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Le rôle de l'ambassadeur n'a pas diminué depuis un siècle, par Pietro Qu... https://www.monde-diplomatique.

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Le rôle de l’ambassadeur n’a pas


diminué depuis un siècle
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C

��� une opinion généralement très répandue que le métier d’ambassadeur n’est plus ce
qu’il était. Je ne parle pas des snobs – il y en a quand même – qui trouvent que le milieu
diplomatique n’est plus le même qu’à l’époque de nos grands-pères. Je parle des personnes
qui sont intéressées au métier lui-même.

Aujourd’hui, dit-on, l’ambassadeur n’est plus qu’une boîte aux lettres ou, si vous préférez,
un standard de téléphone : il Peut être rejoint à chaque instant, chaque mot lui est prescrit, il n’a plus
aucune latitude dans ses instructions. Il n’a plus de personnalité, il n’a plus d’action personnelle.
Autrefois c’était lui, pratiquement, le seul trait d’union entre deux gouvernements. Maintenant les
ministres des affaires étrangères se rencontrent tout le temps, discutent, correspondent directement
entre eux : toutes les questions plus importantes se traitent en conférences, en réunions, en visites
éclair.

Je me permets de ne pas être de cette opinion. Le métier d’ambassadeur est devenu autre, voilà tout.

Il en a été du reste toujours ainsi : c’est cela même qui montre la vitalité ’du métier d’ambassadeur : si
le principe, l’idée base de ce qu’il a à faire, reste au fond le même depuis les temps les plus reculés,
systèmes et méthodes changent, pour s’adapter aux temps qui changent, eux aussi, matériellement et
moralement.

Il fut un temps où l’on demandait à un ambassadeur d’essayer de remplacer auprès du souverain de la


Laponie par exemple une maîtresse tahitienne par une maîtresse de son pays ; où il se félicitait auprès
de son souverain d’avoir bien réussi à administrer une bonne petite dose de poison à un ministre peu
agréable aux intérêts de son roi. Heureusement pour nous on ne nous demande plus, à notre époque,
de nous occuper de choses de ce genre-là : cela reviendra peut-être — on ne sait jamais — mais ce n’est
certainement pas le cas aujourd’hui.

Des idées fausses à rejeter


Il n’est pas vrai d’abord que les ambassadeurs de jadis avaient les coudées aussi franches qu’on le dit.
Les ambassadeurs de Venise, par exemple, étaient tenus par un système qui n’était pas du tout
sympathique. Ils devaient avancer de leur propre poche tous les frais de leur mission : si, une fois la
mission accomplie, le gouvernement de la Sérénissime était satisfait de leur travail, on leur

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remboursait leurs frais, sinon ils en étaient pour leur argent. Je voudrais bien savoir lequel des
ambassadeurs d’aujourd’hui accepterait de telles conditions : d’autant plus que par exemple dans mon
pays, étant données les bonnes habitudes traditionnelles d’économie du ministère des finances, on
serait sûr à l’avance que, même si vous aviez fait des miracles, on trouverait quand même que votre
mission n’a pas été satisfaisante, uniquement pour ne pas vous rembourser vos frais.

Mais à part cette particularité vénitienne, il faut dire aussi que jamais les instructions que l’on donne
aux ambassadeurs d’aujourd’hui ne sont aussi précises et aussi minutieuses et détaillées que les
instructions que l’on donnait dans le temps : par exemple on nous laisse au moins libres maintenant
de choisir notre garde-robe, alors qu’autrefois on tenait à préciser le nombre et la qualité des
mouchoirs dont chaque membre devait être pourvu. Et si nous regardons un peu la correspondance de
l’époque, de l’autre côté, nous voyons ces pauvres ambassadeurs angoissés par leur manque
d’instructions, démentis à tout instant. À moins que...

À moins que l’ambassadeur n’ait été une forte personnalité.

Car, à mon avis, tout est là, tout a toujours été là.

L’ambassadeur, la diplomatie, par leur nature même, sont des professions un peu anonymes. Si
l’histoire, même récente, réussit par hasard à se rappeler le nom d’un ambassadeur, cela veut dire que,
par ses qualités, sa chance aussi — car la chance compte en diplomatie autant, au moins, que dans le
métier des armes — il a réussi à s’imposer. L’ambassadeur dont l’histoire se rappelle, ne l’oublions pas,
est toujours une exception. Or nous voulons comparer les exceptions du passé avec la moyenne du
présent : ce qui est injuste pour le présent. Nous ne pouvons pas savoir aujourd’hui si l’histoire se
souviendra de quelques-uns des innombrables ambassadeurs qui courent de par le monde ; en tout cas
nous ne savons pas de qui elle se souviendra : pour être justes, nous devrions donc comparer les
ambassadeurs actuels avec ceux des ambassadeurs du passé dont l’histoire ne se souvient pas.

En recevant un fonctionnaire auquel il venait de confier une ambassade, mon ancien ministre des
affaires étrangères, le comte Sforza, lui dit, en forme de congé : « Je viens de vous nommer
ambassadeur : maintenant, c’est à vous de vous faire ambassadeur. »

Cela est en réalité le fond de l’affaire, il n’y a pas de règle qui vaille : il n’y a que des cas d’espèce.

Les qualités d’un bon ambassadeur


Il est en général souhaitable qu’un ambassadeur soit une personne intelligente. Là aussi il faut
s’entendre : le mot intelligent est un mot dont on abuse un peu, surtout en France et en Italie : il faut
qu’il ait cette intelligence spécifique qui sert au métier d’ambassadeur. Il n’est pas dit qu’un écrivain,
un homme de science, très intelligent pour son affaire, doive faire nécessairement aussi un bon
ambassadeur.

Il est également très utile qu’un ambassadeur ait une base politique personnelle assez solide dans son
pays. Dans les temps passés on lui demandait d’être bien en cour : aujourd’hui, il faut être bien avec ce
qui a remplacé la cour. Somme toute les difficultés les plus grandes un ambassadeur ne les a pas,
d’habitude, avec le gouvernement auprès duquel il est accrédité : il les a avec son propre
gouvernement. C’est à son propre gouvernement qu’il doit demander de faire ou de ne pas faire ce qui
serait utile ou nuisible au bon développement des relations avec le pays où il travaille. Il arrive parfois,
très rarement cela va de soi, qu’il doive dire très, mais très gentiment, à son gouvernement qu’il il est
en train de faire ou de dire des bêtises. Si l’ambassadeur est un ami personnel du président du conseil,

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ou de son ministre des affaires étrangères, ou surtout s’il peut le lui faire dire par des amis influents,
tout cela est relativement facile. Autrement c’est un problème.

La France a eu, surtout au commencement de ce siècle, une équipe d’ambassadeurs comme peu de
pays peuvent se vanter de l’avoir eue au cours de leur histoire, et ce qu’ils ont su faire a été sans doute
remarquable. Ils étaient tous des hommes de très grande classe ; mais ils étaient aussi tous des
hommes avant en France des attaches politiques solides.

Un ambassadeur doit aussi avoir du courage, cette forme de courage la plus difficile, de nos jours au
moins, dit-on : le courage de ses opinions. Pour réussir, même modestement, il est nécessaire qu’un
ambassadeur soit profondément convaincu de la politique qu’il est en train de faire, et qu’il soit prêt, à
tout instant, à donner sa démission plutôt que de faire une politique contraire à ses convictions.

Il y a d’autres qualités aussi qui peuvent être utiles pour faire un bon ambassadeur. Il est très
important par exemple qu’il soit doublé d’une bonne ambassadrice : et faire une bonne ambassadrice,
c’est peut-être même plus difficile que de faire un bon ambassadeur ; cela toutefois nous mènerait très
loin du sujet. Mais enfin, pour cette fois, contentons-nous de ces trois qualités qui sont sans doute les
plus indispensables.

Eh bien ! croyez-moi, si un ambassadeur possède ces trois qualités et s’il sait s’en servir, son influence
personnelle sur le cours des événements ne sera pas inférieure à celle qu’il pouvait avoir dans les
temps jadis, elle sera peut-être même plus grande.

Les avantages du progrès technique en diplomatie


Car tout ce que l’on dit pour en déduire que le rôle des ambassadeurs a diminué peut être très bien
employé pour démontrer le contraire.

Le télégraphe, le téléphone : ces deux instruments – j’avoue que je ne les adore pas, mais ils existent –
ont deux bouts : on peut par le télégraphe faire parvenir des instructions à son ambassadeur en
quelques heures, au lieu de quelques semaines ; on peut aussi, si l’on veut, changer ses instructions
plusieurs fois au cours de la même journée. Mais ces mêmes téléphone et télégraphe peuvent servir
également et avec la même rapidité à l’ambassadeur pour démontrer à son gouvernement que les
instructions qu’il vient de recevoir ne sont pas les meilleures.

Les moyens de transport rapides : mais eux aussi jouent de deux côtés ; ils permettent à un
ambassadeur d’aller expliquer de vive voix à son gouvernement son point de vue, et même de faire
jouer son influence personnelle s’il en a.

La question des conférences et des contacts directs entre ministres des affaires étrangères est
beaucoup plus complexe.

Pourquoi les souverains ou les ministres essayaient-ils de passer par-dessus la tête des ambassadeurs ?
Ils le faisaient surtout parce qu’ils pensaient que ce que leur ambassadeur jugeait impossible d’obtenir
était possible, et qu’on pouvait y arriver par d’autres chemins. Si l’ambassadeur avait raison, il n’avait
rien à craindre de toutes ces petites histoires ; s’il n’avait pas raison, alors c’était sa faute.

Et les conférences ? Vous savez, les conférences, c’est un peu comme les consultations en médecine : si
nous ne souffrons pas d’une maladie rave, en général nous nous contentons de notre brave médecin de
famille ; s’il est nécessaire d’avoir recours aux lumières d’un grand patron, cela veut dire que les choses

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vont très mal. C’est au fond la même chose en matière d’affaires internationales. Et pour les affaires
médicales, lorsqu’on s’adresse au grand patron il y a bien des chances qu’il n’y ait plus rien à faire ; on
le fait un peu pour mettre sa conscience en paix...

Le ministre et l’ambassadeur
Puis, somme toute, il est assez rare qu’un ministre des affaires étrangères ait sur toutes les questions
des idées toutes faites ; cela arrive parfois lorsqu’on vient d’être appelé à ce poste ; cela arrive beaucoup
moins au fur et à mesure que l’on s’aperçoit, avec l’expérience et le temps, qu’il n’y a pas, ou très
rarement, pour un pays deux politiques possibles, et que, souvent, il n’y a même pas deux façons
différentes de faire cette politique.

Donc, si l’on a le tact de laisser passer les premières semaines, tous les ministres des affaires
étrangères finissent par être sensibles aux avis de leurs ambassadeurs à condition naturellement que
les avis soient sensés et justes. Ministre et ambassadeur sont deux collaborateurs : l’influence que l’un
peut avoir sur l’autre est question de confiance, d’autorité, d’estime de part et d’autre ; il faut les créer.
L’ambassadeur, s’il est un bon ambassadeur, a de son côté l’avantage qu’il reste, tandis que le ministre
des affaires étrangères généralement passe. À l’époque où les ministres des affaires étrangères
demeuraient en poste vingt-trente ans, je vous assure que le métier d’ambassadeur devait être bien
plus difficile et plus dur qu’il ne l’est aujourd’hui.

Si l’ambassadeur est une personne intelligente, capable, qui sait faire son métier, croyez-moi, il peut
avoir aujourd’hui sur le cours des événements autant d’influence qu’il était possible d’en avoir jadis.
On peut discuter, et beaucoup même, pour décider de l’influence que la personnalité peut avoir sur le
cours de l’histoire. Mais si l’on arrive à la conclusion que cette influence existe – ce qui n’est du reste
qu’une hypothèse – un ambassadeur peut lui aussi avoir, ou croire avoir, son influence. Aujourd’hui
comme auparavant, c’est seulement une question de personnalité.

Si vous voulez me dire que la vie d’un ambassadeur est beaucoup moins tranquille à présent qu’elle ne
l’était il y a mettons un siècle, là alors, oui, je peux bien vous donner raison. Il y avait un temps – et il
ne s’agit pas de la préhistoire – où il était considéré comme exceptionnel de devoir descendre à la
chancellerie dans l’après-midi. Mais c’était x aussi le temps où un ministre des affaires étrangères de
Sa Majesté britannique pouvait même se permettre de dire qu’il lisait même tous les rapports de ses
vice-consuls, et c’était vrai.

Tout cela est fini, et bien fini, c’est parti du même chemin que la belle époque ou la joie de vivre.

Mais dire que le métier d’ambassadeur n’a plus l’importance qu’il pouvait avoir dans le temps, alors là
c’est tout à fait autre chose. En tout cas si l’un de mes collègues vous le dit, je vous conseille de ne pas
le croire ; c’est certainement un ambassadeur qui, ce jour-là, pour une raison quelconque, était de très
mauvaise humeur.

P����� Q������
Ambassadeur d’Italie en France

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