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Le Conseil de l'Europe entre l'illusion et le scepticisme, par Claude Julie... https://www.monde-diplomatique.

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Le Conseil de l’Europe entre l’illusion


et le scepticisme
« Toute création vraiment révolutionnaire éveille à la fois les illusions les plus irraisonnées et les
pires scepticismes. » C’est par ces mots que M. Guy Mollet, président de l’Assemblée
consultative du Conseil de l’Europe, évoquait, le 10 août dernier, la première réunion de cette
Assemblée qui s’était tenue cinq ans plus tôt à l’université de Strasbourg, la « Maison de
l’Europe » n’ayant pas encore été édifiée dans ce quartier de l’Orangerie où, depuis, les
« députés européens » poursuivent leurs travaux.

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L
� naissance du Conseil avait été accueillie avec un enthousiasme que l’on ne saurait oublier.
Pour beaucoup, il s’agissait alors de bâtir les États-Unis d’Europe. Le statut, signé à
Londres le 5 mai 1949, proposait cependant à la nouvelle institution des objectifs moins
ambitieux. L’article premier déclare en effet que « le but du Conseil de l’Europe est de
réaliser une union plus étroite entre ses membres afin de sauvegarder et de promouvoir les
idéaux et les principes qui sont leur patrimoine commun et de favoriser leur progrès technique et social ».

Ce statut fut signé par dix États : Grande-Bretagne, France, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg,
Danemark, Irlande, Norvège, Suède, Italie. En août 1949 la Grèce et la Turquie donnaient leur
adhésion, puis l’Islande le 7 mars 1950. La République fédérale d’Allemagne, admise comme membre
associé le 13 juillet 1950, devint membre de plein droit le 21 avril 1951. Enfin, depuis le 13 mai 1950,
la Sarre participe aux activités du conseil comme membre associé.

Une « plante vivante »


Quelle fut, dans l’histoire de ces cinq premières années, la part des illusions et des scepticismes ? Un
bref rappel de la tâche assignée au Conseil de l’Europe et de ces réalisations montre bien que ses
membres ont entendu l’appel de Sir Winston Churchill lorsqu’il proclamait en 1950 : « Nous ne créons
pas une machine, nous cultivons une plante vivante. »

Cette plante s’est développée. Outre l’évolution normale des esprits sur un continent ravagé par deux
grandes guerres, on en trouvera sans doute la raison dans le fait que, pour la première fois, les
représentants de l’opinion publique intervenaient dans le domaine des délibérations internationales,
votant des recommandations soumises à l’attention des gouvernements.

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L’Assemblée de Strasbourg était en effet conçue comme un laboratoire d’idées au service d’une Europe
démocratique, mais aussi comme l’animateur et le guide de l’opinion publique européenne. Sur ces
deux plans, et conformément au statut, le Conseil s’est efforcé de « réaliser une union plus étroite entre
ses membres », notamment, « par l’examen des questions d’intérêt commun, par la conclusion d’accords
et par l’adoption d’une action commune dans les domaines économique, social, culturel, scientifique,
juridique et administratif, ainsi que par la sauvegarde et le développement des droits de l’homme et des
libertés fondamentales ».

Jusqu’à présent six conventions et accords ont été conclus. Le plus important de ces textes concerne la
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et prévoit, notamment, l’institution
d’une « Cour européenne des droits de l’homme », dont les décisions sont sans appel. Chaque pays
membre peut, par simple déclaration, étendre à ses territoires d’outre-mer le bénéfice de la
convention. Seule la Grande-Bretagne, pour quarante-deux territoires, a fait usage de cette
prérogative. Les clauses relatives au droit de recours d’un simple citoyen entreront en vigueur après
six acceptations : à ce jour, trois seulement ont été reçues (Danemark, Irlande, Suède).

La juridiction de la cour sera reconnue après huit acceptations : seules celles du Danemark et de
l’Irlande sont déposées.

Deux autres accords prévoient, en ce qui concerne les règlements de sécurité sociale, l’égalité de
traitement sur le territoire de chaque pays membre entre les ressortissants de ce pays et ceux des
autres pays membres.

Ces deux accords sont complétés par un quatrième texte : une convention d’assistance sociale et
médicale qui tend à supprimer les discriminations entre ressortissants d’un pays et ceux des autres
nations membres résidant ou travaillant sur son territoire.

Une cinquième convention simplifie et uniformise les formalités prescrites pour les demandes de
brevets.

La dernière enfin, appelée à avoir un grand retentissement dans le milieu étudiant, réglemente
l’équivalence des diplômes donnant accès aux établissements universitaires.

Tous ces textes sont entrés en vigueur, à l’exception de la convention concernant les brevets. L’Irlande
est le seul pays ayant ratifié l’ensemble des accords et conventions. La Belgique, la France, l’Italie et
les Pays-Bas n’en ont ratifié aucun.

Une tribune de l’opinion européenne


Mais, par-delà l’établissement d’accords internationaux, le Conseil de l’Europe s’est préoccupé,
conformément à son statut, d’examiner « les questions d’intérêt commun » au point de s’ériger
véritablement en tribune de l’opinion publique européenne. Dès le début deux tendances
s’affrontèrent. Lors de sa première session l’Assemblée déclare que « le but du Conseil de l’Europe est
la création d’une autorité politique dotée de fonctions limitées, mais pouvoirs réels ». Cette autorité
serait-elle supranationale ou intergouvernementale ? Le même conflit apparut dans la polémique entre
les « fédéralistes « , qui rêvaient d’une constitution politique européenne, et les « fonctionnalistes »,
qui préconisaient la création d’autorités spécialisées dont les pouvoirs seraient limités à certaines
activités et à certains secteurs géographiques.

Avec la création de la Communauté du charbon et de l’acier, cette deuxième thèse l’emporta. D’autres

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communautés étaient envisagées, soit dans le cadre des Six » (C.E.D., communauté politique), soit
dans un cadre plus large (agriculture, transport, « pool blanc »). Que deviendrait alors le rôle Conseil
de l’Europe ? Certes il participait activement à l’élaboration des projets d’autorités spécialisées mais,
fur et à mesure que celles-ci se multiplieraient, sa raison d’être ne risquerait-elle pas de disparaître ?
Ne pouvait-on craindre une rupture entre groupes de pays européens ?

C’est alors qu’en mars 1952 M. Anony Eden proposa un plan destiné éviter ce double danger.
L’Assemblée décida par la suite que le Conseil doit demeurer « le cadre politique général de
l’Europe ». Si la Communauté charbon-acier ne fonctionne pas « dans le cadre » du Conseil de
l’Europe, des liaisons étroites existent cependant entre les deux institutions, et rien n’interdit de
renforcer un jour leur collaboration.

De même, le problème du contrôle politique de la Communauté de défense et le projet d’autorité


politique supranationale, élaboré par la « commission constitutionnelle » pour assurer ce contrôle, ont
largement été débattus par l’Assemblée de Strasbourg.

Au bilan des activités du Conseil il convient d’ajouter plusieurs débats importants, notamment celui de
septembre 1953 sur les rapports entre Est et l’Ouest. On ne saurait enfin publier que la commission
des affaires générales a élaboré, sur rapport de J. Van der Goes van Naters, des propositions de
règlement pour le problème sarrois, qui ont été acceptées me base de discussion par les parles
intéressées.

Économique, social et culturel


Hors du domaine politique, le bilan du Conseil de l’Europe se présente sous une forme beaucoup plus
réduite. Dans le domaine économique en particulier, l’existence de l’O.E.C.E. (Organisation
européenne le coopération économique), dont il discute régulièrement les rapports, limite les
possibilités d’action du Conseil. Il a toutefois jeté les bases de Union européenne des paiements
(U.E.P.), contribué ainsi que nous avons dit à la mise au point du « plan Schuman », et publié de
nombreux rapports sur l’organisation des marchés agricoles, le plein emploi, les tarifs douaniers, la
coordination des transports, etc. À cet égard, son œuvre la plus considérable, connue sous le nom de
« plan de Strasbourg », propose un ensemble de mesures pour mise en valeur des territoires outre-mer,
notamment la création d’une banque européenne d’investissements et l’adoption d’un système de tarifs
préférentiels. La réalisation de plan serait destinée à permettre à Europe de s’approvisionner plus
abondamment en matières premières hors de la zone dollar, et à modifier le régime actuel des
échanges en créant courant triangulaire Europe-États-Unis-Outre-mer. Le Conseil a également
envisagé la création de « compagnies européennes » financées par les pays membres et bénéficiant
d’un régime juridique défini en commun.

Dans le domaine social, nous avons déjà signalé les deux accords de sécurité sociale et la convention
d’assistance sociale et médicale qui sont venus couronner les efforts du Conseil. Un code européen de
sécurité sociale est en outre en voie d’élaboration. Des rapports approfondis sur les problèmes du
logement et de la main-d’œuvre sont à l’étude.

Sur le plan culturel, outre la convention d’équivalence des diplômes mentionnée précédemment,
l’activité du Conseil a revêtu les formes les plus diverses : forum de la « Table ronde de l’Europe »
(Rome, octobre 1953), stages pour inspecteurs de l’enseignement (Bruges 1952, Nancy 1953),
entretiens pour la révision des manuels d’histoire, attribution de bourses pour encourager les
recherches en matière de coopération européenne, réunion à Strasbourg de trois « quinzaines d’études

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européennes », etc.

Des travaux importants, dont une simple liste ne suffirait pas à indiquer l’ampleur, ont été consacrés à
diverses questions juridiques (extradition, formalités douanières...), au problème des réfugiés et des
excédents de population, etc.

Un climat nouveau
Telles sont les tâches qui peuvent être facilement évaluées : il suffit de recenser les accords et
conventions entrés dans les faits, de compter le nombre de pages des rapports rédigés et approuvés, de
rechercher quelles idées émises au cours d’un débat ont trouvé leur application politique.

Mais, pour beaucoup d’observateurs, sans vouloir sous-estimer l’importance de ce bilan, la tâche
essentielle du Conseil de l’Europe est d’une autre nature, et aucune unité de mesure ne peut l’évaluer
avec précision. En effet, le Conseil de l’Europe a puissamment contribué à créer un « climat »
européen qui imprègne la vie politique du continent. Des hommes d’État et des hommes politiques
appartenant à quinze pays différents ont appris à se connaître, à s’estimer, à débattre en commun
leurs problèmes, et cela au sein d’une institution officielle, et non, comme avant-guerre, au cours de
rencontres privées. Toutes les idées lancées à la tribune de Strasbourg ne germeront pas dans
l’immédiat. Il est toutefois important qu’elles aient été proposées au vieux continent par des hommes
qui ont foi en son avenir. Quelques pas en avant ont été franchis : ils ont à la fois donné tort aux
sceptiques de 1949 et calmé les « illusions » dont parlait M. Guy Mollet, tout en traçant la voie d’un
réalisme nouveau dans les relations intra-européennes.

Le Conseil de l’Europe comporte les organismes suivants :

— Comité des ministres : composé d’un représentant pour chacun des quatorze membres de plein
droit, plus un observateur pour la Sarre, membre associé. Assemblée consultative : chaque pays fixe la
procédure par laquelle sont désignés ses représentants.

— Comité mixte : créé en 1950, comprend cinq à sept membres du comité des ministres et sept
représentants de l’Assemblée, dont son président.

— Secrétariat général : l’Assemblée élit, sur proposition du comité des ministres, le secrétaire général
et le secrétaire général adjoint.

C����� J�����
Directeur du Monde diplomatique de 1973 à 1990.

Mot clés: OECE Conseil de l’Europe Culture Économie Fédéralisme Protection sociale Accord international
Intégration régionale Europe de l’Ouest

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