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DE
L’ARMÉE
ALLEMANDE
HISTOIRE DE L'ARMÉE ALLEMANDE
(1918-1946)
V O L U M E S PARUS
L'effondrement ( 1 918-1919 ) .
II
L a discorde (1919-1925).
III
L'essor (1925-1937).
IV
L'expansion (1937-1938).
VI
Le défi (1939)
BENOIST-MÉCHIN
HISTOIRE
DE
L’ARMÉE
ALLEMANDE
V
LES ÉPREUVES DE FORCE
1938
Avec 8 cartes
et un graphique
LA FONDATION
DE LA TCHECOSLOVAQUIE
I
1. u Aucune autre ville d’Europe n’est restée aussi longtemps que Vienne sous
le signe de larévolutionu, écrit klclmut Sündermann ,u: et aucune autren’a été, jus-
qu’en novembre 1848, le théâtre de coiillits spirituels et matériels plus violents. Si
l’on s’en tenait aux barricades, nux combats de rues, aux sièges et aux fusillades,
Vienne apparaîtrait comme le centre du mouvement révolutionnaire européen de
cette époque. Nulle part ailleurs n’a coulé autarit de sang. ~(L)as
drille Heich, p. 88.)
2. La revendication des (1 Droits historiques de la Couronne de Bohême repose
I)
sur I’allirmation que celle-ci les a conservés juridiquemcnt intacts, lorsqu’elle s’est
unie, en 1526, aux autres u: Pays u gouvernés par la Maison de Habsbourg.
3. Comme la Bohrme comprenait environ trois millionri d’Allemands et six mii-
lions de Tchèques, ces derniers auraient ùéteiiu la majorité au sein du Parlement
unique.
16 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE
1. Où les troupes russes du général Todleben sont retenues pendant six mois
par les trouper turques d’Osman Pacha (20 juillet-10 décembre 1877).
2 Signé le 3 mara 1878, le traité de San Stefano consacrait la prépondérance
r u m iur la Turquie et lea Balkam.
L A FONDATION D E LA T C H ~ C O S L O V A Q U I E 27
conquêtes de la Russie et l’oblige à ramener ses armées sur
leurs positions de départ, leur déception n’a pas de bornes.
Blessés et humiliés, ils se replient sur eux-mêmes dans un
mutisme douloureux.
Comment les deux populations parviendraient-elles à
s’entendre? Devenues en quelque sorte allergiques l’une à
l’autre, leur coexistence pose des problèmes de plus en plus
dificiles à résoudre. E n butte à la jalousie des Magyars, à
l’hostilité des Polonais et à l’animosité des Allemands, les
Tchèques s’interrogent sur leur avenir au sein de l’Empire
austro-hongrois. Ils ont une tendance naturelle à se serrer
les coudes, et chacun de leurs durcissements entraîne un
durcissement parallèle dans le camp adverse.
Lorsqu’en 1879, le comte Taaffe succède à Auersperg e t
réussit, par des prodiges de souplesse, à amener les députés
tchèques à reprendre leur place au Parlement, c’est a u tour
des députés allemands de quitter l’hémicycle, en protestant
bruyamment contre (( cette capitulation imméritée )).Lors-
qu’en 1882, le Gouvernement autrichien autorise la fon-
dation d’une Université tchèque à Prague, suivie à brève
échéance par l’ouverture de deux établissements d’enseigne-
ment supérieur et d’un grand nombre d’écoles secon-
daires où les cours sont donnés dans la langue du pays, la
colère des Allemands atteint une telle violence que Taaffe
est contraint de démissionner.
Pires encore sont les difficultés auxquelles se heurte son
successeur Badeni. D’origine polonaise, celui-ci publie en
1897 une ordonnance donnant à la langue tchèque, en
Bohême, la même place qu’à l’allemand. Aussitôt, une
tempête d’indignation s’élève dans les districts germani-
ques. A Eger, à Aussig, à Teplitz, à Komotau, les habi-
tants se réunissent aux cris de : (( Mort à Badeni! )) et
mettent tout en œuvre pour provoquer sa chute.
Ces tentatives avortées n’ont guère profité aux Tchèques.
Mais elles ont convaincu les Allemands qu’ils finiront par
perdre la partie s’ils ne défendent pas eux-mêmes ((leur
terre, leur langue et leur droit à la vie )L Ils se sentent lente-
ment grignotés par les Tchèques et réduits à la défensive l.
1. Un exemple frappant de la lutte menée par les Tchèques pour démanteler la
frontière linguistique nous est fourni par ce que le journal Cas, de Masaryk, a appelé
E la conquête de Budweis u. En 1872, les Tchèques y ont fondé une Union scolaire.
Huit ans plus tard, les Allemands y constituaient encore la moitié de la pnpula-
28 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE
* +
Face à cette montée de l’extrémisme allemand, les nationa-
listes tchèques estiment nécessaire de donner à leur lutte
tion. Vera 1890, la première maison de la place du Marché tombe entre lea mains
des Tchèques, qui saluent la prise de ce bastion comme une victoire. En 1910, les
Allemands ne représenteront plus qu’un tiers de la population de la ville, et en
1921, ipeine un sixième. Au terme de cinquante ans d’une lutte sourde, maia
tenace, Budweis sera devenue BudejoviEe.
1. L’année même où est fondée l’Université tcheque de Prague.
2. AlMeutsche Bewegung.
3. Voir vol. II, p. 240.
4. Le a Parti ouvrier allemand n, ou Vlilkische Arbeiter Pwtei, est né de la
fusion d’un certain nombre de groupes politiques, notamment le Deutschnationakr
Arbeiter Bund de Franko Stein, et le Deutschpolitische Arbeiterverein in (Esterreich
de Hans Knirsch. Ses chefs seront - avec Knirsch - Ferdinand Ertl, Rudolf
Yung, Walter Riehl, Gottfried Fahrner, Ferdinand Seidl, Prayon, Müller, Rogel-
b6ck et Krebs. (CI. Hans KREBS,Karnpf in Bahmen, p. 40-41.)
5. Deutsch-Naïionale Sozialistische Arbeiter Pa& ou D. N. S. A. P.
6. C’est seulement le 30 avril 1920 qu’Hitler donnera au Deufsche Arbeiïu
Partei, le nom de National-Sozialistische Deutsche Arbeiter Partei, ou N. S. D. A. P.
La ressemblance est trop frappante pour ne pas avoir été voulue.
LA FONDATION DE LA TCHE~COSLOVAQUIP 29
un caractère plus radical, Palacky est mort en 1876, e t les
jeunes générations, dont les chefs de file s’appellent à pré-
sent Krama? et RaSin, ont sur beaucoup de points une optique
différente de la sienne. Ils ne croient plus, comme lui, que
a la Bohême doive servir d’arche entre la civilisation germa-
nique et la civilisation slave 1 D; ils ne voient plus en Vienne
u le seul centre capable d’apporter à leur peuple l’espérance
et la paix ». Depuis la dérobade de François-Joseph, au len-
demain du rescrit impérial du 12 septembre 1871, et son
refus de rétablir les (( Droits historiques n de la Bohême,
ils n’ont plus aucune confiance dans le Gouvernement
autrichien. Aussi détournent-ils de plus en plus leurs
regards de la Hofburg, pour chercher des appuis ailleurs
- à Saint-Pétersbourg et à Paris.
Pour Paris, cela se conçoit sans peine. La France n’a-t-elle
pas été à l’origine de la révolution de 18487 N’a-t-elle pas
proclamé la première le (( libre droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes I)? Mais Saint-Pétersbourg? Cette citadelle de
l’impérialisme que Palacky dénonçait comme N une source
de calamités sans nom I)?
Oui. Car la Russie a beaucoup évolué depuis l’époque où
Nicolas Ie* écrasait dans le sang l’insurrection hongroise.
Alexandre II (1855-1881) a imprimé à son gouvernement
une orientation plus libérale. Il a aboli le servage et les
châtiments corporels. I1 a réformé l’instruction primaire et
secondaire, multiplié les universités et amorcé une réforme
agraire, en autorisant le transfert des terres aux paysans.
Alexandre I I I (1881-1894), quoique moins libéral que son
père, a conclu un traité avec la République française, destiné
à endiguer la puissance de l’Allemagne. Après lui, Nicolas II
a introduit le système parlementaire dans ses fitats, en ins-
tituant la Douma. Bloquée par les Japonais en Extrême-
Orient, contenue par les Anglais en Turquie, en Perse et
en Afghanistan, la Russie n’en est que plus portée à s’inté-
resser à l’Europe. Retournant à son profit les thèses du
1. Cinq ans après sa mort, les conceptions des nationalistes tchèques avaient
chan& à tel point que PekaF pouvait écrire : s Tout ce que nous incluons dans le
mot de culture nous a été apporté de l’étranger. Lorsque nous regardons autour de nous,
tout ce que nous croyons et faisons a été influencé par l‘étranger ou m u s a été direete-
ment donné par lui ... Toute éducation au nationalisme doit consister à n o w faire
comprendre que l’Allemand a fait de nous l’ennemi irréductible des Allemands. Plus
encore, qu’il MUS a lui-même poussb à rivaliser avec lui, pour égaler son pouwir, ses
privil2ga et aa prééminence. a (Ls 8ens da l’histoire îch4que.)
30 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMAN D E
*,
I1 va sans dire que le Gouvernement de Vienne observe
la montée des Sokols avec beaucoup moins d’enthousiasme
que le général Karavajew. I1 a fermé complaisamment les
yeux sur le Congrès de Prague pour ne pas provoquer des
incidents qui auraient eu des répercussions fâcheuses au-delà
des frontières. Mais il se repent amèrement d’avoir laissé
s’ouvrir une Université tchèque à Prague. La Faculté des
Sciences en particulier, -
où une chaire d’histoire e t de
sociologie a été confiée au professeur Masaryk -, est devenue
une sorte de club révolutionnaire où se retrouve toute la
jeunesse progressiste du pays l. Si le Cabinet impérial a cru
que ces concessions amèneraient une détente, il s’est lourde-
ment trompé. Venues trop tard, elles ont été interprétées
par les Tchèques comme un aveu de faiblesse. Ceux-ci en
ont conclu que seule la violence était payante. Il ne se
passe pour ainsi dire plus de jour sans que l’on ait à déplorer
des collisions, parfois sanglantes, entre étudiants des deux
communautés, des saccages de magasins allemands et des
excès de toutes sortes. Sabotages et attentats se multi-
plient d’une façon si inquiétante durant le second semestre
de 1912, qu’en 1913 le Cabinet autrichien se voit contraint
de dissoudre la Diète et de confier l’administration de la
Bohême à une Commission présidée par le Statthalter 2.
Le pays se trouve ainsi placé sous tutelle, ou plus exac-
tement u sous conseil judiciaire ».
Cette f o i s 4 les (( Jeunes Tchèques )) parlent de courir
aux armes et de déclencher une insurrection. I1 fa u t toute
l’autorité de Kramai: et le sang-froid de Masaryk pour les
ramener à la raison et les empêcher de fournir aux Alle-
mands un prétexte pour se livrer à des représailles mas-
sives. Mais la situation n’en reste pas moins extrêmement
tendue. I1 suffirait d’une étincelle pour mettre le feu aux
poudres.
Cette étincelle jaillira. Mais pas à Prague : en Bosnie 4. Le
dont l’objet est de réunir au royaume de Serbie, les Slaves vivant dans le sud de
l’Autriche-Hongrie et ceux de la Macédoine. Elle est composée principalement
d’officiers d’active et de membres des Sokols; elle a accès aux arsenaux serbes,
dans lesquels elle puise tout le matériel dont elle a besoin; elle reçoit les fonds nkcer-
saires à son activité directement des caisses de l’armée; enfin, elle est placée nouü
le commandement immédiat du chef du Service de contre-espionnage de l’État-
Major serbe, le colonel Dimitrijévitch. C’est Dimitrijévitch qui, personnellement,
a décidé et organisé l’attentat de Sarajevo. Son subordonné, le major Tankositch,
officier de carrière lui aussi, a été chargé de recruter les exécutants, de leur fournir
les armes et les fonds nécessaires ainsi que de leur procurer la filière qui leur apermis
de se rendre sur le territoire austro-hongrois, sans attirer l’attention deli autorités
chargées de protéger l’archiduc et son épouse. (Cf. Michel DACIER, UnprobUme qui
reskobscur :ICs origine8 de la guerre de 1914,ficri&de Paris, octobre 1964, p. 5 et 6.)
4. Cf. Maurice MURET,L‘Archiduc François-Ferdinand, p. 68 et s.
5. C’est ce que ne voulaient à aucun prix lea tenants du panslavisme, dont la
politique avait pour but la création d’États indépendants et homogènes. Malgr6
son jeune âge (19 ans), Princip ne l’ignorait pas, puisqu’il déclarera, au cours de
aon interrogatoire : E n tant que souverain, il [François-Ferdinand] aurait réalisé
(I
Op.cit.,
rigoureuses prises par l’autorité militaire, voire d’exécutions. D (MASARYK,
P’i?)Scheincr était un des défenseurs les plus ardents de la tendance russophile,
dont Masaryk nous dit : u Ils avaient un programme slave maximum, mais peu
clair : après la victoire russe, dont ils ne doutaient pas, il se formerait un grand
Empjre slave; les petites nations slaves SC rattacheraient à la Russie. D’après ce
que 1 on me rapporta alors, la majorité des russophiles se contentait d’une tentante
analogie avec le système planétaire : autour du soleil - la Russie - devaient
tourner les planètes - les nations slaves. Une partie des russophiles désirait une
espèce d’autonomie dans uno fédération russe, un grand-duc quelconque serait
Gouverneur général à Prague. a (MASARYK, Op. cit., p. 17.)
2. Traduit devant les tribunaux, KramarE sera condamné à mort en 1916.
Mais François-Joseph fera surseoir à son exécution. II préfère le conserver comme
otage, pour pouvoir exercer une pression sur la population.
3. Notamment le Nase Doba (Notre Temps) et le &s (l’Époque) de MAsAnYh-,
le CeSke Slow (la Parole tchèque) et le Samostatnost (l’Indépendance).
4. De plus, le repli des armées du grand-duc Nicolas qui avaient cnvahi la
Galicie en septembre 1914 et que les Tchèques s’apprdtaient à accueillir en libé-
rateurs, a fait passer sur la Bohême une grande vague de découragement.
5. a Notre lutte n’était pas moins importante que celle des Combattants deDieu u,
déclarera plus tard Masaryk dans un article où il identifiera le combat des patriotes
tchèques de 1914-1915 à celui des guerriers hussites du temps de J a n ZiSka. (Voir
plus haut, p. 12, n. I.)
6. Avec Seton Watson et Wickham Steed, rédacteur politique du Times à
Londres; avec le professeur Ernest Denis, à Paris; avec M. Stepina, leader du
Cornit6 tchéco-slave (Ceskoslovansky Pomoeny Vybor) à Chicago.
7. L’Italie était encore neutre.
8. a Cette détermination ne fut pas facile à prendreu, écrit Masaryk. a La résolu-
tion dont il s’agissait là était définitive; je le savais et je le sentais, mais il était
clair pour moi qu’à cc grand moment nous ne pouvions pas rester passifs Puis- ...
qu’il nous était impossible de nous dresser contre l’Autriche à I’inthieur, c’est à
LA FONDATION D E L A TCHÉCOSLOVAQUIE 39
Par malheur, Benès est trop connu de la police pour ne
pas être soumis à une surveillance sévère. Obligé de changer
sans cesse de domicile, prévenu par des amis qu’il est à la
veille d’être arrêté, il remet la direction de la Mafia à son
adjoint Samàl e t franchit, sous une fausse identité, la fron-
tière bavaroise ( l e r septembre 1915). Le lendemain, il arrive
en Suisse, où il reprend contact avec Masaryk. Quinze jours
plus tard (17 septembre) les deux hommes s’installent à
Londres et à Paris 1, où ils fondent un (( Comité national des
provinces tchèques D, en accord avec le député Dürich 2
et un jeune savant slovaque du nom de Milan Stéfanik3.
Du fait que la résistance intérieure a été décapitée à
Prague 4, Masaryk, Benès et Stéfanik deviennent les seuls
porte-parole des Tchèques et des Slovaques dans le camp
des Alliés 5. Pourtant, l’accueil qu’ils trouvent à Paris est
loin d’être aussi chaleureux qu’ils l’avaient espéré 6.
La majorité des Français ignore totalement les problèmes de
l’Europe centrale 7. Les Tchèques leur sont beaucoup moins
l’étranger que nous devions le faire. La tâche principale serait d’y gagner des
sympathies à notre peuple et A son programme national, d’entrer en rapport avec
les hommes politiques et les gouvernements alliés, d’organiser l’unité de tactique
de toutes nos colonies et, surtout, d’organiser une armée avec les prisonniers origi-
naires de chez nous. n (La Résurrection d’un &at, p. 37.)
1. aEn 1915 D, écrit Masaryk, p: Paris était le centre de l’action militaire, Londres,
celui de l’action politique ... J e pris donc la décision de vivre à Londres, en allant
de temps en temps a Paris ... De Paris, M. Benès viendrait régulièrement à Londres ...
Paris et Londres formèrent donc pour nous un centre unique d’action politique. I
(Op. cit., p. 82.)
2. II a réussi, lui aussi, à franchir la frontiére, en mai 1915.
3. Né en 1880 près de Myjava, en Slovaquie, Milan Ratislav Stéfanik a fait ses
études à l’Université de Prague où il a passé, en 1904, un doctorat de philosophie.
Venu à Paris vers 1906, il a été nommé assistant ti l’observatoire de Meudon,
pour le compte duquel il a accompli de nombreuses missions scientifiques en
Afrique, en Amérique et en Océanie. Naturalisé Français et mobilisé dans I’infan-
terie dès les premiers jours de la guerre, il a été promu lieutenant en 1915. Son
adhésion au r Conseil national 2 aura une grande importance. D’abord, parce
qu’il servira de trait d’union entrc Tchèques et Slovaques; ensuite parce que sa
qualité d‘oflicier français facilitera ses rapports avec les. milieux militaires de
l’Entente.
4. Par suite de l’incarcération de KramarE, de Klofatsch et de RaSin.
5. Masaryk devient Président du Comité; Dürich, Vice-président; Benès,
Secrétaire général. Quant à Stéfanik, il sera chargé des questions militaires.
6. Benès s’en plaint amèrement. n Notre position politique à Paris était pré-
cairen, écrit de son côté Ma8aryk.n Les Français eux-mêmes savaient peu de chose
de nous, presque uniquement ce que nous avions pu leur en dire, et nos moyens
étaient faibles. Le Parlement de Vienne ne siégeait pas et, par suite, on n’entendait
pas une seule voix tchèque... Les journaux autrichiens, hongrois et allemands fai-
saient le silence s u r notre action. Dans le Temps de Paris, on avait mCme pu voir
une petite note peu favorable à notre cause. II (Op. cit., p. 82.)
7. it J e m’imaginais que le terrain de Paris avait été, avant la guerre, mieux
préparé par Prague qu’il ne l’était en réalité Y, écrit Masaryk. (Op. cit., p. 47.)
40 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE
+ +
Voilà deux ans et demi que les Tchèques travaillent à la
dislocation de l’Autriche. Mais ce sera la Russie qui s’effon-
1. Dans le courant du mois de juillet, le gouvernement français a consenti à la
création d’une armée tchécoslovaque autonome en France. I1 a chargé Stéfanik
d’en établir les modalités, d’accord avec le général Janin, détaché depuis peu par
le Haut Commandement français auprès du G. Q. G. russe.
2. Masaryk a évité de se rendre lui-même en Russie, sachant qu’il n’y est pas
persona grata et ne voulant pas risquer, par sa présence, de provoquer une dispute
qui aurait des répercussions sur les relations interalliées.
...
3. a Le député Dürich avait de bonnes manières, parlait français et russe mais,
politiquement, il n’était pas à la hauteur des circonstances. II tenait pour le
tsarisme, et surtout pour l’orthodoxie, comme beaucoup de nos russophiles qui
attendaient leur salut de la Russie. a (MASARYK, Op. cit., p. 58.)
6. Voir plus haut, p. 41, note 2.
LA FONDATION DE LA T C H ~ C O S L O V A Q U I E 45
drera en premier. 1917 arrive. Grèves, actes de sabotage
et d’insubordination, occupations de casernes e t de bâti-
ments publics, saccages de commissariats de police se mul-
tiplient sur tout le territoire. Redoutant un effondrement
du front oriental, les représentants de l’Entente exercent
une pression accrue sur l’État-Major tsariste. Ils l’adjurent
de ranimer les énergies, de faire flèche de tout bois, d’auto-
riser enfin l’enrôlement des prisonniers tchèques. Devant
leur insistance, le général Gourko adresse le message suivant
au Commandant Stéfanik :
17 janvier 1917
Vow êtes prié de constituer un Comité, composé d’un petit
nombre de personnalités tchèques. Son rôle consistera à recruter,
en cas de besoin, des volontaires parmi nos prisonniers de guerre;
à former avec eux des unités militaires tchèques et slovaques et à
organiser des équipes d’ouvriers dans les usines travaillant pour
la Déjense nationale I.
qui n’ont pour ainsi dire pas combattu depuis le début des
hostilités - ils reprennent l’offensive et ne tardent pas à
les rejeter sur leurs positions de départ. Démoralisés par
cet échec et par l’insuffisance du ravitaillement, certains
régiments russes se débandent ou déposent les armes1. Ne
se sentant plus soutenus, les bataillons tchèques perdent
pied à leur tour. Aux alentours du 25 juin (9 juillet), la
bataille de Zborov se transforme en désastre. Craignant
d’être encerclés 2, les Tchèques refluent précipitamment sur
Tarnopol. Sans doute ont-ils fait de leur mieux pour briser
les lignes ennemies. Mais les officiers russes garderont l’im-
pression que leur décrochage prématuré a compromis toute
l’affaire. (( Sans la défection des Tchèques »,se disent-ils,
(( nous aurions rejeté les Autrichiens au-delà de Lemberg a! ))
1. a Onreconnut vite derrière luii, écrit John Reed,a le poing ganté de fer de la
bourgeoisie, prêt à s’abattre sur la révolution. D (Di2 j o u r s qui ébranlèrent le monde,
p. 11.)
2. Kornilov sera abattu peu après par un Conseil de soldats révoltés.
3. Ou Menchéviks, de a Minimalistes I appelés ainsi par opposition avec les
Bolchétiks, ou a Maximalistes B, représentant l’aile gauche du mouvement révo-
lutionnaire.
4. s Des désaccords surgirent entre la colonie de Pétrograd (plutôt progressiste)
et celle de Kiev (surtout conservatrice), puis entre nos compatriotes de Kiev eux-
mêmes. I1 se créa dans cette ville l’extraordinaire Ceskoslovemko Jednoia (Union
tchécoslovaque) qui se mit à dénoncer tout le monde, en particulier moi-même et
...
mon soi-disant occidentalisme. Ces dénonciations trouvaient audience auprès
de bien des gens, même au ministére des Affaires étrangdres. (Op. cit., p- 168.)
5. Devant l’évolution de la situation (l’Ukraine a proclamé son indépendance
le 24 janvier 1918 et les forces soviétiques de Mouraviev approchent de Kiev), le
Commandant de la 2’ division tchèque engage des pourparlers de neutralité avec
les troupes rouges. Le 31 janvier 1918, un accord est conclu à Jagotin. 11 est
complété, le l o r février, par une clause indiquant que cette Convention n’est BOU-
v 4
50 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
mise à aucun délai de dénonciation et qu’elle s’étend à toutes les formations tché-
coslovaques.
Le 8 février, l’armée bolchéviste occupe Kiev. Les négociations sont aussitôt
reprises pour régler les rapports entre troupes soviétiques et troupes tchécoslo-
vaques. Elles prennent fin, le 10 février, par la reconnaissance de la ncu-
tralité armée des troupes tchécoslovaques par le général Mouraviev. Cet accord est
confirmé par Kocjubinski, Secrétaire soviétique pour les Affaires militaires en
Ukraine.
Main le 18 mars, les Soviets changent d‘attitude. Ils s’opposent au départ des
Tchécoslovaquespour Omsk, car ils craignent que leurs formations ne fassent cause
commune avec Séménov et les Japonais. Enfin, une nouvelle autorisation de
départ est donnée à Penza, le 26 man,avec l’accord de Staline. (Cf. BENÈS,
Mémoires de guerre, p. 175 et s.) Ce qui n’empêchera pas Mouraviev d’être rap-
pelé à Kazan et exécuté, un mois plus tard, par un Commissaire politique pour
avoir conclu l‘accord du 10 février.
1. SAKHAROV, Op. cit., p. 31.
2. On risque de voir certains régiments tchéques, demeurés neutres, ouvrir
le feu sur d‘autres unités tchèques, ralliées au communisme. Par ailleurs,
nous dit le général Sakharov, en certains endroits où les unités tchèques sont
laisdes à elles-mêmes, elles remettent leurs armes aux Bolchéviks. D’autres, en
revanche, où sont demeurés des cadres tsaristes, s’y opposent. I1 en résulte une
série d‘échauffourées entre Tchèques e t Bolchéviks. (DieTschechischen Legionen
in Sibiriw, p. 32.)
LA FONDATION D E LA TCHÉCOSLOVAQUIE 51
à la guerre. Mais pas pour les Tchèques, puisque la France,
l’Angleterre et les États-Unis poursuivent le combat. Une
fois de plus, ils se demandent ce qu’ils doivent faire et
comment ils se tireront de ce sombre imbroglio l.
Pour rendre la situation plus dramatique encore, Trotsky,
se fondant sur une des clauses du Traité de Brest-Litovsk,
exige que tous les combattants tchèques soient immédiate-
ment désarmés et parqués dans des camps, en attendant
d’être renvoyés dans leur pays d‘origine. Pour les Tchèques,
cette décision équivaut à un arrêt de mort 2. Quelques unités,
prises de panique, acceptent de livrer leurs armes. Mais
les autres s’y refusent avec l’énergie du désespoir. L’ul-
timatum de Trotsky va-t-il déclencher une guerre entre
Tchèques e t Bolchéviks? (( Ce fut, déclarera plus tard Masa-
ryk, un de ces instants critiques comme nous en avons
connu beaucoup. 1)
Au point de vue du droit international, les combattants
tchèques sont à proprement parler, une armée sans État,
puisque la Tchécoslovaquie n’existe pas encore. Les Russes
les considèrent comme un corps étranger qui ne relève de
personne; les Autrichiens, comme un ramassis de traîtres,
passibles de la peine capitale. Et sans doute n’auraient-ils
pas eu d’autre choix que de se fondre dans l’Armée rouge
ou’ d’être massacrés, si Masaryk n’était intervenu pour
leur épargner cette fin tragique.
Le président du Conseil national tchèque de Paris se
trouve en Russie depuis mai 1917. Sitôt le Tsar renversé,
il s’est rendu à Pétrograd pour se mettre en rapport avec
Milioukov. Au cours de son voyage, il a rencontré tous les
chefs des missions militaires alliées détachés auprès du Haut
Commandement russe : le général Niessel, le général Knox, le
général Berthelot et surtout le général Janin, plus parti-
culièrement chargé des questions concernant les unités
tchèques. I1 a assisté à la tentative du coup d’État de Kor-
nilov, à la chute de Kérensky, à l’écrasement des Menchéviks,
à l’avènement des Soviets. Masaryk n’a jamais eu aucune
sympathie pour le régime tsariste et encore moins pour les
M O N G O L I E
Armée Sibérienne
i Gai Gayda )
de
(G!'Hanshin,puisSakharov)
-
-1-
o~a*.a
LesRwes
LesBlancs
IYmarç 1919
IIIIIIIIIIIIII
Batailles
Ligne de retraite de
l'Armée de Koltchak
Ligne de retralte
Attaques des Blancs des Tchèques
Armée d'0renburg
(Hetman Dutov) +-----.Retraite des Rouges -cc Chemins-de-fer
TRAVERS LA SIBBRIE(1918-1919)
58 HISTOIRE DE L’ARM$E ALLEMANDE
r r
1. Comme les Tchèques sont environ cinquante mille, cela fait moins de trois
légionnaires par wagon. Le reste est occupé par les marchandises a réquisitionnées 1.
2. C‘est-&dire sept jours après l’armistice de Rethondes.
LA FONDATION DE LA TCEÉCOSLOVAQUIE 61
complications avec les Alliés l. Faisant de nécessité vertu,
il convoque le général Sirovy à son Quartier Général et
s’efforce de trouver avec lui un terrain d’entente.
- (( Pourquoi les Tchèques, les Russes blancs et les Japo-
nais - qui occupent déjà un tronçon du Transsibérien -
ne conjoindraient-ils pas leurs forces pour abattre les
Rouges? B lui suggère-t-il. (( Les Bolchéviks représentent une
menace pour le monde entier. S’ils gagnent, ils ne feront
qu’une bouchée de votre pays ... Quelle gloire ne serait pas
la vôtre, mon cher général, si vous rentriez à Prague à la
tête d’une armée victorieuse ... 1)
Sirovy est un homme dur et tout d’une pièce. Avec son
front bas et son œil droit recouvert par un bandeau de taf-
fetas noir, il offre une ressemblance étrange avec Jean
ZiSka, dit (( le Borgne D, qui comyanda les guerriers hussites
au temps des guerres de religion. Comme lui, il est méfiant,
réaliste et obstiné. Jamais on ne l’a vu céder à la flatterie.
Promu général avant d’avoir atteint la quarantaine, il jouit
d’un grand prestige parmi les Légionnaires parce qu’il s’est
toujours refusé à les engager dans des aventures et qu’il ne
s’est jamais écarté de la plus stricte neutralité. I1 sait en
outre que la politique des Alliés envers les Communistes est
en train de changer, et que, le 10 avril précédent, Masaryk a
conseillé à Wilson de s’entendre avec eux a. Ce n’est pas à
présent qu’il va modifier sa conduite. Aussi repousse-t-il
sans ménagement les propositions de Koltchak.
- (( Aussi longtemps que j’aurai mon mot à dire »,lui
répond-il d’un ton cassant, (( aucun Tchèque ne participera
à la croisade antibolchévique! 1)
*
+ +
t
+ +
1. Constantin SAKHAROV,
Op. cif., p. 68-70.
68 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
z
* *
Jusqu’ici, les Tchèques n’ont rien fait pour arrêter les
cinq trains de Koltchak. Mais à Krasnoïarsk, le convoi est
tronçonné. Les Tchèques immobilisent les trois trains conte-
nant la garde de l’Amiral. Seuls sont autorisés à poursuivre
leur route, celui qui transporte Koltchak lui-même e t les
cinq wagons contenant le trésor impérial.
Lorsque les deux trains approchent de la station de
Nichne-Udinsk, un camion disposé en travers de la voie les
oblige à s’arrêter. Ils sont immédiatement cernés par un
détachement de Tchèques, armés de mitrailleuses. L’Amiral
interdit à sa petite escorte de réagir avant qu’il ait pu
prendre contact avec le général Janin. I1 cherche à joindre
le chef de la Mission alliée par télégraphe. Mais en vain.
Janin s’est replié sur Vladivostok, car la situation à Irkoutsk
est devenue intenable.
Finalement, les appels de Koltchak parviennent au chef
de la Mission alliée.
- (( Résignez-vous à l’inévitable D, lui répond ce dernier.
(( Placez-vous sous la protection des Tchèques! Si vous vous
+ +
+ +
I.Aux termes de cet accord, les Tchèques s’engagent : l o A désarmer les for-
maiiom blanches qu’ils rencontreraient sur leur rouk; 20 A respecter une. distance
minima entre les derniers &aim tChéguc-8 et lu premiers trains rouge#; 3. A laiaser
toui Is matériel ferroviaire en bon &at; 40 A coüuborcr a m les Rougu pow touà ce
r. wnccrne le transport du courrier, des armes et de CWtUiM agents politique. C’est
insi que seront transportés Vilensky, le chef des opérations militaires contre
l’hetman Semjonov (qui deviendra Commissaire pour toute la province de Baika-
lie), et Kerasnostchekov-Tobelsohn,le futur président de la République soviétique
d’Extrême-Orient. (Cf. A. J. GUTTMANN,Gibd A’ikolaietrkaia Amurc, Berlin,
1924, p. 75.)
2. Son capital, qui s’élève A soixante-dix millions de couronnes, est form&en pai‘
tie par les subventions des Alliés, en partie par les retenues effectuées sur la solde
des Combattants. En échange, ceux-ci Pont devenu# acticnnaireo de la Banque.
(Voir plus haut, p. 73, note 3.)
v 6
82 HISTOIRE D E L’ARMBE ALLEMANDE
4 4
1. Sans doute parce que la colonie tchèque y est insignifiante. Si Masaryka décid6
de s’installer sur les bords de la Tamise c’est parce qu’il considére l’Angleterre
comme la cheville ouvrière de la coalition.
2. Le 4 janvier 1915.
3. L’Associafion nationale tchdqus d’Amérique a tenu ion premier congrba à
Cleveland, le 13 janvier 1915.
4. a Partout, nos compatriotes avaient compris ce qu’ils devaient faire I),Ccrit
Masaryk. a Partout, ils avaient spontanément entrepris de créer des associations
politiques et des formations militaires. D (La Résurrection d’un État, p. 56.)
5. MASARYK,Op. cit., p. 57,8446.L’auteur ajoute: I II est inutile d’exposer ici
dans les détails les conflits qui divisaient certaines colonies. En Russie, l’opposition
entre les deux tendances conservatrice et progressiste eut plus d’importance [que
partout ailleurs]; la révolution de 1917 mit les conservateurs A l’arrière-plan et
da ce fait, l’unité finit par Be rétablir, bien qu’imparfaitement. D Nous avons dbjà
fait allusion à ces divergences à propos de l’affaire Dürich. (Voir plus haut, p. 44.)
88 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE
niers tchèques internks en Russie. (C’est le premier traité conclu par un État avec
le Conseil national.) 17 miit :Premier accord du Conseil national avec le gouver-
nement français, relatif a la création d’une Armée tchécoslovaque en France.
19 décembre : Décret préliminaire sur la création de l’Armée tchécoslovaque en
France. 7 fkorier 1918 :Convention Benès-Clemenceau, sur la création de ïArmée
tchécoslovaque en France, etc.
1. En vertu de ces dispositions, l’Armée tchèque, tout en faisant partie d’une
armée alliée, demeure autonome, en ce Bens qu’elle n’est soumise, politiquement,
qu’au Conseil national. (Cf.M A S A R Y K ,Op. ci;., p. 286.)
2. Grâce aux efforts conjugués de M. Asquith, de Lord Northciiffe, de M. Phi-
lip Kerr, secrdtaire de Lloyd George, et de M. Baliour, ministre des Affaires
étrangères,
94 HISTOIRB DB L ’ A R M ~ E ALLEMANDE
+ +
Le 6 avril 1917, les États-Unis entrent en guerre contre les
Empires centraux. Leur intervention aux côtés des Alliés
marque u n tournant décisif dans le déroulement des hosti-
lités. Jusqu’ici, on pouvait nourrir des doutes sur l’issue du
conflit. Désormais, il paraît impossible que l’Allemagne et
l’Autriche-Hongrie puissent en sortir victorieuses.
Du coup, les colonies tchèques e t slovaques résidant aux
États-Unis peuvent se départir de la réserve que leur impo-
sait la neutralité américaine e t soutenir beaucoup plus
vigoureusement la cause de leurs compatriotes. Avantage
non négligeable pour Benès et Masaryk. Mais c’est surtout à
partir de 1918 que les événements se précipitent et que le
Conseil national commence à recueillir le fruit de ses efforts.
Du 9 au 12 avril se tient à Rome un (( Congrès des peuples
opprimés d’Autriche-Hongrie ».On y rencontre des Serbes, des
Croates, des Slovènes, des Roumains, des Polonais de Galicie,
1. MASARYK,Op. cit., p. 138-139.
2. Id., ilid.
LA FONDATION DE LA T C H ~ C O S L O V A Q U I E 95
des Tchèques et des Slovaques l. Tous réclament la reconnais-
sance de leur indépendance et jurent de ne pas cesser le
combat avant de l’avoir obtenue. Quinze jours plus tard,
c’est-à-dire le 21 avril, le Gouvernement italien signe, avec
les représentants du Conseil national, un accord portant sur
la formation d’une armée tchécoslovaque en Italie 2. Le
22 mai, Clemenceau promet à Benès que (( le moment venu,
la France reconnaîtra le droit de la nation tchécoslovaque à
l’indépendance ». Le même jour, lord Robert Cecil fait une
déclaration similaire, au nom du Gouvernement britannique.
Le surlendemain, 24 mai, au cours d’une cérémonie solen-
nelle, Stéfanik remet leurs drapeaux aux premières unités
de l’armée tchécoslovaque en formation en Italie 3. A cette
occasion, M. Orlando, Président du Conseil italien, le prince
Colonna, maire de Rome et M. Page, ambassadeur des Etats-
Unis, prononcent des discours où ils exhortent les Légion-
naires tchèques (( à lutter jusqu’au bout pour la libération
de leur patrie n.
Après tant de mois d’incertitude, d’hésitation et d’an-
goisse, l’optimisme règne dans le camp des Alliés. L’échec
des offensives de Ludendorff au printemps de 1918, l’arrivée
accélérée des renforts américains, les craquements sympto-
matiques qui se font entendre dans le camp des Empires cen-
traux, tout annonce que la guerre sera bientôt terminée.
Cette perspective incite les dirigeants tchèques à redoubler
d’efforts pour obtenir des Alliés une reconnaissance explicite
et asseoir solidement leur position internationale, avant que
ne s’ouvrent les pourparlers de paix.
Le 3 juin, sur les instances de Masaryk, le Gouvernement
britannique déclare (( qu’il est disposé à reconnaître le
Conseil national comme Organe dirigeant du Mouvement
tchécoslovaque ainsi que de l’armée qui se bat aux côtés de
l’Entente 4 ~ ) Pendant
. ce temps, Benès met tous les fers au feu
pour obtenir du Gouvernement français une prise de position
encore plus catégorique. L’accord se fait, durant la première
quinzaine de juin, sur la teneur de la déclaration ainsi que sur
1. Seuls les Ruthènes ne sont pas représentés.
2. Accord Orlando-Stéfanik. II sera complété et élargi par un second accord, en
date du 30 juin 1918.
3. Ses effectifs grossissent rapidement grâce aux transfuges qui franchissent le
front aiitrichien. Comme en Russie, des compagnies entières abandonnent l’Armée
austro-hongroise pour se ranger dans le camp de l’Entente.
4. Accord Balfour-Benès.
96 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE
r *
Armée de France. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
Armée de R u s s i e . 92.000 hommes
12.000 hommes
Armée d’Italie. ............. 24.000 hommes
Total. ........... 128.000 hommes
A ce nombre de combattants, nous dit Masaryk, viendront s’ajouter 54.000 soldats
des détachements dits terriloriam, formés en Italie en décembre 1918, ce qui por-
tera les effectifs des forces tchkcoslovaques à 182.000 hommes. ( L a Rdsurreclion
d’un Éiat, p. 289.)
Les chiffres indiqués par Masaryk pour les armées de France et d’Italie, ainsi
que pour les détachements territoriaux correspondent à la réalité. E n revanche,
100 EISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE
Le 2 septembre, une déclaration Wilson-Lansing vient
confirmer la prise de position anglaise. Elle reconnaît le
Conseil national comme (( une Puissance belligérante, en
guerre avec les Empires centraux ».
Alors Masaryk Pécide de franchir le pas décisif. Avant de
repartir pour les Etats-Unis, il transforme le Conseil national
en N Gouvernement provisoire tchécoslovaque à Paris 1)
(26 septembre). En tant que président de ce rlouvel orga-
nisme, il nomme Benès, ministre des Affaires étrangères et
Stéfanik, ministre de la Guerre. Le 14 octobre, Benès, agis-
sant en vertu de ses nouvelles fonctions, notifie cette déci-
sion à tous les chefs d’Etat alliés et accrédite auprès d’eux
des représentants diplomatiques.
Le lendemain, 15 octobre, le Gouvernement français
reconnaît de jure le Gouvernement provisoire tchécoslovaque.
L’Angleterre en fait autant l. Durant les journées qui suivent,
télégrammes de félicitations e t actes de reconnaissance
amuent au petit hatel particulier, sis au 28 de la rue Bona-
parte, où le Gouvernement provisoire a établi son Quartier
Général. La Serbie, la Pologne, l’Italie, la Grèce, h Belgique,
le Portugal, le Brésil, le Japon reconnaissent l’un après
l’autre le nouveau gouvernement.
*
4 -
DE LA RÉSISTANCE INTÉRIEURE
A LA PROCLAMATION DE LA REPUBLIQUE
U T R I C H E
4 *
i *
1. Capitale :Vienne.
2. Superficie : 3.281 km*. Population : 176.237 Allemands et 6.131 TchPques.
3. Capitale :Linz.
4. Superficie :7 0 km*. Popuhlwn :140.346 habitants, dont 92.761 Allemands
et 45.297 Tchèques.
5. Superficie :42 km’. PopuZation :37.443 habitants, dont 24.628 Allemands et
11.567 Tchèques
6. Superficie :372 km*.Population :48.420 habitants, dont 38.402 Allemands
e t 9.769 Tchdques.
7. Deutachbiihrnen, Sudetenlad, Kreia Südrndhren et Bôhmenvaldgau ont agi
jusqu’ici en ordre dispersé. Mais la pression des événements les oblige à s’unir.
Pour donner plus de poids à leurs revendications, ils décident de se d6signer eux-
mêmes sous le vocable collectif de Sudetendeutscheou Allemands des Sudètes. Ainsi
naît ce mot, r i aura la fortune historique que l’on sait.
8. Kramar est arrivé à Genève le samedi 26 octobre 1918. Benès y arrive le
28 au matin, à l’heure méme où le Conseil national de Prague est en train dc
prendre le pouvoir.
L A FONDATION D E L A T C A ~ C O S L O V A Q U I E 117
des interlocuteurs est conscient de la gravité de l’heure;
mais chacun possède des atouts dont il ne peut se dessaisir.
C’est pourquoi leur confrontation va être dramatique.
E n tant que Président et Secrétaire général du Conseil
national de Paris, Masaryk et Benès ont été reconnus par
toutes les Puissances alliées. Ils apportent avec eux des
subsides1, des armes e t la protection des vainqueurs. Sans
eux, ni la France ni l’Angleterre n’auraient inscrit le démem-
brement de l’Autriche parmi leurs buts de guerre, et Wilson
en serait resté à ses déclarations d’autonomie. Ils ne jouissent
pas seulement du soutien de toutes les colonies tchèques
d’Europe e t d’Amérique : ils ont conclu des, accords avec les
Slovaques et les Ruthènes, qui ont accepté de joindre leur
destin au leur. Ils disposent d’une force armée de plus de
100.000 hommes : les Légions, qui se trouvent en France, en
Italie et en Sibérie. Enfin ils ont reçu, de la pari des diri-
geants de l’Entente, la promesse d’instaurer un E t a t indé-
pendant (( dans les limites historiques de la Nation tchécoslo-
vaque n. De pareils avantages remportés de haute lutte, ne
leur donnent-ils pas le droit de parler en maîtres?
Mais KramarE, lui non plus, n’arrive pas les mains vides.
I1 sait qu’il peut compter sur l’adhésion du peuple, aux yeux
duquel il symbolise la Résistance, bien plus que les exilés de
Londres et de Paris. I1 tient le territoire, les Sokols et l’admi-
nistration du pays. L’évincer du pouvoir est pratiquement
impossible; cela provoquerait à Prague une levée de boucliers.
- cc Si vous voulez prendre le pouvoir à Prague, sans tenir
compte de notre existence, vous serez balayés! )) affirme-t-il
à son interlocuteur.
- (( E t vous, si vous voulez y instaurer un Gouvernement
tchécoslovaque indépendant, sans tenir compte de la volonté
des Alliés, vous serez écrasés »,rétorque Benès.
Après plusieurs heures de discussion, au cours desquelles
le spectre de la guerre civile se profile à l’horizon, chacun des
deux hommes se rend compte qu’il ne peut rien contre
l’autre. Mieux encore : que les circonstances leur com-
mandent de s’accorder. Fort sagement, ils conviennent que
les Conseils nationaux de Prague et de Paris fusionneront,
afin de constituer un gouvernement unique. Celui-ci sera
composé de membres choisis parmi les deux organismes.
1. Lea colonies am6rieaines leur ont vemd der iommei considérables, et le
Gouvernement français leur a consenti un emprunt de 400 millions de francs-or.
118 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
L’OCCUPATION DU TERRITOIRE
ET LES ÉLECTIONS DE 1919
i i
* +
Durant les semaines suivantes, les Allemands de Bohême,
ne sachant plus que faire, se livrent à la résistance passive.
Ils boycottent les magasins tchèques, évitent d’adresser la
parole aux fonctionnaires tchèques et agissent en toutes
choses comme si les Tchèques n’existaient pas. Mais voilà
que survient pour eux une occasion inespérée de manifester
leur état d’esprit, autrement que d’une façon silencieuse
et négative.
Dans les derniers jours de décembre 1918, l’Assemblée
nationale autrichienne, issue de l’ancien Reichsrat, a décidé
de se constituer en Assemblée constituante et de pro-
céder pour cela à des élections générales. La consultation
électorale, qui aura lieu daus le courant de février 1919, doit
s’étendre à toute l‘Autriche,. y compris les districts alle-
mands de Bohême, de Moravie et de Silésie. Que les popu-
lations de ces régions expriment leur volonté de vivre
ensemble par un vote clair et irrécusable! Qu’elles fassent de
ces élections une manifestation éclatante de solidarité ger-
manique! Les Alliés seront bien obligés d’enregistrer le fait ...
Les groupements nationaux sudètes, au premier rang des-
quels figurent le Parti national et le Parti ouvrier national-
socialiste allemand, se mettent aussitôt au travail pour
donner à la consultation le caractère d’un plébiscite. Mais
à cette époque de chômage et de misère, la lutte pour le
pain quotidien l’emporte sur les préoccupations de langue e t
de race. Dès l’ouverture de la campagne, ils ont la douleur de
constater que les éléments d’extrême-gauche e t les syndicats
marxistes refusent de s’associer à leurs efforts. Non contents
de les dénoncer comme les suppôts du militarisme e t de la
réaction, ils invitent leurs adhérents à s’abstenir d’aller aux
urnes 2. Cette attitude ne porte pas seulement un coup fatal
1. Seule les retient d’aller plus loin, la crainte d’annexer un plus grand nombre
de populatious étrangères, ce qui rendrait les Tchhques minorilaires dans leur
propre paya
2. Sur instructions de la 111s Internationale, tous les membres des syndicats
marxistes qui se rendront aux urnes ee verront retirer leur carte, et ne toucheront
LA FONDATION DE L A TCHÉCOSLOVAQUIE 131
à l’unité du (( Front allemand ». Elle permet aussi aux
Tchèques de passer à la contre-offensive.
Remettant en vigueur l’article 65 de l’ancienne Consti-
tution impériale, qui punit de peines sévères (( tous ceux qui
portent atteinte à l’unité de l’Etat, par leurs actes, leurs
paroles ou leura écrits »,les autorités de Prague font inter-
dire les réunions, lacérer les affiches, saccager les perma-
nences des partis nationaux1 et incarcérer, sous des pré-
textes divers, tous ceux qui participent, de près ou de loin,
à la campagne électorale. Les nationalistes sudètes ont beau
se démener : ils sont contraints, finalement, d’abandonner
la partie. La surveillance policière est si étroite que les
élections ne peuvent avoir lieu. Aucun nouvel élu des Alle;
mands de Bohême ne siégera donc au Parlement de Vienne,
avec lequel., désormais, tous les ponts sont coupés.
Alors, les Allemands commencent à pressentir le sort qui
les attend. (( Les territoires occupés par les Allemands sont
à nous, et resteront à nous! Que les immigrants et les colo-
nistes s’en aillent! »,a déclaré Masaryk lors de son arrivée à
Prague. Se pourrait-il vraiment que cette menace se réalise?
Réduits à l’impuissance, ils sentent retomber sur eux une
lourde chape de plomb. Ils se demandent avec angoisse si
les Tchèques ne vont pas leur faire subir la loi du plus
fort, en attendant de les reléguer au rang de peuple assu-
jetti...
E n un sursaut de désespoir, ils décident de prendre le
monde à témoin de la violence qui leur est faite. Cette fois-ci
la vague est si forte que tous les partis sans exception sont
obligés de s’y rallier. Le 4 mars 1919 arrive: c’est le jour où
la nouvelle Assemblée autrichienne tient sa séance d’ouver-
ture. A l’heure même OU les députés se réunissent au Parle-
ment de Vienne, les machines s’arrêtent, les usines se vident,
les trains s’immobilisent sur tous les territoires allemands de
Bohême et de Moravie. Les mines, les fonderies, les filatures
sont abandonnées. Tous les habitants des villes et des vil-
lages descendent dans la rue. Plus d’un million e t demi
d’hommes, de femmes et d’enfants se rassemblent sur les
places, pour proclamer leur volonté de demeurer Allemands.
Paysans et ouvriers, bourgeois et commerçants s’embras-
plus aucune indemnit6 de chômage. A cette époque, une telle sanction les expose à
mourir de faim.
1. Notamment à Saaz, à Leitmeritz, à Brüx, à Aussig et à Gablonz.
132 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE
z
+ *
Deux documents émergent de cet amas de paperasses.
L’un est le Mémoire remis par Benès à Cambon e t à Ber-
thelot le 5 février 1919, et qui contient l’essentiel des thèses
tchécoslovaques l. L’autre est l’Adresse rédigée à l’intention
du Président Wilson par MM. Lodgman, Seliger et Freissler,
au nom des Sudètes, et présenté au Conseil suprême dans le
courant du mois de juin.
Voici les arguments énoncés dans le Mémoire de
Benès2 :
I. PROAMBULE.
Le problème de base qu’il s’agit de régler est celui de la coha-
bitation des populations slaves et germaniques au sein de l’État
tchécoslovaque. A première vue, ce problème paraît insoluble. E n
réalité, nous croyons être à même de démontrer qu’il est beaucoup
plus facile c i rksoudre qu’on ne le croit.
Il est vrai que quelque trois milliohs d’Allemands vivent sur
le territoire tchécoslovaque. Le Gouvernement tchécoslovaque n’en
demande pas moins que ces populations soient incluses dans les
frontières du nouvel État, au nom du droit des peuples non seu-
lement à disposer d’eux-mêmes, mais à assurer leur survie et à
façonner librement leur propre destin.
II. D O W N É E SSTATISTIQUES.
D’après les statistiques officielles autrichiennes de 1910,
3,512.862 Allemands vivent dans les pays tchécoslovaques, dont :
2.467.724 en Bohême,
719.435 en Moravie et
325.523 en Silésie.
1. Connu xous le nom de Mémoire I I I (car il a été précéd6 de deux autres
mémorandums du même ordre, mais moins développés), ce document, qui com-
porte une quarantaine de pages, est tombé en septembre 1920 entre les mains
des anciens députés allemands de Bohême, qui l’ont publié in exbmo dans le
journal Bohemia, du 10 au 19 octobre 1920.11 a été repris par la suite par Hermann
RASCEHOFER, dans Die TschachoslowakischenDenkachriflen für die Friedenskonfe-
renz cwn Paris 1919-1920 Berlin 1937) et par A. de LAPRADELLE, dans La T c h b
coslor~aquiedo M ü n i d à Lrague. Revue de Droit internalional X X Z I , Paris 1938,
353440. Extrêmement mécontent de la divulgation de ces textes, Benès a qualifié
leur publication (1 d’acte inamical D e t a argué a que la situation en 1937 était très
différente de celle de 1919 et que, dix-huit ans a p r h les Traités de Paix, il les
aurait rédigés autrement n. (Ct. son entretien avec les députés du Parti des Sudètes
le 24 août 1938. Akten ZUI Deutschen Awwdrtigen Politik, II, 398.)
2. Étant donné la longueur de ce Mémorandum, il nous a été impossible d’en
donner ici plus qu’un résumé scrupuleux, mais succinct.
LA FONDATION DE L A T C H ~ C O S L O V A Q U I E 139
En Moravie, les Allemands vivent dispersés et ne forment
nulle part des masses compactes, exclusivement allemandes.
En Silésie, le problème se pose différemment. Les Tchécoslo-
vaques réclament la Silésie autrichienne tout entière parce qu'il
faut que leur État ait une frontière commune aussi longue que
possible avec la Pologne. Il importe que les Allemands ne forment
pas un coin qui séparerait les deux Etats slaves et s'enfoncerait
trop profondément vers le centre de l%tat tchécoslovaque pour ne
pas le menacer.
Il n'y a donc lieu de tenir compte Q U E des Allemands de
Bohême. Ceux-ci, a u nombre de 2.467.724, habitent un territoire
situé le long des frontières septentrionales et occidentales d u pays.
M a i s ils ne forment pas un ensemble homogène; on peut les
répartir e n trois groupes distincts :
a) Le groupe de Cheb-Zatek (Eger-Saaz);
b) L e groupe de Liberet (Reichenberg);
c) Le groupe de la partie sud de la Bohême l.
Au sein de ces trois groupes existent de vastes enclaves de
population tchécoslovaque. Ainsi, par exemple, dans le groupe
de Cheb-Zatek qui est le plus fort et où se trouvent environ I mil-
lion d'Allemands, vivent igalement plus de 300.000 Tchèques.
L e pourcentage de la minorité tchèque atteint donc 30 à 35 yo,
même dans les régions les plus peuplées d'Allemands 2. Dans les
régions minières comme celles de Duchcov et de Teplice, l'élément
tchkque atteint jusqu'à 50 %. Les statistiques officielles autri-
chiennes ont toujours été honieusement f a k i fiées. On pourrait
citer un très grand nombre d'exemples, qui révéleraient les pro-
cédés dont s'est servie l'administration impériale pour abaisser
le chiffre de la population tchécoslovaque dans ces régions et pour
faire croire qu'elles étaient entièrement allemandes.
EN c o N c L U s I o N , il ressort de ces données :
10 Qu'en Bohême, le nombre des Allemands qui s'élève, au
dire des statistiques autrichiennes, à 2.467.724, doit être réduit
de 800.000 à I million, e n raison des falsifications systématiques
auxquelles se sont livrés les recenseurs autrichiens et des pressions
exercées sur la population tchécoslovaque.
III. RAISONS
ÉCONOMIQUES.
IV. RAISONS
STRATÉGIQUES.
V. RAISONSPOLITIQUES.
I l faut également prendre e n considération le fait que les Alle-
mands de Bohême sont des colons ou des descendants de colons.
Durant des siècles, les différentes Familles régnantes ont appelé
des colons allemands e n Bohême pour augmenter les revenus de
la cassette royale. Plus tard, lorsque les Habsbourg eurent battu
les Tchèques à la Montagne Blanche (1620), ils firent venir un
grand nombre d'Allemands pour germaniser complètement le
pays. Bientôt, seule la langue allemande fut admise. Au X I X e
et au X X e siècle, les Gouvernements viennois ont continué à
agir de la même façon.
A cet effet, ils ont imaginé et propagé par tous les moyens l'idée
qu'il existait une Bohême allemande dont ils avaient fait un
domaine exclusivement réservé aux Allemands. Pour fortifier la
position peu solide des Allemands, ils ont envoyè e n Bohême un
grand nombre de bureaucrates et de gendarmes allemands. Forts
de l'appui d u Gouvernement impérial, les Allemands se sont
livrés à toutes sortes de persécutions contre les Tchèques, ce qui
devait - dans la pensée de Vienne - amener à la longue leur
éviction d u pays et aboutir à sa germanisation totale.
A cette pénétration séculaire, fondée sur la violence et l'arbi-
traire, les Tchèques ont répondu par une lutte de tous les ins-
tants. Pendant les guerres hussites, ils ont réussi à débarrasser
presque complètement la Bohême des Allemands. M a i s cet avantage
a été reperdu a u X V I P siècle, lorsque, les Tchèques ont été vain-
cus par les Habsbourg.
A partir d u X I X e siècle, les Tchèques se sont ressaisis. Malgré
tous les obstacles que leur opposait la dynastie, ils ont fini par
reconquérir presque tout le pays. Des villes soi-disant allemandes
se sont rapidement transformées e n villes tchèques I. Les régions
demeurées allemandes ne sont que le vestige de l'ancienne position
des colons allemands e n Bohême. Cette position est aujourd'hui
en voie de disparition.
Les Tchèques ont rétabli la situation en opposant le principe
de la démocratie à celui de l'autocratie, sur lequel était fondée
l'hégémonie allemande. Il faut se rendre compte que Prague, il
y a soixante ans, avait l'aspect d'une ville allemande; qu'au cours
des vingt dernières années, un nombre considérable de villes alle-
mandes sont tombées aux mains des Tchèques et que ces villes
n'ont aujourd'hui, pour ainsi dire plus un seul habitant allemand.
I l s'est produit, en quelque sorte, une (( colonisation à rebours n.
Il laut ajouter que les Tchèques ont mené cette lutte loyale-
ment, en recourant uniquement aux armes intellectuelles.
1. Nous avoue déjà cité plue haut, le cas de la ville de Budweis (BudejoviEe).
(Voir p. 27 noie 1.)
142 HISTOIRE DE L ’ A R W ~ E ALLEMANDS
t
+ +
i +
4 +
Monsieur le Président,
J’ai l’honneur de soumettre à Votre Excellence u n Mémoire
ci-joint (Annexe A), élaboré par les représentants des parties
allemandes de la Bohême, de la Moravie et de la Silésie autri-
chienne, afin d’établir l‘injustice dont trois millions et demi
d’Autrichiens allemands sont menacés par les conditions de paix
présentéas à l‘Autriche allemande.
1. Le texte du Mémoire III de Benès ne sera connu des députés sudètes qu’en
septembre 1920, c’est-A-dire seize mois pIus tard. (Voir plua haut, p. 138, note 1.)
LA FONDATION DE LA TCHECOSLOVAQUIE 149
En ce qui concerne l‘avenir des Allemands en Bohême et
dans les régions des Sudètes, les Puissances alliées et associées
sont en train de commettre, à l’égard de la population des dits
territoires et de tous les Autrichiens alleman&, urn flagrante
injustice, ainsi que d’entraîner le peuple tchécoslovaque lui-même
dans une politique aventureuse et catastrophale (sic).
En persistant dans cette voie, les Puissances crderaient, au
centre de l’Europe, un foyer de guerre civile, doni le brasier pour-
rait devenir, pour le monde et pour son essor social, bien plus
dangereux que ne le fut la fermentation continuelle dans les
Balkans.. .
L e tort que l’on fait à l’Autriche allemande crève les yeux.
L’étendue du territoire et le nombre des habitants dont il s’agit
s’élèvent à plus d u double du territoire et de la population de
l’Alsace-Lorraine. Voulant réparer le mal fait à la France en
1870-1871, les Puissances alliées et associées vont créer une
double Alsace. Au moment où elles proclament le libre droit
des peuples à disposer d‘eux-mêmes, elles prononcent l’arrêt de
mort d’une population plus nombreuse que celles d u Danemark
et de la Norvège réunies. Jamais la nation sujette ne pourra
tolérer cette domination; jamais la nation dominante n’arrivera
à se rendre maîtresse de la tâche qui en résultera pour elle.
J’ai cru de mon devoir d‘en avertir solennellement le Conseil
Suprême.
Signé : KARLRENNER,
Président de la Délégation de l’Autriche allemande 1.
Saint- Germain-en-Laye.
L e 6 août 1919.
Monsieur le Président,
Par la note du 20 juillet, Votre Excellence a bien voulu me
remettre, a u nom du Conseil suprême des Puissances alliées et
associées, le texte des conditions de paix avec l'Autriche.
D'après le texte de ces (( conditions n, il est opposé un refus
formel a u désir du peuple autrichien allemand de vivre libre et
uni. De vastes territoires de la Bohême du Nord,& Pays des
Sudètes, de la Bohême et de la Moravie d u Sud,de la Carinthie
ainsi que le Tyrol au-delà du Brenner, devraient être livrés à
d'autres États et assujettis à d'autres peuples.
Les raisons économiques, politiques et sociales prouvant la
nécessité de l'union des pays allemands de l'ancienne Monarchie
dans un seul et même État, ont été clairement établies par la
délégation soussignée dans ses ccimmunications antérieures. M a i s
ce fut e n vain que nous avons invoqué le principe proclamé par
les Puissances elles-mêmes comme étant leur but de guerre; ce fut
e n vain que nous avons fait valoir le droit des peuples à disposer
de leur sort ...
I l ne nous revient pas d'élever des reproches. Nous ne pouvons
que faire usage du droit de nous plaindre, de décliner la respon-
sabilité d'une pareille décision et d'en abandonner les consé-
quences à l'évolution historique.
Pour la délégation de l'Autriche allemande.
KARLRENNER,
Président l.
* *
Mais contrairement à ce que l’on croit généralement, le
Traité de Saint-Germain ne comporte pas que des clauses
relatives à l’Autriche. I1 est assorti d’un traité entre la
République tchécoslovaque et les principales Puissances
1. Voir plus haut, p. 148.
2. Déclaration de M. Gürîkr à l’auteur, on 1925.
LA FONDATION D E L A T C H ~ C O S L O V A Q W I E 157
alliées et associé_es, relatif au traitement des minorités au
sein du nouvel Etat. Ce document est divisé en trois cha-
pitres. Le premier (articles 1 à 9) stipule entre autres :
ART. 2. - L a Tchécoslovaquie s'engage à accorder à tous ses
habitants pleine et entière protection de leur vie et de leur libertk,
sans distinction de naissance, de nationalité, de langage, de race
ou de religion ...
ART. 7. - ... I l ne sera édicté aucune restriction contre le
libre usage par tout ressortissant tchécoslovaque d'une langue
quelconque soit dans les relations privées ou de contmerce, soit en
matière de religion, de presse ou de publication de toute nature,
soit dans les réunions publiques.
Nonobstant l'établissement par le Gouvernement tchtkoslovaque
d'une langue officielle, des facilités appropriées seront données
aux ressortissants tchécoslovaques de langue autre que le tchèque,
pour l'usage de leur langue, soit oralement, soit par écrit devant
les tribunaux ...
* +
Le 17 octobre 1919, le Traité de Saint-Germain est ratifié
par le Parlement autrichien1. Le 4 juin 1920, le Traité de
1. Paul S I E B E R T Z ,Tschechische
D~~ Gefahr, p. 194. Mgr Hlinka a été éconduit.
LA FONDATION D E LA TCHBCOSLOVAQUIE 159
Trianon est signé avec les Hongrois l. Est-ce enfin la paix?
Pas encore. Car la querelle qui oppose les Polonais et les
Tchèques à propos du comté de Teschen n’a toujours pas
trouvé de solution. Malgré leurs efforts réitérés, les Alliés
n’ont pas réussi à obtenir de Pilsudski qu’il renonce à ce
territoire. A la grande colère de Benès, il continue à le
revendiquer, comme faisant partie intégrante de la Pologne.
De tous les Pays successeurs de la Double-Monarchie, peut-
être la Pologne est-elle le plus insatiable. On dirait (( qu’elle
veut profiter à la fois des victoires de Foch sur les Alle-
mands et de Hindenburg sur les Russes ». Non contente
d’englober à l’ouest la Prusse-occidentale, la Posnanie, une
partie de la Silésie prussienne e t la Galicie, elle veut encore
retrouver, à l’est, ses frontières de 1772 e t s’étendre, sans
solution de continuité, de la Baltique à la mer Noirea. C’est
en vain que le Conseil suprême a adressé à Pilsudski un
télégramme l’invitant à conclure au plus t ô t un armistice
avec les Ukrainiens et menaçant de lui supprimer toute aide
et assistance, s’il continuait à braver les décisions de la
Conférence (27 mai 1919).Le chef du Gouvernement polonais
a repoussé sa proposition 6.
Mais voilà qu’au printemps suivant, la situation se ren-
verse. Les forces ukrainiennes s’étant dissipées comme un
LA (( DEGERMANISATION 1)
DES DISTRICTS ALLEMANDS
C t
tous les mariages mixtes, les enfants sont automatiquement inscrits comme
étant de nationalité tchèque dans les registres de l’état civil.
1. Des mesures similaires sont appliquées aux Hongrois de Slovaquie.
2. Les allocations accordées par le Gouvernement de Prague vont exclusive-
ment aux districts tchèques et slovaques.
LE R A T T A C H E M E N T D E S S UDÈTES A U REICH 175
décès, on compte 44 suicidés, soit un septième du chiffre total.
Parallèlement à cet accroissement du nombre des suicides,
on constate une diminution du taux des naissances et une
augmentation de la mortalité. Lorsqu’une population en
arrive à ce degré d’érosion, il ne lui reste que deux issues :
périr ou se révolter ...
VI11
1. Suddendeulsche Heimaffront.
LE RATTACHEMENT D E S SIJDÈTES AU REICH 181
tions essentielles de la restauration et du maintien de notre
substance vitale.
Tout en reconnaissant l’État tchécosluvaque, le Front de
la Patrie sudète luttera pour atteindre ses objectifs sur le
terrain que le Destin lui a assigné, en recourant à tous les
moyens autorisés par la loi. Il se réclame des principes essen-
tiels de la démocratie, au premier rang desquels figure
l’égalité des peuples dans le respect de leur personnalité propre
et considère l’application loyale de ces principes comme le
garant le plus sûr du développement harmonieux des peuples
de l’Europe centrale.
Le Front de la Patrie sudète sera constitué sur une base
corporative, afin de mieux défendre les intérêts de tous et
assurer la victoire du bien commun.
Travailleurs, bourgeois et paysans!
Formez les rangs! Que tout votre travail soit consacré au
salut de notre Patrie!
Konrad HENLEIN.
*
* *
Qui est donc cet inconnu, qui semble reprendre à son
compte le testament politique de Lodgman, e t qui s’adresse
à ses compatriotes avec une autorité surprenante pour u n
homme de son âge?
Né le 6 mai 1898 à Maffersdorf, près de Reichenberg,
Conrad Henlein s’est engagé en 1916 dans l’Armée autri-
chienne, où il s’est vite fait remarquer par ses dons d’orga-
nisation, sa bravoure e t son dynamisme. Promu officier à
18 ans, il a été fait prisonnier par les Italiens en 1917 e t
interné dans un camp jusqu’à la fin des hostilités. Après
l’armistice de 1918, il est retourné en Bohême où il est devenu,
pendant un temps, employé de bangue à Gablonz.
Son appel est-il une déclaration de guerre au Gouverne-
ment de Prague? Oui,en ce sens qu’il convie tous les Sudètes
à s’unir pour lui arracher l’autonomie. Non, dans la mesure
où il ne songe pas à les incorporer au Reich. Car Henlein
n’est pas un séparatiste. Son but consiste à rétablir la posi-
tion des Sudètes & tintérieur de l’fitat tchécoslovaque, dont
il reconnaît par ailleurs l’existence e t la légalité l. Mais plus
1. Il voudrait obliger le Gouvernement de Prague à cr6er enfin cette a Suisse
idéale I dont Benès a parlé lui-même à la Conférence de la Paix. (Voir plus haut,
p. 142.)
182 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
3. E n septembre 1936, après ley jeux Olympiques, Henlein a djourné huit jours
à Berlin, oii il a été reçu par certains membres influents du Parti, notamment par
Y.von Tschammer und Osten, Commissaire du Reich pour les Sports. 11 n’est pas
impossible qu’il ait rencontré Hitler à cette occasion, mais la question du ratta-
chement des Sudetes n’a pas dû Ptre évoquée, car les archives officielles du Reich
n’y font aricunemention. L’entretien du 28 mars 1938, en revanche,donne lieu à la
remarque suivante : a Le Führer apprécie les grands succés remportés par Henlein
en Angleterre e t l’a invité à retourner le plus t B t possible à Londres, pour continuer
B y travailler en faveur d’une non-immixtion brhanniquz dans Ics affaires de
Bohême. a ( A k n zui Dcutschm Auewffrtigen Politik, II, 107.)
4. Ce dernier, avec l’approbation et les encouragements du chef du 1110 Reich,
qui a reçu Henlein quelques jours auparavant.
5. a Le Mouvement que je dirige n’est nullrmcnt un rejetom (rppcndagr) du
National-socialisme ou du Fascisme, mais un phénomène authentiquement sudète,
l’expression d’une force qui existe depuis des siècles. D (Interview accordée par
Henlein à O. D. Tolischus, New York Times, 19 novembre 1937.)
186 H I S T O I R E D E L ’ A R M É E ALLEMANDE
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PARTIS
R É P A R T I T I O N DES TENDANCES DES ALLEMANDS
AU S E I N DU PARLEMENT
DE P R A G U E .
188 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE
I
La conception antiallemande, en principe comme en fait, de
la Tch&coslovaquie,et la mentalité foncièrement antiallemande
du peuple tchèque ont pour origine :
10 L’évolution du peuple tchèque durant la période d‘avant-
guerre et son éducation dirigée contre l’Allemagne;
20 L’activité antiallemande de ses chefs Benès et Masaryk
pendant la guerre;
III
L’exposé de la situation et d u problème politique d u Germa-
nisme sudète et du S.d. P . a pour but de démontrer :
10 L’actualité brûlante de la question des Allemands des
Sudètes;
20 L a nécessité de dissocier la question des Allemands des
Sudètes d u problème général racial allemand;
i *
L’EUROPE DE VERSAILLES
S E DÉSAGRÈGE
+ +
u un non d’une portée historique fatale D. Mais peut-être est-ce Lloyd George qui
exprime le plus clairement le sentiment de l’Anglais moyen : a Les signataires du
Traité de Versaillesn, dira-t-il le 29 novembre 19348 la Chambre des Communes,
a ont promis solennellement aux Allemands, qu’ils désarmeraient si l’Allemagne pre-
nait les devants. Pendant quatqrze ans, l’Allemagne a attendu que les vainqueurs
tiennent leur promesse. Durant ce temps, une série de ministres foncièrement épris
de la paix ont exercé le pouvoir en Allemagne, des ministres qui n’ont cessé de
supplier les grandes Puissances de tenir enfin leur parole. On s’est moqué d’eux en
concluant une série de pactes, dirigés contre leur pays. Durant ce même laps de
temps, tous les pays - à l’exception de l’Angleterre - ont augmenté leurs arme-
ments et ont consenti des emprunts aux voisins de l’Allemagne, pour leur permettre
de renforcer leur potentiel militaire. Faut-il nous étonner, après cela, si les Alle-
mands ont recouru à la révolution e t se sont insurgés contre cette duperie chro-
nique des grandes Puissances? Jamais l‘Angleterre n‘imposera le désarmement en
Europe, aussi longtemps que subsistera cet état de choses... Que la France ne le
comprenne pas, ne nous oblige pas à la suivre dans une voie qui risque de nous
mener à ULI nouveau conflit mondia1.1
Par ailleurs, Sir Nevile Henderson écrira dans ses Mémoires : a Les Puissances
alliées, sous la direction de Lord Curzon, ont été assez sages, durant la Conférence
tenue à Lausanne en 1922-1923, pour réviser le Traité de Sbvres conclu avec la
Turquie. Elles n’ont malheureusement pas eu le courage d’en faire autant à l’égard
de l’Allemagne. Elles ont préféré se laisser imposer, l’une après l’autre, une série
de révisions unilatérales des clauses du Traité de Paix. u (Water under the Brid-
ges, p. 320.)
1. Par une aberration incompréhensible, au même moment, des décrets du Gou-
vernement réduisent de 20 % nos dépenses militaires.
208 H I S T O I R E D E L’ARMÉE ALLEMAN D E
I.Ainsi était né le Traité de Riga (18 m a n 1921). (Voir vol. IV, p. 236-237.)
2. Le Gouvernement polonais ne s’oppose pas catégoriquement au projet de
Barthou. Mais il subordonne B tant de clauses restrictives i’adhésion éventuelle
de la Pologne au Pacte orientai, que cela6quivaut à un refus. (Carl BWRCKEARDT:
Ma Mission d Danlzig, p. 22.)
LE RATTACHEMENT D E S S U D È T E S AU REICH 209
également négative de la Pologne, qui décline i’honneur
périlleux de laisser une armée étrangère traverser son terri-
toire, sous quelque prétexte que ce soit l. Tous les antago-
nismes que la France avait cru exorciser par le Traité de
Versailles, resurgissent de cette boîte de Pandore, dès qu’on
en soulève le couvercle. Le N Locarno de l’Est )) s’écroule
avant même d’être né.
La politique de Barthou aboutit à une impasse2. Mais le
ministre français des Affaires étrangères n’aura pas‘le temps
d’en tirer les conclusions, car il sera assassiné à Marseille, le
9 octobre 1934, en allant y accueillir le roi Alexandre II de
Yougoslavie.
*
+ +
1. Ayant reçu en juillet 1935 M. Potemkine, qui vient lui donner l’assurance
que Moscou désirerait voir le pacte complété par une Convention militaire, le
colanel Fabry, alors ministre de la Guerre, atermoie, tout comme Laval, parce
que ni l’un ni l’autre ne veulent dC l’automatisme brutal d’une convention qui
pourrait amener la guerre. Potemkinc ayant insisté et Fabry ayant répliqué que
tout risque de guerre le rendait méfiant, Potemkine avait ajouté, non sans une
pointe d‘insolence : u Pourquoi la guerre nous eiïraierait-elle? 1) (FABRY,J’ni
connu...) Selon Fabry, l’ambassadeur d’U. R. S. S. aurait même ajouté : u La Russie
des Soviets est sortie de la dernière guerre; l’Europe des Soviets sortira de la
prochaine. D II semble cependant peu probable que Potemkine ait exprimé aussi
clairement ses arrière-pensées.
2. a Les collaborateurs diplomatiques de Laval s’efforpient par tous les moyens
de donner au futur pacte un caractére purement formel u, écrira POTEMKINE
(Hisloire de la Diplornafie, I I I , p. 550). Paul Reynaud, de son cgté, n’hésitera pas
à accuser Laval d’avoir vidé le Pacte de son contenu >J, en y introduisant un
(I
* *
t
* *
Pendant ce temps, le rapprochement entre Moscou et la
Petite Entente n’a pas progressé d’un pas. Au contraire.
Six semaines à peine après la mort de Pilsudski, le colonel
Beck se rend à Berlin, pour y confirmer le Pacte d e non-
agression germano-polonais conclu par son prédécesseur.
Les conversations portent sur les dispositions pacifiques
du Reich envers la Pologne, sur le problème des frontières
occidentales de ce pays1, sur la lutte contre le péril com-
muniste. Beck repart pour Varsovie enchanté de sa visite a.
I1 est de plus en plus décidé à s’opposer à la Russie et à ne
pas se rapprocher de la Petite Entente. A partir de ce
moment, le but essentiel de sa politique consistera à accé-
lérer la désintégration de la Tchécoslovaquie.
Alarmée par la montée continue d e la force allemande, la
Belgique se retire du système de la sécurité collective et
répudie les obligations découlant du pacte de la Société des
Nations. Le 14 octobre 1936, le roi Léopold III fait savoir
que son pays u suivra désormais une politique exclusive-
ment belge3». Quelques jours plus tard, le Luxembourg
conservent-ils leur validité, malgré l’abolition d u Pacte lui-même? Malgré l’avis
de certains juristes, on cst obligé de répondre : oui. L’Allemagne maintient son
accord d’arbitrage avec Prague. L’Angleterre fait savoir a qu’elle continuera a
respecter les engagements qu‘elle a contractés A Locarno, au cas oir la France
serait victime d’une agression non provoquée, dûment constatée par la Société
des Nations ». Enfin, la France déclare que son traité d’assistance avcc la Tché-
coslovaquie reste en vigueur, malgré la disparition du Pacte de Locarno. Pour
6viter toute ambiguïté a ce sujet, l’État-Major français invoquera, dans ses notes,
le traité d‘assistance de 1924. (Voir plus haut, p. 202.)
1. Le 5 novembre 1937, la Pologne e t l’Allemagne publieront une déclaration
commune sur les minorités. (Sur les négociations e t la rédaction de ce texte, voir
AIrlcn zur Deutsehen Aunvürtigen Politik, V, 1, 2, 6-13, 16, 18.) Toutefois Hitler
refusera d’y inclure la moindre référence A la population de Dantzig.
2. E I1 a souligné d’abord», relate le comte Czembck dans son Journal, a que,
personnellement, ses conversations avec Hitler lui ont fait une excellente impres-
sion. Hitler lui est apparu comme étant absolument sincère. LI ( 9 juillet 1935.)
3. Le Roi fonde sa décision sur les arguments suivants : lo le réarmement de
l’Allemagne, succédant à la militarisation intégrale de l’Italie e t de la Russie;
20 la transformation des méthodes de guerre sous l’influence des progrés tcchniques,
notamment en matière d‘aviation e t de motorisation; 3O la réoccupation de la
Rhénanie et le transport aux frontières belges des bases de depart d’une invasion
allemande éventuelle; 4 O les dissensions intestines de certains États voisins qui
risquent de s’enchevêtrer dans des rivalités de systémes politiques e t sociaux
d’autres Etats. a Tous ces faits, déclare le Roi, soulignent la nécessité de rester en
dehors des, conflits qui pourraient opposer certains de nos voisins. D A la suite de
cette déclaration, le ministère polonais des -4ffaires étrangères informe le Quai
d‘Orsay I que le Traité franco-polonais a perdu pratiquement toute signification 8 .
(TANSILL, Backdwr k w e , p. 326.)
LE R A T T A C H E M E N T D E S S U D È T E S A U R E I C H 215
et les Pays-Bas, proclament leur retour à la neutralité e t
en informent oficiellement Londres et Paris. Peu après,
la Finlande, la Norvège, le Danemark et la Suède suivent leur
exemple l. La Suisse prend ses distances envers l’organisme de
Genève. Les accords de Rome2 et ceux de Stresa 3 ont fondu
comme neige au soleil. La malencontreuse affaire des sanctions
a poussé l’Italie dans les bras de l’Allemagne. (Fait significa-
tif : le jour où l’Assemblée a voté cette mesure 4, Benès prési-
dait la Société des Nations et s’était activement employé à
faire condamner l’Italie. C’est là une injure que Mussolini
n’oubliera pas.) Encouragés par Rome, les révisionnismes
hongrois et bulgares haussent le ton. E n même temps, la
Hongrie se rapproche de l’Allemagne, et la Pologne de la Hon-
grie. Hitler contemple ce chassé-croisé avec une satisfaction
évidente : tout l’édifice de l’Europe genevoise est en train
de craquer.
Effrayé par tant de symptômes défavorables, Chautemps
envoie le général Gamelin à Varsovie, pour tenter de servir
de médiateur entre la Pologne et la Tchécoslovaquie (août
1936). Avant son départ, Benès lui a remis une lettre pour le
général Rydz-Smigly, dans laquelle il le supplie de reconsi-
dérer son refus de conclure un pacte d’assistance avec la
Tchécoslovaquie. Après une lecture rapide, Rydz-Smigly
rend la lettre à Gamelin et lui répond avec hauteur :
- (( A moins d’événements imprévus, la Pologne n’envi-
sage aucune action militaire contre la Tchécoslovaquie.
Prague perd son temps en érigeant des fortifications le long
de notre frontière! n
Au début de septembre, Rydz-Smigly vient à Paris pour
y rendre sa visite au général Gamelin. Chacun l’invite, le
flatte e t le comble de prévenances, dans l’espoir de le faire
revenir sur son refus. Mais avant de quitter Varsovie, le com-
mandant en chef de l’Armée polonaise a dit au colonel
Beck : (( Si le général Gamelin s’avise de vouloir nous fourrer
sur les bras une garantie à la Tchécoslovaquie, il m’entendra
lui dire que c’est inacceptable pour nous. Si on nous pose
la question de savoir ce que nous ferons en cas de guerre
1. Leur retour à la neutralité sera oficialisé par la Déclaration conjointe des
fitats scandinaves du 28 mai 1938. En juillet 1938, la Conférence de Copenhague
les dégagera complètement des obligationa de Genthe.
2. Conclus entre Mussolini et Laval, le 7 janvier 1935. (Voir vol. IV, p. 104-105.)
9. 12 avril 1935. (Voir vol. IV, p. 111-114.)
4. Iloctobre 1935.
216 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE
-
1. Archives secrètes de ia Wilhel~zslrosse,II, pièce 92, p. 273 et s.
2. Hitler déclare, après l’incorporation de l’Autriche, qu‘il n’est pas pressé
de régler la question tchèque n, écrit Jodl dans son Journal. N II faut d’abord digé-
rer l’Autriche. Néanmoins les préparatifs du Plan V ER T doivent être poursuivis
énergiquement, en tenant compte des transformations apportées à la situation
stratégique par l’incorporation de I’Autxiche. n (Documenis de Nuremberg, XXVIII,
PS-1780.)
Y 15
226 H I S T O I R E D E L’ARMÉE A L L E M A N D E
LA DISLOCATION
DE LA TCHÉCOSLOVAQUIE S’ACCENTUE
victoire 3 . N
/ Resa"~o"/& + I
--
S U I S S E 95
LA Z O N E FORTIFIÉE ÉRIGÉE A U X FRONTIÈRES
OCCIDENTALES D E L'ALLEMAGNE
248 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE
-
Années
I France
I Allemagne
suivantes :
EN CE Q U I CONCERNE LE POINT A :
Les directives données le 30 mai 1938, par l'ordre OKW,
no 42/38l, restent en vigueur.
EN CE QUI CONCERNE LE POINT B :
Puisque même une guerre déclenchée contre nous par les Puis-
sances occidentales doit commencer par la destruction de la
Tchécoslovaquie, les préparatifs d'une guerre avec effort prin-
cipal de l'Armée et de la Lutwaffe contre l'ouest cessent d'avoir
une importance primordiale. Les préparatifs faits à ce jour
e n vue de l'opération ( R O U G E ) doivent néanmoins subsister.
En ce qui concerne l'Armée, les préparatifs d u Plan R O U G E
contribueront à camoufler et à masquer l'autre déploiement stra-
tégique. En ce qui concerne la Luftwaffe, ils serviront d'une part
Référence 2) :
Si l‘opération VERT a lieu dès cette année, nous devons être
e n mesure de faire entrer e n action une concentration stratégique
de réserve immédiatement après sa conclusion.
Il sera important d’assurer, avec l‘aide de la Wehrmacht, la
protection des frontières allemandes -y compris les nouvelles -
tout e n gardant à notre disposition le gros de l‘Armée de cam-
pagne et la Luftwaffe.
Nous devrions avoir la possibilité d‘engager, sur tel ou tel
front, toutes les concentrations stratégiques qui auraient été
affectées à la protection des frontières.
Référence 3) :
S i un conflit polono-lituanien venait à éclater l, l‘Allemagne
n’hésiterait pas à occuper le territoire de Memel par une action
brusquée. Les projets relatifs à cette éventualité doivent être basés
sur les directives données le 18 mars 1938 (OKW, no 472138.
Gen. Kommandos, L, la).
EN CE QUI CONCERNE LE POINT D :
Si, e n temps de paix, le territoire de l‘Allemagne est violé
soudainement par surprise et dans une intention hostile, par
une Puissance étrangère, on opposera une résistance armée sans
attendre d‘ordre spécial.
Les chefs des trois Armes doivent donc autoriser leurs comman-
dants compétents à la frontière et sur les côtes à prendre, de leur
propre autorité, s i l’éventualité se produit, toutes les mesures
pécessaires pour résister à l’ennemi.
Toutefois, même si cette éventualité se produit, la frontière du
Reich allemand ne devra e n aucun cas être franchie par nos
troupes ou notre aviation, ni le territoire d’un pays étranger
quelconque être violé sans ordre de m a part.
N e sera pas considéré, sans ordre de m a part, comme une
1. Depuis l’occupation par la Pologne de Ia ville de Vilno en 1920,il n’existait
pas de relations diplomatiques e t consulaires entre la Pologne e t la Lituanie. La
frontière des deux pays ètait demeurée fermée. Le 12 mars 1938, un grave inci-
dent est survenu A la frontière. Le 17, le Gouvernement polonais a envoyé un
ultimatum de quarante-huit heures à la Lituanie, exigeant la reprise de relations
diplomatiques normales. Le même jour, une foule énorme fi’est massée devant le
ministère de la Guerre à Varsovie et a réclamé le maréchal Ridz-Smigly aux cris
de : a Maréchal, conduis-nous à Kowno! D (Kowno est le nom polonais pour Kau-
nas, la capitale de la Lituanie.) Le 19 mars, la Lituanie s’est inclinée. Le conflit
a été évité de justesse. Mais les relations polono-lituaniennes sont restées ten-
dues e t une guerre entre lee deux pays pourrait éclater d‘un moment à l’autre.
254 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE
* *
Lorsqui: ces directives, dûment contresignées par Keitel,
Jodl et Zeitzler, sont transmises à l’État-Major, elles y pro-
voquent un sentiment de stupeur. Habitués à fonctionner
avec la précision d’un mécanisme d’horlogerie, les experts
de la Beiidlerstrasse sont péniblement surpris par la lec-
ture d’un document qui les frappe autant par ses lacunes
que par s t s contradictions. Ils y voient u n monument d’im-
précision, un travail d’amateur, et ces mots dans leur bouche
équivalent à la pire des condamnations. Comment Hitler
peut-il concilier son affirmation liminaire : J e n e m e déciderai
à marcher contre la Tchécoslovaquie que si j e s u i s fermement
convaincu que la France ne bougera pas D,avec le maintien des
dispositions prévues pour faire face à une guerre à l’ouest?
Comment peut-il lancer toutes ses forces contre la Tchéco-
slovaquie, alors qu’il n’exclut pas la possibilité d’être attaqué
simultanément par la France, l’Angleterre, la Pologne ou
la Russie? N’est-il pas sûr de ce qu’il avance? E t si les faits
démentaient ses prévisions? Des généraux conscients de leurs
responsabilités ont-ils le droit de jouer tout l’avenir de leur
pays sur la prescience d’un individu? Cette seule pensée
suffit à les remplir d’effroi. D’autant plus que ce document
fourmille d’incohérences. Comment assurer la protection
des frontières allemandes, tout e n gardant disponibles le gros
de 1’Armi:e de campagne et la Luftwaffe? Comment établir
1. Archives secrètes de la Wilhdmstraase, II, pièce n o 145, p. 264-268.
LE RATTACHEMENT D E S SUDÈTES A U R E I C H 255
un plan d‘opérations sérieux, qui tienne compte à la fois
de l’abstention des forces ennemies et de leur entrée en
action? Ces directives qui veulent tout prévoir - jusqu’à
l’excès de zèle d’un caporal inconnu - ne prévoient pas
l’essentiel : ce qui se passera si la France, l’Angleterre et
la Russie attaquent effectivement. Doit-on en conclure
qu’Hitler est résolu à écraser la Tchécoslovaquie quoi qu’il
advienne, même si cela doit déclencher une deuxième
guerre mondiale?
Les chefs de l’O. K. H. se sentent placés devant un ter-
rible cas de conscience. S’ils ont la conviction que ce plan
ne peut mener leur pays qu’au désastre, le devoir ne leur
commande-t-il pas de tout mettre en œuvre pour empêcher
son exécution?
Lorsque, le 15 avril, Hitler se rend à Jüterbog pour assis-
ter à des maneuvres, il n’aperçoit dans son entourage que
des regards inquiets, des visages moroses.
- (( Messieurs 11, dit-il à un groupe de généraux parmi les-
quels se trouvent le général V O R Brauchitsch, commandant
en chef de l’Armée de terre, le général Beck, chef d’Etat-
Major général, le général von Witzleben, commandant le
Wehrkreis III, et le général Thomas, chargé des services éco-
nomiques et de la motorisation de l’Armée, t( l’heure décisive
approche. J e suis inébranlablement résolu à régler le pro-
blème tchèque par la force des armes, et cela dès l’automne
prochain. n
Quelques officiers manifestent leur approbation. Mais les
autres se taisent. D’une façon générale, cette annonce ne
soulève pas l’enthousiasme qu’il escomptait.
Hitler a tout prévu, sauf une chose : que certains
membres de son Etat-Major puissent refuser de le suivre.
C’est pourtant là qu’on en est arrivé.
XII1
LE GENPRAL BECK
CHERCHE A PROVOQUER LA DEMISSION
DES COMMANDANTS D’ARMÉE
+ c
I
10 L’Angleterre et l’Italie viennent de conclure un accord 4
qui libère momentanément la Grande-Bretagne de tout souci
quant à un conflit armé avec l’Italie et écarte la menace qui
planait sur sa liaison maritime la plus courte avec l’océan
Indien et l’Extrême-Orient.
20 L a tournure prise par les opérations japonaises e n Chine 6
a considérablement amoindri la puissance offensive d u Japon.
Ces deux faits soulagent l’Angleterre des préoccupations que
lui causait la défense de ses positions extrême-orientales et l u i
valent une liberté de manœuvre d’autant plus grande en Europe.
I l va sans dire que la Russie est intéressée elle aussi par l’affai-
blissement d u Japon.
30 L a France et l‘Angleterre ont repris contact e n vue de
coordonner leur action contre l‘Allemagne. Elles ont pris l’une
1. Beck ne s’est entretenu personnellement avec Hitler qu’une seule fois dans
aa vie, et pendant cinq minutes : à l‘occasion de la mise au point du plan d’inva-
sion de l’Autriche. Encore cette rencontre n’a-t-elle été due qu’à l’absence inopi-
née du général von Brauchitsch. (Voir vol. IV, p. 513-515.)
2. E n tant que chef de 1’0. K. H. - c’est-à-dire Commandant en chef des
Armées de terre, - le général von Brauchitsch est le supérieur hiérarchique de
Beck, qui occupe, auprès de lui, les fonctions de Chef d’État-Major.
3. Betrachtungen zur gegenwdrtigen mil.-politischen Luge Deutschlands (résumé).
Avant de mourir, Beck a remis tous ses papiers à son ami Wolfgang Fœrster, le
chef du service historique de l’Armée, qui les a publiés en 1953. Nous reproduisons
ici, en le résumant un peu, le texte publié par Ferster, qui ne figure pas dans les
Archives de Nuremberg.
4. I1 s’agit de i’u accord de Pâques n, signé le 16 avril 1938. Conclu trop tard,
cet accord ne devait pas porter tous les fruits qu’en attendait le Gouvernement
britannique. (Voir vol. IV, p. 593.)
5. Depuis novembre 1937, les Japonais se sont enfoncés en Chine. En 1938,
ils en occupent deux millions de kilomètres carres et semblent devoir s’y enliser.
(Voir vol. IV, p. 73-74.)
268 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
II
10Les intérêts de l‘Angleterre ne sont pas les mêmes que
ceux des autres Puissances continentales. C’est pourquoi Londres
s’est toujours efforcé jusqu’ici, d’évater une guerre sur le conti-
nent. M a i s une tendance contraire commence à s’y faire jour.
L e réarmement britannique fait des progrès rapides. Les cou-
rants d’opinion antiallemands s’y sont renforcés depuis les
mois dè février et de mars I. Ils tendent à reporter sur l‘Alle-
magne l‘hostilité manifestée jusqu’ici à l‘Italie.
20 L a France, elle aussi, aspire à la paix; ou, pour mieux
dire, elle répugne à la guerre. M a i s cette répugnance a
des limites. L a France s’est toujours unie contre un danger
extérieur. L’Anschluss a été ressenti par beaucoup de milieux
français comme un nouveau Sadowa. A u s s i longtemps qu’elle
existe, la promesse d’assistance donnée par la France à la
Tchécoslovaquie est pour elle une question d’honneur. I l ne
devrait pas être diflcile à un gouvernement solide, d‘y rallier
l’opinion dans sa totulité. La France ne succombera pas au
bolchévisme, bien que ses dificultés intérieures puissent encore
s’aggraver, L’Armée française est intacte et demeure, jusqu’à
nouvel ordre la plus forte d u continent. Les récents entretiens
III
10 I l est certain que la situation militaire de l’Allemagne
s’est considérablement renforcée, quand o n la compare à l’époque
où elle était condamnée à une impuissance totale. Elle est cepen-
dant moins forte qu’en 1914, parce que toutes les nations suscep-
tibles de prendre position contre elle ont déjà partiellement ou
complètement réarmé. De plus, beaucoup d’années s’écouleront
encore, avant que la Wehrmacht soit prete à faire la guerre.
Située au milieu d u continent, l’Allemagne ne dispose pas
d‘un espace sufisant pour mener victorieusement une guerre
sur terre, sur mer et dans les airs. L a situation économique
est pire qu’en 1917-1918. C‘est une raison supplémentaire pour
ne pas exposer l’Allemagne a u x dangers découlant d’hostilités
prolongées. M a i s nos adversaires considéreront d’emblée tout
conflit européen comme devant être une guerre longue et ils
prendront, dès le début, leurs dispositions à cet effet.
20 Tout espoir est exclu de régler le problème tchèque par les
armes, au cours de cette année, à la faveur d’une abstention
de la France et de l’Angleterre.
A u c u n accord sur la Tchécoslovaquie n’est possible sans
l’agrément de l’Angleterre. S i nous nous attirons l’inimitié de
l‘Angleterre à cause de notre comportement à l’égard de la Tché-
coslovaquie, nous perdons de ce fait une quantité d’avantages
qu’une Angleterre, amicalement disposée envers nous, serait
prête à nous accorder, sinon totalement, d u moins e n partie 2.
1. Noua verrons plus loin ce qu’il en est réellement.
2. I1 semble que Beck veuille faire allusion à la restitution des colonies.
270 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
1. Wolfgang F ~ R S T E Generaloberst
R, Ludwig Beck, p. 105.
LE RATTACHEMENT DES SUDETES AU REICH 271
à jeter son épée dans la balance pour défendre la Tchéco-
slovaquie; ni que la Russie soit résolue à intervenir dès la
première phase du conflit; ni que l’Amérique se fasse d’emblée
la pourvoyeuse d’armes de l’occident. Tout cela deviendra
vrai, mais ne l’est pas encore l. Pour l’instant, la France est
dans un état d’impréparation totale; l’Angleterre est disposée
à bien des concessions pour éviter un conflit; Staline, en
proie à des incertitudes graves, cherche le meilleur moyen de
détourner l’orage de la Russie; enfin Roosevelt - quelles
que soient ses préférence intimes - est ligoté par les dis-
positions de la loi de neutralité.
Tout cela, Hitler le sait. Se peut-il que le Chef d’État-
Major général l’ignore? Le Chancelier du Reich ne sous-
estime pas plus que lui le danger d’une guerre sur deux
fronts, ni les risques qu’entraînerait un conflit de longue
durée. S’il multiplie les offres de paix à la France et à l’Angle-
terre, n’est-ce pas pour avoir les mains libres à l’est? S’il
insiste pour que la Wehrmacht vienne à bout de la Tchéco-
slovaquie en quatre jours, n’est-ce pas pour éviter une crise
européenne, qui risquerait de se produire si le conflit se
prolongeait 2? La guerre à laquelle il songe n’est pas une
guerre stagnante, mais une série de percées fulgurantes,
capables de terrasser rapidement l’ennemi. Quant à l’affirma-
tion que l’Allemagne ne possède pas un espace vital sufisant
pour échapper au danger d’encerclement, elle pourrait le
faire sourire. N’est-ce pas ce qu’il ne cesse de proclamer
lui-même et n’est-ce pas la raison fondamentale de sa poli-
tique d’expansion à l’est?
Mais la lecture du rapport de Beck ne le pousse pas à
sourire :. elle met le comble à son exaspération. Comment le
Haut commandement ne comprend-il pas que c’est le
moment d’aller de l’avant, que jamais les circonstances ne
seront plus favorables? On ne déclenche pas la guerre quand
on est prêt à la faire. On la fait lorsqu’il existe un décalage
suffisant entre les forces dont on dispose et celles de l’adver-
saire 3. Quand cette marge de supériorité sera-t-elle plus
grande?
1. Et ne le deviendra nullement par la n force des choses n, mais par la suite
d’erreurs qu’Hitler commettra lui-meme, et que ni Beck ni personne ne peuvent
prévoir en 1938.
2. Voir plus haut, p. 229. Directives du 30 mai 1938, O. K. W., 42/38, 3.
3. a Par principeu, a coutume de dire Hitler, K les généraux ne sont jamais prêts.
Ils veulent des armes toujours plus nombreuses, du personnel toujours mieux
272 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
...
au plus ))
Rassuré par l’idée que le mémoire de Beck n’est connu
que d’un petit cercle d’initiés, Hitler le met de côté avec
un haussement d’épaules.
- (( Ce Beck est toujours le même )), poursuit-il d’un ton
ces mots, qu’il n’a encore jamais employés e t qui sont une
véritable mise en demeure :
- N I1 va sans dire »,
ajoute Beck, (( que si cette interven-
tion réussit à empêcher la guerre, elle engendrera de graves
remous à l’intérieur du pays. Les milieux extrémistes clame-
I . Wolfgang F ~ R S T B Gcneraloberd
R, Ludwig Beck, p. 122-123.
278 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE
ront partout que les plans du Führer ont été mis en échec
par l’incapacité de la Wehrmacht et de ses chefs. Nous
serons l’objet de diffamations de toutes sortes. I1 faut donc
prévoir que notre démarche entraînera une explication
sérieuse entre la Wehrmacht et la S. S.
(( E n ce qui concerne la date de notre action, tout permet
i r
S . S. et de la tyrannie du Parti :
- (( Si l’on se décide à faire la démarche en question et à
empêcher ainsi le déclenchement d’une guerre »,dit-il à Brau-
chitsch, (( il faut examiner toutes les conséquences politiques
de cet acte. I1 en résultera un affrontement brutal avec
les S. S. et les bonzes du Parti. C’est sans doute la dernière
fois que le destin nous offre l’occasion de libérer la nation
allemande et son Führer du cauchemar d’un régime tché-
kiste qui détruit la santé morale et le bien-être du peuple, et
nous ramènera le communisme. Pour réussir cette opération,
1. Vansittart lui ayant dit qu’il faudrait tmuver a une sorte d’autonomie pour
les Sudétes, dans le cadre de l’État tchèque n, Gœrdeler lui a répondu : a Les
Sudètes sont à la frontière du Reich. I1 serait légitime de les y incorporer. Mais
surtout, suivez une ligne politique claire et ferme, sans quoi vous encouragerez
les appétits pour ce qui n’est pas légitime. II
2. Gœrdeler rapporte lui-même l’entretien dans ses Mémoires. (Cf. Gerhard
RITTER, Échec. au Dictateur, p. 95.)
LE RATTACHEMENT DES SUDÈTES A U R E I C H 283
un certain nombre de conditions préliminaires sont requises.
Tout d’abord, il ne faut laisser subsister aucun doute sur
le fait que notre action n’est pas dirigée contre Hitler, mais
contre un entourage malfaisant qui le mène à sa perte.
Ensuite,. quelques membres influents, mais honnêtes, du
Parti doivent être mis dans la confidence. I1 faut les informer
de la gravité de la situation et les convaincre de la nécessité
de notre intervention. J e pense au Gauleiter Wagner, à
Breslau, et à Bürckel, à Vienne. Les généraux commandant
les troupes en Silésie et en Autriche seraient tout désignés
pour prendre contact avec eux, par exemple à l’occasion du
prochain Festival d’athlétisme qui doit se dérouler à Breslau.
Rien, dans nos actes, ne doit donner l’impression d’un
complot. E t cependant, il est indispensable que la totalité des
généraux s’associe à notre action et la soutienne jusqu’au
bout, quelles qu’en soient les conséquences. I1 devrait même
être possible de trouver quelques généraux de la Luftwaffe
qui se rallieraient à notre cause. Nos mots d’ordre doivent
être brefs et clairs : Pour le Führer, contre la guerre, contre la
bonzocratie, pour la paix avec l’Eglise! Nous devons exiger
le rétablissement de la liberté d’expression, la suppression
du régime policier, le retour à la légalité, l’arrêt de la cons-
truction de bâtiments somptuaires, l’intensification de la
construction de logements ouvriers, afin de restaurer par-
tout la simplicité et la morale prussiennes 1. ))
Ce que Beck ne dit pas, c’est qu’il a fait dresser un plan
par le général Heinrich von Stulpnagel pour s’emparer par
surprise de la Chancellerie, et qu’il a déjà pris contact, pour
son exécution, avec le général von Witzleben et le comte
Helldorf, qui sont respectivement commandant du II Ie corps
d’armée et Préfet de police de Berlin.
Brauchitsch est sur des charbons ardents 2. Sans doute
partage-t-il l’opinion de son chef d’Etat-Major sur le pha-
risaïsme et la présomption de certains (( bonzes D du régime.
Mais il se demande s’il a bien mesuré les risques de I’opé-
ration. C’est ici que les critiques formulées à l’encontre
d’Hitler par l’ancien chef du Truppenamt se retournent
I . s On découvrit qu’on ne pouvait compter our les jeunes offciers pour une
action politique de ce genre a, dira plus tard le général Thomas. (Cdankcn und
Ereigriisse, Sehweizerische Monatshelfe, décembre 1945).
2. Étre e coupée de la nation a est la grande hantise de 1’Armhe. Elle en a trop
aouRert entre 1918 et 1925.
LB RATTACHEMENT DES SUDÈTES A U R E I CH 285
au Führer et sur laquelle un certain nombre de généraux
se sont déjà mis d’accord. La voici :
L e Commandant e n chef et les chefs supérieurs de l’Armée
regrettent de ne pouvoir assumer la responsabilite‘ de cette guerre,
sans se rendre coupables devant leur peuple et devant l’histoire.
I b ont décidé de se démettre de leurs fonctions, au cas où le
Führer persisterait dans ses intentions.
+ +
La Conférence a lieu à Berlin, le 4 août 1938, entre le
Festival d’athlétisme de Breslau 3 et les manœuvres de
Jüterbog 4. Tous les commandants d’Armée et de Groupe
1. Plus tard, les membres de l’opposition se plaindront amèrement de son inca-
pacité à prendre lui-mCme une décision. (KalfenbrunnerBerichfe, p. 100.)
2. Le Congrès de Nuremberg doit se tenir du 5 au 12 septembre 1938.
3. 29 juillet-2 août 1938.
4. 15 août 1938.
286 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
- u Parfaitement. u
- Y avez-vous parlé au Führer? n
((
- oui.
(( ))
*
i 4
+ +
Le 18 août, il adresse au Führer une lettre, dans laquelle il
le prie de le relever de ses fonctions. Hitler, qui n’ignore pas
le rBle qu’il a joué durant ces dernières semaines 2, accepte
avec empressement. Mais comme il ne veut pas que l’étran-
ger devine l’étendue de leur désaccord au moment où la
crise entre dans sa phase culminante, il lui fait demander
par Brauchitsch de ne rendre sa démission officielle qu’à
une date ultérieure, en invoquant (( des raisons de politique
étrangère D. Beck y ayant donné son accord, Hitler lui
confie le commandement de la i r e armée à Wiesbaden e t
désigne pour lui succéder le généra1 HalderS. Le général
Adam est limogé lui aussi, en raison de sa solidarité d’opi-
nion avec le général Beck, .qu’il a exprimée à Hitler a u cours
d’une inspection des fortifications de l’Ouest *.
1. Manstein, qui commande à présent la 18e division à Liegnitz, a été autrefois
Grand Quartier-Maître général. Averti de son découragement, il lui a écrit, le
21 juillet : a Restez à votre poste. Aucun de vos mccesseurs ne jouirait du méme
prestige, ni de la même autorité que vous. L’Armée ne dispose de personne qui
ait votre compétence et v h r e force de caractère, ni qui soit capable de mdtrism
comme vous lea tâches difficiles qui nous attendent. Vous ne m’en voudrez pas
de vous le dire en toute franchise, car voua sentez bien, monsieur le Général, que
ces mots ne me sont pas dictés par une politesse banale, mais par une conviction
profonde. u (Cf. F ~ R S T E Cenerdoberut
R, Ludwig Beck, p. 143.)
2. a Les agissements de Beck étaient connus de longue dater, écrit Kaltenbrunner,
(I et il y a beau temps qu’il aurait été incarcéré, s’il avaii été un civil. m
3. Hitler a tout intérêt A régler l’affaire sana provoquer de remous. Main qu’il
y soit parvenu aussi aisément noua montre combien Beck était peu suivi. (II
semble même qu’un certain nombre de généraux aient accueilli son départ avec
soulagement.) Le public n’en connaîtra la nouvelle que le 31 octobre, c’est-A-dire
un mois aprds la Conférence de Munich. A ce moment, l’ancien Chef d’gtat-Major
général quittera définitivement l’Armée e t Hitler l’élèvera a u grade de colonel-
général, ce qui lui permettra d’agrafer trois étoiles d’or sur l’uniforme qu’il ne
portera plus.
4 . Journal de Jodl, 26-29 août 1938,Doeurnento du Tribunal militaire interna-
fional de Nuremlrrg, XXVIII, PS-1780.
LE RATTACHEMENT D E S S UDÈTES AU REICH 291
Le 27août, au matin, Beck passe ses pouvoirs au nouveau
Chef d’Etat-Major général et prend congé de ses collabora-
teurs intimes, des Grands Quartiers-Maîtres généraux et de
ses chefs de service.
(( Lorsque nous entrâmes dans son bureau », écrit le général
Nossbach, (( Beck se tenait debout près d’une fenêtre, immo-
bile, les mains jointes, sans rendre leur salut à ceux qui
défilaient devant lui. Son regard était fixé sur un horizon
lointain et son beau visage, imprégné de spiritualité mais
pâli par l’insomnie, avait une expression presque intempo-
relle. I1 nous tint un petit discours d’un quart d’heure envi-
ron, classique quant à la forme et plein de sagesse, quant
au fond. Son objet était de nous faire comprendre les
efforts qu’il- avait déployés pour sauvegarder l’autonomie
du Grand Etat-Major, tâche que les circonstances ne lui
avaient malheureusement pas permis d’accomplir autant
qu’il l’aurait voulu.
(( Beck avait commencé son discours en nous informant
L’IMPASSE DIPLOMATIQUE
I. - La France constate son impuissance.
III. - CONSEQUENCESTERRESTRES.
- Possibilités pour nos ennemis de menacer la frontidre pyré-
néenne, sur laquelle il nous faudrait immobiliser des éléments de
défense pour faire face à des troupes italo-allemandss, renforçant
des forces espagnoles.
- Création d’un théâtre d’opérations du Maroc espagnol.
- Éventualité d’opérations en Mauritanie (Rio de Oro) et en
Guinée 1.
Un profond silence succède à la lecture de cette note. I1
est certain qu’elle ouvre, à ceux qui l’ont écoutée, des
perspectives dont ils n’avaient soupçonné ni l’ampleur, ni
la gravité z...
Au bout d’un moment, M. Léger prend la parole.
- a On ne saurait transiger avec cette éventualité. L’An-
gleterre se séparera de nous, si nous abandonnons la non-
intervention sans un élément nouveau 3. n
M. LÉON BLUM.- (( Sans intervenir militairement, ne
pourrait-on pas intensifier l’aide fournie à l’Espagne 4? ))
LE GÉNÉRAL GAMELIN.- (( Cette mesure aurait pour
conséquence de désarmer les forces françaises et pour un
résultat aléatoire, les forces gouvernementales étant tout &
fait inaptes à la manœuvre 6. n
de protection susceptibles de lui être affectés, e t les déroutements considérables
imposés augmenteraient la durée de rotation de nos transports de ravitaillement. D
Un phénomène de même ordre se produirait pour les communications britanniques.
(GAMELIN, Servir, II, p. 330.)
1. Note 1lID.N.
2. a Sans doute y aura-t-il des esprits critiques B, remarque Gamelin dans ses
Mémoires, a pour dire que les militaires voyaient des difficultés Q tout et que ce
sont eux qui ont empêché le Gouvernement d’agir. Mais le rôle des techniciens est
de montrer exactement aux hommes d’État les diNicultés à surmonter, car seuls
ces derniers peuvent fournir les moyens de les résoudre. S’ils ne le faisaient pas, ces
techniciens manqueraient A leur devoir. Et, dans des domaines aussi graves, il
serait impardonnable de se décider à la légére. La guerre, en elle-même, comporte
assez d’aléas, sans qu’on y ajoute l’imprévision et les illusions. a (GAMELIN, Ser-
vir, II, p. 329-331.)
3. A ce moment, l’Angleterre vient d’entamer avec l’Italie des pourparlers qui
aboutiront à I’accord du 16 avril. Les conversations en cours ont trait au renfor-
cement de la non-intervention en Espagne et au retrait des troupes italiennes, en
échange de la reconnaissance, par l’Angleterre, de l’Empire italien d’Éthiopie.
4. C’est-à-dire la livraison d’armes aux troupes gouvernementales et aux Bri-
gades internationales.
5. Alors que l’Armée française dispose elle-même d’un armement innuasant.
6. Les Républicains espagnols viennent de subir défaite sur d6faite. Leur gou-
vernement, réfugié A Barcelone, depuis octobre 1937, est littéralement aux abois.
L’Espagne est coupée en deux et Prieto, à la veille d‘dtre renversé, s’est écrié :
a 11 faut une guerre mondiale pour sauver la République!
298 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E AL L E MAND E
*
+ 1
1. Sur les engagements de la France, voir plus haut, p. 202 note 3. Georges
Bonnet écrit A ce sujet :a La France était liée à la Tchécoslovaquie par les Accords
de Locarno... Briand lui-même en avait défini et limité la portée. Si la Tchécoslo-
vaquie était l’objet, de la part de i’Allemagne, d’une agression non provoquéc, la
France devait lui apporter une aide et une assistance dont les modalités n’avaient
jamais été dérinies; mus n’étions 1 2 s par aucun accord militairr. E t le Quai d‘Orsay
estimait (7) que, pour tenir nos engagements il nous suffisait de mobiliser quelques
classes afin de retenir sur nos frontières une partie des troupes allemandes. a
(Le Quai d‘Orsay sous trois Républiques, p. 191.) Celovsky ne partage pas cette
manièredevoir. 11 met l’accent sur le Pacte d’assistance de 1924, qui, lui, n’avait
jamais été dénoncé et qui était assorti de dispositions militaires.
2. Jusqli’ici, les Français ignoraient tout des Sudètes, qu’ils croyaient être une
invention de la propagande hitlérienne. Bonnet disposait de meilleures informa-
tions, grace à Anatole de Monzie. a J e réclame en vain au ministère des A5aires
étrangères n, écrit ce dernier, a le texte du mémoire déposé à la Conférence de la
Paix, par le Chancelier autrichien Renner sur le rattachement des Sudètes à la
Tchécoslovaquie. [Reproduit plus haut, p. 149.1 Georges Bonnet, à qui je parie de
ce document, déclare ne pas le posséder dans son dossier - le dossier constitué
par les bureaux. L’idée me vient que je le trouverai à la Bibliothèque Nationale
et c’est ainsi qu’en effet, je peux relire les solennels avertissements donnés le 15 juin
1919 par le Social-démocrate Renner aux accapareurs de l’Europe centrale : LM
..
Puissances alliées sont en train. d’entraher la Tchkcosbvaquie dans une politiqua
...
aventureuse et catastrophique Les Puissances crkeraient au centre de l‘Europe un
foyer de guerre civile dont le brasier pourrait devenir, pour le monde, bien plus dan-
gereux qua nt! le fut la fcrmentatwn continuelle dans IdB Balkans. m Est jointe au
mémoire, un13 protestation motivée, prophétique, établie e t présentée par les
représentants des Pays allemands des Sudètes. N’empêche que, dix-neuf ans plus
tard, on accuse la révolte des Sudètes d‘être une manifestation truquée d’éléments
LE RATTACHEMENT DES SUDÈTBS AU REICH 301
- u I1 ne faut pas non plus D, opine Gamelin, u que la
Tchécoslovaquie disparaisse de la carte d’Europe centrale.
L‘Allemagne aurait alors les mains libres soit contre la
Pologne, soit contre nous 1. ))
E n attendant, les semaines passent, la tension s’accentue
et la France n’arrive toujours pas à prendre position. L’opi-
nion s’énerve et se divise en deux camps. Les uns sont pour
la guerre. Les autres pour la conciliation. Ces tendances
contraires se manifestent dans la presse, au Parlement et
jusqu’au sein du Cabinet 2.
A quelque temps de là, Gamelin ayant laissé entendre que
les fortifications allemandes réduisaient considérablement
ses possibilités d’off ehsive et que la résistance tchèque serait
de courte durée 8, cette nouvelle provoque l’indignation de
certains milieux parlementaires. Alexis Léger vient trouver
le généralissime et lui dit :
- u I1 ne faut pas que l’on puisse douter de vos inten-
tions. On répète, dans les milieux gouvernementaux que
vous n’avez pas d’autre solution que d‘attaquer par la Lor-
...
raine ))
- u Et par où veut-on que nous attaquions, si nous ne
pouvons pas passer par la Belgique? )) répond Gamelin,
agacé. u Forcer le Rhin, d’ailleurs fortifié, pour aller buter
sur la Forêt-Noire 4 1 1)
I1 faut! ... I1 ne faut pas! ... Ces injonctions traduisent le
désarroi des milieux politiques. Mais quels que soient les
désirs des uns et des autres, la situation militaire reste domi-
née par un certain nombre de facteurs, qui apparaissent de
plus en plus clairement au fur et à mesure que les journées
s’écoulent. Gamelin les résume de la façon suivante, dans
une note destinée au Chef du Gouvernement :
suspeets! Notre ignorance et notre étourderie sont patentes. J e remets les textes
retrouvés au ministre dei Affaires étrangères, que ses services ont, une fois de
plus, essayé d’abuser. D (Ci-devant, p. 18.)
1. Général G A M E L ~ Servir,
N, II, p.,335.
2. Au sein du Cabinet, sont partisans de la conciliation : Georges Bonnet,
Chautemps, Marchandeau, Frossard et Queuille; y sont hostiles : Paul Reynaud,
Mandel, Campinchi, Jean Zay, Champetier de Ribes, de Chappedelaine.
3. Du moins le bruit en a-t-il été rapporté de Londres par Sir Eric Phipps,
Ambassadeur de Grande-Bretagne à Paris. Gamelin protestera vivement contre
les piopos qu’on lui prête. Mais cette opinion est conforme à ses autres décla-
rations.
6. GnmEmi, Suvir, II, p. 344.
302 HISTOIRE D E L’ARMÉE A L L E M A N D E
1. Gamelin dit sept à huit joura. Georges estime préférable de tabler sur dix.
2. Sur ce délai (quinze à vingt jours), Gamelin et Georges sont d’accord. Le laps
de temps qui sépare la mobilisation de l’offensive est dû à la nécessité de grouper
une très nombreuse artillerie mobile, pour surclasser la puissance de feu des
fortifications du a Westwall s!
3. Nous avons déjà rencontré le général Sirovy, lors de la retraite des Légions
tchèques à travers la Sibérie. (Voir plus haut, p. 53.) Rentré à Prague, Sirovy
est demeuré dans I’ArmBe tchèque, où il a exercé divers commandements avant
de devenir Chef d’Êtat-Major général (jusqu’en 1933) puis Inspecteur général de
l’Armée (de 1934 à 1938).
4. Message du général Gamelin au général Sirovy, Servir, II, pp. 355-356.
a Dur conseil I, écrit Gamelin, a dont nous sentions bien la cruauté. n
5. A vrai dire, l’État-Major tchèque avait déjà envisagé cette possibilité, mais
seulement à titre d’hypothèse. II a espéré jusqu’au dernier moment qu’une déci-
sion rapide sur le front occidental le dispenserait de la mettre à exécution.
304 HISTOIRE DE L’ARYÉE ALLEMANDE
L'IMPASSE DIPLOMATIQUE
II. - L'Angleterre refuse de s'engager sur le continent.
i 4
1. Georges BONNET,
Op. c i l . , p. 196.
L E R A T T A C H E M E N T DES S U D È T E S A U REICH 315
comme il le fait, l’ambassadeur exprime-t-il vraiment la
point de vue de son gouvernement?
Pour le savoir, il demande à M. Léon Noël, ambassadeur
de France à Varsovie, d’interroger à ce sujet le colonel
Beck et le maréchal Ridz-Srnigly. M. Noël les voit le
26 mai et le 3 juin. Hélas! Leurs réponses sont tout aussi
négatives que les propos de l’ambassadeur :
+ +
Quand Halifax s’aperçoit que rien n’est changé dans l’at-
titude du gouvernement de Prague, il se demande ce qui se‘
passe. I1 insiste pour voir la note remise par Bonnet à Osusky
et a peine à dissimuler sa mauvaise humeur lorsqu’il en
lit le’contenu. I1 aurait voulu que les Français tiennent aux
Tchèques un langage comminatoire, qu’ils leur mettent le
couteau sur la gorge! Et voilà qu’au lieu d’un ultimatum,
il se trouve en présence d’un texte tout en nuances, où la
rupture éventuelle du Pacte franco-tchèque n’est même pas
évoquée! Déjà les ministres anglais n’éprouvaient pour Bon-
net qu’une sympathie mitigée *. A partir de ce moment, ils
1. In Droit de vivre, Organe de la Ligue internationale contre l‘dntisemitisrne,
19 juin 1937.
2. Keith FEILINO, Ths Life of Neviib Chamberhin, p. 353.
LE RATTACHEMENT D E S S U D È T E S AU R E I C E 321
l’observent avec méfiance. (( S’il n’a pas exercé sur Prague
une pression suffisante »,se disent-ils, (( c’est sans doute qu’il
n’a pas pris nos déclarations suffisamment au sérieux. 1) Dans
ce cas, ils se chargeront de lui faire comprendre qu’il se trompe.
Du 19 au 22 juillet, George V I e t la reine Elizabeth font
leur premier voyage officiel en France. Ils y sont reçus avec
autant de faste que de cordialité. On organise en leur hon-
neur une grande revue militaire. ((( 50.000 soldats défilent
devant le R o i . 600 avions survolent le Palais de Versailles.
Impressionnante démonstration de la force militaire fran-
çaise »,proclament le soir même les journaux de Prague 1.)
Le Président Lebrun convie les souverains britanniques à
un banquet de six cents couverts dans la Galerie des Glaces.
Au cours de l’allocution qu’il prononce à la fin du repas,
George VI célèbre l’Entente Cordiale e t déclare (( qu’il est
impossible de rappeler une période où les relations entre
l’Angleterre et la France aient été plus intimes D. Le public
en déduit que les deux pays marchent la main dans Ia main.
Mais sitôt leurs Majestés reparties, Lord Halifax rappelle
au Gouvernement français que les dispositions du Foreign
Ofice demeurent inchangées.
+ *
De telles déclarations ne sont évidemment pas faites pour
pousser MM. Daladier et Bonnet à l’intransigeance. D’au-
t a nt plus qu’au moment où l’Allemagne fait l’étalage de ses
forces, l’Angleterre semble s’ingénier à leur démontrer sa
faiblesse. Des données recueillies en haut lieu par le général
Lelong 2, il ressort que son armée de terre est pratiquement
inexistante 3, que son aviation ne dispose encore que de quel-
ques centaines d‘avions modernes capables de tenir tête
aux escadrilles allemandes* et que sa flotte ne peut apporter
aucune aide à la France en Méditerranée. Pis encore :
l’Amirauté britannique demande, en cas de guerre, que la
France lui envoie une de ses unités modernes - le Dun-
kerque ou le Strasbourg - pour l’aider à protéger les
convois franco-anglais contre les sous-marins allemands S.
Le 10 septembre, voulant en avoir le cœur net, Bonnet
fait venir Sir Eric Phipps et lui pose la question sui-
vante, cruciale :
- a Jusqu’ici, nous avons espéré avec vous qu’un arran-
gement amiable pourrait intervenir entre les Sudètes et
Prague. ,Qujourd’hui, cet espoir nous est interdit : il faut
regarder la réalité en face. Demain, l’Allemagne peut atta-
quer la ïchécoslovaquie; dans ce cas, la France mobilisera
tout de suite et elle se tournera vers vous en vous disant :
u Nous marchons. Marchez-vous avec nous? Quelle sera la
réponse de la Grande-Bretagne? D E t Georges Bonnet ajoute :
u Si une guerre survient, l’Angleterre et la France seront
trop inti mement associées dans les épreuves comme dans
1. George3 BONNET, Le Quai d’Orsay sous trois Républiques, p. 208-209 : a Nous
avions deux ans de retard sur les Allemands pour l’armée de terre I), écrit-il, e t
cinq ans pour les industries aéronautiques.
2. L’attaché militaire français à Londres.
3. Ses effectifs s’élèvent, en tout, à 230.000 hommes, y compris la réserve
de I’armée régulière et les services de I’arrière. (Rapport du général Lelong d M . Cor-
bin, Ambassudeur de Franceà Londres, 8octobre 1938.) On voit que Joseph Kennedy,
Ambassadeur des États-Unis à Londres n’avait pas tort d’écrire : a Chamberlain
n’aurait pu combattre, même s’il I’avait voulu. B (Fabre-Luce, L’Enjeu de la
dipbmatie, de Munich à nos jours, R e t w des Deux Mondes, ler mars 1963, p. 30.)
4. De l’aveu même de Churchill, la R. A. F. ne possède en tout que cinq esca-
drilles de chasse. (Mémoires de Guerre, I, L‘Orage approche, p. 346-347.)
5. Georges BONNET, De Washington au Quai d’Orsay, p. 229.
LE R A T T A C H E M E N T DES SUDÈTES A U REICH 325
les succès pour que nous ne parlions pas aujourd’hui en
toute franchise. Aussi est-ce moins à l’ambassadeur qu’à l’ami
que je m’adresse en ce moment. D
- (( J e comprends très bien votre question n, répond
Sir Eric Phipps. (( I1 peut être malaisé d’y répondre sans
connaître les circonstances qui pourraient l’ men e r à se poser,
mais votre préoccupation-est légitime et je vais écrire tout
de suite au Secrétaire d’Etat au Foreign Ofice. D
L’ambassadeur de Grande-Bretagne transmet aussitôt
cette demande à son gouvernement. Le 14 septembre, Sir
Eric Phipps apporte à Georges Bonnet la réponse du Gou-
vernement anglais, sous forme d’une lettre personnelle
adressée le 12 septembre par Lord Halifax à l’ambassadeur
de Grande-Bretagne à Paris :
1. Les termes de cette lettre ont é t é pesée et mis au point au cours d’un Conseil
des Ministres britanniques.
326 HISTOIRE D E L ’ A R M ~ E A L L E M A N D E
L’IMPASSE DIPLOMATIQUE
entraînés dans la guerre B. Bien qu’il ne faille accepter ces chiffres qu’avec une cer-
taine prudence, ils semblent refléter assez bien l’opinion américaine de cette époque.
2. L’archevêque de Chicago. On peut se demander comment un peuple intelli-
(I
i. Georges BONNET,
Le Quai d’Orsay sous trois Républiques, p. 193.
2. Le ministre des Affaires étrangères de Roumanie.
L E RATTACHEMENT D E S S U D È T E S AU REICH 343
manie deviendrait aussitôt un vaste champ de bataille 1. ))
Pour Bonnet, cette prise de position équivaut à un refus
définitif. Elle l’étonne d’autant moins qu’il sait qu’elle
correspond au sentiment profond de l’opinion roumaine 2.
Cependant - fait troublant - Litvinov qui rencontre tous
les jours M. Comnène au Palais des N,ations, s’abstient soi-
gneusement de lui poser la question 3.
Tiendrait-il moins qu’il ne le prétend à obtenir le droit
de passage? Cette hypothèse paraît confirmée par l’entretien
que Litvinov a deux jours plus tard (11 mai) avec M. Hei-
drich, l’homme de confiance de Benèa,. Le Commissaire du
peuple aux Affaires étrangères lui dépeint la situation sous
les couleurs les plus sombres :
- (( Aucun doute ne peut subsister quant aux intentions
agressives d’Hitler D, lui dit-il, (( mais nous ne sommes pas
aveugles! L’Occident voudrait se servir d’Hitler pour
abattre Staline, et utiliser Staline pour abattre Hitler. Sachez
que Moscou a su tirer la leçon de la Première Guerre mon-
diale. Alors que la Russie sacrifiait des millions de jeunes
gens, les Puissances occidentales sont restées l’arme au
pied (!). Cette fois-ci, ce seront les Russes qui assisteront en
spectateurs au conflit qui dressera l’Allemagne contre les
Puissances occidentales. Elle n’interviendra que lorsqu’elle
estimera le moment venu d’imposer à tous les belligérants
une paix juste et durable 4. n
- (( Mais alors, vous ne porterez aucune assistance à la
Tchécoslovaquie? lui demande Heidrich avec effroi.
- (( L’U. R. S. S. n’est pas encore tout à fait prête )),
répond Litvinov avec un geste évasif. (( De plus, les réponses
négatives de la Pologne et de la Roumanie la mettent dans
l’impossibilité de venir à son secours 5. 1)
1. Georges BONNET, Id., p. 193.
2. Le 28 février 1938, le Parlement roumain a voté un amendement à la
Constitution de 1923, dont l’article 91 spkcifie : N Aucune troupe armée étrangère
ne peut être admise au service de l‘État et ne peut entrer ou passer sur le territoire
de la Roumanie, qu’en vertu d’une loi. I
3. I I1 devait rester quinze jours à Genève en face de Comnène sans qu’il ait une
fois abordé cette question avec lui. C’est ce que ce dernier a souligné dans son
propre récit. II (Georges BONNET, Le Quai d’Orsay sotid trois Rcpublipues, p. 204.)
4 . En parlant ainsi, Litvinov ne fait que paraphraser le discours prononcé par
Staline le 19 janvier 1925, devant le Comité central du P. C. et qui illustre parfai-
tement sa politique de 1938 : a Si 11 guerre commence, nous n’allons pas nous
croiser les bras. Nous aurons à intervenir, mais à intervenir les derniers. E t nous
interviendrons pour jeter le poids décisif dans la balance, le poids qui pourrait
l’emporter. E (J. V. STALINE, CYuwes, t. VII, hloscau, 1947.)
5. Arnost HEIDRICA, Op. cif.,p. 4. Interrogé plus tard sur les raisons pour les-
344 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
I. I1 n’est pas exclu que B e d s en ait éprouvé un certain dépit, car, à partir de ce
moment, ses relations avec M. Hodja prennent un tour nettement inamical. a Un
Tchèque ne se serait pas incliné aussi vite s, d i t 4 B M. Zenkl, le bourgmestre de
Prague, en faiant allusion aux origines slovaques du Président du Conseil.
2. Telles sont les a limites P que M. Hodja veut imposer B la médiation. Elles
rendent le problème pratiquement insoluble.
S. HANSARD, vol. 338, Sp. 2955-2963. Bien qu’ayant consenti à l’envoi de cette
mission, le Gouvernement fr-k préffére ne pas s’y associer. Halifax parle de
l’accord chaleureux (warm a p m e n t ) de Paris. C‘est forom un peu la note.
LE RATTACHEMENT DES SUW%TES A U R E I C H 353
qu’il a a g é é en rsmerciant le Gouvernement britavniqru L
~asollicitude. Certes, théoriquement, le tuteur ne peut donner
que des avis. Mais ceux-ci auront une portée mnsidkrablel. n
t
+ +
Pourtant, c’est à son corps défendant que Benès s’est
rendu à Canossa. Qui croira, malgré toutes les précautions
prises pour en convaincre l’opinion internationale, que Run-
ciman agit en expert u neutre et indépendant )), et non en
représentant du Gouvernement britannique a? Le Gouverne-
ment tchèque ne souhaitait nullement sa venue 3. Les Sudètes
pas davantage, e t Hitler encore moins, qui trouve son inter-
vention parfaitement inutile 4,
Runciman arrive à Prague le 3 août 1938. I1 rend d’abord
visite à Benès et à Hodja, puis il reçoit à son hôtel les
délégués du Parti des Sudètes. Ceux-ci paraissent si désireux
de ne rien laisser dans l’ombre, que leur entretien avec lui
ae poursuit jusqu’à 1 h. % du m a t i d . A première vue,
il a bon espoir d’@river b un résultât. Mais à peine qua-
*.*
Le 3 septembre, Hitler’ convoque une nouvelle conférence
militaire au Berghof, pour mettre la dernière main au plan
d’invasion de la Tchecoslovaquie. Y prennent part : le
général Keitel, chef de l’O. K. W., le général von Brauchitsch,
commandant en chef de l’Armée de terre, et le comman-
dant Schmundt. Cette fois, le plan des opérations s’est consi-
dérablement simplifié. On n’y rencontre plus aucune des
alternatives qui figuraient encore dans les directives du
7 juillet 3, et qui avaient si vivement inquiété le général
Beck.
- (( Les unités de campagne se mettront en marche le
28 septembre »,commence par déclarer le général von Brau-
chitsch. (( Dès cette date, elles seront prêtes à entrer en
action. Aussitôt que le jour J sera connu, les unités de
campagne, .pour ménager l’effet de surprise, poursuivront
leurs exercices dans une direction opposée à la frontière
tchèque *... n
- (( Non! D l’interrompt Hitler d’un ton impératif. (( Les
troupes seront rassemblées à deux jours de marche de la fron-
tière. I1 sufit de bien assurer le camouflage des manœuvres.
J e ferai connaître le jour J à l’O. K. W., le 27 septembre à
midi. ))
Le plan d’invasion comporte une triple offensive terrestre,
* *
E n plein Congrès de Nuremberg, durant la nuit du 9 a u
10 septembre, Hitler réunit une dernière fois ses généraux
pour s’assurer que tout est prêt pour l’invasion de la Tchéco-
slovaquie et que ses instructions ont été scrupuleusement
suivies. La conférence, commencée à 22 heures, ne se termine
qu’à 3 h. 30 du matin et l’on se demande comment Hitler,
qui a déjà derrière lui une journée harassante et qui doit
présider dans quelques heures de nouveaux défilés, trouve
encore l’énergie de diriger les débats. Sont présents : le
général Keitel, le général von Brauchitsch, le général Halder
qui vient de succéder au général Beck dans les fonctions de
Chef d’Etat-Major général, le commandant Schmundt, le
capitaine Engel et le capitaine von Below.
I. Paul STPHLIN,T6moignoge pour I’hisfoire, p. 54.
2. Grégoire GAFENCO,Derniers Jours de I’Europe, p. 77-78.
368 HISTOIRE DE L’ABMÉB ALLEMANDE
* *
L’opinion européenne, qui cherche à se rassurer, trouve
ce discours moins inquiétant qu’on aurait pu le craindre.
Après tout, se dit-on, le chef du IIIe Reich invoque le droit
des peuples à disposer d’eux-mêmes et affirme que c’est
au Gouvernement tchécoslovaque de régler le problème des
Sudètes. 11 est donc permis d’espérer que la guerre pourra
être écartke l.
Ce qui donne à ce discours un caractère alarmant, ce ne
sont pas les mots qu’il contient : ce sont les événements qui
l’accompagnent. Car depuis la veille, 11septembre, un début
de soulèvement a lieu chez les Sudètes. Tard dans la soirée
du 11 et durant toute la journée du 12, incidents et colli-
sions sanglantes se multiplient 2. On commence à se battre
dans les villages et dans les villes 3. Prague annonce vingt-
trois morts, dont treize Tchèques, et un grand nombre de
blessés. Le 13 septembre, le Gouvernement tchécoslovaque
proclame l’état de siège 4 dans treize districts sudètes.
Le même jour, K. H. Frank, l’adjoint de Henlein, qui est
rentré précipitamment de Nuremberg, préside à Eger une
réunion du Comité directeur du S. d. P. Comme le Gouver-
nement tchèque l’invite à venir à Prague pour reprendre
1. Durant toute la nuit du 13 au 14, elle a attendu en vain l’arrivée des troupes
allemandes.
2. C’est très exagéré. Le calme est à peu près rétabli. On trouve le texte de
cette dbclaration dans Dokumcnte der Deutschen Pdiiik, VI, IS., p. 308.
LE RATTACHEMENT DES S UDÈTES AU R E I C H 377
tyrannie et les sacrifices sanglants de ces dernières années
m’obligent à déclarer :
Nous voulons vivre libres! Nous voulons retrouver la Paix
et le Travail dans notre Patrie! Nous voulons faire retour au
Reich! Que Dieu nous bénisse, nous et notre juste cause l! D
Le même jour, le Gouvernement tchèque lance un mandat
d’arrêt contfe Henlein, sous l’inculpation d’atteintes à la
Sûreté de 1’Etat. Mais Henlein ne risque guère d’être arrêté :
il s’est enfui en Allemagne, avec les principaux chefs de son
Parti. Plusieurs milliers de jeunes gens en état de porter
les armes suivent son exemple. Ils bouclent leurs valises
et franchissent clandestinement la frontière du Reich.
* *
Tapi dans son nid d’aigle dans les Alpes bavaroises,
Hitler observe attentivement l’évolution de la situation.
Centre immobile d’un cyclone dont il orchestre lui-même
les principaux éléments, il surveille les allées et venues des
ambassadeurs, étudie les réactions des capitales étrangères,
envoie des directives à ses généraux, se fait tenir au courant
de la situation chez les Sudètes, téléphone des instructions
à Henlein, prescrit des manœuvres de blackout e t contrôle
lui-même la concentration de la Luftwaffe.
Un autre homme observe, lui aussi, la situation : c’est le
général Halder. Le nouveau Chef d’Etat-Major général des
forces terrestres partage les appréhensions de son prédé-
cesseur. Comme Beck, il est convaincu qu’une guerre -quels
que soient ses succès initiaux - ne peut se terminer que
par l’écrasement de l’Allemagne 2. I1 éprouve depuis long-
temps uns violente antipathie pour Hitler, qu’ont encore
accrue lee: interventions du Führer à la Conférence du
10 septembre 3. I1 est écœuré par la soumission dont font
preuve des hommes comme Reichenau, Keitel e t Jodl.
E n revanche, il entretient des relations amicales avec
la plupart des généraux de l’opposition, entre autres le
1. Paul STEEILIN~ ibid., p. 95.
2. a Toute guerre déclenchée par i’dllemagne D, a coutume d’affirmer Beck,
a entraînera immédiatement dans son orbite d’autres États que le pays attaqué.
Cette coalition mondiale écrasera l’Allemagne et finira par la mettre à la merci
du vainqueur. D (Deutschùind in einern kornrnenden Kriege, étude rédigée en
novembre 1938.)
3. Voir plus. haut, p. 369 et 370.
LE RATTACHEMENT DES SUDÈTES AU REICH 379
général von Witzleben, le colonel Oster, le général Ollbricht
et le général Hœpner,. qui commande une unité blindée.
Halder est certain qu’Hitler court au désastre. Dans quelques
jours la France, l’Angleterre et la Russie opposeront un veto
formel à ses prétentions sur la Tchécoslovaquie. Son prestige
en sera si gravement atteint que le moment sera venu de le
renverser.
Beck a donné sa démission. Adam a été congédié. Cepen-
dant, la conjuration n’a pas disparu pour autant. A la
suite de Gœrdeler, certains de ses membres - notamment
Ewald von Kleist-Schmenzin et le conseiller d’ambassade
Théodore Kordt - sont allés trouver les Anglais pour
les supplier de tenir bon et d’infliger à Hitler une défaite
cuisante, qui leur permettra de le déboulonner. Mais si
Churchill e t Vansittart les ont écoutés avec intérêt 3, ni
Chamberlain, ni Halifax ne les ont pris au sérieux. Ils
ont vu en eux des aigris, incapables de rien faire par eux-
mêmes, mais prêts à plonger leur pays dans le chaos à seule
fin de satisfaire leur haine du régime Ils attachent si peu
de crédit à leurs déclarations, qu’ils ne jugent même pas
utile d’en informer Paris 5.
Le projet de démission collective des Commandants d’ar-
mée, échafaudé par Beck dans le courant du mois d’août,
a piteusement échoué. I1 exigeait un esprit de Corps que le
Haut Commandement allemand ne possède plus et offrait
l’inconvénient de mettre trop de personnes dans la confi-
dence. Les sondages effectués à Londres n’ont rien donné
non plus 6. Convaincu, comme Retz, que les meilleures
1. Un riche propriétaire foncier de Poméranie.
2. Le frère d’Erich Kordt, du Cabinet de Ribbentrop. Ces deux ennemis du
dgime travaillent a dans l’ombre D. Théodore occupe les fonctions de conseiller
à l’Ambassade de Londres.
3. Ils sont tous deux des adversaires résolus de la politique de conciliation.
4. a J’ai vu l’émissaire allemand a, écrit Chamberlain à Halifax en parlant de
von Kleist. a C’est un adversaire d’Hitler, aveuglé par son inimitié. II me rappelle
les émigrés jacobites de l’époque du roi Guillaume III. I1 n’a qu’une idée : exci-
ter ses amis allemands et les pousser à un putsch. I1 y a certainement beaucoup
à retrancher de ses affirmations. a (Cité par Gerhard RITTER,Échec au Dictateur,
p. 112.) De son côté, Halifax estime que si, par impossible, les conjurés mettaient
leur projet à exécution, les seuls bénéficiaires en seraient les Russes.
5 . Daladier se plaindra plus tard de n’en avoir rien su. (Nouveau Candide,
14-21 septembre 1961.)
6. En dehors d’une lettre d’encouragement donnée par Churchill à Kleist.
(RITTER,op. tit.,p. 112.) ii Pratiquement m, écrit Gerd Buchheit, I: il s’agissait de
forcer la main aux Anglais en les amenant à menacer de déclarer la guerre. I)
(Ludwig Beck, p. 179.) Mais, comme le dira plus tard Joseph Kennedy, I’ambas-
sadeur des États-Unis à Londres, I: les Anglais n’étaient pas assez fous pour ren-
380 HISTOIRE D E L’ARMSE
ALIXMANDE
verser leur politique et risquer de perdre une guerre pour les beaux yeux d’une
petite clique de conspirateurs, qui ne possédaient nullement l’importanee qu’ils
s’attribuaient.
4. Halder compte mettre à profit le délai de quarante-huit heures qui s’écoulera
entre le moment où Hitler donnera l’ordre de marche a 1’0. K. H. et celui où les
hostilités se déclencheront effectivement.
2. Le Pdfet de police de Berlin. (Voir plus haut, p. 280.)
3. Lettre du gdnéral Halder à I’auiew, 28 juillet 1964.
LE RATTACHEMENT DES SUDÈTES AU REICH 381
Va-t-on laisser le continent glisser à l’abîme, sans faire le
moindre geste pour le retenir? Les Français le pressent de
réunir une Conférence Trois et de lier sa convocation
la déclaration de Lord Runciman. Le colonel Lindbergh lui
a décrit en termes impressionnants la puissance de la Luft-
waffe2. Bonnet aurait dit récemment à Phipps : (( I1 faut
éviter la guerre à tout prix, car ni la France, ni la Grande-
Bretagne ne sont en mesure de l a faire s. )) Sir Nevile
Henderson, qui le tient presque heure par heure au cou-
rant des évenements, multiplie les coups de téléphone
et le supplie de ne pas tomber dans la même erreur que
Sir Edward Grey, dont le silence et l’indécision n’avaient
pas peu contribué à précipiter la guerre de 1914 (( Ecrivez
une lettre personnelle à Hitler »,lui a-t-il dit. (( Expliquez-
lui clairement votre position *... ))
Le 30 août, en rentrant d’une visite au château de Bal-
moral, Chamberlain a eu une idée dont il ne s’est ouvert
aux siens qu’en termes voilés :
(( J e passe mon temps à m e creuser la tête n, a-t-il écrit
1. Keith FEILINC,
The Life of Neville Chamberlain, p. 364.
Sfatist auf diplornafischer Riihne, p. 395. (Voir vol. IV, p. 184.)
2 . Paul SCHMIDT,
3. Voir plus haut, p. 377.
V 25
386 HISTOIRE D E L’ARMEE ALLEMANDE
I. Hitler est encore sous l’effet d’une lettre de Conrad Henlein qui lui a été
remise quelques instants avant l’arrivée de Chamberlain. Le chef du S. d. P.,
évoquant les sévices des Tchèques, parle de trois cents morts et suggère de poser
les conditions suivantes au Premier britannique : Pas de plébiscite; rétrocession
(I
I. Voir phis haut, p. 359. Lord Runciman confirmera ce point de vue dans
le Rapport f i i u i l qu’il remettra le 21 septembre à Lord Halifax.
2. L’octroi de l’autonomie dans le cadre de l’État tchèque, sans aucune modifi-
cation de frontière.
3. En outre, il est en désaccord avec son Président d u Conseil, M. Milan Hodja,
qui l’accuse de poursuivre une politique incompatible avec la situation géogra-
phique de la ‘Tchécoslovaquie. Or, M. Hodja est le chef du Parti agraire, l’élément
le plus puissant de la coalition gouvernementale.
4. Benès estime que la minorité allemande se trouvera ramenée ainsi à 1 mil-
lion g?‘ e t ne ‘constituera plus un danger pour l’État tchbque. Comme nous le ver-
rons plus loin, ce chiffre, exact pour la Bohême proprement dite, mais inexact
pour l’ensemble du pays, se retournera contre lui. E n réalité, il restera encore
quelque 2.300.000 Sudètes en Tchécoslovaquie.
LE RATTACHEMENT DES SUDÈTES AU REICH 393
porter un coup mortel à l’existence de l’État, car ils se
trouvent en avant de notre ligne fortifiée. Autrefois, cette
opération aurait été facile 1. Aujourd’hui c’est différent,
car j’aurais l’air de céder à un chantage. Quoi qu’il en soit »,
ajoute-t-il en prenant congé du ministre de France, ((j e
ne vous dis tout cela que sous le sceau du secret e t vous
prie instamment de n’en parler à personne 2. )) Après quoi, il
s’empresse de tenir le même langage à M. Newton3.
Croit-il vraiment que Newton et Lacroix respecteront la
consigne? Ne craint-il pas plutôt que, prenant ses recom-
mandations au pied de la lettre, ils ne s’abstiennent de
transmettre cette (( indication 1) à leurs chefs?
On serait tenté de le croire car le même jour (17 sep-
tembre), comme pour donner plus de poids à sa suggestion,
M. Benès dépêche à Paris M. Jaromir NeEas, ministre
de la Santé publique, porteur d’un Mémorandum relatif
à ce projet et d’une carte sur laquelle il a lui-même marqué
au crayon rouge les territoires dont la cession au Reich
pourrait être envisagée. M. NeEas remet ce document à
Léon Blum, qui le transmet immédiatement à Daladier 4.
Celui-ci est stupéfait en en prenant connaissance 5. C’est
un Mémorandum de six feuillets dactylographiés non signés,
mais portant en marge des annotations de la main de Benès
et se terminant par ce post-scriptum autographe : (( J e vous
prie instamment de ne jamais évoquer ce plan en public,
car je serais obligé de le démentir. N’en dites rien non
plus à Osusky, car il ne serait pas d’accord 6. D
1. Benès omet de dire qu’il s’est farouchement opposé en 1919 à une proposition
de Lloyd George, tendant à rattacher les régions d‘dsch, d’Eger et de Reichen-
berg a l’Allemagne.
2. Dans une lettre adressée d M. deLacroix le 20 janvier 1939, c’est-à-dire quatre
mois après Munich, Benès reviendra sur le caractère confidentiel de sa communi-
cation et insistera auprès du ministre de France pour qu’il n’en parle jamais.
Le 1 6 mars 1948, devant la Commission d’enquéte de l’Assemblée nationale,
Lacroix se plaindra amèrement de ce que ce secret ait été violé. (Rapport, II,
p. 266 et s.). On est en droit d’en conclure que, même dix ans plus tard, M. de
Lacroix ignorait la mission que Benès avait confiée le même jour, et sans l’en
prévenir, a hl. NeEas.
3. Docunients on British Foreign Policy, II, 888.
4. Par l’entremise de M. Blumel, ancien directeur de son Cabinet. (Témoignage
de Léon Blum devant la Commission d’enquéte de l’Assemblée nationale, le
30 juillet 1947. Rapport, I, p. 256.)
5 . a E n lisant ce document D, écrit Georges Bonnet, 8 Daladier lève les bras
au ciel et s’exclame : Ah! Si Benès avait négocié avec les chefs sudètes dans un
esprit aussi large, il aurait réussi! D (Le Quai d’Orsay sous trois Républiquee,
p. 211.)
6. Quelques jours après Munich, M. Daladier, accus& d’avoir Itrahi B la Tchéoo-
394 HISTOIRE D E L’ARMEE ALLEMANDE
* *
Le dimanche 18 septembre, Daladier et Bonnet arrivent
à Downing Street, où ils sont accueillis par Chamberlain
et Halifax. A leurs conseillers habituels se sont joints
Sir John Simon et Sir Samuel Hoare 2. Le Premier Ministre
commence par faire le récit de son entrevue avec Hitler.
- (( Lorsque je suis arrivé à Berchtesgaden »,déclare-t-il,
( ( j e me suis rendu compte que la situation était beaucoup
plus grave que je ne le croyais. Le Führer est décidé à faire
la guerre pour libérer les Sudètes et ne se tiendra pour
satisfait que le jour où tous les Allemands de Tchéco-
slovaquie seront incorporés au Reich. I1 se fonde sur le
libre droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, principe
que nous pouvons difficilement récuser. Hitler entend
libérer les Sudètes de gré ou de force. Si Benès ne les
libère pas, il ira les libérer lui-même. Au moment de nous
séparer, il m’a dit : (( Tout dépend à présent du Gouver-
a nement britannique ...
D
Chamberlain réfléchit un moment, puis il poursuit en ces
termes :
- (( Si nous repoussons cette solution, le Chancelier répli-
quera sans aucun doute en ordonnant à ses armées d’envahir
la Tchécoslovaquie. C’est pourquoi j’ai fini par nie rallier
à l’idée d’un plébiscite qui serait organisé dans les régions
où les Allemands ont recueilli plus de 50 yo des voix aux
récentes élections municipales 1) ...
- (( Un plébiscite est inacceptable pour la Tchécoslovaquie
comme pour la France », réplique vivement Daladier,
(( car il entraînerait la désintégration totale de l’État tchèque.
i +
1. Ils ne Ye feront cependant pas. II S’ils m’avaient apporté leur démissionn, dira
Daladier, a je l’aurais acceptée. B
2. (1 Actuellement B, s’écrie Adrien Marquet au cours d ’ u meeting tenu à Bor-
deaux, n il n’y a plus qu’un problème : les hommes politi&es sont-ils du parti de
la paix ou du parti de la guerre? u
3. Cf. Jean MONTIGNY,L a France devra-t-elle faire la guerre pour la Tclréco-
slovaquie? Lettre ouverte a M. le Président de la République, Le Mans, 1938.
LE RATTACHEMENT D E S SUDÈTES AU RJUCH 403
et de Duhamel, et des éditoriaux (( conciliants de Wladi-
mir d’Ormesson l .
A Londres aussi, l’opposition s’agite. Libéraux et Tra-
vaillistes organisent des meetings de protestation, submer-
gent le Gouvernement d’un flot de pétitions et envoient des
délégations à Downing Street pour sommer Chamberlain,
d’adopter une ligne de conduite plus ferme. Vansittart (le
propre beau-frère de Chamberlain) se démène dans les cou-
loirs du Foreign Ofice. Eden, qui effectue un voyage aux
États-Unis, condamne en termes sévères la politique du
Premier Ministre. Mais c’est incontestablement Churchill
qui est le plus actif. I1 proteste et prononce une série de
discours dans lesquels il s’efforce par tous les moyens de
dresser l’opinion anglaise contre le Gouvernement de Cham-
berlain et de persuader Benès qu’il ne faut pas céder 2.
Comme ses éclats de voix n’ont pas le succès qu’il espérait
auprès de ses compatriotes 3, il se rend à Paris accompagné
d’Edward Spears 4, pour s’entretenir avec Herriot, Mandel
et Reynaud. Avec son impétuosité coutumière, il morigène
les uns, encourage les autres et distribue à tous des consignes
de résistance, comme s’il était le véritable chef du Gouver-
nement français S. I1 presse Mandel et Reynaud de chasser
Daladier e t Bonnet du pouvoir et de provoquer une crise
en démissionnant. Comme Mandel lui fait valoir que le
Parti radical est très partagé et qu’ils risquent d’être rem-
placés par des partisans de la conciliation, Churchill leur dit :
.+
Pendant ce temps, les dirigeants du Reich ne sont pas
restés inactifs. Exploitant à fond les incidents survenus dans
les Pays sudètes au cours des journées précédentes’, les
journaux allemands a paraissent les 16, 17 et 18 septembre
avec les manchettes suivantes :
Terribles atrocités des bandits tchèques. - Cet Etat criminel
doit disparaître à j a m a i s . - Sévices bestiaux des Tchèques
à K r u m a u . - U n e véritable chasse à l’homme s’organise à
Eger. - Témoignage de l a terreur sanglante déchaînée par
les Tchèques : 23.000 Sudètes se réfugient e n Allemagne.
- Scènes déchirantes à la frontière de Bohême. - L e s Com-
munistes et les Hussites travaillent la m a i n d a n s la main.
Le 20 septembre, le ton monte encore :
Des femmes enceintes sont piétinées et abattues par la sol-
datesque. - Des femmes et des enfants sont écrasés par des
chars d’assaut! - L e sang des victimes crie vengeance! -
Cela ne peut p l u s durer ainsi!
Ces titres sensationnels reposent sur peu de chose3. Mais,
faits pour chauffer les esprits à blanc, ils y parviennent d’au-
tant plus aisément que nul ne peut en vérifier l’exactitude.
En fait, les districts sudètes sont à peu près calmes. Deux
ou trois exécutions sommaires et plusieurs centaines d’arres-
tations ont réussi à étouffer le début d’insurrection. Les
seuls incidents qu’on y relève sont dus à la fuite d’un grand
nombre d’Allemands, chez qui ces nouvelles ont provoqué
un mouvement de panique et qui s’efforcent de traverser
la frontière pour gagner le Reich.
Mais Hitler ne se contente pas de paroles : il lui faut aussi
des actes. Dès le 17 septembre, Henlein a lancé de Saxe une
nouvelle proclamation :
u Constatant que le Gouvernement tchèque a perdu le
contrôle de la situation et qu’il laisse sa soldatesque se livrer
à des excès sanglants sur une population sans défense, j’an-
1. Voir plus haut, p. 374.
2. Notamment le VBlkischr Beobachfer,l’organe oficiel du Parti nazi.
3. Ils ont ét6 invent&, pour la plupart, par Alfred Ingemar Berndt, un des assis-
tants de Gœbbels au Ministère de la Propagande. Lea diplomates Ctrangeis accré-
dités à Prague pmtestemnt contre le caractère outrancier de ces manchettes
a qui nuisent au crédit de la presse allemande u. (Akien ZUT Deulschen Atm&-
tigen Pdiiik, II, 502, 513-516, 520, 545.)
406 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
1. Ra pelons que le colonel Beck a déjà soulev6 cette question devant Yvon
Delbos. [Voir plus haut, p. 217.) Il était question, dors, de Madagascar.
2. II en informe naturellement 1. Gouvernement allemand. (Aktcn zur Dcutschen
Auswdrtigen Politik, ii, 553;Docuncsn(r on BrifishForeipr %licy, 11,997, KROPTA:
2 dob, p. 337.)
3. Kurjer Warszawski, 22 septembre 1938. Depuis le 18 septembre, la presse
polonaise et notamment la Gazeta Polaka, la Polska Zbrojna et I’ExpreSa Poranny
publient des articles de tGte réclamant I la réparntion du vol de Teachen, commis
par les Tchèques en 1919 P.
LE RATTACHEMENT DES SUDÈTES A U REICH 413
éclatent à Kattowice, dans d’autres villes de Pologne et
dans toute la Hongrie. A Varsovie, la foule défile dans les
rues en criant : (( Vive Hitler 1! B A Budapest, elle en fait
autant en brandissant des pancartes réclamant le rattache-
ment de la Slovaquie du Sud2. Ces démonstrations indiquent
que l’heure de la curée approche...
i l
sur pied la seule procédure qu’elle a jugé en fait, dans les cir-
constances actuelles, propre à empêcher l‘entrée des Allemands
e n Tchécoslovaquie. E n repoussant la proposition franco- britan-
nique, le Gouvernement tchèque prend la responsabilité de
déterminer le recours à la force de l’Allemagne. Il rompt p a r
1à même la solidarité franco-britannique qui vient d‘être établie
et enlève d u même coup toute efficacité pratique à une assistance de
la France ... L a Tchécoslovaquie assume donc un risque auquel
nous avons conscience de l’avoir soustraite. Elle doit comprendre
d’elle-même les conclusions que la France est en droit d’en tirer,
si le Gouvernement tchécoslovaque n’accepte pas immédiatement
la proposition franco- britannique 2. 1)
L’ENTREVUE DE GODESBERG
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MBMORANDUM
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434 H I S T O I R E D E L’ARMÉE ALLEMANDE
toire tchèque, sans égard a u fait que, dans cette région, il peut
se trouver de fortes enclaves habitées par des populations alle-
mandes dont la majorité, lors d u plébiscite, manifestera ses
sentiments nationaux allemands.
En vue d’arriver à une solution immédiate et définitive d u
problème germano-tchèque, le Gouvernement allemand formule
les propositions suivantes :
I. Le retrait des territoires à évacuer (désignés e n rouge sur
la carte annexée), de toutes les forces armées, de lu police,
de la gendarmerie, des douaniers et des gardes-frontières
tchèques, devra commencer le 26 septembre, à 8 heures d u
matin. Ces territoires seront remis à l’Allemagne le 28 sep-
tembre, à la même heure.
II. L e territoire évacué sera cédé dans son état actuel (voir
détails complémentaires à l’appendice).
II I. Le Gouvernement tchécoslovaque licenciera immédiatement
tous les Allemands des Sudètes .en service dans les forces
militaires ou la police en quelque endroit que ce soit d u
territoire de l’État tchèque et leur permettra de rentrer dans
leurs foyers.
IV. Le Gouvernement tchécoslovaque libérera tous les prisonniers
politiques d‘origine allemande.
V. Le Gouvernement allemand convient de permettre la tenue
d‘un plébiscite avant le 25 novembre, a u plus tard, dans
les territoires marqués e n vert, qui seront délimitb d’une
manière plus précise. Une Commmsion germano-tchèque ou
une Commission internationale réglera les modifications à
apporter a u x frontières, à la suite dudit plébiscite.
L e plébiscite sera tenu sur la base de la situation existant
le 28 octobre 1918 I. (Suivent des dispositions relatives à l’or-
ganisation du plébiscite.)
APPENDICE
de nombreux témoins. (Cf. Hubert RIPKA,Munich before and after, p. 108 et s.;
G. E. R. GEDYE,Fallen bastions, p. 464 et s . ; Pierre BUK (F. C. Weiskopf), La
Tragédie tchécoslovaque, p. 65 et s.; Akten zur Deutschen Auswürtigen Politik, II,
p. 542.)
1. En font partie : M. Krofta (Aflaires étrangères); M. Kalfuss (Finances); le
DI Stanislav Bukovsky (le chef des Sokols); le D’ Zenkl (bourgmestre de Prague);
M. VavreEka, et deux Slovaques, le Dr I. Karvas e t M. Gernak (qui seront par la
suite, ministres de la République slovaque à Berlin).
2. Selon le Dr Zenkl, deux groupes ont travaillé séparément à la constitution
de ce Cabinet d’Union nationale. Le premier (L. RaSin, J. Stransky, H. Ripka,
P. Zenkl, etc.) aurait voulu transformer le ministère Hodja en gouvernement
d’Union nationale. Le second (le général KrejEy, Hubert Masaryk et l’industriel
Preiss) aurait préféré une sorte de Comité de Salut public, composé uniquement
de militaires. Mais Benès s’y est opposé en cantonnant le général KrejEy dans ses
attributions militaires et en déconseillant aux présidents des partis gouverne-
mentaux d’y donner leur adhésion. (Déclaration d ü Dr Zenkl à Boris Celovsky.)
3. Aprbs avoir exercé le pouvoir pendant vingt années consécutives, les Par-
tis gouvernementaux ne sont pas disposés à s’en dessaisir du jour au lendemain.
4. Mgr Schrameck dira plus tard LI qu’en acceptant cette solution bâtarde,
Benes a conduit son peuple à une nouvelle bataille de la Montagne Blanche D.
(BEN&,,Mnichouské dny, p. 36.)
442 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
+ i
* *
- (( J’ai u n plan prêt à toute éventualité »,a dit Benès
à la radio de Prague au soir du 21 septembre, (( et je ne m’en
laisserai détourner par rien S. )) I1 consiste, devant les hési-
tations de Londres e t de Paris, à neutraliser la Pologne et la
Hongrie, avec l’arrière-pensée de faciliter une intervention
soviétique.
Le 26 septembre, M. Ignace Mosciski, Président de la
République polonaise, reçoit une lettre personnelle de Benès,
datée du 224, dans laquelle il lui propose (( le rétablissement
de relations amicales entre leurs deux pays, par un règlement
des litiges frontaliers qui les opposent 6 ».E n d’autres termes,
l e Gouvernement tchécoslovaque serait disposé à restituer
1. Voir plus haut, p. 326.
2 . Georges BONNET, La Ddfense de la Paix, I, p. 272.
3 . Voir plus haut, p. 442.
4 . Le fait que cette lettre est datée du 22, démontre que le plan évoqué par
Benès dans son discours radiodiffusé a bien trait à la Pologne: Le retard dans sa
transmission est dû à ce que le Gouvernement de Prague a voulu sonder tout
d’abord le fils du Président de la République polonaise, qui occupe les fonctions
de chargé d’affaires à Bruxelles, sur les réactions éventuelles de son père. La
réponse de hi. Mosciski junior n’a pas été très encourageante. (Cf. ÇZEMDEK,
Journal, 1933-1939, 25 septembre 1938.)
5 . On trouvera le texte intégral de cette lettre dans BECK,Bernier Rapport,
p. 342 et s.:,BENÈR,Mnichwské dny, p. 71 et s.
LE RATTACHEMENT D E S S UDÈTES AU R E I C H 455
le territoire de Teschen à la Pologne, en échange d’une prise
de position (f plus active )) en faveur de Prague Mais Benès
est dans la situation de l’Empereur Charles à la veille de la
dislocation de l’Empire austro-hongrois : plus rien ne peut
lui réussir. Tout comme la mobilisation partielle du 20 fnai
et la proposition de céder les (( saillants allemands n au
Reich 2, cette ultime tentative pour échapper à l’encercle-
ment va se retourner contre lui. Elle vient beaucoup trop
tard pour que les Polonais y consentent.
Pourquoi paieraient-ils d’un prix aussi élev6 - le passage
des troupes russes à travers leur territoire - le transfert
d’une province qu’ils sont sûrs d’obtenir pour rien? Aussi,
M. Mosciski répondit-il à Benès d’une façon polie, mais
froide. II admet qu’un règlement amiable de la question
de Teschen améliorerait sensiblement les relations polono-
tchèques 1)’ mais refuse d’engages la discussion sur le fond.
Quant à M. Lipski, l’ambassadeur de Pologne à Berlin, il
a, le lendemain même, une conférence avec Ribbentrop et
Weizsacker, au cours de laquelle il confirme à ses interlo-
cuteurs que la Pologne reste fidèle à la politique définie dans
sa note du 21 septembre 3 et leur annonce que des troupes
polonaises se concentrent à la frontière tchèque.
A ce moment, 1’U. R. S. S. a un geste inattendu. Le 23 sep-
tembre, M. Potemkine, vice-commissaire du Peuple aux
Affaires étrangères, remet au chargé d’affaires polonais à
Moscou une note dans laquelle il lui dit :
- (( Les concentrations de troupes polonaises à la fron-
tière tchèque semblent indiquer que le Gouvernernent polo-
nais s’apprête à s’emparer d’une partie du territoire tchéco-
slovaque. Jusqu’ici le Gouvernement polonais n’a pas démenti
cette intention. C’est pourquoi le Gouvernement soviétique
se croit tenu d’attirer son attention sur le fait qu’il serait
obligé de dénoncer sans préavis le pacte de non-agression
conclu le 25 juillet 1932.entre 1’U. R. S. S. et la Pologne,
au cas où cette dernière attaquerait la Tchécoslovaquie 4. ))
1. Londres et Paris soutiennent cette proposition, dans l’espoir de voir liquider
ainsi un des loyers de discorde.
2. Suggtrée dans le Mémoire confidentiel, apporté à Paris par Bf. NeEas. (Voir
plus haut, p. 393.)
3. La note du 21 septembre 1938, fixant l’attitude de la Pologne, a été adressée
simultanément à Prague, à Londres et a Paris. Elle a été rédigée a la suite de
l’entrevue que B2. Lipski a eue, le 20, avec Hitler à Berchtesgaden. (Voir plus
haut, p. 410 et s.)
4. Cette déclaration est dans la ligne des propos tenus par M.Litvinov à M. Cou-
456 HISTOIRE D E L ’ A R M i E ALLEMANDE
t
* *
1. Ce serait révéler à quel point sa politique étrangère est dominée par Ics inté-
rêts exclusiïs de Moscou.
2. BENES,Mnichovské dny, p. 86 et S.
3. Goebbels commence à presenter le conflit avec Prague comme le début
d’une Croisade antibolchévique.
4. Certains écrivains de gauche notamment Pierre Buk (F. C. Weiskopf) afirment
que les membres du Cabinet appartenant au Parti agraire (Hodja?) auraient été
jusqu’8 menacer Benès a d’ouvrir les frontières aux Allemands, s’il persistait à
faire appel à l’aide soviétique B. (Lo Tragédie tchécoslovaque, p. 25 et s.)
LE RATTACHEMENT D E S S U D È T E S AU REICH 459
à un suicide, même en tenant compte de I’aide que pourrait
lui apporter la Russie »,Benès a opté pour l’acceptation du
plan franco-anglais 2. Le même jour, Litvinov a déclaré à
Genève que (( l’acceptation du plan franco-anglais équivalait
à une dénonciation du pacte tchéco-soviétique ».
Ainsi donc, 1’U. R. S. S. qui a toujours subordonné son
intervention à l’entrée en guerre de la France et à l’autori-
sation préalable de la Pologne et de la Roumanie de laisser
passer ses troupes à travers leur territoire, exige à présent
un vote de la Société des Nations! E t à quel moment l e
fait-elle? Dans l’après-midi du 21 septembre, lorsqu’elle
sait que Prague a déjà virtuellement accepté le plan franco-
anglais 3, ce qui exclut tout recours à l’organisme de Genève.
Cependant, une voie très simple lui est encore ouverte :
c’est de porter elle-même l’affaire devant la Société des
Nations. L’article 11du Pacte de Genève lui en donne toute
latitude 4. Mais Litvinov s’en gardera bien 5.
Durant les jours qui suivent, les journaux soviétiques
prennent une attitude de plus en plus réservée à l’égard
d’un soutien éventuel à la Tchécoslovaquie. Bientôt cette
rubrique disparaît complètement de leurs colonnes 6.
Le 23 septembre, le Commissaire soviétique aux Affaires
étrangères prononce un grand discours devant la 6 e Commis-
sion de la Société des Nations. Fait d’autant plus digne
1. A la suite de cette démarche, le Gouvernement a décidé à l’unanimité quc
la Tchécoslovaquie ne pouvait affronter seule l’Allemagne, même si 1’U. R. S. S.
venait à son secours. (Mackenzie COMPTON, Doctor Benés, Londres, 1946, p. 214.)
2. Plus tard, en écrivant ses Mémoires, M. Benès a présenté les choses sur un
jour un peu différent. A l’en croire, le Gouvernement tchèque n’aurait pas voulu
demander I’aide des Soviets, u pour enlever tout prétexte à Hitler de déclencher
une Croisade anticommuniste qui, survenant au moment où la Russie n’était pas
prête à y faire face, aurait pu porter un coup mortel au régime de Moscou n. Mais
il faut tenir compte du fait que Benès a rédigé ses Mémoires en 1942, à une époque
où il s’efforçait par tous les moyens d‘obtenir de Staline la reconnaissance de son
Gouvernement en exil.
3. Hitler, pour sa part, en a été informé le 21 septembre, dès 11 h. 45 du
matin. (Documents d u Tribunal militaire international de Nuremberg, XXVIII,
PS-1780, p. 387.)
4 . u Il est en outre déclaré que foul membre de la Société des Nations a le droit, à
titre amical, d’attirer l’attention de l’Assemblée d u Conseil sur toute circonstance de
nature à aflectcr les relations internationales et qui menace par suite de troubler la
paix ou la bonne entente entre nations, dont la paix dépend. n
5 . De méme qu’il ne demandera jamais lui-même à la Roumanie l’autorisation
de traverser son territoire. II se bornera à inviter la France à le faire à sa place.
(Déclaration de M . Comnène.)
6 . u Dans la presse, on ne trouve plus un seul niot relatif à un soutien russe à la
Tchécoslovaquie. n (Rapport de M . ton der Schuienburg, amùassadeur du Reich
à Moscou, Akten zur Deutschtn Auswürtigen Politik, II, p. 620.)
460 HISTOIRE D E L’ARMBE ALLEMANDE
+ ?
(( Voilà vingt ans que cela dure, vingt ans durant lesquels
*
+ +
Le même soir, de 18 à 19 heures, un défilé militaire a lieu
à travers les rues de Berlin. Hitler l’a commandé dans un
1
coslovaquie entameront es négociations en vue d’aboutir à la démobilisation de
l’Armée tchèque, à la ga antie des nouvelles frontières e t a la neutralisation de
la Tchécoslovaquie.
Ce plan est, comme on le voit, un compromis entre le plan franco-anglais, le
point de vue tchécoslovaque et le Mémorandum allemand. On en trouvera le
texte complet dans Documenfs on Briiwh Foreign P o l i y , II, 1140.
2. Documents on Brifiah Foreign P o l i y , II, 1138; Die Eutapaiache Polilik im
Spiegei der Pragw Akten, p. 177.
LE RATTACHEMENT DES SUDETES AU R E I C H 471
pose vivement le Premier Ministre. Combien de temps
Benes va-t-il jouer les irréductibles? C r o it4 pouvoir compter
indéfiniment sur l’aide de l’Empire britannique? Puisqu’il
ne prend pas ses avertissements au sérieux, il va lui faire
sentir toute l’étendue de son erreur. Pour cela, il prononce
t~20 heures un nouveau discours à la radio. C’est un appel
déchirant à la raison e t à la paix, en même temps qu’un
avertissement non déguisé à Prague.
Chamberlain ‘commence par décrire les horreurs de la
guerre. Puis, tout en blâmant l’intransigeance d’Hitler, qu’il
qualifie de c( déraisonnable »,il prend acte du fait que le
Chancelier a déclaré que le retour des Sudètes au Reich
était la dernière revendication territoriale qu’il ait à for-
muler en Europe.
cc Pour ma part D, poursuit-il, ((je suis pret Q tout tenter.
Je n’hésiterais pas à entreprendre un troisième voyage en
Allemagne si je pensais qu’il puisse être de quelque utilité.
I1 est horrible, fantastique, incroyable de penser que nous
sommes en train de creuser des tranchées et d’essayer des
masques à gaz, à cause d’une querelle survenue dans un
pays lointain, entre des gens dont nous ne savons rien 1! ...
J’ai donné tout à l’heure l’ordre de mobilisation à notre flotte,
mais je tiens à préciser que les mesures de défense prises
par le Gouvernement de Sa Majesté ont un caractère stric-
tement préventif ... Quelle que soit notre sympathie pour un
petit peuple aux prises avec un puissant voisin, il n’est pas
question que nous entraînions l’Empire britannique dans la
guerre pour cette seule petite nation. Si nous avions à nous
battre, ce devrait être pour des causes plus importantes ... La
guerre est une chose terrible et nous devons être certains,
avant de nous y engager, que ce sont vraiment des problèmes
essentiels qui sont en jeu. Tant que la guerre n’est pas com-
mencée, l’espoir subsiste de l’empêcher et vous savez que je
travaillerai pour la paix jusqu’au dernier moment. ))
I1 est tard dans la nuit lorsqu’on apporte à Hitler une
traduction de ce discours. Le ton employé par Chamberlain
l’a-t-il touché? Ou bien a-t-il senti que le Premier britan-
1. Cos phrases blessantes pour l’amour-propre des Tchèques, sont écoutées au
IIradjin avec une véritable consternîtioii. A la suite de la publication du commu-
nique du Foreign Ofice, Benès avait cru bon de raidir sa position. I1 s’aperqoit
tout à coup qu’il s’est trompé. I1 interprètc le discours de Chamberlain comme la
preuve que l’Angleterre ne se battra pas pour la Tchécoslovaquie. L’homme de
la rue a la même réaction que lui.
472 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
+ +
1. A Rome, Lord Perth, qui est resté au Palais Chigi, pour y attendre les nou-
velles, est dans un tel état de tension nerveuse que lorsque Ciano lui annonce que
la mobilisation allemande est retardée de vingt-quatre heures, il part d’un grand
éclat de rire entrecoupé de sanglots et se précipite vers aa voiture pour regagner
son ambassade. (CIANO,Journal politique, 28 septembre 1938.)
2. Selon Fritz Wiedemann, l’entretien avec Neurath aurait eu lieu dans le j a r
din d’hiver de la Chancellerie, aussitat après le départ de François-Poncet. Le
dialogue se serait déroulé de la façon suivante :
-
NEURATH. Mon Führer, vous voulez donc la guerre à tout prix?
HITLER.-- Que vouiez-vous dim par a à tout prix n? Bien sûr que non!
-
NEURATH. Alors tout peut s’arranger. I1 n’y a vraiment plus de raison de
déchaîner une guerre mondiale. Vous avez fixé vous-même la date du t e r octobre
pour la cession des territoires sudètes. Cette date doit naturellement être main-
tenue. Mais vous ne pouvez pas occuper tout le pays en un jour. Alors faites-ie
par étapes. Le projet de Chamberlain, que soutient Mussolini, vous en fournit
le moyen et permettra ainsi d’arriver à un accord. (Der Mann der Feùiherr werden
w l l t e , p. 180-181.)
LE R A T T A C H E M E N T DES S U D È T E S AU R E I C H 479
vous, si vous le désirez, ainsi qu’avec les Français et les Italiens 1.
u Il va sans dire que l’Italie est prête à prendre part à cette
réunion.
(( Je suis convaincu que vous obtiendrez à présent un succès
Y 31
XXIII
LA CONFÉRENCE DE MUNICH
(29-30 septembre 1938)
veillée N.
Le comte Czaky arrive lui aussi, en tan t qu’observateur
du Gouvernement hongrois. Mais personne n’a le temps de
s’occuper de lui, de sorte qu’il est pris en charge par la délé-
gation italienne 8.
La conférence, convoquée primitivement pour 11 heures,
a dû être retardée. Elle ne s’ouvre qu’à 12 h. 45. Mais en
réalité, elle n’est plus qu’une formalité : toutes les décisions
capitales ont été prises la veille, soit au cours des entretiens
Hitler- Attolico 3, soit lors de la conversation téléphonique
qu’Hitler a eue avec Mussolini, soit encore le matin même,
dans le train qui a amené les deux dictateurs de Kufstein
à Munich.
Les unes après les autres, les délégations étrangères sont
introduites dans le hall du N Führerbau n où sont exposés
tous les étendards des Corps francs et les emblèmes du Parti.
Le siège central du Mouvement national-socialiste est un
vaste bâtiment situé sur la Konigsplatz, juste en face des
deux petits temples à pilastres carrés où reposent dans
des cercueils de bronze, les seize militants nazis tués le
9 novembre 1923, lors de la fusillade devant la Feldherrn-
halle 4.
Six mois plus t ô t , lorsque Hitler a pénétré en Autriche,
il s’est rendu à Linz sur la tombe de ses parents e t chez
son ancien professeur, d’histoire, pour renouer avec ses sou-
venirs d’enfance et de jeunesses. A présent, il n’a qu’à
regarder autour de lui pour se rappeler les débuts de sa
carrière politique. N’est-ce pas à Munich, en effet, dans une
petite brasserie enfumée, qu’il s’est inscrit le 19 septembre
1919 au Parti ouvrier allemand, un groupuscule de six
membres, totalement inconnus à la tête duquel il s’est
élancé à la conquête de l’allemagnee? E t voici que dix-
neuf ans plus tard, presque jour pour jour, devenu Chance-
lier du Reich et Commandant suprême de la Wehrmacht,
il accueille sur le seuil de son bureau, aux côtés du dictateur
1. Compte rendu du D*Hubert Masaryk à son gouvernement,le 30 septembre 1938.
2. Ce qui convient parfaitement à Mussolini.
3. Voir plus haut, p. 47s-479.
4. Voir vol. II, p. 309-311.
5. Voir vol. IV, p. 566567.
6. Voir vol. II, p. 248.
LE RATTACHEMENT DES SUDETES AU REICH 485
romain, les chefs des Gouvernements français et britannique
qu’il a amenés jusque-là pour leur faire connaître sa volonté!
Combien d’hommes peuvent se vanter d’avoir accompli un
chemin pareil?
Daladier, Chamberlain, Mussolini, Alexis Léger, Sir Horace
Wilson, Ribbentrop, Ciano e t l’interprète Schmidt entrent
dans, le bureau d’Hitler e t prennent place sans aucun proto-
cole sur des canapés e t des fauteuils disposés autour d’une
table basse. Chacun des chefs de gouvernement commence
par exposer son point de vue sur la question des Sudètes.
Comme tous tiennent à faire montre de bonne volonté, la
conversation est détendue. Elle ne prend un ton plus âpre
que lorsque Hitler recommence à vitupérer Benès e t les
Tchèques. Mais Daladier le contre avec beaucoup de viva-
cité.
Bien que la. discussion ne prenne à aucun moment un
caractère violent, quelques accrochages ont lieu entre Hitler
e t Chamberlain. E n t a n t qu’ancien ministre des Finances,
le Premier britannique tient à savoir comment 1’Etat tchèque
sera indemnisé pour les bâtiments publics qui se trouvent
dans les territoires devant être cédés à l’Allemagne.
- (( I1 n’y aura aucune indemnité »,rétorque Hitler d’un
ton rogue. (( Ces bâtiments ont été construits soit avant la
guerre, par le Gouvernement autrichien -et je ne sache pas
que Prague l’ait jamais indemnisé -; soit depuis la créa-
tion de la République tchécoslovaque. Dans ce cas, ce sont
les Sudètes qui les ont payés avec leurs impôts... ))
Mais Chamberlain revient à la charge. I1 s’inquiète de ce
qu’il adviendra du bétail. Les vaches resteront-elles sur
place en totalité ou bien pourront-elles être ramenées par-
tiellement en Tchécoslovaquie 1?
- (( Notre temps est vraiment trop précieux pour le
perdre à discuter de pareilles vétilles »,réplique Hitler avec
un geste d’impatience.
Après quoi, le Premier Ministre demande par deux fois
que des représentants du Gouvernement tchèque soient
ANNEXESA L'ACCORD.
v
490 HISTOIRE D E L’ARMEE ALLEMANDE
* *
fierté ... Dire que c’est vous qui avez été choisi pour par1er.à
l’Allemand et lui dire ce qu’il fallait! Puissiez-vous être béni
dans votre vieil âge. Vous ne serez jamais oublié2! ))
Durant les jours qui suivent, c’est par sacs entiers que
les postiers déversent à Downing Street les témoignages de
reconnaissance venus de tous les coins du monde. Chacun
veut remercier Chamberlain, quelle que soit sa condition
sociale ou sa nationalité. (( J e tiens à vous exprimer les
remerciements chaleureux d’un homme auquel le destin a
confié le sort de millions d’autres hemmes n, lui écrit
Léopold III. Cette lettre du roi des Belges est suivie par
une humble carte postale, en provenance de Rome : (( Mon-
sieur Chamberlain, que Dieu bénisse votre tête blanche.
J e suis une mère italienne. N
A Bruxelles, on frappe une médaille d’or à l’effigie de
(( l’Apôtre de la Paix ». De La Haye, des horticulteurs hol-
comme un seul homme derrière Adolf Hitler, le Führer de tous les Allemands. m
2. Dokumcnte und Bcrichte zur deutachen Zeitgeschichte, nom 15-20;20 octobre 1939,
p. 232.
3. Elles vont prendre possession de la zone I, dont l’occupation a été fixée
aux l e ’ et 2 octobre. (Voir la carte, p. 489.)
4. Elles parcourent, en sens inverse, l’itinéraire suivi par les formations tché-
coslovaques en novembre 1918, lorsqu’elles sont parties de Prague pour occuper
les régions périphériques du pays. (Voir plus haut, p. 126 e t s.) Éternels flux e t
reiïux de l’histoire...
LE RATTACHEMENT D E S S UDÈTES AU R E I C H 507
couleurs tchécoslovaques et ont tendu en travers des routes
des banderoles où l’on lit : n: Bienvenue à nos camarades de
l’Armée allemande! 1) ou encore : (( Le sang revient a u sang,
malgré la misère et la mort! D
Mais comme s’ils étaient insensibles aux ovations dont ils
sont l’objet, les fantassins allemands défilent l’arme à la
main et le visage grave. Ils ne sortent pas des rangs pour
saisir les bouquets que leur tendent des groupes de jeunes
filles, car ils ont reçu l’ordre de rester sCir le qui-vive. Au
premier signe de résistance manifesté par les Tchèques, Hitler
a enjoint à 1’0.K. W. de faire ouvrir le feu e t de passer de
l’occupation pacifique à l’exécution du Plan VERT 1. Pour-
t,ant cette journée - comme les suivantes -
se déroulera
sans incident.
Le 3 octobre, Hitler franchit à son tour la frontière germano-
tchèque à Wildenau, en compagnie des avant-gardes du général
von Bock z. I1 s’arrête d’abord à Eger, la ville de Wallenstein,
où il prononce l’allocution suivante :
a Jamais plus ce territoire ne nous sera arraché! La nation
était prête à tirer l’épée pour vous protéger. A présent vous
êtes devenus partie intégrante du Reich e t vous n’hésiterez
pas à tirer l’épée pour le protéger à votre tour 8. ))
GRAPHIQUE
33
PREMIÈRE P A R T E
LA FONDATION DE EA TCHÉCOSLOVAQUIE
DEUXIÈME PARTIE
(6373)
NUMÉRO D’ÉDITION :3734
DÉPOT LÉGAL : 4e TRIMESTRE 1965
PRINTED IN FRANCE