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Espace européen

Introduction : Historique de la construction de l’Union européenne

Nous verrons, d’abord, la mise en place des Communautés européennes, puis leur
approfondissement.

Section 1 : La mise en place de l’Europe des Communautés


En 1949-1950, la tension s’accentue entre l’Est et l’Ouest (blocus de Berlin en 1948-1949,
guerre de Corée en 1950). Winston Churchill et les Etats-Unis s’inquiètent alors de la
faiblesse militaire de l’Europe de l’Ouest et envisagent sinon un réarmement contrôlé de
l’Allemagne, du moins un accroissement de sa puissance économique. L’idée émerge en
France alors de commencer par une coopération dans des secteurs limités mais décisifs. Il
s’agit de construire progressivement des solidarités de fait qui auront vocation à s’étendre à
d’autres secteurs économiques, puis à l’économie toute entière.

§1. La création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA)


Robert SCHUMAN, ministre français des Affaires étrangères, est convaincu que la
réconciliation franco-allemande passe par une Europe unie et non par l’affaiblissement de
l’Allemagne, faute de quoi celle-ci voudra obtenir sa revanche.
De son côté, Jean MONNET considère que l’économie française ne pourra pas se développer si
par ailleurs l’économie européenne ne prospère pas dans son ensemble. Aussi convient-il
d’organiser cette économie européenne. Pour MONNET, l’émergence d’une Europe
occidentale organisée pourrait être un point d’équilibre entre d’un côté les Etats-Unis et
de l’autre côté l’Union soviétique. Son choix se porta sur le charbon et l’acier : le charbon
parce qu’il représentait et de loin la première source d’énergie à l’époque ; l’acier parce qu’il
constituait la matière essentielle des armements et de l’industrie dans son ensemble. La
démarche de MONNET repose donc sur une "politique des petits pas" qui s’exprime dans la
célèbre déclaration que Robert SCHUMAN prononce le 9 mai 1950.
La CECA n’est donc pas une fin en soi. Bien au contraire, la mise en commun du charbon et de
l’acier est appelée à s’étendre progressivement à d’autres domaines.
Dans le cadre de la CECA, l’essentiel du pouvoir est confié à une Haute autorité

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indépendante des États, qui est en mesure d’imposer la décision de la Communauté à un Etat
membre. En effet, les décisions sont prises à la majorité qualifiée de sorte qu’un Etat membre
mis en minorité peut être obligé d’appliquer une décision à l’adoption de laquelle il s’est
opposé. Ceci est révolutionnaire. Est ainsi créée la première organisation supranationale,
La CECA a notamment pour objectifs l’approvisionnement du Marché commun, l’application
des prix les plus bas possibles, d’assurer le respect des règles de concurrences, ou encore
d’encourager les échanges entre ses Etats membres.
Signé à Paris le 18 avril 1951, le traité CECA est entré en vigueur, le 24 juillet 1952, entre six
États (Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas). Conclu pour une durée de
cinquante ans, le traité CECA a donc expiré le 23 juillet 2002.
Devant le succès de la CECA, la Communauté économique européenne (CEE), qui a
vocation à couvrir l’ensemble des domaines économiques, voit le jour avec la signature du traité
de Rome le 25 mars 1957. Ce traité est conclu pour une durée illimitée.
La CEE tendait à l’établissement d’un vaste marché intérieur sans frontières dans lequel la
libre circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux serait garantie.
Cet objectif central était complété par la mise en place de certaines politiques communes, dont
la plus importante pour la France était la politique agricole commune.

Section 2 : L’approfondissement de la construction européenne


Les premiers succès des Communautés européennes favorisent l’élargissement des
Communautés (que nous étudierons plus tard), ainsi que la révision des traités qui permet
d’assigner de nouveaux projets à la Communauté européenne.

§ 1 : Des Communautés européennes à l’Union européenne (1957 - 1992)


A. L’Acte unique européen (1986-1987)
Signé en 1986, l’Acte unique européen entre en vigueur en 1987.
L’Acte unique européen a été un succès parce qu’il poursuivait un objectif concret : la
réalisation du marché intérieur pour le 1er janvier 1993. Il s’agissait de rendre enfin
possible le principe de libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des
capitaux posé par le traité de Rome en 1957 mais qui tardait à se matérialiser.
L’Acte unique européen a, en outre, sensiblement étendu les compétences de la
Communauté en matière sociale, environnementale, de recherche et de développement
technologique. Le traité instaure également une politique de cohésion qui est destinée à
permettre aux nouveaux Etats membres de rattraper leur retard dans les domaines

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économiques et sociaux (Irlande, Grèce, Espagne et Portugal).
Enfin, sur le plan institutionnel et sans entrer dans les détails, l’Acte unique permet de
faciliter le processus de prise de décision.

B. Le traité sur l’Union européenne (traité de Maastricht)

Signé en 1992 et entré en vigueur en 1993, le traité de Maastricht s’efforce de tirer les
conséquences de la chute du Mur de Berlin.
En premier lieu, il réforme la Communauté économique européenne qui devient la
Communauté européenne "tout court" afin de traduire le passage d’un projet purement
économique à un projet dont la dimension politique est enfin assumée. Sur ce plan, les
deux principales innovations du traité de Maastricht sont cependant le lancement d’une
véritable politique économique et monétaire et l’introduction de la citoyenneté
européenne.
En second lieu, il crée l’Union européenne qui rassemble de nouvelles compétences dans
lesquels entendent agir ensemble dans des domaines particulièrement sensibles. Néanmoins,
pour que les Etats membres consentent à conférer des compétences à l’Union en matière de
politique étrangère et de sécurité de l’Union (PESC) et de justice et d’affaires intérieures
(JAI), il a fallu prévoir que le Conseil de l’Union européenne statuerait toujours à l’unanimité,
ce qui garantit à chaque Etat de disposer d’un droit de veto. Il peut donc paralyser l’adoption
d’un acte qui ne lui convient pas.

§2 : Les transformations de l’Union européenne


A. Le traité d’Amsterdam
Signé en 1997 et entré en vigueur en 1999, le traité d’Amsterdam amorce une réforme
importante des institutions de l’Union, sans toutefois y parvenir totalement.
Parmi les apports de ce traité, on peut notamment signaler :
- l’attribution à l’Union de compétences sur les questions relatives à l’immigration, à la
politique des visas et au franchissement des frontières ;
- l’introduction des coopérations renforcées (que nous étudierons plus loin) ;
- l’affirmation, pour la première fois, de manière expresse, de l’attachement de l’Union
aux principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l’homme et de
l’État de droit (art. 6 TUE). L’adhésion de nouveaux membres est elle-même
subordonnée au respect de ces valeurs tandis qu’un mécanisme de sanction est
instauré contre les États membres qui ne les respecteraient pas (art. 7 TUE).

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B. Le traité de Lisbonne
Lorsque les peuples français et hollandais rejettent, respectivement les 29 mai et 1er juin 2005,
le traité établissant une Constitution pour l’Europe, 13 Etats membres l’avaient déjà ratifié.
D’où la difficulté pour les négociateurs du traité de Lisbonne de donner satisfaction à la fois
aux Etats membres qui avaient rejeté le traité établissant une Constitution pour l’Europe et à
ceux qui l’avaient ratifié.
Ce compromis délicat supposait, en premier lieu, dans l’abandon de la perspective
constitutionnelle se traduit par la suppression du terme « constitution » dans le libellé du
traité de Lisbonne et, plus largement, de toutes les références aux symboles constitutionnels
(drapeau, hymne, devise et mention selon laquelle la monnaie de l’Union est l’euro). Il a
également été renoncé aux termes "lois" et "lois-cadres européennes" qui devaient remplacer
les classiques règlements et directives.
Cette concession a, en revanche, permis de préserver l’essentiel des avancées opérées par
le traité constitutionnel. C’est ainsi que l’article 6 TUE, relatif aux droits fondamentaux
reconnaît une valeur contraignante à la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne. Cette disposition pose également le principe d’une adhésion de l’Union
européenne à la Convention européenne des droits de l’homme. Dans un important avis
2/13 sur l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme
(« Convention EDH »), rendu le 18 décembre 2014, la Cour de justice de l’Union européenne
a toutefois considéré que les conditions d’une telle adhésion n’étaient pas réunies. La
perspective de voir l’Union adhérer à la Convention EDH paraît ainsi durablement écartée.
Sur le terrain institutionnel, la fonction de président du Conseil européen, élu pour une
durée de deux ans et demi renouvelable une fois, voit ainsi le jour ; de même que le droit pour
un Etat membre de se retirer de l’Union européenne est consacré.

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Chapitre I : Une Union d’ÉtatsErreur ! Signet non défini.

Section 1 : Les conditions d’adhésion

§ 1 : Les enjeux de l’élargissement

 La réunification pacifique du continent. L’élargissement de l’Union européenne aux


pays d’Europe centrale et orientale témoignait du souci de refermer « une des pages les plus
sombres de l’histoire européenne, celle de la Seconde Guerre mondiale et du partage
artificiel de l’Europe qui l’a suivie » (déclaration de Laeken sur l’avenir de l’Union
européenne, 14-15 déc. 2001). Cet élargissement doit permettre à tout le continent de
profiter de l’apport majeur de la construction européenne : l’instauration d’une paix
durable. Cette perspective de stabilisation du continent conduit à rechercher un
élargissement continu de l’Union et donc à en étendre au maximum les frontières. À cet
égard, l’adhésion de la Croatie le 1er juillet 2013 est un encouragement fort adressé aux
autres États des Balkans.
 Une récompense politique. L’adhésion revient à délivrer au nouvel entrant le label de
démocratie et d’économie de marché.
 Cependant, à trop privilégier la symbolique au détriment de la réalité politique et
économique, le risque est d’assister à une dilution de l’intégration. L’Union européenne
compte désormais trop de membres pour qu’ils puissent continuer d’avancer ensemble au
même rythme. L’élargissement augure donc d’une amplification très importante de la
différenciation.

§ 2 : Les critères de l’élargissement

L’article 49 TUE dispose désormais que « les critères d’éligibilité approuvés par le Conseil
européen sont pris en compte ». Le Conseil européen de Copenhague des 21-22 juin 1993 en
a dégagé trois :
– le critère politique est le seul à être explicitement mentionné par l’article 49 TUE :
« Tout État européen qui respecte les valeurs visées à l’article 2 et s’engage à les
promouvoir peut demander à devenir membre de l’Union ». L’article 2 vise la dignité
humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’État de droit, le respect des droits de
l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités mais aussi le
pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les
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femmes et les hommes. Cette condition politique, implicite à l’origine, excluait
l’adhésion de la Grèce, de l’Espagne ou du Portugal avant la chute de ces dictatures. Elle
n’a cependant été expressément consacrée qu’avec le traité d’Amsterdam en 1997 ;
– le critère économique correspond à l’existence d’une économie de marché viable ainsi
qu’à la capacité à faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à
l’intérieur de l’Union ;
– le critère de la reprise de l’acquis de l’Union européenne désigne l’aptitude des pays
candidats à respecter les finalités de l’Union et l’ensemble de son droit.
L’article 49 TUE ouvre la voie de l’adhésion à « tout État européen », ce qui n’est guère
éclairant puisqu’en Europe, la géographie ne détermine rien de façon absolue. L’Union doit
donc être appréhendée davantage comme un espace politique que comme un espace
géographique.
D’un point de vue théorique, ce critère est un préalable à l’ouverture des négociations
d’adhésion, alors que les critères économiques et de reprise de l’acquis sont des
préalables à l’adhésion. Ce n’est qu’une fois l’étape du contrôle politique franchie que l’État
qui a déposé sa demande d’adhésion à l’Union européenne se voit reconnaître le statut de
candidat à l’adhésion. Les négociations sont alors censées porter uniquement sur le respect des
deux derniers critères. En pratique cependant, l’Union s’assure, tout au long des négociations,
que l’État candidat continue d’observer scrupuleusement le critère politique, ce qui relativise
le caractère préalable du contrôle politique. Pire même, la Roumanie et la Bulgarie ont été
autorisées à adhérer à l’Union européenne alors même qu’il était avéré que ces deux États ne
remplissaient pas le critère politique. Cette situation étonnante s’explique par le fait que le
traité d’adhésion des 12 pays de l’Europe centrale et orientale, qui avait été conclu en 2003,
ne permettait pas de reporter l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie au-delà de 2007. Il a
donc fallu se résoudre à accueillir ces deux États, tout en les soumettant à un mécanisme de
suivi post-adhésion destiné à évaluer leurs progrès en vue d’atteindre certains objectifs
spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption. Ainsi,
tous les ans depuis 2007 (et cela continue encore aujourd’hui !), ces deux États doivent
présenter un rapport à la Commission sur les progrès réalisés dans ces domaines. La
Commission transmet ensuite, à son tour, au Parlement européen et au Conseil ses propres
commentaires et conclusions sur les rapports présentés par la Roumanie et la Bulgarie.
Par ailleurs, le critère politique est malléable. Ainsi recouvre-t-il désormais, dans la
perspective de l’élargissement aux pays des Balkans, les obligations de règlement pacifique

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des différends, de coopération régionale et de collaborer avec le Tribunal pénal international
pour l’ex-Yougoslavie.
Aujourd’hui, 9 États se sont vu reconnaître officiellement le statut de pays candidats à
l’entrée dans l’Union européenne. Il s’agit de la Turquie, la Macédoine du Nord, le
Monténégro, la Serbie, l'Albanie, l'Ukraine, la Moldavie, la Géorgie et, depuis le 15 décembre
2023, de la Bosnie-Herzégovine.

Section 2 : Les conditions du retrait

§ 1 : Le silence initial du Traité CEE

À l’origine, le traité CEE ne consacrait pas le droit pour un État membre de se retirer de la
Communauté. Certains auteurs déduisaient de l’absence de consécration explicite d’un droit
de retrait, combinée à l’absence de limitation de sa durée de validité du traité CEE que les
États membres ne pouvaient pas quitter la Communauté européenne.
Cette argumentation n’était toutefois pas convaincante. En effet, le fait qu’une institution a été
créée pour une durée indéterminée n’interdit pas que l’engagement individuel d’un État
prenne fin. En outre, aucune objection n’a été élevée lorsque le gouvernement britannique a
demandé aux électeurs, en 1975, de choisir entre le maintien dans la Communauté ou le retrait
ou lorsque, après avoir rejeté le traité de Maastricht, le Danemark a, à son tour, évoqué un
éventuel retrait pour sortir de la crise.
La pratique, aussi faible soit-elle, accréditait ainsi la thèse de l’existence d’un droit de
retrait avant même sa consécration expresse. On voyait mal d’ailleurs comment on aurait pu
contraindre un État à demeurer dans la Communauté s’il désirait vraiment la quitter.

§ 2 : Un silence comblé par le traité de Lisbonne

« Tout État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer
de l’Union » (art. 50 TUE).

Le principe retenu est celui d’un retrait négocié. L’article 50 TUE prévoit en effet que
« L’État membre qui décide de se retirer notifie son intention au Conseil européen. À la
lumière des orientations du Conseil européen, l’Union négocie et conclut avec cet État un
accord fixant les modalités de son retrait, en tenant compte du cadre de ses relations futures
avec l’Union. Cet accord [...] est conclu au nom de l’Union par le Conseil, statuant à la

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majorité qualifiée, après approbation du Parlement européen ». Néanmoins, si les
négociations n’ont pas abouti dans les deux ans suivant la notification par l’État de son
intention de se retirer, l’État peut quitter l’Union de façon unilatérale.
« Si l’État qui s’est retiré de l’Union demande à adhérer à nouveau, sa demande est soumise à
la procédure visée à l’article 49 ». Il ne tirera donc théoriquement aucun avantage de son
appartenance passée à l’Union.
Malheureusement, cette disposition a été mise en œuvre. A la suite de la victoire du camp
du « leave » lors du référendum du 23 juin 2016, le Premier ministre britannique, Theresa
May, a notifié au Conseil européen, le 29 mars 2017, l’intention du Royaume-Uni de quitter
l’Union.
Les négociations relatives à la sortie de l’Union du Royaume-Uni ont été particulièrement
âpres. L’accord de retrait n’a en effet pu être conclu que le 17 octobre 2019. Le Royaume-Uni
n’a officiellement quitté l’Union européenne le 31 janvier 2020.
Jusqu’au bout, l’Union a essayé de retenir le Royaume-Uni en son sein, notamment par une
voie assez inattendu, à savoir par une intervention de la Cour de justice de l’Union
européenne. Par son important arrêt Wightman, rendu le 10 décembre 2018, la Cour de
justice a en effet rendu possible une volte-face du Royaume-Uni. Elle a en effet jugé qu’un
État membre, qui a notifié au Conseil européen son intention de se retirer de l’Union, peut,
parfaitement révoquer unilatéralement, de manière univoque et inconditionnelle, cette
notification par un écrit adressé au Conseil européen tant que l’accord de retrait qu’il a conclu
avec l’Union n’est pas entré en vigueur ou, si un tel accord n’a pas pu être obtenu, tant que le
délai de deux ans prévu par l’article 50 TUE n’a pas expiré. Une telle révocation a pour objet
de confirmer l’appartenance de cet État membre à l’Union dans des termes inchangés quant à
son statut d’État membre et met, par conséquent, fin à la procédure de retrait.
Le Royaume-Uni n’a toutefois pas saisi cette opportunité.
Ce dispositif complexe pourrait toutefois être appelé à évoluer.

 Les trois millions de citoyens européens qui résident de manière permanent au Royaume-
Uni, ainsi que les membres de leur famille, ont conservé les mêmes droits après le Brexit,
notamment en ce qui concerne la santé, la retraite, les prestations sociales, le regroupement
familial, l’égalité de traitement….
Réciproquement, le million de citoyens britanniques résidant dans les autres États membres
de l’Union disposent des mêmes droits. Ils ont en revanche perdu leur qualité de citoyens

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européens, de sorte qu’ils ne peuvent plus prendre part ni aux élections européennes, ni aux
élections municipales (sauf, pour ces dernières, si le droit national ouvre aux étrangers
ressortissants de pays tiers le droit de vote aux élections municipales).
 Plus de 3 000 indications géographiques protégées, telles que « champagne », « jambon de
Parme », « feta », seront préservées. Le retrait du Royaume-Uni n’entraînera donc aucune
perte de droits de propriété intellectuelle pour les sociétés européennes dont les produits sont
commercialisés dans cet État, mais aussi, de manière réciproque, pour les sociétés
britanniques exportant des produits protégés par une indication géographique protégée vers
l’Union européenne.

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Chapitre 2 : Une Union de droit

L’Union européenne est une Union de droit en ce qu’elle impose le respect des droits
fondamentaux à ses institutions, ainsi qu’aux États membres lorsque ceux-ci prennent des
mesures qui rentrent dans le champ d’application du droit de l’Union.

Dans ce chapitre, nous n’étudierons que la façon dont le respect des droits fondamentaux est
imposé aux institutions de l’Union. Nous verrons que l’obligation de respecter les droits
fondamentaux a d’abord été posée par la Cour de justice (Section 1), avant d’être
constitutionnalisée lors de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne (Section 2).

Section 1 : Une protection des droits fondamentaux initialement


prétorienne
L’arrêt Nold (CJCE, 14 mai 1974, 4/73) est le plus complet et le plus important en matière de
protection des droits fondamentaux. On peut en tirer deux enseignements principaux.

 Diversification des sources des droits fondamentaux


La Cour vise « les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme
auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré » aux côtés des traditions
constitutionnelles communes. La référence aux instruments auxquels les États ont seulement
« coopéré » constitue une allusion à la Convention EDH que la France venait à peine de
ratifier (le 3 mai 1974).

 Existence d’une limite aux atteintes aux droits fondamentaux


« Les droits ainsi garantis, loin d’apparaître comme des prérogatives absolues, doivent être
considérés en vue de la fonction sociale des biens et activités protégés […] il apparaît de
même légitime de réserver à l’égard de ces droits l’application de certaines limites justifiées
par les objectifs d’intérêt général poursuivis par la Communauté, dès lors qu’il n’est pas
porté atteinte à la substance de ces droits ».

En 1975, l’arrêt Rutili comporte la première référence explicite à la Convention européenne


des droits de l’homme, tout simplement parce que la France l’a (enfin !) ratifiée, le 3 mai
1974.
En 1989, pour souligner l’importance de la Convention EDH pour l’Union européenne, la
Cour de justice affirmera que cette convention « revêt […] une signification particulière ».

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Section 2 : Une protection des droits fondamentaux désormais
constitutionnalisée

§ 1 : La constitutionnalisation de la jurisprudence

En 1992-1993, le traité de Maastricht a codifié la jurisprudence de la Cour de justice. Il a


ainsi affirmé que « [l]’Union respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la
Convention [EDH], et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux
États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire » (art. F§2). Comble
du paradoxe, cette nouvelle disposition échappait à la compétence de la Cour. La situation
était ubuesque puisque la Cour n’était pas compétente pour interpréter une disposition qui
reprenait littéralement la formule qu’elle utilisait rituellement dans ses arrêts !
Le traité d’Amsterdam effectue un saut qualitatif considérable. Le respect des droits
fondamentaux y apparaît comme une condition d’adhésion mais aussi d’appartenance à
l’Union européenne. Ce traité établit la compétence de la Cour pour connaître de l’article 6 §2
TUE (ex. art. F§2). Parallèlement, sont introduites un certain nombre de dispositions qui
habilitent l’Union à protéger les droits fondamentaux dans certains domaines : lutte contre de
nombreux motifs de discrimination (sexe, race, religion, handicap…), protection des droits
sociaux, des données personnelles, du droit d’accès aux documents des institutions de
l’Union…

§ 2 : La révolution opérée par le traité de Lisbonne

A. L’attribution d’une valeur contraignante à la Charte


L’article 6 TUE affirme que la Charte « a la même valeur juridique que les traités ».
Devenue contraignante, la Charte peut désormais être utilisée directement, sans qu’il soit
besoin d’emprunter le canal des principes généraux du droit ou celui des traditions
constitutionnelles communes aux États membres. À titre d’exemple, alors que, avant l’entrée
en vigueur du traité de Lisbonne, elle faisait découler le principe de non-discrimination en
fonction de la religion ou des convictions des traditions constitutionnelles communes aux
États membres, la Cour le fondé désormais sur l’article 21 de la Charte (CJUE, gde ch., 11
sept. 2018, I.R.).
La Charte est ainsi devenue la norme de référence dans l’Union européenne en matière de
protection des droits fondamentaux, notamment dans la jurisprudence de la Cour de justice où
elle a très largement supplanté la Convention européenne des droits de l’homme.
Bien qu’elle ait valeur de droit primaire, la Charte peut sembler, dans une certaine mesure,
inféodée à la fois à la Convention EDH et aux traditions constitutionnelles communes aux
États membres. En effet, l’article 52§3 de la Charte dispose que le sens et la portée des droits
correspondant « sont les mêmes que ceux que leur confère [la Convention EDH]. » Il est
toutefois permis à l’Union d’ « accord[er] une protection plus étendue. » Ce faisant, cette
disposition vise à assurer la cohérence nécessaire entre les droits contenus dans celle-ci et les
droits correspondants garantis par la CEDH, sans que cela porte atteinte à l’autonomie du
droit de l’Union .
L’article 52§4 prévoit, quant à lui, de manière ambiguë, que « [d]ans la mesure où la
présente Charte reconnaît des droits fondamentaux tels qu’ils résultent des traditions
constitutionnelles communes aux États membres, ces droits doivent être interprétés en
harmonie avec lesdites traditions. »

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B. La modernité de la Charte
La Charte constitue une version réactualisée de la Convention EDH. Il s’agit aujourd’hui du
catalogue de droits fondamentaux le plus récent et le plus complet. Aussi est-elle censée être
en phase avec les aspirations sociétales de l’époque. L’exemple le plus emblématique de cet
effort de modernisation est certainement le droit au mariage. En effet, « le droit de se marier
et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent
l’exercice ». Les explications qui accompagnent cet article 9 révèlent que « cet article
n’interdit ni n’impose l’octroi du statut de mariage à des unions entre personnes du même
sexe ». La Charte s’écarte ainsi de l’article 12 de la Convention EDH qui postule le caractère
hétérosexuel du mariage. En clair, la Charte n’oblige pas les États membres à consacrer le
mariage homosexuel. En revanche, ceux-ci sont tenus de reconnaître les effets d’un mariage
homosexuel aux seules fins de l’octroi d’un droit de séjour dérivé au conjoint d’un citoyen
européen (CJUE, gde ch., 5 juin 2018, Coman).
La modernité se perçoit également dans le plan retenu. La Charte mêle en effet des droits
civils et politiques et des droits économiques et sociaux. Elle commence, en outre, par un titre
consacré à la dignité humaine et se poursuit par six autres titres relatifs aux libertés, à
l’égalité, la solidarité, la citoyenneté, la justice. Le dernier contient les dispositions générales
concernant l’interprétation et l’application de la Charte.
L’important arrêt Consistoire centrl israelite de Belgique du 17 décembre 2020) suggère
que la Cour de justice se livrera, à l’avenir, à une interprétation évolutive de la Charte. La
Cour y affirme, en effet, que « à l’instar de la Convention EDH, la Charte est un instrument
vivant à interpréter à la lumière des conditions de vie actuelles et des conceptions prévalant de
nos jours dans les États démocratiques […], de sorte qu’il convient de tenir compte de
l’évolution des valeurs et des conceptions, sur les plans tant sociétal que normatif, dans les
États membres ».

La Charte s’applique aux « institutions, organes et organismes de l’Union […] ainsi qu’aux
États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. »

L’article 52 de la Charte reprend, pour l’essentiel, la jurisprudence Nold, et admet, par


conséquent, que des limites puissent être apportées aux droits qu’elle énonce. C’est ainsi que
« toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être
prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du
principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont
nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union
ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui. 2. Les droits reconnus par la présente
Charte qui font l’objet de dispositions dans les traités s’exercent dans les conditions et limites
définies par ceux-ci. »

Le respect des droits fondamentaux s’impose également aux États. Le traité UE a d’abord
imposé le respect des droits fondamentaux aux États candidats, puis aux États membres. Le
respect des valeurs de l’Union européenne (démocratie, État de droit…) constitue en effet un
préalable à l’ouverture de négociations. Le statut d’État candidat ne peut ainsi être reconnu
qu’à un État qui a franchi avec succès l’étape du contrôle politique. Divers mécanismes (que
nous n’étudierons pas) ont été conçus afin de sanctionner un État membre qui méconnaîtrait
de façon patente les droits fondamentaux.

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Chapitre III : Le dispositif institutionnel de l’Union européenne

L’Union européenne se caractérise par un régime de collaboration des institutions. Chacune


des trois fonctions classiques que sont les fonctions exécutive, législative et de contrôle, est
ainsi exercée par au moins deux institutions.

Section 1. La fonction exécutive


Dans le cadre de la fonction exécutive, trois institutions sont amenées à collaborer, voire se
trouvent en concurrence : la Commission, le Conseil de l’Union européenne et le Conseil
européen. L’examen de la fonction exécutive peut se décliner en deux volets : l’initiative et
l’activité d’exécution proprement dite.

§ 1. L’initiative
La Commission, autrefois très puissante, se trouve de plus en plus marginalisée. A l’inverse,
le rôle du Conseil européen s’accroît sans cesse.

A. La montée en puissance du Conseil européen


Créé en 1974, le Conseil européen réunit les chefs d’Etat ou de gouvernement. Il se réunit
deux fois par semestre sur convocation de son président. Néanmoins, lorsque la situation
l’exige, le président convoque une réunion extraordinaire du Conseil européen.
Le traité de Lisbonne a créé la fonction de président permanent du Conseil européen qui est
incompatible avec l’exercice d’un mandat national. Ainsi les présidents du Conseil européen
qui se sont succédé depuis la création de cette fonction, respectivement Hermann VON

ROMPUY, Donald TUSK et désormais Charles MICHEL, ont-t-il dû quitter leur fonction de
Premier ministre pour accéder à cette fonction.
Le président du Conseil européen est élu par les chefs d’Etat ou de gouvernement des Etats
membres « à la majorité qualifiée pour une durée de deux ans et demi, renouvelable une
fois ». En cas de renouvellement, la durée de son mandat coïncidera ainsi avec celles des
commissaires et des députés européens.
Le président du Conseil européen :
- préside et anime les travaux du Conseil européen;
- assure la préparation et la continuité des travaux ;
- œuvre en vue de faciliter le consensus au sein de l’institution;
- fait rapport au Parlement européen à la suite de chaque réunion ;

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- enfin, il contribue à représenter l’Union sur la scène internationale pour les
matières relevant de la politique étrangère et de sécurité commune.

Le Conseil européen donne à l’Union les impulsions nécessaires à son développement et


en définit les orientations et les priorités politiques générales. Les autres institutions ne
font dès lors qu’entériner et mettre en forme les choix arrêtés par les chefs d’Etat ou de
gouvernement. Bien qu’il ne soit pas censé exercer de fonction législative, puisque le traité le
lui interdit, il arrive que le Conseil européen mâche le travail des institutions auxquelles
incombe la fonction législative.

B. L’affaiblissement de la Commission
1. Désignation de la Commission
La nomination d’une nouvelle Commission se décompose en 6 étapes :
(1) désignation du président de la Commission par le Conseil européen en tenant compte
des résultats aux élections européennes. Le président de la Commission doit donc être
issu du groupe arrivé en tête lors des élections européennes.
(2) élection du candidat désigné par le Parlement européen.
(3) sélection des commissaires par le Conseil, en accord avec le président désigné mais sur
la base des propositions faites par chaque Etat membre.
(4) audition des commissaires désignés par le Parlement européen. Bien que non prévue
par les Traités, cette étape permet au Parlement européen de peser sur la composition du
collège en menaçant de refuser l’investiture de l’ensemble des commissaires si tel ou tel
candidat est retenu.
(5) approbation du collège des commissaires dans son ensemble.
(6) nomination formelle de la Commission par le Conseil.
La durée du mandat de la Commission est de cinq ans afin de coïncider avec celle de la
législature du Parlement européen.

2. Le privilège de la Commission en matière d’initiative


 Les traités attribuent à la Commission un quasi-monopole de l’initiative. En effet, par
principe, le Conseil de l’Union européenne ne peut, en effet, délibérer en l’absence d’une
proposition formelle de la Commission. Cependant, en réalité, 94% des propositions de la
Commission relayent les préoccupations d’autres institutions.
 Le Traité confère surtout une prime à la proposition de la Commission. Cette prime
consiste à introduire un décalage entre les conditions requises pour adopter une

- 14 -
proposition de la Commission et les exigences posées pour la modifier. Le Conseil peut
ainsi normalement adopter une proposition de la Commission en statuant à la majorité. A
l’inverse, il ne peut s’en écarter, c’est-à-dire la modifier contre l’avis de la Commission, qu’à
l’unanimité. La Commission peut ainsi théoriquement s’appuyer sur un seul Etat membre afin
de faire pression sur le Conseil et d’imposer ses vues.
 Le droit d’initiative comprend le droit pour la Commission de modifier ou de retirer sa
proposition, à tout moment, à tous les stades de la procédure tant que le Conseil n’a pas statué
afin de préserver l’intégrité d’une proposition qu’elle estime dénaturée par les amendements
du Conseil et/ou du Parlement européen.
 Le traité de Lisbonne instaure une initiative ouverte à au moins un million de citoyens
européens provenant d’au moins 7 Etats membres. Ces initiatives consistent à inviter la
Commission à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles les
citoyens européens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de
l’application des traités. Cette proposition d’origine populaire ne lie juridiquement pas la
Commission. Politiquement cependant, on voit mal comment la Commission pourrait ne pas
donner suite à une proposition entrant dans le champ de compétence de l’Union européenne.
Cependant, à ce jour, aucune initiative citoyenne européenne n’a encore débouché sur la
proposition d’un acte par la Commission.

§ 2. L’exécution proprement dite


 Le pouvoir d’exécution du droit de l’Union appartient aux Etats membres. L’intervention
des institutions de l’Union au stade de l’exécution du droit de l’Union est donc subsidiaire et
rare. Lorsqu’elle est nécessaire, cette intervention de l’Union au stade de l’exécution du droit
de l’Union incombe à la Commission, sauf dans le domaine de la politique étrangère et de
sécurité commune (PESC). Cette dernière politique est en effet exécutée par le Haut
représentant et par les Etats membres.
Dans l’exercice de sa compétence d’exécution, la Commission est étroitement encadrée, via
un dispositif de comitologie. Le terme « comitologie » est un néologisme qui désigne
l’obligation pour la Commission de solliciter l’avis de comités qui réunissent des
représentants des Etats membres, experts dans le domaine faisant l’objet de la discussion.
Dans certains cas, l’avis d’un comité est purement consultatif, tandis que dans d’autres
hypothèses, il est contraignant pour la Commission.

- 15 -
Section 2. La fonction législative
§ 1. La montée en puissance régulière du Parlement européen
A. Présentation
 Le Parlement européen est élu au suffrage universel direct depuis 1979. Le mandat des
députés européens est de cinq ans. Les Etats membres disposent d’un nombre de députés
européens qui varie de 6 (minimum) à 99 (maximum).
Le Parlement européen compte 751 députés : 99 pour l’Allemagne ; 74 pour la France ; 73
pour le Royaume-Uni et l’Italie ; 20 pour la Suède ; 6 pour Chypre, l’Estonie, le
Luxembourg et Malte.
Avant le Brexit, il y avait 751 députés européens. Ce chiffre de 751 correspond au maximum
prévu par le traité de Lisbonne.
A la suite du départ du Royaume-Uni et donc depuis le 1er février 2020, ce nombre a été
ramené à 705. L'idée est de disposer d'une marge de manoeuvre pour le cas où l'Union
européenne viendrait à s'élargir en accueillant un ou plusieurs nouveaux Etats membres.
Dès lors que le Royaume-Uni bénéficiait de 73 sièges et que le nombre total de députés
européens n'a été abaissé que de 46 (751 - 705), il a fallu redistribuer les 27 sièges restants
(73 - 46). Ceux-ci ont été attribués de la manière suivante:
- 5 chacun à la France, l’Espagne et l’Italie;
- 3 aux Pays-Bas;
- 2 à l’Irlande;
- et 1 chacun à la Suède, l’Autriche, le Danemark, la Finlande, la Slovaquie, la Croatie,
l’Estonie, la Pologne et la Roumanie. Aucun État membre n'a perdu de siège.

 Depuis qu’il élu au suffrage universel direct, le Parlement européen se prévaut de cette
légitimité démocratique directe pour solliciter sans cesse de nouveaux pouvoirs lors des
révisions des traités.
 Il « exerce, conjointement avec le Conseil, les fonctions législative et budgétaire. Il exerce
des fonctions de contrôle politique et consultatives […]. Il élit le président de la
Commission ».

B. Modes de délibération
Ces procédures sont présentées par degré croissant d’implication du Parlement européen.

1. La simple consultation

- 16 -
 Bien que l’avis émis par le Parlement ne le lie pas, le Conseil est tenu de le solliciter.
 Le Parlement ne peut cependant bloquer le processus décisionnel en refusant de statuer.
Passé un délai raisonnable, le Conseil peut donc se passer de cet avis et statuer seul.
 Les domaines dans lesquels le Parlement est simplement consulté comptent parmi les
plus sensibles aux yeux des Etats : citoyenneté européenne ; définition des règles de
concurrence applicables aux entreprises ou aux aides d’Etat ; questions fiscales, monétaires ;
PESC...

2. L’approbation
Le pouvoir d’approbation offre au Parlement un véritable droit de veto à l’égard de la mesure
envisagée par le Conseil. Il s’agit cependant d’une loi du "tout ou rien" dans la mesure où le
Parlement ne peut que rejeter le texte en bloc ou l’accepter en l’état.
L’approbation est principalement requise pour des décisions de la plus haute importance, telles
que le d’un Etat membre ou la demande d’adhésion d’un nouvel Etat.

3. La procédure législative ordinaire


Apparue timidement avec le traité de Maastricht, la procédure législative ordinaire a vu son
champ d’application s’accroître sans cesse depuis lors au point de constituer désormais la
procédure la plus fréquemment appliquée. Il s’agit d’une procédure de stricte
codécision en ce sens que le Parlement européen et le Conseil sont à égalité. Chacune de
ces deux institutions a besoin de l’accord de l’autre pour parvenir à adopter l’acte en
discussion.

§ 2. Les modes de décision du Conseil


Lorsqu’une procédure législative spéciale s’applique, le Conseil est généralement seul décideur.
Dans la procédure législative ordinaire, en revanche, il n’est que codécideur. Il peut néanmoins
toujours bloquer le processus décisionnel.

A. Présentation
 Le Conseil de l’Union européenne a pour but de défendre les intérêts nationaux. Il est
composé d’un représentant de chaque Etat membre au niveau ministériel. Cette formulation
exclut la participation des chefs d’Etat ou de gouvernement et responsabilise donc les
ministres.
 Bien que le Conseil décide de plus en plus souvent à la majorité qualifiée, il reste encore de
nombreux domaines dans lesquels il statue à l’unanimité.

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 En fonction de l’ordre du jour, le Conseil réunit les ministres des Affaires étrangères, de
l’agriculture, de l’économie et des finances... des Etats membres. Les questions sont ainsi
débattues par les ministres techniquement compétents.

B. La majorité qualifiée, procédure de droit commun


Avec le traité de Lisbonne, la majorité qualifiée devient la procédure décisionnelle de droit
commun. Le Conseil statue donc à la majorité qualifiée, sauf lorsque les traités en disposent
autrement.
Un acte est adopté par le Conseil s’il est soutenu par au moins 55 % des Etats, comprenant
au moins quinze d’entre eux et représentant au moins 65 % de la population de l’Union.

Section 3. La fonction de contrôle


§ 1. Le contrôle politique
A. Le contrôle des Etats membres
Le respect des droits fondamentaux constituant le socle de l’Union, tout Etat qui les
méconnaît de façon grave et persistante peut perdre son droit de vote au Conseil.
Au-delà, la Commission peut, en sa qualité de gardienne des traités, poursuivre devant la
Cour de justice de l’Union européenne tout Etat qui a violé le droit de l’Union européenne.

B. Le contrôle de l’activité de la Commission par le Parlement européen


1) Le Parlement européen peut renverser la Commission en votant une motion de censure à
son encontre. En 1999, la démission de la Commission SANTER a toutefois mis en lumière les
excès de la démission collective lorsque le Parlement européen ne souhaite en réalité censurer
que le comportement d’un seul commissaire. En réaction, une responsabilité individuelle des
commissaires a été instituée dès le traité de Nice de 2001. Depuis lors, les commissaires
continuent à devoir répondre collectivement de l’action de la Commission dans son ensemble
devant le Parlement européen, mais ils sont également responsables, à titre individuel, de la
gestion de leur propre portefeuille devant leur Président. Ce dernier peut ainsi contraindre un
commissaire à démissionner. Tel fut le cas en 2012 lorsque l’ancien président BARROSO a
contraint John DALLI à quitter la Commission à cause des accusations de corruption – qui se
sont pourtant révélées infondées par la suite – dont il faisait l’objet.
2) Toute personne « a le droit de présenter, à titre individuel ou en association avec d’autres
citoyens ou personnes, une pétition au Parlement européen sur un sujet relevant des
domaines d’activité de l’Union et qui le ou la concerne directement ».

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§ 2. Le contrôle juridictionnel
L’Union européenne garantit le droit à une protection juridictionnelle effective. L’important
arrêt Les Verts avait affirmé que la Communauté était « une Communauté de droit en ce que
ni ses Etats membres ni ses institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs
actes à la charte constitutionnelle de base qu’est le traité » (CJCE, 23 avril 1986). Cet arrêt
s’attache à démontrer que « le traité a établi un système complet de voies de recours et de
procédures destiné à confier à la Cour de justice le contrôle de la légalité des actes des
institutions ».
Il convient de distinguer deux hypothèses, selon que le justiciable conteste la légalité d’un
acte national (A) ou d’un acte de droit dérivé, c’est-à-dire d’un acte adopté par une institution
de l’Union européenne (B).

A. La contestation de la conventionnalité du droit national


Le droit de l’Union européenne habilite le justiciable à soutenir devant une juridiction
nationale qu’un acte pris par une autorité publique nationale méconnaît le droit de l’Union
européenne. Il s’agit là d’une application du principe de primauté du droit de l’Union
européenne qui a été explicitée dans le célèbre arrêt Simmenthal rendu par la Cour de justice
le 9 mars 1978.
L’appréciation de la conformité de l’acte national au regard du droit de l’Union européenne
suppose d’interpréter ce dernier. Si un juge du fond éprouve des difficultés dans
l’interprétation du droit de l’Union européenne, il peut poser une question préjudicielle en
interprétation à la Cour de justice. Lorsqu’une difficulté d’interprétation du droit de l’Union
européenne se pose devant une juridiction suprême (Conseil d’Etat, Cour de cassation), la
faculté de saisir la Cour de justice cède la place à une obligation de renvoi préjudiciel. Les
décisions des juridictions suprêmes faisant jurisprudence, le but est d’éviter qu’une mauvaise
interprétation du droit de l’Union européenne soit suivie par les juridictions inférieures et
qu’elle se généralise dans tout un Etat membre.
La Cour de justice éclairera alors le juge national sur le sens qu’il convient de donner à la
règle européenne qu’invoque le justiciable. Dans l’attente de la réponse de la Cour de justice,
le juge national sursoit à statuer. Autrement dit, pendant les 15 mois que dure en moyenne
l’attente de la réponse de la Cour de justice, le juge national suspend le traitement de l’affaire.
La réponse de la Cour de justice est obligatoire pour toutes les juridictions nationales : non

- 19 -
seulement pour celle qui a interrogé la Cour mais aussi pour toutes les juridictions de
l’ensemble des Etats membres.

Il appartient aux Etats membres de garantir aux justiciables une protection juridictionnelle
effective. A ce titre, le justiciable doit pouvoir prendre connaissance des motifs qui fondent un
acte administratif le concernant. Cette exigence de motivation est censée permettre aux
justiciables « de décider, en pleine connaissance de cause, s’il est utile pour eux de saisir la
juridiction » (CJCE, 15 octobre 1987, UNECTEF / Heylens).
Les personnes physiques ou morales qui usent d’une liberté fondamentales offerte par le droit
de l’Union européenne (libertés de circulation, de séjour, libre prestation de services…)
doivent, par ailleurs, bénéficier du même traitement que les nationaux de l’Etat d’accueil. Sur
ce point, l’arrêt Bickel et Franz (CJCE, 24 novembre 1998) estime que la loi italienne
discriminait les citoyens européens en réservant aux seuls citoyens italiens résidant dans la
province de Bolzano la possibilité de s’exprimer en allemand devant les juridictions de cette
province. Cette faculté aurait, en effet, dû être étendue aux citoyens européens
germanophones.

B. La contestation du droit de l’Union européenne lui-même


Le justiciable peut chercher à remettre en cause un acte de droit dérivé. L’hypothèse peut se
concrétiser dans deux types de situations :
- lorsqu’une institution de l’Union européenne prend directement une mesure
susceptible d’affecter les intérêts d’un individu ou d’une entreprise. On parle alors
d’exécution directe du droit de l’Union européenne, en ce sens que les Etats sont
court-circuités : aucune mesure nationale ne vient s’interposer entre la décision de la
Commission ou du Conseil et l’individu ou l’entreprise. Tel est le cas lorsque la
Commission inflige par exemple une amende à une entreprise qui a violé le droit de la
concurrence ou lorsqu’elle s’oppose à ce qu’une aide d’Etat, c’est-à-dire une
subvention publique, soit versée à une entreprise. Lorsqu’une institution de l’Union
prend une décision qui concerne directement et individuellement une entreprise, celle-
ci doit l’attaquer devant le Tribunal de l’Union européenne par la voie d’un recours en
annulation ;
- lorsqu’un Etat membre a exécuté fidèlement un acte d’une institution de l’Union
européenne. Dans une telle hypothèse, le justiciable doit saisir une juridiction

- 20 -
nationale. Il va en effet solliciter l’annulation de l’acte national au motif qu’il repose
sur un acte de droit dérivé invalide. Si la juridiction nationale est convaincue par
l’argumentation que lui présente le requérant, elle devra alors poser une question
préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne. Afin de garantir l’application
uniforme des actes de droit dérivé, seule la Cour de justice est en effet compétente
pour constater l’invalidité d’un acte de droit dérivé (CJCE, 22 octobre 1987, Foto-
Frost). Ce monopole de la Cour de justice dans la constatation de l’invalidité des actes
de droit dérivé vise à éviter qu’un tel acte soit appliqué dans un Etat membre et écarté
dans un autre.

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Chapitre IV : Les moyens d’action de l’Union européenne

Section 1 : Les compétences de l’Union européenne


§ 1. La détermination des compétences de l’Union
A. L’attribution des compétences
« En vertu du principe d’attribution, l’Union n’agit que dans les limites des compétences que
les Etats membres lui ont attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités
établissent. Toute compétence non attribuée à l’Union dans les traités appartient aux Etats
membres ». Ce principe doit être interprété afin de ne pas attribuer à l’Union des compétences
que les Etats membres de l’Union n’auraient pas souhaité lui transférer.
Dans son important arrêt AETR du 31 mars 1971, la Cour de justice a posé le principe du
parallélisme des compétences externes et internes. Ce principe signifie que l’Union
européenne doit disposer d’une compétence externe, c’est-à-dire de la compétence de
conclure un accord international avec un Etat tiers ou une autre organisation internationale,
dans les domaines où elle est compétente pour réglementer les rapports entre Etats membres
de l’Union ou entre leurs ressortissants ou leurs entreprises.
Conformément au principe d’attribution, l’Union ne peut donc adopter un acte que si une
disposition des traités l’y habilite. La base juridique d’un règlement ou d’une directive vise
ainsi à démontrer que l’Union est bel et bien compétente pour adopter l’acte en question.
Par ailleurs, le choix de la base juridique détermine les procédures décisionnelles qui devront
être suivies afin d’adopter la proposition (simple consultation du Parlement ou codécision ;
vote à la majorité qualifiée ou à l’unanimité au Conseil). La base juridique dicte également, en
principal, la nature juridique de l’acte à adopter (règlement, directive ou décision).
Compte tenu de son importance, le choix de la base juridique d’un acte doit se fonder sur des
éléments objectifs susceptibles d’être contrôlé par le juge, tels que le but et l’objet principal de
l’acte.

B. La catégorisation des compétences internes de l’Union européenne


On distingue trois types de compétences.
1. Les compétences exclusives
Lorsque les traités attribuent à l’Union une compétence exclusive dans un domaine déterminé,
elle seule peut légiférer et adopter des actes juridiquement contraignants. Dans le champ des

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compétences exclusives, les Etats membres sont donc complètement dessaisis et ne
peuvent plus intervenir.
L’Union dispose de cinq domaines de compétences exclusives :
- l’union douanière;
- l’établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du
marché intérieur;
- la politique monétaire pour les Etats membres dont la monnaie est l’euro;
- la conservation des ressources biologiques de la mer dans le cadre de la
politique commune de la pêche;
- la politique commerciale commune.

2. Les compétences partagées


La catégorie des compétences partagées accueille toutes les compétences de l’Union qui ne
sont ni à la catégorie des compétences exclusives, ni à celles des compétences
complémentaires, de coordination ou d’appui.
Dans le champ des compétences partagées, les Etats membres ne peuvent légiférer et adopter
des actes juridiquement contraignants que dans la mesure où l’Union n’a pas exercé sa propre
compétence. Les Etats membres exercent à nouveau leur compétence dans la mesure où
l’Union a décidé de cesser d’exercer la sienne. Ces "compétences partagées" peuvent ainsi
être représentées par l’image des vases communicants.
1°) En effet, l’inaction de l’Union autorise les Etats à légiférer.
2°) Cependant, l’Union dispose d’un pouvoir de préemption de sorte que lorsqu’elle exerce
sa compétence, les Etats ne peuvent plus intervenir.
3°) Enfin, les Etats retrouveront cette possibilité d’action si l’Union cesse d’exercer une
compétence partagée.
Les compétences partagées couvrent notamment le marché intérieur ; la politique sociale ;
l’environnement ; la protection des consommateurs ; les transports…

3. Les compétences complémentaires ou d’appui


Ici, les Etats conservent la mainmise dans ces domaines. L’Union doit soutenir, encourager…
Bref, elle ne peut recourir qu’à la persuasion.
Il en va notamment ainsi en matière de protection et l’amélioration de la santé humaine ;
d’industrie ; de culture ; d’éducation.

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§ 2. L’exercice des compétences de l’Union européenne
A. Le principe de subsidiarité
Le principe de subsidiarité est un principe de régulation des compétences. Il permet
uniquement de déterminer l’autorité, nationale ou communautaire, la plus à même d’assurer
l’exécution du droit de l’Union européenne. Le principe de subsidiarité n’est donc pas un
principe d’attribution des compétences. Par le jeu du principe de subsidiarité, on considère
simplement que l’autorité nationale est la mieux placée pour atteindre l’objectif défini par le
droit de l’Union.
Le principe de subsidiarité reconnaît une réelle priorité d’action aux Etats membres.
L’Union légifère, en effet, « seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action
envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les Etats membres mais
peuvent l’être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, au niveau
de l’Union ».
L’intervention de l’Union est subordonnée à deux conditions :
- l’inefficacité du niveau national, d’une part,
- et la démonstration que l’action entreprise au niveau communautaire apportera une
réelle plus-value, d’autre part.

Principe Titulaire de la Etats Union européenne


d’attribution compétence
Nature de la Réservée Concurrentes Exclusives
compétence
Union
européenne
Si les objectifs de
l’action envisagée Toujours
Principe de Etats Etats ne peuvent pas
subsidiarité Autorité
être atteints de
l’Union
chargée de (priorité
d’action) = manière suffisante
l’exécution
pas les Etats mais
l’intervention peuvent l’être
de l’Etat mieux en raison
n’enlève rien des dimensions ou
au fait que la des effets de
compétence l’action envisagée
appartient à au niveau de
l’Union l’Union.

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Le principe de subsidiarité ne s’applique, par définition, qu’aux compétences concurrentes
puisqu’il s’agit de la seule catégorie de compétences pour laquelle on peut envisager tant une
action de l’Union qu’une action des Etats.

B. Le principe de proportionnalité
En vertu du principe de proportionnalité, « le contenu et la forme de l’action de l’Union
n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités ». Ce principe est
opposable aux institutions de l’Union mais aussi aux Etats membres lorsqu’ils mettent en
œuvre le droit de l’Union.
Le principe de proportionnalité doit être observé en toutes circonstances.
On distingue trois phases dans la mise en œuvre du contrôle de proportionnalité :
- le contrôle de la nécessité de la mesure au regard de l’objectif poursuivi ;
- le contrôle de l’adéquation : le juge vérifie ici que l’auteur de l’acte a retenu la mesure
pertinente la moins contraignante pour les justiciables ;
- le contrôle de proportionnalité stricto sensu : la mesure ne doit pas excéder ce qui est
approprié.

C. Le principe de flexibilité
1. L’adaptation
L’article 352 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne permet de combler une
lacune du traité et de faire face à des situations nouvelles ou imprévues. Le Conseil devra
toutefois statuer à l’unanimité avec l’approbation du Parlement. La lourdeur de cette
procédure s’explique par le fait que sa mise en œuvre affecte la répartition des compétences
entre l’Union et les Etats membres. Or, ce sujet étant particulièrement sensible pour les Etats,
ceux-ci entendent conserver un droit de veto, d’où l’exigence d’un vote à l’unanimité.

2. La différenciation
 La différenciation a fini par s’imposer comme une nécessité depuis le traité de Maastricht.
Le Royaume-Uni refusant de participer aux politiques économique et monétaire, sociale et
migratoires de l’Union, il a fallu parer au plus pressé et lui conférer un opting out.
 Ce type de situation paraissant voué à se répéter, la différenciation a été institutionnalisée
avec l’instauration des coopérations renforcées par le traité d’Amsterdam en 1997.
 La première coopération renforcée a été décidée en 2010. Elle a pour but de dégager des
critères permettant de déterminer la loi applicable au divorce et à la séparation de corps de
couples binationaux dans l’Union européenne.

- 25 -
Quatre autres ont suivi tendant :
- à créer une protection par brevet unitaire en 2011 (25 États membres y
participent) ;
- à instaurer une taxe sur les transactions financières en 2013 ;
- à prévoir des régimes patrimoniaux des couples internationaux en 2016 (18
États membres) ;
- à instaurer un Parquet européen (22 États membres).
 Procédure. Une coopération renforcée ne peut être créée que si 9 neuf Etats au moins
s’engagent à y participer. Il faut constater l’absence d’unanimité au Conseil pour faire aboutir
le règlement proposé et l’existence de difficultés insurmontables, rendant impossible, à ce
moment et dans un avenir proche, toute unanimité.
 La coopération renforcée est conçue comme une solution de dernier ressort. Aussi
devraient-elles logiquement fleurir dans les matières soumises à l’unanimité au Conseil.
 Tout Etat membre non participant peut rejoindre à tout moment le groupe pionnier, sous
réserve d’accepter l’acquis de la coopération.
 Dans une Union élargie, la différenciation est indispensable. Elle constitue une "bouffée
d’oxygène" pour tous les Etats membres. Les Etats désireux d’aller de l’avant peuvent ainsi
constituer une avant-garde et tenter de susciter une émulation. Quant aux Etats qui veulent
maintenir le statu quo, ils peuvent se contenter de l’acquis sans bloquer leurs partenaires.

Section 2 : Les sources du droit de l’Union européenne


§ 1. Le droit primaire
Il comprend :
1. Les traités institutifs : traité de Paris instituant la Communauté européenne du charbon et
de l’acier du 18 avril 1951; les traités de Rome du 25 mars 1957 instituant la Communauté
économique européenne et la Communauté européenne à l’énergie atomique; mais aussi le
traité sur l’Union européenne signé à Maastricht le 7 février 1992.
2. Les traités et actes de révision, notamment l’acte du 20 septembre 1976 portant élection
des représentants au Parlement européen ou, dernièrement, le traité de Lisbonne.
3. Les protocoles. « Les protocoles et annexes des traités en font partie intégrante ». Ils
bénéficient donc de la même valeur juridique que les traités eux-mêmes. Leur exclusion du
corps principal des traités est motivée par leur longueur, leur technicité, leur caractère
temporaire, leur entrée en vigueur différée…

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§ 2. Les principes généraux du droit
Les principes généraux du droit communautaire « se situent au rang constitutionnel » et ont
donc valeur de droit primaire.
Certains principes généraux du droit de l’Union, tels que le principe de bonne foi, sont issus
du droit international public.
A l’opposé, la Cour a réceptionné des principes provenant des droits nationaux,
notamment la proportionnalité. Pour que la Cour sélectionne un nouveau droit et l’érige au
rang de principe général du droit de l’Union, il faut qu’il soit compatible avec les objectifs de
l’Union et susceptible d’être accepté par les Etats membres.
Enfin, la troisième source correspond aux principes du droit de l’Union proprement dits,
inspirés des spécificités de l’ordre juridique de l’Union européenne : primauté, effet direct…

§ 3. Le droit conventionnel
La Cour de justice a attribué aux accords internationaux conclus par l’Union une position
intermédiaire comprise entre le droit primaire et le droit dérivé. Aussi doivent-ils être
respectés par les institutions de l’Union européenne.
Un tel accord international ne peut toutefois être invoqué que si deux conditions que s’il se
prêter à créer des droits en faveur des justiciables, d’une part, et si la disposition invoquée est
inconditionnelle et précise, d’autre part.

§ 4. Le droit dérivé
L’expression "droit dérivé" désigne le droit adopté par les institutions et organes de l’Union à
partir du droit primaire. Ce droit dérive donc des traités institutifs.

A. Le règlement
« Le règlement a une portée générale. Il est obligatoire dans tous ses éléments et il est
directement applicable dans tout Etat membre ».
Les règlements sont des actes de type législatif, qui atteignent leurs destinataires en raison de
leur appartenance à une catégorie envisagée abstraitement et dans son ensemble.
Le règlement doit ensuite être observé intégralement tant que la Cour de justice n’en a pas
constaté l’invalidité.
Enfin, le règlement « est directement applicable dans tout Etat membre ». A ce titre, il est
susceptible de s’appliquer aux relations tant verticales qu’horizontales. On parle de relations

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verticales lorsqu’un litige oppose un individu ou une entreprise à l’Etat. A l’inverse, on
qualifie d’horizontal le conflit qui met aux prises deux individus ou entreprises.
Dès lors qu’il est d’effet direct, le règlement ne doit pas faire l’objet d’une quelconque
réception dans le droit national.

B. La directive
« La directive lie tout Etat membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant
aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens ».
Là où le règlement unifie les droits nationaux, la directive devrait se contenter de les
harmoniser, laissant une place plus importante à l’expression de sensibilités nationales. La
directive devrait donc laisser une plus grande latitude aux Etats membres qu’un règlement.
Cette présentation théorique est toutefois fort éloignée de la réalité. En effet, en pratique, les
directives sont souvent très détaillées de sorte que leur transposition s’apparente à une tâche
de "moine copiste".
Les Etats doivent transposer, dans leur droit national, le contenu de la directive dans le délai
imparti (en moyenne, 18 mois). A défaut, ils peuvent voir leur responsabilité engagée.
En principe, la directive n’atteint les justiciables qu’indirectement, à travers les mesures
nationales de transposition. Cependant, si un Etat membre ne l’a toujours pas transposée à
l’expiration du délai qui lui était imparti, la directive pourra être invoquée contre lui. Une
directive ne peut toutefois être invoquée que contre l’Etat – puisque c’est l’Etat qui a commis
une faute en ne transposant pas la directive – et seulement si ses dispositions sont
inconditionnelles et précises (CJCE, 5 avr. 1979, Ratti).

C. La décision
« La décision est obligatoire dans tous ses éléments. Lorsqu’elle désigne des destinataires, elle
n’est obligatoire que pour ceux-ci ». A contrario, une décision pourra revêtir une portée tout à
fait générale et ne viser aucun destinataire.
Lorsqu’elle s’adresse à une entreprise (décision infligeant une amende…), voire à un Etat
membre (décision de la Commission interdisant le versement d’une aide d’Etat ou
ordonnant sa récupération par exemple), la décision bénéficie normalement de l’effet
direct. Cet effet est exclu en présence d’une décision posant un cadre général.

- 28 -
Chapitre V : L’articulation du droit de l’Union européenne et des droits
nationaux

La détermination des principes qui gouvernent l’articulation du droit de l’Union européenne


et des droits nationaux est cruciale puisqu’elle a des répercussions directes sur le rang du droit
de l’Union en droit national et sur les possibilités pour les justiciables de s’en prévaloir dans
leur vie quotidienne. Dans ce chapitre, nous étudierons la primauté du droit de l’Union
européenne, puis son invocabilité.

Section 1 : La primauté du droit de l’Union européenne


Rendu par la Cour de justice le 15 juillet 1964, l’arrêt Costa / Enel pose le principe de la
primauté inconditionnelle de tout le droit communautaire sur tout le droit national. En
effet, pour la Cour de justice, le droit de l’Union européenne « ne pourrait se voir
judiciairement opposer un texte interne quel qu’il soit ».
La primauté du droit de l’Union sur le droit national est ainsi générale et absolue.
Générale, parce que c’est l’ensemble du droit de l’Union qui s’impose au droit national.
Absolue en ce qu’elle vaut à l’égard de l’ensemble du droit national. En cas de contrariété, le
droit national devra, en toute hypothèse, céder devant le droit de l’Union qu’il émane du
gouvernement, d’une collectivité locale, du législateur ou du constituant.
Cette jurisprudence a reçu quelques applications ponctuelles. Ainsi, l’arrêt Tanja Kreil juge
que la directive sur l’égalité de traitement entre hommes et femmes s’oppose à l’application
d’une disposition constitutionnelle allemande qui excluait catégoriquement les femmes des
emplois militaires comportant l’utilisation d’armes et qui autorisait seulement leur accès aux
services de santé et aux formations de musique militaire (CJCE, 11 janv. 2000, aff. C-
285/98).
Néanmoins, d’une manière générale, la Cour évite de constater qu’une règle constitutionnelle
nationale est méconnaît le droit de l’Union pour ne pas ouvrir de crise politico-juridique avec
les Etats membres. Aussi s’efforce-t-elle de pacifier les rapports entre le droit de l’Union
européenne et les constitutions nationales.
L’affaire Omega (CJCE, 14 oct. 2004) en fournit une illustration emblématique. La Cour de
justice devait apprécier la conformité à la liberté de prestation de services garantie par le droit
de l’Union d’une mesure allemande interdisant, sur son territoire, la commercialisation de « la

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variante du jeu laser qui a pour objet de tirer sur des cibles humaines et donc de “jouer à tuer”
des personnes ». Cette décision d’interdiction était justifiée par la nécessité de respecter la
dignité humaine, consacrée par l’article 1er de la Constitution allemande. Alors même que
cette mesure d’interdiction pure et simple paraissait excessive, la Cour de justice s’est
montrée particulièrement conciliante et a toléré une entorse ponctuelle à la libre prestation de
services afin de respecter une exigence éminente de l’ordre juridique allemand.
De même, l’arrêt UTECA du 5 mars 2009 concernait une loi espagnole obligeant les
opérateurs de télévision à consacrer 3 % de leurs recettes annuelles au financement de films
réalisés dans une des langues officielles du Royaume d’Espagne. La Cour considère que
l’entrave aux différentes libertés de circulation, notamment d’établissement et des capitaux,
est justifiée. La défense et la promotion par un État de sa ou ses langues officielles constituent
des éléments de son identité constitutionnelle et doivent, par conséquent être tolérées.
De leur côté, les juridictions nationales admettent aisément la primauté du droit de l’Union
sur la loi, mais se montrent bien plus réticentes à l’idée de le faire primer sur leur droit
constitutionnel national.

Section 2 : L’invocabilité du droit de l’Union européenne


S’intéresser à l’invocabilité du droit de l’Union européenne revient à se demander à quelles
conditions un justiciable peut s’en prévaloir devant le juge national.
Le droit de l’Union est invoqué pour obtenir la mise à l’écart du droit national contraire.
Cependant, sur cette base, trois situations peuvent être distinguées :
- le justiciable peut se contenter de faire constater cette incompatibilité du droit national
au droit de l’Union (on parle fréquemment en droit d’ « inconventionnalité »). On
parle alors d’un effet d’éviction ;
- le justiciable peut aller plus loin et demander que le droit de l’Union lui soit appliqué à
la place du droit national contraire. Le justiciable se placer alors ici soit sur le terrain
de l’interprétation conforme, soit sur celui de l’invocabilité de substitution ;
- le justiciable peut enfin solliciter la réparation du préjudice que lui a causé la violation
du droit de l’Union. On parlera alors d’une invocabilité de réparation.

§ 1. La priorité donnée à l’interprétation conforme


Définition : L’interprétation conforme oblige les autorités nationales à interpréter le droit
national, « dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la
directive en cause pour atteindre le résultat visé par celle-ci ».
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Double finalité : Elle permet, en premier lieu, de neutraliser l’illégalité potentielle d’un
acte. Un acte national ne sera donc écarté par le juge que s’il ne peut pas être interprété
conformément au droit de l’Union.
L’interprétation conforme pallie, en second lieu, l’absence d’effet direct d’une directive, soit
que la disposition invoquée ne soit pas inconditionnelle ou suffisamment précise, soit que le
litige oppose deux particuliers.
Conditions : Elles se définissent surtout négativement. Dans la mesure où elle vise à
remettre le droit national "dans le droit chemin communautaire", l’interprétation conforme
suppose que la norme nationale ne s’écarte pas trop ostensiblement du droit de l’Union, faute
de quoi l’écart entre les deux ne pourra pas être comblé par voie interprétative.
L’exigence d’interpréter le droit national à la lumière de la directive n’est toutefois qu’une
obligation de moyens. L’obligation d’interprétation conforme ne saurait en effet ni
déboucher sur une interprétation manifestement contraire à la lettre du droit national, ni
justifier une atteinte au principe de non-rétroactivité de la loi pénale par exemple.
Champ d’application : L’obligation d’interprétation conforme s’impose dans tous types de
litiges, aussi bien verticaux qu’horizontaux.
Valorisation : Le recours à l’interprétation conforme doit devenir un réflexe pour le juge
national, même si le requérant l’invite prioritairement à se placer sur le terrain des
invocabilités d’exclusion ou de substitution. En effet, idéalement, l’interprétation conforme
permet d’aligner la signification du droit national sur celle du droit de l’Union et aboutit alors
au même résultat que l’invocabilité de substitution. Ce faisant, elle évite de recourir aux
formes d’invocabilité réputées plus élaborées.

§ 2. La subsidiarité des invocabilités d’exclusion et de substitution


Caractère subsidiaire : Les invocabilités d’exclusion et de substitution risquent fort d’être
primées par l’invocabilité d’interprétation conforme dès lors que cette dernière est susceptible
d’aboutir à un résultat similaire.
Substituabilité des invocabilités d’exclusion et de substitution : Toutes deux
parviennent régulièrement au même résultat. Ainsi lorsqu’un contribuable sollicite l’éviction
de la loi fiscale qui assujettit un commerçant à la TVA pour contrariété au droit de l’Union,
cela équivaut à réclamer directement l’application de la directive TVA qui l’en exonère à la
place du droit national (CJCE, 19 janvier 1982, Becker).

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A. L’invocabilité d’exclusion
Objet : L’invocabilité d’exclusion correspond à un contrôle de conventionnalité. Elle a donc
une dimension négative puisqu’elle consiste simplement à neutraliser le droit national
contraire au droit de l’Union. Il résulte de l’arrêt Simmenthal du 9 mars 1978 que « le juge
national chargé d’appliquer […] les dispositions du droit communautaire, a l’obligation
d’assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité,
toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure ».
Conditions : Le requérant doit établir que la norme du droit de l’Union dont il se prévaut est
inconditionnelle et suffisamment précise, mais aussi que le droit national est radicalement
contraire au droit de l’Union, faute de quoi le premier doit être interprété conformément au
second.
L’effet d’éviction des directives ne joue normalement qu’à l’expiration du délai de
transposition (CJCE, 5 avr. 1979, Ratti).
Champ d’application : L’invocabilité d’exclusion joue, le plus souvent, dans des relations
verticales ascendantes, le droit de l’Union étant alors invoqué contre un État membre.
L’invocabilité d’exclusion peut également opérer dans un litige horizontal. Le règlement
bénéficiant d’un effet direct complet, il est, par principe, invocable dans les litiges
horizontaux, tout comme certaines dispositions des Traités.
Par principe, en revanche, les directives ne sont pas invocables dans les litiges horizontaux.

B. L’invocabilité de substitution
Objet : Le justiciable qui se place dans le cadre de l’invocabilité de substitution sollicite
l’application du droit de l’Union européenne en lieu et place du droit national contraire. À
l’instar de l’invocabilité d’exclusion, l’invocabilité de substitution conduit à écarter le
droit national inconventionnel. Néanmoins, elle suppose, en outre, d’appliquer
positivement le droit de l’Union en remplacement du droit national défaillant.
Champ d’application : L’effet direct est quasi systématiquement vertical et ascendant.
S’agissant des directives, cet effet ne peut intervenir qu’après l’expiration du délai de
transposition (CJCE, 5 avr. 1979, Ratti).
La Cour de justice exclut, en revanche, fermement l’effet direct horizontal des directives
au motif qu’une directive non transposée ne génère qu’une seule obligation : l’obligation de
transposition dans le seul chef des États membres. Aussi ne saurait-elle « par elle-même créer
d’obligations dans le chef d’un particulier » (CJCE, 26 février 1986, Marshall).

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§ 3. L’invocabilité de réparation
Objet : L’invocabilité de réparation vise à être indemnisé du dommage causé par la violation
du droit de l’Union européenne commise par un État membre. Son caractère aléatoire devrait
toutefois inciter le justiciable à n’y recourir qu’en dernier ressort, lorsqu’il ne peut mobiliser
une autre forme d’invocabilité. En particulier, lorsque le justiciable engage la responsabilité
de l’État au motif que ce dernier n’a pas empêché un tiers de lui causer un dommage, ses
chances de succès sont bien maigres.
Conditions : Il a fallu attendre l’arrêt Brasserie du Pêcheur pour que la Cour en précise les
conditions : « un droit à réparation est reconnu par le droit communautaire dès lors que trois
conditions sont réunies, à savoir que la règle de droit violée ait pour objet de conférer des
droits aux particuliers, que la violation soit suffisamment caractérisée, enfin, qu’il existe un
lien de causalité direct entre la violation de l’obligation qui incombe à l’État et le dommage
subi par les personnes lésées ».
Champ d’application : L’invocabilité de réparation s’inscrit dans un litige vertical
ascendant. Elle pallie, dans une certaine mesure, l’absence d’effet direct horizontal des
directives.

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Chapitre VI. La citoyenneté européenne et
la liberté de circulation et de séjour

Les personnes sont au centre de la construction européenne. Dès l’origine, les traités ont
prévu pour les ressortissants communautaires, c’est-à-dire les ressortissants des Etats
membres des Communautés, un régime de libre circulation quelle que soit leur profession.
C’est ainsi qu’est assurée, depuis 1957, la libre circulation des travailleurs, la liberté
d’établissement et la libre prestation de services.
Le ressortissant communautaire occupe ainsi une position privilégiée. Progressivement, s’est
dessiné un véritable statut du ressortissant communautaire, par opposition à la condition
des ressortissants extracommunautaires, c’est-à-dire des ressortissants de pays tiers ou non
membres de l’Union européenne. Le ressortissant communautaire apparaît ainsi de moins en
moins comme un ressortissant étranger. Il bénéficie, au contraire, d’un régime juridique
extrêmement favorable, très proche de celui qui s’applique aux ressortissants nationaux.
D’abord limité à l’exercice d’une profession, qu’elle soit salariée ou non, le régime de liberté
prévu pour le ressortissant communautaire s’est progressivement étendu aux personnes
inactives (membres de la famille d’un ressortissant communautaire qui a la qualité de
travailleur, étudiants, retraités…) jusqu’à concerner toute personne rattachée à un Etat
membre par un lien de nationalité.
Le traité de Maastricht, en 1992, a pris en considération cette évolution et a consacré le
statut de citoyen européen (section 1) auquel est désormais rattachée la liberté de circulation
et de séjour sur le territoire de l’Union (section 2).

Section 1. Le statut de citoyen européen


§ 1. La notion de citoyenneté européenne
A. L’attribution de la citoyenneté européenne
Le concept de citoyenneté européenne a été consacré par le traité de Maastricht. Celui-ci
attribue la citoyenneté européenne à « toute personne ayant la nationalité d’un Etat
membre ». La citoyenneté de l’Union dérive donc de la nationalité et non pas de la
citoyenneté nationale.
Dans ces conditions, la déchéance de la nationalité d’un État membre devrait entraîner
logiquement entraîner la perte de la citoyenneté européenne. Néanmoins, compte tenu de
l’importance du statut de citoyen européen et des répercussions engendrées par la disparition

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de cette qualité, la Cour de justice s’est estimée compétente pour contrôler et encadrer la
décision par laquelle un État membre retire sa nationalité à l’un de ses ressortissants.
Elle s’est livrée pour la première fois à un contrôle de ce type dans l’arrêt Rottmann du 2 mars
2010. Dans cet arrêt, la Cour affirme, d’abord, que « le droit de l’Union, notamment
l’article [20 TFUE], ne s’oppose pas à ce qu’un État membre retire à un citoyen de l’Union la
nationalité de cet État membre acquise par naturalisation lorsque celle-ci a été obtenue de
manière frauduleuse à condition que cette décision de retrait respecte le principe de
proportionnalité ».
La Cour relève toutefois que, en droit autrichien, l’acquisition par un national d’une autre
nationalité entraîne la perte de la nationalité autrichienne, ce qui devrait entraîner l’apatridie
de M. Rottmann1. Aussi, la Cour impose-t-elle, vu l’importance qu’attache le droit primaire
au statut de citoyen de l’Union, de tenir compte des conséquences éventuelles que cette
décision emporte pour lui et, le cas échéant, pour les membres de sa famille en ce qui
concerne la perte des droits dont jouit tout citoyen de l’Union. À ce titre, il convient
notamment de vérifier si cette perte est justifiée par rapport à la gravité de l’infraction
commise par cet individu, au temps écoulé entre la décision de naturalisation et la décision de
retrait ainsi qu’à la possibilité pour l’intéressé de recouvrer sa nationalité d’origine. Dans cette
affaire, la légalité de la décision par laquelle les autorités allemandes avaient retiré la
nationalité allemande à M. Rottmann dépendait ainsi du point de savoir si les autorités
autrichiennes allaient accepter de lui restituer sa nationalité d’origine. Autrement dit, si M.
Rottmann redevenait autrichien, il pouvait cesser d’être allemand. Si, en revanche, il ne
parvenait pas à retrouver sa nationalité autrichienne, alors il devait conserver sa nationalité
allemande.
Plus récemment, dans l’affaire Tjebbes (CJUE, 12 mars 2019), la Cour a dû apprécier la
compatibilité au regard de l’article 20 TFUE de la loi néerlandaise sur la nationalité. Cette loi
prévoyait notamment qu’un ressortissant majeur possédant une double nationalité perde la
nationalité néerlandaise et, partant, la citoyenneté européenne, s’il avait eu sa résidence
principale pendant une période ininterrompue de dix ans au cours de sa majorité, en dehors
des Pays-Bas et des territoires auxquels le traité sur l’Union européenne est applicable.
Cependant, si, pendant son expatriation, un tel ressortissant néerlandais sollicitait divers
documents, tels qu’une carte d’identité néerlandaise, il était réputé exprimer son attachement

1
L’apatridie est le fait pour un individu de ne posséder la nationalité d’aucun État.

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et son désir de maintenir son appartenance à la société néerlandaise. Une telle demande de
document suffisait pour éviter d’être privé de la nationalité néerlandaise.
L’originalité de cette affaire par rapport à l’affaire Rottmann était qu’elle posait la question de
savoir si un État membre de l’Union pouvait décider de priver de sa nationalité un groupe
social déterminé, en l’occurrence, les ressortissants néerlandais possédant également la
nationalité d’un État tiers à l’Union (autrement dit, un État non membre de l’Union) et
résidant depuis plus de 10 ans en dehors du territoire de l’Union.
Dans son arrêt Tjebbes, la Cour admet qu’un éloignement pendant dix ans du territoire
néerlandais et, plus largement, du territoire de l’Union, puisse refléter l’absence du lien
effectif de solidarité et de loyauté entre cet État et ceux de ses ressortissants qui sont ainsi
éloignés. Néanmoins, la perte de la nationalité néerlandaise, lorsqu’elle s’accompagne
concomitamment de la perte de la citoyenneté européenne, doit demeurer proportionnée en ce
qui concerne les conséquences qu’elle comporte sur la situation de la personne concernée et,
le cas échéant, des membres de sa famille, au regard du droit de l’Union. En statuant ainsi, la
Cour témoigne de son attachement à un examen individualisé de la situation des personnes
privées de leur citoyenneté européenne au regard du principe de proportionnalité. Dans une
situation dans laquelle la perte de la nationalité d’un État membre intervient de plein droit et
entraîne la perte du statut de citoyen de l’Union, les autorités et les juridictions nationales
compétentes doivent être en mesure d’examiner les conséquences de cette perte de nationalité
et, le cas échéant, de faire recouvrer, avec effet rétroactif, la nationalité à la personne
concernée, à l’occasion de la demande, par celle-ci, d’un document de voyage ou de tout autre
document attestant de sa nationalité.
Il résulte de cet arrêt qu’un État membre doit impérativement analyser la situation
individuelle de chacun des ressortissants qu’il entend déchoir de sa nationalité. Concrètement,
les Pays-Bas ne pouvaient donc pas considérer qu’il était proportionné, in abstracto, de retirer
la nationalité néerlandaise à tous leurs ressortissants possédant également la nationalité d’un
État tiers vivant depuis plus de 10 ans en dehors du territoire de l’Union.

Enfin, dès lors que la citoyenneté de l’Union dérive de la nationalité, et non de la citoyenneté
nationale, tout ressortissant d’un Etat membre de l’Union est citoyen européen, peu importe
qu’il soit citoyen national ou pas. Ainsi, un enfant français est un citoyen européen, de même
qu’un incapable français. Quant au ressortissant français emprisonné, bien que n’étant plus un
citoyen national, il demeure un citoyen européen. Cela étant, la déchéance du droit de vote et
d’éligibilité pour les élections nationales l’empêche de prendre part aux élections

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européennes. On mesure ainsi que, même si elle dérive de la nationalité, la citoyenneté
européenne entretient des liens étroits avec la citoyenneté nationale.
Le traité indique, par ailleurs, que « la citoyenneté de l’Union s’ajoute la citoyenneté
nationale et ne la remplace pas ». La citoyenneté européenne est donc une citoyenneté de
superposition.

B. L’évolution de la citoyenneté européenne


Depuis 1992, la citoyenneté européenne a profondément évolué afin de traduire
l’approfondissement du lien entre l’Union et ses citoyens. Cette évolution montre aussi que
la citoyenneté européenne est un concept de plus en plus protecteur, ce qui permet à
l’Union de s’immiscer davantage dans le pouvoir d’appréciation des Etats membres quant à
l’attribution du lien de nationalité.
La citoyenneté européenne est mentionnée dans la Charte des droits fondamentaux de
l’Union européenne. Adoptée en 2000, celle-ci a acquis une valeur contraignante avec
l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en 2009. Le fait que la Charte protège les droits du
citoyen européen montre que l’on conçoit désormais ces droits comme des droits
fondamentaux de nature civile et politique et plus seulement comme des droits de nature
économique.
Le traité de Lisbonne confirme, par ailleurs, que l’idée qui sous-tend la citoyenneté
européenne est que tous les citoyens européens doivent être traités de manière égale, tant par
l’Union que par les Etats membres.
La Cour de justice a en effet affirmé, dès l’arrêt Grzelczyk du 20 septembre 2001, que « le
statut de citoyen de l’Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des
Etats membres permettant à ceux parmi ces derniers qui se trouvent dans la même situation
d’obtenir, indépendamment de leur nationalité et sans préjudice des exceptions expressément
prévues à cet égard, le même traitement juridique ».

§2. Les droits attachés à la citoyenneté européenne


Si la citoyenneté européenne implique des droits mais aussi des devoirs « prévus par les
traités » (art. 20 TFUE), ces devoirs ne sont pas définis. L’étude de ces droits montre que la
citoyenneté européenne a une double finalité. C’est une citoyenneté politique (A) et une
citoyenneté protectrice (B).

A. Une citoyenneté politique

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Les citoyens européens bénéficient de droits politiques qui les distinguent nettement des
ressortissants des Etats tiers dans la mesure où ces droits ne profitent habituellement qu’aux
ressortissants nationaux.
 En premier lieu, tout citoyen de l’Union résidant dans un Etat membre dont il n’est pas
ressortissant a le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen dans
l’Etat membre où il réside. Le citoyen européen exerce ses droits soit dans l’Etat d’origine,
soit dans l’Etat de résidence. Nul ne peut donc être candidat ou voter plus d’une fois lors
d’une même élection.

 En deuxième lieu, tout citoyen de l’Union résidant dans un Etat membre dont il n’est pas
ressortissant y bénéficie du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales, dans les
mêmes conditions que les ressortissants de cet Etat. C’est là une différence essentielle par
rapport aux ressortissants des Etats tiers qui, même s’ils résident depuis longtemps dans un
Etat membre, ne sont, en principe, pas autorisés à prendre part aux élections municipales.
Les conditions d’exercice peuvent être différentes d’un Etat à un autre, en fonction de ses
règles constitutionnelles. En France, un conseiller municipal qui n’a pas la nationalité
française ne peut être élu ni maire ni adjoint, ni participer à la désignation des sénateurs.

 En troisième lieu, les citoyens de l’Union peuvent présenter une initiative citoyenne. Il
s’agit là d’une innovation du traité de Lisbonne. Cette initiative a pour objet d’inviter la
Commission européenne à soumettre une proposition au législateur de l’Union sur des
questions pour lesquelles les citoyens considèrent qu’un acte devrait être adopté.

B. Une citoyenneté protectrice


 En premier lieu, tout citoyen de l’Union bénéficie, sur le territoire d’un pays tiers où l’Etat
membre dont il est ressortissant n’est pas représenté, de la protection de la part des
autorités diplomatiques et consulaires de tout Etat membre, dans les mêmes conditions que
les nationaux de cet Etat.
 En deuxième lieu, tout citoyen de l’Union a le droit de pétition devant le Parlement
européen. A ce titre, il peut présenter, à titre individuel ou en association avec d’autres
citoyens, une pétition sur un sujet relevant des domaines d’activité de l’Union et qui le
concerne directement. Ce droit est élargi aux personnes physiques et morales résidant ou
ayant leur siège statutaire dans un Etat membre.
La recevabilité de la pétition et l’examen des suites à y donner sont examinées par la
Commission des pétitions du Parlement européen.

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Depuis son instauration, le droit de pétition connaît un réel succès.
 En troisième lieu, les citoyens de l’Union ont le droit de recourir au Médiateur
européen. Ce droit est également élargi aux personnes physiques et morales résidant ou ayant
leur siège statutaire dans un Etat membre.
Le Médiateur européen est un organe de contrôle politique chargé de traiter les plaintes qui lui
sont adressées en raison d’une supposée mauvaise administration dans l’action des
institutions, organes ou organismes de l’Union.
Le Médiateur cherche à obtenir un règlement amiable des affaires, telles que les problèmes
d’accès du public aux documents officiels de l’Union, de recrutement dans la fonction
publique européenne ou de traitement des plaintes par la Commission.
Il peut agir de sa propre initiative. Il procède aux enquêtes qu’il estime justifiées. S’il arrive à
la conclusion qu’il existe un cas de mauvaise administration, il saisit l’institution ou l’organe
concerné qui dispose d’un délai de 3 mois pour lui adresser des observations. Le Médiateur
transmet alors un rapport au Parlement européen ainsi qu’à l’institution ou organe concerné et
informe le plaignant du résultat de son enquête.
 En quatrième lieu, la Charte consacre le droit à une bonne administration. Toute
personne, et donc pas seulement le citoyen européen, a, par conséquent, le droit « de voir ses
affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les
institutions, organes et organismes de l’Union ».
Ce droit comporte plusieurs droits spécifiques : le droit d’être entendu avant qu’une mesure
individuelle défavorable ne soit prise ; le droit d’obtenir une décision motivée de la part de
l’administration...
 En cinquième lieu, le droit d’accès aux documents des institutions, organes ou
organismes de l’Union est garanti à tout citoyen européen par la Charte. Il est élargi aux
personnes physiques et morales résidant ou ayant leur siège statutaire dans un Etat membre.
 En sixième lieu, la citoyenneté européenne comporte le droit à réparation en cas
d’engagement de la responsabilité de l’Union, ainsi que le droit de s’adresser aux
institutions de l’Union dans une des langues des traités et de recevoir une réponse dans
la même langue.
Les trois derniers droits profitent à toute personne et pas seulement aux citoyens européens.

Section 2. La liberté de circulation et de séjour sur le territoire de l’Union


A l’origine, la libre circulation des personnes visait à faciliter la mobilité professionnelle.
Aussi ne bénéficiait-elle qu’aux personnes exerçant une activité salariée ou indépendante.

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Progressivement, la liberté de circulation et de séjour s’est cependant distinguée de la liberté
professionnelle. Elle constitue aujourd’hui le corollaire de la citoyenneté européenne. Elle
s’exerce dans l’ « espace de liberté, de sécurité et de justice » dans le cadre duquel le principe
est l’absence de contrôle aux frontières intérieures. La liberté de circulation et de séjour est
donc une liberté fondamentale (§1) qui peut malgré tout être restreinte (§2).

§ 1. Une liberté fondamentale


La liberté de circulation et de séjour sur le territoire des Etats membres est désormais garantie
par l’article 21 TFUE et l’article 45 de la Charte des droits fondamentaux. Il convient d’en
étudier les bénéficiaires (A) puis la portée de sa garantie (B).

A. Les bénéficiaires
La directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 réserve l’exercice de la liberté de circulation et de
séjour aux citoyens européens ainsi qu’à certains membres de leur famille. Cette
extension aux membres de la famille permet aux citoyens d’ « exercer [leur liberté de
circulation et de séjour] dans des conditions objectives de liberté et de dignité ». Il s’agit de
protéger le droit au respect de la vie privée et familiale et d’assurer le regroupement familial.
Dès lors que le citoyen européen a préalablement exercé son droit de circulation, il peut
être accompagné ou rejoint par les membres suivants de sa famille :
- le conjoint ;
- le partenaire avec lequel le citoyen européen a contracté un partenariat enregistré, sur
la base de la législation d’un Etat membre, si, conformément à la législation de l’Etat
membre d’accueil, les partenariats enregistrés sont assimilés au mariage. Cependant,
dans le cas où il n’y aurait pas d’équivalence avec le mariage, l’Etat d’accueil doit
quand même favoriser l’entrée et le séjour du partenaire avec lequel le citoyen
européen a une relation durable, dûment attestée ;
- les descendants directs qui sont âgés de moins de 21 ans ou qui sont à charge, et les
descendants directs du conjoint ou du partenaire ;
- les ascendants directs à charge et ceux du conjoint ou du partenaire.
- tout autre membre de la famille si, dans le pays de provenance, il est à charge ou fait
partie du ménage du citoyen européen, ou lorsque, pour des raisons de santé graves, le
citoyen européen doit impérativement et personnellement s’occuper du membre de la
famille concerné.
3 remarques :

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En premier lieu, cette conception des membres de la famille montre que le législateur de
l’Union a su tenir compte de l’évolution des mœurs puisqu’elle ne se réduit pas au mariage.
En deuxième lieu, le droit au regroupement familial bénéficie aux membres de la famille d’un
citoyen européen rentrant dans l’une des catégories indiquées, qu’ils aient la nationalité d’un
Etat membre ou non.
En troisième lieu, l’enfant est plus particulièrement protégé. La prise en compte de l’intérêt
supérieur de l’enfant conduit parfois la Cour de justice à étendre le bénéfice de la liberté de
circulation et de séjour aux parents de l’enfant alors même que l’enfant, qui a la qualité de
citoyen européen, n’a pas fait usage de sa liberté de circulation et de séjour. La Cour de
justice a ainsi jugé, dans son arrêt Ruiz Zambrano du 8 mars 2011, que la Belgique devait
reconnaître à un ressortissant colombien, qui assume la charge de ses enfants en bas âge, le
droit de séjour sur le territoire belge où réside les enfants qui ont la nationalité belge. Les
enfants étant en bas âge, priver leur père du droit de séjourner en Belgique reviendrait à nier
leur droit de demeurer dans cet Etat et, plus largement, dans l’Union européenne. Or, une telle
décision « priver[ait] les citoyens de l’Union de la jouissance effective de l’essentiel des
droits conférés par leur statut de citoyen de l’Union ». La Cour de justice estime même que
ce droit de séjour qui est reconnu au père doit nécessairement s’accompagner du droit
d’obtenir un permis de travail.
Leurs parents étaient entrés sur le territoire belge où ils avaient demandé à bénéficier du statut
de réfugié, ce qui leur avait été refusé. Ils avaient néanmoins pu rester sur le territoire en
raison de la guerre civile en Colombie. Leurs deux derniers enfants étant nés en Belgique, ils
sont devenus belges en vertu du droit du sol. Pour pouvoir rester sur le territoire belge, les
parents devaient invoquer le statut de citoyen européen de leurs enfants et le lien qui les unit à
eux.
La Cour leur a donné raison parce que si elle avait jugé autrement, elle aurait contraint les
enfants à quitter le territoire, dans la mesure où ils ne peuvent subsister par leurs propres
moyens. Elle aurait alors privé les enfants de leur liberté de séjour alors même que ce droit
découle automatiquement de leur statut de citoyen européen.

B. Les droits garantis


La directive 2004/38/CE pose deux droits : le droit de sortie et d’entrée dans un Etat, d’une
part, le droit de séjour dans un Etat, d’autre part. Elle rappelle par ailleurs que les citoyens
européens ont le droit à l’égalité de traitement par rapport aux ressortissants nationaux de
l’Etat d’accueil.

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1. Le droit de sortie et d’entrée
 Le droit de sortie vaut tant pour l’Etat d’origine que pour tout autre Etat membre. Ce droit
s’inspire du principe fondamental du droit international selon lequel toute personne est « libre
de quitter n’importe quel pays, y compris le sien ». Afin de garantir l’effectivité de ce droit,
l’Etat d’origine est tenu de délivrer à ses ressortissants les documents dont ils ont besoin pour
quitter le territoire (carte d’identité ou passeport). Par ailleurs, il ne peut pas leur imposer
l’obtention d’un visa de sortie. Naturellement, l’Etat peut s’opposer à la sortie du territoire
mais uniquement si certaines conditions strictes sont réunies.
 Le droit d’entrée dans tout Etat membre est acquis indépendamment de la délivrance d’un
titre de séjour ou d’un visa d’entrée par l’autorité compétente de cet Etat. L’Etat de
destination peut quand même exiger la présentation d’une carte d’identité ou d’un passeport.
S’ils sont exigibles, leur non-présentation peut être sanctionnée mais la sanction ne doit pas
être trop lourde sous peine de porter atteinte à l’existence même du droit d’entrée.
En revanche, pour les ressortissants d’Etats tiers, membres de la famille du citoyen européen,
l’Etat peut notamment leur imposer un visa d’entrée mais il doit faire en sorte que ce visa leur
soit accordé facilement.

2. Le droit de séjour
1°) Pour bénéficier d’un droit de séjour d’une durée n’excédant pas 3 mois, il suffit
d’être en possession d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité. La directive
de 2004 subordonne toutefois ce droit au fait que le citoyen européen ou les membres de sa
famille ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de
l’Etat d’accueil.
2°) Si le séjour doit excéder 3 mois, le droit de séjour n’est ni général ni absolu dans la
mesure où les Etats membres sont confrontés à une crise de financement des systèmes de
protection sociale.
 Seuls les citoyens actifs peuvent séjourner plus de 3 mois sans condition. Ce droit leur
profite quelle que soit leur profession, y compris si, à titre temporaire, ils ne travaillent pas
(incapacité de travail, chômage, suivi d’une formation…).
 Les inactifs et les étudiants doivent démontrer qu’ils disposent pour eux et leur famille de
ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale
de l’Etat d’accueil. Ils doivent également disposer d’une assurance-maladie complète. La
condition de ressources est définie par l’Etat d’accueil mais ce dernier n’a pas le droit

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d’exiger un montant supérieur au niveau en dessous duquel il accorde une assistance sociale à
ses propres ressortissants.
 Les ressortissants d’Etats tiers, membres de la famille, doivent par ailleurs demander une
« carte de séjour de membre de la famille d’un citoyen de l’Union ». Cette carte est juste
déclaratoire en ce sens qu’elle permet de constater leur situation.
3°) Les citoyens européens et les membres de leur famille peuvent acquérir un droit de
séjour permanent après avoir séjourné pendant une certaine durée sur le territoire de l’Etat
d’accueil, en général après 5 ans de séjour ininterrompu. Ce droit n’est subordonné à
aucune condition d’activité, de ressources ou d’assurance-maladie. Il peut cependant être
perdu lorsque la personne s’est absentée du territoire pendant plus de 2 ans.

§2. Une liberté susceptible d’être restreinte


La liberté de circulation et de séjour s’exerce « sous réserve des limitations et conditions
prévues par les traités et par les dispositions prises pour leur application ». La liberté de
circulation et de séjour étant une liberté fondamentale, les restrictions qui peuvent lui être
apportées doivent être interprétées strictement.
Les Etats membres peuvent ainsi restreindre la liberté de circulation et de séjour en invoquant
la réserve d’ordre public. Cependant, pour éviter les abus, l’invocation de cette réserve (A)
et les mesures prises sur son fondement (B) ont été encadrées par le droit de l’Union
européenne.

A. L’encadrement de l’invocation de la réserve d’ordre public


La réserve d’ordre public est une notion très large qui comprend, en droit de l’Union, l’ordre
public à proprement parler ainsi que la sécurité publique et la santé publique. Ces trois
motifs dérogatoires sont assez indéfinissables. Ces notions sont, en effet, ponctuelles ou
contingentes, c’est-à-dire qu’elles varient en fonction de la conception que s’en fait chaque
Etat, mais aussi en fonction des époques et de l’état de la société.
En France, par exemple, relèvent de l’ordre public :
- la sécurité publique : éviter que ne soit mise en danger la vie des personnes et que ne
se produisent des dommages aux personnes et aux biens ;
- la tranquillité publique : éviter les désordres liés aux comportements de certains
individus tels que les bagarres ou le tapage nocturne ;
- la salubrité publique : éviter les maladies par des mesures d’hygiène telles que celles
qui tendent à prévenir la propagation de certaines maladies contagieuses ;

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- la moralité publique qui exige que les comportements individuels ou collectifs soient
conformes aux bonnes mœurs ;
- le respect de la dignité humaine qui exige de préserver l’intégrité physique et mentale
de l’individu.
S’il est légitime de laisser aux Etats membres le soin de définir leurs exigences en la
matière, leur laisser une totale liberté serait dangereux. En effet, en invoquant à tout bout
de champ la réserve d’ordre public, pour interdire l’accès à leur territoire ou éloigner les
citoyens européens ainsi que les membres de leur famille, les Etats pourraient finir par priver
d’effet la liberté de circulation et de séjour.
Dès lors, l’invocation de la réserve d’ordre public fait l’objet d’un contrôle visant à
s’assurer qu’elle est liée à l’existence d’une « menace réelle, actuelle et suffisamment grave,
pour un intérêt fondamental de la société ». Cette réserve ne peut, en outre, être invoquée
qu’au soutien de mesures individuelles et ne permet pas à l’Etat d’adopter des mesures
générales ou collectives. En effet, les mesures d’ordre public doivent être fondées
« exclusivement sur le comportement personnel de l’individu concerné ». Aussi, le seul fait
d’avoir fait l’objet d’une condamnation pénale ne peut pas automatiquement entraîner une
restriction de la liberté de circulation et de séjour (CJCE, 4 décembre 1974, Van Duyn).
La réserve ne peut pas être invoquée à des fins économiques, par exemple pour protéger
l’emploi dans l’Etat d’accueil (CJCE, 28 octobre 1975, Rutili).

B. L’encadrement des mesures prises sur le fondement de l’ordre public


1. Les garanties de procédure
Ces garanties doivent permettre à l’intéressé de se défendre :
- l’Etat est tenu de notifier par écrit à l’intéressé les raisons et le contenu de la
décision prise à son encontre, sauf si la sûreté de l’Etat s’y oppose. Cette notification
doit être rédigée dans une langue que l’intéressé comprend. La motivation doit être
suffisamment précise pour permettre à l’individu de se défendre et au juge d’exercer
son contrôle ;
- l’intéressé doit disposer d’une voie de recours. Il doit avoir une véritable chance de
présenter sa défense et d’obtenir gain de cause ;
- l’intéressé doit bénéficier d’un délai pour quitter le territoire (au moins 1 mois, sauf
en cas d’urgence) ;

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- enfin, la directive de 2004 a introduit la possibilité de demander la levée de
l’interdiction d’accès au territoire après un délai raisonnable qui ne saurait toutefois
excéder 3 ans.

2. Les garanties de fond


Lorsqu’il met en œuvre la réserve d’ordre public, l’Etat membre de l’Union européenne doit
observer deux principes essentiels :
- le principe de non-discrimination : la liberté de circulation et de séjour ne saurait
être restreinte pour des comportements qui ne sont pas répréhensibles lorsqu’ils sont le
fait des nationaux. Par exemple, un Etat ne saurait sanctionner des prostituées ayant la
nationalité d’un autre Etat membre alors même que la prostitution n’est pas interdite
sur son territoire (CJCE, 18 mai 1982, Adoui et Cornuaille) ;
- le principe de proportionnalité. Fondée sur le comportement personnel de l’individu
concerné, la décision ne saurait entraîner une restriction démesurée par rapport à
l’objectif qu’elle poursuit. Il serait par exemple complètement déraisonnable
d’interdire l’accès au territoire ou de prendre une mesure d’éloignement pour la simple
omission d’une formalité administrative (CJCE, 8 avril 1975, Royer).
Par ailleurs, la directive de 2004 oblige à prendre en considération la situation de l’intéressé :
durée de séjour, degré d’intégration dans l’Etat d’accueil, situation économique, vie familiale,
âge, santé, intensité de ses liens avec l’Etat d’origine…
Il est interdit de prononcer une décision d’éloignement si l’intéressé bénéficie d’un droit de
séjour permanent, s’il a séjourné pendant les dix années précédentes dans l’Etat d’accueil ou
s’il est mineur (sauf pour des motifs particulièrement graves).

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Chapitre VII. La liberté professionnelle

Conçue dans une logique économique, la libre circulation des personnes est souvent exercée
par les citoyens européens dans un but professionnel. Quelle que soit la nature de leur
profession, salariée ou indépendante, le traité leur garantit le droit d’aller et de venir sur le
territoire de l’Union. A cette fin, le traité fixe les régimes applicables à la libre circulation des
travailleurs, à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services. Ces régimes
juridiques obéissent à des principes comparables mais tiennent compte des différences
existant entre les professions salariées et les professions non salariées.
Les règles ainsi posées sont censées éviter que les Etats membres ne connaissent des
disparités s’agissant de l’emploi – le chômage pesant lourdement sur leurs finances – et
garantir que les ressortissants de l’Union puissent toujours trouver du travail. Il s’agit aussi de
permettre aux entreprises de l’Union de développer leur activité économique. La liberté
professionnelle apparaît donc comme un gage de prospérité dont l’ensemble des Etats
membres et de leurs ressortissants devraient bénéficier.
Cela étant, les Etats restent parfois tentés de protéger leur marché de l’emploi ou de préserver
l’activité économique de leurs entreprises en introduisant des réglementations défavorables
aux ressortissants des autres Etats membres. Il appartient alors au législateur et au juge de
l’Union de réagir pour garantir la liberté professionnelle, notamment en combattant les
discriminations en raison de la nationalité. Il existe néanmoins des situations où il est
parfaitement justifié que l’Etat protège certains intérêts légitimes, tels que la protection de la
santé publique ou des consommateurs.
Les dispositions du traité relatives à la liberté professionnelle interdisent toute restriction à
l’exercice d’une activité salariée (section I) ou indépendante (section II) sur le territoire de
l’Union, sous réserve de certaines dérogations interprétées strictement. A côté de ces règles, et
pour assurer leur effectivité, l’Union a également développé un système de reconnaissance
des qualifications professionnelles (système que nous n’étudierons pas cependant).

Section I : La libre circulation des travailleurs


La libre circulation des travailleurs est garantie par les articles 45 à 48 TFUE.
L’article 45 interdit, par principe, les restrictions à la libre circulation des travailleurs. Il
bénéficie d’un effet direct, ce qui permet aux travailleurs de l’invoquer devant les juridictions
nationales pour faire valoir leurs droits dans le cas où un Etat membre ne les aurait pas
respectés (CJCE, 4 décembre 1974, Van Duyn).

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L’article 45 est même doté d’un effet direct horizontal. Il peut donc être invoqué par le
travailleur à l’encontre de personnes tant publiques que privées. La solution résulte de
l’arrêt Walrave du 12 décembre 1974 relatif à une réglementation sportive émanant de
l’Union cycliste internationale. La Cour de justice y affirme que l’interdiction de
discrimination fondée sur la nationalité s’impose non seulement à l’action des autorités
publiques mais s’étend également aux réglementations d’une autre nature visant à régler, de
façon collective, le travail salarié. En effet, l’abolition entre les Etats membres des obstacles à
la libre circulation des personnes, objectif fondamental de l’Union, serait compromise si
l’abolition des barrières d’origine étatique pouvait être neutralisée par des associations ou
organismes ne relevant pas du droit public.
L’étude de la libre circulation des travailleurs conduit à s’intéresser d’abord au champ
d’application de cette liberté (§1) puis à son régime juridique (§2).

§ 1. Le champ d’application de la liberté


Pour que la libre circulation des travailleurs soit applicable, il faut que le particulier qui s’en
prévaut soit un « travailleur » au sens de la jurisprudence de la Cour de justice (A). Il faut
également que l’on puisse constater l’existence d’un élément d’extranéité, dès lors que la libre
circulation des travailleurs ne s’applique pas aux situations purement internes (B). Enfin, il
faut s’assurer que l’emploi considéré est bien couvert par la liberté de circulation des
travailleurs (C).

A. Une liberté réservée aux seuls travailleurs


La notion de « travailleur » a été définie de façon extensive par la Cour de justice dans son
important arrêt Lawrie Blum du 3 juillet 1986.
La relation de travail est établie dès lors qu’une personne accomplit, pendant un certain
temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en
contrepartie desquelles elle touche une rémunération ».
La notion de « travailleur » se caractérise donc par l’existence :
- d’une activité réelle et effective,
- d’un lien de subordination,
- et d’une rémunération.
En présence de ces trois éléments, la libre circulation des travailleurs est applicable, peu
importe la nature de l’activité exercée, le fait qu’elle le soit à temps partiel ou qu’elle procure

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un revenu insuffisant qui contraint l’intéressé à solliciter l’assistance de sa famille ou de
fonds publics.

Quelques exemples :
 Un joueur professionnel de football est un travailleur (CJCE, 15 décembre 1995, Bosman).
 Une personne qui accomplit des tâches pour l’Armée du Salut en échange de son
hébergement et d’un peu d’argent de poche peut être considérée comme un travailleur s’il est
démontré que son activité salariée présente un caractère réel et effectif (CJCE, 7 septembre
2004, Trojani).
L’activité salariée peut même être seulement potentielle dans la mesure où la personne à
la recherche d’un emploi est assimilée à un travailleur.

B. Une liberté conditionnée par l’existence d’un élément d’extranéité


Pour que la libre circulation des travailleurs soit applicable, il faut que la personne se déplace
ou envisage de se déplacer dans un autre Etat membre. En effet, l’article 45 TFUE ne
s’applique pas à des situations purement internes à un Etat membre, telles que celle d’un
ressortissant d’un Etat membre qui n’a jamais résidé ou travaillé dans un autre Etat membre.
Un citoyen européen ne peut donc pas invoquer l’article 45 pour s’opposer à l’application, à
son égard, de la législation de son propre Etat.
Cela étant, la Cour a progressivement réduit le champ des situations purement internes
pour accroître l’effectivité de la libre circulation des travailleurs. C’est ainsi que le droit
de l’Union est applicable dans l’hypothèse où un national a étudié à l’étranger et cherche un
emploi dans son Etat d’origine.
Ainsi la situation d’un citoyen européen, titulaire d’un diplôme universitaire de troisième
cycle, obtenu dans un autre Etat membre, est régie par le droit de l’Union, même en ce qui
concerne les rapports de ce ressortissant à l’égard de l’Etat membre dont il est le
ressortissant ». Un ressortissant allemand qui a obtenu un diplôme au Royaume-Uni peut donc
invoquer la libre circulation des travailleurs à l’encontre de l’Allemagne.

C. Une liberté exclue pour certains emplois dans l’administration


La libre circulation des travailleurs bénéficie à tous les emplois, à l’exception des « emplois
dans l’administration publique ».
Depuis l’arrêt Commission / Belgique du 17 décembre 1980, la Cour de justice considère
que les emplois dans l’administration publique sont uniquement ceux qui comportent une

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participation, directe ou indirecte, à l’exercice de la puissance publique et aux fonctions qui
ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l’Etat ou des autres collectivités
publiques ». De tels emplois supposent en effet, de la part de leurs titulaires, « l’existence
d’un rapport particulier de solidarité à l’égard de l’Etat ainsi que la réciprocité de droits et
devoirs qui sont le fondement du lien de nationalité.
La France a ainsi été condamnée en 1986 parce qu’elle réservait aux ressortissants français
l’accès aux emplois d’infirmier ou d’infirmière dans les hôpitaux publics. La France a alors
été contrainte de modifier son droit de la fonction publique en 1991. En 2008, elle a, à
nouveau, été condamnée, cette fois-ci parce qu’elle avait « mainten[u] dans sa législation
l’exigence de la nationalité française pour l’accès aux emplois de capitaine et d’officier
(second de navire) à bord de tous les bateaux battant pavillon français ».

§ 2. Le régime juridique de la liberté de circulation des travailleurs


Comme pour la liberté de circulation et de séjour, les règles gouvernant la libre circulation des
travailleurs comportent un principe d’interdiction des restrictions (A) auquel il peut cependant
être dérogé (B).

A. Le principe de l’interdiction de toutes restrictions


En vertu de l’article 45 TFUE, la libre circulation des travailleurs comporte le droit :
- de répondre à des emplois effectivement offerts,
- de se déplacer à cet effet librement sur le territoire des Etats membres,
- de séjourner dans un des Etats membres afin d’y exercer un emploi,
- de demeurer sur le territoire d’un Etat membre, après y avoir occupé un emploi.
Les Etats membres doivent toutefois observer la règle du traitement national, en vertu de
laquelle les ressortissants d’un autre Etat membre doivent être traités comme les ressortissants
nationaux. L’article 45 TFUE proscrit en effet « toute discrimination, fondée sur la
nationalité, entre les travailleurs des Etats membres, en ce qui concerne l’emploi, la
rémunération et les autres conditions de travail ».
La Cour de justice a sanctionné les discriminations, qu’elles soient directes ou indirectes.
 La discrimination est directe lorsqu’elle est prévue par une réglementation qui est
applicable aux travailleurs européens et non pas aux travailleurs nationaux. Le critère de
discrimination étant celui de la nationalité, la discrimination directe est facile à identifier et à
interdire.

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 La discrimination est indirecte, en présence d’une réglementation qui, en apparence,
s’applique indistinctement aux travailleurs nationaux et européens. Elle est alors plus difficile
à détecter. Mais l’utilisation d’un critère de discrimination neutre étant tout aussi
préjudiciable que l’utilisation du critère de la nationalité, la discrimination indirecte est
interdite. Il résulte ainsi de l’arrêt Sotgiu du 15 février 1974 que le principe de non-
discrimination prohibe « non seulement les discriminations ostensibles fondées sur la
nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application
d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat ». En l’espèce, l’Etat
allemand différenciait entre les travailleurs selon qu’ils résident ou non sur le territoire
national. Cela revient quasiment à distinguer en fonction de leur nationalité dans la mesure où
le travailleur réside généralement dans l’Etat dont il a la nationalité.
La Cour prohibe, plus largement, les réglementations nationales qui entravent la libre
circulation des travailleurs, sans qu’il soit besoin de démontrer qu’elle est discriminatoire.
Dans l’arrêt Bosman du 15 décembre 1995 relatif aux règles sur le transfert des joueurs de
football, la Cour affirme que les règles nationales sont susceptibles de restreindre la libre
circulation des joueurs qui souhaitent exercer leur activité dans un autre Etat membre en les
empêchant ou en les dissuadant de quitter leurs clubs d’appartenance même après
l’expiration des contrats de travail qui les lient à ces derniers.

B. L’admission de quelques dérogations


Ces dérogations sont d’abord prévues pour les motifs expressément cités dans l’article 45
TFUE : l’ordre public, la sécurité publique et la santé publique dont nous avons déjà parlé
dans le cadre de la liberté de circulation et de séjour.
La discrimination qui n’est qu’indirecte bénéficie de motifs dérogatoires
supplémentaires. C’est logique car, en retenant la notion d’"entrave", la Cour de justice avait
considérablement étendu le champ d’application de l’article 45. Il fallait donc que, par
compensation, la Cour se montre raisonnable et qu’elle tolère les mesures légitimement
adoptées par les Etats.
Les Etats peuvent ainsi se prévaloir de raisons impérieuses d’intérêt général. Il s’agit là de
justifications non prévues dans le traité et qui créent, en pratique, des discriminations
indirectes au détriment des travailleurs européens. Il faut cependant qu’elles demeurent
proportionnées.

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Section II. La liberté d’établissement et la libre prestation de services
Les libertés d’établissement et de prestation de services bénéficient de l’effet direct.
Ces deux libertés offrent des droits aux personnes qui exercent leur activité à titre
indépendant. Elles obéissent plus ou moins aux mêmes règles mais la Cour prend bien soin
de les distinguer. En effet, cette délimitation est importante puisque celui qui s’établit
dans un autre Etat membre est en principe entièrement soumis aux règles qui
s’appliquent aux ressortissants de cet Etat, alors que le prestataire de services ne se voit
pas appliquer la totalité de ces règles.
Le critère de distinction est celui de la durée d’exercice de l’activité :
- la personne établie exerce son activité pour une durée indéterminée, soit de manière
permanente et au moyen d’une infrastructure stable ;
- à l’inverse, la personne qui preste ses services le fait de manière temporaire, sans avoir
besoin de disposer, normalement, d’une telle infrastructure.

§ 1. Le champ d’application des deux libertés


A. Les bénéficiaires
Ces libertés peuvent être exercées par des personnes physiques ou morales.
On entend par sociétés les sociétés de droit civil ou commercial, y compris les sociétés
coopératives, et les autres personnes morales relevant du droit public ou privé, à l’exception
des sociétés qui ne poursuivent pas de but lucratif.
Seule une personne qui exerce effectivement une activité économique couverte par le
traité est autorisée à invoquer ces libertés. L’hypothèse peut être illustrée par l’arrêt
Grogan du 4 octobre 1991. En l’espèce, il s’agissait de savoir si le droit communautaire
s’opposait à ce qu’un Etat membre où l’IVG est prohibée (l’Irlande) interdise à des
associations d’étudiants de diffuser des informations au sujet de la désignation et du lieu
d’implantation de cliniques d’un autre Etat membre (le Royaume-Uni) où sont légalement
pratiquées des IVG, ainsi que des moyens d’entrer en contact avec ces cliniques.
Bien que l’IVG puisse être qualifiée de service, la libre prestation de services n’était pas en
cause puisque les informations litigieuses n’étaient pas diffusées pour le compte de l'opérateur
économique établi dans un autre Etat membre. Bien au contraire, ces informations
constituaient une manifestation de la liberté d’expression et d'information,
indépendante de l'activité économique exercée par les cliniques établies dans un autre État
membre.

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B. L’élément d’extranéité
Pour que la liberté d’établissement s’applique, il faut qu’il y ait un déplacement dans
l’Union de la personne, généralement de son Etat d’origine (celui dont elle a la nationalité)
vers l’Etat d’accueil (celui où elle s’établit).
Pour que la libre prestation de services s’applique, il faut qu’il y ait un franchissement de
frontière. Le franchissement peut être le fait du prestataire, ce qui est le cas le plus souvent.
Ex. : avocat qui se déplace pour représenter son client et plaider devant le tribunal d’un autre
Etat membre ; architecte qui vient établir les plans d’une habitation et diriger le chantier dans
un autre Etat membre…
Le franchissement peut cependant être le fait du destinataire de la prestation. C’est le cas
lorsqu’un touriste se déplace ou lorsqu’un malade se rend dans un établissement de santé situé
dans un autre Etat membre.
Il est aussi possible que seule la prestation franchisse la frontière, sans que le prestataire ou
le destinataire ne se déplacent. Tel est le cas d’une émission de télévision ou de radio mais
aussi du coup de téléphone ou de l’e-mail de l’avocat qui est le support d’une consultation.
En l’absence d’élément d’extranéité, les libertés d’établissement et de prestation de service ne
seront pas applicables. On parle alors, comme en matière de libre circulation des travailleurs,
de situation purement interne.
Néanmoins, un médecin néerlandais peut se prévaloir du diplôme qu’il a obtenu en Belgique
pour s’installer aux Pays-Bas, de même qu’un ressortissant national qui a d’abord exercé dans
un autre Etat membre peut s’en prévaloir ensuite dans son propre Etat.

C. Les activités
Les libertés d’établissement et de prestation de services s’appliquent à toute activité
économique non salariée. Le critère permettant de distinguer ces deux libertés de la
libre circulation des travailleurs est assez simple. Il tient à l’indépendance de l’établi ou du
prestataire alors que le salarié est soumis à un lien de subordination vis-à-vis de son
employeur. Certes, ce dernier effectue une prestation contre rémunération mais il le fait dans
le cadre d’un contrat de travail, c’est-à-dire pour le compte de son employeur.
Lorsqu’une entreprise fournit une prestation de services dans un autre Etat membre en faisant
venir temporairement dans cet Etat son propre personnel salarié, elle peut se prévaloir de la
libre prestation de services. L’Etat d’accueil a toutefois le droit d’étendre sa législation ou les
conventions collectives de travail aux salariés de l’entreprise. L’employeur doit donc se plier
aux règles de l’Etat de destination.

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Néanmoins, pendant un certain délai, les salariés continuent de bénéficier du régime
applicable dans le pays d’origine. En clair, des travailleurs portugais ou polonais détachés en
France continueront de percevoir leur salaire portugais ou polonais pendant quelques temps.
Certains Etats membres de l’Union dénoncent un dumping social, c’est-à-dire une
concurrence déloyale de la part de ces travailleurs qui sont payés nettement moins que les
travailleurs du pays d’accueil. Aussi proposent-ils que les travailleurs détachés perçoivent, a
minima, le même salaire que les travailleurs du pays d’accueil. Les pays "exportateurs" de
main-d’œuvre s’opposent toutefois vigoureusement à une telle réforme.
Enfin, les libertés d’établissement et de prestation de services sont inapplicables aux activités
économiques participant dans cet Etat, même à titre occasionnel, à l’exercice de l’autorité
publique. Cette exclusion est toutefois interprétée strictement.

§ 2. Le régime juridique des deux libertés


A. L’interdiction des restrictions
La notion de « restriction » est interprétée largement. La restriction peut ainsi être liée à
une discrimination. L’origine étatique ou non de la discrimination importe peu. La
discrimination est donc prohibée qu’elle trouve son origine dans une action de l’Etat ou d’une
personne privée. En outre, la discrimination est interdite qu’elle soit directe ou indirecte.
 Est directement discriminatoire la législation nationale interdisant la diffusion de
programmes de radio et de télévision offerts à partir de l’étranger, dès lors qu’ils comportent
des messages publicitaires destinés spécialement au public de l’Etat de réception. En effet,
l’interdiction de publicité prive les émetteurs établis dans d’autres Etats membres de toute
possibilité de diffuser sur leur chaîne des messages publicitaires destinés spécialement au
public de cet Etat, alors que la loi nationale prévoit la diffusion de ces mêmes messages sur
les chaînes nationales.
 Constitue une discrimination indirecte devant être censurée la législation nationale qui,
en posant des exigences relatives à la résidence sur le territoire, réserve, en fait, aux seuls
ressortissants nationaux l’accession à la propriété et à la location de logements construits ou
restaurés à l’aide de fonds publics, ainsi que l’accession au crédit foncier à taux réduit.
Sont également interdites, des mesures non discriminatoires mais entravantes lorsqu’elles
sont de nature à prohiber ou gêner autrement les activités du prestataire établi dans un autre
État membre, où il fournit légalement des services analogues.

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B. L’admission de dérogations
Comme en matière de libre circulation des travailleurs, la différence entre discrimination
directe, discrimination indirecte et entrave non discriminatoire est cruciale.
 La réserve d’ordre public permet de justifier une mesure ouvertement discriminatoire. Eu
égard à ses effets potentiellement radicaux, elle se limite à trois motifs : l’ordre public à
proprement parler, la sécurité publique et la santé publique.
Cette réserve, commune à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services,
s’applique comme dans le cadre de la liberté de circulation et de séjour. Elle ne peut donc être
invoquée qu’en l’absence d’une mesure d’harmonisation. Elle ne peut jamais être invoquée à
des fins économiques et doit être conforme au principe de proportionnalité.
Le fondement le plus invoqué est la santé publique. Par exemple, la loi Evin qui interdit la
publicité télévisée pour les boissons alcooliques a été déclarée compatible avec la libre
prestation des services, en dépit de ses répercussions sur la diffusion d’événements sportifs
qui se déroulent à l’étranger. La Cour de justice l’estime justifiée sur le fondement de la lutte
contre l’alcoolisme qui relève de la notion de santé publique.
 En dehors du traité, les raisons impérieuses d’intérêt général reconnues par la
jurisprudence ne peuvent être invoquées que dans le cas où, en l’absence d’harmonisation, la
mesure est indistinctement applicable. En d’autres termes, les exigences impérieuses d’intérêt
général ne peuvent bénéficier qu’à des mesures indirectement discriminatoires ou à des
mesures entravantes.
Peuvent ainsi être invoquées :
- la protection des travailleurs ;
- la protection des consommateurs ;
- la protection des participants aux jeux de hasard afin de prévenir des conséquences
sociales dommageables ;
- le risque d’une atteinte grave à l’équilibre financier du système de sécurité sociale ;
- la protection des créanciers ;
- la protection de l’environnement ;
- l’efficacité des contrôles fiscaux...

 Enfin, la sauvegarde des droits fondamentaux constitue un fondement dérogatoire


distinct. Dans l’affaire Omega (CJCE, 14 octobre 2004) le respect de la dignité humaine fut
invoqué par l’Etat allemand pour interdire l’exploitation d’un lasergame sur son territoire.
Cependant là encore, l’Etat doit démontrer que son approche est proportionnée.

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Chapitre VIII. La libre circulation des marchandises

Le principal objectif poursuivi par l’Union est l’établissement et le bon fonctionnement du


marché intérieur. Selon l’article 26 TFUE, « le marché intérieur comporte un espace sans
frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des
services et des capitaux est assurée selon les dispositions des traités ».
Le législateur de l’Union harmonise, c’est-à-dire rapproche, les législations des Etats
membres en adoptant des directives et des règlements dans les secteurs où il existe des
disparités entre les législations nationales. De nombreux secteurs ont ainsi été harmonisés
par des mesures portant sur les spécifications techniques relatives aux jouets, aux dispositifs
médicaux, aux produits pharmaceutiques et cosmétiques, aux produits chimiques, aux
véhicules, aux matériels de construction… L’idée est qu’il faut éviter que les dispositions
nationales relatives à ces produits soient différentes d’un Etat à un autre. Les disparités
feraient qu’un Etat pourrait accepter un produit sur son territoire pendant qu’un autre s’y
opposerait. L’opérateur économique pourrait fabriquer, selon les spécifications de l’Etat
d’origine, un produit qui ensuite ne pourrait pas circuler librement dans les autres Etats
membres. Les frontières recréées par ces disparités empêcheraient le fonctionnement du
marché intérieur. On assisterait alors à un cloisonnement des marchés nationaux. Pour éviter
cette situation, les mesures d’harmonisation rapprochent les dispositions nationales : en
respectant les spécifications de l’Union, un produit peut circuler librement sur son territoire,
sans que les Etats puissent s’y opposer.
En l’absence de mesure d’harmonisation adoptée par l’Union européenne, les opérateurs
économiques peuvent se prévaloir directement des dispositions du traité posant le principe de
la libre circulation des marchandises. Ils pourront alors demander au juge d’écarter les
obstacles à la libre circulation des marchandises que les Etats membres maintiennent ou
introduisent.
Les marchandises sont définies comme « les produits appréciables en argent et
susceptibles, comme tels, de former l’objet de transactions commerciales ». L’objectif de la
libre circulation des marchandises pour l’Union est d’une telle importance que le principe de
libre circulation a été jugé fondamental. Les dérogations qu’il tolère doivent donc être
interprétées strictement.

Section I. L’interdiction des obstacles tarifaires

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En vertu de l’article 28 TFUE, l’Union douanière comporte un double volet :
- sur le plan intérieur, elle comprend l’interdiction entre les Etats membres des droits de
douane et taxes d’effet équivalent ;
- sur le plan extérieur, elle postule l’adoption d’un tarif douanier commun dans leurs
relations avec les Etats tiers.
L’interdiction des obstacles tarifaires doit donc se comprendre comme la prohibition des
droits de douane et des taxes d’effet équivalent (§1) ainsi que la prohibition des impositions
intérieures discriminatoires ou protectrices (§2). Les prélèvements perçus en contrariété avec
ces interdictions doivent être restitués (§3).

§ 1. La prohibition des droits de douane et des taxes d’effet équivalent


La notion de « droits de douane » n’a pas posé de problème particulier. Ces derniers peuvent
être facilement définis comme des charges pécuniaires perçues lors du passage d’une
frontière, et surtout facilement identifiés grâce à leur inscription dans les tarifs douaniers. Ces
droits de douane ont été éliminés assez rapidement tant à l’importation qu’à l’exportation. Il
n’existe plus de droits de douane entre les Etats membres depuis le 1er juillet 1968.
Sont en revanche susceptibles de subsister, voire même d’être introduites, des taxes d’effet
équivalent, c’est-à-dire des prélèvements qui sans être des droits de douane au sens strict en
ont les mêmes effets. Considérées comme extrêmement nocives pour le marché intérieur, ces
taxes d’effet équivalent (TEE) à l’importation et à l’exportation sont strictement prohibées. La
notion est donc largement entendue et les exceptions au principe d’interdiction sont admises
strictement.

A. La notion de taxe d’effet équivalent


Non définies dans le traité, la notion de taxe d’effet équivalent (TEE) est entendue très
largement. Ainsi, une charge pécuniaire, si minime soit-elle, frappant les marchandises
nationales ou étrangères du fait qu’elles franchissent la frontière, constitue une TEE, alors
même qu’elle ne serait pas perçue au profit de l’Etat, qu’elle n’exercerait aucun effet
discriminatoire ou protecteur et que le produit imposé ne se trouverait pas en concurrence
avec une production nationale.
Une charge pécuniaire qui est perçue lors du passage d’une frontière et qui n’est pas un
droit de douane, mais a un effet entravant sur les échanges, doit donc être qualifiée de
TEE. Cette qualification est retenue quels que soient le montant, la forme et la dénomination

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de la taxe, la technique de perception qui est employée, le lieu et le moment auxquels la taxe
est perçue...
Exemples de prélèvements prohibés :
- des frais correspondants à l’établissement des documents administratifs nécessaires au
franchissement de la frontière ;
- des frais en relation avec l’établissement de données statistiques ;
- des frais liés aux contrôles techniques et sanitaires.

B. Les exceptions à l’interdiction des taxes d’effet équivalent


Le caractère fondamental de la liberté de circulation des marchandises apparaît également
dans le très faible nombre d’exceptions à l’interdiction des taxes d’effet équivalent que le juge
a acceptées.
Ainsi la protection du patrimoine national ne permet pas de justifier une taxe à l’exportation
d’objets d’art. De même, il est impossible de se fonder sur un motif d’ordre social pour
justifier une taxe à l’exportation dont le montant est reversé à un fonds qui aide les
travailleurs du secteur de production considéré.
Deux exceptions sont néanmoins admises.
 1ère exception admise : sous certaines conditions interprétées strictement, la charge perçue
en contrepartie d’un service rendu à l’opérateur économique peut échapper à l’interdiction
posée par l’article 34 TFUE.
Conditions exigées :
- le service doit être effectif : une prestation est vraiment fournie (il ne s’agit pas de la
traduction financière d’une simple contrainte administrative).
- le service doit être facultatif : l’opérateur n’est pas contraint par une formalité
douanière ou administrative qu’il est obligatoire d’accomplir ;
- le service doit être individuel ;
- le coût du service doit être proportionné, ce qui exclut notamment les taxations
forfaitaires ;
Ainsi une société qui débarque du pétrole dans un port et utilise à cette fin les installations
portuaires peut être tenue d’acquitter une taxe.

 2ème exception admise : peut échapper à l’interdiction des TEE la charge perçue au titre
d’une mesure de l’Union ou d’une convention internationale, sous réserve du strict respect de

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certaines conditions. Ont ainsi été admis les prélèvements perçus à l’occasion de contrôles
vétérinaires et phytosanitaires fondés sur des normes communautaires ou internationales.

§ 2. La prohibition des impositions intérieures discriminatoires ou protectrices


Bien que la fiscalité demeure de la compétence des Etats membres pour des raisons évidentes
liées au respect de la souveraineté étatique, les auteurs du traité se sont montrés conscients,
dès les débuts de la construction communautaire, de la possibilité ainsi offerte aux Etats de
réintroduire des barrières fiscales là où les entraves aux échanges auraient pourtant dû être
éliminées. Aussi, pour éviter que les marchandises franchissant une frontière ne soient
doublement taxées à la consommation dans l’Etat d’origine et dans l’Etat de destination, il fut
finalement décidé qu’elles ne seraient indirectement imposées que dans l’Etat d’importation.
Le système inverse aurait consisté à soumettre le produit importé à la fiscalité de son pays
d’origine. Le danger aurait été de voir le pays d’exportation favoriser ses produits par le biais
de sa fiscalité.
L’Etat d’importation ayant la possibilité d’user de son pouvoir fiscal pour favoriser les
produits nationaux, il est apparu essentiel d’interdire aux Etats membres, l’article 110 TFUE,
de frapper les produits étrangers d’impositions intérieures discriminatoires ou protectrices.

A. La qualification d’imposition intérieure discriminatoire ou protectrice


La notion d’imposition intérieure englobe non seulement les taxes sur le chiffre d’affaires et
les droits d’accises mais également toutes sortes d’autres impôts indirects perçus par l’Etat ou
une autre personne de droit public.
L’article 110 interdit que des produits similaires soient imposés de manière différente. Sont
réputés similaires des produits qui présentent au regard des consommateurs des propriétés
analogues ou répondent aux mêmes besoins. L’article 110 interdisant également que les
produits nationaux soient protégés de la concurrence des produits importés, la Cour
interprète largement la notion de « produits concurrents ». Là encore, le regard du
consommateur est un critère essentiel.

B. L’absence de dérogation au principe d’interdiction


Il est impossible de justifier un système fiscal discriminatoire ou protecteur. Le seul moyen
d’échapper à l’interdiction est de démontrer que le système n’est ni discriminatoire ni
protecteur.
Le droit de l’Union n’interdit pas aux Etats membres d’accorder pour des motifs économiques
et sociaux légitimes des avantages fiscaux, sous forme d’exonération ou de réduction, à
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certains produits ou à certaines catégories de producteurs . En revanche, le droit de l’Union
interdit ces avantages fiscaux lorsqu’ils reviennent à protéger la production nationale.
En effet, en pareil cas, la poursuite d’un objectif même légitime revient à cloisonner les
marchés.

§ 3. La restitution des prélèvements indument perçus


Le droit de l’Union oblige les autorités nationales à tirer les conséquences de l’interdiction
des taxes d’effet équivalent (TEE) et, partant, à restituer ces prélèvements indus aux
opérateurs économiques.
Non prévue par le traité, le principe de la répétition de l’indu a été posé par la Cour de
justice dans l’arrêt Denkavit Italiana du 27 mars 1980. La restitution doit se faire dans le
cadre des procédures nationales. Le renvoi au droit national est toutefois encadré par le
droit de l’Union européenne.

A. Les modalités procédurales de la restitution


Par principe, c’est au juge national de statuer sur le remboursement des prélèvements indus
dans les conditions définies par le droit national. Il s’agit là d’une illustration du principe
d’autonomie procédurale des Etats membres. Cette autonomie procédurale est toutefois
encadrée par les principes d’équivalence et d’effectivité :
- les modalités du remboursement ne doivent pas se révéler moins favorables que celles
concernant des recours similaires de nature interne (principe d’équivalence ou de non-
discrimination) ;
- leur aménagement ne doit pas rendre pratiquement impossible l’exercice de droits que
les justiciables tirent de l’effet direct de la disposition du traité en cause.

B. Le montant de la restitution
Par principe, le remboursement est intégral et couvre la période allant de la date à laquelle la
taxe a commencé à être perçue (et non la date à laquelle le juge a affirmé qu’elle était
interdite) à la date à laquelle la perception a pris fin.
Cependant, par exception, pour des motifs de sécurité juridique, la Cour de justice peut
décider de limiter les effets dans le temps de son arrêt. L’exception comporte toutefois, elle-
même, une exception en faveur des opérateurs économiques diligents qui avaient contesté la
taxe avant que la Cour de justice se prononce.

Section II. L’interdiction des obstacles non tarifaires


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Comme les obstacles tarifaires, les obstacles non tarifaires sont prohibés (§1). Mais à la
différence des premiers, les seconds bénéficient d’un régime dérogatoire beaucoup plus
étendu (§2).

§ 1. La prohibition des restrictions quantitatives et des mesures d’effet équivalent


Les articles 34 et 35 TFUE interdisent aux Etats membres de maintenir ou d’instaurer des
restrictions quantitatives, c’est-à-dire des quotas, ainsi que toutes mesures d’effet équivalent,
que ce soit à l’importation ou à l’exportation.
Comme les droits de douane, les restrictions quantitatives ont été rapidement éliminées avant
le 1er juillet 1968, que ce soit à l’importation ou à l’exportation, et pour la même raison : les
quotas sont facilement identifiables dans les réglementations des Etats membres.
Non définie dans le traité, la notion de mesure d’effet équivalent est difficile à saisir.
Pour simplifier, doit être qualifiée de mesure d’effet équivalent, « toute réglementation
commerciale des Etats membres susceptible d’entraver directement ou indirectement,
actuellement ou potentiellement le commerce intracommunautaire » (CJCE, 11 juillet
1974, Dassonville ). L’effet entravant de la mesure sur les échanges est l’unique critère à
prendre en considération quand il s’agit de déterminer s’il y a lieu d’interdire la
réglementation litigieuse.
Dans un premier temps, ont été déclarées contraires au principe d’interdiction des
mesures d’effet équivalent, des mesures nationales clairement discriminatoires.
Dans un deuxième temps, la question de l’éventuelle prise en considération du caractère
non discriminatoire de la mesure s’est néanmoins posée à la Cour de justice. Dans son
arrêt Cassis de Dijon (CJCE, 20 février 1979, Rewe-Zentral), la Cour a décidé que les
mesures indistinctement applicables aux produits nationaux et aux produits importés étaient
susceptibles d’entraver les échanges et donc d’être qualifiées de mesures d’effet équivalent au
sens de l’article 34 TFUE.
En l’espèce, l’administration allemande avait interdit à l’entreprise Rewe-Zentral d’importer
en Allemagne de la liqueur « Cassis de Dijon » originaire de France. La réglementation
allemande n’autorisait en effet que la commercialisation de liqueurs de fruits d’une teneur
minimale de 25°. Or, le titre volumétrique du cassis de Dijon était compris entre 15 à 20 %.
Cette réglementation étant indistinctement applicable aux produits allemands et importés, il
s’agissait de savoir si elle pouvait relever de la jurisprudence Dassonville en l’absence totale
de discrimination.

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La formule retenue par la Cour est la suivante : « en l’absence d’une réglementation
commune de la production et de la commercialisation de l’alcool, il appartient aux Etats
membres de régler, chacun sur son territoire, tout ce qui concerne la production et la
commercialisation de l’alcool » ; « les obstacles à la circulation intracommunautaire
résultant des disparités des législations nationales relatives à la commercialisation des
produits en cause doivent être acceptés dans la mesure où ces prescriptions peuvent être
reconnues comme étant nécessaires pour satisfaire à des exigences impératives tenant,
notamment, à l’efficacité des contrôles fiscaux, à la protection de la santé publique, à la
loyauté des transactions commerciales et à la défense des consommateurs ».
Par cet arrêt Cassis de Dijon, la Cour de justice consacre la théorie dite des exigences
impératives d’intérêt général. Cette théorie permet de justifier une mesure nationale
indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés.
Dès lors qu’elle permettait d’appréhender des réglementations nationales qui n’étaient
qu’indistinctement discriminatoires, la jurisprudence Cassis de Dijon a été à l’origine d’une
multiplication des saisines de la Cour de justice. Celle-ci était fréquemment saisie par les
juridictions nationales pour savoir si telle ou telle mesure nationale constituait une mesure
d’effet équivalant à une restriction quantitative aux échanges. Aussi a-t-elle fini par être
surchargée. Elle a réagi en réduisant le périmètre ou le champ d’application de la notion de
mesure d’effet équivalant à une restriction quantitative aux échanges tel qu’il ressortait de sa
jurisprudence Cassis de Dijon.
Par son arrêt Keck et Mithouard du 24 novembre 1993, la Cour a ainsi introduit la
distinction entre les réglementations imposant des conditions aux produits et les
réglementations relatives à certaines modalités de vente. Par principe, ces dernières
échappent désormais à l’interdiction des mesures d’effet équivalent posée par l’article 34
TFUE. Elles sont néanmoins susceptibles d’être qualifiées de mesures d’effet équivalent si
elles se révèlent discriminatoires dans les faits.
Dans l’arrêt Keck et Mithouard, la Cour a donné une liste indicative des réglementations
susceptibles d’entrer la catégorie « conditions du produit » : les règles qui concernent la
dénomination des marchandises, leur forme, leurs dimensions, leur poids, leur composition,
leur présentation, leur étiquetage ou leur conditionnement.
En revanche, elle n’a pas proposé de liste comparable de « modalités de vente ».
L’appréciation s’est alors faite au cas par cas pour qualifier les règles définissant notamment
les horaires et lieux de vente, la publicité, les rabais sur les prix, des méthodes de vente telles
que la vente par correspondance, le démarchage à domicile…

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En substance, les règles relatives aux conditions des produits se rapportent aux éléments
intrinsèques du produit tandis que les modalités de vente se rattachent à leurs éléments
extrinsèques. Le problème est que certaines mesures paraissent relever des deux
catégories, tandis que d’autres paraissent n’entrer dans aucune.

Enfin, l’interprétation des articles 34 et 35 TFUE permet de sanctionner l’inaction des


Etats membres face au risque que les agissements privés présentent pour la libre
circulation des marchandises.
L’arrêt de principe est l’arrêt Commission / France du 9 décembre 1997 rendu dans
l’affaire dite de la « guerre des fraises ». En l’espèce, est visée l’obstruction des agriculteurs
français au franchissement de la frontière espagnole par les marchandises, en particulier
agricoles mais pas seulement, que ces dernières proviennent d’Espagne ou d’autres Etats
membres. Ces agissements ont entraîné un climat général d’insécurité.
Les autorités françaises ne sont pas intervenues en arguant que leur inaction était plus
favorable au maintien de l’ordre public que l’inverse. Ainsi les manifestants n’ont-ils été ni
délogés ni arrêtés, ni poursuivis alors même qu’ils agissaient souvent à visage découvert
devant les caméras de télévision.
La Cour estime que le gouvernement français a entravé la libre circulation des marchandises
en s’abstenant de prendre les mesures nécessaires à la cessation des manifestations agricoles.
C’est en soulignant la carence des pouvoirs publics à faire cesser les troubles et à rétablir
l’ordre que la Cour parvient à imputer à l’Etat français une entrave commise par des
personnes privées.

§ 2. Les dérogations au principe de l’interdiction


Si la liberté des échanges est un objectif fondamental qui, pour être réalisé, nécessite une
élimination aussi complète que possible des obstacles au commerce, d’autres intérêts non
économiques méritent néanmoins d’être pris en considération.
Le système de l’Union tolère un certain nombre de dérogations au principe de la libre
circulation des marchandises.
Trois fondements dérogatoires doivent être distingués : un fondement textuel, l’article 36
TFUE (A), les exigences impératives d’intérêt général issues de la jurisprudence (B) et la
protection des droits fondamentaux (C).

A. Les raisons prévues à l’article 36 TFUE

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L’article 36 TFUE permet de justifier une dérogation aux interdictions ou restrictions
d’importation et d’exportation « par des raisons de moralité publique, d’ordre public, de
sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de
préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique,
historique ou archéologique, ou de protection de la propriété industrielle et commerciale ».
En tant que dérogation à la règle fondamentale de l’élimination de tous les obstacles à la libre
circulation des marchandises entre les Etats membres, l’article 36 est d’interprétation stricte.
La liste des raisons justificatives de l’article 36 est donc exhaustive.
L’article 36 TFUE ne vise que des hypothèses de nature non économique.
Enfin, les interdictions ou restrictions justifiées au titre de l’article 36 TFUE ne doivent
constituer ni un moyen de discrimination arbitraire, ni une restriction déguisée dans le
commerce entre les Etats membres. Les justifications prévues par l’article 36 ne doivent
donc pas être utilisées à des fins détournées.
La Cour de justice a ainsi censuré une discrimination arbitraire dans l’affaire Conegate
(CJCE, 11 mars 1986). En l’espère, une législation britannique prohibait, pour des raisons de
moralité publique, l’importation d’articles à caractère pornographique, alors que leur
fabrication n’était pas interdite sur le territoire.
La notion de restriction déguisée peut être illustrée par l’affaire des « dindes de Noël » (CJCE,
15 juillet 1982, Commission / Royaume-Uni). Le Royaume-Uni est condamné pour avoir
prohibé l’importation de volailles qu’il estimait potentiellement atteintes de la maladie de
Newcastle. Or, il apparaissait que cette interdiction, dépourvue de fondement réel, avait été
dictée au Gouvernement par les syndicats professionnels qui tentaient de se prémunir de la
concurrence étrangère en période de fêtes de fin d’année.

Enfin, il faut s’assurer que la mesure nationale respect le principe de proportionnalité ;


autrement dit, que l’Etat n’est pas allé au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif
poursuivi.
Lorsque toutes ces conditions sont respectées, l’article 36 du traité permet de justifier
toutes les mesures entravant les échanges, que celles-ci soient ou non discriminatoires.

B. Les exigences impératives d’intérêt général


Les exigences impératives que la Cour de justice a déterminées ne peuvent, pour leur part,
justifier que des mesures indistinctement applicables aux produits nationaux et importés. Dans
son arrêt Cassis de Dijon (CJCE, 20 février 1979, Rewe-Zentral), la Cour de justice ne donne

- 63 -
qu’une liste indicative « des exigences impératives tenant, notamment, à l’efficacité des
contrôles fiscaux, à la protection de la santé publique, à la loyauté des transactions
commerciales et à la défense des consommateurs ».
La formule employée par la Cour illustre le caractère évolutif de la liste des exigences
impératives ainsi reconnues. Depuis l’arrêt Cassis de Dijon de 1979, la Cour a
notamment consacré :
- la protection de l’environnement ;
- la protection des réseaux publics;
- la sécurité routière ;
- la lutte contre la criminalité ;
- la protection des travailleurs...
De même que dans le cadre de l’article 36 TFUE, la liste des exigences impératives ne vise
que des motifs d’ordre non économique.
Pour qu’une mesure entravante soit justifiée au titre d’une exigence impérative d’intérêt
général, il faut qu’elle soit nécessaire pour atteindre cet objectif et proportionnée.
Une telle mesure est nécessaire à la réalisation de l’objectif fixé, lorsque son auteur démontre,
tout d’abord, que le moyen employé est apte à atteindre le but visé. Le respect de la condition
de l’existence d’un lien de causalité est généralement assez facile à prouver. Le cas échéant, la
Cour de justice juge « inutile » l’entrave aux échanges.
La mesure litigieuse doit ensuite constituer le moyen le plus approprié. Ainsi, lorsqu’il existe
un choix entre différentes mesures aptes à atteindre le même but, la préférence doit être
accordée au moyen qui apporte le moins d’obstacles à la liberté des échanges.
Enfin, une dérogation à la libre circulation des marchandises est subordonnée à la
démonstration du caractère proportionné de la réglementation en cause. Le juge met en
balance les intérêts divergents auxquels il se trouve confronté.
L’affaire des « bouteilles danoises » (CJCE, 20 septembre 1988, Commission / Danemark) se
rapportait à un système de reprise des emballages qui assurait un très haut niveau de
protection de l’environnement mais entrainait aussi une atteinte très importante à la libre
circulation des marchandises. L’obligation d’obtenir un agrément des emballages utilisés lors
du conditionnement des boissons réduisait drastiquement l’accès des boissons importées au
marché national. La Cour a confirmé que le système de reprise litigieux garantissait « un taux
maximal de réutilisation, et donc une protection très sensible de l’environnement ». Elle a
toutefois estimé que ce système devait être remplacé par un autre (reprise des emballages non
agréés), même s’il est seulement de « nature à protéger l’environnement ». Elle a ainsi opté

- 64 -
pour une mesure moins restrictive mais aussi moins efficace et a donc contraint l’Etat à
abaisser son niveau de protection.

C. La protection des droits fondamentaux


Dans l’arrêt Schmidberger du 12 juin 2003, la Cour affirme qu’une restriction à la libre
circulation des marchandises peut être justifiée par la protection des droits fondamentaux, en
l’occurrence la liberté de réunion et la liberté d’expression.
En l’espèce, une entreprise de transports internationaux établie en Allemagne, dont les poids
lourds utilisent essentiellement l’autoroute du Brenner pour se rendre en Italie, introduit un
recours devant le juge autrichien pour obtenir la réparation du préjudice qu’elle estime avoir
subi en raison de la fermeture de l’autoroute en question durant près de trente heures. Une
manifestation organisée dans le but d’attirer l’attention sur les problèmes de pollution liés au
trafic des poids lourds dans les Alpes a en effet été autorisée par les autorités autrichiennes.
Ce rassemblement a conduit à l’immobilisation des poids lourds pendant toute la durée du
blocage. A l’appui de sa demande, l’entreprise Schmidberger fait valoir que la décision de ne
pas interdire le rassemblement, ainsi que l’absence d’intervention des autorités pour empêcher
le blocage, constituent une restriction non justifiée à la libre circulation des marchandises, et
qu’elle est susceptible d’engager la responsabilité de l’Autriche à son égard. L’Etat autrichien
estime quant à lui que l’entrave à la libre circulation résultant d’une manifestation doit être
autorisée tant que l’obstacle créé n’est pas permanent et sérieux, le respect des libertés
d’expression et de réunion devant par ailleurs impérativement être garanti.
La Cour de justice affirme que les libertés d’expression et de réunion constituent un
fondement justificatif approprié et observe que le principe de proportionnalité a été
respecté. Avant de parvenir à une telle conclusion, la Cour relève en particulier cinq
circonstances :
- la durée limitée de la manifestation (30h) ;
- du fait qu’elle avait été autorisée par les pouvoirs publics ;
- cette manifestation reposait sur les libertés d’expression et de réunion qui ont valeur
constitutionnelle en Autriche ;
- elle entendait sensibiliser l’opinion à la protection de l’environnement ;
- la publication dans la presse régionale et la presse spécialisée, consultée par les
transporteurs routiers, de l’existence d’un itinéraire de contournement.

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