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©Zulu éditions

ISBN 2-916544-02-X
C’est avec une équipe qui parie avec l’expérience et
les bonnes pratiques en matière de gouvernance,
composée de jeunes, de femmes et de moins jeunes
que je souhaite défendre et mettre en œuvre « mon
engagement pour le progrès avec le peuple ».
Roch Kaboré
PREFACE
de Spero Stanislas Adotevi,
ancien Fonctionnaire International

– IX –
PRÉFACE

C’est avec bonheur que j’ai accueilli l’appel qui m’a été fait
par l’éditeur pour la préface de ce livre. Bien volontiers, je m’y
livre. Car, au-delà de l’amitié et de l’intimité familiale qui nous
enveloppent – moi, lui, sa famille et surtout sa belle-famille – il
y a un exigeant témoignage auquel je me soumets avec joie et
plaisir.

Je ne suis assurément pas le seul ni le plus habilité à accomplir


cet exercice. D’autres, parmi ses intimes, surtout ses amis
politiques, auront d’autres choses peut-être plus importantes à
affirmer sur les qualités de cet homme que j’ai su apprécier dès
les premières vibrations de notre premier contact. Je ne connais
sans doute pas toutes les péripéties de sa vie, ni les temps forts
où les méandres de la vie politique l’ont amené à faire des choix
difficiles. Mais, je peux dire que je le connais mieux par
quelque côté, puisque rien ni personne, ni aucune rivalité
toxique n’ont eu aucune raison d’altérer cette relation de douce
proximité qui nous tient liés depuis plus de trente ans.

J’ai eu, en effet, à connaitre Roch Marc Christian Kaboré, aux


heures chaudes de la « Révolution ». C’était dans les années
84. Je ne savais pas encore qu’il avait épousé la fille d’un ami
que je respectais et avec qui je me trouvais dans des rapports
affectueux de « petit frère à grand frère» et pour qui les
hommes de ma génération avaient une grande estime. Ce fait
jouera son rôle dans le rapprochement qui s’établira au long
des années. Pour le moment nous étions toujours dans les
années 84. Jeune cadre, dynamique, enthousiaste et convaincu
de la nécessité d’une transformation sociétale, il venait d’être
nommé directeur général de la Banque Internationale du
Burkina (BIB). Ses amis politiques me diront qu’il se voyait
trop jeune pour ce poste. Mais, puisque « la valeur n’attend pas
le nombre des années », il fut un Chef d’Entreprise de fière
allure. Je peux le confirmer, puisque mon compte personnel

–X–
PRÉFACE

ainsi que ceux de mon Organisation (UNICEF) et presque tous


ceux de la famille des Nations Unies y étaient domiciliés. Mes
collègues du siège l’appréciaient et je servais de liaison entre
eux et la banque qui, aux Etats-Unis, s’occupait de nos
transactions avec la BIV devenue BIB (Banque Internationale
du Burkina) qu’il gérait avec compétence et humeur égale. Il
était apprécié du plus grand nombre et avait gardé de cette
période des amitiés qui ne se sont jamais démenties. Des
amitiés sans retour.

Nous cheminions ensemble depuis ces temps-là. Et nos


rencontres se déroulaient au rythme de nos mots communs :
des mots sans usage ni danger. Pour le reste, je le suivais de
loin avec émotion et attention. Je le voyais muter, depuis le 15
octobre, avec l’air du temps. Je m’étouffais de ses
métamorphoses maîtrisées. Car il était connu de tous qu’il est
monté, de coup d’ailes en coup d’ailes, aux plus hautes
fonctions de l’Etat sans jamais se banaliser, ni ‘’trivialiser’’.
Tous, du plus petit commerçant au plus haut fonctionnaire,
appréciaient son intelligence dans la gestion des affaires.
Grand Commis de l’Etat il a toujours su, sans se galvauder,
conserver un ‘’pour autrui ‘’ constamment ouvert, c’est-à-dire,
cette gentillesse d’hommes qui n’ont pas besoin de démontrer
qui ils sont, parce qu’ils savent d’où ils viennent. Il est demeuré
depuis toujours, pour tous et pour chacun, un homme affable,
sans être l’homme de tout le monde. Qui ne connaît pas, dans
ce Burkina, son rire incandescent, une véritable cascade,
expression d’une joie têtue de vivre, encastrée dans la volonté
d’être installé sur ses deux jambes, les pieds dans le limon de
la réalité burkinabè et africaine. Une passion que je partage
avec lui ; qui ne s’arrête pas à mi-chemin ; ne pratique pas la
demi-mesure, ni la restriction mentale ; qui s’engage sans
réserve dans son entreprise, et va jusqu’au bout de son aventure.

– XI –
PRÉFACE

Si l’on entend par politique, la délibération, la décision et


l’action de la société face aux situations problématiques et aux
crises qu’il lui arrive de rencontrer, la politique comme une
réponse de la société à l’évènement ; ce qui implique le
discernement de celui-ci dans sa singularité, et l’invention
d’une réaction appropriée, en fonction des fins que le politicien
se fixe, on comprend, le connaissant, pourquoi Roch Marc
Christian s’est jeté, avec transport, (et son portable !!!) dans
la fabrication d’un parti qu’on peut appeler d’Etat. Il prit donc
à bras le corps ce parti sans y être sans doute jamais
complètement à l’aise ; mais politicien pratique, passé à
l’ordalie de la Révolution, il crut pendant longtemps que la
politique, avec des lois nouvelles, pouvait transformer la
société. Il avait tout simplement oublié que politique et loi
forment un couple de frères ennemis dans le gouvernement de
la société, à la fois hostiles et inséparables. Selon que la société
donnera la préférence au changement ou à la conservation, à la
différence ou à l’égalité, elle aura tendance à privilégier la
politique ou la loi. En dernière instance, à cause des limites et
des insuffisances de la loi face à l’évènement, la politique aura
le pas sur la loi. Mais pour un régime de progrès, un régime qui
ne triche pas avec les principes, l’intelligence fine d’un
souverain, qui sait inventer pour chaque problème particulier
une solution individualisée, est bien préférable à la brutalité
grossière de la loi par laquelle un traitement identique est
appliqué à des individus et à des situations très variées. C’est
le seul point sur lequel Platon1 se retrouve d’accord avec ses
ennemis sophistes2.

Roch avait donc perdu de vue cette évidence ; il avait surtout


perdu de vue ses lectures Confucéennes qui font de la vertu
modérée l’essentiel de la vie des sociétés humaines, pour
prendre la décision, malgré les embuches, de donner à son parti

– XII –
PRÉFACE

une visibilité affirmée. Parce qu’en dépit des critiques et de


certaines énormes bosses, le pays bougeait. Ouagadougou avait
changé de visage et le Burkina continuait de prendre forme
pour exister, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Plaidoyer pro
domo ? Peut-être. Mais, qui pour autant n’empêchera pas les
critiques de pleuvoir sur lui. Car sur tout homme politique se
cristallisent toutes sortes d’opinions, de convictions, de fausses
certitudes, de crédulités, des billevesées, des propos hors de
proportion et souvent sans rapport avec la réalité. C’est la règle
du jeu. L’écrivain français Valery Larbaud écrivait dans son
style tout aristocratique : « La politique c’est sec ou ce ne l’est
pas ». Entendez : La politique est un mouvement qui déplace
les lignes. On ne fait donc pas de politique innocemment ! Faire
la politique c’est savoir recevoir des coups.

Pour ce qui est de Roch Marc Christian, on a tenu,


particulièrement en ce temps de la « transition », à le marquer
de la macule du CDP. Pourquoi est-il resté si longtemps dans
ce parti ? N’a-t-il pas participé à sa création ? Pourquoi ne l’a-
t-il pas quitté, dès le commencement des intrigues dirigées
contre lui et ses amis ? Je ne me rappelle plus quelle fut sa
réponse à ce tourbillon d’interrogations. A sa place j’aurais,
moi, répliqué tout simplement, qu’il n’y a pas de fidélité
indépendante de son objet. Et que l’objet ayant changé de peau,
de forme et d’odeur, nulle raison de continuer à aimer, le long
de sa vie, une personne morte.

Un autre reproche qu’on lui adresse et qui relève plutôt de la


fantasmagorie et de la sottise, mais dont on lui fait procès c’est
celui d’être né : « fils de famille » ! Comme si pour être
politicien soucieux du bien commun, il faut nécessairement
traîner après soi une odeur de sentine, être issu de taudis et
s’accoutrer de guenilles !

– XIII –
PRÉFACE

A toutes ces braves gens qui s’affublent du titre de professeur


de morale :

1. Je souhaiterais faire comprendre que vouloir le bien de son


pays n’a rien à voir avec une quelconque origine familiale,
mais plutôt être à même de s’investir dans la rigueur des
principes que l’on défend. Savoir être un politicien apte à
proposer un programme de société qui prend en charge
l’ensemble de la population et particulièrement les plus
fragiles. Etre un homme capable de définir dans une vision
d’avenir le rôle central des femmes dans la société ;
soucieux de penser une agriculture du futur qui ne condamne
pas les paysans à une fatalité à long terme par
l’appauvrissement de la terre et la destruction de la vie ;
préoccupé de la nécessité de projeter un développement
durable ayant pour piliers la santé pour tous et l’éducation
de la jeunesse, avec un accent particulier sur l’éducation des
filles ; comme aussi une industrialisation dont l’homme est
l’horizon. En termes plus clairs, être apte à désirer, enfin
pour l’Afrique, un Etat qui, bien que fort de la force de ses
peuples, ne veuille pas tout obtenir par la force. Autrement
dit pouvoir aimer un Etat qui, pour reprendre ici les mots
célestes du poète philosophe allemand Friedrich Hölderlin3,
n’est pas «un mur enfermant le jardin de nos fruits et de nos
fleurs ». En un mot, pour paraphraser l’une des grandes
autorités morales de notre temps, savoir : « marcher au-delà
du soleil ».4

2. Et à ceux qui ont quelque lecture, j’aimerais rappeler que


Karl Max, le père de la « Révolution Prolétarienne » n’est
pas né, pour user de la terminologie d’aujourd’hui, dans une
banlieue de pays développés, mais que « fils de famille », il
a épousé en 1843 à Bad Kreuznach, une amie d’enfance,
Jenny von Westphalen, avec laquelle il s’était fiancé

– XIV –
PRÉFACE

étudiant. Sa femme est issue de la noblesse rhénane, son


frère aîné occupera le poste de Ministre de l’Intérieur du
Royaume de Prusse au cours d’une des périodes les plus
réactionnaires que connut ce pays, de 1850 à 1858.

Cela étant, il faut bien admettre que Roch est bien un « fils de
famille » ; fils de famille à qui l’on a appris à respecter les
personnes âgées, à ne pas mépriser les pauvres et les plus
démunis quel que soit le niveau que l’on occupe dans la société.
Un « fils de famille » enfin, à qui l’on a enseigné que l’argent
est le fruit du travail et qui procure des biens acquis à la sueur
du front. Bref, un « fils de famille » comme il y en a tant dans
tous les partis politiques du Burkina, toutes les familles en
Afrique et ailleurs ; en d’autres termes, « des fils de famille »
qui nous délivrent des jocrisses en mal de fange, qui volent
l’argent de leurs parents ou profitent de leur laxisme pour
écumer les bars et s’encanailler dans les bordels.

Dieu merci, le Burkina et l’Afrique ont connu des hommes de


foi et de conviction qui, par leur dévouement, ont permis à notre
continent de commencer les premiers pas pour les mille lieues.
On peut les citer sans être gêné par l’ordonnancement de
l’espace : Mohamed V Roi du Maroc, Ben Bella/Boumédiène
en Algérie, Bourguiba fondateur de la Tunisie moderne, Nasser
de l’Egypte ; puis les Senghor, les Lamizana, les Sankara,
N’Krumah et Rawlings, le Mwalimu de Tanzanie (Julius
Kambaragé Nyerere), Lumumba... Qui peut dire, en Afrique et
dans le monde, qu’il ignore le nom de Nelson Mandela ? En un
mot, des hommes qui ont mis au service du Continent leurs
cœurs et leurs lobes, et qui sont arrivés aussi loin que porte le
regard que nous lui devrions.

Alors quid de Roch Marc Christian Kaboré ? Un homme sans


défaut ? J’espère très sincèrement, pour son bonheur, qu’il en a.

– XV –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ PRÉFACE

Je laisse cependant le soin à ses intimes et surtout à tous ceux,


à ces hommes et femmes qui font profession de scruter la vie
des autres pour y chercher la paille qu’ils croient se trouver
dans leurs yeux, le soin d’en parler, ad nauseam.

Mais puisque l’homme rêve de parvenir au plus haut sommet


du pays, je souhaite que ce rêve soit un rêve éveillé et que, à la
fois dans le silence et dans l’action, il apparaisse aux yeux de
tous comme ce géant invincible de conte, qui tire sa force de
sa mère : la Terre africaine du Burkina.

Spero Stanislas Adotevi

1
Platon, Poitique, 294 ab
2
Gorgias, fragment b6
3
Hyperion, ed.La pleade, p.138
4
Lire la Lettre Encyclique du Pape François, LAUDATO SI, 243-244.

– XVI –
AVANT-PROPOS

AVA N T- P R O P O S

L’idée de réaliser un livre sur le parcours de Roch Marc


Christian Kaboré, est née du souci de lever le voile sur certains
aspects de la vie de l’homme, dont la discrétion et l’humilité
constituent les principaux traits de caractère. Il s’agit dès lors
de portrait à dessin ferme, sans complaisance ni malveillance.
Cet ouvrage est un témoignage sur une part de sa vie ;
temoignage qui évoque sa famille, ses amis, voire ses
adversaires politiques avec beaucoup de délicatesse.
Roch est dit-on, à la fois l’ami du riche et du pauvre. Il est
assez généreux dans ses louanges et plein d’humour dans les
rares cas où il est invité à porter une critique.
Il reste l’une des rares personnalités du moment qui aura connu
de près, les célèbres acteurs de la société Burkinabè des trente
dernières années qui méritent d’être cités, qu’il s’agisse de
Oumarou Clément Ouédraogo, de Joseph Ki Zerbo, de Georges
Ouédraogo, de Thomas Sankara, de Gérard Kango Ouédraogo,
des Présidents Maurice Yaméogo et Sangoulé Lamizana, du
Général Tiémoko Marc Garango, du Larlé Naaba Abga, de
Norbert Zongo et bien d’autres encore.
Lorsque Roch a été informé du projet de rédaction de ce livre,
il est resté pantois et très embarrassé. Il n’a ni approuvé, ni
rejeté l’idée. C’était au cours du second trimestre 2014.
Roch, on le sait, est un homme pudique ; il ne veut surtout pas
de publicité sur sa personne et encore moins sur sa famille.
Alors que certains, dans la même situation, auraient saisi
l’occasion pour se faire valoir, lui au contraire y a collaboré
difficilement. Aussi, l’ouvrage qui aurait dû paraitre en
novembre 2014, aura-t-il connu un parcours laborieux ?

– XIX –
AVANT PROPOS

Le temps a passé et la persévérance aura eu raison de lui. Le


livre est là, bon gré, mal gré !
Pour tout dire, le sujet en a fait retirer une bonne partie des
nombreux témoignages qui « magnifiaient » sa générosité, son
esprit de solidarité et son sens élevé du partage ; témoignages
d’adversaires et amis politiques, de sympathisants, de sa
famille... Ainsi, certains passages qui révélaient ses parents et
sa petite famille ont également été retirés à sa demande.
Ce livre est la réalisation des éditions Zulu, à partir d’une idée
originale de Simon Kaboré et de Thomas Ouédraogo. Ils se sont
battus pour concrétiser le projet qui porte également la marque
de leur engagement pour la réussite du candidat.
Moustapha Sarr Diagne, journaliste sénégalais et consultant en
communication, a réalisé les interviews et la rédaction de
l’ouvrage. Après avoir fait ses humanités au département de
Philosophie et de Sociologie de l’Université de Dakar, il a été
admis au Centre d’Etudes des Sciences et Techniques de
l’Information de Dakar (CESTI). Il capitalise plus de 25 ans
d’expérience dans la presse sénégalaise. Il a été reporter puis
chargé de la supervision des informations au quotidien national
de Dakar, avant de rejoindre la presse privée où il a occupé les
fonctions de rédacteur en chef et de directeur de publication
dans plusieurs journaux. En qualité d’expert en veille
communicationnelle ; il travaille dans le cadre de programmes
financés par la Banque mondiale et l’Agence française de
Développement.
Nous ne pouvons clore cet avant-propos, sans remercier tout
particulièrement Seydou Zagré.
Nos remerciements s’adressent aussi à : Salif Diallo, Simon
Compaoré, le Larlé Naaba, feu Adama Fofana, Basile Guissou,
Blaise L. Kyelem, Amado Kaboré, Armand Béouindé...

– XX –
AVANT PROPOS

Nous remercions le Professeur Spero Stanislas Adotevi,


écrivain, auteur de plusieurs publications dont l’œuvre majeure
est « Négritude et négrologues », qui a bien voulu écrire la
préface de cet ouvrage. Monsieur Adotevi a mené une carrière
extraordinaire dont voici un résumé succint :
– Ministre de l’information
– Ministre de la jeunesse et des sports
– Ministre de la culture
– Représentant de l’Unicef au Burkina
– Directeur régional de l’Unicef pour l’Afrique
– Conseiller spécial du Directeur général de l’Unicef
– Directeur régional du Centre de recherche pour le
développement international
– Professeur d’anthropologie, philosophie et histoire des
religions à Paris VII
– Secrétaire général des Musées africains
– etc.
***

– XXI –
PROlOguE
Loin d’être une biographie, cet ouvrage est le récit de la vie
d’un homme, qui a connu des bouleversements, des
retournements de situations, des révolutions et des
insurrections.

Cet Homme, c’est Roch Marc Christian Kaboré ; son pays, le


Burkina Faso.

Le chemin suivi et vécu par cet homme est à la fois fulgurant


et parfois difficile dans une histoire mouvementée. Il est aussi
le film de cette histoire, vu à travers son regard. Une sorte de
panoramique de ses pérégrinations, des amitiés tissées dans la
cour du Collège Saint Jean-Baptiste de la Salle de
Ouagadougou, des escapades à travers les champs durant les
grandes vacances scolaires, des espérances de jeunesse nourries
à la sève révolutionnaire au contact des idéologies dans les
campus universitaires de Dijon, des âpres discussions dans des
chambrettes d’étudiants sous le froid glacial des nuits
parisiennes, de la fougue contaminatrice des années
révolutionnaires qui n’a épargné aucun intellectuel du Burkina,
des décisions heureuses ou malheureuses prises dans les
bureaux cossus de la Banque Internationale du Burkina ou dans
le feutre des cabinets ministériels, des approches consensuelles
initiées, abouties ou avortées, dans le cénacle du Parlement, des
complots ourdis dans le palais présidentiel, des conspirations
à-tout-va qui se tramaient dans l’entourage du président, des
coups reçus certes, des coups donnés aussi dans l’arène
politique, des déceptions et des douloureuses révisions que la
maturité suscite chez les hommes de grande expérience.

– XXIII –
PROLOGUE

Ce livre parle aussi de la foi patriotique inébranlable de cet


homme qui est restée pure tant dans les jours heureux que dans
les vicissitudes de la vie.

Avant d’évoquer la carrière professionnelle et politique de


Roch Kaboré, les péripéties de son enfance, ses rêves et ses
passions, empruntons à Jean de la Bruyère la béquille de son
livre des « Caractères » pour une brève sortie du genre
biographique classique. Cet ouvrage est aussi un portrait. Un
portrait au long cours, comme dirait un piroguier du Nakambé,
un homme de caractère, un homme qui est resté le même, qui
a su évoluer à travers les âges de la vie, dans sa jeunesse ou
dans ses années de maturité, dans le pouvoir comme dans
l’opposition, dans son intimité et dans les rapports avec autrui.
Baltazar Gracian, humaniste connu du Siècle d’or espagnol,
disait qu’un homme change de caractère tous les sept ans. A
fortiori les hommes politiques. Ils changent, dit-il, soit dans
leur état soit dans leur emploi et personne ne s’en aperçoit
jusqu’à ce que les excès remontent à la surface. Rien de tel ne
s’est produit chez lui. On le dirait épargné par cette fatalité qui
habite les hommes politiques et qui fait que le poison de la
corruption entre dans le corps au fur et à mesure qu’ils prennent
du pouvoir. D’un homme de bien, il n’est pas toujours attendu
qu’il fasse bon ménage avec la raison d’État. Il est toujours là
où se trouve la vérité. S’il laisse des gens à quai pour prendre
un autre train, c’est parce que ces derniers ont été les premiers
à quitter les rails de la raison. C’est ainsi qu’il faut lire le
cheminement de l’homme. Il est demeuré le même, celui qui
faisait un peu la risée de ses cousins du village de Tuiré quand,
durant les grandes vacances, il manipulait très maladroitement
sa daba, l’étudiant prompt à venir en aide à ses compatriotes à
l’Université de Dijon, celui qui emmenait une fournée d’amis

– XXIV –
PROLOGUE

dans des virées des nuits dakaroises, celui qui soutenait dans la
discrétion des amis durant les jours sombres de Ouagadougou.

S’il y avait un secret à dévoiler sur sa personnalité, ce serait


une chose simple. C’est qu’à travers les révolutions qu’il a
vécues et par-delà les circonstances changeantes de l’évolution
politique, Roch Marc Christian Kaboré n’a su faire confiance
qu’à Dieu, à son cœur, à son intuition et à ses convictions. Pour
cette seule raison, cet ouvrage transcende le projet biographique
pour se transformer en une promesse d’avenir pour le Burkina.
Il se décline dans ses derniers chapitres sur une intentionnalité
faite d’optimisme et de générosité à l’endroit de la jeunesse,
des femmes, des hommes intègres qui ont donné à la face du
monde, l’image d’un peuple qui sait raison garder tant que les
actes commis par ses dirigeants restent circonscrits dans la
limite du tolérable, mais qui n’a jamais négocié son droit,
mieux, son devoir d’indignation. Sur ce plan, il existe une
homologie parfaite entre l’homme et son peuple : cette capacité
à avoir de la retenue durant les moments de vexation et de
provocation et cette radicalité dans la réaction quand la goutte
commence à déborder du vase et quand l’opportunité
s’accompagne de l’impératif de la rupture.

Ce sont toutes ces qualités que portent en eux les Burkinabé, de


qui Roch Marc Christian tire ses acquis moraux. Cette faculté à
donner à chaque chose son temps, à pouvoir attendre et saisir
l’opportunité pour donner à ses actions l’efficacité, le lustre et la
beauté dans le geste qui est propre à la fois au peuple du Burkina
Faso et à lui. Ce n’est donc pas un hasard s’il existe une telle
proximité temporelle entre le mouvement politique issu de la
rupture avec ses anciens camarades du pouvoir et la révolution
citoyenne qui a embrasé le pays les 30 et 31 octobre 2014.

– XXV –
PROLOGUE

Il ne s’agit pas de venir jouer la vingt-cinquième heure pour


ramasser quelques illusoires trophées de la révolution
citoyenne.

Il n’est pas non plus question de vouloir récupérer des faits


d’armes commis par de jeunes Burkinabé qui ont osé affronter,
torse nu, les forces de police, la gendarmerie et des éléments
du Régiment de la sécurité présidentielle. Ce serait de la
duplicité et de la duperie. Mais il faut rendre raison aux faits.
Sans négliger les autres facteurs objectifs déterminants de la
révolution citoyenne survenue au Burkina Faso comme le
chômage des jeunes, la forte demande d’égalité sociale, il faut
convenir qu’il existe bel et bien un rapport de causalité ou, tout
au moins, une relation d’incidence entre cette rupture et la chute
de Blaise Compaoré. Sans vouloir lui donner plus d’importance
qu’il le faut, cette rupture est à verser dans le lot des éléments
qui ont constitué le facteur déterminant de cette insurrection.
Dans l’histoire politique du Burkina Faso, ce soulèvement
populaire a constitué une autre coupure historique décisive dans
la gouvernance qui est venue s’ajouter à la révolution d’août
1983 et à l’assassinat de Thomas Sankara. Elle restera
définitivement gravée dans les annales du pays.

Il est évident qu’il n’est donc pas possible de parler de Roch


Marc Christian Kaboré sans parler de la tumultueuse histoire
du Burkina Faso. Par le simple fait qu’il ait occupé d’éminentes
fonctions aussi bien dans les milieux d’affaires que dans
l’exécutif et le législatif en qualité de Premier ministre et de
président de l’Assemblée Nationale, ou encore dans l’ex-parti
au pouvoir qu’il a également présidé. Sa trajectoire épouse
parfaitement les ondulations de la vie politique du pays. Il fut
aux affaires pendant longtemps mais a su rester dans des eaux

– XXVI –
PROLOGUE

claires et limpides quand d’autres optaient pour des choix


beaucoup moins honorables. Par moment, il s’est
volontairement mis en retrait pour ne pas avoir « les mains
sales ».

Ce livre a donc pour objectif de vous présenter l’histoire d’un


homme qui a su exorciser les tentations du pouvoir dans la
simplicité et l’humilité.

***

– XXVII –
IèRE PARTIE

PéRIPéTIES d’uNE
PRédESTINATION
Des ruelles de Ouaga
aux portes du pouvoir
Les parents de Roch : M. Charles Bila Kaboré et son épouse, Feue Antonine Dapadma
CHAPITRE I

le mythe de la cuillère d’argent

Roch Marc Christian Kaboré est né le 25 avril 1957 à


Ouagadougou, dans la Province du Kadiogo. Ses racines
parentales le situent dans le village de Tuiré, à une centaine de
kilomètres de la capitale du Burkina, dans la province du
Ganzourgou en région du Plateau Central dont le chef-lieu est
la ville de Ziniaré. Dans le dictionnaire de la petite Académie
fondée par Adama Fofana, ancien ministre de l’Information et
ancien porte-parole du gouvernement, il est noté que son père,
Charles Bila Kaboré, se compte parmi les plus grands
auxiliaires du Burkina Faso. Ce qui fait dire à la presse
burkinabé que Roch Marc Christian Kaboré est né avec une
cuillère d’argent dans la bouche. Comme de telles affirmations
font toujours fortune, Jeune Afrique écrit, bien des années plus
tard, qu’à Ouagadougou, on dit de lui « qu’il est né avec une
cuillère de diamant dans la bouche».

Pourtant, la réalité est plus banale. Roch Marc Christian Kaboré


est certes le fils d’un ancien ministre des premières années de
l’indépendance du Burkina Faso. Si l’on devait faire une revue
de tous les anciens ministres de cette époque, on verrait que
beaucoup d’entre eux ne sont pas devenus riches et son père
fait partie de ce lot. L’intéressé fait remarquer que si sa famille
n’est pas dans le besoin, il n’est pas non plus fils d’un émir ni
émir lui-même.

Charles Bila Kaboré vit aujourd’hui à Ouagadougou. Il est le


chef d’une famille qui compte cinq enfants dont Roch Kaboré
est l’aîné. Né à Tuiré en 1930, Charles Bila Kaboré a su

– 31 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

patiemment gravir les paliers de l’ascension sociale. Il a


d’abord fréquenté l’école primaire de la sous-préfecture de
Zorgho, ensuite l’école régionale de Ouagadougou. En ces
temps où le colonisateur ne permettait aux sujets estampillés
de l’étoile jaune de l’indigénat que de faire des études
moyennes, il parvint à obtenir le certificat d’études primaires
et le certificat d’études supérieures élémentaires. Après un
concours, il entre en 1948 à l’école normale de Katibougou où
il décroche le brevet élémentaire et la première partie du
baccalauréat.

Visiblement doué, il fut sélectionné par les autorités pour


continuer ses études dans la prestigieuse École Normale
William Ponty de Dakar où fut formée la grande majorité de
l’élite politique africaine dont les présidents Houphouët
Boigny, Modibo Kéïta, Hamani Diori, Hubert Maga, Sylvanus
Olympio, Mamadou Dia et Abdoulaye Wade. Au terme de sa
formation professionnelle, il en ressort en 1954 muni de son
baccalauréat en sciences expérimentales et d’un diplôme
professionnel d’enseignant. Comme l’administration coloniale
accordait aux normaliens la citoyenneté française selon le
système du double collège en vigueur en Afrique durant ces
années-là, il dut se plier pendant un an aux rigueurs du service
militaire obligatoire pour les citoyens français. Il a ensuite
exercé sa profession d’enseignant pendant trois années, de 1955
à 1958, avant de retourner aux études dans les amphithéâtres
de la Faculté des Sciences de l’Université de Dakar. Charles
Bila Kaboré suivra plus tard une formation d’administrateur
civil à l’Institut des Hautes Études d’Outre-mer de Paris.

Ainsi, quand survint l’indépendance de la Haute-Volta le 5 août

– 32 –
Roch et Bella, jeunes mariés
1960, Charles Bila Kaboré faisait déjà partie de l’élite du
nouvel État. Le premier président du pays, Maurice Yaméogo
fait appel à ses compétences et le nomme conseiller technique
au ministère de l’Intérieur et de la Sécurité. Cumulativement,
il occupe les fonctions de directeur de la Sécurité entre août
1961 et décembre 1962. Il reçoit par la suite la charge de
Trésorier général de Haute-Volta et devient administrateur de
la Caisse de Prévoyance sociale. Au même moment, il est
coopté comme membre du Conseil économique et social. Le
Président Maurice Yaméogo a encore recours à ses services. En
octobre 1963, il est nommé ministre des Finances de la
République de Haute-Volta, portefeuille qu’il occupe jusqu’en
décembre 1965. À la suite de la ratification du traité instituant
l’Union monétaire ouest-africaine et la création de la Banque
centrale de l’Afrique de l’Ouest, Charles Bila Kaboré est
nommé membre du Conseil d’administration de cette
institution. Sa carrière dans les gouvernements de la première
République de la Haute-Volta s’estompe au ministère de la
Santé.

Un soulèvement populaire met un terme à cette première


République le 3 janvier 1966 et la deuxième République
enregistre l’arrivée au pouvoir du lieutenant-colonel Sangoulé
Lamizana en tant que Président du gouvernement militaire
provisoire. Charles Bila Kaboré est alors muté au
commandement du Cercle de Tougan au nord du pays, près de
la frontière malienne. C’est la première disgrâce dans la famille.
Elle fut de relativement courte durée puisqu’elle ne dura que
deux ans. La raison de ce retour aux affaires ne manque pas de
piment, grâce au jeune Roch Kaboré qui venait de terminer

– 34 –
L’HOMME DU CONSENSUS

son cycle primaire. Dans la province un peu perdue de Tougan


à l’époque, il n’existait pas de lycée pour lui permettre de
continuer ses études. Son père qui désirait être affecté dans une
localité où ses enfants pourraient poursuivre leurs études, s’en
était ouvert à un proche du Président Lamizana.

Saisissant une telle opportunité pour avoir à sa disposition des


compétences aussi notoires que celles de Charles Bila Kaboré,
le nouveau Président de la République l’appela alors à ses
côtés. Il fut d’abord conseiller financier du Président de 1968
à 1972, puis il occupa les fonctions de Secrétaire général de la
Présidence de la République jusqu’en 1975.

Au retour de la famille à Ouagadougou, Roch Kaboré est inscrit


au Collège Saint Jean-Baptiste de la Salle. Le collège a été créé
en 1962 mais le cycle primaire de l’institution d’enseignement
privé date du milieu des années quarante. C’est une grande
bâtisse au cœur de Ouagadougou, à quelques encablures de la
cathédrale, symbole d’une tradition séculaire du christianisme
dans ce pays. Il y a côtoyé certains leaders actuels de
l’opposition, peut-être pas Michel Kafando, actuel Président de
la Transition, son aîné de plus d’une décennie. Mais tous ont
fréquenté la cour du Collège de la Salle ainsi que beaucoup
d’autres hauts responsables du pays. Les responsables de
l’institution ne cachent pas leur fierté d’avoir formé autant de
membres de l’élite du pays. En dehors des études où son cursus
était parfaitement honorable, il fréquente à ses heures libres, le
terrain de basket. S’il n’était pas le meilleur de sa génération,
il fut basketteur de renommée dans sa jeunesse. C’est un peu
cela qui lui valait l’admiration de ses petits frères qui ne
manquaient aucun de ses matches. Il ne fut pas seulement cela.

– 35 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

Il croquait la vie à pleine dents et aimait aller danser avec ses


amis.

Pour brider ces tentations et éviter que les lumières de la ville


de Ouagadougou n’éblouissent sa progéniture, Charles Bila
Kaboré envoyait chaque année ses enfants chez leurs grands-
parents dans son village natal de Tuiré pendant un mois. Situé
à 13 kilomètres de Zorgho, Tuiré est un petit village comme il
en existe plusieurs centaines dans la savane rocailleuse de la
région du plateau central. Alors que ses amis du Collège de la
Salle se permettaient d’organiser des soirées dansantes à Ouaga
pendant les vacances scolaires, Roch Kaboré et ses frères
assumaient des corvées d’eau chaque matin pour cultiver une
parcelle de champ que leur grand-mère avait mis à leur
disposition. Ils quittaient Ouagadougou où il y avait l’électricité
et l’eau courante pour se retrouver dans une situation où il
fallait s’éclairer la nuit avec des lampes-tempêtes et aller puiser
de l’eau aux aurores pour la toilette matinale. Il avoue que ses
frères et lui se mettaient à décompter les jours comme des
« prisonniers » pressés de retrouver la liberté. On ne peut dire
qu’il maniait avec dextérité la daba et la charrue puisque ses
cousins se moquaient toujours de lui en le voyant à l’œuvre. Le
citadin de naissance n’était pas complètement mort en lui mais
ses séjours fréquents à la campagne lui ont donné à ses frères
et à lui, un petit plus. Ils ont cultivé en lui un attachement à la
terre et une profonde conscience de ses origines. C’est dans les
mares de Tuiré qu’il a aperçu pour la première fois les caïmans
sacrés qui sont le totem des Kaboré. Est-ce ce cela qui lui a valu
dans la presse satirique du Burkina le surnom de « Rochzilla »
puisque les dessinateurs le croquent souvent avec des griffes
aux extrémités des doigts ? Il en rit toujours.

– 36 –
L’HOMME DU CONSENSUS

Peut-être, faudrait-il rechercher dans ses séjours à la campagne,


dans les labeurs matinaux des corvées d’eau et de la cueillette
du miel, dans les silences vespéraux des crépuscules de Tuiré,
l’origine d’une conscience politique. Ses relations avec ses
cousins, proches ou lointains, ses rapports avec ses parents se
sont certainement raffermis durant ces séjours. Jusqu’à présent,
comme en témoigne son cousin Amado Kaboré qui est
aujourd’hui une sorte de chargé des relations entre Roch et les
membres de sa famille et tous ceux qui sont restés au village,
il a conservé avec eux de très étroites relations. Il revient
souvent à Tuiré, notamment les week-ends quand ses
occupations le lui permettent. Il y a construit une maison à côté
de celle de son père, une résidence relativement vaste mais
modeste où l’on pratique un petit élevage. Elle est un peu en
marge du village d’où l’on peut apercevoir des jeunes circulant
à vélo pour vaquer aux corvées traditionnelles. Il s’y sent
parfaitement à l’aise et c’est là que se réunit le conseil de la
grande famille des Kaboré.

Un certain nombre d’infrastructures ont pu être réalisées dans


son village grâce notamment à ses relations, à savoir la
construction de latrines publiques pour l’assainissement, les
forages, la construction d’écoles, de petites retenues d’eau, etc.

Son père a œuvré à la construction d’un centre de santé et de


promotion sociale (CSPS). Si Tuiré n’est pas encore le pays de
Cocagne, la vie des citoyens s’est grandement améliorée depuis
que le réseau électrique a été installé, que la population a accès
à la télévision et aux réseaux téléphoniques. C’est une autre
ambiance qui règne dans le village. Les habitants ne manquent
pas une occasion de lui témoigner leur reconnaissance.

– 37 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

À Zorgho, chef-lieu de la province du Ganzourgou, c’est le


même sentiment qui anime les populations. Leur attachement
au fils du terroir est manifeste. À l’occasion d’une de ses
récentes visites peu après l’insurrection populaire des 30 et 31
octobre 2014, durant un déjeuner, il a reçu l’essentiel des
notables de la ville qui lui ont réaffirmé leur soutien. Très
chrétien comme son père, Roch Kaboré a rompu le pain avec
ses compatriotes ce jour-là, durant une cérémonie empreinte
d’émotion mais aussi de rires et de joie.

Roch a toujours encouragé les initiatives en faveur du


développement de la localité et porte une attention particulière
aux conditions de vie des populations. Le contact avec le terroir
dans sa prime enfance lui a appris le sens de l’humilité. Il a, à
son tour, perpétué cette tradition avec ses propres enfants.
Chaque fois qu’il le pouvait, il les emmenait dans leur village.
Nous sommes loin de la cuillère d’argent ou de diamant.

Si Roch Kaboré est parvenu à être ce qu’il est aujourd’hui, il le


doit en grande partie à l’éducation rigoureuse reçue de ses
parents ainsi qu’à sa détermination acquise très tôt, de valoir
une stature de haut cadre doté de savoirs, de connaissances et
de compétences. Ces qualités, il les doit aussi et surtout à sa
regrettée mère, décédée le 7 mars 2015 à Ouagadougou et qui
repose désormais à Tuiré, une enseignante de profession à
laquelle il était très attaché et qui lui manque tant aujourd’hui.

Le lecteur pourrait reprocher à l’auteur de ne pas s’étendre sur


la vie intime de Roch. Il en est ainsi car il s’agit d’un sujet
relativement délicat. Tous les témoignages recueillis auprès de
ses amis et de ses proches disent qu’il a établi une sorte de
barrière étanche entre sa vie publique et sa vie privée. Disons

– 38 –
L’HOMME DU CONSENSUS

que c’est un principe -comment dire ?- de « gouvernance de


soi » qu’il a adopté. Même si sa maison est toujours ouverte à
ses amis et à ses militants, même si, assis dans un canapé sur
le perron de son domicile il discute avec ses relations, ses
proches, ses amis, il reste relativement réservé quand il s’agit
de parler de sa famille.

Mais les nécessités de l’écriture commandent une dérogation à


cette règle de bienséance. Un homme public de son rang ne
peut jeter un voile pudique sur son intimité. Dans d’autres pays
où les mentalités sont très différentes, les hommes politiques
ont tendance à exhiber leur épouse, à mettre en scène leur
progéniture et vont parfois jusqu’à dévoiler quelques petits
secrets de leur vie conjugale. Il ne sera pas question ici de
procéder à un étalage qui paraîtrait obscène dans nos contrées,
d’autant que, du fait de cette césure volontaire qui creuse un
fossé entre ses vies publique et privée, l’une n’a aucune
répercussion sur l’autre.

Par égard pour le lecteur, l’auteur va lui révéler que son épouse
est togolaise d’origine, née un 20 octobre à l’Hôpital de Tokoin
où son père était médecin. Baptisée Isabelle Rebecca Adjoavi,
elle a ensuite changé son nom au moment où, au Togo, il fallait
adopter des noms d’origine africaine. Isabelle Rebecca Adjovi
est alors devenue Bella Sika. Bella est un diminutif d’Isabelle
et Sika signifie l’or dans sa langue maternelle. Elle a fréquenté
pendant une année l’école des religieuses puis a continué son
cycle primaire à l’école de la Marina. Son père a été ministre
sous le gouvernement de Nicolas Grunitzky, deuxième
Président de la République du Togo qui fut renversé par
Gnassingbé Eyadéma. A la chute de Grunitzky, Mawupe Vovor,

– 39 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

le père d’Isabelle, qui avait passé son agrégation en médecine,


a rejoint la capitale sénégalaise où il a enseigné à la Faculté de
Médecine. Pendant ces années, Isabelle a fréquenté l’école
« Jeanne D’Arc » de Dakar avant de poursuivre son secondaire
au Lycée de Tokoin à Lomé.

Après son baccalauréat, Bella Sika a poursuivi ses études à


Dijon en France où elle a rencontré son futur époux. C’est à
Ouagadougou que fut célébré leur mariage civil en janvier
1982, suivi du mariage religieux, à Lomé. Ils ont trois enfants
dont une fille et deux garçons, aujourd’hui pères de famille.

Après avoir occupé plusieurs postes à la Chambre de commerce


et d’industrie du Burkina, Bella est aujourd’hui conseillère
juridique de cette institution. En 2000, elle a pris une année

Roch et Bella

– 40 –
L’HOMME DU CONSENSUS

sabbatique pour s’occuper de KIMI (parapluie en langue


dioula), une association caritative dont elle est la fondatrice.

Elle affirme que son époux est un peu « papa gâteau » surtout
pour sa fille, née douze ans après l’ainé des garçons. Elle
poursuit des études supérieures à la Sorbonne à Paris. Roch
Kaboré aime les enfants, aussi bien les siens que les autres.
Lorsqu’il était président de l’Assemblée nationale, il veillait
particulièrement à ce que les enfants du personnel reçoivent de
beaux cadeaux à Noël.

Quand on aime autant les enfants, on ne peut qu’avoir une âme


généreuse. Cette constatation devrait suffire au lecteur pour se
faire une idée plus juste de l’homme.

***

– 41 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

CHAPITRE II

Paris et les premiers pas en politique

En 1975, avec son bac série D en poche, Roch Kaboré avait été
orienté en linguistique à l’Université de Ouagadougou. Au
même moment, son père fut nommé Vice-gouverneur de la
BCEAO. La scène de cette nomination est d’ailleurs un peu
rocambolesque. C’était au cours d’une réunion à Lomé. La
Côte d’Ivoire convoitait la présidence de la Banque centrale,
le Sénégal espérait le siège, le Togo qui abritait la rencontre, à
défaut d’avoir l’un des deux, réclamait le siège d’une autre
institution. Alors que le débat faisait rage entre les États,
Charles Bila Kaboré s’est vu confier les charges de Vice-
gouverneur. Le siège de Dakar n’étant pas encore construit, la
banque fut établie provisoirement à Paris.

Muni d’un bac scientifique, le jeune bachelier rechignait à


étudier la linguistique. Quitte à perdre une année, il a opté de
suivre son père à Paris pour s’y inscrire l’année suivante dans
une université. Une fois en France, grâce aux conseils et soutien
de Lamine Fadiga, gouverneur de la banque centrale de
l’époque, il obtint une inscription à l’Université de Dijon en
Bourgogne, en première année de sciences économiques.

Sur les bancs de la fac, il rencontre Simon Compaoré. Les deux


étudiants voltaïques étaient dans la même faculté et dans la
même classe. Alors tout naturellement, ils ont sympathisé. Le
week-end, Roch invitait souvent Simon et d’autres amis chez
ses parents qui habitaient Paris. C’est ainsi que le futur maire

– 42 –
L’HOMME DU CONSENSUS

de Ouagadougou a fait la connaissance des parents de Roch.


Simon, fils d’un pasteur paysan, ne cache pas qu’il avait été
impressionné par la famille de son ami. Le père, bien que très
haut fonctionnaire, était d’une simplicité qui lui rappelait son
pasteur de père. Toute la famille était d’ailleurs ainsi.
Témoignage de Simon Compaoré : «Je n’ai jamais regretté de
l’avoir accompagné chez lui à Paris. Si nous sommes restés des
amis aussi longtemps, je crois que ce sont ces valeurs
humaines, cette modestie et cette humilité qui m’ont beaucoup
accroché au-delà du fait que nous avons évolué ensemble dans
les mêmes classes. C’est là un fait très important qu’il faut
retenir. Si l’on doit faire un petit bilan des années que nous
avons passées à Dijon, je dirais que Roch a été un facteur de
réussite pour certains d’entre nous. C’est une chose que l’on
n’oublie jamais ». Simon fait remarquer, entre autres
considérations, qu’il aurait pu se trouver d’autres amis et
d’autres compagnons parmi les étudiants qui avaient le même
standing que lui. Il aurait pu, comme les étudiants africains
aisés qui vivaient en France, s’acheter de belles voitures et
vivre à l’écart de leur communauté d’origine. La vraie vertu
n’a pas besoin d’oripeaux. Elle se moque du luxe et du bling-
bling. Elle préfère le solide de la substance au vide de
l’ostentation.

Simon et lui, avec d’autres camarades, prenaient fidèlement


leur repas au « kolkhoze ». Le « kolkhoze », c’était une
création des étudiants voltaïques de Dijon, qui cotisaient pour
financer leur repas en commun dans un esprit de solidarité. Ils
avaient décidé de faire une cuisine en commun où boursiers et
non boursiers pouvaient manger, surtout ceux qui n’avaient pas
les moyens du restaurant universitaire.

– 43 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

Roch Kaboré, mélomane accompli, se procurait régulièrement


les nouveautés qui tombaient dans les bacs parisiens. Simon
reconnaît qu’il est revenu à Ouaga avec dans sa mallette, des
disques dont il l’avait « exproprié », pour parler comme les
marxistes. Il reconnaît que Roch a toujours été serviable.

Quand ses parents ont quitté Paris pour Dakar où le siège de la


BCEAO était devenu fonctionnel, le jeune étudiant en France
y passait ses vacances. Ses frères se souviennent qu’il venait
souvent accompagné de plusieurs amis et la famille se resserrait
pour les héberger. C’est chez les Kaboré que les étudiants
voltaïques résidant à Dakar organisaient leur réveillon du 31
décembre. C’est ainsi que Roch Kaboré a pu nouer des contacts
avec nombre d’entre eux.

Durant la décennie 70 où il faisait ses études en France, Valéry


Giscard D’Estaing a été élu Président de la République
française. La droite était au pouvoir mais dans les universités
françaises, on baignait encore dans l’euphorie soixante-
huitarde. Les idées révolutionnaires foisonnaient dans les
universités. Le marxisme, le communisme classique pro-
stalinien, le maoïsme, le trotskisme et autres succédanés
idéologiques, avaient pris le pouvoir dans les amphis. Pour
paraphraser les révolutionnaires, disons que l’idéologie
dominante dans les universités était le marxisme ; c’était celle
de la classe dominante, celle des professeurs. Du point de vue
politique, le parti communiste français n’avait pas amorcé son
déclin. Il était l’une des formations politiques dominantes en
France et conservait malgré les critiques de certains
intellectuels, une aura auprès de la jeunesse estudiantine. C’est
ce contexte de grand bouillonnement intellectuel que Roch et

– 44 –
L’HOMME DU CONSENSUS

Simon ont trouvé en France. Il s’y ajoute que les étudiants


africains, à la faveur d’une longue tradition de lutte
anticolonialiste initiée par la Fédération des étudiants d’Afrique
noire en France (FEANF), avaient une tendance presque
naturelle à intégrer les associations d’étudiants fortement
influencées par l’idéologie communiste. Avec quelques
camarades, ils ont donc intégré les sections de l’AEVF
(Association des étudiants voltaïques en France) et de la
FEANF. A Dijon, il a occupé certaines fonctions dans le bureau.

Généralement les étudiants issus de familles aisées ne


s’intéressent pas à la politique. Mais Roch était particulier en
ce qu’il ne s’est jamais senti appartenir à une classe supérieure.
« Je suis le fils d’un enseignant », ainsi se définissait-il. Un
point, un trait.

L’engagement politique de Roch Kaboré a trouvé sa source


dans ce militantisme estudiantin et dans sa participation dans
les organisations de type marxisant que sont l’ULC/R, l’ULC,
etc. Ces luttes ont été déterminantes dans la maturation de ses
convictions politiques, à l’instar de beaucoup de ses autres
camarades. Basile Guissou, qui était à l’époque secrétaire aux
Relations extérieures de la FEANF et qui occupa plus tard un
poste avec la même appellation dans le gouvernement de
Thomas Sankara, estime que ces organisations estudiantines
de gauche ont véritablement participé à la détermination d’un
nouveau cours politique au Burkina.

***

– 45 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

CHAPITRE III

l’eau avait coulé sous les ponts du Mouhoun,


du Nakambé et du Nazinon

Quand Roch Kaboré rentre au bercail au début de la décennie


80, la situation politique était très confuse au pays. Les
nouvelles institutions mises en place par la révolution dès 1983
étaient encore très fragiles. Un bouillonnement parcourait de
part en part le corps social. Toute la société était en ébullition.
Au Burkina, la turbulence sociale ne passe jamais de mode.
Comme si c’était inscrit dans ses gènes, le peuple burkinabé a,
enfoui dans le tréfonds de son substrat culturel, une mémoire
de la révolte qui resurgit épisodiquement et que ne peuvent
effacer ni le temps ni la force répressive d’un régime. Cela, les
dirigeants ont souvent tendance à l’oublier et à se complaire de
la passivité trompeuse de ceux qu’ils tiennent pour leurs sujets.
Quand la révolte explose à leur face, ils sont les premiers
surpris par son ampleur et sa force.

Revenons sur les événements que Roch et certains de ses


camarades ont suivi de loin, de la ville de Dijon d’où ils
guettaient les moindres informations et prêtaient une oreille
attentive aux rumeurs les plus folles. Après une période de
stabilité toute relative en raison de la fréquence des
contestations populaires sous sa présidence, le Général
Sangoulé Lamizana avait été renversé par un coup d’État
fomenté par son ancien ministre des Affaires étrangères et chef
d’état-major, le colonel Saye Zerbo. Quatorze ans après avoir

– 46 –
L’HOMME DU CONSENSUS

pris le pouvoir à la faveur d’un soulèvement populaire, le


Général Lamizana avait été à son tour victime de frondes
populaires. Elles avaient été le fait des principales centrales
syndicales dont les revendications étaient à la fois corporatistes
et politiques.

La dégradation du climat social était donc manifeste. Le


pouvoir était dans l’incapacité de répondre aux aspirations de
la jeunesse. C’est ainsi que malgré une présence de plus de dix
années à la tête de l’État voltaïque, le Président Lamizana a été
mis en ballotage à l’élection présidentielle de 1978 par Macaire
Ouédraogo de l’Union nationale pour la défense de la
démocratie (UNDD). Il est passé de justesse avec une très faible
majorité, un peu plus de 52% des voix. Ce coup de semonce
aurait dû avertir le Général Lamizana d’un désappointement
populaire qui pouvait faire le lit de sa destitution.

Par le coup d’État perpétré le 25 novembre 1980, le colonel


Saye Zerbo mettait un terme à l’immobilisme à la tête de
l’exécutif du pays. Il portait également l’espoir d’un
apaisement du front social par la satisfaction des revendications
des syndicats. Quelques organisations de gauche apportèrent
pendant un laps de temps un soutien conditionnel au Comité
militaire de redressement pour le progrès national (CMRPN)
mis en place par Saye Zerbo. La constitution fut suspendue,
l’expérience démocratique mise entre parenthèse et les partis
politiques sommés de se taire.

Malgré ce courant de sympathie qui traversait certaines couches


du corps social, les espoirs fondés sur le CMRPN furent très
vite déçus. Il fallait se rendre à l’évidence. Le putsch du

– 47 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

Colonel Saye Zerbo était un virage très serré à droite qui voulait
s’appuyer sur l’autorité traditionnelle et mettre en coupe réglée
les revendications sociales et démocratiques. La situation
économique du pays continuait à se dégrader. Le malaise social
persistait. Les contestations syndicales reprirent de plus belle.
Les mêmes causes produisant toujours les mêmes effets et l’eau
ne prenant que la saveur des mines par où elle passe,
l’amertume était à son comble dans le corps social. Un
bouleversement était en gestation. Bien qu’il ait été dans le
passé, chef du service des renseignements, Saye Zerbo ne savait
pas que quelques jeunes officiers de l’armée, de connivence
avec des éléments des organisations de gauche, étaient en train
de lui creuser une trappe. En effet, des informations recueillies
a posteriori indiquent que le capitaine Thomas Sankara était
entré en contact avec certains leaders de la gauche voltaïque
depuis le milieu des années 70. On se souvient que lors des
manifestations populaires de 1966 qui avaient entraîné la chute
de Maurice Yaméogo, les organisations syndicales avaient fait
un appel du pied aux militaires pour qu’ils redressent la
situation du pays. Ce ne fut pas tombé dans l’oreille d’un sourd.
Avec le général Sangoulé Lamizana et le colonel Saye Zerbo,
l’armée voltaïque était déjà entrée dans le jeu politique, l’un
appelé par le peuple, l’autre par effraction, créant ainsi les
précédents qui devaient servir de prétexte aux jeunes officiers.
A la différence de leurs aînés qui avaient fait leurs classes dans
les régiments de l’armée coloniale et qui vouaient une sorte
d’idolâtrie à l’ancienne puissance coloniale comme Bokassa,
Eyadéma, etc., les jeunes officiers, bien que formés dans les
grandes académies militaires des pays capitalistes, étaient
séduits par le marxisme à l’instar d’une bonne partie de la jeune

– 48 –
L’HOMME DU CONSENSUS

élite africaine. Thomas Sankara, envoyé à Pau en 1974 pour


suivre un stage d’instructeur à la base-école des troupes
aéroportées, se rendait souvent à Paris pour y rencontrer des
membres de l’Organisation communiste voltaïque qui
deviendront ses proches collaborateurs au pouvoir. Le jeune
capitaine avait intégré à son retour au pays, un trio de militaires
nationalistes composé de Jean Baptiste Lingani, Henri Zongo
et Blaise Compaoré qui étaient en contact avec quelques
intellectuels de gauche.

Dans la Haute-Volta de ces années-là, l’unique canal


d’accession au pouvoir semblait être le recours aux armes.
C’est ainsi que des réunions s’organisèrent nuitamment dans
Ouagadougou entre militaires et leaders des organisations de
gauche. Le fait n’est pas inédit. Stanilas Adotévi, intellectuel
béninois marxisant, raconte que c’est à l’instigation des
intellectuels de gauche que le militaire Mathieu Kérékou avait
pris le pouvoir. Au Congo, le cours de gauche avait été accentué
par l’arrivée de Marien Ngouabi à la présidence grâce à un coup
de force écartant de fait Massamba-Débat du pouvoir. Ajoutons
que durant sa formation à l’Académie militaire d’Antsirabé à
Madagascar, Thomas Sankara avait assisté aux violents
soulèvements populaires qui avaient agité le pays durant les
années 1971-1972. Il avait vu tomber le pouvoir de Philibert
Tsiranana, cacique de la SFIO, sous la pression de l’explosion
populaire et des forces de gauche. De la mémoire du
révolutionnaire, ne pouvaient s’effacer de tels événements.
Thomas Sankara en garda une nostalgie et rêvait très
certainement de pouvoir répliquer dans son pays de tels faits.
Tous les facteurs économiques, sociaux, institutionnels, en plus
des conditions subjectives, étaient donc réunis pour que la jeune

– 49 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

garde militaire et les intellectuels aient des ambitions sur le


pouvoir du colonel Saye Zerbo.

Ce ne fut pas vraiment une surprise, sauf pour Saye Zerbo,


lorsque le 7 novembre 1982 un groupe d’officiers prit
l’initiative de le destituer. Thomas Sankara fut désigné pour
diriger la junte. Mais ce dernier ne voulait pas de la présidence
de la République.

Par un vote au sein du groupe d’officiers, le médecin-


commandant Jean-Baptiste Ouédraogo fut désigné Président de
la République le 13 novembre 1982. Thomas Sankara accepta
le poste de Premier ministre en janvier 1983.

Le Conseil de salut du peuple (CSP), première version, ne dura


que quelques mois. Comme l’avait pressenti Thomas Sankara
qui en avait fait part à quelques membres de la junte, la
cohésion au sein du CSP n’était pas au rendez-vous. Le 17 mai
1983, le Président Jean-Baptiste Ouédraogo décida de faire une
purge au sein du gouvernement. Le Premier ministre Thomas
Sankara est arrêté.

Une fracture intervint alors au sein du CSP. Les partisans de


Sankara entrent en fronde, soutenus par les syndicats, les
mouvements d’étudiants et d’élèves et les associations
démocratiques. Moins de deux mois plus tard, dans la nuit du
4 au 5 août 1983, Thomas Sankara renverse le gouvernement
de Jean Baptiste Ouédraogo. Il forma un Conseil national de la
révolution pour gouverner le pays et exprima sa volonté
d’entreprendre des réformes démocratiques et populaires.

Ce détour est un résumé de tout ce qui s’est passé depuis

– 50 –
L’HOMME DU CONSENSUS

l’indépendance jusqu’au moment où Roch Kaboré est rentré au


pays. En l’espace de trois années, le pays a connu trois coups
d’État, ce qui témoigne de la vivacité des turbulences qui s’y
sont produites. Le nouveau bachelier avait quitté la république
de Haute-Volta, il est retourné dans son pays qui s’appelle
désormais le Burkina Faso. C’est un jeune modelé par une
rigoureuse éducation chrétienne au Collège Saint Jean-Baptiste
de la Salle qui avait quitté son pays et c’est un militant de
gauche avec des convictions marxisantes qui y revient. Il faut
dire que sous les ponts du Mouhoun, du Nakambé et du
Nazinon, de l’eau avait vraiment coulé.

***

Roch Marc Christian Kaboré alors Directeur général de la Banque Internationale du Burkina

– 51 –
CHAPITRE IV

la bouteille jetée à la mer

« Les voies du seigneur sont impénétrables » dit l’adage. Ce


jour de l’année 80, l’homme qui a débarqué à l’aéroport de
Ouagadougou pour apporter sa contribution au développement
de son pays ne pensait pas que son destin serait si vite scellé,
qu’il aurait une ascension à la vitesse de l’éclair, tant au plan
professionnel qu’au plan politique. La main du destin avait été
dès le début de sa carrière, très favorable à Roch Kaboré. Le
jeune homme âgé d’un peu plus de vingt-cinq ans, aurait pu se
laisser porter par la fortune des vents et suivre ainsi sa bonne
étoile. Ce destin était d’autant plus exceptionnel que le pays
était dans une vraie bourrasque. Les Burkinabé vivaient une
expérience révolutionnaire inédite en Afrique. Dans son
Discours d’orientation politique (DOP) qui s’apparentait à une
charte de la révolution, le Président Thomas Sankara disait :
« Les révolutions qui surviennent de par le monde ne se
ressemblent point. Chaque révolution apporte son originalité
qui la distingue des autres. Notre révolution se déroule dans
un pays agricole, arriéré, où le poids des traditions et
l’idéologie secrétée par une organisation de type féodal, pèse
énormément sur les masses populaires. (...) Elle est une
révolution qui se produit dans un pays caractérisé encore par
l’inexistence d’une classe ouvrière consciente de sa mission
historique et organisée et, par conséquent, ne possédant aucune
tradition de lutte révolutionnaire. Cet ensemble de
circonstances donne une certaine empreinte singulière à notre
révolution ».

– 52 –
L’HOMME DU CONSENSUS

En filigrane, ce discours était annonciateur des incertitudes, de


l’aventurisme potentiel et des erreurs que peut porter toute
expérience révolutionnaire inédite. Même Lénine n’avait pas
échappé à cette fatalité. Durant les premières années de la
grande révolution d’octobre, il avait été obligé de faire « un pas
en arrière pour faire deux pas en avant ». Au Burkina, la
révolution était en train de danser son pas de deux. Le
radicalisme du Conseil national de la révolution (CNR) se
nourrissait d’une rhétorique manichéiste. Elle magnifiait le
peuple et abhorrait tout ce qui n’est pas lui, c’est-à-dire, la
bourgeoisie «compradore», les suppôts de l’impérialisme, les
forces réactionnaires, féodales et rétrogrades supposés être les
tenants des structures sociales traditionnelles. Ces outrances
langagières avaient leur prolongement dans la pratique
politique. Les tribunaux populaires comme toute justice du
peuple avaient ses limites qui se sont traduites par certains
débordements.

Recruté suite à un stage d’un an à la Banque internationale du


Burkina (BIB), Roch fut nommé secrétaire général de cette
institution financière. Un an plus tard, en 1984, il devenait à 27
ans, Directeur général de la BIB. Durant la révolution, une
politique très volontariste de production de richesses nationales
était promue. Sans qu’il y ait des directives expresses formulées
à cet égard en direction des institutions financières, l’orientation
politique formulée par le Président Thomas Sankara était de
faciliter l’accès des nationaux au crédit bancaire et de
promouvoir la consommation pour les travailleurs. Il faut dire
que ce jeune directeur qui était à la tête de l’une des deux
principales banques du pays, s’est acquitté de cette tâche de
façon exemplaire. À la BIB, il avait mis en place une politique

– 53 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

très efficiente du crédit à la consommation grâce à laquelle


beaucoup de Burkinabé lui doivent aujourd’hui d’avoir leur
propre maison.

A un moment où le capital à l’œuvre dans l’économie du


Burkina était essentiellement étranger, il a rendu possible
l’accès aux financements à beaucoup de nationaux qui ont pu
ainsi créer leurs propres sociétés, permettant une densification
du tissu des petites et moyennes entreprises sur l’ensemble du
territoire national et, dit-on, particulièrement à Bobo Dioulasso
où la banque avait ouvert une succursale. Cette initiative fut un
apport réel de valeur ajoutée saluée par les Burkinabé.

On ne peut passer sous silence ses relations avec le Larlé Naaba


Tigré. Victor Tiendréobogo à l’état-civil était un employé
assigné au service change de la BIB. Il y était entré en mai 1986
suite à un concours. Roch a connu Victor chez le père de celui-
ci, Jean Tiendrebéogo qui était à l’époque prince héritier du
Larlé Naaba Abga. Lorsque Jean Tiendrebéogo a été intronisé
en octobre 82 sous le nom de Larlé Naaba Bénéwemdé, il a
réuni Victor et Roch en plus de son épouse Marguerite pour
dire ceci : « Roch, tu es mon premier fils. Le jour où je ne serai
plus de ce monde, il faudra soutenir ton frère Victor lors de son
intronisation et en retour toi Victor, tu soutiendras Roch le jour
où il aura besoin de toi. »

Au service des changes, Victor devait s’occuper des opérations


des ordres de bourse. Il avait donc l’obligation, chaque matin,
à 7 heures 30, d’avoir une entrevue avec le Directeur général
de la banque pour faire le point de la situation des entrées et
sorties de devises. Les relations entre les deux hommes
remontent aux années 1974, avec Pascal Compaoré, filleul du
père de Larlé Naaba qui vivait à Dijon.

– 54 –
L’HOMME DU CONSENSUS

Victor affirme qu’il lui faisait beaucoup de confidences parce


que Roch lui témoignait une confiance fraternelle.

En janvier 90, le père de Victor décède. Roch Kaboré était en


mission à Bobo-Dioulasso. Victor devait assumer les charges
de Prince postulant. Il appréhendait cette charge en raison de
son importance. Le conseil de famille s’est réuni. Il faut dire
que dans certains moments de confidences Victor Tiendréobogo
avait confessé à son « frère » Roch, qu’il déclinerait sa charge
de prince. Son « frère » avait alors simplement hoché la tête,
attendant certainement le moment venu pour réagir. Une
réaction qui avait laissé Victor, qui pourtant connaissait bien
l’homme, un peu pantois. Il devrait savoir que Roch Kaboré,
qui a appris à dormir en silence sur des choses à faire, se donne
toujours le temps de la réflexion. Pour la cérémonie
d’installation de Victor comme candidat au trône, Roch Kaboré
est revenu précipitamment de Bobo-Dioulasso pour soutenir
son ami.

Le Larlé Naaba Tigré en compagnie de Roch Marc Christian Kaboré

– 55 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

L’honorable Kassoum Kongo, ancien directeur de la BCEAO


à Ouagadougou, avait dit à Victor : « On ne refuse pas un
trône ». De nombreux clients de la banque dont Ben Fadhel,
Chakroun Lofti et bien d’autres amis burkinabè ont également
apporté leur assistance à Victor pour son intronisation sous le
nom de « Larlé Naaba Tigré ». Devenu par la suite un éminent
personnage de la scène politique du Burkina, il fut élu de façon
discontinue de 1992 à 2014 député à l’Assemblée nationale
sous plusieurs législatures. Il dirige aujourd’hui une association
qui s’investit dans la conservation du patrimoine culturel mossi.
Depuis sa démission du CDP le 14 janvier 2014, il a renoncé à
toute charge élective ou nominative en politique mais demeure
très proche de Roch Kaboré qu’il côtoie depuis 41 ans.

Pour revenir à notre homme, disons que son passage à la


direction de la BIB et au ministère des Finances lui ont permis
de tisser un réseau très dense de relations dans les milieux
d’affaires. Nombre d’opérateurs économiques reconnaissent
avoir trouvé chez lui une oreille attentive et un soutien efficace
dans le montage de leurs propres entreprises.

Faire le bien chez Roch Kaboré, témoignage de Basile Guissou,


c’était comme jeter une bouteille à la mer, que dis-je, dans les
eaux du Nakambé, sans jamais en attendre un quelconque
« retour sur investissement ». Roch Kaboré bénéficie auprès
des milieux d’affaires du Burkina d’un réel capital de
sympathie acquis grâce à sa capacité intuitive à orienter les
entrepreneurs vers les voies du succès. La perspicacité du
banquier a été mise au profit de la conduite des affaires de
l’État.

Roch Kaboré n’a pas ce sens du tragique qui fait perdre à


certains dirigeants leur self-contrôle devant les difficultés. Face

– 56 –
L’HOMME DU CONSENSUS

aux crises, il sait garder son calme. C’est un homme réfléchi


dont la capacité d’analyse des situations lui permet de
surmonter les contradictions les plus complexes. Il est capable
d’abattre un travail de titan, sans avoir l’air d’y toucher. Zagré
Seydou, qui a été son collaborateur le plus proche pendant 16
ans dont 11 années comme directeur de cabinet, témoigne de
cette disposition exceptionnelle chez Roch Kaboré : « Il a une
très grande capacité de travail et se repose très peu. Il ne se
laisse jamais impressionner ni par la masse des dossiers ni par
la délicatesse des décisions à prendre ». Cette aptitude à
toujours rester de marbre devant les situations les plus
périlleuses déroute ses adversaires. C’est un peu pour cela
qu’ils se sont mis à peindre de lui ce portrait très caricatural,
aux antipodes de sa véritable nature.

***

Seydou Zagré en pleine confidence avec Roch Kaboré

– 57 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

CHAPITRE V

Pour que le bébé ne soit pas jeté


avec l’eau du bain

La rumeur s’est répandue ce matin du 16 octobre 1987 comme


une traînée de poudre à Ouagadougou. Le Président Thomas
Sankara avait été assassiné la veille. Dans un cimetière à la
lisière de la ville, treize tombes avaient été sommairement
creusées, parmi lesquelles figurait celle du Président du Faso.
Dans l’histoire politique de l’Afrique, jamais pareille ignominie
n’avait été perpétrée. Le seul parallèle possible est l’assassinat
de Sylvanus Olympio, Président du Togo, retrouvé mort dans
la rue, dans ce qui fut le premier coup d’État en Afrique noire.
Le certificat produit à l’occasion du décès de Thomas Sankara,
mentionne une « mort naturelle » alors que la veille, une
fusillade nourrie avait été entendue au Conseil de l’Entente où
Thomas Sankara tenait une réunion avec ses proches. Les
circonstances réelles de cet assassinat n’ont pas encore été
élucidées. Les versions sont diverses, certaines vraisemblables,
d’autres fantaisistes, mettant toutes en cause Blaise Compaoré.
Dans sa thèse officielle, Blaise Compaoré aurait rejeté la
responsabilité sur des éléments incontrôlés du régiment des
para-commandos de Pô qui ont voulu prendre les devants suite
à des rumeurs faisant état d’un projet d’assassinat contre sa
personne. Ce n’est pas l’objet de notre propos que de détricoter
les fils de ce mystérieux assassinat. La justice s’en chargera
certainement à la faveur du nouveau contexte politique au
Burkina, consécutif à la chute de Blaise Compaoré.

– 58 –
L’HOMME DU CONSENSUS

L’assassinat de Thomas Sankara a causé un profond


traumatisme dans la société burkinabé. Ce drame a provoqué
un profond retentissement dans le monde entier. Cette tragédie
a eu lieu au moment où se tenait un Sommet de la Francophonie
à Dakar, où il était très attendu. L’émoi fut général au sein des
participants. On épiloguera longtemps sur cette douloureuse
page de l’histoire africaine.

Mais nul ne pouvait être insensible à cette histoire de deux amis


qui ont marché d’un même pas dans la révolution et qui s’est
terminée dans un drame qui outrepasse, de par son intensité
émotionnelle, un simple combat pour le pouvoir. La jeunesse
africaine a placé l’homme au Panthéon des héros qui ont
marqué l’histoire du continent.

Thomas Sankara avait initié une révolution sans précédent dans


l’histoire africaine. Il est possible aujourd’hui de reprocher à
la révolution d’avoir commis quelques erreurs, d’avoir connu
des dérives préjudiciables à son appropriation par les
populations urbaines, mais Sankara avait l’excuse de
l’exclusivité. Personne auparavant n’avait osé s’investir autant.
Il disait à ses compatriotes qu’il faut oser inventer l’avenir. Tout
ce qu’un homme peut imaginer, il peut le réaliser. « À
l’humanité ne se pose que les problèmes qu’elle peut résoudre »
disait un penseur.

Paré d’une logique implacable, il trouvait injuste l’inégalité au


sein de la société burkinabé. À ce propos, Thomas Sankara
avait dit dans une interview accordée au journaliste français
Jean-Phillipe Rapp : « Nous nous efforçons de refuser les
partages inégaux...». Il a donc initié un certain nombre de
mesures pour une redistribution équitable des revenus, de sorte
que les couches les plus vulnérables de la société, la
paysannerie ou le genre féminin, ne soient plus défavorisées.

– 59 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

Le Président du Faso, comme aucun Chef d’État en Afrique


avant lui, avait refusé de tendre la main aux pays capitalistes.
Et pour cela, il avait procédé à un auto-ajustement de
l’économie du pays, combiné à la politique de création de
richesses nationales. Basile Guissou fait remarquer que c’est
cette politique d’auto-ajustement qui aurait inspiré les
institutions de Bretton Woods qui, dès lors, ont su qu’il était
possible de comprimer le train de vie des États africains grâce
à une volonté politique. Si Thomas Sankara, qui n’avait pas les
yeux de Chimène pour le FMI et la Banque mondiale, se
désintéressait complètement d’eux, ces institutions au contraire
suivaient à la loupe l’expérience révolutionnaire qui se
déroulait au Burkina. C’était pour eux un modèle susceptible
d’être répliqué dans d’autres pays africains, sans sa gangue
révolutionnaire. Dans les autres capitales africaines, les
gouvernements et les élites redoutaient cette expérience
révolutionnaire qui risquait de faire des émules dans leur propre
pays.

Roch Kaboré capitalise cette expérience inédite en Afrique qui


constitue un patrimoine national à même de permettre au
Burkina de se projeter dans les meilleures conditions possibles
vers le futur. Aujourd’hui, en effet, il fait en sorte que le bébé
ne soit pas jeté avec l’eau du bain et que l’état d’esprit qui
présidait à la révolution soit maintenu.

***

– 60 –
L’HOMME DU CONSENSUS

CHAPITRE VI

dauphin, involontairement

« Ma carrière politique n’était pas prévisible » affirme Roch


Kaboré. Même s’il a milité durant ses années de jeunesse dans
les organisations politiques estudiantines, il n’était pas, de ses
camarades, le plus prédisposé à embrasser une carrière
politique. Quelques temps après être revenu au pays, il s’était
assez tôt rendu compte des limites des idéaux révolutionnaires.
La distance que lui imposait ses occupations de banquier au
regard de la vie politique lui a très rapidement donné une claire
conscience des faiblesses des organisations politiques de
gauche au Burkina. Ce n’était pas ses propres convictions qui
étaient en cause. Mais « l’analyse de la situation concrète »
faisait ressortir les limites d’une activité révolutionnaire.
« Autant on parlait dans nos mouvements de gauche de
révolution et d’intégration aux masses, autant nous étions dans
un système idéologique plus théorique que pratique. Dans notre
conception très idéaliste, nous récusions le système
électoraliste que nous considérions comme éminemment
réactionnaire. Ainsi, la seule option pratique qui s’offrait à
nous était la guérilla » affirme-t-il.

C’est seulement en 1989 et sur insistance de Blaise Compaoré


que Roch Kaboré a finalement accepté d’assumer les fonctions
de ministre des Transports et des Communications. Basile
Guissou estime que le fait d’avoir eu Roch Kaboré à ses côtés
a permis à Blaise Compaoré de conforter son pouvoir, lui qui
tenait l’armée sous sa coupe, mais faisait face à une forte
opposition des milieux civils. Il lui fallait donc un homme

– 61 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

capable de donner du crédit à son régime et c’est en cela que


« l’enfant de Zorgho » faisait son affaire. Non seulement, il
avait un cursus de militant révolutionnaire qui convenait mais
en plus, il était un homme de consensus sur qui Blaise
Compaoré pouvait compter pour ramener dans son giron, les
révolutionnaires qui s’étaient écartés. Dans la presse
ouagalaise, on rappelle souvent que les rapports entre les deux
hommes étaient des rapports de raison. Ce n’est certainement
pas faux. En misant sur Roch Kaboré, le Président Blaise
Compaoré avait fait un calcul politique. Le banquier n’était
certainement pas celui qui lorgnerait son fauteuil. Ce n’était ni
dans son tempérament, ni dans ses objectifs. C’est pourquoi
très rapidement, le Président en avait fait un ministre d’État,
chargé de la Coordination de l’action gouvernementale, après
lui avoir octroyé le portefeuille de ministre des Transports et
des Communications.

Il faut, pour bien comprendre les pratiques manœuvrières du


tombeur de Sankara, se référer au contexte international. Le
monde bipolaire de la guerre froide avait disparu, laissant place
au triomphe des pays capitalistes. Le Burkina devait s’adapter
à cette nouvelle donne politique et économique. Le pouvoir a
alors remisé le référentiel marxiste. Certains radicaux de la
période révolutionnaire en éprouveront un profond
ressentiment.

Face aux challenges nouveaux induits par le contexte


international, l’homme de la situation fut encore Roch Kaboré.
Le Président Blaise Compaoré en fit son ministre des Finances.
Il fut chargé de conduire les privatisations tout simplement
parce qu’il en avait les compétences. Son expérience de
banquier, qui lui avait permis de favoriser l’expansion des

– 62 –
L’HOMME DU CONSENSUS

petites et moyennes entreprises, fut mise à profit pour conduire


cette opération. Rappelons qu’à partir de 1991, le Burkina avait
signé avec le Fonds Monétaire International, son premier
programme triennal d’ajustement structurel (PAS). Ce
programme venait se greffer aux efforts d’auto-ajustement que
le pays avait fournis pendant la révolution, mais s’orientait vers
le transfert au privé des activités de production de biens.
Contrairement à l’auto-ajustement qui consistait en une
multiplication des taxes envers les couches les plus aisées de
la population et en une réduction drastique du train de vie de
l’État, la politique de privatisation était au cœur du plan
d’ajustement structurel mis en place. Roch Kaboré reconnaît
n’avoir conduit qu’une partie des privatisations quand il était
Premier ministre, puisqu’une commission chargée des
privatisations avait été mise en place et avait continué à
travailler après qu’il eut quitté le Premier ministère. Son
appréciation correspondait au bilan dressé des privatisations
sur le continent africain. Une telle politique a toujours des effets
collatéraux. Le redimensionnement de l’appareil de production
et son transfert au privé riment toujours avec des licenciements
et des suppressions de postes pour des entreprises qui
bénéficiaient jusque-là d’importantes subventions de l’État. En
outre, toute politique de privatisation provoque des polémiques
sur ce qui doit être laissé ou non sous la tutelle de l’État. Les
politiques d’ajustement, au prétexte de rétablir les grands
équilibres macroéconomiques, avaient réduit au strict minimum
les dépenses vers les secteurs sociaux comme la santé et
l’éducation. Le Burkina a connu ce travers durant sa période
d’ajustement mais, sur ce plan, sa situation ne diffère en rien
de ce qui s’est passé ailleurs en Afrique.

– 63 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

Roch Marc Christian Kaboré a été nommé premier ministre en


1994 suite à la dévaluation du franc CFA. Déjà rompu à la
coordination de l’action gouvernementale en qualité de ministre
d’État, il s’était donné comme mission de lutter contre la
corruption qui gangrenait l’économie du Burkina.

Au Premier ministère, tout le monde connaissait aussi sa


capacité à dénouer les fils des situations alambiquées. En
termes de sollicitations, Roch Kaboré semblait faire ombrage
à la présidence, où beaucoup le pressentait déjà comme
successeur potentiel de Blaise. On lui avait trop tôt fait porter
le costume du dauphin. Le Président sembla développer une
méfiance à son endroit, méfiance entretenue par certains
proches. L’ouïe est la première porte du mensonge. Ceux qui
ne se fient qu’à leurs oreilles commettent souvent des erreurs.
Mais pour ce qui est de Blaise Compaoré, c’était là un péché
véniel. C’est ainsi qu’il a suivi les préconisations de certains
qui lui conseillaient de démettre le premier ministre.

Ainsi, avec la création du CDP le 6 février 1996, le


renouvellement de la direction du parti correspondait à un
changement de cap au profit de l’idéal social-démocrate. Pour
mettre à l’aise les nouvelles forces politiques qui venaient
d’intégrer le CDP, le Président souhaitait une recomposition du
gouvernement. Il fit part à Roch de sa volonté de se mettre à
jour par rapport aux nouvelles réalités. C’est du moins cette
principale raison qui avait été fournie à Roch Kaboré pour
motiver son départ du Premier ministère. Il déposa sa démission
le 7 février 1996.

Du Premier ministère, Roch Kaboré avait rejoint la présidence


où il était nommé Conseiller spécial. Mais ses adversaires
politiques n’avaient pas désarmé. Les intrigues, la

– 64 –
L’HOMME DU CONSENSUS

désinformation contre lui ont continué de plus belle, allant


parfois jusqu’aux accusations les plus ubuesques. Aujourd’hui,
quand il se remémore certaines d’entre elles, il en rit toujours,
se demandant comment on peut être assez tordu d’esprit pour
les formuler. C’est à ce moment que le Conseiller spécial du
Président du Faso a commencé à être rare à son bureau de la
présidence.

On doit à la vérité historique de dire qu’il était certainement


entré par mégarde dans la peau du dauphin. Pour sa part, Blaise
Compaoré pensait en avoir fini avec lui. Il avait réussi à
domestiquer à son profit le processus de démocratisation. Après
l’armée, il avait fait main basse sur l’appareil d’État. Rien ne
pouvait lui résister, d’autant qu’au plan international, le
Président du Faso avait pris de la bouteille comme médiateur
dans les crises qui ont sécoué le Liberia et la Sierra Léone, ainsi
que celles récentes survenues en Côte d’Ivoire, en Guinée et au
Mali où il était devenu un intermédiaire incontournable.

En réalité, Blaise Compaoré avait d’autres plans à réaliser. Pour


cela, ce qu’il lui fallait, c’était du temps.

***

– 65 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

CHAPITRE VII

le « demi-dieu » de la République

À la fin des années 90, le capitaine Blaise Compaoré avait


rangé dans ses placards son béret, ses écussons et autres
armoiries de para-commando. Ses trois barrettes dorés de
capitaine ne lui servaient plus à rien. Il était devenu un Chef
d’État, autant que les autres. Il arborait des costumes taillés
chez les grands couturiers parisiens et portait des chaussures
en peau de chevreuil. Il fréquentait les grandes conférences, se
mettait à la même table que les grands de ce monde. C’était un
autre homme. Rien à voir avec ce révolutionnaire, toujours en
embuscade derrière Thomas Sankara sur les photos officielles.
Il avait pris femme dans la famille du Président Houphouët
Boigny.

Blaise Compaoré avait opéré sa mue. C’était l’une de ses


prouesses notables. Comme un serpent qui change de peau à
chaque saison, le Président savait se débarrasser de ses propres
scories pour se faire neuf. A chaque crise, il trouvait le moyen
de donner l’impression de lâcher du lest. En fait, il reculait pour
mieux sauter. Même en l’air, quand tout le monde pensait qu’il
ne retomberait pas sur ses appuis, il gardait le cap sur des
objectifs inavoués.

En fait, une politique rampante de mise en place d’un État néo-


patrimonial était à l’œuvre au Burkina sans que l’on ne s’en
aperçoive, hormis quelques esprits avertis, aussi bien dans le
pouvoir que dans l’opposition. Roch Kaboré avait conduit les

– 66 –
L’HOMME DU CONSENSUS

Roch en compagnie du Cardinal Paul Zoungrana

Roch entouré du Larlé Naaba et du Manga Naaba


ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

premières privatisations. En l’écartant des privatisations, le


Président se donnait l’opportunité d’en contrôler le processus
et des moyens supplémentaires pour la réussite de son plan de
mise en place d’un État néo-patrimonial. Il n’avait pas besoin,
pour cela, de regarder loin pour trouver un modèle. Certains,
avec qui il avait tissé des relations très étroites, lui fournissaient
l’exemple et la stratégie. Pour mieux rallier les forces
économiques et mettre sous sa botte les milieux d’affaires, il
avait fait de son frère, François Compaoré, son conseiller
économique. Dès lors, ce dernier dont les méthodes étaient aux
antipodes de celles de Roch Kaboré, se chargeait de faire des
hommes d’affaires, qui avaient sué sang et eau pour monter
leurs entreprises, des obligés du régime.

Les méthodes n’étaient pas les mêmes, les deux hommes non
plus. Roch Kaboré n’était pas, comme en témoignent ceux qui
le connaissent, homme à courir derrière l’argent. Pour
quelqu’un qui a occupé les fonctions qui ont été les siennes,
l’ex premier ministre a un train de vie relativement modeste.
Sa maison ne dépare pas de celles des autres du quartier où il
habite. Elle ne se reconnaît qu’aux militants et sympathisants
qui campent à la porte. On y entre fort simplement. On en
ressort presque toujours accompagné par le maître des lieux qui
en profite pour adresser un salut aux militants. Comme
beaucoup de ministres qui ont occupé le portefeuille des
finances avant ou après lui, il aurait pu se recycler dans une
institution internationale. Il avait plus de chances que bien
d’autres, de trouver une planque confortable en raison de sa
profession de banquier, de son expérience dans la promotion
des PME/PMI, ainsi que dans le processus de privatisation.

– 68 –
L’HOMME DU CONSENSUS

François se complaisait sous l’ombre de son président de frère.


Une proximité parentale ingénieusement instrumentalisée qui
lui a permis d’entrer dans les conseils d’administration de
plusieurs sociétés nationales stratégiques. Avec un bureau bien
en vue au palais présidentiel, il a fini par se faire appeler «petit
président». Dans le processus d’instauration d’un État néo-
patrimonial au Burkina, ce «petit président» a joué un rôle
capital.

Ce processus est passé par plusieurs phases. Le néo-


patrimonialisme est un concept forgé par un célèbre politiste
français, Jean François Médard, pour rendre compte du
processus d’accaparement des ressources nationales dans un
pays par le biais de l’État. Il emprunte le terme de
patrimonialisme au sociologue allemand Max Weber qui
expliquait par ce concept comment dans les sociétés
traditionnelles, les ressources de la communauté étaient
siphonnées par une caste ou une famille dirigeante à son unique
profit. Jean François Médard renouvelle le concept,
l’appliquant aux formations sociales africaines et à certains
pays de l’Est, nouvellement acquis au libéralisme.

Dans ce système, c’est l’État qui sert de moyen pour capter les
ressources. Le phénomène est bien plus complexe et il serait
trop long d’entrer dans les détails. Tenons-nous en à cette
économie du langage qui peut suffire pour faire comprendre ce
dont nous parlons. Le système néo-patrimonialiste instauré par
Blaise Compaoré présupposait une condition essentielle,
l’individualisation du pouvoir. C’est là un phénomène qui passe
par plusieurs étapes.

– 69 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

La première est le retournement ou détournement de la


collégialité en un pouvoir personnel. Du Conseil national de la
Révolution instauré par Thomas Sankara au présidentialisme
de la Quatrième République, certains Burkinabé, aussi bien
dans l’opposition que dans le pouvoir, ont pensé avoir accompli
des pas de géants vers la démocratisation. Il n’en est
absolument rien. Blaise Compaoré avait pris prétexte de la
démocratisation pour instaurer un pouvoir dans lequel il est
devenu cette sorte de «big man» dont parle la littérature
politique anglo-saxonne pour désigner celui qui tire les ficelles
dans un jeu de marionnettes aux apparences démocratiques.
Ceux qui l’ont bien connu, comme Salif Diallo ou Simon
Compaoré, le disent tout haut. C’était un grand manipulateur.
Il jouait sur les susceptibilités des gens qui l’entouraient pour
les opposer les uns aux autres. Il allumait çà et là des petits feux
pour pouvoir se donner le beau rôle de sapeur-pompier. Et cela
pas seulement au plan international comme le penserait tout
observateur, mais aussi et surtout dans son entourage et ceci est
moins connu. En fait, l’instauration de la Quatrième
République lui a offert le cadre institutionnel qui lui a permis
de se délester de la collégialité et d’instaurer au Burkina un
césarisme aux apparences démocratiques. C’est une lapalissade
que de dire que les institutions ne valent que par ceux qui les
incarnent. Beaucoup de Burkinabé se sont laissés tromper par
ce miroir aux alouettes qu’était la démocratie sous l’ère
Compaoré.

La deuxième étape par laquelle passe le néo-patrimonialisme


est l’affirmation de la primauté absolue du chef de l’exécutif
sur tous les autres pouvoirs. Blaise Compaoré a su s’aménager
un système dans lequel il resterait toujours le maître du jeu. Il

– 70 –
L’HOMME DU CONSENSUS

avait laissé quelques étroites marges de manœuvre à


l’opposition. Jamais, cependant, dans son entendement, il ne
voyait l’opposition accéder au pouvoir. L’alternance
démocratique était pour lui, impossible à concevoir.

Même au sein de son propre parti, il ne tolérait aucune


contradiction. Quand le CDP a été créé le 6 février 1996 par
une sorte de fusion autour de l’ODP/MT de douze partis et de
fractions d’autres partis, Blaise Compaoré pensait avoir une
machine électorale puissante à sa dévotion, capable de lui
assurer sans fioriture toutes ses réélections. Mais quelques
nuages pesaient sur ses projets en raison non seulement de
l’usure du pouvoir mais aussi d’un mécontentement perceptible
au sein de la société burkinabé. On peut citer cette période
comme celle du « je t’aime moi non plus » entre Blaise
Compaoré et lui.

Roch et Blaise en privé - la période du ‘’je t’aime moi non plus’’

– 71 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

Simon Compaoré révèle avoir suggéré au Président, en pleine


crise Norbert Zongo, que la personne capable de redresser la
barre et de conduire le CDP vers la victoire aux législatives du
fait de son charisme était Roch Kaboré. Il était encore une fois
l’homme de la situation. Il fut appelé à la rescousse du parti.
Les élections sont gagnées par le CDP avec une courte majorité,
il est vrai, tant la conjoncture politique était défavorable. Les
yeux des Burkinabé commençaient à voir clair dans la
gouvernance d’accaparement du clan Compaoré. Mais l’appelé
avait réussi à sauver la situation. C’est tout ce qui importait
pour Blaise. Roch Kaboré est élu président de l’Assemblée
nationale en 2002 et réélu en 2007. Durant ses deux mandats à
la tête de l’Assemblée nationale, il entretenait de très bons
rapports avec l’opposition dont les députés étaient associés à
toutes les décisions. C’est lui qui a pu mettre en œuvre la loi
sur le chef de file de l’opposition politique. Un tel

Roch( à gauche) et Salif Diallo (à droite) en conversation avec un ami commun

– 72 –
L’HOMME DU CONSENSUS

comportement n’était certainement pas du goût de Blaise


Compaoré pour qui la politique est un rapport dans lequel le
plus fort soumet le plus faible à ses volontés.

Dans sa volonté de poursuivre son projet néo-patrimonialiste,


Blaise Compaoré encourage la création en 2007, de la
FEDAP/BC (Fédération associative pour la paix et le progrès
avec Blaise Compaoré). Cette association fortement influencée
par François Compaoré, était une sorte de nébuleuse à mi-
chemin entre association de droit privé et parti politique. En
fait, il s’agissait d’un cheval de Troie introduit au sein du CDP
pour contrecarrer les personnalités susceptibles de s’opposer
au Président. Ces potentiels «empêcheurs de tourner en rond»
étaient notamment Roch Kaboré, Salif Diallo, Simon
Compaoré. On attribue d’ailleurs à François Compaoré la mise
à l’écart de Salif Diallo, jadis puissant directeur de cabinet de
Blaise Compaoré puis ministre de l’Agriculture. Il était de
notoriété publique que les deux hommes ne s’entendaient pas.
Salif Diallo, très droit dans ses bottes et toujours arc-bouté sur
ses convictions socialistes, ne pouvait supporter les pratiques
peu orthodoxes de François Compaoré. Fin idéologue de la
révolution, il savait que l’angle mort de la critique de
l’opposition résidait dans le fait qu’elle n’avait jamais théorisé
le processus de néo-patrimonialisation initié par Blaise. Il fut
le premier à en parler, à le conceptualiser dans une célèbre
interview parue dans la presse du Burkina alors qu’il était
ambassadeur en Autriche. Cela lui a valu une suspension du
CDP.

C’est lors du cinquième congrès de ce parti tenu en mars 2012


que les masques sont tombés. Pour les initiateurs de la

– 73 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

FEDAB/BC, il fallait écarter Roch et ses camarades avant la


tenue des élections législatives et municipales de décembre
2012, afin de les empêcher d’établir les listes des candidats aux
dites élections. Informé des manigances qui se tramaient dans
son dos, il prit les devants en décidant de ne pas présenter sa
candidature à la présidence du parti.

Sur le chemin du retour de ce congrès, Simon Compaoré eut


un grave accident qui lui a valu d’être évacué d’urgence en
France. A son retour au pays, au terme de sa convalescence, il
fut accueilli triomphalement. Il n’a pas manqué de dire leur fait
à ses camarades de la nouvelle direction du parti qui n’ont pas
daigné compatir alors que des membres de l’opposition
traditionnelle se sont déplacés à Paris pour lui rendre visite. La
rupture s’annonçait donc de façon dramatique. Les listes
concoctées à la présidence pour les élections législatives lui ont
été présentées à seulement quelques heures de leur dépôt, pour
« demander son avis ». Celui qui avait déjà signifié qu’il ne se
présenterait pas, a pris acte du fait accompli.

La dernière étape par laquelle passe le processus de


patrimonialisation de l’État est le recours à la violence pour la
légitimation du pouvoir. Le Président Blaise Compaoré était
arrivé au pouvoir par un coup d’État qui avait fait plusieurs
morts. Il n’est pas inutile de rappeler ce « péché » originel.
L’utilisation de la violence par Blaise Compaoré pour se
maintenir au pouvoir était telle que le Collège des Sages, mis
en place après l’assassinat du célèbre journaliste Norbert
Zongo, s’en était offusqué à demi-mots et par quelques
euphémismes.

– 74 –
L’HOMME DU CONSENSUS

Ainsi allait le Faso sous Blaise Compaoré, durant les dernières


années de son règne. Le Président du Faso était la clé de voûte
de toutes les institutions, non pas comme dans un régime
présidentiel où les normes constitutionnelles sont effectivement
respectées, mais sur le mode d’une individualisation exacerbée
du pouvoir. Il avait réussi par des procédés pernicieux à
confisquer toutes les prérogatives de la République.
Montesquieu se retourne certainement dans sa tombe face à
une telle conception de la démocratie. Ce phénomène de
polarisation et de concentration des pouvoirs a produit un
dysfonctionnement du système démocratique. Ce système
instauré par Blaise Compaoré faisait de lui un « deus ex
machina », un « demi-dieu » de la République qui pouvait se
permettre de modeler la réalité à sa guise. Le néo-
patrimonialisme tournait à plein régime dans le pays.

***

– 75 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

CHAPITRE VIII

le champagne aurait pu être d’un meilleur goût

Quand avaient sonné dans les églises de Ouagadougou, les


cloches annonciatrices de l’année 2014, Blaise Compaoré avait
joyeusement fait sauter le champagne. La bonne fortune lui
souriait encore. Le chef militaire entamait une vingt-septième
année à la présidence du Faso. Il avait remporté haut la main,
l’élection présidentielle du 21 novembre 2010 avec plus de
80% des suffrages exprimés. Le dernier congrès du CDP lui
avait permis d’écarter du Secrétariat exécutif national ceux
qu’il avait fini par considérer comme « l’ennemi intérieur »
dans le parti. Les crises du premier semestre de l’année 2011
avaient permis au Président Compaoré de se faire une religion
sur les réticences de ces leaders historiques du CDP à se faire
les boucliers de son régime.

Il n’était jamais venu à l’esprit de personne que Blaise


Compaoré serait chassé du pouvoir par la rue et obligé de
prendre la clé des champs en catimini. Aussi portait-il en cette
soirée de Saint Sylvestre sa coupe aux lèvres avec la sérénité
d’un homme à qui la fortune ne joue jamais de mauvais tours.
Blaise était encore très confiant. Sûr de son fait et de sa bonne
étoile. Il semblait que la mutinerie des militaires qui avait suivi
les émeutes de février et mars de l’année 2011 n’était qu’un feu
de paille. Contre toute attente, quelques militaires, mécontents
du traitement qui leur était octroyé, avaient envahi la rue,
dévastant tout sur leur passage, tirant des coups de feu,
saccageant les échoppes dans les marchés, instaurant le
désordre dans ce Burkina si paisible. Les révoltes des militaires,

– 76 –
L’HOMME DU CONSENSUS

comme une traînée de poudre, se sont étendues sur l’ensemble


des garnisons. Même celle de Pô, connue pour être la chasse
gardée du Capitaine Blaise, n’avait pas échappé au mouvement.

Ces mutineries avaient provoqué un effet domino. Les civils,


outrés par les actes d’incivilité des militaires, s’en étaient pris
aux symboles de l’État qui ne les avait pas protégés. Durant les
mois fatidiques suivants, les syndicats avaient ravivé le front
social, réclamant une indexation des salaires sur le coût de la
vie qui avait sensiblement augmenté. Mais, comme par l’effet
d’une baguette magique, toute cette agitation sociale s’était
estompée. Le Président avait procédé à un renouvellement de
la haute hiérarchie de l’armée. Des mesures avaient été prises
pour réduire le prix des denrées de première nécessité. Blaise
avait poussé un soupir de soulagement.

Le champagne avait encore un goût très agréable pour le


locataire de Kossyam. Les émeutes récurrentes s’étaient
estompées et le calme était revenu au pays. Ouagadougou
redevenait fréquentable et les émissaires de tous bords s’y
pressaient. Cependant, dans les «maquis» de l’Avenue Kwame
Nkrumah, le souvenir était encore vivace des moments qui
avaient secoué le pays quelques mois plus tôt.

Blaise avait oublié cet épisode de la crise et continuait à boire


son champagne. La mémoire ne garde que très rarement les
souvenirs douloureux. Le champagne produisant son effet
euphorique, Blaise Compaoré ne voyait point poindre à
l’horizon, les nuages qui s’accumulaient. Le danger ne pouvait
venir de son opposition officielle : cette dernière était
ankylosée. Les mauvais esprits avaient reproché à Blaise
Compaoré d’avoir suscité une concurrence artificielle par la
mise en selle de candidatures factices lors de l’élection de

– 77 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

novembre 2010. Seuls le regretté Hama Arba Diallo semblait


faire bonne figure mais aucun de ces candidats de l’opposition
n’avait réussi à franchir la barre des 10% de voix. Lors des
mutineries, un des députés de l’opposition avait réclamé la
démission du locataire du palais de Kossyam, lui reprochant le
fait de ne plus être en mesure de gérer la situation. Si
l’opposition était parfaitement dans son rôle dans cette
surenchère, reconnaissons-lui au moins d’avoir raison sur une
chose : le capitaine Blaise n’est plus ce chef idéalisé de l’armée
à la fin de cette première décennie du millénaire. Les divers
changements au sein de l’État-major, les audiences répétitives
avec les soldats rebelles et les multiples promesses ne lui
avaient pas permis de recouvrer son aura, ni de conjurer les
mutineries.

Depuis son accession au pouvoir, Blaise avait su contenir son


opposition. Il faut dire qu’il a été beaucoup servi par les
fractionnements récurrents des partis et la division qui régnait
au sein de cette opposition. Les mouvements de transhumance
entre le pouvoir et l’opposition étaient si fréquents que l’on
faisait le procès à certains dirigeants politiques de créer des
partis pour monnayer leur soutien à Blaise Compaoré. Une
partie de cette opposition avait aussi été discréditée aux yeux
de l’opinion publique, du fait qu’elle se serait laissée corrompre
par le régime. Avec cette opposition presque anesthésiée, Blaise
Compaoré était certain de n’avoir aucun adversaire sérieux à
la conquête de Kossyam.

Depuis fort longtemps, il caressait l’idée de modifier, une fois


encore, l’article 37 de la Constitution qui lui ôtait le plaisir de
se voir avec les attributs d’un monarque. Sa « République » ne
se portait pas mal. Adoptée le 2 juin 1991, la Constitution a vu

– 78 –
L’HOMME DU CONSENSUS

sa texture se modifier au fil des ans avec la montée en puissance


du pouvoir exécutif. Toute démocratie porte virtuellement en
elle des germes de césarisme. Il suffit de savoir les développer
pour faire d’un Président de la République une sorte de
monarque assis sur un trône indéboulonnable. À cet exercice,
Blaise avait la main verte. Il savait comment faire germer les
graines, comment entretenir les jeunes pousses, comment faire
fleurir les plants et comment cueillir les fruits mûrs et si
délicieux du césarisme. En Afrique, où le présidentialisme a été
adopté sans critique dès les premières années des
indépendances, se sont développées ce que les spécialistes de
la science politique ont nommé «les démocraties
d’autorisation» où, par l’effet des plébiscites enregistrés dans
les élections, le Président reçoit un blanc-seing qui lui permet
de diriger à sa guise. Le Burkina Faso avait fait exception
pendant la révolution où l’instance dirigeante était le CNR.
Mais, subtilement, Blaise Compaoré avait ramené le pays à la
normalité des républiques tropicalisées. Dans les sociétés où
les structures traditionnelles sont très prégnantes, il existe
toujours ce que Proudhon appelait une «fringale de la
monarchie». Il restait à l’exploiter. À ce jeu, Blaise était un as.

Mais il y avait toujours et encore dans les esprits cette satanée


«Affaire Norbert Zongo». En signe d’apaisement face aux
manifestations qui s’étendaient sur l’ensemble du territoire, le
Président Compaoré avait accepté l’introduction dans le texte
constitutionnel d’une clause limitative des mandats
présidentiels. Si cette clause n’avait pas existé, le champagne
aurait été encore meilleur.

En prenant sa coupe cette nuit du 31 décembre 2013, celui qui


se faisait surnommer «Ravaillac», par ses camarades de lycée,

– 79 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

du nom de l’assassin du Roi Henri IV, avait d’autres raisons de


ne pas bouder son plaisir. Son aura s’étendait au-delà des
frontières du Burkina. Blaise avait été le médiateur dans la crise
ivoirienne. Il avait réussi à faire accepter à Laurent Gbagbo,
Alassane Dramane Ouattara, Guillaume Soro et Henri Konan
Bédié, les fameux Accords de Ouagadougou. Blaise « Le
Magnifique», comme on disait jadis de ces souverains au règne
paisible, avait été appelé à la rescousse pour dénouer les fils
d’une crise guinéenne qui risquait d’enflammer la sous-région.
La crise malienne avait été pour lui une occasion
supplémentaire de s’illustrer. Il était l’interlocuteur des
mouvements rebelles du Nord Mali qu’il avait réussi à
convaincre de s’asseoir à la table de négociations à
Ouagadougou. Le locataire de Kossyam, dit-on, entretenait
avec certains groupes rebelles, des rapports anciens et étroits.

Ce soir du 31 décembre 2013, Blaise Compaoré aurait pu


soulever sa coupe de champagne en hommage à sa bonne
fortune. Et que n’aurait-il pas eu raison ! Si les augures
n’étaient pas des meilleurs, il pouvait cependant envisager un
tour de passe-passe pour poursuivre, plus que de raison, son
séjour au palais. On n’en construit pas un si luxueux, pour
l’abandonner aussitôt.

Craint dans son propre pays, Blaise Compaoré suscitait la


méfiance de certains de ses pairs africains qui voyaient sa main
dans toutes les crises qui ont secoué la sous-région. Certaines
organisations de défense des droits de l’homme en étaient
venues à considérer le Burkina comme un nid d’espions et un
sanctuaire de la subversion.

En ce début d’année 2014, les gesticulations des courtisans du


Président en faveur de la suppression de la clause limitative des

– 80 –
L’HOMME DU CONSENSUS

mandats présidentiels de cet article 37 de la Loi fondamentale


se firent plus insistantes. L’argumentaire était puisé dans ce
portrait idyllique que la communauté internationale avait fait
du « Beau Blaise » : pourquoi le Burkina, au nom du respect
d’un principe absurde, devrait-il se défaire des services d’un
homme que la communauté internationale lui dispute ?
Quelques idéologues du CDP avaient jeté des ballons de sonde.
Il fallait acclimater dans l’opinion publique l’idée d’une
révision constitutionnelle. Une grande majorité aussi bien de
l’opinion publique que de la majorité présidentielle, rejetait
cette révision. En effet, elle percevait la volonté du parti au
pouvoir de modifier l’article 37 pour permettre au Président
d’être candidat aux prochaines élections.

Suite aux dérives qui venaient de la présidence, les


interpellations incitant Roch Kaboré à quitter le CDP n’avaient
cessé de se multiplier. Plusieurs de ses proches le lui avaient
conseillé. Il avait un jour répondu à son cousin Amado Kaboré
qui avait évoqué le sujet avec lui qu’il fallait savoir attendre le
moment opportun. Sur cette question, il faut revenir au regretté
Norbert Zongo. Le journaliste avait un don exceptionnel de la
prémonition. C’est lui qui avait dans un article demandé à Roch
Kaboré de se séparer de Blaise Compaoré pour assumer son
destin politique. Comme s’il avait la capacité de lire les augures
dans le ciel étoilé du Burkina, il avait prédit que les
contradictions majeures du CDP viendraient de ses propres
rangs. Blaise Compaoré tenait tout cela pour des chimères. Il
avait répondu à un de ses proches qui lui avait fait part des
rumeurs qui circulaient dans les quartiers de la Patte d’Oie ou
de Pissy, évoquant l’éventualité de la création d’un parti par
ses camarades : «Ils n’oseront pas». Mais les bruits circulaient
et se faisaient plus persistants. Blaise Compaoré pensait en son

– 81 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

for intérieur qu’il pourrait toujours ramener Roch Kaboré à ses


côtés. Dans sa fourberie, il savait que rien n’est plus facile que
de tromper un homme de bonne foi. Celui qui ne ment pas est
porté à croire à ce qu’on lui dit. Mais Roch en savait assez sur
l’homme et ses manières de faire pour ne pas accorder une once
de crédibilité à ses dires. « Chat échaudé craint l’eau froide »
dit l’adage. Dégustant son champagne, le Président pensait et
repensait à son plan pour le convaincre à nouveau de revenir
au CDP.

Le 4 janvier, Roch Marc Christian Kaboré, Simon Compaoré


et Salif Diallo sur la base des différends annonçaient leur
démission du CDP et leur décision de créer un nouveau parti.
De nombreux signataires, membres du bureau politique
national du CDP, avaient manifesté leur adhésion à ce projet.
A l’issue de nombreuses réunions, d’entretiens et d’échanges
constructifs entre Roch, Salif et Simon, ils se sont accordés sur
un fait : Roch Kaboré serait le président du parti.

Roch Kaboré (au centre) en tribune avec Salif Diallo (à gauche) et Simon Compaoré (à droite)
respectivement 1er et 2ème vice-président du MPP

– 82 –
L’HOMME DU CONSENSUS

Trois semaines après leur démission du CDP, ils ont créé, le 25


janvier 2014 à Ouagadougou le Mouvement du Peuple pour le
Progrès (MPP) au cours d’une assemblée générale constitutive
de 115 membres. La direction a été confiée à Roch Kaboré qui
est à la tête d’un bureau exécutif national de 59 membres. Les
conclusions de cette assemblée générale constitutive ont mis
l’accent sur la gouvernance du régime en place, caractérisée
par la prévarication, la corruption, la mise sous coupe réglée
de l’économie nationale par un clan et la monarchisation du
pouvoir.

Le premier congrès du MPP eut lieu le 5 avril 2014 à


Ouagadougou. Plus de trois mille délégués, venus de toutes les
régions du pays y ont participé. Le congrès avait aussi
enregistré l’adhésion à la nouvelle formation politique de huit
autres partis politiques et de centaines de sympathisants venus
de divers horizons. Le stade municipal de Ouagadougou qui
avait accueilli la séance de clôture de cet événement avait
refusé du monde. L’option pour une orientation sociale-
démocrate fut réaffirmée par Salif Diallo, premier
vice-président, chargé de l’orientation politique du MPP. Au
terme de cette manifestation, Roch Kaboré avait dit : « Le
combat que nous avons engagé depuis le 4 janvier 2014 ne
s’arrêtera que lorsque nous aurons participé aux élections en
2015 et que nous les aurons remportées sans faille ».

Les dés étaient jetés et la voie, ainsi ouverte vers l’alternance


démocratique au Burkina Faso, le pays des hommes intègres.

***

– 83 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

CHAPITRE IX

« Harmattan noir » ou « Automne africain »

Ce n’est pas seulement au Burkina que les journées


tumultueuses des 30 et 31 octobre 2014 ont eu un
retentissement extraordinaire. C’est toute l’Afrique qui a été
ébranlée par ce déferlement de la jeunesse qui a eu raison de
l’intransigeance de Blaise Compaoré. Ironie du sort : c’est aux
cris de « La Patrie ou la mort » que la jeunesse du Burkina,
torse nu, les mains en l’air, a bouté hors des frontières du pays,
le Président qui entamait une vingt-septième année au pouvoir.
L’histoire est cocasse. C’est comme si elle offrait à Thomas
Sankara une revanche posthume sur celui à qui l’on prête la
responsabilité d’avoir été le commanditaire de son assassinat.
Ces jours des 30 et 31 octobre 2014, la population est
descendue dans la rue avec engagement et détermination pour
s’opposer à la modification de la Constitution qui devait
permettre à Blaise Compaoré de se représenter à l’élection
présidentielle. Parmi elle, la grande majorité des jeunes n’avait
connu que lui comme Chef de l’État. Ils sont, pour la plupart,
nés après la Révolution de 1983. Ils ont bravé la soldatesque
du Président Compaoré et mené une intifada à la Place de la
Révolution. Ils ont pris d’assaut l’Assemblée nationale qu’ils
ont mise à feu. La télévision nationale n’a pas échappé à leur
vindicte. Les manifestants ont brûlé les voitures des
parlementaires. Dans les grandes villes du pays, ils ont saccagé
les domiciles des dignitaires proches du Président, mis en pièce
certains immeubles (hôtels, administrations...).

– 84 –
L’HOMME DU CONSENSUS

Blaise Compoaré n’a eu d’autre issue que de s’enfuir à


l’anglaise, exfiltré du pays dit-on, par la France.

Revenons brièvement sur les causes immédiates de ces


événements. Un amendement de la Constitution, voté en 2000
sur proposition du Collège des Sages, limite le nombre de
mandats présidentiels à deux quinquennats. Même si certains
de ses adversaires estimaient que cet amendement devait être
rétroactif et s’appliquer à son mandat en cours, ce qui ne lui
laissait que la possibilité d’un second et dernier mandat, Blaise
Compaoré a pu se présenter deux fois à l’élection présidentielle
et être réélu. Il tentait de faire sauter le verrou constitutionnel
pour se présenter à l’élection de 2015 pour un mandat
supplémentaire. Cette initiative provoqua une forte protestation
de la part de l’opinion publique. La contestation trouva un écho
d’autant plus large auprès des populations que la situation
économique du pays n’était pas reluisante. La croissance était
loin d’être inclusive pour la grande majorité de la population.
Une économie de prévarication s’était développée dans le pays,
au profit d’une caste développée dans l’entourage présidentiel.

Le Burkina était en proie à des troubles graves et récurrents


depuis la révolte des militaires en 2011. Pour protester contre
l’amendement de l’article 37 de la Constitution, près d’un
million de manifestants avait défilé dans les rues de la capitale
à l’appel de l’opposition, le 28 octobre 2014. Quelques jours
auparavant, le 21 octobre, Blaise Compaoré avait annoncé son
intention de soumettre le projet de loi querellé à l’Assemblée
nationale. L’opposition et les organisations de la société civile
accusèrent le Président de vouloir tenter un «coup d’État
constitutionnel». Les syndicats appelèrent à une grève générale

– 85 –
le 29 octobre 2014, alors que l’amendement devait être débattu
à l’Assemblée nationale le lendemain. Les deux jours qui
suivirent furent marqués par des manifestations et des
affrontements avec les forces de l’ordre qui tirèrent, parfois à
balles réelles sur la foule. Au total, ces manifestations auraient
fait une trentaine de morts et des centaines de blessés selon les
organisateurs.

Il existe une sorte de fétichisme rattaché à toutes les révolutions


qui sont liées aux dates. Les événements du Burkina tiennent à
la fois d’une causalité historique et des mœurs politiques du
pays. Pour cette raison, on ne devrait pas limiter la perception
de la chute de Blaise Compaoré à ce qui s’est passé durant ces
journées. Et si l’on doit résumer les acquis d’octobre à une date
et à un chiffre, ce serait très réducteur. Le choix des dates dans
les grands événements est du reste fort arbitraire. On focalise
la grande révolution française à un événement, à un jour, la
prise de la Bastille le 14 juillet 1789. Pourtant le peuple de Paris
qui était parti à l’assaut de la Bastille ne l’avait fait que sur un
coup de tête. L’événement n’était ni programmé ni préparé.
L’assaut fut spontané. S’il faut retenir des dates importantes
dans cette révolution, celle du 20 juin où eut lieu le serment du
jeu de paume, ou encore celle du 23 juin où fut consommé le
divorce entre le roi et le peuple quand Louis XVI, prenant la
parole devant l’Assemblée constituante, cassa tous les décrets
de cette dernière. Ce qui avait fait dire à Mirabeau : « Quelle
est cette insultante dictature ? ». S’il fallait choisir la vraie date
de la révolution, ce devrait être le 23 juin 1789, le jour où la
Constituante entra en rébellion contre le roi. Tout le reste dérive
de ce jour fatidique.

– 86 –
L’HOMME DU CONSENSUS

On peut aussi se référer à la grande révolution russe. Les livres


d’histoire des classes de lycée retiennent qu’elle s’est déroulée
dans la nuit du 25 au 26 octobre 1917 du calendrier julien, ce
qui correspond aux 6 et 7 novembre du calendrier grégorien
que nous connaissons, par la prise du Palais d’hiver de
Petrograd. Pourtant, l’événement fut de peu d’importance par
rapport à tout ce qui a suivi. La vraie bataille fut celle de
Moscou qui dura six jours, du 28 octobre au 2 novembre. Le
25 octobre, il n’y a eu qu’au plus six morts et beuverie quand
les caves du Palais d’Hiver ont été pillées. Lénine a dû faire
tirer les canons d’un cuirassé dans les eaux de la Néva pour
donner l’impression que quelque chose se passait. Les magasins
étaient ouverts, les tramways circulaient, Petrograd menait son
train-train ordinaire.

Fermons la parenthèse pour dire que ces événements survenus


au Burkina ont eu un écho retentissant un peu partout à travers
le monde. Certains commentateurs, peut-être un peu trop
empressés de donner une caractérisation à ce qui se passait à
Ouagadougou, Bobo-Dioulasso, Koudougou ou Ouahigouya,
se sont mis à l’appeler « l’Harmattan noir » ou «l’Automne
africain» en comparaison au « Printemps arabe ». Il est possible
de s’interroger sur la pertinence de cette analogie. Dire que les
événements du Burkina ne sont que le résultat de l’effet domino
des «printemps arabes» serait tout aussi réducteur. Ce serait
ôter aux Burkinabé cette part d’initiative historique qui a été
au cœur des manifestations qui ont entraîné la chute de Blaise
Compaoré. Par ailleurs, les sociétés où se sont produits ces
« printemps arabes », en l’occurrence, celles tunisienne ou
égyptienne, étaient relativement immobiles. Elles n’avaient
jamais connu de troubles sociaux ou des contestations

– 87 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

populaires violentes même si une opposition y existait


légalement. Ce qui n’est pas le cas du Burkina. Les événements
des 30 et 31 octobre ont été précédés par de fréquentes
éruptions de la colère populaire. Du reste, le dynamisme de la
société civile et des syndicats, auxquels les pouvoirs en place
se sont toujours confrontés, ne se retrouvent ni en Égypte ni en
Tunisie. S’il fallait établir une taxinomie des révoltes populaires
qui ont secoué le monde ces dernières années, celles du Burkina
seraient à classer dans la même case que la contestation
populaire qui s’est produite au Sénégal, le 23 juin 2011 quand
le Président Abdoulaye Wade a voulu modifier la constitution
pour imposer à l’élection présidentielle, un ticket composé d’un
Président et d’un Vice-président. Dans les deux cas, on retrouve
à peu près les mêmes acteurs. Il s’agit notamment des groupes
de rappeurs, là-bas le mouvement «Y en a marre», ici le «balai
citoyen», les organisations de la société civile et les partis
politiques de l’opposition. Même dans ce cas, la similarité est
loin d’être parfaite. Les Sénégalais se sont arrêtés au retrait du
projet de loi visant à modifier la Constitution. Ils ont attendu
l’élection présidentielle de 2012 pour montrer au président
Abdoulaye Wade la porte de sortie. Les Burkinabé ont poussé
la logique de la mobilisation jusqu’au départ du Président.
Comme le souligne Roch Kaboré, l’issue de ces événements a
dépassé toute attente. « Les gens sont descendus dans la rue
pour empêcher la modification de l’article 37 de la
Constitution, mais les moyens qu’ils s’étaient donnés ont eu
comme résultat la chute du régime ».

Dès le lendemain de la chute de Blaise, la vie a repris son cours


normal. Dans les rues de Ouaga, Bobo ou Koudougou, c’est le
ballet infernal des motocyclettes sur les pavés qui reprend. Les

– 88 –
L’HOMME DU CONSENSUS

maquis ont rouvert leurs portes. Les services ont fonctionné


normalement. La Radiotélévision du Burkina qui avait été
saccagée a repris du service. Cette normalité apparente cache
la difficulté, voire l’impossibilité pour certaines entreprises, qui
ont essuyé la colère des manifestants, de reprendre leurs
activités. Des milliers d’employés sont mis au chômage.

Mais ces événements ont laissé un impact incommensurable


dans les esprits. A Ouagadougou où l’annonce de la fuite du
Président Blaise Compaoré avait été accueillie par une
avalanche de coups de klaxons et par des cris de joie, l’on reste
encore abasourdi par la tournure des événements. C’est qu’il
existe une sorte d’indétermination qui plane sur ces journées.
Une indétermination qui transparaît dans l’impossibilité de
nommer ce qui s’est passé. Alors que certains parlent d’une
insurrection, d’autres parlent d’une révolution. Les deux
caractérisations n’ont pas la même valeur. Dans sa définition
classique, l’insurrection peut entraîner la chute d’un
pouvoir tandis que la révolution, même si elle passe
nécessairement par une phase insurrectionnelle, est bien plus
radicale. Elle est synonyme d’un brusque et profond
changement d’ordre institutionnel, économique et moral qui se
produit dans une société.

Certains médias occidentaux, avides d’exotisme, se sont


empressés d’attribuer l’affaissement du régime de Compaoré à
des groupes de jeunes activistes dont les protestations fusaient
en marge des canaux institutionnels. Il est vrai que le «Balai
citoyen» a donné sens à la mobilisation des jeunes. Ses
membres ont été au-devant des manifestants. Ce mouvement
s’est opposé, dès sa naissance, à la modification de l’article 37

– 89 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

de la Constitution. Ses protestations enveloppaient ce refus de


la modification constitutionnelle par un ensemble d’autres
revendications contre la mise en place d’un Sénat, contre la vie
chère, le chômage des jeunes, l’augmentation du prix du gaz,
les coupures d’électricité, etc. Ce que voulait le Balai citoyen,
c’était balayer Blaise Compaoré du pouvoir d’où le
détournement volontaire des initiales du nom du Président du
Faso (BC) pour nommer leur mouvement. Auprès de la
jeunesse urbaine du Burkina, ce mouvement a connu un franc
succès et sa mobilisation a été déterminante dans la conduite
des événements. Cependant, le radicalisme du Balai Citoyen
n’allait pas au-delà de cet objectif même si on pouvait voir,
dans le creux de leurs revendications, une orientation
programmatique. Ce sont ces jeunes du Balai Citoyen qui ont
le plus évoqué la notion de révolution, un terme qu’il faut
entendre avec un certain relativisme parce qu’il figure en bonne
place dans leur lexique quotidien.

Il est vrai que lorsque le moment d’accomplir un changement,


devenu nécessaire dans une formation sociale est arrivé, rien
ne peut l’empêcher et tout a tendance à y concourir. Aussi, doit-
on reconnaître à chacun des protagonistes de la contestation
contre le régime de Blaise Compaoré, sa part de contribution
dans le changement intervenu dans le pays. L’opinion
internationale s’est souvent étonnée de la cécité de Blaise
Compaoré qui voulait faire passer par la force son projet de
modification de la Constitution. Son erreur fut de fournir à ses
adversaires les éléments constitutifs d’un mouvement social
homogène. Le premier est le point de fixation d’une
contestation populaire, en l’occurrence la modification de
l’article 37 de la Constitution. Le second élément est relatif à
son entêtement à vouloir faire passer le projet par un vote des

– 90 –
Une marche marche de l’opposition. Ici à la place de la Révolution.

Mouvement de foule : les leaders de l’opposition lors d’une manifestation. On reconnaît quelques
figures politiques burkinabè : Etienne Traoré, Saran Sérémé, Smockey, Roch, Zéphirin et d’autres...
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

parlementaires, ce qui a engendré une cristallisation unanime


de la contestation sur l’institution, provoquant le surgissement
dans le tissu social d’une volonté d’agir ensemble, d’une forte
intentionnalité en vue de contrecarrer ce projet.

L’un des facteurs décisifs de la réussite des manifestations des


30 et 31 octobre, réside dans le fait que sa formation politique
a été notablement affaiblie par la démission de ces camarades
de la première heure. En décidant de quitter le CDP pour laisser
aux commandes de ce parti des novices que manipulait le frère
du Président, ils ont ôté à Blaise Compaoré sa légitimité
historique. Non seulement en perdant ces hommes, il perdait
sa caution de gauche mais en plus, il ne disposait plus des
stratèges qui lui avaient permis de maintenir le cap lors des
différentes crises que le pays a connues dans le passé.

Quelques temps avant le départ du pouvoir de Blaise, Roch


Kaboré disait : « Le vent du printemps arabe a soufflé et
emporté des régimes dont la stabilité semblait garantie. Ces
soulèvements populaires spontanés, s’ils expriment les
aspirations des peuples à la liberté, à la démocratie et au
progrès social, n’en engendrent pas moins des paradoxes
sociaux, culturels et institutionnels qui indiquent la complexité
de l’évolution sociale et économique actuelles dans le monde».
Il convient aujourd’hui, ajoutait-il, de s’interroger sur la
trajectoire de ces soulèvements, leurs ressorts et leurs
perspectives. C’est là tout un programme.

– 92 –
2èME PARTIE

lA VISION dE ROCH MARC


CHRISTIAN KABORE
LA VISION DE ROCH KABORÉ

CHAPITRE X

liberté, démocratie et prospérité :


le triptyque d’une vision

La société burkinabé se trouve à un point de bascule. La


métaphore est empruntée à l’épidémiologie, science du
domaine de la médecine, qui définit la notion de point de
bascule comme le moment dans le temps où une petite mutation
provoque un changement majeur dans l’évolution d’une
situation épidémiologique. Appliquée au plan social, la
métaphore, sans exagérer la connotation négative liée à son
origine scientifique, décrit bien le contexte qui est aujourd’hui
celui du Burkina. Plus prosaïquement, on aurait pu dire que le
Burkina se trouve à un tournant de son histoire. Mais la
formule, si usitée, ne rendrait pas compte de la charge
dramatique des récents événements qui se sont déroulés dans
le pays et des enjeux décisifs du moment. Le Burkina vient de
traverser une crise profonde. Le pays est en train de vivre une
transition ouverte par la révolution citoyenne des journées
d’octobre 2014. Où va-t-elle mener ? Comment construire un
Burkina meilleur ? C’est une question à laquelle les Burkinabé
doivent aujourd’hui répondre. Il est évident que ces
interrogations cruciales sur le devenir du Burkina ne peuvent
être satisfaites par des réponses à la normande ou par
l’énonciation de simples maximes tirées de quelque «prêt-à-
penser». Il faut des solutions pragmatiques, des programmes
opérationnels, un savoir-faire éprouvé et une volonté politique
claire pour venir à bout de l’angoisse existentielle qui habite
aujourd’hui la grande majorité des Burkinabé. Il ne s’agit pas
d’aller à la recherche d’un homme providentiel qui serait

– 97 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

capable, par quelques coups de baguette magique, de hisser le


Burkina au stade de l’émergence. Cet homme n’existe pas. Et
comme l’a dit Barack Obama : « L’Afrique n’a pas besoin
d’homme fort mais d’institutions fortes ». La solution ne se
trouve pas non plus dans le refuge à l’abri de formules d’un
passéisme nostalgique, impropres à l’aube d’un 21e siècle,
marqué par la mondialisation, et inopérantes au regard de la
vitesse des mutations sociales induites par les nouvelles
technologies. Certes, les pratiques vertueuses du passé doivent
être une source d’inspiration pour l’élaboration de solutions
inédites face aux problèmes nouveaux que rencontre la société
burkinabé. L’entreprise de rééducation que suppose le retour à
un homme burkinabé intègre et soucieux du bien commun,
nécessite la participation de tous. Il faut donc une vision. Oui !
Mais une vision partagée reposant sur un consensus. C’est tout
au moins la perception qui ressort du programme de Roch Marc
Christian Kaboré.

Cependant, avant tout, il est nécessaire de faire un bon


diagnostic de la situation dans laquelle se trouve la société
burkinabé. Cette question du bon diagnostic, loin d’être
accessoire ou théorique, est essentielle. Si les Burkinabé
parviennent à sortir de la confusion actuelle, s’ils parviennent
à ce que ce double diagnostic sur la gravité et sur la vraie nature
de la crise soit partagé par le plus grand nombre, alors il sera
facile de construire un consensus assez large et assez rapide
autour des solutions. C’est pour cette raison qu’il est
fondamental de reconstruire cette cohésion sociale qui s’est
lentement mais inéluctablement effritée au fil des années. Face
à cette crise globale, les Burkinabé doivent apporter une
réponse globale. Dans l’optique de Roch Kaboré, si ce sont des
décisions politiques qui nous ont amenés à la crise, d’autres
décisions politiques peuvent nous en sortir.

– 98 –
LA VISION DE ROCH KABORÉ

La capitalisation des expériences acquises au cours d’une riche


carrière professionnelle et d’un long parcours politique ont fait
naître chez lui, la conviction que les problèmes que vivent les
Burkinabé ne sont ni une fatalité ni des écueils insurmontables.
Le peuple burkinabé a toujours administré la preuve de sa
grande capacité de résilience face aux défis qui se sont dressés
sur son chemin, dans la recherche de son bien-être et de l’équité
sociale. Les événements des 30 et 31 octobre sont l’éloquent
témoignage d’une prise de conscience des Burkinabé quant à
la nécessité de prendre en main leur propre avenir. De par le
monde, les peuples, qui ont su surmonter les obstacles vers leur
développement social et économique, ont su se mobiliser et
s’organiser autour de programmes de développement
audacieux. Le challenge est donc aujourd’hui d’impulser une
telle dynamique au Burkina, à travers un programme audacieux
mais réaliste.

Quatre certitudes et une espérance


Pour Roch Kaboré, l’évidence que le peuple peut réussir ce
challenge d’un Burkina nouveau, démocratique et juste se
fonde sur quatre certitudes et une espérance.

La première certitude est la conviction qu’un peuple qui est


sorti victorieux de la lutte contre la dictature d’une dynastie, a
suffisamment manifesté sa volonté de s’impliquer davantage
dans la conduite de sa destinée. Les péripéties de la lutte contre
un régime tyrannique et néo-patrimonial ont été les ferments
d’une prise de conscience du peuple, à la fois de ses droits et
de sa force. C’est une constatation que la lutte forge l’âme des
peuples. Elle leur permet d’acquérir une réelle conscience de

– 99 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

son moi, cette conscience de soi collective dont parlait Lukacs,


qui est la condition subjective indispensable à la réussite d’une
révolution. Aujourd’hui, le peuple a acquis cette maturité dans
la lutte, ce qui signifie que plus rien ne sera comme avant. Le
peuple a manifesté sa volonté de prendre en main son destin.
Aucun projet politique ne saurait désormais faire l’économie
de cette donne. Il convient de l’intégrer dans la perception de
l’avenir. Il convient aujourd’hui de voir quelles sont les
meilleures modalités politiques et institutionnelles pour donner
corps à cette aspiration démocratique. Il s’agit de voir comment
faire fructifier cette noble inclination sur les terres du Burkina.
Comment faire pour que les fruits aient la promesse des fleurs ?
C’est là une question fondamentale qui interpelle les politiques
sur leurs pratiques et sur la configuration du système
institutionnel.

La deuxième certitude est la foi en une jeunesse, dans sa


détermination à affronter sur tous les chantiers, les défis du
développement. «Il faut rendre à César ce qui appartient à
César». Si tous les acteurs, épris de liberté et de justice sociale,
ont participé à la chute de l’ancien régime, la palme revient
incontestablement à la jeunesse qui a prouvé à cette occasion,
sa détermination sans faille pour le respect de la Constitution.
L’analyse de la situation nous commande de ne pas nous arrêter
en si bon chemin. Une double intentionnalité ressort de
l’insurrection qui s’est produite dans les rues de Ouagadougou
et des autres villes du pays durant ces journées. Non seulement
la jeunesse a montré sa volonté de lutter contre l’oppression et
l’inégalité sociale, mais en plus elle a étalé à la face du monde,
sa détermination à prendre en charge les défis qui s’imposent à
elle. Il est inscrit en filigrane dans l’histoire de ces journées
mémorables, que ces jeunes qui ont fait tomber le régime de

– 100 –
LA VISION DE ROCH KABORÉ

Blaise Compaoré, ont manifesté, par le même mouvement, leur


volonté de participer de façon plus active au développement du
pays. Il est indéniable qu’ils ne seront plus les spectateurs
passifs de la mise en œuvre des politiques et programmes les
concernant et déterminant l’avenir de leur pays. Dans des
démarches inclusives à initier, il faudra désormais les associer,
de la conception à la réalisation des politiques publiques.

La troisième certitude réside dans la démonstration que les


femmes du Burkina peuvent faire preuve de potentialités
insoupçonnées et d’une très grande imagination quand elles
sont mises en confiance. Les femmes n’ont point été en reste
dans cette révolution. À cet égard, il leur est dû la
reconnaissance qu’elles méritent. Cependant, il faut reconnaître
qu’elles n’ont pas attendu ces journées révolutionnaires pour
faire état de leur courage et de leur générosité. Aux femmes, il
ne faut pas des situations d’exception pour qu’elles fassent la
preuve de leur capacité d’initiatives. Elles le font pendant tous
les jours de l’année, à chaque heure, à chaque minute de leur
vie. On dit des femmes qu’elles portent la moitié du ciel sur
leurs épaules. Des femmes africaines et en particulier du
Burkina, il faudrait dire qu’elles ont la moitié du ciel et un quart
sur leurs épaules, tant elles témoignent d’une énergie
débordante dans les corvées domestiques, dans les activités
génératrices de revenus, dans le maintien de la cohésion
familiale. Réciproquement, elles doivent donc bénéficier d’une
attention particulière.

La quatrième et dernière certitude réside dans la confiance


de pouvoir, en tous lieux et en tous temps, bénéficier du
précieux accompagnement de tous les anciens et de leur très
riche expérience. À bien des occasions, la société burkinabé a

– 101 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

eu recours à la sagesse des anciens pour dénouer des situations


alambiquées. Il faut donc toujours savoir leur tendre une oreille
attentive. Dans la conception et la formulation des politiques
publiques, il serait vain de vouloir se passer de leurs judicieux
conseils. Il n’est pas nécessaire de rappeler la fonction
essentielle que jouent les anciens et les autorités coutumières
et religieuses dans les sociétés africaines. La question doit être
aujourd’hui de savoir comment faire de telle sorte que nos
institutions soient en conformité avec nos mœurs et nos
traditions, afin que la sagesse des anciens puisse servir à la
vitalité du processus démocratique. Dans la recherche de
mécanismes d’inclusion de tous les acteurs aux efforts pour le
développement du pays, les anciens ne doivent ni ne peuvent
être en reste. Leur très précieuse contribution doit être mise à
profit dans la confiance et la transparence.

C’est fort de ces certitudes que Roch Marc Christian Kaboré a


l’espérance que le peuple burkinabé est aujourd’hui, plus que
jamais, dans les dispositions pour bâtir de ses mains, les
fondements matériels d’une société prospère dans la liberté et
la démocratie. Prospérité, liberté et démocratie forment le
triptyque qui structure sa vision pour un Burkina nouveau, en
conformité avec la conception de la social-démocratie dont il
se réclame. Cela veut dire que la démocratie ne saurait être
réduite, comme elle l’a été dans le précédent régime, à un pur
formalisme institutionnel, imprimé sur une société
fondamentalement inégalitaire et injuste. Cela signifie aussi que
la liberté d’expression ne doit faire l’objet d’aucune restriction
juridique ou pratique. Tout le monde a le droit de formuler ses
opinions dans la mesure du respect de l’objectivité des faits.
Comme le dit la citation apocryphe, attribuée à Voltaire : « Je
ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai

– 102 –
LA VISION DE ROCH KABORÉ

jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire ». Il ne


sera pas question de faire pendre une épée de Damoclès sur la
tête des journalistes et des hommes politiques, comme cela a
été le cas par le passé.

Mieux encore, pour bâtir une société réellement prospère, il


faut être juste. La démocratie implique l’égalisation des
conditions. Une société ne saurait être démocratique si tous les
individus qui la composent ne sont pas socialement égaux.
Cette égalité sociale, chère à Roch Kaboré, signifie qu’il ne
devrait y avoir dans la société burkinabé, de privilèges ou de
différences de conditions fondées sur des critères héréditaires,
ethniques ou géographiques. Toutes les occupations, toutes les
conditions, toutes les professions, toutes les dignités devraient
être accessibles à tous.

Dans sa conception social-démocrate, il faut restituer la vraie


souveraineté au peuple. À ce peuple du Burkina qui a
vaillamment réclamé la démocratie dans les rues de
Ouagadougou, il faut redonner ses pleines prérogatives dans le
choix des gouvernants et l’associer activement à l’exercice de
l’autorité par une démarche participative. Seule une société de
cette nature, où ni les femmes, ni les jeunes, ni les anciens, ni
les handicapés, ni les plus vulnérables ne sont exclus, seule une
telle société peut garantir la prospérité. L’inclusion du plus
grand nombre possible dans la gestion des affaires de la cité est
une condition sine qua non dans la recherche de la prospérité
pour tous.

C’est sur cette conviction, que tous les Burkinabé, de quelque


condition qu’ils soient, participeront à l’œuvre de réhabilitation
nationale, que Roch Marc Christian Kaboré fonde son
espérance. Si tout le monde met la main à la pâte, le Burkina

– 103 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

qui sortira de ce modelage ne sera que meilleur. C’est un


véritable pari qu’il fait sur la disponibilité et les capacités du
peuple à accomplir la grande œuvre du développement.

Quatre urgences
Si l’on pose un regard objectif sur les conditions de vie des
populations du Burkina, le constat est vite établi. Les problèmes
qui assaillent les Burkinabé au quotidien sont de plusieurs
ordres. Il convient, à cet égard, de spécifier quatre urgences.

La première concerne la cherté de la vie, liée à la forte


dépendance du pays, des produits importés et à la cupidité de
quelques acteurs détenteurs de monopoles qui font de la
surenchère sur certains produits de base. Cette cherté de la vie
se manifeste également dans les difficultés d’accès aux services
sociaux de base, comme la santé, l’éducation, la protection et
la promotion sociales, ainsi que toutes les servitudes destinées
à assurer la formation d’un capital humain de qualité. Malgré
les différents engagements pris de par le passé, ces services
essentiels sont hors de portée pour de nombreux ménages.
L’accès à l’eau potable, à l’électricité et aux infrastructures
sociales demeure un mirage pour quatre Burkinabé sur cinq,
soit parce qu’ils habitent des zones dépourvues de ces services,
soit parce que ces services sont en état de décrépitude avancée
ou hors de leur portée. L’accès à un logement décent constitue
également un souci majeur des ménages en raison de la
spéculation foncière qui a cours depuis quelques années.

Pour lutter contre cette cherté de la vie, il est nécessaire de se


doter d’institutions mieux ancrées dans les réalités du vécu,
d’une administration plus proche des populations et de

– 104 –
LA VISION DE ROCH KABORÉ

programmes intégrant les aspirations exprimées à la base. Entre


l’État et la société, il est impérieux d’opérer un resserrement
par le biais de la décentralisation et d’une meilleure
représentation des populations au sein des assemblées électives
et dans les instances de décision. L’État, emmuré dans son
palais de marbre, qui regardait de haut les masses populaires,
doit disparaître à jamais.

La deuxième urgence est relative aux difficultés d’accès à un


emploi décent et à un revenu convenable pour la grande
majorité de la population. Les données statistiques montrent
que près d’un jeune de 15 à 24 ans sur quatre est au chômage
d’une durée moyenne de 4 ans, et environ les trois quarts
d’entre eux sont des chômeurs de longue durée. La sécurité au
travail est très précaire tandis que les inégalités sociales en
matière de revenus, sont très larges. Ces difficultés et ces
disparités dans l’accès aux ressources créent un sentiment
d’injustice diffus dans la société burkinabé, qu’il est impératif
de corriger dans les meilleurs délais, dans le but de mobiliser
la totalité du capital humain disponible en vue du
développement économique et social du pays. Aujourd’hui, une
politique en faveur de l’emploi ne saurait être contenue dans le
domaine exigu de l’emploi salarié. Il faut parvenir à une
émancipation matérielle des populations en âge d’avoir une
activité rémunératrice. Ceci commande la mise en place d’une
logique proactive en vue de l’émergence chez les jeunes et les
femmes de la fibre entrepreneuriale. L’éducation, le haut niveau
de qualification, la diffusion des connaissances, la protection
de l’environnement constituent des prérequis pour réaliser cette
émancipation. La première richesse du pays est sa population
jeune. Il faut mettre en place des dispositions idoines pour
valoriser les ressources naturelles du pays et concourir par ce

– 105 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

fait à la mise en place d’un système productif performant dans


lequel ces jeunes pourront s’insérer. Dans la réalisation de cet
objectif, le développement de l’entrepreneuriat et la mise en
place de stratégies industrielles misant sur un maillage du pays
par des petites et moyennes industries, constituent une étape
essentielle vers la création de richesses et d’emplois. La jeune
génération, en plus de la bataille pour la démocratie, est en droit
de réclamer un Burkina prospère pour tous, où elle pourra
trouver des conditions de vie décentes. C’est une revendication
légitime qu’il est urgent de satisfaire.

La troisième urgence est de remédier à la dégradation


progressive de la qualité des services publics. Dans les
hôpitaux, dans les écoles en passant par les services
administratifs, cette dépréciation est partout présente. Elle a
pour conséquences néfastes d’accentuer la résignation de
populations les plus démunies et de fortement dévaloriser
l’image de l’État. Elle est consécutive à l’absence d’une culture
d’évaluation, devant récompenser les mérites et sanctionner les
fautes. Au Burkina, à l’instar des autres pays africains, le
système de santé est loin de pouvoir couvrir de manière
correcte le territoire national. Entre les villes et les campagnes,
il existe des disparités criardes dans la disponibilité des services
de soins de santé. Dans les endroits où existent des structures
sanitaires, la carence en médicaments, en personnels qualifiés,
le manque d’entretien des locaux et la vétusté des équipements
sont autant de facteurs qui rendent inefficient le système
sanitaire.

Ces maux ne sont pas propres au secteur de la santé. Tous les


services connaissent la même situation. La situation s’est
aggravée avec les différents plans d’ajustement qu’a connu le

– 106 –
L’HOMME DU CONSENSUS

Burkina. Ils ont opéré des coupes sombres dans les dépenses
réservées aux secteurs sociaux. L’approche néolibérale, qui
consistait à faire des dépenses sociales et des personnels des
secteurs de la santé ou de l’éducation, les seules variables
d’ajustement, au lieu d’être une solution, n’a fait qu’aggraver
une situation sociale déjà peu reluisante. Le Burkina n’a pas
échappé à cette règle. Les populations ont subi durement les
contrecoups de cette thérapie dictée par les institutions
internationales. C’est ce tir qu’il faut inverser en faisant de la
fourniture des infrastructures et services sociaux, un levier pour
palier à la crise. Les déficits structurels de personnels dans les
services de la santé ou de l’éducation sont inexplicables quand
des milliers de diplômés désœuvrés arpentent les rues des
grandes villes.

Dans ce domaine, il s’agit pour l’État de fournir des efforts en


accordant des parts plus substantielles aux secteurs sociaux
dans le budget et en faisant appel au secteur privé pour
l’investissement dans la fourniture des infrastructures et
services sociaux. À travers des partenariats bien négociés avec
le secteur privé, et surtout le secteur privé national, l’État
devrait mettre en place un système de maillage de services
sociaux et de réalisations sociales pour un véritable
élargissement de l’offre en direction des populations. Dans ces
secteurs sociaux, l’action du privé doit respecter
scrupuleusement les termes des cahiers des charges établis et
contrôlés par l’État.

À l’instar des sociétés des pays en voie de développement, le


Burkina a enregistré ces dernières années, une recrudescence
de la corruption, de l’impunité, de l’incivisme, du banditisme
et de la délinquance juvénile. Ces maux gangrènent le pays et

– 107 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

obèrent la construction d’une société juste et équitable. C’est


autour de l’édification de cette société où la justice serait la
même pour tout le monde et la sécurité garantie pour tous que
se décline la quatrième urgence. La qualité d’un régime
politique peut se mesurer à la manière dont la justice est rendue
dans ses prétoires. Seul l’accomplissement des exigences de la
justice permet à l’idéal du bien commun d’être ancré dans les
mentalités. Si la justice, dans un pays, manque à ses devoirs,
c’est toute la société qui risque d’entrer dans une position de
défiance par rapport à l’État. C’est le risque d’une anomie qui
guette la société. Beaucoup de pays africains qui connaissent
des sursauts de violence ou même des guerres civiles doivent
leur situation catastrophique aux effets pervers d’une justice à
deux vitesses, sanctionnant très sévèrement une catégorie de la
population et étant trop indulgente avec l’autre. Le Burkina a
connu récemment, à travers des procès retentissants, le même
phénomène. Il en est ainsi de la sécurité. Elle doit être garantie
pour tous. Dans toutes les sociétés modernes, il existe un
rapport de proportionnalité entre le degré d’appropriation du
sentiment de citoyenneté et le niveau de sécurité publique.

Roch saluant les autorités coutumières

– 108 –
LA VISION DE ROCH KABORÉ

Moins les populations se sentent appartenir à une totalité


sociale homogène, plus elles sont enclines à prendre des
chemins de traverse, à entrer dans l’univers glauque des marges
de la société. Il faudra développer la cohésion sociale, de sorte
qu’il n’y ait point de dégradation de situations qui entraînent
un virage de certaines catégories vers les chemins de la
marginalité.

Principaux facteurs déterminants


S’il est avéré que la paupérisation croissante des populations a
pour cause principale une mal-gouvernance, caractérisée par
l’assujettissement des institutions de l’État aux intérêts de la
minorité dirigeante aux affaires, il existe d’autres facteurs
structurels qui expliquent cette dégénérescence. Il s’agit des
choix idéologiques opérés dans le passé et des modèles
économiques inappropriés appliqués à la totalité sociale
burkinabé qui ont produit de graves distorsions économiques
et sociales.

La corruption, érigée en moyen d’enrichissement rapide et


facile, a induit des effets pervers dans la société burkinabé. Les
difficultés d’accès à l’emploi ainsi que la faible rémunération,
la mauvaise gouvernance administrative, économique et
judiciaire, l’inadaptation du système éducatif au regard des
priorités du marché de l’emploi ont été des facteurs décisifs
dans la dégradation du niveau de vie des populations.
L’abandon des valeurs sociales, la dislocation de la cellule
familiale, l’effritement de la solidarité, valeur cardinale de
cohésion et de paix sociale, sont venus se sédimenter à cette
dépréciation de la vie sociale générant ainsi les vecteurs de
l’anomie dans la société burkinabé.

– 109 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

La conjugaison de ces facteurs a engendré le désespoir, la


résignation, et la débrouillardise qui empruntent des chemins
souvent aux antipodes du sens du civisme.

le changement nécessaire est possible


En dépit de cette dépréciation de la vie sociale, il faut mettre
au crédit du peuple du Burkina, cette faculté à positivement
libérer le potentiel de son génie créateur quand les conditions
ont été de mise pour un retour de la confiance en soi. C’est pour
cette raison qu’il faut croire en l’avenir. Le changement est non
seulement possible mais il est nécessaire.

Il est possible, comme le pense Roch Kaboré, parce que le


peuple du Burkina constitue un capital humain dont les valeurs
d’ardeur au travail, de probité, de justice et de solidarité, font
sa renommée. Ce capital, il suffit de le mettre en valeur, de lui
offrir les opportunités de son épanouissement. Le changement
est nécessaire parce que rien ne peut plus être comme avant. Il
est de salubrité publique de mettre en place au Burkina, les
bases d’un développement maîtrisé, fondé sur la justice sociale.

Trois principes de gouvernance


Cette assurance du leader du MPP se nourrit aux sources de
trois principes qui fondent sa vision politique.

Le premier repose sur une conception du développement


tirant ses fondements des principes idéologiques de la social-
démocratie. Ceux-ci préconisent des approches consensuelles
dans la détermination des politiques publiques, un dialogue

– 110 –
LA VISION DE ROCH KABORÉ

permanent et structuré avec les différentes composantes de la


société et une séparation effective des pouvoirs garantissant une
autonomie aux pouvoirs législatif et judiciaire.

Le deuxième principe a trait à la conception et à la mise en


œuvre de sous-programmes dont l’agencement et la réalisation
impacteront durablement sur les piliers du développement
social et économique. Il s’agira de mettre en place des
programmes novateurs et intégrés dans l’objectif de créer une
véritable synergie vers le développement de toutes les
composantes de la société burkinabé.

Le troisième principe concerne une gouvernance résolument


orientée vers une gestion axée sur les résultats, exigeant à la
fois transparence et imputabilité, et mettant chaque homme ou
femme à la place qu’il faut.

démocratie et équité
L’engagement de Roch Marc Christian Kaboré, c’est d’œuvrer
au développement social et économique soutenu du Burkina,
s’appuyant sur trois valeurs cardinales.

D’abord, les valeurs de démocratie, de justice sociale et de


liberté d’opinion en vue d’une participation responsable des
citoyens au développement du pays. La dictature déguisée
imposée au Burkina par un régime répressif et violent depuis
des décennies avait étouffé les énergies. Il s’agit de retrouver
ces libertés perdues et de répondre au désir d’égalité qui
transparaît dans les revendications des couches les plus
défavorisées de la population.

– 111 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

Ensuite, la démocratie ne peut être effective si elle ne s’enracine


pas dans le vécu quotidien des populations. Une société
démocratique est une société qui tend vers la satisfaction de
l’aspiration légitime au bien-être social et économique de tous.
Il ne s’agit, ni plus ni moins, que de mettre un terme définitif à
la politique de néo-patrimonialisation des ressources du pays
qui avait cours au Burkina.

La vision de Roch Kaboré s’articule autour de sous-


programmes touchant divers secteurs comme la santé,
l’éducation, la réforme de l’État et des institutions. Cette vision
peut se lire à travers quatre grilles de perception :

– la restauration de la confiance ;

– la lutte contre l’inégalité ;

– la gouvernance économique ;

–.

– 112 –
LA VISION DE ROCH KABORÉ

CHAPITRE XI

la restauration de la confiance

Dans l’histoire des démocraties, les exégètes ont toujours eu


tendance à associer la confiance à une autre qualité qu’est la
légitimité. Le processus démocratique en soi présuppose une
superposition de ces deux qualités dans les résultats des urnes
par le fait du suffrage universel. Cependant, très souvent, il a
existé une distension entre ces deux termes. La légitimité
électorale n’implique pas toujours la confiance. Les Burkinabé
qui ont vécu longtemps sous la chape de plomb d’une
démocratie bridée en ont fait l’expérience.

De fait, il faut reconnaître que les deux qualités ne sont pas de


même nature. La légitimité est une qualité juridique, strictement
procédurale. Elle est conférée à un ou des citoyens par le vote.
Elle est parfaitement et absolument produite par une élection.
Alors que la confiance fait partie de ce que les politologues
appellent les «institutions invisibles». Elle fait appel à une
qualité morale essentielle qui a pour nom : l’intégrité. La
confiance porte aussi en son sein une dimension substantielle :
le souci du bien commun. Par la conjonction de ces deux
attributs, la confiance remplit une fonction essentielle en
démocratie. Elle permet un élargissement de la légitimité en
ajoutant à sa détermination procédurale, une dimension morale.
C’est la confiance qui permet à la légitimité de faire face à
l’épreuve du temps. Elle est aussi une sorte d’économiseur
institutionnel qui permet, dans la mise en œuvre des politiques,
de faire l’économie de tout un ensemble de mécanismes de
vérification. C’est quand la confiance fait corps avec la

– 113 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

légitimité, quand les deux entités sont si interpénétrées qu’il est


possible de les confondre, que l’on parle de l’état de grâce.

Le retour à l’intégrité pour le Burkina présuppose cette


confiance. Ce n’est point une donnée acquise au premier abord.
Il n’est pas dit qu’elle est systématiquement acquise à l’issue
d’un scrutin, quelle que soit l’ampleur des résultats. Dans
plusieurs pays africains, les phases post-électorales ont été
marquées par des soulèvements populaires, des contestations,
des émeutes et des grèves. Le premier pari pour un Burkina
nouveau est de faire que ces travers de la démocratie, ces
turbulences qui empêchent la mise en place de bonnes
politiques, ne surviennent plus dans ce pays. La première
condition pour réussir ce pari est d’avoir un scrutin sincère,
transparent et démocratique. Pour qu’un pouvoir puisse être
opérationnel, il lui faut d’abord acquérir la légitimité des urnes
avant de rechercher la confiance de tous. La revendication pour
des élections libres et démocratiques au Burkina, si elle n’est
pas à être évoquée dans le programme, se trouve dans les blancs
de ce texte.

La restauration de la confiance est un élément du programme


décliné à travers plusieurs mesures.

L’appel à un consensus en constitue la matérialisation la plus


éloquente. Il faut qu’aucune couche sociale, qu’aucune
catégorie de population, qu’aucune strate de la pyramide des
âges ne soit mise à l’écart dans le processus du développement
économique et social. Les différentes réformes auxquelles son
programme fait référence, notamment la réforme des
institutions politiques pour une meilleure représentation des
populations dans les instances délibératives et décisionnelles,
celle de l’instruction pour une ouverture plus large de cette

– 114 –
LA VISION DE ROCH KABORÉ

institution, celle des structures décentralisées pour un


rapprochement entre l’administration et les populations, celle
de la justice afin que nul ne soit lésé dans ses droits, celle de la
sécurité pour que les biens et l’intégrité des personnes
physiques ne fasse l’objet d’aucune spoliation, etc., toutes ces
initiatives participent du processus de restauration de la
confiance. Une politique de concorde doit régner entre l’État
et la société civile, entendue au sens originel du terme, c’est-à-
dire toutes les organisations, toutes les associations, tous les
regroupements qui ne font pas partie intégrante de l’État.

Bien entendu, cet appel de Roch Kaboré ne signifie pas qu’il


faut produire un unanimisme paralysant, facteur d’inertie
sociale. C’est d’ailleurs tout le contraire de sa perception. Ce
qu’il faut au Burkina, c’est une synergie des énergies dans
laquelle chaque entité garde sa propre personnalité, chaque
individu conserve son originalité. C’est cette synthèse des
différences qui fera la force de l’union. Comme il est dit dans
l’expression populaire : « Si chacun fait ce qu’il doit faire, les
vaches seront bien gardées ».

Pour que cela puisse fonctionner harmonieusement et être


opératoire dans la pratique, le programme que Roch Kaboré
soumet à l’appréciation des Burkinabé préconise la mise en
place de paravents à l’unanimisme. Les syndicats, les OSC
(Organisations de la société civile), doivent jouer pleinement
leur rôle. Les syndicats doivent élaborer des plateformes
revendicatives prenant en compte les possibilités de l’État ou
des organisations patronales. Les OSC doivent être des
sentinelles de la démocratie et les associations de
consommateurs des vecteurs de démocratie sociale. C’est dans
une société burkinabé où les libertés politiques et civiles
serviront de balise à la confiance que la prospérité pour tous
pourra être effective.

– 115 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

La restauration de la confiance suppose aussi que les


partenaires techniques et financiers aient foi en l’œuvre qui va
être entreprise. Il n’est plus possible aujourd’hui pour un pays
de vivre dans l’autarcie. La vivacité des marchés financiers,
surtout dans la sous-région de l’Afrique de l’Ouest où ils se
déploient à une vitesse vertigineuse, l’apport des IDE
(Investissements directs étrangers) dans la réalisation des
infrastructures sociales, le développement des partenariats
publics-privés, sont autant de raisons qui font que le Burkina a
besoin d’avoir du crédit auprès de ses partenaires extérieurs.
Mais le retour de la confiance de ces derniers est fortement
assujetti à la réalisation de consensus forts et dynamiques au
sein de la société burkinabé.

Le dernier volet à ouvrir dans cette fenêtre de la restauration


de la confiance concerne la diplomatie. Du fait de certaines
pratiques qui avaient cours sous l’ancien régime, une méfiance
s’était développée chez nos voisins immédiats qui regardaient
le Burkina de travers. Le Burkina étant un pays enclavé dont
l’accès à la mer est tributaire de ses bonnes relations avec ses
voisins, le programme de Roch Kaboré préconise une
diplomatie économique active et mutuellement enrichissante
avec les pays voisins. La confiance doit être de mise dans ces
rapports tout comme elle doit l’être avec les organismes sous-
régionaux et continentaux.

Ainsi, la lecture du programme laisse entrevoir l’importance


de la restauration de la confiance dans la lutte pour le
développement. Elle s’avère absolument indispensable à
l’éclosion d’un Burkina prospère.

***
LA VISION DE ROCH KABORÉ

CHAPITRE XII

la bonne gouvernance économique

Le concept est récurrent dans les écrits administratifs depuis


quelques années. Pas un rapport, ni une déclaration de politique
ou un document de programme où l’on ne retrouve le concept
de «bonne gouvernance». Si tout le monde en parle, il n’en
demeure pas moins que la bonne gouvernance est loin d’être
effective dans l’exécution des politiques publiques. Entre le
discours de méthodologie politique et la réalité de sa mise en
œuvre, il existe parfois un très grand écart.

S’il faut faire la genèse de cette nouvelle marotte de la


littérature administrative, il convient de noter que la
prédominance du concept dérive de son imposition aux États,
particulièrement ceux d’Afrique, par les institutions de Bretton
Woods. La bonne gouvernance est devenue une conditionnalité
incontournable d’attribution des soutiens financiers et des plans
de développement sectoriels. Appliquée comme une méthode
de gestion, la bonne gouvernance peut produire des effets
extrêmement positifs dans la conduite des politiques publiques.
Pour cette raison, Roch Kaboré en fait un principe de la mise
en œuvre de son programme. Sur ce plan, c’est très clair, la
bonne gouvernance est le troisième des principes énoncés dans
ce programme pour «une gestion axée sur les résultats,
exigeant à la fois transparence et imputabilité, et mettant
chaque homme à la place qu’il faut». Elle est intégrée dans
nombre de sous-programmes comme ceux de la gestion de la
sécurité alimentaire à travers le renforcement des capacités des
acteurs du monde agricole et la professionnalisation des

– 117 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

exploitations familiales. Elle sera aussi une pierre angulaire de


la gestion du secteur minier, caractérisé jusqu’ici par une
opacité totale des accords entre l’État et les sociétés, et la non-
application des textes régissant le secteur. Une bonne
gouvernance passera aussi par l’adoption d’un nouveau Code
minier et par l’organisation d’un cadastre minier. Dans la
réforme de l’État, la bonne gouvernance occupera une place
centrale. Elle sera un élément fondamental dans le remodelage
de l’administration par la déconcentration et la décentralisation
administratives, la lutte contre la corruption et la dépolitisation
des structures administratives.

La bonne gouvernance sera donc dans le programme de Roch


Kaboré une orientation transversale, comme un scanner sous
la lumière duquel tous les sous-programmes devront être
éclairés. Elle appelle aussi la mise en place de projets et
d’infrastructures structurants, afin d’améliorer et de rendre plus
limpide le climat des affaires au Burkina.

La mise en œuvre de la réforme des institutions politiques, de


l’administration centrale ou des collectivités locales, celle des
différents secteurs de l’économie devraient être la résultante
d’une rencontre entre une intentionnalité politique descendante,
c’est-à-dire une vraie volonté politique et les aspirations et
intérêts contenus dans les modes de vie, les traditions, les us et
coutumes des populations.

La bonne gouvernance ne pourrait donc jamais signifier


l’abandon de la personnalité propre à l’homme burkinabé et
son effacement dans un universalisme sans substance. Il s’agit
de ne pas laisser le bon riz de nos vallées pour consommer le
riz importé au nom des avantages comparatifs.

***

– 118 –
LA VISION DE ROCH KABORÉ

CHAPITRE XIII

la lutte contre l’inégalité sociale

Le constat de la pauvreté et de l’inégalité sociale, contenu dans


le programme, révèle l’ampleur de la tâche à accomplir dans
différents domaines : «Selon l’Enquête intégrale sur les
conditions de vie des ménages 2009-2010, 43,9 % des ménages
au Burkina vivent en dessous du seuil de pauvreté et des
disparités existent selon la région et le lieu de résidence
(villes/campagnes). Une telle prévalence de la pauvreté
entraîne nécessairement des inégalités sociales de plus en plus
visibles tant dans les zones rurales que dans les milieux urbains
du pays. Cela se traduit dans les zones rurales par la
paupérisation de certaines familles avec comme conséquences
l’accès limité aux services de santé et la malnutrition, et par
conséquent des taux de mortalité élevés chez les femmes et les
enfants, la non scolarisation et souvent la déscolarisation des
enfants et le développement de vices tels que l’alcoolisme, la
consommation des drogues. Dans les villes, les maux des zones
rurales se trouvent aggravés du fait de la concentration
démographique, provoquant une recrudescence du phénomène
de la mendicité, l’augmentation du nombre des enfants de rue,
de la prostitution et du grand banditisme».

Le diagnostic accablant de la vulnérabilité endémique au sein


de la population burkinabé commande la mise en place d’un
remède de cheval, comme l’on dit familièrement, pour résoudre
cette épineuse équation de la pauvreté. Évidemment, au regard
de l’ampleur du champ dans lequel devrait se déployer la lutte
contre les inégalités, il n’est pas étonnant que cet objectif soit

– 119 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

prioritaire dans le programme. Il est vrai que si la mal-


gouvernance, durant ces dernières années du régime précédent,
est l’une des causes de cet affaissement du bien-être dans la
société burkinabé, il ne faudrait pas s’en tenir à cette seule
raison. Le Burkina figure parmi les nombreux pays africains
qui n’ont pas atteint les Objectifs du Millénaire pour le
Développement (OMD). Le plus dramatique, c’est qu’au
moment où le pays a besoin de bras pour bécher les chantiers
du développement, nombre de personnes valides sont rejetées
dans la marginalité sociale alors qu’elles auraient pu apporter
leur contribution à la reconstruction du pays.

C’est ce processus de marginalisation accéléré qu’il convient


de stopper dans les meilleurs délais. Ainsi le programme prévoit
des mesures pour réduire le nombre d’enfants vivant dans la
rue et à terme, la disparition totale du phénomène.

L’objectif étant d’effacer une bonne fois pour toute la


marginalité de la société burkinabé, beaucoup d’actions
inclusives sont envisagées, au nombre desquelles, la création
d’instituts d’accueil et de solidarité des personnes
marginalisées. Dans plusieurs secteurs comme l’agriculture ou
l’éducation, des solutions sont proposées pour réduire la
vulnérabilité des populations. Il est évident que cette kyrielle
de mesures ne serait que cautère sur jambe de bois si une
stratégie de croissance inclusive n’est pas mise en œuvre dans
le pays. Des études récentes menées dans les pays pauvres,
essentiellement africains et de l’Asie du Sud, ont démontré que
la qualité de l’élite dans ces pays est déterminante pour la lutte
contre la pauvreté et les inégalités.

Dans ce vaste chantier de la lutte contre les inégalités, contre


le chômage des jeunes, la discrimination des femmes, la non-

– 120 –
LA VISION DE ROCH KABORÉ

scolarisation des enfants, le confinement des handicapés à la


mendicité, la vulnérabilité des petits paysans et des ouvriers
travaillant dans les mines, il s’est avéré que les politiques
macro-économiques mises en place ont été des échecs. On
s’oriente de plus en plus vers l’auto-emploi et vers la création
de «clusters», sortes de pôles économiques permettant aux
populations de trouver un travail décent dans les lieux où elles
vivent.

C’est vers cette direction que se tourne le programme de Roch


Kaboré en se basant sur l’émergence de micro-projets,
anticipant ainsi les nouvelles orientations que les Nations-Unies
vont initier au terme du bilan des OMD.

***

– 121 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

CHAPITRE XIV

la promotion de l’innovation

Dans ce monde en pleine mutation, l’innovation est devenue


une clé de réussite. Aussi bien sur le plan individuel que
collectif, l’innovation ouvre des perspectives, rend les
processus dynamiques et offre des opportunités inouïes. A la
faveur de l’approche que les Anglais appellent le «leapfrog» -
on peut traduire le terme par «saute-mouton»-, les Africains ont
la possibilité de faire de prodigieux «grands bonds en avant»
en faisant l’économie de certaines étapes technologiques par
lesquelles sont passées les pays développés. Sur des domaines
tels que la santé, l’éducation, la fourniture d’énergie,
l’approvisionnement en eau potable, elle peut offrir des
opportunités insoupçonnables pour satisfaire les besoins des
populations.

Les vertus de l’innovation ne se limitent pas à cette seule


potentialité. L’innovation est aussi un véritable catalyseur de
bonnes pratiques. C’est pourquoi, dans son programme, Roch
Kaboré la place au cœur des modalités de mise en œuvre des
politiques sectorielles.

Il fait appel à l’ingéniosité des Burkinabé pour concevoir des


institutions en conformité avec leurs valeurs et leur aspiration
à la démocratie. En introduisant l’innovation dans la
configuration des institutions, les Burkinabé devront prêter une
attention particulière à leurs propres valeurs. Les progrès
technologiques ne doivent servir qu’à les potentialiser. C’est à
l’imagination des Burkinabé qu’il faut avoir recours pour que

– 122 –
LA VISION DE ROCH KABORÉ

les institutions soient conformes à leurs mœurs et à leur culture


et qu’elles puissent répondre à leurs besoins présents et à venir.
L’innovation impose alors une introspection et une prospective.
Cette nouvelle perspective implique assurément un retour au
politique. Il faudra alors définir le modèle de société à
construire. Ainsi, la volonté politique devient le lieu de
formulation de la décision publique.

Il n’est pas étonnant que le social-démocrate qu’est le leader


du MPP ait choisi une telle approche volontariste. Des voix
l’ont dit : «L’innovation est une affaire d’État». Il n’y a jamais
eu d’innovation sans une intervention active des pouvoirs
publics. Cette intervention n’est possible que si l’État lui-même
est capable de comprendre le rôle de la technologie en
l’intégrant dans sa propre administration. Ainsi donc, dans les
processus de mise en œuvre des programmes, le travail de
l’innovation se fera aussi bien dans les inputs que dans les
outputs. Pour citer quelques exemples du programme, notons
que le MPP envisage d’octroyer une priorité au développement
de la formation professionnelle, seule capable de développer
chez les jeunes des facultés d’innovation, d’invention et de
réappropriation des technologies.

Au niveau des filières traditionnelles de l’enseignement


supérieur, le pari sera de former des cadres de conception pour
produire des innovations. Concernant le domaine de la
recherche, Roch Kaboré préconise également l’amélioration de
la qualité de la formation et des résultats académiques, le
renforcement du dispositif d’assistance et d’accompagnement
des étudiants et la promotion de la recherche et de l’innovation
par la revalorisation du statut de l’enseignant-chercheur. Autant
de mesures qui peuvent produire des résultats significatifs en

– 123 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

matière d’innovation technologique. Un système


d’encouragement de la recherche à travers le développement
des initiatives nationales de financement des laboratoires,
l’amélioration du niveau académique du corps enseignant et le
développement d’une structure autonome d’impulsion de la
recherche en partenariat avec le secteur privé, sera mis en place.

La recherche sera encouragée afin d’en faire un puissant levier


de la compétitivité et de la modernisation de tous les secteurs.
Des structures appropriées seront créées dans le cadre de la
formation professionnelle et technique. Les chercheurs
burkinabé pourront ainsi disposer d’un environnement adéquat
pour placer l’innovation au cœur de la production agricole.

Au plan énergétique, un soutien effectif sera accordé à la


recherche-développement et aux innovations dans le secteur
des énergies alternatives et renouvelables. Concernant la santé
publique, la sécurité, la culture, les applications possibles des
innovations technologiques sont nombreuses.

Roch Kaboré insiste sur le fait que le Burkina doit pouvoir


disposer d’une large bande passante afin que la connexion à
l’internet haut débit soit possible pour le plus grand nombre de
Burkinabé, notamment les étudiants dans les campus
universitaires. Un Burkina tout entier connecté à l’internet.

C’est son rêve.

***

– 124 –
L’HOMME DU CONSENSUS

CHAPITRE XV

la redynamisation des systèmes de production


agricole et la modernisation de l’exploitation
familiale

Le Burkina regorge d’énormes potentialités agro-sylvo-


pastorales. Une population jeune qui forme un potentiel de
main d’œuvre appréciable. Des terres cultivables estimées à
neuf millions d’hectares dont seulement 46% sont exploités.
Des terres qui sont irrigables car le pays compte près de 1 200
plans d’eau et jusqu’à 5 milliards de m3 d’eau de surface par
an. Le Burkina recèle un grand nombre de zones pastorales. Il
dispose d’un cheptel numériquement important (8,4 millions
de bovins, 8,2 millions d’ovins, 12,3 millions de caprins). On
y trouve des centres de recherche performants, un marché sous
régional pour les produits agricoles (niébé, sésame, oignon,
maïs) et animaux.
Cependant le secteur agricole et pastoral, qui occupe plus de
86% de la population active et représente 34% du PIB, est
malheureusement tributaire des aléas climatiques, de la faible
performance des systèmes de production, de l’insécurité
foncière, de l’analphabétisme des producteurs, des difficultés
d’accès aux intrants, aux équipements agricoles et du faible
accès au financement. L’ensemble de ces facteurs ne permettent
pas à l’agriculture du Burkina de répondre aux attentes des
populations.
Dans la perspective d’accroître la productivité agricole et de
redynamiser les systèmes de production en vigueur dans le
pays, le programme du candidat Roch Kaboré prescrit une
modernisation basée sur la revitalisation des exploitations

– 125 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

familiales et l’introduction de l’entrepreneuriat agricole. Les


objectifs inscrits dans ce programme sont la réalisation de la
sécurité alimentaire avant la fin du quinquennat, l’augmentation
d’au moins 50% des revenus des producteurs agricoles,
la croissance d’au moins 50% de la productivité concernant des
produits porteurs pour l’économie et créateurs d’emplois que
sont les spéculations tels le coton, les céréales, le sésame, le
niébé, l’arachide et le karité.
Une politique agricole performante est nécessairement
tributaire de l’augmentation des potentialités de production par
le développement de l’irrigation tel que le prescrit ce
programme. Le résultat attendu de cette action est de parvenir
à irriguer 35 000 ha et d’aménager 20.000 ha de bas-fonds.
L’augmentation des potentialités passe aussi par la mise en
place d’un programme intégré de gestion des sols.
La redynamisation des systèmes de production grâce à la
mécanisation de l’agriculture est un axe prioritaire de ce
programme. Elle se fera par la vulgarisation et la diffusion des
moyens modernes de production qui seront produits sur place.
Ainsi, des unités de montage de tracteurs enjambeurs et de
motoculteurs seront réalisées d’ici 2017 grâce au partenariat
public-privé.
L’amélioration des revenus des producteurs agricoles
s’effectuera par le développement des filières porteurs et une
meilleure gestion de la chaîne des valeurs afin de permettre aux
acteurs de l’économie rurale de générer une plus-value par la
transformation, l’exportation et la mise en place de système de
conservation des produits. Cet appui se fera au moyen de la
création, l’amélioration des infrastructures rurales, notamment
la construction de pistes rurales permettant aux producteurs
d’avoir accès aux marchés, la prise en compte du traitement

– 126 –
L’HOMME DU CONSENSUS

post-récolte des produits dans les magasins de stockage et de


conservation, l’implantation d’unités légères de transformation
des produits et du renforcement des capacités en techniques
d’exportation.
La promotion de l’agro-industrie pour transformer les produits
agricoles se fera par l’installation d'unités de transformation et
le développement des industries agroalimentaires afin de mettre
en place les bases d'une véritable économie rurale. Une telle
option devrait à terme avoir pour effet une professionnalisation
des agriculteurs à travers des incitations au regroupement des
producteurs en groupements ou coopératives.
Des services d’appui de l’État ou des OP (Organisation de
Producteurs) seront mis à contribution en vue de l’amélioration
des savoir-faire traditionnels et des connaissances techniques,
professionnelles, et la vulgarisation des bonnes pratiques
culturales.
Un programme d’investissement en direction du secteur
agricole sera aussi initié par l’État en vue de financer les
infrastructures, les équipements et la formation nécessaire des
agents des structures centrales et déconcentrées des ministères
en charge du secteur rural.
Dans cette perspective, l’inclusion des organisations de
producteurs dans tout le processus de la recherche agricole, de
la demande à l’application des résultats de la recherche, devrait
se traduire par un renforcement de la productivité qui passe par
une meilleure capacitation des producteurs, une réforme des
services et institutions de recherche agricole et une
réorientation de cette recherche vers des créneaux favorisant le
renforcement de la productivité.

– 127 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

Tous les acteurs doivent donc modifier leur perception du


financement de l'innovation et de la recherche dans le secteur
agricole.
Enfin pour renforcer la résilience des populations pauvres et
des groupes vulnérables à l’insécurité alimentaire, il est
impératif de mettre en place un dispositif de prévention et de
gestion des crises conjoncturelles par une gestion efficace des
surplus et des déficits agricoles.
Un fonds de garantie des catastrophes naturelles sera créé à cet
effet. Dans ce cadre, un soutien sera apporté aux producteurs
démunis dans un élan de solidarité nationale afin de les sortir
de la pauvreté. L’objectif est de parvenir à l’horizon 2020 à ce
que au moins 50% de femmes, des jeunes, des migrants et des
personnes vulnérables aient accès aux moyens de production
subventionnés afin d’améliorer leur autonomie financière et
technique.
Une garantie de la sécurité foncière sera en outre octroyée aux
petites exploitations agricoles, aux femmes et aux jeunes. Des
ressources financières seront mobilisés pour la réalisation
d’aménagements fonciers et la mise en place d’institutions de
gestion du foncier aux niveaux villageois, inter-villageois,
communal, provincial et régional afin de doter les acteurs, y
compris les femmes, jeunes et les migrants, de titres fonciers
légalement et par consensus.

***

– 128 –
L’HOMME DU CONSENSUS

CHAPITRE XVI

La promotion des Burkinabé de l’extérieur

Le 11 octobre prochain, par leur vote, les Burkinabé


choisiront la voie que le pays empruntera pendant les cinq
prochaines années.
Les défis du changement escomptés sont certes nombreux,
mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt des nombreux
Burkinabé qui vivent à l’étranger.
En effet, l’état des lieux révèle plus de 15 millions de
burkinabè vivant à l’extérieur des frontières nationales ; les
plus fortes communautés vivant en Côte d’Ivoire, au Ghana,
au Mali... ; cette population représente 50% de l’ensemble du
peuple burkinabé dont environ 17 millions vivent au Burkina.
Notre peuple historiquement a pour habitude d’aller par-delà
nos frontières à la recherche de meilleures dispositions de vie ;
cette pratique après les indépendances ne s’est guère limitée
mais a plutôt connu une diversification des directions et des
motifs. Au fil des ans, cette diaspora s’est accrue
considérablement.
Si aucune statistique récente ne peut nous indiquer de façon
certaine sur le nombre de Burkinabè résidant à l’extérieur, il
n’en demeure pas moins vrai que de nombreuses sources dignes
de foi nous renseignent de façon approximative sur la taille de
cette composante du peuple.
Ainsi donc, cette composante serait au moins égale aux
nombres de Burkinabè présents sur le sol national. En effet aux
termes d’une conférence organisée par le CGD (Centre pour la
Gouvernance Démocratique) animée par le Pr. Albert

– 129 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

Ouédraogo, « le nombre de Burkinabè hors du pays est à peu


près égal à celui des Burkinabè résidant au pays. Si l’on fait la
somme des 3, 5 millions de Burkinabè en Côte d’Ivoire, des 3
millions au Ghana, des 1,5 million au Soudan et de tous les
autres installés au Mali, au Sénégal, en Afrique centrale, en
Europe, aux USA et au Japon, Albert Ouédraogo assure que 13
millions de nos compatriotes sont à l’extérieur. Par conséquent,
dit-il, les Burkinabè ne sont pas seulement 13 902 974 comme
on le dit couramment, mais bien plus de 26 millions. »1.
Ce nombre serait une sous-estimation car nul n’ignore que de
nombreux burkinabè de l’extérieur ne sont pas enregistrés dans
les représentations consulaires pour plusieurs raisons, et c’est
ce qui explique que l’on considère par exemple qu’en réalité,
le nombre total de Burkinabè en côte d’Ivoire avoisinerait les
7 000 000 de personnes ; ce qui, appliqué aux différents autres
pays et régions comptant de fortes communautés de Burkinabè,
relèverait de façon conséquente le chiffre approximatif de
15 millions de personnes.
Les transferts de fonds, selon une estimation de la banque
mondiale s’élève à près de 2,5 % du produit intérieur brut
(PIB).
La volonté de changement que nous exprimons à l’intérieur du
pays, je voudrais la porter avec l’ensemble des Burkinabè
établis hors du Faso.
Cette partie de notre peuple, mis à l’écart du processus de
développement social, politique, économique et culturel de leur
pays, doit être reconnue comme des citoyens à part entière
et non comme des citoyens à part.
L’objectif est de créer une vision nationale concertée entre le
gouvernement et notre Diaspora, afin de contribuer tous
1http://www.lefaso.net/spip?article33879

– 130 –
L’HOMME DU CONSENSUS

ensemble à la croissance économique et au progrès social de


notre chère patrie.
Nos compatriotes de l’étranger vivent dans certains pays, des
conditions difficiles et inimaginables, en partie, à cause de la
faiblesse de notre représentation dans leurs pays de résidence.
Le principe du plus rien ne sera plus comme avant prévaut
pour nos compatriotes, où qu’ils résident...
***

– 131 –
3èME PARTIE

lES ENgAgEMENTS
dE ROCH KABORE
À travers son discours d’investiture
prononcé le 5 juillet 2015 au stade municipal
de Ouagadougou
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

les quatre convictions du Président Roch Kaboré


Quatre convictions fortes justifient notre détermination à
proposer ce contrat social de type nouveau à notre vaillant
peuple.

Premièrement, les peuples mobilisés et organisés sur des bases


justes ont toujours fait l’histoire.

Deuxièmement, le peuple insurgé contre le régime défunt de


Blaise Compaoré et de son CDP est conscient qu’il s’agit d’une
insurrection inachevée. Il souhaite un changement véritable de
gouvernance qui permette d’approfondir la démocratie, de
garantir la justice et l’égalité des chances pour tous et de lutter
contre la corruption et l’impunité.

Troisièmement, le MPP, ses soutiens et son candidat sont la


solution, les ressources humaines et le chemin par lesquels le
peuple atteindra pleinement ses objectifs à brève échéance,
dans la paix et la sécurité.

Quatrièmement enfin, la IVème République a vécu et avec elle


la Constitution du 11 juin 1991, taillée sur mesure par un
homme et pour un homme.

les engagements du Président Roch Kaboré


1. Je m’engage à réunir un large consensus national de toutes
les forces politiques et sociales progressistes et patriotiques de
la nation pour engager, poursuivre et parfaire dans les meilleurs
délais les réformes politiques et institutionnelles devant
consacrer le passage à la Vème République.

– 134 –
LES ENGAGEMENTS DE ROCH KABORÉ

Engagés tous autant que nous sommes pour faire en sorte et


veiller à ce que plus rien ne soit comme avant, nous devons
réussir ce passage obligé à la Vème République, après les
élections, pour payer la dette de sang que nous devons à nos
martyrs tombés sur le champ de bataille les 30 et 31 octobre
2014.

Suivant le triptyque « vérité – justice – réconciliation », nous


veillerons à vider tous les dossiers pendants et à combattre
l’impunité sous toutes ses formes pour réhabiliter le
« Burkindlim » au pays des hommes intègres.

2. Je m’engage à valoriser le capital humain en mettant le


bien-être de chaque Burkinabè au centre du nouveau contrat
social dont nous sommes porteurs pour les cinq prochaines
années. Ainsi, il nous faut rendre accessible la santé pour tous,
améliorer la qualité de l’éducation, développer la formation
professionnelle et les emplois des jeunes, renforcer la
protection sociale des travailleurs, promouvoir le rôle et la
place de la femme comme actrice dynamique de
développement, endiguer les inégalités sociales, répondre aux
besoins en eau potable, promouvoir un cadre de vie sain en
milieu urbain comme en milieu rural et « une gestion durable
des ressources naturelles pour assurer nos besoins actuels et
sans compromettre ceux des générations futures.

3. Je m’engage à booster les secteurs porteurs pour l’économie


et les emplois. L’agriculture, l’élevage, l’industrie extractive,
l’artisanat, le commerce, les industries culturelles, sportives et
touristiques, les transports, l’énergie, la gouvernance
économique et financière, l’aménagement du territoire et les
nouveaux emplois pour les jeunes feront l’objet d’une attention
particulière et innovante.

– 135 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

4. Je m’engage à réformer durant ce quinquennat 2015-2020,


les institutions et l’administration pour plus de justice sociale,
de démocratie et de liberté. Après l’établissement de la nouvelle
Constitution, celle des institutions et de l’administration sont
indispensables pour les rendre crédibles et représentatives des
aspirations et des attentes des citoyens.

L’aménagement du territoire sera engagé à travers un processus


qui dépolitise le découpage des régions, provinces et communes
tout en assurant la rationalité économique et culturelle qui doit
le guider.

La réduction du train de vie de l’Etat, la transparence de la vie


politique, la promotion de la méritocratie dans les nominations
et des bonnes pratiques en matière de gouvernance, la mise en
œuvre de la réforme de la justice et la réorganisation des forces
de défense et de sécurité pour en faire des institutions
dépolitisées, républicaines et performantes seront au menu de
nos actions durant le quinquennat 2015-2020.

5. Enfin, je m’engage à promouvoir des relations de


partenariat et de coopération propices au développement
harmonieux de notre pays. Pays carrefour et de transit entre la
côte et le sahel, le Burkina Faso doit tirer profit de la paix et de
la stabilité.

D’où l’intérêt de cultiver et soigner les excellentes relations de


bon voisinage que nous entretenons avec tous les pays
limitrophes. Cet élan doit se poursuivre en direction de tous les
pays épris de paix et de prospérité et susceptibles
d’accompagner les efforts de développement de notre pays.
D’où mon ambition d’assurer la promotion de l’intégration
économique sous régionale et africaine.

– 136 –
LES ENGAGEMENTS DE ROCH KABORÉ

Dans cette dynamique, je veillerai particulièrement à créer les


conditions d’une forte implication de l’importante diaspora
burkinabè dans la vie politique, économique, sociale et
culturelle du pays. Depuis leur pays d’accueil, nos compatriotes
doivent se sentir appartenir à la communauté nationale.

***

– 137 –
EPIlOguE
Le Burkina est sur le point d’amorcer une nouvelle ère ouverte
par la révolution des journées du 30 et 31 octobre 2014. Cette
mutation se déroule dans un contexte marqué par une
persistance tendancielle de la crise mondiale. La crise n’est plus
un moment déterminé de dégradation de la conjoncture, une
sorte d’intervalle entre des périodes de prospérité. Elle se
positionne dans la durabilité. Elle est multiforme et touche tous
les secteurs. Cette crise est institutionnelle. États et organismes
internationaux sont à la recherche de formules de bonne
gouvernance, alliant efficacité et transparence des affaires
publiques, redéfinition du champ d’exercice de l’activité
politique et clarification des domaines de responsabilités et de
compétence. La crise est économique. Ses plus récentes
manifestations en 2009 ont montré l’inanité qui consiste à
laisser le calcul froid des intérêts et la recherche forcenée du
profit guider les acteurs économiques. Le «bien commun»,
l’objectif asymptotique de toute démocratie, se trouve noyé
dans un fatras des pratiques égoïstes et de mauvaises politiques
économiques. La fixation institutionnelle sur des critères
résultant de combinaisons de données hétérogènes
décontextualisées, fait que l’économie marche sur sa propre
tête. Le taux de croissance, le produit intérieur brut, le taux
d’inflation, le niveau de déficit public et tous les autres critères,
sortis d’une codification des normes dictées par les grandes
puissances issues de la seconde guerre mondiale, ont pris le pas
sur le véritable développement. C’est le syndrome du « lit de
Procuste ». Au lieu de servir la société, l’économie exige qu’on
lui taille ses attributs afin qu’elle puisse se mettre au diapason
d’une globalisation qui ne produit du bien-être que chez les
mieux nantis. Au Burkina Faso, comme dans beaucoup d’autres

– 139 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

pays africains, les mesures draconiennes qu’imposait une


connexion aux circuits de l’économie mondiale ont provoqué
une déstabilisation des institutions et une détérioration de la
conjoncture économique. Dans ce pays, peut-être plus que dans
d’autres, l’écart a grandi entre les riches et les pauvres, entre
les urbains et les ruraux, entre les femmes et les hommes. Des
couches sociales dans leur quasi-totalité ont été jetées dans les
marges de la société. Les oracles étaient très peu amènes sur
les rives du Mouhoun.

Face à de si sombres perspectives, les chercheurs et les


politistes tentent aujourd’hui de regarder dans le rétroviseur
pour retrouver les valeurs fondamentales qui ont été à l’origine
de la fondation des premières républiques. C’est dans les
vestiges de la première République de Florence qu’ils sont
allés pour mener une quête archéologique des vraies valeurs
républicaines. Ils ont dépoussiéré le célèbre tableau
d’Ambroggio Lorenzetti, intitulé « Le bon gouvernement »,
pour retrouver la symbolique de la République idéale. Cette
fresque, éminemment éloquente, montre que le bon
gouvernement des choses et des hommes repose sur les vertus
cardinales que sont la tempérance, la justice, la force et la
prudence, et les vertus théologales que sont la foi, l’espérance
et la charité. La pierre angulaire d’un tel édifice est la justice
sociale qui doit faire régner la concorde entre toutes les
catégories sociales et instaurer l’égalité des chances entre tous
les citoyens. Ce sens avisé de la justice, qui doit être le socle
d’une société démocratique, avait grandement fait défaut dans
la société burkinabé.

La démarche allégorique à l’œuvre dans les célèbres fresques


du peintre italien visait à mettre en lumière les principes qui

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ÉPILOGUE

doivent régir les institutions d’une bonne démocratie. Le monde


a certes changé depuis qu’Ambroggio Lorenzetti trempait son
pinceau dans sa gouache mais le propre de la vertu est de ne
jamais subir la patine du temps. Ce qui était recevable de son
temps l’est toujours. Les formes institutionnelles ont changé
mais la substance demeure toujours. De nos jours, on peut dire
par extrapolation que les impératifs d’une bonne gouvernance
font que les hommes politiques, pour mieux gouverner, doivent
non seulement avoir toutes les vertus symbolisées dans le
tableau de Lorenzetti mais en plus savoir en user le plus
judicieusement possible.

Au vu de son parcours politique et de la texture de ses relations


avec les autres, il est indéniable que Roch Marc Christian
Kaboré possède toutes ses vertus. Il a, au fil de sa longue
carrière, administré les preuves du bon usage qu’il savait en
faire. C’est pour cette raison qu’il est permis de faire des rêves
avec lui. Des rêves d’un Burkina Faso qui serait redevenu une
terre de justice où tous les citoyens, le paysan, le fonctionnaire,
l’entrepreneur ou l’étudiant, seraient égaux devant la loi. Une
terre où chacun recevrait de la société ce qui lui est dû par son
mérite et non selon ses origines sociales ou ethniques. Le
Burkina Faso serait alors un pays de concorde où les disputes
inutiles et les querelles futiles seraient rabotées comme le
préconise le tableau d’Ambroggio Lorenzetti. Une nation où
l’esprit de paix et de magnanimité aurait élu domicile au cœur
de l’État. Une république où les agriculteurs, les enseignants,
les étudiants, les jeunes, les femmes, les personnes souffrant
d’un handicap seraient écoutés, entendus et leurs vœux pris en
compte dans l’élaboration des politiques publiques. Cette
mutation ne peut passer que par la revalorisation de la qualité
de citoyen pour tous et l’intégration de tous dans le processus

– 141 –
ROCH MARC CHRISTIAN KABORÉ

du développement. Non seulement, ce rêve d’un citoyen


épanoui, il convient de le faire mais il est réalisable. Les
journées des 30 et 31 octobre offrent l’occasion de rebâtir la
société burkinabé sur de nouvelles bases. Les Burkinabé
auraient tort de laisser passer une si propice occasion pour
redessiner les paysages de leurs villes et de leurs campagnes.

C’est à donner corps à cette fresque idéale d’un Burkina Faso


où régneraient l’harmonie sociale et la prospérité économique,
que Roch Marc Christian Kaboré nous convie.

– 142 –
T A B l E d E S M A T I è R E S

Préface IX
Avant-propos XIX
Prologue XXIII

IÈRE PARTIE : PÉRIPÉTIES D’UNE PRÉDESTINATION 29


I. Le mythe de la cuillère d’argent 31
II. Paris et les premiers pas en politique 42
III. L’eau avait coulé sous les ponts du Mouhoun,
du Nakambé et du Nazinon 46
IV. La bouteille jetée à la mer 52
V. Pour que le bébé ne soit pas jeté avec l’eau du bain 58
VI. Dauphin, involontairement 61
VII. Le «demi-dieu» de la République 66
VIII. Le champagne aurait pu être d’un meilleur goût 76
IX. «Harmattan noir» ou «Automne africain» 84

2ÈME PARTIE : LA VISION DE ROCH MARC CHRISTIAN KABORE 95


X. Liberté, démocratie et prospérité : le triptyque
d’une vision 97
XI. La restauration de la confiance 113
XII. La bonne gouvernance économique 117
XIII. La lutte contre l’inégalité sociale 119
XIV. La promotion de l’innovation 122
XV. La redynamisation des systèmes de prodution agricole
et la modernisation de l’exploitation familiale 125
XVI. La promotion des Burkinabé de l’extérieur 129

3ÈME PARTIE : LES ENGAGEMENTS DE ROCH KABORE 133


Epilogue 139
Achevé d’imprimer en août 2015
©Zulu Editions
BP 24510 Dakar Fann - Sénégal
agencezulu@gmail.com

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