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Au nom de l'insécurité...


Les périodes se suivent et se ressemblent dangereusement. Depuis quelques
années, la question de la lutte contre l’insécurité semble avoir supplanté
toute réflexion sur le modèle de société à construire et les réponses du légis-
lateur nourrissent toujours les mêmes amalgames. Chaque fois qu’il réappa-
raît, le thème de la lutte contre la délinquance entraîne dans son sillon
d’autres réformes visant à remettre en cause des libertés ; les premiers stig-
matisés sont le plus souvent les immigrés, les demandeurs d’asile, mais, se-
lon les moments, les catégories incriminées peuvent être plus larges... Sans
remonter très loin dans le temps, et en laissant de côté la finalité politique
du discours sécuritaire, le regard, fût-il furtif, vers deux périodes récentes,
1986 et 1993, permet de s’en convaincre. Il invite le lecteur à déjà réfléchir
sur la concomitance des projets de lois et les sous-entendus que cette coïn-
cidence suggère.

En 1986, à la suite des élections législatives, le gouvernement Chirac dé-


pose quatre projets de loi à l’assemblée nationale, un premier sur la lutte
contre le terrorisme, un deuxième sur la lutte contre la criminalité, un autre
sur les conditions d’interpellation et un dernier, enfin, sur l’entrée et le sé-
jour des étrangers en France. Les termes de répression et d’efficacité sont
omniprésents dans les discours. De questionnement pourtant sur l’efficience
des mesures préconisées alors – toujours les mêmes – il n’y en a guère.
Comme si cela allait de soi, et qu’il n’y avait pas à douter que le problème
de la délinquance ou de la violence pouvait et même devait être résolu par
un renforcement des pouvoirs de police et la réduction des libertés indivi-
duelles de tous et des garanties judiciaires. Ainsi, pour ne prendre que cet
exemple, on se contente d’affirmer que les contrôles d’identité sont indis-
pensables pour atteindre l’objectif poursuivi, et cela suffit à justifier un re-
tour au dispositif né de la loi sécurité et liberté par la suppression des condi-
tions de temps et de lieu qui avaient été posées en 1983. La vitesse avec la-
quelle les projets sont adoptés a de quoi donner le vertige : quatre mois
entre le dépôt et l’entrée en vigueur. La présentation des quatre textes dans
le même laps de temps et leur discussion quasi-simultanée au Parlement
conduisent naturellement à des associations entre délinquance, immigration
et insécurité, dont on peut deviner les effets néfastes sur une opinion encline

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à trouver des responsables. Les pratiques policières sur la voie publique
nourrissent les mêmes associations en stigmatisant la population étrangère
ou que l’on présume telle.

Le législateur aura des réflexes identiques en 1993. Alors même que le code
de procédure pénale vient de s’enrichir de nouvelles dispositions prenant
mieux en compte le principe de la présomption d’innocence, le gouverne-
ment issu des élections législatives de mars fait marche arrière et restitue
notamment au juge d’instruction les pouvoirs qui étaient les siens en ma-
tière de détention provisoire. A nouveau donc, sont déposés dans la foulée
plusieurs projets de lois réformant la procédure pénale, les contrôles d’iden-
tité et... l’ordonnance du 2 novembre 1945 (sans compter la loi Méhaignerie
inventant « la manifestation de volonté » de devenir français pour les jeunes
nés en France). Les mêmes amalgames sont évidemment de mise, et au trai-
tement de « l’insécurité », on répond encore par une restriction des droits et
libertés.

C’est un processus de même nature qui est à l’œuvre aujourd’hui, avec une
plus grande acuité encore, ne serait-ce que parce que les règles déjà adop-
tées ou encore en discussion marquent un recul jamais atteint jusqu’alors et
une remise en cause de principes que l’on croyait acquis. Sur fond de lutte
contre le terrorisme mondial et la montée de l’islamisme radical et en guise
de réponse aux problèmes de violence et de délinquance dont il n’est aucu-
nement démontré qu’ils se soient amplifiés, le législateur a cru bon de dé-
tourner le droit pénal de ses fonctions originelles en inventant des infrac-
tions mettant dans l’embarras la plupart des tribunaux, de tuer à petit feu le
droit d’asile et de déstabiliser le séjour de personnes ayant vocation à s’ins-
taller durablement en France. Il ne lui reste plus – mais le chemin est déjà
pris malgré la décision du Conseil constitutionnel – qu’à massacrer la pro-
cédure pénale et ses principes afférents, notamment en augmentant de façon
considérable les pouvoirs de la police au point de remettre en cause le rôle
alloué au juge d’instruction. Le lien entre immigration et délinquance laisse
entendre, d’une part que le premier phénomène est en lui-même crimino-
gène, d’autre part que ceux qui sont dépourvus d’autorisation de séjour en
France sont tout à la fois livrés et condamnés à la délinquance (prostitution,
emploi dissimulé, ...). A cela s’ajoute une surpénalisation de la matière elle-
même : aggravation des infractions à la réglementation sur les étrangers et

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création de nouveaux délits spécifiques. Cette image de l’étranger délin-
quant, comme celle du fraudeur, laisse des traces indélébiles dans les repré-
sentations sociales.

Au nom de l’insécurité, s’empilent des réformes consistant à détruire les li-


bertés individuelles, en se gardant bien d’une réflexion globale.

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L'intégration, alibi de la précarisation — Danièle
Lochak
Depuis l’adoption de la loi de 1984 qui a créé la carte de résident, toutes les
réformes – à l’exception de la loi Joxe de 1989 – ont eu pour objet et pour
effet de remettre progressivement en cause l’acquis que représentait ce titre
de séjour délivré de plein droit aux étrangers ayant des attaches person-
nelles ou familiales en France (voir encadré). La loi Sarkozy poursuit cette
entreprise de déstabilisation : elle crée de nouveaux obstacles à l’obtention
de la carte de séjour, notamment pour les conjoints de Français, pour les
étrangers malades, pour ceux qui justifient de dix ans de résidence habi-
tuelle en France ; elle limite les conditions du regroupement familial, no-
tamment en ce qui concerne les ressources ; elle multiplie les hypothèses de
retrait des titres de séjour ; enfin et surtout, elle subordonne, dans une série
de cas, l’obtention d’une première carte de résident à une condition d’inté-
gration.

La carte de résident « doit être réservée à ceux qui ont prouvé une réelle vo-
lonté d’intégration, car l’on ne peut demander à la société française de
vous accueillir pendant une longue période et ne pas avoir le souci de s’y
intégrer », a déclaré le ministre de l’intérieur devant les députés. Le lien
entre intégration et stabilité du séjour se trouve ainsi inversé par rapport à la
logique qui avait présidé à la création de la carte de résident en 1984 : la ga-
rantie de stabilité du séjour avait alors été présentée comme devant favori-
ser l’intégration. En effet, l’innovation fondamentale de la loi Sarkozy, ce
n’est pas de précariser de nouvelles catégories d’étrangers auxquels la carte
de résident ne sera plus délivrée que sous conditions : en cela, elle s’inscrit
au contraire dans la continuité des textes qui l’ont précédée ; c’est de
prendre prétexte de la nécessaire intégration des étrangers pour justifier leur
maintien dans une situation précaire aussi longtemps qu’ils n’ont pas donné
des gages d’intégration. La carotte et le bâton, en somme.

Le spectre du communautarisme

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Cette injonction est adressée aux nouveaux immigrants dans un contexte
marqué par la thématique de l’opposition entre l’immigration subie, qui
n’inclut pas seulement, aux yeux du ministre de l’intérieur, l’immigration
clandestine, mais aussi le regroupement familial et l’asile, et l’immigration
choisie – choisie « en fonction des besoins de notre économie et de nos ca-
pacités d’intégration ». Tandis qu’il convient d’encourager la seconde, il est
en somme naturel d’imposer à la première des contraintes, d’autant plus né-
cessaires que rôde le spectre du communautarisme : « des communautés is-
sues de l’immigration s’organisent pour résister à l’intégration républi-
caine par des pratiques endogames », « des jeunes françaises issues de
l’immigration sont mariées de force à l’étranger », des jeunes femmes
étrangères, mariées et installées en France, sont privées de l’accès à la
langue française, à la formation professionnelle et à la vie sociale, dit en-
core le ministre, sans craindre d’opérer des amalgames douteux.

Et c’est pour contenir ces tendances communautaristes que – pour la pre-


mière fois, relève Nicolas Sarkozy pour s’en vanter – la notion d’intégration
dans la société française est introduite dans notre droit et devient une condi-
tion d’accès à la carte de résident.

Carte de séjour sous condition

Subordonner l’accès à des titres de séjour de longue durée à des gages préa-
lables d’intégration ne peut avoir pour résultat qu’une précarisation de la
condition des étrangers, comme l’atteste le nouveau régime des cartes de
séjour qui généralise la délivrance de la carte temporaire, y compris pour les
étrangers ayant vocation à s’établir en France, et rend plus difficile l’accès à
un titre de séjour de longue durée.

La réforme comporte en effet deux volets étroitement articulés : d’un côté


elle supprime l’accès de plein droit à la carte de résident pour plusieurs ca-
tégories d’étrangers (membres de famille, parents d’enfants français, étran-
gers titulaires de la carte « vie privée et familiale ») ; de l’autre elle subor-
donne la délivrance d’une première carte de résident « à l’intégration répu-
blicaine de l’étranger dans la société française, notamment au regard de sa
connaissance de la langue française et des principes qui régissent la Répu-
blique française » (art. 6 et art. 14). C’est la commission des lois du Sénat

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qui a proposé de substituer à la formulation initiale, qui faisait référence à
« l’intégration satisfaisante dans la société française » la notion d’intégra-
tion « républicaine ».

Le lien avec le contrat d’intégration que le gouvernement est en train de


mettre en place est évident : pour avoir une chance d’obtenir une carte de
résident, l’étranger devra avoir suivi le parcours d’intégration proposé – et
en pratique imposé (apprentissage du français, rudiments d’instruction ci-
vique). S’il ne l’a pas suivi, ou si l’on estime qu’il n’en a pas tiré suffisam-
ment profit, il conservera une carte temporaire. C’est ce que confirment
aussi bien les débats parlementaires que l’intervention de François Fillon
devant le Haut Conseil à l’Intégration, le 8 décembre 2003. Actuellement
dans une phase expérimentale, le dispositif devrait à terme, c’est-à-dire dès
la fin 2005, concerner la totalité des migrants réguliers : conjoints de Fran-
çais, bénéficiaires du regroupement familial, titulaires d’une carte « vie pri-
vée et familiale » ou des titres de séjour autorisant à travailler, réfugiés sta-
tutaires, bénéficiaires de régularisation. Et selon les termes mêmes du mi-
nistre, il s’agit « d’institutionnaliser un processus qui conduira à lier signa-
ture et respect du contrat et délivrance de la carte de résident de longue du-
rée ».

Mais si la signature du contrat d’intégration et l’assiduité aux modules de


formation linguistique et civique seront à l’évidence une condition néces-
saire, elles ne seront pas, tout aussi évidemment, une condition suffisante.
Ne serait-ce que parce que le module dit de « formation civique » poursuit
des objectifs démesurément ambitieux dont on a toute raison de penser
qu’ils ne pourront pas être atteints dans le laps de temps prévu : six heures,
pour des personnes dont la plupart ne sauront pas encore le français.

Liberté, égalité… laïcité ?

Il s’agit en effet, d’après les documents officiels, de : 1. faire connaître le


fonctionnement institutionnel et administratif de la France (1h30) ; 2. faire
connaître les principes fondamentaux et les valeurs de la société française
aux nouveaux arrivants : liberté et notamment liberté d’opinion, liberté de
pensée, liberté de religion, laïcité ; les principes d’égalité et notamment
égalité des droits hommes/femmes, et autonomie des femmes ; les principes

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de solidarité (impôts, prestations sociales) ; la participation à la vie de la
cité ; l’accès à la nationalité française et la citoyenneté (4h30). On a du
mal à imaginer que les stagiaires puissent assimiler autant de choses en si
peu de temps ! et encore plus de mal à croire, dans ces conditions, que la
simple assiduité à ce module de six heures, et même aux cours de français,
seront considérés comme un gage suffisant d’intégration, débouchant ipso
facto sur la délivrance d’une carte de résident.

Cela veut dire, en clair, que les services préfectoraux conserveront un large
pouvoir d’appréciation, en fonction de critères à la fois subjectifs et arbi-
traires, pour décider si l’intéressé remplit ou non la condition d’intégration
républicaine. L’obtention de la carte de résident récompensera un comporte-
ment jugé conforme aux principes de la République française : liberté, éga-
lité, … laïcité ! En ces temps de polarisation sur le foulard, il n’est pas in-
terdit de penser que le port dudit foulard sera au minimum un mauvais
point, au pire un obstacle dirimant à l’obtention de la carte de résident.

Intégration… ou déstabilisation ?

Les premiers visés par cette fragilisation du droit au séjour sont les
membres de famille – conjoint et enfants mineurs : alors qu’ils recevaient
de plein droit un titre de même nature que celui détenu par la personne
qu’ils venaient rejoindre, et donc souvent une carte de résident, ils se ver-
ront délivrer dans tous les cas une carte temporaire d’un an et ne pourront
solliciter une carte de résident qu’au bout de deux ans de présence en
France, et sous condition d’« intégration républicaine ».

La justification de ce recul incontestablement grave ? C’est encore le mi-


nistre qui nous la donne : « Pourquoi voulons-nous supprimer la délivrance
automatique de la carte de résident aux regroupés familiaux ? Pour une
raison simple : nous avons constaté qu’un certain nombre d’hommes font
venir des femmes qui sont ensuite enfermées dans la famille, à qui on ne
permet pas d’apprendre le français, et qui se retrouvent ainsi prises dans un
communautarisme parfaitement clanique. Ce que nous voulons, c’est obli-
ger celui qui fait venir, dans le cadre du regroupement familial, une per-
sonne, laquelle est généralement sa femme, à lui permettre d’apprendre le
français et de s’insérer dans notre société ; si elle ne fait pas ce parcours,

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elle n’aura pas droit à la carte de résident ». On relèvera au passage cette
perversion de la logique et de l’équité qui conduit, pour contraindre les ma-
ris, à faire pression… sur leurs femmes !

Sont aussi visés les parents d’enfants français qui, au nom, cette fois, de la
lutte contre une soi-disant prolifération des « paternités de complaisance »,
se voient supprimer l’accès de plein droit à la carte de résident. Ils ob-
tiennent en compensation, si l’on peut dire, un délai ramené à deux ans (au
lieu de cinq, désormais, dans le cas général) pour solliciter le passage – dis-
crétionnaire et subordonné à la condition d’intégration – à la carte de ré-
sident.

Est enfin supprimé le passage de plein droit à la carte de résident après cinq
ans de séjour régulier en France pour les titulaires de la carte « vie privée et
familiale ». Pour ceux-ci – qui ont par hypothèse des attaches en France – la
délivrance de la carte de résident dépendra encore de l’appréciation discré-
tionnaire du préfet et des gages d’intégration qu’ils seront en mesure de
fournir.

D’une façon générale, le nouveau dispositif vise à reculer le plus longtemps


possible l’accès à un titre de longue durée et à filtrer soigneusement les heu-
reux bénéficiaires de ce titre. C’est là l’un des aspects essentiels de l’entre-
prise de précarisation systématique réalisée par la loi Sarkozy, dans laquelle
s’inscrivent d’autres dispositions également significatives. Le législateur a
ainsi ajouté des conditions nouvelles rendant plus difficile l’accès à la carte
de séjour temporaire : non prise en compte, pour le calcul des dix ans de ré-
sidence habituelle, des années pendant lesquelles l’intéressé a résidé en
France avec de faux papiers ; obligation, pour les conjoints de Français, de
faire état d’une vie commune dès la première demande de carte et plus
seulement lors de son renouvellement ; ou encore modification des critères
d’appréciation des ressources pour le regroupement familial, puisque désor-
mais « les ressources doivent atteindre un montant au moins égal au
SMIC » alors que, dans la rédaction précédente, l’insuffisance des res-
sources ne pouvait motiver un refus si elles étaient supérieures au SMIC.
Autrement dit, le préfet peut refuser le regroupement familial même si les
ressources sont équivalentes au salaire minimum, s’il estime que les charges

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qui pèsent sur le budget du demandeur (compte tenu du nombre d’enfants
par exemple) sont trop lourdes par rapport à ses revenus.

Un autre aspect très symptomatique de la précarisation du séjour réside


dans la multiplication des cas de retrait du titre de séjour. Poursuivant sur la
voie de l’autre loi Sarkozy – la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité inté-
rieure – qui a permis de retirer sa carte de séjour temporaire à l’étranger
passible de poursuites sur le fondement des articles du code pénal qui ré-
priment la traite des êtres humains, le proxénétisme, le racolage, l’exploita-
tion de la mendicité, le vol dans les transports en commun, ou la mendicité
agressive, le nouveau texte ajoute à cette énumération certaines infractions
à la législation sur les stupéfiants ainsi que le fait de travailler sans autorisa-
tion. Il remet également en vigueur une disposition introduite une première
fois par la loi Pasqua de 1993 et supprimée en 1998, qui permet de retirer
son titre de séjour à l’étranger qui a fait venir son conjoint ou ses enfants en
dehors de la procédure de regroupement familial ; or le regroupement « de
fait » est souvent la seule solution pour éviter que la famille ne demeure sé-
parée à jamais, au point que le Conseil d’État est régulièrement amené à an-
nuler pour violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de
l’homme des décisions de rejet de demandes de regroupement familial sur
place.

En mettant en avant l’intégration, la loi Sarkozy ne se préoccupe nullement,


on le voit, de faire à la population immigrée une place dans la société fran-
çaise, pas plus qu’elle ne se soucie réellement du sort des nouveaux immi-
grants. Tout au contraire, elle adresse à une partie de cette population une
injonction stigmatisante et ne pourra avoir pour effet que de l’enfermer un
peu plus dans une situation de précarité et de vulnérabilité qui, à coup sûr,
fera obstacle à toute véritable intégration. ?

La carte de résident : une conquête progressivement grignotée

En créant une carte de résident que tout étranger qui réside en France régu-
lièrement depuis plus de trois ans a vocation à obtenir, et qui est délivrée de
plein droit à tous ceux qui ont des attaches personnelles ou familiales en
France, en reconnaissant au titulaire de cette carte, valable dix ans et renou-
velable automatiquement, le droit d’exercer sur l’ensemble du territoire la

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profession de son choix, la loi du 17 juillet 1984 opérait dans le droit de
l’immigration une rupture dont la portée symbolique était aussi importante
que la portée pratique : elle signifiait que la population immigrée n’était
plus considérée comme un volant de main-d’œuvre mais comme une com-
posante de la société française. La loi Pasqua du 9 septembre 1986, sans re-
mettre frontalement en cause la reconnaissance à certaines catégories
d’étrangers d’un droit de demeurer en France fondé sur l’ancienneté du sé-
jour ou sur les liens familiaux noués avec des citoyens français, a restreint
la liste des étrangers pouvant prétendre de plein droit à une carte de ré-
sident.
La loi Joxe du 2 août 1989 est revenue à l’esprit du texte de 1984 en ce qui
concerne l’attribution de plein droit de la carte de résident aux personnes
ayant des attaches personnelles ou familiales en France.
Avec la seconde loi Pasqua de 1993, la délivrance dite « de plein droit » de
la carte de résident n’est plus qu’un faux-semblant dès lors qu’elle est su-
bordonnée à la régularité préalable du séjour et à l’absence de menace pour
l’ordre public ; les conjoints de Français n’ont plus accès à la carte de ré-
sident qu’après un an de mariage et à la condition, souvent difficile à rem-
plir en pratique, d’avoir pu dans l’intervalle se maintenir sur le territoire
français en situation régulière ; les personnes entrées en France avant l’âge
de dix ans n’ont plus la garantie d’obtenir le droit au séjour à leur majorité.
Moins de quatre ans plus tard, le gouvernement doit prendre acte de l’im-
possibilité d’appliquer strictement les textes adoptés : la « loi Debré »
du 24 avril 1997 permet d’accorder une carte de séjour temporaire à cer-
taines des catégories d’étrangers dont la loi Pasqua avait placées dans une
situation inextricable (conjoints de Français, jeunes entrés avant l’âge de six
ans…).
La loi Chevènement a assoupli sur un certain nombre de points la législa-
tion issue des lois Pasqua et Debré en donnant le droit d’obtenir une carte
de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » à ceux
qui ont des attaches en France sans remplir les conditions d’obtention d’une
carte de résident. Mais elle a entériné par là même la précarisation de leur
statut, et cela de façon d’autant plus évidente que, parmi les bénéficiaires
(potentiels) de la carte « vie privée et familiale », figurent des étrangers
auxquels la loi de 1984 avait prévu de délivrer une carte de résident.

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Un récurrent soupçon de fraude — Nathalie Ferré
L’exposé des motifs de la loi résume l’essentiel des dispositions censées lut-
ter contre l’immigration clandestine, en cherchant à les légitimer par le
combat mené contre les filières mafieuses : « en ce qui concerne la lutte
contre l’immigration clandestine, le projet de loi propose des mesures desti-
nées à agir sur l’ensemble de la chaîne des filières criminelles. Il crée un fi-
chier des empreintes digitales des demandeurs de visas et améliore le fonc-
tionnement des zones d’attente, qui constituent les premiers stades de l’en-
trée ou du maintien irréguliers sur le territoire. Dans le même esprit, il ins-
titue un contrôle des attestations d’accueil dont l’utilisation à des fins d’im-
migration clandestine est patente […]. Il améliore le dispositif de lutte
contre le mariage et les reconnaissances en paternité de complaisance et
donne aux autorités publiques les moyens de mieux contrôler la fraude à
l’état civil étranger. »

Qui peut croire avec honnêteté que ces mesures ont pour premier objectif de
toucher les filières décriées ? Elles frappent les étrangers dans les plus pré-
cieuses de leurs libertés au premier rang desquelles figurent celle de circuler
et le respect de leur vie privée. Faux touristes, faux parents, faux conjoints,
habiles dans leur aptitude à détourner les procédures, à réclamer un droit
qui ne leur est pas dû, telle est la seule figure de l’étranger qui se présente
aux frontières ou aux guichets de nos préfectures. Il faudrait un jour pouvoir
mesurer le mal produit par les interventions successives du législateur avec
cette entreprise de destruction comme facteur d’exclusion, de xénophobie et
de racisme. Comment peut-on croire à la sincérité des discours sur la lutte
contre les discriminations quand l’autre est sans cesse désigné comme un
délinquant, un vil personnage dans lequel on ne saurait avoir confiance ?

Sans revenir sur l’ensemble des dispositions nouvelles, on peut tenter de


montrer, à travers l’analyse de la loi du 26 novembre, comment finit de se
dessiner, à coup de gros traits, le portrait de l’étranger fraudeur. Cet étranger
est prêt à tout pour entrer et ne jamais repartir, venant ainsi grossir les rangs
des sans- papiers. Il est par définition, sauf quand il vient de pays riches, un
faux touriste. En conséquence, comme tous les documents réclamés aux
frontières sont forcément détournés de leur objet et constituent à ce titre un

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véritable sésame, les procédures permettant d’entrer légalement en France
sont placées sous très haute surveillance.

Désormais, celui qui se borne à demander un visa est soupçonné de vouloir


migrer, ce qui justifie de prendre ses empreintes digitales et sa photogra-
phie. Si l’article 8-4 nouveau de l’ordonnance du 2 novembre 1945 ne rend
pas le fichage obligatoire, il y a fort à parier que cette mesure sera systéma-
tiquement utilisée par les autorités consulaires. Le fait d’avoir demandé vai-
nement la délivrance, à plusieurs reprises, d’un visa suffira à induire que
l’étranger, par son insistance, est un futur clandestin. Vouloir à tout prix ve-
nir voir sa famille, des proches ou des amis ou encore désirer passer un di-
plôme dans une université qui a accepté préalablement l’inscription seront
preuves que la personne concernée n’entend pas repartir. La démonstration
serait sans faille.

Attestations d’accueil : fraude à l’entrée

De même, il est évident, pour le législateur, que l’attestation d’accueil a per-


mis à des milliers d’étrangers d’obtenir un visa ; il était donc nécessaire de
durcir les conditions d’obtention du document et de responsabiliser ceux
qui les hébergent, complices de ce qui ne peut être qu’une fraude. La forte
mobilisation de 1996 contre le certificat d’hébergement version « Debré »
est oubliée ; ce que met en place aujourd’hui la loi n’a pourtant rien à lui
envier. Les vieilles ficelles sont à l’œuvre pour soi-disant déjouer la fraude :
vérification des conditions de logement de celui qui souhaite accueillir, pou-
voir des maires de refuser de valider le document, engagement de l’héber-
geant à prendre en charge les frais de séjour au cas où l’étranger en visite ne
pourrait y faire face…

Celui qui veut accueillir n’est pas mieux traité et son portrait n’est pas plus
flatteur. Il est soupçonné de remplir des attestations d’accueil de complai-
sance. Aussi, pour pouvoir repérer les coupables et chasser les fraudes en ce
domaine, la loi crée un fichier des hébergeants dans chaque mairie : « Les
demandes de validation des attestations d’accueil peuvent être mémorisées
et faire l’objet d’un traitement automatisé afin de lutter contre les détourne-
ments de procédure. Les fichiers correspondants sont mis en place par les
maires […] ».

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Ainsi, celui qui a établi une attestation d’accueil, validée ou non, devient un
tricheur potentiel dont il faut à l’avenir surveiller le comportement. Lors-
qu’il voudra à nouveau accueillir des proches ou faire une nouvelle tenta-
tive, il sera aisé de le repérer en consultant le fichier. Non seulement le
maire refusera de valider le document, comme la loi l’y autorise désormais
(les attestations antérieures signées par l’hébergeant faisant « apparaître, le
cas échéant après enquête […] un détournement de la procédure »), mais,
de plus, la personne risque d’être poursuivie pour aide à l’entrée et/ou au
séjour irrégulier, en application de l’article 21 de l’ordonnance. Le Conseil
constitutionnel, dans sa décision du 20 novembre 2003, n’a rien trouvé à re-
dire à ces mécanismes de contrôle, dangereux pour les libertés indivi-
duelles, et a considéré que le dispositif opérait « entre le respect de la vie
privée et la sauvegarde de l’ordre public une conciliation qui n’est pas ma-
nifestement déséquilibrée ».

L’obsession de la fraude se mesure également au stade de la délivrance des


titres de séjour. Le législateur n’a eu de cesse, depuis l’instauration de la
carte de dix ans, il y a vingt ans, de jouer avec les catégories d’étrangers
pouvant obtenir « de plein droit » un titre de séjour. Deux catégories ont
toujours été dans le collimateur des pouvoirs publics : les conjoints de Fran-
çais et les parents d’enfants français. Au mariage de complaisance s’est
donc ajoutée la « paternité de complaisance », censés l’un et l’autre justifier
une fois de plus des mécanismes préalables de contrôle.

Concernant tout d’abord le mariage, la réglementation met en place deux


types de mesures : une surveillance en amont pour la célébration du ma-
riage, qui existe depuis 1993, et une surveillance en aval en jouant sur les
conditions à remplir pour bénéficier du titre de séjour. Le législateur a tenté
de durcir considérablement le dispositif existant dans le domaine de la célé-
bration du mariage. Ainsi, dans la version de la loi votée par le parlement,
la situation administrative irrégulière de l’un des futurs époux constituait un
indice sérieux d’absence de consentement, comme si le fait d’avoir ou non
des papiers pouvait préjuger de la sincérité du projet matrimonial.

Dès lors, l’officier d’état civil devait saisir le préfet, ce qui, en pratique, re-
venait à empêcher les personnes sans papiers de se marier. Ces dispositions
portaient incontestablement atteinte à la liberté de se marier, ce que le

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Conseil constitutionnel avait déjà sanctionné dans sa décision du 13 août
1993. Aujourd’hui, celui-ci rappelle sa position : « si le caractère irrégulier
du séjour d’un étranger peut constituer dans certaines circonstances, rap-
proché d’autres éléments, un indice sérieux laissant présumer que le ma-
riage est envisagé dans un autre but que l’union matrimoniale, le législa-
teur, en estimant que le fait pour un étranger de ne pouvoir justifier de la
régularité de son séjour constituerait dans tous les cas un indice sérieux de
l’absence de consentement, a porté atteinte au principe constitutionnel de
la liberté du mariage [1].

De la même façon, a été condamné le signalement automatique au préfet de


la situation du candidat au mariage, comme l’information concomitante du
parquet, en position de déclencher alors des poursuites pénales. Le disposi-
tif, avant de lutter contre les mariages de complaisance, entendait surtout
organiser l’éloignement de l’étranger, présumé fraudeur, en ce sens que la
précarité de sa situation administrative annihilait toute idée de projet
d’union admissible au regard du code civil.

Continuant son entreprise de dévoiement de la loi pénale, et sous prétexte


de déjouer une fois de plus les fraudes, le législateur a érigé en délit le fait,
pour une personne, de contracter un mariage dans le seul but d’obtenir ou
de faire obtenir un titre de séjour ou d’acquérir ou de faire acquérir la natio-
nalité française, un délit punissable de cinq ans d’emprisonnement et
de 15 000 euros d’amende. En outre, il accentue son contrôle sur les ma-
riages, puisque l’officier d’état civil doit désormais procéder à l’audition
commune des futurs époux. Le législateur a pris soin de préciser que cette
audition n’a pas lieu en cas d’empêchement ou s’il apparaît à l’officier
qu’elle n’est pas nécessaire pour s’assurer du consentement.

Il n’est pas utile de faire des paris pour savoir dans quelles hypothèses on y
aura recours. Il ne reste finalement pas grand chose du dessein originel du
législateur, si ce n’est la possibilité, pour le ministère public, de surseoir à la
célébration du mariage pendant deux mois (un mois renouvelable) et non
plus un, comme c’était le cas auparavant. Du temps supplémentaire pour
mettre au point les départs forcés. Il demeure de toutes les façons, et au re-
gard des pratiques, toujours très difficile pour un étranger en situation irré-
gulière de se marier avec un(e) Français(e).

14
Faux mariages et « enfants blancs »

La loi du 26 novembre 2003 est venue ajouter une condition à la délivrance


d’une carte de séjour d’un an « vie privée et familiale » pour les conjoints
de Français : la justification d’une communauté de vie au moment de la de-
mande de titre, condition que les personnes auront bien du mal à remplir en
cas de célébration du mariage à l’étranger. Par ailleurs, on peut s’interroger
sur les documents qui seront à même de l’établir, dès lors que, le plus sou-
vent, la demande de carte suit les noces. La lutte contre les mariages de
complaisance a également été invoquée pour justifier une antériorité du ma-
riage de deux ans afin de bénéficier cette fois d’une carte de résident [2].
Toutes ces dispositions, au service de la même obsession largement entrete-
nue, non seulement précarisent inutilement le séjour des intéressés, mais de
plus influent sur la stabilité des unions. Elles sont aussi parfois à l’origine
de chantages et de pressions entre époux relevant de la sphère privée, dont
le législateur est pour une grande part responsable [3].

Les parents d’enfants français sont encore moins bien lotis. Parce qu’il n’est
pas concevable d’exercer un contrôle en amont, le législateur a fait le choix
de supprimer purement et simplement la possibilité, pour ces derniers, d’ob-
tenir « de plein droit » une carte de résident. Les paternités de complai-
sance – ou les « enfants blancs », comme le monde associatif s’était amusé
à le dire au moment des discussions autour de la loi Joxe – seraient deve-
nues, selon les responsables politiques, une pratique courante pour remédier
à une situation administrative précaire ou pour échapper à une mesure
d’éloignement.

Les parents ne peuvent donc prétendre désormais qu’à une carte d’un an, à
condition de faire la preuve qu’ils contribuent effectivement à l’entretien et
à l’éducation de l’enfant dans les conditions prévues par le code civil
(« chacun des parents contribue à l’entretien et à l’éducation des enfants à
proportion de leurs ressources, de celles de l’autre parent, ainsi que des be-
soins de l’enfant » [4]). Cette référence au devoir d’entretien, qui régit en
droit commun les rapports entre parents et enfants, laisse présumer que les
étrangers démunis de titre de séjour se désintéressent habituellement du sort
de leur enfant et qu’ils sont animés, là encore, par le seul dessein de régula-
riser leur situation administrative. Il faudra donc les mettre sous sur-

15
veillance en les maintenant, à supposer qu’ils aient pu établir préalablement
le respect de leur obligation auprès des autorités préfectorales, sous titre
précaire le temps que ces mêmes autorités le jugeront nécessaire. Désignés
par la loi comme de faux parents, ils devront se montrer plus qu’exem-
plaires pour renverser cette terrible présomption.

Enfin, parce que l’étranger est prompt à usurper l’identité d’autrui – et les
qualités qui l’accompagnent –, la loi détruit la règle, inscrite dans le code
civil depuis 1938, en vertu de laquelle les actes de l’état civil des étrangers
rédigés selon la loi locale font foi, c’est-à-dire sont supposés dire la vérité.
Elle vient en réalité consacrer les pratiques administratives consistant à re-
mettre systématiquement en cause les actes étrangers. Il résulte tant de ces
pratiques que des débats parlementaires que le fonctionnement de l’état ci-
vil, dans les pays pauvres, est nécessairement considéré comme déficient, et
que les administrations locales concernées sont complices des fraudes dé-
busquées en France.

Dangereux amalgame

Selon le rapporteur du projet, la fraude serait de l’ordre de 60 à 90 % dans


certains pays ! On oublie dans la foulée un peu vite – même s’il s’agit d’une
autre histoire – qu’un acte d’état civil erroné ne signifie pas automatique-
ment qu’il y a fraude, et que des milliers d’étrangers ont obtenu un titre de
séjour sur la base de renseignements d’état civil ne correspondant pas à la
réalité (nom patronymique changé ou écorné, date de naissance approxima-
tive…) sans que cela pose de problème. La procédure de vérification des
actes d’état civil étrangers, mise en place par l’article 47 du code civil, peut
aller de deux mois dans le meilleur des cas à… douze mois, alors même que
sont en jeu des libertés fondamentales comme celle de se marier ou le droit
de mener une vie familiale normale.

Par son obsession à lutter contre les pratiques frauduleuses, intimement liée
à la politique de fermeture des frontières, la réglementation produit elle-
même des situations de clandestinité. Elle plonge délibérément dans la pré-
carité des personnes qui, de par leurs liens familiaux, ont vocation à s’ins-
taller durablement en France. Elle conduit aussi certains à prendre des voies

16
détournées pour trouver une terre d’accueil. Mais est-ce pour autant ce que
l’on nomme « fraude » ?

Ce tour d’horizon enfin ne rend que partiellement compte de l’image de


l’étranger dessinée par la loi. L’histoire de son statut juridique montre clai-
rement, dès la fin du XIXe siècle, qu’il était perçu comme un être dangereux
dont on devait surveiller les déplacements pour préserver l’Etat-nation [5].
Ce trait est loin d’avoir disparu aujourd’hui. De la même façon, la fraude ne
se résume aux déclinaisons évoquées, le faux touriste, le faux parent ou en-
core le faux membre de famille. Il faudrait y ajouter le faux étudiant, le faux
malade, le faux mineur ou encore le faux demandeur d’asile, représentation
qui transparaît dans la réforme intervenue en décembre 2003. ?

Notes

[1]
Décision n° 2003-484 du 20 novembre 2003 sur la loi relative à la maî-
trise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la natio-
nalité.
[2]
Il faudra aussi attendre un délai de deux ans depuis la célébration du
mariage pour pouvoir acquérir la nationalité française en application
de l’article 21-2 du code civil modifié. Ce délai est même porté à trois
ans lorsque l’étranger, au moment de sa déclaration, ne justifie pas
avoir résidé de manière ininterrompue pendant au moins un an en
France à compter du mariage. Enfin, l’époux doit justifier à la date de
la déclaration que la communauté de vie, tant affective que matérielle,
n’a pas cessé.
[3]
On peut aussi évoquer, dans le même ordre d’idée, la nouvelle régle-
mentation sur le regroupement familial prévoyant la remise en cause
de l’admission au séjour du conjoint en cas de rupture de la vie com-
mune dans les deux ans suivant la délivrance de son titre de séjour.
[4]
Art. 371-2 du code civil.
[5]

17
Bien que, sous la IIIe République, la France soit présentée comme une
« Nation accueillante et hospitalière », elle prend des mesures jugées
nécessaires pour que « les étrangers n’apportent pas le trouble et le
désordre ». Ainsi, par la loi du 2 octobre 1888, elle met en place pour
la première fois un mécanisme de contrôle propre aux non-nationaux :
l’obligation de déclarer leur présence en mairie dans les quinze jours
suivant l’arrivée sur le territoire. S’en suivront d’autres dispositifs jus-
qu’à la création, en 1917, de la carte d’identité d’étranger dont la dé-
tention est obligatoire.

18
Naïma et Rachid au pays des maires — Chris-
tophe Daadouch
Rachid M. est ressortissant marocain en situation irrégulière et habite la
commune de Meuilly s/Seine depuis plusieurs années. Il rencontre un jour
Naïma Z. également marocaine, titulaire d’une carte de résident et demeu-
rant aussi dans la commune de Meuilly.

Ils souhaitent se marier et entreprennent leurs premières démarches en mai-


rie. Rachid n’y précise pas qu’il est en situation irrégulière et présente sim-
plement l’ensemble des pièces justificatives exigibles aux termes de l’ins-
truction générale relative à l’état civil.

Par malchance, son acte de naissance paraît douteux à l’agent d’état civil
qui instruit le dossier. L’orthographe de son nom n’est pas tout à fait la
même que sur son passeport. Conformément à l’article 47 du code civil mo-
difié par la loi Sarkozy, si « d’autres actes ou pièces détenus, des données
extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent que cet acte
est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent
pas à la réalité », l’agent sursoit à la demande. Ce dernier invite alors genti-
ment l’intéressé à saisir le procureur de la République de Nantes pour qu’il
soit procédé à la vérification de l’authenticité de l’acte. Le doute étant
contagieux, le procureur fait procéder à des investigations auprès des autori-
tés consulaires compétentes.

Après six mois d’enquête, il informe la mairie de Meuilly et Rachid qu’au


vu des résultats des investigations menées, il doit saisir le tribunal de grande
instance de Nantes pour qu’il statue sur la validité de l’acte présenté. Plu-
sieurs mois plus tard, celui-ci valide l’acte de naissance. Rachid renaissant,
il réitère aussitôt sa volonté de se marier auprès du service d’état civil.

Devant tant d’insistance et de pugnacité, l’agent d’état civil flaire une


fraude au mariage. Conformément à la loi Sarkozy, il le convoque pour un
entretien, d’abord avec Naïma, puis il les entend individuellement. Il y sera
question de leur volonté de se marier, de l’ancienneté de leur union, de leur
projet commun. Au détour, on demandera à Rachid s’il a un titre de séjour

19
pour avoir de tels projets avec Naïma. A celle-ci on indiquera que Rachid
étant en situation irrégulière, il encourt un éloignement et une sanction pé-
nale. Quant à elle, conformément au nouvel article 21 quater ajouté par la
loi du 26 novembre 2003, on lui précise que « le fait de contracter un ma-
riage aux seules fins d’obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour, ou aux
seules fins d’acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité française est puni
de cinq ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »

L’agent d’état civil, ayant maintenant la conviction que Rachid se marie


pour régulariser sa situation, envisage de saisir le procureur en application
de l’article 175-2 du code civil (voir note n° 1). Dommage que ce sacré
foutu Conseil constitutionnel ait retiré à l’absence de titre de séjour la quali-
té d’indice d’un mariage entaché d’un défaut de consentement (décision
du 20 novembre 2003, n° 2003-484) (voir note n° 2) !

Voyons donc ailleurs… ça y est, lors de l’entretien, Rachid n’était pas fichu
de connaître la date de naissance de sa future. Et, en plus, on a pu repérer
une « attitude distante » entre les deux futurs époux (voir note n° 3) au mo-
ment où on a évoqué la peine de cinq ans de prison !

Le procureur étant saisi et ayant besoin de temps pour mener son enquête, il
utilise les deux mois auxquels il a désormais droit (article 175-2 modifié)
(voir note n° 1) pour faire connaître aux intéressés son verdict. Après une
nouvelle audition, cette fois-ci diligentée par le procureur, les intéressés
sont autorisés à se marier et le maire en est aussitôt avisé.

Mais voilà que Rachid et Naïma se sont mis en tête de faire venir en France
la mère de Naïma pour qu’elle assiste à la cérémonie de mariage. Bien sûr,
ils savent qu’ils doivent demander une attestation d’accueil en mairie.
Certes, ils veulent bien prendre le risque de payer désormais quinze euros
de frais sans aucune garantie d’obtenir l’attestation en question. Ils sont
même d’accord pour contracter une assurance privée couvrant les frais de
santé éventuels de leur invité, conformément à l’article 5 modifié de l’or-
donnance (voir note n°4). Ils acceptent même de figurer dans le fichier in-
formatique municipal des hébergeants que leur maire a décidé de mettre en
œuvre, en application de l’article 5.3 modifié. Mais de là à accepter une vi-
site à leur domicile par des agents municipaux (article 5.3 modifié)…! Sur-
tout que les « agents des services sociaux spécialement habilités » sont les

20
mêmes que ceux qui gèrent le dossier d’aide sociale de Naïma au centre
communal d’action sociale.

Ne sachant trop comment apprécier ce qu’est un « logement normal » en


application de la loi, ces derniers en ont profité, à la demande de l’adjoint
aux affaires sociales, pour vérifier que le train de vie et l’intérieur de Naïma
correspondaient à ses déclarations lors de sa demande d’aide sociale. Ils se
sont aussi demandé qui était cet autre monsieur qui semblait vivre avec le
couple, et se sont empressés de le signaler au bailleur, l’office municipal
HLM.

Le maire ayant refusé l’attestation, Rachid, qui en a vraiment assez, a déci-


dé d’aller au tribunal. Oui, mais voilà, la loi Sarkozy prévoit qu’il doit obli-
gatoirement saisir le préfet avant tout recours contentieux. Pourvu que ce
dernier ne se souvienne pas de l’invitation à quitter le territoire de l’année
dernière !

Bref, le mariage se fit sans la mère de Naïma et ils eurent… beaucoup d’en-
nuis.

Il faut dire que Rachid, qui entend régulariser sa situation, s’est entêté à
vouloir respecter la loi et a décidé de partir au Maroc pour revenir par le
biais du regroupement familial. Et, qui viendra visiter l’appartement de Naï-
ma dans le cadre de la procédure du regroupement familial modifiée par la
loi de novembre 2003 ?… Les services municipaux ! D’ailleurs, bientôt
Naïma leur laissera les clés...

Après des mois d’attente et une contre-visite par l’OMI, Rachid arrive en
France. Oh, certes, il n’a plus droit à la carte de dix ans comme avant la ré-
forme Sarkozy (voir note n° 5) mais, après tout, la carte d’un an fera l’af-
faire, au moins provisoirement, pense-t-il.

Deux ans plus tard, Rachid se dit qu’il est temps, conformément au nouvel
article 14 de l’ordonnance de 1945 (voir note n° 6), de demander une carte
de résident.

Oui, mais voilà, le préfet a un doute sur l’« intégration républicaine » de


Rachid (nouvel article 14 de l’ordonnance) : sa femme serait voilée et Ra-

21
chid ne parlerait pas bien le français. Pour parfaire son opinion, et confor-
mément à l’article 6 modifié (voir note n° 7), le préfet décide de saisir celui
qui connaît le mieux Rachid, à part sa mère, … le maire.

Trop content d’avoir à délivrer un tel certificat d’aptitude et consciencieux


dans sa mission, ce dernier ne veut certes pas se fonder sur ses nombreux
souvenirs de Rachid : il décide d’interroger ses services. Ou au moins deux
d’entre eux : sa police municipale (« est-il connu de vous ? ») et son CCAS
(« a-t-il un dossier chez nous ? »). Et quand même de vérifier, pour la
forme, le fichier informatique des hébergeants. Pas de chance pour Rachid,
tous les voyants rouges s’allumant, c’est bien sa carte de résident qui
s’échappe.

Alors, que faire face à un tel harcèlement ? Déménager ? Sauf que depuis la
suppression du contingent préfectoral de logements en décembre 2003 (voir
note n° 8), le maire est l’unique décideur du logement social. Et ceux des
communes voisines ne veulent pas de Rachid et de Naïma puisqu’ils re-
lèvent de la commune de Meuilly.

Si, au moins, Rachid et Naïma pouvaient voter, ils lui feraient savoir, au
maire de Meuilly, ce qu’ils pensent de lui… ?

Ce que disent les textes

1/ Lorsqu’il existe des indices sérieux laissant présumer, le cas échéant au


vu de l’audition prévue par l’article 63, que le mariage envisagé est suscep-
tible d’être annulé au titre de l’article 146, l’officier de l’état civil peut sai-
sir le procureur de la République. Il en informe les intéressés. Le procureur
est tenu, dans les quinze jours de sa saisine, soit de laisser procéder au ma-
riage, soit de faire opposition à celui-ci, soit de décider qu’il sera sursis à
sa célébration, dans l’attente des résultats de l’enquête à laquelle il fait
procéder. Il fait connaître sa décision motivée à l’officier de l’état civil et
aux intéressés.
La durée du sursis décidé par le procureur de la République ne peut excé-
der un mois renouvelable une fois par décision spécialement motivée.
A l’expiration du sursis, le procureur de la République fait connaître par
une décision motivée à l’officier de l’état civil s’il laisse procéder au ma-

22
riage ou s’il s’oppose à sa célébration. L’un ou l’autre des futurs époux,
même mineur, peut contester la décision de sursis ou son renouvellement
devant le président du tribunal de grande instance, qui statue dans les dix
jours. La décision du président du tribunal de grande instance peut être dé-
férée à la cour d’appel qui statue dans le même délai.
Art. 175-2 modifié du code civil
2/ [...] « Considérant, toutefois, que le respect de la liberté du mariage,
composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la
Déclaration de 1789, s’oppose à ce que le caractère irrégulier du séjour
d’un étranger fasse obstacle, par lui-même, au mariage de l’intéressé ;
« Considérant, en premier lieu, que, si le caractère irrégulier du séjour
d’un étranger peut constituer dans certaines circonstances, rapproché
d’autres éléments, un indice sérieux laissant présumer que le mariage est
envisagé dans un autre but que l’union matrimoniale, le législateur, en esti-
mant que le fait pour un étranger de ne pouvoir justifier de la régularité de
son séjour, constituerait dans tous les cas un indice sérieux de l’absence de
consentement, a porté atteinte au principe constitutionnel de la liberté du
mariage ; [...] »
Décision du Conseil constitutionnel (20
novembre 2003, n° 2003-484)
3/ « Il y a lieu d’appeler l’attention des officiers de l’état civil plus particu-
lièrement sur les éléments suivants :
[...] – attitude distante des époux, [...] »
Circulaire du garde des sceaux du 16 juillet 1992 relative à l’harmoni-
sation des pratiques des parquets en matière de consentement au ma-
riage
4/ Pour entrer en France, tout étranger doit être muni :
[...]
2° Sous réserve des conventions internationales, du justificatif d’héberge-
ment prévu à l’article 5-3, s’il est requis, et des autres documents prévus
par décret en Conseil d’Etat relatifs, d’une part, à l’objet et aux conditions
de son séjour et, d’autre part, s’il y a lieu, à la prise en charge par un opé-
rateur d’assurance agréé des dépenses médicales et hospitalières, y com-
pris d’aide sociale, résultant de soins qu’il pourrait engager en France,
ainsi qu’aux garanties de son rapatriement ; [...]
Art 5, ord. 45
5/ Les membres de la famille entrée régulièrement sur le territoire français

23
au titre du regroupement familial reçoivent de plein droit une carte de sé-
jour temporaire, dès qu’ils sont astreints à la détention d’un titre de séjour.
Art. 29, ord. 45
6/ La carte de résident peut également être accordée :
– au conjoint et aux enfants mineurs [...] d’un étranger titulaire de la carte
de résident, qui ont été autorisés à séjourner en France au titre du regrou-
pement familial et qui justifient d’une résidence non interrompue [...] d’au
moins deux années en France. [...]
Dans tous les cas prévus au présent article, la décision d’accorder la carte
de résident est subordonnée à l’intégration républicaine de l’étranger dans
la société française dans les conditions prévues à l’article 6.[...]
Art. 14, ord. 45
7/ [...] Pour l’appréciation de la condition d’intégration, le représentant de
l’Etat dans le département ou, à Paris, le préfet de police, peut saisir pour
avis le maire de la commune de résidence de l’étranger qui sollicite la carte
de résident. [...]
Art. 6, ord. 45
8/ Le décret en Conseil d’Etat prévu à l’article L. 441-2-6 [...] détermine
également les limites et conditions de réservation des logements par le
maire ou, par délégation du maire, le président de l’établissement public de
coopération intercommunale au profit des personnes prioritaires, notam-
ment mal logées ou défavorisées.
Article L. 441-1 du code de la construction et de l’habitation
(Texte voté par le Sénat le 17 novembre 2003)

24
Délit de solidarité — Violaine Carrère, Véronique
Baudet
« Si la solidarité est un délit, je demande à être poursuivi(e) pour ce délit ».
354 organisations, et près de 20 000 personnes ont à ce jour signé le « Ma-
nifeste des délinquants de la solidarité » qui se conclut par cette phrase,
écho d’autres démarches semblables : le manifeste « des 343 salopes » lan-
cé, le 5 avril 1971, pour réclamer le droit à l’avortement, et d’autres encore
dont, déjà sur le thème des étrangers et sans-papiers, la campagne de déso-
béissance civile menée en 1997 contre l’obligation prévue dans le projet de
loi Debré, pour toute personne ayant signé un certificat d’hébergement,
d’informer la préfecture du départ de l’étranger. Autres temps, autres
mœurs, la campagne de 97, connue également sous le nom d’« appel
des 66 cinéastes », avait recueilli, elle, 120 000 signatures… À l’époque, le
gouvernement avait dû reculer face aux protestations venant de milieux di-
vers, indignés à l’idée qu’on entrave leur liberté d’accueillir qui bon leur
semblait.

Six ans plus tard, la quinzaine d’organisations à l’origine du « Manifeste


des délinquants de la solidarité » font un double constat. D’une part, de plus
en plus de personnes, partout sur le territoire, sont poursuivies, ou du moins
menacées de poursuites, pour avoir aidé des étrangers en situation irrégu-
lière. D’autre part, les deux projets de loi que le parlement s’apprête à dis-
cuter, à l’été et l’automne 2003, la énième réforme de l’ordonnance
de 1945 sur l’entrée et le séjour des étrangers, dite loi Sarkozy, et le texte
réformant la réglementation sur l’asile, expriment plus que jamais le soup-
çon systématique à l’encontre des étrangers, renforcent tous les dispositifs
de contrôle et de répression envers les étrangers et du coup également en-
vers ceux, particuliers ou organismes, qui leur viennent en aide. La France,
à l’instar des autres États d’Europe, semble n’avoir plus d’autre « politique
d’immigration » que la lutte contre l’immigration illégale. Puisque les États
cherchent à faire adhérer les citoyens à cette vision de l’immigré comme un
danger, à les faire participer à la chasse aux migrants non admis au séjour,
des citoyens veulent dire qu’eux placent des valeurs comme l’hospitalité et
la solidarité au-dessus de cette logique d’État.

25
La solidarité : un délit ? Bien sûr, aucun projet de loi n’a – jusqu’à présent –
institué un tel délit. Concernant les étrangers, le délit auquel le Manifeste
fait référence s’appelle « aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irrégu-
liers d’un étranger en France ». Depuis 1945, la définition de ce délit et les
sanctions encourues ont considérablement évolué. Chaque réforme législa-
tive a été l’occasion d’aggraver ces sanctions, d’ajouter des peines complé-
mentaires. Les immunités familiales mises en place en 1996 apparaissent
comme une protection bien mince. Quant à l’immunité prévue dans la loi
du 26 novembre 2003 pour les associations et autres personnes physiques
ou morales qui apportent une aide aux sans-papiers, les conditions de sa
mise en œuvre sont tellement restrictives qu’elles font craindre le pire.

A l’origine, l’article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 disposait que


« tout individu qui, par aide directe ou indirecte, aura facilité ou tenté de
faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger sera
puni d’un emprisonnement d’un mois à un an, et d’une amende de 600 F
à 12 000 F ». A deux reprises, en 1972 puis en 1976, les sanctions sont ag-
gravées et des peines complémentaires introduites, notamment l’interdiction
de séjour et la suspension du permis de conduire.

La loi du 31 décembre 1991, qui a pour but de renforcer la lutte contre le


travail clandestin et l’organisation de l’entrée et du séjour irréguliers en
France, aggrave une nouvelle fois les sanctions encourues et met en place
de nouvelles peines complémentaires. À la lecture des débats parlemen-
taires qui ont précédé le vote de la loi, il ne fait cependant aucun doute que
le législateur a entendu sanctionner les réseaux organisés (passeurs, trans-
porteurs, employeurs notamment), qui permettent aux étrangers d’entrer et
de séjourner en France, de même que ceux qui profitent, à des fins lucra-
tives, de la détresse des étrangers, et non les personnes physiques ou mo-
rales qui, par humanité, portent une aide et un soutien à un étranger en si-
tuation irrégulière.

Au passage, on peut se demander s’il est justifié de ranger dans la même ca-
tégorie le passeur sans scrupule, qui fait payer un prix exorbitant, avec la
promesse de les aider à franchir des frontières, à des personnes qu’il aban-
donnera éventuellement en haute mer ou en plein désert, et le chauffeur rou-
tier qui accepte de prendre à son bord des étrangers désireux d’entrer en Eu-

26
rope pour y demander l’asile, et qui demande à être payé pour le risque
qu’il prend… Mais la lutte contre l’immigration illégale ne s’embarrasse
pas de telles considérations.

La loi du 27 décembre 1994 marque un tournant dans la répression de l’aide


à l’entrée et au séjour irréguliers. Cette loi met le droit français en confor-
mité avec la convention de Schengen du 19 juin 1990 qui oblige les Etats
membres à « instaurer des sanctions appropriées à l’encontre de quiconque
aide ou tente d’aider, à des fins lucratives, un étranger à pénétrer ou à sé-
journer sur le territoire d’un État de l’espace Schengen ». Mais elle va bien
au-delà. Alors que l’infraction prévue par la convention de Schengen est
très précise et ne vise que l’aide « à des fins lucratives », le gouvernement
français de l’époque ne souhaite pas limiter l’incrimination de la sorte. Ain-
si que le soulignera le ministre de l’intérieur lors des débats, il s’agit de per-
mettre la poursuite pénale « des agissements qui relèveraient par exemple
de l’infiltration en France d’éléments appartenant à des réseaux islamistes,
terroristes ou d’espionnage ». D’un strict point de vue juridique, précisera
Paul Masson, rapporteur du texte au Sénat, « le droit pénal français incri-
mine en principe des faits ou des agissements sans prendre en considération
les motifs qui animent leurs auteurs ». Peuvent donc être poursuivies les
personnes, étrangères ou françaises, qu’elles agissent à des fins lucratives
ou non, qui, se trouvant en France ou dans un État de l’espace Schengen,
aident un étranger à entrer ou séjourner irrégulièrement en France ou dans
un autre État de l’espace Schengen.

Le seul fait de ne pas prendre en compte les motifs de l’aide ouvre la porte
à toutes les dérives possibles. La rédaction du texte, ses ambiguïtés sus-
citent des inquiétudes [1]. Qui sont véritablement les personnes visées par
l’article 21 ? Les poursuites qui ont été initiées sur le fondement de ce texte
ont montré qu’il pouvait concerner bien d’autres personnes que des trafi-
quants et des réseaux mafieux. Au cours de la fin de la décennie, on a ainsi
vu condamner une jeune femme qui avait tenté de se marier deux fois avec
des étrangers en situation irrégulière, une personne qui avait aidé des
membres de sa famille à passer la frontière, une autre pour avoir hébergé à
son domicile un étranger en ayant connaissance de sa situation irrégulière…

27
Dans les milieux professionnels de l’aide sociale, par exemple parmi les
responsables de structures destinées à accueillir les personnes démunies,
dont des étrangers en situation irrégulière, on s’interroge. En octobre 1995,
le directeur général de la Fédération nationale des associations d’accueil et
de réinsertion sociale (FNARS) pose au ministère de la justice la question
des risques encourus par les centres d’hébergement et de réinsertion sociale
(CHRS) qui accueillent des étrangers en situation irrégulière. Le ministère
précise alors que l’article 21 ne peut trouver application que « s’il est dé-
montré chez l’agent une réelle intention de commettre le délit concerné
c’est-à-dire faciliter le séjour irrégulier de l’étranger ». Or, assure-t-il, tel
n’est pas le cas dans les CHRS « puisqu’il n’y a pas volonté de la part des
responsables desdits centres de violer la loi pénale, mais seulement de por-
ter secours à des personnes se trouvant dans le désarroi » [2].

Le délit aurait rejoint la liste des infractions qualifiées d’actes de terro-


risme – afin, selon le garde des Sceaux, « de prévenir plus efficacement la
prévention des attentats terroristes » – si le Conseil constitutionnel n’avait
pas mis un frein à cette dérive. À cette occasion, le Conseil examinera la
conformité à la Constitution de l’article 21. Les infractions définies à cet ar-
ticle le sont « dans des conditions qui permettent au juge, auquel le prin-
cipe de légalité impose d’interpréter strictement la loi pénale, de se pronon-
cer sans que son appréciation puisse encourir la critique d’arbitraire ;
cette définition n’est pas de nature, en elle-même, à mettre en cause le prin-
cipe à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne
humaine » [3]...

Immunité familiale partielle

La loi du 22 juillet 1996 tendant à renforcer la répression du terrorisme in-


troduit ensuite, pour la première fois, une immunité familiale. Elle concerne
les descendants et ascendants de l’étranger, ainsi que son conjoint, sauf
lorsque les époux sont séparés de corps ou autorisés à résider séparément.
Cette immunité n’est cependant pas totale puisqu’elle est limitée au délit
d’aide au séjour irrégulier. Les proches peuvent donc être poursuivis pour
aide à l’entrée ou à la circulation irrégulières ou encore pour complicité
d’entrée ou de séjour irréguliers. L’immunité familiale est élargie par la loi
du 11 mai 1998 aux conjoints des ascendants ou des descendants de l’étran-

28
ger, aux frères et sœurs de l’étranger et leurs conjoints, à la personne qui vit
notoirement en situation maritale avec lui. Mais par ailleurs, une fois en-
core, les sanctions sont aggravées lorsque l’infraction est commise en
« bande organisée » sans que cette notion fasse l’objet d’une définition pré-
cise.

La loi du 26 novembre 2003 parachève en quelque sorte l’évolution. Elle


s’inspire de trois textes internationaux dont elle transpose certaines disposi-
tions : le protocole contre le trafic illicite de migrants, additionnel à la
Convention des Nations unies du 12 décembre 2000 contre la criminalité
transnationale organisée, la directive CE n° 2002/90 du 28 novembre 2002
et la décision-cadre complémentaire à cette directive. C’est tout d’abord le
champ d’application géographique de l’article 21 qui est étendu. Les per-
sonnes se trouvant en France ou hors de France pourront être poursuivies si
elles aident des étrangers à entrer, circuler et séjourner sur le territoire des
États parties au protocole contre le trafic illicite de migrants [4].

Ce sont ensuite les peines complémentaires qui sont aggravées. L’interdic-


tion de séjour et la suspension du permis de conduire sont encourues pour
cinq ans (au lieu de trois). La confiscation de tout ou partie des biens des
personnes condamnées est désormais possible. Ce sont enfin les sanctions
qui sont fortement aggravées (dix ans d’emprisonnement et 750 000 euros
d’amende) dans un certain nombre de circonstances : commission de l’in-
fraction « en bande organisée », ou « dans des circonstances qui exposent
directement les étrangers à un risque immédiat de mort ou de blessures de
nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente », commis-
sion « au moyen d’une habilitation ou d’un titre de circulation en zone ré-
servée d’un aérodrome ou d’un port », commission ayant « comme effet,
pour des mineurs étrangers, de les éloigner de leur milieu familial ou de
leur environnement traditionnel ».

Poursuites

Plusieurs dispositions importantes de la directive du 28 novembre 2002 ne


sont pas introduites. En cas de séjour irrégulier, le texte européen exige que
l’infraction soit commise dans un but lucratif. Bien plus, il laisse aux États
la possibilité de ne pas sanctionner l’infraction lorsqu’elle a « pour but

29
d’apporter une aide humanitaire à la personne concernée ». Or, ni la condi-
tion de « but lucratif », ni la clause humanitaire ne sont reprises dans le
texte français. Selon le rapporteur du projet à l’Assemblée nationale, « le
gouvernement estime souhaitable, en effet, que le principe de la sanction de
l’aide à l’entrée et au séjour irréguliers ne souffre aucune exception qui ris-
querait d’en atténuer la portée ou d’en restreindre l’efficacité ». L’objectif
est clairement affiché.

Avant même que la loi ne soit votée, d’ailleurs, on a vu se multiplier les


poursuites dans des cas témoignant d’une interprétation très large de l’ar-
ticle 21. À la mi-février 2003, par exemple, le responsable d’une commu-
nauté Emmaüs a passé une journée en garde à vue parce qu’il avait refusé
de « livrer » un Algérien débouté de l’asile territorial hébergé par la com-
munauté. Il l’avait même aidé à échapper aux policiers venus, au petit ma-
tin, l’arrêter sur la base d’un arrêté de reconduite à la frontière. L’associa-
tion Emmaüs s’est vivement émue de l’incident. Sans qu’il y ait eu aide à la
fuite d’un étranger poursuivi par la police, mais simplement pour avoir hé-
bergé des personnes sans titre de séjour, un directeur de foyer Sonacotra en
Corse, une gérante de foyer dans le Vaucluse, d’autres encore, dans les mois
suivants, seront également placés en garde à vue. Excès de zèle de policiers
locaux ? Ou tentatives d’intimidation, destinées à faire craindre à toutes les
structures dont la vocation est de fournir un hébergement à ceux qui sont à
la rue des poursuites si elles ne distinguent pas entre sans-papiers et rési-
dents réguliers ?

La répression frappe non seulement des responsables d’institutions du sec-


teur social, mais aussi des particuliers, émus par le sort de migrants en dé-
tresse. On s’éloigne de plus en plus de l’esprit de la directive européenne, et
des propos rassurants du ministre de la justice de 1995. À Calais, après la
fermeture du camp de Sangatte, le collectif d’associations C’SUR qui sou-
tient depuis des années les « réfugiés », comme ils les nomment, distribue
soupes populaires, vêtements et couvertures, et produits de première néces-
sité. Il n’est pas inquiété pour ces actions, qui ont lieu au grand jour.

Mais certains des membres du collectif en viennent à d’autres gestes : cer-


tains accueillent chez eux des exilés ou encaissent pour le compte d’exilés
l’argent que leur famille leur envoie, parce que ces derniers ne parviennent

30
pas à ouvrir des comptes à leur nom. Le 22 avril 2003, la police débarque
au petit matin chez l’un d’eux, Charles Frammezelle, dit Moustache. Placé
en garde à vue, il est mis en examen au titre de l’article 21. L’abbé Bou-
toille, doyen de Calais, déclare : « À travers “Moustache”, c’est l’action du
collectif qui est visée pour cacher le silence et l’indifférence des hommes
politiques et l’échec de l’après Sangatte. Ceux qui devraient passer en jus-
tice sont ceux qui ne portent pas secours à des hommes en danger » [5].

Après le dénommé Moustache, un autre habitant de Calais, Jean-Claude Le-


noir est à son tour poursuivi pour les mêmes motifs, son domicile est per-
quisitionné, et il est envoyé en comparution immédiate au tribunal de Bou-
logne-sur-mer. De même, deux Afghans sont emprisonnés pour avoir perçu
des mandats Western Union pour le compte de tiers : la police estime que
cet argent devant probablement servir à payer les services de passeurs, les
intéressés se sont rendus complices des passeurs. Ceux que le pouvoir veut
faire condamner sont ceux qui révèlent l’échec et l’inhumanité de la poli-
tique menée à Sangatte. Et le procureur de Boulogne, Gérald Lesigne, dé-
clare que dans ces affaires « on dépasse le cadre de l’humanitaire. »

Ennemis de la nation

Enfin, se multiplient également les affaires liées à des protestations sur les
conditions d’expulsion en avion d’étrangers refoulés du territoire. Si l’incri-
mination n’est pas la même, si ces personnes ne sont pas poursuivies sur le
fondement de l’article 21, on retrouve dans ces affaires l’esprit de la répres-
sion visée par l’article 21. Trois Maliens d’un vol Paris-Bamako, Romain
Binazon, porte-parole de la Coordination des Sans-papiers, à bord d’un
autre vol, six passagers français le 17 avril, d’autres encore sont ainsi incul-
pés, soit pour rébellion et incitation à la rébellion, soit pour « entrave à la
circulation d’un aéronef », et tous sont condamnés à des peines d’amende.
Lors d’une des audiences, la magistrate explique que si on laisse ces mou-
vements d’indignation s’exprimer, il n’y aura plus de reconduite possible !

Nicolas Sarkozy, ayant pris connaissance du Manifeste des délinquants de


la solidarité, a demandé au Gisti de faire suivre aux signataires du manifeste
( !) un courrier dans lequel il dément vouloir, par son projet de loi, pour-
suivre les associations qui œuvrent dans un but humanitaire [6]. Il invoque

31
la « bienveillance » dont ses services ont toujours fait preuve à l’égard de
ceux qui ont des objectifs non condamnables. Mais l’incrimination peut
continuer à susciter les inquiétudes des milieux associatifs, qu’il s’agisse
d’associations qui s’occupent d’aide aux personnes démunies, ou de dé-
fense des droits des étrangers. Elle peut également inquiéter toute personne
qui par solidarité apporte une aide, de quelque forme que ce soit, à une per-
sonne étrangère en situation irrégulière.

Accueillir chez soi, nourrir, prêter ou donner de l’argent, renseigner… Où


s’arrête le délit d’aide à l’entrée et au séjour irréguliers ? Bien sûr, si le juge
pénal est saisi, il jugera in concreto, et c’est lui qui appréciera les critères de
la loi. Mais si le ministre, puis le législateur ont voulu donner à ce texte une
forme sujette à une aussi large interprétation, est-ce pour ne pas s’en ser-
vir ? Le ton est donné et la menace plane : les ennemis de la politique de la
nation, répressive à l’égard des étrangers, sont clairement désignés comme
des ennemis de la nation. ?

Notes

[1]
Voir sur ce point : Benoît Mercuzot « L’article 21 de l’ordonnance
n° 45-2658 du 2 novembre 1945 : un délit aux fondements du droit »,
Dalloz 1995, chronique p. 149 - Benoît Mercuzot, « Délit d’humani-
té », Plein droit n° 27, juin 1995.
[2]
Lettre du ministère de la justice du 21 décembre 1995.
[3]
Conseil constitutionnel, 16 juillet 1996, décision n° 96-377 DC, JO
du 23 juillet.
[4]
La France a signé ce protocole qui doit prochainement entrer en vi-
gueur après sa publication au Journal officiel.
[5]
Propos cités par La Voix du Nord, 26 avril 2003.
[6]
On peut lire ce courrier et l’analyse critique qu’en a faite le Gisti, sur
le site du Gisti : www.gisti.org/manifeste

32
L'asile dans le pot commun de l'immigra-
tion — Jean-Pierre Alaux
L’attitude de l’actuel gouvernement répète à l’identique celle de tous ses
prédécesseurs – de gauche et de droite – depuis la fin des années 80. Ce
consensus a donné lieu à une série de réformes visant d’abord à créer des
conditions difficiles de vie aux requérants (suppression du droit au travail
en 1991), puis à compliquer l’arrivée des victimes de persécutions sur le
territoire français (pénalisation des transporteurs, création des zones d’at-
tente en 1991), enfin à conditionner la demande d’asile à une autorisation
de séjour (réforme Pasqua de 1993).

Sur le plan européen, l’orientation est la même : la Convention de Dublin


de 1997, devenue le Règlement n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003,
a, dans le même objectif de limitation des chances pour les demandeurs
d’asile d’obtenir une protection, interdit les requêtes dans plusieurs pays de
l’Union, la décision du premier pays sollicité s’appliquant aux autres.
Dès 1985, le « laboratoire de Schengen » d’abord à cinq [2], dont la conven-
tion est entrée en application en 1990, avait inclus, parmi ses perspectives,
celle de barrer autant que possible la route de l’asile en renforçant les
contrôles aux frontières extérieures. A ces frontières-là, rien ne ressemble
plus, en effet, à un étranger en situation irrégulière qu’un demandeur
d’asile.

Cet arsenal de pénalisations et de contraintes en constante sophistication n’a


pas abouti aux résultats rêvés. Il n’a pas dissuadé autant d’étrangers qu’es-
péré de tenter d’obtenir une protection en France ou en Europe.

De cet état d’esprit national et européen et des réformes qu’il a suscitées, on


voit clairement les effets en France dans le graphique de l’Office français
de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ci-après. En trente ans, le
taux de reconnaissance du statut de réfugié est ainsi passé de 85 % (et par-
fois de plus de 90 %) à 18 % environ, tandis que les rejets connaissaient une
courbe évidemment inverse.

33
A y regarder de près, il semble que l’évolution des taux de reconnaissance
du statut de réfugié [3] dépende moins de la réalité objective des persécu-
tions subies que du nombre de candidats. Plus il y a de postulants, moins on
admet de réfugiés en proportion : quand, en 1974, ils sont à peine 2 000, on
ne voit pas d’inconvénient à donner le statut à 90 % d’entre eux ; en 1981,
le fait qu’on en compte 20 000, leur vaut un début de diminution du taux de
réponses positives (77,7 %). Puis c’est l’effondrement : en 1985, 43,3 %
des 29 000 requérants seront protégés ; en 1990, alors qu’on enregistre un
pic de 61 000 requêtes, il n’y a plus que 15,5 % de lauréats ; une année plus
tard, il y a 46 800 postulants et le taux de reconnaissance remonte à 19,7 %.
Ce « numerus clausus » inavoué reste aujourd’hui la pierre angulaire de la
politique française de l’asile : en 1999, le taux de reconnaissance s’établit
à 19,3 % pour 24 200 demandes ; et, puisqu’en 2000 le nombre de ces de-
mandes a frisé les 39 000, il est « logique » que le taux des reconnaissances
ait fléchi à 17,1 %. En 2001 et en 2002, malgré 47 000 et 56 000 demandes,
il s’est néanmoins maintenu à 18 % et 17 %. Il est vrai qu’on est tombé pro-
gressivement si bas que les fluctuations n’ont plus désormais qu’une valeur
arithmétique.

Evolution des taux d’accords et de rejets par l’OFPRA depuis


1973 [4]

Evolution des taux d’accords et de rejets par l’OFPRA depuis


1973 [4]

Dans le contexte de la fermeture des frontières, instaurée en 1973, et qui


concerne en théorie la seule migration de main-d’œuvre, toute arrivée spon-
tanée d’étrangers est interprétée comme une faille dans le dispositif de
contrôle. L’asile est alors vécu comme un « appel d’air ».

A la différence de la réglementation relative à l’immigration, qui repose sur


des autorisations préalables à l’arrivée des étrangers sur le territoire, la
Convention de Genève confère notamment aux demandeurs d’asile le droit
très exceptionnel de franchir les frontières des États sans avoir à en sollici-
ter l’autorisation : ils sont, en effet, à l’abri de « sanctions pénales, du fait
de leur entrée ou de leur séjour irréguliers (...), sous la réserve qu’ils se
présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues

34
valables de leur entrée ou présence ir- régulières » [5]. Cette impunité à
l’égard de ce qui constitue, dans tout autre domaine, une violation d’une
prérogative essentielle des États, comme leur protection à l’encontre de
l’éloignement [6], accorde aux victimes de persécutions et candidats à
l’asile un statut spécifique qui les place hors du champ de l’immigration.

Statut de réfugié : évolution de la demande et du taux de recon-


naissance

Statut de réfugié : évolution de la demande et du taux de recon-


naissance

Quelques autres changements

La loi 2003-1176 du 10 décembre 2003 (JO du 11 décembre 2003) modi-


fiant la loi du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile introduit un certain
nombre d’innovations qui ne sont pas évoquées dans l’article « L’asile vic-
time de la politique d’immigration ». Parmi les principales, on peut citer :

L’agent de persécutions (nouvel art. 2-III) pour le statut de réfugié


comme pour l’asile subsidiaire : « les persécutions prises en compte
dans l’octroi de la qualité de réfugié et les menaces graves pouvant
donner lieu au bénéfice de la protection subsidiaire peuvent être le fait
des autorités de l’État, de partis ou d’organisations qui contrôlent
l’État ou une partie substantielle du territoire de l’État, ou d’acteurs
non étatiques dans les cas où les autorités (...) refusent ou ne sont pas
en mesure d’offrir une protection ».
L’entretien obligatoire à l’Ofpra sauf dérogations suivantes : « a) l’of-
fice s’apprête à prendre une décision positive à partir des éléments en
sa possession ; b) le demandeur d’asile a la nationalité d’un pays pour
lequel ont été mises en œuvre les stipulations du 5 du C de l’article 1er
de la convention de Genève susmentionnée [clause dite « de cessa-
tion », qui intéresse les pays devenus respectueux des droits fondamen-
taux] ; c) les éléments fournis à l’appui de la demande sont manifeste-
ment infondés ; d) des raisons médicales interdisent de procéder à
l’entretien ».

35
La commission de recours des réfugiés peut statuer par ordonnances
(nouvel art. 5-V), c’est-à-dire sans entendre les requérants : les prési-
dents de section « peuvent donner acte des désistements, constater
qu’il n’y a pas lieu de statuer sur un recours et rejeter les recours en-
tachés d’une irrecevabilité manifeste non susceptible d’être couverte
en cours d’instance. Ils peuvent également statuer sur les demandes
qui ne présentent aucun élément sérieux susceptible de remettre en
cause les motifs de la décision du directeur général de l’office ».
L’asile subsidiaire s’applique « à toute personne qui ne remplit pas les
conditions d’octroi du statut de réfugié (...) et qui établit qu’elle est ex-
posée dans son pays à l’une des atteintes graves suivantes :
la peine de mort ;
la torture, ou une peine ou un traitement inhumain ou dégradant ;
une menace grave et individuelle contre la vie ou la personne
d’un civil en raison d’une violence in aveugle résultant d’une si-
tuation de conflit armé interne ou international ».

Prochain décret :
des obstacles supplémentaires
L’application d’un nombre conséquent des dispositions prévues par la loi va
être définie par un décret qui s’annonce très pénalisant pour les demandeurs
d’asile. A ce point que, dans son avis du 22 janvier 2004, la Commission
nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) regrette que, de fa-
çon générale, ce texte « fixe des contraintes (…) aux demandeurs d’asile
(…) sans préciser les obligations à leur égard »(1).
A titre d’exemples, on peut citer les chaussetrappes suivantes :

délai obligatoire de 21 jours entre la remise de l’APS et le dépôt de la


« demande complète » (avec photos et, le cas échéant, pièces d’identi-
té) à l’Ofpra. Si le dossier est incomplet, l’Ofpra refuse l’enregistre-
ment ;
sur les « demandes prioritaires », l’Ofpra statue en quinze jours, et
en 96 heures si rétention ;
pour une demande de ré-ouverture, les requérants disposeraient
de 8 jours, à partir de l’autorisation de séjour éventuellement délivrée
par la préfecture, pour adresser à l’Ofpra leur nouveau dossier com-
plet ;

36
les préfets peuvent saisir l’Ofpra d’une demande de réexamen du béné-
fice de la protection subsidiaire en vue d’en obtenir l’annulation
qu’elles soient positives ou négatives, les décisions de l’Ofpra peuvent
faire l’objet de recours devant la Commission des recours des réfugiés
(CRR) dans un délai d’un mois. Cette disposition donne, sans le dire,
aux préfets le pouvoir de s’opposer ainsi à des accords de l’Ofpra ;
le directeur général de l’Ofpra peut, pendant deux mois, former un
« recours en révision » contre une décision de la CRR, s’il estime qu’il
y a eu fraude du requérant.

(1)Avis CNCDH du 22 janvier 2004 texte téléchargeable à


l’adressehttp://www.commission-droits-homme.fr/binTravaux/ Afficha-
geAvis.cfm?IDAVIS=709&iClasse=1

Neutraliser la liberté de circulation

En introduisant dans la réglementation française les notions de « pays d’ori-


gine sûrs » et d’asile interne, c’est-à-dire de pays dans lesquels existerait
une partie sûre du territoire, la réforme Raffarin de l’asile s’efforce de ré-
duire encore, de façon indirecte, ce privilège de liberté de circulation recon-
nu aux candidats à l’asile. Leur intouchable droit à l’exil – tant qu’on n’ose
s’autoriser à chambouler la Convention de Genève – n’empêchera pas leurs
requêtes d’être rejetées au seul motif qu’ils viennent d’un pays reconnu
comme tel, à savoir qui « veille au respect des principes de la liberté, de la
démocratie et de l’état de droit, ainsi que des droits de l’homme et des li-
bertés fondamentales » (art. 8-1 de la nouvelle loi), ou d’un pays qui com-
porterait une partie de son territoire dans une situation comparable [7].

La réforme n’a pas osé aller au-delà, c’est-à-dire interdire aux ressortissants
de pays considérés comme sûrs ou partiellement sûrs de s’exiler. Mais la
tentation est grande de franchir bientôt le pas à l’échelle européenne,
comme on l’a vu au sommet de Thessalonique en juin dernier avec les pro-
positions de Tony Blair sur la création de « camps de transit » hors du terri-
toire de l’Union européenne [8]. Faute de pouvoir immédiatement interdire
la circulation des demandeurs d’asile, on multiplie les cas de figure où leur
déplacement pourrait ne servir à rien.

37
Au service de cet objectif, tous les moyens sont bons, au prix même de cer-
taines incohérences. Ainsi, si le gouvernement Raffarin justifie nombre de
ses inspirations par le souci d’intégrer à sa politique de l’asile les normes
définies dans le cadre de l’Union européenne (lire dans ce numéro « L’asile
menacé par l’harmonisation », p. 58), il n’hésite pas à lui faire subir une vé-
ritable nationalisation. L’Ofpra qui, jusqu’à la réforme, était « soumis à [la]
surveillance » du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés
(HCR) n’est plus tenu que de « coopérer » avec lui et de « faciliter sa mis-
sion de surveillance » (art. 2 de la nouvelle loi). Même symbolique, cette
évolution constitue une véritable rupture avec les choix internationa-listes
qui avaient délibérément présidé, en 1952, à l’adoption de la loi fran-
çaise [9].

Cette nationalisation inédite est amplifiée par le renforcement du poids du


ministère de l’intérieur dans le domaine de l’asile. Ainsi, le directeur de
l’Ofpra, qui était nommé pour trois ans par le ministère des affaires étran-
gères (MAE), est désormais « nommé par décret sur proposition conjointe
du ministre des affaires étrangères et du ministre de l’intérieur » (art. 3).
Quant à son conseil d’administration, au lieu d’être dirigé de plein droit par
un représentant du MAE, son président sera « nommé parmi ses membres »
où figure un fonctionnaire de l’intérieur qui peut donc prétendre un jour ou
l’autre au poste. L’avenir lui est ouvert.

Cet accroissement de la mainmise de l’intérieur sur l’asile se traduit égale-


ment par l’obligation, imposée par la réforme (art. 3) à l’Ofpra et à la Com-
mission des recours des réfugiés (CRR), de participer à l’éloignement des
déboutés en donnant aux administrations concernées les informations utiles
en matière d’état civil et de nationalité.

Par cette innovation, la réforme ne se contente pas de nationaliser l’asile.


Elle le rapproche davantage encore que par le passé de la politique de l’im-
migration. Si l’on pouvait jusque-là reconduire à la frontière les déboutés de
l’asile, ni l’Ofpra ni la CRR n’y prêtaient la main.

Après avoir colonisé, en 1993, le droit d’accès à la procédure de l’asile en


décidant que l’Ofpra « ne peut être saisi d’une demande de reconnaissance
de la qualité de réfugié qu’après que le représentant de l’État dans le dé-
partement ou, à Paris, le préfet de police, a enregistré la demande d’admis-

38
sion au séjour du demandeur d’asile », le ministère de l’intérieur impose, à
la faveur de la réforme, ses soucis de répression à des institutions vouées à
la protection. Il avait fait irruption directe en amont de la procédure ; le voi-
là qui parasite maintenant en aval Ofpra et CRR pour les faire participer à
l’éloignement.

Précarisation subsidiaire

Cette banalisation de l’asile visant à le fragiliser dans les pratiques sans oser
le désacraliser dans les idées s’opère aussi par l’apparition de l’« asile sub-
sidiaire » qui, d’inspiration européenne, remplace l’asile territorial inventé,
en 1997, par le gouvernement Jospin. Nul sans doute ne regrettera cette pro-
tection dont le ministre de l’intérieur s’était assuré le contrôle et qui n’a
protégé qu’une pincée de requérants.

L’asile subsidiaire (nouvel art. 2-II-2) relève, pour sa part, des compétences
de l’Ofpra et de la CRR. On pourrait se féliciter du retour de toutes les
formes de protection dans le giron des instances spécialisées s’il ne s’agis-
sait incidemment de leur faire légitimer la précarisation des réfugiés. Car,
comme pour son ancêtre territorial, le bénéfice de l’asile subsidiaire donne
droit à un titre provisoire de séjour. De ce fait, la réforme prévoit que l’Of-
pra « peut refuser à chaque échéance de [le] renouveler lorsque les circons-
tances ayant justifié son octroi ont cessé d’exister ou ont connu un change-
ment suffisamment profond pour que[la protection] ne soit plus requise ».

Il est clair que cette précarisation contribue à son tour à rapprocher l’asile
de l’immigration et, ce faisant, à légitimer d’avance d’autres réformes qui
porteront plus encore atteinte à l’asile et aux droits qui lui sont traditionnel-
lement liés.

Dissuasion et rejet

Étrange réforme Raffarin. Si l’on décide de la regarder telle qu’elle se pré-


sente, on peut y relever de profondes contradictions, telles qu’une ambition
européenne alliée à un repli nationaliste, ou l’attribution de tous les asiles à
des organismes spécialisés conjuguée à l’entrée en force du ministère de
l’intérieur dans ces instances. En réalité, la logique est ailleurs. La France se

39
moque des incohérences pourvu qu’elle parvienne, d’une part, à dissuader
les persécutés de venir se mettre à l’abri sur son territoire et, d’autre part, à
recaler les plus obstinés d’entre eux. Il en est de même depuis des décen-
nies.

Du côté de l’image de marque et des principes, les pouvoirs publics ne


cessent de proclamer le caractère « sacré » – c’est-à-dire légitimement déro-
gatoire au regard des règles de contrôle de l’immigration – de l’asile. La
France a ainsi célébré en grande pompe, le 7 juin 2001 à l’Assemblée natio-
nale, le cinquantième anniversaire de la Convention de Genève par une
« assemblée des réfugiés » qui a lancé un « Appel de Paris » urbi et orbi en
faveur de l’asile, selon lequel rien ne serait plus urgent que de « mobiliser
l’opinion publique française ainsi que la communauté internationale autour
du sort de ces millions de personnes qui ont dû tout abandonner pour sau-
ver leur vie et celle de leur proche ».

Du côté pratique, c’est tout le contraire : pour l’actuel gouvernement, l’asile


est un « vecteur d’immigration » qu’il convient donc de traiter comme tel. Il
en est ainsi simplement parce que, selon lui, le nombre des demandes
d’asile a « triplé en trois ans », ce qui constitue ipso facto une « dé-
rive » [10], alors que la France se situe au dixième rang en Europe en ce qui
concerne le nombre de demandes d’asile par habitant (0,6 requête
pour 1 000 habitants) [11]. Dans ce contexte, l’effondrement du taux de re-
connaissance du statut de réfugié compense le contrôle du franchissement
des frontières que la Convention de Genève interdit de mettre en place. Par
cette politique, les pouvoirs publics font basculer l’asile dans le pot com-
mun de l’immigration.

A cet égard, la France se situe dans le droit fil de la philosophie euro-


péenne. En juin 2002, à l’issue du Conseil européen de Séville, qui a mar-
qué un tournant répressif, l’Union n’a-t-elle pas parlé des « questions dis-
tinctes – mais étroitement liées – de l’asile et de l’immigration » ? S’agis-
sant de l’immigration, elle s’est entendue sur le fait que l’« aspiration légi-
time à une vie meilleure [des migrants] doit être conciliable avec la capaci-
té d’accueil de l’Union ». Dans le domaine de l’asile, l’Union s’est déclarée
déterminée à « garantir aux réfugiés une protection rapide et efficace en
mettant en place des mécanismes propres à empêcher les abus et en faisant

40
en sorte que le retour vers leur pays d’origine des personnes dont la de-
mande d’asile a été refusée se fasse plus rapidement » [12]. Tout bien réflé-
chi, ne serait-on pas fondés à conclure de cette casuistique que l’« abus »
pourrait être à l’asile ce que la « capacité d’accueil » est à l’immigration ? ?

Notes

[1]
Loi 2003-1176 du 10 décembre 2003 (JO du 11 décembre 2003) modi-
fiant la loi du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile.
[2]
Initialement Belgique, France, Luxembourg, Pays-Bas, RFA. Autriche,
Danemark, Espagne, Finlande, Grèce, Italie, Portugal et Suède ont
adhéré depuis à la Convention. Norvège et Islande, non membres de
l’UE, ont le statut d’associés. L’espace Schengen va encore s’agrandir
à l’occasion de l’élargissement de l’UE.
[3]
Par commodité, on prend ici pour base de calcul les données statis-
tiques de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides - OF-
PRA -, tout en sachant que le nombre réel des statuts de réfugiés re-
connus chaque année est en moyenne inférieur de moitié à ce qui est
affiché par l’Office. En effet, l’OFPRA intégrait, jusqu’en 2001 com-
pris, dans ses comptes le nombre de statuts reconnus aux enfants des
réfugiés quand ils atteignent l’âge de 18 ans.
[4]
Les données du tableau sont tirées des bilans annuels de l’OFPRA.
Voir l’analyse d’Antoine Decourcelle dans « Que reste-t-il du droit
d’asile ? », L’esprit frappeur, Paris, mars 2001.
[5]
Article 31 de la Convention de Genève.
[6]
Articles 32 et 33 de la même convention.
[7]
A noter que le Canada et les Etats-Unis se sont entendus dès
le 30 août 2002 sur des notions de même nature. Voir à l’adresse http:
//www.cic.gc.ca/francais/politiques/pays-surs.html
[8]

41
« L’Europe ne renonce pas à des centres hors de l’UE », le Monde,
21 juin 2003. Lire aussi Plein droit n° 57, juin 2003, notamment son
éditorial « Magouilles européennes sur l’asile ».
[9]
Lire la conférence donnée de 18 juin 2001 à l’Institut international des
droits de l’homme (Strasbourg) par Michel Rimbaud, ancien directeur
de l’OFPRA, à l’adresse http:// www.ofpra.gouv.fr/images1/21732.pdf
[10]
Exposé des motifs de projet de loi de réforme de l’asile (texte examiné
en conseil des ministres le 15 avril 2003).
[11]
Statistiques du HCR citées dans « Les Quinze à la recherche d’une po-
litique de l’immigration », le Monde, 23 mai 2002.
[12]
Conclusions de la présidence de l’Union à l’issue du conseil de Séville
des 21 et 22 juin 2002.

42
Double peine : une réforme de dupes — Stéphane
Maugendre
Il y a deux ans, à l’initiative de la Cimade et avec le soutien médiatique du
film de Bertrand Tavernier, « Histoires de vies brisées » démarrait une cam-
pagne contre la double peine. Les propositions faites par les initiateurs de
cette campagne paraissaient pour le Gisti (mais aussi, semble-t-il pour le
Mrap, la Ligue des droits de l’homme et d’autres) être a minima, parce
qu’elles ne prenaient pas en compte deux principes pour lesquels ces der-
nières associations se battaient depuis plus d’une quinzaine d’années. Le
premier était que l’interdiction du territoire français (ITF), peine archaïque,
criminogène et contraire à l’égalité de tous les justiciables devant la loi pé-
nale, devait disparaître du code pénal et de tout texte répressif. Le second
considérait que l’expulsion ne devait plus être une conséquence directe
d’une condamnation pénale, mais devait être prononcée, à la suite d’un dé-
bat contradictoire préalable, par l’administration, c’est-à-dire le ministère
de l’intérieur, de façon exceptionnelle au regard d’un risque avéré d’un
trouble grave à la sécurité publique.

La participation du Gisti à cette campagne passait nécessairement par la


prise en considération de ces principes. C’est à partir de là qu’est née la
plate-forme de la campagne contre la double peine « Une peine./ » (voir
p. 25).

Très clairement, l’objectif de cette campagne était de convaincre la gauche


au pouvoir, dont beaucoup pensaient qu’elle sortirait victorieuse des élec-
tions de 2002. Diffusions suivies de débats d’« Histoires de vies brisées »
dans toute la France, colloques multiples, rencontres avec les partis en cam-
pagne électorale, l’activité des intervenants de « Une peine ./ » s’intensifiait
de jour en jour.

Sur le plan politique, notre campagne semblait gagner du terrain : appari-


tions dans les programmes des partis de gauche (excepté du PS) de l’aboli-
tion de la double peine, dépôt d’une proposition du groupe communiste au
Sénat d’abrogation totale de l’ITF (jamais discutée), diffusion du film de
Tavernier à l’Assemblée nationale, prises de positions de certains élus de la

43
droite parlementaire, articles dans un grand nombre de journaux... et même,
au dernier moment, une timide avancée de Lionel Jospin.

Les résultats des élections présidentielles allaient remettre en question cette


dynamique. Au lendemain du 21 avril, les associations se sont naturelle-
ment interrogées sur la poursuite de l’action collective. Fallait-il plier armes
et bagages ? Revenir à la revendication première des initiateurs de la cam-
pagne, c’est-à-dire la seule création de catégories d’étrangers protégés (de
l’expulsion ou de l’ITF) ? Maintenir la plate-forme ? Le choix s’est porté
sur la dernière solution et il a été décidé de reprendre le lobbying parlemen-
taire (y compris en direction de la droite), de programmer un meeting à la
Villette, à Paris, de publier un ouvrage collectif « En finir avec la double
peine » (paru aux éditions L’Esprit frappeur), de soutenir la diffusion du
film de Jean-Pierre Thorn, « On est pas des marques de vélo ».

Le succès du meeting, qui a bénéficié d’une couverture médiatique impor-


tante, a fait réagir le nouveau ministre de l’intérieur, qui profita de l’occa-
sion pour annoncer la « suppression » de la double peine, alors que, dans le
même temps, il présentait les réformes de l’immigration et de l’asile. En
réalité, il avait conscience d’une part qu’il serait politiquement efficace
d’intégrer une réforme partielle de la double peine dans le cadre du projet –
qui allait se révéler très répressif – sur l’immigration, d’autre part, qu’il
était temps de se débarrasser de certains cas de double peine qui encom-
braient les bureaux de son ministère et qu’il était pratiquement et réellement
impossible d’éloigner de France.

De son côté, fidèle à son habitude lorsqu’il est question d’immigration, le


PS se prenait les pieds dans le tapis en tentant, dans l’urgence, une réforme
de la double peine par l’insertion d’une proposition de loi dans une niche
parlementaire. Le débat fut édifiant et la proposition de loi rejetée...

Parallèlement, se mettait en place, au ministère de l’intérieur, une commis-


sion de réflexion sur la double peine (dite « commission Mignon ») qui pro-
céda aux auditions des intervenants habituels : préfets, associations, magis-
trats, avocats, ...

Effet d’annonce

44
A peine le rapport fut-il rendu que le ministre de l’intérieur annonçait que la
double peine était abolie. Cette annonce, ultra-médiatisée, devenait une réa-
lité pour tous, y compris pour les victimes de la double peine. En fait, le
projet de loi qui a suivi, loin de remettre en cause l’ITF, a repris les proposi-
tions de la commission Mignon, qui écartait toute idée d’abrogation de cette
peine complémentaire pour deux raisons principalement :

d’une part, on ne peut « soutenir que la peine complémentaire d’inter-


diction du territoire français est la seule peine discriminatoire du droit
français en ce qu’elle touche uniquement les étrangers et ne vise pas
les Français » ;
d’autre part, « la peine d’ITF n’est pas contraire au principe d’égali-
té : même lorsqu’ils ont des attaches importantes avec le territoire
français, les étrangers ne sont pas juridiquement dans la même situa-
tion que les Français. La nationalité les en sépare irrésistiblement et
cette distinction est de nature à fonder en droit l’existence d’une peine
spécifique qui ne s’applique qu’aux étrangers. D’ailleurs, à l’aune de
cet argument non fondé, presque toutes les peines complémentaires
pourraient encourir le reproche d’être discriminatoires. Tel serait le
cas, par exemple, de la peine de suspension du permis de conduire ou
de l’interdiction d’exercer une fonction publique. Pour faire l’objet de
ces peines, encore faut-il être titulaire du permis de conduire ou sus-
ceptible d’exercer une telle fonction. Personne ne soutient que de
telles peines sont discriminatoires car elles ne touchent pas ceux qui
n’entrent pas dans ces catégories ».

Sur l’expulsion, rien de concret n’était proposé : pas de caractère exception-


nel, pas de débat contradictoire préalable, pas de recours suspensif... Il était
seulement envisagé de créer des catégories protégées de l’expulsion et de
l’ITF.

Pour certaines associations de la campagne, une brèche étant ouverte sur la


question de la double peine, il fallait prendre appui sur ce projet de loi pour
avancer et donc participer au travail législatif. Pour sa part, le Gisti décidait
de quitter définitivement la campagne pour deux raisons essentiellement.
Tout d’abord, ni la remise en cause de l’ITF, ni le caractère exceptionnel de
l’expulsion n’étaient pris en compte par le projet de loi ; par ailleurs, le dis-

45
positif double peine faisant partie du projet de loi sur l’immigration, il
convenait de dénoncer la réforme dans sa globalité.

La réussite du ministre de l’intérieur fut totale. Non seulement, il obtint le


soutien des bancs de la gauche de l’Assemblée nationale, laquelle regrettait
officiellement de ne pas avoir fait voter cette réforme lorsqu’elle était au
pouvoir, mais il parvint à faire passer sa loi sur l’immigration sans véritable
opposition.

Quant aux associations, elles se sont laissées entraîner dans l’opération de


séduction menée par Nicolas Sarkozy et n’ont pas su porter les revendica-
tions de la plate-forme qui constituaient pourtant la base de leur engage-
ment. La leçon qu’elle doivent en tirer est que, en sollicitant une réforme de
cette ampleur, elles ont pris une responsabilité qu’il fallait assumer jusqu’au
bout. On ne peut, au final, affirmer hypocritement « on a fait tout ce que
l’on pouvait » en remettant quelques pelletées de terre sur le cercueil du si-
lence.

Répétons-le : la double existe toujours. L’ITF peut toujours être prononcée


pour environ 270 crimes et délits. Quant à l’expulsion, elle peut toujours :
être décidée par l’administration, quelle que soit la situation privée ou fami-
liale de l’étranger ; être prononcée par l’administration, sans débat devant
une commission, en cas d’urgence absolue, alors même que cette urgence a
parfois été provoquée par la négligence des services concernés ; enfin et
surtout, être la conséquence directe d’une condamnation pénale.

La communication du gouvernement a été focalisée sur la mise en place des


« catégories protégées », c’est-à-dire des personnes qui, en aucun cas, ne
pouvaient faire l’objet d’un départ forcé : étrangers entrés avant l’âge de
treize ans, étrangers résidant en France depuis de nombreuses années, étran-
gers malades, parents d’enfants français, conjoints de Français...

En réalité, la loi du 26 novembre 2003 met en place un système compliqué


en distinguant des catégories partiellement protégées et des catégories pro-
tégées. Or, l’examen du dispositif révèle que les premières sont très partiel-
lement protégées et que les secondes sont loin de l’être totalement. Pour
faire partie des premières ca- tégories et être à l’abri de l’expulsion, encore
faut-il ne pas constituer un risque impérieux pour la sûreté de l’Etat ou la

46
sécurité publique, ou ne pas avoir été condamné à une peine au moins égale
à cinq ans. De plus, on peut toujours être condamné par un tribunal correc-
tionnel à une ITF, il suffit que celui-ci motive spécialement sa décision. La
loi n’apporte donc rien par rapport au dispositif antérieur.

Une peine./

La plate-forme
Les associations et les personnes, réunies dans la Campagne nationale
contre la double peine, réclament :

La suspension de l’exécution de toutes les mesures d’éloignement


prises à l’encontre des catégories protégées et plus précisément
leur assignation à résidence avec droit au travail tant pour les per-
sonnes condamnées à une peine d’interdiction du territoire fran-
çais, afin de leur permettre d’obtenir un relèvement de cette me-
sure devant les tribunaux, que pour les personnes frappées par
une mesure d’expulsion dans l’attente de l’abrogation de celle-ci.
La modification de l’article 26 de l’ordonnance du 02/11/1945 de
telle sorte que ne puissent être expulsés les étrangers ayant en
France leurs attaches personnelles ou familiales.
La modification de l’article 23 de l’ordonnance du 02/11/1945 de
façon à rendre l’expulsion exceptionnelle.
La modification de l’article 24 de l’ordonnance du 2/11/1945 :
l’avis défavorable de la Commission d’expulsion de l’étranger, qui
doit être consultée dans tous les cas, doit rendre l’expulsion impos-
sible.
Un débat parlementaire, sur la base des constatations de la com-
mission Chanet, qui devrait déboucher sur la suppression de la
peine d’interdiction du territoire français. Étrangers et Français
doivent encourir strictement les mêmes peines, pour respecter le
principe d’égalité dans le traitement pénal de la délinquance.

Premières organisations associées :


Action des chrétiens pour l’abolition de la torture et des exécutions capi-
tales (ACAT), Agir ensemble pour les droits de l’homme, Cimade, Emmaüs
France, Fasti, France-Libertés, Genepi (sous réserve), Gisti, Ligue des

47
droits de l’homme, Mrap, Service national de la pastorale des migrants, Sud
Ptt, Syndicat des avocats de France, Syndicat de la magistrature...

L’enjeu se situe sur les catégories prétendument protégées de l’éloignement


forcé. Or, on note d’emblée que la protection ne joue pas pour certaines in-
fractions ou certains comportements (acte de provocation à la discrimina-
tion, à la haine ou à la violence en raison de l’origine ou de la religion des
personnes, atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, infractions ter-
roristes...).

Par ailleurs, comme pour la première catégorie, le texte exige de telles


conditions pour en faire partie que l’on s’en trouve, là aussi, très facilement
exclu. Quelques exemples :

– Pour l’étranger entré en France avant l’âge de treize ans, les textes af-
firment que « la peine d’interdiction du territoire français ne peut être pro-
noncée lorsque est en cause » ou que « ne peut faire l’objet d’une mesure
d’expulsion (...) un étranger qui justifie par tous moyens résider en France
habituellement depuis qu’il a atteint au plus l’âge de treize ans ». S’il sera
souvent facile de prouver une résidence habituelle jusqu’à l’âge de seize ans
par des certificats de scolarité, un jeune tombé dans la délinquance ou dans
la toxicomanie et qui commet un délit à 25 ans ne sera pas en mesure de
fournir ces preuves. Ainsi, nombreux seront les dossiers pour lesquels les
preuves feront cruellement défaut voire seront absentes, le seul justificatif
étant parfois le casier judiciaire (quelle prime !).

De plus, il est à craindre que l’administration ou les juridictions pénales


soient enclines à exiger de nombreux documents rendant impossible la
preuve d’une résidence habituelle entre l’âge de la fin de la scolarité et la
date de la condamnation. Le fait d’indiquer « depuis l’âge de 13 ans »,
semble exiger une continuité dans la résidence habituelle « du » double
peine. Cela conduirait à exclure tous ceux qui ont subi l’éloignement forcé,
bref qui ont exécuté leur double peine.

– Pour le conjoint de Français, l’article 131-30-2 du code pénal énonce que


« la peine d’interdiction du territoire français ne peut être prononcée
lorsque est en cause » ou que « ne peut faire l’objet d’une mesure d’expul-
sion (...) un étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix

48
ans et qui est marié depuis trois ans avec un ressortissant français ayant
conservé la nationalité française, à condition que ce mariage soit antérieur
aux faits ayant entraîné sa condamnation, que la communauté de vie n’ait
pas cessé et que le conjoint ait conservé la nationalité française... »

– Pour l’étranger père ou mère de Français, « la peine d’interdiction du ter-


ritoire français ne peut être prononcée lorsque est en cause » ou que « ne
peut faire l’objet d’une mesure d’expulsion (...) un étranger qui réside régu-
lièrement en France depuis plus de dix ans et qui est père ou mère d’un en-
fant français résidant en France, à condition que la naissance de cet enfant
soit antérieure aux faits ayant entraîné sa condamnation, qu’il exerce,
même partiellement, l’autorité parentale à l’égard de cet enfant et qu’il
subvienne effectivement à ses besoins ».

Ainsi, que l’on soit conjoint de Français ou parent d’enfant français, il fau-
dra surtout prouver leséjour régulier en France pendant dix ans. La seule
preuve sera le titre de séjour. Or, combien de victimes de la double peine se
sont retrouvées sans titre de séjour, soit par négligence, soit par toxicoma-
nie, soit parce qu’elles ont déjà été frappées par une mesure d’éloignement,
soit enfin par refus de délivrance de titre de séjour par la préfecture au motif
d’un trouble à l’ordre public ?

L’annonce ne résiste donc pas à l’analyse et le problème de la double peine


n’est pas réglé. Il est probable, de même, que le ministre de l’intérieur ne
manquera pas, au début de l’année 2005, de se féliciter de l’application des
dispositions transitoires censées permettre de régler les situations passées. Il
est évident que ces dernières ont été adoptées pour « faire du chiffre » et vi-
der les tiroirs du ministère, créant, encore une fois, un écran de brouillard
sur lequel l’image du ministre au cœur tendre se projettera. ?

49
Quand le pénal envahit le droit des étran-
gers — Claire Saas
Chose étonnante pour une loi réformant le code pénal, la loi sur la sécurité
intérieure (LSI) va certainement constituer un jalon important dans l’his-
toire de la législation sur les étrangers. Mais revenons quelques pas en ar-
rière : à la suite des attentats du 11 septembre 2001, la sécurité vient d’être
réaffirmée comme droit fondamental par les parlementaires saisis du projet
de loi sur la sécurité quotidienne (LSQ). Au prétexte de lutter contre toutes
les formes de délinquance – de l’occupation de halls d’immeubles aux actes
de terrorisme en passant par l’usage de transports en commun sans titre –, le
législateur a adopté des mesures dont l’étendue dépasse tout entendement.
Justifiée par un contexte international empli de peurs face à la menace ter-
roriste, la loi, qui vise essentiellement la sécurité sur le territoire français,
proposait un dispositif spécial applicable de manière temporaire… jusqu’en
décembre 2003. Cette limitation dans le temps, qui permettait de justifier
notamment la sérieuse extension des pouvoirs de police par une situation
d’exception, ne déroge pas au bon mot du « provisoire qui dure » puisque la
date limite a d’ores et déjà été repoussée à décembre 2005 par la loi sur la
sécurité intérieure.

Néanmoins, on pouvait reconnaître à la LSQ son absence de discrimination


directe à l’égard des étrangers. Même si le terroriste est forcément autre,
même si les contrôles d’identité s’opèrent selon une logique assez connue…
Il n’en va pas de même de la LSI du 18 mars 2003 qui s’est singularisée par
un dispositif les concernant explicitement.

D’abord, le fait de reconnaître au préfet une compétence en droit pénal des


étrangers est singulièrement inquiétant, le droit pénal étant chose trop sé-
rieuse pour être en principe du ressort d’une appréciation discrétionnaire.
Ensuite, la nouvelle incrimination de racolage public est un exemple patent
de la criminalisation des étrangers, certainement comme la nouvelle infrac-
tion de stationnement illicite. Elle montre la tendance de plus en plus im-
portante à recourir au droit pénal comme instrument de lutte contre l’immi-
gration [1]. Enfin, la présence, dans la LSI, de dispositions concernant pure-

50
ment et simplement des questions liées au droit des étrangers en France, in-
dépendamment de toute infraction, démontre que la confusion entre les re-
gistres est très importante.

Le préfet, nouvelle instance pénale

La lecture de la LSI amène, dans un premier temps, à se demander si un


droit pénal dérogatoire du droit commun, réservé aux étrangers et placé
sous l’égide de la « juridiction préfectorale » n’est pas en train d’apparaître.
Désormais, aux termes de l’article 12, dernier alinéa de l’ordonnance du
2 novembre 1945, le préfet peut retirer le titre de séjour temporaire à
l’étranger passible de poursuites pénales pour certaines infractions notam-
ment le proxénétisme, la mendicité, l’extorsion, le vol aggravé, le raco-
lage…

Certes, cette disposition trouve sa propre logique à la relecture des lois Pas-
qua. Ces dernières ont ajouté à l’article 22-I-7° de l’ordonnance la possibili-
té de prononcer un arrêté de reconduite à la frontière si l’étranger a fait
l’objet d’un retrait de son titre de séjour ou d’un refus de délivrance ou de
renouvellement d’un titre de séjour, dans les cas où ce retrait ou ce refus ont
été prononcés, en application des dispositions législatives et réglementaires
en vigueur, en raison d’une menace à l’ordre public. Or, aucune disposition
législative ou réglementaire ne permettait le retrait d’un titre de séjour en
raison d’une menace à l’ordre public.

C’est chose faite avec la LSI. Certes, la circulaire du 8 février 1994 faisait
allusion à la possibilité de retirer le titre de séjour pour des motifs d’ordre
public non prévus par la loi. Le Conseil d‘État confirmait d’ailleurs d’une
certaine manière cette analyse, tout en limitant cette possibilité de retrait
aux cas dans lesquels « le titre de séjour a été délivré par erreur, alors que
l’étranger faisait l’objet d’un signalement qui aurait dû conduire à lui refu-
ser le titre demandé », à savoir lorsque l’intéressé faisait l’objet d’un signa-
lement sur le Système Information Schengen. La LSI ne vient en définitive
que combler une lacune textuelle, le dispositif de l’ordonnance du 2 no-
vembre 1945 étant désormais plus cohérent à cet égard, et la menace à
l’ordre public caractérisée par le fait de se rendre passible de poursuites pé-
nales. Mais cohérence interne n’équivaut pas, loin s’en faut, à cohérence

51
externe, avec l’ensemble du droit positif français et certains principes essen-
tiels du droit pénal.

Cette possibilité d’appréciation en matière pénale offerte au préfet est parti-


culièrement intéressante. D’abord parce que le texte ne prévoit pas que l’in-
téressé ait été condamné pour l’une des infractions précisées : il suffit qu’il
soit passible de poursuites pénales. Dans un système pénal où règne le prin-
cipe d’opportunité des poursuites, il fait bon voir que le préfet puisse déci-
der, à la place du Parquet ou le cas échéant de la victime, qui est « passible
de poursuites pénales ». Ce n’est pas sans rappeler les motifs de refus
d’examen d’une demande de naturalisation tirés d’une inscription sur le fi-
chier STIC (Système de traitement des infractions constatées) : « vous vous
êtes rendu auteur de ». Certes, le Conseil constitutionnel a rappelé que le
cas de figure de l’étranger passible de poursuites pénales vise les seuls
étrangers qui ont commis lesdits faits et non ceux qui en sont seulement
soupçonnés !

Qui contrôle quoi ?

Mais admettons que le préfet jouisse désormais de pouvoirs exorbitants en


matière pénale, au mépris du principe de séparation des pouvoirs et de la
compétence des juridictions pénales ! Dans la mesure où on se trouve hors
du champ de la police des étrangers, en pleine application du droit pénal,
mais apparemment sans compétence juridictionnelle des tribunaux correc-
tionnels, quelle sera la juridiction compétente pour examiner la légalité du
retrait du titre de séjour ? Autant le juge pénal dispose d’un pouvoir d’inter-
prétation et d’appréciation de la légalité des actes administratifs, lorsque de
cet examen dépend la solution du litige pénal, autant il n’entre pas dans la
compétence du juge administratif – comment le pourrait-il ? – de vérifier
que les éléments constitutifs d’une infraction sont réunis.

On tente depuis longtemps déjà de faire rentrer le droit des étrangers dans le
champ d’application de l’article 6 de la Convention européenne des droits
de l’homme, qui prévoit le droit à un procès équitable. Lorsqu’il s’agit
d’une application dérogatoire du droit pénal à raison de la nationalité, n’y
aurait-il pas moyen de faire jouer le droit à un procès équitable, peut-être en
lien avec la prohibition des discriminations ? Parce que, tout compte fait, il

52
vaut presque mieux désormais faire l’objet d’un arrêté d’expulsion ou d’une
interdiction du territoire français pour lesquels certains garde-fous existent
encore.

Pour finir, le législateur, en octroyant au préfet le pouvoir de sanctionner


une éventuelle commission d’un délit, a perdu de vue l’exigence posée
en 1789, selon laquelle la loi ne doit établir que des peines strictement et
évidemment nécessaires. Or, le retrait d’un titre de séjour est fondé sur
l’éventuelle commission de faits qui semblent constitutifs d’une infraction
pénale. Lorsqu’on sait les difficultés rencontrées par le juge pénal pour ca-
ractériser les éléments constitutifs de l’infraction, notamment l’existence de
l’élément intentionnel, on imagine les obstacles auxquels un préfet, dont ce
n’est pas la formation, se heurtera.

Certes, lorsqu’on lutte pour la sécurité intérieure, on n’en est plus à une ap-
proximation ou à une discrimination près, y compris dans la création et
l’application de l’ultima ratio pénale. Mais tout de même, lorsque le
Conseil constitutionnel rappelle au préfet l’existence du droit au respect de
la vie privée et familiale et de la commission du titre de séjour, on est tenté
de se gausser.

L’étranger, forcément criminel ?

La LSI ne se contente pas d’ouvrir la voie à une compétence pénale spéci-


fique du préfet lorsqu’il s’agit d’étrangers ; elle criminalise également des
comportements visant spécifiquement des étrangers. Peut-être est-il plus
juste de parler de la criminalisation de la figure de l’étranger, car, bien sûr,
aucune incrimination ne vise encore spécifiquement des personnes à raison
de leur nationalité. Mais personne n’est dupe, notamment lorsqu’on envi-
sage le racolage public. Dans le cas du racolage public, le dispositif est très
clair, qui vise majoritairement des étrangers. Là encore, on peut se féliciter
de l’intervention audacieuse du Conseil constitutionnel rappelant au juge
pénal que, lors du prononcé de la peine prévue en matière de racolage pu-
blic, il doit tenir compte du principe, énoncé par l’article 122-2 du code pé-
nal, selon lequel nul n’est pénalement responsable s’il a agi par contrainte.
Nul besoin d’être grand clerc pour comprendre que la personne irrespon-

53
sable pénalement, car ayant agi sous contrainte, ne peut être condamnée…
et que donc aucune peine ne peut être prononcée à son encontre.

Cette recommandation n’est pas tombée dans l’oreille de sourds, puisque la


circulaire d’application de la LSI du 3 juin 2003 insiste sur le fait que les in-
fractions liées au trafic d’êtres humains « sont d’autant plus intolérables
qu’elles ont souvent pour conséquence de conduire les personnes qui en
sont l’objet à commettre elles-mêmes des actes portant atteinte à la tran-
quillité et à la sécurité publiques, qu’il est alors nécessaire de réprimer,
même si cette répression doit intervenir de façon adaptée et proportion-
née ». Clairement, on fait tomber dans la répression des personnes qui, en
application stricte du droit pénal, devraient y échapper en raison de la
contrainte qu’elles subissent.

Le fait de préciser qu’une autorisation provisoire de séjour peut être déli-


vrée à la personne qui dépose plainte notamment pour proxénétisme lorsque
sa présence ne constitue pas une menace à l’ordre public relève déjà du ridi-
cule, puisque la personne visée est celle qui, depuis la LSI, peut être pour-
suivie pour racolage public… parce que, en principe, son comportement
constitue une menace à l’ordre public. Subordonner ensuite la délivrance
d’une carte de résident à la condition que l’auteur de l’infraction contre le-
quel plainte a été déposée a été effectivement condamné confine à l’ab-
surde. La carotte ne sera accordée, mais donc aussi la protection à l’égard
de réseaux rarement composés d’enfants de chœur, que si le bâton est don-
né, au besoin par la victime. Cette dernière doit être suffisamment assurée
pour faire aboutir sa plainte sur une condamnation. Le droit pénal, qui se
fait fort à l’heure actuelle de protéger toutes les victimes, ne le fera qu’oc-
casionnellement lorsque celle-ci est étrangère. L’économie de la LSI sur ce
point montre bien l’instrumentalisation du droit pénal au service d’une cer-
taine idée de l’immigration.

Un pot commun

Enfin, la LSI comporte des dispositions visant exclusivement des questions


liées au statut des étrangers en France. Nonobstant leur caractère contes-
table, ces dispositions auraient eu davantage leur place dans une réforme de
l’ordonnance du 2 novembre 1945 que dans une loi réformant le droit pénal.

54
Ainsi, les étrangers de Guyane et de Saint-Martin se voient désormais pri-
vés, à titre définitif, du recours suspensif contre l’éloignement. Aux termes
de l’article 40 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, les étrangers de
Guyane et de la commune de Saint-Martin étaient privés, à compter de la
loi du 2 août 1989 et pour une durée de cinq ans, du recours suspensif
contre un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. Cette disposition,
renouvelée depuis, de cinq ans en cinq ans était justifiée par des difficultés
pratiques et une situation spécifique dans les DOM [2]. A supposer même
qu’une situation particulière continue à exister en Guyane et à Saint-Martin,
elle ne saurait justifier la suppression définitive de la seule voie de recours
effectif contre l’éloignement.

De plus, quatorze ans d’expérience ont amplement montré les inconvénients


de cet état d’exception. De la Guyane sont reconduits à la frontière
de 10 000 à 15 000 étrangers selon les années, soit presque autant que de
l’ensemble de la France. Plusieurs centaines sont éloignés de Saint-Martin.
Faute d’un contrôle effectif du juge administratif, les préfectures omettent
d’examiner la situation des étrangers reconduits à la frontière à la lumière
de l’ordonnance et de la Convention européenne des droits de l’homme.

On retrouve la même logique inégalitaire à l’égard, là encore, des étrangers


de Guyane et de Saint-Martin privés, à titre définitif, de l’accès à la com-
mission du titre de séjour. Cette privation, également prévue par la loi
du 11 mai 1998 pour une durée de cinq ans afin de favoriser une période
d’ajustement, est pérennisée par la LSI, tout effort de mise en place d’un
dispositif dans un contexte prétendument différent étant abandonné.

Le transitoire du traitement inégal des étrangers perdure… grâce à une loi à


vocation pénale. Certes des contingences temporelles encourageaient le lé-
gislateur à intervenir, le délai de cinq ans venant à expiration, mais la ré-
forme Sarkozy de l’ordonnance du 2 novembre 1945 aurait été, à tout
prendre, le lieu de telles décisions. Un nouvel objet juridique est en train de
naître, après les lois portant diverses mesures d’ordre social, les lois portant
diverses mesures d’ordre pénal, pot commun du droit pénal et du droit des
étrangers.

L’abolition des frontières

55
Les allers-retours de la LSI entre le droit pénal et le droit des étrangers ont-
ils fini par rendre la frontière entre les deux champs inexistante, contribuant
ainsi à la libre circulation des amalgames étranger=criminel, ou en tout cas
à créer un no man’s land d’un droit pénal des étrangers ? Clin d’œil à cette
confusion, l’ultime article de la LSI qui vient modifier l’article 78-2 du
code de procédure pénale et étendre encore les possibilités de procéder à
des contrôles dits « frontaliers » pour lesquels le code de procédure pénale
n’exige aucune motivation : « dans une zone comprise entre les frontières
terrestres ou le littoral du département de la Guyane et une zone tracée à
vingt kilomètres en deçà et sur une ligne tracée (…), l’identité de toute per-
sonne peut être contrôlée (…) en vue de vérifier le respect des obligations
de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par
la loi ».

La mise en place initiale de ces contrôles remonte à la loi du 10 août 1993.


Justifiée par la nécessité de compenser la suppression des frontières internes
entre les Etats parties à la Convention de Schengen, elle n’avait pas voca-
tion à s’appliquer dans les territoires exclus du champ d’application de cette
convention. Bien que la Guyane relève de ce cas de figure, la loi
du 24 avril 1997 a détourné ces contrôles frontaliers en les étendant à la
Guyane en tant que zone exposée à des risques migratoires spécifiques. La
LSI ne se contente pas d’étendre la zone frontalière, mais comprend comme
frontière une zone située à 100 kilomètres de la… frontière entre la Guyane
et le Brésil. En permettant à la police de procéder à des contrôles frontaliers
à une telle distance de la frontière géographique, le législateur livre une in-
terprétation extensive, et potentiellement sans limite, de la notion de fron-
tière.

Pas plus que la frontière ne ressemble à une frontière en Guyane, le droit


pénal n’est l’ultima ratio à l’application strictement encadrée, dès lors qu’il
s’agit d’étrangers. Dans ce cas, le droit pénal est potentiellement sans li-
mites. ?

Notes

[1]

56
Cet aspect étant parfaitement illustré par l’article de Johanne Vernier
sur la prostitution dans la LSI.
[2]
En 1989, étaient visés la Guadeloupe, la Martinique, la Réunion, la
Guyane, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin.

57
Les prostitués, victimes de l'obsession sécuri-
taire — Johanne Vernier
Tel que cela ressort des intitulés de la loi du 18 mars 2002 sur la sécurité in-
térieure (LSI) et de sa circulaire d’application [1], la prostitution, sans être
citée explicitement, fait l’objet de deux types de mesures : la lutte plus effi-
cace contre les différentes formes d’exploitation portant atteinte à la dignité
humaine (proxénétisme, traite des êtres humains, et recours à la prostitution
de personnes particulièrement vulnérables), et la lutte contre les consé-
quences de ces formes d’exploitation, c’est-à-dire les atteintes à la tran-
quillité et à la sécurité publiques (racolage public).

Or, les personnes étrangères constituent la majorité à la fois des personnes


prostituées et des personnes victimes de la traite en vue de la prostitution.
Apparaît alors tout l’enjeu de bien coordonner ces deux politiques crimi-
nelles relatives à la prostitution-exploitation et à la prostitution-nuisance,
une mauvaise coordination pouvant mener à sanctionner et/ou éloigner les
victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme au nom de la lutte
contre le racolage public.

Face à ce constat incontournable, la LSI fait du droit des étrangers un pivot


dans l’articulation de ces deux politiques criminelles. Mais loin de renforcer
les droits des personnes étrangères dont la précarité (situation administra-
tive et/ou matérielle) favorise l’exploitation, la LSI opte pour une large ré-
pression des dits coupables quitte à sacrifier au passage leurs réelles ou po-
tentielles victimes, ainsi que certaines valeurs pourtant dites constitution-
nelles. La LSI consacre la prohibition de la prostitution de rue en en sanc-
tionnant tous les acteurs : la personne prostituée dont la répression est ag-
gravée, le client [2] et le proxénète [3] dont la répression est élargie ainsi
que le trafiquant [4]. Le trafiquant d’êtres humains est un intermédiaire qui
permet et/ou organise la mise à disposition d’une personne à un tiers, qui
peut se révéler être un proxénète.

Or, le proxénétisme couvrait déjà le fait de servir d’intermédiaire entre la


personne prostituée et celle qui l’exploite [5], et l’aide à l’entrée et au séjour
irréguliers d’un étranger sur le territoire français pouvait déjà être sanction-

58
née [6]. Pourquoi alors avoir créé une telle infraction ? Au-delà du souci de
la France de mettre sa réglementation en conformité avec les textes interna-
tionaux, notamment européens, qui lui sont applicables [7], cette décision
montre surtout que la question de l’esclavage est appréhendée principale-
ment sous l’angle de l’immigration et non en termes de protection des droits
de l’homme.

A la notion d’esclavage est en effet préférée celle de traite qui pourtant lui
est indissociable (l’esclavage constitue la finalité de la traite) de façon à ag-
graver la répression du passeur, figure emblématique de la lutte contre l’im-
migration irrégulière. Sous couvert de protéger la dignité humaine de la per-
sonne, le choix de sanctionner le trafiquant révèle ainsi des préoccupations
d’un autre ordre, la lutte contre l’immigration irrégulière (dont l’État est la
victime) étroitement liée à la lutte contre la criminalité organisée.

Appréhendées comme délinquantes

Ces préoccupations apparaissent également au niveau de l’appréhension des


victimes de la traite et/ou proxénétisme. Toute la difficulté pour appréhen-
der les personnes étrangères prostituées en tant que victimes vient du fait
qu’elles sont d’abord et avant tout appréhendées en tant que délinquantes
puisqu’en situation irrégulière, ou troublant l’« ordre public » (notion plus
que vague), ou encore complices de leurs exploiteurs. La figure de la per-
sonne étrangère victime de la traite et du proxénétisme est donc exception-
nelle, résultat d’une sélection draconienne afin d’éviter l’appel d’air que
constituerait la reconnaissance de droits à de « fausses » victimes.

Selon les termes de la nouvelle infraction de racolage public [8], la personne


qui racole peut aussi bien être la personne prostituée que le client. Or, en
pratique, seule la personne prostituée est appréhendée à ce titre, le client
pourtant complice étant considéré comme un témoin non victime. Qui est
dès lors la victime de cette infraction classée parmi les atteintes à la dignité
de la personne ? Le riverain est présenté en tant que tel, mais si le riverain
peut certes être victime de tapage nocturne ou d’exhibition sexuelle, il ne
saurait être la victime directe du racolage.

59
Par ailleurs, instaurer une telle infraction aux termes ni suffisamment clairs
ni suffisamment précis pour exclure l’arbitraire [9] n’est pas sans risque
pour les libertés individuelles (le droit d’aller et venir, et donc de stationner,
ou encore le droit au respect de la vie privée). Cela explique de très grandes
divergences dans les pratiques policières (selon le policier, le commissaire,
le préfet, voire le maire) et la répression judiciaire (selon le procureur, le
juge) pour des faits semblables, avec le développement d’arrestations géné-
ralisées et discrétionnaires dont l’opportunité est déterminée par les poli-
ciers eux-mêmes [10].

En quoi la production d’un tel arbitraire serait-elle utile ? En fait, elle per-
met tout simplement de contourner en pratique les règles de procédure pé-
nale relatives au contrôle d’identité et de la régularité du séjour. Les poli-
ciers se voient octroyer le pouvoir non négligeable de contrôler la régularité
du séjour de toutes les personnes prostituées (ou assimilées) et d’enclencher
la procédure administrative d’éloignement. Dans la circulaire d’application,
le ministre de la justice encourage d’ailleurs ouvertement à suivre cette op-
tion administrative qui présente « tous les avantages » plutôt que l’option
judiciaire.

Ce pouvoir est d’autant plus remarquable que la LSI est venue élargir le
champ des personnes étrangères exposées à cet éloignement. En plus des
personnes en situation irrégulière sur le territoire, sont aussi susceptibles
d’êtres éloignées les personnes étrangères munies d’un visa en cours de va-
lidité ou en France depuis moins de trois mois dont le comportement consti-
tue une « menace à l’ordre public », ou encore les personnes étrangères titu-
laires d’une carte de séjour temporaire « passibles de poursuites pé-
nales » [11], notamment pour racolage public. Nul besoin alors de décision
de justice pour établir la réalité ou non du racolage susceptible de troubler
l’ordre public, l’administration se fait seul juge des faits.

Le garde-fou rappelé par le Conseil constitutionnel et consistant à exonérer


de responsabilité la personne contrainte à racoler ou à entrer et séjourner ir-
régulièrement sur le territoire est ainsi réduit à néant. Peut alors s’organiser
l’éloignement des personnes prostituées étrangères en vue de « nettoyer »
les rues dans l’« intérêt public des riverains » [12] et de « restaurer l’autorité
de l’État ». Toutes ces personnes prostituées étrangères d’une visibilité in-

60
contournable sur les trottoirs, avant d’être des victimes potentielles ou
réelles, seraient en effet autant d’indices insupportables de la perméabilité
des frontières (aux étrangers et à la criminalité) et de l’échec de leur
contrôle.

Lors des débats parlementaires, la création de ce délit de racolage public


aux perspectives peu libérales avait été justifiée notamment par le fait que
cette infraction ne donnerait pas lieu à des sanctions et que la garde à vue
qu’elle permettrait serait l’occasion privilégiée d’informer les personnes
prostituées (étrangères) de leur droits. Cependant, le tribunal de Bordeaux a
pu condamner à deux mois d’emprisonnement ferme une personne prosti-
tuée étrangère, et nous pouvons douter que la garde à vue et la menace
d’une sanction et/ou d’un éloignement soient propices à une mise en
confiance des éventuelles victimes de la traite des êtres humains et/ou du
proxénétisme.

Une hypothétique régularisation

L’article 76 de la LSI aménage un semblant de protection pour les victimes


étrangères de la traite des être humains et/ou du proxénétisme à condition
qu’elles déposent plainte ou témoignent contre le trafiquant et/ou le proxé-
nète. Dans ce cas, il est prévu la possibilité de leur délivrer une autorisation
provisoire de séjour (APS) ouvrant droit à l’exercice d’une activité profes-
sionnelle, tandis qu’une carte de résident peut leur être délivrée en cas de
condamnation définitive de ceux-ci. Une première sélection des victimes se
fait donc en fonction de leur participation concrète à l’enquête par leurs dé-
clarations. Mais même si elles jouent le jeu, la régularisation de leur situa-
tion n’est pas de droit [13]. Le préfet en apprécie discrétionnai-rement l’op-
portunité selon deux critères plus ou moins explicites : la menace à l’ordre
public et l’utilité des déclarations. Autrement dit, la victime doit être utile
pour être traitée en tant que telle. C’est ainsi que des personnes prostituées
étrangères pourtant reconnues comme victimes mais considérées comme
« inutiles » se voient expulsées au lieu d’être rapatriées lorsqu’elles sou-
haitent quitter le territoire français. [14]

A ce traitement officiel, s’ajoute semble-t-il un traitement plus informel,


ressemblant à la délivrance déjà existante de titres de séjour sur critère hu-

61
manitaire, à condition que l’activité prostitutionnelle cesse et que la réinser-
tion [15] soit confirmée ; l’appréciation de ces conditions serait laissée à
certaines associations [16]. A l’heure actuelle, nous ignorons les termes
exacts de cette collaboration entre préfectures et associations. Dans un com-
muniqué de presse du 28 avril 2003, le préfet de police de Paris a néan-
moins expliqué que les APRF (arrêtes préfectoraux de reconduite à la fron-
tière) pouvaient être suspendus et des APS renouvelées à condition que la
réinsertion sociale et professionnelle soit poursuivie, ce qui inaugure le
concept de « victime en sursis administratif » !

En outre, une victime de traite et/ou de proxénétisme peut se voir sanction-


ner en tant que complice, notamment lorsqu’elle a joué le rôle de « kapo »,
personnes-relais contraintes de recueillir l’argent ou d’accomplir des tâches
pour le compte du proxénète. En septembre 2003, une personne prostituée
étrangère « kapo » a ainsi été condamnée à deux ans de prison avec sursis
pour proxénétisme aggravé, malgré le fait qu’elle ait fui le proxénète et ré-
pondu à toutes les questions posées par les autorités ; ce sursis semble
d’ailleurs être une récompense pour cette victime dès lors traitée comme un
repenti.

Mais la sanction et/ou l’éloignement des personnes prostituées n’est pas


utile à la seule répression concrète de la criminalité organisée et de l’immi-
gration irrégulière, elle est aussi utile sur le plan symbolique. La LSI est ap-
pliquée de façon à remplir des obligations de résultats (quotas d’interpella-
tions, de gardes à vue, de rétentions) en vue de répondre au sentiment d’in-
sécurité des riverains et à la boulimie de chiffres des médias. Seule l’appa-
rence semble alors compter, telle que la disparition de la prostitution dans
certains quartiers suite à la mobilisation des riverains, peu importe qu’il ne
s’agisse en fait que d’un déplacement géographique du problème.

Pour la tranquillité publique

Cette utilisation, ce détournement du droit va cependant bien au-delà de la


seule consécration d’un statut des étrangers toujours plus discriminatoire et
toujours plus attentatoire aux droits et libertés, puisqu’il entraîne le renver-
sement d’une certaine hiérarchie des valeurs pourtant consacrées au niveau
constitutionnel.

62
Aux deux objectifs clairement réaffirmés dans la circulaire d’application
correspondent deux types d’intérêt protégés : la dignité de la personne hu-
maine, la tranquillité et la sécurité publiques. Il en découle deux catégories
de victimes protégées : les victimes d’atteintes à la dignité humaine et celles
d’atteintes à la tranquillité et à la sécurité publiques. Si les riverains mécon-
tents savent s’émouvoir de la condition des premières, ils protestent néan-
moins contre les nuisances résultant de l’activité prostitutionnelle dans son
ensemble, peu importe que les personnes prostituées soient alors libres ou
contraintes, françaises ou étrangères. Il est dès lors logique de voir toutes
les personnes prostituées, y compris des victimes de traite et/ ou de proxé-
nétisme, concernées par des poursuites pénales pour racolage public, no-
tamment sur la base de mains courantes ou plaintes de riverains. Faut-il
alors en déduire que la tranquillité (la sécurité n’étant pas réellement en jeu)
des uns prévaut sur la dignité humaine des autres ? Or, si la sécurité pu-
blique est un objectif à valeur constitutionnelle comme la dignité humaine,
la tranquillité publique ne l’est certainement pas.

La LSI, en faisant des personnes prostituées, en particulier étrangères, des


boucs émissaires de l’insécurité et un symbole de la répression de l’immi-
gration irrégulière, crée ainsi une sous-catégorie de personnes ayant des
droits dits fondamentaux de moindre valeur que la tranquillité des « bons
citoyens » et fragilise encore davantage les fondements de l’État de droit. ?

Notes

[1]
Circulaire du garde des sceaux du 3 juin 2003.
[2]
Le client de personnes prostituées mineures et maintenant de per-
sonnes particulièrement vulnérables est puni en vertu des articles 225-
12- 1 et suivants du code pénal.
[3]
Les articles 225-5 et suivants du code pénal sanctionnent tant le proxé-
nétisme de contrainte que le « proxénétisme de fréquentation ». La LSI
ajoute la répression de la vente, la location et la mise à disposition
d’un véhicule à une personne qui s’y livrera à la prostitution. Il n’est

63
donc légitime de se prostituer nulle part, si ce n’est sur la voie pu-
blique à certaines conditions.
[4]
Articles 225-4-1 et suivants du code pénal.
[5]
Article 225-6, 1° du code pénal.
[6]
Article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 sur l’entrée et le sé-
jour des étrangers en France.
[7]
En particulier, le protocole additionnel sur la traite des êtres humains à
la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale or-
ganisée de décembre 2000, et la Décision-cadre européenne sur la
traite des êtres humains du 19 juillet 2002.
[8]
Selon l’article 225-10-1 du code pénal, c’est « le fait par tout moyen, y
compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au
racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles en
échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération », ce
qui est puni de deux mois d’emprisonnement et 3750 euros d’amende.
[9]
Exigence découlant du principe de légalité des délits et des peines (ar-
ticles 5, 7, et 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et
décision du Conseil constitutionnel des 19-20/01/89).
[10]
Voir la décision du 5/08/93 du Conseil consti-tutionnel qui condamne
ce type d’arrestations.
[11]
L’éloignement est rendu possible par le retrait de la carte de séjour
temporaire à ce titre.
[12]
L’augmentation non négligeable du nombre d’éloignements de femmes
étrangères prostituées est constatée et dénoncée par de nombreuses as-
sociations.
[13]
Par exemple, elles peuvent avoir été entendues et citées à comparaître
sans que rien ne soit fait pour leur situation administrative ou leur acti-

64
vité prostitutionnelle, et ainsi se voir éloignées avant de comparaître.
[14]
L’Office international des migrations (OIM) prend en charge de tels
dispositifs.
[15]
Condition inexistante dans la loi et difficile à remplir en pratique
lorsque la langue française n’est pas maîtrisée et que les contrats ne
peuvent être que de courte durée du fait des APS.
[16]
Par exemple, entre le Mouvement du Nid et la préfecture de Paris.

65
Sans-papiers : la fin des soins ? — Adeline Toul-
lier
Jusqu’en 1993, les frontières entre politiques migratoires et protection ma-
ladie sont quasi étanches. Ainsi, le fait pour un étranger d’avoir pénétré
et/ou séjourné de manière irrégulière en France est sanctionné sur le plan
pénal mais n’emporte pas de conséquence quant à son accès aux droits so-
ciaux [1]. Seule la « résidence en France » (entendue comme la « présence
sur le territoire national ») est requise par le code de sécurité sociale [2], au-
trement dit un sans-papiers qui vit (parce que/donc travaille) en France, de
manière déclarée ou non, relève du régime général de sécurité sociale au
même titre qu’un salarié français ou qu’un étranger en situation régulière.
L’État ferme les yeux quant à l’activité des sans-papiers, parce que c’est un
volant de main-d’œuvre disponible, souple, peu onéreux, en un mot : une
appréciable variable d’ajustement dans une économie de marché. Mais la
complaisance étatique s’arrête à ces vertus immédiates et économiques : si
on tire profit de ces relations professionnelles au déséquilibre juridique ag-
gravé, on ne nie pas pour autant les droits attachés à la qualité d’homme et
de salarié. Le résident qui travaille en France a droit à une protection indé-
pendamment de sa situation administrative. Il est des droits absolus que rien
ne saurait atteindre. En tout cas, c’est ce que l’on croit jusqu’en 1993…

De l’assurance à l’assistance

La loi Pasqua du 24 août 1993 change en effet radicalement la donne en ex-


cluant les salariés étrangers en situation précaire au regard du séjour du ré-
gime de droit commun (niant ainsi la finalité sociale de la politique de pro-
tection maladie). Dit autrement, l’accès à une couverture maladie pour les
travailleurs sans-papiers passe de l’assurance à l’assistance. Le critère qui
devient exclusivement déterminant pour l’accès à une couverture maladie,
c’est la situation au regard du séjour. Aux salariés étrangers en situation ré-
gulière (c’est-à-dire détenteurs d’un des titres de séjour recensés dans une
certaine liste limitative, autrement dit « les bons titres de séjour » [3]) : le
même sort qu’aux Français ; aux étrangers pauvres en situation précaire
(c’est-à-dire, dépourvus de « bon titre de séjour ») ou en situation irrégu-

66
lière : un système au rabais, l’aide médicale. Les sans-papiers sans res-
sources (ou très faibles) y côtoient alors les autres personnes démunies,
comme les sans domicile fixe, quelles que soient leur nationalité et leur si-
tuation administrative.

Et rien n’est prévu pour les sans-papiers qui auraient des ressources, ceux
qui travaillent et se procurent ainsi un revenu plus ou moins stable. La ré-
partition est conçue de telle sorte que les sans-papiers sont incités à taire
leur activité s’ils veulent avoir accès un tant soit peu à une couverture so-
ciale pour eux-mêmes et leur famille. L’opération vise non seulement à am-
puter le droit à une prise en charge maladie, mais également à rendre invi-
sible et à nier le travail des sans-papiers.

Le Conseil constitutionnel n’avait (déjà) rien trouvé à redire en 1993, si ce


n’est de rappeler que les droits ouverts à une assurance maladie ne pou-
vaient cesser brusquement au jour de la perte du titre de séjour et qu’un
maintien des droits d’un an devait s’appliquer avant d’entrer dans le dispo-
sitif de l’aide médicale [4].

L’échec de l’universel

Fin 1999, si la réforme de la couverture maladie universelle (CMU) a eu


des effets positifs indéniables, elle a en revanche renforcé la mise à l’écart
des sans-papiers par un système qui leur est désormais réservé. L’objectif
initial de la réforme CMU visait à faire disparaître le régime de l’aide médi-
cale et à unifier le système afin d’intégrer toute la population (actifs et inac-
tifs, démunis ou non) à une assurance maladie universelle (assortie d’une
complémentaire CMU, éventuellement gratuite pour les plus démunis), et
de mettre fin à un système de soins à deux vitesses.

Au final, l’universel a échoué puisqu’une catégorie a malgré tout été ex-


clue : les étrangers en séjour non stable et non régulier. Ceux-là, et seule-
ment s’ils ne disposent que de très faibles ressources, restent dans un dispo-
sitif subsidiaire qui leur est dès lors exclusivement [5] dédié, l’aide médicale
État (AME).

67
La couverture est gratuite : les sans-papiers n’ont pas à s’acquitter d’une
quelconque contribution. Les prestations prises en charge par l’AME (« pa-
nier de soins ») sont inférieures à celles couvertes par la complémentaire
CMU, en particulier en matière dentaire et d’optique. Si tous les bénéfi-
ciaires ont accès à l’hôpital, seuls ceux qui peuvent prouver qu’ils résident
depuis plus de trois ans en France ont accès aux consultations et soins au-
près de la médecine de ville (cabinets ou centres de soins) [6]. Par consé-
quent, ce système contraint à consulter à l’hôpital pendant les trois pre-
mières années de présence en France, contrairement à ce que même une lo-
gique comptable et financière privilégierait.

Mais c’était encore trop, restait encore une étape : la suppression complète
de la protection maladie et l’accès aux soins des sans-papiers. Procéder à
cette réforme ouvertement aurait fait quelque peu tache à l’heure de la
« lutte contre la fracture sociale » et de la mise sur le devant de la scène des
politiques de santé publique. Cela aurait également placé la France en dé-
faut flagrant quant à ses engagements constitutionnels et internationaux.
Alors, on agit de façon discrète et sournoise dans le choix du processus nor-
matif et dans la détermination du contenu destructeur, tout en enrobant le
tout d’une justification financière grossière.

D’abord donc : l’assise juridique. En décembre 2002 et en décembre 2003,


le gouvernement a saisi l’occasion du vote de lois de finances rectificatives
pour l’exercice précédent, pour faire passer des réductions drastiques d’ac-
cès à l’AME. Un projet de loi de finances rectificative présente le « grand
avantage » d’esquiver tout débat démocratique réel du fait de la rapidité re-
quise pour son adoption. Prévu a posteriori en correctif du budget, il est
rendu public très tardivement et donc peu exposé aux commentaires, cri-
tiques et débats citoyens. En 2002 comme en 2003, c’est seulement aux
alentours de la mi-novembre que les réformes ont été annoncées dans leurs
grandes lignes et les textes eux-mêmes n’ont été connus que fin novembre.
Le calendrier de fin 2003 était à ce point serré qu’il en a même suscité des
commentaires du Conseil constitutionnel qui a jugé « critiquable (…) l’ab-
sence de dépôt d’un projet de loi de finances rectificative en temps
utile » [7]. Pour l’essentiel, les mesures relatives à la restriction de l’AME
du collectif de fin 2003 reprenaient celles qui figuraient dans un projet de
circulaire élaboré quelque six mois auparavant. Pourquoi alors, si ce n’est

68
pour une adoption en catimini et au pas de charge, ne pas les avoir intégrées
au projet de loi de finances présenté fin septembre et objet d’un réel débat
démocratique avant l’adoption ?

« Responsabiliser les sans-papiers »

Ensuite, le choix pour des amputations partielles successives, parfois aux


allures de « mesurettes ».

L’idée, c’est de conserver la coquille de l’AME et de la vider de toute sa


substance par des retouches successives. Pour ce faire, on s’ingénie à rendre
l’accès effectif aux soins impossible par la mise en place de nouvelles
conditions draconiennes que les sans-papiers ne pourront remplir, tout en
martelant que l’AME a « une vocation humanitaire », sous-entendu qu’il
s’agit d’une faveur et non d’un droit.

Un moyen, grandement efficace, consiste à faire payer les sans-papiers pour


bénéficier de l’AME en introduisant un ticket modérateur. Le but affiché est
de les responsabiliser dans leur consommation de soins, forcément abusive.
La loi de finances rectificative pour 2002 avait déjà introduit cette nouveau-
té et il restait à déterminer par décret les différents montants du ticket mo-
dérateur selon les pathologies, les actes, etc. La publication du décret a été
suspendue en février 2003, du fait de la forte mobilisation des associations
et des syndicats qui, pour l’essentiel, dénonçaient ce ticket d’exclusion des
soins pour des populations précaires (comment ne pas retarder, si ce n’est
renoncer aux soins, lorsqu’on ne peut payer ? Et faute de soins précoces, les
pathologies s’alourdissent et occasionnent des frais de santé plus impor-
tants). Mais le gouvernement n’a pas lâché prise. Aujourd’hui, malgré la
persévérance et la diversité des oppositions tant collectives qu’individuelles
(lettre ouverte aux parlementaires, pétitions, plaintes au Conseil de l’ordre
des médecins contre le ministre de la santé…), il s’acharne et s’apprêterait à
rendre les derniers arbitrages pour la fixation des tarifs.

Une exclusion de fait des soins

Autre moyen plus sournois et terriblement efficace : le verrouillage de l’ac-


cès à l’AME par le durcissement des modalités d’ouverture des droits. Là,

69
on ne joue plus d’égal à égal avec les autres consommateurs de soins, on
stigmatise les étrangers en général et les sans-papiers en particulier en fon-
dant la mesure sur la nécessité de lutter contre les abus et les fraudes (une
fois de plus…), contre le « tourisme sanitaire », contre un système qui insti-
tuerait « une prime à l’irrégularité » [8] au motif que les sans-papiers béné-
ficieraient « d’une prise en charge plus favorable (…) que celle qui est ac-
cordée [aux Français les plus modestes] [9] ».

Un projet de circulaire, dévoilé en mai 2003, proposait ainsi la remise en


cause du caractère déclaratif (autrement dit, la possibilité d’apporter la
preuve d’une situation non par un document officiel dont sont souvent dé-
pourvues les populations précaires, mais par une déclaration sur l’hon-
neur) ; la prise en compte des aides en nature (nourriture, logement…) four-
nies par des proches ou associations dans le calcul des ressources ; la sup-
pression de l’ouverture des droits à l’AME par la CPAM dans les hôpitaux
comme auprès des associations ou encore la suppression de l’admission im-
médiate à l’AME même en cas d’urgence médicale ou sociale. Ces mesures,
momentanément rangées dans les cartons, ressortent aujourd’hui, en fé-
vrier 2004, sous forme de projets de décrets. Seule l’assise juridique est mo-
difiée et confortée, la logique et ses déclinaisons restent les mêmes. La mo-
bilisation des associations est, cette fois-ci, appuyée par la caisse nationale
d’assurance maladie (CNAM) qui vient de rendre un avis unanimement dé-
favorable à l’encontre de ces deux projets de décrets que lui a officiellement
soumis le gouvernement. Elle considère, en effet, que ces mesures imposent
« des conditions d’accès particulièrement complexes qui ignorent les situa-
tions de précarité et de fragilité sanitaire dans lesquelles se trouvent les po-
pulations concernées » et que « ce recul dans l’accès aux soins contrevient
aux exigences élémentaires de santé publique et de sécurité sanitaire, sans
garantir au demeurant aucune efficacité économique ». Mais quel poids au-
ra cette catégorique opposition face à l’acharnement du gouvernement ?

Quoi qu’il en soit, il reste que, pour éviter ces soi-disant dérapages, la loi de
finances rectificatives pour 2003 exige une présence ininterrompue en
France de trois mois avant de pouvoir demander l’AME et limite les soins
médicaux pris en charge en urgence aux seules situations qui mettent en jeu
le pronostic vital immédiat (et ce uniquement à l’hôpital, alors qu’il est éta-
bli que le recours aux plates-formes hospitalières est toujours onéreux sans

70
être à chaque fois médicalement nécessaire). Tout recours préventif et pré-
coce aux soins est ainsi interdit. Combinées à la suppression du dispositif
d’« admission immédiate », ces mesures visent ni plus ni moins à écarter
des soins (ou à tout le moins à les retarder). Avec le risque d’aggraver les
pathologies pour in fine alourdir le coût pour la collectivité.

Mais, que l’on se rassure, cette destruction de l’AME est en tout point res-
pectueuse des droits fondamentaux de la personne humaine protégés par la
Constitution, si l’on en croit l’analyse du Conseil constitutionnel qui consi-
dère que « la réforme mise en œuvre par l’article 97 ne porte atteinte ni au
principe d’égalité, ni à la protection de la santé imposée par le onzième ali-
néa du Préambule de la Constitution de 1946, dès lors que, en cas d’insuffi-
sance de ressources, les étrangers en situation irrégulière sont couverts par
l’aide médicale de l’État à l’issue de trois mois de séjour en France et,
avant l’expiration de ce délai, bénéficient gratuitement des soins urgents
que peut requérir leur état de santé […] » [10].

Un objectif exclusivement politique

Alors que l’efficacité financière des mesures est loin d’apparaître comme
une évidence, on nous dit et on nous répète (rapport IGAS – inspection gé-
nérale des affaires sociales –, exposés des motifs, rapports parlemen-
taires…) que toutes ces réformes de l’AME visent à maîtriser le coût bud-
gétaire du système de soins des sans-papiers. C’est que les dépenses de
l’AME auraient « explosé » ces deux dernières années. L’IGAS a rendu un
rapport en février 2003 [11] qui s’efforce d’identifier les causes et les res-
ponsables de cette augmentation… sans jamais convaincre ! Et les rapports
parlementaires rendus par la suite sur le même sujet se sont contentés de ré-
itérer les arguments fallacieux avancés par l’IGAS.

Le point commun de ces documents, c’est qu’ils commencent par faire état
de l’augmentation du nombre de bénéficiaires (ils seraient passés
de 75 000 à la fin 2000 à 165 000 au troisième trimestre 2003) et du coût de
l’AME ces deux ou trois dernières années. Ils poursuivent en expliquant la
croissance des dépenses afférentes à l’AME notamment par la « relative
méconnaissance des règles de droit par de nombreux acteurs » jusqu’au dé-
but des années 2000 [12] (qui écartait de fait nombre de bénéficiaires poten-

71
tiels), ou encore par « les retards de la facturation hospitalière », de mau-
vaises imputations comptables et autres reports d’exercices précédents [13].

Mais, plutôt que de conclure en expliquant la progression des dépenses par


ces reports et la montée en charge prévisible du dispositif, ils s’engouffrent
dans d’obscures et contradictoires comptabilités, ponctuées d’évocations de
situations singulières et caricaturales, voire racistes, érigées en généralités.
Pas la moindre mise en perspective des dépenses liées à l’AME par rapport
aux dépenses totales d’assurance maladie (elles pèsent moins de
2/1 000 dans les dépenses totales de santé). Tout juste peut-on relever de
bien timides et discrets rappels sur les catégories de populations indûment
orientées vers l’AME et qui relèvent normalement de la CMU (les deman-
deurs d’asile en vertu de la protection particulière dévolue par la Conven-
tion de Genève ou les personnes en maintien de droit à l’assurance mala-
die). A aucun moment, le gouvernement ne s’est réellement donné la peine,
non plus, d’un vrai calcul économique (par exemple, en redressant les
chiffres sur le coût moyen d’un bénéficiaire de l’AME selon la catégorie so-
cio-professionnelle, le sexe et l’âge, ce qui aurait été nécessaire pour pou-
voir véritablement comparer la population prise en charge par l’AME avec
la population générale).

Non, rien de tout cela car l’objectif poursuivi n’est pas économique, comme
on voudrait le faire croire, mais bien politique. Si une pure gestion comp-
table de la question est affichée, c’est pour mieux taire l’indicible volonté
politique de réprimer les sans-papiers, jusqu’à leur nier le droit personnel,
fondamental et universel à l’accès aux soins, et d’accroître encore davan-
tage leur précarité. ?

Notes

[1]
Ancien art. L.311-2 du code de sécurité sociale.
[2]
Ancien art. L.311-7 du code de sécurité sociale.
[3]
Art. L.115–6 du code de sécurité sociale et D.115–1 pour l’assuré et art
L.161–25–2 et D.161–15 pour les ayants droit majeurs.

72
[4]
Décision n°93-325 du 13 août 1993 du Conseil constitutionnel. Celui-
ci ne fait en réalité que rappeler l’existence de l’art. L.161-8 du code
de sécurité sociale.
[5]
Ou quasi : l’AME couvre également les Français rapatriés depuis
moins de trois mois et non assurés par ailleurs et les cas d’admission
exceptionnelle (art. L. 251-1 du code de l’action sociale et des fa-
milles).
[6]
Art. L.111-2 du code de l’action sociale et des familles.
[7]
Décision n° 2003-488 DC – 29 décembre 2003.
[8]
Propos de M. Marini, rapporteur général, débats au Sénat du 16 dé-
cembre 2003.
[9]
Propos de M. Lambert, ministre délégué, censé répondre aux accusa-
tions de populisme portées par des sénateurs du groupe CRC, débats
au Sénat du 16 décembre 2003.
[10]
Décision n° 2003-488 DC – 29 décembre 2003.
[11]
Rapport 2003-022 de l’IGAS, présenté par B. Guillemot et F. Merce-
reau, février 2003.
[12]
Rapport de Monsieur Carrez, pour l’Assemblée nationale du 3 dé-
cembre 2003 fait au nom de la commission des finances sur le projet
de loi de finances rectificative pour 2003, article 49.
[13]
Rapport de Philippe Marini, pour le Sénat du 11 décembre 2003 fait au
nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances rec-
tificative pour 2003, article 49.

73
L'harmonisation communautaire : objectif ou ali-
bi ? —
Pendant les travaux préparatoires à la réforme de la loi du 10 dé-
cembre 2003 sur l’asile, il a souvent été fait référence aux normes com-
munautaires en cours d’élaboration. C’est ainsi que des notions comme
celles de « pays sûrs » ou de « protection subsidiaire », sont directement
tirées des textes qui, à court terme, définiront la future politique euro-
péenne d’asile. Lors de la discussion sur la loi relative au séjour et à
l’éloignement du 28 novembre 2003, ces références ont été moins expli-
cites. Elles n’ont fait leur apparition que lorsque le gouvernement a es-
timé que l’invocation de l’« Europe » lui était utile. Ainsi, après avoir
imposé, dans la négociation avec ses partenaires, certaines dispositions
auxquelles il tient, il est revenu devant les parlementaires français plai-
der leur adoption au nom des contraintes de la communautarisation.

Les exemples abondent. Dans la directive relative au statut du ressortis-


sant de pays tiers résident de longue durée, le critère d’intégration, intro-
duit à la demande de la délégation française est désormais une condi-
tion requise par la loi française pour la délivrance d’une carte de ré-
sident. De même, en transposant, dans l’ordonnance de 1945, la direc-
tive relative au contrôle des frontières qui prévoit de réprimer les
transporteurs acheminant des étrangers sans titre, la France inscrit
dans sa loi une disposition européenne dont elle est elle-même à l’ori-
gine.

Ce jeu de miroirs, qui permet au gouvernement français de présenter


au Parlement, habillées du vernis « européen », des dispositions dont il
est l’initiateur, est récurrent dans la loi Sarkozy. Il fonctionne parfois
dans l’autre sens, lorsque la France, pour faire pression sur les autres
États membres de l’UE, argue de ses pratiques nationales pour les faire
inscrire dans la loi européenne. C’est le cas avec la possibilité, ouverte
par la loi du 26 novembre 2003, de systématiser la mémorisation des
photographies et des empreintes digitales de tous les étrangers qui solli-
citent un titre de séjour ou un visa, votée au moment où les Français

74
militent activement, au sein du Conseil de l’Union, pour l’adoption
d’un règlement communautaire visant à introduire des éléments
d’identification biométriques dans les documents de séjour et de voyage
des étrangers. L’un des objectifs de l’harmonisation des politiques
d’immigration décidée par le traité d’Amsterdam, en 1997, était de dé-
passionner la matière en l’extrayant du débat national. A constater
l’instrumentalisation dont elle fait l’objet par certains États membres,
il n’est pas certain que le but soit atteint. Les trois articles qui suivent
illustrent cette interrogation.

75
L'asile menacé par l'harmonisation — Pierre
Monforte
Depuis le 10 décembre 2003 et la promulgation en France de la loi modi-
fiant la loi relative à l’asile, l’analyse de l’influence des négociations euro-
péennes en matière d’immigration et d’asile sur l’évolution de la législation
française se heurte à un paradoxe apparent. Comment comprendre qu’un
État membre choisisse de faire cavalier seul en modifiant fondamentale-
ment sa législation alors que, parallèlement, des directives (si minimalistes
soient-elles) censées encadrer toute norme relative à l’asile sont encore en
discussion à Bruxelles ? Sans un examen plus approfondi, un aperçu rapide
de l’évolution du processus d’harmonisation des politiques d’asile en Eu-
rope suffirait à soulever ce paradoxe.

En effet, on se souvient que, suite au Traité d’Amsterdam et au lancement


de ce processus, le sommet de Tampere d’octobre 1999 semblait marquer la
volonté des États membres de mettre en place une véritable politique com-
mune en matière d’asile. Ce chantier devenait une priorité majeure de
l’Union européenne et les gouvernements des Quinze esquissaient avec un
certain élan les grandes lignes de la future politique européenne d’asile : ils
s’engageaient à respecter un calendrier strictement défini et à travailler de
concert avec la Commission européenne, en s’exposant au risque de se voir
rappeler à l’ordre par les rapports semestriels de la Commission rendant
compte de l’avancée des travaux.

Or, malgré l’élan apparent de Tampere (et malgré les échéances fixées au
sommet de Séville de juin 2002), il est évident que le processus d’harmoni-
sation des politiques d’asile en Europe est aujourd’hui dans l’impasse : les
négociations portant sur les différentes directives relatives à l’asile échouent
de façon quasi systématique dès lors que les intérêts nationaux des États
membres semblent remis en cause.

Ainsi, les deux propositions de directive les plus fondamentales (celle rela-
tive à la définition du réfugié(1) et celle relative aux procédures d’examen
des demandes d’asile(2)) sont bloquées au Conseil depuis respectivement

76
plus de deux ans et plus de trois ans, soumises à un jeu politique inter-éta-
tique visant à les vider totalement de leur contenu. Au Conseil européen de
Thessalonique de juin 2003, les États membres, contraints d’annoncer que
les échéances fixées à Tampere et à Séville ne seraient pas respectées, ont
dû reconnaître qu’ils n’étaient pas prêts à s’entendre sur les fondements
d’une politique commune : la proposition de directive concernant la défini-
tion du réfugié et de son statut a été laissée en suspens (l’Allemagne endos-
sant le rôle de responsable de cet échec) alors que la date de juin 2003 avait
été posée comme date butoir un an plus tôt à Séville.

Négociations au point mort

Les négociations (il vaudrait d’ailleurs mieux parler de « tractations ») rela-


tives à l’établissement d’une procédure harmonisée sont quant à elles égale-
ment bloquées : malgré un abaissement considérable des minimas qu’elle
prévoit, la proposition de directive concernant les procédures d’octroi et de
retrait du statut de réfugié est au point mort.

En outre, toujours en ce qui concerne l’harmonisation des politiques d’asile,


la seule proposition de directive importante adoptée à ce jour (celle relative
à l’accueil des demandeurs d’asile(3)) n’a pu l’être qu’au prix d’un démem-
brement complet : du fait des clauses facultatives introduites par les États
membres, la directive est vidée de son contenu et n’harmonise en rien les
pratiques existantes. Les gouvernements les plus intransigeants (en particu-
lier la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et l’Italie) utilisent de ma-
nière systématique leur droit de veto dès lors qu’une proposition est suscep-
tible de réduire leur compétence.

La loi sur l’asile du 10 décembre 2003 semble donc marquer une nouvelle
fois de manière flagrante la réticence des États membres à voir s’établir une
politique d’asile commune. Son adoption est caractéristique du mépris affi-
ché, voire de l’hostilité du gouvernement, comme de la plupart des gouver-
nements européens (la Grande-Bretagne, l’Italie ou l’Allemagne repro-
duisent exactement les mêmes schémas), à l’égard des objectifs de Tam-
pere. Le message est clair : il s’agit d’affirmer que la politique d’asile re-
lève de la compétence des États-Nations et non de celle de l’Union euro-
péenne.

77
Pour autant, s’arrêter à ce constat reviendrait à ignorer les ambiguïtés des
relations entre l’existence d’un processus d’harmonisation européen et
l’évolution de la législation française en matière d’asile. S’il est évident que
les gouvernements refusent l’idée d’une perte de leur souveraineté en ma-
tière de politique d’asile, l’existence des négociations à l’échelle euro-
péenne répond aussi, dans une logique restrictive, à un certain nombre de
leurs intérêts propres. Et le contenu de la loi du 10 décembre 2003 modi-
fiant la loi française en matière d’asile est là pour nous le rappeler.

Le parallèle entre les évolutions actuelles dans la législation française et le


déroulement des négociations européennes est frappant : l’ensemble des
nouveaux concepts introduits par la loi Sarkozy-Villepin est directement
inspiré du contenu des discussions en cours à Bruxelles. Les notions de
« pays d’origine sûr », d’« acteur de protection » et d’« asile interne » ainsi
que les nouvelles formes de protection (protection subsidiaire et protection
temporaire) sont autant de points fondamentaux que l’on retrouve à la fois
dans les propositions de directive examinées au Conseil des ministres et
dans la nouvelle législation française.

Plus globalement, on constate que les problématiques qui inspirent l’évolu-


tion de la législation française sont également celles qui guident le cours
des négociations à l’échelle européenne. Ainsi, la question de l’« externali-
sation » de l’asile (question qui constitue une des clés de la compréhension
des projets européens) est à peine cachée par les quelques garanties qui en-
tourent la définition française de l’asile interne. De même, la problématique
des « abus du système d’asile »(4) guide l’élaboration des directives euro-
péennes tout comme elle a été au cœur de la réflexion qui a mené à la loi
Sarkozy-Villepin. C’est elle qui a abouti à la mise en place de « procédures
prioritaires », sans possibilité de recours suspensif devant la Commission de
recours des réfugiés, pour les ressortissants de pays considérés comme sûrs.
Tout comme dans les schémas élaborés par les directives européennes,
l’idée d’une lutte contre les « abus du système d’asile », d’une distinction
plus efficace entre les « vrais » et les « faux » réfugiés se traduit par un ren-
forcement du caractère arbitraire de l’examen d’une demande d’asile, aux
dépens des droits du demandeur et des garanties de la Convention de Ge-
nève.

78
A l’insu de l’opinion publique

Les similitudes entre les projets européens et la nouvelle législation fran-


çaise témoignent de l’utilité, pour le gouvernement français, de s’appuyer
sur le processus de Tampere pour justifier les nouvelles orientations en ma-
tière d’asile. Par un classique jeu de miroir, les négociations en cours à
Bruxelles sont un formidable prétexte que le gouvernement exploite en per-
manence à l’échelle nationale pour justifier l’introduction de nouveaux
concepts restrictifs. Comme ses partenaires européens, le gouvernement
français manie constamment l’hypocrisie qui consiste à refuser, à Bruxelles,
l’idée d’une délégation substantielle de compétences en matière d’asile, tout
en justifiant, à Paris, l’évolution de la législation française par l’existence
d’un processus communautaire d’harmonisation.

En fait, plus encore que pour l’intégration de nouveaux concepts, l’exis-


tence du processus de Tampere se révèle être un instrument indispensable
pour les gouvernements européens dans la mesure où il permet d’élaborer
tout un ensemble de mesures dites opérationnelles sans avoir à en référer
auprès de l’opinion publique. Ces normes et mesures n’ont pas pour objet
d’harmoniser les politiques d’asile, et elles visent à créer des instruments
communs dont l’utilisation (et souvent l’élaboration) échappe à la visibilité
publique. Ainsi, dans une logique éminemment restrictive, ce processus
permet aux États membres de mettre en place de nouveaux instruments qui
ont pour effet de mettre en danger le droit d’asile, sans que l’opinion pu-
blique, placée devant le fait accompli, puisse réagir.

Se débarrasser du « fardeau »

En fait, en observant globalement le contenu des négociations en cours à


Bruxelles, il semble que tous les États membres se retrouvent autour d’une
perception commune du thème de l’asile. Conçu à la base comme une res-
ponsabilité politique et une exigence morale, l’asile est aujourd’hui perçu
par les gouvernements européens comme un fardeau dont il faut se débar-
rasser à tout prix, y compris celui du non-respect de la Convention de Ge-
nève de 1951 sur les réfugiés. C’est cette conception, dérivant d’une obses-
sion sécuritaire, que l’on retrouve derrière les problématiques de l’« exter-
nalisation » des procédures, de la chasse aux « fraudeurs » qui « abusent »

79
des systèmes, et du lien établi entre réforme de la législation relative à
l’asile et lutte contre l’immigration clandestine.

Dès lors, il n’est pas surprenant de constater que des mesures opération-
nelles prises dans les domaines du contrôle des flux migratoires ou de
l’éloignement des étrangers résidant en situation illégale menacent directe-
ment le droit d’asile. Ces mesures sont en fait conçues comme des instru-
ments permettant de réguler toute entrée sur le territoire d’un Etat membre
de l’Union européenne, qu’il s’agisse indifféremment de l’entrée de mi-
grants ou de demandeurs d’asile.

Du fait de cette perception commune, un consensus s’établit immédiate-


ment dès lors qu’il s’agit de mettre en place des normes et des mesures opé-
rationnelles à l’échelle européenne. Compte-tenu des blocages sur le fond
au Conseil, il est en effet intéressant de constater avec quelle rapidité ces
mesures sont conçues puis rendues effectives. Ainsi, le règlement Euro-
dac(5) (passage de la Convention de Dublin au règlement Dublin II) ne soit
effective. De fait, la mesure visant à « rendre efficace » une norme (la dési-
gnation de l’État responsable de l’examen d’une demande d’asile selon le
mécanisme de Dublin) était mise en place alors que celle-ci n’était pas en-
core définie clairement sur le plan du droit communautaire.

Concernant l’organisation de charters communs destinés à l’éloignement de


personnes résidant en situation irrégulière, les États membres se sont mis
d’accord en l’espace de trois mois seulement, suite à l’initiative italienne de
juillet 2003. Les projets mis en avant par la présidence italienne devraient
se concrétiser de façon imminente puisqu’ils s’accompagnent d’un « ma-
nuel d’organisation des charters communs ». Encore une fois, la mise en
place accélérée d’instruments opérationnels communs en l’absence d’une
définition commune de la notion de débouté du droit d’asile montre à quel
point le droit d’asile est menacé par le processus de Tampere tel qu’il se dé-
roule actuellement : il est évident que la priorité donnée au dossier des re-
tours se fait aux dépens de la protection des réfugiés en Europe.

La rapidité avec laquelle sont mises en place les mesures opérationnelles


destinées à réguler les flux migratoires trouve son illustration la plus frap-
pante dans l’exemple de l’« Agence européenne pour la gestion de la coopé-
ration opérationnelle aux frontières extérieures de l’Union européenne » et

80
du « Programme de mesures pour combattre l’immigration illégale aux
frontières maritimes de l’UE ». Toutes deux adoptées (la première sur un
simple accord politique, la seconde formellement) au Conseil justice et af-
faires intérieures des 27 et 28 novembre 2003, ces mesures émanent de pro-
positions de la est adopté en décembre 2000, avant-même que la commu-
nautarisation de la Convention de Dublin Commission ayant été présentées
respectivement en novembre et en septembre 2003 et devant être rendues
effectives le plus rapidement possible (l’Agence européenne aux frontières
extérieures devra être en mesure de commencer ses activités le 1er jan-
vier 2005).

Ainsi, l’objectif du programme pour les frontières maritimes de l’UE est,


avec la mise en avant du concept de « frontière maritime virtuelle », de per-
mettre un contrôle des navires le plus en amont possible. Si, lors de ce
contrôle, des clandestins sont trouvés à bord, le navire sera renvoyé dans le
port du pays de départ afin de procéder à l’identification de ces personnes et
à leur retour dans le pays d’origine. Inspirée par la politique australienne,
cette mesure adoptée dans le silence le plus complet de la part des autorités
étatiques et européennes est en totale contradiction avec les garanties de la
Convention de Genève : ce nouveau concept de « frontière maritime vir-
tuelle » omet de prendre en compte le cas des réfugiés qui chercheraient à
rejoindre l’Europe alors que la Convention de Genève de 1951 précise qu’il
ne pourrait être reproché à un demandeur d’asile d’entrer de façon illégale
sur le territoire du pays dans lequel il veut déposer sa demande.

Un mécanisme en marché accélérée ?

Les instruments décrits ici ne sont que des exemples parmi d’autres (il fau-
drait aussi évoquer les accords de réadmission ou l’ensemble des projets pi-
lotes concernant la création d’un corps européen de garde frontières) mais
ils illustrent clairement la situation actuelle. De fait, on en arrive au-
jourd’hui à une situation paradoxale où des normes et mesures opération-
nelles communes sont mises en place alors que les États membres ne
semblent pas prêts à s’entendre sur les questions normatives de fond : on
pourra ainsi expulser un demandeur à qui le statut de réfugié aura été refusé
alors même qu’il n’existe pas de critère commun pour déterminer qui peut
prétendre à ce statut. Cela démontre à quel point le processus de Tampere

81
est perçu par les États membres comme un moyen parmi d’autres de se dé-
barrasser du « fardeau » que constitue, à leurs yeux, l’asile. Face à une
Commission européenne qui a renoncé à présenter toute alternative à la lo-
gique des États membres (et qui s’inscrit même désormais tout à fait dans
leur optique) ceux-ci trouvent à l’échelle européenne les opportunités de
faire reculer le droit d’asile comme bon leur semble. Les négociations euro-
péennes relatives à l’immigration et à l’asile constituent un catalogue dans
lequel chaque gouvernement va sélectionner, en fonction de ses intérêts
propres, les concepts qui lui conviennent le mieux, et dans lequel émergent,
lorsque les intérêts convergent, des mesures opérationnelles communes.

A l’observer de près, le lien entre l’évolution des législations nationales en


matière d’asile et le déroulement du processus d’harmonisation des poli-
tiques d’asile ne cesse donc d’inquiéter. Le contenu de la loi du 10 dé-
cembre 2003 modifiant la législation relative à l’asile en France constitue
un exemple de plus d’une tendance générale à la détérioration du droit
d’asile en Europe ; détérioration dont le processus de Tampere constitue le
principal justificatif.

A terme, la Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés risque d’être en-
tièrement occultée du fait de ce mécanisme bien particulier établissant un
double niveau de décision et mettant à l’écart l’opinion publique. ?

82
L'Europe contre le regroupement fami-
lial — Claire Rodier
Depuis le début des années 90, période à laquelle les États membres se sont
engagés dans un processus d’harmonisation de leurs politiques migratoires,
l’immigration familiale représente, pour les gouvernements, un enjeu et une
préoccupation. Elle est en effet longtemps restée, avec l’asile, la seule voie
légale d’admission de nouveaux étrangers dans la plupart des pays de
l’Union. Dès 1991, on trouvait, dans un rapport des ministres de l’immigra-
tion de ceux qui n’étaient encore que les Douze au Conseil européen de
Maastricht, des recommandations visant à la nécessité de rapprocher les lé-
gislations dans le domaine, afin d’éviter, face à une « pression migratoire »
en augmentation, que « la politique d’un État membrecette logique d’har-
monisation, avec des propositions fondées sur le respect des normes inter-
nationales en la matière. On rappellera, pour mémoire, que la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamen-
tales, notamment son article 8 [2], fonde dans les États regroupés au sein du
Conseil de l’Europe sinon le droit au regroupement familial, du moins un
encadrement des entraves que la loi peut opposer à la prétention, pour un
étranger, de se faire rejoindre par les membres de sa famille.n’ait des inci-
dences négatives sur celle des autres ».

A la même époque, des travaux menés par la Commission européenne et


par le Parlement européen [1] s’inscrivaient dans

C’est dans cet esprit que les préconisations de la Commission, dans le rap-
port précité, tendaient vers un élargissement des conditions généralement
requises par les législations des pays membres qui en étaient dotés. Loin de
s’en inspirer, une résolution sur le regroupement familial, adoptée au mois
de juin 1993 par les États dans le cadre de la coopération intergouverne-
mentale, s’alignait au contraire sur les dispositifs nationaux les plus restric-
tifs : définition très étroite de la famille, excluant notamment les ascendants
et les enfants issus de familles recomposées, suspicion générale à l’égard de
toute demande de regroupement familial, précarisation du statut des
membres de famille. Si cette résolution, comme les autres instruments de

83
soft law caractéristiques de cette période, était dépourvue de force contrai-
gnante,elle n’en a pas moins largement influencé certaines législations na-
tionales.

On sait que la coopération intergouvernementale, qui avait servi de cadre


d’élaboration des normes en matière d’asile et d’immigration, a été aban-
donnée avec le traité d’Amsterdam qui a opéré un transfert de ces thèmes au
sein du bloc communautaire. Le programme de travail en matière d’immi-
gration, défini par les Quinze lors du Conseil européen de Tampere de 1999,
affirme leur volonté de « mettre en place une approche commune pour as-
surer l’intégration dans nos sociétés des ressortissants de pays tiers rési-
dant légalement dans l’Union » par l’octroi d’« un ensemble de droits aussi
proches que possibles de ceux dont jouissent les citoyens de l’UE ».

Juste après Tampere était présentée par la Commission européenne la pre-


mière version de la proposition de directive relative au regroupement fami-
lial. Il faut voir dans cette quasi-simultanéité un signe de l’importance don-
née, par la Commission, à cet outil qu’elle présentait, dans son exposé des
motifs, comme essentiel pour l’intégration des étrangers. De fait, cette pro-
position initiale, qui tranchait nettement avec les orientations des textes is-
sus de la négociation intergouvernementale, comportait beaucoup d’élé-
ments propres à répondre à cet objectif : en tout premier lieu, elle établissait
un droit au regroupement familial pour les ressortissants de pays tiers rési-
dant légalement dans un État membre. En se référant de façon appuyée au
cadre juridique international, elle justifiait le fait que la réglementation du
regroupement familial échappait partiellement aux législations nationales.
Ce qui ouvrait la voie à une acception relativement libérale de la notion de
famille, intégrant notamment les partenaires non mariés y compris de même
sexe, et n’excluant ni les ascendants ni les enfants majeurs. Elle ne posait
pas les normes de ressources et de logement comme des conditions incon-
tournables, mais envisageait que les États aient « la possibilité d’introduire
des critères liés à la taille du logement et au montant des ressources » sous
réserve que ces critères n’entraînent pas de discrimination par rapport aux
nationaux. Enfin, tout refus d’admission au séjour susceptible, s’il était sui-
vi d’une mesure d’éloignement forcé, de porter atteinte à la Convention eu-
ropéenne des droits de l’homme devait être subordonné à l’évaluation de la
prise en compte de la nature et la solidité des liens familiaux. Cette pre-

84
mière proposition, globalement approuvée par le Parlement européen, dans
un avis du 6 septembre 2000, a reçu le soutien de la plupart des ONG [3].

C’était compter sans la résistance des États membres à se voir imposer, sur
des questions mettant en cause leur souveraineté, des normes s’écartant du
seul registre du contrôle des flux migratoires pour faire place au respect de
principes fondamentaux. Cette résistance n’a pas tardé à se manifester : le
Conseil réunissant les chefs d’État et de gouvernement au sommet de Lae-
ken de décembre 2001 a fait le constat des nombreux obstacles qui les em-
pêchaient de parvenir à un accord, et a invité la Commission à revoir encore
son texte. A l’issue de nombreuses consultations en forme de marchandage,
où il est vraisemblable que les délégations ont fait valoir les contraintes im-
posées par leurs traditions et règles nationales, une troisième proposition
modifiée de la directive était présentée par la Commission européenne
le 2 mai 2002.

Le virage s’avère spectaculaire. Cette nouvelle version, qui n’a plus rien à
voir avec le texte initial, consiste en une superposition des compromis qu’a
dû intégrer la Commission européenne pour éviter les blocages. L’exposé
des motifs traduit un véritable recul par rapport non seulement aux proposi-
tions antérieures, mais aussi aux principes affichés depuis le traité d’Am-
sterdam. La Commission y explique en effet qu’elle doit adopter une nou-
velle méthode, en plusieurs étapes, pour parvenir à l’harmonisation des lé-
gislations nationales en matière de regroupement familial.

Cette méthode s’articule autour de trois axes : la « flexibilité » sur les points
où les blocages persistaient, ouvrant une marge de manœuvre par rapport
aux législations nationales, ainsi que, « dans des cas très limités », des dé-
rogations pour s’adapter à certaines spécificités nationales en vigueur ; une
clause de « rendez-vous », qui prévoit que, deux ans après la transposition
de la directive dans les législations nationales, les dispositions offrant le
maximum de flexibilité (c’est-à-dire celles qui ont fait blocage) seront re-
vues en priorité « afin d’essayer de progresser sur la voie de l’harmonisa-
tion ». Enfin, la clause de « stand still » initialement prévue pour éviter que
des possibilités de dérogations insérées dans ladirective ne soient utilisées
par des États membres si, au moment de son entrée en vigueur, elles n’exis-

85
taient pas dans leur législation, a disparu dans la version définitive de la di-
rective.

Un mépris total du Parlement européen

Car, indépendamment du fond sur lequel on va revenir, la façon dont la di-


rective a été conclue est elle aussi symptomatique de la reprise en main du
dossier par les États membres au détriment des prérogatives de la Commis-
sion européenne et au mépris du contrôle qu’est censé exercer le Parlement
européen sur le contenu des normes communautaires. Plus d’un mois avant
que le Parlement ne rende, en avril 2003, son avis – très critique et compor-
tant de nombreux amendements – sur la dernière proposition qui lui avait
été soumise, les Quinze avaient en effet arrêté, et rendu public, un accord
politique sur le texte lors d’une réunion de leurs ministres de l’immigration.
Ce coup de force institutionnel est d’ailleurs un des motifs pour lesquels la
Commission des libertés du Parlement s’est prononcée, le 21 octobre 2003,
pour une saisine de la Cour de justice des Communautés en vue d’une annu-
lation partielle de la directive (v. infra).

Quant au contenu, il a également subi des modifications substantielles. Le


recensement de certaines d’entre elles, mais surtout les commentaires qu’en
fait la Commission traduisent tant les reculs opérés que la faiblesse de sa
position par rapport aux diktats des pays membres :

alors que la proposition initiale voulait « instaurer un droit au regrou-


pement familial », la directive ne parle plus que de « fixer les condi-
tions dans lesquelles est exercé le droit au regroupement familial dont
disposent les ressortissants des pays tiers » ;
seuls le conjoint et les enfants mineurs sont admissibles au titre du re-
groupement familial ; celui-ci n’est envisagé qu’à titre facultatif pour
les autres membres de la famille, ascendants, enfants majeurs à charge,
partenaires non mariés. Lorsqu’on se souvient de l’interprétation ou-
verte de la notion de famille qu’entendait promouvoir la première ver-
sion (cf. supra), il est éclairant de relever que la Commission considère
désormais que : «compte tenu de la diversité des législations natio-
nales concernant les bénéficiaires du droit au regroupement familial, il

86
ne semble pas possible à ce stade d’étendre l’obligation d’autoriser
l’entrée et le séjour au-delà du conjoint et des enfants mineurs » ;
les enfants mineurs sont admissibles au titre du regroupement fami-
lial ; mais, par dérogation à ce principe, un État peut, si l’enfant a plus
de douze ans, subordonner son admission à la satisfaction d’un critère
d’intégration dès lors que cette condition serait prévue par la législa-
tion nationale à la date de l’adoption de la directive. On sait que cette
limitation a été introduite pour satisfaire l’Allemagne. La Commission,
qui rappelle pourtant que « la limite de l’âge auquel les enfants sont
autorisés à rejoindre leurs parents a été une des questions majeures
des négociations sur le regroupement familial », ajoute laconique-
ment : « il est apparu opportun de laisser aux États membres une cer-
taine marge de manœuvre pour examiner si l’enfant remplit des condi-
tions d’intégration au-delà d’un certain âge » ;
le délai d’attente avant de pouvoir demander à se faire rejoindre par sa
famille, d’abord fixé à un an « pour ne pas réduire à néant l’exercice
du droit au regroupement familial », disait la Commission en 1999, est
porté à deux ans. Sans peur de se contredire, elle considère désormais
que « le compromis sur cette flexibilité constitue encore une base suffi-
sante en vue du rapprochement des législations ». Au point d’admettre
un allongement du délai d’attente jusqu’à trois ans si la législation
d’un État membre tient compte, à la date d’entrée en vigueur de la di-
rective, en matière de regroupement familial, « de sa capacité d’ac-
cueil ». Cet « aménagement » est destiné à répondre aux préoccupa-
tions de certains pays comme l’Autriche qui, en contradiction avec le
principe défendu par la Commission selon lequel le droit de vivre en
famille s’impose face à des considérations économiques, intègre l’im-
migration familiale dans les quotas d’immigration de travail qu’ils
fixent annuellement.

Alignement sur des standards minimaux

Ces quelques exemples sont significatifs des spectaculaires transformations


infligées à un texte qui se voulait ambitieux et novateur, en assurant aux
ressortissants des pays tiers, « indépendamment des raisons pour lesquelles
ils ont choisi de séjourner sur le territoire des États membres », la possibili-
té de mener une vie familiale normale. On est bien loin de cet objectif,

87
puisque la directive s’aligne finalement sur des standards minimaux, réser-
vant au domaine du facultatif les quelques ouvertures qu’elle prévoit [4].
Au-delà du champ qu’elle couvre, elle est aussi un signe de l’échec de la
communautarisation de la politique d’immigration, puisqu’elle laisse, au
nom de la « diversité des législations nationales », une large marge de ma-
nœuvre aux États membres pour maintenir des dispositifs dérogatoires aux
principes qu’elle définit. Au point que le commissaire Vitorino, chargé des
questions de Justice et Affaires intérieures, qui s’est diplomatiquement féli-
cité de l’adoption, par le Conseil, du premier texte communautaire traitant
de l’immigration régulière au moment de l’accord conclu en février 2003, a
néanmoins jugé nécessaire de préciser que « la directive n’oblige pas les
pays les plus généreux à abaisser leur protection ».

Certes. Mais les États membres (y compris les dix adhérents de 2004) sont
tenus de transposer ses dispositions dans leur droit interne dans un délai de
deux ans, et les règles posées vont avoir une influence directe sur les légis-
lations à venir. Si l’on prend le cas de la France, on constate que la loi du
26 novembre 2003 (la loi « Sarkozy » réformant l’ordonnance du 2 no-
vembre 1945) s’est déjà inspirée de la directive pour précariser le statut des
membres de famille rejoignants : jusqu’alors bénéficiaires dès leur arrivée
d’une carte de résident de dix ans, ils n’auront plus droit désormais qu’à
une carte de séjour temporaire d’une validité d’un an renouvelable. En re-
vanche, elle n’a pas repris, de la directive, la disposition plus favorable qui
permettrait de traiter les conjoints unis par un PaCS (pacte civil de solidari-
té) de la même façon que les conjoints mariés.

A plus long terme, le cadre général fixé par la directive risque d’hypothé-
quer lourdement l’avenir, même si elle prévoit, dans son article 3-5, « ne
pas porter atteinte à la faculté qu’ont les États membres d’adopter ou main-
tenir des conditions plus favorables ».

Ambiguïtés et impasses

Les ONG nationales et européennes spécialisées dans la défense de la fa-


mille et des droits des étrangers ne s’y sont pas trompées : les six princi-
paux réseaux chrétiens d’associations œuvrant dans ces domaines au niveau
de l’Union européenne ont formulé de très vives critiques contre le contenu

88
de la directive [5]. Pour sa part, la Coordination européenne pour le droit
des étrangers à vivre en famille n’a pas hésité à titrer : « Regroupement fa-
milial : une directive contre le droit de vivre en famille » [6]une interpella-
tion de l’opinion dans laquelle elle estime que « le Conseil de l’Union euro-
péenne scelle la rupture avec les engagements qu’il avait pris [à] Tampere
[en] 1999 ». De son côté, le Haut Commissariat des Nations unies pour les
réfugiés a exprimé son « mécontentement » face aux dispositions réservées
par la directive aux familles des étrangers bénéficiaires d’une protection in-
ternationale [7]. Ces inquiétudes convergentes avaient réussi, à l’au-
tomne 2003, à ébranler suffisamment de députés européens pour que, après
un avis favorable de la commission des libertés et de la commission juri-
dique du Parlement européen, son président saisisse la Cour de justice des
Communautés européennes d’une demande d’annulation de la directive,
procédure rendue possible par le traité de Nice [8].

A travers cette mise en perspective, on constate que les enjeux soulevés par
l’adoption de la directive relative au regroupement familial dépassent le
strict cadre de la procédure d’admission des membres de familles étran-
gères, et mettent en lumière les ambiguïtés et les impasses du processus
d’élaboration d’une politique commune d’immigration.

On veut croire que ce processus n’est pas immuable. Les ambiguïtés


peuvent être levées si les États membres renoncent à préserver avant tout
leurs prérogatives internes au détriment de la logique européenne. Quant
aux impasses, il est possible de les surmonter, à condition de faire prévaloir,
à l’égard des ressortissants non communautaires, les droits fondamentaux
sur les contingences de nature économique, sociologique voire politicienne
qui tiennent souvent lieu de politique migratoire dans les pays de l’Union. ?

Notes

[*]
Cet article est paru dans la revue belgeNouvelle tribune, n° 34, dé-
cembre 2003, sous le titre « Regroupement familial, une directive
contre le droit de vivre en famille ».
[1]

89
Regroupement familial à la lumière du droit international, du droit
communautaire et/ou de la pratique des Etats membres, Commission
des Communautés, mai 1992. Rapport sur la politique européenne en
matière d’immigration, Commission des libertés publiques et des Af-
faires intérieures du Parlement européen, octobre 1992.
[2]
CEDH, art. 8 : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée
et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y
avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que
pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle consti-
tue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la
sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du
pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales,
à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des
droits et libertés d’autrui ».
[3]
Une campagne de soutien à la proposition de directive avait ainsi été
organisée en 2000 par la Coordination européenne pour le droit des
étrangers à vivre en famille.
[4]
Dans son avis du 20 novembre 2002, le Comité des régions de l’Union
européenne relève qu’elle s’écarte « de l’approche du regroupement
familial basée sur des droits pour se tourner vers une approche procé-
durale » et regrette que du « droit au regroupement familial » on soit
passé à « la simple définition d’une base commune minimale de condi-
tions dans lesquelles est exercé le droit au regroupement familial »
(200 3/C 73/05), JOUE, 26 mars 2003, C/73/16).
[5]
« The new EU Directive on family reunification : Right for families to
live together or right for EU Member States to derogate from human
rights ? » communiqué de presse de Caritas, Comece, CCME, ICMS,
JRS, Quaker Council, 4 mars 2003.
[6]
9 mars 2003
[7]
HCR, communiqué du 23 septembre 2003.
[8]

90
En application de l’article 230 du TCE, « la Cour est compétente pour
se prononcer sur les recours pour incompétence, violation des formes
substantielles, violation du présent traité ou de toute règle de droit re-
lative à son application, ou détournement de pouvoir formés par un
État membre, le Parlement européen, le Conseil ou la Commission. »

91
Consensus sur les charters — Claudia Cortes-Diaz
A la tête de l’Union européenne à compter du 1er juillet 2003, les Italiens
ont proposé au Conseil, dès le 3 juillet, l’adoption d’une décision « relative
à l’organisation conjointe de vols communs pour l’éloignement collectif de
ressortissants de pays tiers séjournant illégalement sur le territoire de deux
États membres ou plus » d’une part, et un projet de « manuel » pour l’orga-
nisation de ces vols communs (autrement dit « charters »), d’autre part.
Cette question n’est pas nouvelle – loin s’en faut – dans les travaux euro-
péens. De manière récurrente, et ce depuis longtemps, les États membres se
penchent sur la question de l’éloignement des étrangers séjournant de ma-
nière irrégulière sur l’espace européen et la manière de « rationaliser » leur
éloignement. La Commission européenne a joué (et continuer à jouer) un
rôle très actif dans ce domaine, en proposant des mesures tantôt « juri-
diques », tantôt « opérationnelles » voire financières.

Ces propositions représentent cependant un tournant dans la politique euro-


péenne de retour : jusque là, les pays membres avaient écarté la méthode
communautaire pour procéder à la réalisation de ces vols groupés ; au-
jourd’hui, bien qu’encore méfiants à l’égard de la « communautarisation »
des politiques d’asile et d’immigration décidée par le traité d’Amsterdam,
ils y recourent lorsque cette méthode peut leur être utile du point de vue
opérationnel. Même si, en l’occurrence, la procédure fixée par ledit traité
n’est pas tout à fait respectée et si le contenu de ces propositions permet de
poser la question de sa compatibilité avec un certain nombre de textes inter-
nationaux de protection des droits de l’homme.

Avec l’adoption du traité de Maastricht, en 1991, les politiques d’immigra-


tion et d’asile relevaient du « troisième pilier » de l’Union européenne,
c’est-à-dire de la coopération intergouvernementale en vue d’une harmoni-
sation des législations nationales à travers l’adoption de textes sans aucune
valeur juridique contraignante [1]. C’est dans ce cadre que les États
membres ont adopté, le 30 novembre 1992, deux recommandations sur « les
pratiques des États membres en matière d’éloignement » et concernant « le
transit aux fins d’éloignement ». Il s’agissait d’une part de fixer des critères
sur l’irrégularité de séjour des ressortissants des pays tiers, d’autre part de

92
définir des modalités destinées à améliorer l’exécution des mesures d’éloi-
gnement.

Le premier de ces textes prévoyait qu’est en situation irrégulière l’étranger


qui est entré de manière illégale sur le territoire d’un État membre ou y a sé-
journé après l’expiration de son visa ou dont la demande d’asile a été défi-
nitivement rejetée. Si cette définition est des plus banales, elle est cependant
à mettre en relation avec deux autres résolutions (dites « de Londres »)
adoptées à la même époque et relatives aux notions de « pays tiers sûrs » et
de « demande d’asile manifestement infondée », dont on connaît au-
jourd’hui les incidences sur le respect du droit d’asile en Europe en général
et en France en particulier [2].

Quant à la recommandation sur l’exécution des mesures d’éloignement, elle


énonçait toute une série de conseils à suivre lorsque, pour des raisons d’effi-
cacité, de rapidité et d’économie, un État membre devait demander l’autori-
sation d’entrée et de transit d’un ressortissant d’un pays tiers objet d’une
décision d’éloignement sur le territoire d’un autre pays membre. On va re-
trouver ces trois critères tout au long du processus d’élaboration de la poli-
tique européenne de retour jusqu’à aujourd’hui où ils sont le fondement de
la « politique » de charters.

Difficile communautarisation

L’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, le 1er mai 1999 a eu comme


conséquence la « communautarisation » des politiques d’asile et d’immigra-
tion. Les États ont cependant bien souvent du mal à « jouer le jeu », soit
parce qu’ils s’affranchissent clairement et ouvertement de cette méthode
communautaire lorsqu’elle leur paraît trop contraignante [3], soit parce que,
même quand ils s’y plient, chaque État réussit finalement à maintenir ses
propres prérogatives. L’adoption de la directive relative au droit au regrou-
pement familial des ressortissants des pays tiers en est un exemple tout à
fait remarquable [4].

La question du retour des ressortissants des pays tiers ne constitue pas une
exception. En effet, chaque pays membre veut continuer à décider de ma-
nière souveraine qui doit être éloigné de son territoire, que ce soit pour des

93
motifs d’ordre public ou de sécurité intérieure ou comme sanction du séjour
irrégulier de l’étranger concerné. Les États membres sont toutefois prêts à
s’entendre (et rapidement) avec leurs partenaires lorsqu’il s’agit de mettre
en œuvre des mesures dites « opérationnelles », c’est-à-dire des décisions
qui n’impliquent pas de définition de normes minimales ou d’harmonisation
des législations nationales mais qui débouchent sur des actions concrètes.

Dans ce contexte, la Commission européenne affiche, depuis la fin de l’an-


née 2001, une volonté (pour le moins troublante) de rester à l’avant-garde
dans ce domaine. Cette date n’est pas due au hasard. Bien que la lutte
contre l’immigration clandestine ait toujours été l’obsession des États
membres, le Conseil européen de Tampere, en octobre 1999, n’en avait pas
fait une priorité dans la construction de cet espace de « liberté, de sécurité et
de justice » qu’il entendait impulser. C’est après les événements du 11 sep-
tembre 2001 que le tournant va s’opérer. Les Conseils européens de Laeken
(en décembre 2001) et surtout de Séville (en juin 2002) vont en effet se fo-
caliser sur cet objectif. La Commission, chargée de faire des propositions
dans ce sens, va s’atteler à la tâche en présentant au Conseil et au Parlement
pas moins de cinq textes différents – communications, « Livre vert » et
« plans d’action » – relatifs à la lutte contre l’immigration clandestine, dans
lesquels une place de choix est réservée à la question du retour et des
« charters ».

Dans sa communication sur « une politique commune en matière d’immi-


gration clandestine », du 15 novembre 2001, la Commission annonce la
préparation d’un document spécifique de réflexion sur la question du retour.
Ce document prendra la forme d’un Livre vert « relatif à une politique com-
munautaire en matière de retour des personnes en séjour irrégulier »
(10 avril 2002). Il a pour objectif de « passer en revue les aspects com-
plexes du retour des personnes en séjour irrégulier dans l’Union euro-
péenne et de formuler des propositions en vue de définir une politique coor-
donnée et efficace, fondée sur des normes et des principes communs et res-
pectueuse des droits de l’homme et de la dignité humaine ». Il sera toutefois
beaucoup plus question de la « politique coordonnée et efficace » que du
respect des droits fondamentaux et de la dignité humaine.

Retour volontaire et retour forcé

94
Deux formes de retour y sont distinguées : le volontaire et le forcé. Le pre-
mier peut constituer, selon la Commission, une des solutions à long terme
pour résoudre le problème des demandeurs d’asile déboutés, ce qui est in-
dispensable « pour sauvegarder l’intégrité d’un régime d’asile commun ».
Pour inciter au retour volontaire, elle envisage « qu’une demande ultérieure
de visa permettant de revenir dans l’Union européenne pourrait ne pas être
rejetée au seul motif que l’intéressé était précédemment en séjour irrégulier
dans un État membre ». Une hypothèse qui traduit, de la part de la Commis-
sion, soit une naïveté surprenante, soit une parfaite mauvaise foi, tant il est
notoire que la politique européenne des visas est fondée presque exclusive-
ment sur la prévention du risque migratoire. Les ministres de l’intérieur
eux-mêmes ne se font guère d’illusions, tel le ministre français, Nicolas
Sarkozy qui reconnaît : « Nous sommes tous favorables aux départs volon-
taires, mais si vous donnez le choix à un réfugié en fin de droits entre partir
de son plein gré ou rester, vous risquez d’avoir peu de succès » [5].

La Commission annonce également deux futures propositions de directive :


l’une en matière de procédures de retour, l’autre relative au placement en
rétention des ressortissants des pays tiers dans l’attente de leur éloignement.
Devant la réticence des États membres à adopter de telles normes com-
munes jugées trop contraignantes, la Commission a proposé, en échange du
respect, par ces États membres, « de certaines règles », de financer, à hau-
teur de 30 millions d’euros sur deux ans, les charters communautaires [6].

Enfin, le Livre vert prévoit un chapitre consacré à la coopération opération-


nelle. Il s’agit principalement de l’identification des personnes à éloigner
(identité, nationalité), de l’obtention des documents nécessaires, du contact
des officiers de liaison avec les autorités des pays d’origine et de l’échange
d’informations sur l’organisation concrète des opérations de retour. C’est-à-
dire, en somme, de l’organisation de charters communs.

Le 14 octobre 2002, la Commission européenne présentait une communica-


tion « relative à une politique communautaire en matière de retour des per-
sonnes en séjour irrégulier ». Ce document constitue la réponse à une de-
mande formulée par le Conseil européen de Séville de juin 2002, dont les
conclusions précisent : « s’agissant des politiques d’éloignement et de ra-
patriement, adopter au plus tard d’ici la fin de l’année les éléments d’un

95
programme de rapatriement sur la base du livre vert de la Commission ;
parmi ces éléments doit figurer l’optimisation des retours accélérés vers
l’Afghanistan […] ». Dans cette nouvelle communication, la Commission
approfondissait sa réflexion sur les mesures opérationnelles à mettre en
œuvre, parmi lesquelles l’introduction des données biométriques dans le
système d’information sur les visas, de règles de réadmission des étrangers
non communautaires entre les États membres, la formation commune des
autorités de différents pays chargés de l’éloignement et la mise en place
d’opérations de retour communes. « Il est généralement coûteux d’exécuter
les mesures d’éloignement de personnes en séjour irrégulier au moyen de
vols charter. Les États membres pourraient dès lors exécuter les retours de
manière plus efficace en organisant des opérations de retour communes, le
cas échéant en partageant les capacités existantes à bord des vols […]. La
généralisation de cette pratique non seulement présenterait des avantages
financiers, mais adresserait aussi un signal fort » estimait l’institution euro-
péenne.

Il est vrai que certains pays membres, parmi lesquels la France, avaient déjà
eu recours, en 2002 et 2003, aux vols groupés pour procéder à l’expulsion
des ressortissants de pays tiers. La délégation française avait d’ailleurs pré-
senté au Conseil, le 29 juillet 2002, une proposition de projet pilote de « ra-
tionalisation des mesures d’éloignement, notamment par le moyen des re-
tours groupés ».

C’est dans ce contexte qu’au début de l’été 2003 a été mise sur la table de
négociations la proposition italienne, sur laquelle les États membres ont
conclu un accord politique lors d’une réunion du Conseil justice et affaires
intérieures le 6 novembre 2003, alors que le Parlement européen n’avait pas
encore rendu son avis. Le texte initialement présenté a subi des modifica-
tions importantes au cours des négociations. Dans la seconde version de la
proposition sont définies les différentes tâches relevant d’une part de l’État
« organisateur » (choix du transporteur aérien, obtention des autorisations
nécessaires au déroulement du vol commun, définition des détails opéra-
tionnels), d’autre part de l’État « participant » (annonce de sa participation à
l’opération et désignation des escortes), et, enfin, les tâches communes
(veiller à ce que les personnes soient en possession des documents de

96
voyage valables et tenter d’obtenir l’assistance nécessaire des autorités di-
plomatiques et consulaires).

Au texte a été ajoutée une annexe intitulée « Orientations communes sur les
mesures de sécurité à prendre pour les opérations communes d’éloignement
par voie aérienne ». Intégrée à la proposition après la saisine du Parlement
européen, elle échappe par conséquent au contrôle parlementaire. Sa lecture
est pourtant édifiante. On y apprend, par exemple, que les États peuvent
faire appel aux escortes privées – mais non armées – pour l’accompagne-
ment des personnes renvoyées. Lors du départ, l’État organisateur doit pré-
voir une zone de sécurité « afin d’assurer un rassemblement discret ». En
cas d’incident, le document précise que les escorteurs doivent se limiter à
l’autodéfense mais peuvent prendre « toutes mesures raisonnables et pro-
portionnées, en cas de risque immédiat et grave, pour empêcher la per-
sonne renvoyée de s’échapper, de se blesser ou de blesser un tiers ». On se
demande ce qui est raisonnable et proportionné dans une opération dont le
principe même est loin d’être proportionné à l’égard des étrangers éloignés.

Une section est consacrée au recours à des mesures de coercition. Il y est af-
firmé que l’usage de la force ne doit pas dépasser les « limites du raison-
nable » (pour qui ?), qu’il ne doit être porté atteinte ni à la dignité ni à l’in-
tégrité physique de la personne renvoyée (selon quelles notions de dignité et
d’intégrité ?), et qu’enfin, si la force est utilisée, la victime doit rester en po-
sition verticale pour que sa cage thoracique ne soit pas comprimée (autre-
ment dit pour ne pas l’étouffer et de cette manière causer sa mort) [7]. Un
rapport de mission est prévu, qui doit faire état « des incidents éventuels
ainsi que des mesures coercitives et médicales éventuellement prises ».
Mais il doit rester « strictement confidentiel et réservé à l’usage interne ».

L’expérience française des « charters » démontre que ces recommandations


sont loin d’être respectées. Dans son avis du 19 novembre 2003, la Com-
mission de déontologie de la sécurité, autorité indépendante saisie à l’occa-
sion des charters réalisés en avril 2003, a ainsi estimé que des entorses au
droit avaient été commises, parmi lesquelles le non respect du délai d’un
jour franc avant l’éloignement, ou le prolongement injustifié du maintien en
zone d’attente. Mais aussi que la dignité des personnes n’avait pas été res-
pectée. [8]

97
Présence des ONG

Le texte de la proposition italienne est donc critiquable d’un double point


de vue : du point de vue de la forme, car le Conseil de l’Union européenne a
adopté un texte sur lequel le Parlement européen ne s’est pas encore pro-
noncé (son avis doit être rendu à la fin du mois de février) [9] ; sur le fond,
car il porte atteinte à un certain nombre de conventions internationales. En
effet, comme la Cimade le fait valoir, l’organisation de vols groupés viole
l’article 4 du protocole 4 de la Convention européenne des droits de
l’homme qui interdit les expulsions collectives. Même si, formellement,
chaque étranger éloigné fait l’objet d’une décision individuelle, il y a fort à
craindre que la mise en place de ces vols n’impose une précipitation peu
propice au respect du nécessaire examen de chaque situation [10]. Par
ailleurs, certaines législations ne permettent pas d’effectuer cet examen
dans des conditions satisfaisantes (par exemple en France, où le recours
contre d’une décision d’éloignement prise en zone d’attente n’a pas d’effet
suspensif). Enfin, les charters sont également contraires à l’article 3 de la
même convention car l’utilisation de moyens de coercition, l’impossibilité
pour l’intéressé de refuser l’éloignement et le caractère collectif du renvoi
sont des éléments potentiellement constitutifs des traitements inhumains ou
dégradants prohibés par cette disposition [11].

A l’automne 2003, une campagne, lancée par des organisations françaises et


européennes pour le retrait de la proposition de décision sur les charters
était reprise par un grand nombre de parlementaires européens [12]. Rappor-
teuse de cette proposition devant la Commission des libertés du Parlement,
l’euro-députée socialiste française, Adeline Hazan, est très critique à son
égard. S’écartant de la plateforme associative, elle choisit toutefois de ne
pas condamner a priori les charters, se contentant de regretter qu’aucune
disposition dans le texte n’envisage un contrôle de ces opérations par une
organisation humanitaire, telle la Croix-Rouge. Telle est également la sug-
gestion du Commissaire Vitorino. L’expérience française démontre, encore
une fois, que cette présence ne suffit pas à éviter, par elle-même, le carac-
tère foncièrement contraire aux droits fondamentaux de ce type d’opéra-
tions. En revanche, elle pose la question de la place des organisations hu-
manitaires dans la politique d’éloignement des étrangers et du rôle qui dé-

98
coule de leur présence dans des lieux d’enfermement comme les centres de
rétention ou les zones d’attente : caution ou bouclier ? ?

Notes

[1]
Pour une analyse de l’évolution de la construction européenne, voir :
« Les grandes étapes de la construction de l’“espace européen”, de
Rome à Amsterdam en passant par Schengen », par Claire Rodier,
Plein droit, n° 49, avril 2001, p. 36 - 41.
[2]
Voir dans ce numéro, article p. 58.
[3]
Ainsi, la rencontre des pays G5 (Espagne, France, Allemagne, Grande-
Bretagne et Italie) à La Baule (France) en octobre 2003 en dehors de
tout cadre institutionnel.
[4]
Voir dans ce numéro, article p. 62.
[5]
« Immigration : les Quinze envisagent des “charters européens” », Le
Figaro, 14 septembre 2002.
[6]
« Bruxelles prête à financer des “charters” groupés », Le Figaro,
22 janvier 2004.
[7]
Comme cela s’est déjà produit en France et en Belgique.
[8]
« La commission de déontologie de la sécurité critique cinq “charters”
pour étrangers », Le Monde, 8 février 2004.
[9]
C’est la même situation présentée lors de l’adoption de la directive re-
lative au regroupement familial, v. note n° 6.
[10]
Comme le souligne la Cimade dans un courrier adressé à M. Vitorino
le 5 février 2004 : « Il est certes toujours possible de trouver des argu-
ties juridiques pour contester le fait qu’un “charter” n’est pas une ex-
pulsion collective, comme il est toujours possible d’affirmer qu’un

99
train n’est pas un train mais juste quelques wagons qui se suivent
(...) ».
[11]
Pour une analyse détaillée, voir « Contre la normalisation des vols
groupés par l’Union européenne », Cimade, octobre 2003.
[12]
Appel « Contre les charters de l’humiliation », novembre 2003. Voir
sur le site internet : www.cimade.org

100
L'asile et l'intime conviction du juge — Jean-Mi-
chel Belorgey
Les règles auxquelles obéit le contentieux du droit d’asile, et la jurispru-
dence à laquelle a donné lieu leur mise en œuvre, sont désormais bien
connues, au moins des spécialistes et des militants des droits de l’homme ;
de savants ouvrages en ont donné de longues et précises descriptions [1].
Les modalités de formation, en ce domaine, de l’intime conviction du juge
sont demeurées plus confidentielles. Faute de se prêter, sans doute, à une
analyse rassurante. De manière, à tout le moins, à ne pas trop donner à voir
que le roi est, sinon nu, en tout cas fortement dévêtu. Ce qui est de nature,
pourtant, à donner de la justice, qui a tout à y gagner, sur ce front comme
sur d’autres, un visage plus humain.

Les données à la disposition du juge pour lui permettre d’élucider les situa-
tions dont il a à connaître, sont tout d’abord, en règle générale, extraordinai-
rement limitées. Il n’en va autrement que dans quelques cas, notamment en
matière d’exclusion du statut pour commission de crimes contre la paix, de
guerre, ou contre l’humanité, où cela ne simplifie pas, d’ailleurs, la solu-
tion, car certaines formes de pléthore ne sont pas plus confortables que la
pénurie. Ce sont :

1. le texte de la demande de reconnaissance de la qualité de réfugié, plus


ou moins circonstancié, plus ou moins digressif, plus ou moins « sté-
réotypé », pour employer le vocabulaire de l’OFPRA ;
2. le compte rendu d’entretien avec l’officier de protection de l’OFPRA,
quand il y en a eu un, ce qui n’est pas toujours le cas ;
3. le texte de la demande devant la Commission des recours des réfugiés ;
4. des pièces à l’appui ;
5. les éléments fournis par la documentation réunie par la commission
des recours sur les situations nationales ;
6. les éléments fournis, à la demande le l’OFPRA ou du juge, par les
postes diplomatiques ou consulaires.

Le deuxième et le troisième document comportent inévitablement, par rap-


port au premier et entre-eux :

101
soit un caractère redondant,
soit un caractère contradictoire.

Il n’en est autrement que s’ils apparaissent miraculeusement comme un dé-


veloppement, une déclinaison méthodique des premières assertions formu-
lées par le demandeur d’asile avec des précisions :

quant aux dates des engagements politiques allégués, des arrestations,


gardes à vue, emprisonnements, condamnations, prises à partie, visites
domiciliaires, agressions, enrôlements forcés subis, des assassinats de
parents ou de proches ayant joué un rôle dans le choix de s’exiler,
quant à la raison sociale exacte, la nature, l’histoire des formations po-
litiques ou para-politiques au sein desquelles un engagement est allé-
gué, ainsi que la distribution des responsabilités au sein de celles-ci, et
les caractéristiques de celles occupées par l’intéressé lui-même,
quant au calendrier des événements politiques (élections, insurrections,
rébellions) du pays, et plus précisément de la région et de la localité
d’origine ou de résidence.

C’est alors que le juge, à son corps plus ou moins défendant, commence à
s’associer à l’exercice de l’espèce de double contrainte qui, du fait de la na-
ture de l’épreuve, de l’exigence de vérité, ou de la propension au soupçon,
du contingentement de fait, aussi, qui règne en matière de reconnaissance
de la qualité de réfugié, tend à s’appesantir sur le demandeur d’asile.

Car, si celui-ci est trop imprécis, il ne saurait naturellement convaincre.


Mais s’il l’est (et il l’est rapidement) trop, cela ne peut naturellement
qu’éveiller les doutes. Ce qui vaut pour les productions de forme narrative,
vaut, a fortiori, pour les productions de pièces à l’appui qui échappent rare-
ment à une disqualification sous le signe aussi péremptoire que contradic-
toire (ou l’inverse) :

de l’inadéquation,
du faux.

Sont logiquement réputés inadéquats les articles de journaux ou tracts poli-


tiques de portée générale, les cartes témoignant d’une appartenance, de por-

102
tée indécise, à une formation politique ou apparentée, les attestations de
chefs peu ou prou historiques en exil.

Sont non moins logiquement réputés faux les procès-verbaux de police, dé-
cisions de justice, attestations administratives émanant des autorités du pays
d’origine, dont on n’en finit pas de déplorer le défaut de production, mais
dont la présence au dossier soulève trois espèces de doutes : le premier tiré
de l’incertitude sur leur caractère authentique (certains ne paraissent effecti-
vement pas crédibles, mais tous les documents réels de pays bizarres ne
sont, de fait, pas crédibles, et la plupart des postes diplomatiques ou consu-
laires sont trop loin des réalités souterraines du pays de résidence, ou trop
légitimistes, pour avoir là-dessus des idées précises, ou, à défaut, bien-
veillantes) ; le second tiré du degré de plausibilité de l’entrée en possession
de documents authentiques de l’espèce (on semble oublier, quand on les ré-
clame improbablement, que les tortionnaires ne délivrent pas de certificats,
mais on hésite tout autant – à tort ou à raison – à admettre que leur activité
puisse laisser des traces administratives) ; le troisième, enfin, tiré de la sup-
putation de la possibilité qu’un persécuté cherchant à quitter son pays en ca-
tastrophe pense d’abord, parvienne ensuite à se munir de semblables docu-
ments, ou de documents apparentés (photos compromettantes à raison de la
prise ou de la détention desquelles on aurait été recherché ou poursuivi).

Qu’est-ce qu’une persécution ,

Et ce n’est pas tout. Dès lors que, pour bénéficier de la reconnaissance de la


qualité de réfugié, l’enjeu n’est pas d’établir – ou personne n’y parviendrait
jamais – l’existence de persécutions, ou de menaces de persécutions, mais
d’accréditer une narration plausible des persécutions subies ou redoutées,
quelles sont, par-delà la précision des faits invoqués, et leur compatibilité
avec les informations disponibles (forcément fragmentaires elles aussi, et
qu’on ne peut tenir pour fixant la limite des occurrences possibles), les
formes de réactions à ces persécutions elles-mêmes regardées comme plau-
sibles ? Les persécutions doivent-elles, avant de déclencher l’exil, avoir été
répétitives, ou peut-on admettre que leur victime ait, à la première alerte,
choisi cette issue ? Que faut-il penser d’un exil tardivement choisi, après
qu’une longue série de persécutions ait préalablement été endurée sans
faillir ? Jusqu’à quel point, ou à partir de quelle intensité, la double pression

103
de forces gouvernementales et de forces rebelles, alternant leurs exactions
et leurs tentatives d’enrôlement, peut-elle être regardée comme constitutive
de persécutions ? Jusqu’où les membres d’une même famille (et à quel de-
gré de parenté) sont-ils fatalement, et cela vaut-il également dans toutes les
sociétés et dans toutes les cultures, exposés à des persécutions dès lors
qu’un premier membre s’est lui-même trouvé pris dans l’engrenage ?

Autant de questions auxquelles s’est, avant le juge, évidemment trouvé


confronté, lorsqu’un entretien est intervenu avant la décision de l’OFPRA,
l’officier de protection commis par cet organisme. Il peut avoir contribué à
les résoudre. Pour peu que l’entretien n’ait pas été mené avec trop de hâte.
Pour peu qu’il ait eu lieu dans une langue commune aux deux interlocu-
teurs, ou ait bénéficié du concours d’un interprète. Pour peu que l’officier
de protection ne se soit abandonné à aucun a priori ethnique, politique, ou
social. Et ne se soit pas, légitimement, ou illégitimement mais irrésistible-
ment, cru tenu par des consignes hiérarchiques. Et encore n’ait pas cédé à la
tentation d’une sur-justification de sa fin de non-recevoir au prix, le cas
échéant, de la mise en évidence comme révélatrices d’un mensonge ou
d’une manœuvre d’erreurs, ou de contradictions de hasard. Ces conditions
sont, hélas, rarement réunies. Il est, dès lors, peu fréquent que l’entretien,
dont le défaut se fait forcément sentir, soit, lorsqu’il existe, d’un réel se-
cours ; ne pose pas des problèmes ; ou ne risque pas, par certains des
constats auxquels il procède, de peser contre le demandeur d’asile.

Tel est aussi le cas, hélas, de l’intervention de certains avocats qui, habitués
ou non à l’exercice, n’en ont pas compris la portée, et, soit font exagéré-
ment confiance au juge, soit le soupçonnent à tort, ou n’en ont cure, mais le
plus souvent le harassent de détails, de digressions et d’arguments hors su-
jet, au lieu d’affronter les questions clefs :

est-on, ou non dans le champ de la Convention ?


la narration est-elle plausible, suffisamment précise, compatible avec
l’information disponible, ou avec ses silences ?
que valent les pièces produites, y compris celles attestant de séquelles
de violences ou de tortures qui impressionnent, souvent à juste titre, le
juge, mais peuvent ne pas avoir cet effet, ne peuvent, en tout cas, à

104
elles seules, au moins en principe, faire la décision, pas plus que leur
absence la compromettre ?

On a déjà traité du problème de la plausibilité de la narration et des pièces


produites ; encore faut-il marquer que, si l’asile n’est pas réservé à des hé-
ros intellectuels ou bourgeois de luttes aux contours clairement définis,
mais vaut aussi, ce qui semble, aux termes de la Convention de Genève,
bien être le cas, pour les humbles et les comparses, ainsi que pour les com-
bats douteux, on ne peut faire de la compétence des requérants en science
politique, et en histoire électorale, militaire ou diplomatique, le test de leur
sincérité, ni tenir qu’en dehors des événements déjà recensés par les docu-
ments disponibles aux archives, il ne s’est rien passé où le droit d’asile
puisse prendre racine, au fond d’aucune jungle, savane, djebel, ou bas quar-
tier. Il arrive malheureusement qu’on s’y oublie.

La première des questions soulevées est évidemment planétaire. Et la ré-


ponse n’y est qu’en apparence fermement guidée par le droit conventionnel
applicable, éclairé par la jurisprudence. Ne sont ainsi sûrement pas dans le
champ de la convention les mauvais traitements subis du fait de l’existence
de désordres ordinaires (brigandage, bandes armées tolérées par les autori-
tés, par impuissance, ou sous le signe de diverses complicités) ; ni ceux su-
bis à la suite d’un emprisonnement, serait-il arbitraire, mais sans être lié à
une appartenance, réelle ou supposée, d’ordre ethnique, politique ou reli-
gieux, pour des motifs de droit commun ; ni encore les craintes de mauvais
traitement résultant de la commission ou de l’imputation de commission
d’un délit. La Convention de Genève ne protège pas – c’est une de ses li-
mites – contre le mauvais gouvernement, la corruption de l’administration,
de la police ou de la justice. Reste que cela n’est pas toujours aisément in-
telligible pour les requérants ; et que les frontières demeurent, même pour le
juge, malaisées à tracer, si bien que, tandis que les plus naïfs des deman-
deurs tombent dans le panneau et articulent très précisément ce qu’il faut
pour être éconduits, d’autres se montrent plus habiles ; et qu’il est parfois
également difficile au juge, à moins qu’il n’incline, ce qui lui arrive, à
prendre ses aises, de démonter un argumentaire habile que de « sauver » un
maladroit. La pratique des mariages forcés est naturellement, elles aussi,
hors convention ; il n’est pas anormal, cependant, que, dans certains cas
d’espèce, elle ait pu recevoir une interprétation l’y faisant entrer. Cela n’a

105
pas été le cas, jusqu’à présent, pour les situations de proscription, avec ou
sans menace de mort, liées au refus d’assurer des fonctions de « roi » ou de
« reine » d’ensembles tribaux de taille variable, situations qui ne se ren-
contrent que chez les demandeurs d’asile d’origine ghanéenne, heureuse-
ment, car on n’y comprend pas grand chose.

Comment ne pas admettre, en revanche, que la pratique systématique de


l’expulsion hors du territoire du pays dont ils ont la nationalité de ressortis-
sants de groupes ethniques minoritaires est dans le champ de la Conven-
tion ? Cette conviction ne paraît malheureusement pas généralement parta-
gée. Le juge dispose toujours, il est vrai, dans l’interprétation et la qualifica-
tion des faits invoqués, d’une telle latitude que les solutions sont très large-
ment aléatoires. Une telle situation peut se révéler préoccupante, dans tous
les sens, si celui qui tranche ne contrôle pas ses intuitions ou ses préven-
tions, et y plie trop volontiers sa conviction et sa plume (dans le souci,
louable, d’éviter la cassation).

Un étrange contentieux, au total. Dont la réforme en cours du droit appli-


cable risque malheureusement, plutôt que d’assainir, de maximiser les fai-
blesses. Tant du fait de la multiplication des fins de non-recevoir opposables
aux demandeurs que du fait de la multiplication des procédures d’urgence.
La combinaison des deux stratégies pourrait bien sonner le glas du droit
d’asile. ?

Notes

[1]
Notamment : Commission des recours des réfugiés : « Le droit des ré-
fugiés en France », Tables décennales de jurisprudence de la Commis-
sion des recours des réfugiés (1988-1997), précédées d’une étude de
Frédéric Tiberghien, Economica, 2000.

106
Collectivement, contre les discrimina-
tions — Christian Saout
En 2001, AIDES et Sida Info Service avaient organisé des États Généraux
réunissant à la Cité de la Villette trois cents personnes venues de toute la
France sous le titre : « Homosexualités et Identités : santé, vie affective, vie
sociale ». Une formulation sans doute complexe pour parler tout simple-
ment de l’impact du Vih/sida sur les minorités sexuelles et rappeler que les
conditions de vie qui leur sont faites sont décisives pour une meilleure es-
time de soi et une meilleure prise en compte par chacun de sa protection et
de sa santé face au Vih/sida. Dans un contexte de forte mobilisation des ac-
teurs de la lutte contre le sida, les travaux avaient clairement mis en exergue
la nécessité de réduire les discriminations dont sont victimes ces groupes
minoritaires, et avaient notamment conclu à la nécessité de disposer, en
France, d’une autorité indépendante chargée de lutter contre les discrimina-
tions.

Deux ans auparavant, déjà, AIDES avait organisé au Centre culturel suédois
une rencontre avec l’ombudsman suédois contre les discriminations fondées
sur l’orientation sexuelle, qui avait permis de percevoir l’intérêt d’une
transposition d’institutions de ce type dans le contexte français.

Parallèlement, l’Union européenne avait progressé, notamment en adoptant


les dispositions de l’article 13 du Traité d’Amsterdam qui invite les États à
abroger les discriminations quelle qu’en soit l’origine et à adopter des poli-
tiques publiques en ce sens. La directive du 29 juin 2000 sur la discrimina-
tion raciale et la directive de septembre 2002 sur l’égalité de traitement
entre hommes et femmes prises sur ce fondement imposent la création, par
les États membres, d’autorités indépendantes. C’est ce que la plupart
d’entre eux ont commencé à faire, en mettant notamment en place des auto-
rités indépendantes qui viennent, domaine par domaine, ici sur l’égalité
hommes/ femmes, là en matière anti-raciste, ailleurs encore sur l’orientation
sexuelle, tenter de résoudre les difficultés exprimées et vécues par les per-
sonnes confrontées à une discrimination. Plus récemment, certains de ces
Etats ont fait évoluer leurs autorités constituées autour d’un critère de dis-

107
crimination vers des autorités à compétence plus large ou traduisant une
préoccupation d’universalité dans la lutte contre les discriminations. Ces
évolutions faisaient apparaître par contraste le retard de la France, en dépit
de la transformation du « groupe d’étude sur les discriminations » en
« groupe d’étude et de lutte contre les discriminations », chargé de gérer le
numéro vert « 114 », doté de moyens très insuffisants et centré sur les
seules discriminations raciales.

A la fin de l’année 2002, le terrain n’est donc pas totalement vierge quand
le Président de la République, dans un discours prononcé à Troyes, en ap-
pelle lui aussi à la création en France d’une autorité indépendante univer-
selle de lutte contre les discriminations. Pouvait-on mieux dire ? Sans doute
pas. Ce faisant, avait-il épuisé le sujet ? Bien évidemment non. Et nous sen-
tions bien tout l’intérêt de marquer le débat public par des propositions, et
pour tout dire par la nécessaire réunion d’une série de conditions sans les-
quelles l’instauration d’une telle autorité serait vide de sens.

Comment avons-nous travaillé ?

Par cercles. En regroupant, dans un premier temps, quelques acteurs accou-


tumés à travailler ensemble et engagés dans la lutte contre le sida, dans le
champ de la santé, dans la défense des droits fondamentaux. Nous avons es-
sayé de faire le tour de nos attentes et d’exprimer un soutien vigilant à
l’idée d’autorité indépendante. Nous nous sommes ainsi retrouvés, en fé-
vrier 2003, donc bien avant la mise en place de la commission Stasi
(juin 2003) pour une « journée de réflexion et de mobilisation pour une au-
torité indépendante de lutte contre les discriminations ».

Puis nous avons élargi le cercle des premiers partenaires vers des groupes
ou des mouvements avec lesquels nous n’avions pas l’habitude de tra-
vailler – associations de handicapés, associations féministes, par exemple –
avec un double objectif : élargir la mobilisation et valider les orientations
auxquelles nous avions abouti, quitte à en modifier les contours si le débat
produit au cours de l’élargissement du premier cercle de combat le nécessi-
tait.

Nos travaux ont notamment été marqués par une journée d’étude qui a per-
mis aux uns et aux autres de mieux connaître les discriminations dont nous

108
n’avions pas connaissance parce que notre champ d’intervention ou notre
domaine de mobilisation nous en tenait écartés. Nous avons donc progressé
sur deux fronts : le soutien éclairé à une idée que nous avancions depuis
longtemps et le partage le plus large sur les déterminants de ce combat au
sein du collectif et au-delà.

A quoi sommes-nous parvenus ?

L’idée d’abord. Nous avons assez clairement établi quelles étaient pour
nous les conditions à réunir pour que l’on parle véritablement d’autorité in-
dépendante universelle concourant à la lutte contre les discriminations.

Ce doit être une autorité inscrite dans un dispositif global. Il ne s’agit ni


d’exonérer la puissance publique de sa mission générale de lutte contre les
discriminations dans le cadre des lois et règlements anti-discriminatoires
qui existent mais ne sont pas suffisamment utilisés, ni d’écarter les mobili-
sations de la société civile concourant aux mêmes buts. L’autorité doit sou-
tenir, renforcer et catalyser la lutte contre les discriminations puisque le re-
cours au droit reste insuffisant dans notre pays.

Structures ayant contribué à la plate-forme et engagées dans le


Collectif

Act Up-Paris
ADAPT (Ligue pour l’Adaptation du Diminué Physique au Travail)
AIDES
Amnesty International France
Association des Parents et futurs parents Gays et Lesbiens (APGL)
Association Femmes Publiques
Association française des Hémophiles (AFH)
Association des Paralysés de France (APF)
ARCAT
Association française de lutte contre les myopathies (AFM)
Association du syndrome de Benjamin (ASB)
Caritig
Collectif contre l’homophobie 34
Collectif National Droits des femmes

109
Confédération Syndicale des Familles (CSF)
Coordination pour le droit à l’avortement et à la contraception (CADAC)
Fédération des Mutuelles de France (FMF)
Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (FNATH)
Fédération Nationale des Maisons des Potes (FNMDP)
Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI)
Handicap et Libertés
Homosexualité et Socialisme
Interassociative Lesbienne-Gaie-Bi-Trans (Inter-LGBT),
Le LIEN
Ligue des Droits de l’Homme (LDH)
Le MAG - Jeunes Gais et Lesbiennes
Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP),
Prévention Action Santé Travail pour les Transgenres (PASTT),
PROCHOIX
Réseau Hospitalier des Usagers (Réshus)
Sida Info Service
SNEG (Le Syndicat des Entreprises Gaies)
SOS Hépatites
SOS Homophobie
Vaincre La Mucoviscidose (VLM)

Ce doit aussi être une autorité unique plutôt qu’une superposition de plu-
sieurs autorités spécifiques dédiées chacune à une discrimination, ce qui ne
manquerait pas de poser des difficultés en cas de cumul de discriminations
et aboutirait à écarter les discriminations les moins nombreuses en quantité
mais terriblement préoccupantes pour les personnes concernées. On pense
bien évidemment aux minorités sexuelles.

Ce doit bien entendu être une autorité universelle. En raison du fait qu’elle
doit couvrir toutes les catégories de discriminations mais aussi tous les agis-
sements discriminatoires, et dans tous les domaines.

Personnes qualifiées ayant contribué à la plate-forme

Véronique van der PLANCKE, Chercheuse au Centre de Philosophie du


Droit, Université catholique de Louvain-la-Neuve

110
Eric FASSIN, Professeur à l’ENS
Jacques CHEVALLIER, Professeur à l’Université Paris II, Directeur du
CERSA
Danièle LOCHAK, Professeur à l’Université Paris-X
Daniel BORRILLO, Maître de Conférences à l’Université Paris X
Michel MINE, Professeur associé en droit privé à l’Université de Cergy-
Pontoise
Sophie LATRAVERSE, Juriste
Philippe BATAILLE, CADIS-EHESS
Marie-Thérèse LANQUETIN, Juriste, Université Paris X
Robert WINTEMUTE, School of Law, King’s College, Londres
Nathalie FERRÉ, Maître de Conférences à l’Université Paris X
Jean-Michel BELORGEY, Conseiller d’Etat, Auteur du rapport sur la lutte
contre les discriminations.

L’autorité doit avoir une compétence étendue et de larges pouvoirs. Depuis


l’étude des discriminations, notamment des discriminations dites systé-
miques (celles qui atteignent, même sans intention discriminatoire, des
groupes de personnes, et résultent des pratiques et idéologies à l’œuvre sur
le marché du travail, au sein des institutions et même dans la société toute
entière) jusqu’à la sanction, sans empiéter ce faisant sur les pouvoirs dévo-
lus aux juridictions régulières qui doivent rester intacts, voire être renforcés.
L’autorité doit pouvoir mener des investigations sur les affaires dont elle est
saisie ou dont elle se saisit. Selon nous, elle doit par ailleurs disposer d’un
pouvoir général d’auto-saisine, être en mesure d’adresser des recommanda-
tions aux pouvoirs publics, notamment dans le cadre de son rapport annuel
public. L’autorité doit bien entendu être un outil d’aide et de soutien aux
victimes des discriminations dans l’exercice de leurs droits. L’autorité doit
aussi concourir à la sensibilisation, à la communication et à l’alerte devant
l’opinion publique.

Des garanties d’indépendance doivent présider à l’instauration de l’autorité


car l’administration publique peut elle-même être l’auteur de discrimina-
tions : placée auprès d’un ministre, rattachée à un département ministériel,
ou structurée comme une émanation de la puissance publique, l’autorité
n’aurait pas l’indépendance nécessaire à l’égard des administrations. La
composition de l’autorité devra s’attacher à garantir cette indépendance tout

111
en consacrant la participation des organisations (associations, syndicats…)
intervenant sur le terrain.

Bien évidemment, des moyens humains et financiers doivent être garantis


pour l’exercice de ces missions dont on sent bien que les contours vont bien
au delà de ceux de l’actuel Groupe d’étude et de lutte contre les discrimina-
tions (GELD).

Enfin, ce doit être une autorité accessible. Il ne s’agit pas de créer une auto-
rité « centralisée » mais une autorité capable de répondre effectivement aux
sollicitations de tous ceux qui s’estiment victimes d’une discrimination. De
ce point de vue, elle doit disposer de relais au niveau territorial, issus de
l’autorité nationale.

Après avoir examiné l’idée, voyons maintenant le mouvement. Ce n’est pas


rien. Une cinquante d’associations et d’organismes se sont agrégés dans le
Collectif qui comporte en outre une grand nombre de personnalités « quali-
fiées » notamment dans le domaine de la recherche ou de l’enseignement en
sciences sociales ou en droit (voir encadré). Cette mixité est enrichissante,
source de confrontations et génératrice de positionnements débattus et argu-
mentés. Elle ne trouve qu’une limite : l’absence de mobilisation syndicale
qui, malgré l’intensité de nos démarches, fait défaut à ce qui pourrait pour-
tant apparaître comme un mouvement d’ensemble traduisant l’aspiration de
notre société à une véritable autorité universelle de lutte contre les discrimi-
nations.

La prochaine échéance, après la remise du rapport demandé par le premier


ministre à Bernard Stasi, médiateur de la République, sera le projet de loi
portant création de l’autorité indépendante. Pour autant, nous ne sommes
pas au bout du chemin.

En effet, nous devons encore accompagner ces étapes car elles ne se feront,
et ne doivent pas se faire sans nous. Nous n’accepterons pas que la France
soit le dernier pays d’Europe à disposer d’une telle autorité ou qu’au pays
des droits de l’homme on accepte une autorité au rabais soulevant un formi-
dable espoir dans l’opinion mais incapable, en pratique, d’apporter à ceux
qui sont victimes d’actes discriminatoires le soutien qu’ils sont en droit
d’attendre d’une telle autorité Et ne doutons pas qu’au lendemain du rapport

112
remis par Bernard Stasi, le cortège des empêcheurs va donner de la voix :
ici le pouvoir judiciaire inquiet de ses prérogatives, là les inquiétudes de
telle administration publique, ailleurs encore les résistances de certains inté-
rêts privés ennuyés de ne plus pouvoir discriminer « entre amis ».

Au delà de la vigilance, il y a encore du grain à moudre pour que cette auto-


rité soit acquise non pas pour solde de tout compte mais comme pointe
avancée d’une politique générale de lutte contre les discriminations portée
par le pays dans son ensemble, convaincu de l’impératif d’adaptation de
notre droit dans la lutte contre les discriminations. Car la création d’une
telle autorité ne doit évidemment pas – tout au contraire – nous empêcher
de continuer à porter d’autres revendications tout aussi capitales : l’élargis-
sement de la capacité des associations à ester en justice, l’aménagement de
la charge de la preuve en faveur des victimes, la reconnaissance de discri-
minations non encore répertoriées, notamment à l’article 225-1 du code pé-
nal, la réduction des discriminations légales, notamment celles qui frappent
encore les étrangers.

À nos yeux, il est donc clair que la mise en place de l’autorité indépendante
ne doit pas démobiliser les pouvoirs publics ou la société civile, mais ren-
forcer les obligations des uns et les outils aux mains de l’autre, et que l’effi-
cacité de l’édifice constitué par les lois, le contrôle juridictionnel et l’autori-
té indépendante doit continuer à être poussé par la mobilisation des associa-
tions et des syndicats.

Restons groupés !

Communiqué du Gisti

Suite à la remise au premier ministre, le 17 février 2004, par Bernard Stasi,


médiateur de la République, du rapport tendant à la création d’une « Haute
autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité », le Gisti a pu-
blié le communiqué suivant (accessible sur http://www.gisti.org/doc/ac-
tions/2004/stasi).
Des conditions de crédibilité d’une autorité contre les discriminations
Après la remise du rapport Stasi, le GISTI souhaite, comme l’ensemble des
organisations réunies dans le Collectif pour une autorité indépendante uni-

113
verselle de lutte contre les discriminations, que se mette en place dans les
délais les plus brefs la haute autorité indépendante de lutte contre les discri-
minations et pour l’égalité dont le rapport suggère la création.
Cette autorité n’aura toutefois de crédibilité et d’efficacité : que si elle est
dotée de réels moyens, et de réels pouvoirs ; que si sa mise en place s’ins-
crit dans une politique globale de lutte contre les discriminations et pour
l’égalité, comme l’atteste a contrario l’échec de toutes les structures précé-
demment mises en place, et notamment celui du GELD, dont les proposi-
tions – notamment sur les emplois fermés aux étrangers – n’ont même pas
connu un début de mise en œuvre ; que si cette politique se donne pour ob-
jectif de combattre non seulement les discriminations déjà prohibées par les
textes mais aussi celles qui, inscrites dans la loi ou les règlements, font obs-
tacle, en violation du principe d’égalité, à l’exercice des droits fondamen-
taux.
Au moment où l’on dit vouloir se mobiliser contre toutes les formes de dis-
crimination, le Gisti tient en effet à rappeler la nécessité de dénoncer des
discriminations trop souvent passées sous silence : car il y a bien discrimi-
nation :

lorsque des millions d’emplois sont réservés aux nationaux ;


lorsque des personnes qui ont commis un délit peuvent, simplement
parce qu’elles sont étrangères, faire l’objet d’une interdiction du terri-
toire français et subir ainsi une « double peine » ;
lorsque les ressortissants des États tiers, exclus de la citoyenneté euro-
péenne, ne se voient reconnaître ni le droit de vote aux élections muni-
cipales, ni la liberté de circulation ;
lorsque des droits aussi fondamentaux que le droit d’être soigné, le
droit de travailler, le droit de se marier ou de vivre en famille sont quo-
tidiennement bafoués ;
lorsque des milliers d’exilés sont enfermés dans des camps et que la
vie des étrangers semble peser d’aussi peu de poids dans la guerre que
les États européens ont décidé de livrer pour défendre leurs frontières.

Paris, le 20 février 2004

114
Une nouvelle convention pour les migrants —
La convention de l’ONU pour la protection des droits de tous les tra-
vailleurs migrants et les membres de leur famille est entrée en application
le 1er juillet 2003. Ayant nécessité plus de dix ans pour voir le jour, la nou-
velle convention représente un grand pas en avant dans les efforts pour
améliorer la vie de la vaste réserve de la main-d’œuvre mondiale. Grand
spécialiste des migrations au sein du BIT, Patrick Taran, instigateur de la
campagne pour la ratification, dévoile à Travail les objets de la convention,
son champ d’application et en quoi elle changera la vie des migrants.

Travail : Quelle est la population migrante de nos jours dans le monde, et


parmi elle, combien sont des travailleurs migrants ?

Patrick Taran : Quelque 175 millions de personnes vivent et travaillent en


dehors de leur pays d’origine. D’après les estimations de l’OIT, la grande
majorité d’entre elles, à peu près 120 millions, sont des travailleurs mi-
grants ou des membres de leur famille. Ce chiffre pourrait bien doubler
dans les vingt-cinq ans à venir. Beaucoup d’autres sont des immigrants per-
manents qui avaient émigré pour trouver un emploi dans les pays d’immi-
gration.

Travail : A quels problèmes sont-ils confrontés ?

Taran : Malgré le fait qu’elle soit d’une importance économique vitale – la


migration n’est pas seulement une source de revenus pour les individus,
mais permet aussi le transfert de milliards de dollars aux pays d’origine –
les travailleurs immigrés sont souvent considérés comme étant une main-
d’œuvre bon marché et flexible, et sans protection légale de base. Les tra-
vailleurs immigrants illégaux sont tout spécialement vulnérables, puisque la
peur de l’interpellation et de l’expulsion empêche la syndicalisation et
freine la dénonciation des conditions de travail dangereuses. Les femmes
qui, dans certains pays, représentent 70 pour cent de la main-d’œuvre immi-
grée sont, le plus souvent, employées dans le secteur informel ou bien dans
un environnement de travail isolé où il y a peu de possibilités d’établir des
réseaux d’information et de soutien social.

115
Travail : N’existe-t-il pas déjà deux conventions de l’OIT sur la migration ?

Taran : En effet, il y a la convention de l’OIT sur la migration pour l’emploi


de 1949 (n° 97) et la convention de l’OIT (dispositions supplémentaires) sur
les travailleurs migrants de 1975 (n° 43), qui existent depuis plus de vingt-
cinq ans. Elles ont été ratifiées par respectivement 42 et 18 États membres
de l’OIT, et forment un cadre de base pour la législation et la pratique natio-
nale en matière de migration économique. Elles stipulent que les pays si-
gnataires doivent promouvoir activement des pratiques de recrutement équi-
tables et un processus de consultation transparent avec leurs partenaires so-
ciaux, réaffirmer la non-discrimination et établir le principe d’égalité de
traitement entre les nationaux et les travailleurs immigrés en situation régu-
lière en ce qui concerne l’accès à la sécurité sociale, les conditions de tra-
vail, la rémunération et la syndicalisation.

La nouvelle convention de l’ONU développe encore plus ces moyens et


peut être considérée comme complémentaire.

Elle cherche à garantir aux migrants les droits humains fondamentaux et à


assurer que tous les migrants, légaux ou clandestins, ainsi que leur famille
aient accès à un minimum de protection. Dans les pays où les dispositions
de la convention sont appliquées, beaucoup de personnes, et tout spéciale-
ment les femmes, qui travaillent dans le secteur informel, peuvent en obte-
nir un meilleur niveau de protection. La nouvelle convention préconise aus-
si des mesures pour éradiquer l’immigration clandestine.

Travail : L’éradication des trafics de main-d’œuvre clandestine, n’est-ce


pas beaucoup demander ?

Taran : La convention propose que les États agissent contre la diffusion


d’information trompeuse sur l’immigration et l’émigration, et identifient et
empêchent les mouvements clandestins de travailleurs migrants. C’est ainsi
que la convention décourage la migration illégale tout en souhaitant l’appli-
cation des droits fondamentaux pour tous.

Travail : Comment arriverez-vous à faire appliquer la convention ?

116
Taran : Tous les pays qui l’ont ratifiée sont liés légalement par la conven-
tion. En plus, l’application de la convention sera surveillée par un comité de
dix experts élus par les États qui l’ont ratifiée, constituant le Comité pour la
protection des droits de tous les travailleurs migrants et de leurs familles.

Travail : Quels pays ont ratifié la convention ?

Taran : Vingt-deux, dans leur majorité des pays sources de l’émigration,


ceux d’où viennent les émigrants, ont déjà ratifié la convention [1] ; dix [2]
autres ont signé la démarche préliminaire à la ratification. Jusqu’à présent,
aucun des grands pays d’accueil des migrants et des immigrés n’a ratifié.
On avait enregistré très peu de ratifications jusqu’en 1998 lorsqu’une cam-
pagne mondiale a été lancée par une coalition unique de l’ONU incluant
l’Organisation internationale du travail, des groupes religieux et des ONG
de défense des droits humains et des migrants. Depuis lors, les ratifications
ont triplé. (Voir le site web www.migrantsrights.org)

Travail : Il existe une demande massive de travailleurs immigrés dans ces


pays. Les forces économiques ne continueront-elles pas à influencer l’évo-
lution de la migration ?

Taran : Pour l’OIT, un régime durable véritablement efficace exige une ré-
ponse aux demandes de main-d’œuvre en Europe et en Amérique du Nord,
en Afrique, en Asie et en Amérique latine, tout en mettant en place des poli-
tiques et des structures pour maîtriser et gérer la migration. Cela nécessite
un degré important de consensus social et l’implication de toutes les parties
les plus directement touchées par la migration de main-d’œuvre : les tra-
vailleurs et les employeurs.

Comme a déclaré le directeur général de l’OIT, Juan Somavia : « Un


consensus international est en train de voir le jour selon lequel la régula-
tion de la migration internationale aux fins d’emploi ne peut être laissée
uniquement aux mains d’intérêts nationaux et des mécanismes du marché.
Elle appelle plutôt à l’organisation par des accords bilatéraux et multilaté-
raux et au respect des normes internationales. »

Travail : Ainsi, vous avez le sentiment qu’un progrès s’accomplit ?

117
Taran : Sûrement. La nouvelle convention, liée aux conventions existantes,
constitue une base, fondée sur des valeurs reconnues, pour la détermination
et le fondement légal, pour une politique nationale et son application. Elle
est un moyen d’encourager les États à établir ou à améliorer leur droit natio-
nal en harmonie avec les normes internationales. La protection et la struc-
ture proposées par ces accords vont bien au-delà de l’élaboration d’un cadre
des droits humains. De nombreux règlements appropriés forment, en
somme, un agenda complet pour les politiques nationales et pour la coopé-
ration et la consultation entre les États afin de formuler une politique sur la
migration économique, échanger des informations, fournir des renseigne-
ments aux migrants et faciliter leur retour au pays d’origine ainsi que leur
réintégration.

Notre travail à l’OIT continue. Une réunion tripartite régionale, sous les
auspices de l’OIT, a eu lieu à Bangkok fin juin avec pour thème « Les défis
rencontrés par la politique et la gestion de la migration économique en
Asie ». Le but était d’invoquer les opportunités et les défis auxquels sont
confrontés les pays de la région. De nouvelles dynamiques se mettent en
place visant les groupes particuliers, surtout les travailleuses domestiques
immigrées, pour qu’ils aient des possibilités accrues et pour l’amélioration
de leur condition. Cette question sera le sujet du débat général pendant la
conférence internationale du travail en 2004 à Genève.

Vu la participation tripartite importante de l’ensemble des 177 pays


membres de l’OIT, et faute d’une conférence internationale sur la migration,
cette réunion devrait être le mieux que nous puissions espérer dans ce do-
maine pendant cette décennie.

Notre agenda inclut la migration économique à l’ère de la mondialisation,


des projets et des structures pour un meilleur contrôle de ce problème et
l’amélioration de la protection des travailleurs migrants. ?

Une action mondiale concertée

Le 1er juillet dernier, les hauts responsables de l’Organisation interna-


tionale du travail (OIT), de l’Organisation internationale pour les mi-
grations (OIM), du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de

118
l’homme (HCNUDH) et de l’Organisation des Nations unies pour
l’éducation, la science et la culture (UNESCO) ont signé une déclara-
tion commune dans laquelle ils se félicitent de l’entrée en vigueur de la
nouvelle convention en faveur des travailleurs migrants.
« La convention reconnaît que certains droits humains de base – définis
dans la Déclaration universelle des droits de l’homme – sont applicables à
tous les travailleurs migrants et les membres de leur famille indépendam-
ment de leur statut. »
Elle définit les droits applicables aux migrants dans les situations régu-
lières et irrégulières ; elle établit des normes minimales de protection
concernant les droits civils, économiques, politiques, sociaux et du tra-
vail ; elle reconnaît que les travailleurs migrants sont des êtres humains
qui ont des rôles et des responsabilités au-delà du contexte du travail et
de l’économie. Basée sur les conventions antérieures de l’OIT, elle élar-
git le cadre légal pour la migration internationale, le traitement des mi-
grants, la prévention de l’exploitation et la migration clandestine. Elle
couvre le processus entier de la migration : la préparation, l’embauche,
le départ et le voyage ; le séjour dans les pays où ils trouvent un em-
ploi ; le retour et le rétablissement dans les pays d’origine.
La déclaration conjointe des quatre institutions des Nations unies ex-
primait également « leur détermination d’œuvrer pour une collaboration
accrue et des activités communes dans le domaine de la migration et des
droits humains, dans les sphères telles que l’information et la recherche
sur la migration ».
Elle préconise la coopération technique, l’élargissement des pouvoirs
des fonctionnaires et d’autres autorités face aux abus envers les mi-
grants sujets au trafic et au travail forcé, et pour empêcher la discrimi-
nation et la xénophobie envers les migrants.

Notes

[1]
Pays ayant ratifié la convention ou initié la procédure de ratification :
Egypte, Maroc, Seychelles, Colombie, Philippines, Ouganda, Sri Lan-
ka, Sénégal, Bosnie-Herzégovine, Cap-Vert, Azerbaïdjan, Mexique,
Ghana, Guinée, Bolivie, Uruguay, Belize, Tadjikistan, Equateur, El
Salvador, Guatemala et Mali.

119
[2]
Pays signataires de la convention : Chili, Bangladesh, Turquie, Co-
mores, Guinée-Bissau, Paraguay, Sao Tomé e Principe, Sierra-Leone,
Burkina Faso, Togo.

120
Cahier de jurisprudence —
Regroupement familial Prés. du TA de Limoges (juge des réfé-
rés) 14/08/2002 KADA c/préfet Haute-Vienne

Refus de regroupement familial pour ses trois petits-enfants à un Algérien


en résidence régulière en France depuis 1964 – Violation de la convention
relative aux droits de l’enfant et de l’article 8 de la CEDH – Suspension ;
injonction au préfet de délivrer une autorisation provisoire de séjour et de
travail ; condamnation de l’État à verser à l’avocat du requérant une somme
en application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

M. KADA, de nationalité algérienne, est arrivé en France en 1964, où il a


travaillé régulièrement jusqu’à sa retraite, et où il continue à demeurer régu-
lièrement avec son épouse. Par une décision du Tribunal de Sidi Ali (Algé-
rie), il s’est vu confier la charge légale de ses trois petits enfants mineurs
pour lesquels il a sollicité le bénéfice du regroupement familial, qui lui a été
refusé le 9 juillet 1999 au motif de l’inadéquation de son logement. Il les a
néanmoins recueillis à son domicile en août 2000, en raison de la dégrada-
tion de l’état de santé de leur mère, et a obtenu un nouveau logement. Sa
nouvelle demande d’admission au séjour des enfants au titre du regroupe-
ment familial a fait l’objet d’une décision de refus du préfet de la Haute-
Vienne en date du 22 juin 2001. Après rejet de son recours gracieux, il a dé-
posé auprès du tribunal administratif de Limoges une requête en annulation
de la décision préfectorale et en demande la suspension par référé.

« Considérant, en premier lieu, que M. KADA fait état, d’une part, de


conséquences de la décision incriminée communes aux trois mineurs,
d’autre part, de l’impossibilité pour le jeune Abdellah de conclure un
contrat d’apprentissage pour suivre la formation en C.A.P. dans laquelle il
a été admis à compter de septembre 2002 ; que s’il n’apporte aucune préci-
sion quant aux conséquences du refus d’admission au séjour concernant
Samira et Hanane de nature à démontrer la nécessité pour ces deux enfants
de bénéficier immédiatement d’une suspension des effets de la décision at-
taquée, alors même qu’ils sont mineurs, il ressort des pièces du dossier que
Abdellah Kada bénéficie d’une promesse de contrat d’apprentissage dans

121
une boulangerie de Limoges à compter de septembre 2002 ; qu’il se trouve
privé de la possibilité de conclure ce contrat et, par suite, de poursuivre sa
formation en vue de l’obtention d’un C.A.P. en raison des effets de la déci-
sion du préfet de la Haute-Vienne de rejeter la demande d’admission au sé-
jour ; que cette circonstance, en dépit du fait qu’elle n’ait pas été connue
du préfet lors de l’instruction de la demande de regroupement antérieure à
la décision d’orientation scolaire et professionnelle et bien qu’aucun titre
de séjour n’ait été sollicité depuis, caractérise en l’espèce la nécessité de
voir suspendus les effets de la décision litigieuse en ce qu’elle concerne Ab-
dellah Kada ;

Considérant, en second lieu, que M. KADA soutient qu’étant désigné par un


jugement du Tribunal de Sidi Ali pour assumer la garde légale d’Abdellah
Kada, la décision de refus d’autorisation de séjour de ce mineur au titre du
regroupement familial, alors que sa famille demeurant en Algérie est dans
l’incapacité de subvenir à ses besoins en raison notamment de l’état de
santé de sa mère, est contraire aux stipulations de l’article 3-1 de la
convention relative aux droits de l’enfant signée à New York le 26 janvier
1990 et aux stipulations de l’article 8 de la Convention européenne de sau-
vegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’en l’état
de l’instruction, ce moyen paraît de nature à faire naître un doute sérieux
quant à la légalité de la décision attaquée... »

L’exécution de la décision préfectorale du 22 juin 2001 est suspendue en ce


qu’elle concerne le jeune Abdellah jusqu’à ce que le Tribunal statue sur le
dossier de fond. Le préfet délivrera à Abdellah Kada une autorisation provi-
soire de séjour et de travail valable pendant la durée de la suspension, dans
un délai de dix jours à partir de la notification de l’ordonnance. L’État ver-
sera au défenseur de M. KADA une somme de 450 euros, en application de
l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celui-ci renonce à
percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’État dans
l’aide juridictionnelle.

Regroupement familial T.A. de Limoges 18/09/2003 KADA


c/préfet de la Haute-Vienne (jugement au fond de l’affaire pré-
cédente)

122
Annulation des décisions préfectorales – Injonction au préfet d’autoriser le
regroupement familial dans le délai d’un mois – Somme versée à l’avocat
de la défense sous réserve de renoncer à la part de l’aide juridictionnelle.

« Considérant que Abdellah, Samira et Hanane KADA ont été confiés à M.


KADA sous le régime du recueil légal dit « kafala » homologué par juge-
ment du 14 octobre 1998 du Tribunal de Sidi Ali ; que selon le titre II du
protocole annexé à l’avenant du 22 décembre 1985 à l’accord franco-algé-
rien susvisé, les membres de la famille d’un ressortissant algérien s’en-
tendent notamment des enfants de moins de dix-huit ans dont il a juridique-
ment la charge en vertu d’une décision de l’autorité judiciaire algérienne ;
qu’il ressort des pièces du dossier que la prise en charge par M. KADA se-
lon les modalités susexposées de trois de ses petits enfants a été motivée en
particulier par l’état de santé de leur mère souffrant d’une hémiplégie to-
tale du côté droit nécessitant l’aide d’une tierce personne ; que ces enfants
font partie d’une fratrie composée au total de dix enfants, dont sept âgés de
moins de dix-huit ans à la date de la décision contestée ; que contrairement
à ce que soutient le préfet de la Haute-Vienne, Abdellah, Samira et Hanane
KADA, s’ils ne maîtrisaient pas la langue française à leur arrivée en
France, ont acquis rapidement des notions suffisantes pour suivre une sco-
larité normale à Limoges ; que dans ces conditions, en dépit de l’âge de M.
et Mme KADA et des caractéristiques de leur logement, lesquelles peuvent
d’ailleurs évoluer favorablement, la décision du préfet de la Haute-Vienne
de refuser d’autoriser le regroupement familial demandé par M. KADA
porte atteinte à l’intérêt supérieur des enfants intéressés et doit être regar-
dée comme contraire à l’article 3-1 de la convention internationale des
droits de l’enfant... »

Annulation des décisions du préfet des 22 juin et 4 octobre 2001, refusant le


regroupement familial et rejetant le recours gracieux. Injonction au préfet
de la Haute-Vienne d’autoriser le regroupement familial demandé par M.
KADA au bénéfice de ses trois petits-enfants dans le délai d’un mois à
compter de la notification du jugement. Condamnation de l’État à verser à
l’avocat du requérant une somme de 500 euros sur le fondement de l’article
37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de son renoncement à percevoir
la somme correspondant à la part contributive de l’État à la mission d’aide
juridictionnelle.

123
Référence à rappeler pour avoir copie de l’ordonnance et du jugement
:

Plein droit, jurisprudence n° 491

Reconduite à la frontière Prés. du TA de Besançon (juge des ré-


férés) 13/09/2002 DJERIDI c/préfet de la Haute- Saône

APRF contre un Algérien vivant en France avec sa famille – Violation de la


convention internationale relative aux droits de l’enfant et de l’article 8 de
la CEDH – Suspension avec injonction d’examiner la demande de titre de
séjour et de délivrer un titre de séjour provisoire ; condamnation de l’État à
verser au demandeur la somme de 375 euros.

M. DJERIDI, ressortissant algérien, s’est marié religieusement en Algérie,


en août 1999, à Mlle X, sa compatriote, résidente régulière en France depuis
de longues années. Depuis lors, ils vivent en France, où deux enfants sont
nés de leur union en mai 2000 et en décembre 2001. Une première demande
de titre de séjour faite par M. DJERIDI lui avait été refusée par arrêté pré-
fectoral du 5 mars 2001, confirmé, après recours, par le tribunal administra-
tif de Châlons-sur-Marne. Puis, installé par la suite en Haute-Saône, M.
DJERIDI, dépose une nouvelle demande de régularisation, en joignant au
dossier une promesse d’embauche. Le 24 juillet 2002, il fait l’objet d’un ar-
rêté de reconduite à la frontière par le préfet de la Marne, qui ne lui a été
notifié que le 10 septembre 2002, accompagné d’une mesure de rétention
administrative dans les locaux de la gendarmerie de Gray, d’où il doit être
reconduit à la frontière à destination de l’Algérie dès le 12 septembre au
matin. Il y a donc urgence, d’où procédure de référé-suspension.

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier et des débats à l’audience


que M. DJERIDI vit maritalement avec Mlle X, de nationalité algérienne, et
résidant régulièrement en France depuis environ 20 ans, depuis le mois
d’août 1999 ; que M. DJERIDI a fait sanctionner cette union selon le rite
musulman le 10 août 1999 et qu’il soutient, sans être contredit, qu’il n’a pu
épouser civilement Mlle X, comme il en avait l’intention, en raison des diffi-
cultés engendrées par l’irrégularité de sa propre présence sur le territoire
français ; que le requérant est père de deux enfants nés en France, dont

124
l’une, Nehal, est scolarisée à l’école maternelle « Les Capucins » de Gray
(Haute-Saône) ; que Mlle X souffre de troubles psychologiques et physiolo-
giques rendant la présence de son compagnon auprès d’elle particulière-
ment précieuse ; que M. DJERIDI bénéficie d’une promesse d’embauche
ferme de la part d’une entreprise de menuiserie et d’agencement, spécialité
du requérant ; que Mlle X a signé le 25 juillet 2002 un contrat emploi-soli-
darité avec le Centre social CAP’GRAY de Gray ; qu’il résulte de ce qui
précède que, eu égard à la durée de relation de concubinage de M. DJERI-
DI et de Mlle X, à la stabilité de la situation du couple, à leur insertion pro-
fessionnelle, à la circonstance non contestée que M. DJERIDI ne constitue
en aucune manière une menace pour l’ordre public, à l’intérêt supérieur de
leurs enfants, au sens de l’article 3-1 de la convention internationale rela-
tive aux droits de l’enfant du 26 janvier 1990, compte tenu des problèmes
de santé de Mlle X, M. DJERIDI est fondé à soutenir que le préfet de la
Haute-Saône a, dans l’exercice de son pouvoir de police, porté une atteinte
grave et manifestement illégale à son droit à une vie familiale normale, pro-
tégé par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits
de l’homme et des libertés fondamentales, qui constitue une liberté fonda-
mentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ;
qu’il y a lieu, par suite et dans les circonstances de l’espèce, d’enjoindre au
préfet de la Haute-Saône et à toute autorité administrative de suspendre
toute mesure d’éloignement physique de M. DJERIDI, d’ordonner au préfet
de la Haute-Saône d’examiner dans les meilleurs délais la demande de titre
de séjour présentée par le requérant, et, dans l’attente de la décision à in-
tervenir, de délivrer à celui-ci un titre de séjour provisoire... »

En outre, l’État versera à M. DJERIDI une somme de 375 euros au titre de


l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Référence à rappeler pour avoir copie de l’ordonnance :

Plein droit, jurisprudence n° 492

Reconduite à la frontière T.A. de Lyon 15/06/2002 KOPPA


c/préfet du Rhône

125
APRF contre une ressortissante centrafricaine avec décision de renvoi dans
le pays d’origine – Risque manifeste de retour en Centrafrique – Annulation
de la décision fixant le pays de destination.

Ce jugement présente un double intérêt : en premier lieu, le tribunal qualifie


de « nouvelle décision de reconduite » un arrêté qui date du 20 juillet 2000,
soit de près de deux ans. Ensuite, il décide que le fait de ne pas avoir de-
mandé l’asile politique, alors même qu’il existe des risques sérieux, ne gène
pas le juge pour prononcer l’annulation du pays de destination.

Considérant que Mlle KOPPA « s’est vu refuser le renouvellement de son


titre de séjour par une décision du 12 mars 1999 devenue définitive et que,
par des décisions du 20 juillet 2000, le préfet du Rhône a prononcé la re-
conduite à la frontière et fixé le pays de renvoi de l’intéressée ; que le juge
de la reconduite à la frontière a rejeté le recours formé contre ces dernières
décisions par un jugement en date du 3 août 2000 qui n’a pas été frappé
d’appel ; que, compte tenu de la durée écoulée depuis l’intervention de ce
jugement, alors que l’administration ne justifie pas par l’impossibilité de
mettre à exécution son arrêté, et compte tenu des changements survenus en-
tretemps, de nature à affecter la situation de la requérante, la décision en
date du 14 juin 2002 prononçant sa mise en rétention doit être regardée
comme révélant une nouvelle décision de reconduite à la frontière...

Considérant... que Mlle KOPPA a fait état dans sa requête et à l’audience


de ce qu’à la suite de la tentative de putsch de mai 2001, la répression à
l’égard des membres de l’ethnie yakoma soutenant le mouvement insurrec-
tionnel dirigé par le général Kolingba, ancien chef de l’État, a durement
frappé sa famille, son père, ancien chef de cabinet du ministère du plan
dans le gouvernement alors dirigé par l’actuelle opposition, ayant été as-
sassiné et sa mère violentée, tandis que ses frères et sœurs auraient dû fuir
le pays ou du moins la région de Bangui ; que, quand bien même l’intéres-
sée aurait jusqu’alors négligé de formuler une demande d’asile politique,
ces explications suffisamment circonstanciées sont de nature à révéler
l’importance des risques que lui ferait courir son retour dans son pays
d’origine ; que de telles circonstances font légalement obstacle à la recon-
duite de l’intéressée à destination de son pays d’origine... »

126
La décision du préfet du Rhône, fixant la Centrafrique comme pays de des-
tination, est annulée.

Référence à rappeler pour avoir copie du jugement :

Plein droit, jurisprudence n° 493

Nationalité T.A. de Nantes 22/08/2002 SAIDANI c/ministre de


l’emploi et de la solidarité

Refus de recevoir une demande de réintégration d’un Algérien dans la na-


tionalité française au motif qu’il n’avait pas en France le centre de ses inté-
rêts - Erreur manifeste d’appréciation - Annulation et condamnation de
l’État à verser 600 euros au demandeur.

Le code civil, dans son article 21-16, stipule que « nul ne peut être naturali-
sé s’il n’a en France sa résidence au moment de la signature du décret de
naturalisation », et, dans son article 24-1 que « la réintégration par décret
peut être obtenue à tout âge et sans condition de stage. Elle est soumise,
pour le surplus, aux conditions et aux règles de la naturalisation », qui im-
posent au demandeur d’avoir fixé en France, de manière stable, le centre de
ses intérêts.

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier qu’à la date de la décision


attaquée, M. SAIDANI, de nationalité algérienne, né en 1951, exerçait de-
puis le 7 juin 1997 les fonctions de chef d’Escale de la compagnie « Air Al-
gérie » à l’aéroport de Lyon-Satolas et était chargé depuis le 16 décembre
1998 de l’intérim du poste de représentant général pour le centre-est de la
France ; que le lieu effectif de son travail était en France, qu’il y percevait
son salaire et était installé à Lyon avec sa femme et leurs quatre enfants
scolarisés en France ; qu’ainsi et nonobstant la triple circonstance que le
siège social de la compagnie « Air Algérie » soit fixé à l’étranger, que M.
SAIDANI soit bénéficiaire d’un titre de séjour temporaire et que la mutation
de l’intéressé à Lyon à compter du 6 juin 1997 ait une durée d’effet prévue
de cinq années, le requérant doit être regardé, alors même qu’il exerce des
fonctions de responsabilité au sein de l’entreprise qui l’emploie, comme sa-
tisfaisant à la condition de résidence exigée par le texte précité ; que, dès

127
lors, M. SAIDANI est fondé à soutenir qu’en estimant qu’il n’avait pas
transféré en France le centre de ses intérêts, le ministre de l’emploi et de la
solidarité a fait une appréciation erronée des circonstances de l’espèce... »

Annulation et condamnation de l’État à verser à M. SAIDANI une somme


de 600 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Référence à rappeler pour avoir copie du jugement :

Plein droit, jurisprudence n° 494

Refus de séjour C.E. 13/11/2002 Douga C. c/préfet du Val


d’Oise

Refus de séjour à un Malien résidant en France depuis plus de dix ans, avec
APRF, confirmé par le magistrat délégué du tribunal administratif – Excès
de pouvoir – Annulation et condamnation de l’État à verser 1 220 euros au
demandeur.

« Considérant qu’il n’est pas contesté que M.C. résidait en France depuis
plus de dix ans à la date de la décision du 13 février 2001 lui refusant un
titre de séjour ; que la circonstance qu’il s’est procuré une fausse carte de
résident qu’il a utilisée pendant son séjour en France, ne suffit pas à elle
seule à établir que la présence de celui-ci sur le territoire français créait,
dans les circonstances de l’espèce, une menace pour l’ordre public ;
qu’ainsi, le préfet du Val-d’Oise, qui s’est fondé sur cette seule circons-
tance, sans prendre en compte l’ensemble des éléments caractérisant le
comportement de l’intéressé, pour refuser de lui délivrer le titre de séjour
sollicité sur le fondement des dispositions précitées du 3° de l’article 12 bis
de l’ordonnance du 2 novembre 1945, a entaché sa décision d’excès de
pouvoir ;

Considérant que, par suite, M.C. est fondé à exciper de l’illégalité de la dé-
cision susmentionnée du 13 février 2001 ; qu’il est, dès lors, fondé à soute-
nir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le conseiller délégué par
le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa de-

128
mande tendant à l’annulation de l’arrêté du 6 juin 2001 par lequel le préfet
du Val-d’Oise a ordonné sa reconduite à la frontière... »

Annulation du jugement du conseiller délégué par le président du tribunal


administratif et de l’arrêté du préfet ordonnant la reconduite à la frontière.
Condamnation de l’État à verser à M.C. la somme de 1 220 euros au titre de
l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Plein droit, jurisprudence n° 495

Droit à la vie familiale C.E. 27/06/2003 Préfet de l’Hérault


c/Mlle Ayada Outtalab

Requête au Conseil d’État du préfet de l’Hérault en annulation du jugement


du TA de Montpellier annulant son arrêté de reconduite à la frontière pro-
noncé contre une ressortissante marocaine – Erreur de droit – Rejet.

Le 13 juillet 2001, Mlle Outtalab, de nationalité marocaine, dont toute la fa-


mille réside régulièrement en France, reçoit notification de la décision par
laquelle le préfet de l’Hérault lui a refusé la délivrance d’un titre de séjour
et l’a invitée à quitter le territoire français. S’étant maintenue en France plus
d’un mois à compter de la notification, elle fait l’objet, le 11 octobre 2001,
d’un arrêté de reconduite à la frontière. Saisi d’un recours dans les délais, le
tribunal administratif, par décision du magistrat délégué par le président,
annule le 22 octobre l’arrêté du préfet ; lequel défère ce jugement au
Conseil d’État dès le 8 novembre, alors que, manifestement, le cas de Mlle
Outtalab relève de l’article 12 bis 7° de l’ordonnance du 2 novembre 1945
modifiée, qui reconnaît le plein droit à vivre en France à l’étranger qui y
possède toutes ses attaches familiales :

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la mère de Mlle Out-
talab et ses trois frères ont rejoint en France le beau-père de l’intéressée
dans le cadre du regroupement familial en 1989 ; qu’elle-même, alors âgée
de dix-neuf ans, n’a pu bénéficier de cette mesure et a dû rester au Maroc
avec sa grand-mère ; que celle-ci étant décédée en 1994, l’intéressée s’est
trouvée dépourvue de toute attache familiale dans son pays d’origine et a
alors décidé de rejoindre sa famille en situation régulière sur le territoire

129
français ; que, dans ces circonstances, la décision du PREFET DE L’HE-
RAULT du 4 juillet 2001 refusant un titre de séjour à l’intéressée a mécon-
nu les dispositions du 7° de l’article 12 bis précité ; que, par suite, l’arrêté
ordonnant la reconduite à la frontière de Mlle Outtalab, pris sur le fonde-
ment de cette décision est privé de base légale et doit être annulé ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le PREFET DE L’HE-


RAULT n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement atta-
qué, qui est suffisamment motivé, le magistrat délégué par le président du
tribunal administratif de Montpellier a annulé, en se fondant sur l’illégalité
de la décision de refus de titre de séjour du 4 juillet 2001, son arrêté du 11
octobre 2001 ordonnant la reconduite à la frontière de Mlle Outtalab ;... »

Rejet.

Référence à rappeler pour avoir copie de l’arrêt :

Plein droit, jurisprudence n° 496

Algériens C.E. en cassation 07/07/2003 Ministre de l’intérieur


c/Bendimered

Refus de délivrance d’un certificat de résidence à un Algérien conjoint de


Française – Annulation par le T.A., confirmée par la C.A.A. – Recours en
cassation devant le C.E. par le ministre de l’intérieur – Rejet du recours.

Par une décision du 27 avril 1998, le préfet des Bouches-du-Rhône refuse la


délivrance d’un certificat de résidence à M. Bendimered, ressortissant algé-
rien, au motif que l’intéressé n’est pas titulaire du visa de long séjour au-
quel les stipulations de l’article 9 de l’accord franco algérien subordonnent,
à l’époque, l’octroi dudit certificat et que l’article 8 de la convention euro-
péenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
ne s’opposait pas au refus du certificat sollicité.

« Considérant que, pour rejeter le recours formé par le MINISTRE DE


L’INTÉRIEUR contre le jugement du tribunal administratif de Marseille
annulant la décision du 27 avril 1998, la cour administrative d’appel de
Marseille a énoncé que l’état de santé de l’épouse de M. Bendimered, res-

130
sortissante française, et de la mère de celle-ci, d’une part, et les « condi-
tions générales de sécurité régnant en Algérie à la date de la décision atta-
quée », d’autre part, faisaient obstacle à ce que M. et Mme Bendimered
s’établissent en Algérie durant la période nécessaire à l’obtention du visa
de long séjour exigé pour la délivrance d’un certificat de résidence ; que,
ce faisant, la cour a procédé à une appréciation souveraine qui, en l’ab-
sence de toute dénaturation, ne peut être contestée devant le Conseil d’État
par la voie du recours en cassation ; qu’elle n’a pas donné aux faits de l’es-
pèce une qualification erronée en déduisant de l’appréciation à laquelle
elle s’est ainsi livrée que le préfet des Bouches-du-Rhône avait porté au
droit de M. Bendimered au respect de sa vie privée et familiale une atteinte
disproportionnée aux buts en vue desquels il avait refusé la délivrance du
certificat de résidence sollicité ; que, dès lors, le MINISTRE DE L’INTÉ-
RIEUR n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ».

Rejet.

Référence à rappeler pour avoir copie de l’arrêt :

Plein droit, jurisprudence n° 497

Rétention C.A. de Limoges 08/11/2003 MOUR c/préfet de


Haute-Vienne

Mise en rétention d’une Camerounaise, après interpellation policière, sur ar-


rêté du préfet de Haute-Vienne, prolongée par ordonnance du juge des liber-
tés et de la détention du TGI de Limoges – Procédure irrégulière – Annula-
tion par le premier président de la Cour d’appel.

Julienne MOUR, ressortissante camerounaise, subit un contrôle d’identité,


le 4 novembre 2003, de la part des policiers de Limoges, agissant « dans le
cadre de leurs missions de surveillance de la prostitution et de recherche du
proxénétisme ». Convoquée au commissariat le lendemain, elle s’y rend et
n’est pas en mesure de présenter un titre l’autorisant à séjourner en France.
Elle est placée en garde à vue, et le 6 novembre le préfet de la Haute-Vienne
prend contre elle un arrêté de reconduite à la frontière ainsi qu’un arrêté de
placement en rétention administrative. Le 7 novembre, le juge des libertés

131
et de la détention ordonne la prolongation de la rétention pour une durée
maximale de 5 jours. Mme MOUR relève immédiatement appel de cette dé-
cision, qui, dès le 8 novembre, est annulée par la Cour au regard des mul-
tiples irrégularités de la procédure : absence de PV d’interpellation et de
fondement de contrôle d’identité opéré au commissariat de police, notifica-
tion tardive au procureur de la République, et impossibilité de mettre en ré-
tention une mère d’enfant français.

« Attendu que le procès verbal de police versé aux débats n’indique pas
qu’une enquête de flagrance fut en cours ; qu’il est seulement mentionné
que les policiers agissaient dans le cadre de leurs “missions de sur-
veillance” ;

Qu’au demeurant, aucune infraction étrangère à la législation des étran-


gers n’a été relevée contre Mme MOUR ; que celle-ci n’a été convoquée au
commissariat le lendemain du contrôle d’identité que pour vérifier sa situa-
tion en tant qu’étrangère ; qu’ainsi, la procédure ne mentionne aucun des
cas prévus par l’article 78-2 du Code de procédure pénale permettant un
contrôle d’identité, étant par ailleurs observé que l’article 8 de l’ordon-
nance du 2 novembre 1945 ne pouvait être mis en œuvre qu’en cas de signe
objectif d’extranéité, lequel n’est pas démontré en l’espèce ; que le juge
n’est donc pas en mesure de s’assurer que l’interpellation, ainsi que les
contrôles d’identité et de situation qui ont suivi, ont été effectués régulière-
ment ;...

Attendu que, par ailleurs, il n’est pas établi que le procureur de la Répu-
blique ait été informé d’une manière quelconque du placement en rétention
administrative avant la télécopie de 16 heures 08, alors que cette mesure
avait pris effet dès 14 heures 15 ;...

Attendu qu’enfin, il résulte des articles 35 bis et 25 de l’ordonnance que


l’étranger qui exerce l’autorité parentale même partielle sur un enfant fran-
çais résidant en France ne peut être placé en rétention administrative ;... »

Le premier président infirme l’ordonnance du juge des libertés et de la dé-


tention du TGI de Limoges, dit n’y avoir lieu à prolongation de la rétention
et ordonne la libération immédiate de Mme MOUR. En outre, l’État est
condamné aux dépens et à payer à Mme MOUR 1 000 euros pour les autres

132
frais d’instance. Référence à rappeler pour avoir copie de l’ordonnance
: Plein droit, jurisprudence n° 498

Injonction à l’administration T.A. de Poitiers (juge des référés)


27/12/2003 INZOUDDINE c/préfet de la Charente

Confiscation des passeports d’un ressortissant comorien sous prétexte d’au-


thenticité douteuse – Référé-liberté – Injonction au préfet de restituer les
passeports dans un délai de 48 heures sous astreinte de 1 000 euros par jour
de retard.

« Considérant qu’il résulte de l’instruction que M. MOULLAEL INZOUD-


DINE, ressortissant comorien, est entré en France, le 5 juin 2002, muni
d’un passeport établi au nom de M. MOULLAEL Inzouddine ; que l‘intéres-
sé s’étant marié avec une citoyenne française, le 13 juillet 2002 et l’acte de
mariage mentionnant le nom de Moullael INZOUDDINE, l’administration
a demandé à M. INZOUDDINE de faire établir un passeport au nom de
Moullael INZOUDDINE, ce qui a été fait ; que saisie ultérieurement d’une
demande de délivrance de titre de séjour, la préfecture de la Charente a de-
mandé à M. MOULLAEL INZOUDDINE de faire établir un troisième pas-
seport auprès des autorités consulaires comoriennes sans pour autant resti-
tuer les deux passeports en sa possession ; que, par lettre du 15 décembre
2003 reçue le lendemain en préfecture, M. MOULLAEL INZOUDDINE a
demandé de nouveau au préfet de la Charente de lui restituer ses passeports
sous huitaine ; que l’administration n’a pas répondu à ce courrier, le repré-
sentant du préfet confirmant à l’audience du 26 décembre 2003 le rejet de
la demande de restitution ; que par requête en référé-liberté enregistrée le
23 décembre 2003, M. MOULLAEL INZOUDDINE et Mme INZOUDDINE
demandent au juge d’enjoindre sous astreinte au préfet de la Charente de
restituer les passeports de M. MOULLAEL INZOUDDINE ;

Considérant que si l’autorité administrative qui met en doute l’authenticité


des passeports produits par un ressortissant étranger à l’appui de sa de-
mande de titre de séjour peut saisir l’autorité judiciaire et lui transmettre
les pièces litigieuses que cette dernière a la possibilité de conserver contre
le gré du propriétaire, elle ne tient d’aucun texte légal ou réglementaire le
droit de retenir les pièces en question ; que le refus persistant du préfet de

133
la Charente de restituer à M. MOULLAEL INZOUDDINE ses deux passe-
ports, entaché d’une illégalité manifeste, porte une atteinte grave à la liber-
té d’aller et de venir de M. MOULLAEL INZOUDDINE, qui constitue une
liberté fondamentale au sens de l’article L 521-2 du code de justice admi-
nistrative ; qu’eu égard aux conséquences qui s’attachent pour le requérant
à ce refus et notamment à l’impossibilité de se rendre à court terme aux Co-
mores pour voir sa mère dont l’état de santé décline, la condition d’urgence
prévue par le même texte est remplie en l’espèce ».

Injonction au préfet de la Charente de restituer au requérant, dans un délai


de 48 heures à compter de la notification de l’ordonnance, les deux passe-
ports comoriens confisqués, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.

Référence à rappeler pour avoir copie de l’ordonnance :

Plein droit, jurisprudence n° 499

Reconduite à la frontière Pdt du contentieux du C.E.


29/07/2002 H… c/préfet du Rhône

APRF contre un Tunisien gravement malade, confirmé par le conseiller du


TA – Erreur de droit – Annulation du jugement du TA et de la décision pré-
fectorale – Injonction au préfet de statuer sur la régularisation du séjour
dans le délai d’un mois – Condamnation de l’État à verser au requérant une
somme de 1200 euros.

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier et notamment du certificat


du médecin spécialiste de neurologie et de psychiatrie agréé par la préfec-
ture du Rhône du 16 juillet 2001 et de l’avis du médecin inspecteur de santé
publique de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales
du Rhône du 28 septembre 2001 que M. H… est atteint d’une pathologie
psychotique qui nécessite un traitement médicamenteux auquel il ne peut
avoir accès dans son pays d’origine et dont le défaut aurait pour lui des
conséquences d’une exceptionnelle gravité ; qu’il en résulte que M. H… est
fondé à soutenir que le refus de titre de séjour qui lui a été opposé est inter-
venu en méconnaissance des dispositions précitées de l’article 12 bis de
l’ordonnance du novembre 1945 modifiée et à demander, par voie de consé-

134
quence, tant l’annulation de l’arrêté ordonnant sa reconduite à la frontière
pris sur le fondement de ce refus que celle du jugement par lequel le magis-
trat délégué par le président du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa
requête dirigée contre cet arrêté… »

Le jugement du 7 juin 2001 du magistrat délégué par le président du TA de


Lyon et l’arrêté du 21 avril 2001 du préfet du Rhône ordonnant la recon-
duite à la frontière sont annulés. Le préfet statuera sur la régularisation de la
situation de M. H… dans le délai d’un mois à compter de la notification de
la décision. L’État versera à M. H… une somme de 1 200 euros au titre de
l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Plein droit, jurisprudence n° 500

Droit à la vie familiale C.E. 21/06/2002 HAJRI c/préfet des


Alpes-Maritimes

APRF contre une Tunisienne qui s’est maintenue sur le territoire après un
refus de séjour, confirmé par le magistrat délégué du tribunal administratif
de Nice – Violation de l’article 8 de la CEDH – Annulation.

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que Mme HAJRI épouse
BEN JABRIA, qui s’est mariée en novembre 1994 avec un compatriote, M.
BEN JABRIA, est entrée en France trois ans avant la mesure de reconduite
attaquée, avec leur fille née en décembre 1996 pour y rejoindre son époux
qui est installé en France depuis 1961, est titulaire d’une carte de résident
et a un emploi stable, et que le couple a eu un second enfant, né en janvier
2000 ; que, dans ces circonstances, et alors même que l’intéressé peut bé-
néficier du regroupement familial, l’arrêté attaqué a porté à son droit au
respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue
desquels il a été pris ; qu’il a ainsi méconnu les stipulations de l’article 8
de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fonda-
mentales… »

Le jugement du magistrat délégué par le président du tribunal administratif


de Nice et l’arrêté du préfet des Alpes-Maritimes sont annulés.

135
L’intérêt particulier de cette jurisprudence est le fait qu’elle rejette l’argu-
ment administratif habituel qui consiste à renvoyer le demandeur à la procé-
dure de regroupement familial, en lui rappelant qu’il ne pourra l’engager
que si son épouse quitte le territoire et retourne au pays d’origine ; procé-
dure actuellement interminable que les nouvelles dispositions de la loi Sar-
kozy rendent encore plus aléatoire. Procédure absurde et inhumaine qui, en
l’espèce, aurait brisé la famille, en imposant à l’épouse de quitter son mari
(avec ou sans ses enfants ?) pour un temps indéterminé, sans même l’assu-
rance de pouvoir trouver un point de chute au pays d’origine.

Référence à rappeler pour avoir copie de l’arrêt :

Plein droit, jurisprudence n° 501

Reconduite à la frontière Pdt du contentieux du C.E.


20/11/2002 FERRAT c/préfet de police de Paris

APRF contre un Algérien resté en France après avoir reçu un refus de sé-
jour et une invitation à quitter le territoire, confirmé par le conseiller du TA
– Erreur manifeste d’appréciation – Annulation du jugement du TA et de la
décision préfectorale – Injonction au préfet de police de délivrer au requé-
rant une APS dans le délai d’un mois.

Considérant « qu’il ressort des pièces du dossier que M. FERRAT, entré en


France régulièrement le 8 avril 1999, vit en France auprès de son père qui
y réside depuis plus de trente ans et dont il est le soutien indispensable de-
puis que ce dernier est gravement malade ; qu’il suit de là que, compte tenu
des circonstances particulières de l’espèce, le préfet de police, en prenant
l’arrêté du 11 septembre 2001 ordonnant la reconduite à la frontière du re-
quérant, a commis une erreur manifeste dans l’appréciation des consé-
quences de la mesure sur sa situation individuelle ; Considérant qu’il ré-
sulte de ce qui précède que M. FERRAT est fondé à soutenir que c’est à tort
que par le jugement attaqué le magistrat délégué par le président du tribu-
nal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de
l’arrêté du 11 septembre 2001 ordonnant sa reconduite à la frontière... ;

136
Annulation du jugement du magistrat délégué par le président du TA de Pa-
ris et de l’arrêté du préfet de police ordonnant la reconduite à la frontière.
Injonction au préfet de police de délivrer une autorisation provisoire de sé-
jour dans le délai d’un mois à compter de la présente décision.

Plein droit, jurisprudence n° 502

Asile T.A. de Lyon 09/10/2001 DJADANE c/préfet du Rhône

Refus de séjour à une Algérienne, demandeur d’asile, au motif de son pas-


sage antérieur par la Grèce – Erreur de droit – Annulation.

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. Mohamed DJA-


DANE et son épouse Lahouaria, née SOUYAH, ressortissants algériens ma-
riés depuis 1996, sont entrés en France le 6 juin 1999 sous couvert d’un vi-
sa SCHENGEN de 30 jours délivré par les autorités grecques, accompa-
gnés d’un premier enfant né en 1997, Mme DJADANE étant enceinte d’un
second enfant qui est né le 5 août 1999 à LYON ; qu’en raison des persécu-
tions et mauvais traitements dont ils se disent victimes de la part de groupes
terroristes, il se sont présentés le 5 juillet 1999 aux guichets de la préfec-
ture pour demander l’asile politique ; qu’ils produisent une lettre en date
du 4 juillet 1999, par laquelle ils demandaient que leur cas soit traité par la
France, et non par la Grèce, par dérogation à la procédure normale prévue
par la convention d’application des accords de SCHENGEN, qui confie en
principe la responsabilité du traitement des demandes d’asile politique à la
partie contractante qui supporte la responsabilité de la première admission
; qu’à ce titre, la Grèce a donné suite à une demande française de prise en
charge de la responsabilité de la demande d’asile des époux DJADANE et
par décision du 9 septembre 1999, autorisé la réadmission des époux DJA-
DANE sur le territoire grec ; qu’en conséquence, le 7 octobre 1999, le pré-
fet du Rhône a refusé l’admission au séjour de Mme DJADANE en qualité
de demandeur d’asile politique, tout en décidant de surseoir à la réadmis-
sion de Mme DJADANE en Grèce, compte tenu de la demande d’asile terri-
torial présentée également par l’intéressée, qui, déposée le 29 juillet 1999,
n’avait pas encore fait l’objet d’une décision du ministre de l’intérieur ;

137
Considérant que, par la décision attaquée en date du 7 octobre 1999, qui
vise Mme Lahouaria DJADANE née SOUYAH, le préfet fonde son refus
d’admission au séjour sur l’article 5-2 de la convention de Dublin et l’ar-
ticle 10-1er de la loi du 25 juillet 1952, au motif que la Grèce a accepté de
prendre en charge leur demande d’asile politique ; que, néanmoins, le pré-
fet omet d’examiner la demande de dérogation à l’application de la conven-
tion de Dublin présentée par lettre du 4 juillet 1999 ; qu’il apparaît que les
motifs humanitaires, familiaux et culturels exposés par l’intéressée dans
cette lettre, pour lesquels Mme DJADANE souhaitait être admise au séjour
provisoire en France pour voir sa demande d’asile politique traitée par ce
pays, et non par la partie contractante responsable au sens de la conven-
tion, n’ont pas été examinés par le préfet avant de refuser l’admission au
séjour ; qu’ainsi, le préfet a commis une erreur de droit en omettant
d’examiner la situation personnelle de l’intéressée et les motifs de la de-
mande de dérogation qui lui était présentée ;... »

Annulation de la décision du préfet refusant l’admission provisoire de Mme


DJADANE au séjour et condamnation de l’État à verser la somme de trois
mille francs à l’avocat de Mme DJADANE au titre de l’article L 761-1 du
code de justice administrative.

Plein droit, jurisprudence n° 503

138

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