Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
—
Les périodes se suivent et se ressemblent dangereusement. Depuis quelques
années, la question de la lutte contre l’insécurité semble avoir supplanté
toute réflexion sur le modèle de société à construire et les réponses du légis-
lateur nourrissent toujours les mêmes amalgames. Chaque fois qu’il réappa-
raît, le thème de la lutte contre la délinquance entraîne dans son sillon
d’autres réformes visant à remettre en cause des libertés ; les premiers stig-
matisés sont le plus souvent les immigrés, les demandeurs d’asile, mais, se-
lon les moments, les catégories incriminées peuvent être plus larges... Sans
remonter très loin dans le temps, et en laissant de côté la finalité politique
du discours sécuritaire, le regard, fût-il furtif, vers deux périodes récentes,
1986 et 1993, permet de s’en convaincre. Il invite le lecteur à déjà réfléchir
sur la concomitance des projets de lois et les sous-entendus que cette coïn-
cidence suggère.
1
à trouver des responsables. Les pratiques policières sur la voie publique
nourrissent les mêmes associations en stigmatisant la population étrangère
ou que l’on présume telle.
Le législateur aura des réflexes identiques en 1993. Alors même que le code
de procédure pénale vient de s’enrichir de nouvelles dispositions prenant
mieux en compte le principe de la présomption d’innocence, le gouverne-
ment issu des élections législatives de mars fait marche arrière et restitue
notamment au juge d’instruction les pouvoirs qui étaient les siens en ma-
tière de détention provisoire. A nouveau donc, sont déposés dans la foulée
plusieurs projets de lois réformant la procédure pénale, les contrôles d’iden-
tité et... l’ordonnance du 2 novembre 1945 (sans compter la loi Méhaignerie
inventant « la manifestation de volonté » de devenir français pour les jeunes
nés en France). Les mêmes amalgames sont évidemment de mise, et au trai-
tement de « l’insécurité », on répond encore par une restriction des droits et
libertés.
C’est un processus de même nature qui est à l’œuvre aujourd’hui, avec une
plus grande acuité encore, ne serait-ce que parce que les règles déjà adop-
tées ou encore en discussion marquent un recul jamais atteint jusqu’alors et
une remise en cause de principes que l’on croyait acquis. Sur fond de lutte
contre le terrorisme mondial et la montée de l’islamisme radical et en guise
de réponse aux problèmes de violence et de délinquance dont il n’est aucu-
nement démontré qu’ils se soient amplifiés, le législateur a cru bon de dé-
tourner le droit pénal de ses fonctions originelles en inventant des infrac-
tions mettant dans l’embarras la plupart des tribunaux, de tuer à petit feu le
droit d’asile et de déstabiliser le séjour de personnes ayant vocation à s’ins-
taller durablement en France. Il ne lui reste plus – mais le chemin est déjà
pris malgré la décision du Conseil constitutionnel – qu’à massacrer la pro-
cédure pénale et ses principes afférents, notamment en augmentant de façon
considérable les pouvoirs de la police au point de remettre en cause le rôle
alloué au juge d’instruction. Le lien entre immigration et délinquance laisse
entendre, d’une part que le premier phénomène est en lui-même crimino-
gène, d’autre part que ceux qui sont dépourvus d’autorisation de séjour en
France sont tout à la fois livrés et condamnés à la délinquance (prostitution,
emploi dissimulé, ...). A cela s’ajoute une surpénalisation de la matière elle-
même : aggravation des infractions à la réglementation sur les étrangers et
2
création de nouveaux délits spécifiques. Cette image de l’étranger délin-
quant, comme celle du fraudeur, laisse des traces indélébiles dans les repré-
sentations sociales.
3
L'intégration, alibi de la précarisation — Danièle
Lochak
Depuis l’adoption de la loi de 1984 qui a créé la carte de résident, toutes les
réformes – à l’exception de la loi Joxe de 1989 – ont eu pour objet et pour
effet de remettre progressivement en cause l’acquis que représentait ce titre
de séjour délivré de plein droit aux étrangers ayant des attaches person-
nelles ou familiales en France (voir encadré). La loi Sarkozy poursuit cette
entreprise de déstabilisation : elle crée de nouveaux obstacles à l’obtention
de la carte de séjour, notamment pour les conjoints de Français, pour les
étrangers malades, pour ceux qui justifient de dix ans de résidence habi-
tuelle en France ; elle limite les conditions du regroupement familial, no-
tamment en ce qui concerne les ressources ; elle multiplie les hypothèses de
retrait des titres de séjour ; enfin et surtout, elle subordonne, dans une série
de cas, l’obtention d’une première carte de résident à une condition d’inté-
gration.
La carte de résident « doit être réservée à ceux qui ont prouvé une réelle vo-
lonté d’intégration, car l’on ne peut demander à la société française de
vous accueillir pendant une longue période et ne pas avoir le souci de s’y
intégrer », a déclaré le ministre de l’intérieur devant les députés. Le lien
entre intégration et stabilité du séjour se trouve ainsi inversé par rapport à la
logique qui avait présidé à la création de la carte de résident en 1984 : la ga-
rantie de stabilité du séjour avait alors été présentée comme devant favori-
ser l’intégration. En effet, l’innovation fondamentale de la loi Sarkozy, ce
n’est pas de précariser de nouvelles catégories d’étrangers auxquels la carte
de résident ne sera plus délivrée que sous conditions : en cela, elle s’inscrit
au contraire dans la continuité des textes qui l’ont précédée ; c’est de
prendre prétexte de la nécessaire intégration des étrangers pour justifier leur
maintien dans une situation précaire aussi longtemps qu’ils n’ont pas donné
des gages d’intégration. La carotte et le bâton, en somme.
Le spectre du communautarisme
4
Cette injonction est adressée aux nouveaux immigrants dans un contexte
marqué par la thématique de l’opposition entre l’immigration subie, qui
n’inclut pas seulement, aux yeux du ministre de l’intérieur, l’immigration
clandestine, mais aussi le regroupement familial et l’asile, et l’immigration
choisie – choisie « en fonction des besoins de notre économie et de nos ca-
pacités d’intégration ». Tandis qu’il convient d’encourager la seconde, il est
en somme naturel d’imposer à la première des contraintes, d’autant plus né-
cessaires que rôde le spectre du communautarisme : « des communautés is-
sues de l’immigration s’organisent pour résister à l’intégration républi-
caine par des pratiques endogames », « des jeunes françaises issues de
l’immigration sont mariées de force à l’étranger », des jeunes femmes
étrangères, mariées et installées en France, sont privées de l’accès à la
langue française, à la formation professionnelle et à la vie sociale, dit en-
core le ministre, sans craindre d’opérer des amalgames douteux.
Subordonner l’accès à des titres de séjour de longue durée à des gages préa-
lables d’intégration ne peut avoir pour résultat qu’une précarisation de la
condition des étrangers, comme l’atteste le nouveau régime des cartes de
séjour qui généralise la délivrance de la carte temporaire, y compris pour les
étrangers ayant vocation à s’établir en France, et rend plus difficile l’accès à
un titre de séjour de longue durée.
5
qui a proposé de substituer à la formulation initiale, qui faisait référence à
« l’intégration satisfaisante dans la société française » la notion d’intégra-
tion « républicaine ».
6
de solidarité (impôts, prestations sociales) ; la participation à la vie de la
cité ; l’accès à la nationalité française et la citoyenneté (4h30). On a du
mal à imaginer que les stagiaires puissent assimiler autant de choses en si
peu de temps ! et encore plus de mal à croire, dans ces conditions, que la
simple assiduité à ce module de six heures, et même aux cours de français,
seront considérés comme un gage suffisant d’intégration, débouchant ipso
facto sur la délivrance d’une carte de résident.
Cela veut dire, en clair, que les services préfectoraux conserveront un large
pouvoir d’appréciation, en fonction de critères à la fois subjectifs et arbi-
traires, pour décider si l’intéressé remplit ou non la condition d’intégration
républicaine. L’obtention de la carte de résident récompensera un comporte-
ment jugé conforme aux principes de la République française : liberté, éga-
lité, … laïcité ! En ces temps de polarisation sur le foulard, il n’est pas in-
terdit de penser que le port dudit foulard sera au minimum un mauvais
point, au pire un obstacle dirimant à l’obtention de la carte de résident.
Intégration… ou déstabilisation ?
Les premiers visés par cette fragilisation du droit au séjour sont les
membres de famille – conjoint et enfants mineurs : alors qu’ils recevaient
de plein droit un titre de même nature que celui détenu par la personne
qu’ils venaient rejoindre, et donc souvent une carte de résident, ils se ver-
ront délivrer dans tous les cas une carte temporaire d’un an et ne pourront
solliciter une carte de résident qu’au bout de deux ans de présence en
France, et sous condition d’« intégration républicaine ».
7
elle n’aura pas droit à la carte de résident ». On relèvera au passage cette
perversion de la logique et de l’équité qui conduit, pour contraindre les ma-
ris, à faire pression… sur leurs femmes !
Sont aussi visés les parents d’enfants français qui, au nom, cette fois, de la
lutte contre une soi-disant prolifération des « paternités de complaisance »,
se voient supprimer l’accès de plein droit à la carte de résident. Ils ob-
tiennent en compensation, si l’on peut dire, un délai ramené à deux ans (au
lieu de cinq, désormais, dans le cas général) pour solliciter le passage – dis-
crétionnaire et subordonné à la condition d’intégration – à la carte de ré-
sident.
Est enfin supprimé le passage de plein droit à la carte de résident après cinq
ans de séjour régulier en France pour les titulaires de la carte « vie privée et
familiale ». Pour ceux-ci – qui ont par hypothèse des attaches en France – la
délivrance de la carte de résident dépendra encore de l’appréciation discré-
tionnaire du préfet et des gages d’intégration qu’ils seront en mesure de
fournir.
8
qui pèsent sur le budget du demandeur (compte tenu du nombre d’enfants
par exemple) sont trop lourdes par rapport à ses revenus.
En créant une carte de résident que tout étranger qui réside en France régu-
lièrement depuis plus de trois ans a vocation à obtenir, et qui est délivrée de
plein droit à tous ceux qui ont des attaches personnelles ou familiales en
France, en reconnaissant au titulaire de cette carte, valable dix ans et renou-
velable automatiquement, le droit d’exercer sur l’ensemble du territoire la
9
profession de son choix, la loi du 17 juillet 1984 opérait dans le droit de
l’immigration une rupture dont la portée symbolique était aussi importante
que la portée pratique : elle signifiait que la population immigrée n’était
plus considérée comme un volant de main-d’œuvre mais comme une com-
posante de la société française. La loi Pasqua du 9 septembre 1986, sans re-
mettre frontalement en cause la reconnaissance à certaines catégories
d’étrangers d’un droit de demeurer en France fondé sur l’ancienneté du sé-
jour ou sur les liens familiaux noués avec des citoyens français, a restreint
la liste des étrangers pouvant prétendre de plein droit à une carte de ré-
sident.
La loi Joxe du 2 août 1989 est revenue à l’esprit du texte de 1984 en ce qui
concerne l’attribution de plein droit de la carte de résident aux personnes
ayant des attaches personnelles ou familiales en France.
Avec la seconde loi Pasqua de 1993, la délivrance dite « de plein droit » de
la carte de résident n’est plus qu’un faux-semblant dès lors qu’elle est su-
bordonnée à la régularité préalable du séjour et à l’absence de menace pour
l’ordre public ; les conjoints de Français n’ont plus accès à la carte de ré-
sident qu’après un an de mariage et à la condition, souvent difficile à rem-
plir en pratique, d’avoir pu dans l’intervalle se maintenir sur le territoire
français en situation régulière ; les personnes entrées en France avant l’âge
de dix ans n’ont plus la garantie d’obtenir le droit au séjour à leur majorité.
Moins de quatre ans plus tard, le gouvernement doit prendre acte de l’im-
possibilité d’appliquer strictement les textes adoptés : la « loi Debré »
du 24 avril 1997 permet d’accorder une carte de séjour temporaire à cer-
taines des catégories d’étrangers dont la loi Pasqua avait placées dans une
situation inextricable (conjoints de Français, jeunes entrés avant l’âge de six
ans…).
La loi Chevènement a assoupli sur un certain nombre de points la législa-
tion issue des lois Pasqua et Debré en donnant le droit d’obtenir une carte
de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » à ceux
qui ont des attaches en France sans remplir les conditions d’obtention d’une
carte de résident. Mais elle a entériné par là même la précarisation de leur
statut, et cela de façon d’autant plus évidente que, parmi les bénéficiaires
(potentiels) de la carte « vie privée et familiale », figurent des étrangers
auxquels la loi de 1984 avait prévu de délivrer une carte de résident.
10
Un récurrent soupçon de fraude — Nathalie Ferré
L’exposé des motifs de la loi résume l’essentiel des dispositions censées lut-
ter contre l’immigration clandestine, en cherchant à les légitimer par le
combat mené contre les filières mafieuses : « en ce qui concerne la lutte
contre l’immigration clandestine, le projet de loi propose des mesures desti-
nées à agir sur l’ensemble de la chaîne des filières criminelles. Il crée un fi-
chier des empreintes digitales des demandeurs de visas et améliore le fonc-
tionnement des zones d’attente, qui constituent les premiers stades de l’en-
trée ou du maintien irréguliers sur le territoire. Dans le même esprit, il ins-
titue un contrôle des attestations d’accueil dont l’utilisation à des fins d’im-
migration clandestine est patente […]. Il améliore le dispositif de lutte
contre le mariage et les reconnaissances en paternité de complaisance et
donne aux autorités publiques les moyens de mieux contrôler la fraude à
l’état civil étranger. »
Qui peut croire avec honnêteté que ces mesures ont pour premier objectif de
toucher les filières décriées ? Elles frappent les étrangers dans les plus pré-
cieuses de leurs libertés au premier rang desquelles figurent celle de circuler
et le respect de leur vie privée. Faux touristes, faux parents, faux conjoints,
habiles dans leur aptitude à détourner les procédures, à réclamer un droit
qui ne leur est pas dû, telle est la seule figure de l’étranger qui se présente
aux frontières ou aux guichets de nos préfectures. Il faudrait un jour pouvoir
mesurer le mal produit par les interventions successives du législateur avec
cette entreprise de destruction comme facteur d’exclusion, de xénophobie et
de racisme. Comment peut-on croire à la sincérité des discours sur la lutte
contre les discriminations quand l’autre est sans cesse désigné comme un
délinquant, un vil personnage dans lequel on ne saurait avoir confiance ?
11
véritable sésame, les procédures permettant d’entrer légalement en France
sont placées sous très haute surveillance.
Celui qui veut accueillir n’est pas mieux traité et son portrait n’est pas plus
flatteur. Il est soupçonné de remplir des attestations d’accueil de complai-
sance. Aussi, pour pouvoir repérer les coupables et chasser les fraudes en ce
domaine, la loi crée un fichier des hébergeants dans chaque mairie : « Les
demandes de validation des attestations d’accueil peuvent être mémorisées
et faire l’objet d’un traitement automatisé afin de lutter contre les détourne-
ments de procédure. Les fichiers correspondants sont mis en place par les
maires […] ».
12
Ainsi, celui qui a établi une attestation d’accueil, validée ou non, devient un
tricheur potentiel dont il faut à l’avenir surveiller le comportement. Lors-
qu’il voudra à nouveau accueillir des proches ou faire une nouvelle tenta-
tive, il sera aisé de le repérer en consultant le fichier. Non seulement le
maire refusera de valider le document, comme la loi l’y autorise désormais
(les attestations antérieures signées par l’hébergeant faisant « apparaître, le
cas échéant après enquête […] un détournement de la procédure »), mais,
de plus, la personne risque d’être poursuivie pour aide à l’entrée et/ou au
séjour irrégulier, en application de l’article 21 de l’ordonnance. Le Conseil
constitutionnel, dans sa décision du 20 novembre 2003, n’a rien trouvé à re-
dire à ces mécanismes de contrôle, dangereux pour les libertés indivi-
duelles, et a considéré que le dispositif opérait « entre le respect de la vie
privée et la sauvegarde de l’ordre public une conciliation qui n’est pas ma-
nifestement déséquilibrée ».
Dès lors, l’officier d’état civil devait saisir le préfet, ce qui, en pratique, re-
venait à empêcher les personnes sans papiers de se marier. Ces dispositions
portaient incontestablement atteinte à la liberté de se marier, ce que le
13
Conseil constitutionnel avait déjà sanctionné dans sa décision du 13 août
1993. Aujourd’hui, celui-ci rappelle sa position : « si le caractère irrégulier
du séjour d’un étranger peut constituer dans certaines circonstances, rap-
proché d’autres éléments, un indice sérieux laissant présumer que le ma-
riage est envisagé dans un autre but que l’union matrimoniale, le législa-
teur, en estimant que le fait pour un étranger de ne pouvoir justifier de la
régularité de son séjour constituerait dans tous les cas un indice sérieux de
l’absence de consentement, a porté atteinte au principe constitutionnel de
la liberté du mariage [1].
Il n’est pas utile de faire des paris pour savoir dans quelles hypothèses on y
aura recours. Il ne reste finalement pas grand chose du dessein originel du
législateur, si ce n’est la possibilité, pour le ministère public, de surseoir à la
célébration du mariage pendant deux mois (un mois renouvelable) et non
plus un, comme c’était le cas auparavant. Du temps supplémentaire pour
mettre au point les départs forcés. Il demeure de toutes les façons, et au re-
gard des pratiques, toujours très difficile pour un étranger en situation irré-
gulière de se marier avec un(e) Français(e).
14
Faux mariages et « enfants blancs »
Les parents d’enfants français sont encore moins bien lotis. Parce qu’il n’est
pas concevable d’exercer un contrôle en amont, le législateur a fait le choix
de supprimer purement et simplement la possibilité, pour ces derniers, d’ob-
tenir « de plein droit » une carte de résident. Les paternités de complai-
sance – ou les « enfants blancs », comme le monde associatif s’était amusé
à le dire au moment des discussions autour de la loi Joxe – seraient deve-
nues, selon les responsables politiques, une pratique courante pour remédier
à une situation administrative précaire ou pour échapper à une mesure
d’éloignement.
Les parents ne peuvent donc prétendre désormais qu’à une carte d’un an, à
condition de faire la preuve qu’ils contribuent effectivement à l’entretien et
à l’éducation de l’enfant dans les conditions prévues par le code civil
(« chacun des parents contribue à l’entretien et à l’éducation des enfants à
proportion de leurs ressources, de celles de l’autre parent, ainsi que des be-
soins de l’enfant » [4]). Cette référence au devoir d’entretien, qui régit en
droit commun les rapports entre parents et enfants, laisse présumer que les
étrangers démunis de titre de séjour se désintéressent habituellement du sort
de leur enfant et qu’ils sont animés, là encore, par le seul dessein de régula-
riser leur situation administrative. Il faudra donc les mettre sous sur-
15
veillance en les maintenant, à supposer qu’ils aient pu établir préalablement
le respect de leur obligation auprès des autorités préfectorales, sous titre
précaire le temps que ces mêmes autorités le jugeront nécessaire. Désignés
par la loi comme de faux parents, ils devront se montrer plus qu’exem-
plaires pour renverser cette terrible présomption.
Enfin, parce que l’étranger est prompt à usurper l’identité d’autrui – et les
qualités qui l’accompagnent –, la loi détruit la règle, inscrite dans le code
civil depuis 1938, en vertu de laquelle les actes de l’état civil des étrangers
rédigés selon la loi locale font foi, c’est-à-dire sont supposés dire la vérité.
Elle vient en réalité consacrer les pratiques administratives consistant à re-
mettre systématiquement en cause les actes étrangers. Il résulte tant de ces
pratiques que des débats parlementaires que le fonctionnement de l’état ci-
vil, dans les pays pauvres, est nécessairement considéré comme déficient, et
que les administrations locales concernées sont complices des fraudes dé-
busquées en France.
Dangereux amalgame
Par son obsession à lutter contre les pratiques frauduleuses, intimement liée
à la politique de fermeture des frontières, la réglementation produit elle-
même des situations de clandestinité. Elle plonge délibérément dans la pré-
carité des personnes qui, de par leurs liens familiaux, ont vocation à s’ins-
taller durablement en France. Elle conduit aussi certains à prendre des voies
16
détournées pour trouver une terre d’accueil. Mais est-ce pour autant ce que
l’on nomme « fraude » ?
Notes
[1]
Décision n° 2003-484 du 20 novembre 2003 sur la loi relative à la maî-
trise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la natio-
nalité.
[2]
Il faudra aussi attendre un délai de deux ans depuis la célébration du
mariage pour pouvoir acquérir la nationalité française en application
de l’article 21-2 du code civil modifié. Ce délai est même porté à trois
ans lorsque l’étranger, au moment de sa déclaration, ne justifie pas
avoir résidé de manière ininterrompue pendant au moins un an en
France à compter du mariage. Enfin, l’époux doit justifier à la date de
la déclaration que la communauté de vie, tant affective que matérielle,
n’a pas cessé.
[3]
On peut aussi évoquer, dans le même ordre d’idée, la nouvelle régle-
mentation sur le regroupement familial prévoyant la remise en cause
de l’admission au séjour du conjoint en cas de rupture de la vie com-
mune dans les deux ans suivant la délivrance de son titre de séjour.
[4]
Art. 371-2 du code civil.
[5]
17
Bien que, sous la IIIe République, la France soit présentée comme une
« Nation accueillante et hospitalière », elle prend des mesures jugées
nécessaires pour que « les étrangers n’apportent pas le trouble et le
désordre ». Ainsi, par la loi du 2 octobre 1888, elle met en place pour
la première fois un mécanisme de contrôle propre aux non-nationaux :
l’obligation de déclarer leur présence en mairie dans les quinze jours
suivant l’arrivée sur le territoire. S’en suivront d’autres dispositifs jus-
qu’à la création, en 1917, de la carte d’identité d’étranger dont la dé-
tention est obligatoire.
18
Naïma et Rachid au pays des maires — Chris-
tophe Daadouch
Rachid M. est ressortissant marocain en situation irrégulière et habite la
commune de Meuilly s/Seine depuis plusieurs années. Il rencontre un jour
Naïma Z. également marocaine, titulaire d’une carte de résident et demeu-
rant aussi dans la commune de Meuilly.
Par malchance, son acte de naissance paraît douteux à l’agent d’état civil
qui instruit le dossier. L’orthographe de son nom n’est pas tout à fait la
même que sur son passeport. Conformément à l’article 47 du code civil mo-
difié par la loi Sarkozy, si « d’autres actes ou pièces détenus, des données
extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent que cet acte
est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent
pas à la réalité », l’agent sursoit à la demande. Ce dernier invite alors genti-
ment l’intéressé à saisir le procureur de la République de Nantes pour qu’il
soit procédé à la vérification de l’authenticité de l’acte. Le doute étant
contagieux, le procureur fait procéder à des investigations auprès des autori-
tés consulaires compétentes.
19
pour avoir de tels projets avec Naïma. A celle-ci on indiquera que Rachid
étant en situation irrégulière, il encourt un éloignement et une sanction pé-
nale. Quant à elle, conformément au nouvel article 21 quater ajouté par la
loi du 26 novembre 2003, on lui précise que « le fait de contracter un ma-
riage aux seules fins d’obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour, ou aux
seules fins d’acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité française est puni
de cinq ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »
Voyons donc ailleurs… ça y est, lors de l’entretien, Rachid n’était pas fichu
de connaître la date de naissance de sa future. Et, en plus, on a pu repérer
une « attitude distante » entre les deux futurs époux (voir note n° 3) au mo-
ment où on a évoqué la peine de cinq ans de prison !
Le procureur étant saisi et ayant besoin de temps pour mener son enquête, il
utilise les deux mois auxquels il a désormais droit (article 175-2 modifié)
(voir note n° 1) pour faire connaître aux intéressés son verdict. Après une
nouvelle audition, cette fois-ci diligentée par le procureur, les intéressés
sont autorisés à se marier et le maire en est aussitôt avisé.
Mais voilà que Rachid et Naïma se sont mis en tête de faire venir en France
la mère de Naïma pour qu’elle assiste à la cérémonie de mariage. Bien sûr,
ils savent qu’ils doivent demander une attestation d’accueil en mairie.
Certes, ils veulent bien prendre le risque de payer désormais quinze euros
de frais sans aucune garantie d’obtenir l’attestation en question. Ils sont
même d’accord pour contracter une assurance privée couvrant les frais de
santé éventuels de leur invité, conformément à l’article 5 modifié de l’or-
donnance (voir note n°4). Ils acceptent même de figurer dans le fichier in-
formatique municipal des hébergeants que leur maire a décidé de mettre en
œuvre, en application de l’article 5.3 modifié. Mais de là à accepter une vi-
site à leur domicile par des agents municipaux (article 5.3 modifié)…! Sur-
tout que les « agents des services sociaux spécialement habilités » sont les
20
mêmes que ceux qui gèrent le dossier d’aide sociale de Naïma au centre
communal d’action sociale.
Bref, le mariage se fit sans la mère de Naïma et ils eurent… beaucoup d’en-
nuis.
Il faut dire que Rachid, qui entend régulariser sa situation, s’est entêté à
vouloir respecter la loi et a décidé de partir au Maroc pour revenir par le
biais du regroupement familial. Et, qui viendra visiter l’appartement de Naï-
ma dans le cadre de la procédure du regroupement familial modifiée par la
loi de novembre 2003 ?… Les services municipaux ! D’ailleurs, bientôt
Naïma leur laissera les clés...
Après des mois d’attente et une contre-visite par l’OMI, Rachid arrive en
France. Oh, certes, il n’a plus droit à la carte de dix ans comme avant la ré-
forme Sarkozy (voir note n° 5) mais, après tout, la carte d’un an fera l’af-
faire, au moins provisoirement, pense-t-il.
Deux ans plus tard, Rachid se dit qu’il est temps, conformément au nouvel
article 14 de l’ordonnance de 1945 (voir note n° 6), de demander une carte
de résident.
21
chid ne parlerait pas bien le français. Pour parfaire son opinion, et confor-
mément à l’article 6 modifié (voir note n° 7), le préfet décide de saisir celui
qui connaît le mieux Rachid, à part sa mère, … le maire.
Alors, que faire face à un tel harcèlement ? Déménager ? Sauf que depuis la
suppression du contingent préfectoral de logements en décembre 2003 (voir
note n° 8), le maire est l’unique décideur du logement social. Et ceux des
communes voisines ne veulent pas de Rachid et de Naïma puisqu’ils re-
lèvent de la commune de Meuilly.
Si, au moins, Rachid et Naïma pouvaient voter, ils lui feraient savoir, au
maire de Meuilly, ce qu’ils pensent de lui… ?
22
riage ou s’il s’oppose à sa célébration. L’un ou l’autre des futurs époux,
même mineur, peut contester la décision de sursis ou son renouvellement
devant le président du tribunal de grande instance, qui statue dans les dix
jours. La décision du président du tribunal de grande instance peut être dé-
férée à la cour d’appel qui statue dans le même délai.
Art. 175-2 modifié du code civil
2/ [...] « Considérant, toutefois, que le respect de la liberté du mariage,
composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la
Déclaration de 1789, s’oppose à ce que le caractère irrégulier du séjour
d’un étranger fasse obstacle, par lui-même, au mariage de l’intéressé ;
« Considérant, en premier lieu, que, si le caractère irrégulier du séjour
d’un étranger peut constituer dans certaines circonstances, rapproché
d’autres éléments, un indice sérieux laissant présumer que le mariage est
envisagé dans un autre but que l’union matrimoniale, le législateur, en esti-
mant que le fait pour un étranger de ne pouvoir justifier de la régularité de
son séjour, constituerait dans tous les cas un indice sérieux de l’absence de
consentement, a porté atteinte au principe constitutionnel de la liberté du
mariage ; [...] »
Décision du Conseil constitutionnel (20
novembre 2003, n° 2003-484)
3/ « Il y a lieu d’appeler l’attention des officiers de l’état civil plus particu-
lièrement sur les éléments suivants :
[...] – attitude distante des époux, [...] »
Circulaire du garde des sceaux du 16 juillet 1992 relative à l’harmoni-
sation des pratiques des parquets en matière de consentement au ma-
riage
4/ Pour entrer en France, tout étranger doit être muni :
[...]
2° Sous réserve des conventions internationales, du justificatif d’héberge-
ment prévu à l’article 5-3, s’il est requis, et des autres documents prévus
par décret en Conseil d’Etat relatifs, d’une part, à l’objet et aux conditions
de son séjour et, d’autre part, s’il y a lieu, à la prise en charge par un opé-
rateur d’assurance agréé des dépenses médicales et hospitalières, y com-
pris d’aide sociale, résultant de soins qu’il pourrait engager en France,
ainsi qu’aux garanties de son rapatriement ; [...]
Art 5, ord. 45
5/ Les membres de la famille entrée régulièrement sur le territoire français
23
au titre du regroupement familial reçoivent de plein droit une carte de sé-
jour temporaire, dès qu’ils sont astreints à la détention d’un titre de séjour.
Art. 29, ord. 45
6/ La carte de résident peut également être accordée :
– au conjoint et aux enfants mineurs [...] d’un étranger titulaire de la carte
de résident, qui ont été autorisés à séjourner en France au titre du regrou-
pement familial et qui justifient d’une résidence non interrompue [...] d’au
moins deux années en France. [...]
Dans tous les cas prévus au présent article, la décision d’accorder la carte
de résident est subordonnée à l’intégration républicaine de l’étranger dans
la société française dans les conditions prévues à l’article 6.[...]
Art. 14, ord. 45
7/ [...] Pour l’appréciation de la condition d’intégration, le représentant de
l’Etat dans le département ou, à Paris, le préfet de police, peut saisir pour
avis le maire de la commune de résidence de l’étranger qui sollicite la carte
de résident. [...]
Art. 6, ord. 45
8/ Le décret en Conseil d’Etat prévu à l’article L. 441-2-6 [...] détermine
également les limites et conditions de réservation des logements par le
maire ou, par délégation du maire, le président de l’établissement public de
coopération intercommunale au profit des personnes prioritaires, notam-
ment mal logées ou défavorisées.
Article L. 441-1 du code de la construction et de l’habitation
(Texte voté par le Sénat le 17 novembre 2003)
24
Délit de solidarité — Violaine Carrère, Véronique
Baudet
« Si la solidarité est un délit, je demande à être poursuivi(e) pour ce délit ».
354 organisations, et près de 20 000 personnes ont à ce jour signé le « Ma-
nifeste des délinquants de la solidarité » qui se conclut par cette phrase,
écho d’autres démarches semblables : le manifeste « des 343 salopes » lan-
cé, le 5 avril 1971, pour réclamer le droit à l’avortement, et d’autres encore
dont, déjà sur le thème des étrangers et sans-papiers, la campagne de déso-
béissance civile menée en 1997 contre l’obligation prévue dans le projet de
loi Debré, pour toute personne ayant signé un certificat d’hébergement,
d’informer la préfecture du départ de l’étranger. Autres temps, autres
mœurs, la campagne de 97, connue également sous le nom d’« appel
des 66 cinéastes », avait recueilli, elle, 120 000 signatures… À l’époque, le
gouvernement avait dû reculer face aux protestations venant de milieux di-
vers, indignés à l’idée qu’on entrave leur liberté d’accueillir qui bon leur
semblait.
25
La solidarité : un délit ? Bien sûr, aucun projet de loi n’a – jusqu’à présent –
institué un tel délit. Concernant les étrangers, le délit auquel le Manifeste
fait référence s’appelle « aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irrégu-
liers d’un étranger en France ». Depuis 1945, la définition de ce délit et les
sanctions encourues ont considérablement évolué. Chaque réforme législa-
tive a été l’occasion d’aggraver ces sanctions, d’ajouter des peines complé-
mentaires. Les immunités familiales mises en place en 1996 apparaissent
comme une protection bien mince. Quant à l’immunité prévue dans la loi
du 26 novembre 2003 pour les associations et autres personnes physiques
ou morales qui apportent une aide aux sans-papiers, les conditions de sa
mise en œuvre sont tellement restrictives qu’elles font craindre le pire.
Au passage, on peut se demander s’il est justifié de ranger dans la même ca-
tégorie le passeur sans scrupule, qui fait payer un prix exorbitant, avec la
promesse de les aider à franchir des frontières, à des personnes qu’il aban-
donnera éventuellement en haute mer ou en plein désert, et le chauffeur rou-
tier qui accepte de prendre à son bord des étrangers désireux d’entrer en Eu-
26
rope pour y demander l’asile, et qui demande à être payé pour le risque
qu’il prend… Mais la lutte contre l’immigration illégale ne s’embarrasse
pas de telles considérations.
Le seul fait de ne pas prendre en compte les motifs de l’aide ouvre la porte
à toutes les dérives possibles. La rédaction du texte, ses ambiguïtés sus-
citent des inquiétudes [1]. Qui sont véritablement les personnes visées par
l’article 21 ? Les poursuites qui ont été initiées sur le fondement de ce texte
ont montré qu’il pouvait concerner bien d’autres personnes que des trafi-
quants et des réseaux mafieux. Au cours de la fin de la décennie, on a ainsi
vu condamner une jeune femme qui avait tenté de se marier deux fois avec
des étrangers en situation irrégulière, une personne qui avait aidé des
membres de sa famille à passer la frontière, une autre pour avoir hébergé à
son domicile un étranger en ayant connaissance de sa situation irrégulière…
27
Dans les milieux professionnels de l’aide sociale, par exemple parmi les
responsables de structures destinées à accueillir les personnes démunies,
dont des étrangers en situation irrégulière, on s’interroge. En octobre 1995,
le directeur général de la Fédération nationale des associations d’accueil et
de réinsertion sociale (FNARS) pose au ministère de la justice la question
des risques encourus par les centres d’hébergement et de réinsertion sociale
(CHRS) qui accueillent des étrangers en situation irrégulière. Le ministère
précise alors que l’article 21 ne peut trouver application que « s’il est dé-
montré chez l’agent une réelle intention de commettre le délit concerné
c’est-à-dire faciliter le séjour irrégulier de l’étranger ». Or, assure-t-il, tel
n’est pas le cas dans les CHRS « puisqu’il n’y a pas volonté de la part des
responsables desdits centres de violer la loi pénale, mais seulement de por-
ter secours à des personnes se trouvant dans le désarroi » [2].
28
ger, aux frères et sœurs de l’étranger et leurs conjoints, à la personne qui vit
notoirement en situation maritale avec lui. Mais par ailleurs, une fois en-
core, les sanctions sont aggravées lorsque l’infraction est commise en
« bande organisée » sans que cette notion fasse l’objet d’une définition pré-
cise.
Poursuites
29
d’apporter une aide humanitaire à la personne concernée ». Or, ni la condi-
tion de « but lucratif », ni la clause humanitaire ne sont reprises dans le
texte français. Selon le rapporteur du projet à l’Assemblée nationale, « le
gouvernement estime souhaitable, en effet, que le principe de la sanction de
l’aide à l’entrée et au séjour irréguliers ne souffre aucune exception qui ris-
querait d’en atténuer la portée ou d’en restreindre l’efficacité ». L’objectif
est clairement affiché.
30
pas à ouvrir des comptes à leur nom. Le 22 avril 2003, la police débarque
au petit matin chez l’un d’eux, Charles Frammezelle, dit Moustache. Placé
en garde à vue, il est mis en examen au titre de l’article 21. L’abbé Bou-
toille, doyen de Calais, déclare : « À travers “Moustache”, c’est l’action du
collectif qui est visée pour cacher le silence et l’indifférence des hommes
politiques et l’échec de l’après Sangatte. Ceux qui devraient passer en jus-
tice sont ceux qui ne portent pas secours à des hommes en danger » [5].
Ennemis de la nation
Enfin, se multiplient également les affaires liées à des protestations sur les
conditions d’expulsion en avion d’étrangers refoulés du territoire. Si l’incri-
mination n’est pas la même, si ces personnes ne sont pas poursuivies sur le
fondement de l’article 21, on retrouve dans ces affaires l’esprit de la répres-
sion visée par l’article 21. Trois Maliens d’un vol Paris-Bamako, Romain
Binazon, porte-parole de la Coordination des Sans-papiers, à bord d’un
autre vol, six passagers français le 17 avril, d’autres encore sont ainsi incul-
pés, soit pour rébellion et incitation à la rébellion, soit pour « entrave à la
circulation d’un aéronef », et tous sont condamnés à des peines d’amende.
Lors d’une des audiences, la magistrate explique que si on laisse ces mou-
vements d’indignation s’exprimer, il n’y aura plus de reconduite possible !
31
la « bienveillance » dont ses services ont toujours fait preuve à l’égard de
ceux qui ont des objectifs non condamnables. Mais l’incrimination peut
continuer à susciter les inquiétudes des milieux associatifs, qu’il s’agisse
d’associations qui s’occupent d’aide aux personnes démunies, ou de dé-
fense des droits des étrangers. Elle peut également inquiéter toute personne
qui par solidarité apporte une aide, de quelque forme que ce soit, à une per-
sonne étrangère en situation irrégulière.
Notes
[1]
Voir sur ce point : Benoît Mercuzot « L’article 21 de l’ordonnance
n° 45-2658 du 2 novembre 1945 : un délit aux fondements du droit »,
Dalloz 1995, chronique p. 149 - Benoît Mercuzot, « Délit d’humani-
té », Plein droit n° 27, juin 1995.
[2]
Lettre du ministère de la justice du 21 décembre 1995.
[3]
Conseil constitutionnel, 16 juillet 1996, décision n° 96-377 DC, JO
du 23 juillet.
[4]
La France a signé ce protocole qui doit prochainement entrer en vi-
gueur après sa publication au Journal officiel.
[5]
Propos cités par La Voix du Nord, 26 avril 2003.
[6]
On peut lire ce courrier et l’analyse critique qu’en a faite le Gisti, sur
le site du Gisti : www.gisti.org/manifeste
32
L'asile dans le pot commun de l'immigra-
tion — Jean-Pierre Alaux
L’attitude de l’actuel gouvernement répète à l’identique celle de tous ses
prédécesseurs – de gauche et de droite – depuis la fin des années 80. Ce
consensus a donné lieu à une série de réformes visant d’abord à créer des
conditions difficiles de vie aux requérants (suppression du droit au travail
en 1991), puis à compliquer l’arrivée des victimes de persécutions sur le
territoire français (pénalisation des transporteurs, création des zones d’at-
tente en 1991), enfin à conditionner la demande d’asile à une autorisation
de séjour (réforme Pasqua de 1993).
33
A y regarder de près, il semble que l’évolution des taux de reconnaissance
du statut de réfugié [3] dépende moins de la réalité objective des persécu-
tions subies que du nombre de candidats. Plus il y a de postulants, moins on
admet de réfugiés en proportion : quand, en 1974, ils sont à peine 2 000, on
ne voit pas d’inconvénient à donner le statut à 90 % d’entre eux ; en 1981,
le fait qu’on en compte 20 000, leur vaut un début de diminution du taux de
réponses positives (77,7 %). Puis c’est l’effondrement : en 1985, 43,3 %
des 29 000 requérants seront protégés ; en 1990, alors qu’on enregistre un
pic de 61 000 requêtes, il n’y a plus que 15,5 % de lauréats ; une année plus
tard, il y a 46 800 postulants et le taux de reconnaissance remonte à 19,7 %.
Ce « numerus clausus » inavoué reste aujourd’hui la pierre angulaire de la
politique française de l’asile : en 1999, le taux de reconnaissance s’établit
à 19,3 % pour 24 200 demandes ; et, puisqu’en 2000 le nombre de ces de-
mandes a frisé les 39 000, il est « logique » que le taux des reconnaissances
ait fléchi à 17,1 %. En 2001 et en 2002, malgré 47 000 et 56 000 demandes,
il s’est néanmoins maintenu à 18 % et 17 %. Il est vrai qu’on est tombé pro-
gressivement si bas que les fluctuations n’ont plus désormais qu’une valeur
arithmétique.
34
valables de leur entrée ou présence ir- régulières » [5]. Cette impunité à
l’égard de ce qui constitue, dans tout autre domaine, une violation d’une
prérogative essentielle des États, comme leur protection à l’encontre de
l’éloignement [6], accorde aux victimes de persécutions et candidats à
l’asile un statut spécifique qui les place hors du champ de l’immigration.
35
La commission de recours des réfugiés peut statuer par ordonnances
(nouvel art. 5-V), c’est-à-dire sans entendre les requérants : les prési-
dents de section « peuvent donner acte des désistements, constater
qu’il n’y a pas lieu de statuer sur un recours et rejeter les recours en-
tachés d’une irrecevabilité manifeste non susceptible d’être couverte
en cours d’instance. Ils peuvent également statuer sur les demandes
qui ne présentent aucun élément sérieux susceptible de remettre en
cause les motifs de la décision du directeur général de l’office ».
L’asile subsidiaire s’applique « à toute personne qui ne remplit pas les
conditions d’octroi du statut de réfugié (...) et qui établit qu’elle est ex-
posée dans son pays à l’une des atteintes graves suivantes :
la peine de mort ;
la torture, ou une peine ou un traitement inhumain ou dégradant ;
une menace grave et individuelle contre la vie ou la personne
d’un civil en raison d’une violence in aveugle résultant d’une si-
tuation de conflit armé interne ou international ».
Prochain décret :
des obstacles supplémentaires
L’application d’un nombre conséquent des dispositions prévues par la loi va
être définie par un décret qui s’annonce très pénalisant pour les demandeurs
d’asile. A ce point que, dans son avis du 22 janvier 2004, la Commission
nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) regrette que, de fa-
çon générale, ce texte « fixe des contraintes (…) aux demandeurs d’asile
(…) sans préciser les obligations à leur égard »(1).
A titre d’exemples, on peut citer les chaussetrappes suivantes :
36
les préfets peuvent saisir l’Ofpra d’une demande de réexamen du béné-
fice de la protection subsidiaire en vue d’en obtenir l’annulation
qu’elles soient positives ou négatives, les décisions de l’Ofpra peuvent
faire l’objet de recours devant la Commission des recours des réfugiés
(CRR) dans un délai d’un mois. Cette disposition donne, sans le dire,
aux préfets le pouvoir de s’opposer ainsi à des accords de l’Ofpra ;
le directeur général de l’Ofpra peut, pendant deux mois, former un
« recours en révision » contre une décision de la CRR, s’il estime qu’il
y a eu fraude du requérant.
La réforme n’a pas osé aller au-delà, c’est-à-dire interdire aux ressortissants
de pays considérés comme sûrs ou partiellement sûrs de s’exiler. Mais la
tentation est grande de franchir bientôt le pas à l’échelle européenne,
comme on l’a vu au sommet de Thessalonique en juin dernier avec les pro-
positions de Tony Blair sur la création de « camps de transit » hors du terri-
toire de l’Union européenne [8]. Faute de pouvoir immédiatement interdire
la circulation des demandeurs d’asile, on multiplie les cas de figure où leur
déplacement pourrait ne servir à rien.
37
Au service de cet objectif, tous les moyens sont bons, au prix même de cer-
taines incohérences. Ainsi, si le gouvernement Raffarin justifie nombre de
ses inspirations par le souci d’intégrer à sa politique de l’asile les normes
définies dans le cadre de l’Union européenne (lire dans ce numéro « L’asile
menacé par l’harmonisation », p. 58), il n’hésite pas à lui faire subir une vé-
ritable nationalisation. L’Ofpra qui, jusqu’à la réforme, était « soumis à [la]
surveillance » du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés
(HCR) n’est plus tenu que de « coopérer » avec lui et de « faciliter sa mis-
sion de surveillance » (art. 2 de la nouvelle loi). Même symbolique, cette
évolution constitue une véritable rupture avec les choix internationa-listes
qui avaient délibérément présidé, en 1952, à l’adoption de la loi fran-
çaise [9].
38
sion au séjour du demandeur d’asile », le ministère de l’intérieur impose, à
la faveur de la réforme, ses soucis de répression à des institutions vouées à
la protection. Il avait fait irruption directe en amont de la procédure ; le voi-
là qui parasite maintenant en aval Ofpra et CRR pour les faire participer à
l’éloignement.
Précarisation subsidiaire
Cette banalisation de l’asile visant à le fragiliser dans les pratiques sans oser
le désacraliser dans les idées s’opère aussi par l’apparition de l’« asile sub-
sidiaire » qui, d’inspiration européenne, remplace l’asile territorial inventé,
en 1997, par le gouvernement Jospin. Nul sans doute ne regrettera cette pro-
tection dont le ministre de l’intérieur s’était assuré le contrôle et qui n’a
protégé qu’une pincée de requérants.
L’asile subsidiaire (nouvel art. 2-II-2) relève, pour sa part, des compétences
de l’Ofpra et de la CRR. On pourrait se féliciter du retour de toutes les
formes de protection dans le giron des instances spécialisées s’il ne s’agis-
sait incidemment de leur faire légitimer la précarisation des réfugiés. Car,
comme pour son ancêtre territorial, le bénéfice de l’asile subsidiaire donne
droit à un titre provisoire de séjour. De ce fait, la réforme prévoit que l’Of-
pra « peut refuser à chaque échéance de [le] renouveler lorsque les circons-
tances ayant justifié son octroi ont cessé d’exister ou ont connu un change-
ment suffisamment profond pour que[la protection] ne soit plus requise ».
Il est clair que cette précarisation contribue à son tour à rapprocher l’asile
de l’immigration et, ce faisant, à légitimer d’avance d’autres réformes qui
porteront plus encore atteinte à l’asile et aux droits qui lui sont traditionnel-
lement liés.
Dissuasion et rejet
39
moque des incohérences pourvu qu’elle parvienne, d’une part, à dissuader
les persécutés de venir se mettre à l’abri sur son territoire et, d’autre part, à
recaler les plus obstinés d’entre eux. Il en est de même depuis des décen-
nies.
40
en sorte que le retour vers leur pays d’origine des personnes dont la de-
mande d’asile a été refusée se fasse plus rapidement » [12]. Tout bien réflé-
chi, ne serait-on pas fondés à conclure de cette casuistique que l’« abus »
pourrait être à l’asile ce que la « capacité d’accueil » est à l’immigration ? ?
Notes
[1]
Loi 2003-1176 du 10 décembre 2003 (JO du 11 décembre 2003) modi-
fiant la loi du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile.
[2]
Initialement Belgique, France, Luxembourg, Pays-Bas, RFA. Autriche,
Danemark, Espagne, Finlande, Grèce, Italie, Portugal et Suède ont
adhéré depuis à la Convention. Norvège et Islande, non membres de
l’UE, ont le statut d’associés. L’espace Schengen va encore s’agrandir
à l’occasion de l’élargissement de l’UE.
[3]
Par commodité, on prend ici pour base de calcul les données statis-
tiques de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides - OF-
PRA -, tout en sachant que le nombre réel des statuts de réfugiés re-
connus chaque année est en moyenne inférieur de moitié à ce qui est
affiché par l’Office. En effet, l’OFPRA intégrait, jusqu’en 2001 com-
pris, dans ses comptes le nombre de statuts reconnus aux enfants des
réfugiés quand ils atteignent l’âge de 18 ans.
[4]
Les données du tableau sont tirées des bilans annuels de l’OFPRA.
Voir l’analyse d’Antoine Decourcelle dans « Que reste-t-il du droit
d’asile ? », L’esprit frappeur, Paris, mars 2001.
[5]
Article 31 de la Convention de Genève.
[6]
Articles 32 et 33 de la même convention.
[7]
A noter que le Canada et les Etats-Unis se sont entendus dès
le 30 août 2002 sur des notions de même nature. Voir à l’adresse http:
//www.cic.gc.ca/francais/politiques/pays-surs.html
[8]
41
« L’Europe ne renonce pas à des centres hors de l’UE », le Monde,
21 juin 2003. Lire aussi Plein droit n° 57, juin 2003, notamment son
éditorial « Magouilles européennes sur l’asile ».
[9]
Lire la conférence donnée de 18 juin 2001 à l’Institut international des
droits de l’homme (Strasbourg) par Michel Rimbaud, ancien directeur
de l’OFPRA, à l’adresse http:// www.ofpra.gouv.fr/images1/21732.pdf
[10]
Exposé des motifs de projet de loi de réforme de l’asile (texte examiné
en conseil des ministres le 15 avril 2003).
[11]
Statistiques du HCR citées dans « Les Quinze à la recherche d’une po-
litique de l’immigration », le Monde, 23 mai 2002.
[12]
Conclusions de la présidence de l’Union à l’issue du conseil de Séville
des 21 et 22 juin 2002.
42
Double peine : une réforme de dupes — Stéphane
Maugendre
Il y a deux ans, à l’initiative de la Cimade et avec le soutien médiatique du
film de Bertrand Tavernier, « Histoires de vies brisées » démarrait une cam-
pagne contre la double peine. Les propositions faites par les initiateurs de
cette campagne paraissaient pour le Gisti (mais aussi, semble-t-il pour le
Mrap, la Ligue des droits de l’homme et d’autres) être a minima, parce
qu’elles ne prenaient pas en compte deux principes pour lesquels ces der-
nières associations se battaient depuis plus d’une quinzaine d’années. Le
premier était que l’interdiction du territoire français (ITF), peine archaïque,
criminogène et contraire à l’égalité de tous les justiciables devant la loi pé-
nale, devait disparaître du code pénal et de tout texte répressif. Le second
considérait que l’expulsion ne devait plus être une conséquence directe
d’une condamnation pénale, mais devait être prononcée, à la suite d’un dé-
bat contradictoire préalable, par l’administration, c’est-à-dire le ministère
de l’intérieur, de façon exceptionnelle au regard d’un risque avéré d’un
trouble grave à la sécurité publique.
43
droite parlementaire, articles dans un grand nombre de journaux... et même,
au dernier moment, une timide avancée de Lionel Jospin.
Effet d’annonce
44
A peine le rapport fut-il rendu que le ministre de l’intérieur annonçait que la
double peine était abolie. Cette annonce, ultra-médiatisée, devenait une réa-
lité pour tous, y compris pour les victimes de la double peine. En fait, le
projet de loi qui a suivi, loin de remettre en cause l’ITF, a repris les proposi-
tions de la commission Mignon, qui écartait toute idée d’abrogation de cette
peine complémentaire pour deux raisons principalement :
45
positif double peine faisant partie du projet de loi sur l’immigration, il
convenait de dénoncer la réforme dans sa globalité.
46
sécurité publique, ou ne pas avoir été condamné à une peine au moins égale
à cinq ans. De plus, on peut toujours être condamné par un tribunal correc-
tionnel à une ITF, il suffit que celui-ci motive spécialement sa décision. La
loi n’apporte donc rien par rapport au dispositif antérieur.
Une peine./
La plate-forme
Les associations et les personnes, réunies dans la Campagne nationale
contre la double peine, réclament :
47
droits de l’homme, Mrap, Service national de la pastorale des migrants, Sud
Ptt, Syndicat des avocats de France, Syndicat de la magistrature...
– Pour l’étranger entré en France avant l’âge de treize ans, les textes af-
firment que « la peine d’interdiction du territoire français ne peut être pro-
noncée lorsque est en cause » ou que « ne peut faire l’objet d’une mesure
d’expulsion (...) un étranger qui justifie par tous moyens résider en France
habituellement depuis qu’il a atteint au plus l’âge de treize ans ». S’il sera
souvent facile de prouver une résidence habituelle jusqu’à l’âge de seize ans
par des certificats de scolarité, un jeune tombé dans la délinquance ou dans
la toxicomanie et qui commet un délit à 25 ans ne sera pas en mesure de
fournir ces preuves. Ainsi, nombreux seront les dossiers pour lesquels les
preuves feront cruellement défaut voire seront absentes, le seul justificatif
étant parfois le casier judiciaire (quelle prime !).
48
ans et qui est marié depuis trois ans avec un ressortissant français ayant
conservé la nationalité française, à condition que ce mariage soit antérieur
aux faits ayant entraîné sa condamnation, que la communauté de vie n’ait
pas cessé et que le conjoint ait conservé la nationalité française... »
Ainsi, que l’on soit conjoint de Français ou parent d’enfant français, il fau-
dra surtout prouver leséjour régulier en France pendant dix ans. La seule
preuve sera le titre de séjour. Or, combien de victimes de la double peine se
sont retrouvées sans titre de séjour, soit par négligence, soit par toxicoma-
nie, soit parce qu’elles ont déjà été frappées par une mesure d’éloignement,
soit enfin par refus de délivrance de titre de séjour par la préfecture au motif
d’un trouble à l’ordre public ?
49
Quand le pénal envahit le droit des étran-
gers — Claire Saas
Chose étonnante pour une loi réformant le code pénal, la loi sur la sécurité
intérieure (LSI) va certainement constituer un jalon important dans l’his-
toire de la législation sur les étrangers. Mais revenons quelques pas en ar-
rière : à la suite des attentats du 11 septembre 2001, la sécurité vient d’être
réaffirmée comme droit fondamental par les parlementaires saisis du projet
de loi sur la sécurité quotidienne (LSQ). Au prétexte de lutter contre toutes
les formes de délinquance – de l’occupation de halls d’immeubles aux actes
de terrorisme en passant par l’usage de transports en commun sans titre –, le
législateur a adopté des mesures dont l’étendue dépasse tout entendement.
Justifiée par un contexte international empli de peurs face à la menace ter-
roriste, la loi, qui vise essentiellement la sécurité sur le territoire français,
proposait un dispositif spécial applicable de manière temporaire… jusqu’en
décembre 2003. Cette limitation dans le temps, qui permettait de justifier
notamment la sérieuse extension des pouvoirs de police par une situation
d’exception, ne déroge pas au bon mot du « provisoire qui dure » puisque la
date limite a d’ores et déjà été repoussée à décembre 2005 par la loi sur la
sécurité intérieure.
50
ment et simplement des questions liées au droit des étrangers en France, in-
dépendamment de toute infraction, démontre que la confusion entre les re-
gistres est très importante.
Certes, cette disposition trouve sa propre logique à la relecture des lois Pas-
qua. Ces dernières ont ajouté à l’article 22-I-7° de l’ordonnance la possibili-
té de prononcer un arrêté de reconduite à la frontière si l’étranger a fait
l’objet d’un retrait de son titre de séjour ou d’un refus de délivrance ou de
renouvellement d’un titre de séjour, dans les cas où ce retrait ou ce refus ont
été prononcés, en application des dispositions législatives et réglementaires
en vigueur, en raison d’une menace à l’ordre public. Or, aucune disposition
législative ou réglementaire ne permettait le retrait d’un titre de séjour en
raison d’une menace à l’ordre public.
C’est chose faite avec la LSI. Certes, la circulaire du 8 février 1994 faisait
allusion à la possibilité de retirer le titre de séjour pour des motifs d’ordre
public non prévus par la loi. Le Conseil d‘État confirmait d’ailleurs d’une
certaine manière cette analyse, tout en limitant cette possibilité de retrait
aux cas dans lesquels « le titre de séjour a été délivré par erreur, alors que
l’étranger faisait l’objet d’un signalement qui aurait dû conduire à lui refu-
ser le titre demandé », à savoir lorsque l’intéressé faisait l’objet d’un signa-
lement sur le Système Information Schengen. La LSI ne vient en définitive
que combler une lacune textuelle, le dispositif de l’ordonnance du 2 no-
vembre 1945 étant désormais plus cohérent à cet égard, et la menace à
l’ordre public caractérisée par le fait de se rendre passible de poursuites pé-
nales. Mais cohérence interne n’équivaut pas, loin s’en faut, à cohérence
51
externe, avec l’ensemble du droit positif français et certains principes essen-
tiels du droit pénal.
On tente depuis longtemps déjà de faire rentrer le droit des étrangers dans le
champ d’application de l’article 6 de la Convention européenne des droits
de l’homme, qui prévoit le droit à un procès équitable. Lorsqu’il s’agit
d’une application dérogatoire du droit pénal à raison de la nationalité, n’y
aurait-il pas moyen de faire jouer le droit à un procès équitable, peut-être en
lien avec la prohibition des discriminations ? Parce que, tout compte fait, il
52
vaut presque mieux désormais faire l’objet d’un arrêté d’expulsion ou d’une
interdiction du territoire français pour lesquels certains garde-fous existent
encore.
Certes, lorsqu’on lutte pour la sécurité intérieure, on n’en est plus à une ap-
proximation ou à une discrimination près, y compris dans la création et
l’application de l’ultima ratio pénale. Mais tout de même, lorsque le
Conseil constitutionnel rappelle au préfet l’existence du droit au respect de
la vie privée et familiale et de la commission du titre de séjour, on est tenté
de se gausser.
53
sable pénalement, car ayant agi sous contrainte, ne peut être condamnée…
et que donc aucune peine ne peut être prononcée à son encontre.
Un pot commun
54
Ainsi, les étrangers de Guyane et de Saint-Martin se voient désormais pri-
vés, à titre définitif, du recours suspensif contre l’éloignement. Aux termes
de l’article 40 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, les étrangers de
Guyane et de la commune de Saint-Martin étaient privés, à compter de la
loi du 2 août 1989 et pour une durée de cinq ans, du recours suspensif
contre un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. Cette disposition,
renouvelée depuis, de cinq ans en cinq ans était justifiée par des difficultés
pratiques et une situation spécifique dans les DOM [2]. A supposer même
qu’une situation particulière continue à exister en Guyane et à Saint-Martin,
elle ne saurait justifier la suppression définitive de la seule voie de recours
effectif contre l’éloignement.
55
Les allers-retours de la LSI entre le droit pénal et le droit des étrangers ont-
ils fini par rendre la frontière entre les deux champs inexistante, contribuant
ainsi à la libre circulation des amalgames étranger=criminel, ou en tout cas
à créer un no man’s land d’un droit pénal des étrangers ? Clin d’œil à cette
confusion, l’ultime article de la LSI qui vient modifier l’article 78-2 du
code de procédure pénale et étendre encore les possibilités de procéder à
des contrôles dits « frontaliers » pour lesquels le code de procédure pénale
n’exige aucune motivation : « dans une zone comprise entre les frontières
terrestres ou le littoral du département de la Guyane et une zone tracée à
vingt kilomètres en deçà et sur une ligne tracée (…), l’identité de toute per-
sonne peut être contrôlée (…) en vue de vérifier le respect des obligations
de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par
la loi ».
Notes
[1]
56
Cet aspect étant parfaitement illustré par l’article de Johanne Vernier
sur la prostitution dans la LSI.
[2]
En 1989, étaient visés la Guadeloupe, la Martinique, la Réunion, la
Guyane, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin.
57
Les prostitués, victimes de l'obsession sécuri-
taire — Johanne Vernier
Tel que cela ressort des intitulés de la loi du 18 mars 2002 sur la sécurité in-
térieure (LSI) et de sa circulaire d’application [1], la prostitution, sans être
citée explicitement, fait l’objet de deux types de mesures : la lutte plus effi-
cace contre les différentes formes d’exploitation portant atteinte à la dignité
humaine (proxénétisme, traite des êtres humains, et recours à la prostitution
de personnes particulièrement vulnérables), et la lutte contre les consé-
quences de ces formes d’exploitation, c’est-à-dire les atteintes à la tran-
quillité et à la sécurité publiques (racolage public).
58
née [6]. Pourquoi alors avoir créé une telle infraction ? Au-delà du souci de
la France de mettre sa réglementation en conformité avec les textes interna-
tionaux, notamment européens, qui lui sont applicables [7], cette décision
montre surtout que la question de l’esclavage est appréhendée principale-
ment sous l’angle de l’immigration et non en termes de protection des droits
de l’homme.
A la notion d’esclavage est en effet préférée celle de traite qui pourtant lui
est indissociable (l’esclavage constitue la finalité de la traite) de façon à ag-
graver la répression du passeur, figure emblématique de la lutte contre l’im-
migration irrégulière. Sous couvert de protéger la dignité humaine de la per-
sonne, le choix de sanctionner le trafiquant révèle ainsi des préoccupations
d’un autre ordre, la lutte contre l’immigration irrégulière (dont l’État est la
victime) étroitement liée à la lutte contre la criminalité organisée.
59
Par ailleurs, instaurer une telle infraction aux termes ni suffisamment clairs
ni suffisamment précis pour exclure l’arbitraire [9] n’est pas sans risque
pour les libertés individuelles (le droit d’aller et venir, et donc de stationner,
ou encore le droit au respect de la vie privée). Cela explique de très grandes
divergences dans les pratiques policières (selon le policier, le commissaire,
le préfet, voire le maire) et la répression judiciaire (selon le procureur, le
juge) pour des faits semblables, avec le développement d’arrestations géné-
ralisées et discrétionnaires dont l’opportunité est déterminée par les poli-
ciers eux-mêmes [10].
En quoi la production d’un tel arbitraire serait-elle utile ? En fait, elle per-
met tout simplement de contourner en pratique les règles de procédure pé-
nale relatives au contrôle d’identité et de la régularité du séjour. Les poli-
ciers se voient octroyer le pouvoir non négligeable de contrôler la régularité
du séjour de toutes les personnes prostituées (ou assimilées) et d’enclencher
la procédure administrative d’éloignement. Dans la circulaire d’application,
le ministre de la justice encourage d’ailleurs ouvertement à suivre cette op-
tion administrative qui présente « tous les avantages » plutôt que l’option
judiciaire.
Ce pouvoir est d’autant plus remarquable que la LSI est venue élargir le
champ des personnes étrangères exposées à cet éloignement. En plus des
personnes en situation irrégulière sur le territoire, sont aussi susceptibles
d’êtres éloignées les personnes étrangères munies d’un visa en cours de va-
lidité ou en France depuis moins de trois mois dont le comportement consti-
tue une « menace à l’ordre public », ou encore les personnes étrangères titu-
laires d’une carte de séjour temporaire « passibles de poursuites pé-
nales » [11], notamment pour racolage public. Nul besoin alors de décision
de justice pour établir la réalité ou non du racolage susceptible de troubler
l’ordre public, l’administration se fait seul juge des faits.
60
contournable sur les trottoirs, avant d’être des victimes potentielles ou
réelles, seraient en effet autant d’indices insupportables de la perméabilité
des frontières (aux étrangers et à la criminalité) et de l’échec de leur
contrôle.
61
manitaire, à condition que l’activité prostitutionnelle cesse et que la réinser-
tion [15] soit confirmée ; l’appréciation de ces conditions serait laissée à
certaines associations [16]. A l’heure actuelle, nous ignorons les termes
exacts de cette collaboration entre préfectures et associations. Dans un com-
muniqué de presse du 28 avril 2003, le préfet de police de Paris a néan-
moins expliqué que les APRF (arrêtes préfectoraux de reconduite à la fron-
tière) pouvaient être suspendus et des APS renouvelées à condition que la
réinsertion sociale et professionnelle soit poursuivie, ce qui inaugure le
concept de « victime en sursis administratif » !
62
Aux deux objectifs clairement réaffirmés dans la circulaire d’application
correspondent deux types d’intérêt protégés : la dignité de la personne hu-
maine, la tranquillité et la sécurité publiques. Il en découle deux catégories
de victimes protégées : les victimes d’atteintes à la dignité humaine et celles
d’atteintes à la tranquillité et à la sécurité publiques. Si les riverains mécon-
tents savent s’émouvoir de la condition des premières, ils protestent néan-
moins contre les nuisances résultant de l’activité prostitutionnelle dans son
ensemble, peu importe que les personnes prostituées soient alors libres ou
contraintes, françaises ou étrangères. Il est dès lors logique de voir toutes
les personnes prostituées, y compris des victimes de traite et/ ou de proxé-
nétisme, concernées par des poursuites pénales pour racolage public, no-
tamment sur la base de mains courantes ou plaintes de riverains. Faut-il
alors en déduire que la tranquillité (la sécurité n’étant pas réellement en jeu)
des uns prévaut sur la dignité humaine des autres ? Or, si la sécurité pu-
blique est un objectif à valeur constitutionnelle comme la dignité humaine,
la tranquillité publique ne l’est certainement pas.
Notes
[1]
Circulaire du garde des sceaux du 3 juin 2003.
[2]
Le client de personnes prostituées mineures et maintenant de per-
sonnes particulièrement vulnérables est puni en vertu des articles 225-
12- 1 et suivants du code pénal.
[3]
Les articles 225-5 et suivants du code pénal sanctionnent tant le proxé-
nétisme de contrainte que le « proxénétisme de fréquentation ». La LSI
ajoute la répression de la vente, la location et la mise à disposition
d’un véhicule à une personne qui s’y livrera à la prostitution. Il n’est
63
donc légitime de se prostituer nulle part, si ce n’est sur la voie pu-
blique à certaines conditions.
[4]
Articles 225-4-1 et suivants du code pénal.
[5]
Article 225-6, 1° du code pénal.
[6]
Article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 sur l’entrée et le sé-
jour des étrangers en France.
[7]
En particulier, le protocole additionnel sur la traite des êtres humains à
la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale or-
ganisée de décembre 2000, et la Décision-cadre européenne sur la
traite des êtres humains du 19 juillet 2002.
[8]
Selon l’article 225-10-1 du code pénal, c’est « le fait par tout moyen, y
compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au
racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles en
échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération », ce
qui est puni de deux mois d’emprisonnement et 3750 euros d’amende.
[9]
Exigence découlant du principe de légalité des délits et des peines (ar-
ticles 5, 7, et 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et
décision du Conseil constitutionnel des 19-20/01/89).
[10]
Voir la décision du 5/08/93 du Conseil consti-tutionnel qui condamne
ce type d’arrestations.
[11]
L’éloignement est rendu possible par le retrait de la carte de séjour
temporaire à ce titre.
[12]
L’augmentation non négligeable du nombre d’éloignements de femmes
étrangères prostituées est constatée et dénoncée par de nombreuses as-
sociations.
[13]
Par exemple, elles peuvent avoir été entendues et citées à comparaître
sans que rien ne soit fait pour leur situation administrative ou leur acti-
64
vité prostitutionnelle, et ainsi se voir éloignées avant de comparaître.
[14]
L’Office international des migrations (OIM) prend en charge de tels
dispositifs.
[15]
Condition inexistante dans la loi et difficile à remplir en pratique
lorsque la langue française n’est pas maîtrisée et que les contrats ne
peuvent être que de courte durée du fait des APS.
[16]
Par exemple, entre le Mouvement du Nid et la préfecture de Paris.
65
Sans-papiers : la fin des soins ? — Adeline Toul-
lier
Jusqu’en 1993, les frontières entre politiques migratoires et protection ma-
ladie sont quasi étanches. Ainsi, le fait pour un étranger d’avoir pénétré
et/ou séjourné de manière irrégulière en France est sanctionné sur le plan
pénal mais n’emporte pas de conséquence quant à son accès aux droits so-
ciaux [1]. Seule la « résidence en France » (entendue comme la « présence
sur le territoire national ») est requise par le code de sécurité sociale [2], au-
trement dit un sans-papiers qui vit (parce que/donc travaille) en France, de
manière déclarée ou non, relève du régime général de sécurité sociale au
même titre qu’un salarié français ou qu’un étranger en situation régulière.
L’État ferme les yeux quant à l’activité des sans-papiers, parce que c’est un
volant de main-d’œuvre disponible, souple, peu onéreux, en un mot : une
appréciable variable d’ajustement dans une économie de marché. Mais la
complaisance étatique s’arrête à ces vertus immédiates et économiques : si
on tire profit de ces relations professionnelles au déséquilibre juridique ag-
gravé, on ne nie pas pour autant les droits attachés à la qualité d’homme et
de salarié. Le résident qui travaille en France a droit à une protection indé-
pendamment de sa situation administrative. Il est des droits absolus que rien
ne saurait atteindre. En tout cas, c’est ce que l’on croit jusqu’en 1993…
De l’assurance à l’assistance
66
lière : un système au rabais, l’aide médicale. Les sans-papiers sans res-
sources (ou très faibles) y côtoient alors les autres personnes démunies,
comme les sans domicile fixe, quelles que soient leur nationalité et leur si-
tuation administrative.
Et rien n’est prévu pour les sans-papiers qui auraient des ressources, ceux
qui travaillent et se procurent ainsi un revenu plus ou moins stable. La ré-
partition est conçue de telle sorte que les sans-papiers sont incités à taire
leur activité s’ils veulent avoir accès un tant soit peu à une couverture so-
ciale pour eux-mêmes et leur famille. L’opération vise non seulement à am-
puter le droit à une prise en charge maladie, mais également à rendre invi-
sible et à nier le travail des sans-papiers.
L’échec de l’universel
67
La couverture est gratuite : les sans-papiers n’ont pas à s’acquitter d’une
quelconque contribution. Les prestations prises en charge par l’AME (« pa-
nier de soins ») sont inférieures à celles couvertes par la complémentaire
CMU, en particulier en matière dentaire et d’optique. Si tous les bénéfi-
ciaires ont accès à l’hôpital, seuls ceux qui peuvent prouver qu’ils résident
depuis plus de trois ans en France ont accès aux consultations et soins au-
près de la médecine de ville (cabinets ou centres de soins) [6]. Par consé-
quent, ce système contraint à consulter à l’hôpital pendant les trois pre-
mières années de présence en France, contrairement à ce que même une lo-
gique comptable et financière privilégierait.
Mais c’était encore trop, restait encore une étape : la suppression complète
de la protection maladie et l’accès aux soins des sans-papiers. Procéder à
cette réforme ouvertement aurait fait quelque peu tache à l’heure de la
« lutte contre la fracture sociale » et de la mise sur le devant de la scène des
politiques de santé publique. Cela aurait également placé la France en dé-
faut flagrant quant à ses engagements constitutionnels et internationaux.
Alors, on agit de façon discrète et sournoise dans le choix du processus nor-
matif et dans la détermination du contenu destructeur, tout en enrobant le
tout d’une justification financière grossière.
68
pour une adoption en catimini et au pas de charge, ne pas les avoir intégrées
au projet de loi de finances présenté fin septembre et objet d’un réel débat
démocratique avant l’adoption ?
69
on ne joue plus d’égal à égal avec les autres consommateurs de soins, on
stigmatise les étrangers en général et les sans-papiers en particulier en fon-
dant la mesure sur la nécessité de lutter contre les abus et les fraudes (une
fois de plus…), contre le « tourisme sanitaire », contre un système qui insti-
tuerait « une prime à l’irrégularité » [8] au motif que les sans-papiers béné-
ficieraient « d’une prise en charge plus favorable (…) que celle qui est ac-
cordée [aux Français les plus modestes] [9] ».
Quoi qu’il en soit, il reste que, pour éviter ces soi-disant dérapages, la loi de
finances rectificatives pour 2003 exige une présence ininterrompue en
France de trois mois avant de pouvoir demander l’AME et limite les soins
médicaux pris en charge en urgence aux seules situations qui mettent en jeu
le pronostic vital immédiat (et ce uniquement à l’hôpital, alors qu’il est éta-
bli que le recours aux plates-formes hospitalières est toujours onéreux sans
70
être à chaque fois médicalement nécessaire). Tout recours préventif et pré-
coce aux soins est ainsi interdit. Combinées à la suppression du dispositif
d’« admission immédiate », ces mesures visent ni plus ni moins à écarter
des soins (ou à tout le moins à les retarder). Avec le risque d’aggraver les
pathologies pour in fine alourdir le coût pour la collectivité.
Mais, que l’on se rassure, cette destruction de l’AME est en tout point res-
pectueuse des droits fondamentaux de la personne humaine protégés par la
Constitution, si l’on en croit l’analyse du Conseil constitutionnel qui consi-
dère que « la réforme mise en œuvre par l’article 97 ne porte atteinte ni au
principe d’égalité, ni à la protection de la santé imposée par le onzième ali-
néa du Préambule de la Constitution de 1946, dès lors que, en cas d’insuffi-
sance de ressources, les étrangers en situation irrégulière sont couverts par
l’aide médicale de l’État à l’issue de trois mois de séjour en France et,
avant l’expiration de ce délai, bénéficient gratuitement des soins urgents
que peut requérir leur état de santé […] » [10].
Alors que l’efficacité financière des mesures est loin d’apparaître comme
une évidence, on nous dit et on nous répète (rapport IGAS – inspection gé-
nérale des affaires sociales –, exposés des motifs, rapports parlemen-
taires…) que toutes ces réformes de l’AME visent à maîtriser le coût bud-
gétaire du système de soins des sans-papiers. C’est que les dépenses de
l’AME auraient « explosé » ces deux dernières années. L’IGAS a rendu un
rapport en février 2003 [11] qui s’efforce d’identifier les causes et les res-
ponsables de cette augmentation… sans jamais convaincre ! Et les rapports
parlementaires rendus par la suite sur le même sujet se sont contentés de ré-
itérer les arguments fallacieux avancés par l’IGAS.
Le point commun de ces documents, c’est qu’ils commencent par faire état
de l’augmentation du nombre de bénéficiaires (ils seraient passés
de 75 000 à la fin 2000 à 165 000 au troisième trimestre 2003) et du coût de
l’AME ces deux ou trois dernières années. Ils poursuivent en expliquant la
croissance des dépenses afférentes à l’AME notamment par la « relative
méconnaissance des règles de droit par de nombreux acteurs » jusqu’au dé-
but des années 2000 [12] (qui écartait de fait nombre de bénéficiaires poten-
71
tiels), ou encore par « les retards de la facturation hospitalière », de mau-
vaises imputations comptables et autres reports d’exercices précédents [13].
Non, rien de tout cela car l’objectif poursuivi n’est pas économique, comme
on voudrait le faire croire, mais bien politique. Si une pure gestion comp-
table de la question est affichée, c’est pour mieux taire l’indicible volonté
politique de réprimer les sans-papiers, jusqu’à leur nier le droit personnel,
fondamental et universel à l’accès aux soins, et d’accroître encore davan-
tage leur précarité. ?
Notes
[1]
Ancien art. L.311-2 du code de sécurité sociale.
[2]
Ancien art. L.311-7 du code de sécurité sociale.
[3]
Art. L.115–6 du code de sécurité sociale et D.115–1 pour l’assuré et art
L.161–25–2 et D.161–15 pour les ayants droit majeurs.
72
[4]
Décision n°93-325 du 13 août 1993 du Conseil constitutionnel. Celui-
ci ne fait en réalité que rappeler l’existence de l’art. L.161-8 du code
de sécurité sociale.
[5]
Ou quasi : l’AME couvre également les Français rapatriés depuis
moins de trois mois et non assurés par ailleurs et les cas d’admission
exceptionnelle (art. L. 251-1 du code de l’action sociale et des fa-
milles).
[6]
Art. L.111-2 du code de l’action sociale et des familles.
[7]
Décision n° 2003-488 DC – 29 décembre 2003.
[8]
Propos de M. Marini, rapporteur général, débats au Sénat du 16 dé-
cembre 2003.
[9]
Propos de M. Lambert, ministre délégué, censé répondre aux accusa-
tions de populisme portées par des sénateurs du groupe CRC, débats
au Sénat du 16 décembre 2003.
[10]
Décision n° 2003-488 DC – 29 décembre 2003.
[11]
Rapport 2003-022 de l’IGAS, présenté par B. Guillemot et F. Merce-
reau, février 2003.
[12]
Rapport de Monsieur Carrez, pour l’Assemblée nationale du 3 dé-
cembre 2003 fait au nom de la commission des finances sur le projet
de loi de finances rectificative pour 2003, article 49.
[13]
Rapport de Philippe Marini, pour le Sénat du 11 décembre 2003 fait au
nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances rec-
tificative pour 2003, article 49.
73
L'harmonisation communautaire : objectif ou ali-
bi ? —
Pendant les travaux préparatoires à la réforme de la loi du 10 dé-
cembre 2003 sur l’asile, il a souvent été fait référence aux normes com-
munautaires en cours d’élaboration. C’est ainsi que des notions comme
celles de « pays sûrs » ou de « protection subsidiaire », sont directement
tirées des textes qui, à court terme, définiront la future politique euro-
péenne d’asile. Lors de la discussion sur la loi relative au séjour et à
l’éloignement du 28 novembre 2003, ces références ont été moins expli-
cites. Elles n’ont fait leur apparition que lorsque le gouvernement a es-
timé que l’invocation de l’« Europe » lui était utile. Ainsi, après avoir
imposé, dans la négociation avec ses partenaires, certaines dispositions
auxquelles il tient, il est revenu devant les parlementaires français plai-
der leur adoption au nom des contraintes de la communautarisation.
74
militent activement, au sein du Conseil de l’Union, pour l’adoption
d’un règlement communautaire visant à introduire des éléments
d’identification biométriques dans les documents de séjour et de voyage
des étrangers. L’un des objectifs de l’harmonisation des politiques
d’immigration décidée par le traité d’Amsterdam, en 1997, était de dé-
passionner la matière en l’extrayant du débat national. A constater
l’instrumentalisation dont elle fait l’objet par certains États membres,
il n’est pas certain que le but soit atteint. Les trois articles qui suivent
illustrent cette interrogation.
75
L'asile menacé par l'harmonisation — Pierre
Monforte
Depuis le 10 décembre 2003 et la promulgation en France de la loi modi-
fiant la loi relative à l’asile, l’analyse de l’influence des négociations euro-
péennes en matière d’immigration et d’asile sur l’évolution de la législation
française se heurte à un paradoxe apparent. Comment comprendre qu’un
État membre choisisse de faire cavalier seul en modifiant fondamentale-
ment sa législation alors que, parallèlement, des directives (si minimalistes
soient-elles) censées encadrer toute norme relative à l’asile sont encore en
discussion à Bruxelles ? Sans un examen plus approfondi, un aperçu rapide
de l’évolution du processus d’harmonisation des politiques d’asile en Eu-
rope suffirait à soulever ce paradoxe.
Or, malgré l’élan apparent de Tampere (et malgré les échéances fixées au
sommet de Séville de juin 2002), il est évident que le processus d’harmoni-
sation des politiques d’asile en Europe est aujourd’hui dans l’impasse : les
négociations portant sur les différentes directives relatives à l’asile échouent
de façon quasi systématique dès lors que les intérêts nationaux des États
membres semblent remis en cause.
Ainsi, les deux propositions de directive les plus fondamentales (celle rela-
tive à la définition du réfugié(1) et celle relative aux procédures d’examen
des demandes d’asile(2)) sont bloquées au Conseil depuis respectivement
76
plus de deux ans et plus de trois ans, soumises à un jeu politique inter-éta-
tique visant à les vider totalement de leur contenu. Au Conseil européen de
Thessalonique de juin 2003, les États membres, contraints d’annoncer que
les échéances fixées à Tampere et à Séville ne seraient pas respectées, ont
dû reconnaître qu’ils n’étaient pas prêts à s’entendre sur les fondements
d’une politique commune : la proposition de directive concernant la défini-
tion du réfugié et de son statut a été laissée en suspens (l’Allemagne endos-
sant le rôle de responsable de cet échec) alors que la date de juin 2003 avait
été posée comme date butoir un an plus tôt à Séville.
La loi sur l’asile du 10 décembre 2003 semble donc marquer une nouvelle
fois de manière flagrante la réticence des États membres à voir s’établir une
politique d’asile commune. Son adoption est caractéristique du mépris affi-
ché, voire de l’hostilité du gouvernement, comme de la plupart des gouver-
nements européens (la Grande-Bretagne, l’Italie ou l’Allemagne repro-
duisent exactement les mêmes schémas), à l’égard des objectifs de Tam-
pere. Le message est clair : il s’agit d’affirmer que la politique d’asile re-
lève de la compétence des États-Nations et non de celle de l’Union euro-
péenne.
77
Pour autant, s’arrêter à ce constat reviendrait à ignorer les ambiguïtés des
relations entre l’existence d’un processus d’harmonisation européen et
l’évolution de la législation française en matière d’asile. S’il est évident que
les gouvernements refusent l’idée d’une perte de leur souveraineté en ma-
tière de politique d’asile, l’existence des négociations à l’échelle euro-
péenne répond aussi, dans une logique restrictive, à un certain nombre de
leurs intérêts propres. Et le contenu de la loi du 10 décembre 2003 modi-
fiant la loi française en matière d’asile est là pour nous le rappeler.
78
A l’insu de l’opinion publique
Se débarrasser du « fardeau »
79
des systèmes, et du lien établi entre réforme de la législation relative à
l’asile et lutte contre l’immigration clandestine.
Dès lors, il n’est pas surprenant de constater que des mesures opération-
nelles prises dans les domaines du contrôle des flux migratoires ou de
l’éloignement des étrangers résidant en situation illégale menacent directe-
ment le droit d’asile. Ces mesures sont en fait conçues comme des instru-
ments permettant de réguler toute entrée sur le territoire d’un Etat membre
de l’Union européenne, qu’il s’agisse indifféremment de l’entrée de mi-
grants ou de demandeurs d’asile.
80
du « Programme de mesures pour combattre l’immigration illégale aux
frontières maritimes de l’UE ». Toutes deux adoptées (la première sur un
simple accord politique, la seconde formellement) au Conseil justice et af-
faires intérieures des 27 et 28 novembre 2003, ces mesures émanent de pro-
positions de la est adopté en décembre 2000, avant-même que la commu-
nautarisation de la Convention de Dublin Commission ayant été présentées
respectivement en novembre et en septembre 2003 et devant être rendues
effectives le plus rapidement possible (l’Agence européenne aux frontières
extérieures devra être en mesure de commencer ses activités le 1er jan-
vier 2005).
Les instruments décrits ici ne sont que des exemples parmi d’autres (il fau-
drait aussi évoquer les accords de réadmission ou l’ensemble des projets pi-
lotes concernant la création d’un corps européen de garde frontières) mais
ils illustrent clairement la situation actuelle. De fait, on en arrive au-
jourd’hui à une situation paradoxale où des normes et mesures opération-
nelles communes sont mises en place alors que les États membres ne
semblent pas prêts à s’entendre sur les questions normatives de fond : on
pourra ainsi expulser un demandeur à qui le statut de réfugié aura été refusé
alors même qu’il n’existe pas de critère commun pour déterminer qui peut
prétendre à ce statut. Cela démontre à quel point le processus de Tampere
81
est perçu par les États membres comme un moyen parmi d’autres de se dé-
barrasser du « fardeau » que constitue, à leurs yeux, l’asile. Face à une
Commission européenne qui a renoncé à présenter toute alternative à la lo-
gique des États membres (et qui s’inscrit même désormais tout à fait dans
leur optique) ceux-ci trouvent à l’échelle européenne les opportunités de
faire reculer le droit d’asile comme bon leur semble. Les négociations euro-
péennes relatives à l’immigration et à l’asile constituent un catalogue dans
lequel chaque gouvernement va sélectionner, en fonction de ses intérêts
propres, les concepts qui lui conviennent le mieux, et dans lequel émergent,
lorsque les intérêts convergent, des mesures opérationnelles communes.
A terme, la Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés risque d’être en-
tièrement occultée du fait de ce mécanisme bien particulier établissant un
double niveau de décision et mettant à l’écart l’opinion publique. ?
82
L'Europe contre le regroupement fami-
lial — Claire Rodier
Depuis le début des années 90, période à laquelle les États membres se sont
engagés dans un processus d’harmonisation de leurs politiques migratoires,
l’immigration familiale représente, pour les gouvernements, un enjeu et une
préoccupation. Elle est en effet longtemps restée, avec l’asile, la seule voie
légale d’admission de nouveaux étrangers dans la plupart des pays de
l’Union. Dès 1991, on trouvait, dans un rapport des ministres de l’immigra-
tion de ceux qui n’étaient encore que les Douze au Conseil européen de
Maastricht, des recommandations visant à la nécessité de rapprocher les lé-
gislations dans le domaine, afin d’éviter, face à une « pression migratoire »
en augmentation, que « la politique d’un État membrecette logique d’har-
monisation, avec des propositions fondées sur le respect des normes inter-
nationales en la matière. On rappellera, pour mémoire, que la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamen-
tales, notamment son article 8 [2], fonde dans les États regroupés au sein du
Conseil de l’Europe sinon le droit au regroupement familial, du moins un
encadrement des entraves que la loi peut opposer à la prétention, pour un
étranger, de se faire rejoindre par les membres de sa famille.n’ait des inci-
dences négatives sur celle des autres ».
C’est dans cet esprit que les préconisations de la Commission, dans le rap-
port précité, tendaient vers un élargissement des conditions généralement
requises par les législations des pays membres qui en étaient dotés. Loin de
s’en inspirer, une résolution sur le regroupement familial, adoptée au mois
de juin 1993 par les États dans le cadre de la coopération intergouverne-
mentale, s’alignait au contraire sur les dispositifs nationaux les plus restric-
tifs : définition très étroite de la famille, excluant notamment les ascendants
et les enfants issus de familles recomposées, suspicion générale à l’égard de
toute demande de regroupement familial, précarisation du statut des
membres de famille. Si cette résolution, comme les autres instruments de
83
soft law caractéristiques de cette période, était dépourvue de force contrai-
gnante,elle n’en a pas moins largement influencé certaines législations na-
tionales.
84
mière proposition, globalement approuvée par le Parlement européen, dans
un avis du 6 septembre 2000, a reçu le soutien de la plupart des ONG [3].
C’était compter sans la résistance des États membres à se voir imposer, sur
des questions mettant en cause leur souveraineté, des normes s’écartant du
seul registre du contrôle des flux migratoires pour faire place au respect de
principes fondamentaux. Cette résistance n’a pas tardé à se manifester : le
Conseil réunissant les chefs d’État et de gouvernement au sommet de Lae-
ken de décembre 2001 a fait le constat des nombreux obstacles qui les em-
pêchaient de parvenir à un accord, et a invité la Commission à revoir encore
son texte. A l’issue de nombreuses consultations en forme de marchandage,
où il est vraisemblable que les délégations ont fait valoir les contraintes im-
posées par leurs traditions et règles nationales, une troisième proposition
modifiée de la directive était présentée par la Commission européenne
le 2 mai 2002.
Le virage s’avère spectaculaire. Cette nouvelle version, qui n’a plus rien à
voir avec le texte initial, consiste en une superposition des compromis qu’a
dû intégrer la Commission européenne pour éviter les blocages. L’exposé
des motifs traduit un véritable recul par rapport non seulement aux proposi-
tions antérieures, mais aussi aux principes affichés depuis le traité d’Am-
sterdam. La Commission y explique en effet qu’elle doit adopter une nou-
velle méthode, en plusieurs étapes, pour parvenir à l’harmonisation des lé-
gislations nationales en matière de regroupement familial.
Cette méthode s’articule autour de trois axes : la « flexibilité » sur les points
où les blocages persistaient, ouvrant une marge de manœuvre par rapport
aux législations nationales, ainsi que, « dans des cas très limités », des dé-
rogations pour s’adapter à certaines spécificités nationales en vigueur ; une
clause de « rendez-vous », qui prévoit que, deux ans après la transposition
de la directive dans les législations nationales, les dispositions offrant le
maximum de flexibilité (c’est-à-dire celles qui ont fait blocage) seront re-
vues en priorité « afin d’essayer de progresser sur la voie de l’harmonisa-
tion ». Enfin, la clause de « stand still » initialement prévue pour éviter que
des possibilités de dérogations insérées dans ladirective ne soient utilisées
par des États membres si, au moment de son entrée en vigueur, elles n’exis-
85
taient pas dans leur législation, a disparu dans la version définitive de la di-
rective.
86
ne semble pas possible à ce stade d’étendre l’obligation d’autoriser
l’entrée et le séjour au-delà du conjoint et des enfants mineurs » ;
les enfants mineurs sont admissibles au titre du regroupement fami-
lial ; mais, par dérogation à ce principe, un État peut, si l’enfant a plus
de douze ans, subordonner son admission à la satisfaction d’un critère
d’intégration dès lors que cette condition serait prévue par la législa-
tion nationale à la date de l’adoption de la directive. On sait que cette
limitation a été introduite pour satisfaire l’Allemagne. La Commission,
qui rappelle pourtant que « la limite de l’âge auquel les enfants sont
autorisés à rejoindre leurs parents a été une des questions majeures
des négociations sur le regroupement familial », ajoute laconique-
ment : « il est apparu opportun de laisser aux États membres une cer-
taine marge de manœuvre pour examiner si l’enfant remplit des condi-
tions d’intégration au-delà d’un certain âge » ;
le délai d’attente avant de pouvoir demander à se faire rejoindre par sa
famille, d’abord fixé à un an « pour ne pas réduire à néant l’exercice
du droit au regroupement familial », disait la Commission en 1999, est
porté à deux ans. Sans peur de se contredire, elle considère désormais
que « le compromis sur cette flexibilité constitue encore une base suffi-
sante en vue du rapprochement des législations ». Au point d’admettre
un allongement du délai d’attente jusqu’à trois ans si la législation
d’un État membre tient compte, à la date d’entrée en vigueur de la di-
rective, en matière de regroupement familial, « de sa capacité d’ac-
cueil ». Cet « aménagement » est destiné à répondre aux préoccupa-
tions de certains pays comme l’Autriche qui, en contradiction avec le
principe défendu par la Commission selon lequel le droit de vivre en
famille s’impose face à des considérations économiques, intègre l’im-
migration familiale dans les quotas d’immigration de travail qu’ils
fixent annuellement.
87
puisque la directive s’aligne finalement sur des standards minimaux, réser-
vant au domaine du facultatif les quelques ouvertures qu’elle prévoit [4].
Au-delà du champ qu’elle couvre, elle est aussi un signe de l’échec de la
communautarisation de la politique d’immigration, puisqu’elle laisse, au
nom de la « diversité des législations nationales », une large marge de ma-
nœuvre aux États membres pour maintenir des dispositifs dérogatoires aux
principes qu’elle définit. Au point que le commissaire Vitorino, chargé des
questions de Justice et Affaires intérieures, qui s’est diplomatiquement féli-
cité de l’adoption, par le Conseil, du premier texte communautaire traitant
de l’immigration régulière au moment de l’accord conclu en février 2003, a
néanmoins jugé nécessaire de préciser que « la directive n’oblige pas les
pays les plus généreux à abaisser leur protection ».
Certes. Mais les États membres (y compris les dix adhérents de 2004) sont
tenus de transposer ses dispositions dans leur droit interne dans un délai de
deux ans, et les règles posées vont avoir une influence directe sur les légis-
lations à venir. Si l’on prend le cas de la France, on constate que la loi du
26 novembre 2003 (la loi « Sarkozy » réformant l’ordonnance du 2 no-
vembre 1945) s’est déjà inspirée de la directive pour précariser le statut des
membres de famille rejoignants : jusqu’alors bénéficiaires dès leur arrivée
d’une carte de résident de dix ans, ils n’auront plus droit désormais qu’à
une carte de séjour temporaire d’une validité d’un an renouvelable. En re-
vanche, elle n’a pas repris, de la directive, la disposition plus favorable qui
permettrait de traiter les conjoints unis par un PaCS (pacte civil de solidari-
té) de la même façon que les conjoints mariés.
A plus long terme, le cadre général fixé par la directive risque d’hypothé-
quer lourdement l’avenir, même si elle prévoit, dans son article 3-5, « ne
pas porter atteinte à la faculté qu’ont les États membres d’adopter ou main-
tenir des conditions plus favorables ».
Ambiguïtés et impasses
88
de la directive [5]. Pour sa part, la Coordination européenne pour le droit
des étrangers à vivre en famille n’a pas hésité à titrer : « Regroupement fa-
milial : une directive contre le droit de vivre en famille » [6]une interpella-
tion de l’opinion dans laquelle elle estime que « le Conseil de l’Union euro-
péenne scelle la rupture avec les engagements qu’il avait pris [à] Tampere
[en] 1999 ». De son côté, le Haut Commissariat des Nations unies pour les
réfugiés a exprimé son « mécontentement » face aux dispositions réservées
par la directive aux familles des étrangers bénéficiaires d’une protection in-
ternationale [7]. Ces inquiétudes convergentes avaient réussi, à l’au-
tomne 2003, à ébranler suffisamment de députés européens pour que, après
un avis favorable de la commission des libertés et de la commission juri-
dique du Parlement européen, son président saisisse la Cour de justice des
Communautés européennes d’une demande d’annulation de la directive,
procédure rendue possible par le traité de Nice [8].
A travers cette mise en perspective, on constate que les enjeux soulevés par
l’adoption de la directive relative au regroupement familial dépassent le
strict cadre de la procédure d’admission des membres de familles étran-
gères, et mettent en lumière les ambiguïtés et les impasses du processus
d’élaboration d’une politique commune d’immigration.
Notes
[*]
Cet article est paru dans la revue belgeNouvelle tribune, n° 34, dé-
cembre 2003, sous le titre « Regroupement familial, une directive
contre le droit de vivre en famille ».
[1]
89
Regroupement familial à la lumière du droit international, du droit
communautaire et/ou de la pratique des Etats membres, Commission
des Communautés, mai 1992. Rapport sur la politique européenne en
matière d’immigration, Commission des libertés publiques et des Af-
faires intérieures du Parlement européen, octobre 1992.
[2]
CEDH, art. 8 : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée
et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y
avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que
pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle consti-
tue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la
sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du
pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales,
à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des
droits et libertés d’autrui ».
[3]
Une campagne de soutien à la proposition de directive avait ainsi été
organisée en 2000 par la Coordination européenne pour le droit des
étrangers à vivre en famille.
[4]
Dans son avis du 20 novembre 2002, le Comité des régions de l’Union
européenne relève qu’elle s’écarte « de l’approche du regroupement
familial basée sur des droits pour se tourner vers une approche procé-
durale » et regrette que du « droit au regroupement familial » on soit
passé à « la simple définition d’une base commune minimale de condi-
tions dans lesquelles est exercé le droit au regroupement familial »
(200 3/C 73/05), JOUE, 26 mars 2003, C/73/16).
[5]
« The new EU Directive on family reunification : Right for families to
live together or right for EU Member States to derogate from human
rights ? » communiqué de presse de Caritas, Comece, CCME, ICMS,
JRS, Quaker Council, 4 mars 2003.
[6]
9 mars 2003
[7]
HCR, communiqué du 23 septembre 2003.
[8]
90
En application de l’article 230 du TCE, « la Cour est compétente pour
se prononcer sur les recours pour incompétence, violation des formes
substantielles, violation du présent traité ou de toute règle de droit re-
lative à son application, ou détournement de pouvoir formés par un
État membre, le Parlement européen, le Conseil ou la Commission. »
91
Consensus sur les charters — Claudia Cortes-Diaz
A la tête de l’Union européenne à compter du 1er juillet 2003, les Italiens
ont proposé au Conseil, dès le 3 juillet, l’adoption d’une décision « relative
à l’organisation conjointe de vols communs pour l’éloignement collectif de
ressortissants de pays tiers séjournant illégalement sur le territoire de deux
États membres ou plus » d’une part, et un projet de « manuel » pour l’orga-
nisation de ces vols communs (autrement dit « charters »), d’autre part.
Cette question n’est pas nouvelle – loin s’en faut – dans les travaux euro-
péens. De manière récurrente, et ce depuis longtemps, les États membres se
penchent sur la question de l’éloignement des étrangers séjournant de ma-
nière irrégulière sur l’espace européen et la manière de « rationaliser » leur
éloignement. La Commission européenne a joué (et continuer à jouer) un
rôle très actif dans ce domaine, en proposant des mesures tantôt « juri-
diques », tantôt « opérationnelles » voire financières.
92
définir des modalités destinées à améliorer l’exécution des mesures d’éloi-
gnement.
Difficile communautarisation
La question du retour des ressortissants des pays tiers ne constitue pas une
exception. En effet, chaque pays membre veut continuer à décider de ma-
nière souveraine qui doit être éloigné de son territoire, que ce soit pour des
93
motifs d’ordre public ou de sécurité intérieure ou comme sanction du séjour
irrégulier de l’étranger concerné. Les États membres sont toutefois prêts à
s’entendre (et rapidement) avec leurs partenaires lorsqu’il s’agit de mettre
en œuvre des mesures dites « opérationnelles », c’est-à-dire des décisions
qui n’impliquent pas de définition de normes minimales ou d’harmonisation
des législations nationales mais qui débouchent sur des actions concrètes.
94
Deux formes de retour y sont distinguées : le volontaire et le forcé. Le pre-
mier peut constituer, selon la Commission, une des solutions à long terme
pour résoudre le problème des demandeurs d’asile déboutés, ce qui est in-
dispensable « pour sauvegarder l’intégrité d’un régime d’asile commun ».
Pour inciter au retour volontaire, elle envisage « qu’une demande ultérieure
de visa permettant de revenir dans l’Union européenne pourrait ne pas être
rejetée au seul motif que l’intéressé était précédemment en séjour irrégulier
dans un État membre ». Une hypothèse qui traduit, de la part de la Commis-
sion, soit une naïveté surprenante, soit une parfaite mauvaise foi, tant il est
notoire que la politique européenne des visas est fondée presque exclusive-
ment sur la prévention du risque migratoire. Les ministres de l’intérieur
eux-mêmes ne se font guère d’illusions, tel le ministre français, Nicolas
Sarkozy qui reconnaît : « Nous sommes tous favorables aux départs volon-
taires, mais si vous donnez le choix à un réfugié en fin de droits entre partir
de son plein gré ou rester, vous risquez d’avoir peu de succès » [5].
95
programme de rapatriement sur la base du livre vert de la Commission ;
parmi ces éléments doit figurer l’optimisation des retours accélérés vers
l’Afghanistan […] ». Dans cette nouvelle communication, la Commission
approfondissait sa réflexion sur les mesures opérationnelles à mettre en
œuvre, parmi lesquelles l’introduction des données biométriques dans le
système d’information sur les visas, de règles de réadmission des étrangers
non communautaires entre les États membres, la formation commune des
autorités de différents pays chargés de l’éloignement et la mise en place
d’opérations de retour communes. « Il est généralement coûteux d’exécuter
les mesures d’éloignement de personnes en séjour irrégulier au moyen de
vols charter. Les États membres pourraient dès lors exécuter les retours de
manière plus efficace en organisant des opérations de retour communes, le
cas échéant en partageant les capacités existantes à bord des vols […]. La
généralisation de cette pratique non seulement présenterait des avantages
financiers, mais adresserait aussi un signal fort » estimait l’institution euro-
péenne.
Il est vrai que certains pays membres, parmi lesquels la France, avaient déjà
eu recours, en 2002 et 2003, aux vols groupés pour procéder à l’expulsion
des ressortissants de pays tiers. La délégation française avait d’ailleurs pré-
senté au Conseil, le 29 juillet 2002, une proposition de projet pilote de « ra-
tionalisation des mesures d’éloignement, notamment par le moyen des re-
tours groupés ».
C’est dans ce contexte qu’au début de l’été 2003 a été mise sur la table de
négociations la proposition italienne, sur laquelle les États membres ont
conclu un accord politique lors d’une réunion du Conseil justice et affaires
intérieures le 6 novembre 2003, alors que le Parlement européen n’avait pas
encore rendu son avis. Le texte initialement présenté a subi des modifica-
tions importantes au cours des négociations. Dans la seconde version de la
proposition sont définies les différentes tâches relevant d’une part de l’État
« organisateur » (choix du transporteur aérien, obtention des autorisations
nécessaires au déroulement du vol commun, définition des détails opéra-
tionnels), d’autre part de l’État « participant » (annonce de sa participation à
l’opération et désignation des escortes), et, enfin, les tâches communes
(veiller à ce que les personnes soient en possession des documents de
96
voyage valables et tenter d’obtenir l’assistance nécessaire des autorités di-
plomatiques et consulaires).
Au texte a été ajoutée une annexe intitulée « Orientations communes sur les
mesures de sécurité à prendre pour les opérations communes d’éloignement
par voie aérienne ». Intégrée à la proposition après la saisine du Parlement
européen, elle échappe par conséquent au contrôle parlementaire. Sa lecture
est pourtant édifiante. On y apprend, par exemple, que les États peuvent
faire appel aux escortes privées – mais non armées – pour l’accompagne-
ment des personnes renvoyées. Lors du départ, l’État organisateur doit pré-
voir une zone de sécurité « afin d’assurer un rassemblement discret ». En
cas d’incident, le document précise que les escorteurs doivent se limiter à
l’autodéfense mais peuvent prendre « toutes mesures raisonnables et pro-
portionnées, en cas de risque immédiat et grave, pour empêcher la per-
sonne renvoyée de s’échapper, de se blesser ou de blesser un tiers ». On se
demande ce qui est raisonnable et proportionné dans une opération dont le
principe même est loin d’être proportionné à l’égard des étrangers éloignés.
Une section est consacrée au recours à des mesures de coercition. Il y est af-
firmé que l’usage de la force ne doit pas dépasser les « limites du raison-
nable » (pour qui ?), qu’il ne doit être porté atteinte ni à la dignité ni à l’in-
tégrité physique de la personne renvoyée (selon quelles notions de dignité et
d’intégrité ?), et qu’enfin, si la force est utilisée, la victime doit rester en po-
sition verticale pour que sa cage thoracique ne soit pas comprimée (autre-
ment dit pour ne pas l’étouffer et de cette manière causer sa mort) [7]. Un
rapport de mission est prévu, qui doit faire état « des incidents éventuels
ainsi que des mesures coercitives et médicales éventuellement prises ».
Mais il doit rester « strictement confidentiel et réservé à l’usage interne ».
97
Présence des ONG
98
coule de leur présence dans des lieux d’enfermement comme les centres de
rétention ou les zones d’attente : caution ou bouclier ? ?
Notes
[1]
Pour une analyse de l’évolution de la construction européenne, voir :
« Les grandes étapes de la construction de l’“espace européen”, de
Rome à Amsterdam en passant par Schengen », par Claire Rodier,
Plein droit, n° 49, avril 2001, p. 36 - 41.
[2]
Voir dans ce numéro, article p. 58.
[3]
Ainsi, la rencontre des pays G5 (Espagne, France, Allemagne, Grande-
Bretagne et Italie) à La Baule (France) en octobre 2003 en dehors de
tout cadre institutionnel.
[4]
Voir dans ce numéro, article p. 62.
[5]
« Immigration : les Quinze envisagent des “charters européens” », Le
Figaro, 14 septembre 2002.
[6]
« Bruxelles prête à financer des “charters” groupés », Le Figaro,
22 janvier 2004.
[7]
Comme cela s’est déjà produit en France et en Belgique.
[8]
« La commission de déontologie de la sécurité critique cinq “charters”
pour étrangers », Le Monde, 8 février 2004.
[9]
C’est la même situation présentée lors de l’adoption de la directive re-
lative au regroupement familial, v. note n° 6.
[10]
Comme le souligne la Cimade dans un courrier adressé à M. Vitorino
le 5 février 2004 : « Il est certes toujours possible de trouver des argu-
ties juridiques pour contester le fait qu’un “charter” n’est pas une ex-
pulsion collective, comme il est toujours possible d’affirmer qu’un
99
train n’est pas un train mais juste quelques wagons qui se suivent
(...) ».
[11]
Pour une analyse détaillée, voir « Contre la normalisation des vols
groupés par l’Union européenne », Cimade, octobre 2003.
[12]
Appel « Contre les charters de l’humiliation », novembre 2003. Voir
sur le site internet : www.cimade.org
100
L'asile et l'intime conviction du juge — Jean-Mi-
chel Belorgey
Les règles auxquelles obéit le contentieux du droit d’asile, et la jurispru-
dence à laquelle a donné lieu leur mise en œuvre, sont désormais bien
connues, au moins des spécialistes et des militants des droits de l’homme ;
de savants ouvrages en ont donné de longues et précises descriptions [1].
Les modalités de formation, en ce domaine, de l’intime conviction du juge
sont demeurées plus confidentielles. Faute de se prêter, sans doute, à une
analyse rassurante. De manière, à tout le moins, à ne pas trop donner à voir
que le roi est, sinon nu, en tout cas fortement dévêtu. Ce qui est de nature,
pourtant, à donner de la justice, qui a tout à y gagner, sur ce front comme
sur d’autres, un visage plus humain.
Les données à la disposition du juge pour lui permettre d’élucider les situa-
tions dont il a à connaître, sont tout d’abord, en règle générale, extraordinai-
rement limitées. Il n’en va autrement que dans quelques cas, notamment en
matière d’exclusion du statut pour commission de crimes contre la paix, de
guerre, ou contre l’humanité, où cela ne simplifie pas, d’ailleurs, la solu-
tion, car certaines formes de pléthore ne sont pas plus confortables que la
pénurie. Ce sont :
101
soit un caractère redondant,
soit un caractère contradictoire.
C’est alors que le juge, à son corps plus ou moins défendant, commence à
s’associer à l’exercice de l’espèce de double contrainte qui, du fait de la na-
ture de l’épreuve, de l’exigence de vérité, ou de la propension au soupçon,
du contingentement de fait, aussi, qui règne en matière de reconnaissance
de la qualité de réfugié, tend à s’appesantir sur le demandeur d’asile.
de l’inadéquation,
du faux.
102
tée indécise, à une formation politique ou apparentée, les attestations de
chefs peu ou prou historiques en exil.
Sont non moins logiquement réputés faux les procès-verbaux de police, dé-
cisions de justice, attestations administratives émanant des autorités du pays
d’origine, dont on n’en finit pas de déplorer le défaut de production, mais
dont la présence au dossier soulève trois espèces de doutes : le premier tiré
de l’incertitude sur leur caractère authentique (certains ne paraissent effecti-
vement pas crédibles, mais tous les documents réels de pays bizarres ne
sont, de fait, pas crédibles, et la plupart des postes diplomatiques ou consu-
laires sont trop loin des réalités souterraines du pays de résidence, ou trop
légitimistes, pour avoir là-dessus des idées précises, ou, à défaut, bien-
veillantes) ; le second tiré du degré de plausibilité de l’entrée en possession
de documents authentiques de l’espèce (on semble oublier, quand on les ré-
clame improbablement, que les tortionnaires ne délivrent pas de certificats,
mais on hésite tout autant – à tort ou à raison – à admettre que leur activité
puisse laisser des traces administratives) ; le troisième, enfin, tiré de la sup-
putation de la possibilité qu’un persécuté cherchant à quitter son pays en ca-
tastrophe pense d’abord, parvienne ensuite à se munir de semblables docu-
ments, ou de documents apparentés (photos compromettantes à raison de la
prise ou de la détention desquelles on aurait été recherché ou poursuivi).
103
de forces gouvernementales et de forces rebelles, alternant leurs exactions
et leurs tentatives d’enrôlement, peut-elle être regardée comme constitutive
de persécutions ? Jusqu’où les membres d’une même famille (et à quel de-
gré de parenté) sont-ils fatalement, et cela vaut-il également dans toutes les
sociétés et dans toutes les cultures, exposés à des persécutions dès lors
qu’un premier membre s’est lui-même trouvé pris dans l’engrenage ?
Tel est aussi le cas, hélas, de l’intervention de certains avocats qui, habitués
ou non à l’exercice, n’en ont pas compris la portée, et, soit font exagéré-
ment confiance au juge, soit le soupçonnent à tort, ou n’en ont cure, mais le
plus souvent le harassent de détails, de digressions et d’arguments hors su-
jet, au lieu d’affronter les questions clefs :
104
elles seules, au moins en principe, faire la décision, pas plus que leur
absence la compromettre ?
105
pas été le cas, jusqu’à présent, pour les situations de proscription, avec ou
sans menace de mort, liées au refus d’assurer des fonctions de « roi » ou de
« reine » d’ensembles tribaux de taille variable, situations qui ne se ren-
contrent que chez les demandeurs d’asile d’origine ghanéenne, heureuse-
ment, car on n’y comprend pas grand chose.
Notes
[1]
Notamment : Commission des recours des réfugiés : « Le droit des ré-
fugiés en France », Tables décennales de jurisprudence de la Commis-
sion des recours des réfugiés (1988-1997), précédées d’une étude de
Frédéric Tiberghien, Economica, 2000.
106
Collectivement, contre les discrimina-
tions — Christian Saout
En 2001, AIDES et Sida Info Service avaient organisé des États Généraux
réunissant à la Cité de la Villette trois cents personnes venues de toute la
France sous le titre : « Homosexualités et Identités : santé, vie affective, vie
sociale ». Une formulation sans doute complexe pour parler tout simple-
ment de l’impact du Vih/sida sur les minorités sexuelles et rappeler que les
conditions de vie qui leur sont faites sont décisives pour une meilleure es-
time de soi et une meilleure prise en compte par chacun de sa protection et
de sa santé face au Vih/sida. Dans un contexte de forte mobilisation des ac-
teurs de la lutte contre le sida, les travaux avaient clairement mis en exergue
la nécessité de réduire les discriminations dont sont victimes ces groupes
minoritaires, et avaient notamment conclu à la nécessité de disposer, en
France, d’une autorité indépendante chargée de lutter contre les discrimina-
tions.
Deux ans auparavant, déjà, AIDES avait organisé au Centre culturel suédois
une rencontre avec l’ombudsman suédois contre les discriminations fondées
sur l’orientation sexuelle, qui avait permis de percevoir l’intérêt d’une
transposition d’institutions de ce type dans le contexte français.
107
crimination vers des autorités à compétence plus large ou traduisant une
préoccupation d’universalité dans la lutte contre les discriminations. Ces
évolutions faisaient apparaître par contraste le retard de la France, en dépit
de la transformation du « groupe d’étude sur les discriminations » en
« groupe d’étude et de lutte contre les discriminations », chargé de gérer le
numéro vert « 114 », doté de moyens très insuffisants et centré sur les
seules discriminations raciales.
A la fin de l’année 2002, le terrain n’est donc pas totalement vierge quand
le Président de la République, dans un discours prononcé à Troyes, en ap-
pelle lui aussi à la création en France d’une autorité indépendante univer-
selle de lutte contre les discriminations. Pouvait-on mieux dire ? Sans doute
pas. Ce faisant, avait-il épuisé le sujet ? Bien évidemment non. Et nous sen-
tions bien tout l’intérêt de marquer le débat public par des propositions, et
pour tout dire par la nécessaire réunion d’une série de conditions sans les-
quelles l’instauration d’une telle autorité serait vide de sens.
Puis nous avons élargi le cercle des premiers partenaires vers des groupes
ou des mouvements avec lesquels nous n’avions pas l’habitude de tra-
vailler – associations de handicapés, associations féministes, par exemple –
avec un double objectif : élargir la mobilisation et valider les orientations
auxquelles nous avions abouti, quitte à en modifier les contours si le débat
produit au cours de l’élargissement du premier cercle de combat le nécessi-
tait.
Nos travaux ont notamment été marqués par une journée d’étude qui a per-
mis aux uns et aux autres de mieux connaître les discriminations dont nous
108
n’avions pas connaissance parce que notre champ d’intervention ou notre
domaine de mobilisation nous en tenait écartés. Nous avons donc progressé
sur deux fronts : le soutien éclairé à une idée que nous avancions depuis
longtemps et le partage le plus large sur les déterminants de ce combat au
sein du collectif et au-delà.
L’idée d’abord. Nous avons assez clairement établi quelles étaient pour
nous les conditions à réunir pour que l’on parle véritablement d’autorité in-
dépendante universelle concourant à la lutte contre les discriminations.
Act Up-Paris
ADAPT (Ligue pour l’Adaptation du Diminué Physique au Travail)
AIDES
Amnesty International France
Association des Parents et futurs parents Gays et Lesbiens (APGL)
Association Femmes Publiques
Association française des Hémophiles (AFH)
Association des Paralysés de France (APF)
ARCAT
Association française de lutte contre les myopathies (AFM)
Association du syndrome de Benjamin (ASB)
Caritig
Collectif contre l’homophobie 34
Collectif National Droits des femmes
109
Confédération Syndicale des Familles (CSF)
Coordination pour le droit à l’avortement et à la contraception (CADAC)
Fédération des Mutuelles de France (FMF)
Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (FNATH)
Fédération Nationale des Maisons des Potes (FNMDP)
Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI)
Handicap et Libertés
Homosexualité et Socialisme
Interassociative Lesbienne-Gaie-Bi-Trans (Inter-LGBT),
Le LIEN
Ligue des Droits de l’Homme (LDH)
Le MAG - Jeunes Gais et Lesbiennes
Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP),
Prévention Action Santé Travail pour les Transgenres (PASTT),
PROCHOIX
Réseau Hospitalier des Usagers (Réshus)
Sida Info Service
SNEG (Le Syndicat des Entreprises Gaies)
SOS Hépatites
SOS Homophobie
Vaincre La Mucoviscidose (VLM)
Ce doit aussi être une autorité unique plutôt qu’une superposition de plu-
sieurs autorités spécifiques dédiées chacune à une discrimination, ce qui ne
manquerait pas de poser des difficultés en cas de cumul de discriminations
et aboutirait à écarter les discriminations les moins nombreuses en quantité
mais terriblement préoccupantes pour les personnes concernées. On pense
bien évidemment aux minorités sexuelles.
Ce doit bien entendu être une autorité universelle. En raison du fait qu’elle
doit couvrir toutes les catégories de discriminations mais aussi tous les agis-
sements discriminatoires, et dans tous les domaines.
110
Eric FASSIN, Professeur à l’ENS
Jacques CHEVALLIER, Professeur à l’Université Paris II, Directeur du
CERSA
Danièle LOCHAK, Professeur à l’Université Paris-X
Daniel BORRILLO, Maître de Conférences à l’Université Paris X
Michel MINE, Professeur associé en droit privé à l’Université de Cergy-
Pontoise
Sophie LATRAVERSE, Juriste
Philippe BATAILLE, CADIS-EHESS
Marie-Thérèse LANQUETIN, Juriste, Université Paris X
Robert WINTEMUTE, School of Law, King’s College, Londres
Nathalie FERRÉ, Maître de Conférences à l’Université Paris X
Jean-Michel BELORGEY, Conseiller d’Etat, Auteur du rapport sur la lutte
contre les discriminations.
111
en consacrant la participation des organisations (associations, syndicats…)
intervenant sur le terrain.
Enfin, ce doit être une autorité accessible. Il ne s’agit pas de créer une auto-
rité « centralisée » mais une autorité capable de répondre effectivement aux
sollicitations de tous ceux qui s’estiment victimes d’une discrimination. De
ce point de vue, elle doit disposer de relais au niveau territorial, issus de
l’autorité nationale.
En effet, nous devons encore accompagner ces étapes car elles ne se feront,
et ne doivent pas se faire sans nous. Nous n’accepterons pas que la France
soit le dernier pays d’Europe à disposer d’une telle autorité ou qu’au pays
des droits de l’homme on accepte une autorité au rabais soulevant un formi-
dable espoir dans l’opinion mais incapable, en pratique, d’apporter à ceux
qui sont victimes d’actes discriminatoires le soutien qu’ils sont en droit
d’attendre d’une telle autorité Et ne doutons pas qu’au lendemain du rapport
112
remis par Bernard Stasi, le cortège des empêcheurs va donner de la voix :
ici le pouvoir judiciaire inquiet de ses prérogatives, là les inquiétudes de
telle administration publique, ailleurs encore les résistances de certains inté-
rêts privés ennuyés de ne plus pouvoir discriminer « entre amis ».
À nos yeux, il est donc clair que la mise en place de l’autorité indépendante
ne doit pas démobiliser les pouvoirs publics ou la société civile, mais ren-
forcer les obligations des uns et les outils aux mains de l’autre, et que l’effi-
cacité de l’édifice constitué par les lois, le contrôle juridictionnel et l’autori-
té indépendante doit continuer à être poussé par la mobilisation des associa-
tions et des syndicats.
Restons groupés !
Communiqué du Gisti
113
verselle de lutte contre les discriminations, que se mette en place dans les
délais les plus brefs la haute autorité indépendante de lutte contre les discri-
minations et pour l’égalité dont le rapport suggère la création.
Cette autorité n’aura toutefois de crédibilité et d’efficacité : que si elle est
dotée de réels moyens, et de réels pouvoirs ; que si sa mise en place s’ins-
crit dans une politique globale de lutte contre les discriminations et pour
l’égalité, comme l’atteste a contrario l’échec de toutes les structures précé-
demment mises en place, et notamment celui du GELD, dont les proposi-
tions – notamment sur les emplois fermés aux étrangers – n’ont même pas
connu un début de mise en œuvre ; que si cette politique se donne pour ob-
jectif de combattre non seulement les discriminations déjà prohibées par les
textes mais aussi celles qui, inscrites dans la loi ou les règlements, font obs-
tacle, en violation du principe d’égalité, à l’exercice des droits fondamen-
taux.
Au moment où l’on dit vouloir se mobiliser contre toutes les formes de dis-
crimination, le Gisti tient en effet à rappeler la nécessité de dénoncer des
discriminations trop souvent passées sous silence : car il y a bien discrimi-
nation :
114
Une nouvelle convention pour les migrants —
La convention de l’ONU pour la protection des droits de tous les tra-
vailleurs migrants et les membres de leur famille est entrée en application
le 1er juillet 2003. Ayant nécessité plus de dix ans pour voir le jour, la nou-
velle convention représente un grand pas en avant dans les efforts pour
améliorer la vie de la vaste réserve de la main-d’œuvre mondiale. Grand
spécialiste des migrations au sein du BIT, Patrick Taran, instigateur de la
campagne pour la ratification, dévoile à Travail les objets de la convention,
son champ d’application et en quoi elle changera la vie des migrants.
115
Travail : N’existe-t-il pas déjà deux conventions de l’OIT sur la migration ?
116
Taran : Tous les pays qui l’ont ratifiée sont liés légalement par la conven-
tion. En plus, l’application de la convention sera surveillée par un comité de
dix experts élus par les États qui l’ont ratifiée, constituant le Comité pour la
protection des droits de tous les travailleurs migrants et de leurs familles.
Taran : Pour l’OIT, un régime durable véritablement efficace exige une ré-
ponse aux demandes de main-d’œuvre en Europe et en Amérique du Nord,
en Afrique, en Asie et en Amérique latine, tout en mettant en place des poli-
tiques et des structures pour maîtriser et gérer la migration. Cela nécessite
un degré important de consensus social et l’implication de toutes les parties
les plus directement touchées par la migration de main-d’œuvre : les tra-
vailleurs et les employeurs.
117
Taran : Sûrement. La nouvelle convention, liée aux conventions existantes,
constitue une base, fondée sur des valeurs reconnues, pour la détermination
et le fondement légal, pour une politique nationale et son application. Elle
est un moyen d’encourager les États à établir ou à améliorer leur droit natio-
nal en harmonie avec les normes internationales. La protection et la struc-
ture proposées par ces accords vont bien au-delà de l’élaboration d’un cadre
des droits humains. De nombreux règlements appropriés forment, en
somme, un agenda complet pour les politiques nationales et pour la coopé-
ration et la consultation entre les États afin de formuler une politique sur la
migration économique, échanger des informations, fournir des renseigne-
ments aux migrants et faciliter leur retour au pays d’origine ainsi que leur
réintégration.
Notre travail à l’OIT continue. Une réunion tripartite régionale, sous les
auspices de l’OIT, a eu lieu à Bangkok fin juin avec pour thème « Les défis
rencontrés par la politique et la gestion de la migration économique en
Asie ». Le but était d’invoquer les opportunités et les défis auxquels sont
confrontés les pays de la région. De nouvelles dynamiques se mettent en
place visant les groupes particuliers, surtout les travailleuses domestiques
immigrées, pour qu’ils aient des possibilités accrues et pour l’amélioration
de leur condition. Cette question sera le sujet du débat général pendant la
conférence internationale du travail en 2004 à Genève.
118
l’homme (HCNUDH) et de l’Organisation des Nations unies pour
l’éducation, la science et la culture (UNESCO) ont signé une déclara-
tion commune dans laquelle ils se félicitent de l’entrée en vigueur de la
nouvelle convention en faveur des travailleurs migrants.
« La convention reconnaît que certains droits humains de base – définis
dans la Déclaration universelle des droits de l’homme – sont applicables à
tous les travailleurs migrants et les membres de leur famille indépendam-
ment de leur statut. »
Elle définit les droits applicables aux migrants dans les situations régu-
lières et irrégulières ; elle établit des normes minimales de protection
concernant les droits civils, économiques, politiques, sociaux et du tra-
vail ; elle reconnaît que les travailleurs migrants sont des êtres humains
qui ont des rôles et des responsabilités au-delà du contexte du travail et
de l’économie. Basée sur les conventions antérieures de l’OIT, elle élar-
git le cadre légal pour la migration internationale, le traitement des mi-
grants, la prévention de l’exploitation et la migration clandestine. Elle
couvre le processus entier de la migration : la préparation, l’embauche,
le départ et le voyage ; le séjour dans les pays où ils trouvent un em-
ploi ; le retour et le rétablissement dans les pays d’origine.
La déclaration conjointe des quatre institutions des Nations unies ex-
primait également « leur détermination d’œuvrer pour une collaboration
accrue et des activités communes dans le domaine de la migration et des
droits humains, dans les sphères telles que l’information et la recherche
sur la migration ».
Elle préconise la coopération technique, l’élargissement des pouvoirs
des fonctionnaires et d’autres autorités face aux abus envers les mi-
grants sujets au trafic et au travail forcé, et pour empêcher la discrimi-
nation et la xénophobie envers les migrants.
Notes
[1]
Pays ayant ratifié la convention ou initié la procédure de ratification :
Egypte, Maroc, Seychelles, Colombie, Philippines, Ouganda, Sri Lan-
ka, Sénégal, Bosnie-Herzégovine, Cap-Vert, Azerbaïdjan, Mexique,
Ghana, Guinée, Bolivie, Uruguay, Belize, Tadjikistan, Equateur, El
Salvador, Guatemala et Mali.
119
[2]
Pays signataires de la convention : Chili, Bangladesh, Turquie, Co-
mores, Guinée-Bissau, Paraguay, Sao Tomé e Principe, Sierra-Leone,
Burkina Faso, Togo.
120
Cahier de jurisprudence —
Regroupement familial Prés. du TA de Limoges (juge des réfé-
rés) 14/08/2002 KADA c/préfet Haute-Vienne
121
une boulangerie de Limoges à compter de septembre 2002 ; qu’il se trouve
privé de la possibilité de conclure ce contrat et, par suite, de poursuivre sa
formation en vue de l’obtention d’un C.A.P. en raison des effets de la déci-
sion du préfet de la Haute-Vienne de rejeter la demande d’admission au sé-
jour ; que cette circonstance, en dépit du fait qu’elle n’ait pas été connue
du préfet lors de l’instruction de la demande de regroupement antérieure à
la décision d’orientation scolaire et professionnelle et bien qu’aucun titre
de séjour n’ait été sollicité depuis, caractérise en l’espèce la nécessité de
voir suspendus les effets de la décision litigieuse en ce qu’elle concerne Ab-
dellah Kada ;
122
Annulation des décisions préfectorales – Injonction au préfet d’autoriser le
regroupement familial dans le délai d’un mois – Somme versée à l’avocat
de la défense sous réserve de renoncer à la part de l’aide juridictionnelle.
123
Référence à rappeler pour avoir copie de l’ordonnance et du jugement
:
124
l’une, Nehal, est scolarisée à l’école maternelle « Les Capucins » de Gray
(Haute-Saône) ; que Mlle X souffre de troubles psychologiques et physiolo-
giques rendant la présence de son compagnon auprès d’elle particulière-
ment précieuse ; que M. DJERIDI bénéficie d’une promesse d’embauche
ferme de la part d’une entreprise de menuiserie et d’agencement, spécialité
du requérant ; que Mlle X a signé le 25 juillet 2002 un contrat emploi-soli-
darité avec le Centre social CAP’GRAY de Gray ; qu’il résulte de ce qui
précède que, eu égard à la durée de relation de concubinage de M. DJERI-
DI et de Mlle X, à la stabilité de la situation du couple, à leur insertion pro-
fessionnelle, à la circonstance non contestée que M. DJERIDI ne constitue
en aucune manière une menace pour l’ordre public, à l’intérêt supérieur de
leurs enfants, au sens de l’article 3-1 de la convention internationale rela-
tive aux droits de l’enfant du 26 janvier 1990, compte tenu des problèmes
de santé de Mlle X, M. DJERIDI est fondé à soutenir que le préfet de la
Haute-Saône a, dans l’exercice de son pouvoir de police, porté une atteinte
grave et manifestement illégale à son droit à une vie familiale normale, pro-
tégé par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits
de l’homme et des libertés fondamentales, qui constitue une liberté fonda-
mentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ;
qu’il y a lieu, par suite et dans les circonstances de l’espèce, d’enjoindre au
préfet de la Haute-Saône et à toute autorité administrative de suspendre
toute mesure d’éloignement physique de M. DJERIDI, d’ordonner au préfet
de la Haute-Saône d’examiner dans les meilleurs délais la demande de titre
de séjour présentée par le requérant, et, dans l’attente de la décision à in-
tervenir, de délivrer à celui-ci un titre de séjour provisoire... »
125
APRF contre une ressortissante centrafricaine avec décision de renvoi dans
le pays d’origine – Risque manifeste de retour en Centrafrique – Annulation
de la décision fixant le pays de destination.
126
La décision du préfet du Rhône, fixant la Centrafrique comme pays de des-
tination, est annulée.
Le code civil, dans son article 21-16, stipule que « nul ne peut être naturali-
sé s’il n’a en France sa résidence au moment de la signature du décret de
naturalisation », et, dans son article 24-1 que « la réintégration par décret
peut être obtenue à tout âge et sans condition de stage. Elle est soumise,
pour le surplus, aux conditions et aux règles de la naturalisation », qui im-
posent au demandeur d’avoir fixé en France, de manière stable, le centre de
ses intérêts.
127
lors, M. SAIDANI est fondé à soutenir qu’en estimant qu’il n’avait pas
transféré en France le centre de ses intérêts, le ministre de l’emploi et de la
solidarité a fait une appréciation erronée des circonstances de l’espèce... »
Refus de séjour à un Malien résidant en France depuis plus de dix ans, avec
APRF, confirmé par le magistrat délégué du tribunal administratif – Excès
de pouvoir – Annulation et condamnation de l’État à verser 1 220 euros au
demandeur.
« Considérant qu’il n’est pas contesté que M.C. résidait en France depuis
plus de dix ans à la date de la décision du 13 février 2001 lui refusant un
titre de séjour ; que la circonstance qu’il s’est procuré une fausse carte de
résident qu’il a utilisée pendant son séjour en France, ne suffit pas à elle
seule à établir que la présence de celui-ci sur le territoire français créait,
dans les circonstances de l’espèce, une menace pour l’ordre public ;
qu’ainsi, le préfet du Val-d’Oise, qui s’est fondé sur cette seule circons-
tance, sans prendre en compte l’ensemble des éléments caractérisant le
comportement de l’intéressé, pour refuser de lui délivrer le titre de séjour
sollicité sur le fondement des dispositions précitées du 3° de l’article 12 bis
de l’ordonnance du 2 novembre 1945, a entaché sa décision d’excès de
pouvoir ;
Considérant que, par suite, M.C. est fondé à exciper de l’illégalité de la dé-
cision susmentionnée du 13 février 2001 ; qu’il est, dès lors, fondé à soute-
nir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le conseiller délégué par
le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa de-
128
mande tendant à l’annulation de l’arrêté du 6 juin 2001 par lequel le préfet
du Val-d’Oise a ordonné sa reconduite à la frontière... »
« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la mère de Mlle Out-
talab et ses trois frères ont rejoint en France le beau-père de l’intéressée
dans le cadre du regroupement familial en 1989 ; qu’elle-même, alors âgée
de dix-neuf ans, n’a pu bénéficier de cette mesure et a dû rester au Maroc
avec sa grand-mère ; que celle-ci étant décédée en 1994, l’intéressée s’est
trouvée dépourvue de toute attache familiale dans son pays d’origine et a
alors décidé de rejoindre sa famille en situation régulière sur le territoire
129
français ; que, dans ces circonstances, la décision du PREFET DE L’HE-
RAULT du 4 juillet 2001 refusant un titre de séjour à l’intéressée a mécon-
nu les dispositions du 7° de l’article 12 bis précité ; que, par suite, l’arrêté
ordonnant la reconduite à la frontière de Mlle Outtalab, pris sur le fonde-
ment de cette décision est privé de base légale et doit être annulé ;
Rejet.
130
sortissante française, et de la mère de celle-ci, d’une part, et les « condi-
tions générales de sécurité régnant en Algérie à la date de la décision atta-
quée », d’autre part, faisaient obstacle à ce que M. et Mme Bendimered
s’établissent en Algérie durant la période nécessaire à l’obtention du visa
de long séjour exigé pour la délivrance d’un certificat de résidence ; que,
ce faisant, la cour a procédé à une appréciation souveraine qui, en l’ab-
sence de toute dénaturation, ne peut être contestée devant le Conseil d’État
par la voie du recours en cassation ; qu’elle n’a pas donné aux faits de l’es-
pèce une qualification erronée en déduisant de l’appréciation à laquelle
elle s’est ainsi livrée que le préfet des Bouches-du-Rhône avait porté au
droit de M. Bendimered au respect de sa vie privée et familiale une atteinte
disproportionnée aux buts en vue desquels il avait refusé la délivrance du
certificat de résidence sollicité ; que, dès lors, le MINISTRE DE L’INTÉ-
RIEUR n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ».
Rejet.
131
et de la détention ordonne la prolongation de la rétention pour une durée
maximale de 5 jours. Mme MOUR relève immédiatement appel de cette dé-
cision, qui, dès le 8 novembre, est annulée par la Cour au regard des mul-
tiples irrégularités de la procédure : absence de PV d’interpellation et de
fondement de contrôle d’identité opéré au commissariat de police, notifica-
tion tardive au procureur de la République, et impossibilité de mettre en ré-
tention une mère d’enfant français.
« Attendu que le procès verbal de police versé aux débats n’indique pas
qu’une enquête de flagrance fut en cours ; qu’il est seulement mentionné
que les policiers agissaient dans le cadre de leurs “missions de sur-
veillance” ;
Attendu que, par ailleurs, il n’est pas établi que le procureur de la Répu-
blique ait été informé d’une manière quelconque du placement en rétention
administrative avant la télécopie de 16 heures 08, alors que cette mesure
avait pris effet dès 14 heures 15 ;...
132
frais d’instance. Référence à rappeler pour avoir copie de l’ordonnance
: Plein droit, jurisprudence n° 498
133
la Charente de restituer à M. MOULLAEL INZOUDDINE ses deux passe-
ports, entaché d’une illégalité manifeste, porte une atteinte grave à la liber-
té d’aller et de venir de M. MOULLAEL INZOUDDINE, qui constitue une
liberté fondamentale au sens de l’article L 521-2 du code de justice admi-
nistrative ; qu’eu égard aux conséquences qui s’attachent pour le requérant
à ce refus et notamment à l’impossibilité de se rendre à court terme aux Co-
mores pour voir sa mère dont l’état de santé décline, la condition d’urgence
prévue par le même texte est remplie en l’espèce ».
134
quence, tant l’annulation de l’arrêté ordonnant sa reconduite à la frontière
pris sur le fondement de ce refus que celle du jugement par lequel le magis-
trat délégué par le président du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa
requête dirigée contre cet arrêté… »
APRF contre une Tunisienne qui s’est maintenue sur le territoire après un
refus de séjour, confirmé par le magistrat délégué du tribunal administratif
de Nice – Violation de l’article 8 de la CEDH – Annulation.
« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que Mme HAJRI épouse
BEN JABRIA, qui s’est mariée en novembre 1994 avec un compatriote, M.
BEN JABRIA, est entrée en France trois ans avant la mesure de reconduite
attaquée, avec leur fille née en décembre 1996 pour y rejoindre son époux
qui est installé en France depuis 1961, est titulaire d’une carte de résident
et a un emploi stable, et que le couple a eu un second enfant, né en janvier
2000 ; que, dans ces circonstances, et alors même que l’intéressé peut bé-
néficier du regroupement familial, l’arrêté attaqué a porté à son droit au
respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue
desquels il a été pris ; qu’il a ainsi méconnu les stipulations de l’article 8
de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fonda-
mentales… »
135
L’intérêt particulier de cette jurisprudence est le fait qu’elle rejette l’argu-
ment administratif habituel qui consiste à renvoyer le demandeur à la procé-
dure de regroupement familial, en lui rappelant qu’il ne pourra l’engager
que si son épouse quitte le territoire et retourne au pays d’origine ; procé-
dure actuellement interminable que les nouvelles dispositions de la loi Sar-
kozy rendent encore plus aléatoire. Procédure absurde et inhumaine qui, en
l’espèce, aurait brisé la famille, en imposant à l’épouse de quitter son mari
(avec ou sans ses enfants ?) pour un temps indéterminé, sans même l’assu-
rance de pouvoir trouver un point de chute au pays d’origine.
APRF contre un Algérien resté en France après avoir reçu un refus de sé-
jour et une invitation à quitter le territoire, confirmé par le conseiller du TA
– Erreur manifeste d’appréciation – Annulation du jugement du TA et de la
décision préfectorale – Injonction au préfet de police de délivrer au requé-
rant une APS dans le délai d’un mois.
136
Annulation du jugement du magistrat délégué par le président du TA de Pa-
ris et de l’arrêté du préfet de police ordonnant la reconduite à la frontière.
Injonction au préfet de police de délivrer une autorisation provisoire de sé-
jour dans le délai d’un mois à compter de la présente décision.
137
Considérant que, par la décision attaquée en date du 7 octobre 1999, qui
vise Mme Lahouaria DJADANE née SOUYAH, le préfet fonde son refus
d’admission au séjour sur l’article 5-2 de la convention de Dublin et l’ar-
ticle 10-1er de la loi du 25 juillet 1952, au motif que la Grèce a accepté de
prendre en charge leur demande d’asile politique ; que, néanmoins, le pré-
fet omet d’examiner la demande de dérogation à l’application de la conven-
tion de Dublin présentée par lettre du 4 juillet 1999 ; qu’il apparaît que les
motifs humanitaires, familiaux et culturels exposés par l’intéressée dans
cette lettre, pour lesquels Mme DJADANE souhaitait être admise au séjour
provisoire en France pour voir sa demande d’asile politique traitée par ce
pays, et non par la partie contractante responsable au sens de la conven-
tion, n’ont pas été examinés par le préfet avant de refuser l’admission au
séjour ; qu’ainsi, le préfet a commis une erreur de droit en omettant
d’examiner la situation personnelle de l’intéressée et les motifs de la de-
mande de dérogation qui lui était présentée ;... »
138