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des Matières
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Avant-propos

A
ABSOLUTISME

ABSTENTIONNISME

ACCOUNTABILITY

ACTION COLLECTIVE

ACTION PUBLIQUE

ADMINISTRATION PUBLIQUE

AFFAIRES COURANTES (GOUVERNEMENT D’)

AFFIRMATIVE ACTION

AFRIQUE

AGENDA POLITIQUE

AGRARIEN

ALIÉNATION POLITIQUE

ALTERMONDIALISME

ALTERNANCE POLITIQUE

AMENDEMENT (DROIT D’)

AMÉRIQUE LATINE

ANARCHISME

ANARCHO-SYNDICALISME

ANTHROPOLOGIE POLITIQUE

ANTICLÉRICALISME

ANTISÉMITISME

APOLITISME

APPARENTEMENTS

ARISTOCRATIE

ASIE ORIENTALE

ASIE DU SUD-EST

ASSEMBLÉE NATIONALE

ASSIMILATION

ATTITUDES POLITIQUES

AUSTROMARXISME

AUTOCONTRAINTE

AUTOGESTION

AUTONOMIE

AUTORITAIRE

AUTORITARISME

AUTORITÉ
B
BALLOTTAGE

BEHAVIOURISME (OU BEHAVIORISME)

Bicamérisme

BIENS COMMUNS

BIENS PRIMAIRES

BONAPARTISME

BOSSISM

BOURGEOISIE

BUDGET DE L’ÉTAT

BUREAUCRATIE

C
CABINET

CACIQUISME

CAMÉRALISME

CAPITAL SOCIAL

CAPITALISME

CASTES ET POLITIQUE

CATHOLICISME ET POLITIQUE

CAUDILLISME

CENSURE (MOTION DE)

CENTRALISATION/DÉCENTRALISATION

CENTRE

CENTRE-PÉRIPHÉRIE

CÉSARISME

CHARISME

CHECKS AND BALANCES

CHEF DE L’ÉTAT

CHOIX RATIONNEL (THÉORIE DU)

CITÉ ANTIQUE

CIVIL RIGHTS

CLAN

CLASSE SOCIALE

CLIENTÉLISME

COALITION (GOUVERNEMENT DE)

COERCITION

COLLECTIVITÉS LOCALES

COLONIALISME

COMMUNAUTARISATION

COMMUNAUTÉ

COMMUNAUTÉ DE SÉCURITÉ

COMMUNAUTÉ IMAGINÉE

COMMUNICATION POLITIQUE

COMMUNISME

COMMUNITARIENS

COMPARAISON POLITIQUE

COMPORTEMENT ÉLECTORAL

COMPORTEMENT POLITIQUE

CONCENTRATIONNAIRE (SYSTÈME)
CONFIANCE (QUESTION DE)

CONFLITS (THÉORIE DES)

CONFLIT INTERNATIONAL

CONSENSUS

CONSENSUS DE WASHINGTON

CONSERVATISME

CONSOCIATIF (SYSTÈME)

CONSTITUTION

CONSTRUCTIVISME

CONTRACTUELLE (POLITIQUE)

CONTRAT SOCIAL

CONTRE-RÉVOLUTION

CONVICTION (ÉTHIQUE DE LA)

CORPORATISME

COUP D’ÉTAT

CRISE

CULTE DE LA PERSONNALITÉ

CULTURE

CULTURE POLITIQUE

CYBERNÉTIQUE

D
DÉBAT

DÉCENTRALISATION/DÉCONCENTRATION

DÉCONCENTRATION

DÉCISION (PROCESSUS DE)

DÉMOCRATIE

DÉMOCRATISATION

DÉPENDANCE (THÉORIE DE LA)

DÉSENCHANTEMENT DU MONDE

DÉVELOPPEMENT DURABLE

DÉVELOPPEMENT POLITIQUE

DÉVOLUTION

DHIMMIS

DICTATURE

DIPLOMATIE

DISCOURS PERFORMATIF

DISCRIMINATION POSITIVE

DISASSIMILATION

DISSOLUTION

DISSONANCE COGNITIVE

DISSUASION

DIVISION DU TRAVAIL SOCIAL

DOMINATION (TYPES DE)

DROIT DE VOTE

DROIT NATUREL

DROITE

DROITS CIVIQUES

DROITS DE L’HOMME

E
ÉCOLE DE FRANCFORT

ÉCOLOGIQUE (ANALYSE)

ÉCOLOGISTES (MOUVEMENTS)

ÉCONOMIE POLITIQUE

ÉCONOMIE SOCIALE DE MARCHÉ

ÉCONOMIQUE (ANALYSE)

ÉDUCATION POLITIQUE

ÉGALITÉ

ÉLECTION

ÉLITISTES (THÉORIES)

ÉMOTIONS POLITIQUES

EMPIRE

EMPIRISME

ENDOGÈNE/EXOGÈNE

ESPACE PUBLIC

ÉTAT

ÉTAT-PROVIDENCE

ÉTAT RÉGULATEUR

ÉTAT VIRTUEL

ÉTAT VOYOU

ETHNICITÉ

ETHNO-NATIONALISME

ÉTUDES EUROPÉENNES

ÉVALUATION DES POLITIQUES PUBLIQUES

EXÉCUTIF/LÉGISLATIF (POUVOIRS)

EXPERT ET POLITIQUE

EXPLOITATION

EXTRÊME-ORIENT

F
FALSIFIABILITÉ

FASCISME

FÉDÉRALISME

FEDERALIST PAPERS

FEMMES

FÉODALITÉ

FINANCES PUBLIQUES

FONCTIONNAIRES

FONCTIONNAIRES INTERNATIONAUX

FONCTIONNALISME (THÉORIE DU)

FONDAMENTALISME PROTESTANT

FORMULE MAGIQUE

FRANCHISE ÉLECTORALE

FRUSTRATION RELATIVE (THÉORIE DE LA)

G
GAUCHE/DROITE

GENDER STUDIES

GÉNOCIDE

GENRE

GÉOPOLITIQUE
GERRYMANDERING

GLOBALISATION

GOUVERNABILITÉ

GOUVERNANCE

GOUVERNEMENT

GOUVERNEMENT LOCAL

GOUVERNEMENTALITÉ

GROUPE DE RÉFÉRENCE/D’APPARTENANCE

GROUPES DE PRESSION

GUERRE

GUERRE PRÉVENTIVE

H
HABITUS

HIÉRARCHIE SOCIALE

HISTORICISME

HOLISME

I
IDEALTYP

IDENTITÉ POLITIQUE

IDÉOLOGIE

IMMIGRATION (POLITIQUES DE L’)

IMPÉRIALISME

INCRÉMENTALISME

INDIGÉNISME

INDIVIDUALISME

INDIVIDUALISME MÉTHODOLOGIQUE

INDUSTRIALISATION

INDUSTRIELLE (SOCIÉTÉ)

INFLUENCE

INFORMATION

INGÉRENCE

INSTITUTION/INSTITUTIONNALISATION

INSTITUTIONNALISME HISTORIQUE

INSTITUTIONNALISME LIBÉRAL

INSTITUTIONS POLITIQUES

INSTRUMENTALISME

INTÉGRATION

INTÉGRATION RÉGIONALE

INTERACTIONNISME

INTERCOMMUNALITÉ

INTÉRÊTS

INTERNATIONAL (SCÈNE INTERNATIONALE)

INTERNET

INTERVENTIONNISME DE L’ÉTAT

ISLAM ET POLITIQUE

ISLAMISME

J
JACOBINISME

JEUX (THÉORIE DES)

JUDAÏSME ET POLITIQUE

JUSTICE

L
LAÏCITÉ

LANGAGE POLITIQUE

LEADERS D’OPINION

LEADERSHIP

LÉGALITÉ

LÉGISLATIF (POUVOIR)

LÉGITIMITÉ

LÉNINISME

LIBÉRALISATION

LIBERTARIENS

LIBERTÉ/ÉGALITÉ

LINKAGE

LITURGIE POLITIQUE

LOBBY

LOI

LOYALTY

LUSTRATION

M
MAGNA CARTA

MAINTIEN ET IMPOSITION DE LA PAIX

MAJORITAIRE (PRINCIPE)

MANAGEMENT PUBLIC

MARCHÉ (DÉMOCRATIE ET)

MARCHÉ POLITIQUE

MARGINALITÉ POLITIQUE

MARXISME

MÉDIAS

MÉDIATION

MÉRITOCRATIE

MESSIANISME

MÉTHODOLOGIE

MICHIGAN (PARADIGME DE)

MIGRATION

MILITAIRES ET POLITIQUE

MILITANTISME

MILLÉNARISME

MINISTRES

MINORITÉ

MOBILISATION POLITIQUE

MOBILISATION SOCIALE

MODÈLES

MODÈLES SPATIAUX

MODERNISATION

MODERNITÉ
MONARCHIE

MONDIALISATION

MULTICULTURALISME

MULTILATÉRALISME

MYTHE POLITIQUE

N
NATION

NATIONALITAIRES (MOUVEMENTS)

NATIONALITÉ

NATURE (ÉTAT DE)

NAZISME

NÉO-CORPORATISME

NÉO-INSTITUTIONNALISME

NÉO-PATRIMONIALISME

NOUVEAUX MOUVEMENTS SOCIAUX

NOMENKLATOURA

NOTABLES

O
OBLIGATION POLITIQUE

OLIGARCHIE (LOI D’AIRAIN D’)

OLSON (PARADIGME D’)

OPINION PUBLIQUE

OPPOSITION

ORDRE (SOCIÉTÉS D’)

ORDRE POLITIQUE

ORGANICISME

ORGANISATION NON GOUVERNEMENTALE (ONG)

ORGANISATIONS (THÉORIE DES)

P
PACIFISME

PAIX

PANEL (TECHNIQUE DU)

PARADIGME SCIENTIFIQUE

PARADOXE DE CONDORCET

PARLEMENT

PARTICIPATION POLITIQUE

PARTICULARISME/PRIMORDIALISME/UNIVERSALISME

PARTIS POLITIQUES

PASSIONS POLITIQUES

PATRIMONIALISME/NÉO-PATRIMONIALISME

PATRIOTISME

PERESTROÏKA

PERSONNEL POLITIQUE (SÉLECTION DU)

PERSUASION POLITIQUE

PERTINENCE

PEUPLE

PILARISATION
PLÉBISCITE

PLURALISME

POLICY COMMUNITIES

POLICY NETWORKS

POLITEIA

POLITIQUES PUBLIQUES

POLITISATION

POLYARCHIE

POPULARITÉ

POPULISME

POSITIVISME

POSSIBILISME

POST-COLONIAL STUDIES

POSTNATIONALISME

POUBELLE

POUVOIR

POUVOIR EXÉCUTIF/POUVOIR LÉGISLATIF

PRAGMATISME (SOCIOLOGIE PRAGMATIQUE)

PREMIER MINISTRE

PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

PRÉSIDENTIALISME

PRIMAIRES (ÉLECTIONS)

PRIMORDIALISME

PRINCIPE DE PRÉCAUTION

PROGRÈS (IDÉE DE)

PRONUNCIAMIENTO

PROTECTORAT

PROTESTANTISME ET POLITIQUE

PSYCHOLOGIE POLITIQUE

PUBLIC CHOICE

PUBLIC/PRIVÉ (DISTINCTION)

PUISSANCE

PUTSCH

Q
QUESTIONS PARLEMENTAIRES

R
RACE/RACISME

RÉACTION

REALPOLITIK

RÉALISTE (THÉORIE)

RÉFÉRENDUM

RÉFÉRENTIEL

RÉGIMES INTERNATIONAUX

RÉGIMES POLITIQUES

RÉGULATION

RELATIVISME CULTUREL

RELIGION CIVILE

RELIGION ET POLITIQUE

REPRÉSENTATION (THÉORIE DE LA)


REPRÉSENTATION POLITIQUE

REPRÉSENTATIONS

RÉPUBLIQUE

RÉSEAU

RÉSOLUTION DES CONFLITS

RESPONSABILITÉ (ÉTHIQUE DE LA)

RESPONSABILITÉ POLITIQUE

RESSOURCES POLITIQUES

RÉTRODICTION

RITES POLITIQUES

S
SACRALISATION

SCRUTIN (MODES DE)

SECTE

SÉCULARISATION

SÉCURITÉ

SEGMENTAIRES (SOCIÉTÉS)

SENS COMMUN

SEXE

SHADOW CABINET

SIONISME

SOCIALISATION POLITIQUE

SOCIALISME

SOCIÉTÉ CIVILE

SOCIÉTÉ DE RISQUE

SOCIO-HISTOIRE

SOCIOLOGIE ÉLECTORALE

SOCIOLOGIE HISTORIQUE

SOFT POWER

SONDAGES D’OPINION

SOUVERAINETÉ

SPIN DOCTOR

STALINISME

STORYTELLING

SUBSIDIARITÉ

SYMBOLIQUE POLITIQUE

SYNDICATS

SYSTÈME

SYSTÈME DES DÉPOUILLES

SYSTÈME POLITIQUE

SYSTÉMIQUE (ANALYSE)

T
TABLES RONDES

TECHNOSTRUCTURE

TÉLÉVISION ET POLITIQUE

TERREUR POLITIQUE

TERRITOIRE

THÉOCRATIE

THOMAS (THÉORÈME DE)


THÉORIE CRITIQUE

THINK-TANK

TICKET GRATUIT

TINGSTEN (EFFET)

TOTALITARISME

TRADITION

TRADITIONALISME

TRANSITIONS DÉMOCRATIQUES

TRANSNATIONALES (RELATIONS)

TRIBALISME

TYPE-IDÉAL

TYRANNIE

U-V-W
UNIVERSALISME

URBANISATION

UTOPIE

VALEUR

VERTS

VIOLENCE SYMBOLIQUE

VIRTÙ

VOILE D’IGNORANCE

VOLATILITÉ ÉLECTORALE

VOTE (FONCTIONS DU)

VOTE BLOQUÉ

VOTE PRÉFÉRENTIEL

WHIG/TORY

Liste de entrées
© EPA/Corbis
© Armand Colin, 2010
978-2-200-25624-1
7 édition revue et augmentée
e

www.armand-colin.com

COLLECTION DICTIONNAIRE

Dictionnaire des relations internationales. De 1900 à nos jours,


Vaïsse (dir.)
2009, 3e édition
Cacaly, Le Coadic, Pomart,
Dictionnaire de l’information, 2008, 3e édition
Sutter
Dictionnaire théorique et critique du cinéma, 2008, 2e édition Aumont, Marie
Dictionnaire technique du cinéma, 2008, 2e édition Pinel
Dictionnaire de l’espace politique, 2008 Rosière, Sanguin
Cacaly, Le Coadic, Pomart,
Dictionnaire de l’information, 2008, 3e édition
Sutter
Dictionnaire des risques, 2007, 2e édition Dupont (dir.)
Dictionnaire de l’environnement Veyret
Dictionnaire des philosophes, 2007, 3e édition Baraquin, Laffitte
Dictionnaire des sciences économiques, 2007, 2e édition Beitone, Cazorla, Dollo, Drai
Dictionnaire des mondialisations, 2006 Ghorra-Gobin

image de couverture : élections dans le New Hampshire, 2008, Zaklin,


Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous
procédés, réservés pour tous pays. Toute reproduction ou représentation
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le présent ouvrage, faite sans l’autorisation de l’éditeur, est illicite et constitue
une contrefaçon. Seules sont autorisées, d’une part, les reproductions
strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une
utilisation collective et, d’autre part, les courtes citations justifiées par le
caractère scientifique ou d’information de l’œuvre dans laquelle elles sont
incorporées (art. L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2 du Code de la propriété
intellectuelle).
ARMAND COLIN • 21, RUE DU MONTPARNASSE • 75006 PARIS
Avant-propos
Plutôt que les préférences de ses auteurs , c’est le public visé par ce
1

dictionnaire qui a déterminé son architecture. À l’évidence, il doit offrir aux


étudiants de droit, des instituts d’études politiques, des classes préparatoires,
aux chercheurs et à d’autres encore un instrument commode et utile. Mais il
convient, également, qu’il réponde aux questions d’un public plus vaste,
formé d’experts, de praticiens non universitaires, ou aussi de personnes
simplement curieuses d’en savoir plus sur une notion ou un objet politiques.
C’est pourquoi les notices rassemblées dans cette septième édition
profondément mise à jour et augmentée couvrent deux domaines distincts bien
que liés : celui d’abord des concepts et méthodes de la science politique en
tant que discipline ; ensuite le domaine plus composite des institutions et des
pratiques qui régissent l’exercice du pouvoir. Dans ces diverses perspectives,
il sera donc question ici aussi bien de la théorie des organisations ou du
concept de réseau, par exemple, que – disons – des cabinets ministériels, des
partis démocrates-chrétiens, ou du phénomène très récent du storytelling.
Sur le plan formel, ce dictionnaire rassemble deux catégories d’entrées. Les
entrées principales – reconnaissables à leurs minuscules grasses – traitent
d’objets autonomes ou désignent une catégorie générique. De leur côté, les
sous-entrées – indiquées en petites capitales – détaillent l’article principal en
fonction de sa polysémie, de sa complexité ou de son importance intrinsèque.
Ainsi le concept : Agenda politique, constitue un article autonome (ceux-ci
sont les plus nombreux), tandis que l’article principal Méthodologie, par
exemple, se trouve complété par deux sous-entrées : MÉTHODES QUALITATIVES
et MÉTHODES QUANTITATIVES.
Les 520 entrées de ce dictionnaire comportent par ailleurs trois degrés
d’approfondissement. Certaines constituent une sorte de mini-essai sur un
objet considéré comme central ou très sollicité (s’agissant par exemple de la
méthodologie en général). D’autres ont un statut intermédiaire quant à la
longueur (Sondages d’opinion, par exemple). D’autres encore, enfin,
n’excèdent pas quelques lignes, et se limitent à l’objectif strict de la définition
quand cette formule paraît suffisante (ainsi : Violence politique).
Quel que soit leur statut, ces notices sont également complétées pour la
plupart par des références bibliographiques [•] destinées à guider le lecteur
désireux d’aller plus loin sur un sujet. Ces références s’efforcent d’une part de
signaler les ouvrages fondamentaux même anciens sur la question considérée,
et d’autre part les études récentes sur ce sujet. Une circonstance particulière se
présente toutefois quand un thème donné a suscité beaucoup de publications à
un certain moment pour être au contraire assez délaissé ensuite (par exemple
les régimes autoritaires). Dans ce cas, les travaux signalés datent évidemment
pour l’essentiel de cette période.
Par ailleurs, ce dictionnaire comporte nécessairement des renvois d’une
entrée ou sous-entrée à d’autres. Afin de faciliter leur utilisation, ces renvois
obéissent à deux logiques – celle de la substitution et celle de la
complémentarité – indiquées par un même signe [→]. Dans la première
perspective, le renvoi de substitution se trouve signalé lorsqu’une entrée
répertoriée uniquement pour la commodité du repérage n’est pas traitée ; on se
reportera alors à l’article véritablement pertinent à ce propos (ainsi :
Fonctionnaires [non traité] → Bureaucratie [traité]). Dans la seconde
perspective, le même graphisme [→] indique, à partir d’une entrée normale,
d’autres entrées ou sous-entrées apportant des éclairages ou des nuances
complémentaires – voire contradictoires – sur l’objet considéré (par exemple :
Anarchisme → anarcho-syndicalisme, autogestion, syndicats).

1 Makita Kasongo-Ngoy, Antoine Kernen et Anne Marynczak ont contribué à ce travail à ses débuts.
Qu’ils en soient ici remerciés.
A

ABSOLUTISME

Terme désignant dans son acception la plus large des pouvoirs politiques
dont l’autorité ne se trouve limitée ni par des institutions représentatives ni par
des règles constitutionnelles. À ce niveau de généralité, il devient quasiment
synonyme de despotisme.
En français, le mot acquiert toutefois le statut de concept classificatoire à
partir de 1796 (dans les années 1830 en anglais et en allemand). Il qualifie dès
lors tant les doctrines de légitimation que le mode de gouvernement des États
monarchiques modernes qui s’esquissent dans l’Europe du XVI siècle, qui se
e

configurent pleinement au XVII et qui atteignent leur forme la plus achevée


e

dans la France de Louis XIV (la monarchie absolue). L’absolutisme se


transforme ainsi en rubrique dans la typologie des régimes politiques, au
même titre que la féodalité, le despotisme éclairé, le bonapartisme, puis la
démocratie représentative ou le totalitarisme notamment. Il caractérise dans
cette perspective des monarchies parvenues à un haut degré de centralisation,
dotées d’une bureaucratie efficace, dans lesquelles surtout le souverain jouit
en droit comme en fait de la plénitude d’une souveraineté qu’il peut exercer
sans partage. Selon cette logique, le monarque absolu échappe en principe aux
contraintes qui bridaient le pouvoir de ses prédécesseurs, qu’il s’agisse des
coutumes et des privilèges anciens, des précédents légaux, ou encore des
obligations créées auparavant par ses liens avec une aristocratie dont il
n’apparaissait que comme le membre le plus éminent et qui était même censée
le coopter ou l’élire au début (procédure d’élection par la noblesse maintenue
en Pologne jusqu’à la fin du XVIII siècle, et toujours en usage pour la
e

désignation du Pape par les cardinaux).


Le légiste et philosophe français Jean Bodin (1530-1596) s’était fait par
avance le théoricien majeur de cette conception absolutiste de la souveraineté.
Tout en reconnaissant que le souverain ne pouvait ignorer les limites que lui
opposait le droit naturel ou les lois coutumières, Bodin affirmait en même
temps l’illégitimité de toute résistance à sa volonté et l’impossibilité de le
déposer légalement. Sa souveraineté était posée comme une et indivisible. Par
la suite, Thomas Hobbes (1588-1679) va appliquer dans Le Léviathan cette
même conception de l’État omnipotent à l’Angleterre. De leur côté, Robert
Filmer (1589-1653) puis Bossuet (1627-1704) vont en particulier développer
la dimension théologique d’une souveraineté absolue voulue telle par Dieu. La
même idée est reprise en France sous la Restauration par un théoricien comme
Joseph de Maistre.
Cet aspect théologique ne doit pas dissimuler la nouveauté de la monarchie
absolutiste ainsi que sa contribution décisive à l’émergence de l’État de type
occidental. En fait, si la légitimité d’origine surnaturelle du roi se trouve
exaltée pour faire pièce à la fronde des nobles qui voudraient ne voir en lui
qu’une sorte d’égal, l’affirmation primordiale du principe héréditaire dans la
succession monarchique caractérise également le tournant de l’absolutisme.
Dans la pratique, celui-ci s’inscrit en réalité de façon des plus décisives dans
le processus historique de renforcement de l’autonomie de l’État, de
sécularisation des normes politiques et de rationalisation de l’action des
gouvernants. De manière plus concrète, il donne également son impulsion
définitive à l’agencement systématique de la fiscalité, à la consolidation des
armées permanentes, à la formation des corps de fonctionnaires et de
magistrats, ainsi qu’à la fixation des frontières territoriales qui conditionnent
le développement tout proche de l’État-nation.
Reste l’interprétation même de la nature du phénomène et de son origine.
La thèse dominante à ce propos est celle de la rupture radicale de la
domination absolutiste d’avec la domination féodale qu’elle remplace, au
point que Marx et Engels la perçoivent déjà comme l’amorce de la poussée
conquérante d’une bourgeoisie alliée dans ce premier temps à l’aristocratie.
Mais l’historien britannique Perry Anderson considère en revanche que
l’absolutisme ne représente qu’une réadaptation politique de la féodalité
menacée, qui tend à préserver les rapports de production existants face au
progrès du capitalisme marchand ou financier et à la menace paysanne. La
monarchie absolue ne fait selon cette vision que concentrer au niveau national
un appareil de coercition qui demeurait auparavant fractionné et de moins en
moins efficace. De plus, Anderson s’attache parallèlement à différencier
l’absolutisme de l’Europe de l’Ouest de celui de l’Europe de l’Est. À ses
yeux, l’absolutisme occidental apparaît en quelque sorte comme une
compensation octroyée à la noblesse pour prix de la disparition du servage,
tandis que sa version orientale prend figure à l’inverse d’instrument de la
« consolidation du servage dans un environnement purgé de toute vie
autonome ou de toute résistance des villes ». Expression de la « réaction
seigneuriale », il n’est dans ce dernier cas que « la machine répressive d’une
classe féodale qui venait de supprimer les libertés communales traditionnelles
des classes pauvres ».
→ féodalité, régimes politiques, traditionalisme
ANDERSON P., L’État absolutiste, Paris, François Maspéro, 1978, 2 vol. ;
HOBBES T., Le Léviathan, Paris, Sirey, 1971.

ABSTENTIONNISME

Désigne le plus couramment le phénomène de non-participation aux


élections, bien que l’expression puisse s’appliquer également à toute autre
forme de défection politique apparente (opposée à ce que Albert Hirschman
appelle la prise de parole ou au moins à la loyauté muette). Sur le plan
électoral, l’abstention peut être passive ou sociologique, « apolitique » selon
J.-P. Charnay, reflétant soit un empêchement lié à l’isolement géographique
ou social ou, encore, à une cause physique, soit un manque d’intérêt pour la
politique. À ce niveau intervient notamment le sentiment de compétence
politique, dont Pierre Bourdieu a pressenti l’importance et qui constitue
largement une traduction subjective de la position sociale (le sentiment de
compétence et l’acte de voter augmentant en fonction de l’élévation dans
l’échelle sociale). Par ailleurs, l’abstention peut se révéler également active ou
idéologique (abstention « politique » selon J.-P. Charnay) dans la mesure où
elle constitue un acte politique conscient. Dans cette perspective, elle exprime
dans certains cas une hostilité précise à l’égard d’un régime de gouvernement,
dans d’autres cas un scepticisme plus profond devant la valeur ou la légitimité
de la procédure électorale et du mécanisme de la représentation, voire un rejet
absolu de toute forme d’État s’agissant des anarchistes par exemple. François
Goguel distingue également à ce propos ce qu’il appelle l’abstention
structurelle – ou systématique – de l’abstention conjoncturelle, liée
simplement aux enjeux ou aux circonstances d’un scrutin particulier.
La considération des modalités pratiques de l’abstention éclaire ses
significations diverses. L’abstentionniste peut être régulièrement inscrit sur les
registres électoraux et par conséquent comptabilisable. Ou il peut être non-
inscrit, par négligence ou de façon délibérée, échappant alors au décompte du
taux d’abstention (les jeunes sont particulièrement nombreux à se trouver dans
ce cas). Parallèlement, l’abstentionnisme doit s’appréhender dans sa
fréquence. Il est permanent pour une minorité de non-électeurs, mais
seulement épisodique pour la plupart, plus marqué en général dans les
consultations locales ou européennes que dans les grands scrutins nationaux
législatifs ou référendaires.
Sur la base en particulier d’exemples historiques fournis par les pays de
l’Europe du Nord, Herbert Tingsten a montré que la participation électorale
avait requis une sorte d’apprentissage après l’instauration du suffrage
universel masculin puis féminin. L’universalisation du vote a déterminé de la
sorte une croissance de l’abstention pendant une phase initiale d’une dizaine
d’années environ, avant que la participation électorale ne se stabilise à ses
niveaux « modernes » (il en a été de même après l’introduction du suffrage
féminin, jusqu’à ce que les femmes fréquentent davantage les urnes que les
hommes comme on commence à l’observer à présent). Toutefois, une
tendance régressive se manifeste désormais et depuis une vingtaine d’années
dans la plupart des vieilles démocraties européennes ou américaines non
soumises au vote obligatoire, les records de l’abstention étant atteints en
Suisse et aux États-Unis (avec des taux supérieurs à 50 % dans nombre de
circonstances, étant entendu qu’aux États-Unis, le calcul s’effectue par rapport
aux électeurs potentiels et non par rapport aux inscrits).
Cette dérobade croissante des électeurs pose sous une autre lumière le
problème de la signification politique du couple abstention-participation
électorale. Alain Lancelot a insisté sur le fait que l’abstentionnisme ne devait
pas s’interpréter forcément comme le trait majeur de la passivité du citoyen. Il
s’inscrit parfois dans la ligne d’un combat politique ou d’une contestation de
principe. Ou bien il traduit, au contraire, un haut degré de satisfaction vis-à-
vis du régime établi de la part d’électeurs potentiels qui n’estiment même plus
nécessaire de lui confirmer leur confiance en se déplaçant vers le bureau de
vote. Par ailleurs, les chercheurs de l’université de Michigan ont distingué
avec pertinence deux registres inégaux de la participation politique : celui du
« spectateur » qui se limite à une activité citoyenne minimale, et celui du
« gladiateur » – le militant – qui s’engage infiniment plus dans l’action
politique. L’abstention permet de caractériser le « spectateur ». En revanche,
elle n’autorise guère à évaluer les qualités civiques du « gladiateur ». En
définitive, l’abstention électorale peut constituer l’un des traits d’un
abstentionnisme généralisé (civique, syndical, associatif), ou se présenter à
l’inverse comme une décision rationnelle parfaitement compatible avec
d’autres formes d’engagement.
→ élection, participation politique, tingsten (effet)
BRACONNIER C., DORMAGEN J.-Y., La Démocratie de l’abstention, Paris,
Folio Actuel, 2007 ; LANCELOT A., L’Abstentionnisme électoral en France,
Paris, A. Colin, 1968 ; TINGSTEN H., Studies in Electoral Statistics, New York,
Arno Press, 1975 [1936].
ABSTENTIONNISME DIFFÉRENTIEL. Phénomène qui s’observe lorsqu’un parti ou
un courant sont plus affectés par l’abstention que les autres.
→ abstention, élection, participation politique

ACCOUNTABILITY

Ce terme anglais, plus exactement américain, ne possède pas de véritable


équivalent qui en rende toutes les nuances en français. Bien que de plus en
plus utilisés, le terme d’imputabilité ou l’expression « reddition de comptes »
ne rendent en effet pas complètement la notion de responsabilité inscrite dans
le mot anglais. Aussi l’utilise-t-on parfois dans sa forme originale dans la
littérature de science politique non-anglophone. Il revêt alors deux sens
distincts qui se recouvrent toutefois quelque peu. Fortement normatif, le
premier exprime l’idée, commune dans les régimes démocratiques, que ceux
qui exercent le pouvoir politique à quelque niveau que ce soit – comme
gouvernants, élus ou responsables nommés – ont l’obligation de rendre
compte de leur action à leurs mandants – les citoyens – et de leur fournir la
preuve de sa conformité aux normes morales ou juridiques qui doivent la
régir. La deuxième signification du mot concerne plus précisément les
dispositifs pratiques établis dans le but d’assurer la correspondance des
valeurs assumées par les mandants – le peuple ou toute autre fraction du corps
politique – et de celles propres à leurs mandataires ; ceci dans le cas des élus
aussi bien que des fonctionnaires d’un État démocratique. Ces dispositions
s’inscrivent à l’évidence dans la notion et dans les mécanismes de la
responsabilité gouvernementale ou exécutive vis-à-vis d’un parlement ou de
tout autre organisme représentatif institutionnalisé. Elles vont cependant au-
delà, s’agissant par exemple de la fonction de contrôle et de défense des
gouvernés face à l’administration remplie par les médiateurs – ou Ombudsmen
– dans un nombre croissant de pays de l’Europe de l’Ouest. Ceci sans oublier,
bien entendu, la règle majeure du recours périodique et obligatoire aux
élections dans les régimes représentatifs, tant au niveau des assemblées qu’à
celui du chef de l’État, en particulier lorsqu’il se trouve désigné au suffrage
direct.
Il faut ajouter que, bien que relevant fondamentalement de la logique
démocratique et représentative, la notion d’accountability revêt une portée
plus générale et pourrait s’appliquer par extension à des régimes autoritaires,
totalitaires, ou encore traditionnels. Toute délégation de pouvoir comporte en
effet normalement l’obligation pour celui qui l’a reçue de rendre compte de
l’accomplissement de sa mission à l’autorité supérieure qui la lui a consentie.
Et à ce niveau se pose également le problème de la congruence de l’action
déléguée avec les normes et valeurs du système de gouvernement en vigueur,
quel qu’il soit.
→ responsabilité politique
GOODIN R. E., « Democratic accountability : the distinctiveness of the Third
sector », European Sociological Review 44, 2003.

ACTION COLLECTIVE

Longtemps déduite mécaniquement d’une relation structurelle, comme dans


la perspective traditionnelle de la lutte des classes, ou ramenée encore aux
conséquences d’une simple dysfonction, l’action collective n’a pas occupé une
place essentielle dans la théorie sociologique classique tournée davantage vers
l’évolution. Ainsi, un Durkheim ne s’intéresse guère à la mobilisation,
préférant se pencher surtout sur les problèmes de l’intégration et, même
lorsqu’il évoque les dysfonctions suscitées, par exemple, par une division du
travail pathologique, il demeure muet sur l’action collective qui pourrait en
résulter. Du coup, à la fin du XIX siècle, ce sont des auteurs comme Gabriel
e

Tarde ou encore G. Le Bon qui, sous l’influence des écrits de Taine, ont
présenté une conception purement psychologique de l’action des foules, la
mobilisation résultant de l’irrationnel, de l’imitation, de la contagion mentale,
de l’émotion. Dans ce sens, l’action collective relève de la pathologie sociale
et se trouve produite par l’atomisation suscitée par l’industrialisation ou
encore l’urbanisation destructrices des groupes primaires. Cette perspective
très réductrice de l’action collective se trouve prolongée dans deux directions :
pour certains, tels James Davies ou, encore, Ted Gurr, la mobilisation est le
produit de la frustration et résulte d’attentes déçues productrices de violence ;
pour d’autres, comme W. Kornhauser, ce sont les sociétés de masse qui
mènent à ces mobilisations irrationnelles, l’isolement social et la dislocation
des structures collectives produisant une « population aliénée », prête à se
mobiliser. À partir de cette dernière conception, on a ainsi voulu voir, à tort,
dans le nazisme le résultat d’une société de masse atomisée : en réalité, la
mobilisation hitlérienne passe davantage par l’intermédiaire de groupes
cohérents d’action collective ; de manière plus générale, elle présuppose le
maintien, et non la disparition, des groupes primaires et secondaires,
structures essentielles à travers lesquelles elle se construit.
Tournant le dos aux théories atomistiques et irrationnelles de l’action
collective, on s’intéresse désormais au contraire à leur dimension rationnelle,
résultant de l’engagement intentionnel des acteurs ; dans ce sens, l’action
collective ne repose plus sur l’irrationnel mais bien sûr le choix rationnel.
C’est Mancur Olson qui a contribué à cette remise en question à travers le
paradigme du billet gratuit. À ses yeux, dans les groupes larges, un individu
rationnel se garde de participer à une action collective car le coût personnel
(en temps, argent, risques divers, etc…) sera toujours trop élevé d’autant plus
qu’il bénéficiera en toute hypothèse des bénéfices collectifs produits par la
mobilisation des autres. Si chacun se tient ce raisonnement logique, il n’y aura
pas de mobilisation. Olson souligne pourtant qu’un certain nombre d’acteurs
pouvant espérer une redistribution de biens personnels (nominations à des
emplois dans les partis ou les syndicats, etc.) ont intérêt à pousser à la mise en
œuvre de la mobilisation, l’exemple du closed shop imposé par les syndicats
illustrant cette participation obligatoire à l’action favorable au renforcement
du pouvoir d’une élite interne au syndicat ou au parti. L’école de la
mobilisation des ressources nous permet donc de nous éloigner de la
psychologie sociale au profit d’un regard économique ou sociologique sur
l’action collective.
Si nombre des critiques d’Olson, tel A. Pizzorno, ont rejeté ce modèle en
soulignant le caractère essentiel de la dimension proprement éthique menant à
l’engagement, en estimant dès lors que c’est dans le cadre d’une relation
sociale que l’on entend maintenir car elle fonde la cohérence de la
personnalité que l’on s’engage dans l’action, en terme de morale, avec les
autres, on s’est surtout livré, de nos jours, à un approfondissement des thèses
d’Olson en s’efforçant de les contourner tout en suivant une logique très
proche. McCarthy et Zald ont dans ce sens structuré cette interprétation en
terme de mobilisation des ressources, en se penchant sur l’organisation des
mouvements sociaux facilitant une diminution du coût de l’action, l’industrie
du mouvement social (SMI) regroupant toutes les organisations de
mouvement social attachées à la satisfaction d’un même ensemble global de
préférences, caractéristiques d’un mouvement social déterminé, tandis que le
secteur des mouvements sociaux (SMS) comporte toutes les industries de ce
type dans une même société. Comme le souligne François Chazel en reprenant
leur propre expression, Zald et McCarthy « remettent ainsi Olson sur ses
pieds », en démontrant que le mouvement social suit lui aussi une stratégie de
groupe d’intérêt, parvenant ainsi à dépasser le paradoxe d’Oslon. Dans le
même sens, A. Obershall met l’accent sur l’organisation de type
communautaire ou associatif du groupe qui se mobilise, celui-ci y parvenant
lorsqu’il se trouve en situation de segmentation, d’éloignement, vis-à-vis du
centre, du pouvoir, de l’État. Charles Tilly a contribué pour sa part à insérer le
rôle du politique et de l’État dans cette discussion en soulignant que les
mouvements en lutte font face à des gouvernements auxquels ils ont ou non
accès. Dès lors, le processus politique dépend, comme l’avancent aussi bien
D. McAdam qu’Herbert Kitschelt, de « la structure des chances politiques »
dans le cadre duquel il se déroule. Cette redécouverte du politique est
fondamentale puisqu’elle permet d’assurer une liaison entre la sociologie de
l’action collective et la sociologie comparée de l’État.
→ apolitisme, conflits (Théorie des), individualisme méthodologique,
mobilisation politique, Olson (paradigme d’)
BIRNBAUM P. et LECA J. (dir.), Sur l’individualisme, Paris, Presses de la
FNSP, 1986 ; CAFAÏ D., Pourquoi se mobilise-t-on ? Les théories de l’action
collective, Paris, La Découverte, 2007 ; CHAZEL F., Action collective et
mouvements sociaux, Paris, PUF, 1993 ; CHAZEL F., « Mouvements sociaux »,
in BOUDON R. (dir.), Traité de sociologie, Paris, PUF, 1992 ; TARROW S.,
Power in Movements : Social Movements, collective Action and Mass politics
in the Modern state, Cambridge University Press, 1994 ; MANN P., L’Action
collective, Paris, A. Colin, 1991 ; NEVEU E., Sociologie des mouvements
sociaux, Paris, La Découverte, 1996 ; OLSON M., La Logique de l’action
collective, Paris, PUF, 1978 ; MC ADAM D. et al., Comparative perspectives on
social movements, Cambridge University Press, 1996 ; TRAUGOTT M. (ed.),
Repertoires and cycles of collective action, Durham, Duke University Press,
1995.
ACTION PUBLIQUE

Le terme d’action publique remplace de nos jours souvent la notion de


politique publique car elle prend davantage en considération l’ensemble des
acteurs qui interviennent au cours du processus de prise de décision : par-delà
le rôle de l’État et des autorités qui agissent sur les politiques publiques à
travers un processus top down (par le haut), on met désormais l’accent sur
l’action collective bottom up (par le bas) qui résulte de l’intervention des
organisations et des réseaux, de nombreux acteurs individuels et collectifs se
mobilisant afin d’agir sur l’élaboration de la décision. Le déclin de l’État
réduirait sa capacité de régulation : ainsi, à différents niveaux, les acteurs de la
société entreraient dans des processus de négociation horizontaux de
coordination et d’interpénétration. Ces réseaux d’acteurs s’organisent aussi au
niveau transnational pour peser sur l’action publique. La mise en œuvre de la
mobilisation des acteurs détermine, dans cette perspective, un processus de
décision, tout autant et sinon davantage que l’action unilatérale des élites de
l’État d’autant plus que ce dernier serait également fragmenté en un grand
nombre d’agences rivales. Initiées souvent par des « entrepreneurs de
morale » (H. Becker), ces actions dans « l’arène » publique définissent un
nouvel enjeu dont la résolution s’impose aux autorités. Ainsi récemment, en
France, les « Enfants de Don Quichotte » ont su nommer (naming), mettre en
cause (blaming) et enfin revendiquer (claiming) en imposant la
reconnaissance d’un problème public qui implique une action en faveur des
sans-logis dont la cause a été imposée sur l’agenda gouvernemental en
franchissant les nombreux filtres de façon à être enfin entendu. De telles
analyses remettent donc en question la prédominance de l’État qui, en France
par exemple, durant les Trente glorieuses, a su autrefois imposer à la société
des décisions fondamentales bouleversant la société française.
CULPEPPER P., HALL P., PALIER B. (dirs.), La France en mutations. Paris,
Presses de Sciences Po, 2006 ; DURAN P., Penser l’action publique, Paris,
LGDJ, 1999 ; HASSENTEUFEL P., To change or not to change ? Les
Changements de l’action publique à l’épreuve du terrain, Rennes, PUR,
2002 ; LASCOUMES P., LE GALÈS P., Sociologie de l’action publique, Paris,
A. Colin, 2007.

ADMINISTRATION PUBLIQUE
Le développement, inégal mais universel, du fait administratif est une
caractéristique spectaculaire des deux derniers siècles écoulés. Entamée en
France dès la fin de l’Ancien Régime, la croissance des effectifs des agents
publics s’est poursuivie tout au long du XIX siècle pour s’amplifier aux
e

lendemains du premier conflit mondial et connaître une nouvelle accélération


après la Seconde Guerre mondiale jusqu’à la relative, mais probablement
durable, stabilisation dans la décennie quatre-vingt. Les secteurs les plus
marqués par cette augmentation des effectifs auront été l’éducation nationale,
le maintien de l’ordre, la santé publique et l’équipement, mais aussi, avec des
chiffres absolus plus modestes, la magistrature et les administrations centrales.
Les mêmes tendances se sont manifestées dans la plupart des États modernes,
mais avec des décalages chronologiques et des particularismes liés au rôle de
l’État dans la société.
Le phénomène a suscité des débats politiques et idéologiques intenses
(critiques virulentes de la bureaucratie ou de la technocratie versus
idéalisations du service public) mais aussi un remarquable développement des
analyses savantes de l’action publique. Sur ce terrain, deux angles d’attaque
principaux pour l’étude de l’administration publique apparaissent privilégiés.
Le premier est celui des rapports centre-périphérie au sein de
l’administration elle-même. Il est de tradition en effet de distinguer
administrations centrales et administrations territoriales, et d’apprécier leur
poids respectif dans le fonctionnement de l’État au sein de la société civile.
C’est ainsi qu’on a pu opposer au modèle britannique qui correspondrait à un
État faible, favorisant l’échelon local, un modèle français d’État fort reposant
sur une centralisation beaucoup plus importante des services (cf. Badie et
Birnbaum).
En France, les ministères sont organisés en directions : plus de 170 au total.
Certains (Environnement, Culture) moins étoffés en effectifs n’en comptent
que quelques-unes, d’autres parfois près d’une douzaine (aux Finances on
citera par exemple : la direction du Budget, du Trésor, de la Comptabilité
publique, la direction générale des Impôts, les Relations économiques
extérieures, etc.). Les directions sont divisées en sous-directions, elles-mêmes
subdivisées en bureaux. Le rôle de ces administrations centrales est d’abord
d’assister les ministres, c’est-à-dire le pouvoir politique, en leur préparant des
dossiers, notes et documents où ils puiseront les informations nécessaires à
l’analyse des problèmes puis à la prise de décisions. Leur rôle est aussi
d’assurer l’exécution des mesures législatives ou réglementaires adoptées, soit
directement en exerçant un pouvoir de directive, soit indirectement en
contrôlant l’action des organes inférieurs qui en sont chargés. Dans
l’accomplissement de leurs missions, les services des administrations
centrales sont fréquemment confrontés aux interventions des membres des
cabinets ministériels. Ce sont des collaborateurs personnels du ministre qui
suivent, pour son compte, les affaires relevant de la compétence des diverses
administrations. Ils sont eux-mêmes généralement issus de l’administration
mais choisis discrétionnairement sur des critères qui incluent souvent la
fidélité politique. Il peut donc s’ensuivre quelques tensions entre
fonctionnaires de l’administration centrale et membres de ces cabinets, sans
parler de la tentation de jeunes hauts fonctionnaires, issus de la même
administration centrale, d’accélérer leur carrière en entrant directement dans
l’entourage personnel du ministre, grâce à leurs amitiés ou leurs affinités
politiques. Par ce biais apparaît le difficile problème de la politisation de la
haute administration.
L’administration territoriale (c’est-à-dire ici non centrale) est traversée par
un clivage essentiel qui oppose les services déconcentrés de l’État (appelés
services extérieurs) et les administrations des collectivités locales
décentralisées. Dans le premier cas, les services régionaux, départementaux, et
leurs subdivisions éventuelles à un niveau inférieur, sont de simples
prolongements sur le terrain des administrations centrales de chacun des minis
tères. Ainsi existe-t-il des directions régionales et départementales de
l’Équipement, de l’Environnement, de l’Agriculture, etc. Dans un but de
coordination de l’action gouvernementale, le préfet, représentant de l’État,
exerce directement son autorité sur ces services ; ceux-ci ne doivent donc pas
en principe entrer directement en relation avec leur ministère respectif, c’est-
à-dire sans en référer d’abord au préfet. À cette règle, qu’il est parfois
nécessaire de rappeler, il n’existe que deux exceptions au profit des officiers
supérieurs, responsables d’une circonscription militaire, et des recteurs
d’académie dans l’éducation nationale.
L’autre volet de l’administration territoriale est constitué par les services
placés sous la seule autorité hiérarchique des autorités locales, à savoir le
maire ainsi que, depuis 1982, le président du Conseil général, exécutif du
département, le président du Conseil régional, et l’exécutif des DOM/TOM.
Cette administration décentralisée est d’une importance variable selon la taille
des collectivités (notable dans les grandes villes et agglomérations,
négligeable dans les plus petites villes). Elle possède aussi une structure
fonctionnelle qui reflète la répartition des compétences entre les échelons
régionaux et départementaux (importance par ex. des cellules d’analyse
économique au niveau de la région, des services d’exécution dans le domaine
de la santé au niveau départemental). Les administrations décentralisées ne
sont en principe soumises qu’à un contrôle dit de tutelle de la part de l’État.
Dans la réalité, il peut exister de nombreuses formes de collaboration,
formelle ou informelle, entre les deux formes d’administration, décentralisée
et déconcentrée, comme il en existe entre les autorités locales et les divers
représentants du pouvoir central. Ce sont ces réseaux de pouvoir et
d’influence réciproques que Pierre Grémion a analysés dans son ouvrage Le
Pouvoir périphérique (Le Seuil, 1976).
L’administration publique mérite également d’être analysée non plus d’un
point de vue interne mais dans ses relations avec l’environnement extérieur.
Trois débats majeurs ont dominé les deux décennies passées. Le premier
concerne l’assujettissement de l’administration à l’État de droit. Cela suppose
que la légalité des décisions administratives puisse être examinée par un juge
indépendant et impartial. En France et dans quelques autres pays, cette tâche
est confiée à une juridiction administrative. Cela suppose aussi l’absence
d’arbitraire dans l’accès à la fonction publique. Dans les démocraties libérales,
les procédures de recrutement et de déroulement des carrières sont depuis
longtemps bien codifiées, mettant en œuvre une combinaison du principe de
l’égalité entre les candidats et la prise en considération de la compétence et du
mérite. D’où, en France, l’importance qu’a depuis longtemps acquise le
concours. Les problèmes nouvellement posés ont concerné surtout la
transparence de l’action de l’administration. Dans quelle mesure la règle du
secret, qui protège dans certains cas l’intérêt public, notamment dans les
questions sensibles de Défense ou de sécurité, porte-t-elle inconsidérément
atteinte aux droits fondamentaux des citoyens soit en tant qu’usagers des
services publics, soit en tant qu’agents de l’administration, soit même en tant
que simples individus ? Depuis la loi du 17 juillet 1978, des textes sont venus
renforcer le droit de communication des pièces administratives concernant des
personnes privées (fichiers informatisés soumis au contrôle de la CNIL), ou
des procédures publiques (enquêtes préalables à des travaux publics ou des
expropriations).
Le second débat a conduit à s’interroger sur les relations de pouvoir et
d’influence qui se nouent entre administration, experts extérieurs et groupes
d’intérêts désireux de prendre en charge les demandes ou les exigences de
secteurs particuliers de la société. Il existe en effet de constantes interactions
qui s’établissent soit à travers des rapports informels (consultations de
personnalités qualifiées ou, en sens inverse, lobbysme auprès des services
ministériels), soit dans des lieux institutionnalisés : groupes d’études et
comités mixtes d’experts, commissions officielles à compétence consultative,
etc. Deux catégories principales de raisons justifient la mise en place de ces
liens. L’administration, confrontée à des problèmes d’une haute technicité,
comme cela peut être le cas, par exemple, en matière de fiscalité des
entreprises, de commerce international, de surveillance des activités
dommageables à l’environnement, a elle-même intérêt à compléter son
information en recourant à des sources qui lui donnent des éclairages
techniques qu’elle n’est pas en mesure d’acquérir par elle-même. Bien
entendu cela fait surgir le risque de voir l’administration dépendre
excessivement de données établies en dehors de son contrôle, voire en vue de
la manipuler. L’autre catégorie de raisons qui poussent à l’établissement de
ces liens entre l’administration et des partenaires extérieurs (experts ou
groupes d’intérêts) est le souci d’anticiper les réactions de ceux dont dépend la
mise en œuvre optimale de la réglementation préparée ou décidée. Les
services administratifs, par un dialogue permanent avec des partenaires
extérieurs représentatifs, deviennent mieux à même d’identifier attentes et
résistances ; ils risquent moins, le moment venu, au stade de l’exécution des
mesures prises, de se trouver désorientés par des manifestations de mauvaise
volonté, des refus de coopération, ou même des formes de désobéissance
civile.
L’évolution contemporaine de ces interactions constantes entre les
responsables politiques, la haute administration et des partenaires extérieurs
représentatifs, a conduit certains auteurs à proposer pour en rendre compte le
concept de néo-corporatisme. Quelles que soient les critiques susceptibles
d’être adressées à cette analyse, elle a le mérite de souligner vigoureusement
combien l’administration est partie prenante dans ce que Catherine Grémion a
appelé « le milieu décisionnel central » qui articule en un système d’action
intégré les dirigeants politiques, l’administration et les multiples groupements
représentatifs. Dans cette configuration, l’administration n’est pas l’outil
purement passif de préparation ou d’exécution des décisions au service des
politiques : elle « inspire » en partie leurs choix et pèse efficacement sur la
manière dont ils sont mis en œuvre. De même n’est-elle pas insensible aux
informations et pressions qui lui arrivent de l’extérieur. L’administration
secrète ses propres logiques de fonctionnement mais elle n’est pas un monde
clos (ce que manifeste bien d’ailleurs le « pantouflage » qui affecte les
sommets de sa hiérarchie en direction de la politique ou du secteur privé).
Le troisième débat concerne la question de l’évaluation des politiques
publiques, c’est-à-dire l’appréciation d’une bonne adéquation entre les
moyens mis en œuvre et les résultats atteints. De nouveaux critères de
jugement ont été mis en place qui dépassent la simple prise en considération
de la légalité de l’action administrative et celle de l’opportunité de ses
interventions, telle qu’elle est classiquement appréciée par le juge
administratif. L’efficacité de l’administration se juge aussi à l’aune de
paramètres socio-économiques et financiers mais aussi de critères
d’acceptabilité sociale de ses modes d’intervention, d’où la multiplication de
procédures de consultation des usagers en amont de la décision proprement
dite (par ex. dans le cas où la protection des équilibres écologiques est en
cause).
→ centralisation, corporatisme, fonctionnaires, décentralisation,
management public, néo-corporatisme, politiques publiques
BODIGUEL J.-L., QUERMONNE J.-L., La Haute Fonction publique sous la
V République, Paris, PUF, 1993 ; BURDEAU F., Histoire de l’administration
e

française. Du XVIII au XX siècle, Paris, Montchrestien, 1994 ; CHEVALIER J.,


e e

Science administrative, Paris, PUF, 2007 ; DELAMARRE M., L’Administration et


les institutions administratives, Paris, La Docu mentation française, 2008 ;
GOHIN O., Institutions administratives, Paris, LGDJ, 2006 ; MÉNY Y.,
Politique comparée, Paris, Montchrestien, 2004 ; OBERDORF H., Les
institutions administratives, Paris, Sirey, 2006 ; ROUBAN L., La Fonction
publique, Paris, La Découverte, 2004.

AFFAIRES COURANTES (GOUVERNEMENT D’)

Quand un gouvernement, responsable devant une assemblée parlementaire,


est contraint de démissionner parce qu’il n’a plus sa confiance, on pourrait
penser qu’il perd immédiatement toutes ses prérogatives constitutionnelles.
Mais avant qu’un nouveau gouvernement soit formé, il s’écoule
éventuellement un certain laps de temps pendant lequel on imagine mal une
interruption totale du processus de décision à la tête de l’État. La notion
d’affaires courantes est donc née de la nécessité de sortir d’une contradiction
entre deux principes : d’un côté celui de la continuité de l’État et des services
publics, de l’autre la responsabilité politique du gouvernement.
Concrètement, lorsque le chef du gouvernement remet sa démission au
Président de la République, celui-ci le charge d’« expédier les affaires
courantes » en attendant la formation du nouveau cabinet. En France, sous la
IV puis la V République, deux conceptions se sont dégagées à partir de la
e e

pratique politique suivie, mais aussi des arrêts de principe du Conseil d’État
(19 oct. 1962, Brocas) qui l’ont contrôlée. Ce peuvent être des affaires en
cours, de faible signification politique, qui concernent le fonctionnement
quotidien des services administratifs (engagements de crédits, tableaux
d’avancements…). Ce peuvent être aussi des décisions dictées par l’urgence,
parfois alors fort importantes, notamment dans les domaines monétaire et
diplomatique.
La notion d’affaires courantes ne revêt pas la même signification selon la
nature du régime politique ou les circonstances de la chute du gouvernement.
Sous la IV République les crises étaient fréquentes et pouvaient durer près
e

d’un mois voire davantage ; en revanche l’exécutif était faible par rapport au
Parlement. Il fallait donc bien que les gouvernements agissent mais en évitant
prudemment, autant que faire se pouvait, toute décision politique majeure.
Sous la V République au contraire, lorsque Georges Pompidou fut censuré par
e

l’Assemblée nationale en octobre 1962, son maintien en fonction par le chef


de l’État, accompagné d’une dissolution de la Chambre, lui permit en fait de
se comporter comme un premier ministre exerçant toutes ses prérogatives,
jusqu’aux résultats des élections législatives des 18 et 25 novembre suivants.
Il n’y a donc pas d’affaires courantes par nature, mais des nécessités
politiques et techniques.
→ gouvernement, parlement

AFFIRMATIVE ACTION

→ discrimination positive

AFRIQUE
« L’africanisme politique » ne couvre pas l’ensemble du continent africain
qui est une entité purement géographique, mais la seule Afrique subsaharienne
dont l’homogénéité et l’exceptionalité peuvent déjà poser problème. Au-delà
de la diversité des peuplements, du type de colonisation, des économies et des
religions, des similitudes peuvent pourtant être postulées dans les modes
d’énonciation, de construction et de pratique du politique, reposant sur des
structures sociales comparables, une temporalité assez communément
partagée, un rapport à l’histoire et aux modèles occidentaux assez largement
assimilés.
Plutôt que d’un paradigme unique et commun, on peut faire état de construc
tions scientifiques successives, à la faveur desquelles l’Afrique a été présentée
comme l’objet privilégié du développementalisme (cf. les travaux d’Almond
et Coleman ou d’Apter), puis du postdéveloppementalisme (cf. l’analyse des
systèmes politiques africains à travers le prisme du néo-patrimonialisme)
avant de susciter, en France, une école assez fortement homogène, privilégiant
l’étude de la « politique par le bas », celle des « modes populaires d’action
politique » et, au-delà des structures institutionnelles formelles, la prise en
compte des réseaux multiples structurant les espaces sociaux et des
trajectoires politiques inscrites dans la longue durée.
L’apport conjugué de l’anthropologie politique (cf. Balandier, Evans-
Pritchard), de la politique comparée et de la sociologie politique a mis en
évidence l’irréductibilité de l’État importé aux histoires et aux pratiques
sociales africaines. Cette tension contribue à expliquer autant la faible
légitimité du système politique officiel que le déficit d’allégeance citoyenne
dont celui-ci tend à souffrir. Elle rend compte, par là même, de la
reconstruction d’autres formes de solidarité dont la réinvention du tribalisme,
le réinvestissement du sacré ou l’essor des réseaux sociaux informels sont les
expressions les plus courantes. C’est aussi dans cette perspective que doivent
être dépassées les visions trop simples d’un « autoritarisme de sous-
développement » ou des transitions démocratiques à ménager.
→ anthropologie politique, développement politique,
patrimonialisme/néo-patrimonialisme
BAYART J.-F., L’État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard,
1989 ; COLLIER P., The Bottom Billion. Why the poorest countries are failing
and what can be done about it, Oxford, Oxford University Press, 2007 ;
COULON C., MARTIN D. (éd.), Les Afriques politiques, Paris, La Découverte,
1990 ; MÉDARD J.-F. (éd.), Les États d’Afrique noire, Paris, Karthala, 1992 ;
NUGENT P., Africa since Independence. A Comparative History, Basingstoke,
Palgrave Macmillan, 2004 ; YOUNG C., The African Colonial State in
Comparative Perspective, New Haven, Yale University Press, 1994 ; ainsi
que, de façon générale, la Revue politique africaine.

AGENDA POLITIQUE

Métaphore dont l’usage « scientifique » semble avoir été inauguré aux


États-Unis au cours des années 1970, notamment par Juan J. Linz à propos de
la gestion des crises des démocraties européennes pendant l’entre-deux-
guerres. Au sens le plus général, ce mot désigne la dimension – assez négligée
– de la temporalité dans l’exercice de la politique. Dans un sens plus précis et
presque technique, il se rapporte au processus en vertu duquel des thèmes,
problèmes ou enjeux jusqu’alors plus ou moins refoulés ou latents se
transforment en objets du débat politique. On dit dans cette perspective que
telle question – par exemple le mariage homosexuel – se trouve inscrite
désormais à l’agenda politique. Vu autrement, il s’agit aussi bien du processus
par lequel un organe ou des responsables politiques établissent la liste des
demandes qui leur sont adressées ou celle des contraintes qu’il leur faut
surmonter, en l’ordonnant dans le temps au regard des bénéfices politiques à
escompter ou des risques encourus. La surcharge prévisible de l’agenda en
même temps que les contradictions entre les attentes économiques, sociales,
politiques ou symboliques qu’il recèle imposent des choix tactiques et même
stratégiques. Tout ne peut pas se faire à la fois, et il apparaît même que les
satisfactions octroyées à un secteur entraînent presque mécaniquement
l’insatisfaction d’autres secteurs. Les priorités ainsi définies, de même que les
impasses qu’elles impliquent, esquissent ainsi les grands traits de toute
politique publique, gouvernementale, régionale ou locale, s’agissant aussi bien
des options courantes d’une autorité quelconque que des choix primordiaux
effectués par exemple dans la période fondatrice d’un nouveau régime (dans
le cas des transitions démocratiques notamment). On aboutit ainsi à un
deuxième agenda, cette fois « décisionnel », qui énonce la chronologie des
priorités qui seront réellement Traitées.
Ce concept doit également se comprendre dans le sens inverse : celui des
efforts déployés par quelque acteur ou groupe que ce soit afin d’obtenir
l’inscription de sa demande ou la prise en compte de ses intérêts dans l’agenda
d’un gouvernement, d’un ministère, d’une collectivité territoriale ou de toute
autre institution relevant de l’État. Il s’agit alors, pour chacun, de forcer sa
place dans l’agenda d’une politique publique afin d’en tirer des ressources,
dans le cas aussi bien d’une catégorie professionnelle que d’un syndicat, une
association, une ville ou d’ensembles beaucoup plus vastes tels que des
courants religieux, des groupes ethniques ou des familles idéologiques.
En outre, les agendas publics ne sont jamais uniques. Plusieurs peuvent se
disputer la prééminence au plus haut niveau, cependant qu’il existe de
multiples agendas, souvent des plus contradictoires, propres à chacune des
nombreuses instances de l’État ou, encore, à chacun des partis qui constituent
une majorité de gouvernement ou aux divers clans qui s’affrontent au sein
d’un régime autoritaire. D’où un jeu complexe entre demandeurs rivaux et
décideurs divisés, qui tisse en fait la trame de la dynamique politique en tous
lieux.
→ politiques publiques
GÉRARD PH., L’Accélération du temps juridique, Bruxelles, Facultés
universitaires Saint-Louis, 2000 ; KINGDON J. W., Agendas, Alternatives and
Public Policies, New York, Harper-Collins, 1993 ; KOSELLECK R., Le Futur
passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, Paris, Éd. de
l’EHESS, 1990 [1979] ; LINZ J. J., « Les contraintes temporelles de la
démocratie », pp. 13-41 in : SANTISO J. (dir.), À la recherche de la démocratie.
Mélanges offerts à Guy Hermet, Paris, Karthala, 2002 ; ORDESHOOK P. C.,
SCHWARTZ T., « Agenda and the control of political outcomes », American
Political Science Review (81), 1987 ; SANTISO J., SCHEDLER A., « Democracy
and Time », International Political Science Review 19 (1), January 1998.

AGRARIEN

→ empire : empires agrariens, partis politiques : partis agrariens

ALIÉNATION POLITIQUE

En dépit de son flou philosophique ou plutôt grâce à lui, ce concept a connu


une certaine faveur dans le débat intellectuel dès le début du XIX siècle et
e
jusqu’au deuxième tiers du XX siècle. Dans la pensée de Hegel, l’aliénation
e

apparaissait comme une sorte de « scission » entre l’existence concrète de


l’individu et ce qu’il se représente comme Idéal à partir de sa conscience
éclairée par la Raison. En d’autres termes, elle est déperdition de son
existence par rapport à son essence.
Reprenant cette notion à son compte, le jeune Marx va s’attacher à en
développer les potentialités en procédant successivement à une critique des
aliénations religieuse, politique puis économique. Dans La Question juive
(1844), Marx opposait le statut de citoyen, « membre imaginaire d’une
souveraineté fictive », à la réalité concrète des travailleurs situés dans des
rapports de classes qui les oppriment. Contrairement à Hegel, il voyait
l’aliénation non comme un manque par rapport à une essence mais comme
une mutilation des potentialités des hommes concrets, privés, dans la société
capitaliste, du contrôle véritable de ce par quoi ils doivent se réaliser : leur
travail productif. Si, pour le jeune Marx, l’aliénation trouvait donc son origine
dans les rapports économiques, sa suppression devait constituer le véritable
objectif politique des révolutionnaires (cf. Manuscrits économico-
philosophiques de 1844).
Le concept d’aliénation a suscité de vives controverses au sein même de la
tradition marxiste. En effet, dans ses œuvres de la « maturité » Marx
abandonne presque totalement cette problématique, et ce lexique, pour y
substituer celle de l’exploitation. On en voit bien les avantages et usages
politiques. Alors que l’aliénation est un concept philosophique fluide,
l’exploitation peut, selon l’auteur du Capital, être définie scientifiquement.
Surtout peut-être, elle est plus mobilisatrice politiquement puisqu’elle permet
de séparer clairement deux camps : les exploiteurs qui extorquent la plus-
value, et les exploités qui n’ont que leur force de travail à vendre.
On comprend dès lors pourquoi les philosophes marxistes demeurés
attachés à la problématique de l’aliénation (de Gyorgy Lukacs, auteur de
Histoire et conscience de classe 1923, à Henri Lefebvre en passant par le
polonais Adam Schaff) sont restés relativement isolés au sein du mouvement
communiste international. Au contraire la tradition léniniste orthodoxe n’a
voulu raisonner qu’en termes d’exploitation de l’homme par l’homme. Louis
Althusser s’est efforcé de disqualifier les textes du jeune Marx en proposant sa
fameuse théorie de la « coupure épistémologique ». Les œuvres de jeunesse,
axées autour de la triade : essence humaine/aliénation/travail aliéné, seraient
encore toutes pénétrées d’idéalisme bourgeois tandis que les travaux ultérieurs
constitueraient une véritable rupture révolutionnaire en introduisant un
nouveau système de questions centré sur la triade : modes de
production/rapports de production/forces productives (cf. Lire le Capital,
1965).
L’extraordinaire mais éphémère fortune du concept d’aliénation, dans les
années 1960, s’explique par deux facteurs conjugués. D’une part le marxisme
officiel des partis communistes occidentaux était à la recherche de concepts
œcuméniques favorisant de nouvelles alliances politiques. C’est ainsi qu’était
mis en avant le thème de l’« Humanisme intégral » dont serait porteur, « par
dépassement », le projet communiste, héritier des humanismes chrétiens et
laïques. D’autre part, sous l’influence du freudisme, une autre vision de
l’aliénation s’est développée qui fait de l’individu un être
constitutionnellement étranger à lui-même, du fait de l’inaccessibilité de son
inconscient. Herbert Marcuse, parmi d’autres, s’est emparé de cette
thématique en lui donnant une portée résolument politique. L’homme
« unidimensionnel » se trouve, selon lui, doublement aliéné, en tant que
producteur et consommateur, dans une société marchande qui exacerbe le
fétichisme des objets et, par sa séduction, lui interdit de penser en termes de
refus de la rationalité dominante. À quoi Guy Debord, puis Raoul Vaneigem,
ajouteront une critique acerbe de la « société du spectacle » qui ne cesse de
proposer d’illusoires satisfactions des désirs (cf. Le Mouvement du libre esprit,
1986).
Problématique tendanciellement antiéconomiste et antiautoritaire,
l’aliénation a fortement pâti du reflux des visions idéalistes du combat
politique à partir du milieu de la décennie soixante-dix. Aujourd’hui, elle
semble n’avoir plus d’intérêt qu’historique.
→ MARXISME
BOTTIGELLI E., DOMENACH J.-M., LEFEBVRE H., L’Aliénation, mythe ou
réalité ?, Paris, Raison présente, 1967, vol. 3 ; CALVEZ J.-Y., La Pensée de
Karl Marx, Paris, Seuil, 1956 ; LABICA G., Dictionnaire critique du marxisme,
Paris, PUF, 1982.

ALTERMONDIALISME

Courant anti-mondialiste paradoxalement « mondialisé », représentant une


nouvelle forme de militantisme de gauche ou d’extrême- gauche apparue à
partir des années 1990 et véritablement configuré sur la scène publique lors de
la réunion de l’OMC tenue à Seattle en novembre 1999. Par la suite, le
mouvement s’est manifesté à l’occasion de chaque grand forum international
(Davos, G7 ou G8, sommets européens, réunions de l’OMC, du FMI ou de la
Banque mondiale). Très éclatés et internationalisés, rebelles aussi aux
structures rigides un peu à la manière des noyaux anarchistes, les
altermondialistes envisagent en effet un développement en réseau reposant sur
une logique planétaire peu tournée vers le niveau national, mais rapportée en
général à des actions locales résolument pragmatiques, concrètes et directes.
La banalisation de l’accès au World Wide Web a beaucoup contribué à leur
expansion. Ce mouvement est parti d’une part du Brésil, dans le cadre du
Forum social mondial de Porto Alegre et de l’appui qui lui fut donné au début
par le Parti des travailleurs de Luiz Inacio Da Silva (Lula), d’autre part des
initiatives nées notamment dans la gauche alternative de France (José Bové) et
d’Italie (dans la ligne du Parti radical de Panella par exemple).
L’altermondialisme n’a qu’une doctrine floue, qui l’apparenterait presque à
celle d’un courant populiste, faite d’hostilité au « néo-libéralisme »
économique, de pacifisme, de défiance envers les partis, d’exaltation
compensatoire d’une forme idéale de démocratie participative et de soutien
aux causes « indigénistes » (ainsi s’agissant des forts liens existant entre
l’altermondialisme et l’EZLN du sous-commandant Marcos, défenseur des
indiens du Chiapas au Mexique). Toujours comme le populisme, il se
caractérise également par son sens poussé de la mise en scène médiatique
(grandes manifestations agitées de Seattle, Gênes…). Ses militants ont des
origines diverses, bien que leur recrutement se centre particulièrement sur la
« jeunesse instruite ».
→ anarchisme, Démocratie Directe, Démocratie Participative,
indigénisme, libéralisme, militantisme, mondialisation, partis politiques,
populisme
AGRIKOLIANSKI E., FILLIEULE O., MAYER N. (dirs.), L’Altermondialisme en
France. La longue histoire d’une nouvelle cause, Paris, Flammarion, 2005 ;
AGRIKOLIANSKI E., SOMMIER I., Radiographie du mouvement altermondialiste,
Paris, La Dispute, 2005 ; HERMET G., Les Populismes dans le monde, Paris,
Fayard, 2001 ; ION J., FRANGULADAKIS S., VIOT P., Militer aujourd’hui, Paris,
Éd. Autrement (CEVIPOF), 2005.
ALTERNANCE POLITIQUE

Chassé-croisé entre l’opposition et la majorité au pouvoir, dans le respect


des règles constitutionnelles en vigueur, elle est étroitement liée au
fonctionnement des régimes pluralistes. Elle manifeste, de façon claire, la
capacité d’intervention du corps électoral dans le choix des gouvernants et,
par là même, atteste l’existence des libertés publiques et politiques. De même
l’acceptation de cette règle par les partis, en cas d’échec électoral, signale leur
acquiescement au credo démocratique.
Cependant, en pratique, il est des démocraties pluralistes qui ignorent
l’alternance en se contentant de majorités permanentes à géométrie variable.
Pour l’essentiel ce fut le cas sous la III et la IV République, de même qu’en
e e

Italie jusqu’à 1994. Pour se concrétiser, elle suppose en effet un bipartisme de


type britannique ou, du moins, une bipolarisation des forces politiques
(V République).
e

Une alternance peut avoir une signification restreinte s’il n’existe pas
d’alternative, c’est-à-dire de réelles différences entre les programmes de la
majorité et de l’opposition. Elle se réduit alors à un changement des équipes,
lequel se prolonge parfois dans la fonction publique par des mouvements de
grande échelle (spoil system américain). Au contraire si s’affrontent des
projets de société radicalement antagonistes, la perspective de l’alternance est
de nature à faire monter la tension et, à la limite, capable de déstabiliser la
démocratie. Ainsi le gouvernement Algérien qui avait préféré annuler les
élections de 1991 plutôt que de reconnaître la victoire du Front islamique du
Salut s’est-il trouvé confronté ensuite à de graves difficultés.
→ démocratie, régimes politiques
QUERMONNE J.-L., L’Alternance au pouvoir, Paris, PUF, 1996.

AMENDEMENT (DROIT D’)

Prérogative reconnue aux membres du Parlement de proposer des


modifications à un projet ou une proposition de loi. Il est la conséquence
logique du pouvoir de légiférer reconnu aux représentants du peuple.
Néanmoins, en pratique, pour éviter les possibles enlisements du débat
parlementaire (par obstruction ou par démagogie), pour éviter aussi l’adoption
quasi clandestine de dispositions sans rapport avec l’enjeu principal de la
discussion (cavaliers législatifs), il est toujours réglementé, et parfois
sévèrement, notamment en matière financière (art. 40 de la constitution
française).
CARCASSONNE G., La Constitution, « Article 44 », Paris, Seuil, 2009.

AMÉRIQUE LATINE

L’histoire moderne de l’Amérique latine illustre ce que peuvent être des


dynamiques politiques en quelque sorte orphelines. L’Amérique latine ne
connaît plus que l’un de ses parents : l’Europe, ou bien son excroissance nord-
américaine. En revanche, elle ne sait plus qui est son autre ancêtre, amérindien
en principe, mais complètement effacé dans ses traits réels, tout au plus
réinventé au regard de clichés non moins européens que ceux qu’ils
prétendent contester. Ce constat fait que, si l’Amérique hispanophone aussi
bien que le Brésil relèvent jusqu’à un certain point du concept d’État
périphérique, l’idée d’hybridation d’un modèle politique extérieur doit s’y
comprendre de manière restrictive. D’entrée de jeu, l’Amérique latine s’est
nourrie entièrement de l’importation d’éléments européens sélectionnés aux
fins de la colonisation, pour cette raison souvent en voie d’extinction dans la
Péninsule ibérique elle-même. De plus, si une acclimatation s’est produite,
elle n’a pas débouché sur une combinaison syncrétique associant divers
apports culturels. Les contraintes du milieu ont fait, simplement, que le
modèle importé mais pas étranger pour autant est devenu l’objet d’une
interprétation de plus en plus païenne au regard de la rationalité européenne.
Ainsi, la persistance secrète du régime des castes transmis par l’Espagne
aux XVI et XVII siècles se traduit toujours par le maintien d’une sorte
e e

d’apartheid mental dans les sociétés latino-américaines pluriethniques à forte


présence indienne ou afro-américaine (les pays de peuplement européen
homogène de l’extrême-sud échappant seuls à ce phénomène). De même, le
sens de la rationalité bureaucratique-légale tel que l’entend Max Weber ou le
principe occidental de l’individualisme égalitaire s’infléchissent fortement
sous l’impact d’un système de valeurs toujours régi par le primat –
méditerranéen à l’origine – de la personne réelle et de son insertion
hiérarchisée dans une communauté concrète. L’égalité juridique, l’anonymat
et l’abstraction de la loi ne servent qu’à refouler les demandes des individus
sans influence ou sans appui. En revanche, les personnes détentrices d’une
position ou d’une protection dans leur milieu échappent aux limitations
légales. Ceci n’est évidemment pas sans influer sur ce que peuvent être la
conception et l’exercice de la citoyenneté démocratique dans les sociétés
latino-américaines.
Une autre distorsion s’observe au niveau de la transformation en Amérique
latine du libéralisme européen. L’idéologie des Lumières a touché ses élites et
fourni l’argument de leur lutte contre la domination coloniale. Par la suite, les
doctrines libérales ont inspiré les splendeurs d’innombrables constitutions
presque mot à mot. Toutefois, le libéralisme s’y est interprété de façon peu
orthodoxe dans l’action politique et sociale. Après les indépendances des
années 1820-1830, il a débouché sur le rejet non seulement de l’État colonial
mais de toute forme d’administration centralisée. Débarrassées de la tutelle
des fonctionnaires ibériques, les oligarchies créoles ont pratiqué le libéralisme
à l’état pur. Elles ont privatisé le pouvoir souverain, en lui laissant le soin de
percevoir les droits de douane et de négocier les emprunts à l’étranger, mais
en se réservant à elles-mêmes le monopole de la dépense publique ainsi que
celui de l’usage légitime de la force dans leurs fiefs respectifs. Cette logique
libérale du dépérissement de l’État poussée à son comble s’est inscrite dans le
développement à partir de 1850 de régimes parlementaires et constitutionnels
de pure façade, fondés en fait sur des élections truquées et sur ce que l’on a
appelé l’« accord entre gentlemen » (les membres les plus influents de
l’oligarchie). Elle a correspondu aussi à la comédie de simulacres de
bipartisme – les conservateurs et les libéraux ou les « blancs » et les
« rouges » – qui reflétaient la rivalité pour le pouvoir de la vieille élite
terrienne cléricale et d’une nouvelle élite plus marchande, avide de
s’approprier le domaine foncier de l’Église.
Il faut ajouter que cette dynamique libérale s’est mariée paradoxalement à
un exercice autoritaire du pouvoir vis-à-vis des masses. Les patriciens ont créé
puis régi leurs réseaux clientélistes d’une main de fer. De leur côté, les
caudillos d’extraction plus populaire du XIX et du XX siècles – jusqu’au
e e

président Duvalier en Haïti ou à la dynastie Somoza au Nicaragua – ont


incarné une autorité despotique pourtant acceptée dans un contexte où se
mêlaient le respect dû au patriarche et la familiarité reconnaissante à son
égard. La logique clientéliste de la politique latino-américaine procède de ces
deux sources.
La propension de l’Amérique latine au populisme dérive également de ces
logiques fondatrices. Doctrine et ressource de discours ou de pouvoir plutôt
que mouvement populaire comme le populisme agrarien de l’Europe ou de
l’Amérique du Nord, celui des leaders charismatiques latino-américains à la
manière du Brésilien Getulio Vargas ou de l’Argentin Juan Peron se
caractérise le plus typiquement par l’exaltation d’une référence plébéienne à
des fins qui demeurent fondamentalement conservatrices, en particulier en ce
qui concerne le maintien de la grande propriété foncière (la gesticulation
populiste ne s’adressant guère qu’aux masses ouvrières des villes). Certes, le
leader populiste cultive sa figure de caudillo opposé à l’ordre oligarchique et à
la corruption de la « fausse » démocratie électoraliste. Mais lui-même provient
souvent de l’oligarchie, comme Vargas, et il se préoccupe surtout de rajeunir
ses bases de pouvoir compte tenu du discrédit dans lequel le suffrage et les
élus sont tombés. Tout au plus faut-il noter l’apparition de régimes populistes
d’orientation véritablement réformiste et favorables à la Réforme agraire,
comme celui animé par l’armée péruvienne après 1968. Et il convient de
souligner, également, l’originalité du régime autoritaire mexicain en vigueur
depuis 1917, lui aussi fondé sur la récupération depuis le sommet d’une
revendication populaire de participation politique et de dignité sociale, mais
dépourvu de toute connotation charismatique liée à la prééminence d’un chef
providentiel.
L’Amérique latine s’est caractérisée longtemps, enfin, par la fréquence de
ses gouvernements militaires, voire par cette sorte de cycle fatal qui a semblé
y déterminer longtemps l’alternance presque mécanique de régimes
représentatifs faibles puis de démocraties impuissantes et de dictatures
martiales qui prétendaient créer les conditions d’une démocratisation enfin
viable en refaçonnant les bases sociales du jeu politique et en développant la
puissance nationale sous l’égide d’un État fort dominé par l’exécutif. Les
militaires latino-américains ont pris, dans cette perspective, le contre-pied du
populisme, sous l’influence plus ou moins consciente d’un préjugé positiviste
qui posait le primat de la prospérité économique sur la légitimité politique
abstraite. La version ultime de ce projet maintes fois tenté a été théorisée par
Guillermo O’Donnell dans le cadre de son modèle de l’autoritarisme
bureaucratique militaire. Celui-ci s’applique à des dictatures exercées par
l’armée en tant qu’institution majeure de l’État – et non plus par un général
faiseur de coup d’État –, qui s’assignent un objectif de modernisation
économique et sociale tout en s’efforçant d’esquiver le danger de subversion
révolutionnaire suscité par le changement et mal contrôlé par la démagogie
des régimes populistes. Plus tard, O’Donnell nuancera son modèle, en
admettant que la stratégie de modernisation de l’État bureaucratique
autoritaire peut s’incarner également dans un pouvoir civil fort ou dans un
gouvernement en voie de démilitarisation. Nées en général des « transitions »
des années 1980, les jeunes démocraties présentes font suite à ce passé en
même temps qu’elles le transcendent sans cesser de subir certaines pesanteurs
anciennes s’agissant, en particulier, d’une inégalité économique et culturelle
extrême, de la marginalisation des paysans sans terre, et autrement de la
tentation populiste ou des obstacles qui subsistent face à la consolidation
d’une rationalité juridique et administrative véritable.
→ caudillisme, clientélisme, populisme, régimes politiques : Régimes
Autoritaires ; Régimes Militaires ;
BADIE B., HERMET G., La Politique comparée, Paris, A. Colin, coll. « U »,
2001 ; DEZALAY Y., GARP B. G., La Mondialisation des guerres de palais : la
restructuration du pouvoir d’État en Amérique latine, entre notable du droit et
« Chicago Boys », Paris, Seuil, coll. « Liber », 2002 ; DABÈNE O., L’Amérique
latine à l’époque contemporaine, Paris, A. Colin, coll. « Cursus », 2006 ;
COLLIER B., COLLIER D., Shaping the Political Arena. Critical Junctures, the
Labor Movement, and Regime Dynamics in Latin America, Princeton,
Princeton University Press, 1991 ; DA MATTA R., Carnaval, bandits et héros,
Paris, Seuil, 1982 ; ROUQUIÉ A., Amérique latine, Paris, Seuil, 1988 ;
SANTANDER S., Globalisation, gouvernance et logiques régionales dans les
Amériques, Paris, L’Harmattan/ULB, 2005 ; SANTISO J., Amérique latine,
Paris, Autrement, 2005 ; The Political Economy of Emerging Markets. Actors,
Institutions and Financial Crisis in Latin America, Basingstoke, Palgrave
Macmillan, 2003.

ANARCHISME

L’anarchisme est une doctrine qui postule que les gouvernements aussi bien
que toutes les formes d’autorité sont imposés artificiellement et sans nécessité
véritable aux sociétés humaines qui pourraient et devraient s’organiser sans
recours à quelque appareil coercitif que ce soit. C’est, également, un
mouvement qui a rassemblé les adeptes de cette doctrine à partir des
années 1860 et jusqu’à nos jours. En raison même de son idéologie
antiautoritaire, le mouvement anarchiste s’est refusé à toute organisation
centralisée ou simplement efficace, en prenant le contre-pied « libertaire » des
tendances « autoritaires » de Marx, plus encore du modèle léniniste
d’organisation du prolétariat hérité en fait de la tradition bureaucratique de la
social-démocratie allemande. De façon parallèle, le courant anarchiste s’est
voulu apolitique, en tout cas étranger aux partis même ouvriers, en raison
également de son rejet de tout objectif de conquête d’un État dont il ne visait
que la destruction (les anarchistes préconisent l’abstention électorale, dans la
mesure où ils n’attachent pas de valeur particulière à l’État démocratique).
L’anglais Godwin (1793) apparaît comme l’un des précurseurs de
l’anarchisme, bien que Proudhon ait été le premier théoricien social à s’en
réclamer explicitement. Par la suite, il devient l’un des deux grands courants
de la pensée révolutionnaire du dernier tiers du XIX et du début du XX siècle,
e e

en concurrence avec le marxisme. Avec Michel Bakounine qui joue un grand


rôle dans la fondation (1869) de la I Internationale avant de s’en trouver
re

évincé par Marx (1872), l’anarchisme prend un tour collectiviste face à la


tendance mutualiste et respectueuse de la petite propriété privée défendue par
Proudhon. L’idée, assez utopique, d’un ordre régi par la libre volonté de
coopération des individus cède alors la place – avec les « socialistes
révolutionnaires » – à celle d’une fédération complexe de collectifs de
production ignorant les frontières nationales et se structurant plutôt au niveau
régional (influence d’Élysée Reclus et de Kropotkine). Puis le mouvement se
radicalise dans les années 1880-1890, sous l’inspiration de Malatesta en
particulier, provoquant la rupture entre les adeptes de la violence terroriste qui
suivent celui-ci et ceux d’une conception à la fois syndicaliste et éducative de
l’anarchisme fondée sur le primat pacifiste des solidarités vécues.
La diffusion effective de l’anarchisme dans le milieu ouvrier a été
spécialement grande en Espagne (Catalogne et Andalousie surtout), en Russie
(avec les nihilistes puis les socialistes révolutionnaires), en Ukraine, dans
l’Italie du Sud, au Portugal, en Suisse (horlogers de La-Chaux-de-Fonds) ainsi
que dans le syndicalisme français des origines ou dans la fraction
révolutionnaire des mouvements ouvriers nord-américain (IWW) et argentin
jusque vers 1910. Son impact a fortement décliné après la révolution russe de
1917, sauf en Espagne où les libertaires de la Fédération anarchiste ibérique
(FAI) et les anarcho-syndicalistes de la Confédération nationale du travail
(CNT, fondée en 1911) ont conservé une influence dominante face aux
socialistes et aux communistes jusqu’à la guerre civile de 1936-1939. Depuis
lors, le courant anarchiste ne subsiste plus que pour mémoire dans la gauche
ouvrière révolutionnaire. Certains analystes ont inscrit son expansion dans un
premier mode d’industrialisation disséminée et caractérisée par la culture d’un
prolétariat de petits ateliers, cependant que le socialisme marxiste aurait
constitué à leurs yeux la forme d’organisation adaptée aux grandes
concentrations industrielles.
→ altermondialisme, anarcho-syndicalisme, autogestion, syndicats
BAKOUNINE M., La Liberté (Choix de textes), Paris, J.-J. Pauvert, 1965 ;
GUÉRIN D., L’Anarchisme, Paris, Gallimard, 1965 ; PRÉPOSIET J., Histoire de
l’anarchisme, Paris, Tallandier, 1993.

ANARCHO-SYNDICALISME

Courant devenu dominant au sein de l’anarchisme après la faillite de sa


tendance violente au cours des années 1880-1890. Il pose le primat de la
logique syndicale face à l’action politique ou partisane dans le développement
du mouvement ouvrier et l’émergence d’une société décentralisée, libre de
toute forme de coercition étatique et fondée avant tout sur l’autogestion des
unités de production.
L’idéologie de l’anarcho-syndicalisme procède pour l’essentiel de la pensée
de Michel Bakounine. Toutefois, celui-ci ne se configure en tant que
mouvement cohérent qu’au début du XX siècle. À partir de ce moment et
e

jusqu’en 1914, les anarcho-syndicalistes français influencent de façon


décisive les orientations de la Confédération générale du travail (CGT). En
Espagne, ils jouent un rôle plus éminent encore au sein de la Confédération
nationale du travail, dont ils conservent le contrôle face aux socialistes et aux
communistes jusqu’à la guerre civile de 1936-1939. De plus, les Espagnols
sont les seuls à avoir mis leur doctrine en pratique dans les zones, les villages
ou les entreprises soumis à leur tutelle au cours de ce conflit (en particulier
dans les usines de Barcelone ou dans les exploitations agricoles collectivisées
de Catalogne, de l’Aragon et de la région de Valence). Par ailleurs, l’influence
de l’anarcho-syndicalisme s’est fait sentir aussi aux États-Unis avec les
International Workers of the World (IWW), en Italie avec l’Unione Sindicale
Italiana (USI) et en Amérique latine, particulièrement au sein de la
Federación Obrera de la Región Argentina (FORA). Avant 1914, elle s’est
manifestée également dans le courant britannique du « socialisme des
guildes » – guild socialism –, bien que celui-ci se soit réclamé parallèlement
de la tradition des corporations médiévales.
Globalement, l’anarcho-syndicalisme érige les syndicats en organismes
centraux de l’action politique et des transformations sociales dans la
perspective d’une rupture révolutionnaire fondée en même temps sur une prise
de conscience progressive de leur pouvoir par les masses populaires. De ce
fait, il se présente à la fois comme un projet d’organisation et comme le
vecteur d’une nouvelle éthique de la responsabilité à diffuser dans l’ensemble
de la société. Il ne se manifeste plus après 1918 qu’en Espagne, en Italie et en
Argentine, et ne subsiste à présent qu’à l’état de courant minoritaire au sein de
certains syndicats européens.
→ anarchisme, autogestion, syndicats

ANTHROPOLOGIE POLITIQUE

Branche de l’anthropologie culturelle, appliquée à l’observation directe des


relations de pouvoir, de l’exercice de l’autorité et des conflits dans la vie
sociale. L’anthropologie politique s’est intéressée surtout aux sociétés sans
État ou sans institutions de commandement, ou encore à l’Afrique (G.
Balandier), aux pays en développement ou aux régions « attardées » de
l’Europe méridionale (Banfield). Cependant, depuis les années 1960 surtout,
au regard spécialement de travaux consacrés aux sources du nationalisme
(E. Gellner), aux identités ethniques, aux liturgies politiques, voire
simplement à l’observation du comportement des élites dirigeantes
(M. Abélès), son champ s’étend également et de plus en plus aux sociétés
avancées.
→ Afrique, culture, ethnicité, identité politique, liturgie politique,
modernité, nationalisme, segmentaires (sociétés), tradition
ABÉLÈS M., L’Échec en politique, Paris, Éd. Circé, 2004 ; Un ethnologue à
l’Assemblée, Paris, Odile Jacob, 2000 ; « Mises en scène et rituels
politiques », Hermès (8-9), 1991 ; BALANDIER G., Anthropologie politique,
Paris, PUF, 1967 ; BANFIELD E., The Moral Basis of a Backward Society,
Glencoe (Illinois), The Free Press, 1958 ; BAYART J.-F., L’État en Afrique,
Paris, Fayard, 1989 ; BEN-AMOS A., Funerals, Politics and Memory in Modern
France (1789-1996), Oxford, Oxford University Press, 2000 ; DARVICHE M.-
S., « L’horizon ethnique de la modernité. La sociologie d’Anthony D.
Smith », Revue Internationale de Politique Comparée (7) 1, 2000 : 203-234 ;
LEWELLEN T., Political Anthropology, South Hadley (Mass.), Begin & Garvey,
1983 ; de façon générale, la Revue politique africaine.

ANTICLÉRICALISME

Hostilité de nature politique (ou religieuse, sociale) exprimée à l’encontre


d’un clergé et d’une Église instituée, accusés d’exercer une influence néfaste
et indue sur un État ou une société, ou encore une religion. Logiquement,
l’anticléricalisme ne devrait s’exprimer que dans ce cas précis, c’est-à-dire
face à une Eglise organisée telle que l’Église catholique romaine, l’Église
anglicane, ou encore orthodoxe, et face aussi à un clergé « consacré », soit à
des prêtres au sens propre, revêtus du privilège de la fonction sacerdotale (ce
qui explique qu’il ait été spécialement fort dans les pays catholiques
justement). Ainsi les pasteurs des confessions protestantes réformées, de
tradition calviniste, qui ne sont pas des prêtres mais de simples prédicateurs et
professionnels de l’interprétation des Écritures, ne devaient pas se trouver en
butte à l’anticléricalisme. Il n’empêche que si l’Islam, le bouddhisme ou
l’hindouisme, notamment, ne relèvent pas d’une Église ainsi définie, leur
personnel pourtant non « consacré » peut susciter une hostilité assez proche du
sentiment anticlérical (s’agissant par exemple d’oulémas musulmans sunnites,
d’ayattollas chiites, ou de moines bouddhistes ; ajoutons que la situation du
clergé Shinto, au Japon, est intermédiaire).
→ catholicisme et politique, religion et politique
SCHAPIRO J. S., Anticlericalism : conflict between church and state in
France, Italy and Spain, Princeton, Princeton University Press, 1967 ;
RÉMOND R., L’Anticléricalisme en France de 1815 à nos jours, Paris, Fayard,
1976.

ANTISÉMITISME

L’antisémitisme trouve son origine dans plusieurs sources. La plus ancienne


est indiscutablement d’inspiration catholique : depuis des siècles, la même
accusation de peuple déicide a été portée par les chefs de l’Église et ses
penseurs les plus éminents ; le refus de la reconnaissance de Jésus, sa mise à
mort font longtemps des juifs, aux yeux des catholiques socialisés à une
doctrine de haine, un peuple d’errants porteurs de tous les péchés. Et il faut
attendre l’époque la plus récente pour voir des catholiques s’engager dans le
combat philosémite, ces accusations étant finalement levées et le contenu des
prières, modifié. Ce refus catholique et plus largement chrétien joue un rôle
crucial dans les violences exercées à l’encontre des juifs, depuis les Croisades
jusqu’à l’Inquisition ainsi qu’aux diverses mobilisations antisémites à travers
l’histoire, depuis les pogromes de Russie, à la fin du siècle dernier, jusqu’aux
actions violentes des Ligues dans la France de l’affaire Dreyfus. Dans
l’imaginaire catholique, les juifs sont accusés de crime rituel, d’enlèvements
d’enfants catholiques, de culte satanique, de manipulation perverse de
l’argent, etc.
Ce dernier point se retrouve également dans l’antisémitisme populiste
alimenté aussi bien par Proudhon, Leroux ou Fourier que par…Marx lui-
même et divers courants de l’Internationale communiste contemporaine. À
chaque fois, les juifs sont accusés de monopoliser les richesses, de contrôler le
gros capital, d’exploiter les bons travailleurs ; du coup, ils apparaissent
comme les agents privilégiés de la Grande-Bretagne ou des États-Unis et ne
peuvent qu’être traîtres au mouvement ouvrier. Dans ce sens, l’antisémitisme
a joué un rôle non négligeable dans les procès de Moscou ainsi que dans ceux
qui se déroulent dans les diverses démocraties populaires. Et, en France
même, un Jaurès lui-même comme un Jules Guesde commencent par douter
de la culpabilité de Dreyfus supposé vendu au capital et trahissant la France
républicaine. Cet antisémitisme populiste renforce aussi l’antisémitisme
catholique social et intégriste.
De manière paradoxale, les juifs sont également perçus comme de
dangereux révolutionnaires qu’il convient d’éliminer ; leur cosmopolitisme les
disposerait à s’engager dans les luttes révolutionnaires qui menacent l’identité
culturelle spécifique des diverses sociétés. Ainsi, dans cette démonologie qui
ne recule devant aucun paradoxe, ils incarnent à la fois de cupides capitalistes
et de redoutables révolutionnaires. Cette dernière dimension est aussi à
l’origine d’un antisémitisme proprement politique, les juifs étant accusés de
vouloir s’emparer du pouvoir politique pour y imposer une sorte de
« République juive » aussi bien dans la France contemporaine que dans la
République de Weimar ou encore, dans la Russie ou dans la Pologne
d’aujourd’hui. D’autres éléments multiples et parfois contradictoires
renforcent l’antisémitisme, tel l’accusation de constituer une race particulière,
de présenter par conséquent des spécificités physiques, etc. Notons enfin que
l’antisionisme contemporain a aussi souvent revêtu des traits proprement
antisémites.
→ race/racisme
BIRNBAUM P., Un mythe politique, « La République juive », Paris, Fayard,
1988 ; KATZ J., From Prejudice to Destruction. Antisemitism, 1700-1933,
Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1980 ; KERZER D. (ed.), Old
Demons. New Debates. Antisemitism in the West, Holmes and Meir, 2005 ;
MATARD-BONUCCI A.-M. (dir.), Antisémythes. L’image des juifs entre culture et
politique, Paris, Nouveau Monde, 2005 ; MARVIN P., SCHWEITEN F. (eds.),
Antisemitism and hate, New York, Palgrave, 2003 ; POLIAKOV L., Histoire de
l’antisémitisme, de Voltaire à Wagner, Paris, Calmann-Lévy, 1968.

APOLITISME

Il est essentiel de distinguer deux formes différentes de ce système


d’attitudes. Il existe tout d’abord un apolitisme passif qui s’analyse en fait
comme une indifférence des gouvernés, c’est-à-dire un degré zéro d’attention
et d’intérêt à la scène politique, ses acteurs, ses débats, ses règles de
fonctionnement. Cette indifférence peut résulter de causes variées :
éloignement physique, fossé culturel qui nourrit l’ignorance, déception
politique, repli sur des préoccupations purement privées ou professionnelles,
etc. Toutes, néanmoins, renvoient au sentiment d’une distance décisive par
rapport aux enjeux du pouvoir politique.
Cette indifférence n’est pas pour déplaire aux dirigeants d’oligarchies
autoritaires qui voient ainsi facilité l’exercice de leur pouvoir. En revanche
elle est combattue, avec la plus grande énergie, par les régimes totalitaires
soucieux d’une perpétuelle mobilisation des masses autour du chef ou du
parti-guide. Quant aux démocraties pluralistes, elles fondent sans doute leur
légitimité sur un idéal de participation ; mais une politisation trop générale et
trop intense des citoyens fait surgir des menaces pour leur stabilité.
L’indifférence politique n’est véritablement dangereuse que si elle débouche
sur un fort abstentionnisme électoral. Or les enquêtes attestent que près de la
moitié des citoyens qui votent en France admettent s’intéresser « peu » ou
« pas du tout » à la politique. Ils constituent probablement un fort élément de
modération de la vie politique.
Il existe également un apolitisme actif c’est-à-dire une attitude revendiquée
de soustraire certains problèmes ou certains domaines aux luttes partisanes et
aux enjeux politiques. Une première illustration concerne des questions
touchant à la Défense, la diplomatie, l’ordre public lorsqu’elles paraissent
engager des intérêts vitaux et font surgir un large consensus par-delà les
frontières partisanes. Une seconde illustration a trait à l’administration
publique. Inégalement puissante selon les pays, une forte tendance s’est
néanmoins partout imposée, dans les démocraties contemporaines ; soit celle
qui a maintenu les hauts fonctionnaires à l’écart des luttes politiques, en les
protégeant par un statut qui les a tenus à une certaine obligation de réserve.
En connexion avec cette volonté de circonscrire le champ des luttes
politiques mais la débordant largement, s’est constituée une idéologie du
management « scientifique ». Privilégiant la dimension technique ou
économique des problèmes à résoudre, elle tend à considérer la politique en
termes négatifs comme étant le règne des passions, de l’incompétence ou de la
démagogie. Cet apolitisme technocratique se faisait volontiers
antiparlementaire dans l’entre-deux-guerres. Aujourd’hui, plus modéré et plus
discret, il inspire de larges couches des milieux économiques dirigeants,
notamment au niveau européen.
→ abstentionnisme, politisation
BRAUD PH., Le Jardin des délices démocratiques, Paris, Presses de la
FNSP, 1991 ; DI PALMA G., Apathy and Participation, New York, The Free
Press, 1970 ; HERMET G., Le Peuple contre la démocratie, Paris, Fayard,
1989 ; HIRSCHMAN A., Bonheur privé, action publique, Paris, Fayard, 1983 ;
PERRINEAU P. (dir.), L’Engagement politique. Déclin ou mutation ? Paris,
Presses de la FNSP, 1994 ; RANGER J., « Les Français s’intéressent-ils à la
politique ? » in L’Électeur en questions, Paris, Presses de la FNSP, 1991 ;
SCHWEISGUTH E., « Dépolitisation » in PERRINEAU P., REYNIE D., Dictionnaire
du vote, Paris, PUF, 2001.

APPARENTEMENTS

Disposition du droit électoral qui influence le mode de répartition des


sièges dans un système de scrutin plurinominal. Les listes qui se déclarent
apparentées (politiquement proches en principe) vont être considérées comme
un bloc dans le calcul de la majorité. Ainsi, d’après la loi française du
9 mai 1951, si des listes apparentées obtenaient ensemble la majorité absolue
des voix dans la circonscription départementale, elles se partageaient seules la
totalité des sièges au prorata des suffrages qu’elles avaient respectivement
obtenus. L’objectif était de garantir une majorité aux partis dits de la troisième
force face à la puissance électorale des gaullistes et des communistes. On
conçoit qu’elle ait suscité de vives protestations.
→ élection

ARISTOCRATIE

Au sens classique du terme, et en particulier chez Aristote, l’aristocratie


désigne un régime politique au sein duquel le pouvoir revient à un petit
nombre d’hommes qui en font usage dans l’intérêt de tous. Cette acception est
tombée en désuétude, le concept étant présentement utilisé soit pour désigner
le Second Ordre – la noblesse – dans l’Ancien Régime, soit, de façon plus
courante et moins rigoureuse, pour désigner les catégories privilégiées de la
société.
→ élitistes (théories), pouvoir, régimes politiques

ASIE ORIENTALE

Ensemble géographique s’étendant des frontières orientales de l’Iran


jusqu’à l’Extrême-Orient et dominé par l’interaction entre trois pôles
impériaux (l’Empire du Japon, l’Empire chinois et les Empires indiens
successifs). L’unité – toute relative – de cet ensemble tient d’abord à des
considérations religieuses et culturelles qui ont entretenu cette interaction :
religions indiennes qui se sont diffusées vers l’Insulinde où elles ne subsistent
que très minoritairement ; bouddhisme né dans la plaine du Gange et qui
irradia vers les royaumes de l’Asie du Sud-Est, vers la Chine, puis vers le
Japon ; confucianisme né de l’histoire chinoise et qui s’étend vers l’Archipel
nippon pour rencontrer le culte du shintô. L’islam, venant de l’ouest, s’est peu
à peu imposé comme autre composante culturelle notamment en Inde (dont il
détermina la partition de 1947), dans certaines régions méridionales de la
Chine et surtout en Malaisie et en Indonésie.
Les recherches politiques contemporaines menées en France sur l’Asie
orientale prennent en compte les problèmes du communalisme et de la
mobilisation revivaliste en Inde (cf. C. Jaffrelot), les incertitudes liées au
fonctionnement de la démocratie indienne (cf. M. Zins), la nature du
totalitarisme et du post-totalitarisme en Chine (cf. C. Aubert, S. Balme, J.-L.
Domenach), les débats autour des effets de l’occidentalisation du système
japonais (cf. Van Wolferen, Sautter) ainsi que celui alimenté par la croissance
des NPI (« nouveaux pays s’industrialisant »), c’est-à-dire la Corée, Taiwan,
Singapour, Hong-Kong, encore appelés « Petits Dragons ».
→ empire, totalitarisme
BALME S., Entre soi. L’élite du pouvoir dans la Chine contemporaine,
Paris, Fayard, 2004 ; DOMENACH J.-L., Comprendre la Chine d’aujourd’hui,
Paris, Perrin, 2007 ; JAFFRELOT CH., Inde : la démocratie par la caste, Paris,
Fayard, 2005 ; VAN WOLFEREN K., L’Énigme de la puissance japonaise, Paris,
Laffont, 1989.

ASIE DU SUD-EST

→ Asie orientale

ASSEMBLÉE NATIONALE

→ parlement

ASSIMILATION

Ce terme désigne le processus par lequel des acteurs en viennent à partager


les normes et les valeurs d’une société en rejetant leur propre culture.
L’assimilation à la française a été menée à bien dès la Révolution française,
dans une perspective jacobine extrême, l’Abbé Grégoire souhaitant, par
exemple, la disparition entière des patois. Les hussards noirs de la République
que sont les instituteurs ont prolongé ce processus sous la III République sous
e

le contrôle vigilant de l’État. À l’encontre des sociétés pluralistes telles les


États-Unis ou encore la Suisse et les Indes, la France a mené le plus loin cette
assimilation qui, davantage que l’intégration, suppose une grande
homogénéisation des citoyens même si certains historiens comme Jean-Paul
Chanet en ont montré les limites. Aux États-Unis, le grand respect des
cultures, la conception hyphenate de l’identité à trait d’union qui légitime la
pluralité des appartenances a mené aux théories multiculturalistes
contemporaines ainsi qu’aux pratiques de l’affirmative action qui prend en
compte l’identité culturelle dans l’attribution des emplois ou des admissions à
l’Université. Les excès de la politique différentialiste ont provoqué une remise
en question du multiculturalisme et suscitent, de nos jours, un certain retour
vers les théories de l’assimilation, plus favorables à la survie d’un espace
public commun. On en vient de manière croissante à critiquer toute forme de
revendication ethnique en affirmant la nécessité, pour les nouveaux
immigrants, de s’assimiler aux valeurs générales de la société dans laquelle ils
ont choisi de venir. De même, en France, de nos jours, certains revendiquent
un droit à l’indifférence en s’opposant au droit à la différence dans la
perspective d’une conception exigeante de la citoyenneté républicaine.
ALBA R., NEE V., Remaking the American Mainstream : Assimilation and
the New Immigration, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 2003 ;
CHANET J.-P., L’École républicaine et les petites patries, Paris, Aubier, 1996 ;
BRUBACKER R., « The return of assimilation. Changing perspective on
immigration and its sequels in France, Germany and the United States »,
Ethnic and Racial Studies, 24 juillet 2001.

ATTITUDES POLITIQUES

→ comportement politique

AUSTROMARXISME

École marxiste « déviationniste », fondée en 1888 par un petit cercle de


théoriciens au Congrès du Parti social-démocrate autrichien tenu à Hainfeld.
Ce courant qui, de 1907 à 1934, s’est exprimé en particulier dans la revue Der
Kampf (Le combat), a été condamné par la Seconde Internationale en raison
de ses positions sur la « question nationale ». Il s’agissait de positions
déterminées à l’origine par le contexte spécifique de l’Empire austro-hongrois
finissant, reconnaissant largement les aspirations des multiples « nationalités »
qui s’y trouvaient rassemblées, mais inscrivant politiquement cette
reconnaissance dans un système de double citoyenneté, l’une référée à l’État
impérial dans son ensemble ; l’autre correspondant à chaque « nationalité »
pour les questions culturelles et l’éducation en particulier. L’originalité de
l’austromarxisme tient à ce qu’il n’enferme pas les citoyennetés nationales
spécifiques dans un cadre territorial, à l’inverse par exemple du modèle
espagnol présent des Communautés autonomes. Il préfigure de la sorte la
citoyenneté multiculturelle en la dépassant d’ailleurs sur certains points. Ses
théoriciens majeurs ont été Otto Bauer, longtemps maire de Vienne, et Karl
Renner, devenu président de la Seconde République autrichienne en 1945.
→ ethnicité, marxisme, multiculturalisme, nation, Nationalisme,
nationalisme libéral, nationalitaires (mouvements), nationalité
BAUER O., La Question des nationalités et la social-démocratie, Paris, EDI,
1988, vol. 2 ; BOURDET Y., Otto Bauer et la Révolution, Paris, EDI, 1968.

AUTOCONTRAINTE

Pour Norbert Elias, le processus de civilisation des mœurs qui travaille


l’Occident depuis sept siècles tend à substituer au contrôle social qui
s’exerçait par la violence physique directe un apprentissage de la « retenue »
dans les comportements, inculqué par l’éducation. L’illustration la plus
célèbre, étudiée par lui, concerne la progressive transformation en courtisans
des chevaliers épris de prouesses au combat (curialisation des guerriers). Non
sans violence symbolique se met ainsi en place une autocontrainte qui favorise
l’assujettissement à la loi et l’acceptation de sa légitimité en dehors d’un
recours permanent à la force.
→ socialisation politique, violence symbolique
ELIAS N., La Dynamique de l’Occident, Paris, Agora, 1990 [1939].

AUTOGESTION

Le terme désigne la prise en charge directe et exclusive par ses membres du


fonctionnement et de la direction d’une cellule de la vie collective, à quelque
niveau que ce soit, aussi bien à celui d’une entreprise isolée, d’une entité à
finalité non-économique qu’à l’échelle d’un pays tout entier. L’idée est
ancienne. Elle se réclame faussement de la démocratie de la Grèce antique,
mais procède surtout de Fourier, Proudhon, des utopies sociales du XIX siècle, e

de l’idéologie des coopératives ouvrières, des conceptions anarchistes et aussi


de Marx, par dérivation de sa théorie du dépérissement de l’État au stade
d’achèvement de la société communiste. Toutefois, le mot lui-même n’est
devenu d’usage courant comme vocable du langage politique plutôt que
comme concept d’analyse qu’au début des années 1960, sous l’influence du
prestige acquis alors par l’expérience politique, économique et sociale de la
Yougoslavie du maréchal Tito après sa rupture avec l’Union soviétique.
D’ailleurs est-il la traduction littérale du vocable serbo-croate qui s’applique à
cette expérience (Samoupravlje). Ce n’est que par la suite que, dans les pays
occidentaux, il s’est appliqué principalement à la gestion des entreprises en
devenant le thème central de courants socialistes minoritaires en France
notamment (PSA puis PSU). Il a figuré aussi au programme de la CFDT.
Emprunté aux théoriciens du contrat social et en particulier à Rousseau, son
axiome fondamental est l’égalité des personnes, qui implique l’instauration
d’un ordre nouveau abolissant toute coupure formelle entre la masse des
dirigés et les dirigeants. L’idée est, dans cette perspective, celle d’une société
totalement autogérée et sans État. Dans la pratique cependant, il ne s’est
réalisé en Yougoslavie, ainsi que dans quelques zones de l’Espagne
républicaine pendant la guerre, que sous la forme de collectifs d’ouvriers qui
désignaient un comité de gestion et un directeur d’entreprise véritablement
chargés de sa gestion.
→ anarchisme, anarcho-syndicalisme, syndicats
BOURDET Y., GUILLERM A., L’Autogestion, Paris, Seghers, 1977.

AUTONOMIE

Terme dont l’usage se révèle flou et polysémique en science politique. Il


s’emploie ainsi dans l’expression « autonomie » ou « autonomisation de
l’État », pour désigner l’émergence d’un pouvoir central capable de
poursuivre ses propres fins et de préserver ses intérêts propres, en particulier
dans l’analyse marxiste qui distingue de la sorte cet État autonome de celui
qui resterait soumis à la volonté de certains groupes ou d’une classe
dominante. Il est parfois question aussi d’acteurs sociaux, d’acteurs politiques
ou d’Électeurs autonomes, s’agissant d’agents réputés obéir à un strict calcul
de rationalité dans leurs choix collectifs ou individuels.
Toutefois, le mot s’entend le plus ordinairement et précisément dans une
acception institutionnelle ou constitutionnelle référée au mode d’exercice de
l’administration locale ou régionale dans le cadre de la relation entre un
pouvoir central et des pouvoirs périphériques. Dans une perspective
minimaliste usitée en France en particulier, le concept d’autonomie locale
s’applique ainsi à l’étendue – des plus mesurées – des compétences
normatives ou exécutives concédées aux collectivités territoriales de toutes
espèces (commune, département, région). En revanche, dans une autre
perspective plus récente et ambitieuse, ce même terme identifie en fait des
arrangements institutionnels qui concernent les compétences non seulement
administratives mais proprement légales et quasiment gouvernementales
attribuées constitutionnellement à des provinces, de vastes régions, voire à des
« pays » non souverains.
L’autonomie désigne dès lors le degré élevé d’autogouvernement dont
jouissent de vastes unités territoriales qui demeurent cependant insérées à la
lettre dans le cadre d’un État unitaire et non point fédéral. Les compétences
internes des régions autonomes s’étendent ainsi en Espagne, dans le cadre de
la Constitution de 1978, aux domaines de l’éducation primaire et secondaire,
aux travaux publics, à la police, à la radio et à la télévision, au système
hospitalier, à la protection sociale et à d’autres champs encore. Elles sont
également très importantes en Italie, en particulier dans les régions de statut
dérogatoire telles que la Sicile ou le Val d’Aoste. À ce niveau, l’autonomie se
rapproche du fédéralisme, à la différence près que si les communautés
autonomes espagnoles, par exemple, disposent de facultés assez analogues à
celles des provinces de la fédération canadienne, elles ne se voient reconnaître
aucune souveraineté propre alors que des États ou cantons fédérés possèdent
au contraire la souveraineté ultime dont le pouvoir fédéral ne bénéficie que
par délégation dans le cadre de ses compétences explicitement délimitées.
Il faut ajouter que l’autonomie ne constitue quelquefois que le premier pas
vers l’indépendance, ainsi dans le cadre des ter ritoires de l’ancienne Union
française. Ou bien elle ne représente qu’un pis-aller pour des « pays » qui
aspirent à une reconnaissance complète de leur souveraineté (cas du Pays
Basque en Espagne) ou qui ambitionnent d’acquérir un statut proprement
fédéral (statut obtenu en 1993 par les communautés flamandes et wallonnes de
Belgique).
→ État, partis politiques : Partis autonomistes
BIDÉGARAY C. (dir.), L’État autonomique, forme nouvelle ou transitoire en
Europe ?, Paris, Economica, 1994 ; RITAINE E., « Territoire et politique en
Europe du Sud », Revue française de science politique, 44 (1), février 1994.
AUTORITAIRE

L’adjectif pris isolément ne peut que désigner dans les termes les plus
vagues un style de conduite ou un tempérament politique. Il ne revêt le statut
de concept taxonomique qu’associé au terme de régime (régime autoritaire),
ou encore au regard de l’échelle d’attitudes de la « personnalité autoritaire ».
→ dictatures, régimes politiques : régimes autoritaires
AUTORITAIRE (PERSONNALITÉ). Notion issue des travaux d’un disciple de
Freud du nom de Paul Federn (1871-1950). Le psychologue social Theodor
Adorno, de l’École de Francfort, réfugié aux États-Unis, s’en est inspiré pour
créer à la fin de la Seconde Guerre mondiale une échelle d’attitudes de la
personnalité autoritaire (Authoritarian personality) testée dans les camps de
prisonniers allemands à la demande de l’armée américaine. Cet ensemble de
quatre échelles référées au conservatisme, à l’antisémitisme, à
l’ethnocentrisme et à l’adhésion au régime nazi visait à l’origine à détecter le
« potentiel fasciste » chez les soldats captifs. L’ensemble des observations
s’inscrivait sur une échelle finale (Échelle F) qui exprimait leurs « tendances
antidémocratiques implicites ». En 1953, Hannah Arendt redressera en
quelque sorte la barre en élargissant le dispositif à l’analyse des tendances
communistes et en transformant ainsi l’échelle F en une théorie générale du
totalitarisme.
→ behaviourisme, École de Francfort, fascisme, nazisme, totalitarisme
ADORNO T. W., FRENKEL-BRUNSWICK E., LEVINSON D. J., The Authoritarian
Personality, New York, Harper and Row, 1950 ; ADORNO T. W., Études sur la
personnalité autoritaire, Paris, Allia, 2006 [1951] ; DICK A., INTROVIGNE M.,
Le Lavage de cerveau : mythe ou réalité ?, Paris, L’Harmattan, 2006.

AUTORITARISME

→ régimes politiques : régimes autoritaires

AUTORITÉ

Alors que l’adjectif « autoritaire » ou le terme « autoritarisme » qui en


dérive ont une connotation péjorative, le concept d’autorité revêt au contraire
une valeur positive. Il désigne l’ascendant exercé par le détenteur d’un
pouvoir quelconque, qui conduit ceux auxquels il s’adresse à lui reconnaître
une supériorité qui justifie son rôle de commandement ou d’orientation. C’est
l’autorité d’un leader, voire d’une institution, qui entraîne l’obéissance
consentante en vue de l’accomplissement de fins collectives de nature
notamment politique. Les représentants d’un pouvoir pourtant légitime
peuvent manquer d’autorité au point d’éroder par là progressivement sa
légitimité (cas du régime tsariste finissant, par exemple). À l’inverse, des
dictateurs dépourvus de légitimité initiale peuvent démontrer une autorité qui
contribue finalement à légitimer aux yeux des gouvernés – au moins pro
visoirement ou pratiquement – le pouvoir arbitraire qu’ils ont mis en place
(cas de Juan Domingo Peron en Argentine, ou des caudillos latino-américains
du XIX et du début du XX siècles). Ce paradoxe peut renvoyer à la distinction
e e

opérée entre autorité de jure (de droit) et de facto (de fait).


→ légitimité : Légitimité (Types de), pouvoir
BOURRICAUD F., Esquisse d’une théorie de l’autorité, Paris, Plon, 1961 ;
FRIEDRICH C. J. (ed.), Authority, Cambridge (Mass.), Harvard University Press,
1958.
B

BALLOTTAGE

Dans un scrutin à deux tours où nul ne peut être élu s’il n’a obtenu la
majorité absolue au premier, on dira qu’il y a ballottage quand aucun candidat
ne remplit cette condition nécessaire. L’expression s’emploie plus
particulièrement à propos du sortant qui ne retrouve pas son siège le soir du
premier tour. Le ballottage pose le problème des reports de voix, surtout
lorsque des candidats se retirent ou sont éliminés. Il donne lieu ; le cas
échéant, à des tractations entre les candidats qui se maintiennent et ceux qui se
retirent volontairement ou sont éliminés. Mais, dans ce dernier cas, leur
capacité de négociation se trouve affaiblie.
→ élection

BEHAVIOURISME (OU BEHAVIORISME)

Courant épistémologique apparu aux États-Unis au cours des années 1930,


faisant souche en psychologie et couvrant peu à peu l’ensemble des sciences
sociales, notamment la science politique de l’immédiate avant-guerre. Comme
son nom l’indique, le behaviourisme tend à réduire l’analyse scientifique à
l’observation systématique du comportement des acteurs sociaux.
En science politique, cette démarche signifie d’abord une rupture avec la
théorie normative : le rôle du politiste n’est pas de déterminer quelle est la
meilleure cité, mais d’établir comment fonctionne chacune des cités
empiriquement repérables. De même, s’agit-il de s’interroger moins sur le
pourquoi que sur le comment : le repérage des comportements sociaux
l’emporte sur le projet d’accéder à une connaissance de leur origine, suspecte
de confondre démarche philosophique et démarche sociologique. Pour ce
faire, le behaviourisme privilégie les données quantifiables sur celles qui ne le
sont pas, la quantification devenant ainsi l’élément clé de l’observation
systématique des comportements sociaux, le moyen le plus sérieux de les
traiter et de les comparer. Enfin, il tend à réduire les acteurs collectifs et
institutionnels au seul comportement des acteurs individuels qui les
composent.
On comprend ainsi que le behaviourisme ait surtout favorisé, en science
politique, la promotion des analyses d’opinion et l’usage de la technique de
sondages, contribuant, en même temps, à marginaliser les secteurs les plus
rebelles à la quantification (analyse des processus de changement politique,
analyse macro-sociologique, sociologie historique du politique).
→ comportement politique, empirisme, méthodologie
BIRNBAUM P., La Fin du politique, Paris, Seuil, 1985 ; LECA J., « La théorie
politique », in LECA J., GRAWITZ M., Traité de science politique, Paris, PUF,
1985, T. 1. ; EULAU H., The Behavioural Persuasion in Politics, New York,
Random House, 1963

Bicamérisme

Constitution du Parlement en deux Chambres par opposition au


monocamérisme (chambre unique, prévue par exemple dans le projet de
Constitution française du 5 avril 1946 ou instituée en Israël, en Suède et au
Danemark). L’une des chambres assure la représentation directe des citoyens
(l’Assemblée nationale en France, le Bundestag en Allemagne, la chambre des
Communes au Royaume-Uni, etc.). La seconde trouve sa raison d’être
originelle dans des considérations différentes : vestige d’une représentation
aristocratique avec la chambre des Lords britannique, souci de représenter les
États fédérés avec le Sénat américain ou le Conseil des États suisse, volonté
de brider une Chambre basse trop turbulente avec le Sénat de la
III République, assurer une représentation des collectivités territoriales (Sénat
e

français ou italien) voire celle d’activités socio-économiques (pour partie le


Sénat irlandais).
Aujourd’hui, hormis son rôle spécifique dans les institutions de l’État
fédéral, le bicamérisme exerce surtout une fonction de régulation du pouvoir
législatif. L’examen des textes par deux assemblées délibératives implique des
délais propices à la réflexion, ouvrant des possibilités de négociation au
gouvernement aussi bien qu’aux leaders parlementaires. Mais se pose le
problème de l’équilibre de leurs compétences. Selon son mode de désignation,
qui peut s’écarter plus ou moins sensiblement du suffrage universel direct, la
seconde Chambre a une légitimité politique diversement forte. En Grande-
Bretagne, le mode de désignation des lords, très archaïque, explique la
réduction draconienne de leurs prérogatives au début du XX siècle. e

Inversement, en Italie, le Sénat a des pouvoirs législatifs égaux à ceux de


l’Assemblée nationale mais son mode d’élection est quasiment identique.
→ parlement
MASTIAS J. et GRANGÉ J., Les Secondes Chambres du Parlement en Europe
occidentale, Paris, Economica, 1987 ; SÉNAT, Le Bicamérisme, une idée
d’avenir et Situation du bicamérisme dans le monde, Paris, Imprimerie des
Journaux Officiels, 2000 (Actes du colloque du 14 mars 2000).

BIENS COMMUNS

Biens considérés comme la propriété commune de l’ensemble de


l’humanité et dont chaque individu est responsable pour assurer la survie de
tous. Cette notion s’inscrit historiquement dans une double tradition
chrétienne et communautaire, d’une part, utilitaire et libérale, d’autre part.
Dans la première conception, renvoyant à la pensée thomiste, elle définit les
conditions sociales qui permettent le plein épanouissement de la personne
humaine. Dans la seconde, elle décrit l’effet collectif de la vertu, de la
responsabilité individuelle et de l’esprit d’entreprise.
S’insérant ainsi dans différentes compositions, cette notion valorise la
réalité d’un patrimoine partagé par tous les individus et dont la gestion relève
ainsi de la vertu publique. Elle prend une pertinence politique particulière
dans le cadre de la société moderne à mesure qu’apparaît la réalité d’enjeux
collectifs majeurs : santé, hygiène, environnement, protection des ressources
rares… Elle permet d’accéder à une définition fonctionnelle de l’intérêt
général au sein de chaque société (c’est-à-dire la protection des biens
communs) et à une construction renouvelée de l’ordre international qui
s’interprète de plus en plus comme lieu de gestion indivisible d’un patrimoine
commun de l’humanité, qu’il soit matériel (atmosphère, eau…) ou symbolique
(valeurs transculturelles, droits de l’Homme…).
→ holisme, individualisme
LE PRESTRE P., Protection de l’environnement et relations internationales,
Paris, A. Colin, coll. « U », 2005 ; NOVAK M., Démocratie et bien commun,
Paris, Le Cerf, 1991 ; BADIE B., SMOUTS M.-C., Le Retournement du monde,
Paris, Presses de la FNSP, 1992 ; ORSTROM E., Governing the Commons. The
Evolution of Institutions for Collective Action, Cambridge, Cambridge
University Press, 1990 ; VOGLER J., The Global Commons. A Regime Analysis,
Chichester, Wiley, 1995. ; KAUL I., GRUNBERG I., STERN M., Les Biens publics
mondiaux, Paris, PNUD/Economica, 2002.

BIENS PRIMAIRES

Ce concept désigne des biens et facultés réputés indispensables à l’exercice


équitable de la citoyenneté dans un système politique démocratique (Primary
goods en anglais). Diffusé en particulier par John Rawls à partir de sa Théorie
de la justice, il recouvre : 1) les droits et libertés de base ; 2) la liberté de
mouvement et de choix, notamment professionnel, au regard de possibilités
multiples ; 3) la capacité et le droit d’occuper des positions de responsabilité
dans les institutions politiques et économiques ; 4) la disposition de ressources
matérielles et d’un revenu suffisant ; 5) la garantie des conditions minimales
du respect de soi-même.
→ démocratie, libertés publiques
RAWLS J., Libéralisme politique, Paris, Seuil, 1995 [1993].

BONAPARTISME

Concept appliqué par Karl Marx au Second Empire français, puis étendu
par l’analyse marxiste aux semi-dictatures libérales sur le plan économique
bien que répressives dans le domaine politique et social. Pour Marx, le
bonapartisme « seconde manière » – distinct de celui du Premier Empire –
caractérise un régime « militaire despotique », dirigé toutefois par un dictateur
civil (Napoléon III). Surtout, il s’inscrit à un stade de l’industrialisation
capitaliste marqué par une situation d’équilibre entre la nouvelle bourgeoisie
entrepreneuriale et la classe ouvrière en expansion. De la sorte, la guerre civile
menaçante ou déjà en cours ne peut que se révéler sans issue victorieuse pour
l’un et l’autre camp, en raison précisément de cette équivalence des forces en
présence. D’où la tentation pour la bourgeoisie de renoncer à l’exercice direct
du pouvoir parlementaire pour remettre son sort à un « arbitre providentiel » à
qui elle « offre son sceptre » afin de mieux préserver son hégémonie
économique et sociale. Car, en réalité, le dictateur arbitre est partial. Sous
couvert de rassemblement national et Malgré son discours populiste référé
pour partie à la tradition révolutionnaire de 1789, il n’est que le chef d’un
« État d’exception de la bourgeoisie », dont le rôle consiste à défendre le
capital contre le travail grâce à la suspension des libertés publiques.
Le régime bonapartiste repose pourtant sur une base populaire, paysanne et
même ouvrière. En ce sens, il revêt une dimension plébiscitaire qui
s’accompagne d’une dénonciation des divisions suscitées par les partis.
Rassembleur, il préfigure sur certains points le boulangisme,
l’antiparlementarisme du début du XX siècle et même le mouvement gaulliste
e

à ses origines (selon René Rémond notamment). Par ailleurs, l’usage


typologique du concept a conduit Friedrich Engels à ériger le modèle de
l’Empire allemand façonné par le chancelier Bismarck en illustration par
excellence d’une logique bonapartiste parfaitement compatible avec l’exercice
formel du suffrage universel (ceci plus encore, selon lui, que dans le cas du
Second Empire). Pour Engels, « le bonapartisme est la vraie religion de la
bourgeoisie moderne », et c’est le régime parlementaire de style britannique
qui prend figure d’exception à ses yeux.
Dans une perspective différente, le terme de bonapartisme s’applique
également à un courant partisan favorable à la restauration de l’Empire au
cours des premières décennies de la III République (des candidats
e

bonapartistes se présentent toujours aux élections à Ajaccio). Parallèlement, il


désigne une sensi bilité politique française ou suisse romande – la droite
bonapartiste – attachée à la prééminence de l’exécutif sur le législatif et
hostile au « règne des partis » (sensibilité opposée à celle de la droite
« orléaniste » de tendance libérale, selon René Rémond).
→ légitimité, régimes politiques : Régimes autoritaires
BLUCHE F., Le Bonapartisme, Paris, PUF, 1981 ; MITCHELL A.,
« Bonapartism as a Model for Bismackian Politics », Journal of Modern
History 49 (2), juin 1977, pp. 181-209 ; RUBEL M., Karl Marx devant le
bonapartisme, La Haye, Mouton, 1960 ; TULARD J. (dir.), Dictionnaire du
Second Empire, Paris, Fayard, 1995.

BOSSISM

Machines électorales typiques du jeu politique aux États-Unis, de la


seconde moitié du XIX siècle à 1914. L’expression vient de boss, ou patron, et
e
désigne un phénomène de nature clientéliste usité, en particulier, dans les
groupes d’immigrés ayant acquis récemment la nationalité américaine.
→ clientélisme

BOURGEOISIE

Classe sociale dans la perspective marxiste, notamment détentrice des


moyens de production, exerçant directement ou indirectement (le
bonapartisme) le pouvoir politique. Mais le mot possède également un sens
très distinct, dérivé des franchises des bourgs et cités du Moyen-Âge. Il
désigne alors la catégorie de population reconnue comme jouissant de ces
franchises à l’intérieur du bourg en question, et jouissant souvent par là d’un
droit à l’autogouvernement équivalant à une pré-citoyenneté. L’ensemble de
ces bourgeois se constitue dans ce cas en « bourgeoisie », c’est-à-dire en
corporation détentrice de privilèges juridiques et politiques, et propriétaire
collectif de biens fonciers. Ce dispositif subsiste en Suisse, où à la nationalité
helvétique s’ajoutent la citoyenneté cantonale et la « bourgeoisie »
communale. Il se maintient également en partie dans la commune française de
Saint-Gingolph (Hte Savoie).
→ Cité-État, citoyenneté, classe sociale

BUDGET DE L’ÉTAT

Document qui prévoit et autorise les recettes et dépenses annuelles de


l’État ; il constitue la traduction, en moyens financiers chiffrés, de la politique
menée par les pouvoirs publics.
Depuis 1958, on distingue en France la loi de Finances initiale votée par le
Parlement à la session d’automne, les décrets de répartition qui ventilent les
crédits en plus de 1.500 chapitres, puis, en cours d’année, les lois de Finances
rectificatives, enfin la loi de règlement qui donne quitus au gouvernement
après clôture de l’exercice budgétaire. La présentation de ces documents est
aujourd’hui régie par la loi organique du 1 août 2001 relative aux lois de
er

Finances (LOLF). L’objectif principal de cette réforme est de mieux garantir


la sincérité des textes budgétaires et leur lisibilité, La présentation comptable
doit permettre de chiffrer et d’analyser les coûts réels des différentes actions
engagées. Pour ce faire, les dépenses envisagées sont fixées non seulement par
ministères mais aussi par missions. Les parlementaires doivent pouvoir
contrôler l’écart entre les objectifs affichés et les résultats obtenus, c’est-à-dire
être en mesure d’évaluer les performances réelles de l’action publique.
Les conditions de préparation et d’adoption du budget illustrent bien les
problèmes de fonctionnement des démocraties parlementaires. Ce document
en effet est d’une extrême importance (la masse des dépenses équivaut à près
du quart du PIB) mais aussi d’une extrême complexité. Il concerne chaque
ministère et précise les conditions d’emploi de leurs crédits. En outre
l’évaluation des recettes fiscales escomptables repose sur des études
économiques et techniques sophistiquées. Pour toutes ces raisons le Parlement
se trouve dans l’impossibilité d’exercer un contrôle réellement efficient sur
tout le détail des mesures envisagées. En France, il est cantonné dans
l’examen des grandes masses (« conditions générales de l’équilibre
financier ») et des dépenses nouvelles. Les débats parlementaires aboutissent à
des changements qui concernent moins de 1 % des prévisions
gouvernementales.
La préparation du budget de l’État et le contrôle de sa mise en œuvre
assurent au contraire la forte prééminence du ministère des Finances au sein
du pouvoir exécutif ; la direction du Budget notamment y joue un véritable
rôle de maître d’œuvre. Au niveau plus spécifiquement politique, le premier
ministre est conduit à imposer ses arbitrages à ses collègues du gouvernement.
Étant en même temps le chef de la majorité au Parlement, il dispose ainsi d’un
réel magistère dans la conduite de la préparation et de la discussion
budgétaire.
Pourtant, et c’est encore un autre aspect qu’il convient de souligner, le
contenu du budget échappe en grande partie à des choix volontaristes. Il existe
trop de contraintes financières, économiques, administratives, juridiques
(d’ordre interne, européen ou international) qu’on ne peut éluder ; à quoi
s’ajoutent les multiples interventions des groupes d’intérêts concernés par
telle ou telle mesure particulière. Si le budget de l’État est sans doute un
moyen d’action, il n’est pas d’une totale flexibilité, loin de là. Il apparaît bien
plutôt comme la projection en chiffres des missions d’un État : plus ou moins
centralisé, plus ou moins interventionniste dans le tissu social.
→ finances publiques
ADAM F., FERRAN O., RIOUX R., Finances publiques, Paris, Dalloz, 2007 ;
BOUVIER M., Finances publiques, Paris, LGDJ, 2008 ; DOUAT E., Finances
publiques, Paris, PUF, 2006 ; ORSONI G. (dir.), Les Finances publiques en
Europe, Paris, Economica, 2007 ; WALINE CH. (dir.), Le Budget de l’État.
Nouvelles règles, nouvelles pratiques, Paris, La Documentation française,
2006.

BUREAUCRATIE

Max Weber a donné l’interprétation la plus systématique de cette notion.


Pour lui, elle soutient le type pur de la domination rationnelle légale.
L’administration apparaît alors comme une structure hiérarchisée dont les
agents, les fonctionnaires, sont nommés de manière méritocratique, à partir de
leur seule compétence et non plus simplement de leur origine sociale ;
rétribués, tirant de leur rôle bureaucratique l’essentiel de leurs revenus, ils
s’intègrent à une hiérarchie impersonnelle dont ils parcourent les échelons en
fonction des étapes de leur carrière ; dans cette hiérarchie fonctionnelle,
l’autorité qu’un acteur exerce comme celle qui s’exerce sur lui est supposée
dépourvue de toute forme de pouvoir ou même d’influence. Selon Weber,
dans un système capitaliste comme dans une société socialiste, « la supériorité
de l’administration bureaucratique est le savoir spécialisé » et, dans ce sens, sa
naissance représente « la spore de l’État moderne ». À ses yeux, le lien État-
bureaucratie apparaît donc clairement. Il s’éloigne ainsi de l’interprétation
marxiste, voyant dans cette forme d’organisation « un corps parasitaire »
facilitant l’oppression du peuple en servant de moyen d’action à un pouvoir de
type bonapartiste, et retrouve au contraire une sorte d’inspiration hégélienne
facilitée peut-être par une commune confrontation avec la bureaucratie
prussienne. Pour Weber encore, « de même que le capitalisme requiert la
bureaucratie, bien que l’un et l’autre soient issus de racines différentes, de
même celui-là représente le fondement le plus rationnel grâce auquel celle-là
peut exister ». Weber se demande pourtant si, dans une société socialiste, la
bureaucratie pourrait être rationnelle, annonçant d’une certaine manière les
nombreux travaux contemporains sur la nature de la bureaucratie dans les
pays de l’Est durant leur période socialiste, celle-ci fonctionnant alors
davantage comme un instrument étroitement lié au pouvoir politique
clientéliste et non à partir de seules bases rationnelles. À partir des textes de
Weber sur la bureaucratie, on peut également s’interroger sur la place de la
démocratie dans une société reposant sur la compétence et la hiérarchie
fonctionnelle. De nombreux sociologues ont aussi montré que, dans une
bureaucratie supposée impersonnelle, réapparaissent des rapports personnels à
partir desquels se nouent tant des relations de pouvoir que des situations
conflictuelles ; d’autres se sont aussi penchés sur les influences internes ou,
encore, externes à la structure bureaucratique, de nombreuses dysfonctions
entravant la dimension rationnelle-légale de son fonctionnement en faisant
dépendre, par exemple, le succès de son action de l’intervention des notables
de la périphérie, capables ainsi en retour de l’influencer en menaçant du même
coup son fonctionnement de type universaliste.
→ État, fonctionnaires, fonctionnaires internationaux, organisations
(théorie des)
ABERBACH J. D., PUTNAM R. D., ROCKMAN B., Bureaucrats and Politicians
in Western Democracies, Cambridge (Mass.), Harvard University Press,
1981 ; CROZIER M., Le Phénomène bureaucratique, Paris, Seuil, 1963 ;
DUBOIS V., La Vie au guichet, Paris, Economica, 2003 ; KESSLER M. C., Les
Grands Corps de l’État, Paris, PUF, 1994 ; MEYER K., O’TOOLE L.,
Bureaucracy in a Democratic State, Baltimore, The Johns Hopkins Press,
2006 ; SPIRE A., Étrangers à la carte. L’administration de l’immigration en
France, Paris, Grasset, 2005 ; WEBER M., Économie et société, Paris, Plon,
1971 ;.
C

CABINET

Dans son acception anglo-saxonne, le cabinet est le comité de


gouvernement qui rassemble les principaux ministres sous la conduite du
premier ministre. En France, l’expression a été synonyme de gouvernement au
sens banal du terme, en particulier sous la III République (par ex. : le cabinet
e

Daladier, désigné par le nom du président du conseil).


→ shadow cabinet
CABINET (GOUVERNEMENT DE). Formule de gouvernement collégial typique
des régimes parlementaires inspirés de la tradition britannique et étendue dans
la pratique à la presque totalité des démocraties libérales, dans laquelle le
cabinet correspond à une équipe ministérielle plus ou moins restreinte qui
examine les affaires en cours, prend les décisions les plus importantes et
définit les nouvelles orientations politiques. En Grande-Bretagne, des
personnalités dépourvues de fonction ministérielle ont participé parfois aux
réunions de cabinet, ainsi le président du parti conservateur à certains
moments. Le système est souple, puisqu’il s’accommode aussi bien de
l’exercice de l’autorité prééminente d’un premier ministre que d’une égalité
de fait entre celui-ci et les détenteurs des différents portefeuilles. À la limite, il
se concilie aussi avec la pratique de régimes semi-présidentiels – ainsi en
France – où le chef de l’État préside le conseil des ministres. La formule du
gouvernement de cabinet fonctionne dans sa plénitude dans les pays où les
partis sont fortement organisés et où se dégagent des majorités claires, comme
en Grande-Bretagne, en Australie, en Nouvelle-Zélande ou, souvent, dans les
pays scandinaves. En revanche, l’autonomie politique du cabinet se trouve très
altérée dans le cas inverse, où les gouvernements de coalition sont la règle
comme dans la France de la IV République, en Italie ou en Belgique. Le
e

critère distinctif essentiel du gouvernement de cabinet au sens strict réside


finalement dans le degré de responsabilité politique collective de ses
membres. Celui-ci est élevé en Grande-Bretagne, au Canada, en Australie, en
Nouvelle-Zélande, en Irlande ou au Japon. Il est plus flou en Allemagne, en
France ou en Suisse par exemple, cependant que la notion même de
responsabilité collective du gouvernement n’est pas valide dans les régimes
présidentiels de style américain ou latino-américain.
→ gouvernance, gouvernement
BLONDEL J., The Organization of Governments, Londres, Sage, 1982.
CABINETS MINISTÉRIELS. En France, entourage immédiat d’un ministre, formé
de fonctionnaires, d’experts ou de cadres politiques nommés à sa discrétion
pour la durée de ses fonctions, et chargés d’assurer ses relations avec les
structures administratives permanentes.
→ gouvernement
HUCHON J.-P., Jours tranquilles à Matignon, Paris, Grasset, 1993 ;
QUERMONNE J.-L., « La mise en examen des cabinets ministériels », Pouvoirs
(68), 1994 ; SCHRAMECK O., Les cabinets ministériels, Paris, Dalloz, 1995.

CACIQUISME

Régime informel par corruption du gouvernement libéral, complémentaire


des systèmes clientélistes typiques de la Péninsule ibérique et surtout de
l’Espagne à la fin du XIX siècle. Il s’agit plus précisément d’un agencement
e

oligarchique pyramidal du pouvoir dans un régime constitutionnel dans sa


lettre, mais où l’autorité réelle appartient à une série de caciques
hiérarchiquement superposés, et dans lequel les décisions sont prises dans le
cadre de réseaux de connivence discrets. On a qualifié ce système
(caciquismo) où le résultat des élections doit concorder avec ces décisions
prises par avance et où c’est le dépouillement des urnes qui est secret
d’Acuerdo entre caballeros (accord entre gentlemen). Des usages assez
analogues se sont observés et s’observent encore en Amérique latine
→ Amérique latine, clientélisme, libéralisme
KERN R. (ed.), The Caciques : Oligarchical Politics and the System of
Caciquismo in the Luso-Hispanic World, Albuquerque, University of New
Mexico Press, 1949.

CAMÉRALISME
Référé aux sciences dites camérales, expression usitée à partir du
XVIII siècle en Allemagne surtout (Kameralwissenschaft). Sciences du bon
e

gouvernement en matière d’optimisation des ressources de l’État en même


temps que de satisfaction des besoins de la population et de développement de
la prospérité du pays. L’expression a un sens analogue au terme français de
« police » dans son acception originelle (en rapport avec le bien de la Cité). La
première chaire universitaire d’Œconomie, Policey und Cammersachen fut
créée en Prusse en 1727. Sous l’inspiration de Heinrich Gottlob (1717-1771),
le caméralisme en vient à esquisser très tôt la notion d’État-Providence
(Wohlfartstaat).
→ État, gouvernement
IHL O., KALUSZYNSKI M., POLLET G. (dir.), Les Sciences du gouvernement,
Paris, Economica, 2003 ; SMALL A., The Cameralists. The Pioneers of German
Polity, Chicago, Chicago University Press, 1980.

CAPITAL SOCIAL

Reformulée par Robert S. Putnam dans une perspective de sociologie


politique, cette notion désigne la qualité vécue des institutions d’une
communauté civique participative et solidaire, dont les membres coopèrent au
regard d’une part de la confiance en quelque sorte horizontale que les
gouvernés ont les uns vis-à-vis des autres, et d’autre part de la confiance cette
fois verticale qu’ils placent dans ceux qui les dirigent à tous les échelons. Ce
concept normatif passablement ethnocentrique rappelle celui de la culture
civique – Civic Culture – à la manière de Gabriel Almond et Sidney Verba.
Plus directement, il dérive de la sociologie de James Coleman, qui définit le
capital social comme une ressource inscrite dans le mode d’organisation de la
vie économique et sociale d’une population, ou comme un « bien collectif » –
Public good – garant du respect des obligations mutuelles et des normes de
comportement en vigueur qui engendre à son tour des relations de confiance
dépassant les préoccupations d’intérêt individuel pour créer le cadre moral du
groupe concerné. L’existence d’un capital de ce type se trouve souvent posée
désormais comme condition d’une démocratisation véritable. Cette acception
du capital social est distincte de celle retenue par Pierre Bourdieu, qui en fit
l’une des ressources de domination des élites, avec le capital culturel et le
capital économique. Le premier à avoir conçu et divulgué ce concept est le
sociologue américain Thorstein Veblen, dès la fin du XIX siècle.
e

→ culture politique, néo-institutionnalisme


BOURDIEU P., La Noblesse d’État. Grandes écoles et esprit de corps, Paris,
Éd. de Minuit, 1989 ; COLEMAN J., « Social capital in the creation of human
capital », American Journal of Sociology (94), supplément 1988 ; HERMET G.,
Culture et développement, Paris, Presses de Sciences Po, 2000 ; HYDEN G.,
« Civil society, social capital and development : dissection of a complex
discourse », Studies in Comparative International Development 32 (1), Spring
1997 ; PUTNAM R. S. et al., Making Democracy Work. Civic Traditions in
Italy, Princeton, Princeton University Press, 1993 ; VEBLEN TH., Théorie de la
classe du loisir, Paris, Gallimard, 1970 [1899].

CAPITALISME

Ce terme, largement diffusé par la théorie marxiste, désigne un système


social caractérisé par la propriété privée des moyens de production
économiques, en d’autres termes la société libérale construite sur les logiques
du marché. Dans la pensée de Marx, le capitalisme s’inscrit dans une
perspective historique : après le mode antique de production, basé sur
l’esclavage, et le mode féodal de production, fondé sur le servage, il se
caractérise par le développement de l’industrie et du salariat.
Pour Marx, le capitalisme est dominé par trois grandes lois : concentration
croissante du capital, paupérisation croissante du prolétariat, baisse
tendancielle du taux de profit. Il croit pouvoir en déduire qu’il lui faudra
affronter des crises de plus en plus insurmontables qui conduiront l’humanité
devant le dilemme suivant : ou bien le socialisme, c’est-à-dire la propriété
collective des moyens de production, Étape transitoire avant la société sans
classes et sans État, ou bien la barbarie. L’Histoire est loin d’avoir totalement
ratifié ces prévisions.
→ impérialisme, libéralisme, socialisme
BOLTANSKI L., Le Nouvel Esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999 ;
HALL P., SOSKICE D., Varieties of Capitalism. The Institutional Foundations of
Comparative Advantage, Oxford, Oxford University Press, 2003 ; JESSUA C.,
Le Capitalisme, Paris, PUF (Que sais-je ?), 2008 ; WALLERSTEIN I., Le
Capitalisme historique, Paris, La découverte, 2002.
CASTES ET POLITIQUE

La notion de caste, tirée des travaux de Célestin Bouglé, a été systématisée


par Louis Dumont dans son ouvrage Homo hierarchicus. À ses yeux, un
système de castes se fait jour lorsque la société se divise en un grand nombre
de groupes héréditaires distingués et reliés de trois manières : séparation en
matière de mariage et de contact direct ou indirect ; division du travail, chacun
des membres de ces groupes exerçant un type spécifique de profession ;
hiérarchie entre les groupes qui les range en supérieurs et inférieurs. Il ne peut
y avoir de caste sans système de castes généralisé. Ce système est produit par
un ensemble de croyances religieuses fondées sur la distinction entre pur et
impur, qui n’est pas de l’ordre de la manipulation mais qui explique
réellement la hiérarchisation des groupes tels qu’ils se situent les uns par
rapport aux autres. Au sommet de cette hiérarchie-gradation figure la caste des
brahmanes, la caste des intouchables étant au contraire la plus basse. Ce
système des castes n’existe plus en dehors de l’Inde. Et même dans ce cadre, il
se trouve confronté, comme le remarque Louis Dumont, à la montée du
nationalisme qui, depuis la guerre avec le Pakistan et la division de l’Inde
anglaise, tend à unifier la société en fonction d’une idéologie unique, celle de
l’hindouisme. Au nom aussi de la lutte contre les musulmans, les nationalistes
hindous poussent à une mobilisation radicale et populiste remettant en
question également l’organisation traditionnelle des pouvoirs.
DUMONT L., Homo hierarchicus, Paris, Gallimard, 1966 ; KHARE R. S.,
Caste, hierarchy and individualism, Oxford, Oxford University Press, 2006 ;
JAFFRELOT CH., Inde : la démocratie par la caste, Paris, Fayard, 2005.

CATHOLICISME ET POLITIQUE

Ce thème doit s’appréhender sous des angles multiples. Celui qui s’impose
en général d’abord à l’esprit des analystes de la politique concerne les
comportements électoraux ou les choix partisans des catholiques déclarés ou
pratiquants, qui sont certes des électeurs plus assidus que la moyenne mais
dont on sait qu’ils ont longtemps privilégié la droite même s’ils s’en éloignent
progressivement depuis une vingtaine d’années. Malgré cela, la « variable
catholique » reste la plus opérante pour les études de psycho-sociologie ou de
géographie électorales, comme aussi pour celles qui touchent à la socialisation
politique des Français notamment, chez qui les catholiques révèlent une
propension particulière aux activités militantes ou associatives.
Dans une perspective historique à moyen terme, l’influence politique du
catholicisme s’est manifestée différemment au niveau de la formation des
systèmes de partis ou encore dans le syndicalisme, par l’intermédiaire tant des
formations qui ont débouché sur les partis démocrates-chrétiens ou chrétiens-
sociaux que des centrales syndicales d’origine chrétienne. Ce phénomène a été
et demeure particulièrement important pour la détermination des clivages
politiques qui affectent l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Italie ainsi que
les Pays-Bas et certains pays de l’Amérique latine. En remontant plus avant
encore dans le passé, sur le long terme historique, il apparaît enfin que
l’Église catholique comme institution souveraine a joué un rôle décisif dans
l’émergence de la modernité politique occidentale, de l’époque du
césaropapisme à celle de son opposition initiale puis de son ralliement au
libéralisme et à la démocratie, et ce en passant par les épisodes de sa lutte
contre le Saint-Empire romain germanique ou de son soutien à la formation de
l’État monarchique en France et en Angleterre.
Ces quelques repères montrent que l’impact politique du catholicisme s’est
exercé à plusieurs niveaux : celui de l’Église comme organisation
transnationale longtemps plus puissante que n’importe lequel des États alors
en gestation ; celui de la doctrine religieuse ; également ceux des
organisations séculières d’orientation confessionnelle ou du comportement
des catholiques en tant que milieu socio-culturel. Tous ces niveaux se sont
toutefois recoupés pour déterminer les grands clivages politiques de l’Europe
tels que Stein Rokkan en particulier les a analysés, au regard spécialement des
différences qui séparent sa partie septentrionale à dominante protestante, tôt
pourvue d’identités nationales fortes et consensuelles, de sa partie méridionale
catholique très marquée par une conflictivité droite/gauche qui n’est que
l’avatar de l’affrontement du cléricalisme et de l’anticléricalisme.
→ clivages politiques, partis politiques : Partis démocrates-chrétiens,
religion et politique
HERMET G., Sociologie de la construction démocratique, Paris, Economica,
1986 ; MICHELAT G., SIMON M., Classe, religion et comportement politique,
Paris, Presses de la FNSP/Éd. sociales, 1977 ; ROKKAN S., « Dimensions of
State-Formation and Nation-Building », pp. 562-600 in TILLY C. (ed.), The
Formation of National States in Europe, Princeton, Princeton University
Press, 1975.
Caucus
Terme d’origine britannique désignant au départ toute réunion interne d’un
parti ou d’une faction politiques, puis référé spécifiquement, à partir de 1868,
au caucus ou comité de Birmingham du parti libéral. Dès lors et de façon
générale, les caucuses deviennent les comités électoraux des libéraux dans
chaque circonscription à la veille d’une consultation électorale.
Le mot n’est plus guère utilisé en Grande-Bretagne. En revanche, il
continue de l’être aux États-Unis où il apparaît pour la première fois en 1763
pour désigner les instances chargées de sélectionner les candidats de chaque
parti, en particulier au niveau des États fédérés ou du comté (sous la forme du
precinct caucus ou de la county convention). De nos jours, cette procédure se
trouve remplacée par celle des élections primaires pour les scrutins législatifs,
ou par celle des conventions nationales pour les élections présidentielles.
Toujours aux États-Unis, le terme s’applique également aux groupes
parlementaires de chaque parti (Démocrates et Républicains à la Chambre des
représentants ou au Sénat) ou à des regroupements spécialisés (par ex.
concernant la réforme de l’armée) ; 32 groupes de cette sorte existaient à la
Chambre des représentants en 1986.
→ élection, parlement, partis politiques, primaires
JONES C. O., The United States Congress, Homewood, Dorsey, 1982, chap.
9 ; VALLET E., GRONDIN D. (dir.), Les Élections présidentielles américaines.
Sainte Foy, Presses de l’Université du Québec, 2004.

CAUDILLISME

Concept dérivé du vocable espagnol caudillo, qui désignait à l’origine un


chef de bande pendant les guerres de reconquête de la péninsule Ibérique sur
les Arabes. Au XIX et au début du XX siècles, il s’est appliqué aux leaders
e e

latino-américains qui, au regard de la seule légitimité de la force et de leur


capacité de conserver le pouvoir face à leurs rivaux, ont restauré un ordre
minimal bien qu’arbitraire et souvent sanguinaire tout en acquérant en général
une certaine popularité dans les petits États libérés de la tutelle espagnole. Le
même phénomène s’est également observé au Mexique avec la dictature du
Général Porfirio Diaz (1876-1911), dictature positiviste de type « Ordre et
Progrès » dans la ligne d’Auguste Comte. Le caudillo incarne une autorité
despotique acceptée, dans un contexte où se mêlent le respect accordé au
patriarche à la familiarité reconnaissante à son endroit, y compris dans des cas
assez récents comme ceux du président Trujillo en République dominicaine ou
de la dynastie Somoza au Nicaragua. Il mise en outre sur les relations
affectives de loyauté personnelle et d’échange qui caractérisent tous les
systèmes de patronage ou de clientèle, ainsi que sur son rôle démagogique de
redresseur de tort au bénéfice des opprimés (le caudillo est souvent un métis
ou un mulâtre qui se dresse face aux notables blancs). Certains des leaders
populistes de l’Amérique latine ont emprunté certains traits du caudillisme,
dans le cas par exemple de Juan Domingo Peron ou de Fidel Castro, et
s’agissant en particulier de leur ascendant charismatique sur les masses
populaires.
→ Amérique latine, charisme, clientélisme, Légitimité (Types de)
WOLF E. R., HANSEN E. C., « Caudillo politics : a structural analysis »,
Comparative Studies in Society and History (9), 1967, pp. 168-179.

CENSURE (MOTION DE)

Modalité de mise en œuvre de la responsabilité politique du gouvernement


à l’initiative de l’Assemblée, elle existe dans tout régime authentiquement
parlementaire. Sous la V République, elle revêt deux modalités principales :
e

motion de censure spontanée (art. 49-2), motion de censure provoquée en


réponse à l’engagement de sa responsabilité par le gouvernement sur un texte
(art. 49-3). Dans le premier cas de figure, les députés ne peuvent en signer
qu’une seule par session pour éviter les manœuvres d’obstruction ; dans le
second, le texte gouvernemental est considéré comme adopté si la motion de
censure est rejetée ou si aucune proposition alternative n’a été déposée.
Des précautions d’ordre procédural sont prévues de manière à préserver le
caractère solennel de cette initiative : signature par le dixième au moins des
députés, délai de réflexion de quarante-huit heures avant le vote, adoption à la
majorité absolue des membres composant l’Assemblée. Une seule a été
adoptée, à ce jour en France : le 5 octobre 1962 contre le gouvernement
Pompidou ; encore faut-il mentionner qu’elle visait en fait le refus du
Président de la République d’utiliser l’article 89 de la Constitution pour
réviser le mode d’élection du chef de l’État.
→ confiance (question de), parlement, responsabilité politique

CENTRALISATION/DÉCENTRALISATION

Le couple centralisation/décentralisation constitue l’un des points de départ


essentiels pour réfléchir à l’État et aussi, à ses rapports avec les pouvoirs
périphériques. Plus un État est centralisé, plus il met en place une
administration hiérarchisée contrôlant l’ensemble du territoire de manière
uniforme, plus il parvient à imposer sa propre politique aux collectivités
territoriales ; il contrôle alors aussi bien la diffusion de l’enseignement à
travers ses inspecteurs et ses programmes que l’élaboration des budgets, le
maintien de l’ordre, etc. L’État fort à la française incarne cette centralisation
extrême de l’administration ; comme Tocqueville l’a noté, la centralisation
politique se trouve ainsi renforcée par une centralisation administrative peu
favorable à l’expression des formes associatives et démocratiques locales.
Tocqueville oppose de ce point de vue la France à la Grande-Bretagne, où la
centralisation politique extrême ne se double pas d’une centralisation
administrative en favorisant ainsi l’autonomie politique de la vie locale. En
France, la monarchie absolue tout comme la République ont renforcé, par-delà
leurs différences, ce mode de contrôle qui tend aussi à uniformiser les
cultures. Depuis le XIX siècle, une volonté décentralisatrice s’est fait jour
e

néanmoins aussi bien à gauche, dans la tradition girondine, qu’à droite, du


côté des libéraux mais aussi des réactionnaires attentifs à préserver les
cultures régionalistes. Les lois de 1982 ont véritablement transformé les
rapports centre-périphérie dans la France contemporaine car, bien au-delà de
la simple déconcentration, elles facilitent l’émergence d’autorités politiques
puissantes, dotées d’un appareil administratif propre, capables de gérer leur
propre budget qui devient de plus en plus imposant, le préfet perdant son
contrôle a priori, etc. Le transfert de compétences de même que la remise en
question de la tutelle donnent une grande impulsion à la décentralisation. Dès
lors, les notables locaux deviennent des acteurs dotés de larges moyens
d’influence : les anciens rapports de connivence et de dépendance entre les
préfets et leurs notables en sont bouleversés : le « sacre des notables »
accentue donc la remise en question de la centralisation étatique.
→ centre-périphérie, démocratie, État
CROZIER M., TROSA S. (dir.), La Décentralisation. Réforme de l’État, Paris,
Éd. Pouvoirs locaux, 1992 ; DUPUY F., THOENIG J.-C., L’Administration en
miettes, Paris, Fayard, 1985 ; HAZAEESINGH S. (ed.), The Jacobin legacy in
France, Oxford, Oxford University Press, 2002 ; RONDIN J., Le Sacre des
notables, Fayard, 1985 ; SCHMIDT V., Democratizing France. The political and
administrative history of decentralization, Cambridge, Cambridge University
Press, 1990.

CENTRE

Notion et réalité discutées, qui nuancent la simplification du clivage


partisan droite/gauche en la tempérant par une catégorie intermédiaire. En
France, le centre apparaît d’abord comme catégorie taxonomique d’usage
pratique à partir de 1876, dans le classement des candidats aux élections
législatives opéré par les Renseignements généraux et les préfets à l’intention
du gouvernement. Ce n’est que plus tard en général, après la Première Guerre
mondiale, que les candidats eux-mêmes commencent à s’en réclamer
explicitement. Ailleurs en Europe, plus spécifiquement dans l’Allemagne
impériale, le centre se configure d’emblée, en revanche, comme un courant
partisan d’orientation confessionnelle (catholique) qui prend l’appellation de
Zentrum et dont procède après 1945 l’Union chrétienne-démocrate (CDU) ou
chrétienne-sociale (CSU) de la République fédérale allemande. En d’autres
lieux encore, mais plus tard, en particulier en Suisse ou en Norvège,
l’étiquette centriste est adoptée après la Seconde Guerre mondiale par les
anciens partis agrariens.
En tant que concept assez incertain, la notion de centre est fortement mise
en doute par Maurice Duverger, tandis que Georges Burdeau l’applique à
l’ancienne droite orléaniste dont dérivent les courants libéraux actuels (l’UDF
notamment). La mouvance démocrate-chrétienne pourrait s’inscrire également
dans le centre, moins à droite que ses homologues allemande, autrichienne ou
belge et à l’instar de son expression hollandaise.
→ gauche/droite, partis politiques : Partis agrariens
BURDEAU G., Critique (207-208) août-sept. 1964, pp. 792-793 et 802-803 ;
RÉMOND R., Les Droites en France, Paris, Aubier-Montaigne, 1982, pp. 364-
368 ; Les Droites aujourd’hui, Paris, Audibert, 2005 ; SEILER D.-L., Les Partis
politiques, Paris, A. Colin, coll. « Cursus », 1993.
CENTRE-PÉRIPHÉRIE

Concepts très largement utilisés dans différentes analyses incluant une


représentation spatiale du politique. Dans la théorie développementaliste, la
construction d’un centre politique est tenue pour une des propriétés les plus
communes marquant l’entrée des systèmes politiques dans la modernité. Le
centre désigne alors l’ensemble des institutions et des valeurs destinées à
assurer l’organisation globale d’une collectivité sociale souveraine, délimitée
par un cadre territorial précis, et jusque-là marquée par une dispersion des
relations politiques ainsi qu’une faible coordination de ses rôles sociaux.
La perspective développementaliste associe ainsi étroitement la
construction des centres aux données de la modernité et plus particulièrement
aux effets induits par le progrès de la division du travail social. Elle se
rapproche, en cela, de la conception wébérienne de l’État qui accorde au
centre étatique la propriété plus particulière de détenir le monopole de
l’exercice de la violence légitime sur un territoire donné. Cette vision plus
restrictive du centre est assez largement reprise en science administrative,
pour rendre compte des relations de tractations, d’échange ou de compromis
qui s’instaurent avec les différents espaces sociaux conçus alors comme des
périphéries.
Cette vision est utilisée également par certaines théories des relations
internationales qui appliquent au « système monde » l’hypothèse d’un centre
prétendant coordonner l’ensemble des rôles d’autorité qui structurent la
communauté internationale. Une telle perspective s’inscrit logiquement dans
le cadre de la sociologie de la dépendance, qui part du postulat que le système
international est structuré par des relations de pouvoir et se trouve donc
réductible à une tension permanente entre un centre détenteur de l’essentiel
des ressources et une périphérie qui se définit par sa situation d’exclusion.
→ centralisation/décentralisation, dépendance (théorie de la),
développement politique, État, territoire
ROKKAN S., URWIN D., Economy, Territory, Identity, Berverly Hills, Sage,
1983 ; SHILS E., Center and Periphery, Chicago, Chicago University Press,
1975 ; GALTUNG J., « A Structural Theory of Imperialism », Journal of Peace
Research, 8 (2), 1971, 81-117.

CÉSARISME
→ régimes autoritaires

CHARISME

Max Weber distingue la domination charismatique des formes


traditionnelles ou, encore, rationnelle-légale d’exercice de l’autorité (venant
du grec ancien, le mot charisme signifiait à l’origine ce qui agglutine, au
figuré ce qui permet de rassembler les énergies). Aux yeux de Weber, le
charisme se fonde sur la qualité extraordinaire d’un individu, le prophète, le
sage ou, encore, le guerrier qui possède des vertus surnaturelles. Cet acteur
privilégié doit être reconnu par ses fidèles, ses mérites inexplicables entraînant
des bienfaits pour tous ceux qui le suivent. Aucun règlement, aucun statut
n’organise cette communauté émotionnelle qui s’instaure entre le chef et ses
fidèles, ses disciples ou ses partisans. Dans ce sens, la domination
charismatique s’oppose entièrement à la domination rationnelle
bureaucratique et aussi à la domination traditionnelle patriarcale soumise
également à des règles strictes. Ayant ainsi, selon Weber, un caractère
« révolutionnaire » dans la mesure où elle va à l’encontre d’autres formes
d’ordre social et politique, la domination charismatique constitue une
« vocation » qui demeure aussi étrangère au monde de l’économie. Elle peut
toutefois connaître un processus de « routinisation », d’institutionnalisation
qui répond aux besoins de fidèles désireux d’assurer une permanence à la
communauté tout en préservant leurs propres rôles. La succession du leader
charismatique assure seule cette permanence : elle implique la mise en œuvre
d’une transmission héréditaire fondée par exemple sur le sang et sanctifiée par
divers rituels : il y a là néanmoins comme un paradoxe dans la mesure où rien
n’assure que l’héritier possède à son tour les vertus toutes personnelles du
charisme.
→ domination (types de), légitimité : Légitimité (types de),
personnalisation, Régimes (Systèmes) totalitaires
DORNA A., Le Leader charismatique, Paris, Desclée de Brouwer, 1998 ;
KERSHAW I., Hitler : Essai sur le charisme et la politique, Paris, Gallimard,
1995 ; KIRKPATRICK J., Leader and Vanguard in Mass Society : A Study of
Peronist Argentina, Cambridge (Mass.), MIT Press, 1971 ; MADSEN D., The
Charismatic Bond, Cambridge (Mass.), Harvard University Press.
CHECKS AND BALANCES

Concept constitutionnel américain référé aux dispositifs institutionnels qui


tendent à éviter la concentration d’un pouvoir trop étendu au bénéfice d’une
personne – le président – ou d’une entité politique (les chambres,
l’administration ou le pouvoir judiciaire). Le partage des compétences entre
les autorités fédérales et les États de la fédération relève implicitement de la
même logique, de même que l’équilibre établi entre l’élection d’esprit quelque
peu plébiscitaire du président des États-Unis et le principe représentatif
classique qui régit celle des membres des deux chambres. Hors de ce pays et
de façon plus générale, le principe de la séparation des pouvoirs obéit
également à cette logique.
→ Constitution, séparation des pouvoirs (doctrine de la)

CHEF DE L’ÉTAT

Incarnation symbolique suprême de la continuité de l’État, il concrétise un


processus historique de dissociation entre l’idée abstraite d’État et les
personnes physiques qui le représentent. Ce peut être un monarque ou un
Président de la République, une personne physique ou un organisme collégial
(Suisse, Union Soviétique).
Malgré la terminologie employée, le chef de l’État ne dispose pas
nécessairement de compétences exorbitantes. Une caractéristique précisément
des démocraties parlementaires est de confier la réalité du pouvoir exécutif à
un gouvernement qui l’exerce au nom d’un chef d’État irresponsable
politiquement et, de ce fait, à peu près privé de toute prérogative
constitutionnelle importante (Grande-Bretagne, Allemagne, Italie). De même
la collégialité permet-elle généralement d’affaiblir la fonction à la fois en
instaurant un contrôle mutuel de ses membres et en évitant une forte
personnalisation. Même des régimes dictatoriaux ont parfois conservé un chef
d’État dépouillé de toute capacité d’initiative réelle, comme ce fut le cas avec
le roi d’Italie sous Mussolini, désireux de se concilier les monarchistes. En
revanche le chef de l’État est le moteur de l’exécutif dans les régimes
présidentiels (États-Unis, Brésil, Argentine) et même le seul véritable centre
de pouvoir dans nombre de régimes dictatoriaux, ouverts ou déguisés
(monarchies du Golfe, présidentialismes africains, arabes et latino-
américains).
→ Premier ministre, président de la République, régimes politiques
CHEF DU GOUVERNEMENT
→ gouvernement, Premier ministre

CHOIX RATIONNEL (THÉORIE DU)

Démarche méthodologique désignée en anglais par l’expression de Rational


Choice (parfois aussi de Public Choice). Elle fut empruntée par la science
politique d’une part à George C. Homans (étude des comportements animaux
ou éthologie), et d’autre part aux économistes néo-classiques de la lignée de
Milton Friedman, von Hayek, von Mises et de l’École de Chicago au cours
des années 1950 et 1960. Elle fut également préfigurée par Harold Lasswell
dès 1936. Cette démarche postule que les acteurs qui interviennent dans le
champ politique obéissent à la même logique rationnelle que les opérateurs
économiques en effectuant les choix qui leur paraissent les plus efficaces pour
atteindre leurs fins, qu’il s’agisse des politiciens professionnels, de hauts
fonctionnaires ou de simples citoyens. Lancé en Virginie, ce paradigme
devenu dominant aux États-Unis a inspiré les courants en quelque sorte
subsidiaires du Public Choice, des modèles spatiaux (Spatial Models) et du
Social Choice. Ce courant est très critiqué pour son caractère réducteur et son
mépris des données empiriques.
→ individualisme méthodologique, marché politique, modèles spatiaux
ABBOTT A., Department and Discipline. Chicago Sociology at One
Hundred, Chicago, The University of Chicago Press, 1999 ; BARRY B.,
HARDIN R. (eds), Rational Man and Irrational Society ? Beverly Hills, Sage,
1982 ; DOWNS A., An Economic Theory of Democracy, New York, Harper and
Row, 1957 ; GREEN D. P., SHAPIRO I., Pathologies of Rational Choice Theory :
A Critique of Applications in Political Science, New Haven, Yale University
Press, 1994 ; LASSWELL H., Politics : Who Gets What, When, How, New York,
Mc-Graw-Hill, 1936 ; OLSON M., The Logic of collective action, Cambridge
(Mass), Harvard University Press, 1965.

CITÉ ANTIQUE
Au-delà de la logique des empires, la cité antique représente la première
forme d’État organisé, avec son assise territoriale, l’expression d’une identité
et d’une volonté collectives de la part de ses citoyens, et bien entendu des
organes de gouvernement clairement définis et spécialisés. Son modèle
classique apparaît en Grèce vers le milieu du VIII siècle avant notre ère, sous la
e

forme de Républiques urbaines dont le prototype essaime ensuite en Italie – à


Rome notamment – et sur le pourtour de la Méditerranée. De façon moins
élaborée et au regard d’une autre tradition politique, les communautés
berbères de l’Afrique du Nord ont connu le développement de systèmes
homologues.
La République urbaine de lignée grecque s’est d’abord constituée en régime
aristocratique, avec des différences marquées entre les cités sur le plan
juridique aussi bien que sur celui de l’évolution historique. Certaines, comme
Sparte, sont demeurées constamment fidèles à cette logique aristocratique,
tandis que d’autres – comme Athènes – se sont converties à la démocratie. De
toutes manières, leurs institutions politiques demeurent assez semblables dans
leurs grands traits. Elles se caractérisent au sommet par la présence d’un ou
plusieurs magistrats (prytanes, archontes…) qui exercent les fonctions
exécutives ou gouvernementales à titre collectif et qui, parfois désignés à vie
ou même à titre héréditaire, sont plus généralement élus ou cooptés pour un an
par un conseil (gerousia,.boulé athénienne, Sénat romain) qui les contrôle à
moins qu’ils ne le soient par l’assemblée générale des citoyens. Ce conseil
vient ensuite, composé d’anciens magistrats et de membres de l’aristocratie ;
c’est l’organe législatif qui prend les décisions importantes. Enfin,
l’assemblée générale périodique des citoyens vote les lois préparées par le
conseil, le plus souvent par acclamation, et ratifie communément le choix des
magistrats établi par avance. La justice, de son côté, est exercée au début par
les magistrats, puis confiée à des juges spécialisés agissant seuls ou dans le
cadre d’un tribunal collégial.
La cité antique a tendu de la sorte à se caractériser de plus en plus comme
un régime de démocratie directe, fondé notamment sur le tirage au sort des
détenteurs de certaines fonctions, mais tempéré de façon variable par
l’étroitesse de son corps politique. Les plus riches ont dominé les cités
aristocratiques en vertu d’un cens électoral. Toutefois, ces citoyens actifs sont
demeurés toujours suffisamment nombreux pour ne pas se confondre avec une
oligarchie. De plus, la citoyenneté s’est élargie en général aux plus modestes
pour ne plus écarter que les étrangers et les esclaves ; ainsi à Athènes, ou à
Rome où le vote par centuries a maintenu la prépondérance des riches sans
évincer les pauvres.
Les modes de désignation des responsables de la cité antique ont été variés :
cooptation, élection, tirage au sort très usité en Grèce. Quant aux prérogatives
de l’assemblée du peuple par rapport au conseil fort de 300 à 900 membres
(pour le Sénat romain), elles ont été considérables en Grèce mais réduites à
Rome, où le Sénat est devenu vite prépondérant.
→ cité-État, démocratie : démocratie directe
GAUDEMET J., Les Institutions de l’Antiquité, Paris, Montchrestien, 1991 ;
FINLEY M., L’Invention de la politique. Démocratie et politique en Grèce et
dans la Rome républicaine, Paris, Flammarion-Champs, 1985 ; FUSTEL de
COULANGES N. D., La Cité antique, Hachette, 1931 [1895] ; MURRAY O.,
PRICE S. (dir.), La Cité grecque d’Homère à Alexandre, Paris, La Découverte,
1992 ; MANIN B., Principes du gouvernement représentatif, Paris,
Flammarion, 1996.
Cité-État
Le modèle de la cité antique s’éteignant définitivement au IX siècle après
e

une lente agonie, celui de la cité-État le relaie au Moyen Âge après une longue
interruption de la tradition des Républiques urbaines. La Cité-État apparaît en
Italie au XII siècle avant de se diffuser plus au nord, en particulier dans ce qui
e

est devenu l’Allemagne rhénane, la Suisse, la Belgique ou les Pays-Bas (le


plus souvent, dans ce cas, comme villes libres du Saint-Empire romain
germanique).
Ces cités diffèrent profondément des cités antiques. Elles naissent dans un
monde dominé par les valeurs féodales de primauté du lignage et de valeur
personnelle. Toutefois, la civilisation et la richesse tendant à se déplacer vers
les villes, les bourgeois et les membres des corporations qui les habitent se
trouvent bientôt en mesure d’obtenir des seigneurs ou des rois des franchises,
dénommées chartes de communauté, qui les transforment en seigneuries
collectives. Certaines de ces villes vont devenir ainsi des Républiques
urbaines autonomes, cependant que d’autres seront régies notamment par un
Prince-Évêque (Liège, par ex.).
Venise et Florence seront les plus puissantes parmi ces cités-États dont les
institutions sont complexes. Les conseils et les magistrats sont nombreux,
leurs fonctions brèves et étroitement surveillées. Le tirage au sort y demeure
aussi souvent en vigueur pour l’accès à certaines fonctions. Bien
qu’essentiellement ruraux, les petits cantons de la Suisse centrale jouissent
toujours à présent d’un mode de gouvernement intermédiaire entre celui de la
cité-État et de la cité antique, avec leurs dynasties dirigeantes patriciennes
mais, aussi, leurs Landsgemeinde annuelles où s’exerce la démocratie directe
de l’ensemble des « bourgeois ».
→ bourgeoisie, démocratie
CITOYENNETÉ
Juridiquement la citoyenneté peut être définie comme la jouissance des
droits civiques attachés à la nationalité. Aujourd’hui on entend par là le droit
de vote aux consultations politiques, l’éligibilité, l’exercice des libertés
publiques qui donnent sens à la participation politique, enfin l’accès aux
fonctions d’autorité dans l’appareil d’État.
Ce concept est lié originellement à la démocratie. Les monarchies d’Ancien
Régime, les empires de Chine, d’Inde ou d’Amérique précolombienne ne
connaissaient que des sujets, essentiellement voués à l’obéissance. Avec les
cités démocratiques de l’Antiquité grecque (VI -IV siècle avant notre ère)
e e

émerge l’idée de participation à la « chose publique » (en latin, res publica).


L’exaltation de la citoyenneté réapparaît au XVIII siècle avec les révolutions
e

américaine et française. Elle s’inscrit dans une double perspective : opposition


à l’allégeance de type dynastique qui suppose une dépendance de type
personnalisé, et affirmation de l’autonomie de la sphère politique, notamment
par rapport au religieux. Dans la seconde moitié du XX siècle, la notion de
e

citoyenneté est au centre d’un débat sur la question de l’intégration des


populations d’immigrants. La citoyenneté doit-elle être reconnue dans un pays
donné en dehors de tout enracinement culturel et découler automatiquement
de la simple résidence, dans une perspective universaliste qui ne fasse
acception ni de l’origine ethnique, ni de la langue ni de toute autre spécificité
de type identitaire ?
Depuis le célèbre discours de Périclès (rapporté par Thucydide), trois
grandes catégories de représentations valorisantes sont associées à la
citoyenneté par la culture démocratique, qui persistent encore aujourd’hui
comme le révèlent des enquêtes empiriques (cf. Janowitz 1983). Implication
politique active, c’est-à-dire attention portée aux affaires publiques, exercice
du droit de vote, participation volontaire à des activités d’intérêt général ;
amour de la patrie et respect de la loi ; solidarité avec les membres de la même
communauté nationale. En outre les fortes connotations symboliques de la
notion de citoyenneté – égalité, responsabilité, indépendance de jugement –
tendent à faire de l’identité citoyenne une qualité abstraite qui rejette dans
l’ombre les inégalités concrètes de statut social et de compétence politique.
→ bourgeoisie, démocratie, libertariens, nation
.BRUBAKER R., Citoyenneté et nationalité en France et en Allemagne, Paris,
Belin, 1997 ; CONSTANT F., La Citoyenneté, Paris, Montchrestien, 2000 ;
COLAS D., Citoyenneté et nationalité, Paris, Gallimard, 2004 ; DOLLAT P., La
Citoyenneté européenne. Théorie et statuts, Bruxelles, Bruylant, 2008 ;
HERMET G., Aux frontières de la démocratie, Paris, Presses Universitaires de
France, 1983 ; ISIN E., TURNER B., Handbook of Citizenship Studies, Londres,
Sage, 2002 ; KYMLICKA W., La Citoyenneté multiculturelle, Paris, La
Découverte, 2001 ; SCHNAPPER D. (dir.), Qu’est-ce que la citoyenneté ?, Paris,
Gallimard, 2000 ; WEIL P., La République et sa diversité, Paris, Seuil, 2005.

CIVIL RIGHTS

Notion spécifiquement américaine, recouvrant à la fois les droits civiques


ou politiques et les droits civils comme l’égalité juridique, distincte par là des
Droits de l’Homme (Human Rights). Cette spécificité s’explique à la lumière
de l’histoire des États-Unis d’Amérique, en particulier des obstacles opposés à
l’application après la Guerre de Sécession des trois amendements (13, 14 et
15) destinés en vain à assurer l’égalité des noirs en tant que citoyens et que
personnes civiles.
→ citoyenneté
CIVILISATION
→ culture

CLAN

→ segmentaires (sociétés)

CLASSE SOCIALE
Centrale dans l’analyse de Marx, la notion de classe sociale a également été
utilisée par des auteurs totalement étrangers à cette tradition intellectuelle et
politique, notamment avant lui par Ricardo ou Tocqueville et, ultérieurement,
par Max Weber. Elle soulève de nombreux problèmes de définition en raison
des enjeux qui lui ont été associés par le mouvement communiste
international, lequel faisait de la lutte de classes le moteur de l’Histoire, et de
la classe ouvrière le sujet historique de la Révolution.
Dans Le Dix-Huit Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte (1852) puis dans
le Livre II du Capital, Marx s’était efforcé d’en définir les critères. Après
avoir écarté celui de la nature des revenus (profit, salaire ou rente foncière), il
insistait sur la place occupée dans le processus de production économique
parce qu’elle engendre des conditions d’existence spécifiques. Le principal
problème affronté par la théorie marxiste aura été de savoir jusqu’à quel point
il faut adjoindre à ces critères économiques (détention ou non d’un capital,
nature et niveau des rémunérations, intérêts matériels) des critères d’ordre
culturel ou idéologique tels que la conscience de classe, la capacité à élaborer
ses propres aspirations politiques. Gramsci, dans les années de l’entre-deux-
guerres, avait souligné le rôle des « appareils idéologiques », comme l’Église
catholique ou l’école, dans la formation des mentalités de classe. C’est en
partie dans cette filiation que se situe Pierre Bourdieu lorsque, par analogie
avec le capital économique, il met en avant l’importance du capital culturel
(niveau de diplômes, réseau de relations sociales, aisance dans la maîtrise des
codes sociaux, etc.) pour repérer les frontières de classes.
Chez Max Weber la notion de classe est rapportée au phénomène plus large
de la stratification. Des catégories de population (strates) apparaissent
hiérarchisées du point de vue de l’inégale disposition d’un bien considéré
comme désirable : l’argent (classes de revenus), le prestige social (classes de
statuts), le pouvoir (classes dirigeantes). L’auteur d’Économie et Société
privilégie donc une approche plus large mobilisant des critères pluriels.
Dans les sciences sociales la notion de classe soulève trois types de
difficultés. Les premières sont liées à ses usages politiques dans le mouvement
ouvrier. Identifier les classes potentiellement alliées du prolétariat dans la
conquête du pouvoir, s’interroger sur les nouvelles frontières de la classe
ouvrière (dans les années 1960) voire sur son avenir révolutionnaire, a
beaucoup contribué à biaiser l’analyse savante. Mais aujourd’hui
l’effondrement du mouvement communiste rend cet aspect secondaire.
Un second ordre de difficultés concerne les frontières des classes. Il n’est
pas aisé d’appliquer les critères marxiens à des groupements sociaux comme
l’administration publique ou les intellectuels. Le problème est d’autant plus
gênant que l’influence croissante de la technobureaucratie n’a cessé d’être
reconnue et dénoncée par la théorie marxiste au XX siècle. En outre, au sein
e

des classes moyennes ou même de la classe ouvrière, il existe de fortes


disparités économiques ou culturelles, ainsi que d’inextricables conflits
d’aspirations et d’intérêts. Leur homogénéité est en fait toute relative et peut-
être faut-il admettre, avec Raymond Aron (1967), que la notion de classe ne
s’impose que dans des conjonctures historiques bien particulières.
Troisième catégorie de difficultés enfin, d’ordre épistémologique. Les
classes sociales existent-elles comme réalité objective et comme acteur
collectif ? Dans ce cas, le problème du chercheur serait de les découvrir en
mettant au point des indicateurs adaptés, en affinant ses instruments de
mesure. Ou bien au contraire sont-elles des représentations de la réalité
construites par des agents sociaux ayant des logiques concurrentes ? C’est la
question qu’aborde Luc Boltanski dans son ouvrage consacré aux cadres et
sous-titré : La formation d’un groupe social. L’analyse de science politique
visera alors moins à élaborer une illusoire définition objective de la classe
sociale qu’à mettre en évidence les enjeux, les usages et les contradictions du
processus de son affirmation.
→ bourgeoisie, castes et politique, groupe de référence/d’appartenance
ARON R., Nouvelles Leçons sur les sociétés industrielles, Paris, Gallimard,
1967 ; DAHRENDORF R., Classes et conflits de classes dans la société
industrielle, La Haye, Mouton, 1972 ; MOORE B. JR, Les Origines sociales de
la dictature et de la démocratie, Paris, Maspero, 1969 ; TOURAINE A., La
Révolution postindustrielle, Paris, Denoël, 1969 ; WEBER M., Économie et
Société, Paris, Plon, 1971, T.1, chap. IV.

CLIENTÉLISME

L’analyse des phénomènes clientélistes a constitué l’un des terrains


privilégiés de la science politique au cours des années 1970, par référence en
particulier à leurs expressions italienne (cf. L. Graziano), nord-africaine ou
arabe (cf. E. Gellner, J. Leca, Y. Schemeil, J. Waterbury), nord-américaine (cf.
F.J. Sorauf) ou de façon plus théorique et globale (cf. C.H. Lande, F. Médard,
S.W. Schmidt). De manière générique, Carl H. Lande définit le clientélisme
comme une « alliance dyadique [fondée sur…] l’accord volontaire souscrit par
deux individus d’échanger des faveurs et de se porter mutuellement assistance
en cas de besoin ». De son côté, Jean Leca et Yves Schemeil précisent et
nuancent utilement cette définition qui paraît postuler – à tort – l’égalité des
partenaires ; ils caractérisent en effet le phénomène comme une « alliance
dyadique verticale entre deux personnes de statut, de pouvoir et de ressources
inégaux, dont chacune […] considère utile d’avoir un allié supérieur ou
inférieur à elle-même ».
Que recouvre la notion dans la réalité ? La relation clientéliste – ou de
patronage – se révèle hiérarchique (verticale) et inégalitaire. Elle désigne par
conséquent la domination exercée par un patron sur ses clients. Toutefois, sa
dimension individualiste ne doit pas être exagérée. Le patron est un individu
autonome tandis que le client l’est à peine, car il se trouve enserré dans le
réseau des solidarités et des valeurs communautaires de son milieu (milieu
rural, souvent latifundiaire aux origines). Au-delà, il convient de cerner les
composantes sociologiques et culturelles originelles du clientélisme. Celui-ci
remonte historiquement au système de patronage de l’Empire romain,
refaçonné sur le plan politique par l’introduction de la procédure des centuries
dans le régime électoral. Dès ce moment, en outre, la relation de patronage se
trouve sacralisée, au point de légitimer plus une servitude acceptée qu’une
décision volontaire ou un calcul utilitariste. Cet élément sacré s’est manifesté
à nouveau dans les pays méditerranéens ou en Amérique latine, notamment
par le biais du parrainage religieux en vertu duquel le patron s’attachait les
enfants de ses clients. En bref, le clientélisme d’abord socio-culturel des
grands propriétaires terriens en particulier n’est devenu électoral ou
expressément politique qu’en fonction de l’avènement de l’État centralisé et
des régimes représentatifs. À ce titre, il pourrait se définir
complémentairement comme un partage de pouvoir entre un État central faible
et des pouvoirs locaux de fait mais légitimes toujours contrôlés par des
patrons, ainsi que comme un régime où l’État ne détient que le monopole de la
perception des ressources fiscales cependant que les patrons conservent celui
de la dépense publique dans leurs fiefs respectifs.
Tel est le point de départ. Reste qu’il ne concerne à proprement parler que
la première catégorie du clientélisme dans les typologies qui en ont été
établies. L. Graziano et S. Tarrow distinguent en effet un second type
dénommé « clientélisme de masse » ou « nouveau clientélisme », dans lequel
disparaît la relation personnelle directe sur laquelle C.H. Lande a insisté. Il
s’agit de celui qui se trouve régi par les partis ou les réseaux électoraux
modernes, en particulier dans les villes. Cette forme de clientélisme s’observe
d’abord et dès les années 1860 aux États-Unis, sous le nom de bossism et sous
l’égide principalement du parti démocrate. Il se manifeste plus tard en Italie,
en Espagne, dans d’autres pays méditerranéens ou en Amérique latine. Ceci
sans oublier ses traces précoces que certains prétendent trouver dans les
corporations japonaises traditionnelles ou certains lignages du Soudan, par
exemple. En outre, le phénomène du factionnalisme doit se considérer en
parallèle de celui du clientélisme, par référence à la compétition des diverses
factions pour le contrôle d’un même espace. Il en va de même encore de celui
des réseaux sociaux.
→ Amérique latine, bossism, caciquisme caudillisme, élection
BRIQUET J.-L., SAWICKI F. (dir.), Le Clientélisme politique dans les sociétés
contemporaines, Paris, PUF, 2000 ; GRAZIANO L., « Patron-Client
Relationships in Southern Italy », European Journal of Political Research 3
(34), avril 1973 ; HERMET G., « L’autoritarisme », in GRAWITZ M., LECA J.
(dir.), Traité de science politique, Paris, PUF, 1985, vol. 2 ; LECA J.,
SCHEMEIL Y., « Clientélisme et néo-patrimonialisme dans le monde arabe »,
International Political Science Review (4), 1983 ; SCHMIDT S. W. (ed.),
Friends, Followers and Factions, Berkeley, University of California Press,
1977 ; TAFANI P., Les Clientèles politiques en France, Paris, Éd. du Rocher,
2003.
Clivages politiques
Division d’une société ou d’un milieu en groupes et sous-groupes obéissant
à des orientations politiques divergentes. Ces clivages se déterminent le plus
communément au regard des classes sociales ou des castes, de la nationalité,
de la langue, de la culture globale d’une catégorie de population, de la race ou
de l’ethnie, du sexe, parfois de l’âge, également en fonction des circuits de
socialisation, de l’environnement familial ou local, du niveau scolaire, du type
de résidence, du degré de sécurité matérielle ou morale, des expériences ou
frustrations personnelles et collectives. Dans les sociétés dotées d’un cadre
démocratique stable, les clivages politiques s’inscrivent pour l’essentiel dans
des institutions telles que les systèmes de partis, les réseaux associatifs, les
syndicats, les groupes d’intérêts et les structures administratives. Sous
d’autres régimes, ils peuvent s’exprimer pacifiquement au travers de canaux
substitutifs, générationnels par exemple (les « cadets » vis-à-vis des aînés en
Afrique), ou encore au travers de courants religieux (les confréries islamiques,
les associations sportives ou culturelles dans les régimes autoritaires). Dans
des sociétés instables et fortement divisées, ils peuvent aussi dessiner les
fronts d’une guerre civile larvée ou ouverte (ex. : Angola, Liban). Les clivages
politiques se ramifient et s’entrecroisent au niveau de trois catégories : 1) les
clivages socio-structurels (de classe en particulier) ; 2) les clivages
d’appartenance fondamentale (couleur et sexe) ; 3) les clivages d’attitudes et
de comportement (partisans en particulier, ou idéologiques).
Il convient, en outre, d’observer que les clivages politiques se recoupent
dans des interactions dont la résultante finale configure la logique dominante
de la fragmentation d’un champ politique donné. Ce niveau de fragmentation
globale peut se révéler faible et essentiellement binaire comme aux États-Unis
(démocrates et républicains). Bien que souvent sous le couvert de la classique
topographie droite/gauche, il peut à l’inverse correspondre à un spectre
politique et idéologique extrêmement fragmenté ; ainsi, par exemple, aux
Pays-Bas, en Italie ou en Suisse, si l’on tient compte dans ce dernier cas du
parcellement cantonal (la France occupant une position intermédiaire à cet
égard). En particulier dans l’Europe du Nord, l’érosion des clivages partisans
établis fournit en outre la matière d’un nouveau débat de la science politique,
autour de l’hypothèse dite du defreezing (dégel) de ces clivages.
→ démocratie : démocratie consociative, gauche/droite, partis
politiques : Typologie des clivages partisans
MAIR P., « The freezing hypothesis : an evaluation », in KARVONEN,
KUHNLE S. (ed.), Party Systems and Voters Alignments Revisited, London,
Routledge, 2001 ; RAE D., TAYLOR M., The Analysis of Political Cleavages,
New Haven, Yale University Press, 1970 ; ROKKAN S., LIPSET S. M. (eds.),
Party Systems and Voters Alignments, London, Collier-Macmillan, 1967.

COALITION (GOUVERNEMENT DE)

Dans une démocratie pluraliste, se dit d’un gouvernement ouvert à des


ministres originaires de différents partis. Cette formule s’impose généralement
parce qu’aucune formation ne dispose de la majorité absolue à l’Assemblée
nationale ; mais il peut y être recouru en cas de circonstances particulièrement
graves exigeant un consensus national aussi large que possible. Si le nombre
des partis représentés au Parlement est très élevé (Italie, Israël, Pologne…), le
nombre des combinaisons théoriquement concevables laisse une marge de
manœuvre au « formateur » qui lui permet de moins dépendre des exigences
posées par chacun à sa participation.
La pratique du gouvernement de coalition fait dépendre sa survie de
l’éventuel retrait décidé par les dirigeants des formations associées, ce qui
pèse à la fois sur la manière dont le chef du gouvernement exerce son autorité
sur ses ministres et sur la mise en œuvre par le Parlement des mécanismes de
responsabilité constitutionnellement prévus.
→ régimes politiques
MÉNY Y., Politique comparée, Paris, Montchrestien, 1993 ; PÉLASSY D.,
Qui gouverne en Europe ?, Paris, Fayard, 1992.

COERCITION

→ violence politique

COLLECTIVITÉS LOCALES

→ décentralisation, intercommunalité

COLONIALISME

La colonie désigne tout territoire conquis et contrôlé par des hommes venus
d’une métropole : ainsi définie, elle s’impose comme institution
transculturelle et transhistorique, s’appliquant autant à la Grèce antique qu’au
monde contemporain. Dans son sens moderne et le plus courant, elle désigne
les implantations territoriales des puissances européennes au-delà de l’espace
territorial qu’elles revendiquent pour leur communauté nationale. Elle suppose
généralement la domination effective d’une minorité étrangère sur une
population autochtone culturellement différente. On distingue cependant entre
la colonie de peuplement, destinée à accueillir de façon massive la population
métropolitaine pour qu’elle s’y installe durablement au prix d’une
marginalisation, voire d’une destruction de la population autochtone, et la
colonie d’exploitation où la population métropolitaine, moins nombreuse,
encadre simplement la population autochtone.
Le colonialisme se définit alors soit comme une idéologie justifiant
l’entreprise coloniale, soit comme l’ensemble des pratiques sociales et
politiques permettant la réalisation de celle-ci. Ces pratiques peuvent faire
appel à des modèles d’administration directe (généralement caractéristiques de
la colonisation française) ou indirecte (indirect rule), conservant les formes
d’autorité traditionnelle alors mises en tutelle (propre à la colonisation
britannique).
Le néo-colonialisme désigne l’ensemble des pratiques renouvelées de la
dépendance, cherchant à mettre en œuvre d’autres moyens que la conquête
territoriale, jugée coûteuse et de pérennisation de plus en plus incertaine.
→ Coloniale (Situation), dépendance (théorie de la), développement
politique, impérialisme, post-colonial studies
BALANDIER G., « La situation coloniale : approche théorique », Cahiers
internationaux de sociologie (11), 1951, pp. 44-79 ; YOUNG C., The African
Colonial State in Comparative Perspective, New Haven, Yale University
Press, 1994.
COLONIALE (SITUATION). Concept introduit par Georges Balandier en 1951,
avec un double objectif : 1) Offrir une alternative méthodologique au
fonctionnaliste dominant en anthropologie politique ; 2) Créer un nouveau
cadre d’analyse des espaces coloniaux dans leur crise terminale. Le concept se
fondait sur l’idée centrale d’une « totalité » complexe, englobant l’ensemble
formé par les sociétés colonisatrices et les sociétés colonisées, ainsi que sur
l’attention portée à tous les déterminants de cette situation, économiques,
politiques, administratifs, idéologiques, religieux ou culturels.
→ colonialisme, dépendance (théorie de la), impérialisme, postcolonial
studies
BALANDIER G., « La situation coloniale : approche théorique », Cahiers
internationaux de sociologie (11), 1952, pp. 44-79.
Commissions parlementaires
Pour préparer la discussion et le débat des assemblées, il est toujours apparu
nécessaire d’étudier les textes en comité plus restreint réunissant notamment
ceux des parlementaires qui avaient acquis une compétence spécialisée.
Dans les démocraties parlementaires modernes, aucun projet ou proposition
de loi ne peut être discuté en séance plénière s’il n’a d’abord été examiné en
commission, et ce dans les deux chambres en cas de bicamérisme. C’est
pourquoi il existe des commissions permanentes spécialisées dans les grands
domaines de l’activité gouvernementale. En France depuis la réforme
constitutionnelle de 2008, leur nombre est plafonné à huit mais, actuellement
il n’en existe que sept : Affaires étrangères, Finances, Défense, Lois
constitutionnelles et législation, Affaires culturelles, familiales et sociales,
Affaires économiques, environnement et territoire (ex-Production et
échanges), Affaires européennes. Il existe aussi des commissions ad hoc,
c’est-à-dire créées spécialement pour l’étude d’un texte ou la mise en œuvre
d’une enquête. Elles débattent à huis clos et désignent un rapporteur dont la
personnalité et le degré de maîtrise du dossier jouent un grand rôle lors du
débat en séance plénière. L’éventuelle publication des rapports d’enquête ou
de contrôle contribue puissamment à nourrir le débat politique dans les médias
et l’opinion publique.
L’efficacité et la qualité du travail effectué en commission dépendent de
plusieurs facteurs. D’abord le nombre des commissaires qui ne doit pas être
trop élevé (il atteint 145 dans la commission des Affaires culturelles,
familiales et sociales) ; ensuite la qualité de l’assistance technique dont ils
peuvent bénéficier pour seconder leur propre compétence personnelle ; enfin
les moyens d’investigation juridiques et matériels dont ils disposent (droit de
se faire communiquer les documents nécessaires, de convoquer pour audition
toute personne utile, etc.). À cet égard les commissions sénatoriales
américaines ont réussi à se doter de redoutables pouvoirs d’examen et
d’enquête.
En vue de rationaliser l’exercice de la compétence législative des
Parlements modernes, trop souvent débordés par le nombre de textes ou
d’affaires à étudier, il a parfois été suggéré, comme en Italie, de doter les
commissions d’un pouvoir de décision, sous certaines conditions et dans
certaines matières. Composées généralement à la proportionnelle des groupes,
elles constituent dès lors des parlements en miniature. Cependant, elles-
mêmes sont souvent surchargées, de sorte que se constituent en leur sein des
groupes de travail informels où tend à se dissoudre la véritable confrontation
politique.
→ parlement, exécutif/législatif (pouvoirs)
CAMBY J.-P., Le Travail parlementaire sous la V République, Paris,
e

Montchrestien, 2004.
COMMUNAUTARISATION

Ce terme désigne le processus de reconstruction de structures collectives de


type identitaire considérées autrefois comme peu légitimes dans le cadre de
l’État-nation unitaire hostile à la persistance de toute culture organisée. Si les
formes diverses de repli communautaire s’intensifient aux États-Unis ou en
Grande-Bretagne où les « minorités ethniques » disposent de privilèges
juridiques et de quasi-représentants élus au Parlement, elles étonnent
davantage dans la société française façonnée par les idéaux républicains
hostiles à la présence de ces ensembles culturels au sein de l’espace public. Le
recul de l’État, la décentralisation, le retour aux cultures suscitent néanmoins
un mouvement de communautarisation récent.
→ multiculturalisme, ethnicité
BIRNBAUM P., Destins juifs, Paris, Calmann-Lévy, 1995 ; COSTA-LASCOUX J.,
WEIL P. (dir.), Logiques d’État et immigration, Paris, Kimé, 1992 ;
KYMLICKA W., MESURE S., Comprendre les identités culturelles, Paris, PUF,
2000 ; LACROIX J., Communautarisme versus libéralisme : quel modèle
d’intégration ? Bruxelles, Éd. de l’Université de Bruxelles, 2003 ; NOBLET P.,
L’Amérique des minorités, Paris, L’Harmattan, 1993 ; TAYLOR CH.,
Multiculturalisme, différence et démocratie, Paris, Flammarion, 1993.

COMMUNAUTÉ

Concept de la théorie sociologique qu’on doit à Ferdinand Tönnies


(Gemeinschaft) et qui s’oppose à celui de société (Gesellschaft). Il désigne
une forme d’organisation sociale dans laquelle les individus sont liés entre eux
par une solidarité naturelle ou spontanée et sont animés par des objectifs
communs. Contrairement à la société, qui repose sur l’utilité et la raison, la
communauté est essentiellement alimentée par l’affectif et par l’intériorisation
de valeurs communes fortement partagées par les individus.
Ce concept est en outre utilisé par beaucoup d’auteurs dans un sens
différent, moins précis que celui que lui attribue Tönnies. Il désigne, par
exemple, chez les théoriciens de la mobilisation sociale, l’ensemble des
individus qui participent à un même système de communication ; chez les
systémistes, il renvoie souvent à l’ensemble des acteurs qui participent au
fonctionnement d’un système donné. Dans son usage le plus courant et le
moins rigoureux, la communauté permet ainsi de nommer toute collectivité
sociale à laquelle on prête une unité, quel que soit son mode d’intégration.
Cette vision est reprise en relations internationales : la communauté permet
alors de nommer tout groupement d’individus unis par une même allégeance à
leurs institutions politiques centrales et se distinguant, à ce titre, d’autres
communautés.
En langage institutionnel, enfin, la communauté désigne une collectivité
supra-étatique institutionnellement construite (Communauté européenne,
Communauté française, Communauté des États indépendants, Communauté
européenne de Défense, etc.).
→ communauté : Communalisation-sociation, holisme, individualisme,
société, valeur
TÖNNIES F., Communauté et Société, Paris, PUF, 1944 [1887].
COMMUNALISATION-SOCIATION. Concept élaboré par Max Weber pour
désigner toute relation sociale fondée « sur le sentiment subjectif (traditionnel
ou affectif) des participants d’appartenir à une même communauté ». Il se
distingue ainsi du concept de sociation qui renvoie à une relation sociale
fondée sur « un compromis d’intérêts motivé rationnellement (en valeur ou en
finalité) ou sur une coordination d’intérêts motivée de la même manière ».

Comme l’admet Weber lui-même, le concept de communalisation rappelle


celui de communauté élaboré par Tönnies, tout en revêtant une acception
beaucoup plus large. Les fondements de la communalisation sont en effet les
plus divers : celle-ci fait sens dès lors que sont repérées les valeurs subjectives
d’appartenance partagées par tous ceux qui s’insèrent dans le processus de
communalisation. Ainsi construite, la communalisation a une signification
idéale-typique : les relations sociales ont en partie un caractère de
communalisation, en partie un caractère de socialisation.
→ communauté, nation, socialisation politique, société, valeur
WEBER M., Économie et Société, Paris, Plon, 1971, p. 41 sq.

COMMUNAUTÉ DE SÉCURITÉ

Concept créé par Karl Deutsch pour désigner des ensembles géo-politiques
plus ou moins intégrés, pluralistes ou pas, qui, par la proximité des valeurs qui
y dominent, par l’empathie des populations qui les composent et la
prévisibilité des comportements qui s’y forgent, éliminent entre eux les
risques de guerre. Le concept a ainsi été forgé pour rendre compte de la
communauté atlantique après la Seconde Guerre Mondiale.
DEUTSCH K., et al, Political Community and the Atlantic Area, Princeton,
Princeton University Press, 1957.

COMMUNAUTÉ IMAGINÉE

Introduite par Benedict Anderson dans son ouvrage Imagined Communities


(traduit par L’imaginaire national, La Découverte, 1996), cette expression
s’est rapidement imposée à travers la discipline. Dans une perspective proche
de Ernest Gellner, Anderson considère que le nationalisme a créé l’idée de
nation sous l’influence de la révolution de l’écrit. Née avec l’imprimerie,
celle-ci a facilité la prise de conscience de « solidarités à distance ». La
diffusion d’une langue commune, le développement des recensements, de la
cartographie et des musées, mettent en place dans les mentalités une
« communauté imaginée ». Mis en œuvre par l’appareil scolaire, diffusé par
les vastes systèmes de communication, le nationalisme produit donc, sous la
houlette de l’État, cette nation imaginée qui se présente « comme une
communauté parce que, indépendamment des inégalités et de l’exploitation
qui peuvent y régner, la nation est toujours conçue comme une camaraderie
profonde, horizontale ». Aux antipodes des théories d’Anthony Smith insistant
sur l’origine ethnique même recomposée de la nation, la perspective proposée
par Anderson a souvent, au contraire, été perçue comme trop artificielle,
comme une quasi-manipulation par des élites ôtant aux nations leur épaisseur
ainsi que leur historicité.
→ nationalisme, idéologie, ethnicité
ANDERSON B., L’imaginaire national. Réflexions sur l’origine et l’essor du
nationalisme, Paris, La Découverte, 1996 [1983].

COMMUNICATION POLITIQUE

Toute relation entre gouvernants et gouvernés est nécessairement


caractérisée par des flux d’informations, fussent-ils inégalement réciproques.
En ce sens large, bien avant même d’avoir été théorisée, la communication
politique est un fait inhérent à l’existence même du pouvoir ; et cela d’autant
plus que celui-ci n’est jamais exclusivement fondé sur la force mais cherche
toujours à mobiliser un minimum de légitimité, donc à convaincre et
persuader.
Toutefois l’apparition de la presse écrite au XIX siècle, puis la radio, la
e

télévision et les multiples formes de télécommunications au XX siècle, ont


e

profondément transformé les conditions d’exercice de la communication


politique. On observe d’abord la forte tentation de domestiquer la formidable
puissance de ces moyens de communication de masse au profit d’une
propagande intense et unilatérale afin de conforter des systèmes politiques
autoritaires ou totalitaires. On observe aussi, à l’inverse, l’émergence d’un
discours démocratique soucieux de faire prévaloir une communication ouverte
et authentique, qui permette l’éducation du citoyen et l’amélioration des
conditions d’exercice des libertés politiques. Enfin, le poids acquis dans la
société par les différentes catégories de professionnels de la communication
(journalistes de la presse écrite, de la radio et de la télévision), des conseillers
en communication, sondeurs, experts en marketing électoral impose au
personnel politique des contraintes de comportement dont il ne maîtrise pas
les règles. D’autant plus qu’Internet est devenu un lieu de circulation
formidable d’informations qui échappent largement au contrôle du pouvoir
politique.
Fondamentalement la communication politique a pour finalité de faire
prévaloir des « représentations du réel ». Les faits, les événements, a fortiori
les situations complexes telles qu’une crise économique ou une tension
diplomatique, ne sont accessibles qu’à travers un langage qui les nomme, des
catégories d’analyse qui permettent de les penser dans un univers de
références déjà construites culturellement. Le chômage est une réalité
politique parce qu’il y a un mot pour l’exprimer (ce n’était pas le cas il y a
quelque deux siècles) et que ce mot, au centre de tant de débats, s’est chargé
de fortes connotations, différentes d’ailleurs selon l’appartenance sociale ou la
famille politique.
L’action politique relève très largement de l’univers du langage : non
seulement la parole et l’écrit mais aussi, plus largement, tout système de
signes intelligibles comme l’architecture officielle, les cérémonies avec leurs
rituels et leur decorum, ou encore les défilés et les démonstrations de masses,
etc. C’est par le langage que se construit non seulement le débat politique
mais, aussi, la scène politique elle-même avec ses enjeux, ses règles, ses
acteurs.
On peut en effet assigner trois fonctions principales à la communication
politique. La première est de construire des repères identitaires. Pas de
locuteur qui n’ait à légitimer sa prise de parole en s’affirmant par exemple
comme représentant de ses mandataires, de ses électeurs, du pays tout entier,
ou en se prévalant de sa qualité de citoyen, de militant du parti, etc. Le
langage politique secrète donc tout un lexique de termes qui mettent en place
les conditions préalables de la communication : qui parle à qui ? à quel titre ?
s’inscrivant dans quelle affiliation ? mobilisant quelles solidarités ? se
donnant quels adversaires ? Ainsi la scène politique est-elle déchiffrable parce
que s’y trouvent construites des catégories de classement telles que la gauche
et la droite, le centre et les extrêmes, les politiques et les techniciens ; que s’y
repèrent différents niveaux d’acteurs : majorité et opposition, représentation
nationale et élus locaux, dirigeants et militants, etc. L’identité des
organisations politiques s’affiche à partir de leur sigle (PCF, PS, UDF, UMP)
dont il faut imposer la notoriété mais aussi construire autour de lui des
connotations valorisantes. Elle implique la mise en place de mots-marqueurs :
références rituelles à des grands hommes, des personnalités, des concepts
doctrinaux, une mémoire historique. Au sein d’une formation fortement
structurée se met souvent en place une sorte de langage interne pour initiés,
qui atteste l’importance des complicités partagées. Tout cela renforce le
sentiment d’une identité commune, celle de l’in-group, face à l’extérieur (out-
group).
La seconde fonction de la communication est de construire une causalité
politique. Dans la société beaucoup de phénomènes échappent à l’emprise du
pouvoir politique, notamment ce qui relève des tendances lourdes aux niveaux
démographique, économique, culturel. Or les gouvernés veulent identifier des
causes, imputer à ceux qui les dirigent les contraintes qu’ils subissent dans
leur existence sociale. Cette exigence rencontre les logiques de comportement
de la classe politique. Les gouvernants aussi bien que l’opposition qui les
critique se légitiment en soulignant, autant que faire se peut, leur capacité
positive d’intervention et d’emprise sur les phénomènes sociaux. Ils effectuent
donc en permanence un travail de réappropriation qui passe par des analyses
valorisant les dimensions politiques du problème de société ; ils insistent (les
gouvernants) sur l’importance de leur action, ils dénoncent (l’opposition) son
insuffisance ou son inadaptation. Le débat qui s’instaure contribue ainsi, de
façon décisive, à conférer à l’instance politique un rôle majeur : qu’il s’agisse
de lui imputer la responsabilité des difficultés persistantes, ou au contraire de
s’attribuer la bonne maîtrise de la situation.
La communication politique, enfin, remplit une troisième fonction : offrir,
sinon imposer, aux destinataires des schèmes d’interprétation et d’analyse de
la réalité. Dans un régime démocratique, ce travail de persuasion politique
s’opère dans la concurrence entre discours antagonistes, plus ou moins bien
relayés il est vrai par les différents médias. Le citoyen, dûment informé, est
censé se faire par lui-même une opinion. En réalité, il est conduit à
sélectionner les messages selon des critères qui excèdent de beaucoup un
simple travail d’analyse rationnelle. À ses yeux, l’information pertinente est
celle qui ne heurte pas ses croyances, voire les conforte ; celle encore qui lui
est intelligible parce qu’elle correspond à des attentes et à des cadres
d’analyse déjà acquis ; celle enfin dont l’émetteur lui paraît, à ses yeux,
politiquement ou culturellement légitime.
Les travaux sur la communication (politique) ont connu une évolution en
trois phases. L’accent fut d’abord placé, avec Harold Lasswell notamment, sur
l’influence exercée par l’émetteur du message. Les études ont souvent
concerné l’impact d’une campagne électorale, ou encore l’influence de la
presse d’opinion sur son lectorat. Elles ont mis en évidence la nécessité de
tenir compte des conditions sociologiques de la réception. Les messages les
plus efficaces dans la persuasion sont ceux qui renforcent des attentes
préexistantes ; en d’autres termes, il existe surtout des effets de réactivation
d’opinions latentes.
Plus tard, avec MacLuhan en particulier, le centre d’intérêt est devenu le
medium lui-même. L’auteur de La Galaxie Gutenberg aimait opposer les
médias chauds (radios, télévision) où la communication est fortement
sensorielle, et les médias froids (presse Écrite) où le contenu intellectuel du
message importe davantage. Les premiers provoquent, plus que les seconds,
une sorte d’hypnose qui anesthésie davantage la capacité de critique
rationnelle du message proposé.
Enfin, les travaux contemporains prennent en considération l’articulation :
medium, message, public. Le contenu des messages est influencé par la
qualité des destinataires de même que par la forme dans laquelle il s’exprime.
La nature du medium utilisé impose ses codages spécifiques : à la télévision
par exemple, outre la contrainte générale de temps et de rythme, chaque
émission politique a son style d’animation, ses règles du jeu. En outre la
persuasion emprunte le plus souvent, comme l’a montré E. Katz depuis bien
longtemps, un mode de cheminement en deux temps. Professionnels de la
presse et hommes politiques sont les plus attentifs aux contenus de la
communication politique en même temps qu’ils en sont les émetteurs
principaux. Le processus d’émission des messages est de ce fait fortement
interactif entre eux, mettant en place des codes implicites de ce qui est
matériau de la communication (ce qui doit ou non faire événement).
L’importance contemporaine de la communication politique a conduit de
nombreuses personnalités et organisations à recourir à des consultations
d’experts : organismes de sondages, conseillers en communication (dont la
profession s’est affirmée socialement depuis le milieu des années 1960 en
France). A fortiori en a-t-il été de même du gouvernement. Il existe auprès de
chaque ministère un service de presse et, parfois, un véritable service
administratif spécialisé comme ceux du ministère de la Défense, ou du
ministère des Finances. Surtout, il faut mentionner le SID (service
d’information et diffusion du premier ministre), organisme à la fois
administratif et politique chargé d’informer le pouvoir exécutif sur l’état de
l’opinion, de mettre en œuvre la coordination de sa communication, voire
d’élaborer des stratégies d’images et des campagnes d’information.
→ langage politique, médias, persuasion politique, storytelling,
symbolique politique
BALLE F., Médias et sociétés, Paris, Montchrestien, 2007 ; BOURDIEU P.,
Langage et pouvoir symbolique, Paris, Seuil, 2001 ; BRETON PH., PROULX S.,
L’Explosion de la communication. Introduction aux théories et pratiques de la
communication, Paris, La Découverte, 2005 ; COTTERET J.-M., Gouverner,
c’est paraître, (2 éd.), Paris, PUF, 1997 ; CASTELLS M., L’Ère de la
e

communication, Paris, Fayard, vol. 3, 1998-1999 ; GERSTLÉ J., La


Communication politique, Paris, A. Colin, 2004 ; KATZ E., LAZARSFELD P. L.,
Influence personnelle. Ce que les gens font des médias, Paris, A. Colin/INA,
2008 ; LE BART C., Le Discours politique, Paris, PUF, 1997 ; MAIGRET E.,
Sociologie de la communication et des médias, Paris, A. Colin, 2007 ;
MATTELARD A., MATTELARD M., Histoire des théories de la communication,
Paris, La Découverte, 2002 ; NEVEU E., Une Société de communication ?,
Paris, La Découverte, 2002 ; RIUTORT PH., Sociologie de la communication
politique, Paris, La Découverte, 2007.

COMMUNISME

Si le terme est introduit dans le vocabulaire politique par Cabet, autour de


1835, il correspond à une sensibilité bien antérieure revendiquant « l’égalité
réelle » et l’abolition de la propriété. Ces tendances s’exprimeront notamment
en Angleterre avec le mouvement des niveleurs (levellers) au XIV siècle, mais
e

aussi dans les courants radicaux de la Réforme protestante en Allemagne, puis


en Angleterre.
Au XIX siècle, il existe un communisme utopiste que Marx qualifiera
e

dédaigneusement de « communisme vulgaire ». De tendance festive (cf.


Enfantin, Fourier) ou austère (cf. Babeuf, Weitling, Cabet), il entend
construire une société idéale fondée sur la communauté des biens, des travaux
et des jouissances ; parfois, mais pas toujours, sur le refus de toute autorité (le
« ni Dieu, ni maître » des anarchistes) ou encore sur l’abolition de la famille.
On y décèle des réminiscences variées : les rêves platoniciens aussi bien que
le souvenir du christianisme primitif et, surtout peut-être, la nostalgie de la
grande Révolution française inachevée.
Avec Marx apparaît le sens moderne du communisme comme « société
sans classes et sans État ». Il est à la fois l’aboutissement de l’Histoire et son
abolition. Stade final, il est précédé d’une étape intermédiaire : le socialisme,
qui se caractérise non par la suppression de toute propriété privée mais par la
socialisation des moyens de production et d’échanges, condition selon Marx
de la fin de l’exploitation de l’Homme par l’Homme et du « jaillissement des
forces productives ».
→ anarchisme, marxisme, partis politiques : partis communistes,
socialisme
ADLER A., Le Communisme, Paris, PUF, 2001 ; BUTON PH., Le
Communisme, une utopie en sursis ?, Paris, Larousse, 2001 ; COURTOIS S.
(dir.), Dictionnaire du communisme, Paris, Larousse, 2007 ; HOURMANT F., Au
pays de l’avenir radieux. Voyages des intellectuels français en URSS, à Cuba,
et en Chine populaire, Paris, Aubier, 2000 ; SÈVE L., Commencer par les fins,
Paris, La Dispute, 1999.
COMMUNITARIENS

Mouvement de pensée à caractère normatif, né aux États-Unis dans les


années 1980, qui conteste l’individualisme libéral radical selon lequel
l’individu est seul censé pouvoir prendre légitimement des décisions au regard
des principes moraux qui le guident. Il oppose à cette posture l’idée que les
individus et les communautés auxquelles ils se rattachent sont
interdépendants, et que certains « biens publics » entendus comme biens
communs revêtent une valeur primordiale à un niveau qui dépasse
l’individuel. D’une certaine manière, ce courant traduit une réaction contre le
multiculturalisme en ce qu’il privilégie les liens de voisinage, la
concitoyenneté proche et l’associatif, en somme la conception assez
« organique » d’une démocratie de proximité en la rapportant à la population
américaine majoritaire et non plus aux minorités ethno-culturelles. Son
inspirateur intellectuel principal est le sociologue Amitaï Etzioni.
citoyenneté, démocratie, État, libertariens, multiculturalisme
BERTEN A. et al., Libéraux et communitariens [Textes choisis], Paris, PUF,
1997 ; ETZIONI A., The Spirit of Community : Rights, Responsibilities and the
Communitarian Agenda, New York, Crown Publishers, 1993 ; The
Monochrome Society, Princeton-Oxford, Princeton University Press, 2001 ;
GROSS D., The Past in Ruins. Tradition and the Critique of Modernity,
Amherst, University of Massachussetts Press, 1992 ; WALZER M., « The
Communitarian Critique of Liberalism », Political Theory (18), 1990, pp. 6-
23.

COMPARAISON POLITIQUE

En sciences sociales, la méthode comparative s’est rapidement imposée


comme substitut d’une expérimentation qui, dans la plupart des cas, ne se
révèle pas possible. Elle procède notamment en mettant en évidence des
ressemblances et des différences entre objets empiriques tenus pour
comparables, induisant de ces observations des hypothèses explicatives à
prétention causale. Ainsi, les ressemblances entre pays occidentaux naguère
dotés de partis communistes importants et les différences les distinguant de
ceux au sein desquels ces partis étaient peu développés permettent de formuler
des hypothèses sur les facteurs socio-politiques (structures économiques,
sociales, religion…) rendant compte de cet inégal développement. De la
même manière, les différences opposant, en Europe, les sociétés à « États
forts » et les sociétés à « États faibles » sont-elles expliquées en référence à un
certain nombre de variables dont l’orientation est perçue comme contraire
lorsqu’on compare ces deux types de société : degré de féodalisation,
caractère précoce ou tardif de la révolution industrielle, Évolution du
christianisme (Réforme ou contre-Réforme…).
La comparaison politique n’a pourtant pas qu’une finalité explicative. Elle
est de plus en plus utilisée à des fins descriptives, afin de dégager ce qui fait
l’irréductible singularité d’individus historiques concrets (« le capitalisme
français », « le parti social-démocrate allemand »…) par rapport aux concepts
universels abstraits auxquels ils renvoient (« le capitalisme », « la sociale
démocratie »…).
La comparaison peut être binaire (comparer deux objets, deux séries
d’objets ou deux systèmes politiques) ou multiple (comparer plusieurs objets
issus d’une pluralité de contextes ou un grand nombre de systèmes politiques).
Dans le premier cas, elle présente l’avantage d’être plus intensive, tandis que,
dans le second, elle permet de disposer d’un plus grand nombre d’incarnations
des variables repérées. De même, la comparaison peut-elle mettre en
perspective des objets ou des systèmes politiques proches (le système français
et le système allemand, le système Brésilien et le système argentin, la CDU et
la démocratie chrétienne italienne) ou opter, au contraire, pour la méthode dite
des « contrastes dramatiques », opposant des cas suffisamment différents pour
cerner les fondements historiques et culturels de chacun d’entre eux (la
construction de l’État en occident et en monde musulman, le mode de
légitimation des gouvernants dans les États-nations européens contemporains
et dans les grands empires…). La première méthode gagne probablement en
rigueur et en opérationalité, mais la seconde en portée descriptive et
explicative.
→ méthodologie
BADIE B., HERMET G., La Politique comparée, A. Colin, coll. « U », 2001 ;
COLLIER D., « The comparative method », pp. 105-119 in FINIFTER A. (ed.),
Political Science : The State of the Discipline, Washington, American
Political Science Association, 1993 ; DAALDER H. (ed.), Comparative
European Politics : The Story of a Profession, Londres/NewYork, Pinter,
1997 ; GAZIBO M., JENSON J., La Politique comparée, Montréal, PUM, 2004 ;
HAGUE R., HARROP M., Comparative Government and Politics, London,
Macmillan, 2001 ; MÉNY Y., Politique comparée, Paris, Montchrestien, 1993 ;
PERRINEAU P., ROUBAN L. (dir.), La Politique en France et en Europe, Paris,
Presses de Sciences Po, 2007 ; RAGIN C. C., « La place de la comparaison :
jalons pour la recherche comparative », Revue internationale de politique
comparée 11 (1), 2004 ; The Comparative Method, Los Angeles, University of
California Press, 1987 ; SARTORI G., « Bien comparer, mal comparer », Revue
internationale de politique comparée 1 (1), pp. 19-36 ; SEILER D. L., La
Méthode comparative en science politique, Paris, A. Colin, coll. « U », 2004 ;
TILLY C., Big Structures, Large processes, Huge comparisons, New York,
Russel Sage Foundation, 1984 ; ainsi que les revues Comparative Politics,
Comparative Political Studies et la Revue internationale de politique
comparée.

COMPORTEMENT ÉLECTORAL

Les citoyens qui se rendent aux urnes se déterminent selon deux modèles
principaux. Leur choix peut s’inscrire dans la logique d’un vote de transaction
(Max Weber). On entend par là le fait que l’électeur calcule les profits qu’il
attend ou croit pouvoir attendre du soutien accordé à tel candidat, de
préférence à tel autre. Il est courant aujourd’hui de parler alors d’électeur
stratège, se comportant à la manière d’un consommateur qui évalue les
avantages respectifs des différentes offres disponibles sur le marché électoral,
c’est-à-dire les programmes des candidats dont il jauge la crédibilité
respective. Le choix des citoyens peut aussi s’inscrire dans une logique, toute
différente, celle d’un vote identitaire. En plaçant son bulletin dans l’urne,
l’électeur cherche avant tout à réaffirmer son appartenance à un groupe (le
vote communautaire au sens de Max Weber), à un parti ou à une famille
politique (vote de gauche, vote de droite…). Vote identitaire encore, mais en
un sens différent, lorsque l’électeur entend surtout décliner en votant son
attachement à des valeurs constitutives de son image de soi (vote de
conviction). Cela peut conduire à préférer un parti ou un candidat dont les
chances de gagner paraissent faibles ou nulles, voire une personnalité jugée
inférieure en crédibilité à celle de ses concurrents.
→ comportement politique, élections, sociologie électorale, vote
(fonctions du)
BAUMGARTNER J., FRANCIA P., Conventional Wisdom and American
Elections. Exploding Myths, Exploring Misconceptions, Lanham, Rowman,
Littlefield, 2008 ; BOY D., MAYER N. (dir.), L’Électeur a ses raisons, Paris,
Presses de Sciences-Po, 1996 ; EVANS J., Voters and Voting. An Introduction,
Londres, Sage, 2000 ; LEHINGUE P., L’analyse des transactions électorales.
Problèmes de méthode, Amiens, Thèse université de Picardie, 1996 ;
MAYER N. (dir.), Les Modèles explicatifs du vote, Paris, L’Harmattan, 1997.

COMPORTEMENT POLITIQUE

Ce sont les activités pratiques des agents sociaux qui relèvent de la notion
de participation politique, c’est-à-dire qui exercent une influence sur le mode
de gouvernement collectif. Le comportement se distingue d’une part de
l’attitude qui est plutôt une matrice de comportements virtuels structurée par
des normes sociales intériorisées et d’autre part, plus nettement encore, de
l’opinion que l’on peut définir comme un jugement rationalisé sur le réel,
fondé sur des croyances.
On peut distinguer trois grandes catégories. Tout d’abord les
comportements électoraux. De nos jours le droit de vote est presque
universellement reconnu même si les conditions dans lesquelles il s’exerce
varient considérablement. Candidats et électeurs vont accomplir des actes qui
ne sont intelligibles que par rapport à une situation créée par des règles du
jeu : lois électorales, système d’enjeux politiques, structure de la compétition,
ouverte ou verrouillée.
Il existe également des pratiques de participation dites conventionnelles.
Certaines sont simplement l’expression d’un intérêt pour la chose publique :
recherche d’informations dans la presse écrite ou parlée, discussions avec
l’entourage, assistance à des réunions politiques ou à des meetings ; d’autres
relèvent d’une implication politique plus active : participation ponctuelle à des
rassemblements de protestation (manifestations, sit-in, occupations de lieux
publics), adhésion à une association, un syndicat, un parti, qui peuvent
signifier un militantisme plus ou moins accentué.
Enfin le recours à la violence, pour tenter d’imposer la prise en
considération d’attentes ou d’exigences, est une forme de participation d’un
type bien particulier, ne serait-ce qu’en raison de son habituelle illégalité face
à un État qui revendique le monopole de la violence légitime. Revendication
de reconnaissance, elle va souvent de pair avec l’emploi de stratégies
classiques de négociation et de marchandage, mais dans certains cas elle est,
bien davantage, l’expression d’une volonté de changer les règles du système
politique (par ex. lorsqu’elle est associée à l’idée de révolution).
Pour expliquer ou comprendre un comportement politique, il est nécessaire
de se situer dans un cadre théorique qui fasse place à trois catégories
d’éléments. Tout d’abord, le comportement s’inscrit dans une situation
socialement structurée à la fois par des enjeux, des règles et des ressources
inégalement mobilisables. Enjeux en ce sens qu’il existe des buts ou des
objectifs que s’assignent les acteurs et qui orientent la manière dont ils vont
agir ou s’abstenir. Règles au sens juridique du terme (ce qui est légal et ce qui
ne l’est pas), mais aussi au sens culturel (ce qui est légitime et ce qui ne l’est
pas) ou stratégique (ce qui est efficace et ce qui ne l’est pas). Ressources
enfin, c’est-à-dire moyens d’action permettant d’imposer ou d’influencer : ce
sera par exemple l’argent, la notoriété, la compétence, la disposition de
moyens coercitifs, etc.
Le comportement s’inscrit par ailleurs dans une relation d’interaction entre
des individus. Il est une réponse à des messages et comportements antérieurs
en même temps qu’il suscite à son tour d’autres messages et d’autres
comportements ultérieurs. En d’autres termes il y a toujours séquence et effets
en chaîne, logique de processus, actions et réactions. Schématiquement
l’individu peut être mû par deux démarches : soit opérer un calcul
coûts/avantages qui mobilise ses capacités d’analyse rationnelle et suppose
qu’il accède au maximum d’informations pertinentes ; soit se contenter de
jouer son rôle dans la partie qui se déroule, rôle défini préalablement, de
manière plus ou moins précise, par les schèmes culturels et politiques qu’il a
intériorisés. L’impossibilité pratique de maîtriser toutes les données de toutes
les situations que l’individu doit affronter, jointe, le cas échéant, au sentiment
aigu de sa propre incompétence, fera que dans beaucoup de cas le second
scénario s’imposera de facto. Mais dans le « choix » entre l’initiative
calculatrice et la simple acceptation du rôle, l’individu sera influencé par les
satisfactions qu’il en attend ou les difficultés qu’il espère éluder. Le
conformisme peut être rassurant tandis que le sentiment d’affirmer un
comportement « personnel et conscient » est valorisant. Les données de la
situation et les facteurs de personnalité sont donc des éléments qui contribuent
à la réponse effectivement apportée.
Le comportement d’un individu, enfin, s’agrège à d’autres comportements,
phénomènes d’où résultent des « effets collectifs émergents ». L’action
collective n’existe pas en dehors d’actions individuelles agrégées ; mais elle
n’est pas pour autant la simple addition de celles-ci. Différentes situations
mériteraient d’être distinguées. Dans l’hypothèse par exemple où
interviennent de très nombreux individus posant le même acte se manifeste un
effet d’échelle qui transforme la dynamique du mouvement. Que cinq cents ou
cent mille personnes adhèrent à un nouveau parti, fait évidemment émerger
une organisation de nature différente, pesant d’un poids sans commune
mesure sur le sys tème politique. Par ailleurs, les comportements des individus
provoquent des chaînes de réactions, les unes sur le mode mimétique, les
autres sur le mode antagoniste, qui débouchent sur des phénomènes collectifs
qui n’ont pas été véritablement anticipés. Il peut même en résulter des effets
pervers, c’est-à-dire non souhaités par aucun des agents sociaux. Ajoutons
enfin que les comportements sont perçus et analysés, aussi bien par leurs
auteurs que par les tiers, à travers des représentations culturellement codées.
La réalité active socialement n’est pas le fait brut mais sa réinterprétation par
les agents concernés, qui s’effectue à la lumière de jugements de valeurs, de
normes d’appréciation disponibles, d’informations imparfaites sur les
anticipations escomptables.
→ action collective, behaviourisme, comportement électoral, passions
politiques, sociologie électorale, violence politique
BOUDON R., La Logique du social, Paris, Hachette, 1979 ; BRAUD PH.,
Sociologie politique, Paris, LGDJ, 2008 ; BRÉCHON P., Comportements et
attitudes politiques, Grenoble, PUG, 2006 ; FILLIEULE O. (dir.), Le
Désengagement militant, Paris, Belin, 2005 ; HIRSCHMAN A., Défection, prise
de parole et loyauté, Paris, Fayard, 1983 ; ION J. (dir.), L’Engagement au
pluriel, Saint-Étienne, Publications de l’université, 1999 ; MAYER N.,
PERRINEAU P., Comportements politiques, Paris, A. Colin, 1992 ; NEVEU E.,
Sociologie des mouvements sociaux, Paris, la Découverte, 2005.

CONCENTRATIONNAIRE (SYSTÈME)

Le système concentrationnaire désigne, à proprement parler, le mode de vie


propre aux camps d’internement, tout particulièrement ceux mis en place par
les régimes totalitaires (nazi et stalinien). Dans une acception plus large, le
concept est utilisé, notamment dans une perspective goffmanienne, pour
définir toute collectivité sociale close au sein de laquelle les individus sont
soumis à un contrôle social puissant, limitant au maximum leur autonomie :
prison, internat, asile, etc. Le concept de système concentrationnaire est alors
proche de celui du système totalitaire, mais se rapportera davantage à des
institutions ou collectivités organisées qu’à la société tout entière.
→ communisme, nazisme, totalitarisme
CONQUEST R., La Grande Terreur : Les purges staliniennes des
années trente, Paris, Robert Laffont, 1995 [1968] ; DOMENACH J.-L., Chine :
l’archipel oublié, Paris, Fayard, 1992 ; HILBERG R., La Destruction des juifs
d’Europe, Paris, Fayard, 1988.

CONFIANCE (QUESTION DE)

Procédé par lequel, dans un régime démocratique impliquant responsabilité


de l’exécutif devant le Parlement, le chef du gouvernement prend l’initiative
de vérifier qu’il dispose d’une majorité pour soutenir son action. Il peut le
faire soit à l’occasion d’une déclaration de politique générale, soit à propos
d’un texte qu’il juge particulièrement important. La question de confiance est
une arme entre ses mains à condition que la menace de démission qu’elle
implique puisse être renforcée par la perspective d’une dissolution de
l’Assemblée qui provoquerait sa chute.
→ censure (motion de)

CONFLITS (THÉORIE DES)

Au cœur de la pensée sociale depuis Hobbes, la réflexion sur le conflit pose


à elle seule la question du fondement de l’ordre social. Comment assurer
l’intégration du corps social compte tenu du caractère conflictuel permanent
des relations sociales ? Une partie importante de la sociologie évolutionniste a
longtemps imaginé qu’avec le développement du progrès et la naissance de
l’ordre positiviste impliquant une division du travail fonctionnelle, le conflit
perdrait sa raison d’être ; conflits de classes ou de cultures, conflits d’intérêts
ou de nations, la concorde pourrait s’instaurer et le consensus, ou la paix,
régner. La sociologie anglo-saxonne de la modernisation de même,
paradoxalement, qu’un certain marxisme soutiennent dans ce sens le caractère
purement conjoncturel d’un conflit lié à un certain type de structures sociales,
et qui pourrait donc disparaître par l’entremise du progrès et de la
rationalisation ou, encore, de la révolution. Dans le même sens, Durkheim
n’accorde qu’une attention fort limitée au conflit, préférant se pencher sur la
question de l’intégration ; dans ce sens, le conflit n’est conçu que comme
dysfonctionnel.
Pour Weber au contraire, le conflit est considéré comme « normal » : le
sociologue de l’action souligne son rôle permanent au sein des relations
sociales, car « il est impossible, selon toute l’expérience acquise à ce jour,
d’éliminer la lutte ». Simmel, également, montre que « le conflit […]
constitue une forme de sociation. Les facteurs de dissociation – la haine,
l’envie, le besoin, le désir – sont les causes du conflit ». Le conflit est conduit
selon des stratégies constantes, et il se règle par des processus de médiation ou
des changements de coalitions qui se font jour aussi bien au sein du cercle
familial que dans les relations industrielles ou, encore, entre les nations, la
paix Étant à chaque fois un Équilibre fragile et négocié. Dans ce sens, le
conflit devient fonctionnel, il joue un rôle vital dans le changement social et la
structuration des rapports sociaux. Pour Coser, dans le prolongement de
Simmel, « loin d’apparaître comme dysfonctionnel, un certain degré de conflit
constitue un élément essentiel de la formation des groupes et de leur
persistance » ; il sert à « établir et à maintenir l’identité entre les sociétés et les
groupes ». On parvient alors à une sociologie purement fonctionnelle du
conflit tout aussi réductrice que la perspective dysfonctionnelle antérieure, au
risque de négliger ses conséquences dans les ruptures ou les révolutions
bouleversant réellement, au-delà du simple ajustement, le système social. Si
les sociétés tentent toutes de se prémunir contre les risques internes ou
externes de conflit en tentant, par exemple, de les institutionnaliser, de les
filtrer, d’en intégrer les causes (perspectives systémiques ou néo-
corporatistes), les ruptures échappant à l’art de la gouvernabilité viennent
périodiquement montrer l’illusion de la croyance en l’extinction ou, encore, la
stabilisation des conflits.
→ action collective, intégration, violence politique
BIRNBAUM P., « Conflit » in BOUDON R. (dir.), Traité de sociologie, Paris,
PUF, 1992 ; COSER L., Les Fonctions du conflit social, Paris, PUF, 1987 ;
SCHELLING T., La Stratégie du conflit, Paris, PUF, 1986 ; SIMMEL G.,
Sociologie : Études sur la forme de socialisation, Paris, PUF, 1999 [1908].

CONFLIT INTERNATIONAL

En relations internationales, le conflit décrit la contestation qui oppose entre


eux deux ou plusieurs États et que la théorie réaliste tient pour le résultat
normal de l’inéluctable rivalité de puissances qui caractérise les relations
interétatiques. Cette conception hobbesienne des relations internationales est
remise en cause par l’apport des paradigmes institutionnels et de la régulation
qui mettent la solution des conflits (conflict solving) au centre de leurs
recherches.
→ guerre, conflit international (nouveau –)
ARON R., Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 1962 ;
HOLSTI K., Peace and War, Armed Conflicts and International Order 1648-
1985, Cambridge, Cambridge University Press, 1991.
Conflit international (Nouveau)
Se dit des formes nouvelles de conflit qui sont apparues essentiellement aux
lendemains de la guerre froide dans les pays du Sud et qui se caractérisent
notamment par leur nature intra-étatique, la faiblesse de leur encadrement
institutionnel, la diversité des acteurs qui y participent, le type de violence
mobilisée (distincte de la force militaire classique) et l’inanité des modes
traditionnels de résolution. Ils sortent ainsi clairement du modèle
clausewitzien.
→ guerre
WALLENSTEEN P., SOLLENBERG M., « Armed Conflicts 1989-1998 », Journal
of Peace Research 36 (5), 593-606 ; MARSHALL M. F., Third World War,
Lanham, Rowman and Littlefield, 1999.

CONSENSUS

Accord informel non matérialisé par un vote. La recherche de ce type de


consentement caractérise notamment la direction de certains types
d’organisations notabiliaires et vise à éviter des cristallisations d’opinions
contraires, jugées fâcheuses. Elle est l’expression d’un mode de gouvernance
qui privilégie le refus du conflit visible.
À un niveau macro-social, l’évolution des sociétés occidentales dans la
seconde moitié du XX siècle a conduit à s’interroger sur l’existence d’un
e

consensus croissant des populations, non seulement autour du système


politique mais, plus largement, autour du mode de production et de répartition
des richesses. Cette problématique, un peu confuse, est à mettre en relation
avec des phénomènes très importants comme le déclin du marxisme
occidental, l’effondrement du mouvement révolutionnaire, l’affaiblissement
des manifestations visibles de lutte des classes. Ce nouveau consensus
annoncerait-il la fin du politique ? Signalerait-il l’apparition d’un nouveau
contrat social ?
La notion de consensus touche aux fondements mêmes de l’organisation
sociale. Peut-on concevoir une société viable sans un accord minimal autour
de certaines règles de fonctionnement ? Plus précisément, ces règles ne sont-
elles pas indispensables comme modes de solution des désaccords ? En
d’autres termes, dans une société construite sur la division du travail et la
différenciation sociale, s’il est illusoire de prétendre éliminer les conflits, on
doit néanmoins faire émerger un accord sur la manière de les réguler, qui
privilégie par exemple le respect de la loi démocratique, exclut le recours à la
violence, valorise la négociation et le dialogue. En revanche, un consensus
beaucoup plus large peut signaler, comme l’a montré Steven Lukes,
l’existence d’un pouvoir d’une efficacité et d’une intensité telle qu’il impose
non seulement l’exclusion de toute expression d’un dissentiment mais, bien
plus encore, un remodelage radical des représentations que les diverses
couches sociales se font de leurs intérêts et aspirations. Ce type de consensus a
quelque rapport avec un système totalitaire.
→ culture politique, démocratie consociative, légitimité
ARON R., Études politiques, Paris, Gallimard, 1972 ; BIRNBAUM P., La Fin
du politique, Paris, Seuil, 1975 ; COSER L., Les Fonctions du conflit social,
Paris, PUF, 1982 ; FUKUYAMA F., La Fin de l’histoire et le dernier homme,
Paris, Flammarion, 1992 ; GUILLAME S., Le Consensus à la française, Paris,
Belin, 2002 ; MŒSSINGER P., Décisions et procédures de l’accord, Paris, PUF,
1998.

CONSENSUS DE WASHINGTON

C’est en 1990 que John Williamson a introduit l’expression de consensus


de Washington, pour désigner les nouveaux principes qui devaient désormais
régir les politiques économiques des pays en développement : 1) Discipline
fiscale et réduction des déficits publics ; 2) Suppression ou réduction des
subventions ; 3) Élargissement de la base fiscale ; 4) Libéralisation des
marchés financiers ; 5) Taux de change réel ; 6) Suppression des quotas à
l’importation et baisse des droits de douane ; 7) Ouverture totale aux
investissements étrangers ; 8) Privatisation des entreprises publiques ; 9)
Dérégulation générale de l’économie ; 10) Garantie améliorée du droit de
propriété.
→ dépendance (théorie de la), libéralisme
WILLIAMSON J., Latin American Adjustment : How Much Has Happened,
Washington, Institute for International Economics, 1990.

CONSERVATISME

Sensibilité politique plutôt que corps de doctrine à proprement parler, le


conservatisme se constitue, en France et en Europe, comme réaction défensive
face aux bouleversements sociaux et culturels induits par les idées de 1789,
puis la révolution industrielle. Il se distingue du traditionalisme par une
absence de nostalgie particulière à l’égard de l’absolutisme d’Ancien Régime
(cf. Edmund Burke). Au cours du XIX siècle, il est volontiers orléaniste
e

(Guizot, le duc de Broglie) plutôt que légitimiste, voire rallié à la République


(cf. Renan, Jules Simon) pourvu qu’elle demeure attachée fermement à la
défense de l’ordre social. Il n’est pas non plus intrinsèquement antilibéral.
Défenseur de la propriété, des libertés économiques, des libertés locales, il est
en revanche plus circonspect à l’égard des libertés d’expression dont il
redoute « les excès ».
La sensibilité conservatrice se nourrit dès l’origine d’une forte aversion
pour le socialisme et toutes les formes de collectivisme. Elle y voit une
menace majeure contre la possession paisible des patrimoines, mais aussi une
promesse d’asservissement des individus au nom de l’égalitarisme. Au
XX siècle, cette hostilité revêt la forme d’un anticommunisme foncier au nom
e

duquel pourront parfois être jetées des passerelles soit en direction de


mouvements fascisants ou fascistes (dans la dernière période de l’Allemagne
de Weimar), soit en direction de la social-démocratie (troisième force en
France sous la IV République). Aversion également à l’égard des systèmes
e
autoritaires surtout s’ils sont étatistes, centralisateurs ou excessivement
nationalistes. C’est ainsi que les conservateurs du XIX siècle prennent leur
e

distance avec le bonapartisme et le boulangisme, tandis qu’aux lendemains de


la Seconde Guerre mondiale, ils se démarquent du gaullisme, critiquent
nationalisations et planification, même « indicative », et se situent résolument
dans le camp « atlantiste » au nom de la Défense du monde libre. Aux États-
Unis où le conservatisme a toujours présenté des traits bien spécifiques, la
méfiance à l’égard « des empiétements du pouvoir fédéral » relève néanmoins
de ce même état d’esprit. Il y inclut également une dimension, plus visible
qu’en Europe, de défense des valeurs chrétiennes.
Les traits positifs permanents de la sensibilité conservatrice s’articulent
autour de deux thèmes principaux. Le premier est un élitisme fondamental
exprimé, selon les époques, de façon ouverte ou discrète. Éloge, au XIX siècle,
e

du gouvernement des notables, dont l’influence demeure plus sensible dans la


France rurale, modérée et prudente, que dans les villes toujours jugées
excessivement turbulentes. D’où la célébration des vertus paysannes. Éloge au
XX siècle de la compétence, pourvu qu’elle ne soit pas celle du technocrate
e

jacobin, « coupé des réalités », mais celle des hommes de terrain au robuste
bon sens pragmatique. Le second thème majeur est un appel aux disciplines de
l’effort et de la responsabilité personnelle ; il comporte une explicite
connotation morale surtout avant la Seconde Guerre mondiale. Ceci explique
la rencontre qui s’opère très tôt, et demeurera durable, entre une large fraction
de la sensibilité conservatrice et le catholicisme sous la bannière du
cléricalisme. Mais les radicaux, qui appartiennent largement à la mouvance
conservatrice à partir des années 1920, font de l’idéal républicain une sorte de
morale laïque, à bien des égards proche, sur le plan civique, de celle de leurs
adversaires cléricaux en dépit de prémisses différentes.
→ libéralisme, traditionalisme
ALEXANDRE-COLLIER A., JARDIN X., Anatomie des droites européennes,
Paris, A. Colin, 2004 ; COMPAGNON A., Les Antimodernes de Joseph de
Maistre à Roland Barthes, Paris, Gallimard, 2005 ; HUGUENIN F., Le
Conservatisme impossible. Libéralisme et réaction en France depuis 1789,
Paris, La Table ronde, 2006 ; NISBET R., La Tradition sociologique, Paris,
PUF, 1984 ; RÉMOND R., Les Droites en France, Paris, Aubier, 1982 ; Les
Droites aujourd’hui, Paris, Audibert, 2005 ; VAÏSSE J., Histoire du néo-
conservatisme aux États-Unis. Le triomphe de l’idéologie, Paris, O. Jacob,
2008.

CONSOCIATIF (SYSTÈME)

→ démocratie consociative

CONSTITUTION

Charte des pouvoirs publics, la Constitution détermine les modes de


désignation et les compétences respectives des institutions de l’État ainsi que
leurs rapports juridiques. Aujourd’hui, les constitutions sont la plupart du
temps des documents écrits, rédigés expressément dans cette intention et dotés
d’une autorité supérieure à la loi ordinaire (la constitution américaine de 1787
en est le prototype). Cette autorité notamment dans le contrôle de
constitutionnalité des lois, confié à un juge : Cour suprême, Tribunal
constitutionnel ou, en France, Conseil constitutionnel. Cette autorité
notamment dans le contrôle de constitutionnalité des lois, confié à un juge :
Cour suprême, Tribunal constitutionnel ou, en France, Conseil constitutionnel.
Mais la constitution, au sens fonctionnel du terme, peut très bien résulter
d’usages ou de textes de lois ordinaires ayant pour effet de régir effectivement
les rapports entre les pouvoirs publics. On parle alors, assez improprement
d’ailleurs, de constitution coutumière (modèle britannique).
Aujourd’hui, les constitutions écrites comportent un Préambule affichant
des principes politiques et philosophiques et incluent des Déclarations de
droits fondamentaux. Avec le développement de l’État de droit, ces principes
ont acquis une véritable valeur juridique. Opposables aussi bien au législateur
qu’au gouvernement, ils constituent la source de limites importantes à
l’arbitraire des pouvoirs publics. Cette évolution caractérise ce que l’on
appelle le constitutionnalisme. Le premier exemple de ce type de régime est la
constitution américaine de Philadelphie avec le vote des dix premiers
amendements garantissant l’exercice de libertés opposables à tous les organes
de l’État fédéral ou des États fédérés.
→ régimes politiques, représentation politique
BASTID P., L’Idée de constitution, Paris, Economica, 1985 ; CHEVALLIER J.,
L’État de droit, Paris, Montchrestien, 1999 ; MATTHIEU B., VERPEAUX M., La
Constitutionnalisation des branches du droit, Paris, Economica, 1998 ;
ROUSSEAU D., « Une résurrection : la notion de constitution », Revue de Droit
public (1), 1990 ; SEURIN J.-L. (dir.), Le Constitutionnalisme aujourd’hui,
Paris, Economica, 1984 ; TULLY J., Une étrange multiplicité. Le
constitutionnalisme à l’époque de la diversité, Québec, Presses de l’Université
Laval, 1999.

CONSTRUCTIVISME

Pour ce courant épistémologique, l’énigme majeure en sciences sociales est


de savoir comment on passe d’un monde d’objets bruts à un monde d’objets
investis de sens. Contre le positivisme qui considère les phénomènes sociaux
comme « des choses », ou des faits relevant d’une réalité immédiate, Alfred
Schütz, disciple de Husserl, considère que le chercheur doit focaliser son
attention sur les significations attribuées aux phénomènes, sur « les croyances
tenues pour acquises ». Se plaçant dans cette perspective, Peter Berger et
Thomas Luckmann se sont intéressés aux processus de construction de ces
croyances qui structurent les perceptions du réel en s’objectivant dans des
« institutions », qu’ils conçoivent dans un sens extrêmement large. En effet,
pour eux, ce ne sont pas seulement les institutions et les règles juridiques mais
toutes les formes de catégorisation qui permettent de typifier et de classer,
c’est-à-dire, en définitive, de penser la réalité.
Il existe un constructivisme radical qui met en doute sinon la notion même
de réalité, du moins son accessibilité puisqu’il n’existe pas d’autre réalité que
« celle-là même que nous construisons en pensant » (Nelson Goodman). Le
constructivisme, en sciences sociales, se contente généralement de mettre
l’accent sur la nécessité de comprendre les processus en vertu desquels se sont
imposées les significations tenues pour acquises, Cette démarche conduit à
s’intéresser plus particulièrement aux phénomènes de langage puisque c’est
par le langage que nous pensons et comprenons le monde qui nous entoure.
Ainsi s’explique le développement de l’ethnométhodologie (Garfinkel,
Cicourel) centrée sur les catégories de pensée du langage courant, ou les
travaux sur le langage politique menés dans cette perspective (les idiomes
rhétoriques chez Kitsuse). Beaucoup d’auteurs s’attachent à comprendre la
généalogie des enjeux politiques, le mode d’apparition dans le langage des
groupes sociaux (Boltanski, Thévenot) ou encore, dans le sillage d’Edelman,
se focalisent sur la manière dont s’impose politiquement la réalité des
« problèmes sociaux ». Dans tous les cas, il s’agit moins d’analyser des faits
positifs que de mettre en lumière le processus de leur production sociale. On
comprend pourquoi le constructivisme soulève encore aujourd’hui beaucoup
de polémiques. C’est qu’il tend à ébranler la légitimité de méthodes plus
classiques (positivistes) d’appréhension de la réalité.
BERGER P., LUCKMANN T., La Construction sociale de la réalité, Paris,
A. Colin, 1996 ; MILLER G., HOLSTEIN J. (eds), Constructionist Controversies.
Issues in Social Problems Theory, Hawthorne N.-Y., Aldine de Gruyter,
1993 ; SCHÜTZ A., Le Chercheur et le quotidien (recueil de textes), trad.
Klincksieck, 1987 ; PUTNAM H., Représentation et réalité, Paris, Gallimard,
1990 ; SPECTOR M., KITSUSE J., Constructing Social Problems, (2 éd.),
e

Hawthorne N.-Y., Aldine de Gruyter, 1987.

CONTRACTUELLE (POLITIQUE)

Si l’État ou les collectivités locales disposent du pouvoir d’édicter des


normes juridiques contraignantes, cela ne signifie pas qu’ils gouvernent
seulement par injonction. L’adoption d’un acte juridique unilatéral (règlement,
décret, arrêté…) peut masquer la réalité d’une concertation antérieure très
poussée avec des partenaires sociaux. À certains égards, il s’agit d’un accord
de volontés entre la puissance publique et ses interlocuteurs, formalisé par un
texte qui demeure juridiquement un acte unilatéral. Mais ce que l’on entend
par politique contractuelle va plus loin. Dans un certain nombre de domaines,
les négociations que l’État engage avec des collectivités locales, des
établissements publics ou des acteurs privés ont pour objet la définition
d’engagements réciproques à moyen terme et la mise en œuvre de moyens
financiers et techniques pour en permettre la réalisation. Ces contrats d’action
publique se sont considérablement développés en France depuis une vingtaine
d’années, notamment en matière d’aménagement du territoire, de politique
universitaire ou environnementale et même, parfois, de sécurité publique.
Outil privilégié pour la mise en place de co-financements, ils illustrent la
réalité d’une gouvernance multi-niveaux.
GAUDIN J.-P., Gouverner par contrat, Paris, Presses de Sciences-Po, 2007 ;
LASCOUMES P., LE GALÈS P., Sociologie de l’action publique, Paris, A. Colin,
2007 ; POUPEAU F.-M., Gouverner sans contraindre, Paris, L’Harmattan,
2008 ; TROSA S., Quand l’État s’engage. La démarche contractuelle, Paris,
Éd. d’organisation, 1999.

CONTRAT SOCIAL

Notion centrale et axiomatique de tout un courant de la philosophie


politique postulant le passage d’un « État de nature » à un « État social » par
la volonté contractuelle et rationnelle des individus. Présente dans plusieurs
traditions, y compris non occidentales (cf. la philosophie musulmane
d’inspiration hellénistique), elle est surtout le fait de la philosophie des
Lumières. Hobbes en faisait la sanction de la cession par l’individu d’une part
de sa liberté en échange de la sécurité. Rousseau en faisait la marque de
l’institution d’un peuple, grâce à laquelle chacun s’unissant à tous n’obéit qu’à
soi-même.
HOBBES T., Leviathan. Traité de la matière, de la forme et du pouvoir de la
république ecclésiastique et civile, Paris, Dalloz, 1999 [1651] ; ROUSSEAU J.-J.,
Du Contrat social, Paris, Garnier, 1962 [1762].

CONTRE-RÉVOLUTION

Comme les révolutions française ou bolchévique entendaient remettre en


question l’ordre établi et reconstruire une société nouvelle en détruisant la
plupart des institutions considérées comme illégitimes en prenant appui sur
une vision utopique du monde, sur une certaine forme de messianisme, elles
ont suscité à leur encontre des processus de contre-révolution qui entendaient
revenir à l’ordre ancien. Celui-ci apparaît comme seul légitime, ancré dans la
nature des choses, chargé de valeurs religieuses, assurant le respect des
hiérarchies sociales traditionnelles et considérées comme sacrées. La
justification la plus radicale de la posture contre-révolutionnaire se trouve
dans l’œuvre de Joseph de Maistre qui en vient à voir dans la Révolution
française l’œuvre de la Providence car, par son radicalisme, elle provoque un
radicalisme encore plus formidable qui donnera une assise définitive à l’ordre
divin. Certains voient en de Maistre l’origine lointaine du radicalisme
hitlérien, véritable contre-révolution détruisant non seulement la République
de Weimar issue de la chute du Reich mais aussi les valeurs humanistes de la
modernité provenant de la révolution des Lumières.
BERLIN I., Le Bois tordu de l’humanité, Paris, Albin Michel, 1992 ;
MAISTRE J. DE, Considérations sur la France, Bruxelles, Complexe, 1988
[1796].

CONVICTION (ÉTHIQUE DE LA)

Éthique fondée sur une croyance de nature religieuse ou séculière, que Max
Weber distingue de l’éthique de la responsabilité.

CORPORATISME

Terme créé par référence aux corporations de métiers du Moyen Âge, et


théorisé dans sa version moderne par le roumain Manoilesco en 1934. Dans
un sens banal ou journalistique, il désigne soit l’esprit de corps d’une
catégorie professionnelle, soit davantage son action comme groupe de
pression soucieux de préserver et d’étendre ses avantages particuliers. Comme
concept, il définit un système de représentation des intérêts dont les unités
constituantes s’intègrent au sein d’un petit nombre d’organisations
hiérarchisées, obliga toires et généralement reconnues par l’État. S’agissant de
la représentation des secteurs économiques, ces organisations rassemblent le
plus souvent les patrons et les salariés, par branche d’activité. Ce système
correspond à l’inspiration idéologique des institutions de certaines dictatures
ou semi-dictatures conservatrices de l’Europe de l’entre-deux-guerres
mondiales, spécialement en Autriche, en Espagne, en Italie, au Portugal ou,
encore, dans la France du régime de Vichy (il fut souvent question à ce propos
de « démocratie organique »). Directement ou indirectement, cette idéologie a
dérivé de certains aspects de la doctrine sociale de l’Église catholique à la fin
du XIX siècle, en même temps que de la pensée de divers auteurs
e

traditionalistes tels que Charles Maurras, Jaime Balmés ou Victor Pradera.


→ démocratie organique, intérêts, néo-corporatisme, régimes politiques :
régimes autoritaires, traditionalisme
MANOILESCO M., Le Siècle du corporatisme, Paris, Félix Alcan, 1936
[1934] ; O’DONNELL, « Corporatism and the question of the State », in
MALLOY J. (ed.), Authoritarianism and Corporation in Latin America,
Pittsburgh, University of Pennsylvania Press, 1972 ; SCHMITTER PH. C., « Still
the century of corporatism ? » Review of Politics (36), 1974 : 85-131.
COUP D’ÉTAT

Tentative réussie ou non de conquête ou de reformulation du pouvoir


politique de nature inconstitutionnelle ou illégale, fondée sur l’usage ou la
menace de la force. Le coup d’État est souvent réalisé ou tenté par des
éléments qui appartiennent eux-mêmes au cercle de l’État, à l’initiative par
exemple d’un groupe d’officiers (« révolution des œillets » de 1974 au
Portugal), de l’armée en tant que corps (coup de 1964 au Brésil) ou, encore,
d’un haut responsable civil (coup du 2 décembre 1851 en France, ou putsch du
président péruvien Fujimori en 1992). Il arrive également qu’il soit perpétré
par des éléments civils extérieurs à l’État (coup d’État de Lénine en
octobre 1917, en Russie). Si, toutefois, les coups d’État impliquent toujours
l’exercice d’une violence illégale, les degrés de celle-ci se révèlent variables.
Certains s’accompagnent de combats, par exemple entre des régiments
insurgés et d’autres fidèles aux autorités considérées comme légitimes (Japon
en 1934, Espagne en juillet 1936). Mais d’autres se réalisent au prix d’une
simple indication de recours éventuel à la force du chef d’État en place, voire
sur avis téléphonique transmis par exemple par le chef d’État-major de
l’Armée (circonstance assez fréquente en Amérique latine, ou en Thaïlande).
Dans les pays de langue espagnole, le terme de pronunciamiento désigne
depuis les années 1820 une tentative de subversion initiée par un chef de
garnison qui demande à ses homologues de se rallier à son entreprise (de « se
prononcer » en sa faveur). Devenu d’usage général, le terme allemand de
putsch apparaît synonyme de celui de coup d’État.
→ régimes politiques : régimes autoritaires
MALAPARTE C., Technique du coup d’État, Paris, Grasset , coll. « Les
Cahiers rouges » , 2008 [1931].

CRISE

La notion de crise connote l’idée de perturbation, de dysfonctionnement


dans le fonctionnement routinier d’un système ou le déroulement d’un
processus. Une rupture d’équilibre provoque une tension qui appelle une
certaine dramatisation. Il en résulte au niveau rhétorique une propension,
inconsidérée parfois, à parler de crise dès lors que l’on souhaite attirer
l’attention sur un phénomène.
La notion plus précise de crise politique est susceptible de renvoyer à quatre
grandes catégories de situations. Crise gouvernementale, lorsque l’exécutif se
voit refuser la confiance du Parlement et doit démissionner. Crise de régime
lorsque se trouve gravement ébranlé le consensus des forces politiques autour
des procédures constitutionnelles en vigueur. Crise de l’État, lorsque le
fonctionnement efficace des services publics devient problématique. Ce
phénomène atteste une déperdition de légitimité ou/et une incapacité à faire
respecter son monopole de la coercition. Enfin, la notion de crise
internationale renvoie à une palette de situations très inégalement
dramatiques, quand les pratiques routinières de la diplomatie, entre États et
organisations internationales, semblent céder le pas à des comportements
menaçants, voire à des affrontements économiques ou militaires.
Crises de régime et crises d’État sont le point d’aboutissement politique de
diverses formes d’instabilité susceptibles de traverser une société en
évolution. Lucian Pye en a proposé une analyse d’où émergent cinq idéal-
types principaux : crises d’identité (disparition des valeurs et symboles
communs), de légitimité, de participation, de distribution (blocages
conflictuels autour du partage des pouvoirs et des ressources entre segments
de la société), crises enfin de pénétration (résistances actives au renforcement
de l’interventionnisme étatique).
→ coup d’État, mobilisation politique
BINDER L. et al., Crises and Sequences in Political Development, Princeton,
Princeton University Press, 1971 ; Pouvoirs, « Les pouvoirs de crise » (10),
1979.

CULTE DE LA PERSONNALITÉ

Forme extrême de la personnalisation du pouvoir, reposant sur l’exaltation


systématique par les organes de propagande d’un État ou d’un mouvement des
vertus d’un dirigeant présenté à cette fin, dès son vivant, comme une figure
quasiment prométhéenne de l’histoire d’un pays ou même du monde. Le culte
de la personnalité vise à renforcer le charisme de ce leader ou à le créer
lorsqu’il ne paraît pas encore suffisant. L’expression s’est appliquée de façon
privilégiée aux grands dirigeants des systèmes totalitaires, d’abord à Benito
Mussolini (le Duce), puis au Fürhrerprinzip nazi et à sa référence à Adolf
Hitler, davantage encore aux leaders communistes et en particulier à Staline.
C’est dans cette perspective que le terme de stalinisme est devenu synonyme
de culte de la personnalité, Étant entendu que celui-ci s’est étendu par
imitation à beaucoup de leaders communistes des démocraties populaires (cf.
Dimitrov, Ceaucescu, Enver Hodja, Kim-il-Sung, Mao-Tse-Tung…), ou
même à des chefs de partis communistes non gouvernants (Maurice Thorez ou
Palmiro Togliatti en France et en Italie). Par ailleurs, sans que cette expression
ait été utilisée couramment à leur propos, des chefs d’État comme le général
Franco (le Caudillo), Nasser (le Raïs) ou Peron ont fait aussi l’objet d’un
véritable culte de la personnalité.
→ caudillisme, charisme, personnalisation, Régimes (systèmes)
totalitaires

CULTURE

La culture est un système de significations communément partagé par les


membres d’une collectivité sociale qui en font usage dans leurs interactions.
Cette définition, généralement acceptée dans les sciences sociales
contemporaines, s’inscrit dans une perspective sémiotique qu’on doit
essentiellement à l’anthropologue américain Clifford Geertz. Elle présente le
mérite de reprendre à son compte la plupart des propriétés qu’un siècle de
théorie sociologique cherchait à conférer à ce concept, tout en limitant les
risques de simplification et de réification qui lui sont généralement associés ;
elle n’est pas pour autant dénuée de toute ambiguïté, nourrissant bien des
controverses familières aux sciences sociales.
Dans toute son histoire, le concept de culture cherche à décrire en même
temps les conditions d’intégration d’une collectivité sociale et les
caractéristiques qui la distinguent des autres collectivités. La culture est ainsi
un élément d’intégration et d’exclusion. S’intéressant à des sociétés de petite
taille et très fortement intégrées, les anthropologues purent effectivement
recenser sur leur propre terrain quantité d’éléments porteurs de ces fonctions :
normes, valeurs, croyances, coutumes et surtout conceptions et pratiques du
sacré paraissaient constituer, par agrégation, la culture d’une société donnée.
Grâce au processus de socialisation, la culture se trouvait intériorisée par
chaque individu et reproduite, dans son ensemble, d’une génération à l’autre.
Les cultures s’imposaient ainsi comme des modèles différenciés les uns des
autres, marquant l’identité, la distinction d’une société par rapport aux autres.
La critique sociologique a progressivement remis en cause l’ensemble de
cette vision. L’analyse des sociétés modernes révèle en effet que la culture ne
pouvait être ramenée à l’hypothèse de normes et de valeurs communément
partagées par tous : ce serait postuler un consensus puissant qui s’accommode
mal des conflits et de la différenciation des intérêts ; de même, tenir pour
acquis que les cultures se reproduisent telles quelles revient à exclure
l’histoire et le changement social ou, pour le moins, à considérer que les
cultures y sont étrangères. La perspective sémiotique présente l’avantage de se
distinguer de ces postulats. D’abord, en définissant de façon moins exigeante
les pré-requis du jeu social : celui-ci peut se réaliser sur le mode conflictuel,
entretenir des dissensions sur les normes et les valeurs, mais il implique, en
revanche, une communauté de sens sans laquelle les acteurs sociaux ne
pourraient pas comprendre leurs actes, donc interagir, Échanger et nourrir tous
les types de relations sociales que le sociologue a répertoriés. De la même
manière, cette culture pensée comme communauté de sens n’est nullement
figée : les réseaux de significations évoluent, s’enrichissent, se transforment
au gré des pratiques sociales sans jamais s’apparenter à la vision mythique et
dangereuse d’une « âme des peuples » ou d’un « caractère national ».
Ainsi définie, la culture accomplit pourtant les fonctions que la théorie
sociologique lui avait assignées. Un système de sens communément partagé
assure à tous les membres d’une collectivité une solidarité minimale de vision
et de conception dans l’ensemble des domaines de la vie sociale ; l’efficacité
d’une pratique ou d’une institution dépend, de la même manière, de sa
capacité à être comprise par ceux qui en font usage. Frein à l’uniformisation
du politique, d’une histoire à l’autre, cette caractéristique révèle combien le
facteur culturel est en même temps explicatif des différences qui séparent les
systèmes politiques les uns des autres et des Échecs ou tensions liées à la
diffusion forcée d’un modèle de gouvernement d’une société vers l’autre.
La culture est donc instrument de description et instrument d’explication.
Elle permet de décrire ce que politique veut dire en un lieu et à un moment
donné, pour les acteurs qui y participent : elle contribue aussi à expliquer
l’émergence de conceptions, d’institutions et de pratiques qui caractérisent
une scène politique donnée. L’État, la nation, la laïcité, la bureaucratie, le
capitalisme revêtent un sens précis pour les acteurs concernés ; leur
émergence, leur évolution, leur transformation, voire l’échec de leur
transposition et les tensions qui l’accompagnent s’expliquent en partie par la
capacité d’adaptation de ce système de sens.
Le concept n’est pas pour autant libéré de toute incertitude. Dans quelle
mesure le sociologue peut-il saisir le sens, c’est-à-dire la culture, de l’autre ?
Comment éviter que l’appréhension de celle-ci, à travers son propre code ne
soit source de déformation ? Comment peut-on analyser le changement
culturel et notamment son lien avec l’évolution de la pratique sociale ?
L’ambiguïté peut-être la plus forte se situe dans ce paradoxe : concevoir
l’existence d’une culture suppose la définition d’un invariant dont il est
cependant difficile de déterminer a priori ce qu’il est et dans quelle zone il se
situe. Est-il légitime, par exemple, d’établir que certains traits (monisme,
dédifférenciation) sont propres à la culture islamique et que leur disparition
marquerait une décomposition de celle-ci ? Si la réponse est positive, quelle
méthode peut-elle aider le sociologue dans cette détermination. Si la réponse
est négative, quelle donnée peut-elle lui permettre de repérer son objet ?
De même, la dimension des cultures fait-elle problème. À quel niveau ou à
partir de quel seuil une collectivité sociale est-elle considérée comme dotée
d’une culture propre ? Alors qu’on parle volontiers de culture islamique
comme de culture kabyle, de culture occidentale comme de culture corse, tout
se passe comme si l’univers culturel était constitué de cercles concentriques
dessinés à partir de l’individu ou du groupe primaire. La question se
complique d’autant plus que certaines cultures sont construites sur un mode
transversal, comme le suggère l’hypothèse d’une culture ouvrière ou d’une
culture managériale… Le débat a été trop rapidement tranché par le recours à
la notion floue de subculture qui désignerait ainsi un sous-ensemble cohérent
à l’intérieur d’un espace culturel donné. La difficulté tient alors à la nature du
rapport liant culture et subculture : est-ce un rapport de dépendance,
d’inclusion ou d’interaction ? D’autre part, une mauvaise maîtrise du concept
de subculture risque d’aboutir très vite à un usage abusif conduisant le
sociologue à concevoir, sans critère précis, tout comportement collectif repéré
comme constituant un ensemble culturel significatif. L’hypothèse est
fallacieuse car elle suggère l’existence d’une carte des cultures, lesquelles
seraient tenues pour pérennes et antérieures au jeu social. Or les cultures se
forment et se transforment au gré des pratiques sociales ; elles supposent, en
même temps, une certaine densité et une autonomie minimale des interactions
sociales, l’une et l’autre de ces conditions rendant compte de l’existence d’un
code propre à la collectivité étudiée. On comprend, dans ces conditions, que
les cultures aient aussi une histoire qui leur donne une saillance plus ou moins
marquée d’un moment à un autre, face à un enjeu ou à un autre, face aussi aux
transformations affectant la culture de l’autre.
Au total, la culture désigne moins un objet construit qu’un questionnement,
moins un facteur explicatif prédéterminé qu’un mode de compréhension d’un
ensemble de pratiques sociales. La culture n’est pas la cause du politique, ni
même celle de telle ou telle action, de telle ou telle institution : elle s’impose
comme système symbolique permettant à l’observateur d’interpréter les
interactions qu’il analyse, d’accéder à leur compréhension, ainsi qu’à celle des
institutions dans lesquelles elles s’insèrent. Ainsi la culture chrétienne
romaine n’est-elle ni la cause ni même un facteur de l’émergence de l’État en
occident, mais un système de significations permettant d’éclairer le sens que
revêt l’État pour les acteurs qui participent à son fonctionnement. L’hypothèse
d’une explication culturelle doit être ainsi accueillie avec précaution, au risque
de tomber soit dans la tautologie, soit dans le culturalisme qui prétend
précisément ramener toute action sociale à l’obligation de conformité à un
déterminisme culturel sur lequel l’individu n’aurait aucune prise. Il s’agit
donc bien de retourner à l’œuvre de Max Weber, après les excès d’un certain
scientisme culturel, et de renouer avec la méthode utilisée dans l’Éthique
protestante (104) : le lien qui y est établi entre capitalisme moderne et
protestantisme n’est pas de type causal, mais exprime l’idée d’une affinité de
sens entre l’un et l’autre, rendant ainsi compréhensible les stratégies
économiques déployées par les nouvelles élites protestantes.
→ culture politique, relativisme culturel, socialisation politique, valeur
BADIE B., Culture et politique, Paris, Economica, 1993 ; GEERTZ C., The
Interpretation of Cultures, New York, Basic Books, 1973.

CULTURE POLITIQUE

Le concept de culture politique résulte de l’emprunt par une science


politique d’inspiration behaviouraliste du concept de culture tel qu’il avait été
élaboré par la tradition anthropologique. Le glissement s’est opéré dans les
années 1960, à l’initiative du courant développementaliste, et en particulier
d’Almond, Pye et Verba. L’objectif était double : d’une part, retrouver les
éléments d’une « culture politique civique » expliquant l’accomplissement
d’un modèle démocratique développé en Europe occidentale et
particulièrement en Grande-Bretagne (cf. The Civic Culture) ; d’autre part,
définir une matrice culturelle de développement, à travers notamment
l’hypothèse d’une sécularisation des cultures (cf. Comparative Politics).
Cet usage du concept de culture politique, fidèle à la tradition
behaviouraliste, répondait d’abord à des exigences de nature méthodologique :
mener une vaste enquête comparative sur les comportements individuels,
capable de déboucher sur des résultats quantifiables. L’hypothèse qui fondait
l’analyse culturelle menée par les anthropologues Était donc quelque peu
modifiée : la culture ne renvoie plus à un système de sens induit ni à une
structure latente organisant les rapports sociaux au sein d’une collectivité,
mais plus simplement à un ensemble de croyances et de valeurs
empiriquement observables. En outre, on postule, dans cette perspective, que
la « culture politique » constitue un ensemble cohérent qui peut être
appréhendé indépendamment des autres espaces de l’action sociale. En bref, la
frontière séparant « culture politique » et « système d’attitudes et de
comportements politiques » n’apparaît plus clairement. On part, en fait, de
l’hypothèse que toute collectivité sociale se caractérise par des croyances et
des valeurs politiquement pertinentes et communément partagées, sinon par
tous les individus qui la composent, du moins par une majorité d’entre eux.
Ainsi certains indicateurs permettent d’établir la forte prégnance de la culture
civique en Grande-Bretagne, alors que celle-ci est moins marquée aux États-
Unis, en Allemagne, en Italie et, a fortiori, au Mexique…
Cette construction du concept de culture politique pose plusieurs
problèmes : postuler en même temps l’existence de cultures politiques
nationales et la pertinence d’une « culture civique » plus fonctionnelle que les
autres revient à hiérarchiser entre elles les cultures politiques, selon une
démarche typiquement développementaliste ; cette même vision conduit
également à la tautologie : un système institutionnel donné ne peut
fonctionner que s’il est accompagné, auprès des gouvernés, d’un système de
valeurs dont il définit les caractéristiques. Surtout, très marqué par le
behaviouralisme, cet usage du concept de culture politique ne serait viable que
si un consensus de valeurs et de croyances se dégage au sein de la population.
Cette affirmation consensualiste mal construite et peu contrôlée inspire
quantité d’usages dérivés par lesquels le concept de culture politique se trouve
associé non seulement à des nations, mais à des familles politiques (« culture
de gauche »), à des partis (« culture socialiste », « culture communiste »), à
des constructions associatives (« culture syndicale »). Elle tend à confondre,
de plus en plus, dans son sens courant, « culture politique » et « ensemble
cohérent de croyances, normes et valeurs politiques empiriquement constaté ».
→ capital social, citoyenneté, socialisation politique
ALMOND G., VERBA S. (eds.), The Civic Culture : Political Attitudes and
Democracy in Five Nations, Boston, Little Brown, 1963 ; The Civic Culture
Revisited, Boston, Little Brown, 1980 ; BADIE B., Culture et politique, Paris,
Économica, 1993 ; BERSTEIN S. (dir.), Les Cultures politiques en France, Paris,
Seuil, 1999 ; CÉFAI D. (dir.), Cultures politiques, Paris, PUF, 2001 ;
HERMET G., Culture et démocratie, Paris, Albin Michel/UNESCO, 1993.

CYBERNÉTIQUE

Lancée en tant que discipline nouvelle par Norbert Wiener (1894-1964), la


cybernétique se conçoit une science du contrôle et de la communication,
fondée sur le principe que tout comportement humain ou non humain se
déchiffre fonctionnellement par sa finalité et se configure en vertu d’une
interaction « informationnelle » avec son environnement. L’intérêt pour la
conception passablement déshumanisante de la cybernétique s’est développé
dans le cadre de l’effort militaire américain pendant la Seconde Guerre
mondiale, sur la base d’un appui considérable sur les sciences sociales
(psychologie et anthropologie spécialement). Ce modèle a influencé ensuite la
science politique, en particulier les théories systémiques à la manière de David
Easton.
→ systémique (analyse)
LAFONTAINE C., L’Empire cybernétique, Paris, Seuil, 2004.
D

DÉBAT

Il tient une place de choix dans la culture démocratique en tant que pratique
politique légitimant le fonctionnement d’institutions pluralistes (le Parlement
par ex.) et mise en œuvre concrète des libertés d’expression des citoyens
(confrontations dans les médias).
Le débat tire tout d’abord son importance du fait qu’il exclut la violence
physique et se substitue à elle comme mode d’affrontement entre forces
antagonistes. Discuter, voire polémiquer, plutôt que recourir à la force. Le
débat tire également son importance du fait qu’il contribue à la construction
de représentations du réel. Le problème dont on discute accède à l’existence,
ce dont on ne débat jamais est relégué dans le non-être, politiquement parlant.
On conçoit qu’il est donc très important, pour les acteurs politiques, de réussir
à imposer (ou à exclure) tel sujet de discussion selon qu’ils en maîtrisent ou
non les tenants et aboutissants et peuvent y occuper une position plus ou
moins favorable.
Le débat enfin joue un rôle dans la mobilisation politique. Favorisant la
cristallisation des opinions et leurs classements dans des camps
(amis/adversaires), il est nécessaire à la construction des majorités politiques.
Sans doute sa fonction apparente d’éclairer la solution souhaitable par
l’échange d’arguments strictement rationnels ne saurait-elle être surestimée.
Une thèse n’est jamais détruite par les objections qui lui sont opposées : à la
fois parce qu’il existe des rationalités et des logiques irréductibles les unes aux
autres, et parce que fonctionnent des mécanismes psychologiques de défense
des croyances auxquelles les individus sont émotionnellement attachés. Le
principal effet politique du débat, dans la culture démocratique, est peut-être
qu’il permet aux minoritaires de s’incliner sans déchoir, donc de mieux
accepter la loi de la majorité.
→ langage politique, symbolique politique
BRAUD PH., Le Jardin des délices démocratiques, Paris, Presses de la
FNSP, 1991 ; EDELMAN M., Political Language. Words that Succeed and
Politics that Fail, New York, Academic Press, 1971 ; RENAUT A., Qu’est-ce
qu’une politique juste ?, Paris, Grasset, 2004 ; REVEL M. (dir.), Le Débat
public. Une expérience française de démocratie participative, Paris, La
Découverte, 2007 ; ROUSSELIER N., Le Parlement de l’éloquence, Paris,
Presses de Sciences-Po, 1997.

DÉCENTRALISATION/DÉCONCENTRATION

La doctrine juridique distingue classiquement trois formes d’organisation


interne de l’État. La centralisation tout d’abord. Elle implique qu’un seul
niveau d’autorité édicte les règles de droit qui s’appliquent uniformément à
l’ensemble de la population. Ce peut être aussi bien un pouvoir autoritaire
qu’un pouvoir démocratique. Dans ce dernier cas, un parlement représentatif
légifère pour l’ensemble du pays. En pratique, hormis le cas des États de
dimension très modeste, le gouvernement est obligé de déléguer une part de
son autorité à des agents qui le représentent dans des circonscriptions
administratives territoriales mais qui demeurent entièrement sous son contrôle
hiérarchique. C’est ce que l’on appelle la déconcentration. Le pouvoir central
nomme et révoque discrétionnairement ses représentants, il leur adresse des
directives impératives pour guider leur action sur le terrain. L’administration
napoléonienne représente un exemple presque pur d’État unitaire avec simple
déconcentration administrative, puisque les préfets de départements nommés
par le pouvoir central, nommaient à leur tour les maires des communes.
À l’opposé de l’État unitaire, le fédéralisme, où la Constitution consacre
l’existence des États fédérés et celle d’un État fédéral. Les premiers se voient
reconnaître le droit de s’auto-organiser et légiférer. Les compétences dévolues
plus ou moins largement à l’État fédéral incluent toujours les compétences
dites régaliennes : affaires étrangères et représentation extérieure, défense et
sécurité intérieure, respect des libertés fondamentales… Dans le cas des États-
Unis ou de la Suisse, le fédéralisme résulte d’une convention liant
volontairement entre eux des États qui se sont considérés comme souverains.
La décentralisation, quant à elle, se situe dans un entre-deux. Ni fédéral, ni
centralisé, l’État unitaire décentralisé se caractérise par la reconnaissance
juridique d’« affaires locales » qui relèvent d’un pouvoir de décision exercé
par des autorités propres, C’est le mode d’organisation étatique le plus
fréquent, étant entendu que la décentralisation n’exclut pas, parallèlement, la
déconcentration des services de l’État central dans des circonscriptions
d’administration territoriale. Avec la décentralisation, les collectivités locales
disposent de la personnalité juridique et d’institutions représentatives propres
(assemblée délibérative et exécutif) issues du suffrage universel, L’étendue de
leurs compétences est déterminée par le législateur national qui fixe le cadre
dans lequel cette autonomie locale peut s’exercer. Cette dévolution est
inspirée surtout par un souci de démocratie locale (rapprocher le pouvoir des
citoyens, leur permettre de gérer directement leurs propres affaires) mais aussi
par celui d’efficacité administrative (éviter les effets de thrombose si l’État est
surchargé d’affaires mineures). La décentralisation suscite parfois la méfiance
des élus locaux eux-mêmes lorsqu’ils ont l’impression de se voir transmettre
des charges sans les moyens financiers d’y faire face.
Il existe en général deux ou trois niveaux d’administration décentralisée
(exceptionnellement davantage). Au niveau le plus proche des citoyens, se
situent les communes avec leur maire et leur conseil municipal. Elles sont de
dimension et de population fort variable selon les traditions historiques des
différents pays. Au niveau intermédiaire, on rencontre le département et/ou la
région dont les représentants (conseil général, assemblée régionale) élisent le
président de l’exécutif. Longtemps en France, jusqu’à 1982, le préfet, agent de
l’État, a fait fonction d’exécutif départemental ou régional, mais il s’agissait
alors d’une semi-décentralisation.
L’effectivité de la décentralisation est commandée non seulement par
l’étendue des compétences juridiques dévolues aux autorités locales mais
aussi par leur aptitude à disposer de ressources propres : ressources fiscales et
financières, moyens humains et techniques. Par ailleurs, il existe une taille
optimale pour un exercice efficace des compétences décentralisées. C’est
pourquoi dans beaucoup de pays dont la France plus particulièrement, se pose
le problème du regroupement de collectivités jugées trop petites. Des projets
de réforme prévoient par exemple le regroupement de certaines régions pour
en abaisser le nombre de 22 à 14 ou 15. Par ailleurs, faute de pouvoir réduire
le nombre de communes, le législateur a mis en place une politique
d’intercommunalité, impliquant la création de structures de coopération plus
ou moins intégratrices. Cette politique s’applique différemment selon qu’il
s’agit de l’espace rural (communautés de communes), de l’espace urbain et
suburbain (communautés d’agglomération) ou, enfin, des grandes métropoles
(communautés urbaines).
BIARREZ S., Territoires et espaces politiques, Grenoble, PUG, 2000 ;
BONNARD M. (dir.), Les Collectivités locales en France, Paris, La
Documentation française, 2005 ; DELCAMP A., LOUGHLIN J. (dir.), La
Décentralisation dans les États de l’Europe, Paris, La Documentation
française, 2002 ; FRESSOZ D., Décentralisation. L’Exception française, Paris,
L’Harmattan, 2004 ; GREFFE X., La Décentralisation, Paris, La découverte,
2005 ; VERPEAUX M., La Région, Paris, Dalloz, 2005.

DÉCONCENTRATION

→ Décentralisation/déconcentration

DÉCISION (PROCESSUS DE)

Dans la perspective de Max Weber, la science politique contemporaine


concentre de plus en plus ses recherches concernant le pouvoir sur les
stratégies des acteurs, leurs actions ainsi que leurs conflits ouverts. Davantage
encore que Max Weber, Robert Dahl souhaite ainsi que l’on aborde le pouvoir
à travers les décisions prises par les acteurs qui le détiennent : Dahl propose
ainsi de distinguer pouvoir potentiel et pouvoir réel, un acteur détenant un
pouvoir réel dans la mesure seulement où il parvient à transformer son
pouvoir potentiel à travers un processus de prise de décision qu’il parvient à
contrôler. Polémiquant, par exemple, avec Wright Mills qui déduit
implicitement le succès d’une décision de la fonction détenue par un acteur
dans une institution essentielle, Robert Dahl, dans son célèbre Qui gouverne ?
montre que si un nombre limité d’acteurs participent en réalité à la prise de
décisions importantes dans la ville de New Haven, aucun d’entre eux, en
dehors du maire élu par la population, ne peut intervenir avec succès dans tous
les domaines à la fois. L’analyse concrète des décisions revient à nier le
pouvoir explicatif des théories élitistes unifiées ainsi que celles des visions
d’une classe dirigeante toute puissante. Cette analyse reposant sur le processus
de décision a été depuis appliquée par un grand nombre de chercheurs, aux
États-Unis comme en France.
Elle a été pourtant sévèrement critiquée par Bachrach et Baratz qui ont
dénoncé ses postulats implicites. Pour eux, les décisions importantes
révélatrices de la réalité du pouvoir sont dépourvues de toute importance aux
yeux des élites économiques qui s’en désintéressent le plus souvent car elles
ne touchent par leurs intérêts directs ; ces élites demeurent en dehors du jeu
mais n’en sont pas moins détentrices d’un grand pouvoir qui s’exerce dès que
de nouveaux enjeux viennent à les concerner. Pour ces auteurs, ce sont au
contraire les non-décisions qui révèlent mieux la véritable structure du
pouvoir : celles-ci « restreignent le champ d’application des décisions aux
enjeux sûrs à l’aide de la manipulation des valeurs dominantes de la
communauté, des mythes, des institutions et des pratiques véritables ». Il
s’agit donc de travailler sur les mécanismes d’exclusion qui empêchent les
décisions d’entrer dans le champ politique car elles seraient trop dangereuses.
Bachrach et Baratz tentent de montrer comment un certain nombre de
barrières de types idéologiques ou institutionnelles barrent la route, dans le
canal du processus de décision, à ces enjeux qui restent souvent des non-
décisions et ne se frayent que difficilement un chemin pour aboutir à une
réelle remise en question de la distribution du pouvoir. Dans ce sens, la
méthode décisionnelle repose sur l’action observable des individus alors que
la non-décision privilégie les facteurs de contrôle social ou encore l’examen
des éléments idéologiques qui préviennent la prise de conscience des
véritables enjeux par les acteurs, les empêchant d’emblée d’entrer dans le
canal de prise de décision.
→ élitistes (théories), jeux (théorie des), pouvoir, système politique
BACHRACH P. et BARATZ M., Power and poverty, New York, Oxford
University Press, 1970 ; sur la discussion décision/non-décision, voir les
différents articles publiés dans BIRNBAUM P. (dir.), Le Pouvoir politique, Paris,
Dalloz, 1975 ; DAHL R., Qui Gouverne ?, Paris, A. Colin, 1971 ; voir aussi
GRÉMION C., Profession : décideur. Pouvoir des hauts fonctionnaires et
Réforme de l’État, Paris, Gauthier-Villars, 1979.

DÉMOCRATIE

Désigne d’une part, au regard de l’observation empirique, un type de


régime représentatif doté présentement du monopole de la légitimité politique
dans la plus grande partie du monde, et d’autre part une sorte d’idéal, de
valeur, de principe ou, encore, de finalité quelque peu téléologique. Au regard
de son étymologie grecque, le mot signifie soit gouvernement du peuple, soit
gouvernement d’un peuple. Mais en réalité, il s’appliquait moins dans la cité
antique à un type d’institutions clairement défini qu’à un ensemble politique
indépendant, maître de sa souveraineté, par conséquent libéré de la tutelle
d’un tyran ou d’un peuple étrangers. En tant que régime, la démocratie
apparaissait plutôt sous un jour négatif, ainsi chez Platon. Plus précisément,
l’aristocratie ou le régime mixte où les meilleurs l’emportaient sur la masse
étaient considérés comme les meilleurs des modes de gouvernement,
cependant que la démocratie se trouvait perçue en général comme l’un de ces
accidents transitoires où la populace envieuse impose sa tyrannie à la cité, où
« les chevaux et les ânes bousculent les passants dans la rue » selon la formule
de Platon. Cette perception catastrophique de la démocratie s’est maintenue
pour l’essentiel jusque dans les années 1840, y compris chez la plupart des
constituants américains, l’histoire moderne du concept ne s’ouvrant guère
qu’avec Alexis de Tocqueville qui lui donne ses lettres de noblesse dans son
ouvrage De la démocratie en Amérique. Auparavant, les tenants de la cause de
la liberté préféraient au terme de démocratie ceux de gouvernement
représentatif, de République par idéalisation du précédent romain, ou parfois
de Commonwealth dans la tradition britannique. Ces préférences
s’expliquaient spécialement par l’importance primordiale attachée à la notion
de vertu (civique) au XVIII siècle en particulier, qui conduisait à poser que
e

cette vertu n’était pas accessible à tous, notamment aux pauvres tenaillés par
les impératifs immédiats de leur survie. (« La vertu est rare en ce monde »,
disait Saint-Just.)
De nos jours, et compte tenu du déphasage entre les deux acceptions
empirique et idéale de la démocratie, ses définitions globales sont si peu
satisfaisantes que Giovanni Sartori la caractérise « comme le nom pompeux
de quelque chose qui n’existe pas ». Si, pourtant, il fallait en retenir une qui
soit suffisamment acceptable au plan tant intellectuel que moral, celle que
Marx avait livrée dans Le Manifeste communiste paraîtrait recevable eu égard
à ses bonnes intentions. Pour Marx, à ce moment, la démocratie devait
consister en « une association où le libre développement de chacun est la
condition du libre développement de tous ».
Reste que cette définition se révèle des plus contestables dans la mesure où
elle présuppose que trois des grands enjeux du débat sur la démocratie se
trouvent réglés alors qu’ils ne le sont pas. Le premier porte sur la tension
majeure du principe démocratique, voire sur l’aporie qui procède de la
nécessité dans laquelle il se trouve de devoir concilier les notions
inconciliables de liberté et d’égalité. Rien n’assure, en effet, que la condition
du libre développement de tous n’entrave pas celle du libre développement de
chacun. L’exercice sans entrave de la liberté accroît l’inégalité cependant que
la poursuite de l’égalité risque d’entraver l’expression de la liberté pour une
raison symétrique.
Le deuxième enjeu du débat dérive du précédent, mais concerne de manière
plus spécifique la distinction des deux versants de la démocratie comme
régime politique réel et comme utopie mobilisatrice ou finalité ultime de
l’histoire. Marx, mais également Rousseau dans le Contrat social, voire
Platon pour qui l’État doit chercher « à réaliser le bonheur dans la cité tout
entière en unissant les citoyens », illustrent la seconde conception en vertu de
laquelle la démocratie ne peut avoir pour objectif – selon les termes de
Rousseau – que « d’instituer un peuple », « de changer pour ainsi dire la
nature humaine », « de transformer chaque individu […] en partie d’un grand
tout dont cet individu reçoive en quelque sorte sa vie et son être ». Telle est
toujours la position de John Rawls par exemple, qui, en dépit de son
orientation libérale plutôt utilitariste, privilégie finalement comme Platon ce
qu’il appelle la justice par rapport à la démocratie et qui l’envisage comme
une procédure d’éducation. À l’évidence, si cette vision obéit à des motifs
louables quant à l’avenir des hommes, elle ignore largement les aspects
immédiats de leur gouvernement. Au-delà, elle tend à justifier l’utilisation des
moyens politiques propres à diverses sortes de despotisme éclairé au nom de
l’excellence des fins poursuivies. C’est contre cette prétention dangereuse que
s’élèvent ceux qui se limitent à la définition minimale de la démocratie
comme régime représentatif, pluraliste et compétitif, d’abord centré sur la
protection de la liberté individuelle, puis devenu arbitral – tentant de concilier
la liberté et l’égalité – avec le développement de l’État-Providence tel que
l’analyse notamment Karl Polanyi. Mais à ce point surgit un troisième enjeu
du débat, qui divise aussi bien les utopistes que les institutionnalistes et qui
concerne la relation entre l’État et la société. Le concept démocratique tend
vers le monisme en ce sens qu’il postule la fusion idéale de ces deux entités –
tout au moins la nette prééminence de l’une sur l’autre. Tant pour les libéraux
que pour les communistes libertaires, la société doit absorber l’État ou le
réduire au rôle minimal d’une agence de service. À l’inverse, les jacobins
aussi bien que les bolcheviks, notamment, estiment que l’État doit accoucher
de la société démocratique nouvelle dont il ne se distingue guère. Le choix est,
en somme, entre le dépérissement de l’État ou celui de la société.
Les définitions qui s’imposent par leur fréquence et leur portée empirique
s’appliquent il est vrai pour l’essentiel à la démocratie comme régime.
Sérieusement cette fois, Sartori la définit au regard des théories élitistes
comme « le pouvoir des minorités démocratiques actives, le mot démocratique
signifiant que le recrutement de ces minorités doit être ouvert, et qu’elles
doivent entrer en concurrence en respectant les règles des systèmes
multipartistes ». Plus élitiste encore, Bottomore la perçoit « comme une forme
de gouvernement [qui] permet aux élites de se constituer librement, et
d’établir entre elles une compétition réglée pour les positions de pouvoir ».
Bien que toujours dans la même perspective, Joseph Schumpeter privilégie
davantage la dimension électorale d’une démocratie assimilée à une sorte de
marché politique. Pour lui, « la méthode démocratique est le système
institutionnel aboutissant à des décisions politiques dans lequel des individus
acquièrent le pouvoir de statuer sur ces décisions à l’issue d’une lutte
concurrentielle portant sur les votes du peuple ». Qui ne se satisferait de ces
caractérisations sceptiques peut se reporter alors aux multiples définitions plus
classiques de la démocratie instituée ; ainsi celle de Samuel P. Huntington,
aux yeux de qui « la démocratie existe là où les principaux leaders d’un
système politique sont désignés par des élections concurrentielles auxquelles
la masse de la population est admise à participer ». Plus novateur cependant
est le modèle « polyarchique » de Robert Dahl, pour qui le pouvoir
démocratique ne se trouve plus concentré dans une majorité ou des instances
spécialisées, mais se diffuse et se compense en une série continue
d’ajustements croisés des conflits qui surgissent entre des groupes multiples.
Le seul défaut de ce raisonnement est qu’il pourrait décrire aussi le
mécanisme du pouvoir dans nombre de régimes autoritaires.
Aucune de ces définitions ne convenant pleinement, on dira ici que la
démocratie désigne un mode d’organisation du pouvoir politique dont la
légitimité requiert qu’il reconnaisse pleinement le primat de la souveraineté
populaire et qu’il s’assigne pour objectif son renforcement effectif, mais dont
l’agencement réel se fonde toujours pour l’essentiel sur une délégation de
pouvoir à un personnel spécialisé par le biais d’élections régulières,
concurrentielles et sans exclusives trop marquées vis-à-vis de certains
secteurs, dans lequel aussi la volonté majoritaire ne s’exerce pas au point
d’écraser les minorités ou les groupes d’intérêts de toutes espèces. En
revanche, il n’y a pas de démocratie là où les électeurs sont privés de la
faculté de choisir et de renvoyer pacifiquement leurs gouvernants, étant
entendu que les situations où cette faculté s’exerce sans que d’autres critères
de la démocratie se vérifient, s’agissant notamment du sort des minorités,
revendiquent souvent l’épithète démocratique au regard d’autres valeurs que
celles de la tradition fondamentalement libérale, occidentale et individualiste
de la démocratie pluraliste.
Cette définition transactionnelle, privilégiant au fond la réalité de
l’intention démocratique des dirigeants, demeure il est vrai elle-même
contestable. La conception antique de la démocratie comme droit d’un peuple
à disposer d’un gouvernement indépendant sous la houlette de ceux qui le
persuadent de l’excellence de ce droit persiste dans nombre de pays du tiers-
monde comme chez tous les peuples mus par une ambition nationaliste (chez
les Palestiniens comme dans l’ex-Yougoslavie). Par ailleurs, grâce à Adam
Przeworski, le plus stimulant avec Bernard Manin et Danilo Zolo parmi les
théoriciens actuels de la démocratie, le débat vient à porter maintenant sur sa
dimension psycho-sociologique ou culturelle plutôt que procédurière. Il pose
que le sens démocratique implique l’acceptation de l’incertitude des résultats
de toute action politique tant par les gouvernés que par les gouvernants, à
l’encontre de l’autoritarisme fondé sur l’offre et la quête ancestrales de
certitudes sur l’avenir. Cette perception évacue toutefois la dimension de la
démocratie utopique, tout en présentant l’inconvénient d’ignorer que le jeu
même des politiciens démocratiques tend, comme Philippe Braud l’a souligné,
à entretenir la part du rêve chez les citoyens. De son côté, Bernard Manin a
souligné, récemment, que la démocratie représentative reste un régime
aristocratique simplement atténué par l’élection en dépit de son nom. Enfin,
Danilo Zolo a sans doute porté contre elle la critique la plus inquiétante. Pour
lui, la démocratie instituée se nourrit des attentes qu’elle s’emploie
constamment à faire naître, alors qu’elle peut de moins en moins les satisfaire
dans un monde chaque jour plus complexe et qu’elle court ainsi à
l’épuisement proche de ses ressources de légitimation. En outre, les débats les
plus récents portent en particulier sur des évolutions liées au succès du
concept de gouvernance, ou de « gouvernance démocratique » mal nommée,
évolutions qui tendent à récuser sans l’avouer la notion de décision majoritaire
ainsi que la suprématie de l’ordre public sur l’ordre privé, en mettant par là en
cause le principe même de souveraineté populaire qui fonde l’État
démocratique.
→ citoyenneté, démocratisation, gouvernance, marché (démocratie et),
régimes politiques
BRAUD P., Le Jardin des délices démocratiques, Paris, Presses de la FNSP,
1992 ; DAHL R. A., Polyarchy, New Haven, Yale University Press, 1971 ;
GAUCHET M., MANENT P., ROSANVALLON P. (dir.), Situations de la démocratie,
Paris, Gallimard/Le Seuil, 1993 ; HERMET G., La Démocratie, Paris,
Flammarion, coll. « Dominos », 1997 ; L’Hiver de la démocratie ou le
nouveau régime, Paris, A. Colin, 2008 ; LAVAU G., « La démocratie », pp. 29-
113 in GRAWITZ M., LECA J. (dir.), Traité de science politique, Paris, PUF,
1985, vol. 2 ; LAUVAUX PH., Les Grandes Démocraties contemporaines, Paris,
PUF, 2004 ; MANIN B., Principes du gouvernement représentatif, Paris,
Gallimard, 1995 ; SARTORI G., Théorie de la démocratie, Paris, A. Colin, 1973
[1962] ; SCHUMPETER J. A., Capitalisme, socialisme et démocratie, Paris,
Payot, 1965 [1942] ; ZOLO D., Democracy and complexity, Cambridge, Polity
Press, 1992.
DÉMOCRATIE ANTIQUE
→ cité antique
DÉMOCRATIE CONSOCIATIVE. Ce concept traduit de l’expression anglaise
consociational democracy a été appliqué par Arend Lijphart à des pays
singularisés par la superposition de multiples clivages non seulement
partisans, idéologiques ou sociaux au sens courant, mais aussi linguistiques,
religieux, historiques ou autres (clivage urbain/rural très marqué, par
exemple). Dans leur cas, le compromis démocratique ne pouvant s’établir
uniquement au niveau des coalitions de gouvernement et du mécanisme
multipartiste en général, l’équilibre politique se fonde également sur un jeu
complexe de relations entre des institutions ou forces qui représentent toutes
les facettes de la réalité nationale (les partis, mais aussi les syndicats, les
Églises, les groupements patronaux, les communautés linguistiques, le monde
paysan, parfois l’institution monarchique). L’exemple des Pays-Bas a inspiré
spécialement Lijphart, où la vie politique se fonde sur des « piliers » de cette
sorte (donnant naissance à la notion subsidiaire de « pilarisation » de la
politique). Mais le modèle consociatif peut s’étendre également à la Suisse, la
Belgique, la Finlande, le Liban d’avant 1980, dans une moindre mesure aux
pays scandinaves ou à l’Italie. Il convient d’ajouter que l’origine du terme de
consociation est très ancienne. Elle semble remonter au rhénan Johannes
Althussius, qui a utilisé au XVII siècle l’expression de consociatio symbiotica.
e

Cette expression a été reprise vers la même époque aux Pays-Bas. Il faut
noter, également, que David Apter a appliqué le concept au royaume
d’Ouganda, puis au Nigeria, avant que Lijphart ne le popularise.
→ néo-corporatisme, régimes politiques
DAALDER H., « The consociational democracy theme », World Politics 26
(4), juil. 1974 ; LIJPHART A., Democracy in Plural Societies, New Haven, Yale
University Press, 1977 ; « Consociational democracy », World Politics (21),
1969 ; The Politics of Accomodation : Pluralism and Democracy in the
Netherlands, Berkeley-Los Angeles, University of California Press, 1975.
DÉMOCRATIE DÉLIBÉRATIVE. Pour Jürgen Habermas comme pour Norberto
Bobbio, l’authenticité de la démocratie se mesure moins à la nature formelle
de ses institutions ou à l’extension du droit de vote qu’à la qualité du débat
public ouvert aux non-spécialistes qui se développe en son sein. La
démocratie délibérative se définit, selon ce point de vue, comme un espace de
débat précédant les décisions, impliquant l’ensemble de la société civile et non
restreint par conséquent aux seuls professionnels de l’élection ou aux leaders
d’opinion. Cet espace aurait vocation à se transformer en site primordial de la
souveraineté démocratique en lieu et place de l’espace institutionnel.
→ démocratie, espace public
BOHMAN J., REHG W. (dir.), Deliberative Democracy. Essays on Reason
and Politics, Cambridge (Mass.)/London, The MIT Press, 1997 ; COHEN J.,
« Deliberative and democratic legitimacy » in HAMLIN A. et al. (eds), The
Good Polity, Oxford, B. Blackwell, 1989 ; ELSTER J. (ed.), Deliberative
Democracy, Cambridge, Cambridge University Press, 1998 ; FISHKIN J.,
Democracy and Deliberation, New Haven, Yale University Press, 1992 ;
HABERMAS J., L’Intégration républicaine. Essais de théorie politique, Paris,
Fayard, 1998 [1996] ; MANIN B., « Volonté générale ou délibération ?
Esquisse d’une théorie de la délibération », Le Débat (33), janv. 1985 ;
MILLER D., « Deliberative democracy and social choice », Political Studies
(40), 1992.
DÉMOCRATIE DIRECTE. Exercice direct du gouvernement d’un État, d’une
région, d’une ville ou de toute autre collectivité par l’ensemble des membres
actifs de son corps politique (y compris quand ce corps politique se trouve
légalement restreint par des conditions de cens ou de lieu de naissance). Le
principe de la démocratie directe s’oppose de la sorte à celui, dominant dans la
pratique, de la démocratie représentative où les élus s’expriment au nom du
peuple qui n’a pour faculté que de les désigner et de les révoquer
périodiquement, depuis que les parlementaires britanniques et les délégués
français aux États généraux ont repoussé au XVIII siècle toute idée de mandat
e

impératif.

En fait, la démocratie directe n’a jamais existé au sens strict dans les
systèmes politiques différenciés, y compris dans les cités grecques où
l’assemblée des citoyens désignait par élection ou par tirage au sort un conseil
et des archontes en charge du pouvoir exécutif et de la préparation des lois.
Des dispositifs du même ordre se sont retrouvés plus tard dans d’autres
communautés de petite dimension où le peuple entier pouvait se rassembler en
un même lieu. Ainsi dans les assemblées de paroisse de la France de l’Ancien
Régime, de l’Angleterre ou de la Nouvelle-Angleterre, aujourd’hui encore
dans les petits cantons montagnards de la Suisse centrale où se tiennent
toujours les Landsgemeinde annuelles des « bourgeois » venus approuver les
lois et désigner les fonctionnaires. La procédure du référendum constitue de
son côté une expression de la démocratie directe applicable aux collectivités
politiques de dimension importante.
→ autogestion, démocratie : démocratie industrielle, référendum
HASKELL J., Direct Democracy or Representative Government ? Dispelling
the Populist Myth, Boulder, Westview Press, 2000 ; KRIESI H. (dir.),
Citoyenneté et démocratie directe, Zurich, Seismo, 1993 ; PAPADOPOULOS Y.,
Démocratie directe, Paris, Economica, 1998.
DÉMOCRATIE ÉLECTRONIQUE. Formule plutôt que concept, la démocratie
électronique se définit comme l’ensemble des technologies d’information et
de communication qui affectent à présent les pratiques politiques dans les
démocraties. Elle annoncerait l’émergence d’un nouveau type de délibération.
→ internet
SERFATY J. (dir.), L’Internet en politique des États-Unis à l’Europe,
Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2002.
DÉMOCRATIE ILLIBÉRALE. Expression calquée de l’américain, introduite par
Fareed Zakaria en 1997, désignant de jeunes démocraties qui, à l’inverse des
démocraties établies d’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord qui ont
amorti le poids de la règle majoritaire par une protection des minorités,
appliquent cette règle sans restriction aucune et sans nulle garantie de
protection de ces minorités. L’exemple le plus extrême d’une telle démocratie
fut celui du Rwanda, où le règne très majoritaire de l’ethnie Hutu aboutit en
1994 au massacre de la minorité Tutsi sous l’égide pourtant d’un
gouvernement pourtant assez régulièrement élu. Avec ou sans massacres, des
situations analogues se sont observées au Liban, à Chypre et dans l’ex-
Yougoslavie notamment…
→ démocratisation, majoritaire (principe), minorité
ZAKARIA F., L’Avenir de la liberté. La démocratie illibérale aux États-Unis
et dans le monde, Paris, Odile Jacob, 2003.
DÉMOCRATIE INDUSTRIELLE. Expression relevant à l’origine du langage
syndical anglo-saxon et spécialement nord-américain, qui désignait après
1945 aussi bien la nature démocratique – douteuse – des organisations
ouvrières que les tentatives d’associer les salariés à la marche des entreprises.
Avec Dahl et Blumberg, elle est devenue ensuite, au cours des années 1970,
une doctrine prônant une démocratisation plus réelle de la prise de décision
sur les lieux de travail tant privés que publics, à l’exemple notamment de
l’expérience yougoslave alors en cours. Fondamentalement, cette conception
reposait sur l’idée que la nature de la propriété des moyens de production ne
modifiait pas sensiblement l’aliénation des travailleurs, et que l’essentiel se
jouait à cet égard au niveau de leur gestion. La vogue de la démocratie
industrielle a constitué le pendant de celle de l’autogestion pour la gauche
radicale des États-Unis et du Canada.
→ autogestion, syndicats
BLUMBERG P., The Sociology of Participation, London, Constable, 1971 ;
DAHL R. A., A Preface to Economic Democracy, Berkeley, University of
California Press, 1985 ; GODBOUT J. T., La Démocratie des usagers, Montréal,
Boréal, 1987.
DÉMOCRATIE ORGANIQUE. Concept apparu dans la droite autoritaire allemande
et repris notamment pas Carl Schmitt, puis encore par Francisco Javier Conde
et les théoriciens du régime franquiste en Espagne. La démocratie organique
s’oppose à la démocratie représentative d’inspiration libérale en ce qu’elle
répudie la médiation des partis politiques réputés diviseurs ainsi que le conflit
des intérêts, pour leur préférer un mode de représentation dit « naturel » de
type corporatiste, reposant sur les associations professionnelles, les familles,
les institutions religieuses ou culturelles ou encore l’armée. L’expression de
démocratie organique a été innocemment mais malencontreusement reprise en
2000 dans un document de la Commission européenne, pour désigner sa
propre pratique de « gouvernance »…
→ corporatisme, régimes politiques : régimes autoritaires,
traditionalisme
DÍAZ E., Pensamiento español en la era de Franco, Madrid, Tecnos, 1983.
DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE. Proposition empruntée notamment à la pensée du
philosophe allemand Jürgen Habermas dans sa référence à l’espace public (ou
sphère publique), envisageant une alternative ou un renfort à la démocratie
représentative apportés par des modes de participation directe et volontaire
des citoyens à certains processus d’élaboration des politiques publiques, au
niveau local et sectoriel principalement (mais pas exclusivement dans le
principe). Dans ses applications, cette notion s’inscrit sur une échelle qui va
des certaines utopies révolutionnaires « altermondialistes » à des pratiques très
institutionnalisées observées spécialement au Brésil depuis les années 1970, et
surtout depuis la promulgation de la constitution de 1988 (celle-ci contient un
article faisant obligation aux municipalités de disposer de conseils
participatifs sectoriels pour obtenir des crédits fédéraux). Elle va également,
selon les circonstances, de la simple consultation d’un public plus ou moins
militant à la délibération « décisionnelle ». L’exemple du « budget
participatif » de la ville de Porto Alegre, du reste abandonné depuis la défaite
électorale du Parti des Travailleurs, est le plus connu dans cette perspective
(où 25.000 personnes environ, sur une population d’un million et demi
d’habitants, participaient au processus d’ordonnancement de 20 à 25 % de la
dépense municipale). Mais il est loin d’être le seul, puisque plus de 100
communes possédaient des conseils participatifs dans les années 1990, dont
un certain nombre de communes de droite. En France, le débat sur la
démocratie participative a fortement rebondi lors de la campagne
présidentielle de 2007, sous l’égide de Ségolène Royal en particulier. Par
ailleurs, la loi du 2 février 1995 (dite Loi Barnier) y a créé un dispositif
instaurant de nouveaux rapports entre les citoyens et les pouvoirs publics en
matière notamment d’installation de grandes infrastructures (à l’origine de la
procédure DUCSAI).
→ altermondialisme, Amérique latine, Démocratie délibérative, Régime
représentatif, espace public
BLONDIAUX L., SINTOMER Y., « Démocratie et délibération », Politix 15 (57),
2002 (Numéro spécial) ; HERVÉ M., D’IRIBARNE A., BOURGUINAT E., De la
Pyramide aux réseaux. Récits d’une expérience de démocratie participative.
Préface de Ségolène Royal, Paris, Autrement, 2007 ; GAUDIN J.-P., La
Démocratie participative, Paris, A. Colin, 2007 ; HABERMAS J., L’Intégration
républicaine. Essais de théorie politique, Paris, Fayard, 1998 [1996] ;
PATEMAN C., Participation and Democratic Theory, Cambridge, Cambridge
University Press, 1984 [1970] ; SINTOMER Y., Le Pouvoir au peuple. Jurys
citoyens, tirage au sort et démocratie participative, Paris, La Découverte,
2007.
DÉMOCRATIE PROCÉDURALE. Concept semble-t-il lancé en 1984 par Michael J.
Sandel, dans une perspective critique suggérant que les régimes
démocratiques existants ne s’inscrivaient que dans un ensemble de procédures
instrumentales qui dévalorisaient la démocratie en tant que valeur ou que
projet. En revanche, il a été repris dans une acception positive ou résignée par
certains spécialistes des transitions démocratiques revenus des utopies
révolutionnaires.
→ démocratisation, institution, régimes politiques
PRZEWORSKI A. Democracy and the Market, Cambridge, Cambridge
University Press, 1992 ; SANDEL M. J., « The procedural democracy and the
unencumbered self », Political Theory 12 (1), 1984.
DÉMOCRATIE REPRÉSENTATIVE
→ régimes politiques : régime représentatif

DÉMOCRATISATION

Dans son sens le plus général, le terme désigne l’extension progressive du


principe de la citoyenneté à un nombre plus grand de participants et/ou à un
champ politique plus vaste, dans la perspective d’une prise de décision
collective directe ou par l’intermédiaire de représentants élus. De façon plus
spécifique, il s’applique à présent aux processus de passage de formes
diverses d’autoritarisme à la démocratie, soit par démocratisation plus ou
moins délibérée des régimes en place, soit en vertu d’un changement net de
régime. On parle alors couramment de « transition démocratique », étant
entendu que la transition ne constitue en réalité qu’un laps de temps
intermédiaire à l’issue incertaine, dont rien n’assure qu’il doive déboucher
vraiment sur la démocratie. En outre, l’expression de « transition
démocratique » a surtout désigné les « sorties de dictature » opérées
pacifiquement en Espagne et en Amérique du Sud entre 1975 (Espagne) et
1990 (Chili), ce sur la base d’un accord réciproque tacite ou public entre les
anciens gouvernants (les autoritaires) et l’opposition démocratique. C’est à ce
propos qu’on a parlé plaisamment de « transitologie », en plaçant sous ce
vocable les tactiques et techniques de gouvernement capables d’assurer des
changements de régimes ordonnés, sans vainqueurs ni vaincus, et garantissant
la continuité de l’État (par la conclusion de pactes de non-nuisance mutuelle
formels ou informels, ainsi que par des arrangements conclus entre les
modérés ou réformistes des deux secteurs jusqu’alors opposés). Les voies
empruntées par les gouvernements issus de l’écroulement du communisme en
Europe de l’Est et en Russie ont toutefois démenti ce schéma d’interprétation,
en conduisant notamment à opérer un retour vers les influences internationales
et l’histoire particulière de chaque pays. Il faut ajouter que la démocratisation
ne doit pas se trouver confondue avec la « libéralisation », qui désigne
normalement certaines ouvertures consenties par des régimes autoritaires afin
de mieux se maintenir en se « modernisant » (ainsi en permettant les voyages
à l’étranger, par exemple, ou en levant la censure préalable sur les
informations internationales mais pas sur les nationales). De façon générale,
ce que l’on a appelé le paradigme des transitions démocratiques se trouve
aujourd’hui remis en cause dans deux perspectives au moins. La première,
illustrée par Fareed Zakaria ou T. Carothers, insiste sur l’extension d’une
« zone grise » occupée par des « démocraties illibérales » ni vraiment
autoritaires ni véritablement démocratiques (ainsi dans l’ancienne Asie
soviétique). De son côté, la seconde perspective est celle, avant tout
américaine, de la « démocratie internationale », conçue comme un pur
élément d’ordonnancement mondial imposé normalement par une intervention
extérieure au besoin armée. Il suffit d’éliminer le tyran par la force – l’Irak –
pour créer la démocratie.
→ démocratie procédurale, tables rondes
CAROTHERS T., « The end of the transition paradigm », Journal of
Democracy (1), January 2002 : 5-21 ; DOBRY M. (dir.), Democratic and
Capitalist Transitions in Eastern Europe, Dordrecht, Kluwer Academic
Publishers, 2000 ; HERMET G., Exporter la démocratie ?, Paris, Presses de
Sciences Po, 2008 ; Les Désenchantements de la liberté, Paris, Fayard, 1993 ;
Aux frontières de la démocratie, Paris, Presses Universitaires de France,
1983 ; JAFFRELOT C. (dir.), Démocraties d’ailleurs, Paris, Karthala, 2000 ;
LINZ J. J., STEPAN A., Problems of Democratic Transition and Consolidation,
Baltimore, The Johns Hopkins Press, 1996 ; LIPSET S. M., « Some social
requisites of democracy : economic development and political legitimacy »,
American Political Science Review (53), 1959 ; « The social requisites of
democracy revisited », American Sociological Review (59), 1994 ;
PRIDHAM G., Transitions to Democracy, Aldershot, Dartmouth, 1995 ;
ZAKARIA F., « The rise of illiberal democracy », Foreign Affairs, Nov.-
Dec. 1997 : 22-43 ; également les articles rassemblés dans « Le temps de la
démocratie », Revue internationale des sciences sociales (128), mai 1991.

DÉPENDANCE (THÉORIE DE LA)

Conçue dans les années 1950, pour analyser notamment la situation propre
au subcontinent latino-américain, la théorie de la dépendance se propose
d’étudier le développement dans le contexte de la mondialisation du
capitalisme. La plupart des travaux qui en dérivent partent de trois postulats :
le système capitaliste international rejette dans sa périphérie les économies en
développement ; celles-ci ne cessent de se détériorer ; l’ordre socio-politique
dans le monde en développement est directement conditionné par les données
de l’économie dépendante. L’unité des sciences sociales et la primauté ainsi
proclamée de la science économique enlèvent toute autonomie au politique et
conduisent la théo rie de la dépendance à récuser le concept de développement
politique et les paradigmes qui lui sont associés.
Ces constructions ont connu des fortunes diverses : popularisées dans le
contexte du « tiers-mondisme » qui faisait école dans les années 1960, elles
ont essuyé par la suite la critique des tenants de l’analyse culturelle qui leur
reprochaient leur vision trop infrastructurelle et uniforme des sociétés en
développement, comme celle du post-développementalisme qui appelle à une
revalorisation du facteur politique. L’essor des NPI, l’insertion d’économies
rentières, les progrès fulgurants des PNB de certains États pétroliers, la
complexité de la crise de l’État dans les sociétés en développement, ont rendu
de plus en plus contestables les postulats de la théorie de la dépendance. Aussi
certains auteurs, comme le norvégien Galtung, se sont-ils efforcés de
conceptualiser, avec davantage de succès, les conditions d’une dépendance
plus politique, reposant notamment sur une clientélisation active des
gouvernants des États périphériques par ceux des États du centre.
→ centre-périphérie, développement politique, impérialisme,
international (scène internationale)
CARDOSO F. H., Politique et développement des sociétés dépendantes, Paris,
Anthropos, 1971 ; Développement et dépendance en Amérique latine, Paris,
PUF, 1978 ; EVANS P., Dependant Development : the Alliance of Multinational
State and Local Capitalism in Brazil, Princeton, Princeton University Press,
1979 ; GALTUNG J., « A structural theory of imperialism », Journal of Peace
Research, vol. 8, 2, 1971, pp. 81-117.

DÉSENCHANTEMENT DU MONDE

L’expression remonte semble-t-il à Max Weber et désigne une sorte de


« démagification » (Entzauberung) du monde, où la technique se substitue à la
vieille magie. Par extension, elle désigne à présent de façon générale la
sécularisation poussée des sociétés industrielles (chez Marcel Gauchet par
exemple), où non seulement le religieux mais également les utopies et les
idéologies autrefois mobilisatrices n’interviennent plus.
→ sécularisation
GAUCHET M., Le Désenchantement du monde, Paris, Gallimard, 1985.

DÉVELOPPEMENT DURABLE

→ principe de précaution, société de risque

DÉVELOPPEMENT POLITIQUE

La théorie du développement politique est apparue au début des


années 1960, dans le contexte de la décolonisation. Nourrie de systémisme et
de fonctionnalisme, dérivée des grandes théories évolutionnistes du XIX siècle
e

qui postulaient la convergence de toutes les sociétés vers un modèle unique de


modernité, elle se parait d’une triple vertu descriptive, explicative et
normative. La description porte essentiellement sur les processus de mutation
affectant les sociétés en développement, mettant en évidence, au gré des
auteurs, les propriétés de différenciation et de sécularisation (Almond),
d’institutionalisation (Huntington), de centralisation (Shils, Eisenstadt) ou de
diversification des choix (Apter). L’explication privilégie soit les effets
politiques du développement économique et notamment de l’élévation du
PNB (Dahl), soit ceux de la mobilisation sociale et en particulier de
l’urbanisation (Deutsch), soit encore la capacité de surmonter un certain
nombre de crises (Pye). La dimension normative s’appuie sur ces divers
éléments pour prescrire des modes de construction de l’État, de la nation, de la
bureaucratie ou de la démocratie capables de contenir les effets négatifs des
situations de transition (autoritarisme, patrimonia lisme, corruption,
participation politique mal contrôlée).
Dans leurs ambitions théoriques, ces constructions ont quelque peu failli,
postulant de façon excessive l’universalité des modèles de développement,
l’hypothèse de la convergence et celle d’un modèle unique de modernité ; de
même sous-estiment-elles l’importance des facteurs exogènes et en particulier
des facteurs internationaux et de la dépendance. L’apport de ces analyses est
cependant loin d’être négligeable : du développementalisme sont nés des
questionnements nouveaux (sur la construction de l’État ou de la nation), des
concepts importants (néo-patrimonialisme, clientélisme, économie informelle)
dont certains ont été repris dans d’autres perspectives, tandis que le
renouvellement et l’élargissement de la comparaison ont permis de repenser
des objets de la science politique (mobilisation, partis, identité, relations
centre-périphérie).
L’évolution même, suivie par le développementalisme, mérite attention.
Alors que les premières théories valorisaient le rôle de l’État dans la
réalisation et l’activation du développement, un néo-développementalisme,
prenant souche à la fin des années 1970, insiste au contraire sur la fragilité de
l’État en développement, sur la nécessité de repenser ses fonctions voire
d’assurer son désengagement, conformément aux orientations parallèlement
suivies par le FMI et la Banque mondiale : le rôle du réseau associatif et des
ONG se trouve, dans ce contexte théorique, quelque peu théorisé, inversant
ainsi le volontarisme politique du premier développementalisme.
Parallèlement, cette vision se trouve contestée par le
postdéveloppementalisme qui récuse les postulats mêmes des premières
théories, critique l’hypothèse de la convergence et celle d’un développement
uniforme et finalisé, pour mettre en évidence la pluralité des histoires, le rôle
diffractant des cultures et l’effet des pratiques sociales. Dans cette nouvelle
perspective, le développementalisme devient un champ de questionnement
comparatif au lieu de se prétendre théorie ; il s’intéresse aux conditions de
l’invention politique, qu’elle s’opère en venant du « bas » (modes populaires
d’action politique) ou par diffusion de modèles exogènes eux-mêmes plus ou
moins appropriés, suscitant, dans des proportions diverses, des processus de
rejet, d’éclatement, de tensions ou de violences.
→ autoritarisme, centre-périphérie, clientélisme, culture, dépendance
(théorie de la), modernisation, modernité, patrimonialisme/néo-
patrimonialisme
BADIE B., Le Développement politique, Paris, Economica, 1994 ;
BAYART J.-F., L’État en Afrique, Paris, Fayard, 1989.

DÉVOLUTION

Terme d’origine britannique se référant à la restitution de certains attributs


de souveraineté à des fractions de l’ensemble national pourvues de la sorte
d’une plus grande autonomie. Il a été utilisé surtout à propos de l’Écosse au
cours des années 1980.
→ autonomie

DHIMMIS

Populations chrétiennes ou juives jouissant de la Dhimma, statut de


protection accordé jusqu’au XIX siècle aux groupes de confessions non-
e

islamiques dans les territoires soumis à une domination musulmane ou de


l’Empire ottoman. Ce statut leur assurait une autonomie relative et une
certaine protection juridique. Mais celles-ci s’accompagnaient de
discriminations et de restrictions qui faisaient des chrétiens ou des juifs des
sujets de seconde classe. Ainsi les dhimmis payaient-ils un impôt spécifique
(djizya), devaient-ils porter des vêtements sombres ou des signes de couleur
les distinguant des musulmans (les juifs de Fez notamment devaient toujours
circuler les pieds nus hors de leur quartier réservé dans les années 1870), ne
pouvaient-ils monter à cheval ou porter des armes, tandis que leurs édifices
religieux devaient rester moins hauts que les mosquées (il leur était de plus
interdit en général d’en construire de nouveaux et de réparer les anciens).
Paradoxalement, certains dhimmis exerçaient pourtant une grande influence
économique ou politique et administrative en raison de leurs compétences, tels
les riches « phanariotes » d’Istanbul.
→ empire, islam et politique
BOSWORTH C. E., « The concept of Dhimma in early Islam » in BRAUDE B.,
LEWIS B., Christians and Jews in the Ottoman Empire. The Functioning of a
Plural Society, New York/London, Holmes & Meier Publishers, 1982.

DICTATURE

À l’origine, magistrature suprême d’exception exercée dans la République


romaine par un dictateur légalement investi par le Sénat, à titre provisoire et
pour faire face à une situation spécialement critique pendant laquelle les
règles ordinaires du gouvernement se trouvent suspendues. Le dictateur
romain prend ainsi figure de sauveur providentiel, honoré au plus haut degré
par la confiance de ses concitoyens (ainsi Fabius pendant les Guerres
puniques, face à Hannibal). Bodin considère que les dictateurs de ce type
n’étaient pas souverains et détenaient qu’une « commission ». Plus tard,
Wallenstein ou Cromwell sont restés proches de ce modèle originel.
La dictature telle qu’on l’entend à présent naît seulement avec Auguste, qui
lui enlève ses limites de durée et son caractère légal. Elle caractérise
maintenant une forme de pouvoir arbitraire, autoritaire, parfois tyrannique,
sans autre frein apparent que la volonté de celui ou de ceux qui l’exercent. Le
nom est devenu assez synonyme d’autocratie, de régime autoritaire, voire de
système totalitaire, à la différence près qu’il accentue dans certains cas leur
connotation négative. Carl Schmitt définit la dictature comme une « sorte de
commandement qui, par principe, est indépendant du consentement ou de la
compréhension du destinataire et n’attend pas son approbation ».
→ régimes politiques : régimes autoritaires, tyrannie
BRZEZINSKI Z., FRIEDRICH C. J., Totalitarian Dictatorship and Autocracy,
Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1965 ; SCHMITT C., La
Dictature, Paris, Seuil, 2000 [1921].
DICTATURE DU PROLÉTARIAT. Dans la conception marxiste, elle est l’étape
transitoire entre le triomphe de la révolution et l’avènement de la société
communiste. Pour Engels ou Lénine, l’État est toujours la dictature d’une
classe sur une autre classe. À la « dictature de la bourgeoisie » la révolution
substitue la dictature de la classe ouvrière. L’État est provisoirement
maintenu, avec la triple fonction d’éliminer les vestiges des classes
exploiteuses, de jeter les bases économiques du socialisme, d’éduquer un
homme nouveau.
L’interprétation pratique de ce concept telle que la donne Lénine, à la tête
de l’URSS à partir de 1918, suscitera des contestations et notamment celle de
Kautsky critiquant l’insuffisance de démocratie. Avec Staline le
dépérissement progressif de l’État, censé caractériser la dictature du
prolétariat, est ouvertement abandonné en raison de « l’encerclement
capitaliste ». Jusqu’à sa mort en 1953, la dictature du prolétariat, « forme
supérieure de la démocratie pour le prolétariat » (Lénine), est devenue la
dictature d’un parti monolithique sur lequel s’exerce la dictature d’un homme,
objet d’un culte effréné. En France le parti communiste abandonne
officiellement ce concept en 1976, treize ans avant l’implosion de l’Union
soviétique.
→ communisme, marxisme, socialisme
COLAS D., Le Léninisme, philosophie et sociologie politique du léninisme,
Paris, PUF, 1998 ; KAUTSKY K., La Dictature du prolétariat, Paris, Christian
Bourgois, 1972 [1918] ; LÉNINE V., La Révolution prolétarienne et le renégat
Kautsky, Paris, Christian Bourgois, 1972 [1918].

DIPLOMATIE

Tantôt synonyme de politique étrangère (Kissinger), tantôt utilisé pour


désigner une fonction ou un métier accomplis par un type particulier d’acteur.
Dans ce dernier cas, l’essence de la diplomatie peut-être rapportée à la
promotion de relations pacifiques (Hamilton, Langhorne) ou à la double
fonction de représentation et de communication rendue nécessaire par le
principe de séparation de l’espèce humaine en différents États définis comme
souverains (Sharp) et par le principe d’extranéité. Apparue dans l’Italie du
XV siècle et développée notamment en France au cours de la Renaissance, la
e

diplomatie est intimement liée à l’histoire de l’État moderne et au secret


(Nicolson), mais on parle volontiers aujourd’hui de « diplomatie privée » pour
désigner les modes d’insertion des acteurs non étatiques dans l’arène
internationale.
BADIE B., Le Diplomate et l’intrus, Paris, Fayard, 2008 ; HAMILTON K.,
LANGHORNE R., The Practice of Diplomacy, London, Routledge, 1995 ;
KISSINGER H., Diplomatie, Paris, Fayard, 1996 ; NICOLSON H., Diplomacy,
Oxford, Oxford University Press, 1939 ; SHARP P., « For Diplomacy »,
International Studies Review, 1 (1), 1999, 33-57.

DISCOURS PERFORMATIF

Traduction de l’expression anglaise Speech Act. Dans la philosophie


analytique britannique, et en particulier selon son théoricien principal John
Austin, le discours performatif est un discours, entendu au sens large de
message systématique, qui tend à engendrer une réalité au niveau des valeurs,
des comportements ou de la légitimation institutionnelle comme de l’action
politique (« Par le fait de dire… nous faisons quelque chose »). Le néologisme
français « performatif » dérive du verbe anglais To perform, sans équivalent
dans notre langue, associé en général au mot action (To perform an action,
mener une action). Avant Austin, Quentin Skinner avait soutenu une idée
analogue, reprise également par Pierre Bourdieu. Après lui, le philosophe
analytique américain Richard Rorty s’est inscrit dans la même perspective. À
titre d’exemple, la prétention des anciens partis communistes de l’Europe
centrale et orientale à se poser en formations socialistes ou sociales-
démocrates s’inscrit largement dans la logique du discours performatif (en
dehors d’exceptions comme celles de la Hongrie ou de la Slovénie).
→ storytelling
AUSTIN J. L., Quand dire c’est faire, Paris, Seuil, 2002 [1962] ; BUTLER J.,
Le Pouvoir des mots. Politique du performatif, Paris, Éd. Amsterdam, 2004
[1987] ; RORTY R., The Linguistic Turn, Chicago, University of Chicago Press,
1992 [1967] ; SKINNER Q., « Conventions and the understanding of speech-
acts », The Philosophical Quarterly (20), 1970.

DISCRIMINATION POSITIVE

Politique ou type d’action publique intervenant au bénéfice exclusif de


certains groupes ou catégories matériellement, socialement ou culturellement
défavorisés, leur assurant par conséquent un traitement inégal dans un sens
positif par rapport au tout-venant de la population, sur la base de la conviction
que ce traitement inégal dans l’immédiat induira à terme plus d’inégalité dans
l’ensemble d’une société. Ces mesures connues depuis les années 1970 sous le
nom d’Affirmative action en Amérique du Nord et en Grande-Bretagne sous
celui de Positive discrimination ont d’abord été appliquées aux États-Unis,
dans le domaine de l’enseignement supérieur en particulier, avant d’être à
présent largement remises en cause, en particulier en raison de leur effet de
stigmatisation des populations noires qui en bénéficiaient. L’expression
Positive discrimination est en usage en Grande-Bretagne.
→ État-providence, multiculturalisme
GLAZER N., Affirmative Discrimination : Ethnic Inequality and Public
Policy, New York, Basic Books, 1987 [1975] ; SABBAGH D., L’Égalité part le
droit. Les paradoxes de la discrimination positive aux États-Unis, Paris,
Economica, 2003.

DISASSIMILATION

De nos jours, on utilise la notion de disassimilation pour rendre compte de


la manière dont certains acteurs s’efforcent de retourner à certaines de leurs
valeurs et de leurs croyances en remettant ainsi en question un processus qui,
dans certaines sociétés comme la France, implique une entière assimilation de
tous les citoyens au sein de l’espace public. En effet, dans toutes les sociétés
où la citoyenneté présuppose, du moins en théorie, l’abandon de toute forme
de culture particulière, certains peuvent être tentés, dans le cadre d’un
affaiblissement de l’État, de revenir sur un processus historique
d’homogénéisation en rendant un minimum de légitimité à des valeurs qui ne
vont pas à l’encontre de l’exercice de la citoyenneté.
BIRNBAUM P., Géographie de l’espoir. L’exil, les lumières, la
désassimilation, Paris, Gallimard, 2004 ; G. J., SHULAMIT V., German, Jews
and anti-Semitism, Cambridge, Cambridge University Press, 2006.

DISSOLUTION

Le droit de dissolution au profit du chef de l’exécutif (Premier ministre en


Grande-Bretagne, chancelier en Allemagne, Président de la République en
France) est d’abord un moyen de pression sur une assemblée élue. Efficace
surtout comme menace, sa mise en œuvre interrompt le mandat en cours des
représentants et débouche sur de nouvelles élections. Dans les régimes
démocratiques, il s’est progressivement inscrit dans une perspective
d’équilibre avec le pouvoir, dévolu à l’Assemblée, de refuser sa confiance au
gouvernement et d’entraîner ainsi sa démission. Ceci explique à la fois son
existence dans les régimes parlementaires (Grande-Bretagne) et son absence
dans les régimes présidentiels (États-Unis).
Le droit de dissolution est aussi un moyen de décider des élections
générales au moment le plus favorable pour la majorité gouvernementale.
Aujourd’hui, la pratique des sondages d’opinion n’est pas sans influencer les
choix du chef du gouvernement. Dans le même esprit, François Mitterrand,
élu en 1981 puis réélu en 1988, avait dissous l’Assemblée nationale
immédiatement après son élection afin d’obtenir une majorité parlementaire
en tirant profit de la dynamique présidentielle.
→ confiance (question de), régimes politiques : régimes parlementaires
GICQUEL J., Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris,
Montchrestien, 2008 ; LAUVAUX PH., Les Grandes Démocraties européennes,
Paris, PUF, 1990 ; TURPIN D., Droit constitutionnel, Paris, PUF, 2007.

DISSONANCE COGNITIVE

Des théoriciens de la communication comme Festinger (1957) se sont


penchés sur les facteurs qui influencent chez le destinataire la validité d’un
énoncé. Il s’agit d’un problème majeur puisqu’une très grande part du travail
politique, dans n’importe quel régime, est un travail de persuasion.
Une proposition réunit le maximum de chances d’être considérée comme
vraie lorsqu’elle va dans le même sens que les conceptions auxquelles le sujet,
destinataire du message, est profondément attaché et qu’en outre elle émane
d’autorités considérées par lui comme particulièrement légitimes. En revanche
il y a dissonance si les énoncés qui lui sont adressés perturbent son système de
connaissances ou ses valeurs de référence parce que leur contenu n’est pas
d’emblée compatible avec eux. Ainsi des militants convaincus et intègres à
qui l’on apprend que leurs dirigeants sont corrompus.
Les réponses à cette situation sont multiples. Pour éliminer la dissonance
les sujets pratiqueront volontiers – quasiment toujours dans un premier temps
– le déni de l’information perturbatrice. Soit de façon passive en s’arrangeant
pour ignorer l’information aussi longtemps que possible, soit de façon active
en critiquant avec véhémence son contenu ou en disqualifiant ses auteurs.
Ainsi, en 1956, les militants communistes se sont-ils raccrochés à la thèse
selon laquelle le « Rapport secret » de Nikita Khrouchtchev, dénonçant les
crimes de Staline, était en réalité un « faux » fabriqué par les services secrets
américains. Autre réaction concevable : s’appuyer, en cas de messages
antagonistes concernant le même objet, sur la variante la plus acceptable. Cela
est souvent possible du fait des débats publics qui caractérisent la démocratie
pluraliste. Enfin, réaction sur le long terme : soit assouplir ses schèmes de
perception et ses croyances de façon à intégrer les informations avérées ou
incontournables, soit s’enfermer dans un ghetto rigide qui filtre avec soin les
seuls messages acceptables. C’est ainsi que se construisent des « isolats
culturels » sur une base politique, idéologique ou religieuse rigoureuse.
À noter une conception voisine de la pertinence, introduite par D. Sperber,
à propos des conditions qui rendent acceptable une nouvelle proposition
scientifique. Un énoncé sera considéré comme d’autant plus pertinent qu’il
offre le maximum d’explications inédites sans soulever d’excessifs problèmes
d’incompatibilité avec ce qui est tenu pour acquis par les autorités dominantes
du champ scientifique concerné. Cette analyse souligne l’interdépendance
entre phénomènes de savoirs et phénomènes de pouvoirs, notamment mais pas
exclusivement, en sciences sociales.
→ communication politique
FESTINGER L., A Theory of Cognitive Dissonance, Stanford University
Press, 1957 ; POITOU J.-P., La Dissonance cognitive, A. Colin, 1974 ;
SPERBER D., WILSON D., La Pertinence : communication et cognition, Paris,
Éd. de Minuit, 1989.

DISSUASION

Stratégie par laquelle un acteur tente d’empêcher un autre d’agir en lui


faisant valoir que les risques encourus par son initiative sont supérieurs aux
gains escomptés.
Surtout associé à l’arme nucléaire, ce type de stratégie a peu à peu codifié
les relations entre les deux principales puissances atomiques, les États-Unis et
l’URSS. Il fut progressivement élaboré par le président américain Eisenhower
pour contrer les risques d’une invasion de l’Europe occidentale et fut ensuite
repris par l’Union soviétique, notamment à l’occasion de la crise de Suez
(1956). Ce fut cependant la crise de Cuba (1962) qui en marqua le paroxysme
et conduisit à son parachèvement. Cette dissuasion des « Super-Grands » leur
permit de réguler leur « équilibre de puissance » selon des modèles de plus en
plus sophistiqués, incluant notamment l’initiative de défense stratégique (IDS)
destinée à assurer à ceux qui en possédaient la maîtrise une protection contre
les missiles balistiques ennemis grâce à une technique d’interception
préalable. C’est dire que la dissuasion nucléaire est par essence mouvante et
instable, et qu’elle se trouve étroitement conditionnée par l’évolution des
techniques des pays les plus riches.
On distinguera dans cette perspective la doctrine Mc Namara (1964), de
menace de destruction mutuelle, de la doctrine Schlesinger (1974), reposant
sur l’usage éventuel d’une deuxième frappe anti-forces. Cette évolution
technique a justifié en général une actualisation régulière au travers des
négociations et des traités de l’Arms control. Ce monopole possédé par les
deux Grands s’est doublé en outre de « dissuasions existentielles » de la part
du plus faible, qui cherchait à se protéger les plus forts par une sanctuarisation
de son territoire assurée par des représailles nucléaires massives s’il se
trouvait menacé. Cette doctrine fut adoptée par la France. La dissuasion peut
Également recourir à des moyens non nucléaires : armes chimiques ou
bactériologiques (dans le cadre de la Guerre du Golfe, en 1991), voire diverses
formes d’action terroriste.
→ guerre, sécurité
BRODIE B., The Absolute Weapon, New York, 1946, War and Politics, New
York, 1973 ; POIRIER L., Des stratégies nucléaires, Bruxelles, Complexe,
1988 ; Schelling Th., Stratégie du conflit, Paris, PUF, 1986 [1960].

DIVISION DU TRAVAIL SOCIAL

Dans son ouvrage De la division du travail social, Émile Durkheim


s’intéresse à la fonction de la division du travail social, c’est-à-dire à la
répartition fonctionnelle assurant l’intégration de la société et, par conséquent,
la solidarité entre ses membres. À la fin du XIX siècle, alors que le corps social
e

connaît de nombreux facteurs de désagrégation dont témoignent la montée du


mouvement ouvrier et l’expansion des grèves, alors que de nombreux traits
laissent prévoir aussi une diminution des liens sociaux liée à l’expansion
urbaine et à l’atomisation qui peut en résulter, Durkheim oppose la division de
travail anomique provoquée par l’absence de normes communes à la division
du travail pathologique suscitée par la transmission héréditaire de la propriété
économique empêchant la mise en œuvre d’une véritable répartition
fonctionnelle du travail basée sur la compétence et le développement d’une
large méritocratie républicaine capable de recréer une nouvelle solidarité entre
les citoyens. À ses yeux, l’évolution conduit normalement de la division du
travail mécanique, fondée sur l’identité des tâches, à la division du travail
organique, basée sur la différence fonctionnelle ; alors que la première ne
produit pas de solidarité, celle-ci étant imposée par le haut, c’est-à-dire par un
droit répressif et des mécanismes de contrôle social propre à une conscience
collective particulièrement intense, la seconde est au contraire propice à
l’établissement de la solidarité entre les acteurs, la contrainte par le haut
diminuant, le droit se faisant restitutif et la conscience individuelle. Inquiet
tout de même face à la persistance d’une division du travail pathologique,
Durkheim souhaitait la mise en place de corporations permettant d’assurer une
véritable solidarité. Cette interprétation fonctionnelle de la division du travail
social a fortement influencé de nombreux auteurs de la sociologie
contemporaine, et, en particulier, le structuro-fonctionnalisme d’un Talcott
Parsons. De plus, appliquée au politique, la division du travail social conduit à
des théories politiques considérant la naissance d’un lieu du politique comme
le résultat, lui aussi, d’une différentiation des tâches produite par la
modernisation des sociétés. Cette perspective développementaliste de la
division du travail politique a été de nos jours très critiquée, certaines cultures
étant hostiles à cette distinction d’un lieu du politique et récusant dès lors la
nécessité d’une telle évolution considérée comme étant seulement propre à de
nombreux pays du monde occidental.
→ développement politique
BADIE B., Le Développement politique, Paris, Economica, 1978 ;
BERNARD P., BORLANDI M., VOGT P., Division du travail et lien social. La thèse
de Durkheim, un siècle après, Paris, PUF, 1993 ; DURKHEIM É., De la division
du travail social, Paris, PUF, 1962 [1893] ; RENNES J., Le Mérite et la Nature :
une controverse républicaine. L’accès des femmes aux positions de prestige,
Paris, Fayard, 2007.

DOMINATION (TYPES DE)

Du latin dominus (seigneur, maître), ce terme est habituellement utilisé pour


traduire le concept wébérien de Herrschaft par opposition à Macht. Alors que
ce dernier terme équivaut plutôt au pouvoir qui s’exerce dans une relation où
triomphe une volonté, la domination revêt une signification plus large. Elle
décrit un système global constitué par l’ensemble des contraintes régulatrices
que subissent les individus ; ce qui suppose des ressources (de pouvoir) grâce
auxquelles ces contraintes sont rendues effectives. Max Weber, à cet égard, a
toujours été attentif à distinguer d’une part l’influence conférée par la position
dans les relations économiques, d’autre part celle qui résulte des relations de
hiérarchie et de statut social. La domination est donc un concept voisin de
celui de contrôle social, qui mobilise à la fois coercition, capacité distributive
et légitimité.
Dans le chapitre de son ouvrage : Économie et Société, intitulé « Les types
de domination », Max Weber propose la célèbre distinction entre domination
traditionnelle, domination légale-rationnelle et domination charismatique. Ce
qui les distingue c’est le mode de légitimation mis en œuvre.
La domination traditionnelle se fonde sur « des coutumes sanctionnées par
leur validité immémoriale et par l’habitude enracinée en l’homme de les
respecter ». (cf. Le savant et le politique). Dans une communauté de type
Gemeinschaft, caractérisée par des relations fortement personnalisées et
soudée par des croyances communes, se trouve valorisée la stabilité plutôt que
l’innovation, le respect des hiérarchies établies ainsi que la conformité de
chacun au rôle qui lui est assigné dans la société. Tout système de
gouvernement qui peut se prévaloir d’une tradition fortement ancrée dans des
croyances communes y puise une légitimité considérablement accrue. Il
devient en quelque sorte une autorité « naturelle », c’est-à-dire dont l’origine
et les fondements ne sont plus remis en cause. Ainsi en allait-il des
monarchies d’Ancien Régime. Mais cette forme de légitimité traditionnelle
subsiste et se manifeste chaque fois que l’on observe des comportements
d’allégeance fondés sur la déférence ou le souci de se conformer sans examen
à un rôle assigné.
La domination légale-rationnelle est liée à la prééminence de l’État
moderne. Associée à l’idée de Gesellschaft, ou de société c’est-à-dire à la
conception d’une communauté fondée sur l’adhésion contractuelle et l’égalité
juridique de ses membres (sociation plutôt que communalisation), elle se
caractérise par un fort degré d’institutionnalisation du pouvoir politique.
L’élément de gouvernement bureaucratique lui paraît le trait décisif,
impliquant le triomphe de la règle générale et impersonnelle sur la faveur ou
le privilège, le recrutement des agents sur une base de compétence plutôt que
de clientélisme, l’absence d’appropriation personnelle des positions de
pouvoir occupées. Ainsi les gouvernés comme les dirigeants, confrontés à des
règles claires, se trouvent-ils portés à adopter un comportement de type
zweckrational ; c’est-à-dire qu’ils chercheront à atteindre leurs objectifs par
un calcul rationnel adapté aux règles du jeu effectivement en vigueur.
La domination charismatique se situe à un niveau de plus forte implication
affective. La force de l’emprise des dominants sur les assujettis repose en
effet, nous dit Weber, sur une « communauté émotionnelle ». Le leader,
démocratique ou traditionnel, peut compter, pour s’imposer, sur cette « remise
de soi » qui pousse les assujettis à « un abandon […] né de l’enthousiasme ou
de la nécessité et de l’espoir ». La domination charismatique, qui se fonde sur
d’intenses projections des dominés et mobilise les ressources de la séduction,
perturbe les mécanismes routiniers de la domination traditionnelle ou légale-
rationnelle. Elle peut transformer par exemple le leader politique ou religieux
en prophète/conducteur de peuple, faire basculer la démocratie en régime
plébiscitaire aboutissant à la suspension de l’application normale des règles
juridiques Établies. Alors que la domination traditionnelle tend,
historiquement en Occident, à céder le pas à la domination légale-rationnelle,
la domination charismatique revêt davantage le caractère d’une situation
exceptionnelle, fragile à long terme.
Plus récemment, les travaux de Clegg, discutés par François Chazel, ont
souligné l’intérêt du concept de domination dans ses rapports avec celui de
pouvoir. Pour analyser la relation entre deux ou n acteurs, il faut comprendre
la structure globale des conditionnements qui pèsent sur elle. Selon cette
problématique, le pouvoir c’est ce qui se joue au niveau superficiel de
l’interaction tandis que la domination rend compte du niveau plus
fondamental de l’inégale distribution des ressources, laquelle reflète la
structure sociale tout entière : modes de production économique, modes de
rationalités culturellement construits, monopolisation tendancielle de la
violence physique.
→ charisme, pouvoir, ressources politiques
BRAUD PH., « Du pouvoir en général au pouvoir politique », in GRAWITZ M.,
LECA J. (dir.), Traité de science politique, Paris, PUF, 1985, vol. 1, p. 335 sq. ;
CHAZEL F., « Pouvoir, structure et domination », Revue française de
sociologie, 1983, p. 369 sq. ; « Pouvoir », in BOUDON R. (dir.), Sociologie,
Paris, PUF, 1992 ; CLEGG S., Power, Rule and Domination, Londres,
Routledge and Kegan, 1975 ; Frameworks of Power, Londres, Sage, 1993 ;
GIDDENS A., La Constitution de la société, trad. PUF, 1985 ; WEBER M.,
Économie et société, Paris, Plon-Agora, 1995 [1922].

DROIT DE VOTE

→ citoyenneté, élection, suffrage, vote (fonctions du)

DROIT NATUREL

Concept philosophique en vertu duquel il existerait des normes supérieures,


opposables le cas échéant aux règles posées par la Loi positive. Dès
l’Antiquité grecque se fait jour cette dualité qui a pour effet de légitimer la
résistance au pouvoir politique lorsque sa volonté bafoue des valeurs inscrites
par les dieux dans l’ordre naturel des choses. Ainsi, dans la tragédie
d’Euripide, Antigone, malgré l’ordre exprès de son oncle le tyran de Thèbes,
fera-t-elle donner une sépulture aux cadavres de ses frères. Aristote inspire la
théorie classique du droit naturel et lui confère sa cohérence intellectuelle en
soutenant que le droit est inscrit dans la nature, donc qu’un ordre politique
harmonieux suppose sa découverte et sa mise en œuvre.
Dans la pensée occidentale, dès l’époque médiévale, le concept de droit
naturel apparaît comme une catégorie permettant de faire pièce à un pouvoir
trop absolu. Rapporté à la loi divine qui inspire la Raison humaine (cf. saint
Thomas d’Aquin), parfois autonome par rapport à elle (cf. Spinoza), au bout
du compte totalement laïcisé (cf. philosophes des Lumières au XVIII siècle), lee

droit naturel est conçu comme un ensemble de droits fondamentaux fondés sur
des normes éthiques universelles. Si le droit naturel autorise le souverain à
édicter des lois (le droit positif), ce ne peut être qu’à condition qu’il s’agisse
de lois justes. Les lois humaines contraires au droit naturel légitiment la
désobéissance ; d’aucuns affirmeront même qu’elles perdent leur qualité de
règles juridiques.
Le droit naturel est en réalité un ordre moral idéal. Il relève non pas du
« Sein » (ce qui est) mais du « Sollen » (ce qui doit être) pour reprendre le
lexique de Kant. Cependant la présence du mot droit signifie bien la volonté
de l’opposer, terme à terme, au droit positif dans un rapport hiérarchique de
supériorité. Cependant, il s’agit d’une catégorie idéologique, au sens non
péjoratif du terme, c’est-à-dire fondée sur des « représentations » morales et
politiques de ce que doivent être les limitations au pouvoir de l’État, donc sur
des croyances et non pas une réalité objective. À l’époque moderne, le jus-
naturalisme a inspiré la notion de droits de l’Homme, conçus comme
universels, et favorisé la réception du contrôle de constitutionnalité des lois.
→ justice, liberté/égalité
GOYARD-FABRE S., Les Embarras philosophiques du droit naturel, Paris,
Vrin, 2002 ; STRAUSS L., Droit naturel et histoire, Paris, Flammarion, 2008 ;
SIMON P., Le Droit naturel. Ses amis et ses ennemis, Paris, Guibert, 2005.

DROITE

→ gauche/droite

DROITS CIVIQUES

Libertés d’expression dont la mise en œuvre est liée à la notion de


participation à la chose publique. Ce sont donc des droits du citoyen.
Concrètement on entend par là, en général, le vote et l’éligibilité, l’accès aux
fonctions publiques d’autorité, les libertés d’association, d’expression
politique et de réunion, enfin le port de décorations et le droit de servir dans
les armées, tous droits expressément reconnus comme droits civiques par la
jurisprudence. La privation des droits civiques peut accompagner une
condamnation pénale.
→ citoyenneté, élection

DROITS DE L’HOMME

Corps de droits et de devoirs fondamentaux, inspirés à l’origine par la


Philosophie des Lumières et attribués à l’ensemble de l’humanité sans
distinction de sexe, de race, de religion, de statut, de croyance ou de
nationalité. Ces droits assurant la reconnaissance juridique de la dignité
humaine et de l’égalité entre les personnes ont un champ plus large que les
droits civiques ou politiques ; notamment dans les trente articles de la
Déclaration (universelle) des droits de l’Homme adoptée le 10 décembre 1948
par l’Assemblée générale des Nations unies, dont certains prescrivent
notamment les droits à la santé, à l’éducation, au travail et au libre choix du
travail, ainsi qu’au repos et aux loisirs (le droit de propriété se trouvant aussi
reconnu). Toutefois, cette Déclaration présente un caractère mixte puisqu’elle
énonce, également, des droits politiques au regard du principe selon lequel
« la volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics »
(art. 21). Tel est, plus encore, le cas de la Déclaration française des droits de
l’Homme et du citoyen de 1789, inscrite ou mentionnée dans les Préambules
des Constitutions de 1791, 1946 et 1958 (et remplacée par d’autres
déclarations dans celles de 1793 et 1795). Les conventions relatives aux droits
de l’Homme ne sont presque jamais assorties de mécanismes de sanction.
Seules les Conventions de Genève se rapportant aux conflits armés disposent
en effet d’un tel mécanisme de désignation des infractions.
S’agissant même de la Déclaration de l’ONU, l’acceptation de l’universalité
réelle de ces droits soulève un problème dans certaines régions du monde et
au regard de certaines cultures, ainsi que le rappelle par exemple l’existence
d’une Déclaration islamique des droits de l’Homme. En revanche, il est vrai,
la Charte africaine des droits de l’Homme n’entre pas en conflit avec la
Déclaration universelle.
→ droit naturel, droits civiques, État : état de droit
BOUCHET-SAULNIER F., Dictionnaire pratique du droit humanitaire, Paris,
La découverte & Syros, 1998, pp. 156-161 ; ROBERT J., Droits de l’homme et
libertés fondamentales, Paris, Montchrestien, 1993 ; SUDRE F., Droit
international et européen des droits de l’homme, Paris, PUF, 1997.
E

ÉCOLE DE FRANCFORT

Groupe de philosophes associés à l’Institut de recherche sociale de


Francfort, apparu à la fin des années 1920 et comprenant notamment Max
Horkheimer (directeur administratif de l’Institut), Herbert Marcuse et Theodor
Adorno. Beaucoup de ceux-ci se sont réfugiés ensuite aux États-Unis, où ils
ont inspiré la Nouvelle gauche américaine et la New School for Social
Research de New York. Leur ligne de pensée a été celle d’un marxisme
critique et souple, appelé « Théorie critique », considérant par exemple que la
classe ouvrière désormais intégrée à la société capitaliste ne constituait plus
une force révolutionnaire, et qu’aussi le capitalisme avait fondamentalement
changé depuis Marx. La philosophie politique de Jürgen Habermas s’est
inscrite dans la filiation de ce courant.
→ marxisme, classe sociale
WIGGERSHAUS R., L’École de Francfort, Paris, PUF, 1993.

ÉCOLOGIQUE (ANALYSE)

→ sociologie électorale

ÉCOLOGISTES (MOUVEMENTS)

Leur apparition relativement récente sur la scène politique est l’expression


d’une recomposition en profondeur du champ des affrontements idéologiques.
En dépit des sensibilités disparates qu’il agrège, le mouvement écologique
puise sa cohérence profonde dans le refus, plus ou moins radical d’ailleurs,
des logiques fondamentales de la société industrielle avancée. Il brise le
consensus, tacite ou explicite, de toutes les autres forces politiques autour de
l’idéologie de la croissance, c’est-à-dire la valorisation d’un progrès entendu
en termes essentiellement économiques : investissements matériels,
consommation de biens, innovation technologique systématique, accumulation
de capital, etc. Bien loin d’ériger la croissance économique en solution
virtuelle de tous les problèmes de société, comme le proclamaient les avocats
d’une économie socialiste et l’affirment toujours aujourd’hui les défenseurs de
l’économie libérale (malgré les crises), le mouvement écologique en souligne
les logiques néfastes :
– La croissance engendre de nouvelles pauvretés : raréfaction ou
destruction de biens collectifs non reproductibles, dépendance accrue à l’égard
d’objets toujours plus nombreux et plus périssables sur lesquels s’investissent
moins de significations, déperditions identitaires d’individus soumis à des
modes de consommation dirigée.
– La croissance aggrave les inégalités entre catégories sociales et, surtout,
entre les nations. Au gaspillage des unes répond, dans les pays du tiers-
monde, la destruction d’équilibres alimentaires et d’écosystèmes, provoquée
par un mode de développement excessivement exo-centré.
– Enfin les logiques du développement font apparaître des appareils de
pouvoirs géants qui échappent à tout contrôle réel : les multinationales. Ainsi
de nouvelles menaces apparaissent-elles contre la liberté des peuples et
l’autonomie des individus.
La sensibilité écologique dépasse de beaucoup le créneau électoral des
partis « verts ». Elle se nourrit des inquiétudes croissantes sur les
déséquilibres planétaires induits par le développement économique et la
déstructuration des milieux naturels qu’il provoque. Les sources intellectuelles
et idéologiques du mouvement écologique sont très diversifiées, sinon même
contradictoires. Il y a indéniablement résurgence de thématiques
traditionalistes : nostalgie de la société rurale et exaltation de ses valeurs,
réelles ou supposées ; mépris de l’argent ; inclination pour un ordre stable,
autoritairement régi (ce que souligne, non sans beaucoup d’excès, Luc Ferry).
Nombre de néo-libertaires, venus de la gauche ou de l’extrême gauche
autogestionnaire, sont sensibles à son refus politique des grandes
« machineries de pouvoir » à caractère techno-bureaucratique, notamment
quand elles se développent dans le sillage du nucléaire civil ou militaire. Mais
il y a aussi, et surtout, apparition de thématiques tout à fait neuves issues de
domaines scientifiques de pointe. Des climatologues et des naturalistes, des
physiciens, des médecins et des chimistes, sont de plus en plus nombreux à
alerter l’opinion publique et les responsables politiques sur les déséquilibres
créés par l’activité humaine, et sur les menaces qui s’amoncellent à l’horizon.
Ce faisant, ils légitiment le combat pour un changement des modes de vie,
favorisant ainsi l’apparition de nouvelles préoccupations politiques.
Fondamentalement le mouvement écologiste se préoccupe de préserver des
équilibres d’écosystèmes sur le long terme. On peut y voir une nouvelle forme
de conservatisme, une utopie coupée des réalités mais, aussi bien et mieux
sans doute, un lucide humanisme de l’avenir.
→ partis politiques : partis écologistes
FRÉMION Y., Histoire de la révolution écologiste, Paris, Hoêbeke, 2007 ;
JACOB J., Histoire de l’écologie politique, Paris, A. Michel, 1999 ;
LASCOUMES P., L’Éco-pouvoir. Environnements et politiques, Paris, La
Découverte, 1994 ; LIPIETZ A., Qu’est-ce que l’écologie politique ?, Paris, La
Découverte, 2003 ; PELT J.-M., SERALINI G.-E., Après nous le déluge ? Paris,
Fayard, 2006 ; VALANTIN J.-M., Écologie et gouvernance mondiale, Paris,
Autrement, 2007.

ÉCONOMIE POLITIQUE

Dans le langage de la science politique, le concept d’économie politique ou


de nouvelle économie politique s’inscrit dans la théorie des choix publics
(Public choice) et des choix rationnels. Il est bien entendu emprunté aux
économistes.
→ économique (analyse)
CHAVAGNEUX C., Économie politique internationale, Paris, La Découverte,
2004 ; CHENAIS F. (dir.), La Finance mondialisée, Paris, La Découverte, 2004 ;
COHEN B., International Political Economy. An Intellectual History, Princeton,
Princeton University Press ; GILPIN R., Global Political Economy, Princeton,
Princeton University Press, 2001 ; PAQUIN S., La Nouvelle Économie politique
internationale, Paris, A. Colin, 2008.

ÉCONOMIE SOCIALE DE MARCHÉ

Doctrine économique et politique introduite par la démocratie chrétienne


rhénane, inspirée par l’« ordolibéralisme » du cercle d’économistes allemands
rassemblés autour de Walter Eucken dans le cadre de l’École dite de Fribourg
(en Brisgau), et marquée aussi par le personnalisme chrétien. Celle-ci sera
développée en particulier par Ludwig Erhard, ministre de l’économie puis
Chancelier de la RFA de 1949 à 1963 et de 1963 à 1966. Cette doctrine de la
« troisième voie » se caractérise par un attachement à la liberté d’entreprise
compensée par un recours à l’État en matière de protection des travailleurs,
sur une ligne au fond continuatrice de la tradition sociale bismarckienne.
L’objectif est celui d’une société « juste ». Cette orientation a également
fortement influencé les formations démocrates chrétiennes et chrétiennes-
sociales en Belgique, aux Pays-Bas, en Italie et au Chili.
→ partis politiques : Partis Démocrates chrétiens

ÉCONOMIQUE (ANALYSE)

Paradigme de la science politique reposant sur le postulat que l’homo


politicus est assimilable à l’homo economicus. Ce type d’analyse prend ainsi
le contre-pied d’une sociologie de la valeur qui part du postulat que le
comportement politique des individus est fonction des modes d’identification
appris au gré des processus de socialisation. L’analyse économique privilégie
donc le rapport coût-gain, pour concevoir le comportement politique en
termes rationnels, comme la recherche active et consciente par l’acteur de
l’utilité la plus forte.
Ce type d’analyse a été utilisé pour rendre compte des modes de
participation politique des individus, notamment de la participation électorale
et du militantisme. Anthony Downs amplifie son usage pour proposer une
véritable théorie de la démocratie incluant, à côté de l’électeur, le
comportement des partis politiques, notamment leur mode d’élaboration des
programmes qu’ils « offrent » aux électeurs en vue de gagner. La
systématisation de ces postulats a contribué à mener la sociologie électorale
vers la découverte d’un « électeur rationnel » élaborant son vote en fonction
de principes essentiellement utilitaires.
La sociologie de la bureaucratie et celle des politiques publiques font aussi
usage de ce paradigme tant dans une perspective analytique (rendre compte
des processus de prise de décision et des comportements des acteurs) que
normative (introduire les principes de rationalité économique dans la gestion
des biens publics, conformément aux valeurs du néo-libéralisme).
→ bureaucratie, comportement politique, individualisme, marché
politique, valeur
DOWNS A., An Economic Theory of Democracy, New York, Harper and
Row, 1957 ; GREFFE F. X., Analyse économique de la bureaucratie, Paris,
Economica, 1981.

ÉDUCATION POLITIQUE

→ socialisation politique

ÉGALITÉ

→ liberté/égalité

ÉLECTION

Mode de désignation des titulaires des rôles politiques octroyant aux


membres de la collectivité concernée le droit de choisir leurs représentants.
L’élection s’impose ainsi en même temps comme principe et comme
technique de gouvernement.
Comme principe de gouvernement, elle constitue le fondement même de la
démocratie représentative, postulant que le pouvoir politique n’est légitime
que s’il est exercé par le peuple par l’intermédiaire de ses représentants
dément désignés. Aussi la démocratie représentative a-t-elle supposé la lente
extension du droit de suffrage et une élection n’est-elle tenue pour pleinement
démocratique que si elle s’exerce au suffrage universel sans restriction de
nature sociale, économique, éducative ou sexuelle. Encore doit-on noter que le
suffrage universel suppose, pour les élections politiques et dans la plupart des
pays, une condition de nationalité (excluant les étrangers du droit de vote) et
d’âge (chaque droit électoral précisant l’âge minimum requis pour exercer son
droit de suffrage). En tant qu’institution porteuse de légitimité, l’élection
devient ainsi un rituel important de la vie politique, un moment
d’accomplissement de l’identité citoyenne, d’affirmation de la communauté
politique et de valorisation du personnel politique. Ce rôle politique
déterminant dépasse le seul cadre des régimes démocratiques pluralistes,
l’élection sans choix s’imposant comme un élément essentiel du
fonctionnement des régimes politiques autoritaires, c’est-à-dire comme rituel
légitimant et comme instrument de communication politique entre
gouvernants et gouvernés.
Comme technique de gouvernement, l’élection devient sujet de débat et de
contestation. La manière de désigner les gouvernants influe de manière
déterminante sur le résultat des élections et constitue à ce titre un enjeu décisif
pour la classe politique. Les modalités d’exercice du droit de suffrage se
révèlent extrêmement diverses, tant dans l’espace que dans le temps, laissant
la place à quantité de formules convertissant de façon toujours contestable et
insatisfaisante l’expression d’un suffrage en mode de désignation d’un
représentant. Le suffrage peut ainsi être direct (le citoyen choisissant
directement son représentant) ou indirect à un ou plusieurs degrés (le citoyen
choisissant de grands électeurs désignant, à leur tour, tel ou tel titulaire de rôle
politique), à l’instar des élections sénatoriales en France ou présidentielles aux
États-Unis. Le vote est généralement secret, mais les moyens mis en place
pour garantir ce droit sont plus ou moins efficaces, notamment dans les
régimes autoritaires (présence d’isoloirs, garantie de la stricte individualité de
l’acte de vote).
L’imagination politique a de même favorisé l’invention d’une grande
quantité de modes de scrutin. Il convient notamment de distinguer le scrutin
majoritaire (accordant la victoire à celui ou ceux des candidats obtenant le
plus grand nombre de voix) et le scrutin proportionnel (conduisant à l’élection
des candidats en proportion des voix obtenues). Le scrutin majoritaire peut
être uninominal (les électeurs choisissent entre des individus) ou plurinominal
(les électeurs choisissent entre des listes de candidats). Il peut être à un tour
(est élu alors le candidat qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages
comme en Grande-Bretagne pour les élections législatives) ou à plusieurs
tours (dans ce cas est élu, généralement au second tour, le candidat qui a
obtenu le plus grand nombre de voix ou celui qui a atteint la majorité absolue
des suffrages exprimés, lorsque à l’instar de l’élection présidentielle française,
seuls les deux candidats arrivés en tête au premier tour ont le droit de se
maintenir pour le second tour). Pour les élections législatives, le scrutin
majoritaire suppose le découpage du territoire national en circonscriptions
électorales selon des procédés qui, inévitablement, deviennent aussi des
enjeux politiques (cf. Gerrymandering).
Le mode de scrutin proportionnel suppose la compétition de plusieurs listes
de candidats, soit au sein d’une circonscription unique couvrant l’ensemble du
territoire national, soit au sein de plusieurs circonscriptions de taille variable.
Chaque liste compte un nombre d’élus déterminé en proportion du nombre de
suffrages obtenus. Apparemment simple, cette règle requiert pourtant des
aménagements techniques très complexes : les suffrages obtenus n’étant
jamais un exact multiple du nombre de sièges à attribuer, ces derniers
pourront être attribués au plus fort reste (obtiendra le dernier siège la liste qui
comptabilisera le plus grand nombre de voix non converties au siège) ou à la
plus forte moyenne (obtiendra le dernier siège la liste qui comptera la plus
forte moyenne de voix par sièges attribués). De même, le scrutin
proportionnel peut-il permettre le panachage (l’ordre et la composition de la
liste peuvent être modifiés par l’électeur) ou l’interdire (l’électeur ne peut pas
changer la configuration de la liste arrêtée par le parti de son choix).
De plus en plus, les modes de scrutin sont mixtes, combinant le mode
proportionnel et le mode majoritaire, de façon à atténuer les inconvénients des
deux systèmes et à combi ner leurs avantages. Tenue pour plus juste, la
proportionnelle a pour défaut de rendre difficile la formation d’une majorité
claire et stable et donc d’engager les assemblées ainsi désignées dans des jeux
de coalitions instables et fragmentées. Considéré comme plus efficace, le
scrutin majoritaire empêche la représentation des petits partis, surtout
lorsqu’ils ne sont pas en situation de négocier des désistements pour le second
tour : il risque ainsi d’exclure de la représentation nationale une part
importante de l’électorat. Plus profondément, c’est la nature même des
rapports entre l’élu et l’électeur, le gouvernant et le gouverné qui se trouve
bouleversée, à tel point que l’élection, de principe clair de gouvernement,
devient en réalité un moment d’incertitude et, en tout cas, de diversification
dans le mode de fonctionnement de la démocratie représentative.
La proclamation même du résultat des élections pose des problèmes.
Comment comptabiliser l’abstention ? Un seuil de participation doit-il être
atteint pour valider l’élection ? (règle retenue pour les premiers tours des
Élections cantonales et législatives en France). Les bulletins blancs ou nuls
(indûment surchargés) doivent-ils être comptabilisés à part et de quelle
manière, alors que, généralement, les résultats sont proclamés en tenant
compte des seuls suffrages exprimés (ceux des votants diminués des bulletins
blancs et nuls) ?
Enfin, le contentieux électoral désigne les recours introduits contre les
résultats. Ceux-ci sont examinés soit par l’assemblée élue (comme en France
sous la IV République), soit par une juridiction spécialisée (en France sous la
e

V République, pour l’élection présidentielle et les élections législatives) soit


e

par la juridiction administrative (en France pour les élections locales).


→ abstentionnisme, caucus, comportement politique, élection :
électorale (sociologie), gerrymandering
BON F., Les Élections en France, Paris, Seuil, 1978 ; BRAUD P., Le Suffrage
universel contre la démocratie, Paris, PUF, 1980 ; DIAMANTOPOULOS T., Les
Systèmes électoraux aux législatives et présidentielles, Bruxelles, Éd.de
l’Université de Bruxelles, 2004 ; GAXIE D., Le Cens caché : inégalités
culturelles et ségrégation politique, Paris, Seuil, 1978 ; LAURENT A.,
DELFOSSE P., FROGNIER A.-P., Les Systèmes électoraux : permanences et
innovations, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques politiques », 2004 ;
PERRINEAU P., REYNIÉ D. (dir.), Dictionnaire du vote, (Paris), Presses
universitaires de France, 2001 ; RAE D. W., The Political Consequences of
Electoral Laws, New Haven, Yale University Press, 1971 ; ROGER A., « Le
comportement électoral en Europe centrale et orientale : à la recherche d’un
modèle explicatif », Critique internationale (12), 2001, pp. 53-68 ;
TAAGEPERA R., SHUGART M., Seats and Votes : The Effects and Determinants of
Electoral Systems, New Haven : Yale University Press, 1989 ; VALLET E.,
GRONDIN D. (dir.), Les Élections présidentielles américaines. Sainte Foy,
Presses de l’Université du Québec, 2004.
ÉLECTORALE (SOCIOLOGIE). L’analyse scientifique des comportements
électoraux s’est développée de manière relativement précoce dans les pays
occidentaux pour des raisons évidemment liées à l’importance politique des
consultations dans ces pays. Parmi les ouvrages de référence, il faut citer le
livre d’André Siegfried (Tableau politique de la France de l’Ouest, 1913),
demeuré sans postérité immédiate, et les travaux américains des
années quarante et cinquante qui fondent véritablement les paradigmes et
méthodes de la discipline (The People’s Choice, 1944, dû à Lazarsfeld et
Berelson, et The American Voter, 1960, de l’École de Michigan). En France,
le CEVIPOF, laboratoire de la Fondation nationale des sciences politiques,
s’est imposé comme le centre principal des études de sociologie électorale,
couvrant pratiquement toutes les consultations nationales depuis quarante ans.

Schématiquement, on peut discerner deux grands types d’approches dans


l’explication du comportement électoral. Les analyses stratégiques, appelées
parfois « économiques », se situent dans la problématique dite de l’électeur
rationnel. La situation électorale est analysée en termes de marché gouverné
par des règles. Sur ce marché les électeurs, qui ont des aspirations et des
attentes, constituent la demande. Ils se trouvent confrontés à une offre : les
promesses des candidats, diversement attractives, diversement crédibles aussi
à leurs yeux. L’analyse, fidèle en cela au paradigme de l’individualisme
méthodologique, leur prête un calcul d’optimisation de leurs intérêts, visant à
maximiser les avantages escomptables et à réduire les coûts éventuels de leur
choix. Cette démarche valorise donc l’explication par les facteurs
conjoncturels et situationnels : nombre de candidats et poids politique
respectif des diverses formations, règles du jeu électoral, thèmes de
campagne, conjoncture politique, économique et sociale, etc.
Les analyses écologiques au contraire s’intéressent davantage aux
caractéristiques sociologiques des électeurs qui commandent la construction
de leurs représentations politiques et leurs solidarités sociales. Une première
méthode repose sur la comparaison cartographique entre la distribution des
votes et des indicateurs économiques (emploi, niveaux de revenus,
dynamisme du développement local…) ou culturels (maillage scolaire,
pratique religieuse…). Une seconde méthode plus courante consiste à
enquêter auprès d’échantillons représentatifs d’électeurs dont on identifie les
caractéristiques démographiques (sexe, âge, résidence…), socio-économiques
(profession, revenu, patrimoine…), socio-culturelles (niveau de formation,
appartenance religieuse…). La mise en évidence d’éventuelles corrélations
statistiques et leur traitement (analyse multivariée) demandent ensuite à être
correctement interprétés.
Ces diverses démarches sont plus complémentaires que concurrentes. Les
analyses stratégiques expliquent plus facilement les phénomènes de volatilité
électorale entre des scrutins successifs de même nature (élections législatives
par ex.) ou des scrutins concomitants de nature différente (élections locales/
élections nationales, élections partielles/consultation générale). Les analyses
écologiques, elles, sont mieux en mesure de rendre compte des phénomènes
de permanence (bastions géographiques, spécificités durables de
comportements chez certaines catégories sociales comme les ouvriers ou les
travailleurs indépendants).
→ comportement politique, élection, vote (Fonctions du)
BERELSON B., GAUDET H., LAZARSFELD P. L., The People’s Choice, (2 éd.), e

New York, Columbia University Press, 1984 ; BRÉCHON P., La France aux
urnes. Cinquante ans d’histoire électorale, Paris, La Documentation française,
2004 ; CAMPBELL A., CONVERSE PH., MILLER W., STOKES D., The American
Voter, New York, Wiley, 1960 ; MARTIN P., Comprendre les évolutions
électorales. La théorie des réalignements revisitée, Paris, Presses de Sciences
Po, 2000 ; NORRIS P., Elections and Voting Behavior. New Challenges, New
Perspectives, Aldershot, Ashgate, 1998 ; NORRIS P., Electoral Engineering.
Voting Rules and Political Behavior, Cambridge, Cambridge University Press,
2004 ; PERRINEAU P., REYNIÉ D. (dir.), Dictionnaire du vote, Paris, PUF, 2001.
ÉLECTORAUX (SYSTÈMES). Les modes de scrutin se répartissent en deux
grandes familles : les systèmes majoritaires et les systèmes proportionnels.
Les premiers fonctionnent de façon très différente selon qu’ils sont
uninominaux ou plurinominaux, et comportent un seul tour ou deux tours.
Dans le scrutin uninominal majoritaire à tour unique (Royaume-Uni), est élu
le candidat qui obtient le plus de voix. C’est l’exigence d’une majorité
simplement relative. Dans le scrutin uninominal à deux tours (France), on ne
peut être élu dès le premier tour que si l’on obtient la majorité abso lue des
suffrages exprimés, c’est-à-dire la moitié des voix plus une. Dans le cas
contraire, un deuxième tour est organisé et la majorité relative suffit à
départager les candidats. Le scrutin majoritaire de liste (plurinominal) est
rarement mis en œuvre pour des élections législatives. Il sert alors à assurer au
parti dominant une écrasante prépondérance, surtout, comme cela s’est
pratiqué dans certains pays africains nouvellement indépendants, si les listes
sont nationales. En revanche, on le rencontre aux élections locales mais, dans
les pays démocratiques, il est alors associé à une dose de proportionnelle de
façon à assurer un minimum de représentation de l’opposition.

Les modes de scrutin proportionnels sont toujours plurinominaux ; ils


supposent la constitution de listes. Le principe est l’allocation d’un nombre de
sièges qui soit au prorata du nombre de voix obtenues par chaque liste. Cette
proportionnalité est d’autant plus facile à respecter que le nombre de sièges à
pourvoir est plus élevé (pour des raisons purement mathématiques). Donc, un
facteur décisif est la taille de la circonscription. La proportionnelle serait, par
exemple, d’application difficile en France, aux législatives, dans les
départements qui disposent de moins de sept ou huit députés. En revanche, la
proportionnalité fonctionne à plein quand la circonscription se voit attribuer
un grand nombre de sièges (circonscription nationale aux législatives en
Allemagne pour la moitié des députés au Bundestag, ou encore élection d’un
conseil municipal d’une assemblée régionale…) Diverses dispositions tendent
soit à limiter les effets de dispersion de ce mode de scrutin comme
l’institution d’un seuil minimum de voix pour accéder à la répartition des
sièges, soit au contraire à assurer le maximum de liberté de l’électeur grâce au
vote préférentiel (changement de l’ordre des noms) ou au panachage (emprunt
de noms de candidats à plusieurs listes).
La proportionnelle l’emporte largement sur les autres modes de scrutin
modes dans les États de l’Union européenne alors que le scrutin uninominal
majoritaire prédomine au contraire en Amérique du nord, en Australie et dans
le monde anglophone. Il existe aussi des formes de mixage entre les deux
grands systèmes (législatives en Allemagne, élections locales en France).
Abondamment analysés, les mérites respectifs de ces divers types de lois
électorales doivent être appréciés à partir d’une palette de critères : la clarté
des enjeux, la fidélité de la représentation, la capacité de dégager des
majorités gouvernantes, la liberté de choix de l’électeur, la proximité
électeurs/élus.
→ élection
BOURSIN J.-L., Les Dés et les urnes, Les Calculs de la démocratie, Paris,
Seuil, 2004 ; BRAUD PH., Sociologie politique, Paris, LGDJ, 2008, chap. 8 ;
DELWITT P., DE WAELE J.-M. (dir.), Le Mode de scrutin fait-il l’élection ?,
Bruxelles, ULB, 2000 ; DIAMANTOPOULOS T., Les Systèmes électoraux aux
présidentielles et aux législatives, Bruxelles, ULB, 2004 ; DUVERGER M.,
L’Influence des systèmes électoraux sur la vie politique, Paris, A. Colin,
1960 ; MARTIN P., Les Systèmes électoraux et les modes de scrutin,
Montchrestien, 2006.

ÉLITISTES (THÉORIES)

En réaction à la fois contre les interprétations marxistes formulées en terme


de simple domination économique et contre les visions de la démocratie
participative affirmant l’autorégulation du peuple des citoyens, les théories
élitistes sont apparues au tournant du XX siècle pour affirmer l’inévitable
e

venue d’élites détentrices du pouvoir. Dans une perspective pessimiste du


politique, ces théoriciens affirment, tout comme l’auteur du Prince, le
caractère incontournable du pouvoir politique, y compris dans les sociétés
modernes aux idéologies démocratiques. Au lieu d’identifier la perspective
élitiste de Pareto à celle proposée par Gaetano Mosca comme on le fait trop
souvent, il importe d’emblée de les distinguer. Le premier, dans son Traité de
sociologie générale, entend vérifier la permanence du phénomène élitiste en
distinguant les individus qui, dans tous les systèmes sociaux, possèdent des
« résidus » particuliers les prédisposant à faire partie de l’élite (persistance des
agrégats, instinct des combinaisons, etc.). À la suite de l’opposition faite par
Machiavel entre les lions et les renards, Pareto oppose les élites qui recourent
à la ruse pour gouverner de celles qui sont prêtes à l’emploi de la force : les
premières remplaceront les secondes lorsqu’elles ne pourront plus se protéger
par le recours à l’idéologie ou aux sentiments humanitaires. Pour lui,
« l’histoire est un cimetière d’aristocratie », au regard d’une « circulation des
élites », conçue du bas vers le haut, « les révolutions se produisant, selon
Pareto, parce que soit à cause du ralentissement de la circulation de l’élite, soit
pour une autre cause, des éléments de qualité inférieure s’accumulent dans les
couches supérieures. Ces éléments ne possèdent plus de résidus capables de
les maintenir au pouvoir et ils évitent de faire usage de la force tandis que
dans les couches inférieures se développent des éléments de qualité supérieure
qui possèdent les résidus nécessaires pour gouverner et sont disposés à faire
usage de la force ». Cette théorie cyclique est profondément pessimiste et
rejette la vision du Siècle des Lumières : toutes les sociétés, hier comme
demain, seront gouvernées par une élite composée d’hommes ayant des
prédispositions quasi instinctives à l’emploi de leur supériorité. On comprend
que Pareto ait commencé par se montrer indulgent devant la montée du
fascisme italien qui met lui aussi l’homme fort au centre de sa vision
politique.
Au contraire, Gaetano Mosca s’est rapidement éloigné de la tentation
fasciste. Théoricien lui aussi des élites, il démontre, dans son ouvrage
Elementi di scienzia politica, comment « dans toutes les sociétés, depuis les
plus médiocrement développées, celles qui sont à peine arrivées aux
rudiments de la civilisation jusqu’aux plus cultivées et aux plus puissantes, il
existe deux classes d’individus : les gouvernants et les gouvernés. La première
classe qui est toujours la moins nombreuse, remplit toutes les fonctions
politiques, monopolise le pouvoir et jouit des avantages qui s’y attachent ; la
seconde, plus nombreuse est dirigée et contrôlée par la première d’une
manière plus ou moins légale, plus ou moins arbitraire et violente ».
Contrairement à Pareto, Mosca voit dans la capacité organisatrice et non dans
la psychologie le fondement de son pouvoir. À ses yeux, les classes politiques
se succèdent indéfiniment dans l’histoire, justifiant leur pouvoir derrière une
« formule politique », sorte d’idéologie que Pareto nommait pour sa part
« dérivation ». Mosca pourtant souligne la spécificité des régimes
représentatifs libéraux modernes où le principe Électif conduit à la création
d’organisations politiques particulières, les partis politiques, qui s’opposent
dans la conquête du pouvoir. Un élément de fort pluralisme s’introduit qui
justifie la naissance d’une classe politique plus hétérogène et davantage
conflictuelle. Dans ce sens, à la différence de Pareto, Mosca insiste sur les
conséquences de l’introduction du suffrage universel dans la transformation
de l’élite : les partis politiques qui s’affrontent renforçant le pluralisme,
donnant aux citoyens un minimum de contrôle sur leurs dirigeants.
À l’époque contemporaine, une discussion oppose dans le même sens un
auteur comme Wright Mills qui affirme l’uniticité du pouvoir de l’élite
dirigeante à tous ceux qui rejettent cette interprétation. Dans son livre L’Élite
du pouvoir, Wright Mills présente un modèle homogène de l’élite dans la
mesure où, selon lui, un processus de circulation, horizontal cette fois, se fait
jour entre le monde des affaires, les militaires et le personnel politique ainsi
envahi par des « intrus ». La faiblesse de l’État et de son personnel
administratif explique cette situation propre aux États-Unis où un
establishment maintien son pouvoir. Cette thèse ne manque pas de vérité et
décrit donc assez bien un système à État faible, mais Wright Mills sous-estime
le poids propre des fonctionnaires et néglige les tendances pluralistes mises au
contraire en lumière par Robert Dahl et une pléiade d’auteurs élitistes
pluralistes ; à leurs yeux, ce sont des élites multiples et concurrentielles,
spécialisées et détentrices d’un pouvoir partiel qui se disputent le pouvoir au
cours du processus de prise de décision. Dans le même sens, Raymond Aron
s’est attaché à justifier son modèle construit à partir de l’opposition entre les
catégories dirigeantes diversifiées qui préservent, dans les démocraties
occidentales, leur propre pouvoir, la classe politique ne constituant que l’une
d’entre elles. Pour lui l’hypothèse d’une classe dirigeante unifiant ces
catégories dirigeantes serait peu féconde dans ce contexte pluraliste. Le débat
autour des théories élitistes a évolué de nos jours et tient davantage compte
désormais, dans une perspective comparative, de la nature de l’État en
fonction duquel se constituent des rapports distincts entre les élites.
→ démocratie, État, personnel politique (sélection du)
BOTTOMORE T. B., Élites et société, Paris, Stock, 1967 ; BIRNBAUM P., La
Structure du pouvoir aux États-Unis, Paris, PUF, 1971 ; BOUCHARD L.-P.,
Schumpeter. La démocratie désenchantée, Paris, Michalon, 1995 ; COENEN-
HUTHER J., Sociologie des élites, Paris, A. Colin, 2004 ; DAHL R., Qui
Gouverne ?, Paris, A. Colin, 1971 ; GENIEYS W., « De la théorie à la sociologie
des élites en interaction. Vers un néo-élitisme ? », CURAPP, La Méthode au
concret, Paris, PUF, 2000, pp. 81-103 ; HIGLEY J., BURTON M., Elite
Foundations of Liberal Democracy, Lanham-Boulder, Rowman & Littlefield,
2006 ; MEISEL J., The Myth of the Ruling Class, Ann Arbor, University of
Michigan, 1957 ; SULEIMAN E., MENDRAS H. (dir.), Le Recrutement des élites
en Europe, Paris, La Découverte, 1995.

ÉMOTIONS POLITIQUES

→ psychologie politique

EMPIRE

Système politique traditionnel doté d’un centre plus ou moins


institutionnalisé, d’une hiérarchie sociale alimentée par la tradition et d’un
projet à orientation universaliste reposant sur la promotion d’un modèle
culturel explicite. La nature traditionnelle de l’empire le distingue nettement
de l’État qui renvoie à une domination de type rationnel-légal. L’empire
repose d’abord sur la formule de légitimité traditionnelle qui confère au prince
l’essentiel de son autorité et qui limite d’autant celle à laquelle prétend sa
propre bureaucratie. Celle-ci tend donc à n’exister que comme patrimoine de
l’empereur et ne dispose que d’une autonomie incertaine. Toute cette
orientation patrimoniale limite l’institutionnalisation des rapports d’autorité et
donc l’effectivité de la centralisation impériale : inégalement performant, le
centre ne peut donc atteindre et obliger les individus-sujets
qu’exceptionnellement, dans des conjonctures de très forte mobilisation.
La fonction mobilisatrice s’impose comme autre propriété commune à tous
les empires, mettant clairement en lumière leurs limites et leurs paradoxes :
reposant sur une tradition, donc sur un particularisme, les empires ont une
prétention universaliste et se nourrissent par conséquent d’une volonté
d’expansion ; visant la mobilisation des individus-sujets davantage que la
coordination des rôles sociaux, ils ne parviennent que difficilement à leur fin,
faute de moyens institutionnels. C’est pour cette raison que les empires sont
souvent présentés comme instables par nature, tant dans l’aménagement
interne de leurs rôles d’autorité que dans leur construction territoriale et la
définition de leurs frontières.
Tous ces traits révèlent que la catégorie impériale peut se retrouver, à
travers l’histoire, dans des contextes culturels et socio-Économiques très
différents, comme le suggère d’ailleurs la variété des sous-catégories qu’elle a
inspirées : empires hydrauliques, empires agraires, empires théocratiques…
L’image de cet ensemble conceptuel a été souvent actualisée, même si la
perspective utilisée doit alors être au moins légèrement amendée. L’hypothèse
d’empires coloniaux met ainsi en évidence la signification d’un ordre
politique orienté vers l’universalisation d’un modèle particulariste d’autorité,
caractérisé par une territorialisation incertaine et par une faible
institutionnalisation des relations politiques. Elle a été souvent sollicitée pour
rendre compte aussi des modes d’organisation hégémonique du système
international (cf. Empire américain, Empire soviétique…).
→ développement politique, État, territoire
EISENSTADT S., The Political Systems of Empires, New York, Free Press,
1963.
EMPIRES AGRARIENS. Systèmes politiques de vaste dimension territoriale,
structurés en fonction des besoins d’un pouvoir dont les seules ressources
proviennent de l’exploitation agricole et de l’encadrement étroit à cette fin de
la paysannerie. Le mode de production se trouve régi ainsi par la nécessité
politique, soit dans des sociétés caractérisées par leur faible développement
technologique, soit dans d’autres sociétés soumis à de fortes contraintes
écologiques (sol rare pour une population très dense, manque d’eau imposant
un régime d’irrigation strictement contrôlé par l’autorité centrale, nécessité
d’orienter la production et de fixer la main-d’œuvre pour assurer un niveau
alimentaire suffisant et faciliter le prélèvement au bénéfice des dirigeants et
dominants). La Perse sassanide correspond au premier cas. De son côté, la
Chine impériale illustre le second cas, en particulier avec l’empire T’ang.
→ Asie orientale, empire
EISENSTADT S. N., The Political System of Empires, New York, Free Press,
1963 ; WITTFOGEL K., Le Despotisme oriental, Éd. de Minuit, 1977.
EMPIRISME

Orientation méthodologique selon laquelle les phénomènes observables,


plutôt que les théories, fournissent la base de la connaissance scientifique.
Pour l’empiriste, seules les hypothèses et théories démontrables dans les faits
peuvent constituer le corps d’une discipline. Le terme d’empirisme revêt
parfois une connotation péjorative, pour désigner un chercheur peu porté sur
la réflexion théorique.
→ méthodologie
DELAS J.-P., MILLY B., Histoire des pensées sociologiques, Paris, A. Colin,
coll. « U », 2009.

ENDOGÈNE/EXOGÈNE

Les sciences sociales ont très longtemps privilégié les processus endogènes
de changement par rapport aux processus exogènes, postulant, dans une
perspective Évolutionniste, que les sociétés obéissaient à une logique de
maturation et d’accomplissement, dont les marques principales étaient leur
différenciation et leur rationalisation croissantes. Les processus endogènes de
changement désignent ainsi tous les changements sociaux répondant à des
dynamiques internes aux sociétés, quels que soient les facteurs qui les ont
sollicitées ; les processus exogènes recouvrent, pour leur part, tous les
changements sociaux imposés de l’extérieur, par la contrainte ou par
l’adhésion plus ou moins libres des acteurs de la société considérée.
Les processus endogènes peuvent relever de la culture propre à la société
qui, dans une perspective « revivaliste », est censée contrôler le changement
social ; ils peuvent dériver aussi de la structure sociale, et notamment de
l’effet des conflits sociaux ; ils peuvent enfin correspondre à des déterminants
politiques (par ex. à la nature du pouvoir politique ou au type d’État). Les
processus exogènes peuvent d’abord correspondre à une perspective de type
diffusionniste, postulant notam ment que les sociétés changent par interactions
avec d’autres sociétés, soit sous forme d’échange, soit sous forme de
domination. Les flux transnationaux, et en particulier les flux de modèles
politiques peuvent, par exemple, tenir un rôle au moins aussi important que les
paramètres internes dans la réalisation des processus de démocratisation. Les
processus exogènes recouvrent aussi tous les effets de contrainte exercés par
l’environnement international sur les États-nations (guerres, flux migratoires,
structure de l’économie internationale, transformations écologiques, etc.).
En réalité, facteurs endogènes et facteurs exogènes se combinent, dans la
plupart des cas, pour contrôler le changement social, de plus en plus analysé
comme l’effet d’un processus interactif entre l’interne et l’externe.
→ international (scène internationale), transnationales (relations)

ESPACE PUBLIC

L’espace public se distingue de l’espace privé, qui est pour sa part le lieu de
la mise en valeur des rôles familiaux ou personnels ainsi que des formes les
plus individuelles du bonheur de l’acteur lui-même dans ses relations avec les
autres. Dans la période moderne, on considère que l’espace public se construit
à peu près à la même époque, au XVII , en Angleterre et en France. Phénomène
e

proprement urbain, il prend forme avec la naissance d’un public qui fréquente
les cafés, les théâtres, les concerts, avec aussi l’apparition essentielle des
salons où se réunissent noblesse et grande bourgeoisie intégrées socialement
l’une et l’autre dans ce cadre. L’époque des Lumières se concrétise dans la
généralisation de la conversation par laquelle se crée une sociabilité
généralisée, un public où circule idées et opinions, d’autant plus que la presse
connaît elle aussi un épanouissement rapide renforçant encore la cohérence du
public. Comme le montre Jürgen Habermas, l’espace public se différencie de
l’espace privé jusque dans la vie intime : dans les appartements bourgeois, la
salle commune devient pièce de réception où les personnes privées forment un
public. Les individus quittent ainsi la sphère privée de leur chambre pour le
salon dévolu à l’espace public. Apparu de manière progressive en Angleterre
où le principe représentatif facilite son apparition, l’espace public est renforcé
plus brutalement par la Révolution française, les clubs rendant possible les
réunions publiques où se discutent les nouvelles diffusées par une presse en
expansion rendant compte des débats eux-mêmes publics des diverses
assemblées. Pour Habermas, avec le triomphe du marché, l’espace public
régresse inévitablement, d’autant qu’au sein de la société les sphères
publiques et privées se distinguent de moins en moins. L’interpénétration
Économique entre ces deux sphères accentue le déclin de l’espace privé, le
droit public voyant sa spécificité contestée et le bourgeois se substituant de
plus en plus également au citoyen. La domination capitaliste abolirait donc
l’espace public et mènerait même jusqu’à « la colonisation du monde vécu »,
agissant ainsi au-dedans des consciences des acteurs par des publicités
négatrice des valeurs propres à l’espace public. Si Habermas reconnaît que des
nouveaux mouvements sociaux parviennent à réagir, s’il envisage que les
nouveaux médias, par leur caractère décentralisé, peuvent servir de moyen
favorisant le renouveau de l’espace public, sa vision demeure marquée par un
profond évolutionnisme. On peut, au contraire, d’une part considérer qu’elle
ignore les spécificités historiques propres à chaque nation dont l’influence se
révèle pourtant décisive sur les rapports entre ces deux espaces et estimer,
d’autre part, avec Albert Hirschman, que dans ces contextes contraignants, il
revient aussi à l’acteur de choisir de s’engager dans l’espace public ou de
s’attarder à cultiver son bonheur privé. On réintroduit alors l’intentionnalité de
l’acteur dans l’opposition entre ces deux sphères considérées autrement
comme simplement pro duites par des évolutions structurelles échappant aux
acteurs.
→ Démocratie Participative
CALHOUN G. (ed.), Habermas and the Public Sphere, The MIT Press,
Cambridge, 1992 ; DACHAUX E., L’Espace public, Paris, Presses du CNRS,
2008 ; HABERMAS J., L’Espace public. Archéologie de la publicité comme
dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot, 1978 ; Théorie
de l’agir communicationnel, Paris, Fayard, 1987 ; HIRSCHMAN A., Bonheur
privé, action publique, Paris, Fayard, 1983.

ÉTAT

Longtemps, la sociologie politique a semblé se désintéresser de l’État,


préférant utiliser les notions de pouvoir, de système ou encore d’élite pour
analyser les phénomènes de domination dans les sociétés contemporaines. Les
recherches sur l’État apparaissent pourtant maintenant comme fondamentales,
car elles permettent de donner toute sa mesure à la spécificité du politique.
Loin de n’être qu’une fonction du système social se faisant jour de manière
évolutionniste dans tous les types de société à un moment de leur histoire, loin
de n’apparaître, dans une autre perspective tout aussi évolutionniste, que
comme le simple instrument d’une classe dominante lui permettant d’exercer
une coercition absolue et devant simplement disparaître, dépérir, une fois le
capitalisme renversé, lié par conséquent à chaque fois à un moment spécifique
d’organisation conflictuelle des forces sociales antagonistes, l’État doit se
concevoir, avec Max Weber comme « une entreprise politique de caractère
institutionnel dont la direction administrative revendique avec succès, dans
l’application des règlements, le monopole de la contrainte physique ». La
notion d’État implique de manière plus générale aussi bien la maîtrise
complète du territoire que la mise en œuvre d’une bureaucratie différenciée
des autres forces sociales, animée par des fonctionnaires recrutés de manière
méritocratique à travers un système scolaire public, des écoles de formation
des agents de l’État, une laïcité minimale renforçant la séparation de l’espace
étatique et de l’espace religieux, un droit public protecteur des frontières de
l’État, une conception forte de la citoyenneté rattachant directement les
citoyens à l’État et limitant l’emprise des groupes et des communautés
intermédiaires, se marquant aussi par une quasi-fusion entre la nationalité et la
citoyenneté lorsqu’on se trouve en présence d’un État-nation. L’État ainsi
appréhendé ne se fait jour que dans certaines sociétés : on s’accorde pour
situer sa naissance à la sortie du Moyen Âge, dans des sociétés ayant connu un
féodalisme extrême ; il fait alors figure de centralisation réussie du pouvoir
politico-administratif dont la force est à la mesure de la résistance des diverses
périphéries sociales, religieuses ou encore territoriales. On peut dès lors
opposer les sociétés à État fort (proches du modèle français) des sociétés à
État faible (proches du modèle anglais), celles-ci évitant davantage la
différenciation de l’État grâce à une centralisation politique précoce basée sur
l’idée de représentation. On a cependant montré qu’un État fort peut connaître
des processus de différenciation partiels liés, par exemple, à des mobilisations
réactives fortes ou encore à l’apparition de phénomènes clientélistes ou néo-
corporatistes tandis qu’au contraire, dans un État considéré comme faible, on
peut assister à des processus de différenciation partielle. On s’est aussi
interrogé sur les mécanismes d’exportation et d’importation des types d’État
en étudiant de quelle manière s’exporte un modèle de l’État issu d’une histoire
spécifique vers une autre société confrontée à d’autres enjeux, organisée d’une
manière différente et ayant souvent un tout autre code culturel, suscitant dès
lors, par réaction, d’autres réactions identitaires défensives ; ainsi, les sociétés
musulmanes, par exemple, qui récusent pour des raisons religieuses la
séparation entre le politique et la sphère culturelle connaissent de fortes
tensions impliquant un rejet de ce type d’entrée dans la modernité politique.
Dans les relations internationales, enfin, l’État se voit de plus en plus
concurrencé par des organisations et des groupes échappant à son contrôle.
Autant de remises en question de la prétention de l’État-nation à conserver son
propre mode de régulation interne et externe. La question du devenir de l’État
se trouve ainsi posée, tant les défis internes aussi bien qu’externes sont lourds
de conséquences sur le maintien de ses propres structures. D’autant plus que
la globalisation ou encore les processus liés au transnationalisme peuvent
remettre en question les frontières de l’État ainsi que son contrôle sur son
territoire et ses ressources. Pour de nombreux auteurs, on assisterait à la fin de
l’État, à son retrait face à ces nouveaux défis de l’internationalisation de
l’économie et de la circulation des acteurs. Il n’est pourtant pas certain que ces
défis touchent de la même manière les États forts et les États faibles.
→ citoyenneté, communitariens, culture, État : État-nation, libertariens
BADIE B., BIRNBAUM P., Sociologie de l’État, Paris, Grasset, 1979 ;
BADIE B., SMOUTS M.-C., Le Retournement du monde, Paris, Presses de la
FNSP, 1992 ; BEAUD O., La Puissance de l’État, Paris, PUF, 1994 ;
BIRNBAUM P., La Logique de l’État, Paris, Fayard, 1982 ; CHEVALLIER J., L’État
postmoderne, Paris, LGDJ, 2003 ; CREVELD VAN DE, The rise and decline of the
State, Cambridge, Cambridge University Press, 2004 ; EVANS P.,
RUESCHEMEYER D., SKOCPOL T., Bringing the State back in, Cambridge,
Cambridge University Press, 1985 ; IKENBERRY P., HALL P. (eds.), The Nation-
State in question, Princeton University Press, Princeton, 2003 ; KAZANCIGIL A.
(dir.), L’État au pluriel. Perspectives de sociologie historique, Paris,
Economica, 1985 ; ROSANVALLON P., L’État en France de 1789 à nos jours,
Paris, Seuil, 1990 ; SULEIMAN E., Le Démantèlement de l’État démocratique,
Paris, Seuil, 2005 ; STRANGE S., The retreat of the State, Cambridge,
Cambridge University Press, 1996 ; WEISS L., The Myth of the powerless
State, Ithaca, Cornell University Press, 1998.
ÉTAT DE DROIT. De nos jours, cette expression revêt de plus en plus une
acception subjective, qui tend simplement à opposer les régimes
démocratiques aux dictatures de toutes espèces réputées étrangères au droit.
Le débat sur l’État de droit se révèle infiniment plus complexe en réalité. Pour
la théorie classique, l’État apparaît comme une entité distincte du droit même
s’il demeure pourtant lui-même une entité juridique. Bien que sujet de droits
et d’obligations, il conserve en effet une existence indépendante de l’ordre
juridique, ne serait-ce que parce qu’il préexiste à celui-ci. Ainsi revêt-il le
double visage, dans une perspective ouverte par Hegel, du créateur souverain
d’un droit auquel il se soumet cependant (tout en conservant par surcroît la
faculté de le modifier). Toutefois, cette vision contradictoire d’une
autolimitation volontaire de l’État se trouve remise en cause par Hans Kelsen,
en particulier dans sa Théorie pure du droit.

Pour Kelsen, l’État personnifie au contraire l’ordre juridique ; il est en lui-


même et avant tout un ordre juridique, même si tout ordre juridique ne fonde
pas un État. En pratique, il le devient à partir du moment où il établit certains
organes spécialisés à qui il confie le soin de créer et d’appliquer les normes
qui le constituent ; en d’autres termes, quand il atteint un degré de
centralisation suffisant, au terme d’un long processus historique de division du
travail politique où les instances exécutives et judiciaires se configurent bien
avant les instances législatives. L’État de droit peut alors seulement s’affirmer
comme souverain. Mais encore cette souveraineté redevient-elle relative dès
l’instant où un droit international s’érige en ordre juridique supérieur aux
divers ordres nationaux. À présent, la qualification juridique de l’État doit, par
conséquent, se déduire d’abord de la relation qu’il entretient avec le droit
international comme attribut le plus éminent de la communauté supra-étatique,
tant au niveau de ses manifestations en quelque sorte techniques que sur le
plan de sa légitimité au regard des normes dominantes.
De par sa qualité de sujet des actes de sa souveraineté relative, cet État de
droit représente donc la personnification d’un ordre juridique. Il ne peut même
se voir attribuer d’autre définition, sa personne juridique possédant à ce titre
les mêmes traits que ceux d’une personne privée. Reste que, dans un tel ordre
revendiquant l’unité ultime et prééminente du droit et du pouvoir légitime, la
puissance de l’État ne peut s’exercer que dans la mesure où les autres sujets de
droit, même subordonnés, se trouvent efficacement influencés dans leur
conduite par la connaissance qu’ils ont des normes auxquelles ils sont soumis
tout autant que par leur accord avec celles-ci. Or, si l’État et son droit forment
bien le même objet indissociable inscrit dans le même système de contrainte
d’abord physique, ils ne sont pas que cela.
Kelsen s’insurge en effet contre l’idée que tout État est un État de droit, ou
plutôt que l’État puisse exister véritablement sans le droit. Il critique à ce
propos la doctrine allemande du Rechtsstaat (État du droit), qui, diffusée au
XIX siècle, l’opposait au concept d’Obrigkeitsstaat (État de police) par le
e
simple fait qu’il prenait soin de s’entourer d’un corpus juridique. C’est là que
se situe la nouveauté primordiale de la conception kelsénienne. Pour elle,
l’État basé sur le seul exercice de la force et qui manipule de ce fait le droit
cesse de mériter cette appellation. Il n’est pas un État. De plus, il faut, au-delà,
que le droit avec lequel il se confond soit légitime aux yeux de ses
ressortissants comme au regard du monde ou du droit international. C’est à
partir de cette considération que beaucoup des exégètes ou continuateurs de
Kelsen, qui se gardait pour sa part de tout jugement de valeur, ont dépassé sa
pensée en ne reconnaissant l’existence d’un État de droit que dans la mesure
où il garantissait les droits individuels, permettait le contrôle de la légalité de
ses actes et élaborait en définitive les normes juridiques en conformité avec
les règles démocratiques. Ces interprétations sont à la source du discours
présent, et c’est aussi à ce point que la théorie cède le pas à l’idéologie.
Dans une autre perspective, historique cette fois, il apparaît par ailleurs que
l’État de droit se dessine en France à partir de la fin du XVII siècle, lorsque les
e

magistrats commencent à exercer une justice qui se veut indépendante des


assemblées représentatives du royaume et qui prétend transcender la personne
du roi. Cette pratique judiciaire anticipe en quelque sorte sur le principe
kantien de l’universalité des valeurs.
→ État
CHEVALLIER J., L’État de droit, Paris, Montchrestien, 1993 ; KELSEN H.,
Théorie pure du droit, Paris, Sirey, 1962 ; La Pensée politique de Hans
Kelsen, Caen, Centre de publications de l’Université de Caen, 1990 ;
TROPER M., Pour une théorie juridique de l’État, Paris, PUF, 1994.
ÉTAT-NATION. Les travaux sur la formation de l’État-nation s’inscrivent dans
le cadre de la perspective plus générale de l’État. Notons simplement ici que
la rencontre et même la confusion de ces deux notions ne va pas de soi, la
première ayant une connotation juridique et institutionnelle renvoyant aussi à
un territoire tandis que la seconde se rapporte à la dimension morale ou
culturelle ou encore, ethnique d’un ensemble humain. Dans l’histoire de
l’humanité, on trouve en définitive peu d’exemple d’une complète imbrication
de ces deux dimensions. En dépit de leurs grandes oppositions, la France ou
encore l’Angleterre constituent des exemples presque idéal-typiques de l’État-
nation tant l’unification interne y est poussée, État et nation se fondant l’un
dans l’autre. Citoyenneté et nationalité y sont alors, surtout en France,
particulièrement confondues. Au contraire, la plupart des États contemporains
d’Afrique, d’Asie ou même d’Europe incluent des ensembles humains
multiples aux solidarités culturelles, linguistiques ou même ethniques
potentiellement tournées vers l’extérieur des frontières de l’État lui-même.
→ État, nation : Nationalisme
EISENSTADT S., ROKKAN S., Building States and Nations, Beverly Hills,
Sage, 1973 ; HERMET G., Histoire des nations et du nationalisme en Europe,
Seuil, 1996 ; TILLY C. (dir.), The Formation of National States in Western
Europe, Princeton, Princeton University Press, 1975.

ÉTAT-PROVIDENCE

Forme de gouvernement moderne, typique de l’Europe de l’Ouest en


particulier, dans laquelle l’État va au delà de ses attributs régaliens classiques
pour élargir ses compétences à la garantie des besoins minimaux et de la
sécurité de vie de l’ensemble de la population ou d’une proportion étendue de
celle-ci. Jusque dans les années 1980, la logique d’évolution de ce système a
tendu à élever constamment le niveau de ces besoins considérés comme
minimaux. Cet objectif est atteint par voie législative ainsi que par le biais du
budget public ou para-public, ou encore d’instruments de financement
spécifiques. Sur ce dernier plan du financement, en effet, l’État-Providence
obéit en principe à deux modèles distincts : 1) Celui du modèle assuranciel dit
« bismarckien », souvent à gestion paritaire, fondé sur les cotisations des
salariés bénéficiaires et du patronat et fonctionnant au bénéfice des seuls
cotisants dans une perspective de réciprocité ; 2) Celui du modèle solidariste
étatisé à couverture universelle, financé par l’impôt et indépendant des
cotisations des intéressés, qualifié dans ce cas de « modèle Beveridge » (du
nom de l’auteur d’un projet d’orientation travailliste présenté en 1942 et 1944
au Royaume-Uni). Le « modèle Beveridge » obéit dans ces conditions à une
visée de redistribution plus égale des revenus, au contraire du modèle
« bismarckien » au moins à son origine. De nos jours, la différence entre l’un
et l’autre tend toutefois à s’estomper.
L’État-Providence commença à s’esquisser avec la création des régimes de
protection des salariés en matière d’accidents du travail, d’assurance
chômage, d’assurance maladie, de retraites obligatoires et de congés payés
ainsi qu’avec le développement de programmes de logements sociaux. Puis il
s’est confondu également avec les politiques de généralisation de l’accès à
l’enseignement secondaire, voire supérieur, en même temps qu’il a débouché
sur une profonde réorientation des stratégies fiscales allant dans le sens d’un
alourdissement continu de la taxation directe des revenus importants ou même
moyens. Karl Polanyi interprète son émergence comme un mode d’adaptation
assez conservateur de l’État libéral, destiné à tempérer les conséquences
inégalitaires brutales du libéralisme économique pur par un mécanisme social
régulateur placé sous son contrôle. De son côté, au regard de ses notions de
démocratie ou de citoyenneté sociales, Terence Marshall envisage plutôt
l’État-Providence comme l’instrument privilégié de la démocratie parvenue à
son stade d’achèvement, après une phase initiale de reconnaissance de la
citoyenneté juridique puis une deuxième phase d’extension de citoyenneté
politique (le suffrage universel au moins masculin). Le paradoxe tient
cependant à ce que c’est à l’initiative du Chancelier Bismarck que l’État-
Providence – dans sa version assurancielle – est né dès les années 1880 dans
l’Empire allemand, dans un contexte fort peu démocratique et plusieurs
décennies avant que la Grande-Bretagne, la France, les pays scandinaves ou la
Belgique n’empruntent ce chemin (de même, en Espagne, l’État-Providence
est apparu sous la dictature franquiste). Et à peine moins paradoxal est le fait,
démontré en particulier par Peter Flora, que son développement dans les
démocraties européennes, loin de relever de la responsabilité exclusive des
partis ou gouvernements socialistes, social-démocrates ou travaillistes, fut tout
autant le produit de l’action des formations sociales-chrétiennes et démocrates
chrétiennes.
L’État-Providence enregistre à présent une crise profonde. Crise engendrée
à la fois par un épuisement des ressources qui permettraient d’améliorer ses
prestations ou simplement de les maintenir, par le choc provoqué par la
libéralisation des échanges et les menaces de délocalisation industrielle qui
l’accompagnent, et par la manifestation d’attente plus qualitatives de la part
des habitants des sociétés post-industrielles ainsi que par la multiplication
contradictoire de phénomènes d’exclusion sociale et culturelle requérant
d’autres méthodes qu’un traitement indifférencié (« le voile d’ignorance »).
On assiste de ce fait dans de nombreux pays européens à une sorte de
« démontage » de ses dispositifs, typique de la politique de Mrs. Thatcher
dans le Royaume-Uni, mais entrepris également très tôt en Suède par les
gouvernements social-démocrates, par exemple. En revanche, si le Canada a
développé aussi son propre État-Providence, ce n’est pas le cas des États-Unis
où il constitue toujours un enjeu disputé, compliqué en outre par la mise en
œuvre des politiques de discrimination positive en faveur des minorités
ethniques. Parallèlement, les gouvernements des jeunes démocraties établies
ou rétablies en Amérique latine et en Europe orientale se heurtent au défi qui
consiste à compenser la disparition de leurs régimes de protection sociale de
type populiste ou étatique par des dispositifs alignés sur ceux de l’État-
Providence au moment précis où celui-ci se trouve mis en question dans les
vieilles démocraties occidentales. Par ailleurs, historiquement, il convient de
rappeler que les doctrines caméralistes préfigurèrent dès le XVIII siècle
e

certaines ambitions de l’État-Providence tout en s’inscrivant plutôt dans une


perspective de secours aux indigents (avec les Poor Laws britanniques en
particulier). Curieusement, diverses réformes actuelles opèrent un retour
déguisé dans cette direction, ainsi en ce qui concerne l’aide aux sans domicile
fixe ou le revenu minimum d’insertion. Il faut savoir également que
l’expression « État-Providence » fut à l’origine exclusive de la France ; elle
est apparue à la fin du Second Empire dans la bouche d’Émile Ollivier, avec
une connotation péjorative visant à dénoncer les conséquences néfastes de la
destruction des corps intermédiaires par la Révolution (contraignant par là
l’État à se substituer à ces cadres de solidarité). On disait plutôt « État social »
dans l’Empire allemand, ou Wohlfahrtstaat (État du bien-être), tandis que
l’expression britannique de Welfare-State n’apparaîtra que plus tard.
→ caméralisme, citoyenneté, néo-institutionnalisme
ESPING-ANDERSEN G., Les Trois mondes de l’État-Providence, Paris, PUF,
1999 [1990] ; FLORA P., HEIDENHEIMER A. J. (eds.)., The Development of the
Welfare State in Europe and America, New Brunswick, Transaction Books,
1981 ; MARSHALL T. H., Citizenship, Social Class, and other Essays, Oxford,
Pluto Perspectives, 1992 [1950] ; MERRIEN F.-X., PARCHET R., KERNEN A.,
L’État social. Une perspective internationale, Paris, A. Colin, 2005 ;
POLANYI K., La Grande Transformation. Aux origines politiques et
économiques de notre temps, Paris, Gallimard, 1983 [1944] ; ROSANVALLON P.,
La Nouvelle Question sociale. Repenser l’État-Providence, Paris, Seuil,
1995 ; SCHNAPPER D., La Démocratie providentielle : essai sur l’égalité
contemporaine, Paris, Gallimard, 2002.

ÉTAT RÉGULATEUR

L’État perdrait dans les sociétés modernes contemporaines sa capacité à


imposer seul son ordre et son autorité, car les décisions seraient élaborées de
plus en plus aussi bien par des acteurs publics que privés ; le retrait de l’État
dans le cadre aussi de la globalisation et de l’intégration, par exemple, à
l’espace européen, limiterait grandement sa capacité à agir seul, par le haut. Il
agirait désormais davantage en déléguant, en orientant, en cherchant à
contrôler la qualité de la décision en se rapprochant par-là même de la logique
du marché. Dès lors, l’organe de la souveraineté nationale, l’État régalien,
perdrait une partie de sa dimension démocratique au profit d’une expertise
d’élites. Il n’est toutefois pas certain que tous les États connaissent un retrait
néo-libéral aussi radical.
HASSENTEUFEL P., Sociologie politique : L’action publique, Paris, A.Colin,
2008 ; LASCOUMES P., LE GALÈS P. (dir.), Gouverner par les instruments, Paris,
Presses de Sciences Po, 2004. LÉVY J. (ed.), The State after Statism. New State
activists in the age of Liberalization, Cambridge (Mass.), Harvard University
Press, 2006.

ÉTAT VIRTUEL

Concept diffusé par Richard Rosecrance en particulier, désignant le rôle


assumé par des groupements armés ou des organisations diverses, y compris
mafieuses, dans la protection des populations là où les États classiques ne
parviennent plus à assumer leur rôle. Tel est par exemple le cas du Hezbollah
au Liban Sud.
→ État, État-Nation, International (Scène internationale)
ROSECRANCE R., The Rise of the Virtual State : Wealth and Power in the
coming Century, New York, Basic Books, 1999.

ÉTAT VOYOU

Notion issue de la rhétorique politique plutôt que de l’analyse scientifique.


Elle fit son apparition aux États-Unis, sous la présidence Clinton, pour définir
un État qui se place hors du droit et de la morale « internationale » (« Rogue
State »), évoquant ainsi le concept « d’État-brigand » autrefois forgé par Jean
Bodin. Imprécis et très subjectif, ce vocable recouvre en fait aussi bien une
disqualification des États pour cause de lien avec le terrorisme, de détention
(plus ou moins avérée) d’armes de destruction massive ou de moyens
permettant de les obtenir ou de manquements graves aux droits de l’homme.
En fait, il s’impose, dans une tradition postcoloniale, comme mode de
stigmatisation de diplomaties d’États principalement du Sud contrariant
fortement les orientations de la diplomatie américaine. Reprise à son compte
par l’administration néo-conservatrice, la notion a récemment évolué vers
celle d’État « préoccupant » (« State of concern »).

ETHNICITÉ

Notion peu précise et très polysémique introduite dans sa forme actuelle par
David Riesman en 1953, marquant une rupture par rapport à la connotation
antérieure péjorative ou résiduelle du terme ethnique (désignant des groupes
en voie de disparition). Elle prétend conférer à une collectivité sociale donnée
une réalité naturelle transcendant toute construction politique. Cette réalité est
conçue en fonction du repérage de traits tenus pour innés et communs à
l’ensemble des membres de la collectivité qui est alors désignée par un nom
(ethnonyme). Contrairement à la race, l’ethnie ne se caractérise pas par
référence à des critères biologiques, auxquels sont généralement préférés des
critères de type culturel (langue, histoire, croyances, habitudes de vie et
surtout sentiment de commune appartenance). Postulée naturelle, l’ethnie ne
saurait pourtant échapper à une part de construit (qui lui est intérieur et
extérieur) et donc à une dimension en même temps fragile, arbitraire et
mythique.
Forgée par l’anthropologie pour analyser les sociétés primitives, cette
notion s’est étendue, de façon mal maîtrisée, à la science politique. Elle est
utilisée soit dans une perspective développementaliste ou post-
développementaliste, afin de décrire les processus de construction étatique et
nationale ainsi que les résistances qui les accompagnent, soit en politique
comparée afin d’appréhender les modes d’intégration des minorités dans les
systèmes politiques. Dans ce dernier usage – le plus fréquent – la notion
d’ethnie rejoint celle de minorité culturelle. Dans l’un et l’autre cas, elle peut
présupposer que les communautés politiques doivent avoir un fondement
ethnique, ce qui tend à faire de l’ethnicité une des composantes tant de la
mobilisation politique que de la construction des systèmes politiques, et à
conduire ainsi jusqu’à l’extrême que constitue l’Épuration ou la purification
ethnique (c’est-à-dire la modification par la contrainte de la composition des
communautés politiques afin de leur conférer une « identité ethnique »
homogène et unique). Dans une perspective moins radicale, elle vise à
restaurer le sentiment de fierté de groupes qui se sentaient humiliés et à
donner une légitimité à leurs revendications. Son usage se retrouve de plus en
plus aujourd’hui en relations internationales, correspondant à la nature des
nouveaux conflits internationaux. Comme tel, il se trouve partagé entre une
interprétation « ethno-réaliste », qui en fait un paramètre nouveau de la
géopolitique et une interprétation constructiviste qui souligne son rôle comme
instrument de mobilisation politique.
→ anthropologie politique, identité politique, nation, partis politiques :
Partis ethniques, peuple, segmentaires (sociétés)
AMSELLE J.-L., MBOKOLO E. (dirs.), Au Cœur de l’ethnie, Paris, La
Découverte, 1985 ; AMSELLE J.-L., Logiques métisses, Paris, Payot, 1990 ;
BARTH F., Ethnic Groups and Boundaries, London, G. Allen and Unwin,
1969 ; DARVICHE M.-S., « L’horizon ethnique de la modernité. La sociologie
d’Anthony D. Smith », Revue Internationale de Politique Comparée (7) 1,
2000, pp. 203-234 ; GLAZER N., MOYNIHAN P., Ethnicity : Theory and
Experience, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1975. Pour une
interprétation « ethno-réaliste », cf. BROWN M. (ed.), Ethnic Conflict and
International Security, Princeton University Press, 1993 ; pour une
interprétation constructiviste, cf. GANGULY R., TARAS R., Understanding
Ethnic Conflict, New York, Longman, 1998.

ETHNO-NATIONALISME

À l’opposé de ceux qui insistent sur la dimension civique du nationalisme,


tel Ernest Gellner, de nombreux auteurs estiment que le nationalisme repose
sur un fondement ethnique, qu’il exprime la croyance en une origine ethnique
spécifique propre à justifier la création ou le maintien d’une nation
particulière. En réalité, même les tenants de l’ethno-nationalisme tel Walker
O’Connor, en viennent à montrer le caractère imaginé de ce type de
nationalisme qui revendique une race ou un sang particulier. Les chansons, les
rituels, les poèmes que l’on retrouve même curieusement au sein du
vocabulaire communiste comme en Chine ou au Vietnam qui mettent l’accent
sur une commune origine familiale, sur un sang commun évoquent ces
dimensions davantage de manière métaphorique. Dans ce sens, les travaux de
O’Connor rejoignent ceux d’Anthony Smith qui décrit lui aussi l’origine
ethnique du nationalisme comme une forme inventée propre à justifier une
existence nationale.
O’CONNOR W., Ethnonationalism, Princeton, Princeton University Press,
1994 ; SMITH A., The ethnic origins of nation, Oxford, Blackwell, 1986.

ÉTUDES EUROPÉENNES

D’usage récent dans cette signification, cette expression désigne non pas les
études de nature comparative portant sur les systèmes politiques des pays
européens, mais celles qui sont essentiellement orientées vers l’analyse de la
nature et du fonctionnement des institutions formelles ou de fait de l’Union
européenne. S’y ajoute également l’étude des nouvelles formes de vie
politique européenne, au niveau par exemple des fédérations de partis.
→ intégration régionale
DEHOUSSE R. (dir.), L’Europe sans Bruxelles ? Une analyse de la méthode
ouverte de coordination, Paris, L’Harmattan, 2004 ; MAGNETTE P., Le Régime
politique de l’Union européenne, Paris, Presses de Sciences Po, coll.
« Références », 2007 ; JACQUOT S., WOLL C. (dir.), Les Usages de l’Europe :
acteurs et transformations européennes, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques
politiques », 2004 ; MAGNETTE P. (dir.), Contrôler l’Europe. Pouvoir et
responsabilité dans l’Union européenne, Bruxelles, Presses de l’ULB, 2003 ;
REYNIÉ D., La Fracture occidentale. Naissance d’une opinion européenne,
Paris, La Table Ronde, 2004 ; ROUSSELIER N., L’Europe des traités, de
Schuman à Delors, Paris, CNRS Éditions, 2007.

ÉVALUATION DES POLITIQUES PUBLIQUES

→ administration publique

EXÉCUTIF/LÉGISLATIF (POUVOIRS)

Cette distinction, classique depuis Locke et Montesquieu, n’est pas d’une


totale clarté malgré les apparences. Pour ces théoriciens de la séparation des
pouvoirs, la fonction législative ne devait pas être exercée par le même organe
étatique que la fonction exécutive. La première se définit comme l’élaboration
de normes générales et impersonnelles ; la seconde comme une mise en œuvre
de la loi par des textes d’application, des mesures individuelles et des
opérations matérielles. Le lien établi entre organes et fonctions a conduit à
parler de pouvoir législatif pour désigner la ou les assemblées qui l’exercent,
et de pouvoir exécutif pour désigner le gouvernement (ou le chef de l’État en
régime présidentiel).
En réalité il y a là un faux parallélisme. Le pouvoir exécutif, au sens
institutionnel (ou encore organique), c’est-à-dire le gouvernement, édicte lui
aussi des normes générales et impersonnelles. Cela est particulièrement net
sous le régime de l’article 34 de la Constitution française de 1958 qui instaure
un partage des matières législatives et réglementaires. Ainsi la loi relève-t-elle
d’une double définition : soit norme générale et impersonnelle (critère
matériel), soit norme édictée par le Parlement (critère organique).
Symétriquement il arrive, plus rarement il est vrai, que le pouvoir législatif,
c’est-à-dire le Parlement, adopte des mesures à caractère personnel qui ne sont
donc pas des lois : attribuer des honneurs exceptionnels, mettre en accusation,
ou encore exercer des pouvoirs d’investigation.
De nos jours le législateur est donc à la fois le Parlement, auteur de la loi
stricto sensu et, dans un sens large, tout auteur d’une réglementation générale
et impersonnelle, quelle qu’elle soit.
→ démocratie, loi, régimes politiques
FRIEDRICH C., La Démocratie constitutionnelle, Paris, PUF, 1958 ;
TROPER M., La Séparation des pouvoirs et l’histoire constitutionnelle
française, Paris, LGDJ, 1973.

EXPERT ET POLITIQUE

Avec le développement, au XX siècle, de l’État-Providence, la


e

complexification croissante des tâches gouvernementales a rendu


indispensable le recours croissant des politiques au savoir pointu de
spécialistes qui maîtrisent des connaissances indispensables à une prise de
décision éclairée. Les questions militaires et diplomatiques ne sont plus les
seules qui requièrent l’assistance de conseillers techniques. Aujourd’hui, les
experts relèvent de disciplines scientifiques de plus en plus diversifiées :
science économique, gestion des organisations, écologie et environnement,
santé publique, et même sociologie ou communication politique. Ils sont
associés aux processus décisionnels de façon informelle ou institutionnalisée
(comités mixtes où ils siègent avec des responsables politiques, des hauts
fonctionnaires, des acteurs sociaux…). Ils sont eux-mêmes intégrés dans la
hiérarchie administrative ou, au contraire, des acteurs indépendants
(consultants et think tanks du secteur privé). Selon l’angle de vue adopté,
l’expert est perçu positivement comme le garant de décisions éclairées ou,
négativement, comme le représentant d’une rationalité « technocratique »,
sourde aux aspirations des citoyens et menaçante pour la démocratie.
DUMOUCHEL L., et alii, (dirs.), Le Recours aux experts. Raison et usages
politiques, Grenoble, PUG, 2005 ; LASCOUMES P., Expertise et action publique,
Paris, La Documentation française, 2005.

EXPLOITATION

Ce concept, central dans la pensée de Marx, a pour objet de donner un


fondement scientifique au sentiment d’injustice sociale. Marx définit
l’exploitation en termes économiques, comme un temps de travail impayé ou
encore une extorsion de plus-value, Cette approche légitime puissamment
l’union des prolétaires, tous vendeurs de leur force de travail, dans un combat
commun contre des cibles clairement identifiées : les patrons exploiteurs.
C’est pourquoi le thème économique de l’exploitation se prête
particulièrement bien à des usages politiques : la mobilisation des travailleurs
pour un changement de l’ordre économique et social. Il est devenu, pour cette
raison, la référence majeure des partis révolutionnaires alors que le thème plus
philosophique de l’aliénation, caractéristique de l’œuvre du jeune Marx, ne
réussira jamais à s’imposer dans l’arène politique en dépit d’une brève
popularité dans les années soixante du XX siècle.
e

→ aliénation, marxisme
LABICA G., Dictionnaire critique du marxisme, Paris, PUF, 1982.

EXTRÊME-ORIENT

→ Asie orientale
F

FALSIFIABILITÉ

Au sens de Popper, une théorie qui se vérifierait quels que soient les
résultats de l’observation n’aurait aucune validité scientifique. Au contraire,
une hypothèse savante remplit cette condition lorsqu’elle permet de diviser en
deux groupes l’ensemble de tous les énoncés concevables : ceux avec lesquels
elle est contradictoire et ceux avec lesquels elle est compatible.
→ méthodologie

FASCISME

Dans les années 1920, le mouvement communiste international a donné une


interprétation générale du fascisme basée à l’origine sur l’exemple italien : à
partir de la théorie léniniste de l’impérialisme, il s’agissait de montrer que,
face à l’effondrement prochain, la bourgeoisie manipulait une partie de la
classe ouvrière afin de défendre son propre pouvoir en instaurant un régime
qui lui serait tout dévoué. Proposée avec des variantes successives, depuis les
travaux de Bauer ou de Thalheimer réactualisant la version bonapartiste du
marxisme jusqu’à ceux d’Antonio Gramsci, en terme d’hégémonie menacée
laissant la place à une sorte de populisme ou encore de Nicos Poulantzas, en
terme d’autonomie fonctionnelle, cette vision du fascisme a été un peu
délaissée. Il a été alors conçu comme le résultat d’une crise morale, comme la
conséquence de l’urbanisation ou encore, de l’anomie régnant dans les
sociétés modernes. Un auteur comme Adorno a, dans ce sens, construit, lors
de son séjour aux États-Unis, une échelle d’attitude célèbre mesurant, de
manière plus générale, en dehors de tout contexte historique particulier la
proximité à l’égard des valeurs fascistes en terme d’intolérance à l’égard de
l’autre, les ouvriers et les catégories populaires se montrant, dans ce sens, plus
hostiles aux valeurs du libéralisme que les membres des classes supérieures.
Certains historiens comme Ernst Nolte ont insisté sur l’opposition du fascisme
comme système politique au modernisme en insistant sur ses tendances
rétrogrades hostiles, par exemple, à toutes les formes d’art contemporain
considérées comme « dégénérées » ; d’autres, au contraire, voient en ce
phénomène un mode d’accès particulier à la modernité : il résulterait de la
résistance de certaines élites aux tendances égalitaires de la société
industrialisée (Klaus Hildebrand) et apparaîtrait comme une forme originale
de « dictature développementaliste » (Gregor) se faisant jour surtout dans les
sociétés agraires en transition vers la modernité (Organski). Comme le montre
Ian Kershaw, en dehors de ces grandes interprétations du fascisme, on peut
distinguer le courant inspiré par Seymour M. Lipset qui voit dans le fascisme
une radicalisation de la classe moyenne inférieure, « un extrémisme du
centre ». Un autre débat plus large consiste à s’interroger sur le fascisme en
tant que totalitarisme, de nombreux historiens opposant de ce point de vue le
fascisme italien, considéré par certains comme moderniste, au nazisme
allemand qui serait plus passéiste ; Ernst Nolte considère le nazisme comme
« un fascisme radical » tandis que, selon Juan Linz, il forme « une branche
distincte venue se greffer au tronc fasciste », l’un comme l’autre étant hostile
à la classe ouvrière, instaurant un parti unique, donnant tout le pouvoir à un
chef charismatique, etc.
→ Autoritaire (Personnalité), nazisme, totalitarisme
BURRIN PH., La Dérive fasciste, Paris, Seuil, 1986 ; GRIFFIN R.,
FELDMANN M., Fascism : critical concepts in political science, Routlledge.
Londres. 2004 ; HILBERG R., La Destruction des juifs d’Europe, Paris, Folio
Histoire ; KERSHAW J., Qu’est-ce que le nazisme ?, Paris, Gallimard-Folio,
1992 ; LAQUEUR W., Fascism : past, present, future, Oxford, Oxford
University Press, 1996 ; LINZ J. J., Régimes totalitaires et autoritaires, Paris,
A. Colin, 2006 [2000] ; LARSEN S. V. et al., Who were the Fascists ?, Bergen,
Universitets forlaget, 1980 ; NOLTE E., La Guerre civile européenne 1917-
1945. National-socialisme et bolchevisme, Paris, Éd.des Syrtes, 2000 ;
PAXTON R., Le fascisme en action, Seuil, 2004 ; REICH W., La Psychologie de
masse du fascisme, Paris, Payot, 1972 [1946] ; STERNHELL Z., SZNAJDER M.,
ASHERI M., Naissance de l’idéologie fasciste, Paris, Fayard, 1989.

FÉDÉRALISME

Les systèmes fédéralistes se constituent à travers une union volontaire


d’États existants qui, sur une base contractuelle, forment un ensemble
politique préservant largement les droits propres des États qui décident ainsi
de se rassembler. Ces États perdent pourtant toute indépendance dans les
relations internationales. Dans les pays occidentaux, les États-Unis, la Suisse,
le Canada ou encore l’Allemagne illustrent le mieux ce type de régime qui
évite toute centralisation administrative. La plupart des États de ce type
appartenant à l’ancien bloc de l’Est européen, tels la Yougoslavie ou encore,
la Tchécoslovaquie, ont éclaté en divers États unitaires. Aux États-Unis, en
Suisse, ou en Allemagne, chacun des États fédérés (ou des cantons) possède
une grande autonomie législative en fonction d’une répartition organisée par
la Constitution fédérale résultant d’une élaboration consensuelle. Dans de
vastes domaines (économie, éducation, etc.), chaque État conserve la maîtrise
de sa législation et mène sa propre politique. Les bureaucraties périphériques
sont, du coup, souvent plus fortement structurées que la bureaucratie centrale.
Une représentation politique nationale particulière de chacun de ces États est
souvent organisée au niveau national à travers une chambre spécifique (Sénat
américain, Bundesrat allemand, Conseil des États suisse).
→ centralisation/décentralisation, État
BEAUD O., Théorie de la fédération, Paris, PUF (Léviathan), 2007 ;
BURGESS M., GAGNON A. C. (eds.), Comparative Federalism. Competing
Traditions and Future directions, Toronto/Buffalo, University of Toronto
Press, 1993 ; CROISAT M., Le Fédéralisme dans les démocraties
contemporaines, Paris, Montchrestien, coll. « Clefs », 1999 (3 éd.) ;
e

CROISAT M., QUERMONNE J.-L., L’Europe et le fédéralisme, Paris,


Montchrestien, coll. « Clefs », 1996 ; ELAZAR D.-J. et al. (eds), Federal
Systems of the World : A Handbook of Federal, Confederal and Autonomy
Arrangements, Harlow, Longman Group, 1994 ; GOLDWIN R. A., A Nation of
States, Chicago, 1974 ; ROUGEMONT D. de (dir.), Dictionnaire international du
fédéralisme, Bruxelles, Bruylant, 1955.

FEDERALIST PAPERS

Ensemble de 89 textes parus successivement dans des journaux de New


York d’octobre 1787 à août 1788, portant la signature de « Publius » mais
essentiellement dû à Alexander Hamilton et James Madison en réalité (moins
à Jay). Ces textes se présentaient comme une proposition de constitution,
soumise à l’attention des membres de la Convention fédérale de Philadelphie
et à l’édification des citoyens new-yorkais. La constitution américaine en est
largement issue.
→ constitution, fédéralisme
HAMILTON A., MADISON J., JAY J., The Federalist, Oxford, B. Blackwell,
1987.

FEMMES

Lorsque les cités grecques inventent la vie politique, celle-ci apparaît


comme une activité exclusivement masculine. Cette caractéristique perdure
pratiquement jusqu’à l’époque contemporaine y compris dans les premiers
temps démocratiques. En dépit du principe d’égalité proclamé par la
Révolution française, la III République ne s’est jamais résignée à reconnaître
e

aux femmes des droits politiques qui n’ont été consacrés qu’en avril 1944 (par
le gouvernement d’Alger). Paradoxalement les monarchies d’Ancien Régime
leur avaient laissé une place plus importante puisque des femmes ont pu
apparaître au tout premier plan comme reines, comme régentes ou même
comme conseillers très écoutés du Prince.
Aujourd’hui, la place des femmes dans la vie politique soulève deux ordres
de questions. Tout d’abord existe-t-il encore des spécificités de leur
comportement électoral ? On observe en général une tendance à la
convergence des attitudes entre hommes et femmes, tant en ce qui concerne
l’abstentionnisme que la répartition des suffrages entre les familles politiques.
Deuxième question : comment expliquer la persistance d’une forte sous-
représentation des femmes dans les postes de responsabilité politique, et leur
confinement fréquent dans certains domaines précis : affaires sociales par
exemple ? À ce problème il est des réponses classiques. Soit les handicaps
qu’elles subissent dans la vie sociale (moindre qualification professionnelle,
revenus inférieurs) mais on devrait alors constater, avec le progrès vers plus
d’égalité socio-économique depuis trente ans, une meilleure représentation
des femmes dans la vie politique ; ce qui n’est pas le cas. Soit les obstacles
que dresse devant elles la misogynie des hommes, explication certainement à
considérer mais dont on peut douter qu’elle soit suffisante car les hommes
sont également en intense rivalité entre eux.
Pour s’imposer en politique, il faut goûter les gratifications offertes par
cette activité spécialisée, dominée par la compétition la plus acharnée et par la
« surcharge de rôle ». C’est de ce point de vue que la sous-représentation des
femmes dans la vie politique peut constituer un indicateur précieux de ses
modes de fonctionnement cachés. Si la place des femmes dans des pays
comme la Norvège est si différente de ce qu’elle est en France ou en Italie,
c’est sans doute parce que la politique y est de nature différente, donc que les
coûts psycho-sociaux de l’engagement se révèlent moins dissuasifs pour
davantage de femmes et ses gratifications plus attractives.
→ genre
ACHIN C., LÉVÊQUE S., Femmes en politique, Paris, La Découverte, 2006 ;
MARQUÈS-PEREIRA B., La Citoyenneté politique des femmes, Paris, A. Colin,
2003 ; MOSSUZ-LAVAU J., Femmes-Hommes. Pour la parité, Paris, Presses de
Sciences-Po, 1998 ; PIONCHON S., DERVILLE G., Les Femmes et la politique,
Grenoble, PUG, 2004 ; SINEAU M., Parité. Le Conseil de l’Europe et la
participation des femmes à la vie politique, Strasbourg, Éd.du Conseil de
l’Europe, 2004 ; TREMBLAY M. (dir.), Genre, citoyenneté et représentation,
Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 2007.

FÉODALITÉ

Ordre social, politique, économique et culturel de l’Europe de l’Ouest du XI e

à la fin du XV siècle, qui recule alors sous la poussée de la monarchie


e

territoriale absolutiste. Le terme de féodalisme apparaît parfois comme son


synonyme en français, bien qu’il constitue plutôt une catégorie de l’analyse
marxiste référée à la logique des modes de production (ainsi, dans
l’expression « transition du féodalisme au capitalisme »).
La féodalité émerge de la décomposition simultanée de deux ordres
préexistants : celui de l’Empire carolingien de tradition romaine et à vocation
européenne, et celui des communautés celtiques ou germaniques assez
indifférenciées sur le plan tant social que politique, unies surtout par un
ciment lignager. Répudiant l’abstraction juridique de l’Antiquité tout autant
que les liens holistes de ces communautés, l’ordre féodal pose à l’inverse le
primat des relations réelles d’homme à homme au regard d’une chaîne de
dépendances réciproques hiérarchisées. Les seigneurs reçoivent leur fief
territorial d’un suzerain – roi ou prince d’un rang supérieur – en contrepartie
d’un engagement mutuel de secours, cependant que les paysans sont censés
souscrire avec eux un contrat tacite qui leur assure leur protection en échange
de fournitures matérielles et de prestations de service (y compris le service
militaire des hommes à pied dans certains cas, particulièrement en
Angleterre). De leur côté, les clercs – le personnel religieux – forment une
catégorie séparée, spécialisée à la fois dans la gestion du domaine spirituel,
dans celle des services publics rendus aux indigents et aux malades – utilitas
publica des hôtels-Dieu en particulier – ainsi que dans le maintien des vestiges
d’une activité culturelle (vers le XI siècle, les clercs demeurent généralement
e

les seuls à savoir encore lire et écrire, et à pratiquer la langue de


communication européenne qu’est le latin).
Cette division du travail fonde le schéma de la trifonctionnalité sur lequel
repose l’ordre social du Moyen Âge européen occidental : les clercs
détenteurs de la culture et les seigneurs spécialisés dans la fonction guerrière
chacun de leur côté au sommet, souvent en rivalité, et les paysans à la base,
commis au rôle de producteurs dans une économie ne reposant au début que
sur l’exploitation de la terre. Toutefois, ce schéma est tétrafonctionnel en
Scandinavie où il distingue dans le tiers état les habitants des bourgs des
paysans. Cette subdivision illustre la poussée économique des bourgs et des
villes, qui se dessine dès la fin du XII siècle pour se confirmer totalement au
e

XIV . Son mécanisme est économique, mais il traduit aussi la diffusion dans
e

d’autres milieux des valeurs de la chevalerie, fondées sur un idéal de réussite


personnelle ou individuelle et pas seulement sur la culture de la courtoisie, le
raffinement relatif des mœurs ou le culte de l’honneur. Ceci constitue une
autre dimension de la féodalité. C’est que le déshonneur ne traduit pas autre
chose que l’échec personnel et qu’il préoccupe non seulement les chevaliers
ou les clercs avides de prouesses culturelles, mais bientôt les bourgeois tentés
de démontrer leur réussite à l’aune de leur enrichissement. Ce facteur va
transformer l’économie féodale qui cesse alors de reposer uniquement sur la
rente foncière. Il modifiera également l’ordre politique féodal en contraignant
les seigneurs et les princes comparativement appauvris à octroyer aux bourgs
des chartes de franchise dont procèdent les libertés urbaines en même temps
que la renaissance d’un droit écrit plus uniforme requis par les opérations
commerciales ou financières. Au-delà, les rois mèneront leur entreprise de
formation des premiers États nationaux en misant désormais sur les rivalités
des nobles et des bourgeois. C’est en ce sens que Perry Anderson perçoit
l’absolutisme comme un réaménagement de la féodalité tendant à compenser
l’abolition du servage des paysans et l’essor des bourgeois par un
renforcement de l’appareil coercitif du pouvoir central dont la noblesse
bénéficie finalement, alors même que l’interprétation classique voit plutôt
dans l’absolutisme une défaite de l’aristocratie féodale.
Il convient d’ajouter que la fragmentation politique qui caractérise la
féodalité se concilie, pourtant, avec la préfiguration des grands espaces
nationaux de l’Europe de l’Ouest. D’un côté, les seigneurs s’allient sans
réticence avec des princes « étrangers ». De l’autre, ils prennent néanmoins de
plus en plus conscience de leur qualité d’Allemands, d’Anglais, de Français,
d’Italiens ou d’Espagnols, en dépit de l’absence ou de la faiblesse des
pouvoirs centraux dans la plupart des cas. Reste que le modèle féodal n’atteint
son plus haut degré d’achèvement qu’en France. En Angleterre, l’exiguïté du
domaine royal rend son contrôle plus facile de la part du souverain, limite par
conséquent le fractionnement féodal et facilite ainsi la formation précoce du
prototype de ce que seront les États centraux. De son côté, sa situation de
pays-frontière de l’Islam engendre pour l’Espagne une sorte de banalisation de
la noblesse militaire (un chevalier pour sept habitants à un moment) qui, sauf
en Catalogne, fait obstacle au servage et à la constitution d’un système
véritablement féodal. En Allemagne et en Italie enfin, la fragmentation
féodale et sa logique hiérarchique vont se perpétuer jusqu’au début du
XIX siècle dans certaines circonstances, du fait de l’échec des tentatives
e

unificatrices du Saint-Empire romain germanique. Par ailleurs, l’Europe


centrale et surtout orientale n’ont expérimenté qu’une version non orthodoxe
de la féodalité, caractérisée soit comme en Pologne par le maintien du pouvoir
des seigneurs face à un roi élu par ses semblables, soit comme en Russie, dans
les Balkans, dans les Pays baltes et aussi dans l’Allemagne orientale par la
subordination inverse des seigneurs à un pouvoir central quelquefois étranger
(ottoman en particulier). La féodalité de l’Europe de l’Est a reposé de la sorte
sur une noblesse de service ou de bénéfices placée dans une position
subalterne ou précaire, tandis que celle de l’Europe de l’Ouest s’est cristallisée
selon la terminologie de Max Weber autour d’une noblesse de fiefs quasiment
souveraine sur la base d’une notion de contrat personnel et libre. La première
logique, de la féodalité de bénéfices, s’est imposée non seulement dans les
pays slaves mais, aussi, dans le Moyen-Orient islamique ou en Inde,
cependant que la seconde – féodalité de fiefs – ne s’est guère manifestée
qu’en Occident. C’est en somme par ce biais que l’Occident a dépassé la
pesanteur patrimoniale du pouvoir, comme peut-être également le Japon,
cependant que la féodalité n’a en rien diminué sa nature patrimoniale dans les
autres régions. En même temps, il convient d’observer que les féodalités
orientales de toutes espèces ont largement ignoré les franchises bourgeoises et
les institutions représentatives médiévales – États généraux, Cortès, Diètes,
corps des villes – qui ont apporté les ferments de la liberté en Europe
occidentale.
→ absolutisme, individualisme, patrimonialisme/néo-patrimonialisme
BLOCH M., La Société féodale, Paris, Albin Michel, 1966 [1939] ;
CHROUST A. H., « The corporate idea and the body politic in the Middle Age »,
Review of Politics (9), 1947 ; DUBY G., Les Trois Ordres ou l’imaginaire du
féodalisme, Paris, Gallimard, 1978 ; WEBER M., Économie et société, Paris,
Plon, 1971, tome 1.

FINANCES PUBLIQUES

L’expression désigne à la fois l’activité de l’État (ou d’une collectivité


publique) en matière de ressources et de dépenses, sa situation financière,
enfin la discipline qui s’intéresse aux dimensions économiques, juridiques,
administratives et politiques des opérations sur deniers publics.
Du point de vue de la science politique, on observera tout d’abord que la
notion même de finances publiques postule l’idée de séparation des ressources
et dépenses personnelles des gouvernants d’avec celles de l’État. Ce processus
politico-juridique d’institutionnalisation sera très progressif en Occident et ne
triomphera avec une certaine netteté qu’à partir du XVI siècle. Encore peut-on
e

observer, dans la monarchie absolutiste française, de nombreuses traces de


confusion entre la cassette privée du roi et les ressources de l’État, jusqu’à la
Révolution.
Le souci de protéger les sujets (ou les citoyens) contre des prélèvements
abusifs et d’éviter un emploi inconsidéré des fonds publics a généré de
nombreuses innovations institutionnelles. La plus importante est la
revendication du consentement à l’impôt qui est directement à l’origine des
parlements modernes des démocraties représentatives. Mais il faudrait aussi
évoquer la mise en place de procédures très précises en matière de gestion des
crédits : par exemple, le principe de la séparation des ordonnateurs et des
comptables, la nécessité pour utiliser un crédit d’obtenir le visa du contrôleur
financier (qui dépend exclusivement du ministre des Finances), etc. ; évoquer
encore la création d’instances de contrôle comme la Cour des comptes, la
Cour de Discipline budgétaire et financière ou la prééminence contemporaine
du ministre des Finances sur ses collègues par le biais du contreseing
nécessaire à toute mesure susceptible d’engager des dépenses.
L’importance décisive des finances dans la mise en œuvre d’une politique
éclaire puissamment l’évolution des rapports entre les pouvoirs publics. L’une
des causes du déclin contemporain des parlements face au pouvoir exécutif
réside dans la difficulté croissante à opérer un contrôle suffisamment précis
des prévisions budgétaires, puis de leur mise en œuvre effective. En effet la
diversité des interventions financières de l’État, la multiplication des chapitres
budgétaires qui en constituent la traduction juridique (plusieurs milliers
aujourd’hui) interdisent aux parlementaires un examen détaillé du contenu du
budget. Et sans l’assistance technique des ministères eux-mêmes ou celle de la
Cour des comptes, le contrôle de l’exécution serait réduit à peu de choses.
Réciproquement au sein du Parlement, le fait de suivre de plus près les
affaires financières confère à la commission des Finances un prestige et une
autorité supérieurs à ceux des autres commissions. Surtout, au sein du
gouvernement, le poids exorbitant du ministère des Finances a favorisé soit
l’émergence de projets de démantèlement, au destin d’ailleurs le plus souvent
éphémère, soit l’affirmation au profit de son titulaire d’une sorte de statut de
vice premier ministre. On comprend alors que le ministre soit plus
fréquemment une forte personnalité politique plutôt qu’un « technicien »
(gouverneur de la Banque de France, patron du privé). Dans ce dernier cas de
figure, le ministère des Finances perd une partie appréciable de son poids dans
la configuration gouvernementale.
Les finances publiques de l’État lui permettent d’agir, mais dans les limites
du montant des ressources qu’il lui est possible de prélever. De nombreux
facteurs interfèrent, d’ordre économique, politique, administratif. On se
contentera d’évoquer le problème du coût politique des prélèvements pour
l’État. Dans une société dont le produit intérieur brut est très réduit (PIB
= 50), un faible taux moyen de prélèvement (10 %) aura une productivité
limitée (5) alors même qu’il paraîtra à la population assujettie comme
exagérément douloureux parce qu’il entame des ressources déjà insuffisantes.
Avec un budget ainsi réduit, l’État aura peu les moyens de pratiquer des
dépenses d’intervention qui le fassent apparaître sous un jour bénéfique ; il
sera surtout perçu comme un fardeau de par sa fiscalité et sa légitimité ne
pourra qu’en être affaiblie. Au contraire, dans une société riche (PIB = 5.000)
un taux moyen de prélèvement supérieur (25 %) pourra demeurer
subjectivement acceptable. Sa productivité (1.250) sera hors de toute
comparaison avec celle d’un pays économiquement démuni et lui permettra de
financer des dépenses qui le feront apparaître comme un État-Providence à
légitimité renforcée. Ainsi la structure des finances publiques et les moyens
d’intervention qu’elle autorise constituent-elles des indicateurs majeurs du
fonctionnement d’un système politique.
→ budget de l’État
ADAM F., FERRAN O., RIOUX R., Finances publiques, Paris, Dalloz, 2007 ;
BOUVIER M., Finances publiques, Paris, LGDJ, 2008 ; DOUAT E., Finances
publiques, Paris, PUF, 2006 ; ORSONI G. (Dir.), Les Finances publiques en
Europe, Paris, Economica, 2007.
Fonction tributienne
Expression et concept introduits par Georges Lavau, dans le cadre de son
analyse du rôle assumé par le Parti communiste français de 1948 à 1981.
Lavau signifiait par là que le PCF se voyait affecter par les partis de
gouvernement – des gaullistes aux socialistes – une fonction reconnue bien
que non institutionnalisée sur un plan formel, sans toutefois que celle-ci
l’autorise précisément à détenir des postes ministériels. Cette fonction était à
certains égards analogue à celle remplie par les tribuns du peuple de la
République romaine, chargé ex-officio de représenter et de défendre les
intérêts de la plèbe sans qu’ils participent pour autant au Sénat romain.
→ communisme, participation politique, partis communistes
LAVAU G., À quoi sert le PCF ?, Paris, Fayard, 1981.

FONCTIONNAIRES

→ bureaucratie

FONCTIONNAIRES INTERNATIONAUX

La fonction publique internationale n’apparaît vraiment qu’en 1932, quand


la Société des Nations exige des nouvelles recrues de ses secrétariats qu’elles
prêtent un serment de loyauté à l’institution et d’indépendance vis-à-vis de
leur propre gouvernement. Il n’y avait jusqu’alors que des fonctionnaires
nationaux détachés auprès des organisations internationales existantes, comme
l’Union postale.
→ bureaucratie, International (Scène internationale)
PELLET A., RUZIÉ D., Les Fonctionnaires internationaux, Paris, PUF, 1997.

FONCTIONNALISME (THÉORIE DU)

Le fonctionnalisme constitue l’une des méthodes d’analyse essentielles de


la société, l’un des paradigmes dominants basé sur les diverses théories
sociologiques classiques : on pourrait ainsi analyser la fonction de l’égalité
chez Tocqueville ou encore, celle de la lutte des classes chez Marx. Émile
Durkheim appréhende la division du travail social à travers sa fonction
d’intégration de la société, son rôle étant d’assurer, par l’interdépendance des
acteurs, la solidarité de tous. Il propose aussi, par ailleurs, une vision
fonctionnaliste de la religion ou encore, du droit. À la suite de Durkheim,
Radcliffe-Brown estime que « la fonction de toute activité récurrente, comme
par exemple la punition d’un crime ou une cérémonie funéraire, c’est son rôle
dans la vie sociale et sa contribution au soutien de la continuité des
structures ». Avec Robert Merton, on distingue le fonctionnalisme absolu du
fonctionnalisme relatif ; dans la première interprétation, on présuppose l’unité
fonctionnelle de la société, chaque système formant un tout fonctionnel, on
souligne le caractère universel du fonctionnalisme qui pourrait s’appliquer à
chaque objet, chaque coutume ou croyance de toutes les civilisations et on met
enfin l’accent sur la nécessité de la présence de chacune de ces coutumes ou
croyances qui remplissent une fonction vitale. Merton a montré que l’on
confond alors la fonction et l’organe ; pour lui, « de même qu’un seul élément
peut avoir plusieurs fonctions, de même une seule fonction peut être remplie
par des éléments interchangeables ». Il ouvre ainsi la voie à l’étude du
changement social dans la mesure où il dissocie ces deux dimensions ; à ses
yeux, on peut trouver des équivalents fonctionnels qui se substituent à d’autres
croyances ou formes de pouvoir. Il insiste également sur le caractère limité, au
regard de certains acteurs, de la dimension fonctionnelle d’un objet ou d’une
croyance, ceux-ci pouvant au contraire se révéler dysfonctionnels pour
d’autres acteurs. L’analyse fonctionnaliste a été appli quée aussi bien aux
partis politiques qu’aux organisations, aux mécanismes de socialisation ou de
recrutement des élites, aux conflits et même aux relations internationales.
→ méthodologie
COENEN-HUTHER J., Le Fonctionnalisme en sociologie : et après ?,
Bruxelles, Éd.de l’Université de Bruxelles, 1984 ; DELAS J.-P., MILLY B.,
Histoire des pensées sociologiques, Paris, Sirey, 1997 ; FLANAGAN
FOGELMAN E., « Functional analysis » in CHARLESWORTH J.-C. (ed.),
Contemporary Political Analysis, New York, The Free Press, 1967 ;
MERTON R., Éléments de théorie et de méthode sociologique, Paris, Plon, 1965

FONDAMENTALISME PROTESTANT

courant religieux et politique américain, renvoyant à l’origine aux douze


Fundamentals, petits fascicules de théologie parus de 1910 à 1915 et rédigés
par une quarantaine de pasteurs américains ou européens. Réunis sous le titre
de A Testimony of the Truth, ils contenaient 90 articles énonçant les points
considérés comme intouchables de la foi chrétienne. Le plus important sans
doute de ces points se rapporte à la valeur attribuée à la Bible, prise
littéralement comme la parole même de Dieu. Avant leur récente prise
d’influence coïncidant en particulier avec l’élection de George W. Bush à la
présidence des États-Unis, les fondamentalistes protestants et autres
évangélistes ont profondément pesé sur les débats politiques et sociaux après
la Guerre de Sécession, spécialement par le truchement des sociétés de
tempérance et des groupes féministes qui les appuyaient. Ils ont à nouveau fait
parler entre 1910 et 1920, comme conséquence du « Réveil religieux » urbain
lancé par D. W. Moody. C’est sous leur pression qu’a été adopté en 1919 le
18 amendement à la Constitution, prohibant jusqu’en 1933 tout commerce
e

d’alcool. Un reflux s’est observé ensuite jusque vers 1970, suivi d’une reprise
sous les présidences de Nixon et Johnson (sous l’égide notamment du pasteur
Billy Graham).
→ protestantisme et politique
FATH S., Militants de la Bible aux États-Unis. Évangéliques et
fondamentalistes du Sud, Paris, Autrement, coll. « Frontières », 2004 ;
LACORNE D., De la religion en Amérique. Essai d’histoire politique, Paris,
Gallimard, coll. « L’esprit de la cité », 2007 ; NOLL M., America’s God. From
Jonathan Edwards to Abraham Lincoln, Oxford, Oxford University Press,
2002.

FORMULE MAGIQUE
Expression en usage en Suisse romande, désignant le dispositif tacite en
vertu duquel les quatre grands partis helvétiques – radicaux, démocrates-
chrétiens, socialistes et ex-agrariens de l’UDC – se répartissent quel que soit
le résultat des élections un nombre fixe de postes ministériels au sein du
Conseil fédéral (le gouvernement, composé de 7 membres en permanence, en
2007 2 radicaux, 2 UDC, 2 socialistes et 1 chrétien-démocrate). Ce dispositif
s’esquissa déjà à partir de décembre 1943, dans un contexte d’union nationale
déterminé par la guerre mondiale, mais aussi suite au raz-de-marée socialiste
aux élections législatives du même mois (les socialistes jusqu’alors exclus du
Conseil fédéral obtenant 56 sièges sur 194 au Conseil national, soit 11 de plus
que dans la législature antérieure). Le gouvernement compta ainsi un
socialiste face à six radicaux, agrariens et chrétiens sociaux jusqu’à ce que le
Parti socialiste retourne dans l’opposition de 1953 à 1959. Ce n’est qu’après
cette date que la « formule magique » proprement dite est devenue
véritablement de règle et quasiment para-constitutionnelle en Suisse.
→ cabinet, élection, gouvernement, partis politiques, Systèmes de Partis
Foules (Théorie des)
Dans la seconde moitié du XIX siècle, en réaction contre les conséquences
e

de l’industrialisation et celles de l’urbanisation, on a vu apparaître de


nombreuses théories annonciatrices du règne inéluctable des foules dans des
espaces sociaux atomisés, dépourvus désormais de toute solidarité
communautaire. Dans ces « sociétés » qui remplacent les « communautés »
d’autrefois, selon la dichotomie de Tönnies, les structures de sociabilité
disparaîtraient laissant les hommes désemparés, solitaires, capables dès lors de
s’engager dans n’importe quelle aventure idéologique leur fournissant un
nouveau cadre de pensée et d’intégration collective. De Tocqueville
annonçant la venue « d’une foule innombrable d’hommes semblables et égaux
qui tournent sans repos sur eux-mêmes » à Taine ou encore Gustave Le Bon,
on dénonce la formation de ces foules à la psychologie Émotive, prêtes à
suivre n’importe lequel des leaders charismatiques, à entrer derrière lui dans
des cycles interminables de violence et de mobilisation désordonnée. Dans ce
contexte de foule, l’acteur perdrait de suite ses valeurs propres ainsi que sa
rationalité en s’abandonnant aux émotions les plus irrationnelles, aux modes
de pensée éloignés des traditions solidement ancrées dans le passé. Pour
Gabriel Tarde, il se comporterait comme un somnambule dépourvu de toute
conscience, suivant les comportements d’autres somnambules et adoptant, par
imitation, ses valeurs et ses manières d’agir. Parcourue par des courants
d’imitation et de contre-imitation, cette société de masse (William
Kornhauser) habitée par des foules solitaires (David Riesman) expliquerait
l’épanouissement des extrémismes de gauche ou de droite résultant de simples
mobilisations idéologiques. Cette conception naïve de la société industrielle
modernisée a justifié les prises de position les plus conservatrices en faveur
d’un retour aux traditions et aux structures sociales et politiques hiérarchisées
et organisées d’antan ; elle s’est trouvée démentie par des recherches
sociologiques contemporaines qui démontrent sans difficulté le maintien des
groupes primaires ainsi que de diverses formes de sociabilité, de la bande de
jeune aux groupes d’amis, au sein desquelles se constitue une socialisation
permettant aux acteurs de préserver leur personnalité dans un rapport
d’échange avec l’autre, limitant ainsi leur solitude, les intégrant également aux
collectivités subsistant dans ces sociétés urbanisées qui ne font pas
nécessairement figure d’espace social anomique ou aliéné.
BIRNBAUM P., La Fin du politique, Paris, Seuil, 1975 ; KORNHAUSER W., The
Politics of Mass Society, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1965.

FRANCHISE ÉLECTORALE

→ citoyenneté, suffrage

FRUSTRATION RELATIVE (THÉORIE DE LA)

Cette théorie, inspirée par John Dollard et les économistes Duesenberry,


Easterlin ou Hirschman, fut utilisée pour la première fois par Stouffer en
1949, dans une étude consacrée aux attitudes des soldats américains pendant
la Seconde Guerre mondiale. Elle fut ensuite développée par Ted Gurr dans
son ouvrage Why Men Rebel, ambitionne de localiser la source des révoltes et
violences populaires dans une « frustration relative » (relative deprivation),
correspondant à l’écart existant les biens auxquels des individus estiment
avoir droit (value expectation) et ceux qu’ils pensent pouvoir obtenir
effectivement (value capabilities) ; pour Gurr, l’intensité variable de cette
frustration détermine le degré de violence observé dans la société considérée.
→ violence politique
GURR T. R., Why Men Rebel, Princeton, Princeton University Press, 1970.
G

GAUCHE/DROITE

Clivage politique le plus usuel, inspiré de la position des députés français à


l’Assemblée nationale de 1789.
→ clivages politiques, partis politiques : typologie des clivages partisans
AEBISHER S., Gauche-droite : au-delà de cette limite la politique n’est plus
pensable, Paris, N. Philippe, 2003 ; BEAU DE LOMÉNIE E. (dir.), Qu’appelez-
vous droite et gauche ? Paris, Librairie du Dauphin, 1931 ; BOBBIO N., Droite
et gauche : essai sur une distinction politique, Paris, Seuil, 1996 ; CRAPEZ M.,
Naissance de la gauche, suivi de Précis d’une droite dominée, Paris,
Éd.Michalon, 1998 ; LAPONCE J.-A., Left and Right. The Topography of
Political Perception, Toronto, University Press of Toronto, 1981 ; LAZAR M.,
La Gauche en Europe depuis 1945. Invariants et mutations du socialisme
européen, Paris, PUF, 1996 ; RÉMOND R., Les Droites aujourd’hui, Paris,
Audibert, 2005 ; SEILER D.-L., La Vie politique des Européens. Introduction
aux pratiques démocratiques dans les pays de l’Union européenne, Paris,
Economica, 1998.

GENDER STUDIES

→ femmes, genre

GÉNOCIDE

Massacre en masse d’une population, ayant au sens exact pour objectif son
élimination totale pour des motifs ethniques, culturels ou religieux en
particulier. Le terme a été créé en 1944 par Raphael Lemkin par référence au
génocide commis par les nazis contre les juifs, et il se trouve défini comme
notion juridique dans la Convention sur le crime de génocide adoptée par
l’Assemblée générale des Nations Unies en 1948. La Convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par l’assemblée
générale des Nations unies le 9 décembre 1948, considère que le génocide
constitue un ensemble d’actes « commis dans l’intention de détruire, tout ou
en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel ». De
même, l’article 6 du statut de la Cour pénale internationale considère le crime
de génocide comme un crime commis avec l’intention d’extermination totale
d’une population par la mise en œuvre systématique (donc planifiée) de cette
volonté. Un massacre de grande échelle ne constitue donc pas nécessairement
un génocide. Outre la Shoah, l’ONU et de nombreux pays considèrent le
massacre des Arméniens par l’Empire ottoman en 1915-1916 comme un
génocide. De même, le massacre des Tutsis au Rwanda ainsi que celui de
Srebrenica réalisé par les Serbes en juillet 1995 sont qualifiés par l’ONU de
génocide. Différents tribunaux ont jugé ces génocides, le Tribunal de
Nuremberg (massacres réalisés par les nazis), le Tribunal pénal international
(massacre en ex-Yougoslavie) ou encore le Tribunal pénal international pour
le Rwanda. De nos jours, certains tentent d’utiliser le terme de génocide pour
l’appliquer au mouvement vendéen durant la Révolution française, à la
destruction d’une culture, à la colonisation en s’éloignant de son sens originel.
Bien que le mot s’emploie également souvent à leur sujet, et quelle que soit
leur ampleur, les tueries à grande échelle perpétrées par les Khmers rouges au
Cambodge ne relèvent en réalité pas proprement de ce phénomène,
puisqu’une élimination absolue de l’ethnie cambodgienne aurait impliqué que
les dirigeants Khmers rouges envisagent eux-mêmes de se supprimer au bout
du compte, ce qui n’était sûrement pas le cas. Reste que ce mot est utilisé très
fréquemment abusivement, pour désigner toutes exécutions massives (ainsi, à
l’initiative de la justice espagnole, pour désigner les crimes commis contre des
milliers de cadres de la gauche chilienne par le régime du Général Pinochet).
→ nazisme, purification ethnique, Régimes (systèmes) totalitaires
L’Allemagne nazie et le génocide juif, Paris, Gallimard/Le Seuil, 1985 ;
ARENDT H., Le Système totalitaire, Paris, Seuil, 1972 ; BOUCHET-SAULNIER F.,
Dictionnaire pratique du droit humanitaire, Paris, La découverte & Syros,
1998, pp. 212-213 ; Aly GÖTZ A., HELM S., Les Architectes de
l’extermination : Auschwitz et la logique de l’anéantissement, Paris, Calmann-
Lévy, 2006 ; SÉMELIN J., « Du massacre au processus génocidaire », Revue
internationale des sciences sociales (174), déc. 2002, pp. 483-492 ;
SHELTON D., Encyclopedia of genocide and crimes against humanity, New
York, Macmillan, 2005 ; TANER A., Un acte honteux : le génocide arménien et
la question de la responsabilité turque, Paris, Denoel, 2008 ; Brickyards to
graveyards : from production to genocide in Rwanda. Albany, State
University of New York, 2002 ; TERNON Y., L’État criminel. Les génocides au
XX siècle, Paris, Seuil, 1995.
e

GENRE

Terme – traduit du mot anglo-américain Gender – désignant le champ


d’étude des manifestations socialement construites de la différence des sexes
ou, plus simplement dit, celle du sentiment de l’identité sexuelle en tant que
phénomène distinct des caractéristiques avant tout physiques couvertes par le
mot sexe. Le genre divise l’humanité en deux groupes aux fonctions réputées
différentes et hiérarchisées, où l’hétérosexualité constitue cependant la norme
dominante. En anglais, l’expression de Gender studies ne désigne toutefois
guère dans la pratique que les études sur les femmes. Introduite en 1792 en
tant qu’idée pionnière par Mary Wollstonecraft et envisagée aussi par
Condorcet, la défense des Droits de la Femme (par analogie avec les Droits de
l’Homme) fut reprise comme perspective de recherche par le psychanaliste
américain Robert Stoller, créateur en 1954 de la Gender Identity Research
Clinic.
→ femmes
BUTLER J., Gender Trouble : Feminism and the Subversion of Identity,
London, Routledge, 1990 ; FILLIEULE O., Le Sexe du militantisme, Paris,
Presses de Sciences Po, 2007 ; GOFFMAN R., L’Arrangement des sexes, Paris,
La Dispute, 2002 [1997] ; HÉRITIER F., Masculin/Féminin. La pensée de la
différence, Paris, O. Jacob, 2002 ; MARQUÈS-PEREIRA B., La Citoyenneté
politique des femmes, Paris, A. Colin, coll. « Compact », 2003 ; MILL J. S.,
The Subjection of Women, Indianapolis, Hackett Publishing Co, 1988 [1869] ;
THÉRY I., La Distinction des sexes. Une nouvelle approche de l’égalité, Paris,
Odile Jacob, 2007 ; WOLLSTONECRAFT M., « Vindication of the Rights of
Woman » in : Political Writings, Toronto, University of Toronto Press, 1993
[1792].

GÉOPOLITIQUE

De façon stricte, la géopolitique consiste en l’analyse des facteurs


géographiques qui déterminent la politique extérieure des États. Elle a pu, sur
cette base, revêtir autant une orienta tion positive que normative, prétendant
aussi bien expliquer l’orientation des diplomaties que justifier telle ou telle
pratique impériale. À un stade plus critique et moins ambitieux, la
géopolitique (désignée également alors sous le terme de « géostratégie ») se
présente comme l’analyse rigoureuse et systématique des contraintes
géographiques (physiques, économiques et humaines) qui pèsent sur
l’élaboration des stratégies politico-militaires élaborées par les États. Elle
devient ainsi l’un des paramètres de l’analyse des modes d’élaboration des
politiques étrangères. Rappelons que, du début du XX siècle à 1945, ce mot a
e

été utilisé en Allemagne en particulier au sens d’une stratégie d’État visant à


étendre l’« espace vital » d’un pays expansionniste. Aujourd’hui, il tend à
reprendre cette signification en Russie.
→ endogène/exogène, international (scène internationale)
DURAND M.-F., LEVY J., RETAILLE D., Le Monde : espaces et systèmes,
Paris, Presses de la FNSP, 1991 ; GYORGY A., « The application of German
Geo-Politics », American Political Science Review (37), 1943, pp. 677-686 ;
MOREAU-DEFARGES PH., Dictionnaire de géopolitique, Paris, A. Colin, 2002.

GERRYMANDERING

Procédé de découpage électoral qui tire son appellation du nom d’un


gouverneur du Massachusetts du début du XIX siècle (Gerry), qui s’était
e

illustré par un mode complexe et sophistiqué de délimitation des


circonscriptions afin de maximiser les chances de son parti. Se dit
actuellement de toute opération de découpage ne respectant aucune autre
considération que celle de l’opportunité politique, au risque d’aboutir à des
délimitations artificielles et tourmentées.
→ élection
GLASNOST
Terme en usage au cours de l’effondrement du système soviétique, en
particulier à l’époque de Gorbatchev. Publicité au sens étymologique, utilisé
comme mot d’ordre appelant à la transparence et à l’ouverture de l’espace
public. Constitue la deuxième étape de la Perestroïka, dernière étape avant la
démocratisation du système post-totalitaire.
→ communisme, démocratisation, perestroïka, Régimes (systèmes)
totalitaires, totalitarisme

GLOBALISATION

Anglicisme souvent utilisé en français pour désigner la mondialisation.


→ mondialisation

GOUVERNABILITÉ

Pour gérer les systèmes sociaux complexes des sociétés industrialisées


modernes, on a voulu s’inspirer des sciences dures et, en particulier, de la
cybernétique. Ainsi David Easton comme Richard Rose considèrent que
toutes les sociétés ainsi que leurs sous-systèmes politiques réagissent à des
demandes et à des besoins vis-à-vis desquelles les gouvernants prennent des
décisions ou entreprennent des actions visant à les satisfaire en fonction du
stock de ressources dont ils disposent. Pour éviter une surcharge de demandes,
il convient par conséquent de les prévoir à l’avance afin d’être à même de
mieux s’adapter ; encore faut-il pouvoir réagir rapidement, sans trop de
lenteur bureaucratique et avoir compris quels étaient les signaux Émis par les
groupes sociaux. Allant jusqu’au bout de cette interprétation, certains
théoriciens en viennent à recommander la réduction des réseaux de
transmission des demandes dont le poids, trop lourd, entraînerait des crises de
gouvernabilité : cette position hostile au pluralisme démocratique rejoint des
visions conservatrices soucieuses d’assurer une ges tion sans heurt ni conflit
dans une société pacifiée, dépourvue de toute idéologie. La crainte d’une
surcharge conduit donc, dans cet esprit, à une visée de réduction de la
démocratie participative, source de demandes mettant en question la
gouvernabilité ; elle justifie même parfois le recours à des mécanismes
autoritaires considérés comme plus fonctionnels.
EASTON D., Analyse du système politique, Paris, A. Colin, 1965 ; ROSE R.,
PETERS G., Can Government go Bankrupt ?, Basic Books, 1978 ; LECA J.,
PAPINI R. (dir.), Les Démocraties sont-elles gouvernables ?, Paris, Economica,
1984.
GOUVERNANCE

Le mot est ancien puisqu’il remonte au Moyen-Âge en français comme en


anglais ou en espagnol (gouvernance, governance, gobernanza). Au
XIII siècle, il désignait les baillages de l’Artois et de la Flandre, puis bientôt
e

l’ensemble de l’administration d’une région, voire l’édifice qui l’abritait ou la


résidence du gouverneur. Mais il est récent dans ses usages présents. Utilisée
dès les années 1930 aux États-Unis pour désigner le mode de conduite des
grandes entreprises (Corporate governance), l’expression ne se vulgarise
toutefois vraiment que par le biais d’un rapport de la Banque mondiale sur
l’Afrique publié en 1989 (qui prône la « good governance » pour les pays en
développement, c’est-à-dire une gestion inspirée de celle des entreprises
privées des pays avancés, éventuellement déléguée aux ONG occidentales).
La notion s’appliquait cependant depuis le milieu des années 1980 à l’analyse
des politiques publiques, en particulier municipales (surtout en Grande-
Bretagne). Elle s’est étendue ensuite au domaine international et au mode de
fonctionnement de l’Union européenne. Elle désigne désormais l’ensemble
des procédures institutionnelles, des rapports de pouvoir et des modes de
gestion publics ou privés formels aussi bien qu’informels qui régissent
l’action politique. Devenue également un concept de la science politique, la
gouvernance se définit dans ce cas, selon Patrick Le Galès, « comme un
processus de coordination d’acteurs publics et privés, de groupes sociaux,
d’institutions [destiné à] atteindre des buts propres discutés et définis
collectivement dans des environnements fragmentés, incertains ». Abolissant
la distinction public/privé dans la logique d’une relation horizontale et non
plus hiérarchique ou verticale entre les « décideurs », cette perspective postule
par conséquent que les instances politiques reconnues, telles que l’État ou les
organisations intergouvernementales, ne détiennent plus le monopole de la
conduite des affaires publiques ; au-delà, elle pose que, dans des sociétés de
plus en plus complexes et éclatées sur le plan spatial aussi bien que sectoriel et
culturel, des mécanismes de pouvoir privés ou associatifs échappant à ces
institutions peuvent combler les carences de l’exercice vertical de l’autorité.
Dans le domaine international, l’expression de gouvernance globale est
apparue dans le contexte de la mondialisation, pour associer parmi ses acteurs
politiques décisifs non seulement les gouvernements nationaux ou les
institutions intergouvernementales ou supranationales, mais également des
agents tels que les opérateurs du marché en général, les organisations non-
gouvernementales, les Églises et de multiples réseaux formalisés ou non. Cette
notion dont les défenseurs se targuent souvent d’introduire par son truchement
un surcroît de démocratie évacue en réalité les principes de la souveraineté
populaire, de la volonté générale ou du bien commun.
→ caméralisme, démocratie, globalisation, management public,
mondialisation, néo-institutionnalisme, politiques publiques, souveraineté
BENZ A., PAPADOPOULOS (eds.), Governance and Democracy : Comparing
national, European and international experiences, S. l., Routledge/ECPR,
2006 ; BOURMAUD D., « La gouvernance contre la démocratie représentative ?
Concept mou, idéologie dure », in : BEN ACHOUR R. (dir.), La Démocratie
représentative devant un défi historique, Bruxelles, Bruylant, 2006 ; HELD D.,
Democracy and Global Order : from the Modern State to Cosmopolitan
Governance, Cambridge, Polity Press, 1995 ; HERMET G., « Un régime à
pluralisme limité ? À propos de la gouvernance démocratique », Revue
française de science politique 54 (1), février 2004 ; HERMET G.,
KAZANCIGIL A., PRUD’HOMME J.-F., La Gouvernance : un concept et ses
applications, Paris, Karthala, 2005 ; MARCH J. G., OLSEN J. P., Democratic
Governance, New York, London, The Free Press, 1995 ; SCHMITTER PH. C.,
« Réflexions liminaires à propos du concept de gouvernance », pp. 51-59 in :
GOBIN C., RIHOUX B. (dir.), La Démocratie dans tous ses États : systèmes
politiques entre crise et renouveau, Louvain-La-Neuve, Bruylant-Academia,
2000.
GOUVERNANCE MULTI-NIVEAUX (multi-level governance). Ce concept,
récemment introduit dans la littérature scientifique, connaît un large succès,
Par opposition à celui de gouvernement, il met d’abord l’accent sur le fait que
les décisions, dans les organisations, ne se prennent pas seulement sur la base
de logiques purement internes. Elles intègrent ce que les économistes
appellent les « coûts de transaction » c’est-à-dire les règles et modes de
comportement externes qui influencent les rapports de l’organisation avec son
environnement. En d’autres termes, avec la notion de gouvernance, on entend
prendre en compte l’ensemble des « régulations », formelles et informelles qui
contraignent la liberté de choix et le calcul rationnel du décideur. On entend
aussi valoriser des critères d’évaluation plus globaux que la simple légalité de
la procédure ou le non-dépassement du budget affecté. Des indicateurs comme
le ratio coûts/efficacité des mesures adoptées, la prise en considération de
leurs effets collatéraux négatifs sur l’environnement économique, politique,
écologique, l’impact des décisions déjà prises sur les capacités d’action
ultérieures des organisations en cause, tout cela montre l’extension du
jugement global porté sur la manière dont est conduite une gestion dans le
moyen et le long terme.

Une seconde dimension de ce concept prend en compte le fait que, dans les
sociétés développées, l’exercice du pouvoir politique suppose des
concertations et des négociations à différents niveaux, impliquant des acteurs
de statut inégal soit subordonnés hiérarchiquement soit, au contraire, plus ou
moins indépendants les uns des autres. Ainsi, le financement d’un équipement
lourd comme l’extension d’un aéroport transfrontalier ou la mise en œuvre de
la directive européenne Natura 2000, exigent-ils la mise en place d’une
articulation décisionnelle complexe. Interviendront, selon des modalités
juridiques particulières, avec des ressources politiques de nature différente, les
instances de l’Union européenne, les autorités de différents États et
collectivités locales (notamment les régions), des dirigeants d’établissements
publics et de firmes privées. Avec la gouvernance multi-niveaux, on cherche
ainsi à mieux rendre compte des processus effectifs d’exercice du pouvoir en
se donnant une vision plus globale de l’ensemble des parties prenantes et une
meilleure chance d’observer les multiples rationalités d’acteurs impliquées.
→ gouvernance, management public, politiques publiques
BACHE I., FLINDERS M. (ed.), Multi-level Governance, Oxford, Oxford
University Press, 2004 ; BENZ A., « Compound Representation in EU Multi-
level Governance », in KOLHER-KOCH B. (ed.), Linking EU and National
Governance, Oxford, Oxford University Press, 2003 ; GAUDIN J.-P., Pourquoi
la gouvernance ? Paris, Presses de Sciences-Po, 1999 ; HOOGHE L., MARKS G.,
Multi-level Governance and European Integration, Lanham, Rowman and
Littlefield, 2001 ; KOOIMAN J., Governing as Governance, London, Sage,
2003 ; LE GALÈS P., Le Retour des villes européennes. Sociétés urbaines,
mondialisation, gouvernement et gouvernance, Paris, Presses de Sciences-Po,
2003 ; WILKINSON R., Global Governance, Londres, Routledge, 2002.

GOUVERNEMENT

Au sens large, le gouvernement est l’ensemble du pouvoir politique qui


régit un État. Mais dans beaucoup de contextes, le gouvernement désigne plus
particulièrement le pouvoir exécutif voire, dans les régimes à exécutif
bicéphale, seulement l’ensemble des ministres collectivement responsables
devant le Parlement, par opposition au chef de l’État. Ainsi, en France, le
gouvernement selon les termes de l’article 20 de la Constitution, détermine et
conduit la politique de la Nation mais le Président de la République détient
des compétences propres.
→ coalition (gouvernement de), exécutif/législatif (pouvoirs), minorité :
minorité (Gouvernement de), régimes politiques
CHAGNOLLAUD D., QUERMONNE J.-L., La V République. Tome II. Le Pouvoir
e

exécutif et l’administration, Paris, Flammarion, 2000 ; IHL O.,


KALUSZYNSKI M., POLLET G. (dir.), Les Sciences du gouvernement, Paris,
Economica, 2003.

GOUVERNEMENT LOCAL

La notion de gouvernement local s’applique tout particulièrement aux


États-Unis où, grâce à une extrême décentralisation, la scène politique locale
constitue un ensemble spécifique s’autorégulant. La science politique
américaine a décrit dans un nombre considérable d’ouvrages le pouvoir des
maires imposant leur propre autorité à la « communauté de pouvoir local ».
Dans la lignée des travaux de Robert Dahl ou de Nelson Polsby, on a ainsi
montré la grande autonomie du pouvoir politique local capable de dominer ce
système politique périphérique sans dépendre entièrement d’une classe
dirigeante locale ni même d’un quelconque centre bien lointain et fragile.
Dans ce sens, l’autonomie de l’élite politique locale fonde le pluralisme des
catégories dirigeantes. Au contraire, dans un système à État fort à la française,
la notion de gouvernement local s’est longtemps révélée presque inutile tant
l’administration centrale paraissait contrôler toute prise de décision grâce à ses
représentants locaux liés hiérarchiquement à leurs supérieurs de Paris ;
l’absence de décentralisation produite par une tradition jacobine qui trouve ses
Équivalents dans certains courants de la droite nationaliste tout aussi
centralisateurs a laissé place, au mieux, à des structures de déconcentration ne
mettant pas en cause la puissance de l’État. Avec la mise en œuvre, à partir de
1982, des lois de décentralisation, une autre tendance semble triompher, qui
repose elle aussi sur de lointaines traditions décentralisatrices de gauche et de
droite qui n’avaient jamais autant pu s’imposer : une sorte de gouvernement
local à l’américaine paraît se constituer centré lui aussi sur la toute puissance
des Élus locaux.
→ élitistes (théories), État, notables

GOUVERNEMENTALITÉ

Terme introduit par Michel Foucault, pour désigner l’« historicité » du


mode de gouvernement d’une société (par exemple le clientélisme, comme
trait marquant et persistant ou comme tradition).
→ tradition

GROUPE DE RÉFÉRENCE/D’APPARTENANCE

Cette distinction s’est révélée cruciale pour comprendre les mécanismes de


passage d’un acteur d’un groupe à un autre. Un individu se trouve par
exemple intégré à son groupe d’appartenance familial ou encore, à tout autre
groupe primaire (groupe d’amis, groupe de voisinage, etc.) ou même
secondaire (association, parti, syndicat, etc.) : il peut souhaiter demeurer dans
ce groupe en s’identifiant à ses valeurs et à ses normes, en modelant son
comportement politique sur ceux des autres acteurs ; il demeure ainsi fidèle
aux valeurs transmises par un processus de socialisation interne au groupe
d’appartenance et sa loyauté à cet ensemble social reste entière ; dans certains
cas, ce groupe d’appartenance peut même devenir un en-groupe, c’est-à-dire
une sorte de communauté profondément soudée. Ce même acteur peut aussi
choisir de s’éloigner de son groupe d’appartenance : alors qu’il est encore
membre de ce groupe, il peut, par anticipation, se socialiser aux valeurs et aux
normes d’un autre groupe, pris désormais comme groupe d’appartenance
positif : il adopte les valeurs de cet autre groupe et se trouve souvent du coup
rejeté par son groupe d’appartenance qui voit en lui un déviant, sinon même
un traître. Un groupe que l’on a quitté devient un groupe de référence négatif.
L’acteur devenu déviant et perçu comme non-conformiste par son groupe de
départ est en même temps considéré comme profondément conformiste par les
membres du groupe de référence ; conformisme et déviance sont donc relatifs
et n’ont pas simplement une dimension normative valant condamnation ou
applaudissements. Mieux encore, dans cet esprit, la déviance peut être source
de changement social. Reste alors à rendre possible le passage fonctionnel
d’un groupe à l’autre : les processus de mobilité assurent parfois efficacement
cette transition ; dans d’autres circonstances de fermeture sociale, des
situations pathologiques peuvent en résulter.
→ identité politique
MERTON R., Éléments de théorie et de méthode sociologique, Paris, Plon,
1965.

GROUPES DE PRESSION

Cette expression est issue directement de la science politique américaine car


elle s’adapte tout particulièrement à la description de ces organisations qui
sont depuis toujours fort répandues dans la société américaine. Dans la lignée
des observations d’un Tocqueville, depuis le livre classique de David Truman,
The Governmental Process, on montre comment l’espace public se distribue,
aux États-Unis, en une quantité innombrable de groupes dont certains sont
plus spécifiquement politiques dans la mesure où ils tentent d’influer sur le
processus de prise de décision, d’agir sur les détenteurs de fonctions
d’autorité. Les représentants de ces groupes de pression ont une existence
légale et doivent déclarer ouvertement leur activité : ils s’efforcent, par tous
les moyens légitimes, de convaincre du bien-fondé des intérêts qu’ils
représentent et, à travers une politique interpersonnelle, d’agir sur le vote des
membres du Congrès. Les groupes les plus divers et les plus opposés se livrent
à cette politique de lobbying ; il en résulte bien souvent une sorte d’équilibre
précaire qui laisse au pouvoir politique sa propre marge de manœuvre. Et
même si leurs ressources et leur influence semblent parfois bien inégales, ce
déséquilibre ne porte pas entièrement atteinte au pluralisme fondamental de
cette société. Les groupes de pression remettent quelque peu en question la
démocratie participative, s’intercalant entre les citoyens et le pouvoir ; ils
limitent aussi la toute puissance des partis politiques ; ils n’en sont pas moins
l’un des moyens de transmission des demandes aux autorités permettant aux
citoyens qui le souhaitent et en ont ainsi la possibilité de se faire entendre. Il
est vrai que la sociologie comparée de l’État montre à quel point les groupes
de pression constituent un ensemble légitime et fonctionnel dans une société à
État faible et à forte tradition démocratique alors que leur rôle demeure bien
plus modeste dans une société, telle la France, à État fort et à participation
démocratique plus incertaine où la citoyenneté seule reste privilégiée.
démocratie, État, intérêts, systémique (analyse)
GROSSMAN E., SAURUGGER S., Les Groupes d’intérêt. Action collective et
stratégies de représentation, Paris, A. Colin, 2006, coll. « U » ; HÉLÈNE M.
(dir.), Lobbyists et lobbying dans l’Union européenne, Strasbourg, Presses de
l’Université de Strasbourg, 2006 ; MILBRATH L., The Washington Lobbyists,
Chicago, 1963 ; OFFERLÉ M., Sociologie des groupes d’intérêt, Paris,
Montchrestien (Clefs), 1998 ; « La transformation des groupes d’intérêt en
France », Revue française de science politique 56 (2), avril 2006 (ensemble
d’articles, numéro à thème).

GUERRE

Les conflits entre États sont constitutifs de guerres dès lors qu’ils donnent
lieu à l’usage de la force. La guerre définit donc un État conflictuel dans
lequel les partenaires « vident leurs différends par la force » (Grotius).
Considérée comme l’aboutissement paroxystique de la rivalité chronique qui
oppose les États entre eux, la guerre est étroitement associée à une
compétition de puissances, à un « duel amplifié », comme l’établissait
Clausewitz, dans lequel « chacun cherche, en employant sa force physique, à
ce que l’autre exécute sa volonté ». À ce titre, elle vise à « terrasser »
l’adversaire et « ne connaît pas de limites » ; stratégique et finalisée, elle
repose sur une intention hostile plus qu’un sentiment hostile et sur une fin
politique précise. Autant de caractéristiques qu’on ne retrouve pas dans les
nouveaux conflits internationaux (voir ce mot), du moins de façon aussi
claire : toutes ces caractéristiques se prêtent assez mal en effet à l’évolution
récente de la conflictualité internationale qui se développe davantage au sein
des États qu’entre eux, abandonnant d’autant cette logique de duel.
Les évolutions théoriques récentes soulignent ainsi la prolifération des
formes non interétatiques de guerre (guerre civile) ou, métaphoriquement, les
formes non militaires (guerre économique, guerre commerciale…).
L’expression « conflits armés » est souvent préférée de nos jours au terme de
guerre.
→ conflit international, conflit international, démocratisation
ARON R., Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 1962 ;
ARON R., Penser la guerre, Paris, Gallimard, 1976 ; BATTISTELLA D., Retour de
l’état de guerre, Paris, A. Colin, 2006 ; CLAUSEWITZ C. von, De La Guerre,
Paris, Payot, 2006 [1818] ; DAVID C. P., La Guerre et la paix, Paris, Presses de
Sciences Po, 2000 ; DÉRIENNIC J.-P., Les Guerres civiles, Paris, Presses de
Sciences Po, 2001 ; DOYLE M., Ways of War and Peace, New York, Norton,
1997 ; GROTIUS H., Le Droit de la guerre et de la paix, Paris, PUF, 1999
[1625] ; HOLSTI K., The State, War and the State of War, Cambridge,
Cambridge University Press, 1996 ; LEVY J., War in the Modern Great Power
System, 1495-1975, Lexington, University Press of Kentucky, 1983 ;
VASQUEZ J. (ed.), What do we Know About War ?, Lanham, Rowman and
Littlefield, 2000.

GUERRE PRÉVENTIVE

Guerre entreprise en vue de réduire une menace potentielle qui pèse sur un
État et qui est en fait définie par la subjectivité de celui qui y recourt. La
guerre préemptive suppose l’imminence et la matérialité de cette menace.
Elles ne sont admises ni l’une ni l’autre par le droit international.
COLONOMOS A., Le pari de la guerre : guerre préventive, guerre juste ?
Paris, Denoel, 2009.
H

HABITUS

Chez Norbert Elias cette expression, empruntée au lexique de saint Thomas


d’Aquin, désigne un ensemble de dispositions psychologiques relativement
stables, acquises sous la nécessité de s’adapter à des situations déterminées.
Rationalisation et « psychologisation » des comportements lui paraissent
caractériser sur le long terme l’évolution de la société occidentale et engendrer
de nouvelles mœurs sociales fondées sur la « retenue » des passions et la
maîtrise de soi.
Pierre Bourdieu a repris ce concept (utilisé également par Veblen) en lui
donnant une signification ambitieuse. Pourquoi des dispositions, des goûts et
des préférences qui s’expriment dans des domaines très divers se révèlent-ils
corrélés entre eux. Comment interpréter leur rigidité relative, un phénomène
qui contredit la logique rigoureuse des choix purement rationnels fondés sur la
seule évaluation des avantages et des coûts attendus dans une situation
donnée ? La notion d’habitus doit permettre de penser à la fois l’importance
des conditionnements structurels, c’est-à-dire les déterminismes sociaux
d’ordre économique et culturel, en même temps que la marge de manœuvre
utilisée par l’individu dans le cadre relativement étroit de ces
conditionnements. L’habitus est donc un système structuré de dispositions
psychologiques durables et transposables dans des situations différentes de
l’existence, forgé par socialisation et intégrant, consciemment ou non, toutes
les expériences du passé. Il fonctionne comme un système structurant, c’est-à-
dire comme comme une matrice de perceptions, d’appréciations et d’actions,
ou encore comme un dispositif de sélection des informations recevables, des
jugements de valeur légitimes et des choix de comportements possibles.
→ comportement politique, culture politique
BOURDIEU P., Le Sens pratique, Paris, Éd. de Minuit, 1980 ; Réponses,
Seuil, 1992 ; ELIAS N., La Société des individus, Paris, Fayard, 1991, p. 238 ;
HÉRAN F., « La seconde nature de l’habitus », Revue française de sociologie,
1987, pp. 385-416.
HIÉRARCHIE SOCIALE

Les sociologues mettent en lumière les différentes manières à travers


lesquelles la société s’organise en groupes sociaux hiérarchisés. Certains, à la
suite de Célestin Bouglé, soulignent l’existence dans quelques sociétés d’un
système de castes clos ; d’autres, dans une perspective souvent marxiste,
examinent les rapports de classes conflictuels s’instaurant entre groupes
sociaux antagonistes séparés par la détention ou la non-détention de la
propriété mais qui n’en sont pas moins, dans une certaine mesure, ouverts,
permettant la naissance d’une relative mobilité sociale intergénérationnelle ou
encore, intra-générationnelle, processus par lesquels les acteurs spécifiques
parviennent à modifier leur appartenance sociale ; d’autres enfin, dans une
vision inspirée par Max Weber, réfléchissent sur la diversité de principes de
classification à partir desquels se structurent des hiérarchies qui parfois ne
coïncident pas les unes avec les autres lorsqu’elles sont fondées sur la
propriété, le prestige ou encore, le pouvoir.
→ castes et politique, classe sociale, conflits (théorie des)
CHAUVEL L., Le Destin des générations : structures et cohortes en France
au XX siècle, Paris, PUF, 2002 ; CORNU R., LAGNEAU J., Hiérarchies et classes
e

sociales, Paris, A. Colin, 1967 ; GIDDENS A., La Constitution de la société :


éléments de la théorie de la situation, Paris, PUF, 2005.

HISTORICISME

Cette expression, popularisée par Popper dans une série d’articles parus en
1944, vise à identifier une tendance intellectuelle qui parcourt la pensée
occidentale depuis Platon à Marx en passant par Hegel. À proprement parler,
l’historicisme désigne cette démarche qui voit la clé d’interprétation des
institutions politiques ou des œuvres philosophiques dans leur généalogie.
C’est le contexte historique, donc la présence du passé dans le présent, qui
seul permet de comprendre ce qui fait sens dans toutes les manifestations de la
vie sociale. Ainsi conçu, l’historicisme inclut des auteurs aussi différents que
Hans-Georg Gadamer pour qui c’est un préjugé de croire que l’on puisse
penser sans préjugés, ou Foucault, attaché lui aussi à comprendre la
généalogie de toute forme de savoir. Cependant, Popper a fait de
l’historicisme une hydre qu’il s’acharne à dénoncer, rejoignant un combat
parallèle mené par Léo Strauss. Selon Popper, l’historicisme ne se contente
pas de nier l’existence de vérités universelles et intemporelles, Il porterait en
lui une vision qui conduit au totalitarisme. De Platon à Marx, l’auteur de La
Société ouverte et ses ennemis décrypte une lecture de l’histoire qui se
caractérise par un triple stigmate : le relativisme, le holisme et l’activisme. S’il
n’y a plus de vérité absolue ou invariante, il n’y a plus d’objectivité
scientifique ni non plus de normes universellement opposables à la tyrannie.
Si les individus sont déterminés par les structures sociales et soumis à des lois
historiques, alors il est possible de décrypter celles-ci et, à partir de cette
connaissance « scientifique », de soumettre les êtres humains à un type de
régime politique qui les manipule impunément. Ainsi conçu, l’historicisme
apparaît essentiellement comme une idéologie alors qu’à strictement parler, il
est avant tout un mode de connaissance.
FURET F., L’Atelier de l’histoire, Paris, Flammarion, 1982 ;
GADAMER H. G., Vérité et méthode. Les grandes lignes d’une herméneutique
philosophique, Paris, Seuil, 1996 [1960] ; POPPER K., Misère de l’historicisme,
Paris, Presses Pocket, 1998 [1944] ; POPPER K., La Société ouverte et ses
ennemis, vol. 2, Paris, Seuil, 1978 ; VEYNE P., Comment on écrit l’histoire,
Paris, Seuil, 1971.

HOLISME

Le mot provient du grec holé désignant la totalité. Le concept se trouve déjà


chez J. C. Smuts et chez l’historien anglais Arnold Toynbee. Il a été ensuite
repris par Louis Dumont pour distinguer ce qu’il appelle l’idéologie moderne
de l’homme en société, où l’individu constitue la valeur suprême, du modèle
idéal-typique opposé de l’idéologie « holiste », où la valeur de la personne
dérive de son insertion dans la communauté conçue comme un tout. Dumont
observe, toutefois, que toutes les sociétés participent des deux logiques à la
fois, et que l’utilité du concept consiste à repérer la prédominance de l’une ou
de l’autre. L’opposition entre le holisme et l’individualisme lui a été suggérée
par ses études sur la société de l’Inde. Elle se situe dans une certaine mesure
dans la ligne des travaux de Tönnies (opposition communauté/société ou
Gemeinschaft/Gesellschaft). De son côté, Roberto Da Matta a appliqué le
concept de holisme à la société brésilienne.
→ Amérique latine, culture, individualisme
DA MATTA R., Carnavals, bandits et héros, Paris, Seuil, 1983 ; DUMONT L.,
Homo aequalis, Paris, Gallimard, 1977 ; L’Idéologie allemande, Gallimard,
1991 ; SMUTS J. C., Holism and Evolution, London, Macmillan, 1927 (2 éd.), e

p. 241 ; TOYNBEE A., A Study of History, London, Oxford University Press,


1939 (2 éd.), p. 197.
e
I

IDEALTYP

→ type-idéal

IDENTITÉ POLITIQUE

Cette notion joue un rôle considérable dans la vie politique en dépit, ou


plutôt à cause, des ambiguïtés dont elle est porteuse. Elle répond en effet à une
quête d’ancrage des individus dans la cohérence et la permanence. Être
citoyen français, par exemple, connote l’idée d’une similitude fondamentale
avec tous les autres Français malgré les différences de classes, de statut,
d’éducation, etc. ; non seulement d’ailleurs avec les contemporains mais aussi
avec les générations passées et à venir. La notion d’identité est là autant pour
affirmer quelque chose de commun et de constant entre des individus que pour
repousser à l’arrière-plan ce qui concrètement les différencie.
Qu’il s’agisse de l’identité nationale ou de l’allégeance partisane, l’identité
politique n’existe qu’à travers un travail permanent de construction de
représentations, élaborées par le groupe concerné mais aussi suscitées dans les
out-groups. Le Français se sait exister grâce à des images qui lui sont
inculquées par socialisation, notamment à l’école et dans le spectacle de la vie
politique. Mais cette image de soi du Français est en partie dépendante des
images véhiculées sur lui dans les nations voisines, les pays amis ou hostiles.
De même se dire de gauche implique de s’identifier, mais aussi d’être
identifié, à un certain nombre de valeurs, d’expériences historiques, de
personnalités politiques, bref à une mémoire, un projet politique, des pratiques
au quotidien, etc.
De ces phénomènes résulte le paradoxe identitaire. Alors que l’identité
politique connote un ensemble de traits stables, voire invariants, elle revêt en
réalité des significations fluides selon les représentations qui s’affrontent. Être
Français ne signifie pas la même chose aux yeux d’un intellectuel pacifiste ou
d’un officier baroudeur ; cela ne se vit pas de la même façon en France ou à
l’étranger, dans une conjoncture routinière ou en cas de conflit international ;
d’ailleurs bien que l’identité nationale soit censée l’emporter sur toute autre
forme d’affirmation identitaire, elle s’efface purement et simplement dans de
très nombreuses situations de la vie quotidienne et cède toujours le pas chez
certains à d’autres allégeances (militantes, religieuses, familiales). Bref
l’identité, quête à la fois d’unité de la personne et d’assimilation à un groupe
stable aux traits réputés invariants et communs, se décline au pluriel selon les
interactions vécues. Elle est une affirmation de soi (et du groupe
d’appartenance) à laquelle autrui ne reconnaît pas nécessairement le contenu
que l’on souhaite y donner ; inversement elle est une assignation par autrui à
assumer un rôle, une histoire et une mémoire, à partager une vision d’avenir
que peuvent refuser ou ignorer les intéressés.
L’affirmation identitaire est un préalable à toute intégration dans le jeu
politique. Elle répond à l’exigence de savoir qui est qui dans toute interaction.
Cependant les acteurs peuvent vivre des contradictions d’identités en raison de
la multiplicité des groupes d’appartenance ou de référence dans les conditions
habituelles de la vie contemporaine. Les identités politiques les plus fortes,
celles qui résistent à l’assimilation, supposent la mise en place de connotations
valorisantes qui stimulent l’estime de soi. C’est par exemple le fait de pouvoir
s’identifier à une grande cause, à des leaders de parti admirés ou une famille
politique placée au-dessus des autres. L’identité politique nationale est plus
facile à affirmer lorsqu’elle ne contredit pas d’autres formes d’allégeances
mais repose au contraire sur des convergences identitaires avec elle, d’ordre
culturel, linguistique, religieux, mais aussi économique (perspective de
construire une nouvelle existence à l’abri du besoin). La manière dont
évoluent les débats et conflits politiques contribue à favoriser soit des
surinvestissements identitaires au profit d’un seul type d’allégeance
(nationalisme), soit un redéploiement des affirmations identitaires autour de
nouvelles projections (réveils de particularismes, réinvestissements dans des
identités originelles oubliées du fait de l’assimilation, dépassements des
horizons purement nationaux dans une perspective internationaliste,
européenne, mondialiste, etc.).
→ communauté, ethnicité, nation : Nationalisme
GELLNER E., Nations et nationalismes, Paris, Payot, 1989 [1983] ;
LIPIANSKY M., L’Identité française, Paris, Éd.de l’espace européen, 1991 ;
MARTIN D.-C. (dir.), Cartes d’identité. Comment dit-on « nous » en politique ?
Paris, Presses de la FNSP, 1995 ; SCHNAPPER D., La Communauté des citoyens,
Paris, Gallimard, 1994 ; TÖNNIES F., Communauté et Société, Paris, PUF, 1944
[1887] ; WIEVIORKA M., La Différence. Identités culturelles ; enjeux, débats et
politique, La Tour d’Aygues, Éd. de l’Aube, 2006.

IDÉOLOGIE

La notion d’idéologie apparaît aux lendemains de la Révolution française ;


au nom de la science, les positivistes comme Auguste Comte dénoncent les
chimères et les divagations fondées sur l’imaginaire qui empêchent un
fonctionnement scientifique du monde social basé sur la seule observation
empirique des faits. Au nom du positivisme se met en place une critique
radicale des prénotions et des jugements de valeurs qui mènera à la sociologie
d’un Émile Durkheim. Le marxisme fait lui aussi figure de positivisme et s’en
prend à son tour aux idéologies dont il conteste le caractère déformé par les
rapports de classe ; Marx en vient même dans certains écrits comme
L’Idéologie allemande à voir dans l’idéologie le reflet d’un simple rapport de
classe ; à ses yeux, même les rêves et les fantasmagories sont déterminés
socialement car, pour lui, « la morale, la religion, la métaphysique et tout le
reste de l’idéologie ainsi que toutes les formes de conscience qui leur
correspondent perdent aussitôt toute apparence d’autonomie. Ce n’est pas la
conscience qui détermine la vie mais la vie qui détermine la conscience ». Le
marxisme a prolongé cette conception déterministe de l’idéologie et, de
Gramsci à Althusser, dénonce le rôle de l’idéologie dans la défense des
rapports de classe, l’oppose aussi à la science, c’est-à-dire, au matérialisme
scientifique. L’idéologie comme système de pensée contribuant à la défense
d’un groupe social sert également de cible aux théories élitistes, un Pareto
estimant ainsi que toute élite met en place des « dérivations » pour justifier
son propre pouvoir, Mosca utilisant dans le même sens la notion de « formule
politique ».
À l’époque contemporaine, la science politique anglo-saxonne positiviste et
behavioraliste a, au contraire, estimé que, dans la société industrielle
rationnelle et « désenchantée », on assisterait au déclin irrémédiable des
idéologies, les intellectuels laissant définitivement la place aux experts. Cette
perspective se révèle à son tour proprement idéologique et néglige la présence
d’idéologies dans ce type de société, qui persistent même si elles se présentent
moins qu’auparavant sous la forme de système de pensée clos.
→ positivisme, socialisation politique, utopie
ANSART P., Idéologies, conflits et pouvoirs, Paris, PUF, 1984 ;
BIRNBAUM P., La Fin du politique, Paris, Seuil, 1975 ; BOUDON R., L’Idéologie,
Paris, Fayard, 1986 ; DUPRAT G. (dir.), L’Analyse de l’idéologie, Paris,
Galilée, 1980 ; RICŒUR P., L’Idéologie et l’utopie, Paris, Seuil, 1986.

IMMIGRATION (POLITIQUES DE L’)

Provoqués par des raisons économiques ou politiques, les flux de


populations d’un pays à un autre ont toujours existé même si, selon les
époques ou les régions, leur amplitude a pu être extrêmement variable.
Néanmoins, c’est avec l’avènement des États-nations que surgit à proprement
parler la question moderne de l’immigration. En effet, l’extension de la
participation politique et la consécration du citoyen posent en termes neufs le
statut des étrangers résidant dans un pays. Deux politiques sont théoriquement
concevables. La première tend à maintenir durablement les étrangers à l’écart
de la citoyenneté. Ils sont alors considérés comme une population temporaire
dont on accepte la présence soit par intérêt économique en raison d’une
pénurie de main-d’œuvre générale ou sectorielle, soit pour des raisons
humanitaires s’il s’agit de personnes qui ont fui l’insécurité dans leur pays et
se voient accorder l’asile. La seconde politique concevable vise à leur
intégration aussi complète que possible dans l’ensemble national. Les
motivations peuvent d’ailleurs être variables : elles peuvent soit privilégier la
constitution d’un ensemble politique puissant ou simplement viable (États-
Unis, Australie aux débuts de la colonisation européenne), soit mettre en
œuvre des principes universalistes d’ordre philosophique. Dans ce cas, l’accès
à la nationalité ne se fera plus exclusivement par filiation (droit du sang) mais
laissera une beaucoup plus large place à la condition de résidence (assez
improprement appelée droit du sol). Divers facteurs conditionnent la
probabilité de voir le législateur incliner plutôt vers l’une ou l’autre de ces
deux politiques. Là où existe une tradition nationale forte, porteuse d’un
puissant sentiment identitaire, l’accès des étrangers à la citoyenneté risque
d’être mesuré au compte-gouttes et, de toute façon, conditionné par leur pleine
assimilation culturelle (connaissance de la langue tout particulièrement). Le
multiculturalisme s’y voit volontiers perçu comme une menace à l’unité
nationale. La tendance à la fermeture est encore renforcée s’il n’y a ni plein
emploi, ni pénurie sectorielle de main-d’œuvre. À l’inverse, les États neufs,
surtout s’ils sont à faible population, ou encore les pays dont l’économie est
fortement demandeuse de main-d’œuvre ont toujours ouvert plus largement
leurs frontières et facilité l’insertion. La politique d’immigration est une
question facilement politisable et mobilisatrice de passions. En France, elle
s’est mise en place, au fil des crises, sur le fondement d’une distinction bien
mise en lumière par Patrick Weil. Si l’État de droit conduit irrésistiblement à
accorder, sur une base égalitaire, la nationalité aux étrangers installés
durablement dans le pays, cela n’empêche pas l’État acteur de pratiquer une
politique de visas différenciée selon les pays d’origine des migrants.
→ multiculturalisme
NOIRIEL G., État, nation et immigration, Paris, Gallimard, 2005 ; TODD E.,
Le Destin des immigrés. Assimilation et ségrégation, Paris, Seuil, 1997 ;
WEIL P., La France et ses étrangers. L’aventure d’une politique de
l’immigration de 1938 à nos jours, Paris, Gallimard, 1995 ; WITHOL de
WENDEN C., L’Europe des migrations, Paris, La Documentation française,
2001.
Impeachment
Terme relevant à l’origine du vocabulaire politique anglo-saxon, mais
devenu récemment d’un usage plus large (par ex. : l’impeachment du
président Fernando Collor au Brésil, en 1992). Au sens strict, une procédure
judiciaire intentée par un organe législatif qui s’érige en tribunal, contre un
responsable politique accusé de fautes graves commises dans l’exercice de ses
fonctions (non-respect de la constitution, abus de pouvoir, trahison,
corruption…). En Grande-Bretagne, la Chambre des Lords se transforme à cet
effet en instance judiciaire, sur mandat de la Chambre des Communes qui
déclenche la procédure ; le dernier cas relevé remonte à 1806. Aux États-Unis,
l’impeachment est prévu au niveau tant fédéral qu’à celui des états de l’Union.
Au niveau fédéral, la Chambre des représentants déclenche et instruit le
procès contre un président – tandis que le Sénat remplit ensuite la fonction de
tribunal. Comme en Grande-Bretagne, la procédure y est toutefois tombée en
désuétude depuis le jugement du président Andrew Johnson, en 1868. Elle
tend à être remplacée par des recours devant les juridictions ordinaires, ou
encore par la démission d’un président en exercice comme dans le cas du
président Richard Nixon, en 1974 (également dans celui du président Collor
au Brésil).
→ parlement
BERGER R., Impeachment : the constitutional problem, Cambridge (Mass.),
Harvard University Press, 1973.

IMPÉRIALISME

Conduite d’un État qui exerce sa puissance soit en conquérant de nouveaux


territoires, soit en réduisant à son profit la souveraineté d’autres États.
Le concept est apparu dans le langage des relations internationales dès le
début du XX siècle pour assimiler au modèle impérial multiséculaire les États
e

qui, à la faveur de l’ouverture coloniale, manifestaient des velléités


d’expansion territoriale. Dans ce premier contexte, un important débat a
opposé une thèse d’inspiration marxiste (défendue notamment par Rudolf
Hilferding puis Lénine et Rosa Luxembourg) à une interprétation plus
politique (soutenue principalement par Schumpeter). Pour la première,
l’impérialisme doit être compris au regard de considérations économiques et
comme un moyen permettant au capitalisme de surmonter ses contradictions
en offrant de nouveaux marchés, tant pour les capitaux que pour la
surproduction des biens. Pour la seconde, reprise plus tard par les théoriciens
réalistes des relations internationales, il doit être tenu pour une fin en soi, pour
l’expression multiséculaire d’une volonté de puissance qui fonde l’identité
même des États.
Le débat a été enrichi et renouvelé dans le contexte de la seconde moitié du
siècle, lorsque l’entreprise impérialiste mêlait le contrôle de territoire (URSS
en Europe centrale ou États-Unis au Viêt-nam et dans certains pays
d’Amérique latine), la clientélisation de certains États désormais dotés d’une
« souveraineté limitée », et le contrôle de réseaux (économiques,
technologiques ou culturels). L’impérialisme ne suppose plus alors la
conquête militaire ni même une réelle action d’État, mais s’accomplit sur des
modes beaucoup plus diffus et décentralisés.
→ colonialisme, dépendance (théorie de la), empire, international
(scène internationale), souveraineté, territoire
ARON R., Paix et Guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 1962 ;
HILFERDING R., Le Capital financier, Paris, Éd. de Minuit, 1970 [1910] ;
LÉNINE V. I., L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, Moscou, Éd. du
Progrès, 1983 [1916] ; SCHUMPETER J., Impérialisme et classes sociales, Paris,
Éd. de Minuit, 1972 ; STRANGE S., State and Market, New York, Blackwell,
1988.
Imputabililté
→ accountability

INCRÉMENTALISME

Cette notion inventée par Lindblom s’oppose à la conception rationnelle de


l’action décisionnelle : elle met l’accent sur la manière dont de nombreux
acteurs interviennent au cours du processus de décision en s’efforçant, par
tâtonnements, d’aboutir à des compromis en fonction d’informations
partielles. La décision consiste alors en des corrections successives, en de
nombreux ajustements, en une grande quantité de petites décisions sur le
modèle essais/erreurs ; elle se trouve dépourvue de toute dimension
idéologique et favorise une sorte de consensus social. Les acteurs « se
débrouillent au mieux » à travers des pratiques d’adaptation pour élaborer des
décisions qui échappent à l’action de l’État.
LINDBLOM C., « The science of muddling through », Public Administration
Review, 19, 1959.

INDIGÉNISME

Courant idéologique et politique latino-américain, visant à l’intégration


égalitaire dans le champ de la citoyenneté des populations indiennes vivant
dans des sociétés pluriethniques dominées par les éléments de souche
européenne et les métis. Le leader péruvien R. Haya de la Torre s’en est fait le
théoricien et le propagandiste au cours des années 1920 et 1930, son influence
s’étendant dans une certaine mesure au Mexique. Au Pérou, ce courant a
donné naissance à un parti politique toujours existant : l’Alliance populaire
révolutionnaire américaine (APRA).
→ Amérique latine
ALCINA FRANCH J. (comp.), Indianismo e indigenismo en América, Madrid,
Alianza Editorial (Sociedad del Quinto Centenario), 1990.
INDIVIDUALISME

Un sociologue comme Émile Durkheim voit dans l’individualisme le


résultat de la division du travail et de la remise en question du contrôle social,
l’effacement de la conscience collective étant favorable à l’« égoïsme » et
portant atteinte au lien social. Un peu dans le même sens, Tönnies observe le
remplacement de la communauté par une société où l’individualisme absolu
mène à une guerre de tous contre tous. On cherche pourtant le plus souvent
dans la Réforme l’origine de l’individualisme moderne, en instaurant ainsi un
lien entre protestantisme et individualisme ; rejetant toute autorité
institutionnalisée et attentive à rendre à la conscience de l’acteur son rôle
éminent, ce courant de pensée a en effet contribué à remettre en question les
modèles holistiques du système social et engendré des comportements
politiques ou économiques destructeurs des appartenances collectives de type
communautaire. Max Weber construit dans ce sens une corrélation entre
protestantisme et capitalisme en trouvant entre eux de véritables homologies.
Ce rôle du protestantisme dans l’émergence de l’individualisme a été dénoncé
en permanence par les courants de pensée réactionnaire qui y voient l’origine
de la remise en question des traditions collectives menant droit à 1789 et à la
démocratie. Cet individualisme sert aussi de base à la formation du libéralisme
anglo-saxon et se trouve illustré par les œuvres d’Adam Smith ou encore de
Stuart Mill ; il explique l’attention que, par exemple, un Tocqueville lui
accorde lorsqu’il rédige De la démocratie en Amérique, voyant dans
l’individualisme le fondement de ce modèle politique. En France, ce courant
associant individualisme et libéralisme est demeuré faible, confronté qu’il se
trouve aux conceptions républicaines d’une citoyenneté forte et aux
paradigmes holistiques conservateurs. Louis Dumont n’en oppose pas moins
la force de l’individualisme en France à celle du holisme en Allemagne, où le
luthéranisme englobe l’individualisme au sein d’un fort sentiment
communautaire ; dans ce sens les conceptions ethniques de la nation qui s’y
font jour exprimeraient cette faiblesse de l’individualisme. De manière plus
générale, L. Dumont construit une forte opposition entre les sociétés
holistiques comme les Indes, d’où les stratégies individualistes seraient
presque bannies, et les sociétés individualistes nées du marché au XVII siècle.
e

S’il retrouve ainsi la perspective de la Grande Transformation chère à Karl


Polanyi sur la naissance du libéralisme économique, on peut pourtant penser
que toutes les sociétés, mêmes les plus closes, connaissent des comportements
individualistes, tandis que celles qui leur donnent le plus d’importance ne sont
pas dépourvues de toute dimension holistique. Dans le même sens, de
nombreux auteurs estiment que la modernisation actuelle mène au triomphe de
l’individualisme, au retrait vis-à-vis du politique, etc. C’est peut-être sous-
estimer la permanence, jusque dans ces sociétés postindustrialisées, du besoin
de solidarité et d’appartenance collective.
→ communauté, holisme, individualisme méthodologique
BIRNBAUM P., LECA J. (dirs.), Sur l’individualisme, Paris, Presses de la
FNSP, 1986 ; DUMONT L., Essais sur l’individualisme, Paris, Seuil, 1983 ;
LUKES S., Individualism, Oxford, Blackwell, 1974.

INDIVIDUALISME MÉTHODOLOGIQUE

L’individualisme méthodologique est en grande partie issu de la pensée de


Max Weber, qui privilégie l’examen de l’action sociale menée à partir de
valeurs multiples et refuse catégoriquement de déduire l’action, par exemple,
de la fonction ou de toute autre source de déterminisme. C’est dire que
l’individualisme méthodologique place au centre de sa compréhension du
monde social les intentions des acteurs, en rejetant du même coup toute forme
de pensée holistique selon laquelle le tout diffère de la somme des parties.
Une large partie de la sociologie contemporaine s’inspire de ce paradigme,
rejeté pourtant presque entièrement par Émile Durkheim mais qui organise,
par exemple, les travaux d’un Simmel ou encore ceux d’une grande partie de
la sociologie américaine contemporaine. Karl Popper rend compte également
du phénomène social à partir d’actions individuelles. De toute évidence, les
contextes dans lesquels se déroule l’action exercent pourtant de grandes
contraintes ; ils n’en déterminent pas pour autant entièrement son cours dans
la mesure où les acteurs agissent aussi à partir de leurs valeurs et élaborent des
stratégies, certes plus ou moins difficiles à mettre en œuvre, mais qui
répondent à leur propre intentionnalité. L’individualisme méthodologique
n’implique en rien que l’acteur agisse simplement de manière utilitariste tel un
homo œconomicus calculateur. On peut au contraire redécouvrir le poids de la
morale, des normes, à partir desquelles les acteurs élaborent leurs actions qui,
en elles-mêmes, ne supposent pas nécessairement des comportements
individualistes ; les acteurs peuvent au contraire souhaiter s’engager dans la
reconstruction de liens collectifs établis en terme de loyauté et de solidarité :
dans ce sens, même une partie du marxisme contemporain tente une synthèse
entre engagement collectif et choix individuel. Il n’empêche que l’insertion
des acteurs dans des groupes primaires et des relations de forte sociabilité
limite les données de leurs choix, ceux-ci ressentent en effet sans cesse la
nécessité de demeurer au sein de ces groupes dans lesquels se structure leur
propre personnalité, qui les fait agir fréquemment en conformité avec leurs
valeurs collectives.
→ action collective
BIRNBAUM P., LECA J. (dir.), Sur l’individualisme, Paris, Presses de la
FNSP, 1986 ; BOUDON R., La Logique du social, Paris, Hachette, 1979 ;
OLSON M., La Logique de l’action collective, Paris, PUF, 1979 [1965].

INDUSTRIALISATION

→ modernisation

INDUSTRIELLE (SOCIÉTÉ)

On entend par société industrielle un type de société dominé par une forte
division du travail menant à un rapide développement économique suscitant
une élévation de la consommation ; elle implique la formation de grandes
concentrations industrielles rendues possible par l’accumulation du capital,
l’usage sans limite des technologies les plus novatrices tournées vers la
croissance sans fin accentuant sans cesse la division des tâches, la naissance,
dans ce cadre, d’une grande concentration de la population ouvrière
impliquant presque toujours une séparation entre le lieu de travail et le lieu de
résidence et de loisir, menant du même coup, presque toujours, à une
destruction des formes communautaires d’appartenance sociale ainsi qu’à une
remise en question des représentations collectives traditionnelles. La
domination du marché et le règne de la concurrence entraînent aussi
l’apparition de forces syndicales organisées dans le cadre de l’entreprise. Par
beaucoup d’aspects, la société industrielle s’identifie, par conséquent, au
devenir de la société capitaliste ; reste alors à voir dans quelle mesure
l’histoire Économique du monde occidental serait le résultat d’un mode
unique de développement exportable partout, y compris dans les pays en voie
de développement qui devraient entrer à leur tour dans le même mode de
gestion sociale ; un certain nombre de politologues, comme David Apter ou
d’autres, ont en effet estimé que la modernisation de ces sociétés passe par
l’introduction des rôles issus de la société industrielle, perspective qui occulte
la dimension proprement politique du développement. Au nom du respect des
cultures et des histoires spécifiques, cette interprétation se trouve souvent
rejetée, même si une autre voie vers la modernisation socio-économique n’a
pas encore réellement vu le jour.
APTER D., The Politics of Modernization, Chicago, Chicago University
Press, 1965 ; ARON R., Dix-huit leçons sur la société industrielle, Paris,
Gallimard, 1962 ; BADIE B., Le Développement politique, Paris, Economica,
1994 ; BELL D., Vers la société postindustrielle, Paris, R. Laffont, 1975.

INFLUENCE

→ pouvoir

INFORMATION

→ communication politique

INGÉRENCE

Pratique sociale et politique supposant la remise en cause de fait de la


souveraineté d’un acteur. Son usage s’est considérablement développé dans
les relations internationales, même si la pratique y est ancienne et connut des
formes très variées. Son essor récent tient à ce que cette remise en cause
délibérée de la souveraineté d’un État tend à se doter d’une énonciation
institutionnelle au travers notamment de l’ONU (droit d’ingérence défini par
la résolution du 8 décembre 1988 de l’Assemblée générale, puis par les
résolutions du Conseil de sécurité, notamment la 688 sur le problème kurde, la
790 sur la Somalie et la 940 sur Haïti), et qu’elle se voit reconnaître une
fonction de régulation des ordres sociaux nationaux frappés de crise et sujets à
des catastrophes humanitaires. L’ingérence peut être implicite ou explicite,
militaire ou civile. Elle peut être légitimée en termes humanitaires ou
politiques.
→ maintien et imposition de la paix
BADIE B., Un Monde sans souveraineté, Paris, Fayard, 1999 ; MOREAU
DEFARGES PH., Un Monde d’ingérences, Paris, Presses de Sciences Po, 1997 ;
DE SENARCLENS P., L’Humanitaire en catastrophe, Paris, Presses de Sciences
Po, 1999.

INSTITUTION/INSTITUTIONNALISATION

L’institution désigne tout un ensemble d’actions ou de pratiques organisées


de façon stable.
Max Weber lie l’institution à l’idée d’association pour l’envisager comme
« groupement dont les règlements statutaires sont octroyés avec un succès
relatif à l’intérieur d’une zone d’action délimitable à tous ceux qui agissent
d’une façon définissable selon des critères déterminés ». C’est à partir de cette
perspective que la sociologie politique a cherché à rendre opérationnel le
concept d’institution, essentiellement défini par sa fonction de régulateur des
rapports sociaux. Ainsi, Eisenstadt tient-il l’institution pour une « entité dont
le principe régulateur organise la plupart des activités de ses membres dans
une société ou une collectivité et selon un modèle organisationnel défini qui
est étroitement lié soit aux problèmes fondamentaux, soit aux besoins de cette
société, de ce groupe ou de cette collectivité, ou à quelques-uns de ses buts ».
Dans cette acception, le concept d’institutionnalisation vise les processus et
les entreprises qui tendent à organiser les modèles sociaux de façon stable. La
sociologie du changement social, et en particulier la science politique
« développementaliste » ont fait un large usage de ce concept qui est censé
désigner un prérequis important des processus de développement et de
modernisation politique. Huntington, par exemple, s’attache à définir les
caractéristiques d’une institution fonctionnelle et performante : adaptabilité,
complexité, autonomie, cohérence avec les valeurs et les attentes des
gouvernés.
Dans l’analyse juridique, l’institution définit les structures fondamentales
qui permettent d’identifier un régime politique, et qui se distinguent des effets
contractuels et interindividuels de la simple volonté des acteurs sociaux (M.
Hauriou). Cette vision est à l’origine de la perspective « institutionnaliste » en
science politique abordant les objets de l’analyse politique par une analyse de
leur fondement structurel et de leur modèle organisationnel plutôt que par la
prise en compte de leur rapport à la société.
→ constitution, loi, régimes politiques
CHEVALIER J., Science administrative, Paris, PUF, 2002 ; EISENSTADT S.,
Social Differenciation and Stratification, Londres, Scott, Foresman, 1971 ;
HAURIOU M., Principes du Droit public, Paris, Sirey, 1916 ; HUNTINGTON S.,
Political Order in Changing Societies, New Haven, Yale University Press,
1968 ; WEBER M., Économie et Société, Paris, Plon, 1971.

INSTITUTIONNALISME HISTORIQUE

Ensemble de courants méthodologiques associant des praticiens de la


sociologie historique tels que Theda Skocpol ou Peter Flora, des politologues
attachés à des démarches qualitatives comme Peter Katzenstein ou Peter Hall,
et des adeptes du Rational Choice comme Popkin, Bates, North, Levi ou
Lange. Leur point commun s’inscrit dans une réhabilitation de l’étude des
institutions politiques, orientée toutefois non pas vers leur exégèse mais vers
l’évaluation empirique et comparative de leur influence à long terme sur les
trajectoires politiques des systèmes politiques considérés.
méthodologie : Méthodes qualitatives, néo-institutionnalisme
FLORA P., HEIDENHEIMER A. J., The Development of Welfare States in
Europe and in America, London-New Brunswick, Transaction Books, 1981 ;
MARCH J., OLSEN J., « The New Institutionalism », in IKENBERRY J.,
LAKE D. A., MASTANDUNO M. (eds), The State in American Foreign Economic
Policy, Ithaca, Cornell University Press, 1988 ; STEINMO S., THELEN K.,
LONGSTRETH F. (eds.), Structuring Politics : Historical Institutionalism in
Comparative Analysis, Cambridge, Cambridge University Press, 1992.

INSTITUTIONNALISME LIBÉRAL

→ multilatéralisme

INSTITUTIONS POLITIQUES

Par opposition aux institutions administratives ou juridictionnelles, ce sont,


premier critère, celles qui opèrent des choix entre les intérêts et aspirations
antagonistes qui traversent toute société. Ce sont également, d’un autre point
de vue, les instances qui représentent l’ensemble du pays sur la scène
internationale. Dans les régimes politiques contemporains, la dimension
politique des institutions est accentuée du fait que, généralement, elles
procèdent directement de la compétition que se livrent entre eux des partis ou
des candidats devant les électeurs. Mais ce critère peut se révéler
approximatif : aux États-Unis les juges sont parfois élus ; à l’inverse un
dictateur ou un monarque constitutionnel demeurent un organe politique de
l’État sauf si, dans ce dernier cas, il se voit réduit à un rôle de pure
représentation.
L’imprécision relative de l’expression n’entrave en rien son usage courant.
Il faut d’ailleurs aller plus loin et observer à quoi correspond la notion même
d’institution. Quand on qualifie ainsi le Parlement ou le gouvernement, le
Président de la République, voire un Conseil régional ou municipal, que
désigne-t-on sinon des individus engagés dans des relations juridiquement
réglées ? Le langage courant, lui, suggère l’existence d’une sorte d’acteur
collectif. Cette construction a ses usages politiques et l’illusion produit des
effets de réalité. Mais rigoureusement parlant, l’institution n’est qu’« une
structure stabilisée d’interactions juridiquement ou/et culturellement reliées ».
→ constitution, régimes politiques
CHANTEBOUT B., Droit constitutionnel, Paris, Sirey, 2008 ; TURPIN D., Droit
constitutionnel, Paris, PUF, 2007.

INSTRUMENTALISME

Stratégie politique dans laquelle un régime, des gouvernants, des hommes


publics ou des leaders de partis contestataires exploitent les traits culturels et
les sentiments d’une fraction ou du gros de la population, afin d’entretenir ou
de consolider leur audience, ou, encore, d’accéder au pouvoir. Il s’agit
pratiquement d’un travail de manipulation des symboles, consistant
notamment à poser qu’un thème saisi par un courant politique dominant
devient empiriquement faux par ce simple fait. Ou ce peut être exactement
l’inverse, quand cette fausseté est proclamée au regard de l’attention qu’un
parti contestataire porte à ce thème. On le voit à présent, par exemple, à
propos des débats sur l’immigration.
INTÉGRATION

Capacité d’un ensemble – quel qu’il soit – d’assurer sa cohésion en


réunissant les différentes unités qui le composent autour de valeurs et de
normes communes. Très général et abstrait, le principe d’intégration est
sollicité, de façons quelque peu différentes, dans divers contextes théoriques
ou thématiques.
La théorie des systèmes a, de ce point de vue, joué un rôle décisif :
l’intégration est présentée, en postulat, comme la principale propriété des
systèmes sociaux et désigne alors leur capacité de maintenir leur identité au-
delà de la propension à l’autonomie qui caractérise chacune des unités qui les
composent.
Cette perspective est reprise dans le domaine de la socialisation politique.
L’intégration apparaît alors comme la finalité de ce processus : l’apprentissage
des normes et des valeurs vise une intégration minimale des individus au sein
de la société. Cette sociologie de la valeur confère au concept d’intégration
une dimension normative : l’espace public suppose, pour s’accomplir, une
intégration minimale des individus, quelles que soient, par ailleurs, les autres
composantes de leur identité ; l’intégration peut ainsi renvoyer, par exemple, à
l’hypothèse d’un consensus républicain.
En relations internationales, le concept d’intégration désigne des processus
par lesquels se tissent des liens multiples soit entre États, soit directement
entre communautés nationales jusqu’à un seuil remettant en cause, au moins
partiellement, le principe même de souveraineté nationale (intégration
européenne, intégration atlantique, intégration régionale…).
→ holisme, individualisme, international (scène internationale),
socialisation politique, systémique (analyse)

INTÉGRATION RÉGIONALE

Processus, amorcé en Europe au lendemain du second conflit mondial, par


lequel des États choisissent d’abandonner une part de leur souveraineté en vue
de s’insérer dans un ensemble spatial plus vaste. Cet abandon peut être partiel,
strictement limité au seul domaine commercial (communautés européennes, à
partir des Traités de Rome, en 1957 ; NAFTA-ALENA à partir de 1994 en
Amérique du Nord), ou à une coopération politique renforcée (ASEAN, en Asie
du Sud-est à partir de 1967). Il peut conduire à une dynamique, débordant de
l’intégration économique vers l’intégration politique « spill over » décrit par
E. Haas à propos de l’Europe et s’appliquant aujourd’hui au MERCOSUR du
Cône sud latino-américain). Il peut aussi consacrer des abandons plus
substantiels de souveraineté (en matière monétaire ou normative, comme dans
l’Union Européenne aujourd’hui). Il peut s’exprimer de façon institutionnelle
(comme en Europe) ou plus informelle, comme en Asie orientale où il prend
des formes plus souples, sous l’impulsion souvent des acteurs transnationaux.
→ études européennes, intégration, souveraineté
BALME R. (dir.), Les Politiques du néo-régionalisme, Paris, Economica,
1996 ; FAWCETT L., HURREL A. (ed.), Regionalism in World Politics, Oxford,
Oxford University Press, 1995 ; MAGNETTE P., Le Régime politique de l’Union
européenne, Paris, Presses de Sciences Po, coll. « Références », 2007 ;
SANTANDER S., Globalisation, gouvernance et logiques régionales dans les
Amériques, Paris, L’Harmattan/ULB, 2005.

INTERACTIONNISME

Les individus n’existent sociologiquement qu’en relation. Ils échangent des


mots et, au-delà, des informations et des croyances en communiquant par le
langage ; ils échangent également des biens à travers les multiples transactions
de la vie sociale, juridiquement codifiées ou purement informelles. La
problématique interactionniste s’empare de cette observation primordiale pour
développer des points de vue qui explorent systématiquement la dimension
relationnelle par opposition aux approches tendant à privilégier « le sujet » en
soi, individuel ou collectif. Il existe toutefois de multiples formes
d’interactionnisme, même si toutes se réfèrent à la problématique wébérienne
des « activités sociales ». L’individualisme méthodologique d’un Raymond
Boudon s’intéresse aux processus de formation des comportements collectifs,
à partir de l’agrégation des choix individuels effectués en situation sous la
motivation d’un calcul coûts/avantages. L’interactionnisme symbolique d’un
Goffman ou d’un Anselm Strauss se focalise sur les dynamiques engendrées
par les « représentations » que l’individu se fait d’autrui et de ses
comportements. La théorie d’Elias qui vise à dépasser l’opposition
individu/société en proposant le concept de « configuration d’acteurs », est
aussi un interactionnisme, comme l’est la théorie du « système d’action » chez
Crozier. Enfin, la problématique des « logiques de champs », chère à Pierre
Bourdieu, se situe aussi dans une perspective interactionniste même si
l’analyse porte principalement sur la structure sociale et ses conditions de
production.
L’interactionnisme conduit à s’intéresser aux situations socialement
construites, même si cela s’exprime dans des conventions de langage
particulières aux écoles ou aux auteurs. Cela signifie que soient
systématiquement analysées les composantes de ces situations, à savoir : les
enjeux qui structurent les logiques de comportements des acteurs, définissent
leurs intérêts et leurs aspirations ; les règles, formelles ou informelles, qui
gouvernent le mode d’entrée en relation et son déroulement ; les ressources
mobilisables, dans le temps et l’espace concernés, par chacune des parties
prenantes à l’interaction. Selon les sensibilités scientifiques, on sera conduit à
valoriser chez les acteurs le libre choix fondé sur du calcul coûts/avantages
ou, au contraire, la mise en œuvre, sous contrainte, d’un « rôle » socialement
défini.
→ méthodologie
BERGER P., LUCKMANN, La Construction sociale de la réalité, Paris,
A. Colin, 1996 [1966] ; ELIAS N., Qu’est-ce que la sociologie ?, Aix-en-
Provence, Éd. de l’Aube, 1991 [1970] ; GELLNER E., « L’animal qui évite des
gaffes » in BIRNBAUM P., LECA J. (dir.), Sur l’individualisme, Paris, Presses de
la FNSP, 1985 ; GOFFMAN E., Les Rites d’interaction, Pairs, Éd. de Minuit,
1988 ; LE BRETON D., L’Interactionnisme symbolique, Paris, PUF, 2004 ;
MEAD G., L’Esprit, le soi et la société, Paris, PUF, 1963 [1934].

INTERCOMMUNALITÉ

Les communes françaises ont toujours pratiqué des formes de coopération


pour mettre en œuvre des programmes d’intérêt commun. Pour ce faire, l’outil
principal était le syndicat de communes. Mais l’intercommunalité proprement
dite est née d’une exigence plus profonde. D’une part, il est devenu patent que
le nombre excessif de communes mais aussi la croissance des agglomérations
soulevaient des problèmes de gestion optimale des investissements, des
équipements et des ressources locales. D’autre part, les tentatives visant à
réduire le nombre de communes se sont heurtées à des résistances politiques
très fortes. C’est pourquoi le législateur a progressivement mis en place de
nouvelles structures institutionnelles qui constituent un compromis entre la
fusion et la simple coopération. Pour les grandes agglomérations, ce sont les
communautés urbaines où le degré d’intégration est le plus prononcé ; pour les
villes moyennes, les communautés d’agglomération ; pour l’espace rural, les
communautés de communes.

INTÉRÊTS

Qu’est-ce qui motive les individus à agir et à se mobiliser ? Pourquoi


existe-t-il des conflits entre groupes sociaux, qui appellent une régulation par
l’instance politique ? Pour tenter de répondre à ces questions fondamentales
de nombreuses analyses mettent en avant la notion d’intérêt. L’école
utilitariste anglaise du XVIII siècle, avec Hume et Bentham, puis Stuart Mill au
e

XIX siècle, en font même le principe explicatif unique des mobiles individuels
e

de l’action. Pour ces auteurs, qui exercent aujourd’hui encore une grande influ
ence sur les théories de l’acteur rationnel, chacun est guidé dans ses
comportements par la recherche de son utilité, c’est-à-dire satisfaire ses
intérêts au meilleur coût escomptable (Expected Utility Maximization). Les
individus poursuivent des objectifs (postulat 1) ; ces objectifs sont
conditionnés par leurs intérêts personnels, tels qu’ils se les représentent
(postulat 2) ; leur comportement se dégage des préférences établies entre ces
divers intérêts (postulat 3). Quant aux phénomènes collectifs, ils résultent
d’une agrégation des stratégies individuelles fondées sur un calcul conscient.
Le courant contemporain, dit de l’individualisme méthodologique (Olson,
Boudon, Bourricaud), tend à donner de ces intérêts une vision en termes
essentiellement économiques. Soit par présupposé psychologique sommaire,
soit par conviction méthodologique (car les intérêts matériels ou
matérialisables se prêtent mieux à l’analyse quantitative). C’est ainsi le choix
opéré par Olson, dans son livre classique La Logique de l’action collective, de
même en France chez Raymond Boudon. Ces postulats inspirent aussi très
largement les théories des jeux ; mais les modèles les plus sophistiqués en
science politique (P. Ordeshook, Game Theory and Political Theory,
Cambridge, 1988) ont précisément mis en évidence la difficulté à décrire et
prévoir de cette manière la complexité des comportements humains.
En effet, comme l’a montré Hirschman, le rationalisme occidental, issu du
XVIII siècle, tend à établir une opposition radicale, en même temps qu’une
e
hiérarchie, entre les intérêts d’une part et une seconde catégorie de mobiles
d’autre part : les passions. Les premiers seuls induiraient des comportements
rationnels, impliquant un calcul fondé sur la recherche d’informations
pertinentes en situation d’incertitude ; les secondes échapperaient à toute
prévisibilité et pourraient déboucher sur des actes contraires aux intérêts du
sujet. En d’autres termes la maîtrise des passions serait une condition
nécessaire à la poursuite des intérêts.
Deux grandes problématiques ont modifié, au XX siècle, la manière de
e

poser la question des intérêts comme mobiles de l’action individuelle ou


collective. La théorie freudienne met l’accent sur l’importance des désirs
inconscients, soulignant notamment le poids des gratifications narcissiques
recherchées dans l’action et, surtout peut-être, le fait que les mobiles allégués
par le sujet sont en réalité des justifications ex post inspirées par des
mécanismes de rationalisation. Dès lors l’opposition radicale entre intérêts et
« passions » ou encore entre mobiles rationnels et irrationnels perd de sa
clarté. L’individu apparaît, le plus fréquemment, motivé à la fois par des
intérêts conscients et par la recherche de gratifications au niveau symbolique
(estime de soi, libération d’agressivité, etc.). Quant aux mobiles qu’il se
donne, ils peuvent n’avoir qu’un rapport lointain avec les pulsions qui le font
agir. Éléments d’ordre cognitif et d’ordre émotionnel apparaissent ainsi
inextricablement mêlés. Pour de nombreuses raisons, ne serait-ce que
méthodologiques, cette problématique suscite de très nombreuses résistances
en sciences sociales. Elle n’en conduit pas moins à rétablir l’importance des
intérêts symboliques, par opposition aux intérêts purement matériels, qui
s’exprimeront par exemple dans la quête de notoriété, la préoccupation
d’affirmation distinctive à travers la consommation de biens économiques (cf.
Baudrillard) ou culturels (cf. Bourdieu), l’ostentation de puissance, de richesse
ou, dans d’autres univers culturels, le souci de se savoir justifié (cf. Weber,
Walzer, à propos du calvinisme).
Une autre théorie a contribué à l’approfondissement de la notion d’intérêts :
c’est l’approche phénoménologique et son prolongement contemporain dans
le constructivisme en sciences sociales. Toute réalité sociale existe à la fois
objectivement, c’est-à-dire inscrite dans les logiques de fonctionnement de
l’univers sensible, et subjectivement, c’est-à-dire à travers les perceptions et
représentations que s’en constituent les agents. Mais les théoriciens
d’inspiration phénoménologique (Berger et Luckmann) et surtout
ethnométhodologique (Garfinkel) vont plus loin que ce constat somme toute
banal. Les représentations du réel sont construites par les individus à partir de
schèmes mentaux, de savoirs et de croyances « tenus pour acquis », lesquels
se mettent en place à l’issue de processus sociaux complexes échappant à leur
maîtrise. Ces schèmes constituent les matrices formatrices de leurs attitudes,
opinions et comportements. Eux seuls permettent aux agents sociaux de
donner sens à leur expérience du réel. Grâce notamment à l’activité de
typification, c’est-à-dire de classement, ils rendent ce réel intelligible à leurs
yeux ; donc, d’une certaine manière, ils font exister ce qui demeurerait sinon
hors de portée de toute expérience humaine. On voit les implications de cette
analyse sur la notion d’intérêts. Dans la perspective classique, intérêts
objectifs et intérêts subjectifs ont chacun leur réalité : les premiers sont
inscrits dans la structure sociale qu’une analyse suffisamment lucide et
informée peut dévoiler ; les seconds relèvent d’appréciations biaisées par
l’ignorance du sujet ou par les mécanismes de dépendance (idéologique par
ex.) qu’il subit. Ainsi sur le terrain politique, Lénine, après Marx, opposait-il
les intérêts objectifs de la classe ouvrière, faire la révolution, et l’idée
tronquée que, selon lui, elle se faisait de son avenir sous l’influence du
réformisme. On retrouve un mode de fonctionnement voisin dans l’analyse
savante, lorsqu’elle se donne pour objectif d’accéder au « vrai », c’est-à-dire,
en l’espèce, de démasquer ce qui demeure caché aux yeux des agents sociaux
(Bourdieu, Touraine). Pour l’ethnométhodologie au contraire, il n’y a rien qui
fasse sens en dehors de représentations construites. Pas plus que le sens
commun, l’analyse savante n’accède au réel : elle construit une autre
interprétation de la réalité, dont on peut seulement espérer qu’elle en facilite
une lecture plus riche.
Politistes et sociologues peuvent donc se donner une double tâche. La
première, dont on pensera personnellement qu’elle est vaine, consisterait à
élucider les intérêts objectifs des agents sociaux (mais pourra-t-on jamais
analyser finement leurs intérêts symboliques qui engagent profondément les
structures émotionnelles inconscientes ? Le chercheur pourra-t-il éviter
d’imposer ses propres projections puisque son système de schèmes cognitifs
est lui-même socialement construit ?). La seconde se préoccupe simplement
d’identifier d’une part ce qui est perçu par les agents sociaux, ou proposé par
leurs représentants, comme objectifs désirables et de tenter d’autre part, à
partir de ces représentations, de reconstruire le système des rapports sociaux
qui a rendu attractifs ces objectifs et plausibles les stratégies mises en œuvre
pour les atteindre.
Les conflits d’intérêts constituent le tissu même du politique. Les groupes
de pression naissent de la volonté de prendre en charge des aspirations
particulières, communes (ou réputées telles) à un groupe social ; cependant ils
jouent aussi un rôle actif pour susciter des attentes, les formuler et les agréger,
hiérarchiser les objectifs, etc. Les partis politiques jouent également ce rôle de
prise en charge mais dans des conditions très différentes car leur vocation
électorale leur interdit de s’enfermer dans la défense d’intérêts trop
visiblement particuliers. Quant aux gouvernants il leur faudra en permanence
soit négocier des ajustements d’intérêts antagonistes, soit imposer leur
solution en mobilisant leur capacité d’injonction juridique. Le débat politique
est ainsi constamment traversé par des discours pluriels : différents, divergents
ou inconciliables, qui fonctionnent en permanence à la reformulation des
intérêts matériels et symboliques des groupes sociaux.
Le fait que des intérêts divergents s’expriment ou non dans la société est
caractéristique des phénomènes de pouvoir qui s’y déploient. La
concrétisation d’un conflit d’intérêts est au moins l’indice que chaque partie
dispose d’un minimum de capacité à se faire entendre ; il y règne donc un
degré de liberté non négligeable. En revanche, comme l’a rappelé Lukes, dans
une situation de forte dépendance, la partie dominée pourra préfé rer taire son
désaccord, et s’abstenir de faire état d’intérêts différents de celui qui détient
de meilleures ressources de pouvoir. Du conflit concrétisé d’intérêts on glisse
alors vers un conflit qui demeure virtuel ou potentiel. Ce consensus extérieur
signale en réalité un contrôle social fort. Et plus la relation de domination croît
en intensité, plus elle se caractérise par la négation des différences d’intérêts
et d’aspirations entre les êtres humains ou les groupes sociaux. Dans ces
situations tendanciellement « totalitaires », le remodelage puissant, souvent
sur une base fortement émotionnelle, des représentations que les dominés se
font de leurs intérêts peut les conduire à partager des aspirations qui ne
correspondent pas aux logiques concrètes de situation qu’ils vivent. Mais le
sacrifice opéré (par dévouement militant par ex.) et la remise de soi qu’il
implique peuvent être gratifiants à un autre niveau, psychologique.
→ conflits (théorie des), émotions, groupes de pression, passions
politiques
BIRNBAUM P., LECA J. (dir.), Sur l’individualisme, Paris, Presses de la
FNSP, 1986 ; CROZIER M., FRIEDBERG E., L’Acteur et le système, Paris, Seuil,
1981 ; GROSSMAN E., SAURUGGER S., Les Groupes d’intérêt. Action collective et
stratégies de représentation, Paris, A. Colin, 2006 ; HIRSCHMAN A., Les
Passions et les intérêts, Paris, PUF, 2005 ; OLSON M., Logique de l’action
collective, Paris, PUF, 1987 [1965] ; voir également le n 56 (2) d’avril 2007
o

de la Revue française de science politique, consacré à « la transformation des


groupes d’intérêts en France ».

INTERNATIONAL (SCÈNE INTERNATIONALE)

La scène internationale a été longtemps définie comme une communauté


d’États-nations souverains. Cette perspective, développée par l’école réaliste
(Morgenthau, Aron), tenait pour essentielle la distinction entre l’interne et
l’externe, contribuant ainsi à faire de l’État le médiateur obligé de toute
intervention sur la scène internationale et à séparer la science des relations
internationales des autres domaines de la science politique.
Cette perspective a évolué, tant sous l’effet de la pratique que de la
réflexion scientifique. La crise de l’État-nation, l’essor des flux
transnationaux, celui des pratiques de communication et des échanges ont
profondément modifié la conception qu’on avait de la scène internationale. La
prolifération de travaux d’inspiration behaviouriste et la mise en place des
premières perspectives interdépendantistes (Keohane, Nye) ont bouleversé le
dogme de relations internationales confisquées par des États souverains. La
prise en compte d’autres acteurs (opinion publique, firmes multinationales…)
a sérieusement amendé le paradigme réaliste, Évoluant vers un néo-réalisme
mesuré (K. Waltz). De même, la prise en compte du facteur économique a-t-
elle contribué à diversifier les approches, soit dans le sens d’un renforcement
de la perspective interdépendantiste, soit dans celui d’une vision néo-
mercantiliste de l’économie internationale, restaurant le rôle de l’État (Gilpin).
L’universalisation manquée de l’État-nation, la croissance des réseaux
économiques, culturels, migratoires, l’essor du sacré sur la scène
internationale ont quelque peu radicalisé ce débat, avec l’émergence,
notamment, de l’école des relations transnationales (J. Rosenau) qui met
l’accent sur l’extraordinaire diversification de la scène internationale. Celle-ci
ferait coexister un monde des États dont la souveraineté serait mise en échec
et un monde multicentré, fait d’interactions extrêmement nombreuses, dans
lequel le rôle d’acteur international appartiendrait autant à des entreprises
(économiques ou religieuses), à des réseaux sociaux qu’à des individus qui,
par calcul ou par destination, viendraient à déployer une part importante de
leur action sur la scène mondiale, indépendamment des États ou en les
contournant.
Cette nouvelle perspective vient ainsi dissiper le cloisonnement séparant
l’interne de l’international, conduisant notamment les acteurs sociaux à agir
indistinctement dans l’espace public interne comme dans l’espace
international. L’international n’est dès lors plus totalement assimilable à un
lieu ni à un facteur repérables et constants, mais devient aussi une perspective
d’analyse permettant d’apprécier la diversification des comportements
sociaux.
→ endogène/exogène, État, fonctionnaires internationaux, linkage,
réaliste (théorie), réseau (concept de), transnationales (relations)
ARON R., Paix et Guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 1962 ;
BADIE B., DEVIN G. (dir.), Le multilatéralisme. Nouvelles formes de l’action
internationale, Paris, La Découverte, 2007 ; BADIE B., L’Impuissance de la
puissance, Paris, Fayard, 2004 ; BADIE B., SMOUTS M.-C., Le retournement du
monde. Sociologie de la scène internationale, Paris, Presses de la FNSP,
1992 ; GILPIN R., The Political Economy of International Relations, Princeton,
Princeton University Press, 1987 ; KEOHANE R., NYE J., Power and
Interdependance, Boston, Little Brown, 1977 ; MORGENTHAU H., Politics
among Nations : the Struggle for Power and Peace, New York, Knopf, 1948 ;
ROSENAU J., Turbulence in World Politics, Princeton, Princeton University
Press, 1990 ; Les Nouvelles relations internationales, Paris, Presses de
Sciences Po, 1998 ; SÉNARCLENS P. DE, ARRIFFIN Y., La Politique
internationale. Théories et enjeux contemporains, Paris, A. Colin, 2006
(5 éd.) ; SMOUTS M.-C., BATTISTELA D., VENESSON P. (dir.), Dictionnaire des
e

relations internationales, Paris, Dalloz, 2006 (2 éd.).


e

INTERNET

Trente ans après la première interconnexion d’ordinateurs scientifiques


américains, apparaît, en 1989, la toile d’araignée mondiale appelée le World
Wide Web (WWW). Avec cet outil de communication et d’échange
d’informations à l’échelle planétaire, tous les possesseurs d’ordinateurs
connectés (on line) peuvent débattre, échanger à distance des textes, des
documents, des données empiriques, recevoir à la demande des images, des
films ou des journaux. On ne saurait minimiser l’importance extraordinaire de
cette innovation scientifique et technologique qui bouleverse rapidement nos
manières de penser et de vivre et, plus spécifiquement, les relations que les
citoyens entretiennent avec leurs gouvernants.
Les enjeux politiques d’une telle révolution dans la communication sont
considérables. Tout d’abord sur le terrain des libertés d’expression. L’Internet
abolit les frontières, libère la capacité de critique, rend hautement aléatoire le
maintien des réglementations ou censures mises en œuvre par les États. La
diffusion accélérée des informations ne peut donc que gêner les systèmes
politiques dictatoriaux et faire reculer les zones d’opacité qui existent aussi
dans les démocraties. Il facilite aussi la constitution de réseaux de discussion
qui se nourrissent réciproquement de leurs informations sélectives, favorisant
ainsi la mise en place de « niches de pensée » protégées d’une discussion
ouverte de leurs préjugés. À l’inverse, l’Internet permet de recueillir des
informations, à l’insu des utilisateurs de sites, dans des conditions qui peuvent
porter gravement atteinte soit au secret d’État, soit au secret d’entreprise, soit
à l’intimité privée. L’anonymat de l’usager est un mythe et, avec l’équipement
adéquat, on peut reconstituer sa « navigation » sur Internet, c’est-à-dire
identifier ses centres d’intérêts, collecter les informations qu’il a données ou
reçues. L’Internet adresse donc un défi inouï aux États, jaloux de leurs
prérogatives régaliennes, mais aussi aux défenseurs des libertés
fondamentales. Autre enjeu politique d’importance majeure : la croissance de
nouvelles inégalités. L’Internet est un excellent moyen d’accès au savoir et à
l’information en temps réel, mais seulement pour ceux qui savent s’en servir.
Un nouvel analphabétisme technologique se profile, qui exclura ceux qui
n’ont pas les moyens matériels ni intellectuels de tirer profit des immenses
ressources disponibles. Mais l’inégalité risque aussi de se creuser entre les
cultures. Les plus faibles ou les plus fragiles sont en péril accru dans un
contexte de libre laisser-faire/laisser-passer. Les pays avancés,
économiquement et scientifiquement, vont encore accentuer leur avance,
imposant une prépondérance écrasante sur les sites du Web. Il est probable
que cette accélération de la domination culturelle engendrera des effets en
retour qui peuvent être gros de frustrations et de conflits. Enfin, la place
prédominante prise par le Web pose la question de savoir qui contrôle quoi.
En dépit du rêve libertarien fréquemment exprimé, même le Web ne peut pas
fonctionner sans règles du jeu, ne serait-ce qu’en raison des risques
d’implosion technique, de fraude économique ou d’atteintes à la sécurité des
personnes. Qui les fixera ? Qui les fera respecter ? Le pouvoir politique
traditionnel des États risque fort d’être largement mis hors-jeu, mais au profit
de qui ?
→ altermondialisme, Démocratie participative, mondialisation
CHAMBAT P., « La démocratie assistée par ordinateur », Cahiers politiques
(4), 2000 ; KLEIN A. (dir.), Objectif blogs !, Paris, L’Harmattan, 2007 ;
LEPAGE A. (dir.), L’Opinion numérique. Internet, un nouvel esprit public,
Paris, Dalloz, 2006 ; SERFATY J. (dir.), L’internet en politique des États-Unis à
l’Europe, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2002 ; VEDEL T.,
« Les Usages politiques de l’Internet », Regards sur l’actualité (327) 2007.

INTERVENTIONNISME DE L’ÉTAT

Doctrine mais aussi pratique politique qui consiste à conférer à l’État (ou au
secteur public qu’il contrôle) un rôle actif de régulation. En matière
économique, financière et monétaire, il s’agira de corriger des déséquilibres
produits par le jeu spontané des lois du marché, soit par la dépense publique,
soit par la pression fiscale, soit par la réglementation. En matière sociale, cela
signifie assurer un rôle de protection des catégories défavorisées ou en
situation de vulnérabilité.
L’intervention peut être directe (dépenses budgétaires de santé, d’éducation,
de logement, lutte contre le chômage, etc.) ou indirecte (subventions à des
associations, prise en charge des déficits d’organismes de protection sociale,
etc.). Cette politique s’inscrit directement en opposition avec les conceptions
libérales héritées du XIX siècle selon lesquelles l’État doit se contenter, en
e

matière économique et sociale, de veiller au respect des lois du marché et ne


rien faire qui puisse les perturber. Une période de fort interventionnisme a
régné en France au lendemain de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à la fin
des années 1950. Elle s’est caractérisée par la mise en place d’un secteur
public étendu, une politique d’investissement public direct et de soutien à
l’investissement privé, des mesures de réglementation des salaires et contrôle
des prix, voire dans l’agriculture, des prix garantis. Parallèlement, les
organismes de protection sociale, comme la Sécurité sociale et les Caisses
d’allocations familiales, exercent toujours une forte influence sur les
mécanismes économiques par leur financement (poids des prélèvements
obligatoires) et par leurs effets (stimulation de la consommation des
ménages). Aujourd’hui la construction européenne limite très sérieusement les
possibilités d’action de la puissance publique, au moins dans le domaine
économique.
→ régulation

ISLAM ET POLITIQUE

L’islam est plural, dans l’espace comme dans le temps ; aussi est-il
simpliste d’énoncer une construction du politique homogène et propre à cette
religion multiséculaire, adoptée par un milliard d’individus environ. D’autant
que les acteurs sociaux gardent l’initiative d’agir sur toute religion, comme sur
tout système, tant pour les façonner et les transformer que pour en faire les
instruments symboliques de leur propre projet. Dans une perspective macro-
comparative, on peut cependant retrouver des caractéristiques qui distinguent
les sociétés du monde musulman de celles dominées par d’autres cultures, et
qui freinent ou entravent les processus de mondialisation des valeurs ou des
imaginaires. Ainsi en est-il d’abord du caractère moniste de la légitimité
islamique : celle-ci réside en un Dieu unique qui n’a pas délégué aux hommes
(ni donc aux princes ou au juriste) la compétence d’élaborer le juste.
Uniquement révélé, celui-ci ne saurait se retrouver dans l’œuvre législative
humaine : pour se légitimer le prince doit donc faire l’effort de se conformer à
la sharia (Loi Divine) qu’il retrouve dans le Coran, dans la Sunna du prophète
(ensemble des paroles et des actes qu’on lui prête), voire dans l’ijtihad (effort
d’interprétation conforme à la Loi Divine), ou l’ijma (consensus de la
communauté des croyants, ou, du moins, des Ulama, docteurs de la Loi). Dans
la même orientation, le prince doit protéger la communauté des croyants
(Umma) et défendre la foi. À cette conception de la légitimité s’ajoute un
autre fondement qui garantit le pouvoir du prince : la cité, avant d’être juste,
est nécessaire pour protéger du chaos et de la sédition (fitna). Cet aspect du
discours politique de l’islam peut apparaître comme source d’autoritarisme ou
d’arbitraire ; mais il se trouve aussi inversé dans le répertoire contestataire qui
considère que le prince impie peut être cause de fitna (de sédition) et, qu’à ce
titre, il doit être également combattu y compris par le jihad (effort religieux
pour combattre le mal, communément traduit par « guerre sainte »). La
contestation de nature religieuse se trouve ainsi valorisée et tend à activer
l’effort du prince pour se ressourcer à la Loi de Dieu. Cette vision est
cependant à mettre en perspective avec d’autres constructions qui ont marqué
– ou marquent encore – le devenir de nombreux systèmes politiques du monde
musulman, soit sous l’effet de facteurs exogènes et notamment de
l’importation moderne des modèles politiques occidentaux, soit sous l’effet de
traditions quiétistes, voire laïcisantes (cf. les travaux d’Olivier Carré)
élaborées dans différents contextes intellectuels et politiques. On a tendance à
distinguer, pour ces raisons, entre l’islam comme production théologique,
l’islam comme paramètre culturel structurant les comportements sociaux et la
construction institutionnelle, et l’islamisme comme forme d’action politique,
de gouvernement (Iran, Arabie Saoudite) et de contestation (salafisme,
djihadisme…), faisant de la fusion entre islam et politique un principe de
mobilisation politique.
→ légitimité, religion et politique
BADIE B., Les Deux États, Paris, Fayard, 1987 ; BEHRMAN L. G., Muslim
Brotherhoods and Politics in Senegal, Cambridge (Mass.), Harvard University
Press, 1970 ; BURGAT F., L’Islamisme en face, Paris, La Découverte, 2007 ;
CARRÉ O., L’Islam laïque, Paris, A. Colin, 1993 ; Mystique et politique. Le
Coran des islamistes, Paris, Cerf, 2004 ; DROZ-VINCENT P., « Quelles
nouvelles perspectives d’analyse des régimes politiques dans le monde
arabe ? », Revue française de science politique 55 (3), juin 2005 : 528-533 ;
GARDET L., L’Islam, religion et communauté, Paris, Desclée de Brouwer,
1968 ; GELLNER E., Muslim Society, Cambridge, Cambridge University Press,
1981 ; KEPEL G., Fitna, Paris, Gallimard, 2004 ; LEWIS B., Le Retour de
l’Islam, Paris, Gallimard, 1985 ; ROY O., L’Échec de l’islam politique, Paris,
Seuil, 1992 ; ROUGIER B., Qu’est-ce que le salafisme ?, Paris, PUF, 2009 ;
VANER S., HERADSTVEIT D., KAZANCIGIL A. (dirs.), Sécularisation det
democratization dans les societies musulmanes, Bruxelles, Bern, Peter Lang,
2008 ; VON GRUNEBAUM G., L’Identité culturelle de l’Islam, Paris, Gallimard,
1973.

ISLAMISME

→ Islam et politique
J

JACOBINISME

Le jacobinisme comme pratique politique apparaît surtout comme un mode


de gouvernement combinant le règne d’une élite toute puissante à une forte
participation populaire. Au nom de la vertu et de la Raison, de la
« régénération » de l’homme nouveau, les jacobins, dans le contexte brûlant
de la guerre et de la disette, recourent à la terreur pour imposer leur propre
pouvoir ainsi que leur conception homogène de la société. Contre les
girondins qui souhaitent faire entendre la diversité des groupes sociaux et
celle des provinces, contre toutes les tentatives de favoriser des pratiques
décentralisatrices, les jacobins imposent une centralisation extrême du pouvoir
s’appuyant sur la participation de sections populaires organisées afin de rendre
définitive une forme d’entrée dans la modernité conçue sur le mode de
l’universalisme. Au nom du Peuple, une élite s’empare ainsi du pouvoir et
invente de nouvelles pratiques s’appuyant sur la participation contrôlée des
citoyens (certificat de civisme, dénonciation, etc.). Une circulation du même
personnel s’impose entre l’État et la société des jacobins, l’État renforçant
encore sa centralisation. Comme l’a avancé Auguste Cochin : « Où est le
peuple en effet, dans l’assemblée électorale où tout le monde entre et vote, où
dans les sociétés, cercles fermés, qui de fait ou de droit se sont toujours
recrutées elles-mêmes, depuis la première société philosophique jusqu’au
dernier club jacobin ? À vrai dire, la tyrannie du Petit Peuple sur le grand est
devenue si évidente que lui-même ne le nie plus. » Représentant le peuple, la
minorité jacobine devient le « nouveau centre », « la minorité vertueuse » par
laquelle s’instaure à nouveau une fusion entre la communauté et ses
gouvernants. Le léninisme, plus tard, s’inspirera de l’exemple jacobin de la
révolution française pour légitimer son propre pouvoir ainsi que sa fonction de
représentant éclairé du peuple.
→ démocratie, élitistes (théories), idéologie, léninisme
BAECQUE A. DE, Le Corps de l’histoire, Paris, Calmann-Lévy, 1994 ;
COCHIN A., L’Esprit du jacobinisme, Paris, PUF, 1979 ; JAUME L., Le Discours
jacobin et la démocratie, Paris, Fayard, 1989 ; TALMON J. L., Les Origines de
la démocratie totalitaire, Paris, Calmann-Lévy, 1966 [1952].

JEUX (THÉORIE DES)

Appelée parfois théorie « économique » de la politique, la théorie des jeux


repose en réalité sur des techniques mathématiques très élaborées, qui
s’inscrivent dans un modèle de simulation pour l’analyse stratégique
hiérarchisée des décisions. À partir d’un scénario dont les issues dépendent
des choix rationnels effectués par deux joueurs ou davantage, cette procédure
permet de rechercher le rendement maximal de ces issues ou de satisfaire le
plus possible l’ordre des préférences de chaque joueur. La théorie des jeux
vise ainsi à l’identification et à l’élucidation d’une ou de diverses solutions à
un problème donné. Au-delà de ses complexités pratiques, elle se résume
d’une certaine manière dans le « dilemme des prisonniers », susceptibles
chacun d’obtenir une réduction de peine s’ils plaident « coupable »
individuellement, mais incapables de l’obtenir s’ils le font tous sans
connaissance des aveux des autres. Selon cette logique, chaque joueur ignore
le prochain coup de son adversaire mais connaît les possibilités qui s’offrent à
lui et leurs interactions avec son propre jeu.
→ individualisme méthodologique, méthodologie
COLOMER J. M., Game Theory and the Transition to Democracy, E. Elgar,
1995 ; DOBRY M., Sociologie des crises politiques, Paris, Presses de la FNSP,
1986 ; GUERRIEN B., La Théorie des jeux, Paris, Economica, 1995 ; Schelling
Th., Stratégie du conflit, Paris, PUF, 1986 [1960].

JUDAÏSME ET POLITIQUE

Ce thème immense se trouve abordé ici d’un point de vue très restrictif, en
mettant l’accent seulement sur la manière dont il se pose dans le contexte de la
France moderne. Aux lendemains de la Révolution, lorsque Napoléon
convoque un Sanhédrin de rabbins afin qu’ils cautionnent les nouveaux
rapports entre le judaïsme et l’État, ceux-ci interprètent de manière
particulièrement large la tradition talmudique, Dina de Malkhouta dina (« la
loi du royaume est la loi »), sanctionnant, ainsi, dans l’exil, la suprématie de la
loi du Royaume et, dorénavant, celle de l’État centralisateur à la française
particulièrement hostile à toute autonomie juridique civile, juive ou autre.
Nombre de rabbins, du XIX siècle à nos jours, vont chanter les louanges de la
e

Révolution française, nouvelle sortie d’Égypte ; et la traditionnelle prière en


faveur de la République résonne sans cesse dans les synagogues. Les juifs ne
s’interrogent donc pas sur le sens spécifique du politique au sein du judaïsme,
tradition émancipatrice (thème de la sortie d’Égypte) et messianique
(Abraham détruisant les idoles) coexistant avec des perspectives théocratiques
(le peuple d’Israël constituant le royaume de Dieu) ; ils rejettent l’idée de
medina, c’est-à-dire d’État souverain ou encore, de communauté nationale,
mais aussi celle de kehillah, de communauté religieuse pour s’intégrer,
comme citoyens, à la nation républicaine française. Cette forme universaliste
d’émancipation les éloigne longtemps du mouvement national sioniste et de
son ambition de construire un État juif. Restreignant le monde de la croyance
au domaine privé ou respectant l’organisation consistoriale étatique, ils
agissent au sein de l’espace public dans le cadre des grands partis de masse
nationaux. On peut aussi noter que leur identification à la République
émancipatrice les conduit à être moins que d’autres absentéistes aux divers
scrutins électoraux, qu’ils votent pour cette même raison un peu plus souvent
avec les partis de gauche et qu’en ce qui les concerne, de manière atypique,
plus forte est la pratique religieuse, plus est vraisemblable le vote en faveur de
la gauche. Soulignons pourtant que le recul de l’État et le retour des
sentiments identitaires poussent certains courants orthodoxes minoritaires à
remettre en question « la loi du royaume est la loi », et à souhaiter la
formation d’une communauté religieuse autonome, assez indifférente au
politique et à toutes les formes de participation politique.
→ religion et politique
Voir les articles de Jean-Marc Chouraqui, de Laurence Podselver, de
Chantal Benayoun et de Sylvie Strudel in BIRNBAUM P. (dir.), Histoire
politique des juifs de France, Paris, Presses de la FNSP, 1990. Et, de manière
plus générale : BIRNBAUM P., Les Fous de la République. Histoire des juifs
d’État, de Gambetta à Vichy, Paris, Points Seuil, 1994 ; « Philosophie et
judaïsme », Critique, janvier 2008 ; DRAÏ R., Identité juive, identité humaine,
Paris, A. Colin, 1995 ; LEIBOVITZ Y., Judaïsme, peuple juif et État d’Israël,
Paris, Lattès, 1985 ; LIEBMAN C., DON-YEHIYA E., Reli gion and Politics in
Israël, Indiana University Press, 1984 ; MENDELSOHN E., On Modern Jewish
Politics, Oxford, Oxford University Press, 1993 ; STRUDEL S., Votes juifs,
Paris, Presses de Sciences Po, 1995 ; WALZER M., LORBERBAUM M., ZOHAR N.
(eds.), The Jewish Political Tradition, New Haven, Yale University Press,
vol. 2, 2000 et 2003.

JUSTICE

Le terme peut désigner dans le langage courant les institutions judiciaires et


l’appareil des tribunaux. Au sens exact, il constitue toutefois la catégorie
morale qui qualifie un type de relation sociale ou politique dans lequel chaque
personne ou chaque collectivité se trouve sanctionnée ou traitée de manière
équitable, soit au regard de leur propre système de valeurs, soit au regard d’un
système de valeurs dominant qui peut dans certains cas contredire le
précédent. Ce qui est juste ou injuste représente par conséquent l’enjeu d’un
débat permanent, même si, dans l’absolu et depuis Platon en particulier, la
justice apparaît comme la première vertu des institutions politiques (s’agissant
de l’adéquation des sanctions à la faute commise). Depuis Aristote, en outre,
le règne de la justice impose que chacun soit traité selon ses mérites.
Cette conception des origines s’est trouvée cependant remise en cause ou
fortement nuancée par la suite. La pensée médiévale a tendu à privilégier la
notion de besoin par rapport à celle du mérite personnel. De relativement
facultative, la charité s’est en quelque sorte transformée en impératif de
justice, notamment avec Thomas d’Aquin. Surtout, le XIX siècle a vu se
e

développer d’une part le concept de justice sociale, sous l’impulsion


notamment de John Stuart Mill, d’autre part l’idée que la peine prononcée
devait être proportionnée au niveau de responsabilité de la personne jugée et
non pas déterminée uniquement par une sorte de barème uniforme contenu par
exemple dans un code pénal.
S’agissant par ailleurs de la dynamique d’autonomie du pouvoir politique et
plus précisément de la formation de l’État, il apparaît que le privilège
d’exercer la justice a représenté, avec la capacité de protéger les gouvernés
contre les menaces extérieures ou internes, l’un des deux grands instruments
de leur légitimation en même temps que de leur contrôle effectif des
populations. La lutte contre toutes les formes de justice privée ou
communautaire a constitué à ce titre l’un des traits dominants de l’histoire de
certains empires et de celle de tous les États.
→ droit naturel, État : État de droit, loi, nature (état de)
COMMAILLE J., KALLUSZYNSKI M. (dirs.), La Fonction politique de la justice,
Paris, La Découverte, 2007 ; RAYNAUD PH., Le Juge et le philosophe, Paris,
A. Colin, 2008 ; VILLEY M., La Formation de la pensée juridique moderne,
Paris, Montchrestien, 1975.
JUSTICE SOCIALE. Cette notion intervient dans le débat politique à partir du
milieu du XIX siècle, à l’initiative notamment de John Stuart Mill. Elle part de
e

l’idée que les processus sociaux se trouvent commandés par des lois qu’il est
possible de discerner et que, par conséquent, les gouvernants avertis de celles-
ci se trouvent en mesure de remodeler la société qu’ils dirigent. Deux
principes alternatifs ou complémentaires vont dès lors conduire les théoriciens
et les artisans de la justice sociale : d’une part celui du mérite ou de la juste
rétribution, d’autre part celui de l’égalité dans la satisfaction des besoins.
Cette seconde conception a débouché dans sa version radicale sur les
doctrines communistes et, dans son interprétation modérée, sur le concept et
sur la pratique de la social-démocratie (qui représentent un compromis entre le
critère du mérite et celui des besoins ou de l’égalité).

De leur côté, les théoriciens utilitaristes à la manière de J. S. Mills ont


prétendu dépas ser la nécessité du choix entre l’égalité et le mérite, en posant
que le problème de la redistribution des richesses devait s’envisager au regard
de ses effets globaux, dans une perspective tendant en définitive à produire la
plus grande somme de bonheur relatif et non nuisible aux autres pour toutes
les catégories de population. De nos jours, dans sa Théorie de la justice, John
Rawls a nuancé cette vision utilitariste en admettant que des inégalités ne
pourraient être tolérées que dans la mesure où elles joueraient aussi au
bénéfice des catégories les plus démunies de la société. Enfin, F. A. von
Hayek et R. Nozick ont condamné le principe de justice sociale de façon
absolue, au nom des principes plus éminents de la liberté personnelle et du
marché face aux menaces d’une bureaucratie qu’ils considèrent comme
attentatoire à l’exercice réel de la démocratie.
BEC C., De l’État social à l’État des droits de l’homme ? Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2007 ; HAYEK F. A. von, The Mirage of Social
Justice, London, Routledge and Kegan Paul, 1976 ; MERRIEN F.-X.,
PARCHET R., KERNEN A., L’État social. Une perspective internationale, Paris,
A. Colin, 2005 ; KIMLICKA W., Les Théories de la justice sociale : une
introduction, Paris, La Découverte, 2003 ; NOZICK R., Anarchy, State and
Utopia, Oxford, Oxford University Press, 1974 ; RAWLS J., Théorie de la
justice, Paris, Seuil, 1987 [1971].
L

LAÏCITÉ

Au sens exact, principe juridique et institutionnel désignant la séparation de


l’Église et de l’État, ou de manière plus extensive celle des confessions
religieuse et de l’autorité politique, ainsi que l’absence qui en résulte de
religion établie (telle que l’anglicanisme en Angleterre ou l’islam au Maroc).
Dans cette perspective, l’indépendance de l’État vis-à-vis de toutes les
confessions et la liberté de croyance vont d’elles-mêmes. Les États-Unis
furent les premiers à avoir donné valeur constitutionnelle à cette notion, en
1791. La France l’a intégrée pour sa part de façon progressive : transfert de la
tenue de l’état civil du clergé à l’État en 1792, primauté du mariage civil sur le
religieux en 1810, abolition du caractère religieux des cimetières en 1881,
laïcité de l’enseignement public en 1881-1882, suppression des prières
publiques à l’ouverture des sessions parlementaires en 1884, séparation
officielle de l’Église et de l’État en 1905, et enfin inscription du principe dans
la constitution de 1946. Le mot lui-même dérive du terme de droit canonique
catholique « laïcs », désignant les fidèles non revêtus du sacerdoce (non-
prêtres ou religieux).
Bien que la séparation de l’Église et de l’État se retrouve dans les
institutions de nombreux pays en Europe et en Amérique en particulier (mais
pas en Angleterre, ni au Danemark ou en Norvège notamment, ou longtemps
dans les cantons suisses), la portée idéologique et conflictuelle de l’idée de
laïcité apparaît toutefois spécialement grande en France (le mot ayant du reste
été longtemps ignoré dans la plupart des langues européennes, qui lui
préféraient ceux de sécularisation ou de séculier). La France est passée à la fin
du XVIII siècle du gallicanisme d’État à la laïcité d’État. Au-delà de sa
e

signification juridique, cette notion y a désigné un corps de valeurs dites


souvent « humanistes » ou « républicaines », non référées à la religion bien
que dérivées en bonne partie des principes évangéliques. Il en découle entre
autres choses que le clivage réel y a moins séparé l’État de l’Église qu’opposé
le « cléricalisme » au « républicanisme », ou l’athéisme officiel à la France
catholique. Cela, alors que se voulant en général exempte de valeurs et de
contenus propres, la laïcité innommée d’autres sociétés a davantage professé
une neutralité affirmée vis-à-vis de toutes les confessions (par exemple et à la
limite, à l’endroit de l’Église de scientologie). En outre, l’importance
historique prise dans les pays catholiques par ce que l’on a parfois appelé la
« querelle scolaire » a considérablement aiguisé le conflit sur la laïcité de
l’État, dans des sociétés où les systèmes d’éducation avaient longtemps été
dominés par l’Église, dans les collèges secondaires en particulier. Dans les
milieux protestants, en revanche, la généralisation d’un enseignement public
non religieux n’a guère posé de problème dans le plus grand nombre des cas,
rendant par là le débat sur la laïcité assez dépourvu d’enjeu jusqu’à une
période récente.
Il convient d’ajouter que le concept de sécularisation, entendu comme le
processus en vertu duquel une société cesse peu à peu de faire appel à la
notion de sacré et à la volonté ou à la révélation divines dans la gestion des
questions temporelles et notamment politiques, prévaut sur celui de laïcité
dans les pays anglo-saxons ou protestants. La situation inverse s’observe en
France, où le terme de sécularisation est même souvent l’objet d’un contresens
dans la mesure où il se trouve confondu avec celui de laïcité. Or un pays peut
fort bien ne pas obéir au modèle institutionnel de la laïcité tout en se révélant
profondément sécularisé (les sociétés britanniques ou scandinaves en offrent
l’exemple). Symétriquement, un État laïque tel que l’État turc, notamment,
peut très bien correspondre à une société très peu sécularisée et toujours
profondément soumise à la religion.
→ catholicisme et politique, islam et politique, laïcité, protestantisme et
politique, religion et politique, sécularisation
BAUBÉROT J., Histoire de la laïcité française, Paris, PUF, 2000 ;
HAARSCHER J., La Laïcité, Paris, PUF, 1996 ; MARTIN D., A general theory of
secularization, Oxford, Basil Blackwell, 1978 ; ROVER J., « Un peuple presque
élu : la laïcité incertaine aux États-Unis », Philosophie politique 7, 1995 ;
SÈVE R. (dir.), La Laïcité, Paris, Dalloz (Archives de philosophie du droit),
2005 ; WILLAIME J.-P., Europe et religions : les enjeux du XXI siècle, Paris,
e

Fayard, 2004.

LANGAGE POLITIQUE

→ communication politique
LEADERS D’OPINION

Les leaders d’opinion jouent un rôle essentiel dans la transmission des


informations ; attentifs aux divers mass media, lecteurs assidus des journaux
et consacrant aussi une large partie de leur temps à l’Écoute de la radio ou de
la télévision, ils reçoivent les premiers les multiples informations. Intégrés à
divers groupes primaires répartis dans tous les groupes sociaux, les leaders
d’opinion appartiennent donc à toutes les catégories sociales. C’est
précisément leur profonde intégration sociale qui fait naître la forte confiance
que leur témoignent tous ceux qui les entourent et sont en contact régulier
avec eux ; de ce face à face source d’intense sociabilité se dégage une
confiance telle que les leaders d’opinion influencent le vote de ceux qui leur
sont proches. Dans ce sens, comme l’a montré Lazarsfeld et ses associés, on
assiste à la mise en place d’une communication à deux niveaux, des mass
media vers les leaders d’opinion et de ceux-ci vers l’homme du commun. La
propagande politique n’a ainsi de chance de pouvoir s’exercer que si elle
transite par ces canaux sociaux privilégiés. Cette interprétation a l’avantage de
rejeter les théories simplistes des foules ainsi qu’une vision sommaire de la
propagande ; elle se trouve néanmoins confrontée de nos jours aux recherches
inspirées par la théorie de l’électeur rationnel qui insiste davantage sur le
choix propre des électeurs s’informant eux-mêmes et Élaborant ainsi leur
propre choix.
→ opinion publique
LAZARSFELD P., BERELSON B., GAUDET H., The People’s Choice, New York,
Columbia University Press, 1968 [1944].

LEADERSHIP

→ charisme, personnalisation

LÉGALITÉ

Ce terme juridique revêt plusieurs significations. Au sens le plus large, il


désigne l’ensemble des normes juridiques en vigueur, par exemple dans
l’expression : « conformément à la légalité en vigueur ». Au sens plus
restreint, il caractérise la conformité d’un acte (administratif notamment) aux
règles de droit hiérarchiquement supérieures : la loi, les prin cipes généraux
du droit, la Constitution et les libertés fondamentales qu’elle proclame dans
son préambule.
Aux yeux du politiste, la légalité est aussi une ressource politique, c’est-à-
dire le moyen pour un acteur de renforcer sa position de pouvoir dans une
situation conflictuelle. Dans un État de droit, la compétence à décider ce qui
est légal confère à la décision prise, ou à prendre, une présomption de
légitimité qui en facilite la mise en œuvre effective, y compris et surtout
contre ceux qu’elle peut éventuellement léser.

LÉGISLATIF (POUVOIR)

→ exécutif/législatif (pouvoirs)

LÉGITIMITÉ

Juan Linz définit la légitimité comme une croyance faisant qu’en dépit de
leurs insuffisances et de leurs défauts, les institutions politiques d’un peuple
lui apparaissent supérieures à toutes les autres formes de gouvernement. Il
s’agit en outre d’une qualité du pouvoir dont l’acceptation se fonde non sur la
coercition comme ressource première, mais sur le consentement réputé libre
de la population qui s’y trouve soumise (consentement opposé à la sujétion).
Ce critère de liberté dans la soumission peut évidemment poser problème dans
certains cas. Toutefois, l’obligation morale d’obéissance repose sur cette
conception de la légitimité du pouvoir politique qui la requiert.
La légitimité découle à la fois de principes de nature symbolique et de
pratiques dont la transgression rompt le consensus. Ces principes et ces
pratiques ont nécessairement varié dans l’espace et dans le temps : autorité
divine ou magique, coutumes ancestrales, hiérarchies lignagères ou
générationnelles, loi dite naturelle, hérédité dynastique, constitutionnalité,
régularité juridique, légitimité démocratique dérivée de l’élection ou d’une
dynamique populiste. Cependant, la légitimité constitue bien, dans toutes les
circonstances, l’élément de portée sociale et intime à la fois qui fait accepter
volontairement par les gouvernés l’autorité des gouvernants. Elle dérive moins
de la conformité d’un ensemble de règles formelles que de la symbolique d’un
imaginaire politique en général sans alternative dans une société et à un
moment donnés, ou encore d’un système de valeurs. Il faut ajouter que cette
dimension normative et éthique n’épuise pas la notion de légitimité. Celle-ci
doit s’appréhender également au niveau descriptif, dans sa prégnance
effective, en ce sens qu’elle est toujours à consolider et que le simple
acquiescement passif fonde l’obligation d’obéissance de la plupart des
gouvernés y compris dans les démocraties.
→ autorité, obligation politique, valeur
WEBER M., Œuvres politiques (1895-1919), Paris, Albin-Michel, 2004.
LÉGITIMITÉ (TYPES DE). Max Weber distingue trois grands types de
domination légitime. Lorsque la domination est rationnelle et légale,
l’obéissance se trouve régie par des règles abstraites, le détenteur du pouvoir
légal est lié par cette dimension impersonnelle tout comme celui qui subit ce
pouvoir ; c’est comme citoyen qu’il accepte la légitimité d’un pouvoir légal
justifié par la compétence de celui qui l’exerce ainsi que par une totale
absence de dimension personnelle ; le type le plus pur de ce mode de
domination se fait jour dans le cadre de la direction administrative
bureaucratique. Weber oppose cette domination légitime à la domination
traditionnelle ; la légitimité de cette dernière repose cette fois sur le sacré :
« Le détenteur du pouvoir est déterminé en vertu d’une règle transmise. On lui
obéit en vertu de la dignité personnelle qui lui est conférée par la tradition. »
Le caractère interpersonnel de ce type de domination est donc nettement plus
marqué ; du coup, ceux qui obéissent entrent souvent dans des rapports de
dépendance de type patrimonial. Weber décrit enfin la domination
charismatique dont la légitimité repose sur les qualités extraordinaires de celui
qui la détient et à travers laquelle se constitue une « communauté
émotionnelle » rassemblant les disciples, les fidèles ou encore, les hommes de
confiance. Ces types purs ne se produisent que très rarement et l’on assiste
fréquemment à leur combinaison ; ils peuvent aussi se succéder les uns les
autres, Weber n’entrant toutefois pas dans une conception évolutionniste de la
légitimité où un grand type succéderait, au cours de l’évolution de l’histoire, à
un autre. À ses yeux, il arrive donc que l’on puisse passer de la légitimité
rationnelle à la légitimité charismatique et, inversement, le détenteur d’un
pouvoir plébiscitaire peut tenter de s’appuyer sur une direction administrative
légale.
→ charisme, domination (types de), tradition
WEBER M., Œuvres politiques (1895-1919), Paris, Albin-Michel, 2004.
LÉNINISME

Lénine donne au marxisme une dimension volontariste et remet ainsi


quelque peu en question l’évolutionnisme qui se fait jour dans cette
interprétation de l’histoire. Dans la mesure où l’État, davantage encore que
chez Marx, n’est perçu que comme un instrument de violence et d’oppression,
il importe de l’abattre le plus vite possible par l’utilisation déterminée d’une
autre violence mise en œuvre par le parti révolutionnaire. Pour lui, « la
nécessité de la révolution violente est à la base de toute doctrine de Marx et
d’Engels ». Dans L’État et la Révolution, Lénine s’attaque à tous ceux qui
freinent la « nouvelle révolution », de Kautsky aux mencheviks : contre la
II Internationale, Lénine affirme le primat de l’insurrection armée devant
e

permettre de « briser » l’État de la bourgeoisie. Pour le remplacer, il évoque


sans cesse la Commune de Paris qui, selon lui, avait su détruire l’État et
mettre en place des structures autogestionnaires ; en se référant inlassablement
à la Commune, Lénine justifie son propre projet de transformation intégrale
du pouvoir politique, la dictature du prolétariat symbolisant cette Commune
de Paris libérée. En réalité, le pouvoir des soviets s’identifiera étroitement à
celui du parti tout puissant, centralisé, discipliné, peu favorable aux élections
aux suffrage universel, animé par les « professionnels de la révolution » qui,
ayant quitté la production, peuvent seuls s’élever à la conscience claire de
l’histoire. Hostile au trade-unionisme, Lénine souhaite, dans Que faire ?, la
formation d’un parti qui « de l’extérieur » d’une société aliénatrice, mène à
son terme l’action révolutionnaire. Le parti incarne à ses yeux le peuple lui-
même, un peu comme les jacobins estimaient représenter eux aussi le peuple
en récusant toute autre structure de représentation. Dans la mesure où là
encore la société est censée devenir homogène, un parti-État unique s’impose.
Le dépérissement de l’État mène alors à son remplacement par un parti unique
axé sur la vérité et dont la légitimité ne saurait être contestée tant c’est à
travers lui qu’est supposée se réaliser la fusion État-Peuple.
→ dictature : Dictature du prolétariat, jacobinisme, marxisme, partis
politiques : Parti unique
ANWEILER O., Les Soviets en Russie, Paris, Gallimard, 1972 ; COLAS D., Le
Léninisme, philosophie et sociologie du léninisme, Paris, PUF, 1998, coll.
« Quadrige ».
LIBÉRALISATION

→ démocratisation
Libéralisme
À l’encontre d’une vision moniste et homogène de la société qui se fait jour
aussi bien chez Hobbes que chez Rousseau, les théoriciens de libéralisme
entendent favoriser la représentation politique des multiples intérêts. Cette
tradition libérale, demeurée relativement secondaire dans l’histoire française,
est illustrée, par exemple, par Tocqueville mais aussi, et bien davantage
encore, par Benjamin Constant ou encore Prévost-Paradol. Rejetant la
dimension purement abstraite et uniforme de la volonté générale issue du
courant révolutionnaire de 1789 sans pour autant adhérer à la pensée
réactionnaire, ces auteurs trouvent dans le monde anglo-saxon la source de
leur inspiration. Benjamin Constant donne au libéralisme français ses lettres
de noblesse : dans De l’esprit de conquête et de l’usurpation (1814), il
souligne d’emblée que « l’opinion générale ne se compose que des opinions
particulières » ; et, contre la conception que les anciens se faisaient de la
liberté en participant au pouvoir politique tout en renonçant à défendre une
« indépendance privée », contre tous les révolutionnaires s’inspirant de ces
seuls modèles antiques, contre l’abbé Sièyes qui « détestait la liberté
individuelle en ennemi personnel », il écrit : « c’est au nom de la liberté qu’on
nous a donné des prisons. » Selon lui, comme il l’affirme dans son discours
De la liberté des anciens comparée à celle des modernes, « notre liberté à
nous doit se composer de la jouissance paisible de l’indépendance privée […]
L’indépendance individuelle est le premier besoin des modernes ; en
conséquence, il ne faut jamais leur en demander le sacrifice pour établir la
liberté ». Face aux courants du catholicisme intransigeant, de la réaction
organiciste ou encore, du socialisme, ce libéralisme est demeuré assez faible.
Beaucoup de courants de pensée souhaitaient faire jouer un rôle majeur à un
État interventionniste : les uns sur le plan scolaire avec une conception
offensive de la laïcité, les autres sur le plan économique (protectionnisme
agricole et industriel), d’autres encore acquis à une vision réformiste ou
révolutionnaire de la société. Dans un sens plus courant et actuel, le terme de
libéralisme désigne une orientation centrée sur l’économie de marché, les
privatisations, la libre circulation des marchandises, des services et des
moyens financiers, réduisant l’intervention économique de l’État à la portion
congrue et accordant même la suprématie à l’ajustement par le marché plutôt
qu’à la régulation politique. L’expression néo-libéralisme a pratiquement
acquis la même signification.
→ démocratie, individualisme, libertariens, pluralisme
ARMSTRONG KELLY G., The Humane Comedy. Constant, Tocqueville and
French Liberalism, Cambridge, Cambridge University Press, 1992 ; BERLIN I.,
Éloge de la liberté, Paris, Presses Pocket, 1990 ; CONSTANT B., « De la liberté
des anciens comparée à celle des modernes », in De l’esprit de conquête et de
l’usurpation, Paris, Flammarion, 1986 ; HOLMES S., Benjamin Constant et la
genèse du libéralisme politique, PUF, 1994 ; MACPHERSON C. B., La Théorie
politique de l’individualisme possessif. De Hobbes à Locke, Paris, Gallimard
(Folio), 2004 [1971] ; MANENT P., Les Libéraux, 2 vol., Paris, Pluriel, 1986 ;
RAWLS J., Libéralisme politique, PUF, 1995.

LIBERTARIENS

Les libertariens américains défendent une théorie normative qui, assignant à


l’État un rôle minimal de protection des citoyens contre l’usage de la force
indue, le vol, la fraude ou le non-respect des contrats, postule que celui-ci
viole les droits individuels lorsqu’il outrepasse ce rôle. Robert Nozick est le
représentant le plus éminent de cette école qui s’est développée aux États-
Unis surtout dans les années 1970.
→ libéralisme, libertés publiques
BERTEN A. et al., Libéraux et communitariens [Textes choisis], Paris, PUF,
1997 ; HAYEK F. A., La Route de la servitude, Paris, PUF-Quadrige, 1985
[1945] ; NOZICK R., Anarchy, State and Utopia, New York, Basic Books,
1974.

LIBERTÉ/ÉGALITÉ

Du point de vue de la science politique, ce qui importe est de cerner non pas
les contenus philosophiques de ces concepts majeurs de l’histoire de la
pensée, mais les représentations que peuvent s’en construire les différents
agents sociaux et, surtout, les usages qu’ils en font pour mieux légitimer leurs
attentes ou leurs exigences. À cet égard les deux termes gagnent à être mis en
relation étroite car, dans les règles du jeu démocratique, ils se « répondent ».
Ces deux valeurs de référence ont d’abord ceci en commun qu’elles ne
correspondent nulle part à une complète concrétisation sociale. L’égalité
s’entend non pas comme égalité réelle des conditions, ce qu’aucune société
contemporaine développée n’approche, même de très loin ; elle signifie
égalité des droits, donc l’acceptation en pratique d’innombrables inégalités
effectives. La liberté est un concept philosophique au contenu fluide (que
représente exactement le libre-arbitre au regard des innombrables modalités
du contrôle social ?). De toute évidence on ne peut entendre au pied de la
lettre la définition donnée par l’article 4 de la Déclaration de 1789 : « La
Liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » ;
d’innombrables activités professionnelles (et politiques) par exemple
deviendraient impossibles à exercer. Dans une démocratie, elle recouvre
essentiellement l’exercice des libertés publiques constitutionnellement
consacrées : ce qui n’est pas rien, mais n’épuise évidemment pas la richesse
des significations virtuelles du terme.
Politiquement parlant, l’importance de ces concepts majeurs réside dans
leur efficacité symbolique. Grâce à leurs connotations émotionnelles positives
elles recèlent une grande capacité mobilisatrice pour l’action collective et cela,
d’autant plus que les significations susceptibles de leur être attachées sont
presque illimitées. En effet l’attachement à la liberté ne légitime pas les
mêmes aspirations ni les mêmes intérêts chez le petit commerçant ou chez le
journaliste, chez le médecin libéral ou dans les professions d’éducateur. Et
comme entre les faibles et les forts (pour parler comme Lacordaire) la liberté
confère manifestement un avantage aux dominants, la revendiquer constitue
un moyen de dire socialement quelque chose qui ne serait pas recevable sans
risque politique : à savoir la justification de l’agressivité. La liberté est en effet
invoquée comme excuse, et légitimation, de la compétition la plus âpre,
parfois la plus cruelle dans ses conséquences, aussi bien sur le terrain
économique de la concurrence entre firmes que sur celui des pratiques
médiatiques en matière d’information. Mais, précisément, la revendication
également légitime de l’égalité introduit un rééquilibrage symbolique au profit
des dominés. Justifiant l’expression des mécontentements, des insatisfactions
ou des revendications, elle habille d’un voile de respectabilité politique ce qui
n’est parfois que revendication de privilèges ; plus largement elle contribue à
la recevabilité dans le débat démocratique de contestations multiples qui, bien
loin d’ébranler les assises du régime politique, permettent au contraire d’en
démontrer l’ouverture et la capacité de les prendre en charge sans drame
institutionnel majeur. Ainsi ces deux mots clés du vocabulaire démocratique
sont-ils constamment sollicités dans le débat politique à la fois parce qu’ils
portent en eux un exceptionnel pouvoir de légitimation et de mobilisation,
mais aussi parce qu’ils créent dans la société l’illusion d’un partage de valeurs
communes, en raison de la diversité des projections qu’ils peuvent accueillir.
→ démocratie, symbolique politique
LIBERTÉ DES ANCIENS/LIBERTÉ DES MODERNES
→ libéralisme
Libertés publiques
Dans un État de Droit, ce sont des prérogatives reconnues aux citoyens, et
plus largement à tout individu (étranger, enfant mineur) qui permettent de
concrétiser face à la Puissance publique un espace d’initiative individuelle ou
collective. Elles sont généralement proclamées par une norme juridique de
nature constitutionnelle de telle sorte qu’elles s’imposent à tous les organes de
l’État y compris au Parlement dont les lois peuvent alors faire l’objet d’un
contrôle de constitutionnalité (aux États-Unis par la Cour suprême, en
Allemagne par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, en France par le
Conseil constitutionnel).
Du point de vue du politiste, les libertés publiques sont à la fois des enjeux
du débat politique et des moyens d’action (ressources politiques). Dans le
premier cas, elles sont fréquemment mises en balance, explicitement ou non,
avec des considérations de sécurité, de « raison d’État » ; dans le second, elles
apparaissent indissociablement liées à la participation de type démocratique
(suffrage universel, discussion publique des options politiques, droits de
l’opposition).
Les libertés publiques peuvent être regroupées autour de quatre pôles :
– les libertés de la personne (liberté individuelle, liberté de conscience et
liberté religieuse, liberté d’opinion) ;
– les libertés de communication (liberté de réunion, liberté de presse,
d’information, de communication audiovisuelle, liberté d’enseignement) ;
– les libertés à caractère économique (propriété, liberté d’entreprise, liberté
du travail) ;
– les libertés-modes collectifs d’action (liberté d’association, liberté
syndicale, droit de grève).
→ démocratie, Droits de l’Homme, État : État de droit, libertariens
CHEVALLIER J., L’État de droit, Paris, Montchrestien, 1999 ; LEBRETON G.,
Libertés publiques et droits de l’Homme, Paris, Sirey, 2009 ; OBERDORFF H.,
Droits de l’Homme et libertés fondamentales, Paris, LGDJ, 2008 ; SUDRE F.,
Droit européen et international des droits de l’Homme, Paris, PUF, 2008.

LINKAGE

Terme issu de la langue anglaise utilisé par James Rosenau pour


conceptualiser les relations qui articulent l’interne et l’externe, et donc les
correspondances nombreuses qui s’établissent entre la politique étrangère et la
politique intérieure d’un État. En mettant ainsi en évidence la « perméabilité
des États », Rosenau et d’autres auteurs (par ex. Andrew Scott) ont révélé la
nature trompeuse et confuse de la distinction entre politique intérieure et
politique extérieure, suggérant ainsi la fragilité et, en fin de compte, la faible
portée opératoire des hypothèses tirées des conceptions les plus radicales de la
théorie réaliste des relations internationales. Ils invitent à une lecture au
contraire interactive de l’interne et de l’externe (prise en compte des opinions
publiques, des stratégies de pouvoir sur la scène politique nationale, des
enjeux structurant celle-ci, etc.).
→ international (scène internationale), réseau (concept de)
ROSENAU J., Linkage Politics. Essays on the Convergence of the National
and International Systems, New York, Free Press, 1969 ; SCOTT A., The
Revolution in Statecraft, Durham, Duke University Press, 1962.

LITURGIE POLITIQUE

Les gouvernants et dirigeants politiques ont besoin de mettre en scène leur


pouvoir, de mobiliser des signes et des symboles afin de faciliter l’exercice de
leur domination. En réac tivant à leur profit des sentiments tels que le respect,
la déférence ou la crainte, ces liturgies renforcent leur capacité d’intervention
pour gérer les conflits qui traversent la société : conflits d’intérêts et
d’aspirations, conflits de mémoires ou de valeurs de référence. Les liturgies
politiques se déploient non seulement sur le registre de l’ostentation : donner à
voir avec une particulière intensité, mais aussi celui de la répétition soigneuse
des signifiants. En effet, comme l’écrit René Girard, « le rite ne reste rite que
s’il maintient l’expression conflictuelle dans des formes rigoureusement
déterminées ».
Règles protocolaires, cérémonies et rituels ont pour première fonction
d’ordonner rigoureusement l’espace symbolique et de focaliser l’attention sur
un « centre » (cf. C. Geertz). Tout cérémonial repose sur l’assignation à
chacun d’une place précise, à distance situable du foyer où se condense
l’enjeu du rite. Ainsi s’établit une séparation symbolique radicale entre public
et officiants, représentés et représentants qui a pour effet de rehausser leur
autorité légitime, ceux-ci apparaissant avec un statut qui les qualifie comme
locuteurs spécialement « autorisés » par rapport au commun des mortels. Ce
type de rites fonctionne, explicitement ou non, à l’intimidation. Illustration
particulièrement évidente : le déploiement des honneurs militaires devant le
chef de l’État lors de la fête nationale. Mais tout décorum tend à créer la
distance déférente qui facilite l’intériorisation du respect dû à l’institution
politique (on le repère même dans le déroulement d’un grand meeting
électoral ou dans l’intervention officielle à la télévision d’un premier
ministre).
Les liturgies politiques visent également à canaliser l’imaginaire en
imposant, à travers des rites choisis, des systèmes déterminés de
représentations et de perceptions. Dans les commémorations officielles
d’événements tragiques (l’armistice du 11 novembre auquel est associé le
souvenir des morts de la guerre, la journée de la déportation, etc.) le choix des
lieux, la qualité des intervenants, la nature des prises de paroles, tout
s’ordonne aux fins de réactiver et canaliser dans une direction donnée
l’émotion suscitée par l’événement. Ainsi les cérémonies aux morts sont-elles
axées sur le thème du sacrifice des meilleurs et celui de la dette que les
vivants ont contractée ; d’autres thèmes possibles, tels que l’horreur de la
guerre, l’inutilité des massacres, la responsabilité des gouvernants sont alors
soigneusement forclos. Fréquemment il s’agit en effet d’imposer des
représentations consensuelles, du moins au niveau du groupe concerné : ici en
l’espèce, la communauté nationale ; mais ce peut être aussi l’ensemble des
militants d’un parti rassemblés en congrès, les troupes d’un corps d’élite, les
membres d’un grand Corps, etc., chaque milieu particulièrement homogène
secrétant ses codes spécifiques.
Enfin, certaines liturgies politiques tendent plus particulièrement à
positionner rigoureusement chaque acteur dans une hiérarchie visible. C’est la
fonction de l’étiquette. On sait par exemple combien, sous la monarchie de
Louis XIV, celle-ci pouvait être méticuleuse. Dans ses Mémoires, Saint-
Simon, duc et pair, consacre de longues pages indignées (affaire dite du
Bonnet) à « l’usurpation » des présidents à mortier au Parlement de Paris qui
ont progressivement pris l’habitude, quand ils opinent en présence du roi, de
rester couverts, à l’instar des princes du sang et pairs de la Couronne
auxquels, selon Saint-Simon, ils ont l’impudence de s’assimiler. Mais les
règles minutieuses de l’étiquette n’appartiennent pas au passé ; elles ont
simplement changé de contenu, comme le montre l’examen détaillé du
protocole de la République. L’enjeu en effet demeure la régulation maîtrisée
des convoitises et compétitions de pouvoir ainsi que l’instauration/exhibition
d’un « ordre ».
→ anthropologie politique, symbolique politique
ABÉLÈS M., Un ethnologue à l’Assemblée, Paris, Odile Jacob, 2000 ;
« Mises en scène et rituels politiques », Hermès (8-9), 1991 ; BEN-AMOS A.,
Funerals, Politics and Memory in Modern France (1789-1996), Oxford,
Oxford University Press, 2000 ; BOURDIEU P., Langages et pouvoir
symbolique, Paris, Seuil, 2001 ; « Les rites comme actes d’institution »,
Archives de la recherche en sciences sociales (43), 1982 ; CORBIN A. (dir.),
Les Usages politiques des fêtes aux XIX et XX siècles, Paris, Publications de la
e e

Sorbonne, 1994 ; KERTZER D., Rites, politique et pouvoir, Paris, La


Découverte, 1992 ; RIVIÈRE C., Les Liturgies politiques, Paris, PUF, 1988.

LOBBY

→ groupes de pression

LOI

Ce concept comporte trois significations. La plus courante désigne une


norme écrite de l’ordre juridique d’un État ou d’une collectivité politique,
édictée et promulguée par l’autorité législative compétente en la matière
(d’autres termes ayant pu être utilisés à ce propos, tels ceux d’édit, de senatus
consulte ou d’ordonnance). La deuxième acception s’applique à des
ensembles non codifiés de catégories morales ou encore à des aphorismes liés
en fait à ces catégories même s’ils les contredisent (de la loi divine ou de la loi
morale à la loi du plus fort en passant par la loi du talion). Enfin, le terme de
loi peut revêtir une dimension descriptive ou réputée scientifique, lorsqu’il se
réfère à l’observation de régularités ou nécessités dans l’ordre de la nature ou
dans celui des processus sociaux (lois du mouvement, de la génétique, loi de
l’ordre de l’offre et de la demande…).
Dans le premier sens, la loi ou norme légale jouit d’un statut inférieur à la
norme constitutionnelle, cependant qu’elle l’emporte au contraire sur les
décrets et règlements ministériels qui n’en sont dans les circonstances
ordinaires que les prolongements (décrets d’application de la loi, par ex.). Il
faut se garder en outre, à ce propos, de la confusion que la langue anglaise
entretient entre la loi (law) et le droit (traduit aussi par law, par ex. dans
natural law, doit naturel, canon law, droit canon, common law, droit
coutumier anglo-saxon, ou dans international law, droit international).
→ droit naturel, État : État de droit, légalité
BÉCANE J.-C., COUDERC M., La Loi, Paris, Dalloz, 1994 ; HART H. L. A.,
The Concept of Law, Oxford, Oxford University Press, 1961 ; KELSEN H., La
Démocratie. Sa nature, sa valeur, Paris, Economica, 1988 [1929] ;
MC CORMICK N., WEINBERGER O., An Institutional Theory of Law, Dordrecht,
Reidel, 1986.

LOYALTY

Ce concept renvoie directement à la problématique exposée par Albert


Hirschman lorsqu’il propose d’analyser le comportement de tout acteur social
à partir des notions de sortie, de loyauté et de prise de parole. À ses yeux, et
par analogie avec les réactions des consommateurs face à l’évolution
considérée comme favorable ou, au contraire, comme défavorable de produits
qui leur sont familiers, tout individu, sur le marché politique cette fois, peut
choisir de demeurer loyal vis-à-vis d’un parti politique même si celui-ci ne lui
donne plus satisfaction, s’il considère aussi que son fonctionnement ou encore
ses valeurs ne correspondent plus à ses attentes ; il peut aussi décider, à un
certain moment, de prendre la parole pour tenter de changer l’évolution des
choses, pour protester, se faire entendre des instances dirigeantes ou des élites
afin de se sentir mieux représenté par la politique générale de ce parti ; il peut
enfin se résigner à sortir, à quitter une organisation à laquelle il a longtemps
été fidèle, grâce à laquelle il a éventuellement construit sa propre personnalité,
un lieu de sociabilité autrefois essentiel au maintien de sa propre personnalité
et dont il tirait les rétributions les plus variées. Chaque stratégie obéit à une
logique dont les coûts et les gains sont contrastés : la « déception » ressentie
devant la transformation d’un parti ou d’une organisation politique peut ne pas
remettre en question la loyauté ; dans ce sens, la prise de parole demeure
souvent une forme de loyauté ; dans d’autres circonstances pourtant dont
l’acteur est seul juge, cette déception pousse au contraire à la rupture, à la
sortie. Ces notions réhabilitent le choix des acteurs et s’appliquent aussi bien à
une organisation qu’à une famille ou encore, une nation. On rencontre alors, à
travers cette problématique, par exemple, la question de l’Émigration, autre
forme de sortie, de transfert de loyauté. A. Hirschman a lui-même appliqué
récemment son modèle à l’analyse des stratégies produisant la désintégration
de l’Allemagne de l’Est et son intégration à l’Allemagne fédérale.
HIRSCHMAN A., Défection et prise de parole, Paris, Fayard, 1995 ; Un
certain penchant à l’autosubversion, Paris, Fayard, 1995.

LUSTRATION

Terme en usage officiel en Europe centrale et orientale pour désigner les


mesures d’épuration prises à l’encontre des anciens responsables
communistes. La première loi de lustration et la plus radicale fut promulguée
en République tchèque en 1991.
→ communisme, démocratisation
M

MAGNA CARTA

Charte écrite imposée par les barons anglais au roi Jean sans Terre
(juin 1215), pour le contraindre à reconnaître et protéger les libertés et les
privilèges de la noblesse anglaise. Cassée par le Pape Innocent III qui releva
Jean sans Terre de ses serments, elle n’en constitue pas moins un document
décisif, tant du point de vue des libertés publiques que du droit
constitutionnel.
Sur le plan des libertés, elle consacre le premier Habeas Corpus en
interdisant toute détention, mise hors la loi ou exil qui n’aient été décidés par
un jugement légal. Sur le plan constitutionnel, elle scelle la première
expression écrite d’une limitation légale de l’arbitraire monarchique, en
instituant un Conseil de surveillance dont la fonction est de veiller à
l’application réelle de la Charte. En cela, elle annonce, avec le complément
des Provisions d’Oxford (mai-juin 1258), la création d’institutions
parlementaires.
À usage exclusif de la noblesse (étendu à la bourgeoisie londonienne), ce
document n’avait pas, dans le contexte de l’époque, cette valeur et cette
orientation universalistes (encore moins démocratiques) que lui a prêtées, plus
tard, l’historiographie anglaise de la période victorienne.
→ libertés publiques, parlement

MAINTIEN ET IMPOSITION DE LA PAIX

Types d’interventions prévus par la Charte des Nations Unies, dans le cadre
de son chapitre VI consacré au « règlement pacifique des conflits » (maintien
de la paix) ou de son chapitre VII prévoyant des actions destinées à imposer la
paix au cas où celle-ci serait menacée ou rompue (imposition de la paix). Dans
les deux cas, les opérations sont décidées par la Conseil de sécurité et
supposent la mobilisation de contingents militaires volontairement fournis par
des États-membres qui assurent leur équipement et leur entretien.
La distinction entre ces deux types d’opérations n’a jamais été très claire
dans la réalité, comme le suggèrent en particulier celles menées au Congo ex-
belge (ONUC, 1960) ou dans l’ex-Yougoslavie dans les années 1990. Pour
cette raison, on a pu parler d’opérations conduites selon les modalités du
« chapitre VI et demi » de la Charte. Les opérations de maintien de la paix
relevant à la lettre du chapitre VI (peace-keeping) ont en outre évolué au sortir
de la Guerre froide, en se dégageant de la seule logique d’interposition pour
contribuer à créer les conditions d’une paix civile et politique effective
(peace-making), ainsi que le montrent les exemples de la Namibie (GANUPT,
1989-1990), où il s’agissait de garantir l’accès à l’indépendance, ou du
Cambodge (APRONUC, 1993), où l’objectif était la tenue d’élections libres.
On parle volontiers alors « d’opérations de deuxième génération ».
De même, la fin de la bipolarité a revitalisé les opérations du chapitre VII
(peace enforcement), avec des succès d’ailleurs inégaux (Guerre du Golfe en
1991, ou opération ONUSOM en Somalie en 1992). Même si ces opérations
s’inscrivent dans le projet global de sécurité collective, auparavant gelé au-
delà de l’action menée par l’ONU en Corée (1950), elles restent encore peu
probantes, tant dans leur efficacité que dans leur nature (opérations de guerre
ou opérations humanitaires ? opérations onusiennes ou opérations de super-
puissance ?).
→ ingérence, international, sécurité
BERTRAND M., L’ONU, Paris, La Découverte, 2000 ; COULON J. (dir.),
Guide du maintien de la paix, Montréal, Athéna/CEPES, 2004 ; TAYLOR P.,
GROOM A. J. R. (eds.), International Institutions, Londres, Pinter, 1990 ;
HILL S. M., MALIK S. P., Peacekeeping and the United Nations, Aldershot,
Asggate, 1996.

MAJORITAIRE (PRINCIPE)

Lié à l’exercice démocratique du pouvoir au sein de nos sociétés modernes,


le principe majoritaire est néanmoins de statut incertain dans la théorie du
droit constitutionnel. Il repose sur le postulat que l’expression majoritaire
constitue la meilleure approche de l’expression de la souveraineté populaire.
D’une part, parce qu’elle maximise les chances de reproduire l’intérêt général,
d’autre part, parce qu’elle confère aux gouvernants le moyen le plus sérieux
de combiner puissance et légitimité.
Il reste pourtant à déterminer si le principe majoritaire est un fondement
absolu de la démocratie ou s’il ne s’impose que comme technique
d’expression de la souveraineté populaire. Dans le premier cas, la majorité
incarne par principe la souveraineté et toutes ses décisions, quelles qu’elles
soient, sont indiscutables : telle est notamment l’orientation de la pensée
jacobine. Dans le second cas, le principe majoritaire revêt essentiellement une
valeur instrumentale et sa légitimité serait, de toute manière, inférieure à
d’autres principes, comme le respect du droit et de ses principes généraux ou
la protection de la minorité. Cette restriction engage notamment le contrôle
juridictionnel des actes législatifs établis par les majorités parlementaires.
Comme technique de gouvernement, le principe majoritaire peut également
être mis en cause par les différentes formules du gouvernement minoritaire.
→ démocratie, élection, minorité, souveraineté
MANIN B., « Volonté générale ou délibération ? Esquisse d’une théorie de
la délibération », Le Débat (33), janv. 1985 ; POUVOIRS, « La Démocratie
majoritaire », Paris, PUF, 1998 [1985].

MANAGEMENT PUBLIC

Cette expression dérivée de l’anglais est apparentée moins à un concept


substantiel de la science politique qu’au vocabulaire des experts de
l’administration. Elle relève du nouveau lexique des politiques publiques et de
la gouvernance locale. Dans la variante New Public Management (NPM), elle
évoque, sans trop de précision, des pratiques de gestion fondées sur une
symbiose entre acteurs publics, privés ou associatifs. Surtout, elle suggère la
nécessité d’emprunter au secteur privé et aux principes de l’économie de
marché de nouvelles règles de gestion de l’administration publique, dans une
perspective post-bureaucratique. Le management public s’est transformé en
matière enseignée parfois sous ce nom dans les centres de formation
administrative. La revue Politiques et Management public se présente comme
l’organe de ce courant.
→ choix rationnel (Théorie du), gouvernance, Gouvernance multi-
niveaux, policy communities, politiques publiques
CHATY L., L’Administration face au management, Paris, L’Harmattan,
1997 ; HURON D., SPINDLER J. (dir.), Le Management public en mutation, Paris,
L’Harmattan, 2008 ; MERCIER J., L’Administration publique. De l’école
classique au nouveau management public, Sainte Foy, Presses de l’Université
Laval, 2002.

MARCHÉ (DÉMOCRATIE ET)

L’expression peut d’abord faire référence à l’interdépendance des


mécanismes de la démocratie pluraliste avec ceux de l’économie libérale. De
manière plus normative, elle désigne le lien entre démocratie et liberté
d’entreprise – le libre jeu du marché – défendu notamment par Hayek pour qui
la société libre et démocratique ne peut naître et se maintenir que dans de
telles conditions. Cette conception sur laquelle Charles Lindblom se fonde
pour différencier les régimes de gouvernement, constitue aujourd’hui la vision
dominante des conditions de succès des transitions démocratiques dans les
pays européens issus de la mouvance soviétique. Dans un tout autre sens, la
même expression renvoie à un mode de description de la démocratie pluraliste
comme un marché politique formé par la rencontre d’une offre électorale (les
programmes des candidats) et d’une demande (les attentes des citoyens).
→ démocratisation, marché politique
LINDBLOM C. L., Politics and Markets, New York, Basic Books, 1971 ;
ROSANVALLON P., Le Libéralisme économique. Histoire de l’idée de marché,
Paris, Seuil, 1989.

MARCHÉ POLITIQUE

Concept né de l’intégration, au sein de la science politique, des paradigmes


utilitaristes, issus en particulier de l’individualisme méthodologique et des
théories du rational choice. Postulant une similitude des comportements entre
l’homo politicus et l’homo œconomicus, il suppose que l’interaction entre
gouvernants et gouvernés s’effectue partiellement, du moins dans les systèmes
pluralistes occidentaux, au sein d’un espace confrontant offres et demandes.
Les premières sont produites par les gouvernants agissant ainsi conformément
à une rationalité d’entreprise et visant à maximiser leur capacité de réponse
aux demandes formulées par les gouvernés assimilables alors à des
consommateurs-clients. Dans le « marché électoral », l’interaction met ainsi
en relation des offres programmatiques élaborées par les partis à des
demandes monnayables en voix. Ce type de construction marginalise le rôle
de valeurs et des fidélités partisanes, pour promouvoir, au contraire, la vision
d’un électeur individualiste et rationnel. Dans un sens moins rigoureux, mais
de plus en plus répandu, le concept de marché politique désigne l’ensemble
des processus interactifs unissant gouvernants et gouvernés. L’idée qu’il
existe un marché politique et, en particulier, un marché électoral où les
politiciens en concurrence agiraient selon une logique rationnelle assez
analogue à celle des entrepreneurs économiques dérive à l’origine des théories
élitistes de Gaetano Mosca et de Joseph Schumpeter, nuancées ensuite
fortement par Anthony Downs et Mancur Olson (dans une perspective moins
mécaniste, référée plutôt au calcul rationnel proprement dit). De leur côté,
T. Schelling ou I. W. Zartmann ont sollicité cette notion par référence aux
ajustements réciproques des compétiteurs politiques.
→ comportement politique, démocratie, économique (analyse), élitistes
(théories)
BALME R., « La Rationalité et les fondements de la démocratie », L’Année
sociologique, 1997 (47), pp. 17 sq. ; DOWNS A., Economic Theory of
Democracy, New York, Harper and Row, 1957 ; MAYER N. (dir.), Les
Modèles explicatifs du vote, Paris, L’Harmattan, 1997.

MARGINALITÉ POLITIQUE

Des situations extrêmement différentes peuvent être considérées comme


relevant de la marginalité. Tout d’abord, apparaissent les attitudes et
comportements qui s’inscrivent dans la perspective d’un rejet du politique :
refus du vote, de l’inscription sur les listes électorales, de toute forme de
militantisme et de participation à la vie publique. Ces comportements de
« sortie » (selon la terminologie de Hirschmann) expriment parfois un haut
degré d’insatisfaction à l’égard du système politique corrélé, le cas échéant,
avec un fort niveau de politisation. Ils peuvent également ne relever que d’une
indifférence foncière à l’égard de la politique, c’est-à-dire d’une attitude de
non-attente radicale.
Une autre forme de marginalité concerne certaines catégories d’acteurs mal
intégrées dans les règles du jeu politique routinier, soit parce qu’elles sont
tenues à l’écart à raison de leur faible représentativité, soit parce qu’elles
récusent, au moins en partie, les normes démocratiques. Parmi ces dernières
les formations qualifiées d’extrémistes sont celles qui recourent, ou prônent, le
recours à la violence, ou encore manifestent une forte agressivité dirigée
contre des groupes sociaux, religieux ou ethniques. Elles se mettent donc en
marge du fait de leur refus de se plier à la règle majeure du combat politique
(stricto sensu) qui est la forclusion de la violence. Cette stratégie implique
généralement la dévalorisation de ces tests de représentativité que constituent
les scores électoraux.
Les formations marginales tentent de (ou réussissent à) s’imposer par la
radicalité de leur langage et de leurs pratiques politiques, en rupture au moins
partielle avec les codes de fonctionnement des autres partis et leaders
politiques. Leur discours plus abrupt cherche à imposer sur la scène politique
des problèmes laissés à l’écart par les autres formations : refus du réformisme
dans le mouvement ouvrier, chez les gauchistes ; refus du nucléaire civil et
militaire, chez les premiers écologistes ; refus de l’immigration, au Front
national. Leur marginalité électorale leur permet d’aborder avec succès des
thèmes qui diviseraient l’électorat, plus nombreux et plus composite, des
« Grands ». Plus exactement ces thèmes en jachère leur assurent un premier
positionnement sur l’échiquier politique ; sans eux ils ne pourraient exister.
Ainsi contribuent-ils, pour le meilleur parfois ou pour le pire dans d’autres
exemples, à élargir le débat démocratique. Mais le dilemme spécifique des
formations marginales résulte précisément du fait que les pratiques politiques
qui les ont fait accéder à l’existence sont de nature à les enfermer dans un
certain ghetto. En effet, pour élargir leur électorat et pour approcher du
pouvoir, il leur faut soit « rassembler large » en enrichissant et modérant leurs
thèmes de campagne, soit entrer dans des alliances avec des partis plus
modérés. Au risque alors de brouiller, aux yeux de leur noyau le plus fidèle,
une identité politique affirmée initialement sans compromission.
→ abstentionnisme, partis politiques

MARXISME

La place du politique au sein de la théorie marxiste n’a jamais été traitée de


manière systématique, Marx se penchant de manière privilégiée sur le
fonctionnement du système économique dont il déduit, directement ou
indirectement, la nature du pouvoir politique. À ses yeux, le matérialisme
historique montre que la base économique ainsi que les rapports de classe qui
en découlent conditionnent étroitement le système politique, les élites ou le
vote lui-même, ce dernier étant à chaque fois mis en rapport avec la détention
ou la non-détention du capital. Cette interprétation récuse le poids des valeurs
des acteurs et s’oppose même, de Marx à Althusser, à l’utilisation de la notion
d’acteur. Ce marxisme structuraliste affirme aussi que les partis et leurs
actions, de même que les politiques publiques ou encore, les idéologies
politiques expriment des intérêts de classe, l’État apparaissant comme un
simple instrument de la classe dirigeante détentrice de la propriété des moyens
de production. Cette présentation économiste du politique conduit à une vision
évolutionniste dans la mesure où une telle situation se fait jour simplement
pendant la durée de la société capitaliste : avant, le politique ne se distingue
pas d’un système social homogène, non traversé par un rapport de classe et
par conséquent, non conflictuel ; et après, avec la fin du capitalisme, le
politique et l’État perdent toute fonction dans la mesure où les conflits
s’évanouissent : la fonction de répression de l’État perd toute nécessité et l’on
assiste donc à son dépérissement. Cette vision instrumentaliste et réductrice
du politique a été adoptée par la tradition dominante du marxisme et reprise
par la III Internationale qui en a déduit une stratégie internationale faisant peu
e

cas de la spécificité, démocratique ou autoritaire, des États.


Il convient pourtant de retenir que Marx lui-même s’est montré attentif,
dans des textes considérés comme peu « scientifiques », à l’histoire des divers
États ; qu’il s’est intéressé aux processus politiques en leur conférant une
certaine autonomie et même, une véritable indépendance (bonapartisme, mode
de production asiatique) ; il a aussi insisté sur l’autonomie des valeurs des
acteurs qui, dans certaines situations historiques, peuvent se détacher de leurs
cadres économiques pour élaborer d’autres stratégies qui ne relèvent plus d’un
simple rapport de classe. Le marxisme anglo-saxon contemporain a développé
cette intuition et a tenté une synthèse entre marxisme et valeurs des acteurs.
De manière générale, le marxisme, en dehors des travaux réalisés par les
théoriciens de l’austromarxisme, a néanmoins fait généralement l’impasse sur
les faits relevant de la culture et s’est trouvé dans une situation difficile pour
Étudier, par exemple, le phénomène national ou encore la persistance des
convictions religieuses.
→ austromarxisme, idéologie, léninisme
ANDERSON P., Sur le marxisme occidental, Paris, Maspero, 1977 ; ELSTER J.,
Marx, PUF, 1991 ; KOLAKOWSKI L., Histoire du marxisme, Paris, Fayard,
1987.
MASSE (SOCIÉTÉ DE)
La société de masse est une société considérée comme entièrement
atomisée, dans laquelle les acteurs sont isolés les uns des autres. Produite par
l’industrialisation et l’urbanisation, elle briserait les traditions et favoriserait
les comportements collectifs irrationnels des foules qui s’y formeraient.
L’acteur serait alors dépourvu de toute intentionnalité, il ne serait pas plus
capable de suivre son propre intérêt que de maintenir des liens de sociabilité
avec d’autres acteurs. Cette interprétation évolutionniste et pessimiste de la
société a été, de manière générale, rejetée par la sociologie contemporaine qui
souligne la grande densité des réseaux humains au travers desquels se
décident l’action sociale ou encore, le vote ; elle a aussi été abandonnée
comme source d’explication des phénomènes totalitaires contemporains, tel le
nazisme.
→ foules (théorie des), nazisme, participation politique
KORNHAUSER W., The Politics of Mass Society, New York, The Free Press,
1956.

MÉDIAS

La presse écrite, la radio et la télévision, mais aussi toutes les technologies


contemporaines utilisées comme vecteurs d’information, intéressent le
fonctionnement d’un système politique d’un triple point de vue.
Tout d’abord, ils jouent un rôle au niveau de la socialisation politique c’est-
à-dire la transmission de savoirs et l’inculcation de jugements de valeurs
relatifs au pouvoir politique. Ils contribuent à forger des centres d’intérêts
communs, construire des réflexes identitaires, voire des sentiments de
solidarité, ne serait-ce qu’en couvrant pour l’ensemble des citoyens d’un pays
la même actualité politique. Ils construisent en effet un agenda politique
commun au groupe, c’est-à-dire lui signifient ce à quoi il est nécessaire de
penser. A fortiori ce rôle de socialisation est-il impor tant s’ils ont une
ambition de formation et d’éducation en profondeur.
Ensuite, les médias interviennent dans la construction du débat politique.
L’information proposée quotidiennement impose la vision de ce sur quoi la
classe politique ne peut pas se dispenser de réagir. Sans doute les organes de
presse et les journaux télévisés sont-ils eux-mêmes très dépendants des codes
relatifs à ce qui fait ou non événement ; mais ils peuvent recouvrer une
certaine marge de manœuvre dans l’orchestration qu’ils donnent à
l’information : titrage et présentation, signatures mobilisées, importance des
commentaires, acharnement à revenir sur le problème posé (ce que l’on
appelle une campagne de presse). La nature, le ton et l’orientation des
commentaires pèsent également sur le déroulement du débat, contribuant à
façonner les représentations que leurs lecteurs ou leurs auditeurs vont se faire
des événements. Mais là encore, cela ne signifie pas une liberté totale des
responsables ou des journalistes. Il leur faut tenir compte des réactions de
leurs publics, dont les mécanismes de défense, voire de rejet, pourraient avoir
à terme les plus graves incidences sur le média lui-même s’il prétendait les
ignorer superbement.
Enfin les médias intéressent le fonctionnement du système politique en tant
qu’organisations sociales et entreprises à caractère économique. Ils acquièrent
une puissance ou affrontent des défis qui exigent la mise en place d’une
politique publique de l’information. Longtemps la garantie de la liberté de la
presse écrite a semblé résider dans un libéralisme absolu. Mais l’emprise de
certains groupes financiers dans l’entre-deux-guerres ou les difficultés
économiques rencontrées depuis quelques décennies par la presse quotidienne
lorsque se sont profondément transformées ses conditions d’exploitation sous
l’influence du progrès technique et la concurrence d’autres médias, ont
favorisé diverses modalités d’intervention de la puissance publique dans la
plupart des démocraties contemporaines. En France la réglementation mise en
place à la Libération a été particulièrement importante, mais d’autres mesures
d’assistance économique sont intervenues ultérieurement. Cependant la ligne
directrice demeurera toujours la protection du pluralisme et la primauté de
l’initiative privée. Inversement en matière de télévision c’est l’existence d’un
secteur public, monopoleur ou en concurrence très surveillée avec le privé, qui
a longtemps semblé, aux yeux de beaucoup, constituer une garantie
d’indépendance pour la création artistique et un instrument de protection pour
la qualité des programmes. Du moins jusqu’au bouleversement récent des
données technologiques qui aboutit à la multiplication des radios libres (dès la
fin des années 1970) puis des chaînes de télévision (milieu des années 1980).
Aujourd’hui, par leur puissance réelle ou supposée, les médias – surtout les
entreprises de télévision – constituent des groupes d’intérêts dont l’évolution
ne laisse jamais indifférentes les plus hautes autorités politiques. Mais les
tendances à la professionnalisation de leurs activités les plus politiques
(journaux télévisés, émissions spécialement consacrées à l’actualité politique,
investigations de la presse sur des sujets sensibles, etc.) rendent de plus en
plus difficiles les interventions directes et brutales des gouvernants dans leur
fonctionnement interne. Les médias constituent ainsi un pouvoir qui, « par la
nature des choses », comme dirait Montesquieu, arrête le pouvoir, et modifie
considérablement le fonctionnement des systèmes politiques contemporains.
→ communication politique, groupes de pression, intérêts, Internet
BALLE F., Médias et Sociétés, Paris, Montchrestien, 2007 ; DERVILLE G., Le
Pouvoir des médias. Mythes et réalité, Grenoble, PUG, 2005 ; GRABER D.
(ed.), Media Power in Politics, Washington, CQ Press, 2007 ; HUYGHE F.-B.,
Comprendre le pouvoir stra tégique des médias, Paris, Eyrolles, 2005 ;
JEANNENEY J.-N., Une Histoire des médias, Paris, Seuil, 2001 ; KATZ E.,
LAZARSFELD P. L., Influence personnelle. Ce que les gens font des médias,
Paris, A. Colin/INA, 2008 ; LOUW E., The Media and Political Process,
Londres, Sage, 2005 ; RIEFFEL R., Que sont les médias ? Paris, Gallimard,
2005.

MÉDIATION

Toute action entreprise par un acteur intermédiaire doté de ressources de


pouvoir ou d’influence. On parle ainsi de « démocratie médiatisée » lorsque le
choix des gouvernants s’opère à deux degrés, par l’intermédiaire de grands
électeurs. La médiation couvre essentiellement le domaine du règlement des
conflits : aussi le concept tire-t-il principalement sa pertinence de l’analyse
des relations internationales. Il désigne alors l’intervention d’une puissance
tierce (un État, mais aussi d’autres acteurs, notamment l’Église), destinée à
proposer un arrangement entre des États qui sont dans une situation de litige.
Courante au Moyen Âge, éclipsée quelque peu par la montée en puissance des
États, la médiation réapparaît au XX siècle et son recours est prévu par
e

l’article 33 de la Charte des Nations unies. Elle se distingue de l’arbitrage qui


suppose un règlement par des juges, de la conciliation qui ne fait pas appel à
des autorités politiques, mais à une commission d’experts, des bons offices
dont l’intervention est moins précise et moins institutionnalisée et de l’enquête
qui implique une phase de constitution d’un rapport sur la matérialité des faits
établi par une commission d’experts. Le médiateur peut être un « agent de
communication », un « formulateur » ou un « manipulateur » (Touval,
Zartman) ; il peut être un « facilitateur » (Hopman), un « interprète », un
« tampon », un « coordinateur » (R. Cohen in Bercovitch)
→ démocratie, international (scène internationale)
BERCOVITCH (ed.), Resolving International Conflict, Boulder, Lynne
Renner, 1996 ; HOPMAN P. T., The NegotiationProcess and the Resolution of
International Conflicts, Columbia University Press, 1996 ; KLEIBOER M., The
Multiple Realities of International Mediation, Boulder, Lynne Renner, 1998 ;
TOUVAL S., ZARTMAN W., International Mediation in Theory and Practice,
Boulder, Westview, 1985.

MÉRITOCRATIE

Un système méritocratique organise la sélection aux emplois à partir d’un


contrôle strict des compétences de chacun. Impliquant un déclin du mode
d’attribution patrimonialiste, une remise en question de tout mode de
répartition des emplois de type clientéliste mettant face à face des acteurs
échangeant des services, la méritocratie suppose la naissance d’une société
d’abord individualiste, dans la mesure où les acteurs occupent désormais des
emplois en dehors de tout lien communautaire. Elle implique aussi le
développement d’une société dans laquelle la démocratisation de
l’enseignement permet au plus grand nombre de citoyens de suivre un
processus scolaire normal, au travers duquel s’opère une sélection fondée sur
les critères les plus universalistes, en dehors de tout particularisme culturel ou
idéologique. De toute évidence, la méritocratie n’est qu’un projet ou un idéal
de rationalisation des différences qui deviennent ainsi acceptables et
légitimes : elle implique une société transparente, en réalité impossible à
mettre réellement en œuvre dans la mesure où persistent des inégalités
sociales, des mécanismes de transmission professionnels quasi héréditaires qui
parviennent à persister dans les faits, dans la mesure également où les modes
de sélection obéissent à des logiques qui s’appliquent de manière inégale pour
les uns et pour les autres. En dépit de ces réserves, le projet méritocratique, tel
qu’il a, par exemple, vu le jour en France sous la III République, reste un
e

idéal dont la finalité limite l’emprise d’un parti ou d’un groupe social
spécifique. La méritocratie sert aussi à justifier les régimes de type
technocratique.
→ démocratie, élitistes (théories), hiérarchie sociale
IHL O., Le Mérite et la République. Essai sur la société des émules, Paris,
Gallimard, 2007.

MESSIANISME

Système de mobilisation qui s’inscrit essentiellement dans un répertoire


religieux et qui construit son appel sur l’annonce d’un âge d’or et de
l’établissement prochain de la félicité perpétuelle. Toutes les grandes religions
contiennent un message messianique, généralement utilisé et radicalisé par
certains courants minoritaires, voire sectaires, qui en font leur marque : tel fut
le cas des Flagellants ou des Béguins dans le christianisme médiéval, des
anabaptistes qui, au temps de la Réforme, prétendirent construire une
Jérusalem à Munster, du mahdisme en Islam, de nombreuses sectes taoïstes,
bouddhistes (annonçant l’avènement de Maytrya) ou hindouistes (se réclamant
de Kalki, dernier avatar de Vishnu), du mythe du retour du roi Sébastien dans
la religion populaire brésilienne. Le messianisme mobilise le plus souvent
contre les institutions en place, qu’elles soient religieuses ou parfois
temporelles, et s’appuie sur l’idée d’inversion, promettant par priorité le
bonheur aux pauvres et aux malheureux. Aussi l’aliénation à l’égard de la
société ou du système politique, tout comme l’État de frustration et de
privation favorisent-ils le succès des mouvements messianiques et leur
passage au politique. D’où l’essor contemporain des sectes messianiques,
notamment d’origine protestante (ex. les adventistes) ou syncrétique (ex. le
culte du Cargo en Océanie) dans les sociétés en développement.
On distinguera le messianisme du millénarisme qui repose sur l’hypothèse
d’un salut collectif et terrestre, dont l’avènement est tenu pour imminent et
brutal, et qui suppose l’intervention miraculeuse d’agents surnaturels. Les
mouvements millénaristes ont eu une importance particulière dans l’Amérique
andine et au Brésil.
→ Islam et politique, mobilisation politique, religion et politique
COHN N., Les Fanatiques de l’Apocalypse, Paris, Payot, 1983 ;
MUHLMAN W., Messianismes révolutionnaires du tiers-monde, Paris,
Gallimard, 1962.

MÉTHODOLOGIE
Ce qui caractérise le discours scientifique ce n’est pas qu’il atteigne au
« vrai », mais qu’il accède à une meilleure capacité d’élucidation grâce à des
méthodes susceptibles à la fois d’affiner le regard et d’identifier les conditions
de validité des résultats de la recherche. Le savoir savant en effet n’est jamais
une « photographie du réel » mais une interprétation conditionnée par
l’emploi des paradigmes retenus, des concepts mis en œuvre, des techniques
d’investigation utilisées. Ainsi, pour prendre un exemple simple comme
l’analyse de l’état de l’opinion publique sur un problème politique, la
définition du concept d’opinion, construite ou empruntée par le chercheur,
commande l’orientation de l’enquête ; surtout les données exploitables ne
seront pas de même nature selon qu’elles auront été recueillies par
questionnaire standardisé administré, à l’occasion d’un sondage, à un
échantillon représentatif, ou par une observation approfondie sur le terrain, de
type ethnographique ; enfin elles ne permettront pas de dégager les mêmes
conclusions puisque, dans le premier cas, elles seront plus frustes mais
extrapolables à l’ensemble de la population, et, dans le second, beaucoup plus
riches mais non susceptibles d’extension automatique au-delà du groupe
étudié.
Les problèmes méthodologiques naissent aux différentes étapes de la
démarche scientifique. On peut tout d’abord se poser la question du choix des
paradigmes. On entend par là un système de propositions fondamentales, de
pratiques scientifiques et de méthodes d’investigation dont l’acceptation
conventionnelle, dans tout ou partie de la communauté savante, constitue une
tradition de recherche (cf. Kuhn). Le paradigme est donc le cadre intellectuel
dans lequel fonctionne un auteur et à l’intérieur duquel ses œuvres sont
intelligibles. Ainsi le paradigme mertonien (néo-fonctionnaliste) met-il en
avant une explication sociologique fondée sur l’étude des besoins et des
demandes auxquels les institutions fournissent des réponses plus ou moins
appropriées. Le paradigme de l’acteur rationnel valorise un point de départ :
les comportements individuels fondés sur le calcul coûts/avantages en
situation socialement construite. De même peut-on parler du paradigme
wébérien de la domination, des paradigmes behavioralistes, constructivistes
(cf. Berger et Luckmann) ou ethnométhodologiques (cf. Garfinkel), des
paradigmes de la modernisation et du développement, des paradigmes
identitaires, etc.
Comme l’a longuement montré Thomas Kuhn, un paradigme mobilise non
seulement des propositions démontrables mais bien plus encore des croyances
tenues pour acquises par des autorités scientifiques légitimes. En d’autres
termes il constitue toujours un « pari » dont la validité s’apprécie
essentiellement à partir de sa fécondité heuristique, c’est-à-dire sa capacité
d’orienter vers des recherches fécondes et d’engendrer des études et
conclusions prédictives de phénomènes. Il serait donc illusoire, et scientiste,
d’accorder à tout paradigme le caractère objectif du « vrai », opposable à
l’« erreur » (c’est-à-dire à tout ce qui lui serait extérieur).
Les problèmes méthodologiques apparaissent ensuite au niveau des
hypothèses de recherche et des concepts retenus. Toute entreprise savante est
une entreprise de classement ou encore, selon l’expression des
constructivistes, de typification ; il faut élaborer des catégories d’analyse pour
pouvoir penser le monde observable. La recherche suppose d’abord
l’identification d’un problème, c’est-à-dire la mise en place d’un système de
questionnements autour d’une « énigme » à déchiffrer. C’est ce que, dans le
langage contemporain, on appelle « construire l’objet ». Ainsi, au début de ce
siècle, des sociologues et des historiens comme Max Weber, Otto Hintze,
Marc Bloch… se sont-ils posé la question de savoir si la féodalité était une
étape historique traversée par toutes les grandes civilisations d’Europe et
d’Asie. Il fallait donc définir la catégorie « féodalité ». Face à ce type de
problème, deux manières de procéder sont envisageables. Soit le chercheur
observera empiriquement l’ensemble des traits, caractéristiques à ses yeux, du
phénomène (historique) considéré au sein de chacune des civilisations
retenues, et il s’efforcera d’en présenter une synthèse. Il dégagera alors ce que
l’on appelle un « type réel » (par opposition à un « idéal-type »). La réponse
au problème initialement posé résidera alors dans une comparaison terme à
terme des types réels, qui dégage ou non des similitudes fondamentales entre
les diverses situations historiques étudiées.
Au contraire la construction d’un idéal-type, au sens où l’a conçu Max
Weber, implique une activité intellectuelle plus autonome. Il ne s’agit plus de
conceptualiser le matériau (historique) tel qu’il est, dans toute sa singularité,
mais d’énoncer un système de propriétés jugées essentielles auxquelles seront
confrontés les matériaux historiques disponibles. En d’autres termes, l’idéal-
type est un concept nominaliste : il indique avec quel outillage analytique le
chercheur va interroger les réalités observables. Ainsi Hintze a-t-il construit
l’idéal-type « féodalité » autour de trois facteurs qui se conditionnent
mutuellement : le facteur militaire (apparition d’un ordre privilégié de
guerriers), le facteur socio-économique (ces guerriers tirent leurs revenus de la
propriété foncière qui leur assure une rente fondée sur le travail de leurs
paysans), le facteur politique (la noblesse guerrière s’autonomise localement
grâce à la prédominance de liens personnels sur les liens institutionnels qui
demeurent très lâches). Et c’est ce concept qui va lui permettre de discerner
des formations historiques pleinement féodales (Allemagne, France, Japon,
pays arabo-musulmans) et d’autres qui n’en manifestent que des éléments
partiels (Inde, Chine, Pologne, etc.).
La méthode des types-idéaux doit être correctement comprise.
Généralement ceux-ci ne se retrouvent pas de façon pure dans la réalité
observable. Lorsque Max Weber distinguait la domination légale/rationnelle
(caractéristique de l’État moderne), la domination traditionnelle et la
domination charismatique, il n’ignorait pas que des éléments de domination
traditionnelle ou charismatique pouvaient perdurer ou réapparaître dans l’État
moderne ; mais l’important pour lui était précisément de pouvoir évaluer
l’importance respective de ces traits caractéristiques au sein d’une même
formation historique ; c’est-à-dire confronter les réalités à l’outil d’analyse.
Les problèmes méthodologiques apparaissent enfin au niveau du choix des
techniques d’investigation. Celles-ci sont de nature variée, présentant chacune
leurs avantages et leurs limites. Les unes privilégient le travail sur documents
existants : archives de toute nature, textes juridiques, presse écrite ou
audiovisuelle, mémoires et autobiographies d’acteurs, mais aussi analyses et
commentaires voire ouvrages littéraires ou « grand public » qui contribuent
activement à la construction des représentations du politique. D’autres
relèvent d’un travail direct de terrain : enquêtes ethnologiques,
observation/participation, sondages d’opinion, expérimentation en situation
réelle. D’autres enfin font place au travail sur des situations artificiellement
créées : expérimentation en laboratoire, simulations mathématiques, jeux et
modèles formels. Dans la première catégorie de techniques d’investigation,
l’analyse de discours joue un rôle essentiel, empruntant aux disciplines de la
linguistique, de la sémiologie, de l’histoire (critique de textes) et s’ouvrant
parfois à l’outil mathématique (sémantique quantitative par ex.). La seconde
catégorie de méthodes est dominée par le recours à la technique de l’entretien
qui peut être directif (administration d’un questionnaire), semi-directif
(recours à un guide d’entretien) ou non-directif (principe de libre association).
La troisième suppose une réflexion logique très rigoureuse concernant la
détermination et le contrôle des variables retenues en vue de mesurer,
mathématiquement ou non, l’influence d’une manipulation de certaines
d’entre elles sur la situation globale et sa dynamique.
Le choix des paradigmes (est-il toujours totalement conscient ?), celui des
méthodes et des techniques d’investigation modifient considérablement
l’éclairage donné sur l’objet. Le paradigme de l’acteur rationnel permet plus
difficilement de prendre en considération l’importance des contraintes sociales
intériorisées par le sujet dès la première socialisation. Le recours aux
méthodes quantitatives présente l’immense avantage d’introduire rigueur et
précision ; mais l’absence de données fiables en certains domaines conduit
souvent à exclure de l’analyse des facteurs explicatifs d’importance majeure,
par exemple les phénomènes d’ordre symbolique. Et toute « typologisation »
fait surgir un instrument de lecture du réel qui cristallise la visibilité de
certains phénomènes en même temps qu’il en occulte d’autres. Ainsi, prendre
comme critère de structuration des familles politiques l’échelle droite-gauche
tend à favoriser d’une part une surestimation de ce qui sépare visiblement ces
deux pôles au détriment de ce qui les rapproche sur d’autres terrains ; cela
provoque également une sous-estimation des divergences internes au sein de
chaque famille, et tend à rendre plus malaisée la correcte appréhension de la
fluidité historique de ce que représentent la droite et la gauche pour les
générations successives.
Toute réflexion méthodologique doit affronter le problème de ce que
signifie « comprendre ». Avec Durkheim était privilé giée la recherche des
causes. On entend par là la mise en évidence de rapports de nécessité entre
deux phénomènes (ou catégories de phénomènes) de telle sorte que « si A…,
alors B… ». Cependant la notion de causalité pose parfois problème. D’abord
parce qu’elle peut être difficile à dégager de l’observation : une corrélation
statistique entre deux phénomènes A et B peut signifier que A cause B, ou que
B cause A, ou encore que A et B sont produits parallèlement par un facteur C
non identifié ; de même l’observation en histoire d’une séquence
d’événements ne signifie-t-elle pas nécessairement que l’événement en amont
« explique » l’événement en aval. Surtout peut-être, l’existence de rapports de
corrélation complexes entre des configurations de facteurs explicatifs, les
effets de rétroaction des uns sur les autres (que l’analyse systémique excelle à
mettre en évidence) font apparaître le caractère étriqué parfois de la notion
même de causalité qui tend alors à s’effacer derrière la réalité
d’« agencements d’interactions ».
Les sciences sociales sont confrontées à une autre modalité de l’explication
qui consiste à dégager des lois, impliquant une certaine prédictivité des
phénomènes. Lois très générales de l’Histoire comme déjà Tocqueville ou
Marx en ont formulé au XIX siècle ou, plus modestement aujourd’hui, lois
e

dégagées dans des domaines circonscrits. Des modèles théoriques


particulièrement nombreux, étayés par du matériel empirique important,
participent de cette seconde approche dans les théories de la modernisation
(articulation des facteurs économiques, politiques et culturels) ou encore en
sociologie électorale pour expliquer les stratégies des candidats en
compétition et les comportements des électeurs. Cependant l’extrême
complexité, en sciences sociales, des configurations de facteurs et des
systèmes d’interactions, ne permet pas de parler de lois autres que
tendancielles ou probabilistes. Il est en effet pratiquement impossible
d’identifier toutes les variables à l’œuvre dans une situation déterminée, et
encore plus hors de portée d’espérer que les situations soumises à
l’investigation se reproduisent à l’identique, ce qui constituerait pourtant une
condition nécessaire pour vérifier rigoureusement l’existence de régularités
objectives.
Enfin comprendre peut être entendu au sens wébérien de « ce qui fait sens
pour les agents sociaux ». L’auteur d’Économie et Société refuse à la
sociologie la prétention d’établir le sens objectif du comportement des
acteurs ; en revanche, il souligne qu’aucune interprétation valide ne peut se
construire sur la méconnaissance des représentations que les acteurs se font de
leur activité sociale, des intentionnalités subjectives qui sont les leurs, des
significations culturelles et psychologiques qu’ils y attachent. Cette
orientation suppose chez le chercheur une forte distanciation par rapport à ses
propres schémas intellectuels, un travail sur les biais de tous ordres
susceptibles d’affecter son rapport à l’objet, enfin la capacité de maîtriser des
analyses qualitatives car, ainsi que l’écrit Pierre Bourdieu, elles sont
« capitales pour comprendre, c’est-à-dire expliquer complètement, ce que les
statistiques ne font que constater ». (Questions de sociologie, 1981, p. 291.)
Dernière question méthodologique d’importance : que signifie démontrer ?
Dans son ouvrage La Logique de la découverte scientifique, Karl Popper
répond qu’une théorie explicative, pour valoir démonstration, doit pouvoir
être falsifiable. Une loi qui s’applique, quels que soient les faits, une
explication qui s’adapte à toutes les données enregistrées n’est pas une
démonstration : elle n’est pas prédictible. Au contraire un système
d’hypothèses est démontrable lorsqu’il conduit à « diviser en deux groupes
l’ensemble de tous les énoncés possibles : ceux avec lesquels il est
contradictoire et ceux avec lesquels il est compatible ». Une démonstration
sera réputée faite lorsqu’elle rend compte logiquement du plus grand nombre
possible de données, à la fois distinctes entre elles et rigoureusement établies.
En réalité, observe encore Popper, ces conditions sont rarement réunies même
dans les sciences de la matière. Le plus souvent une démonstration est
seulement un système d’énoncés qui offre des explications fécondes sans
soulever des problèmes trop graves d’incompatibilité avec des théories ou des
données réputées acquises. Il arrive même qu’une « démonstration » soit
simplement une théorie autour de laquelle s’établit, dans la communauté
savante, un consensus fondé sur des considérations qui ne sont pas toutes, loin
s’en faut, rigoureusement intellectuelles ; ce qui nous renvoie au problème des
modalités institutionnelles de construction de ces « consensus ».
→ falsifiabilité, individualisme méthodologique, méthodologie :
Méthodes qualitatives ; Méthodes quantitatives, modèles, néo-
institutionnalisme
BACHELARD G., La Formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, 1969 ;
BOURDIEU P., Réponses, II partie, Paris, Seuil, 1992 ; DURKHEIM E., Les Règles
e

de la méthode sociologique, réédition, Paris, PUF, 1990 ; FEYERABEND P.,


Contre la méthode, Paris, Seuil, 1979 ; PASSERON J.-C., Le Raisonnement
sociologique, Paris, Nathan, 1992 ; POPPER K., La Logique de la découverte
scientifique, Paris, Payot, 1990 ; SIMMEL G., Sociologie et épistémologie,
réédition, Paris, PUF, 1981 ; WEBER M., Essais sur la théorie de la science,
Paris, Plon, 1965 [1918].
MÉTHODES QUALITATIVES. Elles s’inscrivent dans une perspective
épistémologique qui souligne deux spécificités fondamentales de l’objet en
sciences sociales. Tout d’abord, et contre Durkheim, elles ne considèrent pas
seulement les faits sociaux comme des choses mais comme des configurations
de significations ; dès lors il convient de privilégier ce qui fait subjectivement
sens pour les agents, à partir de leurs systèmes de valeurs. Cela engage aussi
bien leur capacité émotionnelle que rationnelle, leur désir de croire et
d’espérer autant que leur exigence de comprendre ou d’expliquer.

Cette approche insiste également sur la quasi impossibilité pour le


chercheur d’accéder à une neutralité totale par rapport à l’objet étudié ;
l’objectivation rigoureuse serait non seulement hors de portée mais elle
conduirait à une lecture appauvrie de l’objet étudié car les significations,
rationnelles et émotionnelles, n’apparaissent en réalité qu’en raison des
« analogies » (cf. Gusdorf) existant entre l’observateur et les interactions
observées. L’implication du chercheur est considérée comme un fait qu’il vaut
mieux élucider, pour en tirer parti, plutôt que de le refouler au risque d’une
opacité accrue.
Parmi les méthodes qualitatives, on peut mentionner principalement :
– L’interview non directive, fondée non pas sur l’administration d’un
questionnaire préétabli mais sur l’expression libre de l’interviewé auquel le
chercheur manifeste son attention et son soutien intellectuel de diverses
manières soigneusement codifiées.
– L’observation-participation, qui suppose une intégration minimale de
l’observateur dans le groupe étudié, aussi bien en termes de temps consacré
que de partage des situations vécues. Couramment pratiquée en ethnologie où
le chercheur va vivre sur le terrain, elle a également sa place dans l’analyse
des phénomènes politiques contemporains à condition que l’observateur fasse
un travail constant sur ses mécanismes de défense et ses projections.
– L’analyse qualitative de textes. Elle peut emprunter les voies classiques
de la recherche du sens explicite, rationnellement mis en œuvre dans les
structures logiques et linguistiques ; mais elle peut aussi et surtout s’orienter
dans d’autres voies : vers la recherche de l’implicite et du non-dit, lorsqu’il
fait sens parce qu’il signale des stratégies d’évitement ou de dénégation
(R. Barthes) ; vers la mise en évidence de structures formelles, narratives ou
argumentatives, qui expriment des attitudes idéologiques fondamentales, des
partis pris ou des stéréotypes significatifs (par exemple dans l’analyse du
matériel biographique ou des « récits de vie », mais aussi dans le commentaire
politique et journalistique).
– L’analyse situationnelle. La phénoménologie met l’accent non pas sur les
causes qui font agir les individus mais sur les problèmes qu’ils ont à résoudre
hic et nunc, sur les défis qu’il leur faut relever pour se réaliser ou, tout
simplement, continuer d’exister. C’est l’action ou le comportement comme
réponse stratégique à une situation. Le postulat de base est qu’il existe des
systèmes de « logiques formelles de situations », sous-jacents à tout
fonctionnement social. Les traits caractéristiques d’une situation, pour tout
sujet, sont les objectifs qui lui semblent accessibles, les ressources (moyens
d’action et d’influence) qui paraissent disponibles, les coûts et gratifications
escomptables ; étant entendu qu’à tous ces niveaux il existe de l’explicite et
du latent, du visible et du refoulé. Erving Goffman dans Les Rites
d’interaction a montré comment une telle analyse était possible, et fructueuse,
en micro-situations, c’est-à-dire dans les rapports quotidiens entre les
individus ; mais il est parfaitement concevable de transposer ce type de
démarche à des phénomènes collectifs plus larges : le fonctionnement de la
démocratie pluraliste par exemple (cf. Ph. Braud, Le Jardin des délices
démocratiques). Norbert Elias suggère même qu’à partir d’un certain niveau
de complexité de la structure sociale observée, les méthodes éprouvées dans
les « sciences empirico-théoriques » se révèlent insuffisantes pour
appréhender correctement le réel. « Lorsque, à des modèles figurant de
simples multitudes, on en substitue d’autres correspondant à des
configurations et à des processus ouverts et autogouvernés à des niveaux
toujours plus nombreux, bien des outils de recherche jadis développés pour
l’investigation scientifique d’unités du premier type (Elias fait allusion aux
techniques mathématiques) voient leur importance se réduire ou même
disparaître. Des outils intellectuels et des techniques qui constituent ailleurs
les instruments principaux de la recherche ont ici tout au plus une fonction
d’auxiliaire. » (Engagement et distanciation, p. 39.)
→ méthodologie : Méthodes quantitatives
ALAMI S., DESJEUX D., GARABUAU-MUCCOUSSAOUI I., Les Méthodes
qualitatives, Paris, PUF, 2009 ; DE MEUR G., RIHOUX B., L’Analyse quali-
quantitative comparée. Approches, techniques et applications en sciences
humaines, Louvain-la-Neuve, Academia Bruylant/ABSP-CF, 2002 ;
HUBERMAN M., Analyse des données qualitatives, Paris, De Boeck, 2002 ;
MUCCHIELLI A. (dir.), Dictionnaire des méthodes qualitatives en sciences
humaines et sociales, Paris, A. Colin, 2004 ; PAILLÉ P., MUCCHIELLI A.,
L’Analyse qualitative en sciences humaines et sociales, Paris, A. Colin, 2008.
MÉTHODES QUANTITATIVES. Elles concernent aussi bien le recueil des données
que les techniques d’analyse qui peuvent ensuite en être faites.

En sciences sociales certaines données se présentent sous une forme


immédiatement quantifiée : statistiques électorales, économiques,
démographiques, évaluations chiffrées de l’activité parlementaire ou
gouvernementale, informations stockées dans les fichiers d’organisations
politiques. Grâce à l’informatisation ces données sont de plus en plus
nombreuses et de plus en plus facilement mobilisables (banques de données).
Mais beaucoup d’autres phénomènes se prêtent à la quantification par le
truchement d’indicateurs chiffrés construits dans ce but. L’exemple le plus
commun est la mise en place, dans les sondages d’opinion, de questionnaires
standardisés avec questions fermées, en vue de saisir les points de vue de toute
une population sur tel ou tel problème. On peut aussi évoquer la
comptabilisation des actes de violences comme mesure de l’intensité des
conflits sociaux, ou celle des absences aux réunions d’un parti comme mesure
de la mobilisation militante. Les indicateurs les plus sophistiqués combineront
d’ailleurs, en les pondérant, plusieurs variables. Mentionnons enfin le
domaine particulier de l’analyse de discours : elle repose sur le principe selon
lequel la fréquence d’apparition des mots, les co-occurences de termes, les
combinaisons de structures narratives, etc., sont significatives du
« fonctionnement du texte ». La sémantique quantitative, l’analyse
automatique de discours recourent ainsi à des techniques qui supposent la
mise au point de logiciels de traitement mathématique assez élaborés.
À ce stade, les problèmes susceptibles de surgir concernent bien entendu la
fiabilité des données mais aussi, plus subtilement, les principes de classement.
On ne peut en effet agréger de manière valide que des données homogènes.
Des opinions défavorables à l’action des gouvernants, par exemple, peuvent
avoir une intensité différente, une signification politique de sens contraire, un
fondement intellectuel ou émotionnel peu comparable. D’où, en ce domaine,
l’intérêt des échelles d’attitude qui permettent d’introduire au moins la mesure
de l’intensité des préférences. Enfin demeurent des phénomènes largement
rebelles à toute entreprise de quantification ; le risque existe qu’ils soient
« oubliés » dans l’analyse en raison de leur inaccessibilité au traitement
quantitatif, et ce en dépit même de leur importance. Ainsi en est-il des facteurs
psychosociologiques à l’œuvre dans le déclenchement des mobilisations
collectives, dans l’obsession sécuritaire ou la construction d’une popularité,
etc.
Les techniques d’analyse quantitative relèvent principalement de deux
catégories. C’est d’abord l’analyse multivariée. Des variables indépendantes
(par ex. en sociologie électorale, le sexe, l’âge, la catégorie socio-
professionnelle, etc.) vont être soumises à une étude statistique de corrélations
avec une ou plusieurs variables dépendantes (la participation et l’orientation
du vote). On pourra ainsi mesurer les covariations statistiquement les plus
significatives et, de là, peut-être en inférer une explication causale. Ainsi, dans
une population de femmes âgées, catholiques pratiquantes et votant à droite,
l’analyse permettra-t-elle d’identifier le poids respectif des variables sexe, âge
et religion, dans leur corrélation avec l’orientation du vote ainsi que la
dépendance statistique entre ces trois facteurs.
L’autre grande catégorie d’analyse quantitative est la modélisation
mathématique, c’est-à-dire une analyse globale de l’interaction réciproque des
facteurs, par simulation. Elle relève de ce que l’on appelle la théorie des jeux.
Les modèles mathématiques, bien développés en économie, ne sont apparus
en science politique aux États-Unis que bien après la Seconde Guerre
mondiale. Initialement leur champ principal d’application aura été d’une part
les relations internationales (dissuasion militaire notamment) et d’autre part le
comportement électoral. On peut distinguer, à la suite de P. Johnson et Ph.
Schrodt, les modèles fondés sur la recherche de l’équilibre du système, les
modèles dynamiques qui s’intéressent à la mise en évidence de processus
latents, enfin les modèles stochastiques caractérisés par le fait que les
variables dépendantes sont de type probabiliste (le hasard est intégré dans le
fonctionnement du modèle).
La préoccupation légitime d’asseoir la science politique sur des méthodes
rigoureuses privilégiant les « faits » et leur mesure, a fortement influencé le
recours à des méthodes qui ont fourni leurs preuves dans d’autres disciplines
au statut plus assuré (la science économique notamment). Il n’est pas douteux
que ces méthodes ont permis de très grands progrès. Néanmoins il convient de
demeurer attentif aux limites de ce type de démarche. Même dans l’optique
des sciences exactes, la construction de modèles cherchant à rendre compte de
toute la complexité du social se heurte à l’impossibilité d’intégrer toutes les
variables pertinentes, dès lors que l’on s’attache à un système politique global.
Par ailleurs, non seulement les exigences de la mathématisation conduisent à
écarter des informations difficilement « traitables » mais en outre elles
peuvent conduire à mettre en place une forme de scientisme qui confond
démonstration mathématique ou statistique et accès au « vrai ». Les progrès de
l’épistémologie et des sciences cognitives tendent à montrer que toute
démonstration est une interprétation du réel tandis que le réel, reconstruit par
nos instruments de mesure, demeure en un sens inaccessible.
→ jeux (théorie des), méthodologie : Méthodes qualitatives, modèles
BOUDON R., Les Méthodes en sociologie, Paris, PUF, 1986 ; DE MEUR G.,
RIHOUX B., L’Analyse quali-quantitative comparée. Approches, techniques et
applications en sciences humaines, Louvain-la-Neuve, Academia
Bruylant/ABSP-CF, 2002 ; DESROSIÈRES A., « La Portée sociologique des
diverses phases du travail statistique », in BESSON, Les Statistiques de
chômage, 1986 ; GHIGLIONE R., MATALON B., Les Enquêtes sociologiques,
Paris, A. Colin, 1991 ; MERLLIÉ D., « La Construction statistique », in
CHAMPAGNE P. et al., Initiation à la pratique sociologique, Paris, Dunod,
1990 ; ROSENTAL C., FRÉMONTIER-MURPHY C., Introduction aux méthodes
quantitatives en sciences humaines et sociales, Paris, Dunod, 2001.

MICHIGAN (PARADIGME DE)

Modèle explicatif du comportement électoral, développé au cours des


années 1950 par le Survey Research Center de l’université du Michigan.
Fondé sur des techniques d’enquête, il analyse le choix des électeurs comme
la résultante d’un champ de forces psychologiques dont l’impact sur chaque
individu est apprécié à une date aussi rapprochée que possible de celle du
scrutin étudié. Il est apparu, de la sorte, que l’identification affective à un parti
a constitué longtemps le déterminant majeur du vote. Le paradigme de
Michigan a dominé l’analyse électorale pendant une vingtaine d’années, tant
aux États-Unis qu’en Grande-Bretagne. Toutefois, la détérioration de l’image
des partis l’a fait tomber ensuite en désuétude et la technique du panel a tendu
alors à le remplacer.
→ élection : Électorale (sociologie), méthodologie, panel (technique du)
BUTLER D., STOKES D., Political Change in Britain, London, Macmillan,
1974 ; CAMPBELL A., CONVERSE P., MILLER W. E., STOKES D., The American
Voter, Wiley and Sons, 1960 ; MAYER N., PERRINEAU P., Les Comportements
politiques, Paris, A. Colin, coll. « Cursus », 1992.

MIGRATION

Déplacement volontaire de populations quittant leur pays ou leur région en


vue de s’installer – provisoirement ou définitivement – dans un autre lieu où
elles espèrent trouver de meilleures conditions de vie et, en particulier, des
avantages nouveaux. On distingue généralement la notion de migrant de celle
de réfugié qui qualifie la situation d’un groupe d’individus fuyant leur pays
afin d’échapper à un danger auquel ils sont exposés (persécution, guerre,
famine ou épidémie). En ce sens, la communauté internationale se reconnaît
une responsabilité collective pour traiter du problème des réfugiés, créant à cet
effet des institutions spécialisées (Haut-Commissariat aux réfugiés), alors que
la migration demeure un phénomène tenu pour rebelle à toute
institutionnalisation, et très généralement étudié comme tel.
L’étude des flux migratoires relève, à titre principal, de la démographie,
mais constitue aussi un objet d’analyse économique (flux de main-d’œuvre),
sociologique (condition d’insertion des populations migrantes au sein des pays
d’accueil, modes de socialisation propre, hypothèse d’un « seuil de
tolérance », transformations de la structure des sociétés de départ…) et
politique (capacité de contrôle des flux migratoires par les États, constitution
de réseaux politiques transnationaux par le biais de ces flux, évolution du type
de population…). La nature généralement individuelle ou micro-
communautaire du choix d’émigrer confère aux flux migratoires les
caractéristiques d’un flux transnational aussi peu saisissable sur le plan de
l’analyse que sur celui de l’action, ce qui contribue à expliquer en même
temps la pertinence et la difficulté de son appréhension par la science
politique.
→ international (scène internationale), réseau (concept de),
transnationales (relations)
Études internationales, n spécial, mars 1992 ; THUMERELLE P. J., Peuples
o

en mouvement, Paris, SEDES, 1986 ; BADIE B., BRAUMAN R., DECAUX E.,
DEVIN G., WITHOL DE WENDEN C., Un autre regard sur les migrations, Paris,
La Découverte, 2008 ; WITHOL DE WENDEN C., Atlas mondial des migrations,
Paris, Autrement, 2009.

MILITAIRES ET POLITIQUE

L’intervention politique des militaires ou des forces armées en tant


qu’institution ne fut longtemps analysée en général que dans les cas
spécifiques des coups d’États ou des régimes qui pouvaient en résulter,
spécialement en Amérique latine, en Afrique, dans les pays arabes et en Asie
orientale (se reporter à ce propos aux entrées correspondantes dans ce
volume). Mais il faut observer que cet intérêt justifié pour l’expression
politique la plus spectaculaire de l’armée ou de ses membres a entraîné
l’inconvénient de laisser dans l’ombre les autres dimensions du rapport des
militaires au pouvoir.
Quelques points seulement ont retenu l’attention dans cette vaste zone
d’ombre. D’abord celui qui a trait à l’origine sociale des corps d’officiers ainsi
qu’à leurs orientations idéologiques ou partisanes, étudiées en France par le
psycho-sociologue H.J.P. Thomas. Également l’autre aspect, au vrai immense,
qui touche à la dynamique politique interne de l’armée en tant qu’institution
totale ou autosuffisante, à ses clivages propres étudiés particulièrement par
Alain Rouquié s’agissant de ce qu’il appelle les « partis militaires » en
Amérique latine, ou encore à sa position globale dans l’État et la société dans
la perspective des travaux que Anouar Abdel Malek a inspirés sur le tiers-
monde et spécialement le monde arabe. Reste que les travaux de cette sorte
ont fait longtemps pratiquement défaut s’agissant de la place du facteur
militaire dans les régimes démocratiques, comme si la « grande muette » y
avait la cervelle vide. L’acteur militaire demeurait absent des travaux récents
sur les politiques publiques, des études plus anciennes sur les groupes de
pression en dehors de celles consacrées au « pluralisme bureaucratique » dans
l’ex-URSS, de l’analyse de la socialisation politique s’agissant de celle
dispensée aux recrues dans les systèmes de conscription, ou encore et sans
achever la liste des lacunes, des recherches qui auraient pu porter avec
avantage sur la fonction remplie par l’armée dans la formation de l’État
moderne.
Cette situation s’est toutefois heureusement modifiée depuis une dizaine
d’années, en particulier en ce qui concerne l’application de l’analyse des
politiques publiques au domaine de la défense, et aussi de la transformation de
la profession militaire dans les pays démocratiques. Ce sont désormais ces
derniers qui retiennent le plus l’attention à cet égard, notamment en France
grâce aux travaux pionniers de Jean Joanna, B. Boène, William Genieys et
Patrick Venaisson.
On notera toutefois que le terme « militaire » se révèle d’un côté trop
englobant, et de l’autre trop circonscrit. Il apparaît abusivement englobant
lorsqu’il suggère l’amalgame entre les militaires en tant qu’acteurs aussi bien
individuels que collectifs et l’armée en tant qu’institution complexe, à la fois
branche de l’État et système autonome trouvant pratiquement toutes ses
ressources en lui-même. En revanche, il est trop circonscrit quand il ne
désigne que les soldats d’une armée régulière. Étymologiquement, le mot
« militaire » dérive de celui de milice. Or il apparaît que des milices
irrégulières relèvent aussi de la phénoménologie militaire au sein de
mouvements de résistance ou de guérilla. Ce qu’il importe de poser à ce
propos est que les membres de ces milices irrégulières adoptent l’esprit
militaire, et qu’ils se comportent au sein de leurs organisations politiques
comme les militaires professionnels vis-à-vis de l’État. Il leur arrive de
prendre le pouvoir (dans l’organisation) par des putschs internes, et ils
défendent en toute hypothèse leurs valeurs et leurs intérêts propres ; d’où le
clivage fréquent entre les ailes militaire et politique des mouvements
révolutionnaires.
→ coup d’État, régimes politiques : Régimes militaires
ABDEL-MALEK A., L’Armée et la nation, Alger, SNED, 1975 ; BETZ D. J.,
Civil-Military Relations in Russia and Eastern Europe, New York, Routledge
Curzon, 2004 ; JOANNA J., « La démocratie face à ses militaires. Où en est
l’analyse des relations civils-militaires ? » Revue française de sociologie 48
(1), 2007, pp. 133-159 ; ROUQUIÉ A. L’État militaire en Amérique latine, Paris,
Seuil, 1982 ; VENNAISSON P., « Le triomphe du métier des armes : dynamique
professionnelle et société militaire en France », The Tocqueville Review 17
(1), 1996, pp. 135-157.

MILITANTISME

Participation active et bénévole à un parti ou une organisation sociale, le


militantisme se distingue de la simple adhésion, qui connote une pure
passivité, et du travail rémunéré à titre professionnel. Cependant, chez le
permanent recruté sur la base de ses affinités politiques la frontière entre
l’activité salariée et l’activité proprement militante redevient indécise.
Quelles sont les fonctions du militantisme ? Pour un parti, un syndicat ou
une association, les militants sont d’abord censés constituer l’instance qui
décide en dernier ressort et, notamment, choisit les dirigeants. En réalité leur
pouvoir d’influence est souvent beaucoup plus restreint, les dirigeants
disposant de ressources qui leur permettent d’encadrer, orienter, voire
manipuler cette volonté « souveraine ». Néanmoins, ceux-ci ont besoin pour
renforcer leur autorité, de mobiliser autour d’eux et de leur politique le soutien
des militants, voire leur enthousiasme, ce qui les place dans un certain élément
de dépendance vis-à-vis de leur base. Dans le cas où les dirigeants sont eux-
mêmes divisés, les militants peuvent retrouver un rôle véritablement décisif
d’arbitrage.
Une seconde fonction du militantisme est d’établir la présence de
l’organisation dans le tissu social, donc d’attester une forme de
représentativité. Cette exigence est particulièrement importante dans les
syndicats et les partis de masses où le nombre de militants présents sur le
terrain constitue en soi un élément de force. Cela favorise une meilleure
écoute de « la base » et, surtout, permet un contrôle des mobilisations. Les
partis de cadres, au contraire, peuvent considérer ce critère de l’implantation
militante comme quasiment négligeable par rapport à d’autres indicateurs
comme le nombre d’électeurs et d’élus locaux. C’est pourquoi la crise actuelle
du militantisme affecte principalement la combativité des syndicats ouvriers et
des partis de gauche.
Une troisième fonction du militantisme est d’assurer des tâches
d’organisation et de propagande, surtout en période électorale (tractages et
collages d’affiches, diffusion de journaux, etc.). Aujourd’hui les conditions
modernes de la communication politique conduisent à une forte dévalorisation
relative de cette dimension du militantisme, au moins dans les formations qui
disposent de ressources financières importantes ; elles peuvent en effet
recourir à des instituts spéciali sés qui suppléent largement les militants dans
certaines activités : rédaction du matériel de propagande, affichages, enquêtes
d’opinion, organisation de grandes manifestations, Par ailleurs les cotisations
des militants ne jouent plus un rôle primordial dans le financement des partis
politiques. Plus important est le financement public ou le Fund raising.
Qu’est-ce qui fait courir les militants ? En d’autres termes quelles sont les
motivations à militer ? Certaines gratifications escomptables sont purement de
l’ordre du symbolique : plaisir de s’identifier à une « grande cause » c’est-à-
dire satisfactions au niveau d’une meilleure estime de soi, ou encore sentiment
de partager une expérience humainement enrichissante (élargissement des
rencontres, formation acquise). D’autres gratifications sont plus concrètes.
Militer constitue souvent la première étape obligée d’une carrière politique, le
dévouement au parti et l’expérience acquise constituant des titres à la
désignation comme candidat aux mandats électifs. Dans d’autres cas, la
possession de la carte du parti et le fait d’y rendre des services peut avoir des
retombées positives pour l’accès à un emploi (clientélisme au sens large), de
même qu’il facilite la promotion de (hauts) fonctionnaires dans les entourages
politiques (cabinets des ministres ou des élus locaux).
Notons en conclusion que les débats, en science politique, portent beaucoup
sur la fin du militantisme ou, du moins, sur la profondeur des recompositions
qui affectent l’activité militante classique (J. Ion).
→ altermondialisme, intérêts, partis politiques
FILLEULE O. (dir.), Le Désengagement militant, Paris, Belin, 2005 ;
HIRSCHMANN A., Défection et prise de parole, Paris, Fayard, 1995 ; ION J.,
FRANGULADAKIS S., VIOT P., Militer aujourd’hui, Paris, Éd. Autrement
(CEVIPOF), 2005 ; ION J., La Fin des militants ? Paris, Éd. de l’Atelier/Éd.
ouvrières, 1997 ; JEANNEAU L., LERNOUD S., Les Nouveaux Militants, Paris, Les
Petits matins, 2008 ; JORDAN T., S’engager ! Les nouveaux militants,
activistes, agitateurs, Paris, Autrement, 2003 ; PERRINEAU P. (dir.),
L’Engagement politique, Paris, Presses de la FNSP, 1994

MILLÉNARISME

→ messianisme

MINISTRES

Ce sont les membres du gouvernement, c’est-à-dire les représentants du


pouvoir exécutif. L’expression a longtemps eu le sens de délégué pour
l’accomplissement d’une mission. C’est encore le cas lorsque le mot s’impose
au XVII siècle pour qualifier les principaux agents du roi à la tête de l’État.
e

Aujourd’hui cette nuance de sens subsiste puisque le ministre, généralement


placé à la tête d’un ministère, n’en demeure pas moins soumis à un certain
pouvoir de direction qui appartient soit au premier ministre soit au chef de
l’État selon la nature du régime considéré. Ils ont d’ailleurs été nommés (et
non élus) par le chef du gouvernement, lui-même désigné par le chef de l’État,
voire directement par ce dernier. En réalité, en marge de la procédure
constitutionnelle de nomination, le choix des ministres s’opère à l’issue de
concertations politiques informelles qui sont décisives.
Il existe souvent une hiérarchie entre les ministres, fondée sur leur poids
politique respectif. Ainsi, en France, distingue-t-on les ministres d’État, puis
les ministres stricto sensu, les ministres délégués auprès du premier ministre
ou auprès d’un autre membre du gouvernement, enfin les secrétaires d’État,
autonomes ou rattachés à un ministre de rang supérieur. Ces distinctions
peuvent avoir une incidence sur leur présence au Conseil des ministres qui ne
sera pas toujours requise des ministres de rang inférieur.
Placé à la tête d’un ministère, le ministre exerce un pouvoir général de
contrôle et de direction sur les services administratifs placés sous son autorité.
Ce pouvoir hiérarchique se concrétise à travers des arrêtés (mesures d’ordre
général), des circulaires (à valeur interprétative) enfin des décisions d’ordre
individuel. Le ministre est responsable de l’élaboration de la politique de son
ministère ainsi que de sa mise en œuvre effective. Dans les faits sa marge
d’initiative est limitée par la nécessité de respecter la cohésion
gouvernementale et, surtout, par sa subordination à l’autorité du Premier
ministre ou du Chef de l’État.
Dans les systèmes parlementaires représentatifs classiques, les ministres qui
incarnent collectivement autour du chef de gouvernement, le pouvoir exécutif,
sont issus, en règle générale du Parlement où ils ont longuement siégé. Ce cas
de figure, le plus traditionnel, s’applique aussi bien à la Grande-Bretagne qu’à
la France des III et IV Républiques où l’accès aux sommets de l’État passe
e e

par la médiation du Parlement. Dans ce cas, les ministres sont des


personnalités qui bénéficient d’une longue implantation locale et détiennent
des fonctions importantes dans des partis nationaux. Pourtant, dans des pays
aussi différents que la France, à l’époque contemporaine, ou encore, de
manière plus constante, aux États-Unis, nombre de ministres proviennent
directement et de plus en plus soit de la haute administration (exemple de la
France) soit encore, du monde des affaires ou de la société civile en général
(aux États-Unis). En France, ces hauts fonctionnaires-ministres s’engagent
alors presque toujours dans une carrière politique inversée puisqu’ils
entreprennent alors de devenir député et s’efforcent, de plus, de conquérir une
mairie pour asseoir leur légitimité démocratique. Aux États-Unis, de tels
ministres demeurent parfois à l’écart de la vie politique classique et leur
pouvoir demeure lié à leur relation privilégiée avec le président.
→ gouvernement, Premier ministre, responsabilité politique
BLONDEL J., Government Ministers in the Contemporary World, London,
Sage, 1985 ; CHABAL P., « Les ministres font-ils une différence ? », Revue
internationale des sciences administratives, 2003 (69) 1, pp. 31-53 ; GAÏTI B.,
« Politique d’abord : le chemin de la réussite ministérielle dans la France
contemporaine » in BIRNBAUM P. (dir.), Les Élites socialistes au pouvoir, Paris,
PUF, 1985 ; Pouvoirs (36) 1986, « Le Ministre ».

MINORITÉ

Se dit de tout groupe social, quel qu’il soit, qui dans une société donnée, se
trouve en situation d’infériorité par rapport à un groupe dominant. Cette
infériorité s’exprime de façon quantitative, mais se définit aussi par référence
à des données qualitatives de nature culturelle : on parlera ainsi de « minorités
linguistiques », de « minorités religieuses » ou de « minorités ethniques »
voire de « minorités sociales », recouvrant tout un ensemble de
caractéristiques liées à des pratiques sociales considérées comme déviantes au
sein de la société concernée. En fait, la minorité n’existe que par rapport au
modèle de domination qui fonde la société, qui distingue entre la norme et la
déviance, entre le légitime et l’illégitime et qui définit les conditions de plein
exercice de la participation politique. L’existence de minorités soulève ainsi le
problème de leur protection, de la garantie de leurs droits et des modes
d’exercice de leur autonomie. Au niveau de la société tout entière, se pose la
question de leur compatibilité avec le principe de l’unité de l’État, de
l’indivisibilité de la souveraineté et du respect éventuel du principe
majoritaire. La société plurale, en organisant la coexistence de minorités, ou la
société consociative, en définissant les conditions du partage des
responsabilités politiques entre elles, apparaissent comme des formes
d’accommodement d’un ordre social composé de minorités structurées et
organisées. En langage institutionnel, on parlera de « minorité électorale » ou
de « minorité parlementaire » pour désigner des ensembles électoraux ou
partisans ayant rassemblé une minorité de suffrages, et exclus, à ce titre, de
l’exercice du pouvoir.
→ culture, ethnicité, majoritaire (principe), opposition, parlement
MINORITÉ (Gouvernement de). Dans un régime démocratique représentatif,
le gouvernement de minorité désigne une formation gouvernementale qui
résulte d’une coalition parlementaire arithmétiquement minoritaire. La
situation se présente lorsque la configuration des clivages partisans rend
impossible la formation d’une coalition majoritaire et donne donc naissance à
une pluralité de coalitions minoritaires possibles. Elle peut aussi dériver, dans
un modèle de bipolarisation, d’une victoire très courte d’une des deux
coalitions qui doit alors bénéficier de la neutralité bienveillante des quelques
Élus inclassables ou appartenant à de petits partis qui ne relèvent d’aucune des
deux coalitions possibles. Enfin, le gouvernement de minorité peut aussi
résulter du retrait de la coalition gouvernementale de certaines des formations
qui le composaient et qui choisissent soit le « soutien (parlementaire) sans
participation (gouvernementale) » soit le soutien sélectif.

Dans tous les cas, le gouvernement de minorité vient atténuer la rigueur du


principe majoritaire : le gouvernement revient non pas à la majorité des
représentants élus, mais à la minorité contre laquelle ne se coalise pas une
majorité de représentants. C’est pour institutionnaliser ce correctif qu’ont été
introduites différentes dispositions du « parlementarisme rationalisé »,
notamment les règles d’adoption des motions de censure (cf. France de la
V République et Allemagne contemporaine).
e

→ coalition (gouvernement de), gouvernement, majoritaire (principe),


parlement
STRØM. K., « Minority governments in parliamentary democracies »,
Comparative Political Studies (17), 1984.

MOBILISATION POLITIQUE

Concept très utilisé en science politique, mais dans des sens variés et
parfois de façon galvaudée. On peut retenir, avec François Chazel, que la
mobilisation politique désigne « la création de nouveaux engagements et de
nouvelles identifications – ou quelquefois la réactivation de loyautés et
d’identifications oubliées – ainsi que le rassemblement, sur cette base,
d’acteurs ou de groupes d’acteurs dans le cadre d’un mouvement social
chargé, au besoin par la confrontation directe et éventuellement violente avec
les autorités en place, de promouvoir et parfois de restaurer des fins
collectives ». La mobilisation politique suppose ainsi la réunion de trois
éléments constitutifs : l’activation des engagements et des identifications, la
formation d’un mouvement social, la définition de fins collectives. Autant
d’éléments qui peuvent recouvrir les domaines les plus divers de l’action
politique : aussi pourra-t-on faire État de « mobilisation citoyenne », de
« mobilisation révolutionnaire », de « mobilisation électorale », de
« mobilisation partisane » ou de « mobilisation syndicale »…
La mobilisation politique se distingue de la mobilisation sociale qui se
rapporte, quant à elle, au changement social. Elle désigne le processus de
déliquescence des allégeances traditionnelles et les transformations qui en
dérivent : Karl Deutsch, notamment, suggère qu’en s’émancipant de son
groupe communautaire d’appartenance, l’individu tend à s’intégrer à un public
mobilisé dont la constitution renouvelle profondément la configuration des
sociétés et des systèmes politiques qui en sont affectés. En ce sens, la
mobilisation est autant un processus de changement qu’un État qui se mesure
à l’aide d’indicateurs (urbanisation, alphabétisation, essor des mass medias,
développement d’un marché, essor des communications, etc.).
→ action collective, altermondialisme, citoyenneté, identité politique,
loyalty, nation : nationalisme, participation politique
CHAZEL F., « La mobilisation politique », Revue française de science
politique, juin 1975 ; CHAZEL F. (dir.), Action collective et mouvements
sociaux, Paris, PUF, 1993 ; CRÉTTIEZ X., SOMMIER I. (dir.), La France rebelle.
Tous les mouvements et acteurs de la contestation, Paris, Michalon, 2006 ;
ION J., FRANGULADAKIS S., VIOT P., Militer aujourd’hui, Paris, Éd. Autrement
(CEVIPOF), 2005 ; ION J., La Fin des militants ? Paris, Éd. de l’Atelier/Éd.
ouvrières, 1997 ; LAGRANGE H., OBERTI M. (dirs.), Émeutes urbaines et
protestations. Une singularité française, Paris, Presses de Sciences Po, 2006.

MOBILISATION SOCIALE

→ mobilisation politique

MODÈLES

Qualitatifs ou mathématisés, ils sont constitués par des systèmes d’énoncés


(ou d’hypothèses) à partir desquels l’univers des possibles qui en découlent
est confronté à l’univers réel observable. Aujourd’hui, les modèles se
développent en science politique dans plusieurs directions : l’analyse et
l’interprétation des rapports internationaux notamment dans leurs dimensions
militaire et diplomatique, la typologisation des processus décisionnels, les
études du comportement électoral. Les modèles dynamiques qui intègrent des
scénarios de changement, empruntent à la théorie des jeux.
Les modèles présentent quatre caractéristiques principales :
– Ils sont fondés sur des hypothèses explicites, ce qui signifie une
identification précise des variables retenues comme pertinentes dans le
raisonnement considéré ; par exemple, dans les modèles électoraux :
indicateurs économiques (évolution des revenus, de l’emploi, de
l’inflation…), catégories socio-démographiques (sexe, âge, lieu de résidence),
votes agrégés par familles politiques, etc. Les modèles dits stochastiques ont
la particularité d’intégrer le hasard comme variable dépendante ; ce qui
suppose le recours à des techniques mathématiques plus complexes.
– Ils sont délibérément réducteurs, en ce sens qu’ils simplifient pour faire
mieux apparaître ce qui demeure masqué par la complexité du réel. Ainsi des
mobiles du comportement politique, rapportés par exemple à un simple calcul
coûts/avantages fondé, chez l’électeur, sur sa connaissance plus ou moins
imparfaite de l’offre de biens formulée par les candidats qui sollicitent son
suffrage.
– Ils reposent sur l’emploi systématique des ressources du raisonnement
logique pour explorer les déductions possibles des prémisses posées. De ce
point de vue les modèles qualitatifs n’ont pas la même capacité de rigueur que
ceux qui utilisent le langage des mathématiques, de la logique formelle ou de
l’informatique.
– Ils doivent être testables, c’est-à-dire susceptibles d’être confrontés à des
matériaux empiriques. En effet, leur validité explicative ou compréhensive
repose en dernière instance sur leur capacité à prédire l’apparition de
phénomènes repérables dans l’univers réel.
→ jeux (théorie des), méthodologie : Méthodes quantitatives
BANKS J., Signaling Games in Political Science, Londres, Routledge,
2001 ; GÉRARD-VARET L., PASSERON J.-C. (dirs.), Le Modèle et l’enquête. Les
usages du principe de rationalité dans les sciences sociales, Paris, EHESS,
1999.

MODÈLES SPATIAUX

Dérivé du paradigme du choix rationnel appliqué à l’analyse du


comportement électoral, fondé sur la représentation d’un espace de la
politique où les candidats et les électeurs peuvent se situer mentalement, et
dans lequel ils évaluent les distances réciproques qui déterminent un vote en
faveur soit du candidat le plus proche, soit d’un autre candidat plus éloigné
mais possédant de meilleures chances d’être élu. Ces distances sont
généralement perçues dans leur dimension idéologique. Cette modélisation a
été conçue dès 1929 par l’Anglais Hotelling (Sociologie), et a inspiré par la
suite les travaux d’Anthony Downs.
→ choix rationnel (théorie du), élection
ENELOW J., HINICH M., The Spatial Theory of Voting : an Introduction,
Cambridge, Cambridge University Press, 1984 ; HOTELLING H., « Stability and
Competition », Economic Journal (39), 1929.

MODERNISATION

Processus social de construction de la modernité, la modernisation permet


de désigner en même temps des évolutions ainsi que les tensions et les conflits
qui les accompagnent (effets de différenciation, de mobilisation sociale, de
sécularisation…). En tant que tel, ce processus reçoit souvent une connotation
positive : porteur de rationalisation, d’enrichissement et d’amélioration des
conditions de la vie sociale, il serait, à ce titre, source de légitimité.
Aussi, la théorie qui en dérive est-elle en même temps normative et
empirique, énonçant simultanément ce qu’est et ce que doit être le
changement social. Elle est, à ce titre, utilisée, conjointement, par l’acteur et
par le sociologue. Pour les mêmes raisons, mais aussi du fait de la connotation
du concept de modernité, elle indique en même temps un mode de
transformation des sociétés et un processus de mise en conformité de celles-ci
avec le modèle occidental de société industrielle.
→ développement politique, modernité, tradition
BELL D., Vers la société postindustrielle, Paris, R. Laffont, 1976 ;
EISENSTADT S., Anthropologie politique, Change and Modernity, New York,
J. Wiley, 1973 ; Patterns of Modernity, Londres, Pinter, 1987.

MODERNITÉ

Né d’une conception évolutionniste du changement social, pour désigner un


type idéal d’ordre social vers lequel tendraient l’ensemble des sociétés, ce
concept est essentiellement utilisé pour décrire l’ensemble des caractéristiques
propres aux sociétés ayant accompli leur révolution industrielle. Ces
caractéristiques varient quelque peu selon les auteurs, mais concernent le plus
généralement l’extension de la production industrielle, le passage à une
agriculture de marché, la complexification de la division du travail, la
valorisation de l’économique sur le social. Elles supposent aussi l’essor de
l’urbanisation, une croissance démographique modérée et contrôlée, le
développement et la généralisation du savoir ainsi que la promotion de
l’innovation technique, scientifique et intellectuelle par rapport à la simple
reproduction de la tradition. Sur le plan politique, les théoriciens
développementalistes comme ceux de la modernisation postulent
l’universalité d’une modernité politique se traduisant notamment par la
rationalisation des structures d’autorité, et donc la généralisation de l’État et
de la bureaucratie, mais aussi par l’extension de la participation politique
devant essentiellement déboucher sur l’universalisation de la démocratie.
Évoquant ainsi la simple reproduction du modèle occidental, le concept de
modernité a été critiqué pour son ethnocentrisme, ce qui a conduit plusieurs
auteurs à réintroduire la prise en compte des traditions et de leur pluralité. La
modernité, dans cette optique renouvelée, évoquerait ainsi, mais de façon plus
floue, la composition sans cesse renouvelée de données traditionnelles et de
paramètres universels de la modernité, présentés alors comme plus abstraits et
plus généraux.
→ anthropologie politique, développement politique, modernisation,
tradition
GIDDENS A., Les Conséquences de la modernité, Paris, L’Harmattan, 1994.

MONARCHIE

Désigne à l’origine ou au sens strict le pouvoir détenu par un gouvernant


suprême unique, à la différence de l’aristocratie (domination d’une élite) ou de
la démocratie (pouvoir affecté au peuple entendu de diverses manières) selon
la typologie politique générale d’Aristote. Platon nuance toutefois cette
taxonomie fondatrice de la science politique, en distinguant les formes pures
et impures de chacune de ces catégories ; pour lui comme pour Aristote
d’ailleurs, la corruption de la monarchie débouche sur la tyrannie.
Historiquement, le principe monarchique s’est réclamé très longtemps des
sources religieuses d’une légitimité royale produite par la volonté divine. Une
évolution s’observe cependant sur ce plan. Dans l’Égypte antique par
exemple, le Pharaon se considère lui-même comme une divinité immortelle.
Puis, spécialement en Chine et au Japon, les monarques apparaissent comme
des fils ou des héritiers plus ou moins lointains du Dieu créateur, des « Fils du
Ciel ». En Europe, enfin, ils deviennent simplement ses élus, bénéficiant
d’une onction sacrée qui leur permet parfois – en France et en Angleterre –
d’opérer des guérisons miraculeuses qui attestent celle-ci. Mais en Europe
également, une rupture se dessine de plus en plus, avec la diffusion d’un ordre
de succession dynastique restreint à un lignage familial et la mise en forme
progressive de la doctrine des Deux Corps du roi. Cette dernière en particulier,
qui distingue le corps physique et mortel des rois de leur corps mystique
confondu avec celui du peuple qu’ils incarnent, tend à dégager le caractère
toujours sacré de l’institution monarchique de sa référence à la transcendance
divine pour le référer davantage au domaine de l’immanence, de ce qui n’a
pas besoin de se démontrer. Pour Max Weber, qu’ils soient ou non d’ordre
religieux, ces modes de légitimation relèvent toutefois tous de la légitimité
traditionnelle commune aux monarchies aristocratiques ou absolutistes.
Ce n’est qu’avec l’essor du libéralisme politique que celles-ci aboutissent,
avec les monarchies constitutionnelles, à un mélange des deux légitimités
traditionnelle et rationnelle-légale dont la Grande-Bretagne fournit l’exemple
par excellence quand bien même elle ne possède pas de constitution écrite. À
présent, en dehors des mini-États que sont le Lichtenstein et Monaco, huit des
démocraties européennes jouissent d’un tel régime, royal mais forcément et
avant tout parlementaire (Belgique, Danemark, Espagne, Luxembourg,
Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède). Les compétences conservées par
leurs souverains y varient toutefois assez sensiblement, du maximum espagnol
ou belge au minimum suédois.
→ aristocratie, démocratie, régimes politiques : Régimes parlementaires
BARBEY J., Être roi. Le Roi et le gouvernement en France de Clovis à
Louis XVI, Paris, Fayard, 1992 ; BENDIX R., Kings or People, Berkeley,
University of California Press, 1978 ; KANTOROWICZ E., Les Deux Corps du
Roi, Paris, Gallimard, 1989 [1957].

MONDIALISATION
Concept de relations internationales décrivant l’état du monde
contemporain marqué en même temps par un renforcement de la
communication, des interdépendances et des solidarités, par le
désenclavement des États et des espaces régionaux et par une uniformisation
des pratiques et des modèles sociaux à l’échelle de la planète tout entière.
Ce processus ne fait sens qu’à un niveau macro-sociologique et ne renvoie
pas à des indicateurs empiriques très précis ni très rigoureux. Son intérêt est
davantage théorique : il suggère, en effet, que les phénomènes politiques,
économiques et sociaux ne peuvent pas être étudiés en vase clos,
indépendamment de leur insertion dans un système-monde qui, contrairement
à autrefois, s’étend à l’ensemble du globe. Il suggère aussi que les catégories
classiques de l’analyse internationale s’en trouvent ébranlées : distinction
entre l’interne et l’externe, territoire, souveraineté, sécurité (« globale » et non
plus seulement « nationale »)… Son analyse est souvent associée à celle de
l’essor du particularisme, de plus en plus conçu comme une réaction de
protection face aux effets de la mondialisation.
→international
BECK U., What is Globalization ? Cambridge, Polity Press, 2000 ;
BERGER S., Notre première mondialisation, Paris, Seuil, 2003 ; MAC GREW A.,
Global Transformations, Londres, Polity Press, 1999 ; SÉNARCLENS P. DE, La
Mondialisation : théories, enjeux et débats, Paris, A. Colin (U), 2005 ;
SCHOLTE J. A., Globalization. A Critical Introduction, Palgrave, 2005.

MULTICULTURALISME

Cette expression venue d’Outre-Atlantique et trouvant son origine dès 1915


chez Horace Kallen, désigne la reconnaissance de multiples identités
culturelles au sein d’une même société. En se fondant sur leur caractère
légitime, on récuse les processus d’assimilation destructeurs des allégeances
culturelles, on souhaite la mise en œuvre d’une socialisation du moi ancrée
dans une culture spécifique, on avance la nécessité de défendre les droits de
toutes les minorités de type « ethnique » ou social (femmes, homosexuels,
etc.). La redécouverte de la culture revient à transformer l’espace public en
une multitude d’îlots identitaires. À partir du multiculturalisme, on en vient à
défendre une politique d’« affirmative action » favorable aux diverses
minorités dominées, afin de leur permettre de bénéficier d’une redistribution
prioritaire des biens collectifs, d’accéder aux emplois publics, aux universités,
etc., en fonction de leur représentation au sein de la population générale. On
s’éloigne ainsi d’une société fondée sur une dimension contractualiste jugée
trop abstraite en refusant aussi une citoyenneté coupée de ses diverses
allégeances. Une telle perspective est difficilement compatible avec la
dimension universaliste de l’État nation à la française. Le pluralisme croissant
de la société française contribue pourtant à poser de manière plus légitime
cette question du multiculturalisme afin de faciliter l’accès à l’espace public
de différents groupes peu représentés et issus des immigrations récentes : il
s’agit alors de nommer au sein du personnel politique des élites qui en
proviennent ou encore de faciliter l’accès à certaines Grandes écoles d’élèves
venant du monde des banlieues. Dans le même sens, l’idée de légitimer
d’usage de statistiques dites « ethniques » afin de combattre les
discriminations qui empêchent l’expression de ce multiculturalisme se pose de
manière urgente : elle va pourtant à l’encontre d’un espace public de type
universaliste où les citoyens sont supposés agir en dehors de leur appartenance
culturelle ou identitaire.
BIRNBAUM P., « Du multiculturalisme au nationalisme », in « La Nation »,
La Pensée politique, 1995 ; FASSIN D., FASSIN E. (dir.), De la question sociale
à la question raciale. Représenter la société française, Paris, La Découverte,
2006 ; KALLEN H., Culture and Democracy in the United States : Studies in
the Group Psychology of the American Peoples, New York, Boni &
Liverlight, 1924 ; KYMLICKA W., La Citoyenneté multiculturelle. Une théorie
libérale du droit des minorités, Paris, La Découverte, 2001 [1995] ;
LACORNE D., La Crise de l’identité américaine. Du melting-pot au
multiculturalisme, Paris, Fayard, 1997 ; REX J., Ethnicité et citoyenneté : la
sociologie des sociétés multiculturelles, L’Harmattan, Paris, 2006 ; TAYLOR C.
et al., Multiculturalisme. Différence et démocratie, Paris, Aubier, 1994 ;
WIEVIORKA M., La Différence : identités culturelles. Paris. L’Aube. 2005.

MULTILATÉRALISME

Principe structurant les relations internationales, progressivement apparu au


XIX siècle, puis avec la création de la SDN (1919), mais qui s’est accompli dès
e

les lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Le multilatéralisme tend à


définir un système mondial de coopération dans lequel chaque État cherche à
promouvoir ses relations avec tous les autres plutôt que de donner la priorité
aux actions unilatérales ou bilatérales jugées dangereuses ou déstabilisantes.
Inspiré par l’institutionnalisme libéral de Woodrow Wilson (la scène
internationale doit, pour rester en paix, être régie par des institutions de nature
libérale) et par le solidarisme de Léon Bourgeois (la paix passe par la
promotion de la solidarité entre les peuples), il fait figure, en 1945, de
compromis entre ces logiques et la protection de la puissance et de la
souveraineté au moins des plus forts. Il s’incarne alors dans le système des
Nations Unies. Il a largement inspiré la création des institutions de Bretton
Woods ainsi que celles du GATT. Tout en étant de plus en plus équilibré par
le multilatéralisme régional, il organise aujourd’hui une part importante des
relations internationales globales dans le but d’accentuer leur prévisibilité,
leur régulation et leur organisation normative, dans celui également de donner
un fondement à l’essor des organisations internationales.
→ gouvernance
BADIE B., DEVIN G. (dir.), Le Multilatéralisme, Paris, La Découverte, 2007 ;
SMOUTS M.-C., Les Organisations internationales, Paris, A. Colin, coll.
« Cursus », 1995 ; « Gouvernance et nouveau multilatéralisme », in
SMOUTS M.-C. (dir.), Les Nouvelles Relations internationales, Paris, Presses de
Sciences Po, 1998.

MYTHE POLITIQUE

→ symbolique politique
N

NATION

On peut commencer par présenter l’opposition classique entre les


conceptions de la nation avancées par Herder et par Renan. Selon le premier,
la providence « a admirablement séparé les nations non seulement par des
forêts et des montagnes mais surtout par les langues, les goûts et les
caractères », chaque nation faisant figure d’organisme devant persister à
travers l’histoire en demeurant fidèle à sa propre culture. L’insistance portée
par Herder sur la légitimité du sentiment national a pourtant Été souvent
détournée vers une interprétation proprement nationaliste. Mais en voyant
dans chaque nation le résultat d’une culture propre qui se transmet dans le
temps, une sorte d’héritage s’imposant, par exemple, à travers une langue
maternelle, Herder ouvre incontestablement une perspective très différente de
celle présentée, un siècle plus tard, en 1882, par Ernest Renan dans sa fameuse
conférence « Qu’est-ce qu’une nation ? » À ses yeux, la nation ne dépend ni
d’une race particulière, car « au principe des nations on substitue alors celui
de l’ethnographie », ni d’une langue, « n’abandonnons pas, dit-il, ce principe
fondamental que l’homme est un être raisonnable et moral avant d’être parqué
dans telle ou telle langue », ni d’une religion, ni d’intérêts Économiques
partagés, ni encore de la géographie ; la nation « est une âme, un principe
spirituel […] elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent
par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer
la vie commune. L’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours ».
Renan, confronté au problème des provinces de l’est de la France devenues
allemandes en 1870, justifie ainsi leur retour à la France en dépit de leur
langue et de leur culture germanique. L’opposition entre l’Allemagne et la
France est donc devenue, de ce point de vue, presque paradigmatique même
si, en réalité, conceptions organique et universaliste se retrouvent des deux
côtés du Rhin. Ce débat Herder-Renan, par-delà les âges, oppose très
largement une conception tout à la fois organique et culturelle de la nation de
dimension holistique à une interprétation plus rationaliste et individualiste
tournée donc vers la volonté des acteurs. Une présentation sociologique plus
globale de la nation a été donnée par Marcel Mauss selon lequel une nation est
« une société matériellement et moralement intégrée, à pouvoir central stable,
permanent, à frontières déterminées, à relative unité morale, mentale ou
culturelle des habitants qui adhèrent consciemment à l’État et à ses lois ».
Reste à préciser les liens très étroits unissant nation et État à travers, par
exemple, la citoyenneté ; à analyser aussi ceux qui lient la nation et le
nationalisme, à s’interroger ainsi sur la possibilité d’une construction
nationale dépourvue de tout nationalisme, un auteur comme Ernest Gellner
avançant à ce propos que « c’est le nationalisme qui crée la nation et non le
contraire ».
→ État : État-nation, nation : nationalisme ; nationalitaires (mouvements)
BENDIX R., Nation-building and Citizenship, Berkeley, University of
California Press, 1964 ; DUMONT L., L’Idéologie allemande, Paris, Gallimard,
1991 ; GELLNER E., Nations et nationalisme, Paris, Payot, 1989 [1983] ;
HERDER J. G., Idées sur la philosophie et l’histoire de l’humanité, Paris,
Presses Pocket, 1991 ; HERMET G., Histoire des nations et du nationalisme en
Europe, Paris, Seuil (Points), 1996 ; HOBSBAWM E., Nations et nationalisme
depuis 1780, Paris, Gallimard, 1992 ; RENAN E., Qu’est-ce qu’une nation ?,
Paris, Presses Pocket, 1992 [1882].
NATIONALISME. À l’époque contemporaine, le nationalisme a d’abord été
appréhendé dans une perspective développementaliste comme le moment où
se constitue une « communauté de communication » rattachant entre eux des
individus par la diffusion des mass médias : la société traditionnelle serait
alors remplacée par une société urbanisée où une « mobilisation sociale »
devient possible par la formation de réseaux de communication plus intenses ;
cette école du nation-building illustrée par Karl Deutsch n’évoque en rien le
sentiment national et son orientation fonctionnaliste ne permet pas
d’appréhender ses conséquences politiques tout à la fois internes et externes.
Dans le même sens, pour beaucoup d’auteurs, tel Hans B Kohn, le
nationalisme de l’Europe de l’Ouest serait de nature civique, celui de l’Europe
orientale, de nature ethnique et il s’agirait de faire évoluer ce dernier vers les
formes modernes, civiques. D’un point de vue anthropologique, un auteur
comme Ernest Gellner voit lui aussi le nationalisme comme résultat d’un
certain type de modernité, non comme l’expression de solidarités
traditionnelles : à ses yeux, « le nationalisme n’est pas l’éveil d’une force
ancienne, latente qui sommeille. C’est, en réalité, la conséquence d’une
nouvelle forme d’organisation sociale, fondé sur de hautes cultures
dépendantes de l’éducation et profondément intériorisées dont chacune reçoit
une protection de son État ». Pour lui encore, le nationalisme se réalise « à
chaque rentrée des classes », « seul l’État peut remplir ce rôle […], l’État et la
culture doivent être liés. C’est la nature même du nationalisme. Et c’est pour
cette raison que nous vivons à l’âge du nationalisme ». Le nationalisme n’est
pas ici présenté comme une force de mobilisation d’identités antérieures dont
la mobilisation se ferait contre un État considéré comme artificiel mais
comme le résultat de l’action de l’État lui-même. C’est donc l’État qui
nationalise sa société. Dans la mesure où Gellner considère le nationalisme
comme un processus normal se déroulant dans les sociétés industrielles où
l’individualisme remet en question les normes collectives, il n’attache
curieusement aucune importance à la violence, à la haine, à la mobilisation
idéologique pour en rendre compte. Dans cette perspective évolutionniste,
Gellner ne peut pas analyser le nationalisme qui se manifeste dans les sociétés
agraires où il se fait pourtant souvent jour.

Au contraire, un grand nombre d’auteurs s’efforcent comme A.D. Smith de


montrer que les nations procèdent d’ethnies et présupposent leur nouvelle
mobilisation ; déçus par l’État moderne scientifique, des Élites savantes
assimilationistes ou réformistes deviennent des « revivalistes », réinventant
« un âge primitif idéalisé de foi religieuse qui leur servira de modèle pour la
tâche à venir de régénération collective […] La valeur est transférée à la
communauté en elle-même ». Ces élites, également à la recherche de futures
ressources de pouvoir personnel, réinventent cette « communauté imaginaire »
(cf. Benedict Anderson) à fondement ethnique que serait depuis toujours la
nation et, en son nom, mobilise cet acteur collectif. On peut facilement
appliquer une telle présentation du nationalisme aux mouvements du
XIX siècle qui, par réaction à la mise en place d’un État considéré comme
e

artificiel et distant des réalités ethniques ou encore culturelles de la nation, ont


eux aussi cherché à reconstruire une semblable communauté imaginaire
excluant, justement à partir de considérations ethniques ou culturelles, tous
ceux qui, en dépit de leur citoyenneté, y sont considérés comme étrangers.
Dans ce sens, les mobilisations populistes, les mouvements des droites
radicales xénophobes et racistes contre l’État constituent aussi des moments
nationalistes en mal d’identité nationale. D’autres auteurs enfin comme
Russell Hardin, analysent le nationalisme à travers le paradigme du choix
rationnel, chaque acteur s’engageant dans la mobilisation nationaliste en
fonction de la maximalisation de ses propres intérêts et non d’après un
sentiment d’appartenance à une ethnie ou même à une nation imaginée.
→ anthropologie politique, idéologie, mobilisation politique, nation
ANDERSON B., L’Imaginaire national, Paris, La Découverte, 1996 [1983] ;
BELL D., The cult of the nation in France : Inventing nationalism, Cambridge
(Mass.), Harvard University Press, 2001 ; BIRNBAUM P. (dir.), Sociologie des
nationalismes. Paris, PUF 1997 ; DARVICHE M.-S., « L’horizon ethnique de la
modernité. La sociologie d’Anthony D. Smith », Revue Internationale de
Politique Comparée (7) 1, 2000, pp. 203-234 ; DIECKHOFF A. (dir.), La
Constellation des appartenances : nationalisme, libéralisme et pluralisme,
(Paris), Presses de Sciences Po, 2004 ; « La déconstruction d’une illusion.
L’introuvable opposition entre le nationalisme politique et le nationalisme
culturel », L’Année sociologique (1), 1996 ; GELLNER E., Nations et
nationalisme, Paris, Payot, 1989 ; GREENFELD L., Nationalism. Five roads to
modernity, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1992 ; HERMET G.,
Histoire des nations et du nationalisme en Europe, Seuil, coll. « Points »,
1996 ; HOBSBAWM E., Nations et nationalisme depuis 1780, Paris, Gallimard,
1992 ; IGNATIEFF M., Blood and belonging. Journeys in the new nationalism,
London, Vintage, 1994 ; JAFFRELOT C., « Les modèles explicatifs de l’origine
des nations et du nationalisme », in DELANNOI G. et TAGUIEFF P.-A., Théories
du nationalisme, Paris, Kimé, 1991 ; KEDOURIE E., Nationalism, Hutchinson
University Library, 1986 ; SMITH A., The Ethnic Origins of Nations, Basil
Blackwell, Oxford, 1986 ; O’CONNOR W., Ethnonationalism, Princeton,
Princeton University Press, 1994 ; ROGER A., Les Grandes Théories du
nationalisme, Paris, A. Colin (Compact), 2001.
NATIONALISME LIBÉRAL. Peut-on distinguer un nationalisme libéral d’un
nationalisme nécessairement sanguinaire ? Le nationalisme implique-t-il
l’usage sans limite de la violence la plus extrême ? Pour tenter de réhabiliter
le nationalisme, certains auteurs contemporains, comme Yael Tamir,
s’efforcent de le rendre compatible avec le maintien des libertés, le libre choix
des acteurs acceptant ou non de s’identifier de manière plus ou moins intense
à une nation, l’usage légitime de la sortie du groupe. Dans le cadre de ce
nationalisme libéral, l’individu ne disparaît plus derrière la mobilisation
collective de type irrationnel ; il préserve son choix, contrôle son degré de
loyauté, refuse toute prétention à l’homogénéisation sociale et culturelle
impliquant la disparition d’un fort pluralisme protecteur au nom d’une culture
unique à laquelle s’identifierait la nation tout entière. Contre les identités
« épaisses » (Michael Walzer), ces auteurs plaident en faveur d’« identités
minces », le moi n’étant plus la simple expression du nous, de la nation, de la
conscience collective. Dans ce sens, le nationalisme libéral prétend laisser à la
personne son autonomie propre, la détacher d’une loyauté absolue à l’égard de
la nation, maintenir la société « ouverte » tout en reconnaissant la nécessité du
maintien de l’idée de nation.
→ nationalisme, libéralisme
BIRNBAUM P. (dir.), Sociologie des nationalismes, Paris, PUF, 1997 ;
DIECKHOFF A., « La déconstruction d’une illusion. L’introuvable opposition
entre le nationalisme politique et le nationalisme culturel », L’Année
sociologique (1), 1996 ; HERMET G., Histoire des nations et du nationalisme en
Europe, Seuil, coll. « Points », 1996 ; TAMIR Y., Liberal Nationalism,
Princeton, Princeton University Press, 1993 ; WALZER M., Morale maximale et
morale minimale, Paris, Fayard, 2004 [1994].

NATIONALITAIRES (MOUVEMENTS)

Les mouvements nationalitaires font figure de mouvements nationalistes


spécifiques dans la mesure où ils ne sont pas mis en œuvre par l’État (selon la
perspective de E. Gellner) et ne prétendent pas non plus remettre en question
un État moderne pour imposer un retour à une « communauté imaginaire » de
type ethnique (selon l’interprétation de A. Smith). Les mouvements
nationalitaires ont donc davantage pour but de rendre à nouveau légitime des
appartenances culturelles ayant le plus souvent un ancrage territorial précis
sans pour autant viser un but politique plus général. Ils facilitent donc le retour
aux langages régionaux, aux traditions, aux manières de pensée capables de
raffermir une identité culturelle ayant souffert de l’unification politique
comme de la modernisation économique.
→ État, nation : Nationalisme, partis politiques : Partis autonomistes
BRIQUET J.-L., La Tradition en mouvement : clientélisme et politique en
Corse, Paris, Belin, 1997 ; RUSSELL D., ALLAN S., Devolution in the United
Kingdom, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2007 ; HROCH M., Social
Preconditions of National Revival in Europe : A Comparative Analysis of the
Social Composition of Patriotic Groups among the smaller European Nations,
Cambridge, Cambridge University Press, 1985 [1968].

NATIONALITÉ

Au sens juridique, appartenance légale d’une personne à un État, définie au


regard de normes propres à cet État. Dans cette perspective légale et selon les
pays, la nationalité se constate soit par filiation unilatérale ou bilatérale (jus
sanguinis, ou droit du sang partiel ou absolu), soit par le fait de la naissance
sur le territoire national ou un territoire autrefois soumis à la souveraineté
nationale (jus solis, ou droit du sol). L’un de ces deux critères peut être retenu
de façon assez exclusive de l’autre (droit du sol en France, doit du sang en
Allemagne, ou en Suisse par filiation maternelle uniquement) ; ils peuvent
également se combiner comme en Belgique. Par ailleurs, la nationalité peut
s’acquérir par naturalisation en fonction des conditions déterminées par la
législation spécifique, parfois très facilement comme aux États-Unis ou au
Canada (simple délai de résidence exigé), parfois très difficilement (nécessité
d’obtenir au préalable la qualité de « bourgeois » d’une commune en Suisse ;
concession exceptionnelle du prince à Monaco ; situation assez semblable
dans les Émirats arabes unis par ex. ; conditions assez particulières en Israël).
La nationalité ainsi comprise est porteuse de droits et d’obligations vis-à-vis
de l’État pour ceux qui en bénéficient et qui se trouvent significativement
qualifiés de ressortissants de cet État. Symétriquement, ce dernier se trouve
astreint à faire bénéficier ses ressortissants de sa protection, notamment
diplomatique. Certaines personnes peuvent jouir de deux ou même de trois
nationalités, du fait de négligences ou d’imprécisions juridiques, ou plus
régulièrement en vertu de conventions bilatérales entre des États. Légalement,
les binationaux sont cependant considérés exclusivement comme des
nationaux d’un pays dont ils possèdent la nationalité lorsqu’ils résident dans
celui-ci (avec quelquefois des arrangements particuliers concernant le service
militaire masculin). Il faut ajouter que divers pays – l’Italie longtemps, par
exemple – ne reconnaissent pas le droit au renoncement à la nationalité
d’origine en cas de naturalisation dans un autre État. Le cas des « apatrides »
dépourvus de toute nationalité existe aussi, soit du fait d’une déchéance
légalement prononcée, soit pour d’autres raisons tenant souvent à la
disparition d’un espace de souveraineté ou à son démembrement (cas des
Arméniens ou des Russes blancs après 1918, moindrement des Palestiniens,
en général reconnus comme tels en dépit de l’inexistence territoriale de leur
État). Ces apatrides peuvent bénéficier d’un titre d’identité de statut
international (à un moment le « passeport Nansen »), ou se voir octroyer un
document national équivalent.
Dans son origine moderne, le concept juridique de nationalité se lie au
développement de l’État-nation, ainsi qu’à la référence à la notion de
citoyenneté que celui-ci privilégie au nom de sa légitimité fondée sur le primat
de la souveraineté populaire. Au sens idéal, le national d’un pays est censé par
conséquent être l’un de ses citoyens pourvus de droits civiques. Dans la
pratique, toutefois, il va de soi que le concept de nationalité s’applique
également, de nos jours, aux ressortissants de régimes non démocratiques
dotés de droits civiques variables et de droits politiques nuls. Il vaut, de
même, pour des pays où la nationalité et la citoyenneté juridiques se trouvent
en fait dénivelées selon les catégories de population au détriment de certaines
minorités ethniques, religieuses, linguistiques ou encore sociales. Par ailleurs,
les deux notions de nationalité et de citoyenneté se trouvent disjointes dans le
cadre de certaines logiques fédérales ou confédérales qui distinguent les
diverses nationalités propres à chacune des unités fédérées ou confédérées
d’une citoyenneté globale, unificatrice et transversale. Tel fut le cas en
particulier en URSS, où coexistaient la citoyenneté soviétique et les
nationalités russe, ukrainienne, géorgienne et autres, ou encore dans l’ex-
Yougoslavie, où la « nationalité musulmane » ne se référait même pas au lien
d’une personne avec un espace territorial précis. Et tel fut aussi le principe
énoncé avant 1914 par les austromarxistes (Otto Bauer, Karl Renner) dans
l’ancien empire des Habsbourg, quand ils préconisaient la liberté pour chacun
de se réclamer à titre individuel de quelque identité que ce soit et abstraction
faite de tout lieu de résidence, sans que ce choix entraîne la déchéance de la
citoyenneté globale.
Le terme de nationalité constitue par ailleurs un concept culturel ou
ethnique en langue allemande (Nationalität), par différence avec son
acception juridique couverte notamment par le mot Staatsangeörigkeit (État
d’appartenance). Il en va de même dans les langues slaves, spécialement au
cours de la période communiste, ou encore en turc, qui suit l’usage allemand
(le terme milliyet y désigne l’ethnie ou la religion – musulman, grec, arménien
– cependant que le vocable tabiiyet se réfère à l’État auquel on appartient).
État : État-nation, fédéralisme, identité politique, nation : Nationalisme
HERMET G., Histoire des nations et du nationalisme en Europe, Paris, Seuil,
1996, coll. « Points » ; NOIRIEL G., « Socio-histoire d’un concept. Les usages
du mot « nationalité » au XIX siècle », Genèses (20), sept. 1995 ; ROGER A.,
e

Les Grandes Théories du nationalisme, Paris, A. Colin (Compact), 2001.

NATURE (ÉTAT DE)

Évoquant la condition supposée de l’homme avant l’apparition de la vie en


société, l’état de nature est un concept qui joue un rôle majeur dans la pensée
politique occidentale jusqu’au XIX siècle. Les projections les plus diverses qui
e

peuvent être construites sur cet inconnaissable « amont de l’Histoire »


permettent de l’ériger en outil essentiel du raisonnement philosophique aux
fins de légitimer des systèmes politiques. Il sert essentiellement à deux fins :
ancrer le point de départ d’un système doctrinal, et constituer une référence
constante à la lumière de laquelle sera jugé le présent, soit de manière critique
(surtout chez ceux qui assimilent l’état de nature à l’épanouissement du
bonheur, de la raison ou de l’utilité), soit de manière positive (la société
perçue comme un progrès par rapport à l’état de nature antérieur).
Ainsi, selon les doctrines absolutistes du XVI (Bodin) et du XVII siècle
e e

(Filmer), dans l’état de nature les hommes n’étaient pas libres ; ils vivaient
dans des familles patriarcales soumises à un pouvoir rigoureux. On en déduira
donc la justification de la monarchie absolue comme mode naturel
d’organisation sociale. Chez Hobbes au XVII siècle, c’est au contraire l’égalité
e

radicale entre les hommes, et l’insécurité totale qui en résulte, qui fondent la
nécessité d’un pouvoir rigoureusement omnipotent pour contenir l’agressivité
de l’homme pour l’homme. Quant à Locke, il illustre un autre courant pour
qui l’état de nature faisait bénéficier les hommes d’un certain nombre de
droits et d’avantages auxquels ils n’ont pu vouloir raisonnablement renoncer
en convenant du pactum societatis. Il fonde sur ce calcul le thème des droits
naturels, inaliénables et sacrés, opposables à tout pouvoir politique
oppresseur. Enfin Rousseau a développé la thèse de la totale souveraineté de
l’Homme à l’état de nature d’où il déduit celle du Peuple dans tout État de
société, quel qu’il soit. C’est la Volonté générale, souveraine, une et
inaliénable.
La sortie de cet état de nature postule l’existence d’un « contrat social ».
Certains auteurs se le représentent comme un événement historique et d’autres
comme une simple construction logique évoquant l’accord de volontés qui
aurait présidé d’une part à la fondation d’une vie en commun (pactum
societatis) d’autre part à l’acceptation de l’obéissance à une loi commune
(pactum subjectionis). Contribuant à forger les représentations du pouvoir
légitime, ces notions interdépendantes fonctionnent comme de véritables
mythes, c’est-à-dire des idées forces mobilisatrices de raisonnements et
d’affects. Il en subsiste aujourd’hui une trace importante dans la notion de
souveraineté populaire sur laquelle reposent beaucoup d’édifices
constitutionnels démocratiques.
→ État, souveraineté
GOYARD-FABRE S., Les Embarras philosophiques du droit naturel, Paris,
Vrin, 2002 ; MOREAU P.-F., Le Récit utopique. Droit naturel et roman de
l’État, Paris, PUF, 1982 ; SIMON P., Le Droit naturel. Ses amis et ses ennemis,
Paris, Guibert, 2005 ; STRAUSS L., Droit naturel et histoire Paris, Flammarion,
2008 [1952] ; VILLEY M., Philosophie du droit, Paris, Dalloz, 1979.

NAZISME

De très nombreuses interprétations ont été données de l’avènement du


nazisme. La victoire d’Hitler a été appréhendée comme le triomphe du grand
patronat qui parviendrait par son entremise à imposer son pouvoir, dans cette
situation de crise économique profonde, en venant à bout de la classe
ouvrière : telle est l’interprétation dominante de l’Internationale communiste
diffusée dès les années 1930 par Clara Zetlin et légèrement modifiée par le
rapport Dimitrov, en 1935. Pourtant, comme l’avance Karl Bracher dans La
Dictature allemande, « Hitler était tout le contraire d’un instrument du
capitalisme » ; s’il existe alors certainement un « enchevêtrement » entre les
sphères économiques et politiques, de nombreux théoriciens marxistes
admettent pourtant eux-mêmes que le nazisme instaure un pouvoir politique
bénéficiant d’une grande autonomie par rapport à la bourgeoisie, certains
d’entre eux, comme Thalheimer, utilisant le modèle bonapartiste pour en
rendre mieux compte afin de souligner, selon la célèbre formule de Tim
Mason « le primat du politique ». Dans le même sens, de nombreux auteurs
contemporain, tel Klaus Hildebrand, en viennent même à soutenir que durant
le régime nazi, « l’économie se met au service de la politique ».
C’est dans cette direction que la recherche a énormément évolué : beaucoup
mettent maintenant l’accent sur la voie allemande par ticulière d’accès à la
modernité, sur l’histoire de cette nation (nature des institutions politiques
répressives, idéologie raciale et communautaire, etc.), sur le nazisme comme
mode de destruction de l’État antérieur, soucieux d’abolir la haute fonction
publique à la prussienne considérée comme étrangère aux vraies valeurs
allemandes et de reconstruire une citoyenneté qui serait cette fois liée à la race
et à la langue. On se penche aussi sur le rôle fondamental d’un Hitler pour
expliquer les traits particuliers du nazisme ; cet « hitléro-centrisme » a
l’avantage d’éclairer, d’historiciser le nazisme tout en soulignant l’importance
des valeurs propres à Hitler, attaché à mettre en œuvre depuis fort longtemps
une politique spécifique, en particulier à l’égard des juifs : dans cette voie,
certains historiens voient dans Hitler le maître réel du III Reich, son
e

« intention » se transformant en politique. D’autres, plus nombreux de nos


jours, tel Hans Mommsen, le considèrent au contraire comme « un dictateur
faible », incapable de prendre de véritables décisions. Dans ce sens, certains
insistent sur sa personnalité propre qui s’expliquerait par des traits purement
pathologiques tandis que d’autres soulignent le désordre institutionnel, la
multiplicité des centres de pouvoir, la dimension « polycratique » qui
dominerait dans l’Allemagne hitlérienne du fait de la dispersion des pouvoirs
(Martin Brozsat). Se dessine alors une histoire révisionniste qui diminue la
responsabilité d’Hitler lui-même et risque de faire aussi reculer indûment la
responsabilité de l’Allemagne dans la mise en œuvre du génocide juif.
→ fascisme, régimes politiques : Régimes (systèmes) totalitaires
L’Allemagne nazie et le génocide juif, Paris, Seuil/Gallimard, 1985 ;
AYÇOBERRY P., La Question nazie, Paris, Seuil, 1979 ; BROZSAT M., L’État
hitlérien, Paris, Fayard, 1987 ; Hitler, Gallimard, 1995 ; KERSHAW I., Qu’est-
ce que le nazisme ?, Paris, Gallimard, Folio, 1992 ; KLEMPERER V., LTI. La
langue du III Reich. Carnets d’un philologue, Paris, Albin Michel-Agora,
e

1996 [1966].

NÉO-CORPORATISME

L’analyse néo-corporatiste apparaît aux États-Unis comme une réponse à la


crise de la représentation politique mais, aussi, comme une réponse à la crise
du syndicalisme. Pour Philippe Schmitter, « le corporatisme peut être défini
comme un système de représentation des intérêts dans le cadre duquel les
acteurs sont organisés en un nombre limité de catégories fonctionnelles,
obligatoires, disciplinées, hiérarchisées et à l’abri de toute concurrence ;
catégories qui sont reconnues et admises (sinon créées) par l’État et
bénéficient d’un monopole de représentation dans la mesure où elles
parviennent en retour à contrôler la sélection de leurs dirigeants, le type de
demandes qui s’expriment et le soutien qu’elles reçoivent ». Dans ce cadre
néo-corporatiste, les dirigeants de groupes sociaux, ou encore de groupes
d’intérêts, s’intègrent donc au processus de décision étatique, et à la mise en
œuvre des politiques publiques en réussissant à l’orienter et à bénéficier dès
lors de rétributions spécifiques ainsi que d’avantages divers (prestige,
influence, etc.), quitte à ce que, en retour, ils parviennent à contrôler leurs
mandataires, en limitant du coup leur capacité d’action collective.
Pour certains, le néo-corporatisme aurait surtout pour fonction d’intégrer la
classe ouvrière dans l’État capitaliste, celle-ci s’inscrivant dès lors dans la
construction plus générale du Welfare State par lequel l’État associe aussi la
social-démocratie à ses structures. Le néo-corporatisme remettrait ainsi en
question la stratégie indépendante des syndicats, diminuerait les grèves,
intégrerait les ouvriers à travers l’association du parti qui les représente et
dont les intérêts seraient pris en considération. Pour d’autres, le néo-
corporatisme apparaît davantage comme un nouveau un type de représentation
qui marginalise quelque peu la représentation démocratique, les citoyens étant
dépossédés d’une partie de leur pouvoir dans la mesure où ce sont les
dirigeants non élus des groupes qui s’expriment et décident en leur nom ; on
s’éloigne aussi du pluralisme dans la mesure où les groupes perdent leur
autonomie d’action et d’organisation. La distinction s’impose toutefois entre
le macro-corporatisme (régulation entre l’État, les syndicats et le patronat), le
corporatisme « méso » qui porte sur un seul secteur et le corporatisme
« micro » qui n’existe qu’au niveau de la firme. Le corporatisme peut
également être plus ou moins important selon le type d’État dans le cadre
duquel viennent se loger ces intérêts spécifiques, un État fort à la française
Étant plutôt hostile à leur présence même si certains d’entre eux (monde
agricole, personnel enseignant, etc.) y ont traditionnellement accès. À partir de
typologies, on oppose les pays à fort corporatisme comme l’Autriche ou la
Suède aux pays à corporatisme intermédiaire, tels la Grande-Bretagne,
l’Allemagne ou le Danemark, et enfin aux pays à faible corporatisme comme
la France.
→ classe sociale, démocratie, représentation (théorie de la)
CAWSON A., Corporatism and Political Theory, Oxford, Basil Blackwell,
1985 ; CROUCH C., STREACK W., The diversity od democracy : corporatism,
social order and political conflict, Cheltenham, E. Elgar, 2006 ;
HASSENTEUFEL P., « Où en est le paradigme néo-corporatiste ? », Politix,
4 trim., 1990 ; SCHMITTER PH., « Still the Century of Corporatism ? », Review
e

of Politics (36), 1974 ; SCHMITTER PH., LEMBRUCH G., Trends Toward


Corporatist Intermediation, Sage, Londres, 1979 ; Patterns of Corporatist
Policy-Making, London, Sage, 1982.

NÉO-INSTITUTIONNALISME

Ensemble de paradigmes divulgués surtout par James March et Johan P.


Olsen, inspirés selon les cas des théories du choix rationnel ou de l’analyse
historique, et reposant sur le principe que, une fois créées, les institutions
empruntent un parcours déterminé par leur logique initiale et deviennent en
quelque sorte des variables indépendantes. Les tenants de cette démarche lui
attribuent une portée quasiment prédictive. Ils estiment en effet que les
institutions structurent les choix politiques subséquents sur de très longues
périodes, y compris même lorsqu’elles se révèlent peu adaptées à leur
environnement dans la mesure où leur modification impliquerait un coût trop
élevé. Avec son travail pionnier sur le Congrès américain, Kenneth A. Shepsle
fut dès 1979 le premier inspirateur de cette école devenue très influente chez
les politologues aussi bien que chez les sociologues. S’inspirant de March,
Skjeie pose que ces variables finissent par agir comme des normes, qui
donnent à la fois une direction pour l’action et des instruments
d’interprétation. Pour paraphraser March, ces normes fournissent en somme le
cadre et la mesure des actes et des discours « corrects » ou légitimes. Elles
peuvent prendre la forme de prescriptions ou d’interdictions relativement
formelles mais s’insèrent aussi dans un réseau complexe d’idées, de doctrines,
de schémas d’interprétation, qui participe à la construction de la
reconnaissance et de l’identité des acteurs. Le « néo-institutionnalisme » est
souvent critiqué pour son usage trop vague des concepts de « règles » et de
« normes ».
→ choix rationnel, institutionnalisme historique, méthodologie
KEOHANE R. O. (ed.), International Institutions and State Power, Boulder,
Westview, 1989 ; LECOURS A. (ed.), New Institutionalism : Theory and
Analysis, Toronto, Universty of Toronto Press, 2005 ; MARCH J., OLSEN J.,
Rediscovering Institutions : The Organisational Basis of Politics, New York,
Free Press, 1989 ; NORTH D. C., Institutions, Institutional Change and
Economic Performance, Cambridge, Cambridge University Press, 1990 ;
PETERS B. G., « Political institutions : old and new », in GOODIN R. E.,
KLINGEMANN H. D. (eds), The New Handbook of Political Science, Oxford,
Oxford University Press, 1996 ; POLLACK M. A., « The new institutionalism
and EC governance », Governance 9 (4), Oct. 1996 ; SHEPSLE K. A.,
« Institutional arrangements and equilibrium in multidimensional voting
models », American Journal of Political Science (23), 1979.

NÉO-PATRIMONIALISME

→ patrimonialisme

NOUVEAUX MOUVEMENTS SOCIAUX

→ espace public, pacifisme, participation politique

NOMENKLATOURA

Dans les systèmes communistes, il s’agit au sens exact de la liste des


fonctions à des postes de direction de tous ordres qui ne sont pas pourvus par
décision des supérieurs hiérarchiques mais après avis de l’organe compétent
du Parti unique. Par extension, groupe de statut restreint et fermé de dirigeants
politiques, militaires et économiques ou d’intellectuels de rang élevé, dotés de
privilèges matériels et statutaires exclusifs tels que l’accès à des magasins
réservés spéciaux, à des services de soins inaccessibles au commun des
mortels ou à des logements de qualité. La Nomenklatoura tire ces privilèges
de la propriété dite collective, dont elle ne possède pas les titres mais dont elle
use à sa convenance au nom du peuple. La menace d’exclusion de la
Nomenklatoura assure la soumission des dirigeants.
→ communisme, démocratisation, perestroïka, Régimes (systèmes)
totalitaires, totalitarisme
DJILAS M., La Nouvelle Classe dirigeante, Paris, Plon, 1957 ;
VOSLENSKY M., La Nomenklatura. Les privilégiés en URSS, Paris, Belfond,
1980.

NOTABLES

Max Weber définit les notables comme des personnes 1) dont l’aisance
matérielle leur permet de remplir des fonctions politiques, administratives ou
associatives non rémunérées, 2) et qui jouissent d’un prestige social leur
permettant de conserver ces fonctions pendant de longues périodes. Au
XIX siècle, on désigne plus précisément comme notables les détenteurs de
e

pouvoirs locaux qui sont parvenus à imposer leur présence aux sommets du
pouvoir à partir de la monarchie de Juillet, en limitant ainsi la puissance de
l’État centralisé monarchique, révolutionnaire ou napoléonien.
L’administration étatique n’a eu de cesse, néanmoins, de poursuivre sa
centralisation afin d’étendre l’emprise de la puissance publique au détriment
des détenteurs de pouvoirs locaux. Dans ce sens, la logique de l’État fort s’est
exercée, en France, à l’encontre de l’autonomie d’un gouvernement local à
l’américaine, comme lieu périphérique de pouvoir autonome. Pourtant, dès les
années 1970, Pierre Grémion a dénoncé cette lecture trop simpliste des
rapports centre-périphérie dans la France contemporaine. Dans son ouvrage Le
Pouvoir périphérique, il a montré comment « à la périphérie, l’État tombe en
miettes » : les notables locaux savent en effet contrôler l’administration locale
et imposent leurs propres demandes auprès des fonctionnaires d’autorité en
poste dans le département. Dans le même sens, les rapports entre le préfet et
ses notables ont été appréhendés autrement : au lieu de l’image du préfet tout-
puissant, héritier des intendants d’autrefois, imposant la volonté de Paris aux
provinces soumises, on souligne maintenant la permanence des rapports
d’interdépendance qui se sont créés entre ces hauts fonctionnaires d’autorité et
leurs notables. De véritables échanges de services non prévus par les textes et
à la marge de la loi se sont tissés entre eux afin d’assurer les intérêts des uns et
des autres : le préfet a besoin des notables pour maintenir son autorité locale et
démontrer l’étendue de son pouvoir. Cela renforce le prestige
des notables auprès des électeurs locaux en parvenant à faire passer des
messages destinés à faire avancer rapidement des questions personnelles, à
résoudre des problèmes sociaux, à débloquer des dossiers industriels, etc. Pour
imposer leurs vues auprès de leur préfet, en passant en dehors des voies
normales, les grands notables, ceux, par exemple, qui sont maires de grandes
villes, le menacent parfois d’intervenir directement dans le cadre des
administrations centrales. Se tissent ainsi tout un ensemble de relations
complexes, de « réseaux croisés » d’influence qui rendent solidaires les
notables et les préfets. Du coup, la théorie du clientélisme sert, même en
France, à décrire de tels liens interpersonnels.
Cet équilibre paraît pourtant remis en question par les grandes lois de
décentralisation de 1982 : désormais, on assiste au « sacre des notables » dont
le pouvoir s’exerce d’autant plus facilement que de nombreux pouvoirs leur
ont Été confiés sous le contrôle simplement a posteriori des préfets.
Responsables de véritables structures administratives institutionnalisées
recrutant des fonctionnaires destinés à mener leur carrière à la périphérie, les
présidents de conseil régional, par exemple, apparaissent comme de nouveaux
féodaux, maîtres de leur place, à tel point que dorénavant nombre d’anciens
préfets préfèrent quitter l’État afin de poursuivre leur carrière dans les cabinets
de ces notables triomphants. Les rapports entre les notables et les
représentants de l’État se trouvent ainsi redessinés au profit de la périphérie,
dans le cadre de la mise en application d’un projet « girondin » de contrôle de
l’État fort. Ils risquent néanmoins de se stabiliser à l’avenir, ne serait-ce parce
que l’État conserve bien des ressources financières et juridiques pour faire
entendre sa voix.
→ clientélisme, conservatisme, élitistes (théories), gouvernement local
DUPUY F., THOENIG J.-C., L’Administration en miettes, Paris, Fayard, 1985 ;
GRÉMION P., Le Pouvoir périphérique, Paris, Seuil, 1976 ; RONDIN J., Le Sacre
des notables. La France en décentralisation, Paris, Fayard, 1984 ; SCHMIDT V.,
Democratizing France, Cambridge, Cambridge University Press, 1990.
O

OBLIGATION POLITIQUE

Relation politique par laquelle les gouvernants obtiennent l’obéissance des


gouvernés. Cette relation inclut autant l’usage de moyens coercitifs que le
recours à des formules de légitimation la présentant comme juste. Elle est à ce
titre mixte : ni totalement coercitive, ni intégralement légitime, dans la mesure
où elle suppose une combinaison de ces deux ressources selon des modes qui
diffèrent, tant dans l’espace que dans le temps ; elle est, donc, fonction de
variables macro-sociologiques (économie, structure sociale, culture…) tout
autant que de variables micro-sociologiques (stratégie des gouvernants et des
gouvernés, effet de conjonctures internes ou externes).
→ légitimité, participation politique

OLIGARCHIE (LOI D’AIRAIN D’)

La professionnalisation du politique conduit à la naissance d’un personnel


politique spécialisé, arguant de sa propre expertise pour justifier son statut
d’élite ainsi que le contrôle qu’il exerce sur la direction des partis politiques.
Tout comme Ostrogorski, Roberto Michels a montré dans son livre classique,
Les Partis politiques. Essai sur les tendances oligarchiques des démocraties
(1913), comment les dirigeants d’un parti tel que le Parti social démocrate
allemand, alors au sommet de sa puissance organisationnelle, constituent eux
aussi une oligarchie interne close et attentive à protéger la permanence de son
pouvoir, en dépit de l’idéologie officiellement socialiste et ouverte aux
processus démocratiques professée par cette grande organisation ouvrière.
Bénéficiant de privilèges de statut, contrôlant les fichiers des adhérents et les
nominations du personnel interne, disposant d’une forte notoriété,
manœuvrant les votes des diverses assemblées électives internes, cette
oligarchie justifie par la division du travail sa maîtrise du pouvoir. Groupe
étroitement fermé, elle parvient à demeurer au pouvoir quelque que soient les
tournants idéologiques et à se transformer en un cercle dirigeant à forte
longévité. Cette loi d’airain de l’oligarchie apparaît donc comme un processus
donnant naissance inévitablement, en dépit des valeurs démocratiques
proclamées, à un noyau dirigeant stable et doté de privilèges socio-
économiques considérables qu’il entend préserver en empêchant la promotion
des nouveaux venus. De nos jours encore, en dépit de fortes dissemblances
dans leur idéologie et leur type d’organisation interne, qu’ils soient centralisés
ou largement décentralisés, les grands partis américains, ou encore la
démocratie chrétienne italienne de même que les partis communistes du
monde occidental tout comme les partis socialistes ou, en France, les
organisations politiques gaullistes successives présentent tous, à un degré ou à
un autre, ces mêmes traits oligarchiques qui semblent difficilement Évitables.
Ils limitent ainsi grandement l’expression démocratique des citoyens et
introduisent entre eux et l’État un écran de privilèges personnels risquant
d’empêcher la transmission fonctionnelle de leurs demandes.
→ élitistes (théories), partis politiques
OSTROGORSKI M., La Démocratie et l’organisation des partis politiques,
Paris, Calmann-Lévy, 1903 ; MICHELS R., Les Partis politiques, Paris,
Flammarion, 1984 [1913] ; KATZ R., CROTHY W., Handbook of party politics,
London, Sage, 2006 ; PUNNETT R., Selecting the party leaders : Britain in
comparative politics, New York, Harvester, 1992.

OLSON (PARADIGME D’)

Le paradigme d’Olson repose surtout sur le principe du ticket gratuit.


Rationnellement, dans un groupe social de large dimension, un acteur devrait
s’abstenir de participer à une action collective car il maximalise ainsi ses
propres intérêts, bénéficiant de la redistribution des biens collectifs obtenus
par l’action collective des autres acteurs tout en conservant le privilège de
favoriser son propre bonheur privé. Normalement, le paradigme d’Olson
devrait aboutir à l’absence d’actions collectives. Pour rendre compte de leur
apparition, ce dernier insiste sur le pouvoir de coercition de certaines Élites,
par exemple syndicales ou politiques, désireuses de soutenir la mobilisation
afin de bénéficier de biens personnels non redistribuables et liés à leur propre
position dans l’organisation : secrétariat de section syndicale ou de parti, poste
électif, etc. Dans ce sens, le paradigme d’Olson rejoint les théories élitistes
mettant l’accent sur la formation des oligarchies partisanes. Mais il a été
critiqué en ce qu’il implique une vision trop étroitement utilitariste de
l’engagement au sein d’une action collective, lorsqu’il néglige le fait que
l’acteur peut poursuivre de cette façon des préoccupations purement
normatives ou s’attacher encore à renforcer une solidarité de groupe, une
sociabilité dont dépend la structure de sa personnalité dans la mesure où le
regard des autres structurant son propre moi. Le paradigme d’Olson ne tient
pas compte non plus de l’influence des idéologies et des valeurs collectives
sur l’engagement des acteurs.
→ action collective, choix rationnel (Théorie du), individualisme, ticket
gratuit
BIRNBAUM P. et LECA J. (dir.), Sur l’individualisme, Paris, Presses de la
FNSP, 1986 ; DELAS J.-P., MILLY B., Histoire des pensées sociologiques,
Paris, A. Colin, coll. « U », 2005 ; OLSON M., La Logique de l’action
collective, Paris, PUF, 1987 [1965].

OPINION PUBLIQUE

C’est l’ensemble des représentations, construites socialement, de ce qu’est


censé penser l’ensemble de la population sur les questions d’actualité. Au sens
rigoureusement réaliste, l’opinion publique, bien sûr, n’existe pas. Il est
impossible en effet que l’ensemble des membres d’un groupe important aient
tous des opinions sur tous les problèmes de l’heure ; impossible également
d’agréger des jugements de nature et d’intensité différentes : les uns reposant
sur des convictions fermes, d’autres sur des impressions fugitives, d’autres
encore improvisés pour satisfaire un questionneur.
L’opinion publique est un concept né de la nécessité pour le pouvoir
(politique) ou, au contraire, ses contestataires de mobiliser à leur profit un
acquiescement supposé, afin d’en tirer une légitimité supérieure, lorsqu’il
advient que les seules justifications fondées sur la force, la religion ou la
tradition (au sens wébérien) deviennent insuffisantes. La magistrature de
l’opinion publique est un phénomène qui annonce les temps démocratiques,
tout en relevant d’une logique constitutive différente. Loin de pouvoir
représenter « ce que les gens pensent », elle est, en un sens, toujours
fabriquée.
Au XVII siècle, l’opinion publique se forge à la Cour et à la Ville, fondée sur
e

les rumeurs que relaient les salons en vue. Au XVIII siècle, le milieu
e
intellectuel introduit une composante supplémentaire ; c’est une époque où les
succès d’édition de certains philosophes assoient l’autorité de quelques-uns
dans la formulation et la diffusion des manières de penser. Plus tard, avec
l’avènement de la démocratie représentative, la mesure de l’opinion publique
devient un enjeu directement électoral. Les élus locaux jouent alors un rôle
décisif non seulement comme relais d’opinion auprès des dirigeants nationaux
mais aussi comme producteurs actifs de cette opinion publique. Ce rôle
exclusif leur est disputé avec un succès croissant par la presse écrite dès
l’apparition de « la presse à deux sous », sous le second Empire, laquelle peut
exciper de son audience de masse. Enfin de nos jours, le développement des
sondages a beaucoup contribué à dévaloriser cette fonction traditionnelle des
relais d’opinion en organisant en permanence la mesure des perceptions et
jugements des citoyens. La multiplicité de ces enquêtes, leur aura de
scientificité, leur capacité à anticiper correctement les mouvements électoraux
ont introduit une dimension entièrement nouvelle dans les processus de
construction/production de l’opinion publique.
→ médias, sondages d’opinion, storytelling
BOURDIEU P., « L’opinion publique n’existe pas », pp. 222-235 in :
Questions de sociologie, Paris, Éd. de Minuit, 1980 ; BLONDIAUX L., La
Fabrique de l’opinion. Une histoire sociale des sondages, Paris, Seuil, 1998 ;
BRÉCHON P. (dir.), La gouvernance de l’opinion publique, Paris, L’Harmattan,
2003 ; CHAMPAGNE P., Faire l’opinion. Le nouveau jeu politique, Paris, Éd. de
Minuit, 1990 ; LEHINGUE P., Subunda : Coup de sonde dans l’océan des
sondages, Bellecombe, Éd.du Croquant, 2007 ; REYNIÉ D., Le Triomphe de
l’opinion publique, Paris, Odile Jacob, 1998.

OPPOSITION

Dans tous les systèmes politiques, la fonction d’opposition désigne la


remise en cause de tout ou partie des choix arrêtés par les gouvernants ainsi
que l’ensemble des pratiques et configurations qui découlent de cette
affirmation critique. Dans les systèmes politiques pluralistes, cette fonction
s’exerce sur un mode libre et légal, bénéficiant même, dans certains régimes,
d’un statut qui la protège et de moyens matériels mis à sa disposition par
l’État. Elle s’exprime alors dans le cadre parlementaire au travers des partis
mais, aussi, à travers la presse (« presse d’opposition »), les syndicats et les
groupes de pression. Elle peut également s’organiser délibérément hors de
toute institution, soit parce que tel ou tel courant qui la compose n’est pas
représenté au Parlement (« opposition extra-parlementaire »), soit parce
qu’elle récuse toute institutionnalisation (opposition révolutionnaire, voire
opposition « hors-système »).
Dans les systèmes autoritaires, l’opposition peut s’exprimer sur un mode
substitutif (à travers les Églises ou tout autre mouvement religieux, à travers
les réseaux associatifs, voire les structures familiales ou communautaires) ou
sur un mode clandestin. Elle peut aussi prendre la forme d’« opposition de
façade », notamment dans les régimes semi-concurrentiels, à travers des partis
politiques dont la formation et le fonctionnement sont surveillés et limités.
Elle peut, enfin, comme aussi dans les régimes totalitaires, s’exprimer de
façon diffuse, soit à travers des comportements individuels déviants, soit sous
forme de résistance passive, d’expression symbolique ou d’escapisme.
Dans le langage courant, l’opposition désigne l’ensemble des acteurs et des
institutions qui accomplissent une fonction d’opposition. Dans un langage
institutionnel, elle désigne l’opposition parlementaire.
→ démocratie, élection, minorité, parlement, protestataire
(comportement), régimes politiques : Régimes autoritaires, shadow cabinet
DAHL R. et al., Regimes and Opposition, New Haven, Yale University
Press, 1979 ; HERMET G., LINZ J.-J., ROUQUIÉ A., Des élections pas comme les
autres, Paris, Presses de la FNSP, 1978.

ORDRE (SOCIÉTÉS D’)

Mode d’organisation hiérarchique du corps social, typique de la période de


la féodalité dans l’Europe de l’Ouest et du Nord et qui a remplacé à partir du
XI siècle l’antique séparation entre la liberté et la servitude. À ce fossé ancien
e

s’est substitué alors celui qui reposait sur le schéma de la trifonctionnalité


propre à la société d’ordre telle que la concevaient déjà certains évêques ou
théologiens qui y voyaient l’expression d’un dessein divin de configuration
des statuts du genre humain. En vertu de ce schéma se situait au sommet le
clergé, en tant que part de l’humanité régie par les lois célestes. Puis venait
une autre élite, celle des gens de guerre chargés de maintenir l’ordre sur terre
et bientôt promus au statut de noblesse. Enfin suivait la masse des êtres voués
au travail sans espoir d’échapper à leur condition, astreints à subvenir aux
besoins des prêtres ou religieux et des chevaliers. Sous une forme en voie
d’atténuation qui verra les paysans se libérer d’une partie des contraintes du
servage et les bourgeois accéder à une richesse fréquemment plus grande que
celle de la petite noblesse, ce schéma va persister en France jusqu’à la fin de
l’Ancien Régime, plus précisément jusqu’à la « Nuit du 4 août 1789 » qui
abolit les différences d’état statutaires et légales entre le clergé, la noblesse et
le tiers état. En Allemagne, celles-ci ne disparaîtront formellement qu’entre le
début du XIX siècle et les années 1850 selon les régions.
e

Un schéma analogue mais cette fois quadrifonctionnel s’est répandu dans la


Scandinavie médiévale avec l’adjonction à l’état de paysans de celui de
bourgeois (habitant des villes). Il a persisté à la lettre jusqu’au début des
années 1860 en Suède. En revanche, la Péninsule ibérique a largement ignoré
la société d’ordre en raison de l’extension exceptionnelle de la condition de
chevalier ou de paysan libre qui a été provoquée par les nécessités militaires
particulières de la reconquête sur les musulmans. Un phénomène assez
analogue s’est produit en Hongrie, jusqu’à ce que l’épisode du néo-servage y
mette fin. Il faut ajouter que, assez paradoxalement, la carrière des honneurs
républicains se réfère en France, bien que confusément, à la hiérarchie de la
société d’ordre avec, par exemple, la distinction quasi chevaleresque octroyée
aux membres de l’Ordre de la Légion d’honneur.
→ aristocratie, féodalité
DUBY G., Les Trois Ordres ou l’imaginaire du féodalisme, Paris,
Gallimard, 1978.

ORDRE POLITIQUE

Représentation conceptuelle de l’ensemble des relations politiques qui


caractérisent une société donnée à un moment donné du temps. L’ordre ne
désigne ici ni un agencement naturel préétabli (« ordre des choses »), ni une
situation dans laquelle l’organisation et le consensus plus ou moins forcé
l’emportent sur la contestation (dans le sens, par ex., de « maintien de
l’ordre »), mais un ensemble de relations dont l’observateur croit pouvoir, par
hypothèse, établir l’intelligibilité. Celle-ci est alors fonction de la culture, de
la trajectoire politique et du mode de division du travail qui caractérisent la
société considérée.
→ légitimité, pouvoir, régimes politiques
ORGANICISME

L’organicisme correspond à une théorie sociologique ramenant la société à


un organisme physiologique. À l’origine, cette vision du social émane surtout
des théories réactionnaires hostiles à la Révolution française, accusée
d’atomiser le corps social, de détruire sa cohérence au nom d’une Raison
universaliste indifférente à la logique naturelle, aux traditions, aux hiérarchies
issues du passé. En ce sens, pour de Bonald, il est vain de vouloir don ner une
constitution à une société, de tenter d’organiser son fonctionnement au nom
d’une théorie ignorante des lois qui régissent sa constitution naturelle et
débouchent, sur une distribution traditionnelle du pouvoir. Pour les
réactionnaires, la monarchie forme un tout organique : il ne faut donc pas
attenter à sa cohérence.
L’influence de la biologie se fait sentir, le corps social, tout comme le corps
humain, ayant des besoins et des fonctions d’adaptation et d’autorégulation
naturels. Un théoricien du positivisme comme Auguste Comte, qui influencera
Charles Maurras, affirme lui aussi qu’on peut « concevoir l’immense système
organique comme liant réellement la moindre existence végétative à la plus
haute existence sociale ». C’est toutefois Herbert Spencer qui a donné ses
lettres de noblesse à l’organicisme, observant dans ses Principes de sociologie
que « la société est un organisme », dont les fonctions de nutrition, de
distribution et de régulation sont identiques à celles qui se produisent dans un
organisme humain. Dans cette perspective, les théories organicistes revêtent
un caractère très conservateur, une fonction ne pouvant être exercée que par
un organe particulier qui ne saurait être transformé. L’organicisme conduit
finalement au fonctionnalisme absolu, le titulaire d’une fonction, dans cet
esprit, étant le seul capable de la mettre en œuvre. Weber s’est élevé contre
l’organicisme dans la mesure où, pour lui, la sociologie devait au contraire
mettre l’accent sur l’action de l’acteur et non sur sa fonction entendue comme
élément de la logique d’un tout à la cohérence absolue, indifférente du même
coup à son intentionnalité propre.
→ fonctionnalisme (Théorie du)
« Organicisme », Encyclopedia universalis.
ORGANISATION NON GOUVERNEMENTALE (ONG)

Les ONG ont pris une importance considérable depuis la Seconde Guerre
mondiale. S’opposant aux OIG (organisations intergouvernementales), elles se
définissent comme des associations constituées de façon durable par des
particuliers dans le but d’atteindre des objectifs non lucratifs. À ce titre, elles
peuvent être internationales ou nationales et, dans ce dernier cas, s’insérer
dans des réseaux transnationaux confédérant diverses organisations
nationales.Une dizaine d’entre elles jouissaient d’un statut consultatif auprès
du Conseil Économique et social des Nations Unies en 1945 : elles sont
aujourd’hui trois mille dans ce cas. C’est dire leur expansion et le
renforcement de leurs fonctions (information, investigation, pression,
expertise, prestation de services matériels, voire écriture du droit…). De ce
fait, certaines d’entre elles (dans les domaines du développement, des droits
de l’homme, de l’environnement) accomplissent une véritable diplomatie
privée.
DOUCIN M., Les ONG. Le contre-pouvoir, Paris, Toogezer, 2007 ; ROUILLE
D’ORFEUIL H., La Diplomatie non gouvernementale, Paris, Le livre équitable,
2006.

ORGANISATIONS (THÉORIE DES)

Liés de manière plus générale à la théorie de la bureaucratie, les travaux


contemporains portant sur les organisations comme lieu de coopération et de
coordination entre des acteurs constituent l’une des branches les plus
importantes de la sociologie générale. Appliquées surtout aux entreprises, ces
réflexions ont d’abord conduit, sous l’impulsion de F.W. Taylor, à la théorie
de l’organisation scientifique du travail au sein de l’atelier par une
organisation rationnelle et purement mécanique des tâches incombant aux
multiples acteurs ; le courant des relations humaines a, au contraire, souligné,
à partir d’Elton Mayo, le rôle du facteur humain, de la relation sociale, dans
l’exercice des tâches conçu surtout au sein d’un groupe social cohérent et
solidaire ; de nos jours M. Crozier et E. Friedberg s’intéressent « non pas à
une sociologie de l’organisation mais à une sociologie de l’action organisée »,
plaçant ainsi l’acteur et ses stratégies multiples au sein d’un système
organisationnel dont la mise en œuvre comporte désormais un important
facteur d’incertitude lié précisément à la reconnaissance, à l’intérieur du
système lui-même, d’un certain degré de liberté individuelle mais aussi de
rationalités multiples au potentiel Éminemment conflictuel.
→ bureaucratie, division du travail social
BALLÉ C., Sociologie des organisations, Paris, PUF, 2001 (5 éd.) ;
e

CROZIER M., FRIEDBERG E., L’Acteur et le Système, Paris, Seuil, 1977 ;


REYNAUD J.-D., Les Règles du jeu, Paris, A. Colin, 1989.
P

PACIFISME

Ensemble de doctrines et d’attitudes qui valorisent la recherche de la paix


comme objectif prioritaire d’action. En tant que doctrine, le pacifisme s’insère
dans plusieurs traditions philosophiques, religieuses ou juridiques, tandis qu’il
s’apparente à plusieurs corps de doctrine qui lui donnent une signification très
variée : associé au jusnaturalisme, au solidarisme, à l’humanisme ou à certains
courants du socialisme, le pacifisme définit une aspiration commune à la paix,
un rejet de la violence qui n’est tenue ni pour essentielle ni pour inévitable,
tout en envisageant différentes méthodes, souvent opposées, permettant de
réaliser cette aspiration. L’idée de « paix à tout prix » qui se retrouvait
derrière plusieurs de ces constructions a contribué à avilir certains courants
pacifistes, notamment dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, et à
conférer au terme de pacifisme une connotation péjorative.
Reconstitué au cours de la guerre froide, et face au risque de conflit
nucléaire, le pacifisme s’est imposé, dans la seconde moitié du XX siècle,
e

davantage comme valeur et comme système d’attitudes que comme idéologie.


Il s’inscrit, de ce point de vue, dans le contexte des valeurs
« postmatérialistes » et des nouveaux mouvements sociaux, définissant ainsi
de nouvelles sources de mobilisation, surtout sensibles en Europe centrale,
dans les catégories jeunes de la population.
→ international (scène internationale), valeur
MERLE M., Pacifisme et internationalisme, Paris, A. Colin, 1966.

PAIX

Longtemps définie négativement comme un état de non-guerre reposant sur


un équilibre instable des puissances, surtout par la théorie réaliste des relations
internationales, la paix se conçoit aujourd’hui, sous l’effet notamment des
Peace Studies, de façon positive. Cette évolution fut amorcée par les théories
idéalistes, en particulier par le « wilsonisme » (du président américain
Woodrow Wilson, un des artisans des Traités de Versailles conclu aux
lendemains de la Première Guerre mondiale). Elle se trouva ensuite confirmée
par la Charte des Nations Unies, qui envisage la paix par référence à l’idée
d’une sécurité collective durable, et aussi comme un mode de coopération
entre les États, élargi aux domaines économiques et sociaux sous la
responsabilité du Conseil Économique et social de l’ONU.
Cette perspective nouvelle s’accompagne de l’émergence d’une doctrine de
la paix positive, proclamant que celle-ci serait servie notamment par le
progrès du libre-échange ou par la diffusion des valeurs démocratiques (selon
l’adage : « les démocraties ne se font pas la guerre »), voire par celle des
droits de l’homme. Ces différents facteurs sont tenus pour solidaires par la
théorie néo-libérale, tandis que seuls droits de l’homme et démocratie sont
retenus par les visions humanistes de la paix positive. Celles-ci restent
toutefois contestées par la sociologie des conflits, qui considère comme peu
probante leur vérification empirique dans le contexte postérieur à la Seconde
Guerre mondiale. Le rapport publié par le PNUD en 1994 sur la sécurité
humaine enrichit cette perspective en liant la paix à la satisfaction des besoins
humains (alimentaires, sanitaires, environnementaux…).
→ dissuasion, maintien et imposition de la paix, sécurité, sécurité
humaine
ARON R., Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 1962 ;
DAVID C. P., La guerre et la paix, Paris, Presses de Sciences Po, 2000 ;
DOYLE M., Ways of War and Peace : Realism, Liberalism and Socialism, New
York, Norton, 1997 ; RUSSETT B., Grasping the Democratic Peace, Princeton,
Princeton University Press, 1993 ; Commission sur la Sécurité humaine, La
Sécurité humaine maintenant, Paris, Presses de Sciences Po, 2003.

PANEL (TECHNIQUE DU)

Technique d’analyse psycho-sociologique reposant sur des interviews


répétées ou périodiques d’un même échantillon de population, ou sur toute
autre méthode susceptible de permettre le « suivi » des attitudes politiques
d’un échantillon donné dans le temps (par la tenue de « journaux personnels »
par ex.). L’objectif consiste bien entendu à observer les variations de ces
attitudes ou des intentions de vote dans des circonstances changeantes.
→ comportement politique, méthodologie : méthodes quantitatives.
DELAS J.-P., MILLY B., Histoire des pensées sociologiques, Paris, A. Colin,
coll. « U », 2005 ; MAYER N., PERRINEAU P., Les Comportements politiques,
Paris, A. Colin, coll. « Cursus », 1992.

PARADIGME SCIENTIFIQUE

Concept faisant l’objet de diverses interprétations mais désignant le plus


couramment un modèle abstrait, destiné à représenter un système social
complexe et réel et visant à analyser les changements qui s’y produisent, ainsi
que ses processus d’adaptation à un environnement extérieur où il se trouve en
interaction avec d’autres systèmes. En ce sens, un paradigme est plus
complexe qu’une théorie, de la même façon qu’une théorie l’est davantage
qu’une simple hypothèse. En fait, le paradigme requiert en règle générale la
juxtaposition de plusieurs théories et hypothèses.
À cette conception du paradigme comme une sorte de « type idéal »
configuré par référence à un objet réel s’ajoute celle de Kuhn. Pour lui, le
progrès scientifique s’alimente d’une succession de paradigmes qui se figent
en théories vouées à se dissoudre à leur tour face à de nouveaux paradigmes.
BALL T., « From paradigms to research programs : toward a post-kuhnian
political science », American Journal of Political Science, 21 (1),
février 1976, pp. 151-176 ; KUHN T. S., La Structure des révolutions
scientifiques, Paris, Flammarion, 1972 [1962].

PARADOXE DE CONDORCET

Curieux d’appliquer l’outil mathématique à l’étude des problèmes de la


société, l’auteur du célèbre : Esquisse d’un tableau historique des progrès de
l’esprit humain (1794), a, le premier, formulé la loi suivante. Avec une
probabilité de près de 9 %, la préférence collective contredit les préférences
individuelles agrégées, lorsqu’il y a un nombre de votants supérieurs à 10 et
qu’ils se ventilent de manière purement probabiliste entre trois options (ou
plus).
→ opinion publique
PARLEMENT

Le sens moderne du mot « Parlement » vient d’Angleterre où, dès le


XIII siècle, il désigne les deux chambres qui affirment leur pouvoir face au roi
e

Jean sans Terre (Magna Carta, 1215). Au contraire, en France jusqu’à la


Révolution, ce terme ne s’applique qu’à des Cours de justice (les parlements
de province et le Parlement de Paris, tentés il est vrai, au XVIII siècle surtout,
e

de jouer un rôle politique d’opposition à travers le « droit de remontrance »).


Le Parlement est né originellement de la volonté des comtes et des barons,
des représentants de l’Église et des villes, de consentir aux levées d’argent
dont le roi estimait avoir besoin pour mener à bien sa politique. On conçoit
dès lors le glissement naturel qui s’effectue vers un contrôle de l’usage de ces
fonds, ce qui constitue l’amorce du pouvoir de légiférer et contrôler. Surtout,
peut-être, il faut observer que le Parlement n’est pas au départ une institution
démocratique mais le représentant des seules classes dirigeantes. S’il le
devient en Angleterre, c’est à l’issue d’un long processus évolutif qui consiste
à élargir progressivement l’assise électorale de la chambre des Communes au
XIX siècle, tandis que parallèlement dépérit le pouvoir de la chambre des
e

Lords (Bill de 1911) demeurée de composition purement aristocratique malgré


les nominations de nouveaux pairs.
Aujourd’hui, sous des noms parfois différents, presque tous les pays ont un
Parlement, généralement composé de deux chambres, dont l’une au moins (la
Chambre basse ou Assemblée nationale) est élue au suffrage universel direct.
Il arrive plus rarement que le Parlement soit monocaméral (Danemark, Grèce
Portugal, etc.) ou, à l’inverse, tricaméral (en France sous le Consulat et
l’Empire).
Dans la tradition française, reprise par de nombreux pays, la Chambre
basse, seule élue au suffrage universel, était considérée comme dépositaire de
la souveraineté populaire et, à ce titre, investie du pouvoir d’imposer sa
volonté en dernier ressort en matière de loi, en tant qu’expression de la
volonté générale. La Constitution de 1958 a inauguré une certaine rupture
avec cette conception. Le Parlement devient un organe représentatif au même
titre que le Président de la République, autre organe de l’État issu du suffrage
universel. Corollaire : les textes qu’il adopte peuvent être déférés à un
contrôle de constitutionnalité, ce qui est d’ailleurs le cas dans beaucoup
d’autres pays comme les États-Unis, l’Allemagne, l’Italie, le Brésil, la Russie,
etc., mais n’existe pas en Grande-Bretagne.
Un Parlement est investi d’une triple fonction : adopter le budget, élaborer
la loi, contrôler l’action de l’exécutif. Selon la nature du régime politique, ces
compétences s’exercent selon des modalités différentes. Dans un régime
parlementaire stricto sensu, le gouvernement, responsable devant la Chambre
basse, parfois également devant la seconde chambre, est susceptible d’être
renversé. En revanche il dispose alors d’importants moyens de peser sur le
travail législatif : fixation de l’ordre du jour prioritaire, dépôt de projets de
lois, question de confiance et menace de démission ou de dissolution. Dans les
régimes à plus forte indépendance réciproque entre Parlement et pouvoir
exécutif (États-Unis par ex.), le Parlement a une plus grande capacité
d’entraver les projets législatifs de l’exécutif et de lui résister mais l’exercice
de son contrôle ne peut déboucher sur la démission du président, sauf mise en
œuvre de procédures pénales (impeachment aux États-Unis, au Brésil et dans
nombre de systèmes présidentiels). Cependant la limitation des armes
juridiques de l’exécutif contre le législatif est souvent suppléée par d’autres
formes de pression politiques, notamment individuelles sur les membres du
Congrès (américain).
Il existe une certaine crise contemporaine de l’institution parlementaire. La
complexification du travail législatif dans les sociétés modernes, à la fois en
quantité et en technicité, ne permet pas toujours aux commissions
parlementaires d’exercer leur travail d’examen dans les meilleures conditions
d’expertise ; en outre, elles sont le plus souvent dépendantes des informations
fournies par les services administratifs du ministre. Quant à la fonction de
contrôle, l’existence de majorités disciplinées, s’ajoutant à la faiblesse
ordinaire des moyens autonomes d’enquête, en limite beaucoup l’impact
effectif. À cet égard le développement, dans les régimes pluralistes, d’une
presse d’investigation et d’une magistrature moins frileuse, a contribué à
déplacer vers d’autres espaces que les parlements la fonction, essentielle en
démocratie, de contrôle des détenteurs du pouvoir d’État. La réforme est donc
en permanence à l’ordre du jour, dans de nombreux pays, autour de thèmes
comme la rationalisation du travail législatif, la mise à disposition des
parlementaires de moyens matériels accrus, l’élargissement de leur droit
d’accès aux documents administratifs internes, enfin des pouvoirs d’enquête
au profit de commissions parlementaires créées ad hoc (à l’instar de ce qui
existe déjà au Congrès américain).
→ bicamérisme, censure (motion de), commissions parlementaires,
démocratie, questions parlementaires, régimes politiques, responsabilité
politique
BELORGEY J.-M., Le Parlement à refaire, Paris, Gallimard, 1991 ; CAMBY J.-
P., SERVENT P., Le Travail parlementaire sous la V République, Paris,
e

Montchrestien, 1993 ; COSTA O., KERROUCHE E., MAGNETTE P., Vers un


renouveau du parlementarisme en Europe ? Bruxelles, Presses de l’ULB,
2004 ; GROSSMAN E., SAUGER N., Introduction aux systèmes politiques
nationaux de l’Union européenne, Bruxelles, De Boeck, 2007 ; JAN P., Les
Assemblées parlementaires françaises, Paris, La Documentation française,
2005 ; KIMMEL A., L’Assemblée nationale sous la V République, Paris,
e

Presses de la FNSP, 1991 ; TSEBELIS G., MONEY J., Bicameralism, Cambridge,


Cambridge University Press, 1997.

PARTICIPATION POLITIQUE

La participation politique constitue le fondement même de la démocratie : à


travers l’élargissement du suffrage universel et son extension, à des rythmes
différents, d’un pays à l’autre, à tous les membres de la communauté
politique, hommes comme femmes, à travers aussi son organisation juridique
favorisant la liberté de réunions publiques, l’existence des partis et
associations, le droit d’affichage, on s’efforce de mobiliser la participation des
citoyens car elle seule donne à la démocratie sa véritable légitimité. Dans cette
perspective optimiste, l’homme constitue bien un animal politique, il éprouve
un intérêt réel à l’égard de la chose publique et participe volontiers à sa mise
en œuvre. De nombreux travaux contemporains ont pourtant remis en question
cette vision idéale de la participation en soulignant le faible intérêt à l’égard
de la politique manifesté par beaucoup, l’existence d’une apathie ou encore,
d’un éloignement délibéré vis-à-vis de l’espace public au nom de la
reconnaissance de la primauté du bonheur privé. Dans la perspective d’un
Schumpeter, des théoriciens anglo-saxons les plus divers, de Robert Dahl à
Gabriel Almond et Sidney Verba mais aussi, à Albert Hirschman, en viennent
à justifier ce retrait, parfois intentionnellement provisoire, vers le privé énoncé
parfois au nom de l’expertise plus grande des élites politiques. La plupart
d’entre eux estiment néanmoins que si la participation constante des citoyens
n’est pas indispensable dans une démocratie, celle-ci perdrait sa justification
s’ils n’intervenaient pas d’eux-mêmes en faveur de la défense d’intérêts
spécifiques. Dans ce sens, la participation Électorale qui aux États-Unis mais
aussi en Suisse et même, de plus en plus, en France, tend à baisser sans cesse
constitue un revers grave pour la démocratie mais n’implique pas
nécessairement une forte dépolitisation, les citoyens « rationnels » pouvant
préférer participer à travers d’autres formes d’actions plus collectives, de la
manifestation à la mobilisation, des grèves aux pétitions, du lobbying à
l’animation d’association locale. Aux activités de participation politiques
traditionnelles s’ajoutent ainsi, dans la perspective de R. Inglehart, de
nouvelles formes d’actions (occupations de locaux, sit-in, boycotts, etc.) sans
comp ter l’explosion des nouveaux mouvements sociaux. On peut dès lors,
avec L. Milbrath et M. Grœl, distinguer différents types de participation,
depuis la protestation jusqu’à l’activisme électoral et partisan, l’exposition aux
flux de communication, le contact politique, l’activisme local, etc.
→ action collective, citoyenneté, démocratie, fonction tribunitienne,
suffrage, vote (fonctions du)
BERINSKY A., Silent voices : public opinion and political participation in
America, Princeton, Princeton University Press, 2004 ; BRECHON P.,
Comportement et attitudes politiques, Grenoble, Presses universitaires de
Grenoble, 2006 ; GRANT J., MALONEY W., Democracy and interest groups :
enhancing participation ? New York, MacMillan, 2007 ; HAY C., Why we
hate politics, London, Polity, 2007 ; INGLEHART R., Modernization and
Postmodernization : Cultural, Economic and Political Change in 43 Societies,
Princeton, Princeton University Press, 1997 ; FAVRE P., La Manifestation,
Paris, Presses de Sciences Po, 1990 ; FILLEULE O., Sociologie de la
protestation, Paris, L’Harmattan, 1993 ; MAYER N., PERRINEAU P., Les
Comportements politiques, Paris, A. Colin, coll. « Cursus », 1992 ;
MCALLISTER I., Political participation in post-communist Russia, Glasgow,
University of Strathclyde, 1994.

PARTICULARISME/PRIMORDIALISME/UNIVERSALISME

Le particularisme définit toute construction sociale fondée sur un lien de


nature exclusive et situant l’acteur dans un espace social qui lui est propre,
qu’il soit de type religieux, ethnique, linguistique, géographique ou autres. En
cela, il s’oppose à l’universalisme qui est, par définition, inclusif et s’adresse à
l’humanité tout entière, au-delà de toute spécification culturelle et historique.
Le primordialisme définit, quant à lui, une relation particulariste présentée et
reçue comme dérivant d’une appartenance ressentie comme naturelle et
prescrite, et que l’individu accepte de placer au-dessus de toute autre
allégeance. Ce concept fut introduit en 1957 par le sociologue américain
Edward Shils, afin de souligner l’importance des groupes primaires dans la
configuration et la reproduction des sociétés. Pour Shils, les personnes se
trouvent mues d’abord non pas par des idéologies ou des principes abstraits,
mais par des attachements reposant sur l’émotion et la référence au sacré.
→ identité, culture
GEERTZ C. (ed.), Old Societies and New States, Londres, Glencoe, 1963 ;
NEF J., « Primordial, personal, sacred and civilities », Human Security and
Mutual Vulnerability, Ottawa, Centre de recherches pour le développement
International, 1999 (2 éd.) ; SHILS E., « Primordial, personal, sacred and
e

civilities », British Journal of Sociology (8), 1957.

PARTIS POLITIQUES

Selon la définition classique qu’en donnent J. La Palombara et M. Wiener,


les partis sont des organisations durables dont les membres se rassemblent au
regard de projets politiques partagés, de valeurs communes, ou encore
d’alliances d’intérêts. Dans le cadre de la démocratie représentative, ils ont
normalement pour objectif la conquête du pouvoir ou, au moins, l’accès à
celui-ci par des voies constitutionnelles régulières et, spécialement, par le
truchement des élections. Il existe toutefois des organisations révolutionnaires
qui répudient ces règles constitutionnelles, d’autres formations très
minoritaires qui n’ambitionnent pas réellement le pouvoir, voire des partis de
masse « hors système », privés pour un temps indéterminé de cette espérance
(ainsi, pendant de longues périodes, les partis communistes français ou italien,
ou le PC allemand sous la République de Weimar). Par ailleurs, il faut
mentionner le cas des espaces autoritaires ou totalitaires régis par un parti
unique, ainsi que celui des partis clandestins frappés d’illégalité dans certains
contextes dictatoriaux.
La conquête et l’exercice du pouvoir gouvernemental n’épuisent pas,
cependant, le spectre des fonctions des partis. Ceux-ci remplissent également
un rôle dans le recrutement du personnel politique, la socialisation et la
communication politiques, l’agrégation et la formulation des intérêts,
l’élaboration de programmes alternatifs, voire une fonction « tribunitienne » –
selon l’expression de Georges Lavau – de défense des « exclus » dans le cas
de partis « hors système » (s’agissant un temps des partis communistes de
l’Europe de l’Ouest, peut-être maintenant du Front national).
→ clivages politiques, gauche/droite
BRÉCHON P., Les Partis politiques, Paris, Montchrestien, 1999 ;
DUVERGER M., Les Partis politiques, Paris, Seuil, coll. « Points », 1981
[1951] ; DE WAELE J. M., L’Émergence des partis politiques en Europe
centrale, Bruxelles, Éd. de l’Université de Bruxelles, 1999 ; HERMET G.,
HOTTINGER J., SEILER D.-L. (dir.), Les Partis politiques en Europe de l’Ouest,
Paris, Economica, 1998 ; KATZ R. S., CROTTY W., (eds.), Handbook of Party
Politics, London/Thousand Oaks, Sage, 2006 ; KNAPP A., Parties and Party
System in France, Basingstoke, Palgrave/MacMillan, 2004 ; MONTERO J. R.,
LINZ J. J., (eds.), Political Parties. Old Concepts and New Challenges,
Oxford, Oxford University Press, 2002 ; OFFERLÉ M., Les Partis politiques,
Paris, PUF, 2006 (5 éd.) ; PANEBIANCO A., Political Parties : Organization
e

and Power, Cambridge, Cambridge University Press, 1988 ; SEILER D.-L., Les
Partis politiques, Paris, A. Colin, coll. « Compact », 2000 ; ainsi que la revue
Party Politics.
ORGANISATION INTERNE. En dépit des changements issus notamment de
l’effondrement des formations d’orientation communiste et de l’érosion de
l’assise sociale des partis ouvriers dans les sociétés occidentales, les travaux
de Maurice Duverger (1951) peuvent toujours servir de point de départ pour la
classification des structures organisationnelles des partis politiques. La base
de cette classification fait d’abord référence à leur origine historique, à savoir
à la dichotomie que Duverger établit entre les partis de cadres, considérés
comme archaïques, et les partis de masse modernes. Cette distinction primaire
mobilise un certain nombre de variables d’organisation : 1) la nature des
structures formelles (comités des partis de cadres, sections socialistes, cellules
communistes, éventuellement milices de style fasciste) ; 2) les modalités des
liaisons verticales et horizontales à l’intérieur du parti ; 3) la centralisation ou
la diffusion du pouvoir en son sein ; 4) en dernier lieu, tous les aspects dérivés
de la notion d’adhérent qui définissent l’articulation des cercles concentriques
allant des dirigeants puis des militants jusqu’au simple électeur. C’est dans
cette perspective que se dégage une typologie finale à quatre termes : partis de
cadres, partis indirects, partis de masse et partis totalitaires.

Les partis de cadres empruntent un modèle antérieur à l’introduction du


suffrage universel même s’ils persistent de nos jours. Ils reposent sur des
comités de notables faiblement constitués, et orientés surtout vers la victoire à
une consultation électorale donnée. Daniel L. Seiler, Jean Blondel ainsi que
d’autres auteurs ont perfectionné ou nuancé cette catégorie en y ajoutant des
subdivisions comme celles de parti présidentiel (aux États-Unis), de parti de
notables, de parti de cadres rigide, de parti d’électeurs ou encore, d’une
certaine manière, de parti catch all (attrape tout). Dans ces diverses variantes,
telle est toujours pour l’essentiel la forme des partis conservateurs et modérés
en Europe de l’Ouest (typiquement de l’UDF en France) et en Amérique du
Nord, à l’exception toutefois des formations démocrates-chrétiennes ou
confessionnelles.
Les partis indirects configurent une variété intermédiaire, dans la mesure
où, sans reposer pour l’essentiel sur l’affiliation directe de membres, ils
rassemblent de façon collective les mandataires d’organisations ou
associations diverses qui sont souvent à l’origine de leur création (syndicats,
coopératives, associations sectorielles, prenant appui sur une classe sociale, ou
au contraire sur des classes différentes ou bien encore sur un milieu socio-
professionnel). Les partis socialistes aussi bien que démocrates-chrétiens ou
agrariens s’inscrivent en général dans ce modèle, au regard, au moins à leurs
débuts, de ces visées sociales distinctes.
De leur côté, les partis de masse se caractérisent par leur organisation
centralisée dont la cellule constitue l’élément de base. En outre, le recrutement
d’un grand nombre d’adhérents représente pour eux un enjeu fondamental tant
sur le plan politique que financier, le propos consistant à ce second niveau à
substituer au financement « capitaliste » un financement démocratique. Dans
leur cas, même s’il se trouve manipulé par une pratique nettement
oligarchique mise en évidence dès 1913 par Roberto Michels à propos des
formations sociales-démocrates, l’adhérent reste la référence ultime et obligée
dans la vie du parti, qui se conçoit un peu comme une armée. Le rôle des élus
face à celui des militants s’y trouve de la sorte considérablement amoindri,
d’autant que les premiers doivent en principe privilégier le parti par rapport à
leurs électeurs dans le cas spécialement des partis communistes. Ces derniers
ont fourni, en effet, le modèle achevé du parti de masse, étant entendu que
ceux de la mouvance sociale-démocrate ou travailliste empruntent beaucoup
de leurs traits, étant entendu qu’ils mêlent les attributs du parti indirect et du
parti de masse dont ils ont d’ailleurs conçu la logique bureaucratique en
Allemagne et en Autriche avant même la Première Guerre mondiale (le
modèle dit « léniniste » est en fait social-démocrate à sa source).
Enfin, les partis totalitaires, ou partis d’intégration selon Seiler, visent à
embrasser la totalité des aspects de la vie du militant sans opérer de distinction
entre la vie publique et privée, avec l’appui complémentaire d’associations
filiales qui couvrent toutes ses appartenances. Ils ne sont qu’un rouage,
souvent le plus essentiel, des systèmes totalitaires de style aussi bien
communiste que fasciste et caractérisent, également, les imitations qui en ont
été faites hors d’Europe.
Par ailleurs, Jean Blondel a isolé la catégorie supplémentaire des partis
populistes agglutinés par le charisme d’un leader et dont les structures se
révèlent des plus variables. De son côté, Daniel L. Seiler a prêté une attention
particulière à la structure spécifique des partis américains.
→ comportement politique
BEYME K. von, Political Parties in Western Democracies, Aldershot,
Gower, 1985 ; DUVERGER M., Les Partis politiques, Seuil, coll. « Points »,
1981 [1951] ; KATZ R. S., MAIR P., Party Organizations in Europe : a Data
Handbook, Londres, Sage, 1992 ; KATZ R. S., MAIR P., How Parties Organize.
Change and Adaptation in Party Organizations in Western Europe, Londres,
Sage, 1994 ; LAWSON K., How Political Parties Work : Perspectives from
Within, Westport, Praeger, 1994 ; MICHELS R., Les Partis politiques,
Flammarion, coll. « Champs », 1971 [1913] ; SARTORI G., Parties and Party
Systems, Cambridge, Cambridge University Press, 1976 ; SEILER D.-L., De la
comparaison des partis politiques, Paris, Economica, 1986.
SYSTÈMES DE PARTIS. Selon la définition donnée par Daniel-Louis Seiler,
« l’ensemble structuré constitué des relations tantôt d’opposition, tantôt de
coopération qui existent entre les partis politiques agissant sur la scène
politique d’une même société politique ». Dans cette perspective, Maurice
Duverger a élaboré une typologie fondée sur le nombre des partis assortie
d’une explication en termes de modes de scrutins qui débouche sur
l’opposition du bipartisme et du multipartisme. De son côté, Giovanni Sartori
a affiné le modèle de Duverger en opérant une distinction référée au degré de
polarisation de chaque système, en vertu de laquelle le facteur primordial se
rapporte aux formations qui influencent vraiment le jeu parlementaire (de telle
sorte qu’un système composé de cinq partis, par exemple, peut devenir
bipartite selon ce critère et dans la pratique). Au bipartisme classique à
l’anglaise ou à l’américaine s’ajoutent ainsi le multipartisme bipolaire (cas de
la France ou de la Scandinavie) et le multipartisme multipolaire (Belgique,
Pays-Bas).
Les systèmes de parti dominant sont, quant à eux, formés autour d’un parti
dont la dimension l’emporte très nettement sur celle de tous les autres, rendant
inévitable la pérennité de sa présence au pouvoir. L’usage de méthodes
quantitatives permet de préciser davantage ces méthodes de structuration et de
classer les systèmes partisans d’un bipartisme parfait à un multipartisme
caractérisé par une très forte dispersion.
L’analyse des systèmes de partis comporte aussi une dimension plus
qualitative, faisant davantage appel à la sociologie historique et mettant en
évidence les types de clivage qui opposent entre eux les partis politiques.
Lipset et Rokkan retiennent en particulier quatre clivages potentiels qu’on
retrouve, de façon plus ou moins structurée, d’un système à l’autre : centre-
périphérie ; confessionnels-non confessionnels ; urbain-rural ; patron-ouvrier.
S’ouvre ainsi tout un questionnement complexe : pourquoi certaines sociétés
comptent-elles des partis régionaux et d’autres n’en ont-elles pas ? Pourquoi
observe-t-on, par exemple en Scandinavie, des partis paysans alors que ceux-
ci sont absents presque partout ailleurs ? Pourquoi la France, l’Espagne et
l’Italie ont-elles connu des partis communistes importants contrairement au
Benelux ou à la Grande-Bretagne ?
→ partis politiques : Typologie des clivages partisans
AUCANTE Y., DÉZÉ A. (dir.), Les Systèmes de partis dans les démocraties
occidentales. Le modèle du parti-cartel en questions, Paris, Presses de
Sciences Po, 2008 ; DUVERGER M., Les Partis politiques, Paris, A. Colin,
1951 ; KNAPP A., Parties and Party System in France, Basingstoke,
Palgrave/MacMillan, 2004 ; KITSCHELT H., « Citizens, politicians, and party
cartellisation : Political representation and state failure in postindustrial
democracies », European Journal of Political Research 37, 2000 ;
LEMIEUX V., Systèmes partisans et partis politiques, Montréal, Presses de
l’université du Québec, 1985 ; LIPSET S. M., ROKKAN S. (ed.), Party Systems
and Voter Alignments, New York, The Free Press, 1967 ; MAIR P., Party
System Change, Oxford, Clarendon Press, 1997 ; SARTORI G., Parties and
Party Systems, Cambridge, Cambridge University Press, 1976 ; SEILER D.-L.,
Les Partis politiques, Paris, A. Colin, coll. « Compact », 2000.
TYPOLOGIE DES CLIVAGES PARTISANS. Les partis peuvent se distinguer de
diverses manières, au regard soit de leur mode d’organisation et de direction,
soit de leur recrutement, soit encore de leur base sociale, de leurs orientations
idéologiques et programmatiques, soit enfin des grands clivages d’origine
socio-historique qui ont déterminé leur position sur le spectre politique (le
plus familier étant le clivage droite/gauche). Les distinctions de nature
organisationnelle entre les partis se trouvant exposées dans une autre entrée
(voir : ORGANISATION INTERNE), on se concentrera ici sur leurs variations
idéologiques et socio-historiques communément recouvertes par l’expression
de clivages partisans.
Issu comme on sait de la place occupée par les députés des différentes
tendances au sein des assemblées révolutionnaires françaises, le clivage
droite/gauche n’est, toutefois, véritablement devenu d’usage dominant qu’à
partir du moment où la police (les Renseignements généraux) l’a introduit
dans son système de classification des informations préélectorales destinées
au gouvernement (vers la fin du siècle dernier). Mais d’autres pays ont préféré
longtemps d’autres indicateurs de classification, tels ceux de partis bourgeois
ou ouvriers, de partis libéraux, indiquant une certaine orientation à gauche en
Grande-Bretagne, en Espagne ou en Amérique latine, et encore ceux de partis
radicaux ou progressistes, avec une connotation de gauche plus extrême dans
les sociétés anglo-saxonnes. En France même, les partis ont été, également,
longtemps classés au regard de leur orientation pro ou anti-gouvernementale
(favorables à l’Empire/républicains, puis républicains/cléricaux). S’agissant
plus spécifiquement de la droite française, René Rémond a introduit en outre
une taxonomie plus rigoureuse et devenue classique entre la droite légitimiste,
aujourd’hui disparue, la droite orléaniste et libérale dont l’UDF aurait été
l’héritière, et la droite bonapartiste ou « rassembleuse », nationaliste et hostile
aux divisions engendrées par les partis, dont certains traits se seraient
perpétués dans le boulangisme puis le courant gaulliste.
Les analyses de Jean Blondel dépassent ce clivage. Pour Blondel, aux
cliques et factions des origines succèdent les partis de représentation soit
traditionnels et clientélistes, soit ethniques ou religieux, soit partis de classe
enfin. Il distingue de plus les partis de mobilisation propres au tiers-monde ou
à certaines phases de l’histoire de l’Europe (partis communistes, autoritaires-
conservateurs et populistes). De son côté, Giovanni Sartori classe les partis au
regard de leur insertion dans le système partisan global sur la base de deux
dichotomies : la dichotomie bipartisme/multipartisme qui a trait à leur
fragmentation plus ou moins poussée, et celle de la bipolarité/multipolarité qui
qualifie cette fragmentation. Par ailleurs, sur la base d’une immense érudition
historique, Stein Rokkan a construit un système de clivages complexe et
multidimensionnel fondé sur la généalogie des partis au regard des grands
conflits successifs qui ont perturbé les sociétés occidentales. Il isole dans cette
perspective le conflit possédants/travailleurs, générateur du clivage partis
bourgeois/partis ouvriers, le conflit Église/État opposant les formations
partisanes sécularisées et confessionnelles, le conflit centre/périphérie divisant
centralistes et autonomistes, ainsi que le conflit urbain/rural dont procèdent les
partis agrariens aussi bien que, de façon détournée, les écologistes.
→ centre, clivages politiques, gauche/droite
AEBISHER S., Gauche-droite : au-delà de cette limite la politique n’est plus
pensable, Paris, N. Philippe, 2003 ; ALEXANDRE-COLLIER A., JARDIN X.,
Anatomie des droites européennes, Paris, A. Colin, 2004 ; BLONDEL J.,
Political Parties, London, Wildwood House, 1978 ; BOBBIO N., Droite et
gauche : essai sur une distinction politique, Paris, Seuil, 1996 ; LAPONCE J.-A.,
Left and Right. The Topography of Political Perception, Toronto, University
Press of Toronto, 1981 ; RÉMOND R., Les Droites aujourd’hui, Paris, Audibert,
2005 ; ROKKAN S., Citizens, Elections, Parties, Oslo, Universitets Forlaget,
1970 ; SARTORI G., Parties and Party Systems, Cambridge, Cambridge
University Press, 1976 ; SEILER D.-L., De la comparaison des partis
politiques, Economica, 1986.
PARTIS AGRARIENS. Inconnue en France et dans la plus grande partie de
l’Europe de l’Ouest, cette famille de partis est assez spécifique des pays
scandinaves, de la Finlande, de certains cantons suisses, ou encore de la
Pologne et de la Hongrie d’avant 1939. Sauf dans ces derniers pays, leur
apparition a caractérisé souvent des sociétés peu touchées par la féodalité, où
les paysans ont toujours été des hommes libres dotés d’une représentation
politique, et où l’autonomie de la paysannerie s’est parfois combinée à des
clivages religieux comme en Suisse (où le monde rural catholique accorde ses
suffrages à la démocratie chrétienne cependant que les agriculteurs protestants
s’orientent vers les agrariens). À présent, ces partis ont de façon générale
abandonné l’étiquette explicitement agrarienne pour se classer comme des
« partis du centre » (en Suisse par exemple). Mais ils se présentent toujours
comme les défenseurs de la périphérie d’une société face à son centre étatique
et urbain, dans le cadre d’une réaction qui est à la fois économique et
culturelle. Dans le même esprit, la plupart d’entre eux sont aujourd’hui
hostiles à l’unification européenne.
→ centre
PARTIS ANTISCAUX. Nouvelle variété de partis de possédants d’orientation
conservatrice et anti-étatique apparue au cours des années 1970 au Danemark
et, dans une moindre mesure, en Norvège, en vertu d’une réaction de défense
contre la pression fiscale des gouvernements sociaux-démocrates et leur
emprise sur la société en général. Fondé en 1973, le Parti du progrès de
Mogens Glistrup a obtenu un résultat maximum de 15,9 % des suffrages
exprimés aux élections de 1973. De son côté, le Parti progressiste d’Anders
Lange a recueilli la même année 5 % des voix, mais s’est effondré dès la
consultation suivante, en 1977. À certains égards, la Ligue du Nord en Italie,
puis la Ligue tessinoise en Suisse, possèdent certains traits des partis
antifiscaux.
→ populisme
BERGLUND S., LINDSTROM V., The Scandinavian Party Systems, Lund,
Student Litteratur, 1978 ; BETZ H.-G., La droite populiste en Europe. Extrême
et démocrate ? Paris, Éd. Autrement, 2004 ; HERMET G., Les populismes dans
le monde, Paris, Fayard, 2001.
PARTIS AUTONOMISTES. On tend abusivement à englober dans cette catégorie
toutes les formations qui visent à exprimer la volonté politique d’une
périphérie ou d’une région particulière face à l’État central, au regard de leurs
spécificités culturelles mais souvent aussi historiques et économiques. En
réalité, les partis autonomistes au sens propre se caractérisent par leur
orientation modérée ou relativement modérée. Bien qu’ils expriment une
certaine forme de nationalisme local, comme le Parti nationaliste basque ou la
formation catalane Convergence et Union en Espagne, ils ne remettent pas
totalement en cause l’appartenance de leur région à l’ensemble national plus
vaste (en l’occurrence, celui qu’ils appellent État espagnol). Ils se distinguent
de la sorte des partis spécifiquement « indépendantistes » qui, comme Herri
Batasuna au Pays basque, l’Unita nazionalista ou le FNLC en Corse, le Sinn
Féin en Irlande du Nord ou, encore, le Scottish National Party en Écosse et le
Parti québécois au Canada, visent la constitution d’un nouvel État séparé ou le
rattachement à un autre dans le cas des Irlandais. Il est à noter, par ailleurs,
que les nouveaux partis nationalistes de nom ou de fait de l’Europe de l’Est
sont passés parfois directement de l’étape de la fondation à celle de la
responsabilité gouvernementale indépendante, comme en Croatie, en Slovénie
ou dans les pays baltes.
→ autonomie, dévolution, nation : Nationalisme ; Nationalitaires
(mouvements), partis politiques : Partis ethniques
DE WINTER L., GOMEZ-REINO M., LYNCH P., (eds.), Autonomist parties in
Europe : Identity Politics and the Revival of the Territorial Cleavage,
Barcelona, ICPS, 2006, vol. 2 ; SEILER D.-L., Les Partis autonomistes, Paris,
PUF, 1994 (Que sais-je ?).
PARTIS CARTEL. Concept usité à partir des années 1980, désignant de grandes
formations politiques intégrées dans les systèmes politiques de manière
quasiment structurelle, auxquelles est reconnu à la limite un statut para-
constitutionnel comme dans la République fédérale d’Allemagne.
→ partis politiques, Systèmes de Partis
AUCANTE Y., DÉZÉ A. (dir.), Les Systèmes de partis dans les démocraties
occidentales. Le modèle du parti-cartel en questions, Paris, Presses de
Sciences Po, 2008 ; KATZ R. S., MAIR P., « Changing Models of Party
Organization and Party Democracy : the Emergence of the Cartel Party »,
Party Politics 1 (1), 1995.
PARTIS COMMUNISTES. Les partis communistes sont nés, à l’issue de la
Première Guerre mondiale, d’une scission intervenue au sein de la
II Internationale. Les partisans de la Révolution d’Octobre ont alors quitté la
e

sociale démocratie pour rejoindre le Komintern en souscrivant aux 21


conditions que celui-ci avait formulées. Parmi ces conditions figurait
notamment la constitution d’un parti discipliné et centralisé qui devint, à la
faveur de la bolchévisation, l’une des marques essentielles des partis
communistes. Le centralisme démocratique, caractéristique commune à tous
ces partis avec la référence au marxisme, prévoyait une organisation
pyramidale, dont les instances centrales étaient censées être élues par la base
et appliquer une politique arrêtée après discussion à tous les niveaux ; il
supposait aussi qu’une fois élaborée, cette politique était mise en œuvre
unanimement pour tous les échelons du parti, sans que ne s’expriment le
moindre fractionnement ni la moindre déviance. Fortement marqué par l’effet
de la loi d’airain de l’oligarchie, ce principe fut souvent tenu pour dénaturé,
confinant davantage à l’autoritarisme qu’à la démocratie. D’autres
caractéristiques ont contribué à marquer l’originalité de ces partis : une forte
organisation à la base (par l’intermédiaire des cellules d’entreprise,
notamment), une puissante articulation à des mouvements de masse de type
associatif (syndicats, organisation de jeunes, de femmes…), l’effectivité d’un
travail éducatif et de socialisation de leurs adhérents et sympathisants.

Au sein des systèmes politiques, les partis communistes ont occupé une
place inégale : autrefois puissants dans l’Allemagne de Weimar, dans la
France et l’Italie d’après-guerre, jouant un rôle important dans la résistance
clandestine aux régimes autoritaires installés au Portugal, en Espagne ou en
Grèce, ils ont toujours été faibles, voire très faibles, en Europe du Nord (sauf
en Finlande et à un court moment au Danemark, en 1944-1945), et dans la
quasi-totalité des sociétés extra-européennes. Leur venue au pouvoir en
Europe de l’Est, en Chine ou au Viêt-nam en a fait des partis uniques, gonflant
très largement la réalité de leur assise sociale. La désagrégation du système
soviétique a précisément contribué à leur démantèlement (voire leur
interdiction) à l’Est et à leur quasi-disparition dans le monde occidental où ils
ne conservent que quelques bastions locaux. Au-delà de ce contexte
international, la puissance des partis communistes fut aussi liée à un moment
des systèmes politiques occidentaux, lorsqu’ils offraient à la classe ouvrière
un instrument en même temps d’expression revendicative et d’intégration au
sein d’un ordre politique qui la marginalisait dans un comportement
d’aliénation. Cette hypothèse, développée par Georges Lavau, reconnaissait
ainsi aux partis communistes l’accomplissement d’une fonction tribunitienne
qui correspond, semble-t-il, moins étroitement aux données immédiatement
contemporaines.
→ communisme, marxisme, oligarchie (loi d’airain d’)
BACKES U., MOREAU P., (eds.), Communist and Post-communist Parties in
Europe, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2008 ; COURTOIS S. (dir.),
Histoire et mémoire du communisme en Europe, Paris, R. Laffont, 2002 ;
LAVAU G., À quoi sert le PCF ?, Paris, Fayard, 1981 ; HERMET G., Les
Communistes en Espagne, Paris, Presses de la FNSP, 1971.
PARTIS SUCCESSEURS. Expression désormais consacrée en français et en
anglais, pour désigner les formations politiques issues des anciens partis
communistes des démocraties populaires de l’Europe centrale et orientale.
Seul le PC tchèque a conservé son ancienne appellation, tandis que les autres
ont généralement choisi de se dénommer « Parti socialiste » ; ainsi le Parti
ouvrier unifié polonais, ou son homologue hongrois, ou encore le Parti
communiste bulgare, rebaptisé Parti socialiste bulgare. En dehors du PC
tchèque, les autres partis communistes existant à présent dans l’Est de
l’Europe ne sont en réalité que de très petites formations dissidentes,
nostalgiques du passé ou extrémistes, en général incapables de franchir les
seuils électoraux qui leur permettraient d’être représentés dans les parlements.
→ communisme, démocratisation, Partis communistes
GRZYMALA-BUSSE A. M., Redeeming the Communist Past : The
Regeneration of Communist Parties in East Central Europe, Cambridge,
Cambridge University Press, 2002 ; HERMET G., MARCOU L. (dirs.), Des partis
comme les autres ? Les anciens communistes en Europe de l’Est, Bruxelles,
Éd. Complexe, 1998 ; MINK G., SZUREK J.-C., La Grande conversion. Le
destin des communistes en Europe de l’Est, Paris, Seuil, 1999.
PARTIS CONFESSIONNELS. Expression partisane des identifications religieuses,
les partis confessionnels se retrouvent, inégalement développés, dans les
systèmes politiques les plus variés. Dans les systèmes autoritaires, ils
s’imposent comme instances de mobilisation contestataire, obtenant plus ou
moins facilement le statut de parti politique : tel est notamment le cas des
mouvements islamistes (notamment des Frères musulmans) dans un grand
nombre de pays musulmans ; de la même manière, certains régimes
autoritaires de l’Europe de l’Est et du Sud, ainsi que d’Amérique latine, durent
plus ou moins composer avec des partis d’inspiration démocrate-chrétienne
qui purent servir d’expression contestataire.

Dans les systèmes pluralistes, les partis confessionnels ont pu s’imposer en


accomplissant plusieurs types de fonction : soit exprimer et défendre l’identité
de confessions minoritaires (partis évangéliques et démocrates-chrétiens aux
Pays-Bas ou en Suisse) : soit affirmer une identité religieuse très
anciennement productrice de réseaux associatifs propres (démocratie-
chrétienne allemande héritière du Zentrum) : soit exprimer et organiser une
hégémonie (démocratie-chrétienne italienne) ; soit encore prendre le relais de
partis de droite ou du centre discrédités (MRP français, DC italienne ou
allemande), ou accomplir une fonction tribunitienne et contestataire par
recours à un emblème religieux (BJP en Inde), ou, autrement, refléter la
diversité des visions religieuses et politiques dans les systèmes politiques où
le religieux exerce un rôle constituant (partis religieux en Israël).
→ partis politiques : Typologie des clivages partisans ; Partis démocrates
chrétiens ; Partis protestants, religion et politique
PARTIS DÉMOCRATES CHRÉTIENS. Les origines du courant démocrate-chrétien
remontent au dernier tiers du XIX siècle. Elles dérivent du conflit aigu entre
e

l’Église et l’État qui a affecté des pays catholiques comme l’Autriche, la


Belgique, l’Italie ou la France, ainsi que des pays hétérogènes sur le plan
religieux tels que l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suisse. Seule l’Irlande
catholique a échappé en Europe de l’Ouest à ce conflit et ignoré
corollairement le phénomène démocrate-chrétien, cependant que l’Espagne et
le Portugal y ont pratiquement échappé en dépit de leurs affrontements entre
les cléricaux et les anticléricaux (largement de par la volonté même du Saint-
Siège). C’est en raison de leur référence à ce clivage
cléricalisme/anticléricalisme plutôt qu’à la logique des conflits de classes
opposant les partis conservateurs ou bourgeois aux partis ouvriers ou
socialistes, les formations démocrates-chrétiennes ont été classées à droite
alors qu’elles n’obéissaient pas vraiment au positionnement droite/gauche et
adhéraient à la doctrine mi-libérale mi-étatique de l’« économie sociale de
marché ».

Ce sont à leur naissance et pour des périodes de durée variables selon les
pays des partis cléricaux dans leur inspiration (liés aux évêques et au Vatican)
et confessionnels dans leur référence religieuse explicite, y compris lorsque
celle-ci n’est pas mentionnée dans leur intitulé. Leur prototype est le Zentrum
de l’empire allemand, apparu par réaction contre le Kulturkampf d’orientation
luthérienne du chancelier Bismarck. Vont se développer parallèlement les
partis homologues d’Autriche, de Belgique, des Pays-Bas et de Suisse, puis,
en 1919, le Parti populaire italien de l’abbé Sturzo, enfin, le beaucoup plus
modeste Parti démocrate populaire qui s’organise en France pendant les
années 1930. Toutefois, la période de grande expansion de la démocratie-
chrétienne ne survient qu’après la Seconde Guerre mondiale, lorsque la
Democrazia cristiana devient le pivot de la vie politique italienne, que la
CDU/CSU allemande fait balance égale avec la social-démocratie, que le
Mouvement républicain populaire (MRP) se hausse pendant quelques années
parmi les trois grands partis français et que les autres formations de cette
obédience maintiennent leurs positions en Autriche (face à la social-
démocratie), en Belgique flamande (parti dominant), au Luxembourg, aux
Pays-Bas et en Suisse.
La gamme des dénominations de ces partis recouvre alors divers termes
selon les pays : démocratie-chrétienne, bien entendu, mais alternativement,
chrétien-social, social-chrétien ou encore populaire. Dans tous les cas,
cependant, leur matrice idéologique reste la doctrine sociale de l’Église
marquée par le refus des conflits de classes, tandis que leur base sociale
s’appuie sur les syndicats d’origine confessionnelle vis-à-vis des ouvriers
croyants ou modérés, ainsi que sur le réseau des organisations d’Action
catholique s’agissant des classes moyennes ou des jeunes. Toutefois, dès avant
le concile Vatican II, les partis démocrates-chrétiens se dégagent de plus en
plus de la tutelle des évêques et se « déconfessionalisent », pour des raisons
qui tiennent autant à l’évolution d’une partie de leurs dirigeants, membres ou
électeurs qu’à celle d’une fraction croissante du clergé, qui les juge trop
conservateurs et compromettants sur le plan aussi bien politique que religieux.
C’est, également, que les formations démocrates-chrétiennes constituent
comme les partis communistes ou socialistes des partis de masses dont
l’électorat ne correspond pas nécessairement au « peuple pratiquant » et
englobe nombre d’indifférents en matière de foi. Dès lors, une assez grande
variété de courants répartis de la gauche à la droite va s’y consolider, tandis
que, en ce qui la concerne, la démocratie-chrétienne française va voir la plus
grande partie de sa clientèle politique captée par le courant gaulliste sous la
V République (ses héritiers, rassemblés dans le Centre des démocrates
e

sociaux – CDS – se retrouvant pour leur part au sein de l’UDF). Ailleurs,


comme en Allemagne, en Autriche ou en Italie, les partis démocrates-
chrétiens tendent plutôt à se transformer en formations de centre-droit face
aux organisations sociales-démocrates ou au PCI, cependant que le parti
chrétien-social de la Belgique flamande subit surtout la concurrence des partis
autonomistes.
De façon générale, les grands partis démocrates-chrétiens de l’Europe de
l’Ouest ont enregistré un net recul électoral au cours des années 1960-1975,
passant par exemple de 50 à 30 % des suffrages exprimés aux Pays-Bas et de
45 à 30 % en Belgique. Puis leur recul s’est ralenti ou s’est même inversé
pendant les années 1980, particulièrement en Allemagne. À présent, la
démocratie chrétienne s’est effondrée sous les assauts des ligues dans le nord
de l’Italie. Il faut ajouter, cependant, que des partis démocrates-chrétiens de
style européen se sont solidement implantés dans certains pays d’Amérique
latine, notamment au Salvador, au Vénézuéla (le COPEI), et surtout au Chili
dont ils constituent la force politique principale. En revanche, les petites
formations qui adoptent ce nom en Scandinavie sont, en réalité, des partis
protestants d’orientation conservatrice.
→ catholicisme et politique, économie sociale de marché, partis
politiques : Partis confessionnels : Partis protestants, sécularisation
DELWIT P. (dir.), Démocraties chrétiennes et conservatismes en Europe.
Une nouvelle convergence ? Bruxelles, Éd. de l’Université de Bruxelles,
2003 ; DREYFUS F. G., Histoire de la démocratie chrétienne en France, Paris,
Albin Michel, 1988 ; DURAND J. D., L’Europe de la démocratie-chrétienne,
Bruxelles, Éd. Complexe, 1995 ; HANLEY D. (ed.), Christian Democracy in
Europe, London, Cassell Academic, 1994 ; KALYVAS S. N., The Rise of
Christian Democracy in Europe, Ithaca, Cornell University Press, 1996 ;
MAYEUR J. M., Des partis catholiques à la démocratie chrétienne. XIX - e

XX siècle, Paris, A. Colin, 1980.


e

PARTIS ÉCOLOGISTES. La sensibilité écologiste s’est affirmée dès les


années 1960 aux États-Unis avec des dénonciations à grand retentissement
médiatique des risques engendrés par certaines technologies nouvelles (Rachel
Carson, Le Printemps silencieux, 1962) et, sur un autre terrain, l’émergence
d’un mouvement d’économistes dits Zegists, c’est-à-dire partisans de la
croissance zéro. Pourtant ce n’est pas dans ce pays que sont apparus les
premiers partis écologistes, mais en Scandinavie et en Europe occidentale qui
constituent encore aujourd’hui leur terre d’élection. Fondé en 1980, en
Allemagne fédérale, le parti des « Grünen » a obtenu 8,3 % des voix aux
élections du Bundestag, en 1987, et 44 députés. Même si ce succès n’a pas été
confirmé aux élections législatives ultérieures, cette irruption sur la scène
politique a néanmoins introduit un élément décisif de renouvellement du
débat. Il ne s’agit pas en effet d’un phénomène isolé, puisque les « Verts »
sont présents dans les consultations électorales, nationales et locales, de
l’ensemble des pays européens, y compris à l’Est. Ils ont quelques élus au
Parlement en Belgique, en Suisse, au Portugal ; il existe également un groupe
écologiste au Parlement européen.

En France, les écologistes des années 1970 n’ont pas accepté sans fortes
réticences initiales l’idée de créer un parti politique. Lancé par les
candidatures successives, à l’élection présidentielle, de René Dumont en 1974
et Brice Lalonde en 1981, le processus n’aboutit qu’en 1984 avec la fusion de
diverses petites formations qui créent « Les Verts, Confédération écologiste-
Parti écologiste ». Partisan d’une affirmation autonome de l’identité
écologiste, qui s’exprime dans le slogan : « Ni droite, ni gauche », Antoine
Waechter n’obtient que 3,8 % des suffrages à l’élection présidentielle de
1988. Cependant un décollage incontestable s’est produit à partir des élections
européennes de 1989 (10,6 %), et régionales de 1992 (14,7 %), terni toutefois
de nombreuses contre-performances ultérieures.
Les partis écologistes ne sont pas de purs et simples défenseurs de
l’environnement. Sans doute cette préoccupation est-elle constitutive d’une
part essentielle de leur démarche, expliquant les mobilisations contre le
nucléaire, les équipements lourds (en matière autoroutière par exemple), les
industries polluantes, la destruction d’écosystèmes, etc. Mais ce sont plus
fondamentalement des partis hostiles au productivisme industrialiste et à la
compétition économique, dont ils font le procès au nom d’une autre
conception de la qualité de la vie. En ce sens, pour reprendre les analyses de
Ronald Inglehart, ils incarnent des valeurs postmatérialistes qui les mettent à
large distance idéologique des partis classiques de la scène politique. Cette
caractéristique s’observe dans les éléments de leur programme concernant les
droits des femmes et des minorités culturelles, le tiers-mondisme, le refus de
la vision « économiste » des problèmes de société. Ils attachent une grande
importance à des thèmes comme la réduction et le partage du travail, qui
doivent, selon eux, permettre de vivre différemment une vie plus autonome et
plus créative. De même les Verts ont-ils l’ambition de constituer une nouvelle
génération de partis politiques par un style d’action à la fois plus
démocratique et moins conventionnel qui rompe avec les logiques de la
politique professionnelle (d’où un mode de fonctionnement interne souvent
mal compris ou observé avec condescendance). On ne s’étonnera pas dès lors
que, sociologiquement, bien loin de représenter les couches les plus
traditionnelles d’une société rurale sur la défensive, ils trouvent leurs
meilleurs appuis dans le pôle intellectuel des classes moyennes et chez les
détenteurs d’un niveau d’études supérieures.
→ écologiques (Mouvements)
BOY D. (dir.), L’écologie au pouvoir, Paris, Presses de Sciences Po, 1995 ;
SAINTENY G., L’Introuvable écologisme ?, Paris, PUF, 2000 ; SERNE P., Les
Verts ont vingt ans, Paris, Cédis, 2004 ; VIALATTE J., Les Partis verts en
Europe occidentale, Paris, Economica, 1996.
PARTIS ETHNIQUES. Cette famille de partis prétend représenter un groupe
ethnique en s’opposant en général à ce qu’il soit gouverné ou dominé par
d’autres groupes. Ces partis sont souvent confondus avec les organisations
autonomistes ou indépendantistes (Parti nationaliste basque, Convergence et
Union en Catalogne…). Toutefois, pour que leur titre soit exact, ils doivent
revendiquer expressément un particularisme ethnique, linguistique, voire
religieux, excluant en fait ou en principe d’autres populations. Tel est, sans
excès, le cas du Scottish National Party, plus vigoureusement ceux du parti
québécois, du Sinn Féin irlandais ou de Herri Batasuna au Pays Basque. Les
partis de ce type deviennent par ailleurs assez nombreux en Afrique, même si
leur dénomination ne l’indique pas en général ; ainsi, le Front pour la
démocratie au Burundi (FRODEBU), qui représente pour l’essentiel l’ethnie
Hutu. Ils commencent également à s’esquisser dans les zones indiennes de
l’Amérique latine, avec l’ASI colombienne par exemple. Le même
phénomène peut se retrouver, en outre, dans certains pays de l’Est européen
comme l’ex-Yougoslavie, ou encore en Bulgarie, s’agissant de la minorité
turco-musulmane. Par ailleurs, un parti quelconque peut exercer un attrait
particulier sur des minorités de couleur ou autres, comme le parti démocrate
aux États-Unis. Il lui arrive, alors, de se voir caractériser comme « ethnique »
dans une acception assez différente.
→ ethnicité, minorité, nation : Nationalitaires (Mouvements), partis
politiques : Partis autonomistes
HROCH M., « Nationalism and national movements : comparing the past
and present of Central and Eastern Europe », Nations and Nationalism 2 (1),
1996 ; Social Preconditions of National Revival in Europe, Cambridge,
Cambridge University Press, 1985 [1968].
PARTIS LIBÉRAUX. Les partis libéraux représentent habituellement une
fraction des milieux sociaux les plus favorisés, des divers secteurs de la
bourgeoisie aux classes moyennes. Ils trouvent souvent un appui direct du
côté du patronat ; la Fédération des entreprises belges n’hésite pas à appuyer
le parti libéral tout comme les partis sociaux chrétiens et, dans le même sens,
en Grande- Bretagne ou en Allemagne, on constate de telles pratiques. En cas
d’échec, cet appui peut disparaître comme dans la situation italienne où la
Confindustia soutint le parti libéral avant de s’en détourner. Ces partis sont
attachés à la libre entreprise, à l’économie de marché et entendent limiter
l’intervention de l’État. Face aux anciens partis conservateurs qui étaient leurs
adversaires traditionnels, certains partis libéraux ont le plus souvent recherché
les conditions d’une alliance avec ces concurrents conservateurs quitte à tenter
de s’en détacher pour conquérir leur clientèle autonome ; ainsi, en Grande-
Bretagne, le parti libéral s’est lancé depuis fort longtemps dans une telle
stratégie mais n’a jamais pu s’imposer face à ses deux grands rivaux, d’autant
que le système électoral en vigueur ne lui est guère favorable et, en dépit de
belles poussées électorales récentes, l’échec a été constant ; dans d’autres cas
de figure, plus rares il est vrai, certains partis libéraux ont passé des accords
provisoires avec les partis ouvriers. En France, récemment, le parti libéral fut
incarné par le Parti républicain, les giscardiens étant parvenus à constituer un
pôle politique considérable de droite face à leur allié-rival qu’était le RPR
gaulliste, davantage populiste et interventionniste.
→ libéralisme, Whig/Tory
BOBBIO N., Libéralisme et démocratie, Paris, Cerf, 1996 ; DELWIT P. (dir.),
Libéralismes et partis libéraux en Europe, Bruxelles, Éd. de l’Université de
Bruxelles, 2002 ; ROUSSELIER N., L’Europe des libéraux, Bruxelles, Complexe,
2001 ; SEILER D.-L., Partis et famille politiques, Paris, PUF, 1980 ; Les partis
politiques, Paris, A. Colin, 2000.
PARTIS PROTESTANTS. Cette famille partisane, à ne pas confondre avec celle
de la démocratie-chrétienne, ne s’est développée qu’en Suisse, aux Pays-Bas
et dans les pays scandinaves. Dans les sociétés pluriconfessionnelles de Suisse
et de Hollande, les partis protestants ont exprimé une réaction orientée à la
fois contre le poids politique des catholiques et contre la mentalité laïque des
libéraux appartenant pourtant eux aussi en majorité à la religion réformée.
Dans les pays scandinaves presque totalement dominés par les Églises établies
luthériennes, ils ont tendu seulement à préserver le lien privilégié de ces
Églises avec l’État et avec l’identité nationale. Ces partis n’ont guère recueilli
plus de 5 % des suffrages exprimés dans les meilleures circonstances. Les
partis chrétiens populaires danois et norvégiens subsistent toujours, de même
que le Parti chrétien-démocrate suédois et le Parti évangélique populaire
suisse. En revanche, le Parti antirévolutionnaire et l’Union chrétienne
historique des Pays-Bas se sont joints en 1977 au Parti catholique hollandais
pour fonder l’Appel chrétien-démocrate (CDA). Bien qu’il apparaisse
largement comme le parti des protestants de l’Irlande du Nord, le Parti
unioniste n’entre pas véritablement dans cette catégorie.
→ protestantisme et politique, fondamentalisme protestant,
sécularisation
MADELEY J. T.S., « Scandinavian Christian Democracy : throwback or
portent ? », European Journal of Political Research, 1977, pp. 267-286 ;
VIGNAUX E., Luthéranisme et politique en Norvège : le Parti chrétien du
peuple, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques politiques », 2003.
PARTIS RADICAUX. Dans son sens français (ou suisse), le parti radical se
présente comme un parti « radicalement républicain », cherchant à exprimer
les aspirations et les attentes des nouvelles classes moyennes liées à
l’avènement de la République. Attaché, à ce titre, à la laïcité et aux institutions
républicaines, marqué par son passé de parti de gouvernement, il exprime une
idéologie évoluant assez vite vers la promotion du pluralisme, de la tolérance
et du compromis. Lié à des catégories sociales rapidement débordées par la
révolu tion industrielle, il professe généralement une vision économique plutôt
traditionnelle. L’appellation existe également en Suisse, où elle a désigné une
orientation politique voisine mais s’applique maintenant au parti de
gouvernement par excellence.

Dans son sens anglo-saxon, le radicalisme renvoie, au contraire, à une


contestation assez drastique de l’ordre socio-politique, faisant du « parti
radical » une organisation souvent marginale et déviante. Cette acception se
retrouve dans d’autres systèmes politiques, et notamment l’Italie des
années 1980.
PARTIS SOCIALISTES ET SOCIAUX-DÉMOCRATES. Issus en général de la
II Internationale, ces partis sont ceux qui ont refusé de se rallier à la
e

III Internationale et d’adhérer aux conditions posées par Lénine. Demeurés


e

longtemps des formations ouvrières pour l’essentiel, ils ont acquis à présent
une assise sociale beaucoup plus large dans les classes moyennes et les
professions non manuelles. Tous restent marqués cependant par leur origine
syndicale bien qu’à des degrés divers. En France, la captation de la CGT par
le parti communiste a fait que la SFIO puis le parti socialiste recréé au congrès
d’Épinay se sont éloignés par force de cette origine. En revanche, les partis
allemand, autrichien, belge, hollandais et scandinaves sont toujours en
symbiose avec les syndicats (ce fut, longtemps, le cas aussi pour le PSOE
espagnol).

La plupart de ces partis sont de type social-démocrate, ce qui signifie qu’ils


ont abandonné expressément leurs références marxistes plus ou moins
affirmées pour s’orienter vers le « réformisme ». Ils acceptent par conséquent
l’ordre socio-économique en vigueur, afin de l’utiliser dans le sens d’une
amélioration du sort des travailleurs et des salariés en général. Mais d’autres
partis, comme le parti socialiste en France ou le PSI en Italie, ont conservé
l’appellation socialiste parce qu’ils ont rejeté précisément l’orientation
« réformiste » de la social-démocratie au regard de leur volonté de rupture –
légale toutefois – avec le système capitaliste (en fonction aussi d’une certaine
fidélité au marxisme). Reste que ce clivage sur les mots n’importe plus guère
à présent. Il faut signaler, en outre, l’existence de diverses formations
socialistes dissidentes aux Pays-Bas et en Scandinavie, qui compensent
parfois le vide créé par la faible audience des communistes.
→ syndicats
DELWIT P. (dir.), Où va la social-démocratie européenne ? Débats, enjeux,
perspectives, Bruxelles, Éd. de l’Université Libre de Bruxelles, 2004 ;
DONNEUR A. P., L’Internationale socialiste, Paris, PUF (Que sais-je ?), 1983 ;
KITSCHELT H., The Transformation of Social Democracy, Cambridge,
Cambridge University Press, 1994 ; PRZEWORSKI A., SPRAGUE J., Paper
Stones : A History of Electoral Socialism, Chicago, Chicago University Press,
1986.
PARTIS TRAVAILLISTES. Le Labour Party britannique incarne presque à lui
seul l’exemple d’un parti dit travailliste. Créé en 1900, il fait figure
d’émanation directe des syndicats : alors que dans de nombreux pays, ce sont
les partis qui contrôlent plus ou moins directement les syndicats, en Grande-
Bretagne, la classe ouvrière s’est dotée de ses propres institutions de
représentation à travers les syndicats et ceux-ci, du moins à l’origine,
interviennent dans le domaine politique grâce au parti travailliste (les
syndicats s’affiliant directement à cette structure partisane). Certes, des
intellectuels ont joué un rôle dans cette innovation politique, tels les Webb ou
encore H. G. Wells, dans le cadre de la Fabian Society ; mais ils n’ont jamais
exercé le rôle qui est le leur en France ou en Allemagne. Dans ce sens, le parti
travailliste représente bien les intérêts de la classe ouvrière, même si de nos
jours une partie importante des classes moyennes vote également pour ce
parti. Comme l’exprime R. Mckenzie, « au Parlement, le parti travailliste n’est
pas simplement un parti politique : il se présente comme l’émanation du
monde ouvrier ». Les liens avec les Trade Unions demeurent de type
organique et, à la différence là encore de la France, une proportion
considérable des élus travaillistes sont, du même coup, d’origine ouvrière
alors qu’au parti socialiste français, les ouvriers ont quasiment disparu depuis
fort longtemps parmi les élus. Condamné autrefois durement par Lénine pour
sa tendance réformiste, son hostilité constante à l’égard du marxisme, sa
réticence à mener des grèves explicitement politiques, considéré alors comme
l’exemple même d’une organisation politique aliénant la classe ouvrière en
réussissant à l’intégrer contre son gré au système politique du capitalisme, le
parti travailliste n’en a pas moins consciemment mené, avec l’appui des
ouvriers, une politique socio-économique très favorable au monde du travail
en imaginant la mise en œuvre du Welfare State. D’autres partis travaillistes
du même type ont vu le jour en Suède ou encore, en Australie.
COOK C. et TAYLOR I., The Labour Party, Londres, Longman, 1980 ;
LERUEZ J., Le système politique britannique, Paris, A. Colin, 2001 ;
URVOAS J. J., « Le New Labour de Tony Blair », Études, avril 1997.
PARTIS AMÉRICAINS. Les deux grands partis – démocrate et républicain – qui
dominent la vie politique des États-Unis possèdent des traits particulièrement
spécifiques. Le plus décisif tient sans doute à ce que l’absence de conflit sur
les grands enjeux de la société américaine ne leur a jamais permis d’agglutiner
de façon solide les groupes sociaux ou d’intérêts qui demeurent de ce fait très
autonomes politiquement. Il n’existe pas, en particulier, de parti de classe aux
États-Unis, même si le parti démocrate jouit d’un soutien plus populaire en
général et bénéficie également des faveurs du syndicat AFL-CIO. C’est pour
cette raison que les partis américains ne constituent en réalité que des
coalitions très lâches et changeantes de personnalités représentant des intérêts
et des points de vue divers, qui se retrouvent d’ailleurs assez indifféremment
chez les démocrates et les républicains. Parallèlement, les partis américains –
aussi bien que certaines formations canadiennes – se subdivisent en fonction
de cette logique peu conflictuelle au niveau global en autant de partis locaux
que l’Union compte d’états fédérés. Ceux-ci sont en un sens les vrais partis.

En même temps, pourtant, ces partis présentent la contradiction apparente


de s’être transformés depuis le milieu du siècle dernier en gigantesques
machines de captation des votes pendant les périodes électorales, et d’avoir
reposé longtemps – surtout dans le cas du parti démocrate – sur des réseaux
clientélistes orientés vers la fidélisation des électeurs immigrés de fraîche
date. Cette pratique s’est traduite par une sorte de colonisation de certaines
villes ou de certains quartiers qui persiste parfois aujourd’hui encore, et elle a
donné lieu à une corruption extrême fondée notamment sur la distribution des
postes publics (phénomènes du bossism, du partage des dépouilles, du pouvoir
de Tammany Hall à New York avant 1914). De plus, de nos jours, cette
focalisation sur des catégories d’Électeurs spécifiques continue de donner au
parti démocrate sa tonalité de « parti ethnique » selon les termes de Jean
Blondel (qui signifie par là qu’il est, sauf dans le Sud, le parti privilégié par
les noirs, les Électeurs israélites, les « hispaniques » et les minorités de toutes
espèces, dont les homosexuels).
Les partis américains se trouvent, en outre, dirigés nominalement par des
comités nationaux qui n’ont, en réalité, que peu d’influence sur le parti qui
détient la présidence des États-Unis. Le Président agit alors en leader du parti.
De leur côté, leurs congrès nationaux ne se tiennent que tous les quatre ans.
C’est pourquoi ils sont nés comme des « partis présidentiels » et le demeurent
dans une certaine mesure.
Une dernière caractéristique des partis américains concerne leur recours de
plus en plus étendu aux « primaires », c’est-à-dire à des élections internes qui
permettent aux citoyens qui souhaitent y participer de choisir les candidats
aux consultations officielles fédérales ou locales ou, encore, les délégués
chargés de les représenter aux conventions du parti. Cette pratique récente,
développée depuis les années 1912-1920 et surtout depuis 1970, revêt pour sa
part une signification hautement démocratique qui compense le rôle joué par
les notables dans les instances partisanes (elle se trouve imitée maintenant au
Canada). Toutefois, cette procédure assez populiste a aussi l’inconvénient
d’accroître la dimension plébiscitaire des Élections présidentielles.
→ primaires (élections)
ALDRICH J. H., Why Parties ? The Origin and Transformation of Party
Politics in America, Chicago, University of Chicago Press, 1995 ; BECK P. A.,
Party Politics in America, New York, Longman, 1996 (8 éd.) ; COLEMAN J. J.,
e

Party Decline in America : Policy, Politics, and the Fiscal State, Princeton,
Princeton University Press, 1996.
PARTIS DANS LES SOCIÉTÉS EN DÉVELOPPEMENT. Les partis politiques dans les
pays en développement s’écartent substantiellement des partis politiques
occidentaux tels que la science politique les a saisis et analysés. Certes, ils
dérivent presque tous d’une importation, voire, au départ, d’un simple
prolongement du modèle partisan européen. La colonisation, notamment, a
favorisé la diffusion d’idéologies politiques d’origine occidentale au sein de
sociétés d’Afrique et d’Asie ; à mesure que s’effectuait l’émancipation de
celles-ci, l’élite politique qui se formait en son sein a également fait école
dans les partis d’inspiration socialiste ou chrétienne, jusque sur les bancs des
parlements métropolitains. C’est dire que les structures, mais surtout la
symbolique, voire l’habillage idéologique de ces partis rappellent nettement
les constructions occidentales les plus familières.

L’accomplissement fonctionnel reste cependant très différent, du fait aussi


de la diversité de leur histoire et de leur culture. Agents d’intégration et de
conflit dans les sociétés occidentales, les partis accomplissent, dans les pays
en développement, de toutes autres fonctions. Faute de concourir à
l’expression de clivages et de pouvoir entretenir une réelle allégeance
citoyenne, ils servent essentiellement de support à l’émergence et à la
pérennisation d’une classe politique sans parvenir à raccorder celle-ci à
l’ensemble des gouvernés. Médiocres instruments de communication, ils
prétendent surtout à une expression symbolique dont la fonction est davantage
démonstrative qu’éducatrice. Éléments incertains d’exercice du pouvoir, face
notamment à l’État, la bureaucratie et son armée, ils constituent plus un
appoint et un relais qu’un élément central du dispositif de domination, même
dans les cas – nombreux – d’existence d’un parti unique.
→ développement politique, partis politiques : Parti unique
RANDALL V., Political Parties in the Third World, London, Sage, 1988.
PARTI UNIQUE. Un parti est dit unique lorsqu’il monopolise, dans un système
politique donné, l’exercice de la fonction partisane. Le phénomène est
paradoxal, puisque les partis ont traditionnellement pour fonction d’exprimer
des conflits et de concourir à leur gestion au sein du système politique, alors
que le parti unique prétend à l’unanimisme et nie, par définition, la légitimité
des clivages. La notion est également incertaine : l’unicité fait souvent illusion
dans les sociétés en développement où elle est de fait remise en cause par la
multiplicité des factions qui coexistent en son sein, mais aussi par la profusion
des réseaux de toute nature qui se déploient hors du parti et accomplissent
plusieurs de ses fonctions ; en revanche, la pluralité est souvent trompeuse
dans certains systèmes autoritaires, comme la Pologne ou la RDA, au temps
des démocraties populaires, qui présentaient un simulacre de pluripartisme. En
fait, la catégorie de parti unique renvoie à des situations très diverses, puisque
coexistent en son sein les partis totalitaires (NSDAP du III Reich ou PCUS
e

stalinien), les partis de mobilisation dans les régimes autoritaires à forte


personnalisation du pouvoir (Baath syrien, USA nassérienne, CPP de
Nkrumah…) et des partis fortement institutionnalisés, comme le PRI mexicain
jusque dans les années 1990.
C’est dire que les fonctions qu’on assigne généralement au parti unique se
réalisent de façon inégale, au gré des ressources dont il dispose. De
vigoureuse dans les régimes totalitaires à inefficace dans la plupart des
sociétés en développement, la fonction d’éducation et de contrôle social
dépend de la capacité mobilisatrice de ces partis et donc aussi du niveau de
mobilisation sociale atteint par la société concernée. La fonction de
communication est, quant à elle, plus clandestine et latente que proclamée : les
rouages du parti unique sont pourtant un bon instrument de mesure de l’État
de l’opinion et de sa disponibilité – conjoncturelle ou structurelle – aux appels
du parti. La fonction de communalisation atteint généralement des résultats
bien inférieurs aux objectifs recherchés : destiné à unir et à se fondre dans une
communauté nouvelle, le parti unique est défié, dans les systèmes totalitaires,
par les stratégies de « détotalisation » et, dans les autres systèmes, par la
supériorité des autres allégeances qui s’imposent précisément comme des
contrepoids à la prétention attractive du parti unique. Quant à la fonction
d’exercice du pouvoir, elle suppose couramment des compromis avec les
différentes composantes de l’appareil d’État (bureaucratie, armée…), et
connaît généralement, dans les sociétés en développement, une effectivité plus
grande à la périphérie qu’au centre, c’est-à-dire là où la grande masse de ses
cadres ne connaissent pas de rivaux sérieux.
→ autoritarisme, clientélisme, communauté : COMMUNALISATION-
SOCIATION, partis politiques, patrimonialisme/néo-patrimonialisme,
totalitarisme
HERMET G., « L’autoritarisme », pp. 269-312 in : GRAWITZ M., LECA J.
(dir.), Traité de science politique : les régimes politiques contemporains,
(Paris), Presses Universitaires de France, (1985), vol. II ; HERMET G., LINZ J.,
ROUQUIE A., Des élections pas comme les autres, Paris, Presses de la FNSP,
1978 ; HUNTINGTON S., MOORE C. et al., Authoritarian Politics in Modern
Society, New York, Basic Books, 1970.

PASSIONS POLITIQUES

Comme l’a montré Pierre Ansart, l’étude des passions politiques a une
longue tradition d’analyse qui remonte à Platon et Aristote. Ces auteurs étaient
frappés, en effet, par l’influence des sentiments et des insatisfactions dans le
déroulement de la vie politique de la Cité. On observe, à travers l’histoire, une
certaine permanence de passions fondamentales mettant en œuvre l’agressivité
ou la solidarité, la convoitise du pouvoir ou l’enthousiasme désintéressé, la
fascination de la violence et les mille visages de la séduction. Néanmoins, le
plus important est la mise en évidence des dispositifs sociaux, culturels et
symboliques mis en place pour les mobiliser, les canaliser, les exploiter ou les
dériver sur d’autres objets (par ex., les logiques du bouc émissaire).
Montesquieu cherchera même à caractériser le « principe » des régimes
politiques à partir d’une passion fondamentale dont ils tirent plus
systématiquement parti pour se pérenniser : l’honneur dans le monarchique, la
crainte dans le despotique, l’amour de la vertu dans le républicain. De son
côté, la magistrale étude par Tocqueville du système politique américain, est
centrée également sur l’analyse des passions démocratiques.
→ émotions politiques
ANSART P., Les Cliniciens des passions politiques, Paris, Seuil, 1997 ;
BRAUD PH., L’émotion en politique, Paris, Presses de Sciences Po, 1996 ;
ELSTER J., Psychologie politique, Paris, Éd. de Minuit, 1990 ; HIRSCHMAN A.,
Les Passions et les intérêts, Paris, PUF, 1980 ; TRAÏNI C. (dir.), Émotions…
Mobilisations, Paris, Presses de Sciences-Po, 2009.

PATRIMONIALISME/NÉO-PATRIMONIALISME

Concept élaboré par Max Weber pour définir un type de domination


traditionnelle dans lequel l’administration et ses agents tendent à être la
« propriété » du détenteur du pouvoir. Celui-ci jouit alors d’un droit personnel
absolu, tant sur les biens que les personnes, exerce ses prérogatives sur le
mode de l’arbitraire et du favoritisme, tout en construisant sa puissance en
s’appuyant sur des esclaves, des colons ou des mercenaires. Le
patrimonialisme crée ainsi un ordre politique dans lequel l’entourage des
princes participe à ce processus d’appropriation, grâce à l’extension contrôlée
des pratiques de vente, de privilège, de prébende ou de fief. Le
patrimonialisme sultanique marque l’apogée de ce système et en même temps
le renforcement de la part d’arbitraire qui l’emporte sur le simple respect de la
tradition.
Le néo-patrimonialisme est un concept qui a été forgé par l’analyse
comparative pour désigner les pratiques propres à la plupart des systèmes
politiques en développement. Ceux-ci, parce qu’ils se situent dans une phase
de transition, reprendraient certaines caractéristiques de la domination
patrimoniale : l’inachèvement de la construction étatique et nationale aurait
pour corollaire une faible institutionnalisation de la vie politique, l’absence de
contre-pouvoirs, une faible structuration de la société civile, donc autant
d’éléments favorisant la personnalisation de l’autorité et la confusion entre
l’espace public et l’espace privé. Moins affirmé, moins brutal que le
patrimonialisme traditionnel, le néo-patrimonialisme en reprendrait cependant
quelques caractéristiques (appropriation privée de biens publics, exercice
arbitraire du pouvoir, confusion entre le rôle d’autorité et son titulaire). Il
dégagerait surtout une stratégie de pouvoir propre aux sociétés en
développement, puissamment centrée sur l’exigence de pérennisation du
pouvoir du prince et sur l’extension systématique du réseau de contrôle
personnel exercé par celui-ci sur les personnes et les biens.
Assez couramment utilisé par les spécialistes des aires culturelles les plus
diverses (Afrique, Asie du Sud-Est, Proche et Moyen-Orient, voire Amérique
latine), ce concept s’inscrit clairement dans le cadre du néo-
développementalisme. Il en présente en effet toutes les caractéristiques :
postulat évolutionniste plus ou moins maîtrisé, faisant du néo-patrimonialisme
une sorte d’antichambre obligée de la modernité, conception d’un État
universaliste mais dont la configuration tentaculaire et massive est source de
dysfonction, association bien marquée entre autoritarisme et développement
inachevé. Les efforts les plus récents tentent de distinguer ce concept – utile –
d’un cadre théorique trop contraignant et d’en faire davantage un mode de
désignation de pratiques et de stratégies de pouvoir qu’un mode de description
du système politique dans sa totalité.
→ développement politique, populisme, régimes politiques : régimes
autoritaires
BADIE B., Le Développement politique, Paris, Economica, 1988 ;
CHEBABI H. E., LINZ J. J., Sultanistic Regimes, Baltimore, The Johns Hopkins
University Press, 1998 ; EISENSTADT S., Traditional Patrimonialism and
Modern Neo-Patrimonialism, Beverly Hills, Sage Publications, 1973.

PATRIOTISME

Expression du sentiment national que l’on distingue ou oppose en général


au nationalisme en ce qu’il demeure non antagoniste, étranger à l’esprit de
compétition vis-à-vis des autres pays, en quelque sorte simplement « auto-
référentiel ». Cela à l’inverse du nationalisme, qui postule la supériorité des
valeurs et de l’organisation d’une société face aux autres. C’est pour cette
raison que le patriotisme est considéré de nos jours comme une attitude
positive et honorable, tandis que le nationalisme prend figure de passion
illégitime entachée d’agressivité et de xénophobie.
→ identité politique, nation, Nationalisme
FIGUEIREDO R. J. P. de, « Are patriots bigots ? An inquiry into the vices of
in-group pride », American Journal of Political Science (47), janv. 2003,
pp. 171-188.
PATRIOTISME CONSTITUTIONNEL. Cette expression a été systématisée par
J. Habermas pour rendre compte de la distorsion souhaitable à ses yeux entre
l’attachement à la nation dans ses dimensions culturelles et la loyauté à un
ensemble plus vaste telle l’Europe, du point de vue politique. Pour éviter le
nationalisme tout en renforçant la communication entre des identités
multiples, Habermas s’inspire souvent des exemples suisse ou américain dans
lesquels les tensions ethniques inhérentes à une union pluriculturelle lui
semblent régler par la structure confédérale. Il souhaite appliquer ce modèle à
l’espace européen en faisant naître un patriotisme constitutionnel à la
dimension européenne qui n’irait pas à l’encontre des fidélités culturelles
propres à chaque nation. Pour lui, « même dans un État fédéral européen à
venir, les mêmes principes juridiques devront être interprétés à partir de la
perspective des différentes traditions nationales, des différentes histoires
nationales […] un ancrage particulariste de ce type n’enlèverait nullement à la
souveraineté populaire et aux droits de l’homme leur signification
universaliste ». Il faut donc faire naître une opinion publique européenne
capable de prendre en compte cette différenciation entre cultures nationales et
culture politique commune.
→ identité politique, multiculturalisme, nation, postnationalisme
FERRY J. M., « Qu’est-ce qu’une identité post-nationale ? », Esprit, sept.
1990 ; HABERMAS J., Staatsbürgerschaft und nationale Identität, St. Gallen,
Erker, 1991 ; « Citizenship and national identity », in : Van Steenbergen,
(ed.), The Condition of Citizenship, London, Sage, 1994 ; LENOBLE J.,
DEWANDRE N. (dir.), L’Europe au soir du siècle. Identité et démocratie, Paris,
Éd. Esprit, 1992.

PERESTROÏKA

Terme vulgarisé par Mikhaïl Gorbatchev et son entourage dans les


dernières années d’existence de l’Union soviétique, à partir de 1986.
Signifiant littéralement « restructuration », il se voit présenté comme le
symbole d’une rupture profonde, opposée à l’image des « années de
stagnation » du pouvoir de Leonid Brejnev en particulier. La Perestroïka se
traduisit effectivement par une vaste purge des cadres du parti unique (le
PCUS), comparable à celles des années 1930 à cette grande différence près
qu’elle fut non sanglante. Elle se traduisit à l’Ouest par une généralisation de
la « Gorbymania », tandis qu’elle devint synonyme de destruction de leur pays
pour les Soviétiques puis les Russes.
→ communisme, démocratisation, glasnost, Régimes (systèmes)
totalitaires, totalitarisme
Personnalisation
On entend par personnalisation tout phénomène visant à renforcer la stature
d’un dirigeant politique. Certains analystes ont mis l’accent sur cette tendance
croissante révélatrice, dans les sociétés de masse contemporaine, de la remise
en question des formes traditionnelles et collectives de solidarité, le héros
ainsi promu à l’attention de tous symbolisant à lui seul l’identité du groupe.
La sociologie de la communication de masse a beaucoup insisté sur la
construction de ces personnalités politiques exceptionnelles, leur présentation,
leur mode d’expression, sur l’attraction qu’ils exercent à l’égard de l’homme
du commun. Cette insistance sur ces dirigeants, sur leurs compétences, leur
caractère charismatique, sur l’influence qu’ils exercent auprès des citoyens, en
modifiant des allégeances partisanes par l’introduction de liens relationnels
directs réduit aussi la cohérence des grandes idéologies en leur substituant un
message purement personnel fondé sur les qualités proprement
exceptionnelles du dirigeant. Autant de traits qui minent la démocratie en
réduisent la légitimité du Parlement comme celle des grands partis à travers
lesquels se structurent normalement l’action politique ainsi que la carrière des
élites.
→ apolitisme, charisme, communication politique
HAMON L., MABILEAU A., La personnalisation du pouvoir, Paris, PUF,
1964.

PERSONNEL POLITIQUE (SÉLECTION DU)

Le personnel politique constitue une élite spécifique en charge du pouvoir


politique ; si l’on s’en tient ici au personnel politique national, il se compose
des ministres, des députés ou encore, des sénateurs détenteurs, les uns et les
autres, le plus souvent de mandats électifs locaux. Historiquement, le
personnel politique s’est distingué peu à peu des élites dirigeantes
traditionnelles issues du monde des affaires, de la fonction publique ou même
de l’Église. Ce processus a été rendu possible par la naissance des
professionnels de la politique qui, selon la formule de Max Weber, vivent de
la politique et pas, seulement, pour la politique, c’est-à-dire qu’ils tirent leurs
revenus de leur fonction politique (la création de l’indemnité parlementaire a
grandement facilité cette autonomisation du personnel politique et contribué à
briser les formes anciennes de patrimonialisme). Weber, dans Le Savant et le
politique, s’est attaché à décrire cette montée en puissance des professionnels
de la politique dont le pouvoir repose sur une compétence consistant dans
l’organisation des machines politiques que sont les partis mais aussi, dans un
savoir-faire capable de susciter l’enthousiasme des électeurs.
Dans le même sens, Schumpeter, dans Capitalisme, socialisme et
démocratie, attribue un rôle crucial aux partis dans la sélection du personnel
politique : à ses yeux, la démocratie « c’est le règne du politicien » qui repose
sur une expertise spécifique productrice d’une élite autonome. Pour lui,
« certes des hommes d’affaires ou des hommes de loi peuvent être élus
membres d’un Parlement et parfois accéder même occasionnellement au
pouvoir tout en restant primordialement des hommes d’affaires ou des
hommes de loi […] Cependant le succès personnel en politique […] implique
normalement une concentration sur la tâche du type professionnel et relègue
les autres activités d’un homme au rang d’occupations accessoires ou de
corvées […] Il faut reconnaître que dans les démocraties d’un type autre que
la Suisse, la politique devient inévitablement une carrière ». La sélection des
hommes politiques dépend du même coup des phénomènes de lutte interne
aux partis politiques, lieu où se forme une sorte d’oligarchie institutionnelle ;
leur apprentissage se réalise dans le cadre des luttes d’influence internes à ces
machines politiques, la sanction électorale venant seule leur donner ensuite
une légitimité plus large. Il n’en reste pas moins vrai que, de plus en plus,
dans certains pays à État fort comme la France, la sélection du personnel
politique tient de plus en plus compte d’une compétence acquise dans les
grandes écoles administratives : dès lors, les hauts fonctionnaires venant de
l’État sont choisis à partir de leur compétence administrative, recrutés par des
réseaux politiques aux idéologies les plus diverses, entrent de plain-pied dans
les instances dirigeantes des partis pour se présenter ensuite devant le suffrage
populaire. Cette sélection d’un personnel politique détenteur d’une seule
expertise administrative était condamnée à l’avance par Max Weber : elle ne
s’en développe pas moins rapidement, en France, par exemple, ou en
Allemagne, limitant peut-être le rôle traditionnel des partis comme école de
sélection et diminuant ainsi du même coup leur représentativité et leur
ouverture à des acteurs venant d’horizons sociaux plus variés. Elle contribue
aussi à renverser le sens de la carrière politique qui, autrefois, allait de la
périphérie vers le centre, des mandats locaux vers les fonctions politiques
nationales et qui, de nos jours, dans ce contexte, favorise l’entrée des hauts
fonctionnaires au centre, dans l’État, ceux-ci se dirigeant ensuite vers les
partis politiques et se faisant « parachuter » vers les périphéries régionales. À
la localisation du personnel politique nationale succède d’une certaine
manière une nationalisation du personnel politique local, qui se heurte
néanmoins de plus en plus au « sacre des notables » toujours issus des
périphéries. De nos jours pourtant, avec la crise de l’État et une certaine
délégitimation du personnel politique, on assiste en France à la montée, au
sein du personnel politique, de nouvelles élites issues souvent du monde des
affaires qui ont fréquenté davantage des grandes écoles commerciales. Dès
lors, la présence des hauts fonctionnaires recule très fortement. Ainsi, dans
cette perspective qui donne une importance croissante au marché, le personnel
politique français perd de son exceptionnalisme et se rapproche des personnels
anglo-saxons. Il est fort probable que ce changement de l’élite nationale se
répercutera plus tard au niveau local suscitant aussi une transformation des
élites locales qui, dans le cadre d’une décentralisation toujours plus accentuée,
seront plus proches de la vie locale et moins de l’État.
→ élitistes (théories), notables, partis politiques
ABERBACH J. D., PUTNAM R. D., ROCKMAN B., Bureaucrats and Politicians
in Western Democracies, Cambridge (Mass.), Harvard University Press,
1981 ; BERSTEIN S., BIRNBAUM P., RIOUX J.-P., De Gaulle et les élites, Paris, La
Découverte, 2009 ; GALLAHER M., MARSH M., (eds.), Candidate Selection in
Comparative Perspective : The Secret Garden of Politics, London, Sage,
1988 ; GENIEYS W., L’élite des politiques de l’État, Paris, Presses de Sciences
Po, 2008 ; HYWELL W., Britain’s power elite : the rebirth of the ruling class ?,
London, 2006 ; NAY O., SMITH A. (dirs.), Le Gouvernement du compromis :
courtiers et généralistes dans l’action politique, Paris, Economica, 2002 ;
OFFERLÉ M., La Profession politique : XIX -XX siècle, Paris, Belin, 1999 ;
e e

SCHUMPETER J., Capitalisme, socialisme et démocratie, Paris, Payot, 1965


[1942] ; WEBER M., Le Savant et le politique, Paris, Plon, 1969.

PERSUASION POLITIQUE

→ communication politique

PERTINENCE

Indépendamment de sa valeur intrinsèque en termes de fiabilité ou de


véracité, un énoncé nous paraît d’autant plus pertinent qu’il est moins coûteux
psychologiquement à accepter. Tel est le cas lorsqu’il conforte ce que nous
croyons déjà, ou encore ce que nous aimons croire ou trouvons natu rel de
croire. À l’inverse, une information dissonante dérange ce confort recherché,
provoque l’angoisse et suscite des mécanismes de défense qui augmentent
considérablement la probabilité qu’elle soit rejetée sans examen sérieux. Léon
Festinger s’est intéressé aux facteurs qui fondent la pertinence d’un énoncé.
Soit il s’agit d’une information compatible avec ce que nous savons déjà et
avons accepté comme vrai, elle fournit donc le maximum de compréhension
pour le minimum d’effort ; soit l’information émane d’autorités légitimes ou
se trouve cautionnée par elles, ce qui est censé en garantir la valeur ; soit elle
apparaît comme étant conforme à nos intérêts ou à nos aspirations socialement
constituées, ce qui lui confère son acceptabilité. Ces trois facteurs peuvent se
contrarier ou, au contraire, se renforcer mutuellement, produisant alors le
maximum de pertinence. La théorie souligne ainsi les liens étroits entre les
modes de cognition, la structure affective et l’organisation sociale.
POITOU J.-P., La Dissonance cognitive, Paris, A. Colin, 1974 ; SPERBER D.,
WILSON D., La Pertinence : communication et cognition, Paris, Éd. de Minuit,
1989.

PEUPLE

Notion fort imprécise, désignant une collectivité sociale dotée de


caractéristiques communes suffisamment significatives pour atteindre un
niveau minimal d’unité et d’autonomie. L’incertitude quant à la nature de ces
caractéristiques (langue, culture, histoire, localisation…) et donc sur le
fondement objectif ou subjectif de cette notion (un peuple existe-t-il en soi ou
parce qu’il se pense comme tel sous l’effet des pratiques sociales ?) rend
difficile son opérationalisation en sciences sociales. Elle rend d’autant plus
incertaine la notion de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes développée
notamment par Woodrow Wilson aux lendemains de la Première Guerre
mondiale. En revanche, l’usage idéologique de la notion de peuple est courant,
soit pour en faire le dépositaire de la souveraineté (souveraineté populaire),
soit pour légitimer toute pratique revendiquant son indépendance ou sa sortie
d’un ensemble national préconstruit. Reste que la polysémie du terme s’est
encore accrue dans la mesure où le mot « nation » en est venu à recouvrir de
plus en plus précisément les différentes acceptions.
→ ethnicité, nation, souveraineté

PILARISATION

Ce terme, utilisé à propos des systèmes consociatifs, désigne l’intégration


verticale de communautés subculturelles dans le dispositif de représentation
politique, concuremment aux modes habituels de représentation assurés par
les élections, les partis et les assemblées. Il peut par exemple s’agir des
confessions religieuses organisées (catholiques et protestantes en particulier),
des syndicats, de groupes ethniques ou linguistiques, des associations
patronales ou paysannes… En Belgique, aux Pays-Bas, en Autriche et en
Suisse, ces piliers constituent souvent pour telle ou telle catégorie un véritable
cadre de vie assuré dans d’autres pays par des agences de l’État ou du secteur
privé, s’agissant aussi bien des partis, des syndicats que des assurances
sociales, des hôpitaux, des écoles, des médias, voire des coopératives de
consommation. Le mot « pilier » est traduit du néerlandais verzuiling ou de
l’allemand Lager (camp).
→ Démocratie consociative
LIJPHART A., Democracy in Plural Societies : A Comparative Exploration,
New Haven, Yale University Press, 1977.

PLÉBISCITE

Forme de consultation populaire proche du référendum et relevant de la


démocratie directe, mais ayant acquis une connotation péjorative de par son
utilisation assez systématique par le Second Empire en France. Il est de fait
que le plébiscite ne comporte en général qu’une question unique tendant à
entraîner une réponse positive sur un changement de régime ou le
déplacement d’un territoire de la souveraineté d’un État à celle d’un autre. Sa
pratique s’instaure en réalité en 1802 et 1804, à propos de la légitimation du
consulat à vie puis de l’Empire. Sous le Second Empire, le plébiscite
s’applique également au rattachement de la Savoie à la France en 1860. Dans
d’autres pays, il préside à la séparation de la Norvège d’avec la Suède en
1905, ou en 1935 et 1955 au retour de la Sarre à l’Allemagne. En outre, un
référendum constitutionnel pourtant régulier peut revêtir la portée d’un
plébiscite lorsque le chef d’État qui l’organise le présente comme un enjeu
personnel ; ainsi dans le cas de celui de 1969 en France, s’agissant du général
de Gaulle.
→ bonapartisme, démocratie : Démocratie directe, élection, référendum

PLURALISME

Proches du courant libéral critique des théories unitaires du système


politique, les partisans du pluralisme tournent leurs regards vers le monde
anglo-saxon et, en particulier, vers les États-Unis. C’est là que se trouve
élaborée la première défense du pluralisme : dans le Fédéraliste (1787), on
trouve en effet une solide présentation des qualités du pluralisme des factions
car, comme le conseille Madison, « Étendez sa sphère (à la République), elle
comprendra une plus grande variété de partis et d’intérêts, vous aurez moins à
craindre de voir une majorité avoir un motif commun pour violer les droits des
autres citoyens » ; dans ce sens, « plus une société est étendue et diversifiée,
plus elle est en état de se gouverner elle-même ». Le pluralisme est donc
explicitement conçu comme un instrument de défense de la liberté devant
favoriser l’autogouvernement du peuple en évitant l’apparition d’un pouvoir
unique se justifiant par le fait qu’il représente la volonté générale, en limitant
aussi à l’avance la prétention éventuelle d’un État à régenter la société de
l’extérieur. Tocqueville découvre, lors de son voyage aux États-Unis en 1831,
cette défense du pluralisme et en fait le moteur de son exposé en faveur de la
démocratie ; à ses yeux, les Américains ont su éviter tant le despotisme que la
révolution en instaurant ce pluralisme illustré par le caractère quasi illimité de
la vie associative dans laquelle les citoyens souhaitant défendre un intérêt
spécifique décident de se rassembler pour agir de concert ; Tocqueville
souligne aussi à quel point le pluralisme permet d’éviter les excès de
l’individualisme si propice au pouvoir absolu. La science politique américaine
s’est particulièrement intéressée à ce phénomène ; de David Truman à Robert
Dahl, nombreux sont ceux qui soulignent le rôle irremplaçable des
associations, des groupes d’intérêts ou, encore, des groupes de pression dans
l’élaboration d’une décision démocratique ; la démocratie des veto groups
(David Riesman) ou le modèle polyarchique des groupes associés-rivaux
s’affrontant à travers une négociation permanente au résultat imprévisible en
est la présentation la plus élaborée. Ajoutons que le concept de pluralisme a
une source philosophique ancienne, remontant à Leibniz, et que son usage
contemporain dérive du pragmatisme américain et de William James en
particulier. De nos jours, la question du pluralisme se pose également en
fonction du degré d’homogénéisation de la société ; la revendication pluraliste
se fait ainsi jour au sein des sociétés, comme la France, qui reposent sur
l’exigence d’une forte assimilation réductrice des particularismes et de toutes
les formes de pluralisme que combat souvent l’État fort.
→ démocratie, libéralisme, multiculturalisme, polyarchie, pragmatisme
(sociologie pragmatique)
BANCHOFF TH., Democracy and the new religious pluralism, Oxford,
Oxford University Press, 2004 ; CONNOLLY W., The Ethos of pluralization,
Minneapolis, University of Minnesota Press, 1995 ; DIECKOFF A. (dir.), La
constellation des appartenances : nationalisme, libéralisme et pluralisme.
Paris, Presses de Sciences Po, 2004 ; HAMILTON J., MADISON J., JAY J., The
Federalist Papers, New American Library, 1961 [1787] ; LECA J.,
« Libéralisme, pluralisme, communautarisme : actualité d’Isaiah Berlin »,
Commentaire (70), 1995 ; « La démocratie à l’épreuve des pluralismes »,
Revue française de science politique 46 (2), 1996 ; WALZER M., Morale
minimale, morale maximale, Paris, Bayard, 2004.

POLICY COMMUNITIES

Ce concept, familier aux théoriciens de l’analyse de réseaux, désigne des


communautés fermées, ou relativement fermées, d’acteurs qui s’imposent
comme parties prenantes incontournables dans le processus de définition
d’une politique publique dans un secteur particulier. Ainsi, dans le domaine de
la santé publique, tout projet de réforme mobilise des services ministériels
déterminés mais aussi des experts indépendants, des représentants des
syndicats de praticiens et des personnels hospitaliers, des représentants de
l’industrie pharmaceutique, etc. Leur présence s’impose dans la discussion des
projets ou avant-projets soit en raison de leur position hiérarchique, soit du
fait qu’ils maîtrisent des informations indispensables, soit encore parce qu’ils
ont une capacité d’influence dont dépend la bonne acceptabilité sociale des
mesures envisagées. La Policy community constitue un ensemble de
partenaires qui, par-delà l’hétérogénéité de leurs statuts ou de leurs intérêts,
sont accoutumés à négocier ensemble et, de ce fait, en arrivent à une certaine
intercompréhension de leurs points de vue respectifs. Le concept de Policy
network s’inscrit dans ce même type de problématique mais il est plus large. Il
désigne les réseaux de décideurs ou de participants plus ou moins informels à
la décision, qui surgissent dans une conjoncture précise en vue de gérer un
processus de réforme législative ou réglementaire.
→ gouvernance, gouvernance multi-niveaux, politiques publiques
MARSH D., RHODES R., (eds.), Policy Networks in British Government,
Londres, Clarendon Press, 1992 ; KRAHMANN E., Multilevel Networks in
European Foreign Policy, Aldershot, Ashgate, 2003 ; LE GALÈS P.,
THATCHER M., Les Réseaux de politique publique. Débat autour des Policy
networks, Paris, L’Harmattan, 1995 ; MARCUSSEN M., TORFING J., (eds.),
Democratic Network Governance in Europe, New York, Palgrave,
MacMillan, 2007.

POLICY NETWORKS

→ policy communities

POLITEIA

Dans la classification d’Aristote, elle est la forme de régime politique qui


s’oppose à la démocratie (non contre elle, mais au-delà de celle-ci). Alors que
celle-ci constitue pour lui une forme corrompue, la politeia est la forme
correcte du gouvernement direct de la multitude. Il n’est pas dirigé contre les
riches mais vise l’utilité commune sans exclusion de quiconque. (Conception
directement influencée par le souvenir des déchirements politiques au sein des
cités grecques à la période classique.).
→ Cité antique, régimes politiques

POLITIQUES PUBLIQUES

Les autorités politico-administratives agissent à travers des politiques


publiques constituant un ensemble de décisions ayant pour objet, le plus
souvent, un problème d’allocations de biens ou de ressources. Ainsi, elles
mettent en œuvre des politiques de la santé, du loge ment, d’aménagement
touristique, etc. Afin qu’elles se transforment en des enjeux collectifs au cours
duquel s’affrontent de multiples intérêts, enjeux se traduisant par l’usage
d’importants moyens budgétaires et administratifs, ces questions doivent
apparaître sur l’agenda politique d’une administration centrale ou
périphérique. On nomme étiquetage la procédure menant à la désignation d’un
enjeu relevant d’une autorité publique, cette entrée dans le processus de la
décision étant liée à l’action des acteurs favorables à sa prise en compte. Pour
y parvenir, encore faut-il que les normes en présence transforment cette
question en un enjeu légitime ; c’est pourquoi, avec Pierre Muller, on peut
avancer que le référentiel d’une politique permet d’« opérer un décodage du
réel grâce à l’intervention d’opérateurs intellectuels qui permettent de
diminuer l’opacité du monde en définissant de nouveaux points d’appuis pour
agir ; et d’opérer un recodage du réel à travers la définition de modes
opératoires susceptibles de définir un programme d’action politique ». Afin de
mettre ensuite en œuvre cette politique publique, il convient de préciser les
ressources disponibles, les solutions concevables en fonction de la
conjoncture, etc… Charles Jones a proposé, par exemple, un modèle d’analyse
séquentiel devenu classique ; il distingue l’étape de la délimitation du
problème à travers la perception d’indicateurs multiples, celle d’une étude et
d’un choix de solutions concevables en fonction des soutiens nécessaires, des
réactions de l’opinion publique, celle de la mise en œuvre des décisions prises
à partir de moyens budgétaires et administratifs impliquant, face aux
difficultés et aux incertitudes relevant de cette étape, d’autres directives ; la
quatrième étape consiste en une évaluation en fonction de critères qui peuvent
eux-mêmes avoir changé. La dernière enfin représente la clôture du
programme avec une réorientation des moyens budgétaires et administratifs
vers d’autres enjeux, ou une pure et simple dissolution de la structure
responsable de cette politique.
→ agenda politique, gouvernance, management public
GAUDIN J.-P., L’Action publique : sociologie et politique, Paris, Presses de
Sciences Po/Dalloz, 2004 ; HASSENTEUFEL P., SMITH A., « L’analyse des
politiques publiques à la française », Revue française de science politique (1),
février 2002 ; JACOB S., Institutionnaliser l’évaluation des politiques
publiques. Étude comparée des dispositifs en Belgique, en France, en Suisse
et aux Pays-Bas, Bruxelles, Peter Lang, 2005 ; Sociologie politique : l’action
publique, Paris, A. Colin, coll. « U », 2008 ; LINBLOM C., WOODHOUSE E., The
Policy-Making Process, New Jersey, Prentice Hall, 1993 ; MULLER P.,
L’analyse des politiques publiques, Paris, Montchrestien, 1998 ; Les politiques
publiques, Paris, PUF (Que sais-je ?), 2003.

POLITISATION

Le terme s’emploie dans deux contextes bien différents. La politisation


d’un problème (de société) renvoie au processus du « passage au politique »,
c’est-à-dire à sa prise en charge par des acteurs suffisamment influents pour le
constituer en objet de débat sur la scène politique institutionnelle ou
médiatique. Aucun problème en effet n’est en soi politique ; il le devient dès
lors qu’il est transformé en enjeu, structurant des clivages entre partis et
responsables politiques. Ainsi la défense de l’environnement ou même le
chômage n’ont-ils pas toujours été considérés comme des problèmes relevant
du politique. On parle aussi de la politisation d’un conflit du travail ou encore
de nominations politisées (hauts fonctionnaires) pour souligner le changement
des règles routinières de gestion dû à l’intervention du pouvoir politique.
La politisation des individus, elle, n’est qu’une dimension de la
socialisation politique. Elle exprime la réalité d’un investissement d’attention
et d’intérêt, voire la participation active à la vie politique. Permanente chez
certaines personnes, la politisation est réactivée et diffusée plus largement au
sein de la population dans des conjonctures déterminées : échéances
électorales importantes et, surtout, crises intenses entraînant des ruptures du
consensus social accompagnées de la dramatisation du débat politique et de
l’émergence de leaders charismatiques.
La politisation des individus s’opère selon deux grands schémas culturels
idéal-typiques. Une politisation de type pragmatique, qui vise la satisfaction
des intérêts à travers des attitudes de démarchage et de marchandage, sous le
signe de l’arrangement. Les élus sont alors considérés comme d’utiles, voire
d’indispensables intermédiaires pour obtenir les avantages collectifs
convoités. Ainsi les syndicats ouvriers aux États-Unis entretiennent-ils des
liens plus étroits avec les démocrates auxquels ils monnaient leur soutien.
Souvent, derrière l’apparence de la connivence des idées ou la proximité des
familles politiques, ce qui compte c’est l’efficacité des réseaux. Cette forme
de politisation, de type tendanciellement clientéliste, peut, à la limite extrême,
alimenter des dérives mafieuses.
L’autre grand schéma culturel est la politisation de type idéaliste. Dans
cette tradition prédomine la conception de la politique comme un combat pour
de « grandes causes », c’est-à-dire traversées par des mobiles éthiques : le
progrès social au nom de la solidarité, le sacrifice d’intérêts particuliers au
nom du patriotisme, l’émancipation des travailleurs au nom de la justice et de
la raison. Les « grandes causes » ont des vertus mobilisatrices, surtout dans
certaines conjonctures, et sont indispensables pour assurer la cohésion d’un
grand groupe en lui assignant des objectifs rassembleurs. Cependant, une
politisation permanente trop intense est dangereuse dans les démocraties
pluralistes, car elle est susceptible de balayer l’esprit de négociation et le souci
de compromis pragmatique entre forces sociales.
→ apolitisme, mobilisation politique, politiques publiques
ARNAUD L., GUIONNET C. (dir.), Les Frontières du politique. Enquêtes sur
les processus de politisation et dépolitisation, Rennes, PUR, 2005 ;
BRAUD PH., Le Jardin des délices démocratiques, Paris, Presses de la FNSP,
1991 ; LAGROYE J. (dir.), La Politisation, Paris, Belin, 2003 ; MAYER N.,
PERRINEAU P., Les Comportements politiques, Paris, A. Colin, 1992.

POLYARCHIE

La notion de polyarchie a été proposée par Robert Dahl pour décrire


certaines sociétés pluralistes dirigées par des élites multiples et
concurrentielles qui négocient entre elles lors du processus de prise de
décision. Ce pluralisme politique implique, selon Dahl, l’existence préalable
d’un fort pluralisme social, de nombreuses organisations sociales bénéficiant
d’une grande autonomie, leur compétition favorisant aussi la formation de
dirigeants rivaux mais également associés car solidaires les uns et les autres
du système tout entier. Ces dirigeants ne forment pas un groupe clos, dans la
mesure où d’autres leaders peuvent surgir de chacune de ces organisations.
Pour Dahl, dans cette « meilleure approximation de la démocratie », « les
citoyens ordinaires contrôlent leurs leaders immédiats et sont contrôlés par
eux. Ces leaders contrôlent à leur tour d’autres leaders et sont aussi contrôlés
par eux. On a une société avec un ensemble de relations réciproques
permettant de contrôler la politique gouvernementale ». Le marchandage et la
recherche du compromis entre ces élites multiples deviennent dès lors
cruciaux, le consensus reposant ainsi sur un processus permanent de
négociation mené sous les yeux du peuple. Si celui-ci ne gouverne pas,
comme le voudrait la formule de la démocratie participative ainsi que les
grands modèles classiques de la démocratie, s’il délègue, comme le souhaitait
un Schumpeter, son pouvoir à des élites estimées plus compétentes, c’est qu’il
ne s’intéresserait pas nécessairement au politique devenu une sorte de
profession impliquant une expertise spécifique. Il n’en conserve pas moins,
dans le cadre des Élections, le pouvoir de choisir ses gouvernants, la rotation
des élites obéissant ainsi à la fluctuation de leurs choix politiques. Pour Dahl
comme pour les théoriciens qui lui sont proches, la division du travail
politique apparaît comme un processus inéluctable ; ses conséquences néfastes
pour la démocratie pourraient être contenues par un grand pluralisme des
élites contrôlées, au sein de chaque organisation dont elles sont issues, par
l’« homme du commun » qui n’hésite pas à se mobiliser à chaque fois que ses
intérêts ou ses valeurs se trouvent engagés. Une condition essentielle au bon
fonctionnement de ce système est l’absence de répression politique résultant
d’un large accord sur ces règles du jeu ; il implique aussi des inégalités
économiques et sociales qui ne soient pas insupportables.
→ décision (processus de), démocratie, élitistes (théories), pouvoir
BIRNBAUM P., La Fin du politique, Seuil, 1975 ; BOURRICAUD F., « Le
modèle polyarchique et les conditions de sa survie », Revue française de
science politique, octobre 1970 ; DAHL R., Polyarchy : Participation and
opposition, New Haven, Yale University Press, 1971.

POPULARITÉ

Notoriété à connotation émotionnelle positive, elle se construit dans la


rencontre entre des aspirations collectives socialement façonnées et le style,
l’image, le profil symbolique favorable qu’un individu (ou un parti) réussit à
imposer. Dans toute compétition politique, la popularité constitue pour son
bénéficiaire un atout important face à ses adversaires ou à ses rivaux. Elle
confère en effet une plus-value de légitimité car elle donne à imaginer une
compréhension supérieure des aspirations du peuple. En outre elle est
mobilisatrice de soutiens en raison des projections affectives qu’elle favorise.
Dans les démocraties pluralistes, la popularité constitue une ressource
politique majeure qui pèse lourdement sur les investitures de candidats aux
élections et contribue ainsi à influencer le déroulement de la vie politique
interne d’un parti.
→ populisme, ressources politiques
POURCHER Y., Politique parade. Pouvoir, charisme et séduction, Paris,
Seuil, 2007 ; SAINTE-MARIE J., Un Fauteuil pour dix, Paris, L’Archipel, 2006.

POPULISME

Concept assez extensif et imprécis, apparaissant dans le vocabulaire


politiques au milieu du XIX siècle, pour caractériser l’introduction en Russie
e

de courants d’inspiration socialiste-slavisante, puis construit en sociologie


politique pour rendre compte des expériences brésilienne et argentine liées
aux figures de Getulio Vargas et de Peron. Son extension à d’autres situations
historiques rend incertaine la définition des critères qui permettent de le
distinguer dans la typologie des courants et des régimes politiques.
Le populisme désigne d’abord un appel au peuple et qualifie donc une
formule de mobilisation politique fondée sur un discours dont dérivent des
idéologies (au demeurant imprécises et diverses), des partis, des types d’action
politique, voire des modes de gouvernement. Cet appel au peuple se
caractérise par l’abandon de la fonction programmatique par les acteurs
politiques qui lui substituent un discours de redondance et d’amplification des
« aspirations populaires », destiné à mieux les contrôler et à imposer un ordre
au moins partiellement autoritaire ; il repose sur la valorisation du peuple
contre la politique institutionnalisée, dénoncée comme corrompue et avilie. En
ce sens, le populisme est négatif : à la vertu du peuple s’opposent la
conspiration des politiques et des financiers, les scandales de toute nature, les
méfaits de l’intellectualisme, l’injustice du capitalisme.
Privé de tout programme constitué, hostile aux idéologies, rejetant tout
classement sur l’échiquier politique, le mouvement populiste s’alimente
essentiellement des vertus charismatiques de son chef, ou du moins, de sa
popularité et de l’exaltation des différentes caractéristiques qui fondent le
peuple auquel il se réfère : ainsi valorise-t-il la nation, allant jusqu’aux
frontières de la xénophobie, proclamant les vertus du nationalisme culturel et
économique, du protectionnisme, voire de la pureté ethnique. La dénonciation
de l’étranger, du cosmopolitisme et de l’immigration deviennent des thèmes
communs aux discours qu’il inspire. La valorisation de la communauté
nationale se traduit, de même, par des discours égalitaristes et de justice
sociale.
La sociologie du populisme a couramment mis en évidence les succès
remportés par ce type de mouvement au sein des classes moyennes et
populaires ébranlées ou même destructurées dans les phases
d’industrialisation active. Certains auteurs ont même établi un lien significatif
entre le populisme et l’autoritarisme des classes moyennes en crise.
L’extension du concept à de nouvelles situations historiques rend cette
hypothèse beaucoup moins pertinente. Il est même devenu difficile de
proposer une interprétation globale face à l’extension d’un populisme qu’on
croit repérer autant dans certains régimes militaires du monde arabe ou
d’Afrique noire, au sein des États d’Europe centrale ou orientale sortant du
communisme, que dans certains mouvements qui se sont développés en
Europe occidentale dans le contexte de la crise de cette fin de millénaire. De
même, il faut remarquer que certains mouvements allient de plus en plus le
verbe populiste à une vision économique néo-libérale qui est aux antipodes de
la politique populiste traditionnelle. Ainsi, parle-t-on de plus en plus d’un
« néo-populisme » pour distinguer toute forme d’expression politique qui,
dans les situations les plus diverses, se construit à partir d’une rhétorique de
l’appel au peuple, d’une critique des clivages politiques institutionnalisés et
d’une valorisation des thèmes identitaires et communautaires, quelle que soit
la politique réellement recherchée et mise en œuvre.
→ altermondialisme, Amérique latine, mobilisation politique, régimes
politiques : Régimes Autoritaires
CANOVAN M., Populism, Londres, Function Books, 1981 ; DORNBUSCH R.,
EDWARDS S., The Macroeconomics of Populism in Latin America, Chicago,
University of Chicago Press, 1992 ; GERMANI G., Authoritarianism, Fascism
and National Populism, New Brunswick, Transaction Books, 1978 ;
HERMET G., Les populismes dans le monde. Une histoire sociologique, Paris,
Fayard, 2001 ; IONESCU G., GELLNER E. et al., Populism, Londres, Weidenfield
and Nicolson, 1969 ; LACLAU E., La Razón populista, Buenos Aires-México,
Fondo de Cultura Económica, 2005 ; « Populism : what’s in a name », pp. 32-
49 in PANIZZA F., (ed.), Populism and the Mirror of Democracy, London,
Verso, 2005 ; SOUILLAC R., Le Mouvement Poujade. De la défense
professionnelle au populisme nationaliste, Paris, Presses de Sciences Po,
2007.

POSITIVISME

Au début du XIX siècle, les découvertes scientifiques se succèdent


e

rapidement dans les domaines les plus variés de la chimie, de la physique, de


la médecine, de la biologie. Le progrès paraît se généraliser à tel point que
dans les sciences sociales également on souhaite adopter les modes de
raisonnement en vogue dans les sciences exactes. Le positivisme résulte de
cette vision optimiste, d’une science qui permettrait de résoudre objective
ment la question sociale, de gérer sans crise le problème du pouvoir, de
résoudre la question du dissensus par la création d’un consensus s’appuyant
sur la seule mise en œuvre de compétences et d’expertises scientifiques. Le
positivisme est théorisé par Saint-Simon, le but à atteindre, selon lui, étant « la
séparation de la politique scientifique basée sur des séries coordonnées de
faits historiques généraux d’avec la politique métaphysique, fondée sur des
suppositions abstraites plus ou moins vagues et plus ou moins creuses qui ne
sont qu’une nuance de la théologie ». Le triomphe du positivisme implique
par conséquent le rejet des idéologies comme des pensées utopiques. Auguste
Comte prévoit, avec sa célèbre loi des trois étapes, la venue de l’âge positif
rejetant dans le passé la pensée métaphysique ou théologique. Pour lui, la
sociologie est « le simple prolongement graduel de la biologie », l’imagination
devant toujours être « subordonnée à l’observation », aux « questions
concrètes ». L’ordre social repose donc sur le progrès scientifique. La pensée
positiviste fournira plus tard l’armature du modèle républicain : c’est lui qui
reste sous-jacent dans la mise en place d’un système scolaire visant à diffuser
la science, à légitimer un système politique par la seule Raison dont le culte
est rendu, jusque dans les provinces lointaines, par les hussards noirs de la
République. Durant cette III République, Émile Durkheim s’éloigne certes du
e

conservatisme des fondateurs du positivisme ; il partage néanmoins leur


espérance de parvenir à découvrir des lois scientifiques de type causal en
mettant ainsi un terme aux idéologies. La science de la société recherche
toujours des lois causales déterminant le comportement des acteurs et le
positivisme fait ainsi figure de perspective éloignée de la sociologie des
valeurs. La science politique contemporaine, par exemple dans ses recherches
sur le vote, a longtemps Été très sensible à cette démarche scientifique de type
surtout quantitatif expliquant, par le recours à des techniques comme l’analyse
factorielle, le vote d’acteurs n’ayant qu’une marge fort restreinte de liberté ;
elle tente, de nos jours, de réintroduire le poids des valeurs dans sa
compréhension du comportement Électoral.
→ fonctionnalisme (théorie du), paradigme scientifique, progrès (idée
de)
ARNAUD P., Politique d’Auguste Comte, Paris, A. Colin, coll. « U », 1964 ;
GRANGE J., Auguste Comte : la politique et la science, Paris., O. Jacob, 2000 ;
KOLAKOWSKI L., La philosophie positiviste, Paris, Denoel, 1976 ; KREMER-
MARIETTI A., Auguste Comte et la science politique, Paris, L’Harmattan,
2007 ; SCARPELLI U., Qu’est ce que le positivisme juridique ? Paris, LGDJ,
1996.

POSSIBILISME
Notion utilisée par Albert Hirschman, pour désigner des pratiques
politiques et économiques rebelles aux propositions radicales et à la prise de
risque, privilégiant ce qu’il est possible de réaliser dans la perspective d’une
éthique de responsabilité. Le paradigme des transitions démocratiques s’est
inspiré de cette attitude de 1975 à 1990. Il convient de rappeler par ailleurs le
« possibilisme » du théoricien socialiste Paul Brousse (1844-1912), qui
préconisait une voie indolore vers le socialisme par l’action municipale
systématique et le développement des services communaux.
SANTISO J., « Théorie des choix rationnels et rationalités des transitions
démocratiques », L’Année sociologique 47 (2), 1997

POST-COLONIAL STUDIES

Expression désignant un courant intellectuel contemporain, dont l’objectif


consiste à intensifier les recherches rétrospectives sur les différents épisodes
coloniaux d’Afrique, d’Asie et d’Amérique, afin de permettre aux populations
anciennement colonisées de se réapproprier leur passé en y incluant le cas
échéant la mémoire de l’esclavage. Apparu dans le milieu anglo-saxon, ce
courant se développe maintenant également dans les milieux d’expression
française. D’orientation surtout littéraire, il affecte toutefois également de
façon peu ordonnée les sciences humaines, l’anthropologie en particulier.
→ Coloniale (Situation), colonialisme, dépendance (théorie de la),
impérialisme
SMOUTS M. C. (dir.), La Situation coloniale. Les postcolonial studies dans
le débat français, Paris, Presses de Sciences Po, 2007.

POSTNATIONALISME

Cette expression doit être mise en rapport avec celle de patriotisme


constitutionnel, l’une et l’autre ayant été imaginées par Jürgen Habermas dans
le contexte de la querelle qui opposa les historiens allemands dans les
années 1986-1988. Refusant d’instaurer un lien définitif entre l’histoire
allemande et l’identité actuelle du peuple allemand, s’opposant à
l’historicisation du nazisme en termes de continuité historique et culturelle,
accordant aussi une importance radicale aux chambres à gaz comme coupure
historique, Habermas l’utilise en ayant dans l’esprit d’assumer sous son
couvert une responsabilité morale et politique impliquant pourtant une rupture
profonde avec le passé ; d’où le patriotisme constitutionnel comme nouvelle
forme d’un consensus national basé sur la raison, l’État de droit et la
démocratie. Même si Habermas reconnaît que celui-ci doit « à chaque fois être
approprié à partir du contexte de vie historique propre et être ancré dans les
formes de vie culturelle propres », sa dimension universaliste l’éloigne
quelque peu d’une sociologie historique de la construction du consensus.
C’est à partir de cette remarque qu’il en vient à la question de l’identité post-
nationale que l’on peut présenter comme « un attachement qui se détermine
non pas sur des critères de co-appartenance ethnique, linguistique ou
culturelle, mais sur des critères éthiques de reconnaissance réciproque des
sujets de droit, individus ou États, ainsi que sur les critères politiques d’une
reconnaissance commune de principes fondamentaux tels que ceux de la
démocratie et de l’État de droit » (Jean-Marc Ferry).
→ patriotisme constitutionnel
HABERMAS J., L’intégration républicaine. Essais de théorie politique. Paris,
Fayard, 1998 [1996] ; « Citizenship and national identity », in : Van
Steenbergen, (ed.), The Condition of Citizenship, London, Sage, 1994 ;
Staatsbürgerschaft und nationale Identität, St. Gallen, Erker, 1991.

POUBELLE

Cette métaphore s’oppose à l’idée d’une décision rationnelle dans le cas


d’acteurs qui, hésitant sur leurs préférences et ayant du mal à évaluer les
conséquences de leurs choix, procèdent par tâtonnements. La décision résulte
alors d’une sorte de « glissement » en vertu duquel « le processus décisionnel
s’apparente donc à une poubelle dans laquelle se déchargent des flux
indépendants de problèmes, de solutions et de participants » (Hassenteufel)
MARCH J. Décisions et organisations, Paris, Éd. d’Organisations, 1991 ;
HASSENTEUFEL P., Sociologie politique : l’action publique, Paris, A. Colin,
2008.

POUVOIR
Concept fondamental en sciences sociales, et plus particulièrement en
sociologie politique, le mot pouvoir souffre d’une extraordinaire polysémie
due à son emploi courant dans les contextes les plus variés. Pour en préciser
les significations, inégalement pertinentes en science politique, il est classique
de distinguer trois grandes catégories d’approches :
– Dans une perspective substantialiste (« avoir du pouvoir »), le pouvoir est
assimilé à une sorte de capital (au sens monétaire du terme) que l’on acquiert,
accumule, dilapidé, qui produit des bénéfices ou procure des avantages… Il ne
s’agit là en réalité que d’une métaphore qui ne permet pas de pousser plus loin
l’analyse.
– Dans une perspective institutionnaliste, le pouvoir est une expression qui
sert à désigner soit l’État par opposition aux citoyens ou à la société civile,
soit les gouvernants dans le couple pouvoir/opposition, soit l’ensemble des
institutions constitutionnelles dans l’expression : les pouvoirs publics.
– Dans une perspective interactionniste enfin, particulièrement féconde en
sociologie politique, le pouvoir est une relation qui se caractérise par la
mobilisation de ressources pour obtenir d’un tiers qu’il adopte un
comportement auquel il ne se serait pas résolu en dehors de cette relation.
C’est ce qu’exprime Max Weber lorsqu’il en propose la définition suivante :
« Toute chance de faire triompher, au sein d’une relation sociale, sa propre
volonté, même contre des résistances. »
Le pouvoir, au sens interactionniste, a fait l’objet de nombreuses analyses
mettant en évidence ses différentes facettes, qu’il apparaisse comme la cause
d’un comportement (d’action ou d’abstention), comme une restriction à la
liberté d’autrui, ou comme un échange inégal.
Selon la nature des ressources mobilisées pour l’obtention d’un tel résultat,
on pourra distinguer d’une part le pouvoir d’injonction et d’autre part le
pouvoir d’influence. Le premier suppose la possible intervention de la force
en cas de non respect de la norme édictée. Telle est la caractéristique normale
des normes juridiques ; mais à côté d’elles il existe aussi des injonctions de
fait, en marge ou en violation de la légalité.
Le pouvoir d’influence au contraire, parce qu’il exclut la contrainte
matérielle comme garantie ultime de son effectivité, suppose la mobilisation
de ressources d’une autre nature : c’est la capacité d’offrir des gratifications
en contrepartie de l’acceptation du comportement suggéré. Ce peuvent être
des rémunérations matérielles ou encore des informations perçues comme
utiles (dans le travail de persuasion), ou des gratifications symboliques au
niveau de l’estime de soi.
Cette relation de pouvoir entre deux ou n personnes ne serait pas réellement
intelligible s’il était fait abstraction des conditionnements de la situation au
sein de laquelle cette relation se noue. C’est le problème des rapports entre la
structure globale et l’interaction ponctuelle. Si l’officier de police peut
enjoindre à des manifestants de se disperser, c’est parce qu’il est investi d’une
compétence légale, revêtu d’une présomption de légitimité et qu’il dispose
Éventuellement des moyens matériels de faire respecter l’injonction. Cela
renvoie donc en amont à l’existence d’une organisation hiérarchique de la
police, elle-même placée sous l’autorité d’un ministre responsable.
Toute relation de pouvoir peut être analysée comme doublement
conditionnée. À un niveau fondamental tout d’abord. C’est dans la structure
sociale elle-même. La détention d’un capital économique, culturel ou social
plus important permet, en effet l’accès plus aisé à des moyens d’influence plus
efficaces et plus diversifiés. Le conditionnement de la relation de pouvoir
s’exprime également dans la mise en place de modes de rationalités. Ce sont
d’une part les règles externes, et perçues comme telles, d’ordre juridique,
culturel ou tout simplement stratégique (logiques de situations) qui s’imposent
aux acteurs dans leurs relations particulières. Ce sont d’autre part des règles
ou des normes qu’ils ont intériorisées par socialisation, et qu’ils ont faites leur,
au point d’avoir le sentiment subjectif qu’en s’y conformant, ils ne font
qu’obéir à eux-mêmes (dispositions psychologiques des agents culturellement
conditionnés, codes de comportements acquis, rôles assumés). Ainsi, de même
qu’aux échecs l’emprise d’une pièce sur une autre, à un moment déterminé de
la partie, n’est pas compréhensible si l’on ignore les règles du jeu, de même la
relation de pouvoir ne prend-elle sa signification véritable que par référence
au mode de fonctionnement du système social tout entier.
→ bureaucratie, décision (processus de), domination (types de),
ressources politiques
BARNETT M., DUVALL R., (eds.), Power in Global Governance, Cambridge,
Cambridge University Press, 2005 ; BRAUD PH., « Du pouvoir en général au
pouvoir politique », in GRAWITZ M., LECA J. (dir.), Traité de science politique,
Paris, PUF, 1985, vol. I, p. 335 sq. ; BRAUD PH., Sociologie politique, Paris,
LGDJ, 2008 ; CHAZEL F., « Pouvoir », in BOUDON R. (dir.), Sociologie, Paris,
PUF, 1992 ; CLEGG S., Frameworks of Power, Londres, Sage, 1993 ;
FRIEDBERG E., Le Pouvoir et la règle, Seuil, 1993 ; FOUCAULT M., Surveiller et
punir, Paris, Gallimard, 1975 ; GIBSON M., Culture and Power, New York,
Berg, 2007 ; LUKES S., Power. A Radical View, Londres, MacMillan Press,
1986 ; WEBER M., Économie et société, Paris, Plon, 1971 [1922].

POUVOIR EXÉCUTIF/POUVOIR LÉGISLATIF

→ exécutif/législatif (pouvoirs)

PRAGMATISME (SOCIOLOGIE PRAGMATIQUE)

Courant philosophique et sociologique typiquement nord-américain dans


son inspiration première, dit aussi « instrumentaliste ». Le fondateur en est le
philosophe et médecin William James (1842-1910), dont la motivation initiale
consista à faire de la psychologie une science naturelle et dont le principe
directeur était que « les idées doivent s’apprécier à leur valeur au comptant ».
John Dewey fut son continuateur, suivi de beaucoup d’autres dans une lignée
qui se poursuit notamment jusqu’à John Rawls ou Richard Rorty par exemple,
et qui englobe aussi en définitive la plus grande part de la recherche empirique
américaine puis européenne en matière politique (après un passage par le
positivisme logique et en réaction à ce dernier). La sociologie pragmatique
obéit à cinq principes : 1) La science doit servir à la solution des problèmes
pratiques de la vie des sociétés ; 2) Elle doit reposer exclusivement sur des
hypothèses et des modèles référés à la recherche empirique ou expérimentale ;
3) Elle doit se concentrer sur le présent et l’avenir, en ignorant le passé
considéré comme le théâtre de situations dépassées ; 4) Elle se trouve sous-
tendue par la conviction que la société à venir peut être améliorée pour le
bonheur de l’humanité ; 5) Elle récuse l’existence de vérités d’ordre
métaphysique.
→ pluralisme, religion civile
JAMES W., Le Pragmatisme, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2007
[1907] ; MEYER M. (dir.), La Philosophie anglo-saxonne, Paris, PUF, 1994. ;
MILLS C., Sociology and Pragmatism : The Higher Learning in America,
Paine-Whitman, 1964.
PREMIER MINISTRE

L’expression, empruntée à l’usage britannique, désigne le chef du


gouvernement depuis la Constitution de 1958. Auparavant, en France, on ne
connaissait que le Président du conseil mais cette désignation, qui datait des
débuts de la III République, était inadéquate puisque le conseil des ministres
e

était en réalité présidé par le Président de la République. L’Italie conserve


cette expression tandis qu’en Allemagne le titre équivalent est celui de
Chancelier.
Alors que le Premier ministre en Grande-Bretagne est seul investi du
pouvoir de diriger l’action gouvernementale, la situation est plus complexe en
France. L’importance des préro gatives propres du chef de l’État débouche sur
deux types de situations. Lorsque celui-ci est en mesure de nommer un
Premier ministre issu de la même majorité que lui, il y a prééminence
incontestable du président de la République ; en cas de conflit, ce dernier peut
contraindre le chef du gouvernement à présenter sa démission. Au contraire,
en période dite de cohabitation, quand le Premier ministre dispose de sa
propre majorité parlementaire, l’article 20 de la Constitution selon lequel « il
détermine et conduit la politique de la Nation » prend toute son importance.
Dans tous les cas de figure, il exerce sa suprématie sur l’ensemble des
ministres mais sa concrétisation effective dépend toujours de son autorité
politique personnelle.
→ gouvernement, ministres, parlement, régimes politiques
ARDANT PH., Le Premier ministre en France, Paris, Montchrestien, 1991 ;
HUCHON J.-P., Jours tranquilles à Matignon, Paris, Grasset, 1993 ; JAN P., Le
Gouvernement de la V République. Textes commentés, Paris, R. Laffont,
e

2007 ; MASSOT J., Chef de l’État et chef du gouvernement. Dyarchie et


hiérarchie, Paris, La Documentation française, 1993 ; PFISTER TH., La Vie
quotidienne à Matignon sous l’union de la gauche, Paris, Hachette, 1985.

PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

Sous l’empire de la Constitution française de 1958, il apparaît comme la clé


de voûte de l’équilibre institutionnel. L’article 5 fait de lui le garant de
l’indépendance nationale et de la continuité de l’État, l’autorité qui, par son
arbitrage, veille au fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Dans cet
esprit, il nomme le premier ministre, préside le conseil des ministres,
promulgue les lois, signe les ordonnances et veille à leur constitutionnalité.
Chef en titre des armées, il a également des prérogatives particulièrement
importantes en matière de négociation des traités. Il dispose enfin d’armes
exceptionnellement importantes, parce qu’exercées sans contreseing en cas de
crises politiques : message au Parlement, droit de dissolution de l’Assemblée
nationale, recours au référendum, voire mise en œuvre de l’article 16 qui
implique dictature temporaire au sens romain du terme.
En fait, son influence dépend autant de facteurs politiques que de
dispositions constitutionnelles. Élu au suffrage universel depuis la réforme de
1962, il puise dans cette élection une légitimité qui lui permet de s’imposer
comme chef incontesté de l’exécutif lorsque coïncident majorité parlementaire
et majorité présidentielle. En revanche, lorsque ces deux majorités divergent
et que s’instaure une phase de cohabitation (1986-1988, 1993-1995 et après
1997), ses pouvoirs constitutionnels propres ne peuvent empêcher un
considérable amoindrissement de son rôle.
→ chef de l’État, premier ministre, régimes politiques
BRANCHET B., La Fonction présidentielle sous la V République, Paris,
e

LGDJ, 2008 ; VEDEL T., Comment devient-on Président de la République ?,


Paris, R. Laffont, 2007 ; WINOCK M., L’Élection présidentielle en France.
1958-2007, Paris, Perrin, 2008 ; ZARKA J.-C., Le Président de la République,
Paris, Ellipses, 2006.

PRÉSIDENTIALISME

→ Régimes Présidentiels

PRIMAIRES (ÉLECTIONS)

Procédé par lequel les électeurs sont appelés à choisir eux-mêmes les
candidats présentés par les partis lors des élections générales. Destinée, en
principe, à démocratiser le choix des candidats et donc le fonctionnement du
gouvernement représentatif, cette institution fut intro duite aux États-Unis en
1904 par le gouverneur du Wisconsin, Robert LaFollette, pour choisir les
candidats à un scrutin local (auparavant, les dirigeants des partis choisissaient
les candidats à leur guise). Cette pratique est devenue la plus courante aux
États-Unis où elle est utilisée dans de nombreuses élections, mais elle est
surtout connue pour le rôle qu’elle tient dans le processus de désignation du
Président. Encore convient-il de noter qu’elle fonctionne au seul niveau des
États, qu’elle ne concerne que 35 d’entre eux et qu’elle consiste en réalité à
désigner les délégués à la Convention nationale du parti, destinée à investir le
candidat officiel. Ces primaires fonctionnent différemment d’un état à l’autre :
elles peuvent être, notamment, fermées (réservées aux seuls électeurs
déclarant leur affiliation au parti considéré) ou ouvertes (accessibles, à des
degrés divers, à tous les électeurs). Essentiellement américain, ce procédé
semble s’attirer les faveurs de plusieurs praticiens de la vie politique en
Europe, qui y voient un moyen efficace d’arbitrer entre les courants divergents
au sein d’un parti ou d’une coalition de partis.
→ caucus, élection

PRIMORDIALISME

→ particularisme

PRINCIPE DE PRÉCAUTION

Principe relevant du système de pensée de la « société de risque » selon


Ulrich Beck. Il se rapporte aux précautions que les autorités publiques doivent
prendre désormais, face à l’éventualité de certains risques biologiques, ou
autres, liés à l’utilisation de technologies nouvelles, compte tenu de
l’insuffisance des connaissances scientifiques du moment. Dans cette logique,
l’autorité politique se trouve légitimée à prendre des mesures de protection
effectives bien que proportionnées à l’ampleur du risque encouru. À l’origine
associée aux politiques économiques concernant les pays pauvres,
l’expression de « développement durable », dans son acception très nouvelle
vulgarisée par la classe politique et référée cette fois aux sociétés avancées,
relève également de ce type de signification. Elle s’attache à l’idée d’« égalité
intergénérationnelle », signifiant qu’une génération doit tenir compte des
conséquences de ses choix sur les générations futures. Il s’agit d’un
développement de « troisième génération » non susceptible de menacer les
générations futures. Le principe de précaution figure dans la constitution
française depuis sa révision de 2005, par le biais d’une référence à la Charte
de l’environnement introduite dans son Préambule. Il est cependant critiqué au
regard de son impact éventuellement néfaste sur la recherche scientifique et
l’activité économique. La notion de principe de précaution se trouve en outre
de plus en plus supplantée maintenant dans le discours politique par celle de
développement durable, sorte d’idéologie de substitution des grandes utopies
sociales défaillantes. La première définition du développement durable a été
due en 1987 à Madame Burtland, alors présidente de la Commission mondiale
sur l’environnement. Elle énonçait que « le développement durable est un
développement qui répond aux besoins des générations du présent sans
compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ».
→ développement, développement durable, politiques publiques,
société de risque
BECK U., La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Paris,
Aubier, coll. « Alto » ; CAMERON J., ABOUCHAR J., « The precautionary
principle : a fundamental principle of law and policy for the protection of the
global environment », Boston College International and Comparative Law 14
(1), 1991, pp. 1-28 ; GILBERT C., « Risques, crise et science politique : l’état de
la question du pouvoir », pp. 263-278 in IHL O. (dir.), Les « sciences » de
l’action publique : genèses, pratiques, usages, Grenoble, PUG, 2006 ;
GORE A., The Assault of Reason, Harmondsworth, The Penguin Press, 2007 ;
KOURILSKY P., VINEY G., Le Principe de précaution, Paris, Odile Jacob, 2000 ;
LE GOFF J.-P., « Au nom du développement durable », Le Débat (156), sept.-
oct. 2009, pp. 80-97 ; SMOUTS M.-C. (dir.), Le développement durable. Les
termes du débat, Paris, A. Colin, 2008.

PROGRÈS (IDÉE DE)

L’idée de progrès est partagée par l’ensemble des penseurs du XVIII siècle :
e

le Siècle des lumières est celui de la croyance dans un progrès infini basé sur
la Raison universaliste, seule capable d’apporter le bonheur au genre humain.
Si nombre de penseurs de l’époque adhèrent à une telle vision que partagent
tous les Encyclopédistes, Condorcet en a donné la présentation la plus célèbre
dans son Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain
(1793) : « Ce tableau, écrit-il, doit présenter l’ordre des changements […] et
montrer ainsi […] la marche que l’espèce humaine a suivie, les pas qu’elle a
faits vers la vérité ou le bonheur. Ces observations sur ce que l’homme a été,
sur ce qu’il est aujourd’hui, conduiront ensuite aux moyens d’assurer les
nouveaux progrès que sa nature lui permet d’espérer encore. » Fortement
critiquée par la pensée réactionnaire, cette vision optimiste exerce au contraire
une forte influence sur Auguste Comte qui présente sa théorie des trois étapes
menant finalement, par-delà la métaphysique et la théologie, à l’ère
positiviste, à la science, au positivisme triomphant et donc, au progrès. Dans
ce sens, une relation indirecte s’instaure entre le projet de Condorcet et celui
d’une partie de la sociologie contemporaine trouvant sa source dans les
travaux d’Auguste Comte et conservant à l’époque contemporaine la
perspective positiviste comme mode de gestion des conflits sociaux ;
perspective seule capable, aux yeux de certains, de mener à davantage de
progrès collectif à travers, par exemple, la mise en place d’un Welfare State.
→ positivisme, tradition
BAKER K., Condorcet. Raison et politique, Paris, Hermann, 1988 ;
LASCH CH., Le seul et vrai paradis. Une histoire de l’idéologie de progrès et
de ses critiques, (S.l.), Climats, coll. « Sisyphe », 2002 [1991] ; NISBET R.,
History of the Idea of Progress, New York, Basic Books, 1980 ; TAGUIEFF P.-
A., Le sens du progrès, Paris, Flammarion, 2004.

PRONUNCIAMIENTO

→ coup d’État

PROTECTORAT

Au sens strict, situation d’un État qui subit une restriction de sa


souveraineté au profit d’un autre État. Ces abandons imposés visaient
généralement les affaires extérieures, la défense, l’ordre public et certaines
prérogatives en matière économique. À l’époque coloniale ils concernaient
des États incorporés dans l’Empire britannique (États princiers de l’Inde ou de
Malaisie, Birmanie, etc.) ou français (Madagascar temporairement, Tunisie,
Maroc, Annam, Cambodge, Laos).
Par extension on peut y assimiler les territoires sous mandat (Trusteeship)
de la SDN puis de l’ONU dans la perspective et l’attente de leur indépendance
(par ex., Togo et Cameroun 1919-1960, Somalie 1950-1960, Namibie 1920-
1990). De nouvelles formes de protectorat pourraient même voir le jour si
devaient se développer les interventions de l’ONU dans certains pays affectés
par une crise profonde. Ainsi la question a-t-elle été posée à l’ONU par des
dirigeants bosniaques en 1992 et l’on a pu considérer le Kossovo comme
soumis à une forme inédite de protectorat international.
→ coloniale (situation), colonialisme
Protestataires (Mobilisations)
L’insatisfaction et le mécontentement, aisément mesurables aujourd’hui par
les sondages d’opinion, constituent le terreau des mobilisations protestataires.
Celles-ci peuvent être spontanées mais, le plus souvent, elles supposent un
travail d’information et d’organisation mené par des partis politiques, des
syndicats ou des collectifs créés ad hoc.
L’insatisfaction et le mécontentement mobilisables peuvent avoir des
sources très variées, politiques ou non. Ils résultent en effet d’un écart entre
des attentes jugées légitimes et des perceptions négatives du vécu. Cet écart
peut être perçu directement par les individus confrontés à une détérioration de
leurs conditions d’existence ou, du moins, à leur stagnation relative par
rapport à celles d’autres groupes sociaux. Mais les formations politiques et
syndicales jouent un grand rôle dans la construction des représentations qui
orientent leurs visions du présent et celles de leurs aspirations. Et c’est ce qui
politiquement fait sens.
Les mobilisations protestataires peuvent être le moyen de faire triompher
des exigences précises : rejet d’une réforme, défense de droits acquis, pression
sur le pouvoir judiciaire ou politique de façon à obtenir une décision jugée
légitime. Ce sont les mobilisations classiques de salariés, d’agriculteurs ou de
fonctionnaires ou encore les manifestations hostiles à un projet
d’aménagement d’un site. Le critère de leur réussite réside dans le fait
d’atteindre les objectifs mis en avant. D’autres mobilisations relèvent d’une
logique différente. Il s’agit surtout d’afficher une volonté de rupture soit ave
la politique gouvernementale, soit avec le régime lui-même, soit enfin avec
des normes culturelles dominantes. En ce sens on peut dire qu’elles revêtent
un caractère plus identitaire que proprement instrumental. Il en va ainsi des
démonstrations d’unité (de la gauche), ou bien des manifestations de minorités
nationales, sexuelles, communautaires, etc. Le test de leur succès réside dans
le fait de pouvoir démontrer une représentativité forte. Quand elles visent
l’ordre social tout entier, ces mobilisations quittent le terrain purement
protestataire pour se situer dans le cadre de l’action révolutionnaire.
Les mobilisations protestataires ne sont pas seulement des démonstrations
d’hostilité au pouvoir politique ; elles ouvrent aussi une marge de manœuvre à
des leaders ou des forces politiques désireuses de les « intrumentaliser ». En
ce sens elles relèvent des ressources politiques susceptibles de peser dans les
processus de négociation, voire de conquête du pouvoir.
→ comportement politique, mobilisation politique, violence politique
CEFAÏ D., Pourquoi se mobilise-t-on ? Les théories de l’action collective,
Paris, La Découverte, 2007 ; DALTON R., KUECHLER M., (eds.), Challenging the
Political Order, New York, Polity Press, 1990 ; FAVRE P. (dir.), La
Manifestation, Paris, Presses de la FNSP, 1990 ; IMIG D., TARROW S.,
Contentious Europeans. Protest and Politics in Emerging Society, Lanham,
Littlefield, 2001 ; KRIESI H., KOOPMANS R., DYVENDAK J., (eds.), New Social
Movements in Western Europe, London, UCL, 1995 ; LAFARGUE J., La
Protestation collective, Paris, Nathan, 1998 ; NEVEU E., Sociologie des
mouvements sociaux, Paris, La Découverte, 2005 ; SOMMIER E., Le Renouveau
des mouvements contestataires à l’heure de la mondialisation, Paris,
Flammarion, 2003 ; TILLY CH., La France conteste, de 1600 à nos jours, Paris,
Fayard, 1986.

PROTESTANTISME ET POLITIQUE

Les partis protestants constituent l’une des formes de l’expression politique


des religions issues de la Réforme. Toutefois, l’impact politique du
protestantisme fut bien plus vaste et profond. Dans les pays
pluriconfessionnels, il s’est observé d’abord au niveau de l’orientation
partisane longtemps plus libérale et sécula risée des protestants, tandis que
s’agissant de la minorité très réduite qu’ils représentent en France, cette
orientation a coïncidé aussi avec un ralliement net au libéralisme, au régime
républicain puis aux formations de la gauche modérée (ainsi en Lozère et dans
le Gard, seuls départements à forte présence protestante).
C’est toutefois sur le plan historique de la formation de la citoyenneté
moderne que le protestantisme importe surtout. Bien que ni Calvin ni surtout
Luther n’aient délié leurs fidèles de leur obligation d’allégeance aux princes,
les courants protestants ont considérablement favorisé l’expansion de
l’individualisme et de ses corollaires politiques face aux hiérarchies établies ;
ils ont nourri aussi une éthique de responsabilité personnelle qui a préfiguré
celle de la citoyenneté démocratique. Il faut en particulier insister à ce propos
sur l’apport intellectuel de Johannes Althusius (1557-1638), qui a décrit la
société comme une consaciatio, formé de corps articulés les uns par rapport
aux autres, qui déléguait un pouvoir révocable à l’autorité souveraine. De
même, l’idée de covenant qui a fondé le pacte politique aux États-Unis dérive
de la théologie congrégationaliste, tandis que les niveleurs (ou levellers)
baptistes anglais sont les premiers, avec Lilburne, à avoir fixé que le pouvoir
légitime devait reposer sur le consentement des sujets. Bien que plus
« sécularisés », Hugo Grotius, Pufendorf, John Locke et Hobbes appartiennent
aussi à la mouvance protestante. Grotius en particulier a fondé un droit des
gens purement national qui a marqué la rupture avec la conception
universaliste antérieure de la souveraineté, cependant que Locke a prôné la
séparation de l’Église et de l’État dès la fin du XII siècle. Parallèlement, le
e

développement de confessions nationales réformées liées au pouvoir politique


dans les pays protestants y a favorisé l’éclosion précoce d’identités communes
homogènes, tout en leur épargnant par surcroît les conflits entre l’Église et
l’État et en facilitant de la sorte la naissance ultérieure de démocraties
consensuelles (par contraste avec le caractère conflictuel du processus de
démocratisation dans les zones catholiques, affectées par l’affrontement des
cléricaux et des anticléricaux). En outre, il convient d’insister sur l’influence
toute spéciale exercée par le protestantisme dissident puritain, méthodiste,
baptiste ou évangélique sur les valeurs et l’identité des habitants des États-
Unis. Au départ, les « pèlerins » puritains débarqués à Plymouth en 1620
adoptent une démarche directement biblique inspirée du Livre de l’Exode,
d’un peuple sortant de captivité et se dirigeant vers une Terre promise
(l’Amérique cette fois). Plus tard, bien que qualifié en général de « religion
civile », le « Credo américain » (American creed) est pour l’essentiel une
profession de foi civique et sociale inspirée par une référence à la volonté
divine, fondée sur une vision dichotomique du Bien et du Mal, sur l’idée de
représenter un peuple élu par Dieu appelé à œuvrer à la rédemption du monde
dans le cadre d’un devoir moral d’évangélisation, également sur l’exaltation
de la responsabilité personnelle dans le cadre d’une éthique du travail et de la
réussite matérielle. Il faut observer, de même, le rôle joué par le
protestantisme dissident et les « Réveils religieux » à la source du
développement des mouvements travaillistes ou sociaux-démocrates en
Angleterre et en Scandinavie. Au XIX siècle, au départ, ce sont en général des
e

fidèles des Églises indépendantes qui se sont rassemblés dans les sociétés de
tempérance (prônant la prohibition des boissons alcooliques) animées
principalement par des femmes, puis dans le mouvement féministe lui-même
en même temps que dans les ligues anti-esclavagistes (paradoxalement, ces
protestants furent aussi à l’origine des doctrines de promotion de la
colonisation érigeant celle-ci en devoir moral et religieux pour les peuples
« civilisés »). Et ce sont ensuite les syndicats et partis ouvriers qui furent
souvent la création des protestants dissidents (la même remarque pouvant
s’appliquer à la gauche populiste américaine – au People’s Party – des
années 1890). En France, les hauts fonctionnaires et universitaires protestants
tels que Ferdinand Buisson et Félix Pécaut ont joué au cours des années 1880
un rôle très important dans le développement initial de l’éducation laïque
(comme plus tard Gustave Monod ou Louis Méjean). Il en alla de même pour
le personnel politique au tout début de la III République. Ainsi, ce qui ne se
e

reproduisit jamais plus à un tel niveau, le premier gouvernement de la


présidence de Jules Grévy, en 1879, comptait cinq ministres protestants sur
dix. En général, il y a eu de 6 à 8 % de ministres réformés ou luthériens de
1871 à 1914. Par la suite, il faut citer parmi les figures protestantes de l’entre-
deux guerres la dynastie des Monod, Paul Bastid, Jean Zay, Marc Rucart,
Théodore Steeg, Émile Borel et Charles Pomaret (ministre de l’Intérieur du
premier gouvernement du Maréchal Pétain en juin 1940). Président de la
République de 1924 à 1931, Gaston Doumergue était également protestant
(agnostique et franc-maçon). De nos jours, Michel Rocard, Pierre Joxe, Lionel
Jospin, Georgina Dufoix, Catherine Trautmann, Antoine Rufenacht, Thierry
Breton ou, auparavant, Gaston Defferre, Maurice Couve de Murville et
Jacques Baumel n’ont pas renié leur filiation protestante.
À présent, le protestantisme revêt un autre visage dans diverses régions
extra-européennes. Si, à Madagascar et dans quelques autres pays africains,
les pasteurs se situent à la pointe de la lutte pour la démocratie, en Amérique
latine la progression des mouvements évangéliques ou pentecôtistes se trouve
interprétée fréquemment – et non sans amalgames – comme l’avancée
pernicieuse d’un fondamentalisme chrétien assez aliénant et des plus
conservateurs.
→ fondamentalisme protestant, partis politiques : Partis protestants,
sécularisation
ALTHUSSIUS J., The Politics of Johannes Althusius, Boston, Beacon Press,
1964 ; BENDIX R., « The Protestant Ethic Revisited », Comparative Studies in
Society and History 9 (3), April 1967 ; DISSELKAMP A., L’Éthique protestante
de Max Weber, Paris, PUF, 1994 ; HERMET G., Sociologie de la construction
démocratique, Paris, Economica, 1986 (Chapitre I) ; HUNTINGTON S. P., Qui
sommes-nous ? Identité nationale et choc des cultures, Paris, Odile Jacob,
2004 ; LACORNE D., De la religion en Amérique. Essai d’histoire politique,
Paris, Gallimard (L’esprit de la cité), 2007 ; SCHRAM S., Protestantism and
Politics in France, Alençon, Corbière et Jugain, 1958 ; STOLL D. (ed.), Is Latin
America Turning Protestant ?, Berkeley, University of California Press,
1990 ; STONE L., Les Causes de la révolution anglaise, Paris, Flammarion,
1974 ; TROELTSCH E., Protestantisme et modernité, Paris, Gallimard, 1991 ;
WALZER M., La Révolution des saints : éthique protestante et radicalisme
politique, Paris, Belin, 1987 [1969].

PSYCHOLOGIE POLITIQUE

Les rapports entre sciences sociales et psychologie sont difficiles à mettre


en œuvre et pourtant nécessaires. Difficiles parce que les schèmes intellectuels
dominants en Occident conduisent à poser les problèmes en termes
d’opposition individu/société. À la fin du XIX siècle, Durkheim, bien
e

davantage que Max Weber d’ailleurs, insistait sur l’exigence méthodologique


de récuser toute psychologie afin de centrer l’analyse sur « les faits sociaux
envisagés comme des choses ». À cette étape de la construction de la
sociologie, cette attitude était probablement nécessaire, et cela d’autant plus
que la psychologie éprouvait la nécessité inverse d’un repli sur l’étude des
dynamismes individuels. En outre déferlaient alors les très approximatives
théories dites de la « psychologie des foules », lesquelles ont contribué à
nourrir une méfiance durable et scientifiquement justifiée.
Si la psychologie politique ne devait être qu’une psychologie des acteurs
individuels ou, pire encore, des acteurs collectifs, alors son intérêt et sa
légitimité en sciences sociales demeureraient des plus minces. En revanche,
elle retrouve logiquement toute son importance si l’on s’inscrit dans les
problématiques qui récusent le côté réductionniste de l’opposition
individu/société.
Norbert Elias a mis en évidence, au terme de ses études de sociologie
historique, la puissance des processus de rationalisation et de psychologisation
qui travaillent en Occident les rapports sociaux, conduisant à la curialisation
des guerriers et à la (ré) invention de la politique (La Dynamique de
l’Occident, 1939). Ailleurs il démontre comment s’articulent entre eux les
comportements individuels, dans un jeu social dont les règles et le
déroulement échappent sans doute à chacun mais qui n’existe pourtant que
comme produit de leurs conduites, adaptations ou résistances (La Société des
individus, 1939). Il est donc impossible de comprendre les processus sociaux
en ignorant ce qui se construit dans l’interaction individu/société. En d’autres
termes, on doit s’intéresser aux systèmes de gratifications qui, dans une
situation socialement construite, sont susceptibles de répondre aux systèmes
d’attentes (d’intérêts et de désirs) qui sont ceux des individus réels.
L’individualisme méthodologique, dans ses formulations les plus achevées,
pose ce même problème en des termes relativement voisins. Si, dans cette
perspective théorique, n’existent que des individus en interaction complexe,
on souligne, avec R. Boudon par exemple, l’apparition d’« effets émergents »
que personne n’a voulus, qui ont leur dynamique propre, mais n’en sont pas
moins le produit des comportements individuels. Par exemple la panique
collective comme résultat de comportements mimétiques fondés sur des
informations fausses. La faiblesse de cette problématique est de vouloir
délibérément écarter de l’étude des comportements individuels les éléments
inconscients du calcul coûts/avantages et, surtout peut-être, les gratifications
et les coûts qui se situent au niveau émotionnel : quête de l’estime de soi,
ambition d’autoréalisation, plaisirs de l’agressivité, fuite devant l’angoisse,
etc.
Une véritable psychologie politique ne peut donc se développer sur le seul
terrain de l’étude des personnalités ; le rôle autonome de celles-ci est
beaucoup trop mince en effet dans les processus socio-politiques, dès lors que
l’on quitte le terrain du micro-social et du court terme. En revanche, il est
décisif de porter attention aux logiques sociales et institutionnelles
productives de satisfactions ou de frustrations. Les systèmes politiques par
exemple, ou les processus de socialisation propres à une culture, offrent aux
individus des possibilités spécifiques de projections (affirmations identitaires,
grandes causes à embrasser, valeurs à partager) qui ont à voir avec l’estime de
soi. Ils gèrent l’agressivité, l’hétérophobie ou l’angoisse présentes dans les
rapports sociaux selon des mécanismes très divers : par ritualisation (débats
dans les médias ou les enceintes parlementaires, protocoles et cérémonies
officielles) ; par désignation aussi, dans le langage des acteurs, de victimes-
émissaires réelles ou symboliques (responsabilité politique), par substitution
aux antagonismes explosifs d’affrontements codés plus aisément maîtrisables
sur la scène politique, etc. Inversement, les effets émergents d’attitudes et
comportements individuels, affectivement colorés par la colère ou
l’indifférence, la confiance, la suspicion ou le désir d’illusions…, exercent
une influence sur le fonctionnement des institutions et le déroulement des
processus sociaux. Ils leur impriment ces dynamismes qui contribuent
puissamment à l’extraordinaire complexité du politique, laquelle ne saurait se
laisser enfermer dans des analyses réductionnistes qui refuseraient les ponts
entre disciplines.
→ comportement politique, passions politiques, symbolique politique
ANSART P., La Gestion des passions politiques, Lausanne, Éd. L’âge
d’homme, 1983 ; BRAUD PH., L’Émotion en politique, Paris, Presses de
Sciences-Po, 1997 ; GLAD B., « Poli tical Psychology : Where Have We
Been ? Where Are We Going ? » in CROTTY W., Political Science : Looking to
the Future, Vol. 3, Evanston, Northwestern University, 1991 ; GRAWITZ M.,
« Psychologie et politique », in Traité de science politique, PUF, 1985, vol. 3,
p. 1 sq. ; KUKLINSKI J., Thinking about Political Psychology, Cambridge,
Cambridge University Press, 2002 ; MARCUS G., Le Citoyen sentimental, Paris,
Presses de Sciences-Po, 2008 ; NEUMANN R., MARCUS G., (eds.), The Affect
Effect, Chicago, The University of Chicago Press, 2007.

PUBLIC CHOICE

→ choix rationnel

PUBLIC/PRIVÉ (DISTINCTION)

À l’époque contemporaine, cette distinction a été élaborée en philosophie


politique par Hannah Arendt dans son ouvrage La Condition de l’homme
moderne ; celle-ci s’engage, à partir du modèle de la Grèce classique, dans
une justification de la prédominance absolue de l’espace public où les
citoyens prennent la parole afin de s’engager en construisant ainsi leur propre
personnalité à l’espace privé comme lieu où s’expriment les appartenances
sociales de toutes sortes, de la famille à la classe sociale. À ses yeux, l’homme
n’est vraiment libre que lorsqu’il se détache de tout déterminisme social lié à
l’espace privé afin de suivre une démarche fondée sur la seule Raison,
fondement de la solidarité entre des citoyens préoccupés du seul bonheur
public. Cette interprétation très exigeante de l’espace public s’oppose
évidemment à toutes les formes contemporaines de socialisme et
d’intervention légitimée par la prédominance du social. Elle suppose aussi une
commune fin de l’histoire, les sociétés les plus diverses devant se diriger
comme fin ultime vers cette forme de séparation entre les deux espaces. Elle
sous-estime du coup le poids des cultures et des religions qui, pour la plupart,
récusent ce type de distinction rejetant le religieux dans la seule sphère de la
vie privée. Ici ou là, la « politique par le bas » privilégie la société civile qui
recouvre presque dans cette perspective l’espace privé. Elle n’est, par ailleurs,
guère utile pour comprendre la formidable diversité des liens qui peuvent unir
ces espaces dans des sociétés aux histoires et aux types d’États si opposés,
certains d’entre eux renforçant délibérément l’espace public qu’ils contrôlent,
d’autres laissant aux espaces privés une entière légitimité propre à assurer leur
autonomie et leur autofonctionnement.
→ espace public, État, gouvernance, société civile
ARENDT H., La Condition de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy,
1965 ; BADIE B., L’État importé, Paris, Fayard, 1992 ; BAYARD J.-F., L’État en
Afrique, Paris, Fayard, 1979 ; CLAPHAM CH. (ed.), Private Patronage and
Public Power, London, Frances Pinter, 1982 ; CROSSLEY N., ROBERTS J., (eds.),
After Habermas : new perspectives on the public sphere, Oxford, Blackwel,
2004.

PUISSANCE

Dans la perspective de Max Weber, la puissance désigne la « chance de


faire triompher au sein d’une relation sociale sa propre volonté, même contre
des résistances, peu importe sur quoi repose cette chance ». Comme tel, le
concept est largement utilisé par la sociologie du pouvoir, mais surtout dans
l’étude des relations internationales. Pour la théorie réaliste dominante, ces
relations traduisent d’abord l’inévitable rivalité qui oppose entre eux les États-
nations, dans un contexte global d’anarchie et de réglementation faible et
fragile : la puissance est, dans ces conditions, le principe qui organise cette
concurrence, définit les relations entre les États et permet d’anticiper les
résultats de leur rivalité. Aussi, chaque État a-t-il pour objectif de renforcer sa
propre puis sance, en vue en même temps d’imposer ses intérêts nationaux,
d’améliorer les conditions de sa sécurité et de sa souveraineté ainsi que de se
doter d’une position hégémonique. Longtemps considérée comme
essentiellement militaire, cette puissance renvoie aujourd’hui à des registres
différents (économique, financier, commercial, voire démographique ou
culturel). Cette diversification est l’un des signes de l’incertitude croissante
liée à l’usage de ce concept, car s’il est clair que la puissance demeure encore
aujourd’hui une fin et un moyen de l’action internationale des États, elle doit
de plus en plus se combiner avec la prise en compte des logiques
d’interdépendance, de transnationalité et d’intégration régionale.
→ dissuasion, intégration, international, souveraineté, transnational
ARON R., Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 1964 ;
BADIE B., L’impuissance de la puissance, Paris, Fayard, 2004 ;
MORGENTHAU H. J., Politics among Nations, New York, A. Knopf, 1950 ;
NYE J. S., Soft Power. The Means to Success in World Politics, New York,
Public Affairs, 2004 ; VASQUEZ J., The Power of power politics : a critique,
Rutgers University Press, 1983.
PURIFICATION ETHNIQUE
Conjointement avec celle de nettoyage ethnique, cette expression a été
utilisée à partir de 1991-1992 pour désigner les massacres en masse opérés en
particulier en Bosnie après la dissolution de l’ex-Yougoslavie. À la différence
du génocide, la purification ethnique ne vise en général pas l’élimination
totale d’une ethnie ou d’une population, mais simplement son déplacement
par la terreur vers un autre lieu. Avant celles qui se sont produites en Bosnie,
les opérations de purification ethnique ont été courantes en Union Soviétique
de 1932 à 1946, notamment à l’encontre des minorités finnoises, polonaises,
allemandes, tatares de Crimée, bulgares, grecques ou encore tchétchènes.
→ communisme, génocide, stalinisme
NAIRMAK N. K., Fires of Hatred. Ethnic Cleansing in Twentieth Century
Europe, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 2001.

PUTSCH

→ coup d’État
Q

QUESTIONS PARLEMENTAIRES

Pour assurer le contrôle de l’exécutif ou, simplement, lui faire connaître les
préoccupations de leurs mandants, les députés et sénateurs ont la possibilité,
en France comme dans la plupart des régimes représentatifs, de poser des
questions écrites ou des questions orales. Les premières sont publiées au
Journal officiel ainsi que la réponse du ministre compétent qui doit être
donnée dans un délai limité. Les secondes, posées lors d’une séance spéciale
chaque semaine, peuvent être suivies ou non d’un débat. Le temps imparti
pour poser la question puis répliquer à la réponse du ministre est
rigoureusement réglementé, afin d’éviter l’obstruction et de faciliter le
maximum d’interventions parlementaires. Il en est également donné un
compte rendu au Journal officiel-Débats.
→ confiance (question de), parlement
CAMBY J.-P., SERVENT P., Le Travail parlementaire sous la V République,
e

Paris, Montchrestien, 2004 ; NEIDHART R. (dir.), Les Questions à l’Assemblée


nationale, Paris, Economica, 1989.
R

RACE/RACISME

Le racisme consiste en un comportement de haine, de refus, de mépris à


l’égard de personnes supposées présenter des caractéristiques physiques
différentes (couleur de peau, nature des cheveux, etc.) et qui sont
appréhendées comme formant une race distincte et, bien évidemment,
inférieure. Le racisme prétend théoriser scientifiquement l’existence de ces
races considérées comme définitivement inégales. Ces races sont conçues
comme des espèces animales hiérarchisées dont les traits induisent des
caractéristiques morales et culturelles particulières contrôlant les actions de
chaque individu inclus au sein de chaque race. Cette biologisation de l’autre
apparaît surtout au XVII siècle à travers l’histoire naturelle de Buffon, qui
e

remet en question l’universalisme. Elle se poursuit au début du XIX siècle,


e

dans les ouvrages de Gobineau qui soutient « l’éternelle séparation des races »
et l’« immense supériorité des blancs », dans certains écrits de Renan qui
affirme la suprématie des aryens sur les races sémitiques, les noirs formant
eux aussi à ses yeux, une race dite inférieure ; on retrouvera de manière
encore plus accentuée une telle hiérarchie raciale chez G. Vacher de Lapouge,
pour qui « la notion de race est d’ordre zoologique » : elle lui permet de
prôner une politique eugénique qui sera systématiquement mise en œuvre plus
tard par Hitler. Même si Renan refuse pour sa part de s’engager dans une telle
biologisation raciale du politique, il a néanmoins renforcé les théories des
races dans leur variante linguistique et culturelle en rejoignant, de ce point de
vue, la perspective relativiste plus ancienne d’un Herder si favorable au
maintien des différences culturelles. C’est dire que le racisme instaure aussi
un lien étroit entre race biologique et culture particulière ; soit il affirme l’idée
de hiérarchie entre ces races porteuses de culture, soit encore, il estime que
chacune d’entre elles reste légitime en demeurant enfermée dans sa propre
logique ; contre les métissages, chaque race-culture se construit presque en
une nation fermée aux autres ; tous les individus doivent alors demeurer au
sein de l’une de ces entités closes, aux cultures si dissemblables, la
légitimation des différences entraînant un racisme fondé cette fois sur le
relativisme, davantage que sur une hiérarchie scientiste. Chez Le Bon comme
chez Barrès, on se trouve ainsi en présence d’un racisme tout à la fois
biologique et culturel de type relativiste ; tous deux étaient, très logiquement,
violemment anti-dreyfusard, précisément parce que, pour eux, un juif ne peut
que trahir la race française puisqu’il n’est pas, à leurs yeux, pénétré de sa
culture ; il est « le représentant d’une espèce différente » ; le métissage mène à
la dégénérescence et donc, à la trahison. Dans le même sens, Le Bon, tout
comme une large partie des penseurs réactionnaires français, se montre hostile
à la colonisation dans la mesure où elle entraîne elle aussi une forme de
métissage en prétendant imposer la culture française à d’autres races-cultures
qui doivent plutôt demeurer fidèles à leurs propres valeurs. Cette logique
mène droit à la volonté de reconduire dans leurs pays d’origine les immigrés,
en particulier ceux issus d’Afrique du Nord, et au chacun chez soi. Contre
ceux qui restent confiants dans le rationalisme universaliste des Lumières, les
mouvements racistes contemporains, en France comme dans le reste de
l’Europe, n’hésitent pas à s’engager dans des comportements d’une grande
violence physique.
→ antisémitisme
BIRNBAUM P., « La France aux Français », Histoire des haines nationalistes,
Paris, Seuil, 1993 ; BOUCHER M. (dir.), Discriminations et ethnicisation :
combattre le racisme en Europe, La Tour d’Algues, Éd. de l’Aube, 2005 ;
BUTLER J., Le Pouvoir des mots : discours de haine et politique du performatif,
Paris/Amsterdam, 2008 ; COLAS D., Races et racismes. De Platon à Derrida,
Paris, Plon, 2004 ; LIAUZU C., Race et civilisation, Paris, Syros, 1992 ;
OLENDER M. (éd.), Le Racisme, Gembloux, Complexe, 1981 ; PERRY R., Race
and racism : the development of modern racism in America, New York,
Macmillan, 2007 ; STEPAN N., The Idea of Race in Science : Great Britain
1800-1960, London, Macmillan/St Antony’s College, 1982 ; TAGUIEFF PH., La
Force du préjugé, Paris, La Découverte, 1988 ; TODOROV T., Nous et les
autres, Paris, Seuil, 1989 ; WIEVIORKA M., L’Espace du racisme, Paris, Le
Seuil, 1991.

RÉACTION

La pensée réactionnaire naît d’un refus radical de la Révolution et de la


pensée des Lumières. Elle se distingue du conservatisme par son extrémisme,
tant est violent son refus de cette forme d’entrée dans la modernité politique.
Isaiah Berlin fait de Joseph de Maistre le fondateur d’une telle pensée
réactionnaire, sa véhémence étant comme une réponse à l’ambition radicale
du jacobinisme : comme les dirigeants révolutionnaires, de Maistre entend
employer la violence la plus radicale pour revenir à la société monarchique et
restaurer le pouvoir du pape. Son héritage politique se fait jour aussi bien en
France, à travers les écrits d’un Charles Maurras qu’en Allemagne, en Italie
etc. Les divers populismes d’aujourd’hui font aussi souvent figure de courant
réactionnaire en s’opposant aussi bien à la modernité qu’au capitalisme et au
libéralisme. Le mouvement du catholicisme intransigeant qui, tout au long du
XIX siècle et jusqu’à la première partie du XX , s’est longtemps élevé contre la
e e

République constitue aussi un courant réactionnaire. Le régime de Vichy est


l’exemple même d’un régime qui s’inspire d’une pensée réactionnaire en
souhaitant le rétablissement d’un ordre ancien fondé sur le respect des
traditions, le retour à la terre, le respect des mœurs, le refus de l’Autre, de
l’étranger à la culture nationale. La pensée réactionnaire rejoint donc
fréquemment toutes les formes de conservatisme.
De nos jours, Albert Hirschman a tenté de présenter de manière
systématique les éléments essentiels d’une pensée réactionnaire entendue dans
un sens moins spécifique : pour lui, les réactionnaires considèrent que plus on
fait bouger les choses, plus on revient en arrière (effets pervers), que ce que
l’on prétend modifier ne fait en réalité que persister (inanité) et qu’enfin, tout
changement entraîne des coûts insupportables, « mettant en péril » des
avantages essentiels déjà acquis, ces trois thèses pouvant se combiner de
multiples manières.
→ conservatisme, traditionalisme
BERLIN I., Le Bois tordu de l’humanité, Paris, Albin Michel, 1992 ;
HIRSCHMAN A. O., Deux Siècles de rhétorique réactionnaire, Paris, Fayard,
1991 ; PAXTON R., La France de Vichy : 1940-1944, Paris, Seuil, 1997 ;
WEBER E., L’Action française, Paris, Hachette ; coll. « Pluriel », 1990.

REALPOLITIK

Politique poursuivant visant exclusivement des gains pratiques et concrets


et non affectée par des considérations éthiques ou abstraites.
→ international (scène internationale), réaliste (théorie)
MANENT P., Naissances de la politique moderne. Machiavel, Hobbes,
Rousseau, Paris, Payot, 1977.

RÉALISTE (THÉORIE)

Théorie des relations internationales anciennement fondée par E. H. Carr,


puis popularisée après la Seconde Guerre mondiale par H. Morgenthau. Cette
théorie saisit le jeu international comme un objet constitué exclusivement par
la concurrence entre des États souverains, agissant en fonction de leurs
intérêts nationaux, cherchant à maximiser leur puissance et respectant une
séparation absolue entre les domaines de l’interne et de l’externe. Les
relations internationales prennent figure dans cette lumière de confrontation
de puissance entre « monstres froids », ne laissant place ni aux valeurs ni au
jeu des acteurs non étatiques. Fortement contestée par l’école
transnationaliste, cette position théorique fut également combattue auparavant
par les tenants du marxisme et du « behaviouralisme ». Se référant aux
systèmes metternichien et bismarckien, alimentée par le contexte de la Guerre
Froide, elle fut ensuite amendée par l’école institutionnelle insistant sur le rôle
croissant des régimes internationaux et l’essor des normes internationales,
puis par le néoréalisme de K. Waltz qui introduisit notamment l’idée de
système international, atténuant la vision atomistique du premier réalisme.
→ international, puissance, sécurité, transnational
MORGENTHAU H., Politics among Nations, New York, Knopf, 1948 ;
WALTZ K., Theory of International Politics, Reading, Addison-Wesley, 1979 ;
GUZZINI S., Realism in International Relations and International Political
Economy, Londres, Routledge, 1998.

RÉFÉRENDUM

Instrument de la démocratie directe par lequel les électeurs sont appelés à se


prononcer sur une mesure publique ou sur des dispositions liées à un traité
international. Le référendum peut s’appliquer également à une modification de
l’ordre constitutionnel, bien qu’on puisse parler aussi, à ce propos, de
plébiscite. Le plus couramment, la procédure référendaire s’applique à une
proposition dont la mise en vigueur requiert l’approbation de l’électorat. Mais
le référendum peut être abrogatif – d’une loi – dans des pays comme la Suisse
ou l’Italie. Il peut, de même, dépendre de la seule initiative du gouvernement
ou du président, ou relever en plus de l’initiative populaire dans des
conditions précises comme en Suisse, en Italie et dans 24 des états américains.
Enfin, le référendum est généralement de portée nationale, mais peut être
utilisé à divers niveaux locaux dans certains pays.
Le premier référendum a eu lieu en 1778 dans l’état du Massachusetts. En
Europe, le canton de Vaud a reconnu le premier droit d’initiative populaire en
1845. En dehors des États-Unis et de la Suisse, la pratique référendaire se
trouve maintenant reconnue en France (constitutionnellement avec la
V République), en Australie, au Danemark, en Espagne, en Grande-Bretagne,
e

en Irlande, en Italie, en Nouvelle-Zélande, de façon extrêmement limitée et


quasiment impraticable en Allemagne, ainsi que dans divers autres pays
comme l’Uruguay.
→ démocratie : Démocratie directe, élection, plébiscite

RÉFÉRENTIEL

→ politiques publiques

RÉGIMES INTERNATIONAUX

Un régime international repose sur un ensemble de principes, de normes et


de pro cédures de décision explicites ou implicites, ou plus simplement de
règles du jeu, qui permettent aux acteurs étatiques ou autres d’anticiper
certains types de comportement ou de réactions normalement prévisibles de la
part de leurs partenaires. L’existence d’un tel régime, obéissant aujourd’hui
tant aux contraintes qu’aux opportunités de la mondialisation, permet à ces
acteurs de tenter de limiter les risques de leurs décisions ou absences de
décision. L’Organisation Mondiale du Commerce s’efforce, par exemple,
d’élaborer un régime international des échanges commerciaux.
→ mondialisation
KEOHANE R. O., After Hegemony, Princeton, Princeton University Press,
1984 ; KRASNER S., (ed.), International Regimes, Ithaca, Cornell University
Press, 1983 ; RITTBERGER V., (ed.), Theories of International Relations,
Cambridge, Cambridge University Press, 1997.

RÉGIMES POLITIQUES

La notion de régime politique sert à rendre compte de la manière dont sont


organisés les pouvoirs publics, c’est-à-dire leur mode de désignation, leurs
compétences respectives et les règles juridiques et politiques qui gouvernent
leurs rapports. Cette notion doit être distinguée du concept, plus large, de
système politique qui inclut non seulement l’organisation constitutionnelle des
gouvernants mais aussi d’autres acteurs et d’autres processus tels que, par
exemple, le régime des partis, les libertés publiques et les médias, les
mécanismes de socialisation politique des citoyens, etc.
L’ambition de construire des classifications des régimes politiques est
extrêmement ancienne. L’enjeu n’en est pas seulement une meilleure
compréhension de leurs règles de fonctionnement mais aussi, très souvent, un
jugement de valeur. Ainsi Aristote distinguait-il terme à terme, royauté et
tyrannie, aristocratie et oligarchie, politeïa et démocratie, pour opposer forme
correcte et forme corrompue. Quant à Montesquieu il s’interrogera non
seulement sur la forme constitutionnelle du gouvernement : monarchique,
républicain ou despotique, mais aussi sur le « principe » qui leur permet de
fonctionner, à savoir, respectivement : l’honneur, la vertu et la crainte.
Aujourd’hui, une distinction tripartite, largement répandue, constitue la
matrice de distinctions ultérieures plus fines. C’est l’opposition entre
démocraties pluralistes, régimes autoritaires et systèmes totalitaires. Les
premières ont comme principal critère distinctif le fait que les organes de
gouvernement sont issus, directement ou indirectement, d’élections librement
disputées ; le consensus exigé des citoyens ne porte que sur l’acceptation des
procédures légales de régulation des conflits (principe électoral de majorité ;
primauté de la loi, expression de la volonté générale ; respect des libertés
publiques). Selon leur organisation constitutionnelle, ces démocraties
pluralistes relèvent plutôt du régime parlementaire, du régime présidentiel ou
du régime d’assemblée sans qu’il faille accorder une excessive importance à
ces distinctions puisque abondent les régimes mixtes.
Le régime parlementaire idéal-typique (dont l’exemple britannique est
emblématique) peut être défini comme celui où le gouvernement, qui exerce le
pouvoir exécutif au nom d’un chef d’État irresponsable, est responsable
devant une assemblée législative elle-même susceptible d’être dissoute. Le
régime présidentiel au contraire ne connaît pas ces liens institutionnels de
dépendance réciproque : ni responsabilité politique, ni droit de dissolution.
S’il instaure en apparence une séparation radicale entre le pouvoir exécutif et
le pouvoir législatif (encore qu’aux États-Unis, terre d’élection de ce régime,
existe le veto présidentiel aux lois du Congrès), en pratique le Congrès et le
président disposent de moyens de pression l’un sur l’autre qui obligent ces
institutions à collaborer. Enfin le régime d’assemblée, rare en pratique à
l’échelle des États contemporains mais souvent référé à la Suisse, suppose que
l’exécutif est transformé en simple exécutant des volontés du Parlement
(bicaméral en Suisse) ou de l’unique assemblée issue du suffrage universel.
Les régimes autoritaires se caractérisent par le refus de tolérer l’expression
publique de désaccords politiques importants. L’opposition légale est donc
soit interdite soit encadrée et surveillée. Selon la nature des forces sociales qui
soutiennent les gouvernants et selon l’organisation « technique » du régime
(pseudo-multipartisme, parti unique, interdiction de toute activité politique) on
peut en distinguer de nombreuses catégories. Les monarchies traditionnelles
d’Ancien Régime sont bien différentes en effet des dictatures prétoriennes (en
Afrique ou dans le monde arabo-musulman), des oligarchies clientélistes
d’Amérique latine ou des bureaucraties de l’ex-camp socialiste en Europe.
Les systèmes totalitaires enfin ambitionnent d’éliminer tous les clivages au
sein de la société au nom de l’abolition des classes (en URSS sous Staline) ou
du Führerprinzip et de la supériorité de la race aryenne (en Allemagne sous
Hitler). Les gouvernements totalitaires ne se contentent pas d’un
monolithisme extérieur des opinions ; ils veulent remodeler les esprits, par la
terreur et par une propagande intense. Leur caractéristique essentielle est donc
à la fois l’abolition de toute stabilité juridique ou institutionnelle de sorte que
personne ne puisse opposer utilement des barrières au pouvoir politique, et le
contrôle centralisé de tous les instruments de pouvoir, impliquant monopole
idéologique, culte paroxystique du chef et mise en place d’un système
concentrationnaire (Lager en Allemagne, Goulag en URSS) destiné à
l’élimination des catégories de populations qu’il rejette.
→ exécutif/législatif (pouvoirs), gouvernement, parlement, régime
mixte, système politique.
BADIE B., HERMET G., La Politique comparée, Paris, A. Colin, 2001 ;
CAMAU M., MASSARDIER G. (dirs.), Démocraties et autoritarismes :
fragmentation et hybridation des régimes, Paris, Karthala/IEP d’Aix-en-
Provence, 2009 ; GICQUEL J., Droit constitutionnel et institutions politiques,
Paris, Montchrestien, 2008 ; KRIESI H., Les Démocraties occidentales. Une
approche comparée, Paris, Economica, 1994 ; LINZ J., Régimes totalitaires et
autoritaires, Paris, A. Colin, 2006 ; LIJPHART A., Patterns of Democracy.
Government, Forms and Performances in Thirty-six Countries, New Haven,
Yale University Press, 1999 ; QUERMONNE J.-L., Les Régimes politiques
occidentaux, Paris, Seuil, 1994.
RÉGIMES AUTORITAIRES. Englobante à l’excès, cette catégorie recouvre
malaisément la plus grande partie de l’immense espace typologique qui
s’intercale entre la rubrique plus homogène des démocraties pluralistes et celle
– très arbitraire – des systèmes qualifiés de totalitaires. Elle a pu s’appliquer
de la sorte aussi bien au Second Empire français (le bonapartisme) qu’à
l’Empire allemand, plus tard aux gouvernements de l’Italie fasciste ou de la
Hongrie de l’amiral Horthy (mais non au système nazi identifié au
totalitarisme), plus récemment à une multitude de formes de gouvernement
hétéroclites allant de dictatures civiles de style franquiste ou salazarien aux
monarchies arabes en passant par les régimes militaires de l’Amérique latine,
du Proche-Orient ou de l’Asie du Sud-Est, les régimes de parti uniquement
fortement militarisés de l’Afrique subsaharienne ou, encore, les régimes
communistes assagis à la manière polonaise, hongroise ou yougoslave.
Compte tenu de la distinction qui s’opère entre la « politique électorale » et la
« politique des problèmes » (M. Camau et G. Massardier), ainsi que de la
fragmentation des lieux de pouvoir et du changement tant dans l’origine que
dans le mode de sélection de ceux qui prennent part aux décisions, la catégorie
des régimes autoritaires tend toutefois à tomber à présent en désuétude. La
frontière entre les régimes devient en effet tellement floue que l’on parle
même d’autoritarisme électoral sans spécifier vraiment s’il s’agit d’une
évolution positive de certains gouvernements ou d’une dénaturation de la
démocratie.

Juan J. Linz a défini plus rigoureusement cette rubrique de la typologie des


gouvernements au regard de la notion de « pluralisme limité ». Il a signifié,
par là, que si ces régimes demeurent sans conteste dictatoriaux, si également
la compétition pour le pouvoir y reste masquée et échappe à la volonté
formelle des gouvernés, ils s’accommodent en général du maintien d’une
certaine expression politique. Expression limitée cependant aux secteurs qui
coïncident de façon suffisante avec les orientations fondamentales des
dirigeants en place, ou qui sont cooptables par eux dans la perspective d’un
Élargissement contrôlable de leur assise dans la société assuré au prix de la
tolérance d’une opposition en quelque sorte consentie. Ce critère du
pluralisme limité ne recouvre cependant qu’une fraction du spectre de
l’autoritarisme : soit celui de régimes qui, à la manière des dictatures de
l’Europe méridionale, de l’Amérique latine ou des pays balkaniques pendant
l’entre-deux-guerres, s’étaient imposés à des sociétés déjà fortement
différenciées dans lesquelles il s’agissait seulement de s’opposer par la force à
l’influence des courants révolutionnaires ou simplement à celle de la gauche
(le cas symétrique de régimes à pluralisme limité de tonalité progressiste
excluant les secteurs de droite du champ de l’expression politique tolérée
existant aussi, par ex. avec le gouvernement militaire péruvien des
années 1968-1974). Par un biais différent, Hannah Arendt précise donc
opportunément leur champ quand elle oppose la répression sélective opérée
normalement par les gouvernants autoritaires à l’encontre de leurs seuls
adversaires actifs, déclarés ou supposés, à la terreur de masse indiscriminée
que les systèmes totalitaires font régner sur l’ensemble d’une population.
Un autre trait plus générique des régimes autoritaires s’impose à l’esprit. À
l’inverse des systèmes totalitaires mus par une vision téléologique de création
d’un homme nouveau destiné à se fonder dans un ensemble social refaçonné
de fond en comble et dans lequel n’existerait plus de frontière entre l’État et la
société, la logique autoritaire s’accommode de la société telle qu’elle est. Elle
n’a pas pour objectif de détruire un mode de domination, mais, au contraire,
de le préserver soit au regard d’une visée réactionnaire d’éradication des
menaces sociales et idéologiques qui la perturbent, soit dans une perspective
modernisatrice tendant seulement à lui assurer un équilibre plus stable parce
que rajeuni. De plus, les régimes autoritaires n’ambitionnent pas de fondre la
société dans l’État mais, à l’inverse, d’isoler davantage l’État face à la société
afin de le rendre imperméable à certaines demandes jugées destabilisatrices.
En ce sens, les idéologies utopiques qui légitiment l’exercice totalitaire du
pouvoir n’ont qu’une importance subalterne dans les situations autoritaires.
Sur ce plan, ces dernières se caractérisent par un État d’esprit plutôt que par
des doctrines métahistoriques, si ce n’est parfois à l’issue de guerres civiles et
au cours surtout de leur période fondatrice. De même, si le monopole d’un
parti unique se retrouve à la fois dans les systèmes totalitaires et dans certains
régimes autoritaires, ces derniers se révèlent tout aussi bien compatibles avec
un multipartisme contrôlé ou avec une absence complète de parti.
Cette observation illustre l’extrême variété des formes autoritaires.
S’inspirant de Max Weber, Shmuel N. Eisenstadt spécifie l’une d’entre elles
par référence à son concept de « néo-patrimonialisme ». Il désigne par là des
dictatures – spécialement proches-orientales ou africaines – dont les dirigeants
se comportent comme si l’État constituait leur patrimoine personnel, qu’il
s’agisse d’un leader unique à la manière du Maréchal Mobutu ou de Ferdinand
Marcos, ou d’une coterie gouvernante définie par exemple en vertu de liens
familiaux ou lignagers, ou encore d’une origine géographique ou d’une
appartenance religieuse communes (cas de la Syrie de Hafez-El-Assad). Mais
bien d’autres variantes de l’autoritarisme doivent être distinguées, sans que
d’ailleurs les diverses théories ou paradigmes énoncés à leur propos les
caractérisent toutes. Samuel Huntington a isolé ainsi la catégorie des
« régimes prétoriens », pour désigner ceux où un groupe spécialisé – les
militaires par exemple – tend à assumer le pouvoir en vertu des carences
d’une société et d’un État incapables de produire des élites proprement
politiques et d’organiser l’expression de leurs intérêts propres. De son côté,
Guillermo O’Donnell a appliqué son paradigme de l’État « bureaucratique-
autoritaire » à la dictature militaire brésilienne des années 1964-1984, en tant
que prototype de l’autoritarisme moderne et rationnel en Amérique latine.
Reste que ces catégorisations sont loin d’épuiser la diversité des pouvoirs
autoritaires. De très nombreux concepts ont été énoncés à ce propos sans
qu’on puisse les recenser tous. D’abord celui de populisme, qui identifie
plutôt une catégorie de mouvements politiques ou un style de discours, mais
qui s’applique aussi à des dictatures ou semi-dictatures conduites par des
leaders charismatiques à la manière du Brésilien Getulio Vargas, de
l’Argentin Juan Peron ou de l’Égyptien Gamel Abd-El-Nasser. Également la
notion de césarisme proposée notamment par Antonio Gramsci, celle de
régime plébiscitaire qui se rapproche de la logique populiste, sans parler
d’autres approches spécifiquement orientées vers l’analyse politique des
sociétés musulmanes, africaines ou asiatiques.
Qui se réfère au présent peut s’interroger sur la validité actuelle de la
catégorie de régime autoritaire. Celle-ci se rapporte en effet pour l’essentiel à
des gouvernements typiques surtout du deuxième tiers du XX siècle e

(l’Espagne de Franco…), dont on ne trouve plus guère d’exemples


aujourd’hui en tant que régimes spécifiques (la Tunisie de Ben Ali, l’Égypte
de Moubarak, l’Algérie, mais difficilement la Birmanie). Il s’agirait par
conséquent d’une catégorie d’extinction avant tout « historique », ouverte vers
1850 en France et close vers 1990 au Chili. Catégorie à laquelle tendent à se
substituer notamment des modes de gouvernement que Fareed Zakaria
qualifie de « démocraties illibérales », prenant soin de se parer d’élections
dont les résultats doivent convenir obligatoirement à des gouvernants en place
qui, en réalité, n’imaginent pas de pouvoir être déplacés par la voie des urnes
(ainsi dans les républiques ex-soviétiques d’Asie par exemple, en Biélorussie,
voire en Russie).
→ autoritaire, caudillisme, Démocratie Illibérale, dictature, militaires et
politique, Parti Unique, régimes politiques : Régimes Militaires, terreur
politique
CAMAU M., MASSARDIER G. (dir.), Démocraties et autoritarismes.
Fragmentation et hybridation des régimes, Paris, Éd. Karthala, 2009 ;
COLLIER D. et al., The New Authoritarianism in Latin America, Princeton,
Princeton University Press, 1979 ; HERMET G., « L’Autoritarisme », pp. 269-
312 in GRAWITZ M., LECA J. (dir.), Traité de science politique, Paris, PUF,
1985, vol. 2 ; LINZ J. J., Régimes totalitaires et autoritaires, Paris, A. Colin,
2006 [2000] ; ZAKARIA F., L’Avenir de la liberté. La démocratie illibérale aux
États-Unis et dans le monde, Paris, Odile Jacob, 2003.
RÉGIMES MILITAIRES. Cette catégorisation à présent moins fréquemment
utilisée tout comme celle de régime autoritaire s’applique à des modes de
gouvernement où les décisions majeures sont prises exclusivement ou de
façon prédominante par des membres des forces armées, associés parfois à des
officiers passés à la réserve. Elle désigne donc le plus couramment une variété
de régime autoritaire excluant totalement ou largement les dirigeants civils
soit de par la volonté des militaires, soit de par celle de civils (cas par exemple
de la dictature du général Rojas Pinilla en Colombie, de 1953 à 1957).
Toutefois, on hésite à appliquer le qualificatif autoritaire dans diverses
circonstances où il demeure pourtant pertinent ; ainsi, s’agissant des
gouvernements militaires d’occupation imposés à l’Allemagne ou au Japon
après la Seconde Guerre mondiale, ou encore du gouvernement qui a remplacé
celui de Marcelo Caetano après la Révolution des œillets au Portugal (1974).
De plus, à ces cas particuliers s’est ajouté le fait qu’un très grand nombre de
régimes militaires ont prétendu s’installer au pouvoir afin de guérir la
démocratie de ses maux engendrés par la corruption des partis civils et dans le
seul but de la rétablir sur des bases plus saines (cette intention s’est presque
toujours exprimée en Amérique latine, souvent aussi en Thaïlande ou en
Turquie). Ceci sans oublier l’autre fait que des gouvernements militaires – dits
alors progressistes – peuvent posséder réellement les meilleures intentions
démocratiques et les mettre en application dans la perspective d’une
démocratisation effective ou d’un remodelage plus égalitaire de leur pays
(comme dans l’exemple péruvien d’après 1968). Perçus avec ces nuances, les
régimes militaires s’opposent par conséquent au premier chef aux régimes
civils, où l’armée est une agence de l’État et non l’État lui-même.

Ce qui vient d’être développé illustre que la présence d’un chef d’État, d’un
président du gouvernement ou de ministres nombreux issus de l’armée ne
signifie pas forcément qu’un régime soit militaire. Les dictatures du général
Franco en Espagne, ou du général Tchang-Kaï-Tchek à Taiwan
n’appartenaient pas à cette catégorie mais à celle de l’autoritarisme civil, de la
même façon que l’accession du général de Gaulle à la magistrature suprême
n’a évidemment pas signifié que la France s’était transformée en République
militaire (l’État français du Maréchal Pétain étant également un régime
autoritaire civil, y compris lorsque l’amiral Darlan présidait son
gouvernement).
Par ailleurs, et s’agissant bien cette fois des régimes militaires, diverses
distinctions doivent spécifier leurs traits multiples. Une évolution importante
s’est d’abord produite en ce qui concerne leur origine et leur conception de
l’exercice du pouvoir. Longtemps, les dictatures militaires ont constitué en
règle générale le produit de l’ambition efficace d’un officier bénéficiant certes
de soutiens dans l’armée, mais agissant à titre personnel avec l’appui de
quelques collègues et de quelques régiments, au besoin contre le gré du haut-
commandement (cas paradigmatique des vieilles républiques « bananières »
de l’Amérique centrale). Mais cette ancienne règle générale tombe de plus en
plus en désuétude, si ce n’est dans certains pays africains ou, à l’état de
velléité infructueuse, en Argentine ou au Vénézuéla notamment. Ce qui la
remplace est la prise et l’exercice du pouvoir par l’armée en tant que corps
constitué, sous l’autorité hiérarchique de ses chefs réguliers et en vertu de
décisions prises collégialement par ceux-ci après consultation des
responsables des différentes armes et régions militaires. Tel est du moins
l’esprit du dispositif qui préside à la mise en œuvre du putsch, à la désignation
des présidents galonnés successifs par ordre d’ancienneté, aux choix des
politiques, étant entendu que certaines disputes peuvent se faire jour entre les
diverses branches des forces armées ; ainsi entre l’aviation généralement plus
démocratique et la marine plus réactionnaire. Le régime militaire brésilien des
années 1964-1984 a offert l’exemple par excellence de ces mécanismes,
comme aussi la dictature du général Pinochet au Chili (1973-1991).
La structure interne des régimes militaires s’est trouvée coiffée de la façon
la plus classique par une junte – la junta – collégiale de gouvernement formée
d’une dizaine de membres au maximum et réunissant des représentants des
diverses armes. Les membres de celle-ci sont dans le cas ordinaire ceux du
haut-commandement (Chili, Thaïlande), dans d’autres cas de plus ou moins
jeunes officiers révolutionnaires ou en révolte contre leurs supérieurs (cas un
temps fréquent au Proche-Orient) qui s’autodésignent. Toutefois, les régimes
militaires tendent toujours à s’institutionnaliser et les juntes originelles de
toutes espèces prennent alors d’autres appellations (SLORC en Birmanie,
DERG éthiopien sous Mengistu). La plupart le font même dès leur début ou
très rapidement, en prenant le plus souvent le visage formel de régimes
présidentiels dont le personnage central est coopté par ses pairs avant d’être
proposé ou non à l’acclamation du peuple (le Brésil et l’Indonésie en ont
fourni un temps des exemples).
Plus bas dans l’appareil de l’État, les régimes militaires se sont
accommodés de formules d’organisation tellement diverses qu’on a pu douter
quelquefois de leur nature martiale. Ainsi en Égypte, où il est devenu d’usage
que les ministres soient des civils. Par ailleurs, les militaires ont dans certains
pays colonisé presque intégralement les rouages de l’administration et même
des entreprises, comme en Birmanie, en Indonésie ou au Chili un moment,
tandis qu’ils se sont appuyés au contraire sur une bureaucratie civile
pratiquement intacte au Ghana ou au Nigéria, notamment. Restent alors les
situations véritablement intermédiaires où l’armée se présente comme le
soutien d’un chef d’État civil ou militaire désigné de manière discutable, sans
que les rouages de l’État se trouvent confisqués pour autant par ses membres
et sans qu’on puisse parler proprement en ce qui les concerne de régime
militaire. Le Zaïre du maréchal Mobutu se range dans cette catégorie,
l’Algérie dans une moindre mesure et dans un genre différent, ou encore le
Pakistan en dépit de ses élections très disputées et de son pluralisme partisan.
Ceci sans oublier les cas particulièrement inclassables de l’Irak de Saddam
Hussein et de la Syrie, où le pouvoir repose sur une sorte de symbiose du
corps des officiers et des partis Baas.
→ coup d’État, militaires et politique, régimes politiques : Régimes
autoritaires
FINER S. E., The Man on Horseback, Harmondsworth, Penguin, 1976 ;
ROUQUIÉ A. (dir.), La Politique de Mars, Paris, Le Sycomore, 1981 ;
HUNTINGTON S., The Soldier and the State, New York, Random House, 1964.
RÉGIME MIXTE. La théorie du régime mixte a eu notamment pour ambition de
stopper la succession historique des régimes en rompant le cycle de la
dégradation du politique. Polybe est généralement reconnu comme son
premier théoricien explicite. Attentif aux institutions romaines, il estime que
la qualité d’un régime tient à sa capacité d’équilibrer les trois formes de
pouvoir archétypiques : monarchie, aristocratie et démocratie (à Rome : la
monarchie représentée par les consuls, l’aristocratie par le Sénat, la
démocratie par les pouvoirs du peuple). Aristote avait toutefois préparé l’idée
de régime mixte, dans la perspective d’un régime d’équilibre servant de
remède à la corruption de la politique par le temps (la monarchie devient
tyrannie, l’aristocratie oligarchie, la démocratie démagogie). Ce remède
retient ce que chaque régime a de bon et se fonde sur la combinaison de ces
bons éléments. Avec Montesquieu, lecteur de Polybe, cette conception va
déboucher beaucoup plus tard sur la théorie de la séparation des pouvoirs puis
sur l’idée des poids et contrepoids.
BLANQUER J.-M., « L’ordre constitutionnel d’un régime mixte », Revue de
droit public (5/6), 1998 : 1526-1540 ; PETOT J., « La notion de régime mixte »,
Recueil d’études en hommage à Charles Eisenmann, Paris, Éd. Cujas, 1977.
RÉGIMES PARLEMENTAIRES. Ils constituent une catégorie particulière des
régimes représentatifs dans les démocraties pluralistes. Par opposition aux
régimes présidentiels d’une part, aux régimes d’assemblée d’autre part, ils se
définissent comme le gouvernement des affaires par un cabinet responsable
devant un Parlement lui-même susceptible d’être dissous. Avec ce système
minimum de dépendance réciproque entre l’exécutif et le législatif, se
trouvent en effet mises en place les bases d’une nécessaire collaboration entre
les pouvoirs publics.

Le régime parlementaire est né en Grande-Bretagne à l’issue d’un long


processus évolutif qui débute véritablement avec le renversement de
Jacques II en 1688. On assiste à une véritable involution de la prérogative
royale sous les monarques hanovriens pendant tout le XVIII siècle, qui aboutit
e

à la coutume selon laquelle le roi choisit comme Premier ministre le chef de la


majorité parlementaire et, à partir de 1834, renonce à exiger sa démission.
Parallèlement la procédure pénale de l’impeachment évolue en responsabilité
purement politique. Enfin diverses crises contribueront à affirmer la
suprématie de la chambre des Communes, élue au suffrage censitaire puis
universel, sur la chambre des Lords de composition aristocratique (Réformes
de 1911, 1948 et 2003).
Dans cette configuration classique du régime parlementaire, le
gouvernement se différencie nettement du monarque considéré dès lors
comme irresponsable ; en revanche, il lui faut pouvoir s’appuyer sur la
confiance d’une majorité parlementaire. C’est ce modèle qui s’impose au
XIX siècle, avec quelques variantes, en Belgique, puis aux Pays-Bas, dans les
e

pays scandinaves, les dominions canadien, australien, néo-zélandais, sous la


III République en France, enfin dans les nouvelles démocraties nées au
e

lendemain de la Première Guerre mondiale, notamment en Tchécoslovaquie.


La magistrature d’influence du chef de l’État y demeure parfois non
négligeable.
Le régime constitutionnel de l’Allemagne de Weimar, qui dote le chef de
l’État d’importantes compétences constitutionnelles et précise les relations
entre le législatif et l’exécutif, inaugure ou anticipe de nouveaux traits. La
multiplicité des partis et l’instabilité parlementaire qui en découlent posaient
en effet, comme dans nombre d’autres pays, le problème d’un exécutif fort, et
celui d’une rationalisation de l’activité parlementaire. Mais la conjoncture
était très défavorable au succès de ces réformes.
En revanche, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et dans les
décennies qui suivent, une évolution sensible du régime parlementaire est
discernable. Tout d’abord vont se multiplier les dispositions constitutionnelles
tendant à prévenir l’instabilité gouvernementale ou la démagogie du débat
législatif : limitation de la durée des sessions parlementaires, ordre du jour
gouvernemental prioritaire, conditions procédurales posées à la mise en œuvre
de la responsabilité politique, restriction au droit d’amendement des
parlementaires, renforcement de l’importance des commissions. Par ailleurs,
s’impose le thème de la rationalisation du travail parlementaire pour faire face
à l’inflation législative et à la technicité croissante des textes. Distinction entre
normes législatives et réglementaires, lois-cadres, délégations de pouvoirs au
gouvernement sont quelques-unes des techniques utilisées pour éviter la
paralysie parlementaire. Au risque de faire émerger le sentiment d’une
dépossession du rôle traditionnel des assemblées représentatives.
Ces profondes transformations du régime parlementaire contemporain, par
rapport au modèle classique hérité du XIX siècle, doivent moins sans doute à la
e

vertu propre des nouvelles dispositions constitutionnelles qu’aux


modifications de l’environnement social et politique qui leur ont conféré leur
efficacité. En effet, la consolidation des régimes parlementaires est largement
due à la montée d’un consensus social, lui-même favorisé par les
performances relatives du système socio-économique face à d’autres modèles
de développement qui ont spectaculairement échoué. Les antagonismes
conservateurs/socialistes ont perdu beaucoup de leur acuité, surtout dans les
pays où existait un fort parti communiste. Le débat parlementaire, d’ailleurs
fortement concurrencé par la scène médiatique, n’est plus l’arène
d’affrontements entre projets de société irréductibles mais le champ clos où
s’ajustent de simples intérêts souvent catégoriels.
→ démocratie, dissolution, gouvernement, parlement, responsabilité
politique
GICQUEL J., Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris,
Montchrestien, 2008 ; LAUVAUX PH., Le Parlementarisme, Paris, PUF, 1997 ;
LINZ J. J., « The virtues of parliamentarism », Journal of Democracy 1 (4),
Fall 1990 ; LIJPHART A., Patterns of Democracy. Government, Forms and
Performances in Thirty-six Countries, New Haven, Yale University Press,
1999 ; QUERMONNE J.-L., Les Régimes politiques occidentaux, Paris, Seuil,
1994.
RÉGIMES PRÉSIDENTIELS ET SEMI-PRÉSIDENTIELS. Inauguré en 1787 par la
Constitution des États-Unis, le régime présidentiel possède trois
caractéristiques principales : 1) L’indivision du pouvoir exécutif exercé et
incarné par un chef de l’État – le président – qui est aussi celui du
gouvernement, et sous l’autorité duquel les ministres n’ont pas d’autonomie
politique propre (les décisions n’appartiennent qu’au président) ; 2) L’élection
du président au suffrage universel direct, qui lui confère une légitimité
personnelle plus impressionnante que celle des assemblées ; 3)
L’indépendance réciproque du président et du parlement dans le cadre d’une
division rigide des pouvoirs, en vertu de laquelle les députés ne peuvent
renverser le gouvernement présidentiel par un vote de défiance cependant que
le président ne peut dissoudre le parlement. Cette condamnation à vivre
ensemble assure la stabilité des régimes présidentiels mais non leur autorité,
dans la mesure où la majorité parlementaire ne coïncide pas forcément –
rarement même aux États-Unis – avec celle qui a élu le président. De ce fait,
l’initiative présidentielle en matière budgétaire ou législative s’y trouve en
général plus limitée qu’elle ne l’est dans un régime parlementaire.

La formule présidentielle a été reprise par la plupart des pays latino-


américains (souvent fédéraux également), ainsi que par nombre de pays
africains ou du Proche-Orient. Dans leur cas cependant, elle peut correspondre
dans la réalité à un exercice autoritaire du pouvoir. En Europe de l’Ouest se
sont développés plus récemment les régimes semi-présidentiels, en particulier
celui de la V République en France mais, également, ceux de la République
e

de Weimar (1919-1932), de l’Autriche (depuis 1929), de la Finlande (depuis


1919), de l’Irlande (depuis 1937) et de l’Islande (depuis 1945) ou, encore, du
Portugal (depuis 1976). Ces régimes intermédiaires se caractérisent :
– par l’existence d’un président élu au suffrage universel et doté de
pouvoirs propres plus ou moins importants ;
– par le maintien d’un chef du gouvernement et d’un cabinet responsables
devant les députés.
Toutefois, l’Autriche, l’Irlande et l’Islande connaissent toujours des
régimes parlementaires de fait, soit en raison de la force des partis (Autriche),
soit de par la faiblesse des prérogatives du président (Irlande et Islande).
→ président de la République
DUVERGER M., Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, PUF,
1990, vol. 1 : Les Grands systèmes politiques, coll. Thémis) ; ROSE R.,
SULEIMAN E. N. (eds.), Presidents and Prime Ministers, Washington,
American Enterprise Institute, 1980 ; VALLET E., GRONDIN D. (dir.), Les
Élections présidentielles américaines, Sainte Foy, Presses de l’Université du
Québec, 2004.
RÉGIMES REPRÉSENTATIFS. Cette notion évoque l’existence d’institutions
politiques qui permettent l’expression des gouvernés par la médiation de
« représentants ». Elle revêt donc sa signification dans une double opposition.
Tout d’abord le régime représentatif se dissocie des modes de
gouvernement non fon dés sur l’expression explicite des attentes du peuple ou
de la nation, comme le sont par exemple les monarchies absolues, les
tyrannies au sens grec du terme, et toutes formes de pouvoir autocratique. De
nos jours le suffrage universel constitue le moyen le plus répandu et le plus
légitime de faire valoir les intérêts et les aspirations de la société tout entière
ou de ses segments. Cependant, à l’aube du XIX siècle, les monarchies
e

censitaires en Grande-Bretagne, en Belgique, et même dans la France de la


Restauration et de la Monarchie de Juillet, étaient considérées comme
d’authentiques régimes représentatifs : les électeurs y étaient réputés avoir
qualité pour exprimer la volonté de la nation tout entière. Telle était la
conception des libéraux, assurément non démocrates, comme Locke, Sieyès
ou Benjamin Constant.
Le régime représentatif s’affirme également par opposition au
gouvernement de démocratie directe. À vrai dire, sauf dans de très petits
ensemble politiques, celui-ci n’existe guère que comme idéal type. Les
régimes parlementaires et présidentiels sont les deux grandes modalités
classiques du gouvernement représentatif. Le plus pur est néanmoins celui qui
donne la parole aux électeurs exclusivement pour choisir ceux qui décideront
à leur place, pendant la durée du mandat qui leur est confié. Il bannit donc des
procédures comme le référendum ou le recall, c’est-à-dire la révocation des
élus par leurs électeurs insatisfaits.
→ démocratie, participation politique
ARON R., Démocratie et totalitarisme, Paris, Gallimard, 1965 ; GAXIE D.,
La démocratie représentative, Paris, Montchrestien, 2003 ; « La
Représentation », Droits Paris (6), 1987 ; MILL J.-S., Considérations sur le
gouvernement représentatif, Paris, Éd. Internationales, 1966 [1861] ; « Le
Régime représentatif », Pouvoirs (7), 1978 ; SARTORI G., Théorie de la
démocratie, Paris, A. Colin, 1973 [1962].
RÉGIMES SULTANIQUES. Concept introduit par Max Weber et repris par Juan
Linz par référence à des gouvernements patrimoniaux proprement tyranniques
n’obéissant à aucune règle, totalement arbitraires, personnels et imprévisibles
et en général criminels. La dictature de Rafael Leonidas Trujillo en
République dominicaine a fourni de 1930 à 1961 le modèle paradigmatique du
régime sultanique. Plus près de nous, les gouvernements de Saparmourat
Niazov au Turkménistan ou de Kim-il-Sung en Corée du Nord ont pu relever
de la même catégorie.
→ autoritaire, dictature, patrimonialisme/néo-patrimonialisme
LINZ J. J., Régimes totalitaires et autoritaires, Paris, A. Colin, 2006.
RÉGIMES (SYSTÈMES) TOTALITAIRES. La domination totalitaire moderne
correspond au concept de système politique plutôt qu’à celui de régime de
gouvernement. En effet, les pouvoirs totalitaires de style nazi ou communiste
ont prétendu embrasser et contrôler tous les aspects et tous les moments de
l’existence sociale du milieu qui leur était soumis, sans plus opérer de
distinction entre la vie privée et la vie publique. Au-delà, ils ont eu pour
objectif de dissoudre la société préexistante dans l’État tout-puissant même
s’ils proclamaient l’idée inverse ; ceci afin de remodeler un homme nouveau
qui n’aurait eu d’autres ambitions et d’autres désirs que ceux de cet État.
Assurément, ce projet de remodelage de la personne humaine dans la
perspective d’un bien commun unique et mené au nom d’une sorte de volonté
d’achèvement de l’histoire a des antécédents, chez Platon notamment. Mais
les systèmes totalitaires réalisés en Allemagne, en Union Soviétique, en Chine
ou dans divers pays communistes sont bien modernes ; non seulement de par
leur datation, mais également parce qu’ils traduisent une réaction contre
l’individualisme des Lumières et qu’ils ne sont devenus pos sibles que grâce à
l’invention des techniques « industrielles » de domination.

Les systèmes totalitaires ont obéi avec une intensité variable au primat
apparent de l’idéologie : raciste et élémentaire dans le cas allemand, marxiste
et référé à l’extinction des distinctions de classe par la collectivisation des
moyens de production dans le cas communiste. Mais ils ont présenté dans la
pratique d’autres caractéristiques : 1) L’existence d’un parti unique doublant
l’appareil de l’État et se substituant à lui en réalité ; 2) L’omniprésence d’une
police politique destinée autant à diffuser une terreur généralisée et garante de
la soumission de la population qu’à assurer véritablement la sécurité du
système ; 3) Le mépris de l’ordre juridique, adapté constamment à des
circonstances changeantes et d’ailleurs bafoué jusque dans ces circonstances ;
4) L’endoctrinement permanent de la population et particulièrement des
jeunes, par le biais d’une information unilatérale ainsi que dans le cadre
d’organisations multiples, croisées et pratiquement inesquivables sous peine
de mort physique ou sociale ; 5) La transformation des systèmes de valeurs
conçue à la lettre comme une préparation de la société future, mais
débouchant finalement sur une inversion perverse traduite par le double
langage et la duplicité. À tout cela s’est ajouté le fait que ce qui n’était pas
interdit n’était pas forcément permis, que moins une institution était visible,
plus elle était puissante, et que l’appropriation des moyens de production par
les pouvoirs communistes y a écrasé tout spécialement l’autonomie des
individus comme des structures propres de la société.
Il faut noter, cependant, que les systèmes communistes sur leur déclin ont
quitté la catégorie du totalitarisme pour se rapprocher de celle des régimes
autoritaires. Il convient d’observer, également, que l’Italie fasciste ou
l’Espagne de Franco sont toujours demeurées en deçà du paroxysme
totalitaire, tandis que l’adjectif totalitaire se trouve toujours utilisé sans cesse
hors de propos comme pour attester la confusion des idées de celui qui
l’emploie.
ARENDT H., Le Système totalitaire, Paris, Seuil, 1972 ; Les Origines du
totalitarisme, Paris, Seuil, 1995 ; ARON R., Démocratie et Totalitarisme, Paris,
Gallimard, 1965 ; FAYE J.-P., Langages totalitaires, Paris, Hermann, 1972 ;
FRIEDRICH C., BRZEZINSKI Z., Totalitarian Dictatorship and Autocracy, New
York, Harper, 1956 ; HERMET G. (dir.), Totalitarismes, Paris, Economica,
1984 ; KLEMPERER V., LTI. La langue du III Reich. Carnets d’un philologue,
ème

Paris, Albin Michel-Agora, 1996 [1966] ; LINZ J. J., Régimes totalitaires et


autoritaires, Paris, A. Colin, 2006 [2000] ; TALMON J. L., Les Origines de la
démocratie totalitaire, Paris, Calmann-Lévy, 1966.

RÉGULATION

Concept issu de la théorie des systèmes, désignant les processus de contrôle


par lesquels un ensemble ou un mécanisme social donné maintient un
minimum d’ordre et d’intégration. En tant que tel, il postule la capacité de
limiter l’effet destructeur des conflits.
Appliqué à la sociologie interne, il décrit les processus grâce auxquels un
système politique est capable de résoudre les tensions sociales ainsi que les
effets déstabilisateurs liés à la concurrence pour le pouvoir. Sur le plan
international, il décrit les processus permettant de résoudre les conflits
internationaux ainsi que toutes les tensions dérivées de l’inégalité des
ressources de puissance détenues par les États. Dans le contexte de la
mondialisation, il décrit, de façon plus ambitieuse, la capacité de faire
coexister les différents acteurs internationaux et transnationaux en maximisant
les intérêts de chacun.
→ interventionnisme de l’État, systémique (analyse)
Relations internationales
→ International (Scène internationale)

RELATIVISME CULTUREL

Le relativisme culturel désigne une des implications possibles d’un usage


systématique de l’analyse culturelle. Celle-ci prétend interpréter les relations
politiques par référence au sens qu’elles revêtent pour les acteurs qui y
participent : conçue de façon absolue, cette analyse peut conduire certains
auteurs à considérer que le politique n’a pas de sens en soi, ni donc de valeur
en soi, mais que l’un et l’autre dépendent de la culture des acteurs qui
participent à son élaboration. La démocratie serait ainsi valorisée – ou
valorisable – dans certaines cultures, et non dans d’autres, tandis que certaines
formes d’autoritarisme seraient acceptables dès lors qu’elles seraient
congruentes avec la culture ambiante.
Sans aboutir toujours à des conclusions aussi tranchées, le relativisme
culturel peut apparaître de façon insidieuse dans toute analyse dotant le
concept de culture d’une propriété explicative. Il marque ainsi la distinction
qui sépara l’analyse culturelle du culturalisme, la première se limitant à un
usage interprétatif du concept de culture, le second prétendant l’ériger en
facteur explicatif, voire causal, et introduisant ainsi un rapport de nécessité
entre culture et action, ramenant toute invention politique à une
prédétermination culturelle qui vient ainsi relativiser sa signification.
→ culture, culture politique

RELIGION CIVILE

Système de valeurs civiques et généralement économiques régissant une


société, reposant sur une série de dogmes auquel tout bon citoyen est tenu
d’adhérer sous peine d’apparaître comme un traître à son milieu ou, au moins,
comme un objet de réprobation inassimilable. Le « Credo américain »
représente probablement la plus connue des religions civiles, bien que les
révolutionnaires français se soient également employés avec moins de succès
à en développer une (dont les « valeurs républicaines » constituent en partie
un héritage). Les religions civiles empruntent communément des éléments aux
religions proprement dites, ainsi la croyance « obligatoire » en Dieu aux États-
Unis.
→ pragmatisme, protestantisme et politique
BELLAH R. N., « La religion civile en Amérique », Archives de sociologie
des religions (35), 1972 [1967] ; Varieties of Civil Religion, San Francisco,
Harper & Row, 1980.

RELIGION ET POLITIQUE

La pertinence du facteur religieux dans les sciences sociales apparaît


centrale dans beaucoup de théories fondatrices. Durkheim, dans les Formes
élémentaires de la vie religieuse [1912], tout comme Max Weber, dans
l’Éthique protestante [1904] en particulier, ont mis en évidence la part
occupée par le sacré dans la construction du social. Partant de l’hypothèse que
« presque toutes les grandes institutions sociales sont nées de la religion », le
premier nous invite à retrouver dans la religion « l’expression raccourcie de la
vie collective toute entière », et donc les grands principes qui fondent chacune
des sociétés ; le second s’efforce, de son côté, de dégager les affinités liant les
grandes constructions éthiques et religieuses à chaque modèle historiquement
connu de relation sociale.
Ces hypothèses ont été prolongées par deux types de travaux : ceux qui
cherchent à expliquer la configuration de chaque système politique particulier
par référence à la religion ambiante comme culture dominante ; ceux qui se
proposent d’expliquer les comportements sociaux par référence aux attitudes
religieuses des individus. Dans le premier cas, la relation entre religion et
politique se trouve conçue sur un mode macro-sociologique, la première
agissant sur le second à travers les institutions et les modes de légitimation
appris par les acteurs sociaux ; les sociétés multiconfessionnelles deviennent
alors un cas particulier tendant presque inévitablement vers le « pluralisme
culturel » et la dualité. Dans le second cas, la relation est construite
individuellement par les acteurs sociaux et devient fonction du mode de
socialisation de chacun d’entre eux, engageant à des comportements politiques
différenciés, repérés notamment par la sociologie électorale qui a mis en
évidence la part explicative de la pratique religieuse dans la détermination du
vote.
Plus récemment, la science politique s’est efforcée de mettre l’accent sur
l’usage emblématique – et donc volontariste – du religieux dans la
mobilisation politique, mais aussi dans la construction identitaire : au lieu
d’agir comme facteur, le religieux serait ainsi davantage le moyen d’exprimer
publiquement un état ou un désir et de marquer une distinction par rapport à
l’autre.
→ catholicisme et politique, islam et politique, laïcité, protestantisme et
politique
BAUER J., Politique et religion, Paris, PUF, 1999 ; DURKHEIM É., Les
Formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, PUF, 2003 [1912] ;
EISENSTADT S., « Cultural Traditions and Political Dynamics : the origins and
modes of ideological Politics », British Journal of Sociology, 32, 2, juin 1981,
pp. 155-181 ; HERMET G. « L’individu-citoyen dans le christianisme
occidental », in BIRNBAUM P., LECA J. (dir.), Sur l’individualisme, Paris,
Presses de la FNSP, 1986 ; NORRIS P., INGLEHART R., Sacred and Secular.
Religion and Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 2004 ;
WEBER M., L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, Plon, 1964
[1904].
RÉPERTOIRE D’ACTION
Dans les mobilisations sociales ou politiques, les acteurs, théoriquement du
moins, ont à leur disposition une panoplie déterminée de moyens de pression
et d’influence. Toutefois, a noté Charles Tilly, ces ressources sont
inégalement utilisées, ou utilisables, à raison des stratégies des acteurs ou des
contraintes de situation.
→ action collective, mobilisation politique
TILLY CH., « Les origines du répertoire de l’action collective contemporaine
en France et en Grande-Bretagne », XX siècle (4), octobre 1984.
e

REPRÉSENTATION (THÉORIE DE LA)

La représentation est le concept fondateur des régimes démocratiques


modernes. Rompant avec la théorie classique de la démocratie, ceux-ci ne
supposent pas le gouvernement du peuple par le peuple, mais le gouvernement
du peuple par les représentants du peuple. Dénoncée par Jean-Jacques
Rousseau comme aliénante et donc inique, la représentation apparaît pourtant,
notamment chez Sieyès, comme créatrice de la volonté générale. À ce titre, la
représentation devient indivisible, le corps des représentants devenant
constitutif de la nation, leur assemblée devenant assemblée nationale. Toute
expression individuelle d’opinion est, dès lors, illégitime face à l’expression
nationale dérivant du corps des représentants.
Toute cette construction intellectuelle qui sert de base théorique au
gouvernement représentatif renvoie à une histoire et à une culture. Absente
dans la tradition classique, l’idée de représentation apparaît de façon partielle
dans la société féodale (en France au XIII siècle), mais trouve son
e

accomplissement dans l’invention anglaise du régime parlementaire


représentatif, puis dans l’œuvre d’élaboration constitutionnelle qui
accompagne la Révolution française. On doit, en outre, noter que la théorie
politique de la représentation se développe parallèlement à la théorie de la
représentation propre au droit privé dans un contexte culturel qui doit
beaucoup à la théologie chrétienne. C’est dire la difficulté d’universaliser ces
constructions et de les intégrer dans d’autres histoires et d’autres cultures.
→ démocratie, élection, parlement, régimes politiques : Régimes
représentatifs, représentation politique, souveraineté
D’ARCY F. (dir.), La Représentation, Paris, Economica, 1985 ; MANIN B.,
Principes du gouvernement représentatif, Paris, Calmann-Lévy, 1995 ;
PITKIN H. F., The Concept of Representation, Berkeley, University of
California Press, 1972.

REPRÉSENTATION POLITIQUE

Selon les contextes l’expression peut désigner deux réalités différentes.


Tout d’abord le processus par lequel des gouvernants se considéreront comme
légitimés à parler au nom d’un ensemble plus large et autorisés à décider en
son nom. À l’époque moderne cette légitimité résulte le plus souvent de
l’élection, le « peuple souverain » étant une sorte d’être originel dont la
vocation est de désigner ceux qu’il habilite à le représenter. Mais on a pu
concevoir d’autres mécanismes tels que la tradition dynastique dans les
monarchies d’Ancien Régime, ou la notion d’avant-garde du prolétariat dans
les conceptions léninistes.
La même expression peut aussi servir à désigner le résultat du processus,
c’est-à-dire l’ensemble des représentants, envisagés collectivement. Ainsi en
va-t-il dans l’expression : la représentation nationale.
→ régimes politiques, système politique
HOBBES TH., Léviathan (1651), Sirey, 1971 ; MANIN B., Principes du
gouvernement représentatif, Paris, Flammarion, 1996 ; ROSANVALLON P., Le
Peuple introuvable, Paris, Gallimard, 2002 ; ROUSSEAU J.-J., Du Contrat
Social (1762), Gallimard, 1964.
REPRÉSENTATION FONCTIONNELLE. Mode de représentation visant à refléter des
réalités collectives ou organiques d’une communauté politique, telles que la
famille, les entreprises et les acteurs économiques, les travailleurs salariés par
le biais des syndicats, les travailleurs indépendants et autres catégories
professionnelles, les universités, académies et la classe intellectuelle, les
Églises… La représentation fonctionnelle est typique des régimes
corporatistes de type autoritaire (l’Espagne franquiste par exemple) ou,
encore, des régimes autoritaires se réclamant d’une « démocratie organique ».
Toutefois, la République autrichienne a adopté quelques éléments de ce type.
→ corporatisme, néo-corporatisme
CAWSON A., « Functional representation and democratic politics : towards a
corporatist democracy », in DUNCAN G. (ed.), Democratic Theory and
Practice, Cambridge, Cambridge University Press, 1983.

REPRÉSENTATIONS

Le réel ne peut nous être intelligible qu’à travers des schèmes de


perceptions et d’interprétations. Les processus de socialisation permettent,
tout au long de l’existence, d’intérioriser des savoirs, des croyances et des
références grâce auxquels nos expériences parcellaires de la réalité (politique)
acquièrent une cohérence et une signification. Par exemple, l’acte individuel
de déposer un bulletin de papier imprimé dans une boîte disposée à cet effet,
un jour déterminé de l’année, ne revêt un sens politique qu’en vertu de cette
représentation, commune aux électeurs, de participer à une consultation
générale qui, elle-même, s’insère dans le jeu d’institutions démocratiques.
Une dimension essentielle de ces mécanismes de construction des
représentations est la mise en place de typifications, c’est-à-dire de catégories
de classement. Ainsi serait-il impossible de penser la vie politique sans le
recours à des oppositions conceptuelles telles que public/privé, national/local,
etc. ; sans des expressions mobilisatrices de jugements de valeurs : oppression
vs émancipation, dictature vs démocratie.
On peut difficilement comprendre les luttes idéologiques et politiques en
dehors de cette activité de concurrence entre camps rivaux pour tenter
d’imposer dans la société des représentations de la réalité présente (ou des
interprétations du passé) qui soient justificatrices de leurs pratiques, leurs
analyses ou leurs projets, et qui soient au contraire inacceptables pour leurs
adversaires.
→ culture politique, symbolique politique
BERGER P., LUCKMAN T., La Construction sociale de la réalité, Paris,
Méridiens Klincksieck, 1986 ; BOUGNOUX D., La Crise de la représentation,
Paris, La Découverte, 2006 ; 1967 ; JODELET D. (dir.), Les Représentations
sociales, Paris, PUF, 1989 ; SAURUGGER S., Les Modes de représentation dans
l’Union européenne, Paris, L’Harmattan, 2003.

RÉPUBLIQUE

Dans la pensée révolutionnaire de 1789 comme dans la tradition instaurée


par les pères fondateurs de la III République, à travers la pensée de Rousseau,
e

la référence à l’Antiquité, aux républiques anciennes, de Sparte, d’Athènes ou


de Rome joue toujours un rôle essentiel. La volonté de reconstruire, par
l’usage d’une dictature, un civisme fondé sur la vertu de tous les citoyens d’où
procéderait naturellement la régénération de l’homme, constitue le fil
directeur à toutes les actions des révolutionnaires ou, encore, des républicains.
Dans ce sens, la construction d’une res publica suppose l’extension d’un
espace public formé de citoyens vertueux se vouant exclusivement au seul
bien public, méprisant du même coup la recherche individualiste de leur
bonheur privé de même que la défense de cultures particularistes. La
République s’identifie, dans cette perspective propre au cas français, aussi
bien à l’État qu’à la nation. À la suite des Lumières, dont les penseurs les plus
importants, tels Montesquieu ou encore Rousseau, Diderot ou Helvétius
n’étaient pourtant pas explicitement en faveur de la République, et même
étaient parfois favorables à la monarchie, un rationalisme tout messianique
conduit au rêve républicain universaliste ; à travers les luttes politiques du
XIX siècle, l’échec de la Révolution de 1848, les rêves romantiques d’une
e

société enfin réconciliée et devenue ainsi homogène, on parvient à la mise en


place systématique, peu avant le tournant du siècle, d’institutions
républicaines s’appuyant sur une laïcité militante séparant fortement l’espace
public de l’espace privé que l’on veut tournée vers le progrès, l’usage de la
science et de l’éducation comme autant de moyens de donner le jour à un
homme nouveau, que l’on souhaite enfin libéré des dépendances d’autrefois.
Cette ambition républicaine s’est sans cesse heurtée à tous les partisans du
maintien d’un code culturel spécifique ou encore à ceux qui entendent
privilégier la représentation des groupes sociaux concrets ou des réalités
territoriales, les uns et les autres considérant l’idéal républicain comme trop
artificiel. Dans ce sens, République et Église, République et réaction, ou
encore République et socialisme ou République et décentralisation
apparaissent comme autant de couples conflictuels et permanents dans
l’histoire de la France contemporaine. L’Affaire Dreyfus a constitué le point
culminant de cet affrontement qui voit finalement le triomphe définitif de la
République qui impose son régime, lequel ne sera plus menacé que durant
Vichy, l’ensemble des mouvements politiques acceptant dorénavant sa
légitimité. Ainsi, dans la France d’aujourd’hui, le mouvement royaliste a
disparu et même le Front national ne remet pas en question la République. De
nos jours, certains tentent d’opposer la République à la démocratie en estimant
que les tenants de la démocratie se rattachent au courant libéral anglo-saxon,
d’autres estiment que la République instaure un ordre fondamentalement
libéral.
→ citoyenneté, démocratie, jacobinisme
BIRNBAUM P., La France imaginée, Paris, Gallimard (Tel), 2003 ;
BOURETZ P., La République et l’universel, Paris, Gallimard, 2002 ; DELSOL C.,
La République : une question française, Paris, PUF, 2002 ; DUCLERT V.,
PROCHASSON CH. (dirs.), Dictionnaire critique de la République, Paris,
Flammarion, 2007 ; FURET F., OZOUF M. (dir.), Le Siècle de l’avènement
républicain, Paris, Gallimard, 1993 ; NICOLET C., L’Idée républicaine en
France, Paris, Gallimard, 1982 ; ROSANVALLON P., Le Modèle politique
français : la société civile contre le jacobinisme de 1789 à nos jours, Paris,
Seuil, 2004 ; SPITZ J.-F., Le Moment républicain en France, Gallimard, Paris,
2005.
RÉSEAU

Concept élaboré par la psychologie sociale américaine puis la sociologie


(notamment la sociologie de la famille, la sociologie du travail ou la
sociologie urbaine) pour désigner la configuration des liens sociaux informels
dans lesquels se trouve inséré un individu-acteur et qui, à ce titre, structure et
contraint son action sociale. Le concept de réseau se retrouve en sociologie
politique pour décrire et expliquer les processus de socialisation, ou de
mobilisation politique. On le retrouve également en sociologie des relations
internationales pour désigner tous les liens entre acteurs (individuels ou
collectifs) qui transcendent les frontières et qui, à ce titre, entrent en
concurrence avec les États dans la structuration de la scène internationale
(réseaux migratoires, réseaux marchands, réseaux religieux, réseaux
associatifs, etc.). Dans chacun de ces cas, le réseau trouve sa force dans sa
nature informelle, la faiblesse de son institutionalisation son peu de visibilité
et la discrétion des liens qui le constituent.
→ migration, mobilisation politique, socialisation politique,
transnationales (relations)
ABÉLÈS M., « Les réseaux et le pouvoir », Sciences humaines (5), mai-
juin 1994 ; ABBOTT A., The System of Professions. An Essay on the Division of
Expert Labor, Chicago, Chicago University Press, 1988 ; CASTELLS M., The
Rise of the Network Society, Cambridge ; B. Blackwell, 1996 ; COLONOMOS A.
(dir.), Sociologie des réseaux transnationaux, Paris, L’Harmattan, 1995 ;
FRIEDBERG E., Le Pouvoir et la règle, Paris, Seuil, 1993 ; LE GALÈS P.,
THATCHER M., Les Réseaux de politique publique, Paris, L’Harmattan, 1995.

RÉSOLUTION DES CONFLITS

En même temps modèle d’analyse et technique d’intervention supposant un


art de résoudre les conflits internes ou internationaux, la résolution des
conflits est envisagée dans trois directions possibles. En premier lieu, en
référence aux paradigmes rationalistes qui, grâce notamment à la théorie des
jeux, définissent rationnellement l’optimum des chances de conciliation entre
les parties. Les adeptes de la théorie réaliste en relations internationales font
souvent usage de ce modèle qui s’inspire aussi de la théorie du bargaining. En
second lieu par recours à la médiation (voir ce mot) et aux méthodes de la
« peace-making », associant les apports de la sociologie et de la psychologie.
En troisième lieu, dans la perspective du « problem solving » qu’on doit
notamment à John Burton, consistant à analyser l’enjeu du conflit et à
proposer des solutions à partir du traitement de celui-ci : cette conception
accorde alors une place importante à la diplomatie préventive comme à la
diplomatie sociale, associant les acteurs non étatiques à la négociation.
AZAR E. E., BURTON J., (ed.), International Conflict Resolution, Boulder,
Lynne Rienner, 1986 ; MALL H., The Peacemakers : Peaceful Settlement of
Disputes Since 1945, New York, St Martin’s Press, 1992

RESPONSABILITÉ (ÉTHIQUE DE LA)

→ conviction (éthique de la)

RESPONSABILITÉ POLITIQUE

Au sens étroit du terme elle désigne, en régime parlementaire, cette


obligation faite au gouvernement de démissionner s’il a perdu la confiance de
l’Assemblée nationale voire, dans certaines constitutions, de l’une ou l’autre
des chambres qui composent le Parlement. En Angleterre, le phénomène s’est
observé dès 1782, avec la démission collective du cabinet North suite à une
motion de censure. Généralement aujourd’hui, la mise en œuvre de la
responsabilité politique est soumise à des règles de procédure afin de
l’entourer d’une certaine solennité. Il s’agit en effet d’éviter que le
gouvernement ne soit renversé par surprise ou sur une question d’importance
mineure. L’initiative appartient au premier ministre, chef de l’exécutif (dépôt
d’une question de confiance, engagement de responsabilité sur un texte) ou
aux membres du Parlement (motion de censure).
Au sens large du terme, dans une démocratie pluraliste les élus doivent être
considérés comme responsables devant leurs électeurs puisque ces derniers
ont la faculté soit de reconduire le mandat des sortants s’ils en sont satisfaits,
soit, au contraire, de leur préférer un opposant s’ils en sont mécontents. Cette
responsabilité, entendue largement, gouverne étroitement les comportements
et les réflexes des élus. En France, l’affaire dite du « sang contaminé » a
dramatiquement illustré cette question.
→ démocratie, gouvernement, imputabilté, parlement, régimes
politiques
BEAUD O., BLANQUER J.-M. (dir.), La Responsabilité des gouvernants, Paris,
Descartes, 1999 ; BIDEGARRAY CH., ÉMERI C., La Responsabilité politique,
Paris, Dalloz, 1998 ; MAGNETTE P., Contrôler l’Europe. Pouvoirs et
responsabilité dans l’Union européenne, Bruxelles, Éd. de l’ULB, 2003 ;
MATTHIEU B., VERPEAUX M. (dir.), Responsabilité et démocratie, Paris, Dalloz,
2008 ; SÉGUR P., La Responsabilité politique, Paris, PUF, 1998.

RESSOURCES POLITIQUES

Dans une approche interactionniste des phénomènes de pouvoir, ce sont les


moyens mobilisables par un acteur en vue d’augmenter ses chances
d’atteindre un objectif. Proche du concept de « capital politique » ou de
« capital social », cette notion paraît mieux adaptée à une lecture en termes
relationnels de la vie politique.
Une première catégorie renvoie à l’exercice de la contrainte ou de la force.
Celle-ci peut être mobilisée au service de la légalité comme garantie
d’effectivité de la règle de droit. La compétence juridique des gouvernants
pour légiférer c’est-à-dire imposer des injonctions deviendrait en effet vide de
sens s’il n’existait cette plausibilité du recours à une force efficace contre les
récalcitrants. La contrainte ou la force peuvent aussi être utilisées contre les
détenteurs de la légalité. On parle alors plus volontiers de violence, qu’elle
soit exercée sous des formes modérées ou radicales (de la manifestation à
l’émeute ou à la lutte armée). L’aptitude à troubler l’ordre public est une arme
contre l’autorité et la crédibilité des dirigeants.
Une seconde catégorie de ressources politiques se situe sur le terrain socio-
économique. La détention de moyens financiers est nécessaire à la vie de toute
formation politique : organisation interne, opérations de communication,
campagnes électorales, etc. Autre ressource politique de ce type : la capacité
distributive, en d’autres termes la maîtrise d’emplois ou de prébendes, qui
facilite la constitution de réseaux et de clientèles. Enfin les responsabilités en
matière économique et financière qui impliquent des savoir-faire spécialisés
confèrent à des institutions, des groupes d’intérêt ou des experts une
importante capacité de négociation avec les pouvoirs publics lorsque, de ces
connaissances, dépend la réussite ou l’échec de leur politique.
Une troisième catégorie apparaît liée aux mécanismes de la communication
sociale. Certaines de ces ressources sont liées au contrôle des vecteurs
d’information : direction administrative d’un journal ou d’une chaîne de
télévision. D’autres sont liées à l’activité intellectuelle de communication,
comme journaliste, écrivain, commentateur politique… À cet égard, la
capacité d’influence est fortement affectée par la notoriété acquise de l’auteur,
sa légitimité sociale ou politique, sa popularité.
Transposée dans le domaine des relations internationales, cette typologie
recoupe la distinction de Nye entre hard power (les ressources liées au recours
à la force ou à la menace de la force) et le soft power (tous les autres leviers
d’influence).
Inégalement disponibles selon la position occupée dans le champ social,
inégalement efficaces selon la situation affrontée, ces ressources sont plus ou
moins cumulatives, certaines facilitant l’accès aux autres. Ainsi l’existence de
ressources financières facilite-t-elle la prise de contrôle de certains médias qui
pourront être utilisés pour construire une notoriété. Performante dans certaines
conjonctures, l’arme de la grève peut être inefficace lorsqu’elle ne perturbe
pas réellement la vie routinière ou, au contraire se retourner contre ses auteurs
lorsqu’elle se révèle exagérément désorganisatrice. De toute manière,
l’inégalité dans la distribution des ressources politiques et leur plus ou moins
grande dispersion dans le champ social constituent des indicateurs très
significatifs du fonctionnement d’un système politique.
→ domination (types de), pouvoir
BLIN TH., « Ressources, stratégies et régulation d’un espace d’action
collective », L’Année sociologique, 2005 (55) 1, pp. 170-196 ; BRAUD PH.,
« Du pouvoir en général au pouvoir politique », in GRAWITZ M., LECA J.,
Traité de science politique, Paris, PUF, 1985, vol. 1, p. 335 sq. ; CHAZEL F.,
« Pouvoir », in BOUDON R. (dir.), Sociologie, PUF, 1992 ; CROZIER M.,
FRIEDBERG E., L’Acteur et le système, Paris, Seuil, 1981 ; LAPEYRONNIE D.,
« Mouvements sociaux et action politique. Existe-t-il une théorie de la
mobilisation des ressources ? », Revue française de sociologie, 1988, vol. 29,
p. 563 sq. ; NYE J., Soft Power. The Means to Success in World Politics, New
York, Public Affairs, 2006 ; TILLY CH., « Les origines du répertoire d’action
collective en France et en Grande-Bretagne », Revue XX siècle (9) 1984, p. 99
e

sq.
RÉTRODICTION

Explication causale donnée d’un événement après l’achèvement de celui-ci,


sur la base d’une interprétation inductive fondée sur une connaissance
lacunaire et relevant de la probabilité.
VEYNE P., Comment on écrit l’histoire, Paris, Seuil, 1971, pp. 194-195.
Révolution
La révolution désigne toute rupture radicale intervenant dans le mode
d’organisation d’une société. On distingue généralement les révolutions
sociales et les révolutions politiques (cf. T. Skocpol), les premières, de plus
grande ampleur, affectant de manière fondamentale l’organisation politique
ainsi que la structure sociale (Révolution française de 1789, Révolution russe
de 1917 ou Révolution chinoise de 1949), alors que les secondes, à l’instar de
la Révolution anglaise de 1642, ne concernent que l’ordre politique. Le
principal problème posé est celui du critère permettant d’établir qu’une
rupture est suffisamment radicale pour qu’on puisse faire état d’une
révolution, et non d’un simple changement de régime. Si les révolutions
sociales entrent assez clairement dans cette première catégorie, les révolutions
politiques s’y apparentent de façon moins évidente. Les critères connexes de
violence, de mobilisation des masses ou de brutalité du processus (en
opposition alors à l’idée de réforme) soulèvent les mêmes difficultés et
engendrent les mêmes imprécisions. De même est-il délicat de distinguer entre
guerre d’indépendance et révolution (on parle couramment de la « révolution
américaine » ou de la « révolution algérienne », pour valoriser les
changements radicaux qu’elles ont entraînés, mais par rapport, cette fois, à un
pouvoir étranger), entre révolution et coup d’État (la « révolution des officiers
libres » en Égypte a été source de rupture radicale, mais dans un contexte de
très faible mobilisation populaire).
La connotation souvent positive – en tout cas légitimante – donnée au mot
révolution rend compte probablement de sa forte extension. Ainsi beaucoup
de régimes autoritaires sont réputés producteurs de révolution, soit par les
historiens (le régime bismarckien est souvent analysé comme auteur d’une
« révolution par en haut »), soit par leur propre discours (le régime de Vichy
se réclamait d’une « révolution nationale », le Shâh d’Iran a promu, au début
des années 1960, une « révolution blanche » qui s’apparentait au processus de
la modernisation conservatrice).
L’extension de ce concept contribue inévitablement à appauvrir sa vertu
tant descriptive qu’explicative. Il est difficile, en effet, de rassembler
l’ensemble de ces cas dans une catégorie unique qui permettrait de fonder une
théorie. Aussi la révolution est-elle de plus en plus envisagée dans une
perspective socio-historique qui permet de l’appréhender et de la définir au
regard du processus de développement propre à la société étudiée. À noter que
le langage courant, ou celui issu d’autres sciences sociales, contribue à ces
errances conceptuelles en désignant par révolution tout changement sensible
quel qu’il soit : ainsi parle-t-on de « révolution agricole » ou de « révolution
industrielle » pour caractériser les bouleversements intervenus dans les
processus de production, mais aussi de « révolution technologique », pour
désigner l’accélération des changements intervenus dans la connaissance
scientifique et les applications qui en dérivent.
→ mobilisation politique, terrorisme, violence politique
ARENDT H., Essai sur la révolution, Paris, Gallimard, 1967 [1963] ;
FURET F., Le Passé d’une illusion. Essai sur l’idée communiste au XX siècle, e

Paris, Fayard, 1995 ; MOORE B. Jr, Les Origines sociales de la dictature et de


la démocratie, Paris, Maspero, 1969 [1966] ; SKOCPOL T., États et révolutions
sociales, Paris, Fayard, 1985 ; TILLY C., From Mobilization to Revolution,
Reading, Addison-Wesley, 1978 ; TOCQUEVILLE A., L’Ancien Régime et la
Révolution, Paris, Garnier-Flammarion, 1988 [1856] : Paris, Gallimard-Folio,
1967.

RITES POLITIQUES

→ liturgie politique
Rôle (notion de)
Dans toutes les collectivités, on constate une différenciation des fonctions
entre les acteurs liées à la division du travail social. À chaque fonction se
trouvent liés des rôles spécifiques qui permettent leur mise en œuvre et
correspondent à des attentes de la part des autres acteurs. On distingue de
manière classique les rôles innés des rôles acquis, les premiers étant naturels,
liés au sexe, à la famille, etc., les seconds étant au contraire acquis par les
acteurs au cours de leur propre vie sociale, professionnelle, politique, etc.
Considérés comme la dimension dynamique du statut d’un acteur spécifique,
les rôles sont tous soigneusement contrôlés et les individus qui les exercent se
trouvent dans l’obligation de s’effacer quelque peu, de limiter autant qu’ils le
peuvent l’expression de leurs propres valeurs ou intérêts, ceux-ci devant
inférer le moins possible avec le déroulement de rôles considérés comme
simplement fonctionnels, revêtant dès lors une dimension quelque peu
impersonnelle. Les normes sociales régissent l’exercice des rôles et leur
distribution. Dans le groupe social tout entier ou dans le cadre de la famille,
du groupe de jeu, d’une organisation partisane ou syndicale, les rôles de
chaque acteur se trouvent donc distribués, le père tout comme le chef d’un
groupe politique étant supposé occuper une fonction dirigeante vis-à-vis des
autres membres de sa famille ou de son organisation politique. La division des
rôles conduit ainsi, par exemple, à l’acceptation de la différence entre
dirigeants et dirigés.
Satisfaire à un rôle revient souvent à accepter une dimension théâtrale dans
la mesure où chaque acteur joue son ou ses rôles. Talcott Parsons ou Erving
Goffman ont l’un et l’autre souligné cette dimension théâtrale des rôles
sociaux par laquelle un acteur en vient à incarner un personnage ; Goffman
surtout, l’auteur de La Mise en scène de la vie quotidienne, s’est longuement
penché sur les multiples manières dont un acteur s’efforce de prendre une
distance à l’égard de son propre rôle, de se moquer presque de ce
comportement par trop organisé afin de légitimer davantage sa propre
personnalité, l’acteur ne voulant pas la ramener simplement à un ensemble de
rôles préalablement définis. De plus, chaque acteur exerce presque toujours,
dans des sociétés complexes, un nombre important de rôles distincts qui
doivent, dans la mesure du possible, être congruents entre eux, permettant
ainsi la préservation de la cohérence de la personnalité.
→ comportement politique
MERTON R. K., Éléments de théorie et de méthode sociologiques, Paris,
Plon, 1965 [1957] ; PARSONS T., BALES R. et al., Family, Socialization and
Interaction Process, Glencoe, The Free Press, 1954.
S

SACRALISATION

Légitimation d’une autorité au regard de son caractère sacré ou lié au


dessein de Dieu. L’idée s’exprime aussi en tant que métaphore, pour désigner
des formes spécialement poussées de culte de la personnalité. La
sécularisation constitue en quelque sorte le contraire de la sacralisation ou le
processus de sortie de celle-ci.
→ monarchie, théocratie, sécularisation
KANTOROWICZ E., Les Deux Corps du Roi, Paris, Gallimard, 1987.

SCRUTIN (MODES DE)

→ Électoraux (Systèmes)

SECTE

Notion assez imprécise, employée dans des sens différents et qui reçoit,
dans le langage courant, une connotation péjorative, mettant l’accent sur son
caractère fermé, élitiste et intolérant (d’où sectaire et sectarisme). En
sociologie religieuse, le concept de secte a cependant une signification
beaucoup plus neutre. Max Weber l’oppose à celui d’Église, pour insister sur
son caractère contractuel, volontaire et décentralisé, tandis que E. Troeltsch
distingue Église, réseau mystique et secte : le second est précaire et assez
informel, tandis que la secte est structurée sur le plan local et se caractérise,
contrairement à l’Église, par un fort engagement de ses membres, ainsi que
par sa capacité de produire une contre-culture. L’essor contemporain de
« nouveaux mouvements religieux », notamment, mais pas uniquement, dans
les sociétés en développement, a conduit à un élargissement assez peu
rigoureux du concept de secte qui semble désormais désigner toute
construction religieuse déviante par rapport aux institutions religieuses
traditionnelles. De la même manière, et de façon métaphorique, la secte
désigne volontiers, au sein de la cité, tout groupement d’individus réunis
autour de convictions profondément intériorisées et refusant toute forme de
compromis et toute pratique tolérante à l’égard de l’autre.
→ messianisme, religion et politique
SÉGUY J., Christianisme et société, Paris, Le Cerf, 1980 ; WEBER M.,
L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, Plon, 1964.

SÉCULARISATION

Provenant du lexique du Droit canon ecclésiastique, ce concept déjà intégré


dans le Code de Justinien (533 environ) désigne au sens propre le monde
profane (séculier) par opposition au monde religieux. Dans les sciences
sociales modernes, il se réfère au processus par lequel une société cesse
progressivement de faire appel à la notion de sacré et à la volonté ou à la
révélation divines dans la gestion des questions temporelles et notamment
politiques. La sécularisation des attitudes individuelles aussi bien que des
comportements et enjeux collectifs entraîne un refoulement du religieux dans
la sphère purement mentale, ou son confinement à des groupes et à des
moments particuliers. Reste que la sécularisation n’est jamais complète d’un
double point de vue. D’une part, en croyant élaborer de nouvelles valeurs
séculières – laïques – de justice, les sociétés occidentales n’ont fait en général
que reprendre des préceptes évangéliques en se masquant leur origine. D’autre
part, il va de soi que les autorités religieuses ne peuvent éviter de s’exprimer
sur certains problèmes d’éthique personnelle ou collective, et qu’elles
conservent de la sorte un rôle politique. Carl Schmitt utilise le mot de
sécularisation dans ce sens. Ajoutons que le terme a été d’abord l’objet d’une
interprétation « dure » postulant une sorte d’évaporation irréversible du
religieux, avant que ne se dessine à partir surtout des années 1970-1980 une
version « douce » augurant à l’inverse son retour.
→ laîcité, religion et politique
MARTIN D., A General Theory of Secularization, Oxford, Basil Blackwell,
1978 ; NORRIS P., INGLEHART R., Sacred and Secular. Religion and Politics,
Cambridge, Cambridge University Press, 2004 ; SCHMITT C., Théologie
politique, Paris, Gallimard, 1988 [1922] ; VANER S., HERADSTVEIT D.,
KAZANCIGIL A. (dirs.), Sécularisation det democratization dans les societies
musulmanes, Bruxelles, Bern, Peter Lang, 2008.

SÉCURITÉ

La sécurité s’impose, dans les sciences sociales, comme un sentiment, une


perception et une volonté, c’est-à-dire dans sa dimension subjective. Comme
volonté de réduire une menace, c’est-à-dire une intention hostile venant d’un
acteur extérieur, elle est le prolongement de toute construction de l’altérité,
c’est-à-dire du jeu social à l’état de nature. À cause de cela, elle est retenue
dans la tradition classique, et notamment par Hobbes, comme base du contrat
social, l’individu abandonnant une part de sa liberté pour la remettre au
souverain qui lui assure ainsi sa sécurité. Assimilée de la sorte à l’invention de
la cité, la construction subjective de la sécurité conduit donc à la réduction de
l’état de nature et à la production d’institutions. L’idée se retrouve en relations
internationales, les États étant, cette fois, ces acteurs qui rivalisent sur une
scène mondiale faiblement institutionnalisée et donc structurée par les
menaces dérivant des jeux de puissance.
Au sein des systèmes politiques, comme sur la scène internationale, la
dimension fataliste de la sécurité se traduit par la production de politiques de
sécurité, voire d’idéologies « sécuritaires », privilégiant la recherche d’un tel
but. Sur le plan international, on distinguera entre la sécurité nationale,
produite par chaque État pour se protéger des menaces pesant sur ses
ressortissants, ses biens collectifs et ses choix politiques, la sécurité
internationale, équilibre résultant d’un accord entre États, et la sécurité
collective transcendant les États pour leur imposer un système de sécurité
valable pour l’ensemble de la communauté internationale.
→ communauté de sécurité, dissuasion, maintien et imposition de la
paix, souveraineté
HOBBES T., Leviathan, Paris, Dalloz, 1999 [1651] ; BUZAN, WAEVER O., de
WILDE J., Security. A New Framework for Analysis, Boulder, Lynne Rienner,
1998 ; DAVID C. P., ROCHE J. J., Théories de la sécurité, Paris, Montchrestien,
2002 ; SNYDER C., (ed.), Contemporary Security and Strategy, Basingstoke,
Macmillann, 1999 ; WOLFERS A., Discord and collaboration, Baltimore, 1962.
Sécurité humaine
Concept apparu en contrepoint de celui de sécurité nationale. Il repose sur
l’idée que les frontières protégées, les moyens militaires ou l’influence
culturelle ne garantissent pas forcément la sécurité, qui dépend aussi des
conditions assurées aux personnes et aux familles dans leur zone de résidence
ou de travail, dans leur environnement et dans l’exercice de leur vie
quotidienne. Dans cette perspective, la satisfaction des attentes de sécurité
humaine relève à la fois de l’État, des organisations non étatiques et du
système international. Ces attentes couvrent aussi bien le domaine de
l’écologie que ceux de l’économie, des processus sociaux, de la politique ou
de la culture. En plus, et dans un sens assez distinct ou contradictoire avec ce
qui précède, la notion de sécurité humaine recouvre également pour certains
de ses utilisateurs la prévention et la résolution des conflits.
NEF J., « Primordial, personal, sacred and civilities », Human Security and
Mutual Vulnerability, Ottawa, Centre de recherches pour le développement
International, 1999.

SEGMENTAIRES (SOCIÉTÉS)

Sociétés dans lesquelles les relations politiques s’expriment en termes de


parenté, et qui se trouvent donc structurées essentiellement en fonction des
liens lignagers. Ces sociétés sont, dès lors, puissamment décentralisées et se
caractérisent par une très faible différenciation de leurs structures et de leurs
fonctions sociales, les fonctions politiques ne mobilisant pas de ressources
propres mais utilisant les ressources matérielles et symboliques offertes par le
lignage. De la même manière, le territoire n’a, dans ces sociétés, qu’un rôle
secondaire, ne participant qu’accessoirement à la définition de l’espace
politique. Les sociétés segmentaires constituent un objet d’étude privilégié
pour l’anthropologie politique, en particulier des sociétés africaines
traditionnelles. On étudie aussi l’interaction qui se produit entre les systèmes
politiques en développement et les structures segmentaires qui se pérennisent
au sein des sociétés qu’ils prétendent contrôler.
→ anthropologie politique, développement politique, modernité,
société, tribalisme, tradition
BALANDIER G., Anthropologie politique, Paris, PUF, 1967.

SENS COMMUN
Généralement opposé au savoir méthodiquement acquis, il est devenu, dans
les sciences sociales et plus particulièrement en sociologie et en
anthropologie, une importante catégorie d’analyse. Plus souvent évoqué que
réellement étudié, il se révèle d’un fonctionnement complexe si on l’envisage
dans une perspective anthropologique.
Clifford Geertz observe qu’il ne peut être défini par son contenu, trop
variable selon les cultures, mais comme un « cadre à penser » présentant le
savoir pertinent à travers les propriétés suivantes : naturel, pratique, littéral
(c’est-à-dire simple), sans complication méthodologique et accessible à tout
individu normalement raisonnable. Mais la comparaison anthropologique
permet d’observer que « le sens commun n’est pas ce que l’esprit débarrassé
des conventions perçoit spontanément ; il est ce que l’esprit plein de
présupposés conclut ».
→ culture
CRAPEZ M., Défense du bon sens ou la controverse du sens commun, Paris,
Éd. du Rocher, 2003 ; GEERTZ C., « Le sens commun en tant que système
culturel », pp. 105-107 in Savoir local, savoir global, Paris, PUF, 1986.
Séparation des pouvoirs (Doctrine de la)
La séparation des pouvoirs est une technique d’organisation
constitutionnelle liée au libéralisme. On en trouve plusieurs interprétations.
Selon une première interprétation, le principe de séparation des pouvoirs
qu’on impute à tort à Montesquieu comporte deux règles : celle de la
spécialisation et celle de l’indépendance. La spécialisation signifie que les
trois fonctions juridiques de l’État, législative, exécutive et juridictionnelle,
sont attribuées à trois organes distincts, chacun devant exercer une seule
fonction et ne devant participer en rien à l’exercice des deux autres ; d’après la
règle de l’indépendance, les organes doivent être dépourvus de tout moyen
d’action réciproque (absence de dissolution, de responsabilité, etc.). La
combinaison de ces deux règles est censée produire un équilibre entre les
organes respectifs des trois fonctions.
Cette théorie a été critiquée par Carré de Malberg qui a montré que la
spécialisation ne produirait pas un équilibre entre les organes mais une
hiérarchisation, car les fonctions ne sont pas égales mais sont bien
hiérarchisées. Selon une deuxième interprétation, pour Montesquieu comme
pour tous les auteurs du XVIII siècle, y compris J.-J. Rousseau, le principe de
e

séparation des pouvoirs signifie seulement qu’un même homme ou un même


collège ne doit pas cumuler l’exercice de tous les pouvoirs. Il faut que ceux-ci
soient répartis entre plusieurs autorités et peu importe de quelle manière. Dans
une démocratie, les autorités seront spécialisées : l’organe législatif dominera.
Au contraire, on peut obtenir une balance des pouvoirs si la fonction
législative elle-même est partagée entre plusieurs organes. C’est le système de
la Constitution anglaise du XVIII siècle qui a été transposé aux États-Unis.
e

→ checks and balances, démocratie, exécutif/législatif (pouvoirs),


libéralisme
BAUME S., FONTANA B. (dirs.), Les Usages de la séparation des pouvoirs,
Paris, Houdiard, 2008 ; CARRÉ DE MALBERG R., Contribution à la théorie
générale de l’État, Paris, CNRS, 1960 ; JEANCLAUDE C., Le Principe de la
séparation des pouvoirs en Russie : théorie et pratiques de 1990 à 2005
(Thèse de science politique), Paris, 2006 ; JONES CH., The presidency in a
separated system, Washington, Brookings Institution Press, 2005 ; TROPER M.,
La Séparation des pouvoirs et l’histoire constitutionnelle française, Paris,
LGDJ, 1973.

SEXE

→ genre

SHADOW CABINET

Institution britannique dans laquelle le parti d’opposition s’organise en


contre-gouvernement, confiant à son leader la charge de présider celui-ci et
répartissant entre ses principaux responsables les grands portefeuilles
gouvernementaux. Ce contre-gouvernement a pour fonction de réagir aux
décisions gouvernementales et de leur opposer des contre-propositions. Il
accomplit ainsi une fonction symbolique qui a pour double effet de
« responsabiliser » l’opposition et de lui reconnaître un rôle institutionnel.
→ cabinet, opposition

SIONISME

Le mouvement sioniste prend naissance dans la seconde moitié du


XIXe siècle. En Russie où les juifs vivent dans des conditions misérables et sont
sans cesse l’objet de persécutions antisémites, l’idée d’une renaissance d’une
nation juive sur un territoire donné s’est faite lentement jour. Pour s’imposer,
elle a dû affronter d’autres perspectives théoriques opposées : depuis le
XVIII siècle, de nombreux juifs espé raient en effet toujours que l’émancipation
e

issue des Lumières, qui a rendu possible leur assimilation aussi bien en
Grande-Bretagne qu’en France finirait par s’imposer aussi dans l’est de
l’Europe. D’autres plaçaient, au contraire, leurs espoirs dans le mouvement
ouvrier internationaliste comme libérateur de l’humanité tout entière, incluant
définitivement les juifs dans le monde moderne ; d’autres tentaient de
construire un mouvement ouvrier spécifiquement juif dans la diaspora ;
d’autres enfin souhaitaient, au contraire, le retour à des structures proches du
ghetto d’antan qui seraient seules capables de faire revivre la solide tradition
orthodoxe religieuse menacée par les diverses émancipations.
Au sein du mouvement sioniste lui-même se sont longtemps affrontées
deux tendances principales. La première, animée par Ahad ha-Am, a
privilégié surtout la renaissance culturelle comme condition de la construction
d’une nouvelle communauté politique tandis que la seconde, incarnée par
Théodore Herzl, s’est montrée résolue à construire d’emblée, dans l’urgence
et par tous les moyens, un État juif souverain. Le sionisme politique devait
l’emporter en s’imposant finalement, en 1948, par la création de l’État
d’Israël. Sa légitimité s’est d’ailleurs renforcée dès avant ce moment aussi
bien par l’affaire Dreyfus, marquant les limites de l’émancipation des
Lumières, que par les terribles pogromes de l’Est de la fin du siècle dernier
ou, encore et surtout, à l’époque contemporaine, par le génocide nazi.
→ antisémitisme, nation : Nationalisme
DIECKOFF A., L’Invention d’une nation, Paris, Gallimard, 1993 ;
DIECKOFF A. (dir.), L’État d’Israël, Paris. Fayard, 2008 ; HAZONY Y., L’État
juif : sionisme, postsionisme et destins d’Israël, Paris. Éd. de l’Éclat, 2007 ;
HERZL TH., L’État des Juifs, Paris, La Découverte, 1989 ; PENSLAR D., Israel in
History : the Jewish state in comparative perspective, London, Routledge,
2007 ; VITAL D., The Origins of Zionism (1975) ; Zionism : the Formative
Years (1982) ; Zionism : the Crucial Phase (1987), trois livres parus chez
Clarendon, Oxford ; STERNHELL Z., Aux origines d’Israël, Paris, Fayard, 1995.

SOCIALISATION POLITIQUE
La socialisation désigne le processus d’insertion des individus au sein d’une
société donnée, et donc l’intériorisation des normes et des valeurs propres à
cette société. La socialisation politique distingue la dimension politique de
cette intégration et décrit ainsi l’apprentissage, par l’individu, de son rôle
politique. Dans une perspective systémique, longtemps dominante dans ce
secteur d’étude, notamment aux États-Unis, la socialisation se rapportait
essentiellement au processus d’intégration de l’individu au sein d’un système
social global correspondant, le plus souvent, au système politique national (cf.
en particulier, D. Easton). Des travaux plus récents mettent, en revanche,
l’accent sur le rôle actif de l’individu dans l’accomplissement de ce processus
de socialisation. Annick Percheron relève, en particulier, l’appartenance,
simultanée ou successive, de l’individu à plusieurs collectivités –
subnationales ou transnationales – qui sont porteuses, chacune, d’une
socialisation qui leur est propre et qui est concurrentielle des autres. Loin de
présider à une socialisation uniforme, les sociétés nationales sont en réalité un
lieu où entrent en compétition – voire en conflit – plusieurs systèmes de
normes et de valeurs entre lesquels l’individu tranche et opère ses choix. En
outre, l’individu ne peut pas être tenu pour un sujet exposé à un apprentissage
passif, mais en réalité porteur d’une personnalité et d’une série d’expériences
qui le conduisent à procéder de manière interactive avec les agents porteurs de
socialisation (famille, école, lieu de travail, réseaux associatifs…). C’est
l’étude de cette interaction qui devient, de plus en plus, l’objet des analyses de
socialisation politique. La socialisation anticipatrice décrit les processus par
lesquels un individu adopte par avance les normes et les valeurs d’une
collectivité à laquelle il cherche à appartenir.
→ comportement politique, valeur
EASTON D., DENNIS J., Children in the Political System, New York,
McGraw Hill, 1969 ; PERCHERON A., L’Univers politique des enfants, Paris,
Presses de la FNSP, 1974 ; La Socialisation politique, Paris, A. Colin, 1993.

SOCIALISME

Terme qui désigne à la fois un ensemble de courants doctrinaux et les


mouvements politiques très divers qui ont visé à mettre ces doctrines en
pratique. Historiquement, jusqu’à la fin du XIX siècle, la dimension doctrinale
e

du socialisme l’a emporté sur sa dynamique d’organisation, tandis que


l’inverse s’est produit depuis la Première Guerre mondiale.
Idéologiquement, le socialisme se fonde sur un système de valeurs difficile
à préciser, mais dont le principe central est que les relations collectives et la
justice sociale doivent l’emporter sur les actions et les intérêts individuels. En
ce sens, il traduit une réaction contre la logique libérale apparue au
XVIII siècle, en même temps qu’il constitue le produit du contexte économique
e

et politique engendré par la révolution industrielle. Toutefois, certains


courants socialistes ont prétendu et prétendent de plus en plus concilier la
liberté des individus avec la justice sociale, défendant même à présent le
« droit à la différence ». Dans une perspective plus précise, le socialisme
considère les biens et les services comme des produits sociaux, au prix d’un
désaccord entre ceux de ses tenants qui postulent que le travail effectif doit se
voir récompensé par priorité, et ceux qui privilégient au contraire les besoins
sociaux. Parallèlement, il met à l’évidence l’accent sur l’égalité plutôt que sur
la liberté, ainsi que sur les valeurs de coopération et de fraternité entre les
hommes.
La social-démocratie dérive du socialisme, mais tente justement de
concilier les libertés « formelles » de la démocratie représentative avec celles,
« réelles » qu’elle associe à son projet égalitaire. Cessant en outre de
considérer avec Marx que la démocratie « bourgeoise » ne peut constituer
qu’un point de passage vers le socialisme, la vision social-démocrate l’inscrit
à l’inverse, depuis Ferdinand Lassalle, dans le dispositif durable qui doit
permettre l’éclosion du régime social équitable par le truchement légal des
élections au suffrage universel. De façon plus générale, le socialisme s’est
fractionné à la fois historiquement et synchroniquement. Au fil du temps, il a
successivement donné naissance à la I Internationale (1864-1876) déchirée
re

entre les libertaires et les marxistes, à la II Internationale (fondée en 1889)


e

dont procède la social-démocratie, à la III Internationale communiste (1919-


e

1943), enfin à la IV Internationale trotskyste. À présent, il recouvre un spectre


e

politique qui s’étend des partis travaillistes aux diverses variétés de


« gauchisme », en passant par les formations sociales-démocrates, socialistes,
postcommunistes et communistes.
→ anarchisme, anarcho-syndicalisme, communisme, liberté/égalité,
marxisme, partis politiques : Partis communistes ; Partis socialistes et
sociaux-démocrates ; Partis travaillistes
AUDIER S., Le Socialisme libéral, Paris, La Découverte, 2006 ;
GRUNBERG G., BERGOUGNOUX A., GRUNBERG G., L’utopie à l’épreuve. Le
Socialisme européen au XX siècle, Paris, De Fallois, 1996 ; DROZ J., Histoire
e

générale du socialisme, Paris, PUF, 4 vol., 1972-1978 ; ELSTER J., Karl Marx,
Paris, Fayard, 1983 ; KITSCHELT H., The Transformation of European Social
Democracy, New York, Cambridge University Press, 1994 ; LAZAR M., La
Gauche en Europe depuis 1945. Invariants et mutations du socialisme
européen, Paris, PUF, 1996 ; LIPSET S. M., MARKS G., It Didn’t Happen Here :
Why Socialism Failed in the United States, New York, Norton, 2000.
Société
Influencées par la tradition philosophique occidentale, les sciences sociales
ont souvent repris à leur compte la coupure, voire l’opposition :
individu/société. Il en résulte des questionnements à la fois banals et
essentiels. La société est-elle simple agrégation de comportements individuels
ou constitue-t-elle une entité distincte soumise à des lois spécifiques ? La
société est-elle le produit des individus qui la composent ou, au contraire, est-
elle le système de déterminismes et de contraintes qui les façonnent ? Les
réponses contrastées données à ces questions dessinent les frontières de
problématiques scientifiques différentes. Ainsi l’individualisme
méthodologique (cf. Olson, Boudon) ou l’interactionnisme stratégique (cf.
Crozier) privilégient-ils l’étude des relations micro-sociologiques pour en
inférer les phénomènes macro-sociaux ; de même accordent-ils une place
importante au choix des acteurs. Au contraire, les approches dites holistes (en
France, Bourdieu mais aussi Touraine ou Balandier) insistent davantage sur
les déterminismes sociaux qui gouvernent les agents (un terme
significativement préféré à celui d’acteur).
Dans ses travaux, Norbert Elias récuse cette dichotomie individu/société. Il
insiste au contraire sur l’interpénétration constante des comportements
individuels et des phénomènes collectifs, sur les « configurations complexes »
d’interactions en situation socialement organisée. « La société n’est pas
simplement un objet face aux individus isolés ; elle est ce que chaque individu
désigne lorsqu’il dit nous. »
→ centre-périphérie, culture politique, organicisme, segmentaires
(sociétés)
BOUDON R., La Logique du social, Paris, Hachette, 1983 ; DURKHEIM É., Les
Règles de la méthode sociologique (1895), Paris, PUF, 1987 ; ELIAS N., La
Société des individus, Paris, Fayard, 1991 ; Qu’est-ce que la sociologie ?,
Paris, Éd. de l’Aube, 1991 ; GIDDENS A., La Constitution de la société, Paris,
PUF, 1987.

SOCIÉTÉ CIVILE

Notion réintroduite par Hegel (bügerliche Gesellschaft) et Marx à la suite


des économistes anglo-écossais du XVIII siècle. Elle permet de penser, dans
e

une démarche philosophique qui privilégie désormais les droits fondamentaux


de la personne humaine, ce qui dépasse les individus et ce qui, socialement,
s’oppose à l’État. Elle s’articule donc dans un double système d’antinomies :
la totalité par opposition aux parties qui la composent (classes sociales,
catégories socio-professionnelles ou démographiques), les finalités
économiques et sociales (lato sensu) par opposition aux finalités politiques.
Dans un certain discours contemporain, la société civile aurait ses
représentants qui se distinguent des professionnels de la politique, voire
entrent en concurrence avec eux. Avant le XVIII siècle, cette notion appartenait
e

déjà au lexique de la philosophie politique classique (societas civilis, koinônia


politikê), mais elle désignait initialement la forme de société qui s’installe
lorsque les personnes vivent dans le cadre de liens civils aussi bien que
politiques. Cette conception contractualiste s’est maintenue avec Hobbes
(société civile contrastant avec l’état de nature), Locke (political society) et
Kant (société civile synonyme de l’État)
→ individualisme, société
ALEXANDER J. (ed.), Real Civil Societies, Londres, Sage, 1998 ; GAUTIER C.,
L’Invention de la société civile, Paris, PUF, 1993 ; PIROTTE G., La Notion de
société civile, Paris, La Découverte, 2007 ; PLANCHE J., Société civile : un
acteur historique de la gouvernance, Paris, Mayer, 2007.

SOCIÉTÉ DE RISQUE

Concept mis en circulation par le sociologue allemand Ulrich Beck en


1986, avec son livre La société de risque. Il signifie par là que, de la même
façon qu’à la société agraire a succédé la société industrielle, à cette dernière
est en passe d’être remplacée par une société post-moderne menacée avant
toute chose par des risques écologiques et technologiques qui sont en passe de
modifier fondamentalement le sens de l’action politique. Cette notion s’inscrit
dans le même domaine que celles de développement durable ou de principe de
précaution.
→ développement durable, politiques publiques, principe de
précaution, société
BECK U., La Société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Paris,
Aubier, coll. « Alto », 2001 [1986] ; PERETTI-WATTEL P., Sociologie du risque,
Paris, A. Colin, 2000 ; SMOUTS M.-C. (dir.), Le Développement durable. Les
termes du débat, Paris, A. Colin, coll. « Compact Civis », 2005.

SOCIO-HISTOIRE

Courant de recherche aux contours imprécis, par rapport notamment à la


sociologie historique ou à l’histoire sociale. Ses adeptes empruntent leurs
méthodes aux historiens, s’agissant en particulier de l’exploitation des
archives, tout en les inscrivant dans des questionnements d’inspiration
sociologique appliqués à des objets politiques observés dans le passé (le
XIX siècle spécialement).
e

→ méthodologie
NOIRIEL G., Introduction à la socio-histoire, Paris, La Découverte, 2006
(Repères).

SOCIOLOGIE ÉLECTORALE

→ électorale (sociologie)

SOCIOLOGIE HISTORIQUE

L’ambition de la sociologie historique consiste à vouloir abolir la rupture


entre le présent et le passé, à expliquer les faits sociaux en les plongeant dans
le long terme de l’histoire. Quand la sociologie « rencontre » l’histoire, selon
l’expression de Charles Tilly, elle ne peut plus s’en tenir aux règles strictes de
la méthode empirico-déductive et doit souvent renoncer à des explications
causales au profit de la mise en évidence de corrélations pour « comprendre »
les comportements d’acteurs situés socialement et culturellement
(appartenance de classe, positions socio-économiques, allégeances à des
systèmes idéologiques). Lorsque la sociologie se veut historique, elle
rencontre aussi la question de l’évolutionnisme qui a tant marqué nombre des
grands modèles interprétatifs. Cette approche tendait à analyser les systèmes
sociaux et politiques comme des étapes successives d’un développement
linéaire, en s’affranchissant souvent de la prise en compte de situations
historiques singulières. La sociologie historique doit, au contraire, placer au
centre de sa recherche l’analyse comparative des cheminements différenciés
dans lesquels s’engagent les acteurs sociaux. Il lui faut en effet rester attentive
à la diversité, et se garder des montées en généralités prématurées. C’est dire
que le temps propre à chaque système social demeure dissemblable. Les
sociologues qui s’engagent dans de tels travaux savent qu’ils ne maîtrisent pas
leur matériel d’une manière complète, que des données d’ordre macro-social
leur échappent souvent, que l’agencement entre les variables ne se prête pas
toujours à des démarches explicatives pleinement assurées. Un double péril
les guette ; celui de maîtriser insuffisamment les méthodes de l’historien et de
disposer d’une familiarité insuffisante avec les périodes étudiées, d’autant que
les spécialistes de sociologie historique affectionnent le temps long (parfois
plusieurs siècles). Il n’empêche qu’une telle perspective se révèle
profondément féconde et peut considérablement dynamiser l’analyse
historique traditionnelle en y introduisant les problématiques des sciences
sociales. Trouvant sa lointaine inspiration chez un Alexis de Tocqueville,
prolongeant les recherches d’un Max Weber, cette sociologie historique
ambitieuse a maintenant ses maîtres, de Barrington Moore à Reinhard Bendix
ou Edward Shils, de Samuel Eisenstadt à Ernest Gellner ou Charles Tilly
→ institutionnalisme historique, méthodologie, néo-institutionnalisme
ERTMAN TH., Birth of Leviathan. Building States and Regimes in Medieval
and Early Modern Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 1997 ;
HERMET G., Sociologie de la construction démocratique, Paris, Economica,
1986 ; DÉLOYE Y., Sociologie historique du politique, Paris, La Découverte,
2003 ; SKOCPOL TH., (ed.), Vision and Method in Historical Sociology,
Cambridge, Cambridge University Press, 1984 ; TILLY CH., As Sociology
meets History, Academic Press, 1981 ; WEBER M., Œuvres politiques (1895-
1919), Paris, Albin-Michel, 2004.

SOFT POWER
Concept forgé par Joseph Nye en 1990 et passé comme tel dans la langue
française. Il était destiné d’abord à répondre aux thèses sur le déclin
américain, en affirmant que la puissance des États-Unis reposait non
seulement sur des ressources militaires et économiques, mais aussi sur un
ensemble d’instruments matériels et symboliques qui permettent d’obtenir
spontanément et sans contrainte l’adhésion des autres, en façonnant leurs
préférences et leurs attentes. On distingue alors le rôle de la culture, des
valeurs, de la communication, de l’image qu’on donne de soi, mais aussi de
toute forme de médiation permettant de peser sur le processus de mise sur
agenda international. On tiendra alors le soft power pour une capacité
attractive, sans que Joseph Nye ne soit parvenu à définir ni mesurer ce que
cette attraction implique quant au mode de structuration du système
international.
NYE J., Bound to lead, New York, Basic Books, 1990 ; Soft Power, New
York, 1999.

SONDAGES D’OPINION

Technique d’investigation reposant sur le principe d’une enquête par


interviews standardisées, auprès d’un échantillon restreint, dans des conditions
telles que les résultats en soient extrapolables à l’ensemble de la population
représentée.
Diverses règles et précautions doivent être respectées, les unes au niveau de
la construction de l’échantillon, les autres au niveau de la rédaction puis de
l’administration du questionnaire. Il convient en effet que les informations
soient recueillies de façon strictement homogène auprès de tous les enquêtés.
Il faut aussi que ces derniers soient choisis, au sein de la population globale,
selon des méthodes qui assurent une représentativité de l’échantillon. Pour
atteindre ce but on combine en général un choix purement probabiliste (tirage
au sort par exemple) avec le respect de certains quotas (répartition par sexe,
tranches d’âge, catégories socio-professionnelles…) afin de s’assurer une
structure de population qui soit homologue, dans l’échantillon restreint et dans
la population d’ensemble.
Le sondage recueille des informations dans des conditions techniques qui
réduisent la portée de ce que l’on peut appeler une opinion : questions à
réponses fermées, effets d’imposition des questions, agrégations d’opinions
d’intensité et de fermeté très variables. Au contraire, l’enquête de terrain, à
caractère ethnologique ou sociologique, traite normalement des informations
beaucoup plus riches sur des opinions évaluées en situation, c’est-à-dire non
décontextualisées et non improvisées en présence de l’enquêteur.
Cependant le sondage d’opinion reste en science politique une source très
précieuse d’investigation. S’il produit des informations relativement pauvres,
ce sont en revanche des informations extrapolables à une population globale,
celle que représente l’échantillon. On peut en effet évaluer mathématiquement
la probabilité de distorsion entre les deux populations. Par ailleurs, si les
informations recueillies sont affectées par de nombreux biais qui résultent de
la technique même de l’interview standardisée, au moins le sondage peut-il
assez correctement saisir les évolutions dans le temps de réponses données
aux mêmes questions (technique du panel). Cette efficacité des sondages
d’opinion explique pourquoi les responsables politiques, même s’ils ne
l’avouent pas toujours, gardent les yeux fixés sur les courbes de popularité et
tous les instruments de mesure de l’accueil réservé à leurs projets ou à leurs
actes.
→ méthodologie, opinion publique, panel (technique du)
BLONDIAUX L., La Fabrique de l’opinion. Une histoire sociale des
sondages, Paris, Seuil, 1998 ; GARRIGOU A., L’Ivresse des sondages, Paris, La
Découverte, 2006 ; JAFFRÉ J., « Incertitude et avenir de la démocratie des
sondages », Le Débat (52), 1988 ; LEHINGUE P., Subunda. Coups de sonde
dans l’océan des sondages, Bellecombe, Éd. Du Croquant, 2007 ;
MEYNAUD H., DUCLOS D., Les Sondages d’opinion, Paris, La Découverte,
2007.

SOUVERAINETÉ

Mythe politique et construction juridique tout à la fois, cette notion permit


historiquement aux juristes médiévaux de légitimer les prétentions du roi (de
France ou d’Angleterre) à rejeter la supériorité revendiquée par le Pape ou
l’Empereur. La souveraineté est donc conçue, depuis lors, comme une sorte de
compétence en dernière instance, qui ne souffre aucune sorte de limite
s’imposant au-dessus d’elle. Ainsi définie, elle ne correspond nullement à une
description réaliste des rapports de pouvoir mais a pour fonction de justifier
des représentations politiques.
En effet, la souveraineté est une notion affirmée avec vigueur dans deux
catégories de contexte. Sur la scène internationale, elle fonde le principe de
l’égalité juridique entre les États, et constitue pour les plus faibles un moyen
de légitimer leur résistance aux interventions des plus forts dans leurs affaires.
Mais la revendication de souveraineté, par exemple dans la libre élaboration
d’une politique économique ou monétaire, n’entraîne des conséquences
tangibles que dans la mesure où elle s’articule avec des moyens appropriés de
défense ou d’influence, suffisamment puissants pour annuler les pressions
extérieures. Or la globalisation contemporaine des problèmes les plus
importants rend un peu vaine l’idée d’une souveraineté générale et absolue.
Dans l’ordre démocratique interne, la souveraineté est un attribut conféré au
peuple, source d’où procède directement ou indirectement toute légitimité
institutionnelle. Elle s’exprime, selon la constitution française, soit par
référendum soit à travers les représentants que le peuple s’est librement
donnés par le suffrage universel. La souveraineté, norme fondamentale
(Grundnorm) au sens de Kelsen, apparaît ainsi comme un moyen de légitimer
à la fois l’ensemble de la construction constitutionnelle et le recours au
suffrage universel comme mode de solution des conflits éventuels entre les
pouvoirs publics.
→ constitution, démocratie, gouvernance, majoritaire (principe),
peuple
BADIE B., Un Monde sans souveraineté, Paris, Fayard, 1999 ; CARRÉ DE
MALBERG R., Contribution à la théorie générale de l’État (1920), Paris, Éd. du
CNRS, 1962 ; FRIEDRICH C., La Démocratie constitutionnelle, Paris, PUF,
1958 ; MAIRET G., Le Principe de souveraineté. Histoires et fondements du
pouvoir moderne, Paris, Gallimard, 1996 ; ROUSSEAU J.-J., Du Contrat social
(1762) in Œuvres politiques, Paris, Gallimard, 1964 ; SCHMITT C., Théologie
politique. Quatre chapitres sur la théorie de la souveraineté (1922), Paris,
Gallimard, 1988.

SPIN DOCTOR

Expression américaine désignant un expert en communication recruté par


une figure politique ou un parti. Celui-ci s’efforce de concevoir au quotidien
des messages « publicitaires » répondant aux attentes du public et plus
spécialement des électeurs.
→ communication politique, storytelling

STALINISME

Terme devenu péjoratif, référé au dirigeant russe Joseph V. Staline (I.V.


Djougashvili), qui désigne la nature totalitaire et criminelle du régime
communiste de 1929 à 1953, c’est-à-dire de la prise totale du pouvoir par
Staline à sa mort. Marqué par un culte de la personnalité exacerbé, par les
procès iniques des purges initiées en 1934 et par le développement de
l’univers concentrationnaire – le Goulag – inauguré déjà sous Lénine à petite
échelle, le stalinisme a également caractérisé par extension le contexte des
démocraties populaires de l’Europe centrale et orientale, ainsi que celui des
partis communistes de l’Europe de l’Ouest comme le PCF ou le PCI (il existe
par exemple des poèmes d’un illustre poète français glorifiant la répression
stalinienne). Bien que Staline soit disparu en 1953, le stalinisme ne disparaît
au vrai complètement qu’en 1956, avec le rapport présenté par Nikita
Khrouchtchev devant le XX congrès du Parti communiste de l’Union
e

Soviétique. Il représenta avec le système hitlérien le modèle le plus achevé


des régimes totalitaires.
→ communisme, culte de la personnalité, purification ethnique,
Régimes (systèmes) totalitaires
PISIER-KOUCHNER E. (dir.), Les Interprétations du stalinisme, Paris, PUF,
1983.

STORYTELLING

Terme d’usage très récent en Europe, issu du langage publicitaire du


« Marketing narratif » américain (consistant à faire vendre les produits d’une
marque sur la base de l’empreinte laissée sur le public par un récit attrayant
sans rapport substantiel avec ces produits). Les agences de marketing
politique et électoral ont repris cette technique, abandonnant le message
programmatique pour lui substituer des récits et événements au jour le jour
destinés à montrer « qu’il se passe quelque chose » et à soutenir constamment
une attention superficielle de la part des populations-cibles. Au-delà, la
méthode tend à s’étendre au comportement et au mode d’action de
personnalités politiques qui semblent séduites par les recettes des programmes
de « télé-réalité », où il s’agit pour des jeunes gens enfermés dans un loft sous
le regard permanent des téléspectateurs de ne pas se faire expulser du jeu sous
l’effet d’un vote négatif de ces derniers. Dans cette perspective, la
composition d’un gouvernement peut par exemple s’apparenter à la
distribution des personnages d’un feuilleton télévisé plutôt qu’à un savant
dosage des compétences et des orientations politiques. Dans un tel contexte,
les ministres se transforment en somme en lofters dont le principal mérite
revient à demeurer « performatifs » au sens non pas du discours performatif
ou Speech act à la manière de John Austin ou de Quentin Skinner, mais au
sens du mot anglais Performance (spectacle, représentation). Il faut continuer
coûte que coûte à « brûler les planches » en inventant chaque jour du nouveau,
sous peine de se faire siffler et de devoir quitter la scène. Le Stagecraft en
vient à concurrencer ainsi le Statecraft !
→ communication politique, discours performatif, opinion publique,
spin doctor
SALMON CH., Storytelling. La Machine à fabriquer des histoires et à
formater les esprits, Paris, La Découverte, 2007.

SUBSIDIARITÉ

Principe issu du christianisme et, plus particulièrement, de la doctrine


sociale de l’Église apparaissant notamment dans l’encyclique Quadragesimo
anno (1931). Il marquait alors la volonté de ne pas transférer à la communauté
tout entière les attributions dont les particuliers sont capables de s’acquitter
« par leur propre initiative et leurs propres moyens ». La subsidiarité s’inscrit
ainsi en même temps dans une perspective fonctionnelle : les compétences
dépendent d’abord de l’aptitude des acteurs à les réaliser de manière
satisfaisante.
Ce principe – explicitement mentionné dans le Traité de Maastricht du
7 février 1992 – a été repris dans le langage communautaire européen pour
organiser le partage entre les compétences nationales et celles de l’Union. Il
permet ainsi d’établir que la communauté ne peut intervenir, dans les
domaines extérieurs à sa compétence déclarée, que si les objectifs visés ne
peuvent pas être réalisés de façon satisfaisante par les États membres. Ainsi
défini, le concept de subsidiarité permet autant d’élargir les compétences
communautaires que de les restreindre : son usage peut être – et a été – source
de controverses ; il présente, en revanche, l’avantage de penser différemment
les processus dévolutifs de compétence, en dépassant notamment le paradigme
de la souveraineté.
→ souveraineté, fédéralisme
CLERGERIE J. L., Le Principe de subsidiarité, Paris, Ellipses, 1997 ;
CORNU M., Compétences culturelles en Europe et principe de subsidiarité,
Bruxelles, Bruylant, 1994 ; MILLON-DELSOL C., Le Principe de subsidiarité,
PUF, 1997.
SUFFRAGE
Équivalent savant ou recherché de « droit de vote », synonyme aussi de
l’expression devenue encore plus érudite de franchise électorale (cette
dernière davantage usitée en anglais, Electoral Franchise). Plus précis ou
historiquement connoté que le droit de vote trop assimilé au suffrage universel
masculin inauguré en France et en Suisse en 1848, le droit de suffrage se
décline toutefois davantage au regard des étapes successives de la
reconnaissance de la citoyenneté moderne selon Terence Marshall. Soit
d’abord en tant que deuxième étape d’un processus entamé en premier lieu
avec l’établissement de l’égalité juridique, et suivi à son tour d’une troisième
étape concrétisée par l’octroi aux masses populaires de la citoyenneté ou
démocratie sociales de l’État-Providence. Également par référence aux
agrandissements successifs d’un « corps politique » censé représenter le
peuple souverain, mais longtemps limité en fait à une minorité exiguë
d’électeurs actifs (suffrage restreint, censitaire), puis à des fractions certes de
plus en plus massives mais jamais « exhaustives » de la population (suffrage
féminin, abaissement de la majorité électorale, vote des étrangers).
→ citoyenneté, vote (fonctions du)
BENDIX R., Nation-Building and Citizenship, Berkeley, University of
California Press, 1977 ; HERMET G., Aux frontières de la démocratie, Paris,
Presses Universitaires de France, 1983 ; KRADITOR A., The Ideas of The
Woman Suffrage Movement, New York, Columbia University Press, 1965.

SYMBOLIQUE POLITIQUE

On entend par là tout système organisé de signes, surchargé de


significations, fonctionnant comme réactivation de codes culturels de
comportements. La caractéristique essentielle, en effet, de toute symbolique
est à la fois la pluralité et la fluidité des informations qui peuvent s’y trouver
rattachées (par connotations notamment), mais aussi son aptitude à mobiliser
des projections émotionnelles positives (sur le registre de l’identification) ou
négatives (sur le registre du rejet).
Le pouvoir politique vise à assurer sa prééminence au centre de la société,
non seulement en monopolisant l’usage légitime de la force mais, aussi, en
déployant « un ensemble de formes symboliques exprimant le fait que c’est
elle (l’élite dirigeante) qui en réalité gouverne » (cf. C. Geertz).
L’activité symbolique est repérable dans tout système politique sans aucune
exception. Elle fonctionne souvent comme exhibition du pouvoir en place,
mais aussi comme tentative de le contester au nom d’un autre système de
croyances. Plus ou moins élaborée, elle se donne à voir d’abord dans des
liturgies, c’est-à-dire les cérémonies, rituels, étiquettes et protocoles « qui
marquent le centre comme centre et donnent à ce qui se passe là son aura »
(cf. C. Geertz). Elle se déploie encore, à un autre niveau, dans la dramaturgie
de la communication médiatique, là où se construit le « profil symbolique » du
« personnage » ou du « rôle », qui efface le simple individu qui l’assume. Elle
se manifeste encore dans l’investissement d’objets-choses (emblèmes,
insignes et cocardes, statues et monuments) qui se trouvent chargés de
connotations culturelles historiquement accumulées, et fonctionnent comme
« signes ou lieux de reconnaissance sociale » (cf. M. Augé). Elle se manifeste
enfin autour d’objets immatériels. Ce sont par exemple les mythes : idées-
forces (le contrat social comme mythe des origines) ou récits exemplaires (la
prise de la Bastille, l’appel du 18 juin) qui visent à fonder une légitimité
socialement partagée en comblant les manques du savoir et en interdisant les
questionnements destabilisateurs de croyances. Ce sont encore les valeurs
(Liberté, égalité, solidarité…) que l’on peut définir comme des croyances
mobilisatrices d’affects, autorisant des jugements d’approbation ou de
stigmatisation.
L’activité proprement politique, qui a pour caractéristique de forclore le
recours routinier à la violence physique, est dominée par des luttes
symboliques. Elle est en effet dynamisée par une bataille permanente, entre
des acteurs plus ou moins pertinents, visant à imposer les représentations
légitimes de la réalité sociale ou du combat politique : terrorisme ou
résistance ? Préférence nationale ou xénophobie ? Pays sous-développés, pays
en voie de développement ou pays du Sud ? L’intelligibilité des symboliques
supposant un travail d’inculcation, c’est-à-dire de socialisation, on comprend
pourquoi les luttes politiques sont particulièrement intenses autour des
questions d’éducation et de liberté de l’information.
→ communication politique, liturgie politique
BALANDIER G. Le Pouvoir sur scènes, Paris, Balland, 1980 ; BLOCH M., Les
Rois thaumaturges (1924), Paris, Gallimard, 1983 ; BRAUD PH., L’Émotion en
politique, Paris, Presses de Sciences Po, 1996 ; GEERTZ C., L’État à Bali,
Paris, Gallimard, 1980 ; GEERTZ C., Savoir local, savoir global, Paris, PUF,
1986 ; IZARD M., SMITH P. (dir.), La Fonction symbolique, Paris, Gallimard,
1979 ; KANTOROWICZ E., Les Deux Corps du Roi, Paris, Gallimard, 1989
[1957] ; SPERBER D., Le Symbolisme en général, Paris, Hermann, 1985.

SYNDICATS

Les syndicats se constituent peu à peu dans les pays d’Europe occidentale,
au cours de la seconde moitié du XIX siècle, à des rythmes qui varient
e

profondément d’un pays à l’autre. Institutions de défense du monde du travail


créées tout d’abord au sein de la classe ouvrière, les syndicats se trouvent
confrontés à des systèmes politiques fort dissemblables au sein desquels ils
conquièrent, dans des contextes si distincts, une légitimité reconnue plus ou
moins aisément. En Grande-Bretagne, où le système représentatif a pu vite
s’épanouir, les syndicats parviennent à s’organiser rapidement et dès 1866, se
trouve créé le Trade Union Congress (TUC). Structures puissantes au sein de
la classe ouvrière, les organisations syndicales y donnent naissance, au
tournant du siècle, au parti travailliste qui demeure sous leur contrôle et assure
une représentation ouvrière au Parlement, la plupart des adhérents étant eux-
mêmes syndiqués. Ce syndicalisme puissant mais réformiste est demeuré de
manière générale hostile à l’influence marxiste et s’il s’est fréquemment
engagé dans de dures grèves mobilisant durant de longues périodes de très
nombreux ouvriers, il s’est longtemps abstenu de donner à ces conflits sociaux
une signification politique, refusant tout aussi bien l’intervention de l’État que
l’action contre l’État. Dans d’autres sociétés, les syndicats dépendent au
contraire grandement des partis politiques ; en Allemagne, par exemple, les
syndicats sont créés par le parti social-démocrate ou encore, par le Zentrum
catholique, et restent sous son contrôle. Le syndicalisme allemand est
longtemps resté marqué par cette osmose bénéficiant surtout à la social-
démocratie d’obédience, au tournant du siècle, marxiste ; à l’époque
contemporaine toutefois, la DGB reste officiellement neutre mais conserve
des liens intimes avec le SPD. En Russie comme en Union Soviétique, dans le
même sens, la dépendance du syndicat à l’égard du parti est entière, les
syndicats n’étant, dans la théorie léniniste, que la courroie de transmission du
parti communiste. Dans d’autres sociétés au contraire, on constate une
certaine indépendance des syndicats vis-à-vis des partis ; aux États-Unis, par
exemple, les syndicats agissent surtout comme lobby et leurs liens avec le
parti démocrate se distendent. En France, le syndicalisme, confronté à un État
puissant hostile aux structures représentatives intermédiaires a rencontré bien
des difficultés pour se faire reconnaître. Divisé en tendances nombreuses,
rencontrant parfois l’hostilité des partis socialistes, le syndicalisme
révolutionnaire proclame en 1906, dans la Charte d’Amiens, son autonomie
vis-à-vis des partis et notamment de la SFIO. La Révolution bolchévique
imposera l’alignement de ce syndicalisme sur le parti communiste, la tendance
hostile à ce fort rapprochement se tournant pour sa part, tout en demeurant
réellement autonome, vers le parti socialiste. La division syndicale et la
faiblesse d’un syndicalisme très politisé aux effectifs réduits et aux ressources
limitées sont autant de facteurs qui freinent la mobilisation comme l’ampleur
des grèves qui touchent davantage le secteur public que le monde de
l’entreprise privée, certains secteurs du syndicalisme comme celui de la FEN
n’hésitant pas à s’engager même dans des stratégies de concertation de type
néo-corporatiste avec l’État. De nos jours, la crise du syndicalisme frappe la
société française puisqu’une infime minorité des salariés ou des ouvriers
(autour de 6 %) sont actuellement membres d’un syndicat alors qu’en Grande
Bretagne, près de 80 % des travailleurs sont toujours syndiqués. C’est dire à
quel point l’histoire long terme rend compte des différences entre ces deux
pays. Notons aussi qu’en France, les syndicats ont rompu tout lien avec les
partis, ainsi la CGT n’est plus officiellement liée au parti communiste. En
dépit d’avancées importantes telle la reconnaissance de la section syndicale
d’entreprise, ces organisations sont en perte de vitesse et leur rôle dans le
déclenchement et la gestion des grèves s’en ressent grandement. On constate
aussi le développement de syndicats indépendants des grandes centrales, tel le
Syndicat de la magistrature.
ANDOLFATTO D., LABBÉ D., Sociologie des syndicats, Paris, La Découverte,
2000 ; BERGOUIOUX A., GRUNBERG G., L’Utopie à l’épreuve. Le socialisme
européen au XX siècle, Paris, Éd. de Fallois, 1995 ; GROUX G., La Grève, Paris,
e

Presses de Sciences Po, 2008 ; JULLIARD J., Autonomie ouvrière : Étude sur le
syndicalisme d’action directe, Paris, Seuil, 1988 ; LAZAR M. (dir.), La Gauche
en Europe depuis 1945, Paris, PUF, 1995 ; MOURIAUX R., Le Syndicalisme en
France depuis 1945, Paris, La Découverte, 2004.

SYSTÈME

Selon Niklas Luhman, un système correspond à une pratique sociale stable,


ou à un modèle de comportement organisé, dans lequel on peut différencier ce
qui lui appartient et ce qui lui est étranger. D’après Luhman toujours, les
systèmes cherchent à survivre en conservant leur autonomie dans des
environnements complexes. Ils réduisent à cette fin la complexité de leur
milieu immédiat, afin de pouvoir lui appliquer des décisions d’ordre interne
correspondant à leurs propres besoins.
→ système politique, systémique (analyse)
RASCH W., Niklas Luhman’s Modernity : The Paradoxes of Differentiation,
Stanford, Stanford UP, 2000.

SYSTÈME DES DÉPOUILLES

Dans le système politique américain, la victoire aux élections d’un des deux
grands partis entraîne traditionnellement un vaste mouvement du personnel,
qualifié de système de dépouilles. Système fortement décentralisé dans lequel
la bureaucratie étatique reste faiblement structurée et institutionnalisée, les
États-Unis attribuent une importance décisive à la victoire électorale d’un
parti car elle témoigne de la force de la démocratie elle-même : du coup, le
vainqueur s’attribue un certain nombre de fonctions publiques qui, dans
d’autres sociétés comme la France, demeurent protégées par la permanence de
la bureaucratie publique. Le spoil system mène ainsi à une circulation
constante des élites politiques qui concerne aussi les fonctions considérées
ailleurs comme purement administratives. Les difficultés posées par une telle
alternance constante ont mené à l’époque contemporaine à la mise en place
d’un système au mérite, forme embryonnaire d’une méritocratie
bureaucratique qui restreint la portée du système des dépouilles. Au contraire,
dans des pays à État fortement bureaucratisé comme la France, on a vu se
développer à l’époque contemporaine une rotation des élites analogue par
beaucoup d’aspects au vieux spoil system, limitant ainsi quelque peu la
continuité du service public.
→ administration publique, bureaucratie, élection, méritocratie

SYSTÈME POLITIQUE

En tant que paradigme scientifique, l’expression désigne un mode de


représentation conceptuelle des interactions politiques et des institutions qui,
dans un pays donné ou dans tout autre cadre de pouvoir, déterminent les
décisions auxquelles se soumettent la plupart des personnes ou entités
collectives incluses dans ce pays ou ce cadre. Ce concept divulgué par David
Easton et Karl Deutsch s’inspire des théories cybernétiques et a été utilisé
surtout au tournant des années 1970-1980.
→ cybernétique, méthodologie, système, systémique (analyse)
EASTON D., A System Analysis of Political Life, Chicago, University of
Chicago Press, 1979 ; Analyse du système politique, Paris, A. Colin, 1974
[1965] ; EMERY F. E. (ed.), Systems Thinking, Harmond-sworth, Penguin
Books, 1969.

SYSTÉMIQUE (ANALYSE)

Dans les années 1960, on a vu se constituer, aux États-Unis, une science


politique centrée autour de l’analyse systémique du politique. Dans une
société d’abondance où règnent la technique et la science, une conception du
politique reposant elle aussi sur les sciences exactes et, en particulier sur la
théorie générale des systèmes ainsi que sur la cybernétique, a été élaborée
aussi bien par Karl Deutsch que par David Easton. Pour le premier, les
systèmes politiques sont tous confrontés à des difficultés techniques dans la
gestion de leur développement : le gouvernement apparaît comme un exercice
de pilotage analogue à celui d’un navire, les autorités prévoyant le plus
longtemps à l’avance les demandes qui leur seront transmises, réagissant le
plus vite possible pour constituer un stock de ressources leur permettant de
s’adapter aux nouveaux enjeux, une fois décryptées les informations
transmises par différents canaux. L’aptitude à gouverner se trouve ici liée
seulement à une habileté au pilotage ; l’histoire et l’idéologie ainsi que le
pouvoir se trouvent ainsi évacués de la scène politique. Dans le même sens,
selon David Easton, tout système politique reçoit des demandes et des
soutiens qui sont transmis par les « gardes-barrières » aux autorités ; celles-ci
répondent par des actions et des décisions qui, une fois passées par
l’environnement du système politique à travers la boucle de rétroaction, se
transforment en nouveaux soutiens assurant ainsi la légitimité de ceux qui
exercent, de manière rationnelle et a-idéologique, ces rôles d’autorité. La
perspective de David Easton est elle aussi purement technologique et
apolitique : la science des systèmes serait ainsi apte à rendre compte du
fonctionnement normal du système politique conçu comme une organisation.
L’analyse systémique appartient clairement au courant fonctionnaliste, dans la
mesure où les éclusiers de même que les autorités exercent de simples
fonctions ; celles-ci apparaissent comme entièrement professionnalisées, a-
idéologiques et presque apolitiques ; les seules crises qui naissent sont, dans le
même sens, produites par des dysfonctions du système liées à des surcharges
imprévues et non contrôlées. Là encore, les questions du pouvoir, du conflit,
de l’idéologie se trouvent rejetées dans la mesure où l’on souhaite étudier le
plus petit commun dénominateur de tous les systèmes politiques situés dans
des contextes économiques fort dissemblables et professant des idéologies
opposées. Véritables systèmes fonctionnels, les systèmes politiques se
distinguent, dans cet esprit, par leur aptitude à persister en gérant des
demandes parfois incompatibles ou imprévues et en s’assurant toujours d’un
soutien indispensable pour préserver une légitimité minimale, évitant ainsi les
risques de rupture. Paradoxalement, une certaine analyse marxiste menée par
un James O’Connor ou, encore, un Jürgen Habermas s’est par la suite inspirée
de cette perspective en la plongeant toutefois dans un environnement devenu
cette fois spécifiquement capitaliste.
→ décision (processus de), fonctionnalisme (théorie du), système,
système politique
BIRNBAUM P., La Fin du politique, Paris, Seuil, 1975 ; DEUTSCH K., The
Nerves of Government, New York, The Free Press, 1963 ; EASTON D., Analyse
du système politique, Paris, A. Colin, 1974 [1965].
T

TABLES RONDES

En dehors de son sens usuel de métaphore référée à un cadre de négociation


rassemblant deux ou trois types d’acteurs très délimités – par exemple des
représentants du patronat et des syndicats de salariés – poursuivant ensemble
un objectif précis (un accord salarial par exemple), cette expression a désigné
les assemblées pré-démocratiques apparues dans les derniers mois d’existence
des régimes communistes de l’Europe centrale et orientale. Dans certains cas,
comme en Pologne ou en Hongrie en particulier, ces assemblées destinées à
éviter un effondrement brutal de l’État et à mettre sur pied des transitions
ordonnées, sans violences ni revanche, ont mis face à face les responsables de
« l’ancien régime » finissant et ceux – autoproclamés – de l’opposition
démocratique. Dans d’autres cas, elles n’ont rassemblé que des représentants
de l’opposition et d’associations improvisées baptisées « société civile ».
Aucune de ces tables rondes n’a vraiment confirmé les espérances placées
dans ce type de procédure. Cette pratique des tables rondes censées servir de
prélude à la démocratisation fut ensuite reprise avec moins de succès encore
dans l’Afrique subsaharienne en 1990-1991, notamment au Congo-
Brazzaville, mais cette fois sous le nom de « conférences nationales ».
→ démocratisation
ELSTER J. (ed.), The Roundtable talks and the breakdown of communism,
Chicago/London, The University of Chicago Press, 1996.
TECHNOCRATIE
→ technostructure

TECHNOSTRUCTURE

Cette notion a été proposée par James Burnham en 1941, dans son ouvrage
L’ère des organisateurs. À ses yeux, les dirigeants des grandes entreprises
sont amenés à contrôler peu à peu l’ensemble de la société à partir de leurs
compétences techniques. Prolongeant une vision positiviste propre au
XIX siècle et dans la perspective d’un Saint-Simon, Burnham considère donc
e

que ceux qui détiennent ce type de compétence économique doivent détenir le


pouvoir politique. Constatant la séparation croissante entre propriété et
gestion, de nombreux sociologues américains ont estimé à leur tour que les
managers détiendraient le pouvoir réel : ils se constitueraient en groupe
homogène destiné à remplacer tant le patronat que l’ancien personnel
politique aux compétences anachroniques. Cette interprétation très mécaniste
du pouvoir niant toute spécificité au politique a été rejetée rapidement. Dans
ce sens, la redécouverte du politique permet tout à la fois de refuser cette
vision trop économiste et réductrice tout en soulignant la grande diversité des
structures de pouvoir dans des sociétés pourtant fortement industrialisées. La
thèse de la technostructure s’en est trouvée condamnée. De manière plus
générale, cette notion mène aussi parfois au modèle de la technocratie qui
s’applique de manière assez vague au pouvoir que détiendraient les hauts
fonctionnaires ; ceux-ci, à partir là encore de leurs compétences, seraient
habilités à détenir le pouvoir politique, l’expertise justifiant à nouveau le
contrôle du pouvoir. Cette interprétation est de moins en moins fréquente et se
trouve remplacée de nos jours par une réflexion sur les transformations des
rapports entre haute administration et politique.
→ élitistes (théories), pouvoir
BURNHAM J., L’Ère des organisateurs, Paris, Calmann-Lévy, 1969 ;
SAMUEL F., Power and History : the political thought of James Burnham,
Lanham, University Press of America, 1984 ; GALBRAITH J., Le Nouvel État
industriel, Paris, Gallimard, 1968.

TÉLÉVISION ET POLITIQUE

L’irruption de la télévision dans la vie sociale aura bouleversé bien des


règles de la communication politique et posé le problème de son influence sur
les comportements des électeurs et des acteurs (responsables de groupes
d’intérêt, représentants et dirigeants politiques). Même s’il est possible de
démontrer que cette influence est souvent surestimée, il n’en demeure pas
moins intéressant de mesurer l’effet de la croyance placée dans la puissance
de ce médium. La télévision est justiciable d’approches de science politique
très diversifiées. Certaines études privilégient la dimension d’entreprise,
s’intéressant à la distribution du pouvoir au sein des entreprises privées ou
publiques, aux rapports que les dirigeants ou les journalistes entretiennent
avec le pouvoir politique, ou bien se focalisent sur les logiques industrielles
productrices de domination culturelle à l’échelle internationale. D’autres
études se consacrent à la dissection des messages véhiculés par le texte et par
l’image, mobilisant souvent les ressources de l’analyse sémiologique pour en
dégager la polysémie, mettre en évidence les codes qui structurent la
production des émissions, et comprendre de quelle manière les logiques de
séduction mises en œuvre peuvent se révéler efficaces. D’autres encore
s’intéressent aux publics ciblés, enquêtant sur la manière dont les
consommateurs réagissent aux messages qui leur sont adressés (ethnographie
de la réception). Enfin, des travaux cherchent à cerner les effets à long terme
de la télévision sur le fonctionnement du système politique, c’est-à-dire son
influence sur la construction des représentations de la réalité, ou sa capacité à
produire une histoire commune à l’échelle interne ou internationale.
→ communication politique
BOURDON J. Haute fidélité. Pouvoir et télévision, Paris, Seuil, 1994 ;
GERSTLÉ J., La Communication politique, Paris, A. Colin, 2004 ; LE
GRIGNOU B., Du Côté du public. Usages et réception de la télévision, Paris,
Économica, 2003 ; MERCIER A., Le Journal télévisé, Paris, Presses de Sciences
Po, 1996 ; MISSIKA J.-L., WOLTON D., La Folle du logis. La télévision dans les
sociétés occidentales, Paris, Gallimard, 1983 ; NEVEU E., Une société de
communication ?, Paris, Montchrestien, 1994 ; TIBERJ V., VEDEL TH., Les
Effets de l’information télévisée sur les évaluations politiques et les
préoccupations des électeurs, Baromètre politique français, Cevipof, 2007 ;
WOLTON D. (dir.), La Télévision au pouvoir, Paris, Universalis, 2004.

TERREUR POLITIQUE

Ressource visant à forcer la soumission des gouvernés à un pouvoir


arbitraire ou à les expulser de son territoire de souveraineté, ou tendant
encore, à l’inverse, à disqualifier un régime quelconque ou à faire obstacle à
l’une de ses politiques par le recours systématique à des moyens d’une
violence extrême. En outre, dans des cas aberrants mais réels, la terreur peut
ne constituer que le corollaire de l’élimination physique pure et simple d’une
catégorie de populations (cas du génocide nazi contre les juifs ou de
l’extermination des Arméniens par les Turcs).
La terreur politique ambitionne de briser toute velléité de résistance et de
rendre ses victimes pratiquement consentantes dans les faits. Elle revêt le
visage de l’élimination physique, de la torture, des mauvais traitements de
toutes espèces se proposant d’humilier ceux qu’ils frappent (le viol par ex.),
de l’enfermement dans des camps aux conditions généralement meurtrières à
plus ou moins brève échéance, à la déportation vers des régions
inhospitalières, au bannissement ou à la privation de toute identité juridique et
civique. S’agissant de la terreur d’État, Hannah Arendt considère qu’elle
demeure sélective et fondée sur des critères analysables dans les régimes
autoritaires ou les dictatures ordinaires où elle n’a normalement que les
opposants pour cible, alors qu’elle se révèle indiscriminée et imprévisible
dans les systèmes totalitaires modernes, où son objectif consiste à semer
l’effroi dans l’ensemble de la population pour garantir par avance sa passivité.
Parallèlement, l’exercice systématique de la terreur de la part de groupes
révolutionnaires ou nationalistes vise à la fois à compenser leur faiblesse
militaire, à éliminer dans certains cas leurs adversaires et, dans la plupart des
circonstances, à imposer leur tutelle aux populations qu’ils prétendent libérer.
→ régimes politiques : Régimes (systèmes) totalitaires, totalitarisme
ARENDT H., Le Système totalitaire, Paris, Seuil, 1972 ; CONQUEST R., La
Grande Terreur, Stock, 1970 ; DOMENACH J.-L., Chine : l’archipel oublié,
Paris, Fayard, 1992 ; KOGON E., L’État SS, Paris, Seuil, 1980.

TERRITOIRE

Le territoire s’analyse en science politique comme un construit social, c’est-


à-dire comme le résultat d’une tentative faite par un individu ou un groupe
d’affecter, d’influencer ou de régir des personnes, des phénomènes ou des
relations en délimitant et en contrôlant une aire géographique (R. D. Sack). En
tant qu’instrument politique, le territoire se substitue ainsi à d’autres modes
d’accomplissement de la fonction de domination (liens personnels,
communautaires, tribaux, etc.). Il est dès lors tenu pour une forme
dépersonnalisée d’exercice des fonctions politiques et donc comme un
élément décisif de la modernité politique : Max Weber associe étroitement
l’État moderne rationnel-légal au critère de territorialité, tandis que les
systèmes politiques faiblement territorialisés sont tenus pour peu développés
et de nature essentiellement patrimoniale. De même, appréhendé comme
construit social, le territoire n’apparaît plus comme un « impératif social »,
tenu pour biologiquement nécessaire, ni comme un ensemble naturel dont les
frontières s’imposeraient d’elles-mêmes par le poids de cultures pérennes
(hypothèse des « frontières naturelles »). En revanche, conçu de la sorte, le
territoire est lié à une histoire, une culture, un contexte international : il est,
dès lors fragile, contestable, tandis que le principe même de la
territorialisation du politique apparaît comme relatif. On entend donc par
déterritorialisation du politique toute remise en cause, explicite ou implicite,
de la possibilité ou de la légitimité d’organiser un ordre politique en réalité
territoriale.
→ centre-périphérie, empire, État, géopolitique, international (scène
internationale), nation
BADIE B., La Fin des territoires, Paris, Fayard, 1995 ; BIAREZ S., Territoires
et espaces politiques, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2000 ;
GOTTMAN J., The Significance of Territory, Charlottesville, University Press of
Virginia, 1973 ; SACK R. D., Human Territoriality, Cambridge, Cambridge
University Press, 1986.
Terrorisme
Usage de la violence à des fins politiques, s’inscrivant délibérément en
dehors du droit et en dehors de la compétence reconnue aux États d’en assurer
le monopole légitime sur la scène internationale. Le terrorisme participe ainsi
au processus de dissémination de la violence politique et tend à remettre en
cause la nature essentiellement interétatique de la communauté internationale.
Comme objet d’analyse, le terrorisme est essentiellement appréhendé dans sa
genèse (arme du pauvre, effet pervers de la sanctuarisation nucléaire des
grandes puissances, effet lié à la vulnérabilité des sociétés industrielles et
postindustrielles, produit de la sophistication des techniques…) et dans sa
fonction (créer un climat de peur dans l’opinion, atteindre les médias pour
populariser une cause, limiter la marge de manœuvre des gouvernants…).
→ révolution, terreur politique, violence politique
BRAUD PH., Violences politiques, Paris, Seuil, coll. « Points », 2004 ;
CHALLIAND G., BLIN A., Histoire du terrorisme de l’Antiquité à Al Quaida,
Paris, Fayard, 2004 ; SOMMIER I., Le Terrorisme, Paris, Flammarion, 2000.
THÉOCRATIE

Type de système politique dans lequel l’autorité du prince dérive d’un


rapport privilégié à la Divinité. Ce rapport peut être de diverses natures selon
que le prince s’identifie à un Dieu (Empereur du Japon), s’insère dans une
théogamie (Pharaon égyptien), se présente comme l’envoyé de Dieu (régimes
messianiques), comme son représentant (cesaropapisme médiéval), comme
représentant de son Prophète (régime califal), ou comme disposant d’une
compétence issue de la connaissance de la Loi divine (gouvernement des
clercs). Cette variété de formules montre l’extensibilité de la notion même de
théocratie, qui perd de sa rigueur à mesure qu’on s’éloigne de l’idée de
gouvernement divin. À ce titre, l’usage récent du concept de théocratie pour
désigner le retour des référents religieux dans les formules de gouvernement
marque un élargissement significatif de la problématique qui lui est propre. Si,
par exemple, la République islamique d’Iran a une dimension théocratique
sous l’impulsion du régime du Velàyat-e-fakih (institution, à côté de celle de
l’État, du gouvernement du jurisconsulte), la référence à la Shari’a dans
plusieurs régimes du monde musulman ne renvoie pas à la même acception.
→ catholicisme et politique, islam et politique, messianisme, religion et
politique

THOMAS (THÉORÈME DE)

Idée introduite par le sociologue W. Thomas puis reprise par R. K. Merton,


selon laquelle des phénomènes même fictifs vécus comme réels par des
individus ou des groupes deviennent effectivement réels pour ceux-ci. Il s’agit
d’une pré-notion de la capacité performative.
→ discours performatif

THÉORIE CRITIQUE

→ École de Francfort

THINK-TANK
Cette notion issue du monde anglo-saxon désigne des structures
indépendantes de l’État ou des partis capables, en fonction de leur entière
indépendance intellectuelle, de leur expertise, de leurs connaissances,
d’élaborer des propositions dont peuvent s’inspirer les autorités politiques.
Les politiques publiques sont ainsi largement influencées par ces groupes qui
servent de réservoir d’idées d’autant plus que leurs propositions sont diffusées
par la presse et les médias et suscitent des discussions publiques. Les plus
célèbres, aux États-Unis, sont la Brookings Institution ou encore la Rand
Corporation. Ces groupes se répandent un peu partout ; on en trouve
désormais en France, comme la Fondation Saint Simon.

TICKET GRATUIT

Dans la perspective tracée surtout par Mancur Olson, la stratégie du ticket


gratuit consiste à privilégier une maximalisation des gains personnels en
s’abstenant de participer à une action collective : comme le bénéfice de celle-
ci sera redistribué à tous, on peut décider de « voyager gratuitement », c’est-à-
dire de préférer son bonheur personnel à un engagement forcément coûteux en
temps, argent ou énergie, risqué peut-être quand il implique un affrontement.
D’autant plus que le surcroît que cet engagement personnel apporte au
mouvement collectif demeure toujours très marginal. Dès lors, dans les
groupes larges, il serait rationnel, aux yeux de chaque acteur, de préférer
s’abstenir. Une application strictement utilitariste de la théorie du choix
rationnel conduit donc à une absence d’action collective, chaque individu se
tenant un raisonnement identique et démobilisateur. Reste alors à expliquer
l’existence des nombreuses actions collectives, des mouvements sociaux
traditionnels ou nouveaux. Pour Olson, c’est parce que les syndicats disposent
de pouvoirs coercitifs qu’ils imposent la participation à des actions
collectives. On pourrait certes étendre ce type de proposition mais il n’en reste
pas moins que les acteurs peuvent aussi, pour d’autres raisons, choisir eux-
mêmes de se mobiliser.
→ action collective, Olson (paradigme d’)
OLSON M., La Logique de l’action collective, Paris, PUF, 1987 [1965].
TIERS ÉTAT
Le texte de l’abbé Sieyès, publié en janvier 1789, donne un fondement
unitaire à la nation ; pour la première fois, en invoquant la Raison, on brise les
anciennes divisions d’ordres pour affirmer la volonté unique d’une nation
identifiée au seul Tiers État. Inspiré par la pensée d’un Jean-Jacques
Rousseau, l’essai de Sieyès a pour ambition de créer une science rationnelle
du politique. Comme il l’écrit : « la volonté générale […] ne peut pas être une
tant que vous laisserez trois ordres et trois représentations ». L’un des points
essentiels consiste à affirmer que la souveraineté existe en dehors des formes
constitutionnelles, la volonté nationale étant à l’origine de la légalité. Dans
cette logique, on peut aboutir directement à la Terreur hostile à toute forme de
diversité, de pluralisme portant atteinte à l’unité de la nation. Si Sieyès, devant
ces excès, s’est éloigné de ces métaphores organicistes et a tenté de revenir
plus tard à des formes de division du pouvoir, l’image du grand corps des
citoyens unitaire et régénéré a renforcé durablement les courants hostiles à
toute forme de pluralisme, à l’exclusion des différences.
BAECQUE A. DE, Le Corps de l’histoire, Paris, Calmann-Lévy, 1993 ;
BAKER K., « Sieyès », in FURET F., OZOUF M. (dirs.), Dictionnaire critique de
la Révolution française, Flammarion, 1988 ; PASQUINO P., Sieyès et l’invention
de la constitution en France, Paris, O. Jacob, 1998 ; SEWELL W., A Rhetoric of
Bourgeois Revolution. The Abbé Sieyès and What is the Third Estate ?,
Durham, Duke University Press, 1994 ; SIEYÈS E. J., Qu’est-ce que le Tiers
État ? Paris, PUF, 1982 [1789].

TINGSTEN (EFFET)

Impact paradoxalement conservateur à moyen terme de l’universalisation


du suffrage masculin puis du vote des femmes, observé par le suédois Herbert
Tingsten sur la base de statistiques électorales se rapportant en particulier aux
pays scandinaves et anglo-saxons pendant le premier tiers du XX siècle. Dans
e

la mesure où les nouveaux électeurs tendaient à s’abstenir au début, faute


d’attacher de l’importance aux élections, l’élargissement du droit de vote a
entraîné alors et pendant dix à vingt ans un recul des formations de gauche et
une progression des partis du centre et de droite.
→ abstentionnisme, droit de vote, partis politiques, sociologie
historique, suffrage, vote (fonctions du)
TINGSTEN H., Political Behavior : Studies in Electoral Statistics, New York,
Arno Press, 1975 [1936].
TOTALITARISME

→ régimes politiques : Régimes (systèmes) totalitaires

TRADITION

Ensemble des valeurs, pratiques et techniques transmises d’une génération à


l’autre et réputées anciennes, donc typiques d’un groupe humain. En fait,
beaucoup de traditions sont relativement récentes, créées à un moment donné
avec un objectif d’affirmation de l’identité d’un groupe religieux ou ethnique
par exemple. Shils introduit une distinction entre la « traditionalité » comme
forme objective assurant la continuité d’une société et le contenu des
traditions, qui nourrit les disputes entre « traditionalistes » et « anti-
traditionalistes ».
→ anthropologie politique, identité politique, traditionalisme
HOBSBAWM E., RANGER T. (eds.), The Invention of Tradition, Cambridge,
Cambridge University Press, 1983 ; SHILS E., Tradition, Chicago, The
University of Chicago Press, 2006 [1981].

TRADITIONALISME

Corps de doctrine contre-révolutionnaire développé à la fin du XVIII siècle


e

et pendant la première moitié du siècle suivant, notamment par l’Anglais


William Burke, le Savoyard Joseph de Maistre, le Français Louis de Bonald
ou les Espagnols Donoso Cortés et Jaime Balmés. Les penseurs
traditionalistes considèrent que les sociétés constituent des organismes
vivants, qui n’ont nul besoin d’idéologie ou de modèles politiques abstraits
pour unir leurs membres et subsister. De plus, leur vision organiciste s’assortit
d’une référence privilégiée à la religion ainsi qu’aux institutions réputées
naturelles de l’Ancien Régime face aux bouleversements institutionnels et
moraux introduits par la Révolution française. Les traditionalistes se révèlent
toutefois ambigus sur la nature de cet Ancien Régime, partagés qu’ils sont
entre leur ultraroyalisme ou leur attachement à la monarchie de droit divin et
la valeur qu’ils attribuent aux franchises médiévales sensiblement antérieures
à la consolidation de celle-ci. Telle est aussi l’hésitation manifestée par
Charles Maurras, qui est leur continuateur.
Par ailleurs, le traditionalisme se caractérise également comme un
mouvement politique et religieux contre-révolutionnaire qui se dessine – sans
en porter encore le nom – à partir des guerres civiles de la France de l’Ouest
dans les années 1790, en particulier avec la Chouannerie ou le soulèvement de
Vendée. Ce mouvement va essaimer dans le sud de l’Italie, la Suisse, la
Belgique, l’Autriche puis surtout en Espagne de 1808 à 1813. De plus, il
rebondira dans ce dernier pays au cours des trois guerres « carlistes » des
années 1830, 1850 et 1870, en revendiquant cette fois explicitement le titre de
traditionalisme. Les carlistes traditionalistes espagnols constituent alors une
sorte de contre-État opposé au régime de la monarchie libérale. Ils ont en
outre des homologues au Portugal – les « miguélistes » – ou, après
l’unification italienne, dans l’ancien Royaume des Deux-Siciles. Pour se
démarquer de son étiquette fasciste initiale, la dictature du général Franco se
réclamera pour partie de cette filiation traditionaliste tant historique que
doctrinale.
→ catholicisme et politique, Démocratie organique
DÍAZ E., Pensamiento español en la era de Franco, Madrid, Tecnos, 1983 ;
GODECHOT J., La Contre-révolution : doctrine et action, Paris, PUF, 1961 ;
HERMET G., Les Catholiques dans l’Espagne franquiste, Paris, Presses de la
FNSP, 1980-81, 2 vol. ; TILLY C., La Vendée : révolution et contre-révolution,
Paris, Fayard, 1970.

TRANSITIONS DÉMOCRATIQUES

→ démocratisation

TRANSNATIONALES (RELATIONS)

Les relations transnationales désignent toutes les relations sociales qui, par
volonté délibérée ou par destination, se déploient sur la scène mondiale au-
delà du cadre étatique national et qui se réalisent en échappant au moins
partiellement au contrôle ou à l’action médiatrice des États. Elles contribuent
ainsi à recomposer l’ordre mondial en doublant le monde des États-nations
d’un monde « multicentré », dont les acteurs sont constitués d’individus, de
réseaux associatifs ou informels ainsi que d’organisations non
gouvernementales. Ces relations concernent les secteurs les plus divers de
l’action sociale : économique, culturel, démographique ou politique ; elles se
structurent soit à l’initiative d’entreprises (firmes multinationales,
organisations religieuses, organisations humanitaires, entreprises de
communication…), soit par agrégation de décisions ou de choix individuels
(mouvements migratoires par ex.). Elles sont amenées à se définir par rapport
aux États qui, au gré des situations, résistent à leur essor, cherchent à capter
ou à utiliser à leur profit certaines de leurs ressources ou, encore, établissent
avec elles un nouveau type de division du travail.
→ international (scène internationale), linkage, réseau (concept de)
BADIE B., SMOUTS M.-C., Le Retournement du monde. Sociologie de la
scène internationale, Paris, Presses de la FNSP, 1992 ; ROSENAU J.,
Turbulence in World Politics, Princeton, Princeton University Press, 1990.

TRIBALISME

Forme de solidarité primordiale largement antérieure à l’apparition de l’État


contemporain, dont les hiérarchies et les les institutions se révèlent même
antinomiques de l’État territorial. Le tribalisme est également une culture, un
ensemble de valeurs et un ethos, centrés par exemple sur l’honneur du groupe
et la défense de la vertu des femmes dans les sociétés du Proche-Orient et de
la Péninsule arabique. Selon les cas, sa dimension politique peut s’inscrire
dans le cadre d’une démocratie tribale reposant sur un équilibre entre des
fractions autonomes et égales, ou bien dans celui d’un commandement unique
ou un chef régit tous les aspects de la vie de la communauté. Le recours à
l’affrontement armé entre les groupes tribaux dans lequel chaque adulte mâle
est un guerrier constitue le mode de régulation normal de leurs relations. Cette
notion est très discutée par certains spécialistes lorsqu’elle se trouve appliquée
aux divisions des États africains contemporains.
→ anthropologie politique, segmentaires (sociétés)

TYPE-IDÉAL

La notion de type-idéal a été élaborée par Max Weber dans ses Essais sur la
science. Pour lui, le type-idéal représente la seule méthode compatible avec la
pluralité infinie des valeurs qui orientent les recherches menées par les
sociologues ; rompant avec un strict positi visme, Weber propose de
considérer celui-ci comme « un concept limite purement idéal, duquel on
mesure la réalité pour clarifier le contenu empirique de certains de ses
éléments importants et avec lesquels on la compare ». Le type-idéal est une
représentation de la réalité, partielle et partiale, construite à partir de valeurs
spécifiques conduisant à choisir certaines variables au détriment d’autres qui
n’entrent pas dans le cercle d’intérêt du chercheur (il s’agit selon les termes
mêmes de Weber d’un « concept limite purement idéal, duquel on mesure la
réalité pour clarifier le contenu empirique de certains de ses éléments
importants et avec lesquels on la compare »). Ainsi la dimension économique
privilégiée, par exemple, par le marxisme, représente un point de vue sur la
réalité qu’il convient de prendre en considération mais rien de plus. Dans ce
sens, « il n’est pas un exposé du réel […] on obtient un idéal-type en
accentuant unilatéralement un ou plusieurs points et en enchaînant une
multitude de phénomènes donnés isolément, diffus et discrets, que l’on trouve
tantôt en grand nombre et tantôt pas du tout, qu’on ordonne selon les
précédents points de vue choisis unilatéralement, pour former un tableau de
pensée homogène. On ne trouvera nulle part empiriquement un pareil tableau
dans sa pureté conceptuelle : il est une utopie ». Weber donne par conséquent
une importance considérable à l’imagination du sociologue et construit un
instrument de recherche compatible avec sa sociologie de la culture et des
valeurs. Contre tous les positivismes, Weber propose une sociologie
interprétative qui n’est guère compatible avec l’emploi des méthodes
quantitatives et statistiques d’autant plus qu’elle ne croit pas en la possibilité
de parvenir, dans les sciences sociales, à de véritables démonstrations de
l’ordre de la causalité, tant les valeurs unilatérales, celles des chercheurs mais
aussi et surtout celles des acteurs, sont multiples. D’une richesse
incontestable, ces tableaux de pensée présentent pourtant l’inconvénient
inverse des méthodes de type quantitatif : par définition, ils ne peuvent être
infirmés.
→ méthodologie : méthodes qualitatives, paradigme scientifique
WEBER M., Essais sur la théorie de la science, Paris, Plon, 1965 [1918],
pp. 179-181.

TYRANNIE
Règne d’un tyran, modalités d’exercice de son pouvoir sans frein, ou espace
politique qui lui est soumis. Dans la Grèce antique, le tyran s’emparait du
pouvoir et s’y maintenait par la force, au mépris de toute règle déjà établie ou
simplement prévisible. Il pouvait toutefois bénéficier de l’assentiment
populaire, et ce n’est qu’avec Platon et Aristote que la tyrannie s’est
transformée en catégorie typologique connotée de manière totalement
péjorative. Platon, en particulier, l’interprétait soit comme une corruption de
la monarchie, soit comme un risque tendanciel inhérent à la démocratie. C’est
Leo Strauss qui a renoué en 1946 avec l’usage du mot, devenu cher plus tard
aux néo-conservateurs américains dans leur croisade pour la démocratie en
tous terrains.
→ cité antique, totalitarisme, violence politique
U-V-W

UNIVERSALISME

→ particularisme

URBANISATION

Concentration de la population dans des villes, se traduisant en particulier


par le gonflement du secteur suburbain. Il s’agit d’un indicateur couramment
utilisé par les géographes et les démographes, de plus en plus repris par la
science politique, pour expliquer tant l’évolution des comportements
individuels et collectifs que l’activation des processus de mobilisation ou la
modification des modes de gouvernement. Les théories de la mobilisation
sociale ont ainsi suggéré que l’urbanisation était un des principaux facteurs de
remise en cause des allégeances traditionnelles de type communautaire,
d’individualisation des rapports sociaux et donc de risque d’anomie. Elle est, à
ce titre, conçue comme un des fondements les plus sûrs de la société de masse
et de la constitution d’un public mobilisé. De nombreux travaux ont dès lors
tenté de vérifier, avec plus ou moins de succès, qu’une urbanisation brutale et
erratique offrait un certain écho à l’appel du totalitarisme, mais servait aussi
de ferment aux mobilisations « revivalistes », de type islamiste ou hindouiste,
notamment. Le même argument peut être utilisé pour l’analyse des régimes
politiques : en favorisant la rupture des solidarités communautaires et
l’accroissement de la division du travail social, l’urbanisation conduit à une
transformation des structures d’autorité politique, à l’essor du mode associatif
et, en particulier, à celui des structures participatives.
→ communauté, mobilisation politique

UTOPIE

La pensée utopique s’efforce d’imaginer et de construire une société


émancipée, libérée des contraintes et de toutes les formes de pouvoir, une
société également close et organisée où régnerait une cohésion entre les
hommes qu’aucune source de conflit n’opposerait désormais plus. Face à la
coercition et à la misère, aux diverses sources constantes de l’oppression, la
pensée utopique veut s’évader des cadres sociaux pour envisager, par
l’abstraction, une société libérée mais qui n’en est pas moins très peu propice
à l’expression de l’individualisme ou du pluralisme. De Thomas More à
Fourier et Pierre Leroux, de Owen à Cabet ou Bellamy, des utopies ont été
conçues de manière souvent très systématique et en dehors de toute historicité.
Dès lors, les diverses pensées positivistes se sont toutes opposées à ces
constructions a priori et Karl Marx, par exemple, a violemment dénoncé ce
type de réflexion élaboré en dehors de l’histoire elle-même, leurs fondateurs
attendant même parfois la réalisation de leurs rêves de l’intervention
miraculeuse d’un roi ou, encore, d’un mécène. L’utopie s’oppose en ce sens
également à la science ou, encore, au réformisme. Elle n’en est pas moins
porteuse d’espoirs d’un autre monde et pousse dès lors les acteurs à s’engager
dans des transforma tions sociales rapides : utopie et messianisme se
conjuguent pour favoriser l’action, un auteur comme Ernst Bloch abordant, de
cette manière, par exemple dans son livre Thomas Münzer, les mouvements
millénaristes paysans. Et, contrairement aux hypothèses pessimistes d’un
Herbert Marcuse, cette forme d’espoir persisterait même dans les sociétés
industrialisées contemporaines, les ruptures de Mai 68 se voulant, par
exemple, irriguées de perspectives utopiques hostiles à tout fonctionnalisme.
Dans un sens plus limité, un auteur comme Karl Mannheim oppose l’utopie à
l’idéologie : à ses yeux, celle-ci tente « de rompre les liens de l’ordre
existant » alors que les idéologies « ne réussissent jamais de facto à réaliser
leur contenu », la différence entre l’une et l’autre résidant ainsi simplement
dans un facteur de réussite mesuré de manière rétroactive.
→ idéologie, messianisme, millénarisme
ABENSOUR M., « L’histoire de l’utopie et le destin de sa critique », Textures
(6-7), 1973 ; KUPLEC A., Karl Mannheim : idéologie, utopie et connaissance,
Paris, Le Félin, 2006 ; MANNHEIM K., Idéologie et utopie, Paris, Marcel
Rivière, 1956 ; LEPENIES W., La Fin de l’utopie et le retour de la mélancolie,
Paris, Collège de France, 1992 ; MANUEL F., The Prophets of Cambridge
(Mass.), Harvard university Press, 1962 ; MARCUSE H., La Fin de l’utopie,
Paris, Seuil, 1968 ; NOZICK R., Anarchie, état et utopie, Paris, PUF, 1988 ;
RICŒUR P., L’Idéologie et l’utopie, Paris, Le Seuil, 1997.
VALEUR

En sociologie comme en science politique, la valeur désigne, selon la


formule de Clyde Kluckhohn, une conception du désirable communément
partagée à l’intérieur d’une collectivité sociale. Cette conception peut être
explicitée et même emblématisée, comme elle peut être implicite et, à ce titre,
induite de l’observation du comportement des acteurs sociaux. D’abord
intériorisée par l’individu, au cours de son processus de socialisation, elle
contribue à l’intégration de toute collectivité qui en fait sa marque. Dans les
sociétés traditionnelles, les valeurs contribuent ainsi à la cohésion de la société
tout entière et sont donc les éléments constitutifs d’une forte conscience
collective ; dans les sociétés modernes, l’essor de la division du travail social
et celui des conflits sociaux réduisent d’autant le nombre des valeurs
généralement partagées au sein de la société.
Les sciences sociales ont intégré l’analyse des valeurs pour concevoir un
paradigme qui est souvent opposé à celui de l’utilité : l’action sociale peut être
ainsi expliquée soit par référence aux valeurs qui prédisposent (sociologie des
valeurs), soit par référence aux bénéfices qu’elle est censée procurer à ceux
qui y participent (individualisme méthodologique). Max Weber suggère
néanmoins que cette opposition est, dans de nombreux cas, dépassée par le
« comportement rationnel en valeur » (wertrational) par lequel l’individu
place le calcul utilitaire au service de ses propres valeurs qu’il cherche à
promouvoir. À un niveau méthodologique plus général, Max Weber avertit le
sociologue de la nécessité du « rapport aux valeurs », démarche par laquelle il
se doit de ramener l’action sociale qu’il observe aux valeurs de la société et de
l’époque étudiées et de tenir compte du décalage qui les sépare de ses propres
valeurs d’observateur-historien.
→ culture politique, individualisme, socialisation politique
KLUCKHOHN C., « Values and value-orientation on the theory of action », in
PARSONS T., SHILS E. (ed.), Toward a General Theory of Action, Cambridge
(Mass.), Harvard University Press, 1951 ; WEBER M., Économie et société,
Paris, Plon, 1971 [1922].

VERTS

→ partis écologistes
Violence politique
En un sens large, toute forme de contrôle social (processus d’acculturation
ou de socialisation) est une violence faite à des individus contraints de
renoncer à la satisfaction de certaines attentes. Il s’agit là d’une « violence
structurelle » qui produit, selon les termes de Johan Galtung, « une différence
négative entre les possibilités d’accomplissement des individus et leurs
réalisations effectives ». Cette conception très (trop ?) large de la violence est
loin d’être unanimement partagée. Un critère matériel (destructions de biens,
blessures létales ou non infligées aux personnes) est considéré comme un
élément indispensable de la définition. Mais ce qui qualifie de politique la
violence ainsi comprise, c’est la présence d’indicateurs supplémentaires :
généralement le choix de la cible, les motivations de l’acteur, le modus
operandi ou les circonstances du passage à l’acte. Dans les systèmes politiques
contemporains, qui cherchent tous à faire prévaloir la monopolisation au profit
de l’État du recours légitime à la force, le critère matériel, en revanche, il
convient de retenir sous la même définition les manifestations de la violence
d’État, souvent euphémisée sous le terme de coercition, et les violences
contestataires : à la fois parce qu’elles sont fréquemment en étroite interaction,
mais aussi par souci de neutralité scientifique à l’égard des jugements de
valeurs, très contrastés, que portent sur elles les acteurs sociaux. Ainsi conçue,
la violence, envisagée comme menace ou comme recours, constitue une
« ressource » qui s’intègre, à côté d’autres moyens d’action concomitants,
dans les logiques de négociation et de marchandage qui gouvernent la vie
politique. Elle est inégalement performante selon qu’elle éveille seulement
l’éphémère attention des médias ou qu’elle inspire soit la peur qui paralyse
soit l’indignation qui mobilise. Elle est aussi inégalement distribuée. L’État
moderne dispose généralement d’une supériorité écrasante tant du point de
vue technique que symbolique, puisque sa violence est censée utilisée
seulement pour faire respecter le droit. Cependant, une violence à niveau
modéré (occupations de lieux publics, déprédations matérielles circonscrites)
constitue dans les démocraties un moyen d’expression courant et banalisé.
Enfin, de très petits groupes – terroristes – peuvent acquérir une capacité de
nuisance élevée et, de ce fait, peser lourdement sur les calculs politiques des
gouvernants.
→ ressources politiques, terreur politique, terrorisme
BRAUD PH., Violences politiques, Paris, Seuil (Points), 2004 ; CRETTIEZ X.,
Violence et nationalisme, Paris, O. Jacob, 2006 ; GIRARD R., La Violence et le
sacré, Paris, Grasset, 1972 ; LAGRANGE H., OBERTI M. (dirs.), Émeutes
urbaines et protestation. Une singularité française, Paris, Presses de Sciences-
Po, 2008 ; MICHAUD Y., Changements dans la violence, Paris, O. Jacob, 2002 ;
SÉMELIN J., Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides,
Paris, Seuil, 2005 ; SOMMIER I., La Violence révolutionnaire, Paris, Presses de
Sciences-Po, 2008 ; TILLY CH., TARROW S., Politiques du conflit. De la grève à
la révolution, Paris, Presses de sciences-Po, 2008 ; WIEVIORKA M., La
Violence, Paris, Balland, 2004 ; ZIMMERMANN E., Political Violence, Crises
and Revolutions, Cambridge, Shenkman, 1983.

VIOLENCE SYMBOLIQUE

Chez Pierre Bourdieu, la violence symbolique est une violence douce,


invisible et masquée. « Méconnue comme telle, elle est choisie autant que
subie ». Ainsi gouverne-t-elle l’imposition des hiérarchies dans les savoirs
légitimes, les goûts artistiques, les bonnes manières, etc. Cette définition ne
prend donc pas en compte l’expérience subjective de la souffrance effectuée
par le sujet. Or il existe de nombreux phénomènes politiques, d’importance
majeure, qui se rattachent à une autre forme de violence symbolique aisément
observable. Soit celle qui, résultant d’atteintes à l’estime de soi ou aux
représentations collectives de soi, constitue une source de dépréciation
identitaire. Ainsi des discours xénophobes (racistes, antisémites…) ou, encore,
l’exhibition de titres de supériorité perçus comme illégitimes ou usurpés
(l’arrogance aristocratique à la veille de la Révolution française, le
nationalisme chauvin, les idéologies du Peuple élu ou de la classe dirigeante).
→ symbolique politique, violence politique
BOURDIEU P., Le Sens pratique, Paris, Minuit, 1980 ; BRAUD PH., Violences
politiques, Paris, Seuil, 2004 ; GIRLING J. L. S., Social Movements and
Symbolic Power : Radicalism, Reform and the Trial of Democracy in France,
Basingstoke, Palgrave MacMillan, 2004.

VIRTÙ

Terme italien, signifiant « vertu » dans sa traduction banale. Mais


Machiavel lui affecte un sens politique spécifique dans ses grands écrits
d’après 1512, en particulier dans Le Prince [1513-1514]. Soit celui d’un
devoir ou d’une qualité, propres à qui prétend agir dans la sphère publique,
empruntant à la fois au rigorisme, au courage et à l’utilitarisme avant le mot,
assimilable à une sorte de patriotisme actif, privilégiant l’intérêt de la
communauté politique par rapport à toute autre considération et obligeant
l’acteur politique bien qu’il agisse au besoin contre la morale commune en cas
de nécessité.
→ patriotisme
MACHIAVEL N., Le Prince, Paris, PUF, 2000 [1513-1514].

VOILE D’IGNORANCE

Cette notion a été proposée par John Rawls dans son livre fondamental,
Théorie de la justice. À ses yeux, des individus à la recherche d’un fondement
rationnel à leur association et à leur reconnaissance réciproque doivent
s’inspirer d’une véritable équité (fairness), c’est-à-dire que chacun doit
respecter des règles en sachant que les autres les appliquent également, et que
chacun sait aussi restreindre sa propre recherche du bonheur pour la rendre
compatible avec celle des autres. Afin de mettre en place cette justice
acceptable par tous, Rawls propose sa notion de voile d’ignorance impliquant
que les acteurs sociaux parviennent à se détacher de leurs convictions et de
leurs intérêts. Dans ce contexte, pour Rawls, « personne ne connaît sa place
dans la société, sa position de classe ou son statut social ; personne ne connaît
ses propres atouts naturels […] sa propre conception du bien […] le contexte
particulier de sa propre société ». Les hommes n’étant plus séparés par la
conscience de leurs intérêts contradictoires, de leurs valeurs antagonistes qui
les détournent d’un accord sur une vérité transcendantale commune à tous, ils
parviennent à atteindre, grâce à ce voile d’ignorance, un minimum d’accord
commun. La recherche de la justice supposerait donc la mise en place de ce
voile d’ignorance volontairement respecté par les citoyens soucieux du
renforcement de l’espace public partagé. Seuls ces contractants « imaginaires
et artificiels » (Catherine Audard) instaureraient une justice acceptable pour
tous, fondée ni sur un rapport social contraignant ni sur le partage d’une
culture commune.
→ justice
AUDARD C. et al., Individu et justice sociale, Paris, Seuil (Points), 1988 ;
RAWLS J., Théorie de la justice, Paris, Seuil, 1987 ; Justice et démocratie,
Paris, Seuil, 1993 ; ROSANVALLON P., La Nouvelle Question sociale, Paris,
Seuil, 1995.

VOLATILITÉ ÉLECTORALE

Expression empruntée à la chimie lorsqu’elle désigne l’aptitude d’une


substance à passer d’un état à un autre (de l’état liquide à l’état gazeux par
exemple). Appliquée au comportement électoral, elle se rapporte à la tendance
à changer de parti d’un scrutin à un autre, ou encore à passer du vote actif à
l’abstention.
→ élection, Électorale (sociologie)
BARTOLINI S., « La volatilità elettorale », Rivista italiana di scienza politica
(16), 1986.

VOTE (FONCTIONS DU)

Dans les démocraties pluralistes, le vote a clairement pour rôle de permettre


au Peuple de choisir ses représentants parmi les divers candidats qui sollicitent
ses suffrages. Mais il existe aussi des élections non disputées, comme cela
était notamment le cas dans les régimes politiques à parti unique ; le recours
aux urnes est-il alors simple mascarade puisqu’il n’existe aucun choix
possible ? On observe en outre, dans les démocraties libérales, une grande
attention portée à l’importance de la participation, ce qui suppose qu’il ne
suffit pas qu’un candidat ait été préféré aux autres pour que le processus
électoral soit réputé avoir fonctionné de manière satisfaisante.
À côté des fonctions explicites du vote : désigner des représentants ou
trancher par référendum une question posée, il existe aussi des fonctions
latentes dont l’importance ne saurait être sous-estimée. On se contentera de les
énumérer.
– C’est d’abord la légitimation des gouvernants grâce à l’onction du
suffrage universel, expression de la « volonté du Peuple souverain ». Dans les
sociétés modernes, devenues fort interdépendantes, l’alternance des personnes
ou des équipes au pouvoir n’a généralement qu’une influence limitée sur les
tendances lourdes qui les gouvernent : engagements internationaux,
contraintes économiques, traditions culturelles, rapports de force internes
entre catégories sociales et groupes d’intérêt. Le « choix » effectué par les
électeurs perd ainsi beaucoup de son importance ; en revanche, il demeure
décisif que se soit exprimé un consentement explicite de la majorité des
électeurs, car la légitimation qui en résulte est de nature à faciliter
considérablement l’obéissance à la Loi.
– C’est aussi une liturgie sociale qui réactive le sentiment d’appartenance
au (grand) groupe ; d’où le caractère facilement passionnel que revêt le
problème de l’octroi du droit de vote aux étrangers. Aller voter est un acte qui
atteste l’efficacité de la socialisation de l’individu comme citoyen conscient
de ses « droits », soucieux d’accomplir son « devoir ». Si voter pour X plutôt
que pour Y divise (mais le vote est secret aujourd’hui), se rendre aux urnes
participe d’un grand mouvement de mobilisation collective consensuelle et
pacifique.
– C’est enfin pour les forces politiques un test non seulement de leur
représentativité respective mais aussi, vu d’un autre angle, un moyen de
jauger le contrôle social qu’elles exercent. Dans ses formes caricaturales
(candidat unique élu avec plus de 99 % des voix) l’enjeu est particulièrement
visible : démontrer l’emprise du pouvoir politique sur la totalité de la
population. Mais cela vaut aussi dans les démocraties, sur un registre tout
différent il est vrai, puisqu’un très fort abstentionnisme nourrit l’inquiétude
sur la capacité d’encadrement du système politique. A contrario, si la liberté
d’expression populaire était le seul enjeu des consultations, on ne
comprendrait pas que des élections puissent être annulées (Algérie 1991,
Nigeria 1993) sans soulever une indignation unanime.
Max Weber distingue en outre trois idéaux-types de relation électorale : la
transaction, ou vote d’échange ; l’appartenance, ou vote communautaire ; la
conviction, ou vote d’opinion.
→ abstentionnisme, comportement politique, comportement de
l’électeur, démocratie, élection : Électorale (sociologie), droit de vote,
suffrage
BOY D., MAYER N. (dirs.), L’Électeur a ses raisons, Paris, Presses de
Sciences Po, 1997 ; BRAUD PH., Le Jardin des délices démocratiques, Paris,
Presses de Sciences Po, 1991 ; HERMET G., « Élections semi-
concurrentielles » ; « Élections non concurrentielles », in PERRINEAU P.,
REYNIÉ D. (dirs.), Dictionnaire du vote, Paris, PUF, 2001 ; IHL O., Le Vote,
Paris, Montchrestien, 2000 ; MAIR P., MULLER W., PLASSER F. (eds.), Political
Parties and Electoral Change. Responses to Electoral Markets, Londres,
Sage, 2004 ; MAYER N. (dir.), Les Modèles explicatifs du vote, Paris,
L’Harmattan, 1997.

VOTE BLOQUÉ

Disposition par laquelle le pouvoir exécutif demande à un organe législatif


de se prononcer en bloc sur tout ou partie d’un texte soumis à son
approbation. Cette procédure qui réduit le rôle du Parlement vise en particulier
à s’opposer aux amendements jugés indésirables par le gouvernement. Ce
mécanisme est prévu dans l’artcle 44-3 de la Constitution de la V République.
e

→ législatif (pouvoir), parlement

VOTE PRÉFÉRENTIEL

→ Electoraux (Systèmes)

WHIG/TORY

Compris au sens banal comme des équivalents cultivés de libéral et de


conservateur mais possédant au-delà de cela une signification plus subtile, ces
deux mots ont une origine lointaine controversée. L’adjectif, alors péjoratif,
Whig apparaît déjà pendant la Révolution anglaise pour désigner les
protestants radicaux écossais – whiggamore – partisans de Cromwell (par
analogie avec des bandes de voleurs de chevaux ainsi surnommés…), tandis
que le terme Tory se réfère initialement aux rebelles « papistes » d’Irlande –
toraighe. Ce n’est toutefois qu’au XVIII siècle que le clivage Whig/Tory
e

acquiert son sens classique. Il le fait par référence aux deux amorces du
bipartisme anglais en voie de formation : d’abord le nouveau parti Tory créé
par William Pitt, représentant à la fois l’Église anglicane, la gentry rurale et
certaines classes commerçantes, ensuite le nouveau parti Whig, conduit par
James Fox, qui, après avoir auparavant déjà représenté l’aristocratie et les
couches bourgeoises libérales, se fera notamment le défenseur des protestants
dissidents. De nos jours, après l’effondrement du bipartisme
libéraux/conservateurs dû à l’irruption des travaillistes, les deux termes
désignent encore parfois deux lignées ou deux tempéraments politiques
britanniques, l’un ouvert aux idées avancées et réformatrices (Tony Blair
serait à ce titre un Whig), l’autre distinguant une classe dirigeante attachée aux
traditions mais aussi protectrice des faibles.
→ Partis libéraux, Systèmes de partis
Liste de entrées

Les initiales figurant entre crochets sont celles des auteurs

Absolutisme [G.H.]
Abstentionnisme [G.H.]
Abstentionnisme différentiel [G.H.]
Accountability [G.H.]
Action collective [P.B.]
Action publique [P.B.]
Administration publique [Ph.B.]
Affaires courantes (Gouvernement d’) [Ph.B.]
Affirmative action [GH]
Afrique [B.B.]
Agenda politique [G.H.]
Agrarien [G.H.]
Aliénation politique [Ph.B.]
Altermondialisme [G.H.]
Alternance politique [Ph.B.]
Amendement (Droit d’) [Ph.B.]
Amérique latine [G.H.]
Anarchisme [G.H.]
Anarcho-syndicalisme [G.H.]
Anthropologie politique [G.H.]
Anticléricalisme [GH]
Antisémitisme [P.B.]
Apolitisme [Ph.B.]
Apparentements [Ph.B.]
Aristocratie [B.B.]
Asie orientale [B.B.]
Asie du Sud-Est [B.B.]
Assemblée nationale [Ph.B.]
Assimilation [P.B.]
Attitudes politiques [Ph.B.]
Autromarxisme [G.H.]
Autocontrainte [Ph.B.]
Autogestion [G.H.]
Autonomie [G.H.]
Autoritaire [G.H.]
Autoritaire (Personnalité) [G.H.]
Autoritarisme [G.H.]
Autorité [G.H.]

Ballottage [Ph.B.]
Behaviourisme (ou behaviorisme) [B.B.]
Bicamérisme [Ph.B.]
Biens communs [B.B.]
Biens primaires [G.H.]
Bonapartisme [G.H.]
Bossism [G.H.]
Bourgeoisie [G.H.]
Budget de l’État [Ph.B.]
Bureaucratie [P.B.]
C
Cabinet [G.H.]
Cabinet (Gouvernement de) [G.H.]
Cabinets ministériels [G.H.]
Caciquisme [G.H.]
Caméralisme [G.H.]
Capital social [G.H.]
Capitalisme [Ph.B.]
Castes et politique [P.B.]
Catholicisme et politique [G.H.]
Caucus [G.H.]
Caudillisme [G.H.]
Censure (Motion de) [Ph.B.]
Centralisation/Décentralisation [P.B.]
Centre [G.H.]
Centre-périphérie [B.B.]
Charisme [P.B.]
Checks and balances [G.H.]
Chef de l’État [Ph.B.]
Chef du gouvernement [Ph.B.]
Choix rationnel (Théorie du) [G.H.]
Cité antique [G.H.]
Cité-État [G.H.]
Citoyenneté [Ph.B.]
Civil Rights [G.H.]
Civilisation [B.B.]
Clan [B.B.]
Classe sociale [Ph.B.]
Clientélisme [G.H.]
Clivages politiques [G.H.]
Coalition (gouvernement de) [Ph.B.]
Coercition [Ph.B.]
Collectivités locales [Ph.B.]
Colonialisme [B.B.]
Coloniale (Situation) [G.H.]
Commissions parlementaires [Ph.B.]
Communautarisation [P.B.]
Communauté [B.B.]
Communalisation-sociation [B.B.]
Communauté de sécurité [B.B.]
Communauté imaginée [P.B.]
Communication politique [Ph.B.]
Communisme [Ph.B.]
Communitariens [G.H.]
Comparaison politique [B.B.]
Comportement électoral [Ph.B.]
Comportement politique [Ph.B.]
Concentrationnaire (Système) [B.B.]
Confiance (Question de) [Ph.B.]
Conflits (Théorie des) [P.B.]
Conflit international [B.B.]
Conflit international (lnouveau) [B.B.]
Consensus [Ph.B.]
Consensus de Washington [G.H.]
Conservatisme [Ph.B.]
Consociatif (Système) [G.H.]
Constitution [Ph.B.]
Constructivisme [Ph.B.]
Contractuelles (Politiques) [Ph.B.]
Contrat social [B.B.]
Contre-révolution [P.B.]
Conviction (éthique de la) [G.H.]
Corporatisme [G.H.]
Coup d’État [G.H.]
Crise [Ph.B.]
Culte de la personnalité [G.H.]
Culture [B.B.]
Culture politique [B.B.]
Cybernétique [G.H.]

Débat [Ph.B.]
Décentralisation/Déconcentration [Ph.B.]
Décision (processus de) [P.B.]
Déconcentration [Ph.B.]
Démocratie [G.H.]
Démocratie antique [G.H.]
Démocratie consociative [G.H.]
Démocratie délibérative [G.H.]
Démocratie directe [G.H.]
Démocratie électronique [G.H.]
Démocratie illibérale [G.H.]
Démocratie industrielle [G.H.]
Démocratie organique [G.H.]
Démocratie participative [G.H.]
Démocratie procédurale [G.H.]
Démocratie représentative [Ph.B.]
Démocratisation [G.H.]
Dépendance (Théorie de la) [B.B.]
Désenchantement du monde [G.H.]
Développement durable [G.H.]
Développement politique [B.B.]
Dévolution [G.H.]
Dhimmis [G.H.]
Dictature [G.H.]
Dictature du prolétariat [Ph.B.]
Diplomatie [B.B.]
Discours performatif [G.H.]
Discrimination positive [G.H.]
Disassimilation [P.B.]
Dissolution [Ph.B.]
Dissonance cognitive [Ph.B.]
Dissuasion [B.B.]
Division du travail social [P.B.]
Domination (types de) [Ph.B.]
Droit de vote [Ph.B.]
Droit naturel [Ph.B.]
Droite [G.H.]
Droits civiques [Ph.B.]
Droits de l’homme [G.H.]

École de Francfort [G.H.]


Écologique (Analyse) [Ph.B.]
Écologistes (Mouvements) [Ph.B.]
Économie politique [G.H.]
Économie sociale de marché [G.H.]
Économique (Analyse) [B.B.]
Éducation politique [P.B.]
Égalité [Ph.B.]
Élection [B.B.]
Électorale (Sociologie) [Ph.B.]
Électoraux (Systèmes) [Ph.B.]
Élitistes (Théories) [P.B.]
Émotions politiques [Ph.B.]
Empire [B.B.]
Empires agrariens [G.H.]
Empirisme [G.H.]
Endogène/Exogène [B.B.]
Espace public [P.B.]
État [P.B.]
État de droit [G.H.]
État-nation [P.B.]
État-Providence [G.H.]
État régulateurl [P.B.]
État virtuel [G.H.]
État voyou [B.B.]
Ethnicité [B.B.]
Ethno-nationalisme [P.B.]
Études européennes [G.H.]
Évaluation des politiques publiques [Ph.B.]
Exécutif/Législatif (Pouvoirs) [Ph.B.]
Expert et politique [Ph.B.]
Exploitation [Ph.B.]
Extrême-Orient [B.B.]

Falsifiabilité [Ph.B.]
Fascisme [P.B.]
Fédéralisme [P.B.]
Federalist Papers [G.H.]
Femmes [Ph.B.]
Féodalité [G.H.]
Finances publiques [Ph.B.]
Fonction tribunitienne [G.H.]
Fonctionnaires [P.B.]
Fonctionnaires internationaux [G.H.]
Fonctionnalisme (théorie du) [P.B.]
Fondamentalisme protestant [G.H.]
Formule magique [G.H.]
Foules (théorie des) [P.B.]
Franchise électorale [G.H.]
Frustration relative (Théorie de la) [G.H.]

Gauche/Droite [G.H.]
Génocide [P.B. + G.H.]
Gender studies [G.H.]
Genre [G.H.]
Géopolitique [B.B.]
Gerrymandering [B.B.]
Globalisation [B.B.]
Gouvernabilité [P.B.]
Gouvernance [G.H.]
Gouvernance multi-niveaux [Ph.B.]
Gouvernement [Ph.B.]
Gouvernement local [P.B.]
Gouvernementalité [G.H.]
Groupe de référence/d’appartenance [P.B.]
Groupes de pression [P.B.]
Guerre [B.B.]
Guerre préventive [B.B.]

Habitus [Ph.B.]
Hiérarchie sociale [P.B.]
Historicisme [Ph.B.+ G.H.]
Holisme [G.H.]

Idealtyp [G.H.]
Identité politique [Ph.B.]
Idéologie [P.B.]
Immigration (Politiques de l’) [Ph.B.]
Impeachment [G.H.]
Impérialisme [B.B.]
Imputabilité [G.H.]
Incrémentalisme [P.B.]
Indigénisme [G.H.]
Individualisme [P.B.]
Individualisme méthodologique [P.B.]
Industrialisation [B.B.]
Industrielle (société) [P.B.]
Influence [Ph.B.]
Information [Ph.B.]
Ingérence [B.B.]
Institution/Institutionnalisation [B.B.]
Institutionnalisme historique [G.H.]
Institutionnalisme libéral [B.B.]
Institutions politiques [Ph.B.]
Instrumentalisme [G.H.]
Intégration [B.B.]
Intégration régionale [B.B.]
Interactionnisme [Ph.B.]
Intercommunalité [Ph.B.]
Intérêts [Ph.B.]
International (Scène internationale) [B.B.]
Internet [Ph.B.]
Interventionnisme de l’État [Ph.B.]
Islam et politique [B.B.]
Islamisme [B.B.]

Jacobinisme [P.B.]
Jeux (théorie des) [G.H.]
Judaïsme et politique [P.B.]
Justice [G.H.]
Justice sociale [G.H.]

Laïcité [G.H.]
Langage politique [Ph.B.]
Leaders d’opinion [P.B.]
Leadership [G.H.]
Légalité [Ph.B.]
Législatif (Pouvoir) [Ph.B.]
Légitimité [G.H.]
Légitimité (types de) [P.B.]
Léninisme [P.B.]
Libéralisation [G.H.]
Libéralisme [P.B.]
Libertariens [G.H.]
Liberté/Égalité [Ph.B.]
Liberté des anciens/Liberté des modernes [Ph.B.]
Libertés publiques [Ph.B.]
Linkage [B.B.]
Liturgie politique [Ph.B.]
Lobby [P.B.]
Loi [G.H.]
Loyalty [P.B.]
Lustration [G.H.]

Magna carta [B.B.]


Maintien et imposition de la paix [B.B.]
Majoritaire (Principe) [B.B.]
Management public [G.H.]
Marché (Démocratie et) [G.H.]
Marché politique [B.B.] + [G.H.]
Marginalité politique [Ph.B.]
Marxisme [P.B.]
Masse (société de) [P.B.]
Médias [Ph.B.]
Médiation [B.B.]
Méritocratie [P.B.]
Messianisme [B.B.]
Méthodologie [Ph.B.]
Méthodes qualitatives [Ph.B.]
Méthodes quantitatives [Ph.B.]
Michigan (Paradigme de) [G.H.]
Migration [B.B.]
Militaires et politique [G.H.]
Militantisme [Ph.B.]
Millénarisme [B.B.]
Ministres [Ph.B.] + [P.B.]
Minorité [B.B.]
Minorité (Gouvernement de) [B.B.]
Mobilisation politique [B.B.]
Mobilisation sociale [B.B.]
Modèles [Ph.B.]
Modèles spatiaux [G.H.]
Modernisation [B.B.]
Modernité [B.B.]
Monarchie [G.H.]
Mondialisation [B.B.]
Multiculturalisme [P.B.]
Multilatéralisme [B.B.]
Mythe politique [Ph.B.]

Nation [P.B.]
Nationalisme [P.B.]
Nationalisme libéral [P.B.]
Nationalitaires (Mouvements) [P.B.]
Nationalité [G.H.]
Nature État de) [Ph.B.]
Nazisme [P.B.]
Néo-corporatisme [P.B.]
Néo-institutionnalisme [G.H.]
Néo-patrimonialisme [B.B.]
Notables [P.B.]
Nouveaux mouvements sociaux [G.H.]

Obligation politique [B.B.]


Oligarchie (Loi d’airain d’) [P.B.]
Olson (Paradigme d’) [P.B.]
Opinion publique [Ph.B.]
Opposition [B.B.]
Ordre (Sociétés d’) [G.H.]
Ordre politique [B.B.]
Organicisme [P.B.]
Organisations non gouverrnementales [B.B.]
Organisations (théorie des) [P.B.]

Pacifisme [B.B.]
Paix [B.B.]
Panel (Technique du) [G.H.]
Paradigme scientifique [G.H.]
Paradoxe de Condorcet [Ph.B.]
Parlement [Ph.B.]
Participation politique [P.B.]
Particularisme-Primordialisme-Univer-salisme [B.B.]
Partis politiques [G.H.]
Organisation interne [G.H.]
Systèmes de partis [B.B.] + [G.H.]
Typologie des clivages partisans [G.H.]
Partis cartel [G.H.]
Partis agrariens [G.H.]
Partis antifiscaux [G.H.]
Partis autonomistes [G.H.]
Partis communistes [B.B.]
Partis successeurs [G.H.]
Partis confessionnels [B.B.]
Partis démocrates-chrétiens [G.H.]
Partis écologistes [Ph.B.]
Partis ethniques [G.H.]
Partis libéraux [P.B.]
Partis protestants [G.H.]
Partis radicaux [B.B.]
Partis socialistes et sociaux-démocrates [G.H.]
Partis travaillistes [P.B.]
Partis américains [G.H.]
Partis dans les sociétés en développement [B.B.]
Parti unique [B.B.]
Passions politiques [Ph.B.]
Patrimonialisme/Néo-patrimonialisme [B.B.]
Patriotisme [G.H.]
Patriotisme constitutionnel [P.B.]
Personnalisation [P.B.]
Personnel politique (sélection du) [P.B.]
Persuasion politique [Ph.B.]
Pertinence [Ph.B.]
Peuple [B.B.]
Pilarisation [G.H.]
Plébiscite [G.H.]
Pluralisme [P.B.]
Policy communities [Ph.B.]
Policy networks [Ph.B.]
Politeia [Ph.B.]
Politiques publiques [P.B.]
Politisation [Ph.B.]
Polyarchie [P.B.]
Popularité [Ph.B.]
Populisme [B.B.]
Positivisme [P.B.]
Possibilisme [G.H.]
Postcolonial Studies [G.H.]
Postnationalisme [P.B.]
Poubelle [P.B.]
Pouvoir [Ph.B.]
Pouvoir exécutif/Pouvoir législatif [Ph.B.]
Pragmatisme (Sociologie pragmatique) [G.H.]
Premier ministre [Ph.B.]
Président de la République [Ph.B.]
Présidentialisme [G.H.]
Primaires (Élections) [B.B.]
Primordialisme [B.B.]
Principe de précaution [G.H.]
Progrès (Idée de) [P.B.]
Pronunciamiento [G.H.]
Protectorat [Ph.B.]
Protestataires (Mobilisations) [Ph.B.]
Protestantisme et politique [G.H.]
Psychologie politique [Ph.B.]
Public Choice [G.H.]
Public/Privé (Distinction) [P.B.]
Puissance [B.B.]
Purification ethnique [G.H.]
Putsch [G.H.]

Questions parlementaires [Ph.B.]

Race/Racisme [P.B.]
Réaction [P.B.]
Realpolitik [G.H.]
Réaliste (Théorie) [B.B.]
Référendum [G.H.]
Référentiel [G.H.]
Régimes internationaux [G.H.]
Régimes politiques [Ph.B.]
Régimes autoritaires [G.H.]
Régimes militaires [G.H.]
Régime mixte [G.H.]
Régimes parlementaires [Ph.B.]
Régimes présidentiels et semi-présidentiels [G.H.]
Régime représentatif [Ph.B.]
Régimes sultaniques [G.H.]
Régimes (systèmes) totalitaires [G.H.]
Régulation [B.B.]
Relations internationales [B.B.]
Relativisme culturel [B.B.]
Religion civile [G.H.]
Religion et politique [B.B.]
Répertoire d’action [Ph.B.]
Représentation (Théorie de la) [B.B.]
Représentation politique [Ph.B.]
Représentation fonctionnelle [G.H.]
Représentations [Ph.B.]
République [P.B.]
Réseau (concept de) [B.B.]
Résolution des conflits [B.B.]
Responsabilité (Éthique de la) [G.H.]
Responsabilité politique [Ph.B.]
Ressources politiques [Ph.B.]
Rétrodiction [G.H.]
Révolution [B.B.]
Rites politiques [Ph.B.]
Rôle (notion de) [P.B.]

Sacralisation [G.H.]
Scrutin (Modes de) [Ph.B.]
Secte [B.B.]
Sécularisation [G.H.]
Sécurité [B.B.]
Sécurité humaine [GH]
Segmentaires (sociétés) [B.B.]
Sens commun [Ph.B.]
Séparation des pouvoirs (doctrine de la) [P.B.]
Sexe [GH]
Shadow cabinet [B.B.]
Sionisme [P.B.]
Socialisation politique [B.B.]
Socialisme [G.H.]
Société [Ph.B.]
Société civile [Ph.B.]
Société de risque [G.H.]
Sociologie électorale [Ph.B.]
Sociologie historique [Ph.B.]
Soft Power [B.B.]
Sondages d’opinion [Ph.B.]
Souveraineté [Ph.B.]
Spin doctor [G.H.]
Stalinisme [G.H.]
Storytelling [G.H.]
Subsidiarité [B.B.]
Suffrage [G.H.]
Symbolique politique [Ph.B.]
Syndicats [P.B.]
Système [G.H.]
Système des dépouilles [P.B.]
Système politique [G.H.]
Systémique (analyse) [P.B.]
T

Tables rondes [G.H.]


Technocratie [P.B.]
Technostructure [P.B.]
Télévision et politique [Ph.B.]
Terreur politique [G.H.]
Territoire [B.B.]
Terrorisme [B.B.]
Théocratie [B.B.]
Théorie critique [G.H.]
Thomas (théorème de) [G.H.]
Ticket gratuit [P.B.]
Tiers État [P.B.]
Tingsten (effet) [G.H.]
Totalitarisme [G.H.]
Tradition [G.H.]
Traditionalisme [G.H.]
Transitions démocratiques [G.H.]
Transnationales (Relations) [B.B.]
Tribalisme [G.H.]
Type-idéal [P.B.]
Tyrannie [G.H.]

Universalisme [B.B.]
Urbanisation [B.B.]
Utopie [P.B.]

V
Valeur [B.B.]
Verts [Ph.B.]
Violence politique [Ph.B.]
Violence symbolique [Ph.B.]
Virtù [GH]
Voile d’ignorance [P.B.]
Volatilité électorale [GH]
Vote (fonctions du) [Ph.B]
Vote bloqué [GH]
Vote préférentiel [Ph.B]

Whig/Tory [G.H.]

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