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LA CONSTRUCTION DE L’UNION EUROPEENNE

1. L’idéal européen et les premières formes d’unification

a. Les suites de la guerre

Bien que plusieurs projets d'union, d'inspiration idéaliste, aient déjà vu le jour depuis
la fin du 19ème siècle, c'est surtout après la guerre 40-45 qu'apparaît la volonté de créer un
organisme fédérateur entre les Etats européens, capable de garantir la paix sur un continent à
l'origine de deux guerres mondiales.
Cette volonté de paix correspond à la création, au même moment, de l'ONU; il s'agit
d'éviter l'exclusion des vaincus, et de l'Allemagne en particulier, qui pourrait nourrir le
sentiment de haine et déboucher sur de nouvelles tensions. De plus, dans le contexte de la
guerre froide, il devient vite nécessaire d'unifier l'Europe occidentale contre URSS, d'offrir un
front commun, uni, capable de résister, mais aussi de restaurer l'économie pour éviter les
révolutions socialistes.
Les deux axes de l'Europe à construire sont donc définis comme étant l'intégration des
Etats, leur convergence (mais pas leur suppression !) et l'économie. Il ne s'agit pas de créer un
réel organe politique, ni de s'occuper des affaires sociales ou nationales.
En 1948, les 16 pays bénéficiaires du plan Marshall s'entendent pour se répartir l'aide:
création de l'OECE (Organisation européenne de coopération économique). Le premier pacte
d'assistance militaire entre la France, le Bénélux et la Grande-Bretagne est également signé.
Un an plus tard, en 1949, création du Conseil de l'Europe (voulu déjà par Churchill). Il
s'agit d'une assemblée consultative dont le but est de rapprocher les pays et de garantir la
démocratie (contexte de la guerre froide, cf. doctrine Truman). Le Conseil approuve la
Convention européenne des droits de l'homme en 1950, c'est le 1 er acte qui crée une norme
légale au-dessus des Etats européens: elle consacre la protection des minorités, les droits
fondamentaux et contrôle les élections. Cet organisme existe toujours; il a son siège à
Strasbourg et contrôle l'application des droits démocratiques et des droits de l'homme; c'est
notamment lui qui a envoyé des enquêteurs dans les communes à facilités pour vérifier le
respect des droits des minorités. Au début des années 50, la décolonisation s'accélère; les
empires européens disparaissent et les métropoles, affaiblies, perdent leur puissance
internationale. Le besoin de s'unir pour peser au niveau international devient plus important.
Les USA soutiennent fortement les projets d'unification européenne, car ils
correspondent à la doctrine Truman: ils renforceraient le capitalisme, le libéralisme et la
démocratie en Europe, créant un bloc allié mieux à même de résister aux pressions
soviétiques.

b. La CECA

En 1951, création de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l'acier) par


R. Schuman et J. Monnet. Basée sur l'axe franco-allemand, la CECA unit les productions des
bassins industriels frontaliers (à l'origine de nombreux conflits par le passé) qui peuvent
circuler librement sans droit de douane entre les Etats membres. Le Bénélux et l'Italie se
joignent au groupe. Il s'agit cependant d'un projet uniquement économique, qui manifeste la
volonté de rationaliser la production sur le plan international, de la consacrer à la paix et à la
coopération. On envisage la possibilité d'un élargissement à d'autres pays.
Dès le début se pose le problème de la Grande-Bretagne: puissance coloniale, elle est à
la fois tournée vers le Commonwealth et vers l'Europe. Pour certains Britanniques, comme
Churchill, l'union de l'Europe assurera la paix au continent et doit être soutenue, mais sans

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que la Grande-Bretagne y entre elle-même. Il faut dire que la Grande-Bretagne, ancienne 1 ère
puissance mondiale, croit encore en l'avenir de ses colonies et pense pouvoir garder un poids
au niveau international via le Commonwealth. La décolonisation la forcera cependant à se
chercher un nouveau rôle, en Europe, et à demander plus tard l'intégration. Se posera alors le
problème du Commonwealth, que certains Britanniques voudraient intégrer à l'Europe:
l'intégrer saperait l'Union, changerait sa vocation européenne et donnerait trop de poids à
Grande-Bretagne.

2. La CEE

a. Le traité de Rome

En 1957, le traité de Rome prévoit la création d'un marché commun (Communauté


économique européenne, qui sera effective en 1968), avec libre circulation des personnes, des
marchandises et des capitaux. Pour arriver à ce marché, les Etats doivent supprimer les droits
de douanes intérieurs et harmoniser les taxes sur les importations venant de l'extérieur. Il faut
aussi harmoniser les réglementations économiques des Etats.
Pour veiller à cela, plusieurs organes sont créés.
- Le Conseil des Ministres est l'organe décisionnel. Il réunit les ministres des Etats
membres, compétents pour le sujet à discuter (agriculture, transport, etc.). Ses décisions se
prennent à la majorité, mais les Etats les plus peuplés ont droit à plusieurs voix. En 1966, on
passe au vote à l'unanimité, à la demande de la France, ce qui freinera la prise de décision.
- La Commission est un organe de proposition et d'exécution des décisions du Conseil.
Ses membres sont choisis par les Etats membres et son président nommé par ceux-ci pour
deux ans. Elle siège à Bruxelles.
- L'Assemblée européenne, embryon du futur Parlement, n'a encore qu'un rôle
consultatif. Ses membres sont nommés par les parlements nationaux. Il siège à Strasbourg.
A côté de ces organes, on crée une Cour de justice, chargée de sanctionner les violations du
droit communautaire. Elle siège à Luxembourg.
Le Traité de Rome crée également l'Euratom: c'est un organe qui gère l'énergie
atomique et s'assure de son utilisation à des fins pacifiques.
La CEE et l'Euratom affichent donc les idéaux européens d'union, de démocratie, de
paix et de coopération entre les Etats, mais ne créent pas de véritable pouvoir supranational,
puisque les Etats membres gardent le contrôle sur toutes ces institutions. Toutefois, l'idée d'un
droit commun fait son chemin et, selon les personnalités qui y siègent, la Commission peut
s'avérer un organe de poids.

b. La PAC

Au début des années 60, les Etats de la CEE mettent en place la Politique agricole
commune (PAC). Le but est d'augmenter la production, d'atteindre l'autosuffisance
alimentaire (et de favoriser la circulation interne pour éviter les famines locales) tout en
assurant des revenus suffisants aux agriculteurs qui leur permettent de moderniser leur
exploitation. En effet, les prix du marché mondial sont à la baisse, et les agriculteurs
européens, pénalisés par leurs lourdes charges (impôts, coût de la main d'œuvre, etc.)
vendraient à perte. La CEE décide donc de racheter les surplus pour éviter la baisse des prix,
mais aussi de taxer les produits agricoles entrants dans la Communauté (pour les aligner sur
les prix intérieurs) et de subventionner les produits exportés (payer la différence entre le prix
mondial, plus bas, et le prix européen).

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Cette politique devient vite le plus gros poste de dépense de la Communauté, ce qui
suscitera bien des critiques, notamment parce qu'elle bénéficie surtout à la France et parce
qu'elle s'oppose aux principes libéraux de la mondialisation. Dans les années 80, la CEE
instaurera ainsi des quotats de production aux pays, pour limiter les surplus et leur coût, et
tendra à baisser les prix.
Entre 1962 et 1986, la CEE s'élargit à 6 pays: Grande-Bretagne, Irlande et Danemark
(1973), Grèce (1981), Espagne et Portugal (1986).

3. Le renforcement des institutions

a. Les réformes des années 1970

En 1970, la CEE se dote de ressources propres: une partie de la TVA et des droits de
douanes levés dans les Etats membres est allouée au budget communautaire, remplaçant les
contributions nationales. Quelques années plus tard, le contrôle de ce budget est confié
conjointement au Conseil des ministres et à l'Assemblée, qui prend de plus en plus de poids.
L'Assemblée, qui devient le Parlement, est élue au suffrage universel pour la première
fois en 1979, tandis que, depuis 1974, les chefs d'Etats et de gouvernement ont l'obligation de
se réunir 3 fois par an au Conseil européen.
La CEE devient donc une instance plus transparente, munie d'institutions plus
indépendantes et de plus en plus autonomes. Elle est associée au renouveau économique de
l'Europe, qui dure pendant toutes les années 60. La croissance de la production industrielle et
de l'économie en général est très forte, et la libre circulation la renforce, conférant une aura
très positive à la CEE. Lorsque la crise se présente en 1973, la CEE, forte de ses nouvelles
institutions, décide de créer un Fonds pour le développement économique régional, destiné à
aider les régions en difficultés. Elle signe parallèlement les accords de Lomé et s'affirme sur
la scène internationale. Il ne s'agit toutefois encore que d'une Europe économique,
conformément au projet initial.

b. Le traité de Maastricht

Dans les années 80, avec le marasme économique, la CEE apparaît comme une
solution possible. De nombreux hommes politiques européens voient dans la construction d'un
grand ensemble économique et, de plus en plus, politique, la solution à la crise qui se
prolonge. En outre, la construction d'un projet européen pourrait redonner une perspective aux
populations perturbées par la crise.
En 1986, sous l'impulsion de Fr. Mitterrand, de H. Kohl et de J. Delors, l'Acte unique
est signé. Il prévoit la réalisation d'un véritable marché commun intérieur pour 1993, avec
disparition totale des frontières. Les citoyens européens auront le droit de s'installer où ils le
veulent. L'Acte unique renforce aussi les pouvoirs du Parlement et revient au principe du vote
à la majorité pour le Conseil des ministres.
En 1992, le traité de Maastricht prolonge et renforce l'Acte unique: il remplace la CEE
par l'Union européenne, affichant la volonté de dépasser l'économique; il crée une citoyenneté
européenne (symbole fort, volonté d'inclure le citoyen dans le projet de l'UE), donne un droit
de veto au Parlement dans certains domaines et continue l'intégration économique des Etats.
En effet, le traité institue une Banque centrale, supervisant les Banques nationales et préparant
la voie pour une monnaie unique qui sera mise en circulation en 2002.
Enfin, le traité crée une politique étrangère et de sécurité commune (PESC) : les
décisions doivent être prises à l'unanimité, mais c'est un pas dans la création d'une entité
politique.

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Les années qui suivent Maastricht seront toutefois difficiles pour les Etats membres,
priés de respecter certains critères et d'assainir leurs finances afin de préparer l'arrivée de
l'euro.
En même temps, avec l'écroulement du mur de Berlin, les demandes d'adhésion se
multiplient de la part des anciens pays de l'Est. Le défi est important: il s'agit d'intégrer des
pays dont la tradition politique est tout autre et dont la situation économique est bien plus
faible que celle des Etats membres.
En 1994, l'Autriche, la Finlande et la Suède entrent dans l'UE. Pour les autres pays,
l'UE préfère attendre que leur économie se développe et que leur démocratie se renforce, ce à
quoi elle les aide via différents fonds.

4. Le temps des doutes

a. De nombreuses critiques

Dès le milieu des années 90, les critiques fusent car l'UE n'a pas de politique sociale.
Occupée par la monnaie unique, elle néglige de s'occuper du chômage qui augmente partout;
imposant des politiques d'austérité aux Etats, elle semble s'occuper de moins en moins des
problèmes des citoyens.
De plus, en dépit de l'élection directe du Parlement, ses institutions apparaissent
comme peu démocratiques: les décisions viennent essentiellement de la Commission
(membres nommés par les gouvernements) ou du Conseil, organes sur lesquels les citoyens ne
pèsent pas. Les sommes allouées à l'UE sont utilisées sans contrôle et les institutions souffrent

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d'un manque de transparence, semblant lointaines, inaccessibles et comme vivant dans une
cage dorée.
En 1997, le traité d'Amsterdam pose les bases d'une politique sociale commune. Elle
reste toutefois très timide, et tarde à venir car, en même temps, partout dans les Etats
membres, les politiques sociales traditionnelles sont remises en cause par les tenants du néo-
libéralisme. Surtout, au-delà du projet économique, les Etats membres ne sont pas tous
d'accord quant à la substance à donner à l'UE.
Certains, comme la Grande-Bretagne, soucieuse de préserver son indépendance,
souhaitent la limiter à un Commonwealth d'Etats souverains, les Etats gardant leurs
spécificités tandis que l'on fixe des valeurs communes, ou des points où la politique sera
commune, et que l'on affirme l'UE comme un groupe au niveau international. Ce modèle se
veut souple, sans constitution et sans définition arrêtée de valeurs et de rôle. Il remporte un
certain succès parmi les Etats candidats à l'adhésion, peu enclins à intégrer un ensemble
politique où ils perdraient leur souveraineté si récemment retrouvée. Il s'agirait dès lors de
bénéficier du grand marché commun et des aides. D'autres voudraient baser l'UE sur un
consensus des grands Etats. Axée autour du couple franco-allemand, (qui permet à la France
de jouer un rôle majeur), elle serait dirigée par les grands gouvernements nationaux dont elle
servirait les intérêts. Elle ne serait utilisée que comme un tremplin pour les domaines où ils ne
se suffisent pas (économie, solidarité, agriculture). Ce modèle, inspiré par le centralisme
français et par le nationalisme, parle de confédéralisme ; il est cependant en perte de vitesse
car le couple franco-allemand ne pèse plus assez dans une Europe qui s'apprête à passer à 27.
Enfin, certains voient l'UE comme une fédération d'Etats. Ils veulent une UE forte et unie,
dotée d'institutions démocratiques, d'un gouvernement élu et d'une cour de justice. Il s'agirait
d’édifier un véritable Etat fédéral au-dessus des Etats, aux compétences bien définies dans un
traité. Ce modèle, défendu par les petits Etats au nationalisme moins affirmé, peine à
s'imposer.

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b. Un projet de Constitution

Avec la perspective de l'adhésion de nombreux pays de l'Est, il devient donc urgent au


milieu des années 90 de définir clairement le projet européen, en même temps que de doter
l'UE d'institutions efficaces à 27. On songe notamment à la réduction du nombre de
Commissaires (au moins un par Etat membre) et à la fin du vote à l'unanimité au Conseil.
Lancé notamment par la présidence belge de l'UE en 2001, le processus devant amener
à la rédaction d'une Constitution se heurte vite à de nombreuses résistances des Etats
membres, qui craignent de perdre leur souveraineté ou d'être entraînés plus loin qu'ils ne le
voudraient.
Préparé par une groupe de « sages » (la Convention qui siège de 2002 à 2003 présidée
par V. Giscard d'Estaing et J.-L. Dehaene), le texte fait la part belle aux idées néo-libérales
très en vogue dans les cénacles européens.
Il réduit les effectifs de la Commission, définit de nouveaux modes de décisions plus
« démocratiques », fixe les valeurs centrales de l'UE (très contestées: faut-il y mettre une
référence au christianisme? aux acquis sociaux ?) et vise à renforcer l'intégration, notamment
en créant un poste de Ministre des Affaires étrangères de l'UE et une présidence fixe.
Certaines de ces idées avaient déjà été émises lors du sommet de Nice (2000), mais la
Constitution leur donne plus d'ampleur, en se voulant la somme de tous les traités antérieurs
qu'elle remplacerait.
En fait, le projet de Constitution, qui doit être adopté par les Etats membres, souffre
vite de gros handicaps. Les citoyens lui reprochent son manque de préoccupations sociales et
son libéralisme affiché; on lui reproche aussi d'avoir été préparé par des élites coupées de la
réalité des citoyens et inconscientes de leurs attentes.
Enfin, la Constitution souffre d'un problème de calendrier: elle est discutée alors
même qu'une directive (directive Bolkestein) prépare l'achèvement du marché commun avec
la libre circulation des travailleurs (employés selon les règles en vigueur dans leur pays
d'origine). Les citoyens craignent l'arrivée de travailleurs de l'Est qui leur fassent une
concurrence déloyale et ne fassent augmenter le chômage. L'intégration européenne devient
ainsi un problème et fait l'objet de critiques.

c. L’échec de la Constitution et la crise de 2008

Dans une Europe en crise économique subissant de plein fouet la mondialisation,


l'intégration des pays "pauvres" de l'Est, aux lois sociales moins exigeantes, fait craindre la
dilution des acquis sociaux de l'Ouest. A cela se mêle la peur de l'étranger, celle d'une Europe
toute-puissante et lointaine, peu démocratique, et la crainte de perdre les repères nationaux.
Rejetée par la France et les Pays-Bas en 2005, la Constitution est ensuite remplacée
par un simple traité, le traité de Lisbonne (2007) moyennant quelques aménagements
cosmétiques, traité que l'on tente d'imposer aux Etats membres en évitant de recourir aux
référendums. Son rejet par l'Irlande, en juin 2008, pose une nouvelle fois la question de
l'avenir de l'UE et de ses méthodes.
En outre, au moment d’écrire ces lignes, la gestion de la crise de 2008 et ses
conséquences par l’UE pose question. L’austérité imposée à de nombreux pays par
l’Eurogroupe sous la pression de l’Allemagne et des pays de l’Est est de plus en plus
critiquée, comme l’illustre l’exemple de la Grèce en 2015, cette dernière s’étant vue refusée
une renégociation de sa dette.

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