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VOCATION MONARCHIQUE DE LA FRANCE 1


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VOCATION MONARCHIQUE
DE LA FRANCE
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DU MÊME AUTEUR :

LA RÉSISTANCE GALLICANE ET JANSÉNISTE DANS LE DIO-


CÈSE D'AUXERRE, de 1704 à 1760. (Imp. Moderne,
Auxerre.)
LA SURVIVANCE DES IDÉES GALLICANES ET JANSÉNISTES
EN AUXERROIS, de 1760 à nos jours. (Imp. Moderne,
Auxerre. )
POZZO DI BORGO, DIPLOMATE DE L'EUROPE FRANÇAISE.
(Plon, Paris.) (Ouvrage couronné par l'Académie
Française.)
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PIERRE ORDIONI

VOCATION
MONARCHIQUE
DE LA FRANCE

ÉDITIONS BERNARD GRASSET


61, RUE DES SAINTS-PÈRES-VI
PARIS
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Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation


réservés pour tous pays, y compris la Russie.
Copyright by Editions Bernard Grasset, 1938
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PRÉFACE

DELA POLITIQUE ET DE LAVIE


Chaque âge a sa folie, chaque âge a sa sagesse,
mais on se trompe en attribuant à la vieillesse
celles du détachement, et à la jeunesse celles de
l'avidité. On pourrait dire le contraire. Le spec-
tacle de la guerre m'a prouvé que plus l'homme
avançait dans la vie, plus il tenait à elle, et
qu'au début de l'existence, au contraire, encore
libre de cette habitude que nous nommons vivre,
l'homme savait mieux son caractère transitoire,
contingent et précaire. Dans la sagesse de l'âge
mûr il y a quelque chose d'économe et de con-
servateur ; dans la sagesse des jeunes, il y a je
ne sais quoi de prodigue et de prophétique. Aux
esprits réfléchis, le livre de M. Ordioni apporte
précisément la leçon d'une intelligence qui très
tôt s'est formée, avec ce caractère de sagesse
nue, et comme, en même temps, il s'est plié à
la discipline de l'histoire et qu'il a compris l'en-
grenage complexe de ses enchaînements, il a
réussi à faire un ouvrage d'une singulière
richesse et d'une rare pondération.
Le véritable bonheur de l'homme est celui
qu'il se procure par un contact intime avec lui-
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même, avec l'univers et avec la divinité. Cette


triple fréquentation est la vraie fécondité du
monde. Tant que l'homme peut ainsi jouir de
son être et des choses, et du Réel, le problème
de ses relations sociales et politiques ne lui sem-
ble pas essentiel et ne lui devient jamais obsé-
dant. C'est à l'heure où il perd le contact avec
le monde spirituel et physique, avec son propre
être, que l'inquiétude et la peur s'emparent de
lui et qu'il cherche des techniques ambiguës et
compliquées pour régler ses relations. L'ingé-
niosité de son esprit lui fait d'abord un jeu de
ce travail, et son pouvoir d'illusion lui en fait
une féerie, mais les procédés auxquels! il recourt,
au lieu de lui procurer cet apaisement et cette
harmonie qu'il recherche, ne cessent d'augmen-
ter la complexité du problème et de multiplier
son mal. Chaque nouveau remède qu'apporte
la politique aux difficultés de la vie, crée une
nouvelle barrière entre l'homme et sa vie. Dès
que la politique cesse d'être une habitude ins-
tinctive, traditionnelle, mêlée au réel dont elle
naît sans en sortir, dès qu'elle devient un système
avide d'influencer et de transformer ce réel, et
qu'elle se constitue dans une indépendance
croissante à l'égard des êtres, elle revêt aussitôt
un caractère monstrueux et elle se métamor-
phose en une divinité despotique.
Un des torts principaux des deux derniers
siècles fut de soustraire à la religion, à l'art, à
l'instinct, toute une série de problèmes dont ils
firent l'apanage de la politique. Désormais, au
lieu de voir les choses telles qu'elles sont et les
êtres tels qu'ils vivent, l'esprit moderne s'habi-
tua à ne plus considérer les uns et les autres
que par rapport au cadre politique et à travers
cette glace déformante. Inondations, éruptions
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de volcans, et jusqu'à la pluie ou le soleil, tout


est pris comme un facteur politique, les humeurs
bonnes et mauvaises des hommes, leurs mala-

connaissances, notre santé, notre destin très


bref, cessèrent de nous appartenir pour appar-
tenir au maître le plus avide, le plus brutal, le
plus dépourvu de scrupules et de justice qui
existe : l'Etat. Nous en sommes arrivés au point
qu'il n'est presque plus possible, pour un homme
normal et pour une personne engagée dans
l'existence quotidienne, de faire un geste ou de
prendre une décision sans tenir compte de l'élé-
ment politique. Cette préoccupation, devenue
une obsession, étouffe tous les mouvements de
la vie. C'est pourquoi la vie doit faire un grand
mouvement afin de se libérer et de détruire cette
obsession en la saisissant à pleines mains.
Le livre de M. Ordioni est une vive attaque
contre ce fléau de l'âme. Ce n'est point tant le
diagnostic d'un vieux médecin que le geste ins-
tinctif d'un jeune praticien sensible à la vie,
soucieux de la vie et dévoué à la vie. Il ne sacri-
fie que pour faire vivre, et s'il pratique la poli-
tique, c'est pour la sacrifier, car ce sacrifice est
le gage nécessaire de notre salut.
BERNARD FAŸ,
Professeur au Collège de France.
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DÉDICACE
A MES AMIS

« Nous ne nous exagérons pas la part de la


réflexion dans la conduite des choses humaines;
nous ne croyons pas cependant que le temps soit
déjà venu de déserter la vie publique et d'aban-
donner les affaires de ce monde à l'intrigue et à
la violence. Un reproche peut toujours être
adressé à celui qui critique les affaires de son
siècle sans avoir consenti à s'en mêler; mais celui
qui a fait ce qu'un honnête homme peut faire,
celui qui a dit ce qu'il pense sans souci de plaire
ou de déplaire à personne, celui-là peut avoir la
conscience merveilleusement à l'aise. Nous ne
devons pas à notre patrie de trahir pour elle la
vérité, de manquer pour elle de goût et de tact;
nous ne lui devons pas de suivre ses caprices ni
de nous convertir à la thèse qui réussit; nous lui
devons de dire bien exactement, et sans le sacri-
fice d'une nuance, ce que nous croyons être la
vérité. »
Ainsi s'exprimait, en 1869, Ernest Renan dans
la préface de sa Monarchie constitutionnelle en
France.
Aujourd'hui, ces propos doivent encore figurer
comme préface en tête de cet ouvrage sur la
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Monarchie Institutionnelle en France qu'un


homme de trente ans dédie à ses amis.
Pas plus qu'en 1869, la sagesse, de nos jours, ne
semble devoir agir sur la politique. Il est même
permis de penser que la véritable sagesse serait,
dans l'état actuel des hommes et des choses, de
se détourner de la politique, de flâner à la ville
et aux champs, de contempler les yeux du chien
qui regarde son maître, de goûter la présence
d'une femme tout occupée du souci délicat de se
faire aimer; de lire et de relire les vieux compa-
gnons qui vous attendent toujours sur le rayon
accessible, d'être La Boëtie « parce que c'était
lui ». De vivre dans la paix sous le regard de
Dieu.
Voilà, sans nul doute, ce que peut inspirer
l'instinct du bonheur. Mais si d'aventure, sur les
berges de la Seine, un soir d'été parisien, vous
surprenez le soleil se couchant dans les fenêtres
du Louvre et là-bas dans la rose cathédrale, le
spectacle des deux basiliques incendiées, le palais
et le temple, fait monter en vous un sentiment,
une pensée, une force, un instinct. C'est là qu'il
faut trouver l'origine de ma volonté à écrire et
à publier ce livre : sous la menace du désordre
qui consume.
Car c'est le Louvre et Notre-Dame qui sont
l'origine de tout. C'est du cœur de la Cité qu'il
faut partir non seulement pour Chartres et la
plaine opulente de la Beauce, mais pour Bou-
vines et les carreaux du Nord, pour la Colline
Inspirée et les forges de l'Est, pour Vézelay et
les vignobles bourguignons, pour Notre-Dame
de France et les cités ouvrières de Clermont,
pour les Baux de Provence et les docks de Mar-
seille, afin de restituer son destin à la France spi-
rituelle et temporelle jusqu'en ses plus lointains
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territoires qui la font suzeraine au delà des mers.


Le soir tombé, les plus hautes fenêtres du
Louvre se sont éteintes et déjà les spectres pour-
suivent les méditatifs qui s'attardent sur les
quais. Renan reprend : « Celui dont les ancêtres
ont été mêlés à de grandes choses n'est pas libre
de mener une vie paisible et vulgaire. » Mais
quand tout est dépouillé de grandeur ? Quand la
démocratie a su inventer pour l'homme une
solitude monstrueuse et horrifique qui bafoue
la solitude créatrice ? Alors on peut répéter
l'admirable invocation de Sylvestre Bonnard :
«Etoiles qui avez lui sur la tête pesante ou
légère de tous mes ancêtres oubliés... » et les
prendre à témoin de notre impuissance à pour-
suivre et même à maintenir l'œuvre de tous
ceux-là qui ont été mêlés à de grandes choses.
Mais Ernest Renan répond pour elles : « On peut
craindre qu'avec des ressources infinies de cou-
rage, de bonne volonté, et même d'intelligence,
la France ne s'étouffe comme un feu mal dis-
posé. »
Les amis pour lesquels ce livre est écrit offrent
ces ressources infinies. Mais l'époque ne demande
pas à leur jeunesse d'être héroïque. Elle demande
à mes amis d'être sages. D'être vigilants. De ne
pas se laisser aller à une vie intérieure paisible et
vulgaire. D'entendre tous les soirs cette antique
sonnerie du bivouac : « Camarades, Camarades.
Ne laissez pas votre feu s'éteindre. » Afin qu'ils
entretiennent en eux un feu bien disposé.
L'époque veut une jeunesse patiente et sans
passion autre que cette passion apparente qu'est
la raison quand elle est impatiente.
La sagesse qu'il nous faut n'est pas une atti-
tude, une sorte d'abdication devant une impuis-
sance d'agir, un pis-aller désespéré, une position
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orgueilleuse de replis, ni un acte de résignation


amère qui vous fait rechercher dans la pensée
la compensation d'un échec dans la vie publi-
que. Ni cette folie qui fit avouer à Nietzsche
vieilli : « Je suis dégoûté de ma sagesse comme
une abeille qui a amassé trop de miel. J'ai
besoin de mains qui se tendent. » Ce n'est pas
non plus une rêverie agréable, un désir entretenu
d'un Etat ou d'une Société parfaitement raison-
nés qui feraient oublier le temps présent, les
enseignements qu'il nous donne et les biens qu'il
nous peut offrir.
Mais une sagesse humaine. Une sagesse faite
de ferveur et de lucidité, une sagesse qui, selon
le mot de saint Augustin, nous fait aimer la
lumière et éclairer l'amour. Une sagesse d'une
qualité telle que le spectacle de ce temps nous
inspire et nous décourage.
J'offre aux jeunes hommes de ma génération
les réflexions politiques qui composent ce livre,
réflexions de tous les jours sur les idées dont
nous sommes dépositaires et sur les événements
dont nous sommes témoins.
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DU GOUVERNEMENT DES HOMMES


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La Politique est l'art de connaître et de régler


les rapports qui unissent la Société des hommes
et l'Etat.
Son exercice a pour objet d'amener, dans tous
les domaines, par le maintien d'un ordre natu-
rel, le triomphe du meilleur état possible de la
Société. «Rendre possible ce qui est nécessaire. »

DES RÉVOLUTIONS

Les révolutions ne naissent jamais de la mi-


sère du peuple. Dans le climat favorable à la
violence que la misère crée, les révolutions
naissent de l'union politique occasionnelle d'es-
prits purement spéculatifs et de la fraction la
plus ignorante du peuple. Car les uns comme les
autres sont les seuls à donner son sens et sa
pleine valeur au mot révolte et passent facile-
ment à l'action directe. La cérébralité pure s'al-
lie ainsi à la brutalité la plus instinctive. Et les
rêves finissent par se rejoindre.
Les révoltés n'ont qu'une nature, quel que soit
l'objet de leur révolte. Aussi il n'est pas rare de
voir un prêtre en révolte contre l'orthodoxie de
son Eglise compter parmi les meneurs les plus
farouches d'une révolution politique ou sociale.
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La France des Cahiers, la France de 1789 dans


la mesure où elle énonçait des vœux de réformes,
se montrait monarchiste. Avant la lettre, elle
était contre-révolutionnaire au sens où Joseph
de Maistre l'entend qui a dit : «La contre-révo-
lution n'est pas une révolution contraire mais le
contraire de la révolution ».
Le grand mouvement de consultation poli-
tique, sociale et économique dégénéra en révo-
lution parce que le Prince ne se trouva pas mis
en présence d'Etats généraux, mais d'une assem-
blée et d'un peuple en ses comités et non en ses
Etats et en ses métiers. Le Prince ne peut pas
s'appuyer sur une assemblée politique ni sur la
masse du peuple, dirigée par des comités, mais
sur des institutions politiques et sociales. Or les
Etats généraux mis en sommeil depuis long-
temps avaient perdu leur caractère institutionnel.
La Révolution française ne date pas de 1789.
Elle date d'avant dans l'esprit non seulement
des philosophes, des gentilshommes «éclairés»,
et maçonnisants des robins de province, des par-
lementaires de Paris, mais aussi des derniers
Princes qui avaient méconnu les institutions
monarchiques. Et elle date d'après dans les faits.
1789 est l'année anti-révolutionnaire. Entre 1788
et 1790, la révolution qui était accomplie dans
les esprits a failli échouer.

Il n'y a pas de révolution dans l'histoire qui


ait été entreprise et menée à bien par le peuple
seul, sous la direction d'hommes sortis du peu-
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ple. Spartacus n'était pas lui-même du peuple


mais du matériel des esclaves. Pour être un révo-
lutionnaire en France, il faut être avant tout un
aristocrate et en avoir la classe.
Ainsi, en France, à l'origine de toutes les révo-
lutions il y a une aristocratie qui veut ce qu'elle
croit être sa revanche sur le pouvoir royal, puis
une bourgeoisie de juristes et de marchands
jalouse de la noblesse, enfin des banquiers et des
philosophes qui veulent spéculer sur leurs titres
ou sur leurs idées.
Et quand l'instant attendu se présente, c'est-à-
dire quand le peuple est affamé et a des oreilles,
que l'aristocratie se dit « Nous serons Rois », et
que le bourgeois murmure « Nous passerons
avant la noblesse », on trouve toujours assez
d'ambitieux pour s'appuyer sur les banquiers et
les philosophes, c'est-à-dire pour emprunter l'ar-
gent des uns et les formules des autres, et dire
au peuple : « Vous n'êtes rien, vous serez tout. »
Lors de la première révolte, le premier homme
a cru à la promesse de l'ange lui-même révolté :
« Vous serez comme des dieux. » C'est l'origine
de toutes les révoltes. Et le peuple meurt dans
la rue, non pour un morceau de pain ou pour
des jeux, mais pour une promesse à son orgueil.
Et il meurt en vain.

L'émeute change d'opinion, elle ne change


jamais de méthode ni de procédés. Le théâtre,
les libelles, les chansons. Puis la rue, du Palais-
Royal aux Champs-Elysées. Vite blasée et tou-
jours sceptique, la foule parisienne est vaine et
orgueilleuse. Elle ignore la France. Bientôt ses
victoires l'encombrent. Paris gagne et abdique.
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Les journées révolutionnaires sont infaillible-


ment suivies de coups d'Etat. Si l'on a chèrement
acheté la liberté, c'est pour mieux la donner à
un maître.
L'émeutier parisien est un badaud qui aime
se donner un instant en spectacle à lui-même.
Passe un général, Augereau, Marceau, Bonaparte,
un autre Bonaparte : il fait la haie pour l'accla-
mer. Il a déjà oublié «le jour de gloire ». Le len-
demain il retourne à ses affaires. Jusqu'à la pro-
chaine fois.

Les révolutionnaires de 1848 et de 1871, comme


ceux de tous les temps et de tous les pays, crient
en partant pour la guerre civile : « Vive ma
Mort! » Et quand on les interroge sur le but de
leur mort, ils répondent avec fougue : « Pour
l'Idée! »
L'Idée qui insulte à la raison et aux idées.
L'Idée, chimère inhumaine et féroce, semblable
à ces idoles qui ont des yeux qui ne voient pas,
qui ont des oreilles et n'entendent pas, qui ont
des pieds et ne marchent pas. Statue du fabuliste
dont la tête était belle, «mais de cervelle point ».
La déesse mère de ces déesses est bien la Mort
et ils l'appellent.
En 1936, lors des premiers troubles qui sui-
virent en Espagne l'arrivée des révolutionnaires
au pouvoir légal, les agences de presse commu-
niquèrent de Madrid : « Des émeutiers anar-
chistes et communistes, après avoir ouvert les
portes des prisons, se portèrent vers les léprose-
ries et rendirent la liberté aux lépreux. »
Cette liberté-là, c'est la Liberté.
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Quelques mois plus tard, ils devaient couper


les mains à un chirurgien, violer des religieuses,
jeter au feu les cadavres de leurs victimes innom-
brables et «rendre le jour, le droit au soleil » à
de vieux morts solennellement déterrés.
Ce qu'ils haïssent, c'est ce qui est. Ce qui est
dans l'ordre naturel.

Les révolutionnaires ne sont jamais d'accord


pour proclamer à la face du peuple agité par eux
et pour se persuader entre eux qu'une révolution
est faite et un jour venu terminée. Pour les uns
la révolution est une méthode pour atteindre un
stade, pour les autres elle est un régime poli-
tique et social. Les premiers deviennent conser-
vateurs quand les seconds prêchent la révolution
à n'en plus finir et veulent encore et toujours de
l'héroïsme permanent. Mais les premiers eux-
mêmes ne sont pas d'accord entre eux sur le
stade à atteindre et le moment où commence le
conservatisme politique et social.
Car il en est des révolutions comme de tous les
schismes qui, dès la rupture avec l'orthodoxie,
engendrent d'autres schismes. Jusqu'à l'infini.
Tout devient la proie de l'imagination et du rêve.
Quand l'homme sait qu'il peut choisir et s'im-
poser par la violence, la fin de toutes choses est
dans l'homme en son libre arbitre. Et dans
l'anarchie qui procède de cette erreur.

Il y a une catégorie d'hommes qui sont les


hommes du lendemain des révolutions. Ce sont
ceux qui savent saisir l'instant où la fatigue, la
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lassitude et le désaccord sont enfin conjugués et


deviennent les meilleurs conjurés de la réaction.

Toute révolution est le fait d'une complicité


entre ceux qui la provoquent et ceux qui la con-
duisent. Entre ceux qui, par leurs abus, ou leur
indolence, ou leur aveuglement, ou leurs propos
semblent la justifier, et ceux qui deviennent les
chefs de la révolte ainsi amenée.
Car pour faire une révolution il faut être deux.
Sans compter celui qui résiste.

La révolution ne paye que les ouvriers de la


dernière heure. Ceux qui laissent les chefs de la
première révolte exécuter ceux qui l'ont provo-
quée, puis s'associent en fin de besogne aux chefs
de la révolte pour les exécuter à leur tour. Les
complices disparus, ils exploitent la révolution
pour leur propre compte comme on exploite une
ferme en Beauce. Alors ils se font les champions
de la réaction et rendent les « fermes » hérédi-
taires.

Ceux qui se qualifient de « sociaux » com-


mencent les révolutions, mais ce sont les poli-
tiques qui les terminent en un Etat. Les contre-
révolutionnaires restaurent la Société.

Il faut s'éloigner des royalistes qui se disent


révolutionnaires. D'abord parce que l'ignorance
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de la valeur des termes est le fait d'esprits


incultes, propres à créer de véritables révolu-
tions mais peu aptes à conduire et faire triom-
pher une contre-révolution. Ensuite, parce qu'une
révolution commence par une promesse, que
suit une menace, puis une catastrophe. La
monarchie n'est pas une tragédie.

Les révolutions tant prédites, tant désirées,


tant redoutées surprennent comme un voleur
ceux qui se préparent à la vaincre comme ceux
qui l'organisent. « Tant l'on crie Noël qu'il
vient », disait Villon.

Louis XVI, Charles X et Louis-Philippe, la


République elle-même, ont eu le tort trop sou-
vent de confondre le peuple de France avec les
émeutiers parisiens conduits par des profession-
nels de la révolution. Depuis la Grande Guerre
l'immigration étrangère tolérée pour suppléer
d'une part à la dépopulation, d'autre part au mé-
pris que les Français ont pour certains travaux
humbles et pénibles et qui ne demandent aucune
spécialité, l'accueil fait enfin aux exclus de tous
les pays d'Europe, aux révolutionnaires pros-
crits, aux indésirables rejetés de partout, tous
ces phénomènes sociaux mettent en péril la
Société et l'Etat.
Il y a une certaine humanité qui se fait passer
pour le peuple de France et avec laquelle on
ne doit traiter que par procureur. Dans l'intérêt
du peuple.
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Les Français maintiennent dans leur esprit


une dangereuse confusion. Pour eux, la révolu-
tion ne peut être qu'une émeute provoquant bru-
talement et dans le sang un changement radical
de régime.
Les marxistes ont redouté une telle éventua-
lité le 6 février 1934. Les bourgeois «nationaux »
ont cru que le 11 juin 1936 l'heure du Grand
Soir avait sonnée. Par deux fois un coup de
force aurait pu se produire. Il n'en a rien été.
La Révolution continuera donc sa carrière
légale.
Toute la législation révolutionnaire que le
Parlement vote depuis cinquante ans, les doc-
trinaires du régime, qu'ils soient marxistes ou
antimarxistes s'accordent à nous faire admettre
que c'est l'opinion publique se manifestant dans
le suffrage universel qui l'exige. Les premiers,
révolutionnaires dans la légalité, trouvent là
une justification légale de leur audace. Les
autres, une excuse à leur faiblesse.
Ce qui est vrai, empiriquement vrai, c'est qu'il
suffit d'avoir à sa disposition assez de moyens
financiers pour alimenter une puissante campa-
gne de presse bien orchestrée, et une société po-
litique étendue, à la fois, secrètement et ouver-
tement, sur tout le pays, pour rendre populaire
ce qui devrait être naturellement impopulaire
et pour faire s'imaginer à un peuple qu'il con-
serve l'initiative de toute la législation et que ce
qui est fait est strictement conforme à ce qu'il
a voulu.
Par une habile campagne démagogique, on
peut faire admettre que tous les droits sont fon-
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dés sur une injustice scandaleuse, que la pro-


priété est le fait de l'égoïsme le plus abject et
que l'autorité est un odieux abus. Non seule-
ment on parvient à persuader ceux qui ne pos-
sèdent pas, ceux qui s'imaginent avoir plus de
devoirs que de droits, ceux qui obéissent, qu'ils
sont victimes d'une intolérable exploitation,
mais aussi on parvient à persuader ceux qui
possèdent légitimement, ceux qui ont plus de
droits parce que plus de devoirs, ceux qui doi-
vent commander, qu'ils bénéficient d'un état de
choses social fondé sur une injustice.
Toutes les lois les plus ruineuses pour la So-
ciété, pour la Famille, pour ce qui est le meil-
leur dans la Cité, apparaissent bientôt aux yeux
de tous comme justes et naturelles. Personne,
dans ce régime fondé sur l'électorat, n'osera
même parler de les faire abroger.

Dans la démocratie parlementaire, le voyage


révolutionnaire est sans billet de retour. On est
parti, on avance, on s'arrête un instant comme
pour mieux voir la route parcourue, on repart,
le train s'accélère, ralentit, et ainsi jusqu'au
terme du voyage qu'il est impossible de con-
naître.
Et les législateurs succèdent aux législateurs.
Les ministères aux ministères. Les politiciens
aux politiciens.
Chaque jour qui n'est pas un effort dirigé
contre la révolution est un jour révolutionnaire.
Cependant pour le fameux Français moyen,
c'est-à-dire celui qui a des moyens, la Révolu-
tion c'est encore et ce sera toujours exclusive-
ment le Grand Soir rougeoyant, les maisons
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L'IMPRIMERIE MODERNE, 177, ROUTE DE
CHATILLON, A MONTROUGE ( S E I N E ) LE
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