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Mathilde Molavi 28/09/2020 Droit public européen

Exposé - la Convention européenne des droits de l’homme

CEDH, Moustahi c/ France, juin 2020 : condamnation de la France pour avoir expulsé des mineurs isolés de
3 et 5 ans de Mayotte vers les Comores. Traitement dégradant, détention irrégulière, atteinte au droit au res-
pect de la vie privée et familiale, violation de l'interdiction d'expulser collectivement des étrangers et absence
de recours effectif. Cette affaire montre l’importance que prend la CEDH dans la protection des individus
face aux pouvoirs publics, et l’étendue des droits protégés par la Convention.

La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales est aujour-
d’hui une des sources du droit européen, avec le droit de l’Union et les différents droits nationaux.
Elle a été signée en 1950 dans le cadre du Conseil de l’Europe, par dix pays ; elle a depuis été signée et rati-
fiée par les 47 pays qui ont rejoint cette organisation de promotion de la démocratie, des droits de l’homme
et de l’Etat de droit. L’originalité de cette convention réside surtout dans la création d’un mécanisme juridic-
tionnel associé, la Cour européenne des droits de l’homme, qui a permis aux droits proclamés par la Conven-
tion de prendre toute leur effectivité.
Mais depuis 1950, les droits fondamentaux font par ailleurs l’objet d’une protection croissante de par la
construction communautaire, qui affirme se fonder sur des valeurs communes européennes, ainsi qu’au sein
des Etats membres, qui ont réaffirmé ces droits au lendemain des dérives de la Seconde Guerre mondiale.

Dès lors, au sein de l’Union européenne, quel est l’apport de la Convention dans la protection des droits
fondamentaux par rapport au droit de l’Union et aux droits nationaux ?

I. La Convention protège effectivement les droits fondamentaux grâce à l’action de la


Cour de Strasbourg

A. La Convention dresse une liste de droits civils et politiques

1. La Convention proclame des droits fondamentaux qui se sont étoffés avec le temps
Droits de la Convention : Droit à la vie ; interdiction de la torture (droits absolus) ; interdiction de l’escla-
vage et du travail forcé ; droit à la liberté et à la sûreté ; droit à un procès équitable ; pas de peine sans loi ;
droit au respect de la vie privée et familiale ; liberté de pensée, de conscience et de religion ; liberté d’expres-
sion ; liberté de réunion et d’association ; droit au mariage ; droit à un recours effectif ; interdiction de la dis-
crimination.

Droits ajoutés par des protocoles ultérieurs : protection de la propriété ; droit à l’éducation ; droit à des élec-
tions libres ; interdiction de l’emprisonnement pour dettes ; liberté de circulation ; interdiction de l’expulsion
de ressortissants ; interdiction des expulsions collectives d’étrangers ; abolition de la peine de mort ; droit de
faire appel dans les affaires pénales ; indemnisation en cas d’erreur judiciaire ; droit de ne pas être jugé ou
puni deux fois pour la même infraction ; égalité entre époux ; interdiction générale de la discrimination.

2. Certains droits fondamentaux étaient néanmoins déjà présents dans d’autres sources juri-
diques
Les droits nationaux et traditions constitutionnelles :
En France, préambule de la Constitution de 1946 ; DDHC 1789 (même si pas encore de valeur constitution-
nelle). En Allemagne, Loi fondamentale 1949. Au Royaume-Uni, Magna Carta 1215

La Déclaration universelle des droits de l’homme : signée un an avant, en 1949, dans le cadre de l’ONU.
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Dans le préambule de la Convention, les dix premiers États qui ont élaboré ce texte se déclarent résolus, « en
tant que gouvernements d’États européens animés d’un même esprit et possédant un patrimoine commun
d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit, à prendre les premières
mesures propres à assurer la garantie collective de certains des droits énoncés dans la Déclaration univer-
selle ».

B. La Cour européenne des droits de l’homme a permis d’assurer l’effectivité des


droits proclamés par la Convention

1. La Cour de Strasbourg, originalité pour un traité international, remplit sa mission de


contrôle avec rigueur et dynamisme
• 1998 protocole 11 : droit au recours individuel obligatoire. Permet à toute personne d’engager une action
devant la Cour contre son propre État : protection concrète des individus. Tout particulier peut demander ré-
paration à l’État qui l’a lésé. Un tel mécanisme n’a pas d’équivalent dans le monde.
(D’autres régions du monde s’inspirent de la Convention. L’Organisation des États américains a créé un
tribunal chargé de faire respecter les droits de l’homme. L’Union africaine a également adapté le modèle
européen.)
• À travers sa jurisprudence, la Cour fait prendre à la Convention un « caractère spécifique de traité de
garantie collective des droits de l’homme et des libertés fondamentales » (CEDH 1978 Irlande c/RU).
« Instrument constitutionnel de l’ordre public européen » (CEDH 1995 Loizidou c/ Turquie).
Action concentrée sur le strict respect des libertés individuelles et des droits de la Convention ; vigilance à
l’égard des plus vulnérables (migrants, détenus, malades), droit de recours et équité du procès.
Dans près de 20 % de ses arrêts, la Cour constate une violation du droit à un procès équitable (article 6) ;
20 % portent sur le droit à la liberté et à la sûreté (article 5) et 17 % ont trait l’interdiction de la torture et
des traitements dégradants (article 3). De plus, 15 % concernent la violation du droit à un recours effectif
(article 13), 12 % ont trait à la durée excessive de la procédure (article 6 également) et 11 % concernent
l’absence de protection par les États du droit de propriété (article 1 du Protocole additionnel). Enfin, envi-
ron 2 % des violations constatées de la Convention concernent le droit à la vie (article 2) (selon les statis-
tiques de 2017).

2. Des réformes récentes renforcent l’efficacité de son action


Préoccupations : grand nombre d’arriérés, risques d’engorgement du fait de l’ouverture du droit de recours +
les Etats mettent beaucoup de temps à exécuter les arrêts
• 2015 déclaration de Bruxelles, déclaration conjointe des Etats : impulsion politique nécessaire pour mener
des réformes. Les Etats ont ainsi présenté des mesures pour améliorer la procédure d’admission des requêtes
déposées devant la Cour, former des magistrats et d’autres parties concernées par la Convention, et accroître
l’efficacité de l’exécution des jugements au niveau national.
• Les réformes récemment adoptées (protocoles n° 14, 15 et 16 ; procédure d’arrêts pilotes) commencent
à avoir des effets positifs. Diminution du nombre d’affaires en attente d’une décision de recevabilité ; réduc-
tion des délais avant le prononcé des arrêts ; baisse du nombre d’arrêts de la Cour qui n’ont pas été exécu-
tés de façon satisfaisante par les États signataires.
• La Cour peut ainsi mieux fonctionner qu’auparavant, et un arriéré d’affaires plus léger permet déjà aux
juges de se concentrer sur les affaires qui soulèvent des questions de fond et qui nécessitent un examen ap-
profondi.

II. L’effectivité des droits protégés par la Convention est renforcée par le rapproche-
ment du droit de l’Union
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B. L’effectivité de la Convention est remise en question par différentes dérives obser-


vées au sein du Conseil de l’Europe, y compris dans des Etats membres de l’UE

2. Au sein du Conseil de l’Europe


• Apport de la Convention important et délicat dans un contexte de montée des nationalismes et de dérives
autoritaires. Turquie, Ukraine, Pologne, Hongrie… => atteinte à la crédibilité de la Cour ?
Commissaire aux droits de l’homme Dunja Mijatović, rapport d’activité 2019 : « En 2019, comme les an-
nées précédentes, les normes et principes des droits de l’homme ont subi un nombre croissant de
remises en cause sur tout le continent. Dans certains cas, l’hostilité envers le caractère universel,
indivisible et juridiquement contraignant des droits de l’homme s’est renforcée, nourrissant un dis-
cours corrosif qui met en péril les principes et les normes sur lesquels l’Europe s’est construite du-
rant les 70 dernières années. 
Cinq des thématiques abordées dans ce rapport illustrent particulièrement bien le contrecoup subi
actuellement en Europe : l’acceptation politique et sociale grandissante du racisme ; le mépris en-
vers les droits de l’homme des migrants et des réfugiés ; les menaces envers les droits des femmes ;
la répression de la contestation ; et enfin l’érosion de l’indépendance de la justice.
L’antisémitisme, l’islamophobie et l’antitsiganisme ont atteint des niveaux alarmants. »
• Plus de la moitié des requêtes en attente d’examen mettent en cause trois États seulement : Russie (25%),
Turquie (16%) et Ukraine (15%). 2015 révision constitutionnelle en Russie : le pays peut s’affranchir des dé-
cisions CEDH contraires aux règles constitutionnelles russes.

2. Même au sein de l’Union européenne, des tensions peuvent apparaître avec les autorités natio-
nales
• La Cour tient compte des traditions nationales : n’ont pas été jugés contraires aux principes de la Conven-
tion l’exclusion des extrémistes de la fonction publique allemande (1986 Glasenopp), l’interdiction du di-
vorce en Irlande (1986 Johnston), la loi française qui interdit la dissimulation du visage dans l’espace public
(2014 SAS c/ France).
Mais des tensions peuvent apparaître avec les autorités nationales : Parlement britannique sur la priva-
tion des détenus du droit de vote (condamnations sans effet, 2005 Hirst c/ RU, 2010 Greens c/ RU, 2015
McHugh c/ RU).
• Cour suprême du Royaume-Uni : le juge britannique doit tenir compte de la jurisprudence CEDH mais il
n’est pas tenu de la suivre (2013 Chester).
• France : les décisions sur l’inscription à l’état civil des enfants nés de GPA (2014 Mennesson et Labassée
c/ France, 2016 Foulon et Bouvet c/ France) ont été appliquées par le Conseil d’Etat (2014, Association ju-
ristes pour l’enfance) et la Cour de Cassation (2015) mais cela a suscité de vifs débats politiques.
• CEDH, 2016, Baka c/ Hongrie : condamnation de la Hongrie, pour manquement à l’obligation d’indépen-
dance et d’impartialité de la justice.

B. L’influence de la Convention sur les droits nationaux reste importante, d’autant


plus qu’elle est de plus en plus relayée par le droit de l’Union

1. Le droit de l’Union s’est beaucoup rapproché de celui de la Convention en matière de protec-


tion des droits fondamentaux
• La jurisprudence CJUE a commencé par inclure les droits fondamentaux dans les principes généraux du
droit communautaire (1969 Stauder, 1979 Internationale Handelsgesellschaft, 1974 Nold). Droits fonda-
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mentaux qui se dégagent des traditions constitutionnelles (Int. Handel.), de la Convention, et de la jurispru-
dence de la Cour (1975 Rutili).
• Le traité de Maastricht consacre l’acquis de cette jurisprudence : il dispose que l'UE respecte les droits
fondamentaux tels que garantis par la Convention, et qu'ils résultent des traditions communes aux EM en tant
que PGDUE (art. 6§3 TUE).
• La CJUE prend soin d’interpréter la Convention à la lumière de la jurisprudence CEDH, et attache
une importance croissante aux droits fondamentaux. 2008 Kadi, la Convention a une « signification par-
ticulière » dans définition des droits fondamentaux.
• Réciproquement, pour la CEDH, le droit UE dérivé est réputé respecter les droits protégés par la Conven-
tion — sans que cette présomption soit irréfragable (2005 Bosphorus Airways c/ Irlande). Les exigences de
la Convention peuvent amener le droit de l’Union à évoluer.
CEDH 2011 Belgique c/ Grèce : insuffisances de la protection des demandeurs d’asile par la Grèce => ren-
voi d’un demandeur vers la Grèce en application de Dublin = méconnaissance des droits protégés par la
Convention
Rejointe par la CJUE en 2011 : la situation en Grèce fait apparaître une « défaillance systémique de la procé-
dure d’asile et des conditions d’accueil ».

2. La jurisprudence de la CEDH exerce ainsi une grande influence sur les droits nationaux et de
l’Union
• La déclaration d’Interlaken de 2010 a souligné « l’autorité impérative » des arrêts de la Cour et confirmé
la place grandissante de la jurisprudence de la Cour dans l’évolution des droits internes.
• Les arrêts de la Cour peuvent révéler certaines lacunes nationales => dépénalisation de l’homosexualité
en Irlande ; encadrement des écoutes téléphoniques en France (1990 Kruslin) ; admission des femmes dans
l’armée allemande. 1998 : le Parlement britannique adopte le Human Rights Act, évolution majeure du droit
britannique.
• Au niveau national, la Convention continue de jouer un rôle a priori dans les débats parlementaires, et a
posteriori grâce au développement du contrôle de conventionnalité.

=> La Convention européenne des droits de l’homme constitue un apport indéniable dans la protection
des droits fondamentaux en Europe, y compris au sein de l’Union européenne. Son influence s’exerce
sur les droits nationaux, directement et à travers le droit de l’Union, mais aussi directement sur le droit de
l’Union.
Cela n’aurait probablement pas été le cas sans l’action de la Cour de Strasbourg, qui interprète les droits et li-
bertés proclamés par la Convention de manière exigeante, et dont le champ d’action grandit au fil des proto-
coles. Elle cherche un difficile équilibre entre, d’une part, le respect des traditions constitutionnelles et des
marges nationales d’appréciation, et d’autre part, une fermeté dans l’application des principes de l’Etat de
droit. Elle a bien sûr ses limites, comme le montre la situation actuelle en matière de droits humains, mais
elle représente un filet de sécurité précieux à disposition des populations européennes.

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