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Loi immigration : pour une véritable

évaluation de notre politique d’asile


Published: September 20, 2023 12.13pm EDT
Updated: September 24, 2023 2.08am EDT

Gérald Darmanin, en visite au poste frontière de Menton le 12 septembre, une ville où un terrain est aménagé
temporairement pour gérer le flux d'arrivants sur l'île italienne de Lampedusa. Valéry Hache / AFP
Une nouvelle loi sur l’immigration doit être discutée en novembre à l’Assemblée
nationale. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur qui porte le texte avec Olivier
Dussopt, ministre du Travail, l’a redit au journal de 20 heures de TF1 ce mardi
19 septembre. Il s’agirait du 29ᵉ texte voté depuis 1980 ; cela fait un tous les 17 mois.
Le projet déposé en décembre 2022 envisage, outre une exonération, sous certaines
conditions, du délai de carence de six mois avant de pouvoir travailler pour les
demandeurs d’asile, un durcissement des règles du droit d’asile et une accélération
des expulsions.

Si le sujet occupe un espace central dans le débat politique français, les réalités de
l’immigration, les concepts et les chiffres qu’elle recouvre restent cependant au
mieux l’objet de confusions, au pire de falsification et de fantasmes.

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On se retrouve souvent face à la figure du demandeur d’asile en guenille qui
incarnerait toute ou partie de l’immigration avec l’idée que la France « ne peut pas
accueillir toute la misère du monde », formule lancée par le Premier ministre
Michel Rocard en décembre 1989 et maintes fois reprises depuis.

Rechercher « migrants » dans un moteur de recherche, c’est s’exposer à des


dizaines de photos de personnes en détresse tentant de traverser la méditerranée
ou de longues colonnes de marcheurs le long de routes et barrières barbelées. Et ce
plus encore alors que l’île italienne de Lampedusa revient à la Une des journaux,
sujet à propos duquel le ministre de l’Intérieur français a affirmé une « position
ferme » : la France « n’accueillera pas de migrants qui viennent de Lampedusa »
sinon « les réfugiés politiques », a-t-il assuré.

Do experts have something to add to public debate?

We think so

Confusion entre politique d’asile et politique migratoire


La thématique des migrations fait pourtant l’objet de toujours plus de statistiques,
de travaux et de publications au niveau international. Comme le rappelle, par
exemple, François Héran, titulaire de la chaire Migrations et sociétés au Collège de
France, dans un ouvrage récent, la prophétie du Tsunami migratoire ne s’est pas
réalisée. En 2022, la France a pris en charge 16 % des demandes d’asiles adressées à
l’Europe quand notre PIB représente 16,7 % du PIB européen. Au total, les titres de
séjours octroyés au titre de l’Asile et d’étrangers malades représentent environ 13 %
de l’ensemble des titres en 2022.

L’une des pierres d’achoppement du débat réside sans doute dans le maniement
des mots et dans une confusion entre politique d’asile et politique migratoire. Il
existe pourtant une distinction claire entre les deux : la première relève du droit
international et du respect de la Convention de Genève de 1951 dont la France et les
pays européens sont signataires, la seconde relève de la politique ordinaire d’un
état souverain. La politique d’asile est élaborée au profit des personnes
Bénéficiaires de la protection internationale (réfugiés et protégés subsidiaires)
tandis que la politique migratoire ordinaire est élaborée par les États, en fonction
de leurs intérêts à un moment donné.

Pour le reste, les discussions quant à l’orientation à donner à la politique d’asile


souffrent d’un réel manque d’études quantitatives robustes sur lesquelles se fonder.

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Peu d’études malgré un matériau disponible
À l’aube d’une nouvelle loi migration, la France est, de fait, peu documentée quant
aux effets de sa politique d’asile et des programmes destinés à l’intégration des
réfugiés. Dans un article de recherche récent, l’économiste danois Jacob Nielsen
Arendt détaille avec ses coauteurs les travaux publiés qui évaluent les politiques
relatives aux réfugiés et leurs performances sur le marché du travail. N’y apparaît
qu’une seule étude sur la France, celle d’Alexia Lochmann, Hillel Rapoport et
Biagio Speciale. On compte en parallèle plus d’une quinzaine d’études sur le
Danemark et près d’une dizaine sur la Suède généralement fondées sur des
données administratives de grande dimension.

L’étude sur la France date de surcroît de 2019. Les chercheurs y évaluent l’impact
de la composante linguistique du Contrat d’accueil et d’intégration, l’ancêtre du
Contrat d’intégration républicain. Par rapport aux études scandinaves, les auteurs
doivent s’en remettre à des données d’enquête qui offrent un éventail d’indicateurs
restreints et autodéclarés quant à la participation au marché du travail tandis que le
nombre de Bénéficiaires de la protection internationale au sein de leur échantillon
est relativement faible.

La France dispose pourtant de l’ensemble des outils et connaissances pour évaluer


rigoureusement sa politique d’asile. Les centres de recherche français comptent de
nombreuses équipes spécialistes de l’immigration et de l’évaluation expérimentale
et non expérimentale. À ce titre, rappelons que la prix Nobel d’Économie 2019,
Esther Duflo, est une Française spécialiste de l’évaluation par les méthodes
expérimentales qu’elle a largement contribué à populariser.

Read more: Immigration : comment favoriser un impératif équilibre des sexes dans les
flux

Du côté des données, la France dispose de très importants dispositifs statistiques


d’une qualité inégalable et le Centre d’accès sécurisé aux données (CASD) permet
d’accéder à distance à une infrastructure sécurisée où les données confidentielles
sont sanctuarisées. Toutes les conditions techniques sont réunies pour mener des
travaux d’évaluation du meilleur niveau académique fondés sur un large panel de
méthodes afin d’étudier finement notre politique d’asile et verser au débat des
propos fondés sur des preuves scientifiques.

Sans évaluation, des bénéfices bien moins visibles

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Quel que soit l’issue du débat sur la loi immigration, il convient donc de consacrer
l’évaluation de notre politique d’asile en se dotant des moyens requis. Cela
implique notamment d’anticiper le financement et le soutien à des évaluations
scientifiques rigoureuses mais également de mener à bien l’élaboration de
dispositifs statistiques appariés pour pallier le risque de voir les chiffres être
manipulés et les scientifiques se détourner du contexte français pour mener leurs
recherches.

Celles-ci s’avèrent nécessaires, notamment car les coûts liés à l’immigration sont
plus directement visibles que ses retombées positives dont la mesure requière des
évaluations plus fines.

Du point de vue des coûts, en plus d’instruire les demandes d’asile, la France est
tenue de garantir les conditions matérielles d’accueil en vertu du droit européen.
Tout ceci est chiffré au sein des programmes 303 et 104 du projet de loi de finances
(PLF). Dans le PLF 2022, l’action n°2 du programme 303, « Garantie de l’exercice
du droit d’asile », représentait près de 90 % du budget du programme et recouvrait
les crédits d’allocation pour les demandeurs d’asile (la fameuse « ADA »), l’accueil et
l’hébergement des demandeurs d’asile au sein du dispositif national d’accueil (le
DNA), et le versement de la subvention de l’État à l’Office français de protection des
réfugiés et apatrides, l’Ofpra.

Du côté du programme 104 qui compte pour un peu plus de 20 % des crédits
consacrés à l’immigration et à l’intégration, plusieurs actions sont en lien direct
avec la politique d’asile. On y retrouve notamment une part du financement de
l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii).

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À très grosse maille, près de 74 % des crédits consacrés à l’immigration et à


l’intégration seraient ainsi fléchés vers la politique d’accueil des demandeurs d’asile
et l’accompagnement des réfugiés. Face à ces dépenses, l’unique recommandation
formulée par la Cour des comptes en avril 2023 lors de son exercice d’analyse de
l’exécution budgétaire est :

« Améliorer le taux d’hébergement des demandeurs d’asile en poursuivant le


développement des capacités d’accueil du dispositif national d’accueil des demandeurs
d’asile (DNA), simplifiant les types d’hébergement des DNA, homogénéisant leurs
modalités de tarification et de financement. »

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A contrario, identifier les dividendes économiques d’une politique telle que la
politique de l’asile requiert des calculs autrement plus élaborés. Quelques
enseignements sont néanmoins déjà disponibles.

Flux et performances économiques

Hippolyte d’Albis, directeur de recherche au CNRS et à l’École d’économie de Paris,


détaché auprès de l’Inspection générale des finances comme Chef économiste,
montre avec ses co-auteurs que sur la période 1985-2015, les flux de demandeurs
d’asile ne détériorent pas les performances économiques ou l’équilibre budgétaire
des pays d’Europe de l’Ouest. L’explication réside dans le fait que l’augmentation
des dépenses publiques qu’ils induisent est plus que compensée par une
augmentation des recettes fiscales nettes des transferts. Mieux, au fur et à mesure
que les demandeurs d’asile deviennent des résidents permanents, c’est-à-dire qu’ils
obtiennent une forme de protection, leur impact macroéconomique devient
positif.

Pour les États-Unis, Michael Clemens du Center for Global Development montre,
quant à lui, que la politique visant à réduire les arrivées de réfugiés et de
demandeurs d’asile entre 2017 et 2020 coûterait plusieurs milliards de dollars
chaque année à l’économie américaine. Selon ses estimations, déduction faite des
dépenses publiques, le manque à gagner pour les caisses publiques à tous les
niveaux de gouvernement s’élèverait à plus de 2 milliards de dollars par an.

Néanmoins, pour pleinement profiter du potentiel du dividende économique que


représente l’accueil de demandeurs d’asile et de réfugiés, il convient d’élaborer et
de financer des politiques et programmes efficaces, que seules des évaluations
rigoureuses permettent d’identifier. Dès septembre 2015, au plus fort de la crise des
réfugiés, l’économiste Jens Weidmann alors président de la banque fédérale
d’Allemagne déclarait au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung que l’afflux de
réfugiés représentait « des chances qui sont d’autant plus grandes si nous parvenons
à bien intégrer dans la société et dans le marché du travail ces personnes ».

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How The Conversation is different


Every article you read here is written by university scholars and researchers
with deep expertise in their subjects, sharing their knowledge in their own
words. We don’t oversimplify complicated issues, but we do explain and

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clarify. We believe bringing the voices of experts into the public discourse is
good for democracy.

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Beth Daley
Editor and General Manager

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