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Peut-être parce que, pour la première fois depuis 1946, le nombre d’étran-
gers présents en France a baissé de manière significative, passant de
3 600 000 en 1990 à 3 260 000 en 1999. Une telle diminution, de l’ordre
de 9 %, est à rapprocher de celle intervenue dans les années trente : au
terme d’une période de crise économique qui s’était accompagnée d’un ar-
senal de mesures répressives contre l’immigration, le nombre d’étrangers
était passé de 2 890 000 en 1931 à 2 450 000 en 1936, soit une baisse à peu
près comparable à celle que nous connaissons aujourd’hui. Certes, à cette
époque, la pratique des refoulements était beaucoup plus massive et les pro-
cédures plus expéditives, mais ce rappel historique permet de prendre la
mesure du phénomène actuel.
1
femmes et des plus de 60 ans pour les hommes. Dans un contexte où les
pouvoirs publics se déclarent de nouveau prêts à envisager, à certaines
conditions, une immigration jeune et qualifiée, ce phénomène mérite d’être
souligné pour que soit mieux prise en compte cette « vieillesse illégi-
time » [1] et reléguée socialement. Au-delà de ces tendances démogra-
phiques, les chiffres du dernier recensement illustrent surtout le résultat
concret de la politique de « maîtrise des flux migratoires » : la part des
étrangers dans la population résidant en France est passée de 6,4 % à 5,6 %
atteignant son plus bas niveau depuis 1968. La fermeture des frontières, la
pénalisation de plus en plus systématique de l’immigration dite clandestine,
mais aussi la difficulté de trouver un emploi et la précarisation des condi-
tions de séjour de la population étrangère ont fini par avoir des consé-
quences structurelles de long terme. Les flux d’entrées n’ont cessé de dimi-
nuer, passant de 110 000 en 1992 à environ 70 000 en 1999 et, faute d’être
renouvelée, la population étrangère a été condamnée à décroître.
Un peu plus de deux ans après la mise en application de cette nouvelle lé-
gislation, Plein Droit a choisi d’esquisser un premier bilan des innovations
qu’elle avait introduites. Sur le papier, elles étaient nombreuses : l’instaura-
tion d’un droit au respect de la vie privée et familiale, des dispositions pour
mieux tenir compte de l’état de santé des malades étrangers, une « carte re-
2
traité » pour faciliter leurs allers-retours, la promesse de rétablir les an-
ciennes commissions de séjour, des procédures facilitées pour artistes et
scientifiques et, enfin, la réforme d’« un droit d’asile destiné à devenir
exemplaire dans toute l’Europe »…
Mais comme aucune volonté politique n’est venue accompagner ces me-
sures théoriques, rien n’a vraiment changé dans la pratique quotidienne des
préfectures. Les refus de guichet, l’exigence de preuves toujours plus nom-
breuses et la suspicion généralisée ont continué comme auparavant, et le
pouvoir discrétionnaire de l’administration est demeuré intact. Certes, il ar-
rive que l’on parvienne à obtenir du Conseil d’État qu’il annule certaines
des dispositions des circulaires les plus contestables ; mais force est de
constater que l’administration ignore ce type de décision et persiste dans
son interprétation restrictive, remettant ainsi en question l’efficacité des vic-
toires remportées au contentieux.
Notes
[1]
Cf. Plein Droit n° 39, juillet 1998.
[2]
« Recensement et narcissisme des petites différences », Le Monde,
10 novembre 2000.
3
Ouverture à la tête du client — Jean-Pierre Alaux
« Ferme et digne » devait être, selon le premier ministre Lionel Jospin dans
son discours programmatique de 1997, la politique d’immigration de son
gouvernement. Cette orientation impressionniste s’est rapidement traduite
en stratégie sous l’inspiration de Patrick Weil, nommé conseillé de la ré-
forme. « Nous considérons, a-t-il observé, que l’intérêt de l’emploi en
France est menacé par une politique aveugle de fermeture des frontières
aux investisseurs et travailleurs qualifiés qui peuvent contribuer au déve-
loppement de l’activité économique ». La dignité n’allait donc pas être au
programme puisque la France allait instrumentaliser des étrangers confir-
més dans leur rôle de serviteurs. Mais la fermeté resterait d’actualité, avec
sans doute des humeurs au gré des besoins économiques. Pour ceux qui
n’auraient pas compris le classicisme néocolonial de la réforme à venir, Pa-
trick Weil mettait les points sur les « i » : « Faire, recommandait-il, que la
politique de l’immigration corresponde à l’intérêt national, c’est redonner
de la cohérence à notre politique de coopération, accueillir à nouveau des
scientifiques ou permettre à nos entreprises de recruter des spécialistes
étrangers » [1]. Une coopération pour le développement… de la France.
Évidemment.
L’étonnant, dans cette affaire, c’est qu’une réforme aussi utilitariste ait pu
paraître novatrice, voire modernisatrice aux médias et à l’opinion. Il n’est
pas besoin d’une réflexion bien approfondie pour y voir la simple prolonga-
tion d’une vieille tradition dominatrice. Comme l’avait d’ailleurs été la fer-
meture des frontières de 1974, instaurée à la suite du « choc » pétrolier de
l’époque et de son corollaire en matière d’emploi. Dans tous les cas – fer-
meture plus ou moins stricte, ouverture plus ou moins sélective –, le tiers-
monde est confirmé dans sa fonction de supplétif.
4
dotée d’une loi de fermeture, dans laquelle il n’y avait d’autres fissures que
celles imposées par le droit international : la porte de plus en plus étroite de
l’asile pour les persécutés (Convention de Genève sur les réfugiés et art.
3 de la Convention européenne des droits de l’homme) ; et une tolérance
très encadrée du droit à la vie familiale et à la vie privée (art. 8 de la
Convention européenne des droits de l’homme). C’était à peu près tout.
A l’usage, ces fissures se sont révélées insuffisantes pour les étrangers. Les
divers mouvements de sans-papiers – déboutés du droit d’asile au début des
années 90, parents d’enfants français en 1995, sans-papiers proprement dits
à partir de 1996 – ont plusieurs fois réclamé une réglementation respec-
tueuse de leur droit à être là et des droits qui vont avec, quels que soient les
intérêts de la France. Mais les intérêts de la France étaient différents des
leurs. Il fallait en théorie qu’ils ne soient pas là ; en pratique, qu’ils y soient
sans droits, ce qui rendait et rend toujours un service éminent aux secteurs
en difficulté de l’économie (agriculture, construction, confection, restaura-
tion, nettoyage, emplois domestiques). La fermeture a ses raisons que la rai-
son économique connaît parfaitement.
5
garde. Mais elle a l’inconvénient d’orienter l’élite, qui a davantage le choix
de sa destination, vers des concurrents moins répulsifs.
Comme toute les lois sur l’entrée et le séjour, la loi Chevènement s’adapte
au marché. Elle marie les lois Pasqua, qui ont peaufiné la fermeture et mul-
tiplié les petites mains, avec une ouverture à géométrie variable qui permet-
tra d’ajuster l’offre à la demande. Comment y réussit-elle ?
C’est du grand art. Dans le domaine où, par définition, l’accueil repose sur
les droits de la personne, la loi Chevènement les en dépossède en subordon-
6
nant leur reconnaissance aux intérêts (sic) de la République. Jamais, sans
doute, le cynisme n’avait osé aller si loin.
Tout l’esprit de la loi Chevènement est là, qui se décline aussi à travers ses
autres innovations. L’esprit, c’est, dans un contexte international de concur-
rence en matière de main-d’œuvre étrangère, ouvrir des portes qui confèrent
à la façade française un air aussi affable qu’ailleurs, de façon à éviter que
les ressources humaines utiles se détournent ; mais faire en sorte que les
clefs de ces portes n’appartiennent jamais aux étrangers.
7
née au regard des motifs du refus ». C’est très alambiqué. Ça veut néan-
moins dire que tout étranger – marié, concubin, célibataire – inséré à un
titre ou à un autre dans la société française peut obtenir une carte de séjour.
Voilà le texte que les parlementaires français ont voté. Il est conforme à la
Convention européenne des droits de l’homme.
Pour verrouiller ce dispositif voté par le Parlement et neutraliser les trois
généreuses lignes de la loi relatives aux « liens personnels et familiaux », le
ministre de l’intérieur a publié six pages d’instructions aux préfectures dans
sa circulaire d’application du 12 mai 1998. Elles correspondent à une inter-
minable litanie de critères évidemment restrictifs.
On y apprend notamment que, s’agissant de couples, « un refus de séjour ou
un APRF [arrêté préfectoral de reconduite à la frontière] ne porte qu’excep-
tionnellement atteinte à la vie privée et familiale » ; qu’il n’y a pas, pour
l’État d’accueil, d’« obligation générale de respecter le choix, par des
couples mariés, de leur domicile commun » ; que la vie privée et familiale
« est limitée en principe à la seule famille nucléaire, à savoir une relation
maritale et/ou une relation filiale », même si (on n’est pas à une contradic-
tion près) « il n’y a pas de différence substantielle entre le mariage et le
concubinage ».
Qu’importe, l’administration pénalise ces concubins. Il leur faudra notam-
ment prouver, « de manière cumulative », « une certaine ancienneté de
communauté de vie en France » (cinq ans à titre indicatif) ; prouver encore
« la présence d’enfants », « l’intensité des liens familiaux dont ils se pré-
valent », ainsi que leur stabilité. La circulaire d’application rappelle aussi
aux préfets que « la présence d’enfants mineurs, même scolarisés, ne fait
pas obstacle à l’éloignement, dès lors que n’existe aucun obstacle à ce que
les parents les emmènent avec eux ». Quant aux célibataires, la circulaire
n’imagine même pas qu’ils puissent avoir une vie privée.
Ainsi passe-t-on d’une loi qui définit un droit à une pratique pifométrique
de ce droit par la vertu d’une circulaire que les parlementaires n’ont jamais
vue et dont ils se désintéressent, de même que les médias.
Plus de deux années de pratique auront suffi à montrer qu’il en est de même
pour l’article 12 bis de l’ordonnance (voir encadré p. 5). Une pratique favo-
risée par un montage juridique parfaitement au point. La loi énumère des
catégories et quelques conditions. Tout le détail de la mise en œuvre est du
ressort d’une volumineuse circulaire d’application [6] qui, comme souvent,
8
permet au ministre de l’intérieur et à ses préfets d’agir à leur guise. C’est
une autre façon de reprendre aux étrangers des droits qu’on a fait mine de
leur reconnaître.
C’est aussi une méthode très commode dans la mesure où, sans « déran-
ger » le Parlement en lui demandant de procéder à des réformes, on peut,
avec la même loi, mener des politiques différentes selon les besoins du mo-
ment. Il suffit de changer la circulaire d’application. C’est au bon vouloir
du ministre, à tout moment et sans contrôle.
9
flux d’immigration régulière » (c’est-à-dire légale) dès « l’année 1997 »
(celle de l’adoption de la loi Chevènement). L’OCDE l’interprétait comme
« l’amorce d’un renversement de tendance » [8]. Mais c’était encore affaire
d’experts. L’opinion était, quant à elle, laissée dans l’ignorance de ce qui
mûrissait discrètement. Le mot d’ordre officiel restait celui de la fermeture.
Virage libéral
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Dans la foulée, différents pays vont rapidement annoncer certaines mesures
d’ouverture. L’Allemagne proclame, en février 2000, son intention d’ac-
cueillir de 20 000 à 30 000 étrangers qualifiés, notamment des informati-
ciens. Aux États-Unis, Bill Clinton propose, en mai 2000, de délivrer un
supplément de 362 500 visas d’installation à des étrangers de haut niveau.
En France, le gouvernement ne crie pas sur les toits qu’il agit de même.
Dans la discrétion, la ministre de l’emploi et de la solidarité avait devancé
tout le monde en signant, dès le 16 juillet 1998, une circulaire « relative au
recrutement d’ingénieurs informaticiens étrangers » [14]. De même, peu
après les tempêtes qui ont ravagé la forêt française, Martine Aubry avait ré-
cidivé, en février 2000, avec une circulaire « relative à la délivrance d’au-
torisations provisoires de travail pour des travaux de bûcheronnage » [15].
Utilité conjoncturelle
Cette histoire des bons (utiles) et des mauvais (inutiles, du moins avec des
papiers) étrangers ne connaît pas d’interruption dans l’histoire. Au plus fort
des périodes de fermeture, on s’arrange toujours – comme depuis 1999 –
pour ménager les trous indispensables à l’économie dans des frontières qui
restent juridiquement closes. Et quand, comme dans les années 60, l’heure
est au démarchage des étrangers jusque dans leurs pays d’origine pour les
faire venir, quand la pratique offre une liberté presque absolue d’installation
à tous les étrangers qui le veulent, on ne légifère jamais pour officialiser et
institutionnaliser cette ouverture. Elle reste dérogatoire. Elle reste fonda-
mentalement illégale. Même inappliquée au cours des moments de prospéri-
té, la loi de fermeture demeure suspendue sur l’avenir des immigrés, dont
11
les « droits » à l’installation ne dépendent ainsi que de leur utilité conjonc-
turelle. ?
Notes
[1]
Patrick Weil, « Mission d’étude des législations de la nationalité et de
l’immigration », La Documentation française, août 1997, 175 pages,
85 F.
[2]
Lire ou relire « La République bornée », livraison de Plein Droit
consacrée à l’analyse du projet de loi Chevènement, n°36-37, dé-
cembre 1997, 90 F. Lire également : Alain Morice « De l’immigration
zéro aux quotas », et Saskia Sasson « Mais pourquoi émigrent-ils ? »,
Le Monde diplomatique, novembre 2000.
[3]
Circulaire du 21 décembre 1984 (JO du 12 janvier 1995).
[4]
Loi modifiée du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile, art. 13.
[5]
Les catégories visées par l’article 12 bis sont les suivantes : mineurs
entrés en France avant l’âge de dix ans ; étrangers en séjour irrégulier
d’au moins dix années, mais pénalité de cinq ans supplémentaires pour
qui aura été étudiant et donc, à ce moment-là, en situation régulière
(comprenne qui pourra cette prime à l’irrégularité absolue ?!) ;
conjoints de Français ; conjoints de scientifiques ; parents d’enfants
français ; étrangers nés en France, s’ils y ont vécu huit ans et s’ils ont
été scolarisés cinq ans dans un établissement français ; accidentés du
travail et malades professionnels ; apatrides ; étrangers atteints de pa-
thologies non soignables dans leur pays.
[6]
Ciculaire NOR/INT/D/98/00108C du 12 mai 1998.
[7]
Le travail dans vingt ans, Odile Jacob, 1995.
[8]
OCDE, Tendances des migrations internationales, édition 1999.
[9]
12
Le Monde, 1er octobre 1999.
[10]
Plon, septembre 1999.
[11]
Le Monde, 1er octobre 1999. Voir aussi le premier numéro de France
moderne, revue du club de réflexion d’Alain Juppé (www.france-mo-
derne.asso.fr).
[12]
Le Monde, 7 octobre 1999.
[13]
Le Monde, 6 janvier 2000. A la France, le pré-rapport conseille l’im-
portation de 760 000 immigrés par an.
[14]
Circulaire DPM/DM2-3/98/767 du 28 décembre 1998 (non publiée au
J.O.).
[15]
Circulaire DEPSE/SDTE-DPM/DM2-3/2000/ 90 du 18 fé-
vrier 2000 (non publiée au J. O).
13
Les subtilités du Conseil d'État — Danièle Lochak
L’article 12 bis 7° a été présenté comme l’une des dispositions phares de la
loi Chevènement. Il prévoit la délivrance « de plein droit » d’une carte de
séjour temporaire à l’étranger « dont les liens personnels et familiaux en
France sont tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au
respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard
des motifs de refus ».
Mais il est vrai que cette obligation était rarement – c’est un euphémisme –
respectée spontanément par l’administration, comme l’atteste l’importance
du contentieux en la matière et le nombre de refus de séjour censurés par le
juge pour violation de l’article 8. Conformément à l’adage selon lequel « ce
qui va sans dire va encore mieux en le disant », on ne peut donc que se féli-
citer de ce que le législateur ait décidé d’inscrire en toutes lettres, dans l’or-
donnance de 1945, le droit pour l’étranger qui a ses attaches personnelles et
familiales en France d’obtenir une carte de séjour.
C’est bien, en effet, un droit qui est reconnu à l’étranger – la délivrance est
« de plein droit », dit le texte –, et l’administration se trouve, comme disent
14
les juristes, en situation de « compétence liée ». Théoriquement. Car, en
réalité, le droit en question n’est nullement inconditionné : il est au
contraire subordonné à la reconnaissance, par l’administration, non seule-
ment de l’existence mais aussi de l’intensité des attaches qui lient l’étranger
à la France.
Il ne suffit pas d’avoir des « attaches », il faut encore que ces attaches
soient telles qu’elles justifient de donner un titre de séjour à un étranger qui,
la plupart du temps, est en situation irrégulière, ou à tout le moins précaire :
on conçoit bien qu’un privilège aussi exorbitant ne saurait être accordé à la
légère.
15
Le problème, c’est que les préfectures n’ont pas la même vision de ce qui
est impératif et de ce qui ne l’est pas que le Conseil d’État : quand on leur
dit que, sauf exception, le demandeur devra justifier de cinq ans de rési-
dence en France, il est peu probable qu’elles acceptent d’abaisser la barre à
trois ans ou quatre ans, quels que soient les éléments du dossier.
Au-delà des critiques que l’on peut adresser à une pratique jurisprudentielle
malheureusement trop fréquente et dont les méfaits ont déjà été dénoncés
dans ces colonnes [3], il est clair que l’interprétation restrictive donnée par
la circulaire d’une disposition pourtant présentée comme une innovation ca-
pitale risque fort de limiter les retombées positives qu’on pouvait en espé-
rer.
16
de nouer et développer des relations avec ses semblables, y compris dans le
domaine professionnel et commercial ».
La circulaire ne se borne pas à faire le silence sur la vie privée : elle semble
bel et bien exclure toute délivrance d’un titre de séjour à un étranger qui
n’aurait pas en France d’attaches familiales, si l’on en juge par le passage
suivant : « Cette première vérification de l’existence d’une vie familiale en
France à laquelle une décision de refus de séjour serait susceptible de por-
ter atteinte vous permettra, à ce stade, d’opposer déjà un refus aux de-
mandes émanant de personnes célibataires ou sans réelles attaches fami-
liales en France » (souligné par le ministre). Et si des « dérogations » sont
prévues aux principes énoncés, elles ont trait exclusivement à la condition
tirée de la stabilité de la vie familiale et de l’impossibilité de reconstituer
cette vie familiale en dehors du territoire français.
17
A ce raisonnement subtil qui s’apparente beaucoup aux « réserves d’inter-
prétation » du Conseil constitutionnel, on aurait évidemment préféré une
annulation nette et franche.
Sans famille, donc, point de salut. Mais même en famille, les choses sont
loin d’être jouées d’avance. Car le second constat qui ressort de la lecture
de la circulaire, c’est une interprétation particulièrement restrictive de la no-
tion de vie familiale elle-même.
18
que sa famille doit, elle aussi, résider en France depuis plus de cinq ans, et
que l’un au moins des membres de la famille proche doit disposer d’un titre
de séjour en cours de validité.
Mais l’affirmation est bien trop péremptoire : d’une part, confondant régu-
larité et stabilité du séjour, elle néglige les hypothèses où le membre de la
famille, quoique démuni de titre de séjour, aurait résidé pendant de longues
années en France, au point que son départ du territoire français porterait une
atteinte excessive à sa vie privée et familiale ; d’autre part, elle ignore les
hypothèses où les deux conjoints, n’ayant pas la même nationalité, ne sont
nullement assurés de pouvoir reconstituer leur vie familiale en dehors de la
France.
19
A moins, plus simplement, qu’il se soit laissé convaincre par la raison invo-
quée pour la justifier (la possibilité de reconstituer la vie familiale à l’étran-
ger) et qu’il ait considéré que la règle avait pour elle la force de l’évidence.
Une évidence trompeuse, pourtant, puisque, comme on l’a montré plus
haut, l’atteinte à la vie familiale est largement indépendante de la régularité
du séjour des membres de la famille. Sans même parler de l’atteinte portée
à la vie privée qui, là encore, est complètement passée sous silence.
Notes
[1]
Voir Plein Droit n° 45, mai 2000, « Pacs : le droit de vivre à deux »,
p. 34.
[2]
Pour un commentaire général de cet arrêt, voir plus loin, p. 51.
[3]
On pourra notamment se reporter à un (très) ancien article paru dans le
numéro 2 de Plein Droit, de février 1988, qui analysait le sort réservé à
la circulaire de 1985 sur le regroupement familial par le Conseil d’Etat
dans un autre arrêt rendu en 1987 à la requête du Gisti : « Les rafisto-
lages du Conseil d’Etat ».
[4]
Voir sur ce point l’article p. 18.
20
Une vie familiale « subsidiaire » ? — Olinda Pinto,
Haoua Lamine
Par la création de la carte de séjour temporaire portant la mention « vie pri-
vée et familiale », le législateur a entendu intégrer dans la législation sur les
étrangers les exigences posées par l’article 8 de la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
(CEDH), qui reconnaît à toute personne le droit « au respect de sa vie pri-
vée et familiale ».
Nous étions nombreux à penser que cet article 12 bis allait, comme l’affir-
maient ses auteurs, protéger la vie privée et familiale des étrangers ayant
des « liens personnels et familiaux incontestables en France ». En particu-
lier, le 7° alinéa, pensait-on, allait apporter enfin une solution à de nom-
breuses situations jusque là inextricables.
Nous étions bien loin du compte : cette transposition a semé un vent de pa-
nique dans toutes les préfectures de France et de Navarre.
21
ticle 29). Autrement dit, vous n’appliquerez que très rarement cet ar-
ticle 12 bis 7°, disons… “subsidiairement” » !
Quels étrangers ?
C’est ainsi que, par exemple, les étrangers conjoints de résidents et leurs en-
fants mineurs entrés hors regroupement familial sont priés de faire leurs ba-
gages, pour ces derniers d’interrompre leur scolarité, et de repartir au pays
en attendant que l’interminable procédure du regroupement familial arrive à
son terme [2]. Dans ce cas de figure, la prise en compte de la vie privée et
familiale des intéressés est quasi- systématiquement écartée au profit de
l’application aveugle d’une procédure lourde et destructurante pour les fa-
milles. L’administration considère, en effet, que le 7° alinéa de l’ar-
ticle 12 bis n’a qu’une valeur subsidiaire, c’est-à-dire qu’il ne peut s’appli-
quer que si aucune autre disposition ne peut être invoquée. Or, contraire-
ment aux alinéas précédents, ce fameux 7° ne détermine pas de manière
précise la catégorie d’étrangers pouvant s’en prévaloir. Il stipule en effet
que :
22
S’agit-il des étrangers répertoriés dans les « catégories précédentes » mais
qui ne remplissent pas les conditions exigées pour avoir un droit au séjour
(par exemple, le conjoint d’étranger en situation régulière qui ne remplit ni
les conditions de ressources ni celles de logement, et ne peut, de ce fait, bé-
néficier du regroupement familial) ? Ou alors s’agit-il uniquement de ceux
qui ne sont pas expressément désignés dans les alinéas précédents de cet ar-
ticle 12, comme, par exemple, le concubin ou l’ascendant ?
Dans la majorité des cas, elles estiment que la situation de l’intéressé ne re-
lève pas de l’article 12 bis 7°, et que, par conséquent, il n’y a même pas
d’appréciation de sa vie privée et familiale.
Or, pour rester fidèle à l’esprit du législateur qui a transposé les dispositions
de l’article 8 de la CEDH, les catégories d’étrangers mentionnés dans les
premiers alinéas de l’article 12 bis mais qui ne remplissent pas toutes les
conditions requises devraient automatiquement voir leur situation examinée
au regard de l’article 12 bis 7°.
Le Gisti a notamment soutenu dans son recours que, d’une part, la circulaire
litigieuse « interprète de façon abusivement restrictive la notion de vie pri-
vée et familiale », en totale contradiction avec la jurisprudence de la Cour
23
européenne des droits de l’homme et avec la jurisprudence des juridictions
internes. D’autre part, que cette circulaire exclut toute prise en compte de la
« vie privée ».
Le Conseil d’État, dans un arrêt du 30 juin 1998, n’a suivi que très partielle-
ment l’argumentation du Gisti. Le grief tiré du caractère subsidiaire de l’ar-
ticle 12 bis 7° est totalement passé sous silence, ce qui ne peut que conforter
les pratiques discrétionnaires de l’administration. En ne donnant à l’ar-
ticle 12 bis 7° qu’un champ d’application par défaut, c’est l’article 8 de la
CEDH qu’on réduit à un rôle subsidiaire, ce qui revient à galvauder le droit
fondamental de vivre en famille.
Or, il est patent que la majorité des familles qui demandent à bénéficier des
dispositions de l’article 12 bis 7° de l’ordonnance sont celles qui, des an-
nées durant, ont attendu une réponse favorable à leur demande de regroupe-
ment familial. C’est la sévérité des conditions de cette procédure qui les a
contraintes à passer outre et non leur volonté délibérée de la contourner.
24
fondamental de vivre en famille et de faire fi des dispositions à valeur
constitutionnelle de l’article 8 de la CEDH.
Aberrations
Ce ressortissant cap verdien n’entrait pas dans les catégories définies aux
alinéas 1°, 2°, 3°, 4°, 5°, 6° de l’article 12 bis, pas plus qu’il ne remplissait
les conditions qui ouvrent droit au regroupement familial. Eu égard à l’exis-
tence de ses liens personnels et familiaux dont la réalité, la stabilité, l’effec-
25
tivité et l’intensité n’étaient pas contestées, l’application de l’ar-
ticle 12 bis 7° paraissait donc évidente. Elle ne l’a pas été pour le préfet.
Notes
[1]
Circulaire NOR/INT/D/98/00108C du 12 mai 1998 (application de la
loi du 11 mai 1998).
[2]
Cf. argumentaire sur l’article 12 bis 7° de la Coordination française
pour le droit des étrangers à vivre en famille intitulé « Une vie privée
et familiale. L’inaccessible droit », disponible au CNAFAL, 108 ave-
nue Ledru-Rollin, 75011 Paris.
[3]
Il convient d’émettre ici quelques réserves, car nous n’avons pas en-
core recensé de cas de régularisation de ces catégories d’étrangers sur
le fondement de l’article 12 bis 7°. Nous effectuons cette déduction
parce que ceux de la première catégorie sont systématiquement rejetés.
[4]
Il convient de préciser qu’en ce qui concerne l’articulation entre l’ar-
ticle 12 bis 7 et l’article 29 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 rela-
26
tif au regroupement familial, il ressort, sans qu’on puisse toutefois dé-
gager une ligne jurisprudentielle, que le juge administratif adopte une
position globalement plus souple que celle des préfectures. Plusieurs
décisions concluent en effet à l’application de 12 bis 7° parce que le
regroupement familial est impossible.
[5]
Cf. note (2).
27
Papiers d'intérêt général — Antoine Bussy
« Au guichet on m’a dit de venir voir le maire pour que je puisse déposer
mon dossier… ». Il n’est plus rare de voir les services préfectoraux prescrire
l’intervention d’un élu pour la simple application du droit, à l’exemple de
leur acceptation du dépôt d’une demande d’admission au séjour ou de pas-
sage à la carte de dix ans. Cette pratique comporte un risque supplémentaire
de rupture d’égalité pour les usagers, selon l’orientation des élus locaux et
leur accessibilité. Elle conduit à multiplier le nombre d’interventions et
donc à diminuer leur impact, l’appui d’un élu, comme d’une association,
cessant d’être une démarche gracieuse pour devenir un élément dans le fais-
ceau d’indices demandé.
28
les plus intolérables comme celles de familles entières durablement instal-
lées dans telle ou telle commune, avec enfants scolarisés, et pourtant main-
tenues dans la clandestinité.
29
De même, la multiplication des titres d’un an en lieu et place de la carte de
dix ans va à l’encontre de l’ensemble des dispositifs et crédits liés à l’inser-
tion. Cette régularité en CDD, acquise de haute lutte, alourdit inutilement le
travail de l’administration et pose des problèmes lors du renouvellement,
avec des personnes munies d’une simple convocation pendant plusieurs
mois au risque de ne pas accéder à l’emploi ou aux droits sociaux ou, pire,
de les perdre.
30
tutions. Pour ne prendre que le cas le plus criant, une situation de double
peine peut détruire toute une cage d’escalier, fut-elle repeinte et réhabilitée
à grand renfort de subventions.
En outre, cette mixité sociale ne se décrète pas. En parler est le plus sûr
moyen de l’empêcher, tant l’expression laisse supposer qu’il y a des voisins
décidément trop pauvres, trop précaires, trop étrangers ou trop présumés
tels.
31
droits, et une nouvelle immigration. Elles soulignent l’urgence de faire
coïncider la population et les mandants pour voir ses représentants mener
des politiques soucieuses de la cohésion sociale. Ici encore, la subversion
démocratique du droit de vote des citoyens résidents étrangers apparaît
seule de nature à garantir le respect de l’égale dignité de l’ensemble des ha-
bitants d’un territoire. ?
32
Les étrangers ont-ils une vie privée ? — Nicolas
Ferran
La possibilité, pour les étrangers, de se prévaloir du droit au respect de leur
vie privée devant les juridictions nationales est depuis longtemps acquise
sur le plan des principes. Ce droit trouve en effet sa source dans l’ar-
ticle 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) [1] qui
stipule que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale,
de son domicile et de sa correspondance ».
33
Alors que plusieurs tribunaux administratifs se sont engagés, depuis
quelques années, dans la voie ouverte par l’arrêt Soudani, en reconnaissant
aux étrangers le droit au respect de leur vie privée sur le fondement de l’ar-
ticle 8 de la CEDH, la décision Préfet des Alpes Maritimes c/Maroussitch
vient donc opportunément renforcer ce mouvement en offrant à ce droit une
reconnaissance jurisprudentielle claire.
Dans le même temps, le Conseil d’État donne les éléments d’une définition
de la notion de vie privée permettant d’en délimiter le champ d’application.
A l’instar de la position de la Cour européenne, les relations homosexuelles
relèvent, pour le Conseil d’État, du domaine de la vie privée. Mais, dépas-
sant la singularité des faits de l’espèce, le Conseil d’État fait également du
droit au respect de la vie privée des étrangers le support d’une protection ju-
ridictionnelle de leur intégration.
Le droit des étrangers au respect de leur vie privée a d’abord été invoqué
dans le cadre du contentieux de l’éloignement. Dans ces affaires, les requé-
rants, qui avaient séjourné pendant de longues années dans le pays « d’ac-
cueil », faisaient valoir que leur expulsion portait une atteinte excessive à
leur vie privée. Mais les juges vont se montrer réticents à placer ce type de
contentieux sur le terrain du droit au respect de la vie privée.
34
ceptera de censurer certaines de ces mesures sur le terrain exclusif du droit
au respect de la vie familiale [*].
35
que la vie privée et familiale « est limitée, en principe, à la seule famille nu-
cléaire, à savoir une relation maritale et/ou une relation filiale » [6].
Soupape de sécurité
Dans ce contexte, l’arrêt Préfet des Alpes Maritimes c/Maroussitch, doit re-
tenir l’attention. Venant confirmer la solution retenue dans la décision Sou-
dani ainsi que la jurisprudence de plusieurs tribunaux administratifs [*], le
Conseil d’État reconnaît clairement une existence autonome au droit au res-
pect de la vie privée sur le fondement de l’article 8 de la CEDH. Et, du
même coup, il donne au juge les moyens de contrôler les effets des déci-
36
sions administratives sur la vie privée des étrangers par l’exercice d’un
contrôle de proportionnalité.
C’est à ce titre que les relations homosexuelles, pour lesquelles la Cour re-
fuse la qualité de relations familiales, vont être regardées comme relevant
de la notion de vie privée. Condamnant des législations interdisant ou sanc-
tionnant les pratiques homosexuelles, les juges européens ont ainsi affirmé
le droit à la liberté de la vie sexuelle comme partie intégrante du droit au
respect de la vie privée [9].
37
la vie privée garantit l’unité du couple homosexuel, unité compromise en
l’espèce par la décision d’éloignement attaquée. Le Conseil d’État va procé-
der à une analyse proche de celle menée sur le terrain du droit au respect de
la vie familiale.
Le respect de l’intégration
38
S’inspirant de la jurisprudence européenne, le Conseil constitutionnel va
également faire émerger le droit au respect de la vie familiale et privée
comme support d’une protection de l’intégration des étrangers dans sa déci-
sion du 22 avril 1997. Protégeant les liens multiples existant entre les étran-
gers qui sollicitent le renouvellement de leur carte de « résident » et la
France, le Conseil censure une disposition de la loi Debré qui prévoyait de
conditionner ce renouvellement à l’absence de menace à l’ordre public.
39
Loin de n’être qu’une décision de circonstance née de la singularité des
faits de l’espèce, l’arrêt du Conseil d’État Maroussitch se pose donc comme
un arrêt de principe tant par l’existence autonome qu’il garantit au droit au
respect de la vie privée des étrangers que par la délimitation de son champ
d’application à l’unité du couple homosexuel et à la protection de l’intégra-
tion des étrangers en France. ?
Notes
[*]
Pour ne pas alourdir les développements, nous avons préféré ne pas
faire figurer ici les références jurisprudentielles. Elles sont signalées
par un astérisque et nos lecteurs intéressés peuvent se les procurer en
nous les demandant.
[1]
Appellation abrégée de la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales (1950).
[2]
CE 19 avril 1991, M. Belgacem, pour un arrêté d’expulsion, et Mme
Babas, pour un arrêté de reconduite à la frontière ; CE 10 avril 1992,
Minin, Marzini, Aykan, successivement pour un refus d’abrogation
d’arrêté d’expulsion, un refus de titre de séjour, un refus de visa.
[3]
Voir Plein Droit n° 46, jurisprudence 396.
[4]
Cour europ. Beldjoudi c/ France, 26 mars 1992, concernant l’expul-
sion d’un ressortissant algérien ayant vécu quarante ans en France et
marié avec une française – Cour européenne Moustaquim c/ Belgique,
18 février 1991. Voir aussi Plein Droit n° 14, jurisprudence n° 77.
[5]
Boughanemi c/ France, 24 juin 1996, Bouchelkia c/ France, 29 jan-
vier 1997, Mehemi c/ France, 26 septembre 1997, El Boujaïdi c/
France, 26 septembre 1997, Boujlifa c/ France, 21 octobre 1997, Da-
lia c/ France, 19 février 1998, Baghli c/ France, 30 novembre 1999.
[6]
Voir sur ce point l’article p. 8.
[7]
40
Voir Plein Droit n° 14, jurisprudence n° 78.
[8]
Niemitz c/ Allemagne, 16 décembre 1992.
[9]
Dudgeon c/ R.U., 23 octobre 1981 ; Norris c/ Irlande, 26 octobre 1988.
[10]
TA Rouen, 28 novembre 1998, Modou Seys.
[11]
TA Lyon, 2 novembre 1998, Hajjej.
[12]
TA Toulouse, 27.08.99, Foulou, TA Rouen, 28.11.98, Modou Seys.
41
L'illusion d'une régularisation — Violaine Lacroix
Il y a un plus de deux ans, la loi Chevènement a inséré au milieu des qua-
rante articles de l’ordonnance du 2 novembre 1945 – le texte qui régit l’en-
trée et le séjour des étrangers – un nouvel article 12 bis 3°, composé de trois
courtes lignes. La concision de l’article ne préjuge en rien de son impor-
tance. Bien au contraire, ces trois lignes organisent une procédure de régu-
larisation permanente en prévoyant la délivrance d’un titre de séjour tempo-
raire à l’étranger « qui justifie par tout moyen séjourner en France de façon
continue depuis plus de dix ans ou depuis plus de quinze ans si, au cours de
cette période, il a séjourné en qualité d’étudiant ». En d’autres termes,
chaque année, des étrangers doivent pouvoir obtenir un titre de séjour s’ils
ont atteint dix ans de séjour en France (ou quinze ans s’ils ont été étu-
diants). L’article 12 bis 3° permet donc une régularisation échelonnée des
sans-papiers, le gouvernement évitant ainsi des régularisations de plus
grande ampleur.
42
La question n’est pas saugrenue si l’on se rappelle que la circulaire de régu-
larisation de juin 1997 – dite circulaire Chevènement – indiquait que les
étrangers célibataires présents en France depuis sept années pouvaient obte-
nir une carte de séjour. Ils étaient considérés comme « ayant tissé des liens
personnels nombreux avec notre pays ». Moins d’un an après la circulaire
de régularisation, en mai 1998 – date d’entrée en vigueur de la loi dite Che-
vènement et du nouvel article 12 bis 3° – les étrangers doivent donc justifier
de dix ans de séjour, et non plus sept, pour prétendre à un titre de séjour. A
tout le moins, on aurait pu espérer que la loi ne se révélât pas plus sévère
que la circulaire.
Étudier et repartir
La situation s’aggrave encore pour les étrangers qui ont été titulaires d’une
carte de séjour étudiant avant leur demande : ils doivent justifier de quinze
ans de séjour. Cette discrimination envers les anciens titulaires d’une carte
de séjour étudiant s’inscrit dans le mouvement, déjà ancien, de précarisation
du séjour des étudiants étrangers en France.
Cette explication n’est bien sûr pas convaincante pour expliquer la discrimi-
nation faite à l’encontre des étudiants. Mais elle perd définitivement tout
crédit quand on remarque que la restriction a vocation à s’appliquer à tout
étranger qui a possédé ne serait-ce qu’une année une carte de séjour men-
tion « étudiant ».
43
préfectures estimant que les deux cartes étaient équivalentes. Cette interpré-
tation n’est fondée sur aucun texte et mérite à coup sûr d’être annulée par
les tribunaux. Elle illustre cependant la manière dont la politique de ferme-
ture des frontières, fondée notamment sur la suspicion généralisée à l’égard
des étudiants, affecte d’autres catégories d’étrangers.
De la multiplicité des délais – sept, dix, quinze ans – ressort une impression
de confusion. L’impression devient malaise lorsque l’on fait un détour par
l’article 25 de l’ordonnance de 1945. Cet article protège de l’éloignement
les personnes étrangères séjournant en France depuis plus de quinze ans. La
mise en parallèle de l’article 25 et de l’article 12 bis 3°, selon lequel dix ans
de séjour ouvrent droit à la délivrance d’un titre de séjour, conduit à une si-
tuation inédite dont l’absurdité n’est pas sans rappeler la loi Pasqua
de 1993.
En définitive, l’incohérence des textes est bien le reflet du mépris des pou-
voirs publics à l’égard des droits des étrangers. Pourtant, même dans un
système dominé par l’obsession de la fermeture des frontières, le droit à une
vie privée et familiale s’impose à l’État. Il est difficilement concevable de
réduire la prise en compte de la vie privée en France à l’équation simpliste
dix ans de séjour = existence d’attaches fortes en France ouvrant droit à la
délivrance d’un titre de séjour. La fixation arbitraire, et erratique, d’un délai
ne doit pas pouvoir exonérer l’administration de l’obligation de vérifier si
l’étranger n’a pas des liens personnels en France, quelle que soit l’ancienne-
té de sa présence en France.
44
nance [1] prévoit la délivrance d’un titre de séjour à l’étranger ayant en
France une vie privée et familiale. Certes, les circulaires d’application de
cette disposition ont posé certaines conditions de délai de séjour en France :
cinq ans pour les concubins de Français ou d’étrangers en situation régu-
lière, trois ans dans le cadre du Pacs.
Ici aussi, les délais paraissent contestables mais ils ne sont, théoriquement,
qu’indicatifs et ne devraient pas être appliqués à la lettre par les préfectures.
Quoi qu’il en soit, l’article 12 bis 7° n’a vocation à s’appliquer, aux yeux de
l’administration, qu’aux seules relations de couple. Cette différence de trai-
tement entre les célibataires et les personnes justifiant d’attaches familiales
ne ressort absolument pas de la lettre de l’article 12 bis 7° qui vise, sans dis-
tinction, la vie privée et familiale. Il serait intéressant de faire valoir devant
les juridictions administratives la notion de vie privée pour des étrangers cé-
libataires ou des couples d’étrangers en situation irrégulière ayant des liens
personnels en France, quand bien même ils résideraient en France depuis
moins de dix ans [2].
Les étrangers présentant une demande sur le fondement de cet article sont,
bien souvent, passés par la régularisation de 1997. A cette date, ils faisaient
déjà valoir au moins sept ans de séjour, conformément aux exigences que la
circulaire posait alors. En 2000, ils ont donc atteint mécaniquement dix ans
de séjour continu en France. Ils sont donc amenés à présenter les mêmes
pièces que celles présentées trois ans auparavant. Or, d’une part, il arrive
que leurs demandes soient écartées a priori sur le fondement du précédent
45
rejet de leur dossier, alors que l’administration est tenue de réexaminer le
dossier dans son intégralité, le fondement de la demande ayant changé.
Il est donc surprenant – et, bien sûr, totalement illégal – de trouver certaines
formules préfectorales identiques à celle dont la teneur suit : « Je note, par
ailleurs, que vous avez déjà fait l’objet, le 8 juin 1998, d’une décision de re-
fus de séjour dans le cadre de la circulaire ministérielle
n° 27/104 du 24 juin 1997, faute d’avoir pu justifier d’une durée de séjour
continue en France d’au moins sept ans ».
46
ministration. Seuls trouvent gré à ses yeux les documents administratifs, les
fiches de paie, les attestations de travail établies par les employeurs.
47
Mais, plus généralement, la suspicion entourant toute demande de la part
des étrangers a pour conséquence un renversement de la charge de la preuve
qui ne saurait se justifier. En effet, l’étranger sans-papiers qui peut prouver
son entrée sur le territoire, notamment par un visa ou un tampon d’entrée
apposé sur son passeport, devrait être considéré comme n’ayant jamais quit-
té le territoire français, la législation actuelle ne consacrant pas de liberté de
circulation pour les étrangers sans titre de séjour. Il ne devrait donc pas
avoir à prouver de résidence continue en France. Bien au contraire, c’est à
l’administration qui entend contester la durée du séjour en France de rap-
porter la preuve du départ de l’étranger (mesure d’éloignement exécutée,
démarches au consulat dans le pays d’origine…), si l’étranger peut prouver
son entrée en France.
Un concentré de contradictions
Le second enseignement que l’on peut tirer de cet article est l’irréductibilité
de la présence d’étrangers séjournant en France de manière dite illégale.
Cette disposition légale apparaît comme un concentré de contradictions.
Pour l’obtention d’un titre de séjour, l’État exige des étrangers qu’ils de-
meurent dix ans dans la clandestinité, qu’ils en conservent les preuves, tout
en étant exposés en permanence à un éloignement ou à des poursuites pé-
nales. Lors des débats parlementaires précédant l’adoption de la loi Chevè-
nement, l’opposition tirait argument de cette contradiction, non pour dénon-
cer la fermeture des frontières, mais au contraire pour réclamer un durcisse-
ment de la législation et empêcher toute possibilité de régularisation fondée
sur la durée du séjour. Étrange logique que celle qui proclame à grands cris
que la volonté étatique de nier les droits fondamentaux doit conduire à une
48
perpétuation de la situation illégale. Ce détour par l’argumentation popu-
liste de l’opposition contribue à démontrer, par l’inverse, que le droit de
s’installer doit être reconnu a priori et non a posteriori.
Notes
[1]
Voir, dans ce numéro, article p. 12.
[2]
Sur ce sujet, voir le commentaire de l’arrêt Maroussitch p. 18.
49
Le statut paradoxal des malades étrangers — Ar-
naud Veisse, Didier Maille
Novembre 1994
Les associations réunies depuis le 2 juin 1994 dans le collectif Action pour
les droits des malades étrangers en France (ADMEF) [1] mènent la lutte
contre l’éloignement des étrangers malades. L’objectif est de sauver des
vies et de construire le rapport de force pour obtenir une avancée du droit
en matière de protection des étrangers malades.
Mars 2000
50
débouté du droit d’asile […], qu’il aurait dû demander sa régularisation
pour raison médicale avant de demander l’asile, […] qu’il aurait dû de-
mander un visa sanitaire […] qu’il a tenté sa chance avec l’asile, […] et
qu’il la tente maintenant avec le médical […] qu’il n’y a rien à faire […]
qu’il n’a qu’à retourner au centre de réception s’il n’est pas content… »
51
fois dans la loi l’inexpulsabilité des étrangers « atteints de pathologie
grave » (dans l’éphémère loi Debré de 1997).
C’est donc clairement dans un contexte de revendications portées par les as-
sociations des secteurs santé et droits de l’homme que la réglementation a
pu effectivement évoluer vers un système qui, en droit, comporte au-
jourd’hui de réelles possibilités de protection.
D’un côté, sur le plan strict de la santé, la formulation est sinon précise du
moins protectrice. D’un autre côté, sur le plan des conditions annexes, la
formulation est complexe et permet tous les arbitraires.
52
l’exigence d’une résidence habituelle en France ;
la notion d’exceptionnelle gravité en cas de défaut de prise en charge ;
l’absence d’accès aux soins dans le pays d’origine ;
l’opposabilité du trouble à l’ordre public.
Il s’agit bien évidemment de quatre notions très subjectives qui donnent aux
préfets une marge d’interprétation considérable.
En effet, la décision fait intervenir deux autorités dont les rôles respectifs
sont difficiles à agencer : d’un côté le médecin inspecteur de santé publique
(MISP) est chargé de rendre un avis sur les trois points médicaux de la pro-
cédure (nécessité d’une prise en charge médicale ; évaluation de l’excep-
tionnelle gravité ; accès au traitement dans le pays d’origine) ; de l’autre cô-
té, le préfet est chargé de la décision d’admission au séjour, au vu de l’avis
médical, sans être nécessairement contraint par lui.
53
culaire, les préfets sont même clairement invités à délivrer des cartes de sé-
jour temporaires pour une durée inférieure à un an.
Incohérences
54
tience ! Nombre de demandes, nombre de titres délivrés, durées, type de pa-
thologies, etc.
Notes
[1]
L’action pour les droits des malades étrangers en France (ADMEF) re-
groupait les associations suivantes : Accueil et Promotion, Act up Pa-
ris, Aides, Aparts, Arcat-sida, association nationale des visiteurs de
prison, association pour l’accueil des voyageurs, centre gai et lesbien,
Cimade, Comède, Comité national contre la double peine, Créteil soli-
darité, Emmaüs alternative, Fsu, Fasti, Gisti, Ligue des droits de
l’homme, Maavar, Médecins du monde, Médecins sans frontières, Mi-
gration santé, Mrap, Reflex, Réseau Revih, Réseau ville hôpital Créteil
et Paris nord, Sida info service, Sol en si, Syndicat des avocats de
France, Syndicat de la magistrature.
[2]
Sur la définition de « la prise en charge médicale », voir arrêt du
Conseil d’Etat du 17 février 1999, HOYOS OSPINA, Plein Droit, mai
2000 ; jurisprudence n° 391.
[3]
ODSE : c/o Sida Info Service, 190 Bd de Charonne, 75020 Paris –
http: //www.odse.eu.org – e-mail : odse@lalune.org Il est composé de
Act-up Paris, Aides Fédération Nationale, Arcat sida, Cimade, Collec-
tif national contre la double peine, Comède, Gisti, Médecins du
monde, Mrap, Sida info service.
55
La chaîne médicale : un intermédiaire de trop —
L’arrêté du 8 juillet 1999 précise les conditions dans lesquelles le médecin
inspecteur de santé publique (MISP) se voit adresser les informations médi-
cales par l’étranger. Il pose l’exigence d’un rapport médical exclusivement
rédigé soit par un « praticien hospitalier », soit par « un médecin agréé ».
Cette exigence est inopportune dans un cas et scandaleuse dans l’autre.
Elle est inopportune en ce qui concerne le praticien hospitalier : s’il est vrai
que la plupart des patients concernés sont pris en charge par un service hos-
pitalier, c’est autant pour des raisons médicales (nécessité d’un suivi spécia-
lisé) que de difficultés d’accès aux soins de ville (absence de « dispositifs
précarité », limitation de l’aide médicale État [AME] aux soins en établisse-
ment de santé avant trois ans de résidence).
De plus, la prise en charge médicale est souvent multiple pour des patholo-
gies associées : suivi à l’hôpital X par le Dr X pour le diabète, et à l’hôpital
Y par le Dr Y pour le VIH… Or si la prise en charge médicale est de grande
qualité, le suivi social par l’hôpital est souvent défaillant pour faire face à
des situations d’une grande complexité socio-juridico-administrative.
C’est ainsi qu’au Comède, nous devons régulièrement « corriger » des de-
mandes de régularisation médicale rédigées par des praticiens hospitaliers
pour des patients demandeurs d’asile en attente de la décision de l’OFPRA
ou de la commission des recours des réfugiés. Pour ces patients comme
pour tous les autres, le médecin « de ville » est le mieux placé pour assurer
la synthèse entre plusieurs suivis spécialisés hospitaliers et le suivi social.
Lorsqu’une telle prise en charge globale est réalisée, qu’elle a pu restaurer
la confiance du patient en son médecin « traitant », si déterminante en ce
qui concerne l’adhésion au projet thérapeutique, il est très dommageable
d’interdire au médecin de ville de saisir directement le médecin-inspecteur
de santé publique. Bien entendu, dans le cas où le seul médecin traitant est
le praticien hospitalier, il est légitime que ce soit lui qui saisisse le MISP.
56
cale. L’étranger doit, en effet, demander à son médecin traitant de trans-
mettre le dossier médical à un médecin agréé lequel le transmettra à son
tous au MISP. Introduire un échelon d’expertise supplémentaire pour rap-
porter l’histoire et décider de la prise en charge d’un patient inconnu du mé-
decin agréé est non seulement inopportun mais est surtout discutable sur un
plan déontologique.
57
La commission alibi — Marie Hénocq
Créée en 1989 par la loi Joxe, la commission départementale de séjour était
chargée de contrôler l’application de la législation en matière d’entrée et de
séjour des étrangers par l’administration. Par sa composition (uniquement
des magistrats) et par l’autorité de ses avis qui liaient l’autorité préfectorale,
la commission de séjour constituait un véritable garde-fou face au pouvoir
d’appréciation des administrations.
Fort de ce constat, c’est avec une aisance manifeste que Jean Louis Debré,
ministre de l’intérieur, a, par la loi du 24 avril 1997, supprimé cette institu-
tion. Peu ou pas de parlementaires s’en sont émus. Seules quelques associa-
tions de défense du droit des étrangers ont vainement manifesté leur indi-
gnation, car, même sérieusement amputées par la loi Pasqua, les commis-
sions départementales de séjour n’en demeuraient pas moins une garantie,
certes mince mais ultime, pour certaines catégories d’étrangers, en particu-
58
lier ceux abusivement dénommés « non expulsables mais non régulari-
sables ».
Amnésie
Après avoir mené campagne pour l’abrogation des lois Pasqua/ Méhaigne-
rie, la gauche nouvellement installée au pouvoir est rapidement atteinte
d’amnésie. Faisant fi des promesses tenues, le nouveau ministre de l’inté-
rieur, Jean-Pierre Chevènement, se contente d’un simple toilettage de la loi
Debré. Il décide néanmoins de rétablir le dispositif créé par la loi Joxe. Ré-
tablir ? Pas tout à fait. Sous une nouvelle appellation, les commissions dé-
partementales « version Chevènement » du titre de séjour n’ont qu’un lien
de parenté très éloigné avec les commissions départementales Joxe. Leurs
avis sont dépourvus de toute autorité puisqu’ils ne lient nullement les auto-
rités préfectorales, qui peuvent passer outre allégrement. La qualité et l’im-
partialité de leurs avis restent sérieusement compromises du fait de leur
nouvelle composition. Deux magistrats au lieu de trois (un magistrat rele-
vant de l’ordre administratif et un autre relevant de l’ordre judiciaire), assis-
tés d’une personnalité choisie par le préfet lui-même.
Mais une fois encore, le discours est aux antipodes de la réalité. Selon l’ar-
ticle 12 quater, la commission du titre de séjour doit être saisie par les pré-
fets pour les délivrances et renouvellements litigieux de titres de séjour at-
tribués « de plein droit ». En effet, dans ces cas, le préfet ne devant pas, en
principe, exercer son pouvoir d’appréciation, il doit pouvoir recueillir un
avis extérieur préalablement à sa décision. L’ingérence qui est alors à
l’œuvre dans son pouvoir exclusif en matière de séjour des étrangers devrait
être acceptable puisqu’elle ne porte que sur des conditions objectives (véri-
fication d’une entrée régulière, d’une durée de présence en France, de la
réalité d’un trouble à l’ordre public…).
59
Or, l’obligation que semble a priori imposer cet article à l’autorité adminis-
trative n’est interprétée, en pratique, que comme une simple faculté puis-
qu’elle n’est assortie d’aucun moyen de contrainte. Aussi, les préfets n’en
usent-ils que très parcimonieusement et rechignent à convoquer devant la
commission les personnes qui remplissent les conditions légales pour béné-
ficier de cette garantie. Ils sont d’ailleurs confortés dans cette pratique res-
trictive par les termes mêmes de la circulaire ministérielle d’application de
la loi Chevènement qui les invite à ne saisir la commission « que pour les
demandes émanant d’étrangers relevant effectivement des articles 12 bis
et 15 de l’ordonnance, et pour lesquels [ils] envisag[ent] de prendre une dé-
cision de refus en raison d’une menace pour l’ordre public, ou d’une irré-
gularité des conditions d’entrée et/ou de séjour des intéressés. […] [Ils]
pourr[ont] donc [s’]abstenir de saisir la commission dans les autres cas,
c’est-à-dire lorsque l’étranger ne remplit pas, de manière certaine, une
condition de fond de ces articles. » On pourrait donc ne jamais saisir la
commission car soit la demande comprend tous les éléments pour qu’un
titre de séjour soit délivré, et le titre est délivré, soit ce n’est pas le cas, et le
titre est refusé sans recours à la commission. Celle-ci perd, dans ces condi-
tions, jusqu’à sa raison d’être.
Il semble alors qu’il faille s’interroger sur la personne compétente pour dé-
finir si la demande entre ou non dans le champ d’application des articles qui
donnent lieu à saisine de la commission en cas de litige : la préfecture ou
l’étranger ?
L’avis de l’étranger
Soit la préfecture considère qu’il ne s’agit pas d’une demande de carte déli-
vrée de plein droit et peut requalifier cette demande : elle refusera alors sans
saisir la commission au motif que « les conditions de fond » ne sont pas
remplies. Soit les termes mêmes de la demande faite par l’étranger à la pré-
fecture font référence à une carte délivrée de plein droit, et la préfecture ne
peut pas refuser sans saisir la commission.
C’est cette seconde interprétation qui a été retenue par plusieurs tribunaux
administratifs. Ainsi, le tribunal de Montpellier a-t-il décidé à plusieurs re-
prises que, tant que la demande n’est pas « manifestement infondée » ou
60
« manifestement irrecevable », le préfet est tenu de saisir la commission,
même quand il estime que le demandeur n’a pas droit à une carte délivrée
de plein droit. Le tribunal de Lyon s’est également prononcé dans ce sens.
En tout état de cause, tant que le préfet pourra seul apprécier l’obligation
qui lui est faite de saisir la commission du titre de séjour, la garantie restera
toute relative. Pour que cette garantie de procédure soit réelle, il aurait fallu
que l’étranger qui estime pouvoir prétendre à un titre de séjour en raison de
ses liens personnels et familiaux en France puisse saisir lui-même la com-
mission en cas de décision de refus.
Mais, outre que le champ de compétence du nouveau dispositif est ainsi no-
tablement réduit, on peut légitimement douter de son efficacité compte tenu
de sa composition et de son fonctionnement. En effet, la présence d’une
personnalité choisie par le préfet, à la fois juge et partie, au sein des nou-
velles commissions du titre de séjour conduit à s’interroger sur les garanties
d’indépendance et d’impartialité qui devaient les caractériser.
Énormes disparités
Par ailleurs, quand la commission est enfin mise en place – ce qui a deman-
dé parfois des mois –, force est de constater les disparités de fonctionne-
ment d’un département à l’autre, chaque préfet appréciant souverainement
les cas qu’il entend soumettre ou non à l’avis de la commission. Ne serait-
ce qu’en Ile-de-France…
A Paris, outre le fait que les étrangers sont convoqués dans les locaux des
chambres correctionnelles du tribunal de grande instance sans plus d’expli-
cation sur le caractère non-judiciaire de la procédure, ce qui a pour effet au
mieux de les effrayer, au pire de les dissuader de se présenter, la commis-
sion du titre de séjour semble avoir trouvé son rythme de croisière.
61
Elle est saisie à hauteur d’une trentaine de dossiers par semaine. Ses avis,
motivés, sont presque toujours suivis par la préfecture. Ainsi, la situation
familiale des personnes convoquées (article 12 bis 7°) est réellement exami-
née, les efforts d’insertion des étrangers ayant troublé l’ordre public sont
pris en compte, et l’impossibilité de retourner chercher un visa dans un pays
dont la situation politique est manifestement instable est reconnue. En bref,
le droit y est respecté.
62
autres membres, pour délibérer ; trois quarts d’heure après, il réapparaît
avec, sous le bras, une pile de vingt dossiers qu’il dépose auprès de la gref-
fière, et c’est à peine s’il accorde un regard à la salle pour dire, avant de se
retirer : « Je vous rappelle que la commission ne donne qu’un simple avis et
qu’il vous reste toujours la possibilité de faire un recours gracieux auprès
de la préfecture ». Faut-il le remercier d’un si précieux conseil ? La gref-
fière notifie alors les avis un par un : sur vingt dossiers seuls trois ont reçu
un avis favorable…
63
Une France qui se protège des persécutés — Jean-
Pierre Alaux
L’asile en France ? Une « machine à “fabriquer” des clandestins ». Telle
est l’appréciation contenue dans le très officiel avis (13 novembre 2000) du
député Louis Mermaz (Parti socialiste), exerçant en qualité de rapporteur
pour la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’ad-
ministration générale de la République à l’Assemblée nationale [1] dans le
cadre de l’examen de la loi de finances pour 2001.
Pour ne pas compliquer encore une réglementation que Patrick Weil trou-
vait si complexe qu’elle en était, selon lui, devenue inapplicable, on aurait
pu inscrire bêtement dans la loi que le statut de réfugié serait désormais re-
connu quel que soit l’agent de persécution. Mais les charmes, sans doute,
d’un statut précaire de plus (carte d’un an – pas automatiquement renouve-
lable – à l’« asilé territorial » au lieu de la carte de dix ans due au réfugié
64
statutaire) ont fait pencher la balance en faveur de la solution la plus com-
pliquée.
Si l’on en croit leur présentation par l’Office français de protection des ré-
fugiés et apatrides (OFPRA), les scores cumulés de l’« asile convention-
65
nel » (Convention de Genève) et « constitutionnel » (autre invention de la
« loi Chevènement ») tournent autour de 20 % de réponses positives au
cours des dernières années.
1998 1999 2000
(probabilités)
• Demandes 22 500 31 000 40 000
• Rejets 80 % 80 % inconnu
Ces chiffres bruts sont aussi enjoliveurs que les statistiques de la Corée-du-
Nord. Ils incluent, en effet, les statuts donnés aux membres des familles des
réfugiés statutaires, qui obtiennent le statut « par héritage ». La catégorie de
loin la plus nombreuse est celle des enfants mineurs de réfugiés qui, à leur
majorité, doivent étrangement demander le statut alors qu’ils l’ont déjà. Ce
qui permet à l’OFPRA de gonfler artificiellement de 50 % le volume de ses
« accords ». A cela s’ajoute l’intégration par l’OFPRA, dans ses propres
chiffres, de ses propres décisions négatives annulées par la Commission de
recours des réfugiés (CRR) qui, de ce fait, deviennent positives. Or, ces an-
nulations de la CRR sont aussi nombreuses que les décisions positives
prises par l’OFPRA sur le fond(1).
Si l’on soustrait ces deux tricheries, on arrive à un taux réel de reconnais-
sance du statut de réfugié par l’OFPRA un peu supérieur à 5 %.
Le fait que, de façon constante, année après année, la moitié des reconnais-
sances de statuts de réfugiés décidées sur la base d’un examen au fond in-
combe à la CRR – qui n’est pourtant pas téméraire – prouve que l’OFPRA
s’obstine à refuser de suivre la jurisprudence de la juridiction qui dit le droit
en matière d’asile, ce qui serait pourtant de son devoir. De toute évidence, il
est, pour l’Office, un devoir supérieur : celui de rejeter les demandes.
Les tripatouillages de chiffres à l’OFPRA sont à ce point connus des pou-
voirs publics – qui se gardent d’imposer la moindre réforme – que Louis
Mermaz, dans son avis récent publié par l’Assemblée nationale (voir l’ar-
ticle précédent), évite de reprendre les données de l’Office. Il écrit juste-
ment qu’« à peine 5 % des demandeurs obtiennent le statut de réfugié ».
Gageons qu’il ne tardera pas maintenant à faire en sorte que les chiffres de
l’OFPRA soient bientôt sincères et véritables.
J. P-A.
(1) Luc Legoux, « Les pépites d’or de l’OFPRA », Plein Droit, n°44, dé-
cembre 1999.
66
Notes
[1]
Avis n° 2628.
[2]
Patrick Weil, « Mission d’étude des législations de la nationalité et de
l’immigration », la Documentation française, août 1997, 175 pages,
85 F.
[3]
Haut Conseil à l’intégration, Rapport du groupe permanent chargé des
statistiques – Année 1998 (à demander au HCI, 56, rue de Varenne,
75007 Paris – Tel 01 42 75 85 70).
[4]
Lettre du 20 juin 2000 du directeur des libertés publiques et des af-
faires juridiques (au ministère de l’intérieur) au directeur de l’associa-
tion Forum Réfugiés de Villeurbanne. Louis Mermaz (voir note 1)
compte, lui, 6 984 demandes en 1999 et 6 % d’acceptations.
67
Asile territorial : un parcours lyonnais — Marion
Gachet
A Lyon, le Collectif de soutien à la démocratie et aux victimes de la vio-
lence politique en Algérie accompagne, semaine après semaine, des deman-
deurs d’asile. D’espoirs en déceptions, il assiste, dans l’impuissance, au dé-
roulement d’une procédure et de ses conséquences.
Le premier principe attaché au droit d’asile est celui de l’accès au droit dans
un contexte particulier : un départ qui résulte de l’urgence et de la nécessité
absolue, sauver sa vie. L’accès au droit en matière d’asile territorial dans le
Rhône se heurte aujourd’hui à trois écueils :
Muni des pièces nécessaires, il s’est rendu à la préfecture, qui l’a renvoyé
sans explication sur l’asile territorial. Monsieur N. n’a pas osé protester.
Accompagné d’un membre du Collectif, Monsieur N. est retourné à la pré-
fecture afin de modifier sa demande et obtenir une explication. La préposée
68
au guichet a répliqué que Monsieur N. – qui parle pourtant parfaitement
français – s’était sans doute mal exprimé et qu’il y avait eu malentendu. La
demande d’asile conventionnel a, cette fois, été prise en compte.
Pour ceux qui franchissent ce premier barrage, commence une attente d’en-
viron six mois, durant laquelle, munis d’un récépissé d’un mois renouve-
lable, les demandeurs d’asile territorial ont le droit de se maintenir sur le
territoire national et le devoir d’y survivre sans travailler, sans percevoir au-
cune ressource et sans avoir accès à un réel dispositif d’hébergement.
Notes
69
[1]
Jean-Pierre Chevènement, J.O. des débats de l’Assemblée Nationale,
26/02/98, p.1633.
70
Tapis rouge pour les élites — Serge Slama
Depuis le début des années quatre-vingt dix, les universitaires ont, de façon
récurrente, alerté les pouvoirs publics sur le développement d’un phéno-
mène de « fuite » des élites scientifiques et universitaires des pays du tiers
monde ou émergents économiquement, qui jusque-là étaient principalement
formées en France, vers les pays anglo-saxons [1]. Cet exode s’explique es-
sentiellement par des conditions d’entrée et de séjour en France trop
contraignantes et souvent vexatoires alors que les autres pays occidentaux
favorisent davantage leur venue.
On sait que les laboratoires et universités français ont pourtant une tradition
très ancienne d’accueil des enseignants et chercheurs étrangers. Dès 1968,
la fonction publique de l’enseignement supérieur a été ouverte aux étran-
71
gers avec la création, par la loi d’orientation de l’enseignement supérieur
du 12 novembre 1968, d’un statut de professeur associé au sein des univer-
sités, étendu à l’ensemble des organismes de recherche en 1984 (CNRS,
etc.).
La mission Weil
72
pal, qui retarde la délivrance du visa (un délai de trois mois est fréquent),
est la procédure OMI d’introduction des travailleurs ». Et que, « une fois
arrivés en France, s’ils n’ont pas été découragés, les chercheurs et univer-
sitaires se plaignent alors des délais d’obtention du titre de séjour par les
préfectures, ce qui leur pose des problèmes s’ils doivent quitter momentané-
ment la France avant son obtention ».
D’incontestables avantages
73
Pour la mise en œuvre de ce statut, les conditions d’accès au territoire fran-
çais, de séjour et de rapprochement de la famille ont été considérablement
simplifiées.
Traitement privilégié
Dès son entrée, l’étranger titulaire de ce visa obtient la délivrance d’un titre
de séjour temporaire « scientifique », à la seule condition supplémentaire
qu’il produise, avec le protocole d’accueil, le certificat médical délivré par
l’OMI [7]. Il n’a donc pas à obtenir d’autorisation de travail ni de contrat de
travail. Il n’a pas non plus été prévu de le soumettre, comme les étudiants, à
74
une condition de ressources suffisantes. On peut cependant faire remarquer
ici que cette bienveillance ne coûte pas cher dans la mesure où un contrôle
des ressources a déjà été fait lors de l’examen de la demande de visa.
Comme l’avait déjà prévu une circulaire du 30 mars 1994, un guichet pré-
fectoral spécifique ou un correspondant pour les chercheurs étrangers de la
préfecture reçoit la demande de titre de séjour. Cette demande peut être faite
directement par l’étranger lui-même ou par son organisme d’accueil.
Cette carte de séjour temporaire, comme toute autre carte de séjour, permet
à son titulaire de circuler entre son pays d’origine et la France et est renou-
velée tant que l’organisme d’accueil souhaite prolonger sa collaboration
avec l’étranger.
75
fique ». Pour le renouvellement, la « communauté de vie » ne doit pas avoir
cessé.
Le statut des enfants d’un « scientifique » n’est précisé dans aucun texte.
Certes, jusqu’à leur majorité, ils ne sont pas soumis à un titre de séjour.
Mais on ignore s’ils ont droit à un maintien sur le territoire français lors-
qu’ils atteignent leur majorité pendant le séjour de leur parent « scienti-
fique » en France. Et si oui, sous quel statut ? De même, ont-ils accès aux
droits sociaux (notamment aux allocations familiales) et à une activité sala-
riée ?
76
Relevant l’illégalité manifeste de ces dispositions, le Gisti les a déférées au
Conseil d’État qui, dans son arrêt du 30 juin 2000, lui a donné raison. Si
elles respectent l’autorité de la chose jugée, les préfectures ne devraient
donc plus procéder à ces retraits.
La logique à l’œuvre est donc bien de dérouler un tapis rouge pour les élites
scientifiques étrangères et de maintenir le chemin de cendres brûlantes pour
les autres étudiants. ?
Notes
77
[1]
Voir par exemple : Michel Broué, « Coopération scientifique interna-
tionale : arrêtons le saccage ! », Le Monde, 4 mars 1998 ; Jacques Mal-
herbe, « Les jeunes des pays francophones se tournent de plus en plus
vers des pays anglo-saxons », 8décembre1998 ; « Studentsfall victim
to French law », Times, 25 octobre 1996.
[2]
Circulaire interministérielle NOR/INT/D/94/ 00112/C et
MASSV/DPM/94-06 des ministères de l’intérieur (DLPAJ) et des af-
faires sociales (DPM) du 30 mars 1994 relative au régime des scienti-
fiques de haut niveau : chercheurs et enseignants-chercheurs et la cir-
culaire complémentaire DPM/n° 95-15 du ministère de l’intégration et
de la lutte contre l’exclusion du 11 juillet 1995.
[3]
« Mission d’étude des législations de la nationalité et de l’immigra-
tion », dirigée par Patrick Weil, rapports au premier ministre, La docu-
mentation française, collection des rapports officiels, août 997,
p. 133 et s.
[4]
Article 12, 2° alinéa de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée.
[5]
La liste des établissements agréés est fournie par une circulaire n°98-
210 du 27 octobre 1998 du ministre de l’éducation nationale. Cette
condition d’agrément posée, dans un premier temps, par la circulaire
du 12 mai 1998, a été annulée par le Conseil d’Etat le 30 juin 2000 sur
recours du Gisti dans la mesure où il s’agissait d’une règle nouvelle
dont l’institution ne relève pas de la compétence d’un ministre. Mais
elle avait été précédemment reprise, et donc « légalisée », dans l’ar-
ticle 15 du décret du 5 mai 1999.
[6]
Télégramme diplomatique du ministère des affaire étrangères
du 29 mai 1998 relatif aux nouvelles modalités de délivrance des visas
aux scientifiques. Voir Herzberg N., « Le gouvernement allège les pro-
cédures d’attribution de visas pour les scientifiques étrangers », Le
Monde, 6 juin 1998.
[7]
78
La visite médicale permettant d’obtenir ce certificat est gratuite suite à
la décision du Conseil d’Etat du 20 mars 2000.
[8]
Réponse datée du 23 juillet 1998 du directeur des libertés publiques et
des affaires juridiques au Gisti publiée dans Les notes pratiques du
Gisti, Qui peut être régularisé par la « loi Chevènement ?, août 1998,
p.31.
79
Chercheurs étrangers : pas si privilégiés — Hé-
lène Bretin
Selon la circulaire du 12 mai 1998, le protocole d’accueil délivré par un or-
ganisme agréé par le ministère de la recherche, est remis par l’étranger au
consulat de France. Le télégramme diplomatique du ministère des affaires
étrangères du 29 mai 1998, qui décrit la procédure, souligne que la présen-
tation d’un protocole sera l’unique justificatif requis pour délivrer un visa et
que « seules des raisons d’ordre public pourront justifier un refus ». Au-
cune condition de ressources n’est donc prévue. Tout ne marche cependant
pas comme le prévoit la circulaire. Le problème réside en fait en amont,
dans le protocole lui-même, et la question des ressources qui ne devrait plus
être un obstacle s’avère indirectement en être un.
Avec l’instauration du protocole d’accueil à remplir dans tous les cas de fi-
gure, les services centraux des établissements accueillants sont impliqués y
compris pour les chercheurs qu’ils ne rémunèrent pas. Si la procédure est a
priori plus simple et plus harmonieuse (éliminant la distinction entre les sa-
lariés et les autres), selon la Fondation Kastler la situation peut s’avérer plus
complexe pour le service central de l’organisme en question ; elle fait appa-
raître un contingent de personnes dont la mobilité était assurée par les
équipes de recherche, et une responsabilité qui était auparavant assumée par
ces dernières. Il semble en conséquence que certains services, face à cette
« nouvelle » responsabilité, hésitent parfois à signer le protocole pour des
chercheurs qu’ils ne rémunèrent pas. D’autant plus qu’ils sont seuls à ap-
précier si les revenus du demandeur suffisent pour couvrir le séjour, les frais
de santé et un éventuel rapatriement.
80
même des ressources financières, quant à elle, ne devrait en aucun cas en-
trer en ligne de compte.
Un « sésame consulaire »
Mais les expériences attestent aussi d’un accueil plus ou moins bon selon
les consulats. Un « pouvoir du guichet » s’exerce, avec son arbitraire, sou-
mettant les demandeurs à une attente parfois prolongée dans des conditions
d’accueil pas toujours agréables « et c’est de leur autorité que relève la de-
mande d’un titre de séjour lorsque ça dépasse trois mois ».
81
mandant ce qu’est cette demande pour telle personne, et pourquoi. On vu
cela au début 1999 pendant six mois et même encore fin 1999 ».
La Fondation Kastler
Enfin, la FnAK maintient aussi des contacts réguliers avec les universités et
les organismes de recherche, auxquels elle transmet une chronique par cour-
rier électronique, afin d’échanger les bonnes pratiques. Cette coordination a
déjà permis d’aboutir à des améliorations significatives des procédures en
vigueur.
L’ensemble de ces services vaut d’ailleurs à la Fondation Kastler une répu-
tation qui dépasse déjà nos frontières, et permet de contribuer renforcer
notre coopération internationale scientifique, technique, et culturelle.
82
Contact : Antony Mauvais, Secrétaire général
Fondation nationale Alfred Kastler de l’Académie des Sciences
2 rue Brûlée – 67000 Strasbourg
Tél. : 03 88 75 56 06, Fax : 03 88 22 24 77
E-mail : fondation@kastler.u-strasbg.fr
URL : www.cnrs.fr/fnak
Il arrive également que, pour les séjours d’une durée de trois mois, des
consulats délivrent un visa portant la mention « carte de séjour à demander
dès l’arrivée en France », procédure qui, en principe, ne concerne que les
visas de long séjour. Cette erreur oblige l’institution d’accueil et le cher-
cheur à faire la demande – inutile – de la carte de séjour. « On est dans
l’obligation de le faire. En cas de contrôle de police, avec la mention appo-
sée sur le passeport, si la personne n’a pas de récépissé de demande de
carte de séjour, elle va avoir des ennuis. Mais c’est une demande et du tra-
vail pour rien ; elle sera rentrée dans son pays avant que la carte de séjour
lui soit délivrée. On ne sait pas pourquoi des consulats demandent ça et on
ne va pas leur téléphoner parce qu’on n’a pas le temps de toute façon. »
83
Certains instituts de recherche prenaient en charge la facture, dans d’autres
cas, ce sont les chercheurs eux-mêmes qui s’en acquittaient et ils étaient
prévenus en ce sens. La dépense était loin d’être négligeable pour eux et le
profit pour l’OMI s’avèrait considérable car dans le cadre d’invitations
triennales (quatre mois par an sur trois ans), la procédure se répètait à
chaque entrée du chercheur invité sur le territoire français. Le fait que les
personnes reviennent parfois avec quatre ou cinq mois de décalage d’une
année sur l’autre ne permettait pas de demander une prolongation de séjour
et de garder le bénéfice du premier contrôle : il fallait verser à chaque fois
le montant de la visite.
84
L’un de ces instituts nous souligne d’ailleurs que la situation est d’autant
plus injuste pour les chercheurs étrangers invités, que l’établissement est en
relation avec un centre médical où les chercheurs et maîtres de conférences
nouvellement recrutés passent leur visite médicale obligatoire moyennant la
somme de 140 francs environ.
Pour autant, on n’a pas forcément attendu la loi pour établir des relations
privilégiées entre services (à titre d’exemple la responsable de l’accueil des
chercheurs étrangers à l’IRD et sa correspondante à la préfecture sont en re-
lation depuis six ans). Les personnes que nous avons contactées soulignent
toutes la qualité et l’efficacité des collaborations qui constituent un appui et
une source de conseils et d’information importants. Le gain de temps pour
85
le chercheur accueilli est notable, cela passe y compris par le fait d’être ac-
compagné à la préfecture par le responsable de son dossier dans l’institut
d’accueil, lors du premier séjour en France. Dans l’organisme où cette pra-
tique est courante, le bénéfice est très clair : le correspondant en préfecture,
prévenu de la visite, donne l’un des premiers numéros dans la liste d’at-
tente, et celle-ci se limite à une heure au maximum « alors qu’on peut y
passer la journée ». Cela fonctionne d’autant mieux que les dossiers prépa-
rés sont complets et concernent des personnes « en règle ».
Tous les chercheurs étrangers ne sont cependant pas concernés par cet allé-
gement de procédure. Si les ressortissants européens bénéficient de la libre
circulation communautaire, la situation des Algériens reste quant à elle sou-
mise à l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié (procédure
d’introduction pour les travailleurs et visa visiteur pour les autres), ce qui ne
facilite pas leur mobilité. D’ailleurs, la responsable des chercheurs étrangers
dans l’un des organismes de recherche constate l’absence d’invitation de
chercheurs algériens au cours des deux ans écoulés. La difficulté de mon-
tage de la procédure y contribue sans doute.
« Paradoxalement, alors que notre dispositif légal est devenu en tous points
comparable à celui des pays réputés les plus attractifs pour les chercheurs,
comme les États-Unis ou le Canada, il n’est pas encore suffisamment opé-
rationnel et nos ambitions s’en trouvent contrariées. […] En pratique, l’ex-
périence montre que ce n’est pas le rayonnement de notre recherche qui est
en cause, mais deux facteurs qui concourent à entretenir la situation
d’avant 1998 :
86
blissement ou organisme de recherche), sont trop souvent contradic-
toires et doivent absolument être harmonisées. Car, s’il est un domaine
dans lequel il est impératif d’anticiper, de préparer, d’organiser c’est
bien la mobilité ». [4]
L’accueil et l’intérêt porté à notre démarche et à nos questions dans les dif-
férents services que nous avons sollicités, les dysfonctionnements et inco-
hérences désignés par les agents souvent préoccupés d’apporter des solu-
tions à des cas parfois complexes en témoignent : les chercheurs étrangers
ne sont pas à l’abri des difficultés et nous ne savons rien de ceux qui re-
noncent à venir. S’ils font partie des catégories « privilégiées » d’étrangers
dans la mesure où leur accueil est sans doute moins soumis que d’autres aux
préoccupations sécuritaires, celles-ci sont néanmoins présentes et des études
poussées mettraient sans doute en évidence des inégalités de traitement et
d’accès à la mobilité selon les pays d’origine. Le « tapis rouge » ne se dé-
roule pas sans à-coups et pas sous les pieds de tous ceux qui pourraient y
prétendre. ?
Notes
[1]
CNRS, INSERM, EHESS, IRD, Université Paris 13.
[2]
Cette condition de participation financière de l’employeur du pays
d’origine s’inscrit dans la philosophie de l’IRD visant au renforcement
de la formation et du développement des pays du Sud. Il ne s’agit pas
de favoriser une « fuite des cerveaux » mais de construire un échange
où l’employeur est effectivement partie prenante dans la formation du
chercheur.
[3]
On trouvera à ce sujet quelques témoignages édifiants dans les Chro-
niques de la FnAK (ex. n° 12 du bulletin de liaison du réseau d’accueil
des chercheurs érangers en France, consultable sur le site web).
[4]
« Accueil des chercheurs étrangers en France. Où en sommes-nous ? »,
Antony Mauvais, secrétaire général de la Fondation nationale Alfred
Kastler de l’Académie des Sciences (FnAK), Chroniques de la FnAK,
87
bulletin de liaison du réseau d’accueil des chercheurs érangers en
France, n° 18.
88
L'entrée des artistes — Nathalie Ferré
« La carte de séjour temporaire délivrée à un artiste interprète tel que défi-
ni par l’article L. 212-1 du code de la propriété intellectuelle ou à un au-
teur d’œuvre littéraire ou artistique visée à l’article L. 112-2 du même code,
titulaire d’un contrat de plus de trois mois passé avec une entreprise ou un
établissement dont l’activité principale comporte la création ou l’exploita-
tion d’une œuvre de l’esprit, porte la mention « profession artistique et
culturelle » (article 12 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée).
L’entrée des artistes a toujours été source de pratiques variées dont l’incohé-
rence était souvent manifeste. La loi Chevènement affichait donc un souci
de simplification, avec l’idée sous-jacente de mieux accueillir ceux qui ve-
naient en France exécuter une prestation artistique et culturelle. Outre que
la façon de parvenir à cet objectif ne paraît pas évidente à la simple lecture
du dispositif mis en place, sa mise en œuvre nourrit la même perplexité.
89
La procédure est nécessairement différente pour les artistes « indépen-
dants » dans la mesure où la direction départementale du travail et de l’em-
ploi (DDTE) n’a pas vocation à intervenir. C’est alors la direction régionale
des affaires culturelles (DRAC) qui est compétente pour viser le contrat en
s’assurant de l’objet social de l’organisme signataire et de la réalité de la
qualité d’artiste revendiquée par le candidat à l’obtention de la nouvelle
mention.
Dans les deux cas, quelle que soit la nature du contrat, celui-ci doit être
conclu pour une durée minimale de trois mois. Et c’est bien cette durée qui
empêche le dispositif de fonctionner. Certes, il faut se réjouir que la situa-
tion de l’emploi ne soit plus opposable aux artistes, mais, en pratique, les
difficultés obèrent ce « régime de faveur » consacré par le législateur.
Les artistes qui ne peuvent produire un contrat supérieur à trois mois restent
soumis au dispositif antérieur. Autrement dit, s’ils n’ont pas besoin de dis-
poser d’une autorisation de séjour, ils doivent être en possession d’une auto-
risation provisoire de travail, celle-ci étant obligatoire pour l’exercice d’une
activité professionnelle, quelle que soit sa durée.
Cette délivrance devrait même être systématique dès lors que l’employeur
fait parvenir aux autorités consulaires le contrat de travail visé par la direc-
tion départementale du travail et de l’emploi. Il en est de même en cas d’en-
voi du contrat conclu entre l’étranger et l’entreprise « dont l’activité princi-
pale comporte la création ou l’exploitation d’une œuvre de l’esprit », visé
par la DRAC. Celui qui envisage d’exercer une activité artistique pour une
durée inférieure à trois mois peut se contenter en principe d’entrer avec un
visa touristique.
90
Si l’artiste étranger produit un contrat supérieur à trois mois, il obtient un
titre d’une durée équivalente à la durée de son contrat (plus un mois). La
grande avancée de la loi Chevènement résulterait du fait que l’artiste – si
tout se passe bien – se voit délivrer un titre valant dans le même temps auto-
risation de séjour et de travail pour une durée strictement dépendante de son
activité artistique. Autant dire qu’il s’agit d’une avancée bien mince, qui
peut même prêter à sourire.
Et puis, quel sens peut avoir une opposition de la situation de l’emploi dans
un genre d’activité où la personne est choisie en fonction de critères artis-
tiques et/ou de considérations physiques, morales, philosophiques qui n’ont
rien à voir avec le marché de l’emploi ? De deux choses l’une : ou bien la
question de l’opposabilité de l’emploi est pertinente et elle doit jouer dans
les deux cas, la question de la durée du travail n’entrant pas en ligne de
compte, ou bien elle ne l’est pas, ce que nous pensons, et alors cet élément
d’appréciation doit être écarté. Ce n’est qu’une incohérence de plus dans un
dispositif que l’on serait tenté de qualifier de « gadget ».
91
de façon à le faire bénéficier des dispositions protectrices afférentes à la
qualité de salarié.
Cette liste, qui n’est pas exhaustive, ne mentionne pas les techniciens du
spectacle. Si ces derniers sont généralement considérés comme des salariés,
en revanche la qualité d’artiste leur est refusée. Ils ne peuvent donc pré-
tendre à la délivrance du nouveau titre de séjour mis en place par la loi Che-
vènement et sont soumis au dispositif de droit commun, c’est-à-dire soit la
carte de séjour mention « salarié » (ce qui suppose de produire un contrat
de travail d’une durée au moins égale à un an), soit la carte de séjour men-
tion « travailleur temporaire » de même durée que l’autorisation provisoire
de travail qui l’accompagne. Dans les deux cas, la situation de l’emploi est
opposable au demandeur.
Effet d’annonce
Tout laisse croire cependant qu’il est peu adapté à la réalité de la profession
car il est rare que des contrats de travail d’une durée supérieure à trois mois
soient proposés aux artistes. Le dispositif concernerait potentiellement les
choristes, ceux qui se livrent à un travail de recherche chez un éditeur… En
92
tout état de cause, il ne simplifie pas vraiment l’accueil des artistes étran-
gers, et il semble, aux dires du ministère de la culture, que l’on s’arrange –
quand c’est possible – pour que le contrat de travail soit d’une durée juste-
ment inférieure à trois mois, le système étant alors plus facile à gérer. Dans
ce cas, seule la possession d’une autorisation provisoire de travail est exi-
gée, et bien que la situation de l’emploi soit en théorie opposable, elle ne
l’est guère dans la pratique. C’est ainsi que certains préfèrent, par exemple,
regrouper les jours de tournage, pour ne prendre que cet exemple, afin de ne
pas dépasser la durée fatidique des trois mois.
93
Une carte boudée par les retraités — Véronique
Baudet
L’article 18 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 institue une carte
mention « retraité » valable dix ans et renouvelée de plein droit. Peuvent en
demander le bénéfice les étrangers titulaires d’une carte de résident mais
également ceux qui n’en sont plus titulaires et sont repartis depuis plusieurs
années vivre dans leur pays d’origine. Il faut que l’étranger touche une pen-
sion de vieillesse de base liquidée et qu’il ait établi ou qu’il établisse sa ré-
sidence habituelle hors de France. La carte « retraité » permet à son titulaire
d’entrer à tout moment sur le territoire français pour y effectuer des séjours
n’excédant pas un an.
94
Les raisons sont multiples. Elles tiennent tout d’abord au fait que les condi-
tions d’accès à la carte retraité sont relativement restrictives, mais surtout
que les droits qui y sont attachés sont extrêmement réduits par rapport à
ceux que confère la carte de résident.
Drôles de droits
Mais c’est sur le plan de la protection sociale que la carte retraité est la plus
contestable. Les droits à la sécurité sociale des bénéficiaires de la carte ont
été restreints, alors que ces personnes ont cotisé et continuent de le faire. En
effet, dès lors qu’ils ont cotisé au moins quinze ans à l’assurance vieillesse,
les étrangers qui ne résident pas en France sont tout de même soumis à une
cotisation maladie prélevée sur leurs pensions de vieillesse, qu’ils re-
viennent ou non séjourner temporairement en France (article L. 131-7-1 du
code de la sécurité sociale).
Ces étrangers, lorsqu’ils sont titulaires d’une carte retraité et qu’ils re-
viennent en France, n’ont droit aux remboursements de soins que s’il s’agit
de soins immédiats. Le traitement des maladies de longue durée ne sera pas
couvert. Le conjoint bénéficie de la même couverture sociale, mais les
autres ayants droit, notamment les enfants, en sont exclus. Quant à ceux qui
n’ont pas cotisé quinze ans à l’assurance vieillesse, ils n’ont droit à rien.
95
Totalement discriminatoire, cette mesure explique, pour une large part, l’in-
succès de cette carte. Comment, en effet, imaginer qu’un étranger demande
à bénéficier de la carte « retraité » alors que, ayant cotisé à l’assurance ma-
ladie au même titre qu’un Français lors de sa vie professionnelle, il verra
ses droits sociaux amputés sous prétexte qu’en contrepartie il bénéficiera
d’une certaine liberté de circulation entre son pays d’origine et la France ?
Les seuls pour lesquels cette carte peut présenter un intérêt sont les étran-
gers partis s’installer dans leur pays d’origine et qui, du fait d’une absence
du territoire français supérieure à trois années consécutives, ont perdu le bé-
néfice de leur carte de résident. Dépourvus totalement de carte de séjour, ils
ne peuvent alors revenir en France qu’après avoir obtenu un visa touris-
tique, et leur séjour est limité à trois mois. S’ils demandent la carte de re-
traité, ils peuvent revenir en France pour des séjours temporaires d’un an
sans avoir à demander de visa. Il faut ajouter cependant qu’il est préférable
que ces retraités aient une bonne pension de retraite et soient en bonne san-
té, les droits sociaux liés à cette carte étant, comme nous l’avons vu, très
restreints.
Néanmoins, peu d’étrangers repartis vivre dans leur pays d’origine de-
mandent le bénéfice de cette carte. Outre le régime peu favorable qu’elle
procure, elle n’est peut-être même pas connue de ceux qui pourraient mal-
gré tout être intéressés. L’ODTI indique que, dans la région Rhône-Alpes,
quelques ressortissants algériens, peut-être mieux informés que les autres de
96
l’existence de la carte, ont manifesté le souhait de la demander. Ils sont mal-
heureusement les seuls à ne pouvoir en bénéficier car exclus du champ
d’application de l’ordonnance du 2 novembre 1945…
97
Les résistances au principe d'égalité — Olinda
Pinto
La loi du 11 mai 1998 a marqué un tournant décisif en matière de presta-
tions non contributives. Jusque là, du fait de leur nationalité, les étrangers
non communautaires se voyaient systématiquement opposer par les diffé-
rentes administrations françaises (caisse nationale d’assurance vieillesse,
caisse d’allocations familiales, caisse régionale d’assurance maladie), un re-
fus à leurs demandes d’allocation supplémentaire vieillesse ou invalidité,
allocation aux vieux travailleurs salariés ou non salariés, allocation aux
adultes handicapés.
C’est dans ce contexte qu’a été votée la loi du 11 mai 1998 qui a modifié le
code de la sécurité sociale et supprimé, pour l’avenir, la condition de natio-
nalité requise pour l’octroi des prestations non contributives. Cette mesure a
constitué une avancée réelle en matière d’accès aux droits. On peut toute-
fois s’interroger : a-t-elle véritablement instauré une égalité de traitement
entre Français et étrangers dans la mesure où ces prestations sont soumises
à une double condition de régularité de séjour et de résidence en France,
cette dernière exigence étant largement soumise à l’appréciation de l’admi-
nistration ?
Pas d’assouplissement
98
Le bénéfice des prestations de sécurité sociale (maladie, maternité, invalidi-
té décès) est, depuis la loi du 24 août 1993, soumis à une condition de régu-
larité de séjour. La liste des titres exigés pour bénéficier de ces prestations
était alors fixée par le décret du 21 septembre 1994. Or, la loi
du 11 mai 1998 n’a strictement rien changé aux dispositions en vigueur,
alors que son objectif était de rendre effectif le droit des étrangers à l’égalité
de traitement non seulement par la suppression de la condition de nationali-
té, mais aussi par l’assouplissement des critères d’attribution de ces presta-
tions sociales. La liste des titres de séjour, telle qu’elle était définie par le
décret du 21 septembre 1994, demeure donc la même dans le décret d’appli-
cation du 22 décembre 1998.
Ainsi, certains étrangers, bien qu’en situation régulière au regard de leur sé-
jour en France, sont exclus, du fait de la nature de leur titre, du bénéfice de
certaines prestations, notamment celles liées à l’invalidité ou à la vieillesse.
Un ressortissant tunisien titulaire d’une autorisation provisoire de séjour
(APS) d’une durée de six mois assortie d’une autorisation de travail s’est
ainsi vu refuser le bénéfice de l’allocation aux adultes handicapés par la
caisse d’allocations familiales de Paris au motif que l’APS ne figure pas
dans la liste des titres ouvrant droit à cette prestation, alors que cette même
APS lui permet de bénéficier des prestations maladie et maternité.
Pourquoi, au sein d’un même texte faire varier le critère de régularité de sé-
jour en fonction des prestations servies ? On ne peut s’empêcher d’y voir
une manifestation de la réticence de l’administration à reconnaître aux res-
sortissants étrangers le bénéfice des prestations non contributives au même
titre qu’aux ressortissants français et communautaires.
Les délais que l’administration s’octroie pour instruire les dossiers semblent
participer de la même réticence. Dans le meilleur des cas d’une durée de
trois mois, le délai d’attente entre le dépôt de la demande et la date de ver-
sement effectif des prestations est le plus souvent supérieur à un an, ce qui
ébranle sérieusement pour défaut d’effectivité les avancées de la loi
du 11 mai 1998.
99
Loin d’être un cas d’espèce, la situation de ce retraité marocain en est une
illustration éclatante. En 1994, âgé de 65 ans, il obtient la liquidation de sa
pension vieillesse. Le montant de ses pensions (retraite de base et complé-
mentaire) ne dépasse pas 4 000 francs par mois, plus une retraite modique
servie par son pays d’un montant de 40,10 dh par mois. Sa demande d’allo-
cation supplémentaire vieillesse est rejetée le 21 juillet 1997 pour cause de
nationalité. Le tribunal des affaires de sécurité sociale, par jugement du
9 mars 1999, reconnaît le bien-fondé de sa demande et donne ordre à la
caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) de procéder à une nouvelle
étude de son dossier. Cet organisme devait donc vérifier que les conditions
de ressources et de résidence étaient satisfaites. Ce qui était le cas : les res-
sources mensuelles de l’intéressé (4 100 francs) se trouvaient bien en-des-
sous du plafond (6 300 francs pour une personne mariée) ; quant à la condi-
tion de résidence en France, elle était largement remplie, l’intéressé y rési-
dant de manière habituelle et permanente depuis 1966.
Soupçons
L’exigence d’une résidence sur le territoire pour l’octroi des prestations non
contributives trouve son explication dans le fait que ces allocations ne sont
pas exportables et qu’elles sont fondées sur « la solidarité qui s’étend aux
personnes partageant la vie de la communauté quelle que soit leur nationa-
lité ». Est-ce une raison cependant pour accabler les étrangers de demandes
de preuves de leur résidence en France ?
100
Entre l’exigence de deux justificatifs de domicile certifiés conformes par un
organisme de sécurité sociale, la production du passeport pour vérifier les
entrées et sorties du territoire français et les durées d’absence, les contrôles
à domicile, etc., la situation des ressortissants étrangers, soupçonnés d’être
des non résidents même s’ils sont titulaires d’une carte de résident, n’a pas
véritablement changé, et l’administration pousse le vice jusqu’à leur de-
mander « la dernière attestation d’assurance auto ou redevance télé ou bien
la photocopie de l’intégralité des pages du passeport ».
101
Or, la circulaire a limité la possibilité de rétroagir au 31 janvier 1991 pour
une raison contestable ; c’est en effet à cette date que la Cour de justice des
Communautés européennes a, dans le cadre de sa mission d’interprétation
du droit, souligné que le principe de l’égalité de traitement était d’effet di-
rect et pouvait donc être invoqué par les particuliers depuis l’entrée en vi-
gueur des accords de coopération, soit le 1er novembre 1978.
L’égalité de traitement, que la loi du 11 mai 1998 se vante tant d’avoir ins-
taurée, se trouve là encore malmenée puisque la circulaire introduit une dis-
tinction entre étrangers et, de ce fait, méconnaît les dispositions de l’ar-
ticle 14 de la Convention européenne des droits de l’homme qui interdit
toute discrimination fondée notamment sur l’origine nationale. ?
Notes
[1]
Notamment les accords de coopération entre la Communauté euro-
péenne et les pays du Maghreb (Algérie, Maroc et Tunisie), les accords
d’association CEE/Turquie, la Convention de Lomé unissant la Com-
munauté européenne aux soixante-neuf États ACP (Afrique, Caraïbe,
Pacifique).
102
Défaite ou victoire ? — Danièle Lochak
Si l’on en juge par le nombre de dispositions annulées, le Gisti obtient là
une grande victoire : six dispositions ont été censurées par le Conseil d’État,
ce qui est beaucoup pour une seule circulaire. Certes, à nos yeux c’est en-
core insuffisant, puisque nous avions repéré bien d’autres illégalités ; mais
on ne peut pas attendre du Conseil d’État qu’il porte toujours le même re-
gard que nous sur les textes que nous lui déférons. Et même si nous conti-
nuons à penser que nous avons raison, c’est lui qui dit le droit…
Parmi les griefs invoqués par le Gisti, plusieurs portaient sur le fait que le
ministre, n’ayant pas le pouvoir réglementaire, n’était pas compétent pour
prendre par circulaire les mesures d’application de la loi – et cela indépen-
damment de tout jugement porté sur le contenu de ces mesures – que seul le
Premier ministre est compétent pour prendre par décret.
Sur tous ces points, le Conseil d’État a donné raison au Gisti. Mais les dis-
positions annulées ayant dans l’intervalle été reprises par décret (ce qui at-
teste a posteriori du bien-fondé de nos critiques concernant l’incompétence
du ministre), la satisfaction obtenue est purement symbolique.
103
Au chapitre des victoires susceptibles d’avoir une portée concrète, on relève
essentiellement l’annulation de certaines des conditions restrictives mises à
la délivrance de la carte de séjour « vie privée et familiale ». Le Conseil
d’État a annulé d’une part la disposition qui, pour l’application de l’ar-
ticle 12 bis 7°, subordonnait à la présence d’enfants communs la reconnais-
sance de l’effectivité de la vie familiale entre concubins [1], d’autre part
celle qui exigeait de l’étranger né en France et y ayant effectué la plus
grande part de sa scolarité qu’il justifie de son séjour en France mois par
mois.
De fait, la circulaire allait ici plus loin que la loi, puisque l’article 14 quater
de l’ordonnance ne prévoit la saisine de la commission, en ce qui concerne
la carte de résident, qu’en cas de refus de délivrance et non de refus de re-
nouvellement. Mais on peut se demander quel intérêt il y avait à demander
l’annulation d’une disposition a priori favorable aux étrangers.
S’agissant des points sur lesquels le Conseil d’État ne nous a pas suivis, il
convient également d’opérer des distinctions. Dans certains cas, le rejet du
recours n’équivaut pas à nous donner tort sur le fond : simplement, le
104
Conseil d’État interprète la circulaire autrement que nous et lui donne une
portée différente, moins restrictive.
Réinterprétations tortueuses
105
cet élément, la circulaire n’a pas pu vouloir dire ce qu’elle semblait dire, à
savoir que le conjoint doit lui aussi être à la retraite ?
Eh bien, s’il en est ainsi, tant mieux. Mais plutôt que de se livrer à ces réin-
terprétations tortueuses de la pensée administrative, n’eut-il pas été plus
simple et plus sûr d’annuler des dispositions trompeuses (au point que
même quelqu’un d’aussi avisé que le commissaire du gouvernement s’y est
laissé prendre) ?
106
Cela étant, une annulation claire et nette eut été de loin préférable, car les
agents destinataires de la circulaire vont bien entendu continuer à l’appli-
quer à la lettre, sans se soucier – à supposer qu’ils en aient connaissance –
de la lecture souple qu’en a préconisé le Conseil d’État.
La circulaire indiquait – et indique toujours puisque sur ce point elle n’a pas
été annulée – que la commission du titre de séjour ne doit être saisie que
pour les demandes émanant d’étrangers relevant effectivement des ar-
ticles 12 bis et 15 de l’ordonnance. Elle précise encore, plus loin, que les
préfectures peuvent s’abstenir de saisir la commission lorsque l’étranger ne
remplit pas, de façon certaine, une condition de fond de ces articles (les
termes sont soulignés dans la circulaire).
Le Conseil d’État n’a pas tenu compte de ces objections et s’est borné à
constater que « lorsqu’un étranger ne remplit pas les conditions énoncée
107
par les articles 12 bis et 15 de l’ordonnance et ne peut par conséquent être
regardé comme étant mentionné auxdits articles, le préfet n’est pas tenu de
soumettre son cas à la commission du titre de séjour », de sorte que la cir-
culaire n’a fait sur ce point que rappeler l’état du droit applicable.
La vraie question, en définitive, est celle des effets pratiques des victoires
remportées au contentieux. Lorsqu’un décret est annulé, il n’est plus en vi-
gueur, et l’annonce de son annulation paraît au Journal Officiel. S’agissant
des circulaires, leur caractère officieux continue à jouer en leur faveur : rien
n’oblige en pratique l’autorité hiérarchique à avertir les fonctionnaires des
annulations prononcées par le juge, encore moins des précautions avec les-
quelles il faut appliquer les dispositions validées pour tenir compte des « ré-
serves d’interprétation » du Conseil d’État.
C’est ainsi que, près d’un an après l’annulation par le Conseil d’État, dans
son arrêt du 26 janvier 2000, de quatre dispositions capitales de la circulaire
du 25 juin 1998 sur l’asile territorial, on n’a toujours pas la preuve que des
instructions quant aux conséquences à en tirer aient été données aux préfec-
tures par le ministre de l’intérieur. ?
Notes
[1]
Voir l’article p.8.
108
Des milliers de fantômes en camp —
Quand le temps n’est pas franchement mauvais, on perçoit les côtes an-
glaises, distantes d’une quinzaine de kilomètres. Boulogne-Calais est le
point de la côte française le plus proche de l’Angleterre. Sur la mer, na-
viguent en permanence d’énormes ferries. Et, tout au long d’une plage de
sable blanc au bord de laquelle des panneaux annoncent « baignade non
surveillée », des dizaines d’étrangers errent, observent et rêvent silencieuse-
ment dans l’attente d’un passage en Grande-Bretagne par tous moyens : pe-
tits passeurs rémunérés à l’aide de leur voiture, chauffeurs de camions (ré-
munérés ou non), ferries, train, ou même marche à pied dans le tunnel sous
la Manche.
La police aux frontières (la PAF) ne contrôle guère les étrangers. La sur-
veillance du port de Calais et des moyens de passage outre-Manche est de-
venue, elle, de plus en plus rigoureuse, mais se heurte à des impératifs éco-
nomiques. La concurrence entre ports est très forte : des contrôles trop mi-
nutieux ralentiraient le trafic qui est très dense (bateaux, Shuttle, navette du
tunnel) sur et sous la Manche. La rigueur des contrôles est donc toute rela-
tive et les étrangers qui cherchent à passer en Angleterre finissent presque
tous par y parvenir.
On dira ici plutôt « camp » que « centre » à cause des conditions de vie qui
y prévalent et de l’improbable statut juridique de cette « chose » sans précé-
dent, sauf les camps d’« accueil » des Républicains espagnols à la fin des
années trente.
L’ouverture du camp, fin septembre 1999, est une initiative de l’État, qui a
fait suite à toute une série de péripéties et à diverses initiatives locales.
109
Dès 1986, la situation des étrangers – encore peu nombreux – qui erraient
dans la région de Calais, cherchant à passer en Angleterre ou refoulés par
cette dernière a commencé à être connue, et a ému ou inquiété. A l’époque,
il s’agissait surtout de Pakistanais et de Vietnamiens. A partir de 1990 et de
la chute du « mur de Berlin », des Polonais d’abord, puis des ressortissants
de tous les pays de l’Est ont commencé à venir, ainsi que des Tamouls du
Sri-Lanka.
110
blics de Calais, notamment au pied de la mairie de la ville, dans le Parc
Saint-Pierre, qui se transforme progressivement en bidonville fait d’abris de
fortune.
La crise en Yougoslavie est passée. Les Kosovars ont été remplacés par des
Irakiens, des Iraniens, des Turcs (essentiellement Kurdes), des Afghans, des
Sri-Lankais, des Polonais, des Roumains. Demain, d’autres sans doute, que
des conflits ou des régimes autoritaires lanceront sur les routes et sur les
mers.
On s’installe dans le camp sans formalités, puisqu’il n’y existe pas de re-
gistre : il suffit de s’y rendre, de signaler sa présence et de se faire attribuer
un lit. Sous le hangar, ont été montées des cabines préfabriquées en tôles et
des tentes. Le confort est spartiate. La vie privée impossible. Il y a 18 ca-
bines de 30 places, soit 540 lits, auxquels s’ajoutent 150 lits sous tentes. Au
total, 700 places. Mais la surface totale du hangar n’est pas entièrement oc-
cupée : selon le directeur, qui ne le souhaite pas, on pourrait héberger
là 5 000 personnes. Le camp a un éventuel bel avenir devant lui. En un an
111
de fonctionnement, il a accueilli 16 000 étrangers, pour la plupart ensuite
passés en Grande-Bretagne.
Un contrôle dérisoire
112
contrôle d’identité, ou qui viennent d’être libérés du centre de rétention [1]
voisin, Coquelles.
113
Face à cette situation, le camp n’offre pour toute aide juridique aux étran-
gers accueillis que les services d’un jeune salarié – ni juriste, ni formé en
droit des étrangers – qui s’adresse bien souvent, pour savoir comment pro-
céder, à la préfecture.
Il est difficile de dire combien parmi les étrangers qui transitent par le camp
préféreraient, s’ils en avaient le choix, déposer une demande d’asile en
France plutôt qu’en Grande-Bretagne. On sait que beaucoup ont des parents
déjà résidents outre-Manche. D’autres ont le projet d’aller d’Angleterre au
Canada. De toutes façons, ils savent que leur demande aurait de très faibles
chances d’être reçue en France [4]. En tous cas, aujourd’hui, à peine 0,01 %
des hébergés du camp engagent une demande d’asile (statut de réfugié et
asile territorial cumulés).
1. Les étrangers qui transitent par Boulogne-Calais sont, dans leur im-
mense majorité, de réels persécutés auxquels des textes internationaux
reconnaissent le droit de fuir et de se réfugier à l’étranger où ils
doivent obtenir une protection officielle (Convention de Genève pour
les réfugiés, Convention européenne des droits de l’homme) ;
2. Comme elles pratiquent la fermeture des frontières – doctrine officielle
des pays de l’Union européenne –, les autorités des pays européens
font obstacle à l’entrée sur leur territoire de toute immigration d’instal-
lation, y compris les persécutés ;
114
3. Comme les étrangers qui veulent absolument migrer finissent par y
parvenir, la fermeture des frontières conduit simplement à les rendre
dépendants des filières d’immigration et autres mafias, pour lesquelles
la fermeture des frontières constitue une opportunité ;
4. Dans ce contexte de violation des règles internationales en faveur de la
protection des réfugiés, au lieu d’une coopération européenne
constructive, il n’existe qu’une concurrence autoprotectrice entre par-
tenaires de l’Union, consistant à pousser les exilés chez leurs voisins
faute d’avoir pu les empêcher d’entrer chez soi ;
5. Cette incapacité à tenir compte à la fois de la réalité et du droit en vi-
gueur conduit à l’érection de simples « camps » d’hébergement, à San-
gatte, mais aussi dans les enclaves espagnoles en territoire marocain de
Melilla et de Ceuta, partout où, en raison des conditions géogra-
phiques, la fuite des exilés a davantage de chances de suivre son cours.
115
engagés, à savoir laisser circuler les persécutés, les accueillir et leur accor-
der protection quand ils le demandent.
L’article ci-dessus est le fruit d’une mission que le CCFD (comité catho-
lique contre la faim et pour le développement), la Cimade (service œcumé-
nique d’entraide), le Gisti, le SAF (syndicat des avocats de France) et le SM
(syndicat de la magistrature) ont mené ensemble à Sangatte, auprès des au-
torités du département (préfet du Pas-de-Calais, procureur de la République
et président du tribunal de grande instance de Boulogne-sur-mer, respon-
sables de la PAF), d’associations locales et des gestionnaires du camp.
Cette mission a eu lieu les 12 et 13 octobre 2000.
Un dossier plus complet sur cette mission peut être consulté sur le site du
Gisti :
http://www.gisti.org/doc/plein-droit/47-48/
116
Notes
[1]
Les « centres de rétention » sont, en France, les lieux où sont mainte-
nus les étrangers qu’on veut renvoyer dans leur pays.
[2]
Le 24 septembre 2000, les Français ont été appelés à réduire par réfé-
rendum la durée du mandat du président de la République, qui est ainsi
passé de 7 à 5 ans.
[3]
Dans sa réglementation, la France prévoit des sanctions pénales contre
les étrangers en séjour irrégulier. A Sangatte et dans les environs, la
justice a décidé de ne pas utiliser ce mode de répression parce que ces
étrangers lui paraissent fuir des pays où ils sont réellement en danger.
Mais l’administration française ne leur propose pour autant aucune
protection légale.
[4]
Depuis plusieurs années, 90 % des demandes du statut de réfugié et
95 % des demandes d’« asile territorial » sont rejetées en France.
117
Les travailleurs sans titre et la justice — Emma-
nuel Terray
Dans son rapport de 1997 sur « La verbalisation du travail illégal », la Dé-
légation interministérielle de lutte contre le travail illégal (DILTI) affirme
par exemple : « Contrairement à ce que suggère l’expression impropre de
travail clandestin – devenu travail dissimulé en application de la loi
du 11 mars 1997 –, ce délit ne peut être relevé à l’encontre du salarié non
déclaré par son employeur. Victime de la dissimulation de son emploi orga-
nisée par ce dernier, le salarié ne peut être tenu pour responsable ou cores-
ponsable ».
Le malheur est que la pratique des tribunaux n’est en rien conforme à ces
proclamations rassurantes : de nombreux travailleurs étrangers en situation
irrégulière sont effectivement condamnés, non seulement pour séjour irré-
gulier, mais aussi pour travail dissimulé. C’est d’autant plus étrange que les
dispositions sur le travail dissimulé ne laissent place, comme le disent clai-
rement ces quelques propos rapportés, à aucune incertitude quant à la dési-
gnation du ou des responsables. La responsabilité en cause est liée à la qua-
lité d’employeur, ou de chef d’entreprise si l’on vise la personne physique.
118
Le corps du délit est ainsi constitué par la violation d’une série d’obliga-
tions inhérentes à cette qualité.
Toutefois, dans huit affaires, l’exécution d’un travail dissimulé ou d’un tra-
vail clandestin (beaucoup de procédures sont antérieures à la loi
du 11 mars 1997) est relevé à l’encontre des condamnés. A chaque fois,
l’infraction reprochée à l’étranger dépourvu de titre de séjour donne lieu au
prononcé de sanctions – le plus souvent un emprisonnement ferme et une
interdiction du territoire – venant s’ajouter à celles prévues pour séjour irré-
gulier.
119
on trouve la même motivation : « Considérant que l’intéressé s’est rendu
coupable de travail clandestin ; qu’ainsi sa présence en France constitue
une menace pour l’ordre public […] »
Le fait d’avoir qualifié ces personnes d’artisans sans autre considération est
particulièrement contestable et ne s’inscrit pas dans la mission normalement
dévolue au juge, qu’il soit conseiller prud’homal ou juge pénal. Il lui appar-
tient, en tout état de cause, de s’intéresser à la réalité de la situation et
d’écarter toute qualification erronée. A supposer que ces étrangers sans pa-
piers aient été présentés (par l’inspection du travail, le ministère public, les
donneurs d’ordre ?) comme des artisans, la juridiction répressive ne pouvait
s’en tenir à cette « apparence ». Elle a le pouvoir – et même le devoir – de
détruire les apparences pour tendre vers la réalité et requalifier le cas
échéant la relation de travail présentée comme relevant du travail indépen-
dant en travail salarié.
120
Il y a maints exemples jurisprudentiels où le juge, au regard des conditions
réelles d’exécution du travail, a écarté l’étiquette d’artisan que le donneur
d’ordres – en réalité l’employeur – avait voulu lui coller. Il en est de même
lorsque l’on cherche à camoufler l’existence d’un contrat de travail par de
fausses qualifications, comme contrat de prestations de service.
Dans les affaires que nous avons eu à connaître, le juge pénal semble s’être
refusé à toute investigation en ce sens. Le fait, pour le tribunal correction-
nel, de ne pas avoir procédé à cette recherche, en s’en tenant à une fiction,
constitue une abstention fautive. On a ici le sentiment que le juge pénal a
simplement voulu augmenter la répression en frappant durement les sans-
papiers, peu important qu’ils aient été « employeurs » (en l’occurrence arti-
sans) ou salariés. Et tout cela au mépris du droit et en violation de sa com-
pétence. Or il ne fallait pas être grand clerc pour deviner que les personnes
concernées ne disposaient d’aucune marge de manœuvre et n’exerçaient pas
leur activité commandée de façon indépendante.
Notes
[1]
Claude-Valentin Marie, « Emploi des étrangers sans titre, travail illé-
gal, régularisations : des débats en trompe-l’œil », in Philippe Dewitte
(ed.) Immigration et intégration, Paris, La Découverte, 1997, p. 352-
365.
[2]
Claude-Valentin Marie, « La lutte contre l’emploi des étrangers sans
titre en France », Combattre l’emploi illégal d’étrangers, OCDE 2000,
p. 115-140.
121
Eau et plomb à tous les étages — Cécile Veyrinaud
« Gare au plomb dans la cervelle des enfants », « Les méfaits du saturnisme
dans les vieux quartiers de Paris ». Ces titres sont extraits d’une revue de
presse de mars 1988, réalisée par le collectif anti-plomb constitué après la
mort de deux enfants intoxiqués dans le XIe arrondissement de Paris.
Depuis deux ans, l’AFVS informe sur cette maladie connue depuis fort
longtemps : sensibilisation des populations exposées, interpellation des pou-
voirs publics, réalisation et distribution d’un dépliant sur les précautions à
prendre dans les logements où les peintures s’écaillent, rédaction d’une bro-
chure rappelant ce qu’est le saturnisme et commentant les mesures législa-
tives et réglementaires récentes, signalement des immeubles saturés de
plomb que l’association a pu recenser, courriers aux ministres en charge du
dossier (restés à ce jour sans réponse), soutien des familles dans leurs ac-
tions et leurs démarches pour faire valoir leurs droits au logement et à la
santé.
Après les événements des derniers mois, rue du Rhin, plus rien ne sera peut-
être comme avant… Dans cet immeuble appartenant à la Ville de Paris où
vivent vingt-trois familles, toutes africaines, des travaux d’éradication du
plomb ont été entrepris, au mépris de la santé des occupants, provoquant
une aggravation importante de l’intoxication des enfants. Aurait-on procédé
de la même façon s’il s’était agi de familles françaises ? Plusieurs familles
soutenues par l’AFVS, Médecins du Monde et le Gisti ont alors décidé de
porter plainte contre X pour « délit d’atteinte à l’intégrité physique et omis-
sion de porter secours ». Ce sont en fait la Ville de Paris et la préfecture qui
sont les autorités incriminées.
122
En effet, la mairie et la préfecture n’ont pas pris les mesures de nature à
protéger la santé des familles vivant dans l’immeuble : or n’ont-elles pas la
responsabilité de tout mettre en œuvre pour assurer des conditions de vie
décentes et pour protéger la santé des individus et plus particulièrement
celle des enfants ? Les droits à un logement décent, à la protection de la fa-
mille et de l’enfance sont assimilés à des libertés fondamentales par l’article
premier de la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions.
La procédure de référé entamée dès cet été pour un relogement des familles
est sur le point d’aboutir, puisque tous les occupants ont obtenu soit un lo-
gement en office HLM, soit un logement d’insertion, soit encore une pro-
messe de relogement, y compris les femmes sans papiers et les célibataires
sans enfant.
Mais la bataille juridique n’est pas terminée avec la plainte à instruire au ni-
veau des juridictions pénales. Après le sang contaminé et l’amiante, la jus-
tice va devoir se pencher sur un autre dossier sanitaire, celui du saturnisme.
123
Le plomb circule dans le sang, il est stocké dans les os. Les fillettes intoxi-
quées aujourd’hui transmettront la maladie plus tard à leurs enfants, car
dans vingt ans, la moitié du stock osseux sera encore présent et sera relar-
gué dans le sang pendant la grossesse et l’allaitement.
La plombémie normale (taux de plomb dans le sang) est de 0 ?g/litre. A
partir de 100 ?g/l, l’ensemble de la communauté scientifique s’accorde pour
dire qu’il y a atteinte au développement psychomoteur ; au-dessous les
études sont en cours. Au-delà de 250 ?g/l, l’Inserm [2] parle d’urgence mé-
dicale. Selon ses estimations, en France, 35 000 enfants de moins de six ans
auraient une plombémie supérieure à 100 ?g/l et environ 10 000 enfants une
plombémie supérieure à 250 ?g/l ; beaucoup d’entre eux ne seraient pas dé-
pistés.
(1) Extrait de la brochure de l’AFVS : « Le saturnisme infantile, une mala-
die de l’habitat insalubre », juillet 2000, 30 F. (2) Inserm : Institut national
de la santé et de la recherche médicale. « Plomb dans l’environnement :
quels risques pour la santé ? », janvier 1999.
124
occupé (comme cela s’est passé rue du Rhin, mais peut-être ailleurs
aussi) ;
une répartition des compétences pas toujours clairement établie entre
les niveaux national et territorial, et une absence de coordination fla-
grante entre toutes les structures ayant un rôle à jouer dans ce domaine
(préfecture, direction de l’action sanitaire et sociale, PMI, médecins li-
béraux, etc.).
Et quand il se réalise, le relogement ne règle pas tout. S’il soustrait les po-
pulations à la source d’intoxication, les enfants intoxiqués le restent et un
suivi médical s’impose.
125
A quelques pâtés d’immeubles de la rue du Rhin, de l’autre côté de l’ave-
nue Jean Jaurès, au 1 rue de Thionville, trois familles vivent dans des condi-
tions de péril extrême : du plomb à tous les étages, l’immeuble qui risque de
s’effondrer, des escaliers qui ne sont retenus que par des étais de fortune.
D’après la directrice de l’école maternelle toute proche, qui a rejoint
l’AFVS, la poste ne distribue plus le courrier en raison du danger. Le
constat est le même, îlot Petit, dans le 19e arrondissement également, ou
dans le Bas-Belleville, dans le 20e arrondissement.
Les effets du saturnisme sont connus à moyen et à long terme (voir enca-
dré). Des chercheurs américains travaillent actuellement sur le saturnisme et
ses ramifications possibles avec la maladie d’Alzheimer, preuve s’il en est
que dépistage et suivi des personnes à risque sont des principes de précau-
tion incontournables.
Dernière minute
A ce jour, toutes les familles, y compris les personnes isolées et les femmes
sans papiers, ont obtenu un relogement. C’est une première victoire, mais il
a fallu une forte mobilisation et une action devant les tribunaux pour l’obte-
nir.
Notes
126
[1]
L’association est constituée de familles victimes du saturnisme, d’asso-
ciations de soutien telles que le Catred, le Gisti, la Bellevilleuse, Mé-
decins du Monde, et de militants de quartier. Adresse : c/o La Bellevil-
leuse, 33 rue Ramponeau, 75019 Paris.
[3]
Expertise concernant les édifices menaçant ruine et les immeubles et
îlots insalubres. Rapport remis en novembre 1998 par Nancy Bouché,
inspectrice générale de l’Equipement au secrétariat d’Etat au logement.
127
Cahier de jurisprudence —
Refus de séjour TA de Lyon (assemblée plénière) 05/04/2000
BAIYA c/préfet du Rhône
128
Il considère ensuite « qu’eu égard à la composition de la commission, au
droit qui est reconnu aux étrangers mentionnés aux articles 12 bis
et 15 d’être entendus par elle avec un interprète, en se faisant assister d’un
avocat ou d’une personne de leur choix, et enfin à la possibilité qui leur est
ouverte de bénéficier de l’aide juridictionnelle, l’examen par cette commis-
sion de leur demande de titre de séjour constitue une garantie dont ils ne
sauraient en aucun cas être privés ».
Enfin, le tribunal considère « que, par suite, alors même que le préfet se-
rait fondé à estimer, au vu du dossier du demandeur, que celui-ci n’est
pas au nombre des étrangers énumérés aux articles 12 bis et 15 susmen-
tionnés, ou qu’une menace à l’ordre public fait obstacle à ce qu’il lui soit
délivré un titre de séjour, il est tenu de soumettre son cas à la commission
du titre de séjour ».
129
marié depuis au moins un an avec un Français, invoquant l’article 15 1°, au
motif que la communauté de vie aurait cessé ; ou à un ascendant d’un res-
sortissant français invoquant l’article 15 2°, au motif qu’il ne justifie pas
être à sa charge ou qu’il ne justifie pas de la régularité de son séjour ; etc.).
Par ailleurs, l’article L 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours
administratives d’appel permet d’obtenir la condamnation de la partie per-
dante à payer à l’autre partie une somme au titre des frais non compris dans
les dépens (honoraires d’avocat, frais de déplacement, frais de photocopies,
etc.). Mais l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique
autorise l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle à demander au
juge de condamner la partie perdante à lui payer une somme au titre des
frais que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette
aide, et à poursuivre le recouvrement à son profit de la somme allouée par
le juge, sous réserve de renoncer à percevoir la somme correspondant à la
part contributive de l’État. Cette option tend légitimement à éviter que le
budget de l’aide légale ne supporte le paiement des indemnités allouées aux
avocats, au titre des frais irrépétibles, alors même que la partie adverse perd
le procès et que sa situation économique lui permet de payer l’ensemble des
frais de justice.
130
Mme Lokange-Lifoko, Zaïroise, est entrée en France en avril 1993 pour y
solliciter l’asile. Sa demande est définitivement rejetée par la Commission
de recours des réfugiés le 25 janvier 1994. Le 5 mars 1994, elle épouse à
Château-Landon (Seine-et-Marne) M. Emmanuel ROBERTO, réfugié statu-
taire angolais, dont elle a un fils, né le 14 août 1994 à Paris. Le 22 fé-
vrier 1995, le préfet de police de Paris prend contre elle un arrêté de recon-
duite à la frontière, annulé sans tarder par le tribunal administratif. A la
suite de ce jugement, Mme ROBERTO demande au préfet de police l’attri-
bution d’un titre de séjour. Pour toute réponse, elle reçoit, le 18 juillet 1995,
notification d’un refus de séjour et d’une invitation à quitter le territoire.
Le 28 juillet, elle recourt de nouveau au tribunal administratif de Paris, qui,
du coup, assortit sa décision d’annulation d’un sévère astreinte :
Considérant « qu’il ressort des pièces du dossier et n’est pas contesté qu’à
la date de la décision attaquée Mme ROBERTO, entrée depuis deux ans et
trois mois sur le territoire français, y était mariée depuis 16 mois à un réfu-
gié statutaire angolais, établi depuis 1980 en France et titulaire d’un em-
ploi et d’un logement ; qu’elle élevait avec lui leur fils de onze mois égale-
ment de nationalité angolaise ; que, dans ces conditions, le préfet de police
de Paris n’a pu sans porter une atteinte disproportionnée au droit au res-
pect de sa vie familiale protégé par les stipulations précitées (article 8 de la
CEDH) refuser de lui délivrer un titre de séjour et l’inviter à quitter la
France…
131
Référence à rappeler pour avoir copie du jugement :
132
Gard à l’épouse d’un ressortissant marocain titulaire d’une carte de ré-
sident - Violation de l’article 8 de la CEDH - Rejet.
133
Considérant « que Mme Oria MADANI-BENYAHIA, de nationalité algé-
rienne, est née au Creusot (Saône-et-Loire) où elle a continûment résidé
jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans ; que si elle s’est ensuite rendue en Algérie
en 1986 pour s’y marier avec un ressortissant algérien dont elle a eu deux
enfants, et qu’elle y a résidé jusqu’à la rupture de sa vie commune avec son
époux algérien, il ressort également du dossier que toute la famille de Mme
MADANI-BENYAHIA est installée en France, que ses frères et sœurs sont
français et que, à la date de la décision litigieuse, elle vivait de nouveau au-
près de ses parents et n’avait plus de lien effectif avec son mari resté en Al-
gérie ; que dans ces conditions, l’arrêté du 13 novembre 1998 du préfet du
département de Saône-et-Loire refusant à Mme MADANI-BENYAHIA la dé-
livrance d’un titre de séjour a porté au droit de l’intéressée au respect de sa
vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue des-
quels il a été pris ; qu’il suit de là que les dispositions de l’article 8 de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales ont été méconnues... »
134
fondamentales a été méconnu et à demander, pour ce motif, l’annulation de
la décision attaquée ;... » Plein Droit, jurisprudence n° 407
« Considérant que ces stipulations, qui régissent d’un manière complète les
conditions dans lesquelles est délivré de plein droit un titre de séjour d’une
durée de dix ans au conjoint tunisien d’un ressortissant français, ne subor-
donnent pas cette délivrance à la condition de régularité de l’entrée en
France de l’intéressé ; qu’elles font par ailleurs obstacle à l’application
aux ressortissants tunisiens des dispositions de l’article 15 de l’ordonnance
susvisée du 2 novembre 1945, dans sa rédaction issue de la loi
du 24 août 1993, qui subordonnent à cette condition la délivrance d’un titre
de séjour à un étranger marié à un ressortissant français ; qu’ainsi, en op-
posant à M. TRABELSI le caractère irrégulier de son entrée en France
pour lui refuser la délivrance d’une carte de résident à titre de conjoint
d’une française, le préfet du Rhône a entaché sa décision d’une erreur de
droit ; que M. TRABELSI est en conséquence fondé à demander l’annula-
tion de la décision susvisée du préfet du Rhône lui refusant la délivrance
d’un certificat de résidence… »
135
tion, injonction, sous astreinte, au préfet de délivrer un certificat de rési-
dence autorisant le travail, et condamnation de l’Etat à verser à la requé-
rante une somme de 4 000 F au titre de l’article L. 8-1 du code des TA et
des CAA.
136
délai d’un mois.
« Considérant qu’il est constant que M. OUADIE est atteint d’une double
valvulopathie extrêmement évoluée avec symptomatologie à type de dys-
pnée d’effort depuis 1983 ; que cette pathologie lourde s’est aggravée
en 1991 ; qu’il a subi une intervention de chirurgie cardiaque le
8 juillet 1991 à l’hôpital Tenon, de l’Assistance publique de Paris, en ur-
gence ; qu’il est aujourd’hui porteur d’une double prothèse aortique néces-
sitant un traitement anticoagulant à vie ;
Rejet d’une demande de carte de séjour « vie privée et familiale » après re-
fus de regroupement familial – Erreur de droit – Annulation, injonction de
137
procéder à une nouvelle instruction de la demande et condamnation de
l’Etat à payer au demandeur la somme de 5.000 F au titre de l’article L. 8-
1 du code des TA et des CAA.
138
familial ; qu’ainsi, l’intéressée n’entrait pas dans les catégories de per-
sonnes qui, selon le I de l’article 29 de ladite ordonnance, ouvrent droit
au regroupement familial ; que, dès lors, en rejetant, pour ce motif, sa de-
mande tendant à la délivrance d’un titre de séjour temporaire portant la
mention “vie privée et familiale”, le préfet a commis une erreur de droit ;
que la requérante est, par suite, fondée à demander l’annulation de la dé-
cision attaquée... ».
139
sulte des dispositions précitées que le préfet du RHÔNE ne pouvait, ainsi
qu’il l’a fait, rejeter le 22 décembre 1998 une telle demande sans avoir
préalablement consulté la commission de séjour qu’il avait légalement
constituée par arrêté du 17 septembre 1998 ; que, par suite, M. Kodjo Marc
ZADJI est fondé à soutenir que la décision attaquée est entachée d’un vice
de procédure substantiel et encourt de ce chef l’annulation... ».
Dans l’affaire YILAR, le tribunal analyse encore plus en détail les éléments
du droit :
140
Plein Droit, jurisprudence n° 412
141
rejetant sa demande de regroupement familial présentée au bénéfice de son
épouse ;...
Annulation.
Refus de séjour à une Bosniaque divorcée d’un réfugié et mère de deux en-
fants dont elle a la garde et qui disposent d’un droit au séjour comme réfu-
giés au titre de l’unité de famille – Violation de l’article 3-1 de la conven-
tion des droits de l’enfant et de l’article 8 de la CEDH – Erreur de droit –
Annulation.
142
n’en va pas de même pour ses deux enfants mineurs qui bénéficient de la
protection de la convention de Genève, comme leur père, avec lequel ils en-
tretiennent toujours des liens, et qui disposent donc, en leur qualité de réfu-
giés, du droit au séjour. Dès lors, l’éloignement de leur mère, qu’implique-
rait la décision attaquée refusant son admission au séjour, porterait atteinte à
l’intérêt supérieur des enfants de Mme NUSPAHIC, chargée de leur garde,
ainsi qu’à son droit de mener une vie familiale normale.
La décision de refus de séjour est donc annulée pour violation des disposi-
tions de l’article 3-1 de la convention internationale des droits de l’enfant
et 8 de la convention européenne des droits de l’homme.
143
accorder l’asile territorial. C’est cette décision que le tribunal administratif
de Lyon annule, en décembre 1999, pour procédure irrégulière :
Considérant que les dispositions du décret du 23 juin 1998, pris pour l’ap-
plication de la loi du 11 mai 1998 définissant la procédure de demande
d’asile territorial, « ne se bornent pas à prévoir que l’étranger se présente à
la préfecture pour déposer son dossier, mais qu’elles exigent, en outre, qu’il
soit à nouveau convoqué en vue d’un entretien auquel il peut se faire assis-
ter par un interprète et par une personne de son choix ;
144
tendu abroger l’arrêté susmentionné ; que, dès lors l’arrêté attaqué, par le-
quel le préfet a ordonné le placement de M. BREDE dans des locaux ne re-
levant pas de l’administration pénitentiaire, doit être regardé comme fon-
dé, non sur l’arrêté initial mais sur un nouvel arrêté de reconduite à la
frontière dont l’existence est révélée par la mise en oeuvre de l’exécution
d’office elle-même ; que, par suite, il n’y a pas lieu de renvoyer la requête
devant le tribunal statuant en formation collégiale... »
145
moyens résider en France habituellement depuis plus de quinze ans » ne
peut faire l’objet d’un arrêté d’expulsion ni d’une mesure de reconduite à la
frontière. N’ayant pas à se prononcer sur un éventuel refus de titre de sé-
jour, il n’avait pas à noter que, dans le cas d’espèce, en vertu de l’ar-
ticle 12 bis 3° de la même ordonnance modifiée (plus récemment par la loi
du 11 mai 1998), l’intéressé devait être bénéficiaire de plein droit de la carte
de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » en tant
qu’étranger, ne vivant pas en état de polygamie, résidant en France habituel-
lement depuis plus de dix ans.
Considérant « que Mlle Asiba SULJIC fait valoir qu’elle souffre d’un fort
handicap visuel, dont la réalité est attesté par un certificat médical rédigé
par un médecin spécialisé en ophtalmologie, et qui n’apparaît pas suscep-
146
tible de correction thérapeutique ; qu’il ressort également des déclarations
non contestées de l’intéressée qu’elle n’a jamais connu sa mère, qu’elle a
perdu tout contact avec son père après leur départ commun de Bosnie et
que sa seule famille proche avec laquelle elle continue à avoir des relations
est celle de sa tante, qui réside régulièrement à Autun ; que, dans la mesure
où l’état physique de Mlle Asiba SULJIC nécessite un appui familial per-
manent, le préfet du département de Saône-et-Loire a commis une erreur
manifeste d’appréciation des conséquences de la mesure de reconduite à la
frontière sur la situation personnelle de l’intéressée ; qu’il s’ensuit que Mlle
Asiba SULJIC est fondée à demander l’annulation de l’arrêté de reconduite
à la frontière pris à son encontre et, par voie de conséquence, de la décision
fixant la Bosnie comme pays de destination pour l’exécution de cette me-
sure ;... »
147
quée porte, dans les circonstances de l’espèce, au droit de M. ABDOUNI à
mener une vie familiale normale une atteinte excessive au regard des objec-
tifs qu’elle poursuit ; que cette décision doit donc être annulée... »
Par ailleurs, au fond, considérant que « M. TCHATCHI fait valoir qu’il est
un ancien officier de l’armée algérienne et que sa famille et lui-même ont
fait l’objet de menaces graves en Algérie, ce qui l’a conduit à quitter son
pays pour la France ; qu’il produit des attestations et des témoignages qui
établissent la réalité des risques encourus ; que, dès lors, alors même que
la demande d’asile de M. TCHATCHI aurait fait l’objet de décisions de re-
fus de l’OFPRA et de la commission de recours des réfugiés, le préfet de la
Meuse a méconnu les dispositions de l’article 3 précité en refusant son ad-
mission au séjour ; que l’arrêté de reconduite à la frontière litigieux, pris
sur le fondement de ce refus de titre de séjour, est lui-même illégal ;...
Considérant que la compétence spéciale attribuée par l’article 22 bis de
148
l’ordonnance du 2 novembre 1945 au président du tribunal administratif ou
à son délégué est limitée au jugement des recours formés contre les arrêtés
préfectoraux de reconduite à la frontière ; que, s’il est saisi de conclusions
fondées sur l’article L. 8-2 du code des tribunaux administratifs et des
cours administratives d’appel le président du tribunal administratif ou son
délégué n’est pas compétent pour y statuer et doit les renvoyer au tribunal
administratif statuant collégialement... »
149
Le 15 décembre 1998, M. ADEBAYO refuse à nouveau d’embarquer et est
placé en garde à vue, puis poursuivi devant le tribunal correctionnel de Bo-
bigny, pour entrée et séjour irréguliers en France, et soustraction à une me-
sure de refus d’entrée.
La Cour considère « qu’il convient d’observer, d’une part que cette motiva-
tion ne permet pas d’avoir connaissance des déclarations de Mlle SAUBA-
150
NA et de savoir sur quels points porteraient les contradictions invoquées,
encore moins de porter un jugement sur la bonne foi du demandeur d’asile
(sa compagne de voyage a pu se tromper, leurs propos ont pu être mal tra-
duits, ils ne semblent pas avoir été confrontés).
151