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ment couvert par les médias. Il faut indiscutablement s’en réjouir, les étran-
gers victimes de ce traitement discriminatoire étant devenus, avec le temps,
presque invisibles. En réponse aux propos du ministre de l’intérieur annon-
çant qu’il fallait mettre fin à ces situations inacceptables, nous attendons dé-
sormais des actes. Le risque d’un projet de loi au contenu trop restrictif ne
protégeant que certaines catégories d’étrangers sans remettre en cause le
principe même de la double peine est de toute évidence immense. Pire en-
core, le gouvernement pourrait se contenter de l’envoi d’une circulaire dont
l’expérience montre qu’elle ne changera pas les pratiques judiciaires.
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Il serait temps que les Etats de Il’Union européenne se montrent respon-
sables et arrêtent de jouer à la balle avec des personnes qui traversent l’Eu-
rope pour trouver une terre d’accueil. Le droit au travail des demandeurs
d’asile et la possibilité, pour ces derniers, de déposer leur demande dans le
pays de leur choix constituent de justes réponses au règlement de la ques-
tion de Sangatte, et éviteraient qu’à l’avenir d’autres lieux de passage et
d’engorgement ne se créent. Sinon les mêmes causes produiront les mêmes
effets.
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Les Portugais des Trente Glorieuses — Marie-
christine Volovitch-Tavares
Du milieu des années soixante au début de la décennie suivante, des cen-
taines de milliers de Portugais avaient quitté clandestinement leur pays et
étaient entrés en France dans une totale illégalité, après avoir franchi « a
salto » (en sautant) deux frontières, munis seulement, pour la plupart
d’entre eux, d’un « passeport de lapin » comme on disait alors. Cette situa-
tion était tout à fait paradoxale, car le recrutement de travailleurs portugais
était réclamé par les employeurs français et que, dans une certaine mesure,
les pouvoirs publics étaient prêts à l’organiser légalement. Mais ils ne ces-
sèrent de se heurter au refus des gouvernements portugais d’accorder des
visas à leurs ressortissants.
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pris entre des exigences contradictoires, appliqua sa propre législation de
façon inégale et arbitraire, afin de maintenir un climat de crainte, mais sans
réussir à freiner efficacement l’émigration clandestine dont la croissance
s’accéléra, pour culminer en 1969 et 1970. Il fallut attendre la mort de Sala-
zar pour que le gouvernement portugais accepte de libérer l’émigration éco-
nomique et signe, en 1971, un nouvel accord de main-d’œuvre avec la
France. Cet accord, dont les termes furent respectés, ouvrit la voie à tous les
accords ultérieurs.
Mais, pour les immigrés portugais en France, cet accord venait trop tard car
la très grande majorité d’entre eux était déjà entrée en France, dans un
contexte fortement marqué par la clandestinité. Parmi tous ces émigrés
clandestins, il faut se souvenir des milliers de jeunes gens mobilisables qui
quittèrent le Portugal pour ne pas participer aux guerres coloniales en An-
gola, au Mozambique et en Guinée-Bissau. On estime qu’ils étaient environ
100 000 en France à la chute de la dictature. Parmi eux, on comptait seule-
ment un petit nombre d’opposants déclarés à la dictature.
Pour tous les autres, cette guerre n’était tout simplement pas la leur. Les uns
et les autres partirent clandestinement en profitant de la grande vague
d’émigration illégale. Ainsi, presque le quart des Portugais régularisés
en 1969 avait entre seize et vingt-trois ans. L’accord franco-portugais
de 1971 sur l’émigration légale n’incluait évidemment pas les jeunes gens
désireux d’échapper aux guerres coloniales et seule la Révolution
du 25 avril 1974 permit un changement radical des conditions d’émigration
pour tous.
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Face aux entraves mises par Lisbonne, les gouvernements français réagirent
par étapes. Jusqu’en 1963, alors que les entrées illégales restaient minori-
taires, les régularisations furent limitées et, de temps en temps, quelques
immigrés illégaux étaient renvoyés. Mais, lorsqu’il s’avéra que l’accord si-
gné en 1963 ne fonctionnait pas, les régularisations se multiplièrent jusqu’à
devenir la règle, au point que les Portugais ne furent pas atteints par les pre-
mières mesures de restriction de l’immigration de 1968.
Ainsi, leurs entrées culminèrent, comme nous l’avons vu, en 1969 et 1970,
entrées massivement irrégulières puisque sur les 120 000 immigrés portu-
gais arrivés en France chacune de ces années-là, seuls 8 000 entrèrent dans
des conditions légales. La demande massive de travailleurs portugais par les
entreprises françaises a permis à de nombreux travailleurs sans qualification
et sans instruction de trouver du travail et de faire venir leur famille. Mais
ils durent se « débrouiller » entre ce qui était légal et ce qui était possible et,
de ce fait, se replier sur le recours à leurs compatriotes (famille, voisins de
village, mais aussi passeurs, logeurs…).
Quant aux jeunes gens en âge d’être mobilisés, le gouvernement français les
accepta dans la masse des immigrés portugais, tout en maintenant une sur-
veillance policière sur les opposants politiques. La situation devint plus
complexe au début des années soixante-dix. En effet, l’opposition à la dicta-
ture et les critiques de la guerre coloniale s’amplifiaient au Portugal, ame-
nant des jeunes de plus en plus nombreux en France. Or, à partir de 1972,
les effets convergents des circulaires Marcellin et Fontanet et du ralentisse-
ment de l’immigration portugaise rendirent plus difficile leur immersion
dans la masse de leurs compatriotes. Pourtant, très peu d’entre eux firent
une demande d’asile, même parmi les exilés politiques. On savait d’ailleurs
que la France accordait peu le statut de réfugié aux Portugais d’une manière
générale, et presque jamais à ceux qui avaient refusé le service militaire.
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Mais la situation avait changé en France aussi, et celle des Portugais s’était
rapprochée de celle des autres immigrés. A partir du début des années
soixante-dix, les régularisations furent plus difficilement accordées tant aux
travailleurs qu’à leurs familles. Ainsi, du fait, cette fois-ci, des restrictions
françaises, des Portugais rejoignirent l’ensemble des immigrés sans-papiers
et fournirent 10 % des régularisés de 1981/82. Leur situation évolua après
l’entrée du Portugal dans la CEE, en 1986, mais ils durent encore at-
tendre 1992 pour que la liberté totale de circulation leur soit applicable.
En passant de 50 000 en 1962 à 750 000 en 1975, les Portugais étaient de-
venus le groupe national le plus nombreux en France. Cet accroissement
spectaculaire s’était déroulé dans des conditions d’illégalité massive pour
des milliers d’hommes, de femmes, parfois d’enfants, qui se lancèrent dans
l’aventure difficile d’une émigration clandestine.
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ta longtemps dangereuse, surtout à l’époque des contrôles de la Guardia Ci-
vil espagnole, au point que certains passeurs abandonnèrent des gens en
pleine montagne. Parfois, il s’agissait « seulement » pour les clandestins qui
traversaient en train, de descendre à chacune des frontières et de rejoindre le
train de l’autre côté.
D’Aveiro à Champigny
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difficultés. Ainsi, les bidonvilles furent souvent le point de chute, au moins
provisoire, des réseaux. De plus, de nombreux clandestins ignorèrent pen-
dant quelque temps leurs possibilités de régularisation et, parfois plus long-
temps encore, leurs droits de salariés.
Le prix des passages était élevé. Souvent, seule une partie était payée avant
le départ, le solde étant versé lorsque le voyage était terminé. Un moyen
très fréquemment utilisé, pour ce faire, consistait à déchirer une photo en
deux, le clandestin laissant une partie à ses proches et n’envoyant l’autre
partie qu’à son arrivée. Il était fréquent que la famille se cotise pour payer
le passage. Ces sommes relativement importantes (étant donné la faiblesse
des revenus et surtout le manque d’argent liquide dans les campagnes)
furent pourtant remboursées assez rapidement. Les Portugais, vite embau-
chés, travaillèrent très durement, et les différences de salaire entre le Portu-
gal et la France contribuèrent à ce que ces dettes ne pèsent pas trop long-
temps. Le prix des passages baissa à la fin des années soixante, lorsque
l’Espagne ne fut plus un obstacle et que les régularisations devinrent la
règle.
Dans les villages qui connurent des départs massifs, presque toutes les fa-
milles étaient concernées par l’émigration de leurs proches, ce qui multi-
pliait les complicités. Il fallait cependant rétribuer parfois certaines d’entre
elles. De son côté, le gouvernement n’appliqua pas toujours la loi dans toute
sa rigueur, car le développement de l’émigration permettait de soulager les
campagnes et apportait au pays les économies des émigrants.
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En France, les réseaux de passeurs s’articulaient sur des guides, des chauf-
feurs de voitures, de taxis et de camions. Les solidarités humanistes et mili-
tantes se mirent en place progressivement en liaison avec les conditions de
travail et de logement des immigrés portugais, que leurs conditions d’entrée
en France avaient contribué à tenir en marge de la société française dont ils
ignoraient tout.
C’est au milieu des années soixante que le scandale des conditions d’immi-
gration des Portugais et de leur installation dans des bidonvilles commen-
cèrent à émouvoir l’opinion française. Jusqu’alors seuls des secteurs syndi-
caux et caritatifs (des curés français) avaient pris conscience de l’arrivée de
ces hommes et ces femmes, au terme de voyages parfois dignes d’une pé-
riode de guerre. De nombreux articles de presse, du Figaro à l’Humanité,
de l’Aurore à La Croix et au Monde, ainsi que des enquêtes plus poussées
(Hommes et Migrations à partir de 1965, Esprit en 1966) présentèrent ces
nouveaux « soutiers » de la croissance et les drames de leurs voyages clan-
destins.
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Hier comme aujourd’hui, on constate donc combien de difficiles conditions
d’arrivée fragilisent et marginalisent les populations qui les ont affrontées,
et peuvent encourager le repli entre compatriotes. ?
Bibliographie
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Passeur et passager, deux figures insépa-
rables — Smaïn Laacher, Laurette Mokrani
Il y a, dans tous les discours sur l’immigration « clandestine », qu’ils soient
savants, politiques ou militants, une figure rémanente, celle du « passeur ».
Impossible de les dissocier. Une expression ne va jamais sans l’autre. Dès
que l’une est énoncée, comme dans une sorte de langage automatique,
l’autre suit aussitôt, liée par une relation de cause à effet. Sans d’ailleurs, à
cet égard, que l’on sache vraiment avec discernement qui, de l’immigration
clandestine ou du passeur, produit la cause et constitue l’effet. Aussi, le plus
souvent, à défaut d’une compréhension systématique, assistons-nous à une
dénonciation et à une condamnation, dans le même mouvement, d’un pro-
cessus historique (l’immigration « clandestine » comme rapport de domina-
tion entre nations) et d’une activité sociale rémunérée (celle consistant à
conduire illégalement des personnes ou des groupes de personnes sans iden-
tité officielle d’un espace national à un autre).
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à des conflits locaux, etc.) effectué en toute méconnaissance du bon itiné-
raire illégal pour arriver sain et sauf dans un pays aussi sûr que possible.
« Le plus improbable, quand on veut quitter l’Irak, c’est d’obtenir les pa-
piers nécessaires : il faut des mois d’efforts et payer beaucoup d’argent.
Mais ça ne m’est pas venu à l’esprit d’essayer de sortir illégalement. Ça me
paraissait beaucoup trop dangereux, et je ne savais même pas par où aller.
Une fois la frontière passée, on entre dans un autre monde. Beaucoup plus
facile, mais en même temps beaucoup plus terrible : inhumain, au sens
strict de ce mot » [1].
Dans toute société, il existe des cadres sociaux et des institutions, et une
certaine familiarité à leurs règles et à leur mode de fonctionnement. Les
univers sociaux dans lesquels on vit sont maîtrisés sans problèmes majeurs.
Avant le grand départ, on trouvait dans ce tissu social des appuis et des re-
cours habituels de toutes sortes : moral, matériel, financier, et une protec-
tion si nécessaire. A l’instant où l’on quitte illégalement son pays, où l’on
franchit la première frontière, on rompt ces multiples liens d’appartenance
et de relative sécurité pour leur en substituer un autre, celui de la remise de
soi entre les mains d’un passeur.
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« Les passeurs, c’est ce que j’ai rencontré de pire dans ma vie. Des gens
comme ça, je ne pensais pas que ça existait. Je savais la procédure, payer
et passer ; mais comment se conduisent ces gens, je n’aurais jamais imagi-
né ça ».
La décision de partir est rarement une décision individuelle, elle est prise le
plus souvent en famille et en réponse à une situation qui touche cette même
famille dans son ensemble. Autant dire que ce ne sont pas les seuls intérêts
de l’individu sur le point de partir qui sont en jeu. Elle ne s’appuie pas non
plus sur une seule motivation mais, le plus souvent, sur une conjonction de
facteurs où l’économique le dispute au politique, pour dire les choses rapi-
dement.
« Au cours de langue que j’ai suivi à Paris, j’ai parlé avec des Chinois, des
Japonais, des Américains. Quand j’ai raconté que j’avais traversé la Tur-
quie, la Grèce et l’Italie pour arriver ici, ils ont dit que j’avais de la
chance, parce qu’eux, ils avaient simplement pris un avion direct pour Pa-
ris ».
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Le passeur, seul maître du jeu
Même s’il existe quelques différences dans les procédures, quand la déci-
sion de partir a été prise, la démarche est toujours la même : le candidat à
l’exil se met ou est mis en contact avec un passeur, il s’accorde avec lui sur
le coût et les modalités de paiement, puis il attend le moment propice pour
le départ. Hormis la décision initiale de partir, quasiment plus aucun choix
n’est possible. L’importance décisive du passeur rend celui-ci seul maître
du jeu. Il accepte ou refuse la demande de départ de l’exilé ; il annonce et
décide, en dernier lieu, du prix et de toutes les conditions de paiement ; en-
fin, il choisit seul le jour et l’heure du départ, et quels seront l’itinéraire et
les moyens de transports appropriés qui conduiront au pays de « destination
finale ». La « négociation » est profondément asymétrique. Le passeur
n’offre aucune garantie de succès, mais seulement une possibilité d’accès.
La chance ou la malchance feront le reste. Sans lui, cette possibilité, fut-elle
infime, n’existe pas.
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Cette réalité-là est connue sans l’être, elle est seulement subodorée, puisque
l’organisation des réseaux de passeurs (mode de fonctionnement interne et
relations communautaires ou ethniques entre les réseaux) comme toute or-
ganisation mafieuse, est tenue secrète.
Une fois en relation de face à face avec le passeur, celui-ci fixe ses condi-
tions.
« Quand j’ai téléphoné au contact que j’avais, rendez-vous m’a été donné
devant mon hôtel. Deux hommes sont arrivés en voiture, je suis monté avec
eux, ils m’ont conduit à une cafétéria. Là, on s’est assis et dix minutes
après, l’agent est arrivé : jeune, très bien habillé, très chic et très soigné,
bardé de téléphones portables et accompagné de quatre gardes du corps,
tous kurdes. Il est tout de suite entré dans le vif du sujet, me demandant ce
que je voulais. J’ai dit “aller en Europe”, il m’a répondu “j’ai un passage
par l’Italie, en bateau ou en camion”. Il s’est tu, il a fait mine de réfléchir, et
il a ajouté “mais pour toi, ce qu’il te faut, c’est le bateau. Prends le bateau”,
sur le ton d’une évidence, comme une solution vraiment adaptée à mon cas,
et comme un cadeau qu’il m’aurait fait en me conseillant ce choix. J’ai de-
mandé des précisions, si c’était un bateau normal. Il m’a répondu “bien
sûr ! C’est un très bon bateau qui transporte des voyageurs, des touristes. Tu
verras, c’est très bien. Je te le garantis !” Huit jours après, encouragé par
une nuée de coups de bâtons distribués par les passeurs qui frappaient les
gens pour qu’ils embarquent plus vite, j’ai grimpé la passerelle d’un vieux
cargo presque à l’état d’épave pour me retrouver, quelques instants après,
enfermé au fond d’une cale en compagnie de 450 autres personnes, prendre
la mer, et être rattrapé par la police turque quelques heures plus tard… ».
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qu’il est en mesure où non de donner suite à ce choix préalable, il défendra
ou au contraire déconseillera tel ou tel mode de déplacement.
« Quand j’ai été ramené à Dohok, après avoir été pris sur le bateau au
large d’Istanbul, j’ai pris contact avec un autre passeur. Il m’a proposé de
rejoindre la Turquie par la montagne, à pied, puis l’Italie par bateau. Il di-
sait “c’est ce qu’il y a de mieux, tu verras”. Justement, j’avais déjà vu…
J’ai refusé. Alors il m’a dit : “tu ne m’intéresses pas, va t-en” ».
Le passeur n’entre pas plus avant dans les explications : le détail est pros-
crit ; il ne dit jamais comment se déroulera le voyage ni combien de temps
il durera. Parce que, le plus souvent, il ne le sait pas lui-même, mais aussi
parce qu’il ne faut pas inquiéter le « client ». En outre, les passeurs n’ont
pas non plus la maîtrise totale de tous les axes. Les filières, en réalité, sont
organisées à l’intérieur de certains pays et entre certains pays, avec des ré-
seaux de « correspondants ». Il y a des axes de passage balisés et contrôlés,
et d’autres qui ne le sont pas : un migrant qui, de Dohok, voudrait gagner
l’Australie ne trouverait sans doute pas de « circuit ». En revanche, arriver
en Angleterre, via la Turquie, la Grèce et l’Italie, ou le Maroc et l’Espagne
puis la France, et faire effectuer le paiement en Allemagne, par exemple, où
le migrant aurait préalablement envoyé son argent, est un schéma parfaite-
ment possible car maîtrisé par les passeurs.
Bien souvent, le prix qui est demandé n’est pas identique pour un même tra-
jet, et l’aléa ne tient pas au passeur mais au client ; en un mot, il n’y a pas
de barème à respecter expressément : le passeur part d’un prix plancher, ce-
lui fixé par « le réseau », et le relève à hauteur de ce qu’il estime être les
moyens financiers de son client. La différence entre le prix plancher (que le
passeur reversera au réseau) et la somme réellement perçue constitue sa
commission. Ainsi, d’un migrant à l’autre utilisant le même passeur, les
prix varient, parfois très sensiblement, sans que cela corresponde à la
moindre différence dans les conditions du voyage.
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« Le premier passeur que j’ai vu, à Istanbul, m’a demandé 2 800 dollars
pour le passage. J’ai dit que j’allais réfléchir. Le soir, j’ai changé d’hôtel.
Le patron m’a demandé si je voulais aller en Europe. J’ai dit oui. Il m’a
proposé de m’arranger ça pour 1 800 dollars. Le premierpasseur m’avait
été indiqué par un ami. Le patron de l’hôtel, je ne le connaissais pas. J’ai
réfléchi toute la nuit. J’ai décidé qu’il valait mieux payer plus cher et être
plus sûr d’arriver. Mais, quand le départ a eu lieu, quelques jours après,
alors que nous étions rassemblés dans des minibus qui convergeaient tous
vers un même lieu, j’ai vu le patron de l’hôtel au volant d’un de ces véhi-
cules. En fait, c’était le même réseau. A ce moment-là, je n’y connaissais
rien, aux passeurs, c’était ma première tentative ».
C’est très généralement ce type de lieu qui est retenu. Trouver une tierce
personne en qui le passeur aura confiance n’est pas chose aisée, et suppose
quelqu’un offrant toute garantie, parce qu’en raison de sa situation profes-
sionnelle, il ne prendrait jamais le risque de ne pas payer : ce sera le cas, par
exemple, pour un médecin ou un commerçant. La réputation, la notoriété, la
profession, sont des indices fondamentaux de confiance.
Que ce soit entre les mains d’un tiers ou dans un bureau, l’argent est géné-
ralement « physiquement » déposé en présence du passeur. Le paiement est
précédé d’une procédure de vérification selon un mode convenu au préa-
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lable entre le migrant et le tiers, à l’insu du passeur. Cette vérification est
l’unique sécurité que le migrant puisse mettre en place, à ce stade du
voyage. Elle repose sur le choix d’un code, un mot, une phrase ou plus gé-
néralement un objet, qui devront être dit ou remis au tiers : arrivé à la pre-
mière étape, le migrant appelle son correspondant et, s’il prononce les mots
choisis au préalable, le paiement peut avoir lieu.
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relation faite de confiance obligée et de défiance nécessaire. Comment ima-
giner en effet entrer dans ce cycle du voyage sans un minimum de
confiance envers celui entre les mains duquel on remet sa vie ? Mais, dans
le même temps, cette confiance ne saurait être et ne se révèle être que toute
relative, voire illusoire. A la moindre anicroche, et a fortiori en cas de réelle
difficulté, il n’y a plus de prise en charge.
« Quand je suis parti de Dohok, j’étais avec un bon passeur. Tout le monde
avait dit “c’est un bon passeur”. Alors j’étais content d’être avec lui, je me
sentais en sécurité. Le troisième jour, on avait froid, faim, et on était si fati-
gués, l’un de nous est tombé dans le ravin… Le passeur a continué en di-
sant “vous restez avec lui ou vous avancez, c’est comme vous voulez”. Est-
ce que c’est ça, un bon passeur ? ».
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j’y ai pris une chambre. Jusqu’à ce que j’aie un accord avec un agent et
que je rejoigne son appartement, j’ai changé chaque jour d’hôtel. J’avais
peur, tout le temps et partout ».
Notes
[1]
Toutes les citations de cet article sont extraites d’une série d’entretiens
réalisés dans le cadre d’un ouvrage à paraître écrit par Laurette Mokra-
ni.
21
[2]
Ce trafic et cette exploitation d’êtres humains représentent des sommes
considérables. Un bref calcul, même approximatif, peut donner l’enjeu
financier lié à ce « commerce ». A raison d’une vingtaine de passages
par nuit pour l’Angleterre (probablement beaucoup moins ces der-
nières semaines) et de 600 dollars en moyenne le passage, les chefs de
réseaux de passeurs locaux peuvent empocher plus de 12 000 dollars
en une nuit. En une semaine, cela représente quelques 84 000 dollars.
Ce décompte, au moins jusqu’au second trimestre de 2002, est proba-
blement nettement en-dessous de la réalité.
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Stratégies roumaines — Dana Diminescu
Après la chute du régime communiste en Europe de l’Est, les peuples de ces
pays sont passés de façon spectaculaire de la « non-mobilité » (depuis la se-
conde guerre mondiale et jusqu’en 1989, non seulement les migrations mais
toute forme de déplacement international étaient restés très réduits) à un ré-
gime de migrations très intenses. La Roumanie ne fait pas exception : mal-
gré un régime international très restrictif à l’égard de la libre circulation des
Roumains, les douze années écoulées entre l’obtention du droit de sortir li-
brement du pays (décembre 1989) et le droit d’entrer sans visa dans l’es-
pace Schengen (janvier 2002) ont marqué la reprise des déplacements à
l’étranger.
Dans leur ensemble, ces nouvelles mobilités s’inscrivent dans les tendances
générales de l’espace migratoire mondial. Mais, dès que l’on se réfère au
contexte particulier de la construction européenne et à la question de l’adhé-
sion des pays d’Europe centrale et orientale à l’Union européenne, elles
renvoient à une évolution spécifique.
C’est à travers l’étude des rapports complexes qui se dessinent dans les re-
lations des différents pays de l’UE avec la Roumanie (en particulier sur la
politique de gestion des flux de circulation et de migration) et leurs contri-
butions implicites à la genèse des différentes mobilités, qu’on a pu distin-
guer, pendant les années qui ont suivi le changement politique et social
de 1989, plusieurs stratégies et même stratagèmes de circulation migratoire
correspondant à trois périodes distinctes.
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tion que de migration, diminuent jusqu’à leur disparition vers la fin des an-
nées 90.
Dès lors, les itinéraires migratoires des Roumains sont devenus un vrai par-
cours du combattant des frontières utilisant toutes les opportunités pos-
sibles, la ruse et le détour. Clandestins pour la plupart, les passages au-delà
de l’ex-rideau de fer ont été, au début, le fait d’initiatives individuelles, sui-
vant une logique plutôt d’improvisation et d’exploration. Puis, à mesure que
les connaissances sur les trajets et les potentialités du marché du travail oc-
cidentaux s’accumulaient, les départs groupés, accompagnés d’un passeur,
ont été plus nombreux.
Bien que leurs tactiques et leurs itinéraires migratoires vers la France soient
très divers, et que les réseaux des uns n’interférent pas avec ceux des autres,
les trajectoires migratoires ne différent pas d’un groupe à l’autre. Deux tra-
jets jalonnent l’espace et le temps des voyages clandestins et se détachent
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dans l’ensemble de leurs mobilités : un par la Pologne traversant l’Oder, et
l’autre par la Hongrie, pénétrant l’espace occidental à la frontière verte avec
l’Autriche.
Une entrée clandestine conclue, quelques mois après, par un retour « for-
cé », mais en réalité volontaire et gratuit, (organisé par la compagnie Ta-
rom – grâce aux procédures d’expulsion et aux accords de réadmission si-
gnés par la Roumanie avec la majorité des pays de la Communauté euro-
péenne) a été une des stratégies couramment employées par les migrants
roumains en France. Cette organisation a changé, vers la fin des années 90,
quand la formule est devenue : une entrée légale dans l’espace Schengen,
un séjour clandestin régularisé sur place (obligatoirement dans un Etat autre
que celui qui a délivré le visa d’entrée dans l’espace Schengen) et un retour
légal.
Inscrites longtemps dans des paysages, les frontières ont quitté, à la fin des
années 90, les cartes de la géographie physique. Transformées en fichiers,
elle sont soudainement apparues dans les consulats, les préfectures, sur les
ordinateurs portables d’un agent de contrôle à côté d’un banal péage d’auto-
route. Tel est le cas du fichier de délivrance des visas, de l’AGDREF (fi-
chier des ressortissants étrangers en France), du SIS (Système informatique
25
Schengen), d’Eurodac (fichier communautaire des demandeurs d’asile poli-
tique dans l’Union européenne), etc. Ces nouvelles frontières informatiques,
qui déploient une logique de réseau extraterritorial, ont élargi les territoires
nationaux ou communautaires au-delà de leurs frontières d’Etats.
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lemande. Les retours intermittents des Allemands d’origine roumaine à
l’occasion de vacances ou de visites à la famille résidant encore en Rouma-
nie – liberté très précieuse qui leur permettait de partir et de revenir, et tant
désirée – ont nourri pendant longtemps l’imaginaire migratoire de la société
roumaine.
Si, au début des années 90, les « invités » se transformaient, après leur en-
trée en Allemagne, en réfugiés politiques, la situation se présente bien diffé-
remment aujourd’hui. Une partie de la population migrante roumaine instal-
lée et travaillant de manière plus ou moins temporaire en Italie, mais aussi
en Espagne ou en France, est arrivée de Roumanie suite à une demande de
visa pour l’Allemagne. Une sorte d’accord tacite en vigueur dans ces ré-
seaux vise en effet à éviter de créer des ennuis aux amis allemands qui ont
permis la délivrance de ce visa. Cette connivence garantit « la propreté
dans l’ordinateur » [5] (c’est-à-dire la non-inscription dans le SIS) ; on la
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retrouvera dans tous les cas décrits ici, à l’égard des Italiens ou des Fran-
çais, même si aucun n’atteint l’ampleur du cas allemand.
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Plusieurs pays européens sont sortis de leur rigidité à l’égard des ressortis-
sants roumains et ont conclu des accords avec la Roumanie permettant le
travail saisonnier chez eux. C’est le cas de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Es-
pagne, du Portugal, de la Suisse et de la Hongrie. Les quotas sont en
moyenne de 5 000 travailleurs par Etat et par saison. Les conventions
portent sur les secteurs de l’informatique, de la santé, du BTP, de l’agricul-
ture et de la restauration.
NOTE DE LECTURE
29
Immigration : le défi mondial
par Philippe Bernard, Gallimard, « Folio Actuel », 2002, 352 p, 7,60 €
Chef de section du département « société » au journal Le Monde, Philippe
Bernard nous livre ici, dans un travail étayé par des statistiques sérieuses et
illustré de tableaux évocateurs, loin des approximations et des amalgames
faciles, un condensé de sa riche expérience en la matière.
Analyse de ce phénomène mondial et permanent, qui devient un enjeu ma-
jeur pour l’Europe. Rappel historique de la manière dont il a été traité en
France, surtout depuis la fin de la seconde guerre mondiale, où l’étranger,
dénoncé comme « inassimilable », tient le rôle du bouc-émissaire des frus-
trations du moment. Elargissement de la réflexion au-delà des petits débats
hexagonaux, où l’on passe insensiblement du colonisé à l’immigré, et inter-
rogations, hors des sentiers battus, sur les réponses à apporter, dans l’avenir,
face à la mondialisation des biens et des capitaux.
En annexe, un précis juridique, rigoureux et bien documenté, contenant un
utile aperçu sur les législations étrangères concernant la nationalité.
Bref, un ouvrage qu’on ne saurait trop recommander à tous ceux, nom-
breux, qui ont affaire aux étrangers en France : parlementaires, élus munici-
paux, agents de l’administration, magistrats, avocats, militants d’associa-
tions, dont l’ignorance est parfois flagrante, mais qui entendent ne pas se
contenter des idées reçues sur un problème aussi fondamental.
André Legouy
Notes
[1]
Les premiers Roms de Timis sont arrivés en France en 1991. Plusieurs
centaines d’entre eux ont vécu à Roubaix, une cinquantaine d’autres se
sont installés à Toulouse. A Nanterre, un campement de fortune ac-
cueillera longtemps entre 800 et 1000 personnes. (A. Reyniers, Les po-
pulations Tsiganes et leurs mouvements dans les pays d’Europe cen-
trale et orientale et vers quelques pays de l’OCDE, OECD , Paris,
1995, p. 14).
[2]
Dana Diminescu, ibid.
[3]
30
Depuis 1986, le visa est l’instrument essentiel de dissuasion de la cir-
culation migratoire clandestine et à l’encontre des pays de la liste
noire, c’est-à-dire ceux qui comportent un risque migratoire. Le
contrôle des frontières s’exerce donc à distance, les autorités consu-
laires devant interroger, pour chaque personne qui se présente, les fi-
chiers de la délivrance des visas. Ces fichiers, dénommés « fichiers
d’opposition » peuvent être consultés également par les services de la
police de l’air et des frontières. Ils contiennent un traitement automati-
sé d’informations nominatives et des informations relatives à la nature
du visa demandé (court séjour et long séjour).
[4]
Un migrant roumain raconte ainsi son entrée dans l’espace Schengen :
« Ils [la police de frontières] m’ont cherché sur l’écran, ils ne m’ont
pas trouvé et je suis passé ».
[5]
Voir Dana Diminescu, « Le système D contre les frontières informa-
tiques, in Hommes et Migrations, n° 1230, mars-avril 2001, p. 28-33.
[6]
Crime et immigration dans l’Union européenne : http://www.multima-
nia.com/ policenationale/immigration_ue.htm.
31
Les Chinois, entre filières et parcours offi-
ciels — Chloé Cattelain, Sébastien Ngugen
En 1997, les Chinois qui défilaient dans les rues de Paris étaient principale-
ment des familles issues du Sud de la province du Zhejiang, du port de la
ville de Wenzhou et des bourgs ruraux environnants. Depuis, d’une part
cette migration a connu un très fort rajeunissement, avec le phénomène dit
des « mineurs isolés », d’autre part, à cette migration traditionnelle s’est ad-
jointe une migration totalement nouvelle : celle des Chinois du Nord et des
mégalopoles de la Chine industrialisée.
Depuis 1997, les Chinois constituent environ 30 % des élèves des structures
d’accueil de l’Académie de Paris et leur nombre ne cesse d’augmenter . Ces
jeunes sont relativement plus âgés que les autres élèves primo-arrivants,
32
puisque leur âge moyen est de quatorze ans. Par ailleurs, le phénomène des
mineurs isolés chinois acquiert une visibilité accrue. Dans les services de
l’Aide sociale à l’enfance de Paris, le nombre absolu de jeunes Chinois aug-
mente de manière constante : 14 en 1999, 30 en 2000 et 145 en 2001. Leur
proportion atteint plus d’un quart des sollicitations en 2001. Enfin, depuis le
début de l’année 2002, les tribunaux de Bobigny, Créteil et Nanterre
constatent une augmentation des sollicitations spontanées de jeunes origi-
naires du Sud du Zhejiang : des adolescents isolés se présentent dans les
salles des pas perdus ou devant l’entrée des tribunaux pour faire une de-
mande de placement en foyer.
Ces mineurs sont aux deux tiers des garçons, en grande partie âgés de seize
à dix-huit ans. La méfiance que suscitent les demandes de placement ne doit
pas minimiser la difficile situation de ces adolescents : ils quittent la Chine
à la fin de leurs études, car ils n’y ont pas de véritable perspective d’emploi
ni de poursuite d’études de qualité dans un système très élitiste ; la présence
en France d’une partie de leur famille qui n’a pas nécessairement souhaité
leur venue ne saurait les protéger de l’isolement. En effet, c’est une forme
de dette morale qui explique leur présence en France : la famille restée au
pays peut demander la prise en charge d’un mineur au membre de la fratrie
déjà parti grâce aux finances de la famille.
33
gement suivi les directives du Parti : ils ont un enfant unique. Il est vrai que
le contrôle social exercé dans leur unité de travail ne leur a pas vraiment
laissé le choix.
Sans être particulièrement nantis, les Chinois du Nord ont joui pendant des
années d’un système social qui protégeait ses employés. Au cours des an-
nées 1990, les faillites des entreprises publiques du textile ou de l’industrie
lourde, jusque-là largement subventionnées, ont provoqué le licenciement
de millions de salariés qui ont alors perdu tout droit à une protection so-
ciale. Ces restructurations se sont accentuées ces dernières années pour per-
mettre l’entrée de la Chine dans l’organisation mondiale du commerce
(OMC).
Passeurs et intermédiaires
34
L’intervention d’un intermédiaire est commune aux deux courants migra-
toires du Zhejiang et du Nord de la Chine et pratiquement systématique :
celui-ci définit le trajet de la migration et se charge de procurer les docu-
ments de voyage nécessaires. Les migrants n’ont aucune prise sur l’organi-
sation et le déroulement du voyage, ils sont dépendants de ces intermé-
diaires, passeurs pour les Chinois du Sud du Zhejiang, sociétés intermé-
diaires (zhongjie) pour les Chinois du Nord.
Les Chinois du Nord et des mégalopoles font, eux, appel à de véritables so-
ciétés d’émigration qui se chargent des formalités de départ. Ces sociétés
intermédiaires ont pignon sur rue, œuvrant officiellement comme agences
de voyage ou entreprises de commerce international grâce à un réseau de
relations avec les administrations, les entreprises d’Etat et avec l’étranger,
dont elles vont faire bénéficier le futur migrant.
35
Il n’existe pas de parcours migratoire-type d’un Chinois du Sud du Zhe-
jiang. C’est le passeur qui décide en fonction des opportunités par rapport
aux politiques de visas, aux trajets et aux intermédiaires sur la route. Les
migrants sont laissés dans la plus parfaite ignorance, même durant le
voyage. Ils ne savent pas toujours quel pays a délivré le visa, de quel type il
était, s’il était faux ou pas. La confiscation des passeports par le passeur et
la suppression des visas s’ajoutent à ces difficultés d’appréciation.
Les entretiens que nous avons réalisés pour cette enquête permettent de
mettre en relief la diversité des modes d’entrée. Des visas de type variés et
d’origines nationales très diverses (Asie, Afrique, Moyen-Orient, Eu-
rope…) peuvent se succéder pendant le trajet. En effet, les migrants peuvent
adopter différentes identités, nationalités et se munir de documents de
voyages vrais, faux ou empruntés. Une logistique importante permet d’ac-
cueillir des groupes de migrants dans un pays intermédiaire : logement, ap-
prentissage des langues en vue du passage de frontières. Cependant, à un
moment du voyage, un visa Schengen leur sera remis et l’arrivée en France
aura lieu après un passage par un pays européen. Il faut également remar-
quer que les trajets directs par avion, avec un visa Schengen, connaissent
une recrudescence parmi les migrants du Sud du Zhejiang.
Ainsi, certains mineurs âgés de huit à dix-huit ans viennent dans le cadre
d’échanges avec les pays européens munis d’un visa de tourisme délivré
grâce à l’entremise d’une école française, un centre international de langue,
de culture ou de sport. Les inscriptions se font soit en Chine, soit en France.
Pendant leur séjour d’une quinzaine de jours, les jeunes font un tour d’Eu-
rope. Nombre de mineurs suivent cependant un long trajet qui les conduit
dans de nombreux pays et les laisse aux mains de passeurs peu scrupuleux :
dans ce cas, les récits de violence ne sont pas rares.
Les modes de circulation des Chinois du Nord et des mégalopoles sont plus
homogènes que ceux des Chinois du Sud du Zhejiang. La grande majorité
d’entre eux est titulaire d’un visa d’affaires valable dans la zone Schengen
sous prétexte d’une « tournée d’étude commerciale ». L’arrivée directe dans
l’espace Schengen par avion est, par conséquent, la plus répandue.
36
facile à acquérir ; il suffit après de faire un second voyage « intérieur » vers
la France. Le visa d’affaires présente le double intérêt d’être facilité par le
désir de « coopération » économique européen, et de correspondre aux caté-
gories socioprofessionnelles (réelles ou prétendues) des Chinois du Nord et
à leur niveau d’instruction.
Cet article est extrait d’une étude sur « les modalités d’entrée en France des
ressortissants chinois » commandée par la Direction de la population et des
migrations (ministère des affaires sociales). L’équipe de recherche était
composée outre Chloé Cattelain, qui a dirigé l’étude, et Sébastien Ngugen,
de Marylène Lieber (doctorante en sociologie), Abdallah Moussaoui (statis-
ticien), Claire Saillard (linguiste), Véronique Poisson (doctorante en socio-
logie), Christine Ta (médiatrice culturelle).
37
La Méditerranée , « cul-de-sac » de
l'Afrique — Claude Kabala Bwebwe
Le constat que nous nous voyons contraints de faire aujourd’hui est assez
triste : l’Union européenne est en train, par une politique ferme et pas tou-
jours juste, de déplacer sa frontière sud vers l’Afrique du Nord. Pire encore,
par ignorance ou par dédain, elle n’a que peu de souci des malheurs que ce-
la est en train d’engendrer.
L’Afrique du Nord et, dans une plus large mesure, toute la rive sud de la
Méditerranée, sont devenues, ces deux dernières années, une zone « cul-de-
sac » où les migrants venus en majorité de l’Afrique noire vivent toutes les
misères possibles et imaginables, parce qu’ils ont commis le « péché »
d’avoir un jour décidé de partir pour « chercher la vie », fuir la misère, les
conflits de toutes sortes, les persécutions, pour venir en aide à eux-mêmes
et à leurs familles : « J’ai quitté ma mère parce que je n’arrivais plus à sub-
venir à ses besoins et à ceux de mes frères et sœurs, dit cette Congolaise, et
je l’ai rassurée en lui disant qu’il me suffisait d’aller me débrouiller à
l’étranger pour nourrir la famille ». « Mon père a été kidnappé par des
hommes du gouvernement et ma mère n’a aucune instruction. Face aux me-
naces des rebelles armés, je me suis vu obligé d’abandonner nos terres et
de fuir chercher du travail ailleurs pour pouvoir nourrir ma mère, ma
femme et mes enfants, qui sont quelque part en Guinée », me raconte ce
jeune Libérien.
Quand ils prennent la décision de quitter leur pays, ils n’ont pas forcément
en tête comme idée première de chercher à atteindre l’Europe. Ils veulent
juste trouver un endroit dans le monde qui leur assure un avenir convenable
38
pour eux et les leurs. Sans oublier qu’un certain nombre d’entre eux ont leur
sécurité réellement menacée dans leur pays.
39
Mais quelle Europe ? Et bien celle qui envoie beaucoup d’argent aux gou-
vernants du Sud et soutient ceux qui sont au pouvoir, celle dont on entend
dire que chacun est libre de travailler où il veut et de faire ce qu’il veut,
celle qu’on voit à la télé rayonnante de richesse, et surtout celle où tous les
amis ou les parents qui y sont déjà ont des téléphones portables et envoient
cadeaux et chèques à la famille restée au pays.
40
L’enfer de Reggane
En Tunisie, les gens sont reconduits dans le désert libyen. Qu’ils vivent ou
qu’ils crèvent, cela n’intéresse ni n’interpelle personne, surtout pas les auto-
rités à l’origine de ces décisions. En Libye, ce sont les autorités elles-
mêmes qui se montrent totalement laxistes face à des poussées de xénopho-
bie sans précédent (comme en 2000), accompagnées de massacres d’étran-
gers.
41
jets existent, d’autres sont en cours d’élaboration, visant la promotion de la
personne humaine et le respect de sa dignité, projets conçus en collabora-
tion étroite avec des ONG du Nord.
Pour conclure, je dirais qu’il ne faut pas que l’Europe pense que le blindage
de ses frontières suffit à résoudre ses problèmes face à l’immigration clan-
destine. Les différences croissantes de niveau de vie entre le Nord et le Sud
ne peuvent que faire de l’Occident un aimant géant attirant le tiers-monde.
La fuite des capitaux du tiers-monde vers l’Occident n’a pas encore cessé.
L’Europe ne peut ignorer l’une des règles économiques les plus simples : là
d’où partent les capitaux, des emplois se perdent, et là où atterrissent les ca-
pitaux, des emplois se créent.
J’ai été invité à une réception des Nations Unies à Alger, et je garderai tou-
jours en mémoire la réflexion du responsable du PAM (programme alimen-
taire mondial) à Alger : « Dans l’ancien temps, en Afrique sauvage, les po-
pulations se déplaçaient en suivant les mouvements des troupeaux, eux-
mêmes cherchant des pâturages qui leur convenaient. Maintenant, c’est
après le travail que les gens courent pour nourrir les leurs. Ils vont cher-
cher travail et bien-être là où ils se trouvent, même à des milliers de kilo-
mètres de chez eux ! » ?
42
L'ultra-libéralisme à l'œuvre en Italie — Salva-
tore Palidda, Fulvio Vassallo Paleologo
Au cours de la dernière décennie, d’importants changements sont interve-
nus au sein des migrations en Italie [1]. Entre 1991 et la fin de l’année 2001,
le nombre d’immigrés réguliers est passé de 648 935 à 1 362 630, attei-
gnant 2,4 % de la population totale, pourcentage relativement modeste. Ce-
pendant, au cours de cette décennie, le traitement et le sort des migrants se
sont beaucoup aggravés. Au sein de la classe politique, la concurrence entre
le centre-gauche et le centre-droit, qui s’est essentiellement polarisée sur la
question « insécurité-migrations », a conduit l’Italie à adopter une politique
de fermeture qui a entraîné des conséquences parfois dramatiques. On a ain-
si assisté à une augmentation continue du nombre de morts lors des tenta-
tives d’immigration par voie terrestre et surtout maritime (en particulier des
centaines de personnes se sont noyées entre août et septembre 2002 près des
côtes siciliennes) [2] ; des milliers d’expulsions ont été effectués touchant
parfois des personnes qui avaient droit à l’asile (presque cent mille en dix
ans) ; la criminalisation et l’autocriminalisation, en particulier des jeunes,
n’a cessé d’augmenter : le nombre de plaintes concernant des Italiens est, à
l’heure actuelle, six fois moins élevé que celui visant les étrangers, et le
taux d’arrestations dix fois inférieur ; les immigrés sont de plus en plus sou-
vent la cible de la police, si bien qu’en 2002, les étrangers représentent plus
de 36 % des personnes incarcérées alors qu’ils n’étaient que 12 % en
1987 (60 % des détenus étrangers sont en attente de procès pour délits mi-
neurs, alors que ce pourcentage n’atteint pas 40 % chez les Italiens). La si-
tuation d’irrégularité n’a cessé d’augmenter, ce qui explique qu’il ait fallu
procéder à cinq régularisations (sanatorie) en quinze ans tou-
chant 120 000 personnes en 1986, 220 000 en 1990, 246 000 en 1996, envi-
ron 250 000 entre 1999 et 2000, et probablement 300 à 350 000 en 2002.
Aux Etats-Unis, les irréguliers sont passés de cinq millions et demi
en 1999 à plus de sept millions en 2001, ce qui prouve que la guerre milita-
ro-policière contre les migrations ne stoppe pas l’immigration clandestine,
celle-ci étant indispensable à l’économie néo-libérale.
43
En Italie, la très grande majorité des immigrés a connu un jour ou l’autre
une situation d’irrégularité, soit parce que les possibilités d’accès au permis
de séjour sont quasi inexistantes, soit parce qu’une bonne partie des régu-
liers finit par glisser dans l’irrégularité n’étant plus en mesure de remplir les
conditions requises pour le renouvellement du permis de séjour : environ
30 à 35 % des migrants réguliers se trouvent chaque année dans cette situa-
tion. L’essentiel de la demande de main-d’œuvre immigrée provient depuis
toujours des activités de l’économie souterraine qui, en Italie, atteint plus
de 28 % du PNB (ce taux est d’environ 16 % en France) [3] : ceci explique
donc le grand intérêt que peuvent représenter les clandestins.
La fin de la guerre dans les Balkans ayant laissé croire que la situation dans
cette région s’était stabilisée, les migrants qui en étaient originaires ont
donc été rapidement exclus de l’accès aux permis temporaires. Entre-temps,
l’Italie a signé des accords bilatéraux avec vingt-trois pays, notamment
ceux des Balkans et du Maghreb. Parmi les dispositions contenues dans ces
accords, le volet coopération policière semble être celui qui a fonctionné
avec le plus d’efficacité, moins à l’égard des organisations criminelles
d’Italiens installées dans les Balkans que vis-à-vis des petits délinquants et
des sans-papiers en provenance de cette région (les seuls criminels n’étant
que des ex-policiers, ex-militaires et ex-agents des services secrets).
C’est, en partie, cette intense activité policière qui peut expliquer la quasi-
disparition des passages ou des débarquements clandestins d’immigrés à
travers les frontières terrestres du Nord-Est (entre l’Autriche, la Suisse, la
Slovénie et l’Italie) ou sur les côtes adriatiques italiennes à partir des côtes
slovènes, croates, albanaises, du Montenegro ou de Grèce. En effet, au
cours des années 1990, la majorité des arrivées dites clandestines en Italie
venaient des Balkans, alors qu’auparavant elles étaient originaires du
Maghreb et arrivaient par la Sicile. Ce changement témoigne aussi d’une
sorte de sélection informelle ou tacite favorisée par la police à travers ce
qu’on appelle en Italie la « gestion des règles du désordre » [4]. Ainsi, la
grande majorité des nouveaux immigrés en Italie était composée de femmes
venant de pays « catholiques » (à travers les filières des missionnaires, des
ONG et des paroisses), à savoir des Philippines et des Péruviennes, et
d’hommes et de femmes venant des pays de l’Est (Ukraine et Roumanie en
particulier).
44
L’hostilité sociale et institutionnelle envers les immigrés venant de pays dits
islamiques ou musulmans mais aussi africains en général s’est totalement
banalisée dans les pratiques quotidiennes des acteurs dominants et des cita-
dins « zélés ». A cette hostilité « dissuasive » s’est ajoutée une campagne de
criminalisation des jeunes immigrés d’origine maghrébine et albanaise :
leur taux d’incarcération dépasse de seize à vingt fois celui des Italiens.
Avec l’arrivée de la droite au pouvoir (après mai 2001), la situation n’a ces-
sé de s’aggraver et le nombre de morts le long des trajectoires terrestres et
surtout maritimes, près des côtes siciliennes, d’augmenter de manière im-
pressionnante. La droite a en effet pris la direction du pays en promettant
l’« immigration-zéro » et la guerre totale aux « clandestins », en annonçant
une loi et des pratiques très dures allant de l’ordre donné aux militaires et
aux policiers de tirer sur les bateaux de « clandestins », jusqu’aux expul-
sions immédiates par décision de l’autorité de police.
45
sans passage par le centre de rétention. Le gouvernement a ainsi voulu ré-
pondre aux décisions des juges qui avaient censuré l’action des autorités de
police lors du rapatriement immédiat d’immigrés irréguliers, parfois deman-
deurs d’asile, avant même que les instances judiciaires aient pu examiner
les recours présentés par les défenseurs de ces expulsés.
Dès lors, dans les faits, la police agit à son gré : le sort de chacun dépend de
la tendance raciste ou au contraire humaniste du militaire ou du policier au-
quel on a affaire, mais, d’une manière générale, la prétendue pression de
l’opinion publique incite à la brutalité ou au cynisme. Ce qui s’est passé sur
l’île de Lampedusa est, en ce sens, exemplaire : dans ce qui aurait du être
un centre d’accueil à l’intérieur de la zone militaire de l’aéroport de Lampe-
dusa (au sud de la Sicile), des centaines d’immigrés demandeurs d’asile ont
subi une détention très longue dans des conditions d’indigence totale et ont
parfois été expulsés sans que leur demande d’asile ait pu être examinée
dans le respect des règles.
46
les plus au sud d’une Europe qui désormais rejette vers la mort celui qui as-
pire au salut.
Bibliographie
47
migrations. Un enjeu européen, Editions Complexe, Bruxelles, 2002,
pp.183-206
www.stranieri.it et links (site pour tous les aspects juridiques)
Notes
[1]
Pour une analyse plus approfondie du cas italien voir Palidda et Dal
Lago, 2002. Voir aussi Palidda, « Criminalisation et guerre aux migra-
tions », à paraître dans le n° spécial d’Hommes et Migrations (actes de
la journée d’étude du 11 mai 2002 à Paris par l’URMIS-CNRS).
[2]
Rappelons que le premier acte de guerre contre les migrants a pris pour
cible le bateau Kater Y Rades coulé par la marine militaire italienne
qui avait reçu l’ordre de ne laisser passer personne (le chef du gouver-
nement de l’époque était Romano Prodi) : plus de quatre-vingt Alba-
nais sont alors morts noyés dont plus de la moitié étaient des femmes
et des enfants. S’il est vrai que les militaires et les pêcheurs italiens ont
parfois porté secours aux migrants en train de se noyer, dans la plupart
des cas, selon plusieurs ONG, ils font semblant de n’avoir reçu aucun
signal : c’est ce qui s’est produit avec le bateau Johan coulé au sud de
la Sicile avec plus de trois cents personnes à bord malgré les SOS en-
voyés (la marine italienne a toujours nié avoir intercepté ces signaux
alors que leur enregistrement est désormais prouvé). Enfin, en
août 2002, les autorités de police ont accusé des pêcheurs siciliens qui
ont sauvé des dizaines de migrants en train de se noyer de favoriser
l’immigration clandestine, alors qu’ils avaient reçu, par radio, un mes-
sage des autorités portuaires les autorisant à leur porter secours.
[3]
Voir F. Schneider, Department of Economics, Johannes Kepler, Uni-
versity of Linz.
[4]
Cette expression désigne une pratique de contrôle oscillant entre res-
serrement et relâchement des mailles du contrôle social, « entre carotte
et bâton ».
48
Les « contrôleurs d'immigration » — Véronique
Baudet-Caille
La Convention de Chicago du 7 décembre 1944 relative à l’aviation civile
internationale comportait déjà des dispositions relatives au contrôle des pas-
sagers. En effet, son annexe 9 fait obligation aux transporteurs de « prendre
des précautions au point d’embarquement afin que les passagers soient en
possession des documents prescrits par les Etats contractants aux fins de
contrôle ». Toutefois, ces règles contenues dans une annexe à la convention
n’ont pas d’effet juridique direct et ne contraignent donc pas les Etats.
Pour Antonio Cruz, il s’agit plutôt « d’empêcher ce que les Etats membres
considèrent comme un abus étendu du droit d’asile ». En effet, les textes in-
49
ternationaux et, en premier lieu, la convention de Genève du 28 juillet 1951,
s’opposent à ce que les documents requis pour entrer en France (ou dans un
autre pays membre), soient exigés des demandeurs d’asile. Les Etats
membres, en infligeant des amendes aux transporteurs qui acheminent des
passagers démunis de documents, espéraient ainsi limiter l’entrée des de-
mandeurs d’asile. Cet objectif a été dénoncé par le Conseil de l’Europe, le
Parlement européen, le Haut commissariat des Nations unies pour les réfu-
giés (HCR) et de nombreuses associations humanitaires [5].
1500 € d’amende
50
Dans certaines hypothèses, le transporteur peut être exonéré de toute res-
ponsabilité. C’est le cas, par exemple, lorsque l’étranger est un demandeur
l’asile qui a été admis sur le territoire français ou lorsque la demande d’asile
n’était pas manifestement infondée. Il revient donc au transporteur de s’as-
surer que la demande d’asile n’est pas manifestement infondée, mais sans
avoir à procéder à un examen approfondi de cette demande. Le Conseil
constitutionnel a, en effet, admis la validité de cette disposition sous la ré-
serve suivante : le contrôle du transporteur doit se borner à « appréhender
la situation de l’intéressé sans avoir à procéder à aucune recherche » [6].
Collaboration compagnies/police
51
se sont intensifiés. Le ministère de l’intérieur informe, sous la forme de no-
tices, les compagnies de transport sur les conditions requises pour l’entrée
des ressortissants étrangers selon leur nationalité. Du côté des compagnies,
une collaboration s’est parfois instituée avec les services de police. Ainsi,
Canada Airlines informe la police de l’existence des nouveaux documents
frauduleux qu’elle rencontre.
Contrôle au faciès
52
Selon Antonio Cruz, une des conséquences les plus perverses de ces poli-
tiques de sanctions à l’encontre des transporteurs est le développement d’af-
faires très lucratives pour les trafiquants : faux visas, faux passeports, prêt
de faux documents à des demandeurs d’asile qui sont ensuite récupérés en
cours de vol par un passeur, remise à des passeurs de sommes exorbitantes
lors des passages par voie terrestre pour éviter les contrôles aux aéro-
ports [12].
53
trafics à grande échelle. En outre, les Etats peuvent prévoir d’autres sanc-
tions telles que l’immobilisation, la saisie et la confiscation du moyen de
transport ou la suspension temporaire ou le retrait de l’autorisation d’ex-
ploitation.
Aucun Etat membre n’a pour l’instant transposé cette directive. Certains
pays, dont la Suède et l’Irlande, semblent réticents parce qu’ils estiment que
le texte viole le droit international en matière d’asile. L’un des risques ma-
jeurs de l’harmonisation des sanctions est, selon Antonio Cruz, l’augmenta-
tion du recours à des passeurs et des trafiquants de faux documents. Avec
l’augmentation du montant des amendes, les pratiques des transporteurs en
matière de « tri » des passagers risquent de perdurer, sans que ces derniers
puissent exercer le moindre recours à l’encontre de la compagnie qui aura
refusé de les embarquer. ?
Notes
[1]
Antonio Cruz, « Nouveaux contrôleurs d’immigration », L’Harmattan,
1995. Antonio Cruz est éditeur du bulletin mensuel « Migration News
Sheet » et co-édite la version française « Migrations Europe » avec
Antonio Perotti.
[2]
Kristenn Le Bourhis, « Les transporteurs et le contrôle des flux migra-
toires » , L’Harmattan, 2001.
[3]
Rapport du ministère de l’intérieur sur l’application de la loi
de 1992 remis au Parlement début 1997.
[4]
Virginie Guiraudon, « Logiques et pratiques de l’Etat délégateur : les
compagnies de transport dans le contrôle migratoire à distance ».
Cultures & Conflits n°45 et 46 - « De Tampere à Séville : bilan de la
sécurité européenne. »
[5]
Virginie Guiraudon, op. cit.
[6]
Conseil constitutionnel, 25 février 1992, JO 27 février.
54
[7]
Kristenn Le Bourhis, op. cit.
[8]
Virginie Guiraudon, op. cit.
[9]
CAA Paris, 10 févr. 1998, Air France c/ min. de l’Intérieur ; CCA Pa-
ris 21 févr. 2002, ministre de l’intérieur c/Air France.
[10]
JOCE n° L 281, 31 oct. 1996.
[11]
Conseil d’Etat, 14 juin 2002, n° 228549, ministre de l’intérieur c/Com-
pagnie nationale Air France.
[12]
Virginie Guiraudon cite le cas des réfugiés Kosovars qui payaient
entre 2 000 et 8 000 euros pour être amenés dans un pays de l’Union.
55
Pour un accès permanent en zone d'attente —
L’année 2000 a marqué le début d’une nette dégradation des relations entre
l’Anafé et les pouvoirs publics. Le silence indifférent – proche parfois du
mépris – opposé par les autorités aux signalements de certains graves dys-
fonctionnements, la mise en doute régulière des témoignages des visiteurs
ou des propos recueillis par le biais de la permanence téléphonique de
l’Anafé dès lors que des fonctionnaires étaient mis en cause, les restrictions
progressivement introduites à la liberté de circuler en zone d’attente des vi-
siteurs agréés ont amené l’association à organiser des campagnes publiques
pour dénoncer ce qui se passait dans la zone d’attente de Roissy.
56
Les associations sont, par ailleurs, conscientes que la situation en zone d’at-
tente n’est qu’une des conséquences de la politique de maîtrise des flux mi-
gratoires pratiquée par la France comme par ses partenaires de l’Union eu-
ropéenne. Aujourd’hui, de plus en plus, des mesures visant à lutter contre
les arrivées illégales d’étrangers sont décidées tant au niveau national que
dans le cadre du rapprochement des politiques d’asile et d’immigration
entre les Etats membres de l’Union européenne, qui impliquent aussi, de
fait, les pays de départ. Les associations s’inquiètent de ce que certaines de
ces dispositions peuvent avoir pour conséquence d’entraver l’accès aux pro-
cédures d’asile d’étrangers fuyant leur pays et recherchant une protection
internationale. Des sanctions ont été instaurées pour inciter les compagnies
de transport à renforcer les contrôles des documents de voyage, des « fonc-
tionnaires de liaison » européens sont chargés de former à la détection des
faux documents ou de participer aux contrôles proprement dits, dans les
pays d’origine et de transit. Aux frontières européennes, deux opérations
RIO, pour Risk Immigration Opération, ont été menées en 2002, dans seize
puis vingt-quatre aéroports des Etats membres et des pays candidats. Pour
RIO II, 4 597 immigrants irréguliers ont été repérés. Paris est cité parmi les
grands aéroports de destination et de transit. En France, quatre noms ont été
ajoutés en mars 2002 à la liste des dix-sept pays pour lesquels les ressortis-
sants doivent arriver munis d’un VTA ou visa « de transit aéroportuaire »
(Guinée, Inde, Soudan, Syrie) [6]. Les réfugiés palestiniens avaient été ajou-
tés fin 1999. Des VTA instaurés à chaque arrivée d’un nouveau groupe de
demandeurs d’asile. Enfin, les contrôles « passerelles » sont de plus en plus
systématiques en sortie immédiate de l’avion afin d’identifier le passager, le
pays où il a embarqué et la compagnie sur laquelle il a voyagé. De même, la
scannerisation des documents de voyage au départ et la transmission de leur
copie par les compagnies aériennes à la police aux frontières, qui permet
ainsi d’identifier avec une plus grande facilité les personnes qui auraient dé-
truit leur document en cours de vol, semble également généralisée, à tout le
moins pour les vols en provenance du continent africain.
Pour l’Anafé, l’objet de cette expérience était moins de vérifier que la pré-
sence régulière de leurs représentants dans les zones d’attente est une néces-
sité – on l’a dit, il s’agit de l’une de ses principales revendications – que de
57
démontrer que cette présence ne constitue pas un obstacle au fonctionne-
ment du service dont a la charge la police aux frontières (PAF) ou, tout du
moins, pas suffisamment pour l’écarter. Certes, la présence des représen-
tants associatifs a pu, notamment pendant cette expérimentation, perturber
l’activité quotidienne de certains fonctionnaires. Ceci est principalement dû
au fait que la PAF a cru bon de faire systématiquement accompagner par
des policiers ayant le grade de commandant les visiteurs qui se rendaient
dans les lieux autres que les zapi (zones d’attente pour les personnes en ins-
tance) 2 et 3. Cet accompagnement, jugé indispensable par les autorités, ne
l’est pas du point de vue des associations. Il s’agit d’ailleurs d’une pratique
récente, puisque les visiteurs ont pu, pendant des années, se rendre seuls
dans les terminaux de l’aérogare de Roissy CDG. De façon plus générale,
les associations estiment que les quelques inconvénients éventuellement
provoqués par leurs visiteurs en zone d’attente doivent être évalués au re-
gard de l’aide apportée aux personnes rencontrées et de la « plus-value »
qu’est susceptible de représenter un regard extérieur sur un lieu comme la
zone d’attente, notamment en terme de respect des droits de la personne.
58
* Rapport de visites :
« Zones d’attente : dix ans après, les difficultés persistent », mai 2002. A
consulter sur le site de l’Anafé : anafe@globenet.org
Notes
[1]
L’Anafé (Association nationale d’assistance aux frontières pour les
étrangers) regroupe dix-huit associations de défense des droits des
étrangers et d’organisations syndicales.
[2]
Cette « campagne » de visites a impliqué six organisations. Se sont as-
sociés à l’Anafé, qui en a assuré la coordination : Amnesty Internatio-
nal (section française), la Cimade, la Croix-Rouge Française, Méde-
cins sans Frontières et le Mrap.
[3]
Amnesty international (section française), Anafé, Cimade, Croix-
Rouge, Forum réfugiés, France terre d’asile, Médecins sans frontières,
Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples,
[4]
« Frontières et zones d’attente, une liberté de circulation sous
contrôle », 19 et 20 octobre 2001, Paris.
[5]
Lettre ouverte au Premier ministre sur les droits des étrangers dans les
centres de rétention et les zones d’attente, 17 octobre 2001.
[6]
Arrêté du 1er mars 2002, JO du 17 mars 2002.
[7]
« Pour un accès permanent des associations et des avocats dans les
zones d’attente », Anafé, décembre 2001.
[8]
« Les Geôles de la République », Louis Mermaz, édition Stock, 2001.
[9]
On peut lire des témoignages dans Le Monde du 11 décembre 2001 et
dans Libération du 22 octobre 2002 ; voir aussi C. Rodier, « Zone d’at-
59
tente de Roissy, à la frontière de l’Etat de droit », Hommes et Migra-
tions, n° 1238, juillet-août 2002 .
60
« French confection » : le Sentier (1980) — Mi-
reille Galano, Alexis Spire
Dans le précédent numéro, « Immigration : trente ans de combat par le
droit », le Gisti avait voulu marquer ses trente années d’existence par
une double rétrospective : celle de ses engagements politiques et de ses
actions judiciaires, celle de la politique migratoire et des luttes qui ont
été menées pour tenter de faire évoluer le droit de l’immigration et la
condition des étrangers.
Dans la plupart de ces luttes, le Gisti s’est investi à sa manière, avec les
compétences qui lui sont reconnues, mais en essayant de rester fidèle à
son principe de respect de l’autonomie de ceux qu’il soutient. C’est le
cas de la lutte des foyers Sonacotra, déjà évoquée dans le précédent nu-
méro, et de bien d’autres sur lesquelles nous reviendrons dans les nu-
méros à venir.
Marie-Noëlle Thibault
61
alors qu’on était sous le régime des lois Barre-Bonnet-Stoléru [1]. Après
l’arrêt de l’immigration, en 1974, il y a eu un durcissement très fort de la
politique d’immigration et, en 1980, on assistait à une véritable chasse à
l’immigré clandestin [2].
Pour nous, c’était clair : nous avons considéré les clandestins avec lesquels
nous étions en lutte, non comme des individus mais comme des travailleurs.
A partir de là, nous avons refusé les critères de régularisation proposés
comme la date d’arrivée en France ou la durée de présence sur le territoire ;
on a posé le travail comme seul critère, dans l’objectif de faire sortir le tra-
vail de la clandestinité. Mais ça n’a jamais été repris par les syndicats…
A l’époque, nous savions très bien qu’il y avait des clandestins en masse
dans la confection, le bâtiment, les saisonniers agricoles, le bûcheronnage,
et les parmi les domestiques.
Gisti – Mais les régularisations qui ont eu lieu dans le Sentier se sont
quand même faites sur cette base ?
62
Le critère de la date d’entrée a été maintenu par Stoléru jusqu’au bout mais
il a été fictif. Quand on a négocié avec Stoléru, nous avons dit : « Le critère
c’est le poste de travail ». On nous a répondu : « C’est impossible, puisque
ces postes de travail sont clandestins ».
Un jour, à l’automne 79, on voit débarquer à l’UD [3] de Paris trois Turcs
dont un seul parlait bien le français et qui nous disent : « On représente les
travailleurs turcs clandestins du Sentier, on va déclencher une grève de la
faim. Est-ce que vous nous soutenez ? » C’était une aventure énorme. On a
commencé par poser des questions : « Qui êtes vous ? D’où venez-vous ? »
C’était des Turcs qui n’étaient pas ouvriers dans le Sentier, qui étaient plus
ou moins étudiants, qui avaient émigré en France à cause de la répression
politique en Turquie et qui vivotaient en France en faisant des tas de petits
métiers. C’était donc des militants politiques turcs d’un groupe qui s’appe-
lait « Dev Yol ». Ils se déclaraient proches du MIR (mouvement de la
gauche révolutionnaire chilienne) qui, à l’époque, n’existait plus. Ils se di-
saient marxistes mais pas communistes orthodoxes et ils n’étaient par sur
une ligne terroriste, ce qui était important pour nous. On a donc accepté de
discuter.
63
elle n’était pas normalisée. Il me paraissait plus logique qu’ils aillent voir la
CGT : il y avait un permanent turc à la CGT et la centrale syndicale turque,
DISK, avait des liens très étroits avec la CGT. Mais la réponse de l’UD
CGT a été claire : « Nous ne syndiquons pas les sans-papiers ».
Ils viennent donc à la CFDT. Et là, on leur demande : « Qu’est-ce que vous
voulez faire ? Combien de travailleurs sont-ils ? » Ils disent :
« Entre 20 et 40000 ». En réalité, ils étaient 10-11000, maximum. Eux ne
travaillaient pas dans le Sentier, mais ils y avaient des relations, des cou-
sins… Ils nous ont expliqué qu’ils avaient pris contact avec Michel Hono-
rin, documentariste à la télévision, et lui avaient proposé de le piloter dans
les ateliers du Sentier. Honorin a réalisé « French confection » et eux
avaient prévu de déclencher une grève de la faim dès la sortie de ce docu-
mentaire. Ils étaient entre 20 et 30 à vouloir la faire, avec le slogan « Carte
de séjour, carte de travail ». L’articulation avec la projection du documen-
taire « French confection » nous semblait une bonne idée, mais la grève de
la faim, franchement, on n’était pas favorables, mais on n’avait pas de
contre-proposition à faire. On a négocié avec eux et on leur a dit : « Grève
de la faim, d’accord, mais on essaye d’en faire un mouvement collectif. Dès
qu’on sent qu’un mouvement de masse démarre, la grève de la faim s’ar-
rête ».
Ils se sont engagés là-dessus. Ils étaient gonflés parce qu’ils ne contrôlaient
rien du tout, et nous non plus. De plus, ils étaient très peu à parler français.
On n’avait qu’un seul interprète, un étudiant. Une sacrée aventure ! Quand
la grève de la faim a commencé, les Turcs du Sentier sont venus en masse
pour nous soutenir. « French confection » a eu beaucoup d’impact ; ça a si-
déré les gens de voir les conditions de travail dans le Sentier. Toute la
presse en a parlé... On a mis immédiatement dans le coup le syndicat Hacui-
tex [4]. Les deux structures qui ont porté l’affaire ont donc été l’UD de Paris
et le syndicat Hacuitex. Notre objectif n’était pas la régularisation des
vingt-trois grévistes de la faim mais la régularisation de tous les Turcs du
Sentier.
Ça s’est posé après. Nous on ne savait même pas qu’il y avait d’autres tra-
vailleurs que les Turcs. C’est Stoléru qui nous a dit : « Si je régularise les
64
Turcs, il faut que je régularise les autres ! » (Rires).
Il faut savoir aussi que les salaires n’étaient pas bas. C’était très irrégulier
mais les salaires étaient même très élevés. A l’époque, en pleine saison, les
gars gagnaient plus d’une brique. Mais, du jour au lendemain, ça ferme et
on n’a plus rien. Ils dormaient sur place, pour ne pas perdre de temps à se
déplacer, parce qu’ils étaient tous payés à la pièce.
Une fois qu’on a bien compris le mécanisme, on s’est dit, il y a deux clés :
la première, c’est d’essayer de négocier une stabilisation des salaires, ce qui
ne correspond pas nécessairement à la stabilisation du travail, dans la me-
sure où la branche est extraordinairement flexible. La confection dépend
des salons. Il y a des pointes de très forte activité et des mortes saisons.
Notre politique a été de dire : « On ne cherche pas à modifier ça, on accepte
les nécessités de la branche mais on ne veut pas que ce soient les tra-
vailleurs qui en fassent les frais. Donc, on veut négocier des garanties sur
l’année sans empêcher la flexibilité de la branche ».
Notre deuxième objectif était d’entraîner les donneurs d’ordre dans la négo-
ciation. Dans le Sentier, il n’y avait pas que la robe à trois sous. Il y avait de
très beaux vêtements de cuir, des produits de très haute qualité. Il est bien
évident que le type qui fait le manteau prêt-à-porter Saint-Laurent ne gagne
pas trois francs six sous. La différence entre le salaire et la vente du produit
était toujours aussi forte, mais les gars étaient payés correctement.
65
On a beaucoup discuté avec les inspecteurs du travail, mais ils savaient que
s’ils mettaient le nez dans un atelier, immédiatement l’atelier serait fermé.
Aucune des conditions de travail n’était respectée et ils étaient très
conscients de la situation.
On avait des réunions très régulières, tous les soirs, avec les Turcs qui ont
lancé l’affaire. Au bout d’une semaine, la salle où ils étaient ne désemplis-
sait pas. Il y avait de l’animation : le film d’Honorin en permanence, des
expositions de robes avec les prix de revient et les prix de vente… On a
alors organisé un meeting à la Bourse du travail appelé conjointement par la
CFDT et les grévistes de la faim. Il y avait un tract en français d’un côté et
en turc de l’autre et l’information circulait à toute vitesse.
66
moment où les négociations ont commencé, des gars ont passé des barrages
de police avec leur carte syndicale. C’était leur premier « papier d’identité
français » !
67
le bureau syndical, rue de Dunkerque ». On faisait un double et quand le
dossier était complet, on donnait le feu vert. Deux fois l’administration a
perdu le dossier, heureusement qu’on avait un double !
Bilan de la lutte
68
Vendredi 8 février 1980 : 20h30, FR3 présente : « French confection
ou une nouvelle forme d’esclavage moderne » documentaire réalisé
par Michel Honorin. Le reportage révèle les conditions de vie et de tra-
vail des sans-papiers de la confection à Paris. [1]
11 février : 17 ouvriers (dont une femme) tous de Turquie et sans pa-
piers travaillant dans la confection entament une grève de la faim à la
« Maison Verte du 18ème », un centre protestant, rue Marcadet. Mettant
à profit l’effet médiatique produit par le film auquel ils ont participé,
les militants de l’Association des étudiants turcs (également militants
de Dev Yol) ont organisé cette grève de la faim. Un collectif de soutien
(MTI, GISTI, Groupe de femmes algériennes, LCF, OCT, FASTI, PS,
PSU…) appelle à une solidarité active.
17 février : M. Lionel Stoléru, secrétaire d’Etat aux travailleurs immi-
grés, rend visite aux grévistes puis déclare « Leur régularisation est
malheureusement impossible… Paris ne doit pas devenir Hong-Kong
sur Seine ».
18 février : la Maison Verte devant accueillir des cours d’alphabétisa-
tion pour des femmes immigrées, les grévistes de la faim, avec le sou-
tien de la CFDT, s’installent dans une salle prêtée par l’église Saint-
Bruno (18e).
20 février : 1000 personnes au meeting à la Bourse du travail organisé
par les sans-papiers du Sentier en présence des grévistes.
21 février : M. Stoléru annonce la venue devant la 31e chambre correc-
tionnelle de Paris du procès de plusieurs trafiquants de main-d’œuvre :
le 25 février un seul inculpé se présente, un couturier yougoslave.
les grévistes de la faim obtiennent la création d’un groupe de travail
pour étudier leur situation. Ce groupe est composé de M. Stoléru, de
représentants de l’Ambassade de Turquie, de responsables de l’Union
des industries de l’habillement, de membres de la CFDT et de délégués
des grévistes de la faim. Résultat de la première réunion tenue le 22 fé-
vrier : M. Stoléru est disposé à examiner chaque dossier « individuelle-
ment ». Une nouvelle réunion est prévue pour le 4 mars.
23 février : le plus âgé des grévistes de la faim est hospitalisé.
25 février : Ali Alkan, le « patron » turc et sans papier d’un petit ate-
lier de confection illicite est arrêté et retenu toute la nuit dans les lo-
caux de la police. Des séquences du film présenté le 8 février avaient
été tournées chez lui, et son atelier avait accueilli une conférence de
69
presse des grévistes. Une convocation pour le 5 mars lui servira de titre
de séjour jusqu’à cette date…
29 février : le meeting de solidarité à la Mutualité rassemble 3000 per-
sonne, les grévistes de la faim y sont présents.
3 mars : manifestation de sans-papiers à Paris. Six travailleurs sont li-
cenciés par de petits patrons du Sentier pour avoir débrayé à l’appel de
la CFDT.
4 mars : M. Stoléru lance la campagne en faveur de la « Semaine du
dialogue français-immigrés »… Deuxième rencontre du groupe de tra-
vail, les représentants des grévistes posent leurs revendications :
la régularisation doit être collective, . le ministre de l’intérieur
doit suspendre les procédures de refoulement,
aucune sanction ni discrimination ne doivent frapper les grévistes.
5 mars : fin de la grève de la faim. Les négociations se poursuivront
par l’entremise de la CFDT et des représentants des grévistes.
12 mars : réunion du groupe de travail : le gouvernement est disposé à
accorder la régularisation aux sans-papiers de Turquie de la confection
arrivés en France avant le 1/7/1976 et ayant une offre d’emploi « assu-
rant des conditions d’hygiène, de logement et de rémunération dignes
et conformes à la réglementation en vigueur ». Pour ceux qui ne
peuvent pas présenter de contrat de travail, une autorisation provisoire
de séjour de trois mois sera délivrée. Ceux entrés en France
après 1976 devront justifier d’un travail. La CFDT dément avoir donné
son accord et qualifie ces propositions d’« unilatérales et inaccep-
tables ».
18 mars : L’UD-CGT appelle à un meeting pour protester contre son
absence aux négociations et pour dénoncer l’arbitraire des conditions
de régularisation.
19 mars : 1500 travailleurs manifestent dans le Sentier.
70
Au 25 mars, 1500 à 2000 travailleurs de Turquie de la confection avaient
fait cette démarche, estimant peu probable que des propositions plus avanta-
geuses leur soient faites.
M.G.
Notes
[1]
Lionel Stoléru, secrétaire d’Etat chargé des immigrés et Christian Bon-
net, ministre de l’intérieur dans le gouvernement de Raymond Barre,
ont mené, à partir de 1980, une politique d’extrême rigueur à l’égard
des immigrés.
[2]
A cette époque, le terme « clandestin » était communément employé
malgré sa connotation considérée désormais come péjorative.
[3]
Union départementale.
[4]
Branche Habillement, cuir, textile de la CFDT.
[5]
Office national d’immigration devenu Office des migrations internatio-
nales.
[1]
Michel Honorin obtiendra de nombreux prix pour ce reportage dont le
prix Albert Londres audiovisuel.
71
1983 : La marche pour l'égalité — Mogniss H. Ab-
dallah
A l’origine de la Marche, il y a les événements dans la ZUP des Minguettes,
à Vénissieux (Rhône). Depuis l’été 1981, les affrontements entre les jeunes
et la police dans les banlieues de l’est lyonnais, médiatisés à travers les fa-
meux « rodéos » automobiles, prennent un tournant politique. En effet, la
droite, encore sous le coup de sa déroute électorale de 1981, a décidé de re-
lever la tête en attaquant le gouvernement sur la question de l’immigration
et de la sécurité.
Dans les banlieues ouvrières, à Lyon comme ailleurs, la crise avec son lot
de licenciements et de fermetures d’usines, aggrave les tensions. Le tissu
social se délite de jour en jour avec le départ de nombreux habitants
(sur 9 200 logements aux Minguettes, 2 000 à 3 000 étaient vides en 1983).
Alors, les lascars « rouillent » au bas des tours, s’approprient caves ou ap-
partements vides, et se débrouillent pour vivre. Le chômage s’installe dans
les têtes et dans la vie. A défaut de travail, ils trouvent d’autres sources de
revenus, plus ou moins licites. Cependant, le marché de la drogue (dure) n’a
pas encore totalement envahi les cités lyonnaises.
72
ministre de la défense Charles Hernu. Ce dernier, par ailleurs maire de Vil-
leurbanne dans l’est lyonnais, n’a pas hésité à détruire la cité Olivier de
Serres. Dès 1982, Gaston Defferre s’oppose au ministre de la justice Robert
Badinter et à ses velléités d’exercer un contrôle sur la police. A l’occasion
des débats parlementaires autour de son projet de loi pour renforcer les
contrôles d’identité, le ministre de l’intérieur stigmatise la dangerosité d’en-
fants qui « parfois à l’âge de six ans et, en tout cas, couramment à dix
ans », volent et cassent. Aussi préconise-t-il le principe du « choc salu-
taire », c’est-à-dire de la prison pour traiter la petite délinquance, une idée
importée des Etats-Unis en 1976 par Peyrefitte, ainsi que la répression
d’« illégalismes populaires » jusque-là tolérés. Enfin, il avance la notion de
« lieux déterminés » à surveiller, voire à pacifier (Le Monde, 15 juin 1982).
Par ailleurs, il ne veut pas entendre parler d’« une commission qui serait
chargée d’examiner les litiges mettant en cause la police » . La police doit
avoir le mot de la fin...
Ces violences mettent le feu aux poudres. Les policiers sont obligés de
battre en retraite. Les jours suivants, leurs syndicats se lancent dans une vi-
rulente campagne publique, saisissent le pouvoir central et menacent le pou-
voir d’« actes d’indiscipline » (demandes de mutation en masse, dépôt des
armes...). Ils exigent « la reprise des expulsions et des peines exemplaires
pour les meneurs et leurs complices, des opérations systématiques de police
avec de nombreux effectifs équipés de moyens pour le maintien de l’ordre »,
ainsi que « le quadrillage de la commune ».
73
Agence IM’média
Agence IM’média
Sur son lit d’hôpital, Toumi se demande quoi faire pour sortir de l’isolement
et de la haine réciproque. Lors d’une discussion avec Christian Delorme,
surgit alors l’idée de « s’adresser à la France entière par une grande
74
Marche », comme celles de Gandhi ou de Martin Luther King. L’idée séduit
d’emblée les jeunes, qui veulent démarrer la Marche sans attendre. Chris-
tian Delorme leur demande un peu de patience. Une initiative d’une telle
ampleur, ça s’organise. Les jeunes acceptent à contre-coeur et délèguent
l’organisation à la Cimade de Lyon, ainsi qu’au MAN (mouvement pour
une alternative non-violente). Christian Delorme et le pasteur Jean Costil
obtiendront l’appui des réseaux chrétiens, humanistes et anti-racistes qui
avaient permis à leur grève de la faim d’avril 1981 contre les expulsions
d’aboutir. Le soutien des protestants, bien représentés au gouvernement, se-
ra aussi particulièrement important pour la suite.
75
Ce sont donc les marcheurs qui décident et qui prennent la parole à chaque
étape, davantage sur le mode affectif que politique. Craignant le risque de
« récupération », ils interdisent banderoles et slogans jugés trop polé-
miques. Pour rassembler large, la Marche adopte d’ailleurs un profil reven-
dicatif discret, dans l’espoir de voir la « France profonde » fraterniser avec
la jeunesse issue de l’immigration ou des cités maudites.
La recherche d’un consensus moral fait passer au second plan par exemple
les revendications premières autour de la police et la justice, trop conflic-
76
tuelles, rappelées néanmoins par des forums justice organisés dans la même
période par des associations autonomes à Marseille, Vaulx-en-Velin, Nan-
terre et Levallois. Et la réalité se chargera de rattraper la Marche : la mort
de Habib Grimzi, un jeune algérien défenestré dans le train Bordeaux-Vinti-
mille, ainsi que de nouvelles exactions policières aux Minguettes, vont do-
per sa dimension revendicative.
A l’arrivée, les jeunes et les familles défileront aux côtés des marcheurs
avec les portraits des victimes des crimes racistes et sécuritaires, en scan-
dant « Egalité des droits, justice pour tous ».
77
leur situation sociale. Et là, tout reste à faire... d’autant que, sur le terrain, le
message politique du 3 décembre 1983 ne passe toujours pas. Ainsi Toumi
Djaïdja, figure emblématique de la Marche, comparaîtra-t-il en oc-
tobre 1984 devant le tribunal correctionnel de Saint-Etienne pour des faits
allégués de petite délinquance commis en... 1982. « Défavorablement connu
des services de police et de justice », « meneur vedette des Minguettes », il
sera condamné « pour l’exemple » à quinze mois fermes et arrêté à la barre.
C’est en prison, isolé, qu’il apprendra les pérégrinations d’une nouvelle
Marche à mobylette, Convergence 84, et le lancement, sponsorisé par l’Etat
et les médias, de SOS- Racisme. « Touche pas à mon pote », qu’ils di-
saient... ?
Notes
[1]
La suspension des expulsions de jeunes fut d’abord décidée par le mi-
nistre de l’intérieur Christian Bonnet pour pemettre l’arrêt de la grève
de la faim. Puis la loi du 29 octobre 1941 sur l’entrée et le séjour des
étrangers introduisit, parmi les catégories d’étrangers non expulsables,
les mineurs de moins de dix-huit ans et les étrangers nés en France ou
arrivés avant l’âge de dix ans, sauf en cas de menace grave à l’ordre
public.
78
Cahier de jurisprudence —
Mariage C.E. 29/07/2002 Préfet du Languedoc-Roussillon, pré-
fet de l’Hérault c/M. EL M.A...
79
tamment à la précipitation avec laquelle l’administration a agi, l’arrêté at-
taqué doit être regardé comme ayant eu pour motif déterminant la préven-
tion du mariage de M.A. ; qu’il est, pour ce motif, entaché de détournement
de pouvoir ; que par suite, le PREFET DE LA REGION LANGUEDOC-
ROUSSILLON, PREFET DE L’HERAULT n’est pas fondé à soutenir que
c’est à tort que, par le jugement attaqué, le conseiller délégué par le pré-
sident du tribunal administratif de Montpellier a annulé son arrêté
du 17 août 2001 ordonnant la reconduite à la frontière de M.A..... »
La requête du préfet est rejetée. L’Etat est condamné à verser 562 euros à
M.A. au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
80
Sans attendre, ce dernier informe M. et Mme SHAHID de sa décision de
leur attribuer le titre de séjour « vie privée et familiale ». Reste en suspens
le cas de l’enfant malade.
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, dans l’exercice d’un de ses
pouvoirs, l’autorité préfectorale a porté une atteinte grave et manifestement
illégale à une liberté fondamentale ;
Considérant qu’il y a lieu dès lors de faire droit aux conclusions susmen-
tionnées et d’enjoindre au préfet de l’Oise d’accorder à la jeune Alveena
81
SHADID, à titre dérogatoire, le bénéfice du droit au regroupement familial
sans recours à la procédure d’introduction... »
82
que son séjour en qualité d’étudiant de 1988 à 1990 n’est pas contesté par
l’administration ; que sa présence sur le territoire national en 1991 est éta-
blie notamment par la production de la copie d’un contrat de service et de
formation ; que sa présence en 1992 est attestée notamment par la copie de
sa carte d’inscription à la bibliothèque Sainte Geneviève à Paris ; que sa
présence de 1993 à 1996 est établie notamment par des attestations de pa-
rents d’élève reconnaissant avoir eu recours à ses services de soutien sco-
laire à leurs enfants, scolarisés dans l’enseignement primaire ; que sa pré-
sence depuis 1997 est attestée par les démarches qu’il a entreprises auprès
de l’administration en vue de sa régularisation et par les notifications qui
lui ont été adressées par l’administration ; qu’ainsi, M. NDIAYE, âgé
de 31 ans à la date de l’arrêté en litige et entré en France au plus tard à
l’âge de 17 ans, y a vécu au moins 14 ans, soit près de la moitié de sa vie ;
qu’il soutient sans être contredit subvenir à ses besoins depuis 1991 par les
cours de soutien scolaire susmentionnés qui lui assurent un revenu modeste,
mais régulier ; que son intégration dans la société française est établie par
sa situation de concubinage avec Mlle Mame DIARRA, de nationalité fran-
çaise, avec laquelle il attend un enfant et vit depuis 1999 au domicile de la
soeur de celle-ci, Mme Alima SECK ; que, dès lors, et sans qu’il soit besoin
d’examiner les autres moyens invoqués par M. NDIAYE, la situation de ce
dernier n’était pas insusceptible de régularisation ; que, dès lors, l’arrêté
de reconduite à la frontière pris à son encontre le 28 janvier 2000 doit être
regardé comme entaché d’une erreur manifeste d’appréciation ; que M.
NDIAYE est, par suite, fondé à en demander l’annulation... »
83
fondement de l’article 12 bis 3° de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modi-
fiée, au motif qu’il « ne justifie pas d’une présence continue en France de
dix ans, au moins pour la période 1993- 1998 », réponse stéréotypée que
l’administration oppose le plus souvent à ce genre de demande, en ignorant
délibérément que la loi précise que l’étranger peut la justifier « par tout
moyen ».
84
APRF contre une Algérienne, vivant maritalement avec un compatriote, ti-
tulaire d’une carte de résident, dont elle a deux enfants nés en France – Vio-
lation de l’article 8 de la CEDH – Annulation et condamnation de l’Etat à
verser à la requérante la somme correspondant aux frais non compris dans
les dépens.
85
Rejet ministériel d’une demande d’asile territorial et refus préfectoral de ré-
gularisation du séjour à l’encontre d’un Algérien – Erreur manifeste d’ap-
préciation – Annulation.
Double annulation.
86
Arrêté d’expulsion pris contre un Algérien ayant ses attaches en France an-
nulé par le tribunal administratif pour violation de l’article 8 CEDH – Re-
cours en annulation du jugement par le ministre de l’intérieur devant la cour
administrative d’appel – Rejet du recours et condamnation de l’Etat à payer
à l’intéressé la somme des frais exposés non compris dans les dépens.
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La faute résultant de l’illégalité d’une décision de refus de séjour est de na-
ture à engager la responsabilité de l’État et emporte droit à indemnisation
des conséquences dommageables qui en ont résulté pour l’étranger.
Une demande préalable d’indemnité doit être adressée au préfet, par lettre
recommandée avec avis de réception exposant les motifs de l’illégalité de la
décision de refus de séjour et les divers éléments du préjudice matériel et
moral subi . Et la décision de rejet, implicite (mais ne faisant pas courir le
délai de recours contentieux de deux mois) ou expresse, peut être déférée à
la juridiction administrative, dans le cadre d’un recours de plein conten-
tieux, avec le ministère obligatoire d’un avocat.
Elle peut être présentée, soit après annulation de la décision de refus de sé-
jour, soit simultanément au recours en excès de pouvoir ou après celui-ci,
mais avant que le juge administratif ait statué, auquel cas on peut demander
la jonction des deux requêtes.
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La Haute juridiction considère que les moyens tirés de ce que la décision at-
taquée aurait méconnu l’autorité de la chose jugée par le tribunal adminis-
tratif de Melun le 24 janvier 2000 et de ce qu’elle aurait été prise sur une
procédure irrégulière, faute de consultation de la commission du titre de sé-
jour, sont de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision.
Par jugement du 23 mai 2002, le tribunal considère que le requérant est fon-
dé à invoquer l’illégalité de la décision implicite de refus de séjour, interve-
nue à la suite d’une procédure irrégulière pour défaut de consultation de la
commission du titre de séjour (s’agissant d’un étranger relevant de l’article
12 bis 7° de l’ordonnance du 2 novembre 1945) et ayant méconnu l’autorité
de la chose jugée qui s’attache au jugement du tribunal administratif de Me-
lun du 24 janvier 2000, devenu définitif.
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tions réservées aux travailleurs étrangers et de répondre favorablement, ain-
si qu’il le souhaitait, à la proposition d’embauche qui lui a été faite et qu’il
peut prétendre à la réparation du préjudice matériel qu’il allègue, compte te-
nu des perspectives d’embauche qui lui étaient offertes, et qu’il a également
droit à la réparation de son préjudice moral et aux troubles dans ses condi-
tions d’existence.
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l’homme et que son caractère illégal est de nature à engager la responsabili-
té de l’État à l’égard des requérants.
L’État est donc condamné à leur payer une indemnité globale de 10 672 eu-
ros.
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