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De même que la France, malgré des promesses datant de plus de vingt ans,
a exclu les immigrés de toute participation à la vie politique, de même l’Eu-
rope les a-t-elle délibérément tenus à l’écart des avancées qui, pour ceux qui
ont la nationalité d’un des États membres, ont jalonné sa construction. On
pourrait même dire qu’à chaque étape, ces avancées ont creusé le fossé
entre les premiers et les seconds. Ainsi, l’Acte unique, qui a révisé le traité
de Rome en 1986, en prévoyant la libre circulation des « personnes » – au
lieu des travailleurs jusqu’alors seuls pris en considération – sous-entendait-
il que n’étaient pas vraiment des « personnes » les résidents étrangers, obli-
gés de montrer patte blanche et papiers à chaque passage de frontière. Ain-
si, le traité de Maastricht de 1992, en instaurant la citoyenneté européenne
réservée aux nationaux des pays membres de l’Union, a-t-il souligné par
l’absurde la discrimination institutionnalisée, à l’échelon d’une commune,
entre le Marocain ou le Sénégalais insérés depuis quinze ans dans le tissu
associatif sans pouvoir voter, et l’Allemand ou le Grec qui, à peine installés,
ont accès aux urnes. Ainsi encore, la Charte des droits fondamentaux, adop-
tée en 2000 à Nice, en énonçant que « l’Union place la personne au cœur
de son action en instituant la citoyenneté européenne », est-elle venue rap-
peler, en creux, que la place des non citoyens est à sa périphérie… Certes,
quelques mois après l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam en 1999, les
chefs d’État et de gouvernement des Quinze se sont prononcés en faveur
d’« un traitement équitable pour les ressortissants de pays tiers » fondé sur
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la libre circulation et l’intégration de ceux qui résident légalement dans
l’Union. Mais aucun effort concret n’est venu donner de contenu à ce vœu
pieux, bien au contraire.
Car alors qu’une avalanche de mesures ont été prises par l’Union pour lutter
contre l’immigration clandestine (fichier Eurodac, corps de garde frontières
européens, sanctions pour les transporteurs, accords de réadmission…), qui
ont en général pour principal effet d’entraver l’accès aux pays européens
des réfugiés en quête de protection, presque rien n’a été fait dans le do-
maine de l’intégration des résidents étrangers. A ce jour, le seul texte adopté
est une directive relative au regroupement familial des étrangers, censée ga-
rantir l’exercice de ce droit qualifié par la Commission européenne de
« moyen d’intégration incontournable ». Mais, après trois ans de négocia-
tions entre les Quinze, le résultat, patchwork de compromis et d’égoïsmes
nationaux, est aux antipodes de l’objectif initial : en multipliant conditions
et obstacles à la venue des familles, la directive concourra probablement…
à encourager l’immigration illégale de celles et ceux qui ne pourront légale-
ment rejoindre leurs proches. Au point que le Parlement européen envi-
sage – ce serait une première – d’en demander l’annulation devant la Cour
de Justice de Luxembourg pour violation de plusieurs droits fondamentaux.
Dans les exemples illustrant le « bricolage institutionnel » qui, selon lui, ca-
ractérise le projet de Constitution dont il est un des opposants, Jean-Pierre
Chevènement (Libération, 22 octobre 2003) oublie de citer – est-ce un ha-
sard ? – le mode d’élaboration des lois de l’Union sur l’asile et l’immigra-
tion. Le traité d’Amsterdam, supposé, en transférant ces matières dans le
« pilier » communautaire, faciliter la définition d’une politique concertée
sur la base de normes contraignantes, avait, par une série de dérogations,
pérennisé le statut d’exception traditionnellement assigné aux étrangers,
instaurant ainsi une communautarisation « au rabais ».
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la fixation, par les États membres, de quotas d’immigration, alors que, dans
une toute récente communication (juin 2003), la Commission européenne
estimait « illusoire de croire que l’on pourra (it) pronostiquer avec préci-
sion les futurs besoins du marché de l’emploi par secteur et par profes-
sion ».
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bon pour la défense et l’intérieur » (Le Monde, 11 octobre 2003). Quant à
ceux qui, à l’instar de J-P. Chevènement, contestent le projet constitutionnel
dans son ensemble, ils sont en général favorables aux systèmes de coopéra-
tion renforcée qui associent de façon privilégiée deux ou trois États
membres.
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Sangatte, un symbole d'impuissance — Violaine
Carrère
De septembre 1999 à novembre 2002 : trois ans. Telle aura été la durée de
l’existence du camp de Sangatte. Une vie qui, pour avoir été brève, est loin
d’être passée inaperçue. L’histoire du camp de Sangatte laisse après sa fin
des traces multiples, au premier chef bien sûr pour les quelque 63 000 per-
sonnes qui y ont séjourné, mais pour bien d’autres également.
Ce statut d’emblème est bien entendu lié au caractère inédit du camp : ja-
mais encore on n’avait ouvert pour une durée aussi longue (le « provisoire »
du début ayant d’emblée, de toute évidence, toutes les raisons de durer…)
un lieu, de cette taille qui plus est, pour recevoir des personnes n’ayant, au
regard de la réglementation en vigueur, aucun droit à séjourner sur le sol na-
tional. Il ne s’agissait, en effet, ni de réfugiés en titre, ni de demandeurs
d’asile (on reviendra plus loin sur ce point), et aucun n’était titulaire d’une
carte de séjour. Le strict respect du droit aurait voulu qu’on procède à leur
refoulement du territoire, en les renvoyant, soit dans leur pays d’origine,
soit, en application des accords de Dublin, dans le pays de l’espace Schen-
gen qu’ils avaient – nécessairement – traversé avant de pénétrer en France.
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vembre 2002, qu’elle en a notifiés indifféremment des appartenances natio-
nales, et donc même à des exilés qui avaient été admis dans le camp ou au-
raient pu y être admis. Plus encore, les forces de police signalaient à des
exilés l’existence du camp, et en ont même régulièrement conduits ou re-
conduits au camp, lorsqu’ils les trouvaient errant dans Calais ou dans les
installations portuaires. Il est également arrivé, même loin de la région, que
des policiers conseillent à des exilés d’aller à Calais. Cela se produit tou-
jours, d’ailleurs… Avec cette différence que les policiers de Calais s’ef-
forcent aujourd’hui de chasser de la région ceux que leurs collègues de
Lyon ou Paris leur ont ainsi envoyés !
Sangatte a révélé une réalité qui peut d’ordinaire rester parfaitement insoup-
çonnée, une réalité qui, depuis la fermeture du camp, est largement retom-
bée dans l’indifférence, beaucoup préférant croire que la fin de Sangatte a
signifié la fin de ce qui l’avait fait naître.
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Face à une question finalement angoissante, il fallait des réponses faciles.
Elles ont été fournies en abondance, aussi bien par le gouvernement – de
gauche – qui avait créé Sangatte que par celui – de droite – qui a ordonné sa
fermeture, mais également par une foule d’acteurs, plus ou moins impliqués
dans l’affaire, et par de simples observateurs, visiblement prompts à s’em-
parer de clefs qui avaient tous les attraits d’évidences simples. Ces explica-
tions, pourtant, n’ont rien d’innocent. Elles sont venues à point nommé cor-
roborer des postulats qu’une Europe frileuse tient à ériger en dogmes.
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Le camp lui-même a d’ailleurs largement été décrit surtout à mesure que
l’on a approché de sa fin, comme générant des « flux » qui, sans lui, n’au-
raient pas existé.
Tout reposait sur l’idée que, dès leur départ, les migrants arrivant à Calais
avaient eu pour destination l’Angleterre. Rien, ni les témoignages contredi-
sant cette thèse, ni les travaux de chercheurs, n’ont pu entamer véritable-
ment l’adhésion à cette idée. Smaïn Laacher écrit dans son rapport d’en-
quête auprès de « réfugiés » de Sangatte : « seulement 30 personnes
(sur 284) avaient entendu parler de Sangatte dans le pays d’origine. Par
ailleurs, ce ne sont pas les moyens d’informations « traditionnels » (radio,
télé, journaux) qui sont la première source indiquant l’existence (ou non)
du Centre d’accueil de la Croix-Rouge. Loin de là. La première source de
connaissance de l’existence du centre de Sangatte reste « le bouche à
oreille » et pas à n’importe quel moment ni dans n’importe quelles circons-
tances : 96 personnes avaient entendu parler de Sangatte au cours du
voyage ; mais surtout, et c’est le chiffre le plus intéressant, 149 personnes
(soit plus de la moitié des interviewés) avaient entendu parler de Sangatte
pour la première fois en... France. (…) C’est au cours du voyage que l’on
découvre l’existence de Sangatte ». S. Laacher propose une interprétation :
« Il y a une expression qui très souvent revient dans la bouche de quasiment
toutes les personnes que nous avons rencontrées : aller jusqu’au bout. (…)
Le chemin généralement parcouru est le suivant : Afghanistan-Irak (pour
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les nationalités les plus importantes), Turquie, Grèce, Italie, France, Angle-
terre. Au-dessus de la Turquie, il y a la Grèce, au-dessus de la Grèce il y a
l’Italie, au-dessus de l’Italie, il y a la France, au-dessus de la France, il y a
l’Angleterre, et au-dessus de l’Angleterre, il y a rien. Plus exactement, il n’y
a plus rien. Comme par hasard, dans chaque pays traversé et jusqu’à la
France, terre de transit, l’accueil est à peu près le même : le refus violent
ou « poli » de leur présence. (…) Nous sommes loin, dans cette perspective,
de tous les discours à la fois un peu mous et très naïfs sur la recherche de
l’Eldorado. Aller jusqu’au bout, c’est tout simplement ne pas rester au bord
(du chemin, de la route, de la société qui nous soupçonne de mauvaises in-
tentions, de l’Etat qui refuse sa reconnaissance, etc.) ». [1]
Le camp de Sangatte apparaît là sous un tout autre jour que celui qui en a
été largement proposé. Les « réfugiés » du camp sont avant tout des per-
sonnes qui… cherchent refuge. Si un meilleur accueil (un toit, le droit de
travailler) leur avait été réservé ailleurs sur leur route, tout laisse à penser
qu’elles se seraient « posées » là.
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comme les sorties ont été contrôlées. Une société de gardiennage s’est ins-
tallée dans l’enceinte du camp. Nulle justification légale à ces entraves à la
liberté, aucune notification d’un arrêté quelconque : de toutes façons, le
camp, pas plus que les personnes hébergées, n’a jamais eu de statut juri-
dique.
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ou potentiellement de vrais réfugiés, ou des migrants ne sollicitant pas une
protection, mais du travail…
Le seul document d’information qui ait été mis – et encore le fut-il tar-
divement – à la disposition des exilés de Sangatte s’intitule, dans sa ver-
sion anglaise « Dignity or exploitation : the Choise is in your hands ». Il
existait aussi en albanais, en arabe et en russe.
Ce petit livret de huit pages illustrées, publié en juillet 2001 avec les lo-
gos de l’Office des migrations internationale (OMI) et de l’Organisa-
tion internationale des migrations (OIM), ne dit pas un mot du droit re-
latif à l’asile. Il vise à convaincre les « réfugiés » de retourner chez eux.
Dans cet objectif, le document se contente de montrer que la France et
le Royaume-Uni ne sont pas des pays où les droits de l’homme sont res-
pectés.
On y apprend que « gagner illégalement le Royaume-Uni est difficile et
dangereux », qu’en Angleterre, la vie est dure (beaucoup d’interpella-
tions d’irréguliers, un regroupement familial aléatoire, le risque d’être
surexploité par des employeurs sans scrupule...). Sur la France, juste
une image de « réfugiés » dormant sur des lits de camp à Sangatte, ac-
compagnée de ce commentaire : « Vous êtes résident au centre de San-
gatte qui est géré par la Croix-Rouge française. Ce centre a été créé par le
gouvernement français dans le but de fournir une assistance humanitaire
de courte durée aux migrants en situation irrégulière comme vous. Cette
situation n’est et ne peut être que temporaire et précaire ».
Jean-Pierre Alaux
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Certes, dans leur majorité les résidents de Sangatte sont arrivés en France
grâce aux services de passeurs. Certes, quasiment tous ceux qui sont passés
outre-Manche, et ceux qui y parviennent aujourd’hui encore – car des pas-
sages ont bien lieu, régulièrement – ne peuvent réussir qu’avec l’aide d’un
passeur.
Mettre l’accent sur le rôle des passeurs est ainsi fort commode pour empê-
cher de voir que Sangatte s’est créé à partir d’une situation dont les passeurs
ne sont pas responsables, même s’ils la mettent à profit : celle d’un goulet
d’étranglement, une nasse. Les premiers migrants qui ont voulu franchir la
Manche à partir de Calais sont apparus au début des années quatre-vingt
dix. Pendant dix ans, leur nombre et leurs nationalités ont varié en fonction
des crises et des violences dans le monde. Les pouvoirs publics n’ont rien
fait, tant que le phénomène est resté invisible – les gens passaient, en
quelques jours – et si des dizaines de personnes se sont mises à errer dans
Calais, ce « désordre » aboutissant à la création du camp de Sangatte, c’est
bien parce que continuer sa route vers l’Angleterre était devenu, à la fin de
la décennie, très hasardeux.
Le thème des passeurs a été l’un des grands thèmes de N. Sarkozy à propos
de Sangatte : le ministre a beaucoup parlé des instructions données aux
forces de l’ordre pour « démanteler les filières mafieuses » dans le camp et
ses alentours, et du succès de ces opérations. Après la fermeture du camp, le
ton a été donné : ceux qui sympathisaient avec les exilés, qui les aidaient,
ont été accusés de « faire le jeu des passeurs ». Aujourd’hui, alors que
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d’évidence des passeurs continuent d’opérer dans la région, et bien sûr très
en amont, le silence est fait sur eux.
Si un camp, conçu au départ avec une fonction de mise à l’écart plus qu’une
véritable fonction humanitaire, a été fermé, un processus qu’on peut tout
autant appeler « camp » reste bien vivace, au travers de l’enfermement dans
la clandestinité, des entraves à la liberté de circulation, et dans la tentative,
pour l’instant assez réussie, de déni. Déni de l’existence de quelques cen-
taines de personnes qui ont fui des pays en guerre, ou plongés pour long-
temps dans le chaos. Déni de l’évidence : on ne peut à la fois proclamer le
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respect du droit d’asile et délaisser, ou réprimer, ceux qui sont en quête de
refuge. ?
Notes
[1]
Smaïn Laacher, Après Sangatte... nouvelles immigrations, nouveaux
enjeux, La Dispute, 2002.
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Des camps en France (1944-1963) — Marc Ber-
nardot
Plusieurs historiens ont montré les fréquentes utilisations du camp en
France durant la première moitié du XXesiècle pour mettre à l’écart des
« indésirables » ou des « bouches inutiles ». Un camp est un regroupement
imposé et arbitraire de civils en dehors du système pénitentiaire pour une
durée indéterminée, visant à les enfermer, les rééduquer ou les faire tra-
vailler ; il est pratiqué sur un site ad hoc ou existant, le plus souvent en de-
hors des villes, à des fins militaires, policières, économiques et sociales.
Après la guerre, les camps ne disparaissent pas. Entre les centres de séjour
surveillé (CSS) de 1944 et les centres d’assignation à résidence surveillée
(CARS) de 1957, gérés par le ministère de l’intérieur, le modèle de l’inter-
nement politique semble même arriver à son apogée. S’il a semblé dispa-
raître pendant un temps, cet espace singulier n’appartient pas au passé. Des
modes de gestion et de regroupement forcés de populations, notamment
étrangères, les zones d’attente et les centres de rétention, d’accueil ou d’hé-
bergement, existent en France et en Europe. Le camp, d’accueil ou de réten-
tion, semble être ainsi redevenu une solution routinière de traitement de si-
tuations d’urgence ou présentées comme telles. Cette persistance conduit à
s’interroger sur la généalogie des techniques de l’internement.
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Historiquement, les camps ne sont pas des lieux prévus à cet effet ; ils sont
envisagés comme des lieux provisoires qui ne justifient pas la construction
de bâtiments spécifiques autres que des baraquements temporaires. Les sites
les plus souvent utilisés sont les casernes, les châteaux, les terrains indus-
triels laissés en friche ou encore les bâtiments ayant des fonctions d’accueil
collectif (hôtels, établissements éducatifs et sanitaires).
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multanément. Il s’agit d’individus suspectés de collaboration avec l’ennemi
et non des victimes innocentes comme dans les camps de Vichy.
La réalité est en fait plus complexe : ces centres accueillent des populations
très hétérogènes, parmi lesquelles on compte un fort contingent d’étrangers,
considérés comme des « civils ennemis ». Par leur diversité de statut, de
motif et de durée d’internement, ces populations constituent une mosaïque
modifiée au gré des libérations et des internements (collaborateurs, mili-
ciens, délinquants économiques, civils allemands et étrangers « indési-
rables », nomades). Il s’agit d’interner rapidement, et sans le concours d’un
juge, des individus estimés dangereux pour la défense nationale ou la sécu-
rité publique. Les internés administratifs sont dirigés vers des centres spé-
cialisés, dont la plupart ont déjà servi de camp dans les années précédentes.
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guerre d’indépendance en Algérie. La politique de lutte contre la rébellion
algérienne en métropole est véritablement mise en place à partir
de 1957 lorsque les services de police se plaignent du décalage entre les
moyens de répression dont ils peuvent user et ceux dont disposent les auto-
rités en Algérie.
Les camps sont installés par le ministère de l’intérieur dans des sites mili-
taires à Larzac (Aveyron), Vadenay (Marne), Thol (Ain), Saint-Maurice
l’Ardoise (Gard) et Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) qui forment un dispo-
sitif qui concernera près de 14 000 Algériens au total. Des prisons centrales
(Tulle, Lyon, Marseille, Remiremont, Annecy, Rion) et un centre d’identifi-
cation (Vincennes) complètent le système répressif qui se traduit par plus de
44 000 arrestations. Contrairement aux périodes précédentes, ces camps
sont créés en petit nombre et sont exclusivement installés dans des sites mi-
litaires. Le plus important est le camp de Larzac dans l’Aveyron, à la fois
par sa taille (plus de 3000 hectares, près de 4 000 assignés et plusieurs cen-
taines de membres du personnel, garde comprise) et par sa place dans l’or-
ganisation centrale de l’internement au plan national.
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Les fortes rivalités entre services de police, CRS et armée, compliquent la
gestion. Les contraintes pour faire vivre des milliers de militants politiques
dans un espace réduit et peu adapté sont considérables. Il est en effet indis-
pensable de veiller à l’alimentation et à la santé des assignés. Une épidémie
de grippe à Larzac durant l’hiver 1959- 1960 touche plus de 600 internés
mais aussi plus de 30 % du personnel. L’antenne sanitaire qui y est implan-
tée assure environ 40 000 consultations par an. Il faut surveiller le camp et
ses abords, et cela mobilise plusieurs compagnies de CRS. Il est surtout in-
dispensable d’éviter la reconstitution trop rapide d’une organisation FLN au
sein de la population du camp.
Car, à l’instar des camps de miliciens espagnols des années 1939- 1940, ces
espaces d’assignation visent des militants politiques en lutte ouverte contre
l’administration. Les assignés refusent de se plier à la discipline militaire et
multiplient les actions de contestation, les refus de soin, les grèves de la
faim, les revendications politiques et les plaintes contre les gardes, etc. Pour
faire face à cette mobilisation permanente et structurée des assignés, les au-
torités mènent une guerre psychologique et matérielle intense, fouilles sys-
tématiques, interrogatoires poussés par les antennes des renseignements gé-
néraux, « retournement » des internés, cloisonnements stricts du camp entre
différentes factions, transfèrements d’assignés vers d’autres camps ou vers
l’Algérie. A la différence d’autres camps, ceux de la période algérienne
constituent une réponse politique et stratégique à une guerre. Ils servent
concrètement à mettre hors d’état de nuire des « rebelles » traités comme
des criminels de droit commun.
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Autre particularité significative due à la force collective que représentent
les assignés, l’administration du camp se voit contrainte, faute de moyens
en personnel suffisant, de « déléguer » une part considérable de la gestion
quotidienne du camp à l’organisation FLN des centres. C’est le cas pour la
« cantine » et pour le courrier comme traditionnellement dans les camps de
militants politiques. Mais, et c’est plus surprenant, cette « orga » parallèle
se voit confier officieusement une part de la discipline et de la justice in-
ternes assurées par un corps de près de 200 « vigilants » issus des rangs des
internés chapeautés par un « tribunal suprême ».
A partir de 1961, des militants OAS prennent la place des militants FLN
dans ces mêmes camps et cela jusqu’en 1963. La discipline est légèrement
adoucie. Enfin, ces camps perdront leur caractère strictement disciplinaire
pour accueillir des « réfugiés » en particulier des Harkis. Une partie du per-
sonnel de gestion sociale des CARS sera par ailleurs embauchée par des
opérateurs de logement social spécialisés dans l’accueil des migrants.
Dès l’été 1945, les pouvoirs publics utilisent des formes de camps de transit
pour gérer certains mouvements de populations. Il ne s’agit plus seulement
de faire face, dans l’urgence, à un problème d’ordre public mais bien aussi
d’un moyen efficace et reconnu de planifier et d’organiser le contrôle des
flux de populations « à risque ». C’est le cas avec le rapatriement des réfu-
giés civils nord-africains depuis la métropole, « sujets sensibles » après les
révoltes du mois de mai en Algérie.
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portés « apatrides » qui veulent gagner Israël puis de juifs d’Afrique du
Nord quittant le Maroc et la Tunisie pour se rendre aussi en Israël. Si le
camp est officiellement placé sous la responsabilité du commissaire princi-
pal du secteur portuaire, les réfugiés sont concrètement « accueillis par
l’Agence juive en attendant leur départ pour Israël ».
Dans le même ordre d’idée, on peut évoquer les camps de nomades ouverts
en 1940 par la IIIe République, et dans certains desquels restent encore des
familles en décembre 1945 (Jargeau dans le Loiret notamment). En effet, ni
la loi de 1912 ni les décrets de novembre 1939 et d’avril 1940 interdisant la
circulation des nomades ne sont abrogés après la guerre (ce dernier le sera
en mai 1946). Et, les préfets restant très méfiants à leur encontre, des no-
mades continuent d’être arrêtés. Ces différents centres ont en commun les
conditions de vie misérables et la dépendance presque totale envers les au-
torités gestionnaires, qu’elles soient publiques ou associatives, en raison de
la coupure instaurée avec le monde extérieur.
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des rapatriés d’Algérie (CARA) pour les Harkis et leur famille de 1962. Le
cas de ces 42 500 Harkis est significatif. Les lieux choisis pour installer ces
familles algériennes et françaises à la fois reflètent bien le sentiment de ma-
laise qu’elles provoquent. Le Larzac, vide des militants internés, accueille
plus de 12 000 d’entre eux dans des tentes.
22
qu’il faut éloigner. L’épisode de l’accueil, dans le camp militaire de Fréjus,
des Kurdes de l’East Sea [5], mais aussi les solutions de logement d’ur-
gence dans des CHRS et les foyers de travailleurs migrants pour les réfu-
giés Kosovars montrent que les circonstances exceptionnelles peuvent re-
mettre en cause cette institutionnalisation.
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gnement » objective une figure moderne de l’Etranger, celle du migrant du
Sud, du réfugié économique non désiré et du déviant. ?
Notes
[1]
Cette politique est basée sur un arrêté de mars 1944 largement inspiré
des textes qui régissaient préalablement l’internement administratif.
[2]
Alain Jeantet, « Les foyers en question », in Le logement des immigrés
en France, G. ABOU-SADA et J.-P. TRICART (dir.), Lille, Ominor,
1982, pp. 179 à 204.
[3]
Benjamin Stora, « La politique des camps d’internements », in L’Algé-
rie des Français, prés. par C.-R. AGERON, Paris, Seuil, 1993,
pp. 295 à 299.
[4]
Emile Temime et Nathalie Deguine, Le camp du Grand Arénas, Mar-
seille, 1944-1966, Paris, Autrement, 2001.
[5]
Dans la nuit du 17 au 18 février 2001, un cargo transportant plus
de 9000 Kurdes fuyant leur province s’est échoué à Saint-Raphaël
(Var). Les réfugiés ont été hébergés dans une caserne désaffectée de
Fréjus.
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L'Europe des camps — Claire Rodier, Emmanuel
Blanchard
Dès son premier rapport de mission à Sangatte en 2000, le Gisti a utilisé le
terme de « camp » pour désigner ce « non lieu pour des gens de non droit »,
selon la formule du directeur, Michel Derr. Le mot a choqué la Croix-Rouge
française, qui s’en était vu confier la gestion, ainsi que les pouvoirs publics.
Les deux ont préféré parler de « centre ». Pourquoi, à la neutralité du centre,
opposer le camp lourd de son cortège de symboles ? Parce que Sangatte,
quoique atypique, a été le révélateur d’un phénomène qui, depuis quelques
années, tend à se répandre à l’échelle de l’Europe : la mise à l’écart d’étran-
gers, par leur regroupement, qu’il soit forcé, induit ou même volontaire.
Parce qu’en se généralisant, ces regroupements perdent leur statut de ré-
ponse exceptionnelle à une situation exceptionnelle (ainsi a-t-il pu en être
dans le sud de l’Italie à la fin des années quatre-vingt, lorsqu’il fallait im-
proviser des solutions de fortune pour faire face aux premiers débarque-
ments massifs de boat people albanais) mais se transforment en instru-
ments, à part entière, d’une gestion – sinon d’une politique – de l’immigra-
tion et de l’asile par les Etats d’arrivée. Parce qu’en s’inscrivant, à ce titre,
dans une logique dont la légitimité n’est pas démontrée de « maîtrise des
flux » – autrement dit de contrôle du déplacement des indésirables – ces re-
groupements menacent la démocratie, comme à chaque fois que l’excep-
tionnel devient la règle [1].
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et de rédaction des patronymes, trop grand nombre de maintenus…) ne sont
plus désignés par leurs noms mais par des numéros, voire par des mar-
quages sur la peau [2], ou lorsqu’ils ne sont identifiés qu’en fonction d’un
groupe d’appartenance, (la nationalité, la langue, la classe d’âge…) ; les
violences physiques, entre les gestionnaires/gardiens/policiers [3] et les dé-
tenus, ou entre les détenus eux-mêmes ; les violences morales, avec des bri-
mades ou des humiliations – par exemple les appels individuels ou collec-
tifs lancés par haut-parleur, de jour comme de nuit, la privation de nourri-
ture, la confiscation de biens personnels indispensables, la promiscuité im-
posée entre hommes et femmes, les injures racistes…
Mais s’en tenir à cette définition du camp aurait pour effet d’occulter une
large part de la réalité. Sur la base des critères qu’on a recensés, la diversité
des dispositifs administratifs et des contraintes technico-humanitaires visant
à regrouper des migrants invite, en écartant les discours humanitaires eu-
phémisants et en choisissant d’accorder toute leur importance aux objectifs
de l’UE en matière de politique migratoire et de contrôle des frontières, à
dépasser la seule référence à l’enfermement et à considérer comme des
camps [4] l’ensemble des lieux de mise à distance des étrangers.
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bergement dont la vocation apparente – apporter une assistance et un toit –
masque mal le fait que leurs occupants, migrants et demandeurs d’asile, ne
disposent en général d’autre choix que de s’y retrouver. N’est-ce pas le cas
lorsque, s’inspirant des modèles allemands et belges, le gouvernement fran-
çais songe à subordonner le versement d’une allocation de survie aux de-
mandeurs d’asile et l’instruction de leur requête à la condition qu’ils ac-
ceptent d’être placés dans des centres d’accueil non choisis ?
Le raisonnement qui guide notre analyse des facteurs d’émergence des lieux
où l’Europe isole certains étrangers invite, à la lumière de la période « post-
Sangatte », à une acception encore plus large de la notion de camp. L’er-
rance des exilés chassés du Pas-de-Calais et dispersés pour éviter la création
de nouveaux abcès de fixation [5] ne symbolise-t-elle pas le caractère multi-
forme que peut prendre le concept de mise à l’écart des étrangers par les so-
ciétés européennes, sans qu’il soit besoin de barreaux ni de murs pour entra-
ver leur circulation et leur légitime recherche d’une terre d’accueil ? Ne
peut-on assimiler à une informelle « assignation à résidence » l’obligation,
pour des étrangers, de n’être pas à un endroit où ils sont considérés comme
gênants ?
Quels que soient leurs contours physiques, les camps d’étrangers sont le
dernier chaînon en date d’une tradition séculaire de mise à l’écart des indé-
sirables, figure qui, depuis plus d’un siècle, a souvent pris les traits de l’exi-
lé. Mais ce ne sont pas seulement des hommes ou les pratiques contestables
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des autorités que sont destinés à cacher les camps. Ce que révèlent les bar-
belés, réels ou virtuels, c’est l’échec de plusieurs décennies de politique eu-
ropéenne de contrôle des frontières qui, sans qu’aient jamais été remis en
cause les présupposés sur lesquels elle est fondée, est lancée dans une
course folle vers une répression toujours plus forte.
Les camps sont un des dispositifs destinés à masquer l’impensé de cette po-
litique, qui s’appuie sur des raisonnements non seulement liberticides mais
erronés. Le refus d’admettre la liberté de circuler comme un droit fonda-
mental et de reconnaître que, dans un monde inégalitaire et déchiré par les
conflits, les motivations au départ seront toujours supérieures aux freins à
l’arrivée, conduit l’ensemble des pays d’Europe dans une impasse dont les
camps sont la paradoxale issue.
Car, alors que le respect des règles démocratiques et des droits fondamen-
taux des individus continue de sceller officiellement le pacte politique de
ces sociétés, la politique de l’« Europe forteresse » conduit à les bafouer
quotidiennement. Les camps permettent de résoudre cette contradiction et
de développer des pratiques liberticides, voire extralégales, loin du regard
d’une opinion publique démocratique censée ne pas pouvoir les admettre
mais disposée à détourner le regard.
Les camps révèlent encore une autre aporie : ces lieux de relégation contrô-
lée traduisent la dialectique entre la nécessité de cacher et la volonté de
communiquer. Bien que l’impuissance des Etats à atteindre leurs objectifs
de régulation des flux migratoires soit patente, ils s’emploient à la déguiser
et à donner l’apparence d’une action, en réalité moins efficace qu’ostenta-
toire. Les camps participent de cette logique de spectacularisation du poli-
tique et, sur les questions migratoires, ils sont même en train d’en devenir
un élément fondamental. La pierre angulaire du dispositif étant le refoule-
ment des étrangers non admis au séjour [6], les camps, parce qu’ils sont
censés être le préalable à l’expulsion, peuvent donner l’illusion que les pou-
voirs publics atteignent leurs objectifs.
28
Le centre de rétention d'Abschiebehaft (Allemagne) était une
prison du temps de la RDA... ... La durée de détention peut y
atteindre 15 mois.
Les camps sont surtout un support de communication idéal pour les gouver-
nements, dans le sens où l’opacité et l’absence de regard extérieur sur les
réalités internes de ces lieux de mise à l’écart leur permet de construire un
discours non soumis aux aléas de la contradiction. Interdire l’entrée des
camps aux militants et aux associations constitue même une des activités
principales de ceux qui en assurent la gestion tout en s’employant à travestir
la réalité. Alors que les fonctions manifestes de certains camps (les centres
de rétention ont ainsi pour objectif officiel de rendre en pratique possibles
les décisions judiciaires et administratives d’expulsion) sont parfois loin de
donner satisfaction [7], les fondements de ces dispositifs ne sont jamais re-
mis en cause. Il apparaît ainsi que les fonctions latentes du camp (objet
communicationnel pour gouvernement dépourvu de pensée et d’action poli-
tique) sont bien plus importantes que leur fonction officielle.
La comparaison avec le sas (c’est par exemple ainsi qu’on peut définir les
zones d’attente françaises, ou encore Ceuta et Melilla, ces enclaves espa-
gnoles au Maroc ou viennent s’embouteiller des migrants maghrébins et
sub-sahariens) permet de relativement bien cerner la fonction de ces camps.
Ce sont des lieux d’organisation du passage entre deux pays, un temps de
latence où vont être remodelés les désirs, les attentes, les dispositions des
29
candidats au séjour. Il s’agit aussi d’un moment privilégié de socialisation
aux pratiques policières et administratives autour desquelles devra s’organi-
ser la vie des migrants.
Le fait qu’il est impossible de prouver que les zones d’attente découragent
les supposés « faux demandeurs d’asile », ou que les centres de rétention
n’améliorent pas sensiblement l’effectivité des décisions de reconduite à la
frontière, ne doit pas conduire à conclure que ces dispositifs sont inutiles.
Ils remplissent une fonction latente non négligeable : celle de préparer leurs
occupants à la vie de clandestin. Pour la plupart des individus retenus, le
camp est ainsi le lieu de passage d’une existence administrative reconnue,
une « existence de papier » à une existence de « sans-papiers ».
L’existence avérée d’une Europe des camps et le déni des droits fondamen-
taux des étrangers ne doit pas conduire à penser que l’histoire se répète, non
plus qu’à surestimer la puissance des pouvoirs administratifs et politiques à
l’origine de cette entreprise protéiforme d’enfermement. Plus que de la ré-
30
surgence d’un pouvoir politique autoritaire, les camps sont le symptôme de
l’impuissance des Etats à réguler les flux migratoires et de leur soumission
à la logique de la politique spectacle et communicationnelle. En ce sens, la
dénonciation de l’Europe des camps est un combat qu’il faut mener non
seulement sur le terrain de la défense des droits mais aussi sur le terrain du
discours, avec ses images et son vocabulaire.
Notes
[1]
Giorgio Agamben, L’Etat d’exception, Paris, Seuil, 2003.
[2]
Au début des années 90, la police de l’air et des frontières avait « ta-
toué » à l’encre indélébile un groupe de Chinois maintenus à la zone
d’attente de Roissy-Charles de Gaulle, alléguant que ces étrangers
cherchaient à échapper aux poursuites en échangeant volontairement
leurs identités.
[3]
ANAFE, violences policières en zones d’attente, mars 2003 :
http://www.anafe.org/download/ rapports/violences.pdf.
[4]
La définition du camp qu’on trouve dans Le petit Robert ne fait
d’ailleurs pas référence à l’enfermement : « Zone d’habitations som-
maires édifiées pour une population qui fait l’objet d’une ségréga-
tion ».
31
[5]
Voir dans ce numéro, l’article p. 33.
[6]
C’est notamment une affirmation récurrente de Nicolas Sarkozy pour
qui la crédibilité d’une politique d’immigration se joue avant tout sur
la possibilité de refouler les non-admis. Au niveau européen, cet impé-
ratif d’augmentation des reconduites à la frontière est aussi une obses-
sion (cf. négociations d’accords de réadmission avec les pays tiers,
proposition de décision sur les charters...).
[7]
Les taux effectifs de reconduite sont faibles (moins de 20 % selon le
ministère de l’intérieur) et n’augmentent pas avec l’allongement de la
durée de rétention. L’immense majorité des expulsions a en effet lieu
pendant les six premiers jours de rétention (Source : CIMADE, http://
www.cimade.org/dossiers/document-projetloi/ doc35bis.pdf).
[8]
Michel Agier, Aux bords du monde, les réfugiés, Flammarion, 2002.
[9]
Suite au scandale causé par la dénonciation des abus sexuels commis
par des salariés d’associations humanitaires dans les camps de réfugiés
de Tanzanie notamment, le HCR dans ses nouveaux Principes direc-
teurs pour la prévention et l’intervention, présenté ce 19 septembre,
accorde ainsi une grande place à la prévention de la violence sexuelle
contre les réfugiés.
[10]
Même si, en décembre 2002 et janvier 2003, deux étrangers sont morts
à Roissy au cours de tentatives d’expulsions forcées (http://
www.anafe.org/doc/communiques/com-7.html), qu’en Italie le ministre
Bossi n’a pas hésité à affirmer qu’il fallait faire couler les bateaux
transportant des candidats à l’immigration illégale (v. notamment ,
« L’application de la loi Bossi au canon », l’Humanité, 17 juin 2003),
et que le réseau UNITED évalue à quatre mille le nombre de personnes
ayant trouvé la mort depuis dix ans en essayant de traverser les fron-
tières menant vers l’Europe.
[11]
Depuis le 6 octobre 2003.
32
L'internement républicain — Nicolas Fisher
Qu’est-ce qu’un camp ? La question se trouve posée avec insistance depuis
quelques années, à la faveur d’un regain d’intérêt des sciences sociales pour
la question de l’internement. L’analyse se heurte alors nécessairement à
l’extraordinaire diversité du phénomène : entre Sangatte, Gurs ou Woome-
ra, il peut sembler impossible, ou choquant, de prétendre élaborer un rap-
prochement. Sans réellement les définir, on a cependant isolé les « camps »
autour d’une caractéristique essentielle, leur statut d’exception, sans que ce
terme soit limité aux contextes politiques extraordinaires : résultat d’une
guerre civile ou de la politique d’immigration des Etats de droit contempo-
rains, le « camp » ouvre alors toujours une marge par rapport à l’ordre juri-
dique. Camps pour suspects, centres de rétention et zones d’attente ont ainsi
pour point commun d’enfermer non pas des condamnés, mais des individus
au statut juridique ambigu, dégradé, voire totalement nié.
Le propos ne sera donc pas ici de remettre en cause l’approche par l’excep-
tion, mais plutôt de chercher à compléter et affiner l’analyse par l’étude
d’un camp construit en « temps de paix » par une démocratie : celui de
Rieucros, édifié en Lozère sous la IIIe République. On tentera de montrer
combien la « définition » du camp ne saurait être univoque : le pouvoir ne
s’y donne pas nécessairement sous une forme directement répressive ; ni
surtout sous une forme unique.
Chaque camp doit alors être pensé comme un entrelacs complexe de diffé-
rentes modulations du pouvoir, dont l’exercice vient chaque fois modifier et
33
compléter les effets potentiels d’une pure et simple négation du statut juri-
dique. Cet entrelacs, c’est à partir de la réalité concrète du camp qu’il faut
chercher à le saisir. Le camp, en ce sens, c’est un ensemble de locaux, de
documents, brefs d’objets qui induisent en eux-mêmes une contrainte, et
dont l’agencement nous est présenté au fil des archives.
34
de surveillance plus étroites […] pourra être astreint à résider dans un des
centres dont la désignation sera faite par décret […] » [4].
35
formes de contrôle s’ajoutant les unes aux autres. Rieucros devient un lieu
idéal d’observation des différentes modulations du pouvoir que permettent
les techniques de surveillance de l’époque.
La mise à l’écart n’est donc pas synonyme de réclusion et admet les permis-
sions de sortie quotidiennes. Bien plus, on ne trouve pas à cette époque
d’enceinte barbelée à Rieucros : le règlement interne évoque seulement
l’existence d’une « zone d’évolution » délimitée par des « balises », à ne
pas franchir sous peine de sanctions pénales. Le camp même est évoqué
comme un « domaine ». Comment une telle extension dans l’espace peut-
elle s’accommoder de la logique première du camp, celle de la sur-
veillance ?
On s’en doute, la mobilité réelle des internés est en même temps condition-
née. La coercition ne disparaît donc pas avec l’ouverture du camp ; mais
passe par d’autres réceptacles et objets qui assurent le travail de sur-
veillance sous d’autres formes, dont aucune n’est équivalente aux autres.
Toutes déclinent cependant le même rapport complexe à la durée et à la spa-
tialisation des corps.
36
anthropométrique (également appelé carnet de visas) identique à celui qui
est remis aux assignés, avec le domaine du camp pour lieu d’assignation.
Ce « lieu » demeurant vague dans sa délimitation géographique, le carnet
contribue précisément à lui donner une réalité tangible et contraignante. A
travers la logique de l’assignation à résidence, l’usage dynamique de l’ob-
jet- « papier » donne une traduction matérielle à la saisie étroite de l’admi-
nistration sur les déplacements et finalement sur la vie même de l’assigné,
fournissant une première clé de la singulière ouverture de Rieucros.
37
géométrie, à formes et à opérateurs variables une nuance supplémentaire.
L’isolement du camp et son ouverture paradoxale se combinent alors à la lo-
gique du carnet de visas pour produire un agencement propre du pouvoir, ir-
réductible aux précédents, et qui doit être une fois de plus envisagé dans
son déploiement dynamique.
38
voir du regard policier peut au gré des événements s’étirer ou au contraire
se restreindre.
Rieucros, c’est donc un usage : celui du lien entre le carnet de visas, les per-
missions de sortie, les balises délimitant la zone d’évolution, les appels no-
minaux – c’est à dire entre des instruments et des procédures dont l’interac-
tion explique la souplesse et l’efficacité de l’internement.
39
tion et la redistribution des différentes modulations du pouvoir les unes
dans les autres.
Pas plus que ces éléments, le camp n’est donc fixé irrémédiablement dans
un mode d’exercice de la contrainte. Pour chaque agencement particulier, il
faut en effet préciser la manière dont le pouvoir est organisé. L’analyse des
dispositifs contemporains – du centre de rétention au camp de réfugiés –
n’en apparaît que plus riche, et plus urgente. ?
40
de titre de séjour et la multiplication des camps, dispositif au cœur de
la politique migratoire de l’Union européenne.
Le travail du réseau s’articule autour de quatre axes :
41
Contacts :
Pierre-Arnaud Perrouty (MRAX, Bel
gique) : 00 32- (0) 2-209 62 59
pa.perrouty@mrax.be
Caroline Intrand (Cimade, France) :
00 33- (0) 1 44 18 72 65
caroline.intrand@cimade.org
Site Migreurop hébergé sur :
http://pajol.eu.org
Adresse :
Migreurop, c/o GISTI, 3 villa Marcès,
75011 PARIS- France.
Notes
[1]
Problème posé notamment par l’analyse de G. Agamben, malgré sa
profondeur indéniable.
[2]
Décret du 21 janvier 1939, J.O. du 4 février 1939.
[3]
Décret-loi du 2 mai 1938 J.O. du 3 mai 1938 ; décret-loi du 12 no-
vembre 1938, J.O. du 13 novembre 1938.
[4]
Décret-loi du 12 novembre 1938, article 25.
[5]
Instruction du 10 novembre 1938, Le ministre de l’intérieur à mes-
sieurs les préfets des Basses Alpes, Corse, Gers, Haute-Marne, Orne,
AD Lozère, 2 W 2805.
[6]
Lettre du 16 mai 1939. AD Lozère, 2 W 2805.
[7]
Trait qui rappelle, là encore, la dérive carcérale de la gestion contem-
poraine des centres de rétention.
42
Cohabiter à Sangatte — Marc Bernardot, Isabelle
Deguines
Le centre d’accueil de Sangatte a fait l’objet de nombreuses polémiques
entre son ouverture en 1999 et sa fermeture en 2003. Il a été au centre des
débats sur les différentes politiques d’asile en Europe et les nouveaux cir-
cuits migratoires des réfugiés. L’implication d’associations et d’ONG dans
sa gestion a suscité de multiples analyses et prises de position. Une produc-
tion considérable d’articles, d’émissions de télévision et de radio s’est déve-
loppée pendant toute cette période.
Néanmoins un aspect a été moins abordé que les autres. Il s’agit des réac-
tions provoquées par la présence du centre et son hyper médiatisation dans
la population locale. Il semble que, par certains aspects, l’attitude des habi-
tants s’apparente au dorénavant classique « phénomène Nimby » (Not in my
backyard – Pas dans ma cour) qui caractérise bien souvent les refus, de la
part de riverains, de l’implantation de structures industrielles ou sociales
susceptibles de générer des nuisances. Mais elle apparaît aussi originale par
l’ampleur et la nature des réactions socioculturelles engendrées par le fonc-
tionnement du centre. A partir d’entretiens réalisés avec des habitants de
Sangatte, il est possible de chercher à mettre à jour l’évolution et les élé-
ments structurants de cette réaction.
Nous pouvons d’abord faire l’hypothèse que ces bouleversements ont « ré-
veillé » un passé de Sangatte largement oublié mais réactivé par l’irruption
événementielle du centre d’accueil. Ensuite, la combinaison de l’interven-
tion de l’État (la Direction de la population et des migrations, en particu-
lier), des organisations impliquées dans le fonctionnement du centre (HCR,
Croix-Rouge, Eurotunnel, SNCF, etc.) et des médias a sans doute créé un
contexte favorable à l’apparition de rumeurs et de fausses informations gé-
nérant, à leur tour, un phénomène de rejet du centre de la part des habitants.
Enfin, leurs réactions, notamment avec le collectif villageois opposé au
centre, témoignent du refus d’une identification locale stigmatisante.
Sangatte est une station balnéaire peuplée d’environ huit cents habitants. Le
village fut longtemps habité essentiellement par des agriculteurs aisés et, à
43
certaines périodes de l’année, par des propriétaires de résidences secon-
daires. C’est un village cossu, riche de sa plage de plusieurs kilomètres qui
en fait un lieu de villégiature réputé. Les habitants sont fiers de leur Tunnel.
Mais, depuis les années 1870, Sangatte a été réuni administrativement avec
la commune voisine de Blériot, plus peuplée et longtemps dénigrée parce
que composée de baraques d’ouvriers et de bars à marins. Et, progressive-
ment, la seconde a pris le pas sur la première. Cette réunion a été vécue
comme une dépréciation, et laisse des souvenirs amers du prestige local
passé de Sangatte. Même si la mairie principale y est restée implantée, le
véritable centre administratif de la commune réunie est Blériot.
Un passé oublié ?
Au delà de cette fusion avec une commune populaire, c’est toute la mé-
moire collective du village de Sangatte qui paraît remise en question. Les
archives communales ont été laissées à l’abandon et sont incomplètes. Les
habitants de Sangatte auraient-ils quelque chose à oublier ? On peut se le
demander car, même s’il n’y a pas été fait mention dans les entretiens avec
les habitants ni dans les très nombreux articles portant sur son centre main-
tenant célèbre, Sangatte a déjà accueilli un camp, nazi celui-là, en 1942. La
mémoire des riverains est particulièrement gommeuse pour ce type d’évé-
nements.
Car le cas de Sangatte n’est pas exceptionnel. Les communes des côtes pi-
cardes et du nord, comme d’autres, ont accueilli de nombreux camps de tra-
vail forcé pour les besoins de l’organisation Todt chargée, à partir de
mai 1942, d’ériger le mur de l’Atlantique. Des Juifs, belges et français no-
tamment, seront traqués, envoyés dans des camps d’internement et utilisés
comme main-d’œuvre forcée. Une douzaine de camps internant plus
de 3 000 personnes au total existèrent durant l’année 1942 entre Calais et
Abbeville, à Sangatte, Ferques, Samer, Boulogne-sur-Mer et à Dannes. Ce
dernier camp paraît avoir été le plus important de tous. En effet, il avait
sous son autorité de nombreux camps secondaires situés à Condette, Harde-
lot, Camiers, Etaples, Le Touquet, Fort-Mahon et Merlimont. La plupart de
ces internés seront déportés à Auschwitz [1].
44
Ce rappel ne vise en rien à incriminer les habitants de la région pour leur
comportement pendant la seconde guerre mondiale. Les témoignages d’aide
aux internés de la part des riverains existent. L’implantation de ces camps
allemands a été imposée et, contrairement à ceux gérés par les autorités
françaises, seules des entreprises allemandes (entreprise Rosetzky de Stutt-
gart pour Sangatte) employaient les internés à des travaux de construction
de routes et de blockhaus (ces derniers ont servi encore récemment d’abris
aux réfugiés).
45
teur brutal et un déformateur de l’existence des réfugiés dans l’environne-
ment immédiat du village.
Une hyper-médiatisation
Dans les premiers temps de son existence, le centre est très peu surveillé.
Mais les intrusions fréquentes de réfugiés dans les sites d’Eurotunnel, de la
SNCF et du port de Calais ont entraîné, de la part de ces opérateurs, des tra-
vaux rendant de plus en plus périlleux et difficile le passage vers l’Angle-
terre.
46
listes sur ce thème, répercutant et analysant les moindres faits divers relayés
ensuite dans les médias nationaux.
Si, dans les entretiens, les premiers temps du centre sont associés aux no-
tions de migration et d’asile, les termes se modifient, dénotant une percep-
tion de plus en plus négative des réfugiés (mafia et clandestinité). Les
« bons Kosovars » en famille laissent place à des « Afghans voyous » avec
un effet de masse de jeunes hommes.
47
renchérir sur les réflexes de protection. « Les enfants ne sortent plus seuls
dans la rue », « les marcheurs prennent leur voiture ».
Rumeurs
Il faut dire qu’il se raconte que des réfugiés se baignent nus sur la plage,
que l’un d’entre eux y aurait importuné une femme enceinte, rendant im-
possible les promenades familiales. Les étrangers attentent au joyau de San-
gatte, sa plage. Puis les rumeurs se font plus lourdes. « Il y aurait un réseau
de prostitution autour du centre ». Des réfugiés seraient porteurs de mala-
dies contagieuses et des Sangattoises auraient donné naissance à des enfants
« métis ». A ces élucubrations sexuelles s’ajoute une politisation des dis-
cours contre l’action de l’État. Les pouvoirs publics favoriseraient la créa-
tion d’autres centres à proximité…
48
soient déplacés pour ne pas provoquer d’attroupement et installés à toute
proximité du Centre, militant ainsi pour son équipement ! Finalement le
collectif a gain de cause puisque sa revendication principale de fermeture
du CHAUH sera satisfaite après les accords Sarkozy-Blunkett. Mais, si les
personnes rencontrées ont confié leur soulagement à l’annonce de cette dé-
cision, c’est en usant d’arguments humanitaires pour en expliquer la moti-
vation.
Notes
[1]
Delmaire, D., Les camps des juifs dans le nord de la France (1942-
1944), dans Memor, n° 8, oct. 1989, Bruxelles).
49
Bricolages administratifs — Marie Hénocq
Le Pas-de-Calais n’est assurément pas le département français où le droit
des étrangers est le mieux appliqué. Certes, dans un premier temps, cette
non application de la loi a été favorable aux migrants qui traversaient l’Eu-
rope, du Sud vers le Nord, pour venir tenter de franchir la Manche aux alen-
tours de Calais. Étant donné l’ampleur des désordres dans leurs pays d’ori-
gine, les autorités françaises se sont longtemps refusées à sanctionner le sé-
jour irrégulier par des arrêtés de reconduite à la frontière, ces actes devant
nécessairement fixer un pays de destination de retour. C’est ainsi que, alors
même qu’ils n’entamaient aucune démarche pour tenter de régulariser leur
situation sur le sol français, les exilés transitant par le Pas-de-Calais ont
joui, pendant plusieurs années, d’une « immunité administrative ».
Dès lors qu’il était déclaré que le droit devait revenir dans le Pas-de-Calais,
des procédures pour le moins surprenantes sont apparues. Dans Calais et
tout autour du centre de Sangatte, le déploiement de forces de police est de-
venu impressionnant. Chaque jour, des étrangers se faisaient interpeller en
nombre, l’issue de ces interpellations étant totalement aléatoire. Invariable-
ment, les personnes interpellées étaient emmenées en garde à vue au com-
missariat de police de Coquelles. Les locaux du commissariat étant com-
muns avec ceux du centre de rétention administrative de l’époque, la confu-
sion était grande dans les rues de Calais où l’on disait : « ils ont été emme-
nés en rétention ». En réalité, les étrangers interpellés autour de Sangatte
après la fermeture du centre n’ont jamais été placés dans le centre de réten-
tion. À la sortie de leur garde à vue, ils se sont vu remettre soit un arrêté de
reconduite à la frontière, soit un « sauf-conduit », soit encore une invitation
50
à quitter le territoire. Or, aucun de ces trois actes n’aurait dû s’appliquer à la
situation.
L’arrêté de reconduite à la frontière, comme son nom l’indique, est une me-
sure d’éloignement forcé du territoire français. Mais la préfecture du Pas-
de-Calais n’ayant pas l’intention de renvoyer hors de France les étrangers
interpellés, la notification de tels arrêtés n’a généralement pas été suivie
d’un placement en rétention administrative.
Un sauf-conduit illégal
Le sauf-conduit, quant à lui, est en principe remis aux étrangers qui, à l’en-
trée sur le territoire, sont placés en zone d’attente et dont le maintien n’est
pas prolongé. Certains de ceux délivrés jusqu’à ces derniers mois dans le
Pas-de-Calais comportent la mention : « ne doit pas se trouver à 60 km du
littoral dans les 48 heures suivant la notification ». Cette interdiction par-
tielle du territoire renforce le caractère illégal de ces documents. La men-
tion n’est pas anodine car certains étrangers interpellés à nouveau dans la
zone « interdite » se voient par la suite retirer le fameux document en garde
à vue et notifier en lieu et place un arrêté de reconduite à la frontière. L’ar-
rêté précise, dans ses motifs, que l’étranger démontre, par sa présence dans
la zone indiquée, sa volonté de se rendre en Grande-Bretagne et renonce
ainsi à sa demande de protection par l’État français. On peut dès lors se de-
mander si cette zone (les 60 km du littoral) appartient toujours au territoire
français ou si elle est considérée de fait comme faisant partie de l’Angle-
terre. Le juge administratif a annulé à plusieurs reprises des arrêtés de re-
conduite à la frontière ainsi motivés.
Outre le caractère inadapté de ces différentes mesures, le choix fait par l’ad-
ministration de notifier l’une plus que l’autre manque pour le moins de clar-
51
té. Interrogé l’an passé sur ces pratiques lors d’une rencontre informelle sur
la place de la mairie [2], le sous-préfet de Calais avait apporté quelques élé-
ments d’explication. Il a tout d’abord confirmé que toutes ces notifications
avaient un seul et unique objectif : « signifier officiellement » aux migrants
« non éloignables » qu’ils étaient en situation irrégulière. La désinformation
qui régnait à l’époque autour du centre de Sangatte et qui était soigneuse-
ment entretenue par les passeurs, les avait en effet empêchés de s’en rendre
compte.
Quant au choix entre les différentes mesures, le sous-préfet l’a justifié par le
fait que « seule la procédure de notification d’arrêtés de reconduite à la
frontière garantit la présence d’un interprète ». Il précisait cependant que
l’administration n’avait « jamais eu l’intention d’exécuter ces APRF ».
Mais alors pourquoi ne pas notifier uniquement des invitations à quitter le
territoire qui présentent l’avantage de ne pas être contraignantes ? « [La
sous-préfecture] le fait parfois, quand il n’y a pas de traducteur dispo-
nible »… Le souci d’une information officielle des étrangers sur leur situa-
tion montrait donc vite ses limites, et seule est évidente la dimension dis-
suasive de ces mesures.
A l’issue des gardes à vue, dans les mois qui ont suivi la fermeture du
centre, nombre d’étrangers ont raconté qu’ils avaient été remis en liberté à
plusieurs kilomètres du commissariat, hors de Calais, à Saint-Omer ou
ailleurs. Mais ils revenaient à Sangatte à pied et, sur le chemin, déchiraient
indistinctement arrêté de reconduite à la frontière, sauf-conduit ou invita-
tion à quitter le territoire…
Marquage indélébile
Une pratique pour le moins choquante est alors apparue durant plusieurs
mois : au cours de la garde à vue, les étrangers étaient « marqués » d’un nu-
52
méro à même la peau au moyen d’un feutre indélébile, ou encore il leur
était remis un bracelet portant le numéro de la mesure notifiée. Si, par la
suite, ils étaient à nouveau interpellés, ils montraient à la police leur avant-
bras ou leur bracelet pour éviter une nouvelle garde à vue… Ces
« marques » ne les protégeaient pas, en revanche, contre les interventions
policières pour « disperser » les groupes de personnes aux abords de Ca-
lais : plusieurs étrangers témoignent qu’alors qu’ils étaient en train de se ré-
chauffer, ils ont été « embarqués » et emmenés hors de la ville.
53
Les personnes retenues devaient ensuite être « réparties » par la police aux
frontières dans les centres de rétention de la « totalité du territoire métropo-
litain ». Enfin, il appartenait à ce même préfet de veiller « à ce que la pré-
fecture dont relève le centre de rétention dans lequel l’étranger [était] rete-
nu » soit en mesure d’assigner de ces candidats. À côté de l’autocar, les as-
sociations seraient en charge d’informer les étrangers sur ce système. Elles
seraient destinataires chaque jour de la liste des endroits où avaient été em-
menés les étrangers. Parallèlement serait (enfin ?) distribué un document of-
ficiel informatif sur les procédures légales d’asile en France.
L’administration était donc prête à faire beaucoup mais pas à faciliter le dé-
pôt des demandes d’asile dans le département. Proposer un l’éparpillement
des migrants que l’on ne veut plus voir dans le Pas-de-Calais.
Tous ces « signaux forts » n’ont pas suffi à inciter les candidats au passage
en Angleterre à quitter la région. Le ministère a pris, le 13 décembre 2002,
deux télégrammes : l’un adressé au préfet du Pas-de-Calais, l’autre à l’en-
semble des préfets et au préfet de police, tous deux intitulés « Eloignement
des étrangers en séjour irrégulier non éloignables (sic) présents aux abords
de Sangatte » (voir ci-dessus).
Aux préfets du reste du territoire, le ministre précisait que les arrêtés d’assi-
gnation à résidence devaient donner « l’adresse d’un lieu d’accueil adapté
(CHRS notamment) afin que puisse être pris en charge chacun des aspects
de la situation de l’étranger (sanitaire, social, juridique) ». Il terminait ain-
si : « le but de ces assignations à résidence étant de différer l’organisation
matérielle de la reconduite jusqu’à ce qu’elle soit formellement possible ».
54
à une date postérieure à la fermeture de ce lieu, qui n’ouvre que l’hiver !
Tous ont été assignés à résidence par les préfectures de Versailles, Nanterre,
Bobigny, Melun et la préfecture de police de Paris dans ces communes
moins de 48 heures après la notification de la décision de placement en ré-
tention, conformément à la lettre du télégramme ministériel. Certains ne
sont même pas restés une heure au centre de rétention de Vincennes. A la
mi-janvier 2003, ce sont environ 150 « étrangers en séjour irrégulier non
éloignables » qui ont été ainsi assignés à résidence.
55
Pour deux d’entre eux, d’ailleurs, cette menace n’est pas restée virtuelle :
revenus à Calais et à nouveau interpellés, ils ont été condamnés à trois mois
de prison ferme [5].
Notes
[1]
Réponse du ministre de l’intérieur à la présidente du Gisti en date
du 27 novembre 2002
[2]
Visite à Calais les 15 et 16 novembre 2002 dans le cadre de perma-
nences inter-associatives d’information des migrants qui se tenaient
dans un camion installé sur la place de la mairie.
[3]
Des témoignages de résidents du centre de Sangatte concordent : ils
ont formulé une demande d’asile auprès des autorités françaises lors
d’interpellations et n’ont jamais eu de nouvelles par la suite ; leurs de-
mandes n’ont simplement pas été enregistrées. Pour les demandes
spontanées à la préfecture, un problème de taille n’a jamais été réglé :
la préfecture territorialement compétente est celle d’Arras, à plus de
cent kilomètres de Calais ; les étrangers n’ont pas de moyen de trans-
port pour s’y rendre ; les autorités ont toujours refusé de reconnaître
cette compétence à la sous-préfecture de Calais alors que rien ne s’y
opposait légalement.
[4]
56
Voir Le Monde du 21 décembre 2002
[5]
Voir Libération du 14 janvier 2003
57
De Sangatte à Satragne — Violaine Carrère
« Les trottoirs sont-ils l’avenir des demandeurs d’asile ? ». La question est
arborée sur la banderole, les tracts, les affiches du Collectif d’Afghans, de
Kurdes irakiens et d’Iraniens vivant à la rue aux abords du square Alban-
Satragne, dans le Xe arrondissement de Paris.
Cette pénurie ne relève nullement d’un accident de parcours [2]. Ce que les
entraves à la liberté de circulation des persécutés ne parviennent pas à réus-
sir autant qu’on le voudrait, la misère matérielle l’accomplit. Il est possible
de l’imaginer au seul regard des chiffres de l’hébergement des demandeurs
d’asile ; l’histoire du « Collectif de soutien aux exilés du Xe arrondissement
de Paris » l’illustre de façon éclatante, et montre comment fonctionnent ces
mécanismes d’exclusion.
Les quelque 100 à 200 exilés du square Alban-Satragne qui vivent à la rue
non loin de la gare du Nord à Paris, dormant dans ce parc ou dans d’autres
du quartier, dans des impasses ou des parkings, sont les « descendants di-
rects » des réfugiés qui transitaient par Sangatte : ils sont apparus là au mo-
ment où le camp venait de disparaître. À l’époque où le groupe s’est consti-
tué, beaucoup d’entre eux avaient été refoulés de Calais et, aujourd’hui en-
core, arrivent régulièrement dans ce quartier de Paris des exilés chassés du
Calaisis ou ayant échoué dans une énième tentative de se rendre en Angle-
terre.
58
La fermeture du camp de Sangatte n’a rien résolu parce que ce n’est évi-
demment pas son ouverture qui avait attiré les dizaines de milliers d’étran-
gers qui ont transité à Calais, mouvement qui d’ailleurs avait commencé
bien avant que ne soit décidée la création du camp [3]. En rayant de la carte
le camp de Sangatte, devenu un monument de visibilité pour ce qu’on vou-
lait cacher, le gouvernement a mécaniquement renvoyé les exilés à la situa-
tion antérieure au camp. Mais, pour que ce retour à la case de départ ne
saute pas immédiatement aux yeux, il s’est efforcé et s’efforce aujourd’hui
encore – avec un succès relatif [4] – de les disperser hors du Calaisis, d’une
part par un quadrillage policier extrêmement dense [5], d’autre part en obli-
geant ceux qui désirent demander l’asile à accepter un hébergement hors du
Pas-de-Calais.
Même si, au fur et à mesure que le temps passe, les nouveaux arrivants
perdent progressivement la mémoire de Sangatte, ils s’inscrivent néanmoins
dans la même « filiation ». Car le camp n’a pas seulement hébergé des
étrangers qui entendaient y faire une étape volontaire avant d’aller en An-
gleterre. Il a aussi servi d’exutoire à toutes les polices d’Europe – à com-
mencer par la française – qui ne savaient comment se débarrasser d’étran-
gers issus de pays en crise et à la recherche du premier havre de paix venu.
Les passeurs professionnels ne sont pas seuls à organiser des « filières » de
migration ; la police aiguillait des exilés vers Sangatte lorsque Sangatte
existait, elle les aiguille vers le quartier de la gare du Nord aujourd’hui.
En mars 2003, les premiers contacts se sont établis entre des militants fran-
çais [6] et les exilés qui avaient commencé à se regrouper là vers le mois de
janvier. Et, très vite, les effets de la même conjonction d’informations et de
désinformation qu’à Sangatte sont apparus. Dans les premiers temps de
l’histoire du collectif, tous ou presque disaient vouloir se rendre en Angle-
terre. C’est ce que proclament le plus souvent les nouveaux qui, chaque se-
maine, arrivent dans le Xe. Comment, disent-ils, solliciter l’asile dans un
pays qui nous impose de vivre à la rue ? Et de raconter qu’en Grande-Bre-
tagne – ou en Suède, en Norvège – les conditions d’accueil de leurs compa-
triotes sont bien meilleures. Difficile de savoir s’ils le croient vraiment ou
non ; ils ne traitent pas de menteurs les soutiens du Collectif quand ils leur
parlent des réalités de l’accueil Outre-Manche. On dirait bien plutôt qu’ils
59
ne peuvent se résoudre à croire qu’il n’y a pas, plus loin, un pays qui les ac-
cueille vraiment, enfin…
Comme au Kurdistan
En tout cas, l’expérience du Collectif a, sur cet aspect, la force d’une dé-
monstration magistrale : dès lors que certains d’entre eux ont pu être conve-
nablement hébergés et que tous ont bénéficié d’informations sur les procé-
60
dures et sur les taux de reconnaissance – pourtant maigres – de la qualité de
réfugié en France, beaucoup d’entre eux ont demandé l’asile et chaque se-
maine d’autres continuent à le faire. On se prend à songer à ce qui se serait
produit s’il en avait été de même à Sangatte – où il y a eu moins de 200 de-
mandes d’asile pour 63 000 exilés ! – si les pouvoirs publics et la Croix-
Rouge n’avaient, par leur silence, constamment abandonné aux passeurs le
soin de renseigner à leur manière les étrangers hébergés.
61
La relégation à l’indigence est particulièrement efficace sur des exilés issus
des classes moyennes. Comme c’était le cas à Sangatte, les exilés de Sa-
tragne – pour l’essentiel des hommes seuls âgés de 20 à 30 ans – appar-
tiennent majoritairement à des couches sociales économiquement plutôt fa-
vorisées. Ils ne supportent pas de vivre comme des sans-domicile fixe ni
d’être assimilés à eux. Beaucoup ont bénéficié d’études au moins secon-
daires. Certains profitent, par exemple, spontanément des équipements in-
formatiques ou linguistiques du Centre Pompidou. D’autres disposent de-
puis longtemps d’une adresse électronique. Tous veulent apprendre d’ur-
gence la langue française. Ils courent avec gourmandise à toute manifesta-
tion spectaculaire dans Paris, sont émerveillés par le quartier de La Défense,
par la Cité des sciences, et même par les libertés individuelles quand elles
ne sont encore qu’un rêve (voir l’encadré « Comme au Kurdistan »).
Le camp dans lequel se trouvent enfermés les exilés du Xe, et « avec » eux
des milliers d’autres, est un camp invisible, sauf pour celui qui le vit. Où
l’on est simplement privé de tout, et l’objet d’un incessant harcèlement po-
licier. Un camp invisible et aussi qui rend invisible, sauf quand le regroupe-
ment d’un peu trop d’exilés, voire l’intérêt de « voisins », oblige à remar-
quer le phénomène…
Cette mise en camps-là a une efficacité limitée. Si elle réussit souvent à en-
voyer les exilés toujours plus loin, elle n’a que peu de chances d’atteindre
l’objectif que d’aucuns, sans doute, lui assignent : freiner les velléités de
départ des pays d’origine. Car, aux persécutions plus ou moins grandes qui
expliquent ou justifient les demandes d’asile des exilés en provenance de
pays de ce type, s’ajoute une fréquente fascination pour la modernité, dont
62
l’importance paraît assez nouvelle. Les jeunes du square Alban-Satragne
veulent vivre selon le modèle occidental dont les télévisions du monde en-
tier vantent les vertus : ils ne veulent plus des mariages arrangés par leurs
familles, plus du pouvoir arbitraire d’autorités locales héréditaires, plus de
la fixité sociale garantie par la tradition.
Ni les ouvertures ni les fermetures de tous les Sangatte du monde, pas plus
que le durcissement des politiques de l’asile ne risquent de tarir l’envie de
vivre des exilés de demain. ?
Notes
[1]
CADA : Centre d’accueil pour demandeurs d’asile. Le dispositif natio-
nal d’accueil (DNA) prévoit, outre les places en CADA, d’autres
formes d’hébergement : AUDA (accueil d’urgence pour demandeurs
d’asile), CPH (centre provisoire d’hébergement), hôtels.
[2]
« Un rapport de l’inspection des affaires sociales (IGAS) préconise
une réforme complète de la politique d’asile en France », Le Monde,
28 février 2002.
[3]
Voir, dans ce numéro, l’article p. 4.
[4]
Le Collectif de soutien d1urgence aux réfugiés (CSUR) de Calais lan-
çait encore, le 13 septembre 2003, un appel à l’aide en faveur de plus
de 200 migrants – dont des femmes et des enfants – irakiens, afghans,
soudanais, roumains, algériens, en errance dans le Calaisis. Pour tout
contacts, l’association La belle étoile, 18, rue Dampierre, 62100, Ca-
lais, et csur62@free.fr.
[5]
Voir, danscenuméro, l’articlep.29.
[6]
Le « Collectif de soutien des exilés du Xe arrondissement de Paris » a
été créé en mars 2003. Il rassemble, aux côtés des exilés eux-mêmes,
des habitants du quartier, des militants politiques – élus ou non élus –,
et des militants associatifs. Pour tout contact : exiles10@rezo.net.
63
La criminalisation des réfugiés en Austra-
lie — Eva Le Pallec
Historiquement, en Australie, l’immigration a toujours été considérée
comme une immigration de peuplement, faite pour durer. Sauf exceptions,
les migrants n’ont pas été vus comme des migrants temporaires, mais
comme des futurs résidents et des futurs citoyens. L’idée étant que le nou-
veau migrant va faire partie de la communauté et qu’il faut l’aider à s’éta-
blir pour renforcer celle-ci. La conscience et l’affirmation que l’immigra-
tion est nécessaire et qu’elle répond à un besoin de construction de la com-
munauté, de protection du groupe et de sa perpétuation, s’est aiguisée après
la Seconde guerre mondiale. Il est ainsi impensable, même à l’heure ac-
tuelle, de revendiquer une immigration zéro ou une politique de fermeture
des frontières.
64
taient plus, en 1996, que 27 % du total des migrants alors qu’ils
étaient 58 % en 1901. Après la Seconde guerre mondiale, la part des mi-
grants originaires d’Europe du sud et de l’est n’a cessé d’augmenter, de
même que, à partir du début des années 80, celle des migrants originaires
d’Asie.
Qui accepte-t-on ?
65
hors-la-loi, des menteurs, accusés notamment de jeter leurs enfants par-des-
sus bord [4].
En plein désert
66
Guinée. En échange de rétributions financières, des centres de détention ont
été ouverts sur leur territoire de telle sorte que les bateaux approchant le
continent australien ne puissent pas atteindre ses côtes et soient systémati-
quement détournés sur d’autres îles [5].
L’accès des média aux centres est on ne peut plus restreint mais de nom-
breux rapports nationaux et internationaux émanant d’organismes habilités,
d’associations et dernièrement d’une commission d’enquête sur la détention
des enfants ont détaillé les conditions de vie dans les divers centres et les
conséquences de l’enfermement pour les personnes. Les centres de déten-
tion, des baraques au toit de tôle, sont entourés de barbelés. Les personnes y
sont logées dans des dortoirs. Ce sont la plupart du temps des constructions
de type temporaire qui n’ont pas été prévues pour un long séjour. La capaci-
té d’accueil était au départ très insuffisante, et certains centres n’avaient pas
d’accès à l’eau chaude.
Certains centres permettent des sorties temporaires pour les adultes ou pour
les enfants. Des cours d’anglais sont en général proposés, bien qu’en
nombre insuffisant, et les enfants peuvent parfois suivre un enseignement
primaire. Certains enfants peuvent se rendre à une école locale s’il y a eu un
accord avec celle-ci. Des enfants victimes de violence ont aussi été placés
dans des structures d’accueil extérieures. Ces améliorations sont souvent
67
dues aux pressions des opposants et aux critiques des organisations des
droits de l’homme, mais ne constituent pas une politique générale.
Le 19 mai 2003, la chaîne publique ABC a diffusé des images inédites fil-
mées par le personnel d’ACM dans le centre de Woomera, images terribles
montrant des corps automutilés, des personnes sans connaissance, des gré-
vistes de la faim aux lèvres cousues, des personnes se suspendant aux bar-
belés et poussant des hurlements. Le documentaire montrait le service de
soins infirmiers où les gens sont allongés sur des matelas par terre et dans
les couloirs ainsi que la répression de l’émeute qui a fait de nombreux bles-
sés (des centaines selon certains rapports transmis au ministère de l’immi-
gration).
68
Selon d’anciens membres du personnel de ACM, peu de choses sont
connues car le personnel avait ordre de contrôler l’information montrée aux
organisations des droits de l’homme lors de leurs visites. Ils racontent les
conditions d’accueil dramatiques à l’ouverture de Woomera et au moins jus-
qu’en 2000 où la population a atteint 1 500 personnes (plus de deux fois la
capacité d’accueil). Ils relatent comment la compagnie ACM aurait fait du
profit en minimisant tous les coûts, notamment de personnel, en nombre to-
talement insuffisant. Des rapports médicaux mettant en cause la négligence
grave de la direction du centre auraient disparu. Selon les personnes inter-
viewées, la direction générale d’ACM et le ministre de l’immigration
étaient au courant de ce qui se passait. L’une d’entre elles a demandé la no-
mination d’une commission d’enquête impartiale.
Quelque temps plus tard, en juillet 2003, la cour de justice relative au droit
de la famille (the Family Court) a été saisie par des associations et a décrété
illégale la détention illimitée d’enfants dans les centres de détention. Le
gouvernement a fait appel.
69
la convention des Nations-Unies relative aux réfugiés » et un cas de juris-
prudence a précisé dans un sens très restrictif cet amendement. De nou-
veaux permis de séjour ont été introduits pour ceux arrivés sans visa dont la
demande d’asile a cependant été acceptée. Ce sont des permis de séjour
temporaire de trois ans (Temporary protection visa, TPV) alors que les réfu-
giés arrivés par le programme du HCR ou légalement sur le territoire aus-
tralien se voient presque automatiquement accorder un permis de séjour
permanent. Les personnes ayant obtenu un TPV voient leurs droits sociaux
considérablement réduits et ne peuvent avoir accès à aucun programme
d’aide à l’installation des migrants financé par le gouvernement (Settlement
Scheme). Les demandeurs d’asile pour lesquels le gouvernement apporte la
preuve que, depuis le départ de leur pays d’origine, ils sont restés au moins
sept jours dans un pays où ils auraient pu demander et obtenir protection ne
pourront jamais faire la demande d’un visa permanent. Enfin, ceux qui ac-
costent sur des îles australiennes mais pas sur le continent se voient refuser
le droit de demander d’asile.
Notes
[1]
70
En 2001, le continent asiatique compte près de 8,5 millions de réfugiés
ou déplacés. Il est suivi par l’Afrique avec 6,1 millions et l’Europe
avec 5 , 6 millions. Le Pakistan, a lui seul, abrite 2 millions de per-
sonnes, l’Iran 1,9 million et l’Allemagne 976000 alors que l’Australie,
qui a fait face à 19 400 demandes en 2000, a accordé l’asile (perma-
nent et temporaire confondus) à 13 750 personnes en 2000-2001. Voir
UNHCR : Number of asylum applications submitted in 30 industriali-
zed countries 1992-2001
[2]
En juin 1998, 1715 personnes sont arrivées sans visa, en juin 1999,
3027, en juin 2000, 5870. (source : Refugee Council of Australia).
[3]
Le 26 août 2001, un cargo norvégien, le MV Tampa porte secours au
naufrage de 433 personnes, la plupart originaires d’Afghanistan, et se
dirige vers l’île de Christmas Island. Le gouvernement lui refuse la
permission de naviguer dans les eaux australiennes. Il décide aussi que
les personnes à bord et les futurs bateaux non autorisés à accoster, ne
seront pas autorisés à atteindre le continent australien. Malgré cela le
MV Tampa traverse les eaux australiennes jusqu’à l’île Christmas. Le
gouvernement envoie alors un navire militaire pour empêcher le Tam-
pa d’accoster. La situation dégénère rapidement sur le Tampa mais il
faudra attendre le 3 septembre 2001 pour qu’un transfert des personnes
secourues s’effectue du Tampa vers le navire de la Navy australienne.
Ces personnes ont ensuite été dirigées vers l’île de Nauru pour y être
détenues en attendant le traitement de leur demande d’asile. En octobre
de la même année, un bateau transportant 353 demandeurs d’asile, le
Siev-X, a coulé officiellement sans avoir été détecté à temps.
[4]
Le premier ministre a déclaré, de source sûre, photos à l’appui, que les
naufragés jetaient leurs enfants par dessus-bord pour faire pression sur
le gouvernement. La Navy démentira plus tard, les photos ayant été
prises après le naufrage. Dans le même temps, le ministre de la défense
de l’époque, Peter Reith, suggérait qu’il était possible que des terro-
ristes se cachent parmi les passagers.
[5]
Les demandes d’asile sont alors examinées par le HCR et les réfugiés
reconnus comme tels sont répartis sur différents pays : Australie, Nou-
71
velle-Zélande, Canada etc.
[6]
DIMIA, Fact sheet 71 : New measures to Strengthen Border Control.
Le ministère fait ici référence au programme de réinstallation des réfu-
gies du HCR auquel l’Australie participe avec neuf autres pays. Le
gouvernement impose un quota pour la délivrance des visas de protec-
tion (statut de réfugié). Ainsi en 2001-2002, 12 000 personnes maxi-
mum pourront se voir attribuer le statut de réfugié en Australie. Selon
cette logique, si 4000 personnes arrivent directement sur le continent
australien pour demander l’asile, le gouvernement offrira 4000 places
de moins au programme du HCR attribuant des visas aux personnes en
attente dans les camps de réfugiés.
72
Cahier de jurisprudence —
Reconduite à la frontière Pdt du contentieux du C.E.
26/09/2001 ABDERREHIM c/préfet d’Indre-et-Loire
Cet arrêt illustre parfaitement les pratiques habituelles des juridictions ad-
ministratives à l’égard des étrangers frappés d’un arrêté de reconduite à la
frontière dont il apparaît clairement qu’il n’est pas possible de les renvoyer
dans leur pays d’origine sans violer l’article 3 de la CEDH. Dans la plupart
des cas, l’annulation des décisions préfectorales ne porte que sur le volet
concernant le pays de destination, laissant en vigueur l’arrêté de reconduite
et invitant hypocritement l’étranger à se trouver un autre pays d’accueil, ce
qui est pratiquement impossible. En conséquence, l’intéressé risque de ne
pas pouvoir régulariser sa situation et ira rejoindre la cohorte des « sans pa-
piers » fabriqués par l’administration ! A moins d’avoir affaire, comme
dans le cas présent, à un responsable préfectoral intelligent dont la décision
compense heureusement la faiblesse de la décision juridictionnelle :
73
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que Mlle ABDERREHIM
est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le
conseiller délégué par le président du tribunal administratif d’Orléans a re-
jeté sa demande dirigée contre la décision du 6 septembre 2000 fixant le
pays de destination ;... ». Annulation du jugement du conseiller délégué par
le président du tribunal administratif d’Orléans en tant qu’il rejette les
conclusions de la requête tendant à l’annulation de la décision du préfet
fixant le pays de destination de la reconduite , et annulation de ladite déci-
sion préfectorale.
74
Référence à rappeler pour avoir copie de l’arrêt :
75
savoir le droit de contracter mariage garanti par les articles 12 et 14 de la
Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme.
76
mière décision du préfet, du fait qu’à l’époque M. BENZADA ne possédait
pas encore son inscription au registre du commerce et des sociétés. Ce qui
n’était plus le cas à la date du refus du recours. Aussi « considérant qu’à la
date de la décision attaquée, le 23 février 2000, il est constant que M. Oth-
mane BENZADA justifiait d’une inscription au registre du commerce et des
sociétés en tant que gérant de la société TRANS TRADING, seule formalité
à laquelle est soumise l’activité commerciale qu’il exerçait ; que, par suite,
en application des stipulations précitées de l’accord franco-algérien du 27
décembre 1968 modifié, le préfet du Rhône ne pouvait légalement refuser à
M. BENZADA la délivrance d’un certificat de résidence en qualité de com-
merçant en se fondant sur sa qualité précédente d’étudiant et l’absence de
relation entre les études qu’il avait accomplies et la profession qu’il souhai-
tait occuper ;... »
77
puis 1988, il a été contraint d’acquitter une somme de 70.000 dinars à un
groupe armé au mois d’août 1998 et a été menacé afin d’effectuer de nou-
veaux versements et que deux de ses employés ont été assassinés au mois
d’août 1998 ; que si aucune des pièces versées au dossier ne permet de cor-
roborer formellement ces allégations, il en ressort toutefois que de nom-
breux assassinats ont été perpétrés dans la région de Chlef où résidait M.
ABBOU et que ceux-ci visaient notamment des commerçants ; que, dans ces
conditions où la sécurité de l’intéressé ne paraît pas pouvoir être assurée,
son retour dans son pays d’origine présente des risques sérieux pour son
intégrité physique et le préfet de l’Isère a entaché sa décision d’une erreur
manifeste d’appréciation en fixant l’Algérie comme pays de destination... »
78
frères, restés en France, dont ils ont acquis la nationalité, et avec lesquels
elle est restée en constante relation ;
APRF contre une jeune Algérienne qui s’est maintenue sur le territoire
après un refus de séjour et une IQF – Erreur manifeste d’appréciation – An-
nulation.
79
Arrêté de reconduite à la frontière contre un Mauritanien, demandeur
d’asile débouté, résidant habituellement en France depuis plus de dix
ans - Erreur de droit - Annulation.
80
Arrêté de reconduite à la frontière contre un Algérien dont l’état de santé
nécessite une prise en charge médicale en France - Erreur de droit - Annula-
tion.
81
Considérant « qu’il n’est pas contesté que M. PLOJOVIC, de confession
musulmane, originaire de Serbie, n’a pas répondu à un ordre de réquisition
des autorités militaires de son pays et a été condamné par un tribunal you-
goslave à 19 mois d’emprisonnement pour activités séparatistes ; que, dans
les circonstances de l’espèce, et alors même que l’Ofpra et la commission
de recours des réfugiés ne lui ont pas reconnu le statut de réfugié politique,
il doit être regardé comme établissant être exposé en cas de retour en Ser-
bie à des risques réels pour sa liberté et sa sécurité personnelle ; que, dès
lors, la décision litigieuse doit être annulée en tant qu’elle fixe la Serbie
comme pays de renvoi de M. PLOJOVIC... »
82
aucune réponse ne lui est apportée. Une demande d’énonciation des motifs
du rejet implicite, datée du 25 janvier 2001, restait pareillement sans ré-
ponse, ainsi que la demande préalable d’indemnisation, adressée le
28 mars 2001. En conséquence, M. AMOUCHE saisit la commission de re-
cours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France, laquelle pro-
nonce, le 17 mai 2001, un non lieu à statuer, considérant, comme les consu-
lats, que les demandes faites par lettres recommandées (ce qui est pourtant,
dans bien des cas, le seul moyen de pouvoir faire une demande de visa !) ne
sont pas valables. M. AMOUCHE en est réduit à déposer, le 18 sep-
tembre 2001, une requête auprès du Conseil d’Etat, qui, dans son arrêt
du 6 décembre 2002, lui donnera enfin raison :
83
Annulation de la décision de la commission de recours du 17 mai 2001. En
raison du préjudice subi par le refus illégal, l’Etat est condamné à verser
une indemnité de 2000 euros à chacun (sommes qui porteront intérêts à
compter du 28 mars 2001 et les intérêts échus le 4 octobre 2002 seront capi-
talisés pour produire eux-mêmes intérêts). En outre, l’Etat est condamné à
verser à M. et Mme AMOUCHE la somme de 2200 euros en application
des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
84