe et de respect, et pour y
parvenir, il ira jusqu’à envisager d’entrer dans les Ordres.
Vocation fugitive, car le douanier retraité ne tarde pas à
vendre sa ferme et à déménager une fois de plus, pour s’ins-
taller à Leonding, dans une modeste maison entourée d’un
jardin.
Finis les rêves de grandeur ecclésiastique! Finies aussi
l’école buissonnière et les longues randonnées à travers la
montagne où il faisait les quatre cents coups avec les galo-
pins d u village. A onze ans, Adolf est envoyé au collège de
Linz. C’est un dur sacrifice pécuniaire pour son père. Si
celui-ci s’y résout, c’est qu’il n’a qu’une ambition : voir son
fils suivre ses traces en devenant, à son tour, fonctionnaire
dans l‘administration autrichienne. Mais le jeune Adolf ne
veut à aucun prix embrasser cette carrière. C’est sa première
révolte contre l’autorité paternelle, une révolte au cours de
laquelle il fera preuve d’une singulière obstination.
J e ne voulais pas devenir fonctionnaire, non, cent fois
non! nous dit-il. Toutes les tentatives faites par mon père
pour m’inspirer de l’attachement ou de l’intérêt pour cette
carrière, à l’aide d’anecdotes tirées de sa propre vie, abou-
tissaient au résultat diamétralement contraire. J’éprouvais
d’avance une véritable nausée à l’idée de rester enfermé dans
un bureau, privé de liberté, perdant la faculté de disposer
de mon temps et contraint de passer toute mon existence,
courbé sur des piles d’imprimés et de formulaires ))...
Son dégoût pour le métier de fonctionnaire est encore
accru par l’aversion grandissante qu’il ressent pour l’Au-
triche. Un jour, en fouillant la bibliothèque paternelle, il a
228 HISTOIRE DE L’ARIUÉE ALLEMANDE

découvert un album illustré, représentant les principales


batailles de la guerre de 1870. Worth, Gravelotte, Sedan,
enfiamment son imagination. I1 se passionne tout à coup
pour la vie militaire et éprouve une admiration sans bornes
pour le Chancelier de Fer. Mais il apprend du même coup
que tous les Allemands n’ont pas la chance d’appartenir
à l’empire de Bismarck, et qu’un certain nombre d’entre
eux sont condamnés à vivre hors des frontières du Reich.
N’est-ce pas justement son cas? Pourquoi le sort a-t-il
voulu qu’il naisse en Autriche, ce pays toujours vaincu, qui
s’est fait battre par les Français à Solferino, et rosser par
les Prussiens à Sadowa? Pourquoi les Autrichiens n’ont-ils
pas participé à la guerre de 1870, dont dépendait le sort
de toute la communauté germanique? I1 en vient à exécrer
le drapeau jaune frangé de noir où s’étale l’aigle des Habs-
bourg, tandis que ses espérances vont aux couleurs noir-
blanc-rouge du drapeau allemand. Austria delenda est, l’Au-
triche doit être détruite, tel est son credo aès l’âge de treize
ans. Et l’on voudrait qu’il devienne un fonctionnaire autri-
chien? Cette seule pensée sufit à le mettre hors de lui.
- Mais alors, que veux-tu faire? lui demande son père,
étonné par la violence de ses réactions.
- J e veux être peintre! fui répond Adolf.
Aloïs en demeure abasourdi.
- Peintre? Artiste?
I1 ne cesse de répéter ces mots, croyant que son fils a
perdu la raison, ou qu’il l’a mal compris. N Mais quand il
eut bien saisi de quoi il s’agissait, écrit Hitler, et qu’il eut
constaté le sérieux de mes intentions, il s’y opposa de toutes
les forces de sa volonté, qui était grande.
- Artiste? Non. Jamais tant que je vivrai ...
(( Mon père ne voulait absolument pas se départir de son

jamais! et moi j’étais décidé à l’emporter coûte que coûte l. ))


Du coup, Adolf décide de ne plus rien faire au collège,
dans l’espoir que son père, découragé par ses mauvaises notes,
le laissera se consacrer à ce qu’il prend pour sa vocation.
Ses professeurs nous en ont tracé au physique comme au
moral un portrait qui le dépeint assez exactement, aux alen-
tours de sa treizième année. u I1 était certainement doué pour
certains sujets, nous dit Eduard Huemer, mais il ne savait

Mein Kampf, p. 8-10.


I.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 229
pas se contrôler lui-même. On le considérait volontiers comme
ergoteur, autoritaire, maussade, cabochard et incapable de
se plier à la discipline scolaire. De plus, il n’était pas appliqué,
de sorte qu’il n’obtint jamais les résultats qu’auraient
pu lui valoir ses dons naturels l. n E t Theodor Gissinger
ajoute : a Il se tenait très droit, avait une stature élancée,
un visage pâle et menu, semblable à celui d’un phtisique,
un regard curieusement clair et des yeux brillants 2. ))
Hitler, de son côté, s’exprimera sur ses maîtres en termes
méprisants, assurant que leur enseignement était d’une
nullité effarante. Un seul trouvera grâce à ses yeux : le
Dr Leopold Pœtsch, son professeur d’histoire, dont il par-
lera avec reconnaissance jusqu’à la fin de sa vie.
(( Peut-être fut-ce un fait décisif pour le reste de mon
existence, écrit-il, que la chance m’ait donné un professeur
d’histoire sachant - chose rare - retenir l’essentiel et négli-
ger l’accessoire ... Le Di Leopold Pœtsch possédait cette qua-
lité au plus haut degré. Avec l’âge, il avait acquis de la
bienveillance sans rien perdre de sa fermeté et savait aussi
bien captiver notre attention par sa brillante éloquence,
que nous entraîner à sa suite. Aujourd’hui encore, je pense
avec une émotion sincère à cet homme grisonnant. Son
verbe enflammé nous faisait parfois oublier le présent, car
il nous transportait dans le passé comme par magie et,
au-delà des brouillards millénaires, il changeait en réalité
vivante la sécheresse des faits historiques. Nous l’écoutions
souvent bouche bée; il arrivait même que nous fussions
émus jusqu’aux larmes... I1 se servait de notre fanatisme
patriotique comme d’un levier pour son enseignement et, plus
d’une fois, il fit appel à notre sens de l’honneur national ...
Grâce à lui, l’histoire devint mon étude préférée. Et en fait,
quoique telle ne fût nullement son intention, c’est au con-
tact de cet homme que je devins un jeune révolutionnaire s. ))
Comme ses études sont plutôt décousues et qu’il ne va
pas régulièrement en classe, Adolf dispose de beaucoup de
temps. I1 l’emploie à vagabonder dans la campagne, à rêvas-
ser, à lire avec avidité tous les livres qui lui tombent sous
la main, ou encore à assister aux représentations du théâtre

i. August KUBIZEK, T h Young Hitler ï knew, p. 49. a Je n’btau p i i un é i h


modele I , reconnaîtra Hitler lui-même. (Librea h p o s , I, p. 191.)
2. ID., ibid., p. 50.
9. Mein Kampf, p. 14-15.
230 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

municipal de Linz. Sans doute n’est-ce qu’un théâtre de


province, mais la troupe n’y est pas mauvaise. On y joue
un peu de tout : les Brigands de Schiller et les opéras de
Wagner. La première fois qu’il entend Lohengrin, debout
dans la pénombre des deuxièmes galeries, il croit défaillir
de bonheur. Ce monde de héros et de chevaliers proclamant
jusqu’à la mort la fidélité à leur destin, l’envoûte litté-
ralement. Son enthousiasme pour le maître de Bayreuth
vient accroître sa jeune dévotion pour l’Allemagne. (( La
médiocrité même des représentations que pouvait m’offrir
ma petite ville fut un bonheur, écrit-il, car elle rendit pos-
sible, par la suite, un crescendo d’admiration. ))
Mais soudain, le 3 janvier 1903, Aloïs Hitler meurt à l‘âge
de soixante-cinq ans, emporté au cours d’une promenade par
une hémorragie pulmonaire. Transporté dans une auberge,
il y rend le dernier soupir. Quand Adolf arrive, il est trop
tard. I1 fond en larmes en apercevant le corps inanimé de
son père.
Que va-t-il devenir, maintenant que la famille est privée
de son chef? Courageusement, Clara Hitler liquide la mai-
son de Leonding e t s’installe avec ses deux enfants l dans
un modeste logement à Urfahr, un faubourg de Linz, où
elle essaie de subsister grâce à la maigre pension qu’elle
a héritée de son mari. Elle voudrait satisfaire le vœu du
défunt : voir son fils devenir fonctionnaire. Aussi le pousse-
t-elle à travailler avec plus d’assiduité. Mais Adolf se montre
toujours aussi rétif. Des disputes quotidiennes éclatent
entre Clara et son fils. La vie devient intenable sous le toit
maternel, lorsque, sans crier gare, la maladie vient dénouer
une situation qui menaçait de devenir inextricable. Adolf est
atteint d’une grave affection pulmonaire. L’avis du docteur
est formel : il doit abandonner ses études pendant un an
au moins. Désolée, sa mère l’envoie à Spital, chez sa sœur
Theresa Schmidt, espérant que le bon air de la montagne
l’aidera à se rétablir.
Une fois guéri, Adolf revient pour un court séjour au col-
lège de Steyr. I1 a maintenant seize ans et travaille avec un
peu plus d’application. On dirait que l’approche de la fin
des études scolaires le stimule. Les notes de ses professeurs
le montrent a passable D en allemand, en chimie, en phy-

1. Adolf at Paula, maintenant S g h de sept am.


L’ÈRE DES C O U P S D’ÉTAT 231
sique et en géométrie; K satisfaisant D en histoire et en géo-
graphie; N excellent n en dessin l. Mais le temps perdu ne se
rattrape jamais : Adolf ne sera pas reçu à ses examens de
fin d’études.
A vrai dire, cet échec ne le chagrine guère. I1 y voit un
avantage : le voilà débarrassé de l’obligation d’aller en classe.
Pour la première fois, il est libre et son père n’est pas là
pour le morigéner. Aussi les années qui suivent repré-
sentent-elles, pour lui, une période de bonheur. La bride
sur le cou, il passe des journées entières à parcourir les
rues de la ville ou les routes campagnardes, en compagnie
d’un camarade de son âge, August Kubizek. Quel jeune
homme, au sortir de l’adolescence, n’a pas rêvé de refaire
le monde et d’en éliminer toutes les imperfections? Adolf
Hitler n’échappe pas à la règle. Son imagination bouillonne.
Durant des heures entières, il expose à son ami des pro-
jets de réforme étourdissants qu’il réalisera quand il sera
grand. Kubizek, abasourdi, se garde de lui répondre, car
dès qu’on lui tient tête, il s’excite, s’emporte et ne souffre
aucune contradiction. Les après-midi s’écoulent ainsi, à
construire des châteaux dans les nuages. Quant aux soi-
rées, il les passe chez lui à lire; ou au théâtre, à écouter,
debout, plongé dans une sorte de transe, l’appel sauvage des
Walkyries ou les longs roulements de tonnerre du Crépuscule
des dieux.
Mais voilà qu’un nouveau deuil le ramène brutalement
sur terre. Le 21 décembre 1908, sa mère, atteinte d’un cancer
au sein, s’éteint durant les préparatifs de Noël. Deux jours
plus tard, elle est inhumée à Leonding, aux côtés de son
mari. Pour Adolf, qui a dix-neuf ans, c’est un véritable déchi-
rement. R J’avais respecté mon père, nous dit-il, mais ma
mère, je l’avais aimée. La pauvreté et la dure réalité me
contraignirent à prendre un parti rapide. Les maigres éco-
nomies laissées par mon père avaient été presque entièrement
englouties par la maladie de ma mère. La pension qui m’était
allouée à titre d‘orphelin était insuffisante pour me permettre
de joindre les deux bouts. I1 me fallait donc gagner mon
pain, d’une façon ou d’une autre.
u Emportant pour tout bien une petite valise contenant
des vêtements et du linge, mais le cœur rempli d’une volonté

1. William L. SEIBER,Ls Troirièms Reid, t. I, p. 26.


232 HISTOIRE D E L’ARMgE ALLEMANDE

indomptable, je partis pour Vienne. Moi aussi, j’espérais


arracher au destin ce que mon père en avait obtenu cin-
quante ans plus tôt. Moi aussi je voulais devenir quelque
chose. Mais assurément pas fonctionnaire l. 1)
t
+ +
Voilà Adolf Hitler à Vienne, cette ville légère et insou-
ciante, dont le nom évoque un tourbillon de valses et de
chansons D.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’il y vient. L’an-
née précédente, en octobre 1907, quand sa mère vivait encore,
il s’est rendu plein d’espoir dans la capitale autrichienne en
serrant sous son bras un rouleau de dessins, pour demander
son admission à l’École des Beaux-Arts. Ses travaux ayant
été jugés (( insuffisants )), il est revenu à la charge l’année
suivante. Mais cette fois-ci, ses dessins ont été trouvés si
mauvais qu’il n’a mCme pas été autorisé à se présenter à
l’examen d’entrée.
Cette première atteinte de l’adversité le frappe doulou-
reusement. Comment se fait-il que son talent n’ait pas été
reconnu? Encore chancelant sous le coup, il a demandé une
audience au Recteur de l’Académie et l’a prié de lui donner
les raisons de ce refus.
- Les raisons? lui répond le Recteur. Elles sont bien
simples. Vos dessins ne laissent aucun doute sur votre inap-
titude totale à la peinture. Vos dispositions vous désignent
plutôt pour l’architecture. C’est plutôt de ce côté-là que vous
devriez chercher votre voie ...
Par malheur, les cours de l’École d’Architecture sont liés
à ceux de l’École technique du Bâtiment 2, dont l’accès est
réservé à ceux qui possèdent un diplôme de fin d’études
secondaires 3. Or, Adolf ne l’a pas. Sans doute certains sujets
sont-ils dispensés de cette formalité, à condition de présen-
ter un talent très supérieur à la moyenne D. Mais ce n’est
pas son cas. (( Ce que j’avais négligé d’apprendre, par mau-
vaise volonté, durant mes années de collège, se vengeait à
présent d’une façon cruelle, écrit-il dans Mein Kampf. Du
coup, mon rêve de devenir un artiste n’avait - selon toute
1. Mein Kampf, p. 18.
2. B a w c h u b der Technik.
3. Die Matzua, à peu prb l’équivalent de notre baccalauréat.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 233
vraisemblance - aucune chance de se réaliser. Pourtant,
je voulais devenir architecte, envers et contre tout, et je
me disais que les obstacles ne sont pas là pour qu’on capitule
devant eux, mais pour qu’on les brise. J’étais résolu à vaincre
ces oppositions et, pour cela, je gardais devant mes yeux
l’exemple de mon père qui, parti dans la vie comme un
simple apprenti cordonnier de village, s’était élevé jusqu’au
rang de fonctionnaire de l’État. Mais ce que je pris alors
pour un coup du destin m’apparaît aujourd’hui comme un
bienfait de la Providence. Car la déesse de la misère me
prit dans ses bras et menaça si souvent de m’étouffer dans
son étreinte, qu’elle décupla ma résistance et permit fina-
lement à ma volonté de triompher l. ))
I1 est de fait que les cinq années qu’Hitler passe à Vienne,
de 1909 à 1913, représentent la période la plus misérable de
sa vie. Sans argent, sans amis, sans métier défini, il en est
réduit, pour gagner sa vie, à déblayer la neige, à battre des
tapis, à porter des bagages aux alentours de la gare de
l’Ouest. I1 lui arrive même d’être manœuvre-maçon 2. Mais
tout cela pour peu de temps, car il erre de place en place,
refusant avec obstination tout emploi régulier, comme si la
moindre contrainte lui était intolérable.
A mener cette vie d’expédients, il est bientôt sans res-
sources. Moins d’un an après son arrivée à Vienne, il doit
quitter la chambre meublée qu’il a louée dans la Simon
Denkstrasse. Alors, c’est la chute verticale. I1 passe de
taudis en taudis, couche à l’asile de nuit, fait la queue devant
les soupes populaires pour ne pas mourir de faim et finit
par échouer dans un foyer misérable, réservé aux chômeurs
du sexe masculin, sis au no 27 de la Meldemannstrasse, dans
un des quartiers les plus sordides de la ville.
Aussi ne faut-il pas s’étonner s’il écrit, vingt ans plus
tard : ((Aujourd’hui encore, Vienne ne réveille en moi que
des souvenirs moroses. Le nom même de cette voluptueuse
cité ne me rappelle que cinq années d’épreuves et de misère,
cinq années durant lesquelles je fus contraint de gagner ma
vie, d’abord comme journalier, ensuite COP- me peintre de
modeste envergure. Cela ne me rapportait qu’un salaire déri-
soire, qui ne sufit jamais à apaiser ma faim 3. n
1. Mein Kampf, p. 20.
2. Comme Mussolini à GonBve.
9. Mein Kampf, p. 21.
234 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ ~ E
ALLEMANDE

Durant toute cette période, le mot (( faim )) revient sous


sa plume comme un leitmotiv obsédant. u La faim, écrit-il,
ne cessait de me tenir compagnie. Elle ne me quittait
jamais e t se mêlait à tous mes actes ... Ma vie était une
lutte continuelle contre cette compagne impitoyable. ))
En dehors de rares soirées passées à l’Opéra (dont son esto-
mac fait toujours les frais), il ne trouve de répit que dans
les livres, qu’il consulte à la Bibliothèque municipale, ou
qu’il achète d‘occasion, en rognant encore sur la part qu’il
consacre à sa nourriture. Contrairement à la plupart des
épaves humaines dont il partage l’existence, il est exempt
des faiblesses de son âge : il ne boit pas, ne fume pas, e t
ne fréquente jamais les filles, non pas - comme on l’a pré-
tendu - à cause d’une anomalie quelconque, mais à cause
d’une invincible timidité. C’est à cette époque qu’il devient
végétarien, par nécessité, avant de le devenir par conviction.
I1 va sans dire qu’un régime de privations aussi sévère finit
par entamer sa santé. I1 maigrit de jour en jour, et subit
une rechute du c6té pulmonaire.
Ceux qui l’ont vu à cette époque ont été frappés par son
aspect famélique et déguenillé, mais aussi par l’intensité
extraordinaire de son regard. Un vagabond? Sans doute, si
l’on s’en tient aux apparences. Mais un vagabond au fond
duquel brûle un feu sombre e t passionné. (( J e crois bien,
écrira-t-il plus tard non sans une pointe d’humour, que tous
ceux qui me fréquentèrent à cette époque, me prirent pour
un toqué n
Vers 1910, sa situation s’améliore et, comme il peut man-
ger plus souvent à sa faim, sa santé se rétablit. I1 fait un
grand nombre d’aquarelles et de dessins publicitaires qu’il
écoule chez des marchands de meubles et des brocanteurs.
Les sommes qu’il en tire ne sont pas considérables, mais
elles lui permettent d’acheter plus de livres qu’auparavant
e t de satisfaire sa passion dévorante pour la lecture. N A
cette époque, écrira-t-il quinze ans plus tard, je lisais énor-
mément e t à fond. Toute la liberté que me laissait mon
travail, j,e la consacrais à mes études. Ainsi, en quelques
années, 1 acquis les connaissances dont je me nourris encore
actuellement ... A ce point de vue, tout au moins, ma période
viennoise fut particulièrement féconde et utile 2. n
1. Ein Sonduiing. Mein Karnpf, p. 35.
2. Ibià., p. 22 e t 35-37.
L’ÈRE DES COUPS D’&l‘AT 235
Hitler assure, en effet, que ses lectures et son contact
avec les pauvres et les déshérités de Vienne, lui ont appris
à peu près tout ce qu’il avait besoin de savoir. (( Vienne fut
et resta pour moi, affirme-t-il, l’école la plus pénible mais
aussi la plus profitable de ma vie. J’y étais arrivé, encore à
demi enfant; lorsque je repartis, j’étais devenu un homme
mûr et réfléchi. C’est durant cette période que prirent forme
en moi une conception du monde et une philosophiequi
servirent de fondement inébranlable à tous mes actes ulté-
rieurs. A ce que j’acquis alors, j’eus peu à ajouter, et rien
à changer l. 1)
Appelé à fréquenter des ouvriers sur les chantiers où il
travaille, il apprend à connaître, à travers eux, le Parti socia-
liste et les syndicats autrichiens. D’emblée, il est révolté
par les solutions que les dirigeants marxistes proposent à
leurs troupes et par le poison mortel qu’ils instillent dans
leurs veines, sous prétexte de travailler à leur libération. A
les entendre, la nation, la patrie, la loi, la religion, la morale,
ne seraient que des inventions des capitalistes, les instru-
ments dont ils se servent pour mieux asservir le proléta-
riat. a I1 ne restait rien, nous dit-il, mais absolument rien
qui ne fût plongé dans un abîme de fange z. ))
Un jour, il assiste à une démonstration de masse des
ouvriers viennois. (( Pendant près de deux heures, écrit-il, je
me tins là, le souffle coupé, contemplant le gigantesque dra-
gon humain qui déroulait lentement ses anneaux. Angoissé,
oppressé, je finis par m’en aller pour rentrer chez moi 3. 1)
Un autre jour, à la suite d’une discussion avec des maçons
de son équipe, ceux-ci le somment d’abandonner le travail
et le menacent, en cas de refus, de le précipiter du haut
d’un échafaudage.
I1 se met alors à lire attentivement la presse des Sociaux-
démocrates, à étudier leur organisation et les discours de
leurs chefs. I1 en tire trois conclusions qui lui donnent la
clé de leur influence sur les masses ouvrières : d’abord, ils
savent comment créer un mouvement de masse, condition
indispensable à la réussite d’un parti politique quel qu’il soit;
ensuite, ils sont passés maîtres dans l’art de la propagande;
enfin, ils connaissent la valeur de la terreur intellectuelle et
1. Mein Kampf, p. 22 et 125.
2. Ibid., p. 41-42.
S. Ibià.
236 HISTOIRE D E L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

physique, dont ils ont fait un instrument de la conquête du


pouvoir 1. u Cette tactique, assure-t-il, est fondée sur une
estimation exacte de toutes les faiblesses humaines et sa
réussite est d’une certitude presque mathématique. )) On ne
lutte pas contre les marxistes à coups d‘arguments ou de
discours. A la terreur qu’ils font régner dans l’atelier, à
l’usine, dans les lieux de réunion ou lors des grandes mani-
festations populaires, il n’est qu’une seule réponse possible :
une contre-terreur équivalente 2. 1)
Pour lui, la doctrine marxiste est fausse de bout en bout.
C’est un entassement monstrueux de mots incompréhen-
sibles et de phrases dénuées de sens. (( Seuls des intellectuels
dépravés peuvent se trouver à l’aise dans cet amas fangeux
d’inepties et de contrevérités, OU encore cette partie naïve
de la population qui est toujours disposée à croire très sage
et très profond ce qu’elle comprend le moins 2. )) La théorie
de la lutte des classes n’est qu’une mystification, dont les
marxistes se servent comme d’un coin, pour disloquer
l’unité nationale. Quant à la (( dictature du prolétariat »,elle
est un non-sens, car le prolétariat est incapable de gou-
verner par lui-même. Si jamais il conquérait le pouvoir, il
serait contraint de le remettre à une petite clique de diri-
geants qui lui imposerait une dictature beaucoup plus dure
que toutes celles du passé. On en voit déjà les symptômes dans
les syndicats ouvriers, dont la devise pourrait être : (( Sois
des nôtres ou je t e casse la gueule! Aussi le communisme lui
apparaît-il comme un danger mortel pour la civilisation, car
il dissout les nations et anéantit les élites. (( C’est un fléau
dont il faut délivrer la terre au plus tôt, sinon ce sera la
terre qui se débarrassera de l’humanité 3. 1)
(( Mais qui donc a intérêt à répandre ce poison? se
demande Hitler. Quels gens peuvent prôner cette doctrine
de haine et d’égoïsme, dont la victoire signifierait la déché-
ance du genre humain? Ce ne peut être les ouvriers, puis-
qu’ils en seraient les premières victimes. Alors, qui? ))

1. William Shirer estime que cette affirmation repose sur une observation
inexacte, imputable à ses partir pris extrêmes. Il ne faut pa5 oublier qu’Hitler
ne parie pan des Partis socialistes actueb. mais de ceux qui existaient Q cette
&poque, antérieurement 2i la scission entre Socialistes et Communistes. Et l’on
n’a pas l’impression que les révolutionnaires russes de 1917, ni lei matelots de
Kiel en 1919, aient éprouv6 le moindre scrupule à faire usage de 1. violence.
2. Mein Kampf, p. 53-54.
3. Ibid., p. 40.
L’ÈRE DES COUPS D’BTAT 237
A force de chercher, Hitler finit par se persuader que
ce sont les Juifs. u Seule, déclare-t-il, la connaissance du
judaïsme donne la clé de l’énigme et permet de découvrir
les desseins cachés - e t par conséquent réels - des partis
marxistes l. n
Lors de son arrivée à Vienne, Hitler ne nourrissait, semble-
t-il, aucune prévention contre les J d f s a. 11 les consi-
dérait comme des Allemands, ne différant des autres que
par la religion, e t à ce titre les attaques haineuses de la
presse antisémite viennoise lui paraissaient (( indignes d’une
grande nation civilisée n. Mais à force d’en rencontrer chaque
jour dans les bas quartiers de la ville, il en était venu à
changer d’opinion.
u Un jour, écrit-il, j e rencontrai une apparition étrange,
vêtue d’un cafetan noir e t portant des bouclettes aux tempes.
Est-ce un Juif? me demandai-je tout d’abord, car ceux de
Linz n’avaient pas cet aspect. J’observai l’homme furtive-
ment et prudemment. Mais plus je scrutai trait pour trait
cette face étrangère, plus ma question changea de forme et
devint : est-ce un Allemand? ))
Pour Hitler la réponse ne peut être que négative. Vienne,
en effet, est submergée à cette époque par un amux de
Juifs orientaux venus directement de Pologne, de Hongrie,
de Galicie, de Bukovine, dont l’aspect et les mœurs
tranchent étrangement sur ceux du reste de la population.
D’où provient ce contraste et que signifie-t-il? Hitler se met
alors à lire des ouvrages antisémites - on en vendait beau-
coup à Vienne à cette époque - et circule dans les rues
pour observer de plus près u ce phénomène ».
R Partout, dans n’importe quel quartier, écrit-il,. je com-
mençai à voir des Juifs et plus j’en voyais, plus ils m’ap-
paraissaient différents du reste de l’humanité ... I1 y avait
beaucoup à dire sur la moralité des Juifs, comme sur leur
propreté, leur sobriété. I1 sufisait de les regarder pour s’en
convaincre. On pouvait même les reconnaître les yeux fermés.
Plus d’une fois, l’odeur qu’exhalaient ces porteurs de cafetan
me donna la nausée ... Ces caractères extérieurs n’avaient
certes rien d’attirant, mais surtout, on ne pouvait pas ne
1. Mein Kampf, p. 54.
2. Contrairement au dire d’Hitler, August Kubizek prétend qu’A Linz, Hitler
était déji nettement antisémite. Ce n’est pas impossible. Mais à cette époque, ce
sentiment n‘avait nullement, chez lui, la violence qu’il devait prendre B partir de
son séjour à Vienne.
238 HISTOIRE DE L ’ A R M É E ALLEMANDE

pas être choqué lorsque, derrière la saleté du corps, on


découvrait les tares morales du peuple élu. Rien ne me donna
plus à réfléchir que la connaissance que je pris peu à peu
du genre d‘occupation auquel s’adonnaient certaines caté-
gories de Juifs. Dans l’ordre de la production artistique et
littéraire surtout, il n’est pas d’immondice, il n’est pas
d’étalage d’impudeur auxquels un Juif au moins ne soit
mêlé. Quand, avec les précautions requises, on perce un de
ces abcès purulents qui déshonorent les sociétés, on trouve,
aussi régulièrement que des vers dans un corps en putréfac-
tion, un petit Juif tout étourdi du grand jour qui l’inonde ’. 1)
Dès lors, nous dit Hitler (( les écailles me tombèrent des
yeux et mon long combat intérieur prit fin a D. I1 s’aperçoit
que les Juifs u assimilés )) sont aussi dangereux que les autres.
Siégeant dans les banques, dans la presse, dans les conseils
d’administration, ils enveniment la lutte des classes par leur
rapacité et travaillent à désagréger la nation qui leur a
imprudemment offert asile. Alors se produit dans son esprit
une dichotomie fulgurante. Projetant sur le monde un véri-
table manichéisme racial, il le divise en deux catégories
antagonistes. D’un côté, la lumière; de l’autre, les ténèbres.
D’un côté la race germanique, parée de toutes les vertus e t
dotée de toutes les capacités créatrices; de l’autre, le peuple
juif, incarnation du mal e t voué à une tâche éternellement
destructrice. Vision simpliste, mais puissamment contrastée
qui exercera sur les foules une emprise d’autant plus grande
qu’Hitler la propagera en lui infusant les accents d’un messia-
nisme exalté. (( Devenu un antisémite fanatique, nous dit-il,
je pus, sans trop de peine, discerner ce qu’il y avait de pro-
prement diabolique chez les théoriciens juifs du marxisme,
e t toute l’histoire de l’humanité s’éclaira pour moi d’un jour
nouveau. ))
I1 en vient alors à se poser cette question : (( Dieu n’a-t-il
pas voulu, pour des raisons que les humains chétifs sont
incapables de comprendre, donner au peuple juif la victoire
finale? A cette race qui ne vit que pour la terre et les jouis-
sances terrestres, la terre a-t-elle été promise? Sa dispersion
à travers le monde n’est-elle pas le début d’une conquête
universelle? Et quand nous luttons pour notre conservation,
si bien fondé que nous semble notre droit à la vie, n’allons-
1 Mein Knrnpl, p. 61.
2. Ibid., p. 64.
L’ÈRE D E S COUPS D’ÉTAT 239
nous pas à l’encontre d’une loi supérieure contre laquelle
notre volonté sera toujours impuissante?
N C’est une étude plus approfondie de la doctrine marxiste,
une vue claire et objective de l’action exercée par le peuple
juif, p.Oursuit Hitler, qui me fournit enfin une réponse à cette
question. Le marxisme rejette le principe aristocratique,
fondé en nature; au droit éternellement supérieur des êtres
forts et puissants, il oppose le nombre, la masse, avec son
poids étouffant. I1 nie ainsi la valeur de la personne humaine,
il ne tient nul compte de l’inégalité des races, il enlève à
l’homme ce qui est la condition première de sa culture e t
de son existence même ... Si le Juif, à l’aide de sa profession
de foi marxiste, venait à dominer sur les peuples, sa cou-
ronne de triomphateur serait pour l’humanité une couronne
mortuaire et cette terre que nous habitons redeviendrait une
planète roulant, vide d’hommes, dans l’éther, comme elle
roulait il y avait un million d’années. Car la nature éternelle
punit inexorablement toute transgression à ses commande-
ments l.
a Inversement, si la croûte terrestre était bouleversée par
un cataclysme formidable et qu’un nouvel Himalaya sur-
gît de l’Océan, anéantissant d’un coup toute civilisation
humaine, aucun Etat n’existerait plus. Tout ordre serait
dissous. Tous les vestiges d’une évolution millénaire
seraient détruits et la terre ne serait qu’un immense char-
nier, recouvert d’eau et de boue. Pourtant, il sufirait qu’une
poignée d’êtres appartenant à l’espèce supérieure fût épar-
gnée par le désastre pour que le flambeau de la culture se
rallumât et qu’une civilisation humaine refleurît sur la
terre - fût-ce au bout de mille années. N
(( C’est pourquoi, conclut Hitler, je crois agir dans le sens

voulu par le Créateur tout-puissant. En luttant contre le


Juif, je défends l’œuvre du Seigneur * a.
Mais comment lutter? Où trouver des appuis et des alliés
dans ce combat gigantesque dont dépend l’avenir de tout
le genre humain? Dans les milieux bourgeois? Impossible.
Égoïstes et veules, ceux-ci ne songent qu’à leur bien-être
matériel et s’abandonnent aux plaisirs, sans soupçonner un
instant le danger qui les menace.
Alors, dans le Parti nationaliste-pangermaniste que dirige
1. M c i n Karnpf, p. 69-70.
2. Ibid.
240 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

Georg Ritter von Schœnerer e t qui lutte d‘une façon déses-


pérée pour assurer la suprématie de l’élément germanique
au sein de l’Empire austro-hongrois? Mais bien que ce parti
ait pris pour devise : (( Ein Volk! Ein Reich! 1) (Un peuple!
Un Empire!), il ne tarde pas à décevoir l’auteur de Mein
Kampf. Certes, il apprécie son antisémitisme, son antisocia-
lisme et son nationalisme virulents. Mais, comme tous les
partis d’extrême droite, il méconnaît totalement le pro-
blème social. De ce fait, il est incapable de se rallier les
masses. Faute d’avoir compris les aspirations du monde
ouvrier, il est condamné à n’avoir qu’une influence limitée,
à se cantonner dans des discussions de principe, aussi stériles
qu’inefficaces.
Le seul homme politique viennois à trouver grâce aux
yeux d’Hitler est Karl Lueger, le bourgmestre de la ville
et le chef du Parti social-chrétien. Plus que quiconque, et
bien qu’ils ne se soient jamais rencontrés, il devient en
quelque sorte son mentor politique. Hitler dira plus tard de
lui : N C’était le plus grand maire allemand de tous les temps ...
un homme supérieur à tous les prétendus diplomates de
...
son époque Si le Dr Karl Lueger avait vécu en Allemagne,
il aurait compté parmi les plus grands esprits de notre
peuple l. ))
Sans doute reproche-t-il à Lueger de ne pas être pan-
germaniste. I1 ne comprend pas davantage son clérica-
lisme, ni son attachement aux Habsbourg. Mais il n’en est
pas moins obligé de lui reconnaître du génie. Car Lueger
sait gagner l’appui des masses; il comprend les problèmes
sociaux modernes; il reconnaît l’importance de la propa-
gande; enfin et surtout, c’est un orateur consommé. Ce
qu’Hitler apprendra de lui sera capital pour sa carrière : la
toute-puissance de l’éloquence en matière politique.
(( Depuis des temps immémoriaux, écrit-il à ce sujet, les

grandes avalanches politiques et religieuses de l’histoire ont


toujours été déclenchées non par des livres, mais par une
seule force, toujours la même : la puissance magique du
Verbe ... Les masses populaires ne sont remuées que par le
pouvoir de la parole. Or, tous les grands mouvements sont
des mouvements populaires, des éruptions volcaniques de
passions humaines et d’élans irrationnels, activés tantôt par
1. Mcin Kampf, p. 55, 69, 122.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 242
la déesse cruelle du malheur, tantôt par une prédication qui
enflamme les foules comme une torche. Celle-ci n’a rien de
commun avec les flots de fade limonade déversés par les
esthètes littéraires et les héros de salon l . D
Mais l’éloquence véritable ne s’acquiert pas. C’est un
don que Dieu n’accorde qu’à un petit nombre d’élus.
Hitler est-il de ceux-là? Plus il prend conscience de l’im-
portance primordiale de la parole et plus cette question
le travaille. Tout en évitant de se mêler à la vie des partis,
il fait l’essai de ses talents oratoires sur les pauvres hères
qu’il rencontre dans les asiles de nuit, aux soupes populaires
ou aux carrefours de Vienne. Sans doute n’est-ce pas un
public très reluisant, mais qu’importe? S’il réussit auprès
de lui, l’expérience n’en sera que plus probante ...
Soudain, un matin de février 1912, le miracle s’accomplit.
Il est applaudi frénétiquement par un auditoire de fortune.
Ces premiers applaudissements sont pour lui comme un trait
de lumière. u Dès cet instant, je sus que je pouvais parler
en public, dira-t-il beaucoup plus tard à Martin Bormann,
et dès cet instant, j’eus l’impression de tenir le monde à
ma merci 2. ))
Mais au fur et à mesure que passent les années, Hitler
éprouve une antipathie grandissante pour Vienne. I1 n’a
bientôt plus qu’une idée : quitter l’Autriche, comme s’il sen-
tait instinctivement qu’il n’y apprendrait plus rien. (( Mon
aversion intime pour l’État des Habsbourg augmentait sans
cesse, nous dit-il. J’éprouvais une véritable répulsion pour
la mixture de races que je voyais dans la capitale, pour ce
conglomérat de Tchèques, de Polonais, de Hongrois, de
Ruthènes, de Serbes, de Croates : et partout, ces éternels
parasites de l’humanité - les Juifs, toujours plus de Juifs.
A mes yeux, la ville géante m’apparaissait comme le sym-
bole même de la profanation raciale ... Plus j’y vivais, plus
croissait ma haine pour ce méli-mélo d’étrangers qui avaient
entrepris de corroder cet antique foyer de culture germa-
nique ... C’est pour toutes ces raisons que se développa de
plus en plus fortement mon besoin nostalgique d’aller enfin
là où, depuis mon enfance, m’attiraient mes désirs et mon
secret amour »,- c’est-à-dire en Allemagne.
1. Mein Kanapf, p. 107.
2. Déclaration de Martin Bormann au général Schmundt.
3. Mein Kampf. p. 123-124.
II 16
243 HIGTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

Ayant réussi à bazarder tout un lot de dessins, il franchit


la frontière du Reich e t pénètre en Bavière 1. Le voici à
Munich. I1 est âgé de vingt-cinq ans. Mais il n’est pas devenu
pour autant citoyen allemand. Titulaire d’un passeport autri-
chien, il est encore soumis aux lois en vigueur dans l’Empire
austro-hongrois.
Grâce à ses fréquents changements de domicile, il a réussi
jusqu’ici à échapper aux autorités militaires de son pays. Mais
celles-ci ayant enfin trouvé son adresse, le relancent à Munich
e t l’invitent à se présenter d’urgence au Conseil de révision,
sous peine d’être porté déserteur. Hitler voudrait bien se
soustraire à cette obligation, non par aversion pour le métier
des armes, mais parce que l’idée de servir sous le drapeau
des Habsbourg lui fait horreur. I1 tergiverse, cherche à
gagner du temps e t répond qu’il n’a pas les moyens de se
rendre à Vienne. Débonnaire, le ministre de la Guerre autri-
chien l’autorise à se présenter à Salzbourg, qui est plus proche
de la frontière. Simultanément, la police bavaroise lui fait
comprendre qu’il aurait intérêt à se mettre en règle avec
les autorités de son pays ...
La mort dans l’âme, il se présente donc le 5 février 1914
devant le Conseil de révision de Salzbourg. Mais le sort lui
est favorable. Après l’avoir examiné, le Conseil le déclare
inapte au service armé, comme au service auxiliaire et le
réforme définitivement. Le voilà rayé des listes autrichiennes.
Hitler pousse un soupir de soulagement e t reprend le train
pour Munich. I1 ne se doute certainement pas que lorsqu’il
refranchira cette frontière, ce sera à la tête de sa propre
armée ...
Son soulagement de n’avoir pas à servir sous le drapeau
jaune et noir est d’autant plus grand que la guerre approche.
La crise bosniaque éclate. L’archiduc François-Ferdinand
est assassiné. Désormais les événements roulent sur une
pente où rien ne semble plus pouvoir les arrêter.
Le l e r août, l’Allemagne déclare la guerre à la Russie.
Le surlendemain elle en fait autant à l’égard de la France.
La Première Guerre mondiale est commencée.
Le même jour, Hitler adresse à Louis I I I de Bavière une

1. Hitler situe son arrivée à Munich en 1912. Ce doit être une erreur, car les
registies de police autrichiens le signalent comme étant présent à Vienne jus-
qu’en 1913.
L ’ È R E DBS COUPS D’ÉTAT 243
requête dans laquelle il lui demande l’autorisation de s’en-
gager dans un de ses régiments. Sa requête est acceptée.
A l’heure où des millions d’hommes courbent le front
devant la fatalité tragique qui vient de s’abattre sùr eux,
Hitler exulte. Son entrée dans l’armée bavaroise va lui per-
mettre enfin de servir son Allemagne bien-aimée, dans une
lutte où son existence même est en jeu. Après l’épreuve
de la misère, c’est avec un frémissement de joie qu’il s’ap-
prête à affronter l’épreuve du feu.
(( Pour moi, écrit-il dans Mein Kampf, ces heures vinrent

me délivrer de la misère qui m’avait harcelé durant toute


ma jeunesse. J e n’ai pas honte de le dire : transporté par
l’enthousiasme du moment, je tombai à genoux et, du fond
du cœur, je remerciai le ciel de m’avoir accordé le bonheur
de vivre à une telle époque ... Que de fois, dans le passé,
n’avais-je pas souhaité faire l’épreuve de mes forces par des
actes, et prouver que la foi nationale u’était pas un vain
...
mot? Ce vœu allait enfin être exaucé Pour moi, comme
pour chaque Allemand, commença dès lors la période la
plus mémorable de ma vie. Comparé aux événements de
cette lutte gigantesque, tout le passé sombra dans l’oubli l... r~

* *

Incorporé au 16e régiment bavarois d’infanterie de réserve,


il est envoyé sur le front de l’ouest vers la fin d’octobre 1914,
après deux mois et demi d‘instruction. A peine arrivée en
ligne, son unité est engagée dans l’offensive en direction du
Pas-de-Calais. Mais son avance est stoppée par les Anglais
à la première bataille d’Ypres. Au bout de quatre jours de
combats, le régiment est décimé. Son effectif tombe de 3.500
à 600 hommes. Sur l’ensemble des officiers, il n’en reste plus
que 30. Quatre compagnies doivent être dissoutes. C’est à la
suite de ces engagements très durs dont, nous dit Hitler, u des
garçons de seize ans revinrent avec des visages d’adultes »,
qu’il reçoit la Croix de fer pour la bravoure dont il a fait
preuve, en tant qu’agent de liaison de la l * e compagnie.
Le 7 octobre 1916 le retrouve à la bataille de la Somme,
où il est blessé à la jambe. Après avoir été hospitalisé à

1. Mein Kampf, p. 161-163.


244 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

Beelitzhof, il obtient une permission de convalescence, qu’il


passe à Berlin, puis à Munich.
Rentré dans son dépôt, il est versé en mars 1917 au régi-
ment List l. Peu de temps après, il est promu soldat de
*.
i r e classe L’été suivant, il participe à la bataille d’Arras e t
à la troisième bataille d’Ypres. Après quoi, son régiment est
engagé dans les cinq offensives que Ludendorff lance entre
mars et juillet 1918. Au mois d’août, il reçoit la Croix de
fer de I r e classe, distinction rarement accordée à un soldat
dans l’armée impériale e t qui prouve qu’il a dû accomplir
quelque fait d’armes exceptionnel, quoique les archives régi-
mentaires n’en fassent pas mention 3. Hitler en éprouvera
une fierté légitime. C’est la seule décoration qu’il portera
jusqu’à la fin de sa vie.
Mais durant la nuit du 13 au 14 octobre 1918, son unité
subit une violente attaque aux gaz, déclenchée par les Bri-
tanniques sur une colline au sud de Wervicq 4. Pendant cinq
heures, des obus chargés d’ypérite pilonnent les positions
allemandes. a Vers minuit, écrit Hitler, la moitié de nos
hommes étaient tués. A l’aube, la douleur me saisit à mon
tour et devint plus aiguë de quart d’heure en quart d’heure.
Vers 7 heures du matin, je me retirai en titubant vers l’ar-
rière. Quelques heures plus tard, mes yeux me brûlaient
comme des charbons ardents e t tout était devenu sombre
autour de moi. 1)
Alors, c’est la nuit. Hitler ne verra pas la fin de la guerre.
C’est plongé dans un abîme noir qu’il apprendra coup sur
coup l’échec des ultimes tentatives de Ludendorff e t le
déclenchement de la révolution.
Évacué s u r l’hôpital d e Pasewalk, en Poméranie, il
commence à peine à sortir de la cécité, lorsqu’au matin du
10 novembre, l’aumônier protestant réunit les blessés e t leur
adresse un petit discours, pour les exhorter à ne pas perdre
courage. c C’est par lui, écrit Hitler, que nous eûmes connais-
sance de la gravité de la situation. J’étais là, au comble
de l’excitation. Le vieil homme nous annonça d’une voix
tremblante d’émotion que la dynastie des Hohenzollern avait

1. Du nom de son commandant.


2. Cefreiter. C‘est un peu plus qu’un soldat de 1’. classe, mais un peu moins
qu’un caporal.
3. Comme de presque aucun exploit individuel à cette époque.
4. Dana le aacteur d’Ypres.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 245
déposé la couronne impériale, que l’Allemagne était devenue
une République et qu’il fallait prier le Tout-puissant d’ac-
corder sa bénédiction au nouveau régime. I1 nous dit ensuite
que l’Allemagne, ayant perdu la guerre, allait être exposée
à de dures contraintes et qu’il faudrait s’en remettre à la
générosité de l’ennemi. Alors je n’y tins plus. Chancelant,
à tâtons, je regagnai le dortoir et m’affalai sur mon lit, J’en-
fouis ma tête brûlante sous les couvertures et pleurai à
chaudes larmes ... Ainsi, tout avait été inutile. Vains, tous
les sacrifices et toutes les privations ..., vaines, les heures où,
le cœur étreint par une terreur mortelle, nous avions néan-
moins fait notre devoir; vains nos deux millions de morts ...
Est-ce pour cela qu’ils étaient tombés? ... Tout cela, simple-
ment pour qu’une bande de gredins puisse faire main basse
sur notre patrie l? 1)
Pour Hitler, l’issue de la guerre s’inscrit en lettres de feu
sur la muraille de ténèbres qui l’entoure. A l’est, l’épée alle-
mande a vaincu. Mais à l’ouest, des mains criminelles -
celles des Juifs et des marxistes - l’ont empêchée de rem-
porter la victoire finale. Bien avant que deux généraux
anglais lancent cette formule 2, Hitler est convaincu que
l’Allemagne n’a pas été vaincue sur les champs de bataille,
mais qu’elle a été poignardée dans le dos.
(( Les jours, e t plus encore les nuits qui suivirent, écrit-il,

furent abominables. J e savais que tout était perdu. Attendre


quelque chose de l’ennemi, seuls des fous le pouvaient, ou
encore des menteurs et des criminels. Dans ces nuits sans
sommeil, je sentais croître en moi la haine contre les pre-
miers fauteurs du désastre. Et c’est alors que je pris con-
science de mon destin véritable. Risible me semblait la
préoccupation que j’avais eue, si peu de temps auparavant
d’assurer mon avenir personnel. J e voulais être architecte!
Construire des maisons sur un sol aussi profané, vraiment
n’était-ce pas me moquer de moi-même? J e finis par com-
prendre ce qui s’était passé : Guillaume II, l’Empereur alle-
mand, avait fait ce que nul n’avait fait avant lui : il avait
tendu la main aux meneurs marxistes, il avait voulu se
réconcilier avec eux. I1 ignorait que les canailles n’ont pas

1. Mein Kampf, p. 204-205.


2. Le Major générai sir Frederick Maurice et le Major générai Malcolm. (Cf.
WEBELUR-BENNETT, La Drame de 1Armde allemande.)
246 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

de parole. Alors que, dans l’une de leurs mains, ils tenaient


encore la main impériale, de l’autre ils cherchaient un poi-
gnard pour le plonger dans son dos. Avec le Juif, il n’y a
pas à pactiser; il n’y a qu’une alternative : le supprimer ou
disparaître. Pour ma part, je pris la décision de devenir
homme politique. n
XY

LES DÉBUTS DU NATIONAL-SOCIALISME

II nous fallait perdre la guerre pour pou-


voir conquérir la nation.
MOELLERVAN DEN BRUCK,
Le III8 Reich.

. Lorsque Hitler, ayant recouvré la vue, retourne en conva-


lescence à Munich en décembre 1918, la ville qu’il retrouve
est très différente de celle qu’il a laissée en 1914.
Finis la période heureuse d’avant-guerre, les représenta-
tions théâtrales, les bals populaires et les réunions d’artistes
dans les brasseries enfumées. La capitale bavaroise est en
plein chaos. La révolution bat son plein, semant les rues de
cadavres et de ruines. La dictature dés Conseils y fait régner
la terreur. Pendant des semaines entières, Munich a vécu
au bruit d’une fusillade incessante, car les factions rivales
n’ont cessé de s’entre-déchirer l.
C’est dans cette atmosphère sanglante et saturée d’horreur
qu’Hitler retrouve le dépôt de son bataillon, livré aux mains
des Conseils de soldats. I1 en éprouve un dégoût d’autant
plus grand que les soldats en question ne sont pas des
combattants du front, mais des (( planqués )) de l’arrière.
I1 voit défiler dans les rues des foules vociférantes qui
chantent l’Internationale en brandissant des drapeaux rouges.
Comme h Vienne, elles déroulent lentement leurs anneaux
comme de gigantesques dragons humains. Leurs chefs s’ap-
p ellent Kurt Eisner et Lipp, Wadler-Krakau, Léviné et
Lewien. En faut-il davantage pour l’ancrer dans ses convic-
tions? D’ailleurs, tout cela, ne Pavait-il pas prévu? N’avait-il

I.
Voir vol. I, p. 265 et S.
248 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

pas prédit à ses camarades du front, durant les nuits des


tranchées, (( que l’Allemagne perdrait la guerre, malgré ses
gros canons, car elle portait dans son sang un virus plus
dangereux que l’artillerie la plus lourde »?
Écœuré, il quitte Munich et passe l’hiver à Traunstein,
près de la frontière autrichienne, OU il assure la garde d’un
camp de prisonniers de guerre qui attendent leur rapatrie-
ment.
Lorsuu’il revient à Munich. en 1919, la situation a évolué.
Kurt Eisner a été assassiné. Lewien, Axelrod e t Léviné se
sont enfuis. Un corps expéditionnaire, envoyé de Berlin, a
mis fin à la dictature des Conseils 1. Mais une fois de plus,
le sang a coulé, et la Bavière se remet mal de tous ces
chocs successifs.
E n mai 1919, Hitler est nommé Bildungsofizier, c’est-
&-dire(( oficier d’instruction )) dans la Reichswehr provisoire.
Outre les cours de civisme qu’il doit donner aux engagés
volontaires, il est chargé de renseigner ses supérieurs sur
les tendances et l’activité des innombrables petits partis
politiques qui jaillissent comme des champignons sur le
sol surchauffé de l’ancien royaume des Wittelsbach. C’est
ainsi qu’il entre en rapport avec le Parti ouvrier allemand,
ou Deutsche Arbeiter Partei. Le 16 septembre 1919, il décide
d’adhérer à ce petit groupement de six membres a, présidé
par un serrurier du nom d’Anton Drexler, qui ne possède
ni statuts, ni programme, ni cachet, ni papier à lettres et
dont les fonds s’élèvent exactement à 7 marks 50. (( Puis-
qu’il faut commencer quelque part, se dit-il, autant là
qu’ailleurs. n
Les premières réunions du Parti n’attirent qu’une tren-
taine d’auditeurs, d’ailleurs toujours les mêmes. Hitler
s’efforce en vain d’accroître ce petit cercle de sympathisants.
Mais il se heurte partout à l’indifférence la plus complète
et les ressources manquent pour imprimer des invitations.
Alors il décide de frapper un grand coup. Le 16 octobre
1919, c’est-à-dire un mois après son entrée dans le groupe,
il organise une réunion publique dans le sous-sol d’une brasse-
rie de Munich, le Hofbrauhaus. (C’est celle à laquelle ont
été conviés Rosenberg et Dietrich Eckart.) Le résultat
dépasse toutes ses espérances : 111 personnes ont répondu
1. Voir vol. 1 p. 295.
2. MM. Harrer, Anton Drexier, Gottfried Feder, etc.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 249
à son appel. Pour la première fois, Hitler prend la parole
devant un public allemand et au bout d’une demi-heure il
a tellement électrisé son auditoire que le montant de la
collecte atteint 300 marks. Pour h i témoigner leur reconnais-
sance, les dirigeants du Parti le nomment, deux mois plus
tard, chef de la propagande (5 janvier 1920).
Convaincu que le recrutem’ent des adhérents dépend de
la multiplication des réunions, Hitler organise, le 24 février
1920, une assemblée de masse, non plus dans le sous-sol,
mais dans la salle des fêtes du Hofbrauhaus. Ses camarades
sont effrayés par tant d’audace. Ils craignent qu’il ne compro-
mette l’avenir du Mouvement, d’autant plus qu’il a fait
annoncer la réunion en ville par des affiches rougesqui
excitent la colère des partis de gauche. La réunion doit
commencer à 19 h. 30, et Hitler est un peu inquiet du résul-
tat. Mais dès 19 h. 15, la salle est bondée. Plus de 2.000 per-
sonnes remplissent le local. Lorsque Hitler prend la parole,
il est immédiatement interrompu par les exclamations
bruyantes d’un groupe de communistes. Engageant la dis-
cussion avec eux, il finit par leur imposer silence et c’est
au milieu d’un enthousiasme croissant qu’il expose le pro-
gramme du nouveau Parti, rédigé en 25 points, dont le
22e proclame : (( Nous exigeons la suppression de l’armée
de mercenaires et la création d’une armée nationale l. n
Le 1er avril 1920, c’est-à-dire au lendemain du putsch
de Kapp, Hitler abandonne ses fonctions d’officier d’instruc-
tion et est délié de toute obligation militaire. Désormais,
il peut se consacrer entièrement au Parti, qui fait SOUS son
impulsion des progrès rapides. Le 21 avril, le premier groupe
situé en dehors de Munich se constitue à Rosenheim.
Voulant doter le Mouvement d’un drapeau qui soit à la
fois un symbole et un signe de ralliement, Hitler dessine
l’étendard rouge à besant blanc et à croix gammée noire,
qui deviendra, treize ans plus tard, le drapeau du IIIe Reich.

i . Les autres points principaux du programme sont : la libération dea chaînar


d u traité de Versailles; l’égalifd des droifs, y compris en matière d’armemenfs;
l’unification de tous les Allemands citant en dehors des fronlières d u Reich; l’exclu-
niondes Juifs de la direction politique de l’Allemagne; la création d’une classe moyenne
vigoureuse; la refraile des vieillards; le développement des enfants doués, sans distinc-
tion de catégories eocides; la lutte pour l’amélioration de la sanid publique; la pro-
tection de la mère et de l’enfant; la suppression de la tyrannie du taw d’inidrét; la
rdformeagraire; l’abolitiondclalutledesclasserparla créationd’une véritable comrnu-
naufe nationale.
250 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

Puis il modifie le nom du Parti : celui-ci s’appellera doréna-


vant Parti ouvrier allemand national-socialiste (National-
Sozialistische Deutsche Arbeiter Partei, ou N. S. D. A. P.).
Entre-temps, Hitler s’est lié d’amitié avec Dietrich Eckart.
Le 17 décembre, il achète sur son conseil une petite feuille
nationaliste, le Volkischel: Beobachter, qui devient le bulle-
tin officiel d u Parti et lui permet d’étendre considérablement
son champ d’action l. Un mois plus tard (21 janvier 1921),
a lieu la première assemblée générale du Parti qui compte
à présent 3.000 membres. Faisant le bilan de son activité
au cours de l’année écoulée, Hitler annonce que quarante-
six réunions de masse ont été tenues depuis le l e r janvier
1920.
Le 3 février 1921, le Parti national-socialiste organise
un grand meeting populaire au cirque Krone, de Munich.
6.500 personnes y assistent. Pendant les mois suivants,
réunions de masse et réunions de groupes se succèdent à la
cadence de deux ou trois par semaine. Enfin, le 29 juil-
let 1921, Hitler, dont la personnalité a éclipsé celle de tous
ses collaborateurs, est nommé président du Parti.
Une première étape est franchie : il a réussi à se hausser
à la tête du Mouvement. Une deuxième étape commence :
imposer sa volonté à la Bavière. Mais il sait qu’il n’y par-
viendra pas sans luttes. Déjà, il sent grandir la colère des
communistes, qui l’attaquent quotidiennement dans leurs
journaux. Sachant qu’un conflit entre ces deux factions
est inévitable, mais ne voulant pas se mettre sous la protec-
tion de la police -qui est au service d’un régime dont il refuse
de reconnaître l’autorité - il fonde, le 3 août 1921, c’est-
à-dire cinq jours après sa nomination à la tête du Parti, une
(( Association de sport et de gymnastique D qu’il charge d’as-

surer l’ordre à l’intérieur et autour des salles. C’est le pre-


mier embryon de la future armée brune.
La première collision grave entre nazis et marxistes sur-
vient le 4 novembre 1921. Hitler a organisé pour ce soir-là
une réunion de masse dans la salle des fêtes du Hofbrauhaus,
et le Parti communiste, qui a décidé de s’y opposer par la
force, y envoie plusieurs centaines de ses membres (( pour en

1. Le general von Epp, sollicité par le capitaine Rahm, avança 60.000 marks
pour l‘achat de cette feuille. Les autoritbs de la Reichswehr invoquèrent ce fait
par la suite pour 1 ’obliger Q donner sa démission de l’armée. .I1 entra dors, Q titre
de conseiller politique, dans la N. S . D. A. P.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 251
finir une fois pour toutes avec ces braillards de nationa-
listes 1).
(( Lorsque j’arrivai sur les lieux, écrit Hitler, aucun doute

ne pouvait subsister quant aux intentions de nos adver-


saires. Le local était bondé, de sorte que ses accès avaient
été barrés par la police. Les communistes, arrivés à l’avance,
occupaient les meilleures places, tandis qu’un grand nombre
de nos adhérents étaient restés dans la rue. J e réunis alors le
petit groupe de quarante-six jeunes gens qui formaient le ser-
vice d’ordre et leur dis qu’ils devaient se faire tuer sur place
plutôt que d’évacuer la salle, que je resterais moi-même sur
l’estrade jusqu’à la fin, que je pensais qu’aucun d’entre eux
ne m’abandonnerait, mais que si j’en voyais un seul se
conduire en lâche, j e lui arracherais moi-même son brassard
et son insigne. Puis je leur rappelai que c’est en attaquant
qu’on se défend le mieux. Un triple Heil! plus rauque et
plus résolu que jamais répondit à mes paroles l. 1)
Lorsque le chef du Parti national-socialiste pénètre dans
la salle, il sent qu’une hostilité violente couve dans la foule.
Pourtant la première partie de son discours se déroule sans
incident. C’est seulement au bout d’un moment - (( à la
suite, déclare-t-il, d’une petite erreur tactique de ma part ))
- que le tumulte se déchaîne. Des cris e t des hurlements
fusent de divers côtés. Le vacarme devient assourdissant.
Bientôt les cruches de grès, les chaises, les tables, com-
mencent à voler vers la tribune.
Au même instant, les membres du service d’ordre entrent
en action. Par groupes de dix et de douze, ils se précipitent
sur leurs adversaires et les refoulent vers les portes. Des
horions sont assenés de part et d’autre. La plupart des
jeunes gens ont la figure couverte de sang; quelques-uns
d’entre eux sont même assez sérieusement blessés. Mais ils
repartent à l’attaque, sans s’occuper des coups de feu qui
éclatent au fond de la salle, et réussissent au bout de quelque
temps à expulser les manifestants. Peu à peu le calme renaît,
et le président du bureau annonce : (( La séance continue. 1)
La salle est complètement saccagée, mais les Nationaux-
socialistes sont restés maîtres du terrain.
Le même soir, Hitler réunit les membres du Service
d’ordre, à la tête duquel se trouve un jeune oficier aviateur
252 HISTOIRE D E L’ARMEE ALLEMANDE

du nom de Rudolf Hess, e t les félicite de leur courage. Puis


il déclare que l’Association de sport et de gymnastique por-
tera désormais le nom de Section d’Assaut1. Lorsque la
seconde assemblée générale du Parti s’ouvre à Munich, aux
derniers jours de janvier 1922, le nombre des adhérents
s’élève à 6.000.
Entre-temps, le gouvernement de M. von Kahr a été rem-
placé par un nouveau Cabinet dont les sympathies pour le
régime républicain sont plus marquées. Le 24 juin - le
jour même où Rathenau est assassiné à Berlin - Hitler
est invité à purger une peine de trente jours de prison à
laquelle il a été condamné, pour avoir dispersé par la force
une réunion de la (( Ligue bavaroise n ( B a y e r n B u n d ) de
tendances séparatistes.
Un de ses premiers soucis après sa libération (27 juillet)
est de renforcer la structure et les effectifs de sa Section
d’Assaut, car il devine que les incidents du 4 novembre 1921
ne sont que le prélude d’une lutte beaucoup plus âpre2.
I1 demande pour cela au capitaine Ehrhardt de lui fournir,
comme instructeurs, d’anciens officiers de sa brigade 3 e t
rédige les directives suivantes pour la constitution des S. A. :
10 L’instruction des volontaires ne doit pas s’effectuer suivant
des principes purement militaires, mais en fonction d u rôle qui
leur incombe à l’égard d u parti. Il est préférable de leur don-
ner une culture physique générale plutôt que de les astreindre
à un maniement d’armes, forciment incomplet. Il faut se péné-
trer de ce principe que les S. A. doivent remplir u n double but :
a) servir d‘organes de défense a u Parti; b) former la base de la
future armée nationale destinée à remplacer la Reichswehr de
métier. S i z millions de jeunes gens impeccablement entraînés
et animes d’un patriotisme fanatique, doivent permettre cà ceite
transformation de s’effectuer e n moins de deux ans après lu prise
d u pouvoir.
20 Les Sections d‘Assaut doivent porter un uniforme qui les
rende immédiatement reconnaissables, pour leur enlever tout

1. Sturm-Ableilung, au S. A.
2. II ne se trompe pas, puisque d’ici la prise du pouvoir, le Parti comptera
387 morts et 43.000 blessés.
3. Edgar von SCHMIDT-PAULI, Die Manner um Hitler, p. 112.
4. I1 est intéressant de confronter ces directives avec le rbglement élaboré par
l e génhral Mærcker, lors de la constitution de son corps franc. (Voir vol. I, p. 118
e t S.) Ces deux textes se rapprochent en ce sens qu’ils marquent la volont6 de
leurs auteurs de ne pas chercher A copier l’ancienne armée impériale, mais de
créer une troupe nouvelle, exactement appropriée au but qu’ils lui assignent.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 253
caractère d’associations secrètes et couper court aux Zigendes qui
courent sur leur compte. Pour leur retirer toute velléité de satis-
faire leur (( activisme par de petites conspirations individuelles,
il faut leur inculquer? dès leur formation, Ia grande idée dont
le Mouvement poursuit In réalisation. Le premier devoir des
instructeurs est d’dargir l’horizon de chaque individu, de lui
montrer que sa mission consiste à servir cette idée, non à suppri-
mer tel ou tel de ses adversaires. Il s’agit d’élever le combat
au-dessus de l’atmosphère mesquine des conjurations privées et
des vindictes personnelles, pour lui donner la grandeur d‘une
guerre d’e.ztermination contre le marxisme.
30 L a structure, l’équipement et l‘armement des Sections d‘As-
saut ne doivent pas chercher à imiter ceux de l’ancienne armée.
Ils doivent être exactement adaptés à la tâche particulière qu!
incombe à cette troupe. L’uniforme doit se distinguer de celui
de la Reichswehr, en ce sens qu’il n’est pas une tenue de
campagne. Sa coupe simple et sportive doit se prêter aux
marches e t faciliter l’action des volontaires en cas de bagarres
et d’émeutes. Ses couleurs voyantes doivent en faire uninstru-
ment de propagande. Enfin, son uniformité doit effacer touîe
distinction de classe entre camarades d u Parti 1.
40 L e nombre et les effectifs des Sections d’Assaut doivent être
aussi élevés que possible, pour témoigner de l‘ampleur et de la
force d u Mouvement auquel elles appartiennent

Conformément à ces principes, la Section d’Assaut de


Munich est divisée en six cohortes, ou Hundertschaften, et
Hitler n’attend qu’une occasion favorable pour les montrer
au public. Le 16 août, les associations nationalistes de
Bavière organisent un meeting de protestation contre la loi
pour la protection de la République. Plus de 50.000 per-
sonnes sont déjà massées sur la Konigsplatz, lorsque les
membres du Parti national-socialiste font leur entrée, pré-
cédés par les six cohortes, .portant une quinzaine d’étendards
à croix gammée. (( L’arrivée des Sections d’Assaut, écrit
Hitler, marchant au pas cadencé avec leurs drapeaux
déployés fit une sensation profonde. C’était leur première
apparition en public. Le succès moral de cette journée fut
considérable 3. D
Quinze jours plus tard, deux cohortes nouvelles sont

1. Les Sections d’Assaut ne regurent leur uniforms definitif qu’un peu p h i


tard.
2. Mein Kampf, p. 611, 612.
3. ibid., p. 613.
254 HISTOIRE D E L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

venues s’ajouter aux six qui existent déjà, et leur nombre


ne cesse de croître de semaine en semaine. Mais il ne sufüt
pas de les faire défiler : Hitler veut à présent les lancer dans
l’action, pour renforcer leur cohésion et montrer ce dont elles
sont capables.
Le 14 octobre a lieu, à Cobourg, une u Journée allemande »,
organisée par la fédération des partis nationalistes. Le
Comité a invité Hitler et lui a demandé de se faire accom-
pagner par une (( petite 1) délégation. Le chef du Parti nazi
s’y rend avec les 800 hommes de la milice de Munich, pré-
cédés d’une cinquantaine de drapeaux et d’une fanfare de
42 musiciens. Le train spécial qui les amène à Cobourg
soulève, sur son passage, la curiosité la plus vive. Arrivé à
destination, Hitler est reçu à sa descente du train par une
députation du Comité d‘organisation qui le supplie, d’un
air embarrassé, de ne pas défiler en groupe, de cacher
ses drapeaux et de renoncer à sa fanfare pour ne pas pro-
voquer la colère des syndicats de gauche. Indigné par cette
requête qui lui paraît une capitulation, Hitler donne aussi-
t ô t l’ordre à ses cohortes de former les rangs, de déployer
leurs drapeaux et de faire leur entrée à Cobourg, musique
en tête.
Mais au lieu de conduire les S. A. vers les quartiers qui
leur sont réservés à la périphérie de la ville, la police, pro-
fitant de leur ignorance des lieux, les dirige vers une brasserie
située au centre de l’agglomération. A peine la dernière
cohorte a-t-elle pénétré dans la cour que la foule se rue sur
la brasserie de plusieurs côtés à la fois. Craignant que l’inci-
dent ne prenne des proportions tragiques, la police fait blo-
quer les portes de l’immeuble, que les manifestants assiègent
en poussant des cris de rage. Trouvant cette situation into-
lérable, Hitler réunit ses hommes et leur annonce son inten-
tion de répondre à la violence par la violence. Puis il somme
la police d’ouvrir les portes, sans quoi ses hommes les
feront sauter eux-mêmes. Après beaucoup d’hésitation, la
police finit par dégager les issues et les S. A. peuvent rega-
gner leurs cantonnements en bon ordre.
Dans la soirée, la foule se concentre de nouveau autour des
casernements et commence à jeter des pierres aux volon-
taires des Sections d’Assaut. Ceux-ci, exaspérés par les inci-
dents de l’après-midi, ripostent par une grêle de projectiles
qui disperse rapidement les manifestants.
L’ÈRE DES COUPS D’BTAT 255
Le lendemain matin, à tous les coins de rue, des affiches
rouges invitent les membres des syndicats marxistes à faire
une démonstration de masse u contre les bandes de fac-
tieux et d’assassins qui se sont juré d’exterminer la classe
ouvrière ».Cependant, les S. A. ont reçu des renforts pen-
dant la nuit, et c’est au nombre de 1.500 qu’ils se dirigent
vers la grande place où doit se tenir le meeting. Ils s’attendent
à y livrer une bataille rangée. Mais au lieu des 10.000mani-
festants annoncés, seules quelques centaines de militants
syndicalistes ont répondu à l’appel. E n un tournemain, les
S. A. leur font évacuer la place, parmi les ovations de la
population de Cobourg, qui commence à sortir de sa passivité
maintenant que tout danger est passé.
Le même soir, les S. A. se rendent à la gare pour regagner
Munich. Mais là, de nouveaux incidents éclatent. Les
cheminots refusent de mettre leur train en marche. Sans
hésiter, Hitler ordonne à ses hommes de s’emparer des
meneurs et de les faire monter, sous bonne garde, dans le
tender et dans les wagons. Puis il déclare aux cheminots que
ses hommes assureront eux-mêmes la marche du train, mais
que, n’étant nullement familiarisés avec ce genre de travail,
ils risquent de faire dérailler le convoi en cours de route.
(( D’ailleurs, peu importe, ajoute-t-il en désignant les otages,

nous nous casserons la figure tous ensemble, vos camarades


et nous, ce qui sera une excellente façon de mettre en pra-
tique le principe d’égalité, si cher à votre République l. )I
Décontenancés par cet argument inattendu, les cheminots
finissent par céder. Quelques heures plus tard, la troupe
est rentrée à Munich.
(( L’expédition de Cobourg, écrit Hitler, fut en tous points

un succès. D’abord, elle apprit aux ouvriers marxistes,


abusés par les mensonges de leurs chefs,.que nous aussi,
nous luttions pour un idéal, puisque nous étions disposés à lui
sacrifier notre vie. Puis, elle nous démontra que nous ne
pouvions compter sur l’appui des milieux bourgeois - même
de droite - car ils étaient prêts à faire toutes les concessions
possibles à leurs adversaires. Enfin, elle nous prouva que
notre tactique était la bonne et que c’était sur leur propre
terrain qu’il fallait battre les communistes, c’est-à-dire en les
empêchant d’être maîtres de la rue a. D
1. Mein Kampf, p. 617.
P. Ibid., p. 618 .
256 HISTOIRE DE L’ARWÉE ALLEMANDE

Hitler utilise les semaines suivantes à exploiter ce succès


et à intensifier sa propagande. Le 30 novembre, il tient
cinq réunions le même jour. Le 13 décembre, il prend la
parole dans dix réunions. A la fin du mois, les effectifs du
Parti s’élèvent à 30.000 membres et ceux des Sections
d’Assaut, à 6.000 hommes. Les fonds du Parti sont passés
de 7 marks 50 à plus de 170.000 marks-or (soit environ
2.600.000 francs de l’époque). Les derniers bastions du corn-
munisme bavarois sont enlevés l’un après l’autre. E t c’est
au milieu d’une ambiance fiévreuse et haletante, parmi le
piétinement des Sections d‘Assaut qui défilent de plus en
plus nombreuses sur les routes de Bavière, au milieu des
appels de trompettes et des cris toujours croissants de N Heil
Hitler! )) et de (( Deutschland erwache! D que l’on arrive à
1923, cette année que l’on a appelée, non sans raison,
(( l’année inhumaine N.
XVI

LA REICHSWEHR
MAINTIENT L’UNITÉ DU REICH

I. - L’occupation de la R u h r
et l a proclamation de l’état d’exception.

(( La fin de l’année 1922, écrit Clemenceau, fut occupée

par de vaines discussions entre l’Angleterre et la France au


sujet des réparations. La première était disposée à accorder
quatre années de suspension de paiements, purement e t
simplement. M. Poincaré, lui, soutenait la thèse : p a s de
moratorium sans gages )) Lors d’une réunion tenue à Londres
du 9 au 11 décembre, les représentants des Puissances alliées
n’avaient pu concilier leurs points de vue. Sur ces entre-
faites (27 décembre), la Commission des réparations, prési-
dée par M. Barthou, avait constaté à la majorité des voix
un manquement de l’Allemagne concernant les livraisons
de bois 3. Les chefs des gouvernements alliés s’étaient réu-
nis à Paris, du 2 au 4 janvier 1923, pour examiner à nouveau
la situation. (( On sait ce qu’il advint de ces échanges de
vues, écrit M. Paul Tirard, e t comment, après le rejet de
la proposition de M. Bonar Law, les gouvernements français
e t belge, à l’exclusion du gouvernement britannique, se
mirent d’accord sur le principe de leur intervention 4. 1)

1. CLEMENCEAU,Grandeurs et Misères d’une victoire, p 267.


2. Le représentant britannique s’était abstenu.
3. L’Allemagne devait livrer à la France 200 O00 ma de poteaux télégraphiques
avant la fin de 1922. Or, le 15 décembre, elle n‘en avait livré que 65 O00 ma. Ce
fut cette différence de 135 O00 mqde poteaux télégraphiques qui décida, en dernier
ressort, de l’occupation de la Ruhr.
4. Paul TIRARD, La France sur le Rhin, p. 346. M. Child, ambassadeur des
États-Unis, était si opposé à l’occupation de la Ruhr qu’il avait suggéré au secré-
taire d’État Hughes a d‘adresser directement un appel à l’opinion publique, en
passant par-dessus la tête du gouvernement français u. (TANSILL, op, cit., p. 28.)
Il 17
258 HISTOIRE D E L’ARMEE ALLEMAND E

Pourtant, l’unanimité était loin de régner à Paris sur


l’opportunité de cette opération. Dans l’Europe et les E u r o -
péens, le comte Sforza nous montre combien les hommes
d’Etat français étaient divisés. Clemenceau - que l’on ne
saurait taxer de complaisance envers l’Allemagne - y était
nettement opposé. A des industriels lorrains qui le pres-
saient de faire occuper la Ruhr, dès la conférence de Paris,
il avait répondu : (( J e ne verserai pas le sang d’un seul soldat
français pour vous procurer du charbon. N Foch, si rarement
d’accord avec le président du Conseil, appelait la Ruhr
(( un affreux guêpier ». Millerand, Leygues, Briand, qui
s’étaient succédé au pouvoir après la retraite du Tigre,
voulaient se servir du mot N Ruhr 1) comme d’une épée de
Damoclès destinée à contraindre l’Allemagne au respect de
ses engagements. Ils pensaient, plus ou moins consciemment,
que ce mot pourrait accomplir des miracles aussi longtemps
qu’il resterait à l’état de menace, mais que son application
risquerait d’être désastreuse. Poincaré lui-même se montrait
hésitant. Mais il se sentait lié par ses articles de la R e v u e des
Deus M o n d e s , dans lesquels il avait lancé la formule : pas
de moratoire sans gages.
Seul Barthou y tenait, et y tenait aveuglément, malgré les
objections des partis de gauche1 et les avertissements de
l’Angleterre. Applaudi par une partie de l’opinion publique
qui ignorait à peu près tout de ce qui se passait en Alle-
magne, il ne cessait de harceler le gouvernement e t de le
pousser en avant. L’occupation permanente de la Ruhr
devait être, pour la France, un gage de sécurité, un substi-
t u t à la garantie anglo-américaine qu’elle n’avait pas pu
obtenir.
C’est dans ces conditions que Poincaré, tiraillé de divers
côtés, opta enfin pour l’intervention et notifia au Reich, le
10 janvier 1923, l’intention de la France d’envoyer dans la
Ruhr une mission d’ingénieurs, accompagnés de troupes,
pour contrôler le rendement économique du bassin industriel.

..
a L’opération, écrit M. Tirard, fut menée avec une préci-
sion, un tact et un sang-froid remarquables par le général
1. MM. Herriot e t Léon Blum avaient ouvertement ddnoncé Ics dangers de
l’entreprise.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 259
Degoutte, commandant en chef des armées alliées 1.1) Le
11 janvier, les troupes françaises et belges occupent sans
coup férir Oberhausen et Essen, ainsi qu’une fraction
importante du bassin de la Ruhr, tandis que la Mission
Interalliée de Contrôle des Usines et des Mines (désignée
par le sigle de M. I. C. U. M.) débarque à Essen e t prend un
premier contact avec les industriels de la région.
Mais à ce moment survient un coup de théâtre :le chancelier
Cuno, qui a succédé à M. Wirth le 22 novembre 1922, répond
à l’action du général Degoutte en proclamant la résistance
passive. Le Cabinet de Berlin interdit à tous les fonction-
naires de la zone occupée d’avoir le moindre contact avec les
autorités franco-belges, et se lance dans une contre-offensive
industrielle dont les vagues vont se succéder pendant plu-
sieurs mois :refus d’exécuter les livraisons prévues au titre des
réparations en nature, cessation officielle des paiements, refus
de subvenir aux frais des forces d’occupation, grèves par
ordre gouvernemental des chemins de fer, des administrations
civiles, des douanes et des postes; abandon systématique
des mines, des voies ferrées, des ateliers; sabotage des
signaux, des aiguillages, des installations électriques, des
téléphones. Les ponts sautent, les trains déraillent, des offi-
ciers du corps d’occupation sont assassinés en plein jour.
De plus, le Syndicat du charbon, qui est le cerveau du
bassin minier rhéno-westphalien et qui commande tous les
leviers de cette formidable organisation technique, a quitté
Essen dans la nuit qui a précédé l’arrivée des troupes fran-
çaises, en emportant toutes ses archives. Pour répondre à
cette défection, les divisions du général Degoutte occupent,
le 15 janvier, l’ensemble du bassin de la Ruhr et en parti-
culier Bochum, centre de la production du coke. Des élé-
ments nationalistes provoquent dans cette dernière ville une
échauffourée. Des coups de feu sont tirés sur un poste fran-
çais qui doit se défendre par les armes. Le lendemain nos
troupes occupent Dortmund z. Semblables à deux lutteurs
qui s’étreignent corps à corps, la France et l’Allemagne sem-
blent engagées dans un combat sans issue.
Le 16 janvier, la Commission des réparations constate
deux nouveaux manquements de l’Allemagne. En guise de

1. Paul T i n A n D , o p . tit., p. 361.


2. Paul T i n i n D , op. cit., p. 348.
260 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

représailles, la H. C. I. T. R. 1 promulgue, le 18, trois ordon-


nances décrétant la saisie de certains revenus du Reich
en territoire occupé : douanes, licences, forêts domaniales,
impôt sur le charbon. Enfin, le 26 janvier, la Commission,
des réparations ayant constaté (( le manquement général du
Reich »,les gouvernements français et belge décident d’in-
terdire tout envoi de coke e t de charbon de la Ruhr à desti-
nation de l’Allemagne non occupée. Cette interdiction est
étendue par la suite aux produits métallurgiques et fabri-
qués. (( Ainsi, écrit M. Tirard, la Rhénanie e t la Ruhr vont
se trouver totalement séparées du reste de l’Allemagne. B
Mais au fur et à mesure que les autorités alliées étendent
leur action, il semble que tout l’édifice économique allemand
s’écroule entre leurs mains. La production du charbon qui
avait été de 90 millions de tonnes en décembre 1922, tombe
à 8,5 millions en février, e t s’arrête complètement en mars.
Sur 70 hauts fourneaux en activité le l e r janvier 1923, trois
seulement sont encore allumés le 15 mars. Les stocks de
coke e t de charbon s’épuisent sur le carreau des mines. Les
attentats se multiplient 2. Le trafic ferroviaire s’arrête. I1
devient impossible de ravitailler la population rhénane, que
la paralysie de son immense réseau ferré menace de
famine S. Vers le début du mois d’avril, l’opération paraît
sur le point de tourner au désastre.
t
+ +
Affrontées à cet ensemble de problèmes d’une ampleur et
d’une diversité insoupçonnées, les autorités franco-belges réa-
gissent avec sang-froid et énergie. S’attaquant d’emblée au
problème essentiel, le général Payot et le colonel Havard *
s’efforcent de rétablir la circulation ferroviaire. Des milliers
d’agents des chemins de fer, venus des provinces les plus

1. Haute-Conmission Interalliée cles Terriloires Rhénans.


2. a C’est au mois de mars que le nombre des attentats atteint son paroxysme.
On compte 86 attentats, dont 20 par engins explosifs. Certains d’entre eux furent
particulièrement graves, comme la destruction du pont de Düren avant le passage
de l’express Uruxelles-Cologne, qui p u t heureusement être arrêté à temps, et, le
30 juin, l’attentat du pont de Duisburg, où une bombe à retardement, déposée
dans une voiture d’un train de permissionnaires belges, causa la mort de 12 soldats
e t cn blessa 20. I (Paul T I R A R D , op. cil., p. 353.)
3. ID., ihid., p. 361.
4. Respectivement président et chef d’État-Major de la Commission Interaili6e
des Chemins de Fer de Campagne (C. 1. C. F. C.).
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 261
éloignées de France et de Belgique, viennent remplacer a u
pied levé les cheminots allemands défaillants.
c Nos hommes, écrit M. Tirard, se trouvaient en pré-
sence de difficultés sans précédent. Transportés du jour a u
lendemain dans une région dont ils ignoraient la langue e t
les usages, ils se virent confier la marche d‘un réseau d’une
extrême complexité, dont ils ne connaissaient, pour la plu-
part, ni la signalisation ni les méthodes techniques d’ex-
ploitation. On pouvait donc craindre - et c’est ce qu’espé-
rait le gouvernement du Reich - que leurs efforts ne fussent
pas couronnés de succès. Les cheminots français et belges
trompèrent cet espoir; ils triomphèrent avec une bonne
humeur inaltérable de difficultés que l’on avait jugées
insurmontables. L’ordre était clair : les trains doivent pas-
ser; ils passèrent l. ))
Dès ce moment, on peut dire que la partie est gagnée. Le
trafic se rapproche de sa cadence normale et devient sufi-
sant pour assurer les besoins des troupes et de la population
civile. Voyant l’inutilité de leur abstention, un certain
nombre de cheminots allemands reprennent le travail.
De leur côté, les magnats de la grande industrie com-
mencent à se lasser d’un chômage forcé qui les prive du plus
clair de leurs revenus. A force d’être inactives les machines
s’abîment; les mines, non exploitées, se détériorent. Enfrei-
gnant les ordres du Reich, quel(,ues-uns d’entre eux signent
des accords privés avec la M. I. C. U. M. et acceptent de
reprendre les livraisons de charbon a.
Ces signes de fléchissement dans la résistance passive -
qui se multiplient à partir de juin et de juillet - ne sont pas
sans inquiéter les dirigeants du Reich. L’effondrement total
1. Paul TIRARD, op. cit., p. 362. Ce travail, auquel on ne rendra jamais suffi-
samment hommage, s’effectua en deux temps; d’abord par le général Payot et IC
colonel Havard, i la tête de la Commission Interalliée des Chemins de fer de Cam-
pagne; puis par la Régie franco-belge des Chemins dc fer, créée le 19 mars 1923
par la H. C. I. T. R. et dirigée par M.Bréaud. On peut se faire une idée du travail
accompli par ces deux organismes quand an sait que, pcndant plusieurs mais,
9.079 agents français et 957 agents belges eurent la charge d’un réseau qui accu-
pait, en temps normal, 170.000 agents allemands. (Cf. les articles d e BI. Soulez,
secrétaire général de la Régie, dans la Revue générale des C/re>ninsde fer, août et
septembre 19.4.)
2. Hugo Stinnes qui avait commencé par suspendre I’esCeution de son accord
avec M. de Lubersac, ne tarde pas h changer d’avis. I1 va jusqu’i envisager la
création d’un Duché économique D de la Ruhr et déclare qu’il a l’intention de
(I

négocier directement à Paris, la question des réparations et le sort de la région


rhéno-westphalienne. (Cf.la lettre de Hugo Stinnes au DI Stresemann et la réponse
de ce dernier, L’Europe nouvelle, 27 octobre 1923.)
262 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

des finances allemandes affaiblit le soutien matériel assuré


par Berlin aux grévistes. C’est l’époque où le cours du mark
varie d’heure en heure et ne se chiffre plus par milliards,
mais par billions
De plus, des tendances séparatistes se font jour dans le
Palatinat, sous l’impulsion du Dr Dorten, de Smets et de
Matthes z. Certains assurent que M. Conrad Adenauer, le
bourgmestre de Cologne, les encourage en sous-main. Tous
ces symptômes prouvent clairement au gouvernement alle-
mand qu’il serait dangereux de prolonger les hostilités. Le
13 août 1923, le chancelier Cuno est renversé et M. Strese-
mann est chargé de former le nouveau Cabinet. Une détente
se manifeste au cours des semaines qui suivent. Enfin, le
26 septembre 1923, l’Allemagne fait savoir officiellement
qu’elle renonce à la résistance passive 3.

1. La dette flottante de l’Allemagne, qui se montait le 11 janvier 1923, à


1.600 milliards de marks s’élève le 4 août à 69.600 milliards. (Chiffres cités par le
chancelier Cuno dans son discours du 11 août.)
2. On sait que ce mouvement, s u r lequel M. Poincaré fondait de grandes espé-
rances, s’écroula lamentablement. Les chefs séparatistes furent sauvagement abat-
tus les uns après les autres par des groupements nationalistes venus de l’intérieur
du Reich. Heinz et Orbis furent assassinés à Spire, le 9 janvier 1924. Le 12 février,
une trentaine de séparatistes furent cernés dans l’hôtel de ville de Pirmasens qui
leur servait de quartier général. Les nationalistes montèrent b l’assaut du biti-
ment Q coups de bombes et de grenades à main. Ne parvenant pas à s’emparer
de l’édifice, ils l’arrosèrent d’essence et y mirent le feu. Ceux d’entre les assiégés
qui ne périrent pas dans les flammes furent abattus à coiips de hache. Les auto-
rités d’occupation, qui avaient d’abord favorisé le mouvement, laissérent ce mas-
sacre s’effectuer sans intervenir. R I1 y a, écrit Clemenceau, des souvenirs qu’il
vaut mieux ne pas évoquer. D (Grandeurs el Misères d’une viefoire, p. 197.) Le
17 février 1924, le mouvement séparatiste était définitivement écrasé.
Le résultat final de l’occupation de la Ruhr fut de rendre toute la Rhénanio
a sauvagement antifrancake n. (Rapport de l’ambassadeur Ifoughton d M . Hugues,
le 10 septembre 1923.)
3. L’abandon de la résistance passive fut précédé d’une série de négociations.
Le 7 juin, le Reich adrcssait un mémorandum 5 l’Angleterre, proposant une reprise
des négociations. Le 12 juillet, M. Baldwin déclara à la Chambre dcs Communes
a que l’occupation de la Ruhr était un véritable désastre économique e t que les
propositions allemandes méritaient d’être examinées D.
iil.Poincaré se montra d’abord réticent et refusa de reconsidérer la capacité de
paiement de l’Allemagne. M. Baldwin déclara alors quc la France avait outre-
passé les droits que lui conférait le Traité et que l‘occupation de la Ruhr était
illégale. (Note du 11 août 1932, suivie des consultations de sir John Simon dans
le Times des 14 et 17 août.)
Tout en protestant contre la thèse britannique, la France finit par se rapprocher
du point de vue anglais. Le 30 novembre, la Commission des réparations accepta
la création d’une Commission d’experts a chargés de reconsidérer la capacité de
paiement de l’Allemagne D. Downing Street l’avait emporté.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 263

t
r r

Cette capitulation - car c’en est une - est une victoire


pour les techniciens français et belges. La plupart des pro-
blèmes qui se posent à eux depuis le 11 janvier 1923
sont virtuellement liquidés. Mais aucun des objectifs pour-
suivis par l’entrée de nos troupes dans la Ruhr ne se trouve
atteint, bien au contraire. Lorsqu’on dressera, dans quelque
temps, le bilan de l’opération, on constatera que ses seuls
bénéficiaires moraux sont l’Angleterre et les États-Unis.
Deux comités se constituent à Paris, l’un présidé par un
Américain : le général Dawes, l’autre par un Anglais :
Mr. Mac Kenna. Les Anglo-Saxons deviennent ainsi les
arbitres de la situation. La Commission des réparations est
dépouillée de presque toutes ses prérogatives, qui sont trans-
férées à l’agent général des paiements, Mr. Owen D. Young.
La France évacue la Ruhr, souscrit au moratoire accordé
à l’Allemagne et prend l’engagement de ne rien faire,
à l’avenir, qui puisse porter atteinte à l’intégrité économique
du Reich. a C’était nous lier les mains à jamais, écrit Cle-
menceau, e t renoncer du même coup à notre entière indé-
pendance, ainsi qu’à l’exercice des droits que nous conférait
la traité de Versailles 2. ))
Mais à côté des répercussions politiques que signale Cle-
menceau, il en est d’autres, d’ordre psychologique, qu’il
omet de mentionner. A ce titre, l’occupation de la Ruhr
n’est pas seulement un événement important. C’est un tour-
nant capital dans l’histoire de cette époque.
La discussion franco-britannique a révélé la première fis-
sure grave dans le front interallié. (( En recourant à l’action
isolée, c’est-à-dire en agissant indépendamment de l’An-
gleterre et de l’Italie, fait remarquer le comte Sforza, la
France a commis la faute de polariser sur elle l’hostilité
des milieux patriotiques du Reich. )) Jusqu’à la Ruhr, il
y avait eu en Allemagne des diplomates favorables à la
(( politique d’exécution ».Après la Ruhr, on n’en troùve
plus. L’entrée des troupes françaises à Essen a découragé
tous les partis de gauche qui désiraient un rapprochement
1. C’est le retour au principe inscrit dans le plan de M.Boner Law, que le gou-
vernement français avait refus6 de prendre en considération le 4 janvier 1923.
2. CLPYENCLAV,Grandeur8 e l Misère8 d’une victoire, p. 269.
264 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

sincère avec la France. Elle a donné, en revanche, une impul-


sion formidable au nationalisme allemand, - et c’est ce
dernier fait qui va avoir les répercussions les plus graves.

+ *
(( Une Constitution qui survit, t a n t bien que mal, à des

froissements et violations chaque jour plus accentués; un


Reichstag qui ne se réunit plus que pour constater son
impuissance; des partis qui s’agitent et se combattent dans
le vide; un système fédéral réunissant vingt pays différents
par des liens incertains; enfin, une armée dont on ne peut
mentionner les (( divisions )) sans sourire, tant le mot prend
un sens inattendu, et dont personne ne sait à quel chef elle
obéira demain )), - tel est le tableau que rapportent d’Alle-
magne ceux qui la visitent à cette époque1. Les paysans,
ne voulant plus vendre leurs denrées, fuient les marchés.
Les campagnes sont terrorisées par des colonnes d’ouvriers
en armes qui pillent les fermes et les métairies. Dans les
villes, le spectacle est plus sinistre encore : une foule morne,
aux visages livides, circule dans les rues, en proie à une apa-
thie totale. Aucune image, aucune statistique, ne peuvent
traduire la détresse qui règne en Allemagne à l’automne
de 1923. Les observateurs n’ont pas t o r t : c’est bien l’année
inhumaine z.
Tout indique l’imminence d’une crise qui risque de laisser
loin derrière elle les troubles de 1919 3. Car en face des élé-
ments extrémistes de la classe ouvrière, qui s’arment clan-
destinement en Saxe et à Hambourg, les révolutionnaires de
droite se font de plus en plus menaçants. Les Sections
d’Assaut d’Hitler se livrent à une agitation chaque jour plus
intense. Ludendorff vient de leur promettre sa collabora-
tion technique. Enfin le gouvernement bavarois, exaspéré
par l’abandon de la résistance passive, défie ouvertement le
cabinet de Berlin.

1. Ci. Marcel RAY,L’Europe nouvelle, numéro du I O novembre 1923, p. 1436.


2. a 1923 représente le point le plus bas atteint par l’Allemagne, le pire de tout
ce qui lui était arrivé depuis 1918. I1 ne devait Ctre dépassé en horreur que par la
catastrophe de 1945. O (Paul ÇCAMIDT, Statist atr/ diplomatischer Bühne, p. 28.)
3. L’U. R. Ç. S. a envoyé à Berlin un Comité spécial dirigé par Piatakov et
componé de six membres, parmi lesquels figure le général Toukhatchevsky. Ce
dernier prendra le commandement de la Garde rouge aiiemande, au cas ob lea
Communistes réusellaient à prendre le desnua.
L’ÈRE D E S COUPS D’ÉTAT 265
Tandis que les extrémistes de droite s’agitent en Bavière,
une effervescence insolite se manifeste dans les milieux
militaires du Brandebourg, e t la concordance de ces deux
mouvements cause les plus vives appréhensions au gouver-
nement du Reich. On s’attend d’un jour à l’autre à voir les
formations nationalistes marcher sur Berlin et saisir le gou-
vernement, comme dans une tenaille, entre deux colonnes
venues simultanément de Küstrin et de Munich.
Si un coup d’État se déclenche, le président Ebert pourra-
t-il, comme en mars 1920, fuir à Dresde avec le gouverne-
ment d’Empire et se placer sous la protection de la classe
ouvrière? C’est peu probable. Les ouvriers en ont assez de
faire la grève sur commande, pour protéger un Parlement
qui se retourne ensuite contre eux. De ce fait, la seule puis-
sance qui subsiste encore en -4llemagne est la Reichswehr,
et son chef est l’arbitre absolu de la situation.
Mais quelle attitude von Seeckt va-t-il prendre si on lui
remet les pleins pouvoirs? Sauvera-t-il la République, ou
favorisera-t-il l’instauration d’une dictature? Résistera-t-il
aux factieux, pour protéger un régime à l’égard duquel on
sait qu’il ne ressent aucune sympathie? Si ses troupes se
heurtent, à mi-chemin de Berlin, aux formations de Luden-
dorff, leur barrera-t-il la route, ou les laissera-t-il passer,
renouvelant le geste de Marius à l’égard de Sylla? Toutes les
hypothèses circulent, parce que toutes sont permises. Lorsque
Ebert demande au général en chef : (( L’armée est-elle
derrière le gouvernement? n von Seeckt lui répond d’un air
impénétrable : (( Monsieur le Président, l’armée est derrière
moi! n Quelle menace obscure, quels desseins inavoués se
cachent derrière ces mots?
Pourtant la ligne de conduite que s’est tracée von Seeckt
est très simple : ce qu’il reproche aux groupements nationa-
listes, ce n’est pas d’être patriotes, ni de vouloir en finir
une fois pour toutes avec la République de Weimar. C’est de
n’avoir ni l’unité de vues, ni l’expérience politique que
requiert une tâche de cette envergure. A supposer qu’ils
parviennent jusqu’à Berlin, que se passera-t-il? Ou bien la
classe ouvrière se révoltera et déchaînera une nouvelle vague
de communisme. Ou bien la population civile les laissera
faire sans réagir. Mais alors les différents groupes voudront
imposer chacun leur chef et se dévoreront entre eux. Dans
l’un comme dans l’autre cas, l’affaire se terminera non
266 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

par une dictature nationale, mais par un bain de sang.


Aussi le chef de la Heeresleitung n’hésite-t-il s a s à répondre,
le 24 septembre, au conseiller Class, qui le presse de faire
cause commune avec les formations nationales :
-Ce que vous me proposez là est une violation de la
Constitution, un acte séditieux! Sachez que je tirerai jusqu’à
ma dernière cartouche, aussi bien contre les révolutionnaires
de droite que contre ceux de gauche. Le rôle de la Reichs-
wehr est de maintenir l’unité du Reich, et ceux qui la
compromettent sont ses ennemis, d’où qu’ils viennent!
Cependant, les députés hésitent encore à lui donner carte
blanche. Les événements vont se charger de leur forcer la
main.
Car le jour même où le gouvernement de Berlin annonce
la fin de la résistance passive (26 septembre), le Cabinet de
Munich est renversé, et M. von Kahr s’érige en Commis-
saire d’État général pour la Bavière. Cet acte ne signifie
pas seulement un désaveu du gouvernement d’Empire. I1
équivaut presque à une scission avec Berlin. Aussitôt,
Ebert proclame l’état d‘exception dans tout le Reich et
remet le pouvoir exécutif au Dr Gessler, ministre de la
Reichswehr .
C’est la deuxième fois, en quatre ans, que la République
allemande est obligée de recourir au paragraphe 48 de
la Constitution et de se dessaisir de ses pouvoirs pour les
remettre aux généraux1. Déjà, lors des interventions de la
Reichswehr provisoire à Leipzig e t à Munich, Noske avait
agi en vertu de ce fameux paragraphe. Mais cette fois-ci les
pouvoirs de l’armée sont beaucoup plus étendus. Enmai 1919,
son rôle s’était borné à exécuter une besogne exclusivement
militaire. A présent, r a m é e exerce, à la place du gouvernement
légal, la gérance du pays 2. Sa tâche, telle qu’elle découle des
décrets du ministre de la Reichswehr, ne consiste pas seule-

1. a E n vertu de l’état d’exception, écrit le Dr Heinz Brauweiler, tous ICs pou-


voirs nécessaires pour assurer la sécurité de l’Empire étaient remis au Ministre
d e la Reichswehr, dont l’autorité devenait absolue. La promulgation des décrets,
l’administration e t l’application des lois tombaient sous sa compétence. I1 savait
que le salut du Reich dépendait de la façon dont l’armée réussirait h vaincro lcs
difficultés intérieures. II avait le droit d’user des suprêmes moyens de coercition.
A ce point de vue, la vigueur des termes dans lesquels étaient rédigées les ordon-
nances présidentielles ne laissait place à aucune équivoque. n (Generdle i n der
Deutschen Republik, p. 44.)
2. Cf. D* GESSLER, Mémoire3 aur l‘état d’excepfion militaire, remis au président
Ebert, le ilseptembre 1924. Ce document, fort peu connu, est des plus intéressants.
L’ÈRE D E S C O U P S D’ÉTAT 267
ment à rétablir l’autorité du Reich à l’égard des Lander,
des Partis ou des groupements d’intérêts (Interessengrup-
pen), mais à assurer le fonctionnement de la vie économique 1.
Au cours des semaines qui suivent, l’activité de la Reichs-
wehr va s’étendre à tout un ensemble de questions qui
excèdent de beaucoup les attributions normales d’une armée :
création de centres de ravitaillement, organisation de grands
travaux, répartition de la main-d’œuvre, surveillance des
cours du mark, fixation des prix des denrées alimentaires,
contrôle des conditions d’embauchage, répression du luxe et
de la spéculation, etc. (( La façon dont la Reichswehr s’ac-
quitta de cette tâche écrasante, écrit Heinz Brauweiler,
montre quelle œuvre décisive peut accomplir, en peu de
temps, une volonté centrale, armée de pouvoirs exception-
nels 2. ))
Mais avant de réaliser ce programme - qui va occuper
tout l’hiver de 1923-1924 - le général von Seeckt doit
vaincre ses différents adversaires, sans leur laisser le temps
d’opérer leur jonction. Quatre centres de fermentation sont
particulièrement redoutables : à l’est, le Brandebourg, où
s’agitent les chefs de la Reichswehr noire; au sud-est, la
Saxe, où les éléments communistes s’arment fiévreusement;
au nord-ouest, Hambourg où les cellules rouges redoublent
d’activité; enfin au sud, la Bavière, qui sert de camp retran-
ché aux révolutionnaires de droite.
Sans perdre un instant, le chef de l’armée allemande
décide d’attaquer chacun de ces groupes l’un après l’autre,
afin de conserver l’initiative des opérations et de commencer
par celui dont l’action semble la plus imminente - c’est-
à-dire par la Reichswehr noire.
1. a Le ravitaillement de la population est, actueliemcnt, le problème le plus
urgent ...Cette tâche incombe en premier lieu au gouvernement. Mais je suis d’avis
que le soldat, du fait qu’il est une instance neutre, située au-dessus des partis, est
spécialement désigné pour assumer, dans ce domaine, le r61e d’intermédiaire et de
conciliateur. D (Circulaire adressée par le Dr Gessler, le 19 octobre 1923, aux com-
mandants de Wehrkreisen.)
2. Dr Heinz BRAUWEILER, Generüle in der Deutschen Republik, p. 53.
XVII

LA REICHSWEHR
MAINTIENT L’UNITE DU REICH

II. - La mutinerie de la Reichswehr noire.


De toutes les associations vivant en marge de la loi, la
Reichswehr noire a été, sans contredit, avec l’organisation
Consul, celle qui a le plus fait couler d’encre et a été l’objet
des interprétations les plus tendancieuses. Son nom inquié-
tant, sa structure malaisément définissable, certains meurtres
commis par ses membres au nom de la Sainte-Vehme, l’ont
rapidement auréolée de mystère et d’horreur. Certains jour-
nalistes, en mal de copie, se sont plu à la représenter comme
un spectre sanglant dressé à l’ombre de la Reichswehr
légale.
Aujourd’hui on sait exactement ce qu’elle fut, depuis ses
origines jusqu’à sa dissolution et, sans nier son importance,
on peut ramener son activité à de plus justes proportions.
Comment s’est-elle constituée et à quel but répondait-elle
dans l’esprit de ses fondateurs? Qui furent ses chefs, et à quels
mobiles obéissaient-ils? Quels rapports, enfin, entretenait-elle
avec l’armée légale? Pour le savoir, il faut remonter au
30 septembre 1920.
A cette date, un certain commandant Buchrucker quittait
la Reichswehr pour entrer dans l’orgesch, une association
paramilitaire de la province de Brandebourg. Celle-ci ayant
été dissoute par un décret du ministre Severing, le comman-
dant Buchrucker se trouva sans emploi et conçut un plan
qu’il soumit aux autorités militaires du Wehrkreis I I I
(Berlin-Brandebourg). En vertu de la loi du 8 août 1920
a sur le désarmement des populations civiles’ »,tous les

1. Voir plus haut, p. 149.


L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 269
individus et les groupements qui détenaient illégalement
des armes devaient les remettre à un Commissaire du Reich,
institué à cet effet. Celui-ci était chargé de les rassembler
e t de les détruire, conformément aux prescriptions de la
Commission interalliée de contrôle.
Le commandant Buchrucker proposa aux représentants de
la Reichswehr de créer en marge du Commissariat du Reich
civil, un organisme militaire qui, sous prétexte de rassem-
bler et de détruire les armes, les stockerait dans des entre-
pôts clandestins et les conserverait en prévision du jour ou
ils en aurajent besoin. Séduits par cette proposition, les
officiers d’Etat-Major du Wehrkreis 1I I autorisèrent le
commandant Buchrucker à créer, dans les principales gar-
nisons du Brandebourg, des petites sections autonomes
dénommées Arbeits-Kommandos, ou A. K. l.
Ces Arbeits-Kommandos ayant réuni et stocké en peu de
temps un matériel considérable, les oficiers du Wehrkreis I I I
créèrent un bureau spécial, le I a T, ou service des renforts
(Truppenverstürkungs-Abteilung) destiné à recenser, dans
les différents districts du Brandebourg, tous les hommes
susceptibles de former rapidement un Grenzschutz en cas de
conflit 2.
Mais alors que, dans l’esprit des officiers du Wehrkreis,
ce travail devait rester simplement à l’état de projet, le
commandant, lui, eut l’idée d’organiser effectivement ces
troupes et de les mobiliser à intervalles réguliers. L’originalité
de son projet consistait en ceci : seul un noyau restreint
- la Stammformation - composé d’un petit nombre d’ofi-
ciers et de sous-officiers resterait en service d’une façon
permanente, pour assurer la continuité des unités e t la
garde des dépôts d’armes, tandis que le gros des volontaires,
convoqués pour quelques semaines, viendraient les renforcer

1. Au bout de quelques semaines, des Arbeits-Kommandos furent créés à Berlin,


Küstrin, Francfort-sur-l’Oder, Spandau, Doberitz, Hahneberg, Potsdam, Fiirs-
tenwalde et Lübben.
2. A un journaliste étranger qui lui demandait ce que ferait la Reichswehr si
les troupes françaises étendaient leur zone d‘occupation, von Seeckt répondit :
a J e n‘en sais rien au juste, mais je puis vous affirmer que la route de Berlin tra-
verse un fleuve de sang. II I1 semble que son projet ait consisté à jeter le gros des
troupes de la Reichswehr contre les divisions francaises, tandis qu’un Grenzschùfz,
rapidement improvisé, défendrait la frontière orientale contre une attaque éven-
tuelle des troupes polonaises. Pour von Seeckt, d’ailleurs, un conflit germano-
polonais semblait tôt ou tard inévitable. (Cf. General von SEECKT, Wege &&cher
Aussenpditik, p. 16 et 17.)
270 HISTOIRE D E L ’ A R I U ~ BALLEMANDE

par roulement et repartiraient en permission une fois leur


période terminée Ainsi, la Reichswehr disposerait de
réserves instruites, prêtes à prendre les armes au premier
appel, mais dont la structure insaisissable et les effectifs
extrêmement fluides échapperaient aux investigations de la
Commission de contrôle. Quant aux volontaires eux-mêmes,
il ne serait pas difficile de les recruter parmi les membres
des associations patriotiques e t des anciens corps francs.
Cette proposition fit l’objet d’un examen attentif de la
part du ministère de la Reichswehr et plus particulièrement
des services du colonel von Schleicher. Elle posait la déli-
cate question des rapports entre l’armée légale et les forma-
tions clandestines.
Jusque-là, la Reichswehr s’était tenue strictement à l’écart
des milieux qui constituaient des formations illégales et
avait toujours refusé de collaborer avec eux. Mais devant
l’aggravation de la situation - e t peut-être sur les instances
du colonel von Schleicher - les dirigeants de la Bendler-
strasse décidèrent de modifier leur ligne de conduite 2.
De ce fait, le commandant Buchrucker fut chargé d’établir
la liaison entre les u formations de réserve n et le service des
renforts du Wehrkreis Kommando I I I . Mais le ministère de la
Reichswehr, n’ignorant pas que la constitution de ces troupes
était une violation flagrante du traité de Versailles, prit
ses dispositions pour éviter toute trace de collusion entre
les bureaux officiels et les formations en question. (( Des
conversations eurent lieu à ce sujet entre le ministère de la
Reichswehr et le ministère de l’Intérieur de Prusse, entre le
ministère de la Reichswehr et le Wehrkreis Kommando, devait
déclarer le colonel von Schleicher en 1927, lors du procès
de la Sainte-Vehme, mais jamais aucune instruction ne
f u t rédigée par écrit. Les chefs étaient toujours convoqués
personnellement et recevaient les ordres verbalement, ,qu’ils
transmettaient, verbalement aussi, à leurs subordonnes. Le
principe auquel nous obéissions était que quiconque écrivait
une ligne avait déjà trahi. En outre, ces affaires ne furent
jamais dirigées directement par le ministère, mais décentra-
lisées à l’extrême ... Moi-même, qui étais particulièrement
chargé de ces questions et qui rédigeais les projets d’instruc-
1. Ce système n’était pas très différent, en somme, de celui employé par Scharn-
horst et Gneisenau de 1809 Q 1811.
2 . Cf. von (XRTZCN, D i e drrrfsrheii Frriliorps, p. 463.
L’ÈRE D E S COUPS D’ÉTAT 271
tions pour le ministre, je n’ai jamais vu ni Buchrucker, ni
aucun de ses collaborateurs l. B

* *
Fort de l’approbation tacite des autorités militaires, le
commandant Buchrucker se met alors à l’œuvre. Sous son
impulsion personnelle naisccnt des compagnies de fantassins
et de mitrailleurs, des bat leries d’artillerie, des sections de
lance-mines et quelques unités spéciales (génie, train, etc.).
(( Les volontaires de ces troupes, recrutés parmi les associa-

tions nationales, écrit Buchrucker, n’étaient d’ailleurs pas


des soldats au sens propre du terme, puisqu’ils ne servaient
pas pendant douze ans et n’étaient pas soumis aux règle-
ments de l’armée ... Engagés pour de courtes périodes, ils
étaient plutôt assimilables aux réservistes que l‘on mobi-
lisait avant la guerre pour la durée des grandes manœuvres.
Ils étaient désignés dans leurs contrats comme des travail-
leurs civils, opérant pour le compte des commandants de
garnison. )) Cependant, cette distinction ne trompait per-
sonne. (( Comme ils portaient l’uniforme de la troupe, ajoute
Buchrucker, étaient logés dans les casernes de la Reichswehr,
recevaient leurs instructions du Wehrkreis, et étaient dotés
de livrets militaires où ils étaient désignés par leurs grades,
ils se considéraient comme des soldats, et comme des soldats
de la Reichswehr, puisqu’il n’existait aucune autre armée
en Allemagne ... C’est à cette époque que ces troupes - que
l’on ne pouvait appeler (( formations de réserve )) sans éveiller
les suspicions de l’Entente -prirent l’habitude de se désigner
elles-mêmes sous le nom de Reichswehr noire z. ))
Au cours de l’automne 1922, le commandant Buchrucker
informe le lieutenant-colonel von Bock 3, chef d’État-Major
du Wehrkreis I I I , que ses unités se développent rapidement,
grâce aux subsides de certains magnats de la grande indus-
trie qui craignent un retour offensif des communistes et
veulent se constituer une troupe de protection supplétive 4.
1. Deposition du colonel von Schleicher en 1927. (Cité par von CEERTZEN,
o p . cit.,
p. 462.)
2. Major B U C H R U C K L R , i r n Schntlen Seeckts, p. 9 ct s.
3. Qu’il ne faut pas confondre avec le général von Bock und Polack, ancien
gouverneur de Posen.
4. On sait que certains grands industriels avaient déjà. favorisé, en 1919, la
création de corps francs en Westphalie et les avaient appelés il’aide pour expulser
les Spartakistes qui occupaient leurs usines. (Voir vol. I, p. 190.)
272 HISTOIRE DE L’ARYSEALLEMANDE

- Ceci, remarque incidemment le commandant Buchruc-


ker, m’oblige à conserver une certaine autonomie. Ne crai-
gnez-vous pas que cette situation ne provoque, le cas échéant,
certaines frictions entre nous?
- Nous défendons des intérêts différents et qui peuvent
diverger un jour, répond von Bock. Celui dont la route
s’écartera en premier de la ligne d’action commune, en
informera l’autre avant de pas -r aux actes. Chacun de
nous reprendra alors sa pleine lioerté d‘action. Etes-vous
d’accord?
- J e vous en donne ma parole, acquiesce Buchrucker.
Ces phrases, volontairement ambiguës, épaississent encore
l’équivoque sur laquelle repose l’organisation de la Reichs-
wehr noire, et c’est de cette équivoque que va naître le
drame.

1923 arrive. La Ruhr est occupée. Désireux d‘éviter tout


incident qui pourrait aggraver le conflit avec la France,
le ministère de la Reichswehr invite Buchrucker à surseoir
aux exercices imposés à la Reichswehr noire, ainsi qu’à la
convocation périodique des officiers et des soldats. Mais
Buchrucker ne se croit nullement tenu de suivre cette invi-
tation. A ses yeux, cet ordre n’est qu’un camouflage, destiné
à dégager la responsabilité des autorités militaires en cas
de complications avec l’Entente. Aussi n’en poursuit-il que
plus activement l’armement de ses unités.
(( L’organisation des troupes de réserve avançait à grands

pas, écrit-il. Le nombre croissant des bataillons rendit néces-


saire la création de régiments dont les noyaux furent
constitués par des officiers en disponibilité. Un Arbeits-
Kommando fut même créé dans le régiment de Garde de
Berlin. Ses membres prenaient le service alternativement
avec les sentinelles de la Reichswehr. Le lieutenant Bœl-
kow, chef de l’drbeits-Kommando, participait aux rondes
et ses hommes étaient souvent de faction devant le Dalais
présidentiel l. )) Étrange époque, en vérité, que celle loù le
président du Reich est gardé, à son insu, par des troupes
illégales!
1. Major BUCHAUCKER,
lin Seliatien Seeckts, p. 26.
L’ÈRE D E S COUPS D’ÉTAT 273
Vers le début de septembre 1923,les forces de la Reichs-
wehr noire se composent de :
10 Quatre régiments ci trois bataillons (12.000 hommes).
20 Quatre bataillons autonomes (6.000 hommes environ).
30 Un certain nombre d’unités spéciales (train, autos, etc.).

Les chefs des bataillons autonomes et leurs centres de


mobilisation sont répartis comme suit :
l e r bataillon :commandant Hertzer, à Küstrin l.
2 e bataillon :capitaine Gutknecht, à la citadelle de Span-
dau e t au régiment de Garde, à Berlin.
3e bataillon :lieutenant von Senden, à la citadelle de Span-
dau.
4 e bataillon .-capitaine Stennes, au fort de Hahneberg, près
de Berlin.

Les régiments peuvent être mobilisés en quarante-huit


heures, mais les bataillons autonomes obéissent à un méca-
nisme plus compliqué. Destinés au Grenzschutz-Ost, il faut
pouvoir les grouper à la frontière avant la publication du
décret de mobilisation générale. Leur rassemblement doit donc
s’effectuer aussi discrètement que possible. A cet effet, les
volontaires ne sont pas recrutés collectivement et à proximité
de leur garnison, mais d’une façon individuelle, dans tout
le territoire du Reich. Ce système permet de les mobiliser
d’une façon invisible, mais il ralentit leur concentration. I1
faut compter un battement de quinze jours entre le moment
où on les convoque et celui où les bataillons sont réunis à
effectifs pleins 2.
(( Le service dans la Reichswehr noire était extrêmement

dur, nous dit le commandant Buchrucker, beaucoup plus


dur que dans des régiments ordinaires. De par son caractère
clandestia, la troupe ne devait jamais se montrer en public.
Chaque soldat devait faire preuve d’une abnégation absolue.
Mais tous se disaient : ( ( A présent, le moment décisif est
proche, n Ils voulaient libérer l’Allemagne du joug de
1. Küstrin, ville fortifiée située au coiillueiit de l’Oder et de la Warthe, i prori-
mité de la Pologne, est une des positions-clefs de la défense des frontièrcs orientales
du Reich.
2. u Pour la constitution de ces bataillons, écrit le commandant Duchrucker,
on se servit des expériences recueillies deux ails plus tdt par les Selbslrcliiifzen
de Haute-Çilésic. n ( O p . cit., p. 34.)
11 18
274 H I S T O I R E D E L’ARMÉE A L L E M A N D E

l’étranger. Mais ce combat n’était possible que sous une


dictature militaire l. ))

+ +

Gagné par l’indignation qui règne au sein de ses unités,


Buchrucker est écœuré de voir le gouvernement demeurer
passif devant une situation aussi dramatique. Qu’attend-il
pour soutenir effectivement les grévistes dans la Ruhr qui
sentent le découragement les gagner et leurs forces fléchir?
Que la Reichswehr ne bouge pas n’a rien d’étonnant. Elle
est liée par son serment à la Constitution et par son respect
presque excessif de la légalité. Mais le Président du Reich?
Qu’attend-il pour proclamer l’état d’exception, et transfé-
rer le pouvoir exécutif aux militaires?
Exaspéré par l’apathie et la lâcheté du Cabinet, Buchrucker
échafaude un plan audacieux, destiné à forcer la main
aux autorités d’Empire. Puisque la Reichswehr oficielle
ne peut agir, ce sera la Reichswehr noire qui agira à sa place.
I1 décide de mobiliser secrètement ses quatre bataillons
autonomes et d’occuper par surprise, au cours d’une nuit, le
quartier des ministères et les principaux points stratégiques
de Berlin. Le bataillon de Küstrin, transporté en camions,
viendra grossir les trois bataillons concentrés aux environs
de la capitale. Le soir du coup de force, le chef de la Reichs-
wehr noire enverra l’ordre de mobilisation aux quatre régi:
ments de la province de Brandebourg, qui seront prêts à
entrer en action quarante-huit heures plus tard.
Une fois maître du gouvernement civil, le commandant
Buchrucker l’obligera à promulguer l’état d’exception et à se
dessaisir du pouvoir en faveur d’une dictature militaire. Cet
acte déliera les mains de la Reichswehr. En échange, il
demandera aux maîtres de la Bendlerstrasse de reconnaître
officiellement ses (( formations de réserve )) et de les incor-
porer, avec leurs chefs, à l’armée régulière.
a L’affaire, écrit-il, devait débuter par le rassemblement
des quatre bataillons autonomes. Mais ceux-ci, une fois
mobilisés, ne pouvaient rester longtemps cachés et devaient
passer immédiatement aux actes. La nuit au cours de laquelle
ils occuperaient les principaux points de Berlin devait
1. Iù., ibiri., p. 28.
L’ÈRE D E S C O U P S D’ÉTAT 275
tomber entre le samedi et le dimanche, parce que les troubles
sont moins probables un dimanche qu’un jour de semaine.
Comme le rassemblement des bataillons exigeait un délai de
quinze jours, il fallait envoyer les convocations deux semaines
à l’avance. ))
Le 15 septembre, sentant approcher la fin de la résistance
passive, Buchrucker lance l’ordre de mobilisation à ses
hommes et leur enjoint de se tenir prêts pour la nuit du
29 au 30. ((L’avenir devait démontrer que mes prévisions
étaient justes, écrit le chef de la Reichswehr noire. La résis-
tance passive fut abandonnée le 26 septembre. La nuit
choisie par moi pour l’occupation de Berlin était le premier
samedi qui suivait cette date l. ))

La mobilisation des quatre bataillons s’effectue sans inci-


dent. Du 16 au 25 septembre, les volontaires arrivent par
petits paquets à Spandau et à Küstrin. Ils sont débordants
d’enthousiasme et pensent que leur entrée à Berlin va mar-
quer le début du soulèvement national.
Soudain, dans la nuit du 26 au 27 septembre, éclate,
comme un coup de tonnerre, la nouvelle de la proclamation
de l’état d’exception. Tout le pouvoir passe aux mains des
autorités militaires, tandis que le gouvernement civil se
retire dans la coulisse. De ce fait, l’occupation de Berlin
devient sans objet. Pis encore : si elle se réalise, elle ne sera
plus dirigée contre le gouvernement civil, mais contre la
Reichswehr, chargée d’assurer la sécurité du pays.
Buchrucker se précipite aussitôt au Wehrkreiskommando
pour prévenir les officiers qu’il a convoqué ses volontaires,
et qu’il met ses unités à leur disposition.
- Qui vous a permis de mobiliser vos hommes? lui
demande-t-on, fort mécontent de cet excès de zèle.
- J’ai agi de ma propre initiative, répond Buchrucker,
décontenancé.
- Nous vous l’avions pourtant formellement interdit, et
nous ne tolérerons pas que vous enfreigniez nos ordres. Vous
allez démobiliser immédiatement vos bataillons et renvoyer

op. cit., P. 35.


1. Major BIJCHIIIJCKER,
276 HISTOIRE D E L ’ A R M É E ALLEMANDE

vos hommes dans leurs foyers! Notre attitude ultérieure à


votre égard dépendra de votre soumission.
Abasourdi par ces paroles, qui prennent à ses yeux l’aspect
d’un désavœu imprévu’, Buchrucker ne voit plus d’autre
issue que de licencier ses troupes. Mais comment les volon-
taires prendront-ils la chose? I1 ne faut guère espérer que la
démobilisation s’effectue sans incident. (( Chaque officier,
chaque homme, écrit le chef de la Reichswehr noire, avait
répondu à mon appel, convaincu que la patrie était en danger
et que le salut de l’Allemagne exigeait le sacrifice absolu de
sa personne. La troupe était animée d’un moral extraordi-
naire. Elle ne demandait qu’une chose : partir à l’assaut, et
avait l’impression que rien ne lui résisterait. L’ordre de
rentrer dans leurs foyers ne pouvait manquer de frapper
les volontaires comme un coup de foudre 2. 1) Néanmoins
Buchrucker décide de se conformer aux instructions reçues.
I1 commence par se rendre en toute hâte auprès du capi-
taine Stennes, chef du 4e bataillon, réputé pour son carac-
tère intraitable, et lui fait part de son entretien avec les
autorités du Wehrkreis.
- Dans ce cas, attaquons! répond laconiquement Sten-
nes.
- J e vous l’interdis formellement! réplique Buchrucker.
Vous allez commencer, au contraire, par licencier progressi-
vement votre bataillon.
Après quoi Buchrucker retourne à son bureau où il trans-
met à son second, le lieutenant Schulz, l’ordre de démobiliser
les quatre bataillons et les unités spéciales.
- Combien d’hommes ont déjà répondu à l’appel 3
demande-t-il.
- Quatre mille cinq cents environ, répond Schulz.
- Envoyez immédiatement un contrordre aux quinze
cents autres.
I. I1 faut insister sur ce point dans lequel rkside tout le nœud de l’affaire. A
plusieurs reprises, la Reichswehr a interdit B Buchrucker de procéder a la convo-
cation, mBme partielle, de ses a réservistes r. Mais Buchrucker a toujours considéré
ces interdictions comme des ordres de pure forme, et n’a jamais hésité à passer
outre. Reichswehr légale et Reichwehr noire ont vécu pendant huit mois sur cette
équivoque. Maintenant que In crise éclate, von Çeeckt n’a g u h e de peine à démon-
trer que Buchrucker s’est rendu coupable d’insubordinntion. E t Buchrucker, de
son &té, se défendra de cette accusation en rejetant toute la faute sur les autorités
militaires. (Cf.Les déclarations du major-général Teschner, commandant la place
de Küstrin de 1920 à juillet 1923, devant la 3e Cour d’assises de Berlin, le 24 sep-
tembre 1928.)
2. Major BUCERUCKER, op. cit., p. 40
L’ÈRE DES C O U P S D’ÉTAT 277
Le même soir, Buchrucker demande à être reçu par le
lieutenant-colonel von Bock, et s’efforce de lui faire com-
prendre l’état d’esprit de la troupe.
- Faites au moins quelque chose pour occuper les soldats
déjà mobilisés! lui demande-t-il avec insistance. Cela me
donnera le temps de parer au plus pressé. Les volontaires
sont très montés. J e crains qu’ils ne se livrent à des actes
répréhensibles.,.
- J e regrette, répond von Bock, mais la Reichswehr ne
veut rien avoir à faire avec des soldats dont le contrat
d’engagement n’est pas conforme à la loi.
- E t si j’en parlais directement au général von Seeckt?
- Gardez-vous-en bien! I1 vous ferait arrêter.
- Pourtant, ces bataillons pourraient vous être utiles
dans les moments troublés que nous traversons ...
- Si Seeckt apprend que vous êtes ici, il ajustera son
monocle et dira : coffrez-le!
- C’est bien, répond Buchrucker, profondément décou-
ragé, je ferai de mon mieux pour démobiliser mes hommes.
Mais je vous préviens que ce sera diablement dificile ...
En fait, la situation s’aggrave d’heure en heure. Le
contrordre envoyé aux quinze cents volontaires non encore
mobilisés, est arrivé trop tard, de sorte que des groupes nou-
veaux ne cessent d’amuer à Spandau et à Küstrin. Les soldats
s’énervent et refusent de rentrer chez eux. Le 25 septembre,
le capitaine Gutknecht, chef du 2‘3 bataillon, fait savoir à
Buchrucker que la troupe a tourné ses armes contre ses
offciers en apprenant l’ordre de démobilisation.
Buchrucker saute dans une automobile et se rend à
Spandau. Là, il réunit les volontaires du 4‘3 bataillon e t leur
déclare que leur démobilisation n’est que temporaire et
qu’on les convoquera de nouveau dès qu’on aura besoin
d’eux.
- C’est un mensonge! s’écrie le capitaine Stennes. Si nous
rentrons chez nous, on dissoudra nos formations et on ne
nous convoquera plus. Nous avons le choix : combattre
aujourd’hui ou disparaître à jamais! Pour ma part je m’op-
pose au licenciement de mon bataillon!
Les esprits ne sont guère plus calmes au 2e et au 3e batail-
lon. Quant aux volontaires du l e r bataillon, ils ont brûlé
dans la cour de leur caserne un mannequin de paille à l’effi-
gie de leur chef, le commandant Hertzer.
278 HISTOIRE D E L’ARMÉE A L L E M A N D E

Le lendemain matin (29 septembre), von Bock convoque


le commandant Buchrucker et lui demande si c’est bien lui
qui a envoyé l’ordre de mobilisation aux bataillons de la
Reichswehr noire.
- Évidemment! répond Buchrucker, d’autant plus sur-
pris par cette question qu’il en a parlé à von Bock quarante-
huit heures auparavant.
- Comment accordez-vous cet acte avec votre promesse
de ne rien entreprendre sans en avertir le Wehrkeis?
- J’ai préparé certaines choses, répond Buchrucker d’un
air embarrassé, mais je n’ai encore rien entrepris à propre-
ment parler ... D’ailleurs j’ai déjà donné l’ordre de démobili-
ser les troupes ...
- Un ordre que vos volontaires refusent d’exécuter!
réplique von Bock d’un ton cassant. J e crains que vous ne
soyez plus maître de la situation e t que vos hommes ne se
livrent, malgré vous, à des actes d’indiscipline.
- J e vous donne ma parole d’honneur de tout faire pour
l’éviter ...
- Vous ferez bien, répond von Bock. N’oubliez pas que
ce sont vos troupes, e t que VOUS êtes responsable des
désordres qu’elles pourraient provoquer.
Le même soir, le commandant Günther vient trouver
Buchruclter. I1 lui dit que les soldats sont au paroxysme de
la colère, e t que les divers bataillons lui ont envoyé des
délégations pour lui demander de se mettre à leur tête e t de
les conduire à l’attaque. Buchrucker convoque d’urgence
ses principaux officiers, pour leur demander des explica-
tions.
La réunion s’ouvre dans une atmosphère orageuse.
- Nos hommes, dit l’un des chefs de compagnie, ont la
conviction d’avoir été trahis. On lesa fait travailler pendant
des mois, on leur a imposé les plus lourds sacrifices. E t quand
on les convoque enfin, c’est pour les renvoyer chez eux, sans
aucune explication. Leur indignation est justifiée et je la
partage entièrement!
- Si nous n’attaquons pas, déclare un autre, je n’aurai
plus qu’à me suicider devant mes hommes.
- A quoi bon discuter? ajoute le doyen des officiers
présents. L’arrestation du commandant Buchrucker n’est
plus qu’une question d’heures. Nos troupes nous contrain-
dront alors à l’action. Pourquoi attendre que l’irrémédiable
L’ÈRE D E S C O U P S D’ÉTAT 279
soit accompli? Agissons immédiatement. C’est la seule façon
de conserver le contrôle de nos unités.
A grand-peine, Buchrucker parvient à les apaiser. I1
cherche à gagner du temps, espérant que les exaltés se
calmeront lorsque la démobilisation sera commencée. Les
oficiers se séparent sans avoir pris de décision.
Buchruclcer respire. Peut-être parviendra-t-il 5 reprendre
la situation en main? Mais quarante-huit heures plus tard
un nouvel incident éclate qui va ruiner tous ses efforts.
Entre 15 et 16 heures, le lieutenant-colonel Held, du Wehr-
kreis I I I , lui téléphone pour lui annoncer que le ministre de
la Reichswehr a ordonné son arrestation.
Le chef de la Reichswehr noire est atterré. I1 comprend
à présent le sens de sa dernière entrevue avec von Bock. Les
termes de leur accord, conclu à l’automne de 1922, lui
reviennent à la mémoire. (( Celui dont la route s’écartera de
la ligne commune en informera l’autre à temps. Chacun de
nous reprendra alors sa liberté d’action. n A présent, les
routes divergent, mais l’avertissement vient un peu tard. En
ordonnant de l’arrêter, la Reichswehr marque, d’une façon
évidente, sa volonté de rompre tout lien avec lui. Mais dans
ce cas, Buchrucker, lui aussi, est libre! Le mandat d’arrêt
lancé contre lui crée une situation entièrement nouvelle.
Pendant plusieurs minutes, Buchrucker parcourt son
bureau de long en large, sans prononcer un mot. Que faire?
S’il se laisse arrêter, ses troupes passeront d’elles-mêmes à
l’action et cette opération se soldera par une défaite cer-
taine. S’il se met à leur tête et marche sur Berlin, le résul-
t a t sera le même et il aura un grand nombre de morts
sur la conscience.
Buchrucker prend alors une solution désespérée. I1 décide
de se réfugier auprès du l e r bataillon, à Küstrin. Là, il se
barricadera dans les forts de la garnison. Protégé par l’ar-
tillerie lourde et les casemates de la citadelle, il lui sera
possible de tenir tête à la Reichswehr et peut-être d’obtenir
d’elle in extremis l’incorporation de ses troupes à l’armée
légale. Si ses négociations échouent, il ne lui restera plus
qu’à se rendre. Mais en apprenant la reddition du batail-
lon de Küstrin et de leur chef, les bataillons de Spandau
comprendront que la partie est perdue et renonceront à pour-
suivre une résistance inutile.
Sans doute aggrave-t-il son cas en agissant ainsi, car en
280 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

poussant à la rébellion les troupes de la garnison de Küstrin,


le commandant Buchrucker se rend effectivement coupable
de haute trahison. Mais qu’importe? C’est la seule façon de
sauver de la mort plusieurs milliers d’hommes qui ont mis
toute leur confiance en lui, et cet enjeu vaut bien le sacrifice
de sa personne.

Sitôt arrivé à Küstrin, c’est-à-dire dans la nuit du 30 sep-


tembre au l e r octobre, le commandant Buchrucker rassemble
ses officiers et leur fait part du mandat d’arrêt lancé contre
lui. I1 ordonne au lieutenant Raphaël, qui commande une
compagnie de cinq cent cinquante hommes, de se barrica-
der dans le fort de Gorgast en prévision d’une attaque venant
de Berlin, et de n’en sortir SOUS aucun prétexte. I1 fait occu-
per par d’autres détachements les forts de Sapzig et de
Tschernow. Puis il place un cordon de troupes autour de
la citadelle, y pénètre à la tête de quelques hommes résolus
et somme le colonel Gudowius, commandant de place, de
faire cause commune avec lui.
- C’est le moment d‘instaurer une dictature militaire!
lui dit-il. Si la Reichswehr laisse échapper cette occasion,
elle ne la retrouvera jamais! Ce qui se passe en ce moment
à Küstrin a lieu, à la même heure, dans beaucoup d’autres
garnisons du Reich l.
Mais le colonel Gudowius ne se laisse pas intimider.
- Ce que vous me proposez là est un acte de rébellion, lui
répond-il. J e suis dans l’obligation de vous mettre aux arrêts.
Puis, il décroche son téléphone et alerte les troupes de la
garnison, restées fidèles au gouvernement du Reich.
Mais à peine le colonel Gudowius a-t-il posé son récepteur,
qu’une troupe de choc de la Reichswehr noire, commandée
par le lieutenant Hayn, se force un chemin à travers la
citadelle, enfonce la porte du bureau à coups de crosse, fait
irruption dans la pièce et, braquant ses mousquetons sur le
commandant de place, exige la libération immédiate de
Buchrucker.
J’étais épouvanté, déclara plus tard le colonel Gudo-
1 . Documents publiés par M. Landsberg, procureur gQn6ral du Reich, vol. I,
1923, p. 231.
L’ÈRE D E S COUPS D’ÉTAT 281
wius. Un fait inouï primait à mes yeux tous les autres : la
forteresse de Küstrin, ce bastion avancé de l’Allemagne,
d’une importance capitale pour la défense de sa frontière de
l’est, était occupée par des rebelles! Mon devoir était d’agir
immédiatement, pour parer à cet état de choses vraiment
inqualifiable l. ))
L’escadron du train et le 3e bataillon de pionniers qui
constituent la garnison de Küstrin n’étant pas suffisants
pour maîtriser l’insurrection, le colonel Gudowius téléphone
au ministère de la Reichswehr et demande qu’on lui envoie
d’urgence des renforts. Mais au lieu des troupes attendues,
deux camions, chargés de volontaires de la Reichswehr noire,
arrivent en ville vers 19 heures, où ils sont reçus avec
enthousiasme par les autres révoltés z. Les premières colli-
sions ont lieu entre troupes légales et formations rebelles.
La Reichswehr ouvre le feu :il y a deux morts et sept blessés.
Au cours de la nuit, le 8 e régiment d’infanterie et les 2 e
et 9e régiments de cavalerie, détachés par la Kommandantur
de Francfort-sur-l’Oder, font leur entrée à Küstrin. Sentant
qu’il n’arrivera plus à forcer la main des autorités militaires,
et voulant éviter à tout prix une nouvelle effusion de sang,
le commandant Buchrucker remet son épée au colonel Gudo-
wius. Le 2 octobre, à 2 heures du matin, les rebelles barri-
cadés dans le fort de Gorgast se rendent également, sans
faire usage de leurs armes. Enfin, le 3 octobre, à l’aube,
les détachements qui occupent les forts de Sapzig et de
Tschernow hissent le drapeau blanc. Trois cent quatre-vingt-
un soldats de la Reichswehr noire sont faits prisonniers par
les troupes de l’armée légale.
En apprenant l’effondrement de la révolte de Küstrin et
l’arrestation de leur chef, les trois bataillons stationnés à
Spandau et à Hahneberg, qui n’attendaient qu’un signal
pour marcher sur Berlin, renoncent à exécuter leur plan, et
se rendent, sans conditions, aux autorités du Wehrkreis I I I .
Traduit, le 25 octobre, devant un tribunal spécial siégeant
à huis clos à Kottbus, le commandant Buchrucker est con-
damné pour haute trahison à dix années de forteresse et à
une amende de cent milliards de marks 3. Ses principaux
1. Deposition du colonel Gudowius au procès de Kottbus, le 25 octobre 1933.
2. Peux sections de la compagnie Raphaël, descendues du fort de Gorgast,
malgré les ordres du commandant Buchrucker.
3. Soit 10 marks-or. II fut amnistié en octobre 1927 par le Maréchal Hindenburg,
apres quatre ans de détention à la forteresse de Gellnow.
282 H I S T O I R E D E I,’ARM&E A L L E M A N D E

collaborateurs sont frappés de peines variant entre trois


mois ,et deux ans et demi de prison.
L’Etat-Major de la Reichswehr ordonne la dissolution
immédiate des Arbeits-Kommandos. N’ayant plus de centres
auxquels se rallier, toutes les formations de la Reichswehr
noire se dispersent rapidement : non seulement les quatre
bataillons autonomes, mobilisés par le commandant Buch-
rucker, mais aussi les quatre régiments qui n’ont pris aucune
part à la tentative de coup d’État.

+ *
La révolte de la Reichswehr noire n’a duré que quelques
jours. Mais, bien qu’elle ait été rapidement réprimée, elle
marque une cassure décisive entre l’armée légale et les forma-
tions irrégulières. Instruit par cette expérience, von Seeckt
ne collaborera plus jamais avec les groupements clandestins,
quelles que soient leurs tendances ou la personnalité de leurs
chefs. Aussi n’en sera-t-il que plus libre pour réprimer leurs
débordements, partout où ils se produiront.
Mais pour les anciens membres de la Reichswehr noire et
des groupements illégaux, la leçon, elle non plus, ne sera
pas oubliée. Repoussés de Berlin par von Seeckt et ses colla-
borateurs, ils se tourneront tout naturellement vers Munich
et vers Hitler. Nous retrouverons un certain nombre d’entre
eux dans les Sections d’Assaut du Parti national-socialiste :
le capitaine Stennes, le lieutenant Hayn, le lieutenant Schulz,
d’autres encore. Ceux-ci y apporteront leur rancune per-
sonnelle envers la Reichswehr et le désir de prendre leur
revanche sur les milieux militaires officiels.
Mais n’anticipons pas sur les événements. Ayant étouffé
la révolte dans l’œuf, le général von Seeckt peut passer à
présent à la deuxième partie de son programme, c’est-à-dire
à l’action exécutive contre la Saxe.
XVIII

LA REICHSWEHR
MAINTIENT L’UNITÉ DU REICH

III. - L’action exécutive contre la Saxe


et les émeutes de Hambourg.

On n’a pas oublié les dificultés auxquelles s’était heurté


Noske, en mai 1919, lorsqu’il avait voulu rétablir l’ordre
en Saxe, ni la façon foudroyante dont le colonel Faupel et
le général Mmcker avaient occupé respectivement Dresde
et Leipzig z. Aussi ne faut-il pas s’étonner si la Saxe est
un des Pays à réagir le plus violemment contre l’état d’excep-
tion.
Les faits auxquels on assiste, en 1923, dans l’ancien
((Royaume rouge» de Frédéric-Auguste III, ne sont pas
sans analogie avec les troubles survenus en 1919. Mais si les
événements se ressemblent, la tactique suivie par les partis
de gauche est très différente, car les extrémistes ont acquis
de l’expérience au cours de ces quatre années. S’ils n’ont pu
conserver le pouvoir, à l’époque de la première et de la
deuxième révolution, cela tient à ce que les partis de gauche,
- Socialistes majoritaires, Indépendants et Spartakistes, -
n’avaient pas opposé un front unique aux partis bourgeois et
aux corps francs. Cette fois-ci, les Communistes se gardent
de commettre la même erreur. Obéissant aux directives de
Moscou a, ils décident de former une coalition avec le Parti
socialiste et les Indépendants, A l’abri de cette combinai-
1. Le premier ambassadeur du Reich auprès du générai Franco.
2. Voir vol. I, p. 301 e t 8.
3. Cf. D* Heinz BRAUWEILER, Generdls in der deutseben Repitblik, p. 46 e t l e
VorrvOrts, organe du Parti Socialiste, numéro du 27 octobre 1923.
284 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

son, ils pourront intensifier leur propagande dans les usines


et les syndicats, saper le pouvoir des éléments modérés, e t
se trouver, pour finir, les bénéficiaires de l’opération.
Quarante-huit heures à peine après la proclamation de
l’état d’exception, des pourparlers s’engagent entre Commu-
nistes, Indépendants et Socialistes majoritaires en vue d’une
action commune contre le péril fasciste. Un (( Comité de
liaison )) est créé entre ces trois partis. Le 5 octobre, un
communiqué annonce que les groupements de gauche se sont
mis d’accord,
10 Pour créer sous le nom de (( centuries prolétariennes ))
une troupe d’autodéfense contre les formations nationalistes;
20 Pour obtenir la (( démocratisation )) de la Reichswehr,
promise au lendemain du putsch de Kapp, mais non encore
réalisée;
30 Pour exiger que M. Meyer, membre du Parti socialiste,
soit nommé Commissaire civil pour la Saxe, et qu’on lui trans-
fère tous les pouvoirs remis par le rninistére de la Reichswehr
au général Müller, commandant du Wehrkreis IV.

Le 8 octobre, un nouveau ministère saxon est constitué,


sous la présidence de M. Zeigner, Socialiste majoritaire; deux
députés communistes font partie du Cabinet : MM. Bottcher,
qui reçoit le portefeuille de l’Instruction publique, et Brand-
ler, auquel on confie celui des Finances. Dans l’après-midi,
le Cabinet se présente devant le Landtag de Saxe et prête
serment à la Constitution.
Mais le général Müller n’est pas resté inactif. Dès le 29 sep-
tembre, il a renforcé l’état d’exception et, le 5 octobre, il
a interdit la parution des journaux communistes. De ce fait,
les rapports se tendent entre le représentant militaire du
Reich, investi du pouvoir exécutif, et le gouvernement civil,
élu par le Parlement saxon.
Le 12 octobre, le général Müller ordonne la dissolution
des centuries prolétariennes. Le 13, une réunion de masse
a lieu au jardin‘zoologique de Dresde. M. Bottcher, ministre
communiste de l’Instruction publique, y prend la parole
devant plus de six mille assistants et stigmatise en termes
véhéments l’action des autorités militaires. I1 exhorte la popu-
lation à ne tenir aucun compte des ordres du général Müller
et à procéder plus activement que jamais à l’organisation
des centuries.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 285
Trouvant inadmissible que ses ordonnances soient publi-
quement foulées aux pieds, le général Müller adresse un ulti-
matum à M. Zeigner, lui donnant vingt-quatre heures pour
se désolidariser de M. Bottcher dont le discours injurieux,
prononcé au jardin zoologique, est incompatible avec le poste
qu’il occupe au sein du gouvernement. L’ultimatum doit
expirer le 18 octobre, à 11 heures.
Cette note provoque des débats passionnés au Landtag.
(( C’est une immixtion intolérable de l’armée dans les affaires

intérieures de la Saxe! s’écrie M. Sievers, député commu-


niste, une violation inadmissible de la légalité! 1) A l’issue
de la séance, les partis constituant le front populaire font
adopter par l’Assemblée une résolution affirmant que le
Gouvernement saxon n’a pas à obéir au commandant de
Wehrkreiz, que c’est au contraire au commandant de Wehr-
kreis à se soumettre à la volonté du Gouvernement saxon.
Cette motion est des plus graves : elle conteste la validité
du paragraphe 48 de la Constitution fédérale, et met en
cause le principe même de la primauté des autorités du
Reich sur les autorités de Pays.
Enhardis par ce succès, les Communistes préconisent la
formation de ((fronts communs )) semblables à celui de la
Saxe dans tous les Pays du Reich, notamment en Thuringe
et à Hambourg. Puis ils se livrent, le 19 octobre, à une nou-
velle offensive contre M. Gessler, ministre de la Reichswehr,
dont ils exigent la démission.
Les relations entre Berlin et Dresde se tendent de plus
en plus, lorsque survient, tout à coup, une complication
imprévue. M. von Kahr, chef du gouvernement bavarois,
rompt tous les liens entre la Bavière et la Saxe. E n Thu-
ringe, où s’est constitué un gouvernement de front p0p.u-
laire, des milices rouges armées se concentrent en bordure
de la frontière bavaroise. Le gouvernement de Munich consti-
tue, de son côté, des milices nationales dont les sections se
massent aux environs de Cobourg. ((On vit ainsi se créer
cette situation incroyable, écrit Heinz Brauweiler : deux
Pays, situés au cœur du Reich, prêts à se jeter l’un sur
l’autre, les armes à la main l. 1)
Alarmé par la tournure des événements, le Parti socia-
liste saxon envoie une délégation à Berlin, pour demander

1. Dr Heinz BRAUWEILER,
op. cit., p. 46.
286 HISTOIRE D E L ’ A R M É E A L L E M A N D E

au président Ebert de modérer l’activité du général Müller.


Mais tandis que les Socialistes s’efforcent de trouver un ter-
rain d’entente1, les Communistes ne cessent de jeter de
l’huile sur le feu. A l’intérieur du Cabinet, ils se montrent
relativement calmes. Mais les discours qu’ils prononcent
devant les militants de leur parti sont d’une violence inouïe.
Ils accusent les Socialistes de pactiser avec la réaction et
préconisent une politique de force à l’égard des autorités
militaires. On assiste à la même lutte d’influence à l’intérieur
des syndicats, d’où les Communistes cherchent à évincer les
modérés pour les remplacer par leurs propres hommes de
confiance 2. Le 19 octobre, ils organisent. cinq réunions de
masse, au cours desquelles M. Bottcher dénonce la tyran-
nie de la Reichswehr en termes plus virulents que jamais.
Le 22, au Congrès des Conseils de Chemnitz, devant un audi-
toire de plusieurs milliers d’ouvriers, ils font voter à main
levée une motion exigeant la proclamation de la grève géné-
rale.
On se croirait revenu au printemps de 1919. Les hommes
de la vieille équipe révolutionnaire - Wells et Dittmann
entre autres - sortent de la retraite où ils s’étaient tenus
cachés. D’un bout à l’autre du Reich, l’effervescence gran-
dit. Partout l’on signale des collisions entre la police et
les manifestants. Plus d’une fois l’armée, appelée en renfort,
doit faire usage de ses armes. Rien que dans la deuxième
quinzaine d’octobre, on signale des bagarres à Aix-la-Cha-
pelle (où il y a 8 morts et 15 blessés), à Berlin (3 morts,
7 blessés), à Erfurt (1mort, 2 blessés), à Kassel (1blessé),
à Harburg (3 morts, 16 blessés), à Essen (3 morts, 12 blessés),
à Marienburg (18 blessés, 250 arrestations), à Francfort-
sur-le-Main (2 morts, plusieurs blessés). Le sang coule à
Beuthen et à Hanovre, à Lübeck et à Brunswick, à Dussel-
dorf et à Allenstein. Tout fait présager une crise de grande
envergure : il semble que l’Allemagne soi-t à la veille d’une
troisième révolution.

1. L’ultimatum du général Müller expirait IC 18 octobre. C’est seulement IC 28


que le Cabinet saxon sera destitué. Ce délai de dix jours s’expliquc par les négo-
ciations poursuivies en coulisse par les Socialistes de Dresde auprts der Socidistcs
de Berlin.
2. Sur I’aciion srcrètc des cellules cornmuiiistcr, voir Die Iicirniloxeir ILoi,oitu-
nislen, dans lo l‘oiwdvis, numéro du 31 octolm 1923, eiliiioii du soir.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 287

t
* *

La première avait pris naissance à Kiel. Cette fois-ci, c’est


à Hambourg qu’éclatent les premiers troubles graves. Car
dans la nuit du 22 au 23 octobre, les Communistes essaient
de se rendre maîtres de la ville. Leur plan a étésoigneuse-
ment préparé. Les centuries rouges commencent par cerner
tous les postes de police situés dans la banlieue et par-
viennent en peu de temps à en enlever treize. Des escouades
de police, appelées à la rescousse, réussissent à leur en arra-
cher une dizaine, au prix d’une lutte acharnée qui dure encore
à l’aube. Spéculant sur la misère et le désespoir des travail-
leurs l, les Communistes ont incité les dockers à cesser le
travail, de sorte que les quais et la plupart des entrepôts
d u port sont déserts. Les rails ont été arrachés sur la ligne
de chemin de fer Lübeck-Hambourg, pour empêcher l’arrivée
de renforts de la Reichswehr. E n outre, les principales routes
convergeant vers Hambourg ont été barrées par des troncs
d’arbre et des chevaux de frise.
Toute la journée, la bataille fait rage dans les quartiers
périphériques et aux alentours du port entre centuries coin-
munistes et brigades de la police, auxquelles sont venus se
joindre plusieurs détachements de la marine. Une accalmie
se manifeste à la tombée de la nuit. Les extrémistes en pro-
fitent pour élever des barricades.
Le 24 octobre, à 6 heures du matin, la fusillade reprend
avec uneintensité accrue. Des combats meurtriers se déroulent
dans la Hamburgerstrasse, la Stückenstrasse et la Volksdor-
ferstrasse. Vers 11 heures, une section de la marine avance
jusqu’au canal d’osterdick, tandis que la police réussit à
dégager le poste no 32, assiégé par les Communistes depuis
bientôt trente-six heures.
Peu à peu, les forces légales redeviennent maîtresses de la
situation. La résistance des extrémistes faiblit. Barmbeck,
Schiffbeck et Bergedorf sont repris l’un après l’autre au
cours de l’après-midi. Le 24 au soir, la tentative de coup de
force est définitivement écrasée.
En moins de quarante-huit heures, la police e t la marine
1. On peut se faire une idéo de la détresse des ouvriers quand on sait que IC
prix moyen des loyers, en octobre 1913, était 2.810.000 fois celui do janvier de
la mCmc annéc. (Statistipe officielle ilil iiiiriistère des Firrnricas r11r Heidi.)
288 EISTOIRE D E L’ARM$E ALLEYANDR

ont maîtrisé l’insurrection, mais l’alerte a été chaude. On


compte 21 morts et 175 blessés du c8té des Communistes,
11morts et 34 blessés du côté des forces légales. 102 personnes
sont arrêtées et mises en prison, mais les meneurs extrémistes
ont réussi à s’enfuir.
I1 ressort des documents saisis à Schiffbeck, quartier
général des insurgés, que ceux-ci ont été aidés, technique-
ment et financièrement, par des agents des Soviets l. (( On
peut déduire de la préparation minutieuse du putsch, écrit
le correspondant du Vorwürts à Hambourg, l’ampleur du
mouvement que la fraction la plus active du Parti commu-
niste s’apprêtait à déclencher dans l’ensemble du Reich a. D

* *
La brusquerie avec laquelle ont éclaté les émeutes de
Hambourg, l’existence d’un plan d’attaque minutieusement
préparé e t le nombre élevé des victimes sont un avertisse-
ment pour les autorités militaires. Elle n’ont plus une minute
à perdre, si elles veulent éviter des troubles similaires en
Saxe et en Thuringe. Jusqu’ici, le général von Seeckt n’a
pas voulu précipiter les choses. Mais les bagarres de Ham-
bourg lèvent ses derniers scrupules et l’incitent à intervenir
avant qu’il soit trop tard.
Le 27 octobre au matin, le chancelier du Reich adresse
la note suivante au Gouvernement saxon :
Attendu que les membres communistes d u Gouvernement saxon
ont excité, par des proclamations, la population de la Saxe à
commettre des actes de violence et à se révolter contre l’autorité
d u Reich, le chancelier d‘Empire exige le retrait de M . Zeigner,
président d u Conseil de Saxe, et de son Cabinet, car le Gouver-
nement d u Reich ne reconnaît plus le Gouvernement saxon comme
un gouvernement de Pays, dans le sens où l‘entend la Constitu-
tion d’Empire. Il attend la réponse de M . Zeigner dans le cou-
rant de la journée 3.
Le même jour, des collisions sanglantes ont lieu à Fribourg-
en-Saxe, entre compagnies de la Reichswehr et manifestants.
1. Vorrvdrfs, num6ro du 27 octobre 1923. I1 s’agit, en particulier, de Sobelsohn,
d i n s Karl Radek, membre du Komintern, et d’Otto Marquardt, membre de la
Délkgation commerciale des Soviets, à Hambourg.
2. Vorwirrfs, iiumho du 28 octobre 1923.
3. La cliancclier du Reich considhe qu’en couvrant les agissements des Commu-
riistcs les Noder4s se rendent complices de leur action révolutionnaire.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 289
Plusieurs soldats sont à moitié lynchés par la foule et la
troupe doit faire par trois fois usage de ses armes. Le lende-
main, la ville a repris sa physionomie habituelle, mais il y
a, hélas, beaucoup de victimes à déplorer : 2 morts et 8 bles-
sés, dont 6 graves, du côté de la troupe; 25 morts et 52 bles-
sés, du côté des manifestants.
Cependant M. Zeigner n’a toujours pas répondu à la note
du 27 octobre. Du coup, le général Müller reçoit l’ordre de
destituer le Gouvernement saxon. Au matin du 28 octobre,
le commandant du Wehrkreis IV notifie cette décision au
président du Conseil e t interdit au Landtag de siéger, en
invoquant le paragraphe 48 de la Constitution.
On imagine l’effet que produit cette nouvelle dans les
milieux politiques de Dresde. La fureur des députés est à son
comble. Malgré l’interdiction du commandant de Wehrkreis,
les fractions gouvernementales se réunissent et déclarent
qu’elles refusent de s’incliner devant les ordres du général
Müller, car seul, le Landtag a le droit de dissoudre le Gouver-
nement saxon. Sans doute le paragraphe 48 déclare-t-il que
lorsqu’un Pays ne remplit pas ses obligations, telles qu’elles
découlent des lois et de la constitution d‘Empire, le président
d u Reich peut l’y contraindre, en faisant appel à la force
armée. Mais Ie paragraphe 48 est suivi de la mention sui-
vante : Les modalités d’exécution seront f i é e s par une loi.
Or cette loi n’a pas encore été votée. En fait, le président
du Reich peut intervenir par les armes dans les affaires inté-
rieures des Pays. En droit, il ne le peut pas, puisque les
conditions de cette intervention n’ont pas été définies l.
Mais les autorités militaires ne sont pas d’humeur à se
laisser arrêter par des considérations juridiques. Si l’armée
n’était pas là pour maintenir l’unité du Reich, il y a long-
temps que celle-ci ne serait plus qu’un mythe! Aussi, le
29 octobre, à 9 heures du matin, le Chancelier du Reich
nomme-t-il le Dr Heintze Commissaire d’Empire pour la
Saxe. A peine investi de ses nouvelles fonctions, celui-ci
dépêche un oficier à chacun des ministres pour les inviter à
évacuer leurs bureaux avant 14 heures. Comme il fallait s’y

1. Lors de son intervention R Brunswick. e n avril 1919, le général Mmcker


s’était heurté h une opposition du m h e genre. (Voir vol. I, p. 259.) A cette époque,
le paragraphe 48 n’avait pas encore été voté ct le Reich u ne pouvait justifier son
action qu’en invoquant l’instinct de conservation Y. A présent le paragraphe 48
est voté, et c’est sur les (1 modalités d’exécution n que porte la discussion. .
II I9
290 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

attendre, les ministres s’y refusent et déclarent qu’ils ne


céderont qu’à la force.
A 14 h. 15, la Reichswehr, musique en tête, traverse la
ville et défile devant les différents bâtiments ministériels.
Arrivée devant chaque ministère, une compagnie de Gardes
se détache du gros de la troupe et pénètre dans l’immeuble,
dont elle cerne les issues. Puis le chef du détachement
monte dans le bureau du ministre et le somme d’évacuer les
lieux. La plupart des ministres obéissent, sans faire de difi-
cultés. Seul M. Bottcher s’y refuse, de sorte que la troupe est
obligée de l’expulser manu militari. Tous les bureaux restent
gardés par des sentinelles en armes. A 14 h. 30, exactement,
tandis que la fanfare de la Reichswehr retourne à sa caserne,
le ministère saxon a cessé d’exister.
Les députés du Landtag demeurent comme assommés
devant la rapidité de cette action. D’autant plus que le
général Müller n’en reste pas là. Le même soir, il interdit la
grève des cheminots, votée par les syndicats rouges sous
l’impulsion de Dittmann e t de Wells; le lendemain, il sus-
pend la publication de tous les journaux socialistes; enfin,
le 31 octobre, il commence à désarmer les centuries prolé-
tariennes l.
Le 2 novembre, le commandant du Wehrkreis IV partage
la division saxonne de la Reichswehr en quatre groupes,
afin de mieux assurer le quadrillage du territoire. L’agitation
entretenue par les partis de gauche décroît progressivement.
Vers le milieu du mois, le calme est rétabli.
*
+ +

Mais tandis que l’ordre renaît à Dresde et à Leipzig, les


événements qui se déroulent en Bavière ont pris une ampleur
qui va rejeter au second plan tous les incidents que nous
venons de décrire.
Déjà, à l’époque du putsch de Kapp, von Çeeckt s’était
refusé à laisser dresser, l’une contre l’autre, deux fractions
antagonistes de l’armée. (( La Reichswehr ne tire pas sur la
Reichswehr »,avait-il dit à Noske, dans un moment par-
ticulièrement dramatique. A présent, il semble que ce
1. Cette opération, activement poussée, ne s’cflectuc d’ailleurs pas sans difi
culté. Le 3 novembre, une centurie prolétarienne se révolte à Chemnitz : il y a
1 niorl e l 2 MessEs.
L’ÈRE DES cou PS D’ÉTAT 29 1
choc soit devenu inévitable, car pour ramener le gouverne-
ment de Munich au respect de la Constitution, il faudra sans
doute que les divisions de l’Allemagne du Nord ouvrent le
feu sur la division bavaroise.
L’ordre du jour du 4 novembre, adressé à l’armée par le
chef de la Heeresleitung, nous permet de mesurer la gravité
de la situation :
Berlin, le 4 novembre 1923.
La résistance dans la Ruhr et son issue défavorable ont labouré
l‘Allemagne jusque dans ses profondeurs ... L‘antagonisme des
partis s’est trouvé porté à son paroxysme. A Hambourg, un coup
de force des Communistes vient d’être réprimé, grâce a u x efforts
conjugués de la police et de la marine. En Saxe, la Reichswehr
a d û intervenir, pour rétablir l’ordre et la sécurité gravement
compromis. Cette tâche est à peine terminée, et voici que les
nationaux-socialistes bavarois s’apprêtent à marcher sur Berlin.
Aussi longtemps que j e serai à mon poste, je ne cesserai de
répéter que le salut ne peut venir ni d‘un extrême ni de l’autre,
ni de l‘aide étrangère, ni d’une révolution intérieure - qu’elle
soit de droite o u de gauche - et que seul u n travail tennca
el persivérant nous permettra de survik*rc. Ce tratvil iic pcwt
s’accomplir que dans le respect des lois et de la Coiastitutiori.
S’e’carter de ce principe serait déclencher la guerre civile. E t non
pas une guerre civile a u terme de laquelle l’un des deux partis
en présence finirait par l‘emporter, mais un conflit qui se ter-
minerait par leur démembrement réciproque, semblable à celui
dont la guerre de Trente Ans nous a laissé l’exemple atroce.
C‘est à la Reichswehr qu’il appartient d‘éviter un tel désastre.
La tâche d u Commandant en chef consiste à prendre conscience
des nécessités supirieures de l’État et à les faire respecter. L e
soldat, quant à lui, ne doit pas chercher ii savoir o u à faire
mieux que ses chefs : son honneur consiste à leur obiir. Une
Reichswehr unie dans l‘obéissance sera toujours invincible et
demeurera le garant le plus puissant de l‘unité de l‘État. Une
Reichswehr dans laquelle se serait insinué le ferment des dis-
cordes politiques se briserait à l‘heure d u danger l.
J e demande à tous les généraux et a u x chefs de corps d’atti-
rer l’attention de leurs subordonnés sur l’importance de ces prin-
cipes et d’exclure immédiatement de la troupe tout membre de la
Reichswehr qui se livrerait à une activité politique quelconque.
VON SEECKT.
1. Ce passage semble faire écho à la lettre dc démission du hIarkchal Hinden-
burg. a Restez unis, y disait4 en substance au corps des olliciera, car votre union
est la garantie de l’avenir du Reich. D (Voir vol. I, p. 362-363.)
292 HISTOIRE D E L’ARM ÉE ALLEMANDE

Malgré leur sérénité apparente, ces lignes laissent trans-


paraître l’angoisse du Commandant en chef. I1 faut d’ailleurs
reconnaître que celle-ci est justifiée, car l’Allemagne approche
de nouveau d’un des tournants les plus critiques de son
histoire.
XIX

L E PUTSCH NATIONAL-SOCIALISTE
DE MUNICH
(8-9 novembre 2923)

Lorsque nous avons quitté Hitler, à la fin de 1922, il n’était


encore qu’un agitateur politique, doué, il est vrai, d’une éner-
gie surprenante e t servi par des dons d’orateur exception-
nels. Mais son parti ne comptait que 30.000 membres et
les effectifs de ses Sections d’Assaut ne dépassaient pas
6.000 hommes. Comment se fait-il qu’il soit devenu, en si
peu de temps, un facteur susceptible de mettre en péril
l’unité de la République allemande?
Les étapes de son ascension forment un des chapitres les
plus étonnants de cette époque tumultueuse et, pour
bien en saisir l’enchaînement, il faut reprendre notre récit
là oii nous l’avons laissé.
Du 27 au 29 janvier 1923, le Parti national-socialiste
a tenu son second Congrès annuel. La cérémonie de clôture,
qui s’est déroulée en plein air sous des rafales de neige, aux
cris cent fois répétés d’ (( Allemagne réveille-toi! )) a offert un
caractère militaire beaucoup plus accentué que celle de
l’année précédente. Devant une foule considérable, massée
sur le Champ de Mars, les 6.000 hommes des Sections d’As-
saut ont défilé devant leur chef. Puis a eu lieu une sorte
de (( bénédiction des drapeaux )) au cours de laquelle Hitler
a remis leurs premiers étendards aux quatre bataillons de
S.A. entièrement constitués: Munich I, Munich II, Nurem-
berg e t Landshut.
Depuis l’entrée des troupes françaises dans la Ruhr, tout
le monde s’attend en Bavière - et Hitler tout le premier - à
ce que le gouvernement du Reich entame une lutte ouverte
contre (( l’envahisseur 1). Mais le chef du Parti national-
294 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

socialiste craint de n’être pas prêt pour cette guerre de


libération )) qu’il considère comme imminente. Cédant aux
instances de certains membres de son entourage 1, il
décide d’adjoindre à ses Sections d’Assaut certaines unités
déjà constituées en dehors de son parti et conclut un pacte
avec diverses formations nationalistes, notamment la Reichs-
flagge du capitaine Heiss et le B u n d Oberland du D* Weber,
issu du corps franc du même nom 2. Ainsi se constitue, en
février 1923,l’ArbeitsgemeinschaftderVaterlündischen Kampf-
oerbünde, ou (( Communauté de travail des formations de
combat patriotiques »,dont la direction est remise au lieu-
tenant-colonel Kriebel, ancien chef d’atat-Major de l’Ein-
wohnerwehr bavaroise 3.
Jusqu’ici Hitler a toujours refusé de s’allier 3 qui que ce
soit. Le voici membre d’une coalition. C e changement de
situation l’oblige à modifier le caractère de ses milices et à les
armer, pour les mettre sur un pied d’égalité avec les autres
formations de combat. En agissant ainsi, Hitler s’écarte des
principes qu’il a lui-même édictés dans son règlement sur la
(( Constitution des Sections d’Assaut 1). Jadis, il les conçi-
dérait comme formant exclusivement la milice de son parti
et avait recommandé d’éviter tout ce qui pourrait les
faire prendre pour des corps francs camouflés. Maintenant,
avec leurs uniformes gris-vert et leurs casques d’acier, leurs
1. Le capitaine Rühm, en particulier, a joué un rôle important dans l a mise s u r
pied de cette combinaison. Ancien combattant ayant pris part à la bataille de
Verdun, nous le retrouvons en 1919, B Ohrdruff, lors de la formation du corps
franc du colonel von Epp. I1 participe ensuite a l’expédition de Noske contre
Munich (mai 1919),prend part au coup d’État de l’ûrgesch qui renverse le Cabinet
Hoffmann et lui substitue un gouvernement présidé par hi. von Kahr, accompagne
le coloncl von Epp dans la Ruhr, au lendemain du putsch de Kapp (avril 1920),
et revient enfin à Munich. Lorsque von Epp, nommé général, est chargé du comman-
dement de la 219 brigade, le capitaine Rohm lui est adjoint cornnie chef d’État-
Major. Dès ce moment, il se livre à une activité politique intense, entre au Parti
national-socialiste quand il ne compte encore que 70 membres, intensifie le recrute-
ment des S. A. et fonde, en 1921, la section munichoise de la I Ligue nationale des
oficiers allemands n. (National Verbanà deirtschcr Ofiziere.)
Cette activité, contraire aux règlements de la Reichswehr, attire bientôt I’attcn-
tion de ses chefs et, pour le séparer du général von Epp, Rohm est transféré sur
le désir du président du Reich D, à l’État-Major de la VIIC division (général von
Lossow). Mais Rohm, conspirateur-né, ne renonce pas pour autant à son activité
politique. I1 continue B s’occuper des formations patriotiques e t devient la cheville
ouvrière de la coalition nationale-socialiete. (Cf. Edgar von SCHMIDT-PAULI, Die
Münner urn Hitler, p. 112 et s.)
2. On n’a pas oublié le rôle joué par ce corps franc dans les opérations de H a u t e
Silésie.
3. Voir plus haut, p. 153.
4. Voir plus haut, p . 252-253.
L’ÈRE D E S COUPS D’ÉTAT 295
havresacs, leurs fusils e t leurs mitrailleuses, les Sections
d’Assaut ne se distinguent plus guère des unités de l’ar-
mée légale.
Parallèlement à ce changement d’aspect, Hitler procède à
leur réorganisation intérieure. Le lieutenant Wilhelm Bruck-
ner est placé à la tête du régiment de S. A. de Munich et
le commandement en chef des Sections d’Assaut est confié
à un ancien oficier aviateur, membre de la célèbre esca-
drille Richthoff en : le capitaine Hermann Goering.
A la suite de cette transformation, le gouvernement du
Reich fait interdire le Parti national-socialiste en Prusse,
en Saxe, en Thuringe, en Bade, à Hambourg et dans le
Mecklembourg. Mais ces interdictions ne lui causent aucun
préjudice, bien au contraire : elles font refluer vers Munich
beaucoup d’éléments dispersés dans les différentes régions
du Reich - entre autres le lieutenant Rossbach - et ces
nouvelles recrues viennent accroître les effectifs et le dyna-
misme du Parti.
Le l e r mai, les Nationaux-socialistes défilent sur le champ
d’aviation d’oberwiesenfeld, près de Munich, accompagnés
de toutes les formations de 1’Arbeitsgemeinschaft. Près de
10.000 hommes en armes répondent à l’appel de leurs chefs.
A l’issue de cette manifestation, les S. A. tentent de marcher
sur Munich pour en finir, une fois pour toutes, avec les
(( complaisances du gouvernement bavarois à l’égard des
partis de gauche 1). Mais le général von Lossow, commandant
du Wehrkreis V I I , fait déployer un cordon de troupes de
la Reichswehr entre Munich et Oberwiesenfeld, de sorte
que les dirigeants du Parti nazi sont obligés de renoncer à
leur projet.
Malgré l’échec de cette tentative, les progrès du Parti
national-socialiste inquiètent le gouvernement bavarois.
Celui-ci se sent menacé par l’essor des Sections d’Assaut,
dont les effectifs grandissent de jour en jour. C’est que la
psychose de revanche suscitée par l’occupation de la Ruhr
st le désespoir consécutif à l’effondrement économique du
Reich fournissent à Hitler une ambiance extrêmement favo-
rable à sa propagande. Chacun de ses discours lui rallie
des milliers de mécontents - étudiants sans ressources,
1. L‘aide de camp du Führer.
2. Cf. Irn Zeichen und Geirle der sdtvarzen Fahne, dans le Vtiikischer Beobachier
du 8 novrmhre 1933, p. 3.
296 H I S T O I R E DE L’ARMBE ALLEMANDE

petits commerçants et rentiers ruinés par ïinflation, anciens


combattants indignés par l’abandon de la résistance passive.
Le l e r et le 2 septembre - anniversaire de la bataille de
Sedan - a lieu, à Nuremberg, une (( Journée allemande)).
C‘est le plus grand rassemblement qu’ait jamais organisé le
Parti. 70.000 hommes, alignés sur la Herrnwiese, sont passés
en revue par Hitler. L’événement saillant de ces journées
est la présence de Ludendorff. C’est la première fois depuis
le putsch de Kapp que le Grand Quartier-Maître Général
paraît en public et sa présence à cette fête n’en est que plus
significative. Non seulement elle cimente le pacte conclu
en février entre Nationaux-socialistes et formations armées
de droite, mais elle apporte à Hitler la caution d’une des
personnalités militaires les plus prestigieuses de l’Allemagne.
Le soir du 2 septembre, sur l’initiative du capitaine Rohm,
les liens de cette alliance sont encore resserrés : l’drbeitsge-
meinschaft est transformée en (( Ligue allemande de combat D,
ou Deutscher Kampfbund l.
Plusieurs mois se sont écoulés depuis l’entrée des troupes
françaises dans la Ruhr et Hitler se rend compte, à présent,
que jamais le Reichstag ni le gouvernement de Berlin n’ose-
ront croiser le fer avec l’Entente. A l’heure où le pays glisse
à l’abîme, les députés se bornent à élever des protestations
platoniques. Décidément, aucune (( guerre de libération )) ne
sera possible aussi longtemps que le régime weimarien sub-
sistera en Allemagne. C’est donc lui qu’il s’agit d’abattre
en premier.
- Tout redressement allemand doit être précédé d’une
marche sur Berlin et de l’instauration d’une dictature natio-
nale, ne cesse de proclamer Hitler 2, e t il ajoute, dans le
discours très violent qu’il prononce le 12 septembre :
- Le régime de Weimar touche à sa fin! L’édifice chan-
celle! La charpente craque! ... I1 n’y a plus qu’une alter-
native : ou bien la croix gammée ou bien l’étoile soviétique!
Ou bien la dictature universelle de l’Internationale commu-
niste ou bien le Saint Empire de la nation germanique!
Au cours des semaines qui suivent, Hitler se dépense sans
compter, inspectant ses Sections d‘Assaut et prenant la
1. Cctte nouvelle coalition comprend, comme la premiére, les S. A., le Bund
Oberland, la Reichsflagge et quelques formations moins importantes.
2. Nul doute qu’en parlant ainsi, Hitler ne songe à l’exemple de Mussolini,
lançant sur Rome ses cohortes de chemises noires (28-29 octobre 1922).
L ’ È R E D E S COUPS D ’ B T A T 297
parole chaque jour, dans cinq ou six réunions l. E t de même
qu’il s’est haussé à la tête de son parti, ses alliés l’élèvent
à la première place au sein de la coalition : le 25 septembre,
il est nommé chef politique du Kampfbund.

Tandis que les 55.000 membres du Parti national-socia-


liste et les formations armées de la Ligue de combat se
groupent toujours plus étroitement autour d’Hitler et de
Ludendorff, un second courant d’opinion se cristallise en
Bavière, représenté par le Parti populiste bavarois, les orga-
nisations monarchistes et les ligues réactionnaires 2, rassem-
blés autour de M. von Kahr.
Ces deux groupes poursuivent une politique diamétralement
différente. Les Nationaux-socialistes, avec Hitler, ne songent
nullement à rétablir la monarchie, mais à reforger l’unité de
la nation allemande par le moyen d’une dictature. Leur poli-
tique est totalitaire et centralisatrice, e t leur cri de rallie-
ment est : (( En avant! Sur Berlin s! ))
Les réactionnaires bavarois, en revanche, s’appuient sur
les paysans catholiques et légitimistes. Ceux-là, moins dure-
ment frappés par la crise que les habitants des villes, aspirent
à cultiver leurs champs en paix dans une Bavière autonome,
gouvernée par un roi. Leur politique est conservatrice e t
particulariste, et leur cri de ralliement est : (( Détachons-nous
de Berlin 4! D
Alors qu’Hitler a choisi comme porte-drapeau la person-
nalité de Ludendorff, von Kahr et ses amis s’abritent der-
rière le Kronprinz Rupprecht de Bavière. De ce fait, le
conflit entre Nationaux-socialistes et réactionnaires bavarois
se double d’un antagonisme personnel entre le Grand Quar-
tier-Maître Général et l’héritier légitime du trône des Wit-
telsbach.
Car Ludendorff est un partisan convaincu des Hohenzol-
lern et ses sympathies vont à un Reich fortement centra-

l . Le 24 septembre, Is Parti national-socialiste organise quatorze réunions de


masse.
2. Tels la Ligue Bauiére et Reich, le Vikingbund, etc.
3. Aut, nach Berlinl
4 . Lo8 ton Berlini
298 HISTOIRE D E L ’ A R M ~ ~ E
ALLEMANDE

lisé. I1 rêve d’une Allemagne puissante, une et indivisible,


capable de reprendre victorieusement la lutte séculaire contre
la France. Comme tel, il est hostile à tout ce qui pourrait
accroître le pouvoir des pays confédérés et, par conséquent,
à une restauration des Wittelsbach.
Rupprecht a des objectifs plus limités, mais plus immédia-
tement réalisables. I1 sait que ses prétentions au trône de
Bavière sont légitimes, mais que jamais il ne serait agréé
comme empereur d’Allemagne. L’idée du Reich sous -
quelque forme que ce soit - lui est donc indifférente. Res-
taurer la monarchie en Bavière e t lui adjoindre, si possible,
l’Autriche catholique, voilà s o n ambition. Peu lui importe
que la création de ce (( Royaume de l’Allemagne du sud ))
signifie la fin du Reich et le morcellement définitif de la
nation allemande. Aussi son projet ne paraît-il pas moins
criminel à Hitler et à Ludendorff que la politique sépara-
tiste, pratiquée en 1919, par Kurt Eisner et ses émules.
Cependant, si les Nationaux-socialistes et les autonomistes
bavarois poursuivent des buts différents, ils ne peuvent les
atteindre qu’en combattant le mQme adversaire, c’est-à-dire
le gouvernement de Berlin, et c’est sur cette plate-forme
- fort étroite, en vérité - qu’ils vont chercher à conjuguer
leurs efforts contre (c l’ennemi commun 1).
Mais si les circonstances les obligent à marcher ensemble,
leur alliance n’en comporte pas moins un grand fond de
méfiance et c’est pourquoi, pendant les semaines qui suivent,
les deux groupes vont s’observer, manœuvrer, et chercher à
se ravir l’initiative des opérations.
*
* +

Soudain, la crise éclate. A partir de cet instant, les événe-


ments se succèdent avec une telle rapidité, qu’elle donne
aux habitants du Reich l’impression de vivre sur un volcan.
1. On voit surgir toutes sortes de fantômes historiques D au COUIY de cette
période troublée. C’était, peu auparavant, l’idée d’un a État allemand de l’est D
englobant, comme au temps des Chevaliers teutoniques, la Prusse-Orientale et
les Pays baltes, dont M.Winnig et le général von der Goltz s’étaient faits les cham-
pions. A présent, c’est la création d’un R Royaume austro-bavarois D, qui prend
corps dans l’esprit de M.von Kahr et du Kronprinz Rupprecht. Pendant ce temps,
Hugo Stinnes, qu’une polémique trhs violente met aux prises avec le chancelier
Stresemann, songe à un I Duché économique rhéno-westphalien i) (voir plus haut,
p. 261, note 2), @i évoque, sous une forme moderne, l’ancienne. Lotharingie de
Charles le Téméraire.
L’ÈRE D E S COUPS D’ÉTAT 299
En apprenant qu’Hitler a été nommé chef politique du
Kampfbund (25 septembre), von Kahr prend peur. Craignant
d’être coiffé au poteau par son adversaire, il se proclame
Commissaire d’fitat général pour la Bavière (26 septembre),
s’attribue les pleins pouvoirs, décrète l’état d’exception sur
tout le territoire bavarois et interùit toutes les réunions que
le Parti national-socialiste a organisées pour le lendemain
Cette nouvelle inattendue provoque des remous violents
dans les milieux nazis z. Mais c’est à Berlin, sans contredit,
que la stupéfaction est la plus vive, car l’action brusquée de
von Kahr équivaut à une violation de la Constitution. Dans
la nuit du 26 au 27 septembre, le Cabinet d’Empire riposte
en proclamant l’état d’exception dans tout le Reich 3, et le
président Ebert remet le pouvoir exécutif à M. Gessler,
ministre de la Reichswehr.
Pour les dirigeants de Berlin, le représentant de l’autorité
légale en Bavière n’est pas M. von Kahr, mais le généralvon
Lossow, commandant du Wehrkreis V I I , auquel M. Gessler
a délégué le pouvoir exécutif 4. En conséquence, le général
von Seeckt charge le général von Lossow de suspendre la
publication du Volkischer Beobachter, organe officiel du Parti
national-socialiste, qui a publié des articles très violents
contre le gouvernement du Reich. Mais alors survient un
nouveau coup de théâtre : le commandant du Wehrkreis V I I
refuse d’exécuter cet ordre et fait cause commune avec
M. von Kahr, qui le nomme séance tenante Landeskomman-
dant de la Reichswehr bavaroise 6.
1. Lc fait que la rksiçtance passive dans la Ruhr fut abandonnée le 26 septembre
n’est, semble-t-il, qu‘une coïncidence.
2. Hitler déclara aiissit5t que IC Karnpfbund gardait son entière liberté d’action
et nc se rangeait pas aux ordres de von Kahr. Cette déclaration provoqua une
scission dans la coalition : la i?eiclrsflagge, du capitaine Heiss, s’en retira et passa
du côté du gouvernement bavarois. Mais elle se scinda elle-mhe, deux jours plus
tard. Une partie de srs efîcctifs (350 hommes environ) se regroupa en une formation
nouvelle, la ReichskriegsJlagge, ou Pavillon de guerre du Reich, SOUS les ordrcs
du capitaine Rdhm, et rentra dans la coalition le 1 2 octobre. (Cf. Gerhard L. BINZ,
Vom Freiliorps iuni poliliselien Soldatenturn, Volkischer Beobachtcr, numéro du
5 novembre 1933.) Depuis le 25 Septembre, Rohm avait d’ailleurs donné sa démis-
sion de la Reichswehr pour se consacrcr entièrement à sa nouvelle activité.
3. Dès lors, on est en plein chaos. 11 y a en Allemagne deux a états d’excep-
tion u simultanfs : l’un, décrété par M. von Iiahr, de sa propre autorité et que
Berlin déclare illégal; l’autre, proclamé par le président Ebert, en vertu du para-
graphe 48 de la Constitution du Reich, et devant lequel Munich refuse de s’in-
cliner.
4. C’est en vertu do ce meme mécanisme juridique que le général hlüller avait
été chargé d’intervenir en Saxe, et le cubnel Reinhard, en Thuringe.
5. Sur la signification et la portbe de cette fonction, voir plus haut, p. 139.
300 HISTOIRE D E L’ARBIhE A L L E M A N D E

Le lendemain, 28 septembre, von Kahr fait un pas de plus


dans la voie de l’illégalité : il abroge en Bavière la Loi pour
la protection de la République, votée par le Reichstag à la
suite du meurtre de Rathenau.
Le l e r octobre, von Seeckt ordonne à Lossow d’arrêter le
capitaine Heiss, chef de la Reichsflagge, inculpé de complot
contre la sûreté de l’État. Une deuxième fois, Lossow refuse
d’obtempérer.
Le 18 octobre, la situation se tend encore. La Bavière
rompt officiellement tous les rapports avec M. Gessler et le
général von Seeckt. Le ministre de la Reichswehr destitue le
général von Lossow. E n réponse, le gouvernement bavarois
fait passer directement sous son autorité toutes les troupes
de la 7e division de la Reichswehr, ce qui revient à les délier
de leur serment envers le Reich. Décision grave, car elle rompt
l‘unité de l>armée allemande.
Le 27 octobre, le président Ebert adresse une note commi-
natoire à M. von Kahr, le sommant de respecter les dispo-
sitions de la Constitution. Von Kahr s’y refuse. I1 exige au
préalable la démission du Cabinet d’Empire, et ordonne aux
formations réactionnaires de se concentrer au nord de la
Bavière, à la frontière de la Thuringe l.
Pendant ce temps, Hitler a observé attentivement - sans
encore y prendre part - la lutte engagée par von Kahr avec
les autorités de Berlin. Mais tout en gardant le contact
avec le Commissaire d’État, il a le sentiment très net que
leurs divergences s’aggravent. Dès avril 1923, le général von
Lossow a dit au chef du Parti national-socialiste, en évo-
quant la lutte dans la Ruhr :
- I1 n’y a que deux solutions : ou bien, donner à la résis-
tance passive le caractère d’une révolte armée; ou bien, si
tout s’écroule, laisser à chaque Pays le soin de se débrouiller
lui-même. Cela équivaudra évidemment au démembrement
du Reich.
Cette dernière phrase a fait bondir Hitler. Elle lui a fait
pressentir que les milieux dirigeants bavarois opteraient
volontiers pour cette deuxième solution et, depuis ce jour-là,
il les a considérés comme ses ennemis z.
1. II ne s’agit pas des formations du Kampfbirnd, mais des Ligucs réaction-
naires qui soutiennent M. von Kahr.
2. a Dès lors, écrit Hitler, j e ne remis plus les pieds au Welrrkreis Konimando. B
Pourtant, tous les liens ne furent pas rompus entre les chefs du Parti national-
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 301
On se trouve, de la sorte, devant ce fait paradoxal : un
mouvement particulariste qui porte dans ses flancs un mou-
vement totalitaire. Derrière la révolte bleue et blanche des
réactionnaires bavarois, se prépare le soulèvement des éten-
dards à croix gammée l.
Jour après jour, la confusion s’accroît. Le 4 novembre,
on apprend que le général von Lossow projette la création
d’un directoire de trois membres 2, qui gouvernera la Bavière
en attendant le retour prochain des Wittelsbach. Le surlen-
demain (6 novembre), von Kahr convoque les chefs des
diverses formations du Kampfbund hitlérien. I1 leur déclare,
en présence du général von Lossow et de ses principaux
collaborateurs, qu’il ne tolérera plus l’agitation à laquelle
ils se livrent depuis quelque temps, et qu’il interdit tout
coup d’État autre que celui qu’il prépare lui-même.
- Nous n’agirons que lorsque tout sera prêt, dit-il, mais
c’est moi qui donnerai le signal du départ. J e prendrai des
sanctions sévères contre tous ceux qui tenteraient de devan-
cer mes décisions. Lossow, que ces paroles mettent dans une
situation embarrassée, - car il redoute d’être entraîné dans
un conflit armé avec Berlin - cherche à éluder le débat.
Les chefs du Kampfbund protestent.
- Votre attitude est inadmissible! lui disent-ils. Ne VOUS
êtes-vous pas engagé à marcher avec nous?...
Mis au pied du mur, von Lossow bat en retraite.
- Sans doute, leur répond-il. Encore faut-il que vous me
garantissiez cinquante et une chances sur cent de succès 3...
Le soir même, les détails de cette entrevue sont commu-
niqués à Hitler, au cours d’une réunion des dirigeants de
son Parti. Le capitaine Rohm et les chefs militaires (su;
ont été convoqués par von Kahr) ne voient dans son discours
qu’une simple fanfaronnade, dictée par la peur des Natio-
naux-socialistes. Mais Dietrich Eckart et Scheubner-Richter,
conseillers intimes du Führer, sont d’un tout autre avis.
socialiste et les autorités militaires. Certaines eoiiversations se poursuivirent par
l’entremise du capitaine Rohm et du général von Epp.
I . Le 23 octobre avait eu lieu une reunion des commandants de S. A., au cours
di: laquelle Gœriiig avait déclaré : a Nous ferons un coup de force et quiconque
voudra nous susciter des diflicultbs sprés la prise du pouvoir, sera fusillé. Ces
paroles avaient été rapportées & M. Schweyer, ministre de l’Intérieur de Bavière.
2. A I . von Kahr, le géiiéral von Loçsoiv et le colonel von Seisser, commandant
de la police munichoise.
3. Cf. Dialogue du chef d’8iat-Major des S. A. Rühm et de Wilhelm Weiss,
publié dans le Volkischer Beobnchter du 8 novembre 1933, Somferbcilage, p. 1.
302 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

Pour eux, les paroles du Commissaire d’État et l’attitude


ambiguë de von Lossow signifient que les deux hommes ont
pris une décision très grave : celle de réaliser le coup de
force pour leur propre compte, en évinçant de l’affaire
Hitler et Ludendorff. Aussi Hitler décide-t-il de ne pas leur
laisser l’initiative. I1 choisit l’anniversaire de la révolution
de 1918 pour trancher ce nœud gordien.
t
* +
Le jour désigné par Hitler pour déclencher le coup de
force est le 10 novembre. Un plan dbtaillé est aussitôt établi.
Le lieutenant-colonel Kriebel, chef militaire du Kampfbund
télégraphiera aux quatre coins du pays pour mobiliser ses
ligueurs. Gœring en fera autant en ce qui concerne les Sec-
tions d’Assaut. Dans la nuit du 10 au 11 novembre, des
grandes manœuvres de nuit seront organisées sur la Frott-
maninger Heide, au nord de Munich, auxquelles participe-
ront le plus grand nombre possible d’unités armées. Au matin
du 11 novembre, les S. A. e t les formations du Kampfbund
envahiront Munich, sous prétexte de commémorer l’anniver-
saire de l’armistice et occuperont les principaux points stra-
tégiques de la ville : l’ancien ministère de la Guerre bavarois,
devenu le siège du Wehrkreis Komm’ando, les gares, la Poste
centrale, les immeubles des journaux et les ponts de l’Isar.
Après quoi, Hitler et Ludendorff proclameront l’avènement
d’un nouveau gouvernement, auquel von Kahr et von Los-
sow seront bien obligés de se rallier.
Mais, au dernier moment, un fait inattendu incite Hitler
à modifier son plan et à avancer de quarante-huit heures
la date du coup de force. On annonce, en effet, qu’un grand
meeting politique doit avoir lieu au IBürgerbraukeller, - une
brasserie située dans un faubourg oriental de la ville -dans
la soirée du 8 novembre. M. von Kahr y prendra la parole
ainsi que les principaux membres d u Cabinet bavarois. Or
Hitler se dit qu’en cernant la salle et en usant d’intimida-
tion, il contraindra d’un seul coup le Commissaire d’État et
le général von Lossow à se solidariser avec la révolution
nationale. L’occupation de Munich par les unités du Kampf-
bund s’effectuera ensuite beaucoup ]plus aisément.
Le 8 novembre, vers 20 heures, Hitler et Alfred Rosenberg
pénètrent dans le Bürgerbraukeller, où ils retrouvent Scheub-
L’ÈRE D E S C O U P S D’ÉTAT 303
ner-Richter, arrivé un peu avant eux. La brasserie est bondée :
plus de trois mille personnes écoutent le discours que M. von
Kahr, debout sur l’estrade, débite d’une voix monotone. Les
trois hommes se tiennent près de l’entrée, à moitié masqués
par une colonne pour ne pas trahir leur présence. Ulrich
Graff, qui sert de garde du corps au Führer, arrive quelques
minutes plus tard. Vers 8 h. 30, la porte d’entrée est enfoncée
avec fracas. La Stosstrupp Hitler 1, commandée par le sous-
lieutenant Berchtold, fait irruption dans la salle e t braque le
canon d’une mitrailleuse sur la foule. C’est le signal convenu.
Aussitôt Hitler, Rosenberg, Scheubner-Richter et Ulrich
Graff dégainent leur revolver et marchent, l’arme au poing,
vers l’estrade où se tient le Commissaire d’État. Celui-ci,
pâle comme un mort, s’est arrêté de parler, de sorte que
toute la scène se déroule au milieu d’un silence impression-
nant.
Au moment où Hitler gravit les marches de l’estrade, la
foule, revenue de sa stupeur, l’accueille par des huées et des
bordées d’injures. Le chef du Parti national-socialiste tire un
coup de revolver dans le plafond,. pour imposer silence.
- Que personne ne bouge! s’écrie-t-il d’une voix forte, la
salle est cernée par six cents hommes en armes! La révolu-
tion nationale a éclaté! Les casernes de la Reichswehr e t
de la gendarmerie sont occupées par nos hommes! Troupes
régulières e t Sections d’Assaut fraternisent sous le signe de
la croix gammée! Elles ne vont pas tarder à être ici.
Puis Hitler prie von Kahr, le général von Lossow et le
colonel von Seisser de l’accompagner dans une pièce atte-
nante, tandis que les membres du commando de choc conti-
nuent à tenir l’auditoire en respect.
Enfermés dans la petite salle, Hitler somme von Kahr et
von Lossow de se joindre à lui pour faire triompher la révo-
lution nationale. Mais, contrairement à toute attente, ils se
débattent e t posent des conditions à leur ralliement au
Kampfbund. Les négociations traînent en longueur. Dans la
grande salle, la foule commence à s’impatienter.
Sentant que la situation se détériore, Hitler, jouant d’au-
dace, revient dans la grande salle e t monte à la tribune.
Il annonce la destitution du président du Reich e t du gou-
vernement d’Empire, propose Kahr comme régent de Bavière

1 . Commando de choc Hitler


304 HISTOIRE D E L ’ A R M É E A L L E N A N D B

e t Pohner comme premier ministre, muni de pouvoirs dic-


tatoriaux.
- Jusqu’à ce que nous ayons réglé leur compte aux cri-
minels qui mènent aujourd’hui l’Allemagne à sa .perte, pour-
suit-il, j’assumerai moi-même la direction politique du nou-
veau gouvernement national. Le général Ludendorff sera
chargé de l’organisation de la nouvelle armée. Le général
von Lossow sera ministre de la Reichswehr et le colonel von
Seisser, ministre de la police du Reich. La tâche du gouverne-
ment provisoire sera de marcher sur Berlin Demain, ou ...
bien l’Allemagne_aura un gouvernement national, ou bien
nous mourrons. Etes-vous d’accord?
Un tonnerre d’applaudissements répond à ses paroles.
Le public croit, en effet, qu’Hitler parle au nom de von
Kahr et de Lossow. Hitler se tourne alors vers von Kahr,
pour lui dire que l’assemblée vient de plébisciter sa politi-
que et qu’elle n’attend qu’un mot de lui pour l’acclamer à
son tour.
Sur ces entrefaites, Ludendorff arrive de Ludwigshohe où
Scheubner-Richter est allé le chercher. Le Grand Quartier-
Maître Général, immédiatement introduit dans la salle des
délibérations, conseille lui aussi aux ministres bavarois de
se rallier à la cause commune.
Sentant qu’ils sont tombés dans un véritable traquenard
et que toute résistance ne servirait à rien, Kahr, Lossow
et Seisser finissent par céder aux objurgations d’Hitler. Ils
retournent dans la grande salle, où le Commissaire d’État
annonce qu’il se range aux côtés de la révolution natio-
nale, (( en tant que représentant de son roi )) - c’est-à-dire du
Kronprinz Rupprecht de Bavière. Bien que cette profession
de foi ne lui plaise guère, Ludendorff fait savoir, de son
côté, qu’il se met, de sa propre autorité, à la disposition du
gouvernement national. L’assemblée acclame longuement
les orateurs.
Tandis que la foule se disperse, Hitler, Ludendorff, Kahr,
Lossow et Seisser se retirent de nouveau dans la petite
pièce pour délibérer. Mais on apprend alors une nouvelle
qui va avoir une répercussion décisive sur la suite des évé-
nements : les soldats du 1 9 e régiment d’infanterie bavarois
ont refusé d’ouvrir les portes de leur caserne aux volontaires
du Kampfbund. Une section de l’Union Oberland a été
désarmée. Craignant une effusion de sang, Hitler décide de
L’ERE DES COUPS D’ÉTAT 305
se rendre sur place pour calmer la colère de ses hommes.
n C’est durant cette demi-heure d‘absence, écrit Alfred
Rosenberg, que se joua le sort de toute l’affaire. Los-
sow, Kahr et Seisser avaient déclaré, une minute aupa-
ravant, qu’ils seconderaient activement le Mouvement,
conformément à l’engagement solennel qu’ils venaient de
prendre. Ils serrèrent la main de Ludendorff et lui don-
nèrent leur parole d’honneur de rester fidèles au pacte
conclu ... Sur quoi Ludendorff leur rendit la liberté ».
Lorsque Hitler revient au Bürgerbriiukeller les ministres
bavarois se sont envolés. Le chef du Mouvement national-
socialiste est atterré, car il est convaincu que malgré leur
serment, Kahr, Lossow et Seisser vont tout faire, à présent,
pour torpiller la révolution nationale z. Non sans ménage-
ments, Scheubner-Richter demande à Ludendorff comment
il a pu se laisser berner ainsi. Mais le Grand Quartier-Maître
Général, qui ne tolèreauc une critique, répond d’un ton cas-
sant :
- J e vous défends de mettre en doute la parole d’un
oficier allemand!
* *
A la même heure, Sections d’Assaut et formations du
Kampfbund convergent vers Munich et occupent certains
points névralgiques de la ville. Un groupe de volontaires,
commandés par le lieutenant Rossbach, hisse le drapeau à
croix gammée sur le toit de 1’Ecole d’infanterie. La Stoss-
trupp Hitler, qui vient de prendre part à l’affaire du Bür-
gerbraukeller s’empare de l’immeuble du journal socialiste, le
Münchener Post. Enfin, la Reichskriegsflagge du capitaine
Rohm, - dont le fanion est porté par l’aspirant Himmler 3,
- occupe l’ancien ministère bavarois de la Guerre devenu,
depuis 1919, le siège du Wehrkreis V I I 4. C’est là que, vers
minuit, Ludendorff e t ses conseillers s’installent pour tra-
vailler.
1. Alfred ROSENBERG, Souvenirs sur le 8 et le 9 noveinhe 1923, VGlkisclier Beoùaclr-
ter, numéro du 8 novembre 1933.
2. Le geste de Ludendorff, rendant leur liberté. aux ministres bavarois, fait
pendant ià celui du capitaine Ehrhardt donnant au gouvernement de Berlin
douze heures pour accepter son ultimatum, à la veille du IJU&Ch de I<app. Ces
deux erreurs de tactique auront les mêmes conséquences.
3. Le futur commandant en chef des S. S.
4. I1 faut remarquer que ces diverses actions ont quelque chose d’improvisé
11 20
306 HISTOIRE D E L ’ A R M É E ALLEhIANDE

Mais tandis que la foule acclame les patrouilles nationales-


socialistes qui parcourent les rues en chantant le Deutsch-
land über alles, le général von Lossow, le général von
Danner, commandant de la Place, e t les ministres bavarois
se sont réfugiés dans la caserne du 19e régiment d’infanterie.
Sans perdre un instant,- comme l’avait prévu Hitler - ils
élaborent un plan d’action pour écraser la révolution natio-
nale. Les détachements de Fürth e t de Nuremberg resteront
sur place pour réprimer d’éventuels soulèvements locaux.
Les régiments de Munich seront renforcés par des troupes
alpines, transportées en camions de Haute-Bavière. Puis, le
commandant du Wehrkreis V l l adresse une circulaire à ses
officiers leur ordonnant d’arrêter e t de désarmer les éléments
factieux en quelque endroit qu’on les trouve. Quiconque
leur prêtera assistance se rendra coupable de haute trahison.
Vers 1 heure du matin, les chefs du gouvernement bava-
rois reçoivent la visite d‘un aide de camp du Kronprinz
Rupprecht de Bavière, accouru en toute hâte de Herren-
chiemsee, pour mander à von Kahr et à Lossow que l’héri-
tier des Wittelsbach rejette, sans discussion, toute dicta-
ture du général Ludendorff dans ses États.
- I1 faut libérer, coûte que coûte, la Bavière de cette
situation intolérable! déclare le messager du prince. Luden-
dorff n’est qu’un intrus, dont rien ne justifie l’immixtion
dans les affaires du Pays. D’abord c’est un Prussien l.
Ensuite ses conceptions néo-païennes inquiètent sérieuse-
ment le haut clergé catholique 2. Eniployez la troupe, s’il
le faut, pour faire cesser ce scandale3.
Lossow et Seisser n’ont pas attendu cette intervention
pour prendre leurs dispositions. Von Kahr signe un décret,
promulguant la dissolution de la N. S. D. A. P. et transmet
par radio un communiqué à la presse, déclarant que la parole
e t ne correspondent plus au plan primitivement établi par l’État-Major du Kainpf-
bund. C’est qu’en avançant la date de son intervention, Hitler a privé les Sections
d’Assaut des vingt-quatre heures nécessaires pour occuper méthodiquement la
ville.
1. On sait que Ludendorff est né en Posnanie, le 9 avril 1865, d’un père prus-
sien et d’une mère suédoise.
2. Notamment le cardinal Faulhaber, archevcque de Munich et Mgr Pacelli,
légat pontifical en Bavière ct futur Pape Pie XII, qui exerçait une grande
influence sur le gouvernement bavarois.
3. L’intervcntion du Kronprinz Rupprecht de Bavière, affirmée par les uns,
a été démentie par les autres. II e s t cependant certain qu’elle a eu lieu, quoique
sous une forme indirecte. (Cf. Camille LOUTRE,L’Europe rwutalle, numéro du
17 novembre 1923, p. 1475.)
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 307
que lui et ses collègues ont donnée au Grand Quartier-
Maître Général n’a aucune valeur, car elle leur a été extor-
quée par la force. Quelques heures plus tard, le (( gouver-
nement légal bavarois D s’enfuit à Ratisbonne, où il publie
un manifeste très violent contre le Prussien Ludendorff.
Le 9 novembre, à l’aube, la situation est complètement
renversée. Munich est encerclée par les troupes régulières, et
la proclamation suivante est affichée à tous les coins de rue :
L’imposture et la mauvaise foi de quelques ambitieux ont
transformé une manifestation d u réveil national en une scène
d’odieuse violence. Les déclarations qui nous ont été arrachées,
sous la menace d u revolver, à moi-même, a u gènéral von Los-
sow et a u colonel von Seisser, sont nulles et non avenues. L e
Parti national-socialiste, ainsi que l’Union Oberland et la
Reichsflagge sont dissous.
VON KAHR,
commissaire d’État.

A leur tour, les Sections d’Assaut hitlériennes et les for-


mations du Kampfbund sont prises au piège. (( Si jamais
l’on a pu parler d’un coup de poignard dans le dos, écrit
le Dr Gumbel, c’est bien ici l . u
Au cours de la nuit, Hitler a envoyé plusieurs émissaires
à la caserne du 19e régiment d’infanterie, mais ceux-ci n’en
sont pas revenus, car von Lossow les a fait arrêter 2. Sur-
pris de ne recevoir aucune nouvelle des autorités mili-
taires, le chef du parti National-socialiste envoie Ulrich
Graff et Gœring aux renseignements. Les informations
qu’ils rapportent ne sont guère rassurantes. La police
occupe tous les ponts de l’Isar 3 et l’on apprend, coup sur
coup, la fuite du gouvernement bavarois et l’arrestation
de MM. Frick, Pohner e t du major Hühnlein. Désormais,
aucun doute n’est plus permis : von Kahr, Lossow et Seisser
ont trahi leur serment.
Cette défection met Hitler dans une situation des plus
1 . Professor GUSIBEL,Verschworer, p. 203. La même expression se retrouve
8ous la plume de Gerhard R Ü H L E . (Das driik Reich, vol. I , p. 104.)
2. CI. Le récit du major Siry, envoyé par Hitler à la caserne du 190 régiment
d’infanterie, dans la nuit du 8 au 9 novembre 1923.( VoZkischer Baobnchter, numéro
du 8 novembre 1933.)
3. En face de la police se trouvaient de petites escouades de S . A., numérique-
ment beaucoup plus faibles. L’une d’elles, de faction i la Corneliusbrücke, était
commandbeparlelieutenant Heines. Le pont Wittelsbach était d6Iendu par Gregor
Strasser, chef des S. A. de Basse-Bavière.
308 H I S T O I R E D E L’ARIXÉE ALLEMANDE

critiques. Que faire? Deux solutions se présentent : ou bien


évacuer Munich et se retirer à Rosenheim, pour éviter un
combat de rues. Mais alors, à l’échec politique viendra
s’ajouter une défaite morale dont le Parti ne se relèvera
peut-être jamais. Ou bien marcher vers le centre de la ville
pour se rallier l’opinion publique et voir comment réagira
le gouvernement bavarois.
C’est cette deuxième solution qu’adoptent Hitler et
Ludendorff.
+
+ i

Le 9 novembre, vers 11 heures du matin - 124e anni-


versaire du jour où Bonaparte effectua son coup d’État du
18 Brumaire - Hitler, Ludendorff et les principaux chefs
du Kampfbund se retrouvent au Bürgerbraukeller, d’où
doit partir le cortège qui traversera Munich. Chacun sait
que cette tentative est à peu près désespérée. Les visages
sont tendus, les esprits angoissés.
- Ne venez pas avec nous, dit un commandant de S. A.
à Alfred Rosenberg, c’est un véritable suicide ...
- Après ce qui s’est passé cette nuit, répond Rosenberg,
vivre ou mourir n’a plus guère d’importance.
La colonne se met en marche un peu avant midi. Le
Führer se trouve au milieu du premierrang, ayant à sa droite
Ludendorff, Scheubner-Richter et Ulrich Graff; à sa gauche
le Dr Weber, Gottfried Feder et le lieutenant-colonel Kriebel.
Au second rang viennent Gœring, Rosenberg, Anton Drexler,
les chefs et les sous-chefs du Parti 2. Le cortège est précédé
par deux porte-drapeau : Andréas Bauriedl, qui tient
l’étendard à croix gammée, et Garreis, qui porte le fanion
de l’Union Oberland 8. Partout, sur leur passage, les mani-
festants sont acclamés par la foule.
Parvenue au pont de l’Isar, la colonne se heurte à un
premier cordon de police.
- En joue! ordonne le commandant du détachement.
I.9 novembre 1799.
2. On estime h deux mille hommes environ le nombre des S.A qui prirent part
h la manifestation. Le capitaine Rohm n’y était pas. I1 occupait encore le ministère
do la Guerre. Julius Streicher, accouru de Nuremherg, se joignit au cortège en
cours de route.
3. C’est ce m h e drapeau qui avait éié planté, le 21 mai 1921, au sommet de
I’ Annabcrg.
L’ÈRE D E S COUPS D’ÉTAT 309
- Au nom du ciel, ne tirez pas! s’écrie Ulrich Graff. Ne
voyez-vous pas que Ludendorff est parmi nous?
- Le premier coup de feu signifiera la mort de tous les
otages qui sont entre nos mains! rugit Gœring.
Déconcertés, les agents hésitent, remettent l’arme au pied
et laissent passer le cortège.
Quelques instants plus tard, celui-ci débouche sur la
Marienplatz, contourne 1’Hatel de Ville et s’engage dans la
Residenzstrasse. C’est une rue étroite qui aboutit à la place
de l’odéon, entre le Palais de la Résidence et la Feldherrn-
halle. Les Nationaux-socialistes avancent, sans s’aperce-
voir qu’un second barrage de police est posté dans cet
étroit défilé l. Soudain les agents dévalent les degrés de la
Feldherrnhalle, se déploient en travers de la rue et bra-
quent leurs mousquetons sur les manifestants. N A cette
seconde précise, écrit Ulrich Graff, je sus que quelque chose
de terrible allait se passer. J e me jetai instinctivement
devant Hitler et, désignant de la main Ludendorff, je criai
d’une voix rauque : (( Ludendorff! Voulez-vous tirer sur votre
général? Hitler et Ludendor ff... 1)
Au même instant, une salve de mousqueterie lui coupe
la parole. Ulrich Graff tombe à terre, grièvement blessé,
entraînant dans sa chute Hitler,. qui se démet l’épaule.
Scheubner-Richter s’écroule, tué, ainsi que le porte-drapeau
Bauriedl, qui agonise, teignant de son sang l’étendard
croix gammée. Goering, très gravement atteint, parvient à
se traîner derrière le lion de la Feldherrnhalle. u Quand je
rouvris les yeux, écrit Ulrich Graff, je ne vis autour de moi
que des cadavres ... Seul, Ludendorff, impassible, les mains
dans les poches (il était en civil), continuait à avancer. I1
franchit le cordon de police et disparut à mes regards ».
Le reste de la scène, dont on ne saisit que des lambeaux
décousus, se déroule comme dans un cauchemar. Qua-
torze Nationaux-socialistes ont été tués sur le coup. D’in-
nombrables blessés jonchent la chaussée. Du côté de la
police on compte quatre morts, car les manifestants ont
fait, eux aussi, usage de leurs armes. Hitler se relève à grand-
I. Les policiers étant moins nombreux que les Nationaux-socialistes ne pou.
vaient leur barrer la route que dans ce passage resserré. Si lcs manifestants étaient
arrivés sur la place de l’odéon, leur supériorité numérique les aurait rendus maîtres
de la situation.
2. Cf. Ulrich GRAFF, Les 8 et 9 novembre 1923, aux c6ié.s d’Hitler, Vlilkiachtv
Beobncliier, numéro du 8 nowmhre 1933.
310 H I S T O I R E DE L’ARMEE A L L E M A X D E
peine et, d’un geste de son bras valide, ordonne à ses hommes
de cesser le feu. Peu à peu les détonations s’espacent, puis
s’arrêtent.
Un silence oppressant succède au tumulte de la fusillade.
(( J e vis alors une auto traverser au ralenti la Max-
Josephplatz, écrit Alfred Rosenberg. Hitler, le visage figé
dans une expression indéfinissable, était assis à l’avant. A
l’arrière était étendu un jeune homme ensanglanté qui avait
dû être atteint, lui aussi, par une balle des forces gouverne-
mentales. Lentement, le Führer passa devant la colonne
de S. A., dont les hommes se mirent au garde à vous et le
saluèrent d’un (( Heil! )) très ferme, quoique prononcé à voix
basse 1. )) Puis la voiture disparaît au fond de la place
emmenant Hitler à Ufing, au bord du Staffelsee, dans la
villa d’un ami, le Dr Hanfstaengl.
A la même heure, Rohm et ses hommes sont cernés par la
Reichswehr dans le bâtiment du W e h r k r e i s V I I . Les volon-
taires de la ReichskriegsfZagge, qui ont barré toutes les
issues avec du fil de fer barbelé, s’apprêtent à subir un siège
en règle. Les mitrailleuses crépitent aux fenêtres. Déjà,
deux soldats ont été tués. Mais le général von Epp s’entre-
met à temps pour éviter un massacre. I1 décrit à Rohm la
scène de la Feldherrnhalle et lui démontre l’inutilité de sa
résistance. La rage au cœur, le capitaine Rohm se rend,
ainsi que les soldats de sa troupe.
Alors les sanctions s’abattent sur le Parti nazi. Ses bureaux
sont fermés par la police et ses biens confisqués 2. Rossbach
s’enfuit en Autriche. Ludendorff, appréhendé par la police,
est relâché sur parole. Rohm et Dietrich Eckart sont enfer-
més au Stadelheim 3. Le lieutenant Bruckner, le Dr Weber,
le lieutenant-colonel Kriebel, d’autres encore, sont arrêtés
et jetés en prison, Gœring, dont les jours sont en danger,
est recueilli par des amis. Un mandat d’arrêt est lancé contre
lui. I1 veut fuir en Autriche, mais toutes les frontières sont
gardées. Des camarades dévoués le portent à bout de bras
sur une civière, à travers des sentiers de montagne, par
1. Cf. A l h d ROSENBERG, Souvenirs sur IC 8 et le 9 novembre 1923, 1-olkischer
Beobnckter, numéro du 8 novembre 1933.
2. Ceux-ci, y compris le journal du Parti, sont évalués i cent soixante-dix mille
marks-or.
3. Dietrich Eckart, qui souffre d’une maladie de cœur, tombe gravement malade
en prison. I1 est relâché, mais meurt des suites de son internement le 30 décembre
1923.
L’ÈRE D E S C O U P S D’ÉTAT 312
les cols neigeux des Alpes. Accompagné de sa femme,
le blessé, toujours délirant de fièvre, arrive enfin au Tyrol,
et poursuit sa route vers Innsbruck et Venise1.
Le 11 novembre, d’importantes forces de police se pré-
sentent à Ufing, à la villa Hanfstængl, pour arrêter Hitler.
On craint qu’il n’ait rassemblé autour de lui une troupe
de partisans, prêts à le défendre jusqu’au dernier. Mais le
chef du Parti national-socialiste, très éprouvé par ses
contusions et complètement démoralisé, se laisse arrêter
sans résistance. I1 est ramené sous escorte à Munich et mis
en prison.
Le coup d’État qui devait porter les Nationaux-
socialistes au pouvoir, se termine par un fiasco. Seize
morts et de nombreux blessés, tel est le bilan de cette
journée tragique. Mais le sang répandu devant la Feldherrn-
halle n’a pas été versé en vain : pendant plusieurs jours,
la foule, en proie à une agitation étrange, parcourt les rues
de Munich en chantant des hymnes patriotiques et en
conspuant von Kahr et le gouvernement bavarois. Complè-
tement discrédité, celui-ci est obligé de céder la place à un
Cabinet centriste, présidé par M. Held.

* *
Le 26 février 1924, tous les instigateurs du coup d’État
sont traduits devant la Haute-Cour. Hitler, Ludendorff,
le Dr Frick, M. Pohner, le lieutenant-colonel Kriebel, chef
militaire du Kampfbund, le lieutenant Bruckner, comman-
dant du régiment de S. A. de Munich, le lieutenant Wagner,
chef adjoint des volontaires de Rossbach, le Dr Weber,
chef de l’Union Oberland, le capitaine Rohm, chef de la
Reichsiriegsflngge, le lieutenant Pernet, gendre de Luden-
dorff, prennent place au banc des accusés. C’est un des
plus grands procès qui se soient déroulés en Allemagne depuis
la fin de la guerre. Pendant plus d’un mois, les témoins
- parmi lesquels figurent von Kahr, Lossow 2 t Seisser -
défilent à la barre. Enfin, le 1er avril, le verdict est rendu :
Adolf Hitler, Kriebel, Pohner et Weber sont condamnés à
cinq ans de forteresse, pour haute trahison 2. Frick, Bruckner,
1. Cf. Martin SOMMERFELDT, Hermann Gering, p. 48.
2 . Avec la promesse - assez vague il est vrai - d’une libération anticipée
aprPs six mois de détention.
312 HISTOIRE DE L’ARMkE ALLEM A N D E

Wagner, Rohm e t Pernet, à quinze mois de prison avec


sursis, pour participation au complot. Seul, Ludendorff est
acquitté.
Le même soir -
tandis que von Kahr, Lossow et Seisser
partent pour Corfou -
Hitler est transféré à la forteresse
de Landsberg-sur-la-Lech l.
Mais malgré l’écroulement de leurs espérances, les diri-
geants de la N. S. D. A. P. ne se résignent pas à la dissolu-
tion de leur Parti. Les uns, comme Alfred Rosenberg e t
Anton Drexler, cherchent à le maintenir en vie, malgré
l’interdiction des autorités. Les autres, comme le major
Buch, s’efforcent de reconstituer les Sections d’Assaut.
Rohm, de son côté, fonde avec le lieutenant Bruckner une
nouvelle ligue, la Frontbann, qui se donne pour mission de
poursuivre l’œuvre entreprise par le Deutscher Kampfbund.
Mais ces efforts dispersés n’atteignent aucun de leurs
objectifs. Occupé dans sa cellule à rédiger ses mémoires,
qui paraîtront quelques années plus tard sous le titre Mein
Karnpf, Hitler ne peut coordonner l’action de ses lieutenants.
En juin 1924, ne voulant pas assumer la responsabilité de
décisions qu’il n’a pas prises lui-même, il fait savoir
qu’il renonce officiellement à la direction du Parti.
1. Des procès séparés seront intentés à Max Amann, administrateur du Parti,
à Julius Streicher et Rudolf Hess, qui seront frappés de peines diverses. (Rudolf
Hess, en particulier, est interné avec Hitler à la prison de Landsberg.) De même,
quarante membres du a Commando de choc Hitler I seront condamnés le 28 avril
1924.
xx

LE RETOUR A LA LÉGALITE

Arrêtons-nous un instant à ce moment de l’histoire de


l’Allemagne qui clôt ce que nous avons appelé (( l’ère des
coups d’État D. C’est immédiatement après une période de
tension et de crise que se dessinent le plus clairement les
traits d’une situation. De même, c’est à la lueur du dernier
éclair de l’orage qui s’éloigne, que le profil des protagonistes
se grave le plus profondément dans notre esprit.
A l’issue de quatre années de secousses ininterrompues,
où ont été semées toutes les idées qui devaient germer plus
tard, trois hommes viennent de jouer une partie décisive :
Ludendorff, Hitler e t von Seeckt.
On pourrait croire, à première vue, que celui des trois
auquel les événements du 9 novembre ont porté le coup le
plus sensible, c’est Hitler. E n réalité, il n’en est rien. Le
grand vaincu de la journée est Ludendorff, car il a laissé
échapper sa dernière chance de conquérir le pouvoir, et le
pouvoir, désormais, se détournera de lui.
cc Jamais plus je ne croirai à la parole d’un oficier alle-
mand »,a-t-il grommelé d’un ton rogue en apprenant la
(( trahison )) de Lossow. E t après son acquittement, il proteste

en déclarant que cette mesure de clémence (( est une humi-


liation personnelle et une insulte à son uniforme 1). Aigri et
désabusé, il se retire à Ludwigshohe, pour cultiver ses roses
e t terminer un essai sur l’encerclement des légions de
Varron par Annibal.
Lui qui a toujours rêvé de mener l’Allemagne à la
conquête du monde, jamais plus il ne vivra une journée
comparable à celle du 7 août 1914, lorsque seul et sans
314 HISTOIRE DE L’ARMÉE A L L E M A N D E

armes, il s’est présenté aux portes de la citadelle de Liège,


et a obtenu sans coup férir la reddition de la garnison.
Le zénith de sa carrière est dépassé; il ne lui reste plus,
dorénavant, qu’à vivre sur ses souvenirs. (( Les images de la
Guerre mondiale, avec son déploiement de forces et sa succes-
sion de victoires et de demi-victoires, se fondent, dans son
esprit, en une fresque colossale, qui ne souffre aucune cri-
tique )) Le Grand Quartier-Maître Général juge l’ensemble
de ces événements avec l’œil du stratège, pour qui tout se
ramène à un problème d’équilibre ou de déséquilibre de
forces. La guerre? S’il ne l’a pas gagnée, c’est que l’adver-
saire disposait de plus de réserves que lui. La révolution?
Si les rouges l’ont perdue, c’est qu’ils ont accumulé faute
sur faute. (( La plus grande de toutes, dit-il, a été de ne pas
me tuer, car j’étais leur pire ennemi. )) Ce détachement à
l’égard de sa propre existence, provient de sa conception de la
vie, entièrement dominée par la religion de la guerre. Pour
ce Samouraï prussien, l’univers est engagé depuis ses ori-
gines dans une bataille sans merci. A l’intérieur des peuples,
les individus, les castes, les groupes et les partis luttent
pour la suprématie, de même que les nations luttent entre
elles pour l’hégémonie mondiale. Rien ne doit tempérer la
rigueur du conflit. ((Un peuple qui se laisse désarmer,
écrit-il, attente à toutes les lois divines et humaines. La
guerre étant le but unique et suprême des collectivités sa
préparation doit être la passion dominante de chaque indi-
vidu. ))
Mais en se plongeant dans la contemplation de ce Walhalla
militaire, Ludendorff s’écarte de plus en plus de la réalité,
I1 ne voit plus les peuples comme des entités vivantes, ayant
leurs caractères ethniques, leur histoire et leur spécificité.
Le monde ne lui apparaît plus que comme un vaste ter-
rain de manœuvres, une immense carte d’État-Major où
alternent les zones de conquête et les zones de destruction.
t
* I

Tandis que Ludendorff s’enfonce ainsi dans les brumes du


passé, Hitler, lui, pense exclusivement à l’avenir. Le putsch
du 9 novembre, dont il n’avait vu tout d’abord que l’échec

I . Karl TSCAWPPIK,
Ludendorff, p. 416.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 315
matériel, lui apparaît de plus en plus comme une victoire
morale. En démasquant les visées particularistes de M. von
Kahr et en provoquant indirectement la chute de son gou-
vernement, le coup de force nationaliste a mis un terme
définitif aux tendances séparatistes des réactionnaires
bavarois. Le procès qu’on lui a intenté a braqué sur
Hitler l’attention de la presse mondiale. Considéré jusqu’alors
comme un bohème, un vagabond et enfin comme un
petit agitateur local, il est devenu, du jour au lendemain,
une figure de premier plan dans la politique intérieure alle-
mande. Son Parti a reçu le baptême du sang, ce qui lui
confère un prestige qu’il n’avait pas auparavant. La fusil-
lade de la Feldherrnhalle a agi (( comme une bombe qui,
en éclatant, a répandu sa semence à travers tout le Reich II.
Pourtant le chef du Parti national-socialiste se rend p‘ar-
faitement compte qu’il a commis un certain nombre
d’erreurs qu’il importe de ne pas renouveler. D’abord, il a
agi avec une précipitation excessive. Sans doute se sentait-il
poussé (( par une force inéluctable ». Mais le fatalisme est,
pour les hommes politiques, un conseiller dangereux. I1 ne suffit
pas, en effet, de renverser un régime : encore faut-il le rem-
placer par un autre. L’fitat nouveau doit être prêt à l’avance,
si l’on veut qu’il soit capable de se substituer à l’ancien.
(( Aujourd’hui, avouera Hitler en 1936, je remercie le destin

de nous avoir refusé la victoire en 1923. Comment aurions-


nous fait, pour édifier l’État nouveau? Nous n’étions ni
assez nombreux, ni assez expérimentés. J’aurais été obligé
de m’appuyer une fois de plus sur la bourgeoisie. C’eût
été un avortement navrant. Au lieu de refaire le Reich,
nous nous serions bornés à changer sa raison sociale 2. ))
Une autre erreur a consisté à modifier la structure des
Sections d’Assaut, au lieu de leur conserver leur caractère
initial. L’effondrement du Kampfbund aura été, à ce point
de vue, une leçon profitable, car il permettra de replacer
les S. A. dans la ligne dont ils n’auraient jamais dû s’écarter S.
Ce n’est pas par un coup de force qu’il faut s’emparer du
pouvoir, mais en restant sur le terrain de la légalité. I1 est
impossible de gouverner quand on n’a pas les masses avec

1. Discours du Führer B Munich, le 9 novembre 1934.


2. Discours prononcé par Hitler au Biirgerbrüii, le 8 novembre 1936.
3. Cf. Mein Karnpf, p. 618-620.
316 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

soi 1. Ce qui décide, en fin de compte, de l’issue de la bataille,


ce ne sont pas les mitrailleuses, mais la volonté du peuple.
De plus, il ne faut jamais accepter d’entrer dans une coa-
lition, à moins d’en être l’élément le plus puissant. Hitler
s’est laissé éblouir par le prestige de Ludendorff. C’est là
une erreur qu’il ne commettra plus. Les mois qu’il va passer
en prison vont lui servir à se libérer de l’espèce de fascina-
tion que le Grand Quartier-Maître Général exerçait sur lui.
Au terme de sa détention, il sera, véritablement, le Führer
du Parti.
Enfin, la révolte du général von Lossow envers les auto-
rités du Reich prend, rétrospectivement, l’aspect d’un arrêt
de la Providence. Elle permet à Hitler d’affirmer qu’il n’est
jamais entré en conflit avec l’armée en iant que telle, mais
seulement avec des éléments de la 7’3 division, elle-même
en rébellion contre l’autorité centrale. De ce fait, la comniémo-
ration des morts du 9 novembre pourra s’effectuer sans
revêtir un caractère offensant à l’égard de la Reichswehr.
(( Jamais il ne nous est venu à l’esprit de nous dresser contre

la Wehrmacht de notre peuple )), déclare-t-il au cours de


son procès, e t il ajoute, d’un ton solennel, en terminant sa
plaidoirie : (( Un jour viendra où ceux qui s’affrontèrent des
deux côtés de la barricade seront réunis dans une seule
grande armée nationale-socialiste ».
*
+ +

Quant au général von Seeckt, - le (( sphynx D, comme on


l’appelle - il ne connaît ni les rêveries fumeuses de Luden-
dorff, ni les visions d’avenir qui hantent Hitler. I1 est, essen-
tiellement, l’homme du présent, et comme tel, la réalité
s’offre à lui sous un jour à la fois plus concret et plus imper-
sonnel. Investi du pouvoir exécutif par le président -du
Reich, ayant rétabli l’ordre dans le Brandebourg, en Saxe, à
Hambourg et en Bavière 2, il est, incontestablement, l’arbitre
de la situation. Mais que vaut au juste sa victoire?
A Dresde, l’action exécutive a été paralysée par les ater-
1. L’expérience d’Hitler rejoint ici celle de Kapp et de Lüttwitz, au lendemain
du putsch du 13 mars 1920.
2. Le pirisch du 8 novembre a coup6 court au conflit Seeckt-Lossow. A leur
tour, les événements du 9 ont empêché le duel Seeckt-Ludendorff. A partir de
CO moment, une action exécutive est devenue superflue. Pour rétablir la situation,
le commandant en chef de la Reichswehr n’a plus qu’à négocier.
L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT 317
moiements du gouvernement civil. Après l’ultimatum adressé
au Cabinet saxon, les autorités militaires comptaient traiter
la Saxe comme une N province du Reich 1) - pas comme
un Pays autonome. C’est dans cette intention qu’elles
avaient fait nommer un Commissaire d’Empire, espérant
que cet état de choses subsisterait une fois l’ordre rétabli.
Or, il n’en a rien été. Les députés saxons du Reichstag
ont saboté ce projet, en exigeant le rétablissement d’un
Cabinet autonome à Dresde et la suppression du Commis-
sariat d’Empire.
E n Bavière également, le conflit entre les autorités du
Reich et le gouvernement bavarois n’a pas été réglé avec
toute la clarté désirable.
On se souvient que M.von Kahr avait publié de son propre
chef, le 26 septembre 1923, une ordonnance promulguant
l’état d’exception en Bavière. Le lendemain, le président
Ebert avait étendu l’état d’exception à l’ensemble du Reich,
en vertu du paragraphe 48 de la Constitution, mais M. von
Kahr avait refusé de reconnaître cette décision.
Le 13 février 1924, le président Ebert lèvera l’état d’excep-
tion dans tout le Reich et le 18 février un accord mettant
fin au conflit militaire interviendra entre le ministère de la
Reichswehr e t l' fitat-Major du Wehrkreis V I I . Mais comme
à ce moment l’état d‘exception promulgué par Ebert aura
été abrogé depuis cinq jours, le Cabinet d’Empire ne croira
pas devoir demander au nouveau gouvernement bavarois de
déclarer illégale l’ordonnance de M. von Kahr. De ce fait,
la question de l’application du paragraphe 48 à la Bavière e t
le problème posé par son refus ne seront pas nettement
tranchés. a En fin de compte, écrit M. Gessler dans son
Mémoire sur l’état d‘exception, le Reich n’a pas réussi à
imposer clairement sa volonté au gouvernement de Mu-
nich l. ))
De cette situation découlent un certain nombre de consta-
tations : en cas de troubles intérieurs graves - dont il est
possible, dès à présent, de prévoir le retour - seule la
Reichswehr peut maintenir le principe de l’autorité cen-
trale, parce qu’elle est le seul organisme qui s’étend à tout
le territoire du Reich 2. Mais à quoi servent ses interven-
2 . Cf. D’ Heinz R R A u w E r L E R , Cencrale irr der <leukclien Republik, p. 55.
2. On sait que la police est resthe soumise aux gouvernements de Pays. Elle
n’a pas &té unifiée et centr~lisEccomme la Reichswehr.
318 HISTOIRE D B L'ARMÉBALLEMANDE

tions, si les résultats acquis sont constamment remis en ques-


tion par les combinaisons du Parlement? A quoi sert l'armée,
si le Reichstag défait systématiquement le travail qu'elle
vient d'accomplir?
Dans l'état de confusion extrême où se trouve la Répu-
blique allemande, parmi les mille pouvoirs dispersés qui se
contrecarrent e t se neutralisent, trois piliers soutiennent B
eux seuls toute la charpente de l'édifice :
10 Le président du Reich, investi des pouvoirs que lui confère
le paragraphe 48 de la Constitution;
20 Le paragraphe 48 de la Constitution, qui permet à l'armée
d'intervenir dans les affaires intérieures des Pays;
30 Earmée, qui détient le pouvoir réel, mais a besoin, pour
l'exercer, de la promulgation de l'état d'exception l.

Si l'on veut que le Reich triomphe de ses dissensions


intérieures, il faut permettre à ces trois facteurs de
s'exercer librement, sans être entravés par l'opposition
parlementaire. I1 faut que le président n'hésite pas à avoir
recours au paragraphe 48 si la situation l'exige, et que
l'armée puisse pousser ses interventions jusqu'au bout, sans
crainte d'être désavouée.
Orienter l'Allemagne dans ce sena, en attendant de pou-
voir procéder à une refonte de la Constitution, c'est à quoi
vont tendre désormais les efforts de la Reichswehr.
1. Cf. L'article du major MARKS,Volk und Reicltswslrr, dans la revue W i s s e n
und Wehr, numéro de janvier 1931, p. 6 e t 7.
DEUXIÈME PARTIE

LA REICHSWEHR DE m T I E R
CLÉ DE VOÛTE DE LA -PUBLIQUE
(1923-1927)
XXI

DU RETOUR D’HINDENBURG
AU DÉPART DE VON SEECKT

1919-1923 : quatre années instables, orageuses, zébrées


de luttes aux frontières et de coups d’État intérieurs.
Lorsque le rideau se relève, en 1924, le décor a changé. (( Un
grand vent passe dans le ciel et balaye les brumes, écrit
h4ax Hermant. Par une sorte de miracle, l’Allemagne a
rejeté le mark et créé une nouvelle monnaie. Jamais chan-
gement plus brusque ne fut observé dans l’histoire. Un
grand peuple éperdu, en quelques semaines se reprend, se
met au garde-à-vous et, sur un signe, fait demi-tour ))
La République est sauvée et les quelques années qui vont
suivre marquent pour elle une période de détente. Cepen-
dant, elle n’a pas été sauvée par elle-même. L’œuvre de
redressement et d’assainissement est due à deux hommes
qui n’appartiennent pas au Parlement : sur le plan mili-
taire, au général von Seeckt; sur le plan économique, au
Dr Hjalmar Schacht, Commissaire à la monnaie depuis le
15 novembre 1923.
La crise de 1918-1919 avait abouti, sous l’impulsion de
Noske, à l’écrasement des Communistes. Celle de 1919-1923
se termine par la déroute des Socialistes. Ceux-ci ont perdu,
en cinq ans, la moitié de leurs électeurs. Le pouvoir passe
aux mains des partis bourgeois -démocrates et populistes -
représentants dc la grosse et de la moyenne industrie.
Ce revirement s’accompagne d’un violent coup de barre
dans l’orientation politique. Depuis Rathenau, la diplomatie
du Reich était surtout inspirée par le désir de se rapprocher

1. Max HERMANT,
I d o l e alkmandaa p. 118
II 21
322 HISTOIRE D E L’ARMEE ALLEMANDE

de 1’U. R. S. S. et de créer une sorte de (( marché commun ))


germano-soviétique. A présent, l’Allemagne se détourne du
mirage russe et semble vouloir s’associer de nouveau aux des-
tinées du continent. Tel un pendule qui a atteint l’extrémité
de sa course et se remet en marche vers l’extrémité opposée,
elle se tourne vers l’occident, e t par-delà l’occident, vers
la lointaine Amérique.
Après une longue période de dépression et de chaos, l’Alle-
magne se retrouve tout à coup dans un monde transformé où
les condottières ont cédé la place aux experts financiers.
A la mystique militaire des ligues et des corps francs, les
partis au pouvoir s’efforcent de substituer une éthique du
travail, basée sur l’esprit d’entreprise et le culte de la
technique. Financés par l’or américain, des garesj des cités
ouvrières, des aéroports surgissent un peu partout. Et comme
toujours, dans ce pays où tout est poussé à l’extrême, 1’Alle-
magne se lance à corps perdu dans une frénésie de rationali-
sation e t de production qui vont engendrer, avec le temps,
la surproduction et le chômage.
Mais ces effets néfastes ne se font pas encore sentir. Pour
l’instant, le Reich connaît les bienfaits de la convalescence.
Avant même que la nouvelle Reichsbank soit entrée en
fonction, les capitaux américains s’y précipitent comme
un torrent l.
Au cours de cette nouvelle époque, l’armée n’intervient
plus directement, comme auparavant; elle s’efface, en quelque
sorte, de la scène politique. Mais ses chefs ne s’abandonnent
pas pour autant à l’inaction. Au milieu de la fièvre de spécu-
lation qui s’est emparée des esprits, eux seuls semblent
avoir gardé leur sang-froid et leur lucidité. Ils ne partagent
pas l’optimisme des experts, car ils n’ont qu’à regarder autour
d’eux pour voir combien cette prétendue prospérité est
factice et combien l’édifice économique allemand repose sur
une base fragile. Dans cette Allemagne, colonisée par les
banques étrangères et condamnée à dévorer peu à peu sa
propre substance pour payer les intérêts des dettes qu’elle

1. Voir le très intéressant tableau publié par L’Europe nowelk, du 10 janvier


1925, p. 46, sur Les crédits itrangers accordés ci l’indiistrie allemande. a L’Allemagne
fut littéralement submergée de crédits », écrit de son côté Tansill. a Le total des
emprunts accordés par les banques américaines, de 1924 à 1931, s’éleva à 5.265 mil-
lions de marks. Ce montant représentait 55 % dcs prBts consentis à l’Allemagne
durant ces memes années. (Op.cii., p. 30-31.)
L A REICHSWEHR DE METIER 323
a imprudemment contractées, ils se doivent de rester plus
vigilants que jamais.

+ +
Comme pour souligner que c’est bien une nouvelle époque
qui commence, Ebert meurt le 28 février 1925.
Aussitôt, c’est le branle-bas au sein des partis politiques.
Pour la première fois dans son histoire, le peuple alle-
mand va être appelé à désigner son chef et le monde
attend son choix avec une curiosité légitime.
Les élections ont lieu le 29 mars 1925. Elles donnent les
résultats suivants :

Jarres (Droite et modérés). . . .. . .. 10.487.870 voix


Braun (Socialistes). , . .. ...
, ., 7.836.676 voix
Marx (Centre). . . . . . . .. . . .. 3.988.659 voix
Thælmann (Communistes). . . . . . .. 1.582.414 voix
Held (Populistes bavarois). . . . . . .. 990.036 voix
Ludendorff (Ligues d’extrême d r o i t e ) . . . 210 968 voix

La majorité absolue n’étant pas atteinte, il faut procéder


à un deuxième tour de scrutin. Tandis que M. Held se désiste
e t que la candidature de Ludendorff sombre dans le ridicule,
le Parti socialiste et le Centre décident de grouper leurs voix
sur un candidat unique : M. Marx.
Aussitôt, une vive inquiétude se manifeste dans les
milieux de droite. Si M. Marx est élu, aucune restauration
monarchique ne sera possible, à moins d’un coup d’État
- et l’on a vu combien cette méthode était aléatoire. Mais
comment empêcher M. Marx d’être élu? I1 faudrait dresser
un symbole en face du bloc hybride que l’on a décoré du
nom pompeux de (( coalition de Weimar ».Or, un seul homme,
en Allemagne, est capable de polariser l’opinion : c’est Hin-
denburg.
La victoire morale qu’il a remportée en 1919sur la Commis-
sion d’enquête 3 e t son refus de se mêler aux querelles des
partis lui ont rallié la sympathie de la majorité de la nation.
1. Ebert avait & t é porté L la présidence par un vote Je 1’Asscmblée nationale
de Weiniar,non p a r un plébiscite de la nation
2. Ces chiffres sont intéressants parcc qu’ils nous donnent une image exacte
de la force respective des parlis politiques allemaiids au printemps de 1925.
3. Voir plus haut, p. 72 e t S.
324 HISTOIRE D E L’ARMÉE A L L E M A N D E

Avant même qu’il brigue les suffrages du peuple, le pres-


tige de son passé, joint à ce je ne sais quoi de massif
et de tutélaire qui le caractérise, en font déjà une sorte de
monarque non couronné. Lui seul, se disent les milieux conser-
vateurs, permettra la reconquête du pouvoir par le dedans.
Le septennat d’Ebert n’aura été qu’un intermède lamentable,
heureusement révolu. Avec Hindenburg, l’Allemagne repren-
dra peu à peu sa physionomie traditionnelle.
Mais Hindenburg, cruellement frappé par la mort de sa
femme, décline cet honneur. (( J e suis un vieux militaire
qui n’a jamais fait de politique »,dit-il à ceux qui viennent
le solliciter dans sa maison de Hanovre. E t il ajoute, à
mi-voix, avec un regard malicieux : (( Cincinnatus, retour-
nant à sa charrue, me paraît une bien jolie figure. ))
Comment faire revenir le Maréchal sur sa décision? Seul
un ancien compagnon d’armes pourrait avoir assez d’ascen-
dant sur lui. Alors les milieux militaires et pangermanistes
délèguent à Hanovre l’amiral von Tirpitz, l’ancien comman-
dant en chef de la marine impériale, qui a conservé avec
Hindenburg des liens d‘amitié très étroits.
L’amiral expose à son ancien compagnon d’armes que ne
pas se présenter aux élections équivaudrait à une défection.
On croira que le vainqueur de Tannenberg a peur d’essuyer
une défaite, tandis que sa présence à la t ê t e du pays sera une
garantie pour la Reichswehr et une consolation pour tous
ceux qui ne font plus partie de l’armée. I1 n’a jamais fait de
politique? C’est pour cela, justement, que l’on s’adresse à
lui. Quant à sa qualité de militaire, elle lui permettra de
dominer les partis et de rester exclusivement le serviteur
de la nation.
Frappé par ce discours, Hindenburg demande qu’on lui
accorde trois jours de réflexion. Puis, d’un ton égal, il fait
savoir à ses amis qu’il accepte de poser sa candidature à la
présidence du Reich.
Alors une métamorphose inattendue s’effectue chez ce
vieux soldat de soixante-dix-sept ans et demi. (( J’étais
un peu rouillé, dit-il, mais je sens que je rajeunis. Une nou-
velle vague de vitalité s’empare du septuagénaire, qui
retrouve son goût inné pour l’organisation et le comman-
dement. Les partis qui ont misé sur lui ont cru qu’il n’était
plus qu’un symbole, un drapeau glorieux mais un peu
défraîchi que l’on sort du musée les jours de fête. Une
LA R E I C H S W E H R D E METIER 325
fois sa décision prise, Hindenburg travaille à ses élections
comme on prépare une offensive. I1 s’occupe de tout, contrôle
tout et signe tout lui-même - d’autant plus qu’il n’a plus
Ludendorff pour le seconder. I1 prononce des allocutions
à la radio, reçoit les journalistes et rédige de sa propre
main le texte de ses communiqués. Son entourage est stupé-
fait, car cette activité qui lasserait un homme de cinquante
ans, ne semble lui causer aucune fatigue.
Au second tour de scrutin, qui a lieu le 27 avril 1925,
Hindenburg recueille le fruit de ses efforts : il est élu par
14.655.766 voix, contre 13.751.615 à Marx et 1.951.151 à
Thaelmann, le candidat communiste.
Le 11 mai, le Maréchal arrive à Berlin, où on lui fait un
tout autre accueil que lors de son précédent séjour. La Garde
d’honneur lui présente les armes et la foule l’acclame longue-
ment, tandis que sa voiture remonte l’unter den Linden
après avoir passé sous l’arche centrale de la porte de Brande-
bourg, honneur réservé jusqu’ici à l’Empereur. L’ancien
commandant en chef des armées de Guillaume II, dont
l’existence fut si remplie, ne se doute certainement pas que
la nouvelle période qui s’ouvre dans sa vie sera celle qui
marquera le plus profondément dans l’histoire ...
Le lendemain, Hindenburg se présente devant le Reichstag,
où il prête serment à la Constitution. Les loges et les tribunes
sont remplies de généraux en uniformes chamarrés, de hauts
dignitaires du Reich, des membres du corps diplomatique
en jaquettes et en hauts-de-forme. (( La guerre, avait dit
Clausewitz, dans un aphorisme célèbre, est la continuation
de la politique par d’autres moyens ». (( La République,
écrit avec ironie le Tagebuch, est la continuation de 1’Em-
pire par d’autres personnes. ))
t
* *
(( L’élection du Maréchal, ont pris soin de préciser
MM. Luther et Stresemann, ne saurait rien changer à la
politique extérieure du Reich ».Mais ces paroles ne suffisent
pas à dissiper les appréhensions des Alliés. I1 faut les appuyer
par des actes.
Si l’Allemagne a beaucoup changé depuis 1918, la situa-
tion européenne s’est modifiée, elle aussi. (( Les peuples,
comme le dit Clemenceau, sont fatigués de se haïr. a Les
326 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

élections françaises de 1924, consécutives à l’échec de l’occu-


pation de la Ruhr, ont amené une nouvelle équipe au pouvoir.
Herriot et Briand ont succédé à Millerand et à Poincaré.
L’Allemagne a besoin d’un succès diplomatique pour affer-
mir son crédit. La France, dont la monnaie bais-, a besoin
du concours de l’Angleterre, devenue, avec les Etats-Unis,
l’arbitre suprême en matière de réparations. L’Angleterre,
de son côté, se montre désireuse de conclure des ententes
régionales qui la dispenseront de garantir des frontières
autres que celles où son intérêt se trouve directement
engagé. C’est dans ces conditions que lord d’Abernon, ambas-
sadeur de Grande-Bretagne à Berlin, suggère à Stresemann
de reprendre la négociation du Pacte Rhénan, déjà amorcée
par le chancelier Cuno en décembre 1922, et lui assure
que cette fois-ci les pourparlers ont de grandes chances
d’aboutir.
Le 9 février 1925, M. von Hœsch, ambassadeur du Reich
à Paris, remet à M. Herriot, président du Conseil, un mémo-
randum dans lequel le gouvernement allemand déclare :
Si la France, l’Angleterre, la Belgique et l‘Italie renonçaient
à recourir à la guerre pour défendre leurs frontières respec-
tives et se garantissaient mutuellement leur statu quo terri-
torial, le Reich s’associerait volontiers à un engagement de
cette nature. Le 29 février, M. Herriot répond favorablement
à l’initiative allemande. Toutefois, dans les négociations qui
suivent, la France fait dépendre son consentement d’un
certain nombre de conditions :
10 Le Pacte ne peut prendre sa pleine signification que dans
le cadre de la S. D. N. 1;
20 I1 faut l’étendre à la Pologne et à la Tchécoslovaquie.
Cependant, l’Angleterre ne tarde pas à faire comprendre
à la France qu’il lui est impossible de la suivre dans cette
voie. Elle est prête à garantir la frontière du Rhin, mais il
n’est pas question pour elle de s’engager plus à l’est. Après

1. a Le projet allemand de pacte de garantie, écrit à cette époque Marcel Ray,


à la suite de plusicurs entretiens directs avec Stresemann, est complètement exté-
rieur à la S. D. N. L’Allemagne préférerait quc ce pacte fût conclu en dehors de
l’organisme de Genève... parco que le gouvernement du Reich taut se rdserrar la
possibilité de faire entrer un jour duns le pacte la Russie soviétique, adversnire irré-
conciliabic de la S.D . N . a (Diacitasion actbur dl4 Pacle de praniie occidental, L’Et,:
rope noiitrlle, 28 mars 1925, p. 396.)
LA REICHSWEHR D E MÉTIER 327
plusieurs échanges de notes entre Londres e t Paris, la France
finit par accepter dans ses grandes lignes la thèse britan-
nique, à condition que soient adjoints au Pacte Rhénan
proprement dit, u n certain nombre d’accords séparés qui
compléteront l’édifice. La phase préparatoire étant ainsi
terminée, les plénipotentiaires des diverses puissances se
réunissent à Locarno pour mettre la dernière main aux
textes des traités.
La conférence s’ouvre le 5 octobre 1925, sous la présidence
de M. Austen Chamberlain. L’acte final est paraphé le 16.
... Les représentants des gouvernements ici représentés, y
lit-on, déclarent avoir la ferme conviction que l’entrée en
vigueur de ces traités et conventions contribuera grandement
à amener une détente morale entre les nations, qu’elle faci-
litera puissamment la solution de beaucoup de problèmes
politiques et économiques, et qu’en raffermissant la paix et
la sécurité en Europe, elle sera de nature à hâter, d’une manière
eficace, le désarmement prévu par l’article 8 du pacte de la
S. D. N.
Ils s’engagent à donner leur concours sincère aux travaux
déjà entrepris par la S. D. N. relativement au désarmement et
à en rechercher la réalisation dans une entente générale.
Signatures : Dr LUTHER,STIIESEMANN (Alle-
magne), ÉMILEVANDERVELDE (Belgique),ARIS-
T I D E BRIAND (France), AUSTENCHAMBERLAIN
(Grande-Bretagne), BENITOMUSSOLINI(Italie),
AL. SKRZYNSKI (Pologne), D i EDUARD BENES
(Tchécoslovaquie).

Puis, c’est le K Pacte Rhénan )) proprement dit, limité à la


France, l’Angleterre, la Belgique, l’Allemagne e t l’Italie,
e t dont voici les paragraphes essentiels :
Article premier: Les Hautes Parties contractantes s’engagent
à maintenir le statu quo territorial et l’inviolabilité des fron-
tières entre la Belgique, l’Allemagne et la France, telles qu’elles
ont été fixées par ou en exécution du traité de Versailles, le
28 juin 1919 1, ainsi que de l’observation des dispositions des
articles 42 et 43 du dit Traité concernant la zone démilita-
risée 2.
1. Cetie clause équivaut, pour l’Allemagne i la renonciation définitive A l’Alsace-
Lorraine.
2. Ces articles interdisaient à 1’Allemagnc de faire pénkirer des troupes à l’in-
328 HISTOIRE D E L ’ A R M É E A L L E M A N D E

Art. I I .- L’Allemagne, la Belgique et la Prance s’engagerit


réciproquement à ne se livrer de part et d’autre à aucune
attaque ou invasion et A ne recourir de part et d’autre en
aucun cas à la guerre 1.
Art. III: Toutes les questions au sujet desquelles les Parties
se contesteraient réciproquement un droit seront soumises à
des arbitres, à la décision desquels les Parties s’engagent à
se conformer.
Art. I V : 10 Si l’une des Hautes Parties contractantes estime
qu’une violation de l’article II du présent Traité ou une
contravention aux articles 42 e t 43 du traité de Versailles a
été ou est commise, elle portera immédiatement la question
devant le Conseil de la S. D. N.
20 Dès que le Conseil de la S. D. N. aura constaté la viola-
tion il en donnera sans délai avis aux Puissances signataires
du présent Traité e t chacune d’elles s’engage à préter, en
pareil cas, immédiatement son assistance à la Puissance contre
laquelle l’acte incriminé aura été dirigé.
. . . . . . . . . . . . . e . . . . . . . . . . . . .

Art. X .- Le présent Traité sera ratifié. I1 entrera en vigueur


dès que les ratifications auront été déposées, et que i’Alle-
magne sera devenue membre de la S. D. N. 2.
Les traités paraphés à Locarno sont signés à Londres, au
palais Saint-James, le ier décembre 1925. Désormais, pour
qu’ils entrent en vigueur, il ne reste plus à l’Allemagne
qu’à poser sa candidature à la Société des Nations. Le
10 février 1926, le Reich adresse à Genève sa demande
officielle d’admission. I1 y est reçu solennellement le 10 sep-
tembre de la même année, au cours de la VIIe Assemblée
générale.
térieur de la rive gauche du Rhin et de la zone démilitarisée, large de cinquante
kilomètres, érigée sur la rive droite du fleuve.
1. Font exception à cette régle : a ) les cas de légitime défense ou ceux qui résul-
teraient d’une violation des articles 42 et 43 du traité de Versailles; b) les actions
résultant de l’article 16 du pacte de la S. D. N.; c) les actions résultant d’une
décision prise par l’Assemblée de Genève, vis-a-vis d’un fitat agresseur.
2. Jusqu’au dernier moment, 1’U. R. S. S., qui s’efforçait de transformer le
traité de Rapallo en alliance militaire et ne voulait pas entendre parier d’un
règlement à l’Ouest, avait espéré que l’Allemagne ne signerait pas. a Avec nous,
ne cessait de souffler Litvinoff à l’oreille de Stresemann, vous serez forts pour
combattre les exigences de l’Entente. Vous engager avec les Alliés, c’est vous
soumettre à leurs prétentions, c’est abdiquer votre souveraineté. D Aussi l a presse
russe ne cacha-t-elle pas son mécontentement en apprenant la signature du
pacte. a Dans toutes les questions fondamentales, écrit la PruVna du 18 octobre
l’Angleterre a réussi à imposer ses vues. Elle a pris l’Allemagne dans son sillage
e t a créé une tension entra l’Allemagne e t 1’U. R. S. S. Elle a affaibli les liens
de la France avec aes Alliés e t a obtenu pour elle le r61e d‘arbitre entra l’Ale-
magne e t la France. D
LA REICHSWEHR D E nIÉTIER 329
Jour faste, s’il en fut, dans les annales de la S. D. N.!
Le drapeau noir-rouge-or flotte, à côté des autres, sur les
pylônes du quai Wilson, et l’hémicycle est bondé bien
avant l’ouverture de la séance.
Lorsque Stresemann monte à la tribune, il est salué par
une salve d’applaudissements. D’abord intimidé, il s’enhardit
peu à peu.
- Le grand Architecte divin, s’écrie-t-il, ne nous a pas
faits tous semblables ... Mais nous appartenons tous à ces
êtres qui, des ténèbres, aspirent à la lumière
Puis, Briand lui répond dans un discours de bienvenue
qui, lui aussi, ne manque pas d’éloquence.
- Nos peuples, dit-il de sa voix étouffée, mais qui
s’échauffe par degrés suivant une progression savante, nos
peuples, au point de vue de la vigueur, au point de vue de
l’héroïsme, n’ont plus de démonstrations à faire. Qu’on
tourne les pages de l’histoire : les deux ont su faire montre
d’héroïsme sur les champs de bataille, les deux ont fait à ce
point de vue une ample moisson de gloire. Ils peuvent
désormais chercher d’autres succès dans d’autres champs.
RIais après ces effusions, il faut revenir Zi la réalité - et
cette réalité est aussi éloignée du pathos que de la finasserie.
On s’aperçoit alors que le Traité, construit e n porte-à-faux,
repose s u r u n e série d e malentendus.
Dans l’opinion française, les Alliés ont fait une concession
immense à l’Allemagne en discutant avec elle d’égal à égal,
en renonçant aux anciennes distinctions entre vainqueurs et
vaincus e t en accueillant le Reich au sein de la S. D. N. Ces
concessions font espérer que l’Allemagne fera preuve, à
l’avenir, de bonne volonté, qu’elle accomplira de plein gré
les obligations du Traité et abandonnera sa politique de
résistance et de revendications.
Tandis que pour les Allemands, la situation est inverse.
Ce sont eux qui pensent avoir fait de grands sacrifices aux
Alliés en renonçant définitivement à l’Alsace-Lorraine e t
en acceptant de prolonger à perpétuité la démilitarisation de
la rive gauche du Rhin, ce qui équivaut à une amputation de
leur souveraineté nationale. Ces concessions méritent à leurs
1. Si le début de cette phrase est emprunté au vocabulaire maçonnique, sa fin
est puisée dans l’arsenal de la rhétorique parlementaire allemande : c’est exacte-
ment la péroraison du discours de Scheidemann à l’inauguration de l’Assemblée
de Weimar. (Voir vol. I, p. 148.)
330 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

yeux des contreparties substantielles. (( Ce serait à désespérer


de l’esprit de Locarno, avait dit Stresemann à Cologne, peu
de temps auparavant, s’il ne devait point en résulter l’éva-
cuation de la Rhénanie. N E n somme, le pacte de garantie a
voulu régler la question de la sécurité sans voir que ce terme
n’a pas le même sens pour les deux parties contractantes :
pour la France, c’est l’immobilisation de I‘Allemagne à l’inté-
rieur des frontières établies par le traité de Versailles; pour
l’Allemagne, c’est l‘évasion hors de son encerclement et la
reconquête de sa pleine souveraineté. Pour les uns, Locarno
est un aboutissement; pour les autres, c’est un point de
départ.
Ce contraste apparaît dès les journées suivantes, car dans
les commissions et les sous-commissions, le Reich soulève
aussitôt les questions de Memel e t de Dantzig, demande
l’évacuation de la 20 et de la 3e zone rhénane l, la sup-
pression de la Commission de contrôle, la rétrocession de la
Sarre avant le plébiscite, la a reconsidération )) du problème
des responsabilités de la guerre. E t tandis que ces premières
escarmouches s’engagent à Genève, que des bagarpes éclatent
en Rhénanie, où la population s’attend au retrait immédiat
des troupes, e t que l’opinion française s’émeut de voir que
chaque concession de la France donne immédiatement nais-
sance à une série de revendications allemandes, un incident
en lui-même peu important, mais grossi à la dimension d’un
scandale par les partis allemands de gauche, dresse le ministre
de la Reichswehr contre le général von Seeckt.
t
* *
Le 3 octobre 1926, un communiqué de presse annonce
que le prince Guillaume de Hohenzollern, fils aîné du Kron-
prinz et petit-fils de Guillaume II a, a été admis en qualité
d’engagé temporaire a u 9e régiment d’infanterie de la
Reichswehr, en garnison à Potsdam a et a pris part, comme
sous-lieutenant, aux manœuvres de Münsingen.
I . La Ruhr avait été entihrement libérée le 25 août 1925 et les Anglais avaient
terminé l’évacuation de la zone de Cologne, lo 31 janvier 1926.
2. C’est donc l’héritier du trône.
3. Cette formule avait 6th adoptée pour dispenser le Prince de préter serment
à la République.
4. C’est le régiment dont les (I compa ies de traditions D correspondent aux
anciens rhgiments de la Garde impériale. Fair plus haut; p. 141, note 1 .)
LA REICHSWEHR D E M É T I E R 331
A vrai dire, cet engagement a été contracté au SU et, on
peut même dire, avec l’approbation du Maréchal Hinden-
burg. Mais comme le président du Reich est irresponsable
en vertu de la nouvelle Constitution, c’est au D* Gessler,
ministre de la Reichswehr, de s’en expliquer devant le Par-
lement. Or, les partis de gauche, qui n’ont pas encore digéré
la défaite que leur a infligée l’élection du Maréchal et qui
trouvent qu’Hindenburg et ses généraux font un peu trop
ouvertement fi du Parlement s’emparent de cet incident
pour prouver que le Reichstag a encore son mot à dire. Les
Communistes exigent que l’on expulse séance tenante tous
les membres de la famille impériale qui sont rentrés en Alle-
magne depuis la révolution.
M. Gessler, de son côté, en a assez - c’est sa propre
expression - de jouer le rôle (( d’un pantin dont on tire les
ficelles ». I1 exige la démission immédiate du chef de la
Heeresleitung.
Que va faire Hindenburg? Va-t-il renvoyer von Seeckt
pour une affaire qu’il a en somme couverte de son autorité?
S’il n’obéissait qu’à ses sentiments personnels, sans doute
conserverait-il le créateur de la Reichswehr de métier. Mais
un certain nombre d’intrigants s’agitent dans son entourage,
e t l’un d’eux est particulièrement redoutable : c’est le géné-
ral von Schleicher. Ancien camarade de régiment d’Oscar von
Hindenburg sur lequel il exerce un ascendant indiscutable,
ancien conseiller politique de Grœner, véritable Père
Joseph du ministère de la Reichswehr, il a ses grandes e t
petites entrées au palais de la Présidence. Nature énigma-
tique et tortueuse, mais dévorée d’ambition, il aime à se
donner des allures de conspirateur et déclare un jour au
milieu d‘un cercle d’admiratrices :
- Voyez-vous, Mesdames, mon manteau rouge de géné-
ral sera un manteau de bourreau, le jour où nous réglerons
nos comptes avec nos ennemis sur la place publique!
Mais qui sont ses ennemis? Nul ne le sait au juste, car il
s’efforce de se concilier tout le monde et se qualifie volontiers
de (( général socialisant D.
L’éviction de von Seeckt ne peut que servir ses desseins,
et une partie des milieux de gauche l’accuse ouvertement
1. Cf. L’intervention personnelle d’ihdenburg au moment du référcndum sur
l’expropriation des princes.
2. Lo fils du $faréchal.
332 HISTOIRE D E L ’ A R M É E ALLEMANDE

de lui avoir porté le coup de grâce. Les autres aErment


que le départ du commandant en chef a été dû uniquement
à l’intransigeance de Gessler. La presse de droite, pour sa
part, laisse entendre que von Seeckt aurait été la victime
d’une collusion occulte entre Socialistes français e t Socialistes
allemands l. Toutes ces rumeurs sont naturellement invé-
rifiables. Ce qui est certain, c’est que le bruit fait autour
de l’engagement du prince Guillaume augmente de jour en
jour et que les Alliés parlent déjà de soumettre le cas à la
Conférence des Ambassadeurs.
Devant cet ensemble de circonstances, Hindenburg ne
peut que s’incliner. Le 9 octobre, il accepte la démission
de von Seeckt, et nomme à sa place le général Heye, comman-
dant du Wehrkreis I à Kœnigsberga.
Quel est ce nouveau général auquel sont remises les desti-
nées de la Reichswehr? Est-ce un homme qui va rompre
avec les méthodes inaugurées par son prédécesseur? Nulle-
ment. Né à Fulda le 31 janvier 1869, c’est un ancien Cadet
élevé, lui aussi, dans la grande tradition des chefs d’État-
Major de l’ancienne armée impériale. Attaché, en cette
qualité, au corps de Landwehr Woyrsch en 1914, il passe
en 1917 au groupe d’armées du duc Albert de Wurtemberg.
La fin de la guerre le trouve au G. Q. G. de Spa, où il assiste
au Conseil de guerre convoqué, le 9 novembre 1918, par le
général Grœner 3. Après un stage à 1’Armee Oberkommando-
Nord (avril-octobre 1919) où il se montre un adversaire
résolu de la signature du traité de Versailles 4, il rentre à
Berlin où il devient le bras droit et le confident de von
Seeclrt. Entièrement dévoué à son chef, il lui ouvre la voie
du Haut-Commandement en provoquant le départ du géné-
ral von Lüttwitz après l’échec du putsch de Kapp (17 mars
1920) 6. Nommé successivement chef du Truppenamt ( l e r juin
1920) avec le grade de major-général, puis du Personalamt

1. Cf. L’article d’0skar SCHWERINER, dans la Kreuzzeifung du 6 octobre 1926.


A Thoiry, Briand aurait demande h Stresemann la tête du chef de la Reichswehr
en qui l’opinion française voyait le champion de la politique de revanche. De son
&té, Stresemann n’aimait @&revon Seeckt, qui avait cherché à lui forcer la main
au cour3 de l’expédition de Saxe.
2. A quelque temps de là, von Seeckt partira pour l’Extrême-Orient où il contri-
buera à la rborganisation de l’armée chinoise.
3. Voir vol. I, p. 27-28.
4. Voir vol. I, p. 347.
5. Voir plus haut, p. 106.
L A REICHSWEHR DE METIER 333
( l e r avril 1922) avec le grade de lieutenant-général, il est
depuis le l e r novembre 1923, commandant du Wehrkreis I ,
au moment où Hindenburg fait appel à lui pour lui confier le
commandement de l’armée allemande.
De tous les officiers que pouvait choisir le Maréchal, le
général Heye est, sans conteste, celui dont la pensée s’inspire
le plus étroitement des enseignements de son prédécesseur.
Disciple et admirateur de von Seeckt, aux côtés de qui il a
dressé les plans de la Reichswehr de métier e t travaillé pen-
dant des mois à l’organisation de l’armée de cent mille
hommes, il continuera à appliquer les méthodes de son maître,
avec moins d’éclat sans doute, mais avec une scrupuleuse
fidélité. ((Vous avez remis l’Allemagne en selle, je n’aurai
qu’à l’y maintenir )), dit-il à von Seeckt, au moment oii
celui-ci lui transmet les insignes du commandement l .
A travers la fausse prospérité du plan Dawes et la fausse
paix du Pacte Rhénan, à travers ces oscillations imprévisibles
qui lancent alternativement le Reich de l’orient vers l’occi-
dent, un seul axe demeure immuable : c’est la politique des
généraux.
1. Allocution du général Heye, prononcée le 10 octobre 1926 au Palais de l’État-
Major, an présence du Maréchal-Président.
XXII

L’CEUVRE DE LA COMMISSION MILITAIRE


INTERALLIfiE DE CONTROLE

(16 septembre 1919-28février 1927.)


Le 8 septembre 1808, conformément à la Convention de
Paris, le comte de Saint-Marsan, ambassadeur de France à
Berlin, était chargé de contrôler l’exécution des (( servitudes
militaires )) imposées à la Prusse à la suite de la paix de
Tilsit.
Le 16 septembre 1919, en vertu des articles 203 à 210 du
traité de Versailles, une délégation avancée de la Commission
Militaire Interalliée de Contrôle (ou C. M. I. C.)’ présidée
par le général Nollet, s’installe à Berlin pour surveiller l’exé-
cution du désarmement de l’Allemagne. L’histoire semble
se népéter à plus d’un siècle de distance. E t pourtant, quand
on compare la mission du général Nollet à celle de M. de
Saint-Marsan, on s’aperçoit qu’elle aura été d‘une tout
autre complexité.
En 1808, la Prusse s’engageait à ne posséder pendant dix
ans qu’une armée de quarante-deux mille hommes. Davout
à Hambourg, Liebert à Stettin, e t Rapp, dont les troupes
occupaient une grande partie du territoire prussien, colla-
boraient étroitement avec l’ambassadeur de France. M. de
Saint-Marsan, de son côté n’avait de contacts qu’avec
le Chancelier de Prusse. Enfin, il dépendait exclusivement
de Napoléon dont la volonté, à cette époque, faisait la loi
en Europe.
Tout autre est la situation de la C. M. I. C. Celle-ci ne
dépend pas d’une volonté unique, mais d’une coalition, dont
les décisions ne sont pas toujours prises sans controverses,
L A REICHSWEHR DE MÉTIER 335
ni tirailiements. Sa tâche et ses attributions sont mal défi-
nies l. Elle agit en vertu d’un traité qui, tout en accumu-
lant les paragraphes, laisse certains points essentiels dans
une imprécision regrettable 2. Les délais qui lui sont impartis
sont beaucoup trop courts3. Enfin, elle est subordonnée à
d’autres organismes interalliés qui restreignent son autorité
et sa liberté d’action 4.
Ajoutons à cela la différence énorme existant entre la
Prusse de 1808 e t l’Allemagne de 1919 6 ; les progrès tech-
niques réalisés au cours du X I X ~siècle; l’extension verti-
gineuse prise par les armements 8; la nécessité d’inclure dans
le contrôle toute une partie de l’industrie allemande ’, et
l’on aura une idée approximative des conditions dans les-

I.L’article 203 du Traité stipulait que le contrôle de la C. M. I. C. devait s’ap-


pliquer à toutrs Irs clauses militaires, aériennes et navales pour l’exicuîion desquelles
une limita de feinps avait été fixée. 11 laissait virtuellement hors du contrôle tous
les articles réglant le statut permanent de l’Allemagne (en particulier les articles 173,
174, 177 e t 178).
2. L’article 168 stipulait que toutes les usines travaillant à la fabrication du
matériel de guerre devaient être supprimées, mais ne donnait aucune interpréta-
tion de ce mot. L’article 169 prescrivait que le matériel de guerre en excédent
serait livré tout entier aux Alliés, mais ne donnait aucune déilnition du terme
a matériel de guerre D. L’article 180 spécifiait que le système des ouvrages fortifiés
sud et est de l’Allemagne serait conservé a dans son état actuel u, mais ne donnait
aucune délimitation de cette zone.
3. Aux termes du Traité, les opérations de contrôle devaient être terminées le
10 mars 1920. (Général NOLLET, Une ezpérience de désarmemect, p. 136.) Or, elles
ne commencèrent que le l m mars 1920. L’article 163 accordait neuf mois à 1’Alle-
magne pour réduire ses effectifs à 100.000 hommes. Cette opération devait être
terminée le 31 mars 1920. Mais le Traité n’entra en vigueur que le 10 janvier 1920.
Le 18 février 1920, Lloyd George dut accorder des délais supplémentaires, bou-
leversant tout l’horaire du désarmement. a Les rédacteurs du Traité, écrit Paul
Roques, ne paraissent pas s’être rendu compte qu’il serait tout A fait impossible
de désarmer en quelques mois un peuple militarisé à outrance depuis cinquaiite
ans. I1 fallait compter non par mois, mais par années, en laissant aux événements
leur jeu et leur lenteur... A force de vouloir être rigoureux, on a rendu impossible
l’exécution de l’article 163. a (Le Contrôle militaire interallié en Allemagne, p. 5-6.)
4. La Conférence des Ambassadeurs (ou C. D. A.), à laquelle on adjoignit, le
10 janvier 1920, le Comité Militaire Allié de Versailles (ou C. M . A. V.), présidé par
le Maréchal Foch.’ Ce systeme offrait l’avantage d’associer la personnalité du
Maréchal Foch au désarmement. Mais il ralentissait l’action de la Commission de
contrôle dans tous les cas où la rapidité seule était une garantie d’efficacité. Le
29 mars 1921, le Conseil suprême ordonna à la C. M. I. C. de n’adresser au gouver-
nement allemand u aucune note susceptible d’avoir des répercussions politiques m,
puis, de se soumettre aux directives des ambassadeurs alliés à Berlin, enfin de ne
plus prendre de décision sinon A l’unanimité des voix, la voix prépondérante du
président étant abrogée. (Znstructionr du 21 novembre 1923 et du 8 août 1924.)
5. En 1808, la Prusse comptait 10 millions d’habitants et la France 29. En
1919, l’Allemagne comptait 65 millions d‘habitants et la France 42.
6. a Dans une interprétation à peine extensive, écrit le général Nollet, on peut
considérer comme matériel de guerre une très grande partie de l’outillage national. 1)
7. Métallurgie, chimie, optique, etc.
336 HISTOlRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

quelles une petite poignée d’hommes, dont le nombre n’excé-


dera jamais 383 officiers e t 737 sous-officiers e t hommes de
troupe, assume la tâche écrasante de désarmer une nation
de 65 millions d‘habitants.
t
i *

Dès son arrivée à Berlin, le général Nollet organise les


services de la Commission : au sommet, un État-Major inter-
allié de neuf membres 2; au-dessous, trois Sous-commissions
chargées respectivement de contrôler les armements, les
effectifs et les fortifications; à la base, oingt-deux Comités
de district, répartis sur tout le territoire du Reich 3, telle
était, en janvier 1920, la structure de la C. M. I. C.
Mais la Commission voit aussitôt se dresser en face
d’elle un puissant organisme allemand chargé d’assister au
contrôle, de le surveiller et de le contrecarrer*. L’ar-
ticle 206 stipule que le gouvernement du Reich désignera
un représentant qualifié auprès de la C. M. I. C. Ce poste
est confié au général von Cramon 5. Celui-ci s’entoure d‘un
nombreux personnel. Ainsi naît la Heeresfriedenskommis-
sion 6 comprenant une Hauptoerbindungstelle, divisée en trois
sections (correspondant aux trois Sous-commissions de la
C. M. I. C.), subdivisées à leur tour en vingt-deux Verbin-
1. L’article 203 instituait trois Commissions de contrale : militaire, aérienne
et navale.
2. Ce Conseil comprenait quatre Français : le général Nollet (président), le
générai Walsch (adjoint au général Nollet), le générai Barthélémy, le colonel
Bizouard; deux Britanniques : le général sir Henry Bingham et le colonel on the
staff Morgan (conseiller juridique); un Belge : le lieutenant-général de Guffroy;
un Italien : le général Calcagno; un Japonais : le colonel Furuya.
3. Le nombre et les sièges de ces Comiiés de district étaient les suivants :
11 pour I’armement :Berlin, Stettin, Konigsberg, Breslau, Dresde, Munich,
Francfort-sur-le-Main, Stuttgart, Cologne, Münster, Hanovre.
8 pour les effectifs : Berlin, Konigsberg, Breslau, Munich, Stuttgart,
Münster, Dresde, Stettin.
3 pour Zes fortifications :Cologne, Kiel, Stuttgart.
En outre, 3 postes franco-beiges de deux officiers fonctionnaient dans la
zone neutre à Karlsruhe, Francfort et Duisburg.
4. Paul ROQUES,op. cit., p. 37.
5. La nomination du général von Cramon était symptomatique. Correct, mais
d‘une raideur cassante, adversaire acharné du désarmement, ses rapports furent
si difficiles avec le générai Nollet, que celui-ci renonça à avoir des relations directes
avec lui et se borna à lui communiquer ses observations par écrit. Le général von
Cramon fut mis à la retraite en 1921 et ne fut pas remplacé.
6. Qu’il ne faut pas confondre avec la Commission préparatoire de l’armée de
paix (Vorkommission für daa Friedensheer) à la tète de laquelle se trouve le gén8-
rai von Seeckt. (Voir vol. I, p. 364.)
L A REICHSWEHR DE METIER 337
dungstellen locales, qui font pendant à chaque Comité de
district.
Ce système a pour effet de paralyser considérablement
l’action de la Commission de contrôle. Chaque fois qu’un
Comité veut visiter un corps de troupe, un établissement ou
une usine, il doit avertir la Verbindungstelle correspondante
de l‘heure et de l’objet de sa visite. Celle-ci désigne un offi-
cier de liaison allemand pour accompagner le détachement
de contrôle 1. Dans ces conditions, les visites inopinées,
- seules vraiment fructueuses - deviennent pour ainsi dire
impossibles, les Allemands étant prévenus à l’avance du
déplacement des officiers alliés 2.
L’œuvre de la Commission interalliée de contrôle peut se
diviser en trois périodes. La première va de septembre 1919
à janvier 1923. C’est au cours de ces quarante mois qu’ont
été obtenus les résultats les plus substantiels. Puis survient
une période d’obstruction systématique (janvier 1923 à mafs
1924), qui coïncide avec l’entrée des troupes françaises dans
la Ruhr et se termine par l’inspection générale de 1925.
La troisième période correspond à la signature du traité de
Locarno et à l’entrée de l’Allemagne à la S. D. N. Elle va de
mai 1925 à février 1927, date à laquelle la C. M. I. C. est
officiellement dissoute.
La question du désarmement allemand a donné nais-
sance à une volumineuse littérature. Elle a servi de thème
à bien des campagnes de presse, à bien des polémiques. Tant
de passion s’explique sans doute par la gravité du problème
et par l’ambiance du moment. Mais ces discussions ont eu
le tort de fausser la question et de rendre l’opinion injuste
envers la Commission de contrôle. Parce qu’elle n’a pas
entièrement réussi dans sa tâche, on en a conclu, un peu
hâtivement, qu’elle n’a servi à rien. Un tel jugement, comme
on le verra, ne résiste pas à l’examen.
c
* +

Des trois Sous-coinmisshiis de la C. 1.1. I. C., celle dont la


tâche était relativement la plus facile était la sous-coininis-
1. Cf. Général NOLLET,Une expérience de désarnwrnent, p. 21.
2. Les membres de la Commission de contrôle tournèrent la diiliculté en préve-
nant la Vcrbindungshile qu’ils comptaient effectuer une iuspection, mais en n’en
dévoilant l’objectif qu‘A la dernière minute.
II 22
338 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

sion des fortifications, présidée par le colonel, puis général


Bizouard. On connaissait l’emplacement des forts e t la force
de leurs armements. Aussi est-ce dans ce domaine que l’on
aboutit le plus rapidement aux résultats désirés.
Aux termes du Traité de paix, l’Allemagne devait déman-
teler une partie d eses fortifications et conserver les autres
dans leur état antérieur1. (( La tâche de la Sous-commission,
écrit le général Nollet, revêtit ainsi un double caractère. Elle
eut, d‘une part, des destructions à faire exécuter 2; de l’autre,
elle eut à faire constater, contradictoirement avec les auto-
rités allemandes, l’état réel des fortifications conservées.
C’est ce que la Sous-commission appela le (( recensement
des forts )) S.
Le l e r janvier 1922, au moment où le général Bizouard
quittait Berlin, ce recensement était terminé et la Sous-
commission pouvait se vanter d’avoir fait détruire :
26 grands forts, la plupart renforcés.
33 ouvrages de grandeur moyenne.
1 place forte (Istein), I fort (Mayence), organisés d la
moderne.
18 batteries modernes, la plupart côtières.
800 abris bétonnés.
300 kilomètres de câbles téléphoniques souterrains.
40 kilomètres de voies ferrées de forteresse.
30 kilomètres de canalisations d‘eau de forteresse.
Kiel fut entièrement démantelée. Les ouvrages de la posi-
tion d’Istein qui dominaient, au nord de Bâle, le couloir
qui s’ouvre entre le Rhin et la Forêt-Noire, furent égale-
ment détruits. E n zone neutre, les fortifications de Rastatt,
Germersheim (rive droite), Wesel (rive droite) et la position
d’Elten disparurent.
E n zone occupée, les destructions immédiatement exécu-
tées portèrent sur Germersheim (rive gauche), Mayence,
1. Devaient être démantelées : Les fortifications situées à l’ouest d’une ligne
tracée à 40 kilomètres à l’est du Rhin (art. I S O ) , et celles qui auraient permis au
Reich d’interdire aux navires de t o m nations l‘accès à la Baltique par Is canal de
Kiel (art. 195).
Pouvaient être conservés dans leur état anlérieur: Le systémedes ouvrages fortifit%
des frontières sud et est de 1’Ahmagne (art. ISO), et les outrages fortifiés (autres
que ceux de Heligoland), situés à moins de 40 kilomètres de la côte allemande (art. 196).
2 . (I La définition que la C . M. I. C . fit adopter du mot démantélement ne corres-
pondait pas toujours à un dérasement complet des ouvrages. Mais elle leur enlevait
toute valeur militaire. n (Général NOLLET, op. cit., p. 159.)
3. ID., ibid., p. 158.
LA REICHSWEHR D E METIER 339
Coblence, Cologne, Wesel (rive gauche), et la position de
Kronenburg, prolongeant celle d’Elten, le long de la fron-
tière hollandaise.
Quant à la puissante organisation d’Heligoland, elle avait
été démantelée dès 1920 par les soins de la Commission
navale que présidait l’amiral anglais Charlton.
*
1 1

Plus longues e t plus dificiles furent les opérations effec-


tuées par la Sous-commission des armements, présidée par
le général anglais sir Henry Bingham. Celle-ci avait, elle
aussi, une double tâche à accomplir : surveiller la livraison e t
la destruction du matériel existant; contrôler et transfor-
mer les usines, pour empêcher la fabrication du matériel
nouveau.
I1 avait été facile de démanteler les forts parce qu’on
savait où ils se trouvaient et en quoi ils consistaient. Tandis
que pour le matériel, ce qui manquait avant tout, c’était
une base d’appréciation. I1 aurait fallu savoir ce que 1’Alle-
magne possédait au 11novembre 1918; ce que l’armée impé-
riale avait abandonné sur le champ de bataille; ce qui avait
été détruit entre la signature de l’armistice et celle du Traité
de paix1; enfin, ce qui avait été fabriqué durant cette
même période. Or, sur tous ces points, le Reich se refusa
à fournir le moindre renseignement, sous prétexte que les
archives avaient été détruites pendant la révolution et qu’il
serait beaucoup trop coûteux de les reconstituer a.
Primitivement, le matériel était livré au Reichsoerwer-
tungsamt, ofice de liquidation dépendant du ministère des
Finances, et vendu par ses soins. E n août 1920, cet ofice fut
remplacé par une société privée dont l’Etat possédait à peu
près toutes les actions. La C. M. I. C. laissa subsister cet
état de choses, et se borna à contrôler les opérations de la
société allemande 3. Le montant des sommes perçues s’éleva
à un milliard de marks-or.
1. I1 ne faut pas sous-estimer l’ampleur des destructions effectuées au couru
de la période révolutionnaire. a D’énormes destructions eurent lieu hors du contrôle
jusque dans les premiers mois de 1920, écrit Paul Roques. A des milliers de canons,
i des dizaines de mille fusils près, on ne saura jamais le total des armes détruites. D
(Le Conirôle militaire interallié en Aliemagne, p. 133.)
2. On les a retrouva P en 1935 à Spandau, soigneusement rangées dans une annexe
du service des Archives du Reich.
3. I( En principe, écrit le général Nollet, furent seuls détruits, les objets pure-
ment militaires comme : armcs de guerre, grenades, poudres ct explosifs (sauf
340 HISTOIRE D E L’ARWÉE ALLEMANDE

En ce qui concerne le contrôle des usines, l’article 168 du


Traité prescrivait que la fabrication des munitions et du
matériel de guerre, quel qu’il fût, ne pourrait à l’avenir être
effectué que dans des usines ou fabriques autorisées par les
Alliés. Tous les autres établissements devaient être sup-
primés dans un délai de trois mois l.
Sept mille usines ayant fabriqué du matériel de guerre
furent soumises au contrôle de la Commission. Des niesures
spéciales furent prises à l’égard des plus importantes d’entre
elles, comme les usines Krupp, à Essen, et les établissements
d’État à Spandau. Des groupes spéciaux d’officiers y furent
installés à demeure 2. Ils y exercèrent un contrôle perma-
nent jusqu’à l’interruption des travaux de la Commission,
en 1923.
Chez Krupp, du début du contrôle à la fin de 1922, il fut
détruit ou dispersé 6.000 machines. 3.000 autres machines
avaient été détruites entre l’armistice et l’arrivée de la
Commission. (( C’est donc, écrit le général Nollet, un total
de 9,000 machines, soit 44 O!, de l’outillage total, qui dis-
parut ainsi. La valeur du matériel détruit était appreciée, à
l’époque, à 102 millions de marks-or, soit plus de 600 mil-
lions de francs français de l’époque 3. D
La transformation des anciens établissements d‘État
(Deutsche Werke) fut plus laborieuse 4. Les usines Krupp et
les établissements similaires appartenaient à des compagnies
privées qui, une fois les hostilités terminées, étaient disposées

certains orplosifs utilisés dans les mines), chars d’infanterie, lance-flammes. autos
blindées, appareils de protection conlre les gaz, matériel de liaisou, télémétres,
instmmcnts d‘optique, voitures observatoires, boulangeries de campagne, infir-
meries de campagne, etc. Le matériel susceptible d’être utilisé B des fins pacifiques
f u t vendu au profit des gouvernements alliés; mais il d u t subir, avant la vente
une transformation qui le rendit immédiatement impropre h l’usage militaire. D
(Uneexpérience de désarmement, p. 163.)
1. a I1 fut admis en février 1920, écrit le général Nollet, que supprimer une
usine ayant fabriqué du matériel de guerre, c’était prendre des mesures rendant
impossible de l’utiliser h nouveau pour la fabrication du matériel de guerre, sans
être obligé d’y faire une complète réinstallation. n (Op.cit., p. 177.)
2. Le détachement permanent d‘Essen comprenait 8 officiers : 6 britanniques
et 2 français qui avaient, de jour e t de nuit, libre accès aux divers ateliers.
3. Général NOLLET,op. c k , p. 179.
4. Parmi ces établissements, les plus importants étaient :
A. Dans l‘Alleiiiagne d u nard R du centre :
Spandau :fonderie de canons, fabrique d’obus, ateliers de construction d’ar-
tillerie. Has&r8t :fabrique d’armes portatives, poudrerie, pyrotechnie, cartou-
cherie. Erfurt : fabrique d’armes portatives. Cassel : cartoucherie. Lippstadt :
fabrique d’dûts, avant-tr&s et caissons de munitions. Siegburg :fabrique d’obus
at pyrotechnie.
LA REICHSWEHR D E Y É T I E R 341
à transformer leurs ateliers de guerre pour les remplacer
par des fabrications plus rémunératrices. Tandis que les
ûeutsche Werlce appartenaient à l’administration militaire,
qui n’avait aucun intérêt à en modifier les installations.
Cependant, elle dut s’incliner devant la volonté de la
Commission. Erfurth et Spandau durent cesser la fabri-
cation d’armes et de munitions de chasse et de sport; Hanau,
celle de la nitro-cellulose. Tous les autres établissements
furent transformés.
Quant aux usines chimiques, dont le nombre était évalué
à 3.400, un certain nombre d’entre elles furent supprimées,
et 250 transformées suivant les directives de la C. M. I. C.
Les poudreries d‘État (Spandau, Haselhorst, Ingolstadt-Rei-
chertshoff en, Hanau, Gnaschwitz, Dachau, Plauen) et les
poudreries privées (Premnitz, Troisdorf et Dünaberg 1) furent
supprimées, à l’exception de celle de Rheinsdorf. Le maté-
riel e t les établissements spéciaux furent détruits ou disper-
sés, les autres utilisés à des fabrications de paix a.
Les ateliers de fabrication d’explosifs nitrés (Griesheim-
Elektron, Meister-Lucius à Hochst, Bayer à Leverkusen
e t Dormagen, les Badische-Anilin Werke à Ludwigshafen)
installés pendant la guerre furent également supprimés. Le
matériel dispersé a été évalué à 200 millions de marks-or
(parmi lesquels 65 millions pour Leverkusen et Dormagen,
et 40 millions pour Dünaberg).
E n outre, la Commission fit détruire : 20 dépôts d’artillerie
complétés chacun par un atelier d’armurerie et une Muni-
tionsanstalt, 42 ateliers de chargement, des établissements
d’études de matériel de guerre (entre autres le Militaruer-
suchsamt de Berlin-Jungfernheide), et l’atelier d’artillerie du
Chemisches Laboratorium de Dresde.
Seules, 33 usines furent autorisées par les Alliés à pour-
suivre la fabrication du matériel de guerre : 22 travaillant à

B. En Bavière :
Zngokrkcdt :ateliers d’usinage do canons. Munich :ateliers de construction d’ar-
tillerie. Amberg : fabrique d’armes portatives. Dachau : poudrerie, cartoucherie.
C. En Saxe :
Dresde :cartoucherie et atelien d’artillerie. Radeberg :pyrotechnie. Gnmchwitz :
poudrerie.
1. Cette usine fabriquait, i elle seule, 40 yo de la production totale de 1’Alle-
magne.
2. Troisdorf fabriqua du celluloid; Premnitz, de la soie artificielle; Hanau, du
collodion et du cuir synthétique; Plauen fut transformé en ateliers de réparations
pour les chemins de fer.
342 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

la fois pour l’armée et la marine, 11fabriquant exclusivement


du matériel naval.

* *

La question de la réduction des effectifs -


de beaucoup la
plus ardue - traversa une série de phases différentes et se
prolongea jusqu’en 1926. La discussion porta d’abord sur les
effectifs de la Reichswehr proprement dite; puis sur les for-
mations extra-militaires subsistant, officiellement ou non,
autour de l’armée; enfin sur les effectifs et l’organisation de
la police, dernier refuge des éléments que la Reichswehr
comptait s’adjoindre en cas de mobilisation.
Le Traité de paix limitait les effectifs de l’armée allemande
à 100.000 hommes. Mais, comme nous l’avons vu, ce chiffre
n’avait été adopté par le Conseil suprême qu’après une
longue discussion entre experts militaires anglais et fran-
çais l. Pendant quelque temps, les autorités allemandes
espérèrent que les Alliés, revenant sur leur décision, leur
accorderaient une armée de 200.000 hommes. E n outre, elles
créèrent ou laissèrent se créer autour de l’armée régulière,
un certain nombre de formations qui, sans appartenir à
l’armée proprement dite, pouvaient doubler ou tripler rapi-
dement ses effectifs.
A Boulogne d’abord (22 juin 1920), puis à Spa (9 juillet
4.920)’ les Alliés remirent les choses au point et adressèrent
à l’Allemagne un ultimatum spécifiant :

10 Que la Reichswehr devait être réduite à 150,000 hommes


avant le l e r octobre 1920, et à 100.000 hommes, a u plus tard
le l e r janvier 1921;
20 Que la Police de sûreté, ou Sicherheitspolizei, devait être
abolie et remplacée par un corps de 150.000 hommes strictement
dicentralisé et n’offrant qu’un caractère municipal et local;
30 Que la population civile devait être désarmée;
40 Que toutes les formations extra-militaires (gardes civiques,
gardes d‘habitants, engagés temporaires, etc.) devaient dispa-
raître avant le l e r janvier 1921;
50 Que la législation allemande concernant l’importation et

1. Voir vol. I, p. 313-317.


2. Cf. L’ordonnance de Noske du 25 avril 1919, recommandant la création des
Einwohmehren.
L A REICHSWEHR DE MÉTIER 343
texportalion du matériel de guerre devait être mise en accord
avec les termes du Traité.

Sur la question des effectifs de l’armée régulière, le général


von Seeckt s’inclina. On peut dire qu’à peu de chose près,
la Reichswehr de métier ne comptait que 100.000 hommes
au ler janvier 1921 l.
Plus âpre fut la lutte autour des formations extra-mili-
taires, dont la plupart échappaient à l’autorité du gouverne-
ment central. Le 30 juillet 1920, la Sicherheitspolizei fut
dissoute. Le 8 août, le Reich promulgua une loi (( Sur le
désarmement des populations civiles I), et invita les Pays à
dissoudre leurs gardes d’habitants. Einwohrzerwehren et enga-
gés temporaires disparurent peu à peu de la plupart des
États 2.
Cependant, la Prusse-Orientale et la Bavière refusaient de
dissoudre leurs formations armées. La Reichswehr avait
bien réduit ses effectifs, mais ne mettait aucun empresse-
ment à livrer son matériel en excédent. Enfin, le gouver-
nement allemand refusait de se dessaisir d’un matériel
considérable d’artillerie lourde, qu’il avait irrégulièrement
constitué pour l’armement des places maritimes.
N Devant ces difficultés accumulées, écrit le général Nollet,
il apparut qu’une conférence pouvait seule donner aux
opérations de contrôle une impulsion nouvelle 3. D
Réunis à Paris en janvier 1921, les Alliés ne purent se
mettre d’accord sur la ligne de conduite à suivre. Les Fran-
çais estimaient qu’il n’y avait aucune raison de diminuer
l’activité de la C . M. I. C . tant que le Reich n’avait pas
entièrement satisfait aux obligations du Traité. Les Anglais,
et en particulier Lloyd George e t lord Curzon, considéraient
que l’Allemagne était déjà suffisamment désarmée, .qu’une
pression nouvelle n’amènerait que des résultats minimes et
ils parlaient sinon de supprimer, du moins d’atténuer sen-
siblement le contrôle militaire.
1. a La plupart des infractions proprement dites, écrit le général Nollet, visaient
de petits dépassements d’effectifs (proportion des oficien supérieurs et des sous-
oficier8 trop grande par rapport aux hommes de troupe); l’adjonction à l’infan-
terie de compagnies cyclistes et l’addition aux bataillons de pionniers à deux
compagnies, d’une troisième compagnie dotée de matériel de chemin de fer ...
Aprbs discussion, des solutions plus ou moins intégrales furent apportées aux
différentes questions soulevbes. D (Op.cit., p. 199-200.)
2. ID., ibid., p. 220.
3. ID., ibid., p. 139.
344 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

Une seconde conférence eut lieu à Londres, au début de


mai. La délégation française réussit à y faire prévaloir son
point de vue. A l’issue de la conférence, une note résumant
les négociations fut remise à l’Allemagne, sous forme d’un
ultimatum (5 mai 1921). Le Reich était tenu, sous peine de
sanctions sévères :
10 D e rectifier la loi militaire du 23 mars 1921 et de donner &
la Reichswehr, avant le 15 juin, une organisation rigoureusement
conforme a u Traité;
20 D e livrer, avant le 31 mai, le matériel e n excédent dans les
places de l’intérieur et, avant le 10 j u i n , le matériel e n excédent
dans la troupe, les dépôts et les places côtières;
30 De dissoudre avant le 30 juin toutes les formations d’auto-
protection (Selbstschutz) encore existantes;
40 De réorganiser la police avant le 15 juillet, conformément
a u Traité et a u x accords conclus depuis lors l;
50 D e reconnaître, avant le 20 mai, la liste des usines nuto-
risées à fabriquer du matériel de guerre pour l’armée;
60 De communiquer à la Commission, avant le 30 juin, un
texte de loi interdisant l’importation et l’exportation d u matériel
de guerre.

Le gouvernement allemand, qui s’orientait avec Wirth


e t Rathenau vers la u politique d’exécution D, donna satis-
faction aux Alliés sur la plupart de ces points. Dès le 24mai
1921, le Reich décrétait la dissolution des Einwohnerwehren
e t des Selbstschützen sur tout le territoire d’Empire, y-compris
la Bavière2. La loi militaire fut remaniée le 14 juin. La
loi sur les exportations f u t promulguée le 26 juin S. La liste
des usines autorisées fut reconnue, les visites de contrôle
facilitées. Enfin, il fut procédé à d’importantes livraisons de
matériel en excédent dans les places fortes. Le l e r mars 1922,
la Sous-commission des fortifications avait terminé ses tra-
vaux. Seule restait en suspens la réorganisation de la police.
Le gouvernement anglais considéra alors le moment venu
de mettre fin à l’activité de la C. M. I. C. et de la remplacer
par un (( Comité de garantie )) restreint, en attendant le jour
où l’Allemagne serait admise à la Société des Nations. Les

1. I1 s’agit des accords de Boulogne, conclus en juin 1920.


2. C’est cc décret, survenant au lendemain de la conquête dc l’Annaberg, qui
souleva l’indignation des combattants de Haute-Silésie.(Voirplus haut, p. 192-193.)
3. Elle était toutefois d‘une imprécision regrettable.
LA REICHSWEHR D E M É T I E R 345
Alliés se rangèrent à la thèse britannique et firent connaître
au gouvernement du Reich, le 29 septembre 1922, qu’ils
étaient prêts à effectuer cette substitution, à condition que
certaines satisfactions leur fussent préalablement données.
Laissant tomber les questions de détail encore en litige, ils
réduisirent leurs demandes à cinq points :
10 Réorganiser la police conformément aux indications de la
Commission;
20 Achever ta transformation des usines;
30 Livrer le reliquat du matériel non autorise‘;
40 Livrer les documents permettant d’établir la ruleirr des
stocks de matériel pendant la guerre et après l’armistice (ètats
d‘armements);
50 Promulguer les textes encore nécessaires pour mettre la
lègislation allemande en harmonie avec toutes les clauses du
Traité.

Le gouvernement du Reich ayant répondu d’une façon


évasive le 27 octobre 1922, les Alliés le mirent en demeure
de faire connaître,. pour le 10 décembre, par une réponse
(( complète et définitive », s’il entendait, ou non, leur donner
satisfaction sur les cinq points.
La réponse du gouvernement du Reich ne fut pas celle
qu’on espérait. I1 déclarait que l’exécution des clauses mili-
taires, prévues dans la partie V du Traité, était achevée et
que l’Allemagne avait tenu tous ses engagements. Quant aux
cinq points, il ne pouvait donner suite à la demande des
Alliés. (( La situation intérieure du Reich, affirmait-il, exi-
geait une forte police; son état économique ne permettait
pas de priver certaines usines de leur outillage, ni de livrer
le reliquat du matériel, parce qu’il faudrait racheter l’un et
l’autre à grands frais; enfin, qu’il n’était pas non plus pos-
sible de promulguer une loi sur les importations et les expor-
tations du matériel de guerre dans la forme demandée par
la Commission,. parce que certaines usines allemandes s’en
trouveraient ruinees l. 1)
Telle était la situation à la fin de 1922. Déjà les délégués
de la C. M. I. C. s’apprêtaient à répondre à l’Allemagne,
lorsque, le 11 janvier 1923, les troupes franco-belges firent

1. C’était admettre implicitement, que la loi rbcemment promulgub laissait


In porte ouverte h bien des licences.
346 H I S T O I R E D E L’ARMÉE ALLEMANDE

leur entrée dans la Ruhr, créant, du jour au lendemain,


une situation entièrement nouvelle.

Du coup, toutes les opérations de contrôle furent arrêtées.


L’occupation de la Ruhr inaugura une période d’obstruction
systématique. (( Les réparations se sont mises en travers du
désarmement, disait sir Austen Chamberlain, et le court-
circuit ainsi provoqué a fait sauter tous les pIombs. ))
La C. M. I. C. protesta en vain contre cet état de choses
et exigea qu’on lui rendît sa liberté d’action. Le Reich répli-
qu‘a qu’il accepterait à la rigueur les visites des officiers
anglais et italiens, mais qu’il n’était pas question de laisser
perquisitionner les officiers français et belges. Les esprits
étaient trop montés pour que leurs visites pussent s’effectuer
sans susciter des incidents violents, dont le gouvernement
allemand ne pouvait assumer la responsabilité.
Refusant d’accepter cette discrimination, le général Nollet
décida de renoncer à toute visite et suspendit jusqu’à nouvel
ordre l’activité de la Commission.
Peu à peu, la situation se détendit. Le 26 septembre 1923,
l’Allemagne abandonnait la résistance passive. Le 5 mars
1924, les Alliés adressèrent une note au gouvernement alle-
mand, renouvelant leur proposition du 29 septembre 1922,
à savoir le remplacement de la C. M. I. C. par un Comité de
garantie restreint, Mais ils soumettaient cette substitution
à une condition préalable : c’est qu’une inspection générale
permît de vérifier que la situation militaire en Allemagne
(effectifs et matériel) n’avait pas été modifiée depuis l’inter-
ruption du contrôle en janvier 1923.
Le lendemain, M. Stresemann répondait à la tribune du
Reichstag que le désarmement était terminé et que le
Reich n’accepterait plus désormais aucun contrôle autre que
celui de la Société des Nations.
Le 22 juin, MM. Herriot et MacDonald écrivirent au
Chancelier du Reich pour lui arracher l’autorisation d’une
reprise du contrale, courte, mais définitive l. Pour ne pas
troubler l’atmosphère dans laquelle se préparait la prochaine
conférence de Londres, qui devait mettre fin à l’occupation
1. Paul ROQUES,
Le Contrôls militaire interallié en Allemagne, p. 127.
LA R E I C H S W E H R D E MÉTIER 347
de la Ruhr, le gouvernement du Reich accepta, le 30 juin,
le principe d’une inspection générale. Entre-temps le général
Walsch avait remplacé le général Nollet, nommé ministre
de la Guerre dans le cabinet Herriot l.
Le 8 août, le maréchal Foch envoya à la C. M. I. C. les
instructions des Alliés concernant les conditions dans les-
quelles elle devait procéder à l’inspection : celle-ci devait
être faite dans un esprit de conciliation et les membres de
la Commission ne devaient procéder à des visites inopinées
que dans des cas d’importance définie.
Commencée le 8 septembre 1924, l’inspection générale
fut close le 25 janvier 1925. Mais dès avant son achèvement,
les gouvernements alliés, suffisamment renseignés, décidèrent
de retarder l’évacuation de la zone de Cologne z. I1 res-
sortait, en effet, du rapport du général Walsch que la situa-
tion s’était améliorée quant aux fortifications; qu’elle sem-
blait peu modifiée en ce qui concernait les stocks de matériel,
à cette réserve près que les fabrications de guerre, non auto-
risées par la C. M. I. C., avait repris depuis 1923; que
par contre les forces de la police avaient été portées de
150.000 à 180.000 hommes.
Le rapport signalait, en outre, comme incompatibles avec
le Traité : la survivance du Grand Etat-Major, sous forme
d’une Heeresleitung puissamment organisée; l’usage prévu,
sinon déjà établi, de matériels non autorisés; les stages effec-
tués par le personnel du train dans les régiments d’artille-
rie e t le maintien de pièces lourdes mobiles à Kœnigsberg.
I1 apparaissait clairement que ni le général von Seeckt, ni
les membres de son Etat-Major ne considéraient l’armée
de 100.000 hommes comme le statut militaire définitif de
l’Allemagne, et qu’ils travaillaient en silence à inculquer à la
Reichswehr toutes les qualités requises pour lui permettre
de donner rapidement naissance à une armée beaucoup
plus forte, (( C’est dans cet effort, constatait le Maréchal
Foch, bien plus que dans les dérogations de détail à tel ou
tel article, que réside la désobéissance au Traité 3. D
1. Le président Herriot, qui avait fini par accepter le principe de l’évacuation
de la Ruhr, avait cru bon de faire entrer le général Nollct dans son Cabinet, pour
se ménager l’appui des partis de droite.
2. Lettre des Alliés au gouvernement allemand du 5 janvier 1325, complétée
par la lettre du 26 janvirr. La zone de Cologne aurait dîl être évacuée le 10 jan-
vier 1925, si les conditions du Traité avaient été fid8lernent observées.
3. Déclaration du 25 avril 1925.
348 HISTOIRE D E L’ARMIÉE ALLEMANDE

Toutefois, pour ne pas compromettre la négociation de


Locarno, à laquelle les Anglais tenaient énormément, les
gouvernements alliés rédigeaient, le 30 mai, une note au
gouvernement allemand, dressant le bilan de la situation.
Cette note, remise le 4 juin, reconnaissait que l’armée avait
bien été réduite à 100.000 hommes, et fixait les quantités de
matériel livrées à la C. M. I. C. et détruites par ses soins l.
Elle contenait ensuite la liste des redressements encore
demandés.
((Comparée à la note du 29 septembre 1922, écrit Paid
Roques, celle du 4 juin avait l’avantage d‘être beaucoup
plus précise. Aux cinq stipulations du 29 septembre - dont
la quatrième était d’ailleurs abandonnée - elle substituait
une centaine de petites prescriptions définies. De leur accep-
tation dépendait l’évacuation de Colognea. ))
Une série d’entretiens eut alors lieu entre le général
Walsch et le général von Pawels 3, au cours desquels des
accords intervinrent sur beaucoup de points. Le 16 octobre,
le Pacte de Locarno était signé. Le 23 octobre, le gouverne-
ment allemand adressa à la C. M. I. C. une note récapitulant
les points sur lesquels aucun accord n’était encore intervenu :
10 Le statut du personnel de la police et l‘encasernement de
la police d’État;
20 L’organisation du Haut-Commandement;
30 L’interdiction de l‘instruction dans l‘emploi de certaines
armes (canons d’infanterie, tanks, mitrailleuses légères);

1. Armements allemands détruits :


A. Armemenis terrestres ; 59.897 canons et tubes de canon, 130.558 mitrail-
leuscs, 31.450 minenwerfer e t tubes de minenwerfer, 6.007.000 fusils et cara-
bines, 243.937 tubes de mitrailleuse, 28.001 affûts de canon, 4.390 a5Uts de
mitrailleuse, 38.750.000 projectiles, 16.550.000 grenades à main et grenades
h fusil, 60.400.000 fusées chargées, 491.000.000 munitions pour armes h main,
325.000 tonnes de douilles de projectiles, 23.515 tonnes de douilles de cartouches
et chargcs diverses, 37.600 tonnes de poudre, 79.500 calibres i vis, 212.000 télé-
phones de campagne, 1.972 lance-flammes, 31 trains blindés, 1.562 voitures ohser-
vatoires, 8.982 stations de T.S. F., 1.240 boulangeries de campagne, 2.199 pon-
tons, 9.817 tonnes de pieces d’armcmcnt, 21 ateliers roulants, 12 chars de défense
anti-aérienne, etc.
B. Armements aériens ; 15.714 appareils de chasse e t de bombardcrnent,
27.537 moteurs d’avion, 547 hangars d’avion, 39 hangars d’aéronef.
C. Armements mvak ;Bateaux détruits, en vrac, coulés OU livrés : 26 cuirassés
deligne, 4 cuirassés gardes côtes, 4 croiseurs cuirassés, 19 petits croiseurs, 21 navires-
école et navires spéciaux, 83 torpilleurs, 315 sous-marins.
2. Paul ROQUES,op. cit., p. 135.
3. Le général von Pawels nvait 6th nommé Commissaire du Reichpour la durée
de l’inspcction générale et remplayait, en quelque sorte, le générai von Cramon.
L A REICHSWEHR D E METIER 349
40 La mise en position fixe de l‘artillerie de I<œnigsLerg;
50 Le statut des sociétés patriotiques.

Le 6 novembre, la Conférence des Ambassadeurs invita le


gouvernement allemand à lui soumettre, avant le 15
novembre, des propositions précises sur ces différentes ques-
tions. Le gouvernement allemand présenta un projet de
règlement. Mais celui-ci ne satisfit pas entièrement la
C. M. I. C., surtout en ce qui concernait la réorganisation
du Haut-Commandement l.
Commission de contrôle et gouvernement allemand discu-
taient encore certaines modalités de l’arrangement, lorsque
les Anglais évacuèrent la zone de Cologne. (( Le 31 janvier
1926, écrit Paul Roques, la situation était donc la suivante :
l’évacuation de Cologne était achevée et pourtant le retrait
de la C. M. I. C. qui aurait dû se produire simultanément
était différé z. )) De ce fait, la Conférence des Ambassadeurs se
trouvait dans une situation délicate : elle semblait admettre,
par l’évacuation de Cologne, que l’Allemagne était en règle;
mais par le maintien de la C. M. I. C., elle persistait à dire
qu’elle ne l’était pas.
I1 fallait en finir. La C. M. I. C. qui ne pouvait prolonger
éternellement son séjour à Berlin, se trouvait elle aussi dans
une fausse position. Ayant achevé leur tâche, les Comités
de district disparurent les uns après les autres. En mars
1926, la Société des Nations eut à examiner la demande
d’admission du Reich. La Conférence des Ambassadeurs
envoya à Genève un avis favorable, déclarant que l’achè-
vement de l’exécution des clauses militaires avait fait l’objet
d‘un accord, actuellement en voie de réalisation.
Le 9 octobre, le-général von Seeckt donnait sa démission.
Le personnel de 1’Etat-Major de la Reichswehr était diminué
et les attributions du général Heye, le nouveau chef de la
Heeresleitung, étaient légèrement modifiées. Cependant, un
coup de théâtre survenait au moment même où la discussion
touchait à sa fin : on venait de découvrir, le long de la fron-
tière polonaise, de nombreux abris bétonnés neufs, construits

1. Le général voii Sceckt iie coinmaiidait plus uux deux çiieîs de Cruppcn-
s . il était promu coloiiel-géiiéial, et ce nouveau grade, qui en Iaisait
k u s i i ~ ~ r u i oMais
le chef de la hiérarchie militaire, lui restituait e11 fait ce qui lui était retiré eii
principe.
2. Paul Royuas, op. d . ,p. 139.
350 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

depuis le recensement de la Sous-commission des fortifica-


tions.
E n novembre, le général von Pawels et M. Dirk Forster,
haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères,
furent désignés par le gouvernement allemand pour se rendre
à Paris, afin de faciliter les ultimes négociations. De leur
côté, les Alliés annoncèrent qu’ils étaient prêts à se déclarer
satisfaits du désarmement de l’Allemagne et à dissoudre
la C. M. I. C. Les négociations parvinrent à leur terme dans
les journées du 9 au 12 décembre.
La Conférence des Ambassadeurs se réunit alors à Paris,
sous la présidence de M. Jules Cambon. L’Angleterre était
représentée par lord Crewe; la Belgique, par le baron de
Gaifier d’Hestroy; l’Italie et le Japon,, pr: des conseillers
d’ambassade. Le Maréchal Foch et le general Walsch assis-
taient aux séances. I1 s’agissait de donner enfin le quitus à
l’Allemagne et d’en télégraphier la nouvelle à Genève.
Mais la Conférence des Ambassadeurs n’osa prendre sur
elle d’affirmer que l’Allemagne s’était entièrement exécutée.
Elle estimait que des satisfactions devaient encore être
obtenues sur deux points :
10 Les fortifications à la frontière polonaise;
20 La législution relative à l’importation et à l’exportation du
matériel de guerre.

Ceux-ci n’allaient pas tarder à être réglés à leur tour. Le


22 janvier 1927, le gouvernement allemand adoptait un
nouveau texte de loi sur les importations et les exporta-
tions du matériel de guerre 1. Enfin, le l e r février, un accord
était conclu entre le général Baratier et le général von
Pawels, portant sur les abris bétonnés nouvellement cons-
truits à la frontière polonaise 2. Une annexe définissait en
même temps la profondeur de la zone dans laquelle le système

1. Lctte loi fut ratifiée par IC Reichstag, le 17 juillct 1927 (Reichgeset;blati,


1927, I, p. 239). u La loi est sévère, écrit Z’Europe notwelle, et si elle est appliquée
strictement, cllc mettra fin :I toutcs Ics licenccs que, sous IC régime de la réglc-
mentation imparfaite de 1921,l’iiicluslric d’outrc-Rhin sc permettait avec lcs prcs-
eriptions du Traité. 11 scrnble q u e les experts de la Commission interalliée soient
allés aussi loin que leur pcrmcttaieiit les textes. II (Numéro du 5 février 1927,
p. 162.)
2. A titre de iransaction, les gouvernerilenis alliés admettent que les abris construits
depuis 1920 soient conservis (IIL noinbre d o 5 4 . Tous les autres sevont détruits dans
VON PAWELS.
wb dilar‘do p a i r e iitois ù partir ilri 15 /;vrier 1927. Signé : BARATIER,
LA REICHSWEHR D E MÉTIER 351
fortifié des frontières allemandes du sud et de l’est pourrait
être conservé dans son état actuel’. Le 5 février, M. von
Hœsch, ambassadeur du Reich à Paris, faisait savoir aux
Alliés que le gouvernement allemand donnait son agrément
à ces accords.
Le 16 février, le Maréchal Foch, faisant devant la Commis-
sion de l’armée de la Chambre un exposé complet des tra-
vaux de la Conférence des Ambassadeurs, affirmait qu’au
31 janvier 1927, le désarmement de l’Allemagne était effec-
tif, mais qu’il fallait bien se rendre compte que le désarme-
ment d’une nation de 65 millions d’habitants ne saurait être
permanent et que certaines précautions s’imposaient.
Le 28 février 1927, les derniers éléments de la C. M. I. C.
quittaient l’Allemagne. Le Traité n’accordait à la Commis-
sion que quelques mois d’existence. Elle avait duré sept ans,
cinq mois et treize jours.
t
+ +

L’Allemagne était-elle désarmée? Si l’on entend par là :


l’Allemagne avait-elle exécuté à la lettre toutes les clauses
du Traité, il serait téméraire de le prétendre, et l’on pourrait
épiloguer à l’infini, sur l’inobservation de tel ou tel paragraphe.
Mais si l’on veut dire : l’Allemagne était-elle, à cette époque,
en état de faire la guerre? on peut répondre (( non )) sans
crainte d’être démenti. Ce qui pouvait subsister de ses arme-
ments anciens, dispersés et tronqués, l’en rendait incapable -
nous avons sur ce point le témoignage du Maréchal Foch.
Mais l’Allemagne aoait-elle désarmé? C’est là tout le pro-
blème. (( Un tremblement de terre, disait von Seeckt, peut
changer la forme d’un volcan. I1 ne saurait modifier la nature
du feu qui y brûle. 1) L’ancien feu brûlait toujours, quoique
d’une façon cachée. ((Si l’armée de 100.000 hommes a pu
donner tout naturellement naissance à une armée nationale,
écrit le major Marks, c’est grâce au travail accompli par la
Reichswehr de 1918 à 1935 z. 1)
La Commission de contrôle avait réduit momentanément
l’Allemagne à l’impuissance; mais elle n’avait détruit aucun
des éléments permanents de sa force, et le décalage créé
1. Voir la carte publiée par 1’Birrope rLoucdip, iiurntro <lu 19 février 1927.
2. Ucct~scliei i c e r e s g c s c l d i t e , publiéc par Karl LINXELIACII,
p. 401.
352 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

entre ces deux facteurs devait tendre à se résorber dans un


équilibre nouveau.
A ce titre, les pages si justes oii le général Nollet expose
ses conclusions méritent d‘être citées :
(( Lorsqu’il était dans les mœurs, écrit-il, qu’après la
défaite, la population mâle f Q t passée au fil de l’épée, les
femmes enlevées, les innocents massacrés,. peut-être pou-
vait-on attendre de la victoire l’extermination de l’ennemi.
Mais à notre degré de civilisation, l’avantage du nombre reste
acquis, malgré ses revers, au peuple qui le possède.
u D’autre part, la guerre moderne met en jeu toutes les
forces de la nation e t nous avons vu que, dans une inter-
prétation à peine extensive, on peut considérer comme
matériel de guerre une très grande partie de l’outillage
national. Dès lors, le matériel de guerre de la nation vaincue
ne peut plus, - lui non plus - être anéanti.
u Le désarmement d’une nation ne saurait être qu’éphé-
mère. On ne peut réduire une grande nation à l’impuissance
qu’en ruinant sa force morale au point qu’elle s’abandonne.
Avec le temps, le souvenir des souffrances endurées et des
échecs subis s’efface. La confiance revient, le sens national
renaît. Alors apparaît la volonté de réparer les malheurs de
la patrie, de lui rendre sa place dans le monde ...
(( Le peuple allemand, qu’il n’était pas au pouvoir des

Alliés de détruire, devait tendre à se relever. Admettre


qu’un peuple puisse se sentir vaincu autrement qu’à titre
temporaire, c’est supposer que s’arrête la marche de l’his-
toire : c’est commettre une erreur dont la grandeur et les
conséquences deviennent plus considérables à mesure que
s’accélère le rythme des événements l. ))
1. Çéii6rai NoLLtir, ürrs c.cptrirrm de désurtiierticrif, p. 236-240.
XXIII

LES TRAVAUX )) DE LA COMMISSION


((

PRÉPARATOIRE DU DESARMEMENT

C’est ici quc nous attciirl l’opiiiioii pu-


blique.
LEON BOURGEOIS, 1920.

Après plusieurs années d‘efforts, la Commission militaire


interalliée de contrôle a enfin obtenu, à défaut d’une exé-
cution rigoureuse du Traité, un décalage indéniable entre
le niveau des armements allemands et ceux des principales
puissances victorieuses. Mais en imposant cette mesure au
Reich, les Alliés n’ont pas entendu user du droit du plus
fort l. Ils ont voulu donner à leur décision un caractère
moral : le désarmement allemand doit ouvrir la voie à un
désarmement général 2, qu’il appartiendra à la Société des
Nations de réaliser 3.
1. Cf. La lettre de Clemciiceau au gouvernement allemand, du 1 6 juin 1919,
accompagnant la remise des conditions définitives du Traité : Les principales
Puissances alliées et associées tiennent i spécifier que leurs conditions concernant
les armements de 1’-4llemagne n’ont pas seulement pour objet de la mettre dans
l’impossibilité dc reprendre sa politique d’agression militaire. Elles constituent
également le premier pas vers cette réduction e t cette limitation générale des
armements que lesdites Puissances cherchent iréaliser comme le meilleur moyen
de prévenir la guerre, réduction et limitation d’armements que la Société des
Nations aura parmi ses premiers devoirs de réaliser. Il est juste, comme il est
nécessaire, de commeiiccr obligatoiremrnt la limitation dcs armements par la
nation qui porto la responsabiliié de leur extension. u
2. P r h n b u l e de la partie V du traité de Venailles : Eu vice de rendre possi6le
la préparation d’une limitation générale des armerneiris de toutes les nations, 1’Alle-
rirogne s’engage 6 obseivar slricfeirient les clauaes militaires, rmrales et aériennes
ci-après stipulées.
3. Article 8 du Pacte de la S . D. N. : Les iiien1bre-s de ln Société recorrnaissent
que le maintien de la paix exige la réduction des arnrenrenls nationaas a u minimzim
compatible avec la sécuriU nationale et avec l’edcution des obligations interBalionales
imposées par une aetion wmmune.
L e Conseil, tenant compte de la siluution géographique et des wnditions spéciales
de chaque État, préparera les plans de celte réduction en cue de l’examen ds la décision
II 23
354 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

E n décembre 1925, l’Allemagne a signé le traité de Locarno


et s’apprête à entrer à la Société des Nations. D’autre part,
les travaux de la C. M. I. C., quoique non encore satisfai-
sants, s’acheminent vers leur conclusion. Le moment semble
donc venu pour procéder à la deuxième étape du programme :
préparer la conclusion d’une Convention générale ‘qui per-
mettra à l’Europe d’oublier enfin la guerre et d’échapper
au cauchemar d’une nouvelle course aux armements.
On ne peut trop souligner l’importance et la solennité de
cet instant. Une aube nouvelle semble se lever. Selon que
la S. D. N. échouera ou réussira dans sa tâche, l’Europe
s’engagera dans des voies très différentes. C’est tout l’avenir
du continent qui se trouve en suspens, l’avenir de millions
d’hommes qui veulent qu’on les soulage du fardeau écrasant
des budgets militaires et qui demandent à élever leurs enfants
dans la sécurité. Aussi s’attache-t-il aux travaux de Genève
une lumineuse espérance - une espérance que rien ne fera
renaître le jour où elle sera brisée.
A vrai dire, on peut se demander si le moment le plus
favorable n’est pas déjà passé. En Allemagne, l’occupation de
la Ruhr a suscité un ressentiment passionné contre la France.
E n France, la longueur des travaux de la Commission de
contrôle et la mauvaise volonté à laquelle elle s’est constam-
ment heurtée ont provoqué une méfiance légitime à l’égard
de l’Allemagne. De plus, les voix les plus autorisées, celles
du Maréchal Foch, du général Nollet, d’autres encore, se
sont élevées pour dire que le désarmement allemand ne
saurait être permanent; qu’avec le temps, le Reich songera
certainement à réarmer. I1 s’agit donc avant tout d’agir vite
et de saisir au passage une occasion qui ne se représentera
plus.
Sans doute est-ce l’opinion de la S. D. N., car à la suite
d’une résolution de l’Assemblée (25 septembre 1925), le
Conseil décide de créer, le 12 décembre, une Commission
préparatoire à la Conférence chargée de procéder à la réduction
des armements nationaux au minimum compatible avec la sécu-
rité nationale et avec l’exécution des obligations internationales
imposées par une action commune, - titre qui ne pèche évi-
des divers gouvernements. Ce8 plans devront faire l’objet d’un nouvel examen et s’il
y a lieu d’une révision, t o u s les dix ans a u moins. Après leur adoption par les divers
gourarneinenis, la Zirnife des armeinenfs ainsi fix& ne pourra être dépassPa saris le
consaniament du Conseil.
LA REICHSWEHR D E METIER 355
demment pas par excès de brièveté. Outre l’Empire britan-
nique, la France, l’Italie et le Japon, la Belgique, le Brésil,
l’Espagne, la Suède, la Tchécosloyaquie, l’Uruguay, l’Ar-
gentine, la Bulgarie, le Chili, les Etats-Unis, la Finlande,
les Pays-Bas, la Pologne, la Roumanie, la Yougoslavie, la
Turquie, la Chine et peu après 1’U. R. S. S.participeront aux
travaux de la Commission. L’Allemagne, non encore membre
de la S. D. N. y est invitée et désigne, pour la représenter
à Genève, le comte Bernstorff, ancien ambassadeur du Reich
à Washington.
Avant de passer à l’examen des travaux de la Commission,
quelques réflexions s’imposent. Tout d’abord, la Commission
n’a pas à prendre de décisions sur le fond de la question.
Son rôle se borne uniquement à préparer le travail de la
Conférence du désarmement. La Conférence, de son côté, ne
décidera rien non plus, mais transmettra ses suggestions
aux gouvernements intéressés (art. 8 du Pacte). Ceux-ci
restent libres d’adopter ou non ses conclusions.
Ensuite, de par son titre même, la Commission prépara-
toire lie le problème du désarmement non seulement à celui
de la sécurité, ce qui est légitime, mais aux obligations
d’une action commune sur laquelle personne n’est d’accord
à Genève, car ni les cas où cette action serait appelée à jouer,
ni ses modalités d’exécution ne sont encore définis.
Enfin vingt-six Etats participent aux travaux de la
Commission et l’article 8 du Pacte précise que le Conseil
devra tenir compte de la situation géographique et des
conditions spéciales de chacun d’eux. Or, comment établir
un rapport entre la situation géographique du Japon et de
l’Uruguay, de la Tchécoslovaquie et de la Chine? Alors qu’il
s’agit avant tout d’assurer la paix en Europe, et même plus
précisément d’établir un rapport satisfaisant entre les arme-
ments de l’Allemagne et ceux de ses voisins, la S. D. N.
déclare que ces problèmes ne peuvent être résolus qu’à condi-

1. Le but de cctte Commission, déclare la lcttre d’invitation de M. Scialoja


PU gouvernernent du Reich, cst de prtpaier une Conférence du désarmement
(lui sera convoquéc ii une date aussi iapprocliéc que possiliic ... Le Conseil consi-
dère le moment venu d’étudier ICs possibilités pratiques d’uiic reduction et d’une
limitation des armements sous la direction e t la responsabilité dcs gouverne-
ments, et exprime l’espoir qu’à I’heurc où toutes les nations de la terre reconnais-
sent cette nécessite commune, il pourra compter sur la collaboration entière du
gouvernement du Reich à une e u v i e qui intércsse au plus haut degré la paix du
nionde. D
356 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

tion d’assurer en même temps la sécurité de tous les pays


du monde.
Aussi ne faut-il pas s’étonner si, avant même de se réunir,
la Commission préparatoire est obligée de s’ajourner et si la
I r e session, prévue tout d’abord pour le 15 février 1926, est
remise au dernier moment à la deuxième quinzaine de mai.

+ +
Le 18 mai 1926, les délégués se réunissent à Genève et,
devant la complexité des problèmes qui se posent dès la
I r e session, la Commission décide de ne pas s’aventurer plus
loin sans avoir pris auparavant l’avis des techniciens. A cet
effet, l’on crée deux Sous-commissions techniques : l’une
militaire, navale et aérienne; l’autre dont l’objet est d’exa-
miner l’aspect industriel et financier de la question. Sans
faire violence aux textes, on peut dire que c.es deux Sous-
commissions ont pour objet de préparer le travail de la
Commission préparatoire. A ce train-là, les choses ne risquent
guère d’avancer rapidement.
Dès les premières réunions, les divergences de points de
vue entre les délégations éclatent dans toute leur ampleur.
-Les Alliés, déclare l’Allemagne par la voix du comte Bern-
storff, ont imposé au Reich une armée de 100.000 hommes.
Or, le traité de Paix, le Pacte de la S. D. N. et, depuis lors,
l’acte final du traité de Locarno l, s’accordent à recon-
naître que le désarmement allemand doit ouvrir la voie au
désarmement général. I1 n’y a, pour y parvenir, que trois
façons de procéder : ou bien abaisser vos armements au
niveau assigné à l’Allemagne; ou bien permettre à 1’Alle-
magne de relever ses armements au niveau des vôtres; ou
enfin, en combinant les deux méthodes, abaisser vos arme-
ments et nous permettre de relever les nôtres, de sorte
qu’ils se rencontrent à mi-chemin 2.
- Ce que vous demandez là, réplique la délégation fran-
çaise, n’est rien de moins que la permission de réarmer légale-
ment! Cette thèse est incompatible avec le but de nos tra-
vaux.
LA REICHSWEHR D E MÉTIER 357
- Ne pourrait-on, suggère la délégation britannique, sup-
primer pour commencer un nombre déterminé de bataillons,
d’escadrons et de batteries?
- Impossible! répond la délégation française. De tels
engagements réclament des contreparties. Ils exigent des.
systèmes d’entente, des pactes d’arbitrage et d’assistance
mutuelle. Avant de procéder au désarmement, il faut conso-
lider la sécurité.
- Le chapitre de la sécurité est clos, déclare sèchement
lord Robert Cecil. Celle-ci est assurée par le Pacte de la
S. D. N. et le traité de Locarno. Vous avez la garantie de
la Grande-Bretagne et de l’Italie. Vous avez des accords avec
la Pologne et la Tchécoslovaquie. Que voulez-vous de plus?
-Ce n’est là qu’un commencement, réplique M. Paul-
Boncour. I1 faut pousser plus loin le système ébauché. I1
faut établir une série de méthodes et de règlements per-
mettant au Conseil de la S. D. N., s’il décide et quand il
aura décidé, d’agir, et d’agir vite.
- Si vous parlez de sécurité, fait remarquer le délégué
américain, je serai obligé de me retirer de la Commission,
car les États-Unis n’ayant pas ratifié le Pacte, l’application
de ses clauses ne saurait lui incomber.
Force est donc à la Commission de disjoindre de son ordre
du jour toutes les questions de sécurité, pour les remettre
à un organisme spécial, dit Comité du Conseil.
- Le traité de Versailles, poursuit le comte Bernstorff,
interdit à l’Allemagne de posséder certaines armes dites ofen-
sives :les chars, l’artillerie lourde, les avions de bombarde-
ment, les gaz asphyxiants. Ne pourrait-on commencer par
interdire leur emploi dans toutes les armées?
- Sans doute, répond la délégation polonaise, mais com-
ment dresser un état comparatif des armements? Sur quelle
base apprécier la valeur du potentiel de guerre, et comment
comparer celui d’une nation agricole, comme la Pologne,
avec celui d’une puissance industrielle, comme l’Allemagne?
- La question de la comparaison des potentiels de guerre,
ajoute la délégation française, se pose également sur le plan
des effectifs. Comment comparer une armée de métier comme
la Reichswehr, avec une armée basée sur le service militaire
obligatoire? La France est déjà passée du service de trois ans
à celui de dix-huit mois. Devra-t-elle revenir au système du
tirage au sort, en n’incorporant qu’une partie de son contin-
358 HISTOIRE DE L’ARJIÉE ALLEMANDE

gent annuel, ou faudra-t-il rétablir la conscription en Alle-


magne? De plus, dans quelques années, la Reichswehr com-
mencera à licencier les soldats dont le contrat d‘engagement
sera venu à expiration. Ceux-ci formeront un corps de réserve
infiniment supérieur à celui des autres pays ...
- Ne pourrait-on, intervient lord Robert Cecil, englober
dans la limitation générale tous les éléments qui constituent
le shock-power d’un État?
- D’accord, répond la délégation japonaise, mais à condi-
tion d’admettre l’interdépendance des armements terrestres
et navals. Le désarmement sur terre doit s’accompagner
nécessairement du désarmement sur mer...
- Impossible, se récrient aussitbt’les délégués anglais e t
américain, Le désarmement terrestre est un problème euro-
péen, tandis que le désarmement naval est un problème
mondial. I1 pose les délicates questions de la répartition du
tonnage et de la liberté des mers.
A force de les tourner et de les retourner en tous sens, les
questions prennent une complexité qui défie les cerveaux
les mieux organisés. Les experts feuillettent leurs dossiers,
consultent les statistiques, délibèrent pour savoir comment
sauvegarder les thèses de leurs gouvernements.
Les Japonais ne veulent pas désarmer à cause des États-
Unis; les États-Unis à cause de l‘Angleterre; l’Angleterre à
cause de la parité franco-italienne dans la Méditerranée.
Quant aux Italiens et aux Yougoslaves, ils veulent réarmer,
pour rester les uns et les autres maîtres de l’Adriatique.
Potentiel de guerre, réserves instruites, shock-power, liaison
des questions de sécurité et de désarmement, contrôle des
dépenses militaires, interdépendance des désarmements ter-
restres et navals, tonnage par catégorie, tonnage global,
capital-ships, sous-marins s’enchaînent comme une litanie sans
fin. C’est un brouhaha confus, d’où se détachent des bribes
de phrase entremêlées : N J e dois veiller sur ma sécurité n,
-
- (( je réclame l’égalité des droits n, N il faut consulter les
-
Dominions », (( la neutralité américaine exige... 1)
( ( E n somme, disait Henri de Jouvenel, ce qu’on entend
par le désarmement, c’est avant tout le désarmement des
autres. ))
L A REICHSWEHR DE MBTLER 359

Ces discussions se poursuivent tout au long de la 2e ses-


sion (septembre 1926), sans apporter aucune solution aux
problèmes étudiés. La 3e session s’ouvre en mars 1927. De
celle-ci, le professeur Christian-Louis Lange, de l’Institut
Nobel, nous dit a qu’elle fit, sur l‘opinion publique, une
impression d‘impuissance, d‘une part; une impression de
méfiance réciproque et de craintes mutuelles invincibles,
de l’autre. A travers des débats en apparence purement
techniques, on entrevit des intérêts politiques, voire des
visées d’hégémonie de la part des grandes Puissances. Les
procès-verbaux de la Commission sont révélateurs. Ce sont
des documents précieux pour qui veut étudier la psychologie
des collectivités humaines ».
Finalement, la Commission réussit à mettre sur pied u n
avant-projet de Convention en combinant deux textes, pré-
sentés respectivement par Paul-Boncour et lord Robert
Cecil. Réussite très partielle, d’ailleurs, car de profonds
désaccords obligent la Commission à s’en tenir à une première
lecture. De plus, cet avant-projet mérite à peine ce nom :
les articles se présentent presque sans exception en colonnes
doubles, parfois triples; ils sont hérissés de réserves faites
par diverses délégations sur presque tous les points essentiels.
E n ce qui concerne les armements navals, entre autres, il a
été impossible de présenter une thèse unique, de sorte que
deux ou parfois trois thèses s’affrontent constamment.
Les travaux de la Commission piétinent. Mais les délégués
font soudain une découverte importante : s’ils n’arrivent pas
à mettre au point une Convention de désarmement, c’est
qu’ils cherchent à porter remède aux effets, sans remonter
aux causes. Ce qui rend le désarmement impossible, c’est
que le monde a peur, et s’il a peur, c’est que les travaux
de sécurité ne sont pas suffisamment avancés. (( Sécurité
d’abord 11, avait proclamé la France à l’Assemblée de 1924.
On a eu tort de s’écarter de ce principe. L’expérience a
démontré qu’il fallait y revenir.
C’est dans une atmosphère d’inquiétude et de décourage-
ment que s’ouvre l’Assemblée de 1927. Mais une inter-
1. Christian-Louis LANGE,O& en est le problème du désarmement? L’Europe
no&,%, numeru d u 22 septembre 1928, p . 1283.
360 ALLEMANDE
HISTOIRE D E L ’ A R M ~ ~ E

vention de la délkgation française redonne courage aux


esprits : une résolution de Paul-Boncour, fondue avec une
résolution hollandaise, elle-même amendée par une résolu-
tion allemande, trace un programme nouveau dans lequel
les deux problèmes de désarmement e t de sécurité usont
harmonieusement liés »,et l’Assemblée invite la Commission
g constituer un Comité de sécurité, dont feront partie
tous les États représentés à la Commission, à l’exception des
Etats-Unis.

r r i

La 40 session a lieu du 30 novembre au 2 décembre 1927.


Pour la première fois, une délégation de 1’U. R. S. S. y
assiste. L‘ordre du jour, peu chargé, se limite à deux points :
a) la création du nouveau Comité de sécurité; b) la fixation
de la date de la session suivante.
Impatienté par t a n t de renvois e t d‘ajournements, le
comte Bernstorff insiste pour que la Commission aborde
sans tarder la deuxième lecture du projet. On lui répond
que celle-ci ne saurait avoir lieu avant que les travaux du
Comité de sécurité aient porté leurs fruits. E n conséquence,
la deuxième lecture est fixée au 15 mars 1928.
Déjà les membres de la Commission se félicitent d’avoir
franchi cet écueil, lorsque M. Litvinoff, délégué de l’U.R.S.S.,
se lève et commence à lire, d’une voix forte, la déclaration
suivante :
Le gouvernement de YU. R. S. S. n’ayant pu prendre part
aux trois sessions de la Commission préparatoire de la Confé-
rence du désarmement qui ont déjà eu lieu, a chargé sa délé-
gation à la quatrième session de cette Commission de faire
une déclaration englobant toutes les questions liées au pro-
blème du désarmement...
En conséquence, la délégation de YU. R. S. S. est autorisée
par son gouvernement à proposer les mesures suivantes :
u ) le licenciement de tous les effectifs armés de terre, de
mer e t d’air et leur interdiction, sous quelque forme que ce
soit;
b) la destruction de toutes les armes, quelles qu’elles soient;
d
c la démolition des navires de guerre de toutes catégories;
) le démantèlement de toutes les forteresses;
e) l’adoption d’une législation abolissant le service militaire
obligatoire, volontaire, et par recrutement;
LA REICHSWEHR D E M É T I E R 361
f ) l’adoption d’une législation interdisant l’appel des réserves
instruites, les hrevets d’invention relatifs aux armements de
toutes sortes;
g) la suppression de toute espèce de propagande mili-
taire, etc. l.

Puis M. Litvinoff se rassied au milieu de la consternation


générale.
On imagine sans peine l’effet de ces paroles dans ce milieu
n où l’art de ne rien dire a été poussé à son point le plus
parfait et où plus un discours est vide et plus les experts
dans les couloirs s’émerveillent de sa finesse ». Une bombe
éclatant au milieu du quai Wilson n’aurait pas causé plus
de stupeur.
Avec sang-froid, le président remercie le délégué russe
u pour son intéressante déclaration »,mais regrette de ne
pouvoir l’inscrire à I’ordre du jour, (( car ce programme
s’oppose aux conclusions essentielles des travaux accomplis
sous les auspices de la S. D. N. )I.
Quelques semaines plus tard, M. Litvinoff, rentré à
Moscou, rend compte de sa mission à Genève, devant le
XVe Congrès du Parti communiste :
Les travaux de la Commission préparatoire, déclare-t-il,
nous ont déjà donné comme résultat un document qui porte le
nom de projet de Convention internationale pour le désarme-
ment. C’est un document extrêmement curieux. La description
la plus éloquente ne vous donnerait pas une idée aussi vive
des méthodes de travail de la S. D. N. que l’étude de ce docu-
ment. I1 est composé de plusieurs parties comprenant une
cinquantaine d’articles, paragraphes, clauses, remarques, etc.
Mais le premier article se présente déjà sous forme de trois
variantes parallèles - en français, en anglais et en allemand.
Vient ensuite une longue série d’articles énumérant les espèces
d’armements et les formations militaires susceptibles d’être
réduites. Mais c’est en vain que vous chercheriez dans ce
document ne fût-ce qu’un seul chiffre, ne fût-ce qu’un seul
coefficientnumérique de la réduction des armements. Ce docu-
ment n’est qu’une énumération d’articles donnant des titres
de munitions de guerre et des armes de combat que l’on pour-

1. Déclarations dc hf. Litvinoff, délégué de I’U. R. S. S. 0 la Ive session de la


Commission préparatoire du désarmement, le 30 novembre 1927.
2. André Bhunors, Aphorisnm écrits p e d a n t una Assemblée de la S. D . N.,
L’Europe noiiwlle, numéro du 4 octobre 1930, p. 1424.
362 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

rait éventuellement réduire : - mais comment les réduire, dans


quelle proportion, selon quels critères, cela, la Commission
n’a pas encore trouvé le loisir d’en parler et d’en délibérer,
- car la seule énumération de ces articles a déjà provoqué
une multitude de désaccords et de controverses entre les
Puissances capitalistes, et il n’y a presque pas un seul article
essentiel sur lequel il n’y ait plusieurs projets, tantôt fran-
çais, tantôt anglais, tantôt japonais, tantôt allemand ...
(Rires et exclamations.)
Abstraction faite de la création d’un Comité de sécurité,
poursuit M. Litvinoff, il reste que les représentants de vingt-
six États, venus de toutes les parties du monde, se sont réunis
à Genève pour fixer la date de la session suivante. I1 n’y a
donc rien d’étonnant à ce que, lorsque la délégation sovié-
tique s’est mise en pleine Commission préparatoire à parler
du désarmement, son intervention apparut comme un sacri-
lège attentatoire aux fondements mêmes d’une Commission de
la S. D. N., comme une infraction à toutes les convenancesf.

Mais ce que le camarade Litvinoff se garde bien de dire,


c’est que, sous un pacifisme démagogique, cette proposition
de I’U. R. S. S. est strictement conforme aux intérêts commu-
nistes. Qu’est-ce qui a empêché la révolution de triompher
en Allemagne et ailleurs, sinon l’armée? Supprimer les armées
dans tous les pays occidentaux, c’est faire tomber le dernier
barrage qui empêche la révolution de déferler sur l’Europe.
Le délégué de YU. R. S. S. demande que l’on abolisse toute
propagande militaire, mais il omet de citer la phrase pro-
noncée par Lénine, six mois avant sa mort : N Si nous ne
faisons pas de chaque enfant un pionnier de la future Armée
rouge, nous n’aurons rien fait ».Pour YU. R. S. S. aussi, le
désarmement c’est, avant tout, le désarmement des autres.

t
+ +

Entre-temps, le Comité de sécurité s’est mis à l’œuvre. Le


26 janvier 1928 ses trois rapporteurs - MM. Holsti (Fin-
lande) pour la question d‘arbitrage, Politis (Grèce) pour les
accords de sécurité, et Rutgers (Pays-Bas) pour l’app2ication
du Pacte, - se réunissent à Prague sous la présidence de
1. Déclarations du camarade Litvinoff. le 14 décembre 1927, devant le
Xi” Congr& du Parti oommuniste de I’U.R. S. S.
L A R E I C H S W E H R D E h1ÉTiEIl 363
M.Benès. Les membres du Comité ont été invités à commu-
niquer aux rapporteurs tous les documents ou sugges-
tions qu’ils croiraient devoir produire pour les aider dans
leur tâche. Aussi apportent-ils à Prague quatre mémo-
randums, émanant des gouvernements suédois, norvégien,
britannique et allemand, préconisant chacun des solutions
différentes l.
Faut-il s’étonner, dans ces conditions, si le résultat de ces
travaux s’avère bientôt fort décevant, et si le Comité
de sécurité doit borner son activité à élaborer un certain
nombre de (( modèles )) de traités d’arbitrage, d’assistance
mutuelle et de non-agression? Ce maigre résultat est accueilli
avec d’autant plus de scepticisme que les traités de Locarno,
qui devaient, eux aussi, servir de modèles, n’ont été suivis
jusqu’ici par aucun nouveau groupe d’États. Force est alors
au Comité de reconnaître (( qu’aucune atmosphère de sécu-
rité ne peut être créée tant que pèse sur l’Europe la menace
des armements et qu’au lieu de vouloir établir la sécurité pour
pouvoir désarmer, il faut désarmer d’abord, pour établir la
sécurité ».
Tel est le dilemme devant lequel se trouve placée la
Commission préparatoire au moment oii s’ouvre sa 5e session
(15-24 mars 1928). Les délégués sont d’avis qu’il est inutile,
dans ces conditions, de procéder à la deuxième lecture de
l’avant-projet de Convention. Ils n’osent même pas fixer la
date de la session suivante et laissent au président le soin de
les convoquer (( quand les circonstances le permettront n.
A la réflexion, les experts se demandent si l’on n’a pas vu
trop grand en voulant réaliser d’un coup le désarmement de
toutes les nations. Peut-être des négociations directes entre
deux ou trois Puissances permettraient-elles d’aboutir à des
accords limités que l’on pourrait ensuite étendre aux autres
pays? L’expérience, en tout cas, vaudrait d’être tentée, et
c’est ainsi que s’amorcent des conversations franco-anglaises
sur le désarmement naval.

1. n Les deux premiers ne parlent que d’arbitrage et de conciliation, nulle-


ment de sanctions e t de garanties. Le mémorandum anglais, tout en repoussant
l’arbitrage obligatoire en ce qui conccrne l’Empire britannique, ne voit 3 l’arbi-
trage d’autre sanction que l’opinion publique. Quant au mémorandum allemand,
fort habilement rédigé, il s’en tient au développement des procédures de règlement
pacifique de nature iprévenir la guerre, mais refuse toute or anisation de sanc-
tions permettant de protéger la victime d’une agression. a ?L’Europe nouvelle,
numéro du 11 février 1928, p. 179.)
364 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

Un an se passe, sans rien apporter de nouveau. Enfin,


M. Loudon, délégué des Pays-Bas, se résout à convoquer,
pour le 15 mai 1929, la 6e session de la Commission prépa-
ratoire. Toutefois en ouvrant la séance, il tient à déclarer
publiquement qu’il ne se fait aucune illusion. Les pourpar-
lers anglo-français ont abouti à un échec. I1 faut donc renon-
cer aux négociations séparées, pour revenir à la méthode de
la discussion générale. Mais les divergences de points de vue
entre les gouvernements semblent aussi irréductibles qu’en
1927. Tout plaide pour un nouvel ajournement des questions
importantes. L’impression générale est que la 68 session
sera tout entière occupée par des discussions stériles sur
les points secondaires : procédure éventuelle de révision
de la future Convention (qui n’existe pas encore), déroga-
tions qu’elle pourrait comporter, etc.
La situation, déjà inextricable, se complique du fait que
quatre contre-propositions, émanant de YU. R. S. S., de la
Turquie, de la Chine et de l’Allemagne, ont été soumises à
l’examen de la Commission. Celle-ci finit par les écarter les
unes après les autres, mais seulement après d’interminables
querelles de procédure.
Quel est exactement le bilan de la 6e session? Pour la
guerre chimique, on a dû reconnaître qu’il est impossible
d’aller au-delà d’une simple interdiction de caractère théo-
rique. Pour la limitation directe des matériels terrestres,
qu’ils soient en service ou stockés, la majorité de la Com-
mission admet qu’elle est impraticable, malgré l’opinion
contraire des délégations soviétique et chinoise, e t l’absten-
tion de la délégation allemande.
Mais au moment où tout espoir semble perdu, un grand
pas en avant se trouve réalisé : la Commission décide, en
effet, que la limitation des effectifs se fera (( d’après le procédé
de l’effectif quotidien moyen obtenu en divisant par 365 le
nombre de journées de présence sous les drapeaux au cours
d’une année n.
Stimulée par ce succès, la Commission réussit à arrêter en
deuxième lecture le texte de son avant-projet de Convention
(4 mai 1929). Celui-ci comporte pour la première fois un
certain nombre de tableaux - dont la plupart, il est vrai,
sont facultatifs.

1. L’Europs miruelle, numero du IS mai 1939, p. 646.


LA REICHSWEHR DE METIER 365
Mais à peine vient-on d‘achever cette lecture, que tout est
remis en question par le délégué allemand.
- Mon gouvernement, déclare le comte Bernstorff, n’a
jamais caché qu’il ne saurait accepter, même à titre de
première étape, une solution qui ne tienne pas compte de
tous les facteurs du problème et ne limite pas d’une façon
sensible les armements excessifs actuellement existants. Une
telle solution ne serait pas conforme aux principes fondamen-
taux du Pacte et des traités. J e me vois obligé, en consé-
quence, de me désolidariser catégoriquement du programme
que vient d’adopter la majorité de la Commission. Puisqu’il est
avéré que les autres Puissances ne veulent pas abaisser leurs
armements au niveau de ceux de l’Allemagne, il faut donc
autoriser l’Allemagne à relever les siens.

+ *
Nous arrivons ainsi à la 70 session, qui s’ouvre en novembre
1930 l. Quelques jours auparavant, dans une interview
accordée au représentant de l’United Press, le général von
Seeckt a repris, en la précisant, l’argumentation du comte
Bernstorff. Q S’il faut abandonner l’espoir de ramener toutes
les grandes armées au niveau de l’armée allemande, dit-il,
si la réponse des autres Puissances n’est pas satisfaisante,
il ne restera plus au Reich qu’à réarmer, puisque les autres
ne désarment pas, sur la base d’une parité conforme à l’im-
portance de sa population et de sa situation géographique.
Sans doute, un tel accroissement ne saurait-il être immédiate-
ment envisagé, étant donné les conditions économiques e t
financières actuelles : mais il appartiendra à l’Allemagne
de décider librement de l’instant et de la méthode 2. 1) La
même conception se retrouve dans la déclaration du général
Grœner - devenu entre-temps, ministre de la Reichswehr
(20 novembre 1930) 3. L’offensive diplomatique pour 1’ (( éga-
lité des droits )) est déclenchée.

1 . Entre-temps (février-avril 1930) une conference navale s’est tenue à Londres


entre les États-Unis, l’Angleterre, la France, l’Italie et le Japon. Elle n’a abouti
qu’i un seul résultat tangible : la prrmission, pour lcs Etats-Unis, d’augmenter
leur marine de guerre.
2. Cf. Rapport de M. Augustin LECERsur la Rersruliculion alleniarida de I’égaiild
de droits, Les Cahiers d u redressement f r u n p i s , 2 e série, no 4, p. 17.
3. Cf. Richard Sciiminr et Adolf G ~ A B O W S I ~Deukrchlarids
Y, Kaifipf uni Cleich-
lerechtigung, p. 14.
366 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

Du coup, les anciennes Puissances alliées prennent peur et


font inscrire, dans le projet de Convention, un paragraphe
supplémentaire - l’article 53 - qui proclame l’intangibilité
de la partie V du traité de Versailles et répète que le désar-
mement allemand doit être considéré comme un résultat
définitif, acquis une fois pour toutes. C’est la condition
sine qua non du désarmement des autres nations. S’il le faut,
on rétablira même le contrôle militaire en Allemagne pour
s’assurer que les clauses du Traité sont scrupuleusement
respectées.
- J e proteste contre cette interprétation unilatérale des
obligations du Traité, s’écrie aussitôt le comte Bernstorff.
Le délégué français a déclaré lui-même en mars 1927 que la
partie V du Traité n’était pas simplement une condition
imposée à l’un des signataires, mais une obligation morale et
juridique faite aux autres signataires de procéder à une limi-
tation générale de leurs armementsl. Y aurait-il, au sein
de la S. D. N., deux poids et deux mesures selon les nations
gui la composent? L’Allemagne veut jouir de droits égaux
à ceux de tous les autres membres de la Ligue.
E n vain le président cherche à détourner l’orage.
- Vos revendications, objecte-t-il au délégué allemand,
dépasknt la compétence de la Commission. Seule la Confé-
rence serait qualifiée pour y répondre.
- Alors, réplique le comte Bernstorff, mon gouvernement
en appelle dès à présent à la Conférence elle-même et ne
participera plus aux travaux de la Commission.
L’émotion des délégués est à son comble. La Commission
préparatoire va-t-elle se dissoudre avant d’avoir pu convo-
quer la Conférence? La situation est d’autant plus grave
qu’un certain nombre de petites Puissances approuvent
ouvertement l’attitude du comte Bernstorff. Finalement, la
Commission ne voit pas d’autre issue que de soumettre le
litige au Conseil de la S. D. N. Le 24 janvier 1931, celui-ci
décide de convoquer la Conférence du désarmement pour le
2 février 1932. On a gagné un an. C’est tout ce que l’on
pouvait faire.
Mais lorsqu’une année de plus se sera écoulée, dans quelles
conditions la Conférence s’ouvrira-t-elle? On ose à peine y
songer. Aucune des questions essentielles n’est réglée et le
1 . Déclaration de M. Paul-Boncour, A la 30 session de la Commission prépa-
ra toire.
LA REICHSWEHR D E M É T I E R 367
projet de Convention est resté à l’état d’ébauche. Après
cinq années de négociations stériles, les travaux des experts
n’ont abouti à presque rien. N La Commission préparatoire
remettra à la Conférence un cadre, écrit Pierre Cot, mais ce
n’est qu’un cadre vide l. ))
Lorsque la XIIe Assemblée se réunit en septembre 1931,
les délégations ne cherchent plus à dissimuler leur pessi-
misme. Une atmosphère oppressante règne au Palais des
Nations. La S. D. N. a perdu le contrôle qu’elle exerçait sur
les affaires du monde. Son autorité, son prestige déclinent
visiblement. Aussi suggère-t-on à voix basse d’ajourner
sine die la Conférence du désarmement. (( Comment? écrit
Louis Joxe, l’on entend parler depuis dix ans de la fameuse
Commission préparatoire, et l’on reculerait l’ouverture de
cette Conférence dont l’objet est le but même de la S. D. N.?
Quel aveu d’impuissance! Quelle faillite! ))
Telle est la vérité brutale qui se dégage des faits.
*
+ +

- Le dilemme est désormais posé, déclare M. Vander-


velde, ministre des Affaires étrangères de Belgique. Ou bien
les autres Puissances devront réduire leurs forces comba-
tives à la mesure de la Reichswehr, ou bien le Traité devien-
dra caduc et l’Allemagne revendiquera le droit de posséder
des forces susceptibles de défendre l’intégrité de son terri-
toire. E n présence de tels faits, deux conclusions s’imposent :
la première, c’est l’efficacité très relative des mesures de
contrôle; la seconde, c’est que le désarmement sera général
ou ne sera pas 3.
Reprenant le même thème, M. Paul-Boncour fait remar-
quer de son côté :
- Point n’est besoin d’être prophète, il suffit d’avoir les
yeux ouverts pour apercevoir qu’en cas d’échec final des tra-
vaux de désarmement ou même simplement de leur ajourne-
ment indéfini, l’Allemagne, libérée des autres contraintes,
secouera aussi celle-ci et refusera de subir seule des limi-

I. Pierre COT,Préparoiion air disurnienierif, L’Europe nouvelle, 8 novemlrc 1930,


p. 1599.
2. Louis JOXE, Brunies sur le Lénran, L’Europe noitralie, numéro du 12 sep-
tembrc 1931, p. 1233-1234.
3. Déclarations du 15 CBvrier 1927.
368 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

tations d’armements que le Traité spécifiait être la condi-


tion, mais aussi la promesse d’une réduction générale. Nous
n’avons plus le choix
Puisque ces choses tombent sous le sens e t que tous les
esprits clairvoyants les répètent à satiété, que fait donc
Genève?
a I1 est urgent d‘attendre »,avait coutume de dire un
diplomate de l’ancienne école, e t la S. D. N., instituée pour
rompre avec les méthodes du passé, a donné à ce précepte
une extension extraordinaire. On croirait que les experts
n’ont aucune notion de l’importance du temps. Dans u n
monde en gestation continuelle, où chaque jour enfante des
problèmes nouveaux, la S. D. N. semble suspendue dans un
univers immobile. Tandis que les négociations s’éternisent
aux bords du Léman, l’Europe fait peau neuve et se trans-
forme à vue d’œil. L’œuvre de la Commission de contrôle
s’effrite et disparaît. Ce qui était encore possible en 1927,
ne l’est plus en 1931, et la victoire s’amenuise entre les mains
des vainqueurs. Tandis que les techniciens opposent un mur
de papier à l’égalité des droits, l’Allemagne travaille déjà
à rétablir l’égalité de fait. Qu’a-t-on fait de sérieux pour
éviter d’en arriver là?
Ainsi, ((le désarmement des autres )), qui a été jusqu’ici
u le désarmement de personne »,ne va pas tarder à devenir
(L le réarmement de tous n. C’est le commencement de ce

que Mussolini a appelé, dans son discours de Milan du


l e * novembre 1936, a le grand naufrage de l’idéologie wil-
sonienne l).
1. hriielc du Joitrriul, clu 2G avril 1330.
XXIV

LA POLITIQUE DE LA REICHSWEHR

I. - Les étapes du réarmement.


Pendant ce temps, sans en demander la permission à
Genève, l’État-Major de la Reichswehr prépare méthodique-
ment les bases d’une armée nouvelle. De temps à autre paraît,
dans de petites publications de gauche, un article dénonçant
(( l’activité secrète des dirigeants de la Bendlerstrasse n. Mais

l’opinion publique allemande ne s’en émeut guère. I1 s’agit


de faits isolés, impossibles à contrôler, e t aussitôt démentis
par les milieux officiels.
Cependant, le 16 décembre 1926, une intervention reten-
tissante de Scheidemann à la tribune du Reichstag vient
lever un coin du voile derrière lequel travaillent les services
du ministère de la Guerre.
J e veux prouver par quelques faits précis, déclare l’ancien
chancelier, que la Reichswehr devient de plus en plus un État
dans l’État, obéissant à ses propres lois et poursuivant sa
propre politique,.. D’après un mémoire de la maison Junkers
qui nous est parvenu, il a existé au ministère de la Reichswehr
une section spéciale, portant la dénomination S. G., dont les
membres étaient des offciers appartenant pour la plupart à
...
l’armée active Elle a versé depuis 1923 des sommes se mon-
tant à environ soixante-dix millions de marks-or par an.
(Écoutez! Écoutez!) Il existe dans une grande banque de Ber-
lin un compte sur lequel un fonctionnaire au ministère de la
Reichswehr, M. Spangenberg, exécute les paiements néces-
saires. En quinze jours, à peu près, M. Spangenberg a payé
des sommes se montant à environ deux millions et demi de
marks.
II 24
370 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMAN D E

u D’après d’autres renseignements, ce Spangenberg est en


liaison étroite avec la Société d’entreprises techniques, OU
Gefu. Celle-ci porte aujourd’hui le nom de Comptoir écono-
mique, ou Wiko. Parmi ses directeurs se trouve un certain
Otto zur Leien, qui réside constamment à l’étranger, notam-
ment en Russie. Par Spangenberg, plusieurs millions de marks
ont été versés à la caisse de la Gefu, ce qui démontre la col-
lusion entre le ministère de la Reichswehr et cette société.
(( La tâche de la Gefu consiste à implanter une industrie d’ar-

mements à l’étranger, notamment en Russie. La signature


des accords a été faite sous de faux noms. L’intermédiaire
pour les accords conclus par la maison Junkers, le 14 mars
1922, a été le général Hasse. (Tumulte à droite, cris divers :
traître! canaille! Sortez-le!)
(( Nous savons, de source absolument sûre, poursuit Scheide-

mann au milieu d’un vacarme croissant,. que des transports de


munitions russes se sont faits sur plusieurs bateaux arrivés
de Leningrad à la fin de septembre et en octobre 1926. Ces
bateaux appartiennent à la Compagnie de Navigation de Stet-
tin : ils s’appellent Gothenburg, Rastenburg et Cdberg l. La
cellule communiste du port est parfaitement au courant de
ces choses. (Rires embarrassés à gauche.) I1 n’est ni propre
ni honnête de voir la Russie soviétique prêcher le désarme-
ment mondial, tout en armant la Reichswehr. (Interruptions
ù gauche, cris divers.) I1 faut mettre un terme à ce scandale.
(( Nous ne pouvons tolérer plus longtemps un état de choses
contraire A la création d’une armée vraiment républicaine et
démocratique, La Reichswehr a besoin d’être entièrement
réformée. (Applaudissements au centre et ù gauche. Tumulte à
droite.)

Ce discours, survenant quelques jours à peine avant le


retrait définitif de la C. M. I. C. est des plus gênants pour
les militaires allemands, car il risque de prolonger le contrôle
des Alliés. Mais Scheidemann n’en a cure. Les Socialistes,
enhardis par la démission du général von Seeckt (9 novembre
1926), veulent provoquer à présent la chute d u DI Gessler.
Pourtant, ces attaques ne diminueront en rien l’autorité du
ministre de la Reichswehr. Au contraire : sa position en sor-
tira plutôt raffermie. M. Gessler restera encore deux ans au
1. I’CUaprès (19 fëvrier 1927), IC Afardiesfer Guardian confirmant les rcnsci-
gnements de Scheidemann, signalait l’arrivée i Stettiii d’un nouveau convoi de
trois cargos, IC Gotlienbitrg, l’Arltrsho/ et IC Collerg, chargés de munitions pro-
venant d‘U. R. S. S.
1. C’est le moment où vont prendre fin les derni8rcs négociations ciitre la Coiif&
rciicc des Aiii!J&2.l~CUrS c t IC g h f r a l yo11 Pawls.
LA REICHSWEHR D E M É T I E R 371
pouvoir 1. Mais dorénavant le voile est déchiré : l’opinion,
alertée par Scheidemann, ne peut plus ignorer que les auto-
rités militaires du Reich posent les jalons du réarmement,
et que les indices isolés qu’on lui a signalés jusqu’ici font
partie, quoi qu’on dise, d’un plan de vaste envergure.

La C. M. I. C. avait détruit la majeure partie des anciens


armements allemands. Elle avait fait transformer un grand
nombre d’ateliers pouvant servir aux industries de guerre.
Mais, répétons-le, (( elle ne pouvait empêcher l’Allemagne de
se forger une armée nouvelle le jour où les circonstances le
lui permettraient 1). Désarmement et réarmement allemands
sont deux problèmes connexes, mais distincts, deux courbes,
l’une descendante, l’autre montante, qui influent l’une sur
l’autre, mais ne se recoupent pas. (( Les huit années que j’ai
eu l’honneur de passer à votre tête ont été pénibles, déclare
le Dr Gessler le 20 janvier 1928, dans une proclamation
adressée aux forces militaires et navales du Reich au moment
de quitter le ministère de la Reichswehr, car l’Allemagne a
dû procéder au désarmement prescrit par le traité de Ver-
sailles. Mais au cours de ces années, nous avons également
pu poser les fondations de l’armée nouvelle 3. D C’est pour
ne pas avoir distingué ces deux activités que l’on s’est fait
une image déformée de la reconstruction militaire du Reich.
En revanche, dès qu’on analyse séparément les deux courbes,
tout s’éclaire et devient aisément compréhensible.

1. Le D* Gessler resta ministre de la Reichswehr juaqu’au 20 janvier 1928,


date h laquclle IC général Grener lui succéda. I1 serait resté en fonctions plus
longtemps encore, s’il n’avait été compromis dans l’affaire Phœhus, société de
cinématograpliic subventionnée par la Reichswehr pour faire de la propagande
filmée en fnvcur de l’armée. La gestion financiire de la société avait été désastreuse,
et coûta plusieurs millions h l’ctat allemand. Le scandale qui cn résulta obligea
le Dr Gessler donner sa démission.
2. Par un paradoxe singulier, IC iravail de la C. M. I. C. facilitait cette tâche
dans une certaine mesure, en olligcaiit l’Allemagne B se séparer d’iinc quantité
de matériel désuet et de ferraille inutile. Ces destructions, auxquelles le Reich
nc se serait g u k e résolu de lui-mime, faisaient place nette et allaient permettre
une rénovation d’autant plus complète do toutes Ics catégories ù‘armcments.
3. Cf. K r c u z x i t w i g , 21 janvier 1925.
312 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

Dès sa nomination à la tête de la Commission prépara-


toire de l’armée de paix (5 juillet 1919))le général von Seeckt
s’était posé les deux questions suivantes :
10 Comment organiser la Reichswehr de métier, en sorte
qu’elle puisse donner rapidement naissance à une armée natio-
nale?
20 Comment permettre au Reich d‘arriver au moment où cette
transformation sera possible, sans que les limitations imposées
par les Alliés ~tsrompent la continuité des traditions militaires
allemandes?
Ces deux principes l’avaient amené à concevoir la Reichs-
wehr de métier non comme une petite armée - ce qu’elle
était en fait, - mais comme une grande armée en miniature,
une réduction de l’ancienne armée impériale, contenant à
l’état de vestige tous les organes de l’armée dissoute et, à
l’état d’embryon, tous les organes de l’armée future l.
Les compagnies représentaient les anciens régiments, dont
elles incarnaient et perpétuaient les traditions. Les régiments
tenaient la place des anciennes divisions, mais ils correspon-
daient aussi, quant à leur répartition territoriale, aux anciens
corps d’armée. Enfin les Wehrkreise étaient les cellules des
futures armées, et pouvaient se comparer aux Inspections
d’armées qui formaient le couronnement de l’édifice militaire
au temps de Guillaume II.
Le putsch de Kapp, et les interventions armées de la Reichs-
wehr -notamment pendant l’hiver de 1923-1924,- avaient
ralenti ce travail méticuleux d’organisation.
A partir de 1924, la Reichswehr a profité du répit que
lui a accordé la stabilisation de la situation politique pour
se consacrer à une autre mission, plus délicate et plus
importante : préparer le passage de l’armée de 100.000 hom-
mes à l’armée nationale. Nous arrivons ainsi au réarmement
proprement dit.
Les principes suivis dans ce domaine ont également été
dé.finis par le général von Seeckt, et l’on y retrouve sa préoc-

1. Voir plus haut, p. 132 a 138.


L A REICRSWEHR DE I U ~ T I E R 373
cupation constante de faire passer la qualité avant la quan-
tité :
Les armées de l’avenir, écrit-il dans ses Pendees d‘un soldat,
n’auront pas intérêt à accumuler des stocks d’un matériel qui
se démode rapidement. I1 suffira de construire quelques pro-
totypes, et d‘en préparer la fabrication en série, en organi-
sant soigneusement dans les usines le passage du régime de
paix au régime de guerre. Cette œuvre doit s’accomplir grâce
à une collaboration étroite entre soldats et ingénieurs. Elle
nécessitera évidemment des subventions de l’État pour l’en-
tretien des machines et l’achat des matières premières. Mais
tout compte fait, ce système sera moins onéreux que la fabri-
cation et le stockage de grandes quantités de matériel, rapi-
dement déprécié 2.

Mais comment réaliser ce programme dans des usines sou-


mises aux visites des contrôleurs alliés et dont la plupart
ont été transformées, de façon à ne pouvoir être utilisées pour
les fabrications de guerre? Pour tourner cette difficulté,
l’État-Major de la Reichswehr a recours à un système ingé-
nieux.
La construction des prototypes préconisée par von Seeckt
s’effectuera à l’étranger, dans des usines établies en dehors
du pouvoir d’investigation de la Commission de contrôle.
La Suisse, la Hollande, le Danemark, la Suède, YU. R. S. S.,
la Turquie, l’Espagne, fourniront ainsi à l’Allemagne une
série de zones d’expérimentation, où ses ingénieurs pour-
ront mettre au point des modèles perfectionnés en atten-
dant le jour où le Reich pourra les construire sur son propre
territoire. L’Allemagne ne conservera à l’intérieur de ses
frontières que des bureaux d’études et des centres d’expé-
rimentation,. qui fourniront aux ingénieurs les directives pour
la construction des diverses catégories d’engins. La liaison
entre les bureaux d’études et les usines étrangères sera assurée
par des sociétés anonymes -telles la Gefu, la Wiko, d’autres
1. Le général von Çeeckt ne cachait pas sa préférence pour les petites armées
de métier, comme celles de Turenne et de Frédhic II, par rapport aux c masses
armées 1 des guerres contemporaines. Dans un passage de son livre sui la Reiche-
wehr, oii il oppose longuement la qualité au mmbre, il conclut que II dans la lutte
toiijours pendante entre le matériel et l’homme, il ne faut pas chercher la décision
dans un accroissement quantitatif du matériel, mais dans une élévation de In
valeur du combattant, obtenue grace U un perfectionnement constant des armes 8 .
(Die Reichswehr, p. 35 et s.).
2. GBnBral von SEECKT, Cedaden e i m S o w n , p. 98-100.
374 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

encore - elles-mêmes en contact avec certains services du


ministère de la Reichswehr, notamment le Truppenamt, ou
service stratégique, le Waffenumt, ou service des armements,
et surtout la très importante Heeresausbildungs-A bteilung,
ou section de perfectionnement de l’armée, dirigée jusqu’à
la fin de 1926 par le colonel von Blomberg et placée direc-
tement sous les ordres du Commandant en chef.
*
* *
Une des préoccupations majeures de l’État-Major alle-
mand est de ne pas se laisser distancer dans le domaine de
l’aviation. Dans cette branche, le centre d’études est la
Société scientifique pour l’aviation (Wissenschaftliche Gesell-
&aft für Luftfahrt), établie à Berlin et présidée par le prince
Henri de Prusse$. C’est de là que partent les directives
pour la mise au point des prototypes, de qui permet de
répartir le travail entre les différentes sociétés constructrices.
Celles-ci possèdent, outre leur siège social en Allemagne,
un certain nombre de filiales étrangères plus ou moins déve-
loppées. Une des premières à expatrier une partie de ses
ateliers a été la maison Junkers qui a signé, dès 1922,des
accords avec YU. R. S. S. Peu après, elle a établi une usine
h Malmo (Suède), qui a pris un essor rapide sous le nom
de Svensk Flygindustrie. Celle-ci occupe 450 ouvriers en 1929
et construit, outre les avions commerciaux qu’elle livre au
gouvernement scandinave, des avions militaires de diverses
catégories S.
La maison Rohrbach s’établit à Copenhague (Danemark)
où elle met au point le montage sur avions de mitrailleuses
sur tourelles, de canons légers, de lance-bombes, etc. En
liaison avec la maison Junkers, Rohrbach monte une fabrique
d’avions à Eskishehir (Turquie), qui fournit des appareils
1. Au cours d‘une conférence donnée dans un groupement nommé a La Société
de 1914 3, le Dr Gessler déclara, au printemps de 1925, que a rien, dans le traité
de Versailles, n’interdisait à l’État-Major, s’il était dissous, de se reconstituer sous
forme de société anonyme n.
2. Dans le Comité de direction, on relève les noms du prince Louis de Hesse,
du capitaine Baumker et du major von Tschudi, tous deux spécialisés dans la
guerre aérienne.
3. En particulier, l’avion postal A 20, le type F 13 transformé en K 39, tri-
place de reconnaissance, les avions de bombardement R 42, R 45, R 30, dérivés
de l’excellent biplace de chasse K 57, etc. (Cf. Lieutenant-colonel REBOUL, Non,
I‘Allemagne n‘a pas disarmdl p. 178-179.)
LA REICHSWEHR D E MÉTIER 375
a u gouvernement turc. A cette usine est adjointe une école
de pilotage, dirigée par 20 ofliciers de la Reichswehr, soit
en congé temporaire, soit en disponibilité l .
La maison Fokker est établie en Hollande et en U. R. S. S.,
dans les centres de Moscou, Leningrad, Smolensk et Kiev.
Son usine principale, construite à Mchetsk en 1925, arrive
à produire chaque mois 13 appareils de chasse type Fokker
D 13 à moteur (( Nepir 1) de 450 CV, et 4 avions de bombar-
dement type grand raid, armés de trois mitrailleuses, d’un
lance-torpilles et de deux tubes pour bombes à gaz.
La maison Heinckel, établie à Stockholm sous le nom de
Svenska-Aero, fabrique également des avions de chasse et
de bombardement.
La maison Dornier, spécialisée dans les hydravions, a son
installation principale sur la rive allemande du lac de
Constance. Mais elle possède, sur la rive opposée, c’est-
à-dire à Altenrhein, en Suisse, une succursale à l’abri des
regards indiscrets 2. Elle a également installé une usine
en Hollande (où l’on fabrique le Dornier-Wall, appareil
adopté par la marine néerlandaise) et une puissante orga-
nisation à Cronstadt (U. R. S. S.) qui alimente en hydravions
la base navale de la Baltique, sur laquelle les Soviets fondent
de grandes espérances 3,
(( Jusqu’en 1926, écrit le lieutenant-colonel Reboul, l’avia-

tion militaire allemande se livre à des études. Elle ne com-


mence à sortir de nouveaux modèles qu’en 1927 4. N Puis à
partir de 1928, l’essor de ses fabrications semble prendre
fin. Elle perfectionne des détails, mais ne crée plus de types
nouveaux. C’est seulement en 1930 que s’achève la mise
au point des géants Junkers G. 38 et Dornier ù. O. X. à
quatre e t & six moteurs. On cite alors des chiffres de produc-
tion énormes, on parle, à la tribune du Palais-Bourbon,de
3.000 avions fabriqués en un mois. Affirmations fantaisistes,
faites pour frapper les imaginations 5. Malgré le travail sou-

1. Cf. Frédéric ECCARD,Cornment l’A&?niagne prolége ses secrefs, Paris, 1927,


p. 5 . (Tirage A part de la Revue hebdomadaire.)
P . Lieutenant-coloncl R E D O ~ o~pL. ,c d . , p. 180.
3. Maurice LAPORTE, Sous le c n s p e d’acier, p. 296.
4 . Lieutenant-colonel REDOWL, op. cit., p. 180.
5 . A ceite date, aucun pays ne pouvait fabriquer des avions en pareille quan-
tité. Le l e r mars 1935, clans un discours L la Chambre des Communes, M. Hald-
win estimait les forces aériennes allemandes A 50 % des forces que possédait l’An-
gleterre c i cette époque, soit environ 500 i600 avions. hI. Lloyd George remercia
376 HISTOIRE D E L ’ A R M É E A L L E N A N D E

tenu fourni par les ingénieurs et les pilotes allemands, la


réalité est plus modeste. Toujours d’après Reboul, le nombre
d’avions sortis e n 1930 serait de 100 pour Junkers, 68 pour
Focke-Wulf, 36 pour Heinckel, 68 pour IClein1, et ceux
des firmes qu’il ne cite pas doivent se rapprocher de cette
moyenne. I1 ne faut pas oublier, qu’outre la mise au point
des prototypes en question, ces usines sont tenues de fournir
des avions commerciaux et militaires aux gouvernements qui
leur offrent l’hospitalité

Lorsque nous passons de l’aviation à l’industrie chimique,


nous assistons à une évolution à peu près similaire. Ici, le
rale d’office central des recherches est assigné au Kaiser
Wilhelm Institut de Berlin, à l’Institut chimico-technique de
Breslau, et à certains laboratoires de l’industrie privée (Sche-
ring-Kahlbaum, Hugo Stolzenberg, I. G. Farben, Badische-
Anilin) S.
De préférence c’est en Russie que les sociétés de produits
chimiques installent leurs filiales. Dès 1924, on fabrique à
Trost sur la Volga du phosgène et du (( Lost )) (gaz croix
jaune et croix bleue). Cette usine est dirigée par des ingénieurs
appartenant à la firme Hugo Stolzenberg, d’Hambourg.
En décembre 1928, à la suite d’une visite faite à Berlin
le Premier britannique a d’avoir détruit la légende absurde selon laquelle des
milliers d‘avions allemands étaient prets ti fondra sur l’Angleterre et A détruire
Londres en une nuit u. E n 1936, le nombre total des avions militaires allemands
se situait entre 1.500 et 1.800 appareils. (1.500 d’aprbs l’Annuaire de la S.D. N .
et The Army, A’aq and A i r force gazella; 1.700 d’après l’Europe en armes, numéro
spécial du Qocriment du ler novembre 1935; 1.800 d’après M. Georges Bonnet dans
paris-soir, numéro du 3 décembre 1936.)
1. Lieutenant-colonel REBOWL, o p . cil., p. 182.
3. C’est ainsi que l a maison Fokker a livré à l’armée soviétique 824 appareils
de chasse et de bombardement entre la date de son installation en Russie et 1949.
La maison Dornier, de son côté, a entièrement équipé la base maritime de la Bal-
tique, en lui fournissant 80 biplaces bimoteurs ultra-rapides armés de lance-
torpilles, de lance-bombes, et de réservoirs A gaz. D’autre part, le réseau de l’avia-
tion commerciale russe, insignifiant avant l’arrivée des Allemands, passe de
6.000 kilomèlres en 1925 h 29.000 kilomètres en 1930. On assiste au meme déve-
loppement dansle domaine des esplosifs et des gaz. L’etat-Major de la Reichswehr
et celui de l’Armée rouge travaillaient en commun, par le truchement des sociétés
interposées et sur lcs bases des traités commerciaw signés A Berlin e t & Rapallo,
Bans qu’il fût nécessaire de leur adjoindre des clauses militaires.
3. Général DEBENEY, Le Rdarmemenf alkmand, p. 26. On sait que l’industrie
chimique allemande, une des plus puissantes du monde, employait ii cette (poque
environ 370.000 ouvriers.
LA R E I C H S W E H R D E MOTIER 377
par le chimiste russe Tcherzeff, une mission de techniciens
allemands composée de 10 chimistes diplômés de la Badische-
Anilin se rend à Moscou et organise les services de l’Union
des Industries chimiques d’U. R. S . S. I1 faut croire que
cette collaboration donne des résultats satisfaisants, puisque
d’autres firmes (en particulier Buyer à Leverkusen) ne
tardent pas à suivre cet exemple. De nouvelles usines se
montent en territoire soviétique. C’est d’abord à Kalinine,
le Laboratoire municipal, construit et équipé en 1928 sur
le modèle de l’Institut chimico-technique de Breslau, et
où travaillent 35 ingénieurs allemands avec du matériel
exclusivement germanique. Puis à Mchetsk, à côté de l’usine
Fokker, un Laboratoire d’applications techniques et un Centre
chimique, où l’on étudie les gaz explosifs et incendiaires. Ici
encore, la collaboration profite largement à YU. R. S. S.,
car l’industrie chimique russe, négligeable en 1923, se déve-
loppe avec une rapidité prodigieuse et atteint en 1930, 7 %
de la production européenne (soit un peu plus que le pour-
centage de la France) l.
C’est à la Russie que l’Allemagne a demandé de lui fournir
un champ d’expérience pour ses explosifs et pour ses gaz.
C’est à la Scandinavie qu’elle s’adresse, pour l’étude de ses
canons et de ses chars d’assaut.
Dès 1919, au lendemain du traité de Versailles, la maison
K r u p p a vendu aux aciéries Bofors, en Suède, des licences, des
brevets et toute sa clientèle sud-américaine, moyennant une
participation dans cette société. Quelles sont, au juste, la
nature et l’ampleur de cette participation? On reste long-
temps sans le savoir. Mais une enquête, faite à la demande
du parlement suédois, a permis d’établir que depuis 1927,
la maison K r u p p détient à elle seule un tiers du capital
social de la Bofors et de sa filiale, la Nobelkrut, spécialisée
dans les poudres et les explosifs z.
Sans doute, les usines Bofors, qui occupent à cette époque
2.000 ouvriers, ne peuvent-elles fournir de grandes quantités
d’armes au Reich. Tel n’est d’ailleurs pas le but qui leur est
assigné. Ici encore, il s’agit d’un laboratoire où une tren-
taine de techniciens allemands procèdent à la mise au point
1. La production chimique européenne se décompose comme suit : Allemagnq
17 %; Grande-Bretagne, 10 yo;France, 6.9 %; Italie, 3,4 yo.
2. Exactement 63.000 titres sur 198.000. (Cf. Charles SICARD, Comment l’Alle-
magna a prdpard à l’étranger aon réarmement, Pnriu-Midi, numéro du 8 mai 1935.)
378 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

de modèles qu’il sera possible de reproduire ensuite en série,


à Essen et ailleurs l.
Même système, en ce qui concerne les autos blindées et
les chars d’assaut. Ceux-ci sont établis dans les usines Land-
verk (également en Suède), dont les deux tiers du capital
appartiennent à l’industrie métallurgique allemande 2.
Signalons enfin que des modèles de sous-marins sont pré-
parés à Vigo (Espagne), dans les chantiers Etcheverieta, e t
en U. R. S. S., à Cronstadt et à Sébastopol. Les sous-marins
de Cronstadt sont montés sur les indications d’ingénieurs
des chantiers de Kiel. Toute la partie mécanique de précision
est usinée directement à Kiel, ainsi que les coques de ballast
et de protection, fabriquées en acier spécial 3.
Tout incomplet qu’il soit, ce tableau suffit à nous donner
une idée générale des méthodes employées et de la besogne
accomplie.
t
* . a

La période d’études et de mise au point des prototypes


s’étend approximativement de 1924 à 1929. A partir de cette
date, l’ère des expériences est close; les travaux prépara-
toires sont achevés. La deuxième phase du réarmement
commence : mettre l’industrie allemande à même de cons-
truire en série les modèles établis à l’étranger.
Pour cela un grand travail de réorganisation et de recons-
truction s’impose. I1 faut remettre en état tous les ateliers
fermés ou transformés par la C. M. I. C., en ouvrir de nou-
veaux, les doter d’un outillage plus moderne que celui que
les Alliés ont détruit et créer un personnel spécialisé dans
les fabrications militaires. C’est à ce travail que fait allusion
von Seeckt lorsqu’il écrit qu’il faudra (( préparer soigneuse-
ment dans les usines le passage du régime de paix au régime
de guerre ». E t il ajoute : u Cette œuvre nécessitera des
subventions de l’État pour l’entretien des machines e t
l’achat des matières premières. 1)
1. Pièces d’accompagnement de 35, 37 e t 40 millimétres, pièces antichars de
48 millimètres, de 76 et de 77 millimètres, pièces de défense contre avions de 75,
80 et 95 millimètres; modèles perfectionnés d’artillerie lourde de campagne; plaques
de blindage pour le revêtement des chars.
2. Le général DEBENEY (Le Réarniernerif allernand, p. 25) signale également la
mise au point de chars légers et moyens en Angleterre et aux États-Unis.
3. Cf.Maurice LAPORTE, Soils le c a q u e d’acier, p. 307.
LA REICHSWEHR D E M É T I E R 379
Cependant, ce n’est pas l’État allemand qui financera ce
programme. (Comment le pourrait-il sans s’exposer aux
sanctions des Alliés, et à l’opposition de toute une partie
du Reichstag?) Ce sera le ministère de la Reichswehr lui-
même, en prélevant les sommes nécessaires sur son propre
budget, en dehors de tout contrôle du Parlement.
E n 1924, i’bllemagne consacre 459 millions de marks à
son armée. E n 1925, ce chiffre passe à 588 millions, puis
à 642 millions en 1926. La courbe monte encore au cours
des années suivantes : 706 millions en 1927, 728 millions
en 1928; enfin c’est 788 millions que le général Grœner
demande pour 1930 l.
Ces chiffres, en eux-mêmes, sont déjà significatifs 2. Mais
il y a plus encore. (( E n France, écrit M. Eccard, sénateur
du Bas-Rhin, tout crédit est ouvert pour une année e t
pour un but déterminé, et les sommes qui ne sont pas
employées a u cours de l’année budgétaire ne peuvent être
reportées sur l’année suivante. E n Allemagne, la même
règle est appliquée en principe. Mais certains crédits qui
sont déclarés übertrugbar, c’est-à-dire susceptibles d’être
reportés, peuvent être utilisés tout autrement, lorsque l’ob-
jet qui leur a été assigné primitivement a été rempli et qu’il
y a des excédents. Le gouvernement peut employer ces
excédents comme bon lui semble, au cours de l’année cou-
rante ou des années qui suivent. I1 suffit que le ministre
multiplie ce genre de crédits et les majore, pour disposer,
sans contrôle aucun, de sommes considérables 3. n
C’est dans cette masse de manaeuvre, accumulée d’année
en année, que la Reichswehr puise les subventions qu’elle
accorde à l’industrie privée : 8 millions par an à l’aviation
sportive; 35 millions à la Gefu*; 45 millions en 1926 et
plus de 60 millions en 1927, aux sociétés de construction
d’avions 5; 15 millions pour le premier trimestre de 1930
au Kaiser Wilhelm Institut; 50 millions, pour la même

1. Cf. Victor de hZnncÉ, L’Allemagne désarmée, Rerue plitique et parlemeniaire,


numéro du 10 juillet 1929. Dans cette étude, l’auteur se livre i une analyse appro-
fondie des budgets rnilitaircs allemands de 1924 ?I 1929.
2. On calcule ainsi que l’Allemagne dépensait, en 1930, 2.800 marks par soldat,
contre 1.200, en 1913. (Cf. Paul TIRARD, L a France sur le Rhin, p. 170-171.)
3. Frédéric ECCARD, Comment l’Allemagne protège ses secrets, p . 5 . C’est ainsi
que sur les 706 millions du budget de 1927, 230 millions sont reportab:es u .
((

4 . Frankfurter Zeitung, numéro du 2 4 février 1927.


5. Frédéric ECCARD, op. cif., p. 5.
380 HISTOIRE DE L’ARMkE ALLEMANDE

période, à la Notgemeinschaft Deutscher Werke l , sans men-


tionner les subsides accordés à Rheinmetall, Vulkan-Werke,
Mannesmann, Traktoren-Industrie, Schickau-Werft, Stick-
stoffsyndikat, Kalisyndikat, etc., pour la remise en état de
leurs installations.
Si la Conférence du désarmement, qui doit s’ouvrir à
Genève en 1932, aboutit à un échec - comme le font pré-
sumer les discussions de la Commission préparatoire - le
réarmement allemand pourra entrer aussitôt dans sa phase
effective : les prototypes sont étudiés, les ateliers reconsti-
tués. I1 n’y aura plus qu’à importer les matières premières,
et à faire tourner les machines à plein rendement.

1. Maurice IAPORTE,
Sous le rnaqiie d’ncier, p. 210-211.
xxv

LA POLITIQUE DE LA REICHSWEHR

II. - Vers la conquête du pouvoir.


Vous ne ferez jamais de cette armée
l’armée du Parlement! Je cherche l’honneur
de la Prusse dans le fait qu’elle se garde
de toute alliance honteuse avec la ùémo-
cratie.
BISMARCK,
Discours a u Landiag de Prusse,
novembre 1830.

(( Pour être en état de faire la guerre, disait Clemenceau,

il ne sufit pas d’avoir du matériel. Encore faut-il s’assurer


un certain nombre d’autres conditions. n De même? pour
passer de l’armée de cent mille hommes à l’armée nationale,
il ne sufit pas de fabriquer des prototypes et de réorganiser
les usines. I1 faut que la Reichswehr élargisse sa sphère
d’influence, et- s’identifie toujours plus étroitement à la
nation et à 1’Etat. Réarmement technique et conquête du
pouvoir se trouvent être, de ce fait, les deux aspects complé-
inentaires du même programme.
Pour la Reichswehr provisoire, ce problème ne se posait
pas. Les volontaires des corps francs luttaient pour sauver
le paxs d’un danger immédiat, pour endiguer le chaos et
rétablir (( l’ordre et la sécurité ». En se groupant spontané-
inent autour de leurs chefs, ils obéissaient à l’instinct de
conservation, la volonté de ne pas périr, en face de la
carence des autorités civiles. Leur intervention était (( la
lutte d’un peuple sans É t a t I), pour reprendre l’excellente
formule du général von Hülsen
Deutalte Heeresgeschiclile, p. 362.
I.Karl LINNEOACE,
382 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

Le problème des rapports de l’armée et de 1’Êtat ne se


pose qu’après le putsch de Kapp, au moment de l’organisa-
tion de la Reichswehr de métier, et le premier à l’aborder
est le général von Seeckt. (( L’armée, écrit-il dans ses Pen-
sées d’un soldat, incarne la volonté et la puissance de l’Êtat
en face de l’ensemble des forces qui lui sont hostiles. De ce
fait, sa tâche consiste à assurer l’ordre et la sécurité de
l’édifice social. Comme l’État, l’armée n’est pas une fin en
soi : l’un et l’autre sont les formes à travers lesquelles un
peuple manifeste sa volonté de vivre et de durer ))
Voici comment le chef de la Heeresleitung traduit ces
principes sur le plan des réalités quotidiennes : N L’armée,
déclare-t-il dans son Ordre du jour du l e r janvier 1921, est
le premier instrument de la puissance du Reich. Chacun de
ses membres doit se pénétrer de l’idée qu’il est, en service
et hors de service, le représentant et l’agent exécutif de cette
puissance. Sa conduite et son attitude dans toutes les cir-
constances de la vie, doivent prouver qu’il est pleinement
conscient de la fonction qu’il exerce, ainsi que des responsa-
bilités qui en découlent =.))
N Une conception aussi haute du service, de la discipline
et de l’abnégation,- écrit le colonel Marks, exigeait, comme
contrepartie, un Etat qui en fût digne. Or, la République
weimarienne ne l’était pas S. Les dirigeants de la Reichs-
wehr invoquent de multiples raisons pour justifier leur hosti-,
lité fondamentale à l’égard du régime, mais il en est une qui
mérite d’être plus particulièrement retenue : c’est que ce
régime est incapable d’assurer la grandeur e t la sécurité
de l’État, de maintenir le Reich en forme, en prenant ce mot
dans le sens que lui donne Spengler4.
Obligé de tenir la halance égale entre tous les partis du
Reichstag et sensible aux moindres fluctuations de l’opinion
publique, le gouvernement ne saurait trouver de stabilité
en lui-même. Chaque fois qu’une crise survient, 1’Etat est
1. General von SEECKT,Cedanken eirieo Soldolori, p. 114.
2. Ordre du jour no 1 2 4 0 / 2 0 du chel de la Weeiesleitioig, sur les bascs de I’édu-
cation de l’armée.
3. Colonel hlhnris, Dos Reiclisliecr c’or)1919-1935, dans Karl LINNEBACEI, Deutsc’ e
Iieeresg’esckickte, p. 393.
4. u Tout mouvement a une forme, tout ce qui se mcut esf en forme, pour
reprendre une expression sportive dont la signification est profonde. Cette expres-
sion s’applique aussi bicn a un cheval de course et h un lutteur, qu’h une armée ou
h un peuple ... Un État est un peuple ert forriie. II ( L e Diclin de I’Occidenf, édition
a’lemande, vol. II, p. 4 4 6 4 4 7 . )
LA REICHSWEHR D E MÉTIER 383
condamné à se désagréger - ou à faire appel à l’ar-
mée. Ce fut le cas en 1919 et en 1923; ce sera encore le
cas en 1932. Mais chaque fois qu’il agit ainsi, le Parlement
démontre son impuissance et accroît d’autant le prestige de
la Reichswehr. I1 prouve que le pays serait périodiquement
plongé dans l’anarchie si l’armée n’intervenait pas pour l’en
sauver à temps. (( Un tel état de choses, déclare M. Gessler
dans la conclusion de son Mémoire sur l‘état d’exception, ne
saurait être permanent. L’armée n’est pas faite pour rétablir
l’ordre, à échéances plus ou moins rapprochées, mais pour
défendre les frontières. I1 faut la décharger de ces besognes
de politique intérieure, comme le maintien de l’autorité
centrale à l’égard des Pays. Pour cela, ses interventions
doivent être suivies de réformes administratives. La Cons-
titution doit être modifiée, pour exclure à l’avenir tout
conflit entre le Reich et les Pays confédérés. ))
Mais ces modifications, la République de Weimar s’avère
impuissante à les accomplir. Centraliser les corps de police?
Le Traité le lui défend. Restreindre les prérogatives des
Landtage? Les Socialistes ne le permettront jamais. Force
est donc à l’armée de réparer périodiquement les erreurs
du Parlement - tout en continuant à subir ses attaques.
L’Allemagne oscille, de ce fait, entre deux principes contra-
dictoires. Ce que l’armée a rétabli par son autorité, le Par-
lement le défait aussitôt par son impuissance. Faut-il s’éton-
ner, dans ces conditions, si l’armée refuse de considérer
ce régime comme un état permanent, mais seulement comme
un pis-aller qu’il faudra remplacer tôt ou tard par un régime
plus autoritaire, et si elle cherche instinctivement à se substi-
tuer à lui?
Un grand pas dans ce sens est accompli le jour où le
Maréchal Hindenburg est élu président. Jadis, cherchant un
point fixe auquel se raccrocher, la Reichswehr avait entrevu
une solution dans la fusion du Reich et de la Prusse. A
présent, cette idée est abandonnée au bénéficc d’une concep-
tion nouvelle : l’union personnelle de l’armée et du Maréchal.
La théorie de l’identité de l’armée et de l’État, ébauchée
par von Seeckt et reprise par ses successeurs, reçoit, de ce
fait, une confirmation nouvelle 1. Un second axe de gouvernc-
1. K Le Président est élu par IC pcuplc, h i t le major Marks, et rcprésente, par
coiiséquent, la volonté du peuple. Son suprCrnc moyen ù‘aciiori w r ü la procla-
mation de l’état d’exccption, car l’ormbc est la seule organisatioii d’Empire qui
384 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE
ment s’échafaude peu à peu en marge du Parlement. E n 1919,
le commandant en chef de la Reichswehr dépendait de
trois civils : un ministre (Noske), un chancelier (Scheide-
mann) et un président du Reich (Ebert). E n 1925, le prési-
dent du Reich devient un militaire (Hindenburg). E n 1928,
c’est le tour du ministre de la Reichswehr (Grœner). Enfin,
lorsqu’en 1932 le général von Schleicher, cumulant les fonc-
tions de Chancelier et de ministre de la Reichswehr, gouver-
nera à coups de décrets-lois avec l’approbation du Maréchal,
la hiérarchie militaire sera rétablie du haut en bas du pouvoir
et le Parlement sera virtuellement éliminé du circuit.
Un certain nombre de textes reflètent, d’une façon très
claire! cette identification progressive de la Reichswehr et
de 1’Etat. En juillet 1920, le général Mærcker disait à ses
collègues : a Le soldat n’a pas à inventer des formes poli-
tiques nouvelles pour les imposer au pays. Son rôle consiste
à défendre - quelle qu’elle soit - la forme de gouverne-
ment existante, c’est-à-dire le régime établi par la volonté
populaire n. Huit ans plus tard, les officiers déclarent :
(( Puisque le régime démocratique a fourni la preuve de

son incapacité, ce sera à l’armée de proposer une nouvelle


forme de gouvernement au pays, si celui-ci ne parvient pas
à trouver l’équilibre de lui-même. 1) Dans un article publié le
21 juillet 1929 dans le Journal de Magdebourg, le général
von Hammerstein écrit : (( A l’époque de l’effondrement e t
de la révol$ion, l’officier allemand a appris, en ce qui
concerne l’Etat, à discriminer son régime provisoire -e son
idfntité permanente, et à servir cette dernière, même lorsque
1’Etat se trouve privé de chef. I1 voit aujourd’hui son idée
symbolisée par le Président du Reich et dressée bien au-des-
sus de ministères éphémères et des pouvoirs incohérents des
diverses instances gouvernementales. 1)
La même évolution s’observe dans les ordonnances rela-
tives aux (( Devoirs du soldat allemand ». Le paragraphe 9
de l‘ordonnance du 2 mars 1922 se bornait à dire, d’une
façon négative : (( Le soldat ne doit avoir aucune activité
politique. )) Dans l’ordonnance du 9 mai 1930, ce paragraphe
rayonne sur tout le territoire et qui soit susceptible d’imposer partout la volonté
du Reich. Cela sufit i souligner l’importance de la Reichswehr pour le gouver-
nement d’Empire, et sa liaison avec le Président, qui détient seul le droit de prendre
ces mesures d’urgence e t de provoquer l’intervention de l’armée. n (1Yissen und
Wehr, numéro de janvier 1931, p 6 et 7).
1. Général n I x R c K E n , 1’0m Iiaiseiheer iur Reichswehr, p. 323.
LA R E I C ~ I S W E E RDE METIER 385
est remplacé par le texte suivant : « L a Reichswehr sert
l’État, mais non les Partis (5 2). )) (( E n somme, conclut
Heinz Brauweiler dans son étude sur Les Généraux dans la
République allemande, la position de la Reichswehr est
désormais inséparable de la puissance du Président 1. 1)
t
+ *
Mais cette théorie de 1’Etat risque de n’être qu’un schéma
abstrait si la masse du peuple allemand ne lui apporte pas
son adhésion. Cette construction hardie, qui fait du Prési-
dent le garant de l’unité de l’Armée, et de l’Armée le garant
de l’unité du Reich, .que deviendra-t-elle le jour où disparaî-
tra le Maréchal? Si l’on assiste alors à une restauration
monarchique, l’Empire sera sauvé. Mais si le peuple vient à
élire un démocrate ou un socialiste, tout l’édifice s’écroulera
et la Constitution ne met nullement l’Allemagne à l’abri
d’une telle éventualité ...
De plus, l’instauration d’une armée nationale présuppose
le rétablissement du service obligatoire. Si à ce moment-là
les discordes politiques continuent à déchirer le pays, celles-ci
vont envahir l’armée e t briser son unité morale. Tout le
travail de redressement et d’épuration accompli depuis dix
ans aura été vain. Les querelles politiques reprendront
dans les casernes et l’autorité des officiers sera de nouveau
compromise : on en reviendra aux moments les plus critiques
de la première révolution.
E n somme, que s’était-il passé en novembre 19183 Sous
la pression des événements, la majorité du peuple, c’est-à-dire
la troupe, s’était séparée du corps des officiers, et le corps
des officiers était resté isolé. Dans l’état actuel de division
du peuple allemand, le même phénomène risque de se
reproduire. Comment une nation morcelée en une multitude
de factions qui se haïssent et s’entre-déchirent pourrait-elle
donner naissance, du jour au lendemain, à une armée cohé-
rente, dotée d’une forte unité morale? ((Rétablirla conscrip-
tion, dira cette époque un des chefs les plus écoutés du minis-
tère de la Reichswehr, équivaudrait à faire sauter nous-mêmes
les digues que nous avons si péniblement élevées. D On voit
donc que s’il est important pour la Reichswehr de s’identifier

1. DrHeinz BRAUWEILER,
Generals in der deuîsciim Rspublik, p. 74.
11 25
386 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEXANDB

à l’État, il est encore plus important pour elle de serallier


la nation.
Or, ce ralliement de la nation, force est de reconnaître
qu’il ne s’opère pas. Malgré tous les efforts de von Seeckt
e t de ses successeurs, la Reichswehr ne parvient pas à se
rapprocher du peuple, à gagner sa sympathie, à désarmer sa
méfiance. Sa théorie de l’identification de l’armée et de
l’État peut séduire l’élite de la nation; elle ne pénètre pas
dans les couches profondes du peuple.
La vérité, c’est que la Reichswehr se trouve devant un
dilemme tragique : elle sait qu’elle ne peut gouverner sans
l’appui tacite des masses; mais, en même temps, ces masses
lui font peur. La révolution de 1918-1919 et l’issue désas-
treuse du putsch db Kapp ont laissé aux officiers une impres-
sion d’angoisse. Ils ne veulent à aucun prix voir renaître un
conflit sanglant comme celui qu’ils ont traversé. Aussi
redoublent-ils d’efforts pour sortir de leur isolement, mais
ces efforts restent stériles. C’est en vain que l’on crée au
ministère de la Reichswehr une fl section politique »,dont
on confie la direction au général von Schleicher. C’est en
vain que ce dernier cherchera à flatter les Socialistes, à
entrer en contact avec les syndicats, à mettre en avant
ses u convictions républicaines ». Loin de convaincre ses
adversaires, ses efforts auront pour seul effet d’accroître
leurs suspicions, e t de fournir des arguments à ceux qui
disent que u si les troupes ne font pas de politique, leurs
chefs, pour leur part, ne s’en privent pas ».
Pendant ce temps, la grande masse de la nation, sollicitée
par des courants nouveaux et des mots d’ordre plus dyna-
miques, cherche ailleurs que dans l’armée des solutions
capables de lui ouvrir des perspectives d’avenir. (( Sans la
collaboration du peuple, écrit le colonel Marks, l’armée ne
pouvait songer à prendre le pouvoir. Mais l’évolution de
l’opinion ne se commande pas. La tâche de la Reichswehr
consistait à préserver l’État d’un nouvel effondrement, à le
protéger contre un retour de la guerre civile. Elle devait
renoncer à se tourner vers la nation, pour laisser ce travail
à d’autres *. D
La Reichswehr provisoire était une armée sans État. La

1. Le Wehrpolitischer Ami.
2. Colonel MARKS, Das Reichsheer von 1919-1935, p. 394.
LA R E I C H S W E H R D E M É T I E R 387
Reichswehr de métier est une armée sans peuple. Restituer la
nation à l’armée et redonner à l’armée sa fonction dans
l’État, telle est la tâche qui s’impose à présent. Mais cette
tâche, ce n’est pas la Reichswehr qui l’accomplira. Isolée
et statique, elle peut être l’arbitre des événements, non la
force qui suscite des événements nouveaux. I1 faudra donc
qu’un autre groupe l’accomplisse à sa place, et ce groupe
sera le Parti national-socialiste. Pendant toute la durée de
l’offensive hitlérienne, l’armée restera dans ses garnisons,
vigilante et immobile, suprêmement attentive à ne pas
compromettre sa neutralité et ne descendant dans l’arène
que dans certains cas précis. I1 lui arrivera même de ne pas
toujours comprendre cette Allemagne bouillonnante et pas-
sionnée qui puisera ses énergies dans les mythes de la Ger-
manie primitive plutôt que dans le rationalisme éclairé de
Frédéric II. Mais elle la laissera faire, sans contrecarrer son
essor. Elle observera à distance sa montée haletante, et lais-
sera le National-socialisme courir sa chance, quitte à l’éli-
miner à son tour s’il se montre incapable, ou à se rallier
à lui, s’il parvient à s’imposer.
R É P A R T I T I O N TERRITORIALE D E S W E H R K R E I S E D A N S LA REICHSWEHR
D E METIER (1921-1935).
TABLE DES CARTES

I. - Avance des formations germano-baltes (février-


juin 1919) . . . . . . . . . . . . . . . 2f
II. - Refluxdes formations allemandes de la Bal-
tique (octobre-décembre1919) . . . . . . 47
III. - Les opérations de la Ruhr (mars-avril 1920). . 119
IV. - Opérations de Haute-Silésie (5 mai-20 juin 1921) 185
V. - Batailles de 1’Annaberg et du Klodnitz (21 mai-
6 juin 1921) .............. 189
VI. -
Répartition territoriale des Wehrkreise dans la
Reichswehr de métier (1921-1935) . .dépliant 389

II 25’
TABLE DES MATIERES
DU TOME DEUXSME
PREMUiIIÈRE PARTIE

L’ÈRE DES COUPS D’ÉTAT


(1919-1923)

I . - L’iquipke alleniande dans les Pays baltes.


I. Les antCcédrnts liistoriqiirs. 1,’offriisiva clr von der
Coltz.. . .... .... . ...... ... .. ... .... . ... . .. .... . . 11
La route de l’ambre (11). - Les croisades de l’est (12). - Les
Chevaliers teutoniques (12). - La colonisation allemande
(13). - Rivalité des Germains, des Scandinaves, des h l o -
nais et des Russes (14). - Création du duché de Prusse (14). -
La guerre de 1914 ( 1 5 ) . - L a VIIIe Armée allemandefaitson
entrée à Riga (15). - Le traité de Brest-Litowsk (15). - Les
Conseils de soldats font leur apparition (15). - Création du
Corps franc Bischoff (15). - M. Ulmanis lutte pour l’indépen-
dance de la Lettonie (16). - Arrivée à Mitau d’une mission
militaire alliée (16). - Ulmanis organise une armée lettonne
( 1 6 ) . - Réaction des Russes blancs du prince de L i k e n (16).
- L’Allemagne crée 1’Arrnee-Oberlrommando Nord (17). - Le
gén6ral von der Goltz est nomme commandant en cher des
forces allemandes de la Baltique (17). - Son plan d’action
(18).- Les volontaires amuent (19). -Von der Goltz prend
l’offensive ( 1 9 ) . - Les formations baltes font leur entrée à
Mitau (20). - Scènes de carnage (20). - Prise de Libau ( 2 0 ) .
- Les Allemands désarment les soldats lettons (22).- Pro-
testations d’Ulmanis et de la mission britannique (23). - Ber-
lin ordonne à von der Goltz de rester sur la défensive (23). -
Tableau du front ( 2 5 ) . - Les Réprouvés (25). - Nouvelle
cffensive des Allemands (26). - Prise de Riga (26). - Von
dei. Goltz ci atteint ses objectifs (27).- La terreur blanche
succède i la terreur rouge (27). - Conférence a Libau entre l a
mission alliée et Ulmanis (28). - Note des Alliés relative a la
création d’un gouvernement national letton ( 2 9 ) . - Signature
du Traité de Versailles (29). - Ulmonis débarque à Libau
(29). - Le gouvernement letton s’installe à Riga (30).
394 H I S T O I R E D E L ’ A R M ~ EA L L E M A N D E

II. - L’équipée allemande dans les Pays baltes.


II. La guerre contre I’Estlionic. L’offensive d e Rermondt-
Awaloff ........................................ 3f
Seconde campagne de von der Goltz (31). -
Repli de la Divi-
sion de Fer (32). - L’Armée rouge passe à l’attaque (32). -
Les Esthoniens accentuent leur pression (32). - Le colonel
Du Parquet oblige von der Goltz e t les Esthoniens à conclure
un armistice (33). - L’armistice de Strassenhof (34). - Appel
du président Ulmanis aux Alliés (34).- hlise sur pied des divi-
sioris de Latgale et de Zemgalie (35). - Arrivée de la Landes-
wehr balte à Tukkum (35).-Le gouvernement du Reich
-
fait parvenir des instructions à von der Goltz ( 3 5 ) . Blutine-
rie de la Division de Fer (36). -Rage et désespoir des volon-
taires allemands (36). - Nouvel amux de volontaires (37). -
État d’esprit de ce deuxiéme contingent (38). - Apparition
du prince Bermondt-Awaloîî (39). - Un aventurier roman-
tique (39). - Von der Goltz conclut un traité avec Bermondt
(40). - Plan de campagne de Bermondt (40). - Promesses
-
aux volontaires allemands (40). Constitution de l’Armée des
-
Volontaires de l’Ouest (41). Ultimatum de Bermondt à
Ulmanis (42). - Bermondt e t ses troupes marchent sur Riga
(42).- Bermondt arrive A la lisiére de Riga (43). - Prépa-
ratifs pour la lutte finale (44).

III. - L’équipée allemande dans les Pays baltes.


III. La défaite e t l e reflux .......................... 45
Bombardement de Riga (45). - Situation critique de l’ar-
mée lettone (45). - Bataille de la Düna (45).-Intervention
-
de l’escadre alliée (46). Le colonel Ballodis est nommé
commandant en cheï de l’armée lettone (48). - Intervention
-
du général Niessel (48). Le général Eberhardt est nommé
commandant en chef des forces allemandes. On lui adjoint,
comme chef d’État-Major, le commandant von Fritsch (49).-
Ultimatum d’Eberhardt au commandant Bischoff (49). -
Arrivée du corps franc Rossbach (49). - I1 défile à Mitau
(49). -Échec de la Division de Fer devant Thorensberg
(50). - Les Lettons reprennent l’offensive (50). -Victoire
des Lettons (50). - Les troupes de Bermondt-Awaloff sont
-
partout rejetées (50). Commencement de l’hiver (51). - La
progression lettone s’accentue (51). -
Désespoir des Réprou-
vés (51). - Bauske tombe aux mains des Lettons (52). - Ils
arrivent aux portes de Mitau (53). - Incendie de hiitau (53).
- La retraite commence (54). - Les mités allemandes sont
décimées (54). - Une trêve de quarante-huit heures est
conclue entre Allemands e t Lettons (54).- Les dernières
formations allemandes franchissent la frontière de la Lithua-
-
nie (55). Les corps francs reprennent soume (55). - Leur
col& grandit contre le gouvernement de Berlin (55). - Ber-
TABLE DES MATIÈRES 395
lin s’effraie d u retour des volontaires (36). - Note d u général
Niessel a u général E b e r h a r d t (56). - Les convois roulent
vers l a frontiére allemande (56). - Des unités d e la Reichs-
w e h r marchent L l a rencontre des corps francs de B a k i k u m
(56). - Indignation des volontaires allemands (57). - Les
corps francs épuisés se laissent dissoudre (58)

IV. - L’agitation réactionnaire et le procès d u Haut-Corn-


mandement ....................................... 59
Mécontentement au sein d e la Reichswehr provisoire (59). -
I:éduction des effectifs (60). - Désaffection d e l’État-Major
i~ l’égard de Noske (62). - Conflit e n t r e Noske e t l e général
vo:i L ü t t w i t z (62). - Mise L l a retraite d u général Grcener
(63). -- P o r t r a i t d u général v o n L ü t t w i t z (64). - Directives
de L ü t t w i t z (64). - Inquiétude d e Maercker e t des généraux
u modérés II (65). - L e général v o n Lüttwitz f a i t la tournée
des N‘ehrlrreise (67). - Fondation de l’Union nationale Y
(Gi!. - P a b s t , Ludendorff, Helfferich e t ICapp (67). -
I( Hecommandations u d e L ü t t w i t z a Noske (69). - Stupéfac-
tion d u Cabinet (70). - Noske rassure ses collègues (71). - L e
procès d u H a u t - C o m m a n d e m e n t (72). - L a Commission d’en-
quête (72). - Déposition d e Bethmann-Hollweg e t d e Helf-
ferich (72). - Arrivée d e Hindenburg à Berlin (73). - Com-
parution d e Hindenburg (74). - L a déposition d u Maréchal
(74). - L’assistance acclame Hindenburg (76). - Déposition
cokreuse d e Ludendorff (76). - Hindenburg q u i t t e Ber-
lin (77).

V. - Le Putsch Kapp-Liittwitz.
I. La c o n s p i r a t i o n ................................. 78
Arrivée a Berlin des volontaires d e la Baltique (79). - E n t r é e
en vigueur d u T r a i t é d e Versailles (79). - Note alliée relative
à 13 remise des criminels d e guerre (79). - Indignation géné-
rale (i9).- P l a n d u général v o n Seeckt (80). - Les S p a r t a -
kistes rccommencent a s’agiter (81). - Le conflit entre l e
gouvernement civil e t les autorités militaires e n t r e d a n s sa
phase aiguë (81). - L a brigade E h r h a r d t fête l e premier
anniversaire d e sa fondation (82). - Allocution d u général
v o n L ü t t w i t z ( 8 2 ) .- P r o j e t d e RIAI. Heintze e t Hergt (83). -
L ü t t w i t z s’abouche avec ICapp (83). - Réponse d u président
E b e r t a u x exigences d e hl. Hergt (81). - Lüttwitz rompt
avec les parlementaires (84). - Noske enlève la brigade
E i i r h s r d t a L ü t t w i t z (85). - E n t r e v u e orageuse e n t r e L ü t t -
witz e t Koske (86). - Noske donne l’ordre d’arrêter K a p p ,
P a b s t , Bauer e t Schnitzler (87). - Télégramme confidentiel
d u général v o n Oldershausen (87). - Conditions défavorables
d a n s lesquclles s’engage le coup de force (87). - L ü t t w i t z e s t
débordé par ses troupes (88).- 11 se place sous l a protection
396 HISTOIRE D E L’ARMÉE A L L E M A N D E

-
de la brigade Ehrhardt (S9). Visite de l’amiral von Trotha
a u camp de DUberitz (90). - La brigade Ehrhardt se met
en marche sur Berlin (90). - Dialogue nocturne entre Ehr-
-
bar& e t le général von Oven (91). Entrée de l a brigade
Ehrhardt A Berlin (91). - Fureur de Noske (92). -Le
Conseil des ministres du 13 mars (93). - Le gouvernement du
Reich s’enfuit à Dresde (94).

VI. - Le Putsch Kapp-Lütttvitz.


II. Le coup d e force.. .............................. 95
L’ancien drapeau impérial flotte sur la Chancellerie (95). - La
capitale est aux’mains des conjurés (96). -Kappsigne ses pre-
miers décrets (96). - I1 destituele général Reinhardt (97). -
Lüttwitz augmente ses effectifs (97). - Noske arrive à Dresde;
attitude équivoque du général Mærcker (98). - Situation du
Reich au soir du 13 mars (98). - Réaction inattendues en
Bavière (99). - La population civile est hostile aux conju-
rés (99). - Grève générale a Berlin (100). - La capitale du
Reich est frappée de paralysie (101). - Proclamation d‘Ebert
a l’Armée (102). - La situation empire (102).-L’ordre d’ou-
vrir le feu est donné par le colonel Reinhard (103). - Angoisse
générale (103).- Les pionniers de la. Koepenickersfrosse se
mutinent (104). - La police de Berlin se désolidarise des
insurgés (104). - Kapp, moralement brisé, se retire de
l’arène (105). - Lüttwitz prend sa succession (105). - Les
officiers du ministère de la Reichswehr demandent une
audience (106).- Intervention dramatique du colonel Heye
-
(106). Démission de Lüttwitz (107).- I( Le jour noir (107).
- Le général von Seeckt, Gouverneur militaire de Berlin (108).
- II s’efforce de faire évacuer la capitale par les rebelles
(108).- La brigade Ehrhardt quitte Berlin (190). - La
guerre civile est évitée de justesse (110).

VIi. -Le Putsch Kapp-Lüttwitz.


III. La liquidation d u coup d’gtat e t les combats dans la
Ruhr.. ......................................... lii
Le gouvernement d’Ebert rentre à Berlin (111).- Seeckt
adresse sa première proclamation au Corps des officiers (111).
- Exigences des syndicats ouvriers (112). - Seeckt demande
à Noske de modérer la colère des partis de gauche (113). -Une
vague de socialisme déferle sur l’Allemagne (114). - Noske
-
est mis en demeure de quitter le ministère (114). I1 est rem-
placé par M. Gessler (115). - Tension croissante entre les
milieux ouvriers e t les milieux bourgeois (115). -Agitation
croissante dans la Ruhr (115). - La révolte gronde B Mülheim
e t à Dortmund (116).-L’état de siège est proclam& Le géné-
ral von Watter est envoyé dans la Ruhr (116). - M. Severing
TABLE D E S MATIERRS 397
est nommé commissaire du Reich dans le Wehrkreis Vi (116).
- Les délégués des insurgés posent leurs conditions au général
von Watter (117). - Le général les repousse (117). - L a
conférence de Bielefeld (117). - Le général Kabisch encerclk
& Wesel (118). - Les troupes allemandes franchissent les
limites de la zone neutre (116). - La Conférence des Ambas-
sadeurs est saisie de l’incident (118). - M. Millerand proteste
à Berlin (118). - Intervention accéldrée des troupes de la
Reichswehr (120). - Le général von Watter joue son va-
tout (120). - Les Spartakistes sont écrasés (121). - Les
leçons du putsch de Kapp (122).

VIII. - L‘œi~oredi1 général von Seeckt et la loi du 23 mars


1921 ............................................. 123
Le général von Seeckt (123). - Sa c a r r i b (123). - I1 est
nommé président de la Commission préparatoire de l’Armée de
paix (126). - Les quatre Grands Quartiers-Martres au temps
de Guillaume I I (126). - Structure du nouveau Truppenamt
(127). - Seeckt, chef de la Heercsleitung (128). - Le a grand
dessein D de Seeckt (128). - Les I pensées d’un soldat I
(132).- Seeckt maintient les liens avec le passé (134). - Le
-
tri des effectifs (137). La structureinterne de la Reichswehr
de métier (136). - Implantation territoriale (138). - Créa-
tion des Landesmannschaften (139). - L’enseignement mili-
taire (140). - Avancement et promotions (140). - La troi-
sième arrcée alleinande depuis 1918 (141).

IX. - Gardes d’hubitanis, Engagés temporaires, Corps-


francs illégaux et associations secrites ................. 142
Modérés e t ultras (142). - L e Corps des omciers se trouve
scindé en deux (143). - Les a illégaux n se rerroupent (144).
-Les fréres rivaux (145). - Gardes civiques e t Engagés tem-
poraires (14G).- Les Alliés exigent l a dissolution des Ein-
ruohneruwliren (147). - Les associations illégales se multi-
plient (149). - Historique du corps franc Rossbach (150). -
- Historique du corps franc Oberland (153). - Historique du
corps franc Aulock (153). - Prolifération des associations
secrétes (154). - Le romantisme de la clandestinité (155). -
La résurrection de la Sainte-Vehme (156). - De l’engagement
A l’assassinat (157). - I1 faut décapiter la République! Y
((

(159).

X. - L e s combats de Haute-Silésie.
I. Le premier e t le deuxiéme soulèvement polonais. .... 160
Le deuxiéme aspect de l’expansion germanique dans l’est
(160). - Le passé de la Silksie (1G1). - Imbrication des popu-
398 HISTOIRE D E L’ARMÉE A L L E M A N D E

lations slaves e t germaniques (162). -


Le u risorgimento
polonais u (164). - Les volontaires de P. O. W. s’infiltrent
dans les Conseils de soldats (164). -
Des corps francs se
concentrent à Breslau et à Francfort-sur-l’Oder (165). Le -
Maréchal Foch trace une ligne de démarcation germano-polo-
naise (165). - Interdiction est faite aux Allemands de la
franchir (165).- Revendications polonaises à la conférence de
Paris (165). - Clemenceau se prononce pour la session de la
Silésie à la Pologne (166). - Le comte Brockdorf-Rantzau
réfute les theses polonaises (166). - Lloyd George insiste
pour que l’on organise un plébiscite (167). - Cette formule
est adoptée (168). - Conditions du plébiscite (168). - Indi-
gnation des Polonais (169). -
Effervescence en Haute-Silésie
(169). - Les Polonais décident de placer les Alliés devant le
fait accompli (169). - La première insurrection polonaise
éclate (170). - Proclamation du P. O. W. (171). - Les Alle-
mands décident de riposter par une contre-offensive (171). -
Plan des corps francs (172). - L’état de siege est proclamé
dans toute la Silésie orientale (172).- Les corps francs
déclenchent trois offensives (172). - Les Polonais s’inclinent
devant la force (172). - Le Traité de Versailles entre en
vigueur (173). - La Commission interalliée prend possession
de la zone plébiscitaire (173). -
Résultats du plébiscite
(21 mars 1921) (173).

XI. - Les combats de Haute-Silésie.


II. L e troisième soulèvement polonais et la bataille de
1’Annaberg. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . .
, 174
Explosion de joie dans tout le Reich (174). - Caractère
ambigu du plébiscite (174). - Déception polonaise (175). -
Troisième soulèvement de Korfanty (176). - Plan des insur-
gés polonais (176). -Les Polonais s’emparent de la zone
industrielle (177).-Les volontaires allemands amuent ensilé-
-
sie (177). Le u Comité directeur du P. O. W. entre en
))

action (178). - Les autorités allemandes prennent des


mesures de défense. (178). -
La Commission interalliée
annonce le partage de la Haute-Silésie (178). - Korfanty est
relevé de ses fonctions de N Commissaire du plébiscite D (178).
-
- I1 prend la tête de l’insurrection (178). Proclamation de
Korfanty aux Polonais (179). - La révolte s’étend (179). -
Situation désespérée des organisations allemandes (181). -
Les Seibstschüizen sil6siens s’organisent (182). - Le front
germano-polonais est divisé en trois secteurs (183). - Les
Polonais s’emparent de Rosenberg e t de Landsberg (184). -
Dissensions a u sein de la Commission interalliée (184). - Posi-
tions respectives des Italiens e t des Anglais (184). - Diver-
gences au sein du Conseil suprême (186). - Point de vue de
la France (186). - Point de vue de Lloyd George (186). - Le
général Iiccfcr prend la direction des corps francs (187). -
Tactique préconisée par I-Icefer (187). - Opposition du
TABLE D E S MATIÈRES 399
général v o n Hülsen (187). - L a m o n t a g n e sainte d e I’Anna-
berg (188). - L’attaque de I’Annaberg (190). - L’Annaberg
est pris d’assaut (192). - L e gouvernement d u Reich inter-
d i t le recrutement pour les corps francs (192). - Indignation
des volontaires (193). - Raisons d e Ia décision d u gouverne-
m e n t allemand (193).

XII. - Les combats de Haute-Silésie.


III. La bataille du K l o d n i t z et le r e t o u r des Selbstschüt-
zen ............................................ 194
Effet moral de la conquête d e I’Annaberg (194). - Nouvelle
proclamation d e Korfanty (194). - Le général l e R o n d v e u t
négocier avec les corps francs (194). - Le général Hœfer s’y
refuse (194). - Il offre sa collaboration a l a Commission
(194). - L e général le R o n d repousse son offre (194). - L a
Commission interalliée propose un pian d’évacuation bila-
téral (195). - Les troupes allemandes se renforcent d e jour
en j o u r (195). - K o r f a n t y n’abandonne pas la l u t t e (195). -
I1 regroupe l e s insurgés polonais (195). - Hcefer interdit a u x
Allemands d ’ a t t a q u e r (196). - Les Polonais harcèlent les for-
mations allemandes (196). - P l a n d u général v o n I-Iülsen
(197). -Bataille d e l’Oder (107). -Bataille d u Klodnitz
(198). - F i n d e l a résistance polonaise (199). - Les forma-
tions allemandes sont fourbues (200). - Évacuation d e l a
zone plébiscitée (201). - La question d u partage reste
entière (201). - Désaccord complet a u Conseil suprême (201).
- L a ligne Sforza e s t rejetée (201). - L e Conseil suprême
r e m e t l a question à l a S. D. N. (201). - A r b i t r a g e d e la
S. D. N. (202). - L a Haute-Silésie e s t coupée e n d e u x (202).
- F u r e u r des volontaires allemands (202). - Ils cherchent i
rester e n Silésie (203). - L a Commission interalliée exige l e u r
dispersion (204). - F i n des combats de Silésie (204).

XIII. - L a tragédie de Rathenau ...................... 205


L e cauchemar d e l’inflation (205). - Les assassinats poli-
tiques se multiplient (20G). - L a personnalité d e W a l t h e r
R a t h e n a u (207). - L’empire d e l’A. E. G. (208). - Pessi-
misme e t lucidité (208). - R a t h e n a u e s t nommé ministre des
Affaires étrangéres (209). - L a conférence d e Gênes (210). -
L e traité d e Rapallo (210). - L e t r a i t é m e t fin à l’isolement
diplomatique de l’Allemagne (211). - Les conceptions éco-
nomiques d e R a t h e n a u (213). - L e fils d’une race asservie e t
craintive (214). - L’amour de son contraire (214). - Rathe-
nau, cible d e l’antisémitisme (215). -L’hostilité des milieux
n a t i o n a u x (216). - L e meurtre d e R a t h e n a u (218). -
Y Alleinagne, réveille-toi! D (220). - Funérailles nationales
(220). - Morts d e Fischer e t de K e r n (221). - L’Organisation
Consul (221). - D e u x mondes antagonistes (223).
400 HISTOIRE DE L ’ A R M É E A L L E M A N D E

XIV. - Hitler entre en scène .......................... 224


Dietrich Eckart cherche un sauveur (224). - Kapp le déçoit
(224). - Première réunion publique de la Deuiscke Arbeiier
P a r f e i (225). - Hitler parle (225). - Naissance d’Hitlcr
( 2 2 6 ) . - Une frontière absurde (226). - Braunau et Linz
(227). -Hitler ne veut à aucun prix devenir fonction-
naire (227). - Le mépris de l’Autriche; l’admiration pour
l’Allemagne (228). - I Je veux être peintre! D (228). - Hitler
ne peut supporter aucune discipline (228). - Initiation h
l’histoire (228).- R6vélation de Wagner (230). - Son p&re
meurt ( 2 3 0 ) . - I1 échoue à ses examens (231). -Sa mere
meurt (231). - I1 part pour Vienne (231). - I1 est refusé à
l’École des Beaux-Arts (232). - Écroulement de ses ambi-
tions (233). - Les années de vagabondage et de misère (233).
- La faim (234). - I1 s’initie à la vie politique (235). - Son
horreur des syndicats ouvriers (235). - Son antipathie pour
les Juifs (237). - Ritter von Schœnerer (240). - Le bourg-
mestre Karl Luegcr (240). - Hitler s’aperçoit qu’il est élo-
quent (241). - Son emprise sur ses auditeurs (241). - Hitler
quitte Vienne pour Munich (242). - Les autorités militaires
autrichiennes le recherchent (242). - Le Conseil de révision de
Salzbourg le réforme (242). - La première guerre mondiale
éclate (242). - Enthousiasme belliqueux (243). - I1 s’en-
gage a u 1 6 e régiment d’infanterie bavarois (243). - La
bataille des Flandres (244). - Hitler reçoit la Croix de fer
de I r e classe (244). - L’attaque aux gaz de Wervicq (244). -
Hitler devient aveugle ( 2 4 4 ) . - I1 apprend la capitulation alle-
mande (244). - Son désespoir (245). - II prend la décision
de devenir homme politique (246).

XV. - Les débuts du nutianal-socialisme ................ 247


Hitler revient à Munich (247). - État de l a Bavière après la
dictature rouge (247). - Hitler est nommé u ofiicier d’ins-
tructio:: (248). - I1 entre cn rapport avec E le Parti ouvrier
allemand 3 ( 2 4 8 ) . - Première reunion publique au Hofbrüu-
k c u s (248). - Prcmihre assemblée de masse (249). - Hitler
abandonne ses fonctions militaires (249). - I1 modifie le
nom de Parti (249). - Le programme du Parti (249). -Grand
meeting populaire au circus Krone (250). - Hitler est élu
président du Parti (259). - Première collision grave avec les
marxistes (251). - Hitler va pour la première fois en pri-
son (252). - Directives pour l a constitution des Sections
d’Assaut (252). - La a journée allemande D de Cobourg
(254). - Iieurts avec la police (254). - Succès de l’expé-
dition de Cobourg (255). - Les réunions de masse s’intensi-
tient (256).- Le Parti compte 30.000 membres (256).
TABLE DES MATIÈRES 401
XVI. - La Reichswehr maintient l‘unité du Reich.
I. L ’ o c c u p a t i o n d e la Ruhr e t la p r o c l a m a t i o n de l’état
d’exception ..................................... 251
Ui,scussions interailiécs (2.7). - La 1;ronce d6cide ù’occuper
la Ruhr (257). - Poincaré notifie cette décision a u Reich (258).
- Les troupes françaises occupent l e bassin industriel (258).
- Le chancelier Cuno proclame la resistance passive (259). -
Ida production s’arrête (260). - Les Chemins d e F e r s o n t
paralyses (260).-Les cheminots français e t belges rétablissent
l a situation (260). - Les magnat.s d e l a R u h r selassent derésis-
t e r (261). - Des tendances séparatistes se font jour e n N i é -
nanie (262). - L’Allemagne renonce a l a résistance passive
(262). - Les vrais bénéficiaires de l’opération (263). - Réper-
cussions psychologiques (263). - Dispute franco-britannique
(263). - Crise imminente e n Allemagne (264). - Que fera
le général v o n Seeckt? (265). - Le Cabinet bavarois est
renversé (266). - Le Président d u Reich recourt a l’article 48
de l a Constitution (266). - L’activité d e la Reichswehr
s’étend & toute l a vie d u pays (266). - Nouvelles menaces d e
putsch (267).

XVI€. - LCL Heichswehr maintient I‘unité du Reich.


II. La m u t i n e r i e d e la N Reichswehr noire 1). ........... 268
L’Organisation Consul e t 1’0rgesch (268). - Comment SC
constitue l a I Reichswehr noire D (269). - L’activité du com-
m a n d a n t Buchrucker (268). - Approbation tacite des a u t o -
rites militaires (270).-Attitude ambiguë du général von Bock
(271). - Les autorités du Reich incitent le c o m m a n d a n t Buch-
rucker a cesser son activité (272). - Répartition des forces de
l a Reichswehr noire (273). - Les membres de l a Reichswehr
noire s’énervent (273). - Buchrucker décide de passer à l’ac-
tion (074). - Désapprobation formelle des autorités niili-
taires (275). - E n t r e v u e d r a m a t i q u e v o n Bock-Buchrucker
(277). - Buchrucker se heurte a u capitaine Stennes (277). -
I.cs soldats s o n t a u paroxysme de la colbre (275). - Buchruc-
ker cherche a les apaiser (279). - Le ministre de l a Reichswehr
urdoniie l’arrestation de Buchrucker (279). - Les troupes
mutinées s’emparent des forts de Küstriri (280). - Les
troupes légales arrivent (281). - Effondrement de la révolte
(281). - Condamnation d u c o m m a n d a n t Buchrucker (281).
- Le général von Seeckt se préparc intervciiir en S a x e (252).

XVIII. - La Reichswehr muintient l‘unité du Heich.


III. L ’ a c t i o n e x é c u t i v e c o n t r e la S a x e e t les é m e u t e s de
Hambourg.. .................................... 283
Analogie avec l a situation eii 1919 (283). - Pourparlers entre
communistes, Independanla: e l Alajorilüires (283). - Pru-
402 HISTOIRE D E L ’ A R M É E A L L E M A N D E

gramme commun des partis de gauche (284). - Un nouveau


ministére est constitué en Saxe (284). - Le général Müller
ordonne la dissolution des a centuries prolétariennes D (284). -
Ultimatum de M. Ziegler à M . Bottcher (285). - Les relations
entre Berlin e t Dresde s’enveniment (285). - Rupture des
liens entre la Bavière e t la Saxe (285). - Velléités de révolte
en Thuringe (285). - Les socialiste saxons envoient une
délégation à Berlin (285). - Premieres collisions entre la
police e t les manifestants (286). -Bagarres dans toute 1’Alle-
magne (286). - Troubles graves à Hambourg (287). - Note
du gouvernement du Reich au gouvernement saxon (288). -
Collisions sanglantes à Fribourg-en-Saxe (288). - Le génbral
Müller reçoit l’ordre de destituer le gouvernement saxon (289).
- Discussions juridiques (289). - La Reichswehr occupe
Dresde (290). - Le calme se rétablit (290). - Ordre du jaur
du général von Seeckt à l’Armée (291). - Une nouvelle crise
approche (292).

XIX.- Le Putsch national-socialiste de Munich (8-9 no-


vembre 1923). ... . . . . . ... .. . .. . . . ...... ... .. . . . . ... 293
Le Parti national-socialiste tient son second Congrès annuel
(293). - Constitution de l a a Communauté de travail des
formations de combat D (294). - Rôle du capitaine Rohm
(294). - Le gouvernement du Reich interdit le Parti natio-
nal-socialiste en Prusse, en Saxe, en Thuringe, etc. (295). -
10.000 hommes en armes défilent à Oberwiesenfcld (295). -
Tentative de coup de force (295). -
Le général von Lossow
le déjoue (295). -La I Journée allemande D de Nuremberg
(296). - Hitler veut marcher sur Berlin (296). - Le Parti se
groupe autour de Hitler e t de Ludendorff (297). - Luden-
dorff e t les Wittelsbach (297). - Nationaux-socialistes et
autonomistes bavarois (298). - Hitler est nommé chef poli-
tique du Kampfbund (299). - Le gouvernement de M. von
Kahr interdit toutes les réunions (299). - Positions respec-
tives de von Kahr et de von Lossow (299). - Von Kahr abroge
la loi a pour la protection de la République 8 (300).- L a
situation se tend (300). - La Bavière rompt tous les rap-
ports avec le ministère de la Reichswehr (300). - Hitler
observe la lutte entre von Kahr e t Berlin (300).- Kahr inter-
dit tout coup d’État a en dehors de celui qu’il prépare lui-
même D (301). - Lossow redoute d’être entraîné dans un
conflit arme avec Berlin (301). - Hitler decide de K trancher
le nœud gordien n (302). - Son plan d’action (302). - Grand
meeting politique au Burgerbraukeller (302). - Le coup do
force du Bürgerhraukeller (302). - Entretien Hitler, von
Kahr e t von Lossow (303). - Hitler annonce la destitution
du président du Reich (303). - Hitler propose von Kahr
comme régent de Bavière (303). - Ludendorff arrive au
Bürgerhraukeller (303). - Von Kahr e t von Lossow s’inclinent
(304). -Ludendorff u se met à la disposition du gouvernc-
TABLE DES MATIÈRES 403
m e n t national D (304). - Ludendorîf rend l a liberté à von
K a h r e t à v o n Lossow (305). - Retournement d e la situation
(305). - Arrivée d’un aide d e c a m p d u Kronprinz R u p p r e c h t
d e Bavière (306). - Munich est encerclé p a r les troupes régu-
lières (307). - Proclamation d e v o n K a h r (307). - H i t l e r
e n posture critique (307). - L a fusillade d e v a n t la Feldherrn-
halle (309). - Dislocation d u cortège (309). - H i t l e r
contusionné, s’enfuit à Ufling ( 3 1 0 ) . - R S h m e t ses hommes
s o n t cernés (310). - R o h m se rend (310). - Les sanctions
s ’ a b a t t e n t sur les S. A. (310). - Gcering s’enfuit e n Italie
(310). - Hitler e s t a r r ê t é à U f i h g (311). - H i t l e r e s t mis
e n prison ( 3 1 1 ) . - Les instigateurs d u coup d e force passent
e n jugement ( 3 1 1 ) . - Hitler e s t c o n d a m n é à 5 âns d e forte-
resse (31 1). - Hitler e s t transféré à Landsberg-sur-la-Lech
(312). - 11 renonce officiellenient à la d i r e c t i o n d u P a r t i ( 3 1 2 ) .

XX. - L e retour à la légalité .. . . . . . ... . . .. . . . . . . . . . . . . 313


Trois hommes viennent d e jouer une partie décisive (313). -
Ludendorff (313). - Hitler (314). - I1 f a i t son autocritique
(315). - L e général v o n Seeckt (316). - L e sphynx de la
Reichswehr (316). - E b e r t lève l’état d’exception (317). -
Trois piliers soutiennent l’édifice d u Reich.(318). - Le prési-
dent, la Reichswehr e t l’article 48 d e la Constitution (318).

DEUX- PARTIE

LA REICHSWEHR DE METIER
CLÉ DE VOUTE DE LA RÉPUBLIQUE (1923-1927)

XXI. -Du relour d’Hindenburg au départ de von Seeckt . 321


L’Allemagne se reprend (321). - Mort d ’ E b e r t ( 3 2 3 ) . -
Premières élections pour u n nouveau président d u Reich (323).
- L a majorité n’est pas a t t e i n t e (323). - Hindenburg pose
sa candidature (324). - L e second t o u r d e scrutin (325). - L e
Maréchal arrive à Berlin ( 3 2 5 ) . - I1 prête serment à la Consti-
t u t i o n ( 3 2 5 ) . - Mémorandum d e hl. v o n Hœsch (326). - L a
conference de Locarno (327). - L e P a c t e R h é n a n (327). - Le
t r a i t é d e Locarno e s t signéà Londres ( l e r décembre 1925) (328).
- L’Allemagne e n t r e à la S. ci. N. (329). - Discours d e Stre-
s e m a n n (329). - Réponse d e Briand (329). - Accord ou
malentendu? ( 3 2 9 ) . - L e prince Guillaume de Hohenzollern
s’engage d a n s l a Reichswehr (330). - Position délicate d e
M. Gessler (331). - Intrigues d u général v o n Schleicher (331).
- Hindenburg accepte l a démission d e von Seeckt (332). - Le
général Heye le rcmplace (332). - Carrière d u gén6ral
404 H I S T O I R E D E L’ARMÉE A L L E M A N D E

I l e y e (332). - U n axe inébranlable : l a politique des gen6-


r a w (333).

S X I I . - L’ccuvrc de la Cornmission militaire ititerallide de


contrôle (16 s e p t e m b r e 1919-28 f é v r i e r 1927) . . . . . . . . . . . 334
L e désarmement d e la Prusse sous Napoléon (334). - L a
C. 31. I. C. (334). - Arrivée à Berlin d u général Nollet (336).
- ROle d u général v o n Cramon (336). - Polémiques a u t o u r
d u désarmement allemand (337). - L’œuvre de l a Sous-com-
mission des fortifications (337): - L a destruction d e s forts
(338). - L’ceuvre d e l a Sous-commission des armements (339).
- L a question d e la réduction des effectifs (342). - Ultima-
t u m d e l a conférence d e Londres ( 5 m a i 1921) (344). - L a
C. 31. I. C. e s t remplacée par u n K Comité d e garantie n (340). -
Arrêt des opérations d e contrôle (346). - L a situation se
détend (346). - L’inspection générale (347). - R a p p o r t final
de la C. hf. I. C. (347). - Entretiens Walsch-Pawels (348). -
Le Reich prssente u n projet d e reglement (349). - La S. D.
N. examine l’admission d u Reich (349). - L e général v o n
Seeckt donne sa démission (349). - L a Conférence d e s
Ambassadeurs se réunit a Paris (350). - Accord Baratier-
v o n Pawels (350). - Exposé d u Maréchal Foch d e v a n t
l a Commission d e l’armée (16 février 1927) (351). - Les
derniers éléments d e la C. M. I. C. q u i t t e n t i’M1emagne
(351). - L’Allemagne est-dle désarmée? (351). - L’Alle-
m a g n e a-t-elle désarmé? (351). - Conclusions d u général
Nollet (352).

XXIII. - Les (( travaux )) de la Commission priparatoire du


dèsarnement ...................................... 353
La t a c h e d e l a S. D. N. (353). - L ’ e s p é r a n c e des peuples
(354). - L’Assemblée crée une u Conunission préparatoire
(351). - Cadre des t r a v a u x d e la Commission (355). - Pre-
miére reunion des délégués (18mai 1926) (356). - Divergences
complétes d e points d e vue (356). - L e I désarmement des
a u t r e s n (358). - Deuxiéme session de la Commission (359). -
Avant-projet d e Convention (359). - Les t r a v a u x piétinent
(359). - L’Assemblée d e 1927 (359). - Intervention d e
P a u l Eoncour (360). - Quatriéme session d e la Commission
(360). - L’U. R . S. S. y assiste (360). - Discours d e M. Litvi-
non (360). - hl. Litvinoff rend compte d e sa mission à Mos-
cou (361). - T r a v a u x de l a 4 Commission d e sécurité Y (362).
- L a cinquiéme session d e la Commission (363). - L a sixièmo
session (364). - Échec t o t a l d e la Cornmission préparatoire
(364). - L a Commission réussit i m e t t r e sur pied un avant-
projet (364). - T o u t est remis e n question p a r M . Bernstorfl
dél6gué allemand (365). - Septikme session d e la Commis-
sioii (nov. 1030) ( 3 6 5 ) .- Les Puissances alliées proclament
TABLE D E S MATIERES 405
-
l’intangibilité de la partie V du Traité de Versailles (366).
Protestations du comte Bernstorff (366). - L’Allemagne
menace de quitter la Commission (366). - Faillite totale des
travaux de Genève (367). - Le a naufrage de l’idéologie
wilsonienne B (368).

XXIV.- La politique de la Reichswehr.


1. Les étapes d u réarmement ........................ 369
L’État-Major de la Reichswehr prépare les bases d’une Armée
nouvelle (369). - Intervention de Scheidemann au Reichs-
tag (369). - Désarmement et réarmement sont deux pro-
blhnes connexes (371). - Principes d’action du général von
Seeckt (372). - Une armée de cadres (372). - La construc-
-
tion des prototypes (373). Les bureaux d’études et d’ex-
périmentation (373). - La reconstruction de l’aviation (374).
- Déclarations du colonel Reboul (375). - Les centres
-
d’étude à l’étranger (376). L’apport de la Russie au réar-
mement de la Reichswehr (376).-L’apport de la Suède
(377).- Le budget secret de Is Reichswehr (379).
redressement de l’industrie allemande (379).
- Le

XXV.- La politique de la Reichswehr.


II. Vers la conquête d u pouvoir ..................... 381
L’Armée, premier instrument de la Puissance du Reich (381).
- Conceptions du colonel Marks (382). - L’union de YAr-
mée e t du Maréchal (383). -Déclarations du général von
Hammerstein (384). - Un É t a t dans l’État (384). - Une
Armée à la recherche d’un peuple (385). -Activité du général
von Schleicher (386).- La Reichswehr choisit le rôle d’ar-
bitre (387).
TABLEDES CARTES ............................. 389
ACEEVÉ D’IMPRIMER
- LE 5 MARS 1964 -
PAR L’IMPRIMERIE FLOCE
A MAYENNE (FRANCE)

(5974)

NUMÉRO D’ÉDITION : 3528


DÉPÔT LÉGAL : l e r T R I M E S T R E 1964
PRINTED I N FRANCE

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