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date de dépôt du dossier. Tout s’est visiblement passé comme si les plus ra-
pides à rassembler les éléments exigés (fort nombreux et variant également
selon les départements) avaient été les premiers et donc les mieux servis.
Chaque préfecture se serait ainsi donné un nombre de régularisations à ne
pas dépasser, et une fois cet objectif atteint, elle aurait sans le dire « mis au
pilon » tous les nouveaux dossiers. Pour le reste…
TOUS les jours, au fur et à mesure que les décisions tombaient – surtout les
refus donc –, on ne pouvait que constater l’arbitraire des pratiques. On nous
rétorquera que ce n’est pas nouveau, que c’est le principe même de toute ré-
gularisation, mais l’aspect loterie a cette fois atteint des sommets. Pour ne
citer qu’un exemple, prenons la durée du séjour en France et incidemment
celle de la scolarité. Ce critère qui a toujours été considéré comme l’indica-
teur d’un ancrage incontestable dans la société française et qui, de plus, pré-
sente une objectivité certaine, n’a apparemment joué aucun rôle. Des étran-
gers installés en France depuis plus de dix ans ont été ainsi renvoyés à leur
irrégularité alors que d’autres, présents sur le territoire depuis peu de temps,
ont eu la chance de présenter leur dossier au bon moment. Il faut croire que
certains étrangers ont vocation à rester éternellement en situation irrégu-
lière…
Dans cette opération, comme dans toutes les opérations de ce type réglées
par circulaires, il n’a pas été question de droit. Comment le faire com-
prendre aux familles concernées, à leurs amis et soutiens alors même que le
texte, qui a bénéficié d’un tapage médiatique conséquent, a nourri un réel
espoir ? Parce qu’il n’est pas question de droit, il est vain d’user de recours,
que ce soit devant le préfet ou devant le juge. Ce constat est cruel pour ceux
et celles qui découvrent de plein fouet que le principe d’égalité de traite-
ment n’a ici pas droit de cité. Les autorités compétentes n’ont finalement
fait qu’exercer leur pouvoir discrétionnaire en la matière guidées par la
règle rappelée par le ministre de l’intérieur : les sans-papiers n’ont pas de
droits, sauf celui d’être reconduits chez eux.
LE hasard et la chance, qui gouvernent déjà pour une très large part l’ins-
truction des demandes de statut de réfugié en l’absence de jurisprudence en-
cadrant les réponses de l’OFPRA et de la Commission de recours des réfu-
giés, ont pris pension l’été dernier dans les préfectures. On en arrive, non
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sans cynisme, à se demander s’il ne serait pas plus honnête, de la part du
ministère de l’intérieur, d’instituer un tirage au sort et non un artifice d’exa-
men sur la base de critères que les services administratifs s’empressent
d’abandonner. Cette procédure aurait au moins l’avantage de la franchise.
ERRATUM
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Le Gisti et le travail social — Violaine Carrère
Qui connaît le Gisti n’a pu manquer de lire cette phrase qui a longtemps ou-
vert toutes ses publications et figure encore en tête des guides : « Le Gisti
est né en 1972 de la rencontre entre des travailleurs sociaux, en contact ré-
gulier avec les immigrés en France, et des juristes n’ayant pas la même ex-
périence pratique mais apportant leur compétence propre. Cette double ap-
proche, à la fois concrète et juridique, fait la principale originalité du
groupe. »
De temps à autre, lors d’une réunion, l’un ou l’autre des membres com-
mence « Le Gisti est né de la rencontre… ». Il n’a pas besoin d’aller plus
loin ; immanquablement tout le monde sourit mais complète la récitation in-
térieurement et la phrase résonne comme un rappel de la loi originelle.
Quelque chose comme : ne pas s’éloigner du « terrain » , ne pas faire du
droit pour faire du droit mais se servir du droit comme une arme. Cette ren-
contre, à l’origine du Gisti, entre travailleurs sociaux et juristes, a un sens
politique.
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tion, destinés à un public de spécialistes, à une série de « notes pra-
tiques », d’un abord plus facile. Là encore, le Gisti compte parmi ses
abonnés nombre de travailleurs sociaux et/ou de structures de travail
social, et nous savons que nos guides, en particulier, sont des outils
précieux dans tous les services amenés à recevoir des étrangers.
Les permanences de conseil juridique, enfin, sont plus que largement
ouvertes aux travailleurs sociaux. Au téléphone ou par courrier, ceux-
ci posent des questions d’ordre général sur la réglementation en vi-
gueur, ou exposent la situation d’une personne ou d’une famille en par-
ticulier pour demander quelle aide il est possible de leur apporter. Il est
fréquent par ailleurs que ce soit sur les conseils d’un travailleur social
que des étrangers prennent contact avec le Gisti pour entreprendre des
démarches en préfecture, faire une demande de regroupement familial,
entamer une procédure de demande d’asile, obtenir l’ouverture de
droits sociaux. Au total, sur l’ensemble des dossiers individuels traités
au Gisti, un peu plus de 20 % par an l’ont été à la suite de l’interven-
tion de ces intermédiaires privilégiés.
Outre ces activités au long cours, l’actualité suscite plus ou moins, selon les
années, de partenariats avec des travailleurs sociaux. Le dernier exemple en
date est l’aventure de RESF (Réseau éducation sans frontières), né lorsque
des enseignants, des parents d’élèves et des assistants de service social de
collèges et lycées ont découvert que les élèves de leurs établissements me-
nacés d’être renvoyés hors du territoire du fait de l’absence de titres de sé-
jour de leurs parents n’étaient pas des cas isolés. Le Gisti, ainsi que d’autres
organisations, a contribué à ce mouvement qui, pour l’instant, a abouti à la
circulaire de régularisation de juin 2006.
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insérée dans la loi Sarkozy de novembre 2003, la plupart de ces jeunes se
trouvant, à la suite de cette réforme, privés de l’accès à la nationalité fran-
çaise qui leur était jusque là ouvert.
Une initiative comme ce réseau RIME est d’autant à saluer que, dans son
ensemble, la profession est peu encline à l’action collective ; elle compte
d’ailleurs très peu d’organisations associatives ou syndicales. On a pu ob-
server, avec le développement du réseau RESF, l’écart entre leur capacité de
mobilisation et celle des enseignants, dotés eux de longue date de structures
syndicales fortes. D’une manière générale, les travailleurs sociaux sont très
peu représentés dans les mouvements de défense des catégories sociales (les
chômeurs, les mal-logés, les sans-papiers…) qu’ils côtoient dans l’exercice
de leur profession.
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Les travailleurs sociaux du secteur privé associatif ne sont pas toujours pro-
tégés de cette pression, puisque les structures qui les emploient sont souvent
liées à des collectivités par des subventions, voire des conventions, et
agissent donc en délégation de service public.
Alors qu’ils font aisément appel à des associations comme la nôtre pour ob-
tenir des conseils juridiques, ils se sentent souvent heurtés par nos prises de
position, et le dialogue est parfois difficile. L’histoire qui s’est déroulée, au-
tour de la problématique des mineurs étrangers isolés, entre le Gisti et les
travailleurs sociaux est une bonne illustration de la complexité des relations
qu’entretient d’une manière générale l’association avec les travailleurs so-
ciaux.
Ils ont des passés d’errance, ils ont appris jeunes à être autonomes, ce qui
les rend « inadaptés » (sic) aux modes d’accueil que les services sociaux
peuvent leur proposer. Certains éducateurs ne tarissaient pas d’arguments à
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opposer à la revendication du Gisti, qu’ils accusaient de parler sans
connaître la réalité de ces jeunes : ils ne se plient pas aux règlements, ils
fuguent, ils se sauvent pour aller travailler, ne veulent pas étudier… Une
journée thématique sur la situation des mineurs étrangers isolés que le Gisti
avait organisée en janvier 2002 a ainsi donné lieu à des échanges virulents.
Peu à peu, les choses ont évolué. Les institutions de travail social de nom-
breux départements se sont dotées des moyens indispensables pour accom-
pagner les mineurs étrangers isolés. Certaines ont même déployé, à la suite
de plaidoyers d’éducateurs, des efforts remarquables pour ce type d’inter-
vention.
Les effets de ces nouvelles dispositions n’ont pas tardé à se faire sentir ; de
partout en France, des éducateurs ont contacté le Gisti, affolés, se deman-
dant comment prendre en charge des jeunes dont on ne savait pas s’ils pour-
raient ou non demeurer en France à leur majorité. Le réseau RIME a été
créé. Et ces deux dernières années, le Gisti a multiplié conseils, suivis de
dossiers et stages de formation pour des structures de travail social.
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Sur des sujets comme celui-ci, si nous avons le sentiment de tenir le même
langage que nombre de nos interlocuteurs, il nous arrive néanmoins de trou-
ver parfois surprenantes aussi bien les stratégies que les motivations des
stratégies de travailleurs sociaux avec tel ou tel mineur étranger isolé. Ainsi,
il n’est pas rare que nous découvrions qu’une démarche pourtant capitale
dans l’intérêt du mineur n’a pas été faite, ou que les délais pour l’accomplir
n’ont pas été l’objet de suffisamment d’attention. Ici, on accueille des
jeunes sans alerter comme il le faudrait le procureur ou le juge des enfants,
là on ne demande pas au juge des tutelles de statuer, ailleurs on néglige
d’accompagner le jeune qui aurait pu se prévaloir de ce droit dans une pro-
cédure de déclaration de nationalité. Lorsque nous manifestons notre éton-
nement, il nous est bien souvent expliqué que l’intéressé était « en observa-
tion », qu’on attendait de savoir « quel était son projet », qu’il fallait
« mieux connaître son histoire », élaborer « une relation de confiance », etc.
Le dossier des mineurs étrangers isolés nous montre à quel point, s’agissant
de mineurs plus encore que pour les adultes, de nombreux travailleurs so-
ciaux manifestent une culture professionnelle privilégiant l’attention aux
problématiques sociales, psychologiques, culturelles. Alors même que le
discours du travail social met en avant l’accompagnement vers l’accès aux
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droits, le Droit n’est très souvent que la dernière roue du carrosse, pour des
professionnels peu ou mal formés aux matières juridiques.
Autre exemple, celui des modèles de recours proposés dans les publications
du Gisti. De nombreux travailleurs sociaux, à l’instar d’ailleurs de perma-
nents associatifs, à qui nous suggérons de s’inspirer de ces lettres-types
s’inquiètent de leur ton : la préfecture (ou la CAF, la CPAM ou l’OFPRA)
ne va-t-elle pas être heurtée par le ton revendicatif d’un tel courrier ? Ne
risque-t-on pas de l’indisposer et, ce faisant, de nuire aux intérêts de l’étran-
ger que l’on souhaite défendre ?
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ru par l’étranger que l’on soutient. Mais leurs interrogations vont bien au-
delà. Ils s’interrogent sur le bien-fondé de la démarche, sur son sens, sur la
façon dont l’intéressé(e) va la vivre…
Tous ces questionnements ont certes leur valeur dans les faits, mais ils
nuisent parfois à la réflexion juridique, quand ils ne sont pas tout simple-
ment contraires au respect de la liberté de la personne concernée. Ainsi, on
entend des assistants de service social se demander s’il est vraiment souhai-
table que tel étranger fasse venir sa famille en France. On entend certains
formuler des réserves sur l’intérêt pour un étranger de chercher à se mainte-
nir sur le territoire après un refus de titre de la préfecture, ou s’inquiéter de
la valeur symbolique de l’obtention de la nationalité française par un jeune,
ou encore évaluer le risque de réveil de traumatismes lié à une procédure de
demande d’asile.
Si les soucis de cette nature honorent évidemment les professionnels qui les
expriment, ils peuvent coïncider cependant avec l’ambiance de réticence,
voire d’hostilité générale, des institutions à œuvrer dans le respect des
droits des étrangers. Les interrogations exprimées se heurtent bien souvent à
des réalités objectives, d’une part, et à des constats incontournables, d’autre
part. Il est en effet bien réel qu’on vit mieux en France avec la nationalité
française que sans, avec le statut de réfugié que sans. Force est en outre de
constater que nombreux sont les étrangers qui préfèrent vivre dans la préca-
rité en Europe que retourner dans leur pays, qui préfèrent vivre entourés des
leurs, même dans des conditions matérielles difficiles, que laisser au loin les
membres de leur famille.
Un rôle nouveau
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Ces riches mais difficiles relations auraient pu se poursuivre sans que nous
nous y arrêtions davantage, la « cause » étant d’une certaine manière enten-
due : les travailleurs sociaux utilisent le Gisti, lequel bénéficie de leur in-
comparable proximité avec les réalités de la vie des étrangers, et tout est
pour le mieux. Or la donne est en train de changer. Plusieurs réformes légis-
latives au cours des dernières années concourent à donner aux services so-
ciaux un rôle nouveau et considérable dans le domaine du droit à l’entrée et
au séjour des étrangers. On assiste aussi depuis plusieurs mois – est-ce une
simple coïncidence ? –, à d’importantes transformations dans l’univers des
institutions chargées du travail social auprès des migrants.
Parmi les évolutions législatives les plus notables, il faut évoquer la généra-
lisation du Contrat d’accueil et d’intégration (CAI), et surtout le fait que
l’« intégration républicaine » qu’est censée attester l’adhésion à ce CAI soit
devenue, depuis novembre 2003, une condition pour l’obtention de la carte
de résident et, en juillet dernier, pour bénéficier du droit au regroupement
familial.
Il est nécessaire d’évoquer par ailleurs le rôle que sont maintenant amenés à
jouer, au travers d’enquêtes sociales et de rapports sociaux, les acteurs des
services sociaux dans des procédures de plus en plus nombreuses : si un ré-
sident en France veut faire venir un étranger pour une visite de courte durée
et s’il a donc besoin d’obtenir une attestation d’accueil, si un étranger rési-
dant en France veut être rejoint par les membres de sa famille, si un Fran-
çais ou un étranger veut se marier avec un étranger, si un jeune étranger ac-
cueilli en France veut y préparer un diplôme en alternance, ou y rester léga-
lement après sa majorité.
Changement de visage
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Pendant que se mettent en place ces nouveaux dispositifs, une grande re-
structuration des services de l’État liés aux migrants a eu lieu, dont on ne
peut aujourd’hui qu’entrevoir quelques uns des effets. L’OMI (Office des
migrations internationales) a absorbé le SSAE (Service social d’aide aux
étrangers) avec la création de la nouvelle ANAEM (Agence nationale d’ac-
cueil des étrangers et des migrations). Des évolutions sont en cours égale-
ment au sein du FASILD. C’est toute une orientation de politiques pu-
bliques et de budgets publics qui change de visage.
Ce dialogue est à mener avec l’ensemble des institutions qui sont chargées
de l’intervention sociale, y compris avec les responsables des services so-
ciaux dans la fonction publique territoriale et avec les élus des collectivités,
mais les plus sûrs garants du respect des droits des personnes sont les tra-
vailleurs sociaux. Quelle résistance opposeront-ils demain à des consignes
qui risquent d’entrer en contradiction avec des axes forts de leur métier : le
secret professionnel, le souci avant tout de l’intérêt de la personne, le res-
pect de son autonomie, la non-discrimination ?
Si, depuis des décennies, l’ambiguïté entre travail social et contrôle social
est au cœur des débats sur tous les « sujets » du travail social, la question,
s’agissant des étrangers, est en train de devenir d’une actualité qu’on pour-
rait dire bruyante… si seulement elle faisait un peu de bruit ! ?
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Entre droit et éthique, le grand écart — Christine
Garcette, Christophe Daadouch
Si les problématiques d’hier et d’aujourd’hui diffèrent, elles posent de tout
temps trois types de questions : de quels étrangers parle-t-on ? Qui sont les
travailleurs sociaux chargés de mener l’action en leur faveur ? En quoi le
travail social, dans sa définition classique, rencontre-t-il des difficultés sur
ce champ particulier ?
A chaque fois, les travailleurs sociaux ont donc, ce qui ne se fait pas sans
peine, à identifier ce public aux multiples facettes pour lui assurer un ac-
compagnement adapté aux problématiques rencontrées. Mais de quels tra-
vailleurs sociaux parle-t-on ? Car face à ces problématiques se pose de ma-
nière récurrente la question de savoir s’il faut privilégier l’action sociale
spécialisée ou le traitement par des services de droit commun.
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L’apparition de la section française du service social international d’aide
aux migrants (SSI), créée en 1926 et qui deviendra le SSAE (service social
d’aide aux émigrants) reconnu d’utilité publique en 1932, avait initialement
pour charge de s’occuper des nombreux réfugiés arrivant et séjournant en
France dans l’attente d’un départ pour les États-Unis. Elle entendait appor-
ter une aide administrative, psychologique, juridique, matérielle aux réfu-
giés, souvent malades et dans des situations administratives difficiles à dé-
mêler [2].
Neutralité scientifique
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SSAE, comme du service social en général, de prendre ouvertement posi-
tion sur des questions politiques. Certains y verront les reliquats de sa mis-
sion d’expert empreint d’une forme de neutralité scientifique. D’autres l’ex-
pliqueront par sa mission de service public, ses conventions avec l’État et
les subventions qui en découlaient. Les derniers y liront une neutralité asso-
ciée depuis longtemps mais de façon illusoire, au service social.
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compagnement social proposé aux nationaux ? Le droit des étrangers est
certes devenu tellement complexe que seuls des spécialistes arrivent à s’y
retrouver ! [8]
Cette question est cruciale à l’heure où action sociale, travail social, service
social, intervention sociale sont autant d’appellations pour un champ d’in-
tervention professionnelle difficile à définir et à délimiter : le travail social
est un ensemble de professionnels qualifiés, exerçant de façon salariée des
missions de politiques sociales définies par les institutions publiques et pri-
vées qui les emploient. Interventions qui, tant individuelles que collectives,
visent à l’information, l’orientation, l’accompagnement, l’éducation, le sou-
tien psycho-social, et ont pour objectif de favoriser le lien social, l’insertion
des personnes dans le respect de leur autonomie et des principes éthiques et
déontologiques de non discrimination et de confidentialité.
Ces notions sont importantes car elles inscrivent d’emblée le travailleur so-
cial dans l’injonction paradoxale de devoir à la fois s’inscrire dans le cadre
institutionnel dans lequel il exerce et qui lui demande de rendre compte de
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son action, et de mettre en œuvre des modes de réponses personnalisées
face aux besoins et aux demandes de ceux qui s’adressent à lui. Entre
éthique de conviction et éthique de responsabilité, le grand écart est parfois
difficile à tenir, d’autant plus que l’origine socioprofessionnelle des tra-
vailleurs sociaux, de plus en plus issus de familles ayant elles-mêmes connu
des parcours migratoires, questionne la fameuse « distance profession-
nelle » qui leur est enseignée.
Aux quelque 450 000 travailleurs sociaux recensés, comprenant entre autres
assistants de service social, éducateurs, animateurs, conseillères en écono-
mie sociale et familiale, ou travailleuses familiales [9], on ajoute aussi, par-
mi les intervenants sociaux, la femme-relais ou parfois même le bénévole
d’association d’alphabétisation ou de soutien scolaire. Non pas qu’il faille
négliger les missions de chacun de ces intervenants qui contribuent tous au
« travail du social » [10], mais la confusion entretenue sur le terme de tra-
vailleur social empêche de distinguer les niveaux de formation, de qualifi-
cation, les exigences légales et déontologiques propres à chacun, ou plus
généralement les cultures professionnelles spécifiques, ce qui ne permet pas
un partenariat réellement efficace dans l’intérêt des usagers.
Pour mener à bien cette mission aux multiples facettes, l’assistant de ser-
vice social agit sur les leviers classiques d’insertion sociale que sont l’em-
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ploi, le logement, l’école, l’accès aux soins, la citoyenneté et, plus générale-
ment, les droits sociaux. Qu’en est-il de ces leviers dans ce domaine parti-
culier qu’est le droit des étrangers ? Est-il encore utile de montrer les diffi-
cultés spécifiques rencontrées en matière d’accès au logement, la relégation
dans des quartiers dit « sensibles » et la saturation des centres d’héberge-
ment, au demeurant sous la pression de demandes accrues de renseigne-
ments sur les personnes accueillies [11] ? Doit-on rappeler le taux de chô-
mage des étrangers mais aussi leur surreprésentation dans les emplois pré-
caires ?
Quant à l’école, même si « les enfants d’étrangers réussissent mieux que les
nationaux à milieu social identique, et que leur volonté de mobilité sociale
est importante », faut-il taire le fait que « la discrimination notée sur le
marché de l’emploi, se retrouve en amont dans le système scolaire » [12] ?
Comment lutter contre la recrudescence de maladies graves chez les étran-
gers (tuberculose, sida, hépatites…), quand les conditions d’ouverture des
droits à l’aide médicale de l’État (AME) se durcissent autant ? Comment
travailler autour de l’autonomie et de la citoyenneté auprès d’usagers privés
du droit élémentaire de vote ? Enfin, comment garantir le travail avec les
familles face aux suspicions et aux contrôles touchant le regroupement fa-
milial ou les mariages mixtes, sans oublier les souvent douloureuses déco-
habitations de familles polygames ?
Intégration ou normalisation ?
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« contrat » dont on peut, avec le Conseil d’État, se demander ce qu’il a à
voir en réalité avec un contrat.
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non discrimination, le respect de la vie privée et le secret professionnel. Dès
lors, la question de la désobéissance civile peut se trouver posée.
Notes
[1]
Christine Garcette est assistante sociale. Ancienne présidente de
l’ANAS (association nationale des assistants de service social) de
1997 à 2000 et formatrice en travail social, elle est actuellement délé-
guée du CLICOSS (comité départemental de liaison et de coordination
des services sociaux) de Seine-Saint-Denis, présidente du MNPCTS
(mouvement national pour la promotion de la coordination en travail
social), administratrice du SSAE, co-auteur, avec Brigitte Bouquet, du
livre « Assistante sociale aujourd’hui », Éditions Vigot Maloine, 3ème
édition, à paraître en octobre 2006.
[2]
Cf. Lucienne Chibrac, Les pionnières du travail social auprès des
étrangers, ENSP, 2005.
[3]
Cf. Suzanne Roux (sous la dir.), Action sociale et migration, L’Har-
mattan, 1997.
[4]
Depuis octobre 2005, le SSAE a été absorbé par l’Office des migra-
tions internationales (OMI) devenu ANAEM (Agence nationale de
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l’accueil des étrangers et des migrations). L’association SSAE, elle,
perdure et a décidé de continuer, ne serait-ce que par sa revue Ac-
cueillir, à maintenir et développer son rôle d’expertise en matière de
migration. Le seul service social spécialisé en la matière reste au-
jourd’hui celui de l’ASSFAM (association service social familial mi-
grants).
[5]
Née le 21 juillet 1882, fille de pasteur et docteur en droit, elle se voit
cependant refuser, parce que femme, le concours d’agrégation, ce qui
l’amènera à militer au sein du Conseil national des femmes pour la re-
connaissance du droit des femmes. Elle poursuit des études de droit,
notamment de droit international privé, avant de suivre son mari en
Egypte puis au Liban en 1918, où elle s’occupe de distribuer des se-
cours aux personnes et familles affluant du Moyen-Orient, d’Europe
centrale et de Russie. Voir Brigitte Bouquet, Lucie Chevalley, 1882-
1979, in Vie Sociale, « Aux origines du service social professionnel,
notices biographiques », n° 3-4/93.
[6]
En 1997, un tiers des administrateurs étaient des conseillers d’État !
[7]
Voir dans ce numéro l’article de Christophe Daadouch, p. 14.
[8]
Au début des années 2000, le contentieux des étrangers représen-
tait 40 % des affaires traitées par le Conseil d’État (chiffre cité par F.
Tiberghien).
[9]
Rebaptisées depuis quelques années TISF : techniciennes de l’inter-
vention sociale et familiale.
[10]
Selon l’expression du sociologue Michel Chauvière.
[11]
Le numéro d’avril dernier de la revue du Gisti était particulièrement
éclairant sur le sujet. Plein droit n° 68, avril 2006, « (Dé) loger les
étrangers ».
[12]
Cf. la conférence de F. Tiberghien au Conseil national des femmes,
janvier 2006, op.cit.
22
[13]
Voir dans ce numéro p. 28.
[14]
Cf. Dictionnaire critique d’action sociale, Bayard, 1995, réédition pré-
vue pour l’automne 2006.
[15]
Cf. J.M. Belorgey, « Réactions sur la politique publique d’accueil »,
Hommes et migrations, « Accueillir autrement », mai-juin 2006.
[16]
Cf. code de déontologie des assistants de service social, ANAS.
[17]
La CPO regroupe l’AIRE, association des instituts de rééducation, les
ITEP (instituts éducatifs, thérapeutiques et pédagogiques) et leurs ré-
seaux, l’ANAS (association nationale des assistants de service social),
les CEMEA (centres d’entraînement aux méthodes d’éducation ac-
tive), Éducation et Société, la FNEJE (fédération nationale des éduca-
teurs de jeunes enfants), France ESF (association nationale des
conseillers en économie sociale et familiale), la Ligue des droits de
l’homme, Travail Social, le MNPCTS (mouvement national pour la
coordination en travail social), Pratiques sociales, Témoins et Soli-
daires. CPO, 24 rue Marc Seguin, 75883 Paris cedex 18.
[18]
La démarche des États généraux du social et les analyses qui ont été
produites ont fait l’objet d’un ouvrage et d’un DVD : « Reconstruire
l’action sociale » sous la direction de Michel Chauvière, Jean-Michel
Belorgey, Jacques Ladsous, éditions Dunod, 2006.
23
Vers une logique de contrôle ? — Christophe Daa-
douch
En matière d'entrée sur le territoire, la loi Sarkozy de novembre 2003 a ex-
pressément conféré des prérogatives aux services sociaux tant sur le terrain
de l'attestation d'accueil que sur celui du regroupement familial.
Selon le même schéma, l'article 421.2 du code des étrangers précise que
« des agents spécialement habilités des services de la commune chargés des
affaires sociales ou du logement, ou, à la demande du maire, des agents de
l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations peuvent pé-
nétrer dans le logement » afin de s'assurer du respect des normes appli-
cables en matière de regroupement familial.
En effet, le service social est un des trois services pouvant avoir compé-
tence dans chacun de ces deux domaines. Dans les faits, cependant, il a sou-
vent été mobilisé par les élus locaux qui souhaitent avoir un vrai droit de re-
gard sur ces contrôles mais n'ont pas toujours un service du logement en
gestion municipale directe.
De manière plus détournée, certes, mais avec des effets tout aussi impor-
tants, les services sociaux sont également au cœur de la généralisation de la
condition d'intégration en droit des étrangers. C'est d'abord la loi de no-
vembre 2003 qui a fixé une condition d'intégration « républicaine » à la dé-
livrance de la carte de résident (article L. 314.10), condition « appréciée en
particulier au regard de [la] connaissance suffisante [par l'étranger] de la
langue française et des principes qui régissent la République française »
24
(L. 314.2). C'est aujourd'hui la loi du 24 juillet 2006 qui pose comme exi-
gence que celui qui entend bénéficier du regroupement familial doit se
conformer « aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la Répu-
blique. » [2]
Enfin, c'est cette même loi qui prévoit aussi que tout étranger qui réside ré-
gulièrement en France depuis au moins cinq ans peut solliciter une carte de
résident. Les « moyens d'existence » étant pris en compte (article L. 314.8),
le caractère suffisant des ressources au regard des conditions de logement
« fait l'objet d'un avis du maire de la commune de résidence du deman-
deur ».
A chaque fois, le maire peut [3], et parfois même doit, être saisi par le préfet
pour rendre un avis sur l'intégration de l'étranger demandeur, sur ses res-
sources ou sur son respect des principes de la République. Il n'est dès lors
pas rare que l'édile local interroge, parmi d'autres (police municipale, ser-
vice du logement, service de la vie associative), les services sociaux sous sa
responsabilité pour préciser une situation sociale ou étayer ses convictions.
De l'expertise médico-sociale
Le fait que le service social soit également partie prenante des processus de
régularisation des étrangers en situation irrégulière n'est pas en soi une nou-
veauté. Toutefois, plus que jamais les rares possibilités de régularisation
prévues par la loi sont aujourd'hui largement conditionnées par des critères
médico-sociaux.
25
sormais appréciés « notamment au regard de leur intensité, de leur ancien-
neté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son in-
sertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la
famille restée dans le pays d'origine ». On imagine aisément que les ser-
vices sociaux vont être sollicités par les intéressés, accessoirement par les
préfectures, pour apprécier ou justifier ces conditions d'existence et d'inser-
tion sociale.
Dans ces différents cas, le rôle du service social est divers pouvant aller de
l'information sur les procédures à la délivrance d'attestations ou de copies
de dossier, en passant par des courriers d'accompagnement et l'aide à la ré-
daction d'une demande. Dans des cas bien spécifiques, la régularisation est
même désormais directement conditionnée par la mobilisation du service
social.
Jusqu'en novembre 2003, les jeunes pris en charge par l'Aide sociale à l'en-
fance pouvaient bénéficier de la nationalité française par simple déclaration
au tribunal d'instance. A l'âge de seize ans, le jeune pouvait même effectuer
seul, pour peu qu'il ait été informé, ladite déclaration sans que le service so-
cial qui le prend en charge puisse y faire obstacle. En exigeant trois ans de
prise en charge par l'ASE avant la majorité, ou cinq ans pour les autres
prises en charge (PJJ, associations, etc.), la réforme de novembre 2003 a
largement limité les possibilités d'obtention de la nationalité française.
26
prentissage et de professionnalisation. On lira avec intérêt la circulaire
du 5 octobre 2005 relative à la délivrance de ces autorisations de travail à
des mineurs et à des jeunes majeurs isolés : à l'étranger « qui a été pris en
charge par l'Aide sociale à l'enfance après l'âge de seize ans ou qui n'est
plus pris en charge au moment où il formule sa demande, l'autorisation
provisoire de travail ne saurait être délivrée qu'après un examen au cas par
cas, en tenant compte du projet d'insertion durable du jeune étranger, après
avoir pris attache avec son éducateur référent, et des éventuels problèmes
d'ordre public posés par la présence de l'étranger, après consultation des
services préfectoraux ».
Le transfert de compétences
Dans le même esprit, la circulaire Villepin du 2 mai 2005 [7] précise que les
préfets doivent « veiller à admettre ces personnes au séjour à leurs dix-huit
ans » lorsque les perspectives de retour de ces jeunes dans leur pays d'ori-
gine sont très faibles, et au regard de leur parcours d'insertion en France.
L'ancienneté du séjour en France, la réalité et le sérieux du suivi de la for-
mation, l'absence justifiée du maintien des liens avec la famille restée dans
le pays d'origine et une appréciation de la structure d'accueil devront aussi
être pris en compte. Sur ce dernier point, il est exigé « une attestation moti-
vée de la structure justifiant du degré d'insertion du jeune majeur dans la
société française (rapport de l'éducateur référent évoquant son comporte-
ment, ses projets scolaires ou professionnels, relevés de notes, connaissance
suffisante de la langue française, etc.) ».
27
la hiérarchie politique sur les services en question ? Pari selon lequel la par-
ticipation à la politique d'immigration pourrait en limiter les aspects les plus
contestables ? Adhésion à des textes qui marquent une certaine reconnais-
sance de services trop souvent déqualifiés ? La réponse se situe probable-
ment à la lisière de ces multiples explications.
Quoi qu'il en soit, il n'en demeure pas moins que ces transferts posent un
certain nombre de questions de fond que le travail social ne peut évacuer.
Ces transferts directs ou indirects de pouvoirs aux services sociaux ne sont
accompagnés d'aucun dispositif général de formation permettant aux agents
d'appréhender une législation aussi complexe et floue.
Ces notions sont évidemment sujettes à une telle subjectivité que ce risque
devrait être compensé par une formation et une analyse collective des situa-
tions pour filtrer des appréciations qui pourraient être trop personnelles. Il
convient au demeurant, pour le professionnel, de mesurer l'impact des avis
et décisions rendus dans ce domaine si particulier, car si policier, qu'est le
droit des étrangers. Le travailleur social qui, en temps normal, méconnaî-
trait un dispositif social ne court comme seul risque que de voir rejetée la
demande qu'il formule. Ici, le rejet ou l'avis négatif peut tout de suite avoir
des conséquences très lourdes, difficilement réparables.
28
rieur, datée du 21 février 2006, relative aux « conditions de l'interpellation
d'un étranger en situation irrégulière » [12] dans laquelle sont évoquées les
différentes possibilités d'interpellations d'irréguliers dans des services médi-
caux ou sociaux. Elle pourrait l'être aussi par l'article L. 622-1 selon lequel
« toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de
faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d'un étranger en
France sera punie d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende
de 30 000 euros ». Face à ces deux textes, les services sociaux semblent
flotter, sans fil conducteur ni réflexion collective, entre désobéissance voire
résistance, respect strict de la loi ou souci de concilier mission sociale et
cadre légal.
29
Certes, on pourra objecter que la loi Sarkozy du 27 juillet 2006 prévoit une
exception nouvelle au secret professionnel en évoquant implicitement sa le-
vée en vue de la régularisation des jeunes pris en charge par l'ASE. Elle ne
saurait pour autant donner de base légale aux écrits sociaux adressés dans le
cadre d'une demande de régularisation fondée sur la circulaire Villepin – on
pense ici aux jeunes pris en charge par la PJJ ou par l'ASE après seize ans –
ou dans le cadre d'une demande de contrat d'apprentissage sur la base de la
circulaire Borloo précitée. Une circulaire, quand bien même suggérerait-elle
la transmission d'écrits du professionnel référent, ne peut déroger au cadre
strict du droit pénal. De la même manière, aucun texte n'habilite un service
social à délivrer des informations à une préfecture en vue d'une régularisa-
tion, y compris avec l'accord de l'intéressé.
Nous avons par ailleurs eu l'occasion de préciser que toute information déli-
vrée au maire par le CCAS sur la situation sociale d'un usager aux fins
d'éclairer une demande d'attestation d'accueil ou de regroupement familial
est une violation claire des règles du secret professionnel [13]. Tout au plus
le service social peut-il être habilité à vérifier les conditions de logement
pour le compte du maire, mais il doit limiter son contrôle à elles seules. En-
fin, la généralisation de l'avis du maire sur l'intégration ou les ressources
d'un demandeur de regroupement familial ou de carte de résident ne peut lé-
galement être éclairée par les informations collectées par le CCAS, cou-
vertes elles aussi par le secret professionnel.
Dans ces deux derniers exemples, il est aisé d'imaginer la difficulté, pour
les agents du CCAS sollicités par leur supérieur hiérarchique, de lui oppo-
ser le secret professionnel sans craindre des répercussions disciplinaires. Et
ce, même si le statut de la fonction publique prévoit expressément qu'un
agent est tenu de ne respecter les ordres hiérarchiques qu'à condition qu'ils
soient légaux.
30
La plus-value, la justification du travail social, est cette relation de
confiance. Or, les dispositifs décrits ci-dessus, qui font du service social le
supplétif de la préfecture (vérification du logement, avis d'intégration, etc.)
ou un organe de simple contrôle (contrat d'accueil et d'intégration), ne font
qu'émietter la relation de confiance avec l'usager déjà parfois difficile à éta-
blir. En visant, dans sa décision, l'avis du service social référent, le préfet
pourra même dégager pour partie sa responsabilité en la transférant à ce ser-
vice.
Qu'en sera-t-il de la régularisation pour les jeunes pris en charge par l'ASE
avant seize ans sur la base d'un avis de la structure d'accueil ? Le piège ten-
du par les dispositions de la loi Sarkozy, qui invitent le service à choisir, au
sein des jeunes, entre ceux qui méritent une telle régularisation et ceux qui
ne le valent pas, est certes gros, mais comment y échapper ? Faut-il les boy-
cotter ou, au contraire, faire une demande pour tous ? On peine à imaginer
certains conseils généraux valider cette dernière option. Les demandes se-
ront donc ponctuelles et devront être le plus étayées possible avec le maxi-
mum d'éléments pourtant régis, une fois de plus, par le secret professionnel,
à destination, non pas du juge des enfants, mais du préfet non soumis à une
telle exigence. In fine, le préfet décidera et motivera sur la base de l'avis de
la structure d'accueil : « Au regard du service X, je constate que vous ne jus-
tifiez pas d'une réelle volonté d'insertion… »
31
A maints égards, ces multiples textes vont à l'encontre des évolutions du
travail social. Alors qu'elle a peiné à sortir d'une logique de contrôle qui a
pu fonder son histoire, l'action sociale y retourne par la porte du droit des
étrangers. De la même manière, alors que l'ASE a eu du mal à se dégager de
l'image de toute-puissance de l'Assistance publique puis de la DDASS, elle
y est inéluctablement renvoyée en matière de prise en charge des mineurs
étrangers. ?
Notes
[1]
Lucienne Chibrac, Les pionnières du travail social auprès des étran-
gers. Le Service social d’aide aux émigrants, des origines à la Libéra-
tion, éditions ENSP, 2005.
[2]
Art. 411.5 du code de l’entrée et du séjour.
[3]
L’avis sur la condition d’intégration est prévu par les ar-
ticles 314.2 et 421.1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers. Se-
lon l’article L. 421-1 cet avis est réputé rendu à l’expiration d’un délai
de deux mois à compter de la communication du dossier par l’autorité
administrative.
[4]
Voir dans ce numéro l’article de Mylène Chambon sur le contrat d’in-
tégration, p. 28.
[5]
Article L. 313.11 alinéa 7.
[6]
On pense à la création et à l’extension du réseau RIME.
[7]
N° NOR/INT/D/05/00053/C.
[8]
Article L. 313-11-2°bis.
[9]
On pense ici au communiqué de l’UNCCAS en réponse au GISTI sur
les transferts de compétence en matière d’attestation d’accueil et de re-
32
groupement familial. http://www.unccas.org/presse/communiques/
2006/lettre-ouverte-de-l-UNCCAS-au-GISTI.pdf
[10]
En matière de regroupement familial, article 411.5
[11]
En matière d’attestation d’accueil, article 211.5.
[12]
NOR : J USD0630020C & CRIM.06.5/EI.
[13]
Daadouch Christophe, « Le secret professionnel protège-t-il également
les étrangers ? », Journal droit des jeunes, RAJS, février 2006.
33
Le droit des étrangers, parent pauvre de la forma-
tion — Violaine Carrère, Christophe Daadouch
Les cursus qui mènent aux diplômes d’assistant de service social, d’éduca-
teur spécialisé ou d’éducateur de jeunes enfants sont des cursus en alter-
nance : une partie de la formation est constituée par un enseignement théo-
rique, une autre repose sur des stages en milieu professionnel. Les écoles
ont une relative liberté pour aménager cette alternance, en concentrant l’es-
sentiel des stages à la fin de la formation ou en les répartissant tout au long
des trois années de formation. Pour ce qui est de la formation théorique, les
« programmes » sont définis par des volumes d’heures à consacrer à des
matières ou disciplines très vastes. Chacun de ces « blocs » d’heures de for-
mation théorique, appelés UF (unités de formation), peut lui aussi être ré-
parti comme les écoles le jugent bon au cours des trois années. Il y a donc
une assez grande différence entre ces formations d’une école à l’autre.
Les enseignements de droit ne semblent donc pas a priori occuper une place
tout à fait dérisoire puisqu’il s’agit de 120 heures dans un volume total
de 1740 heures. Mais si l’on y regarde de plus près, on peut en avoir une
autre vision… Les futurs travailleurs sociaux ont en effet à s’imprégner
dans cette UF d’une discipline que la plupart découvrent entièrement ; rap-
34
pelons qu’on accède à ces formations avec un niveau baccalauréat. Il est
prévu par ailleurs qu’ils abordent avec ces 120 heures le droit public, le
droit privé, le droit civil, le droit pénal et le droit du travail. Bien sûr, le
texte précise à plusieurs reprises qu’il ne s’agira que d’une initiation. On
voit mal comment il pourrait en être autrement !
En quelques heures (vingt journées de cours sur trois ans !) intégrées à bien
d’autres matières, les étudiants auront donc à se frotter au droit constitution-
nel, au droit administratif, à des notions comme celles de responsabilité ci-
vile ou pénale, de statut juridique de la personne ou du travailleur, etc. Ils
devront connaître les grands principes du droit, la hiérarchie des textes, les
différentes juridictions… On voit bien que l’enjeu est de leur fournir une
culture générale juridique, non de leur permettre réellement d’appréhender
le droit comme un outil.
Le droit des étrangers, lui, est explicitement évoqué, aux côtés de deux
autres thèmes (les libertés publiques et la vie privée) au sein du chapitre
« droit privé ». Comme pour les autres domaines, aucun volume précis
d’heures à consacrer à ce sous-chapitre « droit des étrangers » n’est indiqué.
Il n’est pas non plus précisé si la matière est à entendre uniquement comme
traitant des règles d’entrée et de séjour, ou si elle doit inclure l’accès à la
nationalité, le droit d’asile, le droit au travail et à la protection sociale, les
droits civiques des étrangers… De fait, combien des 120 heures de cours de
droit doivent et surtout peuvent être consacrées au droit des étrangers ?
Force est de constater que règne une très grande diversité dans les écoles, la
plupart ne prévoyant cependant au mieux qu’une journée ou deux sur le
droit des étrangers. Dans certaines écoles, parce que l’enseignant en droit ne
maîtrise pas bien le sujet, ou parce qu’il le suppose traité par d’autres (en
sociologie, en ethnologie, au cours de séminaires sur l’immigration…), au-
cune heure de cours n’y est consacrée. Nous avons pu observer dans
quelques établissements d’Île-de-France que la matière donne lieu à un
cours programmé comme à la sauvette, en fin de 3e année, au moment où
les étudiants sont avant tout préoccupés par les épreuves d’obtention du di-
plôme. Le cours se déroule alors parfois devant cinq ou six étudiants sur
35
une promotion de cinquante, et les autres n’auront jamais entendu le
moindre mot sur la réglementation touchant les étrangers avant de se retrou-
ver en poste.
Certes la question des étrangers (ou : des immigrés) n’est en général pas ab-
sente des formations dispensées par la plupart des établissements. On la re-
trouve dans les cours de sociologie, d’ethnologie ou de psycho-sociologie.
Dès lors, la catégorie sociale des immigrés ou étrangers a toute chance
d’être perçue comme relative à des problématiques d’identité culturelle,
d’intégration et d’exclusion, de repli communautaire, de difficultés psycho-
logiques liées à l’exil, de transmission intergénérationnelle ou intracommu-
nautaire de valeurs culturelles et religieuses, plutôt que relative à des pro-
blèmes d’accès aux droits.
Un ancien élève fait ce constat : « Dans la formation que j’ai eue, la culture
de l’accès aux droits n’existait tout simplement pas. Le volume d’heures de
droit n’était pas ridicule, mais ces heures étaient insérées dans un groupe
d’enseignement dit “cadre institutionnel du travail social” [vocable utilisé à
l’époque], dans lequel il s’agissait de comprendre les mécanismes organi-
sationnels, pas de s’approprier une culture d’accès aux droits. » Lui et
d’autres témoignent de ce que beaucoup dépendra en fait de l’origine des
formateurs. Cette « culture d’accès aux droits » peut être transmise par la
rencontre d’acteurs de terrains intervenant dans l’école.
36
On rencontre en effet dans les écoles de service social une structuration du
personnel enseignant presque toujours identique : les cadres, c’est-à-dire
ceux qui composent les programmes, choisissent les intervenants, dressent
les plannings, sont souvent d’anciens travailleurs sociaux. Les enseignants
des matières théoriques hors du champ du travail social (sociologie, psycho-
logie, ethnologie, économie, santé et droit) sont, eux, la plupart du temps
des universitaires, des chercheurs, parfois des praticiens de terrain (par
exemple des analystes institutionnels). Moins insérés dans les centres de
formation, n’intervenant que ponctuellement, ils apportent souvent, à en
croire de nombreux anciens élèves, un éclairage différent sur le métier et
sur la fonction sociale des futurs professionnels auxquels ils s’adressent.
Notre ancien élève explique que ce sont ces formateurs extérieurs qui ont
contribué à le sensibiliser à l’idée d’un autre positionnement, mais il dit :
« Au sortir de notre formation, nous n’avions même pas l’idée qu’il était
possible de faire des recours. Je ne savais pas, par exemple, que l’on pou-
vait protester contre un refus de prise en charge des services de l’ASE. J’ai
appris ce qu’était un tribunal administratif dans mon premier emploi. » On
voit, à ce témoignage, que la question va bien au-delà du problème du
nombre – bien faible – d’heures de cours dispensées en droit des étrangers.
Vis-à-vis des étrangers comme des diverses autres catégories de population,
quelle forme est censée prendre l’intervention d’un travailleur social ?
« L’assistant de service social exerce de façon qualifiée, dans le cadre d’un
mandat et de missions spécifiques à chaque emploi, une profession d’aide
définie et réglementée (article L 411-1 et suivants du code de l’action so-
ciale et des familles) dans une diversité d’institutions, de lieux et de champs
d’intervention. » Les textes officiels précisent son rôle : « Dans une dé-
marche éthique et déontologique, il contribue à créer les conditions pour
que les personnes, les familles et les groupes avec lesquels il travaille, aient
les moyens d’être acteurs de leur développement et de renforcer les liens
sociaux et les solidarités dans leurs lieux de vie.
Dans ce cadre, l’assistant de service social agit avec les personnes, les fa-
milles, les groupes par une approche globale pour :
37
développer leurs propres capacités à maintenir ou restaurer leur auto-
nomie et faciliter leur place dans la société,
mener avec eux toute action susceptible de prévenir ou de surmonter
leurs difficultés. »
On ne peut pas dire que la culture de l’accès aux droits soit tout à fait ab-
sente de cette définition, mais elle n’est pas non plus placée au premier
plan. Or, dans le domaine du droit des étrangers au moins (mais il en est de
même dans d’autres domaines), on sait que faire valoir ses droits est com-
plexe. Des associations comme le Gisti existent justement parce que ce
constat a été fait et se renouvelle tous les jours : les étrangers sont trop sou-
vent victimes de dénis de droit, d’abus de pouvoir, de « refus-guichets », de
rejets implicites alors que les textes leur étaient en principe favorables,
d’examens trop rapides de leur dossier, de décisions discrétionnaires qui
tiennent peu compte des consignes de « bienveillance » inscrites dans les
circulaires. Certaines administrations ne craignent pas de notifier des refus
alors même que des recours en justice dans des cas similaires leur ont donné
tort. Bref, maîtriser le droit des étrangers en connaissant les pratiques des
administrations et en n’hésitant pas à former des recours pourrait sembler
pour le moins indispensable à un intervenant social.
Ces obstacles sont d’abord d’ordre politique. Toutes les collectivités ne font
pas de la formation au droit des étrangers un objectif essentiel. Elles
craignent en effet parfois que de tels contenus ne viennent remettre en cause
des pratiques établies dans le confort du traitement quotidien des dossiers et
le flou des connaissances. Au cours des trois années pendant lesquelles le
Gisti a animé des formations sur les mineurs étrangers isolés, on a pu mesu-
38
rer combien les représentants des conseils généraux qui suivent de tels mo-
dules sont issus de collectivités où finalement les règles sont le mieux res-
pectées. Pour les autres, c’est souvent à l’initiative de quelques agents parti-
culièrement motivés qu’en dehors des heures de service un tel projet peut se
construire. C’est ainsi que nous avons dû former des agents d’un conseil gé-
néral dirigé par un ministre de l’intérieur, et ce, sans l’onction ni le finance-
ment de ladite institution qui refusait de leur assurer des formations sur de
tels sujets.
La dernière série d’obstacles, enfin, est parfois le fait des agents eux-
mêmes. Pris dans l’urgence de leur mission et la culpabilité de quitter leurs
accompagnements plusieurs jours durant, ils peinent à dégager ce temps
pourtant nécessaire, d’autant qu’il leur faudra vraisemblablement ensuite
transmettre aux autres collègues le contenu du stage, voire endosser le rôle
de « référent spécialisé » du service sur ces questions.
39
Une étudiante en dernière année de formation d’assistante sociale préparait,
il y a quelques années, l’épreuve dite de « situation sociale », une des
épreuves du diplôme d’État. Il s’agissait de recueillir des informations de
toute nature sur une personne ou sur une famille en difficulté, et d’y appor-
ter des réponses ou des solutions. Elle avait choisi de s’intéresser au cas
d’une jeune femme d’origine africaine, abandonnée quelques années après
son arrivée en France par l’homme dont elle était enceinte. L’étudiante s’in-
terrogeait sur le statut juridique de la jeune femme, voulait savoir quelles
étaient ses chances d’obtenir un titre de séjour. La formatrice qui la guidait
dans son travail lui a expliqué que la question centrale de cette situation
n’était pas un problème de droit mais qu’il fallait creuser tout ce qui était en
rapport avec l’état psychologique de l’intéressée, et surtout « rechercher des
informations sur le vécu de la maternité en Afrique noire » ( !).
40
Les mineurs isolés face au soupçon — Julien Bri-
caud
Parce qu’il est nouveau – dans sa forme actuelle, le phénomène n’a guère
plus de dix ans – le public des mineurs étrangers isolés ne fait pas encore
l’objet d’enseignements spécifiques dans les centres de formation de tra-
vailleurs sociaux. La question peut être abordée d’un point de vue juridique
(principalement en ce qui concerne l’entrée et le séjour sur le territoire).
Elle peut aussi l’être sous l’angle « interculturel ». Toutefois, pour com-
prendre comment l’arrivée de ces jeunes influe sur les pratiques habituelles
des travailleurs sociaux, il faut résister, je crois, à une lecture fondée sur les
différences qu’ils présentent (leur langue, leur culture…), et préférer s’inté-
resser aux conditions dans lesquelles nous les accueillons.
De quels mensonges s’agit-il ? Ces mineurs mentiraient sur leur âge. Nom-
breux sont les jeunes qu’on soupçonne d’avoir un âge différent de celui
qu’ils annoncent. Documents d’état civil absents ou insatisfaisants, signes
extérieurs de maturité… nourrissent les soupçons des travailleurs sociaux
sur l’âge réel de certains mineurs dont ils ont la charge. Ces mineurs menti-
raient sur leur isolement. De nombreux jeunes se présentent comme « or-
phelins » et expliquent que leurs parents sont morts. Et puis, régulièrement,
on comprend qu’il n’en est rien. D’autres mensonges s’insinuent également
entre les jeunes et les services sociaux : fausses nationalités, faux noms,
faux récits de vie, etc. Voilà qui finit par donner des histoires qui se res-
semblent parfois les unes les autres : « Je suis fils unique, j’ai quinze ans, je
viens d’un pays en guerre, je n’ai pas de famille, mes parents sont décédés
brutalement. »
41
teurs. Mais la défiance se développe aussi dans l’autre sens, des jeunes vers
les professionnels. Les mineurs s’interrogent sur le rôle des travailleurs so-
ciaux. Ils ne comprennent pas toujours la fonction de « protection de l’en-
fance » : de quoi s’agit-il au juste si ce n’est pas de fournir un hébergement
et des papiers ? En somme, les jeunes étrangers isolés mentiraient et cache-
raient des informations sur leur situation pour avoir droit à une aide.
42
Pour se défaire du soupçon, il est insensé de prétendre lever tous les malen-
tendus (il en restera toujours), tout comme il est vain de chercher à tout sa-
voir des mineurs qu’on accompagne. Il est sans doute plus intéressant pour
les professionnels de soupçonner le soupçon lui-même.
Que les professionnels aient des représentations négatives des mineurs iso-
lés peut paraître étonnant au premier abord. Leur première impression est
souvent très positive : c’est un plaisir de travailler avec ces jeunes globale-
ment faciles à mobiliser pour un projet d’insertion et forts de nombreuses
ressources. Alors pourquoi le soupçon est-il aussi tenace dans leur cas ?
S’occuper de mineurs isolés est vécu par certains comme une « surcharge »
de travail. Une telle mission inquiète et entraîne parfois la peur d’abandon-
ner la mission traditionnelle de protection des enfants en danger du secteur
local. Les débats qui traversent l’institution judiciaire sur la nature et la réa-
lité du « danger » encouru par les mineurs étrangers isolés n’épargnent pas
les travailleurs sociaux. Des professionnels font ainsi valoir que leur « mé-
tier » est la protection de l’enfance « traditionnelle » – mineurs maltraités,
en rupture familiale et/ou délinquants. Cet argument exclut les mineurs
étrangers isolés de la catégorie d’enfants « en danger ». Ces résistances té-
moignent de la crainte de certains professionnels de s’installer durablement
dans la prise en charge des mineurs étrangers isolés.
43
Obstacles administratifs et incertitudes juridiques
Bien entendu, tous les mineurs isolés ne font pas l’objet d’un tel question-
nement. On accepte facilement la présence de certains alors que les interro-
gations se font plus nombreuses pour d’autres. Dans le discours des profes-
sionnels, on distingue parfois les bonnes et les mauvaises raisons de venir
44
en France et d’être pris en charge par les services sociaux. Certaines catégo-
ries sont plus touchées que d’autres : la protection des garçons peut être
plus difficile à garantir que celle des filles, traditionnellement perçues
comme plus vulnérables et plus dignes de protection. La présence des réfu-
giés politiques apparaît également plus légitime que celle des migrants éco-
nomiques conformément à une hiérarchie persistante des représentations du
migrant.
Autre sentiment en jeu : il ne faut surtout pas perdre la face devant les usa-
gers. En étant rigoriste dans l’application de la loi et en accordant peu de
crédit aux informations qu’on ne peut pas vérifier, on s’assure par avance de
ne surtout pas « se faire avoir ». Au fond, c’est la peur d’être dupe qui do-
mine. Mais dupe de quoi ? Est-ce que cela remet en question la réalité du
danger que rencontrent ces jeunes ?
45
Un tel constat implique plusieurs réponses. Une réponse théorique pour
commencer : il est urgent de s’interroger sur la nature des mensonges des
mineurs isolés. Ils ne doivent pas être confondus avec une quelconque my-
thomanie ou avec toute autre pathologie semblable. Dans un contexte incer-
tain, ces mensonges constituent pour les jeunes les seules solutions dispo-
nibles pour s’assurer une prise en charge sociale. Réponse pragmatique en-
suite ; l’apparition de discours sur les mensonges des jeunes doit fonction-
ner comme un signal d’alerte dans les institutions pour veiller à ne pas glis-
ser d’un doute raisonnable quant à la vérité à une suspicion de culpabilité.
Vis-à-vis des mineurs isolés, l’obsession des papiers occulte bien souvent
tout autre objectif éducatif. Pourtant, il est essentiel de résister à la pression
administrative et de s’autoriser à faire autre chose que de les interroger sur
46
leur âge et sur leur isolement. Davantage qu’un espace de vérité, il s’agit
d’instaurer un espace de sécurité et de confiance entre jeunes et éducateurs.
Pour nouer une telle relation, les éducateurs disposent de nombreuses possi-
bilités. Ils peuvent s’appuyer sur les outils que leur fournissent différentes
traditions éducatives : travailler avec les groupes pour apaiser la violence
parfois sous-jacente à une relation duelle, développer le jeu pour redonner
du mouvement à des postures figées, sortir, aménager des circonstances
nouvelles pour susciter des comportements inédits, développer les média-
tions artistiques, travailler en direction des parents y compris quand ils sont
absents, reconnaître les liens d’appartenance dans lesquels les jeunes ont
grandi, chercher à soulager les conflits de loyauté…
47
Les malfaçons du contrat d'accueil et d'intégra-
tion — Mylène Chambon
Après avoir été expérimenté dans certains départements depuis 2003, le
contrat d’accueil et d’intégration a été étendu à l’ensemble du pays par la
loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion so-
ciale. Il est dit que : « ce contrat concrétise la volonté du primo-arrivant
d’adhérer aux principes républicains, et lui permet d’accéder à différentes
prestations : formation civique, formation linguistique en fonction du ni-
veau de connaissance du français, journées “vivre en France”. Véritable
engagement dans une relation réciproque de confiance avec l’État, l’adhé-
sion au CAI [contrat d’accueil et d’intégration] est prise en considération
lors des procédures d’obtention par les étrangers d’un titre de séjour
longue durée. » [1] Avec la nouvelle loi Sarkozy du 24 juillet 2006 qui a
modifié le code de l’entrée et du séjour des étrangers, le CAI va devenir
obligatoire.
48
conjoints de Français. Si elles ont rencontré leur conjoint en France,
c’est qu’elles y sont depuis un certain temps (sauf, bien sûr, si le ma-
riage a eu lieu dans le pays d’origine) ;
parents d’enfants français. Là aussi, pour avoir un enfant avec un Fran-
çais, il faut être en France depuis au moins neuf mois… ;
résidant depuis dix ans en France. Là, ça se passe de commentaire…
personnes, qui, pour des raisons touchant à la « vie privée et fami-
liale », ont plus d‘attaches en France que dans leur pays d’origine.
Pour pouvoir passer la visite médicale à l’Anaem, chaque individu doit at-
tendre de recevoir sa convocation par courrier. Il n’est pas rare que ce
simple élément pose déjà un certain nombre de problèmes. Si la personne
ne se présente pas à sa première convocation, une seconde lui est envoyée.
Si elle ne se présente toujours pas à cette seconde convocation, son dossier
est automatiquement transmis à la préfecture où elle doit alors se rendre
pour faire en sorte que son dossier reparte à l’Anaem (avec les justificatifs
de ses absences) afin d’être à nouveau convoquée. Si ces complications sont
dues à l’insouciance de certains demandeurs vis-à-vis de leurs démarches
administratives (comme le laissent d’ailleurs entendre certains agents de
l’Anaem), des erreurs d’adresse, des problèmes de courrier, des pertes de
dossier et des renvois de balle entre l’Anaem et la préfecture ne facilitent
pas l’accueil des personnes sur la plate-forme !
49
Une fois la convocation en poche, le demandeur peut alors assister à la de-
mi-journée que nécessite le passage sur la plate-forme de l’Anaem. Là, il va
circuler d’un bureau à un autre et passer d’un intervenant à un autre, afin
d’effectuer les deux visites programmées : celle dite « médicale » où il ren-
contre successivement une infirmière, un médecin et un radiologue, et celle
dite « d’accueil » comprenant la signature du CAI, un bilan linguistique et
l’entrevue avec un assistant social (les deux derniers points dépendent des
besoins individuels de chacun). L’accueil fait sur la plate-forme est donc in-
dividualisé. Impossible de s’y rendre à l’improviste, il faut respecter le cir-
cuit pré-établi où le seul choix se résume à vouloir ou non rencontrer l’as-
sistant social qui se charge de tout ce qui concerne les questions familiales
et la recherche de logement, à la différence de l’auditeur social qui encadre
l’« audit », c’est-à-dire l’entretien au cours duquel est proposé le CAI.
50
pour parvenir à ce stade-là, elle a dû se confronter aux administrations et à
leur fonctionnement sans aucune explication. Les difficultés et les discrimi-
nations qu’elle a rencontrées à cause de son statut d’irrégulier en France, re-
mettent en cause, de manière manifeste, les dires de ce film et les principes
qu’il affiche. Les explications qu’il donne sur la France arrivent donc un
peu tardivement et les bons sentiments qu’il met en avant sont presque pro-
vocants face aux problèmes que les gens ont surmontés jusque-là en France.
Après cette réunion, qui dure environ trois quarts d’heure, chacun est appelé
individuellement et dirigé soit vers la visite médicale, soit vers l’entretien
avec un auditeur social, ou, selon le niveau de français inscrit sur la fiche,
vers l’évaluateur du niveau de français. Le test de français est assez bref, et
le nombre d’heures fixées dépend de l’estimation, rapide, de la compréhen-
sion de la personne à des questions simples, à la mise en mots de leurs ré-
ponses et à l’explication de petites scènes dessinées.
51
A la suite du test de français, ou parfois avant (et parfois, la visite médicale
vient s’intercaler entre les deux), la personne passe l’entretien, dit « audit »,
avec un « auditeur social ». Dans la délégation étudiée, la moyenne d’âge
des auditeurs est de vingt-huit ans. Leur niveau d’étude est de trois à quatre
ans après le bac, et il s’agit généralement de leur deuxième expérience pro-
fessionnelle. Quatre-vingt dix pour cent sont des femmes. Le plus ancien
des auditeurs est en poste depuis quatre ans, soit un an avant la mise en
place du CAI. Le profil de ces personnes chargées de faire l’accueil révèlent
certaines valeurs qui y sont associés dans le sens commun. Les qualités pré-
supposées des femmes sont ici considérées comme des valeurs d’accueil : la
douceur, le calme, la compassion, la patience, les capacités d’écoute. L’âge
peut être également vu comme un « canaliseur d’énervement », puisque les
agents qui débutent n’ont encore acquis ni les réflexes ni la lassitude que le
poids des années impose à leurs aînés et qui se répercute sur la relation à
l’usager.
Effet d’annonce
La seconde partie porte sur le CAI. Selon chaque auditeur, le contrat peut
être amené différemment, mais toujours de manière stratégique, car le but
est d’en obtenir la signature, comme l’exigent les instances supérieures. On
peut relever trois techniques différentes. Dans certains cas, l’auditeur parle
du « contrat » directement en le présentant : « Voici les principes républi-
52
cains. Si vous êtes d’accord avec ces principes vous le signez et en même
temps vous vous engagez à aller à une journée de formation civique et à ap-
prendre le français. Est-ce que vous êtes d’accord ? » ; en mettant en avant
les avantages qu’il offre : « Vous allez pouvoir bénéficier de trois forma-
tions gratuites ! Une formation de français, une journée de formation ci-
vique et une journée “vivre en France” où vous pourrez rencontrer des or-
ganismes tel que la CAF, l’ANPE… » ; en insistant sur le fait que ce contrat
leur sera demandé lors du renouvellement de leur carte de dix ans et de la
demande de nationalité française.
Dans d’autres cas, le contrat est évoqué de manière détournée par le biais
des cours de français : « Vous voulez apprendre le français ? Oui, alors si-
gnez là et là. » ; par le moyen de la formation civique : « Ça vous intéresse
de participer à la formation civique dont mon collègue vous a parlé tout à
l’heure ? Oui, alors signez en bas de ces deux pages. » ; éventuellement en
parlant du contrat sans le nommer : « Vous avez le papier qu’on vous a don-
né en arrivant ? Vous l’avez lu ? Vous êtes d’accord ? Alors je vais vous le
faire signer. » Rares sont les personnes qui osent demander, à ce moment,
plus d’explications ou qui disent ne pas avoir compris.
53
fâcheuses lors du renouvellement des titres de séjour des étrangers ou de
leur demande de nationalité. ?
Notes
[1]
Cf. site Internet de l’ANAEM www.anaem.social.fr, onglet « tout sa-
voir sur le CAI ».
[2]
Du genre : Quand êtes-vous arrivé en France ? Avez-vous de la famille
ici ? Est-ce que vous avez fait des études dans votre pays ? Jusqu’à
quel niveau ? Est-ce que vous avez des enfants ? Combien ? Êtes-vous
affilié à la sécurité sociale ? Est-ce que vous travailliez dans votre
pays ? Si oui, qu’est-ce que vous faisiez ? Est-ce que vous comptez
travailler en France ? Êtes-vous inscrit à l’ANPE ? Est-ce que votre lo-
gement vous convient ? Ou souhaitez-vous en chercher un autre ? Ha-
bitez-vous toujours à l’adresse indiquée sur votre récépissé ? Pouvez-
vous me donner un numéro de téléphone où l’on peut vous joindre ?
[3]
Vincent Dubois, 2003 (2e édition), La vie au guichet. Relation
54
Le parquet, complice de la chasse aux sans-pa-
piers —
Depuis septembre 2005, les pratiques policières, guidées par la volonté du
ministre de l’intérieur d’afficher des « chiffres » en matière de reconduites à
la frontière, ont radicalement changé. Rares sont les jours sans opérations
de contrôle destinées à interpeller des étrangers en situation irrégulière.
Celles-ci sont, pour la plupart, « couvertes » par des réquisitions prises par
le procureur de la République, qui permettent difficilement d’en contester a
priori la légitimité. Ces pratiques ont été mises en musique par une circu-
laire en date du 21 février 2006, au ton particulièrement détestable, dont
l’objet est de décliner les différentes façons d’interpeller un étranger « sans
papiers », sous couvert d’un juridisme de façade qui ne trompe personne. Il
s’agit bien, pour les signataires de ladite circulaire – le ministre de l’inté-
rieur et le garde des sceaux –, d’autoriser la police à procéder à des
contrôles au faciès, en leur donnant des outils juridiques pour les justifier a
priori ou a posteriori selon les cas.
55
du 21 février n’a malheureusement pas bénéficié d’une dénonciation pu-
blique à la mesure de son contenu, et que le Conseil d’État, saisi d’un re-
cours en annulation, ne manquera pas, selon toute vraisemblance, de… ne
pas l’annuler, nous avons décidé de publier in extenso la lettre écrite au pro-
cureur général de la Cour de cassation.
Ces contrôles, qui ont pour but d’interpeller des étrangers sans papiers, ne
sont pas décidés et organisés par les seules autorités policières. Les opéra-
tions se font en effet sous couvert de réquisitions du procureur de la Répu-
blique, comme le permettent de prime abord les dispositions de l’article 78-
2 du code de procédure pénale issues de la loi du 10 août 1993.
56
En premier lieu, sur le plan juridique, les opérations autorisées par les pro-
cureurs de la République sont contraires à l’esprit de la loi. La faculté de
procéder à des contrôles d’identité dans un périmètre donné et pendant un
temps déterminé n’a pas été inventée pour en faire un outil spécifique et ex-
clusif au service de la lutte contre l’immigration irrégulière. C’est pourtant
ce que nous constatons sur le terrain. Plus encore, ces opérations im-
pliquent, presque par nature, de violer des règles juridiques et éthiques. En
effet, elles incitent à procéder à des contrôles fondés uniquement sur la cou-
leur de la peau ou plus largement sur l’apparence (censée présumer d’une
nationalité). Or le Conseil constitutionnel, comme la Cour de cassation, ont
condamné, de façon claire, les contrôles d’identité et de vérification du sé-
jour des étrangers justifiés par l’apparence physique et vestimentaire des
personnes (comme les contrôles fondés sur le fait de s’exprimer dans une
langue étrangère).
57
procéder à des contrôles d’identité « dans des lieux et pour une période de
temps déterminés » en mentionnant les infractions poursuivies – sans s’in-
terroger sur la pertinence même de recourir à cet outil juridique pour ces si-
tuations et sur les contrôles au faciès qu’elles impliquent, voire appellent
nécessairement.
Le fait que les policiers n’aient pas besoin de motiver le contrôle, dès lors
qu’ils agissent dans le cadre des réquisitions, ne les autorise pas par ailleurs
à violer impunément le principe de non-discrimination. Nous considérons
que ce sont les réquisitions elles-mêmes qui portent en elles l’atteinte au
principe énoncé. La police agit alors avec la « permission » du ministère
public, qui fait fi de son rôle de gardien des libertés et de sa responsabilité
de la paix publique et sociale.
58
Enfin, et dans un cadre plus large de politique générale, les pratiques et
donc le recours aux réquisitions qui les légitiment, produisent des effets dé-
sastreux sur les populations concernées. Elles sont stigmatisées, désignées
comme « délinquantes » potentielles au seul motif de la couleur de la peau
ou d’éléments physiques censés révéler une extranéité. Ces pratiques
troublent la quiétude des quartiers populaires où les gens ont appris à vivre
ensemble sans difficulté. Elles sont refoulées et dénoncées par beaucoup et
confortent pour d’autres des sentiments racistes et xénophobes.
Pour toutes ces raisons, nous vous demandons d’intervenir en votre qualité
de représentant du ministère public de la plus haute juridiction. Nous vous
demandons aussi d’intervenir auprès du ministre de la justice, co-auteur du
reste d’une circulaire en date du 21 février 2006 sur les interpellations que
nous avons attaquée, pour qu’il soit mis fin à ces instructions dangereuses
pour tous et toutes.
59
Accueil des boat people : une mobilisation poli-
tique atypique — Karine Meslin
Boat people secourus lors d’une mission menée par Médecin du
Monde en Mer de Chine
60
leurs effets. Après avoir retracé à grands traits les modalités de fuite des ré-
fugiés cambodgiens, nous rappellerons quels ont été le contexte, les condi-
tions et les acteurs principaux de leur accueil, en restituant les enjeux qui se
sont noués autour de leur arrivée en France.
Le régime des Khmers rouges qui sévit entre 1975 et 1979 est le plus dé-
structurant et le plus funeste. Pendant quatre années, le Cambodge s’isole
du reste du monde et se mure dans un pesant silence médiatique. À l’abri
des regards et des caméras étrangères, les Khmers rouges fondent un régime
basé sur la désurbanisation, le travail de la terre, la collectivisation des ri-
chesses et l’anéantissement de tout ce qui fait écho au monde occidental.
Les anciens repères des Cambodgiens sont revisités un à un ou anéantis.
Ainsi en est-il de l’organisation sociale, de la hiérarchie des âges, des unités
familiales, des infrastructures politiques, juridiques et médicales ou encore
de la langue khmère. Par ailleurs, l’élite du pays est décimée et près de deux
millions d’habitants sont torturés et tués, ou abandonnés à la fatigue et à la
maladie. [7] Lorsqu’en 1979 ce régime meurtrier est renversé, ce sont les
Vietnamiens communistes, anciens alliés des Khmers rouges, qui lui suc-
cèdent à la tête du pays. Cette occupation ne manque pas de prolonger l’in-
stabilité du Cambodge et d’accélérer le rythme des départs.
Après avoir échappé aux poursuites des Khmers rouges, aux mines antiper-
sonnelles ou, plus tard, aux Vietnamiens, les Cambodgiens qui parviennent
à atteindre les frontières du pays, tentent de s’introduire dans les camps de
réfugiés dressés en Thaïlande. Mais l’aide de la Croix-Rouge ne suffit pas
toujours à les protéger des autorités thaïlandaises. Celles-ci n’hésitent pas à
refouler certains réfugiés au péril de leur vie et au mépris des droits de
l’homme. La situation de ces hommes et de ces femmes en fuite demeure
donc précaire et préoccupante, y compris en dehors du territoire cambod-
gien. En réponse à cette réalité, divers pays occidentaux [8] proposent leur
61
protection aux réfugiés cambodgiens et, en France, une véritable campagne
de mobilisation nationale est organisée en leur faveur.
A cette époque, les mouvements de réfugiés sont pensés comme des mou-
vements conjoncturels, générés par la décolonisation et la guerre froide. La
suspicion qui pèse désormais sur les demandeurs d’asile [9] est alors peu
prégnante et les modalités de délivrance du statut de réfugié sont plus
souples qu’aujourd’hui. C’est dans cette configuration relativement propice
aux réfugiés que s’inscrit l’arrivée des Cambodgiens, des Laotiens et des
Vietnamiens. Pourtant, certaines traditions sont bousculées en leur faveur
et, très rapidement, leur accueil déroge au droit commun en vigueur.
62
quotas leur évite donc la clandestinité et ses dangers. Elle légitime égale-
ment leur venue.
Les boat people [11] ont ainsi fait l’objet d’un traitement d’exception. Le
caractère exceptionnel de leur prise en charge est plus remarquable encore
lorsque l’on observe ses instigateurs.
La droite mobilisée
63
Si l’accueil des réfugiés de l’Asie du Sud-Est est atypique du fait de ses
modalités concrètes, il l’est aussi de par les caractéristiques sociales et poli-
tiques des acteurs qui, en France, se mobilisent dans sa mise en œuvre. La
défense des étrangers est le terrain de prédilection des associations et des
municipalités placées à la gauche du jeu politique. Dans le cas des boat
people pourtant, c’est toute la droite qui se mobilise. Comment expliquer un
tel glissement ?
Au milieu des années soixante-dix, les tensions de la guerre froide sont en-
core très prégnantes et le clivage gauche/droite demeure structuré et structu-
rant. Ce qui est défendu par les partisans de l’un de ces camps politiques, ne
peut que difficilement l’être par les partisans de l’autre. Chacun a ses
propres domaines d’intervention et le soutien des étrangers est alors claire-
ment identifié comme étant du ressort de la gauche. Pourtant, lorsque les
caméras françaises rendent publiques les images des atrocités commises par
les Khmers rouges ou celles des réfugiés regroupés dans des camps de for-
tune, les militants français investis à gauche et à l’extrême gauche de l’es-
pace politique ne réagissent pas ou peu [12]. A cette époque, beaucoup
d’hommes et de femmes considèrent le communisme comme un modèle po-
litique porteur d’équité, de justice et d’espoir. Ils peinent donc à admettre et
à condamner les erreurs, voire les ignominies, commises par les gouverne-
ments d’Asie du Sud-Est qui se revendiquent de cette couleur politique. Ils
craignent de devoir ainsi « hurler avec les loups » [13], conforter leurs ad-
versaires politiques, et ils se refusent à discréditer leurs propres idéaux [14].
La plupart des militants de gauche se garderont donc d’intervenir aux côtés
des réfugiés du Sud-Est de l’Asie aussi longtemps qu’ils le pourront ; Ils
laisseront le champ libre à la droite.
64
Les militants de droite n’étaient pas forcés de se préoccuper du sort des ré-
fugiés du Sud-Est asiatique. Mais d’autres enjeux nationaux et internatio-
naux, plus proches de leurs préoccupations traditionnelles, les incitent à
s’emparer de la cause des boat people.
Bibliographie indicative
65
blason de pays de droits de l’homme, entaché par le souvenir des guerres de
décolonisation.
Notes
[1]
K. Meslin, Les réfugiés cambodgiens des Pays de la Loire, ethnogra-
phie d’une immigration de « bonne réputation », thèse de doctorat en
sociologie, Nantes, 2004.
[2]
L’Angkar signifie « organisation » et est le nom donné à celle que les
Khmers rouges mettent en œuvre de 1975 à 1979.
[3]
J.- P. Hassoun, Hmongs du Laos en France, PUF, Paris, 1997.
[4]
66
G. Noiriel, Le creuset français, histoire de l’immigration 19e-20e
siècle, Seuil, Paris, 1988, p. 273.
[5]
Des réticences à l’encontre des réfugiés du Sud-Est de l’Asie se feront
parfois jour au sein de certaines usines notamment. Mais ces réticences
seront relativement faibles au regard de celles qui concernent alors les
autres étrangers, et au regard de celles qui, depuis le milieu des années
quatre-vingt, concernent les autres réfugiés.
[6]
Le parcours migratoire des Cambodgiens est considéré emblématique
du parcours de l’ensemble des réfugiés du Sud-Est de l’Asie, du fait
des conditions précipitées de leur départ et de leurs modalités spéci-
fiques d’accueil en France.
[7]
Au milieu des années 1970, le Cambodge compte 7,7 millions d’habi-
tants.
[8]
La mobilisation ne se limite effectivement pas à l’échelle française.
Elle s’étend à de nombreux pays occidentaux non communistes. Pour
la première fois, des pays d’accueil anticipent la gestion de réfugiés et
le font en coopérant de manière internationale. À cet égard, une pre-
mière conférence internationale se déroule à Genève en 1979, qui sera
suivie d’une seconde, en 1989. Durant ces conférences, des directives
communes sont édifiées. Elles visent à organiser collectivement la si-
tuation des réfugiés du Cambodge, du Vietnam et du Laos qui ne
cessent d’affluer hors des frontières de leurs pays et que leurs pays
voisins refoulent.
[9]
Le terme de demandeur d’asile ne s’est d’ailleurs pas encore substitué
à celui de réfugié.
[10]
Jusqu’au début des années soixante dix, la responsabilité de l’État,
chargé d’assurer la sécurité des réfugiés, et celle des associations, res-
ponsables de l’accueil des réfugiés, sont séparées. Puis, en 1973, au
moment de la venue des réfugiés du Chili, un premier glissement s’ef-
fectue et ces associations passent sous la responsabilité de l’État. La
création de l’aide sociale pour les réfugiés est entérinée, mais ne l’est
67
qu’à titre provisoire et à l’instigation des associations. C’est l’arrivée
continue des réfugiés de l’Asie du Sud-Est à partir de 1975 qui, à la
demande de l’État, provoquera son institutionnalisation.
[11]
Le terme « boat people » concerne au premier chef les réfugiés vietna-
miens qui tentaient de s’éloigner de leur pays, entassés sur des bateaux
de fortune. Très rapidement cependant, il est utilisé pour désigner l’en-
semble des réfugiés du Sud-Est asiatique en fuite et que les Occiden-
taux ne distinguent que rarement les uns des autres.
[12]
Pour exemple, on peut retenir le cas de J.- P. Sartre qui, en 1979, se dé-
place à l’Elysée avec d’autres intellectuels français pour plaider en fa-
veur des boat people. Lors de son intervention, cet intellectuel, claire-
ment identifié à la gauche de l’échiquier politique national, reconnaît
que le gouvernement français a déjà beaucoup fait pour les réfugiés de
l’ex-Indochine, mais que cela n’est plus suffisant. Il appelle donc à se-
courir les réfugiés en plus grand nombre. Mais il se refuse à critiquer
les pratiques des gouvernements communistes « indochinois » et pré-
tend que les réfugiés fuient parce que « le système communiste ne
convient pas à tout le monde ». Archives de l’INA.
[13]
J. Lacouture, Survive le peuple cambodgien ! Seuil, Paris, 1978, p. 14.
[14]
Les militants et les partisans de gauche qui seront les plus prompts à
prendre le parti de ces réfugiés déclencheront parfois de véritables
conflits au sein de leurs rangs.
[15]
L. Legoux, La crise de l’asile politique en France, Centre français sur
la population et le développement, Paris, 1995, p.160.
[16]
G. Noiriel, Représentations nationales et catégories sociales.
L’exemple des réfugiés politiques, Genèses, n° 26, 1997, p. 25-54.
68
Cahier de jurisprudence —
Reconduite à la frontière Président du TA de Paris 20/01/2006
AJUGASIA c/préfet de police de Paris
APRF et décision de renvoi dans le pays d'origine à l'encontre d'un jeune ni-
gérian ayant fui son pays à l'âge de seize ans – Erreur manifeste d'apprécia-
tion – Annulation ; injonction au préfet de police de statuer sur la régulari-
sation de l'intéressé dans le délai d'un mois ; condamnation de l'État à lui
verser la somme de cinq-cents euros.
69
Annulation de l'arrêté du préfet de police. Injonction de statuer sur la régu-
larisation du requérant dans le délai d'un mois suivant la notification de la
décision. Condamnation de l'État à lui verser la somme de 500 euros au titre
de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
70
obtenu en juin 2005 le brevet professionnel d’électronique ; qu’il était ins-
crit à la date de l’arrêté attaqué en première année de bac professionnel
microinformatique, réseau, installation et maintenance ; qu’il reçoit régu-
lièrement les félicitations sur son bulletin scolaire et que le proviseur de son
lycée et tous les membres de l’équipe éducative témoignent qu’il est un ex-
cellent élève, apprécié de tous pour sa conduite irréprochable, son compor-
tement et sa scolarité exemplaire, et faisant montre d’un civisme total ; que
tous ses camarades de classe et la déléguée des parents d’élèves attestent
également qu’il leur apporte beaucoup, qu’il est toujours prêt à apporter
son aide aux élèves en difficulté et qu’il est un exemple pour eux tous ;
qu’ainsi M. YAN justifie de sa capacité à s’intégrer durablement en France
et à y poursuivre éventuellement des études supérieures : que, par suite,
dans l’ensemble des conditions particulières de l’espèce, le préfet a commis
une erreur manifeste d’appréciation des conséquences de la mesure d’éloi-
gnement sur la situation personnelle de M. YAN ;... »
71
MPUTU la vie familiale du couple ne peut se poursuivre dans leur pays
d’origine ; qu’il ressort des pièces du dossier et des déclarations recueillies
à l’audience que l’épouse du requérant est mère de deux autres jeunes en-
fants qui vivent au foyer ; qu’elle ne travaille qu’occasionnellement ;
qu’ainsi, les revenus du ménage étant essentiellement constituées de presta-
tions sociales, il n’est pas établi que les conditions de ressources néces-
saires pour bénéficier du regroupement familial soient réunies ; que, par
suite, et alors même que le requérant aurait conservé des attaches dans son
pays d’origine, la mesure de reconduite prise à son encontre a porté au
droit de l’intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte dis-
proportionnée par rapport au but poursuivi ; qu’elle a donc méconnu les
stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que, dès lors et sans qu’il
soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, il y a lieu de faire
droit aux conclusions tendant à son annulation ;... »
APRF contre un jeune marocain ayant toutes ses attaches en France – Viola-
tion de l'article 8 de la CEDH – Annulation ; injonction au préfet de police
de réexaminer la situation dans un délai de 30 jours ; condamnation de l'État
à verser au requérant la somme de mille euros.
72
sur le territoire français depuis 1971 ; qu'il n'est pas contesté que M. TAR-
FAS, qui a une sœur vivant en Allemagne, ne conserve pas d'autres attaches
familiales au Maroc ; que, dans ces conditions, l'arrêté de reconduite à la
frontière pris à son encontre porte au droit de l'intéressé au respect de sa
vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue des-
quels a été prise ladite mesure ; qu'il méconnaît ainsi les stipulations de
l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales, et doit être annulé pour ce mo-
tif ;... »
73
sition actuellement supprimée par la dernière loi Sarkozy, que la carte « vie
privée et familiale » était également attribuée de plein droit à l'étranger, ne
vivant pas en état de polygamie, qui justifiait par tout moyen résider habi-
tuellement en France depuis plus de dix ans.
74
Par ordonnance du 17 novembre 2003, le juge des référés du tribunal admi-
nistratif de Pontoise enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de mentionner
sur le passeport de M. CAMARA que sa carte de séjour lui a été délivrée à
compter du 4 mars 1999. Devant l’inertie de la préfecture, l’avocat de M.
CAMARA dépose au tribunal, en février 2004, une demande tendant à ob-
tenir l’exécution de l’ordonnance.
75
ser au demandeur la somme de 5 000 euros, plus 1 000 euros au titre des
frais engagés.
L’intérêt de cette décision réside dans le fait qu’elle condamne une préfec-
ture des suites de la mise à exécution tardive mais fautive d’un arrêté de re-
conduite à la frontière.
76
date de la demande préalable d’indemnisation adressée au préfet des Yve-
lines ;... »
De plus, l’État versera à M. DIA une somme de 1 000 euros au titre des
frais engagés et non compris dans les dépens.
APRF et arrêté fixant la Chine comme pays de renvoi contre un jeune chi-
nois sous contrat « jeune majeur » – Erreur manifeste d’appréciation – An-
nulation des deux arrêtés – Injonction au préfet de délivrer une autorisation
provisoire de séjour et de travail dans un délai de quinze jours.
77
Annulation des arrêtés du préfet de Corrèze décidant la reconduite à la fron-
tière de M. ZHENG et son renvoi en Chine. Injonction au préfet de lui déli-
vrer une autorisation provisoire de séjour l’autorisant à travailler dans un
délai de quinze jours. Injonction au préfet de réexaminer sa demande de dé-
livrance d’un titre de séjour dans un délai d’un mois. Condamnation de
l’État à verser au conseil de M. ZHENG la somme de huit cents euros.
78
lui avait été imparti, le jugement en date du 18 juin 2003 ; que s'il joint au
dossier des convocations, il est constant qu'elles n'ont pas été suivies d'ef-
fet ; qu'il y a lieu, dès lors, de procéder au bénéfice de M. MASSOMA à la
liquidation de l'astreinte au taux de 20 euros par jour, prévue par ce juge-
ment ;
79
paration du préjudice matériel qu'elle estime avoir subi en raison de sa perte
d'allocations diverses et de salaires ou de revenus de remplacement, plus
une somme de 6 098,03 euros en raison de son préjudice moral ainsi que
7 622,53 euros pour son fils mineur Thierry.
80