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La charte africaine des droits de l’homme et des peuples :

une charte de l’homme africain ? : étude contextuelle au


regard des aspects culturels des juridicités africaines
Mara Zenaide Abambres Jorge

To cite this version:


Mara Zenaide Abambres Jorge. La charte africaine des droits de l’homme et des peuples : une charte de
l’homme africain ? : étude contextuelle au regard des aspects culturels des juridicités africaines. Droit.
Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2021. Français. �NNT : 2021PA01D005�. �tel-03419708�

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Université Panthéon-Sorbonne

Ecole de Droit de la Sorbonne

Thèse pour l’obtention du grade de Docteur en Droit

LA CHARTE AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME


ET DES PEUPLES : UNE CHARTE DE L’HOMME
AFRICAIN ? ETUDE CONTEXTUELLE AU REGARD
DES ASPECTS CULTURELS DES JURIDICITES
AFRICAINES

Thèse soutenue par

Par Mara Zenaide ABAMBRES JORGE

Sous la Direction de

Monsieur le Professeur Jean-François AKANDJI-KOMBE

Paris, 11 mars 2021

Thèse soutenue devant le jury composé de :

Professeure Laurence BURGORGUE-LARSEN (Université Paris 1) – Présidente du jury

Professeur Makane MBENGUE (Université de Genève) – Rapporteur

Professeur Djedjro Francisco MELEDJE (Université de Cocody) – Rapporteur

Professeur Jean-François AKANDJI-KOMBE (Université Paris 1) – Directeur de thèse

1
A ma famille et en particulier

A mon père pour son soutien inconditionnel

2
REMERCIEMENTS

Tout d’abord, j’adresse mes plus chaleureux remerciements au Professeur Akandji-Kombé


d’avoir accepté de prendre la direction de mon travail à un moment crucial de mes recherches.
Votre soutien et vos conseils m’ont été très précieux et je ne peux que me réjouir pour vous
avoir comme directeur de recherche.

Je ne peux pas oublier de transmettre mes plus profonds remerciements au Professeur


Emmanuelle Tourme Jouannet, dont la direction, les conseils, les critiques et
l’accompagnement ont forgés ce travail du début jusqu’à la fin. Votre bienveillance, votre esprit
critique et votre courage m’ont beaucoup encouragé dans la voie que j’ai suivi pour cette étude
et je vous en serai éternellement reconnaissante.

J’adresse mes plus sincères remerciements à tous mes amis et famille qui m’ont soutenu tout
au long de ces années semées d’embuches. Vos encouragements et votre présence à mes côtés
ont été cruciales pour la poursuite et la finalisation de ce travail. Un remerciement particulier
à Monsieur Alain Andrieu pour la relecture de ce travail, pour votre disponibilité. Un grand
merci à Fabrice Okoyo pour ta présence à mes côtés. Pour ton soutien moral et psychologique
et bien sûr, pour ta disponibilité à la relecture et formalisation de mon document.

Enfin, un grand merci du plus profond de mon cœur à mon père Joao Xavier Jorge, sans qui
mes rêves académiques ne se seraient jamais réalisés. Tu es et tu seras toujours ma source
d’inspiration et j’espère te rendre tout l’honneur qui t’es dû avec ma thèse, qui est aussi bien
sûr, la tienne. Ngassakidila papa !

3
« L’université Paris I n’entend donner aucune approbation aux opinions émises dans les
mémoires. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs »

4
LISTE DES ABREVIATIONS

AEF Afrique équatoriale française


AFDI Annuaire français de droit international
AOF Afrique occidentale française
CEDAO Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest
CEDH Convention européenne des droits de l’homme
Charte ADHP Charte africaine des droits de l’homme et des peuples
CIDE Convention internationale sur les droits de l’enfant
CIJ Cour internationale de Justice

CJ CEDEAO Cour de justice de la


CODESRIA Conseil pour le développement de la recherche en sciences
sociales en Afrique
Commission ADHP Commission africaine des droits de l’homme et des peuples
Cour ADHP Cour africaine des droits de l’homme et des peuples
CPJI Cour permanente de Justice internationale
DDHC Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
DUDH Déclaration universelle des droits de l’homme
FRELIMO Front de libération du Mozambique
MPLA Mouvement pour la libération de l’Angola
OEA Organisation des États américains
ONU Organisation des nations unies
OUA Organisation de l’unité Africaine
PUF Presses universitaires de France
RDC République démocratique du Congo
RGDIP Revue Générale de Droit International Public
SDN Société des nations
UA Union africaine
UE Union européenne
UNESCO Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la
culture
URSS Union des Républiques Socialistes Soviétiques

5
SOMMAIRE

INTRODUCTION ............................................................................................................. 7

PREMIÈRE PARTIE. LE PHENOMENE JURIDIQUE EN AFRIQUE : DES JURIDICITES


BAFOUEES PAR L’INFLUENCE COLONIALE ......................................................... 46

TITRE I : LES PREMISSES DU PHENOMENE JURIDIQUE EN AFRIQUE


SUBSAHARIENNE PRECOLONIALE ..................................................................... 48

CHAPITRE I : Les particularismes des systèmes juridiques en Afrique subsaharienne .. 49

CHAPITRE II : Remise en cause du caractère juridique des normativités africaines ...... 74

TITRE II : LA MARGINALISATION DES JURIDICITES AFRICAINES PENDANT ET


APRES LES COLONISATIONS ................................................................................ 97

CHAPITRE I : Le droit pris comme un outil civilisationnel ............................................ 98

CHAPITRE II : La subordination des droits traditionnels au droit moderne après les


indépendances ................................................................................................................. 127

SECONDE PARTIE II. LA DIFFICILE EDIFICATION D’UN SYSTEME DE PROTECTION


DES DROITS FONDAMENTAUX FONDE SUR LES DROITS TRADITIONNELS173

TITRE I : LES VALEURS CULTURELLES TRADITIONNELLES COMME SOURCE


D’INSPIRATION DE LA CONSTRUCTION DU SYSTEME REGIONAL DES DROITS
DE L’HOMME .......................................................................................................... 175

CHAPITRE I : L’évolution des droits de l’Homme en Afrique ..................................... 176

CHAPITRE II : L’ambition des rédacteurs de la Charte africaine DHP de créer un droit des
Africains .......................................................................................................................... 205

TITRE II : LA MARGINALISATION DES DROITS TRADITIONNELS DANS LA


CHARTE AFRICAINE ............................................................................................. 229

CHAPITRE I : La reconnaissance du caractère communautaire du droit par la Charte


africaine DHP .................................................................................................................. 230

CHAPITRE II : Le choix difficile de la Charte entre une vision universaliste ou relativiste


des droits de l’homme ..................................................................................................... 259

CONCLUSION GENERALE ....................................................................................... 295

BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................ 303

6
INTRODUCTION

Le présent travail a pour objectif de présenter dans une approche contextuelle, critique et
interdisciplinaire le principal instrument de protection des droits de l’homme en Afrique – la
Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (Charte ADHP). Nous proposons par
cette étude d’appréhender le contexte social, culturel et juridique dans lequel le système
régional africain des droits de l’homme s’est développé, mettant un accent particulier sur l’oubli
des aspects traditionnels des droits africains dans les principes ayant inspiré la rédaction de la
Charte.

Les rédacteurs de la Charte souhaitaient établir un système africain des droits de l’homme pour
répondre aux besoins des sociétés africaines, victimes des plus graves violations des droits
élémentaires de l’homme pendant plusieurs siècles d’occupation européenne. Pour ce faire, ils
entendaient construire une Charte fondée sur des principes axiologiques et culturels propres à
leurs peuples. Mais force est de constater que, contrairement aux atteintes, ils n’ont pas utilisé
ces principes africains comme source d’inspiration. Au contraire, la Charte ADHP est à
plusieurs égards très éloignée des réalités culturelles africaines.

Longtemps niée par les puissances coloniales, l’existence des droits traditionnels est
aujourd’hui incontestable. Plusieurs études nous font part aujourd’hui des principes qui sont à
la base des systèmes juridiques africains avant la période coloniale1. Néanmoins, l’avènement
des gouvernements coloniaux a été un facteur de transformation, de dénigrement et de
défiguration des droits traditionnels, à tel point que les indépendances n’ont pas pu redonner au
continent son authenticité juridique, plongeant les Africains dans une quête perpétuelle
d’identité, que les exigences du développement économique moderne ne font qu’exacerber.
C’est dans ce contexte que nous souhaitons présenter les principes fondamentaux de la personne
humaine introduits dans la Charte, fondés sur une vision universaliste de l’homme et de ses
droits fondamentaux, aux dépens des principes juridiques purement africains dont les traces

1 Voir par exemple : OLAWALE ELIAS Taslim, La nature du Droit coutumier africain, Paris, Dakar, Présence
africaine, 1961 ; SHIVJI Issa G., The Concept of Human rights in Africa, London, CODESRIA Book Series,
1989 ; TEMPLES Placide, Bantu Philosophy, Paris, Présence africaine, 1959.

7
sont encore perceptibles en Afrique. Malgré le temps qui passe et l’introduction lointaine d’un
droit importé fondé sur la souveraineté étatique, les valeurs juridiques et culturelles anciennes
restent dans l’esprit des citoyens, forgeant jusqu’à présent des comportements et alimentant des
attentes sociales. Était-il donc pertinent d’embrasser la vision universaliste des droits de
l’homme au lieu d’adopter une vision régionale de ces droits, plus proche des réalités africaines,
à l’instar de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
structurée autour des valeurs européennes ?

La doctrine internationaliste présente les droits de l’homme comme des droits dégageant des
valeurs absolues, ce qui laisse peu de place à des débats sur les principes fondateurs de la théorie
de ces droits et les valeurs qu’ils véhiculent. Souvent relégués aux philosophes, anthropologues
et sociologues, les aspects idéologiques de la théorie des droits de l’homme et des peuples sont
moins pris en compte dans les études des juristes, plus focalisés sur les aspects empiriques et
techniques du droit2. Dans la doctrine juridique africaine en particulier, les réflexions sur le
droit international des droits de l’homme sont en pleine croissance, mais restent très focalisées
sur ses aspects techniques, faisant état du système normatif et institutionnel de protection des
droits fondamentaux, sans alimenter un véritable débat sur leurs fondements axiologiques et
juridiques. Certains auteurs se sont lancés dans la recherche d’une théorie africaine des droits
de l’homme3, mais les contributions à ce débat sont encore en nombre restreint et le plus souvent
les réflexions sont empreintes du discours dominant sur l’universalité des droits de l’homme.
Ce qui laisse très peu de marge pour appréhender les caractères des juridicités africaines et ainsi
contribuer à la construction d’un véritable droit africain des droits de l’homme, de laquelle
dépendent l’effectivité et l’efficacité de l’ensemble du système continental.

Les droits humains sont actuellement une préoccupation universelle à laquelle les États africains
ont mis un peu de temps à y adhérer, plus préoccupés qu’ils étaient dans la lutte contre des
régimes coloniaux. Lors de la création de l’Organisation pour l’unité africaine (ci-après OUA)
en 1963, plusieurs hommes politiques ont proposé la création d’un système africain de
protection des droits de l’homme, sur la base du respect des principes et valeurs de l’histoire du
continent. Les idéaux panafricains ayant influencé le mouvement d’unification des peuples dans
une organisation continentale ont conduit les dirigeants à penser à la construction d’une Afrique

2 HENNEBEL Ludovic, TIGROUDJA Hélène, Traité de droit international des droits de l’homme, Paris, Pedone,
2018, p. 22.
3 Voir par exemple MBAYE Kéba, Les Droits de l’Homme en Afrique, Paris, Éditions A. Pedone, 1992.

8
des Africains, par des Africains4. Ce même idéal a fait l’objet de plusieurs débats lors de la
rédaction de la Charte avec certains défenseurs de la création d’un système de protection fidèle
aux valeurs culturelles africaines, faisant fi des arguments en faveur de l’universalité de la
théorie des droits de l’homme.

Penser les droits de l’homme doit nécessairement passer par la question de savoir : de quel droit
s’agit-il et pour quel homme ? En effet, chaque société doit pouvoir établir des règles en
adéquation avec les valeurs de la société dans laquelle ces normes ont vocation à s’appliquer.
Or, les théories classiques des droits de l’homme prêchent pour leur caractère universel en
raison de la nature humaine de la personne, sans égard aux bagages juridique et culturel
intrinsèques à chaque société. Ainsi, selon les théories universalistes, l’individu tire de son
humanité des droits naturels, inhérents à son existence, antérieurs à toute forme de société. Ces
théories anthropocentrées ne prennent pas en ligne de compte la vision du monde que partagent
d’autres cultures moins centrées sur la personne humaine. Comme c’est le cas des sociétés
africaines dont les cultures sont plus axées sur la communauté, en tant que sujet de droit
privilégié, que sur l’être individuel qu’est la personne humaine5.

Or, comme l’illustre l’affirmation de Kéba Mbaye : « parler des droits de l’homme en Afrique
est paradoxal dans la mesure où par essence les droits de l’homme concernent tout homme et
tous les hommes à la fois6 ». Partant de cette idée, il ne serait pas possible d’envisager de
construire un système de protection des droits de l’homme pour l’homme africain, sans
méprendre l’humanité inhérente à tout être humain, quelle que soit son origine, car les droits
fondamentaux reconnus sont fondés sur les attributs de la personne humaine, sur le besoin de
sauvegarder sa dignité et son intégrité. Mais à notre avis la question est bien plus complexe que
cela car l’homme ne peut être détaché de son identité culturelle qui l’accompagne et le façonne.
La Charte ADHP a le mérite d’avoir cherché à concilier les particularismes culturels africains
et l’universalisme des droits de l’homme. Mais, cette recherche a donné lieu à des résultats très
mitigés puisque ses rédacteurs ont aussi succombé à la tendance universaliste véhiculée par
l’Europe en adoptant des dispositions qui sont une copie d’autres textes internationaux en la
matière.

4 NKRUMA Kwame, L’Afrique doit s’unir, Paris, Payot, 1964.


5 EBERHARD Christoph, Le droit au miroir des cultures. Pour une autre mondialisation, Paris, L.G.D.J., 2010.
6 KEBA Mbaye, « Les droits de l’homme en Afrique », in Unesco, Les dimensions internationales des droits de
l'homme, 1980, p. 644. Cité par BADARA FALL Alioune, « La Charte africaine des droits de l'homme et des
peuples : entre universalisme et régionalisme », Pouvoirs, n° 129, vol. 2, 2009, p. 86.

9
Notons d’emblée que l’objectif du présent travail n’est pas de prôner pour un régionalisme
séparatiste, qui à notre avis n’apporterait rien de bénéfique dans la société actuelle de plus en
plus globalisée. Mais nous souhaitons avant tout prôner pour le respect et la prise en compte
effective par le droit en Afrique des valeurs spécifiques à ce continent. Ce sont ces valeurs que
nous souhaitons mettre en exergue, en présentant la juridicité inhérente aux normes africaines,
mais plus encore, les mécanismes dont disposaient les sociétés précoloniales pour la régulation
des relations sociales, le maintien de l’ordre et le respect de la dignité de la personne humaine.

Cette esquisse contextuelle, qui prendra une place importante dans le présent travail, est à notre
avis fondamentale pour comprendre les logiques cachées derrière les pratiques traditionnelles
africaines en matière du droit. Il n’est pas possible de parler de prise en compte des valeurs
culturelles et juridiques africaines dans les principes de la Charte africaine sans mentionner de
quelles valeurs il s’agit. Raison pour laquelle nous avons fait le choix de consacrer une partie
entière à la connaissance et compréhension des systèmes juridiques africains existants bien
avant l’avènement des colonisations européennes. Les juridicités africaines sont plurielles car
le continent regorge de peuples issus d’espaces socio-culturels divers, disposant chacun de ses
propres spécificités. Malgré un abordage assez généraliste des droits africains, nous sommes
conscients que l’Afrique est par essence plurielle. Mais, à l’instar de tant d’autres régions, on
trouve dans l’Afrique subsaharienne des traits d’union entre les différentes cultures qui nous
permettent de catégoriser les principaux caractères de ces juridicités, en apportant des exemples
issus de différentes régions.

Pour une meilleure compréhension de l’évolution du droit en Afrique, il est important au


préalable de faire une présentation de l’organisation politique qui y est intimement liée et qui
conditionne son évolution. En effet, la question du pouvoir politique a une influence non
négligeable dans la manière d’appréhender les rapports entre gouvernants et gouvernés, et plus
particulièrement dans la manière de percevoir la titularité de droits et des devoirs, au sein de
sociétés fortement marquées par la sacralisation et la hiérarchisation dans l’organisation du
pouvoir politique. Cette question sera donc abordée à titre introductif pour une meilleure
appréhension des principes centraux des juridicités africaines.

Étudier le droit en Afrique implique aussi au préalable de comprendre que celui-ci dispose non
seulement d’une logique normative qui lui est propre, mais aussi d’une approche discursive qui
lui est caractéristique. Largement connues pour leur culture orale, les sociétés africaines ont
développé un langage juridique rempli de symbolismes, que l’on trouve à la fois dans les
discours oraux, mais qui ont aussi été transcrits par écrit dans des écritures locales. Ainsi, se

10
référer à ces réalités juridiques par un langage juridique étranger peut à certains égards être
assez réducteur. Le sens et la portée d’un discours sont toujours mieux perçus dans la langue
d’origine de son auteur. Néanmoins, dès lors que les États africains ont choisi d’adopter le
modèle juridique européen, le langage caractéristique de ce modèle a lui aussi été intégré dans
les réalités juridiques locales. Ce langage emprunté a par ailleurs servi d’instrument de
déclassement des droits africains au rang de simples pratiques coutumières. Mais il a aussi
permis de traduire des figures juridiques africaines, dans les langues occidentales très répandues
sur le globe, permettant ainsi leur transmission et diffusion actuelle.

Le droit, longtemps considéré comme un phénomène exclusif aux sociétés européennes, a vu


ses horizons s’élargir à des réalités sociales de plus en plus hétérogènes. Loin d’une science
figée et immuable, la notion s’est montrée au fil des siècles être bien plus englobante et élargie
qu’elle ne le semble. Utilisée pour se référer à des méthodes de régulation sociale, elle doit faire
preuve d’une capacité d’adaptation conceptuelle, théorique et même méthodologique afin de
pouvoir appréhender les caractères spécifiques à chaque société que le droit vise réguler.

La parole ayant le pouvoir de construire et de déconstruire, négliger son impact dans la


construction des systèmes juridiques africains serait nier leur existence, qui pourtant ont été
bâtis sur la base d’une tradition orale très encadrée qui assure leur continuité. Il est donc
important, avant d’entrer dans ces systèmes juridiques à proprement parler, de mettre l’accent
sur l’existence d’un langage juridique propre à aux juridicités précoloniales. Le discours a
fortement influencé l’évolution des droits traditionnels mais a aussi servi d’outil de remise en
cause de ceux-ci par les puissances coloniales qui ont réussi à imposer une uniformisation
terminologique dans le domaine juridique. Ce qui n’est pas sans poser des problèmes dans
l’appréhension et la compréhension des phénomènes juridiques du continent.

Afin d’aborder ces aspects liminaires, l’introduction du présent travail sera divisée en quatre
paragraphes. Déjà longuement présentés par la doctrine internationale, les aspects relatifs à
l’évolution historique de la théorie des droits de l’homme ne feront pas l’objet d’un
développement dans notre introduction. Celle-ci se concentrera sur les principes fondateurs de
la société politique en Afrique précoloniale, ayant influencé la construction de ses juridicités
(§1). Seront ensuite exposées quelques difficultés que l’on peut trouver dans l’étude des droits
africains par l’emprunt d’un langage juridique occidental qui peut à plusieurs égards ne pas être
adapté pour décrire les réalités juridiques, empreintes d’un discours très souvent allégorique et

11
tourné vers les rapports de l’homme avec le sacré (§2). Le troisième paragraphe expose la
méthodologie contextuelle et critique adoptée pour la présente recherche. La méthodologie
contextuelle permettra d’expliquer la démarche qui est la nôtre de promouvoir non seulement
le dialogue des cultures, mais aussi celui des matières, dans une étude qui dépasse
nécessairement le cadre juridique (§3). Enfin, le dernier paragraphe présente la problématique
de l’étude ainsi que l’annonce du plan de travail (§4).

§1. Des juridicités fondées sur la sacralité du pouvoir politique

L’existence d’organisation politique dans les sociétés africaines précoloniales, longtemps niée,
est aujourd’hui un fait prouvé par différentes études faisant état de l’organisation sociale,
politique et juridique de divers royaumes, plusieurs d’entre eux ayant réussi à s’établir dans la
durée sur des vastes étendues de territoires et cela malgré la présence en leur sein de divers
groupes ethniques, claniques, entre autres7.

Dans le contexte précédant les colonisations les sociétés se sont formées sur la base de principes
sacrés, selon lesquels le pouvoir politique procède de sources divines, garantissant
l’intronisation des autorités politiques et la légitimation de l’ensemble de leurs pouvoirs
normatifs (A). Les autorités politiques jouissaient donc d’une légitimité d’origine sacrée, car
elles étaient choisies par des entités ancestrales et accréditées par des autorités temporelles. La
sacralisation du pouvoir instaurait dans l’esprit collectif une allégeance craintive à l’autorité
des rois désignés selon les principes sacrés. Les autorités traditionnelles étaient par conséquent
dotées de pouvoirs considérables, en particulier en matière normative (B).

A. L’origine sacrée du pouvoir politique en Afrique subsaharienne précoloniale

7 NDIAYE Moustapha, La construction constitutionnelle du politique en Afrique subsaharienne francophone,


Thèse pour l’obtention du grade de Docteur en Droit de l’Université de Montpellier, sous la direction de Dominique
Rousseau, 4 novembre 2016.

12
Le pouvoir politique africain se caractérise traditionnellement par sa nature mythique que l’on
trouvera plus tard dans la formation des préceptes juridiques (1). Cette nature est présente tout
au long du mandat des autorités gouvernantes, se manifestant sur la quasi-totalité du continent
par une symbolisation, facteur de représentation et de légitimation du pouvoir (2).

1. La nature mythique du pouvoir politique

La doctrine s’est longuement penchée sur la question de l’existence ou non sur le continent
africain d’un pouvoir politique organisé, correspondant à la notion classique de pouvoir
politique, comme étant les relations de subordination existantes entre les gouvernants et les
gouvernés. Selon la doctrine européenne classique, ces relations sont essentiellement de
commandement-obéissance, axées sur un rapport de domination qui se rend effectif par le
monopole de la contrainte physique légitime dans les mains des gouvernants8. Cette vision
classique du pouvoir politique, très européocentriste, réduit le pouvoir politique à la formule du
commandement-obéissance, ce qui revient à l’assimiler à l’État, seule entité à disposer du
monopole de la contrainte physique légitime. Or, il est de notre avis que l’inexistence d’une
forme d’organisation politique basée sur la souveraineté de l’État n’exclut pas l’existence de
pouvoir politique dans des sociétés, comme celles existantes en Afrique avant la colonisation.
En effet, l’organisation politique est consubstantielle à toute société humaine et le pouvoir est
un élément indissociable du politique qui peut se manifester sous différentes formes, de manière
coercitive ou consentie.

D’après Pierre Clastres, le pouvoir politique ne se manifeste pas toujours dans un rapport de
subordination/coercition ou de commandement/obéissance. Et pour cause, certaines sociétés
ont pu se développer autour d’un gouvernant ne jouissant pas de pouvoirs de contrainte sur les
personnes qu’il gouverne. Ce qui est le cas des sociétés indiennes d’Amérique qui sont certes
presque toutes dirigées par des leaders, mais dans lesquelles ceux-ci ne possèdent pas de
pouvoir coercitif. Selon les mots de l’auteur, « on se trouve donc confronté à un énorme

8 Pour WEBER Max, un « groupement de domination est un groupement politique lorsque et tant que son
existence et la validité de ses règlements sont garantis de façon continue à l’intérieur d’un territoire géographique
déterminable par l’application et la menace d’une contrainte physique de la part de la direction administrative »,
in WEBER Max, Économie et société, Tome 1, Les catégories de la sociologie, Coll. « Agora », Paris, Pocket,
1995, pp. 96-97. Cité par NDIAYE Moustapha, La construction constitutionnelle du politique en Afrique
subsaharienne francophone, op. cit., p. 28.

13
ensemble de sociétés où les détenteurs de ce qu’ailleurs on nommerait pouvoir sont en fait sans
pouvoir, où le politique se détermine comme champ hors de toute coercition et de toute
violence, hors de toute subordination hiérarchique, où, en un mot, ne se donne aucune relation
de commandement-obéissance9 ». Pour P. Clastres, une vision universaliste de la notion de
pouvoir politique ne permet donc pas de saisir les différentes formes sous lesquelles le politique
peut se produire.

Dans un État, le rapport de commandement et d’obéissance s’impose par le biais de la


souveraineté étatique qui légitime l’État à exercer un commandement – dont les principales
caractéristiques sont l’unilatéralité et l’indivisibilité – sur les citoyens ou gouvernés, qui sont
contraints d’obéir10. L’État est actuellement la forme d’expression du pouvoir politique la plus
répandue, mais il ne s’épuise pas uniquement dans la forme étatique de son détenteur. On
observe en effet dans la majorité des sociétés africaines précoloniales que les formes de pouvoir
politique se concrétisaient dans une relation de commandement et d’obéissance, avec la
particularité que la source du commandement ne reposait pas sur le pouvoir de contrainte de
l’État, en tant qu’entité souveraine, mais dans le pouvoir sacré d’entités ancestrales. Il est donc
important, pour appréhender la construction du pouvoir politique précolonial et par là des
systèmes juridiques, de se débarrasser des préjugés doctrinaux ethnocentristes qui rejettent
l’existence du phénomène politique dans les sociétés africaines, désignées comme étant des
sociétés « primitives » ou « archaïques »11 pour embrasser une vision plus ample, capable
d’appréhender les particularismes existants dans les sociétés dans lesquelles les rapports
gouvernants-gouvernés se tissent sur des principes différents de ceux présents en Europe,
comme le suggère P. Clastres.

La consubstantialité du politique à toute société est un fait qu’il n’est pas possible de nier. Mais
la source et les modalités de ce pouvoir diffèrent dans chaque société. En Afrique
subsaharienne, le pouvoir politique ne s’est pas développé dans des rapports entre l’État et le
peuple, mais dans ceux noués entre entités détentrices d’une légitimité sacrée et reconnue par

9 CLASTRES Pierre, La société contre l’État. Recherches d’anthropologie politique [1974], Coll. « Reprise »,
Paris, Les Éditions de minuit, 2011, p. 11.
10 Pour plus de développements sur la question voir NDIAYE Moustapha, La construction constitutionnelle du
politique en Afrique subsaharienne francophone, op. cit., pp. 27-35.
11 Notions reprises par certains politistes dont BURDEAU Georges, Traité de science politique, Tome 1 : Le
pouvoir politique, LGDJ, 2e édition, 1966 ; ou encore des anthropologues comme FORTE Meyer et EVANS-
PRITCHARD Edward Evan, Systèmes politiques africains, Paris, PUF, 1964 ; et des juristes comme GONIDEC
Pierre-François, Les systèmes politiques africains, Paris, LGDJ, 1971.

14
l’ensemble de la population se trouvant sous leur direction. Le pouvoir politique en Afrique
noire précoloniale est prédominé par le caractère sacré de son origine. Cette sacralité, dont les
sources sont variables, n’advient pas d’une origine religieuse proprement dite, mais s’est
développée dans chaque société en fonction du rapport culturel entretenu avec l’idée de
divinité12.

Le pouvoir, comme le droit, a une nature mythique, dans le sens où il a pour origine des entités
sacrées supérieures et distinctes de l’homme, objets d’une crainte révérencielle. Dans certaines
communautés, on considère que le pouvoir du chef politique provient de son origine ancestrale,
ce qui veut dire que les rois l’obtenaient des liens entretenus avec des ancêtres. L’autorité dans
la culture Haal pulaar, par exemple, est considérée comme ayant une origine surhumaine,
spirituelle qui transcende l’homme. Elle a un caractère mythique perceptible dans les différents
mythes transmis par voie orale dans des contes. Le roi, dans ces cultures, était vu comme celui
qui sert d’intermédiaire entre les morts et les vivants13. Dans d’autres communautés, l’origine
mythique du pouvoir engendre l’identification de la personne du roi à celle d’un dieu, comme
c’est le cas au Dahomey où le roi est déifié de telle manière qu’il était interdit de voir son visage,
d’entendre directement sa voix et même de le toucher14. Chez les Yoruba aussi, le pouvoir et
l’autorité ont une double dimension : une dimension terrestre, visible et séculière et une
dimension spirituelle, invisible, céleste. On y retrouve ainsi deux figures d’autorité qui
représentent les deux mondes – l’oba (roi) et l’osarun ou esarun (chef des affaires célestes)15.
Ces deux dimensions sont étroitement liées, mais une importance particulière est attachée au
pouvoir spirituel considéré comme plus efficace et plus puissant. Tandis que les pouvoirs
physiques (nommés agbara) fournissent simplement les moyens matériels qui permettent de
faire exécuter un ordre. Le roi lui-même tire son pouvoir des orisa (dieux) après sa consécration
et est élevé à un niveau inférieur, juste après les orisa. La légitimité de son pouvoir vient donc
directement des autorités ancestrales. Lorsqu’il meurt, il est érigé au rang des orisa16.

12 ALLIOT Michel, Le droit et le service public au miroir de l’anthropologie, Paris, Khartala, 2003.
13 DIENG Samba, « Le mythe de l’autorité dans la littérature orale pulaar », in L’autorité (colloque du 19 au 22
mars 1986), Revue sénégalaise de philosophie, N° 13-14, 1990, p. 121.
14 Voir en ce sens MARTI Palau, Le roi-dieu au Bénin, Paris, Berger-Levrault, 1964.
15 Peuple dont le territoire s’étend sur les différents États du Nigéria, du Bénin et du Togo.
16 AKINJOGBIN I.A., « Le concept de pouvoir dans l’Afrique traditionnelle : l’aire culturelle yoruba », in
AKINJOGBIN I. A., DIAGNE Pathé, HAGAN George et al., Le concept de pouvoir en Afrique, Paris, Les Presses
de l’Unesco, 1981, p. 13.

15
Cette image divine attribuée aux chefs par l’imaginaire populaire est peut-être une manière de
placer ces derniers sur un piédestal en guise de reconnaissance des origines sacrées de cette
institution, de leur rôle au sein de la société et de leur charisme, d’où l’existence de mythes
variés autour de l’institution des rois17. On parle d’ailleurs de mythes créateurs pour exprimer
l’ensemble de récits humains décrivant l’origine sacrée du pouvoir dans les différentes sociétés.
Ils se transmettent souvent sous forme de contes ou de fables, présentant les histoires sur
l’origine de l’univers et sur celle de l’être suprême disposant de la force vitale qu’il transmet à
ceux qui le suivent. Au Burundi par exemple, selon le récit du mythe créateur, le Ntare, le
premier roi est tombé du ciel près du Lac Tanganyika, accompagné du dieu Kiranga, ce qui
légitime et justifie la nature divine et sacrée du pouvoir politique et le caractère contraignant
des règles qu’il impose18. La nature sacrée du pouvoir légitimait ainsi le rapport de
commandement et d’obéissance entre le roi et ses sujets, car une relation de révérence et de
crainte spirituelle s’établissait, faisant assimiler l’acte d’obéissance à la vie et la désobéissance
à la mort. Comme le souligne Samba Dieng, dans la pensée négro-africaine « l’obéissance à la
règle établie fait vivre, sa transgression tue, parce que l’ordre social accuse une origine sacrée
19
».

D’après Basile Kossou, l’adoration envers la personne du roi est en réalité une « dévotion
respectueuse qui devient vénération religieuse (…) parce que le roi tient du totem ancestral
tout ce qu’il est, et tout ce qu’il a en définitif relève du sêmêdo, du gbêdoto (le créateur) 20 ».
Cela explique que dans plusieurs sociétés le caractère sacré du roi était marqué par des
cérémonies d’intronisation pendant lesquelles les sujets montraient leur assujettissement et leur
vénération envers la personne du roi. C’est ainsi qu’au Mali, comme signe de respect, les sujets
devaient frapper leurs coudes au sol et se mettre de la poussière sur le dos en présence du roi ;
ou encore au Dahomey, les Aja-Fon saluaient leur roi à genoux et devaient se prosterner à ses

17 Denis de Rougemont définit le mythe de la manière suivante : « on pourrait dire d’une manière générale qu’un
mythe est une histoire, une fable symbolique, simple et frappante, résumant un nombre infini de situations plus ou
moins analogues (…) Dans un sens plus étroit, les mythes traduisent donc de l’élément sacré autour duquel s’est
constitué le groupe (…) un mythe n’a pas d’auteur. Son origine doit être obscure. Et son sens même l’est en partie
(…). Mais le caractère le plus profond du mythe, c’est le pouvoir qu’il prend sur nous, généralement à notre
insu… », in Denis de Rougemont, L’Amour et l’Occident, Ed. Remanié et augmenté, Paris, Librairie Plon, 1939.
Cité par DIENG Samba, « Le mythe de l’autorité dans la littérature orale pulaar », in L’autorité (colloque du 19
au 22 mars 1986), Revue sénégalaise de philosophie, N° 13-14, 1990, p.120.
18 NSABIMANA Stanislas, « La notion de pouvoir dans le Burundi traditionnel », in AKINJOGBIN I. A.,
DIAGNE Pathé, HAGAN George et al., Le concept de pouvoir en Afrique, op. cit., p. 109.
19 DIENG Samba, « Le mythe de l’autorité dans la littérature orale pulaar », op. cit., p. 121.
20 KOSSOU Basile, « La notion de pouvoir dans l’aire culturelle aja-fon », in AKINJOGBIN I. A., DIAGNE
Pathé, HAGAN George et al., Le concept de pouvoir en Afrique, op. cit., p. 97.

16
pieds. Soulignons tout de même que le plus souvent l’allusion au caractère sacré des rois ne
signifie pas qu’ils sont eux-mêmes des dieux, mais qu’ils disposent de pouvoirs surnaturels
importants, si bien que la réussite sociale dans tous les aspects de la vie dépend de lui. Raison
pour laquelle il était rendu responsable de phénomènes comme la pluie ou la sécheresse, les
bonnes ou les mauvaises récoltes, les épidémies qui pouvaient s’abattre sur la communauté.
Chez les Ovimbundu, dans le plateau central de l’Angola, le roi une fois investi est considéré
comme un sorte de stagiaire jusqu’à ce qu’arrivent les premières récoltes par lesquelles son
pouvoir pourra être confirmé et à ce moment seulement il prend entièrement possession de son
pouvoir royal21.

Afin de garantir l’ascendance divine des rois, dans la plupart des cas le chef était désigné au
sein d’une famille lignagère ou d’une classe d’âge spécifique. Ainsi, dans les sociétés fondées
sur le principe du lignage, les autorités communautaires étaient le plus souvent issues du milieu
familial, choisies pour leur âge avancé qui traduit sa proximité à l’ancêtre fondateur et sa
sagesse. Le plus souvent, dans un système patrilinéaire il s’agissait de l’aîné des fils du
patriarche ; et dans les systèmes matrilinéaires l’aîné des enfants du frère de la matriarche (dans
les cultures matrilinéaires, les femmes transmettent le pouvoir mais suivant les sociétés ne
l’exercent pas nécessairement,). Chez les Yoruba (Nigéria), les Dogons (Mali) ou encore les
Bochimans en Afrique australe, le roi était souvent le fils aîné ou l’un des enfants homme du
roi défunt22.

Dans les sociétés organisées sur le principe des classes d’âges, les chefs sont désignés en
fonction de la classe d’âge à laquelle ils appartiennent23. Le pouvoir politique dans ces sociétés

21 HAUENSTEIN Alfred, «La royauté chez les Ovimbundu », in Centro de estudos africanos Instituto de
antropologia, Angola, os símbolos do poder na sociedade tradicional, Coimbra, 1983, p. 69.
22 Selon certains auteurs, la dévolution du pouvoir par primogéniture n’était pas une règle dans les sociétés
africaines précoloniales. Mais confrontées à des influences externes, notamment à l’Islam dans les pays de
l’Afrique de l’Ouest, ce phénomène a connu une évolution. Selon DURAND Bernard, « la transmission du pouvoir
de père à fils aîné est très rare et lorsqu’elle apparaît, elle ne peut en rien être assimilée à une règle ordinaire.
Tout au plus peut-on voir apparaître cette tendance dans certains royaumes. Ainsi au Bénin, on observe que, de
la fin du XVe siècle à la première moitié du XVIIe – et peut être sous l’influence de missionnaires portugais – le
fils succède au père et d’une façon générale, le fils aîné ». Cf. DURAND Bernard, Histoire comparative des
institutions, Dakar, NEA, 1983, p. 352.
23 Dans les populations de la basse Côte d’Ivoire, en particulier chez les Akyé, les Ebrié, les Mbato et les Abouré,
il existe une division échelonnée de la société en fonction des âges de chaque individu. La doctrine a repéré quatre
classes ou générations : la classe des « enfants », celle des « guerriers », des « hommes mûrs » et enfin celle des «
vieillards ». Pour accéder à chacun de ces échelons les individus doivent passer par une épreuve initiatique. Cf.
DUGAST Stéphan, « Lignages, classes d’âge, village. A propos de quelques sociétés lagunaires de Côte d’Ivoire
», l’Homme, tome 35, n° 134, « Ages et générations : ordres et désordres », 1995

17
est réservé aux « hommes mûrs24 ». Le chef du village était choisi par ses pairs et ce choix était
soumis à l’approbation du doyen (le Nana chez les Ebrié), qui, le souligne Denise Paulme, « au
cours de la fête d’intronisation, présentait le nouveau dignitaire aux ancêtres et protecteurs
cachés du village, en leur demandant de venir l’accueillir favorablement25 ».

D’ailleurs, jusqu’à présent, l’ascendance hiérarchique des autorités politiques a un grand impact
dans les rapports sociaux. La vie politique repose sur une sorte d’autoritarisme politique chargé
de valeurs de hiérarchie et d’obéissance. Il est révélateur, de ce point de vue, jusque dans les
régimes politiques actuels, de voir que le président de la République est souvent comparé à la
figure parentale, comme le « vieux » ou le « grand camarade ». On peut donc être d’accord avec
Jean-François Bayart lorsqu’il affirme qu’en Afrique, « tout détenteur d’une position d’autorité
et de pouvoir doit être rapproché avec le respect que l’on doit à l’aînesse (…)26 ». On ne peut
néanmoins que constater que (peut-être) faute de fondement sacré du pouvoir actuel, les
autorités actuelles ne prennent pas autant la mesure de la charge qui leur incombe.

Comme on vient de le voir, la sacralisation du pouvoir passait à la fois par la source divine du
pouvoir et par la lignée royale de son détenteur. La nature sacrée du pouvoir était aussi
accompagnée par une symbolisation du pouvoir politique qui participait à l’intronisation et à la
légitimité des autorités27.

2. La symbolisation du pouvoir politique

Le pouvoir politique s’établit certes le plus souvent sur la base de la capacité de commandement
de celui qui l’exerce sur les personnes assujetties à sa puissance, mais il se manifeste aussi par
l’appropriation des symboles qui différencient le souverain de ses sujets. Les symboles du
pouvoir qu’on peut trouver dans presque toutes les cultures dans le monde, permettent
d’identifier le détenteur du pouvoir et de le placer dans un rang distinct de celui de tous les

24 DUGAST Stéphan, « Lignages, classes d’âge, village. A propos de quelques sociétés lagunaires de côte d’ivoire
», l’Homme, tome 35, n° 134, « Ages et générations : ordres et désordres », 1995, p. 120.
25 PAULME Denise, « Les classes d’âge dans le sud-est de la Côte d’Ivoire », in D. PAULME, ed., Classes et
associations d’âge en Afrique de l’Ouest. Paris, Plon (« Recherches en Sciences humaines, 35), 1971, p. 220. Cité
par DUGAST Stéphan, « Lignages, classes d’âge, village. A propos de quelques sociétés lagunaires de côte
d’ivoire », l’Homme, tome 35, n° 134, « Ages et générations : ordres et désordres », 1995, p. 121.
26 BAYART Jean-François, “Les sociétés africaines face à l’État », Revue Pouvoirs, 25, 1983, p. 25.
27 KOSSOU Basile, « La notion de pouvoir dans l’aire culturelle aja-fon », op. cit., p. 97.

18
autres citoyens. Ces symboles, très souvent associés à des objets, à des rituels ou à des discours,
sont très présents dans la vie politique précoloniale comme une manière de traduire par des
signes visibles des situations réelles et mythiques associées aux relations de domination et de
subordination qui s’établissent et à l’exercice du pouvoir politique.

Les symboles associés au pouvoir politique en Afrique précoloniale permettent d’exprimer


avant tout sa sacralisation. L’existence de rituels entourés de symboles du pouvoir est une
manière de légitimer le pouvoir accordé aux chefs politiques dans la mesure où les symboles
l’entourant sont la preuve de l’assentiment donné par les ancêtres au pouvoir en place. La
présence des symboles liés au pouvoir est la preuve physique de la présence et de l’intervention
permanente des ancêtres fondateurs dans l’exercice du pouvoir dont le chef est le gardien en
tant qu’intermédiaire entre le peuple et les esprits des ancêtres. La symbolisation du pouvoir
garantit aussi dans une certaine mesure son impersonnalisation. Le symbole derrière chaque
prise de pouvoir permet de rappeler à ses détenteurs que le pouvoir, même s’il est délégué à un
homme ou à un groupe d’hommes, reste un bien commun, non susceptible d’aliénation
personnelle. Chez les Mossi, le pouvoir politique collectif était symbolisé avec des vases
désignés par le terme de tibo28 ; au Rwanda, c’est par un tambour que le pouvoir politique de la
communauté était représenté29 ; chez les Akan (peuples Ashanti), le pouvoir collectif de la
communauté est symbolisé par un tabouret qui est un instrument qui symbolise l’identité
collective de la communauté30. Le chef occupe le tabouret duquel il détient son pouvoir en
suivant les croyances locales. Le tabouret symbolise le pouvoir sacré de l’autorité politique. Le
chef de la communauté ne possède donc pas le pouvoir lui-même, il ne le détient qu’au travers
du tabouret, ôtant ainsi tout caractère personnel du pouvoir. On voit le même rituel symbolique
et mythique chez des peuples en Afrique australe, comme chez les Kongo où l’accession au
pouvoir d’un nouveau chef devait suivre un processus d’initiation centré sur le fétiche de la
région nommé nkisi tsi. Le nkisi tsi, esprit local, investit le nouveau chef de son autorité lors de
son séjour dans une hutte (divuala) en pleine forêt. L’investiture est toutefois incomplète sans
la possession d’un ou plusieurs objets (wene ou nkisi a luyalu) auxquels sont attachés des
pouvoirs surnaturels, ayant chacun un symbolisme31. Ces objets sont très variés, mais incluent

28 KI-ZERBO Joseph, Histoire de l’Afrique noire, Paris, Hatier, 1972, p. 255.


29 HEUSCH Luc de, Le Rwanda et la civilisation interlacustre : études d’anthropologie historique et structurale,
Université libre de Bruxelles : Institut de sociologie, 1966, p. 146.
30 HAGAN Georges, « Le concept de pouvoir dans la culture Akan », in AKINJOGBIN I. A., DIAGNE Pathé,
HAGAN George et al., op. cit., p. 61.
31 LARANJEIRA R. A. Manuel, « Essai sur les structures du pouvoir chez les Kongo », in Centro de estudos
africanos Instituto de antropologia, Angola, os símbolos do poder na sociedade tradicional, Coimbra, 1983, pp.
29-33.

19
souvent des couteaux, des peaux de léopard, symbolisant le pouvoir mortel qui selon les
croyances est contenu dans les moustaches de cet animal, des bracelets des ancêtres, la queue
de buffle, entre autres objets symbolisant à la fois l’agrément des chefs par les ancêtres, leur
force spirituelle et physique ainsi que leur pouvoir de contrainte sur leurs sujets et leur rôle en
tant qu’autorités spirituelles.

L’intronisation du roi, représentée par les différents symboles attachés à sa légitimation divine,
lui accordait des pouvoirs très étendus dans la gestion de la vie courante, en tant que garant de
l’ordre social et spirituel. De par sa qualité d’intermédiaire privilégié entre les ancêtres
fondateurs et le peuple, le roi disposait de prérogatives très importantes. On le voit dans
l’affirmation d’Alfred Radcliffe-Brown d’après qui, « dans les sociétés africaines, on peut dire
que le roi est le chef de l’exécutif, le législateur, le juge suprême, le commandant en chef de
l’armée, le chef des prêtres ou le maître suprême du rituel, et même peut être le capitaliste
principal de l’ensemble de la communauté32 ».

Le roi exerçait souvent plusieurs fonctions de manière concomitante, mais en réalité et


contrairement aux apparences, il n’en avait pas le monopole. C’est la raison pour laquelle on
ne peut pas vraiment parler d’aliénation du pouvoir politique, économique et religieux dans les
mains d’une personne car le roi, comme nous allons le voir, était toujours accompagné par des
conseillers, chargés eux aussi de prérogatives sacrées. Par ailleurs, l’existence de l’instrument
du symbole royal instiguait chez celui qui le détenait une conduite et des obligations
particulières, souvent observées de manière craintive par les rois en raison de leur fonction
sociale fondamentale en tant que gardiens de la force vitale de l’ensemble de la communauté.

La symbolisation du pouvoir non seulement assurait l’impersonnalisation du pouvoir mais


fonctionnait aussi comme une forme de son institutionnalisation dans la mesure où cela
permettait aux membres de la communauté d’attester du passage du pouvoir aux délégataires
de la charge politique. Ce procédé se trouvait chez les Wolofs pour qui le pouvoir politique était
symbolisé par le ndombo taank, qui est un anneau en cuir porté par les responsables du pouvoir,
à tous les niveaux – que ce soit au niveau de la société globale, au niveau des assemblées
communautaires ou encore pour les administrateurs locaux. Son pouvoir étant impersonnel, le
chef devait se dépouiller de ses biens personnels lorsqu’il prenait ses fonctions. Vêtu
d’ornements spéciaux, le chef doit prêter serment afin d’assumer sa fonction devant le peuple.

32 Préface à l’ouvrage de FORTES Meyer et EVANS-PRITCHARD Edward, Systèmes politiques africains


(Études ethnographiques), trad. P. Ottino, Paris, PUF, 1964, p. XXI.

20
En prêtant serment, le roi donne un caractère juridique au pouvoir rituel qui lui est conféré par
le tabouret et souligne son rattachement au peuple qui lui doit allégeance. L’exemple du serment
de Prempeh II, roi des Ashanti (1931-1970) met en lumière les éléments et principes attestant
le caractère juridique du pouvoir du chef : « Je descends d’Osei et d’Opoku, De Bonsu et
d’Agyeman ; Je suis neveu en ligne directe de Prempeh Ier. Aujourd’hui, l’âme d’Agyeman
Prempeh est retournée à ses origines, et son fusil a cessé de servir. Par votre grâce et par la
grâce du peuple de Kumasi, c’est à moi que vous avez offert le fusil. Si je ne vous protège pas
et ne gouverne pas correctement comme l’ont fait mes ancêtres, je viole le Grand Serment33 ».

Trois éléments principaux ressortent de ce serment : la symbolisation, l’impersonnalisation et


la légitimation du pouvoir politique. Tout d’abord le roi nouvellement nommé s’adresse au
tabouret auprès duquel il prend son pouvoir et commence par décliner son ascendance afin de
démontrer son rattachement aux souverains précédents par matrilignage. Ainsi, il affirme son
droit légitime de prétendre au tabouret. Cet acte est un signe de respect de la règle selon laquelle
l’on accède au pouvoir de droit et non par mérite (caractère impersonnel du pouvoir) 34. Dans
un deuxième temps, le roi reconnaît que c’est du peuple qu’il détient le fusil inusité du frère
défunt de sa mère. Le fusil représente le pouvoir de protéger et gouverner correctement. Il
précise dans un dernier temps, qu’un manquement de sa part à ses obligations vis-à-vis de la
communauté devrait engendrer la dépossession du tabouret, c’est-à-dire sa destitution.

On retrouve le même rattachement aux rituels symboliques pendant la prestation de serment du


roi Mandem (le mansa) lors de la cérémonie de son intronisation35. Tout au long de la
cérémonie, très marquée par des rituels bien spécifiques, les sages (les jeliw) entamaient des
chants en l’honneur du mansa et des ancêtres, déclamaient les us et coutumes du Manden et
rappelaient les grandes étapes de l’histoire du Manden. Le chef des griots (jelikuntigi)
définissait les nouvelles responsabilités du mansa et lui faisait prêter serment. Le mansa
répondait dans ces termes : « J’ai entendu vos propos, grands griots du Manden. Par la volonté
de Dieu je tiendrai le Manden, comme mes grands-parents et mes ancêtres ont su le tenir. Je
porterai le Manden sur ma tête comme ils ont su le faire. Au nom des pères et mères défunts.
Au nom des disparus et des vivants. Je dirigerai le Manden sans peur36 ».

33 HAGAN Georges, « Le concept de pouvoir dans la culture Akan », in AKINJOGBIN I. A., DIAGNE Pathé,
HAGAN George et al., op. cit., p. 64.
34 Le plus souvent la succession aux tabourets akan se fait par matrilignage.
35 KONARE Oumar, « La notion de pouvoir dans l’Afrique traditionnelle et l’aire culturelle manden en
particulier » in AKINJOGBIN I. A., DIAGNE Pathé, HAGAN George et al., op. cit., pp. 143-144.
36 Idem.

21
Après la prestation de serment par le roi, le peuple aussi s’engage à servir et respecter le pouvoir
qui est conféré au roi par l’intermédiaire des différents chefs – chefs de lignage, chef de tribus,
sous-chefs, etc. Les chefs et sous-chefs, s’engagent à suivre les pas de leurs ancêtres et se
soumettent à l’autorité du roi, qui peut leur infliger des sanctions s’ils faillissent à leurs devoirs.
Cet échange de serments mutuels entre le peuple et son chef assure l’unité spirituelle et juridique
du peuple37.

La symbolisation du pouvoir politique contribue enfin à rappeler l’origine sacrée du pouvoir


des chefs traditionnels, représentants des ancêtres dans le monde des vivants, faisant le trait
d’union entre les ancêtres et les populations. A l’intérieur de chaque collectivité, on trouve donc
des autorités chargées de garder le lien entre les communautés et les ancêtres, lors de
cérémonies rituelles chargées de symbolismes. Comme le souligne A. Robert, « le rôle du chef
est considérable et en même temps il assume une lourde responsabilité. Le lien entre la société
humaine visible et les anciens fondateurs du clan, il est responsable de la destinée de celui-ci
à l’égard des puissances invisibles et, en même temps, il est l’interprète des volontés ancestrales
envers le groupe38 ».

Les symbolismes présents lors des cérémonies d’intronisation, aussi bien que les rituels qui
entourent l’exercice des fonctions des autorités montrent que le caractère sacré de la fonction
politique des chefs traditionnels est bien présent, justifiant l’étendue de leurs pouvoirs à la fois
sur le plan politique, juridique et social.

B. Le pouvoir juridique étendu des autorités traditionnelles

L’origine sacrée du pouvoir politique empreint de sacralité les pouvoirs octroyés aux autorités
politiques. Leur sacralité a tout d'abord une fonction de légitimation du pouvoir normatif (1) et
ensuite une fonction de régulation de l’ensemble de la vie sociale, garantissant ainsi leur
acceptation par les populations qu’elles régissent. D’autre part, l'origine sacrée du pouvoir

37 On trouve des rituels très similaires dans les peuples de l’Afrique centrale. Pour voir plus sur la valeur mythique
et le symbolisme du pouvoir royal dans les royaumes du sud-Kivu à l’Est de la RDC, voir : MUNIHIRWA
Christophe, « Pouvoir royal et idéologie : rôle du mythe, des rites et des proverbes dans la monarchie précoloniale
du royaume de Kabaré (Zaïre) », Journal des africanistes, 2002, tome 72, fascicule 1.
38 A. ROBERT, « La question des chefferies traditionnelles », note sous arrêt, Cour d’appel d’Abidjan, 9 février
1953, Revue juridique et politique de l’union française, 1957, p. 149. Cité par KOUASSIGAN Guy-Adjété,
L’homme et la terre, droits fonciers coutumiers et droit de propriété en Afrique occidentale, Paris, Éditions Berger-
Levrault, 1966, p. 81.

22
permet d'éviter les situations d'abus de pouvoir, devenant ainsi une source de sécurité (2). Le
pouvoir sacré et le pouvoir séculier étant intrinsèquement liés, poursuivent ainsi un objectif
commun : assurer le maintien de l'ordre juridique et social39.

1. Le pouvoir normatif des autorités traditionnelles

Le pouvoir politique traditionnel étant légitimé par des origines sacrées détient un rôle
fondamental dans le maintien de l’ordre public au sein des communautés, ce qui passe par
l’exercice d’un pouvoir normatif non négligeable permettant aux autorités traditionnelles non
seulement d’adopter des règles nouvelles, mais aussi de modifier celles existantes.
L’organisation du pouvoir normatif des autorités traditionnelles était calquée sur l'organisation
territoriale du pouvoir politique. Ainsi le pouvoir normatif général était accordé au roi, autorité
communautaire, mais des pouvoirs normatifs spéciaux étaient attribués aux différentes autorités
qui assuraient une mission d’assistance et de conseil vis-à-vis du roi, et de gestion des échelons
de l’administration territoriale. Dans les sociétés hiérarchisées avec un pouvoir central fort, on
trouvait dans un premier temps le pouvoir suprême du chef communautaire, assisté par ses
collaborateurs immédiats40. Sous le chef communautaire se trouvaient les chefs de village
chargés de prendre des décisions d'intérêt local, en collaboration avec les chefs de quartier ou
les chefs de famille, à l’instar de ce qui se passait chez les Mossi de Haute Volta (actuel Burkina
Faso) où le leader, Mogho Naba, exerçait les fonctions de chef suprême. Le Mogho Naba était
assisté par des ministres en charge de la gestion des cantons. Chaque ministre avait sous son
autorité un ensemble de cantons, chacun d’eux ayant à sa tête un Naba, c'est-à-dire un chef
appartenant à la noblesse. Le Mogho Naba disposait d’un pouvoir normatif général dans la
mesure où ses dispositions s’imposaient à l’ensemble du territoire national. Tandis que celui
des ministres était restreint au cadre du groupe de cantons se trouvant sous leur autorité. A
l’intérieur de chaque canton, le Naba du canton exerçait le pouvoir normatif41.

On trouve ce type d’organisation hiérarchisée du pouvoir dans les grands royaumes disposant
de grandes étendues de territoire, souvent formés au cours de processus de conquête et de

39 GONIDEC Pierre-François, Les systèmes politiques africains, Paris, LGDJ, 1997, p. 14.
40 KOUASSIGAN Guy-Adjété, L’homme et la terre, droits fonciers coutumiers et droit de propriété en Afrique
occidentale, Paris, Éditions Berger-Levrault, 1966, p. 30 et s.
41 Voir de LOBSON Antoine Dim, Empire du Mogho-Naba, Domat-Monntchrestien, Paris, 1933, p. 46 s.

23
scission de royaumes. C’est le cas chez les Ashantis du Ghana, les Haoussa du nord du Nigéria,
et d’autres sociétés en Afrique centrale et de l’ouest42.

Les autorités se trouvant au sommet de la hiérarchie non seulement ne disposaient pas seules
du pouvoir normatif, mais aussi n’étaient pas seules à l’initiative des normes. Le roi se trouvait
le plus souvent à la tête de l’assemblée représentative, mais utilisait rarement son pouvoir
d’initiative, qui était le plus souvent exercé par ses conseillers. Comme l’a écrit Casely Hayford
à propos du pouvoir chez les peuples Ashanti, « c’est aux provinces, ou au peuple tout entier,
à travers leurs représentants, les conseillers du roi, de prendre l’initiative de l’institution de
règles nouvelles43 ».

Dans les sociétés plus restreintes où l’autorité politique est fondée sur les liens de parenté, le
pouvoir normatif appartenait concurremment aux chefs de village et aux chefs de famille, sous
l’autorité d’un doyen. On retrouve ce mode d’organisation chez les Kissi (peuple de Guinée,
Sierra Leone, Libéria). Le doyen du lignage chez les Kissi exerce un rôle fondamental car il est
le gardien du pouvoir ancestral privilégié et représente un parfait intermédiaire entre le monde
des morts qu’il rejoindra bientôt et le monde des vivants où il se trouve encore44.

Le pouvoir normatif s’exerçait donc dans les différentes sociétés par des autorités suprêmes
assistées des ministres, des conseillers et par les doyens à l’intérieur de chaque village, en tant
que dépositaires de la sagesse ancestrale. Cette forme d’organisation nous renvoie à l’idée que
malgré le caractère mythique entourant le pouvoir politique, celui-ci était très centré sur une
assise physique dans la personne des représentants du peuple, chargés de veiller directement à
l’ordre social, prenant des mesures d’intérêt général et local.

La base spirituelle reste tout de même assurée par la présence des doyens dotés d’une autorité,
telle qu’on la trouve dans le royaume Kabaré (région du Kivu en RDC) avec l’institution des
bajinji (mujinji au singulier), des autorités spirituelles, reconnues pour être des gardiens des
secrets du royaume, disposant d’un pouvoir normatif, sous l’inspiration directe des ancêtres.
Leurs décisions, en raison de leur source ancestrale, devaient être respectées par tous, même

42 KOUASSIGAN Guy-Adjété, L’homme et la terre, droits fonciers coutumiers et droit de propriété en Afrique
occidentale, Paris, Éditions Berger-Levrault, 1966, p. 31.
43 HAYFORD Casely, Gold Coast native institution, London, Sweet and Maxwell, 1903, p. 42 et s. Cité par
KOUASSIGAN Guy-Adjété, L’homme et la terre, droits fonciers coutumiers et droit de propriété en Afrique
occidentale, Paris, Éditions Berger-Levrault, 1966, p. 31.
44 Voir en ce sens PAULME Denise, « La société Kissi, son organisation politique », in Cahiers d’études
africaines, Paris, Mouton et Cie, 1960, n°1, p. 73.

24
par les rois, sous peine de lourdes sanctions45. On trouve aussi dans le royaume Kabaré des
autorités disposant d’un pouvoir d’interprétation de la volonté des ancêtres, les balaguzi,
dépourvues de tout pouvoir normatif créateur, chargées simplement de faire part au peuple et
aux autorités de la volonté révélée des ancêtres46.

En tant qu’interprètes de la volonté des ancêtres, les chefs traditionnels ont la charge de garantir
l’application du droit notamment par l’exercice du pouvoir judiciaire, en tant que juges
suprêmes, toujours assistés par des conseillers47. Par leurs rôles de juges suprêmes et forts d’une
relation directe avec les ancêtres, ils avaient ainsi la possibilité de faire évoluer le droit au cours
des procédures de résolution de litiges dans différentes instances. L’activité normative et
juridictionnelle se trouvant souvent concentrée dans les mains des leaders communautaires, ces
derniers pouvaient ainsi s’en servir pour faire évoluer des règles tombées en désuétude ou
encore des pratiques contraires à des valeurs nouvellement acquises48.

Le pouvoir normatif des autorités traditionnelles s’exerçait à la fois par la création de nouvelles
règles mais aussi par la modification ou la suppression de règles anciennes devenues obsolètes.
Ce dernier rôle du pouvoir normateur contredit plusieurs récits européens faisant état de droits
traditionnels figés et immuables, dont le caractère juridique pouvait facilement être remis en
cause. Le caractère prétendument figé du droit coutumier a été décrit par plusieurs auteurs,
laissant entendre l’existence de sociétés statiques, manquant d’imagination, comme le présente
André P. Robert lorsqu’il écrit que « malgré les infinies variétés que peut présenter une même
coutume dans une région donnée, elle donne l'impression d'un ensemble monolithique,
immuable et intangible : « ce que nos pères ont fait, nous le ferons et nos enfants après nous ».
Au lieu d'une civilisation arriérée, il semble plus exact de parler de civilisation pétrifiée49 ».

L’image de ce droit pétrifié présenté par l’auteur se rattache principalement à de mauvaises


appréhension et compréhension des droits traditionnels qu’à la réalité. En effet, selon plusieurs
auteurs, les droits traditionnels étant composés pour l’essentiel de règles d’origine sacrée, leur

45 MUNIHIRWA Christophe, « Pouvoir royal et idéologie : rôle du mythe, des rites et des proverbes dans la
monarchie précoloniale du royaume de Kabaré (Zaïre) », Journal des africanistes, 2002, tome 72, fascicule 1, p.
243.
46 SHALUKOMA Ntahuligana Mwene-Larha, Du droit africain bantu, Rome, Télé esprit Éditions unies, 2004,
p. 65.
47 KOUASSIGAN Guy-Adjété, L’homme et la terre, droits fonciers coutumiers et droit de propriété en Afrique
occidentale, Paris, Éditions Berger-Levrault, 1966, p.82.
48 OLAWALE Elias T., La nature du Droit coutumier africain, Paris, Dakar, Présence africaine, 1961.
49 ROBERT André-P., L’évolution des coutumes de l’ouest-africain et la législation française, Paris, Librairie
autonome, 1955, p. 29. Cité par KOUASSIGAN Guy-Adjété, L’homme et la terre, droits fonciers coutumiers et
droit de propriété en Afrique occidentale, Paris, Éditions Berger-Levrault, 1966, p. 81.

25
modification ou suppression porterait atteinte à leur essence ontologique. Or, comment
envisager qu’une société puisse être régie de manière indéfinie par des règles immuables, sans
que cela n’entraîne sa décadence ?

On trouve plusieurs mécanismes permettant de faire évoluer le droit en passant par le pouvoir
législatif et judiciaire des autorités traditionnelles. L’évolution jurisprudentielle des droits
traditionnels pouvait par exemple passer par des fictions juridiques, idéales pour adapter les
règles de droit aux situations quotidiennes lorsque les règles existantes s’avéraient désuètes ou
trop rigides, au regard de l’état d’avancement de la société. Comme le souligne Dreiberg, « les
Africains sont forts ingénieux et n’ont pas manqué d’imaginer des moyens de sortir des
impasses où les enfermait l’inadaptation de telles règles juridiques à des situations nouvelles.
S’il advient qu’une coutume devienne oppressive, ils n’ont pas la pensée de l’abroger purement
et simplement car elle a une signification religieuse. Mais, maîtres dans l’art des fictions
juridiques, ils organisent une cérémonie qui les soustrait à l’application de la coutume
désormais désuète. Je pense par exemple à une cérémonie Thonga qui abolit les liens du sang
et permet par là même des mariages que la coutume considère en principe comme incestueux.
Le temps aidant, ce genre de cérémonies prend de plus en plus d’importance et la coutume
ancienne tombe en totale désuétude50 ».

Le pouvoir de révision des normes des chefs traditionnels n’était toutefois pas absolu. Il était
limité par des mécanismes juridiques de protection des normes dont la valeur ancestrale est
avérée, c’est-à-dire des normes qui constituent le noyau dur de l’ordre juridique établi par les
ancêtres et qui ne peuvent être remises en cause sans causer des bouleversements majeurs dans
l’ordre social. On peut citer à titre d’exemple les règles relatives à la propriété communautaire
des terres interdisant l’appropriation individuelle des terres, principe appliqué par la majorité
des chefs traditionnels à l’arrivée des colons européens, confrontés au refus de plusieurs chefs
de leur octroyer de manière définitive des terrains dont les chefs ne pouvaient prétendre à
disposer à titre individuel, même en qualité de souverains 51. La limitation et le contrôle du
pouvoir politique était par ailleurs parmi les principes fondamentaux des systèmes juridiques
précoloniaux. S’assurer que le roi respecte ses fonctions était une tâche prise très au sérieux par
les représentants du peuple, car il était considéré que le bien être général et individuel des

50 DREIBERG, The african conception of law, Journal of Comparative Legislation and International Law, vol.16,
n°4, 1934, p.193. Cité par OLAWALE Elias T., La nature du Droit coutumier africain, Paris, Dakar, Présence
africaine, 1961, p. 196.
51 Voir en ce sens : DARESTE Pierre, Le régime de la propriété foncière en AOF, in Recueil Darest, 1908, tome
II.

26
membres de chaque communauté dépendait directement du respect strict de l’autorité des
ancêtres.

2. La limitation du pouvoir des chefs traditionnels

En tant que représentants et interlocuteurs directs des puissances ancestrales, les autorités
traditionnelles disposent de pouvoirs très étendus au sein de la collectivité qu’elles dirigent.
Mais la fonction des chefs communautaires n’est pas tant celle d’imposer sa volonté, mais avant
tout celle d’un père dont le rôle est de protéger le groupe et les individus. Ils sont les
représentants des ancêtres, garants de la force vitale qui anime la communauté. Ils se doivent
donc de respecter les règles fixées par les ancêtres, sous peine de perdre leur sacralité et, par
conséquent, leur autorité. Leur rôle est celui d’un gardien de l’intégrité du territoire et d’un
arbitre et médiateur des différends nés au sein de la communauté. La légitimation du pouvoir
par des autorités sacrées ne devait donc pas justifier l’exercice abusif du pouvoir.

En effet, le pouvoir accordé aux autorités traditionnelles ne doit pas servir de prétexte pour
prétendre se substituer aux ancêtres dans leurs activités et ainsi violer les prérogatives accordées
aux membres de la communauté, pris individuellement et collectivement. La sacralité du
pouvoir qui a comme objectif principal la légitimation du pouvoir des gouvernants auprès des
populations trouve donc ainsi une seconde fonction fondamentale qui est celle de garantir un
exercice modéré du pouvoir par l'octroi d'obligations et de limites imposées au détenteur de
celui-ci. Le pouvoir politique et les fonctions qu’y étaient attachées participaient au culte des
divinités ancestrales par une forme de soumission révérencielle des autorités politiques
séculières aux ancêtres fondateurs, ce qui était visible par les rites d’intronisation et tout le
symbolisme entourant le pouvoir politique. Comme le souligne Pierre-François Gonidec, « c'est
la raison pour laquelle toute atteinte portée au caractère sacré du pouvoir pouvait entraîner la
perte du pouvoir, car on pensait que le chef (ou le monarque) avait subi une détérioration de
ses pouvoirs surnaturels. D'où la pratique des meurtres rituels. L'existence d'obligations à la
charge du chef était au moins sanctionnée par la mise en jeu de sa responsabilité politique,
c'est-à-dire la perte du pouvoir52 ».

52 GONIDEC Pierre-François, Les systèmes politiques africains, Paris, LGDJ, 1997, p. 18.

27
Dans la conception africaine du pouvoir, celui qui le détient possède une force vitale
fondamentale par rapport à l’ensemble des êtres qui forment le cosmos. Ce pourquoi il devait
être « parmi tous les êtres vivants, celui qui dispose de la plus grande force vitale53 », car de sa
force vitale dépendent la fertilité du sol, l’abondance des récoltes, le bien-être du peuple, etc.54.
Lorsque le chef transgressait aux règles fondamentales établies par les ancêtres, cela entraînait
une rupture dans l’ordre, la sécurité et la prospérité du groupe et du cosmos dans son ensemble.
L’ordre cosmique est tellement important, que la violation de la tradition par le chef était
sanctionnée, dans certaines communautés, par la peine capitale, comme c’était le cas chez les
Mossi55. Ainsi, pour éviter que le lien vital entre les ancêtres et les communautés physiques ne
soit brisé, on trouve dans les ordonnancements juridiques africains un ensemble de normes et
d’institutions qui permettent non seulement la régulation des relations sociales mais aussi la
protection des citoyens contre les excès de pouvoir des autorités. Chaque société disposait ainsi
de moyens propres pour assurer l’efficacité des mécanismes de contrôle de l’activité des
autorités politiques garantissant une limitation de leur pouvoir, notamment par un système
hiérarchisé d’organisation politique.

Les rois, dont le pouvoir s’étendait sur un vaste territoire, composé de différentes régions
(provinces, des tribus, les clans etc.), étaient assistés par plusieurs catégories de fonctionnaires
dans les différents domaines du pouvoir telles que l’administration territoriale, la justice et la
défense. Au Burundi, par exemple, à la fin du XIXe siècle, le roi disposait d’une administration
composée de princes (baganwa), des ritualistes de la cour (banyamabanga), des sous-chefs
(batware), des délégués (ivyariho), des notables (abashingantahe) et des crieurs publics
(barongozi). Les princes gouvernaient les provinces ; les sous-chefs étaient eux assistés par les
crieurs publics chargés de transmettre les ordres et d’en surveiller l’exécution. Les délégués
devaient représenter le roi dans une zone déterminée et avaient aussi pour charge de rendre la
justice, collecter les impôts et recruter des travailleurs pour la cour du roi. Les notables
intervenaient dans différents domaines de la vie des villages. Notamment en cas de conflits où

53 DIOP Cheikh Anta, L’unité culturelle de l’Afrique noire, Présence africaine, 2e édition, 1982, p. 144. Cité par
NDIAYE Moustapha, La construction constitutionnelle du politique en Afrique subsaharienne francophone, Thèse
pour l’obtention du grade de Docteur en Droit de l’Université de Montpellier, sous la direction de Dominique
Rousseau, 4 novembre 2016, p. 128.
54 NDIAYE Moustapha, La construction constitutionnelle du politique en Afrique subsaharienne francophone,
Thèse pour l’obtention du grade de Docteur en Droit de l’Université de Montpellier, sous la direction de Dominique
Rousseau, 4 novembre 2016, p. 128.
55 WANYOU Maurice, « Quelques aspects de la survivance des institutions de l’Égypte ancienne en Afrique
noire », RJP, Avril-juin 2005, p. 238.

28
il était souvent fait appel à eux pour intervenir en tant qu’arbitres et parfois même en tant que
juges selon la gravité du conflit56.

Les autorités traditionnelles étaient assistées et contrôlées par les conseils de village, les
assemblées, parfois même des assemblées de femmes ou encore des groupes mystiques
représentants des ancêtres, comme les Komo chez les Malinkés et les Poro chez les Senoufo en
Afrique de l’ouest. Les assemblées ou conseils d’anciens ont un rôle important de contrôle de
la conduite du chef. Ils rassemblent les représentants des membres de la communauté, divisés
par lignages, par castes, par familles ou par groupes d’âge. Les représentants communautaires
ne devaient pas être pris comme des subordonnés du chef, mais comme des collaborateurs,
chargés de l’aider et le conseiller dans ses fonctions. Les membres des conseils et assemblées
communautaires étaient à la fois les représentants de la volonté générale et de celle des membres
du gouvernement présidé par le roi, exerçant dans ce cadre un rôle de conseil auprès des
autorités royales et organes chargés de leur contrôle57. Chez les Ashantis, on trouvait une
assemblée au sein de chaque lignage, compétente pour l’administration des affaires de la
communauté, avec une intervention minimale du roi. De plus, une politique de décentralisation
de l’administration territoriale était mise en place, instituant ainsi un équilibre entre le pouvoir
central et la nécessaire autonomie des régions.

Une fois investi du pouvoir, le roi incarnait la figure de commandant en chef, de législateur, de
juge suprême, de leader spirituel et de chef de l’administration de la communauté. Mais il avait
aussi des obligations très importantes vis-à-vis des représentants communautaires, notamment
celle de respecter leur voix, leurs décisions, leurs positions et leur autorité. Chez les peuples
Akan, lors de l’investiture du roi, il lui est rappelé les limites de sa fonction et la nécessité de
respecter les représentants communautaires réunis en assemblée et de travailler de concert avec
eux, comme le montre ce récit :

« Ne court pas après les femmes, ne devient pas ivrogne, lorsque nous te
donnerons des conseils, écoutes-les, ne joues pas (…). Nous ne voulons pas que
tu abuses de nous (…), que tu sois avare (…), de quelqu’un qui néglige les
conseils (…). Nous ne voulons pas que tu nous considères comme des imbéciles

56 NSABIMANA Stanislas, « La notion de pouvoir dans le Burundi traditionnel », in AKINJOGBIN I. A.,


DIAGNE Pathé, HAGAN George et al., op. cit., p. 113 et suivants.
57 ANDAH Bassey, African anthropology, Ibadan, Shaneson C.I. Limited, 1988, pp. 156-157.

29
(…). Nous ne voulons pas d’autocratie (…), de brutalité (…). Nous n’aimons pas
les coups58 ».

En dehors de ces injonctions, le roi avait un vaste domaine dans lequel il pouvait agir, mais il
restait lui-même soumis aux règles dictées par ses prédécesseurs, en plus de celles qu’il avait
lui-même édictées.

La formule du récit transcrit ici peut paraître dure, mais les interdits cités dans le récit
témoignent du sérieux de la fonction royale et du caractère fondamental d’un exercice mesuré
du pouvoir, qui doit toujours être mené main dans la main avec les différents représentants des
populations. Cette idée permet donc de voir que déjà dans les sociétés jadis traitées de
primitives, le système représentatif en tant que moyen de limitation du pouvoir royal était une
préoccupation et même une réalité puisque les mécanismes de mise en œuvre de la
responsabilité politique et civile des autorités étaient très efficaces. Un élément sacré y était
attaché par l’omniprésence de la crainte du châtiment des ancêtres.

Ces règles montrent que l’activité de contrôle de la conduite des autorités était tout aussi
importante que la mission de représentation et de conseil. Ainsi, dans certaines communautés,
comme les Wolofs, les assemblées pouvaient élire le roi et le destituer s’il contrevenait à ses
fonctions. Pathé Diagne nous rapporte le cas du Damel Daw Demba (chef au Cayor, Sénégal),
qui a voulu s’affranchir du contrôle de l’assemblée communautaire nommée Kangame et fut
écarté définitivement du pouvoir59. Ce pouvoir de destitution des chefs par les conseils de la
communauté existait aussi chez les Ashantis, les Yorubas et les Kotokos en Afrique centrale.
En cas de non-respect d’une norme par le roi, tout citoyen pouvait invoquer le serment qu’il
avait prêté lors de son intronisation et le contraindre de se soumettre à ses obligations, sous
peine d’être jugé par son propre conseil et, s’il était reconnu coupable, d’être destitué de ses
fonctions. Des procédures de destitution pouvaient également être engagées contre d’autres
chefs et sous-chefs, par les sujets ou par leurs supérieurs. Lorsque la plainte était portée contre
un sous-chef, les anciens ou le conseil du roi se chargeaient de son jugement ; lorsqu’elle était
portée contre un chef, son propre conseil assurait le jugement. Toute autorité accusée avait tout
de même le droit de se défendre et si elle était reconnue coupable, on lui offrait parfois la

58 NDIAYE Moustapha, op. cit., p. 144.


59 Pour plus de développements voir : DIAGNE Pathé, Pouvoir politique traditionnel en Afrique occidentale,
Paris, Présence africaine, 1967, p. 128.

30
possibilité de se réhabiliter. Mais la sanction à un manquement restait la destitution de son
poste60.

L'existence de ces mécanismes de contrôle n'a toutefois pas empêché l'apparition de certaines
pratiques absolutistes. Plusieurs auteurs en font le constat, comme Jacques Lombard qui fait
état au Dahomey de l’existence de rois très puissants, regroupant dans leurs mains de manière
despotique presque tous les pouvoirs, notamment des fonctions suprêmes dans les rituels
religieux et disposant d'agents royaux qui exerçaient un contrôle permanent sur les activités des
différentes autorités du royaume61. Gonidec précise néanmoins que l'absolutisme royal qui s'est
développé au fil des siècles dans différentes sociétés africaines engendrait rarement la tyrannie
en raison du système de contrôle et de sanctions qui était institué, permettant de garantir le
respect des fonctions royales62.

On estime par ailleurs que plusieurs sociétés secrètes ou confréries se sont constituées en tant
que contre-pouvoir face à des rois absolutistes. Particulièrement répandues dans les zones
forestières, les confréries sont constituées par des personnes investies de pouvoirs surnaturels
exerçant leur autorité sur des domaines spécifiques de la vie spirituelle et matérielle des
populations. On trouve chez les Bambara (au Sénégal) le komo, société secrète d’initiation
jouant un rôle spécial au sein de la société en tant que gardien de l’ordre moral, des traditions
et des mythes. On trouve d’autres confréries comme la société oro chez les Yoruba, en Afrique
de l’ouest et la société bwiti au Gabon. Certaines sociétés secrètes ou confréries qui exerçaient
au départ des fonctions purement sacrées sont devenues au fil du temps des véritables groupes
de pression politique, économique et sociale. Leur pouvoir et influence est tel que certaines des
confréries anciennes sont encore présentes actuellement et ont inspiré des mouvements
indépendantistes comme le mouvement responsable de la révolte maji-maji (1905-1906) en
Afrique de l’Est à l’encontre des occupants allemands dans les territoires de la Tanzanie, du
Rwanda, du Burundi et une partie du Mozambique63 ; ou encore le mouvement des mau-mau
surgi dans les années 1950, engagé dans des luttes contre la colonisation anglaise au Kenya 64.

60 HAGAN Georges, « Le concept de pouvoir dans la culture Akan », in AKINJOGBIN I. A., DIAGNE Pathé,
HAGAN George et al., op. cit., p. 70.
61 LOMBARD Jacques, “The kingdom of Dahpmey” in D. Forde et Kaberry (ed.), West African kingdoms in the
nineteenth century, OUP, 1967, p. 70.
62 GONIDEC Pierre-François, Les systèmes politiques africains, Paris, LGDJ, 1997, p. 20.
63 ILIFFE John, “The organization of the maji maji rebellion”, Journal of African History, VIII, 3 (1967), pp. 495-
512.
64 PIAULT Marc, « Afrique noire (Culture et société) - Religions », Encyclopædia Universalis [en ligne], URL :
http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/afrique-noire-culture-et-societe-religions/

31
Malgré les dérives, dans l’ensemble les sociétés africaines ont développé des mécanismes de
protection des populations contre les abus de pouvoir. Ces mécanismes de contrôle, dont les
puissances ancestrales et temporelles ont la charge, nous ramènent logiquement à la réalité de
l’existence d’une véritable préoccupation des communautés précoloniales de garantir le bien
être individuel et collectif par le droit, tout comme le font les principes occidentaux des droits
de l’homme. L’étude des droits africains dans la première partie nous apportera plus d’éléments
pour confirmer l’attachement des droits traditionnels à la sauvegarde de la dignité humaine.
Mais d’abord, nous devons aborder quelques difficultés méthodologiques liées à l’usage de
notions étrangers pour décrire les réalités juridiques africaines.

§2. Quelques difficultés terminologiques dans l’étude des droits traditionnels africains

Le droit, construit social nécessaire et même fondamental à la régulation de la vie sociale, se


construit au travers de préceptes socio-culturels, philosophiques, mais aussi linguistiques. Dans
les sociétés africaines fortement marquées par des cultures orales, la parole joue un rôle
fondamental dans l’établissement et la transmission du pouvoir, du savoir et même du droit.
D’ailleurs plusieurs auteurs ont mis l’accent sur les relations réciproques et étroites entre la
langue et le droit65.

Ces rapports particuliers entre la langue et le droit justifient que l’on soit attentifs, lorsqu’on
recherche une certaine authenticité culturelle, aux difficultés que l’emploi de notions étrangères
peut avoir sur l’évolution de droits locaux (A). Mais on doit aussi rester réalistes et reconnaître
que l’uniformisation du discours juridique est aujourd’hui une réalité et plusieurs techniques
ont été développées pour remédier à ses inconvénients (B).

A. Les périls de l’uniformisation terminologique

Dans l’idéal, l’étude du phénomène juridique en Afrique impliquerait qu’au préalable un


exercice de requalification terminologique soit effectué afin de mieux saisir la substance des
concepts utilisés. La doctrine a le plus souvent recours à des termes empruntés au vocabulaire
juridique hérité de la tradition romano-germanique pour désigner les réalités juridiques

65 DIOUF Abdou, « Recherche juridique : les attentes de la Francophonie », in Lettre de la mission de recherche
Droit et Justice, n° 20, Paris, 2005, p. 5.

32
existantes en Afrique. Or, cette démarche s’inscrit dans une approche déductive qui ne permet
pas d’épuiser l’essence des réalités juridiques riches en symboles qui leur sont propres. Les
développements qui suivent ne prétendent pas proposer un lexique juridique nouveau applicable
aux réalités africaines, mais ont tout simplement pour objectif d’apporter un éclairage sur le
lexique occidental utilisé jusqu’à présent, en le mettant en perspective avec les rationalités en
étude.

En Afrique noire les discours juridiques s’entrecroisent dans un univers juridique riche en
rationalités diverses. De plus en plus, les individus se retrouvent soumis à une multiplicité
d’ordonnancements juridiques, de manière simultanée. Ce qui nous emmène à poser la question,
au-delà de la traduction des expressions juridiques d’origine étrangère, de l’équivalence
terminologique du vocabulaire utilisé dans chacun de ces systèmes juridiques. Chaque
ordonnancement juridique a une charge axiologique qui lui est propre et qui doit être respectée.
Or, le phénomène d’universalisation du droit anéantit en quelque sorte ces spécificités et place
tous les individus et les Africains en particulier face à une uniformité qui lui est étrangère et qui
devient très difficile à mettre en œuvre.

Il est difficile de parler des droits traditionnels sans mentionner la dimension discursive et les
limites que peuvent présenter l’unification des méthodes qui ont recours à une langue étrangère
pour décrire et caractériser des phénomènes locaux. On peut en effet critiquer la démarche de
recherche du caractère juridique des droits en Afrique sur la base de l’utilisation de concepts
empruntés au droit occidental et plus encore aux langues occidentales. En effet, sur le continent
le droit dispose d’un discours qui lui est propre, avec des symboles qui lui sont caractéristiques.
Le réduire à des concepts du droit occidental a nécessairement des conséquences sur son sens
originel, sur sa portée et conséquemment dans son évolution qui tend à se rapprocher de plus
en plus des droits européens, puisqu’il a recours au langage de ce système juridique.

Selon le président Abdou Diouf, « la langue véhicule le droit et le droit véhicule la langue. La
structure de la langue, qui traduit celle de la pensée, influence la conception juridique66 ». On
peut remarquer cette relation sui generis entre la langue et le droit dans le contact des peuples
romains avec les civilisations méditerranéennes qui se sont vues imposer, notamment au travers

66 DIOUF Abdou, « Recherche juridique : les attentes de la Francophonie », in Lettre de la mission de recherche
Droit et Justice, n° 20, Paris, 2005, p. 5. Cité par KUYU Camille, Écrits d’anthropologie juridique et politique,
Collection publications de l’Institut universitaire André Ryckmans n°2, Louvain-La-Neuve, Bruylant, 2008, p. 37.

33
de la langue latine, la pensée juridique romaine et avec elle le droit éponyme.

L’enlacement d’ordres juridiques différents, tantôt divergents, tantôt convergents, met en


lumière des configurations discursives hétérogènes dans lesquelles s’entremêlent les droits
traditionnels des communautés ethnolinguistiques africaines et le droit étatique de source
civiliste ou de la Common law. La mise en œuvre dans les États africains d’un droit importé de
l’Occident, a accentué la réception d’un discours linguistique qui lui est spécifique, en même
temps que l’utilisation de langues extérieures à l’Afrique apporte avec elle un système juridique
lui aussi étranger. Donc, dès lors que l’on désigne le phénomène juridique par des termes
importés de discours juridiques étrangers, il ne peut qu’être dénaturé dès le départ. Ainsi par
exemple, les considérations morales sur lesquelles reposent les droits traditionnels qui se
rapportent au sens du devoir, de ce qui est légitime, considéré comme juste et équitable trouvent
difficilement un équivalent dans le droit moderne occidental plus axé sur la notion de légalité,
de conformité au texte de la loi. Il ressort de ces deux modèles juridiques (entendus au sens
large) ce qu’on peut désigner comme des hétérogénéités discursives et des inférences juridiques
déstabilisant les contextualités juridiques67.

Sur le continent, avec la diversité de systèmes juridiques existants, entre les traditionnels et les
modernes, les individus se trouvent soumis simultanément à des ordonnancements juridiques
différents. Ce que Jacques Vanderlinden appelle le multijuridisme, met en lumière des
difficultés de traduction des terminologies juridiques, dans un univers où le phénomène
juridique est de plus multiple68. Ce d’autant plus qu’au-delà de l’élaboration idéologique de la
terminologie juridique applicable au droit en Afrique, se posent des questions théoriques et
méthodologiques fondamentales difficiles à résoudre. En effet, traduire le droit implique tout
d’abord de reconnaître l’existence de normes juridiques continentales au même rang que celles
édictées en Occident. Tout en acceptant le relativisme juridique, fruit d’axiologies diverses,
mais pas nécessairement divergentes. Or, en acceptant un langage universel du droit on refuse
le multijuridisme puisqu’on décide de placer les différents systèmes juridiques dans une même
case, sans réellement distinguer les particularités qui font d’eux une pluralité et non une unité.
Cette démarche s’inscrit néanmoins dans la tendance actuelle bien plus tournée vers

67 Expressions empruntées à CAMILLE ROGER Abolou, « Le discours juridique en Afrique noire. Terminologie
et traduction du droit », Revue française de linguistique appliquée, 2011/1 (Vol. XVI), p. 19.
68 VANDERLINDEN Jacques, « Vers une nouvelle conception du pluralisme juridique », Revue de la recherche
juridique, Droit prospectif, n° 2, 1993, p. 582.

34
l’intégration, voire même la dilution des droits traditionnels dans les droits modernes, formant
ainsi une entité unique, ce qui est à plusieurs égards contraire à la réalité même du phénomène.
A côté de la question de la reconnaissance de la diversité des ordres juridiques, se trouve celle
de la traduction textuelle des termes juridiques.

B. L’adaptation du discours juridique en Afrique

Le fond axiologique du droit étant très particulier à chaque culture et à chaque société, il est
difficile d’aboutir à une traduction fidèle des termes sans dénaturer l’essence même de certaines
figures juridiques. La traductologie propose différentes théories plus ou moins formelles
permettant pour certaines, comme la théorie fonctionnelle du Skopos, de prendre en compte les
contextes socio-culturels ainsi que les particularismes de chaque domaine, comme en droit
foncier, droit de la filiation, droit de la succession, entre autres69. Les différentes méthodes de
traduction visent à traduire les termes spécifiques aux juridicités africaines de la manière la plus
fidèle possible à leur signification d’origine, tout en permettant de trouver leur équivalent dans
les systèmes modernes de justice. Dans certaines langues le processus de traduction est plus
simple car il est possible d’y appréhender un vocabulaire applicable à des situations juridiques,
forgé au cours des décennies, ayant résisté jusqu’à présent dans certains pays. Au Burundi, par
exemple, un lexique issu de la langue kirundi a survécu aux péripéties de l’histoire et est jusqu’à
présent utilisé dans les sphères traditionnelles (Figure 1). Ces expressions constituent ce qu’on
appelle des jurisignes « culturés », c’est-à-dire des signes juridiques provenant de ressources
linguistiques propres à un système juridique donné70.

69 CAMILLE ROGER Abolou, op. cit., p. 18.


70 CAMILLE ROGER Abolou, op. cit., p. 21.

35
Kirundi Sens juridique Sens commun
Uwitwara Plaignant Celui qui est son maître
Uwitwarirwa Défendeur, avocat Celui qui est cité en justice
Abashingantahe Notables, conseillers, Ceux qui plantent le bâton
arbitres
Umosozi Unité administrative locale Colline
icariho Délégué, mandataire Celui qui représente

Figure 1. Lexique juridique monolingue en kiburundais (source : Registre des tribunaux


coutumiers de résidence au Burundi, cas de Bukeye, 1933-1936)71.

Dans d’autres cas, on trouve dans le vocabulaire juridique de certains pays des expressions
issues de la rencontre des langues africaines avec des expressions juridiques européennes. On
désigne ces expressions comme étant des jurisignes « acculturés », puisqu’elles sont le fruit
d’un emprunt juridique consistant à utiliser des expressions ayant la même forme lexicale que
celles utilisées dans les droits civilistes ou la Common Law dans les domaines modernes du
droit traditionnel. Par exemple, en langue baoulé (Côte d’Ivoire) le mot juge se traduit par zuze
ou zuzi ; le mot droit par drowa ; le mot convocation, devient konkasion ; huissier devient isie
et justice se traduit par zustisi. Les jurisignes acculturés peuvent aussi être issus du calque
juridique lorsqu’on utilise des expressions issues des langues africaines pour traduire des
figures du droit moderne, mais dans le but de les utiliser en droit coutumier. On prend ici en
compte le sens lexical des termes employés, par exemple en lingala, langue parlée dans les deux
Congos, ko-samba signifie juger ; mo-sambi-sio signifie juge et e-samb-is-el-o désigne le lieu
où on juge, le palais de justice.

Ces interférences linguistiques caractérisent néanmoins un phénomène naturel, presque


spontané, qui a permis aux institutions traditionnelles de se familiariser avec le nouveau
système juridique auquel elles ont dû se soumettre et adhérer, et qui a réussi à s’imposer comme
un universel juridique. Elles symbolisent l’appropriation juridico-linguistique née du contact
de deux systèmes juridiques distincts et œuvrent dans la transition d’un système juridique à un
autre, en vue d’une uniformisation. Les interférences discursives s’inscrivent parmi les
mécanismes ayant permis un transfert du droit entre les systèmes juridiques européens vers les

71 Tableau figurant dans l’article suivant : CAMILLE ROGER Abolou, op. cit., p. 21.

36
systèmes juridiques africains. Celui-ci s’est opéré par des transferts de la forme, par le biais des
emprunts juridiques, transfert du sens, par le calque qui permet de passer le sens d’une règle de
droit d’un système juridique donné à un autre72. Et enfin le transfert de la fonction qui consiste
dans le passage d’une règle juridique appartenant à un système juridique à un autre. Si on prend
l’exemple de figures juridiques comme la parenté, la filiation, la sorcellerie, ce sont des figures
symboliques que les peuples africains ont dû structurer dans des modèles de contenu sur la base
de discours juridiques étrangers. Dans le cas de la sorcellerie, il est jusqu’à présent très difficile
de la transcrire dans le discours juridique moderne en raison de l’ambiguïté non seulement de
sa symbolique, mais aussi de sa matérialité même. Dans ce cas, comme dans d’autres,
l’imaginaire se voit confronté au réalisme juridique73.

Dans les mots d’Abolou Camille Roger, « les mécanismes de transfert du droit semblent
réinventer une norme juridique hybride, l’interjuridicité, espace des interdiscours ou mélange
de discours74 ». L’interjuridicité discursive est certainement une richesse dans l’universalisme
juridique dans lequel nous baignons actuellement, mais elle est surtout une manière de
dépouiller les droits traditionnels de leurs sens et valeurs originels. La logique des droits
traditionnels se trouve atteinte dans sa forme, avec l’estompement des notions
d’interdits/permis et obligatoire/admis que l’on trouve dans les sociétés traditionnelles, en
faveur d’une recodification de ces logiques. Les principes de validité et d’acceptabilité de la
règle de droit se retrouvent dénués de leurs sens. Ainsi par exemple, un acte dont la validité
dépendait de l’expérience de son auteur, ne trouve plus sa source dans les critères de légitimité
anciens, mais plutôt dans la légalité de la règle de droit. L’interaction de ces deux systèmes
juridiques moderne et traditionnel instaure par ce biais un climat d’insécurité juridique que les
États ont essayé de combler par la création d’institutions de régulation juridique tels des
tribunaux coutumiers et conseils de village commandés par des autorités traditionnelles. Tout
en sauvegardant leur adhésion au modèle républicain, avec ses systèmes juridiques modernes
censés protéger les régimes politiques et réguler les rapports sociaux75.

Comme on peut le voir, il n’est pas possible d’étudier le droit et plus précisément les droits de
l’homme sans avoir recours à d’autres disciplines qui permettent d’éclairer, de contextualiser et

72 Selon Legrand, le « sens d’une règle de droit est intransférable car culturellement fondé », (1999). Cité par
CAMILLE ROGER Abolou, op. cit., p. 24.
73 CAMILLE ROGER Abolou, op. cit., p. 24.
74 Idem., p. 24
75 Ibidem., p. 25.

37
de d’appréhender globalement des réalités juridiques différentes. Le dialogue culturel qu’il est
important d’employer dans la construction des règles des droits de l’homme, exige que cette
construction se fasse dans un esprit d’ouverture de la discipline du droit à d’autres disciplines
afin de permettre une véritable prise en compte des différents contextes socio-juridiques.

§3. Méthode de travail : l’interdisciplinarité comme méthode de contextualisation

Nous adopterons pour la rédaction de cette étude une méthode interdisciplinaire, nécessaire à
une compréhension globale du sujet en étude. L’interdisciplinarité peut effrayer plusieurs
juristes attachés au formalisme juridique et à la préservation d’une prétendue autonomie de la
science du droit par rapport à d’autres disciplines. Mais en réalité, l’application de méthodes
interdisciplinaires dans l’étude du phénomène juridique permet d’appréhender ces phénomènes
de manière critique, en prenant en compte les rapports qui se nouent dans le droit et au travers
de celui-ci par les sujets de droit.

Le droit étant un construit social, il est très réducteur de l’étudier en dehors des contextes dans
lesquels s’organisent, évoluent et se préservent les sociétés qu’il régit, sous peine de voir
développer un droit en décalage avec les sujets qu’il vise réguler. Le droit doit donc s’intégrer
en tant que discipline dans l’interdisciplinarité, au même titre que les autres disciplines qui
doivent elles aussi avoir un regard interdisciplinaire sur leurs objets. Comme le souligne Régis
Lanneau, « la présence de disciplines extérieures au droit permet au juriste d’opérer un retour
réflexif sur sa discipline, sur son usage et sur les solutions qu’il avance ; ces disciplines
obligent le juriste (théoricien ou dogmaticien) à questionner ses outils, à en identifier les limites
et, par cet effort, à les « dépasser »76 ».

L’interdisciplinarité, notion pour laquelle on ne trouve pas de définition unique, consiste à


adopter une méthode de recherche qui aborde un ou plusieurs objets selon des approches
disciplinaires différentes. Lorsque pour un même objet de recherche plusieurs disciplines se
croisent, François Ost et Michel Van de Kerchove distinguent l’approche interdisciplinaire des
méthodes transdisciplinaires – approche par laquelle « on tente d’abandonner les points de vue
particuliers de chaque discipline pour produire un savoir autonome d’où résultent de nouveaux

76 LANNEAU Régis, « L’interdisciplinarité comme questionnement ; penser et dépasser (?) les limites des
approches juridiques traditionnelles », in BOTTINI Eleonora, BRUNET Pierre et ZEVOUNOU Lionel (dir.),
Usages de l’interdisciplinarité en droit, Paris, Presses universitaires de Paris Ouest, 2014, p. 37.

38
objets et de nouvelles méthodes » – et pluridisciplinaires, lorsque « sont juxtaposées, à propos
d’un même objet d’étude censé commun, une série de disciplines différentes développant leurs
points de vue spécifiques »77.

La transdisciplinarité aboutit donc à l’intégration des disciplines, tandis que la


pluridisciplinarité par la juxtaposition des savoirs, donne lieu à « autant d’objets différents que
de perspectives mises en œuvre 78». Ces deux méthodes se distinguent ainsi de
l’interdisciplinarité qui concerne les cas dans lesquels « la recherche s’opère à partir du champ
théorique d’une des disciplines en présence qui développe des problématiques et des hypothèses
qui recoupent partiellement celle qu’élabore, de son côté, l’autre discipline. Il s’agit cette fois
d’une articulation de savoirs qui entraîne, par approches successives, comme dans un dialogue,
des réorganisations partielles des champs théoriques en présence79 ».

Pour François Ost et Michel Van de Kerchove, l’approche interdisciplinaire ne s’effectue pas
sans difficulté car il se pose la question de l’articulation des disciplines en présence, mais aussi
« de l’articulation d’une perspective « normative », propre aux juristes, praticiens comme
théoriciens, et d’une perspective « critique » propre (généralement à tout le moins) aux
sciences sociales80 ». L’interdisciplinarité doit donc consister en une méthode de dialogue entre
matières ayant un objectif commun pour apporter une compréhension élargie des phénomènes
juridiques.

La position de ces deux auteurs, largement relayée par les juristes, n’empêche nullement une
interaction entre les différentes méthodes de recherche au cours du processus d’une recherche
interdisciplinaire. Comme le soutient Charles Édouard Sénac, « les types identifiés sont
évidemment distincts mais non antagonistes. En règle générale, pluridisciplinarité,
interdisciplinarité et transdisciplinarité sont d’ailleurs présentées comme trois stades

77 OST François et van de KERCHOVE Michel, « De la scène au balcon, d’où vient la science du Droit », in
CHAZEL François et COMMAILLE Jacques (dir.), Normes juridiques et régulation sociale, Paris, LGDJ, « Droit
et société », 1991, p. 77 et s. Cité par SENAC Charles-Édouard, « Les typologies de la recherche interdisciplinaire
», in E. Bottini, P. Brunet et L. Zevounou (dir.), Usages de l’interdisciplinarité en droit, Journées d’études du
Centre de théorie et d’analyse du droit de l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense, 5 et 6 octobre 2011,
Presses universitaires de Paris Ouest, coll. « Sciences juridiques et politiques », 2014.
78 Idem.
79 Idem., OST François et van de KERCHOVE Michel, « De la scène au balcon, d’où vient la science du Droit »,
op. cit.
80 OST François, « Questions méthodologiques à propos de la recherche interdisciplinaire en droit », Revue
interdisciplinaire d'études juridiques, 1981/1, Volume 6, pp. 4-5.

39
complémentaires voire trois étapes successives ou trois moments différents dans
l’accomplissement d’une recherche interdisciplinaire lato sensu81 ».

Par ailleurs, aux côtés des typologies fondées sur les modes de connexion des savoirs dans la
recherche, C. Sénac propose de définir l’interdisciplinarité à partir de typologies fondées sur le
contexte de la recherche, permettant d’intégrer l’aspect humain lié au contexte dans lequel se
réalise la recherche interdisciplinaire, considérant ainsi que dans le cadre de la recherche
individuelle, « la recherche interdisciplinaire se présente comme la démarche du chercheur
qui élargit les sources de ses recherches et, le cas échéant emprunte des éléments d’autres
disciplines82 ». Cette dernière définition, plus pratique, a pour avantage de mettre de côté
plusieurs considérations théoriques qui se posent dans les typologies classiques, mettant plus
l’accent sur le processus de la recherche que sur le produit de la recherche. Mais, comme le
précise l’auteur, les différentes définitions trouvent toujours à se compléter dans l’ensemble du
travail de recherche.

L’interdisciplinarité permet donc le dialogue entre les disciplines, c’est-à-dire une articulation
entre les matières, qui est avant tout une articulation méthodologique et conceptuelle. L’objectif
de ce dialogue dans notre recherche n’est pas tant de s’approprier des concepts et théories des
autres matières, mais de s’en servir pour apporter un regard différent sur les objets d’étude, afin
de mieux les contextualiser.

L’interdisciplinarité nous permettra d’avoir un regard ample sur la réalité sociale dans laquelle
les systèmes juridiques se développent en Afrique et par la suite d’évaluer leur degré
d’adaptation à cette réalité, ce qui fait appel à une démarche critique, qu’on adoptera tout au
long du travail. Par la démarche critique nous cherchons à remettre en question le système actuel
afin de dégager des éléments de réponse fondés sur des facteurs sociaux, historiques, politiques
et culturels. Sans toutefois prétendre trouver des réponses absolues et des solutions immédiates
aux problématiques posées. Notre analyse critique est donc essentiellement contextuelle
puisqu’on propose une analyse du système africain des droits de l’homme au regard des
circonstances globales et locales dans lesquelles ce droit se fonde et se développe, d’où
l’importance de l’approche interdisciplinaire très présente dans l’ensemble du travail.

81 SENAC Charles-Édouard, « Les typologies de la recherche interdisciplinaire », in Bottini E.,Brunet P. et.


Zevounou L. (dir.), Usages de l’interdisciplinarité en droit, Journées d’études du Centre de théorie et d’analyse
du droit de l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense, 5 et 6 octobre 2011, Presses universitaires de Paris
Ouest, coll. « Sciences juridiques et politiques », 2014. Voir en ce sens aussi BÉCHILLON Denys, « La notion de
transdisciplinarité », op. cit., p. 199.
82 Idem. SENAC Charles-Édouard, « Les typologies de la recherche interdisciplinaire », op. cit.

40
L’approche critique nous oblige à étudier le droit et plus précisément les droits de l’homme
dans son contexte culturel et juridique, lequel fait appel à plusieurs sciences, qui ne sont, par
ailleurs, pas du tout étrangères au droit, telles que l’anthropologie, la philosophie, la sociologie,
la science politique, l’histoire, entre autres.

S’engager dans la démarche interdisciplinaire et critique implique de se questionner sur les


rapports qu’entretient le droit avec les phénomènes sociaux que les différentes sciences se
proposent d’étudier et qui sont en constante mutation. En effet, selon les contextes, le droit se
trouve être le fruit des changements sociaux, mais peut aussi en être la source. Comme le
souligne André-Jean Arnaud, « selon l’opportunité, ou tout à la fois, le droit se trouve être
« source », « affluent », « alluvion », aussi bien qu’un « aboutissement » des changements
sociaux83 ». Une approche positiviste du droit tendrait à voir celui-ci comme une source des
changements sociaux puisque le droit dans sa fonction de régulateur des rapports sociaux, et
par sa force obligatoire, s’imposerait dans les choix comportementaux des individus. Une étude
purement juridique en découlerait ainsi face à une étude contextuelle des fondements et de
l’évolution du droit. Or, comme souligné par AJ. Arnaud, une telle approche risquerait de ne
pas toujours être conforme à la réalité84.

Dans le contexte africain, le droit actuel est le résultat d’interactions diverses avec des
juridicités étrangères qui l’ont à la fois enrichi, dépouillé de son essence et ont profondément
changé les rapports sociaux. Ce qui a entraîné des brassages complexes de rapports juridiques
et sociaux, particulièrement visibles dans le domaine de la protection des droits humains. Vue
sous ce prisme, l’étude contextuelle et interdisciplinaire des droits de l’homme permet non
seulement de s’intéresser aux fondements des juridicités africaines, mais aussi à l’adéquation
des instruments des droits de l’homme à l’environnement social85 qu’ils visent à réguler. Ce qui
aura une conséquence directe sur l’efficacité et l’effectivité de l’ensemble du système des droits
de l’homme.

83 ARNAUD André-Jean, « Regards croisés sur la notion de droit en contexte », Revue interdisciplinaire d'études
juridiques, 2013/1 Volume 70, p. 50.
84 Idem.
85 Au sens de l’« ensemble des éléments objectifs et subjectifs qui constituent le cadre de vie d’un individu ». Voir
dictionnaire Larousse.

41
§4. Problématique de la recherche

Nombreux sont les auteurs qui vantent les mérites de la Charte africaine des droits de l’homme
et des peuples en tant que premier texte régional relatif aux droits de l’homme ; en tant que
texte qui s’est voulu audacieux par l’introduction des droits dits de troisième génération ; par la
proclamation de l’indivisibilité des droits civils et politiques et des droits économiques, sociaux
et culturels ; par la juxtaposition des droits et des devoirs des individus et enfin par la
proclamation des droits des peuples86. Néanmoins, tout aussi ambitieuse soit elle dans la
proclamation de ses objectifs, la Charte ADHP a-t-elle réellement réussi à créer un système de
protection aux droits de l’homme prenant en compte les valeurs juridiques et culturelles
africaines ? Quel est le véritable apport de la Charte africaine dans le système de protection des
droits de l’homme ?

Notre étude se place dans une démarche analytique et critique de la portée de la Charte sous
l’angle de son originalité en tant que texte proposant une protection des droits de l’homme en
conformité avec les valeurs historiques et les cultures africaines. Afin de vérifier le degré de
conformité des principes de la Charte aux valeurs et traditions juridiques des sociétés africaines,
il est au préalable important de prendre connaissance de ces valeurs présentes dans les
juridicités africaines. Pour cette raison, le présent travail a un objectif assez ambitieux visant
d’une part, à réfléchir sur les phénomènes juridiques en Afrique et d’autre part, à appréhender
leur évolution face à des évènements majeurs qui ont bouleversé l’histoire du continent, à savoir
la colonisation et les indépendances.

Les juridicités africaines sont ici appréhendées dans leur pluralité et non pas comme une unité
homogène mais comme étant constituée d’une multitude de facteurs culturels, mythiques et
sociologiques aussi différents les uns des autres, mais regroupant des caractères généraux
unificateurs dans leur pensée de base. Nous proposons ainsi une analyse comparative des
principaux traits des différents phénomènes juridiques du continent, sans prétendre à
l’exhaustivité de leur présentation.

L’analyse des phénomènes juridiques en Afrique implique que l’on prenne en compte, comme

86 Voir par exemple : OUGUERGOUZ Fatsah, La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples : une
approche juridique des droits de l’Homme entre tradition et modernité, Paris, Presses universitaires de France,
1993.

42
le propose Christoph Eberhard, la notion d’altérité qui, dans ses mots, « nous confronte à ce qui
est autre87 », mettant en relief ce qui unit le « soi » à « l’autre », mais aussi se confrontant à ce
qui les sépare. L’ouverture à l’altérité nécessite la reconnaissance de la validité et de la légitimité
des différentes manières d’être et de concevoir le monde, et d’être en mesure de s’émanciper
d’une vision homogène de l’univers, centrée sur des prémisses ethnocentrées pour admettre
qu’il n’y a pas un univers mais que « nous vivons dans un « plurivers »88 ».

Pendant longtemps, l’étude des systèmes juridiques des sociétés africaines précoloniales a été
relégué aux ethnologues et anthropologues car ces sociétés n’étaient pas considérées comme
des véritables sociétés, organisées autour d’une entité supérieure qui détient le pouvoir de
contrainte qui est l’État. Le refus du droit occidental de s’intéresser aux systèmes juridiques en
Afrique était le signe d’un refus de la juridicité inhérente aux normes régissant ces sociétés.
Reconnaître l’existence de normes juridiques dans les sociétés africaines impliquerait pour les
anciennes puissances coloniales une reconnaissance de l’égalité de principe entre l’homme
européen et l’homme africain, ce qui était contraire à la mission expansionniste et civilisatrice
prônée par les mouvements coloniaux. Notre étude souhaite ainsi, à la suite de tant d’autres,
faire table rase de ce passé d’intolérance face à la rationalité du droit des sociétés africaines, en
apportant un regard qui se veut explicatif et constructif sur les logiques servant de fondement
au droit.

Le droit en Afrique a souvent été relégué à la place de la coutume dépourvue de valeur juridique,
comme le souligne le doyen Jean Carbonnier pour qui les coutumes africaines sont du non-
droit89, en raison de l’absence d’une autorité qui soit à son origine, comparable à celle de l’État.
Il est de notre avis qu’une telle position ne peut que contribuer à désapprouver un système
normatif qui s’est construit au cours des siècles, dont la juridicité a fait ses preuves dans
l’organisation des sociétés africaines précoloniales. Or, sans tomber dans le piège de ce que
Eberhard considère comme le « panjurisme90 », c’est-à-dire sans prétendre que le droit est
omniprésent et homogène dans tous les comportements sociaux, nous nous proposons de
déceler dans ce travail les critères de juridicité qui nous permettront d’identifier la part de
juridique dans les rapports sociaux au sein des communautés. L’identification des traits majeurs

87 EBERHARD Christoph, Le droit au miroir des cultures. Pour une autre mondialisation, Paris, L.G.D.J., 2010,
pp. 26-27.
88 Idem., p. 27.
89 Ibid., pp. 25-26.
90 Ibid., p. 23.

43
des juridicités traditionnelles africaines permettra d’identifier le degré de conformité des
normes africaines des droits de l’homme aux traditions historiques et culturelles auxquelles font
référence les auteurs de la Charte ADHP.

Ce travail pose la question de la conformité des normes actuelles en matière de protection des
droits fondamentaux aux juridicités ancestrales dont l’influence est encore présente sur le
continent, ainsi que leur degré d’acceptation au sein des peuples. En effet, si on peut reconnaître
la légalité du système africain des droits de l’homme, la même position ne peut être tenue en ce
qui concerne leur légitimité. Or, la légitimité qui donne à toute norme et institution le caractère
acceptable par l’ensemble des citoyens permet son application effective. Mais comment peut-
on entamer le processus de légitimation des normes et institutions juridiques dans un monde de
plus en plus globalisé où les droits de l’homme sont perçus comme relayant des valeurs
universelles ? Pour certains, ce processus passe par une reformulation du droit actuel, en le
rendant plus proche des principes de base des droits africains. Pour d’autres néanmoins, il ne
suffit pas de procéder à une « tropicalisation du droit importé91 ». Il faut une véritable refonte
du droit, pour construire un droit nouveau qui reflète la pensée et les valeurs actuelles du
continent. Il faut notamment prendre en compte les spécificités culturelles et sociales de chaque
société, en particulier en ce qui concerne la transformation du pluralisme de fait en un
pluralisme de droit. Mais est-il possible d’inventer un droit pluriel, comme le propose le
Professeur Etienne Le Roy92 ?

Construire un droit des droits de l’homme pluriel n’est pas une tâche aisée et les débats autour
de la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme témoignent de cette
difficulté. Mais certaines approches peuvent être privilégiées pour parvenir à une solution
commune qui reconnaisse et intègre les spécificités cultuelles de chaque société. Une bonne
partie de la doctrine adopte une démarche qui consiste à chercher dans chaque culture
l’existence des droits de l’homme, au lieu de se poser d’abord la question de savoir comment
une autre culture satisfait un besoin équivalent93. Cette approche est fortement critiquée par des
auteurs comme Camille Kuyu ou encore Raimundo Panikkar pour qui la première question de
l’existence ou non de la notion des droits de l’homme dans d’autres cultures comporte en elle-

91 KUYU Camille, Écrits d’anthropologie juridique et politique, Collection publications de l’Institut universitaire
André Ryckmans n°2, Louvain-La-Neuve, Bruylant, 2008, 43.
92 LE ROY É., « Inventer un Droit pour répondre à la crise des sociétés africaines », in Marchés tropicaux, n°
3000, 2003, p. 982.
93 KUYU Camille, Écrits d’anthropologie juridique et politique, idem., p. 256.

44
même le postulat de l’universalité de cette notion et de son caractère indispensable pour garantir
la dignité humaine. Tandis qu’avec la seconde question on cherche avant tout à trouver des
terrains communs entre les différentes cultures, en utilisant un langage mutuellement
compréhensible. Pannikar propose pour répondre à la seconde question d’adopter une méthode
herméneutique diatopique qui consiste à comprendre les idées d’une culture donnée à l’aide des
outils thématiques (topos)94 ce qui permettrait d’introduire un dialogue multiculturel. Dans
l’univers varié que les sociétés africaines représentent, trouver des points communs sous l’angle
culturel et juridique peut s’avérer assez difficile. Mais plusieurs études anthropologiques et
sociologiques ont mis en relief les traits marquants des systèmes juridiques des sociétés,
permettant de repérer des points communs ou similaires pouvant servir de base à l’élaboration
d’un système des droits de l’homme plus proche des réalités, à l’échelle du continent.

La méthodologie suivie pour ce travail suit plusieurs approches afin de mieux saisir la portée
du texte de la Charte et de mesurer son degré d’effectivité. Dans un premier temps une approche
théorique et historique de l’évolution des juridicités nous semble pertinente pour permettre une
contextualisation des principes juridiques propres au continent ; la méthode de l’exégèse nous
permettra d’apprécier la valeur juridique de la Charte par un examen du sens de certaines
dispositions dont l’ambiguïté peut porter à confusion ; et l’approche comparative nous
permettra d’évaluer l’originalité, la clarté et l’exhaustivité du texte de la Charte et du
mécanisme régional de sauvegarde des droits de l’homme95. Ces développements nous
permettront par la suite d’être en mesure d’évaluer le sens et la portée de son texte au regard
des principes traditionnels du droit en Afrique. En effet, nous considérons qu’un travail mettant
en relief la légitimité des normes est la clé pour bâtir un modèle juridique et institutionnel qui
prenne en compte les revendications des peuples.

L’objectif principal étant d’évaluer l’originalité de la Charte dans son ambition de se rapprocher
des valeurs culturelles du continent, nous consacrerons la première partie de l’étude du
phénomène juridique en Afrique sub-saharienne (PARTIE I). L’étude des valeurs culturelles qui
servent de fondement aux droits traditionnels montre que ni ces valeurs ni ces droits n’ont pas
été véritablement pris en compte dans la rédaction de la Charte ADHP (PARTIE II).

94 PANIKKAR Raimundo, « La notion des Droits de l’homme est-elle un concept occidental ? », in Interculture,
n° 143, Montréal, 2002, p. 42.
95 Malgré quelques références à la pensée européenne, très présente notamment dans l’utilisation d’un vocabulaire
spécifique à la culture juridique européenne, notre propos ne vise pas à mettre en contradiction les deux systèmes
juridiques, mais simplement à mettre en exergue les principales caractéristiques du système juridique africain.

45
PREMIÈRE PARTIE. LE PHENOMENE JURIDIQUE EN AFRIQUE :
DES JURIDICITES BAFOUEES PAR L’INFLUENCE COLONIALE

Chaque société développe ses propres mécanismes de régulation sociale, alimentés par les
discours, les pratiques et les représentations des acteurs96. Dans l’Afrique moderne, malgré
l’intégration des sociétés dans l’économie de marché et dans la modernité juridique, les
mécanismes de régulation sociale se forgent par le bas. Ce qui est moins visible dans les sociétés
occidentales marquées par une plus grande soumission à des normes générales et
impersonnelles qui préexistent aux conflits et en déterminent la solution. La prédisposition des
sociétés africaines contemporaines à faire appel à des savoirs ancestraux et à des pratiques
culturelles lointaines renvoie à un passé précolonial fleurissant dans lequel des grands royaumes
se sont formés autour d’une structure sociale et normative propre dont les caractères doivent
être élucidés.

L’étude et la compréhension des phénomènes juridiques impliquent au préalable une


compréhension des phénomènes empiriques à la base du droit par le dépassement de l’approche
formaliste de l’ordonnancement normatif à la recherche des logiques fonctionnelles des
mécanismes de régulation sociale. Ces logiques, variant en fonction des nécessités, des choix
et des postulats de chaque société, se retrouvent entre deux mondes – la tradition et la modernité
– permettant des réinterprétations du phénomène juridique. Cet exercice doit se faire suivant
une démarche à la fois interdisciplinaire, dialogique et diatopique, qui nous permettra de
prendre en compte l’ensemble des facteurs propres à des sociétés ayant donné naissance à des
cultures juridiques propres97. Il faut donc un esprit d’ouverture et reconnaissance de spécificités
de la vision du monde propres à la culture juridique africaine, car comme le précise un adage
bashi « la sagesse d'un peuple ne vaut pas nécessairement pour le royaume voisin98 ».

Sans vouloir les présenter comme un ensemble homogène, nous verrons que dans les sociétés
négro-africaines précoloniales les principes de base très similaires permettent de déceler une

96 KUYU Camille, Écrits d’anthropologie juridique et politique, Collection publications de l’Institut universitaire
André Ryckmans n°2, Louvain-La-Neuve, Bruylant, 2008, pp. 10-11.
97 Voir en ce sens Robert VACHON, « L’étude du pluralisme juridique – une approche diatopique et dialogale »,
Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law, 1990, n° 29, pp.163 et s.
98 MUNIHIRWA Christophe, « Pouvoir royal et idéologie : rôle du mythe, des rites et des proverbes dans la
monarchie précoloniale du royaume de Kabaré (Zaïre) », Journal des africanistes, 2002, tome 72, fascicule 1, p.
229.

46
tendance générale à la sacralisation du pouvoir politique et normatif99. L’origine sacrée du
pouvoir politique africain, que nous avons abordé en introduction, est à la fois élément de
légitimation du pouvoir des autorités physiques et fondement d’un système normatif qui n’a
rien d’informel. Ancrés dans la sacralité et l’oralité, les droits africains ont pour objectif
principal de préserver la force vitale des communautés, sujets de droit par excellence. Mais
malgré l’existence indiscutable des juridicités africaines, celles-ci n’ont pas été épargnées par
des théories négationnistes européennes axées sur le formalisme juridique (TITRE I).

D’abord touchée par les courants islamiques à partir du VIIe siècle, l’histoire de l’Afrique noire
a été particulièrement bouleversée par l’avènement des puissances coloniales européennes.
Ayant pour objectif de fixer leur autorité politique, celles-ci se sont octroyé une mission
civilisatrice qui ne pouvait pas avoir lieu sans le dénigrement et la déconstruction des
paradigmes dominants. Sous l’air de tolérance, les politiques civilisationnistes et
expansionnistes européennes ont abouti à la négation, dénaturation et subordination des droits
originaires africains, notamment par les mouvements de codification des coutumes locales.
Dépouillés de leur essence, il n’est pas surprenant qu’après les indépendances les nouveaux
droits formés reflètent la perte de repères culturels des sociétés africaines modernes (TITRE II)

99 DIOP Cheik Anta, L’unité culturelle de l’Afrique noire. Domaines du patriarcat et du matriarcat dans
l’antiquité classique, 2e éd., Paris, Présence africaine, 1982.

47
TITRE I : LES PREMISSES DU PHENOMENE JURIDIQUE EN AFRIQUE
SUBSAHARIENNE PRECOLONIALE

Les systèmes juridiques traditionnels sont à l’image des systèmes politiques dans leur caractère
sacré et mythique. Comme le souligne Gonidec, « le sacré tire sa force du fait qu’il n'est pas
limité aux domaines politiques, mais qu'il empreigne tous les aspects de la vie en société100 ».
Dans son ensemble, les juridicités africaines se sont forgées autour de l’image du rapport des
citoyens avec le sacré. On trouve ainsi dans chaque société un mythe fondateur faisant état de
l’histoire cosmogonique et de la naissance des ancêtres fondateurs du cosmos, dont le rôle égale
celui d’une divinité. Le sacré, représenté par une croyance dans les puissances ancestrales,
s’introduit dans tous les domaines de la vie sociale et juridique.

Les autorités ancestrales, détentrices de la force vitale du groupe, exerce dans les droits
traditionnels une fonction particulière en matière juridique, en tant que « législateur » et
« juge » suprême. La crainte du châtiment des ancêtres constitue notamment l’un des éléments
principaux du respect du droit, là où celle du pouvoir de coercition de l’État est un facteur de
respect des normes dans les sociétés européennes. Dans les deux cas, la désobéissance aux
normes établies produit des conséquences visibles, aussi bien vis-à-vis des citoyens que des
gouvernants, dans des sociétés où les liens communautaires sont primordiaux (CHAPITRE I).

Plusieurs événements ont bouleversé les rapports juridiques en Afrique, à commencer par
l’introduction des préceptes fondés sur la loi islamique dans plusieurs zones de l’Afrique du
Nord. Néanmoins, l’interaction avec les peuples européens a été la plus marquante dans
l’histoire du continent. Remplis d’une mission civilisatrice, les autorités européennes ont mené
un véritable combat contre les civilisations africaines, ayant abouti à une véritable remise en
cause des cultures et des juridicités africaines (CHAPITRE II).

100 GONIDEC Pierre-François, Les systèmes politiques africains, Paris, LGDJ, 1997.

48
CHAPITRE I : Les particularismes des systèmes juridiques en Afrique subsaharienne

Contrairement aux juridicités européennes d’origine judéo-chrétiennes formées dans les


rapports entre les citoyens et l’État, les juridicités africaines se sont formées en suivant les
principes qui régissent les rapports entre les citoyens et les récits mythiques de la cosmogonie
locale (Section 1). Ces rapports se tissent au-delà de la dimension individuelle de chaque
membre de la société, au niveau de l’ensemble des membres d’une communauté, instituant un
droit tourné vers la communauté en tant qu’entité juridique à part entière (Section 2).

SECTION I. Le fondement mythique des cultures juridiques négro-africaines

Les droits africains sont fondés sur des mythes fondateurs sur la création du monde, que l’on
peut définir comme un ensemble de récits sur l’origine sacrée de l’univers et la généalogie
ancestrale des peuples à partir de l’ancêtre fondateur, entité spirituelle ayant dans certaines
sociétés une figure divine (§1). Selon les croyances des peuples africains pendant l’ère
précoloniale, les ancêtres fondateurs, en tant que détenteurs de la force vitale de chaque
communauté, sont les gardiens de l’ordre juridique, permettant ainsi non seulement son
existence mais aussi sa survie et avec elle celle de la communauté (§2).

§1. Le mythe créateur au centre de la cosmogonie africaine

Chaque peuple a une explication à l’origine de l’univers qui est propre à sa culture et qui
influence sa vision du droit. On peut d’ailleurs mettre en évidence la phrase du doyen Michel
Alliot à titre introductif de l’idée générale de notre travail : « dis-moi comment tu penses Dieu,
c’est-à-dire quelle est ta vision du monde, et je te dirai comment tu penses le droit101 ».

101 ALLIOT Michel, Le droit et le service public au miroir de l’anthropologie, Paris, Khartala, 2003. Cité par LE
ROY Etienne (dir.), Juridicités : Témoignages réunis à l’occasion de son quarantième anniversaire du Laboratoire
d’anthropologie juridique de Paris, 2006, Paris, Karthala, p. 11.

49
La perception qu’a chaque société des phénomènes de l’ordre du divin influence directement
sa manière de concevoir les phénomènes d’ordre juridique. Le discours cosmogonique102
africain part du postulat selon lequel la compréhension de l’univers et de son origine ne saurait
être épuisée par le seul moyen de la raison humaine. Selon la pensée africaine, la connaissance
et la compréhension des phénomènes de l’univers passent tout autant par la raison que par la
perception que l’homme peut avoir au travers de ses cinq sens – le goût, l’odorat, l’ouïe, le
toucher et la vue. L’usage des différentes capacités cognitives de l’individu lui permettent
d’appréhender que l’univers n’est pas uniquement composé d’éléments empiriques,
perceptibles à l’œil humain qui contribueront à la construction du savoir humain. L’univers
serait constitué de deux dimensions qui sont en contact permanent : la dimension visible,
constituée par les êtres vivants ; et la dimension invisible, constituée par les ancêtres.

De plus, comme le souligne M. Alliot, selon la pensée culturelle de la cosmogonie, « ce qui se


joue dans le visible résulte généralement de ce qui s’est joué au préalable dans l’invisible. On
pourrait dire que tout est conçu dans celui-ci avant d’apparaître dans celui-là103 ». Le visible
n’est donc pas une duplication de l’invisible mais bien une émanation de ce dernier. Tout ce
qui est dans l’invisible a une force supérieure aux choses visibles car plus proches de l’énergie
fondamentale, de la force vitale. Il faut donc comprendre l’articulation de ces deux mondes
dans la pensée cosmogonique et holistique104 africaine pour pouvoir comprendre les systèmes
juridiques de ces sociétés, forgés sur la base de cette pensée présentée ici de manière très
globale.

Dans les cultures européennes, malgré la rupture opérée entre le pouvoir séculier et les autorités
religieuses, le droit a été fortement calqué sur les traditions judéo-chrétiennes, inspirées par les
principes posés dans le Livre Saint. Si bien que l’église catholique et plus tard le pouvoir royal
ont utilisé les Écritures pour légitimer un pouvoir qui se voulait à l’image du pouvoir divin. Les
rois proclamaient ainsi que leur pouvoir leur était octroyé directement de Dieu, fait justifiant
leur souveraineté sur le peuple et la centralisation de tous les pouvoirs dans les mains du seul
souverain, comme étant le légitime détenteur du pouvoir décisionnel. Imitant l’image divine, le
roi se sentait en droit de collecter les contributions tributaires de son peuple pour

102 La cosmogonie se définissant comme l’ensemble des discours explicatifs de l’origine du cosmos ou de
l’univers.
103 M. ALLIOT, « La coutume dans les droits originellement africains », in Le droit et le service public au miroir
de l’anthropologie, textes choisis et édités par C. KUYU, Paris, Karthala, 2003, p. 68. Cité par KUYU Camille,
Écrits d’anthropologie juridique et politique, Collection publications de l’Institut universitaire André Ryckmans
n°2, Louvain-La-Neuve, Bruylant, 2008, p. 18.
104 La pensée holistique désignant le fait de considérer les phénomènes comme étant des totalités.

50
l’enrichissement de la couronne, tout comme dans le rapport avec l’Église, les fidèles doivent
apporter la dîme et des offrandes à la maison de Dieu, pour le développement des œuvres de
Dieu. Des régimes absolutistes basés sur la religion catholique ont pu s’installer et perdurer
dans les pays européens grâce à une foi très ancrée dans les canons de l’église catholique qui a
su utiliser l’image du châtiment divin à son profit et au profit du pouvoir royal, qu’elle contrôlait
de manière plus ou moins directe.

Depuis les siècles des révolutions et jusqu’à présent, en Europe occidentale, malgré une forte
influence de la religion dans le fonctionnement des institutions, au fil des siècles s’est tissée
une frontière entre les mondes visibles et invisibles, marquant la séparation entre les institutions
étatiques et l’Église catholique. Désormais, seul le visible constitue la réalité, ce qui a pour
conséquence que les institutions et le droit ne s’occupent que de ce qui se passe dans la réalité
visible. Dans l’Afrique précoloniale en revanche, le monde réel était considéré comme l’union
des mondes visibles et invisibles, et cette conception, qui perdure jusqu’à présent dans l’esprit
d’une bonne partie d’Africains influence directement la configuration sociale, juridique et
institutionnelle des communautés.

D’après la cosmogonie africaine, à l’origine de l’univers est un « être premier » animé par un
principe vital fondamental. Cet « être premier », représenté à l’image de l’homme, peut avoir
des noms différents chez les différents peuples. Il se nomme Amma chez le peuple dogon, Dofini
chez les Bwa105, Mangala chez les Malinké106, Mbédi chez les Douala107, Nzamé chez les Fang,
Rogsen chez les Sérère, Waaqa chez les Oromo, etc. L’« être premier » contient en lui de
manière intrinsèque l’essence de toutes les créatures et toutes celles issues de lui possèdent une
part du « principe vital » qui l’anime. Ce principe vital que le peuple akan nomme Tumi108, peut
être traduit dans le langage courant par le fait que chaque créature est investie d’une âme qu’elle
partage avec l’Être premier. C’est cette conception du monde qu’exprime le peuple akan en
affirmant que tous les êtres sont des dieux (abosum) ou des esprits (sunsum)109. Cela explique
que les hommes s’adonnent à des cérémoniaux d’offrandes, d’invocations et de prières dans

105 SAVONNET-GUYOT Claudette, « La communauté villageoise comme système politique : un modèle ouest-
africain », Revue française de science politique, 25ème année, n°6, 1975, p. 1125.
106 DIETERLEN Germaine, « Mythe et organisation sociale au Soudan français », Journal de la société des
africanistes, 1955, tome XXV, fascicule I et II, p. 43.
107 BALANDIER Georges, “Économie, société et pouvoir chez les Douala anciens”, Cahiers d’études africaines,
volume 15, n° 59, 1975, p. 363.
108 HAGAN George, “Le concept de pouvoir dans la culture Akan”, in AKINJOGBIN I. A., DIAGNE Pathé,
HAGAN George et al., op. cit., p. 57.
109 Idem., p. 57.

51
chaque action du quotidien, par exemple lorsqu’on abat un arbre, lorsqu’on entre en contact
avec la mer ou même lorsque des étrangers arrivent sur son territoire.

D’après ce discours cosmogonique, puisque toutes les créatures animées ou inanimées sont
empreintes de la force vitale issue de l’Être premier, elles sont toutes placées dans un rang
d’égalité et doivent toutes participer, dans un rapport dynamique, à l’équilibre cosmique. Par
ailleurs, dans cette conception du monde il n’y a pas de distinction entre le monde d’ici-bas où
règne le pêché et le monde d’en haut où règne le salut éternel (le paradis). Les peuples oromo
(peuple que l’on trouve dans les pays de la corne de l’Afrique) considèrent à ce titre que si « la
notion du bien et du mal existe, elle n’est pas liée au souci de la vie après la mort ou à la vie
dans l’au-delà. Le bien ou le mal que l’on fait se manifeste dans la vie de quelqu’un ou dans
celle de ses descendants110 ».

Le monde des vivants coexiste avec celui des morts, les premiers dans le monde physique et les
seconds dans une dimension métaphysique. Les vivants gardent ainsi leurs liens de parenté avec
leurs ancêtres disparus puisque « chaque individu est socialement identifié avec la lignée de ses
ancêtres disparus111 », que les vivants doivent honorer par des rites propitiatoires afin de
s’attirer les bonnes grâces des ancêtres et de ne pas provoquer leur colère. C’est ainsi que
jusqu’à aujourd’hui on peut trouver dans les espaces qu’occupe une communauté des lieux
dédiés au culte des ancêtres qui représentent des lieux où reposent les esprits ou les âmes des
ancêtres. Selon George Hagan, ces « interactions sociales trouvent leur raison profonde dans
le tumi [force vitale] que tout un chacun exerce dans ses relations avec les autres individus
comme avec la société dans son ensemble112 ».

Le discours cosmogonique a fait l’objet de critiques venues essentiellement du mouvement des


Lumières qui le perçoit comme une pensée irrationnelle, relevant de l’ordre de la mythologie113.
Les philosophes des Lumières ont voulu substituer le discours de la Parole révélée exprimée
dans la Bible par celui de la raison humaine car pour eux, l’être humain, doté de raison propre,
n’a pas besoin de placer sa force et de légitimer son pouvoir dans une entité divine. L’homme
dispose d’une capacité naturelle à discerner, à comprendre et à être maître de soi-même, et par

110 HAJI Abbas, “Pouvoir de bénir et de maudire : cosmologie et organisation sociale des Oromo-Arsi », Cahiers
d’Etudes africaines, vol. 37, n°146, 1997, p. 296. Cité par NDIAYE Moustapha, op. cit., p. 102.
111 FORTES Meyer et EVANS-PRITCHARD Edward, Systèmes politiques africains (Études ethnographiques),
Paris, PUF, 1964, p. 85.
112 HAGAN George, “Le concept de pouvoir dans la culture Akan”, op. cit., p. 59.
113 Le mouvement des Lumières est né au XVIIIe siècle en Europe occidentale en contestation au règne de la foi
chrétienne qui s’était imposée comme le seul discours explicatif de l’existence avec le récit de la création selon le
livre de la Genèse dans la Bible.

52
là à être maître du droit. Cette vision rationnelle du droit a justifié la critique et la remise en
cause du droit en Afrique pendant les conquêtes occidentales. Pendant la colonisation, les
principes cosmogoniques à la base de la vision du monde et de la formation des systèmes
juridiques africains ont été progressivement marginalisés en faveur de l’utilisation d’une
rationalité juridique totalement étrangère et incompréhensible. Cette influence a certes
contribué à un éloignement des peuples africains de leurs traditions juridiques anciennes, mais
elle n’a pas réussi à effacer totalement l’attachement des Africains aux croyances
cosmogoniques au centre de la pensée juridique précoloniale.

La connaissance de la cosmogonie africaine permet non seulement de comprendre les logiques


derrière les droits tels qu’ils se sont développés avant l’arrivée des puissances étrangères, mais
elle permet aussi de comprendre les rapports actuels des peuples avec les droits traditionnels.
On note en effet que malgré des interactions de plus en plus développées avec des idéologies
étrangères au continent promues par les relations coloniales, la forte influence des religions
chrétienne et islamique dans le continent et les mouvements migratoires de l’époque moderne
du fait de l’urbanisation croissante, le culte des ancêtres reste encore l’un des aspects de la
culture qui a réussi à résister aux apports culturels extérieurs. On retrouve aujourd’hui par
exemple chez les Wolof (Sénégal), peuple presqu’entièrement islamisé, des rituels de
communication avec les ancêtres comme le xamb (endroit où l’on procède à des offrandes et
des sacrifices en l’honneur des ancêtres), le ndeup (séance d’exorcisme), et le xoy (séance de
prédiction et de divination)114. Il est toutefois indéniable que les influences externes, en
particulier le processus de colonisation qui a apporté une nouvelle structure institutionnelle et
juridique dans le continent, ont provoqué un certain détachement des populations des mythes
millénaires. À long terme cela a eu comme effet la désagrégation des normes ancestrales, même
si les ancêtres gardent une place primordiale dans la cosmogonie africaine, exerçant notamment
le rôle de gardiens de l’ordre juridique qu’ils contribuent à mettre en place par le biais des
autorités physiques.

114 ALLIOT Michel, Coutume et mythe, A.S., 1953-1954, p. 369 et s.

53
§2. Les ancêtres comme gardiens de l’ordre juridique

Le droit en Afrique a, comme souligné, une dimension métaphysique et cosmogonique qui lui
est propre. Il ne faut toutefois pas tomber dans la tendance générale d’assimiler la dimension
métaphysique du droit à la dimension religieuse que l’on retrouve dans la culture juridique de
l’Europe occidentale. Car la conception de la spiritualité que l’on trouve dans la pensée
religieuse judéo-chrétienne est basée sur l’existence de Dieu, être suprême omnipotent,
omniprésent et omniscient, qui vit dans une sphère séparée des hommes et à qui on doit une
adoration totale. Or, dans la spiritualité de l’Afrique subsaharienne ce sont des êtres vivants ou
morts et des éléments de la nature qui sont l’objet de culte. Ce sont ces êtres qui forment le
cosmos au sein duquel on trouve les ancêtres qui ont une place centrale dans la société,
notamment en tant que gardiens de l’ordre social, politique et juridique.

Les ancêtres, jadis des hommes physiques, ne se retrouvent plus dans le monde physique ou
visible, mais restent présents dans le cosmos et communiquent leur volonté aux membres de
leurs familles, de leurs lignages et de leurs communautés. Le pouvoir ancestral jouait ainsi un
rôle fondamental dans le maintien de l’ordre au sein des communautés de l’Afrique occidentale.
Tout acte de pouvoir, que ce soit le droit de déclarer la guerre, comme celui d’édicter une loi,
devait avoir l’approbation des ancêtres. Leur pouvoir était tel que Akinjogbin écrit que « le
droit de légiférer, autre manifestation de l’exercice du pouvoir, n’était pas considéré comme
un simple acte de rationalité et de réglementation sociale, mais comme une manifestation de la
volonté des orisa [dieux] et des ancêtres115 ».

La supériorité hiérarchique des ancêtres implique que seules certaines personnes sont capables
de communiquer avec les ancêtres – les initiés. Chez les Tallensis au Nord-est du Ghana et du
Burkina Faso, les personnes chargées d’exprimer la volonté des ancêtres sont appelées
tendaana. Chez les Yoruba en Afrique de l’Ouest, cette fonction est réservée à une assemblée
de sages, dénommée Ogboné à Oyo (au Nigéria), qui se réunit en secret pour faire valoir la
volonté des ancêtres. Ces entités compétentes pour faire connaître la volonté des ancêtres font
office de gardiens de la coutume car elles détiennent la sagesse ancestrale, communiquent avec
les ancêtres et les représentent dans certaines cérémonies de résolution des conflits en tant que

115 AKINJOGBIN I.A., « Le concept de pouvoir dans l’Afrique traditionnelle : l’aire culturelle yoruba », in
AKINJOGBIN I. A., DIAGNE Pathé, HAGAN George et al., op. cit., p. 14.

54
juges suprêmes pouvant, dans certains cas, prononcer des condamnations à mort, comme le peut
l’Ogboné chez les Yoruba116.

Les initiés, ceux qui ont pour mission de représenter la volonté des ancêtres (également qualifiés
de sages dans la littérature classique), doivent veiller à ce que les décisions prises par les leaders
communautaires117 soient conformes à ce que le professeur Maurice Kamto appelle la « norme
fondamentale transcendante » qui est l’œuvre des ancêtres-fondateurs, disposant d’une valeur
constitutionnelle qu’elle tire de « sa suprématie dans l’ordre juridique et à sa transcendance
par rapport au pouvoir. Elle n’est pas, comme la norme fondamentale chez Kelsen, simplement
une hypothèse logique-transcendantale, une hypothèse nécessaire, construction de la pyramide
juridique. Elle est une catégorie de normes juridiques, qui ne sont pas certes, réunies et
présentées comme un corpus de règles juridiques ; mais elles n’en constituent pas moins la
fondation de l’ordre politique, social et juridique de la société traditionnelle. Car la norme
fondamentale transcendante régi les différents aspects de la vie sociale ; c’est la charte
fondamentale de la société, c’est la norme référentielle en tant qu’elle est l’œuvre des
ancêtres118».

Cette norme, en tant qu’elle émane des ancêtres, constitue le fondement du pouvoir politique
au sens physique du terme, mais pose aussi les termes et les limites de l’exercice de pouvoir
dont les sages sont appelés à assurer le respect.

La supériorité des puissances spirituelles ancestrales rendait secondaire l’usage de la contrainte


physique par les autorités royales. Le roi, comme toute personne âgée (quelle que soit sa stature
physique ou son statut social), était obéi par ses sujets parce qu’il était censé posséder des
pouvoirs spirituels supérieurs. La force physique n’y était pour rien, de telle sorte que le roi ne
se sentait pas dans la nécessité de monopoliser les moyens de violence organisée, puisque
l’efficacité de ses ordres était garantie par le pouvoir qui lui avait été conféré par les ancêtres.
Comme le dit un adage Bashi, « Le roi est pareil à une bergeronnette. On le respecte, non pour
sa force physique mais pour le malheur que l'irrespect à son égard peut provoquer 119. » Ne
disposant pas toujours d’armée propre, les rois pouvaient compter sur les armées des différents

116 DURAND Bernard, Histoire comparative des institutions, Dakar, NEA, 1983, p. 364. Cité par NDIAYE
Moustapha, op. cit., p. 127.
117 On entend communauté comme pouvant être la famille, le lignage, le clan, la chefferie, etc.
118 KAMTO Maurice, Pouvoir et droit en Afrique : essai sur les fondements du constitutionnalisme dans les États
d’Afrique noire francophone, Paris, Coll. « Bibliothèque africaine et malgache », LGDJ, 1987, p. 193.
119 Traduit de la langue shi : « Mwami ali n 'nakansinsi arhakengerma bukulu nk'ibala ». Cf. MUNIHIRWA
Christophe, « Pouvoir royal et idéologie : rôle du mythe, des rites et des proverbes dans la monarchie précoloniale
du royaume de Kabaré (Zaïre) », Journal des africanistes, 2002, tome 72, fascicule 1, p. 242.

55
chefs locaux. Ces derniers lui devaient allégeance et obéissaient sans contestation. Par ailleurs,
à certaines périodes dans les royaumes Yoruba le fait pour le roi de disposer d’une armée propre
était perçu comme un signe d’affaiblissement de son pouvoir. Les rois ont tout de même
entrepris d’adopter progressivement le système des armées permanentes notamment à cause de
l’évolution de leurs relations avec les peuples étrangers.

Le fondement ancestral de l’obéissance aux normes est l’une des plus grandes différences avec
le système juridique européen dans lequel l’efficacité de la loi est garantie par l’autorité attachée
aux institutions étatiques. Dans l’Afrique précoloniale, la garantie de la loi ne passait pas
directement par les autorités politiques, mais avant tout par le pouvoir ancestral. Robert Lowie
fait ce constat lorsqu’il écrit qu’en Afrique noire « on obéit beaucoup plus volontiers aux lois
non écrites et à la coutume qu’à nos codes écrits, ou plutôt on leur obéit plus spontanément
(…). Faire l’objet d’un ostracisme total pour des délits plus graves, c’est pour l’indigène un
châtiment terrible qui fait office de frein dans que, bien souvent, la crainte des peines à subir
entre le moins du monde en ligne de compte. Il faut ajouter encore le motif religieux. Certains
crimes sont des pêchés, ce sont des offenses aux puissances invisibles de l’univers qui appellent
un châtiment mérité au mépris de tout pouvoir séculier120».

Néanmoins, la croyance en l’origine métaphysique du pouvoir politique et juridique jouait


parfois au détriment de la population qui se voyait instrumentalisée à certains égards par
certaines autorités qui abusaient de leur pouvoir pour donner une apparence de légitimité à leurs
décisions. Ce fut le cas notamment lorsque des rois entreprirent de détrôner d’autres rois et de
conquérir des nouveaux territoires par la force, comme cela a été le cas de l’expansion des
royaumes d’Oyo et du Bénin ; ou encore avec le roi Oduduwa, qui a détrôné le roi Obatala,
donnant naissance plus tard aux royaumes Yoruba121.

Mais, même dans les cas d’abus, le commandement métaphysique des ancêtres intervenait afin
de garantir l’équilibre et la sécurité des communautés. La désobéissance à ces commandements,
notamment les abus de pouvoir de la part des dépositaires du pouvoir politique étaient par
conséquent sévèrement sanctionnés car ils rompaient l’harmonie installée et créaient du
désordre au sein du cosmos. Dans certaines communautés, l’abus de pouvoir d’une autorité
pouvait être sanctionné par la peine capitale, comme cela a été le cas chez les Mossi au XIXe

120 Robert H. LOWIE, Primitive society, London, Routledge, 1921, p. 384. Cité par KOUASSIGAN Guy-Adjété,
L’homme et la terre, droits fonciers coutumiers et droit de propriété en Afrique occidentale, Paris, Éditions Berger-
Levrault, 1966, p. 23.
121 AKINJOGBIN I.A., « Le concept de pouvoir dans l’Afrique traditionnelle : l’aire culturelle yoruba », in
AKINJOGBIN I. A., DIAGNE Pathé, HAGAN George et al., op. cit., p. 19-22.

56
siècle, avec l’exécution du chef communautaire, le roi Mogho Naba Karfo (1834-1842), accusé
d’avoir mis à mort un ouidi naba (responsable politique) et d’avoir violé la tradition122.

Malgré l’attachement flagrant des peuples africains aux autorités ancestrales, il est important
aussi de préciser comme le font certains auteurs123 que la crainte des ancêtres en soi n’a pas été
le seul facteur à la base de l’efficacité des systèmes juridiques. Des facteurs physiques de mise
en exécution des règles ont certainement joué un rôle fondamental, notamment par le pouvoir
coercitif accordé aux autorités traditionnelles, chargées à la fois d’édicter des normes
obligatoires et de garantir leur respect par l’application de différents mécanismes juridiques de
contrôle et de sanction. Guy-Adjété Kouassignan critique par ailleurs la position de ceux qui
soutiennent que la simple force de la religion assure le respect des normes, estimant que certes
le droit dans les sociétés négro-africaines était fortement imprégné de préceptes liés au divin,
mais selon l’auteur, « si la religion peut servir de fondement au droit, celui-ci a besoin de bien
d’autres choses pour remplir efficacement sa mission de régulation de l’ordre social124 ». Pour
lui, les chefs traditionnels ont joué un rôle fondamental dans la régulation de l’ordre social par
leur rôle de garants de l’ordre public et de dépositaires de l’autorité des ancêtres. En effet, au
même titre que dans d’autres sociétés non-africaines, on peut constater que le maintien de
l’ordre social passe le plus souvent par des mécanismes matériels, ce qui explique l’existence
d’autorités physiques, dans la personne des chefs de clan, de tribu, de famille entre autres.
Encore selon Kouassignan, « le fondement ontologique de leur système juridique [celui des
sociétés africaines] n’entraîne nullement la conformité des conduites individuelles à l’ordre
social. L’accomplissement des devoirs prescrits par la coutume, loin d’être automatique et
librement consenti ou provoqué par la peur des sanctions supranaturelles, est imposé à
l’homme, en quelque sorte de l’extérieur, par des sanctions propres au système juridique de la
collectivité à laquelle il appartient125 ».

Nous partageons l’avis de l’auteur dans la mesure où effectivement les autorités séculières
étaient chargées d’un rôle régulateur de la vie sociale, en tant que représentants des ancêtres.
Néanmoins, on souhaite attirer l’attention sur l’importance de ne pas négliger l’aspect
psychologique caractérisé par une crainte révérencielle des peuples africains aux puissances
ancestrales, gardiennes par excellence de la force vitale des communautés.

122 NDIAYE Moustapha, op. cit., p. 128.


123 KOUASSIGAN Guy-Adjété, L’homme et la terre, droits fonciers coutumiers et droit de propriété en Afrique
occidentale, Paris, Éditions Berger-Levrault, 1966, p. 24.
124 Idem,, pp. 25-26.
125 Ibid., p. 24.

57
SECTION II. Des juridicités centrées sur la communauté

Les droits traditionnels africains sont des droits dont l’une des caractéristiques principales
réside dans l’attention qu’il porte sur les collectivités, en tant que sujets de droit par excellence.
Les communautés se trouvent ainsi à la fois entité juridique (§1) et sujet de droit par leur
participation directe dans l’organisation de la vie juridique (§2).

§1. La communauté en tant qu’entité juridique

Dans les sociétés traditionnelles, le droit est le produit des interactions entre les membres d’une
communauté qui se charge en tant qu’entité collective de la gestion des rapports juridiques
internes et externes du groupe. Ce pourquoi la communauté en tant qu’entité à part entière est
considérée comme étant un acteur juridique par excellence. La communauté au sens employé
ici prend plusieurs formes en fonction du contexte social envisagé. Cette expression désigne à
la fois la communauté au sens large de l’ensemble des membres d’une localité et au sens strict
des communautés familiales, claniques ou ethniques, entre autres.

La communauté étant une personne morale, sa personnalité juridique s’exerce par le biais d’un
système de représentation, qui consiste dans la présence à l’intérieur de chacune d’elle de base
de personnes chargées de représenter les intérêts du groupe, suivant les attributions qui leur sont
octroyées. A chaque niveau de stratification correspondent des compétences juridiques propres
qui ne peuvent être assumées que par les personnes mandatées pour l’effet au sein de chaque
collectivité. Ainsi, le roi s’occupe des affaires du royaume, le chef de clan des affaires
familiales, le chef de village de l’administration locale, etc. De ce système de représentation
découlent certaines incapacités qui excluent de certains rapports juridiques tantôt les femmes
et les enfants, tantôt les personnes célibataires, des chefs de lignage ou de clan, en fonction des
attributions nécessaires pour l’accomplissement de certains actes126. Ainsi, un enfant n’ayant
pas encore été soumis aux rituels d’initiation ne peut prétendre intervenir en tant que

126 LE ROY Étienne, « Justice africaine et oralité juridique : une réinterprétation de l’organisation judiciaire «
traditionnelle » à la lumière d’une théorie générale du droit oral d’Afrique noire », Bulletin de l’I.F.A.N., T.
XXXVI, série B, n°3, 1974, pp. 569-570.

58
représentant de la communauté dans la gestion des affaires familiales car il n’a pas encore la
maturité nécessaire pour le faire. L’attribution du statut de représentant est soumise à une série
d’épreuves spécifiques à chaque société afin de refuser l’exercice de ces fonctions à des
personnes incapables, irresponsables ou inaptes intellectuellement ou physiquement.

Les représentants de chaque communauté ont un statut juridique particulier qui détermine les
rapports que chaque groupe peut entretenir avec les autres. Les rapports entre des individus de
communautés différentes doivent passer par l’intermédiaire des représentants et ces derniers ne
peuvent agir que dans les limites des fonctions qui leur sont attribuées. L’exercice des
attributions fonctionnelles des représentants est limité par ce qu’E. Le Roy appelle le principe
de « réciprocité des droits et des obligations », à savoir le principe selon lequel les droits acquis
sont proportionnels aux obligations et plus ces derniers sont étendus, plus les sanctions
encourues en cas de violation sont lourdes127. Par exemple, dans les sociétés ouest-africaines,
le roi disposait de larges compétences dans les domaines militaire, administratif, fiscal et dans
l’administration de la justice. Mais il devait aussi s’acquitter d’obligations importantes, comme
protéger son territoire, garder l’ordre par son pouvoir guerrier et protéger le peuple contre la
famine par ses pouvoirs ancestraux. La faillite à l’une de ses obligations entraînait la déchéance
de ses pouvoirs, voir même sa mise à mort. Amadou Hampaté Bâ donne l’exemple d’un récit
qui permet de comprendre à quel point ces engagements étaient pris au sérieux :

Le grand sacrificateur de la ville de Bassan, en Haute-Volta, avait immolé tous les


animaux qu’il avait l’habitude de sacrifier, sans réussir à obtenir la pluie. Tout se
desséchait dans les champs. J’étais chef de poste à Tougan : le grand sacrificateur vint
me confier ses inquiétudes : « je dois avoir fauté gravement, puisque j’ai fait tout ce
que la tradition demande comme sacrifices et que la pluie ne vient toujours pas, me
dit-il, alors que le ciel ne m’a jamais refusé ce que je lui demande, non pour moi, mais
pour les plantes, les animaux et les hommes de mon pays. Il me reste un dernier
sacrifice à célébrer, il doit se faire en présence du chef du pays. Je te demande de
venir à Bassan après demain pour y assister ». Je me rendis à Bassan le jour indiqué
et je trouvai toute la population du village et les représentants du pays autour du grand
puits, lieu de la cérémonie. Le sacrificateur, en vêtement de parade, sortit de chez lui
entouré de ses fils, de ses filles et de tous les notables. On immola un poulet, un cabri

127 Idem. pp. 570-571.

59
et un chien, selon la tradition ; ensuite il pointa vers le ciel la queue du cabri chargée
d’amulettes et garnie de clochettes en cuivre jaune, qu’il tenait suspendue à son poignet
droit. Il dit : « Maître des eaux des cieux et des sources de la terre, je viens d’immoler
de nouveau ce que mes prédécesseurs avaient l’habitude d’immoler pour faire venir
la pluie avec ton accord. Tu es resté sourd à mon premier appel. J’ai dû te blesser en
m’écartant de la voie tracée par mes ancêtres. Je suis sûr de n’avoir eu des rapports
sexuels qu’avec mes épouses. Je suis sûr de n’avoir frustré aucun pauvre de ses droits
; je n’ai pas sciemment menti, j’ai donné à boire et à manger à l’étranger sans me
soucier de qui il était ni d’où il venait. Je n’ai maltraité aucun faible ni détourné aucun
dépôt confié à ma garde. La faute que j’aurais pu commettre m’est inconnue. Mais,
maître des eaux, puisque tu laisses l’épi devenir un brin sec, les êtres vivants mourir
de soif, c’est que j’ai démérité. Je dois un sacrifice que je vais m’empresser de faire
de bon cœur et que tu ne saurais mépriser. » Passant de la parole à l’acte, le vieillard
souriant ordonna de cadencer les tambours rituels en un jeu incessant. Il écarta
noblement la foule et tenant un poulet en main, il se dirigea vers le puits comme s’il
allait y jeter l’oiseau. Il dit : « voici mon dernier sacrifice ». À notre grande surprise,
il se lança dans l’abîme la tête en première en criant : « Maître des eaux, déverse ta
pluie sur mon pays afin qu’il vive à ma place… Le corps fut ramené avec des chants,
exposé pendant trois jours. Il fut inhumé avec solennité exceptionnelle128.

Ce récit montre non seulement l’importance de la communauté, mais plus encore le sens du
devoir attaché à la fonction de représentant des intérêts de celle-ci. Cette tâche devait être
exercée avec le plus grand des sérieux car de là dépendait à la fois l’honneur de celui qui
l’exerçait et le bien-être et la continuité de l’ensemble de la communauté.

La communauté se présente donc comme l’entité juridique par excellence, mais son
organisation varie dans les différentes sociétés. On trouve dans les sociétés africaines
précoloniales deux formes majeures d’organisation communautaire en fonction de l’élément
autour duquel celles-ci s’organisaient. Ainsi, il y a les communautés organisées autour du
lignage (A) et celles organisées en classes d’âge (B). Dans les deux cas, les communautés sont
des véritables acteurs de la vie juridique, mais leur rôle, aussi bien que les rapports humains qui

128 Amadou HAMPATE BA, « Animisme en savane africaine », in Les religions africaines traditionnelles, Paris,
p. 38. Cité par KUYU Camille, Écrits d’anthropologie juridique et politique, Collection publications de l’Institut
universitaire André Ryckmans n°2, Louvain-La-Neuve, Bruylant, 2008, pp. 31-32.

60
se développent en leur sein, suivent des principes différents en fonction des éléments de base
de chaque société.

A. Les sociétés structurées autour du lignage

Les communautés lignagères ou familles – connues aussi sous le nom de kafuka ou tshifuka par
les peuples baluba de la République démocratique du Congo (RDC), ou encore mboa par les
Douala au Cameroun, ndabot chez les Beti en Afrique centrale et guenio pour les Wolof en
Afrique de l’ouest – sont celles ayant des traits culturels communs et partageant un ancêtre
fondateur commun lequel donne à tous les membres de la communauté la conscience de lui
appartenir. On trouve cette forme d’organisation chez le peuple bwa au Burkina Faso qui
partage un ancêtre commun nommé « Do129 ». Les sociétés lignagères se sont formées dans des
cadres géographiques particuliers qui rendaient très peu pratique la formation de sociétés
politiques complexes. On en trouve notamment dans les forêts denses, par exemple en Afrique
centrale chez les Bété ou les peuples pygmées en général ; dans les hauts-plateaux comme au
Mali chez les Dogons ; et dans le désert, comme en Afrique australe chez les Bochimen. On
trouve également des formes de communautés simples chez les peuples nomades dont la
transhumance régulière empêche le brassage avec d’autres populations à l’instar des Masaï.

Les sociétés structurées autour du lignage sont formées sur la base de la filiation unilinéaire,
c’est-à-dire l’existence d’une seule ligne généalogique rattachée à l’ancêtre fondateur commun.
La filiation unilinéaire peut être matrilinéaire ou patrilinéaire. Ainsi, la parenté est conçue en
référence soit aux liens généalogiques qui lient les individus aux hommes (patrilignage), soit
aux liens généalogiques qui les lient aux femmes (matrilignage). Il n’est pas concevable que la
parenté soit constituée par tous les individus étant liés généalogiquement aux femmes et aux
hommes en même temps. Le lignage est défini soit par les femmes, soit par les hommes, mais
pas par les deux. Ce pourquoi les enfants sont considérés comme étant des enfants de tous les
hommes du lignage ou de toutes les femmes, en fonction du lignage dominant dans chaque
société. Dans la plupart des sociétés africaines, le lignage maternel est le plus répandu, ce qui a
pour conséquence que les droits et titres sociaux se transmettent par la filiation maternelle. Mais
la matrilinéarité, qui est la dominance de la filiation matrilinéaire, ne doit pas être confondue

129 SOVONNET-GUYOT Claudette, « La communauté villageoise comme système politique : un modèle ouest-
africain », RFSP, 25e année, n° 6, 1975, p. 1125.

61
avec le matriarcat car même si les liens généalogiques se font essentiellement par la famille
généalogique maternelle, la plupart des systèmes matrilinéaires sont patriarcaux dans la mesure
où il revient à l’oncle maternel d’exercer l’autorité paternelle sur les enfants de sa sœur. La
transmission des biens et des statuts se fait aussi de l’oncle utérin aux enfants de la mère130.

Le lignage est une communauté de vie à la base de plusieurs sociétés africaines, car
contrairement aux individus, les liens familiaux ne peuvent être rompus. L’importance des liens
de parenté formés au sein du lignage est telle que même la mort ne peut les briser. Chez les
Kongo, dans le cadre d’un mariage par exemple, le décès de l’un des époux ne signifie pas la
fin de la parenté. Le conjoint endeuillé reste membre de la famille à part entière et l’époux
décédé est remplacé par son frère cadet ou, en l’absence de celui-ci, par un de ces frères.
L’épouse décédée est elle aussi remplacée par l’une de ses sœurs. Si la défunte a laissé des
enfants en bas âge, leur éducation revient à l’une de ses sœurs131.

La communauté lignagère est un véritable acteur juridique organisant l’ensemble des aspects
de la vie en société, notamment les règles d’attribution de prérogatives aux membres des
différentes familles. Les liens généalogiques liant les individus à leur père ou à leur mère
déterminent notamment les principaux éléments de leur statut, en fonction du type de filiation
dominant (maternel ou paternel). Les liens de parenté déterminent la nature et l’étendue des
droits des accordés à chaque membre du lignage, en particulier les droits fonciers, car les
individus membres du lignage sont les légataires légitimes, à titre individuel, de la terre
appartenant au lignage. Chacun avait ainsi des droits de chasse, de pêche et de culture sur la
terre. La terre était donc certes la propriété du lignage en tant qu’entité collective, mais les
individus appartenant au lignage pouvaient l’exploiter et jouir pleinement de ses produits.

Dans les sociétés formées sur la base des liens généalogiques, on trouvait plusieurs familles
rassemblées par l’existence d’un ancêtre commun, jouissant d’un système d’organisation
politique et juridique qui garantissait la réglementation de la vie commune dans les relations
entre les différents lignages. A la tête des sociétés lignagères, on trouvait une autorité chargée
d’exercer des fonctions juridiques, politiques, économiques et religieuses, en plus de garantir

130 KUYU Camille, Écrits d’anthropologie juridique et politique, Collection publications de l’Institut
universitaire André Ryckmans n°2, Louvain-La-Neuve, Bruylant, 2008, p. 68.
131 KUYU Camille, Écrits d’anthropologie juridique et politique, Collection publications de l’Institut
universitaire André Ryckmans n°2, Louvain-La-Neuve, Bruylant, 2008, pp. 71-72.

62
l’intégrité du territoire. Le pouvoir n’était toutefois pas exercé de manière autoritaire par le chef
de la communauté qui était assisté dans ses fonctions par une assemblée disposant de
prérogatives importantes et exerçant des rôles différents qui varient selon les sociétés
concernées. Les assemblées, organes regroupant l’ensemble des chefs des familles composant
le lignage, avaient un rôle fondamental de représentation de l’ensemble des lignages qui
formaient la société globale. Mais elles formaient aussi un contre-pouvoir fondamental pour
éviter les abus de pouvoir de la part du chef. Les assemblées pouvaient notamment, dans le
cadre de leurs pouvoirs, élire et destituer les leaders de la communauté et établir les normes du
vivre ensemble132.

Chaque lignage était ainsi représenté par l’un de ses membres, en général un senior, qui devait
être l’aîné de la génération supérieure. Au Cayor, l’une des régions wolof du Sénégal, les
assemblées étaient connues sous le nom de Kangame133. Tous les chefs représentants des
lignages y avaient droit à un siège, mais puisqu’ils étaient nombreux, les lignages étaient
regroupés dans les kangame en fonction de leur catégorie sociale : le lignage des hommes libres
sans caste ou gueer était représenté par le Dieuwrigne Diambour, le lignage royal Fall était
représenté par le Damel et la représentation des hommes de caste était assurée par le Botal ub
Ndiob ou le Badié Gateigne134. Chez les Malinkés (Mali) également, les chefs des treize
lignages se réunissaient en assemblée pour décider des normes de la société. Ils se sont
notamment réunis à Kouroukan Fouga, après la bataille de Kirina en 1234, afin de poser les
bases constitutionnelles de ce territoire fraîchement fondé, le Mali. C’est dans ce grand
rassemblement aux aires d’assemblée constituante, désigné par le nom de Gbara en malinké,
que la Charte de Kouroukan Fouga a vu le jour.

Dans les sociétés lignagères les intérêts des lignages priment sur ceux des individus, et
déterminent les droits et devoirs de chacun de ses membres, en fonction des règles
d’établissement des liens de parenté. Cette organisation diffère sous plusieurs aspects de
l’organisation des sociétés formées sur le principe des classes d’âge dans lesquels les liens

132 Voir KOUASSIGAN Guy-Adjété, L’homme et la terre, droits fonciers coutumiers et droit de propriété en
Afrique occidentale, Paris, Éditions Berger-Levrault, 1966.
133 Les sociétés wolof sont très marquées par une différenciation sociale en castes. Il est possible de distinguer
trois principaux groupes sociaux chez les Wolof : les hommes libres qui n’avaient aucune spécialisation
professionnelle (les geer) ; les hommes libres, castés, qui héritaient de leurs ancêtres une profession spécifique (les
gneegno) et les diaam qui sont les esclaves.
134 NDIAYE Moustapha, op. cit., p. 141.

63
familiaux, sans perdre leur importance, sont moins pertinents dans la détermination du statut
juridique de ses membres.

B. Les sociétés structurées autour des classes d’âge

Dans les sociétés divisées selon un système de classes d’âges, chaque individu se voit octroyer
un statut particulier auquel sont rattachés des droits et obligations sociales en fonction de la
classe d’âge à laquelle il appartient. Dans ce système, les individus sont répartis dans des classes
de génération et d’âge qui détiennent le pouvoir de manière collective, à des intervalles
temporels variables selon les régions. Ce système, que l’on trouve dans la majorité des sociétés
négro-africaines, joue une fonction sociale fondamentale puisqu’il définit le partage des rôles
au sein de la société. C’est par ce mécanisme que les missions politiques, militaires et juridiques
étaient attribuées aux différents membres de la communauté à des intervalles de temps réguliers,
favorisant là l’intégration sociale. L’accès au pouvoir dans les sociétés organisées autour des
classes d’âge n’est donc pas la prérogative d’un lignage, mais d’une classe. Le pouvoir y est
tout d’abord confié collectivement à toute une classe générationnelle, avant d’être détenu par
un personnage particulier désigné au sein de cette classe par ses pairs.

Dans la plupart des sociétés de l’Afrique orientale, le système générationnel est structuré autour
de deux classes : celle des « Pères » et celle des « Fils ». De ce fait, les enfants d’un individu
appartenant à la classe « A » appartiendront à la classe « B ». De plus, un même individu ne
peut appartenir à deux classes en même temps ce qui veut dire que ceux appartenant à la classe
« B » des « Fils » ne peuvent appartenir à la classe « A » des « Pères », même après avoir eu
des enfants eux-mêmes, avant l’écoulement d’une certaine période qui est plus ou moins longue
selon les régions. On trouve ce modèle chez les Massai au Kenya, les Karimojong en Ouganda,
les Meru à l’Est du Kenya et les Kikuyu également au Kenya135.

Dans ce système, les droits et obligations sont attribués sur la base d’une organisation
hiérarchisée de la société en classes générationnelles, chacune héritant d’un statut et de
fonctions particulières, permettant un transfert périodique des connaissances et des
compétences de classe en classe. Les groupes générationnels suivent le cours des événements

135 PEATRICK Anne-Marie, « La règle et le nombre : les systèmes d'âge et de génération d'Afrique orientale »,
L'Homme, tome 35, n°134, « Âges et générations : ordres et désordres », 1995.

64
de la vie courante en fonction de l’âge et du statut civil des membres qui les composent. On
voit ainsi une articulation entre les classes dans la mesure où lorsque les membres d’une classe
changent de position pour aller dans la classe supérieure, toutes les autres classes changent aussi
de position. Il y a ainsi une transmission de compétences et de pouvoirs entre les classes
successives, par des intervalles de temps réguliers. Ces changements se font tous les 8 ans chez
les Borana dans la corne de l’Afrique, tous les 9 ans chez les Konso-Tadaki, tous les 18 ans
chez les Konso-Garati en Ethiopie, tous les 15 ans chez les Meru et tous les 20 ans chez les
Dassanech en Afrique de l’Est136.

Les groupes réunis dans des classes d’âges forment des véritables personnes juridiques
puisqu’elles endossent, à titre collectif, des responsabilités politiques importantes. Elles ont
pour rôle notamment de représenter toutes les personnes appartenant à un certain groupe
générationnel, chacune jouissant d’une fonction publique spécifique. La hiérarchisation des
classes est pour ce faire complétée par une hiérarchisation des individus en sous-classes à
l’intérieur de chaque classe, en fonction des âges et des rôles endossés par chacun, en
conformité avec le niveau de maturité des individus. Les études mentionnent également
l’existence d’une hiérarchisation des individus à l’intérieur des classes en Afrique occidentale,
comme c’est le cas en Côte d’Ivoire chez les Attié, les Ebrié et les Abouré. Les sociétés y sont
souvent divisées en classes, permettant de retrouver une première division entre les Pères et les
Fils, complétée des sous-classes qui séparent les frères aînés de leurs cadets. On y retrouve
notamment la sous-classe des aînés (atible), des puinés (bawule), les cadets (jamia-malimbe) et
les benjamins (jamia)137. Les membres d’une même fratrie se trouvent ainsi hiérarchisés afin
de marquer la supériorité statutaire dans les rapports entre aînés et cadets.

Les fonctions politiques étaient normalement attribuées à la classe des Pères138, qui se faisait
assister par un conseil plus restreint de membres représentant les différents lignages de la
société. C’était le cas chez les M’batto (Côte d’Ivoire), où le doyen présidait le conseil politique,
accompagné de sept autres membres à raison d’un pour chaque lignage et de deux autres

136 PEATRICK Anne-Marie, « La règle et le nombre : les systèmes d'âge et de génération d'Afrique orientale »,
L'Homme, tome 35, n°134, « Âges et générations : ordres et désordres », 1995, pp. 22 et s.
137 NDIAYE Moustapha, op. cit., p. 156.
138 Avec des nuances dans les pratiques en Afrique de l’Est et en Afrique de l’Ouest. Pour plus de développements
sur la question voir : NDIAYE Moustapha, op. cit., pp. 157 et s. ; PEATRICK Anne-Marie, « La règle et le nombre
: les systèmes d'âge et de génération d'Afrique orientale », L'Homme, tome 35, n°134, « Âges et générations :
ordres et désordres », 1995, p.19 ; PAULME Denise, « Première approche des Atié (Côte d'Ivoire) », Cahiers
d'études africaines, Volume 6, n°21, 1966, pp. 86 et s.

65
membres choisis par le président de manière discrétionnaire139. En Afrique occidentale, la
classe des Fils exerçait des activités liées à la vie courante de la société, normalement sans être
associée aux fonctions politiques. Une classe générationnelle intermédiaire était chargée
d’assurer la défense et la sécurité du territoire.

On voit donc que le système générationnel de division de la société permettait d’accorder à tous
les individus le droit de participer dans la vie de la société de manière collective, stratifiée et
périodique, en fonction des âges. Comme le note Harris Memel- Fotê, le gouvernement
générationnel était « un droit universel des initiés : tous y participent et, l’âge venu, chaque
classe d’âge détient le pouvoir pendant la durée qui convient. Le système de classes d’âge
permet la collectivisation du pouvoir, devenu collégial140 ». La collectivisation du pouvoir – de
son détenteur et de son exercice – sont la preuve de l’importance de la communauté dans les
sociétés africaines où l’individu tout en détenant des prérogatives, ne peut y avoir accès que par
l’appartenance à un groupe donné et par le respect des règles et procédures prescrites par
l’ensemble de la communauté, suivant des principes ancestraux. L’individu n’y est pas du tout
oublié puisque c’est de la somme des individus que se forme une communauté et l’on sait que
dans les sociétés traditionnelles le pouvoir était exercé le plus souvent par un chef chargé
d’exercer des pouvoirs suprêmes. Mais la détention du pouvoir par une collectivité apporte des
nuances au pouvoir des leaders suprêmes, leur rappelant leur rôle auprès des sociétés qu’ils
dirigent et les soumettant aux règles de cette communauté en tant qu’entité juridique jouissant
de prérogatives d’un sujet de droit.

§2. La communauté en tant que dépositaire de la personnalité juridique de ses membres

En Afrique subsaharienne précoloniale, l’organisation sociale reposait sur le principe de


l’antériorité de la communauté sur l’individu parce que la communauté, étant animée par le
principe vital, garantit l’existence et subsistance de chaque individu la composant. Ce principe
va à l’encontre de celui prôné en Europe par les théories libérales selon lesquelles l’individu est
un être autonome, possédant des droits, qui précède à toute forme d’organisation sociale et
accepte volontairement d’intégrer une communauté et de se soumettre à celle-ci, dans un cadre

139 NDIAYE Moustapha, op. cit., p. 160.


140 MEMEL- FOTÊ Harris, Le système politique des Adioukrou. Une société sans États et à classes d’âge de
Côte d’Ivoire, Abidjan, Université d’Abidjan, Institut d’ethnosociologie, thèse de 3e cycle, 1969, p. 419. Cité par
DUGAST Stéphan, « lignages, classes d’âge, village. À propos de quelques sociétés lagunaires de côte d’ivoire »,
l’Homme, tome 35, n° 134, « Âges et générations : ordres et désordres », 1995, p. 144.

66
qu’il aura préalablement fixé par le biais d’un contrat social.

La communauté, étant détentrice d’une force vitale qui lui est propre constitue, comme le
souligne Durand Bernard, le « cadre naturel de son [de l’individu] épanouissement et la finalité
de son accomplissement141 ». Le droit traditionnel s’intéresse donc plus aux individus pris
collectivement dans un ensemble communautaire qu’à la personne humaine prise
individuellement, parce que l’individu a un temps de vie limité, contrairement à la communauté
qui se caractérise par son caractère permanent. Les individus sont destinés à mourir, mais le
lien communautaire est impersonnel et intemporel. En effet, les tribus, les clans, les lignages et
autres groupes résistent au temps et les décès y sont compensés par les naissances qui
permettent de perpétuer les liens communautaires. L’impératif d’assurer la continuation des
liens communautaires explique par exemple que le choix des conjoints se fasse majoritairement
au sein d’un même groupe ethnique. Car par le mariage les époux participent à la perpétuation
de la collectivité142. Ce caractère permanent de la communauté explique aussi que le droit
traditionnel reconnaisse très peu la propriété individuelle de la terre en faveur d’une
reconnaissance collective de la propriété des biens.

D’après les principes traditionnels des droits africains, l’individu peut très difficilement être
appréhendé comme étant un sujet de droit puisque la personne humaine n’a de valeur qu’à
l’intérieur du groupe qui permet la continuité de sa personnalité. Les communautés deviennent
ainsi les dépositaires légitimes de droits, obligations et privilèges qu’elles exercent au profit des
individus qui ne peuvent y prétendre qu’en tant que membres de la communauté. C’est
l’appartenance de l’individu à une communauté qui lui donne sa valeur et sa place dans la
société, ainsi que la possibilité de jouir des prérogatives qu’y sont attachées. En dehors du
groupe, l’individu n’a pas d’existence juridique et ne peut se revendiquer sujet de droit car c’est
le groupe qui lui attribue un statut et des fonctions particulières, qu’il doit exercer avant tout
pour l’intérêt collectif. Comme le souligne Isaac Nguema, en Afrique « la conception du sujet
de droit n’est pas anthropocentrique. C’est le groupe ethnique qui détermine l’essence,
l’existence, le sens de la personnalité juridique et la raison d’être du sujet de droit143 ».

141 BERNARD Durand, Histoire comparative des institutions, Dakar, NEA, 1983. Cité par NDIAYE Moustapha,
op. cit., p. 106.
142 NGUEMA Isaac, « Universalité et spécificité des droits de l’homme en Afrique », Revue de la Commission
africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, Tome 3, 1993, numéros 1 et 2, p. 54.
143 NGUEMA Isaac, « Universalité et spécificité des droits de l’homme en Afrique », Revue de la Commission
africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, Tome 3, 1993, numéros 1 et 2, p. 54.

67
Tandis que dans le droit occidental la personnalité juridique commence avec la naissance et
prend fin avec la mort144, dans les traditions juridiques africaines, la personnalité juridique
s’acquiert au fur et à mesure que la personne franchit les étapes de la vie. Ces étapes sont
souvent marquées par des événements importants ou des cérémonies d’initiation qui assurent
le passage de la personne d’une catégorie juridique à une autre, avec les droits et obligations
inhérents. Ainsi pour un jeune garçon, la circoncision marque une étape importante dans son
processus de croissance en vue de devenir un homme. De même, dans certaines cultures le
changement de catégorie se fait au début de la puberté, lors des fiançailles, ou du mariage. Mais
de la même manière que certains évènements contribuent à la formation de la personnalité
juridique de l’individu, d’autres situations peuvent remettre en cause cette personnalité ou les
droits qu’y sont attachés dès lors qu’ils empêchent l’individu d’accomplir ses fonctions. C’est
le cas lorsqu’une personne est atteinte d’une maladie grave, subit un deuil ou se retrouve en
situation de veuvage.

On trouve dans les sociétés africaines précoloniales deux communautés de base : la famille et
la communauté politique. La famille est entendue au sens large pour désigner le lignage. Le
lignage est le sujet de droit du sein duquel naissent des individus qui sont tous liés soit par le
matrilignage, soit par le patrilignage. L’appartenance à un lignage est considérée comme un
lien éternel, que même le mariage ne peut rompre en raison de l’attachement à un ancêtre
commun. Le lignage constitue par conséquent une véritable institution, bénéficiant d’attributs
de la personnalité juridique puisqu’il dispose de la maîtrise de la terre, acquise par le
consentement du ou des génies locaux ; est responsable de la répartition des terres et des
différentes activités foncières aux autres lignages et veille au renouvellement de l’alliance des
lignages avec les génies locaux. Le maintien de l’alliance avec les génies locaux exige un
respect strict des fonctions accordées à chaque lignage, sous peine de perdre ses liens avec la
terre au profit d’un autre lignage145.

Chez les peuples sérère étudiés par Michel Alliot et marqués par des liens matrilinéaires, en
matière d’héritage, ce sont les membres masculins qui se succèdent pour la jouissance de la

144 Sans oublier l’exception en droit français qui prévoit l’adage “infans conceptus pro nato habetur quoties de
commodo ejus agitur” (l’enfant conçu est réputé né chaque fois qu’il y va de son intérêt).
145 ALLIOT Michel, « La plus jolie dame de Dakar », in LE ROY Étienne (dir.), Juridicités : Témoignages réunis
à l’occasion de son quarantième anniversaire du Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris, 2006, Paris,
Karthala, pp. 20-21.

68
terre qui passe ainsi d’un frère à l’autre puis, au décès du dernier frère, elle passe au neveu
utérin, qui passera à son tour à ses frères et ainsi de suite. L’héritage passe donc entre frères
mais pas entre père et fils car chacun fait partie du matrilignage de leurs mères respectives146.
Chez les Kongo de la RDC, l’enfant appartient au lignage de sa mère et il revient à son oncle
maternel (ngwa nkazi) d’exercer sur lui les pouvoirs paternels. On observe à ce titre que dans
les sociétés actuelles l’individualisation des rapports sociaux se fait de plus en plus sentir,
faisant naître des rivalités entre l’oncle maternel et le père biologique des enfants dans
l’exercice des droits paternels. Comme le souligne Georges Balandier, les rôles s’inversent et
« le père réel tend à devenir le père juridique147 ». L’exercice de la puissance paternelle par le
père biologique lui permet désormais de contrôler les biens de ses descendants, contribuant
ainsi notamment à l’individualisation de la propriété foncière. Ce qui est contraire aux préceptes
traditionnels car la terre cesse d’être un bien appartenant à un lignage pour devenir un bien
appartenant à la famille restreinte, voire même à un individu. Le clan comme sujet de droit
commence alors à perdre sa place au profit de la famille restreinte et plus encore au profit des
individus de manière isolée.

La seconde entité de base est constituée par ce que la doctrine qualifie de communauté politique
qui est composée de l’ensemble des familles lignagères partageant des traits culturels communs
comme le fait de vivre sous l’autorité d’un même chef, parler une même langue et suivre des
règles communes148. La communauté politique est une entité de référence disposant d’un rôle
important dans l’exercice du pouvoir politique et dans la formation du droit. La communauté
politique est composée par l’ensemble des leaders de chaque communauté, à commencer par le
roi, chef suprême, jusqu’à l’ensemble des chefs de chaque lignage, dans les sociétés lignagères,
ou de chaque classe d’âge, dans les sociétés fondées sur le principe des classes d’âge. Aux
différents chefs s’ajoutent l’ensemble de conseillers et des membres des assemblées où siègent
les doyens des communautés. L’ensemble de ces autorités forment une véritable entité jouissant
de pouvoirs politiques et disposant d’une personnalité juridique propre dans la mesure où
l’autorité politique exercée par chacun des chefs n’est pas exercée individuellement mais l’est

146 ALLIOT Michel, « La plus jolie dame de Dakar », in LE ROY Etienne (dir.), Juridicités : Témoignages réunis
à l’occasion de son quarantième anniversaire du Laboratoire d’Anthropologie juridique de Paris, 2006, Paris,
Karthala, pp. 19-20.
147 Georges BALANDIER, Sociologie actuelle de l’Afrique noire, Paris, PUF, 1955, p. 382. Cité par KUYU
Camille, Écrits d’anthropologie juridique et politique, Collection publications de l’Institut universitaire André
Ryckmans n°2, Louvain-La-Neuve, Bruylant, 2008, p. 67.
148 NDIAYE Moustapha, La construction constitutionnelle du politique en Afrique subsaharienne francophone,
op. cit., p. 105.

69
de manière collective, au nom des collectivités qu’ils représentent. Comme vu précédemment,
le pouvoir suprême appartenant aux entités ancestrales demeurant dans le monde spirituel, les
autorités terrestres instituées par les ancêtres ne peuvent que suivre leurs instructions en vue de
sauvegarder la force vitale qui anime les communautés.

Les différentes communautés disposent comme on vient de le voir d’attributs de la personnalité


juridique et constituent le cadre par excellence de l’épanouissement des individus qui eux ne
bénéficie de droits qu’au travers de la communauté de laquelle ils sont issus. Mais la primauté
de la communauté ne signifie pas l’aliénation totale de l’individu. Ce dernier est l’objet d’une
protection particulière à la charge de l’ensemble de la communauté qui doit assurer la protection
des droits et libertés individuels de chacun de ses membres. Chez les Ashanti (Ghana, Côte
d’Ivoire)149 et les Diola (Sénégal)150 par exemple, la famille aide ses membres à s’acquitter des
dettes résultantes d’un contrat ou d’un délit. Ce qui veut dire que celui qui a une dette ne se
retrouve pas seul dans l’exécution de son obligation. Cette entraide contribue à préserver la
« force vitale » de la famille. Chez les Akan au Ghana, l’entraide communautaire porte le nom
de nn boa, qui désigne le rassemblement de toutes les forces de la communauté ou une partie
de celle-ci pour mettre en œuvre un projet spécifique de l’un de ses membres ou de la
communauté entière. En Afrique de l’Est, on retrouve un concept similaire sous le nom
d’ujamaa en Tanzanie ou dabo pour les Macha Galla en Ethiopie151.

L’individu n’est donc pas moins un sujet de droit, même si sa personnalité juridique dérive de
la communauté à laquelle il appartient, conformément à ce qu’E. Le Roy appelle de principe
d’attribution fonctionnelle des statuts152. Selon l’auteur, les droits traditionnels sont
essentiellement des droits statutaires, ce qui veut dire que chaque membre de la communauté
dispose d’un statut qui est déterminé par la fonction occupée. Ainsi, les droits de chaque
individu dépendent du statut qui leur est attribué sur la base des fonctions qu’il exerce au sein
de la société. Cette attribution est assurée par la communauté, en tant qu’entité supérieure, par
le biais de ses représentants légitimes. C’est elle qui doit assurer la répartition juste des
fonctions de chaque individu et veiller à l’exercice correct par chacun de ses droits et devoirs,

149 Voir, A. Hoebel, The Law of primitive man, Harrard, 1954. Cité par LEGIER Henri Jacques, Traditions
africaines et droits de l’homme, p. 5.
150 Voir L. R. Thomas, « Responsabilité, sanction et organisation judiciaire, chez les Diola traditionnels de la
Basse-Casamance », in Etudes de droit africain et malgache, Paris, 1960. Cité par LEGIER Henri
Jacques, Traditions africaines et droits de l’homme, p. 5.
151 ANDAH Bassey, African anthropology, Ibadan, Shaneson C.I. Limited, 1988, p. 84.
152 É. LE ROY, « Justice africaine et oralité juridique », op. cit., pp. 570-571.

70
en fonction des statuts respectifs. Les statuts changent avec l’âge, avec la situation sociale
(célibataire, marié, père de famille, polygame, etc.) et avec la position occupée au sein de la
communauté. Ceci explique les différences de statut entre les enfants, les adultes et les vieillards
(différence particulièrement présente dans les sociétés organisées en classes d’âge) ; et entre les
personnes célibataires, mariées et veuves. La notion d’égalité entre les individus est donc
inexistante au sein d’un même groupe, puisque chacun exerce des fonctions différentes, dispose
de statuts différents et contribue différemment au développement social. Par conséquent, la
notion d’égalité de droits prônée par les théories européennes des droits de l’homme ne se
présente pas de la même manière dans les conceptions traditionnelles du droit en Afrique153.

L’organisation communautaire de la société a plusieurs conséquences. Elle influe tout d’abord


sur le lien entre les relations parentales et foncières. La terre étant une source de vie, comme
une mère, elle ne peut être que la propriété de la communauté et ses membres les bénéficiaires
de droits de disposition matérielle et de jouissance de ses fruits. Les liens de parenté permettent
donc aux membres du lignage de disposer d’un droit fondamental de jouissance sur la terre,
mais la nature et l’étendue de ces droits de jouissance varient en fonction des liens de parenté
qui lient un individu à son lignage154.

La conception communautariste de la vie en société a également favorisé le développement


d’un droit négocié, en ce sens que la résolution des différends ne fait pas appel à des instances
extérieures et supérieures aux communautés, comme l’État, mais plutôt à des mécanismes de
négociation, de conciliation et de médiation au sein des communautés. Le caractère négocié des
droits traditionnels joue en faveur à la fois des individus et de la communauté car il permet à
tous les acteurs lors d’un conflit de voir ses intérêts pris en compte. Par les mécanismes de
négociation, chacun obtient un minimum de satisfaction auprès des instances supérieures
chargées de rendre justice. En cas d’infractions commises par un membre de la communauté,
les organes de justice doivent prendre les mesures de sanction nécessaires pour rétablir le lien
social qui se trouve brisé par l’offense et garantir la réintégration de la personne concernée dans
la logique d’unité du groupe. Cela renforce les liens entre le groupe et l’individu puisque ce
dernier a conscience de son appartenance à une communauté et de la nécessité de s’y investir
dans l’intérêt de tous. Chez les Nuer du Soudan, Evans Pritchard relate que « lorsqu’un homme

153 KUYU Camille, Écrits d’anthropologie juridique et politique, Collection publications de l’Institut
universitaire André Ryckmans n°2, Louvain-La-Neuve, Bruylant, 2008, p. 32.
154 KUYU Camille, Écrits d’anthropologie juridique et politique, Idem. p. 28.

71
en a tué un autre, il doit immédiatement se rendre auprès du chef qui entaille son bras de
manière à ce que le sang puisse couler. Jusqu’à ce que cette marque de Caïn soit faite, le
meurtrier ne peut ni manger, ni boire. Si comme cela est ordinairement le cas, il craint la
vengeance, il reste chez le chef, car la demeure du chef est un sanctuaire. Au cours des mois
qui suivent, le chef engage les parents du meurtrier à se préparer à payer une compensation,
afin d’éviter les représailles et persuade les parents de la victime à accepter la compensation.
Pendant cette période, les deux parties ne peuvent pas manger ou boire dans les mêmes plats,
ni manger dans la maison d’un tiers. Le chef rassemble alors le bétail, quarante ou cinquante
têtes encore tout récemment, et les conduit à la demeure du mort où il accomplit de nombreux
sacrifices de purification et de réconciliation155 ».

La communauté garantit un sentiment de sécurité juridique à ses membres, sécurité renforcée


par la conviction de ce qu’une solution bénéfique pour la communauté ne peut que l’être aussi
pour les individus qui la composent. Chaque membre de la communauté dispose ainsi de
l’assurance de voir ses prétentions être prises en compte et du respect de son statut juridique. Il
en va également de la sécurité juridique que les violations commises au sein de la communauté
soient punies de manière adéquate et exemplaire. On trouve ainsi une diversité de peines chez
les différents peuples catégorisées en fonction des actes commis. Chez les Nkomi du Gabon, il
y avait une hiérarchisation des délits à laquelle équivaudrait une hiérarchisation des peines
encourues. Ces peines passaient par des bastonnades, des injures ou des blessures, dans le cadre
des peines privées ou profanes. Lorsque les peines émanaient du domaine public, elles
pouvaient être morales, tel le blâme public, corporelles, comme des mutilations ou alors des
privations de liberté ou, lorsque l’acte était très grave, la peine capitale. Lorsque l’acte relevait
du domaine spirituel, la peine venait elle aussi du monde spirituel sous la forme de maladies,
des disgrâces, des possessions spirituelles, etc.156. Les peines privatives de liberté pouvaient
prendre plusieurs formes, elles passaient de l’interdiction pour la personne sanctionnée de
s’associer à d’autres membres du groupe dans le cadre de certaines activités. Dans ce cas,
l’individu n’est pas exclu de la vie en société, mais est mis à l’écart pour certaines activités. Les
peines privatives de liberté dans des cas graves pouvaient impliquer l’exclusion du délinquant

155 EVANS-PRITCHARD E. E., « Les Nuer du Soudan méridional », in Systèmes politiques africains, Paris,
PUF, 1957, pp. 253-254. Cité par É. LE ROY, « Justice africaine et oralité juridique », in Bulletin de l’IFAN, n°
3, T. XXXVI, Série B, 1974, pp. 577-578.
156 LE ROY Étienne, « Justice africaine et oralité juridique : une réinterprétation de l’organisation judiciaire
« traditionnelle » à la lumière d’une théorie générale du droit oral d’Afrique Noire », Bulletin de l’I.F.A.N., T.
XXXVI, série B, n°3, 1974, p. 590.

72
du sein de la communauté, ce qui est une peine très lourde dans des sociétés où le lien
communautaire est perçu comme le garant de l’existence de l’individu. Dans certaines sociétés,
dans des cas extrêmes les auteurs des actes criminels pouvaient être vendus comme esclaves à
d’autres groupes157.

Le rejet social était un acte par lequel les représentants d’un groupe pouvaient exclure des
membres du lignage ayant commis des actes particulièrement graves, mettant ainsi en danger
la vie du groupe. La croyance étant que par leur gravité, de tels actes auraient un impact sur les
actions de la vie quotidienne comme la pêche, la chasse, les récoltes, la fécondité au sein d’un
couple ou encore des épidémies accablant les populations. Cette pratique de l’exclusion sociale
était perçue comme la pire des sanctions qu’on pouvait infliger à un individu puisque la force
vitale de l’individu se trouve dans l’interaction avec les autres membres du groupe partageant
un ancêtre commun. La force de cette sanction est telle que jusqu’à présent, dans certains pays
africains, l’exclusion sociale a été institutionnalisée et encadrée par la loi. Les parents
biologiques d’un individu majeur peuvent l’exclure de leur ménage, après une autorisation du
président du tribunal et une déclaration à l’officier d’état civil, lorsque la personne exclue a
gravement manqué à ses devoirs familiaux ou qu’il a porté atteinte à l’honneur de la famille158.

Les règles qui s’imposent aux interactions structurées autour de la communauté prouvent que
celle-ci est le sujet de droit par excellence dans les systèmes juridiques africains. C’est au sein
de la communauté que l’individu prend forme, qu’il se développe et qu’il trouve un cadre pour
son épanouissement. Mais, au regard de son caractère pérenne, la communauté n’a pas pour
objectif primaire d’être au service des individus qui la composent. Au contraire, toutes les règles
et tous les efforts individuels doivent converger à l’accomplissement de l’objectif majeur de
garantir la continuité de l’ensemble de la communauté, la stabilité sociale et spirituelle en son
sein et la cohésion de l’ensemble des membres attachés à un ancêtre commun et à une même
force vitale.

L’existence de ces juridicités établies sur des fondements mythiques, la sacralité du pouvoir
politique et centrées sur les liens communautaires forment les caractères principaux des droits

157 KUYU Camille, Écrits d’anthropologie juridique et politique, Collection publications de l’Institut
universitaire André Ryckmans n°2, Louvain-La-Neuve, Bruylant, 2008, p. 22.
158 KUYU Camille, Écrits d’anthropologie juridique et politique, Collection publications de l’Institut universitaire
André Ryckmans n°2, Louvain-La-Neuve, Bruylant, 2008, p. 78.

73
en Afrique sub-saharienne. À quelques spécificités près, chaque société a su se forger un
système juridique permettant de réguler la vie en communauté dans le but de garantir le
maintient de la force vitale, fondamentale à l’épanouissement individuel et collectif.
Néanmoins, cette vision sacralisée et symbolisée du droit a été fortement critiquée par les
premières études publiées sur les sociétés négro-africaines, refusant d’y reconnaître la présence
de juridicités, certes distinctes de celles des sociétés européennes, mais dont le caractère
juridique est indéniable.

CHAPITRE II : Remise en cause du caractère juridique des normativités africaines

Au-delà des considérations économiques derrière les croisades coloniales, l’idée de civiliser les
peuples colonisés part d’un fondement purement raciste et ethnocentré des puissances
coloniales qui, convaincues de la supériorité des valeurs culturelles européennes, se sont
assignées la mission « pédagogique » des mouvements de domination dont tous les efforts
devraient aboutir à la maturation des sociétés dominées par un processus d’assimilation
culturelle et identitaire, de manière à les intégrer pleinement dans la civilisation occidentale.
De ce postulat sont ressorties plusieurs conséquences pour les cultures africaines, à commencer
par la négation de toute forme juridicité au sein des sociétés africaines (SECTION I). Cette
négation n’est pas sans conséquences sur le traitement donné aux valeurs culturelles africaines,
toujours perçues comme primitives.

Envisager la société africaine et tous les phénomènes qui la concernent comme l’opposé ou des
sous-catégories de ce qui se passe en Europe explique que certains auteurs placent les coutumes
juridiques africaines dans la catégorie du non-droit, en opposition au droit. Comme le souligne
Michel Alliot, les anthropologues occidentaux qui se sont aventuré dans la description des
sociétés africaines précoloniales, décrivent le plus souvent ces sociétés en opposition aux
sociétés occidentales : « ils n’y voient que l’envers de nos propres sociétés : qu’elles soient sans
État, sans chefferie, sans complexité, sans écriture, sans histoire, sans surplus. Froides quand
les nôtres sont chaudes, répétitives quand nous sommes créatifs, mythiques quand nous sommes
rationnels. Elles ne se définissent que par le manque de ce que nous sommes. On soupçonne
alors, poursuit l’auteur, que les administrateurs et les juristes qui ont recueilli les coutumes
participaient du même esprit et l’on repère vite que de fait, la coutume était pour eux, l’envers

74
de la loi (non écrite, non publique, non générale, incertaine, irrationnelle, inapte aux
innovations volontaires), et le Droit l’envers du nôtre (non différencié de la religion, de la
morale et des habitudes sociales, ignorant la distinction du droit public et du droit privé, celles
des personnes et des choses, collectif et inégalitaire159 ».

En effet, comme le souligne Michel Alliot, les premiers anthropologues qui ont écrit sur
l’Afrique noire, au lieu de décrire ces sociétés, se sont beaucoup plus tenu à mettre en exergue
les différences entre les sociétés africaines et européennes, sur une base de comparaisons
permanentes ayant pour objectif ultime de dénigrer les us et coutumes des sociétés négro-
africaines160. Or, comme le dit l’auteur, leur « collecte donnait l’illusion de connaître les
coutumes, elle n’avait pas permis de les reconnaître ». Pour les Européens, « les droits originels
d'Afrique n'étaient pas des droits originaux, mais des ébauches de droits qui, par évolution
naturelle ou aidée, devaient rejoindre les seuls vrais droits, ceux de l’occident161 ».

D’un point de vue théorique, le refus de reconnaître le caractère juridique des normativités
africaines a résulté dans le déclassement de ces normativités à une place secondaire. Prises par
des simples coutumes ou des simples principes assimilés à la morale religieuse, les juridicités
africaines ont eu du mal à s’ériger en véritables normes juridiques (SECTION II).

159 Michel ALLIOT, Le droit et le service public au miroir de l’anthropologie, Textes choisis et édités par Camille
Kuyu, Paris, Karthala, p. 53-71.
160 ALLIOT Michel, Le droit et le service public au miroir de l’anthropologie. Textes choisis et édités par
Camille Kuyu, Paris, Karthala, p. 53-71.
161 ALLIOT Michel , Le droit et le service public au miroir de l’anthropologie. Textes choisis et édités par
Camille Kuyu, Paris, Karthala, p. 53-71. Cité par EBERHARD Christoph, « De l’autre côté…la juridicité », Revue
interdisciplinaire d'études juridiques, 2013/1 Volume 70, pp. 78-79.

75
SECTION I. La négation du caractère juridique des normes africaines par des théories
eurocentristes

Avant d’aborder ces conséquences, il faut s’intéresser aux raisons ayant justifié un tel mépris
des cultures juridiques africaines par les puissances coloniales, raisons tenant en grande partie
à une vision de la notion de droit figée dans les formalismes européens (§1). En opposition avec
ce qui semblait être un droit sans forme que l’on trouve dans les traditions juridiques africaines,
empreintes de valeurs morales sacralisées et attachées à une culture orale désapprouvée par les
adeptes du légalisme juridique (§2).

§1. Une vision stricte des phénomènes juridiques

Les définitions formalistes du droit ne mettent pas assez en relief la fonction du droit en tant
qu’outil d’organisation de la vie en société. Cette approche qui a longtemps contribué à la
négation de l’existence du droit en Afrique, est remise en cause par des théories fonctionnalistes
(A). Etienne Le Roy, éminent connaisseur des cultures africaines, propose qu’au lieu de
l’existence du droit en Afrique, on reconnaisse l’existence des juridicités africaines. Cette
notion, plus large que la première, permet d’aller au-delà de la notion de droit afin de
reconnaître la part de juridique dans les règles de régulation sociale (B).

A. Une définition formaliste du droit

Cette vision formaliste a d’ailleurs servi de principal argument pour nier tout caractère normatif
aux traditions juridiques africaines dans la mesure où celles-ci s’inscrivent dans une culture
d’oralité qui ne semble pas, à première vue, apporter la sécurité juridique nécessaire dans les
rapports juridiques et d’autre part, parce qu’elles ne semblaient pas aux yeux des colons émaner
d’entités politiques organisées, disposant d’un pouvoir de contrainte légitime.

Les auteurs partisans du positivisme juridique portent beaucoup plus attention à l’aspect formel
du droit, axé sur sa source et sa normativité, et beaucoup moins sur les aspects substantiels du
droit, sur son contenu fortement influencé par des considérations axiologiques. Or, l’approche
naturaliste du droit voit le droit comme étant, au-delà d’un phénomène formaliste, un

76
phénomène social et universel qui procède de la nature humaine. Aristote, l’un des précurseurs
du jus naturalisme, écrivait à ce sujet que le droit naturel est un ensemble de règles qui permet
le développement de la personne humaine. En effet, l’homme étant un être social par essence162,
il est normal qu’il s’organise autour d’institutions et de normes juridiques pour garantir son
épanouissement. Le droit est donc avant tout l’expression juridique de phénomènes sociaux,
spécifiques à chaque société, bien au-delà du formalisme qui peut l’entourer. Comme le précise
Jean Dabin, « une théorie générale du droit, vue sous l’angle philosophique, doit être capable
de rendre compte non seulement de l’élément formel ou normatif, mais du contenu du droit,
d’autant plus que, en l’espèce, fond et forme ne sont pas sans réagir souvent l’un sur
l’autre163 ».

Mais selon l’approche positiviste du droit, dont sont défenseurs des auteurs tels que Spinoza ou
Grotius, le droit est composé de règles juridiques écrites, émanant d’une autorité étatique
disposant du pouvoir de veiller à son respect et de sanctionner sa violation. Les positivistes
excluent par ce principe du champ des normes juridiques celles qui ne sont pas posées dans un
texte de loi, telles les règles coutumières et les règles morales. Sont ainsi exclues du droit les
normes des sociétés de tradition orale, dans lesquelles l’écriture n’est pas une pratique courante,
mais plus encore, sont exclues du normativisme juridique les normes considérées comme
n’étant pas l’œuvre de la raison humaine.

Les théories positivistes du droit mettent l’accent sur le caractère formel du droit plutôt que sur
sa fonction. Mais tous les positivistes ne partagent pas une vision aussi stricte du normativisme,
à l’instar des partisans de l’école de l’exégèse, dont font partie des auteurs comme François
Gény, qui ont une position plus nuancée, reconnaissant que le droit ne dispose pas que de
sources formelles mais aussi de sources réelles qui sont constituées de données historiques,
sociologiques et anthropologiques. Mais les partisans de cette école ne donnent pas réellement
de valeur juridique aux sources réelles qui servent essentiellement à approvisionner le droit,
sans en être la substance. Selon les exégètes, les sources réelles du droit ne deviennent des
véritables règles de droit qu’une fois qu’elles sont acceptées en tant que telles par les sources
formelles164. Or, il est de notre entendement que la norme juridique ne doit pas prendre une
forme figée, enfermée dans des catégories délimitées en avance, au point d’exclure d’autres
formes possibles de présentation de la règle de droit.

162 ARISTOTE, Politique, 3ème édition, Librairie philosophique de Ladrange, 1874, Livre I, Chap. I, p. 7.
163 DABIN Jean, Théorie générale du droit, n° 9. Cité par CHAZAL Jean-Pascal, op. cit., 2001, p. 216.
164 GENY François, Méthodes d’interprétation et sources en droit privé positif, 1899.

77
L’approche formaliste du droit souvent prônée par les théories positivistes est fortement
influencée par la volonté de plusieurs de faire du droit une véritable science, perceptible de
manière objective par des lois, comme ce qu’on voit dans les sciences naturelles. Cette vision,
que l’on retrouve dans la théorie pure du droit de Hans Kelsen, a tendance à placer le droit dans
un système fermé, à partir duquel toutes les normes prendront leur caractère juridique. Dans le
cas de la théorie de Hans Kelsen, ce système est celui établi par l’État et les normes y trouvent
leur validité par le respect à la norme fondamentale, la Grundnorm et non à des éléments
externes au droit étatique165. Cette position est donc contraire tout d’abord aux théories du droit
naturel, perçu comme arbitraire car manquant de systématisation, mais aussi à toute approche
du droit dans son volet social.

On constate néanmoins que, comme tout phénomène social, le droit ne se présente pas sous une
seule forme figée. Il est vivant, il naît et se transforme en fonction des valeurs et des besoins de
chaque société. Dans les mots de Jean-Pierre Magnan, « il se reproduit, se métisse, croît, se
constitue comme droit ou se dégrade en règles de bienséance ou de moralité, se simplifie ou se
complexifie avec la société qu’il structure, en fonction des besoins de cette société166 ».

Mais il a fallu attendre le développement de nouvelles disciplines en Europe telles que


l’anthropologie juridique, la sociologie juridique ou encore le droit comparé pour que les
particularités de la notion de droit dans d’autres sociétés soient mises en évidence, permettant
la construction d’une définition plus englobante et moins ethnocentriste. La sociologie juridique
développée au XXe siècle ne limite pas le droit aux seules sources formelles et reconnaît
l’existence de phénomènes sociaux déterminants dans la formation du droit. Cette idée est
exprimée par Eugen EHRLICH pour qui, « le centre de gravité du développement du droit, à
notre époque (…), comme en tout temps, ne doit être cherché ni dans la législation, ni dans la
doctrine, ni dans la jurisprudence, mais dans la société elle-même167 ».

Ainsi, dès lors qu’une règle vise à maintenir l’ordre au sein d’une société, celle-ci mérite d’être
qualifiée de règle juridique, indépendamment de son support formel168. Donc, une notion plus
axée sur la fonction sociale de la règle de droit permet une plus grande ouverture et une
meilleure compréhension du phénomène juridique dans les différentes sociétés. Appliqué aux

165 KELSEN Hans, « Qu’est-ce que la théorie pure du droit ? », Droit et Société 22, 1992, p. 2.
166 MAGNANT Jean-Pierre, « Le droit et la coutume dans l’Afrique contemporaine », Droit et cultures, 48, 2004-
2, p. 4.
167 EHRLICH Eugen, Grundlegung der Soziologie des Rechts, 1913, cité par Jean CARBONNIER, « Flexible
droit », …, p. 23.
168 CHAILLEY Pierre, De la nature des traités internationaux selon le droit contemporain, Thèse de Droit, Paris,
1932, p. 41, cité par KAMTO Maurice, Pouvoir et droit en Afrique, op. cit., p. 33.

78
sociétés traditionnelles africaines, on peut conclure à l’existence du droit en Afrique dans la
mesure où, comme nous l’avons vu plus haut, les sociétés africaines précoloniales disposaient
de normes, adoptées par des instances souveraines, ayant pour fonction l’organisation de la vie
en société.

Il est important toutefois de ne pas tomber dans le piège de l’amalgame des normes afin de
distinguer les normes de régulation sociale des normes de régulation juridique. La frontière
entre les deux est ténue mais il est important d’en tenir compte car tous les faits sociaux n’ont
pas vocation à devenir des faits juridiques, même si tous les faits juridiques sont par essence
des faits sociaux169. D’après le doyen Jean Carbonnier, l’élément qui permet de distinguer un
fait social d’un fait juridique est le critère de juridicité, dont le signe distinctif réside dans la
neutralité de la règle de droit170. La juridicité peut être définie comme ce qui donne un caractère
juridique à un phénomène donné. D’après E. Le Roy, par l’effet de la juridicité, il est possible
de rapprocher la notion de droit, telle que développée en Occident, à des conceptions, pratiques
et représentations d’autres peuples ne connaissant pas le modèle juridique occidental. Or, la
vision formaliste du droit soumet la juridicité des normes au respect de certaines conditions de
validité à savoir le respect de leur hiérarchie, en particulier la Constitution, cadre juridique des
sociétés démocratiques, écartant ainsi les normes africaines de la sphère de la juridicité.

Dans une vision purement formaliste, les phénomènes normatifs en Afrique ne peuvent se
prévaloir d’aucune juridicité en raison de l’absence de toute neutralité de leurs sources. Pour
les jus positivistes, le droit se crée en dehors de la société, il ne trouve pas sa source dans la
société elle-même en tant qu’entité, mais plutôt dans le législateur (ou la jurisprudence dans les
pays de Common Law) qui édicte des normes générales et impersonnelles, et qui les pose dans
un texte. Cependant dans le contexte africain, à l’arrivée des Européens, l’idée largement
rependue faisait état de règles primitives, inspirées par des croyances métaphysiques, à un
moment où ces derniers tendaient de plus en plus à s’affranchir de la pensée judéo-chrétienne.
Comme le souligne André P. Robert, « le droit coutumier africain primitif demeure
profondément soumis aux conceptions métaphysiques et partant religieuses de ces peuples qui

169 KUYU Camille, Écrits d’anthropologie juridique et politique, Collection publications de l’Institut
universitaire André Ryckmans n°2, Louvain-La-Neuve, Bruylant, 2008, p. 46.
170 CARBONNIER Jean, Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, LGDJ,
Bruxelles, Story Scientia, 1993.

79
n’ont pas encore atteint et découvert un droit positif affranchi de la philosophie ou de la nature
des choses171 ».

La vision formaliste du droit largement relayée pendant la période révolutionnaire en Europe


selon laquelle la loi, instrument privilégié de régulation sociale, s’impose en tant que source
exclusive du droit n’a commencé à s’estomper que lorsqu’une partie de la doctrine s’est
intéressée au début du XXe siècle aux différents phénomènes qui contribuent à la régulation de
la vie sociale et qui justifient donc une étude du droit non plus sous l’angle du monopole de la
loi en tant que source du droit, mais aussi d’autres sources du droit fortement influencées par
des phénomènes juridiques variés.

En réalité, au-delà du débat autour des formalismes entourant les cultures juridiques de
l’Afrique pré-coloniale, on remarque que ce débat a surtout servi d’instrument dans les mains
des puissances européennes pour imposer leur pouvoir politique sur les territoires occupés. La
négation de l’existence du droit en Afrique était pour les puissances colonisatrices avant tout
un moyen de trouver une brèche pour leur permettre de contrôler « légalement » les ressources
naturelles abondantes des territoires occupés. En admettant que les Africains étaient des peuples
désorganisés, non-civilisés et primitifs, ne connaissant pas le droit comme instrument au service
du maintien de l’ordre social, on justifie l’implémentation d’un système juridique basé sur
l’autorité des États coloniaux. On enlève ainsi de la compétence des normes traditionnelles les
règles relatives à la gestion des richesses naturelles. Cela explique par ailleurs le maintien des
normes traditionnelles dans plusieurs domaines de la vie courante, notamment en ce qui
concerne le droit des personnes, alors même qu’on ne leur accordait, sur le principe, aucune
valeur juridique. Des règles traditionnelles sont ainsi restées en vigueur alors même qu’elles
contrevenaient dans certains domaines aux principes fondamentaux de la protection de l’être
humain prônés en Europe. Les autorités françaises ont par exemple maintenu les pratiques de
l’esclavage chez les Touaregs et les Maures, dans une période où l’esclavage était condamné
dans les sphères occidentales. Dès lors que l’ordre était maintenu, le colonisateur n’a pas voulu
bouleverser de manière drastique les pratiques locales afin d’un côté d’éviter des révoltes
populaires, mais surtout pour éviter la fuite d’autochtones qui constituaient une main d’œuvre
considérable dans le dur labeur pour l’exploitation des ressources. N’empêche que le

171 ROBERT André P., L’évolution des coutumes de l’Ouest-africain et la législation française, Paris, Librairie
autonome, pp. 22 et s. Cité par KOUASSIGAN Guy-Adjété, L’homme et la terre, droits fonciers coutumiers et
droit de propriété en Afrique occidentale, Paris, Éditions Berger-Levrault, 1966, p. 22.

80
formalisme juridique a eu un impact non négligeable dans la déstabilisation des systèmes
juridiques africains.

Afin de dépasser les aprioris positivistes qui insistent pour réduire le droit aux formalismes
juridiques, Etienne Le Roy propose d’aborder l’existence du juridique autrement par le recours
à la notion de juridicité à laquelle il donne une signification particulière afin d’englober les
différentes formes de normativité juridique.

B. La notion plus élargie de « juridicité » proposée par Étienne Le Roy

D’après E. Le Roy, « la juridicité est la propriété des pratiques sociales de répondre à une
finalité par une contrainte. La finalité est d’assurer la reproduction des conditions de vie en
société et la contrainte est la sanction, non pas nécessairement la punition, mais la
reconnaissance à travers divers procédés ou procédures du caractère obligatoire des
dispositifs normatifs mis en œuvre172 ». A partir de cette définition, l’auteur précise que la
juridicité tout en regroupant en son sein le droit, est plus élargie que celui-ci car la juridicité
prend en compte une diversité de mécanismes et expériences utiles à atteindre l’objectif de
régulation, entraînant des solutions qui varient dans le temps et dans l’espace173. La notion de
juridicité permet ainsi d’appréhender des logiques différentes derrière chaque système juridique
car contrairement au droit qui s’inscrit dans une logique institutionnelle, la juridicité s’inscrit,
selon l’auteur, « dans une logique fonctionnelle de services à remplir et non pas dans des
institutions dans lesquelles on encadre les choses174 ».

La distinction entre l’approche fonctionnelle de la juridicité et l’approche institutionnelle du


droit est utile non seulement pour distinguer le droit d’autres expériences de la juridicité
pratiquées en dehors de l’Europe, mais aussi de distinguer au sein de chaque société ce qui
relève du droit de ce qui n’en relève pas. En effet, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le
procès de Nuremberg et l’adoption de textes à vocation universelle comme la DUDH de 1948
ont marqué le point de départ du règne du droit comme mécanisme de régulation des

172 LE ROY Étienne, La terre de l’autre. Une anthropologie des régimes d’appropriation foncière, Paris,
LGDJ/Lextenso, 2011, pp. 26-27. Cité par EBERHARD Christoph, « De l’autre côté…la juridicité », Revue
interdisciplinaire d'études juridiques, 2013/1 Volume 70, p. 81.
173 Selon l’auteur, « si tout droit est de la juridicité, la juridicité peut être (…) fort peu saisie par le droit ». Idem,
p. 27.
174 COMAN Gabriela, DENEAULT Alain, « Étienne Le Roy, Le droit, ennemi du commun : entretien avec
Étienne Le Roy », 2015, Liberté, n° 306, p.12.

81
phénomènes sociaux. Or, comme le souligne E. Le Roy, « au fur et à mesure qu’on avance, la
tentation et la tendance sont d’aller toujours plus loin et de dire : aucun domaine ne doit être
étranger au droit. Et ça devient une ambition... fasciste…oui, fasciste, de réduction de tout à
l’unité imposée175 ». Alors même que tous les modes de régulation juridique ne sont pas soumis
au monopole ni au pouvoir de contrainte légitime de l’État.

Le concept de juridicité embrasse donc une notion plus large des phénomènes de régulation,
permettant de les saisir dans une approche pluraliste, en contraste avec l‘approche unitaire
longtemps adoptée par la doctrine occidentale. Le droit est ainsi une composante de la juridicité,
aux côtés d’expériences diverses poursuivant des buts similaires comme celles exprimées par
la notion de li en Chine, le fiqh, désignant une science du juridique, concept qu’on trouve dans
les cultures musulmanes, le dharma en Inde, ou encore l’ubuntu en Afrique du Sud.

Selon l’auteur, utiliser la notion de droit pour désigner cette seconde réalité serait assez limité
car le concept même de droit a été forgé dans un contexte donné, pour désigner une réalité
précise. L’usage de la notion de droit aux réalités juridiques, non seulement ne permet pas de
rendre compte des spécificités de ces réalités, mais nous ferait aussi tomber dans le piège
d’universaliser une notion qui a une assise historique, culturelle et conceptuelle bien précise.
L’ère actuelle marquée par la mondialisation favorise d’autant plus la recherche de points
communs entre les différentes cultures, mais cette recherche ne doit pas aboutir à la négation
des particularités de chaque culture. Au contraire, comme le souligne E. Le Roy, « avec la
mondialisation contemporaine, nos cultures et nos sociétés deviennent créoles ; cette mixité et
ces échanges surprennent sans doute les plus conservateurs, mais offrent des opportunités qu’il
nous faut apprendre à maîtriser176 ». En effet, la mixité implique le dialogue, le mélange et pas
le rejet de l’autre.

L’approche d’E. Le Roy a le mérite d’aborder la question de la nécessité de sortir de la notion


de droit, telle que forgée en occident, à des schémas juridiques extérieurs au monde occidental.
Par la juridicité, le droit, dans sa définition traditionnelle, reste intact en tant qu’instrument
développé dans les sociétés européennes vers la fin du XVIe siècle, avec des objectifs précis et
suivant des formalismes spécifiques. Le recours à la notion de juridicité, n’a donc pas pour
objectif de nier l’existence de phénomènes juridiques en dehors de l’Europe. Mais il vise à

175 COMAN Gabriela, DENEAULT Alain, « Étienne Le Roy, Le droit, ennemi du commun : entretien avec
Étienne Le Roy », 2015, Liberté, n° 306, p. 13.
176 COMAN Gabriela, DENEAULT Alain, « Étienne Le Roy, Le droit, ennemi du commun : entretien avec
Étienne Le Roy », 2015, Liberté, n° 306, p. 10.

82
inciter une approche pluraliste de ces phénomènes en reconnaissant le multijuridisme dans la
mesure où le juridique se manifeste de manières différentes dans les différentes sociétés, suivant
des postulats épistémologiques et culturels très différents. L’introduction du droit dans la
juridicité permet ainsi de distinguer un système de régulation sociale fondé sur le monopole par
l’État du pouvoir normatif et de la contrainte physique – celui développé en Europe –, d’autres
systèmes fondés sur des principes cosmogoniques dont l’effectivité est garantie par la crainte
des ancêtres, développés dans la majorité des sociétés africaines. Par la notion de juridicité E.
Le Roy propose un mécanisme permettant la reconnaissance du caractère juridique des
normativités africaines, au-delà des questions de forme et des différences civilisationnelles
invoquées par les puissances européennes.

§2. La culture orale, motif de déclassement des droits africains

La culture orale fortement répandue dans les sociétés africaines précoloniales a eu des
conséquences importantes dans la perception qu’ont eu les occidentaux sur la nature de leurs
systèmes normatifs ayant entraîné plusieurs penseurs attachés au formalisme juridique à
conclure à l’inexistence d’un droit structuré, perceptible et intelligible. Comme le souligne le
doyen Vanderlinden, « en effet, le colonisateur européen habitué à rencontrer toutes les
sources formelles de droit sous leur forme écrite à l’exception d’une seule, la coutume, conclut
de l’oralité que le droit originellement africain n’est en fait que des coutumes177 ».

L’oralité dans les systèmes juridiques africains a conduit la doctrine positiviste et ethnocentriste
occidentale à nier aux normes de régulation sociale précoloniales le caractère de droit positif,
les plaçant au rang de simples normes coutumières. Ce droit oral, en absence d’un
instrumentum, ne permettait pas de garantir le respect de principes jugés fondamentaux tels que
la publicité, la prévisibilité et la sécurité attachée aux règles juridiques.

D’autre part, l’oralité juridique est souvent considérée comme un frein aux transformations
sociales car elle donne l’impression de figer les institutions dans le passé, ne leur permettant
pas de se renouveler en fonction des évolutions sociales. L’oralité justifiait ainsi pour plusieurs

177
J. VANDERLINDEN, Les systèmes juridiques africains, Les systèmes juridiques africains, Paris, PUF, 1983,
p. 9

83
auteurs que l’on qualifie les systèmes juridiques traditionnels d’archaïques parce qu’ils ignorent
les catégorisations et les fictions juridiques fondamentales présentes dans le droit en Occident.
Catégories qu’on trouve dans des notions comme celle de la personnalité juridique, la propriété,
la faute, la volonté créatrice de droit, entre autres notions très spécifiques au contexte juridique
européen.

La dominance de la culture orale dans les sociétés africaines peut sembler être une source
d’insécurité et d’arbitraire lorsqu’il s’agit de la transmission et de l’application des normes
juridiques. Mais, comme nous l’avons vu, elle n’est pas une conséquence du manque d’écriture
puisque plusieurs études attestent de l’existence de formes d’écritures dans plusieurs sociétés
africaines, notamment dans le domaine du droit, ce qui prouve qu’une société de tradition orale
ne subit pas son oralité, elle la choisit comme fondement des échanges de sa mémoire, de son
savoir, de ses valeurs et de son histoire.

La parole, qu’elle soit écrite ou orale, constitue la fondation de tout système social, culturel,
politique et juridique. Plus encore, elle constitue le développement de la personne, de son
humanité et de ses capacités cognitives. Selon un dicton peul « la personne, c’est la parole ».
Donc, la capacité de parler c’est ce qui distingue les êtres humains des autres êtres vivants. Dans
le même sens en Centrafrique, les Gbaya bodoe, désignent l’homme comme « ce qui parle »,
par opposition aux animaux. La parole permet donc de définir l’homme, mais de définir aussi
sa personnalité comme le dit un dicton fon du Bénin : « la parole permet de mesurer la
personnalité d’un être humain178 ». Cette vision de l’homme associé à l’honneur et à la dignité
attachée à sa parole diverge dans une certaine mesure de celle qu’on trouve en Occident où
l’homme est défini premièrement par la raison, comme en témoigne la pensée de Descartes, « je
pense donc je suis179 ». L’oralité n’est toutefois pas en contradiction avec l’exercice de la raison
et la pensée africaine traditionnelle ne met à aucun moment la parole et la raison en opposition
car autrement comment l’homme pourrait-il développer son caractère sans l’usage normal de
ses capacités cognitives ? Le lien entre la parole et la raison est donc fondamental chez les
peuples africains, très sensibles aux effets à la fois créateurs et destructifs que la parole peut
avoir. D’où la nécessité d’employer la raison pour savoir utiliser cet outil à bon escient, car
comme le dit un dicton yoruba, « la parole est un œuf, si elle échappe elle ne peut pas se

178 DEMBELE Alexis, « Parler comme un conte, ou l’art de transmettre la connaissance en Afrique », Hermès,
La Revue 2015/2, n° 72, p. 244.
179 DESCARTES René, Discours de la méthode, 1637.

84
reprendre180 ». Elle peut être source de conflits, mais elle peut aussi apporter les moyens
d’apaisement et de résolution des conflits dans le cadre de la palabre par exemple.

Contrairement aux préjugés, la transmission orale du savoir suit des codes assez complexes
permettant de garantir que le fond du message transmis reste intact et qu’il soit compréhensible
pour garantir sa continuité dans le temps. Dans les sociétés africaines traditionnelles, la
transmission orale du droit s’opérait par différents moyens : des contes, des proverbes, des
dictons, des mythes, des énigmes, des chants, etc. Ces récits qui peuvent relater des faits vrais,
fictifs ou symboliques181, sont des instruments pédagogiques prisés par les parents pour
transmettre la sagesse ancestrale et éduquer les enfants aux règles de la vie en société. Le fait
que ces récits ne soient pas gravés dans un texte écrit permet non seulement de développer les
liens interpersonnels, mais aussi la mémoire à la fois personnelle et collective.

En effet, comme le dit Camille Kuyu, « l’oralité juridique implique la répétition systématique
et invariable des connaissances en vue d’assurer une transmission exacte et complète des
données socioculturelles. La sûreté de la transmission dépend donc de mécanismes répétitifs
ou mnémotechniques 182 ».

La manière remarquable dont les traditions ont voyagé dans le temps par les divers récits qui
perdurent jusqu’à présent dans la plupart des communautés montre bien que la mémoire
collective est un outil remarquable que les peuples africains ont bien su exploiter pendant des
siècles, sans pour autant négliger la place de l’écriture.

Au niveau du droit, les mythes sont particulièrement prisés pour transmettre les règles
juridiques par voie orale, leur force étant attachée à leur source révélée par les ancêtres. Dans
les mythes, comme le souligne Norbert Rouland, on trouve les représentations et les contenus
des pratiques et des normes juridiques de chaque société183. Les contes étaient aussi très utilisés
devant les instances de résolution de conflits et le sont encore dans les tribunaux coutumiers.
Les juges en font usage en tant que règle de droit pleinement applicable, disposant d’une force
juridique qu’il tire de son caractère ancestral. D’après Isabelle Quiquerez184, les contes africains

180 DEMBELE Alexis, « Parler comme un conte, ou l’art de transmettre la connaissance en Afrique », Hermès,
La Revue 2015/2, n° 72, p. 244.
181 Le récital des contes suivait des règles strictes concernant le moment de la journée approprié pour le faire, le
lieu, et les personnes à qui on transmet le récit. Pour plus de développement voir DEMBELE Alexis, « Parler
comme un conte, ou l’art de transmettre la connaissance en Afrique », Hermès, La Revue 2015/2, n° 72, p. 246.
182 KUYU Camille, Écrits d’anthropologie juridique et politique, Collection publications de l’Institut
universitaire André Ryckmans n°2, Louvain-La-Neuve, Bruylant, 2008, p. 25.
183 ROULAND Norbert, Anthropologie juridique, Paris PUF, 1988, p. 187.
184 QUIQUEREZ Isabelle, « Le langage du droit dans le conte africain », in Bulletin de liaison du LAJP, n° 1,
juillet 1986, p. 70.

85
font état d’un droit plus incitatif qu’impératif. Le conte contient en lui-même une morale qu’il
convient aux citoyens d’intégrer dans leurs vies pour une société plus harmonieuse. Le conte,
par sa forme un peu théâtrale de raconter des faits se rapportant à la vie sociale, est une sorte de
miroir de la société, permettant d’aborder certaines situations de tension, d’apaiser des conflits
et d’aborder avec moins de passion à certains problèmes familiaux, sans les mentionner
directement. Ce caractère impersonnel du conte lui donne une portée générale, dépourvue de
limites personnelles, temporelles et spatiales. On trouve par ailleurs dans des communautés très
différentes culturellement et éloignées géographiquement des thèmes communs et récurrents
dans leurs contes, et cela parce que les contes soulèvent des questions partagées par la plupart
des sociétés humaines185.

On peut donc comprendre que l’oralité juridique dans les sociétés africaines traditionnelles n’est
pas un fait anodin et encore moins la conséquence de l’ignorance ou de faiblesses de
raisonnement des sociétés africaines. Elle est le fruit d’un lien particulier entre l’homme, le
cosmos et la parole. Celle-ci est considérée comme étant à l’origine de l’univers, comme
constituant la trame du monde, d’où son caractère sacré que l’on trouve dans plusieurs règles
et interdits associés à l’usage de la parole. A côté de son caractère sacré, l’oralité est aussi un
moyen de rapprochement humain, de proximité relationnelle puisqu’elle incite au dialogue et
constitue un moyen privilégié d’éducation aux règles de la société.

Si une partie de la doctrine nie le caractère juridique du droit traditionnel en raison de l’absence
d’un instrumentum, son manque de sécurité, son caractère ritualiste et son manque de rigueur,
force est de constater que certains auteurs partageant une vision occidentale du droit
reconnaissent des vertus au droit traditionnel. En effet, L’oralité en tant qu’outil de transmission
de la parole a pour avantage de permettre une plus grande proximité interpersonnelle dans la
communication. Elle permet un échange de paroles dans une relation de don de soi à l’autre
puisque la parole est l’essence même de l’être humain, tandis que l’écriture tend plutôt à
l’anonymat dans les relations sociales186. L’oralité suppose une certaine proximité entre les
individus, et favorise la personnalisation des rapports sociaux de manière à établir une relation
de confiance et à légitimer l’autorité de celui qui doit rendre une décision, alors que le droit
écrit est plus centré sur le message, présenté de manière objective. L’oralité juridique
caractéristique de l’Afrique met en exergue l’organisation communautaire des relations sociales

185 DEMBELE Alexis, « Parler comme un conte, ou l’art de transmettre la connaissance en Afrique », Hermès,
La Revue 2015/2, n° 72, p. 248.
186 LE ROY E., « La justice africaine et oralité juridique », p. 567.

86
dans le continent, comme le précise E. Le Roy pour lequel, « l’oralité met en cause l’individu
comme sujet et agent de la communication, et, d’autre part, implique nécessairement le groupe
comme témoin et gardien de cette communication187 ».

L’attachement et l’importance donnée dans les cultures africaines à l’oralité peut être très bien
résumé dans cette phrase transmise par Hampaté Bâ qui rappelle un enseignement de son maître
Tierno Bokar : « l’écriture est la photographie du savoir, mais elle n’est pas le savoir lui-même.
Le savoir est une lumière qui est en l’homme. Il est l’héritage de tout ce que les ancêtres ont pu
connaître et qu’ils nous ont transmis en germe, tout comme le baobab est contenu en puissance
dans sa graine188 ».

Troublés par des formalismes juridiques différents et des mécanismes de transmission des
savoirs axés sur l’oralité, la doctrine européenne a longtemps refusé d’admettre que des cultures
différentes des européennes aient pu développer des principes juridiques, sans suivre les
formalismes imposés en Occident. Il n’était toutefois possible de nier l’existence de principes
qui régissent les sociétés africaines. Mais ceux-ci peinent encore à trouver une place dans la
notion occidentale de droit.

SECTION II. Les droits africains relégués à une place secondaire

Le droit africain aura connu toute sorte de noms pour lui éviter le qualificatif de droit, lequel
pour certains doit être réservé à des systèmes regroupant un certain nombre de caractères
formels. A l’arrivée des Européens sur les territoires africains, la rencontre avec des cultures
juridiques plurielles très fixées sur les rapports avec le monde spirituel a donné l’impression
d’être en présence de normes morales au sens religieux du terme (§1) ou coutumières, au sens
des pratiques traditionnelles dépourvues de véritable valeur juridique (§2).

187 Idem.
188 HAMPATÉ BÂ Amadou, Aspects de la civilisation africaine (personne, culture, religion), Paris, Présence
africaine, 1972, p. 22.

87
§1. Les droits traditionnels assimilés à la morale

Les phénomènes juridiques ont toujours été remplis d’une certaine complexité rendant difficile
leur distinction par rapport à d’autres phénomènes sociaux comme la morale ou la coutume.
Fortement lié au rapport de chaque peuple au divin, le droit s’est longtemps confondu dans les
préceptes religieux qui sont le plus souvent à son origine. En Afrique précoloniale, le
syncrétisme des systèmes juridiques a emmené plusieurs auteurs à assimiler les juridicités
africaines à la morale. Cela a été le cas d’Emile Possoz, pour qui en Afrique précoloniale
« d’une part, la morale, c’est-à-dire le départ entre les actions humaines bonnes ou mauvaises,
et d’autre part le droit, c’est-à-dire le départ entre les actions bonnes ou mauvaises des hommes
par rapport à leurs semblables, au clan, ou plus généralement par rapport à la société humaine
reposent chez les Bantou sur un même fondement de principes et constituent un tout 189 ».

La morale se distingue du droit par son caractère interne à la pensée, aux systèmes de valeurs
inhérents à une personne ou à un groupe de personnes. Selon cette acception, la morale sert
avant tout un but individuel de perfectionnement personnel de chaque individu. Tandis que le
droit sert avant tout une fin sociale, qui peut être traduite par l’idée de maintien de l’ordre
social190.

En réalité, la confusion du droit et de la morale n’est pas exclusive des systèmes juridiques
traditionnels en Afrique. Cette confusion a un trait général que l’on retrouve chez plusieurs
auteurs européens qui ouvertement assimilent le droit à la morale, montrant que la frontière
entre les deux notions reste très fine et le débat autour de la distinction de ces deux réalités ne
semble pas être définitivement clos. Ainsi, pour Georges Ripert, le droit et la morale se
ressemblent par leur nature et leurs objectifs de régulation sociale. L’auteur dénote même le
caractère dominant de la morale sur le droit car les règles de droit visent le plus souvent à faire
respecter des commandements dictés par des préceptes moraux191.

Des auteurs comme Louis Josserand ont une position plus stricte de la séparation entre le droit
et la morale, considérant que les frontières entre les deux réalités sont purement illusoires car

189 POSSOZ Émile, « Eléments de droit coutumier nègre », Revue juridique du Congo belge, Élisabethville, 1944,
p. 30. Cité KOUASSIGAN Guy-Adjété, L’homme et la terre, droits fonciers coutumiers et droit de propriété en
Afrique occidentale, Paris, Editions Berger-Levrault, 1966, p. 26.
190 Voir en ce sens : Maurice HAURIOU, « L’ordre social, la justice et le droit », Revue trimestrielle de droit
civil, 1927 ; DABIN, Philosophie de l’ordre juridique positif, p. 255 et s. ; RIPERT Georges, Les forces créatrices
du droit, n° 69 ; DARBELLAY, La règle juridique, son fondement moral et social, 1945.
191 RIPERT Georges, « Les forces créatrices du droit », 1955, n° 69, p. 206 et s.

88
selon lui, le droit reflète simplement l’aspect coercitif de la morale. Ainsi, alors que les règles
morales s’exécutent par la volonté propre de chaque individu, le droit est quant à lui assorti de
moyens de contrainte qui garantissent son exécution par les pouvoirs publics, là où le libre
arbitre de chaque individu ne l’emmène pas au respect volontaire des règles dictées192. Or, cette
position est loin de faire l’unanimité dans la doctrine, et l’auteur lui-même semble mettre en
exergue les différences entre le droit et la morale, présentant la frontière fondamentale qui existe
entre les deux, à savoir l’origine de l’élément contraignant qui garantit l’exécution du droit et
de la morale. En effet, tandis que dans le cas de la morale la contrainte est volontaire et interne
à chaque individu ou à un groupe donné, dans le cas du droit, la contrainte est externe à
l’individu et lui est imposée par des autorités étatiques.

Il est indéniable qu’une distinction stricte entre le droit et la morale ne correspond pas à la
réalité, car les deux notions s’entrecroisent à plusieurs égards. Comme le précise Kouassignan,
ces croisements sont particulièrement présents dans les sociétés africaines précoloniales dans
lesquelles l’individu occupe une place particulière dans la vie sociale. Selon l’auteur, « il est
certain que, dans les sociétés dont la vie organique est plus riche, la conscience des droits
individuels est moins vive, le droit est difficilement détachable de la morale. C’est le cas des
sociétés négro-africaines. Au contraire, dans les sociétés où la conscience des droits individuels
est très forte, la distinction peut être plus aisée. Tout dépend de la structure de la société elle-
même. De ce fait, la confusion du moral et du juridique ne peut être retenue comme caractère
spécifique d’un système juridique. Toutes les règles de vie sociale sont forcément
solidaires193 ».

Les juridicités africaines étant traditionnellement fondées sur les rapports communautaires et
assurées par les rapports qu’entretiennent les communautés avec les puissances ancestrales, il
est très tentant d’assimiler les phénomènes juridiques en Afrique à la morale. Or, comme nous
l’avons vu plus haut, les mécanismes d’exécution des normes juridiques en Afrique sont loin
d’être uniquement subordonnés au libre arbitre de chaque individu mou par la crainte du
châtiment des ancêtres. Si cet aspect est fondamental pour garantir le caractère coercitif des
droits africains, il est complété par un ensemble de moyens matériels que les autorités

192 JOSSERAND Louis, De l’esprit des droits et de leur relativité : théorie dite de l’abus des droits, Paris, Dalloz,
1939.
193 KOUASSIGAN Guy-Adjété, L’homme et la terre, droits fonciers coutumiers et droit de propriété en Afrique
occidentale, Paris, Éditions Berger-Levrault, 1966, p. 27.

89
traditionnelles sont chargées d’assurer par des mesures de contrôle et de sanction concrètes et
matérielles. Il n’est pas correct non plus d’assimiler les droits traditionnels à la coutume.

§2. Les droits traditionnels assimilés à la coutume

Le droit traditionnel africain est souvent désigné par la doctrine européenne et africaine par
l’expression « droit coutumier ». Cette nomenclature qui n’est pas anodine, est l’effet d’une
pratique coloniale qui consiste à déclasser les juridicités africaines, les plaçant dans la catégorie
de ce que le doyen Carbonnier désigne comme étant de l’infra-étatique, du sous-droit, car il est
formé par des règles sociales hétérogènes, ne disposant pas du caractère juridique apporté par
le sceau de la puissance étatique194.

Certes, les règles traditionnelles ne prennent pas leur caractère juridique dans les mêmes
éléments que les droits occidentaux, mais cela ne doit pas constituer une raison pour leur
déclassement. En déclassant les droits traditionnels au rang de coutume c’est tout un système
social, politique et juridique qui est déclassé, justifiant ainsi les mouvements civilisationnistes
des autorités coloniales qui ont pu légitimer l’imposition d’un système juridique laïque, fondé
sur la raison humaine et sur une organisation étatique du pouvoir capable d’assurer une
protection aux individus dans leurs rapports avec leurs pairs et dans leurs rapports avec l’État
lui-même.

La coutume est couramment définie comme une pratique constante (élément matériel)
considérée comme étant obligatoire par l’ensemble de la communauté (l’opinio necessitatis ou
élément psychologique). La coutume, comme la loi, comporte en son sein la conviction de son
caractère obligatoire. Toutefois, des auteurs de la sociologie du droit s’efforcent de montrer la
différence de degré entre ces deux règles en se basant sur l’origine même du sentiment
d’obligatoriété caractéristiques de la coutume et de la loi. La loi est obligatoire dès son origine
par la force du sceau étatique qui est apposé sur elle, la contrainte de l’État – cette capacité pour
lui de sanctionner le non-respect d’une loi par l’autorité qui lui a été conférée. Alors que la
coutume prend son caractère obligatoire a posteriori par l’effet psychologique qu’elle a sur la

194 CARBONNIER Jean, Flexible Droit pour une sociologie du droit sans rigueur, Paris, LGDJ, 10e éd., 2014,
pp. 18-19.

90
société dans laquelle elle est née. Une fois qu’une règle coutumière fait l’objet d’une
codification ou d’une application jurisprudentielle, son mécanisme d’obligatoriété cesse d’être,
selon certains auteurs, l’opinio necessitatis de la société mais devient, dans le cas de la
codification, la sanction de l’autorité étatique ou, pour les coutumes ayant fait l’objet d’un
traitement juridictionnel, l’autorité des juges, en application du principe des précédents du
système de la Common Law. Dans les deux cas le caractère obligatoire de la règle advient de la
formule exécutoire apposée en bas du texte (règle écrite) ou du jugement.

Dans l’analyse de l’origine du caractère obligatoire de la coutume deux grandes conceptions se


distinguent, l’une soutenant l’existence d’une source hétéronome de la coutume et l’autre
soutenant la source autonome de la coutume. Selon l’hypothèse de la source autonome de la
coutume, la coutume est le fruit de l’habitude « sentie tantôt comme contrainte (on est
prisonnier de ses habitudes), tantôt comme accommodement intérieur de l’individu (on
s’installe dans ses habitudes)195 ». Dans ce sens la coutume est à la fois hétéronome et
autonome et son caractère obligatoire advient de ce qu’on appelle dans le langage commun, «
la force de l’habitude ». Ces habitudes peuvent s’installer soit dans la conscience collective,
soit dans la conscience individuelle.

Pour les adeptes de l’hypothèse de la source hétéronome de la coutume, celle-ci est le fruit
d’influences externes qui vont au-delà de la simple habitude personnelle. Pour Gabriel de Tarde,
adepte de l’hypothèse de l’hétéronomie, « deux phénomènes psychiques gouvernent la vie
sociale : l’invention, qui crée les types d’idées et d’actions, l’imitation, qui diffuse ces types.
Mais l’invention est rare, et l’imitation partout agissante. La coutume serait un phénomène
d’imitation 196». Ainsi, la coutume viendrait d’un phénomène d’imitation qui naît généralement
de manière ascendante dans la hiérarchie sociale, des sujets au chef.

Selon J. Carbonnier, les coutumes tendent à se former dans un milieu socialement homogène.
La racine des coutumes est dès lors attribuée au groupement le plus élémentaire de la société –
la famille – et sa répétition sera l’effet de l’écoulement du temps. La famille est la source de
principe de la coutume en raison du rôle que celle-ci joue dans l’éducation et la transmission de
valeurs dans les générations successives. Mais selon l’auteur, dans le cas de l’Afrique, la
coutume n’a pas comme source l’action pédagogique des parents mais avant tout l’imitation
des ancêtres et ce qui fonde l’opinio necessitatis chez les populations africaines c’est « la peur

195 CARBONNIER Jean, Flexible droit, pour une sociologie du droit sans rigueur, Paris, LGDJ, 10e éd., 2014.
196 DE TARDE Gabriel, Les lois de l'imitation : étude sociologique, Paris, F. Alcan, 1890.

91
des ancêtres morts, esprit vengeur, fantômes qui rôdent autour des descendants infidèle197 ».
D’où le caractère hétéronome de la coutume dans les sociétés africaines.

D’après Carbonnier, pour identifier les éléments qui permettent de distinguer la coutume de ce
qui constitue la norme de droit, il faut distinguer les règles coutumières qui par le fait de
l’habitude (source autonome) ou de l’imitation (source hétéronome) acquièrent un caractère
obligatoire et pour lesquelles la sanction émane du for intérieur, de celles ayant un caractère
obligatoire dès l’origine dont la violation est sanctionnée par une autorité extérieure jouissant
d’une légitimité.

Si on applique le raisonnement ci-dessous exposé, on peut comprendre dans quelle mesure la


position du doyen Carbonnier ne correspond pas à la vision africaine traditionnelle des règles
juridiques et on peut comprendre la différence entre les véritables coutumes et les véritables
normes de droit en Afrique. Nous l’avons vu, d’après la cosmogonie africaine, la source centrale
des normes sont les commandements des ancêtres. Les individus ne se limitent pas à imiter le
comportement des ancêtres, puisque ces derniers ne font pas partie du monde des vivants, ils
obéissent à leurs commandements, comme l’on obéi à la loi dans les pays occidentaux. Les
ancêtres dictent la norme, mais ils restent au-dessus des hommes. Le droit dicté par les ancêtres,
à savoir la « norme fondamentale », a, comme la loi étatique, une valeur obligatoire dès son
origine et non a posteriori comme on pourrait le prétendre.

La norme dictée par l’ancêtre puise sa force contraignante dans la souveraineté de l’ordre
mythique formée par les ancêtres. La crainte du châtiment des ancêtres est l’élément
psychologique qui assure l’observation de la norme par la communauté, mais le respect de la
norme des ancêtres ne dépend pas de la crainte que le châtiment impose dans la pensée des
hommes, mais de la conscience des sanctions matérielles encourues en cas de désobéissance.
Contrairement à la coutume dont l’observation dépend de l’opinio necessitatis, la norme des
ancêtres est respectée par la force contraignante qu’elle renferme, qu’elle retire de la « force
vitale » et qui est assurée par les organes séculiers chargés de faire appliquer les normes
suprêmes.

Carbonnier, néanmoins semble très sceptique à cette hypothèse de l’origine mythique de la


norme juridique et il le serait encore plus à celle d’ériger la coutume en Afrique au rang
normatif, au même titre que la loi. Pour lui, l’hypothèse du caractère mythique de la coutume
n’est pas vérifiable car elle impliquerait que l’on puisse utiliser des instruments fiables

197 CARBONNIER Jean, Flexible droit, pour une sociologie du droit sans rigueur, Paris, LGDJ, 10e éd., 2014.

92
permettant de mesurer le degré de croyance dans le mythe de départ, car seule une croyance
absolue pourrait justifier un tel attachement au mythe au point de l’ériger au rang de coutume.
D’autre part, selon lui, « il y a la difficulté de transposer le narratif en impératif. Le mythe
raconte, la coutume ordonne. Le commandement ne peut sortir du récit que par une moralité
qui lui est extérieure198 ».

Pour cet auteur, ce dernier aspect est particulièrement important dans la mesure où un même
mythe peut engendrer des coutumes différentes en fonction de facteurs externes caractéristiques
de chacune des cultures juridiques.

Les juridicités africaines ne peuvent donc pas être caractérisées de droit, au sens que la notion
prend en Occident, à la fois en raison de leur origine endogène à la communauté mais aussi en
raison de la nature de l’élément qui rend leur application obligatoire, en l’occurrence la crainte
des ancêtres. La crainte du châtiment d’êtres non visibles dans le monde des vivants ne
permettrait pas de démontrer l’existence d’autorités de commandement et par conséquent
l’existence d’un véritable mécanisme d’application effective. Or, pour les partisans d’une vision
formaliste du droit, pour qu’une norme soit considérée comme du droit il faut qu’il y ait une
entité qui assure son application effective. Pour John Austin par exemple, ce qu’on appelle de
droit coutumier sont des simples règles morales, qui ne gagnent une valeur juridique qu’une
fois quelles sont reprises par des tribunaux étatiques et assurées par des sanctions juridiques199.
Cette position est partagée par des auteurs comme Malinowski pour qui le droit se distingue
des coutumes en ce qu’il comporte des règles requérant un « enforcement » (application,
exécution par la force) par une autorité. Une idée similaire a été soutenue par Hoebel qui
considère que les règles deviennent du droit lorsqu’elles sont appliquées par des entités
jouissant d’un pouvoir de coercition, tels les tribunaux de justice200.

Dans la vision de ces auteurs, l’existence et la force du droit réside dans l’autorité capable de
le faire appliquer effectivement, celle qui dispose de moyens de coercition, et non dans
l’autorité qui édicte la règle. Ils mettent un particulier accent sur le rôle du juge dans la
formation du droit. Le juge a ainsi deux rôles : d’une part, celui du contrôle de la bonne
application du droit et d’autre part, il doit tenir un recueil des décisions de justice de forme à
rendre le droit prévisible. Les citoyens peuvent ainsi connaître en avance les règles applicables

198 CARBONNIER Jean, Flexible droit, pour une sociologie du droit sans rigueur, Paris, LGDJ, 10e éd., 2014.
199 AUSTIN John, The Province of Jurisprudence Determined and the Uses of the Study of Jurisprudence,
Londres, Weidenfeld and Nicolson, 1954.
200 HOEBEL E. Adamson, “Law-Ways of the Primitive Eskimos”, Journal of criminal law and criminology, vol.
31, 1941.

93
en cas de litige. Il se pose alors la question de savoir ce qu’on entend par la fonction de « juger
» ? En effet, le juge a pour fonction d’imposer une sanction à ceux qui violent la règle de droit.
Or, d’une manière générale, en Afrique celui qui est chargé de la fonction de régler un litige
n’imposera pas forcément une sanction à celui qui aurait violé les règles. Les mesures adoptées
en cas de violation des règles varient selon les circonstances et les personnes en cause. Elles
peuvent être plus sévères, comme l’exclusion d’un membre de sa communauté, le paiement
d’une amende, l’accomplissement de certains rituels pour apaiser les esprits des ancêtres ; ou
plus douces comme demander des excuses ou accomplir un rituel pour obtenir le pardon de la
part de la victime. Les mesures prises doivent avant tout suivre l’objectif majeur du processus
de résolution des différends qui est celui de rétablir la cohésion et l’harmonie au sein du groupe,
brisée par l’agissement contraire à la norme. Cet objectif est, dans une large mesure, différent
de la justice occidentale dont le but punitif est souvent mis en avant au mépris de l’aspect
correctif de la fonction judiciaire. Il en résulte une stigmatisation des individus reconnus
coupables de violer les normes, à l’opposé de l’objectif de réintégration qu’on trouve
traditionnellement dans la plupart des sociétés africaines.

Pour Hoebel, la notion de tribunaux est assez large et ne se retrouve pas nécessairement dans le
formalisme occidental. Il donne l’exemple des Esquimaux qui n‘ont pas de tribunal au sens
formel mais disposent de moyens communautaires pour faire appliquer leur droit201. Ce qui est
important c’est l’existence de moyens de coercition physique, socialement reconnus et acceptés
par la communauté comme étant le moyen par lequel le droit est appliqué. Pour lui, il n’est pas
nécessaire que l’application du droit soit assurée par une juridiction au sens occidental du terme,
avec des personnes formées pour accomplir cette fonction. Il suffit qu’une personne ou un corps
de personnes soit responsable pour la résolution de conflits. Cette position semble s’appliquer
parfaitement dans le cadre des droits traditionnels africains où les chefs traditionnels, reconnus
par la communauté, exerçaient plusieurs rôles à la fois, dont celui de veiller à la bonne
application du droit et de garantir le rétablissement de l’ordre en cas de non-respect des règles.
Notamment dans le cadre de la palabre et non dans le cadre d’une procédure de jugement,
comme on le voit dans les tribunaux européens.

Pour comprendre ce raisonnement, il faut comprendre que la logique de la justice occidentale


n’a pas le même principe de base que la justice en Afrique. Comme le dit si bien un
administrateur civil en Guinée, « nos sociétés ne trouvent pas la justice par la contradiction, à

201 HOEBEL E. Adamson, “Law-Ways of the Primitive Eskimos”, Journal of criminal law and criminology, vol.
31, 1941.

94
la manière occidentale, mais plutôt par le consensus202 ». En effet, la justice occidentale se
présente souvent comme une femme portant dans sa main une balance et cette balance se penche
sur l’un ou l’autre côté en fonction de la conformité de l’une des parties au règles de droit. Alors
que pour la justice africaine, l’objectif n’est pas de faire pencher la balance vers l’un ou l’autre
côté, mais de trouver un juste milieu. La justice traditionnelle en Afrique ne cherche pas
nécessairement à faire appliquer une règle générale et abstraite à une situation, mais cherche
avant tout à trouver une position commune dans laquelle tous les membres de la communauté
peuvent se retrouver203.

On voit donc que le système de sanction dans le droit africain qui se matérialise dans sa forme
ultime par l’exclusion sociale, diffère au niveau processuel du système de sanction européen
dans la mesure où le premier ne suit pas les mécanismes juridiques prévus à cet effet dans les
systèmes juridiques européens. À savoir un système instituant des sanctions dont le principe est
édicté par des autorités étatiques, dans un texte de droit respectant les paramètres de validité
juridique. L’absence de ces mécanismes procéduraux emmènent certains occidentaux à
conclure que les sanctions imposées dans les sociétés africaines prennent la forme de simples
sanctions sociales et non des sanctions juridiques. De même, juristes et sociologues ont une
acception différente de la notion de sanction que les juristes appréhendent le plus souvent sous
le point de vue légaliste, tandis que les sociologues la considèrent sous l’angle relationnel,
raison pour laquelle l’exclusion sociale est appréhendée comme une sanction sociale,
dépourvue de caractère juridique204

Pour ne pas tomber dans le piège du « panjurisme 205», on doit préciser que toutes les pratiques
traditionnelles ne constituent pas des règles juridiques. On trouve aussi dans les sociétés
africaines des pratiques coutumières qui se forgent dans la vie sociale. Certaines coutumes, au
sens propre du terme, sont résultantes de l’application des normes juridiques générales. On en
trouve un exemple dans des pratiques comme l’ukuthwala206. Pratique très rependue chez les
Nguni en Afrique Australe, qui perdure encore dans certaines zones, consistant en l’enlèvement

202 KONDE Kéfing, KUYU MWISSA Camille, LE ROY Étienne, « Demandes de justice et accès au droit en
Guinée », Revue internationale de théorie du droit et de sociologie juridique, Droit et société, 2002/2 n°51-52, p.
385.
203 SHIVJI Issa G., The Concept of Human rights in Africa, London, CODESRIA Book Series, 1989, p. 44.
204 LAVOIE Bertrand, « Écueils et objectifs partagés entre juristes et sociologues : Réflexions sur le dialogue
interdisciplinaire entre le droit et la sociologie », Canadian Journal of Law and Society / Revue canadienne Droit
et Société, 2013, Volume 29, no. 1, pp. 97-98.
205 EBERHARD Christoph, Le droit au miroir des cultures. Pour une autre mondialisation, Paris, L.G.D.J., 2010,
p. 23.
206 Voir VAN DER WATT Marcel & OVENS Michelle, “Contextualizing the practice of Ukuthwala within South
Africa”, Child Abuse Research: A South African Journal, 2012, n°13, pp. 11-26.

95
d’une jeune fille ou jeune femme par un homme ou des membres de son entourage dans
l’objectif de forcer la famille de la jeune femme à accepter d’entamer des échanges en vue du
mariage. Cette pratique, contraire aux principes modernes de la liberté individuelle, dérive
d’une norme plus générale exigeant que le mariage se fasse avec l’accord des deux familles des
futurs époux. Mais au fil du temps la règle a été dévoyée par la société qui petit à petit
commençait à tolérer qu’un jeune homme ou ses pairs enlève la femme en âge de se marier pour
forcer les dialogues pour le mariage. La règle de base n’a donc pas perdu sa valeur juridique,
ce qui explique d’ailleurs que la famille du futur époux devait payer une amende sous forme de
troupeaux de bovins aux parents de la jeune femme pour avoir commis une entorse à la règle207.

Les droits traditionnels se distinguent donc bien de la coutume, par leur fonction de régulation
sociale, par leur contenu, par la légitimité de leur source et par leur force contraignante. Leur
effectivité est par ailleurs garantie par un système de contraintes et de sanctions qui permettent
à la norme d’accomplir sa fonction régulatrice. Il est donc très pernicieux de voir dans les
normativités africaines que des simples normes coutumières, dépourvues de valeur juridique,
car de telles positions ont servi à marginaliser les cultures juridiques africaines au profit de
l’imposition des principes juridiques européens, à la fois pendant et après les colonisations.

207 Cette pratique, qui persiste jusqu’à nos jours dans certaines régions, a malheureusement pris des tournures
criminelles avec la commission de viols et de mariage forcés de filles mineures par des hommes adultes. Plusieurs
textes législatifs condamnent cette pratique, mais il semble que le véritable changement doit venir d’une prise de
conscience sociale.

96
TITRE II : LA MARGINALISATION DES JURIDICITES AFRICAINES PENDANT
ET APRES LES COLONISATIONS

Les luttes pour l’indépendance des peuples se trouvant dans une situation de domination et de
colonialisme ne semblent pas avoir porté leurs fruits dans la libération totale des peuples
africains, tellement les valeurs de l’État occidental se sont ancrées dans la vie politique.
L’implantation des colonies européennes s’est faite par l’instauration d’un système juridique et
administratif qui a conduit à la soumission quasi-totale des systèmes africains aux juridicités
occidentales. Le tout, sous prétexte d’une supériorité raciale et culturelle de l’homme européen.
Le droit devait ainsi servir d’outil civilisationnel, justifiant la mise en place de mécanismes de
centralisation administrative destinés à désacraliser les autorités traditionnelles et assujettir les
populations au pouvoir de l’administration coloniale (CHAPITRE I).

La politique civilisationniste européenne a eu des répercussions difficilement mesurables sur


les peuples se trouvant sous le joug de la colonisation, avec des conséquences importantes qui
se sont faites sentir au moment de l’accession aux indépendances. Comme le note Emmanuelle
Jouannet, « la décolonisation a paradoxalement achevé le processus de « civilisation’ » en
raison de la soumission volontaire des jeunes nations indépendantes au juridisme occidental et
au droit international existant208 ». Alors qu’un retour aux racines traditionnelles de
l’organisation politique et juridique des sociétés africaines était attendu, c’est l’inverse qui s’est
produit. Les indépendances ont exacerbé le sentiment de répulsion au regard des institutions
traditionnelles, à commencer par les autorités traditionnellement instituées et plus largement les
droits traditionnels (CHAPITRE II).

208 JOUANNET Emmanuelle, Qu’est-ce qu’une société internationale juste ? Le droit international entre
développement et reconnaissance, op. cit., p. 157.

97
CHAPITRE I : Le droit pris comme un outil civilisationnel

En tant qu’outil de régulation de la vie sociale, a été l’un des instruments privilégiés pour assurer
la subordination des sociétés africaines. Le droit dont il est question est le droit occidental, seul
à avoir été reconnu comme valable, justifiant une large divulgation de ses mécanismes afin de
ramener les peuples primitifs aux valeurs de la civilisation humaine.

Le processus civilisationnel est ainsi passé dans un premier temps par la soumission des
institutions traditionnelles aux pouvoirs de l’administration coloniale, à la fois par la remise en
cause du pouvoir sacré des autorités politiques et par l’institution d’un système d’administration
directe (SECTION I). Par la suite, mais aussi de manière concomitante, les droits traditionnels
ont subi des transformations considérables par les processus de codification de ce qu’on appelait
les coutumes. La codification des coutumes et l’imposition du régime de l’indigénat accordant
un statut juridique aux peuples autochtones, ont largement contribué à la dénaturation des droits
traditionnels (SECTION II).

SECTION I. La subordination des institutions africaines à l’administration coloniale

Les puissances coloniales se sont servies du droit européen non seulement comme un critère
pour mesurer le degré de juridicité des normes sociales des sociétés traditionnelles, mais aussi
comme un outilleur permettant d’accomplir une mission dite civilisatrice auprès de peuples
considérés comme étant primitifs, archaïques et désorganisés. Le processus civilisationnel
passait dans un premier temps par la remise en cause de la source sacrée du pouvoir des autorités
traditionnelles (§1), et la soumission des institutions traditionnelles aux règles de
l’administration coloniale (§2).

§1. La désacralisation du pouvoir des autorités traditionnelles

À partir de la période des Lumières, les Européens ont commencé à développer une vision
laïque de la vie publique et ont d’une certaine manière véhiculé cette laïcité dans les juridicités
africaines, contribuant ainsi à la banalisation des juridicités africaines construites sur des
fondements issus de croyances surnaturelles. Par-là, remettre en cause la présence du spirituel

98
dans le droit et plus largement dans l’organisation de la vie politique, revient à remettre en cause
les autorités traditionnelles, en tant que messagers directs des ancêtres, passage nécessaire pour
imposer l’autorité des institutions coloniales.

La colonisation européenne semble s’être assignée comme l’une de ses premières missions la
destruction du fondement de l’autorité politique dans les territoires africains, en avilissant ceux
dont le pouvoir était considéré comme sacré par le peuple. Dans les mots de Basile Kossou, « la
liquidation et la déchéance de leurs rois, aux pouvoirs magiques incomparables, a ébranlé bien
d’esprits et prédisposé largement les populations à subir sans résistance organisée leur
intégration au nouveau système209 ».

Adepte du principe « diviser pour mieux régner », l’administration coloniale française s’est par
exemple livrée à un découpage territorial des cantons, dépossédant de la sorte les chefs
traditionnels de leurs prérogatives traditionnelles et de leur influence directe sur leurs sujets. En
annihilant le pouvoir du chef sur ses sujets, on annihile sa puissance sacrée et son rôle de chef
suprême au sein de l’ensemble des autorités administratives, et par là, sa personne même.

Néanmoins l’administration coloniale pour s’imposer progressivement dans la vie


communautaire avait besoin de passer par les chefs traditionnels qui eux jouissaient de la
confiance des populations. Mais ce recours aux chefs était purement instrumentalisé, tourné
vers l’objectif majeur de permettre une installation progressive de l’administration coloniale.
La remise en cause de l’autorité ancestrale ne s’est donc pas faite du jour au lendemain, mais a
été le résultat d’un long processus pendant lequel les chefs traditionnels ont pu garder leurs
différentes fonctions vis-à-vis de leurs sujets, mais ont été lentement soustraits de leurs
prérogatives au profit du pouvoir colonial.

Or, un obstacle fondamental s’interposait entre les autorités coloniales et traditionnelles : la


langue. Raison pour laquelle l’enseignement fut, aux côtés de la justice, l’une des priorités des
puissances colonisatrices. Des écoles ont été ouvertes dans les différents territoires afin
d’introduire au plus vite les langues coloniales aux peuples autochtones. Les écoles coloniales,
souvent gérées par des missionnaires catholiques, ont eu un succès mitigé. Dans certains
territoires, par peur de perdre leurs cultures et traditions, plusieurs parents étaient très réticents
à envoyer leurs enfants dans les écoles. Devant cette opposition, en Haute-Volta les autorités
coloniales françaises ont décidé de créer en 1908 une école spéciale pour les enfants des chefs,

209 KOSSOU Basile, « La notion de pouvoir dans l’aire culturelle aja-fon », in AKINJOGBIN I. A., DIAGNE
Pathé, HAGAN George et al., Le concept de pouvoir en Afrique, Paris, Les Presses de l’Unesco, 1981, p. 101.

99
dans l’espoir d’attirer au moins ceux-ci sur les bancs de l’école, sans beaucoup de succés,
comme nous le rapporte Marc Aicardi de Saint-Paul210.

Dans la nouvelle administration européenne, les différentes circonscriptions administratives


traditionnelles (tribus, lignages, clans, peuplements, etc.) vont ainsi progressivement être
soustraites de l’autorité centrale du roi, pour se soumettre à celle du gouverneur colonial, lui-
même directement lié à la métropole. Les autorités traditionnelles sont par conséquent
devenues, là où elles ont été maintenues, des simples agents du gouverneur. Le roi s’est retrouvé
dépourvu de son autorité royale et disposait d’un simple titre honorifique que lui concédait
l’administration coloniale. La politique coloniale a ainsi alimenté non seulement une sorte
d’annihilation sociale, mais aussi administrative des autorités traditionnelles en exerçant sur ces
dernières une forte pression pour qu’elles rentrent dans les standards de l’administration pour
exercer un rôle de relais entre le colonisateur et les colonisés, sans pour autant que leurs statuts
juridiques aient été précisés.

Les premières décennies du XXe siècle ont connu plusieurs débats autour de la question du
statut juridique des autorités traditionnelles que le législateur se refusait à déterminer de
manière ferme, laissant le soin à chaque administration d’agir en fonction des besoins locaux.
Ainsi, le gouverneur général Van Vollenhoven à la tête de l’Afrique-occidentale française
(A.O.F.), reconnaissait dans une circulaire de 1917 le chef traditionnel comme un fonctionnaire,
soustrait au droit commun, donc sans pouvoir bénéficier des avantages attachés à sa
position. Dans une circulaire de 1935, le gouverneur général Brévié déclare le chef traditionnel
comme une simple « émanation du milieu » ; tandis que la circulaire du gouverneur Eboué de
1941, le considérait comme « un aristocrate » dont les positions « n’étaient pas
interchangeables211 ».

Dans le courant des années 1950, plusieurs débats ont eu lieu dans le monde francophone sur
le statut juridique à octroyer aux autorités traditionnelles devant les institutions étatiques
coloniales. Les opinions divergeaient entre ceux qui considéraient les autorités traditionnelles
comme étant des aristocrates dont la seule fonction était de représentation de leurs sujets et qui
ne méritaient pas de se voir accorder un statut de fonctionnaire de l’administration ; et ceux qui

210 AICARDI DE SAINT-PAUL Marc, De la Haute-Volta au Burkina Faso, traditions et modernité au ‘pays des
hommes intègres’, Paris, Éditions Albatros, 1993, p. 48.
211 VAN VOLLENHOVEN Joost, « Circulaire au sujet des chefs indigènes du 18 août 1917 », Dakar, Journal
officiel de l’A.O.F., 1917, p.466 ; BREVIE J., « Circulaire du gouverneur général Brévié pour l’A.O.F. », sept.
1932, Gorée, p. 32 ; EBOUE E., La nouvelle politique indigène pour l’A.E.F., ch. II [Des institutions politiques…],
p. 19. Cité par LOMBARD Jacques, Autorités traditionnelles et pouvoirs européens en Afrique noire, Paris,
Armand Colin, 1967, p. 20.

100
soutenaient la délivrance du statut de fonctionnaire public afin de contrebalancer la perte de
leur pouvoir et légitimité au sein de la communauté212. Au sein de l’administration française la
question du statut de l’autorité traditionnelle a évolué, sans qu’il n’y ait jamais eu l’octroi d’un
statut précis de manière officielle. En 1957, la Cour d’appel d’Abidjan a marqué un tournant
en considérant dans un arrêt concernant la position du chef traditionnel que « son statut
administratif se surajoute au statut coutumier et s’en distingue pour faire de ce citoyen un
membre de l’administration213 ». Dans cet arrêt, la Cour a pris en compte l’opinion de plusieurs
juristes de l’époque qui mettaient en évidence le fait que le chef traditionnel étant nommé par
l’administration, soumis à ses règles, passible de sanctions comme tout autre fonctionnaire et
méritait de bénéficier du statut de membre de l’administration. D’autant plus qu’il exerçait de
plus en plus de tâches administratives et remplissait de moins en moins son rôle de leader
traditionnel.

Contrairement aux territoires francophones dans lesquels le pouvoir traditionnel bénéficiait


d’une autonomie relative qui s’est resserrée avec le temps vis-à-vis de l’autorité centrale de
l’État colonial, dans les territoires anglophones, sauf rares exceptions comme au Kenya et en
Ouganda, le régime d’administration indirecte octroyait une plus grande autonomie aux
autorités locales. Dans ce contexte d’autonomie, la nécessité d’un statut juridique précis ne se
faisait pas sentir de la même manière. Ces autorités n’étant pas assimilées à des fonctionnaires
de l’administration et leur rôle n’étant pas le même dans les différents territoires. Le chef
traditionnel y était tantôt une autorité unique, agent du gouvernement colonial central, tantôt
conseiller auprès de l’administration centrale, représentant de l’administration coloniale au
niveau local. On voit donc qu’un peu partout l’ambiguïté régnait sur le rôle et la position des
institutions traditionnelles, en fonction de la nature de l’organisation traditionnelle existante et
du régime administratif imposé par les colons. Contribuant d’autant plus à leur lente disparition
au profit d’un système qui s’est revendiqué de plus en plus centralisateur.

212 Voir en ce sens : « Débats de l’Assemblée de l’Union française », janv-févr. 1953, J.O. Débats Assemblée de
l’Union française, p. 109 et s.
213 Arrêt de la Cour d’appel d’Abidjan du 9 février 1953, Revue juridique et politique de l’Union française, 1,
janv.-mars 1957, p. 146. Cité par LOMBARD Jacques, Autorités traditionnelles et pouvoirs européens en Afrique
noire, Paris, Armand Colin, 1967, p. 20.

101
§2. L’institution d’un système centralisé d’administration des colonies

D’une manière générale, les États coloniaux se sont assigné une mission civilisatrice auprès des
peuples colonisés, avec des objectifs qui consistaient à propager le plus possible les aspects de
la culture européenne dans les territoires colonisés. Cette mission civilisatrice, qui cachait un
objectif bien plus présent de profiter des ressources naturelles et humaines des zones colonisées,
est passé par l’instauration d’une politique d’assimilation culturelle et juridique, qui s’est faite
de manière plus ou moins progressive dans les différentes colonies. En passant notamment par
l’imposition des langues européennes et la subordination des institutions traditionnelles
africaines à l’administration coloniale. Ce faisant, le droit et les institutions traditionnelles
perdaient progressivement leur poids juridique en n’étant plus légitimés par des préceptes
traditionnels mais par les institutions coloniales, placées à un rang de supériorité hiérarchique
au niveau de la gestion des affaires courantes des territoires.

Afin de mettre à bien leurs objectifs, les États coloniaux ont développés différentes formes
juridiques de colonisation en fonction des objectifs fixés pour le développement économique et
social des métropoles. Ainsi, en fonction des besoins, certaines colonies bénéficiaient d’une
certaine autonomie dans la gestion de la vie publique courante, leur permettant notamment de
garder intactes les structures politiques et juridiques autochtones. L’État colonial se réservant
tout de même un droit de regard et plus précisément de contrôle sur le fonctionnement des
institutions traditionnelles. C’est le cas de plusieurs colonies britanniques ayant expérimenté le
modèle connu sous le nom d’administration indirecte. Néanmoins, dans la plupart des colonies
africaines, c’est un système de gouvernement direct qui a été instauré, avec la centralisation de
l’administration des territoires des colonies par les organes centraux situés dans la capitale de
l’État colonisateur, comme cela a été le cas en particulier dans les colonies portugaises et
françaises.

Il faut toutefois noter que la mise en place d’un gouvernement direct ou indirect n’est pas
seulement liée aux rapports entre la métropole et les institutions autochtones, mais aussi aux
rapports entre la métropole et les colons présents sur les territoires colonisés. Pour les
métropoles, il était important de garder le contrôle des ressources et de la main d’œuvre des
colonies pour le développement économique interne de chaque pays, justifiant l’imposition
dans plusieurs territoires d’un système d’administration centralisé et contrôlé par l’État
colonial. Mais, pour les colons présents dans les territoires colonisés, le commerce externe est

102
devenu une source de concurrence et d’affaiblissement de leurs pouvoirs locaux, situation qui
a abouti à des revendications dans certaines colonies pour plus d’autonomie administrative,
économique et politique, voire l’indépendance vis-à-vis de la métropole afin d’avoir le
monopole sur le commerce, d’abord des esclaves (cas du Portugal au XIXe siècle) et ensuite de
la main d’œuvre presque gratuite et des ressources naturelles, comme cela a été le cas en
Rhodésie du Sud avec la Déclaration unilatérale d’indépendance214.

Le type d’administration imposé dans les territoires africains a eu un impact important dans la
dilution et disparition progressive des pouvoirs locaux autochtones, conduisant par la suite à la
dilution des droits traditionnels. Les institutions traditionnelles se sont retrouvées soumises aux
puissances coloniales, lesquelles se sont emparées du pouvoir de les choisir, de déterminer
l’étendue de leurs prérogatives, leurs fonctions, de contrôler leur activité et de mettre fin à leur
existence. Le processus de subordination des institutions traditionnelles a été progressif et
différent dans les colonies françaises (A), portugaises (B) et anglaises (C).

A. L’exemple de l’administration coloniale française : le système d’administration


directe

Dans un premier temps, la France n’a pas voulu annexer les territoires occupés en Afrique à la
métropole, afin de ne pas créer des conflits importants avec les communautés locales qui
viendraient faire barrière aux rapports commerciaux établis. Il a donc fallu trouver une forme
d’occupation favorisant une installation progressive de l’administration coloniale et une
adaptation lente mais sûre des populations à la politique coloniale. Le protectorat s’est avérée
être une forme d’occupation plus pacifique parce qu’il permettait à la France d’assurer
l’administration des colonies par l’intermédiaire des autorités traditionnelles, avec lesquelles la
métropole avait conclu des accords, en contrepartie d’un devoir de protection. Le protectorat
permettait ainsi d’exploiter les richesses des colonies tout en essayant de respecter les
particularismes locaux et en laissant une certaine autonomie aux autorités locales. Mais très vite
les autorités françaises se sont retrouvées face à des autorités ne partageant pas la même culture
politique, ne connaissant pas l’écriture et n’étant pas familiarisées aux standards de
l’administration française. Il a donc fallu offrir aux chefs traditionnels et à leurs assistants une
formation afin de les introduire aux méthodes de l’administration française et de leur permettre

214
GEORGES Fischer, « Le problème rhodésien », Annuaire français de droit international, volume 11, 1965.

103
d’augmenter leur efficacité dans l’exercice des fonctions qui leur étaient allouées. C’est en ce
sens qu’en 1855 le gouverneur Faidherbe à crée à Saint Louis au Sénégal, une École des otages,
destinée à instruire les enfants des chefs traditionnels et à donner « aux anciennes dynasties
indigènes des successeurs capables, connaissant quelque peu notre pays, sa langue et ses
usages, mais en touchant le moins possible à leurs coutumes ou à leur religion215 ».

L’orientation de la politique coloniale française a néanmoins connu un important tournant à la


suite du grand mouvement d’expansion des Toucouleurs au Soudan. Jusqu’à ce moment, le
colonisateur s’était retrouvé en face de territoires dont les frontières coïncidaient avec les
limites tribales ou ethniques des peuples. Or, avec les mouvements d’expansion, notamment
l’expansion des sociétés islamisées par conquête, les limites frontalières et politiques ne
coïncidaient plus avec les identités ethniques, rendant l’administration et le contrôle de ces
territoires plus difficile. Ces mouvements d’expansion révélaient la force et l’esprit de conquête
de certains peuples africains que les Français n’avaient pas encore envisagé sur le territoire.
Certains récits de l’époque font notamment état de la personnalité conquérante et centralisatrice
de certains chefs traditionnels, qui n’hésitaient pas à semer la terreur pour aboutir à leurs fins.
Comme le souligne Jacques Lombard, l’expansion du Soudan en particulier a mis en exergue
la personnalité conquérante du chef traditionnel de la région, perçu par le colonisateur comme
un chef « guerrier fanatique, tyrannisant les populations qui l’entourent et qu’il soumet par la
force 216 ».

À la suite des mouvements d’expansion et face aux difficultés de gestion de peuples si


hétérogènes à l’intérieur des mêmes frontières, l’administration a trouvé nécessaire d’établir un
système de gestion directe au Soudan, à la fois pour contrôler d’anciens chefs des petits
groupements qui se trouvaient affaiblis par la conquête Toucouleur, mais aussi pour éviter des
abus de la part des chefs traditionnels des grands groupements. Progressivement, ce mode
d’administration a été étendu à d’autres territoires de grande dimension géographique, mais
regroupant des compositions ethniques peu homogènes. Peu à peu, le fonctionnement du
système politique et juridique des chefferies traditionnelles a été considérablement altéré, avec

215 Cité par LOMBARD Jacques, Autorités traditionnelles et pouvoirs européens en Afrique noire, Paris, Armand
Colin, 1967, p. 106.
216 LOMBARD Jacques, Autorités traditionnelles et pouvoirs européens en Afrique noire, Paris, Armand Colin,
1967, p. 106.

104
des chefs traditionnels qui voyaient le domaine et le ressort de leurs pouvoirs de plus en plus
restreints.

Les militaires français, devenus les nouveaux administrateurs des colonies, ont opté pour
l’adoption d’une politique centralisatrice et autoritaire, introduisant une administration directe
dans les territoires ayant subi l’expérience de la conquête soudanaise et tchadienne, afin de
mieux maîtriser leur organisation territoriale et politique. Cet objectif a abouti avec l’adoption
en 1909 de la première circulaire pour l’ensemble des colonies de l’AOF sur la nécessité de
l’établissement d’« un contact plus direct entre l’administrateur et l’administré217 ». Ce souci
administratif se reliait à un souci d’introduire également une « politique des races », qui
permettrait d’organiser les circonscriptions administratives en fonction des identités ethniques
afin de permettre que « chaque peuplade garde son autonomie à l’égard de la peuplade
voisine » et ne soit pas « à la merci d’un individu étranger au pays, étranger même aux races
qu’il administre »218.

L’administration française a néanmoins connu des difficultés à s’imposer dans des sociétés
aussi hétérogènes et a opté pour une organisation pyramidale du pouvoir assez rigide avec au
sommet le ministère des Colonies à Paris, sous les ordres duquel se trouvait le gouverneur de
Dakar et duquel dépendaient les gouverneurs des différentes colonies auxquels étaient soumis,
à leur tour, les commissaires. Sous les ordres desquels se trouvaient les commandants des
districts. L’autorité politique était ainsi centralisée aux mains de fonctionnaires français qui se
faisaient assister par des auxiliaires africains, lorsque cela était nécessaire.

L’objectif de promouvoir une assimilation sociale et culturelle totale du peuple colonisé au


travers de son système d’administration s’est confronté à une résistance rude, empêchant un
processus rapide. L’administration française a dû se résoudre à travailler en association avec
les peuples autochtones, tout en employant un système d’administration directe. Avec quelques
différences dans les moyens employés, l’exemple d’administration centralisée ressemble
beaucoup à la forme d’administration imposée par l’État portugais dans les colonies africaines.

217 Circulaire du gouverneur général William Ponty au sujet du rôle des chefs indigènes, 22 septembre 1909. Cité
par LOMBARD Jacques, Autorités traditionnelles..., op. cit., p. 108. Pour plus de développements voir : Paul
MARTY, La politique indigène du gouverneur général Ponty en A.O.F., Paris, Leroux, 1915.
218 Idem., Circulaire entérinant la politique proposée par le gouverneur William Ponty. Cité par LOMBARD
Jacques, Autorités traditionnelles, op. cit., p. 108.

105
B. L’exemple de l’administration portugaise : le modèle d’administration centralisée

Dans les colonies portugaises, un gouvernement direct et très autoritaire a aussi été instauré, à
l’instar de ce qui se passait dans les colonies françaises. Animé par une politique éminemment
raciste et centralisatrice, l’État portugais a placé la gestion des affaires coloniales sous la tutelle
du Ministre des colonies, situé en métropole, assisté par un Conseil consultatif et des inspecteurs
placés dans chaque territoire.

Chaque colonie était dirigée par un gouverneur général, aidé par un Conseil de gouvernement
composé de membres permanents (gouverneur et chefs de service) et de représentants élus des
municipalités et du commerce. Ces représentants cumulaient dans leurs mains les fonctions
exécutives, législatives et judiciaires. Ils étaient notamment chargés de la production de la
législation locale et d’imposer des sanctions, dont l’établissement ne suivait pas nécessairement
les principes de la loi pénale lorsque les sanctions devaient être appliquées à des non-citoyens
(noirs et métis autochtones). En Guinée Bissau, par exemple, on comptait deux conseils
municipaux et neuf circonscriptions civiles dirigées par des administrateurs de circonscription
et des chefs de poste (l’équivalent des commandants dans le système français). Ces officiers
étaient assistés par une police indigène et des chefs de village.

Malgré une politique centralisatrice, les autorités portugaises ne pouvaient se passer du pouvoir
local si elles voulaient instaurer leur pouvoir. Les autorités traditionnelles n’étaient donc pas
absentes de l’organigramme de l’administration portugaise, mais ils jouaient plus un rôle
d’assistance que véritablement un rôle de régulateurs. On le voit dans la loi du 15 août 1914
selon laquelle, les gouverneurs généraux ou provinciaux devaient diriger les relations politiques
avec les chefs indigènes et groupement sous sa dépendance ; définir et réguler le statut civil,
politique et criminel de ces indigènes ; promouvoir leur instruction et progrès et mettre en
œuvre l’impôt nommé indigène219.

L’administration directe et centralisée imposée par l’État portugais dans les colonies africaines
était une réponse au souhait de contrôler à la fois la main d’œuvre et les ressources des colonies ;
et aussi une manière de garder l’autorité de l’État face aux colons portugais présents dans les
colonies qui depuis le XIXe siècle cherchaient à se libérer de l’autorité de la couronne
portugaise, à l’instar des colons du Brésil lesquels en 1822 ont obtenu son indépendance du
pays. En effet, après cette date, un groupe de bourgeois portugais présents en Angola a entamé

219 Loi nº 277 du 15 août 1914, article 38.

106
un mouvement de révolte en vue d’obtenir l’autonomie politique pour pouvoir s’unir au Brésil,
notamment pour le développement du commerce transatlantique d’esclaves. Néanmoins,
malgré des nombreuses tensions et révoltes tout au long de la période coloniale, le
gouvernement portugais n’a pas cédé face aux colons blancs en Afrique et a gardé le contrôle
sur la politique économique et administrative des colonies africaines, contrôle qui s’est accentué
pendant la période de la dictature, avec l’adoption d’une législation économique très favorable
aux intérêts de la métropole, au détriment de ceux des colons sur le terrain 220. Comme le
souligne Christine Messiant, « avec Salazar en effet, l’État portugais a enfin les mains libres
pour mettre en place l’ensemble des moyens qui doivent assurer sa souveraineté sur le colonat
et empêcher que ne se renouvelle en Angola ce qui s’est passé au Brésil, la formation d’une
bourgeoisie assez forte pour s’autonomiser221 ».

Lors de son accession au pouvoir, Salazar a proposé l’adoption de l’Acte colonial, texte
régissant les rapports entre l’administration centrale les administrations coloniales, prévoyant
la limitation de l’autonomie des gouvernements coloniaux et l’introduction de mécanismes de
contrôle de la part du gouvernement central sur l’activité commerciale, agricole et même
idéologique dans les colonies. L’Acte colonial a une importance particulière à la fois dans les
relations entre les Portugais de la métropole et les Portugais nés dans les colonies, considérés
de seconde catégorie ; mais surtout dans la vie administrative, politique et juridique des
colonies, désignées dans le texte comme des provinces d’outre-mer, c’est-à-dire des provinces
à part entière d’un État qui forme désormais une nation unique composée des populations de la
métropole et des provinces d’outremer. L’Acte colonial précise par ailleurs clairement cet
objectif impérialiste et civilisationniste en son article 2 selon lequel : « c’est de l’essence
organique de la Nation portugaise de jouer le rôle historique de posséder et de coloniser des
domaines d'outre-mer et de civiliser les populations indigènes qui y sont incluses ».

Les Portugais ont ainsi instauré un système d’administration directe, mais pas du tout un
système d’intégration puisque l’ensemble de leur politique était essentiellement tourné vers des
mécanismes de discrimination raciale et de division au sein des populations locales. Selon une
doctrine largement relayée, tel n’a pas été le cas des colonies britanniques en Afrique, la

220 PIMENTA Fernando, “Ideologia nacional dos brancos angolanos (1900-1975)”, VII Congresso Luso-afro-
brasileiro de ciências sociais, Coimbra, setembro 2004, p. 8-15.
221 MESSIANT Christine, L’Angola colonial histoire et société. Les prémisses du mouvement nationaliste, Paris,
1983, p. 164. Cité par PIMENTA Fernando, “Ideologia nacional dos brancos angolanos (1900-1975)”, VII
Congresso Luso-afro-brasileiro de ciências sociais, Coimbra, setembro 2004, p. 15-16.

107
couronne britannique étant connue pour avoir été plus favorable à l’application d’un modèle
d’administration indirecte, connu sous le nom anglais de l’indirect rule.

C. L’exemple de l’administration coloniale britannique : le système de l’indirect rule

Plusieurs chercheurs s’accordent à dire que les britanniques ont pratiqué un modèle
d’administration indirecte, donnant une place considérable aux institutions autochtones dans la
gestion de la vie courante. Néanmoins, cette affirmation va sans considérer les spécificités de
l’administration coloniale variables en fonction du degré d’influence d’éléments de contrainte
locale dans la poursuite des objectifs de la métropole. Ainsi, dans les territoires où l’instauration
des puissances britanniques s’est faite de manière pacifique, le rôle des autorités traditionnelles
n’a pas vraiment été remis en cause, du moins pas dans les affaires relatives aux peuples
autochtones. Celles-ci ont pu perdurer, sous le regard de fonctionnaires britanniques, comme
cela a été le cas en Ouganda, au Nyasaland (actuel Malawi) ou encore en Rhodésie du Nord
(actuelle Zambie)222.

Les institutions traditionnelles n’ont donc pas été écartées du processus décisionnel mais leur
rôle restait assez réduit car limité aux affaires concernant les populations locales. Elles ont tout
de même intégré la structure administrative des colonies, au sommet de laquelle se trouvait le
ministère des Colonies (Colonial office), sous le pouvoir de qui se trouvaient les gouverneurs
coloniaux, suivis des commissaires de district, chargés de surveiller les chefs de district et de
village, ainsi que les chefs traditionnels. Les gouverneurs étaient assistés par des conseils
législatifs locaux, composés en partie par des représentants des communautés autochtones. Par
ailleurs, dans l’Afrique occidentale, les représentants des populations locales étaient dans un
premier temps désignés par l’administration coloniale, mais ont gagné au fil du temps des
fonctions avec de plus grandes responsabilités, devenant des commissaires de district, officiers
d’État, juges, etc.223.

L’administration britannique a adopté depuis le début du XXe siècle un modèle d’administration


inspiré de la doctrine de l’indirect rule, développée en 1900 par Lord Frederic Lugard,

222 SACCO Rodolfo, SACCO Rodolfo, Le droit africain, anthropologie et droit positif, Paris, Dalloz, 2009, p.
151.
223 SACCO Rodolfo, Le droit africain, anthropologie et droit positif, Paris, Dalloz, 2009, p. 151.

108
gouverneur du Nigeria septentrional224. Confronté pendant son commandement à une pénurie
de cadres pour assurer l’administration des territoires occupés, F. Lugard a dû céder cette tâche
aux émirs peuls soumis au pouvoir britannique, assistés par des conseillers britanniques. Les
émirs devraient rendre la justice et collecter les impôts, tâche qui incombait aussi aux chefs de
district et de village à plus petite échelle. Expérimenté d’abord en Ouganda, dans le royaume
Baganda, l’indirect rule a ensuite été appliqué au Nigeria dans les émirats Foula, les deux
ethnies présentant une organisation politique traditionnelle très centralisée.

Par cette politique d’administration indirecte, la couronne britannique permettait une


participation quasi-directe des autorités locales dans l’administration locale. Dans l’émirat du
Kano, par exemple, l’émir était assisté à la fois par des chefs de village et de district et par un
Conseil exécutif composé de quatre fonctionnaires ou ministres locaux : le waziri pour la
justice, le maadji pour les finances et le trésor, le makadi pour la collecte des taxes et impôts et
enfin le galadima, commandant de Kano.

Néanmoins, malgré les résultats positifs de cette politique qui permettait d’éviter des résistances
majeures de la part des peuples autochtones, l’indirect rule ne trouvait pas la grâce des colons
installés dans les colonies de l’Afrique méridionale, à savoir l’Afrique du Sud, la Rhodésie du
Nord et du Sud, le Tanganika et le Kenya. Dans ces territoires, les colons européens étaient
plutôt favorables à la prise du pouvoir par eux-mêmes dans l’administration des affaires locales.
Ces revendications ont donné naissance dès le début du XXe siècle à une forme d’administration
coloniale plus souple dans les rapports entre la métropole et les colons européens déjà très bien
installés dans ces territoires. Le gouvernement britannique a accepté notamment d’accorder une
sorte de gouvernement propre aux colons sud-africains, dans le cadre d’une politique
d’ « européanisation » des territoires de l’Afrique du Sud et de la Rhodésie du Sud (actuel
Zimbabwe), que les britanniques considéraient comme des « pays de l’homme blanc », c’est-à-
dire des pays sur lesquels les colons pouvaient s’établir de manière durable et y construire des
nouvelles nations, à l’instar des pays d’Amérique du Nord, de l’Australie ou encore de la
Nouvelle Zélande225. Ces raisons expliquent que respectivement en 1910 et 1923 l’Afrique du

224 Voir : LUGARD Frederic, The dual mandate in British tropical Africa, Edinburgh, London, W. Blackwood
and Sons, 1922.
225 PIMENTA Fernando, “Ideologia nacional dos brancos angolanos (1900-1975)”, VII Congresso Luso-afro-
brasileiro de ciências sociais, Coimbra, setembro 2004, p. 6.

109
Sud et la Rhodésie du Sud aient acquis un statut juridique accordant une large autonomie aux
colons blancs présents sur ces territoires226.

La doctrine de l’indirect rule que plusieurs félicitent pour son apparence moins intrusive dans
la vie politique des populations locales, était tout de même biaisée par une série de mécanismes
mis en place par les Britanniques ayant entraîné une distanciation entre les autorités
traditionnelles et les populations locales227. La proximité entre les autorités traditionnelles et le
peuple était souvent purement fictive puisque ce système créait un fossé entre le peuple,
détracteur du pouvoir colonial et l’aristocratie locale, alliée à la couronne britannique. Les chefs
traditionnels auxquels on accordait des pouvoirs importants en matière de justice et de finances
locales étaient pour certains choisis par l’administration anglaise parmi ceux qui acceptaient de
se soumettre au pouvoir anglais. Lorsque l’Angleterre voulait s’en débarrasser, il suffisait de
les faire inculper pour pratique d’esclavagisme. Ces chefs traditionnels n’avaient donc pas un
véritable pouvoir, d’autant plus que par le morcellement des territoires selon les principes de la
Conférence de Berlin, l’assise territoriale du pouvoir traditionnel se retrouvait aussi morcelée,
voir désintégrée.

Le système de l’indirect rule n’a donc pas connu le même succès dans l’ensemble des colonies
britanniques en Afrique. Il s’est, par exemple, révélé inefficace dans certains territoires comme
le Ghana et le Kenya. Dans ces territoires, c’est un système d’administration centralisé qui a été
mis en place, avec le refus de placer des autorités indigènes dans des postes centraux. Ces
dernières étant reléguées aux fonctions d’auxiliaires des fonctionnaires britanniques, sans que
de véritables fonctions ne leur soient accordées. Dans les régions où la centralisation était
appliquée, le gouverneur général exerçait ses fonctions sous les directives directes du Colonial
Office de Londres. Il devait promulguer toutes les mesures prises par ses conseils et celles-ci
étaient sujettes à une approbation préalable du roi. Il était assisté de deux conseils, l’un chargé
du pouvoir exécutif et l’autre du pouvoir législatif. Au sein de chacun d’eux une ou deux
personnes était chargées de représenter les intérêts indigènes et d’autres se chargeaient des
intérêts européens et de ceux des autres minorités.

226 Le système de l’administration indirecte ne s’est toutefois pas manifesté de la même manière dans les
différents territoires britanniques. Alors que l’Afrique du Sud et la Rhodésie du Sud disposaient d’une marge
d’autonomie plus grande, dans d’autres territoires les revendications d’autonomie n’ont pas toujours été suivies
d’un statut juridique allant dans ce sens. Au Kenya, par exemple, la lutte entre la minorité de colons blancs,
majoritairement fermiers, et les commerçants indiens, n’a pas permis aux blancs d’obtenir un statut de plus grande
autonomie. Cf. GEORGES Fischer, « Le problème rhodésien », Annuaire français de droit international, volume
11, 1965, p. 42.
227 BABA KAKE Ibrahima, L’Afrique coloniale : de la conférence de Berlin (1885) aux indépendances, Paris,
Présence africaine, 1990, pp. 54-55.

110
Au Kenya, le conseil exécutif a été constitué en 1905, composé de 10 membres dont 6 étaient
des hauts fonctionnaires britanniques et 4 membres non officiels nommés par le gouverneur
(dont 2 Européens, 1 Hindou et 1 Européen représenta les intérêts autochtones). Au niveau du
conseil législatif crée en 1907, 9 membres étaient désignés par le gouverneur, 17 membres non
officiels étaient élus par les populations (parmi lesquels 11 représentaient les Européens, 5 les
Hindous, 1 les Arabes et 2 Européens nommés par le gouvernement qui représentaient les
intérêts autochtones). Les minorités hindous et arabes étaient directement représentées aux deux
conseils, mais la représentation des Africains était assurée par des officiers européens nommés
par le gouverneur, engendrant un véritable déséquilibre dans l’administration. Ce n’est qu’en
1944 que le premier représentant africain a pu siéger au conseil législatif228.

On peut voir avec les trois exemples majeurs de modèles de colonisation qu’en général
l’administration coloniale s’appuyait beaucoup sur les autorités traditionnelles locales pour
implanter son pouvoir et créer une certaine proximité entre le pouvoir et les populations.
Néanmoins, ces modèles permettent aussi de voir comment les pouvoirs locaux ont été
détournés de leurs fonctions initiales et transformés en auxiliaires coloniaux. Leur pouvoir
effectif ne s’exerçait que sur les questions concernant directement les populations autochtones
car les puissances européennes, pourtant étrangères, se sont accordées le privilège de se
soustraire de l’application des droits traditionnels, assimilés à des pratiques primitives
dépourvues de valeur juridique.

SECTION II. Le droit traditionnel dénaturé par l’interaction avec les droits européens

Dans le cadre de la politique civilisationniste, il était important pour les administrateurs


coloniaux de donner une forme juridique aux « coutumes » africaines, jusque-là
majoritairement orales. L’écriture des coutumes permettrait non seulement de favoriser leur
connaissance auprès des autorités coloniales, mais cela aidera aussi à catégoriser,
conceptualiser et structurer les coutumes traditionnelles en ce que les européens considéraient
comme un véritable corpus juridique (A). Le processus de codification qui devait suivre une
logique de simplification et de divulgation des coutumes, a en réalité aboutit à la dénaturation

228 BABA KAKE Ibrahima, L’Afrique coloniale : de la conférence de Berlin (1885) aux indépendances, Paris,
Présence africaine, 1990, pp. 55-57.

111
des droits traditionnels. Celle-ci s’est davantage exacerbée par l’introduction du régime de
l’indigénat, imposant un régime juridique particulier applicable aux peuples autochtones (B).

§1. Les mouvements de codification et la dilution des droits traditionnels

Le droit traditionnel étant essentiellement transmis et connu sous la forme orale, il était très
difficile pour les autorités coloniales d’en connaître le contenu, la portée et plus largement de
pouvoir l’utiliser en faveur de la mission civilisationnelle qu’elles s’étaient fixée. La
codification des pratiques et coutumes est alors devenue un moyen de favoriser la connaissance
des droits traditionnels. La rédaction des droits africains a commencé au XXe siècle et, pour
certains pays, s’est poursuivie après les indépendances. En 1905, le gouverneur Roume
d’Afrique occidentale ordonnait aux juges de rassembler les pratiques observées dans des codes
afin de permettre non seulement leur connaissance, mais plus encore leur régulation et même
leur transformation. Dans ses propres mots : « notre ferme intention de respecter les coutumes
ne saurait nous créer l’obligation de les soustraire à l’action du progrès, d’empêcher leur
régulation ou leur amélioration. Avec le concours des tribunaux indigènes eux-mêmes, il sera
possible d’amener peu à peu une classification rationnelle, une généralisation et de rendre ces
usages de plus en plus conformes non point à nos doctrines juridiques métropolitaines qui
peuvent être opposées, mais aux principes fondamentaux du droit naturel, source première de
toutes les législations229 ».

En effet, la codification des coutumes africaines a dans un premier temps consisté à mettre par
écrit les pratiques juridiques régulièrement observées au sein des communautés africaines, afin
de les rendre plus facilement connues, comprises et mobilisables lors de la résolution des
conflits. Mais par la suite, la codification a suivi une logique de mise en forme et mise dans des
formes par le biais de la classification et de la catégorisation des coutumes afin de les rendre
plus « rationnels », selon les principes européens de la justice naturelle.

Or, par la codification, le droit traditionnel était voué à perdre son essence. Tout d’abord, parce
que par la codification on tente de procéder à une organisation des figures juridiques propres

229 Cité par ROULAND Norbert, Antrhopologie juridique, Paris, PUF, 1988, pp. 354-355.

112
aux communautés locales, sur le fondement de principes inspirés des systèmes juridiques
européens, contribuant ainsi à la dénaturation des coutumes qu’on souhaite retranscrire dans les
codes. D’autant plus que, comme on a pu le voir dans le discours du gouverneur Roume, la
codification n’avait pas seulement pour but de rassembler les coutumes, mais aussi de les
réguler, de les contrôler. Cela a abouti concrètement à des aménagements des coutumes
traditionnelles pour les mettre plus en accord avec les principes européens. Cela allait de la
remise en cause de certains rituels à connotation spirituelle ou mystique au changement de rôle
de certaines autorités traditionnelles dans la gestion de la justice, mais aussi au réaménagement
des peines encourues, partant des principes de la justice pénale française. Toutefois, comme l’a
exprimé l’ancien gouverneur de l’Afrique occidentale française, Robert Delavignette, « qu’est-
ce qu’une coutume africaine où les peines sont européanisées ? (…) La coutume a cessé en fait
d’être animée spirituellement. En abolissant les ordalies dans l’administration de la preuve, en
restreignant le serment sur les fétiches ou le coran, en ne tenant plus en compte des éléments
surnaturels qui s’attachaient à la personne des juges, en dépouillant les chefs de leur pouvoir
judiciaire et en appelant à siéger au tribunal, en qualité d’assesseur, des hommes qui ne sont
plus initiés, les inspirés de la vieille Afrique, est-ce que nous n’avons pas vidé la coutume de sa
substance ?(…) Si vous mettiez la coutume sous l’influence de votre code, si vous la découpiez
en catégories, vous tueriez socialement les indigènes. Vous dresseriez de belles abstractions
dans lesquelles vos justiciables seraient dépersonnalisés. Vous donneriez une prime au
déracinement230 ».

Deuxièmement, la codification a eu comme conséquence de figer les droits traditionnels, créant


des décalages entre le droit traditionnel tel qu’il est pratiqué par la population et le droit
coutumier tel qu’il est codifié dans des textes normatifs et administré par la pratique
jurisprudentielle, en particulier dans les pays régis par un droit anglo-saxon où la règle du
précédent s’applique. Troisièmement, la codification est le signe clair du refus de la part des
autorités coloniales de reconnaître le caractère juridique de la normativité africaine. Tout
d’abord par l’usage de l’expression codification des « coutumes » au lieu de codification des
« droits » africains, avec toutes les implications que la distinction entre droits et coutumes peut
avoir sur le plan de la valeur juridique accordée à la norme. D’autre part, la codification remet
en cause la légitimité des autorités africaines à établir des normes obligatoires et contraignantes

230 DELAVIGNETTE Robert, Les vrais chefs de l’empire, Paris, Gallimard, 1931, p. 151 et s. Cité par KUYU
Camille, Écrits d’anthropologie juridique et politique, Collection publications de l’Institut universitaire André
Ryckmans n°2, Louvain-La-Neuve, Bruylant, 2008, p. 26.

113
en établissant un mécanisme de contrainte axé sur la puissance étatique en charge de la
codification et d’assurer le respect des règles codifiées. A ce sujet, le gouverneur Robert
Delavignette va jusqu’à considérer la rédaction des coutumes africaines comme étant un
ethnocide puisqu’elle favorise la dénaturation de la norme qui ne trouve plus sa force obligatoire
dans sa source ancestrale, mais la trouve dans sa forme écrite par une autorité autorisée par les
États coloniaux ou dans la doctrine qui impose le respect des précédents jurisprudentiels dans
le système de la Common law231. La norme juridique traditionnelle perd ainsi son autorité
primaire.

On voit que la codification n’a pas été un processus qui faisait l’unanimité au sein de
l’administration coloniale française et surtout qu’elle a été un processus voué à aboutir à une
acculturation et assimilation juridique et sociale des sociétés africaines. Il est plus que clair que
le souhait de simplement rendre les droits traditionnels accessibles à l’administration française
est vite devenu une course ethnocidaire visant à anéantir les fondements juridiques des sociétés
africaines. Les autorités n’ont pas démontré un véritable souci de transcrire fidèlement les droits
africains, et pour preuve, il suffit de voir que la codification des coutumes s’est faite par des
personnes ne justifiant pas d’une connaissance suffisante des traditions africaines. Et comme le
précise E. Le Roy, souvent ceux chargés de compiler les coutumes ne se sont pas attelés à
simplifier les règles de manière à les rendre plus compréhensibles aux autorités françaises, mais
les ont aussi reformulées de telle sorte que des nouvelles règles en ressortaient. Cela était
particulièrement vrai dans les codifications officielles où l’idéologie légaliste et unificatrice de
l’administration coloniale était très présente232.

Les codifications ont été faites de manière plus ou moins officielle, ce qui a valu la distinction
très courante dans la doctrine anglophone entre le « droit coutumier officiel » qui est celui
codifié et appliqué normalement par les juridictions et les autres institutions étatiques, et le
« droit coutumier vivant » (en anglais « living customary law233 »). Le dernier fait référence au
droit coutumier tel qu’il est appliqué dans le quotidien par les populations autochtones. C’est

231 KURUK Paul, « Le droit coutumier africain et la protection du folklore », Bulletin du droit d’auteur, vol.
XXXVI, n° 2, 2002, pp. 25-26.
232 LE ROY Étienne, « Les paysanneries et le droit de la terre face aux enjeux d’un développement rural intégré
à l’horizon de l’an 2000 », in Bulletin de liaison du LAJP, nos 7-8, janvier 1985, pp. 131-132.
233 HIMONGA Chuma, “The future of living customary law in African legal systems in the twenty-first centrury
and beyond, with special reference to South Africa”, in FENRICH Jeanmarie, GALIZZI Paolo and HIGGINS
Tracy E. (dir.), The future of African customary law, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, p. 32 et s. ;
voir aussi T. W. Bennett, “ ‘Official’ vs ‘Living’ Customary Law: Dilemmas of Description and Recognition”, in
CLAASSENS Aninka & COUSINS Ben (dir.), Land, power and custom, UCT Press, 2008, pp. 138 et s.

114
un droit vivant dans le sens où il s’adapte aux évolutions de la société, contrairement au droit
coutumier officiel qui lui a un caractère statique dès lors qu’il est fixé dans des textes de loi ou
par la jurisprudence234. Cette dichotomie a été reconnue par les juridictions sud-africaines,
notamment la Cour Constitutionnelle de l’Afrique du Sud qui a exprimé cette différence dans
les termes suivants :

« Les règles officielles du droit coutumier contrastent parfois avec ce que l'on appelle le
droit coutumier vivant », qui est une reconnaissance des règles qui sont adaptées pour
s'ajuster à l'évolution des circonstances. Le problème avec les adaptations est qu'elles
sont ponctuelles et non uniformes. Cependant, les magistrats et les tribunaux en charge
de l'administration des successions ab intestat continuent de respecter les règles du droit
coutumier officiel, avec les anomalies et les difficultés qui en résultent en raison des
changements survenus dans la société235 ».

En Tanzanie aussi cette dichotomie a fait l’objet d’attention de la part de certains juges qui ont
reconnu l’adaptabilité du droit coutumier vivant aux évolutions sociales : « Le droit coutumier
[tanzanien] (en particulier le droit coutumier non codifié) est un droit vivant, capable
d'adaptation et de développement. Il n'est pas immuable236 ».

La jurisprudence africaine reconnaît ainsi que le caractère inadapté des droits coutumiers
codifiés face aux réalités sociales auxquelles un droit parallèle, non reconnu officiellement par
les États, se forge et s’applique au quotidien, en fonction des valeurs et de la culture juridique
de chaque communauté. Une unification de ces normes est donc de prime abord incomplète et
illégitime.

Les droits traditionnels ont à tel point été transformés par les codifications que des auteurs
comme E. Le Roy réserve l’expression « droit coutumier » aux seuls droits issus des processus
de codification des normes générales et pratiques coutumières mises en place par les autorités
coloniales. Pour l’auteur, « l’intitulé droit coutumier cache sous une étiquette authentiquement

234 Exemples de codifications des coutumes : dans le cadre de l’administration française on trouve les
« Coutumiers » ; dans le cadre de l’administration anglaise, en Afrique du Sud on trouve « Natal Code of Zulu
Law » de 1985 ; au Lesotho, le « Basotho Code of customary law » de 1903 (connu aussi sous le nom de Code of
Lerotholi ou Laws of Lerotholi).
235 Bhe v. Magistrate Khayelitsha, SA, 152 (S.Afr). Cité par HIMONGA Chuma, “The future of living customary
law in African legal systems in the twenty-first century and beyond, with special reference to South Africa”, op.
cit., p. 34 (traduit par nous).
236 Maagwi Kimito v. Gibeno Werema. Cité par HIMONGA Chuma, “The future of living customary …”, op.
cit., p. 39 (traduit par nous).

115
africaine un produit de contrebande237 ». Pour cette raison E. Le Roy distingue les normes
issues des juridicités africaines (les droits traditionnels) de ce qu’on appelle très couramment le
« droit coutumier », qui selon lui ne peut faire référence qu’au droit traditionnel tel que codifié
pendant la période coloniale. Le droit issu des codifications ne fait pas jus aux conceptions
juridiques autochtones, il n’en est qu’une contrefaçon, une dénaturation des droits et coutumes
traditionnelles238.

Le droit coutumier né pendant la période coloniale rend les droits traditionnels totalement
dépendants de l’administration coloniale pour leur identification, leur rédaction et leur
application par les juges. Le mouvement des codifications, qui ne se résume pas aux colonies
françaises239, participe au processus d’ostracisation des juridicités africaines, rendu possible par
l’instauration de toute une mécanique d’administration coloniale, avec la création du statut de
l’indigénat.

§2. L’imposition d’un système juridique séparatiste et raciste dans les colonies

L’indigénat est un régime juridique instauré sur des postulats discriminatoires, ayant mis en
place un régime juridique d’exception applicable aux peuples autochtones. Par ce régime, les
autorités coloniales espéraient remplir leur fonction civilisatrice en intégrant les peuples locaux
dans le système juridique colonial. Mais en réalité, ce mécanisme aboutissait à l’introduction
d’un régime discriminatoire, qui conditionnait le bénéfice de droits civils au respect de
conditions très strictes. L’indigénat suivait un principe similaire dans les colonies françaises
(A) et portugaises (B).

237 LE ROY, « Les paysanneries et le droit de la terre face aux enjeux d’un développement rural intégré à l’horizon
de l’an 2000 », Bulletin de liaison du LAJP, nº 7-8, 1985, p. 131.
238 Voir les écrits de Etienne Le Roy en ce sens ; Voir aussi MAGNANT Jean-Pierre, « Le droit et la coutume
dans l’Afrique contemporaine », Droit et cultures, 48, 2004-2.
239 En Angola aussi il y a eu un mouvement de codification des coutumes traditionnelles. Ce processus a été
entamé par Ferreira Diniz sans que sa démarche n’ait pu aboutir. La démarche a été par la suite reprise en 1930,
mais le projet n’a jamais vraiment abouti. Voir en ce sens DINIZ Ferreira, Populações indígenas de Angola,
Coimbra, Imprensa da Universidade, 1918; voir aussi DUARTE SILVA António, O império e a Constituição
colonial portuguesa (1914-1974), Lisboa, Imprensa de História Contemporânea, 2019.

116
A. L’institution de l’indigénat dans les colonies françaises

Les Français ont opté par l’asservissement des territoires conquis en leur imposant un régime
juridique nouveau basé sur le droit écrit afin d’anéantir progressivement l’influence du droit
traditionnel. Cela a été notamment l’objet de la célèbre loi du 24 avril 1833 laquelle accordait
un statut civil à toute personne née libre ou ayant acquis la liberté. Le législateur accordait ainsi
le « bénéfice » de ses lois aux habitants des colonies240, ce qui était en quelque sorte perçu
comme étant un devoir pour l’administration coloniale.

Néanmoins, le législateur colonial a dû faire face à une forte résistance de la part des peuples
colonisés dans l’application de ce nouveau droit, car les lois coloniales ne pouvaient s’appliquer
que dans la mesure où les populations acceptaient de s’y conformer et de bénéficier des droits
politiques et civils que leur offrait la loi, comme celle précitée. Or, les populations se
rapportaient rarement au droit civil ou aux juridictions coloniales, préférant trancher leurs
litiges en ayant recours aux procédures traditionnelles.

Le législateur français s’est alors vu obligé de céder et de reconnaître la possibilité pour les
autochtones de conserver leur propre statut. Cette possibilité a été prévue pour la première fois
en Afrique noire, avec le décret du 20 mai 1857 reconnaissant le statut personnel musulman,
régi par la loi coranique pour les peuples sénégalais. Ce texte a été progressivement étendu à
toute l’Afrique noire française sous influence de la Charia. Les autochtones non musulmans se
sont vus reconnaître également un statut indigène, régi par les coutumes locales, avec l’adoption
du décret du 10 novembre 1903 pour les peuples de l’Afrique orientale française (article 29) et
le décret du 12 mai 1910 pour les peules de l’Afrique équatoriale française (article 47). La
même reconnaissance du statut personnel régi par le droit coutumier a été faite au Congo par
l’ordonnance du 14 mai 1886, laquelle prévoyait que « quand la matière n’est pas prévue par
un décret, un arrêté ou une ordonnance, les contestations seront jugées d’après les coutumes
locales », et cela fut maintenu après l’annexion par la Belgique avec la Charte coloniale du 18
octobre 1908 (article 4). Le droit étatique s’est vu ainsi relégué aux situations relatives aux
institutions de l’État, l’administration et l’économie. Mais les questions relatives au statut

240 Cette loi disposait que « Toute personne née libre ou ayant acquis légalement la liberté jouit, dans les colonies
françaises : 1° des droits civils ; 2° des droits politiques, sous les conditions prescrites par les lois. Sont abrogés
toutes dispositions de lois, édits, déclarations du roi, ordonnances royales… et notamment toutes restrictions et
exclusions qui avaient été prononcées quant à l’exercice des droits civils et des droits politiques à l’égard des
hommes de couleur libres et des affranchis ».

117
personnel comme la parenté, le mariage, les successions, le régime des terres sont restées dans
l’ensemble de matières soumises au droit traditionnel.

La distinction du système juridique applicable aux peuples autochtones s’est faite sur le
fondement du régime de l’indigénat, lequel s’appuyait sur la distinction entre les sujets
autochtones, nommés indigènes et les citoyens français. Les indigènes, considérés comme
n’étant pas des citoyens, ne jouissaient pas des droits civils et politiques dont bénéficiaient les
citoyens français. L’indigénat, comme on l’appelle, n’a pas été régi par un texte unique, bien
que souvent on parle du Code de l’indigénat. Ce régime, premièrement introduit en Algérie, à
titre transitoire pendant le Second Empire en 1881, afin de donner aux habitants autochtones
un statut particulier, distinct de celui des citoyens français, s’est progressivement répandu dans
les différents territoires d’outre-mer français et pérennisé dans le temps. En Afrique
subsaharienne, l’indigénat a été mis en place au Sénégal par le décret du 30 septembre 1887,
puis étendu à Madagascar le 13 novembre 1899 et à toute l’AOF le 21 novembre 1904, puis à
l’Afrique équatoriale française (AEF) par un décret du 31 mai 1910 et enfin en Côte française
des Somalis en 1912241. Après la Première Guerre mondiale, la France a étendu ce statut aux
anciennes colonies allemandes qui lui ont été confiées par un mandat de la Sociétés des Nations
– une partie du Togo et du Cameroun. Au Sénégal, les indigènes étaient divisés en deux
catégories : les natifs des quatre communes, qui avaient un statut de citoyen et jouissaient par
conséquent de droits civiques et politiques comparables à ceux des Français et les autres. Tous
les autres étaient victimes d’une politique de ségrégation qui les empêchait de jouir des droits
les plus élémentaires. Ils servaient de main d’œuvre gratuite, ne pouvant devenir des officiers
au service de l’État.

Le régime de l’indigénat a aussi institué un régime judiciaire exceptionnel qui échappait aux
principes de la justice équitable applicables en métropole. Les gouverneurs français ayant
compris que les populations natives ne s’adaptaient pas à la nouvelle organisation
administrative et judiciaire apportée par la colonisation et de peur que ces habitants ne quittent
les territoires exploités242, ont associé au nouveau statut juridique celui d’indigène, des

241 Décret du 19/7/1912, promulgué le 20/8/1912, rendant applicable à la CFS le décret du 30/9/1887.
242 A ce titre, le décret de 1887 a été modifié en 1889 et on peut lire dans l’exposé des motifs le suivant : «
indigènes […] ne sont pas justiciables […] de notre législation, souvent en contradiction avec leurs mœurs et leurs
usages » et ne pas risquer qu’ils partent du territoire. En conséquence, pour les délits et contraventions, les
indigènes relèvent d’une « juridiction spéciale jugeant sans procédure et s’inspirant des coutumes du pays »
(Décret du 2/6/1889).

118
procédures civiles et pénales spécifiques avec la création des tribunaux indigènes. En Haute-
Volta par exemple, deux systèmes de justice fonctionnaient parallèlement : la justice française
réservée aux Européens et assimilés, et la justice indigène réservée aux peuples autochtones.
Cette dernière était rendue dans chaque circonscription par des tribunaux de premiers et seconds
degrés. Le tribunal de premier degré, le tribunal correctionnel, était présidé par le chef de
subdivision et le tribunal civil par un assesseur indigène. Le tribunal de second degré était
présidé par le commandant de cercle. Néanmoins avant de saisir les tribunaux, les parties
devaient passer par la procédure de conciliation devant les notables ou les chefs traditionnels.
Les décisions relatives aux infractions plus graves et punissables d’une peine
d’emprisonnement de trois à dix ans devaient passer par le tribunal colonial d’homologation
situé à Ouagadougou. Les peines supérieures ne pouvaient être rendues que par la chambre
spéciale d’homologation de Dakar243.

Les tribunaux indigènes étaient chargés de connaître les affaires entre « indigènes et
assimilés », en matière civile ou commerciale suivant les formes « des coutumes et usages
locaux »244. La procédure des tribunaux indigènes a évolué considérablement au fil des années.
Elle variait dans chaque colonie et pouvait évoluer au gré des autorités administratives. On
trouvait ainsi que dans certaines colonies les tribunaux indigènes étaient présidés par l’autorité
administrative qui statue, en juge unique et sans appel, sur une liste de délits et contraventions
spécifiques et variables selon les colonies.

En raison de la succession des arrêtés, la procédure des tribunaux indigènes n’était pas
uniformisée sur l’ensemble des colonies, malgré une unification des pouvoirs des gouverneurs
en matière de justice par un décret du 5 mars 1927. A cette confusion procédurale s’ajoute la
complexité d’une justice à deux temps ou à trois temps dans les territoires islamisés, avec
l’existence de tribunaux français, les tribunaux indigènes et, dans le dernier cas, les tribunaux
musulmans. Les juridictions pénales françaises restaient compétentes des crimes les plus graves
entre indigènes et entre indigènes et des citoyens français, en application du droit français. Mais
il arrivait que des administrateurs français s’accaparaient d’une affaire criminelle pour
appliquer le régime de l’indigénat, pour des raisons purement politiques. Cela a été le cas en
1930 lorsque le gouverneur du Djibouti a ordonné la libération du cadi de Djibouti (magistrat

243 AICARDI DE SAINT-PAUL Marc, De la Haute-Volta au Burkina Faso, traditions et modernité au ‘pays des
hommes intègres’, Paris, Éditions Albatros, 1993, pp. 48-49.
244 Articles 30 et 38 du décret du 4 février 1904.

119
musulman), incarcéré par le procureur pour escroquerie, dans l’objectif de se réapproprier
l’affaire en application du régime de l’indigénat245. Sous couvert du statut de l’indigénat, les
administrateurs coloniaux ont pu mettre en place un système de répression pénale échappant au
régime de droit commun. Les sujets indigènes pouvaient ainsi se voir infliger des sanctions
pénales de manière arbitraire, sans une véritable décision de justice.

L’indigénat était un régime qui visait à soumettre les peuples colonisés entièrement à l’autorité
des puissances coloniales. Il a instauré un régime de peur et de crainte constante par le biais de
mesures répressives et arbitraires dont le but était de dissuader les indigènes d’adopter des
comportements contraires aux objectifs imposés par l’ordre colonial. Pour cela les
administrateurs coloniaux ont été munis de véritables pouvoirs disciplinaires. Ils pouvaient par
exemple punir, sans appel, de 15 jours de prison et de 100 francs d’amende des infractions
comme le « manque de respect envers un représentant de l’autorité française246 » ou alors
imposer l’internement pour une durée de dix ans à tout individu suspecté de menacer la sûreté
de l’État colonial.

L’un des caractères « exceptionnels » de la justice indigène avait trait à la place qu’elle a
accordait aux autorités administratives. Que ce soit les autorités des échelons supérieurs,
comme les gouverneurs, ou encore des échelons intermédiaires, comme les administrateurs,
chefs de cercle ou de district, les réglementations sur l’indigénat octroyaient un pouvoir
important aux autorités administratives, quasi-discrétionnaire, au mépris du principe
fondamental en droit français de la séparation des pouvoirs. Ces autorités se superposaient
souvent aux magistrats professionnels et les substituaient même dans la procédure judiciaire
indigène.

Le régime de l’indigénat a consacré le pouvoir du commandant de cercle, en lui donnant


d’importantes prérogatives, en particulier un pouvoir disciplinaire qui lui permettait d’assurer
l’autorité de l’administration coloniale247. Le système colonial français reposait beaucoup sur
le commandant de cercle qui s’occupait des affaires générales de son territoire. Il assurait la
direction politique dans sa circonscription et était chargé du budget et des finances de

245 IMBERT-VIER Simon, « Particularités du statut de l’indigénat en CFS (1887-1981) ». Journées d’études ”Le
régime de l’indigénat et ses métamorphoses”, organisées par Isabelle Merle et Simon Imbert-Vier, nov. 2011,
Paris, France, p. 4.
246 ANS, Moniteur du Sénégal et Dépendances, JO, 3 novembre 1887, p. 323, Annexe I.
247 FALL Babacar, Le travail forcé en Afrique Occidentale française (1900-1946), Paris, Karthala, 1993, p. 48.

120
l‘ensemble des services publics. En plus de ces fonctions, il exerçait aussi des fonctions de juge,
agent de police, chef militaire, inspecteur, etc. Dans le contexte politique de l’époque et eu
égard au développement progressif d’une organisation administrative et judiciaire coloniale, la
concentration des pouvoirs entre les mains du commandant de cercle était présentée par les
théoriciens de la colonisation comme une nécessité, notamment pour permettre l’insertion des
sociétés colonisées dans l’économie de marché avec l’utilisation de la main d’œuvre indigène
dominée par la répression coloniale248.

La concentration de tous ces pouvoirs dans les mains d’un seul conduisait souvent à des abus
de pouvoir aux dépens des communautés indigènes. Il est clair dans ces circonstances que les
colonies africaines n’étaient pas régulées selon les principes de l’État de droit qui régissaient le
droit métropolitain, en particulier le principe de la séparation des pouvoirs avec la confusion
opérée entre le pouvoir exécutif et judiciaire.

Frappé par des fortes critiques et des mouvements de résistance internes dans les institutions
françaises249, ainsi que par la pression de la communauté internationale, le régime de l’indigénat
a subi plusieurs réformes, mais les gouverneurs ont continué à appliquer le régime avec sévérité
puisque leur efficacité dépendait étroitement de leur pouvoir répressif. Ce régime n’a été aboli
qu’en 1946, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à la suite des recommandations de
la Conférence de Brazzaville. Il ressemble sur plusieurs points au régime du même nom imposé
par le Portugal dans certaines de ses colonies africaines.

248 Dans les quatre communes sénégalaises qui échappaient au régime de l’indigénat, une mesure est venue
suppléer l’absence d’un commandant de cercle pouvant exercer un pouvoir quasi discrétionnaire sur la population
indigène. Il s’agit du décret portant répression du vagabondage. D’après ce décret, était déclaré vagabond tout
indigène se trouvant dans les villes et ne pouvant justifier d’une résidence dûment constatée ou d’un livret de
travail. Le vagabond pouvait être sanctionné d’un ordre de travailler obligatoirement dans un chantier ou une
entreprise de manutention, moyennant rémunération. Cette mesure permettait de pallier l’absence d’indigènes
susceptibles d’être renvoyés dans les maisons commerciales ou les chantiers, dans les villes où le régime de
l’indigénat ne s’appliquait pas.
249 On pense en particulier à l’expression employée par le sénateur Le Breton lors des débats parlementaires en
1888, qualifiant la réglementation sur l’indigénat de « monstruosité juridique », aux vues des pouvoirs judiciaires
presque indéfinis qu’elle accordait aux administrateurs (voir Journal officiel, Débats parlementaires, Sénat, séance
du 22 juin 1888, p. 991).

121
B. L’indigénat dans les colonies portugaises

L’histoire coloniale portugaise est marquée par deux moments historiques fondamentaux :
l’abolition de l’esclavage dont les premiers textes datent des dernières années de la monarchie
et l’instauration d’un statut de l’indigène, pendant la Première République en 1926 250, lequel
statut a été la base de la politique de ségrégation raciale et sociale au sein des colonies, et même,
quelques années plus tard, du système juridique imposé dans les relations de droit privé entre
indigènes251 et non-indigènes252. Les pratiques d’esclavage, dont les premiers textes
abolitionnistes datent de 1836, avec l’abolition du trafic transatlantique, n’ont été
définitivement abolies dans les colonies africaines qu’à l’accession du pays au régime
républicain en 1910253. Alors même qu’à la fin du XVIIIe siècle, plusieurs textes prévoyaient la
fin du commerce d’êtres humains254. Au début des années 1900, des mutineries internes,
renforcées par la pression internationale ont poussé à l’adoption de mesures fermes de la part
de l’État concernant les derniers vestiges de l’esclavage au sein de ses colonies. Ceci, sans que
pour autant l’État ait profité de cette occasion pour octroyer l’autonomie souhaitée aux peuples
colonisés. L’indigénat est ainsi entré en vigueur comme mécanisme permettant aux autorités de
garder la mainmise sur les populations locales qui continuaient ainsi à offrir une main d’œuvre
facile et peu onéreuse, voire gratuite.

L’administration coloniale était fortement ancrée sur une base raciste, dans l’objectif de garantir
la suprématie des colons blancs, notamment sur des natifs métis et noirs européanisés qui dans
les dernières années de la monarchie occupaient une place importante dans le commerce des
esclaves, en particulier en Angola. La fin de la traite des esclaves mettant fin à l’hégémonie de

250 « Estatuto político, civil e criminal dos indígenas de Angola e Moçambique » (Décret n° 12.533, du 23 octobre
1926) ; la Guinée-Bissau a vu ce statut appliqué sur son territoire en 1927 (Décret n° 13.698, du 30 novembre
1927). Et en 1954, a vu le jour le Statut des indigènes portugais des provinces de la Guinée, Angola et Mozambique
(Décret n° 39.666, du 20 mai 1954).
251 Une définition légale de l’indigène a été établie par le Décret n° 951 du 14 octobre 1914, lequel le définit
comme étant les personnes originaires « des colonies portugaises nés de parents indigènes et qui par leur éducation,
habitudes et procédures ne s’écartaient pas du commun des races africaines » (art. 10).
252 «Diploma Orgânico das Relações de Direito Privado entre Indígenas e não Indígenas» (Décret n°16.474, du 6
février 1929).
253 DA CONCEIÇÃO NETO Maria, «A Républica no seu estado colonial: combater a escravatura, estabelecer o
“indigenato”», Ler História [Online], n° 59, 2010, p. 209.
254 L’esclavage a été aboli pour la première fois au Portugal par un texte du 19 septembre 1761 interdisant
l’importation d’esclaves et déclarant libres tous ceux qui arrivaient sur le royaume. Ce texte a été suivi par un autre
le 16 janvier 1773 déclarant libres les enfants des esclaves se trouvant sur le royaume. Néanmoins, l’esclavage est
resté possible dans les territoires ultramarins, à l’exception de l’Inde. Plusieurs textes se sont suivis en la matière,
mais le processus d’abolition de l’esclavage dans les territoires ultramarins n’a véritablement commencé qu’avec
l’adoption du Décret du 14 décembre 1854, lequel prévoyait des conditions très restrictives pour la remise en
liberté des esclaves.

122
cette bourgeoisie noire et métisse, a ouvert l’espace à l’établissement d’une politique
discriminatoire visant à saper le prestige social et économique acquis par ce groupe de natifs,
afin de légitimer le nouveau pouvoir blanc, qui a pu s’instaurer sur des principes de supériorité
raciale. Cette politique a culminé par l’introduction du statut de l’indigène prônant la division
de la société en strates, avec la distinction entre les noirs et métis assimilés (ou civilisés) et les
indigènes (non-civilisés)255. Le statut d’indigène accordait à ces derniers l’appartenance et la
protection de l’État, mais ne leur accordait pas la citoyenneté portugaise.

D’abord établi par la loi, puis constitutionnalisé en 1933256, le statut de l’indigénat a servi de
mécanisme à la fois pour la poursuite des projets commerciaux et industriels du Portugal et
aussi en tant que mécanisme permettant l’instauration d’un régime juridique établissant un
statut civil et criminel différent pour les peuples autochtones et les citoyens portugais. Il faut
dire que les doctrines assimilationnistes, très utiles lors de la formation des premières colonies
pour l’assise de l’administration, ont perdu leur importance aux yeux de la doctrine colonialiste
au début du XXe siècle, où la discrimination raciale est devenue le mot d’ordre pour établir
l’ordre de l’État central257. En application de la politique d’assimilation pendant la période
monarchique, plusieurs autochtones ont pu obtenir le statut de citoyens portugais, jouissant des
mêmes droits et devoirs, dès lors qu’ils adhéraient aux principes du catholicisme258. Or, depuis
l’établissement de la République, des voix contraires se sont soulevées contre un tel amalgame,
comme celle de l’ethnologue Ferreira Diniz, selon lequel l’assimilation constituait un danger
par le fait « d'impliquer la vie de colonies avec celle de la métropole, créant parmi ces
organismes hétérogènes et l’État une solidarité aussi pernicieuse qu'artificielle ». Pour lui,
l’assimilation ne devrait permettre d’octroyer la citoyenneté portugaise qu’à ceux des
populations locales ayant atteint des niveaux de civilisation similaires à ceux des citoyens

255 Par ailleurs, le racisme latent de l’administration coloniale portugaise s’est fait sentir à l’égard des propres
portugais nés dans les colonies, appelés euro-africains, à qui des traitements différenciés étaient appliqués par
rapport aux portugais métropolitains. Cette réalité qui date d’avant les années 1950 a été constatée en 1961 par le
Sub-comité des Nations Unies pour la situation en Angola (United nations General Assembly, 16th Session,
Agenda Item 27 – Report of the sub-committee on the situation in Angola (22/11/1961)).
256 Le statut de l’indigénat a été posé dans la Constitution portugaise de 1933, en son Titre II (Des indigènes),
lequel prévoyait des statuts spéciaux pour les indigènes en son article 22.
257 DA CONCEIÇÃO NETO Maria, «A Républica no seu estado colonial: combater a escravatura, establecer o
“indigenato” », Ler História [Online], n° 59, 2010, p. 214.
258 D’après le Décret du 1er décembre 1869, la conversion au catholicisme garantissait, en principe la citoyenneté.
Néanmoins, cette règle, qui n’était pas toujours respectée dans la pratique, a été abolie lors de la séparation de
l’État et de l’Église catholique par la Loi du 20 avril 1911.

123
portugais, notamment par la maîtrise de la langue, la poursuite d’études et l’acquisition de
manières et coutumes occidentales259.

L’introduction du statut de l’indigénat s’est faite de manière progressive et plus ou moins


hétérogène dans les colonies en fonction du degré de développement de chaque peuple. La loi
organique du 15 août 1914 accordait notamment l’autonomie aux gouverneurs des colonies
pour déterminer le statut civil, politique et criminel des populations indigènes. Or, malgré des
applications plus ou moins floues, l’indigénat constituait un cadre favorable à l’imposition par
les autorités de nouvelles règles de vie touchant dans un premier temps les domaines du
travail260 et le régime d’imposition261. Avec des règles très différentes de celles appliquées en
métropole, visant à contrôler à la fois la production agricole et le flux de main d’œuvre dans les
différents territoires. Les nouvelles normes se sont progressivement élargies aux règles
d’organisation des villages, l’imposition de la langue portugaise comme langue unique dans les
écoles missionnaires et même des règles vestimentaires adaptées à la culture portugaise. En
raison de leur organisation sociale particulière, les îles de Sao Tomé et Principe et Cap Vert
n’ont pas été concernées par le statut de l’indigénat262. En effet, à Sao Tomé, les indigènes
présents sur l’île étaient ceux venus de l’Angola et du Mozambique dans le cadre de travaux
forcés, souvent même en qualité d’esclaves (jusqu’à la première décennie des années 1900)263.

Dans l’ensemble, le régime de l’indigénat prévoyait un système d’ostracisation juridique des


populations noires et métisses, lesquelles se voyaient appliquer des règles particulières pour les
questions civiles et criminelles ; étaient dépourvues de droits politiques et empêchées d’accéder
à des fonctions publiques ; et enfin, se voyaient appliquer un système de justice spéciale, assuré
par les autorités administratives portugaises, parfois assistées par les autorités traditionnelles
locales assermentées par les premières pour leurs connaissances des us et coutumes locaux ou
par leur statut social. Des assesseurs garantissaient l’application de règles de procédure civile
et criminelles adaptées aux « conditions spéciales de la vie de l’indigène » et contribueraient à
la « codification des us et coutumes des indigènes »264.

259 FERREIRA Diniz, Negócios Indígenas: relatório do ano de 1913, Loanda, Imprensa Nacional de Angola,
1914, pp. 27-30 et 107-118. Cité par DA CONCEIÇÃO NETO Maria, «A Républica no seu estado colonial, op.
cit., p. 215.
260 Particulièrement encadré par le Code du travail des indigènes de 1928.
261 Avec l’établissement de l’impôt indigène le 21 mars 1919.
262 Voir Loi n° 2016 du 29 mai 1946, art. 246 lequel excluait l’Inde, les colonies de Macao et Cap Vert au régime
de l’indigénat.
263 DA CONCEIÇÃO NETO Maria, op. cit., 2010, p. 218.
264 Voir Loi n° 277 du 15 août 1914.

124
Paradoxalement, l’indigénat permettait la valorisation des règles et coutumes traditionnelles
dont la valeur juridique a été reconnue par les Portugais dès le début de l’administration
coloniale en excluant l’application du droit civil et pénal des affaires concernant les populations
ayant le statut d’indigène. Les droits traditionnels avaient donc lieu à s’appliquer à ces matières
pour les indigènes, tandis que le droit portugais était réservé aux citoyens portugais. Néanmoins,
derrière ce semblant de reconnaissance des institutions autochtones, se cachait un régime
discriminatoire et séparatiste qui a institué une division de fait et de droit entre une minorité de
noirs dits « civilisés » ou « assimilés » auxquels il était possible selon des conditions très
strictes, d’obtenir la citoyenneté et ainsi se soustraire à l’application des droits traditionnels ; et
la majorité des noirs dits « non civilisés », auxquels des restrictions juridiques considérables
étaient infligées, comme l’interdiction de la libre circulation, des restrictions dans l’accès à
certaines professions, l’expropriation des terres, l’application d’un régime de travail et
d’imposition fortement encadré et la soumission à un régime pénal spécifique et
discrétionnaire.

L’indigénat a eu comme conséquence l’application d’un système d’administration marquée par


la participation directe des autorités coloniales dans la gestion de l’ensemble des aspects de la
vie en société. Toute l’économie et la vie politique reposait sur ce statut qui ne visait pas à
permettre aux peuples autochtones de poursuivre leur train de vie selon leurs propres normes et
valeurs culturelles, mais qui avait pour objectif unique et principal d’assurer la continuité du
système colonial, sous couvert de la poursuite d’un but civilisateur. Ce régime discriminatoire
justifiait donc pour les colons l’introduction d’un système d’administration directe, sous la
tutelle du ministre des Colonies.

Pendant la période de la dictature militaire la politique discriminatoire s’est durcie avec


l’introduction par Antonio de Oliveira Salazar d’une véritable politique d’acculturation et
d’assimilation culturelle, ayant pour objectif d’initier les peuples indigènes à la civilisation
portugaise. Un statut d’« assimilé » a ainsi été créé pour désigner tous ceux qui remplissaient
les conditions de bonne conduite et de civisme. Les assimilés avaient un droit de vote, ils
percevaient des salaires similaires aux Portugais et devaient suivre un enseignement scolaire
adapté aux indigènes, en portugais. Or, le statut d’assimilé touchait une très faible tranche de la
population et concernait essentiellement les personnes issues du métissage racial.

Les années 1950 marquent le début du démantèlement du régime de l’indigénat par l’adoption
d’une loi du 15 septembre 1954, laquelle met fin au principe de l’existence d’une justice
spéciale pour les indigènes, soumettant l’ensemble des citoyens au même appareil judiciaire,

125
sans pour autant remettre en cause le maintien des pratiques juridiques traditionnelles.
L’indigénat n’a toutefois été définitivement aboli qu’en 1961265, par une loi accordant des droits
politiques aux populations noires autochtones, ouvrant ainsi l’accès pour ces populations aux
fonctions publiques. La fin de l’indigénat marquait d’une certaine manière la fin d’un système
discriminatoire dans l’application du droit portugais aux peuples autochtones. En effet, selon le
régime de l’indigénat, l’application des us et coutumes traditionnels était la règle dans les litiges
en matière civile et pénale concernant les indigènes, ce qui avait pour conséquence que
l’application du droit portugais était proscrite aux indigènes dans ces domaines. Les décrets de
1961, tout en reconnaissant la valeur juridique des coutumes locales dans les relations privées,
a permis à toute personne d’être soumise « totalement à la loi écrite de droit privé, moyennant
simple déclaration irrévocable266 ».

La création d’un double degré de justice dans les colonies impliquait un niveau de connaissance
des droits traditionnels que les administrations coloniales ne maîtrisaient pas, pour des raisons
linguistiques et culturelles. L’étude du droit traditionnel est vite devenue une préoccupation de
l’administration coloniale qui a mené des efforts particuliers pour compiler ces droits dès le
XIXe siècle267. Ayant pour but de permettre une meilleure connaissance du droit traditionnel, la
compilation du droit traditionnel visait essentiellement un meilleur contrôle de ces règles. Elle
permettait de contrôler le contenu, la portée et le champ d’application des droits coutumiers. La
compilation du droit dans des codes a abouti à limiter le droit traditionnel, à le figer et souvent
même à le modifier de manière importante parce que souvent ces coutumes étaient rédigées par
des personnes qui n’avaient pas des connaissances approfondies sur les pratiques locales268.
Mais plus encore, l’instauration de systèmes centralisés d’administration et la subjugation de la
personnalité juridique des peuples autochtones a culminé à la subordination des droits et des
identités culturelles. On peut aujourd’hui dire que le processus d’assimilation culturelle a
produit ses effets car même après l’accession aux indépendances, l’Afrique peine à accorder
une place d’excellence à sa culture juridique.

265 Voir Décret-Loi n° 43893 du 6 septembre 1961.


266 Décret-Loi n°43897, du 6 septembre 1961, article 3.
267 Pour l’Afrique du Nord : HANOTEAU et LTOURNEUX, La Kabylie et les coutumes kabyles, 3 vol., Paris,
1872-3 ; MORANS M., Avant-projet de Code des droits musulmans algériens, Alger, 1916 ; Pour l’Afrique noire :
VILLAMUR R. et DELAFOSSE M., Les coutumes Agni, Paris, Challamel, 1904 ; GEISMAR L., Recueil des
coutumes civiles des races du Sénégal, Saint Louis, Impr. du gouv., 1933 ; Coutumiers juridiques de l’AOF, Paris,
Larose, 3 vol., 1939.
268 Sur les problèmes de la rédaction des coutumes lire : RUBENS A., et al., « La codification de la coutume »,
Bull. des séances de l’Institut royal colonial belge, XIX, 1948, 690-713 ; ROBERT A., « L’évolution des coutumes
de l’ouest africain et la législation française », Paris, Encyclopédie d’outre-mer, 1955, pp. 208-214; OHIER J.,
« Le problème de la rédaction des droits coutumiers », Revue de droit international et du droit comparé, 1958, p.
58-74.

126
CHAPITRE II : La subordination des droits traditionnels au droit moderne après les
indépendances

Les mouvements indépendantistes ont majoritairement été promus par la minorité assimilée,
après avoir pris connaissance de sa condition de soumission à la puissance coloniale 269. Or, en
dépit du caractère fortement ethnique des groupes indépendantistes, une envie de modernisation
s’est répandue, dépassant progressivement les frontières ethniques et tribales pour se focaliser
sur l’établissement d’un sentiment d’appartenance nationale et plus encore sur le
développement d’une conscience noire pour favoriser l'adhésion générale aux processus de
libération de l’emprise du colonialisme blanc. On voit par exemple cette motivation nationaliste
dans le Programme du Mouvement pour la libération de l’Angola (MPLA) établi en 1961, dans
lequel une emphase particulière est mise sur le renforcement de l’union et des liens de fraternité
entre toutes les ethnies de l’Angola et l’interdiction absolue de toute tentative de division du
peuple angolais270.

Après les indépendances, les nouveaux dirigeants étaient conscients que l’appel à l’unité
nationale ne pouvait pas se faire sans le rappel de l’attachement des nouvelles autorités aux
traditions culturelles africaines. Mais une véritable promotion des traditions était loin d’être la
priorité des nouveaux États, plus préoccupés par leur intégration dans le monde moderne. Les
institutions traditionnelles étaient dès lors conçues comme des entraves au développement
social et économique souhaité (SECTION I). Comme l’écrit Empenge-Osako, l’idée est
fortement répandue que les « structures politiques traditionnelles fondées sur la relation
personnelle, n’ont naturellement pour finalité que la protection et la justice, non pas le

269 ROCHA Edmundo, Angola - Contribuição ao estudo da gênese do nacionalismo moderno angolano (período
de 1950-1964) (testemunho e estudo documental), Lisboa, Kilombelombe, 2003, p. 27.
270 Il est à ce sujet précisé dans le Programme majeur du MPLA ce qui suit : « Premièrement, garantir l'égalité
de tous les groupes ethniques en Angola et renforcer l'unité et l'aide fraternelle entre eux ; Deuxièmement, une
interdiction absolue de toute tentative de diviser le peuple angolais ; Troisièmement, créer les conditions pour que
retournent en Angola et y vivent décemment, les centaines de milliers d'Angolais qui ont été cruellement forcés
par le régime colonial à quitter le pays ; Quatrièmement, peuvent être autonomes les régions où les minorités
nationales vivent en groupements denses et possèdent un caractère individualisé ; Cinquièmement, chaque
nationalité ou ethnie aura le droit d'utiliser et de développer sa langue, de créer sa propre écriture et de préserver
ou renouveler son patrimoine culturel ; Sixièmement, dans l'intérêt de toute la Nation angolaise, susciter et
développer la solidarité économique et sociale, ainsi que des relations normales – dans les domaines économique,
social et culturel – entre toutes les régions autonomes et toutes les nationalités et ethnies de l'Angola ;
Septièmement, la libre circulation de tous les citoyens angolais sur le territoire national ».

127
développement 271 ».

Malgré la méfiance affichée face aux autorités traditionnelles, la plupart des États a reconnu
l’attachement des nouvelles nations aux principes de la justice traditionnelle, accordant
formellement une place au droit coutumier dans les systèmes juridiques internes, aux côtés du
droit étatique moderne (SECTION II).

SECTION I. L’avènement des indépendances et la rupture avec les traditions

La colonisation a été en grande mesure un phénomène imposé aux sociétés africaines, mais on
ne peut oublier la participation de certaines autorités traditionnelles dans l’implantation des
puissances étrangères. Par la signature de traités concédant des terres ou encore des accords
pour la vente d’êtres humains en tant qu’esclaves, les autorités traditionnelles ont eu une part
non négligeable dans l’instauration des régimes coloniaux. Cette participation leur a valu une
forte répression de la part des élites africaines. Plus que cela, les autorités traditionnelles sont
regardées avec une certaine méfiance par les dirigeants africains (§1). Jaloux de leur influence
locale et de leur légitimité traditionnelle, dans plusieurs pays sont nés des mouvements pour
l’abolition des chefferies traditionnelles qui avaient autrefois servi de lien entre les populations
locales et l’administration coloniale (§2).

§1. La méfiance des élites africaines vis-à-vis des autorités traditionnelles

La reconnaissance des autorités traditionnelles dans les nouveaux systèmes juridiques a été
largement débattue sur le continent. Les nouveaux dirigeants ont été partagés entre l’envie
d’accorder une place à ces autorités dépositaires des valeurs et traditions historiques et le
souhait de les écarter du jeu politique moderne (A). Cette attitude explique des décisions
divergentes dans premières années après les indépendances, soit en faveur de leur
reconnaissance officielle soit en faveur de leur écartement. Dans tous les cas, leur pouvoir a été

271 EMPENGE-OSAKO Djelo, L’impact de la coutume sur l’exercice du pouvoir en Afrique noire, Louvain-La-
Neuve, Belelan Éditions 1990, p. 112.

128
considérablement réduit pour éviter une concurrence politique déloyale face à des situations où
des chefs traditionnels, profitant de leur légitimité interféraient directement dans la vie politique
(B).

A. La naissance de conflits idéologiques autour du rôle des autorités traditionnelles

Le fait colonial a suscité des réactions multiples et complexes de la part des peuples colonisés
qui ont varié selon les époques, selon la nature des sociétés et selon la forme d’administration
imposée par le colonisateur. Pendant la colonisation et après les indépendances, en plus des
combats contre le colonisateur, des rivalités ont éclaté à l’intérieur même de chaque groupe, au
sein des peuples colonisés partagés par des conflits d’intérêts divergents engendrés par les
différents statuts imposés ou accordés pendant les colonisations. En effet, une minorité des
populations jugée assimilée a participé et tiré des profits personnels importants de la situation
installée, ouvrant ainsi la porte à des problèmes identitaires et idéologiques. Cette minorité s’est
montrée particulièrement hostile aux autorités traditionnelles, que l’on traitait à la fois de lâches
et conniventes face aux puissances coloniales et à la fois d’archaïques et inadaptées aux
impératifs de développement de la société moderne.

Les débats idéologiques autour de la question du rôle des autorités traditionnelles ont opposé
les défenseurs de la tradition pure et dure aux réformistes qui se montraient plus enclins à
adhérer aux conceptions héritées des cultures occidentales. Du point de vue identitaire, des
conflits ont vu le jour lorsque certains, en raison de leur statut, se trouvaient en face d’exigences
contradictoires en raison des rôles qu’ils devaient assumer. C’est le cas des autorités
traditionnelles qui se trouvaient prises au piège entre d’un côté leurs responsabilités et les
valeurs qu’elles devaient protéger dans le cadre de leur rôle au sein de la communauté ; et de
l’autre côté, les responsabilités qu’elles devaient accomplir dans leurs fonctions administratives
sous l’œil des autorités coloniales. Le chef traditionnel, investi d’après les préceptes
traditionnels pour faire valoir les intérêts de la communauté qui lui est soumise, devait en même
temps exécuter les ordres de l’administration coloniale à laquelle il était subordonné, alors
même que dans la majorité des cas les mesures prises allaient à l’encontre de la volonté de ses
sujets272.

272 LOMBARD Jacques, Autorités traditionnelles et pouvoirs européens en Afrique noire, Paris, Armand Colin,
1967, p. 17.

129
L’orientation politique des chefs traditionnels et leur rapprochement avec les intérêts
communautaires dépendaient de la place qu’ils occupaient dans la hiérarchie traditionnelle
(chef de village, chef de région, chef tribal, etc.), et de la position qu’ils occupaient au niveau
de l’administration coloniale. Jaques Lombard note à ce titre que « dans les pays de colonisation
française, par exemple, les chefs de groupes ethniques ou les anciens souverains, qui reçurent
de faibles responsabilités administratives, et les chefs de village, en contact permanent avec
leur collectivité, conservèrent mieux leur caractère de représentant du groupe que les chefs de
canton, placés sous la dépendance directe de l’administration coloniale et mis à la tête de
communautés, sinon artificielles, du moins disparates273 ».

Dans les royautés Mossi du Yatenga et d’Ouagadougou (Burkina-Faso) par exemple, le roi s’est
vu attribué le titre de chef supérieur par l’administration française, sans pour autant se voir
confié une fonction administrative précise, ce qui lui a permis de garder une certaine
indépendance idéologique vis-à-vis des autorités coloniales au profit de la défense des intérêts
de sa communauté.

La double appartenance à la fois au système colonial et à la société colonisée a en grande partie


contribué à la remise en cause du statut du chef traditionnel et de sa légitimité au sein de sa
communauté, animant des réactions multiples dans les différentes communautés. Pour certains,
les chefs étaient le gage de la tradition au sein de l’administration coloniale ; mais pour d’autres,
ils étaient des simples agents de l’administration coloniale, inaptes à représenter les valeurs de
la communauté. C’est ainsi que plusieurs se sont élevés contre l’institution de la chefferie
traditionnelle estimée soumise au pouvoir colonial pour qui ces fidèles représentants issus des
sociétés colonisées étaient une aubaine274.

Néanmoins, malgré un certain scepticisme face à l’institution de la chefferie, jusqu’à la période


des indépendances peu d’hommes appartenant aux élites africaines prirent position contre la
chefferie de manière officielle. Pour preuve, au Ghana, Kwame Nkrumah qui représentait la
voie progressiste du nationalisme déclarait que « l’ensemble de l’institution des chefferies est
si étroitement lié à la vie de notre communauté que sa disparition mènerait au désastre275 ».
Mais cette déclaration a vite été rattrapée par la réalité politique du pays avec des conflits
successifs qui ont fait surface entre le parti politique majoritaire, le Convention People’s party

273 Idem., p. 19.


274 Ibid., p. 18.
275 Déclaration de Kwame Nkrumah du 11 mars 1954, Commonwealth Survey, 2, avril. 1954. Cité par
LOMBARD Jacques, op cit., pp. 211-212

130
(CCP) et les chefs traditionnels, notamment des chefs Ashanti opposés à la politique menée par
le président Nkrumah.

Les hostilités entre l’élite africaine « assimilée » et les partisans de la sauvegarde des chefferies
traditionnelles ne se sont déclenchées de manière plus marquée que lorsqu’ont été introduits
dans les différents territoires des modes de désignation des dirigeants qui passaient par le
processus électoral. Ce phénomène a donné naissance à une compétition entre les candidats
appartenant à l’élite intellectuelle, jouissant d’une formation politique, qui pouvaient se vanter
de n’être soumis ni au pouvoir traditionnel ni à la hiérarchie administrative coloniale et les
candidats issus du pouvoir traditionnel qui cherchaient à tirer profit de leur position au sein des
communautés pour additionner l’autorité démocratique à leur autorité traditionnelle. Ainsi,
l’hostilité des élus à l’égard de la chefferie variait selon que les élites se sentaient menacées
dans leurs intérêts politiques par la présence des autorités traditionnelles ou si les élites
choisissaient de tirer profit de la présence des chefs traditionnels pour asseoir leur pouvoir au
sein des communautés, tout en gardant la maîtrise sur les institutions traditionnelles. Dans tous
les cas, les conflits idéologiques qui ont opposé les autorités traditionnelles aux élites africaines
à la fin des colonisations et au début des indépendances ont alimenté une très forte méfiance
vis-à-vis des institutions traditionnelles, entraînant la remise en cause de leur légitimité et plus
particulièrement l’écartement de ces institutions des instances officielles du pouvoir.

B. Remise en cause de la légitimité du pouvoir traditionnel

Les institutions traditionnelles ont été beaucoup plus marginalisées de la vie politique des pays
africains dans la période post-indépendance que pendant la période coloniale où malgré des
régimes séparatistes et oppresseurs les autorités traditionnels trouvaient place de référence dans
les affaires concernant les populations locales. Cet état de fait démontre la méfiance des
nouvelles autorités gouvernementales face aux institutions traditionnelles et leur mise à l’écart
de la vie politique. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette réticence des autorités
gouvernementales face au pouvoir traditionnel. Tout d’abord, il faut noter que les autorités
traditionnelles, malgré la perte de leur autorité politique restent une référence au sein des
communautés qui se sentent, dans une grande mesure, toujours soumises à leur autorité morale.
En effet, aux yeux des populations locales les chefs traditionnels demeurent les dépositaires

131
légitimes des coutumes et traditions ancestrales. Ils deviennent ainsi des concurrents politiques
puisque si ces autorités venaient à s’engager en politique, ils rallieraient probablement le vote
populaire. Le jeu politique tel qu’il est présenté et pratiqué serait alors faussé puisque le vote
du peuple pour les autorités traditionnelles ne serait pas guidé par une adhésion à un programme
politique, mais plutôt par un sentiment d’allégeance à celui qui est leur représentant, légataire
des pouvoirs ancestraux. La possible défaite d’un chef traditionnel serait perçue comme une
défaite de la communauté toute entière. Par ailleurs, comme le note Zakaria Soré, les chefs
traditionnels ayant compris cela « n’hésitent pas lors des campagnes électorales à brandir leur
titre de chef traditionnel. C’est ainsi qu’ils évoquent leurs noms de chefs et leurs attributs
royaux en lieu et place de leurs nom à l’État civil en s’adressant à la population. Ils visent à
travers cette pratique à montrer à la population qu’ils ne sont pas des candidats au même titre
que les autres et à ce titre elle doit leur faire confiance et leur accorder leurs voix276 ».

La légitimité du chef traditionnel face à la communauté qui lui est soumise n’est donc pas un
élément à négliger dans les sociétés africaines au regard de la sacralité qui entoure ces
institutions.

Si les chefs traditionnels pouvaient participer au jeu politique, cela remettrait en cause les
principes modernes de la compétition électorale et de la démocratie républicaine. Les candidats
non issus de la chefferie risqueraient de subir une concurrence déloyale à leur détriment. Le
pouvoir politique se baserait non plus sur un programme et sur des compétences, mais sur des
mythes, la crainte des ancêtres et un sentiment de tribalisme qui va à l’encontre des idéaux
nationalistes et unitaires de la nouvelle gouvernance africaine. Comme le questionne Gulmer
Da, « un député élu par des populations qu’il appelle ses ‘sujets’ est-il un élu de la nation ou
un élu d’une communauté quelconque ? (…) la légitimé locale dont ils jouissent n’est point
transposable au plan national et s’ils brandissent cette légitimité traditionnelle,
communautariste, ils vont à l’encontre des principes républicains277 ».

Lorsqu’au sein des États il est simplement reconnu aux chefferies traditionnelles une autorité
morale, en tant que dépositaires des coutumes et traditions, cela permet en quelque sorte de le
décharger de certaines obligations à l’égard de ces autorités. Notamment celle de leur accorder
un statut précis, avec des fonctions qui leur seraient attitrées et une rémunération

276 SORE Zakaria, Démocratie au Burkina Faso : rapport de mission d’analyse, La Cadence du développement
au Burkina Faso. Cité par DA Gulmer, Constitutionnalisation de la chefferie traditionnelle au Burkina Faso : la
clause léonine du contrat social, Ouagadougou, Céprodif, 2014, pp. 26-27.
277 DA Gulmer, Constitutionnalisation de la chefferie traditionnelle au Burkina Faso : la clause léonine du
contrat social, Ouagadougou, Céprodif, 2014, p. 29.

132
correspondante. Mais plus encore, la non reconnaissance de l’autorité de fait des chefs
traditionnels a pour effet d’écarter ces autorités du jeu politique en les reléguant à un rôle
purement symbolique, mais nécessaire. Au Ghana par exemple, la Constitution est formelle et
interdit aux chefs traditionnels souhaitant garder leur pouvoir traditionnel de participer à la vie
politique. L’article 276 de la Constitution ghanéenne dispose que : « un chef ne peut participer
à la politique active d’un parti, et tout chef souhaitant le faire et cherchant à être élu au
Parlement doit abdiquer de son fauteuil ».

Néanmoins, malgré une résistance avérée, on remarque aux débuts des années 1990, avec
l’avènement du multipartisme dans la plupart des pays africains, une résurgence des chefferies
traditionnelles. Cette reconnaissance des institutions traditionnelles se justifiait certainement à
l’époque par la nécessité des gouvernants africains de faire jouer un rôle aux autorités
traditionnelles dans la gouvernance pour faire appel au vote des classes populaires auprès de
qui ces autorités gardent une influence non négligeable. On croyait que les autorités
traditionnelles pouvaient avoir un impact considérable dans la légitimation du pouvoir politique
et plus encore dans la légitimation du nouveau modèle d’État qui se me mettait en place, de la
même manière qu’elles ont servi à l’implantation du pouvoir colonial278.

Au Mozambique, elles ont resurgi lorsque le Front de libération du Mozambique (FRELIMO)


a commencé à perdre le soutien des zones rurales ; au Zimbabwe, certains chefs traditionnels
ont été acceptés au Parlement et des tribunaux traditionnels ont été institués ; en Ouganda la
monarchie buganda a été restaurée et officiellement reconnue ; en Afrique du Sud aussi, la fin
de l’apartheid et l’instauration d’un régime de multipartisme a marqué une période de
consolidation des chefferies traditionnelles. Enfin, au Botswana, il n’y a pas eu une véritable
mise à l’écart des chefferies, mais après l’indépendance les pouvoirs accordés aux chefs
traditionnels étaient de plus en plus réduits par une législation de plus en plus restrictive. Mais
l’adaptabilité du droit et des institutions traditionnelles y a favorisé une certaine résistance de
la chefferie traditionnelle279.

La reconnaissance des autorités traditionnelles en tant que gardiennes des valeurs culturelles
historiques a tout de même était très encadrée par les normes nationales pour éviter la remise

278 MORAPEDI Wazha G., “Customary law and Chieftainship in twenty-first-century Botswana”, in FENRICH
Jeanmarie, GALIZZI Paolo and HIGGINS Tracy E. (dir.), The future of African customary law, Cambridge,
Cambridge University Press, 2011, p. 249.
279 Voir en ce sens : MORAPEDI Wazha G., “Customary law and Chieftainship in twenty-first-century
Botswana”, in FENRICH Jeanmarie, GALIZZI Paolo and HIGGINS Tracy E. (dir.), The future of African
customary law, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, p. 247 et s.; voir aussi : OOMEN Barbara, “Chiefs
in South Africa: law power and culture in the post apartheid era”,11, 104, Palgrave Macmillan, 2005.

133
en cause du pouvoir politique. Après l’indépendance le gouvernement botswanais a adopté le
Chieftainship Act de 1965 qui dictait les conditions d’exercice du pouvoir des chefferies. Cette
loi organisait un système permettant au chef de l’État d’avoir un contrôle serré sur les autorités
traditionnelles, prévoyant notamment une obligation de reconnaissance préalable de la
nomination des chefs des tribus par le président de la République, avant toute prise de pouvoir.
Il y est notamment prévu que « (…) nul ne peut détenir ou assumer la chefferie d'une tribu ou
exercer l'un des pouvoirs d'un chef à moins d'avoir été reconnu comme chef d'une telle tribu en
vertu de la présente loi. Cette personne devra être désignée par une assemblée de la tribu dans
un kgotla selon les coutumes, et son nom sera envoyé au Président (…) Le Président, par
notification dans la Gazette, reconnaîtra la personne ainsi désignée comme chef de cette
tribu280 ».

La loi de 1965 reconnaît donc aux institutions traditionnelles le rôle de légitimateur des autorités
traditionnelles, mais en même temps place les autorités traditionnelles sous le contrôle du
président qui demeure discrétionnaire dans le choix d’accepter ou non le chef qui aura été choisi
par les assemblée communautaires traditionnelles. La loi de 1965 a été amendée par le
Chiefainship Amendment Act de 1970, lequel augmente les pouvoirs du président de la
République en matière de nomination des autorités traditionnelles en lui accordant notamment
le pouvoir de suspendre ou destituer une autorité de ses fonctions, sans avoir à attendre des
plaintes à son encontre de la part de ses sujets. Par la suite, d’autres lois sont intervenues pour
augmenter les pouvoirs du gouvernement sur les autorités locales, comme le Chieftainship
Amendment Act of 1987 qui met les autorités traditionnelles sous l’autorité de l’administration
locale.

La remise en cause des autorités traditionnelles par les nouveaux États a motivé une série de
politiques visant à réduire leur pouvoir, mais surtout leur influence auprès des populations.
Jouissant d’une légitimité ancestrale, ces autorités constituent des adversaires politiques que les
gouvernants redoutent.

280 Cité par MORAPEDI Wazha G., “Customary law and Chieftainship in twenty-first-century Botswana”, in
FENRICH Jeanmarie, GALIZZI Paolo and HIGGINS Tracy E. (dir.), The future of African customary law,
Cambridge, Cambridge University Press, 2011, p. 256 (traduit par nous).

134
§2. Les mouvements nationaux d’abolition du rôle des chefferies traditionnelles

Conscients du rôle des autorités traditionnelles, les puissances coloniales ont instauré les
chefferies administratives, organes soumis au droit colonial mais dont la fonction était de faire
le lien entre l’administration et le pouvoir local (A). Les chefferies administratives sont loin
d’être assimilées aux chefferies traditionnelles, par leur mode d’organisation et de
fonctionnement. En effet, dans les chefferies administratives les autorités qu’y collaboraient
ont obtenu le statut de fonctionnaires de l’administration coloniale. Ce statut a très vite été remis
en cause après les indépendances avec l’abolition des chefferies administratives dans plusieurs
pays (B).

A. La création des chefferies administratives pendant la colonisation

Les chefferies traditionnelles ont été présentées dès l’arrivée des Européens comme un
instrument permettant aux administrations coloniales de répandre leur pouvoir et d’augmenter
leur influence sur les populations locales tout en jouissant de légitimité des autorités
traditionnelles seules compétentes pour faire appliquer les règles avec lesquelles les
communautés étaient plus familiarisées. L’allégeance de ces autorités aux organes coloniaux a
été particulièrement forte dans ce qu’on appelle les sociétés traditionnelles à État, c’est-à-dire
celles dans lesquelles le pouvoir politique est centralisé dans la figure du chef. Cela a été le cas
par exemple dans le Plateau central (Burkina Faso), lorsque les Français ont voulu prendre de
force la ville de Ouagadougou, le roi moogho naaba Wobgo n’a pas montré une grande
résistance, préférant s’enfuir vers le Ghana et laisser son peuple à la merci des colons. Le chef
qui lui a succédé, le naaba Sigri, a lui aussi favorisé l’installation des Français en servant
d’intermédiaire entre les autorités françaises et le peuple. Comme l’attestent les propos de Marc
Aicardi de Saint-Paul relatant le point de vue des autorités coloniales sur le rôle joué par les
autorités traditionnelles dans l’implantation du pouvoir politique colonial de Haute-Volta :
« c’est un privilège considérable de cette colonie que celui de pouvoir disposer de chefs
indigènes permettant une liaison solide avec les éléments de la population … Le Morho naaba
se trouve investi actuellement d’un rôle représentatif d’importance capitale qui nous apporte
sans réserve l’autorité considérable qu’il tire de son titre, de la tradition, de la possession des
fétiches sacrés, de sa valeur et de son prestige personnel … il nous apporte le poids de son

135
autorité. Il fait des propositions en ce qui concerne la nomination des chefs de provinces et de
cantons, il encourage ses sujets à travailler et à produire281 ».

Dans les sociétés dites acéphales – celles dans lesquelles on ne retrouve pas un pouvoir central,
mais où le pouvoir politique est régi par des principes tels que le principe lignager ou celui des
classes d’âge –, la résistance aux puissances coloniales a été plus présente. C’est ce que relève
M. Aicardi de Saint-Paul dans ses propos sur l’occupation dans les territoires de Haute Volta :
« Ce n’est pas en pays mossi (…) que la pacification fut la plus difficile… Lorsque les naaba
[chefs] décidèrent d’arrêter la lutte, ils furent la plupart du temps entendus par leurs troupes.
Par contre, la soumission d’ethnies inorganisées politiquement fut beaucoup plus ardue à
obtenir. Parmi les peuples qui retardèrent le plus longtemps la pacification, figurent les Samo,
les Bobo et les Lobi qui tous habitaient dans l’Ouest du pays282 ».

La soumission des chefferies traditionnelles aux autorités étatiques coloniales a contribué à une
politisation des chefferies ce que, comme le souligne E. Le Roy, a à la fois garanti leur survie
mais a aussi augmenté leur dépendance à l’égard des pouvoirs modernes283. Cette soumission
a été officialisée par l’institution des chefferies administratives, nom utilisé pour désigner la
nouvelle organisation institutionnelle et normative des chefferies mise en place par
l’administration coloniale en vue de contrôler l’activité des institutions traditionnelles. Les
chefs traditionnels étaient dès lors contrôlés de près par les organes de l’administration
coloniale qui avait sur eux un pouvoir de nomination et de révocation de leurs fonctions 284. Au
nom du maintien des coutumes locales, le colonisateur a institué la chefferie administrative qui
n’était plus un organisme régulé par les normes traditionnelles, mais plutôt une institution
purement administrative, soumise à l’autorité de l’État colonial. Dans les colonies britanniques
où il y avait un souhait de déléguer un large éventail de pouvoirs administratifs et judiciaires
aux chefs indigènes, Lord Lugard, gouverneur du Nigeria a introduit cette pratique afin de
mieux distribuer les nouvelles fonctions administratives aux chefs traditionnels et garantir un
meilleur contrôle de leurs activités. Dans certaines colonies françaises, l’institution des
chefferies traditionnelles était particulièrement réglementée, comme au Sénégal et en Guinée,

281 AICARDI DE SAINT-PAUL Marc, De la Haute-Volta au Burkina Faso, traditions et modernité au ‘pays des
hommes intègres’, Paris, Éditions Albatros, 1993, pp. 47-48.
282 AICARDI DE SAINT-PAUL Marc, De la Haute-Volta au Burkina Faso, traditions et modernité au ‘pays des
hommes intègres’, Paris, Éditions Albatros, 1993, pp. 44-45.
283 E. LE ROY, Les africains et l’institution de la justice…, op. cit., pp. 107-108.
284 MORAPEDI Wazha G., “Customary law and Chieftainship in twenty-first-century Botswana”, in FENRICH
Jeanmarie, GALIZZI Paolo and HIGGINS Tracy E. (dir.), The future of African customary law, Cambridge,
Cambridge University Press, 2011, p. 247.

136
mais l’institution ne disposait pas d’un statut commun dans l’ensemble des territoires. Par la
chefferie administrative, les organes traditionnels sont devenus des véritables subalternes de
l’administration coloniale, exerçant le plus souvent le rôle de conseillers et d’assistants des
administrateurs locaux.

Néanmoins, plusieurs chefs traditionnels se sont retrouvés pris au piège par l’institution des
chefferies administratives que leur promettait une valorisation de leurs fonctions, mais qui a en
réalité instrumentalisé leur pouvoir au profit de l’œuvre coloniale. C’est ainsi que certains chefs
se voyaient révoqués de leurs fonctions en fonction de leur loyauté et de leur efficacité dans
l’exécution des décisions administratives, et ce en dépit de leur fonction sacrée. Ils étaient
parfois remplacés par des pseudo-chefs asservis au pouvoir central n’ayant aucune
connaissance des coutumes et traditions et qui prenaient des décisions arbitraires entachant ainsi
la réputation de la chefferie traditionnelle. Cela s’est particulièrement constaté avec
l’avènement, après la Seconde Guerre mondiale, de jeunes diplômés et cadres administratifs,
dits « évolués », qui aspiraient à trouver une place dans une société de plus en plus marquée par
des valeurs individualistes.

Certains chefs promus par l’administration coloniale se servaient de leur position et de la


légitimité qu’ils réclamaient avoir auprès des communautés pour imposer des agissements
despotiques, allant parfois jusqu’à commettre des actes criminels en toute impunité. Perçues
par les autorités étatiques et par les populations locales comme étant les représentantes légitimes
de la coutume et des traditions, les chefferies traditionnelles ont été un instrument idéal pour
l’expropriation des terres, dans le mépris total d’une règle fondamentale en droit traditionnel de
la non appropriation privée des terres. Ils se permettaient par exemple de chasser les
propriétaires des terres et de s’octroyer le droit de vendre ces terres à des exploitants étrangers.
Dès lors qu’ils étaient en mesure de maintenir l’ordre public, les chefs traditionnels ne
risquaient pas de perdre leur poste et d’être condamnés pour leurs actes.

Il y a des divergences sur la question de l’origine des chefferies. Pour certains auteurs, celles-
ci sont des structures qui préexistaient à l’époque coloniale ; mais pour d’autres, leur naissance
est consécutive à la colonisation. Henri Jacques Legier est l’un des défenseurs de l’existence
des chefferies depuis la période précoloniale car selon lui, « la chefferie traditionnelle préexiste

137
à l’État, subsiste dans l’État, survit à l’État285 ». Pour d’autres auteurs, la chefferie est une pure
création de l’administration coloniale car on trouvait à la place du chef de village le doyen du
village. Cette institution aurait évolué avec l’accroissement des exigences de l’administration
coloniale, notamment les déplacements liés à cette fonction rendaient la tâche des patriarches
de plus en plus difficiles à accomplir. La fonction de chef de village, qui se devait d’être
distincte de celle de doyen, a alors été instituée afin d’alléger leur tâche. Le chef de village
devrait être une personne plus jeune et plus vigoureuse286. Il était ainsi le représentant du village
auprès de l’administration, mais son mode de désignation aurait été emprunté au mode
traditionnel de nomination en recourant au système de classes d’âge. Cette théorie est très
critiquée par la majorité de la doctrine qui, tout en reconnaissant l’intervention de
l’administration coloniale dans l’organisation politique des villages, nie que la chefferie en
serait un produit. Denise Paulme, reconnaît dans ses écrits que l’âge avancé du chef de village
ne lui permettant pas d’effectuer les déplacements qu’implique ses fonctions au chef-lieu de la
circonscription administrative, ce dernier se voyait contraint de se faire aider par un chef
adjoint, nommé par l’administration après consultation des villageois. Ce dernier était tenu de
transmettre les ordres de l’administration centrale et de s’assurer de leur exécution au niveau
du village287.

Il est fort probable que l’institution de la chefferie existait avant la période coloniale puisqu’on
a vu que les autorités disposaient de systèmes structurés d’organisation politique. Cette
institution a toutefois pris une tournure très différente pendant la colonisation avec la
restructuration de sa composition, de ses règles de fonctionnement et de ses fonctions. La
Chefferie traditionnelle ne peut donc pas être confondue avec la chefferie administrative de
l’époque coloniale. Cette dernière avait pour seul but d’asseoir le pouvoir colonial en contrôlant
de près ses institutions et de garantir l’asservissement des autorités traditionnelles.

Ensuite, les indépendances les autorités étatiques se sont aussi servi du système des chefferies
en place pour faciliter leur emprise sur les populations. Les nouvelles autorités indépendantes
donnaient ainsi suite à des pratiques coloniales qu’elles ont pour beaucoup critiqué et rejeté. On
voit ainsi dans certains pays que les autorités gouvernementales interviennent directement pour
la désignation des chefs de canton et même chefs de village, en modifiant les compétences des

285 LEGIER Henri Jacques, Traditions africaines et droits de l’homme, UNESCO, p. 2.


286 NIANGORAN-BOUAH Georges, « Les Ebrié et leur organisation politique traditionnelle », Annales de
l’Université d’Abidjan, série F, Ethnosociologie I (1), 1969, p. 83.
287 PAULME Denise, « Les classes d’âge dans le sud-est de la Côte d’Ivoire », in PAULME D., ed., Classes et
associations d’âge en Afrique de l’Ouest. Paris, Plon (« Recherches en Sciences humaines, 35), 1971, p. 219-220.

138
chefferies ainsi que leur ressort territorial, comme au Botswana. Pour les chefs d’État africains,
il était certes important de garder une certaine distance vis-à-vis des autorités dites
traditionnelles au regard des critiques qui tombaient sur elles, mais il était aussi important de
garder une proximité avec ces dernières puisque leur soutien et loyauté leur permettait d’asseoir
leur pouvoir auprès de la population, en invoquant les coutumes ancestrales. Le rapprochement
vers les autorités traditionnelles permettait notamment de faciliter le processus d’unification
nationale car au travers d’elles il était possible de mettre en contact des populations de
différentes origines ethniques et territoriales. Mais la concurrence des chefs traditionnels dans
la course pour le pouvoir politique a justifié pour les États africains un encadrement plus poussé
de chefferies traditionnelles, voir même leur abolition dans la période des post-indépendances.

B. Le démantèlement des chefferies après les indépendances

Les chefs traditionnels étant perçus comme des instruments dans les mains des colonisateurs
pour aider à l’implémentation des gouvernements oppressifs coloniaux, plusieurs pays africains
suite aux indépendances ont choisi d’abolir les chefferies traditionnelles afin de marquer une
rupture avec le passé. Plusieurs chefs traditionnels ont en effet joué les intermédiaires entre les
gouvernements coloniaux et le peuple, permettant ainsi au colonisateur d’imposer son pouvoir.
Ce fait a grandement contribué à la croissance d’un sentiment d’aversion au pouvoir traditionnel
au sein des mouvements révolutionnaires, puisqu’au lieu de combattre le colon et de défendre
leur peuple, plusieurs autorités traditionnelles ont fait le choix de collaborer avec l’ennemi.

Si dans certains pays les autorités traditionnelles ont été instrumentalisées afin de faciliter les
processus d’unification nationale, dans d’autres pays leur présence et influence était un frein à
la recherche de l’unité nationale. Entre les années 1950 et la fin des années 80 les gouvernants
africains voulant créer des États basés sur le modèle des États-Nations, le pouvoir traditionnel
ne pourrait pas y participer car il favoriserait la division de la société en groupes réunis en
fonction de leur appartenance ethnique, favorisant ainsi un morcellement du pouvoir, alors que
les nouveaux dirigeants voulaient un pouvoir politique centralisé et unifié. En Ouganda, par
exemple le gouvernement de Milton Obote a banni la monarchie buganda après l’indépendance,

139
et l’a forcée à s’exiler ; de même au Mozambique, le FRELIMO a banni l’institution des chefs
traditionnels après l’indépendance en 1975. Le même cas s’est produit au Zimbabwe.

Au début des années 1970, le sort des chefferies traditionnelles fut toutefois différent selon les
pays. Dans certains la chefferie a été abolie et remplacée par une organisation plus moderne,
comme en Guinée, au Burundi, au Dahomey (actuel Bénin) et au Zaïre (actuelle RDC). Dans
d’autres cas, la chefferie de canton a été supprimée en faveur d’une réforme des chefferies de
village, comme au Sénégal, en Haute-Volta (actuel Burkina Faso), au Cameroun, au Congo et
au Mali. Dans des pays comme le Tchad et le Madagascar il y a eu des tentatives de
réorganisation des chefferies traditionnelles qui n’ont pas vraiment abouti et qui ont donné lieu
à des tensions internes. Au Gabon, en Côte d’Ivoire, au Niger, en Mauritanie et au Togo, les
chefferies ont été maintenues.

Dans plusieurs pays des mesures ont été prises pour supprimer des prérogatives légales et
traditionnelles des chefferies affaiblissant considérablement leur institution. Au Burkina Faso
un décret du 8 juin 1962 a acté la suppression de la rémunération des chefs traditionnels et
l’interdiction de les remplacer en cas de décès ou de révocation. En 1964, un autre décret288 a
institué l’élection des chefs de village au suffrage universel direct par les habitants inscrits sur
la liste électorale, permettant à tous les électeurs d’être éligibles et admis à faire valoir leur
candidature. Alors même que par principe les chefs traditionnels sont nommés par un conseil
de sages, selon des règles de passation du pouvoir bien précises et suivant un rituel spécifique.
Le Burkina Faso nous donne un bon exemple d’un État très hostile aux institutions
traditionnelles. Alors même que celles-ci ont joué un rôle fondamental dans la lutte pour
l’indépendance, notamment lorsqu’en 1958 le Moogho naaba Kougri tenta un coup d’État
contre l’Assemblée territoriale. Or, une fois l’indépendance conquise le 5 août 1960, Maurice
Yaméogo, ancien président de l’Assemblée territoriale, devient président de la République et,
de peur d’une nouvelle révolte des autorités traditionnelles, entreprit une politique visant à
anéantir la chefferie traditionnelle.

La présidence de Yaméogo a finalement pris fin suite à un soulèvement populaire du 3 janvier


1966, et son successeur, Sangoulé Lamizana, a trouvé normal de renouer les liens avec la
chefferie en restaurant leurs privilèges. Le combat contre la chefferie traditionnelle par le
pouvoir étatique a néanmoins repris sous le « régime révolutionnaire », sous la direction du

288 Décret 326/PRES/IS/DI du 28/07/1964 Journal officiel de la République de Haute Volta du 30/07/1964, p.
358et s.

140
capitaine Thomas Sankara, à la tête du Conseil national de la Révolution qui a pris le pouvoir
le 4 août 1983. Pendant cette période tous les textes relatifs aux attributions politiques des chefs
traditionnels, à leur rémunération et leur mode de désignation ont été abrogés289. Ces liens n’ont
été renoués qu’après l’accession au pouvoir du capitaine Blaise Compaoré, qui a entrepris ce
que l’on a appelé une politique d’ouverture et de réconciliation avec tous ceux qui se sont
trouvés marginalisés pendant la période révolutionnaire290. Après cette période, au Burkina
Faso les autorités traditionnelles sont entrées de plein pied dans le jeu politique et souvent leur
participation est propulsée par les leaders des partis politiques qui souhaitent tirer profit de leur
influence au sein des communautés locales.

Au Burkina Faso, lors de la réforme de la Constitution en 2012, le Conseil consultatif sur les
réformes politiques (CCRP) a proposé la constitutionnalisation de la chefferie coutumière et
l’élaboration de son statut. Suite à la réforme, la Constitution burkinabé reconnaît dans son
préambule que « la chefferie coutumière et traditionnelle en tant qu’autorité morale dépositaire
des coutumes et des traditions dans notre société 291 ». La référence à cette institution dans la
Constitution est une manière non seulement pour le pays de montrer son attachement aux
coutumes et traditions de la société, mais aussi mettre en exergue l’importance de l’institution
dans la société burkinabé.

Les chefferies traditionnelles représentent dans l’imaginaire populaire des institutions de


sauvegarde de valeurs ancestrales. Néanmoins, malgré une large reconnaissance de leur
importance pour le maintien de la culture et des identités locales, celles-ci sont très
marginalisées d’une manière générale. Le groupe de travail chargé d’étudier les problématiques
liés aux peuples autochtones l’a reconnu dans son rapport. Celui-ci fait état de situations de
discrimination et d’aliénation totale du pouvoir des autorités traditionnelles dans plusieurs pays
du continent. Le groupe de travail relève en particulier la très faible participation des chefs
traditionnels dans les processus de décision au niveau national et local292. Très peu représentés
dans les Assemblées nationales et dans les différentes structures du pouvoir politique, dans le

289 Voir décret no 83-299/CNR/PRES.IS du 30/12/1983 JORHV du 12/01/1984, p. 10. Voir aussi, l’arrêt de la
Cour suprême du 11/07/1995 Udesc/ Comoé c. Haut-Commissaire de la province de la Comoé.
290 DA Gulmer, Constitutionnalisation de la chefferie traditionnelle au Burkina Faso : la clause léonine du
contrat social, Ouagadougou, Céprodif, 2014, p. 23.
291 Constitution révisée par la loi n° 33-2012/NA du 11 juin 2012.
292 Rapport du groupe de travail d’experts de la commission africaine des droits de l’homme et des peuples sur
les populations/communautés autochtones, présenté en vertu de la Résolution sur les droits des
populations/communautés autochtones en Afrique adoptée par La Commission Africaine des Droits de l’Homme
et des Peuples lors de sa 28ème session ordinaire, 2005, p. 53 et s.

141
mépris de la Charte ADHP, dont l’article 13-1 prévoit le droit de tout citoyen de participer à la
direction des affaires publiques de son pays.

Au Botswana par exemple, les dirigeants des communautés San ne figurent pas parmi les 8
ethnies représentées à la Chambre des Chefs (House of Chiefs), organe consultatif du
gouvernement. De même, en Namibie, les autorités des communautés San sont très méprisées,
leur reconnaissance officielle par le Gouvernement n’ayant intervenue qu’après une plainte
judiciaire. On trouve des exemples similaires dans d’autres pays, visant surtout certains groupes
ethniques particulièrement discriminés. C’est le cas des Hadzabe en Tanzanie, des Ogiek au
Keya ou encore des Pygmées dans la région des Grands Lacs. Dans tous ces cas, les chefs
traditionnels sont très faiblement ou pas du tout représentés dans les organes de prise de
décision293.

Il est intéressant d’observer que les politiques internes en vue de réduire le pouvoir des chefs
traditionnels s’appliquent en même temps que la plupart des États reconnaît l’existence d’un
ordre juridique coutumier, disposant d’organes propres pour garantir leur application.

SECTION II. La proclamation constitutionnelle du droit coutumier

A l’heure actuelle, la plupart des pays africains a opté pour un système juridique en deux temps
avec deux ordres juridiques (droit coutumier et droit étatique) et deux ordres juridictionnels
(tribunaux coutumiers et tribunaux étatiques). Toutefois, à la fin des indépendances la tendance
des certains États était beaucoup plus proche des politiques visant à assurer l’autorité du nouvel
État, unitaire et souverain.

Les nouveaux dirigeants n’ont pas mesuré enjeux d’une telle démarche dans un contexte
politique tendu, à la sortie de régimes de répression et d’oppression qui ont enseveli l’Afrique.
L’organisation d’une justice inspirée par la justice traditionnelle apporterait aux nouveaux pays
un compromis important et nécessaire entre les acteurs politiques et les populations. Elle
garantit la prise en compte des revendications populaires d’officialisation de pratiques
clandestines, marginalisées par le système colonial. Le modèle traditionnel apporterait aussi un

293 Idem, p. 53.

142
cadre de légitimation et de contrôle du pouvoir politique auxquels les peuples africains
pourraient facilement s’identifier.

Les États ont opté pour l’adoption d’une justice fondée sur le modèle des anciennes puissances
coloniales, dans une démarche purement mimétique. Mais ont accepté dans leur majorité de
reconnaître les mérites des droits coutumiers et des valeurs traditionnelles, établissant dans
plusieurs cas un véritable dualisme juridique. Ce dualisme juridique se caractérise par la
présence dans le même ordonnancement juridique des règles de l’État moderne et de règles du
droit coutumier, reconnu en tant que partie intégrante du système juridique. Ce dualisme reste
inégalitaire en raison d’une soumission de principe du droit coutumier au respect des principes
de la démocratie moderne (§1). Les jurisprudences internes jouent tout de même un rôle non
négligeable de délimitation des contours du dualisme juridique, permettant notamment
l’évolution des droits coutumiers. L’évolution du droit est certes un trait propre aux juridicités,
mais au regard de la soumission des droits traditionnels au droit étatique, cette évolution tend
plus à éloigner les droits coutumiers des véritables principes des droits traditionnels qu’à
remettre à leur place les valeurs juridiques historiques (§2).

§1. L’établissement d’un dualisme juridique inégalitaire

L’instauration du dualisme juridique a suivi a long chemin. Dans plusieurs pays, en particulier
dans les pays anglophones, cette reconnaissance avait déjà été institutionnalisée depuis les
colonisations. Mais pour d’autres, elle a pris une tournure différente après les indépendances
(A). Dans tous les cas, l’institutionnalisation des droits coutumiers reste, à notre avis,
insatisfaisante car elle n’accorde pas une reconnaissance totale de la valeur juridique des
juridicités traditionnelles. En effet, le fait de soumettre l’application des droits coutumiers au
respect des valeurs de l’État moderne, en particulier à l’ordre public, ne permet pas une véritable
reconnaissance de l’autonomie du droit coutumier (B).

143
A. Institutionnalisation du dualisme juridique

Depuis les indépendances les États ont connu une perte des repères culturels liée à un passé
d’oppression, qui leur a empêché de concevoir un modèle juridique fondé sur et tourné vers
l’homme africain. Les nouveaux États ont très tôt compris que la maîtrise des territoires et des
peuples passait par la maîtrise de l’appareil juridique. La justice étant le moyen de coercition
de l’État par excellence, celui-ci doit être en mesure de maîtriser et de monopoliser non
seulement la production des normes mais aussi leur application. Or, il n’était pas envisageable
pour les nouveaux dirigeants d’établir un véritable contrôle des structures de l’État en se fondant
sur les principes de la justice traditionnelle, jugée pour plusieurs comme un retour en arrière
dans le développement sociétal, mais aussi comme un facteur de division nationale.

Le modèle de juridicité européenne a alors été privilégié, laissant de côté toute la richesse
culturelle, axiologique et juridique du continent. Les valeurs, pourtant encrées dans l’esprit des
communautés ont été bafouées, reléguées à une place secondaire de simples coutumes sans
qu’on ne leur accorde aucune légitimité juridique. Si bien que dans les anciennes colonies
françaises, pour renforcer les liens entre les anciennes colonies et l’État colonial, le président
Charles de Gaulle a mis en place le ministère de la Coopération, chargé entre autres de la
promotion du développement d’États modernes en Afrique. Créé en France aux débuts de la Ve
République, connu aussi comme le « guichet de l’Afrique à Paris 294» (dont les fonctions ont
été octroyées en 1998 au ministère des Affaires étrangères), ce ministère avait pour but de
faciliter la mise en place de la politique française, en apportant une importante aide au
développement.

L’instauration d’un système de justice dualiste a dans la plupart des cas suivi le modèle qui
avait déjà été instauré pendant la période coloniale. À quelques différences près, les règles
régissant la coexistence entre les droits coutumiers et les droits modernes ont été
progressivement fixés soit dans les nouvelles constitutions, soit dans des textes législatifs (1).
Le dualisme normatif a culminé à l’introduction d’un dualisme judiciaire, particulièrement
influent dans les pays anglophones (2).

294 MEIMON Julien, « Que reste-t-il de la Coopération française ? », Politique africaine, 2007/1 (N° 105), p. 27.

144
1. Le chemin pour la reconnaissance légale du dualisme juridique

Plusieurs indépendantistes ont contesté l’oubli de l’Afrique dans la construction de son droit,
insistant sur la nécessité de prendre en compte les droits traditionnels au niveau des législations
nationales, en particulier face au constat de la résistance d’un système informel de justice
pratiqué par une grande partie de la population295. Et pour cause, l’instauration après les
indépendances d’une justice fondée sur des principes européens brisait des liens sociaux
fondamentaux dans les cultures africaines dans lesquelles la justice est traditionnellement une
affaire de la communauté, par l’intermédiaire des chefs et anciens. Or, dès lors qu’elle devient
institutionnalisée par les pouvoirs publics et que le droit applicable devient un droit des
techniciens, la communauté locale n’a plus une grande part à jouer dans la résolution des
conflits et sa responsabilité est amoindrie face aux problèmes sociétaux qu’elle assumait comme
étant les siens. Désormais, il faut faire appel à un technicien du droit pour faire appliquer un
droit codifié et inaccessible aux citoyens. La communauté en tant qu’entité se trouve dessaisie
de ses responsabilités et de ses fonctions au profit d’un acteur inconnu et bien plus éloigné qui
est l’État. Pour Joseph John-Nambo cette déresponsabilisation de la communauté en tant que
base de la justice a comme effet inévitable d’entraver l’efficacité de l’action de la justice parce
qu’elle perd son repère de base qui est la cohésion du groupe au travers du respect de règles
ancestrales et peine à se rallier au repère qui le substitue – la loi296.

Il est indéniable que la prise en compte des droits traditionnels ne peut être tâche aisée dans un
contexte où le droit fondé sur la puissance de l’État s’est imposé comme un incontournable pour
des pays qui se veulent modernes et démocratiques. Mais malgré une forte réticence à
l’intégration des institutions traditionnelles dans les systèmes juridiques, plusieurs États ont
opté pour l’instauration d’un système juridique en deux temps avec deux ordres juridiques dans
lequel le droit étatique et le droit coutumier sont tous deux considérés comme étant des sources
de droit au niveau national. Cette reconnaissance officielle viendrait ainsi en réponse à diverses
revendications internes, et surtout au besoin de reconnaissance de la réalité de la vie juridique
des sociétés africaines, encore très attachées à une culture ancestrale fondée sur la sacralité des
institutions séculières et sur la révérence à l’égard des mythes et des puissances ancestrales.

295 JOHN-NAMBO Joseph, « Quelques héritages de la justice coloniale en Afrique noire », Revue internationale
de théorie du droit et de sociologie juridique, 51/52, 2002, p. 330.
296 JOHN-NAMBO Joseph, « Quelques héritages de la justice coloniale en Afrique noire », Revue internationale
de théorie du droit et de sociologie juridique, 51/52, 2002, p. 330.

145
Les pressions internes ont produit des effets avec la reconnaissance des juridicités locales dans
la plupart pays africains ayant opté par l’officialisation des droits coutumiers à côté des droits
étatiques. Ont ainsi été établis des systèmes normatifs et judiciaires dualistes, marqués par la
reconnaissance constitutionnelle du droit formel et du droit coutumier et le maintien ou la
création de tribunaux appelés coutumiers, appellation héritée de la colonisation297. Au Ghana,
le droit coutumier est reconnu et appliqué par les tribunaux depuis l’ordonnance de 1876 de la
Cour Suprême accordant une compétence aux tribunaux pour l’appliquer en matière civile298.
Mais ce n’est qu’en 1992 que le droit coutumier a été reconnu par la Constitution comme étant
l’une des sources primaires du droit.

En Sierra Leone, ce dualisme date de la création du protectorat britannique en 1896, avec la


reconnaissance des tribunaux des chefs traditionnels pour administrer la justice coutumière.
Après l’indépendance, la justice coutumière dans ce pays a été régie par le Local Courts Act de
1963, lequel donne compétence aux tribunaux locaux pour connaître des affaires dans lesquelles
sont en jeu des crimes passibles d’une peine inférieure à six mois d’emprisonnement et des
affaires civiles dans lesquelles sont en cause des petites sommes d’argent299.

Au Libéria, les anciens esclaves venus des États-Unis ont réussi à imposer leur pouvoir sur les
natifs libériens, établissant deux systèmes juridiques dont l’un était calqué sur le droit occidental
et s’appliquait aux « Américano-libériens » et l’autre composé du droit coutumier qui
s’appliquait aux peuples indigènes300. L’accès à la justice de type occidentale était nié aux natifs
et dans l’autre sens, les chefs traditionnels ne pouvaient se prononcer sur des affaires mettant
en jeu des parties « civilisées » (c’est-à-dire les Américano-libériens et les Européens). A
l’heure actuelle, on trouve toujours ce dualisme juridique au Libéria, avec d’un côté, des
juridictions étatiques compétentes pour les affaires civiles et pénales et de l’autre, les
juridictions coutumières dirigées par des chefs de village et chefs de clans, dont la compétence

297 Selon les régions ces tribunaux sont connus sous le nom de tribunaux coutumiers, tribunaux africains,
tribunaux autochtones, tribunaux de droit autochtone, tribunaux primaires, tribunaux locaux ou tribunaux
populaires.
298 La Section 19 de l’Ordonnance dispose que : “Nothing in this Ordinance shall deprive the Supreme Court of
the right to observe and enforce the observance, or shall deprive any person of the benefit of any law or custom
existing in the said colony and territories subject to its jurisdiction, such law or custom not being repugnant to
natural justice, equity and good conscience, nor incompatible either directly or by necessary implication with any
enactment of the Colonial legislature”. Cité par AKAMBA Joseph B. and TUFUOR Isidore Kwadwo, “The future
of customary law in Ghana”, in FENRICH Jeanmarie, GALIZZI Paolo and HIGGINS Tracy E. (dir.), The future
of African customary law, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, p. 204.
299 Ce texte a été abrogé par le Local Courts Act de 2011 (No. 10 of 2011).
300 Pour plus d’informations sur le dualisme juridique au Libéria voir : JALLA A. BARBU, United States Institute
for Peace, an analysis of the formal legal framework governing customary law in the Republic of Liberia, 2009,
p. 33.

146
est élargie en plus des affaires liées au droit coutumier, aux situations civiles, à l’exclusion des
questions liées au droit pénal301.

2. La mise en place d’un système judiciaire dualiste

L’établissement d’un système juridique dualiste a eu pour conséquence la mise en place d’un
système judiciaire dualiste composé d’un côté de tribunaux étatiques où siègent des magistrats
et du personnel de la justice formé au droit européen et de l’autre côté, les tribunaux appelés
coutumiers où siègent des chefs traditionnels ou des conseils de sages, chargés d’appliquer les
coutumes et traditions locales. Les tribunaux coutumiers ont la particularité d’être créés par la
loi, ce qui explique que la doctrine anglophone les appelle des tribunaux coutumiers statutaires.
Leur mode de fonctionnement et de nomination des juges sont également contrôlés par la loi.
Leur compétence est limitée aux seuls citoyens issus des régions de leur ressort.

Par la création des tribunaux coutumiers, les États ont officialisé des systèmes de justice
traditionnels qui étaient pour beaucoup encore pratiqués dans certaines régions de manière non
officielle au sein des communautés. Ce phénomène a aussi permis aux autorités étatiques de
contrôler les autorités traditionnelles de près, ce qui nous rappelle dans une certaine mesure le
processus de judiciarisation de la justice traditionnelle instauré dans les colonies françaises,
dans le cadre du régime de l’indigénat, par le décret du 10 novembre 1903, lequel instituait trois
types de juridiction : tribunaux de village, de province et de cercle. L’objectif du décret de 1903
et des textes qui ont suivi était de déposséder les chefs traditionnels de leur fonction centrale
dans la résolution des conflits. Les chefs coutumiers se sont vus ainsi attribuer un rôle de
simples conciliateurs et d’assistants des juges étatiques.

Dans les pays anglophones, la règle de l’indirect rule a instauré une pratique judiciaire des
tribunaux coutumiers plus autonome et plus détachée de la justice étatique sur plusieurs points.
Néanmoins, l’influence du droit étatique reste très présente, notamment avec l’intégration de
certaines pratiques des tribunaux étatiques dans la justice coutumière. C’est le cas du recours
au système d’emprisonnement comme forme pour punir les infractions graves ; ou encore la
création d’une hiérarchie juridictionnelle avec la mise en place de voies de recours qui

301 Voir Article 38 of the Revised Rules and Regulations Governing the Hinterland of Liberia (2000).

147
permettent de faire le lien entre la justice coutumière et une justice plus technique fournie par
des juridictions composées de juges formés aux procédures de la Common Law.

La juxtaposition de la justice coutumière et étatique est l’objet de plusieurs critiques dans les
pays de Common Law comme en Afrique du Sud, où les règles relatives à la composition des
tribunaux coutumiers vont à l’encontre à certains égards des principes constitutionnels de
l’organisation judiciaire. Tout d’abord, l’introduction dans la justice coutumière de pratiques
de la Common Law a été particulièrement critiquée car les tribunaux coutumiers ont compétence
pour certaines affaires civiles et pénales, matières pour lesquelles les autorités traditionnelles
n’ont pas nécessairement une grande expertise et pour lesquelles ils n’ont pas été formés. Pour
certains, cette situation est contraire à la Constitution qui prévoit que les postes d’officier
judiciaire doivent être réservés aux personnes qualifiées302.

D’autre part, la justice coutumière fait l’objet de critiques en raison de la sous-représentation


des femmes à la fois dans la composition et dans l’accès aux tribunaux coutumiers. Dans les
sociétés patriarcales sud-africaines, par principe les femmes ne peuvent porter une affaire
devant le juge coutumier sans être représentées par un membre de leur famille de sexe
masculin ; ne peuvent prétendre au poste de juge et ne peuvent pas non plus succéder au pouvoir
politique et par conséquent ne peuvent prétendre à présidence des tribunaux coutumiers,
remettant en cause les principes de non-discrimination et d’égalité établis dans la Constitution.
Certains cas permettent néanmoins de voir une évolution vers l’octroi de plus de prérogatives
aux femmes, notamment suite à l’affaire Shilubana and Others v. Nwamitwa, dans laquelle la
Cour constitutionnelle a considéré que les règles traditionnelles en matière de succession
évoluaient, permettant aux femmes d’accéder à des positions de leadership à la suite de leurs
ascendants303.

Enfin, il également reproché aux tribunaux coutumiers de ne pas respecter le principe de


séparation des pouvoirs en raison de la configuration du système juridique coutumier. Très
souvent, ceux qui président les tribunaux coutumiers occupent en même temps des positions
d’autorité politique et/ou sociale au sein de la communauté. Ils exécutent de manière
concomitante des fonctions dans l’administration locale (exécutif) et dans l’administration de

302 Section 174(1) de la Constitution de 1996 de l’Afrique du Sud dispose le suivant : « toute femme ou homme
ayant les qualifications appropriées, qui est une personne apte et convenable, peut être nommé officiel de justice
». Voir South African Law Commission, “The harmonization of the Common Law and Indigenous law Traditional
courts and the judicial function of traditional leaders 2”, Discussion paper 82 (May 1999), pp. 4-5.
303 Shilubana and Others v. Nwamitwa (CCT 03/07, 2008 (9) BCLR 914 (CC).

148
la justice (judiciaire). Dans le cadre d’une véritable justice traditionnelle, cette confusion des
pouvoirs était fortement encadrée par une organisation politique qui permettait la mise en cause
de la responsabilité des leaders traditionnels par ses pairs et surtout par un système de contrainte
imposé par les principes des ancêtres. Or, dans le cadre de la justice coutumière, telle que
transformée par les autorités coloniales et par la suite par les États indépendants, le cumul des
fonctions viole les principes d’indépendance et d’impartialité nécessaires au bon
fonctionnement de la justice. En réponse à cet argument certains auteurs ont mis l’accent sur le
caractère purement occidental du principe de séparation des pouvoirs qui ne peut être transposé
en tant que tel au système traditionnel304. Mais dans ce cas il faudrait que le législateur soit plus
précis en établissant des frontières claires entre les deux modes de justice.

Malgré les critiques légitimes sur leur mode de fonctionnement, les tribunaux coutumiers
présentent plusieurs avantages par rapport aux tribunaux étatiques dans la gestion des conflits
des peuples indigènes. Tout d’abord, ils sont plus accessibles, que ce soit du point de vue
géographique, comme du point de vue social et procédural. Social, parce qu’ils comportent dans
leur composition des personnes membres de la communauté locale, plus proches des citoyens
locaux. Procédural, car le traitement d’une affaire coutumière exige beaucoup moins de
démarches procédurales : pas besoin d’avocat, moins de formalités en matière de preuve et de
présentation des témoins, les coûts sont réduits et il y a plus de flexibilité procédurale. Les
tribunaux coutumiers sont aussi plus accessibles étant donné que le droit coutumier dérive des
règles et pratiques locales d’une communauté donnée, les personnes sont donc plus
familiarisées avec ce droit qui leur sera appliqué. De plus, cette justice est rendue dans la plupart
des cas dans les langues locales des parties, rendant ainsi cette justice plus accessible et évitant
notamment les erreurs de traduction.

Néanmoins, avec les développements actuels et l’influence des mécanismes modernes de


justice, on vérifie dans ce pays que la justice coutumière tend à devenir de plus en plus chère.
Les frais pécuniaires exigés aux demandeurs sont particulièrement élevés compte tenu de la
condition sociale plutôt défavorisée de la majorité des personnes qu’y ont recours. En plus de
cet aspect, plusieurs citoyens se plaignent de l’existence d’injustices dans la procédure suivie
devant ces tribunaux coutumiers et du manque d’impartialité de certains chefs traditionnels. Or,

304 Voir : South African Law Commission, The harmonization of the Common Law and Indigenous law
Traditional courts and the judicial function of traditional leaders 2, Discussion paper 82 (May 1999), pp. 25-26.

149
même si les citoyens ont la possibilité d’interjeter appel devant les Cours d’appel, ceux-ci
restent assez inaccessibles car onéreux pour une population qui manque de ressources.

C’est le cas par exemple en Sierra Leone et au Libéria où en plus des coûts élevés, la population
critique souvent le manque de compétence des fonctionnaires des tribunaux coutumiers305. Le
coût élevé reflète l’importance accordée à la justice coutumière par les autorités étatiques. En
effet, même si les autorités traditionnelles chargées de rendre la justice dans ces tribunaux sont
considérées comme étant des agents de l’État, ils sont souvent très mal payés, voir pas payés
du tout. Les amendes et les frais de justice deviennent alors leurs principales sources de revenus.

D’autre part, la justice rendue par les tribunaux coutumiers laisse beaucoup à désirer en termes
d’efficacité en raison du manque de formation du personnel qu’y travaille, à commencer par les
chefs traditionnels, qui ne connaissent pas toujours les règles coutumières et ni d’ailleurs les
règles civiles applicables aux affaires, laissant souvent passer des coutumes locales, même
lorsqu’elles sont contraires aux principes légaux et constitutionnels. Certains chefs ne
connaissent pas les limites légales de leur compétence, ignorent notamment leur incompétence
en matière pénale et acceptent de se prononcer sur des affaires pénales. Toutefois, dans
plusieurs cas le système étatique de justice est tellement corrompu et inefficace que parfois les
autorités traditionnelles n’ont d’autres choix que de se saisir d’affaires qui ne rentrent pas dans
leur champ de compétence, notamment en matière pénale où les moyens de l’État pour punir
les coupables de crimes sont très insuffisants et les résultats de procédures judiciaires sont
souvent insatisfaisants pour les citoyens306.

Afin de pallier les déficiences de la justice coutumière, au Libéria, à côté des deux ordres
juridiques on trouve une justice beaucoup plus informelle qui réussit à passer par les mailles de
la justice étatique et coutumière. Cette justice informelle, dans le sens d’une justice qui n’est ni
organisée ni cautionnée par l’État, est pratiquée par des sociétés secrètes qui s’octroient le
pouvoir de prendre des décisions sur diverses situations. Un exemple de ces sociétés secrètes
sont les sociétés Poro et les Sande307.

305 MGBAKO Chi and BAEHR Kristina Scurry, “Engaging legal dualism, Paralegal organizations and customary
law in Sierra Leone and Liberia”, in FENRICH Jeanmarie, GALIZZI Paolo and HIGGINS Tracy E. (dir.), The
future of African customary law, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, pp. 182-184.
306 MGBAKO Chi and BAEHR Kristina Scurry, “Engaging legal dualism, Paralegal organizations and customary
law in Sierra Leone and Liberia”, in FENRICH Jeanmarie, GALIZZI Paolo and HIGGINS Tracy E. (dir.), The
future of African customary law, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, p. 191.
307 Pour plus de développements voir : International Crisis Group, Liberia and Sierra Leone : Rebuilding failed
States (Africa Report No. 87, 2004) ; voir aussi ISSERDeborah H. et al., United States Institute of Peace, Looking
for Justice: Liberian experiences with and perceptions of local justice options, 23 (2009).

150
Dans plusieurs pays, l’intégration des droits coutumiers dans l’ordre juridique interne a été
accompagnée de près par l’établissement d’un dualisme judiciaire avec la création ou la reprise
de l’activité des tribunaux coutumiers. Mais force est de constater que la justice coutumière
demeure soumise aux principes étatiques, comme cela était déjà le cas pendant les
colonisations.

B. Soumission du droit coutumier aux valeurs de l’État moderne

On remarque dans la plupart des pays africains où la coutume trouve à s’appliquer dans la
résolution de différends elle n’est pas placée au même rang que la justice étatique, mais lui est
soumise. C’est ainsi que les décisions des autorités coutumières font l’objet d’une judicial
review par la Circuit Court et la Cour suprême au Libéria, lesquelles veillent au respect des
principes constitutionnels dans l’application du droit coutumier. Les juridictions africaines
n’hésitent d’ailleurs pas à invoquer la supériorité du droit étatique sur le droit coutumier lorsque
les principes des deux ordres juridiques s’opposent308. Donc, le dualisme juridique n’est en
réalité qu’une façade car on reconnaît l’existence du droit coutumier sans véritablement
accepter son autorité et son autonomie au regard du droit étatique.

La soumission du droit coutumier aux principes constitutionnels et à l’ordre public n’est pas
une invention des nouveaux États mais remonte aux périodes coloniales pendant lesquelles le
droit traditionnel, tout en étant reconnu n’a pas réussi à s’imposer comme un véritable droit.
Imprégnés d’une mission civilisatrice, les administrations coloniales ont tenu à préciser dans
leurs textes réglementaires la nécessaire soumission des droits coutumiers aux valeurs
civilisationnelles des puissances coloniales. C’est le cas du décret de 1903 dans lequel on lit
que « la justice indigène appliquera en toute matière les coutumes locales, en tout ce qu’elles
ne sont pas contraires aux principes de la civilisation française » (article 75). Par ailleurs le
gouverneur Roume précise que la reconnaissance des coutumes indigènes ne doit pas empêcher
l’application de « nos principes d’humanité et (au) droit naturel ». Les décisions des tribunaux
coutumiers pouvaient ainsi se voir opposer l’ordre public colonial qui, dans les mots du
gouverneur William Ponty, « est tellement liée à toute notre action politique. Elle fait si bien
corps avec notre action civilisatrice que son respect s’impose, même en l’absence d’un texte de

308 Voir affaire Tenteajh v. Republic of Liberia, 7 L.L.R., 63 (1940).

151
droit positif 309 ». Comme le souligne E. le Roy, l’objectif des colonisateurs n’était pas
véritablement d’accorder une quelconque place de relief aux droits traditionnels, mais d’aller
jusqu’au bout de la logique de domination et « aligner les sources du droit et leurs garants
traditionnels sur les idées et les institutions du colonisateur 310»

L’idée du respect de l’ordre public étatique a été par la suite posée dans les législations
postcoloniales relatives aux règles applicables en matière de droit coutumier, comme au Sénégal
avec une ordonnance de 1960 prévoyant en son article 10 que « en ce qui concerne leur capacité
à contracter et à agir en justice, l’état des personnes, la famille, le mariage, le divorce, la
filiation, les successions sont régis par la coutume », mais « sous réserve des dispositions
impératives qui peuvent être édictées par la loi311 » (article 11). De même la loi nigérienne du
16 mars 1962 prévoit dans son article 51 que la coutume des parties peut être appliquée, « sous
réserve du respect dispositions législatives ou des règles fondamentales concernant l’ordre
public ou la liberté des personnes ».

Au Kenya, l’application du droit coutumier est très encadrée afin d’éviter toute contrariété avec
le cadre constitutionnel et législatif du pays. Le droit coutumier y est régi par la Judicature Act
de 1967, chapitre 8, Section 3(2), lequel prévoit les conditions d’application du droit coutumier.
Ces conditions sont assez restreintes car la loi limite l’application du droit coutumier aux i)
procès civils, ii) dans lesquels au moins l’une des parties est assujettie ou affectée par la règle
coutumière en question, iii) dès lors que la règle coutumière n’est pas contraire aux valeurs de
la justice et de la morale ou contraire aux lois écrites du pays312. En ce qui concerne le premier
critère sur l’existence d’un procès civil, pendant un moment la doctrine avait une
compréhension élargie de la notion de procès civil censée permettre l’applicabilité du droit
coutumier à l’ensemble des procès de nature civile. Toutefois, une loi de 1989, le Magistrates’
Courts Act, au Chapitre 10, a considérablement limité les domaines civils susceptibles d’être
soumis au droit coutumier. Dans sa Section 2 la loi de 1989 prévoit que : « réclamation en vertu

309 Ponty W., Instructions sur l’application du décret du 16 août 1912, Justice indigène, instruction aux
administrateurs, Dakar, Imprimerie Ternaux, 1913, p. 54. Cité par LE ROY E., Les africains et l’institution de la
justice…, op. cit., p. 166.
310 LE ROY Etienne, Les africains et l’institution de la justice…, op. cit., p. 90.
311 Ordonnance n° 60-56 M.J. du 19 novembre 1960 fixant « l’organisation judiciaire dans la République du
Sénégal ainsi que les principes fondamentaux applicables aux litiges de droit privé » (J.O.R.S. du 19.11.1960).
Cité par LE ROY E., L’institution de la justice en Afrique, op. cit., p. 170.
312 Pour plus d’informations sur l’évolution de la reconnaissance du droit coutumier au Kenya voir : OCHICH
George Otieno, “The withering Province of customary law in Kenya: a case of design of indifference?”, in
FENRICH Jeanmarie, GALIZZI Paolo and HIGGINS Tracy E. (dir.), The future of African customary law,
Cambridge, Cambridge University Press, 2011, pp. 103-128.

152
du droit coutumier signifie une réclamation concernant l'une des questions suivantes en vertu
du droit coutumier africain: i) terre détenue sous le régime coutumier; ii) mariage, divorce,
entretien ou dot; iii) la séduction ou la grossesse d'une femme ou d'une fille célibataire; iv)
séduction ou adultère avec une femme mariée; v) les questions touchant le statut, et en
particulier le statut des femmes, des veuves et des enfants, y compris la tutelle, la garde,
l'adoption et la légitimité; vi) succession ab intestat et administration des successions, dans la
mesure où elles ne sont régies par aucune loi écrite 313». Le droit coutumier n’est pas applicable
à toutes les questions civiles mais seulement à celles limitativement mentionnées dans la loi,
relatives pur l’essentiel au statut de la personne, au droit des successions et à la gestion des
terres soumises au régime coutumier.

Le dernier critère relatif à la conformité des coutumes aux valeurs morales et juridiques de
l’État a permis d’écarter plusieurs fois le droit coutumier pendant la période coloniale et même
post coloniale. En effet, avant leur application, les principes du droit coutumier devaient passer
par un examen de leur conformité aux « standards » de la société anglaise par l’usage du
repugnancy test (test de répugnance), comme cela a été le cas dans l’arrêt rendu par la High
Court dans l’affaire Gwao bin Kilimo v. Kisuda bin Ifuta de 1938 au Tanganyika (actuelle
Tanzanie). Dans cet arrêt, un tribunal coutumier avait décidé la saisine des biens d'un père en
réparation d'un tort commis par son fils. La Cour suprême était confrontée à la question de
savoir si cette décision, fondée sur des règles coutumières de la communauté Turu, respectait
les principes de moralité, de justice naturelle et d’équité. Or, pour y répondre la Cour devrait
d’abord se prononcer sur la question de savoir sous quels critères devait se fonder le repugnancy
test pour évaluer le respect la conformité d’une telle règle à la morale et la justice. Le
Tanganyika étant occupé par la couronne britannique, pour la Cour suprême il n’y avait pas de
doute que le standard britannique de justice et de moralité s’appliquait pour invalider
l’application d’une règle qui selon le juge est injuste parce qu’elle ne sanctionne pas le véritable
fautif314.

313 Traduit par nous.


314 D’après la Cour : “Morality and justice are abstract conceptions and every community probably has an
absolute standard of its own by which to decide what is justice and what is morality (…) To what standard then
does [the law] refer – the African standard … or the British standard? I have no doubt whatever that the only
standard of justice and morality which a British court in Africa can apply is its own British standard … On this
basis, then, the justice of applying to the present circumstances the native “law” which has been postulated in this
case must be decided. Is it just according to our ideas to take away a man’s property in order to compensate a
party who has suffered injury at the hands of a man’s son, the son being of full age and fully responsible for his
own actions? I hold strongly the opinion that it is not just” (1938) 1 T.L.R. 403 (Kenya). Cité par OCHICH George
Otieno, “The withering Province of customary law in Kenya: a case of design of indifference?”, in FENRICH

153
Dans cette même logique, des cours coloniales ont déclaré comme étant contraires à la morale
et à la justice les coutumes Kisii qui en matière de divorce reconnaissaient les liens de paternité
et accordaient le droit de garde des enfants à l’époux, pour ce qui concerne tout enfant né avant
la dissolution du mariage. Pour les tribunaux cette solution ne respecte pas les liens biologiques
des enfants qui pouvaient être nés d’un autre père avant la dissolution du mariage315. Les juges
ont également invalidé des formes de mariages coutumier dans lesquels une dot d’un montant
assez conséquent est souvent requise. La Cour d’appel kenyane dans l’affaire R. v. Amkeyo de
1917, a caractérisé cette coutume comme étant un acte d’achat des épouses (« wife-purchase »)
plus que la célébration d’un acte de mariage. Selon le magistrat chargé de l’affaire : « À mon
avis, l'utilisation du mot « mariage » pour décrire la relation nouée par un natif africain avec
une femme de sa tribu selon la coutume tribale est un abus de langage qui a conduit dans le
passé à une confusion considérable des idées. Je ne connais aucun mot qui le décrit
correctement ; « L’achat d’une femme » n’est pas tout à fait satisfaisant, mais il se rapproche
beaucoup plus de cette idée que de celle de « mariage » telle qu’elle est généralement comprise
par les peuples civilisés316 ».

Après l’indépendance, l’usage des principes de la civilisation européenne pour évaluer la


moralité et la justice des règles coutumières n’a pas tout à fait cessé, mais des positionnements
plus nuancés ont vu le jour dans la jurisprudence dans l’application du repugnancy test. Ainsi,
en 1986 une Cour d’appel mettait en garde contre l’écartement d’une coutume sur la base de
critères de la justice britannique, sans prendre en compte l’utilité de la coutume en question
pour la communauté317. En effet, en matière de mariage, en plus des différentes significations
traditionnelles de la dot, la reconnaissance de cet acte en tant qu’acte de mariage permet une
reconnaissance officielle du statut d’enfants légitimes aux enfants nés de telles unions. De
même, dans l’affaire Otino v. Ougo & Others, la Cour d’appel s’est prononcée sur la conformité
de certains rituels funéraires de la communauté Luo à la justice et aux valeurs morales de l’État.
Mais, contrairement à la jurisprudence constante, la Cour ne s’est pas servi des critères
britanniques de justice et de moralité pour effectuer cette évaluation, mais a tenu en compte des
standards du « bon père de famille kenyan » (reasonable man in Kenya). Par cette image la

Jeanmarie, GALIZZI Paolo and HIGGINS Tracy E. (dir.), The future of African customary law, Cambridge,
Cambridge University Press, 2011, p. 115.
315 Voir en ce sens l’affaire Omwoyo Mairura, 6 C.R.R , 4 ; voir aussi : Maurono Onchoke, 6, C.R.R., 2 (Kenya).
316 E.A.C.A., 14 (C.A.), Kenya, 1917. Cité par OCHICH George Otieno, “The withering Province of customary
law in Kenya: a case of design of indifference?”, in FENRICH Jeanmarie, GALIZZI Paolo and HIGGINS Tracy
E. (dir.), The future of African customary law, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, pp. 114-115.
317 Voir Hasan c. Nathu Mwangi Transporters & Others, 1986, 1 K.A.R. 946, 954-955 (C.A. (Kenya).

154
Cour a pu conclure à la non contradiction de la tradition en question aux valeurs de l’État dans
les termes suivants : « il n'y a rien de répugnant ou d'immoral dans aucune des lois coutumières
ci-dessus (…) d’après notre lecture nous sommes persuadés de la preuve d'un résumé du flux
et reflux de l'argument (…) qu'il n'y a rien dans le droit coutumier Luo qu’un homme
raisonnable au Kenya trouverait contraire à la justice et à la moralité318 ». La doctrine kényane
déplore tout de même le fait que la Cour d’appel n’ait pas saisi cette opportunité pour établir,
de manière objective, de nouvelles lignes directrices à suivre dans l’évaluation de la conformité
des coutumes aux standards de la justice et de la moralité. L’interprétation de la « repugnancy
clause » reste donc à la discrétion des juges319.

Le « repugnancy test » était aussi pratiqué au Lesotho par les juridictions coloniales pour
l’application du droit coutumier codifié dans les Lois de Lerotholi. Par ailleurs, souvent les
juges ne reconnaissaient aucune valeur normative aux règles établies dans le Code Lerotholi et
se limitaient à les utiliser comme des textes informatifs sur les pratiques traditionnelles locales.
Ainsi, dans une affaire dans les années 1940 concernant la succession au trône qui opposait la
veuve du roi au frère du défunt monarque, la Cour suprême n’a pas accepté de mettre en œuvre
la coutume locale posée dans les Lois de Lerotholi qui ne permettait pas à la veuve d’avoir des
droits de succession320. Selon le juge, les Lois de Lerotholi n’avaient aucune « reconnaissance
officielle », donc aucun caractère normatif, mais étaient utiles pour connaître l’existence et le
contenu des pratiques coutumières parmi le peuple Basuto321.

Après l’indépendance du Lesotho, la Constitution a accordé une valeur normative aux règles
coutumières codifiées dans les Lois de Lerotholi, notamment en matière de succession322, mais
le manque de considération des règles coutumières a en grande mesure persisté avec la

318 Otieno v. Ougo & another, 1987, 4 K.L.R., 407, 424-425 (C.A.) (Kenya), cité par OCHICH George Otieno,
“The withering Province of customary law in Kenya: a case of design of indifference?”, in FENRICH Jeanmarie,
GALIZZI Paolo and HIGGINS Tracy E. (dir.), The future of African customary law, Cambridge, Cambridge
University Press, 2011, p. 117 (notre traduction).
319 OCHICH George Otieno, “The withering Province of customary law in Kenya: a case of design of
indifference?”, in FENRICH Jeanmarie, GALIZZI Paolo and HIGGINS Tracy E. (dir.), The future of African
customary law, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, p. 117.
320 Bereng Griffith v. Mantsebo Seeiso Griffth (the Regency case), de 1943, High Commission territories, L. REP.
(HCTLR).
321 D’après la Cour dans l’affaire Bereng Griffith v. Mantsebo Seeiso Griffith : « Aucune autorité législative ou
reconnaissance officielle n'a été étendue à ce code ; néanmoins, il est utile, bien que non concluant, sur toute
question relative à l'existence ou à l'étendue de toute pratique coutumière parmi le peuple Basuto (…) Ce n'est en
aucun cas une loi écrite. Ses dispositions, bien que réduites à l'impression, n'émanent d'aucun législateur » (notre
traduction) ; H.C.T.L.R, 50, 58. Cité par JUMA Laurence, “Putting old wine in new skins: the customary code of
Lerotholi and justice administration in Lesotho”, in FENRICH Jeanmarie, GALIZZI Paolo and HIGGINS Tracy
E. (dir.), The future of African customary law, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, p. 142.
322 HOOLO ‘Nyane, ″The Constitutional Rules of Succession to the Institution of Monarch in Lesotho", PER /
PELJ, 2019 (22).

155
modernisation de la société. En matière de mariage par exemple, d’après le Code de Lerotholi,
le mariage coutumier n’est valide que si trois principes de base sont respectés : l’accord des
futurs époux, de leurs parents et le paiement d’une partie ou de la totalité de la dote appelée
« bohali ». Néanmoins, les jeunes couples de la société Basoto se sentent de moins en moins
contraints de respecter ces étapes, en particulier après l’introduction des mariages civils en
1974, par le Marriage Act n° 10. Les tribunaux aussi se montrent plus hésitants à faire appliquer
les critères prévus par le Code Lerotholi en matière de mariage et acceptent de valider des
unions dans lesquelles l’un des critères cités n’est pas respecté. Dans l’affaire Manthabeleng
Makara v. Makoetla Makara & 3 Autres, la Cour a validé un mariage coutumier célébré sans
le paiement du bohali (la dot) qui était pourtant due et dont le montant avait été discuté par les
familles. D’après le juge, en l’espèce, d’autres éléments témoignent de l’intention des deux
parties de se marier323. Les juges sont allés plus loin dans d’autres affaires, considérant que
seraient frappés de nullité les mariages coutumiers célébrés après la célébration d’un mariage
civil324.

Les exigences d’ordre public étatique se font de plus en plus présentes dans l’application des
droits coutumiers, surtout dans l’ère actuelle de revendication de la protection des droits de
l’homme, où des principes comme l’égalité des sexes ou encore l’accès à la propriété privée se
font de plus en plus présent. On remarque à ce titre une évolution constante des règles
coutumières, telles que codifiées, par la jurisprudence afin de les rendre plus proches des
exigences d’ordre constitutionnel et surtout dans le but d’intégrer progressivement les principes
traditionnels dans la logique législative de l’État moderne.

323 High Court Civ/App/471/2007 (Unreported) ; Voir aussi l’affaire Malataliana Moromoli v. Louis K.
Ramokhitli et 2 autres, CIV/APN/431/2011.
324 Voir en ce sens Mokhutu v. Manyaapelo, 1976, LLR 281 CA ; voir aussi Makata v. Makata, 1980-84 LAC,
198 ; Leoma v. Loma & Another 2000-04 LAC, 253 ; Ntloana & Another v. Rafiri 2000-04, LAC, 279.

156
§2. Le rôle fondamental de la jurisprudence dans l’évolution du droit coutumier

La jurisprudence africaine joue un rôle considérable à la fois dans la reconnaissance du droit


coutumier en tant que source du droit, au même titre que la loi (A), mais aussi dans le
renouvellement du droit coutumier, dont le caractère évolutif a été à plusieurs reprises invoqué
par les tribunaux coutumiers et étatiques (B). Cette évolution, qui ne va pas sans une certaine
dénaturation des principes historiques des droits traditionnels, est nécessaire pour permettre aux
droits coutumiers de s’adapter aux développements des sociétés modernes. Mais une question
fondamentale reste souvent très difficile à répondre concernant la connaissance des droits
coutumiers. Dans la plupart des cas, les tribunaux font usage des droits coutumiers codifiés,
mais lorsque tel n’est pas le cas, la jurisprudence a recours à certaines méthodes pour prouver
l’existence des droits invoqués (C).

A. La reconnaissance du droit coutumier en tant que source primaire du droit

Malgré l’établissement d’un dualisme juridique, la question de la place du droit coutumier dans
l’ordre juridique interne demeure assez floue dans la plupart des pays, qui certes reconnaissent
son existence, mais le relèguent souvent à une place secondaire dans l’organisation de la justice
nationale. La Constitution ghanéenne de 1992 par exemple, définit le droit coutumier comme
étant des « règles de droit applicables par le fait de la coutume à des communautés particulières
au Ghana 325», mais donne au droit coutumier une place privilégiée dans l’ordre juridique
interne, au même titre que la loi. La Constitution ghanéenne reconnaît par ce biais que le droit
n’est pas uniquement constitué d’actes émanant des organes législatifs et exécutifs de l’État,
mais qu’il peut aussi se forger par le biais de la coutume. Il reste toutefois encore à savoir ce
que le constituant ghanéen entend par des « règles applicables par le fait de la coutume » ? Fait-
il référence à la coutume au sens juridique du terme, en tant que source secondaire du droit ou
au droit traditionnel appliqué de manière continue dont la force juridique est reconnue par la
communauté ? Le Ghana étant un pays anciennement colonisé par la couronne britannique, il
est plus probable que la coutume en question face référence, à l’instar des principes de la

325 Article 11(3) de la Constitution du Ghana (notre traduction).

157
Common Law, à des normes à valeur juridique, similaire à celle de la loi adoptée par le
législateur.

Pour éviter toute confusion, la jurisprudence sud-africaine a donné des précisions sur la
distinction entre la coutume et le droit coutumier. Dans l’affaire Van Breda la Cour
constitutionnelle sud-africaine a précisé que la coutume, contrairement au droit coutumier, n’est
pas une source primaire et indépendante du droit, mais reste simplement constituée de pratiques
immémoriales, qui peuvent combler les lacunes de la Common law326. A ce titre, la coutume,
qui n’est qu’un simple accessoire du droit, tire sa validité continue de son antiquité
ininterrompue. La Cour a en revanche reconnu le droit coutumier en tant que source primaire
et indépendante de droit, susceptible d’’une évolution permanente, sans perdre son caractère
juridique, contrairement à la coutume dont les changements ont pour résultat sa disparition.
Comme le souligne la Cour dans l’affaire Shilubana, « par définition, alors que le changement
annihile la coutume en tant que source du droit, le changement est intrinsèque au droit
coutumier et peut le revigorer 327 ».

La reconnaissance du droit coutumier en Afrique du Sud a eu lieu à partir de 1927 avec


l’adoption du Black Administration Act328, lequel reconnaissait aux Sud-africains la possibilité
d’être soumis au droit coutumier applicable à chaque communauté, les séparant ainsi du
système juridique applicable aux membres blancs de la société. Cette loi ne porte pas
codification du droit coutumier et n’apporte aucune précision sur la définition de ce qu’elle
entend par « droit coutumier africain ». Elle marque tout de même un moment important dans
la reconnaissance de l’autorité des tribunaux traditionnels, qui sont désormais compétents pour
connaître de toutes les affaires relatives à l’application du droit traditionnel dans les conflits
entre citoyens noirs. La loi donne même la possibilité aux juges traditionnels de juger et punir
certaines infractions civiles et pénales commises contre la Common law par des individus noirs.
Plus tard, dans une affaire de 1948, Mdumane c. Mtshakule329, il a été établi que les décisions
des tribunaux traditionnels ont une force obligatoire pour les parties, mais leur effet devrait être
reconnu par les tribunaux supérieurs.

Les tribunaux sud-africains ont beaucoup contribué à la reconnaissance juridique du droit


coutumier en tant que part entière de l’ordre juridique interne. Leur jurisprudence a beaucoup

326 Arrêt Van Breda and Others v Jacobs and Others, 1921 Apellate Division.
327 Affaire Shilubana, Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud, § 54-55 (traduit par nous).
328 Act 38 of 1927.
329 1948, N.A.C. (C&O), 28 (Bizana).

158
influencé les tribunaux d’autres pays anglophones qui n’hésitent pas à les citer dans leurs
décisions. L’un des cas emblématiques sur la question est illustré par l’affaire Mthembu v.
Litesela330 de la Cour suprême d’appel, dans laquelle il était question d’analyser la
constitutionalité du principe coutumier accordant une préférence aux hommes en matière
d’héritage, au détriment des femmes. Cette décision a joué un rôle important dans la
reconnaissance du droit coutumier comme étant un système juridique à part entière, parallèle
au droit étatique de la Common law. Selon la Cour, « compte tenu de la reconnaissance
manifeste du droit coutumier en tant que système de droit existant parallèlement à la Common
law par la Constitution (...) et de la liberté accordée aux personnes de choisir ce système comme
régissant leurs relations (comme le laisse entendre S 31), je ne peux accepter l'argument selon
lequel la règle de succession [en question] est nécessairement en conflit avec S 8 [i.e. le droit
à l'égalité dans la Constitution provisoire]. Le contraire à l'ordre public ou à la justice naturelle
ne l'est pas non plus331 ».

En Rhodésie (actuelles Zambie et Zimbabwe), avant la libération du pays, une position très
différente a été adoptée par les tribunaux en matière de reconnaissance du caractère juridique
du droit coutumier. Dans l’affaire Chitambala v. R., de 1957 les juges ont voulu montrer que
ce qu’on nomme de droit coutumier ne peut être comparé au droit en tant que tel. Selon le juge,
« le droit coutumier autochtone (...) est plus ou moins dans la même situation que le droit
étranger et il doit être établi par un expert devant des tribunaux autres que les tribunaux
autochtones332 ». Je juge fait ici référence au fait que pour que la règle coutumière soit
applicable par un juge étatique, elle doit avoir été prouvée par un expert qui pourra attester de
son existence et de sa portée, comme s’il s’agissait d’une norme étrangère. Cette position n’est
pas partagée par l’ensemble de la doctrine. Certains auteurs prônent pour une intégration des
coutumes dans le droit, en lui donnant une force juridique. Ainsi, pour le juge Eugene Cotran,
il est indéniable que lorsqu’on se réfère au droit coutumier, on parle d’une règle juridique que,
malgré le fait qu’elle soit basée sur la coutume, a une force de loi 333. Autrement dit, il faut

330 Mthembu v. Litesela, 2000 (3) SA 867 (SCA). Dans cette affaire, la Cour Suprême d’appel, saisie de l’affaire
a refusé d’invalider le principe en question, alléguant des circonstances qui l’empêchaient de le faire. Cette
décision a par la suite été annulée (Bhe v. Magistrate Khayelitsha 2005 (1) SA 580 (CC), 2005).
331 Mthembu v. Litesela, (63 SA, p. 945) (notre traduction).
332 (1957) 6 NLR 29 ; dans un sens similaire voir aussi Mbowela v. R. (1962) R&N 112 FSC (notre traduction).
333 Dans ses mots : « il ne fait aucun doute que quand on parle de droit coutumier, on se réfère au droit qui, bien
que fondé sur la coutume, doit avoir force de loi. Isoler le droit de la coutume, comme le suggère l'expression «
loi et coutume indigènes » ou « loi et coutume africaines », impliquerait la reconnaissance de coutumes qui n'ont
pas force de loi ». In Eugene Cotran, “The Place and Future of Customary Law in East Africa”, in East African
Law Today (British Institute of International Comparative Law, 1966), p. 73. Cité dans KOYANA Digby Sqhelo,
“Traditional Courts in South Africa in the Twenty-First Century”, in FENRICH Jeanmarie, GALIZZI Paolo and

159
admettre que les coutumes sont une source de droit à part entière et que leur valeur juridique ne
doit pas être remise en cause. Le juge Cotran note notamment que le droit anglais de la Common
law est lui-même issu de traditions, de coutumes et de précédents qui remontent à la conquête
normande et personne ne semble aujourd’hui questionner l’autorité juridique de ces règles.

La prise en compte des droits coutumiers dans les textes législatifs et constitutionnels pose
plusieurs défis. Tout d’abord celui de la connaissance de leur contenu et ensuite celui de
l’organe chargé de le mettre en œuvre. En ce qui concerne la dernière question, la réponse est
loin d’être simple puisque les nouveaux gouvernants estiment que reconnaître la légitimité des
autorités traditionnelles risque remettre en cause leur propre légitimité et par conséquent leur
pouvoir. Reconnaître aux entités traditionnelles une fonction de garant de la l’application du
droit traditionnel équivaut à leur octroyer un statut qui pourrait vite concurrencer celui des
autorités étatiques élues ou nommées par des procédés démocratiques.

En ce qui concerne la question relative à la connaissance du contenu des droits traditionnels, la


solution retenue par certains États est allée dans le sens de la reprise de la codification des droits
coutumiers entamée par les autorités coloniales, en vue d’une application uniforme en cas de
conflit se rapportant aux droits traditionnels. Plusieurs pays ont à ce titre poursuivi les processus
de codification du droit traditionnel, désigné le plus souvent comme ‘droit coutumier’,
appellation héritée de la période coloniale. En Tanzanie, par exemple, dans les années 1960 il
y a eu une tentative d’imposer une codification du droit coutumier. Mais cette codification a
concerné les coutumes d’un groupe ethnique spécifique à l’exclusion des autres. Or, dans ces
conditions, cette tentative de codification était vouée à l’échec dès le départ n’ayant pas produit
les effets escomptés. En effet, les autres groupes dont les coutumes n’étaient pas concernées
dans la codification ont poursuivi dans la pratique de leurs juridicités, réduisant ainsi la valeur
de la codification entamée334.

En Namibie il n’existe aucune codification du droit coutumier. Mais dans certaines


communautés il existe des initiatives qui incitent les communautés à reconnaître le droit
coutumier au sein même des communautés. Ce processus, connu sous le nom de « self-stating
customary law », permet aux communautés de participer à la rédaction de leurs coutumes au
niveau local. Cette pratique qui se rapproche de la codification des coutumes n’en est pas pour

HIGGINS Tracy E. (dir.), The future of African customary law, Cambridge, Cambridge University Press, 2011,
p. 228.
334 Voir en ce sens : Eugene Cotran, “Some recent developments in the Tanganyika judicial system”, 6 J. Afr. L.,
19, 1962 ; C. J. Azinge, “Codification of customary law : a mission impossible ?”, in Yemi Osinbajo & Awa U.
Kalu (eds), Towards a restatement of customary law in Nigeria, Nigeria Federal Ministry of Justice, 1991, p. 287.

160
autant une, étant donné que les coutumes n’ayant pas été reconnues par les communautés
comme méritant d’être codifiées n’ont pas pour autant une force juridique moins importante et
peuvent aussi être appliquées par les autorités traditionnelles335. L’objectif de cette
reconnaissance communautaire n’est pas de limiter l’étendue du droit coutumier, mais
seulement de le rendre plus accessible et, en quelque sorte, plus légitime.

Le mouvement de self-stating customary law a commencé dans les années 1980 avec des textes
comme les Lois de Aandonga ad Ovakwanyama de 1980, les Lois de Ondonga de 1989 ou
encore les Lois d’Ukwangali présentées en avril 1992 lors d’une conférence organisée par le
ministère de la Justice sur l’administration de la justice. Ces lois regroupent des coutumes des
peuples Vakwangali à l’occident de la région du Kavango en Namibie. Plus tard, a été adopté
le Namibian Traditional Authorities Act, reformé en 2000, qui donne aux autorités
traditionnelles des prérogatives importantes. Elles sont compétentes non seulement pour
participer à la codification du droit coutumier et veiller à son application, mais plus encore le
texte leur donne la possibilité de créer le droit coutumier (« to make customary law »)336.

Le processus d’écriture des coutumes en Namibie n’a pas fait l’objet d’unanimité au sein de la
communauté. Les désaccords tournaient notamment autour de la question de savoir quelles
coutumes devraient prioritairement faire l’objet d’un écrit. En effet, au départ l’initiative
touchait seulement quelques communautés locales, sans qu’il y ait eu un processus organisé au
niveau national. Ce n’est qu’en 2001 que le Conseil des Chefs traditionnels a adopté une
résolution faisant part de la volonté des autorités locales du pays d’entamer un projet de
codification des coutumes au niveau national. Le projet a été conduit par l’Unité de droit
coutumier de la Faculté de droit de l’Université de Namibie. Malgré les contestations, ce projet
rentre dans le cadre d’une politique presque que l’on voit prendre de l’ampleur dans certains
pays de reconnaître aux droits coutumiers une place auprès des droits nationaux.

335 HINZ Manfred O., “Traditional authorities: custodians of customary law development?”, in FENRICH
Jeanmarie, GALIZZI Paolo and HIGGINS Tracy E. (dir.), The future of African customary law, Cambridge,
Cambridge University Press, 2011, p. 155.
336 Namibian Tradition Authorities Act of 2000, Section 3-3-c.

161
B. La protection du caractère évolutif du droit coutumier

La jurisprudence a largement contribué à l’évolution du droit coutumier, notamment en


précisant sa notion et sa portée dans l’ordre juridique interne. L’emprise du droit coutumier par
les juridictions étatiques, souvent compétentes pour recevoir les recours formés contre les
décisions des tribunaux coutumiers, permet à ces dernières de participer à l’évolution du droit
coutumier. Ce phénomène est particulièrement visible dans les pays anglophones en raison de
la règle du précédent du système de la Common Law. On note notamment que tandis que la
jurisprudence francophone fait référence à la notion de droit coutumier pour désigner le droit
inspiré par les principes de la justice traditionnelle, formalisé dans les codes, la jurisprudence
anglophone met beaucoup plus l’accent sur le caractère évolutif du droit coutumier qui selon
elle est un produit de l’évolution de la société.

Les tribunaux anglophones distinguent à ce titre le droit coutumier « officiel » du droit


coutumier « vivant » (living costumary law). Selon eux, le droit coutumier officiel est le droit
codifié, qui souffre une évolution plus lente puisque la codification a pour effet de figer le droit
dans l’espace et dans le temps, et qui regroupe des principes plus rigides qui s’adaptent parfois
mal aux valeurs de la société moderne. Le droit coutumier vivant est le droit coutumier de la
pratique, celui qui est appliqué de manière informelle par les populations et qui reflète mieux
l’évolution de la société. Le droit coutumier vivant est par essence un droit malléable qui suit
l’évolution de la société. Ce caractère évolutif du droit coutumier a été mis en relief par la Cour
suprême337 et la Cour constitutionnelle sud-africaines, qui montrent la capacité du droit
coutumier à s’adapter aux mœurs de la société et à évoluer dans le respect de la Constitution et
des droits fondamentaux. Selon la Cour constitutionnelle sud-africaine : « dans l'application du
droit autochtone, il est important de garder à l'esprit que, contrairement à la Common law, le
droit autochtone n'est pas écrit. C'est un système de droit qui a ses propres valeurs et normes.
Tout au long de son histoire, elle a évolué et s'est développée pour répondre aux besoins
changeants de la communauté. Il continuera d'évoluer dans le contexte de ses valeurs et normes
conformément à la Constitution338 ».

337 Affaire Lewis v. Ankole, 1908, NLR, 81.


338 Alexkor Ltd and Another v. Richersvelt Community and Others, 2003, BCLR 1301 (CC), § 153. Cité par
HIMONGA Chuma, “The future of living customary law in African legal systems in the twenty-first centrury and
beyond, with special reference to South Africa”, in FENRICH Jeanmarie, GALIZZI Paolo and HIGGINS Tracy
E. (dir.), The future of African customary law, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, p. 47 ; Voir aussi
la decision dans l’affaire Mabena and Makwanyane dans laquelle la Cour constitutionnelle a privilégié

162
L’affaire Shilubana illustre cet optimisme de la Cour constitutionnelle dans l’évolution du droit
coutumier pour le rendre conforme aux principes constitutionnels de l’État339. Cette affaire
porte sur le droit coutumier de la communauté Valoyi selon lequel les femmes ne peuvent pas
arriver à la tête de la chefferie traditionnelle. Selon la tradition, la succession au poste de hosi
(chef) était réglementée par la règle de la primauté masculine, ce qu’empêchait Shilubana, en
tant que femme, de succéder à son père le Hosi Fofoza Nwamitwa mort en 1968 sans laisser un
héritier mâle. Ce fut son oncle, le frère cadet de son père, Malathini Richard qui lui a succédé
au trône. Pendant son vivant, en 1996, Hosi Richard conseillé par la famille royale a décidé de
renverser la règle coutumière de la primauté masculine et d’attribuer la succession à Shilubana.
Leur objectif étant de faire évoluer le droit coutumier et de le rendre plus conforme aux
exigences constitutionnelles du pays340. Or, ne voulant pas destituer le roi en cours de mandat,
Shilubana a refusé de remplacer son oncle le hosi Richard de son vivant mais a pris sa
succession après sa mort en 2001. L’accession au trône d’une femme a été contesté par certains
membres de la communauté qui considéraient que la succession devrait profiter au fils aîné du
défunt chef. Malgré une position de la Cour suprême allant dans le sens de la règle coutumière,
la Cour constitutionnelle a décidé en faveur de Shilubana, sur la base de la résolution de 1996
par laquelle la famille royale a exercé une prérogative constitutionnelle permettant de faire
évoluer le droit coutumier des Valoyi. La Cour n’a pas fait référence directement au droit
coutumier vivant dans les motifs de sa décision, mais a permis qu’une décision royale, qui avait
été retirée, constitue un facteur d’évolution du droit local. Une évolution qu’elle s’est chargée
de protéger en faveur de la succession au trône par des femmes, conformément aux exigences
constitutionnelles, notamment au principe d’égalité. Cette évolution dans le droit traditionnel
des Valoyi n’est pas uniquement le résultat du rôle joué par la communauté, mais elle reflète
surtout le rôle joué par la jurisprudence et la doctrine dans l’évolution actuelle du droit
coutumier afin de le rendre plus proche des exigences constitutionnelles en matière de
protection des droits de l’homme. La Cour constitutionnelle en fait mention dans cette décision
en notant que : « il est vrai que les installations de Mme Shilubana laissent sans réponse
certaines questions relatives au fonctionnement futur de la succession de Valoyi. Cependant, le
droit coutumier est un droit vivant et sera inévitablement interprété, appliqué et, si nécessaire,

l’application du droit coutumier vivant comme étant un droit qui selon elle “constitute a development [of customary
law] in accordance with the spirit, purport and objects of the Bill of Rights’ as mandated by the Constitution”.
339 Voir Shilubana and Others v; Nwamitwa and Others, 2009, SA 66 (CC), § 42-52.
340 Selon la résolution prise par la famille royale des Valoyi en 1996: “though in the past it was not permissible
by the Valoyis that a female child be heir, in terms of democracy and the new Republic of South African
Constitution it is now permissible that a female child be heir since she is also equal to a male child (…) The latter
of chieftainship and regency would be conducted according to the Constitution of the Republic of South Africa”.

163
modifié ou développé par la communauté elle-même ou par les tribunaux. Cela sera fait au vu
des coutumes et traditions existantes, des circonstances antérieures et des besoins pratiques, et
bien sûr des exigences de la Constitution en tant que loi suprême341 ».

L’évolution du droit coutumier est certes en grande partie due à l’intervention de la


jurisprudence, mais le législateur y joue également un rôle fondamental par l’adoption de
nouvelles lois qui ont pour conséquence de remettre en cause des principes coutumiers. C’est
le cas en matière de reconnaissance des mariages coutumiers, domaine qui a connu plusieurs
réformes législatives un peu partout ; mais aussi de successions domaine dans lequel les
réformes législatives ont influencé les pratiques coutumières par l’intégration du principe
d’égalité des genres, contrariant la règle de la primauté masculine prônée par le droit coutumier
officiel342. L’invalidation de cette règle permet d’aligner les règles en matière de succession au
principe d’égalité, permettant à plusieurs membres d’une famille de jouir du bien hérité343. Cette
évolution a été corroborée par la Cour constitutionnelle sud-africaine qui a considéré que le
principe de la primauté masculine prévue au §23 du Black Administration Act violait le principe
constitutionnel d’égalité hommes/femmes344.

L’intervention de la législation et de la jurisprudence dans l’évolution du droit coutumier est


incontestable, mais elle ne doit pas se faire sans le respecte du droit des communautés à
développer leur propre droit. Dans l’affaire Shilubana, la Cour a justement pris en compte une
pratique coutumière qui a subi une évolution endogène à la communauté Valoyi. Reconnaissant
ainsi un principe constitutionnel, qui accorde aux communautés en premier ressort la maîtrise
de la création et de la modification des droits coutumiers. La Cour constitutionnelle l’a précisé
dans les termes suivants : « L'article 211 (2) prévoit spécifiquement le droit des communautés
traditionnelles de fonctionner selon leur propre système de droit coutumier, y compris la
modification ou l'abrogation des lois345 ». La Cour met toutefois l’accent sur la nécessité d’une

341 Shilubana and Others v. Nwamitwa and Other, 2009, SA 66 (CC), § 81. Cité par HIMONGA Chuma, “The
future of living customary law in African legal systems in the twenty-first centrury and beyond, with special
reference to South Africa”, in FENRICH Jeanmarie, GALIZZI Paolo and HIGGINS Tracy E. (dir.), The future of
African customary law, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, p. 49.
342 Voir par exemple en Afrique du Sud : Reform of Customary Law of Succession and Regulation of Related
Matters Act, Act 11 of 2009 ; Recognition of Customary Marriages Act, Act 120 of 1998.
343 Voir Welshman NCUBE & Julie STEWART (dir), “Widowood, inheritance laws, customs and practices in
Southern Africa”, in Women and Law in Southern Africa 53, 1995, pp. 54-57; voir aussi Chuma HIMONGA,
Property disputes in law and practice: dissolution of marriage in Zambia, in Alice K. Armstrong (dir.), Women
and Law in Southern Africa 56, Zimbabwe Publishing House, 1987.
344 Bhe v. Magistrate Khayelitsha 2005, SA 580 (CC), 2005 (1) BCLR 10.
345 Shilubana, SA, § 73.

164
évolution qui prenne en compte les exigences légales et constitutionnelles346. Elle ramène ainsi
l’évolution du droit coutumier non plus à un exercice d’autonomie normative de la part des
autorités traditionnelles, mais au respect de principes de la démocratie constitutionnelle347.

Ces exemples montrent la flexibilité du droit coutumier dit « vivant » et sa capacité à s’adapter
aux exigences modernes en matière de droits de l’homme. Contrairement au droit coutumier
officiel, que plusieurs auteurs critiquent en raison des inégalités qu’il engendre dans les rapports
hommes-femmes348 et que la jurisprudence ne cesse de sanctionner. Néanmoins, cette évolution
est fortement influencée par les principes de justice et d’ordre public importés du droit
occidental et les principes dits absolus des droits de l’homme.

C. La question de la preuve du droit coutumier devant les juges

L’application du droit coutumier exige que les juridictions soient en mesure de connaître son
existence et son contenu. Cela soulève la question de la preuve de ce contenu devant les
tribunaux, composés parfois de juges n’ayant pas de connaissances profondes en droit
traditionnel. Des juges experts en matière de coutumes ne sont pas très nombreux et les
méthodes utilisées pour vérifier l’existence du droit coutumier ne sont pas précisées de manière
claire et officielle. La preuve du droit coutumier peut constituer une réelle difficulté qui
expliquerai notamment que les juges soient plus enclins à appliquer le droit coutumier officiel
(le droit codifié), plus accessible que le droit coutumier vivant. La Cour constitutionnelle
d’Afrique du Sud a exprimé la difficulté de la preuve du droit coutumier dans l’affaire Bhe dans
laquelle il était question de renverser une coutume officielle prévoyant la primauté masculine
en matière de succession. Pour la Cour, la question fondamentale était celle de déterminer le

346 Selon la Cour : “A community must be empowered to itself act so as to bring its customs into line with the
norms and values of the Constitution. Any other result would be contrary to section 211 (2) and would be
disrespectful of the close bonds between a customary community, its leaders and its laws” (Shilubana, SA, § 73).
347 Dans les mots de la Cour : « A court engaged in adjudication of a customary-law matter must remain mindful
of its obligations under section 39 (2) of the Constitution to promote the spirit, purport and objects of the Bill of
Rights » et « if development happens within the community, the court must strive to recognise an give effect to that
development, to the extent consistent with adequately upholding the protection of rights » (Shilubana, SA, §48-
49).
348 Voir en ce sens : CHANOCK Martin, “Neotraditionalism and the customary law in Malawi”, 16, African Law
Studies, 1978, pp. 80-91; HELLUM Anne et al., Human Rights, plural legalities and gendered realities: paths are
made by walking, University of Zimbabwe & Weaver Press, 2007, pp. 416-421; ARMSTRING Alice et al.,
Uncovering reality: excavating women’s rights in African family law, 7 International Journal of Law, Policy and
the Family, 1993, pp. 314-327.

165
véritable contenu du droit coutumier tel qu’il était pratiqué au moment où elle statuait. D’après
la Cour constitutionnelle : « la question de savoir si la Cour était en mesure d’élaborer cette
règle [de la primogéniture masculine] d’une manière qui « promouvrait l’esprit, le sens et les
objets de la Bill of Rights » a suscité de nombreuses discussions au cours des débats. Pour ce
faire, le tribunal devrait d'abord déterminer le véritable contenu du droit coutumier tel qu'il est
aujourd'hui et lui donner effet dans son ordonnance. Il n'y a cependant pas suffisamment de
preuves et de matériel pour permettre au tribunal de le faire. La difficulté ne réside pas tant
dans l'acceptation de la notion de droit coutumier « vivant », distincte du droit officiel, mais
dans la détermination de son contenu et la mise à l'épreuve, comme le juge le devrait, des
dispositions de la Bill of Rights349 ».

Dans la prise en compte du droit coutumier, les tribunaux se basent sur des coutumes existantes,
au sens des coutumes bien établies et effectivement appliquées au moment où les faits ont lieu
et où la juridiction statue. Au Nigeria, le principe a été posé dans les termes suivants par la
jurisprudence : « la loi et la coutume indigènes que le tribunal est habilité et invité à observer
(…) doivent être la loi ou la coutume indigène existante et non la loi ou la coutume d'un âge
révolu350 ». Cela veut dire qu’il ne suffit pas que la coutume soit ancienne, il faut avant tout
qu’elle existe et soit encore appliquée dans la communauté351.

La jurisprudence sud-africaine met l’accent sur le fait que les droits coutumiers doivent être
considérés non seulement en tenant compte de leur longévité mais aussi de leur caractère
évolutif. En effet, dans un premier temps, la jurisprudence se limitait à rechercher l’existence
d’une pratique certaine (déterminée), raisonnable, pratiquée de manière uniforme pendant une
longue période et reconnue par la communauté352. Un revirement de jurisprudence est intervenu
dans l’affaire Shilubana, dans laquelle la Cour renverse le raisonnement tenu dans Van Breda,
qu’elle reproche d’annihiler l’essence évolutive du droit coutumier. Selon la Cour
constitutionnelle, certes les pratiques et traditions ancestrales sont importantes pour déterminer
le contenu du droit coutumier, mais elles ne doivent pas contribuer à figer le droit surtout dans

349 Voir Bhe, SA op. cit., § 109. Cité par HIMONGA, « The living customary law in African legal system”, o.
cit., p. 50 (notre traduction).
350 Lewis v; Bankole (1908) 1 N. L. R., 81, 83 (Nigeria). Cité par WOODMAN Gordon R., “A survey of
customary laws in Africa in search of lessons for the future”, in FENRICH Jean Marie, GALIZZI Paolo and
HIGGINS Tracy E. (dir.), The future of African customary law, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, p.
15 (notre traduction).
351 « A rule, which in a particular district, has, from long usage, obtained te force of law”, in Federal Evidence
Act § 2, Laws of Nigeria, cap. 62 (1958). Cité par WOODMAN Gordon, op. cit., p. 146.
352 Arrêt Van Breda and Others v Jacobs and Others, 1921 Apellate Division, 330.

166
les situations où des changements sont visibles353. D’autre part, pour la Cour, l’accent mis sur
le caractère évolutif du droit coutumier permet à ce dernier de se développer en accord avec les
valeurs constitutionnelles : « La pratique antérieure ne sera pas non plus décisive lorsque la
Constitution exige le développement du droit coutumier conforme aux valeurs
constitutionnelles354 ». Dans les mots de la Cour :

« Le droit coutumier doit être autorisé à se développer, et l'enquête doit être enracinée
dans la pratique contemporaine de la communauté en question (...) Le statut juridique
des normes de droit coutumier ne peut dépendre simplement de leur application cohérente
dans le passé, car cela est un test auquel tout nouveau développement doit nécessairement
échouer. Le développement implique un certain écart par rapport à la pratique passée.
Une règle qui exige une cohérence absolue avec la pratique antérieure avant qu'un
tribunal ne reconnaisse l'existence d'une norme coutumière empêcherait donc la
reconnaissance de nouveaux développements en tant que droit coutumier. Cela conduirait
les tribunaux à appliquer des lois que les communautés elles-mêmes ne suivent plus, et
étoufferait la reconnaissance des nouvelles règles adoptées par les communautés en
réponse au visage changeant de la société sud-africaine. Ce résultat serait contraire à la
Constitution et ne peut être accepté355 ».

D’autres méthodes de vérification des droits coutumiers passent par des témoignages, faisant le
récit des règles locales. Au Ghana, le Privy Council a accepté pour la première fois la preuve
du droit coutumier par des témoins dans l’arrêt Angu vs. Attah de 1916. La règle a été posée
dans les termes suivants : « comme c'est le cas pour tout le droit coutumier, il doit être prouvé
en première instance en convoquant des témoins connaissant les coutumes indigènes jusqu'à ce
que les coutumes particulières soient, par de fréquentes preuves devant les tribunaux, devenues
si notoires que les tribunaux en prendront connaissance d'office356 ». Dès lors, les tribunaux
peuvent avoir recours à des témoins qui pouvant attester la valeur de la coutume alléguée devant
la cour et ce jusqu’à ce que la norme coutumière soit suffisamment établie devant les juges, par
des preuves fréquentes de son existence, et qu’elle s’intègre dans la pratique des tribunaux par
la règle du précédent. En règle générale les témoins auxquels les tribunaux ont le plus souvent

353 Shilubana, SA, § 56.


354 Shilubana, SA, § 56.
355 Shilubana, SA, § 54-55.
356 Privy Council Judg. 43, Angu v. Attah (Ghana, 1916). Cette règle a été intégrée au Federal Evidenc Act, § 14,
Laws of Fed. Of Nigeria, cap. 62 (1958).

167
recours sont des chefs traditionnels, des membres du conseil des sages ou des anciens.
Cependant, les témoignages recueillis ne sont pas toujours fiables car il peut arriver que les
témoins aient une affinité particulière avec l’une des parties et apporte des connaissances de la
coutume en faveur de l’une des parties. La distorsion des coutumes est bien connue dans la
pratique judiciaire et il revient au juge de choisir pour l’une ou l’autre des versions qui lui sont
présentées par les deux parties.

Dans les pays anglophones, la règle du précédent emmène le plus souvent à la prise en compte
des précédents jurisprudentiels comme moyen de preuve de l’existence des coutumes357. Cette
méthode qui peut avoir son utilité dans la connaissance des coutumes, place les tribunaux face
aux difficultés de conciliation des principes de la Common law avec les particularités du droit
coutumier. La Common law étant basée sur le principe du précédent, la prise en compte de la
règle du précédent dans l’application des droits coutumiers a tendance à figer les coutumes par
nature évolutives, rendant difficile une véritable application casuistique des normes
coutumières. Afin de pallier à ces désagréments, la jurisprudence ghanéenne considère que les
décisions des juridictions supérieures ne deviennent probatoires, en ce qui concerne l’existence
et le contenu d’une coutume, que lorsqu’il y a assez de cas sur la question rendant la règle
coutumière « notoire »358. Cette méthode peut néanmoins perpétuer des erreurs lorsque les
cours acceptent des preuves erronées du droit coutumier en raison de l’important poids reconnu
à la juridiction ayant rendu la décision initiale. C’est le cas lorsque la Cour d’appel ghanéenne
a considéré qu’une décision d’une cour traditionnelle n’a pas d’autorité sur la décision d’une
cour supérieure allant dans un sens contraire359.

Certains juges ont recours à des données issues de recherches anthropologiques, ce qu’implique
d’évaluer leur pertinence et leur validité. La preuve du droit coutumier au Ghana, par exemple,
passe, entre autres, par l’usage d’ouvrages juridiques qui ont une valeur reconnue par les entités
étatiques en raison de leur auteur. Selon la jurisprudence ghanéenne, pour qu’un ouvrage soit
reconnu comme décrivant fidèlement une coutume, son auteur doit être un juriste360 et ne doit

357 Owiredu v. Moshie, 14 Sel. Judg. Ct. App. W. Afr 11 (Gold Coast 1952); Suberu v. Sunmonu, 2 Sel. Jdg. Fed.
Sup. Ct. 33 (Nigeria 1957).
358 Privy Council Judg. 43, Angu v. Attah (Ghana, 1916). Pour plus de développements sur le caractère notoire
du droit coutumier dans son application par les juridictions supérieures voir : WOODMAN Gordon, “Some realism
about customary law – the West African experience”, in WOODMAN Gordon R. and OBILADE A. O. (dir.),
African Law and Legal Theory, Aldershot, Singapore, Sidney, Dartmouth, pp. 153 et suivantes.
359 Anane v. Mensah (1959), Ghana, L.R., JELR 68250 (Cour d’appel)50.
360 Krakue v. Krabah, Supreme court, [June 24, 1963].

168
plus être en vie au moment où la cour statue361, même si par la suite la jurisprudence a tout de
même admis des ouvrages écrits par des auteurs en vie362. Prendre en compte de tels ouvrages
est certainement un bon commencement car très souvent les ouvrages anciens sur les droits
traditionnels font le parallèle entre les juridicités anciennes et des aspects spécifiques de la
culture des communautés concernées. Mais l’usage de tels ouvrages peut aussi poser des
problèmes dans la mesure où certains de ces auteurs, aussi qualifiés soient-ils, n’ont pas
nécessairement des connaissances approfondies sur les coutumes qu’ils prétendent décrire.
D’autre part, ce qui s’est vu dans certains cas, des ouvrages répertoriant des coutumes d’une
communauté donnée peuvent être utilisés dans des affaires où sont en cause celles d’une autre
communauté. Cela a été le cas dans certaines affaires où les tribunaux ont utilisé l’ouvrage
rédigé par John Sarbah sur les droits coutumiers des peuples Fanti 363, pour des cas ne mettant
pas en cause des membres de cette communauté364.

Les méthodes proposées par la jurisprudence ghanéenne pour prouver l’existence et la validité
du droit coutumier devant les tribunaux restent très vagues et ne permettent pas une véritable
clarification du droit coutumier, de son existence et de son contenu. Dans tous les cas, la tâche
est loin d’être facile pour les tribunaux nationaux parce que quelle que soit la méthode utilisée,
celle-ci peut affecter l’essence du droit coutumier en raison de l’usage d’un langage, de
catégories juridiques et de terminologies étrangères aux pratiques coutumières365.

361 Larbi v. Cato, [1960] Ghana L.R. 146, 153.


362 Ameoda v. Pordir, [1967] C.C. 122.
363 Il s’agit de l’ouvrage SARBAH de John Mensah, Fanti Customary Laws, 1897.
364 Voir par exemple l’affaire Addy v. Addy, Land Court (Accra, Aug. 2, 1952) et Golightly v. Ashrifi, 14 Sel.
Judg. Ct. App. W. Afr. 676 (Gold Coast 1955).
365 Voir en ce sens : Theirry Verhelst, “Safeguarding African customary law : judicial and legislative processes
for its adaptation and integration” 41, UCLA Int’l Institute, James C. Colerman African Studies Center, Occasional
Papers Series, n° 7, 1970. p. 39.

169
CONCLUSION PARTIE I

Le phénomène juridique, en tant qu’ensemble de mécanismes permettant la régulation de la vie


en société, n’est pas étranger aux sociétés africaines que l’on a longtemps caractérisé de
primitives. Des siècles avant l’arrivée des puissances européennes, les sociétés africaines,
jouissant de formes d’organisation sociale et politique propres, ont développé tout un système
normatif à l’image de ses structures politiques. Axé sous deux piliers centraux, les juridicités
africaines ont permis le maintien de sociétés ancestrales qui persistent pour beaucoup jusqu’à
l’actualité.

Le phénomène juridique dans l’Afrique noire s’est développé autour de deux axes majeurs : le
rapport particulier qu’entretiennent les sociétés avec la divinité366 et la personnalité juridique
par excellence de la communauté367. En ce qui concerne le premier axe, il n’est pas possible de
comprendre les juridicités africaines si l’on ne comprend pas de prime abord la vision mythique
de la vie qu’ont toutes les sociétés africaines, du Nord au Sud. Dès les récits sur le mythe
fondateur jusqu’au rapport étroit qu’entretiennent les peuples africains avec le monde spirituel,
la cosmogonie africaine est au cœur de l’organisation sociale, politique et juridique des sociétés
africaines. L’homme étant considéré plus qu’une enveloppe corporelle, comme étant un être
spirituel pourvu d’une âme, est vi très souvent comme éternel. Sa personnalité ne finit ainsi
donc pas avec la mort, mais elle se poursuit dans une autre sphère sous la forme d’ancêtre. Les
puissances ancestrales, qui sont des êtres de la sphère spirituelle, sont dans les cultures négro-
africaines, des véritables gardiens de la l’ordre juridique car elles détiennent la force vitale qui
anime l’ensemble des communautés. Ils sont considérés avoir le pouvoir fondamental de
« légiférer » dans l’intérêt de la communauté et de garantir le respect des règles établies. Ils
sont assistés dans ces deux missions par les autorités temporelles, en la personne des autorités
traditionnelles, qui puisent leur pouvoir et leur légitimité dans cette source sacrée qui détient la
force vitale de la communauté.

Le lien qu’entretiennent les systèmes juridiques africains avec le monde de l’invisible a été
pendant longtemps, et l’est certainement encore, un motif privilégié pour dénigrer et même

366
KUYU Camille, Écrits d’anthropologie juridique et politique, Collection publications de l’Institut universitaire
André Ryckmans n°2, Louvain-La-Neuve, Bruylant, 2008.
367
SOVONNET-GUYOT Claudette, « La communauté villageoise comme système politique : un modèle ouest-
africain », RFSP, 25e année, n° 6, 1975.

170
refuser les juridicités africaines traditionnelles. Considérées comme des sociétés primitives,
sans État et sans organisation politique, les sociétés africaines ont longtemps été raillées par des
chercheurs et missionnaires européens, se jugeant uniques détenteurs de la raison et des de la
civilisation humaine.

Des théoriciens eurocentristes, ont ainsi réduit les droits africains à la simple place de coutumes,
leur ôtant tout caractère juridique, sur le fondement d’une vision stricte et formaliste du droit
prônée principalement par des théories positivistes. Les juridicités africaines ont a ainsi été
confondues avec la morale, en raison du caractère intrinsèquement interne des croyances
spirituelles et à la coutume, au regard de l’absence de formalismes normatifs, comme on peut
les connaître dans la formation du droit en Europe. Néanmoins, des auteurs comme Norbert
Rouland368 ou encore E. Le Roy369, rejettent ce refus de reconnaître aux normativités africaines
leur caractère juridique. Mettant l’accent sur des critères finalistes, ils considèrent qu’au-delà
des exigences formalistes et organiques il est important d’observer la fonction qui jouent les
normes dans une société donnée, pour appréhender leur degré de juridicité. En effet, sans
tomber dans le piège du panjurisme contre lequel nous met en garde le doyen Carbonnier, nous
pouvons sans hésiter conclure à l’existence du droit sur le continent noir, tout d’abord par l’objet
des normativités issues de l’activité des différents organes de décision, ayant pour but de
garantir l’ordre social et de permettre le vivre ensemble. Mais on peut aussi attester de
l’existence d’ordres juridiques par la légitimité des autorités qui sont à la source des normes
juridiques et par la force contraignante attachée aux normes juridiques. Cette force
contraignante les normes la puisent dans le pouvoir de contrainte et de sanction des puissances
ancestrales, mais plus encore dans la force attachée à l’unité communautaire.

La communauté constitue le second pilier fondamental des ordres juridiques africains. Sans
méprendre à la place qui revient à l’individu dans la société, la communauté est présentée
comme l’entité juridique par excellence. Organisées sous des formes diverses en fonction des
régions, les communautés constituent la source de légitimation du pouvoir, mais aussi source
de sécurisation des rapports sociaux. C’est dans la communauté que l’individu peut trouver son
existence et épanouissement et c’est par elle qu’il peut aussi bénéficier d’une protection
adéquate en cas d’atteinte à sa dignité. Les rapports juridiques noués par le biais de la
communauté et dans son intérêt, justifient la présence de devoirs à côtés des droits, afin
d’encadrer les comportements et éviter les dérives qui pourraient nuire à la force vitale qui

368
ROULAND Norbert, Anthropologie juridique, Paris PUF, 1988, p. 187.
369
COMAN Gabriela, DENEAULT Alain, « Étienne Le Roy, Le droit, ennemi du commun : entretien avec Étienne
Le Roy », 2015, Liberté, n° 306, p.12.

171
anime l’ensemble du groupe.

Au regard de ces considérations sur les juridicités africaines, il est difficile de comprendre
comment il a été possible que pendant des siècles les sociétés africains aient été marginalisée
par des théoriciens se croyant supérieurs, car différents. Mais en réalité, il est plus que clair que
la mission civilisatrice qui se sont fixées les pays colonisateurs devait passer par le rejet de toute
personnalité juridique aux peuples autochtones. Réduits à l’état de primitivité, les institutions
traditionnelles ont pendant longtemps été soumises à des régimes oppressifs et impériaux, qui
ont réussi à s’imposer par l’instauration d’un arsenal normatif, institutionnel et militaire qui ne
pouvait qu’aboutir à l’asservissement de peuples. Malgré des fortes contestations et une grande
résistance de la part de plusieurs peuples et particulièrement de plusieurs chefs traditionnels,
les États coloniaux ont réussi à mettre en place un régime d’administration centralisé pour régir
les affaires des colonies, asservissant à la fois les autorités traditionnelles et les peuples
autochtones par l’introduction du régime de l’indigénat.

Appliqué dans les colonies françaises et portugaises dans des termes très similaires, le régime
de l’indigénat a été l’outil privilégié pour anéantir les identités culturelles et avec elles
juridicités africaines. Aux politiques de l’indigénat se sont ajoutées les processus de
codification qui ont contribué à figer les droits traditionnels dans des règles en partie détournées
des sources originales, formant ce qu’Etienne Le Roy appelle le véritable droit coutumier, à
savoir le droit issu des codifications coloniales.

Ce droit coutumier est jusqu’à présent invoqué auprès des juridictions coutumières mises en
place par les États après les indépendances. La reconnaissance d’un dualisme juridique et
juridictionnel au niveau constitutionnel est aujourd’hui une réalité répandue dans la presque
totalité des pays. Mais, le choix des nouveaux États pour la modernité rend les droits coutumiers
le plus souvent soumis aux droits modernes, en particulier aux exigences constitutionnelles de
respect de la loi et de l’ordre public. Cette soumission perpétuelle des droits traditionnels aux
droits modernes n’est pas uniquement un apanage des systèmes internes. Elle s’est aussi
répandue à l’approche adoptée après les indépendances en matière des droits de l’homme. La
construction d’un mécanisme régional de protection des droits de l’homme fondé sur des
principes universels au lieu des réalités locales en font la preuve.

172
SECONDE PARTIE II. LA DIFFICILE EDIFICATION D’UN SYSTEME
DE PROTECTION DES DROITS FONDAMENTAUX FONDE SUR LES
DROITS TRADITIONNELS

Dès les indépendances, les ambitions de développement économique sont devenues le moteur
des nouveaux États, désireux de forger dans les esprits le sentiment d’appartenance nationale,
et surtout d’entrer dans l’ère du modernisme avec la fondation de démocraties constitutionnelles
basées sur le principe de la séparation des pouvoirs et la proclamation solennelle des droits de
l’homme. En effet, l’autonomie politique offerte aux citoyens par la démocratie, c’est-à-dire le
droit pour chacun de participer dans la vie politique directement ou en choisissant ses
gouvernants, ne va pas sans la garantie des libertés individuelles, élément essentiel à la
limitation des pouvoirs gouvernants et instrument de l’épanouissement individuel.

Les dirigeants ont très tôt adhéré à la conception européenne des droits de l’homme, exigeant
l’introduction de dispositions relatives aux droits de l’homme dans les textes constitutionnels.
Avant les indépendances, le désir d’intégrer les normes de protection des droits humains avait
déjà été revendiqué comme un moyen de pression sur les puissances européennes face au fait
colonial. Cela a été le cas dans les colonies britanniques après la ratification par le Royaume-
Uni de la Convention européenne des droits de l’homme en 1952. Après les indépendances, la
proclamation des droits de l’homme dans les textes constitutionnels répondait aux attentes des
groupes ayant participé aux luttes pour les indépendances, comme un moyen de garantir que
les droits de peuples autrefois oppressés seraient désormais pris en compte, dans le respect des
libertés civiles, politiques et économiques et dans un rapport d’égalité.

Or, c’est une conception purement européenne des droits de l’homme qui a été adoptée par les
États, sans que cela ne semble poser de question quant à l’adaptation de cette conception à la
vision africaine de la protection de l’intégrité de chaque individu et du maintien de l’ordre
social. On voit un exemple de l’adhésion pure et simple à l’universalisme européen dans la
déclaration du président de l’Assemblée nationale de la Côte d’Ivoire en 1960, lors de la
présentation du projet de Constitution. Selon lui : « le primat c’est l’homme dont il convient
d’assurer l’indépendance et les libertés370 ». En plus de faire part de l’adhésion à la conception

370 Cité par GONIDEC Pierre-François, Les systèmes politiques africains, Paris, LGDJ, 1997, p. 34.

173
individualiste des droits de l’homme, le législateur ivoirien n’a pas hésité à introduire dans le
texte constitutionnel une référence à la Déclaration française de 1789, pour proclamer
l’attachement du peuple ivoirien aux « principes de la démocratie et des droits de l’homme, tels
qu’ils ont été définis par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (et) par la
déclaration universelle de 1948 ».

Le retour à l’africanité des systèmes politiques et juridiques a été fortement compromis par une
attache récurrente aux préceptes européens. Et pour cause, l’« européanité », trop souvent
confondue avec le progrès et le modernisme, a réussi à s’imposer dans les systèmes juridiques
dès les indépendances, ce qui s’est manifesté par la subordination de la justice coutumière à la
justice de l’État moderne. Le déni du caractère normatif et plus largement juridique des droits
traditionnels africains par les autorités étatiques africaines post-indépendances est à notre avis
non seulement une source de perte de repères culturels et identitaires au sein des sociétés
africaines actuelles, mais surtout une façon de prolonger le dénigrement dont les peuples et
cultures africaines ont fait l’objet pendant des siècles.

L’approche contextuelle présentée dans la première partie a permis de rappeler les paradigmes
qui ont structuré les cultures juridiques africaines et les confronter aux anomalies auxquelles
elles ont été confrontées371. Ces anomalies ont contribué dans une grande mesure à la remise en
question des fondements de base des juridicités traditionnelles. On verra dans cette seconde
partie que dans le cadre de la construction du droit régional des droits de l’homme, les
paradigmes traditionnels n’ont pas été clairement proclamés. Malgré la démonstration d’une
attache particulière aux valeurs culturelles et historiques africaines dans la préparation des
textes régionaux fondamentaux (Titre I), les principes fondateurs des juridicités africaines ont
été bafoués dans la rédaction de la Charte africaine au profit des valeurs universalistes prônées
par les théories classiques des droits de l’homme (Titre II).

371 Paradigme au sens des idées, des principes et du système de valeurs qui animent une société, comme l’a
proposé KUHN Thomas dans son ouvrage La structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion éditeur,
1972.

174
TITRE I : LES VALEURS CULTURELLES TRADITIONNELLES COMME SOURCE
D’INSPIRATION DE LA CONSTRUCTION DU SYSTEME REGIONAL DES DROITS
DE L’HOMME

La charte africaine DHP a été positivement saluée par la doctrine qui la félicite pour son
originalité et son audace dans la construction des principes fondamentaux de l’homme en
Afrique. Soucieuse de s’insérer dans le mouvement universel de protection des droits de
l’homme entamé au niveau international par la Déclaration universelle des droits de l’homme
en 1948, puis par les textes américains et européens de protection des droits fondamentaux, la
Charte africaine proclame des principes fondamentaux classiques, présents dans l’ensemble des
textes internationaux et régionaux sur les droits de l’homme.

Mais, l’Afrique ne pouvait pas rester sourde aux voix qui s’élevaient pour une valorisation des
valeurs culturelles et des droits traditionnels africains. Elle a ainsi tenté de concilier les deux
réalités, de manière assez subtile ce qui n’est pas sans poser des problèmes de compréhension
de leur sens et leur portée. Riches d’une histoire juridique ancestrale, la protection des droits
fondamentaux n’est pas étrangère aux sociétés africaines. Intimement liées à des enjeux
politiques, l’établissement de règles de protection de la dignité humaine a connu une évolution
particulière sur le continent africain, passant de la période précoloniale jusqu’aux années post-
indépendances avec la proclamation de la Charte africaine et des textes fondamentaux qu’y sont
annexes (CHAPITRE I). Dans cette évolution, la recherche d’africanité dans la construction
des principes fondamentaux de la Charte africaine, même si les résultats restent très mitigés
(CHAPITRE II).

175
CHAPITRE I : L’évolution des droits de l’Homme en Afrique

Le concept de droits de l’homme n’existait pas en tant que tel en Afrique à l’époque
précoloniale. Ce concept, intrinsèquement européen, a été développé pendant le Moyen Age,
dans un contexte de lutte de classes et de proclamation d’une nouvelle ère du libéralisme
politique, avec l’individu au centre des préoccupations. La doctrine est consensuelle sur
l’origine européenne de la notion de droits de l’homme, mais plusieurs auteurs africains, tout
en reconnaissant le caractère strictement européen du concept, considèrent que les droits de
l’homme ne sont pas une exclusivité de l’Europe372. Ils mettent en avant la philosophie
intrinsèque à la théorie des droits de l’homme que l’on trouve dans différentes cultures. Pour
plusieurs auteurs, même si certains préceptes de cette notion restent strictement attachés au
contexte européen, ne trouvant pas d’équivalent direct dans les conceptions africaines, les droits
de l’homme ne sont pas une exclusivité européenne car dans son ensemble, toutes les cultures
ont développé des principes visant la protection de la dignité et de l’intégrité de la personne
humaine373. Et pour cause, on retrouve dans les sociétés africaines précoloniales des principes
visant au respect de la dignité humaine qui se rapprochent beaucoup des principes proclamés
en Europe pendant le Moyen Age et le siècle des Lumières sur les droits de l’être humain. Mais
on ne peut en toute liberté en déduire l’existence de droits de l’homme, tels que théorisés en
Europe, sur le continent africain pendant la période précoloniale.

La protection de la dignité humaine est une préoccupation générale que l’on retrouve dans
différentes sociétés, notamment dans l’Afrique subsaharienne à l’époque précoloniale
(SECTION I). Cette période a certainement été une source d’inspiration pour les dirigeants
africains après les indépendances. On le voit notamment dans le principal texte régional de
protection des droits de l’homme les textes qui s’y sont ajoutés, soucieux de répondre à des
problématiques spécifiques au continent (SECTION II).

372 YACOUB Joseph, « Pour un élargissement des droits de l’homme », Diogène 2004/2, n°206, p. 101.
373 Voir à ce titre: KHUSHALANI Yougindra, « Human rights in Asia and Africa », Human Rigthts Law Journal,
1983, n° 4.

176
SECTION I. La protection de la dignité humaine dans l’Afrique subsaharienne précoloniale

Les principes généraux des droits de l’homme ont comme fondement principal la protection de
la dignité et de l’intégrité de la personne humaine. Longtemps prônée comme des
revendications propres aux sociétés occidentales, la protection de la dignité de la personne
s’avère être une préoccupation qu’on trouve dans plusieurs cultures juridiques, sous des formes
différentes (§1). Dans le cadre de l’Afrique, on peut voir cette préoccupation dans les principes
fondamentaux des juridicités africaines abordés dans la première partie, notamment par les
règles visant à l’encadrement du pouvoir royal. Mais, au-delà des principes généraux, la
tradition orale a permis de retracer au moins deux textes normatifs proclamant des principes
fondamentaux, à caractère constitutionnel, dans lesquels la dignité de la personne humaine est
placée au premier rang (§2).

§1. La dignité de la personne humaine : un principe inhérent à toute société

La notion des droits de l’homme a été théorisée pendant le siècle des Lumières en Europe pour
désigner les prérogatives inhérentes à tout être humain, dont le caractère fondamental exige une
limitation du pouvoir de l’État en faveur des revendications individuelles. On remarque
toutefois que dans les sociétés de l’Afrique subsaharienne précoloniale, les droits de l’homme,
en tant que droits fondamentaux de l’être humain suivaient une logique différente. En Europe,
les théories classiques des droits de l’homme ont été conçues dans un contexte spécifique
d’absolutisme royal, avec le besoin pressant d’instaurer à la fois un pouvoir fort et unique pour
organiser la vie en société et un droit fort pour protéger les individus des abus de ce pouvoir.
Or, les sociétés de l’Afrique subsaharienne n’ont pas connu le modèle unitaire du pouvoir
étatique comme l’a connu l’Europe, mais les individus n’y étaient pas pour autant moins
protégés. Ils l’étaient autrement par des mécanismes propres à chaque communauté. Les
revendications individualistes ne se faisant pas sentir dans le contexte africain, les prérogatives
reconnues aux individus avaient pour objectif de sauvegarder et de renforcer les liens
communautaires au sein de chaque société et non pas de protéger l’individu contre la puissance
étatique.

Contrairement aux sociétés européennes, l’individu dans les sociétés précoloniales n’y avait
pas une place prépondérante dans la vie politique, mais la protection de son intégrité physique

177
était une préoccupation des autorités. Néanmoins, le bénéfice de droits fondamentaux ne devrait
pas servir de prétexte aux individus pour se soustraire de la force vitale dont la communauté
était la gardienne. Ces droits avaient avant tout pour objectif de sauvegarder la sécurité, la
stabilité et la cohésion du groupe. Le professeur E. Le Roy note à ce propos que dans les sociétés
africaines traditionnelles, la structure communautariste du système social garantissait la
protection des droits de la personne374. Cette structure sociale, axée sur les liens
communautaires, suivait un modèle qu’E. Le Roy appelle complémentariste car l’individu
appartenait à différents groupes remplissant chacun des fonctions différentes mais
complémentaires375. Chaque individu intervenait dans des groupes différents de la société, de
manière plus ou moins simultanée et y jouait des rôles différents qui lui valaient de bénéficier
de droits spécifiques pour permettre son épanouissement au sein du groupe et sauvegarder la
stabilité de la collectivité. Ainsi par exemple, un homme exerçait une fonction déterminée en
tant que père de famille et une autre en tant que chef du village ou membre du conseil du village.
De plus, aux différents stades de la vie correspondaient des rôles et fonctions différents qui
méritent une gradation des droits et des obligations de chaque individu. Cela explique qu’un
enfant ne peut pas prétendre à bénéficier des mêmes droits qu’un adulte puisqu’il fait partie du
groupe des enfants et que les droits et obligations reconnus à son égard à ce stade sont destinés
aux fonctions qu’il exerce dans son groupe d’âge376.

Dans ces conditions, dans les mots d’E. Le Roy, « aucune communauté ne peut prétendre
s’ériger comme lieu unique de socialisation de l’individu ou comme le cadre unique de son
activité377 ». Ces différentes communautés agissaient donc comme des contre-pouvoirs les unes
des autres par leur simple présence mais aussi par leurs actions. Comme le souligne l’auteur,
« la pluralité des communautés est donc un gage d’une certaine protection des droits de
l’homme378 ». En effet, en raison de la diversité de communautés les sociétés avaient une
organisation polyarchique dans la mesure où aucune instance ne pouvait s’ériger en autorité
unique et supérieure aux autres. Chaque pôle de pouvoir avait des fonctions différentes et était

374 LE ROY Étienne, « Communautés d’Afrique noire et protection des droits de l’individu face au pouvoir.
Problématique, modalités et actualité », in L’individu face au pouvoir, Recueils de la société Jean Bodin pour
l’histoire comparative des institutions, Paris, Dessain et Tolra, 1988, p. 50. Cité par KUYU Camille, Écrits
d’anthropologie juridique et politique, Collection publications de l’Institut universitaire André Ryckmans n°2,
Louvain-La-Neuve, Bruylant, 2008.
375 Ces groupes sont par exemple la famille, le clan, la tribu, le lignage et l’ethnie.
376
Idem., LE ROY Étienne, « Communautés d’Afrique noire et protection des droits de l’individu face au pouvoir.
Problématique, modalités et actualité », op. cit.
377 LE ROY Étienne, « Communautés d’Afrique noire et protection des droits de l’individu face au pouvoir.
Problématique, modalités et actualité », op. cit., p. 255.
378 Idem.

178
interdépendant des autres. Cette polyarchie était une garantie contre l’arbitraire du pouvoir d’un
seul, évitant par-là les risques d’absolutisme.

L’organisation communautariste des sociétés précoloniales et l’inexistence de l’institution


étatique détentrice suprême du pouvoir dans les sociétés a favorisé le développement d’une
certaine conception du rôle du roi comme étant le représentant du groupe, sans être pour autant
le détenteur unique et autonome du pouvoir. Le roi, en tant que représentant des ancêtres et des
membres de la communauté devait avant tout assumer ses devoirs envers la communauté, sous
peine de devoir répondre de ses actes devant celle-ci et devant les ancêtres qui lui ont octroyé
le pouvoir.

Ces considérations expliquent la divergence de valeurs ayant animé la conception des théories
des droits de l’homme en Europe et en Afrique subsaharienne. La notion de droits de l’homme
ne prend donc pas le même sens dans le contexte européen, où elle a été dégagée, et dans le
contexte africain. Dans le contexte africain, ces droits prennent la forme de normes
fondamentales pour l’organisation de la vie en communauté. En opposition au contexte
européen dans lequel ces droits suivent un objectif de limitation du pouvoir de l’État. Il est donc
important de préciser, qu’aux fins de ce travail, l’emploi du terme « droits de l’homme » pour
désigner les réalités africaines de l’époque précoloniale concerne uniquement le contenu de ces
droits en tant que prérogatives fondamentales reconnues à l’individu et non leur fondement en
tant qu’instrument de lutte des classes.

Les sociétés africaines précoloniales placent certes une importance particulière dans le bien-
être et la cohésion de la communauté, mais cela n’empêchait pas les individus d’avoir une
reconnaissance individuelle de leur personnalité au travers de prérogatives particulières. On
trouve d’ailleurs des registres de diverses formes d’organisation politique qui permettaient aux
individus de s’exprimer et de participer dans la vie publique. Chez les Akamba par exemple, les
individus pouvaient revendiquer des droits d’égalité qui variaient en fonction de leur groupe
d’âge379. Chez les Akan, les individus étaient redevables envers la communauté matrilinéaire,
mais bénéficiaient aussi de droits, notamment celui de participer dans la prise de décisions des
conseils de sages, voir même dans le choix des chefs ou l’exclusion d’un chef oppressif380. Les
individus disposaient de prérogatives importantes pour leur permettre de développer une vie

379 Voir en ce sens MUTHIANI Joseph, AKAMBA From Within 84 (1973) ; WA MUTUA Makau, « The Banjul
Charter and the African cultural fingerprint an evaluation of the language of duties », Virginia Journal of
International Law, Volume 35, n° 2, winter1995, p. 349.
380 WA MUTUA Makau, « The Banjul Charter and the African cultural fingerprint an evaluation of the language
of duties », op. cit., p. 349.

179
familiale et sociale saine. Ils disposaient ainsi du droit à la vie, droit à une instruction par le
biais des rituels d’initiation, des droits familiaux, droit d’exploiter une terre ou encore de
l’hériter et de jouir de ses récoltes, droit d’obtenir du bétail pour se nourrir, entre autres381. Mais
ces droits étaient étroitement liés aux droits de la communauté qui puise sa force vitale dans
chacun de ses membres. Cela explique par exemple que dans l’exercice de leurs droits
d’exploitation et de jouissance des terres, les individus devaient prendre en compte le caractère
collectif du système d’appropriation des terres. Les fruits qu’y en dérivaient devaient par
conséquent être partagés de manière égale au sein de la communauté. Le même principe
s’appliquait pour les produits de la chasse et de la pêche, comme on le voit chez les pêcheurs
yakoma en Centrafrique où chaque groupe familial se voyait attribuer par le chef local un
secteur de l’Oubangui pour pouvoir l’exploiter382.

On note que dans les sociétés traditionnelles l’individu n’est nullement marginalisé en tant que
bénéficiaire de droits fondamentaux, mais son statut reste fortement attaché à celui de la
communauté. Le maintien de la force vitale de la communauté explique notamment la présence
marquée des interdits dans les cultures africaines. L’interdit dicte la manière de faire les choses,
en tenant en compte des conséquences invisibles de l’action humaine. La présence des interdits
sert à rappeler à l’homme que ses actions peuvent avoir des conséquences bénéfiques ou
néfastes sur le devenir de la société, raison pour laquelle l’apprentissage et l’observation des
interdits faisaient partie intégrante de l’éducation des jeunes383. Franchir le pas sur les interdits
représente une rupture entre les dimensions visibles et invisibles du monde, et peut affecter la
reproduction de la société. Une violation commise dans le monde visible ouvre la porte à des
sanctions venant de l’invisible, comme des mauvaises récoltes, mauvais résultats de la pêche
ou la chasse, une longue période de sécheresse, la stérilité des femmes, etc. On retrouve ainsi
plusieurs pratiques interdites dans différentes régions, comme un moyen de régulation sociale.
Il est par exemple interdit dans les zones forestières de s’introduire dans la forêt sans
l’autorisation du chef du village et des ancêtres, sous peine de sévères réprimandes384. Chez les
peuples Ashanti au Mali il est interdit d’insulter, d’envoûter ou encore de tuer un membre du
groupe. Les interdits concernent donc des actes qui, parce qu’ils atteignent un membre de la

381 WIREDU Kwasi, « An Akan perspective on human rights », in AN-NA’IM Abdullahi A. & DENG Francis
M. (eds.), Human rights in Africa : Cross-cultural perspectives, 1990, p. 243.
382 MIGAKINI-LAÏ Gilbert, Dynamisme et caractère identitaires des patrimoines musicaux nzakara et yakoma
(République centrafricaine), Thèse pour l’obtention du titre de docteur en anthropologie, sous la dir. de Jacky
Bouju, Université d’Aix-Marseille.
383
KUYU Camille, Écrits d’anthropologie juridique et politique, Collection publications de l’Institut universitaire
André Ryckmans n°2, Louvain-La-Neuve, Bruylant, 2008, p. 33 et s.
384
Idem.

180
communauté, auront pour conséquence de diminuer la force vitale de l’ensemble du groupe385.
Le droit traditionnel avait donc comme objectif non seulement d’organiser la vie en société,
mais aussi de protéger à la fois les droits de la communauté et des individus par des règles qui
encadrent la vie en famille, les rapports entre hommes et femmes, entre enfants et adultes ; mais
aussi l’exercice du pouvoir des autorités qui se voyaient limitées par leur mode de désignation
et par la fonction qu’elles exerçaient.

Contrairement aux sociétés européennes où les droits fondamentaux ont été solennellement
posés dans des textes à caractère constitutionnel, dans les sociétés précoloniales de l’Afrique la
culture orale a pris le dessus sur la formalisation textuelle des règles. L’oralité, un trait, n’a pas
permis la transcription des principales règles fondamentales des royaumes africains. Mais
certaines ont pu traverser le temps et sont parvenues à notre connaissance et ont été compilées
dans des textes écrits.

§2. Une protection formalisée par des lois royales

Plusieurs récits de voyageurs arabes et européens font preuve de l’existence dans les anciens
royaumes africains de principes regroupant des règles fondamentales au bénéfice des individus
et des communautés. Mais très peu de ces principes ont fait l’objet d’une divulgation écrite. On
en trouve actuellement, pour les plus connues, dans la Charte du Mandé et les Lois du roi
Mandume. Ces textes qui font preuve des préoccupations de la vie sociale de l’époque, imposent
un cadre aux comportements humains, tout en interdisant les actes néfastes pour la dignité de
l’individu et la cohésion de la société, proclamant notamment le principe sacro-saint du droit à
la vie qu’on trouve à l’énoncé 5 de la Charte du Mandé selon lequel « chacun a droit à la vie et
à préservation de son intégrité physique ».

La Charte du Mandé, aussi connue comme la Charte de Kouroukan Fouga (ou Kurukan Fuga),
date de 1236 et est avant tout un texte à vocation constitutionnelle, rendu public par le travail
conjoint des chercheurs du centre d’étude linguistique historique et de la tradition orale

385 De nos jours, comme le note le prof. KUYU Camille, cette vision traditionnelle a considérablement évolué
avec l’introduction de la pensée rationnelle prônée par l’Occident. Cette évolution n’efface pas la crainte
superstitieuse liée aux interdits, mais elle change la perception des effets de leur transgression. Ces derniers ne
sont plus interprétés comme étant une punition venant de l’invisible, mais comme étant tout simplement un résultat
d’un hasard malheureux. Voir KUYU Camille, Écrits d’anthropologie juridique et politique, Collection
publications de l’Institut universitaire André Ryckmans n°2, Louvain-La-Neuve, Bruylant, 2008, p. 34.

181
(CELTHO) et de l’ONG suisse Inter-media consultants en 1998386. Ce texte fondamental, fixe
un ensemble de règles de conduite destinées à tous les peuples alliés au Mandé (roi) Sundjata
du royaume mandingue après sa victoire dans la bataille de Kirina en 1235, contre le chef de
clan Soumaoro Kanté du royaume sosso. La Charte a été confiée à la mémoire des djéli387 et
transmise par voie orale pendant des siècles. Ce n’est que plusieurs décennies après que les
historiens ont pu reconstituer ces énoncés pour les présenter sous une forme de charte afin de
montrer sa valeur solennelle.

Après la victoire de la bataille de Kirina en 1235 et la conquête du clan de Soumaoro Kanté,


qui a constitué l’un des évènements marquants de l’établissement du puissant empire du Mali,
le Mandé Soundjata devait établir les bases d’une coexistence pacifique entre les différents
clans, ethnies et castes qui se trouvaient sous son autorité. La Charte du Mandé regroupe ainsi
un ensemble de principes, d’obligations et d’interdits régissant les relations entre les différents
groupes. Ces dispositions proclament des droits de certaines catégories sociales que la Charte
organise de manière stratifiée dans un système de castes, divisant la société entre les hommes
libres (horonw) et esclaves (jonw). Dans le premier niveau social on trouve les nobles et les
hommes de métier (nyamakala) : forgerons (numuw), cordonniers (garankew), griots (jeliw),
tisserands, etc. Dans un but à la fois conciliateur, impérial et législatif, les droits et obligations
prévus, visent à permettre une cohabitation pacifique entre les différents peuples et à prévenir
d’éventuels conflits par l’institution d’obligations d’assistance réciproques entre les
communautés. La Charte, regroupée en 44 articles ou énoncés, vise l’ensemble des domaines
de la vie courante : l’organisation sociale, l’exercice du pouvoir, les règles d’acquisition et
d’usage de la propriété, les droits et devoirs des citoyens et des communautés, les obligations
familiales, la gestion des conflits et même des règles de préservation des ressources
naturelles388.

Cette Charte, énonce des principes fondamentaux, qui furent plus tard reconnus dans divers
textes internationaux relatifs aux droits de l’homme. L’intégrité physique y était
particulièrement visée par différents énoncés relatifs à l’intégrité physique de la personne

386 Pour plus de développements voir CISSE Y. T. et. SAGOT-DUVAUROUX J.-L, La Charte du Mandé et
autres traditions du Mali, Paris, Albin Michel, 2003 ; voir aussi : CELHTO, La Charte du Kurukan Fuga, aux
sources d’une pensée politique en Afrique, Paris, L’Harmatan, 2008.
387
Les djéli, sont aussi appelés des griots sont les dépositaires de la tradition orale en Afrique de l’Ouest. Ils
appartiennet à une caste dont la mission est de transmettre les récits des grands faits historiques et proclamer des
louanges à l’égard des héros et des personnages influents.
388
Radio rurale de Guinée, Atelier régional de concertation entre traditionalistes mandingues et communicateurs
des radios rurales, « la Charte de Kurukan fuga », Kankan du 02 au 12 mars 1998.

182
humaine (énoncé 5) ; des règles d’entraide et d’assistance communautaires (énoncés 9, 24 et
30) ; et l’encadrement des pratiques d’esclavage, notamment par l’imposition de limites aux
heures de travail et de jours de repos hebdomadaires (énoncé 20).

Concrètement, la Charte met un point particulier sur l’institution familiale, instituant des
« lois » applicables dans les relations entre les membres d’une famille qui se doivent aide et
assistance. En ce domaine, il y est prévu l’importance de respecter « la parenté, le mariage et
le voisinage » (énoncé 40). On trouve également dans la Charte des dispositions relatives à
l’éducation des enfants là où Soundjata déclare que « l’éducation des enfants incombe à tous,
à l’ensemble de la société ; la puissance paternelle appartient en conséquence à tous » (énoncé
9) ; mais aussi au traitement des femmes au sein de la société lorsqu’elle dit dans l’énoncé
suivant : « n’offensez jamais les femmes, elles sont nos mères » (énoncé 14) ou encore « les
femmes, en plus de leurs occupations quotidiennes, doivent être associées à tous nos
gouvernements » (énoncé 16). La mise en œuvre des préceptes prévus par la Charte est
sanctionnée par les autorités ancestrales mais doit être assurée par l’ensemble de la société,
comme prévu au dernier énoncé d’après lequel « tous ceux qui enfreindront ces règles seront
punis. Chacun est chargé de veiller à leur application ».

Le second texte relatif à des droits fondamentaux, moins répandu que le premier, a été adopté
aux débuts du XXe siècle par le roi Mandume ya Ndemufayo, à son arrivée au pouvoir en 1911
dans le royaume d’Oukwanyama (au sud de l’Angola et nord de la Namibie). Connues sous le
nom de « Nouvelles lois », les Lois du roi Mandume sont divisées en sept sections. Dans ce
texte, le roi fait non seulement appel au peuple à faire la paix avec les tribus du Sud, mais
prescrit aussi des interdictions qui créent des droits au profit des individus, comme l’interdiction
du vol ou encore l’interdiction de tuer des personnes accusées de sorcellerie389. Les Nouvelles
lois prévoient aussi des sanctions pour les transgressions aux règles sociétales de l’époque. Par
exemple, doivent être punis les individus coupables d’agressions violentes lorsque la victime
en ressort ensanglantée390.

Déterminé à garder l’ordre social selon les termes de la tradition locale, le roi Mandume a
accordé à ses sujets des droits et obligations pour certains tout à fait nouveau face aux règles

389 HAYES Patricia, « Order out of Chaos : Mandume Ya Ndemufayo and Oral History », Journal of Southern
African Studies, Vol. 19, No. 1, special Issue : Namibia : Africa's Youngest Nation, 1993, p.100.
390 HINZ Manfred O., “Traditional authorities: custodians of customary law development?”, in FENRICH
Jeanmarie, GALIZZI Paolo and HIGGINS Tracy E. (dir.), The future of African customary law, Cambridge,
Cambridge University Press, 2011, p. 161.

183
existantes, montrant le caractère évolutif des droits traditionnels. Il a ainsi accordé aux femmes
la possibilité de disposer de leur propre bétail ; a imposé des restrictions en matière d’usage des
sols pour l’agriculture, face au phénomène de sécheresse sévère ; a prescrit des punitions
sévères contre les personnes coupables de crimes graves comme le viol. Ces lois, éditées par
un roi dont le mandat a été très court (1911-1917), font preuve de la force et de la ténacité d’un
monarque qui a dédié l’ensemble de son règne à la lutte contre l’implantation des puissances
coloniales à la fois portugaises, britanniques et sud-africaines dans ses territoires. Son combat
a été tel qu’il lui a couté sa vie dans les mains des forces portugaises.

Ces deux textes fondamentaux sont les plus connus relatant l’adoption par des autorités
africaines avant la colonisation de règles relatives au vivre ensemble, visant au-delà du bien-
être collectif, la protection de l’intégrité et la dignité humaine. Un regard approfondi sur
l’histoire africaine permettrait certainement de prendre connaissance de récits d’autres règles
similaires adoptées successivement par les leaders politiques bien avant la colonisation. Mais
dans un contexte culturel marqué par l’oralité, très peu de ces règles ont fait l’objet d’un écrit,
ce qui est aujourd’hui bien regrettable face à la réalité coloniale qui a voulu faire table rase de
l’histoire et plus encore de l’identité africaine391.

L’analyse de ces règles permet de voir à plusieurs égards la différence d’approche des deux
continents européen et africain sur ce qui constituent traditionnellement des principes
fondamentaux. On remarque tout d’abord que les principes se présentent pour l’essentiel sous
la forme d’interdits ce qui montre bien que l’individu ne se place pas au centre de la vie en
société, mais qu’il reste un élément fondamental de la société. Raison pour laquelle la Charte
du Mandé punit de la peine capitale tout acte attentatoire à la vie et à l’intégrité physique d’un
individu. Cette vision est en contraste avec l’approche libérale européenne dans laquelle
l’individu se place au centre de la vie en société, ce qui atteste l’intitulé même de la Charte des
droits française de 1789, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

D’autre part, aussi bien dans la Charte du Mandé que dans les lois du roi Mandume les règles
prévoient une participation active des femmes dans la vie en société, en particulier dans les

391 HAYES Patricia, « Order out of Chaos : Mandume Ya Ndemufayo and Oral History », Journal of Southern
African Studies, Vol. 19, No. 1, special Issue : Namibia : Africa's Youngest Nation, 1993, p. 92.

184
organes de prise de décision392. Mais cette référence à ce qui peut sembler un principe d’égalité
entre hommes et femmes ne l’est pas pour autant car aucun des textes ne fait référence à l’égalité
entre hommes et femmes et encore moins au principe d’égalité générale entre tous les citoyens.
La Charte du Mandé en particulier commence par présenter un modèle de société stratifiée,
organisée dans un système de castes, mettant un accent particulier sur l’importance du respect
dû aux autorités à tous les niveaux393 et plus encore le respect dû aux aînés en général394. Cette
vision vient encore une fois en contraste avec l’approche égalitaire que les révolutionnaires
occidentaux ont introduit dans les textes fondamentaux, comme un moyen de lutte contre
l’autoritarisme des autorités étatiques.

En conclusion, les fondements libéraux et égalitaires que l’on trouve dans les théories
occidentales des droits de l’homme ne sont pas présents dans les règles fondamentales des
anciens royaumes africains. Mais dans les deux cas, le principe de protection de la vie et de
l’intégrité de la personne humaine sont présents comme des fondements de la vie en société.
Pour cette raison et malgré leur ancienneté il est important de mentionner l’existence de
principes fondamentaux dans l’Afrique précoloniale, dont certains perdurent encore dans
certaines sociétés. Certains préceptes de la Charte du Mandé par exemple continuent d’être
appliqués chez les peuples ayant appartenu au grand royaume de Kurukan Fuga, pour régir
certains aspects de l’organisation de la société395. La naissance d’un mécanisme africain de
protection des droits de l’homme, adopté après les premières indépendances sur le continent
reconnaît l’apport des principes traditionnels à la culture africaine, essayant de faire renaître
l’identité perdue de nos sociétés en y intégrant certains principes fondés sur des préceptes de
cultures traditionnelles. Cependant ce retour au passé fait face à plusieurs défis dans un monde
de plus en plus globalisé.

392 Voir énoncé 16 de la Charte du Mandé : « En plus de leurs occupations quotidiennes, les femmes doivent être
associées à tous nos Gouvernements ».
393 Voir en ce sens les articles suivants « énoncé 2 : les « Nyamakala » se doivent de dire la vérité aux Chefs,
d’être leurs conseillers et de défendre par le verbe, les règles établies et l’ordre sur l’ensemble de l’Empire ;
énoncé 3 : les « MoriKanda » sont nos maîtres et nos éducateurs en islam. Tout le monde leur doit respect et
considération ; énoncé 4 : la société est divisée en classes d’âge. A la tête de chacune d’elles est élu un chef. Sont
de la même classe d’âge les personnes (hommes ou femmes) nées au cours d’une période de trois années
consécutives ».
394
Voir énoncé 18 : « Respectons le droit d’aînesse ».
395 Radio rurale de Guinée, Atelier régional de concertation entre traditionalistes mandingues et communicateurs
des radios rurales, « la Charte de kurukan fuga », Kankan du 02 au 12 mars 1998, p. 3.

185
SECTION II. La proclamation solennelle des droits de l’homme après les indépendances

Les peuples africains revendiquaient l’implémentation des principes des droits de l’homme sur
le continent depuis la période coloniale, mettant en lumière les incohérences des régimes
coloniaux qui tout en proclamant les droits de l’homme dans les métropoles, refusaient
d’appliquer aux peuples colonisés les droits les plus essentiels. L’adoption dans les années 1950
en Europe d’une Charte des droits a inspiré d’éminentes figures africaines à mener un véritable
combat pour l’instauration d’un texte similaire tourné vers les peuples africains. Ce texte n’a
vu le jour que le 27 juin 1981, date de l’adoption de la Charte africaine des droits de l’homme
et des peuples, à un moment où la plupart des États n’était plus soumise à la puissance coloniale
(§1). La Charte a été suivie de deux des conventions adoptées en réponse à des besoins
particuliers de certaines catégories de personnes, les enfants et les femmes, pour lesquels un
mécanisme institutionnel de sauvegarde fut spécifiquement prévu. Il s’agit respectivement de
la Charte africaine pour les droits et le bien-être des enfants, adopté en 1990 (§2) et du Protocole
à la Charte africaine relatif aux droits des femmes en Afrique, adopté en 2003 (§3).

§1. La Charte africaine des Droits de l’Homme et des peuples : instrument précurseur de
la promotion et protection des Droits de l’Homme en Afrique

La conquête de l’indépendance a été pour les pays africains l’un de points focaux de l’histoire
du continent au cours du XXe siècle. Pour beaucoup, le respect des droits de l’homme constituait
la fondation sur laquelle devait reposer la sécurité, la paix et le développement de l’Afrique.
Cet objectif a été revendiqué bien avant les indépendances par des personnalités adeptes du
panafricanisme comme le président Benjamin Nnamdi Azikiwe, premier président du Nigéria,
dans son mémorandum sur la « Charte de l’Atlantique et l’Afrique occidentale britannique »,
de 1943. Le président Nnamdi Azikiwe n’a été rejoint dans son combat pour les droits de
l’homme par celui qui deviendrait le premier président de la République du Sénégal, Léopold
Sédar Senghor, qu’après l’adoption de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et
des libertés fondamentales par le Conseil de l’Europe en 1950. Azikiwe avait proposé que ce
texte soit appliqué au-delà des frontières européennes sur les territoires se trouvant sous la
domination des États parties à la Convention européenne. Or, l’idée d’appliquer la Convention

186
européenne aux colonies françaises a été catégoriquement rejetée par les autorités françaises,
réponse en totale contradiction avec les valeurs proclamées par la République française. Malgré
ce refus, le Comité des ministres français a accepté d’introduire une clause coloniale facultative
permettant d’appliquer la Convention dans les territoires sur lesquels un État exerçait une
autorité et dont il assurait les relations internationales396. En application de cette clause, la
Grande-Bretagne a étendu le bénéfice de la Convention à plusieurs des territoires se trouvant
sous sa domination, dont certains se trouvaient sur le continent africain. Le Nigéria qui en a
bénéficié s’est particulièrement distingué après son indépendance dans sa quête pour une
protection continentale des droits de l’homme.

Profitant de l’impulsion venant de certains États, plusieurs d’entre eux nouvellement formés
ont reconnu dans leurs Constitutions la nécessité de garantir la protection des droits humains et
des libertés fondamentales, comme l’une des bases pour une société progressiste397.
L’introduction de principes fondamentaux des droits de l’homme dans les droits nationaux est
essentiellement perçue comme une démonstration de l’adhésion des États africains aux valeurs
modernes de la démocratie. Cependant pour certains cette inclusion se justifiait avant tout par
des impératifs de protection des droits de propriété acquis au cours de la colonisation par une
minorité d’étrangers ayant investi dans l’économie des anciennes colonies398. Si bien que selon
un groupe de juristes, la question des droits individuels, spécialement le droit à la propriété
privée et à obtenir la protection de l’État pour ces propriétés, est devenue l’un des principaux
sujets de discussion au moment des indépendances399. Cela explique, selon le même groupe,
que la couronne britannique se soit assurée qu’une Charte des droits fondamentaux serait
insérée dans les Constitutions de ses anciennes colonies, « pas parce qu’ils se souciant
beaucoup des droits et libertés individuels des peuples indigènes. [Mais] ils étaient préoccupés
par la propriété de leurs nationaux restés dans les colonies après l’indépendance 400».

Or, après les indépendances, l’écart entre les textes constitutionnels et l’attitude de plusieurs
gouvernements agissant en total mépris des droits et libertés fondamentaux est devenu très

396 PELLET Alain, « La ratification par la France de la Convention européenne des droits de l’homme », Revue
du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, LGDJ, sept.-oct. 1974, p. 1351.
397 On trouve en ce sens des références à la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies dans
plusieurs constitutions après les indépendances, telles que : Guinée 1958, Mali 1960, Niger 1960, Gabo 1961,
Mauritanie 1961, Burundi 1962, Somalie 1960, Algérie 1963, République du Congo 1963, Sénégal 1963, Togo
1963, Zaïre 1967, Bénin 1970, Rwanda 1962 et Guinée équatoriale 1968.
398 SHIVJI Issa G., “The concept of human rights in Africa”, London, CODESRIA Book Series, 1989, p. 19.
399 Legal Aid Committee, Essays in Law and Society, Dar-es-Salaam, Faculty of Law, 1985, pp. 12-13 (traduction
de l’anglais par nos soins). Cité par SHIVJI Issa G., The concept of human rights in Africa, London, CODESRIA
Book Series, 1989, p. 19.
400
Idem.

187
flagrant. Très vite, le continent est devenu témoin d’exactions graves commises contre ses
populations avec des détentions arbitraires, la persécution de membres de l’opposition
politique, des restrictions à la liberté d’expression et de réunion, des actes de torture, pour ne
citer que quelques-unes des violations commises sous le regard inerte des États. Des voix se
sont vite levées pour la tenue d’un sommet africain sur la protection des droits de l’homme
duquel ressortiraient des idées pour l’élaboration d’un système continental de protection des
droits fondamentaux similaire à ceux existants en Europe et en Amérique Latine.

La Conférence africaine sur l’État de droit, tenue à Lagos au Nigéria en janvier 1961, sous les
auspices de la Commission internationale de juristes a été l’un des points de départ de
l’ouverture du débat pour une protection régionale des droits fondamentaux en Afrique. Inspirés
par le présupposé de la valeur universelle de la dignité humaine, les professionnels du droit
réunis au Nigéria ont adopté la Déclaration de Lagos le 7 janvier 1962, dans laquelle les
participants se sont accordés sur la rédaction d’une déclaration invitant les États africains à
adopter une convention africaine des droits de l’homme qui embrasse les principes modernes
des droits de l’homme. L’adoption d’une telle convention devrait aboutir à la création d’une
Cour africaine chargée d’assurer l’application de la convention, ouverte à la saisine individuelle
des ressortissants des États signataires401. L’adoption d’une convention africaine des droits de
l’homme a par ailleurs été fortement encouragée par le président Nnamdi Azikiwe lors de son
discours prononcé le 12 août 1961 à Londres sur le panafricanisme, invitant le Conseil des États
africains à « promulguer une convention africaine des droits de l’homme comme gage de leur
foi dans le gouvernement du droit et de la démocratie comme mode de vie, de la liberté
individuelle et du respect de la dignité humaine402 ».

La Conférence africaine sur l’État de droit, comme bien d’autres ayant eu lieu sur le continent
aux débuts de l’année 1960, a inspiré les États et alerté à la nécessité d’un mécanisme régional
qui devait passer non seulement par la rédaction d’une convention sur les droits de l’homme,
mais plus largement par la création d’une organisation régionale qui a vu le jour en 1963 avec
la création de l’OUA. La Charte de l’OUA a été l’une des prémisses de la Charte africain DHP

401 La Déclaration de Lagos, également connue sous le nom de « The Law of Lagos », fut adoptée le 7 janvier
1962 et dispose le suivant : « That in order to give full effect to the Universal Declaration of Human Rights of
1948, this Conference invites the African Governments to study the possibility of adopting an African Convention
of Human Rights in such a manner that the Conclusions of this Conference will be safeguarded by the creation of
a court of appropriate jurisdiction and that recourse thereto be made available for all persons under the
jurisdiction of the signatory States ».
402 Cité par BADARA FALL Alioune, « La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples : entre
universalisme et régionalisme », Pouvoirs 2009/2 (n° 129), p. 79.

188
par la reconnaissance des droits de l’homme et des peuples comme des valeurs fondamentales
sur le continent.

Mais l’adoption de la Charte africaine DHP était loin de faire l’unanimité au sein de la classe
politique. Plusieurs voix se sont opposées à son adoption dans un continent où tous les peuples
ne jouissaient pas encore de la liberté leur permettant d’exister en tant qu’Africains 403. L’OUA
semble avoir adopté cette seconde approche en ayant placé l’essentiel de son attention dans la
lutte contre toute forme d’impérialisme, de colonisation, de discrimination raciale et d’apartheid
sur le continent, en proclamant le droit inaliénable de tous les peuples à contrôler leur propre
destinée, le droit des peuples à l’auto-détermination, le respect de la souveraineté des États
africains et le principe de non-ingérence dans leurs affaires internes. Ainsi, malgré une volonté
initiale de garantir la protection de la dignité de la personne humaine, la protection des droits
de l’homme a été reléguée au second plan dans l’activité de l’OUA, bien plus préoccupée à
mettre fin à l’ingérence des puissances coloniales qui subsistaient encore sur le continent.

Dans ce contexte, de nombreux régimes dictatoriaux se sont formés à l’abri des principes
jalousement affirmés par la Charte de l’OUA sur le caractère absolu de la souveraineté des
États, l’intangibilité des frontières léguées par les administrations coloniales et la non-ingérence
dans les affaires intérieures des États. Une partie des dirigeants africains, soutenus par l’ancien
régime soviétique, se sont empressés d’imposer le monopartisme comme moyen de garantir
l’unité territoriale dans des États marqués par une fragmentation sociale et culturelle. Pour les
nouveaux dirigeants, les efforts devraient être avant tout tournés vers l’unité nationale, que la
politique du parti unique permettrait d’atteindre, plus que sur les principes libéraux des théories
des droits de l’homme, dans lesquelles l’accent est mis sur l’homme individuellement, ce qui
n’allait pas de pair avec les aspirations nationalistes.

Face à l’inertie de l’OUA, et à la montée des régimes autoritaires sur le continent, comme les
régimes instaurés par les présidents Idi Amin Dada en Ouganda, Jean-Bedel Bokassa en
République centrafricaine et Mobutu Sese Seko en RDC, certains ont proposé la création de
commissions régionales des droits de l’homme. Sous le regard des Nations Unies, qui seraient
chargées d’assurer la promotion et l’application de la Déclaration universelle des droits de
l’homme dans les régions où une telle protection n’était pas encore assurée. Une proposition de
résolution a été soumise aux Nations Unies en mars 1967 et adoptée dans la même année, avec

403 Voir en ce sens : SALMON J., « Rapport sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », Annales de la
faculté de droit et des sciences économiques de Reims, 1974, ASERJ, p. 268.

189
le soutien de certains États comme le Sénégal, la Tanzanie, le Bénin et la République du Congo.
Néanmoins, cette initiative n’a pas eu un retentissement favorable au sein de l’ensemble des
États.

Ce n’est que vers la fin des années 1970 que les portes pour un dialogue sur la création d’un
système africain de protection des droits de l’homme ont commencé à s’ouvrir lentement, avec
l’augmentation des débats et des réunions à différents niveaux des institutions internationales
et de la société civile pour proposer un cadre pour la création d’un tel mécanisme. Plusieurs
propositions de mise en place d’une charte africaine pour les droits de l’homme ou d’une
commission régionale en découlant ont été mises sur la table dans ces années-là. Mais le
contexte de discriminations raciales avec l’apartheid en Afrique du Sud et en Namibie, et la
colonisation qui subsistait encore dans les pays lusophones ne permettait pas aux États de
trouver une voix commune et favorable à une pleine entrée dans l’ère des droits de l’homme
tels que proclamés par les Nations Unies.

Le grand tournant a eu lieu lorsque pendant la réunion de l’Assemblée des Chefs d’État et de
gouvernement de l’OUA, en juillet 1979, le président sénégalais Léopold Sédar Senghor a
proposé une résolution prévoyant la mise sur pied d’un groupe d’experts chargé de rédiger un
projet préliminaire de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples404. La résolution
a été adoptée à l’unanimité, marquant le début d’un virage dans le système juridique régional
et le début d’une nouvelle ère dans la perception de la personne humaine, de son individualité,
ainsi que dans la reconnaissance des peuples dans la sphère juridique africaine.

Après l’adoption de la résolution de l’OUA, un groupe d’experts composé de 20 juristes a été


mis en place sous la présidence du juge Kéba Mbaye pour la rédaction d’un projet de Charte
ADHP. Le groupe s’est réuni à Dakar, du 28 novembre au 8 décembre 1979. Toutefois, comme
le rapporte Emmanuel Bello, le groupe a été surpris d’apprendre que le Secrétariat de l’OUA
avait déjà préparé un projet préliminaire de Charte, reprenant des dispositions des Chartes
européenne et interaméricaine des droits de l’homme. Or, le groupe d’experts a estimé qu’une
copie des chartes européenne et interaméricaine ne permettrait pas de donner une réponse
adéquate aux violations des droits de l’homme en Afrique405. Il fallait un texte qui mette en
relief les problématiques propres à l’Afrique, mettant l’accent sur les droits des peuples, les

404 OAU doc. Décision 115 (XVI), rev. 1, AHG/115 (XVI) 1979.
405 BELLO Emmanuel G., « The African Charter on Human and Peoples’ Rights: a legal analysis », Collected
Courses of the Hague Academy of International Law, volume 194, p. 28.

190
devoirs des individus, les questions de paix et de sécurité, les institutions et instruments chargés
de l’application de la Charte.

Les débats sur le projet de Charte ADHP n’ont pas été faciles. Le Conseil des ministres de
l’OUA s’est réuni à Banjul (Gambie) à deux reprises en 1980 pour des délibérations qui ont
montré que les États étaient loin de trouver un compromis pour le texte final. Des divergences
majeures subsistaient encore entre les délégations concernant, entre autres, la conception des
droits de l’homme à adopter. D’autres difficultés rencontrées touchaient à l’attitude de méfiance
qui s’est instaurée au sein des délégations, entre ceux qui voulaient voir un changement s’opérer
au niveau régional et ceux qui préféraient garder le statu quo. A la fin de la première session,
seuls 11 articles du projet de la Charte ont été revus et adoptés406. Une seconde réunion a été
organisée en janvier 1981 à Banjul avec des délégués bien plus disposés à coopérer et à trouver
des compromis dans l’adoption d’un texte commun.

Après des nombreux débats, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples a
finalement été adoptée le 27 juin 1981, par l’Assemblée des Chefs d’État et de Gouvernement
de l’OUA, à Nairobi, Kenya. La Charte africaine DHP comporte 68 articles, divisés en trois
parties, à l’exclusion du Préambule. La première partie porte sur les droits et devoirs des
individus et des peuples, la deuxième partie concerne les mesures de promotion et de protection
des droits de l’homme et la troisième partie comporte des dispositions générales sur la Charte,
les protocoles et accords additionnels.

Les rédacteurs de la Charte ont voulu créer un document qui mette en valeur les principes de la
tradition africaine en matière de droits fondamentaux, mais ont été mis en garde par le groupe
d’experts chargé de la préparation du projet de Charte (réunis à Dakar en novembre 1979) sur
le danger de faire une Charte « de l’homme africain », ignorant la nature même de ces droits et
leur finalité qui est de s’appliquer à tout individu407. Les rédacteurs ont eu ainsi à relever le défi
d’articuler le rapport entre universalisme et particularisme, mais n’ont pas pu faire table rase de
l’héritage normatif laissé par l’Occident en matière de protection des droits humains.
L’adhésion des rédacteurs aux principes universalistes est visible dans la Charte lorsqu’elle
mentionne dans le Préambule l’adhésion des États parties aux textes internationaux ayant une

406 Voir le rapport du Rapporteur, CAB/LEG/67/3 draft Rapt. (11), juin 1980.
407 Pour eux : « L’humanité est une et indivisible et les besoins élémentaires sont les mêmes partout ». Cf. Réunion
des Experts pour la préparation de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, Dakar, Sénégal, 28
novembre à décembre 1979, OUA, doc. CAB/LEG/draft Rpt. 11. Voir aussi le discours d’ouverture du président
Senghor à Dakar, Sénégal, le 28 novembre 1979, au début de la Conférence des experts africains chargés de rédiger
le projet de la Charte africaine, Doc. CAB/LEG/67/5.

191
portée universelle tels que la Charte des Nations Unies et la Déclaration universelle des droits
de l’homme.

La Déclaration universelle des droits de l’homme est l’une des sources d’inspiration première
de la Charte africaine, en particulier en ce qui concerne l’énoncé des droits et libertés
individuels. Plusieurs des articles de la Charte africaine s’inspirent directement, à quelques
nuances près, de la rédaction de diverses dispositions de la Déclaration universelle. Les seize
premiers articles de la Charte africaine consacrés aux droits et libertés individuels sont des
adaptations de diverses dispositions de la Déclaration universelle. Par exemple, l’article 2 de la
Charte africaine relatif à la jouissance des droits et libertés reconnus par la Charte reprend
l’article 2§2 de la Déclaration universelle ; de même, l’article 3 de la Charte sur le principe
d’une égalité totale devant la loi, est une reprise de l’article 7 de la Déclaration universelle. On
retrouve aussi des nombreuses dispositions inspirées des Pactes de 1966, comme l’article 18§1
de la Charte sur le caractère fondamental de la famille au sein d’une société qui est une
adaptation de l’article 23§1 du Pacte sur les droits civils et politiques, ou encore l’article 21-3
de la Charte africaine sur la libre disposition des richesses et ressources naturelles, reprit à
l’article 1e §2, commun aux deux Pactes.

La Charte reprend certes les droits classiques prévus en matière de protection des droits
fondamentaux de l’homme, mais elle procède également à des adaptations de certaines
dispositions au contexte politique et social de l’Afrique de l’époque. Elle proclame notamment
de manière explicite l’indivisibilité des droits de l’homme dès son Préambule, rejetant ainsi la
division classique des droits civils et politiques d’un côté et des droits économiques, sociaux et
culturels de l’autre. La Charte met aussi une emphase particulière sur les droits dits de troisième
génération, tel le droit au développement, le droit à la paix, le droit à un environnement sain et
le droit au respect de l’héritage commun de l’humanité.

L’une des particularités de la Charte ADHP réside dans la proclamation de l’indissociabilité


des droits civils et politiques des droits économique, sociaux et culturels. Car selon ses
rédacteurs, la jouissance des droits civils et politiques est intimement liée à la satisfaction des
droits économiques, sociaux et culturels408. La reconnaissance de l’indivisibilité des droits
civils et politiques et des droits économiques et sociaux lors de l’adoption de la Charte, dans un
contexte de guerre froide, n’est pas anodine car elle permet de donner la position des États
africains dans le débat sur les divergences existantes à l’époque entre un Occident plus soucieux

408 Préambule, paragraphe 8.

192
de défendre la mise en œuvre des droits civils et politiques et un le camp de l’Est soviétique
plus attaché aux droits économiques et sociaux. En considérant que la réalisation des droits
civils et politiques est dépendante de celle des droits économiques et sociaux, l’Afrique rejoint
le camp de l’Est, par ailleurs très soutenu par les États du tiers monde et ce malgré les critiques
du camp de l’Ouest sur les difficultés de mise en œuvre des droits économiques et sociaux409.

Plusieurs des droits économiques, sociaux et culturels prévus dans la Charte sont déjà
cristallisés dans les textes classiques de protection des droits de l’homme, en particulier dans
les Pactes de 1966. Mais elle essaie de donner une tournure différente à ces droits en les adaptant
aux besoins de la réalité africaine. Cela explique en partie l’introduction des devoirs des
individus dans la Charte, comme un élément important de l’aspect social des communautés
africaines très axées sur la solidarité entre les individus, contrairement aux valeurs sociales en
Occident, beaucoup plus marquées par l’individualisme. Par ailleurs, plusieurs devoirs prévus
dans la Charte se rapportent à la participation de chaque individu dans le développement
économique, social et culturel de l’ensemble de la société et du continent en général, faisant
ainsi un clin d’œil aux principes précoloniaux. On retrouve ces mêmes références furtives aux
principes culturels africains dans les deux textes additionnels à la Charte ADHP relatifs aux
droits de l’enfant et des femmes.

§2. Les textes additionnels à la Charte ADHP

La Charte africaine DHP prévoit dans son article 66 la possibilité pour les institutions africaines
d’adopter des textes complémentaires permettant une protection plus spécifique de droits qui
ne sont pas particulièrement détaillés dans la Charte. Deux textes fondamentaux ont été adoptés
sur ce fondement en matière de protection des droits de l’homme. Il s’agit de la Charte africaine
pour les droits et le bien-être de l’enfant (A) et le Protocole à la Charte africaine sur les droits
de femmes en Afrique (B).

409 JOUANNET Emmanuelle, Qu’est-ce qu’une société internationale juste ? Le droit international entre
développement et reconnaissance, Paris, Pedone, 2011, p. 230.

193
A. La Charte africaine pour les droits et le bien-être de l’Enfant : un instrument
répondant à des besoins particuliers des enfants en Afrique

La Charte africaine des droits et le bien-être de l’enfant suit en grande mesure les mêmes
objectifs et principes que la Convention internationale sur les droits de l’enfant adoptée en 1989,
dans le cadre de l’ONU (1), mais elle s’en démarque dans une certaine mesure par la prise en
compte de certaines problématiques plus spécifiques aux réalités africaines. Par-là, la Charte
essaie de donner une certaine place aux traditions culturelles du continent, mais le fait avec
beaucoup de précautions (2).

1. Principes et objectifs de la Charte africaine des droits et le bien-être de l’enfant

Adoptée par la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de l’OUA, le 11 juillet


1990410, la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant a pour objectif de fournir une
protection plus élevée aux droits de l’enfant et à plusieurs égards donne une protection plus
adéquate que la Convention internationale sur les droits de l’enfant (CIDE) adoptée en 1989,
qu’elle vient compléter411. La Charte pour les droits de l’enfant est entrée en vigueur le 29
novembre 1999, après sa ratification par 15 États membres de l’OUA. A l’heure actuelle, il est
possible d’affirmer par le nombre de ratifications qu’elle a été bien reçue par les États membres,
même si ces derniers ont montré un engouement moins soutenu pour sa ratification qu’ils
n’avaient montré pour la ratification de la CIDE.

La CIDE, qui a servi de modèle à la Charte africaine sur les droits et le bien-être de l’enfant, a
été adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 20 novembre 1989412. Elle a été le
fruit d’un long travail qui avait été entamé dans les années 1970 au sein de l’ONU afin de
permettre l’adoption d’un texte contraignant en matière de droits des enfants. Elle a été
largement ratifiée par la majorité des États , malgré d’âpres négociations lors de son adoption
en raison de désaccords importants entre les États concernant la définition de certains thèmes,

410 Document de l’OUA, Doc/CAB/LEG/TSG/Rév. 1.


411 Pour plus de développements sur la Charte africaine des enfants lire : VILJOEN, 31, Comparative and
International Law Journal of Southern Africa (1998), 199-212 ; lire aussi, Human Rights Law in Africa 1997, 38,
African Journal of International and Comparative Law/RADIC (1991), 173 et 18 Commonwelth Law Bulletin
1992), 1112.
412 Convention relative aux droits de l’enfant, Document A/RES/44/25, 20 novembre 1989. Le traité est entré en
vigueur le 2 septembre 1990.

194
comme la détermination du moment où commence la vie humaine et plus largement du début
et de la fin de l’enfance, la question des enfants soldats, l’autonomie religieuse des enfants et
la prise en compte de certaines traditions dans la Convention. Certaines tensions ont été
partiellement surmontées et la CIDE a été massivement ratifiée. Mais des divergences de
positions ont justifié pour certains la présentation de réserves au texte après son adoption.

La Charte africaine sur les droits et le bien-être de l’enfant qui s’inspire directement de la
Convention de 1989 énonce des droits et libertés classiques inhérents à l’être humain tel le droit
au respect de la vie, l’interdiction des mauvais traitements, la garantie de la liberté d’expression
et le droit à la santé et à la sécurité sociale. Elle contient aussi des dispositions plus spécifiques
aux besoins des enfants en lien par exemple avec l’exercice de l’autorité parentale, l’accès à
l’éducation et des questions relatives à l’adoption.

Pour assurer le respect de l’application de la Charte, celle-ci prévoit la création d’un Comité
africain d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant, composé de onze membres413. On
voit ici encore une similitude avec la Convention de 1989 qui prévoit elle aussi la création d’un
mécanisme de contrôle du respect des engagements pris par les parties par le biais de rapports
périodiques que les États doivent soumettre au Comité des droits de l’enfant, organisme
composé d’experts indépendants.

En adoptant la Charte sur les droits des enfants, les États ont voulu non seulement montrer leur
engagement à octroyer une protection adéquate aux droits fondamentaux des enfants, mais aussi
à apporter une protection selon les « standards africains », par l’insertion dans le texte, à l’instar
de la Charte ADHP, de dispositions qui renvoient aux valeurs culturelles et aux traditions
africaines. La Charte sur les droits et le bien-être de l’enfant reprend la plupart des dispositions
de la CIDE, tout en essayant de les adapter aux réalités africaines. En effet, pour les membres
de l’OUA la CIDE ne prend pas en compte dans son texte des réalités socio-culturelles et
économiques spécifiques à certains contextes régionaux, en particulier celui du continent
africain. Un instrument plus « africain » était nécessaire pour permettre aux autorités de mettre
en œuvre l’objectif majeur des pères du panafricanisme de voir une Afrique des Africains. Pour
cette raison, outre les droits classiques, la Charte sur les droits des enfants prévoit des droits
spécifiques adaptés aux contextes africains dans lesquels grandissent les enfants, en faisant
référence à des situations qui placent l’enfant dans des circonstances de particulière
vulnérabilité comme l’apartheid, toujours en cours au moment de sa rédaction, le sort des

413 Voir le site du Comité africain d’experts sur les Droits et le Bien-être de l’Enfant : http://acerwc.org/fr/

195
enfants victimes des conflits armés (article 22), les enfants réfugiés (article 23) et les enfants
soldats (article 22§2), ou encore les enfants membres de minorités ethniques, raciales et
religieuses.

Dans leur quête continuelle pour l’intégration du continent dans l’ordre international de
protection des droits de l’homme, les États ont réussi par la Charte sur les droits et le bien-être
de l’enfant, à intégrer celui-ci en tant que sujet de droit dans l’ordre juridique régional. L’enfant
en Afrique peut désormais bénéficier de droits précis qui l’érigent au rang d’acteur juridique
sur le plan régional, au même titre que toute personne adulte, en raison non seulement de son
humanité, mais surtout en tant que personne appartenant à un groupe vulnérable. En plaçant
l’intérêt supérieur de l’enfant au centre de ses dispositions414, la Charte donne à l’enfant une
voix, la capacité d’exprimer ses opinions et le droit de voir sa volonté prise en compte.

La notion d’intérêt supérieur de l’enfant utilisée par la CIDE a fait couler beaucoup d’encre au
sein de la doctrine sur le sens à lui donner415. En effet, comme le souligne, si bien, Hugues
Fulchiron, l’intérêt de l’enfant est empreint par la relativité dans l’espace et dans le temps, mais
aussi par la subjectivité tout individuelle des parents, de l’enfant et du juge, et la subjectivité
collective de la société qui a sa propre image de l’enfant et qui se projette elle-même au travers
de cette image416.

Perçue différemment dans chaque société, en fonction d’éléments variés comme la culture, les
croyances religieuses, les différentes conceptions de la personne humaine et de l’enfant, cette
expression a été à plusieurs reprises dans la Charte des droits de l’enfant. Mais remplacée dans
son intitulé par celle tout aussi relative de « bien-être de l’enfant ». On peut dès lors se demander
si la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant a su se démarquer et proposer une
protection de l’enfant, en accord avec les valeurs culturelles africaines ?

414
D’après l’article 4, l’alinéa 1er : « dans toute action concernant un enfant, entreprise par une quelconque
personne ou autorité, l’intérêt supérieur de l’enfant sera la considération primordiale ».
415
Voir en ce sens par exemple : EUDES Marina, « La Convention sur les droits de l’enfant, texte emblématique
reconnaissant l’intérêt de l’enfant… et passant sous silence les droits des femmes ? », La Revue des droits de
l’homme, n°3, 2013.
416 FULCHIRON Hugues, « Les droits de l’enfant à la mesure de l’intérêt de l’enfant », Les Petites Affiches, 7
octobre 2010, n° 200, p. 16.

196
2. L’introduction d’une protection du bien-être de l’enfant adaptée aux réalités
africaines

La Charte africaine pour les droits de l’enfant n’a pas apporté une précision concrète et plus
africanisée de la notion en discussion de « l’intérêt supérieur de l’enfant », ni par ailleurs à celle
de « bien-être de l’enfant ». Néanmoins, elle apporte quelques innovations en prévoyant des
droits à des catégories d’enfants spécifiques ou alors à des enfants victimes d’actes très présents
sur le continent comme l’enrôlement des enfants dans des groupes armés et le traitement des
enfants issus de minorités communautaires.

Le texte donne notamment des précisions quant à la question de l’âge minimum acceptable pour
la participation d’un enfant dans des conflits armés. La Convention des Nations Unies,
complétée par la suite par un Protocole additionnel sur les conflits armés, a établi l’âge de 15
ans comme âge minimum en deçà duquel les autorités doivent employer tous les moyens pour
que les enfants ne « participent pas directement aux hostilités » (art. 38§2) ou soient enrôlés
dans les forces armées (art. 38 §3). La Charte africaine des droits des enfants s’est démarquée
de la Convention de 1989 en précisant en son article 22 que les États doivent mettre en œuvre
tous les moyens possibles pour qu’aucun enfant, c’est-à-dire aucun être humain de moins de 18
ans417, « ne prenne directement part aux hostilités et en particulier, à ce qu’aucun enfant ne
soit enrôlé sous les drapeaux » (art. 22§2). Elle entend ainsi interdire l’enrôlement des mineurs
dans les conflits armés.

En ce qui concerne la question du rapprochement de la Charte africaine des droits de l’enfant


aux traditions et cultures africaines, il est de noter que la présente Charte cherche certes à
répondre à des problématiques spécifiques au continent, mais laisse de côté les aspects culturels.
En effet, la Charte met beaucoup plus l’accent sur la protection de l’intérêt de l’enfant contre
des traditions et des pratiques culturelles nuisibles à son intégrité et bien-être que sur les
coutumes et traditions ancestrales qui visent, dans les communautés, à protéger la dignité et
favoriser un développement sain de l’enfant. La Charte met en garde à plusieurs reprises contre
« toute coutume, tradition et pratique culturelle ou religieuse incompatible avec les droits,
devoirs et obligations énoncés dans la présente Charte » (article 1er§3).

417
Selon l’article 2 de la Charte : « aux termes de la présente Charte, on entend par "Enfant" tout être humain âgé
de moins de 18 ans ».

197
Malgré l’incitation à la « préservation et le renforcement des valeurs morales, traditionnelles
et culturelles africaines positives » par le biais du droit à l’éducation (article 11§2, c). La Charte
insiste sur la nécessité pour les États parties d’abolir les coutumes et pratiques négatives,
discriminatoires et préjudiciables à la santé ou à la vie de l’enfant (article 21)418.

La Charte ne nie pas les vertus de l’héritage culturel et les valeurs de la civilisation africaine,
qu’elle n’oublie pas de souligner dans son Préambule, mais les rédacteurs de la Charte semblent
surtout vouloir s’attaquer aux exactions commises contre les enfants sur le continent, sous
couvert de la tradition ou de croyances religieuses ancestrales. Le texte ne mentionne toutefois
aucune pratique dangereuse pour l’enfant de manière concrète, comme l’excision féminine ou
les mutilations à l’encontre des enfants albinos pris souvent pour cible dans des pratiques
sacrificielles. L’omission de ces pratiques est probablement un moyen de ne pas vouloir
généraliser ces pratiques qui sont pour certaines localisées dans des zones géographiques
spécifiques. Mais on peut aussi voir dans cette omission une manière pour les rédacteurs de ne
pas limiter l’application de la Charte à certaines pratiques, à l’exclusion d’autres allant à
l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant.

La Charte africaine des droits et le bien-être de l’enfant se démarque aussi de celle qui la
précède, la CIDE de 1989, dans la proclamation des devoirs de l’enfant concomitamment à celle
de ses droits. La Charte énonce une liste de devoirs que l’enfant a vis-à-vis de sa famille, de la
société, de l’État et de la communauté internationale (art. 31). Il est donc un véritable acteur de
droit. L’introduction des devoirs de l’enfant dans la Charte est un moyen de montrer que les
enfants doivent certes bénéficier de droits substantiels nécessaires à leur protection, mais ils ne
doivent pas oublier leurs obligations à l’égard des membres de la société. Les devoirs ne doivent
pas être perçus comme un préalable au bénéfice de leurs droits, mais comme une responsabilité
que tout enfant doit endosser dans la vie en société. Ainsi, d’après l’article 31, l’enfant a le
devoir de : « servir la communauté nationale en plaçant ses capacités physiques et
intellectuelles à sa disposition » (alinéa b)) ; « de préserver et de renforcer la solidarité de la
société et de la nation » (al. c)) ; « de préserver et de renforcer l’indépendance nationale et
l’intégrité de son pays » (al. e)) ; « de contribuer au mieux de ses capacités, en toutes
circonstances et à tous les niveaux, à promouvoir et à réaliser l’unité africaine » (al. f)) ».

418 Article 21 : « Les États parties à la présente Charte prennent toutes les mesures appropriées pour abolir les
coutumes et les pratiques négatives, culturelles et sociales qui sont au détriment du Bien-être, de la dignité, de la
croissance et du développement normal de l’enfant, en particulier : a) les coutumes et pratiques préjudiciables à
la santé, voire à la vie de l’enfant ; b) les coutumes et pratiques qui constituent une discrimination à l’égard de
certains enfants, pour des raisons de sexe ou autres raisons ».

198
Il est intéressant de constater que dans le chapitre relatif aux responsabilités des enfants, la
Charte africaine des droits de l’enfant proclame comme devoirs des enfants, ceux rattachés à la
vie civile et politique, normalement réservés aux adultes. Cela peut s’expliquer par le contexte
révolutionnaire dans lequel la Charte a été rédigée, marqué par l’idéologie communiste qui avait
conquis quasiment tout le continent, et où la participation des jeunes enfants et adolescents dans
la vie civile était très active. Les jeunes étaient très tôt incités à faire partie de groupes de
jeunesse affiliés au parti unique et à participer aux rencontres politiques. D’autre part, malgré
un climat d’oppression, de privation de la liberté d’expression et de réunion, les jeunes des
années 1970 et 1980 se réunissaient avec fréquence pour débattre des idées panafricanistes de
Kwame Nkruma, Julius Nierere, Agostinho Neto, Amilcar Cabral, Thomas Sankara, entre
autres et se ralliaient très souvent à leur cause, engendrant parfois de petits mouvements
contraires aux idéologies du pouvoir en place, ce qui peut expliquer les allusions dans la Charte
au devoir des enfants de ne pas avoir des conduites contraires aux intérêts des nations.

Malgré les critiques portées aux imprécisions de certaines notions présentes dans la Charte des
droits des enfants, l’adoption d’un tel texte a été une lueur d’espoir sur le continent, dans le
contexte particulier de guerres civiles qui sévissaient sur le continent, moins de dix ans après
l’adoption d’une Charte africaine DHP. L’existence d’un texte spécifique pour la protection des
droits des enfants a sans doute inspiré les dirigeants africains dans la rédaction d’un texte spécial
relatif aux droits des femmes, soumis au système régional de la Charte ADHP.

B. Le Protocole à la Charte africaine sur les droits des femmes en Afrique : texte le
besoin d’apporter une protection adaptée aux femmes

Le 1er juillet 2003, l’Assemblée des chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine a
adopté le Protocole à la Charte africaine relatif aux droits des femmes en Afrique. Ce texte a
été conçu pour être un texte qui vient combler les lacunes laissées par la Charte ADHP en
matière de protection des femmes (1). Comme les autres textes étudiés, il fait référence aux
valeurs culturelles et traditionnelles, mais met beaucoup plus l’accent sur les pratiques
centenaires nuisibles que sur des principes traditionnels qui contribuent à l’épanouissement de
la femme. Dans tous les cas, le texte peine à se faire appliquer dans le contentieux des droits de
l’homme sur le continent (2).

199
1. Les principes du Protocole sur les droits des femmes

La Charte ADHP constitue un cadre significatif dans la protection des droits de l’homme avec
des principes fondamentaux comme le droit à la vie, à la liberté, à la non-discrimination et à la
sécurité. Mais elle ne contient pas de règles spécifiques à la protection des femmes, dans un
contexte global où celles-ci subissent encore des violences massives et des traitements
discriminatoires, en raison de leur sexe. La signature du Protocole à la Charte africaine sur les
droits des femmes était ainsi une nécessité pour faire face aux défis particuliers auxquels sont
confrontées les femmes sur le continent. Un tel texte pourrait être considéré comme n’étant pas
nécessaire dans la mesure où la Charte ADHP elle-même vise à assurer les droits fondamentaux
de tout individu, indépendamment de son genre, et que les États ont par ailleurs signé plusieurs
autres textes internationaux de protection des droits des femmes. Parmi les textes élaborés
spécifiquement pour la protection des droits des femmes on trouve la Convention pour
l’élimination de toute forme de discrimination contre les femmes, adoptée au niveau des
Nations Unies. Mais les États soucieux de garantir une protection adéquate aux femmes se sont
engagés à signer le Protocole dans la Déclaration de Kigali du 8 mai 2003 419, laquelle prévoit
dans son §16 la nécessité d’élaborer et d’adopter un projet de Protocole sur les droits de la
femme.

L’adoption du Protocole sur les droits des femmes en Afrique s’inscrit dans le cadre de plusieurs
instruments relatifs aux droits des femmes tels que la Plateforme africaine pour l’action ; la
Déclaration de Dakar de 1994420 ; la Déclaration sur le Genre et le Développement de la SADC
de 1997 qui rappelle l’importance d’éliminer toute sorte de discrimination basée sur le genre421 ;
l’Acte constitutif de l’Union Africaine ; la Déclaration solennelle sur l’égalité des genres en
Afrique de 2004422 ; Le Plan d’action de Maputo pour l’opérationnalisation du cadre stratégique
continental pour la santé sexuelle et les droits liés à la reproduction, de 2006423 et le Pacte sur
la sécurité, la stabilité et le développement pour la région des Grands Lacs.

419 MIN/CONF/HRA/Decl. 1(I).


420 Adoptée lors de la Première conférence régionale africaine sur les femmes, tenue à Dakar du 16 au 23
novembre 1994, disponible sur www.famafrique.org/femmes2000/dkrpfa1.html.
421 SADC, Gender and Development Declaration 1997, (1999) SADC Gender Monitor 1 33 ; and its addendum
on the prevention and eradiation of violence against women and children (1999) 1 SADC Gender Monitor 37.
422 Adoptée lors de la Conférence des chefs d’État et de Gouvernement de l’UA à Addis Abeba, en juillet 2004,
Assembly/AU/Decl. 12(III).
423 Sp/Min/CAMH/5(I).

200
Le Protocole sur les droits des femmes a été adopté en 2003 par l’Assemblée des chefs d’État
et de Gouvernement de l’Union Africaine et est entré en vigueur le 25 novembre 2005. Pour
plusieurs, ce Protocole constitue une innovation pour son temps, tout d’abord parce qu’il donne
une définition de ce que peut constituer la violence contre les femmes avec l’ajout de la notion
de violence économique ; il donne aussi un guide pour les gouvernements en vue de l’adoption
de mesures concrètes pour assurer la jouissance de ces droits. Ces mesures vont de l’adoption
de législations permettant aux femmes de participer dans les processus de prise de décisions
(art. 9), leur accès à l’éducation (art. 12), l’organisation de campagnes de sensibilisation pour
promouvoir un changement de certains paradigmes socio-culturels qui tendent à remettre en
cause la valeur de la femme dans la société (art. 8).

La Charte africaine DHP prévoit la protection des valeurs culturelles africaines, mais dans le
Protocole sur les droits des femmes il est mis en exergue l’importance d’écarter la promotion
de valeurs qui vont à l’encontre des principes fondamentaux, mettant en jeu les droits humains.
Le Protocole défend ainsi les femmes de certaines pratiques coutumières nuisibles à leur propre
santé (art. 1er, al. k). Sont aussi visées des pratiques en matière de mariage notamment des règles
qui visent à protéger les droits des femmes en cas de mariage polygame, si bien que la
monogamie y est encouragée (art. 6, al. c) ; des règles pour protéger l’égalité de l’homme et de
la femme en matière de séparation et de divorce (art. 7) ; des droits d’héritage, notamment le
droit pour une femme d’administrer les biens de son mari en cas de décès de celui-ci (art. 21).

Le Protocole donne une définition de la notion de « femme » à l’article 1er, al. k, lequel précise
qu’il entend par « femmes » toutes « les personnes de sexe féminin, y compris les filles ».
L’inclusion des jeunes filles dans la protection des droits des femmes est un trait important du
Protocole qui reconnaît que les femmes sont exposées à des situations de discrimination et de
violence tout au long de leur vie et pas seulement pendant leur vie adulte, ce d’autant plus que
plusieurs pratiques coutumières affectent principalement les filles dès un très jeune âge, comme
c’est le cas de l’excision.

Le Protocole sur les droits des femmes est l’un des premiers textes de protection des droits des
femmes à inclure dans ses dispositions des aspects plus précis sur la situation des femmes, telle
que la problématique des choix des femmes en matière de santé reproductive. Le Protocole
prévoit ainsi à l’article 14 des règles applicables en matière reproductive, incluant la question
très sensible de la protection contre les maladies sexuellement transmissibles (MST) en tant que
composante des droits des femmes à la santé reproductive. Face à des statistiques qui montrent
que les femmes sont plus touchées par ce type de maladies que les hommes, il était important

201
de prendre des mesures protectrices de la santé reproductive des femmes. Il est ainsi prévu que
les femmes doivent pouvoir avoir accès à des méthodes de protection contre les MST et un
accès facilité et abordable aux services de santé pour leur prévention et leur traitement 424.

Les dispositions concernant les droits de la femme à la santé et en particulier de santé sexuelle
et reproductive prévues à l’article 14 du Protocole doivent être lues à la lumière des principes
d’égalité et de renforcement de l’autonomie de la femme. En effet, les femmes jouissent d’une
protection insuffisante dans leurs rapports avec le sexe opposé, en matière de violences
sexuelles et de prévention des MST, dans l’accès à l’information et plus largement dans les
choix à faire en matière de gestion de leur capacité reproductive. L’adoption de ce texte est un
grand pas dans un continent où les questions relatives à la vie sexuelle et à la reproduction sont
culturellement perçues comme des sujets très sensibles, très peu abordés à une plus grande
échelle. Reste à savoir si son application donne une satisfaction réelle aux besoins des femmes ?

2. La lente mise en place du Protocole à la Charte africaine sur les droits des femmes

La mise en place du mécanisme de protection prévu par le Protocole sur les droits des femmes
est le grand défi auquel font face les autorités de l’Union africaine. En effet, les États ont besoin
de mettre en place des moyens importants pour l’implémentation des mesures proposées, ce qui
commence par des révisions législatives permettant d’harmoniser les lois des différents États.
Ces réformes peinent à se mettre en place et lorsqu’elles le sont, leur effectivité est rendue
difficile par une lente évolution des mœurs, la résistance de certaines pratiques et l’absence
d’un personnel pour former et informer sur ces problématiques. L’effectivité de ces droits est
également mise en jeu par le fait que peu de femmes connaissent leurs droits ou sont en mesure
de les faire valoir devant les autorités, que ce soit pour des raisons sociales, culturelles ou
financières.

Aux difficultés liées à des facteurs sociaux s’ajoutent des difficultés structurelles liées au flou
laissé par le Protocole concernant les obligations des États car le Protocole proclame des droits
de manière très générale, sans réellement préciser qui sont les débiteurs de ces droits. Ainsi, en
matière de protection de la santé sexuelle et reproductive de la femme, malgré le caractère
innovateur et fondamental des mesures prévues, leur mise en œuvre reste assez difficile puisque

424 Articles14(1), (d) et (2)(a) du Protocole.

202
le Protocole donne très peu de précisions sur les obligations qui reviennent aux États pour la
mise en œuvre de l’ensemble des droits que le texte énonce au profit de la femme. A l’article
14(d) par exemple il est prévu le droit des femmes de « se protéger et d’être protégées contre
les infections sexuellement transmissibles, y compris le VIH/SIDA », mais aucune précision
n’est donnée sur le sens à donner à la distinction que fait le Protocole entre le droit à se protéger
et le droit d’être protégée, et quelles obligations chacun de ces droits implique pour les États.

La clarification des dispositions du Protocole incombe au premier abord à la Commission


africaine DHP laquelle a été chargée de veiller à la promotion et application du Protocole par
les États parties. On remarque que depuis le début des années 1990, la Commission africaine
des DHP a rendu plus d’une trentaine de décisions relatives à des questions touchant aux droits
des femmes. Notamment sur les violences sexuelles subies par des femmes en RDC, le droit
d’accès à la santé, à des méthodes de contraception et à l’éducation sur la planification familiale.
Néanmoins, pendant longtemps aucune requête n’a été présentée devant la Commission sur la
base d’une violation des dispositions du Protocole sur les droits des femmes. Ce n’est qu’en
octobre 2012 que, pour la première fois, la Commission ADHP a adopté un commentaire
général portant sur les méthodes spécifiques de mise en place des responsabilités reconnues par
le Protocole aux États parties en matière de protection de la santé reproductive des femmes,
prévues aux articles 14(1)(d) et (e)425. Il ressort de son commentaire général que les États
disposent de quatre obligations générales dans le cadre du Protocole : l’obligation de respect,
promotion, protection et application des droits prévus par le Protocole sur les droits des femmes.

L’obligation de respecter les dispositions du Protocole requiert que les États s’abstiennent
d’empêcher directement ou indirectement la mise en place des droits individuels prévus. Les
États doivent respecter les droits prévus dans le Protocole en ne posant pas d’obstacles à leur
prise en compte. Le devoir de promotion des droits prévus par le Protocole exige d’eux des
actions d’information, de sensibilisation de la société civile et des femmes en particulier. Ils
doivent dans ce cadre mener des actions d’information, de sensibilisation de la société et des
femmes en développant un programme éducationnel qui favorise la connaissance des droits des
femmes dès leur plus jeune âge. L’État doit aussi s’assurer que l’information sur les droits des

425 Voir : “Centre for Human Rights’African Commission on Human and Peoples’ Rights adopts first General
Comment, clarifying articles 14(1)(d) and (e) of the African Women’s Protocol”, disponible sur :
http://www1.chr.up.ac.za/index.php/centre-news-2012/1052-african-commission-on-human-and-peoples rights-
adopts-first-general-commentclarifying-article-141d-and-e-of-the-african-womens-protocol-.html

203
femmes soit accessible et adaptée au niveau socio-culturel et aux besoins spécifiques des
femmes.

L’obligation de protection exige de la part des États des mesures concrètes en vue de prévenir
la violation de ces droits par une quelconque entité, avec une particulière attention pour les
femmes issues de milieux plus marginalisés, comme les réfugiées ou les femmes plus
vulnérables comme les jeunes filles, les femmes âgées et les femmes ayant un handicap
physique ou psychologique. Enfin, par l’obligation d’application des droits prévus par le
Protocole, la Commission entend que les États doivent s’assurer que les dispositions de ce
dernier sont bien intégrées dans le droit interne par des mesures législatives et réglementaires.
Les États doivent veiller à ce que les normes internes soient conformes au Protocole et aux
textes internationaux applicables en la matière.

Par son commentaire général la Commission apporte quelques précisions qui pourront servir de
cadre pour la mise en œuvre des droits et des prérogatives reconnues aux femmes par le
Protocole de 2003. Mais au regard du contentieux encore presque inexistant lié à son
application, on peut voir qu’il peine à s’imposer en tant que texte cadre en matière de protection
des droits de femmes.

Le Protocole à la Charte africaine relatif aux droits des femmes fait partie des conventions
contraignantes, aux côtes de la Charte africaine pour les droits et le bien-être des enfants, qui
composent le système africain de protection des droits de l’homme dont le texte de central
demeure la Charte ADHP. Ces trois textes trouvent des défis considérables à faire les preuves
de leur effectivité et de leur efficacité sur le continent. Certains diraient qu’on doit prendre notre
mal en patience pour espérer avoir une application plus généralisée des textes fondamentaux
sur le continent, en attendant que d’importants changements sociaux et culturels aient lieu. Mais
de notre côté, la question qui nous anime concerne en grande mesure l’approche philosophique
adoptée pour percevoir la portée des droits de l’homme tels que proclamés actuellement dans
les textes fondamentaux régionaux, au regard de l’origine essentiellement européenne des
théories des droits de l’homme.

204
CHAPITRE II : L’ambition des rédacteurs de la Charte africaine DHP de créer un droit
des Africains

L’intention des rédacteurs de la Charte de prendre en considération les spécificités africaines


en matière de droits de l’homme est bien connue. Cette intention a été proclamée dans les
discours qui ont précédé la préparation de la Charte et constamment rappelé par la doctrine qui
ne cesse de vanter les mérites de ce texte fondamental. La Charte, qui se veut à la fois
révolutionnaire et innovatrice parmi les textes internationaux des droits de l’homme, reconnaît
l’attachement des États africains aux valeurs culturelles et traditionnelles es civilisations
africaines. Adopté dans un contexte de rupture entre un passé colonial, sous l’impulsion de
plusieurs idées révolutionnaires, il était important pour la Charte de mentionner la richesse
culturelle d’un continent qui a très longtemps privé de son identité.

Néanmoins, la construction d’un nouveau modèle de gouvernance fondé sur la démocratie


étatique et tourné vers une modernité venue de l’Occident n’a pas permis une véritable
reconnaissance des valeurs culturelles des peuples africains dans les dispositions de la Charte.
Entre l’emploi de notions floues et la soumission des valeurs traditionnelles au respect des
principes du droit international des droits de l’homme, l’attache au modèle universel des droits
de l’homme est bien trop présente dans la Charte. Et cela au détriment d’une véritable prise en
compte des valeurs civilisationnelles du continent, ce d’autant plus que les juridicités africaines
ne sont nullement mentionnées dans la Charte (SECTION I). Un clin d’œil aux cultures
juridiques africaines est tout de même fait par la mention des devoirs des individus, en tant que
membres devant contribuer au développement des communautés. L’introduction des devoirs
n’est pas une nouveauté dans les textes internationaux relatifs aux droits de l’homme, mais
surtout est loin de faire l’unanimité au sein de la doctrine426 (SECTION II).

426
Voir par exemple, FLINTERMAN Cees et ANKUMA Evelyn, The African Charter on Human and Peoples’
Rights Practice and Guide, p. 166-167.

205
SECTION I. La reconnaissance mitigée des valeurs culturelles et traditionnelles des
communautés africaines

A plusieurs reprises, la Charte ADHP mentionne l’attachement des États parties aux valeurs
culturelles et traditionnelles des peuples africains. La formule, qui se présente sous plusieurs
formes, regorge toutefois d’ambiguïtés, notamment dans l’acception à donner à la notion de
« valeurs culturelles », qui peut remettre à des réalités différentes (§1). D’autre part, un regard
sur les dispositions de la Charte permet de déceler une soumission des valeurs culturelles à
prendre en compte au droit international des droits de l’homme, limitant considérablement les
possibilités de prendre en compte les valeurs civilisationnelles du continent (§2).

§1. L’ambiguïté de la notion de valeurs culturelles utilisée par la Charte

La prise en compte des valeurs culturelles historiques dans un continent marqué par des longues
périodes d’acculturation et d’assimilation culturelle, juridique et politique était un pas
nécessaire dans la légitimation du système africain des droits de l’homme. Face au pluralisme
des sociétés et à la montée en puissance de l’emprise étatique sur les institutions traditionnelles,
pendant et après les colonisations, il était essentiel de donner aux Africains un cadre pour
exprimer leurs valeurs et garantir une protection effective des droits de l’homme en Afrique.
Néanmoins, cette ambition est restée presque lettre morte face au silence de la Charte sur la
question des valeurs juridiques traditionnelles.

La Charte fait référence à plusieurs reprises aux valeurs traditionnelles et culturelles de


l’Afrique, à commencer par son préambule, au quatrième paragraphe qui dispose que les États
prennent en compte les « vertus de leurs traditions historiques et des valeurs de civilisation
africaine qui doivent inspirer et caractériser leurs réflexions sur la conception des droits de
l’homme et des peuples 427
». D’autres dispositions de la Charte font référence aux valeurs

427
Observons que dans son préambule la Charte fait référence à la civilisation africaine au singulier. Mais, peut-
on réellement parler de civilisation africaine ? L’utilisation de l’expression de « civilisation africaine » au singulier
montre la posture unificatrice adoptée par les dirigeants au niveau interne mais aussi les aspirations unificatrices
de l’OUA qui avait pour objectif de réunir tous les peuples autour d’un seul objectif. En mettant en relief les
similarités culturelles, on voulait éviter que celles-ci soient un motif de discorde et de séparation. Or, l’expression
au singulier n’est pas en accord avec la réalité marquée par une pluralité de civilisations.

206
culturelles et traditionnelles des peuples africains428. Le respect des valeurs culturelles des
peuples n’est pas seulement une préoccupation de l’OUA, il est aussi prévu dans plusieurs
textes fondamentaux, en particulier dans certaines Constitutions nationales qui prévoient le
droit pour les peuples de participer librement dans la vie culturelle de leur communauté. Pour
n’en citer que quelques cas, les valeurs traditionnelles sont mentionnées dans les Constitutions
du Malawi429, de l’Afrique du Sud430 et d’Ouganda. En Ouganda, l’État s’est engagé à
promouvoir et à préserver les valeurs culturelles et les pratiques qui favorisent la dignité et le
bien-être des citoyens ougandais431. De même, en Zambie, l’État s’engage à respecter les
valeurs culturelles et traditionnelles dès lors qu’elles ne sont pas contraires aux principes
constitutionnels432.

Souvent utilisée dans des contextes différents, la notion de culture peut avoir plusieurs sens
selon le contexte dans lequel elle est utilisée. Elle est par ailleurs souvent utilisée comme
synonyme de l’expression artistique et littéraire. Dans le cadre de la Charte africaine DHP et en
général des textes internationaux, régionaux ou nationaux qui en font mention, cette notion reste
assez vague et son sens difficile à cerner. On peut comprendre par cette expression une
référence à la culture au sens strict, mais peut-on y voir aussi une référence aux droits
traditionnels ou aux droits coutumiers tels que nous les entendons dans ce travail ? En d’autres
mots, que recouvre exactement la notion de culture selon la Charte africaine DHP ?

Dans le contexte des droits de l’homme, l’acception le plus souvent utilisée lorsque l’on parle
de valeurs culturelles ou de droits culturels est celle qui renvoie aux valeurs d’une civilisation.
Lorsqu’appréhendée dans ce sens la culture devient un élément spécifique à chaque civilisation
et non plus une valeur universelle. Boris Martin distingue la culture en tant qu’élément
intellectuel qui contribue à l’enrichissement individuel de l’esprit qu’il désigne « culture-
bénéfice », qui se manifeste par des expressions artistiques, de la « culture-identité » en tant
que valeur civilisationnelle contribuant à la formation de l’identité d’un groupe433.

428 On trouve des références aux valeurs culturelles et traditionnelles africaines aux articles 17 al. 2, article 18 al.
2 et article 29 al. 7 de la Charte.
429 Voir Constitution du Malawi de 1999, § 26.
430 Voir Constitution de l’Afrique du Sud de 1996, § 30 ; voir aussi the South African Bill of Rights.
431 Constitution of the Republic of Uganda of 1995, Cultural objectives XXIV (a) : « those cultural values and
practices which enhance the dignity and well-being of Ugandans » et § 37: selon lequel tous les individus ont le
droit de « enjoy, practise, profess, maintain and promote any culture, cultural institution, language, tradition… ».
432 Constitution Act of 1991, art. 112 (g) : « The State shall take measures to promote the practice, enjoyment
and development by any person of that person’s culture, tradition, custom or language insofar as these are not
inconsistent with this Constitution ».
433 MARTIN Boris, « Les droits culturels comme mode d’interprétation et de mise en œuvre des Droits de
l’homme », La revue du MAUSS semestrielle, n° 13, 1ersemestre 1999, p. 237.

207
La référence à la culture dans les textes relatifs aux droits de l’homme dans certains cas renvoi
à ce que B. Martin désigne « culture-bénéfice », au sens des connaissances acquises pour le
développement de l’intellect, que ce soient des connaissances artistiques, littéraires ou autres.
Ces connaissances contribuent à l’épanouissement individuel, à la manifestation de la liberté
d’expression et d’opinion. Dans ce cas, les droits culturels, sont des droits à la culture, des droits
d’accéder à la culture, ce qui est différent des droits des cultures qui sont des droits collectifs.
Les droits culturels au sens des droits à la culture sont des droits-créances, puisqu’ils exigent
une prestation positive des États. Par exemple le droit à l’éducation, le droit de jouir du
patrimoine culturel d’un pays, la liberté d’expression artistique, entre autres.

Le droit à la reconnaissance des cultures s’est popularisé dans le droit international à partir des
années 1960, suite aux mouvements de décolonisation et à la prise en compte dans les textes
internationaux du droit des minorités. Face à la globalisation croissante, le droit international
est devenu sensible aux dangers de la culture unique. Culture doit être entendue ici au sens
d’ensemble d’éléments contribuant à la formation de l’identité d’un peuple ou d’une nation.
Des mouvements pour la reconnaissance et la valorisation des particularismes identitaires des
différentes sociétés ont progressivement pris place. C’est notamment dans ce contexte qu’a été
adoptée la Charte culturelle de l’Afrique par la Conférence des chefs d’État et de Gouvernement
de l’OUA, en 1976.

La Déclaration universelle de l’Unesco sur la diversité culturelle de 2001 adopte une notion
plus élargie de la culture dans son Préambule en considérant que : « la culture doit être
considérée comme l’ensemble de traits distinctifs spirituels et matériels, intellectuels et affectifs
qui caractérisent une société ou un groupe social ; elle englobe, outre les arts et les lettres, les
modes de vie, les façons de vivre ensemble, les systèmes de valeurs, les traditions et les
croyances ». La culture ainsi entendue regroupe, au-delà des aspects intellectuels et artistiques,
des éléments anthropologiques, sociologiques, psychologiques, philosophiques, etc. Des
aspects comme la langue, les us et coutumes, les mœurs sont prises en ligne de compte.

La ligne entre les droits à la culture et les droits des cultures demeure assez ténue dans les textes
internationaux, qui confondent souvent ces deux sens. On trouve cette confusion dans plusieurs
textes internationaux comme dans la Déclaration universelle de 1948, à l’article 27, avec la
référence à la vie culturelle. On trouve aussi cette confusion dans la Déclaration universelle de
l’Unesco sur la diversité culturelle de 2001. Malgré une définition large de la notion de culture,
la Déclaration de l’Unesco n’a pas réussi à clarifier l’ambiguïté de son sens dans ses
dispositions. On y trouve les notions de « culture-bénéfice » et celle de « culture-identité »

208
constamment entremêlées, comme dans l’article 5 en vertu duquel : « toute personne doit (…)
pouvoir s’exprimer, créer et diffuser ses œuvres dans la langue de son choix et en particulier
dans sa langue maternelle ; (…) toute personne doit pouvoir participer à la vie culturelle de
son choix et exercer ses propres pratiques culturelles ».

On retrouve la même ambiguïté dans la Charte africaine DHP, dans laquelle la notion de culture
est référencée avec des sens différents. Tout d’abord dans le Préambule où la Charte reconnaît
l’indissociabilité des droits civils et politiques des droits économiques, sociaux et culturels (§7).
Elle mentionne ensuite le droit de toute personne de « prendre part librement à la vie culturelle
de la communauté » (article 17). A l’article 20, la Charte proclame le droit des peuples à obtenir
assistance de la part des États parties dans leur lutte contre toute domination étrangère, « qu’elle
soit d’ordre politique, économique ou culturel ». A l’article 22 il est question du droit des
peuples au développement économique, social et culturel, « dans le respect strict de leur liberté
et de leur identité, et à la jouissance égale du patrimoine commun de l’humanité ». Et enfin,
l’article 29§7 se réfère au devoir de l’individu de préserver et de renforcer les « valeurs
culturelles africaines positives ».

A la lecture des différents textes, il est possible de constater que la référence à la culture dans
les textes internationaux et les deux acceptions de la notion de culture sont interalliées. Le droit
des cultures (culture-identité) participe directement au droit à la culture (culture-bénéfice). Par
exemple, le droit à une éducation dans sa langue native relève des deux déclinaisons des droits
culturels. On assiste même dans les dernières décennies à des tentatives de rapprochement ou
de dialogue entre les cultures, comme le proposent plusieurs théoriciens du relativisme des
droits de l’homme ou encore du « pluriversalisme » qui proposent de mettre à profit les
différences culturelles des peuples pour développer une théorie des droits de l’homme
véritablement universelle.

Tandis que le droit à la culture peut prétendre à l’universalisme par son essence même, le droit
des cultures est imprégné des particularismes de chaque civilisation. De ce fait, pour certains
auteurs, les droits des cultures peuvent heurter à l’essence des droits de l’homme, dans la
mesure où ils sont susceptibles de reléguer l’individu au second plan dans son rapport avec la
collectivité détentrice de ces droits434. Pour les défenseurs de cette position, l’un des dangers
de mettre en avant les droits collectifs sur les droits individuels, c’est de priver l’individu de sa

434 BUI-XUAN Olivia, « La destinée universaliste des droits culturels : les articles 22 et 27 de la Déclaration
universelle des Droits de l’homme », CRDF, n° 7, 2009, pp. 137.

209
liberté de choisir de pratiquer ou de ne pas pratiquer un droit collectif déterminé et plus encore
de choisir de changer de groupe d’appartenance si tel est son souhait 435. L’individu devient un
prisonnier du groupe auquel il fait partie. A notre avis, la question ne doit pas être posée dans
ces termes parce que les droits culturels, en tant que droits collectifs ne doivent pas nuire à
l’épanouissement personnel de l’individu. Ils doivent au contraire le favoriser. D’autre part, une
telle position ignore que toutes les sociétés n’aspirent pas nécessairement à une mise en valeur
de l’individualité de l’être humain dans ses rapports avec l’ensemble de la collectivité.

Les sens à donner à la notion de valeurs culturelles peuvent être décelées à la lecture des articles
de la Charte, malgré une certaine ambiguïté. Néanmoins, le même ne peut être dit quant à la
notion de valeurs traditionnelles, qui renvoi certes à des valeurs anciennes ou ancestrales. Mais
malheureusement, à la lecture de la Charte il serait très difficile d’y déceler une quelconque aux
valeurs juridiques traditionnelles du continent.

§2. La prise en compte limitée des valeurs culturelles et traditionnelles dans le texte

La Charte africaine DHP est le fruit d’un compromis entre traditions et modernité, entre
régionalisme et universalisme. Dès les débuts des débats pour la rédaction de la Charte lors de
la Conférence de Dakar, le président Senghor a fixé l’idéologie qui devrait guider son
élaboration436. Le temps de l’Afrique était venu de s’émanciper de la domination culturelle à
laquelle elle avait été assujettie pendant des siècles d’occupation et de mettre en valeur la nature
profonde de la civilisation africaine, ses croyances, ses traditions, sa diversité. Ainsi, tout en
soulignant les vertus des traditions historiques et les valeurs de la civilisation africaine, la
Charte ADHP affirme dans son préambule l’attachement des États parties aux principes
universels proclamés par des instruments internationaux tels que la Déclaration universelle des
droits de l’Homme.

La question des spécificités culturelles des peuples africains avait été largement débattue lors
des réunions pour la rédaction, avec en particulier les importantes considérations du juge Kéba

435 BUI-XUAN Olivia, « La destinée universaliste des droits culturels : les articles 22 et 27 de la Déclaration
universelle des Droits de l’homme », CRDF, n° 7, 2009, p. 141.
436
Allocution de Son Excellence Mr. Leopold Sedar Senghor, Président de la République du Sénégal, Dakar, 28
novembre-8 décembre 1979, O.U.A. Doc. CAB/LEG/67/5.

210
Mbaye, très favorable à un texte qui soit un compromis entre universalisme et régionalisme :
un texte de l’homme africain, pour l’homme global437. C’est ainsi que la Charte africaine DHP
établit dès son Préambule les principes directeurs du système de protection des droits humains,
reprenant les objectifs stipulés dans la Charte de l’OUA, à savoir la liberté, l’égalité, la justice
et la dignité. Ces quatre principes constituent les objectifs principaux de
l’Organisation, « essentiels à la réalisation des aspirations légitimes des peuples africains438 ».
Les auteurs de la Charte montrent par là leur attachement aux principes modernes de
l’universalité de la notion des droits de l’homme, qu’elle reprend dans ce texte comme étant
des principes reconnus par les communautés, et des objectifs que tout citoyen africain aspire
légitimement à atteindre et à voir s’accomplir dans le continent.

Mais afin d’éviter toute confusion et toute prise de position contre cet esprit universaliste qui
semble orienter la proclamation des droits fondamentaux, la Conférence des Ministres a tenu à
ajouter dans le Préambule de la Charte un paragraphe qui n’avait pas été originellement présenté
dans le projet du Comité d’experts, affirmant les vertus des traditions historiques et des valeurs
de la civilisation africaine439. La Conférence des Ministres ne s’est pas limitée à mettre en valeur
les traditions historiques de la civilisation africaine, mais a érigé ces traditions et valeurs au
rang de sources d’inspiration pour les États membres dans la réflexion et conception des droits
de l’homme et des peuples.

Les États veulent ainsi placer une attention particulière dans le passé africain, dans les valeurs
ancestrales, et marquer le ton de cette Charte qui doit être lue et interprétée sous deux angles.
D’un côté, à la lumière des principes universels inhérents à la personne humaine de la liberté,
l’égalité, la justice et la dignité humaine. Et de l’autre, sous à la lumière des traditions
historiques et des valeurs de la civilisation africaine.

En plus de la référence aux valeurs culturelles et traditionnelles, la doctrine considère


généralement que les rédacteurs ont fait un clin d’œil à la culture et aux traditions des sociétés
africaines dans la Charte par le biais de deux autres types de dispositions. Celles rappelant la
réalité plurielle de l’Afrique par la mention des droits des peuples. Et celles introduisant les

437
OUGUERGOUZ Fatsah, La Charte Africaine des droits de l’homme et des Peuples : une approche juridique
des droits de l’Homme entre tradition et modernité, Paris, Presses Universitaires de France, 1993.
438 Préambule de la Charte ADHP, paragraphe 3.
439 Voir Rapporteur’s report, OAU doc. CAB/LEG/67/draft Rapt. Rpt. (11), Rev. 4, §21, p. 5.

211
devoirs des individus suivant la prémisse selon laquelle « la jouissance des droits et libertés
implique l’accomplissement des devoirs de chacun440 ».

Ces trois types de dispositions ont fait couler beaucoup d’encre au sein de la doctrine sur le sens
et la portée à donner à ces considérations dans le contexte africain. En effet, malgré un discours
allant dans le sens des particularismes africains, force est de constater que les articles relatifs
aux droits des peuples, aux devoirs des individus et aux aspects culturels des sociétés africaines,
sont dépourvus de toute référence aux principes des droits traditionnels dans lesquels on trouve
les valeurs du communautarisme et de la place de l’individu au sein des sociétés. Mais plus
encore, on remarque que ces dispositions soumettent très souvent l’application des traditions
historiques et des valeurs traditionnelles au respect des préceptes tenus comme universels des
droits de l’homme.

A aucun moment la Charte ADHP ne fait référence aux droits traditionnels africains. Elle
mentionne à une reprise les coutumes441, mais jamais les droits traditionnels. Mais la Charte
propose de préserver le patrimoine culturel africain et invite notamment les individus à
préserver et renforcer « valeurs culturelles africaines positives »442, à l’instar de celle qui l’a
précédé, la Charte culturelle africaine du 5 juillet 1976 qui rappelle dans son article 1(h)
l’idéologie ayant motivée son adoption qui est le développement de valeurs dynamiques dans
le patrimoine culturel africain.

Néanmoins, la Charte ne donne aucune clarification sur le sens à donner à ce qu’elle considère
comme étant les « valeurs culturelles positives ». Nous l’avons vu, lorsqu’elle se réfère aux
cultures africaines, il s’agit essentiellement des droits des cultures, au sens des éléments qui
participent à la formation de l’identité des peuples. Mais qu’entend-elle par valeurs culturelles
positives ? Comment faire le tri entre les valeurs négatives et les valeurs positives ? Qui peut
décider quelles sont les valeurs positives et négatives et sous quels critères ?

L’article 61 de la Charte ADHP nous donne quelques éléments de réponse. Cet article porte sur
les principes auxiliaires sur lesquels la Commission africaine DHP doit se baser dans
l’interprétation et application de la Charte. Il dispose que « la Commission prend aussi en
considération, comme moyens auxiliaires de détermination des règles de droit, les autres

440 Préambule, paragrahe 7.


441
Cette mention est faite de manière très générale à l’article 61.
442 Article 29§7 : « L’individu a en outre le devoir : de veiller, dans ses relations avec la société, à la préservation
et au renforcement des valeurs culturelles africaines positives, dans un esprit de tolérance, de dialogue et de
concertation et d’une façon générale de contribuer à la promotion de la santé morale de la société ».

212
conventions internationales, soit générales, soit spéciales, établissant des règles expressément
reconnues par les États membres de l'Organisation de l'Unité Africaine, les pratiques
africaines conformes aux normes internationales relatives aux droits de l’homme et des
peuples, les coutumes généralement acceptées comme étant le droit, les principes généraux de
droit reconnus par les nations africaines ainsi que la jurisprudence et la doctrine ».

Cet article qui fait mention des « coutumes généralement acceptées comme étant du droit », ne
précise pas de quelles coutumes il s’agit. Plusieurs catégories de coutume peuvent rentrer dans
cette case : les coutumes nationales, au sens juridique commun du terme, les coutumes
traditionnelles, au sens des règles coutumières qui ont fait l’objet d’une rédaction dans les
processus de codification, ou alors la coutume internationale. Il semble que le rédacteur ait
intentionnellement laissé en ouvert cette notion. Mais au regard de l’article 60 de la Charte
concernant les principales sources d’inspiration de la Commission, on déduit que les principes
généraux du droit international des droits de l’homme fournissent les principaux critères pour
mesurer le caractère positif ou négatif des valeurs culturelles invoquées 443. Donc, les valeurs
culturelles positives sont certainement les valeurs conformes aux normes internationales de
protection des droits fondamentaux. Ce l’article 61 semble confirmer en mentionnant « les
pratiques africaines conformes aux normes internationales relatives aux droits de l’homme et
des peuples ».

La Charte soumet ainsi l’application des valeurs culturelles, des traditions et des coutumes au
respect du droit international des droits de l’homme et « les principes généraux de droit
reconnus par les nations africaines ainsi que la jurisprudence et la doctrine 444», qui comme
on le sait se rapportent à des principes occidentaux liés à la notion d’ordre public. On voit que
la Charte, malgré une volonté de faire valoir les valeurs africaines, procède à une sélection de
ce qui doit être gardé et ce qui doit être mis à l’écart dans la prise en compte des spécificités
culturelles africaines, car contraire aux principes de l’ordre public interne et international. Quels
types de pratiques sont ainsi susceptibles d’être écartées ? Il s’agit par exemple de pratiques
portant préjudice à l’intégrité physique de l’être humain, au nom du principe de l’inviolabilité

443
Selon l’article 60 : « La Commission s'inspire du droit international relatif aux droits de l'homme et des peuples,
notamment des dispositions des divers instruments africains relatifs aux droits de l'homme et des peuples, des
dispositions de la Charte des Nations Unies, de la Charte de l'Organisation de l'Unité Africaine, de la Déclaration
Universelle des Droits de l'Homme, des dispositions des autres instruments adoptés par les Nations Unies et par
les pays africains dans le domaine des droits de l'homme et des peuples ainsi que des dispositions de divers
instruments adoptés au sein d'institutions spécialisées des Nations Unies dont sont membres les parties à la
présente Charte ».
444
Article 61 de la Charte ADHP.

213
de la personne humaine prévu à l’article 4 de la Charte. Par exemple l’excision ou l‘infibulation.
Les pratiques discriminatoires basées sur des considérations ethniques ou sur des questions de
genre en matière d’accès à l’emploi (article 15), des pratiques refusant l’accès à certaines
catégories de personnes au droit à l’éducation (article 17), au droit à la participation dans la vie
politique (article 13), à l’accès à la justice (article 7 relatif à l’accès à une justice indépendante
et impartiale).

La prise de conscience et la reconnaissance par les autorités étatiques et régionales des pratiques
et des valeurs culturelles néfastes pour la personne humaine est à l’origine de l’adoption de
textes apportant une protection spéciale à certaines catégories de personnes plus exposées à ces
pratiques, victimes de discriminations et de violations de leur intégrité physique. C’est le cas
pour les enfants avec l’adoption de la Charte des droits et du bien-être de l’enfant en 1990, les
femmes avec le Protocole à la Charte relatif aux droits des femmes africaines de 2003 et pour
les réfugiés avec l’adoption en 1969 de la Convention de l'OUA régissant les aspects propres
aux problèmes des réfugiés en Afrique.

Malgré une mention très timide aux valeurs culturelles dans la Charte, certains auteurs craignent
que la mention à ces valeurs ne devienne un prétexte pour les gouvernements pour justifier des
actions nuisibles, sous couvert du respect des traditions ancestrales, posant un obstacle à une
véritable protection de la dignité de la personne humaine. Dans les mots de Jean-François
Bayart : « (…) les groupes sociaux qui contrôlent l’État postcolonial ont aujourd’hui repris à
leur compte cette définition figée de la culture « traditionnelle », perçue comme un réservoir
de représentations constantes, tantôt sous la forme d’un obstacle au développement, tantôt sous
la forme d’une « authenticité » à revivre445 ».

Or, il était important que la Charte rappelle les valeurs traditionnelles africaines pour marquer
une nouvelle ère où ces valeurs ne sont plus bafouées mais sont prises en compte par les
institutions comme étant des valeurs légitimes. La Charte de la Renaissance culturelle africaine
de 2006 rappelle elle-même les effets néfastes de la domination culturelle, qui à la « négation
de la personnalité culturelle d’une partie des peuples africains » et le dénigrement des valeurs
civilisationnelles. La mise en valeur de la culture et des traditions est ainsi un élément de
libération du continent de l’emprise coloniale. Il est dommage néanmoins que les rédacteurs de
la Charte ADHP n’aient pas songé à être plus clairs sur les notions employées et plus précis en
ce qui concerne leur contenu, mentionnant des pratiques coutumières spécifiques afin de

445 BAYART Jean-François, « Les sociétés africaines face à l’État », Revue Pouvoirs, 25, 1983, p. 24.

214
réellement montrer l’attachement aux identités historiques et cultuelles africaines. Il est encore
plus regrettable que la Charte ne fasse aucune mention des valeurs juridiques traditionnelles.
Ce d’autant plus que l’histoire du continent a laissé un important héritage juridique, rempli de
principes qui auraient dû servir de véritables sources d’inspiration pour la rédaction de la Charte
africaine et des textes qui la complètent.

Malgré une adhésion mitigée aux principes culturels et traditionnels du continent, la Charte a
tout de même essayé de se rapprocher des valeurs africaines en reconnaissant les droits des
peuples, et en mettant un accent particulier et quasi innovateur sur le caractère concomitant des
droits et des devoirs de l’individu.

SECTION II. L’introduction des devoirs de l’individu dans la Charte africaine

L’introduction des devoirs de l’individu dans le principal texte régional de protection des droits
fondamentaux est une nouveauté sur le continent africain. En matière des droits de l’homme,
d’autres textes ont adopté une démarche similaire. Mais la particularité de la Charte ADHP est
de proclamer ces devoirs comme un élément de la culture historique et juridique du continent.
En effet, dans les cultures africaines, la communauté étant le sujet de droit par excellence, les
membres qui la composent disposent d’obligations civiles à son égard afin de sauvegarder la
force vitale de la collectivité. Les devoirs renvoient ainsi à la place de l’individu au sein des
sociétés (§1). Mais leur reconnaissance solennelle dans la Charte est l’objet de plusieurs
critiques, notamment celles venant d’auteurs qui craignent que la mention aux devoirs ne
devienne une excuse pour les États de se dégager de leurs responsabilités conventionnelles446
(§2).

446
En ce sens voir BUERGENTHAL Thomas, International Human Rights, 1988.

215
§1. Un rappel de la place de l’individu au sein des sociétés africaines

A l’instar de la Charte interaméricaine des droits de l’homme, la Charte ADHP a choisi


d’intégrer dans son texte la reconnaissance des devoirs de l’individu en tant que composante
corrélative de l’existence des droits humains (A). Sans vouloir reconnaître la primauté des
devoirs sur les droits, les auteurs de la Charte ont avant tout cherché à trouver un compromis
entre les valeurs individualistes de la modernité et les valeurs traditionnelles centrées sur les
rapports communautaires (B).

A. La reconnaissance de la corrélation entre les droits et les devoirs de l’individu

La Charte africaine DHP ne se limite pas à proclamer les droits fondamentaux de l’individu,
mais énonce aussi des devoirs qu’y sont corrélatifs. Ainsi, la Charte n’établit pas uniquement
des devoirs à la charge des États à l’égard des individus, mais prévoit aussi des devoirs à la
charge des individus vis-à-vis des communautés dans lesquelles il est inséré. Le juge Kéba
Mbaye qui présidait le groupe chargé de la rédaction de la Charte a mis l’accent sur le lien
existant entre les droits et les devoirs dans les traditions juridiques. Selon lui, ces deux éléments
sont inséparables, ce que justifie l’insertion dans la Charte d’une liste de devoirs de l’individu
envers la communauté concomitante à la reconnaissance des droits447.

Les rédacteurs de la Charte ont voulu montrer que les individus, en tant que citoyens, membres
d’une communauté, doivent respecter les principes de base de la vie en société afin que chacun
puisse exercer ses droits et libertés dans les meilleures conditions. La Charte prend ainsi en
compte le principe de base selon lequel chaque individu doit être tributaire du bien-être de la
société lorsqu’elle prévoit à l’article 27 alinéa 2 que : « les droits et les libertés de chaque
personne s'exercent dans le respect du droit d'autrui, de la sécurité collective, de la morale et
de l'intérêt commun ». En effet, traditionnellement en Afrique, l’individu n’est pas le sujet de
droit par excellence puisqu’il n’existe qu’au travers de la communauté. Il doit son existence et
sa survie à la communauté, ou, doit-on dire, à l’ensemble des communautés auxquelles il
appartient (famille, clan, ethnie, etc.). L’introduction des devoirs de l’individu dans la Charte

447 MBAYE Kéba, « Le concept africain des droits de l’homme », Bulletin africain des droits de l’homme 3,
1996, n° 6, p. 3.

216
africaine est donc une référence implicite aux valeurs juridiques traditionnelles, dans lesquelles
on trouve l’individu à la fois tributaire d’obligations à l’égard de la société et destinataire de
prérogatives résultantes de son appartenance au groupe. Il est toutefois difficile de dire
aujourd’hui si l’introduction des devoirs dans la Charte ADHP à l’époque moderne peut jouer
le même rôle de régulateur des relations sociales dans un contexte où l’État prend une place
centrale dans la vie des sociétés et où les rapports avec les autorités sont devenus plus
impersonnels.

Makau Wa Mutua distingue deux types de devoirs dans la Charte africaine : les devoirs directs
et les devoirs indirects448. Les devoirs directs requièrent une action positive de l’individu,
comme c’est le cas de l’article 29(4) qui prévoit « de préserver et de renforcer la solidarité
sociale et nationale, singulièrement lorsque celle-ci est menacée 449». Tandis que les devoirs
indirects imposent des limites à l’exercice de certains droits des individus, comme l’article
27(2) lequel prévoit que « les droits et les libertés de chaque personne s’exercent dans le
respect du droit d’autrui, de la sécurité collective, de la morale et de l’intérêt commun 450». Les
devoirs indirects rappellent que les droits individuels ne sont pas absolus, et qu’ils doivent être
parfois limités pour permettre aux autres de jouir aussi de leurs droits.

L’introduction des devoirs des individus dans les textes internationaux s’est imposée dans les
dernières décennies comme une nécessité pour les États et institutions internationales soucieux
de renforcer l’engagement collectif au respect de la dignité humaine. La vision essentiellement
individualiste de la théorie classique des droits de l’homme et son caractère tourné vers les
agissements, les obligations et manquements des États ne permet pas une réalisation
satisfaisante des objectifs de protection de la personne humaine. Au-delà de la protection contre
les agissements malveillants ou les omissions préjudiciables des États, l’homme a aussi besoin
d’être protégé contre soi-même et contre les autres membres de la société. Les devoirs dans les
textes proclamant les droits fondamentaux permettent ainsi d’apporter une vision sociale,
collective des individus et de sensibiliser ces derniers à une impérative responsabilisation
collective. Dans cette optique, les devoirs se présentent comme des compléments inéluctables
de l’existence de droits451.

448 Voir WA MUTUA Makau, « The Banjul Charter and the African cultural fingerprint an evaluation of the
language of duties », Virginia Journal of International Law, Volume 35, n° 2, winter1995, pp. 368-369.
449
Idem., p. 368.
450
Ibidem., p. 369.
451
Voir en ce sens PEREZ Emilia Bea, “Derechos y deberes: el horizonte de la responsabilidad», Derechos y
Libertades, n° 29, Epoca II, junio 2013.

217
Le lien entre l’individu et l’État est important, mais on observe actuellement au développement
d’une tendance visant à rétablir les liens sociaux entre les individus. Ce qui exige la conception
de nouveaux cadres relationnels, permettant des relations horizontales entre les individus, dans
l’intérêt de l’ordre social, sans pour autant empiéter sur les droits et libertés individuelles,
fondamentaux au respect de la dignité humaine. Comme le dit Emmanuel Levinas, les droits de
l’homme se manifestent pour chaque individu « comme des droits de l’autre homme et des
devoirs pour moi, comme mes devoirs dans la fraternité452 ». Le discours sur les devoirs de
l’homme doit permettre une prise de conscience des citoyens sur leurs responsabilités dans la
vie sociale et promouvoir l’autonomie individuelle. Or, comme le souligne Dany Rondeau, ce
discours reste encore assez figé. Il mérite une réhabilitation afin de le rendre moins strict, moins
comme une imposition et plus comme une manifestation de la responsabilité de chacun dans le
maintien de l’ordre social453. Un nouveau discours pourrait peut-être réconcilier les aspirations
individuelles de chaque individu avec les besoins des autres personnes, individuellement et en
tant que collectivité. En effet, sans une véritable prise de conscience des devoirs et
responsabilités de chacun, la liberté prônée par les droits de l’homme devient un simple
privilège à la portée de certains seulement454.

On voit cette rigidité dans la formulation des devoirs dans la Charte aux articles 27, 28 et 29.
L’article 27 commence par les devoirs communautaires de l’individu. Il s’agit des devoirs qui
s’appliquent dans ses relations avec la famille, la société, l’État et même la communauté
internationale (art. 27 al. 1)455. L’article 28 de la Charte ADHP porte sur les devoirs de
l’individu en dehors du cadre familial. Il dispose que « chaque individu a le devoir de respecter
et de considérer ses semblables sans discrimination aucune, et d'entretenir avec eux des
relations qui permettent de promouvoir, de sauvegarder et de renforcer le respect et la
tolérance réciproques ». Enfin, l’article 29 al. 2 et 3 mentionne les devoirs de l’individu « de
servir sa communauté nationale en mettant ses capacités physiques et intellectuelles à son
service » et « de ne pas compromettre la sécurité de l'État dont il est national ou résident ».

452 LEVINAS E., Hors sujet, Montpellier, MORGANA Fata, 1987, p. 187. Cité par PEREZ Emilia Bea,
“Derechos y deberes: el horizonte de la responsabilidad», Derechos y Libertades, n° 29, Epoca II, junio 2013, pp.
54.
453 RONDEAU Dany, « La relation des droits aux devoirs : approche interculturelle », Aspects, n° 1, 2008, p.
164.
454
Idem.
455 L’article 27 alinéa 1 prévoit que : « Chaque individu a des devoirs envers la famille et la société, envers l’État
et les autres collectivités légalement reconnues et envers la Communauté internationale ».

218
Ces dispositions ont une portée très générale, ne permettant pas d’en dégager des règles de droit
précises456. L’article 28 en particulier, prescrit des devoirs que tout individu doit respecter dans
la vie en communauté. Toutefois il ne se restreint aux simples rapports au sein d’un groupe
communautaire donné, mais plutôt aux rapports humains en général entre les individus,
indépendamment de l’existence d’un lien entre eux457, rappelant ainsi l’égalité de principe des
êtres humains, ce qui justifie qu’on doive avoir un comportement exempt de discrimination et
rempli de tolérance et respect les uns envers les autres.

Face au caractère souvent rigide et trop général du discours sur les devoirs, certains auteurs
estiment que plusieurs domaines des droits de l’homme devraient se présenter sur des
formulations différentes, plus adaptées à la réalité sociale, de manière à attirer l’attention sur
l’apport concret des efforts individuels dans leur mise en œuvre458. Cette reformulation
conduirait à une extension à la fois de la liste des devoirs, mais aussi à un élargissement des
débiteurs de ces obligations. Emilia Bea Pérez suggère à ce titre une reformulation des droits
que l’on nomme de troisième génération, comme celui à un environnement sain et au
développement. En tant que droits faisant appel à la solidarité sociale, l’auteur considère qu’ils
pourraient mieux s’exprimer en termes de devoirs et de responsabilités des États et des
individus459. Ce sont des droits qui impliquent une participation directe des individus, dans le
cadre de rapports horizontaux entre les membres de la société puisque leur jouissance est
intemporelle. Une approche humaine, bien plus que l’approche institutionnelle, permettrait de
mieux saisir les enjeux de leur réalisation et de susciter la prise en main des responsabilités
individuelles.
Tandis que certains prônent pour un élargissement des devoirs dans les textes relatifs aux droits
de l’homme, d’autres estiment déplacé une telle démarche au regard de la fonction de protection
des droits fondamentaux de textes tels que la Charte ADHP.

456 Voir OUGUERGOUZ F., La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, Une approche juridique
des droits de l’homme entre traditions et modernité, Paris, PUF, 1993.
457 OJI UMOZURIKE M.U., The African Charter on Human and People’s Rights, The Hague, Martinus Nijhoff
Publishers, 1997, p. 64.
458
PEREZ Emilia Bea, “Derechos y deberes: el horizonte de la responsabilidad», Derechos y Libertades, n° 29,
Epoca II, junio 2013, p. 55.
459 Idem., p. 55.

219
B. Les devoirs dans la Charte : résultat du compromis entre les principes de la
modernité et l’attachement aux traditions

Pour certains auteurs, l’objet principal d’un texte comme la Charte ADHP étant d’assurer la
protection de l’individu contre les abus de l’État, ce texte devrait se borner à garantir des droits
à l’égard des individus. Cette garantie serait ainsi le principal moyen de garantir
l’épanouissement de l’individu par des actions positives de l’État460. La proclamation de devoirs
des individus ne devrait donc pas figurer dans des textes fondamentaux, car l’imposition de
devoirs peut conduire à réduire les responsabilités des États à certains égards, et aboutir
éventuellement à des abus de pouvoir.

Il est en effet intéressant de noter que dans la Convention européenne des droits de l’Homme
(CEDH), aucune disposition ne fait directement mention des devoirs des individus. La CEDH
ne comporte pas de norme générale sur les devoirs de l’homme, ni sur la relation entre les droits
et les devoirs. Les références aux devoirs des hommes se font de façon indirecte dans certaines
dispositions sous la forme de restrictions à l’exercice de droits spécifiques. C’est le cas de
l’article 9§2 portant sur la liberté de religion et de croyance461 et de l’article 10§2 sur la liberté
d’expression selon lequel l’exercice de la liberté d’expression, d’opinion et de communication
comporte « des devoirs et des responsabilités »462. C’est aussi le cas de l’article 11 sur le droit
de réunion et la liberté d’association463 et de l’article 2 du Protocole IV sur le droit de
déplacement et de résidence.

460
Voir en ce sens : GROS ESPIELL Hector, La Convention américaine et la Convention européenne des droits
de l’Homme : analyse comparative, Collected Courses of the Hague Academy of International Law, Vol. 218,
Leiden, Boston, Brill, Nijhoff, 1989, p. 309.
461
D’après l’article 9-2 de la CEDH : « La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet
d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société
démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la
protection des droits et libertés d'autrui ».
462
Selon l’article 10-2 de la CEDH : « L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités
peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des
mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté
publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la
protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou
pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ».
463
D’après l’article 11-2 de la CEDH : « L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que
celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité
nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou
de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le présent article n'interdit pas que des restrictions
légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de
l'administration de l'Etat ».

220
La CEDH ne parle donc pas directement de devoirs, mais on voit dans ceux cités l’idée générale
de la nécessité de respecter les droits d’autrui dans l’exercice de ses propres droits. La CEDH
ne rejette pas directement le principe de la correspondance entre les droits et les devoirs tels
que prévue dans la Charte africaine DHP ou encore dans la Déclaration américaine des droits
de l’homme. Mais les rédacteurs de la CEDH ont certainement voulu mettre l’accent sur la
reconnaissance des droits fondamentaux plutôt que d’imposer des devoirs, sous peine d’avoir
des effets pervers d’une telle imposition, compte tenu du passé politique de plusieurs pays
européens frappés par des régimes dictatoriaux464.

Malgré les réticences émises, les rédacteurs de la Charte ont choisi d’introduire les devoirs,
comme un moyen de mettre l’accent sur la responsabilité collective dans la satisfaction effective
des droits de chacun. Le texte adopté par la Charte africaine DHP a été le résultat d’un
compromis entre deux visions : l’une portant un attachement aux valeurs traditionnelles et
l’autre aux valeurs modernes. Pour les traditionalistes, l’individu prend son humanité de la
communauté à laquelle il appartient. Pour les modernistes, l’individu, qui n’est pas un otage de
l’identité d’un peuple, est le seul porteur de droits et obligations. L’article 29§7 est une preuve
de la tension entre les visions traditionnelle et moderne de la Charte en faisant référence à la
fois au renforcement des valeurs culturelles africaines, tout en soulignant que seules les valeurs
positives doivent être prises en compte. C’est-à-dire celles conformes aux principes modernes
de la démocratie, notamment à l’ordre public465.

De même, il y a un conflit entre la vision moderne et la vision traditionaliste dans la relation


entre l’individu et les peuples prévue dans la Charte. Certains auteurs se questionnent pour
savoir s’il y a bien une philosophie africaine qui prône pour la primauté de la communauté sur
l’individu, comme le prétendent certains adeptes des traditions466. D’autres craignent que cette
primauté de la communauté sur l’individu dans le cadre de la Charte africaine ne porte atteinte
aux droits et libertés individuelles qu’y sont prévus. On craint ainsi que les droits individuels
de l’homme ne se diluent dans une conception communautariste des droits fondamentaux467.

464 GROS ESPIELL Hector, La Convention américaine et la Convention européenne des droits de l’Homme :
analyse comparative, op. cit., p. 309.
465
Selon l’article 29, l’individu a le devoir « de veiller, dans ses relations avec la société, à la préservation et au
renforcement des valeurs culturelles africaines positives, dans un esprit de tolérance, de dialogue et de
concertation et d'une façon générale de contribuer à la promotion de la santé morale de la société ».
466 BACHIR DIAGNE Souleymane, « Philosophie africaine et Charte africaine des droits de l’homme et des
peuples », Critique, 2011/8, n° 771-772, p. 668.
467 POUGOUE Paul-Gérard, « Lecture de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples », in Pougoué
Paul-Gérard (dir.), Droits de l’homme en Afrique centrale, Karthala, 1996, p. 35.

221
En effet, la conception tournée vers la communauté prônée par la Charte est tout le contraire de
textes comme la DDHC de 1789, dont la vision individualiste est très latente à l’article 4 selon
lequel : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice
des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres
de la société la jouissance de ces mêmes droits ». La DDHC n’impose effectivement pas aux
individus d’assurer de manière active l’exercice de droits des autres membres de la société.
Mais se limite à préconiser des limitations légales à l’exercice par chacun de ses propres droits,
afin que d’autres puissent jouir de leurs.

Les questionnements concernant la valorisation des liens communautaires sont légitimes. Mais
la primauté de la communauté sur l’individu prônée par ces auteurs ne correspond pas à la
réalité du droit traditionnel. Certes, traditionnellement l’individu est considéré dans son rapport
à la communauté, mais cela n’implique pas une relation de prééminence de la dernière sur le
premier. La communauté doit au contraire participer à l’épanouissement personnel et familial
de l’individu. Elle doit assurer à l’individu un droit à l’éducation, qui traditionnellement se
manifestait par les rituels d’initiation des jeunes filles et garçons468 ; le droit au travail, par
l’octroi aux individus de terres à cultiver, de bétail, des terrains de chasse 469. Mais ces droits
sont limités par l’existence de devoirs corrélatifs. Il était ainsi important de partager les fruits
de son travail avec les membres du groupe, le fruit de la chasse, les aliments récoltés, etc. De
même, la liberté d’expression était encadrée par des obligations de modération, synonyme de
respect et de considération à l’égard de l’autre, en particulier les aînés, ce qui est acté dans la
Charte du Mandé.

La Charte ADHP essaie par ailleurs de refléter les obligations qu’incombent aux communautés
vis-à-vis de leurs membres, en imposant des devoirs aux États en vue de l’épanouissement des
individus. Cela notamment en proclamant à l’article 22§2 le devoir pour les États de
« séparément ou en coopération, d’assurer par l’exercice du droit au développement » des
peuples. Les États doivent assurer et promouvoir l’accès à l’éducation, l’enseignement (article
25) et à la libre participation des individus à la vie culturelle de sa communauté. L’État doit
aussi promouvoir la morale et les valeurs traditionnelles reconnues par la communauté (article
17).

468
Chez les Pende du Kwilu par exemple l’initiation des jeunes était à la charge de l’institution du Mungnge ; dans
l’Est du Congo-Kinshasa c’est le Mwalimi qui était en charge de l’initiation des jeunes filles.
469
Voir en ce sens : WIREDU Kwasi, « An Akan perspective on human rights », in AN-NA’IM Abdullahi A. &
DENG Francis M. (eds.), Human rights in Africa : Cross-cultural perspectives, 1990, p. 243.

222
La Charte a essayé de trouver un moyen terme entre les valeurs traditionnelles qui placent
l’individu au sein de la communauté et les principes des théories modernes des droits de
l’homme qui mettent celui-ci au centre, comme le principal porteur des droits fondamentaux.
Mais, elle ne se détache pas vraiment des théories universalistes des droits de l’homme
puisqu’elle expose les devoirs plutôt dans une vision individualiste en ne mentionnant que les
devoirs des individus, alors même que certains devoirs doivent être accomplis de manière
collective, comme les devoirs familiaux et l’ensemble des devoirs prévus à l’article 27 de la
Charte.

D’autre part, la proclamation des devoirs dans la Charte fait l’objet d’importantes critiques car
les devoirs se présentent de telle manière qu’ils donnent l’impression que le bénéfice de certains
droits est soumis au respect des devoirs. Ainsi, le bénéfice de certains droits des peuples risque
de se trouver limité par l’obligation des individus de respecter l’intégrité territoriale et les
principes fixés dans la Charte constitutive de l’OUA concernant le respect de la souveraineté
des États.

§2. Les critiques à l’introduction des devoirs des individus dans la Charte

L’inclusion dans la Charte des devoirs de l’individu a été l’objet de diverses critiques lors de
son adoption470. En effet, concernant l’introduction de devoirs dans les instruments de
protection des droits de l’homme, une partie de la doctrine relève la crainte que ces devoirs
n’augmentent les abus des droits de l’homme par les États. Certains auteurs craignaient ainsi
qu’ils ne se servent de ces dispositions pour restreindre l’exercice des droits de manière
abusive471. Cette peur trouve ses origines dans les régimes dictatoriaux et absolutistes qui se
sont installés en Europe.

De tels régimes ayant abouti à une négation des valeurs de la dignité et de l’autonomie de la
personne humaine ont placé l’individu à la merci d’idéaux communautaristes mous par la
simple volonté et orientation des gouvernements dictatoriaux et de leurs chefs. Dans de tels

470 Voir par exemple, FLINTERMAN Cees et ANKUMA Evelyn, The African Charter on Human and Peoples’
Rights Practice and Guide, p. 166-167 ; et MAKAU WA MUTUA, “The African Human Rights System in a
comparative Perspective: the need for urgent reformulation”, 5 Legal F. 31, 33 (1993).
471 En ce sens voir Thomas Buergenthal, International Human Rights, 1988, p. 178.

223
contextes il est compréhensible de voir la sensibilité de certains face au discours sur l’intérêt
collectif et sur les devoirs des individus. En effet, les grandes déclarations des droits de
l’homme ont été adoptées dans des périodes charnières lors de la sortie de régimes totalitaristes
et la quête pour la liberté individuelle. L’idée qui a réussi à s’imposer est celle de la création
d’un nouvel ordre mondial, d’un nouveau paradigme des droits humains empreints d’une
nouvelle dynamique sociale, plus tournée vers l’autonomie de l’individu comme une valeur
absolue.

La connotation négative associé à la question des devoirs est telle que la question est totalement
omise de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Lors des débats pour sa rédaction la
question a été abordée dès le début des conversations, mais très rapidement écartée. Les mots
de la présidente de la Commission des droits de l’Homme, Eleanor Roosevelt ont été très claires
sur la question : « la tâche qui nous a incombée c’est de proclamer les droits de l’être humain
(…) non pas d’énumérer ses obligations472 ». Le doyen René Cassin a confirmé le malaise
d’ensemble concernant la mention des devoirs de l’homme dans la DUDH dans un contexte de
sortie de deux Grandes guerres meurtrières, ayant marqué les esprits de manière indéfinie. Face
à l’indignation collective des États, la Déclaration prenait avant tout une forme de « protestation
solennelle de la conscience humaine contre la tyrannie illimitée de l’État 473».

N’est-ce pas ce même fil conducteur qui a produit les grandes déclarations des droits de
l’histoire de l’Occident ? L’aversion à l’imposition verticale des devoirs, la mise en valeur des
droits, au détriment des devoirs comme un remède contre la tyrannie du pouvoir politique et un
attachement très marqué aux théories libérales en faveur de la liberté et de l’autonomie de l’être
humain. Lors de l’élaboration de la DDHC de 1789, des longs débats ont eu lieu sur les droits
et les devoirs des citoyens. Par ailleurs, ces derniers étaient particulièrement présents dans la
Constitution française de 1795 et dans le Préambule de celle de 1848, une fois que l’euphorie
révolutionnaire se calmait. Le même débat s’est produit dans le cadre du système de l’ONU
avec les mentions des devoirs des individus dans les Pactes de 1966.

Dans le contexte africain, la crainte n’est pas moindre. La Charte ADHP a été rédigée et adoptée
dans une période délicate de l’histoire de l’Afrique post indépendances. Cette période qui devait
marquer le début d’un nouveau monde a en réalité fait naître des régimes autoritaires et

472 CASSIN R., « De la place faite aux devoirs de l’individu dans la Déclaration universelle des Droits de
l’homme » in Problèmes des Droits de l’homme et de l’unification européenne. Mélanges offerts à Polys Modinos,
Pedone, Paris, 1968, p. 481. Cité par PEREZ Emilia Bea, “Derechos y deberes: el horizonte de la
responsabilidad», Derechos y Libertades, n° 29, Epoca II, junio 2013, pp. 63.
473
Idem.

224
meurtriers se sont installés dans différents pays du continent, avec une particulière sévérité dans
des pays comme la Centrafrique, en RDC et en Ouganda.

Les critiques à l’introduction des devoirs dans la Charte africaine DHP sont liées à la conception
des droits que ses auteurs ont essayé de concilier avec la vision moderne des droits de l’homme.
Selon cette vision traditionnelle, l’individu ne devient bénéficiaire de droits qu’en tant que
membre de la communauté et doit respecter les principes de celle-ci. En tant que membre d’une
communauté, l’individu est tenu à des devoirs à l’égard de celle-ci, qui s’imposent dans ses
rapports à tous les niveaux de sa vie. Or, pour certains auteurs de la Charte, en proclamant les
devoirs de l’homme dans la Charte, le texte met une limite importante à l’exercice des droits de
l’homme en les soumettant au respect des devoirs envers la communauté. L’individu risque de
perdre sa liberté au profit du groupe, sous le prétexte du bien-être de la communauté. Pour Paul-
Gérard Pougoué, l’allusion aux devoirs de l’individu aux articles 27, 28 et 29 de la Charte a
pour effet de soumettre la garantie des droits individuels au respect des droits de la
communauté. L’auteur part du principe que la communauté principale dont il est question est
l’État et que les devoirs des individus vis-à-vis de lui tels que précisés dans la Charte, encourent
le risque de faire de celui-ci le bénéficiaire principal des dispositions de la Charte, en raison
d’un devoir général de soumission à l’État474.

La Commission africaine DHP a déjà été confrontée à certaines questions dans ce sens et est
intervenue de manière exemplaire pour la défense des principes généraux de la Charte. Dans
une affaire opposant Amnesty international au Soudan, ce dernier avait invoqué l’application
de l’article 27§2 de la Charte concernant les devoirs de l’individu, lequel dispose que : « Les
droits et les libertés de chaque personne s’exercent dans le respect du droit d’autrui, de la
sécurité collective, de la morale et de l’intérêt commun ». La Commission a expliqué que la
disposition citée vise à prévenir les abus des individus et non à justifier les violations des États,
comme s’il s’agissait d’une clause dérogatoire475.

La proclamation des devoirs des individus doit donc avant tout être vue dans le sens de
l’harmonie nécessaire au sein d’une société entre les droits et les obligations des individus. L’un
ne doit pas prévaloir sur l’autre. Les deux vont de pair, ils sont interconnectés. Comme le
souligne Raymond Verdier, « l’individu et groupe sont complémentaires l’un de l’autre. Le

474 POUGOUE Paul-Gérard, « Lecture de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples », in
POUGOUE Paul-Gérard (dir.), Droits de l’homme en Afrique centrale, Karthala, 1996, p. 36.
475 Commission ADHP, communications 48/90, 50/91, 52/91, 89/93, Amnesty International et autres c/ Soudan,
13e rapport d‘activités, (2000) AHLRL 297 (CADHP 1999).

225
groupe n’est pas une entité abstraite pas plus que l’individu n’est en réalité autonome ; ils sont
l’un et l’autre, l’un par l’autre476 ». La communauté doit permettre l’épanouissement de
l’individu, mais il est plus que normal que ce dernier soit redevant de certains devoirs pour
permettre le cours normal de la vie en société.

D’autre part, il est important de préciser que la Charte ne fait pas seulement référence aux
devoirs de l’individu vis-à-vis de l’État, mais aussi de ses devoirs vis-à-vis d’autres groupes
comme la famille et la société internationale. En ce qui concerne la référence dans la Charte
aux devoirs de l’homme vis-à-vis de l’État et les autres collectivités légalement reconnues -
dont la définition est absente de la Charte -, Sandra Gondi-Gandzion estime que le caractère
imprécis de ces devoirs peut poser des problèmes dans la mesure où, selon elle, il y a un « risque
d’assimilation des devoirs de l’individu à de véritables droits pour l’État, sans aucune limite,
et qui ferait donc régner l’arbitraire477 ». Dans le même sens, Haysom considère que «
interpretation of a duty towards the community as to mean duty towards the state, lends itself
to an autocratic style of Gouvernment478».

En effet, il y a un risque de voir dans cette référence aux devoirs de l’individu à l’égard de l’État
la proclamation de droits pour lui-même, mais cela dépend beaucoup de ce que l’on entend par
devoirs. Si on part du principe que la prescription des devoirs rentre dans le cadre d’une
conception communautaire des sociétés africaines, alors on peut percevoir ces devoirs non
comme étant des contreparties des droits consacrés dans la Charte, mais comme étant des
responsabilités qui découlent de la vie en communauté. En effet, la vie en communauté exige
plus des individus qu’elle n’exige de la communauté elle-même, ce pourquoi Issa G. Shivji dit
que « the traditional African society is based on ‘obligations’ rather than rights479 ». Pour
cause, on trouve beaucoup plus dans la théorie du droit en Afrique l’idée d’interdits et très peu
celle de droits individuels.

Les réserves exposées sont un reflet de l’universalité dans le discours dominant des droits de
l’homme, imprégné d’une pensée moderne de la personne humaine et de ses rapports avec sa
communauté et avec l’État. Le paradigme dominant dans la théorie classique des droits de
l’homme est basé sur le contractualisme moderne qui permet aux individus d’être maîtres de

476 Raymond VERDIER, « Féodalités et collectivismes africains – Étude critique », Présence africaine, n°
XXXIX, 4e trimestre, 1961, pp. 79-100.
477 GONDI-GANDZION Sandra, L’Afrique dans la protection internationale des Droits de l’Homme, Mémoire
de DEA, sous la dir. de M. KUYU MWISSA Camille, Université Paris 1, 2002, p. 30.
478
N.R.L. HAYSOM, “The African Charter : inspirational document or false start”, paper presented at the Bill of
Rights Conference, Victoria Falls, Zimbabwe, De. 10-14, 1994, p. 6.
479 SHIVJI Issa G., The concept of human rights in Africa, London, CODESRIA Book Series, 1989, p. 22.

226
leur destin au sein de la société. Partant de l’idée d’une sociabilité naturelle de l’être humain,
celui-ci cultive sa liberté d’entrer et de sortir d’une société selon son bon vouloir480. Les liens
sociaux deviennent très fragiles car ils peuvent être rompus à tout moment, en fonction des
intérêts respectifs des contractants. C’est ce paradigme qui s’impose dans le système des droits
de l’homme. L’individu ne doit pas se voir imposer une action par une entité quelconque, il doit
vivre dans des rapports d’égalité, dans la méfiance de l’emprise que l’autre pourra avoir sur
l’exercice de son propre pouvoir individuel.

L’archétype de cette logique étant la propriété privée, si bien magnifiée par la Déclaration
française de 1789. L’homme devient seul maître de son patrimoine, de son corps, de ses
émotions et de ses actions. L’histoire de l’individualisme moderne est concomitante à
l’affirmation des droits subjectifs et ce courant se fait de plus en plus présent dans les sociétés
africaines, faisant tomber les préceptes traditionnels d’une conception collective de la vie en
société basée sur la solidarité communautaire.

La primauté des droits subjectifs se fait donc au détriment des relations horizontales entre les
individus et contre un ennemi qui n’en est pas vraiment un : l’État. Les relations horizontales
impliquent une prise en compte des devoirs et responsabilités des individus. Les droits et les
devoirs deviennent alors presque concomitants, mais surtout complémentaires puisqu’ils
doivent aller de pair. Dans une approche horizontale des droits de l’homme, l’exercice des droits
n’est pas subordonné au respect des devoirs, mais il est encadré par des considérations sur la
ligne de partage entre les droits des uns et la permanente préoccupation de ne pas empiéter sur
la jouissance des droits d’autrui. Mais plus encore que l’idée de ne pas empiéter sur la jouissance
des droits d’autrui, les devoirs imposent l’idée de participer activement à cette jouissance. Le
principe de solidarité devient ainsi l’un des corollaires des droits de l’homme.

La prise en compte du lien horizontal par le biais des devoirs, ne peut pas passer que sur les
liens entre individus, elle doit être collective. Cela implique un détachement de la conception
individualiste des droits de l’homme et un véritable respect du pluralisme juridique et de la
pluralité de ses manifestations481. Certains textes essaient déjà de marquer ces particularismes,
à commencer par la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme de 1948. On trouve
aussi la revendication de ces particularismes dans des textes asiatiques tels la Déclaration des

480 PEREZ Emilia Bea, “Derechos y deberes: el horizonte de la responsabilidad», Derechos y Libertades, n° 29,
Epoca II, junio 2013, pp. 64.
481 PEREZ Emilia Bea, “Derechos y deberes: el horizonte de la responsabilidad», Derechos y Libertades, n° 29,
Epoca II, junio 2013, pp. 88-90.

227
devoirs fondamentaux des peuples et des États asiatiques de 1983. Ce texte très peu connu
proclame son attachement aux « les réalités culturelles de l’Asie et ses aspirations religieuses »,
proclamant le caractère fondamental des relations familiales dans les sociétés asiatiques, dans
lesquelles les valeurs d’ordre, d’autorité et de discipline doivent primer482. De même, la
Déclaration de Bangkok de 1993, qui rentre dans le mouvement des revendications régionales
de la reconnaissance de la diversité et des spécificités culturelles donne une certaine place aux
devoirs en tant que référent communautaire.

Dans l’Afrique moderne les rapports sociaux évoluent. L’homme veut désormais se protéger
contre le groupe, intégrant les principes de la justice moderne. Mais il est fondamental, pour le
maintien d’une société équilibrée, que chaque individu remplisse ses obligations. Il est
important de mettre en valeur non seulement les responsabilités individuelles mais aussi les
responsabilités sociales et collectives. Ce qui la Charte tente de faire avec la proclamation des
devoirs, mais aussi avec la proclamation solennelle des droits des peuples. Cette initiative ne
peut qu’être saluée, mais elle ne satisfait pas véritablement aux aspirations que partagent
plusieurs africains de voir une véritable reconnaissance de l’identité culturelle et juridique du
continent.

482 GARCIN Thierry, « Les droits de l'homme à l'épreuve de l'universalité », Relations internationales, vol. 132,
no. 4, 2007, p. 46.

228
TITRE II : LA MARGINALISATION DES DROITS TRADITIONNELS DANS LA
CHARTE AFRICAINE

Les droits traditionnels, on l’a vu, ont un caractère éminemment communautaire. La


communauté dans son ensemble a une place centrale dans l’ordonnancement juridique. Ce
caractère collectif des relations sociales a été quelque peu pris en compte dans la Charte par la
reconnaissance des devoirs des individus à l’égard de la famille, de l’État, de la communauté
internationale et d’autres groupes. Mais, comme nous l’avons vu, cette prise en compte reste
très imparfaite aux vues de l’approche individualiste qu’on trouve dans la proclamation des
devoirs de l’individu, à l’exclusion d’une approche véritablement collectiviste qui reconnaît les
devoirs réciproques des différents membres pris individuellement et des groupes pris
collectivement. D’autre part, l’introduction des devoirs dans la Charte reste plus indicative
qu’impérative puisque le caractère général des dispositions ne laisse pas entrevoir des devoirs
concrets.

Aux côtés des devoirs, la Charte africaine a aussi voulu se rapprocher des traditions historiques
en reconnaissant les droits des peuples. La reconnaissance des droits des peuples doit avant tout
être comprise à l’aune du contexte de l’adoption de la Charte africaine. Le continent se trouvant
encore sous l’emprise de puissances coloniales, reconnaître les droits des peuples, notamment
le droit des peuples à l’autodétermination (art. 20) et l’égalité de principe de tous les peuples
(art. 19). Néanmoins, le recours à la notion de peuples n’est pas aisé. Sa définition, qui peut
avoir plusieurs dimensions, ne répond pas toujours aux véritables inspirations des peuples
africains, rendant difficile la jouissance pleine des prérogatives qui leur sont octroyées. La
reconnaissance des droits des peuples ne constitue donc pas la démonstration d’un véritable
attachement aux valeurs culturelles et juridiques historiques (CHAPITRE I).

D’autre part, l’ensemble des choix des rédacteurs de la Charte, dès la conceptualisation à la
formulation des principes de cet instrument nous renvoient continuellement à un dilemme : la
difficulté des auteurs de trancher entre une adhésion complète aux principes universalistes des
droits humains et la valorisation des spécificités régionales. En réalité, le choix de l’universalité
a été fait dès le Préambule de la Charte, oubliant que derrière des revendications universalistes
se cachent le plus souvent des intentions impérialistes. Les identités africaines, déjà bafouées
au cours des périodes de domination coloniale, sont vouées à l’oubli par l’adhésion progressive
à des idéaux libéraux (CHAPITRE II).

229
CHAPITRE I : La reconnaissance du caractère communautaire du droit par la Charte
africaine DHP

La Charte africaine reconnaît une série de droits au profit des peuples. Il est intéressant que la
Charte ait tenu à poser la notion au pluriel, en reconnaissance de la pluralité des peuples présents
sur le continent, alors que les rédacteurs auraient pu adopter une perspective plus unificatrice
de la notion en se référant au « peuple africain ». Le choix de la pluralité est tout à fait louable
et décrit bien la diversité d’un continent qui cherche à assurer la protection des droits de
l’homme africain, sans le soustraire de son cadre identitaire. Sont ainsi visés dans la Charte non
seulement l’individu, en tant qu’être humain, qu’il soit africain ou pas, mais plus largement les
peuples à qui on attribue une personnalité juridique propre (SECTION I).

La question des droits des peuples ne peut être abordée sans reconnaître l’audace des rédacteurs
de la Charte de l’avoir introduit dans le texte, alors même qu’une telle approche ne va pas sans
ses défis. En effet, la notion de peuples, parfois controversée, comporte plusieurs dimensions.
Selon les contextes, les enjeux et les acteurs en jeu, elle peut se référer à des réalités différentes,
qui tout en gardant leur noyau dur, suscitent un traitement différent de la part du droit
international et des autorités étatiques (SECTION II).

SECTION I. L’introduction des droits des peuples dans la Charte ADHP

La Charte ADHP proclame des droits dont les peuples peuvent se prévaloir, mais ne donne
aucune précision sur l’acception qu’elle entend donner à la notion de peuples. On peut tout de
même se faire une idée de la portée de cette notion à la lecture des textes de l’Organisation
régionale qui permettent de donner plus de précisions sur ce que la Charte ADHP entend par
droit des peuples. Selon les contextes dans lesquels ils sont abordés, les droits des peuples
peuvent se référer à des réalités différentes, mais surtout être abordés selon des approches
différentes. Dans les textes internationaux, les droits des peuples sont le plus souvent
appréhendés à la lumière des droits individuels et très peu en tant que droits d’une entité
collective dotée de personnalité propre (§1). Tandis que la Commission ADHP a de tendance à
adopter une approche plus communautaire de ces droits afin de sauvegarder les droits des

230
peuples au sens collectif (§2).

§1. Les différentes dimensions des droits des peuples

La notion de peuples est loin de faire l’unanimité. Et pour cause, ce terme peut s’appliquer à
plusieurs réalités, que ce soit au sens large de nation ou au sens strict de communauté locale. Il
aurait été intéressant que la Charte donne des précisions pour que l’on puisse mieux saisir sa
portée (A). Et ce d’autant plus qu’il ressort de l’état d’esprit général des dirigeants au moment
de l’adoption de la Charte que l’objectif était avant tout de mettre en avant les identités
nationales des peuples africains, au détriment des identités communautaires (B).

A. La prise en compte limitée des droits des peuples au niveau international

Les peuples ont commencé à être pris en compte par le droit international à la fin des Grandes
guerres lorsque plusieurs traités ont été conclus afin de protéger les droits des minorités
ethniques et religieuses dont les droits ont été longtemps bafoués. Les droits reconnus à ces
minorités incluent celui à jouir de leur liberté à l’intérieur de leurs frontières, droit au respect
de leur liberté culturelle, religieuse et linguistique et surtout celui à la non-discrimination au
sein de la société. Furent ainsi adoptés des textes comme la Convention relative aux populations
aborigènes et tribales de 1957 de l’Organisation internationale du travail (n° 107), la
Convention de l’UNESCO concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de
l'enseignement en 1960 et la Convention internationale pour l’élimination de toute forme de
discrimination raciale de 1965483. Ces textes certes reconnaissent l’existence de groupes, mais
visent essentiellement à être revendiqués par les individus composants ces groupes. D’autres
instruments internationaux bénéficient directement aux groupes en tant que tels. Il s’agit par
exemple de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948484
et de la Convention internationale sur l'élimination et la répression du crime d'apartheid de
1973485.

483 Adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 2106 A(XX) du 21 décembre 1965.
484 Adoptée par l'Assemblée générale dans sa résolution 260 A (III) du 9 décembre 1948.
485 Adoptée l'Assemblée générale dans sa résolution 3068 (XXVIII) du 30 novembre 1973.

231
Au niveau régional, dans les courants des années 1950, les organisations régionales telles que
l’Organisation des États américains (OEA) et la Communauté européenne ont ajouté à leurs
textes fondamentaux la protection des droits des peuples de manière autonome et plus détaillée.
L’OEA, plus concernée par les problématiques liées aux droits des peuples, y fait référence
dans la Charte de l’Organisation des États américains du 30 avril 1948. Cette Charte a en
quelque sorte servi d’exemple à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples,
laquelle met un point d’honneur à placer au même niveau les individus et les peuples en léguant
à chacun une sous-partie dans son texte.

En Afrique, le premier texte à mentionner le droit des peuples a été la Déclaration universelle
des Droits des Peuples, adoptée en 1976 par un groupe de juristes qui a réuni des principes
idéaux en matière de protection des droits de l’homme. Ce texte, aussi connu sous le nom de
Déclaration d’Alger, ne reflète pas la position des États en la matière puisqu’il ne fut pas leur
œuvre. Mais il a une importance particulière dans la reconnaissance des prérogatives des
peuples du continent dans un contexte de luttes d’autodétermination et de revendication des
identités nationales et culturelles. Il va jusqu’à prévoir des sanctions envers tous ceux qui
violeraient les droits fondamentaux des peuples. La Déclaration d’Alger a servi de source
d’inspiration lors de la rédaction de la Charte ADHP qui reprend certains de ses objectifs et
principes.

Dans les instruments internationaux classiques sur les droits de l’homme très peu de
dispositions sont réservées aux droits des personnes en tant que collectivité, à part le droit des
peuples à l’autodétermination. La formulation des textes concernant les droits collectifs laisse
entendre que les droits collectifs sont abordés à la lumière des droits des individus. Ils sont
souvent une extension des droits individuels qui ont vocation à être exercés collectivement
Ainsi, une collectivité est protégée lorsque les textes prévoient que l’individu ne peut subir
aucune forme de discrimination du fait de son origine, ethnie, de sa race et religion486. L’article
27 du Pacte sur les droits Civils et Politiques de 1966 stipule que : « Dans les États où il existe
des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités
ne peuvent être privées du droit d'avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe,
leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur
propre langue 487». Par conséquent, les communautés en tant que telles ne bénéficient de droits

486 Par exemple articles 18 et 27 du Pacte sur les droits civils et politiques de 1966.
487
Souligné par nous.

232
que par le biais de ceux des individus. Ces droits sont souvent complémentaires des droits
individuels et permettent aux individus de jouir pleinement de leurs droits fondamentaux.

La garantie des droits des groupes par ce biais peut être suffisante dans certains cas, mais elle
ne permet pas de protéger les peuples des empiétements qui nuiraient à leur propre existence
en tant qu’entité collective. Certains droits plus spécifiques aux collectivités sont nécessaires,
tel le droit à l’apprentissage de la langue et de l’histoire locale dans les écoles, ou le droit des
communautés sur des portions de terres leur appartenant historiquement et traditionnellement.
Sont aussi spécifiques aux peuples la possibilité pour elles d’opposer cette propriété collective
aux administrations publiques et en particulier aux grandes multinationales qui par leur
exploitation obligent souvent des communautés à se séparer de leurs terres, rendant la survie
des peuples très difficile, comme cela a été le cas des peuples endorois forcés au déplacement
de leur région du Lac Bogoria (au Kenya), au profit de l’instauration d’une réserve faunique à
des fins touristiques488.

Pour certains auteurs, il est tout à fait normal que les droits des peuples ne concernent pas des
entités collectives, mais l’ensemble d’individus qui les composent. Alain-Didier Olinga, craint
à ce sujet que sous le couvert de la protection des droits des peuples ne soient en réalité des
droits individuels massivement violés qui soient en cause, empêchant la protection adéquate
aux droits individuels489. Cette position est partagée par Sandra Gondi-Gandzion, qui soutient
qu’« il est possible en effet que les droits des peuples ne puissent être protégés en tant que tels,
dans leur autonomie, et qu’ils ne puissent être garantis que par ricochet, par le canal de la
protection des droits des individus lorsque ceux-ci sont massivement violées. Cela équivaudrait
alors à une violation caractérisée des droits d’un ensemble d’individus qui composent ce
peuple490 ».

Par la reconnaissance des droits des peuples dans la Charte, les États montrent leur intention de
mettre en place des mécanismes de protection spécifiques aux peuples du continent, au-delà de
la dimension individuelle, très présente dans la Charte. Au niveau national, plusieurs
constitutions s’engagent à respecter et à promouvoir les valeurs culturelles et historiques des

488
Commission ADHP, communication 276/03 Centre for minority rights development (Kenya) et Minority Rights
group (au nom d’Endorois wefare council) c. Kenya, du 25 novembre 2009.
489
OLINGA Alain-Didier, « L’effectivité de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples », Afrique
2000, n° 27/28, avril-octobre 1997.
490 GONDI-GANDZION Sandra, L’Afrique dans la protection internationale des Droits de l’Homme, Mémoire
de DEA, sous la dir. de M. KUYU MWISSA Camille, Université Paris 1, 2002, p. 29.

233
communautés qui les composent491. On leur reconnaît par exemple le droit à accéder à un
enseignement dans les langues autochtones, ou le droit de promouvoir des manifestations
culturelles locales492. Or, la pleine reconnaissance de droits collectifs au niveau régional
implique d’identifier à la fois leurs bénéficiaires et leur contenu. Ce qui n’est pas une tâche
aisée à la lecture de la Charte.

B. Le choix de la dimension étatique de la notion de peuples dans la Charte ADHP

Lors des débats pour l’adoption de la Charte ADHP, deux pays ont réussi à convaincre les
différents États parties sur l’importance et la nécessité d’introduire dans la Charte ADHP les
droits des peuples, parallèlement aux droits de l’homme. Il s’agit de la Guinée et du
Madagascar, deux pays faisant partie de l’aile progressiste de l’ensemble des membres de
l’OUA493. Les rédacteurs de la Charte voulaient créer un document garantissant un équilibre
entre les droits de l’homme et des peuples, sous l’inspiration des traditions culturelles
africaines. L’introduction du mot « peuples » dans l’intitulé et le corps de la Charte devrait
permettre d’imprégner celle-ci de la vision africaine de l’homme, aux côtés de l’intégration des
devoirs de l’individu.

La Charte ne spécifie pas ce qu’elle entend par « peuples », laissant une large marge de
manœuvre dans l’interprétation de ce qui peut intégrer la catégorie « peuples » et comment le
lien peut être fait avec les valeurs traditionnelles africaines. Ce mot peut avoir plusieurs sens
selon l’objectif recherché. Il peut renvoyer tantôt à la notion d’État, donc du peuple en formant
un ; tantôt à la notion de nation, au sens des peuples formant un État ; la notion peut aussi
renvoyer aux différents groupes ethniques existants sur le continent.

Le groupe d’experts chargé de rédiger le projet de la Charte a volontairement omit de donner


une définition de ce que l’on entend par les « droits des peuples ». Kéba Mbaye, président du
groupe d’experts, a précisé que les experts ne voulaient pas entrer dans des longs débats sur la
définition des concepts ambigus pour ne pas retarder le travail494. Le soin d’une telle définition

491
Voir en ce sens la Charte culturelle de l’Afrique, adoptée en 1976 et la Charte de la Renaissance culturelle
africaine, adoptée par la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’UA le 24 janvier 2006.
492
Voir par exemple l’art. 3 de la Charte de la renaissance culturelle africaine.
493
BELLO Emmanuel G., « The African Charter on Human and Peoples’ Rights: a legal analysis », Collected
Courses of the Hague Academy of International Law, volume 194, p. 182.
494
Idem., Bello E., p. 32.

234
sera donc laissé en dernier ressort à la jurisprudence de la Cour ADHP et/ou de la Commission
ADHP qui ont le pouvoir d’interpréter et de donner des précisions sur le sens des dispositions
de la Charte495.

On relève trois dimensions différentes de la notion de peuple, utilisées pour désigner des réalités
différentes qui tendent à se rapprocher. Tout d’abord, le terme « peuple » a une dimension
régionale lorsqu’il désigne, dans le langage courant, l’ensemble des populations originaires
d’un continent. Le terme peut aussi avoir une dimension nationale lorsqu’il est utilisé pour
désigner l’ensemble de la population d’un pays. Cette deuxième dimension a eu un grand essor
dans la période des décolonisations et postérieurement lors de l’affirmation des États-nations.
Cette dimension est présente dans la Charte ADHP à l’article 23 (2) qui affirme que : « Dans
le but de renforcer la paix, la solidarité et les relations amicales, les États, parties à la présente
Charte, s’engagent à interdire : (...) b) que leurs territoires soient utilisés comme base de départ
d’activités subversives ou terroristes dirigées contre le peuple de tout autre État, partie à la
présente Charte ». On relève cette même dimension dans la confusion faite entre le mot
« peuple » et « population » à l’article 21 (1) et (5)496.

Troisièmement, la notion de peuple peut être abordée dans une dimension infra-étatique pour
désigner les différents groupes communautaires au sein de la population d’un pays. Cette
approche va directement à l’encontre de l’objectif d’établir l’unité nationale dans le cadre des
États postcoloniaux. Mais elle fut largement mobilisée dans l’après indépendance par des
groupes qui souhaitaient se démarquer, par leurs spécificités culturelles et historiques, de
l’ensemble national dans lequel ils ont été forcés de s’intégrer pendant les colonisations. C’est
le cas en Angola du peuple du Cabinda ou au Sénégal du peuple du Katanga. Les droits des
peuples entendus dans cette dimension renvoient à des communautés comme les tribus, les clans
et les ethnies.

Au premier abord, au regard de l’ambition marquée par les rédacteurs de la Charte de construire
un système de protection des droits fondamentaux qui corresponde aux besoins des sociétés
africaines, prenant en compte l’héritage culturelle africaine, on peut croire que la référence aux

495
Cet objectif avait été formulé lors de la rédaction de la Charte dans le rapport qui expliquait que « la forme
rédactionnelle relativement simple des articles conçue ainsi pour permettre une certaine souplesse dans
l'application et l'interprétation ultérieure par les futurs utilisateurs de l'instrument juridique, le soin étant laissé
aux organes de protection des droits de l'Homme, de compléter la Charte ». Cf. Rapport du rapporteur, Banjul, 9-
15 juin 1980, O.U.A. Doc. CAB/LEG/67/3/Draft/Rapt. Rpt. (II). Cité par
496
On lit à l’article 21-1 : « les peuples ont la libre disposition de leurs richesses et de leurs ressources naturelles.
Ce droit s’exerce dans l’intérêt exclusif des populations. En aucun cas un peuple ne peut en être privé » ; et le
paragraphe 2 : « les Etats, parties à la présente Charte, s’engagent à éliminer (...) afin de permettre à la population
de chaque pays de bénéficier pleinement des avantages provenant de ses ressources nationale ».

235
peuples dans la Charte renvoie au principe communautariste du droit traditionnel africain. Selon
ce principe, l’individu ne bénéficie de droits qu’en tant que membre de la communauté et en
tant que tel, il a des obligations à l’égard de sa communauté. Cette idée a certainement inspiré
les rédacteurs de la Charte, qui comme on l’a vu, ont non seulement introduit les droits des
peuples, mais aussi les devoirs de l’individu vis-à-vis de la communauté. Le Président guinéen
Sékou Touré, a affirmé sur cette question que : « dans notre République, la liberté individuelle
est vue sous la perspective de son utilité pratique pour la société497 ».

De plus, dans les mots de Kéba Mbaye, « en Afrique la communauté est un sujet privilégié de
droit, quelle que soit sa forme (clan, ethnie, tribu, etc.). Ce concept renforce la solidarité entre
les membres de la même communauté. La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples
reflète cette solidarité. Ceci explique l’importance qu’elle accorde aux droits collectifs et d’une
manière générale justifie ses dispositions relatives à la solidarité nationale et
internationale498 ». On peut relever plusieurs éléments de cette affirmation. Tout d’abord, la
persistance de la communauté comme un sujet de droit privilégié dans les sociétés africaines
modernes. Ensuite la volonté des rédacteurs d’adopter un instrument qui allait renforcer les
liens traditionnels de solidarité entre les membres d’une communauté. Mais les droits des
peuples prévus par la Charte visent-ils réellement les communautés locales qui constituent les
différents peuples africains ? La réponse à cette question implique de jeter un regard sur la
notion de « peuples » prévue dans la Charte, pour comprendre ensuite si elle correspond à la
notion de communauté du droit traditionnel.

On peut rapprocher les droits des peuples aux droits reconnus aux groupes minoritaires se
trouvant à l’intérieur des États. Les minorités se caractérisent par leur appartenance à un groupe
social, numériquement inférieur, regroupant des caractéristiques communes, mais qui diffèrent
de manière considérable de celles présentes dans l’ensemble de la population d’un pays ou
d’une région et qui, en raison d’une histoire de persécutions et de discriminations, font l’objet
d’une protection juridique particulière. Les minorités sont ainsi constituées de personnes qui se
distinguent d’une entité plus élargie par leur origine géographique, leur religion, leur ethnie ou
leur langue commune. Mais la particularité de la notion de minorités réside dans le fait qu’elle
ne concerne pas seulement le critère quantitatif, mais aussi un critère lié au traitement infligé

497 Cité par BELLO Emmanuel G., « The African Charter on Human and Peoples’ Rights: a legal analysis »,
Collected Courses of the Hague Academy of International Law, volume 194, p. 190 (note 66).
498 MBAYE Kéba, « Le concept africain des droits de l’homme », Bulletin africain des droits de l’homme 3, 6/3,
1996. Cité par MUBIALA Mutoy, « Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et cultures africaines
», Revue québécoise de droit international, 1999, 12.2, p. 203.

236
aux populations minoritaires, qui se trouvent souvent en position d’infériorité ou de dépendance
par la volonté des gouvernants étatiques499.

La notion de minorité ne semble donc pas servir pour déterminer le concept de peuples, laquelle
doit nécessairement avoir un sens plus élargi. En effet, même si certains peuples ont une
dimension démographique assez réduite faisant penser à une minorité, leur proportion au regard
de l’ensemble de la population et le traitement qui leur est infligé est déterminant pour la
caractérisation en tant que groupe minoritaire, méritant une protection particulière. Or, la Charte
n’accorde pas une protection particulière aux peuples dont il est question dans son intitulé, ce
qui laisse entendre cette notion ne se réfère pas exclusivement aux minorités. Cette distinction
est d’autant plus importante que l’Afrique présente plusieurs exemples de peuples ethniques
quantitativement minoritaires, ayant réussi à imposer leur supériorité politique ou économique.
C’est le cas des Tutsis au Rwanda et Burundi ou encore les peuples Mbochis au nord de la
République du Congo, ethnie d’origine de l’actuel président Denis Sassou-Nguesso.

La position de la Charte africaine sur la notion de « peuples » est très ambiguë mais semble
privilégier une vision étatique des droits des peuples. En effet, dans le contexte des
indépendances régnant au moment de l’adoption de la Charte, il est compréhensif que pour les
indépendantistes il était fondamental de mentionner les droits des peuples africains à la liberté
et à l’égalité face à des régimes oppressifs. En ce sens, la notion de peuples dans la Charte peut
renvoyer à l’idée de « peuples-dominés », pour désigner la situation des peuples dominés par
le pouvoir colonial. Pour Mutoy Mubiala c’est très probablement ce sens qui a été à la base du
raisonnement des rédacteurs de la Charte, dans une période d’émancipation de peuples
opprimés500. D’où l’affirmation de principes comme la souveraineté nationale, la non-ingérence
dans les affaires internes des pays et le respect des frontières héritées de la colonisation.

Le principe d’intangibilité des frontières s’est imposé dans la Charte de l’OUA comme un
principe fondamental dans la sauvegarde de la souveraineté étatique, devenant presque un droit
des peuples, dans sa dimension étatique501. Ce principe appliqué pour la première fois dans les
pays de l’Amérique latine leur permettait d’entretenir des relations internationales dans un
rapport d’égalité. La proclamation de l’uti possidetis ius dans un continent marqué par une
diversité culturelle très grande avait pour objectif de garantir la stabilité des frontières

499 GONIDEC Pierre-François, Les systèmes politiques africains, Paris, LGDJ, 1997, p. 181.
500 MUBIALA Mutoy, « Les droits des peuples en Afrique », Revue trimestrielle des droits de l’homme, n° 60,
2004, p. 985.
501
Voir la Charte de l’OUA au paragraphe 3 du Préambule ou encore la Résolution 16 de l’OUA proclamant le
respect des frontières héritées de la colonisation.

237
nationales et d’éviter l’éclatement de conflits interethniques et territoriaux. Pour certains
auteurs cet objectif de l’OUA, même s’il n’a pas été atteint puisque des nombreux conflits ont
fait surface sur la base de l’identité ethnique ou encore de revendications territoriales, a réussi
à limiter la portée de ces conflits502.

Les auteurs sont peu nombreux à se pencher sur les conséquences réelles de l’application de ce
principe sur le respect du droit des peuples africains à disposer d’eux-mêmes et du droit à l’auto-
détermination tel qu’il est prévu dans l’Acte constitutif de l’UA ainsi que dans la Charte ADHP.
En effet, en cristallisant les frontières, les rédacteurs de la Charte de l’OUA ont implicitement
identifié la notion de peuple à celle d’État-Nation. En empêchant les peuples africains compris
dans leur dimension infra-étatique, de déterminer leur autonomie en dehors des frontières de
l’État, le principe d’intangibilité des frontières ne permet pas aux peuples de mettre en avant
leur identité ethnique sur l’identité nationale. En faisant cela, les États placent les groupes
ethniques dans un rang inférieur à celui de la collectivité qui représente l’État, ne tenant pas en
compte les revendications des peuples qui autrefois ont subi une division forcée et aléatoire et
qui souhaiteraient, après les indépendances, retrouver leurs configurations anciennes.

Cette privation est jusqu’à présent une source d’importants conflits ethniques qui persistent
dans le continent et les autorités peinent à trouver une solution satisfaisante. C’est le cas du
conflit en Casamance au Sénégal, au Katanga en RDC, au Biafra au Nigeria, du Cabinda en
Angola, ou au Sahara occidental. Dans d’autres cas, certains pays ont réussi à donner un statut
aux grands groupes ethniques ou aux grands royaumes séculaires en reconnaissant leurs
autorités et leurs règles. C’est le cas au Nigeria et en Afrique du Sud avec les différents
royaumes qu’y sont reconnus.

L’Ethiopie constitue un exemple particulier dans la reconnaissance des peuples, auxquels la


Constitution accorde des droits spécifiques à l’article 39. La Constitution va jusqu’à prévoir le
droit des peuples de faire sécession, en suivant certaines conditions (art. 39-4). Le constituant
éthiopien place la diversité ethnique du pays au centre de la démocratie, en ayant en plus pris
soin de proposer une définition de la notion de « peuple » et « nation » à l’article 39-5, selon
lequel : « une « Nation, Nationalité ou Peuple » aux fins de la présente Constitution est un
groupe des personnes qui ont ou partagent dans une large mesure une culture commune ou
coutumes similaires, l’intelligibilité mutuelle de la langue, croyance en une identité commune

502 MUBIALA Mutoy, « La protection des minorités ethniques en Afrique », Revue de la Commission africaine
des Droits de l’Homme et des Peuples, Tome 3, 1993, numéros 1 et 2, p. 33.

238
ou proche, une configuration psychologique commune, et qui habitent un territoire identifiable,
majoritairement contigu ». La vision multi-ethnique de l’État fédéral d’Éthiopie a ouvert la voie
à plusieurs revendications sécessionnistes, particulièrement dans le sud du pays où une
multitude d’ethnies se retrouve rassemblée dans des régions administratives très hétérogènes503.

On peut donc conclure que les droits des peuples prévus dans la Charte étaient en réalité des
droits des États africains, en tant que peuples dominés. États dont les frontières avaient été
géométriquement établies par les puissances coloniales, sans vraiment avoir des égards pour la
réalité et la variété socio-culturelle des peuples africains. Cela explique que la Commission
africaine ait refusé ait refusé en 1992 d’accorder le droit à l’indépendance au peuple katangais
alors même que leur demande était fondée sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
prévu à l’article 20-1 de la Charte.

La Commission qui avait dans ces affaires la possibilité de donner des précisions sur la notion
de peuples, s’est limitée à entériner la position de la jurisprudence internationale consistant à
appliquer le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes aux situations inter-étatiques.
Selon elle, « le problème qui se pose dans cette affaire est l'auto-détermination non pas de tous
les Zaïrois en qualité de peuple mais des Katangais spécifiquement (…) La Commission pense
que l'auto détermination peut s'opérer dans l’une des façons suivantes : indépendance,
autogouvernement, gouvernement local, fédéralisme, confédéralisme unitarisme ou toute autre
forme de relations conforme aux aspirations du peuple mais tout en reconnaissant les autres
principes établis tels que la souveraineté et l’intégrité territoriale (…). [Mais] en l'absence de
preuve tangible à l'appui des violations des droits de l'homme à tel point qu'il faille mettre en
cause l'intégrité territoriale du Zaïre et en l'absence de toute preuve attestant le refus au peuple
Katangais du droit de participer à la direction des affaires publiques conformément à l'article
13 (1) de la Charte Africaine, la Commission maintient que le Katanga est tenu d'user d’une
forme d'auto détermination qui soit compatible avec la souveraineté et l’intégrité territoriale

503 Pour plus d’approfondissements voir : VAN DER BEKEN Christophe, “Federalism in a Context of Extreme
Ethnic Pluralism: The Case of Ethiopia's Southern Nations, Nationalities and Peoples Region”, Verfassung Und
Recht in Übersee / Law and Politics in Africa, Asia and Latin America, vol. 46, no. 1, 2013, pp. 3–17 ;
ABDULLAHI Ahmednasir M., “Article 39 of the ethiopian Constitution on secession and self-determination: a
panacea to the nationality question in Africa?” Verfassung Und Recht in Übersee / Law and Politics in Africa,
Asia and Latin America, vol. 31, no. 4, 1998, pp. 440-455 ; FICQUET Éloi. « Fonder un régime sur le recensement
ethnique : le fédéralisme éthiopien », Critique internationale, vol. 45, no. 4, 2009, pp. 37-57.

239
du, Zaïre504 ». La même position a été retenue dans des demandes introduites au nom des
peuples du Cabinda en Angola505 et le peuple du Cameroun du Sud506.

L’insertion des droits des peuples dans la Charte ADHP est censée être un réflexe de la
solidarité caractéristique des sociétés traditionnelles africaines, dans lesquelles la communauté
est un sujet privilégié de droit. Mais en réalité ce n’est pas du tout le cas, puisque c’est l’État-
Nation qui est mis en avant. Les autres communautés ne peuvent en principe songer à disposer
des attributs de la personnalité morale.

§2. La mise en valeur de la dimension infra-étatique des droits des peuples par la
Commission ADHP

Par sa jurisprudence de plus en plus conséquente en matière de protection des droits des peuples,
la Commission africaine tend à adopter une posture d’ouverture aux revendications des droits
des peuples sur le continent, permettant à ces derniers de voir leurs droits reconnus sous
plusieurs angles (A). Cette jurisprudence ne laisse pas de doute quant à l’attribution
juridictionnelle de la personnalité juridique aux peuples que la Commission protège. Mais la
reconnaissance de cette personnalité morale sur le plan international reste assez controversée
(B).

A. L’ouverture de la Commission à une approche communautaire des droits des


peuple

La dimension nationale de la notion de « peuples » est largement privilégiée dans la pratique


des États et des organisations internationales dans la mise en œuvre des droits des peuples. Elle
a d’abord été prônée dans le cadre de la décolonisation lors de la proclamation des
indépendances. La proclamation des droits des peuples a été suivie par la proclamation de
principes fondamentaux visant à sauvegarder l’autonomie du peuple africain vis-à-vis des États
européens. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a été l’un des principes phares de
l’OUA et postérieurement de l’UA, consolidé par le principe d’intangibilité des frontières

504
Voir communication de la Commission ADHP, 75/92 Congrès du peuple katangais c. RDC, du 22 mars 1995.
505
328/06 Front de libération de l’Etat du Cabinda c. République d’Angola du 5 novembre 2013.
506
Communication CADHP, 266/03 Kevin Mgwanga Gunme et al c. Cameroun du 27 mai 2009.

240
héritées de la colonisation. La Charte ADHP pose cette dimension étatique des droits des
peuples dès son préambule lorsqu’au paragraphe 9 on lit que les États parties s’engagent « à
libérer totalement l’Afrique dont les peuples continuent à lutter pour l’indépendance véritable
et leur dignité et (…) à éliminer le colonialisme, l’apartheid, le sionisme, les bases militaires
d’agression et toutes formes de discrimination, notamment celles fondées sur la race, l’ethnie,
la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l’opinion publique ».

L’approche infra-étatique est certes largement revendiquée, mais son usage très peu encouragé
au regard des risques que l’appel aux attaches ethniques peut engendrer dans un continent
durement touché par des conflits inter-ethniques, comme le prouvent les événements récents au
Rwanda, au Darfour, au Liberia, en Côte d’Ivoire, au Kenya, en RDC, pour n’en citer que
quelques-uns. Malgré la prévalence de la dimension étatique de droits des peuples, la dimension
infra-étatique a aussi sa place dans la pratique des États africains et plus précisément dans les
travaux de l’UA, notamment par le biais de l’activité de la Commission ADHP. Cette dimension
est néanmoins limitée par des principes inhérents à l’ordre constitutionnel des États et aux
relations internationales africaines.

La Commission ADHP a dans un premier temps été hésitante à aborder les questions relatives
à la dimension infra-étatique des droits des peuples, en particulier la question du statut des
populations autochtones et des minorités. Pour ne pas créer la discorde et l’animosité de la part
des États, elle a préféré se placer dans une vision étatiste des peuples507. Sa position a
progressivement évolué, à la demande de l’OUA, sous la pression d’organisations de protection
des droits des populations autochtones. On note cette évolution dans ses décisions concernant
des questions relatives aux droits des peuples. La Commission n’a jamais renié l’existence des
peuples, mais n’y faisait pas ouvertement mention. Mais, dans la plupart des décisions relatives
aux droits des peuples, la Commission ADHP se réfère clairement aux peuples, au sens infra-
étatique. Elle incite notamment les États dans ses directives générales relatives aux rapports
périodiques nationaux, à faire état des mesures adoptées « pour freiner la tendance de certains
peuples à en dominer d’autre », en application de l’article 19 relatif au droit des peuples à
l’égalité508.

507
Voir en ce sens la communication de la Commission ADHP, 75/92 Congrès du peuple katangais c. RDC, du
22 mars 1995.
508
Directives générales pour les rapports périodiques nationaux, Second Rapport Annuel d’Activités de la
Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (adopté en juin 1989), Annexe XII, Directives par.
III.2.

241
Le choix de la Commission pour la dimension infra-étatique et la conséquente reconnaissance
des communautés traditionnellement formées est aussi visible dans ses décisions relatives à des
violations de droits de communautés autochtones, qui revendiquent l’application des droits
dirigés aux peuples dans la Charte. On le voit dans une affaire concernant des traitements
discriminatoires envers la communauté négro-mauritanienne. Dans cette décision la
Commission a implicitement reconnu l’existence de droits du peuple négro-mauritanien
distincts des autres composantes ethniques et linguistiques de la Mauritanie509.

De même, dans l’affaire The Social and Economic Rights Action Centre et The Centre for
Economic and Social Rights c. Nigeria510, la Commission a rendu une décision très importante
concernant la violation du droit des peuples à disposer de leurs ressources naturelles et le droit
des populations d’avoir la maîtrise de leurs ressources naturelles et de jouir des fruits résultants
de l’exploitation de ces ressources. Dans cette décision elle reconnaît l’existence de
revendications communautaires à l’encontre de l’État nigérian. Selon elle, les communautés
ogonies du delta du Niger avaient une légitimité à prétendre à l’existence de préjudices
environnementaux nuisant gravement à la santé des populations dérivés de l’exploitation des
ressources naturelles dans leur territoire511. Dans ses conclusions la Commission considère que,
« le rôle destructeur et égoïste joué par les sociétés d’exploitation de pétrole à Ogoniland
étroitement lié aux tactiques répressives du gouvernement nigérian ainsi que l’absence
d’avantages matériels, tout cela subi par la population locale, peut être bien considéré comme
une violation de l’article 21512 ».

En 2000, afin de mieux clarifier sa jurisprudence et de permettre un traitement plus efficace des
droits des peuples, la Commission a mis sur pied un groupe de travail sur les
peuples/communautés autochtones. Le groupe de travail était chargé d’examiner le concept de
peuples et communautés indigènes en Afrique et évaluer l’implication des dispositions de la
Charte dans la protection des droits de ces peuples et communautés locaux, notamment en ce
qui concerne le droit à l’égalité des peuples, à la dignité, la protection contre la domination, le
droit à l’autodétermination et la promotion du développement culturel et identitaire513.

509 Communications CADHP 54/91-61/91-96/93-98/93-164/97_196/97-210/98 Malawi African Association,


Amnesty International, Ms Sarr Diop, Union interafricaine des droits de l'Homme and RADDHO, Collectif des
veuves et ayants-Droit, Association mauritanienne des droits de l'Homme c. Mauritanie, du 11 mai 2000.
510 Communication CADHP, 155/96 Social and Economic Rights Action Center (SERAC) and Center for
Economic and Social Rights (CESR) c. Nigéria, du 27 octobre 2001.
511 Communication 155/96, § 56.
512 Communication 155/96, § 55.
513 Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, « Résolution sur les droits des
peuples/communautés indigènes en Afrique », Cotonou, 6 novembre 2000, p. 1.

242
Le groupe de travail a rendu son rapport à la Commission en mai 2005, lors de la 38 e session
de la Commission tenue à Niamey (Niger)514. Dans son rapport, au regard de la pratique de
plusieurs États et des représentants de communautés autochtones et notamment au vu des
travaux effectués par les Nations Unies dans la matière, le groupe a reconnu l’existence des
peuples et communautés autochtones en Afrique admettant ainsi qu’au-delà de la dimension
étatique, les peuples dont la Charte parle sont aussi formés par l’ensemble de communautés
locales au niveau infra-étatique.

La pratique des États africains et des organisations régionales et internationales penche tantôt
dans le sens de la dimension étatique des droits des peuples, tantôt dans la dimension infra-
étatique. Mais l’analyse de la position prise par les organismes régionaux et internationaux
témoigne d’une tendance de ces entités à privilégier les implications économiques, sociales et
culturelles des droits des peuples sur des groupes minoritaires et les populations autochtones,
sans qu’il y ait une véritable définition de ce qu’on peut inclure dans ces catégories. La
reconnaissance de droits à ces catégories de groupes vise pour l’essentiel à leur permettre un
plus large contrôle sur leurs ressources naturelles, à assurer le respect et l’exercice de leurs
valeurs culturelles.

Conscients des besoins spécifiques à chaque communauté, les États africains sont
particulièrement attentifs aux dangers des manifestations isolées d’autonomie, ne prenant pas
en compte les besoins de l’ensemble de la société, dont l’un des traits caractéristiques réside
dans son multiculturalisme et dans la recherche continuelle de l’interculturalisme515.

Les implications politiques des droits de l’homme sont très peu mises en valeur par les instances
étatiques et internationales. Cela est parfaitement compréhensible dans un monde où le principe
de l’État souverain et unitaire a réussi à s’imposer comme la règle. Les États africains souhaitent
beaucoup plus mettre en valeur les aspects économiques, sociaux et culturels des droits des
peuples afin de contribuer progressivement à l’instauration un sentiment d’appartenance
nationale et un climat de coopération entre les diverses communautés composant le continent.

514 « Rapport du Groupe de travail d’experts de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples
sur les populations/communautés autochtones, présenté en vertu de la résolution sur les droits des
populations/communautés autochtones en Afrique, adoptée par la Commission africaine des droits de l’homme et
des peuples lors de sa 28e session ordinaire », Banjul, 2003, pp. 39-40.
515 Voir en ce sens les recommandations adoptées au Séminaire organisé à Arusha, du 13 au 15 mai 2000, par le
groupe de travail sur les minorités crée en 1995 par l’ONU pour assurer le suivi de la mise en œuvre de la
Déclaration de l’ONU sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses
ou linguistiques. Recommandation E/CN.4/Sub.2/AC.5/2000/WP. 3, 18 mai 2000.

243
B. La problématique de l’attribution de la personnalité juridique aux peuples sur le plan
régional

Selon la définition retenue pour la notion de peuples prévue dans la Charte, on verra un
rapprochement plus ou moins accentué de la Charte africaine aux traditions communautaires
du continent. En effet, si on considère que la notion de peuple inclut les communautés
s’établissant sur des liens de parenté, linguistiques et autres, alors cela devrait aboutir à la
reconnaissance de la personnalité juridique de communautés telles que les clans ou les tribus,
afin de permettre une reconnaissance de ces entités en tant que sujets de droit méritant la
protection de la Charte. C’est en ce sens que les affaires déjà mentionnées ont été introduites
devant la Commission africaine des DHP.

La personnalité juridique qui est l’aptitude d’une entité à être sujet de droit, constitue le socle
de l’attribution de prérogatives juridiques à des entités physiques comme à des entités morales.
La reconnaissance de la personnalité juridique des communautés culturelles africaines est un
pas important pour la justiciabilité des droits des peuples prévus dans la Charte.

La thèse de l’attribution de la personnalité juridique aux groupes communautaires négro-


africains a été soutenue depuis longtemps par plusieurs auteurs cherchant à transcrire dans le
droit positif une réalité indiscutable observée dans le fonctionnement des systèmes
juridiques516. Pour les auteurs partisans de l’octroi de la personnalité juridique aux
communautés traditionnelles, un tel attribut se justifie dès lors que l’on est en présence de
communautés partageant des intérêts communs, disposant de la possibilité d’expression
collective et représentant des intérêts dignes de protection517. D’après Roger Decottignies, les
structures familiales négro-africaines ne disposent pas d’un niveau d’organisation suffisamment
structuré pour garantir une véritable expression collective, détachée des intérêts individuels du
père de famille518. Mais il accorde sans hésiter la personnalité morale aux collectivités
villageoises, dans la mesure où celles-ci réunissent tous les critères reconnus pour la
reconnaissance d’une telle personnalité : elles disposent d’un conseil organisé, composé par les
chefs de quartier et présidé par une autorité suprême, chargé de prendre des décisions dans

516 Voir par exemple : DECOTTIGNIES Roger, « Personnalité morale en Afrique noire », in Annales africaines,
1958, pp. 11-36.
517 KOUASSIGAN Guy-Adjété, L’homme et la terre, droits fonciers coutumiers et droit de propriété en Afrique
occidentale, Paris, Éditions Berger-Levrault, 1966, p. 100.
518 DECOTTIGNIES Roger, « Personnalité morale en Afrique noire », in Annales africaines, 1958, p. 27.

244
l’intérêt de la communauté. Ce conseil constitue ainsi l’organe d’expression collective des
intérêts généraux de la communauté.

Cette position se rapproche de celle soutenue par Guy Malendreau, pour qui la personnalité
morale ne peut être accordée qu’à des collectivités partageant une finalité commune, distincte
des finalités individuelles de chaque membre de la collectivité519. Or, l’auteur ne retrouve pas
ce trait dans les communautés africaines fondées sur des liens de parenté. Selon lui,
contrairement à l’État dont les activités sont exclusivement orientées vers la poursuite d’une fin
sociale, au sein des groupements familiaux les individus qui les composent ne partagent pas la
même conscience de l’intérêt général. D’après G. Malendreau, on trouve certes dans les
communautés africaines l’esprit de solidarité, mais celui-ci doit être distingué du sens de la
généralité qui implique l’existence d’une véritable finalité commune, distincte de la somme des
intérêts individuels520. Or, les liens de solidarité tels que l’auteur les caractérise sont
traditionnellement basés sur les principes de réciprocité et de subordination des intérêts
individuels à l’intérêt commun immédiat, « avec l’espoir de trouver plus tard la compensation
de leur sacrifice », mais « l’idée de poursuivre en même temps un intérêt commun distinct de
la somme de leurs intérêts individuels leur est étrangère »521.

Les thèses invoquées fondent ainsi l’octroi de la personnalité sur des critères psychologiques
liés à l’intention de suivre une finalité commune, alors que par principe la personnalité juridique
doit être reconnue sur la base de fondements objectifs. Comme le souligne Kouassigan, « à la
naissance de tout groupement susceptible d’être doté de la personnalité morale, se réalise un
concours d’intérêts individuels. L’intérêt collectif qui se dégage de cette mise en commun
d’actions individuelles se traduit par une réalité positive à laquelle le législateur accorde ou
n’accorde pas la vie juridique. Et bien mieux, une analyse plus approfondie de cette réalité
montre bien que l’intérêt collectif n’est en fin de compte qu’au service des intérêts
individuels522 ».

La notion d’intérêt général ne permet pas de distinguer la personnalité morale des collectivités
villageoises de la personnalité jugée inexistante des communautés familiales dans le contexte
des familles traditionnelles. En outre, on trouve traditionnellement au sein des familles une

519 MALENGREAU Guy, Les droits fonciers coutumiers chez les indigènes du Congo belge, mémoire, Institut
royal colonial belge, Bruxelles, Librairie Falk fils, Georges Van Campenhout, 1947, pp. 58 et s.
520 MALENGREAU Guy, Les droits fonciers coutumiers chez les indigènes du Congo belge, mémoire, Institut
royal colonial belge, Bruxelles, Librairie Falk fils, Georges Van Campenhout, 1947, p. 61.
521 MALENGREAU Guy, op. cit., p. 59.
522 KOUASSIGAN Guy-Adjété, L’homme et la terre, droits fonciers coutumiers et droit de propriété en Afrique
occidentale, Paris, Editions Berger-Levrault, 1966, pp. 98-99.

245
structure organique avec en son sein des entités chargées de mettre en avant les intérêts
collectifs de la famille. Néanmoins, le concept de personnalité juridique étant foncièrement
attaché à des notions européennes, il est compréhensible qu’il soit difficile de se détacher de la
notion de famille au sens européen du terme. D’autant plus que, malgré quelques efforts 523, au
sein des systèmes juridiques européens, la famille est dépourvue de personnalité juridique524.

Pour Kouassigan, indépendamment des positions très empreintes de considérations subjectives


par la doctrine, la personnalité morale est un élément objectif, mais sa reconnaissance à un
groupement « dépend de facteurs politiques beaucoup plus que de considérations juridiques.
Par exemple, poursuit l’auteur, à l’époque révolutionnaire, où on était peu favorable aux
groupements, pour des raisons politiques, la notion de personnalité était très limitée dans son
champ d’expansion525 ».

Nous ne pourrions être plus d’accord avec l’auteur car, déjà pendant la période coloniale, il
n’était nullement opportun pour l’administration coloniale de reconnaître la personnalité
juridique aux collectivités africaines de peur que celles-ci ne viennent concurrencer le pouvoir
politique des autorités coloniales. D’autre part, la reconnaissance d’une telle personnalité
poserait aussi un blocage aux nouveaux paradigmes que l’administration coloniale voulait
imposer en matière foncière en vue de l’instauration de mécanismes de propriété privée
individuelle des terres, jusque-là essentiellement étrangers au continent noir. La jurisprudence
coloniale française témoigne par ailleurs de la primauté des intérêts politiques et économiques
européens sur les réalités juridiques. Dans une décision du 22 mars 1924, concernant
l’immatriculation de droits fonciers, le chef de la communauté léboue de la presqu’île du Cap
Vert a demandé le respect des droits de sa communauté pour faire opposition à la demande
d’immatriculation526. Sa requête a été refusée par les juges du tribunal de Dakar, pour qui
l’affirmation individuelle des droits devra être privilégiée à la revendication collective des
droits.

Actuellement, la prééminence de l’État en tant que personne morale de droit public par
excellence met un frein aux revendications identitaires de certaines communautés ancestrales.
Certaines cherchent à voir reconnaître leur personnalité juridique et par là obtenir soit une

523 Voir par exemple SAVATIER René, Les métamorphoses économiques et sociales du droit civil d’aujourd’hui,
Paris, Librairie Dalloz, 1948.
524 KOUASSIGAN Guy-Adjété, L’homme et la terre, droits fonciers coutumiers et droit de propriété en Afrique
occidentale, Paris, Éditions Berger-Levrault, 1966, p. 100.
525 KOUASSIGAN Guy-Adjété, L’homme et la terre, droits fonciers coutumiers et droit de propriété en Afrique
occidentale, Paris, Éditions Berger-Levrault, 1966, p. 102.
526 Tribunal de Dakar, 22 mars 1924, Recueil Darest, 1924, III, p. 106.

246
scission totale avec les États dans lesquelles elles ont été placées, comme fut le cas du Biafra
en 1967527. Néanmoins, dès la fondation des premiers États et la création de l’OUA, le principe
de l’intangibilité des frontières a été établi comme principe absolu, pilier de la construction
d’une nouvelle Afrique constituée non plus par les puissants royaumes précoloniaux, mais par
des États, fondés sur l’unité nationale et non pas sur le pluralisme national528. L’objectif de
consolider la nationalité étatique a réussi à se superposer à la reconnaissance des communautés
ethniques existantes. Et ce, alors même que depuis les indépendances et jusqu’à présent, les
frontières étatiques sont loin d’être clairement délimitées et restent l’une des principales sources
de violents conflits armés et de violations graves des droits de l’homme529.

L’analyse des droits des peuples proclamés dans la Charte laisse entendre que ces droits
s’appliquent tantôt aux peuples formant une entité unique qui est l’État – comme le droit à
disposer souverainement de son territoire –, tantôt aux communautés autochtones – comme le
droit à exercer librement sa culture et le droit d’accès à l’éducation dans sa langue d’origine.

Au regard de la jurisprudence de la Commission, il n’y a pas de doute que la personnalité


juridique des communautés autochtones est une réalité sur le continent. La décision relative aux
peuples endorois ne fait que corroborer cette position530. Cette décision, non seulement rappelle
ce que la Commission a déjà montré dans des décisions précédentes sur la qualité de sujet de
droit régional des communautés autochtones. Mais aussi, elle accepte de manière implicite de
prendre en compte des principes coutumiers pour prouver l’existence d’une personnalité
juridique fondée ancestrale, établie sur des principes traditionnels531.

527 Voir AQUARONE Marie-Christine, « Chapitre VI - La brève indépendance du Biafra et du Katanga — une
comparaison », in AQUARONE Marie-Christine (dir.), Les frontières du refus : six séparatismes africains, Paris,
C.N.R.S. Editions, 1987, pp. 81-84.
528 On peut lire dans la Résolution du Caire de 1964 intitulée « Litiges entre États africains au sujet des frontières
» le suivant : « Considérant que les problèmes frontaliers sont un facteur grave et permanent de désaccord,
consciente de l’existence d’agissements d’origine extra-africaine visant à diviser les États africains, considérant
en outre que les frontières des États africains, au jour de leur indépendance, constituent une réalité tangible, [la
conférence] déclare solennellement que tous les États membres s’engagent à respecter les frontières existant au
moment où ils ont accédé à l’indépendance ».
529 L’Union africaine a reconnu ce fait et essaie d’élaborer une stratégie pour pallier les violents conflits frontaliers
avec l’instauration du Programme frontières en 2007. Voir Rapport de la réunion d’experts sur le Programme
frontière de l’Union africaine, Bamako, Mali, mars 2007.
530
Communication CADHP, 276/03 Centre for Minority Rights Development (Kenya) et Minority Rights Group
(au nom d’Endorois Welfare Council) c. Kenya, du 25 novembre 2009.
531
WICOMB Wilmien, SMITH Henk, “Customary communities as ‘peoples’ and their customary tenure as
‘culture’: What we can do with the Endorois decision”, African human rights law journal, vol. 11, n° 2, 2011, pp.
422-446.

247
SECTION II. Les enjeux liés à la reconnaissance des droits des peuples sur le continent

La reconnaissance des droits des peuples n’est pas sans enjeux dans la protection des droits
fondamentaux sur le continent. En effet ; plusieurs contestations en ce sens sont faites
quotidiennement à la fois par des groupes minoritaires, mais aussi par des communautés
élargies qui revendiquent surtout à bénéficier de leur doit à se gouverner soi-même. Il est donc
intéressant d’aborder certaines des problématiques liées à la protection concrète de ces droits,
au regard du droit à l’autodétermination des peuples, dont le bénéfice est très sollicité sur le
continent (A). On ne peut toutefois pas omettre de réfléchir à l’ampleur que ces droits ont et
auront à l’avenir face aux transformations sociales que connait le continent avec l’avènement
de la modernité (B).

§1. Les droits des peuples prévus par la Charte à l’aune du droit à
l’autodétermination

La Charte consacre des droits importants au bénéfice des peuples. Elle consacre le droit des
peuples à l’égalité et à la non-discrimination (art. 19), le droit des peuples à l’existence et à
l’assistance (art. 20), à la libre disposition de leurs ressources naturelles (art. 21), au
développement économique, social et culturel (art. 22), à la paix et à la sécurité (art. 23), et le
droit des peuples à un environnement satisfaisant (art. 24). Tous ces droits s’entrecroisent et
œuvrent pour un objectif global souvent mentionné dans la Charte – le développement
économique, social et culturel des peuples africains. Or, faute d’une protection adéquate, en
particulier au niveau interne, ces droits restent souvent lettre morte, engendrant dans plusieurs
cas des revendications identitaires en vue d’une séparation de certaines communautés de
l’autorité des instances gouvernementales, au nom du droit des peuples à l’autodétermination
prévu à l’article 20 de la Charte. Les revendications identitaires et d’autodétermination
constituent un enjeu majeur dans le continent. Elles sont souvent liées à la gestion des
ressources naturelles et la redistribution des fruits de leur exploitation, raison pour laquelle nous
estimons pertinent d’analyser la satisfaction de certains des droits des peuples à l’aune du droit
à l’autodétermination, dont la jouissance est strictement encadrée par la jurisprudence532.

532
Voir en ce sens Communication CADHP, 75/92, Congrès du peuple katangais c. RDC, du 22 mars 1995.

248
Le droit des peuples à l’autodétermination est déjà énoncé dans le préambule de la Charte de
l’OUA. Ce droit donne le pouvoir au peuple de déterminer librement, en tant que collectivité,
de sa situation politique, économique et sociale. Il est imprescriptible et inaliénable, comme le
précise l’article 20 de la Charte africaine DHP, est un droit des peuples à exister. Il s’explique
dans le contexte de luttes des nations africaines pour l’indépendance, proclamant ainsi le droit
des peuples à déterminer librement leur statut politique, à se libérer de leur état de domination
et à recevoir l’assistance des États parties dans leur lutte pour la libération.

La Charte reste toutefois vague concernant la portée et les conditions de mise en œuvre de ce
principe. Craignant que sa reconnaissance n’instigue des mouvements sécessionnistes existants
avant l’indépendance et qui menaçaient l’unité des pays après les indépendances, la Charte de
l’OUA et l’Acte constitutif de l’UA ont affirmé aux côtés du principe de l’autodétermination
celui de l’intangibilité des frontières acquises après les indépendances et le principe de la
souveraineté de l’État533.

Pour éviter tout acte indépendantiste au sein des États, il est communément accepté, notamment
par la jurisprudence de la Cour internationale de justice (CIJ) que le droit des peuples à
l’autodétermination s’applique à ceux qui sont sous le joug d’une puissance externe, comme
c’est le cas des situations de colonisation534. L’article 20 de la Charte ne doit donc pas être
interprété comme octroyant une autorisation à des communautés, quel que soit leur mode
d’organisation, de s’engager dans des actions de sécession d’un État membre de
l’Organisation535. L’article 3 de la Charte de l’OUA est très formel sur la question et interdit
toute tentative de séparation d’une communauté de l’État dans lequel elle est insérée. Par
ailleurs, dans le même article, au paragraphe 3, la Charte de l’OUA prescrit le respect de la
souveraineté et de l’intégrité de chaque État. Le droit à l’autodétermination prévue à l’article
20 de la Charte doit donc être lu à la lumière de l’article 3 de la Charte de l’OUA.

Dans la décision sur l’indépendance du peuples katangais la Commission a précisé que ce droit
doit se faire dans le respect des principes de souveraineté et de l’intégrité des États . Dans cette
décision, la Commission a limité l’exercice du droit à l’autodétermination aux champs
d’application de la souveraineté étatique, se ralliant à la position de la CIJ qui n’accepte
l’application de ce droit que dans des cas extrêmes de décolonisation ou d’abus graves aux

533
Voir article 4(b) de l’Acte constitutif de l’UA : « Respect des frontières existant au moment de l'accession ?
l'indépendance ».
534 CIJ, arrêt du 30 juin 1995, affaire relative au Timor oriental (Portugal c. Australie).
535 BELLO Emmanuel G., « The African Charter on Human and Peoples’ Rights: a legal analysis », Collected
Courses of the Hague Academy of International Law, p. 169.

249
droits d’un peuple par des entités étatiques. Mais une telle position ne semble pas conforme
avec la Charte elle-même dont l’article 20(1)536 se réfère en termes généraux à « tout peuple »,
tandis que l’article 20(2)537 est plus spécifique et porte expressément sur le droit des « peuples
colonisés ou opprimés ». La Charte fait ainsi une distinction entre l’application du droit à
l’autodétermination par un groupe constitué en État en réponse au colonialisme et l’application
de ce même principe par un groupe plus réduit dans un contexte post colonial538. Cette thèse est
d’autant plus appuyée que la Charte ne se réfère aucunement au principe de l’intégrité
territoriale, pourtant l’un des fondements de la Charte de l’OUA. Dans les mots de Frans
Viljoen, « on peut donc argumenter que la Charte a laissé la porte ouverte à des revendications
de sécession particulières qui devront être examinées sur le fond et non pas rejetées en
masse539».

Il reste tout de même la question de la situation des centaines de communautés ethniques


lesquelles du fait de la séparation arbitraire des territoires par les pays colonisateurs, se
retrouvent aujourd’hui soumises à un État, mélangées à d’autres groupes avec lesquels elles
n’ont pas d’attaches effectives ? Cette question a été cruciale au moment de l’adoption de la
Charte de l’OUA, puisqu’il fallait savoir si on se contentait du statu quo établi par les puissances
colonisatrices en gardant les frontières héritées de la colonisation, ou si une restructuration des
frontières originales s’imposait. La réponse a été donnée à la Conférence du Caire de 1964
pendant laquelle, à l’initiative de la Tanzanie, une résolution a été adoptée affirmant
l’application du principe du respect des frontières héritées de la colonisation, principe hérité
des pays de l’Amérique latine540. La question a été en partie réglée à ce moment et depuis lors
l’OUA puis l’UA condamnent fermement toute tentative de sécession exercée en violation des

536
D’après l’article 21-1 : « Tout peuple a droit à l'existence. Tout peuple a un droit imprescriptible et inaliénable
à l'autodétermination. Il détermine librement son statut politique et assure son développement économique et
social selon la voie qu'il a librement choisie ».
537
L’article 21-2 stipule que : « Les peuples colonisés ou opprimés ont le droit de se libérer de leur état de
domination en recourant à tous moyens reconnus par la Communauté internationale ».
538 En ce sens se reporter à BLAY S.K.N., « Changing African perspectives on the right of self-determination in
the wake of the Banjul Charter on Human and Peoples’ Rights », Journal on African Law, 1985, p. 158, qui montre
que la disposition de la Charte a été adoptée sans amendement, bien que des questions aient été soulevées sur la
question de l’application de cette disposition en dehors du contexte colonial ou répressif. Sur ce point voir
ANKUMAH E.A., The African Commission on Human and Peoples’ Rights : Powers and procedures, The Hague,
Martinus Nijhoff, 1996, p. 165.
539 VILJOEN Frans, « Vue d’ensemble du système régional africain des droits de l’homme », in TAVERNIER
Paul (dir.), Recueil juridique des droits de l’homme en Afrique, 1996-2000, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 350.
540 OUA résolution AHG/Res.16/1 of 1964. Seuls le Maroc et la Somalie ont émis des réserves à l’adoption de
cette résolution puisque les deux pays revendiquaient déjà des territoires occupés par d’autres États membres de
l’OUA.

250
principes constitutionnels des États membres. Mais qu’en est-il des autres prérogatives qui
reviennent aux communautés locales ?

Les revendications n’ont pas tardé à survenir et sont toujours d’actualité dans plusieurs pays.
Elles se fondent notamment sur des droits prévus par la Charte, comme le droit des peuples à
disposer des ressources naturelles (art. 21) ou encore le droit au développement économique,
social et culturel (art. 22). En matière d’exploitation des ressources naturelles et du bénéfice
des fruits de cette exploitation, la position des États reste très mitigée. Même si
traditionnellement les espaces fonciers appartiennent aux communautés locales, les États
refusent de céder aux pressions locales et gardent le monopole de l’exploitation des domaines
fonciers. L’approche étatique des droits des peuples est ici privilégiée en raison des enjeux
économiques et sociaux. Or, faute de voir leurs prétentions pour un partage plus équitable des
gains issus de l’exploitation des ressources naturelles prises en compte, les communautés
prennent parfois des positions plus radicales, invoquant notamment le droit des peuples à l’auto-
détermination et la pleine jouissance de leurs droits culturels541. On l’a vu au début des années
1990 dans le cas des communautés Zango-Kataf et Ogoni au Nigeria542, lesquelles demandaient
de pouvoir disposer librement de leurs ressources naturelles.

Dans d’autres pays, comme au Tchad, la pression de la société civile pour une redistribution
des revenus de l’exploitation des ressources naturelles a été tellement forte que les
gouvernements n’ont eu d’autres choix que de céder au risque de causer une importante division
sociale et mettre en cause la souveraineté de l’État. C’est ainsi que le gouvernement a été
contraint de faire adopter une loi portant gestion des revenus du pétrole, allouant 5% des
revenus tirés de l’exploitation du pétrole du bassin de Doba aux communautés locales543.

A ces problématiques liées à la redistribution nationale des ressources économiques s’ajoutent


les plaintes liées aux dégâts environnementaux causés par les pratiques abusives de certaines
industries, dont les industries pétrolières.

541 MUBIALA Mutoy, « Les droits des peuples en Afrique », Revue trimestrielle des droits de l’homme, n° 60,
2004, p. 991.
542
Voir en ce sens : AL-SHAKUR ABDULSALAM Oluwatosin, Political Mobilization using Indigenous
Peoples’ Platforms: the Challenges and Paradox of Ogoni Mobilization for Self-Determination in Nigeria, sous
la direction de BRATTLAND Camilla, Master of Philosophy in Indigenous Studies, The Arctic University of
Norway, 2016, p. 107 et s. ; voir aussi OKWU-OKAFOR O.C, “Self-Determination and the Struggle for Ethno-
Cultural Autonomy in Nigeria: The Zango-Kataf and Ogoni Problems”, African Society of International and
Comparative Law, 1994.
543 Tchad, Loi n° 001/PR/99 du 11 janvier 1999.

251
La problématique du droit des peuples à un environnement satisfaisant (art. 24 de la Charte
ADHP) a surgi dans le courant des années 1980 suite à d’importants déversements de déchets
toxiques par des compagnies européennes dans les territoires africains. Ce fut lors de la
découverte de déversements de déchets par des compagnies italiennes au Nigéria, dans l’État
méridional de Bendel et en Guinée-Conakry par le biais de compagnies norvégiennes. Ces deux
cas ont valu un rappel de l’ambassadeur italien et l’arrestation du consul général de Norvège,
respectivement544.

L’OUA a réagi fermement à ces questions avec l’adoption par le Conseil des ministres de la
Résolution 1153 (XLVIII), du 23 mai 1988, condamnant ces actes qu’elle qualifie de « crime
contre l’Afrique et les populations africaines »545. L’Organisation a dû se saisir de la question
face à l’inertie de certains gouvernement africains qui montraient une attitude complaisante en
signant des accords avec les groupes privés prévaricateurs, facilitant leurs actions au détriment
de la santé environnementale de leurs populations. La résolution 1153 condamne ainsi non
seulement les sociétés étrangères impliquées dans ces opérations, mais aussi les États africains
qui cherchaient à se montrer conciliants face à de tels évènements, ce qui était le cas à l’époque
de la Guinée-Bissau, du Bénin et de la Sierra Leone546. Elle invite les États ayant conclu ou en
voie de conclure des accords avec les compagnies impliquées dans les déversements de déchets
toxiques, de suspendre les négociations et les invite à mettre en place des mécanismes de
prévention et de supervision de ces activités, notamment par des campagnes d’information au
grand public.

La question des déchets déversés a été et reste encore une problématique importante qu’il est
très difficile de régler en raison des intérêts économiques qu’elle suscite. Sous l’impulsion de
la Résolution 1153, en 1990 a été adoptée la Convention de Bamako547, proclamant dans son
préambule « le droit souverain des États d’interdire l’importation et le transit de déchets et
substances dangereux sur leur territoire pour des raisons liées à la protection de la santé
humaine et de l’environnement548 ».

544
PAMBOU-TCHIVOUNDA Guillaume, « L'interdiction de déverser des déchets toxiques dans le Tiers Monde
: le cas de l'Afrique », Annuaire français de droit international, volume 34, 1988, pp. 110 et s.
545
Résolution CM/Res. 1153 (XLVIII) sur les ‘’Déversements des déchets nucléaires et industriel en Afrique’’.
546
PAMBOU-TCHIVOUNDA Guillaume, « L'interdiction de déverser des déchets… », op. cit., p. 116.
547
OUA, Convention de Bamako sur l’interdiction d’importer en Afrique des déchets dangereux et sur le contrôle
des mouvements transfrontaliers et la gestion des déchets dangereux produits en Afrique (1991)
548 Pour aller plus loin sur la question voir : OUGUERGOUZ F., « La Convention de Bamako sur l’interdiction
d’importer en Afrique des déchets dangereux et sur le contrôle des mouvements transfrontaliers et la gestion des
déchets dangereux produits en Afrique », A.F.D.I., vol. 38, 1992, pp. 871-884 ; MUBIALA M., « La contribution

252
Le droit des peuples à un environnement satisfaisant sous cet angle semble revêtir un caractère
étatique dans la mesure où il s’agit d’assurer la protection de l’environnement des pays cible
des déversements de déchets toxiques avec des effets nocifs pour la santé des populations et
pour le bien-être de l’environnement en général. Cependant, dans la jurisprudence africaine il
est possible de trouver une approche plus infra-étatique des droits de l’homme à un
environnement satisfaisant dans le traitement de questions relatives aux dommages
environnementaux et aux conséquences sur la qualité de vie et la santé de populations locales
par l’agissement de certaines compagnies pétrolières. Ce fut le cas au Nigeria avec la décision
de la Commission ADHP sur les droits des peuples atteints par les violations de leurs droits à
un environnement sain.

Le Nigeria a été particulièrement touché par des communications introduites contre lui devant
la Commission ADHP relativement à la question environnementale en raison d’une exploitation
intensive des ressources naturelles ignorant les préoccupations de la protection
environnementale549. La présidence d’Olusegun Obasanjo a été marquée par des mesures
importantes en vue de combler les lacunes existantes en matière de protection
environnementale. Dans un rapport rendu à la Commission ADHP, le pays fait part des mesures
correctives mises en place par le gouvernement d’Obansajo, telle que la création pour la
première fois au Nigeria d’un ministère fédéral de l’Environnement, dont l’activité est
prioritairement centrée sur la région de la vallée du delta du Niger. L’État a aussi renforcé les
pouvoirs de la Commission pour le développement du delta du Niger ainsi que d’autres zones
pétrolières du pays. Il rapporte enfin avoir mis sur pied une Commission judiciaire d’enquête
pouvant être saisie pour les questions de violations des droits de l’homme550.

Malgré les mesures annoncées par des États comme le Nigeria, l’action collective reste très
insuffisante face aux enjeux écologiques, de plus en plus présents avec les déversements
continus de déchets toxiques et électroniques. Les peuples africains, unis en nations, ne
semblent pas avoir la force suffisante pour lutter contre ce marché qui s’avère très lucratif et
qui continue à faire ses ravages sur le continent. En 2006, le scandale causé par les déchets
dangereux versés par le navire Probo Koala à Abidjan a rappelé non seulement les effets

de l’Afrique et du Tiers-Monde aux développements récents du droit international de l’environnement »,


R.A.D.I.C., vol. 5, 1993, pp. 768-780.
549
Voir communications de la Commission ADHP 155/96, Social and Economic Rights Action Center (SERAC)
and Center for Economic and Social Rights (CESR) / Nigeria du 27 octobre 2001 et 338/07, Socio-Economic
Rights and Accountability Project (SERAP) c Nigéria du 24 novembre 2010.
550 Union africaine, « Quinzième rapport annuel d’activités de la Commission africaine des droits de l’homme et
des peuples, 2001-2002 », Banjul, 2003, pp. 33-34.

253
néfastes de tels déchets pour la santé publique et pour l’économie551, mais aussi les liens obscurs
qui tissent les acteurs internationaux et nationaux dans ce commerce très lucratif.

La Convention de Bamako offre un cadre plus large et plus strict que la Convention de Bâle de
1989552 en matière d’importation de déchets dangereux en provenance d’États non africains ou
non parties à la convention. Mais sa portée reste limitée, tout d’abord par le manque de moyens
pour garantir sa mise en œuvre et ensuite car elle n’aborde pas de manière explicite la
problématique que l’on connaît actuellement des déchets électroniques dont le commerce est
en forte hausse en Afrique de l’Ouest553. Le droit des peuples à un environnement sain continue
donc d’être bafoué au détriment des populations locales qui disposent de très peu de moyens de
protection et qui bénéficient très peu des arrangements financiers qui se nouent entre les
autorités publiques et les entreprises privées. Cela a été vu dans l’affaire du navire Probo Koala
dans laquelle un accord de règlement a été établi avec le groupe Trafigura, mais qui n’a pas
véritablement bénéficié aux populations locales. Malgré le versement d’une indemnité de 95
milliards de francs CFA (l’équivalent d’environ 145 millions d’euros), certaines victimes sont
restées sans compensation monétaire, notamment en raison des détournements de fonds554.

Les différentes affaires citées montrent que la pleine satisfaction des droits des peuples au
développement économique et social, comme l’énonce l’article 20-1 relatif au droit des peuples
à l’autodétermination, ou encore le droit des peuples à la jouissance de leurs ressources
naturelles, dans un environnement satisfaisant sont loin d’être une réalité sur le continent.
Malgré l’intervention d’institutions régionales et sous-régionales, la protection des peuples
reste très marginale face aux jeux politiques qui se nouent dans les plus hautes sphères du
pouvoir. Ce d’autant plus que les États objets des sanctions de la Commission, sont les mêmes
chargés d’assurer l’exécution de ces décisions siégeant à la Conférence des chefs d’État et de
gouvernement555.

551
Voir Commission internationale d’enquête sur les déchets toxiques déversés dans le district d’Abidjan
(CIEDT/DA), Rapport de la Commission internationale d’enquête sur les déchets toxiques déversés dans le district
d’Abidjan, 2007, p. 2.
552
Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination
du 22 mars 1989.
553
DENOISEUX Delphine, « L'exportation de déchets dangereux vers l'Afrique : le cas du Probo Koala »,
Courrier hebdomadaire du CRISP, vol. 2071, no. 26, 2010, p. 36.
554
OKAFOR-YARWOOD Ifesinachi, JACOB ADEWUMI Ibukun, “Toxic waste dumping in the Gulf of Guinea
amounts to environmental racism”, The Conversation, publié le 2 décembre 2020.
555
Article 53 de la Charte ADHP.

254
§2. Les droits des peuples mis à mal par l’individualisation des sociétés africaines ?

Les droits traditionnels sont marqués par leur caractère essentiellement communautaire, avec
les communautés de base comme étant les sujets et acteurs de droit par excellence. Or, depuis
le contact avec les puissances coloniales, les cultures juridiques en Afrique ont connu des
transformations profondes non seulement dans leurs fondements, mais aussi dans leur
fonctionnement. La vision laïque et anthropocentrée du droit a pris au cours des dernières
décennies de plus en plus de place dans la vie sociale, contribuant à une individualisation des
sociétés, qui se fait sentir à différents niveaux.

Au niveau de la communauté de base qui forme la famille, au sens élargi du terme correspondant
à l’ensemble de personnes appartenant à un même lignage ou disposant d’un ancêtre commun,
on voit une désintégration des liens familiaux étendus au profit de la famille nucléaire composée
des époux et les enfants issus de leur union. Le passage de la famille étendue à la famille plus
restreinte issue du lien conjugal, ne va pas sans effets sur les rapports qui nourrissent les
individus avec les sources traditionnelles de droit, ainsi que sur la notion qu’a chacun de ses
droits et obligations au sein de la société. La vision de droits posés pour l’individu enlève
quantitativement la place qu’occupait autrefois la communauté au sens large, en tant que source
de droits et obligations.

Mis à part des zones moins urbanisées et moins touchées par l’industrialisation et la
globalisation des rapports économiques, dans les villes africaines la tendance est à rechercher
dans les institutions de l’État moderne des droits fondamentaux, au lieu de se fonder sur les
droits ancestraux acquis par les liens communautaires. Le groupe, en tant que peuple, lignage,
clan ou ethnie, perd son important rôle d’agent de régulation de la vie sociale. Il reste certes
très présent dans l’ensemble des sociétés, mais son influence devient de plus en plus morale
que juridique. L’imposition de l’État unitaire a en grande mesure contribué à cet effacement de
la place des groupes dans l’organisation de la vie sociale.

Les transformations dans les rapports interpersonnels au sein des groupes et la conséquente
transformation des aspects juridiques de ces rapports se matérialise dans les sociétés africaines
actuelles par une individualisation croissante des rapports sociaux et la perte de plusieurs
repères culturels, notamment en ce qui concerne l’existence de liens de solidarité au sein de
chaque communauté. Cette individualisation est visible dans différents domaines. Au niveau
des rapports familiaux, on voit la perte de pouvoir des chefs de lignage au profit du pouvoir

255
parental des géniteurs. Comme le précisait Kouassigan écrivant dans les années 1960, « avec le
passage de la famille indivise à la famille conjugale, les transformations s’opèrent au profit du
seul élément de consanguinité. Les liens de sang se resserrent au détriment des liens sociaux.
Les droits et devoirs tendent à se restreindre aux rapports qui s’établissent entre parents par
le sang. Les droits ne se déterminent plus par l’appartenance à un titre quelconque, à une
communauté familiale, mais par le rattachement par le sang à un individu bien déterminé556 ».

Les exigences de la vie moderne et les mouvements d’urbanisation favorisent la dispersion des
membres d’une même communauté dans des villes différentes, éloignant ainsi d’une certaine
manière les individus de la tutelle directe des dirigeants ancestraux. Des intérêts différents et
parfois même divergents tendent à se former au sein des communautés, centrées de plus en plus
sur des ensembles restreints de personnes, particulièrement de l’unité de base qui forme la
famille nucléaire. On le voit notamment en matière d’héritage, avec la prévalence ces dernières
décennies du passage des droits patrimoniaux de parent à enfant et non plus un partage lignager
ou générationnel du patrimoine. En matière foncière on remarque notamment une tendance
croissante à l’appropriation privée des terres, aux dépens du principe traditionnel de la
communautarisation. L’introduction du droit à la propriété privée en tant que droit fondamental
à l’article 14 de la Charte ne fait qu’accentuer ce phénomène par la possibilité qu’il ouvre aux
individus de revendiquer des droits individuels, sur des biens appartenant autrefois à des
communautés. Il devient ainsi difficile d’envisager que les communautés, en tant que peuples,
puissent faire valoir des véritables droits collectifs.

Ainsi, la notion de peuples peut sans doute inclure celle des différentes formes de communauté,
mais elle ne renvoie plus à la même réalité juridique, c’est-à-dire, elle ne renvoie plus à la
communauté au sens de sujet de droit par excellence. Alain Marie, en réfléchissant sur les
facteurs d’individualisation des sociétés africaines conclut que « « la généralisation de la
propriété privée, de la monnaie et de la marchandise arrache les individus à leurs attaches
communautaires et les transforme en agents économiques interchangeables et anonymes,
« libres » d’acheter (les propriétaires) ou de vendre (les prolétaires) la force de travail, sur un
marché libre, seulement gouverné par les principes du chacun pour soi et de la concurrence.
Concurremment, le développement de l’État moderne, de plus en plus centralisé et
bureaucratique, au nom de l’unité nationale et de la rationalisation de ses modes de gestion et

556 KOUASSIGAN Guy-Adjété, L’homme et la terre, droits fonciers coutumiers et droit de propriété en Afrique
occidentale, Paris, Éditions Berger-Levrault, 1966, p. 186 ; voir aussi dans le même sens BALANDIER Georges,
« Structures traditionnelles et changements économiques », in Cahiers d’études africaines, 1960 n°1.

256
de contrôle de la société, engendre la réduction des particularismes, la dissolution des identités
communautaires et la promotion de l’individu comme sujet juridique et politique, directement
soumis aux injonctions universalistes et individualistes du droit privé et du droit public557».

On voit une désolidarisation de l’individu à l’égard du groupe duquel il est issu, et la perte du
sens de l’existence d’obligations réciproques au sein des groupes, sans pour autant que
l’appartenance aux groupes soit elle-même remise en cause. Les mots de Kouassigan résument
bien cette ambiguïté : « le problème actuel est à la conciliation de la légitime nécessité de
réussite personnelle avec la cohésion du groupe familial558 ». A. Marie note en ce sens que si
l’individu en Afrique reste encore attaché à ses liens communautaires (famille étendue, lignage,
village, ethnie) c’est parce qu’il y retrouve une protection sociale communautaire qui est plus
accessible que celle étatique ou institutionnelle559.

En effet, malgré une individualisation visible des sociétés, les liens communautaires restent
fondamentaux. Pour preuve, dans les dernières décennies la Commission africaine est de plus
en plus sollicitée pour des revendications de droits collectifs, à la fois relatifs au droit des
peuples au développement économique, à l’exploitation des ressources naturelles, au droit de
participer dans la vie politique du pays, entre autres. L’expropriation (souvent sans
compensation financière) de communautés autochtones de leurs terres ancestrales pour la
création de réserves naturelles ou pour l’exploitation privée des ressources naturelles devient
un problème de plus en plus grave sur le continent. Plusieurs communautés, en particulier des
communautés de chasseurs-cueilleurs, communautés pastorales, comme les Masasaï en Afrique
de l’Est, et agricoles se trouvent sans moyens de subsistance, mais plus encore, sans attache
géographique pour s’établir, entraînant dans certains cas leur lente extinction. Ces
communautés se trouvent dans la plupart du temps soumises à la pensée dominante des
communautés majoritaires, et sont souvent traités comme peuples inférieurs au sein même des
dispositifs étatiques. Cette réalité, mise en lumière par le groupe de travail mandaté par la
Commission ADHP touche plusieurs peuples, parmi lesquels on peut citer en particulier les

557
MARIE Alain, « 2. Du sujet communautaire au sujet individuel. Une lecture anthropologique de la réalité
africaine contemporaine », in MARIE Alain éd., L'Afrique des individus. Itinéraires citadins dans l’Afrique
contemporaine, Abidjan, Bamako, Dakar, Niamey, Karthala, 2008, p. 81.
558 KOUASSIGAN Guy-Adjété, L’homme et la terre, droits fonciers coutumiers et droit de propriété en Afrique
occidentale, Paris, Éditions Berger-Levrault, 1966, p. 193.
559
MARIE Alain, « 2. Du sujet communautaire au sujet individuel (…) », op. cit., p. 87.

257
Pygmées/Batwa au Rwanda ou les Hadzabe de Tanzanie, dont la population est aujourd’hui
estimée à moins de 1500 personnes560.

Les effets néfastes sur les populations autochtones en raison des politiques d’expropriation, et
de l’exposition à un environnement dégradé par les activités industrielles sont accentués par les
politiques d’assimilation imposées par les États, entraînant une perte de repères culturels. Le
groupe de travail remarque à ce sujet par exemple que dans plusieurs pays les langues locales
ne sont ni promues, ni enseignées dans le système national d’éducation. Parfois, leur usage est
même fortement stigmatisé en milieu urbain. De même, « dans certaines parties du continent
africain, l’aliénation des terres a entraîné l’aliénation des rites sacrés pour les peuples
autochtones. L’Endoinyio Oolmoruak en Tanzanie où chaque génération de la communauté
Maasai tant du Kenya que de Tanzanie se rendait et effectuait un rite spirituel important est un
bon exemple561».

Les droits collectifs ne sont toutefois pas morts, et ils sont même mobilisés dans des affaires
régionales, comme la requête présentée devant la Commission ADHP relative à la situation des
peuples endorois. Dans cette décision, la Commission réitère sa position sur l’ouverture du droit
de propriété à des communautés locales bénéficiant d’un droit de propriété acquis sur la base
de principes traditionnels. Elle permet ainsi une application plus élargie de la Charte là où les
rédacteurs n’avaient peut-être voulu rester plus restrictifs et théoriques. De plus, la Commission
par cette jurisprudence accepte de donner une reconnaissance, encore timide, aux droits
coutumiers pour l’acquisition de droits, ce qui est un grand pas dans la reconnaissance des
réalités culturelles du continent, au regard d’un texte qui se proclame universaliste.

560
« Rapport du groupe de travail d’experts de la commission africaine des droits de l’homme et des peuples sur
les populations/communautés autochtones », présenté en vertu de la « Résolution sur les droits des
populations/communautés autochtones en Afrique » adoptée par La Commission Africaine des Droits de l’Homme
et des Peuples lors de sa 28ème session ordinaire, 2005, p. 25.
561
Idem., p. 48.

258
CHAPITRE II : Le choix difficile de la Charte entre une vision universaliste ou relativiste
des droits de l’homme

Les débats entre universalistes et relativistes animent la doctrine juridique depuis maintenant
plusieurs décennies. Au-delà de l’intérêt intellectuel d’une telle démarche, la question du choix
d’une approche ou de l’autre a une importance pratique non négligeable. Les théories
universalistes des droits de l’homme se sont imposées en Europe depuis l’antiquité avec
l’assomption de l’existence de droits naturels, inhérents à l’être humain en raison de sa nature.
Avec le temps, et en particulier au moment des révolutions, les fondements de cette universalité
ont évolué, mais le présupposé est resté intact, servant par la suite de motif de déclassement des
valeurs juridiques de sociétés qui ne se fondaient pas sur les mêmes préceptes.

La Charte africaine a certes cherché à fuir aux préjugés impérialistes prônés par les colons, mais
a succombé à la tentation d’adhérer entièrement aux principes jugés universels des droits de
l’homme, comme si une telle adhésion constituait la seule voie possible pour assurer la
protection des droits fondamentaux. Il est donc important que l’on comprenne les arguments
qu’invoquent les partisans de l’universalisme dans la théorie des droits de l’homme (SECTION
I). Ces développements nous permettront de mieux comprendre les revendications qui se font
de plus en plus sentir dans la doctrine pour la reconnaissance dans les principes des droits
internationaux des droits de l’homme des particularismes régionaux, lesquels différent dans une
certaine mesure des aspirations européennes dominantes. Sans vouloir établir un séparatisme
culturel, les théories relativistes cherchent avant tout à établir des bases pour une véritable
« pluriversalité », fondée sur les prises en compte des valeurs culturelles de chacun pour la
protection de tous (SECTION II).

SECTION 1. L’universalité prônée dans la théorie des droits de l’homme

L’universalité des droits de l’homme est systématiquement proclamée dans les textes
internationaux, malgré une tentative de ces derniers de faire appel à la prise en compte des
particularismes nationaux et régionaux (§1), mais il reste tout de même difficile de conclure à
l’existence d’une approche théorique universaliste faisant l’unanimité au sein de la doctrine des
droits de l’homme (§2).

259
§1. La position des textes internationaux

« Il y a en Europe quelque chose d’insigne à quoi tous les autres groupes de l’humanité eux-
mêmes sont sensibles, quelque chose qui, abstraction faite de toute utilité, les pousse à
s’européaniser plus ou moins, alors que nous, si nous nous comprenons bien, nous ne nous
indianiserons jamais562 » Par cette phrase, Edmund Husserl procède à la caractérisation de ce
qu’il appelle de l’« universabilité » de l’Europe, résumant assez bien l’état de la pensée
moderne sur les droits de l’homme, notion européenne que presque tous les pays se sont
empressés d’adopter comme un fondamental absolu.

La théorisation des droits de l’homme et leur proclamation dans des textes solennels a été
entamée en Europe mais s’est largement répandue dans les différents territoires occupés par les
pays européens. Le continent africain fait partie de ces territoires très touchés par la divulgation
des principes dits universels des droits de l’homme, ce qui est aujourd’hui est très visible dans
la rédaction de la Charte africaine des droits de l’homme, dont l’africanité des droits est souvent
prévue et à juste titre, remise en cause.

A partir du moment où les droits de l’homme sont présentés comme étant des droits naturels,
antérieurs à toute règle humaine, inhérents à la personne en raison de son humanité et
imprescriptibles, on admet que ces droits véhiculent des principes s’appliquant à toute personne
humaine et sont par conséquent universels. Or, une telle affirmation oublie que l’être humain
est un produit d’une série d’éléments qui contribuent à la formation de sa personnalité, de son
identité et qui déterminent son comportement social.

Les textes internationaux sont unanimes dans l’affirmation de l’universalité des droits de
l’homme. On trouve cette affirmation dans la Déclaration et Programme d’action du 25 juin
1993 adoptée lors de la Conférence des Nations Unies sur les Droits de l’homme en juin 1993,
laquelle proclame ouvertement l’universalité des droits de l’homme en son paragraphe 5 selon
lequel : « tous les droits de l’homme sont universels, indissociables, interdépendants et
intimement liés. La communauté internationale doit traiter des droits de l’homme globalement,
de manière équitable et équilibrée, sur un pied d’égalité et en leur accordant la même
importance ».

562 HUSSERL Edmund, La crise de l’humanité européenne et la philosophie, Paris, Hatier profil, 1992, p. 56,
cité par ABDELMADJID Salim, Un concept d’Afrique, Thèse pour l’obtention du grade de Docteur de l’Université
Paris IV Paris-Sorbonne, sous la direction de CREPON Marc, 30 novembre 2015, pp. 24-25.

260
La Déclaration de 1993, tout en affirmant le caractère universel des droits de l’homme, n’oublie
pas que plusieurs éléments entrent en ligne de compte dans l’application des droits
fondamentaux dont l’importance n’est pas négligeable. Mais elle ne semble pas véritablement
laisser une marge de manœuvre dans l’application des droits de l’homme puisque juste après
avoir rappelé l’importance des particularismes, le texte insiste sur le « devoir des États, quel
que soit le système politique, économique et culturel, de promouvoir et de protéger tous les
droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales. »

Les textes internationaux montrent un certain consensus entre les pays sur la question du
caractère universel des principes des droits de l’homme. Ils présentent ainsi divers principes
communs à toute l’humanité, que tous les États doivent promouvoir, garantir et protéger dans
leurs systèmes juridiques internes. Par ailleurs, la formulation des principes universels de
protection des droits de l’homme dans les textes internationaux est reprise presque littéralement
dans les textes normatifs nationaux.

Pendant la rédaction de la DUDH, l’UNESCO avait consulté en 1947 des experts de renommé
internationale, d’origines différentes et issus de divers domaines du savoir pour enquêter sur
leurs positions concernant les fondements philosophiques et la validité de la déclaration des
droits de l’homme en cours de préparation, qui se voulait universelle563. Étant presque tous
d’accord sur la nécessité de l’adoption d’une charte des droits commune, les experts ont surtout
prôné pour la validité universelle de la Déclaration. Mais certains ont tenu à mettre l’accent sur
l’individualisme marqué des droits de l’homme tels que présentés dans la Déclaration, l’absence
de la communauté comme base sociale de l’être humain et l’absence de l’idée de devoirs liés
aux responsabilités de chaque individu au sein de ses communautés564.

Conçue dans une période de post-guerre, l’universalité de la DUDH était loin de faire
l’unanimité au sein des membres participants, en particulier des membres non occidentaux qui
revendiquaient l’adoption d’une approche véritablement internationaliste qui tiendrait en
compte les différentes cultures représentées. Le Chinois Peng Chun-Chang, l’un des vice-
présidents de la Commission chargée de l’adoption du texte, aux côtés du Français René Cassin,
a demandé notamment à la Commission d’incorporer dans le texte « les idées de Confucius
autant que celles de Thomas d’Aquin565 ». Dans une période où la guerre froide commençait à

563 YACOUB Joseph, « Pour un élargissement des droits de l’homme », Diogène 2004/2, n°206, pp. 105-108.
564 L’ensemble des réponses ont été publiées en anglais en 1949 sous le titre : Human rights : comments and
interpretations, A Symposium edited by UNESCO, Introduction by Jacques Maritain. UNESCO/PHS/3(rev.),
Paris, 25 juillet 1948.
565 Cité par YACOUB Joseph, « Pour un élargissement des droits de l’homme », Diogène 2004/2, n°206, p. 117.

261
émerger entre les puissances occidentales et celles de l’Est, ces dernières cherchaient de plus
en plus à se faire une place dans la sphère internationale en cherchant à imposer leurs positions
philosophiques, culturelles et juridiques. Les Soviétiques représentés par Vladimir Koretsky,
reprochaient au projet de déclaration d’imposer une vision individualiste, marquée par l’accent
mis sur les droits civils et politiques au mépris des droits économiques et sociaux, connus pour
être surtout prônés par le bloc de l’Est. Selon les critiques dressées à cet individualisme libéral,
ces idéaux seraient propices à la vision capitaliste des sociétés occidentales566.

La Déclaration de 1948 a été le texte international précurseur de l’universalisation des droits de


l’homme en reconnaissant l’égalité de droits et la dignité inhérente « à tous les membres de la
famille humaine567 ». Mais au-delà du débat sur la reconnaissance juridique de l’égalité de tous
les êtres humains, un aspect reste marginalisé à cette époque dans ce texte à caractère universel
à savoir la reconnaissance de la diversité des identités humaines, basées sur des aspects
culturels, sociologiques et autres. Malgré les revendications des différents intervenants externes
aux pays européens et américains, la question de la reconnaissance des particularismes culturels
de chaque société est restée marginalisée au profit du débat qui opposait les blocs Est/Ouest sur
la reconnaissance des droits civils et politiques prônés par la vision libérale de l’Occident et les
droits économiques et sociaux prônés par les pays socialistes de l’Est568.

Malgré tous les débats, les divergences de points de vue n’ont pas empêché l’adoption d’un
texte commun en 1948, ouvrant le bal à l’introduction de principes fondamentaux à portée
universelle dans les textes internationaux relatifs aux droits de l’homme. Faute de pouvoir
justifier l’universalité par le volontarisme de l’ensemble des pays (notamment dans un contexte
où plusieurs territoires se trouvaient encore soumis à la colonisation), la doctrine a dû chercher
l’universalité des droits de l’homme dans le rationalisme de la pensée libérale européenne. En
effet, d’après la doctrine internationaliste les principes universels visent des droits et libertés
civils, politiques, économiques et culturels qui font partie de ce qu’on appelle les droits de base,
des droits élémentaires, qui constituent le socle commun de l’humanité et leur protection permet
la jouissance d’autres droits et libertés qui en découlent. Mais quels principes forment ce socle

566 YACOUB Joseph, op. cit., p. 118. Il est intéressant notamment de voir que parmi les 56 États ayant participé
au vote de la Déclaration de 1948, parmi les huit États à s’abstenir de voter pour ou contre le texte la plupart
appartenait à l’ancien Bloc de l’Est (URSS, Biélorussie, Ukraine, Tchécoslovaquie, Yougoslavie, Arabie saoudite,
Afrique du Sud), en signe de contestation à la formulation de l’article 2 al. 1 de la Déclaration qui se prétend
appliquer à tout être humain.
567 Cf. alinéa 1er du Préambule et article 1er de la Déclaration.
568 JOUANNET Emmanuelle, Qu’est-ce qu’une société internationale juste ? Le droit international entre
développement et reconnaissance, Paris, Pedone, 2011, p. 230.

262
commun des droits de l’homme ? Sur la question plusieurs approches s’affrontent pour proposer
une base de principes communs à l’ensemble de l’humanité.

Une première approche place dans le socle commun des droits de l’homme ce que Franklin D.
Roosevelt considère comme les « quatre libertés » essentielles à l’épanouissement de l’être
humain. Énoncées par l’ancien président des États-Unis lors d’un message au Congrès sur l’État
de l’Union le 6 janvier 1941, les quatre libertés, devant être promues partout dans le monde
sont la liberté d’expression, de religion, liberté économique pour avoir une vie saine et paisible
et la liberté de la peur par la réduction de l’armement569. Or, concrètement, il très contestable
d’affirmer que ces libertés constituent le socle de droits fondamentaux commun à toute
l’humanité car le caractère fondamental, essentiel et nécessaire de chacune de ces libertés est
discutable et perçu de manière différente selon les valeurs culturelles de chaque société

Selon une deuxième approche, le socle commun des droits de l’homme est constitué de droits
liés au maintien d’une vie saine (droit à une alimentation saine, assistance médicale, éducation
sanitaire) et de droits processuels (protection contre la torture, contre la détention et
l’emprisonnement arbitraire, accès à la défense). Ces droits peuvent même s’étendre pour
inclure le droit à avoir une nationalité, droit de réunion et d’association, droit au travail dans
des bonnes conditions, entre autres570. Il est aujourd’hui difficile de mettre en cause le caractère
fondamental de ces droits, mais leur mise en œuvre n’est pas uniformisée et varie beaucoup
selon les spécificités de chaque pays. Ainsi par exemple, le droit à un procès équitable est
nécessaire au bon déroulement du procès judiciaire mais ne peut s’appliquer de la même
manière dans les juridictions judiciaires et administratives et dans les juridictions coutumières,
pour les pays qui disposent de ce type de tribunaux, comme c’est le cas de plusieurs pays
africains. Souvent dans les tribunaux coutumiers les juges et conseillers n’ont pas une formation
juridique en droit occidental et parfois les parties ne sont pas représentées par un avocat qui
puisse faire valoir des vices de procédure. Des pays comme le Botswana par exemple,
interdisent aux parties de se procurer une représentation légale devant un tribunal coutumier
pour éviter des situations d’injustice entre les parties disposant d’un représentant et celles qui
n’en disposent pas. Il est donc contestable de placer les droits processuels dans le socle commun
des droits de l’homme.

569 Pour plus d’approfondissements sur les “Quatre libertés” voir : Eide Asbjorn and Jan Helgeses, The future of
human rights in a changing world. Fifty years since the Four Freedoms address. Essays in honour of Torkel
Opsahl, Oslo, Norwegian University Press, 1991.
570 Parmi les auteurs soutenant cette position voir : SHUE Henry, “Basic Rights: Subsistence, Affluence, and U.S.
Foreign Policy”, 1980, pp. 29–34.

263
Une troisième approche, plus répandue consiste à considérer le socle commun des droits de
l’homme comme étant formé par les droits et libertés prévus dans la Déclaration universelle des
Droits de l’Homme, laquelle se limite à fixer des principes et objectifs fondamentaux à respecter
et à atteindre, tout en laissant le soin à d’autres instruments internationaux, régionaux et
étatiques d’établir les règles de droit spécifiques pour garantir leur application. La Déclaration
universelle établit ainsi un cadre à l’intérieur duquel chaque État peut moduler ces principes
afin de les adapter à leurs valeurs sociales, dans le respect des « particularités nationales et
régionales et de diverses réalités historiques, culturelles et religieuses », comme le souligne la
Déclaration de Vienne de 1993571. Cela justifierait l’absence d’effet direct de cette Déclaration
et son caractère purement déclaratif, ce qui a par ailleurs été la position soutenue par René
Cassin au cours de la rédaction de la DUDH.

La DUDH pose en son article 1er un triple dénominateur commun de référence de l’universalité
des droits de l’homme en affirmant les principes universels de la dignité humaine, de l’égalité,
qui implique la non-discrimination, et de la liberté ou de l’autonomie de l’individu. Ces
principes se présentent comme les bases de tout droit national et international auxquelles aucune
entité ne peut déroger sous peine d’engager sa responsabilité. Pour Koffi Afande, la pluralité
des ordres juridiques et en particulier les règles de protection des droits de l’individu gravitent
autour de ce triptyque et c’est à partir de ce socle que chaque ordre peut mettre en valeur ses
particularités572. La Charte de l’OUA semble avoir embrassé cette vision en rappelant dans son
Préambule son attachement à la liberté, l’égalité, la justice et la dignité comme étant des
« objectifs essentiels à la réalisation des aspirations légitimes des peuples africains ».

Le triple dénominateur commun proposé par la DUDH semble avoir inspiré les différentes
conventions internationales à introduire dans leurs textes des dispositions relatives aux droits
auxquels les États ne peuvent pas déroger, sous aucune circonstance. Il s’agit d’un ensemble de
droits que certains appellent des droits de « première classe », souvent cités dans les
conventions régionales des droits de l’homme lorsque celles-ci prévoient des clauses leur
permettant de déroger à leurs obligations dans la protection des droits fondamentaux dans
certaines circonstances, de manière temporaire et exceptionnelle. Par principe, les clauses
dérogatoires permettent aux États d’invoquer des circonstances exceptionnelles méritant des
mesures exceptionnelles dans l’intérêt supérieur de l’État, au détriment du respect de la légalité.

571 A/CONF.157/23, Déclaration et programme d’action de Vienne, 12 juillet 1993.


572 AFANDE Koffi Kumelio A., « Les enjeux relatifs au pluralisme juridique dans les processus d’élaboration
du droit international des droits de l’homme », La gouvernance en révolution(s) - Chroniques de la gouvernance
2012, par Institut de recherche et débat sur la gouvernance – IRG, Éditions Charles Léopold Mayer, pp. 285.

264
De telles clauses sont prévues par exemple à l’article 4 du Pacte international sur les droits
civils et politiques, lequel permet aux États parties de déroger aux obligations prévues en cas
de « danger public exceptionnel » menaçant l’existence de la Nation.

Toutefois, malgré la possibilité offerte aux États de déroger à l’application des droits prévus
par le Pacte, certaines dispositions restent hors de la portée des clauses dérogatoires, lorsque
sont en cause des droits touchant directement à l’intégrité des personnes. Ce sont ces
dispositions qui sont considérées par certains comme faisant partie du socle commun des droits
de l’homme car ils sont considérés comme indérogeables par différents textes internationaux
dans l’objectif d’empêcher que les dérogations aux droits de l’homme entraînent des
discriminations basées sur la race, le sexe, la religion ou l’origine sociale des citoyens. On
retrouve ainsi dans le Pacte international sur les droits civils et politiques l’interdiction de
déroger par quelque mesure que ce soit au droit à la vie (article 6), au droit à l’interdiction de
la torture, de l’esclavage et la servitude (article 7), au principe de la légalité des délits et des
peines et à la non-rétroactivité des peines (article 15), ou encore à la liberté de conscience et de
religion (article 18).

D’autres textes internationaux comportent des clauses dérogatoires comme la Convention


européenne des droits de l’Homme et la Convention américaine des Droits de l’Homme. La
Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH) prévoit en son article 15 qu’en cas de
guerre ou d’autres situations mettant en danger l’ordre public national, les pays peuvent déclarer
l’État d’urgence et prévenir les autorités européennes de ce que pendant une période donnée, il
ne sera pas en mesure d’assurer le respect de la CEDH. Mais cette dérogation, possible sous
certaines conditions, ne permet pas aux États de violer les principes fixés aux articles 2 sur le
droit à la vie, article 3 sur l’interdiction de la torture, article 4§1 sur l’interdiction de l’esclavage
et la servitude et article 7 sur le principe de la légalité des délits et des peines.

Au niveau de la Convention américaine des droits de l’homme, l’article 27§2 comporte une
clause de dérogation, mais interdit tout manquement à une liste de droits plus étendue que celle
de la CEDH. Il y est prévu qu’en plus des quatre droits dont la dérogation n’est pas possible
prévus par la CEDH, la Convention américaine ajoute le droit à la reconnaissance de la
personnalité juridique (article 3), le droit à la nationalité (article 20) et le droit à la liberté de
conscience et de religion (article 12). On peut voir que les limitations aux dérogations étatiques
sont plus sévères au niveau américain qu’au niveau européen et la Cour interaméricaine ajoute
davantage des limitations dans sa jurisprudence en incluant par exemple l’interdiction de

265
suspendre les garanties judiciaires lorsque celles-ci sont indispensables à la mise en œuvre des
droits dont il n’est pas possible de déroger573.

La Charte ADHP prévoit des restrictions particulières à certaines de ses dispositions, mais ne
comporte pas de clause dérogatoire en tant que telle, pour ne pas inciter les pays à s’abstenir de
respecter ses dispositions. Les États parties gardent tout de même la possibilité d’invoquer des
circonstances exceptionnelles qui justifieraient la limitation temporaire des droits et libertés
contenus dans la Charte. Le système de la Charte n’a pas voulu encadrer directement la question
des clauses dérogatoires, laissant le soin aux institutions chargées de sa mise en œuvre d’évaluer
au cas par cas l’opportunité de déroger à certains principes. En effet, une analyse de la
formulation de chaque disposition de la Charte permet de déceler le degré de protection qu’elles
offrent et d’évaluer dans quelle mesure elles peuvent accepter des aménagements. On voit par
exemple à l’article 27-2 qu’il est possible d’apporter des aménagements aux droits et libertés,
lorsqu’ils ne sont pas exercés « dans le respect du droit d’autrui, de la sécurité collective, de la
morale et de l’intérêt commun ». Cet article rentre dans le Chapitre 2 de la Charte relatif aux
devoirs des individus. Ainsi, il est plausible de dire que les limitations des droits et libertés sont
justifiées dans les circonstances où le respect des devoirs doit primer pour garantir le respect
des droits d’autrui, de la sécurité collective, de la morale et les intérêts communs. On trouve
aussi à l’article 12-2 la possibilité pour les pays de restreindre le droit de toute personne de
quitter et de revenir dans son pays, dès lors que les limitations à ce droit sont « prévues pas la
loi, nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité
publiques ». La Commission africaine a toutefois rappelé dans l’affaire Amnesty International
c. Zambie que le recours aux limitations prévues dans la Charte doit être exceptionnel, en
conformité avec les engagements internationaux et justifié auprès de la Commission574.

L’inexistence de clause générale de dérogation dans la Charte africaine laisse entendre que
celle-ci ne considère pas certains droits comme étant plus fondamentaux que d’autres et que
donc le socle commun n’est pas une réalité au niveau du continent. Toutefois, en même temps
que la Charte africaine adopte une position restrictive en matière de dérogation aux droits
fondamentaux, elle laisse aux États parties une plus large marge de manœuvre dans la
détermination des droits qu’il est possible de déroger, en fonction des limitations possibles
prévues par certains articles concernant l’exercice de certains droits. Le rôle de la Commission

573 Cour interaméricaine des droits de l’homme, avis consultatif, Garantias judiciales en estados de emergencia,
6 octobre 1987 ; et CIADH, avis consultatif, El habeas corpus bajo suspension de garantias, 30 janvier 1987.
574 Commission ADHP, affaire 212/98, Amnesty International c. Zambie, para. 42.

266
et de la Cour africaines DHP s’avère donc ici essentiel pour clarifier les principes en la matière
et garantir le respect de la Charte par les pays membres, au regard des principes internationaux
généraux applicables en matière de clauses dérogatoires.

La Commission africaine DHP interprète de manière stricte l’absence de clause générale de


dérogation dans la Charte africaine. Selon elle, le silence de la Charte doit être interprété
comme un refus de considérer que certains droits peuvent être contournés, indépendamment
des circonstances, car d’après la Commission, « aucune situation ne justifie la violation
généralisée des droits de l’homme. En somme, les restrictions abusives des droits sapent la
confiance qu’ont les hommes dans la primauté du droit et vont à l’encontre des buts
recherchés575 ».

Dans une affaire relative à des violations massives commises par le Tchad, la Commission n’a
pas accepté le prétexte invoqué par le pays qui se trouvait dans une situation de guerre civile au
moment des faits pour justifier des dérogations aux droits fondamentaux. Selon elle, « la Charte
africaine (…) ne permet pas aux États parties de déroger à leurs obligations aux termes du
traité en situation d’urgence576 ». La Commission africaine a développé une jurisprudence
assez restrictive en matière de dérogation aux dispositions de la Charte, précisant qu’elle admet
des limitations, mais pas des dérogations. Ces limitations ne doivent toutefois pas être contraires
aux buts de la Charte et doivent pour cette raison respecter certaines conditions que la
Commission a précisé dans les affaires Media Rights Agenda and Constitutional Rights Project
c. Nigeria. Selon la Commission les restrictions aux droits et libertés doivent être fondées sur
un intérêt public légitime, doivent causer des inconvénients proportionnels et nécessaires par
rapport aux avantages à obtenir de cette limitation ; et ne doivent pas avoir pour conséquence
de limiter un droit au point de le rendre illusoire.

La position de la Commission577 a été confirmée par la Cour africaine DHP578 laissant entendre
à une certaine fermeté de la Charte en matière de dérogations, contrairement à ses institutions

575 Commission DHP, communication 105/93, 128/94, 130/94 et 152/96, Media Rights Agenda and
Constitutional Rights Project c. Nigeria.
576Commission ADHP, communication 74/92, CNDHL c/ Tchad, 9ème rapport d’activités, (2000) AHLRL 66
(CADHP 1995).
577 Affaires jointes, 1. Tanganyika Law Society 2. The Legal and Humain Rights Centre c. République-Unie de
Tanzanie, requête n° 009/2011 ; Révérend Christopher R. Mtikila c. République-Unie de Tanzanie, Requête n°
011/2011.
578 Voir : Commission ADHP, communications 48/90, 50/91, 52/91, 89/93 Amnesty International et autres c/
Soudan, 13e rapport d‘activités, (2000) AHLRL 297 (CADHP 1999) ; Commission ADHP, communications 54/91,
61/91, 98/93, 164-169/97, 210/98, Malawi African association, Amnesty International et autres c/ Mauritanie, 13e
rapport d’activités, (2000) AHLRL 149 (CADHP 2000).

267
homologues au niveau européen et américain. Lesquelles, tout en imposant une certaine
fermeté, montrent une certaine souplesse en cas de circonstances exceptionnelles, tels que le
prévoient leurs textes fondateurs.

Les disparités dans le degré de traitement des droits de l’homme au niveau des différents textes
internationaux remettent en cause la théorie du socle commun des droits de l’homme au niveau
universel. La doctrine elle-même n’arrive pas à se mettre d’accord sur les critères à utiliser pour
trouver ce noyau dur des droits de l’homme, mais plus encore si on se tient au critère prenant
en compte les droits dont il n’est pas possible de déroger dans les textes internationaux, on
s’aperçoit que certains textes sont plus restrictifs que d’autres.

L’analyse de l’ensemble des textes internationaux révèle que les dérogations sont normalement
interdites en matière de droit à la vie, les questions relatives à la peine de mort, la torture et les
traitements inhumains et dégradants. Mais ces différents textes ouvrent les schémas de
dérogations de manière assez variable en ce qui concerne d’autres catégories de droits comme
les droits processuels (droit à un procès équitable), liberté de conscience et d’information et le
droit à la non-discrimination. Le degré de protection accordé en cas d’application des clauses
dérogatoires est variable, laissant entendre des degrés d’importance variables des règles de
protection des droits de l’homme. La Charte africaine DHP et la Convention américaine DH
par exemple, semblent être plus strictes en la matière et acceptent plus restrictivement des
dérogations à leurs dispositions. Tandis que la CEDH et le Pacte international relatif aux droits
civils et politiques semblent moins stricts et gardent peu de domaines en dehors du champ des
dérogations, même si, dans le cas de la CEDH, les dérogations s’accompagnent d’une procédure
stricte pour leur mise en application. Il est ainsi difficile d’affirmer qu’il existe véritablement
un noyau dur des droits de l’homme, constitué de droits indérogeables et intangibles, méritant
d’une protection absolue de la part des États. Les textes internationaux invoquent l’universalité
des droits de l’homme et tentent de le démontrer dans leurs dispositions, mais les disparités que
l’on peut trouver dans le degré de protection de ces droits au niveau des textes internationaux
et régionaux montre que cette universalité est plus théorique que pratique.

268
§2. La position de la doctrine universaliste

La problématique de la dignité humaine et la nécessité de sa protection est partagée par


l’ensemble des sociétés, mais les valeurs morales qui justifient cette protection et les
mécanismes normatifs et institutionnels par lesquels cette protection est assurée varient d’une
société à l’autre. Or, il est courant dans la doctrine de considérer que les droits de l’homme sont
universels car ils véhiculent des valeurs partagées par la raison commune par tous les êtres
humains, en pleine conscience des attributs inhérents à la personne humaine579.

Pour les jus naturalistes comme Jonh Lock et Thomas Hobbes, l’universalité des droits de
l’homme se trouve dans la nature humaine, qui préexiste à toute forme d’organisation sociale
et politique, ce qui explique le caractère inaliénable, imprescriptible et inhérent des droits
attachés à l’être humain. Où qu’il soit, l’homme disposerait donc naturellement de droits
fondamentaux desquels il ne peut se détacher sans perdre son essence humaine, d’où le
caractère inaliénable de ces droits desquels on ne peut être dépossédés. Les droits de l’homme
s’imposent à toute société et dans tous les temps comme des exigences morales avant de devenir
des exigences juridiques puisque ces droits doivent être protégés par le droit positif afin de
sauvegarder l’essence même de l’être humain580.

Dans ce sens, les droits de l’homme puiseraient avant tout leur universalité dans le fait qu’ils
sont dirigés à tout être humain et de ce fait ne forment pas un instrument au service de groupes
communautaires581. Cette vision de l’universalité des droits de l’homme que Jackes Donnelly
caractérise comme « l’universalité conceptuelle » car elle est liée à l’idée de l’existence de
droits en raison de la simple nature humaine582, justifie pour certains l’universalité des textes
relatifs aux droits de l’homme. En particulier la DUDH en ce qu’elle se destine à l’être humain
qu’elle entend protéger et exalter. Cette vision est partagée par René Cassin pour qui les droits
de l’homme visent directement l’être humain, au-dessus de toute autre collectivité sociale.
Selon lui, la DUDH « est universelle par son inspiration, par son expression, par son contenu,
par son champ d’application, par son potentiel, et elle proclame directement les droits de l’être

579 JOUANNET Emmanuelle, « Universalism and imperialism : the true-false paradox of international law ? »,
The European Journal of International Law, vol. 18, n° 3, 2007.
580 MCDONALD Margaret, « Natural rights », in WALDROM Jeremy (dir.), Theories of rights, London, Oxford
University Press, 1984, p. 27.
581 Voir en ce sens Gérard Cohen-Jonathan, « Universalité et indivisibilité des Droits de l’homme », in La
Déclaration universelle des Droits de l’homme, 1948, p. 45.
582 DONNELLY Jack, « The Relative Universality of Human Rights », 29 Hum. Rts. Q. 281, 2007, p. 282.

269
humain au regard de tous autres, à quelques groupes sociaux auxquels ils appartiennent les
uns et les autres583 ».

Or, une telle position oublie que l’être humain n’est pas seulement composé de son revêtement
corporel. Il dispose aussi d’une intelligence et d’émotions qui forment son identité et celle-ci
est fortement forgée par le milieu socio-culturel dans lequel il évolue.

Une seconde catégorie d’auteurs conclut à l’universalité des droits de l’homme en raison de
leur source formelle. Donnelly caractérise ce courant comme prônant une « universalité
substantielle » des droits de l’homme en soutenant l’universalité d’un concept ou d’une liste de
droits de l’homme spécifique584. Selon les défenseurs de ce courant, les droits de l’homme tirent
leur universalité de leur fondement car ils sont issus d’un consensus des États soit au moment
de l’élaboration des règles fondamentales, soit au moment de leur adhésion aux conventions
internationales sur les droits de l’homme, en particulier la Déclaration universelle et les Pactes
de 1966. Pour Bernhard GRAEFRATH, partisan de ce courant, lorsque les États acceptent de
faire partie d’un accord international sur les droits de l’homme, ils acceptent d’intégrer un
concept de droits humains commun à leurs valeurs constitutionnelles, contribuant ainsi à
l’universalisation des valeurs fondamentales véhiculées par les principes des droits de
l’homme585. Néanmoins, les adeptes de cette doctrine précisent que si par leur source ces droits
sont universels, les textes internationaux ne posent qu’un cadre qui devra par la suite être
appliqué dans l’ordre interne de chaque État en respectant le système juridique, social et
économique de chacun. Cette vision universaliste pêche de différentes manières. Tout d’abord
parce qu’elle ne prend pas en compte la source véritable des droits substantiels attribués à l’être
humain dont la conceptualisation remonte à l’histoire européenne. D’autre part, elle ne prend
pas non plus en compte le caractère hégémonique du droit international public, dont les
principales sources normatives se trouvent dans les pays occidentaux, avec une participation
très faible des pays non-occidentaux.

Dans la doctrine africaniste, le débat sur l’universalité des droits de l’homme divise les
défenseurs d’une position plus modérée et ceux soutenant une universalité stricte des droits de

583 CASSIN René, « L’homme sujet de droit international et la protection universelle de l’homme », in Mélanges
SCELLE Georges, La technique et les principes du droit public, Paris, LGDJ, 1950, t.1, p. 77. Cité par BUI-XUAN
Olivia, « La destinée universaliste des droits culturels : les articles 22 et 27 de la Déclaration universelle des
Droits de l’homme », CRDF, n° 7, 2009, p. 138.
584 Jack Donnelly, « The Relative Universality of Human Rights », 29 Hum. Rts. Q. 281, 2007, p. 282.
585 GRAEFRATH Bernhard, “Universality of Human Rights in a pluralistic world”, in BRAIBANT Guy et
MACOU Gérard (dir.), Les droits de l’homme : universalité et renouveau (1789-1989), Paris, L’Harmattan, 1990,
p. 377.

270
l’homme. Parmi les plus modérés, on trouve des auteurs qui, tout en reconnaissant des
variations dans les droits de l’homme en raison des différences sociales et culturelles,
considèrent que certains principes sont inhérents à toute personne, dans tous les temps,
indépendamment de leur origine géographique et culturelle586. Ces auteurs admettent ainsi
l’existence d’un noyau dur dans les principes de droits de l’homme acceptés comme étant
universels, tout en reconnaissant l’existence de droits qui sont considérés comme fondamentaux
à des moments différents, dans différentes circonstances, dans différents lieux. Selon Antonio
Cassese, les faits empiriques méritent une attention particulière pour comprendre qu’un
universalisme théorique reste certes la vocation idéale des droits de l’homme, mais cela est très
difficile à mettre en place en raison de différences culturelles importantes. Donnelly se situe
aussi dans ce groupe d’auteurs favorables à un universalisme modéré avec son concept
d’universalité fonctionnelle d’après lequel les droits de l’homme tels que présentés aujourd’hui
apportent une réponse effective aux menaces auxquelles font face les sociétés actuelles
commandées par des marchés capitalistes de plus en plus mondialisés587. Selon lui, dans la
mesure où les droits de l’homme répondent à des problèmes spécifiques de l’époque moderne,
ils ont une dimension fonctionnelle qui les rend « universels pour nous, aujourd’hui588 ».
L’universalité réside donc dans la source et dans l’objectif des droits de l’homme, mais ils
restent assez malléables dans leur mise en œuvre589.

Dans le courant plus strict, les auteurs soutiennent des positions assez fermes sur le caractère
universel des droits de l’homme. Pour eux, étant donné que les États africains modernes se sont
développés sur la base du modèle européen et que les sociétés africaines elles-mêmes ont évolué
dans un environnement fortement marqué par l’empreinte occidentale, il est indiscutable que
les droits de l’homme ont pour les sociétés africaines le même poids et la même valeur qu’ils
ont dans les sociétés occidentales. Edward Kannyo, estime qu’il existe un socle dans le concept
des droits de l’homme, commun à toutes les sociétés, lié à la préservation de la vie et à la
promotion du bien-être de l’être humain. Par conséquent pour lui les préoccupations à la base
de la fondation des théories occidentales des droits de l’homme ayant justifié leur garantie dans
des textes à valeur constitutionnelle sont devenues aussi importantes dans d’autres parties du
monde qu’elles le sont en Occident. Il n’est donc plus possible de considérer les droits de

586 Voir en ce sens : QUASHIGAH Kofi, « The Philosophical Basis of Human Rights and its Relation to Africa »,
Journal of Human Rights Law and Practice, Vol. 1, no. 3 / Vol. 2 nos. 1 & 2, Nigeria, 1992 ; TÉVOEDJRÉ Albert,
“Human Rights and Democracy in Africa”, Annual Lecture Series: 2, The United Nations University, 1986, p. 2.
587 DONNELLY Jack, « The Relative Universality of Human Rights », 29 Hum. Rts. Q. 281, 2007, pp. 287-288.
588 Idem, p. 288.
589 CASSESE Antonio, Human Rights in a Changing World, Polity Press (Basil Blackwell), 1990.

271
l’homme comme étant inadaptés aux réalités des différents peuples, puisque ces peuples sont
déjà bien imprégnés dans la culture occidentale590.

Toutefois, la reconnaissance et la protection universelle de la dignité humaine dans un


instrument conventionnel est une exigence spécifique à l’Occident. Cette proclamation
universelle des droits fondamentaux est le réflexe des rapports entre les individus et le pouvoir
étatique que tous les peuples ne partagent pas parce que chaque société construit un modèle
juridique et une forme d’État qui correspond à ses pratiques et à la représentation qu’elle se fait
des acteurs. Pour Arvind Sharma, un critique de l’universalisme dans les droits de l’homme,
l’idée d’universalité a comme prémisse l’existence de dénominateurs communs dans la
diversité d’approches culturelles et sociales des droits fondamentaux. Or, les droits de l’homme
tels qu’ils se présentent aujourd’hui ressemblent plus à des absolus qu’à des universels. Selon
l’auteur, l’absolutisme latent dans les théories des droits de l’homme se caractérise moins par
la proclamation des points communs, mais par la présentation de ces droits comme étant des
conventions n’admettant pas de variations qui pourraient venir des différences culturelles et
temporelles591. En effet, comme le souligne Arvind Sharma, il est important pour le droit de
respecter les caractères spécifiques de chaque société car les conceptions du droit sont
intimement liées à un modèle sociétal et à une vision du monde propre à chaque communauté.
Il est donc important de remettre en question l’universalisme occidental dans l’approche
moderne des droits de l’homme, en faveur d’une approche plus souple qui prenne en compte la
vision que chaque société se fait du droit, de la personne humaine et des liens entre le droit et
les individus. Les particularismes régionaux et locaux sont cruciaux pour garantir l’efficacité
des règles des droits de l’homme dans les différents pays.

Les théories des droits de l’homme telles que conçues en Europe sont anthropocentrées parce
qu’elles ont l’individu au centre de leur fondement. Or, les approches des droits fondamentaux
varient dans les cultures non-européennes : elles sont parfois cosmocentrées, comme dans les
sociétés africaines où le droit est essentiellement basé sur les mythes cosmogoniques, ou
théocentrées comme dans les sociétés islamiques. Dans la culture islamique, le droit n’est pas
un instrument mis entre les mains de l’État car la loi est établie par Dieu et s’impose aux
hommes quelle que soit leur catégorie. Ainsi, aussi bien les détenteurs du pouvoir politique que

590 KANNYO Edward, “Human Rights in Africa: Problems and Prospects, A report Prepared for the
International League for Human Rights”, May 1980, p. 4, cité par SHIVJI Issa G., The concept of human rights in
Africa, London, CODESRIA Book Series, 1989, p. 11.
591 SHARMA Arvind, “Human wrongs and human rights”, in D. MONTGOMERY John (dir.), Human Rights,
Positive policies in Asia and the Pacific Rim, Hollis (USA), Soka University of America, 1998, p. 39.

272
les croyants sont soumis à la Charia et c’est cette même loi qui fonde et légitime le pouvoir
politique. Cette conception du monde et de la justice se concilie mal avec la notion universaliste
des droits de l’homme développée par un occident fortement empreint d’une vision
anthropocentrée du droit, où la séparation entre la religion et l’État est fondamentale pour
garantir la liberté et l’autonomie de l’individu.

Le droit en Europe a été fortement influencé par la doctrine de l’Église catholique romaine592.
Force est de constater que le développement des droits de l’homme pendant les siècles des
Lumières a subi essentiellement l’influence d’un courant qui se voulait libéré des chaînes de
l’Église romaine et qui souhaitait avant tout faire valoir le droit du peuple en tant qu’entité
composée d’individus libres et égaux dotés d’une volonté personnelle, en droit de jouir de leur
autonomie. Les droits de l’homme en Europe ce sont donc développés dans un contexte où le
pouvoir politique était très rattaché à cette Église qui dictait ses règles dans tous les domaines
de la vie politique, avec des monarques qui revendiquaient le caractère divin de leur pouvoir au
point de considérer les citoyens comme étant leurs sujets ou leurs serviteurs. Un mouvement de
laïcisation commençait à voir le jour en réaction au cadre imposé par le pouvoir religieux.

De même, en Afrique, comme dans les autres continents, le rapport avec la religion a été à la
base du développement de règles et principes proscrivant le respect des droits fondamentaux
des individus. Dans l’Afrique noire connue par ses croyances animistes et son rapport avec les
forces ancestrales, le respect à l’égard des ancêtres a eu une influence capitale dans la perception
des droits de la personne. Il y a ainsi cette idée selon laquelle ces droits relèvent essentiellement
de la volonté des ancêtres pour le bien commun de la société. Ainsi par exemple, la liberté
d’expression dans les sociétés africaines n’est pas traditionnellement perçue d’une manière
absolue. Elle doit être limitée par des obligations de respect vis-à-vis de l’autre et surtout vis-
à-vis de ceux placés dans un rang hiérarchique supérieur comme le chef communautaire et son
conseil de sages, les parents, les frères et sœurs aînés et en général toute personne plus âgée que
soi-même.

De même, la notion de droit de propriété privée est étrangère à l’Afrique traditionnelle où penser
à l’appropriation privée d’un bien n’était pas concevable. La propriété était toujours collective
puisque tous les biens devaient pouvoir profiter d’une manière ou d’une autre à la communauté,

592 Les premières grandes théories de l’État remontent à l’époque carolingienne et à cette époque on considérait
qu’il incombait à l’État de défendre les principes chrétiens et faire régner la paix et la justice. Déjà l’évêque
d’Orléans disait au début du IXe siècle que « la fonction royale est essentiellement de gouverner et régir le peuple
de Dieu avec équité et justice » (cf. ROULAND Norbert, Introduction historique au droit, Paris, PUF, 1998, p.
337).

273
seule entité à pouvoir que ce soit au sens large de la tribu ou du clan ou au sens restreint de la
famille. Malgré une modernisation législative, la propriété demeure dans l’esprit des peuples
africains un droit collectif, ce qui explique les différends actuels un peu partout dans les pays
africains autour de la question de la propriété foncière avec des revendications sur des terrains
rendus privés sous l’effet de la loi, mais sur lesquels des populations font prévaloir des droits
d’emprise familiaux ou communautaires, sur la base du droit traditionnel593. Les pays africains
se trouvent actuellement dans une véritable impasse sur cette question.

Il y a une différence d’approche dans les sociétés africaines beaucoup moins centrée sur
l’individu en tant qu’être devant travailler seul pour son épanouissement, mais plus centrées
dans l’individu en tant que partie indissociable de la collectivité. Comme l’explique Josiah
Cobbahles, les droits de l’homme africain diffèrent en grande mesure de ceux de l’homme
européen en ce que chacun de ces systèmes suit un paradigme différent. Selon lui, tandis que
les sociétés européennes ont évolué dans un paradigme individualiste où la dignité humaine est
le fruit d’un droit naturel, dans les sociétés africaines, cette évolution résulte du paradigme
communautariste où l’individu puise sa dignité dans la fonction sociale qui lui est accordée par
les autorités ancestrales594. Malgré une évolution des sociétés africaines, les principes de base
des cultures africaines demeurent dans l’esprit collectif et le véritable débat devrait permettre
d’élucider quelles valeurs culturelles apportent une véritable protection de la dignité de la
personne.

SECTION 2. Le relativisme culturel dans les droits de l’homme

Les droits de l’homme étant un produit de luttes et non un produit de la nature humaine,
plusieurs auteurs proposent une vision relativisée de la théorie des droits de l’homme, de
manière à prendre en compte les valeurs différentes au sein des sociétés et d’accepter qu’il y a
plusieurs théories des droits de l’homme obéissant à des logiques différentes, mais pas
nécessairement contraires entre elles.

593 WANYOU Maurice, Le domaine en Côte d’Ivoire, environ 1840-1963 : contribution à l’histoire du droit
colonial, Thèse pour le doctorat en Droit, Université Paris 1, sous la direction de LE ROY Etienne, 25 janvier
1992, pp. 229 et s.
594 COBBAH Josiah A. M., “African Values and the Human Rights Debate: An African Perspective”, Human
Rights Quarterly 9, no.3:309-331(Aug. 1987), p.331.

274
Sans vouloir aborder l’ensemble des approches relativistes, on note une tendance générale dans
la doctrine relativiste à promouvoir un dialogue interculturel pour comprendre comment chaque
société protège des besoins équivalents pour ainsi permettre une plus grande efficacité dans leur
protection. Ce dialogue devrait à terme à la fois favoriser un enrichissement des droits
universels de l’homme par l’apport que chaque culture aura dans la théorie générale des droits
de l’homme mais aussi permettre un enrichissement mutuel des différents mécanismes de
protection des droits fondamentaux (§1). La méthode dialogique implique au préalable la
reconnaissance de la pluralité des identités culturelles. Or, les processus internationaux mis en
œuvre pour la prise en compte de la diversité culturelle sont encore très loin d’admettre une
véritable reconnaissance de cette diversité (§2).

§1. Le relativisme pour un enrichissement des théories des droits de l’homme

La nature humaine que tout individu partage justifie, selon les défenseurs de l’universalisme,
que les principes fondamentaux des droits de l’homme disposent à la fois d’un caractère éternel
car anhistorique dans la mesure où ces droits sont inhérents à l’être humain et universel car
s’appliquant à toutes les sociétés. Or, une telle vision des droits de l’homme pêche par
l’abstraction faite au contexte historique, social et politique qui forgent l’être humain au-delà
de la nature humaine. Ce sont ces contextes qui expliquent que les revendications pour les droits
fondamentaux ont été différentes au cours de l’histoire dans le contexte occidental. On trouve
ainsi parmi les Grecs dans l’antiquité des demandes d’égalité fondées sur des droits naturels,
au bénéfice des seuls citoyens, à l’exclusion des autres catégories sociales ; tandis que le
contexte des révolutions au Moyen âge en Europe a vu ressortir des demandes spécifiques à
une bourgeoisie montante aspirant à faire entendre ses idées libérales, notamment par la
proclamation des droits de propriété. Ce que l’on voit dans des textes comme la Bill of Rights
anglaise de 1679 et un siècle plus tard au niveau des Déclarations américaines et françaises au
XVIIIe siècle.

L’universalité des droits de l’homme proclamée par différents textes est donc
fondamentalement idéologique car sous prétexte de valoriser la nature humaine, l’homme en
tant qu’être social est oublié dans l’établissement de ces valeurs. Cela explique en particulier
qu’au cours de l’histoire les textes proclamant les droits de l’homme se sont servis de théories

275
diverses pour exclure de leur application certaines catégories de personnes. Le XXe siècle est
riche d’exemples de textes qui tout en se prétendant des catalogues de droits de l’homme,
n’incluaient pas les hommes et femmes natifs des territoires sous domination coloniale. La
Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) du 4 novembre 1950 par exemple
n’était pas directement applicable aux territoires colonisés par les États membres595 ; de même
en 1945 la Charte des Nations Unies proclamait le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes,
alors même qu’une bonne partie des territoires du monde se trouvait sous domination de peuples
étrangers596.

La notion même de l’homme n’étant pas universelle, il n’est pas possible de concevoir que celle
de ses droits le soit. Comme le note Issa G. Shivji, « l'idéologie des droits de l'homme, sous ses
différentes formes, a historiquement joué un rôle de légitimation ou de mobilisation dans la
lutte des classes pour se rallier à certains changements spécifiques ou pour légitimer le statu
quo. Et à aucun moment, ni philosophiquement ni conceptuellement, il n'a été appliqué à tous
les êtres humains car le concept même d'humain a varié historiquement et socialement597 ».

Les courants relativistes mettent en lumière le fait que différentes conceptions de l’homme
impliquent différentes conceptions de sa dignité et de sa liberté, mettant ainsi en relief les points
de désaccord dans le débat sur la protection des droits le plus élémentaire de l’homme quant au
fondement, la portée et les modalités d’une telle protection. Loin de vouloir aboutir à la négation
des droits de l’homme dans son ensemble, le relativisme permet de mettre les différentes
traditions en dialogue, de manière ouverte, sans qu’aucune culture ne prétende s’imposer aux
autres comme étant naturellement universelle.

Le relativisme appliqué aux droits de l’homme implique une récusation de la suprématie de


l’homme présente dans la conception traditionnelle des droits de l’homme pour embrasser les
manières différentes d’appréhender et de protéger la dignité humaine598. En effet, dans de
nombreuses cultures l’homme n’est qu’un élément de la nature aux côtés de ses autres
composantes. C’est le cas de la pensée indienne qui considère que tous les êtres vivants méritent
une protection parce que le même principe vital, l’atman, peut s’incarner dans tous les êtres

595 Voir l’ancien article 63-1 de la CEDH selon lequel « Tout État peut, au moment de la ratification ou à tout
autre moment par la suite, déclarer par notification adressée au Secrétaire général du Conseil de l'Europe que la
présente Convention s'appliquera à tous les territoires ou à l'un quelconque des territoires dont il assure les
relations internationales ». PELLET Alain, « La ratification par la France de la Convention européenne des droits
de l’homme », Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, LGDJ, sept.-oct. 1974.
596 Article 1-2 de la Charte des Nations Unies, adoptée le 26 juin 1945.
597 SHIVJI Issa G., The concept of human rights in Africa, London, CODESRIA Book Series, 1989, pp. 50-51.
598 KUYU Camille, Écrits d’anthropologie juridique et politique, Collection publications de l’Institut
universitaire André Ryckmans n°2, Louvain-La-Neuve, Bruylant, 2008, p. 251 et suivants.

276
vivants. Dans d’autres cultures encore, comme celles marquées par la religion islamique,
l’homme doit avant tout être soumis à la souveraineté divine.

Le relativisme dans les droits de l’homme implique aussi de remettre en cause la conception
unitaire de la personne humaine très répandue en Occident. Dans les sociétés africaines
traditionnelles, non seulement l’être humain n’est pas au centre de l’univers, mais il est aussi
perçu comme un être pluriel. L’être humain est investi d’un esprit qui lui est associé et de la
force vitale qui l’anime. Chez les peuples wolofs du Sénégal par exemple, la personnalité (jiko)
est un mélange d’éléments visibles et invisibles, tous indissociables de la personne. Elle est
constituée par le corps (yaram), l’esprit (rab) et la force vitale (fit). Les attributs invisibles de
l’homme lui permettent de se situer dans le cosmos et le connectent aux ancêtres. C’est par son
esprit et sa force vitale qu’il prend connaissance de la volonté divine et c’est là que se forme la
crainte du châtiment des ancêtres599. Chez les peuples bantous, l’homme n’est pas non plus
conçu comme un être unitaire. Placide Tempels relate dans ses études que les bantous
distinguent en l’homme le corps, l’ombre, le souffle et l’homme lui-même. Ce pourquoi, pour
ces peuples lorsque l’homme meurt, il quitte le monde des vivants mais ne cesse pas
d’exister600. Cette conception plurielle de l’homme n’est pas exclusive des Africains, on la
trouve aussi dans des cultures amérindiennes et mélanésiennes, par exemple.

On trouve donc dans le relativisme, une volonté de ramener au centre des théories des droits de
l’homme les considérations culturelles afin de favoriser une identité entre les droits proclamés
et la société qui en bénéficie. Sans récuser dans sa totalité les postulats de la conception
occidentale des droits de l’homme, les relativistes cherchent à ôter de l’approche occidentale
son impérialisme et son absolutisme, en faveur d’une vision interculturelle pour certains, en
vue de l’enrichissement de la théorie des droits de l’homme par les différentes cultures ou d’un
enrichissement mutuel des différentes conceptions des droits de l’homme. Les défenseurs d’un
relativisme tourné vers l’enrichissement de la théorie des droits de l’homme cherchent dans les
différentes cultures des points communs susceptibles d’être érigés au rang d’universels.

599 É. LE ROY, « Communautés d’Afrique noire et protection des droits de l’individu face au pouvoir.
Problématique, modalités et actualité », in L’individu face au pouvoir, « Recueils de la société Jean Bodin pour
l’histoire comparative des institutions », Paris, Dessain et Tolra, 1988, pp. 40 et s.
600 TEMPELS Placide, La philosophie bantoue, Paris, Présence africaine, 1948, pp. 37-38 : « Les apparences
sensibles sont périssables et ne sont nullement ce que nous entendons par l’âme : ce par quoi nous sommes hommes
; notre moi qui subsiste après la mort, lorsque le corps et l’ombre auront disparu. Ce qui subsiste après la mort
n’est pas désigné chez les Bantous par un terme indiquant une fraction de l’homme. J’ai toujours entendu les
anciens nommer « l’homme même », « lui-même », « aye mwine ». C’est là le petit homme qui était caché derrière
les apparences perceptibles, c’est le muntu qui, à la mort, a quitté les vivants ».

277
E. Le Roy, partant de certains postulats de la tradition occidentale, met en exergue dans les
différentes cultures des valeurs et des représentations communes qui peuvent enrichir la notion
des droits de l’homme. Pour lui, l’universalité des droits de l’homme n’est pas un acquis, mais
elle reste un requis qu’il faut construire et « pour ce faire, il faut prendre conscience que les
autres traditions politiques, philosophiques, morales et religieuses ont des manières propres
d’afficher des valeurs et de protéger leurs membres contre un excès d’autorité, manières qui
sont légitimes, opérationnelles et efficaces dans cette tradition 601».

Partant de ce postulat, il est possible de refonder la théorie des droits de l’homme en y englobant
les différentes représentations culturelles, « à condition que la tradition occidentale s’ouvre à
la rencontre des autres cultures et traditions602 ». Cette approche est partagée par Mireille
Delmas-Marty, pour qui il faut ouvrir à un dialogue entre les civilisations afin de mieux
connaître les aspirations de chacun et de permettre de progresser ensemble, sans supprimer les
différences, adoptant une démarche de pluralisme « constructiviste603 ». Chaque culture
pouvant faire son apport à la théorie des droits de l’homme, la nouvelle vision de la protection
des droits fondamentaux cesserait d’être strictement anthropocentrée pour s’enrichir des visions
théocentrées et cosmocentrées d’autres cultures. Ainsi, les valeurs occidentales de liberté et
d’égalité peuvent être complétées par celles de l’autodiscipline de la pensée confucéenne, par
l’idée de réciprocité entre les droits et devoirs présente dans les pensées africaine et indienne
ou encore par les représentations de l’équité des cultures islamiques.

Pour d’autres auteurs partisans de l’enrichissement des droits de l’homme par la diversité
culturelle, seul un relativisme modéré peut permettre d’atteindre un véritable universalisme par
la symbiose des divers particularismes historiques, religieux, culturels, régionaux et même
nationaux. Pour eux, une protection réaliste des droits de l’homme doit prendre en compte
l’équilibre entre la diversité et l’homogénéité de l’existence humaine. Selon Hector Gros
Espiell, « un relativisme culturel radical et absolu, qui nierait la possibilité qu’existe le moindre
élément commun et universel dans la culture humaine contemporaine, et qui (…) impliquerait
la négation de caractère général des droits de l’homme et de ses résultantes éthiques, politiques

601
LE ROY Étienne, Le jeu des lois. Une anthropologie dynamique du Droit, Paris, LGDJ, 1999, p. 325.
602 LE ROY Étienne, Le jeu des lois. Une anthropologie dynamique du Droit, Paris, LGDJ, 1999, pp. 325-326.
603 Voir en ce sens : DELMAS-MARTY Mireille, “De la juste dénomination des droits de l’homme”, Droit et
Cultures, Revue semestrielle d’anthropologie et d’histoire, 35, 1998/1, p. 106.

278
et religieuses serait incompatible avec l’idée d’universalité de ces droits et avec toute
perspective d’une conception commune604 ».

Christophe Eberhard, s’inscrit parmi les défenseurs d’une position qui prône pour
l’enrichissement mutuel des diverses approches des droits de l’homme par les spécificités socio-
culturelles de chaque communauté. C. Eberhard part du principe de l’universalité de la dignité
humaine pouvant se manifester de différentes manières et dont le respect peut être assuré par
des mécanismes différents. Il propose l’adoption d’une logique additive de l’universalisme des
droits de l’homme, qui consiste à ne considérer l’unité des droits de l’homme que là où elle
existe réellement, en articulant les points de divergence605. Pour lui, il n’est pas possible
d’atteindre un véritable universel si le cadre de l’universalisme est posé dès le départ et qu’on
essaie simplement d’y ranger les différentes expériences humaines, en dénaturant les
expériences originales. Une théorie universelle des droits de l’homme doit prendre en compte
un dialogue entre les différentes cultures, dans le respect des différences, afin de fonder une
approche interculturelle et pluraliste des droits de l’homme qui permette une protection
universelle et effective de la dignité de la personne humaine.

Les auteurs comme Eberhard critiquent l’absolutisme patent dans l’approche universaliste des
droits de l’homme forgée dans un contexte précis et qui ne laisse pas de place à l’affirmation
des spécificités de chaque identité culturelle. Comme le dit si bien Jean Bernard Marie, « dans
la mesure où les droits de l’homme correspondent véritablement à une revendication
universelle, quelles que soient les particularités de leur émergence historique, ils doivent
pouvoir trouver un enracinement dans la diversité des cultures auxquelles il appartient de
contribuer en propre à l’évolution et à l’enrichissement d’un concept dont aucune n’a le
monopole. Et plutôt que l’universalité, c’est le dynamisme, la faculté d’intégration, le potentiel
d’innovation qui sont en question606 ».

Plus les débats entre l’universalisme et le relativisme se développent, plus on se rend compte
que le pendule ne doit pas tourner autour de ces deux approches mais plutôt autour de la
nécessité d’un dialogue des cultures. Les auteurs relativistes ont certes un regard critique à
l’égard des théories universalistes dont l’absolutisme est souvent mis en avant, mais rares sont

604 ESPIELL Hector Gros, « Universalité des Droits de l’homme et diversité culturelle », Revue internationale
des sciences sociales, n° 158, décembre 1998, p. 591 ; En ce sens voir aussi BUI-XUAN Olivia, « La destinée
universaliste des droits culturels : les articles 22 et 27 de la Déclaration universelle des Droits de l’homme »,
CRDF, n° 7, 2009, p. 141.
605 EBERHARD Christophe, Droits de l’Homme et dialogue interculturel, Paris, Éditions des Écrivains, 2002.
606 MARIE Jean Bernard, Droits de l’homme, in Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit,
Paris, LGDJ, Bruxelles, Story scientia, 1988, p. 210. Cité par KUYU Camille, op. cit., p. 261.

279
ceux qui se contentent d’un discours strictement relativiste qui reviendrait, sous couvert des
divergences culturelles, à remettre en cause l’objet même des droits de l’homme qui est leur
protection. En ce sens Eberhard écrit que la réflexion en termes d’universalisme ou de
relativisme est dépassée dans nos temps où l’interculturalité est de mise607. Tout l’enjeu des
théories des droits de l’homme actuellement doit donc être d’adopter une démarche qui accepte
le dialogue entre les différentes traditions, qui permette leur enrichissement mutuel par une
articulation réciproque. Pour l’auteur, seule une approche dynamique des droits de l’homme,
telle qu’elle a été proposée par E. Le Roy dans son ouvrage Le jeu des lois, permet de
comprendre la complexité et la diversité des expressions de notre humanité. Cette démarche
dynamique va au-delà des aspects culturels et des représentations sociales pour comprendre les
phénomènes juridiques. Elle implique l’interdisciplinarité, le dialogue entre les différentes
disciplines comme la sociologie, la psychologie, l’économie, la science politique,
l’anthropologie, l’histoire, entre autres.

La logique dynamique implique aussi, pour Eberhard, comme pour Le Roy, de s’affranchir de
la vision institutionnelle des droits de l’homme pour envisager une logique fonctionnelle des
droits de l’homme. Dans Le Jeu des lois, Le Roy explique que l’individu, en tant qu’acteur de
la vie sociale, a plusieurs statuts ou positions juridiques et sociales au sein des différents
groupements dans lesquels il est inséré par héritage ou par libre adhésion, dans lesquels il joue
un rôle défini et détient un statut défini. Chacun de ces collectifs dispose de règles, habitudes
et habitus qui leur sont propres et qui s’imposent à l’individu de manière plus ou moins
concurrentielle. Chaque individu est ainsi un acteur dans sa vie familiale, professionnelle et
publique et il existe une complémentarité fonctionnelle entre les différents rôles ou statuts. Il
est ainsi important de prendre en compte le statut ou le rôle des individus dans son contexte
social, c’est-à-dire dans sa dimension individuelle et collective. Pour Le Roy, « ceci est
essentiel pour traiter des sociétés africaines où le communautarisme comme recherche,
toujours tensionnelle, d’un équilibre entre les intérêts du groupe et ceux de l’individu a été et
reste le plus souvent la forme privilégiée d’organisation des rapports sociaux608 ».

607 EBERHARD Christoph, « Les droits de l’homme face à la complexité : une approche anthropologique et
dynamique », Revue internationale de théorie du droit et de sociologie juridique, Droit et Société, n° 51/52, 2002,
pp. 457 et suivants.
608 LE ROY Etienne, « Prolégomènes à une analyse dynamique de la gestion foncière », in LE ROY Etienne,
KARSENTY Alain et BERTRAND Alain (dir.), La sécurisation foncière en Afrique. Pour une gestion viable des
ressources renouvelables, Paris, Karthala, 1996, p. 191-1993. Cité par EBERHARD Christoph, « Les droits de
l’homme face à la complexité : une approche anthropologique et dynamique », Revue internationale de théorie du
droit et de sociologie juridique, Droit et Société, n° 51/52, 2002, pp. 462-463.

280
Pour l’auteur, le grand enjeu actuel est d’ouvrir la pensée juridique moderne très institutionnelle
des droits de l’homme à une logique plus fonctionnelle609. La pensée moderne, met ses efforts
dans la construction d’un ordre juridique universel. Or il n’y a rien d’universel pour l’homme
de trouver sa place dans un ordre auquel il est soumis de manière plus ou moins volontaire.
Songer à atteindre l’universel dans ces termes serait irréaliste au regard de la diversité culturelle
dans laquelle nous sommes inclus. L’idéal d’un système universel de protection des droits de
l’homme ne va pas de pair avec la « pluriversité » (au lieu d’universalité) de notre réalité610.
L’approche fonctionnelle vise quant à elle à bâtir un système qui puisse jouir de la légitimité
suffisante pour être accepté et appliqué, en mettant l’accent sur les objectifs que les droits de
l’homme doivent remplir plutôt que sur l’idéal de la création d’un système abstraitement parfait,
éloigné des réalités concrètes de l’existence humaine. L’approche fonctionnelle implique une
observation des pratiques des acteurs à la base, avec un regard ouvert, interdisciplinaire et une
vision interculturelle.

§2. La reconnaissance de la diversité des identités culturelles : un processus inachevé

La prise en compte des identités culturelles dans les normes des droits de l’homme implique
une reconnaissance de l’existence de l’autre en tant qu’entité constitutive de traits qui lui sont
propres. Or, la reconnaissance des identités culturelles611 sur le plan international et
particulièrement au niveau du droit international des droits de l’homme a tardé à se faire
présente (A). Malgré de nombreuses revendications, il a fallu attendre la fin de la guerre froide
au début des années 1990 pour que les questions de reconnaissance commencent à être prises
en compte par les textes internationaux, même si très timidement au regard des demandes de
plus en plus présentes dans ce contexte de post-guerre froide (B). Le droit à la reconnaissance
connaît une évolution lente et très difficile à mesurer sur le point de vue international, tellement

609 Voir LE ROY Etienne, « La logique institutionnelle et logique fonctionnelle, de l’opposition à la


complémentarité », in TESSIER Stéphane (dir.), A la recherche des enfants des rues, Paris, Karthala, 1998, p. 243-
258.
610 EBERHARD Christoph, « Les droits de l’homme face à la complexité : une approche anthropologique et
dynamique », Revue internationale de théorie du droit et de sociologie juridique, Droit et Société, n° 51/52, 2002,
pp. 469 et suivants.
611 Par cette expression très controversée, on entend les aspects ethniques, linguistiques, religieux, juridiques et
sociaux propres à chaque communauté. Notre définition reprend dans des termes généraux celle proposée par le
Préambule de la Déclaration sur la diversité culturelle de l’UNESCO du 2 novembre 2001, selon laquelle « la
culture doit être considérée comme l'ensemble des traits distinctifs spirituels et matériels, intellectuels et affectifs
qui caractérisent une société ou un groupe social » et elle « englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie,
les façons de vivre ensemble, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances ».

281
les textes qu’y font référence sont nombreux et désordonnés. Et pour cause, comme l’ont
remarqué plusieurs auteurs, le débat sur les revendications identitaires est loin de faire
l’unanimité612 (C).

A. L’affirmation des particularismes culturels à l’échelle internationale

Le droit international des droits de l’homme tel qu’on le connaît, ne cherche pas à mettre en
relief la différence inhérente à l’autre, mais plutôt à imposer un standard de valeurs
civilisationnelles considérées comme supérieures et universelles. Pour ensuite pouvoir
reconnaître non plus les différences mais les similitudes auxquelles sont parvenues l’ensemble
des civilisations, après des longs processus, la plupart du temps forcés, d’assimilation
culturelle613. Ce processus de domination et d’assimilation qui a commencé depuis la période
de la traite des esclaves en Afrique s’est prolongé après la Première Guerre mondiale avec la
distinction opérée par la Société des Nations (SDN) entre les nations civilisées et les nations
non civilisées, visant à exclure les dernières du domaine du droit des gens civilisées614. Le
principe du droit des gens civilisés, instauré par la SDN a servi de base au refus d’inscrire dans
le Pacte de la SDN le principe de l’égalité des peuples ainsi qu’à l’instauration du système des
mandats (et plus tard des tutelles) par lequel certaines nations avaient la charge de s’occuper
d’un peuple jugé incapable de se gouverner soi-même, dans le mépris total du principe du droit
des peuples à disposer d’eux-mêmes, perpétuant ainsi ce que Armand Mattelart considère
comme « la vision de peuples enfants mis en tutelle par des nations adultes615 ».

Une reconnaissance plus élargie de l’identité des peuples africains et des peuples décolonisés
en général est intervenue après la décolonisation des pays africains par la reconnaissance
généralisée du statut de sujets de droit international aux peuples anciennement colonisés au
même titre que les pays colonisateurs et la suppression de la notion de « communautés des États
civilisés », remplacée par celle de « société internationale ». Ce que montre une certaine
ouverture de la part du droit international à la diversité culturelle et au respect de cette diversité,

612 JOUANNET Emmanuelle, Qu’est-ce qu’une société internationale juste ? Le droit international entre
développement et reconnaissance, Paris, Pedone, 2011, p. 144.
613 Idem., p. 150 et ss.
614 Le Statut de la Cour permanente de justice internationale prévoit en son article 38-3 que : « la Cour applique
les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées ».
615 MATTELART Armand, Diversité culturelle et mondialisation, Paris, Poche, 2006, p. 19. Cité par
JOUANNET Emmanuelle, Qu’est-ce qu’une société internationale juste ? Le droit international entre
développement et reconnaissance, op. cit., p. 152.

282
plutôt que la recherche acharnée pour l’unification des valeurs autour d’un modèle
civilisationnel jugé supérieur, car comme le précise Emmanuelle Jouannet, « l’idée de société
signifie en effet l’unité dans le respect de la pluralité des valeurs culturelles et civilisationnelles
de chacun tandis que la notion de communauté traduisait le nécessaire partage des mêmes
valeurs 616 ».

La reconnaissance des identités culturelles après les décolonisations dans le courant des années
1950 s’est avérée une nécessité pour des peuples anciennement dominés en quête d’identité.
Les processus d’assimilation culturelle mis en œuvre pendant les colonisations ont eu des effets
dévastateurs sur les peuples colonisés, sur leur manière d’appréhender le soi. Face à un droit
international totalement exogène, les gouvernants des États nouvellement indépendants ont
cherché à s’émanciper de l’emprise européenne en cherchant à revaloriser l’héritage précolonial
par la proclamation d’une identité culturelle, sociale et politique propre, distincte de celle des
anciennes puissances coloniales.

Ce mouvement de revendication pour la reconnaissance des identités culturelles après les


décolonisations a eu des répercussions à l’échelle globale et a compté avec la participation
d’éminentes figures africaines et panafricanistes venues représenter les intérêts d’un peuple très
souvent stigmatisé. Mais dans un contexte de guerre froide, avec la division du monde en deux
pôles, l’affirmation de particularismes socio-politiques était très fortement compromise pour
les pays venant de conquérir leur indépendance et avec une majorité d’entre eux notamment en
Afrique encore sur l’emprise de la colonisation. Le point d’ordre se trouvait donc dans la
nécessité de se démarquer des conflits Est/Ouest de la guerre froide pour pouvoir imposer son
identité. C’est dans ce cadre qu’ont eu lieu des rencontres internationales comme la conférence
de Bandung de 1955, organisée en Indonésie, sous l’impulsion du Premier ministre indien
Nehru, dans l’objectif de souder les vingt-neuf pays africains et asiatiques présents617 autour du
principe fondamental du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, par la lutte contre le
colonialisme, les politiques de ségrégation raciale, le sous-développement économique et la
stigmatisation culturelle.

616 JOUANNET Emmanuelle, Qu’est-ce qu’une société internationale juste ? Le droit international entre
développement et reconnaissance, op. cit., p. 155.
617 La Conférence de Bandung, tenue entre du 18 au 24 avril 1955, a compté avec la participation de délégués de
29 pays asiatiques et africains. D’Asie, étaient présents l'Afghanistan, la Birmanie, le Cambodge, la République
populaire de Chine, le Ceylan, l’Inde, l’Indonésie, le Japon, le Laos, le Népal, les Philippines, le Pakistan, la
Thaïlande, le Nord-Vietnam et le Sud-Vietnam. Du Moyen-Orient étaient présents la Turquie, le Yémen., l'Arabie
saoudite, la Syrie, le Liban, l'Iran, l'Iraq, la Jordanie. D’Afrique, étaient représentés l'Égypte, l'Éthiopie, la Côte de
l'Or (actuel Ghana), le Liberia, la Libye, le Soudan et la Somalie.

283
Placée sous le signe de l’unité, la conférence de Bandung a marqué l’entrée en scène du tiers
monde, expression employée pour désigner le non-alignement des jeunes États aux divisions
engendrées par la guerre froide. Cherchant à s’émanciper des puissances coloniales, les pays
présents lors de cette conférence ont affirmé leur refus d’être des instruments des rivalités qui
animaient les grandes puissances mondiales, dans une guerre à laquelle ils ne se sentaient pas
directement concernés. La reconnaissance des identités culturelles des peuples dominés passait
donc de prime abord par une reconnaissance de leur place dans la sphère globale.
L’indépendance politique et culturelle des peuples émancipés n’a cessé d’être arborée par une
classe qui parvenait désormais à se faire entendre à plus grande échelle. Ce pourquoi la
Conférence de Bandung n’est pas restée un évènement isolé dans le combat des peuples
africains pour proclamer, voire retrouver, leur identité.

Le 19 septembre 1956 à la Sorbonne, écrivains et artistes noirs se sont retrouvés dans une
rencontre sans précédent, organisée par la maison d’éditions Présence africaine pour
l’affirmation de la culture noire d’origine africaine. Sous le regard d’Alioune Diop, le premier
Congrès des écrivains et artistes noirs a réuni des intellectuels noirs venus d’Afrique, des
Amériques et des Caraïbes, parmi lesquels on trouve Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire,
Richard Whright et Frantz Fanon. Il y fut affirmé avec véhémence l’urgence de couper les
cordons avec les puissances coloniales et d’affirmer les aspects de la culture noire. Le caractère
anticolonial de cette rencontre a été posé par l’ensemble des intervenants, esprit marqué par
cette phrase du député maire de la Martinique, Aimé Césaire : « on ne peut pas poser
actuellement le problème de la culture noire, sans poser le problème du colonialisme, car toutes
les cultures noires se développent à l’heure actuelle dans ce conditionnement particulier qu’est
la situation coloniale ou semi-coloniale618 ».

Dans le contexte des indépendances, il était important de répéter le discours anticolonial et


prôner pour la revalorisation du patrimoine culturel africain, qui devrait servir de base aux
nouvelles institutions juridiques et politiques en cours d’installation dans les nouveaux et futurs
nouveaux États. C’est dans ce contexte que quatre-vingt-deux pays non-alignés d’Afrique,
d’Asie et de l’Amérique latine se sont réunis en 1966 lors de la Conférence tricontinentale de
La Havane, pour dénoncer, dans un ton révolutionnaire l’impérialisme culturel imposé par

618 Cité par DOUCOURE Samba, « Ce fameux jour où… s’est tenu le Congrès des écrivains et artistes noirs de
1956 », Article n° 13740, 2016, disponible sur http://africultures.com/ce-fameux-jour-ou-sest-tenu-le-congres-
des-ecrivains-et-artistes-noirs-de-1956-13740/

284
l’Occident619, proclamant le droit des peuples au développement et à la préservation de leur
patrimoine culturel.

Dans un contexte moins révolutionnaire, avec la plupart des pays africains ayant accédé à
l’indépendance, les États membres de l’OUA ont à leur tour fait un grand pas dans la
pérennisation des cultures africaines, contribuant ainsi aux revendications pour leur
reconnaissance au niveau international. L’adoption de la Charte culturelle de l’Afrique par la
Conférence des chefs d’État de l’OUA été l’une des démonstrations du désir des pays de
s’émanciper de l’impérialisme occidental, reconnaissant notamment dans son préambule que
« la domination, sur le plan culturel, a entraîné la dépersonnalisation d'une partie des peuples
africains, falsifié leur histoire, systématiquement dénigré et combattu les valeurs africaines,
tenté de remplacer progressivement et officiellement leurs langues par celle du colonisateur ».

Néanmoins, comme le constataient les défenseurs de la négritude déjà à l’époque, l’emprise des
puissances coloniales n’était jamais très loin, ce qui était visible – et l’est toujours – dans la
dépendance économique qui s’est établie dans les rapports Nord/Sud. « Tiraillés entre leur désir
de se moderniser et celui de retrouver leur identité620 », les pays du tiers monde réussissent très
mal à se faire une place véritable dans le prisme global, entraînant un changement de cap de la
quête de reconnaissance de l’identité culturelle en faveur d’une reconnaissance du droit à la
différence, du droit à voir ses valeurs culturelles reconnues et préservées. En effet, malgré la
proclamation de positions neutres dans le conflit entre les deux blocs de la guerre froide, les
nouveaux États tissaient de nombreux partenariats avec les puissances belliqueuses, avec d’un
côté des pays comme l’Afrique du Sud soutenue par les États-Unis et ceux ayant embrassé le
communisme, plus tournés vers la défense des intérêts de l’URSS621.

619 Le président Fidel Castro a particulièrement fustigé les États-Unis, qu’il considérait comme les « principaux
ennemis de la paix et du progrès », appelant les peuples révolutionnaires à « répondre à la violence de
l’impérialisme par la violence armée de la révolution ». Citations reproduites par BRIEUX Jean-Jacques, « La «
Tricontinentale » », Politique étrangère, n°1, 1966, pp. 24-25.
620 JOUANNET Emmanuelle, Qu’est-ce qu’une société internationale juste ? Le droit international entre
développement et reconnaissance, op. cit., p. 158.
621 N’DIMINA-MOUGALA Antoine-Denis, « Les manifestations de la guerre froide en Afrique centrale (1961-
1989) », Guerres mondiales et conflits contemporains, vol. 233, no. 1, 2009.

285
B. De l’indifférence à la tolérance des identités culturelles

A la fin des années 1960, les questions relatives aux revendications culturelles étaient certes
importantes, mais ne monopolisaient pas l’ensemble de la vie politique, plus centrée sur le
nécessaire développement économique et social des nouveaux États. Le désir de modernité et
de trouver une place reconnue au sein de la société internationale devient, au moment des
indépendances, bien plus présent que celui de se charger des dégâts culturels et identitaires
causés par la colonisation. Ce désir de modernité que les nouveaux dirigeants cherchaient dans
le développement économique explique notamment l’attachement des autorités africaines pour
le maintien des frontières héritées de la colonisation afin de pouvoir tirer les profits des
richesses naturelles, au grand dam des aspects culturels. Les discours en faveur d’une coupure
totale avec la culture du colonisateur deviennent alors plus souples dans le sens d’un métissage
des cultures traditionnelles africaines avec celles plus modernes léguées par l’expérience
coloniale622. Le ralliement général des dirigeants des pays du tiers monde aux idéologies
libérales et socialistes qui s’opposaient pendant la guerre froide a eu des répercussions non
seulement dans les choix politiques et économiques des États. Mais aussi au niveau des droits
de l’homme par l’adhésion des pays africains, autrefois réfractaires à l’idée d’universalité des
droits, au discours universaliste des droits de l’homme avec la signature de la Proclamation de
Téhéran en 1968 et de la Résolution 32/130 du 16 décembre 1977, déclarant la portée et la
valeur universelle de la DUDH et préconisant des méthodes pour rendre la protection des droits
de l’homme plus effective.

Malgré un discours initial après les indépendances en faveur d’une reconnaissance du


patrimoine culturel des territoires dominés, dans le contexte de guerre froide les questions
culturelles ont finalement été délaissées au profit d’une modernité jugée plus apte à permettre
l’insertion des nouvelles économies dans l’échelle internationale. En effet, face aux rivalités
entre les deux blocs, les revendications culturelles ne trouvaient pas de place pour se faire
entendre car elles pouvaient compromettre les idéologies majoritaires que chaque bloc essayait
d’imposer à ses pays alliés. D’où la répression dont ont été victimes plusieurs groupes
séparatistes comme cela a été le cas des groupes indépendantistes au Katanga en RDC ou encore
des groupes séparatistes de Cabinda en Angola, pour n’en citer que quelques exemples.

622 JOUANNET Emmanuelle, Qu’est-ce qu’une société internationale juste ? Le droit international entre
développement et reconnaissance, op. cit., p. 163.

286
Cette marginalisation s’est également fait sentir dans le cadre juridique avec l’adoption par les
États indépendants de systèmes juridiques importés d’Europe et même par l’adhésion à un
système international des droits de l’homme d’origine occidentale, prônant des valeurs
considérées universelles. Les traditions culturelles locales, jugées archaïques, ont été mises à
l’écart dans la construction de ce qu’on attendait être un nouveau modèle juridique et politique
soucieux des identités culturelles de chaque peuple. En Afrique, la marginalisation des cultures
locales a eu un peu partout sur le continent des répercussions désastreuses, entraînant des
conflits sanglants entre peuples, favorisés par une instrumentalisation de l’opinion publique et
une stigmatisation institutionnelle de certains groupes ethniques et religieux. Des conflits
génocidaires comme celui qu’a connu le Rwanda en sont l’une des plus tristes conséquences.

Instrumentalisées par les politiques nationalistes et par les clivages Est/Ouest de la guerre froide
et marginalisées par les processus de mondialisation, les questions culturelles ont connu une
nouvelle émergence à la fin de la guerre froide, avec une prise de conscience quasi généralisée
des populations dont les cultures ont été stigmatisées en quête de reconnaissance de leurs
identités sociales, culturelles et religieuses. La chute du mur de Berlin en 1989 marque un
tournant décisif dans la tournure qu’ont pris les exigences des peuples décolonisés en matière
de reconnaissance des identités culturelles. Longtemps marginalisée par la communauté
internationale et par les autorités nationales elles-mêmes, les questions culturelles se montrent
être un aspect incontournable de la vie sociale, politique et économique d’un pays.

Le réveil des identités culturelles post-guerre froide a donné lieu à des nouvelles revendications
sur le plan international pour une reconnaissance juridique non plus seulement de l’égalité des
différents États et des cultures qui le composent, mais plus encore pour la reconnaissance de la
singularité de l’identité culturelle de chaque peuple et le respect du droit à la différence et du
droit à préserver son identité culturelle623. Mais l’ère de la mondialisation de l’économie, des
connaissances et des instruments politiques n’est pas tout à fait favorable à une véritable prise
en compte des particularismes culturels dans l’élaboration des normes des droits de l’homme624.
L’internationalisation des règles des droits de l’homme est devenue une donnée évidente. Elle
contribue non seulement à son caractère universel mais aussi à la sécurisation des marchés
internationaux et à la vision économique libérale prônée par les puissances occidentales. Les

623 Idem., JOUANNET Emmanuelle, Qu’est-ce qu’une société internationale juste ? Le droit international entre
développement et reconnaissance, op. cit., p. 172.
624 Sur le lien existant entre le phénomène de globalisation et l’universalisation des droits de l’homme voir
JOUANNET Emmanuelle, « Universalism and imperialism : the true-false paradox of international law ? », The
European Journal of International Law, vol. 18, n° 3, 2007, pp. 394 et s.

287
attentats du 11 septembre 2001 ont particulièrement menacé le système de mondialisation,
confortant les positions impérialistes d’une culture occidentale menacée par ce qui a avant tout
été perçu comme une attaque à un système de valeurs, celui prôné par les cultures occidentales.
Dans ce contexte, comme le note Emmanuelle Jouannet, le développement des cultures propres
à chaque société ou communauté a été fortement sapé625.

Comme le souligne Boaventura de Sousa Santos, la globalisation est avant tout l’extension d’un
phénomène local à une échelle globale626. Ainsi, dans la globalisation du monde sur tous les
angles, il n’est pas possible de nier, sans tendre vers un discours hégémonique, l’existence de
spécificités locales enracinées dans des contextes culturels spécifiques. L’auteur nous propose
alors une vison plurielle des processus de globalisation, plus à même de prendre en compte la
multitude de phénomènes locaux qui forment la globalité. Cette vision passe par la prise en
compte des différences culturelles dans le processus de formation des règles relatives aux droits
de l’homme, sans pour autant tomber dans le piège de devoir choisir entre une vision
universaliste ou relativiste des droits de l’homme627. Au stade où nous sommes, au niveau
global il serait effectivement irréaliste de vouloir primer pour une vision strictement relativiste
des droits de l’homme, qui ne prendrait pas en compte des préoccupations devenues globales
concernant la protection de droits fondamentaux, comme c’est le cas de l’importance de
protéger l’intégrité physique et morale de l’être humain. Mais il n’est plus acceptable non plus
de continuer à donner une légitimité universelle à un modèle de protection des droits de
l’homme fondé sur une culture dominante, fortement marquée par des invectives impérialistes.
Il faut trouver un moyen, comme le proposent plusieurs auteurs, d’enrichir, à différentes
échelles, ce que constitue actuellement les normes des droits de l’homme par des conceptions
et des pratiques locales et régionales. Cet exercice exige un important travail de
reconceptualisation mais surtout de contextualisation normative en vue de rendre l’application
des droits de l’homme plus adaptée à chaque société. Autrement dit, afin de permettre à
l’homme, pris individuellement et collectivement, de s’associer à la construction de ses propres
droits et de s’identifier aux droits qui lui sont octroyés.

625 JOUANNET Emmanuelle, Qu’est-ce qu’une société internationale juste ? Le droit international entre
développement et reconnaissance, op. cit., p. 176.
626 Selon l’auteur, la globalisation « c’est le processus par lequel une condition ou une entité locale donnée réussi
à étendre sa portée à travers le globe et, ce faisant, développe la capacité à désigner comme locale une condition
ou une entité sociale rivale ». SANTOS Boaventura de Sousa, « Vers une conception multiculturelle des droits de
l’homme », Droit et société, n° 35, 1997, p. 82.
627 SANTOS Boaventura, idem., op. cit., pp. 84-88.

288
C. Le dépassement de la dichotomie “universalisme-relativisme” dans la théorie des
droits de l’homme

On a vu plus haut que la doctrine se penche de plus en plus pour le dépassement de la dichotomie
éternelle de l’universalisme ou du relativisme dans le débat sur les droits de l’homme. En effet,
il importe beaucoup plus de se soucier des véritables résultats que ces droits peuvent procurer
dans des situations concrètes que de se préoccuper des débats philosophiques autour de leur
valeur. Mais l’exemple du développement des droits de l’homme en Afrique permet justement
de voir à quel point il est important de prendre en compte les spécificités locales dans la
construction des règles des droits de l’homme afin de garantir son effectivité et efficacité.

Pour aller au-delà du débat sur la nature universelle ou relative des droits de l’homme, Michael
Goodhart propose de se centrer sur la nature variable et générale des droits de l’homme sans se
référer aux notions de relativité et d’universalité628. Selon lui, analyser les droits de l’homme
en utilisant ces deux notions renvoie à la question des fondements des droits de l’homme et de
leur légitimité dans les différents contextes socio-culturels. Or, considérer que ces droits puisent
leur légitimité universelle dans leur origine socio-historique n’est pas conforme aux principes
fondateurs de ces droits. Pour cette raison Goodhart propose qu’« au lieu de l'universalité
conceptuelle, nous devrions discuter de l'inclusivité d'un exposé des droits de l'homme et de
l'uniformité des droits qu'il prescrit. Au lieu de l'universalité fonctionnelle, nous pourrions
mettre l'accent sur la généralité des menaces auxquelles les droits de l'homme répondent. Au
lieu de l'universalité juridique internationale, nous devrions discuter de la variabilité de la
reconnaissance et de l'exécution (celles-ci peuvent varier selon plusieurs dimensions)629 ».

Pour Goodhart, il n’est pas nécessaire d’invoquer une supposée universalité des droits de
l’homme pour affirmer leur légitimité morale et politique. Celle-ci peut être déduite de plusieurs
facteurs, notamment de leur objectif qui est de protéger l’être humain de différents types de
menaces, de toute forme de domination et d’oppression qui peuvent être issues non seulement

628 GOODHART Michael, « Neither relative nor universal : a response to Donnelly », Human Rights Quarterly,
vol. 30, n° 1, 2008, p. 189.
629 Idem., p. 189. Traduction par nos soins : “Instead of conceptual universality we should discuss the
inclusiveness of an account of human rights and the uniformity of the rights it prescribes. Instead of functional
universality we might emphasize the generality of the threats to which human rights respond. Instead of legal
international universality we should discuss the variability of recognition and enforcement (these might vary
across several dimensions)”.

289
des États et des marchés capitalistes, mais aussi des menaces venant des « maris, parents,
officiels, propriétaires, et autorités religieuses et sociales630 ». En tant que mécanisme au
service des individus contre le pouvoir et de responsabilisation des détenteurs du pouvoir, selon
l’auteur, les droits de l’homme sont un instrument global, pouvant être utilisés par tous dans la
mesure où tous sont sujets à un moment ou à un autre à la domination et l’oppression.
Néanmoins, les droits de l’homme en tant qu’outils restent inaccessibles à certaines personnes,
faisant de ces droits une aspiration plus qu’une réalité morale631.

Par cette présentation de l’objectif globalement élargi des droits de l’homme, Goodhart tente
de mettre en relief un point fondamental dans les principes des droits de l’homme qui est leur
légitimité. Il pointe ainsi du doigt les détracteurs des théories universalistes qui très souvent,
selon lui, en mettant en avant le caractère hégémonique de ces théories remettent en cause la
légitimité des droits de l’homme. Cette position, aussi pertinente soit elle, ne permet pas
d’appréhender des aspects fondamentaux intrinsèques aux principes des droits de l’homme. Car
là où GOODHART considère que les droits de l’homme sont essentiels pour garantir le combat
contre la domination et l’oppression, pour la dignité et la justice sociale, un aspect important
reste oublié à savoir la vision dont dispose chaque société sur la nécessité de poursuivre ces
objectifs et les moyens de le faire. Nous sommes d’accord avec l’auteur lorsqu’il conclut que
pour « les défenseurs et peuples qui se battent pour la démocratie, la dignité humaine, et la
justice sociale, il importe peu si les droits de l’homme sont universels, métaphysiquement bien
fondés, ou autres. Ce qui importe c’est qu’ils soient utiles et disponibles à tous, qu’ils
accomplissement leur travail632 ».
Néanmoins, on ne peut pas ignorer que plusieurs de ces idéaux que tant de peuples recherchent
actuellement sont loin de faire l’unanimité dans toutes les sociétés. On ne peut pas non plus
oublier que plusieurs des principes qui sont actuellement prônés à une échelle globale pour la
protection des droits de l’homme sont fondés sur des besoins et des aspirations essentiellement
venus d’Europe et imposés en tant qu’aspirations universelles. D’autant plus qu’on sait qu’une
telle extension de ce « besoin ou aspiration » passe beaucoup par des actions de sensibilisation

630 GOODHART Michael, « Neither relative nor universal : a response to Donnelly », op. cit., p. 190.
631 Idem., p. 191.
632 Traduit par nos soins : “To advocates and people democracy, human dignity, and social justice, it really
doesn't much whether human rights are universal, metaphysically well-grounded, or whatever. It just mattes that
they are useful ans available to anyone, thet they get the job done”, GOODHART Michael, « Neither relative nor
universal : a response to Donnelly », op. cit., pp. 192-193,

290
qui ressemblent plus à des actions de « civilisation », comme cela a été le cas pendant les
périodes de domination coloniale.

En se focalisant sur la légitimité des droits de l’homme en raison de leur objectif 633, sans égard
aux considérations morales variables derrière ces droits, Goodhart met de côté un aspect, à notre
avis, fondamental dans la construction des droits de l’homme, dont dépendra fortement
l’efficacité de leur mise en application. Avec la globalisation, la généralisation des menaces à
l’intégrité de la personne humaine est un fait dans le monde d’aujourd’hui, mais les
revendications identitaires qui se font de plus en plus présentes montrent à quel point il est
important de trouver des solutions adaptées à chaque contexte social. Donnelly qui estime que
le débat de l’universalisme et le relativisme reste de mise, considère que les droits de l’homme
sont à la fois universels et relatifs. On peut ainsi dire avec lui que les droits de l’homme sont
« relativement universels634 », ou à notre sens les droits de l’homme sont relativement
universels ou encore des universels relatifs. Parler d’universalité relative permet de mettre
l’accent sur la nécessité d’adapter des droits considérés universels à chaque région pour qu’ils
soient plus effectifs.

Le débat sur les droits de l’homme ne doit pas se résumer à une compétition culturelle pour voir
laquelle est la plus humaine ou du moins plus acceptable que les autres. La reconnaissance des
différences culturelles doit primer sur la tolérance de ces différences. La jurisprudence a un rôle
fondamental à jouer dans ce processus d’adaptation culturelle des principes des droits de
l’homme. Car c’est par le juge que des progrès peuvent être faits dans l’adaptation des règles
relatives aux droits de l’homme aux réalités locales de chaque société, à l’échelle nationale,
régionale et même internationale. Pour cette raison il est important pour nous dans le présent
travail de faire un état des lieux non seulement du système normatif africain de protection des
droits de l’homme, mais aussi du système institutionnel chargé de sa mise en œuvre et de son
évolution.

633 Selon GOODHART, « Human rights are neither relative nor universal. They are legitimate because of their
global appeal. That is enough ». Traduit par nos soins : « les droits de l’homme ne sont ni relatifs ni universels.
Ils sont légitimes en raison de l’appel global. Cela est suffisant ». GOODHART Michael, « Neither relative nor
universal : a response to Donnelly », op. cit., p. 193.
634 DONNELLY utilise l’expression inverse pour dire que les droits de l’homme sont « relatively universal »
pour « résumer la série d'affirmations complexes selon lesquelles les droits de l'homme, selon les sens particuliers,
à la fois sont et ne sont pas universels et sont et ne sont pas relatifs ». Cf. DONNELLY Jack, « Both universal and
relative (a reply to GOODHART Michael) », Human Rights Quarterly, vol. 30, n° 1, 2008, p. 197.

291
CONCLUSION PARTIE II

La protection de la dignité de la personne humaine est une préoccupation présente dans toutes
les sociétés, mais se manifestant sous des normes différentes. En effet, chaque société
développe des mécanismes de protection de la dignité et de l’intégrité humaine en fonction des
valeurs qui sont les siennes, et des méthodes qu’elle estime les plus adaptées pour le faire. La
reconnaissance de cette diversité d’approches dans la prise en compte des droits fondamentaux
est à notre avis fondamentale pour assurer la formation de mécanismes nationaux, régionaux et
internationaux jouissant de la légitimité nécessaire et pouvant assurer l’effectivité de cette
protection.

Sur le continent africain, la culture orale dominante n’a pas permis de retranscrire les
principales règles établies avant la période coloniales, concernant la protection de la dignité et
de l’intégrité de l’individu. Mais, quelques récits ont pu être retranscrits et attestent aujourd’hui
de l’attention toute particulière qu’accordaient les autorités d’antan à la protection de l’individu.
La Charte de Kurukan Fuga est l’un de ces textes les plus connus en la matière. Adoptée dans
le courant du XIIIe siècle par le roi Mandé, la Charte de Kurukan Fuga est plus qu’un simple
édit royal. Elle est un véritable texte constitutionnel qui fixe les règles permettant à des peuples
de différentes ethnies de vivre dans un cadre pacifique. Dans ce cadre, le roi Mandé a trouvé
judicieux d’inclure au-delà des normes sur l’organisation sociale, des normes du bien vivre,
comme l’interdiction de violer l’intégrité physique d’autrui ou encore l’obligation d’entraide et
d’assistance ; des principes applicables en matière de mariage et l’obligation de respect envers
les femmes.

La Charte de Kurukan Fuga, aux côtés de textes comme les Lois du roi Mandume, figurent
parmi les véritables prémisses du système africain de protection des droits de l’homme. Sans
mentionner les droits de l’homme, en tant que notion forgée dans le contexte européen, ces
textes montrent à l’évidence que la conscience de la dignité de la personne humaine est une
réalité partagée par différentes sociétés. Cette conscience a inspiré l’adoption, après les
indépendances de textes fondamentaux pour assurer la protection des droits de l’homme sur le
continent. Tout d’abord mentionné dans la Charte de l’OUA, l’attachement des États à la
protection des droits de l’homme a été formalisé au niveau régional dans la Charte ADHP de
1981. Ce texte qui se revendique novateur dans la protection des droits fondamentaux, a été
suivi de plusieurs autres, dont les deux plus significatifs adoptés dans le cadre de la Charte sont
la Charte des droits et le bien-être de l’enfant, qui cherche à se démarquer de la CIDE en tant

292
qu’instrument tourné vers les réalités auxquelles sont confrontées les enfants sur le continent ;
et le Protocole à la Charte africaine des droits des femmes en Afrique. La dimension universelle
de cette protection est toutefois un aspect contesté dans la mesure où malgré une vision similaire
de l’importance de sauvegarder la dignité humaine, cette protection ne prend pas les mêmes
formes en fonction des sociétés.

La Charte africaine s’est voulu un texte innovateur, se différenciant de ses homologues au


niveau des international tout d’abord par la reconnaissance du caractère indissociable des droits
civils et politiques et des droits économiques, sociaux et culturels ; par l’accent placé sur les
devoirs des individus, en tant que corolaires des droits et enfin par la reconnaissance des droits
des peuples. Même si aucune de ces dispositions ne constitue véritablement une innovation au
niveau international ou régional, il est vrai que dans le contexte de son adoption, le choix de
mettre l’accent sur ces points est un acte de bravoure et surtout une forme de libération de
l’emprise de l’histoire coloniale. Cette libération reste tout de même partielle parce que les
droits traditionnels (voire même les droits coutumiers) ont été les grands oubliés de la Charte.
On dénote à ce sujet l’absence de référence textuelle aux droits traditionnels et le choix pour
une formule des plus vagues à savoir « vertus des traditions historiques et des valeurs de
civilisation africaine » (préambule). Entre une reconnaissance très mitigée des valeurs
culturelles et historiques des civilisations africaines et l’absence de mention des valeurs
juridiques historiques, la Charte laisse beaucoup à désirer en matière de prise en compte des
réalités culturelles. Pourtant, cette prise en compte est encouragée par divers textes
internationaux qui proclament l’universalité des droits de l’homme635.

Il est toutefois incorrect de ne faire que des reproches à ce texte qui, sous certains points, a
visiblement, pris en compte les réalités africains en proclamant les devoirs aux côtés des droits
des individus et en intégrant dans son corps des droits dirigés aux peuples. L’introduction des
devoirs dans la Charte ne fait pas l’unanimité au sein de la doctrine, mais elle permet de
reconnaître dans une certaine mesure le caractère éminemment communautaire des sociétés
africaines, nous rappelant en ce sens de la Charte du Kurukan Fuga lorsqu’elle prescrit des
devoirs d’assistance et de respect mutuels.

En ce qui concerne les droits des peuples, leur introduction dans la Charte est des plus louables
au regard de la diversité sociale des pays africains. La Conférence de Berlin de 1885 a établi un
partage géométrique des territoires africains, laissant plusieurs communautés sans repères

635
Voir par exemple le §5 de la Déclaration et programme d’action de Vienne, du 12 juillet 1993.

293
culturels, éloignées de leurs espaces naturels. Et le principe de l’uti possidetis ius proclamé par
l’OUA est venu entériner ce dépaysement culturel imposé des siècles plus tôt. La proclamation
des droits des peuples devient ainsi une manière pour les peuples de réclamer leurs droits
ancestraux, en particulier ceux liés à l’occupation des terres et à la gestion des ressources
naturels. Ces problématiques qui touchent plusieurs communautés autochtones ont été
reconnues comme des véritables questions liées aux droits des peuples par la Commission
ADHP636, malgré un choix manifeste de la Charte pour la dimension étatique de la notion des
droits des peuples637. Par sa jurisprudence, de plus en plus souple, la Commission fait ainsi
entrer les peuples africains dans la catégorie des personnes juridiques au niveau régional. Les
communautés traditionnellement formées peuvent désormais se revendiquer des sujets de droit
régional, au même titre que les États et les individus.

Les rédacteurs de la Charte ont ainsi opté pour un compromis pour le moins très équilibriste,
entre les valeurs modernes prônées par les théories des droits de l’homme et les valeurs
culturelles propres aux sociétés africaines. Cet est équilibre est très louable, mais dans
l’ensemble, l’esprit de la Charte reste très attaché aux valeurs de l’universalisme juridique, sans
laisser une place véritable à la reconnaissance des identités culturelles. Pourtant, la
reconnaissance des identités culturelles et la reconnaissance du droit à la différence culturelle
est depuis bien longtemps une aspiration des peuples africains, en particulier des pères
fondateurs de l’Organisation régionale, très attachés aux valeurs panafricanistes.

636
Voir en ce sens les décisions de la Commission relatives aux peuples ogonis, endorois, nubiens et négro-
mauritaniens.
637
OUGUERGOUZ Fatsah, La Charte Africaine des droits de l’homme et des Peuples : une approche juridique
des droits de l’Homme entre tradition et modernité, Paris, Presses Universitaires de France, 1993.

294
CONCLUSION GENERALE

Beaucoup d’espoirs et plusieurs atteintes ont placées dans la Charte africaine en tant que texte
continental sur les droits fondamentaux. Pour les adeptes du panafricanisme, avoir une
convention propre à l’Afrique proclamant des droits pour tous les citoyens sur le continent
constitue sans ombre de doute l’une des plus grandes réalisations du continent. Néanmoins, si
la Charte n’est pas vouée à s’appliquer uniquement à l’homme africain, peut-on tout du moins
dire qu’elle reflète la pensée et les réalités des africains ? Telle a été la question posée par ce
travail à laquelle nous avons essayé de répondre par les différents développements contextuels
sur les prémisses des droits africains à l’époque précoloniale, jusqu’aux transformations que
ces droits ont subi au cours de l’histoire coloniale et l’influence que ces transformations ont eu
après les indépendances, notamment dans la rédaction de la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples.

L’adoption de la Charte apporte une lueur d’espoir à tous ceux désireux de voir évoluer ce
mécanisme régional, dont l’objectif majeur est de protéger les individus contre l’État. Mais dans
le cadre culturel du continent l’idée de protection de l’individu contre l’État n’est pas perçue de
la même manière que dans les sociétés occidentales. L’idée de droits fondamentaux n’est pas
inexistante dans les conceptions juridiques de l’Afrique traditionnelle, comme on l’a vu avec la
Charte de Kurukan Fuga et les Lois du roi Mandume. Mais leur formulation, leur portée et leur
exercice étaient différents à plusieurs égards.

N’ayant pas les mêmes rapports avec les autorités politiques, les droits reconnus aux individus
dans les sociétés traditionnelles africaines, n’étaient pas perçues comme des prérogatives contre
les autorités. Ils étaient vus comme des obligations de l’ensemble de la société qui avait la
responsabilité de garantir à tous ses membres le bien-être et l’épanouissement personnel de
chaque individu ainsi que le bien-être collectif des différents groupes. Les autorités temporelles
et spirituelles étaient chargées de veiller au respect de cet ordre social. La communauté, en tant
que sujet de droit privilégié était la véritable garante du respect des droits et devoirs de ses
membres. Si bien que lorsque des autorités allaient au-delà de leurs prérogatives ou n’étaient
pas en mesure d’honorer leurs responsabilités, celles-ci devraient répondre de leurs actes et
pouvaient se voir retirer le titre de chef.

295
Certes, pendant les périodes précoloniales les sociétés africaines disposaient d’organes chargés
de légitimer et de contrôler le pouvoir suprême des chefs. Mais la relation particulière
qu’entretenaient ces sociétés avec la sphère spirituelle servait de cadre aux relations entre les
détenteurs du pouvoir et les citoyens. Ces rapports qui se tissent dans le cadre de la
communauté, jouissent de la sécurité que celle-ci apporte à ses membres, en tant que détentrice
de la force vitale qui anime le groupe. Or, dans les sociétés européennes, les rapports entre
citoyens et gouvernants suivent une logique conflictuelle, de perpétuelle méfiance. Et non sans
raison, puisque l’histoire européenne regorge d’exemples où la confiance accordée aux autorités
politiques a été détournée en faveur d’intérêts personnels. L’Afrique précoloniale aussi n’est
pas étrangère à ces situations, mais les moyens choisis pour résoudre ces problématiques sont,
dans une certaine mesure, très différents638.

La proclamation des droits de l’homme fondés sur des rapports de méfiance et la conséquente
institutionnalisation des mécanismes de protection au niveau régional et sous-régional
apportent progressivement un changement de paradigme dans les rapports entre l’individu et
l’État. Alors que traditionnellement il existe une relation de révérence vis-à-vis des organes
détenteurs du pouvoir, la possibilité pour les individus de revendiquer leurs droits devant les
institutions régionales contribue à la libéralisation de l’imaginaire collectif. L’État perçu
auparavant comme irréprochable, fait désormais l’objet d’une remise en cause qui va au-delà
des simples revendications. La remise en cause passe de plus en plus par la justice régionale,
prompte à juger et sanctionner les États en cas de violations de ses obligations vis-à-vis des
citoyens. La proclamation des droits de l’homme partant du principe de l’universalité de ces
droits constitue une rupture avec des paradigmes sociaux, culturels et juridiques
traditionnellement existants sur le continent.

Face au choix délibéré pour l’une approche universaliste des droits de l’homme, nous ne
pourrions pas ne pas constater le lien de cause à effet entre la primauté des principes modernes
des droits de l’homme et l’érosion que cela entraîne sur des cultures juridiques traditionnelles.
En effet, les principes internationaux des droits de l’homme évoluent à une vitesse plus
importante que celle des réalités sociétaires en Afrique. Comme le souligne Agou AGBODJAN,
« les mouvements à l’échelle planétaire peuvent faire progresser plus vite les droits de l’homme
vers la reconnaissance de nouveaux droits davantage que les us et coutumes locaux qui s’arc-

638
HAGAN Georges, « Le concept de pouvoir dans la culture Akan », in AKINJOGBIN I. A., DIAGNE Pathé,
HAGAN George et al., op. cit., p. 70.

296
boutent sur des valeurs anciennes jugées plus constructives pour l’homme, individuellement et
collectivement. Ce décalage peut rendre particulièrement vive la confrontation du droit positif
et des traditions sociales qui régulent les comportements individuels639 ».

Il faut donc trouver un juste équilibre, qui est tout à fait possible dans un continent qui n’a pas
attendu le civilisationnisme Occidental pour bâtir ses propres modèles sociétaux. La
jurisprudence a un rôle très important à jouer dans ce processus puisque par l’interprétation que
les tribunaux font des textes internationaux sur les droits de l’homme, elles peuvent
contextualiser les droits et principes énoncés. Les juges nationaux et régionaux ont un rôle très
clé dans ce domaine, puisqu’il leur revient d’établir un équilibre salutaire entre les
revendications des deux approches. Une approche purement universaliste, résulterait à terme
dans l’anéantissement des juridicités traditionnelles, et plus largement des identités culturelles,
qui trouvent leur légitimité dans les pratiques sociales d’une bonne partie des populations. Mais
une approche très traditionnaliste aurait aussi comme résultat le mépris des principes de droit
international auxquels les États ont souverainement souscrit.

La jurisprudence anglophone est particulièrement riche dans le domaine et les tribunaux


coutumiers développent une activité très riche en matière d’application et de valorisation des
droits coutumiers640. Mais comme nous l’avons vu, les droits coutumiers, que les anglophones
désignent de droit coutumier vivant, appliqué par les juridictions coutumières modernes, est
déjà un droit transformé, presque dépouillé de ses sources traditionnelles. Victimes des
processus de codification entamés pendant les colonisations, les droits traditionnels ont été en
grande partie vidés de leur essence là où les colons estimaient qu’ils n’étaient pas assez
juridiques ou pas assez évolués pour se conformer aux principes constitutionnels en vigueur.
Le teste de répugnance qui subsiste dans la pratique judiciaire est la preuve que les autorités
modernes souhaitent de plus en plus se dégager des principes coutumiers jugés archaïques, au
profit de principes de la justice moderne, étatique et démocratique641.

L’application des juridicités africaines traditionnelles actuellement n’est pas seulement


compromise par les transformations institutionnelles qui les ont transformés. Mais aussi par le

639
AGBODJAN Séwa Agou, La juridictionnalisation des droits de l’homme à la faveur d’une intégration
économique, l’expérience de la CEDEAO, Université Paris II Panthéon-Assas, Thèse de doctorat en droit, sous la
direction de DECAUX Emmanuel, 2018, p. 175.
640
Voir à titre d’exemple la jurisprudence sud-africaine, kenyane et nigériane citée plus haut.
641
Voir Hasan c. Nathu Mwangi Transporters & Others, 1986, 1 K.A.R. 946, 954-955 (C.A. (Kenya).

297
contexte socio-culturel qui environne les sociétés africaines modernes. Dans le système
traditionnel, très axé sur des relations de confiance, les individus pouvaient faire confiance en
leur chef et à l’intervention ultime des ancêtres. L’avènement de la colonisation et l’aliénation
culturelle qu’elle a promu ont brisé ces liens, instaurant un climat de méfiance vis-à-vis du chef
tout d’abord, qui peut vendre des terres à des étrangers sans le consentement de la communauté
au mépris des règles traditionnelles ; et vis-à-vis des autres membres de la communauté en
général car les rôles et fonctions sociales se sont effrités par l’effet des processus
d’acculturation. Les relations contractuelles sont de plus en plus privilégiées dans des sociétés
où les relations statutaires traditionnelles n’ont plus le même poids d’autrefois. Il suffit de voir
qu’actuellement même si la dote constitue encore un élément important du mariage, et est même
considéré comme le véritable mariage dans plusieurs cultures, les couples cherchent de plus en
plus à s’unir civilement par un contrat qui n’engage que les conjoints individuellement,
contrairement au mariage traditionnel qui engage les deux familles642.

On constate en effet que de nos jours l’individu n’a plus les mêmes liens avec les différents
groupes sociaux auxquels il était traditionnellement attaché. Cela a des conséquences
importantes dans les rapports de droit au sein de chaque groupe mais aussi entre des personnes
de groupes différents. Mais l’affirmation de l’appartenance à un groupe spécifique demeure une
revendication présente, dont l’impact est non négligeable dans les rapports sociaux, politiques
et juridiques. Il suffit de voir comment dans plusieurs pays la présence au pouvoir d’un chef
d’État d’une certaine région ou groupe ethnique, entraîne des situations de favoritisme à l’égard
des membres de sa communauté et des traitements de représailles envers les autres.

Dans la recherche de la valorisation des cultures juridiques africains le rôle des juridictions
sous-régionales est particulièrement important car, par leur proximité géographique, ces
dernières sont plus à même de déceler les particularismes de chaque région, et d’apporter des
solutions adaptées à chaque situation qui elles-mêmes sont fonction des contextes particuliers
de chaque État communautaire. Si bien que les textes internationaux trouvent une application
juridictionnelle plus marquée dans les espaces sous-régionaux qu’au niveau régional ou
international, auprès des juridictions crées dans le cadre des textes régionaux et internationaux.
L’affaire Hadijatout c. Le Niger devant la Cour de justice de la CEDEAO est une preuve de

642
KOUASSIGAN Guy-Adjété, L’homme et la terre, droits fonciers coutumiers et droit de propriété en Afrique
occidentale, Paris, Éditions Berger-Levrault, 1966, p. 186 ; voir aussi dans le même sens Georges BALANDIER,
« Structures traditionnelles et changements économiques », in Cahiers d’études africaines, 1960 n°1.

298
l’importance pour une juridiction sous-régionale de connaître des questions relatives à des
problématiques locales643. Les institutions régionales ne restent pas moins importantes,
notamment au regard de la jurisprudence croissante de la Commission africaine en matière de
droits des peuples. Dans ces communications la Commission se montre de plus en plus
audacieuse, allant jusqu’à reconnaître la personnalité juridique des communautés autochtones
et acceptant de prendre en compte des droits de propriété collectifs traditionnels pour justifier
l’existence d’un droit de propriété collectif au profit des communautés autochtones 644. La
Commission suit les recommandations émises par le Groupe de travail, dont le rapport
remarquable fait état de violations persistantes des droits des peuples en Afrique, en particulier
à l’encontre de certaines communautés très stigmatisées comme les peuples Pygmées présents
dans les zones forestières des Grands Lacs ; les San de l’Afrique australe ; les Hadzabe de
Tanzanie et les Ogiek du Kenya645.

Le recours au droit international des droits de l’homme garde son utilité dans la protection des
droits fondamentaux. Il peut par exemple permettre la remise en cause de certaines pratiques
coutumières contraires à la dignité de la personne humaine. C’est le cas dans l’affaire Hadijatou
Koraou c. Niger, dans laquelle les juges ont été indirectement appelés à se prononcer sur une
pratique coutumière de concubinage qui s’apparente dans la pratique à une forme d’esclavage.
Or, dans cette affaire la Cour a condamné l’inertie des autorités étatiques face au cas précis de
la plaignante, mais n’est pas réellement allé au bout de sa démarche corrective. Elle n’a par
exemple pas profité de l’occasion pour se positionner de manière claire et ferme sur la pratique
d’esclavage. Cette pratique consiste en une transaction de nom « wahiya » qui permet à un
homme d’acquérir une jeune fille, généralement de condition servile, pour être à la fois sa
domestique et sa concubine. Le problème c’est que cette pratique ancienne, mélange entre
traditions locales et traditions islamiques, ne se limite pas à l’espace géographique du Niger.
Elle est aussi présente dans les régions environnantes. Il était donc important que la Cour se
prononce plus fermement sur la question. La position de la Cour n’a pas réellement permis de
condamner la pratique, que la Cour a eu du mal à classifier, mais bien plus la position des
autorités face aux démarches mises en place par la requérante pour y mettre fin.

643
Cour de justice de la CEDEAO, ECW/CCJ/JUD/06/08, Hadijatou Mani Koraou c. Niger du 27 octobre 2008.
644
CADHP, communication 276/03, Centre for minority rights development (Kenya) et Minority Rights group (au
nom d’Endorois wefare council) c. Kenya, du 25 novembre 2009.
645
Rapport du groupe de travail d’experts de la commission africaine des droits de l’homme et des peuples sur les
populations/communautés autochtones, présenté en vertu de la Résolution sur les droits des
populations/communautés autochtones en Afrique adoptée par La Commission Africaine des Droits de l’Homme
et des Peuples lors de sa 28ème session ordinaire, 2005.

299
La Charte africaine sur le point de vue normatif satisfait très partiellement aux aspirations
culturelles des peuples africains. En effet, la correlation entre les droits et les devoirs des
individus suit la logique des cultures juridiques anciennes, mais sa mise en œuvre reste difficile
si l’on n’identifie pas clairement le cadre de mise en œuvre des devoirs afin d’éviter qu’ils ne
deviennent une excuse pour justifier des abus des droits fondamentaux. D’autre part,
l’introduction des droits des peuples n’étant pas au départ véritablement tourné vers les
populations, mais plutôt vers les États, ne permet pas encore de dire que les communautés
africaines pourront jouir librement de leurs prérogatives collectives. Certes la jurisprudence de
la Commission africaine évolue beaucoup en la matière accordant une place de plus en plis
privilégiée aux communautés autochtones. Mais, non seulement sa jurisprudence en la matière
reste encore très limitée numériquement, mais surtout les peuples africains ne peuvent pas
encore bénéficier de l’ensemble des droits qui leur sont octroyés, au nom des principes de la
souveraineté nationale et de l’intégrité des frontières646.

On constate en effet que les communautés africaines cherchent de plus en plus à pouvoir
bénéficier des droits ancestraux, particulièrement en matière foncière où des nombreux conflits
se tissent entre particuliers et entre particuliers et l’État concernant la propriété de terres sur
lesquels plusieurs sont légitimes à invoquer des droits acquis par des procédés traditionnels,
mais que l’administration publique refuse de reconnaître la plupart du temps. Les mêmes
revendications pour une reconnaissance des droits ancestraux se fait en matière de jouissance
des droits culturels, notamment pour le droit d’exister de peuples qui sont aujourd’hui menacés
d’extinction, comme le peuple Hadzabe647 ; ou encore de peuples qui sont empêchés de
pratiquer leurs cultures par des politiques assimilationnistes modernes, qui ne font que nous
rappeler d’un passé sombre où le régime de l’indigénat régnait.

Aux questions conceptuelles que nous avons abordé tout au long de notre étude, restent pour
parler les questions institutionnelles qui font déjà l’objet de plusieurs études. Il est tout de même
important de mentionner l’influence majeur des rapports institutionnels dans l’acheminement
de la Charte vers une protection plus élargie, plus légitime et surtout plus efficace des droits de

646
CADHP, communication 75/92, Congrès du peuple katangais c. RDC, du 22 mars 1995.
Rapport du groupe de travail d’experts de la commission africaine des droits de l’homme et des peuples sur les
647

populations/communautés autochtones, op. cit. p. 25 ; voir aussi Barume, Albert Kwokwo. Heading Towards
Extinction? Indigenous Rights in Africa: The case of the Twa of the Kahuzi-Biega National Park, Democratic
Republic of Congo, The Forest Peoples Programme and IWGIA 2000.

300
l’homme. Or, sur ce point, plusieurs disfonctionnements au niveau procédural peuvent
empêcher le développement d’une véritable jurisprudence africaniste. D’une part, la
prééminence de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement et du Conseil des ministres
de l’UA dans la procédure et surtout dans la mise en œuvre des décisions de la Commission et
de la Cour ADHP ne facilitent pas la tâche de ces deux juridictions dans l’application de la
Charte648. La Commission doit souvent prendre des décisions avec beaucoup de pincettes pour
ne pas se heurter aux États, sous peine d’extinction, comme cela a été le cas du Tribunal de la
SADC donc les décisions contraires aux intérêts du gouvernement Zimbabwéen ont entraîné sa
suspension649.

D’autre part, au niveau du fonctionnement de la Cour ADHP, l’État des ratifications de la clause
de compétence prévue à l’article 34-6 du Protocole portant sur sa création ne facilite pas
l’activité de la Cour à la fois en matière de protection des droits individuels et plus encore dans
la protection des droits des peuples650. Donc, en plus d’une refonte des fondements des droits
de l’homme en Afrique, pour la création d’une véritable théorie africaine des droits de l’homme,
il faudrait envisager une refonte institutionnelle et procédurale afin d’assurer que l’efficacité du
mécanisme africain de protection de la dignité de la personne humaine. Ce d’autant plus que le
projet de création de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme avance651, et qu’il est
même envisagé la mise en place d’une Cour mondiale des droits de l’homme652.

648
BOUKONGOU J.D., « Les autorités nationales en Afrique centrale », in J.F. Flauss et LAMBERT
ABDELGAWAD E. (dir.), L’application de la Charte africaine des droits de l’homme et des peules, Bruylant,
2005, p. 155.
649
Voir Voir Communiqué du 30e Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de la SADC, Windhoek, Namibia,
16-17 août 2010 ; Communiqué final du Sommet extraordinaire des Chefs d’Etat, 2011 ; et Communiqué final du
32e Sommet des Chefs d’Etat, Maputo, Mozambique, 18 août 2012 ; NALDI Gino J., “Mike Campbell (Pvt) Ltd
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Journal of African Law, vol. 53, n° 2, 2009; CHIGARA Ben, « What Should a Re-constituted Southern African
Development Community (SADC) Tribunal Be Mindful of to Succeed? ».
650
Voir en ce sens : OLINGA Alain Didier, « La première décision de la Cour africaine des droits de l’homme et
des peuples », La Revue des droits de l’homme, 6, 2014 ; CHAZOURNES Laurence Boisson et MBENGUE
Makane Moïse, « Article 34 : Ratification », in KAMTO Maurice (Dir.), La Charte africaine des droits de l’homme
et des peuples et le Protocole y relatif portant création de la Cour africaine des droits de l’homme, commentaire
article par article, Bruxelles, Bruylant, 2011 ; Dan JUMA, “Access to the African Court on Human and Peoples’
Rights: A Case of the Poacher turned Gamekeeper”, Essex Human Rights Review, Vol. 4 No. 2 September 2007.
651
Décision sur la fusion de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples et de la Cour de justice de
l’Union africaine, Assembly/AU/Dec. 83 (V), adoptée à la cinquième session ordinaire à Syrte, Libye, 4-5 juillet
2005.
652
Ce projet qui date des années 1940 a resurgit dans les dernières décennies, notamment sous l’impulsion du
Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme (Commission des droits de l‘homme, Projet de résolution
présenté par le Délégué de l’Australie en vue de la création d’un Tribunal international des droits de l’homme,
E/CN.4/15, 5 février 1947 ; Human rights Council, Advisory Committee, Report of the Advisory Committee on its
eleventh session, Geneva 12-16 August 2013, Rapport Obiara Chinedu Okafor, A/HRC/AC/11/2, Annex II). Pour
plus de développements sur la Cour mondiale des droits de l’homme voir : SOGNIGBE SANGBANA Muriel, La
sanction internationale de la violation des droits de l’homme, Paris, Pedone, 2018, pp. 291-306.

301
Dire que toutes les sociétés luttent pour la promotion de la dignité de l’individu en tant qu’être
humain ne signifie pas que les droits humains sont totalement respectés dans toutes les sociétés.
Le concept de droits humains représente un idéal dont aucune société n’a pas encore réussi à
atteindre dans la totalité653. Il est toutefois important dans cette quête de s’ouvrir à l’autre en
vue de la création de droits fondamentaux « pluriversels », afin d’assurer une véritable
protection universelle des droits de l’homme. Cette protection sera universelle non pas en raison
d’attributs innés de la personne humaine. Mais le car elle permettra à tous de voir sa dignité
assurée, et à chacun de se retrouver dans le système juridique qui l’entoure.

DENG Francis M., “Human rights in the African context”, in Kwasi WIREDU (dir.), A companion to African
653

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DOCUMENTS OFFICIELS

Textes internationaux

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a) Traités et déclarations
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Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels, annexé à la Rés. A.G.
2200 A (XXI) du 16 décembre 1966.

Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques, annexé à la Rés. A.G. 2200 A (XXI)
du 16 décembre 1966.

Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de


leur élimination du 22 mars 1989.

Traité portant sur la convention relative aux droits de l’enfant, A/RES/44/25 du 20 novembre
1989.

Déclaration et programme d’action de Vienne, A/CONF.157/23, 12 juillet 1993.

Déclaration de l’ONU sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou
ethniques, religieuses ou linguistiques. Recommandation E/CN.4/Sub.2/AC.5/2000/WP. 3, 18
mai 2000.

Déclaration sur la diversité culturelle de l’UNESCO du 2 novembre 2001.

336
b) Résolutions

Résolution 260 A (III) de l’Assemblée générale des Nations Unies du 9 décembre 1948.

Résolution 2106 A(XX) de l’Assemblée générale des Nations Unies du 21 décembre 1965.

Résolution 3068 (XXVIII) de l’Assemblée générale des Nations Unies du 30 novembre 1973.

Résolution 32/130, déclarant la portée et la valeur universelle de la DUDH et préconisant des


méthodes pour rendre la protection des droits de l’homme plus effective, du 16 décembre 1977.

Conseil de l’Europe

Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales,


Rome, 4 novembre 1950.

Organisation des États américains

Déclaration Américaine des Droits et Devoirs de l’Homme, Bogota (Colombie), mai 1948.

Convention Américaine relative aux Droits de l’Homme, San José de Costa Rica, 22 novembre
1969.

Organisation de l’unité africaine / Union africaine

a) Traités et déclarations
Déclaration de Lagos du 7 janvier 1962.

Charte constitutive de l’Organisation de l’Unité Africaine, Addis Abeba (Ethiopie), 25 mai


1963.

O.U.A. Rés. AHG/Déc. 115 (XVI) Rév. I, Monrovia (Libéria), juillet 1979.

Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (original français), Nairobi, O.U.A.
Doc. CAB/LEG/67/3/Rév.5, 27 juin 1981

Charte Africaine des Droits et du Bien-être de l’Enfant, Addis-Abéba, O.U.A. Doc.


CAB/LEG/153/Rev.2, juillet 1990.

337
Convention de Bamako sur l’interdiction d’importer en Afrique des déchets dangereux et sur le
contrôle des mouvements transfrontaliers et la gestion des déchets dangereux produits en
Afrique, 30 janvier 1991.

Déclaration de Dakar de novembre 1994.

Protocole relatif à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, 9 juin 1998.

Acte constitutif de l’Union africaine, Lomé, 12 juillet 2000.

Déclaration de Kigali, 8 mai 2003

Charte africaine de la démocratie, mai 2004

Protocole additionnel relatif aux droits de la femme, 25 novembre 2005

b) Résolutions et rapports

Résolution 16 de l’OUA proclamant le respect des frontières héritées de la colonisation, de


1964.

Résolution du Caire intitulée « Litiges entre États africains au sujet des frontières », de 1964.

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Rapport sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », Annales de la faculté de droit et des
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Rapport du Rapporteur, CAB/LEG/67/3 draft Rapt. (11), juin 1980.

Rapport du rapporteur, Banjul, 9-15 juin 1980, O.U.A. Doc. CAB/LEG/67/3/Draft/Rapt. Rpt.
(II).

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ordinaire, 2001.

Rapport du Groupe de travail d’experts de la Commission africaine des droits de l’homme et


des peuples sur les populations/communautés autochtones, présenté en vertu de la résolution
sur les droits des populations/communautés autochtones en Afrique, adoptée par la Commission
africaine des droits de l’homme et des peuples lors de sa 28e session ordinaire, Banjul, 2003.

Quinzième rapport annuel d’activités de la Commission africaine des droits de l’homme et des
peuples, 2001-2002, Banjul, 2003.

Rapport du groupe de travail d’experts de la commission africaine des droits de l’homme et des
peuples sur les populations/communautés autochtones, présenté en vertu de la « Résolution sur
les droits des populations/communautés autochtones en Afrique » adoptée par La Commission
Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples lors de sa 28ème session ordinaire, 2005.

Rapport du groupe de travail d’experts de la commission africaine des droits de l’homme et des
peuples sur les populations/communautés autochtones, présenté en vertu de la Résolution sur
les droits des populations/communautés autochtones en Afrique adoptée par La Commission
Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples lors de sa 28ème session ordinaire, 2005.

Rapport de la réunion d’experts sur le Programme frontière de l’Union africaine, Bamako, Mali,
mars 2007.

Rapport de la Commission internationale d’enquête sur les déchets toxiques déversés dans le
district d’Abidjan, 2007.

Textes normatifs internes

Burkina Faso

Décret 326/PRES/IS/DI du 28/07/1964 Journal officiel de la République de Haute Volta du


30/07/1964.

339
Décret no 83-299/CNR/PRES.IS du 30/12/1983 JORHV du 12/01/1984.

Loi n° 33-2012/NA du 11 juin 2012 portant sur la révision de la Constitution.

Kenya
Judicature Act de 1967.

Niger

Loi nigérienne du 16 mars 1962, fixant l'organisation et la compétence des juridictions de la


République du Niger.

Sénégal

Ordonnance n° 60-56 M.J. du 19 novembre 1960 fixant l’organisation judiciaire dans la


République du Sénégal ainsi que les principes fondamentaux applicables aux litiges de droit
privé.

Tchad

Loi n° 001/PR/99 du 11 janvier 1999, portant gestion des revenus du pétrole, allouant 5% des
revenus tirés de l’exploitation du pétrole du bassin de Doba aux communautés locales.

Jurisprudence internationale

a) Cour internationale de Justice

CIJ, affaire relative au Timor oriental (Portugal c. Australie), du 30 juin 1995.

b) Commission africaine ADHP

CADHP, communication 75/92, Congrès du peuple katangais c. RDC, du 22 mars 1995.

CADHP, communication 74/92, CNDHL c/ Tchad, 11 octobre 1995.

CADHP, communication 212/98, Amnesty International c. Zambie, 5 mai 1999.

340
CADHP, communications 105/93, 128/94, 130/94 et 152/96, Media Rights Agenda and
Constitutional Rights Project c. Nigeria, 31 octobre 1998.

CADHP, communications 48/90, 50/91, 52/91, 89/93, Amnesty International et autres c.


Soudan, 15 novembre 1999.

CADHP communications 54/91-61/91-96/93-98/93-164/97_196/97-210/98, Malawi African


Association, Amnesty International, Ms Sarr Diop, Union interafricaine des droits de l'Homme
and RADDHO, Collectif des veuves et ayants-Droit, Association mauritanienne des droits de
l'Homme c. Mauritanie, du 11 mai 2000.

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Center for Economic and Social Rights (CESR) / Nigeria du 27 octobre 2001 et 338/07, Socio-
Economic Rights and Accountability Project (SERAP) c Nigéria du 24 novembre 2010.

c) Cour de justice de la CEDEAO

Cour de justice de la CEDEAO, ECW/CCJ/JUD/06/08, Hadijatou Mani Koraou c. Niger du 27


octobre 2008.

Cour de justice de la CEDEAO, ECW/CCJ/JUG/16/15, CDP et autres c. État du Burkina, du


13 juillet 2015.

d) Cour ADHP

Cour ADHP, 001/11_SO_JM, Femi Falana c. Union Africaine, 26 juin 2012.

341
Jurisprudence interne

Afrique du Sud

Cour suprême, Lewis v. Ankole, NLR, 81, 1908.

Apellate Division, Van Breda and Others v Jacobs and Others, 1921.

Cour supreme d’appel, Bereng Griffith v. Mantsebo Seeiso Griffith, 53 HCTLR 50, 1926.

Cour suprême d’appel, Mdumane c. Mtshakule de 1948.

Cour d’appel, Otino v. Ougo & Others de 1987.

Cour suprême d’appel, Mthembu v. Litesela de 2000.

Cour constitutionnelle, Shilubana and Others v. Nwamitwa and Other, SA 66, 2009.

Cour suprême, Malataliana Moromoli v. Louis K. Ramokhitli et 2 autres, CIV/APN/431/2011,


2012.

Burkina-Faso

Cour suprême du 11/07/1995, Udesc/ Comoé c. Haut-Commissaire de la province de la Comoé.

Côte-d’Ivoire

Cour d’appel d’Abidjan, arrêt du 9 février 1953.

Ghana

Privy Council, affaire Angu vs. Attah de 1916.

Affaire Addy v. Addy, Land Court (Accra, Aug. 2, 1952) et Golightly v. Ashrifi, 14 Sel. Judg.
Ct. App. W. Afr. 676 (Gold Coast 1955).

Kenya

Cour d’appel, R. v. Amkeyo de 1917.

Cour d’appel, Omwoyo Mairura v. Bosire Angide 6 C.R.R 4, 1958.

342
Leshoto

High-Court, Manthabeleng Makara v. Makoetla Makara & 3 Autres de 2012.

Rhodésie

Cour suprême, 6 NLR 29 Chitambala v. R., de 1957.

Tanzanie

High Court, affaire Gwao bin Kilimo v. Kisuda bin Ifuta de 1938.

Textes de la période coloniale

France

Loi du 24 avril 1833, accordant un statut civil à toute personne née libre ou ayant acquis la
liberté

Décret du 20 mai 1857 reconnaissant le statut personnel musulman, régi par la loi coranique
pour les peuples sénégalais.

Décret du 30 septembre 1887, modifié par décret du 2 juin 1889, instaurant l’indigénat au
Sénégal.

Décret du 13 novembre 1899, instaurant l’indigénat à Madagascar.

Décret du 4 février 1904, portant réorganisation de la justice dans le territoire de la cote


française des somalis.

Décret du 21 novembre 1904, instaurant l’indigénat dans toute l’AOF.

Décret du 10 novembre 1903 pour les peuples de l’Afrique orientale française.

Décret du 12 mai 1910 pour les peules de l’Afrique équatoriale française.

Décret du 31 mai 1910, instaurant l’indigénat dans l’AEF.

Décret du 19/7/1912, promulgué le 20/8/1912, rendant applicable à la CFS le décret du


30/9/1887.

Décret du 16 août 1912 portant réorganisation de la justice indigène en AOF.

343
Portugal

Décret du 14 décembre 1854.

Décret du 1er décembre 1869.

Loi du 20 avril 1911, portant sur la séparation de l’État et l’église catholique.

Loi n° 277 du 15 août 1914, portant sur la codification des us et coutumes des indigènes.

Décret n° 951 du 14 octobre 1914.

Decreto n° 12.533, de 23 de outubro de 1926, Estatuto político, civil e criminal dos indígenas
de Angola e Moçambique.

Décret n° 13.698, du 30 novembre 1927, Estatuto político, civil e criminal dos indígenas pour
la Guinée-Bissau.

Décret n°16.474, du 6 février 1929, Diploma Orgânico das Relações de Direito Privado entre
Indígenas e não Indígenas.

Loi n° 2016 du 29 mai 1946, portant sur l’exclusion l’Inde, les colonies de Macao et Cap Vert
du régime de l’indigénat.

Décret n° 39.666, du 20 mai 1954, portant statut des indigènes portugais des provinces de la
Guinée, Angola et Mozambique.

Décret-Loi n° 43893 du 6 septembre 1961, portant sur l’abrogation définitive de l’indigénat.

344
TABLE DES MATIERES

LISTE DES ABREVIATIONS ...................................................................................................... 5

SOMMAIRE ................................................................................................................................. 6

INTRODUCTION ......................................................................................................................... 7

§1. Des juridicités fondées sur la sacralité du pouvoir politique ............................................. 12

A. L’origine sacrée du pouvoir politique en Afrique subsaharienne précoloniale ..................... 12

1. La nature mythique du pouvoir politique .......................................................................... 13

2. La symbolisation du pouvoir politique .............................................................................. 18

B. Le pouvoir juridique étendu des autorités traditionnelles ..................................................... 22

1. Le pouvoir normatif des autorités traditionnelles .............................................................. 23

2. La limitation du pouvoir des chefs traditionnels ............................................................... 27

§2. Quelques difficultés terminologiques dans l’étude des droits traditionnels africains ....... 32

A. Les périls de l’uniformisation terminologique ...................................................................... 32

B. L’adaptation du discours juridique en Afrique ...................................................................... 35

§3. Méthode de travail : l’interdisciplinarité comme méthode de contextualisation ............... 38

§4. Problématique de la recherche........................................................................................... 42

PREMIÈRE PARTIE. LE PHENOMENE JURIDIQUE EN AFRIQUE : DES JURIDICITES


BAFOUEES PAR L’INFLUENCE COLONIALE...................................................................... 46

TITRE I : LES PREMISSES DU PHENOMENE JURIDIQUE EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE


PRECOLONIALE ................................................................................................................... 48

CHAPITRE I : Les particularismes des systèmes juridiques en Afrique subsaharienne............... 49

SECTION I. Le fondement mythique des cultures juridiques négro-africaines ........................ 49

§1. Le mythe créateur au centre de la cosmogonie africaine................................................. 49

§2. Les ancêtres comme gardiens de l’ordre juridique .......................................................... 54

SECTION II. Des juridicités centrées sur la communauté ........................................................ 58

§1. La communauté en tant qu’entité juridique ..................................................................... 58

A. Les sociétés structurées autour du lignage ...................................................... 61

345
B. Les sociétés structurées autour des classes d’âge ............................................ 64

§2. La communauté en tant que dépositaire de la personnalité juridique de ses membres ... 66

CHAPITRE II : Remise en cause du caractère juridique des normativités africaines ................... 74

SECTION I. La négation du caractère juridique des normes africaines par des théories
eurocentristes ............................................................................................................................. 76

§1. Une vision stricte des phénomènes juridiques ................................................................. 76

A. Une définition formaliste du droit ................................................................... 76

B. La notion plus élargie de « juridicité » proposée par Étienne Le Roy............. 81

§2. La culture orale, motif de déclassement des droits africains ........................................... 83

SECTION II. Les droits africains relégués à une place secondaire ........................................... 87

§1. Les droits traditionnels assimilés à la morale .................................................................. 88

§2. Les droits traditionnels assimilés à la coutume ............................................................... 90

TITRE II : LA MARGINALISATION DES JURIDICITES AFRICAINES PENDANT ET APRES


LES COLONISATIONS ......................................................................................................... 97

CHAPITRE I : Le droit pris comme un outil civilisationnel ......................................................... 98

SECTION I. La subordination des institutions africaines à l’administration coloniale ............ 98

§1. La désacralisation du pouvoir des autorités traditionnelles ............................................. 98

§2. L’institution d’un système centralisé d’administration des colonies ............................. 102

A. L’exemple de l’administration coloniale française : le système d’administration


directe .................................................................................................................... 103

B. L’exemple de l’administration portugaise : le modèle d’administration centralisée


106

C. L’exemple de l’administration coloniale britannique : le système de l’indirect rule


108

SECTION II. Le droit traditionnel dénaturé par l’interaction avec les droits européens ........ 111

§1. Les mouvements de codification et la dilution des droits traditionnels......................... 112

§2. L’imposition d’un système juridique séparatiste et raciste dans les colonies................ 116

A. L’institution de l’indigénat dans les colonies françaises ............................... 117

B. L’indigénat dans les colonies portugaises ..................................................... 122

346
CHAPITRE II : La subordination des droits traditionnels au droit moderne après les
indépendances ............................................................................................................................. 127

SECTION I. L’avènement des indépendances et la rupture avec les traditions ...................... 128

§1. La méfiance des élites africaines vis-à-vis des autorités traditionnelles ....................... 128

A. La naissance de conflits idéologiques autour du rôle des autorités traditionnelles


129

B. Remise en cause de la légitimité du pouvoir traditionnel .............................. 131

§2. Les mouvements nationaux d’abolition du rôle des chefferies traditionnelles.............. 135

A. La création des chefferies administratives pendant la colonisation............... 135

B. Le démantèlement des chefferies après les indépendances ........................... 139

SECTION II. La proclamation constitutionnelle du droit coutumier ...................................... 142

§1. L’établissement d’un dualisme juridique inégalitaire ................................................... 143

A. Institutionnalisation du dualisme juridique ................................................... 144

B. Soumission du droit coutumier aux valeurs de l’État moderne ..................... 151

§2. Le rôle fondamental de la jurisprudence dans l’évolution du droit coutumier .............. 157

A. La reconnaissance du droit coutumier en tant que source primaire du droit . 157

B. La protection du caractère évolutif du droit coutumier ................................. 162

C. La question de la preuve du droit coutumier devant les juges....................... 165

CONCLUSION PARTIE I .................................................................................................... 170

SECONDE PARTIE II. LA DIFFICILE EDIFICATION D’UN SYSTEME DE PROTECTION DES


DROITS FONDAMENTAUX FONDE SUR LES DROITS TRADITIONNELS ................... 173

TITRE I : LES VALEURS CULTURELLES TRADITIONNELLES COMME SOURCE


D’INSPIRATION DE LA CONSTRUCTION DU SYSTEME REGIONAL DES DROITS DE
L’HOMME ............................................................................................................................ 175

CHAPITRE I : L’évolution des droits de l’Homme en Afrique.................................................. 176

SECTION I. La protection de la dignité humaine dans l’Afrique subsaharienne précoloniale


................................................................................................................................................. 177

§1. La dignité de la personne humaine : un principe inhérent à toute société ..................... 177

§2. Une protection formalisée par des lois royales .............................................................. 181

347
SECTION II. La proclamation solennelle des droits de l’homme après les indépendances ... 186

§1. La Charte africaine des Droits de l’Homme et des peuples : instrument précurseur de la
promotion et protection des Droits de l’Homme en Afrique ............................................... 186

§2. Les textes additionnels à la Charte ADHP .................................................................... 193

A. La Charte africaine pour les droits et le bien-être de l’Enfant : un instrument


répondant à des besoins particuliers des enfants en Afrique ................................. 194

B. Le Protocole à la Charte africaine sur les droits des femmes en Afrique : texte le
besoin d’apporter une protection adaptée aux femmes ......................................... 199

CHAPITRE II : L’ambition des rédacteurs de la Charte africaine DHP de créer un droit des
Africains ...................................................................................................................................... 205

SECTION I. La reconnaissance mitigée des valeurs culturelles et traditionnelles des


communautés africaines .......................................................................................................... 206

§1. L’ambiguïté de la notion de valeurs culturelles utilisée par la Charte .......................... 206

§2. La prise en compte limitée des valeurs culturelles et traditionnelles dans le texte ....... 210

SECTION II. L’introduction des devoirs de l’individu dans la Charte africaine .................... 215

§1. Un rappel de la place de l’individu au sein des sociétés africaines ............................... 216

A. La reconnaissance de la corrélation entre les droits et les devoirs de l’individu216

B. Les devoirs dans la Charte : résultat du compromis entre les principes de la


modernité et l’attachement aux traditions ............................................................. 220

§2. Les critiques à l’introduction des devoirs des individus dans la Charte ........................ 223

TITRE II : LA MARGINALISATION DES DROITS TRADITIONNELS DANS LA CHARTE


AFRICAINE .......................................................................................................................... 229

CHAPITRE I : La reconnaissance du caractère communautaire du droit par la Charte africaine


DHP ............................................................................................................................................. 230

SECTION I. L’introduction des droits des peuples dans la Charte ADHP ............................. 230

§1. Les différentes dimensions des droits des peuples ........................................................ 231

A. La prise en compte limitée des droits des peuples au niveau international ... 231

B. Le choix de la dimension étatique de la notion de peuples dans la Charte ADHP


234

348
§2. La mise en valeur de la dimension infra-étatique des droits des peuples par la
Commission ADHP ............................................................................................................. 240

A. L’ouverture de la Commission à une approche communautaire des droits des peuple


240

B. La problématique de l’attribution de la personnalité juridique aux peuples sur le plan


régional .................................................................................................................. 244

SECTION II. Les enjeux liés à la reconnaissance des droits des peuples sur le continent ..... 248

§1. Les droits des peuples prévus par la Charte à l’aune du droit à l’autodétermination .... 248

§2. Les droits des peuples mis à mal par l’individualisation des sociétés africaines ?........ 255

CHAPITRE II : Le choix difficile de la Charte entre une vision universaliste ou relativiste des
droits de l’homme ........................................................................................................................ 259

SECTION 1. L’universalité prônée dans la théorie des droits de l’homme ............................ 259

§1. La position des textes internationaux ............................................................................ 260

§2. La position de la doctrine universaliste ......................................................................... 269

SECTION 2. Le relativisme culturel dans les droits de l’homme ........................................... 274

§1. Le relativisme pour un enrichissement des théories des droits de l’homme ................. 275

§2. La reconnaissance de la diversité des identités culturelles : un processus inachevé ..... 281

A. L’affirmation des particularismes culturels à l’échelle internationale .......... 282

B. De l’indifférence à la tolérance des identités culturelles ............................... 286

C. Le dépassement de la dichotomie “universalisme-relativisme” dans la théorie des


droits de l’homme .................................................................................................. 289

CONCLUSION PARTIE II................................................................................................... 292

CONCLUSION GENERALE ................................................................................................... 295

BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................................... 303

OUVRAGES GENERAUX ET SPECIAUX ........................................................................ 303

CHAPITRES D’OUVRAGES COLLECTIFS...................................................................... 311

ARTICLES DE REVUE ....................................................................................................... 319

THESES ET MEMOIRES .................................................................................................... 331

THESES ...................................................................................................................................... 331

349
MÉMOIRES ................................................................................................................................ 333

AUTRES DOCUMENTS LITTERATURE GRISE ............................................................. 334

DOCUMENTS OFFICIELS ................................................................................................. 336

Textes internationaux .................................................................................................................. 336

Textes normatifs internes ............................................................................................................ 339

Jurisprudence internationale ........................................................................................................ 340

Jurisprudence interne ................................................................................................................... 342

Textes de la période coloniale ..................................................................................................... 343

TABLE DES MATIERES ......................................................................................................... 345

350

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