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“Une étude scientifique a récemment prouvé que…”.

Quelle que soit le postulat que je


m’apprête à faire, mon interlocuteur portera à me croire après ces quelques mots; et sans
nécessairement qu’il me faille citer des sources, ou le nom de ces scientifiques -inventés
ou non. Cela montre bien que les spécialistes des disciplines scientifiques ont acquis une
place quasiment sacrée dans notre imaginaire, en menant des études ou des
raisonnements qui prétendent répondre à nos questions les plus anciennes; ou au
contraire, à des questions que nous ne nous posions pas mais dont nous sommes ravis de
trouver les réponses. La science entre aussi, parfois, en ligne de compte quand il s’agit de
prendre les meilleures décisions; nous lui faisons confiance pour être plus raisonnable
que nous. Pourtant, comme l’a prouvé la crise du Covid-19, qui a été en quelques points
une crise de confiance, les “scientifiques” ne savent pas tout, et ne peuvent pas tout. La
vérité scientifique, qui fait facilement argument d’autorité, a été interrogée. La société l’a
désacralisé et a établi un constat: tout ce qui est scientifique n’est pas vrai.
Aujourd’hui, l’intitulé “Science et Vérité” nous invite à remettre au goût du jour cette
interrogation au sujet de la tension entre science et vérité. Ce sont deux notions qui
semblent, de prime abord, intrinsèquement liées. Les sciences se définissent comme les
travaux de valeur universelle, ayant pour objet l’étude des faits et de relations vérifiables,
travaux que l’on effectue et vérifie selon différentes méthodes. Les sciences, qu’elles
soient formelles, expérimentales ou humaines, “recherchent la vérité”, et établissent des
lois pour cela. Pris au singulier, le terme de science est un ensemble; l’ensemble des
connaissances que nous avons pu établir jusque là. Il est important de préciser “jusque là”
car la science se pense avec l’histoire; ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera plus demain.
On caractérise généralement la science par sa rationalité, son universalité et par le fait
qu’elle ait été prouvée ou démontrée. Or, rationaliser et démontrer, c’est justement
vérifier l’accord avec le réel; et c’est ainsi qu’on définit, au plus simple, la vérité. La
correspondance avec le réel. Une connaissance scientifique a la prétention d’être vraie. La
notion de connaissance lie les sciences à la fois vérité. La connaissance relève d’une
dynamique, d’un effort actif pour l’atteindre. Or, quand il s’agit de science, on peut se
demander où la vérité entre en jeu; est-elle le fondement, le moyen, le but de la
connaissance scientifique? Plus largement, une question émerge: Peut-on voir la science
comme une entreprise de la vérité?
Annonce du plan: Dans un premier temps, nous verrons que la science se présente comme
un excellent, si ce n’est le meilleur, moyen d’accès à la vérité.
Ensuite, nous nous attacherons à montrer que la démarche scientifique a besoin
d’incertitude dans une certaine mesure.
Pour finir, nous verrons que la véracité de l’entreprise scientifique se décide en fait a parte
subjecti.

I. La science se présente comme le meilleur moyen d’atteindre la vérité; elle en


fait sa finalité.

> Curiosité de l’homme: réponse de la science.


- positivisme. Les trois stades.

- Le réalisme scientifique. Le monde existe indépendamment de nous. Faire des


sciences, c’est écrire les lois qui le régissent. Mais si nous ne le faisions pas, rien
n’en serait changé. Il y a une sorte d’autonomie des sciences.

- sciences formelles, sciences empiriques (scepticisme empirique de Hume),


sciences humaines.

> La notion de méthode change selon les disciplines et selon les siècles, mais il semble y
avoir un dénominateur commun: la démarche vers la vérité.
Une méthode, par définition, tend toujours vers un but. Dans le langage courant, on parle
toujours d’une “méthode pour”. Et dans le cas des sciences, c’est bien pour la vérité. Les
méthodes, qui définissent chaque science dans leur unicité, tendent néanmoins toutes
vers cette même finalité.
(René Descartes, dans le Discours de la Méthode:
Le médecin Claude Bernard, après lui (19ème): 1. Observer les phénomènes sans idées
préconçues. 2. Formuler des hypothèses ou idées expérimentales qui expliquent
possiblement les faits observés. 3. Vérifier les hypothèses par l’expérimentation.
[relever les différences])

- Pour en faire à coup sûr une entreprise de la vérité, on peut décider de faire de la science
seulement lorsqu’on présuppose que la vérité est à la clé. On peut choisir de ne déployer
sa méthode que si l’on sait d’avance que la finalité de la vérité sera atteinte. C’est l’idée
d’Auguste Comte, qui affirme que l’esprit doit se cantonner à ce qu’il peut connaître de
manière certaine et renoncer aux pures spéculations, à la théorie pure. Il doit notamment
renoncer à répondre à la question “pourquoi” pour se concentrer sur le “comment” des
phénomènes, qui le mène à la recherche des lois scientifiques. On limiterait alors nos
études à ce que l’on peut comprendre, et prouver par l’expérience, afin de se trouver à
coup sûr dans ‘le vrai”. La science serait pour cette raison, une entreprise de vérité; son
résultat devant être immédiat, empirique. Si son objet d’étude implique une trop grande
part de spéculation, il faudrait tout simplement renoncer à faire des sciences à son sujet;
afin que la science demeure à coup sûr dans le domaine de la vérité. C’est dans ce cas par
renoncement que l’on peut garantir que notre démarche scientifique est une entreprise de
vérité.

> Cependant, une fois la vérité scientifique atteinte, l’homme qui cherche peut être tenté
d’aller plus loin. “Ainsi les astres, d’accord, mais pourquoi les astres? Pourquoi leur
existence?”. Les sciences sont sans doute une entreprise de la vérité, mais certainement
pas une entreprise englobant toute la vérité. On peut dès lors distinguer la vérité
démontrée et la vérité révélée.
Cette dernière entre en jeu quand nos réponses ne peuvent se trouver que dans les
domaines de la métaphysique, ou de la philosophie. Ces disciplines, bien qu’elles
cherchent comme les sciences à établir des connaissances, leur ont été conceptuellement
opposées. En effet, on les distingue tout à fait de la science depuis qu’a eu lieu la
séparation entre la philosophie naturelle, la philosophie et la métaphysique. Or, la raison
tend comme le montre Kant dans Critique de la Raison pure vers des objets se trouvant
au-delà de l’expérience, qui échappent donc aux sciences. Pascal avait senti l’existence
d’une telle vérité qu’on peut qualifier de vérité révélée, qui est selon lui l’aboutissement
d’une démarche effectuée par le cœur. Elle ne se trouve pas au tenant de l’entreprise
scientifique. “Je commence en philosophe, mais je finis théologien”, disait Leibniz.
Peut-être qu’aborder scientifiquement un questionnement serait le meilleur moyen de
saborder sa vérité, quand elle est révélée. On peut voir la vérité révélée comme un
concept fuyant, auquel l’accès est réservé aux scientifiques qui ont posé les armes (les
explications, les calculs, les démonstrations formelles) pour s’offrir tout entier à cette
vérité d’un autre genre, qui se sent seulement, qui se démontre à peine.
Pour appuyer ce propos, je trouve utile de rappeler que la “science” au sens antique du
terme, une vérité supérieure, une connaissance qui a conscience d’elle-même, relève
d’une démarche exclusivement métaphysique.

Transition: Comme nous venons de le montrer, la science se donne pour but de dévoiler
la vérité. Elle tend toujours vers une vérité démontrée. On peut penser que les sciences
partent de leurs propres postulats pour progresser. Ce qui est vrai en partie. Mais la vérité
ne se fait pas l’unique composante d’une démarche scientifique; au contraire, une part
d’incertitude et de falsifiabilité lui sont toujours nécessaires. Voyons alors pourquoi la
science, entreprise vers la vérité, ne sera jamais totalement une entreprise de vérité.

II. La démarche scientifique, pour atteindre la vérité, a besoin dans une certaine
mesure d’incertitude.
- On ne peut pas s’appuyer que sur du concret, notamment dans le cas des sciences
dures. Accepter une part d’évidence. La vérité est alors instinctive. On renonce
dans une plus ou moins grande mesure à la vérifiabilité du postulat initier une
proposition que cela n’empêche pas d’être convaincante.
C’est assez paradoxal: Pour accéder à la vérité, il faut accepter des principes dont le statut
est problématique, car ils ne peuvent par définition pas être démontrés. Ils constituent
pourtant les points de départ de nombreuses démonstrations. La vérité n’est donc pas le
fondement indispensable d’une théorie scientifique. Ces principes, selon Pascal, sont
l'œuvre de l’instinct. Ils sont connus de manière immédiate. Il existerait ainsi deux sortes
de certitudes; celle qui se fonde sur ce que l’on sent (les principes); et celle qui se
démontre de façon rigoureuse et rationnelle. C’est ainsi qu’il affirme dans les Pensées que
“les principes se sentent, les propositions se concluent: et le tout avec certitude, quoique
par différentes voies”. Il faut préciser que les postulats, les principes, peuvent initier la
voie aux propositions et le font souvent. Il en va ainsi dans le cas de la géométrie, ou de
l’astrophysique par exemple.
- je sens qu’un triangle a trois angles. Ses angles font 180 degrés. Ce sont des
connaissances a priori.
- Albert Einstein compare la démarche de l’astrophysicien a celle d’un mécanicien;
étudier l’espace lointain, dont nous avons une expérience très limitée, c’est comme
agir sur un mécanisme caché à l’intérieur d’une montre fermée. Part d’incertitude,
à l’origine pourtant de la vérité scientifique.

→ Par ailleurs, même ces “évidences” sont potentiellement réfutables. Par exemple, le
modèle euclidien du triangle dont la somme des angles est 180° a éclaté au 19ème siècle
avec les travaux de Lobatchevski. Cela invite à reconsidérer le statut de ces principes. Ce
sont plutôt des hypothèses, des postulats de base, qu’on peut changer sans
nécessairement créer de contradiction. L’incertain est donc une composante majeure de
l’entreprise scientifique.

> Les sciences pourraient même tenir une part de faux comme critère de vérité. Pour
distinguer les fausses sciences d’avec les vraies, il faut observer lesquelles acceptent la
réfutabilité. Pour le philosophe des sciences du 20ème siècle Karl Popper, ne tient pour
science que ce qui est testable ou falsifiable. La falsifiabilité est le critère de la scientificité;
ça peut paraître paradoxal, car ça signifie que pour être vraie, une science doit être
potentiellement fausse. Sa non-vérité potentielle affirme sa vérité immédiate. C’est à
cause du falsificationnisme que la psychanalyse a tant de mal à dépasser le titre de
pseudo-science; puisque ses théories sont à la fois invérifiables et irréfutables, elles sont
non scientifiques. Par ailleurs, la caractéristique des théories complotistes est de
n’accepter aucune contradiction, de faire front en tant que convictions irréfutables.
[EXEMPLE]
Une théorie qui ne s’offre pas à la falsifiabilité n’est donc jamais scientifique. À l'inverse, la
vérité des théories scientifiques est seulement relative, quasiment provisoire. Cela laisse
la place à des rectifications successives, que l’on appelle progrès des sciences.

Un des aspects de la science qu’il est intéressant de dépasser est son objectivité. En effet,
les théories scientifiques peuvent être vraies en elles-mêmes; mais elles demeurent une
lecture du monde, dont l’homme est la mesure. La vérité est après tout une construction
de notre conscience; elle n’existait pas avant nous. Dans un dialogue, pour qu’il y ait
vérité, effective il faut autant que l’émetteur dise quelque chose de vrai; que le receveur le
perçoive comme tel. La vérité se pense toujours dans cette binarité. Platon estime ainsi
que la vérité est scellée par “l’accord des interlocuteurs au terme d’une discussion bien
conduite”. Ici, nous pouvons considérer les sciences comme des émettrices de savoir;
encore faut-il que leur vérité soit portée jusqu’à des récepteurs qui savent la reconnaître
comme telle. C’est pourquoi nous nous intéresserons dans cette dernière partie à une
lourde charge: reconnaître la validité des sciences.

> Reconnaître la validité des sciences.


- Est valable ce qui est reconnu comme d’autres scientifiques de la discipline, garants
d’universalité. C’est ce qu’on entend par “communauté scientifique”: ensemble des
personnes qui ont l’ethos pour valider ou infirmer une proposition scientifique.
Remarque: même admise par tous, une théorie scientifique n’a qu’une vérité relative. Par
exemple, on peut affirmer depuis le XVIème siècle que le géocentrisme est une théorie
erronée… et depuis le 20ème, que l’héliocentrisme également! à hauteur de leurs
connaissances, les scientifiques du 16ème n’avaient pas tort; ils affirmaient même une
théorie plus proche de la vérité que le géocentrisme.
- Une proposition qui s’avère fausse n’en est pas moins utile à sa discipline.
Comme le disait Karl Popper, une science n’avance pas de certitude en certitude mais se
développe bien, je cite, par “conjectures et réfutations”.

- Le citoyen. En tant que citoyens, extérieurs à la communauté scientifique, nous avons


aussi le droit de juger les sciences car elles ont des implications dans la société. Deux
positionnements opposés se dégagent du rapport aux sciences: d’un côté le scientisme;
de l’autre, le scepticisme.
Le scientisme se caractérise par une confiance immense en le progrès scientifique, qu’on
suppose capable de résoudre tous les problèmes de l’humanité (même les problèmes
sociaux!). Il prétend étendre les méthodes scientifiques à tous les domaines. Félix Le
Dantec, qui a créé ce terme au 19ème, estime que la science est la seule connaissance
légitime; donc, le seul moyen d’accès à la vérité. “Je crois, dit-il, que la Science et la
Science seule résoudra toutes les questions qui ont un sens”. Les questions auxquelles la
méthode scientifique ne peut apporter de réponses sont pour lui absurdes et doivent par
conséquent être négligées. La science englobe toute la vérité; et ce qui ne mène pas à la
vérité ne mérite pas d’être étudié. Il est dès lors tentant de prendre les vérités, certes
vérifiées, comme doctrines applicables. Or, comme le rappelle le mathématicien Henri
Poincaré, quelques décennies après Le Dantec: “la science parle à l’indicatif, jamais à
l’impératif”. Dans le langage courant, on dira de quelqu’un qui prend toute idée
scientifique comme un argument d’autorité qu’il est scientiste.

La posture inverse consiste à douter systématiquement de ce que la science prétend


affirmer. Il s’agit paradoxalement de protéger la vérité contre les connaissances
scientifiques., dans une sorte de scepticisme prudent. En d’autres termes, on doute de la
science pour protéger la vérité. Puisqu’elle a atteint une quantité impressionnante de
vérités prouvées sur les lois qui régissent le monde, la science apparaît parfois comme
omnipotente, et fait facilement argument d’autorité. Or, une “erreur scientifique” n’est
jamais impossible. Le doute semble par conséquent une démarche tout à fait nécessaire
quand il s’agit de sciences. Même si les vérités scientifiques ne relèvent pas d’un vote,
comme le rappelle Hume, il existe bel et bien un droit des citoyens à poser des questions,
à enquêter, à interpeller les chercheurs. C’est un droit absolu, une liberté individuelle. De
leur côté, les scientifiques ont le devoir de répondre à nos questionnements, et doivent
s’engager à la transparence.

- La Morale et l'Éthique.
Pour finir, il faut noter que certaines questions concernant les sciences ne peuvent pas
être résolues par la science elle-même. “Est-il légitime de cloner un être humain?”;
“Doit-on cultiver des organismes génétiquement modifiés?” Les sciences ne disent rien de
leur valeur morale; et la plupart du temps, elles n’en n’ont pas. La science, qui ne se donne
que pour but d’atteindre une vérité purement rationnelle, reste neutre moralement. Les
champs de l’éthique, de la philosophie, s’emparent alors de ces questionnements pour les
traiter. Ce que la science ne peut pas juger, d’autres disciplines le font pour elles. C’est
ainsi que l’on peut voir des “philosophes scientifiques” comme Popper, ou des œuvres
telles que Le Principe Responsabilité de Hans Jonas. Les gouvernements mettent en place
des comités d’éthique qui empêchent la science de la liberté d’aller à l’encontre des droits
fondamentaux, au nom de la science.
Si l’on suivait toujours ce que la science trouve de plus rationnel, alors on trahirait ce qui
est le plus raisonnable pour nous. Donner un pouvoir décisionnel à la science s’est
souvent avéré dangereux. Pour diriger un pays, Comte dit s’en remettre plus volontiers à
la sociologie (qui se fonde sur des phénomènes prouvés et véritables) qu’à la politique,
plus idéaliste et spéculative. Pourtant, l’épisode du Covid-19 a bien rappelé que la science
ne peut prévoir l’avenir, et qu’elle ne saurait remplacer en certain domaine les certitudes
sensibles. On peut aussi penser à la politique nataliste de Chine, qui pousse à un contrôle
strict des naissances. Elle se base sur une théorie somme toute très rationnelle mais qui,
une fois mise en pratique, a des conséquences néfastes.
Pour conclure,

Hume, 1742: “Même si le genre humain tout entier concluait de manière définitive que le
Soleil se meut et que la Terre demeure en repos, en dépit de ces raisonnements, le Soleil
ne bougerait pas d’un pouce de sa place et ces conclusions resteraient fausses et
erronnées à jamais.” Les connaissances scientifiques ne sauraient relever d’un vote.

Les démonstrations mathématiques, contrairement à ce qu’on pourrait croire, mènent à


des vérités relatives car elles sont fondées sur un système hypothético-déductif, qui part
d’abord de principes. Ces principes peuvent être dépassés.

Karl Popper: conjectures et réfutations.

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