Vous êtes sur la page 1sur 12

PHILOSOPHIE – LA SCIENCE

Paul Lavaud
Terminale 7

>> La science est-elle le lieu de la vérité ?

O. Introduction

1) L’idée de science

En français, le mot « science » peut renvoyer tantôt :

- À un processus de recherche de la vérité avec le souci d’adopter la bonne méthode pour y arriver.
On pense surtout ici à l’usage de la raison ou de la logique, ou bien à l’épreuve et l’expérimentation
scientifique
- Au résultat de cette recherche, au fruit de cette quête. Elle renvoie alors à un état des connaissances

Il faut d’autre part distinguer science comme :

- Un idéal de rigueur, d’objectivité, de prudence, d’humilité et d’ouverture d’esprit


- Un monde scientifique composé d’êtres humains censés se hisser en direction de cet idéal (c’est-à-
dire la science telle qu’elle apparait dans la réalité)

La science est un champ de la culture humaine qui s’organise autour de grandes institutions.

2) Vérité et réalité

Le sens classique du mot de vérité est « l’adéquation de la pensée et du réel ». Autrement dit, ce mot
désigne la qualité d’un jugement ou d’une affirmation portée sur la réalité, sur le réel. La science prétend
donner des affirmations en adéquations avec la réalité. L’ambition de la science et des scientifiques est donc
de trouver cette adéquation, le meilleur modèle de pensée.
Il faut cependant noter que la science ne s’intéresse pas aux cas particuliers, mais aux cas généraux. La
compréhension du général est précieuse, mais le singulier alors nous échappe. Or, le monde est constitué de
choses singulières, rien n’est strictement identique.

De plus, un modèle scientifique serait un miroir qui ne serait pas de la même nature que la chose qu’il
reflète. Certaines choses sont en effet indicibles (ex : une odeur). Le réel déborde donc sur notre capacité à
voir, comprendre ou dire. Ainsi, la science ne permet pas de tout comprendre et de répondre à tout.

Dans une perspective différente, le mot « vérité » peut désigner la nature ultime ou la source de la réalité. Il
s’agit d’un usage de ce mot que l’on trouve généralement dans la tradition spirituelle. On repère cet usage
dans le fait que l’on parle de la vérité au singulier (ici, l’absolu).
3) Vérité et relativisme

En un premier sens, le relativisme consiste en la remise en cause de l’idée d’une vérité universelle et en le
fait de faire dépendre la vérité de chaque individu, culture ou société. C’est le sens de la formule de
Protagoras : « l’Homme est la mesure de toute chose ». Ce que nos contemporains expriment de la manière
suivante : « à chacun sa vérité ». Cette thèse pose cependant une série de problèmes :

- La dissolution de l’idée même de vérité, qui n’est alors plus universelle. Il ne reste que des opinions,
plus rien ne serait valable pour tous, tandis que la vérité renvoie à quelque chose qui ne dépend pas
de l’individu mais de la réalité et de la logique. On ne choisit pas la vérité, elle s’impose à nous. De
plus, on ne possède pas la vérité, elle n’appartient à personne.
- L’élimination de la possibilité de l’erreur, du mensonge, et l’élimination de la distinction entre
l’ignorant et le savant

Derrière l’apparence de la tolérance et de l’ouverture d’esprit ou de l’acceptation de la différence, derrière


le relativisme, se cache une grande arrogance. Or, précisément la notion de vérité doit venir nous déloger de
cette arrogance. Comme la vérité ne dépend de personne, que personne ne la possède, elle est sujet au
débat.

Remarque : dans le débat, l’exaltation émotionnelle témoigne généralement d’une faiblesse. L’individu qui
s’emporte est souvent celui qui est débordé face aux arguments adverses.

Remarquons aussi qu’au nom de la paix, nous avons souvent tendance à poser un tabou sur la vérité, de ne
pas en parler, et donc, de ne pas débattre. Avec la laïcité, par exemple, on évite le débat sur la religion en se
forçant à respecter une neutralité.

Le sens commun a tendance à confondre l’opinion de chacun et la vérité de chacun. Nous partageons une
même vérité qui n’appartient ou ne dépend de personne, mais de mêmes règles logiques.
Le mot « relativisme » invite à penser les liens de dépendance, les relations (relatif ? A quoi ? Cela dépend de
quoi ?). Nous venons de voir l’absurdité logique d’une dépendance de la vérité à l’égard de l’individu. Pour
autant, il y a certaines formes de relativisation qui ont une certaine pertinence et qui demande à être
pensées. Nous pouvons déjà en préciser au moins 2 :

- D’abord, on trouve le relativisme anthropologique (celui qui dépend de l’Homme et sa vision). C’est
ce à quoi nous invite Emmanuel Kant. La question est la suivante : la vérité prétend dire quelque
chose de la réalité. Mais de quelle réalité la vérité est-elle le miroir ? La vérité telle qu’elle est dans la
réalité ou la vérité telle qu’elle est perçue par les êtres humains ? Il y a ce qui nous apparait (à nous
humains), que l’on appelle « phénomène », et ce qui est dans l’absolu, indépendamment des limites
humaines, que Kant nomme le « noumène ». Nous ne pouvons, pour Kant, aborder la réalité sous un
autre angle que celui de la temporalité et de la spatialité. Pour Kant, encore, il s’agit de distinguer :

o L’objectivité pure (ou absolue), inatteignable ;


o L’objectivité relative (ou subjective universelle), telle que nous percevons les choses ; c’est là
qu’est la science des Hommes puisque l’on étudie la réalité telle que nous la percevons tous
en même temps (d’où « universelle ») ;
o L’objectivité singulière, qui dépend de chaque individu, indépendamment des autres
Schéma phénomène-noumène :

Réalité
Réalité perçue
indépendante
par l’Homme
Phénomène de l’Homme Noumène
« Pour soi »
« En soi »

- Ensuite, on trouve le relativisme épistémologique (ou épistémique). C’est le fait de dire que le savoir
s’organise toujours comme un système de vérité. Et tout système repose sur des présupposés des
sentiments d’évidence ou plus humblement des hypothèses, pour se constituer. Un système peut
être plus ou moins rigoureux, plus ou moins fructueux pour comprendre le réel, mais aucun système
ne peut s’auto-fonder. Ainsi, notre réalité s’inscrit toujours dans un système dit ‘épistémè’,
incapable de se fonder lui-même ; et à ce système, on peut opposer un autre système. Il s’agit de la
réalité par rapport à nos référentiels.

I. L’entreprise de conquête rationnelle de la vérité

1) Le rêve rationaliste d’une science divine

Chez beaucoup de penseurs grecs, l’intelligence humaine, à travers la raison, est comme un don divin qui
rend l’être humain capable d’entrer en résonnance avec l’intelligence à l’œuvre dans le Cosmos. Le terme
logos (= raison, qui donne intelligence) en grec, ne désigne pas simplement une faculté humaine, mais
l’ordre, l’harmonie, la raison à l’œuvre dans le Cosmos ou dans la Nature. Quand l’être humain pense en
raison, il mobilise la même force dans le Cosmos, puisqu’il y a par définition un ordre dans le monde, une
harmonie, une logique.

Il y a toujours ce désir de percer le secret de cette logique et, pour les Grecs, l’intelligence humaine est
capable de le faire.

Voilà pourquoi c’est la raison (le logos) qu’il faut mobiliser pour accéder à la vérité, au secret de la réalité
pour les Grecs. Les mathématiques, qui mènent à des conclusions définitives, contrairement à tout autre
domaine, même la physique qui peut être remise en question, apparaissent comme une science divine. « La
Nature est écrite en langage mathématique » - Galilée. Cette science permet de décrire le réel, les éléments
constitutifs du monde, de l’Univers, et permet de mettre en évidence ce qui nous avait jusqu’à lors échappé.
Elle permet ainsi de mieux comprendre le monde, de le déchiffrer. La science mathématique est le langage
qui nous permet d’interpréter le réel.

Spinoza, dans l’Éthique (1677), traduit la pensée rationaliste en structurant son œuvre tel un traité
mathématique (ex : I. Définition, propriété…). Au XVIIe siècle, donc, nait et grandit le courant rationaliste qui
repose sur l’idée selon laquelle la raison est l’instrument à travers lequel l’être humain peut accéder à la
vérité des choses. La raison est l’outil qui nous permettrait de passer de l’incertitude, de l’opinion, au savoir.
Le rêve de toute science, et c’est le cas des mathématiques, est de prétendre que la représentation
rationnelle du monde puisse rendre compte de la réalité avec certitude. « Je n’ai pas besoin de faire une
expérience, j’ai la formule mathématique » - Galilée.

2) Les limites de la raison

L’instrument fondamental à travers lequel la raison vise à produire des vérités tel qu’on le voit dans le
modèle mathématique est la démonstration. Ce qui est vrai peut toujours être démontré. Or, le rationnel
Leibniz donne une définition de la démonstration d’où naissent deux problèmes, que le courant sceptique a
mis en lumière dès le départ de ce projet de conquête rationnelle de la vérité – « la démonstration consiste,
à partir d’une vérité première, de tirer de nouvelles vérités par l’intermédiaire de la logique » :

- « […] par l’intermédiaire de la logique » - il y a ici adhésion à la logique comme instrument de vérité.
Or, qu’est-ce qui dit que la logique dit vrai, mène au vrai ? En accordant un crédit à la logique, on
tombe dans le dogmatisme. Ici, on mobilise quelque chose, la logique, qui n’a pas été démontré
comme strictement vraie.

- « […] à partir d’une vérité première » - il y a ici le problème du point de départ, de la fondation de la
réflexion. Toute démonstration repose sur de l’indémontré et de l’indémontrable. Si l’on essaye de
tout démontrer, on remonte jusqu’à quelques axiomes indémontrables. Le Robert : « Axiome –
proposition considérée comme évidente, admise sans démonstration ».

Toute démonstration repose donc sur des axiomes, de l’indémontré et du dogmatisme.

Pour les sceptique, il est impossible d’acquérir le savoir car il est impossible de trouver une certitude par la
réflexion humaine. Ils nous invitent donc à suspendre notre jugement. « Tu ne sais pas, alors tais-toi ».

Blaise Pascal : « nous avons une impuissance à prouver qui est plus forte que tout dogmatisme, mais nous
avons un désir de vérité qui est plus fort que tout pyrrhonisme* ».
* Pyrrhonisme : scepticisme, provient de Pyrrhon, un sceptique

À priori, les sceptiques ont raison et tout individu qui affirment devant les sceptiques sont des dogmatiques.
Cependant, ce n’est pas une bonne raison pour capituler, car la raison humaine mène toujours à quelque
chose, pas la vérité, qui n’appartient qu’à Dieu, mais à quelque chose de toujours plus profond.

René Descartes, mathématicien, physicien et philosophe français du XVIIe siècle, cherche à trouver la base la
plus solide pour poser les théories scientifiques. Dans ses Méditations métaphysiques, Descartes part d’un
état d’esprit vidé de tout ce sur quoi il a adhéré à des croyances, vidé de toute croyance. Il lui reste ainsi, en
dernier, la croyance de l’existence de la réalité. Or, il parvient à douter encore : la nuit, lorsqu’il rêve, il croit
à une réalité qui n’est finalement qu’imaginaire. « Pourquoi serais-je trompé la nuit et non le jour ? », se
demande-t-il. Ainsi, Descartes peut douter de tout, même de sa Volkswagen. Mais à force de douter,
Descartes se rend compte d’une choses : il doute. Il doute, voilà enfin une certitude. Il pense, donc il est.
Voilà un petit point de départ sur lequel bâtir toute la suite. Voilà une vérité première que même les
sceptiques ne peuvent pas contredire. Tout cela est développé dans la 1ère Méditation métaphysique.

Ensuite, Descartes essaye de démontrer l’existence d’un Dieu non trompeur. Il parvient à deux preuves de
l’existence d’un Dieu. D’une part, il y a l’idée d’infini. Nous avons l’idée d’un être parfait et infini et cette idée
infinie n’a pas pu nous être parvenu par un être fini. Ainsi, Dieu qui est partout nous a transmis cette idée.
D’autre part, il y a l’idée de Dieu, qui a toutes les qualités. S’il a toutes les qualités, il a aussi celle d’exister. Si
on lui associe cette idée, on associe cette idée à quelqu’un, à quelque chose, qui existe dans l’esprit de tous.
Descartes finit par échouer. L’échec cartésien de la formation et de la constitution d’une science universelle,
totale et indiscutable qui échapperait à la critique sceptique révèle une forme de quiproquo au sujet de la
raison humaine. Celle-ci a souvent été présentée comme l’instrument qui permettra aux hommes d’accéder
à la certitude, qui est une erreur, une illusion. C’est ainsi que la démonstration est souvent brandie comme
étant l’arme fatale conduisant à la vérité certaine. Nous venons de voir que cela est insuffisant. À quoi sert
donc la raison ? Le rôle de la raison est d’abord d’avoir conscience de ses propres présupposés, ses limites,
puis de produire un système de pensée qui soit cohérent, à partir de ces présupposés, et enfin d’évaluer la
pertinence, ou l’efficacité de son système, pour interpréter la réalité et agir sur elle. Il y a un mythe de la
raison comme outil pour accéder à la réalité et donc au savoir absolu. La raison n’est pas l’instrument de la
certitude.

Il y avait d’autre part une forme d’attente, peut être démesurée, de la raison à prétendre découvrir le secret
du réel en se passant de toute confrontation avec le réel. D’où la critique des empiristes, qui veulent tout
mettre à l’épreuve, adressée aux rationalistes : c’est dans la confrontation à l’expérience du réel que la
raison peut espérer formuler une théorie valable sans quoi la raison peut tourner à vide.

En ce qui concerne les sciences formelles, comme la logique ou les mathématiques, la question de la
confrontation au réel ne se pose pas. Pour elles, est vrai ce qui est cohérent logiquement avec le système.
On parle alors de vérité formelle (produit du raisonnement logique ou mathématique).
Or, le désir de vérité qui habite les êtres humains est d’abord la conformité au réel ; il y a le désir de
comprendre le monde, de comprendre ce qui est, et pas simplement le plaisir de construire des univers
formels. D’où l’intérêt pour les sciences qui convoquent l’expérience ou qui mobilisent l’expérimentation, les
sciences expérimentales. On appelle vérité matérielle une affirmation qui semble conforme à l’expérience ou
qui est la conclusion d’une expérimentation. Dès lors, la nouvelle source à travers laquelle l’esprit humain
cherche à accéder à la certitude du savoir est la preuve expérimentale.

Récap’ du grand I :

- Toute le monde est sujet au dogmatisme. Dès lors que l’on considère, par exemple, que l’on pourra
accéder à la vérité grâce à la raison, on accomplit un acte de foi.
- Aucun système ne peut rendre compte de la complexité du réel.
- Aucun système ne peut prétendre à la certitude du réel.

II. Le statut de la vérité dans les sciences expérimentales

La deuxième modalité qui nous permet de passer d’une croyance, d’une hypothèse à une vérité indubitable,
au savoir, est l’expérimentation.

L’être humain ne peut pas se contenter de vérités formelles, c’est pourquoi le sens du mot « vérité », qui a le
plus d’importance à ses yeux, est la conformité au réel. D’où le rôle central que tient l’expérience concrète,
provenant du latin expreriri, signifiant mettre à l’épreuve sa pensée. Le courant de philosophie que l’on
appelle empirisme, dont la thèse centrale est que toutes nos pensées et théories découlent de nos
croyances s’oppose précisément au rationalisme, en lui reprochant :

- De croire que l’être humain aurait des idées, des vérités innées, sur lesquelles les rationalistes
s’appuient pour bâtir leurs systèmes ;
- De croire que l’être humain puisse découvrir le secret du monde par la seule raison
Or, de nombreuses objections peuvent être faites aux empiristes. D’abord, un exemple n’a pas valeur de
preuve générale. On ne peut pas établir une vérité générale par l’observation d’un évènement seul. De plus,
la physique ou la médecine qui s’appuyaient pendant des siècles sur des raisonnements inductifs (≠
déductifs), en se basant sur des expériences, ont dû remettre en question leurs théories qui se révélaient
fausses ou trop faibles. Le discours évolue toujours dans les sciences expérimentales. Ainsi, toute vérité
établie dans les sciences expérimentales est vouée à être modifiée. Elle perd donc sa valeur de vérité.

L’expérience brute mêle différentes variables entre elles, difficilement distinguables, d’où la nécessité pour
l’Homme de procéder à l’expérimentation plutôt qu’à l’expérience.

Point technique : l’expérience consiste en la mobilisation des sens humains uniquement, tandis que
l’expérimentation consiste en la mobilisation d’un arsenal technique constitué de théories dématérialisées.
L’expérimentation est une construction rationnelle de l’expérience. Il s’agit d’un « dispositif anti-nature »
pour René Bachelard, philosophe des sciences français.

Pourquoi la science expérimentale ne peut pas mener à la vérité absolue et définitive ?

René Bachelard nous montre que dans l’expérimentation, on n’a pas affaire à des faits bruts mais à des faits
scientifiques, construits à partir des théories et constructions scientifiques qui sont celles de notre époque. Il
s’agit donc d’une construction par l’intelligence. Il y a une simplification du réel dans l’expérimentation,
appelée phénoménotechnique. Les connaissances permettent l’élaboration de nouveaux outils qui nous
apportent de nouvelles connaissances (processus endogène).

Le scientisme est un courant scientifique qui se développe au XIXe siècle autour de 2 grandes croyances :

- Le discours scientifique d’une époque doit être pris pour une vérité absolue et définitive
- Seule la science est capable de dire la vérité du monde et celle-ci se réduit à ce que la science en dit

Or, ce courant se heurte à des limites évidentes.

Le mathématicien et astronome Johann Elert Bode avait pensé une formule qui prouvait la distance entre les
planètes connues à son époque. Finalement, le jour de la découverte d’une planète, qui a servi de contre-
exemple, sa théorie et sa formule sont devenues obsolètes. Le discours scientifique d’une époque ne doit
donc jamais être pris pour absolument et définitivement vrai.

En 1905, le physicien et philosophe Pierre Duhem montre comment il est en réalité impossible de tester
isolément une hypothèse dans les sciences expérimentales, car toutes hypothèse scientifique repose sur
tout un tas d’autres hypothèses, qui font partie de notre système de savoir. Il y a interdépendance entre nos
hypothèses.

En effet, si notre expérimentation prouve l’invalidité d’une hypothèse, où est l’origine de l’invalidité ? Il faut
remonter dans le système de savoir pour tester l’expérience sur toutes les hypothèses auxquelles la
première est liée. Or, on ne peut remettre en cause tout le système de savoir, toutes les hypothèses étant
fondées sur toutes les autres, sur l’ensemble du système de savoir. Ainsi, il est impossible de tester
isolément une hypothèse. Pierre Duhem appelle cela l’holisme épistémologique.
Cette incapacité des sciences expérimentales à prétendre donner des vérités définitives à propos de la
réalité, incapacité confirmée par l’étude de l’histoire des sciences et par la philosophie des sciences, met à
mal la vision scientiste et conduit à un rapport plus humble à ce que l’on appelle la vérité scientifique. En
effet, on ne prétend plus que la science détient la vérité du monde ; on dira plutôt que telle science propose
des modèles théoriques et un système à la fois théorique et pratique pour appréhender la réalité et mieux
pouvoir agir sur elle. On aboutit même à cette idée paradoxale selon laquelle une vérité scientifique est
l’objet d’un consensus à un moment donné ; autrement dit que la vérité scientifique est une vérité
possiblement provisoire. Cependant, la remise en cause des modèles d’aujourd’hui n’enlève pas à la science
le fait que ses nouveaux modèles sont meilleurs qu’hier, que la science progresse tout de même.

Il faut éviter 2 écueils à propos de la science :

- Il ne faut pas prendre la science comme celle qui apporte la vérité absolue et définitive ;
- Il ne faut pas prendre le discours scientifique comme une simple opinion et ne pas y croire

Entre l’ignorance, l’opinion et le savoir absolu se trouve la science.

Rappel : la science, c’est l’approche qui permet d’appréhender les choses le plus conformément au réel.

Cette prise de conscience de la nature de la vérité scientifique dans le cadre des sciences expérimentales a
des conséquences sur le sens même du mot de vérité. Cela conduit en effet à une définition pragmatique de
la vérité : « est vrai ce qui marche ».
III. Vers un changement de paradigme de la connaissance ?

Cette évolution de la notion de vérité, en science, nous invite à revenir sur l’histoire du rapport des êtres
humains à la vérité.

Mondes traditionnels Monde moderne Monde postmoderne


Les vérités sont à chercher Il y a un changement de paradigme au Le rapport de l’Homme à la vérité
dans le passé. Elles sont moment où l’on découvre que les dans le monde postmoderne est
transmises par les anciens, anciens n’ont pas transmis que des expliqué par le philosophe
les prophètes… choses lumineuses et véritables. autrichien Paul Feyerabend.

Une part de la vérité est à Il y a alors une volonté de découvrir Pour le postmoderne, peu importe
chercher dans la religion, en raison la vérité (par définition la Méthode utilisée. Le principal,
qui occupe une place unique), quitte à remettre en cause c’est que la découverte permet de
centrale. l’héritage du passé. C’est la compléter des modèles théoriques
philosophie du progrès. L’approche en restant valide et efficace. Il faut
Les Hommes sont chargés est alors rationnelle. On n’adhère plus que ça marche, c’est tout.
de la transmission du aux choses lorsqu’elles sont
savoir. Il y a une mission de insensées. L’Homme moderne tourne Est vrai ce qui marche, ce qui
transmission de la son regard vers l’avenir, car la vérité augmente le pouvoir d’agir de
connaissance aux s’accumulera dans l’avenir. Il y aura l’Homme postmoderne.
générations futures sans plus de vérités dans l’avenir. On
perdre l’essence des célèbre la Méthode scientifique, qui Se rendre compte de la polyphonie
choses. La mémoire et la permet d’accéder à des vérités en des modèles théoriques est très
fidélité à la tradition l’appliquant rigoureusement. puissant pour lui. On peut ensuite
occupent une grande inventer différents modèles, qui
place. Le passé est considéré par les peuvent se contredire, pour
philosophes modernes comme expliquer certaines choses. Ainsi,
Les vérités, ici, s’héritent. Il obscur. Il faut utiliser la science pour contrairement aux modernes, la
n’y a pas grand-chose à illuminer le monde, mettre en vérité n’est pas unique. Être
attendre de l’avenir. lumière et découvrir les vérités. obscurantiste, dans le monde
postmoderne, ce n’est guère plus
chercher dans le passé, c’est
considérer qu’il n’y a qu’une vérité.

On remarque que dans les mondes traditionnels et moderne, à travers différents discours, on considère que
l’on a la vérité. Dans le monde postmoderne, on considère que la vérité (au singulier) est inaccessible,
puisque celle-ci peut prendre différents aspects, et puisque nous ne saisissons que les aspects de cette
vérité, pas la vérité elle-même, en bâtissant des théories ou des manières de voir le monde à partir des
aspects de la vérité, à partir de ce qui semble, qui apparait comme la vérité.

Récapitulatif du tableau Tradition Modernité Postmodernité


précédent :
Tradition(s) Raison Efficacité
Transmissio Méthode Pragmatisme
n Progrès Polyphonie des modèles et des approches
Fidélité Possibilité de contradiction entre les modèles
Gratitude
De l’extérieur, le paradigme moderne persiste dans la société, mais de l’intérieur, le paradigme postmoderne
progresse. De plus en plus, les individus qui constituent la société postmoderne perdent la logique
concurrentielle qu’ils associent aux modèles et aux approches scientifiques, en ne considérant plus que ces
modèles peuvent être classés en hiérarchie et que certains modèles dominent les autres. De plus en plus, on
s’ouvre à de nouveaux modèles.

Cependant, pour toutes sortes de raisons (économiques, politiques, culturelles…), la polyphonie des modèles
n’est pas toujours acceptées partout.

Tout ce qui se manifeste dans l’espace et dans le temps se manifeste de différentes manières. Nous avons
donc redécouvert, en acceptant l’idée de la polyphonie des modèles, cette vérité métaphysique.

En voulant repartir de 0, en voulant recréer le monde, la modernité a manqué de considération envers les
richesses de la tradition. Certaines richesses des mondes traditionnels ont donc été perdues et cette perte
est irrémédiable (ex : diminution des capacités de calcul, de survie, de créativité, de certains savoir-faire…).
Aujourd’hui, contempler un Matisse ne procurera pas ce que l’émerveillement devant un travail
extrêmement minutieux, précis, ne procurait hier.

IV. Le paradigme matérialiste et son devenir

Paradigme : façon de penser qui s’appuie sur un certain nombre d’affirmations qui apparaissent à une
époque et dans une communauté données comme des évidences ou des vérités.

La science moderne, à savoir la physique à partir du XVIIe siècle ou la biologie à partir du XIXe siècle, s’est
élaborée en s’appuyant sur des présupposés, si ce n’est philosophiques, du moins méthodologiques, qui sont
les suivants :

- D’abord, une approche matérialiste : tous les phénomènes physiques ont une cause physique,
matérielle, et on refuse le recours à toute force occulte. Cela permet à la physique et à la biologie
d’expliquer d’une nouvelle manière les phénomènes, et dans le cas de la biologie d’expliquer les
mécanismes du vivant, de la vie. Cependant, plus la biologie se « matérialise », moins elle arrive à
expliquer la vie elle-même.

- Ensuite, un présupposé mécaniste et déterministe : tous les phénomènes sont les effets des causes
qui les précèdent et les causes sont uniquement des causes efficientes, c’est-à-dire des causes qui
entrainent des faits, des phénomènes. Autrement dit, il n’y a dans la nature pas de causes finales,
c’est-à-dire pas de finalités qui entrainent le mouvement (l’inverse quoi). Il n’y a aucun intentions ni
finalités dans la nature ; tout est le fruit de causes aveugles ; tout est hasard ou nécessité. Il n’y a pas
de démiurge, mais une cause première qui entraine une suite infinie de phénomènes qui constituent
la nature

- Enfin, une approche réductionniste : on cherche à expliquer le tout à partir des parties. On scinde le
« tout » en petits éléments que l’on analyse ; on décompose ce qui est de ces petits éléments. C’est
ce que fait la physique en parvenant aux molécules, aux atomes, aux électrons, aux quarks, aux
ondes. Ces éléments permettent d’expliquer mieux certains phénomènes ou mécanismes.
Cependant, nous pouvons perdre dans cette décomposition le lien fondamental entre les éléments,
on oublie le tout originel qui ne se réduit pas à la somme des plus petits éléments.
Ces 3 présupposés ont permis à la physique et à la biologie de réaliser de grands progrès dans la
décomposition des phénomènes et on leur doit en grande partie cette aventure technico-scientifique.
Seulement, ces présupposés d’abord appliqués uniquement à la matière inerte, puis au vivant, puis à l’être
humaine doté de conscience, conduisent à une vision totalement désenchantée et déprimante du monde.
En effet, cela conduit l’être humain à n’être qu’une machine qui s’illusionne sur l’existence de la liberté, sur
l’existence de valeurs quelles qu’elles soient.

Dans Le Hasard et la Nécessité, le biologiste français Jacques Monod explique comment l’Homme moderne
est dans une sorte de schizophrénie culturelle, c’est-à-dire une sorte d’incohérence totale. En prônant d’une
part les valeurs de l’Humanisme, de la morale, des droits de l’Homme, et en faisant d’autre part la
promotion de la science.

De plus, ces 3 présupposés nous amènent à une certaine vision du monde. Or, on a vu que la vérité a
plusieurs facettes. À travers ces 3 présupposés, on observe une facette de la vérité du monde. Ces
présupposés ne permettent donc pas, car ils ne sont pas suffisants, d’observer le monde de la manière la
plus proche de la vérité qui soit.

Vidéo : Rupert Sheldrake, L’Illusion de la Science

Synthèse : il faut distinguer la science en tant que méthode, qui crée une discipline, et la science comme
lunettes à travers lesquelles le monde apparait.

Livre : Rupert Sheldrake, Réenchanter la science (super livre askip)

De manière inattendue, de l’intérieur même de la science, se produit des bouleversements de notre


représentation du monde, qui viennent troubler les 3 présupposés de la science moderne :

- Le concept de matière a paradoxalement commencé à se dématérialiser, puisqu’en creusant dans


l’infiniment petit, on ne découvre plus des choses matérielles mais seulement des ondes, des
énergies, c’est-à-dire un ensemble qui n’est ni quelque chose de matériel composé de touts petits
éléments, ni le néant. On quitte alors une vision élémentariste de la matière, et on quitte finalement
le monde tel qu’il nous apparait.

Carlo Rovelli, physicien et philosophe des sciences : « Ce ne sont pas les choses qui entrent en relation, ce
sont les relations qui constituent les choses » (dans l’infiniment petit, moins de substantiel).

- La réalité de l’Univers que nous expérimentons et la matière que nous exploitons, manipulons, ne
peuvent pas être expliqués sans une autre dimension, depuis laquelle on regarderait notre Univers.
Il y a un envers pour expliquer l’endroit. Il y a une réalité invisible pour expliquer la réalité visible.

- Dans la physique classique s’applique un déterminisme universel : tout à une cause. Or, le principe
de déterminisme est mis à mal depuis le « principe d’incertitude » de Werner Heisenberg, d’après
lequel on ne peut connaitre simultanément la position et la vitesse d’une particule élémentaire.

- Cette vision déterministe repose sur une certaine vision linéaire du temps, qui sera mis à mal avec la
théorie de la relativité d’Albert Einstein.
- D’une certaine manière, la physique classique a fait l’impasse sur la conscience. La physique
quantique a malgré elle été amenée à inclure la conscience dans la compréhension du réel, avec le
lien important entre l’observateur et l’observé, car la présence d’un observateur peut déterminer la
nature même de l’expérience.

Nuance : les présupposés des sciences matérialistes et déterministes peuvent être faux, mais cela
n’empêche pas ces sciences de faire de véritables découvertes, d’avancer tout de même.

Nous nous devons, pour être sérieux, de dissocier le pertinent et le fumeux, après examen. Il ne faut aucun
verrouillage mental, aucun jugement à priori selon le cadre de notre pensée. Voilà pourquoi les grands
pionniers des sciences meurent souvent dans l’opprobre : ils sont sortis du cadre dans lequel on les avait mis
et ne se sont pas fiés à la vindicte populaire (exemple : Socrate, Galilée).

Dans le passé, mais encore aujourd’hui, la vérité a été falsifiée, car les sociétés font face à des puissances
privées (recherche médicale notamment). On fait cependant la différence entre orientation et
travestissement de la vérité : orientation de la recherche par investissement privé, travestissement de la
vérité par falsification de l’Histoire, par intérêt politique ou obsolescence programmée malhonnête dans la
poursuite d’un intérêt économique.

On distingue différents modes d’orientation ou de travestissement de la vérité par la corruption :

- La corruption directe, qui a toujours existé – « Si tu ne fais pas ça : conséquences. Si tu fais ça :
récompense ».

- La corruption systématique, similaire à la corruption directe mais généralisée. La corruption devient


banale, habituelle, comme une coutume – les élèves achètent leurs notes, les délinquants achètent
la police…

- La corruption systémique ou épistémique, présente dans un système où 99,99% de la population


sont honnêtes mais se trouvent malgré eux au service de mafieux – tout le système est alors
corrompu, mais à son insu.

Exemple du secteur médical :

Faculté de médecine État Revues scientifiques

(Formation initiale des médecins) (Experts supposés indépendants (Publient des études et sont
pour évaluer l’efficacité et la visées par les pairs comme revues
sûreté d’un médicament) de référence)

+ Agences de régulation (Exemple : Lancet, NEJM, BMJ)

(Exemples : ANSM – France ;


EMA – Europe ; FDA – USA)

Médecins,
Pharmaciens,
Chef de service
hospitalier
En fait, la plupart des ingénieurs et des docteurs de l’industrie pharmaceutique passe à l’ASN, puis retourne
dans l’industrie pharmaceutique, et inversement. Cela crée des conflits d’intérêts évidents. S’ajoutent à cela
des milliards de dollars dépensés par les lobbies pharmaceutiques en infiltration des membres de l’industrie
pharmaceutique au pouvoir politique dans de grandes institutions de régulation, voire dans le gouvernement
par exemple. L’extrême majorité du système devient alors l’idiot inutile d’un système mafieux.

Quel que soit notre niveau de connaissance, de maîtrise, de conscience de liberté, si l’on ne respecte pas les
protocoles dictés par les institutions (État, agences de régulation…), on est rayé de ce monde par ses
dirigeants, on est rayé du monde de la médecine.

Le degré de travestissement de la science est inimaginable pour le commun.

Plus encore que nous contrôler, en contrôlant la vérité, on nous endort, on nous éloigne de la vérité pour
que l’on ne « fourre pas notre nez dans les sales affaires ».

Livre : Jean Staune, La Science en otage (sur l’importance des financements et des influences politiques de la
recherche scientifique)

Ouverture : finalement, est-ce judicieux d’ouvrir les yeux, de chercher la vérité ?

Dans ce monde, chercher la vérité seul malgré les défenses des institutions fera de nous un fou et notre
dissonance avec ce que les autres considèrent de vrai rompra le groupe auquel on appartient.

En même temps, si l’on reste caché, on restera à jamais seul, et la vérité n’éclatera jamais.

Vous aimerez peut-être aussi