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L'arbitraire et le mépris —

ON connaît désormais les chiffres officiels sur l’application de la circulaire


du 13 juin 2006 dont l’objet était de réexaminer les situations des familles
sans papiers avec enfant(s) scolarisé(s). Les dossiers devaient être déposés
en préfecture avant le 15 août. Faut-il ici rappeler que cette fameuse circu-
laire a été annoncée avec grand fracas médiatique par le ministre de l’inté-
rieur, le jour même – coïncidence ? – où commençait la discussion de son
projet de loi devant le Sénat ? Ainsi, au titre de cette mesure de clémence,
qui avait pour objectif à la fois de détourner l’attention de l’importante ré-
forme entreprise et de stopper le mouvement de solidarité sans précédent
qui s’était créé autour des familles dans le cadre du Réseau éducation sans
frontières (RESF), 6 924 titres de séjour ont été délivrés pour envi-
ron 33 500 demandes. C’est peu, mais cela on le savait déjà. On le savait
d’autant mieux que l’objectif n’était pas de régulariser le plus grand
nombre, mais une poignée de familles afin de calmer le jeu. L’auteur de la
circulaire avait pris soin de fixer des critères à la fois exigeants et multiples,
laissant une marge importante d’appréciation à ses services, comme l’ab-
sence de liens avec le pays d’origine. La Haute Autorité de lutte contre les
discriminations et pour l’égalité (HALDE), saisie par RESF, a d’ailleurs
condamné ce dernier critère à la base d’un nombre important de refus.

Le petit nombre de titres délivrés appelle d’emblée une deuxième remarque


quant à la sélection opérée. Sur ce point, il y a l’apparence – des critères et
une prétendue surveillance par un médiateur qui n’a cessé de disserter dans
le vague sur une politique d’immigration qu’il ne connaissait aucunement –
et la réalité. Personne n’est capable de dire quelles lignes de conduite ont
été suivies par les préfectures. Malgré la modestie du nombre de dossiers
déposés, démentant les évaluations fantaisistes de la présence des sans-pa-
piers, beaucoup de préfectures ont été dépassées par cet « afflux ». On
s’étonnera du reste de cette imprévision, alors que le ministère de l’intérieur
cite régulièrement le nombre de « clandestins » présents sur le territoire
français et qu’il lui était donc facile de prévoir que les familles concernées
allaient… faire une demande de régularisation. Les préfectures ont ensuite
instruit les demandes en toute « liberté », en toute discrétion. Au milieu de
ce désordre volontaire, un élément semble avoir joué plus qu’un autre : la

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date de dépôt du dossier. Tout s’est visiblement passé comme si les plus ra-
pides à rassembler les éléments exigés (fort nombreux et variant également
selon les départements) avaient été les premiers et donc les mieux servis.
Chaque préfecture se serait ainsi donné un nombre de régularisations à ne
pas dépasser, et une fois cet objectif atteint, elle aurait sans le dire « mis au
pilon » tous les nouveaux dossiers. Pour le reste…

TOUS les jours, au fur et à mesure que les décisions tombaient – surtout les
refus donc –, on ne pouvait que constater l’arbitraire des pratiques. On nous
rétorquera que ce n’est pas nouveau, que c’est le principe même de toute ré-
gularisation, mais l’aspect loterie a cette fois atteint des sommets. Pour ne
citer qu’un exemple, prenons la durée du séjour en France et incidemment
celle de la scolarité. Ce critère qui a toujours été considéré comme l’indica-
teur d’un ancrage incontestable dans la société française et qui, de plus, pré-
sente une objectivité certaine, n’a apparemment joué aucun rôle. Des étran-
gers installés en France depuis plus de dix ans ont été ainsi renvoyés à leur
irrégularité alors que d’autres, présents sur le territoire depuis peu de temps,
ont eu la chance de présenter leur dossier au bon moment. Il faut croire que
certains étrangers ont vocation à rester éternellement en situation irrégu-
lière…

Dans cette opération, comme dans toutes les opérations de ce type réglées
par circulaires, il n’a pas été question de droit. Comment le faire com-
prendre aux familles concernées, à leurs amis et soutiens alors même que le
texte, qui a bénéficié d’un tapage médiatique conséquent, a nourri un réel
espoir ? Parce qu’il n’est pas question de droit, il est vain d’user de recours,
que ce soit devant le préfet ou devant le juge. Ce constat est cruel pour ceux
et celles qui découvrent de plein fouet que le principe d’égalité de traite-
ment n’a ici pas droit de cité. Les autorités compétentes n’ont finalement
fait qu’exercer leur pouvoir discrétionnaire en la matière guidées par la
règle rappelée par le ministre de l’intérieur : les sans-papiers n’ont pas de
droits, sauf celui d’être reconduits chez eux.

LE hasard et la chance, qui gouvernent déjà pour une très large part l’ins-
truction des demandes de statut de réfugié en l’absence de jurisprudence en-
cadrant les réponses de l’OFPRA et de la Commission de recours des réfu-
giés, ont pris pension l’été dernier dans les préfectures. On en arrive, non

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sans cynisme, à se demander s’il ne serait pas plus honnête, de la part du
ministère de l’intérieur, d’instituer un tirage au sort et non un artifice d’exa-
men sur la base de critères que les services administratifs s’empressent
d’abandonner. Cette procédure aurait au moins l’avantage de la franchise.

ERRATUM

Dans le précédent numéro « Immigration, paroles de trop », l’article intitulé


« Quand des soldats coloniaux se révoltaient » (rubrique « Mémoire des
luttes ») a été rédigé par Emmanuel Blanchard, doctorant en histoire
contemporaine. Son nom a malencontreusement été effacé lors de la mise
en page.

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Le Gisti et le travail social — Violaine Carrère
Qui connaît le Gisti n’a pu manquer de lire cette phrase qui a longtemps ou-
vert toutes ses publications et figure encore en tête des guides : « Le Gisti
est né en 1972 de la rencontre entre des travailleurs sociaux, en contact ré-
gulier avec les immigrés en France, et des juristes n’ayant pas la même ex-
périence pratique mais apportant leur compétence propre. Cette double ap-
proche, à la fois concrète et juridique, fait la principale originalité du
groupe. »

De temps à autre, lors d’une réunion, l’un ou l’autre des membres com-
mence « Le Gisti est né de la rencontre… ». Il n’a pas besoin d’aller plus
loin ; immanquablement tout le monde sourit mais complète la récitation in-
térieurement et la phrase résonne comme un rappel de la loi originelle.
Quelque chose comme : ne pas s’éloigner du « terrain » , ne pas faire du
droit pour faire du droit mais se servir du droit comme une arme. Cette ren-
contre, à l’origine du Gisti, entre travailleurs sociaux et juristes, a un sens
politique.

Quid de la pratique au quotidien ? Quelles relations le Gisti de 2006 entre-


tient-il avec le monde du travail social ? Et pourquoi décide-t-il, cette an-
née, de consacrer deux numéros de sa revue, Plein droit, au travail social ?

En réalité, toutes les activités régulières du Gisti ou presque touchent de fait


des travailleurs sociaux.

Les sessions de formation en droit des étrangers, qu’il s’agisse de


stages « en inter » ou « en intra », accueillent pour une part importante
des assistants de service social ou des éducateurs issus de collectivités
territoriales (conseils généraux, mairies, centres communaux d’action
sociale, services de l’aide sociale à l’enfance, …), du milieu hospita-
lier, de l’administration pénitentiaire ou du secteur associatif, spéciali-
sé ou non, dans l’intervention sociale auprès de migrants.
La gamme des publications a été voulue – justement pour s’adresser à
des juristes comme à des non-juristes – de niveaux d’accès divers, al-
lant de documents très complets sur tel ou tel aspect de la réglementa-

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tion, destinés à un public de spécialistes, à une série de « notes pra-
tiques », d’un abord plus facile. Là encore, le Gisti compte parmi ses
abonnés nombre de travailleurs sociaux et/ou de structures de travail
social, et nous savons que nos guides, en particulier, sont des outils
précieux dans tous les services amenés à recevoir des étrangers.
Les permanences de conseil juridique, enfin, sont plus que largement
ouvertes aux travailleurs sociaux. Au téléphone ou par courrier, ceux-
ci posent des questions d’ordre général sur la réglementation en vi-
gueur, ou exposent la situation d’une personne ou d’une famille en par-
ticulier pour demander quelle aide il est possible de leur apporter. Il est
fréquent par ailleurs que ce soit sur les conseils d’un travailleur social
que des étrangers prennent contact avec le Gisti pour entreprendre des
démarches en préfecture, faire une demande de regroupement familial,
entamer une procédure de demande d’asile, obtenir l’ouverture de
droits sociaux. Au total, sur l’ensemble des dossiers individuels traités
au Gisti, un peu plus de 20 % par an l’ont été à la suite de l’interven-
tion de ces intermédiaires privilégiés.

Des actions collectives à saluer

Outre ces activités au long cours, l’actualité suscite plus ou moins, selon les
années, de partenariats avec des travailleurs sociaux. Le dernier exemple en
date est l’aventure de RESF (Réseau éducation sans frontières), né lorsque
des enseignants, des parents d’élèves et des assistants de service social de
collèges et lycées ont découvert que les élèves de leurs établissements me-
nacés d’être renvoyés hors du territoire du fait de l’absence de titres de sé-
jour de leurs parents n’étaient pas des cas isolés. Le Gisti, ainsi que d’autres
organisations, a contribué à ce mouvement qui, pour l’instant, a abouti à la
circulaire de régularisation de juin 2006.

Un autre réseau, regroupant celui-là principalement des éducateurs spéciali-


sés, s’est constitué en avril 2004. Le réseau RIME (Rassemblement des in-
tervenants sociaux pour l’insertion des mineurs et jeunes majeurs étrangers)
a pour objet l’échange d’informations et la réflexion sur la prise en charge
des jeunes étrangers, mineurs ou majeurs isolés. Le besoin de créer un tel
réseau s’était fait sentir notamment à cause des effets, sur le travail éducatif
auprès des jeunes étrangers isolés, de la réforme du code de la nationalité

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insérée dans la loi Sarkozy de novembre 2003, la plupart de ces jeunes se
trouvant, à la suite de cette réforme, privés de l’accès à la nationalité fran-
çaise qui leur était jusque là ouvert.

Une initiative comme ce réseau RIME est d’autant à saluer que, dans son
ensemble, la profession est peu encline à l’action collective ; elle compte
d’ailleurs très peu d’organisations associatives ou syndicales. On a pu ob-
server, avec le développement du réseau RESF, l’écart entre leur capacité de
mobilisation et celle des enseignants, dotés eux de longue date de structures
syndicales fortes. D’une manière générale, les travailleurs sociaux sont très
peu représentés dans les mouvements de défense des catégories sociales (les
chômeurs, les mal-logés, les sans-papiers…) qu’ils côtoient dans l’exercice
de leur profession.

Les motifs de cette maigre implication dans les mouvements sociaux et de


la faible structuration collective du secteur sont nombreux et de nature va-
riée. Il serait trop long de les analyser ici. Or la décentralisation de l’action
sociale a eu pour effet de placer les intervenants de terrain et leur hiérarchie
dans une relation de grande proximité avec les élus, décideurs au niveau des
collectivités des missions qui leur sont confiées et des budgets qui leur sont
alloués.

Les collectivités ont l’obligation de mettre en œuvre des mesures décidées


au niveau national, mais elles ont de fait la possibilité de restreindre l’appli-
cation de ces mesures, en limitant les budgets, en ne dédiant pas suffisam-
ment de personnel à certaines tâches, en nommant des chefs de service sur
lesquels pourront s’exerçer des pressions pour faire diminuer le nombre de
bénéficiaires de certains dispositifs, de certaines aides ou prestations, en
diffusant des notes qui interprètent de façon restrictive la réglementation,
quand ce n’est pas en donnant des consignes contrevenant purement et sim-
plement au respect des textes : ainsi, des règlements internes excluent une
part des bénéficiaires potentiels, ou ajoutent des conditions non prévues
dans la loi pour bénéficier d’une mesure.

La négociation au cas par cas

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Les travailleurs sociaux du secteur privé associatif ne sont pas toujours pro-
tégés de cette pression, puisque les structures qui les emploient sont souvent
liées à des collectivités par des subventions, voire des conventions, et
agissent donc en délégation de service public.

Pris en étau entre, d’une part, leur éthique professionnelle et le souci du


sens de leur mission et, d’autre part, le cadre institutionnel très hiérarchisé
dans lequel ils exercent, contraints bien souvent à agir dans l’urgence plutôt
qu’à faire un travail de fond, les travailleurs sociaux peinent à se poser en
véritables défenseurs des droits des personnes. Leur culture professionnelle
induit par ailleurs des réflexes qui les éloignent facilement d’une attitude
militant en faveur du respect du droit : ils ont tendance à préférer la négo-
ciation au cas par cas à l’affrontement par le rappel de la réglementation ou
par l’usage de la voie judiciaire. Lorsqu’ils se trouvent dans l’impossibilité
d’agir ou face aux réticences de leur hiérarchie, ils sont portés à surinvestir
les aspects psychologiques ou culturels des situations sociales.

Alors qu’ils font aisément appel à des associations comme la nôtre pour ob-
tenir des conseils juridiques, ils se sentent souvent heurtés par nos prises de
position, et le dialogue est parfois difficile. L’histoire qui s’est déroulée, au-
tour de la problématique des mineurs étrangers isolés, entre le Gisti et les
travailleurs sociaux est une bonne illustration de la complexité des relations
qu’entretient d’une manière générale l’association avec les travailleurs so-
ciaux.

Dans un premier temps, le Gisti, parce qu’il plaidait pour un accueil


conforme aux règles de droit commun pour ces mineurs, s’est trouvé en op-
position avec d’autres associations mais aussi à des éducateurs de l’aide so-
ciale à l’enfance (ASE) ou de structures accueillant des mineurs étrangers
isolés qui s’étaient laissé convaincre que la prise en charge de ces jeunes
posait des difficultés telles qu’elle ne pouvait relever que de structures spé-
cialisées. « Les mineurs étrangers isolés sont avant tout des demandeurs
d’asile », nous était-il dit. Bien souvent ils ne parlent pas le français, les ser-
vices sociaux ne sont pas équipés pour pallier ce problème linguistique.

Ils ont des passés d’errance, ils ont appris jeunes à être autonomes, ce qui
les rend « inadaptés » (sic) aux modes d’accueil que les services sociaux
peuvent leur proposer. Certains éducateurs ne tarissaient pas d’arguments à

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opposer à la revendication du Gisti, qu’ils accusaient de parler sans
connaître la réalité de ces jeunes : ils ne se plient pas aux règlements, ils
fuguent, ils se sauvent pour aller travailler, ne veulent pas étudier… Une
journée thématique sur la situation des mineurs étrangers isolés que le Gisti
avait organisée en janvier 2002 a ainsi donné lieu à des échanges virulents.

En face, le Gisti n’en a pas démordu : il n’y a aucune raison, avons-nous


toujours répété, pour écarter ces mineurs du bénéfice des textes sur la pro-
tection de la jeunesse en danger. Lors de nos échanges avec divers éduca-
teurs, nous prenions acte du fait que leur prise en charge nécessitait des
moyens spécifiques, mais nous posions la question : pourquoi vous refuse-t-
on ces moyens ? En quoi le problème des moyens à mettre en œuvre est
plus lourd que pour la prise en charge de jeunes qui ont été maltraités par
leurs parents, de jeunes toxicomanes, de jeunes délinquants ?

Peu à peu, les choses ont évolué. Les institutions de travail social de nom-
breux départements se sont dotées des moyens indispensables pour accom-
pagner les mineurs étrangers isolés. Certaines ont même déployé, à la suite
de plaidoyers d’éducateurs, des efforts remarquables pour ce type d’inter-
vention.

Au cours de la période qui a suivi, l’association a été beaucoup sollicitée


pour des formations sur la réglementation s’appliquant à ces mineurs. Nous
étions en train de réfléchir à un module spécial, quand la loi Sarkozy de no-
vembre 2003 est venue modifier l’accès à la nationalité française des mi-
neurs étrangers isolés. Depuis l’entrée en vigueur de cette réforme, ces mi-
neurs ne peuvent acquérir la nationalité française qu’à condition d’avoir été
confiés aux services de l’aide sociale à l’enfance depuis l’âge de quinze ans,
alors qu’aucune limite d’âge n’existait auparavant.

Les effets de ces nouvelles dispositions n’ont pas tardé à se faire sentir ; de
partout en France, des éducateurs ont contacté le Gisti, affolés, se deman-
dant comment prendre en charge des jeunes dont on ne savait pas s’ils pour-
raient ou non demeurer en France à leur majorité. Le réseau RIME a été
créé. Et ces deux dernières années, le Gisti a multiplié conseils, suivis de
dossiers et stages de formation pour des structures de travail social.

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Sur des sujets comme celui-ci, si nous avons le sentiment de tenir le même
langage que nombre de nos interlocuteurs, il nous arrive néanmoins de trou-
ver parfois surprenantes aussi bien les stratégies que les motivations des
stratégies de travailleurs sociaux avec tel ou tel mineur étranger isolé. Ainsi,
il n’est pas rare que nous découvrions qu’une démarche pourtant capitale
dans l’intérêt du mineur n’a pas été faite, ou que les délais pour l’accomplir
n’ont pas été l’objet de suffisamment d’attention. Ici, on accueille des
jeunes sans alerter comme il le faudrait le procureur ou le juge des enfants,
là on ne demande pas au juge des tutelles de statuer, ailleurs on néglige
d’accompagner le jeune qui aurait pu se prévaloir de ce droit dans une pro-
cédure de déclaration de nationalité. Lorsque nous manifestons notre éton-
nement, il nous est bien souvent expliqué que l’intéressé était « en observa-
tion », qu’on attendait de savoir « quel était son projet », qu’il fallait
« mieux connaître son histoire », élaborer « une relation de confiance », etc.

De la compassion et non du droit

Hormis pour les interventions en urgence – cas de maltraitance, de troubles


psychiatriques aigus, d’expulsion locative –, le temps du travail social est
en effet un temps long, qui suit son calendrier propre et sa logique propre.
Et tout pousse les équipes éducatives, dans le contexte exposé plus haut, à
agir en faveur des jeunes concernés de façon compassionnelle (héberger,
nourrir, soigner) plutôt que clairement comme des sujets de droit, c’est-à-
dire en tant que mineurs relevant du droit à la protection de la jeunesse en
danger. Tout pousse à ne se décider à engager la bataille avec la hiérarchie
pour obtenir une vraie prise en charge au long cours que pour des cas mani-
festant un besoin de protection particulièrement aigu. Or la pratique du
droit, si elle impose souvent d’attendre des mois, voire des années, le résul-
tat d’une procédure, nécessite de veiller au bon respect de délais : tant de
mois, de semaines, parfois d’heures pour entamer une démarche, faire appel
d’une décision administrative ou d’une décision de justice.

Le dossier des mineurs étrangers isolés nous montre à quel point, s’agissant
de mineurs plus encore que pour les adultes, de nombreux travailleurs so-
ciaux manifestent une culture professionnelle privilégiant l’attention aux
problématiques sociales, psychologiques, culturelles. Alors même que le
discours du travail social met en avant l’accompagnement vers l’accès aux

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droits, le Droit n’est très souvent que la dernière roue du carrosse, pour des
professionnels peu ou mal formés aux matières juridiques.

Au quotidien, c’est bien souvent après une décision administrative négative


que le Gisti est consulté. Nous conseillons alors éventuellement de faire un
recours. L’expérience nous a appris que rares sont les travailleurs sociaux
qui, spontanément, se livrent à cet exercice, et encore plus rares ceux qui se
lancent dans des recours contentieux. Nous recevons tous les jours des co-
pies de lettres adressées par des assistants de service social à des adminis-
trations, lettres qui sont souvent des plaidoyers, ou des suppliques, égrenant
des arguments humanitaires ou compassionnels : « M.X. est un homme sé-
rieux, courageux, bien intégré », écrit l’assistante sociale, qui demande au
préfet de bien vouloir examiner avec bienveillance le cas de ce monsieur et
de lui délivrer un titre de séjour. Rien n’est dit sur le droit de M.X. à se voir
délivrer le titre demandé, aucun texte réglementaire n’est mentionné, et
nulle part ne figure l’annonce qu’en cas de rejet les tribunaux pourraient
être saisis.

Autre exemple, celui des modèles de recours proposés dans les publications
du Gisti. De nombreux travailleurs sociaux, à l’instar d’ailleurs de perma-
nents associatifs, à qui nous suggérons de s’inspirer de ces lettres-types
s’inquiètent de leur ton : la préfecture (ou la CAF, la CPAM ou l’OFPRA)
ne va-t-elle pas être heurtée par le ton revendicatif d’un tel courrier ? Ne
risque-t-on pas de l’indisposer et, ce faisant, de nuire aux intérêts de l’étran-
ger que l’on souhaite défendre ?

Les raisons d’un hiatus

À la crainte de faire du tort à l’intéressé s’ajoute bien sûr la prévision de la


difficulté de mise en œuvre : comment en effet convaincre le supérieur hié-
rarchique, qui aura à signer le recours, de la nécessité de cet acte qui le
place en opposition frontale avec une autre administration ou avec le pré-
fet ? Là est le hiatus principal de nos relations avec beaucoup des tra-
vailleurs sociaux, voire la plupart. Tandis qu’au Gisti on se demande si telle
personne veut ou non obtenir tel statut, ou telle prestation, et si elle peut ou
non y prétendre, les travailleurs sociaux ont tendance à se poser une foule
de questions préalables. Bien sûr, il est nécessaire d’évaluer le risque encou-

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ru par l’étranger que l’on soutient. Mais leurs interrogations vont bien au-
delà. Ils s’interrogent sur le bien-fondé de la démarche, sur son sens, sur la
façon dont l’intéressé(e) va la vivre…

Tous ces questionnements ont certes leur valeur dans les faits, mais ils
nuisent parfois à la réflexion juridique, quand ils ne sont pas tout simple-
ment contraires au respect de la liberté de la personne concernée. Ainsi, on
entend des assistants de service social se demander s’il est vraiment souhai-
table que tel étranger fasse venir sa famille en France. On entend certains
formuler des réserves sur l’intérêt pour un étranger de chercher à se mainte-
nir sur le territoire après un refus de titre de la préfecture, ou s’inquiéter de
la valeur symbolique de l’obtention de la nationalité française par un jeune,
ou encore évaluer le risque de réveil de traumatismes lié à une procédure de
demande d’asile.

Si les soucis de cette nature honorent évidemment les professionnels qui les
expriment, ils peuvent coïncider cependant avec l’ambiance de réticence,
voire d’hostilité générale, des institutions à œuvrer dans le respect des
droits des étrangers. Les interrogations exprimées se heurtent bien souvent à
des réalités objectives, d’une part, et à des constats incontournables, d’autre
part. Il est en effet bien réel qu’on vit mieux en France avec la nationalité
française que sans, avec le statut de réfugié que sans. Force est en outre de
constater que nombreux sont les étrangers qui préfèrent vivre dans la préca-
rité en Europe que retourner dans leur pays, qui préfèrent vivre entourés des
leurs, même dans des conditions matérielles difficiles, que laisser au loin les
membres de leur famille.

Ce qu’on pourrait appeler la « philosophie » du Gisti réside dans la lutte


pour un État de droit, c’est-à-dire une société dans laquelle les citoyens ne
sont pas soumis à des décisions arbitraires ou discrétionnaires, ne sont pas
des pions au service des intérêts économiques ou politiques des pays, avec
le présupposé que, dans une telle société, les personnes font librement des
choix dont nul ne peut dire, mieux qu’elles-mêmes, si ce sont ou non les
meilleurs choix. On voit bien où et comment naissent les malentendus entre
les deux cultures, celle du Gisti et celle du secteur du travail social.

Un rôle nouveau

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Ces riches mais difficiles relations auraient pu se poursuivre sans que nous
nous y arrêtions davantage, la « cause » étant d’une certaine manière enten-
due : les travailleurs sociaux utilisent le Gisti, lequel bénéficie de leur in-
comparable proximité avec les réalités de la vie des étrangers, et tout est
pour le mieux. Or la donne est en train de changer. Plusieurs réformes légis-
latives au cours des dernières années concourent à donner aux services so-
ciaux un rôle nouveau et considérable dans le domaine du droit à l’entrée et
au séjour des étrangers. On assiste aussi depuis plusieurs mois – est-ce une
simple coïncidence ? –, à d’importantes transformations dans l’univers des
institutions chargées du travail social auprès des migrants.

Parmi les évolutions législatives les plus notables, il faut évoquer la généra-
lisation du Contrat d’accueil et d’intégration (CAI), et surtout le fait que
l’« intégration républicaine » qu’est censée attester l’adhésion à ce CAI soit
devenue, depuis novembre 2003, une condition pour l’obtention de la carte
de résident et, en juillet dernier, pour bénéficier du droit au regroupement
familial.

D’autres évolutions de la réglementation touchent de près les structures de


service social, comme la recherche de relations de « partenariat » entre les
structures d’accueil de demandeurs d’asile et les préfectures, ou l’annonce
de possibles interpellations d’étrangers dans des services médicaux ou so-
ciaux…

Il est nécessaire d’évoquer par ailleurs le rôle que sont maintenant amenés à
jouer, au travers d’enquêtes sociales et de rapports sociaux, les acteurs des
services sociaux dans des procédures de plus en plus nombreuses : si un ré-
sident en France veut faire venir un étranger pour une visite de courte durée
et s’il a donc besoin d’obtenir une attestation d’accueil, si un étranger rési-
dant en France veut être rejoint par les membres de sa famille, si un Fran-
çais ou un étranger veut se marier avec un étranger, si un jeune étranger ac-
cueilli en France veut y préparer un diplôme en alternance, ou y rester léga-
lement après sa majorité.

Changement de visage

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Pendant que se mettent en place ces nouveaux dispositifs, une grande re-
structuration des services de l’État liés aux migrants a eu lieu, dont on ne
peut aujourd’hui qu’entrevoir quelques uns des effets. L’OMI (Office des
migrations internationales) a absorbé le SSAE (Service social d’aide aux
étrangers) avec la création de la nouvelle ANAEM (Agence nationale d’ac-
cueil des étrangers et des migrations). Des évolutions sont en cours égale-
ment au sein du FASILD. C’est toute une orientation de politiques pu-
bliques et de budgets publics qui change de visage.

Défendre le droit des étrangers, dans cette nouvelle configuration réglemen-


taire et institutionnelle, passe nécessairement, pour une association comme
le Gisti, par un effort de réflexion sur la place des travailleurs sociaux, par
l’intensification et peut-être la réforme de ses actions de formation, le cas
échéant par l’interpellation de ceux-ci quant à l’usage qu’ils entendent faire
de leurs nouveaux pouvoirs.

Ce dialogue est à mener avec l’ensemble des institutions qui sont chargées
de l’intervention sociale, y compris avec les responsables des services so-
ciaux dans la fonction publique territoriale et avec les élus des collectivités,
mais les plus sûrs garants du respect des droits des personnes sont les tra-
vailleurs sociaux. Quelle résistance opposeront-ils demain à des consignes
qui risquent d’entrer en contradiction avec des axes forts de leur métier : le
secret professionnel, le souci avant tout de l’intérêt de la personne, le res-
pect de son autonomie, la non-discrimination ?

Si, depuis des décennies, l’ambiguïté entre travail social et contrôle social
est au cœur des débats sur tous les « sujets » du travail social, la question,
s’agissant des étrangers, est en train de devenir d’une actualité qu’on pour-
rait dire bruyante… si seulement elle faisait un peu de bruit ! ?

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Entre droit et éthique, le grand écart — Christine
Garcette, Christophe Daadouch
Si les problématiques d’hier et d’aujourd’hui diffèrent, elles posent de tout
temps trois types de questions : de quels étrangers parle-t-on ? Qui sont les
travailleurs sociaux chargés de mener l’action en leur faveur ? En quoi le
travail social, dans sa définition classique, rencontre-t-il des difficultés sur
ce champ particulier ?

Le premier enjeu central pour le travail social découle de la difficulté à


identifier la gamme des situations spécifiques sous les termes génériques
souvent trompeurs de « migrant », d’« immigré » ou d’« étranger ». Ainsi,
si les deux premiers termes renvoient sans conteste à un processus migra-
toire, et donc à des problématiques de déracinement-enracinement que le
travail social a à connaître, on constate qu’il y a autant de parcours migra-
toires qu’il y a d’individualités hétérogènes dans leurs histoires, leurs choix
ou leurs attentes. Si, à chaque fois, il y a un lieu quitté et une terre d’ac-
cueil, quoi de commun finalement entre l’étudiant et le chercheur, le de-
mandeur d’asile et le réfugié, le migrant venu chercher du travail et les
membres de sa famille ? Quant au terme d’« étranger », il renvoie lui à un
statut juridique spécifique fort complexe fait de différences de traitement lé-
gales, pour ne pas parler de discriminations, difficiles à appréhender pour
des travailleurs sociaux imprégnés d’une culture et d’une déontologie repo-
sant sur l’égalité de traitement entre les usagers. Que dire enfin du travail
social auprès des enfants de migrants qui, sans avoir connu eux-mêmes de
processus migratoire et tout en ayant la nationalité française, subissent dans
les champs sociaux de l’emploi ou du logement, les discriminations que
l’on connaît ?

A chaque fois, les travailleurs sociaux ont donc, ce qui ne se fait pas sans
peine, à identifier ce public aux multiples facettes pour lui assurer un ac-
compagnement adapté aux problématiques rencontrées. Mais de quels tra-
vailleurs sociaux parle-t-on ? Car face à ces problématiques se pose de ma-
nière récurrente la question de savoir s’il faut privilégier l’action sociale
spécialisée ou le traitement par des services de droit commun.

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L’apparition de la section française du service social international d’aide
aux migrants (SSI), créée en 1926 et qui deviendra le SSAE (service social
d’aide aux émigrants) reconnu d’utilité publique en 1932, avait initialement
pour charge de s’occuper des nombreux réfugiés arrivant et séjournant en
France dans l’attente d’un départ pour les États-Unis. Elle entendait appor-
ter une aide administrative, psychologique, juridique, matérielle aux réfu-
giés, souvent malades et dans des situations administratives difficiles à dé-
mêler [2].

Neutralité scientifique

En étendant progressivement son action à la main-d’œuvre étrangère rési-


dant en France, ce service a donc eu à passer d’une problématique d’accom-
pagnement de migrants de passage en France à celle, ô combien différente,
de migrants qui s’y installent. Ce faisant, il a eu à mener de front deux mis-
sions bien distinctes que l’État lui a confiées : l’accompagnement individuel
d’une part, l’expertise sur les questions migratoires d’autre part.

Le SSAE avait en effet alors à mener, à l’intention du Bureau international


du travail, de la Société des Nations (SDN) et des pouvoirs publics français,
des enquêtes et des rapports sur les conditions de vie des migrants, en vue
de faire reconnaître aux étrangers les même droits de séjour et de travail
qu’aux nationaux. Le gouvernement français trouvait donc dans ce service
social « le savoir-faire professionnel ainsi que le réseau national et interna-
tional qui lui étaient nécessaires » et reconnaissait en lui « un instrument
privilégié de sa politique sociale vis-à-vis des migrants » [3].

Le Service social a, d’une façon générale, toujours eu le souci de mener de


front action et étude, accompagnement individuel et expertise : si ces deux
champs sont certes complémentaires, ils peuvent à certains moments s’avé-
rer difficilement conciliables, surtout quand il peut s’agir de dénoncer les
politiques migratoires étatiques dont les travailleurs sociaux ont à mesurer
au quotidien les effets.

L’ambition du SSAE a toujours été de jouer un rôle d’alerte et d’interpella-


tion quand de besoin, en particulier sur le respect de la dignité humaine ou
le droit de vivre en famille. Pour autant, il n’a jamais été dans la culture du

15
SSAE, comme du service social en général, de prendre ouvertement posi-
tion sur des questions politiques. Certains y verront les reliquats de sa mis-
sion d’expert empreint d’une forme de neutralité scientifique. D’autres l’ex-
pliqueront par sa mission de service public, ses conventions avec l’État et
les subventions qui en découlaient. Les derniers y liront une neutralité asso-
ciée depuis longtemps mais de façon illusoire, au service social.

Toujours est-il qu’aujourd’hui où la décision de supprimer le SSAE comme


service social spécialisé indépendant a été prise [4], quelques enseignements
peuvent être tirés de son expérience. D’abord l’importance du droit dans
l’accompagnement social des migrants. Depuis Lucie Chevalley, la fonda-
trice de ce qui allait devenir le SSAE [5], – une des premières femmes doc-
teur en droit – jusqu’aux agents en poste ces dernières années, en passant
par l’identité de son conseil d’administration [6], les dimensions juridiques
ont toujours joué un rôle central dans le travail mené, dans les formations
suivies et dans les orientations mises en œuvre. L’importance du partenariat
dans ce domaine est également un enjeu central.

Si le SSAE a joué le rôle d’un service social de référence, d’une structure


ressources et d’un pôle de formation pour de nombreux partenaires d’action
sociale, qu’ils soient associatifs (Croix-Rouge, Secours catholique…) ou
publics (assistants sociaux polyvalents de secteur, services sociaux des
CAF, hôpitaux, etc.), il a eu à son tour à s’appuyer sur la spécialisation d’as-
sociations intervenant dans le champ migratoire (Gisti, Cimade, France
terre d’asile…) face à des législations extrêmement évolutives et com-
plexes. Dit autrement, la plus spécialisée des structures ne peut exercer cor-
rectement sa mission sans l’appui d’autres couvrant d’autres domaines de
compétence sur un sujet aux facettes aussi multiples.

Droit spécifique ou droit commun ?

Restera demain à tirer, du fait de sa disparition, le bilan de l’existence d’un


tel service social spécialisé sur les pratiques des services généralistes poly-
valents. Dans quelle mesure son existence même n’a-t-elle pas parfois per-
mis à des services sociaux qui n’avaient pas toujours la volonté de s’ouvrir
et de se former à ces questions [7] d’orienter vers lui le public étranger, sans
plus d’effort, alors qu’il aurait fallu évaluer chaque situation et offrir l’ac-

16
compagnement social proposé aux nationaux ? Le droit des étrangers est
certes devenu tellement complexe que seuls des spécialistes arrivent à s’y
retrouver ! [8]

Le réflexe de l’assistant social consistant à orienter vers des associations


spécialisées repose dès lors sur la volonté d’offrir une réponse experte inté-
grant les paramètres spécifiques tant législatifs que culturels. Pour autant,
elle induit un renoncement au traitement de droit commun et éloigne de la
mission même du service social qui est de tendre à sortir l’usager de l’isole-
ment. Elle peut aussi aboutir à engorger les associations spécialisées, dont
les moyens sont de plus en plus restreints, et à les noyer sous le traitement
de nombreuses situations individuelles, réduisant ainsi leur capacité d’inter-
pellation militante.

Le deuxième enseignement possible est à tirer des politiques de recrutement


et de formation du SSAE. Le fait que la majeure partie de ses salariés ait été
composée d’assistants sociaux (près de quatre cents professionnels en 2004)
souligne, si besoin était, la nécessité reconnue de faire appel à des profes-
sionnels confirmés, dotés d’une formation solide : à leur formation initiale
d’assistant social (trois ans d’étude post bac) s’ajoutait une formation spé-
cialisée et permanente tant sur les nationalités des usagers accueillis (plus
de quarante-cinq nationalités) que sur les aspects anthropologiques et juri-
diques des phénomènes migratoires.

Cette question est cruciale à l’heure où action sociale, travail social, service
social, intervention sociale sont autant d’appellations pour un champ d’in-
tervention professionnelle difficile à définir et à délimiter : le travail social
est un ensemble de professionnels qualifiés, exerçant de façon salariée des
missions de politiques sociales définies par les institutions publiques et pri-
vées qui les emploient. Interventions qui, tant individuelles que collectives,
visent à l’information, l’orientation, l’accompagnement, l’éducation, le sou-
tien psycho-social, et ont pour objectif de favoriser le lien social, l’insertion
des personnes dans le respect de leur autonomie et des principes éthiques et
déontologiques de non discrimination et de confidentialité.

Ces notions sont importantes car elles inscrivent d’emblée le travailleur so-
cial dans l’injonction paradoxale de devoir à la fois s’inscrire dans le cadre
institutionnel dans lequel il exerce et qui lui demande de rendre compte de

17
son action, et de mettre en œuvre des modes de réponses personnalisées
face aux besoins et aux demandes de ceux qui s’adressent à lui. Entre
éthique de conviction et éthique de responsabilité, le grand écart est parfois
difficile à tenir, d’autant plus que l’origine socioprofessionnelle des tra-
vailleurs sociaux, de plus en plus issus de familles ayant elles-mêmes connu
des parcours migratoires, questionne la fameuse « distance profession-
nelle » qui leur est enseignée.

Aux quelque 450 000 travailleurs sociaux recensés, comprenant entre autres
assistants de service social, éducateurs, animateurs, conseillères en écono-
mie sociale et familiale, ou travailleuses familiales [9], on ajoute aussi, par-
mi les intervenants sociaux, la femme-relais ou parfois même le bénévole
d’association d’alphabétisation ou de soutien scolaire. Non pas qu’il faille
négliger les missions de chacun de ces intervenants qui contribuent tous au
« travail du social » [10], mais la confusion entretenue sur le terme de tra-
vailleur social empêche de distinguer les niveaux de formation, de qualifi-
cation, les exigences légales et déontologiques propres à chacun, ou plus
généralement les cultures professionnelles spécifiques, ce qui ne permet pas
un partenariat réellement efficace dans l’intérêt des usagers.

Le dernier type d’interrogation touche à la nature même du travail social, à


ses missions mais aussi à ses limites dans ce domaine qu’est le droit des
étrangers. Si l’on reprend la définition du métier d’assistant de service so-
cial, donnée lors de la réforme du diplôme d’État en 2005, il est précisé
que : « l’assistant social agit avec les personnes, les familles et les groupes
par une approche globale pour : améliorer leurs conditions de vie sur le
plan social, sanitaire, familial, économique, culturel et professionnel ; déve-
lopper leurs capacités et faciliter leur place dans la société ; mener toute
action susceptible de prévenir ou surmonter leurs difficultés (…). Dans une
dynamique partenariale et de réseaux, il contribue aux actions de préven-
tion, d’expertise ainsi qu’à la lutte contre les exclusions et au développe-
ment social ; il est force de propositions pour la conception des politiques
sociales, les orientations générales et les missions développées par l’orga-
nisme qui l’emploie. »

Pour mener à bien cette mission aux multiples facettes, l’assistant de ser-
vice social agit sur les leviers classiques d’insertion sociale que sont l’em-

18
ploi, le logement, l’école, l’accès aux soins, la citoyenneté et, plus générale-
ment, les droits sociaux. Qu’en est-il de ces leviers dans ce domaine parti-
culier qu’est le droit des étrangers ? Est-il encore utile de montrer les diffi-
cultés spécifiques rencontrées en matière d’accès au logement, la relégation
dans des quartiers dit « sensibles » et la saturation des centres d’héberge-
ment, au demeurant sous la pression de demandes accrues de renseigne-
ments sur les personnes accueillies [11] ? Doit-on rappeler le taux de chô-
mage des étrangers mais aussi leur surreprésentation dans les emplois pré-
caires ?

Quant à l’école, même si « les enfants d’étrangers réussissent mieux que les
nationaux à milieu social identique, et que leur volonté de mobilité sociale
est importante », faut-il taire le fait que « la discrimination notée sur le
marché de l’emploi, se retrouve en amont dans le système scolaire » [12] ?
Comment lutter contre la recrudescence de maladies graves chez les étran-
gers (tuberculose, sida, hépatites…), quand les conditions d’ouverture des
droits à l’aide médicale de l’État (AME) se durcissent autant ? Comment
travailler autour de l’autonomie et de la citoyenneté auprès d’usagers privés
du droit élémentaire de vote ? Enfin, comment garantir le travail avec les
familles face aux suspicions et aux contrôles touchant le regroupement fa-
milial ou les mariages mixtes, sans oublier les souvent douloureuses déco-
habitations de familles polygames ?

Intégration ou normalisation ?

Si le concept d’insertion est familier au travail social, celui d’intégration tel


qu’il est défini et mis en œuvre dans les journées « Vivre en France » du
contrat d’accueil et d’intégration, ne correspond ni aux pratiques ni défini-
tions habituelles [13]. Classiquement, insertion comme intégration [14]
sous-entendent logiquement une double démarche d’adaptation réciproque
entre une personne et un milieu social, un travail à faire « pour et avec » la
personne et son environnement. Or, les processus en œuvre ici n’ont rien à
voir avec une quelconque volonté d’autonomie, mais reposent sur une phi-
losophie de la normalisation. Normalisation à un modèle-type de société
française dont on peut se demander s’il est aussi identifié et identifiable que
ces dispositifs le laissent supposer. L’intégration pourrait en quelque sorte
se décréter, elle s’imposerait à tout primo-arrivant sous la forme d’un

19
« contrat » dont on peut, avec le Conseil d’État, se demander ce qu’il a à
voir en réalité avec un contrat.

On comprend dès lors que de nombreux assistants sociaux du SSAE aient


refusé d’être intégrés à l’ANAEM – organisme chargé de la mise en œuvre
de ce dispositif – par peur de devenir des rouages « de la bureaucratie de
l’intégration grondeuse » au détriment du « lent et patient travail de l’inté-
gration » [15].

Le respect de la dignité de la personne, la non-discrimination, le devoir


d’accueil de toute personne sans préjugé d’aucune sorte lié à la race, à la re-
ligion, au sexe, à la nationalité, aux opinions ou à sa situation font partie des
principes déontologiques qui s’imposent à tout assistant de service social,
spécialisé ou non [16]. Il est dans une fonction de « passeur », de médiateur,
d’interface entre la personne qui exprime une demande ou un besoin, et les
institutions sociales.

Ce rôle d’accompagnement social ne peut toutefois être confondu avec les


missions de contrôle protéiformes qui se dessinent pour le travail social
dans les domaines aussi variés que l’immigration, la protection de l’enfance
ou la prévention de la délinquance. Pour autant, adopter une posture éthique
face à ces durcissements suppose au préalable une parfaite maîtrise du droit
applicable et de la hiérarchie des normes. Non pas qu’il s’agisse de transfor-
mer le travailleur social en juriste. Mais peut-on encore continuer à donner
ici ou là le même poids à une simple note de service de la hiérarchie ou aux
engagements constitutionnels et internationaux de la France ?

Entre droit et éthique

Au-delà du classique dilemme entre éthique de conviction et éthique de res-


ponsabilité, l’éthique ne peut être une posture confortable cachant la mé-
connaissance du droit ou donnant un vernis honorable à de simples convic-
tions personnelles. Sa prééminence pourrait conduire au risque que les tra-
vailleurs sociaux s’arrogent une place « au-dessus du droit » en contradic-
tion avec leur mission première qui est de faire accéder au droit ceux qui
s’adressent à eux. Ceci étant, le respect absolu de la loi ne peut pas se faire
au détriment des valeurs déontologiques des assistants sociaux que sont la

20
non discrimination, le respect de la vie privée et le secret professionnel. Dès
lors, la question de la désobéissance civile peut se trouver posée.

Plutôt que des attitudes individuelles et isolées, l’espace de réponse adapté


peut être celui d’associations professionnelles de travailleurs sociaux. Cer-
taines d’entre elles ont d’ailleurs pris le parti, depuis quelques années, de
prendre publiquement position, de faire entendre leur voix pour alerter et
dénoncer les incidences des nouvelles lois sur les missions du travail social.
L’implication de plusieurs associations regroupées en 2002 au sein de la
conférence permanente des organisations professionnelles (CPO) [17],
contre l’« immigration jetable » en est un exemple. Leur participation aux
États généraux du social qui se sont déroulés entre 2002 et 2004, en est un
autre. Parmi les doléances et propositions qui en ont découlé, la mission
d’accueil et d’accompagnement social des étrangers reste affirmée comme
inhérente aux missions du travail social. [18] ?

Notes

[1]
Christine Garcette est assistante sociale. Ancienne présidente de
l’ANAS (association nationale des assistants de service social) de
1997 à 2000 et formatrice en travail social, elle est actuellement délé-
guée du CLICOSS (comité départemental de liaison et de coordination
des services sociaux) de Seine-Saint-Denis, présidente du MNPCTS
(mouvement national pour la promotion de la coordination en travail
social), administratrice du SSAE, co-auteur, avec Brigitte Bouquet, du
livre « Assistante sociale aujourd’hui », Éditions Vigot Maloine, 3ème
édition, à paraître en octobre 2006.
[2]
Cf. Lucienne Chibrac, Les pionnières du travail social auprès des
étrangers, ENSP, 2005.
[3]
Cf. Suzanne Roux (sous la dir.), Action sociale et migration, L’Har-
mattan, 1997.
[4]
Depuis octobre 2005, le SSAE a été absorbé par l’Office des migra-
tions internationales (OMI) devenu ANAEM (Agence nationale de

21
l’accueil des étrangers et des migrations). L’association SSAE, elle,
perdure et a décidé de continuer, ne serait-ce que par sa revue Ac-
cueillir, à maintenir et développer son rôle d’expertise en matière de
migration. Le seul service social spécialisé en la matière reste au-
jourd’hui celui de l’ASSFAM (association service social familial mi-
grants).
[5]
Née le 21 juillet 1882, fille de pasteur et docteur en droit, elle se voit
cependant refuser, parce que femme, le concours d’agrégation, ce qui
l’amènera à militer au sein du Conseil national des femmes pour la re-
connaissance du droit des femmes. Elle poursuit des études de droit,
notamment de droit international privé, avant de suivre son mari en
Egypte puis au Liban en 1918, où elle s’occupe de distribuer des se-
cours aux personnes et familles affluant du Moyen-Orient, d’Europe
centrale et de Russie. Voir Brigitte Bouquet, Lucie Chevalley, 1882-
1979, in Vie Sociale, « Aux origines du service social professionnel,
notices biographiques », n° 3-4/93.
[6]
En 1997, un tiers des administrateurs étaient des conseillers d’État !
[7]
Voir dans ce numéro l’article de Christophe Daadouch, p. 14.
[8]
Au début des années 2000, le contentieux des étrangers représen-
tait 40 % des affaires traitées par le Conseil d’État (chiffre cité par F.
Tiberghien).
[9]
Rebaptisées depuis quelques années TISF : techniciennes de l’inter-
vention sociale et familiale.
[10]
Selon l’expression du sociologue Michel Chauvière.
[11]
Le numéro d’avril dernier de la revue du Gisti était particulièrement
éclairant sur le sujet. Plein droit n° 68, avril 2006, « (Dé) loger les
étrangers ».
[12]
Cf. la conférence de F. Tiberghien au Conseil national des femmes,
janvier 2006, op.cit.

22
[13]
Voir dans ce numéro p. 28.
[14]
Cf. Dictionnaire critique d’action sociale, Bayard, 1995, réédition pré-
vue pour l’automne 2006.
[15]
Cf. J.M. Belorgey, « Réactions sur la politique publique d’accueil »,
Hommes et migrations, « Accueillir autrement », mai-juin 2006.
[16]
Cf. code de déontologie des assistants de service social, ANAS.
[17]
La CPO regroupe l’AIRE, association des instituts de rééducation, les
ITEP (instituts éducatifs, thérapeutiques et pédagogiques) et leurs ré-
seaux, l’ANAS (association nationale des assistants de service social),
les CEMEA (centres d’entraînement aux méthodes d’éducation ac-
tive), Éducation et Société, la FNEJE (fédération nationale des éduca-
teurs de jeunes enfants), France ESF (association nationale des
conseillers en économie sociale et familiale), la Ligue des droits de
l’homme, Travail Social, le MNPCTS (mouvement national pour la
coordination en travail social), Pratiques sociales, Témoins et Soli-
daires. CPO, 24 rue Marc Seguin, 75883 Paris cedex 18.
[18]
La démarche des États généraux du social et les analyses qui ont été
produites ont fait l’objet d’un ouvrage et d’un DVD : « Reconstruire
l’action sociale » sous la direction de Michel Chauvière, Jean-Michel
Belorgey, Jacques Ladsous, éditions Dunod, 2006.

23
Vers une logique de contrôle ? — Christophe Daa-
douch
En matière d'entrée sur le territoire, la loi Sarkozy de novembre 2003 a ex-
pressément conféré des prérogatives aux services sociaux tant sur le terrain
de l'attestation d'accueil que sur celui du regroupement familial.

En matière d'attestation d'accueil, l'article L. 211-6 du code des étrangers


permet au maire de confier aux services de la commune chargés des affaires
sociales (ou aux services chargés du logement, ou à l'Agence nationale de
l'accueil des étrangers et des migrations – Anaem) le soin de procéder à des
vérifications sur place et ce afin de s'assurer que « les conditions d'un ac-
cueil dans des conditions normales de logement » sont remplies. Est ici im-
plicitement visé le centre communal d'action sociale, forme réglementée de
« service de la commune chargé des affaires sociales. »

Selon le même schéma, l'article 421.2 du code des étrangers précise que
« des agents spécialement habilités des services de la commune chargés des
affaires sociales ou du logement, ou, à la demande du maire, des agents de
l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations peuvent pé-
nétrer dans le logement » afin de s'assurer du respect des normes appli-
cables en matière de regroupement familial.

En effet, le service social est un des trois services pouvant avoir compé-
tence dans chacun de ces deux domaines. Dans les faits, cependant, il a sou-
vent été mobilisé par les élus locaux qui souhaitent avoir un vrai droit de re-
gard sur ces contrôles mais n'ont pas toujours un service du logement en
gestion municipale directe.

De manière plus détournée, certes, mais avec des effets tout aussi impor-
tants, les services sociaux sont également au cœur de la généralisation de la
condition d'intégration en droit des étrangers. C'est d'abord la loi de no-
vembre 2003 qui a fixé une condition d'intégration « républicaine » à la dé-
livrance de la carte de résident (article L. 314.10), condition « appréciée en
particulier au regard de [la] connaissance suffisante [par l'étranger] de la
langue française et des principes qui régissent la République française »

24
(L. 314.2). C'est aujourd'hui la loi du 24 juillet 2006 qui pose comme exi-
gence que celui qui entend bénéficier du regroupement familial doit se
conformer « aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la Répu-
blique. » [2]

Enfin, c'est cette même loi qui prévoit aussi que tout étranger qui réside ré-
gulièrement en France depuis au moins cinq ans peut solliciter une carte de
résident. Les « moyens d'existence » étant pris en compte (article L. 314.8),
le caractère suffisant des ressources au regard des conditions de logement
« fait l'objet d'un avis du maire de la commune de résidence du deman-
deur ».

A chaque fois, le maire peut [3], et parfois même doit, être saisi par le préfet
pour rendre un avis sur l'intégration de l'étranger demandeur, sur ses res-
sources ou sur son respect des principes de la République. Il n'est dès lors
pas rare que l'édile local interroge, parmi d'autres (police municipale, ser-
vice du logement, service de la vie associative), les services sociaux sous sa
responsabilité pour préciser une situation sociale ou étayer ses convictions.

Enfin, dans ce même domaine de l'intégration des migrants, rappelons sim-


plement ici que les services sociaux sont directement associés à la gestion
du contrat d'accueil et d'intégration, élément désormais déterminant dans
l'appréciation du respect de la condition d'intégration (article L. 314.2). [4]

De l'expertise médico-sociale

Le fait que le service social soit également partie prenante des processus de
régularisation des étrangers en situation irrégulière n'est pas en soi une nou-
veauté. Toutefois, plus que jamais les rares possibilités de régularisation
prévues par la loi sont aujourd'hui largement conditionnées par des critères
médico-sociaux.

Ainsi en est-il de la régularisation au titre de la prise en charge médicale ou


de l'accident de travail, de la contribution à l'éducation de l'enfant en qualité
de parent d'enfant français ou encore de l'insertion sociale sur le terrain des
attaches privées et familiales en France. Sur ce dernier point, la loi
de 2006 [5] prévoit que les liens personnels et familiaux en France sont dé-

25
sormais appréciés « notamment au regard de leur intensité, de leur ancien-
neté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son in-
sertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la
famille restée dans le pays d'origine ». On imagine aisément que les ser-
vices sociaux vont être sollicités par les intéressés, accessoirement par les
préfectures, pour apprécier ou justifier ces conditions d'existence et d'inser-
tion sociale.

Dans ces différents cas, le rôle du service social est divers pouvant aller de
l'information sur les procédures à la délivrance d'attestations ou de copies
de dossier, en passant par des courriers d'accompagnement et l'aide à la ré-
daction d'une demande. Dans des cas bien spécifiques, la régularisation est
même désormais directement conditionnée par la mobilisation du service
social.

Le dernier exemple illustrant cette place centrale que joue aujourd'hui le


service social en droit des étrangers est tiré du domaine de l'Aide sociale à
l'enfance (ASE) et touche plus précisément le statut des mineurs étrangers
isolés.

Les mineurs isolés

Jusqu'en novembre 2003, les jeunes pris en charge par l'Aide sociale à l'en-
fance pouvaient bénéficier de la nationalité française par simple déclaration
au tribunal d'instance. A l'âge de seize ans, le jeune pouvait même effectuer
seul, pour peu qu'il ait été informé, ladite déclaration sans que le service so-
cial qui le prend en charge puisse y faire obstacle. En exigeant trois ans de
prise en charge par l'ASE avant la majorité, ou cinq ans pour les autres
prises en charge (PJJ, associations, etc.), la réforme de novembre 2003 a
largement limité les possibilités d'obtention de la nationalité française.

Pour assouplir la rigueur de ce durcissement mais aussi pour répondre à


l'émergence d'une mobilisation collective qui s'est créée autour de ces
jeunes désormais sans statut [6], diverses réformes ont mis le service social
au cœur du dispositif d'obtention de droits, qu'il s'agisse d'une autorisation
de travail ou de séjour. Ce fut évidemment le cas du plan de cohésion so-
ciale et des délivrances d'autorisations de travail en vue d'un contrat d'ap-

26
prentissage et de professionnalisation. On lira avec intérêt la circulaire
du 5 octobre 2005 relative à la délivrance de ces autorisations de travail à
des mineurs et à des jeunes majeurs isolés : à l'étranger « qui a été pris en
charge par l'Aide sociale à l'enfance après l'âge de seize ans ou qui n'est
plus pris en charge au moment où il formule sa demande, l'autorisation
provisoire de travail ne saurait être délivrée qu'après un examen au cas par
cas, en tenant compte du projet d'insertion durable du jeune étranger, après
avoir pris attache avec son éducateur référent, et des éventuels problèmes
d'ordre public posés par la présence de l'étranger, après consultation des
services préfectoraux ».

Le transfert de compétences

Dans le même esprit, la circulaire Villepin du 2 mai 2005 [7] précise que les
préfets doivent « veiller à admettre ces personnes au séjour à leurs dix-huit
ans » lorsque les perspectives de retour de ces jeunes dans leur pays d'ori-
gine sont très faibles, et au regard de leur parcours d'insertion en France.
L'ancienneté du séjour en France, la réalité et le sérieux du suivi de la for-
mation, l'absence justifiée du maintien des liens avec la famille restée dans
le pays d'origine et une appréciation de la structure d'accueil devront aussi
être pris en compte. Sur ce dernier point, il est exigé « une attestation moti-
vée de la structure justifiant du degré d'insertion du jeune majeur dans la
société française (rapport de l'éducateur référent évoquant son comporte-
ment, ses projets scolaires ou professionnels, relevés de notes, connaissance
suffisante de la langue française, etc.) ».

S'inspirant de la même méthode d'association de l'action sociale à la régula-


risation, la loi Sarkozy de 2006 prévoit désormais la délivrance d'un titre de
séjour à l'étranger « qui a été confié, depuis qu'il a atteint au plus l'âge de
seize ans, au service de l'aide sociale à l'enfance et sous réserve du carac-
tère réel et sérieux du suivi de la formation, de la nature de ses liens avec la
famille restée dans le pays d'origine et de l’avis de la structure d'accueil sur
l'insertion de cet étranger dans la société française. » [8]

On pourrait évidemment s'interroger sur la faiblesse des réactions des pro-


fessionnels de l'action sociale, voire de leur adhésion [9] à l'ensemble de ces
transferts de compétences. Simple méconnaissance des réformes ? Poids de

27
la hiérarchie politique sur les services en question ? Pari selon lequel la par-
ticipation à la politique d'immigration pourrait en limiter les aspects les plus
contestables ? Adhésion à des textes qui marquent une certaine reconnais-
sance de services trop souvent déqualifiés ? La réponse se situe probable-
ment à la lisière de ces multiples explications.

Quoi qu'il en soit, il n'en demeure pas moins que ces transferts posent un
certain nombre de questions de fond que le travail social ne peut évacuer.
Ces transferts directs ou indirects de pouvoirs aux services sociaux ne sont
accompagnés d'aucun dispositif général de formation permettant aux agents
d'appréhender une législation aussi complexe et floue.

Le service social qui serait chargé de contrôler le logement dans le cadre du


regroupement et plus encore de l'attestation d'accueil est-il formé à appré-
cier ce qu'est un logement « considéré comme normal pour une famille vi-
vant dans la même région géographique » [10] ou ce que sont les « condi-
tions normales de logement » [11] ? Surtout lorsque, dans ce dernier do-
maine, la circulaire d'application du 20 janvier 2004 précise que « la volon-
té du législateur est de laisser un large pouvoir d'appréciation au maire
dans ce domaine ». Dans le même esprit, le service social est-il compétent
pour attester de l'« intégration républicaine » d'un étranger ou de son « in-
sertion » sociale ?

Ces notions sont évidemment sujettes à une telle subjectivité que ce risque
devrait être compensé par une formation et une analyse collective des situa-
tions pour filtrer des appréciations qui pourraient être trop personnelles. Il
convient au demeurant, pour le professionnel, de mesurer l'impact des avis
et décisions rendus dans ce domaine si particulier, car si policier, qu'est le
droit des étrangers. Le travailleur social qui, en temps normal, méconnaî-
trait un dispositif social ne court comme seul risque que de voir rejetée la
demande qu'il formule. Ici, le rejet ou l'avis négatif peut tout de suite avoir
des conséquences très lourdes, difficilement réparables.

Entre désobéissance et respect de la loi

Cette confrontation de deux missions et cultures administratives différentes


pourrait être illustrée par la circulaire des ministres de la justice et de l'inté-

28
rieur, datée du 21 février 2006, relative aux « conditions de l'interpellation
d'un étranger en situation irrégulière » [12] dans laquelle sont évoquées les
différentes possibilités d'interpellations d'irréguliers dans des services médi-
caux ou sociaux. Elle pourrait l'être aussi par l'article L. 622-1 selon lequel
« toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de
faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d'un étranger en
France sera punie d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende
de 30 000 euros ». Face à ces deux textes, les services sociaux semblent
flotter, sans fil conducteur ni réflexion collective, entre désobéissance voire
résistance, respect strict de la loi ou souci de concilier mission sociale et
cadre légal.

Il reste à se demander comment ces nouvelles prérogatives peuvent se com-


biner avec l'un des fondamentaux du travail social : le secret professionnel.

Un secret lourd à garder

Pour l'essentiel, les services concernés (qu'ils interviennent dans le cadre de


missions CCAS ou ASE) ou les agents eux-mêmes (médecins ou assistants
de service social) sont régis en effet par les règles relatives au secret profes-
sionnel, en application de l'article 226.13 du code pénal. Les exceptions à
cette exigence de secret sont rares et exhaustivement énumérées par le
même code pénal : on pense à l'obligation de porter assistance à personne
en danger et, plus généralement, au devoir de signalement de privations et
sévices sur personnes vulnérables ou mineures.

En aucune manière les domaines précités qui sont confiés, directement ou


indirectement, aux services sociaux ne font partie des exceptions prévues
aux obligations de secret professionnel. Au demeurant, il importe peu, sur
le terrain du droit pénal, que le secret ait été violé avec l'intention de nuire
ou au contraire d'assister l'usager. De manière aussi surprenante que cela
puisse paraître, le service médico-social qui délivrerait des informations
dans le cadre d'une demande de régularisation pourrait voir sa responsabili-
té engagée pour violation du secret professionnel, tant par l'usager que par
l'action publique.

29
Certes, on pourra objecter que la loi Sarkozy du 27 juillet 2006 prévoit une
exception nouvelle au secret professionnel en évoquant implicitement sa le-
vée en vue de la régularisation des jeunes pris en charge par l'ASE. Elle ne
saurait pour autant donner de base légale aux écrits sociaux adressés dans le
cadre d'une demande de régularisation fondée sur la circulaire Villepin – on
pense ici aux jeunes pris en charge par la PJJ ou par l'ASE après seize ans –
ou dans le cadre d'une demande de contrat d'apprentissage sur la base de la
circulaire Borloo précitée. Une circulaire, quand bien même suggérerait-elle
la transmission d'écrits du professionnel référent, ne peut déroger au cadre
strict du droit pénal. De la même manière, aucun texte n'habilite un service
social à délivrer des informations à une préfecture en vue d'une régularisa-
tion, y compris avec l'accord de l'intéressé.

Nous avons par ailleurs eu l'occasion de préciser que toute information déli-
vrée au maire par le CCAS sur la situation sociale d'un usager aux fins
d'éclairer une demande d'attestation d'accueil ou de regroupement familial
est une violation claire des règles du secret professionnel [13]. Tout au plus
le service social peut-il être habilité à vérifier les conditions de logement
pour le compte du maire, mais il doit limiter son contrôle à elles seules. En-
fin, la généralisation de l'avis du maire sur l'intégration ou les ressources
d'un demandeur de regroupement familial ou de carte de résident ne peut lé-
galement être éclairée par les informations collectées par le CCAS, cou-
vertes elles aussi par le secret professionnel.

Le service social, supplétif de la préfecture

Dans ces deux derniers exemples, il est aisé d'imaginer la difficulté, pour
les agents du CCAS sollicités par leur supérieur hiérarchique, de lui oppo-
ser le secret professionnel sans craindre des répercussions disciplinaires. Et
ce, même si le statut de la fonction publique prévoit expressément qu'un
agent est tenu de ne respecter les ordres hiérarchiques qu'à condition qu'ils
soient légaux.

Raison d'être de l'obligation de secret professionnel, la relation de confiance


avec l'usager est plus généralement mise à mal par ces évolutions. Jus-
qu'alors, on pouvait résumer le protocole particulier qui unit le travailleur
social et l'usager comme la relation entre une conscience et une confiance.

30
La plus-value, la justification du travail social, est cette relation de
confiance. Or, les dispositifs décrits ci-dessus, qui font du service social le
supplétif de la préfecture (vérification du logement, avis d'intégration, etc.)
ou un organe de simple contrôle (contrat d'accueil et d'intégration), ne font
qu'émietter la relation de confiance avec l'usager déjà parfois difficile à éta-
blir. En visant, dans sa décision, l'avis du service social référent, le préfet
pourra même dégager pour partie sa responsabilité en la transférant à ce ser-
vice.

Donnons un exemple rencontré : une assistante sociale hospitalière fait une


demande de régularisation pour un patient en situation irrégulière. En toute
bonne intention et avec un souci de rapidité, elle signe cette demande au
nom de son service, sans vérifier si l'étranger a lui-même adressé une de-
mande similaire de son côté. Ce qui n'était alors qu'une erreur de procédure
et éthique se transforme en véritable difficulté lorsque l'étranger reçoit un
arrêté de reconduite à la frontière ainsi motivé par le préfet : « Mon atten-
tion a été attirée sur votre situation irrégulière par Mme X, assistante de
service social… » !

Qu'en sera-t-il de la régularisation pour les jeunes pris en charge par l'ASE
avant seize ans sur la base d'un avis de la structure d'accueil ? Le piège ten-
du par les dispositions de la loi Sarkozy, qui invitent le service à choisir, au
sein des jeunes, entre ceux qui méritent une telle régularisation et ceux qui
ne le valent pas, est certes gros, mais comment y échapper ? Faut-il les boy-
cotter ou, au contraire, faire une demande pour tous ? On peine à imaginer
certains conseils généraux valider cette dernière option. Les demandes se-
ront donc ponctuelles et devront être le plus étayées possible avec le maxi-
mum d'éléments pourtant régis, une fois de plus, par le secret professionnel,
à destination, non pas du juge des enfants, mais du préfet non soumis à une
telle exigence. In fine, le préfet décidera et motivera sur la base de l'avis de
la structure d'accueil : « Au regard du service X, je constate que vous ne jus-
tifiez pas d'une réelle volonté d'insertion… »

Non seulement ce texte transfère la responsabilité des décisions préfecto-


rales sur un service social, mais il lui confère ce faisant une toute-puissance
à l'égard du jeune pris en charge. Comment ne pas craindre des formes de
chantage à la régularisation ?

31
A maints égards, ces multiples textes vont à l'encontre des évolutions du
travail social. Alors qu'elle a peiné à sortir d'une logique de contrôle qui a
pu fonder son histoire, l'action sociale y retourne par la porte du droit des
étrangers. De la même manière, alors que l'ASE a eu du mal à se dégager de
l'image de toute-puissance de l'Assistance publique puis de la DDASS, elle
y est inéluctablement renvoyée en matière de prise en charge des mineurs
étrangers. ?

Notes

[1]
Lucienne Chibrac, Les pionnières du travail social auprès des étran-
gers. Le Service social d’aide aux émigrants, des origines à la Libéra-
tion, éditions ENSP, 2005.
[2]
Art. 411.5 du code de l’entrée et du séjour.
[3]
L’avis sur la condition d’intégration est prévu par les ar-
ticles 314.2 et 421.1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers. Se-
lon l’article L. 421-1 cet avis est réputé rendu à l’expiration d’un délai
de deux mois à compter de la communication du dossier par l’autorité
administrative.
[4]
Voir dans ce numéro l’article de Mylène Chambon sur le contrat d’in-
tégration, p. 28.
[5]
Article L. 313.11 alinéa 7.
[6]
On pense à la création et à l’extension du réseau RIME.
[7]
N° NOR/INT/D/05/00053/C.
[8]
Article L. 313-11-2°bis.
[9]
On pense ici au communiqué de l’UNCCAS en réponse au GISTI sur
les transferts de compétence en matière d’attestation d’accueil et de re-

32
groupement familial. http://www.unccas.org/presse/communiques/
2006/lettre-ouverte-de-l-UNCCAS-au-GISTI.pdf
[10]
En matière de regroupement familial, article 411.5
[11]
En matière d’attestation d’accueil, article 211.5.
[12]
NOR : J USD0630020C & CRIM.06.5/EI.
[13]
Daadouch Christophe, « Le secret professionnel protège-t-il également
les étrangers ? », Journal droit des jeunes, RAJS, février 2006.

33
Le droit des étrangers, parent pauvre de la forma-
tion — Violaine Carrère, Christophe Daadouch
Les cursus qui mènent aux diplômes d’assistant de service social, d’éduca-
teur spécialisé ou d’éducateur de jeunes enfants sont des cursus en alter-
nance : une partie de la formation est constituée par un enseignement théo-
rique, une autre repose sur des stages en milieu professionnel. Les écoles
ont une relative liberté pour aménager cette alternance, en concentrant l’es-
sentiel des stages à la fin de la formation ou en les répartissant tout au long
des trois années de formation. Pour ce qui est de la formation théorique, les
« programmes » sont définis par des volumes d’heures à consacrer à des
matières ou disciplines très vastes. Chacun de ces « blocs » d’heures de for-
mation théorique, appelés UF (unités de formation), peut lui aussi être ré-
parti comme les écoles le jugent bon au cours des trois années. Il y a donc
une assez grande différence entre ces formations d’une école à l’autre.

La formation nécessaire pour obtenir le diplôme d’État d’assistant de ser-


vice social (DEASS) a fait l’objet, le 29 juin 2004, d’un arrêté ministériel
qui porte en annexe le détail des programmes, guère modifiés par rapport à
ce qu’ils étaient précédemment, ainsi qu’un référentiel des compétences à
acquérir. On y lit que les enseignements théoriques sont structurés en huit
UF : « Théorie et pratique de l’intervention en service social », « Philoso-
phie de l’action éthique », « Droit », « Législation et politiques sociales »,
« Sociologie, anthropologie, ethnologie », « Psychologie, sciences de l’édu-
cation, sciences de l’information et communication », « Économie et démo-
graphie » et « Santé ». À ces UF s’ajoutent des heures dites d’approfondis-
sement que chaque école, là encore, peut utiliser comme elle l’entend. À
l’exception de la première des unités de formation du programme, d’un vo-
lume de 250 heures, chaque UF doit comporter 120 heures de cours.

Les enseignements de droit ne semblent donc pas a priori occuper une place
tout à fait dérisoire puisqu’il s’agit de 120 heures dans un volume total
de 1740 heures. Mais si l’on y regarde de plus près, on peut en avoir une
autre vision… Les futurs travailleurs sociaux ont en effet à s’imprégner
dans cette UF d’une discipline que la plupart découvrent entièrement ; rap-

34
pelons qu’on accède à ces formations avec un niveau baccalauréat. Il est
prévu par ailleurs qu’ils abordent avec ces 120 heures le droit public, le
droit privé, le droit civil, le droit pénal et le droit du travail. Bien sûr, le
texte précise à plusieurs reprises qu’il ne s’agira que d’une initiation. On
voit mal comment il pourrait en être autrement !

Une culture juridique générale

En quelques heures (vingt journées de cours sur trois ans !) intégrées à bien
d’autres matières, les étudiants auront donc à se frotter au droit constitution-
nel, au droit administratif, à des notions comme celles de responsabilité ci-
vile ou pénale, de statut juridique de la personne ou du travailleur, etc. Ils
devront connaître les grands principes du droit, la hiérarchie des textes, les
différentes juridictions… On voit bien que l’enjeu est de leur fournir une
culture générale juridique, non de leur permettre réellement d’appréhender
le droit comme un outil.

Le droit des étrangers, lui, est explicitement évoqué, aux côtés de deux
autres thèmes (les libertés publiques et la vie privée) au sein du chapitre
« droit privé ». Comme pour les autres domaines, aucun volume précis
d’heures à consacrer à ce sous-chapitre « droit des étrangers » n’est indiqué.
Il n’est pas non plus précisé si la matière est à entendre uniquement comme
traitant des règles d’entrée et de séjour, ou si elle doit inclure l’accès à la
nationalité, le droit d’asile, le droit au travail et à la protection sociale, les
droits civiques des étrangers… De fait, combien des 120 heures de cours de
droit doivent et surtout peuvent être consacrées au droit des étrangers ?

Force est de constater que règne une très grande diversité dans les écoles, la
plupart ne prévoyant cependant au mieux qu’une journée ou deux sur le
droit des étrangers. Dans certaines écoles, parce que l’enseignant en droit ne
maîtrise pas bien le sujet, ou parce qu’il le suppose traité par d’autres (en
sociologie, en ethnologie, au cours de séminaires sur l’immigration…), au-
cune heure de cours n’y est consacrée. Nous avons pu observer dans
quelques établissements d’Île-de-France que la matière donne lieu à un
cours programmé comme à la sauvette, en fin de 3e année, au moment où
les étudiants sont avant tout préoccupés par les épreuves d’obtention du di-
plôme. Le cours se déroule alors parfois devant cinq ou six étudiants sur

35
une promotion de cinquante, et les autres n’auront jamais entendu le
moindre mot sur la réglementation touchant les étrangers avant de se retrou-
ver en poste.

Il arrive fréquemment au Gisti, comme à d’autres personnes ou organismes


extérieurs, d’être sollicité pour intervenir dans une école d’assistants de ser-
vice social ou d’éducateurs. Il s’agit souvent d’appels « en urgence » : le ou
la responsable de formation vient de s’apercevoir que le sujet n’a pas été
abordé et nous demande de traiter tous les aspects juridiques liés aux étran-
gers (entrée/séjour, asile, nationalité) en une journée ! C’est d’ailleurs sou-
vent à la demande d’étudiants qui, de retour de stage, ont pu découvrir que
la question du droit des étrangers est transversale et concerne des services
polyvalents.

Certes la question des étrangers (ou : des immigrés) n’est en général pas ab-
sente des formations dispensées par la plupart des établissements. On la re-
trouve dans les cours de sociologie, d’ethnologie ou de psycho-sociologie.
Dès lors, la catégorie sociale des immigrés ou étrangers a toute chance
d’être perçue comme relative à des problématiques d’identité culturelle,
d’intégration et d’exclusion, de repli communautaire, de difficultés psycho-
logiques liées à l’exil, de transmission intergénérationnelle ou intracommu-
nautaire de valeurs culturelles et religieuses, plutôt que relative à des pro-
blèmes d’accès aux droits.

L’éclairage des acteurs de terrain

Un ancien élève fait ce constat : « Dans la formation que j’ai eue, la culture
de l’accès aux droits n’existait tout simplement pas. Le volume d’heures de
droit n’était pas ridicule, mais ces heures étaient insérées dans un groupe
d’enseignement dit “cadre institutionnel du travail social” [vocable utilisé à
l’époque], dans lequel il s’agissait de comprendre les mécanismes organi-
sationnels, pas de s’approprier une culture d’accès aux droits. » Lui et
d’autres témoignent de ce que beaucoup dépendra en fait de l’origine des
formateurs. Cette « culture d’accès aux droits » peut être transmise par la
rencontre d’acteurs de terrains intervenant dans l’école.

36
On rencontre en effet dans les écoles de service social une structuration du
personnel enseignant presque toujours identique : les cadres, c’est-à-dire
ceux qui composent les programmes, choisissent les intervenants, dressent
les plannings, sont souvent d’anciens travailleurs sociaux. Les enseignants
des matières théoriques hors du champ du travail social (sociologie, psycho-
logie, ethnologie, économie, santé et droit) sont, eux, la plupart du temps
des universitaires, des chercheurs, parfois des praticiens de terrain (par
exemple des analystes institutionnels). Moins insérés dans les centres de
formation, n’intervenant que ponctuellement, ils apportent souvent, à en
croire de nombreux anciens élèves, un éclairage différent sur le métier et
sur la fonction sociale des futurs professionnels auxquels ils s’adressent.

Notre ancien élève explique que ce sont ces formateurs extérieurs qui ont
contribué à le sensibiliser à l’idée d’un autre positionnement, mais il dit :
« Au sortir de notre formation, nous n’avions même pas l’idée qu’il était
possible de faire des recours. Je ne savais pas, par exemple, que l’on pou-
vait protester contre un refus de prise en charge des services de l’ASE. J’ai
appris ce qu’était un tribunal administratif dans mon premier emploi. » On
voit, à ce témoignage, que la question va bien au-delà du problème du
nombre – bien faible – d’heures de cours dispensées en droit des étrangers.
Vis-à-vis des étrangers comme des diverses autres catégories de population,
quelle forme est censée prendre l’intervention d’un travailleur social ?
« L’assistant de service social exerce de façon qualifiée, dans le cadre d’un
mandat et de missions spécifiques à chaque emploi, une profession d’aide
définie et réglementée (article L 411-1 et suivants du code de l’action so-
ciale et des familles) dans une diversité d’institutions, de lieux et de champs
d’intervention. » Les textes officiels précisent son rôle : « Dans une dé-
marche éthique et déontologique, il contribue à créer les conditions pour
que les personnes, les familles et les groupes avec lesquels il travaille, aient
les moyens d’être acteurs de leur développement et de renforcer les liens
sociaux et les solidarités dans leurs lieux de vie.

Dans ce cadre, l’assistant de service social agit avec les personnes, les fa-
milles, les groupes par une approche globale pour :

améliorer leurs conditions de vie sur le plan social, sanitaire, familial,


économique, culturel et professionnel,

37
développer leurs propres capacités à maintenir ou restaurer leur auto-
nomie et faciliter leur place dans la société,
mener avec eux toute action susceptible de prévenir ou de surmonter
leurs difficultés. »

On ne peut pas dire que la culture de l’accès aux droits soit tout à fait ab-
sente de cette définition, mais elle n’est pas non plus placée au premier
plan. Or, dans le domaine du droit des étrangers au moins (mais il en est de
même dans d’autres domaines), on sait que faire valoir ses droits est com-
plexe. Des associations comme le Gisti existent justement parce que ce
constat a été fait et se renouvelle tous les jours : les étrangers sont trop sou-
vent victimes de dénis de droit, d’abus de pouvoir, de « refus-guichets », de
rejets implicites alors que les textes leur étaient en principe favorables,
d’examens trop rapides de leur dossier, de décisions discrétionnaires qui
tiennent peu compte des consignes de « bienveillance » inscrites dans les
circulaires. Certaines administrations ne craignent pas de notifier des refus
alors même que des recours en justice dans des cas similaires leur ont donné
tort. Bref, maîtriser le droit des étrangers en connaissant les pratiques des
administrations et en n’hésitant pas à former des recours pourrait sembler
pour le moins indispensable à un intervenant social.

Il n’est pas forcément du ressort des travailleurs sociaux d’aider effective-


ment les personnes qui les consultent à utiliser les armes que le droit pro-
cure. Mais l’ignorance des règles de droit et l’absence de culture du conten-
tieux sont susceptibles de les empêcher d’avoir le réflexe minimal d’infor-
mer sur les possibilités qui s’offrent aux personnes et de savoir les orienter.

On pourrait imaginer que les lacunes de la formation initiale sont compen-


sées par des efforts en matière de formation continue. Or, on constate qu’à
ce stade également différents freins ou obstacles font de la formation au
droit des étrangers une matière secondaire.

Ces obstacles sont d’abord d’ordre politique. Toutes les collectivités ne font
pas de la formation au droit des étrangers un objectif essentiel. Elles
craignent en effet parfois que de tels contenus ne viennent remettre en cause
des pratiques établies dans le confort du traitement quotidien des dossiers et
le flou des connaissances. Au cours des trois années pendant lesquelles le
Gisti a animé des formations sur les mineurs étrangers isolés, on a pu mesu-

38
rer combien les représentants des conseils généraux qui suivent de tels mo-
dules sont issus de collectivités où finalement les règles sont le mieux res-
pectées. Pour les autres, c’est souvent à l’initiative de quelques agents parti-
culièrement motivés qu’en dehors des heures de service un tel projet peut se
construire. C’est ainsi que nous avons dû former des agents d’un conseil gé-
néral dirigé par un ministre de l’intérieur, et ce, sans l’onction ni le finance-
ment de ladite institution qui refusait de leur assurer des formations sur de
tels sujets.

La deuxième série d’obstacles est d’ordre financier. Le budget formation


d’une collectivité ou d’une association est souvent une variable d’ajuste-
ment en période de vaches maigres. Les commandes et autres appels
d’offres tendent de plus en plus à exiger des organismes de formation
d’aborder le droit des étrangers en une journée, deux journées au maximum
mais comprenant alors un volet « connaissance des populations étran-
gères ». La loi du marché aidant, des organismes acceptent de telles exi-
gences sans oser en montrer l’irrationalité. Pire, les agents qui ont déjà suivi
un stage sur le droit des étrangers peinent à en obtenir un nouveau quand
bien même le précédent remonte à plusieurs années. Les services formation
et financier appliquent à un sujet aussi évolutif des raisonnements valant
pour un stage de sciences humaines, dont les contenus sont évidemment
plus figés.

La dernière série d’obstacles, enfin, est parfois le fait des agents eux-
mêmes. Pris dans l’urgence de leur mission et la culpabilité de quitter leurs
accompagnements plusieurs jours durant, ils peinent à dégager ce temps
pourtant nécessaire, d’autant qu’il leur faudra vraisemblablement ensuite
transmettre aux autres collègues le contenu du stage, voire endosser le rôle
de « référent spécialisé » du service sur ces questions.

Le droit des étrangers, au final, reste un des parents pauvres de la formation


des travailleurs sociaux. Rares pourtant sont les professionnels qui n’inter-
viennent pas auprès d’étrangers, parfois sans papiers et en difficulté pour
obtenir un titre de séjour ou son renouvellement et, de ce fait, particulière-
ment exclus de multiples droits.

Le droit, une question secondaire

39
Une étudiante en dernière année de formation d’assistante sociale préparait,
il y a quelques années, l’épreuve dite de « situation sociale », une des
épreuves du diplôme d’État. Il s’agissait de recueillir des informations de
toute nature sur une personne ou sur une famille en difficulté, et d’y appor-
ter des réponses ou des solutions. Elle avait choisi de s’intéresser au cas
d’une jeune femme d’origine africaine, abandonnée quelques années après
son arrivée en France par l’homme dont elle était enceinte. L’étudiante s’in-
terrogeait sur le statut juridique de la jeune femme, voulait savoir quelles
étaient ses chances d’obtenir un titre de séjour. La formatrice qui la guidait
dans son travail lui a expliqué que la question centrale de cette situation
n’était pas un problème de droit mais qu’il fallait creuser tout ce qui était en
rapport avec l’état psychologique de l’intéressée, et surtout « rechercher des
informations sur le vécu de la maternité en Afrique noire » ( !).

Cette histoire semble un peu caricaturale, et il faut espérer qu’elle ne soit


pas représentative de ce qui se passe dans la plupart des écoles, mais tout
excessive qu’elle soit, elle manifeste le malaise que ressentent les acteurs de
la formation des travailleurs sociaux. Confrontés à des situations de détresse
et à la non-application du droit, évoluant comme tout un chacun dans le
contexte de discours sur l’immigration qui interrogent sans cesse sur la légi-
timité de la présence en France de « trop » d’étrangers, les travailleurs so-
ciaux sont pris dès leur formation initiale, aussi bien lors de leurs stages
qu’au travers de l’enseignement théorique, et tout au long de leur carrière
ensuite, dans l’ambiguïté propre au travailleur social : être un agent de l’ad-
ministration, voire un agent du pouvoir exécutif, et doté dans le même
temps d’un mandat d’accès aux droits et de mise en œuvre du droit. ?

40
Les mineurs isolés face au soupçon — Julien Bri-
caud
Parce qu’il est nouveau – dans sa forme actuelle, le phénomène n’a guère
plus de dix ans – le public des mineurs étrangers isolés ne fait pas encore
l’objet d’enseignements spécifiques dans les centres de formation de tra-
vailleurs sociaux. La question peut être abordée d’un point de vue juridique
(principalement en ce qui concerne l’entrée et le séjour sur le territoire).
Elle peut aussi l’être sous l’angle « interculturel ». Toutefois, pour com-
prendre comment l’arrivée de ces jeunes influe sur les pratiques habituelles
des travailleurs sociaux, il faut résister, je crois, à une lecture fondée sur les
différences qu’ils présentent (leur langue, leur culture…), et préférer s’inté-
resser aux conditions dans lesquelles nous les accueillons.

Le constat des professionnels est à peu près unanime : un soupçon persis-


tant entoure l’accueil et la protection des mineurs isolés. Le soupçon se fo-
calise notamment sur les mensonges constatés ou supposés tenus par les
jeunes étrangers isolés aux travailleurs sociaux.

De quels mensonges s’agit-il ? Ces mineurs mentiraient sur leur âge. Nom-
breux sont les jeunes qu’on soupçonne d’avoir un âge différent de celui
qu’ils annoncent. Documents d’état civil absents ou insatisfaisants, signes
extérieurs de maturité… nourrissent les soupçons des travailleurs sociaux
sur l’âge réel de certains mineurs dont ils ont la charge. Ces mineurs menti-
raient sur leur isolement. De nombreux jeunes se présentent comme « or-
phelins » et expliquent que leurs parents sont morts. Et puis, régulièrement,
on comprend qu’il n’en est rien. D’autres mensonges s’insinuent également
entre les jeunes et les services sociaux : fausses nationalités, faux noms,
faux récits de vie, etc. Voilà qui finit par donner des histoires qui se res-
semblent parfois les unes les autres : « Je suis fils unique, j’ai quinze ans, je
viens d’un pays en guerre, je n’ai pas de famille, mes parents sont décédés
brutalement. »

Parallèlement au discours sur le mensonge, le discours de la « manipula-


tion » est aussi très présent chez les professionnels. Ces derniers soup-
çonnent souvent les mineurs isolés d’être manipulés et parfois manipula-

41
teurs. Mais la défiance se développe aussi dans l’autre sens, des jeunes vers
les professionnels. Les mineurs s’interrogent sur le rôle des travailleurs so-
ciaux. Ils ne comprennent pas toujours la fonction de « protection de l’en-
fance » : de quoi s’agit-il au juste si ce n’est pas de fournir un hébergement
et des papiers ? En somme, les jeunes étrangers isolés mentiraient et cache-
raient des informations sur leur situation pour avoir droit à une aide.

Du doute à la suspicion de culpabilité

Bien souvent, donc, le soupçon domine la rencontre entre travailleurs so-


ciaux et jeunes étrangers isolés. Mais que faut-il entendre par soupçon ? Le
soupçon est un spectre d’attitudes diverses : au sens le plus faible, il est une
simple incertitude quant à la vérité, il a alors le sens de doute raisonnable
comme dans la démarche scientifique par exemple. Mais la notion de soup-
çon peut aussi aller jusqu’à une suspicion de culpabilité sans preuves tan-
gibles : « S’il nous cache quelque chose, c’est qu’il est coupable d’actes
malhonnêtes. » La difficulté de travailler avec le soupçon réside dans le ca-
ractère potentiellement glissant du doute légitime à la suspicion de culpabi-
lité.

Le soupçon a des conséquences multiples dans l’accompagnement des


jeunes. Au niveau éducatif d’abord, le soupçon comme présomption de
culpabilité peut entraver le processus éducatif en favorisant la projection de
représentations négatives sur le jeune accompagné. Obstacle à la mise en
confiance, le soupçon semble barrer la possibilité d’un accompagnement à
long terme. En termes d’application de la loi, il a aussi des conséquences
plus graves encore. Certains professionnels d’établissements d’urgence re-
fusent d’accueillir un jeune qu’on soupçonne de mentir. D’autres fois, ce
sont des dispositifs juridiques entiers qui ne sont pas appliqués pour ce
même motif. Certains services de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) ex-
pliquent que l’article 223-2 du code de l’action sociale et des familles qui
organise le recueil provisoire d’un mineur sans représentant légal n’est pas
appliqué de peur que tous les jeunes concernés racontent la « même his-
toire ».

Soupçons et mensonges minent de l’intérieur une relation de confiance. Ils


sont une épreuve pour les professionnels travaillant avec les mineurs isolés.

42
Pour se défaire du soupçon, il est insensé de prétendre lever tous les malen-
tendus (il en restera toujours), tout comme il est vain de chercher à tout sa-
voir des mineurs qu’on accompagne. Il est sans doute plus intéressant pour
les professionnels de soupçonner le soupçon lui-même.

Les discours sur les mensonges des usagers et la crainte de la manipulation


ne sont pas spécifiques aux mineurs isolés. On soupçonne ainsi fréquem-
ment les mères célibataires de cacher l’existence d’un conjoint pour bénéfi-
cier de l’allocation parent isolé. De même, les gens du voyage ou les per-
sonnes toxicomanes sont traditionnellement considérés comme des men-
teurs hors pair face aux services sociaux. L’enjeu sous-jacent de telles quali-
fications est de contrôler les déclarations des usagers pour répondre aux si-
tuations de fraudes possibles.

Que les professionnels aient des représentations négatives des mineurs iso-
lés peut paraître étonnant au premier abord. Leur première impression est
souvent très positive : c’est un plaisir de travailler avec ces jeunes globale-
ment faciles à mobiliser pour un projet d’insertion et forts de nombreuses
ressources. Alors pourquoi le soupçon est-il aussi tenace dans leur cas ?
S’occuper de mineurs isolés est vécu par certains comme une « surcharge »
de travail. Une telle mission inquiète et entraîne parfois la peur d’abandon-
ner la mission traditionnelle de protection des enfants en danger du secteur
local. Les débats qui traversent l’institution judiciaire sur la nature et la réa-
lité du « danger » encouru par les mineurs étrangers isolés n’épargnent pas
les travailleurs sociaux. Des professionnels font ainsi valoir que leur « mé-
tier » est la protection de l’enfance « traditionnelle » – mineurs maltraités,
en rupture familiale et/ou délinquants. Cet argument exclut les mineurs
étrangers isolés de la catégorie d’enfants « en danger ». Ces résistances té-
moignent de la crainte de certains professionnels de s’installer durablement
dans la prise en charge des mineurs étrangers isolés.

Cette inquiétude pourrait bien d’abord résulter d’un environnement de tra-


vail nouveau. Les professionnels de la protection de l’enfance sont amenés
à travailler avec des institutions qu’ils ne fréquentent pas habituellement :
préfecture, OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides),
Direction du travail, juge des tutelles, ambassades, consulats, associations
d’aide aux étrangers, avocats, interprètes…

43
Obstacles administratifs et incertitudes juridiques

L’apprentissage de la coopération avec ces partenaires se fait progressive-


ment : il faut se former, supporter les files d’attente propres aux institutions
chargées des étrangers, se convaincre que les tâches administratives ne sont
pas une perte de temps… Pour certaines décisions, les partenaires sont
moins nombreux que pour les autres jeunes accueillis : famille absente, au-
cun référent à l’ASE en cas de placement direct. Les professionnels sont
confrontés à une solitude parfois dangereuse : alors que la réponse à une
agression grave est habituellement l’exclusion de l’établissement, que faire
quand il s’agit d’un mineur étranger isolé pour lequel on sait que le juge ou
l’ASE ne proposera aucun placement alternatif ?

De plus, les obstacles administratifs sont multiples : proximité de la majori-


té, état civil inconnu, mise en place d’une couverture sociale, difficulté
voire impossibilité de scolarisation, régularisation aléatoire... Les incerti-
tudes juridiques pèsent sur l’organisation d’un parcours d’intégration des
mineurs et fragilisent les travailleurs sociaux qui s’insurgent contre le « bri-
colage » permanent auquel ils sont contraints. Les services sont également
démunis face aux dangers objectifs qui pèsent sur certains jeunes menacés
par leur passeur ou des réseaux divers.

Ce contexte concourt à placer les travailleurs sociaux chargés de faire appli-


quer la loi dans une insécurité juridique propice à des pratiques disparates.
Confrontés à la pénurie des places disponibles dans les établissements, à
des obstacles administratifs et juridiques multiples, aux incertitudes sur
l’avenir des jeunes à leur majorité, les travailleurs sociaux font l’expérience
d’une certaine impuissance auprès des jeunes étrangers. Définition fluc-
tuante, conditions de travail nouvelles, les professionnels peinent parfois à
ne pas attribuer les difficultés aux mineurs eux-mêmes : « Ces jeunes ont-ils
bien leur place dans un foyer ? S’il n’y a pas de place pour les accueillir,
c’est peut-être qu’ils n’en ont pas vraiment besoin ? »

Bien entendu, tous les mineurs isolés ne font pas l’objet d’un tel question-
nement. On accepte facilement la présence de certains alors que les interro-
gations se font plus nombreuses pour d’autres. Dans le discours des profes-
sionnels, on distingue parfois les bonnes et les mauvaises raisons de venir

44
en France et d’être pris en charge par les services sociaux. Certaines catégo-
ries sont plus touchées que d’autres : la protection des garçons peut être
plus difficile à garantir que celle des filles, traditionnellement perçues
comme plus vulnérables et plus dignes de protection. La présence des réfu-
giés politiques apparaît également plus légitime que celle des migrants éco-
nomiques conformément à une hiérarchie persistante des représentations du
migrant.

Au-delà des conditions de travail, d’autres discours viennent fonder le soup-


çon à l’égard des mineurs isolés. Héritière d’un vieux débat public, la théo-
rie de l’« appel d’air » sert de caution à ceux qui rechignent à accueillir les
mineurs isolés. Or, l’idée selon laquelle « plus on en accueille, plus il en ar-
rivera » est loin d’être fondée : elle ignore que notre territoire n’est pas tou-
jours la destination prévue initialement, que l’objectif de bon nombre de
jeunes en arrivant n’est pas de « bénéficier » de nos institutions éducatives
mais surtout de travailler pour rembourser la dette contractée afin de finan-
cer leur passage en France, bref que la France et les avantages supposés de
sa protection sociale ne sont pas les motifs du départ.

La peur d’être manipulé

Comment comprendre le succès de cette théorie auprès des travailleurs so-


ciaux ? D’une part, par-delà un contenu approximatif, elle réveille des peurs
profondes. À commencer par la peur d’être instrumentalisé par les mineurs
eux-mêmes ou par les réseaux qui les aident à passer en France. À la peur
d’être manipulé, on peut sans doute ajouter la colère qui naît du sentiment
de trahison ressenti par certains professionnels lorsqu’ils apprennent que
des jeunes qu’ils accompagnent ne sont pas isolés sur le territoire français
ou bien qu’ils sont bien plus âgés que ce qu’ils ont d’abord indiqué.

Autre sentiment en jeu : il ne faut surtout pas perdre la face devant les usa-
gers. En étant rigoriste dans l’application de la loi et en accordant peu de
crédit aux informations qu’on ne peut pas vérifier, on s’assure par avance de
ne surtout pas « se faire avoir ». Au fond, c’est la peur d’être dupe qui do-
mine. Mais dupe de quoi ? Est-ce que cela remet en question la réalité du
danger que rencontrent ces jeunes ?

45
Un tel constat implique plusieurs réponses. Une réponse théorique pour
commencer : il est urgent de s’interroger sur la nature des mensonges des
mineurs isolés. Ils ne doivent pas être confondus avec une quelconque my-
thomanie ou avec toute autre pathologie semblable. Dans un contexte incer-
tain, ces mensonges constituent pour les jeunes les seules solutions dispo-
nibles pour s’assurer une prise en charge sociale. Réponse pragmatique en-
suite ; l’apparition de discours sur les mensonges des jeunes doit fonction-
ner comme un signal d’alerte dans les institutions pour veiller à ne pas glis-
ser d’un doute raisonnable quant à la vérité à une suspicion de culpabilité.

Le soupçon perturbe la relation éducative et demande aux professionnels


d’adapter leurs pratiques de manière spécifique. Cela demande de mettre en
question une pédagogie fondée sur l’aveu. Bien que tout le monde s’en dé-
fende, cette pédagogie reste très présente. Qu’on pense par exemple aux en-
tretiens menés dans le but de faire avouer à l’autre qu’il a tort. Cette ma-
nière de faire implique que tous les problèmes sont du côté des jeunes et
toutes les solutions du côté des professionnels. Or, en matière de men-
songes, les mineurs isolés sont parfois contraints de mentir en raison de la
manière dont fonctionne leur prise en charge.

Instaurer un espace de sécurité et de confiance

Il n’est jamais facile de se défaire de l’obsession de l’aveu. En travail so-


cial, la fourniture d’un service implique que le destinataire se confie un peu,
ou même beaucoup. En contrepartie de l’aide accordée, une attente se déve-
loppe à l’égard de l’usager à qui on demande de « collaborer » à sa prise en
charge. Cette contrepartie sous forme de discours partagés avec les profes-
sionnels est très sensible quand on dit aux jeunes « ici ce n’est pas un hô-
tel », ce qui sous-entend « tu es aussi là pour parler avec nous, pour collabo-
rer avec nous ». A la personne qui paraît nous cacher quelque chose, il faut
pouvoir assurer que l’offre d’aide n’est pas liée à la vérité des discours
qu’elle peut tenir. On n’accompagne pas les personnes parce qu’elles nous
disent la vérité mais parce qu’elles y ont droit.

Vis-à-vis des mineurs isolés, l’obsession des papiers occulte bien souvent
tout autre objectif éducatif. Pourtant, il est essentiel de résister à la pression
administrative et de s’autoriser à faire autre chose que de les interroger sur

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leur âge et sur leur isolement. Davantage qu’un espace de vérité, il s’agit
d’instaurer un espace de sécurité et de confiance entre jeunes et éducateurs.

Pour nouer une telle relation, les éducateurs disposent de nombreuses possi-
bilités. Ils peuvent s’appuyer sur les outils que leur fournissent différentes
traditions éducatives : travailler avec les groupes pour apaiser la violence
parfois sous-jacente à une relation duelle, développer le jeu pour redonner
du mouvement à des postures figées, sortir, aménager des circonstances
nouvelles pour susciter des comportements inédits, développer les média-
tions artistiques, travailler en direction des parents y compris quand ils sont
absents, reconnaître les liens d’appartenance dans lesquels les jeunes ont
grandi, chercher à soulager les conflits de loyauté…

Que reste-t-il alors de la vérité ? L’a-t-on perdue en route ? « On ne peut pas


travailler si on ne connaît pas leur histoire », entend-on souvent à propos
des mineurs étrangers. Accéder à la mémoire est sans doute primordial,
mais il ne faut pas comprendre ce besoin au sens littéral et plutôt parler
d’accès à une histoire des affects et des sentiments ressentis.

Face au soupçon et au mensonge, il nous appartient de concevoir des inter-


ventions à distance, respectueuses du secret auquel les mineurs isolés sont
tenus. Le mensonge n’est jamais que la solution provisoire qu’une personne
trouve pour répondre à une situation donnée. Faire évoluer cette solution
vers des pratiques et des normes socialement mieux acceptées, voilà peut-
être la tâche des éducateurs. ?

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Les malfaçons du contrat d'accueil et d'intégra-
tion — Mylène Chambon
Après avoir été expérimenté dans certains départements depuis 2003, le
contrat d’accueil et d’intégration a été étendu à l’ensemble du pays par la
loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion so-
ciale. Il est dit que : « ce contrat concrétise la volonté du primo-arrivant
d’adhérer aux principes républicains, et lui permet d’accéder à différentes
prestations : formation civique, formation linguistique en fonction du ni-
veau de connaissance du français, journées “vivre en France”. Véritable
engagement dans une relation réciproque de confiance avec l’État, l’adhé-
sion au CAI [contrat d’accueil et d’intégration] est prise en considération
lors des procédures d’obtention par les étrangers d’un titre de séjour
longue durée. » [1] Avec la nouvelle loi Sarkozy du 24 juillet 2006 qui a
modifié le code de l’entrée et du séjour des étrangers, le CAI va devenir
obligatoire.

La signature de ce contrat a lieu sur la « plate-forme » de l’Anaem (Agence


nationale d’accueil des étrangers et des migrations) qui accueillait jusqu’à
maintenant chaque étranger ayant déposé une demande de titre de séjour
pour la visite médicale réglementaire. Désormais se déroulent également la
visite d’accueil qui propose le CAI, un bilan linguistique et l’entrevue avec
un assistant social.

En apparence, l’instauration du CAI représente une avancée dans l’accueil


des étrangers en France. Il leur donne en effet les moyens d’apprendre le
français et leur présente les valeurs initiales et le fonctionnement institu-
tionnel de la société d’accueil. Cependant, l’observation d’une délégation
régionale expérimentant le CAI depuis 2003, réalisée lors d’une enquête de
terrain en mars 2006, a permis de se rendre compte du fossé qui existe entre
la réalité et le discours politique relayé par les média.

Commençons par le public reçu. Ce contrat est destiné aux primo-arrivants,


c’est-à-dire aux personnes qui viennent d’arriver en France. Or, on s’aper-
çoit que la plupart des personnes convoquées sont en France depuis déjà un
certain temps, puisqu’elles sont régularisées en tant que :

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conjoints de Français. Si elles ont rencontré leur conjoint en France,
c’est qu’elles y sont depuis un certain temps (sauf, bien sûr, si le ma-
riage a eu lieu dans le pays d’origine) ;
parents d’enfants français. Là aussi, pour avoir un enfant avec un Fran-
çais, il faut être en France depuis au moins neuf mois… ;
résidant depuis dix ans en France. Là, ça se passe de commentaire…
personnes, qui, pour des raisons touchant à la « vie privée et fami-
liale », ont plus d‘attaches en France que dans leur pays d’origine.

Les « vrais » primo-arrivants seraient donc majoritairement les personnes


qui arrivent dans le cadre du regroupement familial et celles ayant eu un
titre de séjour de salarié, c’est-à-dire qui ont trouvé un contrat de travail
avant de venir. Mais, là encore, selon les situations, certaines personnes,
même si leur cas est rare, sont régularisées par leur emploi alors qu’elles
étaient déjà en France (c’est-à-dire que la préférence nationale n’a pas pu
leur être opposée). Il y a enfin les demandeurs d’asile, mais là aussi la pro-
cédure est tellement longue qu’ils sont en France depuis presque un an
quand ils viennent à l’Anaem. Premier constat, donc, cet accueil n’est pas
tellement destiné aux primo-arrivants mais plutôt à un public récemment re-
connu dans la société française, c’est-à-dire en voie d’acquisition d’un sta-
tut d’étranger résidant en France.

Pour pouvoir passer la visite médicale à l’Anaem, chaque individu doit at-
tendre de recevoir sa convocation par courrier. Il n’est pas rare que ce
simple élément pose déjà un certain nombre de problèmes. Si la personne
ne se présente pas à sa première convocation, une seconde lui est envoyée.
Si elle ne se présente toujours pas à cette seconde convocation, son dossier
est automatiquement transmis à la préfecture où elle doit alors se rendre
pour faire en sorte que son dossier reparte à l’Anaem (avec les justificatifs
de ses absences) afin d’être à nouveau convoquée. Si ces complications sont
dues à l’insouciance de certains demandeurs vis-à-vis de leurs démarches
administratives (comme le laissent d’ailleurs entendre certains agents de
l’Anaem), des erreurs d’adresse, des problèmes de courrier, des pertes de
dossier et des renvois de balle entre l’Anaem et la préfecture ne facilitent
pas l’accueil des personnes sur la plate-forme !

49
Une fois la convocation en poche, le demandeur peut alors assister à la de-
mi-journée que nécessite le passage sur la plate-forme de l’Anaem. Là, il va
circuler d’un bureau à un autre et passer d’un intervenant à un autre, afin
d’effectuer les deux visites programmées : celle dite « médicale » où il ren-
contre successivement une infirmière, un médecin et un radiologue, et celle
dite « d’accueil » comprenant la signature du CAI, un bilan linguistique et
l’entrevue avec un assistant social (les deux derniers points dépendent des
besoins individuels de chacun). L’accueil fait sur la plate-forme est donc in-
dividualisé. Impossible de s’y rendre à l’improviste, il faut respecter le cir-
cuit pré-établi où le seul choix se résume à vouloir ou non rencontrer l’as-
sistant social qui se charge de tout ce qui concerne les questions familiales
et la recherche de logement, à la différence de l’auditeur social qui encadre
l’« audit », c’est-à-dire l’entretien au cours duquel est proposé le CAI.

La demi-journée commence par un pré-accueil. Un auditeur social évalue le


niveau de français par des questions simples : « Vous parlez français ? Vous
lisez le français ? » Il donne aux convoqués une copie du contrat d’accueil
et d’intégration (dans la langue lue), en les dirigeant vers la salle de
réunions. Puis il note par un code « P1, P2, ou P3 » sur la fiche de la per-
sonne son niveau de compréhension du français : P3 est le plus haut niveau
qui ne nécessitera pas de passage par l’évaluation de français, P2 pour ceux
qui ne parlent pas mais comprennent un peu, et P1 pour ceux qui ne parlent
ni ne comprennent le français.

C’est alors qu’a lieu la réunion de présentation du déroulement de la demi-


journée. Un nouvel auditeur social évoque la visite médicale, donne
quelques explications administratives (à qui doit être remis le certificat mé-
dical), et vérifie que tout le monde est en possession de la lettre-timbre (qui
précise le montant du timbre à acheter, ce montant variant suivant le type de
carte demandée et la nationalité du demandeur). Puis il explique ce qu’est le
CAI et quels en sont ses avantages. Deux autres intervenants, la personne
chargée du bilan linguistique et l’assistant social, présentent à tour de rôle
leurs fonctions. Enfin, le film « Vivre en France » est diffusé. Ce film, qui
dure environ vingt minutes, est censé expliquer les principes fondamentaux
de la France : liberté, égalité, fraternité, et présenter le fonctionnement des
institutions. On peut ici s’interroger sur la pertinence de la projection de ce
film à cette étape du processus de régularisation de la personne, sachant que

50
pour parvenir à ce stade-là, elle a dû se confronter aux administrations et à
leur fonctionnement sans aucune explication. Les difficultés et les discrimi-
nations qu’elle a rencontrées à cause de son statut d’irrégulier en France, re-
mettent en cause, de manière manifeste, les dires de ce film et les principes
qu’il affiche. Les explications qu’il donne sur la France arrivent donc un
peu tardivement et les bons sentiments qu’il met en avant sont presque pro-
vocants face aux problèmes que les gens ont surmontés jusque-là en France.

Après cette réunion, qui dure environ trois quarts d’heure, chacun est appelé
individuellement et dirigé soit vers la visite médicale, soit vers l’entretien
avec un auditeur social, ou, selon le niveau de français inscrit sur la fiche,
vers l’évaluateur du niveau de français. Le test de français est assez bref, et
le nombre d’heures fixées dépend de l’estimation, rapide, de la compréhen-
sion de la personne à des questions simples, à la mise en mots de leurs ré-
ponses et à l’explication de petites scènes dessinées.

Conséquences sur le séjour

Cependant, si cette évaluation est importante et si la mise en place de cours


de français gratuits est louable (quoique déjà existants et réalisés par des as-
sociations qui n’ont d’ailleurs plus, aujourd’hui, les subventions pour le
faire étant donné que l’État a pris en charge cette activité) son efficacité,
quant à elle, peut être un peu plus remise en cause. En effet, si l’étranger re-
part de cette demi-journée avec un rendez-vous dans l’association la plus
proche de chez lui, aux horaires qui lui conviennent le mieux, ces cours ne
débuteront pas pour autant dans l’immédiat. Étant payées au nombre d’ins-
crits, les associations ne démarrent un cours qu’une fois un groupe consti-
tué. Il n’est donc pas rare qu’un signataire voulant apprendre le français
abandonne au bout de plusieurs mois d’attente. Néanmoins, l’étranger qui
ne sera pas en possession de l’attestation ministérielle de compétence lin-
guistique que l’association d’alphabétisation est censée lui remettre pourra
se voir reprocher de ne pas respecter les termes du CAI et, par conséquent,
de ne pas faire preuve d’une réelle « volonté d’intégration ». Il risquera
alors de rencontrer des difficultés lors du renouvellement de son titre de sé-
jour.

51
A la suite du test de français, ou parfois avant (et parfois, la visite médicale
vient s’intercaler entre les deux), la personne passe l’entretien, dit « audit »,
avec un « auditeur social ». Dans la délégation étudiée, la moyenne d’âge
des auditeurs est de vingt-huit ans. Leur niveau d’étude est de trois à quatre
ans après le bac, et il s’agit généralement de leur deuxième expérience pro-
fessionnelle. Quatre-vingt dix pour cent sont des femmes. Le plus ancien
des auditeurs est en poste depuis quatre ans, soit un an avant la mise en
place du CAI. Le profil de ces personnes chargées de faire l’accueil révèlent
certaines valeurs qui y sont associés dans le sens commun. Les qualités pré-
supposées des femmes sont ici considérées comme des valeurs d’accueil : la
douceur, le calme, la compassion, la patience, les capacités d’écoute. L’âge
peut être également vu comme un « canaliseur d’énervement », puisque les
agents qui débutent n’ont encore acquis ni les réflexes ni la lassitude que le
poids des années impose à leurs aînés et qui se répercute sur la relation à
l’usager.

Le déroulement de l’audit se fait en deux temps. La première partie de l’en-


tretien vise à dessiner un « état des lieux » de la situation de la personne. Il
comprend un relevé de son contexte familial et professionnel et de l’état de
son logement en France, suivi d’une série de questions [2] sur les démarches
administratives déjà engagées et qui ont pour objectif de renseigner la per-
sonne sur ce qui lui reste à entreprendre. Tout comme le rapport à l’admi-
nistration (et notamment l’obtention d’un titre de séjour) lui confère une
« identité de papier » [3] en lui attribuant un statut dans cette nouvelle so-
ciété, ces questions sur sa situation familiale et professionnelle sont les élé-
ments qui, en France, lui permettront d’être identifié socialement par les
autres. A ce niveau, les questions ont donc un double rôle de contrôle (de
l’identité) et de socialisation (par l’apprentissage des codes et des valeurs de
la société d’accueil).

Effet d’annonce

La seconde partie porte sur le CAI. Selon chaque auditeur, le contrat peut
être amené différemment, mais toujours de manière stratégique, car le but
est d’en obtenir la signature, comme l’exigent les instances supérieures. On
peut relever trois techniques différentes. Dans certains cas, l’auditeur parle
du « contrat » directement en le présentant : « Voici les principes républi-

52
cains. Si vous êtes d’accord avec ces principes vous le signez et en même
temps vous vous engagez à aller à une journée de formation civique et à ap-
prendre le français. Est-ce que vous êtes d’accord ? » ; en mettant en avant
les avantages qu’il offre : « Vous allez pouvoir bénéficier de trois forma-
tions gratuites ! Une formation de français, une journée de formation ci-
vique et une journée “vivre en France” où vous pourrez rencontrer des or-
ganismes tel que la CAF, l’ANPE… » ; en insistant sur le fait que ce contrat
leur sera demandé lors du renouvellement de leur carte de dix ans et de la
demande de nationalité française.

Dans d’autres cas, le contrat est évoqué de manière détournée par le biais
des cours de français : « Vous voulez apprendre le français ? Oui, alors si-
gnez là et là. » ; par le moyen de la formation civique : « Ça vous intéresse
de participer à la formation civique dont mon collègue vous a parlé tout à
l’heure ? Oui, alors signez en bas de ces deux pages. » ; éventuellement en
parlant du contrat sans le nommer : « Vous avez le papier qu’on vous a don-
né en arrivant ? Vous l’avez lu ? Vous êtes d’accord ? Alors je vais vous le
faire signer. » Rares sont les personnes qui osent demander, à ce moment,
plus d’explications ou qui disent ne pas avoir compris.

Enfin, dernière technique observée : le contrat n’est pas proposé d’emblée,


mais l’auditeur, après avoir fixé la date de la journée civique, imprime le
contrat et le tend à la personne : « Signez là et là. » La personne n’a alors
pas eu de question à se poser ou de choix à faire. Tout est planifié pour elle,
elle n’a plus qu’à signer. Le CAI étant devenu obligatoire, l’obtention de sa
signature ne fera plus dorénavent l’objet d’une stratégie implicite…

L’étude de l’application pratique de cette politique dans une délégation


montre qu’il s’agit davantage d’un effet d’annonce que de la mise en place
d’un réel dispositif destiné à favoriser l’accueil des étrangers en France. Ac-
cueil qui n’est d’ailleurs défini nulle part, contrairement aux notions de
contrat et d’intégration que le Haut Conseil à l’intégration développe dans
son rapport au Premier ministre en 2003(4). En plus d’être une injonction
paradoxale dans le fond, par l’imposition d’un comportement qui ne peut
être commandé – l’intégration –, on constate que, dans la forme, le CAI ap-
paraît comme une coquille vide. Il peut, cependant, avoir des conséquences

53
fâcheuses lors du renouvellement des titres de séjour des étrangers ou de
leur demande de nationalité. ?

Notes

[1]
Cf. site Internet de l’ANAEM www.anaem.social.fr, onglet « tout sa-
voir sur le CAI ».
[2]
Du genre : Quand êtes-vous arrivé en France ? Avez-vous de la famille
ici ? Est-ce que vous avez fait des études dans votre pays ? Jusqu’à
quel niveau ? Est-ce que vous avez des enfants ? Combien ? Êtes-vous
affilié à la sécurité sociale ? Est-ce que vous travailliez dans votre
pays ? Si oui, qu’est-ce que vous faisiez ? Est-ce que vous comptez
travailler en France ? Êtes-vous inscrit à l’ANPE ? Est-ce que votre lo-
gement vous convient ? Ou souhaitez-vous en chercher un autre ? Ha-
bitez-vous toujours à l’adresse indiquée sur votre récépissé ? Pouvez-
vous me donner un numéro de téléphone où l’on peut vous joindre ?
[3]
Vincent Dubois, 2003 (2e édition), La vie au guichet. Relation

54
Le parquet, complice de la chasse aux sans-pa-
piers —
Depuis septembre 2005, les pratiques policières, guidées par la volonté du
ministre de l’intérieur d’afficher des « chiffres » en matière de reconduites à
la frontière, ont radicalement changé. Rares sont les jours sans opérations
de contrôle destinées à interpeller des étrangers en situation irrégulière.
Celles-ci sont, pour la plupart, « couvertes » par des réquisitions prises par
le procureur de la République, qui permettent difficilement d’en contester a
priori la légitimité. Ces pratiques ont été mises en musique par une circu-
laire en date du 21 février 2006, au ton particulièrement détestable, dont
l’objet est de décliner les différentes façons d’interpeller un étranger « sans
papiers », sous couvert d’un juridisme de façade qui ne trompe personne. Il
s’agit bien, pour les signataires de ladite circulaire – le ministre de l’inté-
rieur et le garde des sceaux –, d’autoriser la police à procéder à des
contrôles au faciès, en leur donnant des outils juridiques pour les justifier a
priori ou a posteriori selon les cas.

Dans ce manuel sur « la chasse aux sans-papiers », on peut lire en particu-


lier : « la lutte contre l’immigration irrégulière constitue une dimension de
la politique pénale. Les parquets doivent jouer pleinement leur rôle dans la
définition et la réalisation des actions menées localement (…). Les parquets
devront y participer (…) pour organiser des opérations de contrôles ci-
blées, par exemple à proximité des logements foyers et des centres d’héber-
gement ou dans des quartiers connus pour abriter des personnes en situa-
tion irrégulière… ».

Le collectif « Uni(e) s contre une immigration jetable » (UCIJ), qui s’est


constitué en janvier 2006 pour lutter contre la loi Sarkozy II, a décidé d’in-
terpeller le plus haut représentant du ministère public de France sur le re-
cours généralisé aux réquisitions pour arrêter des étrangers en situation irré-
gulière et les pratiques policières discriminatoires inhérentes à ce genre
d’opérations. Un courrier similaire a été envoyé aux procureurs généraux
des Cours d’appel de Paris et de Versailles. Ces lettres sont restées sans ré-
ponse. Parce que les pratiques décrites continuent, que la circulaire

55
du 21 février n’a malheureusement pas bénéficié d’une dénonciation pu-
blique à la mesure de son contenu, et que le Conseil d’État, saisi d’un re-
cours en annulation, ne manquera pas, selon toute vraisemblance, de… ne
pas l’annuler, nous avons décidé de publier in extenso la lettre écrite au pro-
cureur général de la Cour de cassation.

LETTRE PUBLIQUE à Monsieur Jean-Louis NADAL, procu-


reur général près la Cour de cassation

Monsieur le Procureur général,

L’organisation hiérarchique, qui caractérise en France le ministère public,


nous conduit à nous tourner vers vous dans la mesure où vous représentez le
« chef » du parquet de la plus haute juridiction. C’est avec une certaine so-
lennité que nous souhaitons à la fois vous informer de certaines pratiques
judiciaires et vous interroger sur la conformité de ces pratiques à la loi et
aux principes qui gouvernent – devraient gouverner – les procédures en
cause. Nous attendons de votre part une condamnation de ces pratiques en
vue de ne plus les permettre à l’avenir.

Depuis le mois de septembre 2005, les contrôles d’identité « d’un nouveau


genre » se sont multipliés, notamment à Paris. Ils prennent la forme d’opé-
rations ponctuelles, avec bouclage de quartiers, et ciblées uniquement sur
certaines nationalités (ici contrôles uniquement de « Chinois » à Belleville,
là de ressortissants afghans près de la gare de l’Est, pour ne prendre que ces
deux exemples).

Ces contrôles, qui ont pour but d’interpeller des étrangers sans papiers, ne
sont pas décidés et organisés par les seules autorités policières. Les opéra-
tions se font en effet sous couvert de réquisitions du procureur de la Répu-
blique, comme le permettent de prime abord les dispositions de l’article 78-
2 du code de procédure pénale issues de la loi du 10 août 1993.

Le recours à des réquisitions pour établir des infractions à la législation sur


les étrangers (plus crûment pour arrêter des sans-papiers et augmenter les
chiffres de l’éloignement forcé), selon les formes et modalités constatées,
doit être condamné avec fermeté, et ce pour plusieurs raisons.

56
En premier lieu, sur le plan juridique, les opérations autorisées par les pro-
cureurs de la République sont contraires à l’esprit de la loi. La faculté de
procéder à des contrôles d’identité dans un périmètre donné et pendant un
temps déterminé n’a pas été inventée pour en faire un outil spécifique et ex-
clusif au service de la lutte contre l’immigration irrégulière. C’est pourtant
ce que nous constatons sur le terrain. Plus encore, ces opérations im-
pliquent, presque par nature, de violer des règles juridiques et éthiques. En
effet, elles incitent à procéder à des contrôles fondés uniquement sur la cou-
leur de la peau ou plus largement sur l’apparence (censée présumer d’une
nationalité). Or le Conseil constitutionnel, comme la Cour de cassation, ont
condamné, de façon claire, les contrôles d’identité et de vérification du sé-
jour des étrangers justifiés par l’apparence physique et vestimentaire des
personnes (comme les contrôles fondés sur le fait de s’exprimer dans une
langue étrangère).

Ainsi, selon le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 13 août 1993,


« la mise en œuvre des vérifications (…) doit s’opérer en se fondant exclu-
sivement sur des critères objectifs et en excluant, dans le strict respect des
principes et règles de valeur constitutionnelle, toute discrimination de
quelque nature qu’elle soit entre les personnes ». La Cour de cassation
l’avait dit, elle aussi, dans d’autres termes en parlant « d’éléments objectifs
déduits de circonstances extérieures à la personne même de l’intéressé »
(Cass. crim. 25 avril 1985).

Selon une jurisprudence constante depuis, la police ne peut décider de


contrôler une personne en se fondant sur son apparence physique. Tout pro-
cès-verbal d’interpellation, contraire au principe exposé, est voué à la cen-
sure. Les possibilités offertes par le code de procédure pénale, et en particu-
lier les hypothèses de contrôles d’identité judiciairse, permettent trop sou-
vent de « légaliser » des pratiques manifestement illégales, sans oublier tous
les contrôles au faciès qui n’ont pas besoin d’être motivés puisqu’ils n’ont
débouché sur aucune procédure.

Les opérations menées sur réquisitions de procureur de la République sont


contraires aux règles définies par les plus hautes instances judiciaires. Le
ministère public ne saurait se retrancher derrière des réquisitions silen-
cieuses – en ce sens qu’elles se bornent à autoriser les agents de police à

57
procéder à des contrôles d’identité « dans des lieux et pour une période de
temps déterminés » en mentionnant les infractions poursuivies – sans s’in-
terroger sur la pertinence même de recourir à cet outil juridique pour ces si-
tuations et sur les contrôles au faciès qu’elles impliquent, voire appellent
nécessairement.

Dans sa décision du 5 août 1993, le Conseil constitutionnel, pour faire fran-


chir le cap de la constitutionnalité aux contrôles d’identité menés dans le
cadre de réquisitions, avait mis en avant le rôle du procureur de la Répu-
blique comme « gardien des libertés individuelles » au titre de l’ar-
ticle 66 de la Constitution. Autrement dit, le Conseil des sages confiait le
soin aux représentants du ministère public de faire un usage conforme de
ces réquisitions aux libertés et droits à valeur constitutionnelle. Ils en
étaient mêmes les garants. Où en sommes-nous concrètement ? Outre la
multiplication des réquisitions et leur renouvellement dans plusieurs quar-
tiers de la capitale, la police, prenant appui sur les réquisitions du procureur,
procède, dans l’enceinte du périmètre dessiné, à des contrôles discrimina-
toires. Uniquement discriminatoires. Les personnes interpellées sont « sé-
lectionnées » en fonction de la couleur de leur peau ou l’apparence au sens
large ; ceux qui ne répondent pas au critère peuvent continuer leur chemin.

Le fait que les policiers n’aient pas besoin de motiver le contrôle, dès lors
qu’ils agissent dans le cadre des réquisitions, ne les autorise pas par ailleurs
à violer impunément le principe de non-discrimination. Nous considérons
que ce sont les réquisitions elles-mêmes qui portent en elles l’atteinte au
principe énoncé. La police agit alors avec la « permission » du ministère
public, qui fait fi de son rôle de gardien des libertés et de sa responsabilité
de la paix publique et sociale.

Ces pratiques judiciaires et policières doivent être condamnées évidemment


sur le plan éthique. Elles contrarient toutes les exigences éthiques qui de-
vraient gouverner l’exercice des fonctions considérées. La commission na-
tionale de déontologie de la sécurité, comme son nom l’indique, ne s’inté-
resse pas seulement aux violations du droit, mais entend porter aussi un re-
gard sur l’éthique des pratiques directement interrogée ici. Elle devrait à cet
égard les pointer du doigt.

58
Enfin, et dans un cadre plus large de politique générale, les pratiques et
donc le recours aux réquisitions qui les légitiment, produisent des effets dé-
sastreux sur les populations concernées. Elles sont stigmatisées, désignées
comme « délinquantes » potentielles au seul motif de la couleur de la peau
ou d’éléments physiques censés révéler une extranéité. Ces pratiques
troublent la quiétude des quartiers populaires où les gens ont appris à vivre
ensemble sans difficulté. Elles sont refoulées et dénoncées par beaucoup et
confortent pour d’autres des sentiments racistes et xénophobes.

On ne peut d’un côté prôner la lutte contre les pratiques discriminatoires


quand elles sont le fait d’employeurs ou de prestataires de services et de
l’autre les nourrir alors même qu’elles sont dues à des agents supposés agir
au nom de la République française.

Pour toutes ces raisons, nous vous demandons d’intervenir en votre qualité
de représentant du ministère public de la plus haute juridiction. Nous vous
demandons aussi d’intervenir auprès du ministre de la justice, co-auteur du
reste d’une circulaire en date du 21 février 2006 sur les interpellations que
nous avons attaquée, pour qu’il soit mis fin à ces instructions dangereuses
pour tous et toutes.

Soyez assuré, Monsieur, de toute notre considération.

Paris le 30 mai 2006,

Pour l’UCIJ, Nathalie Ferré

59
Accueil des boat people : une mobilisation poli-
tique atypique — Karine Meslin
Boat people secourus lors d’une mission menée par Médecin du
Monde en Mer de Chine

Boat people secourus lors d’une mission menée par Médecin du


Monde en Mer de Chine

Entre 1970 et 1990, de très nombreux ressortissants de l’Asie du Sud-Est


cherchent à fuir les régimes communistes qui dirigent leurs pays respectifs.
La situation des habitants du Cambodge est particulièrement dramatique.
En quatre années d’exercice du pouvoir, le régime des Khmers rouges
anéantit ce pays et élimine un tiers de sa population [1]. C’est par dizaines
de milliers que les survivants de l’Angkar [2] [2] affluent aux frontières
thaïlandaises dans l’espoir de trouver refuge. Là, ils sont en proie à l’attente
et à la dépendance vis-à-vis de l’aide internationale.

En France, l’immigration de travail vient tout juste d’être suspendue et la


crise économique que traverse le pays semble peu propice à l’accueil de
nouveaux étrangers. Pourtant, après des mois ou des années d’attente,
128 531 ressortissants de l’ancienne Indochine, dont 47 356 Cambodgiens,
entrent légalement sur le territoire français [3]. Dès leur arrivée, ils bénéfi-
cient d’un accueil d’exception accompagné de discours empathiques, que
formulent les dirigeants politiques notamment.

Comment comprendre cette situation pour le moins paradoxale ? Comment


expliquer que des réfugiés aient pu bénéficier d’un tel accueil alors qu’il est
admis qu’« en période d’incertitude tout particulièrement, l’étranger est
ressenti comme une menace pour le groupe enraciné [4] » ? Quelles formes
de mobilisation et/ou de luttes ont eu raison des réticences que la configura-
tion française laissait présager à l’égard de tout nouvel arrivant [5] ?

L’objet de cet article consiste à analyser la spécificité des formes de mobili-


sation qui ont accompagné la venue des réfugiés cambodgiens [6] ainsi que

60
leurs effets. Après avoir retracé à grands traits les modalités de fuite des ré-
fugiés cambodgiens, nous rappellerons quels ont été le contexte, les condi-
tions et les acteurs principaux de leur accueil, en restituant les enjeux qui se
sont noués autour de leur arrivée en France.

Les départs des réfugiés cambodgiens s’échelonnent du début des années


soixante-dix à la fin des années quatre-vingt. La guerre civile, le régime des
Khmers rouges et la prise de pouvoir des Vietnamiens sont les déclencheurs
principaux des hémorragies qui, en une vingtaine d’années, vident le Cam-
bodge d’une partie de ses habitants. Tour à tour, ces situations de crise et
ces régimes politiques affaiblissent la société cambodgienne.

Le régime des Khmers rouges qui sévit entre 1975 et 1979 est le plus dé-
structurant et le plus funeste. Pendant quatre années, le Cambodge s’isole
du reste du monde et se mure dans un pesant silence médiatique. À l’abri
des regards et des caméras étrangères, les Khmers rouges fondent un régime
basé sur la désurbanisation, le travail de la terre, la collectivisation des ri-
chesses et l’anéantissement de tout ce qui fait écho au monde occidental.
Les anciens repères des Cambodgiens sont revisités un à un ou anéantis.
Ainsi en est-il de l’organisation sociale, de la hiérarchie des âges, des unités
familiales, des infrastructures politiques, juridiques et médicales ou encore
de la langue khmère. Par ailleurs, l’élite du pays est décimée et près de deux
millions d’habitants sont torturés et tués, ou abandonnés à la fatigue et à la
maladie. [7] Lorsqu’en 1979 ce régime meurtrier est renversé, ce sont les
Vietnamiens communistes, anciens alliés des Khmers rouges, qui lui suc-
cèdent à la tête du pays. Cette occupation ne manque pas de prolonger l’in-
stabilité du Cambodge et d’accélérer le rythme des départs.

Après avoir échappé aux poursuites des Khmers rouges, aux mines antiper-
sonnelles ou, plus tard, aux Vietnamiens, les Cambodgiens qui parviennent
à atteindre les frontières du pays, tentent de s’introduire dans les camps de
réfugiés dressés en Thaïlande. Mais l’aide de la Croix-Rouge ne suffit pas
toujours à les protéger des autorités thaïlandaises. Celles-ci n’hésitent pas à
refouler certains réfugiés au péril de leur vie et au mépris des droits de
l’homme. La situation de ces hommes et de ces femmes en fuite demeure
donc précaire et préoccupante, y compris en dehors du territoire cambod-
gien. En réponse à cette réalité, divers pays occidentaux [8] proposent leur

61
protection aux réfugiés cambodgiens et, en France, une véritable campagne
de mobilisation nationale est organisée en leur faveur.

Il ne fait aucun doute que la découverte des charniers cambodgiens et des


camps de fortune dressés en Thaïlande a été prompte à émouvoir l’opinion
publique. Néanmoins, la menace de mort qui pèse sur les populations des
pays en guerre ne suffit pas toujours à leur garantir la protection d’un état
souverain, ni même à leur assurer la bienveillance de ses habitants. Le mas-
sacre des Bosniaques et le génocide rwandais, au cours des années quatre-
vingt-dix, sont là pour le rappeler. Face à ce constat, la mobilisation que
suscite le cas des réfugiés cambodgiens interroge, et ce d’autant plus qu’elle
est exceptionnelle à plus d’un titre.

A cette époque, les mouvements de réfugiés sont pensés comme des mou-
vements conjoncturels, générés par la décolonisation et la guerre froide. La
suspicion qui pèse désormais sur les demandeurs d’asile [9] est alors peu
prégnante et les modalités de délivrance du statut de réfugié sont plus
souples qu’aujourd’hui. C’est dans cette configuration relativement propice
aux réfugiés que s’inscrit l’arrivée des Cambodgiens, des Laotiens et des
Vietnamiens. Pourtant, certaines traditions sont bousculées en leur faveur
et, très rapidement, leur accueil déroge au droit commun en vigueur.

La Convention de Genève stipule que le statut juridique de réfugié doit nor-


malement être élivré individuellement. Or, les modalités concrètes de prise
en charge des ressortissants de l’Asie du Sud-Est rendent caduc ce mode de
reconnaissance au cas par cas. À partir de 1975 en effet, le gouvernement
français met en place une politique de quotas qui réglemente leur venue.
Cette politique consiste à déterminer le nombre de réfugiés du Sud-Est asia-
tique que l’État est disposé à accueillir et que la Croix-Rouge se charge en-
suite d’escorter jusqu’en France. Une fois sur le territoire national, ces réfu-
giés sont soumis à la procédure habituelle et sont dans l’obligation de dépo-
ser une demande de reconnaissance individuelle auprès de l’OFPRA. Mais,
dans la mesure où l’État a lui-même organisé leur venue, ils obtiennent leur
statut de réfugié presque systématiquement. Ils n’ont pas à apporter les
preuves de leur persécution, et le bien-fondé de leurs demandes n’est pas
mis en doute ou ne le sera que tardivement. Dans ce cas, la politique des

62
quotas leur évite donc la clandestinité et ses dangers. Elle légitime égale-
ment leur venue.

En France, de nouveaux traitements de faveur et de nouvelles dérogations


se font jour. L’arrivée des réfugiés de l’ancienne Indochine est d’abord l’oc-
casion d’institutionnaliser une collaboration étroite entre les associations,
chargées de l’accueil des réfugiés, et l’État, responsable de leur sécuri-
té [10]. Ainsi, après un court séjour obligatoire dans un des quatre foyers de
transit parisiens où ils sont accueillis, les réfugiés peuvent décider de se
« débrouiller » par eux-mêmes ou rester sous la tutelle des associations mo-
bilisées pour leur cause. Dans ce cas, ils sont hébergés dans des centres pro-
visoires d’hébergement (CPH) pour une durée minimum de trois mois au
terme desquels, à l’échelle municipale, des comités d’accueil se chargent
d’accompagner leurs démarches quotidiennes. Dans un même temps, de
nombreuses mesures facilitent leur mise au travail. Sur le terrain juridique,
les conditions d’obtention de leur carte de travail provisoire et renouvelable
n’obéissent pas à la procédure habituelle. Alors que les demandeurs d’asile
en sont privés jusqu’à ce que le titre de réfugié politique leur soit délivré, la
politique des quotas offre aux réfugiés en question un droit de travail immé-
diat. De plus, tandis que les migrants – réfugiés ou non – sont, à cette
époque, dans l’obligation d’être titulaires d’un contrat de travail d’une du-
rée d’un an pour obtenir une carte de travail (non provisoire), un contrat de
trois mois, même à temps partiel, suffit aux réfugiés du Sud-Est de l’Asie.
Des cellules ANPE leur sont également réservées et des mesures incitatives,
notamment financières, sont prises à l’égard des employeurs pour favoriser
leur embauche. Tous ces dispositifs objectifs s’accompagnent par ailleurs de
discours compassionnels et bienveillants, nettement distincts de ceux, plus
stigmatisants, qui traitent des autres étrangers à l’heure où l’immigration de
travail vient d’être suspendue.

Les boat people [11] ont ainsi fait l’objet d’un traitement d’exception. Le
caractère exceptionnel de leur prise en charge est plus remarquable encore
lorsque l’on observe ses instigateurs.

La droite mobilisée

63
Si l’accueil des réfugiés de l’Asie du Sud-Est est atypique du fait de ses
modalités concrètes, il l’est aussi de par les caractéristiques sociales et poli-
tiques des acteurs qui, en France, se mobilisent dans sa mise en œuvre. La
défense des étrangers est le terrain de prédilection des associations et des
municipalités placées à la gauche du jeu politique. Dans le cas des boat
people pourtant, c’est toute la droite qui se mobilise. Comment expliquer un
tel glissement ?

Seul le contexte sociopolitique de l’époque permet de comprendre comment


s’est structuré l’espace des prises de position vis-à-vis de ces réfugiés et
comment un objet de lutte traditionnellement acquis à « la gauche » a mo-
mentanément pu devenir une préoccupation majeure de « la droite » ».

Au milieu des années soixante-dix, les tensions de la guerre froide sont en-
core très prégnantes et le clivage gauche/droite demeure structuré et structu-
rant. Ce qui est défendu par les partisans de l’un de ces camps politiques, ne
peut que difficilement l’être par les partisans de l’autre. Chacun a ses
propres domaines d’intervention et le soutien des étrangers est alors claire-
ment identifié comme étant du ressort de la gauche. Pourtant, lorsque les
caméras françaises rendent publiques les images des atrocités commises par
les Khmers rouges ou celles des réfugiés regroupés dans des camps de for-
tune, les militants français investis à gauche et à l’extrême gauche de l’es-
pace politique ne réagissent pas ou peu [12]. A cette époque, beaucoup
d’hommes et de femmes considèrent le communisme comme un modèle po-
litique porteur d’équité, de justice et d’espoir. Ils peinent donc à admettre et
à condamner les erreurs, voire les ignominies, commises par les gouverne-
ments d’Asie du Sud-Est qui se revendiquent de cette couleur politique. Ils
craignent de devoir ainsi « hurler avec les loups » [13], conforter leurs ad-
versaires politiques, et ils se refusent à discréditer leurs propres idéaux [14].
La plupart des militants de gauche se garderont donc d’intervenir aux côtés
des réfugiés du Sud-Est de l’Asie aussi longtemps qu’ils le pourront ; Ils
laisseront le champ libre à la droite.

La mobilisation du gouvernement dirigé par Valéry Giscard d’Estaing et des


municipalités de droite n’est donc pas seulement imputable à un élan de gé-
nérosité ou d’humanisme. Elle est rendue possible par la place que la
gauche laisse vacante. Cependant, cette place aurait pu rester inoccupée.

64
Les militants de droite n’étaient pas forcés de se préoccuper du sort des ré-
fugiés du Sud-Est asiatique. Mais d’autres enjeux nationaux et internatio-
naux, plus proches de leurs préoccupations traditionnelles, les incitent à
s’emparer de la cause des boat people.

Bibliographie indicative

Hassoun J.P., Hmongs du Laos en France, PUF, Paris, 1997.


Lacouture J, Survive le peuple cambodgien ! Seuil, Paris, 1978.
Legoux L, Changements et permanence de la protection des réfugiés, Revue
européenne des migrations internationales, Vol. 20, n° 2, 2004, p.2-22.
Legoux L., La crise de l’asile politique en France, Centre français sur la
population et le développement, Paris, 1995.
Meslin K., Les réfugiés cambodgiens des Pays de la Loire, ethnographie
d’une immigration de « bonne réputation », thèse de sociologie, Nantes,
2004.
Noiriel G., Représentations nationales et catégories sociales. L’exemple des
réfugiés politiques, Genèses, n° 26, 1997, p. 25-54.
Noiriel G., Le creuset français, histoire de l’immigration 19e-20e siècle,
Seuil, Paris, 1988, p. 273.
Spire A., Les réfugiés, une main-d’œuvre à part ? Conditions de séjour et
d’emploi, France, 1945-1975, Revue européenne des migrations internatio-
nales, Vol. 20, n° 2, 2004, p. 23-38.

En période de conflit latent entre les pays communistes et les gouverne-


ments occidentaux et tandis que les États-Unis sortent tout juste de la guerre
du Vietnam, la mobilisation du gouvernement français permet d’abord de
réaffirmer l’adhésion française au bloc de l’Ouest et de redéfinir ainsi les
alliances et les mésalliances françaises au sein du jeu politique et écono-
mique international. Cette prise de position est d’autant plus « rentable »,
politiquement parlant, que l’accueil des boat people prête aux libéraux un
caractère philanthropique, traditionnellement associé à la gauche. En effet,
non seulement les atrocités perpétuées par les Khmers rouges donnent rai-
son aux défenseurs du libéralisme profondément anticommunistes, mais de
plus, l’accueil des réfugiés du Sud-Est asiatique, incarnations vivantes des
méfaits du communisme, porte les pays libéraux au rang de bienfaiteurs.
Cette image est d’autant plus importante pour la France qu’elle redore son

65
blason de pays de droits de l’homme, entaché par le souvenir des guerres de
décolonisation.

Une exception qui confirme la règle

La mobilisation autour des réfugiés cambodgiens, laotiens et vietnamiens


est exceptionnelle à plus d’un titre. Non seulement les modalités d’accueil
des réfugiés du Sud-Est asiatique ne sont « pas réellement basée(s) sur l’in-
terprétation classique de la Convention de Genève, mais sur la volonté de
l’État » [15]. Mais de plus, la nébuleuse d’acteurs impliqués dans cet accueil
ne fait pas partie des défenseurs traditionnels des étrangers. Ce premier
constat ne doit néanmoins pas dissimuler le second. L’exemple des réfugiés
du Sud-Est asiatique permet aussi de montrer qu’une nouvelle fois, le sort
des étrangers est étroitement lié aux intérêts nationaux et ce, quels que
soient le statut juridique de ces étrangers ou les raisons de leur venue [16].

Par ailleurs, l’accueil, basé sur la mobilisation gouvernementale, dont ont


bénéficié les réfugiés du Sud-Est de l’Asie a eu de nombreuses incidences.
Outre qu’il a facilité leurs premiers pas en France, il a participé à modeler le
regard porté sur eux et à légitimer leur arrivée en France. La qualité de cet
accueil semble avoir été perçue comme ajustée à la qualité intrinsèque des
étrangers auxquels il était destiné. Ce constat rappelle, in fine, l’importance
des politiques d’accueil et des discours qui accompagnent l’arrivée des nou-
veaux migrants. ?

Notes

[1]
K. Meslin, Les réfugiés cambodgiens des Pays de la Loire, ethnogra-
phie d’une immigration de « bonne réputation », thèse de doctorat en
sociologie, Nantes, 2004.
[2]
L’Angkar signifie « organisation » et est le nom donné à celle que les
Khmers rouges mettent en œuvre de 1975 à 1979.
[3]
J.- P. Hassoun, Hmongs du Laos en France, PUF, Paris, 1997.
[4]

66
G. Noiriel, Le creuset français, histoire de l’immigration 19e-20e
siècle, Seuil, Paris, 1988, p. 273.
[5]
Des réticences à l’encontre des réfugiés du Sud-Est de l’Asie se feront
parfois jour au sein de certaines usines notamment. Mais ces réticences
seront relativement faibles au regard de celles qui concernent alors les
autres étrangers, et au regard de celles qui, depuis le milieu des années
quatre-vingt, concernent les autres réfugiés.
[6]
Le parcours migratoire des Cambodgiens est considéré emblématique
du parcours de l’ensemble des réfugiés du Sud-Est de l’Asie, du fait
des conditions précipitées de leur départ et de leurs modalités spéci-
fiques d’accueil en France.
[7]
Au milieu des années 1970, le Cambodge compte 7,7 millions d’habi-
tants.
[8]
La mobilisation ne se limite effectivement pas à l’échelle française.
Elle s’étend à de nombreux pays occidentaux non communistes. Pour
la première fois, des pays d’accueil anticipent la gestion de réfugiés et
le font en coopérant de manière internationale. À cet égard, une pre-
mière conférence internationale se déroule à Genève en 1979, qui sera
suivie d’une seconde, en 1989. Durant ces conférences, des directives
communes sont édifiées. Elles visent à organiser collectivement la si-
tuation des réfugiés du Cambodge, du Vietnam et du Laos qui ne
cessent d’affluer hors des frontières de leurs pays et que leurs pays
voisins refoulent.
[9]
Le terme de demandeur d’asile ne s’est d’ailleurs pas encore substitué
à celui de réfugié.
[10]
Jusqu’au début des années soixante dix, la responsabilité de l’État,
chargé d’assurer la sécurité des réfugiés, et celle des associations, res-
ponsables de l’accueil des réfugiés, sont séparées. Puis, en 1973, au
moment de la venue des réfugiés du Chili, un premier glissement s’ef-
fectue et ces associations passent sous la responsabilité de l’État. La
création de l’aide sociale pour les réfugiés est entérinée, mais ne l’est

67
qu’à titre provisoire et à l’instigation des associations. C’est l’arrivée
continue des réfugiés de l’Asie du Sud-Est à partir de 1975 qui, à la
demande de l’État, provoquera son institutionnalisation.
[11]
Le terme « boat people » concerne au premier chef les réfugiés vietna-
miens qui tentaient de s’éloigner de leur pays, entassés sur des bateaux
de fortune. Très rapidement cependant, il est utilisé pour désigner l’en-
semble des réfugiés du Sud-Est asiatique en fuite et que les Occiden-
taux ne distinguent que rarement les uns des autres.
[12]
Pour exemple, on peut retenir le cas de J.- P. Sartre qui, en 1979, se dé-
place à l’Elysée avec d’autres intellectuels français pour plaider en fa-
veur des boat people. Lors de son intervention, cet intellectuel, claire-
ment identifié à la gauche de l’échiquier politique national, reconnaît
que le gouvernement français a déjà beaucoup fait pour les réfugiés de
l’ex-Indochine, mais que cela n’est plus suffisant. Il appelle donc à se-
courir les réfugiés en plus grand nombre. Mais il se refuse à critiquer
les pratiques des gouvernements communistes « indochinois » et pré-
tend que les réfugiés fuient parce que « le système communiste ne
convient pas à tout le monde ». Archives de l’INA.
[13]
J. Lacouture, Survive le peuple cambodgien ! Seuil, Paris, 1978, p. 14.
[14]
Les militants et les partisans de gauche qui seront les plus prompts à
prendre le parti de ces réfugiés déclencheront parfois de véritables
conflits au sein de leurs rangs.
[15]
L. Legoux, La crise de l’asile politique en France, Centre français sur
la population et le développement, Paris, 1995, p.160.
[16]
G. Noiriel, Représentations nationales et catégories sociales.
L’exemple des réfugiés politiques, Genèses, n° 26, 1997, p. 25-54.

68
Cahier de jurisprudence —
Reconduite à la frontière Président du TA de Paris 20/01/2006
AJUGASIA c/préfet de police de Paris

APRF et décision de renvoi dans le pays d'origine à l'encontre d'un jeune ni-
gérian ayant fui son pays à l'âge de seize ans – Erreur manifeste d'apprécia-
tion – Annulation ; injonction au préfet de police de statuer sur la régulari-
sation de l'intéressé dans le délai d'un mois ; condamnation de l'État à lui
verser la somme de cinq-cents euros.

M. Darlington AJUGASIA, ressortissant nigérian, est arrivé en France, à


l'âge de seize ans, fuyant son pays après l'assassinat de son père et de ses
frères. Il dépose une demande d'asile auprès de l'OFPRA, qui est rejetée ( !).
Il est finalement confié à l'Aide sociale à l'enfance, qui le prend en charge.

« Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. AJUGASIA, né


le 19 juin 1986, dont le père et les frères ont été tués lors de conflits inter-
ethniques, est entré en France en août 2002 ; qu'il a été confié par une or-
donnance du juge des tutelles du tribunal d'instance de Paris, confirmée en
appel, au président du conseil de Paris, désigné administrateur ad hoc du
mineur, et pris en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance de Paris dans
le cadre d'un contrat “jeune majeur” ; qu'il a témoigné de sa volonté de
s'insérer socialement et de mener à bien ses études pour s'assurer d'une for-
mation professionnelle ; qu'à l'expiration de son contrat de jeune majeur il
a été pris en charge par une association et prépare une formation en horti-
culture en qualité d'interne à l'école Le Nôtre, établissement relevant de
l'aide sociale à l'enfance du département de Paris ; qu'il bénéficie par
ailleurs d'un suivi psychologique en raison des traumatismes subis dans son
pays d'origine ; que, compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la mesure
de reconduite prise à son encontre le 15 décembre 2005 par le préfet de po-
lice doit être regardée comme entachée d'une erreur manifeste d'apprécia-
tion des conséquences qu'elle comporterait sur la situation personnelle de
l'intéressé ; que, dès lors, M. AJUGASIA est fondé à en demander l'annula-
tion ;... »

69
Annulation de l'arrêté du préfet de police. Injonction de statuer sur la régu-
larisation du requérant dans le délai d'un mois suivant la notification de la
décision. Condamnation de l'État à lui verser la somme de 500 euros au titre
de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Référence à rappeler pour avoir copie du jugement :

Plein droit, jurisprudence n° 583.

Reconduite à la frontière Pt du TA de Paris 05/01/2006 YAN


c/préfet de police de Paris

APRF à l’encontre d’un jeune Chinois, en contrat « jeune majeur » après


avoir été confié à l’Aide sociale à l’enfance – Erreur manifeste d’apprécia-
tion – Annulation et injonction au préfet de police de réexaminer la situa-
tion dans le délai d’un mois – Condamnation de l’État à verser au requérant
une somme de mille euros.

« Considérant qu’il appartient au préfet de vérifier si la mesure de recon-


duite ne comporte pas de conséquence d’une gravité exceptionnelle sur le
situation personnelle de l’intéressé ; que M. YAN soutient avoir été amené
en France en 1999, à l’âge de 13 ans, et contraint de travailler pendant
deux ans dans des ateliers de confection clandestins dans des conditions
d’esclavage moderne ; que si cette circonstance ne peut être établie par les
pièces du dossier, son récit est crédible ; qu’en tout état de cause, il est
constant qu’il est présent en France depuis ses 14 ans, sans soutien de sa
famille restée en Chine et avec laquelle il n’a plus de contacts ; qu’en effet,
il ressort des pièces du dossier qu’il est scolarisé depuis le premier tri-
mestre 2001, en classe de quatrième, et a depuis lors poursuivi sa scolarité
sans jamais redoubler alors qu’il vivait dans des conditions très précaires
et sans aucune aide jusqu’à ce que l’assistante sociale de son lycée ne se
rende compte qu’il avait des problèmes d’alimentation et qu’il ne soit
confié à l’aide sociale à l’enfance en février 2004 ; qu’à partir de sa majo-
rité en octobre 2004, il a bénéficié d’un contrat « jeune majeur » régulière-
ment renouvelé depuis lors et que tous ses éducateurs attestent de son sé-
rieux, de son caractère volontaire, responsable et autonome, de son travail
acharné et de ses efforts pour maîtriser parfaitement le français ; qu’il a

70
obtenu en juin 2005 le brevet professionnel d’électronique ; qu’il était ins-
crit à la date de l’arrêté attaqué en première année de bac professionnel
microinformatique, réseau, installation et maintenance ; qu’il reçoit régu-
lièrement les félicitations sur son bulletin scolaire et que le proviseur de son
lycée et tous les membres de l’équipe éducative témoignent qu’il est un ex-
cellent élève, apprécié de tous pour sa conduite irréprochable, son compor-
tement et sa scolarité exemplaire, et faisant montre d’un civisme total ; que
tous ses camarades de classe et la déléguée des parents d’élèves attestent
également qu’il leur apporte beaucoup, qu’il est toujours prêt à apporter
son aide aux élèves en difficulté et qu’il est un exemple pour eux tous ;
qu’ainsi M. YAN justifie de sa capacité à s’intégrer durablement en France
et à y poursuivre éventuellement des études supérieures : que, par suite,
dans l’ensemble des conditions particulières de l’espèce, le préfet a commis
une erreur manifeste d’appréciation des conséquences de la mesure d’éloi-
gnement sur la situation personnelle de M. YAN ;... »

Annulation de l’arrêté de reconduite du préfet de police de Paris. Injonction


de réexaminer la situation du requérant dans le délai d’un mois à compter
de la notification du jugement. Condamnation de l’État à lui verser une
somme de 1 000 euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice admi-
nistrative.

Plein droit , jurisprudence n° 584.

Reconduite à la frontière Prés. du T.A. de Paris 10/08/2005


MPUTU c/préfet de police

APRF à l’encontre d’un Congolais, conjoint d’une réfugiée statutaire – Vio-


lation de l’article 8 de la CEDH – Annulation ; injonction au préfet de ré-
examiner la situation de l’intéressé dans un délai de deux mois ; condamna-
tion de l’État à lui verser la somme de cinq cents euros.

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. MPUTU, de natio-


nalité congolaise, est entré en France le 30 mai 2002 ; que le 24 sep-
tembre 2004 il y a épousé une compatriote bénéficiant du statut de réfugié
et, à ce titre, titulaire d’une carte de résident ; qu’un enfant est né de cette
union le 14 décembre 2004 ; qu’en raison du statut de réfugié de Mme

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MPUTU la vie familiale du couple ne peut se poursuivre dans leur pays
d’origine ; qu’il ressort des pièces du dossier et des déclarations recueillies
à l’audience que l’épouse du requérant est mère de deux autres jeunes en-
fants qui vivent au foyer ; qu’elle ne travaille qu’occasionnellement ;
qu’ainsi, les revenus du ménage étant essentiellement constituées de presta-
tions sociales, il n’est pas établi que les conditions de ressources néces-
saires pour bénéficier du regroupement familial soient réunies ; que, par
suite, et alors même que le requérant aurait conservé des attaches dans son
pays d’origine, la mesure de reconduite prise à son encontre a porté au
droit de l’intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte dis-
proportionnée par rapport au but poursuivi ; qu’elle a donc méconnu les
stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que, dès lors et sans qu’il
soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, il y a lieu de faire
droit aux conclusions tendant à son annulation ;... »

Annulation de l’APRF. Injonction au préfet de police de procéder au réexa-


men de la situation de M. MPUTU dans le délai de deux mois à compter de
la notification du jugement. Condamnation de l’État à payer cinq cents eu-
ros à M. MPUTU en application de l’article L. 761 du code de justice admi-
nistrative.

Plein droit , jurisprudence n° 585.

Reconduite à la frontière Prés. du T.A. de Paris 29/09/2005


TARFAS c/préfet de police de Paris

APRF contre un jeune marocain ayant toutes ses attaches en France – Viola-
tion de l'article 8 de la CEDH – Annulation ; injonction au préfet de police
de réexaminer la situation dans un délai de 30 jours ; condamnation de l'État
à verser au requérant la somme de mille euros.

« Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. TARFAS a vécu


avec sa mère et ses frères et sœurs au Maroc jusqu'à son entrée en France
le 12 août 2001 ; qu'au mois de juillet 2002, dans le cadre du regroupement
familial, sa mère et ses deux plus jeunes frères ont rejoint le père de M.
TARFAS, bénéficiaire d'un certificat de résidence valable dix ans et vivant

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sur le territoire français depuis 1971 ; qu'il n'est pas contesté que M. TAR-
FAS, qui a une sœur vivant en Allemagne, ne conserve pas d'autres attaches
familiales au Maroc ; que, dans ces conditions, l'arrêté de reconduite à la
frontière pris à son encontre porte au droit de l'intéressé au respect de sa
vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue des-
quels a été prise ladite mesure ; qu'il méconnaît ainsi les stipulations de
l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales, et doit être annulé pour ce mo-
tif ;... »

Annulation de l'arrêté. Injonction au préfet de police de réexaminer la situa-


tion de M. TARFAS dans un délai de 30 jours à compter de la notification
du jugement. Condamnation de l'État à verser à M. TARFAS une somme
de 1000 euros en application de l'article L 761-1 du code de justice adminis-
trative.

Plein droit, jurisprudence n° 586.

Reconduite à la frontière T.A. de Paris 01/07/2005 COULIBA-


LI c/préfet de police de Paris

APRF à l'encontre d'une jeune ivoirienne, entrée en France avant l'âge


de 13 ans et y résidant depuis plus de dix ans – Erreur de droit – Annula-
tion ; injonction au préfet de police de statuer sur la situation de la requé-
rante dans le délai d'un mois ; condamnation de l'État à lui verser une
somme de mille euros.

En vertu des règles en vigueur, l'autorité administrative ne peut légalement


prendre une mesure de reconduite à la frontière contre un étranger que si ce-
lui-ci se trouve en situation irrégulière au regard des dispositions législa-
tives relatives à l'entrée et au séjour. En revanche, l'article L. 313-11 du
code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prescrit que,
sauf menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la
mention « vie privée et familiale » est délivrée de plein droit à l'étranger mi-
neur, ou dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qui justifie par
tout moyen avoir sa résidence habituelle en France depuis qu'il a atteint au
plus l'âge de treize ans. En outre, le même article précisait, dans une dispo-

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sition actuellement supprimée par la dernière loi Sarkozy, que la carte « vie
privée et familiale » était également attribuée de plein droit à l'étranger, ne
vivant pas en état de polygamie, qui justifiait par tout moyen résider habi-
tuellement en France depuis plus de dix ans.

En conséquence « Considérant que Mlle COULIBALI soutient être entrée


en France en 1993, à l'âge de neuf ans, pour être confiée à un compatriote
qui l'a employée sans aucune rémunération pour effectuer des tâches do-
mestiques et s'occuper de ses enfants ; qu'il ressort des pièces du dossier,
notamment d'attestations précises et circonstanciées de deux voisins qui in-
diquent l'avoir rencontrée régulièrement depuis 1993 au domicile des per-
sonnes chez qui elle vivait, que Mlle COULIBALI réside en France depuis
cette date ; que la requérante produit également une attestation de l'asso-
ciation Pierre Kohlmann certifiant qu'elle a suivi des cours d'alphabétisa-
tion de septembre 1998 à mars 2001 ainsi que de nombreux témoignages et
documents attestant de sa présence continue en France depuis 2001 ; que,
dès lors, l'autorité administrative a méconnu les dispositions du 2° et du 3°
de l'article L.313-11 précité en ordonnant sa reconduite à la frontière ;... »

Annulation de l'arrêté de reconduite. Injonction au préfet de police de sta-


tuer sur la situation de la requérante dans le délai d'un mois suivant la noti-
fication du jugement. Condamnation de l'État (ministre de l'intérieur) à lui
verser la somme de mille euros au titre de l'article L.761-1 du code de jus-
tice administrative.

Référence à rappeler pour avoir copie du jugement :

Plein droit, jurisprudence n° 587.

Exécution d’une ordonnance T.A. de Cergy-Pontoise


16/12/2004 CAMARA c/préfet de Seine-Saint-Denis

Non exécution d’une ordonnance du juge des référés prise à l’encontre du


préfet de la Seine-Saint-Denis – Astreinte de 150 euros par jour contre le
préfet, s’il ne justifie pas avoir exécuté, dans les quinze jours, la décision en
cause.

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Par ordonnance du 17 novembre 2003, le juge des référés du tribunal admi-
nistratif de Pontoise enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de mentionner
sur le passeport de M. CAMARA que sa carte de séjour lui a été délivrée à
compter du 4 mars 1999. Devant l’inertie de la préfecture, l’avocat de M.
CAMARA dépose au tribunal, en février 2004, une demande tendant à ob-
tenir l’exécution de l’ordonnance.

Considérant « que l’exécution de l’ordonnance du 17 novembre 2003 sus-


mentionnée impliquait que le préfet de la Seine-Saint-Denis appose en ur-
gence sur le passeport de M. CAMARA une vignette matérialisant le titre de
séjour délivré à l’intéressé et mentionnant comme date de délivrance
le 4 mars 1999 ; qu’il ressort des pièces du dossier et il n’est pas contesté
par l’administration préfectorale qu’à la date du présent jugement aucune
mesure propre à assurer cette exécution n’a été prise ; qu’il y a lieu, compte
tenu des circonstances de l’affaire, de prononcer à l’encontre du préfet de
la Seine-Saint-Denis, à défaut pour lui de justifier de cette exécution dans
un délai de quinze jours à compter de la notification du présent jugement,
une astreinte de 150 euros par jour jusqu’à la date à laquelle l’ordonnance
du 17 novembre 2003 susmentionnée aura reçu entière exécution ;... »

Le préfet devra communiquer au tribunal la copie des actes justifiant des


mesures prises pour exécuter l’ordonnance du 17 novembre 2003.

L’État est condamné à verser à M. CAMARA la somme de 400 euros au


titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Référence à rappeler pour avoir copie du jugement :

Plein droit, jurisprudence n° 588.

Indemnisation T.A. de Versailles 19/09/2005 DIA c/ministère


public

Reconduite à la frontière d’un Sénégalais en exécution d’un arrêté datant de


plus de quatre ans – Faute caractérisée, ouvrant droit à réparation – Rejet
implicite d’une demande d’indemnisation – Condamnation de l’État à ver-

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ser au demandeur la somme de 5 000 euros, plus 1 000 euros au titre des
frais engagés.

L’intérêt de cette décision réside dans le fait qu’elle condamne une préfec-
ture des suites de la mise à exécution tardive mais fautive d’un arrêté de re-
conduite à la frontière.

M. DIA, ressortissant sénégalais, a fait l’objet d’un arrêté de reconduite à la


frontière du préfet des Yvelines, le 12 juin 1998. Aucune mesure d’exécu-
tion n’a été prise jusqu’au 5 juillet 2002, date à laquelle le préfet ordonne
son placement en rétention en vue de procéder à la reconduite !

Considérant « que la décision du 5 juillet 2002 doit être regardée comme


constituant un nouvel arrêté de reconduite à la frontière en raison de l’im-
putabilité au préfet des Yvelines du retard d’exécution de sa précédente dé-
cision du 12 juin 1998 ;

Considérant, en second lieu, qu’il résulte de l’instruction que le préfet des


Yvelines a fait exécuter le 6 juillet 2002 son arrêté de reconduite à la fron-
tière du 5 juillet 2002 pris à l’encontre de M. DIA ; que le tribunal de céans
a été saisi le 6 juillet 2002 de la légalité de l’arrêté susmentionné : que
l’exécution d’office de la reconduite à la frontière préalablement à la déci-
sion du tribunal, qui a prononcé par un jugement en date
du 8 juillet 2002 l’annulation de ladite mesure, constitue une faute de na-
ture à ouvrir droit à réparation au profit de M. DIA qui s’est vu privé d’une
chance d’établir qu’il remplissait les conditions pour l’octroi d’un titre de
séjour ; que le requérant a effectué le 15 décembre 2003 une demande
préalable d’indemnisation notifiée le 18 décembre 2003 au préfet des Yve-
lines ; que ladite demande a fait l’objet d’un rejet implicite de la part du
préfet des Yvelines ; qu’il sera fait une juste appréciation du préjudice mo-
ral subi par le requérant, qui n’a pu exercer ses droits de la défense contre
l’arrêté susmentionné et n’est plus actuellement présent sur le territoire
français, en condamnant l’État à lui allouer une indemnité de 5 000 euros ;
que compte tenu de la provision de 1 525 euros accordée au requérant par
ordonnance du tribunal de céans en date du 11 août 2004, il y a lieu de
condamner l’État à verser à M. DIA une somme de 3 475 euros ; que la
somme précitée produira intérêts légaux à compter du 15 décembre 2003,

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date de la demande préalable d’indemnisation adressée au préfet des Yve-
lines ;... »

De plus, l’État versera à M. DIA une somme de 1 000 euros au titre des
frais engagés et non compris dans les dépens.

Référence à rappeler pour avoir copie du jugement :

Plein droit, jurisprudence n° 589.

Mineur isolé Prés. du T.A. de Limoges 31/10/2005 ZHENG


c/préfet de la Corrèze

APRF et arrêté fixant la Chine comme pays de renvoi contre un jeune chi-
nois sous contrat « jeune majeur » – Erreur manifeste d’appréciation – An-
nulation des deux arrêtés – Injonction au préfet de délivrer une autorisation
provisoire de séjour et de travail dans un délai de quinze jours.

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. ZHENG, né


en 1987, est entré régulièrement en France en 2004 ; que par une ordon-
nance du juge des tutelles du Tribunal d’instance de Tulle en date du 17 no-
vembre 2004, il a été confié à l’aide sociale à l’enfance de la Corrèze qui le
prend en charge dans le cadre d’un contrat « jeune majeur » prolongé jus-
qu’en 2006 ; que, comme en attestent ses bulletins scolaires, le requérant a
témoigné de sa volonté de s’insérer socialement et de mener à bien ses
études ; que compte tenu de l’ensemble de ces éléments, la mesure de re-
conduite prise à son encontre le 1er octobre 2005 par le préfet de Corrèze
doit être regardée comme étant entachée d’une erreur manifeste d’appré-
ciation des conséquences qu’elle comportait sur la situation personnelle de
l’intéressé ;...

Considérant qu’à la suite d’une annulation d’un arrêté de reconduite à la


frontière, il incombe au préfet (...) non seulement de munir l’intéressé d’une
autorisation provisoire de séjour, en l’espèce l’autorisant à travailler dans
un délai de quinze jours à compter de la notification du présent jugement,
mais aussi, qu’il ait été ou non saisi d’une demande en ce sens, de se pro-
noncer sur son droit à un titre de séjour... »

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Annulation des arrêtés du préfet de Corrèze décidant la reconduite à la fron-
tière de M. ZHENG et son renvoi en Chine. Injonction au préfet de lui déli-
vrer une autorisation provisoire de séjour l’autorisant à travailler dans un
délai de quinze jours. Injonction au préfet de réexaminer sa demande de dé-
livrance d’un titre de séjour dans un délai d’un mois. Condamnation de
l’État à verser au conseil de M. ZHENG la somme de huit cents euros.

Plein droit , jurisprudence n° 590.

Liquidation d'astreinte Président du TA de Paris 25/03/2004


MASSOMA c/préfet de police de Paris

Requête auprès du TA pour obtenir la liquidation d'une astreinte imposée au


préfet de police et non exécutée, après annulation d'un APRF – Condamna-
tion de l'État à verser 2 000 euros au requérant – La somme de 3 000 euros
est versée au budget de l'État.

Le 18 juin 2003, le tribunal administratif de Paris annule l'arrêté de recon-


duite à la frontière pris à l'encontre de M. MASSOMA, le 27 mars 2003, par
le préfet de police de Paris, avec injonction de procéder au réexamen de la
situation du requérant dans un délai d'un mois à compter de la notification
du jugement, sous peine d'une astreinte de 20 euros par jour de retard.

Aux termes de l'article R. 921-7 du code de justice administrative : « Lors-


qu'à la date d'effet de l'astreinte prononcée par le tribunal administratif (...)
cette juridiction constate, d'office ou sur la saisine de la partie intéressée,
que les mesures d'exécution qu'elle avait prescrites n'ont pas été prises, elle
procède à la liquidation de l'astreinte dans les conditions prévues aux ar-
ticles L. 911-6 à L. 911-8. Lorsqu'il est procédé à la liquidation de l'as-
treinte, copie du jugement (...) prononçant l'astreinte et de la décision qui la
liquide est adressée au ministère public près la Cour de discipline budgé-
taire et financière. » En particulier, en vertu de l'article L. 911-7, en cas
d'inexécution totale ou partielle ou d'exécution tardive, il est procédé à la li-
quidation de l'astreinte prononcée par le tribunal.

« Considérant que le préfet de police n'a pas communiqué au Tribunal co-


pie des actes justifiant des mesures prises pour exécuter, dans le délai qui

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lui avait été imparti, le jugement en date du 18 juin 2003 ; que s'il joint au
dossier des convocations, il est constant qu'elles n'ont pas été suivies d'ef-
fet ; qu'il y a lieu, dès lors, de procéder au bénéfice de M. MASSOMA à la
liquidation de l'astreinte au taux de 20 euros par jour, prévue par ce juge-
ment ;

Considérant qu'en vertu de l'article L. 911- 7 du code de justice administra-


tive, il y a lieu de fixer l'astreinte à la somme de 5000 euros dont une part,
soit 3000 euros sera versée au budget de l'État ;... »

L'État est condamné à verser la somme de 2 000 euros à M. MASSOMA.

La somme de 3 000 euros est versée au budget de l'État.

Référence à rappeler pour avoir copie du jugement :

Plein droit, jurisprudence n° 591.

Indemnisation T.A. de Limoges 24/03/2005 RANDRIAMA-


MONJY c/préfet de l'Indre

Requête d'une famille malgache en vue d'obtenir réparation du préjudice su-


bi en raison de l'illégalité de la décision de refus de séjour prise à leur en-
contre par le préfet - Condamnation de l'État à verser des sommes impor-
tantes aux différents membres de la famille.

Le 17 juillet 1996, le préfet de l'Indre oppose un refus à la demande d'attri-


bution de la carte de séjour mention « vie privée et familiale » présentée par
Mme RANDRIAMAMONJY pour elle-même et ses trois enfants mineurs
en vertu de l'article 8 de la CEDH relatif au droit de mener une vie familiale
normale. Reconduite à la frontière, la famille regagne Madagascar, puis dé-
pose un recours contre la décision du préfet auprès du tribunal administratif
de Limoges.

Par jugement du 10 novembre 1999, le tribunal annule le refus du préfet


pour violation de l'article 8 de la CEDH. Par requête du 22 mai 2000, pré-
sentée par son avocat, Mme RANDRIAMAMONJY demande alors au tri-
bunal de condamner l'État à lui verser la somme de 70 432,20 euros en ré-

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paration du préjudice matériel qu'elle estime avoir subi en raison de sa perte
d'allocations diverses et de salaires ou de revenus de remplacement, plus
une somme de 6 098,03 euros en raison de son préjudice moral ainsi que
7 622,53 euros pour son fils mineur Thierry.

Considérant « que Mme RANDRIAMAMONJY bénéficiait de prestations fa-


miliales avant d'être reconduite à la frontière avec ses enfants ; que le mon-
tant mensuel d'environ 3 000 F de ces prestations, tel qu'il ressort des attes-
tations de la caisse d'allocations familiales produite par la requérante, n'est
pas sérieusement contesté par le préfet ; qu'ainsi, et en tenant compte de la
circonstance que ce montant mensuel n'a pu qu'être réduit en raison de
l'âge de la fille de la requérante, qui est devenue majeure dès l'année 1997,
il convient de faire une juste évaluation du préjudice matériel subi par Mme
RANDRIAMAMONJY et son fils Thierry, pour la période comprise entre
le 17 juillet 1996, date de la décision illégale et le 22 mai 2000, date de la
requête dont les conclusions à fin indemnitaire n'ont pas fait l'objet d'une
actualisation, en le fixant à la somme de 8 500 euros (soit 55 755,75 F) ;

Considérant en second lieu, que, dans les circonstances de l'espèce, il sera


fait une juste appréciation du préjudice moral subi par Mme RANDRIAMA-
MONJY et son fils Thierry en leur allouant la somme de 7 000 euros (soit
45 916,50 F) ;...

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, et notamment de la


circonstance que M. et Mlle RANDRIAMAMONJY étaient régulièrement
scolarisés à l'époque le la décision illégale annulée, il sera alloué à chacun
d'eux une somme de 3 000 euros (soit 19 678,50 F) en réparation de l'en-
semble des préjudices qu'ils ont subis ;... »

L'État est condamné à verser à la requérante et à son fils mineur la somme


de 15 500 euros sous réserve de la déduction de 11 433 euros déjà versés à
titre de provision. Également, une somme de 3 000 euros à chacun des deux
enfants devenu majeur. Les sommes ainsi versées porteront intérêt à comp-
ter de la date de réception par le préfet de leur demande préalable.

Référence à rappeler pour avoir copie du jugement :

Plein droit, jurisprudence n° 592.

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