Vous êtes sur la page 1sur 9

Partie 1 : L’exercice du pouvoir en Afrique : questions de méthode

Séance 1. Introduction : État, gouvernement : cadre d’analyse et définitions

1. Présentation générale du cours

Étudier deux notions fondamentales de la science politique, l’État et le gouvernement, par une
approche sociologique :
- Les jeux d’acteurs
- Les processus

C’est étudier les interactions qui sont multiples et conflictuelles. Elles régularisent la vie en
communauté. On part de l’idée qu’une pluralité d’acteurs prend part.

Pourquoi étudier l’État en Afrique ?


- Spontanément : l’État n’est pas toujours associé à l’Afrique : il y est apparu plus tardivement
et est souvent catalogué comme « fragile », failli. Un état fantôme presque inexistant.
- L’objectif de ce cours : mettre à jour une certaine banalité de l’État et du gouvernement en
Afrique. De tels discours sont des lieux communs et ne reposent pas sur des réalités
empiriques. Sa particularité sont ses manifestations particulière vis-à-vis de l’Occident qui
se mesurent en efficacité et en intensité. On va revisiter des concepts avec une autre étude
de cas.

2. Exercice de définitions : politique, Etat, gouvernement


A. Le politique et les relations de pouvoir

Le distinguo classique de Philippe Braud :


- Le politique attrait au mode de production des décisions fondées sur la coercition légitime.
Ce qui est politique est qu’il y a des gens qui prennent des décisions et d’autres qui
obéissent. (car ils considèrent que c’est légitime)
- La politique (modalités de compétition entre des individus dans la conquête de postes)

Les relations de pouvoir selon Max Weber :


- Le pouvoir (macht) : un des agents bénéficie d’une forte probabilité de faire prévaloir sa
volonté malgré des résistances. C’est un pouvoir qui finit par s’imposer.
- La domination (herrschaft) : est la probabilité de trouver des personnes prêtent à obéir à
un ordre car elles croient en la légitimité du donneur d’ordre et du principe même
d’obéissance à l’ordre. B obéira à A car il pense être légitime.

Ces deux types de relations se retrouvent dans les deux types de registre de pouvoir que l’on
retrouve dans toutes les sociétés c'est à dire domination et soumission d’une part et
commandement et obéissance d’autre part. La domination et soumission est un rapport de
puissance : des individus donnent des ordres quand d’autres s’y plient. L’obéissance peut passer
par la menace de violence physique, par des organes comme la police/justice mais aussi la
pression sociale du groupe dans son ensemble. Commandement et obéissance prennent en
compte la possibilité de désobéissance.

Une attention particulière pour :


- Les manifestations du politique au concret
- Les manifestations inattendues du politique. Cf. Les OPNI de Denis-Constant Martin (les
fêtes, les habits…). Résister au politique n’est pas forcément manifester dans la rue.

B. L’État

La fameuse théorie des trois critères de Raymond Carré de Malberg :


- « Il existe un État lorsque sur un territoire où réside une population s’exerce un pouvoir
juridiquement organisé qui monopolise la contrainte légitime ». L’État a la capacité

1
d’imposer des normes dont il est le producteur et qui s’imposent à lui. C’est la coercition
légitime.
On a donc :
- Un territoire (espace géographiquement délimité) sur lequel s’applique des règles
juridiques posées sur les gouvernants,
- Un pouvoir de l'État qui s’exerce sur les citoyens mais aussi dans une certaine mesure sur
les étrangers présents sur le contrôle de l'État et
- La monopolisation de la contrainte légitime (un pouvoir d’injonction juridique c'est à dire
qu’il est producteur de droit). Il impose des normes et ces normes s’imposent à lui (Etat de
droit).

La définition de l’État selon Max Weber dans Économie et Société


- « Entreprise politique à caractère institutionnel, dont la direction administrative revendique
avec succès dans l’application des règlements, le monopole de la contrainte physique
légitime sur un territoire donné. »

C’est la forme de gouvernement qui s’est institutionnalisé à la fin de la colonisation.

Concrètement, l’État a plusieurs niveaux :


- Ensemble des institutions
- Administrations, gouvernement

C. Le gouvernement

Il correspond aux modes de domination et de légitimation cad aux actes qui tendent à organiser
et à diriger la vie en société, et dont les effets s’imposent à tous les membres de la société. Le
gouvernement n’est pas seulement le fait de l’État mais de l’interraction entre les acteurs.

Pourquoi ne pas parler de gouvernance ?


Pour certains auteurs (comme Mamoudou Gazibo) : la gouvernance correspond aux institutions
et aux méthodes d’exercice du pouvoir.
Mais il y a deux limites importantes :
- Une notion qui a tendance à gommer la dimension conflictuelle des relations de pouvoir
- Une notion attrape-tout, liée à un champ prescriptif et normatif

Lorsqu’on parle de gouvernement on est dans une relation verticale (croyance légitime de la
domination) alors que la gouvernance est plus horizontale (interdépendance entre les acteurs
pour produire de la décision collective). Le distinguo des conflictualités est moins mis en avant.

3. Étudier l’exercice du pouvoir en Afrique : précautions et partis-pris


A. Comment appréhender l’objet Afrique ?

La diversité de l’Afrique
- Équilibre à trouver entre faire des généralisations abusives et aborder l’Afrique pays par
pays
- Une piste : parler des « Afriques » (Mamoudou Gazibo). C’est une prudence
méthodologique qui part du postulat que les états sont divers mais qu’ils existent des
régularités suffisament communes pour créer un cours sur l’Afrique.

La multiplicité des sens du qualificatif « politique »


- Exemple du cas des OPNI
- Une piste : Considérer que certaines questions sont plus « politiques » que d’autres
(Mamoudou Gazibo)

L’ethnocentrisme et le sens commun


- Absence de décentration, et biais de la transparence des faits politiques

2
- Une piste : le doute méthodologique et la rupture épistémologique (Gaston Bachelard) =
nos perceptions et nos sens nous trompent car tout est socialement construit.

Étudier l’État et le gouvernement au point de rencontre de trois moments de l’histoire du


continent :
- L’héritage précolonial, la colonisation, les dynamiques postcoloniales
Séance 2. L’Afrique des idées réçues

Le continent africain apparait presque quotidiennement dans les journaux, etc… mais entouré de
mystère ou alors ne relevant pas des mêmes catégories d’action et de pensée du reste du
monde. Il apparait vraiment à part. Ces perceptions sont le fruit d’une longue histoire et ont des
conséquences analytiques. Elles sont souvent des clichés qui sont autant des obstacles et défis
sur qui veut poser un regard analytique sur l’Afrique.

Les deux types « d’écrans » de Gazibo susceptibles de brouiller la production de discours et


de connaissances.
- Tout objet se présente à l’observateur déjà chargé d’histoire mais aussi de caractéristiques
qui lui ont été attribuées par des observateurs.
- L’observateur est lui-même porteur d’une histoire de connaissance premières et de
positions personnelles sur cet objet.

Produire un discours scientifique suppose un travail préalable sur les écrans : c’est la recherche
de l’objectivité. Comme le dit Weber, le chercheur doit être axiologiquement neutre. Il doit réunir
des faits avérés et produire des explications démontrables.

Karl Popper (La connaissance objective, 1978) : le critère de réfutabilité


- L’idée est de se départir du sens commun. On peut énoncer une théorie scientifique à
partir du moment où elle peut être réfutable. Le sociologue doit écarter les préjugés
sociaux qui lui encombre l’esprit. Il doit étaler les cartes sur la table : qui je suis ? d’où je
parle ?
- « Le chercheur doit s’affranchir de ces fausses évidences qui dominent l’esprit du vulgaire »
explique Durkheim. Cela implique un travail d’introspection et de rationalisation de ces
propres valeurs. Pour Popper, on passe alors d’une théorie subjective (sens commun) à
une théorie objective (scientifique). Pour effectuer ce changement il faut prendre en compte
un nombre de précautions méthodologiques.

L’Afrique pose de nombreux défis aux chercheurs du fait de son histoire et de son statut de
continent dominé. Elle est rarement abordée de manière neutre, quel que soit le rapport du
chercheur au continent. Le biais : produire une analyse scientifique fait que la recherche se
déroule dans un contexte empreint de clichés, de stéréotypes (positifs/négatifs).

1. Les idées reçues sur l’Afrique, freins à une recherche neutre


A. Approche historique des idées reçues sur l’Afrique

Jusqu’à l’ère chrétienne, l’image de l’Afrique n’a pas souffert de préjugés systématiques.
- Selon Valentin Y Mudimbe (The idea of Africa – 1994), il y a deux périodes :
o La période mythique (Homère huitième siècle av JC – Hérodote cinquième
siècle av JC) où l’Afrique est représentée par des monstres et de créatures via
des peintures. L’art représente d’une manière mystique l’Afrique du Nord (on ne
connaissait que ça)
o La période anthropologique (Hérodote cinquième siècle av JC). C’est la période
de recherche de compréhension (on n’est plus dans l’imaginaire) à travers des
descriptions fondées sur l’observation. On se fonde sur Hérodote qui était allé en
Lybie (nom donné à l’Afrique). Il n’échappe pas aux préjugés lui non plus (le
sperme des noirs serait noir). Cette période avant l’ère chrétienne est
relativement neutre sinon favorable à l’Afrique. Selon Alain Bourgeois (La Grèce

3
antique devant la négritude, 1971) il est réconfortant que les grecs d’il y a 2
millénaires regardait avec admiration les nègres en tant qu’hommes fraternels.

L’ère chrétienne : la malédiction de Cham (Genèse, Chapitre 9, versets 20 à 27).


- L’interprétation qui s’est imposée veut que les Noirs soient les descendants de Canaan et
qu’ils aient., en quelque sorte, hérité de la malédiction proférée par Noé quand il dit :
« Béni soit le Seigneur de Sem, et que Canaan soit son esclave ! Que Dieu donne de
l’espace à Japht ; que celui-ci habite les tentes de Sem et que Canaan soit son esclave »
Cette malédiction a été utilisée pour justifier l’esclavage et la colonisation. Les Africains
seraient maudits, bons qu’à être des esclaves. Ils sont dans les ténèbres donc il faudrait
les civiliser.

La période de l’esclavage : moment de déshumanisation des Africains


A partir de la découverte de l’Amérique au XV siècle, le commerce et l’esclavagisme prennent
des proportions importantes. On a un commerce triangulaire où des navires partent de l’Europe
avec des produits de pacotille ; ils arrivent en Afrique se chargent d’esclaves qu’ils emmènent
en Amérique puis ils reviennent en Europe avec des marchandises. C’est un moment de
déshumanisation.

À partir du 19ème siècle : la colonisation et le rôle des explorateurs


À partir d’une présence qui se limitait aux côtes africaines (comptoirs commerciaux), il y eu
beaucoup de missions de reconnaissance par différents explorateurs comme David Livingstone
(1813-1873) et Pierre Savorgan de Brazza (1852-1905).
- Livingstone était un missionaire, médecin et explorateur écossais. Il a établi une mission
en Afrique du Sud en 1941 : Il est connu pour avoir appris les langues locales et crée
des écoles. Il découvre une Afrique centrale largement méconnue à l’époque.
- Pierre Savorgnan de Brazza était un explorateur français. Il a effectué plusieurs missions
notamment dans le Congo. Il a signé un traité de protectorat avec le Makoko (puissant roi
en français) du royaume des Téké en 1980. Il fonde un poste à ce qui est la capitale du
Congo Brazzaville. Cette fondation pose les bases de la future Afrique équatoriale
française. Il a d’ailleurs administré la colonie appelée le Congo français.
- Cela a été la cristallisation d’une image négative et dominée de l’Afrique.

La ruée vers l’Afrique (the scramble for Africa) et la conférence de Berlin (1884-1885)
- Le point culminant de la colonisation sont les années 1880. La ruée vers l’Afrique est
régulée par la conférence de Berlin (1884-1885) pour éviter des guerres entre puissances
coloniales européennes sur le sol africain. Dans les années 1870-1880 se multiplient les
explorations en Afrique de la part de grandes puissances européennes. Cela concerne la
France (Brazza), la Belgique (Stanley), le Portugal (Alexandre de Serpa Pinto).
- Bismark va s’inquiéter du retard de l’Allemagne dans ce domaine et va donc imposer des
règles, surtout concernant le libre accès commercial aux grands bassins fluviaux et
l’obligation d’occuper effectivement un territoire avant d’en revendiquer la possession.
- C’est la conférence de Berlin qui partage le « continent noir » et en trace les frontières.

Idée de mission civilisatrice portée par des hommes politiques mais aussi par des auteurs
(cela était lié à l’idée d’inégalité de races).
Victor Hugo a toujours été pour une mission civilisatrice. Il prononce un discours en 1879 où il
défend cette mission civilisatrice. V. Schœlcher (à l’origine du décret sur l’abolition de l’esclavage
en France en 1848) lui répond et parle de « magnifique mouvement philanthropique ».

Ce type de discours était très courant au XIXe siècle :


- Léon Blum (1872-1950) admettait « le droit et même le devoir des races supérieures
d’attirer à elle celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture ». On voit bien
l’idée de hiérarchisation des races, de progrès.
- Ernst Renan (1823-1892) a aussi proclamé des idées de hiérarchisation des races : « la
nature a fait une race de maîtres et de soldats, à savoir les européens et une race de

4
travailleurs de la terre, à savoir le nègre qu’on peut facilement dompter si l’on est bon
avec lui ».
- Thomas Jefferson (1743-1826 - troisième président USA) disait n’avoir « jamais constaté
qu’un homme noir avait développé une idée allant au-delà de la narration ».
- Le Larousse de 1866 disait que les nègres « ont le cerveau plus rétréci, plus léger et
moins volumineux que celui de l’espèce blanche ». Ces comparaisons binaires
(modernité/tradition, richesse/pauvreté, Lumières/ignorance) servent à justifier la
colonisation.

B. Les conséquences d’un point de vue analytique

On a la constitution de puissants écrans à une approche de l’Afrique centrée sur l’Afrique.

Stephen Smith et la dérive essentialite de l’étude de l’Afrique dans Négrologie : comment


l’Afrique se meurt (2003)
- L’ouvrage ramène au goût du jour les idées de barbarie, de cruauté et de paresse : « les
Africains se bouffent entre eux ». Pour lui il faudrait remplacer la population du Nigéria
par celle du Japon par exemple. On voit une dérive essentialiste (les sociétés
africaines sont par essence comme ci). Ce genre de travaux n’est pas le seul fait
des occidentaux. On ne parle pas plus objectivement de l’Afrique parce que l’on
est Africain.

Daniel Etounga Manguelle et le culturalisme primaire


- Il postule l’existence d’un ensemble de valeurs, d’attitudes, d’institutions qui caractérisent
l’Afrique subsaharienne : hiérarchisation (un chef, des sujets), une absence de mobilité
sociale, un recours à l’irrationnel dans tous les domaines, un immobilisme qui empêche
d’altérer le cours des choses, un esprit communautaire, une hostilité à l’individualisme, un
autoritarisme, un culte du pouvoir, un unamisme social… C’est un exemple d’occidentalo-
centrisme (on prend l’occident comme la norme).

Le culturalisme est fondé sur les travaux de Boas : chaque culture est unique et singulière. Elle
représente une totalité singulière. Une telle démarche invite les chercheurs à mettre en lumière
des phénomènes sans savoir s’ils sont normaux… Il n’y a donc pas de culture supérieure aux
autres et du point de vue de l’éthique, chacune jouit d’une égale dignité et mérite le respect.

2. Les approches défensives et le militantisme dans les études africaines : de la difficulté


de la prise de distance des chercheurs

Des auteurs ont tenté de mettre à jour ces clichés et ont régulièrement adopté une
démarche défensive. Cette démarche avait pour but de prendre la défense de l’Afrique, de
dénoncer l’injustice dont elle était l’objet.

Selon Gazibo, on peut distinguer plusieurs dynamiques qui tentent d’enrayer ces clichés
sur l’Afrique.
Tout d’abord dans la littérature.
- C’est le cas des auteurs regroupés dans l’Harlem Renaissance avec des auteurs
comme Claude MacKay, Counte Culle, Lansgton Hughes). C’est l’idée prise de
conscience de l’existence d’une personnalité noire et un besoin d’affirmé une singularité
civilisationnelle.
- La négritude (Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor) est défendue dans des revues
Légitime défense, Présence Africaine. L’objectif était d’exalter la fierté d’être noir. Elle
voulait entreprendre un plaidoyer pour l’émancipation (ne pas oublier le contexte
colonial !). La négritude s’est fait le promoteur d’une pensée de libération politique et
culturelle de l’homme noir. Le mouvement né dans la période de l’entre-deux-guerres à
Paris de la rencontre d’étudiants Africains et Antillais. La négritude, courant littéraire, est
un néologisme vidé de son sens injurieux pour en faire le porte-drapeau de leur
affirmation identitaire. Césaire dira « il est temps pour le nègre d’entrer sur la scène de

5
l’histoire du monde afin de témoigner de l’œuvre de l’Homme ». Pour Césaire la négritude
était un instrument de prise de conscience et de lutte. Avant la période des
indépendances (années 1960), cette littérature engagée a été au cœur de la réflexion
pour la libération des Africains. On y voit une lutte contre les préjugés, le racisme, la
colonisation.

On peut évoquer l’écriture rédemptrice de certains chercheurs africains.


- Cheikh Anta Diop (historien sénégalais) affirme l’unité culturelle de l’Afrique noire. Il
affirme aussi l’origine africaine de la civilisation de l’Égypte pharaonique. Cela a été
beaucoup débattu. Son objectif était de rétablir la dignité des Africains en leur donnant
une histoire. On a beaucoup reproché un manque de distance, de neutralité axiologique.

Outre l’entremêlement du combat politique sur le travail scientifique, ces travaux ont deux
types de risques :
- La présentation d’une Afrique qui serait saturée de sens (selon Achille Mbembe).
Dans ses travaux là, il s’agit moins de produire de la connaissance que de contrecarrer
les clichés. Cela donne lieu à un ré-enchantement de la tradition. Tous les maux actuels
ne viendraient que de l’occident.
- L’autocensure (mis en avant par Jean-Pascal Dalloz). Il dit que les auteurs sur
l’Afrique n’abordent pas les sujets qui fâchent pour des réseaux d’engagement par peur
d’être exclu du cercle intellectuel. Par exemple, il donne l’exemple des débats sur la place
des Africains dans la production des Etudes africaines. L’autocensure consiste à ne pas
dire qu’il y a un décalage scientifique entre les centres d’information africains et
européens. Selon Dalloz il dit que c’est un constat : les centres de recherche africains
sont moins riches (facteur objectif). Il dit aussi que si on veut avoir une vie confortable,
être chercheur en Afrique n’est pas très profitable.

On a une sorte d’angélisme donc selon lui. Les chercheurs doivent avoir une neutralité
axiologique (pas de jugement de valeur de la part du chercheur). Tout cela n’est pas propice à la
production de travaux qui examinent l’Afrique pour ce qu’elle est réellement, concrètement.

3. Questions de méthode : construire l’Afrique comme objet de recherche

A. Les Afriques plutôt qu’une Afrique

Ce qui pose problème ce n’est pas le fait de généraliser mais d’avoir comme postulat que
l’Afrique serait uniforme. Certains processus sont en commun dans toute l’Afrique mais l’Afrique
est plurielle. L’idée est de parler des Afriques ce qui permet de prendre en compte
l’hétérogénéité : configurations territoriales différentes, trajectoires postcoloniales différentes,
niveaux de développement asymétriques, niveaux de démocratisation différenciés, niveaux de
conflictualité différent, régimes politiques différents

B. Étudier l’Afrique pour ce qu’elle est :

Il y a deux grands positionnements.

Adopter la même démarche méthodologique pour celle que l’on applique aux autres
objets, par exmple en Occident.
- Jean-François Bayard parle d’une approche qui restituerait « l’historicité propre des
sociétés africaines ». On n’étudie pas les sociétés africaines par rapport à des normes
qui seraient établies.
- Achille Mbembe propose de « rendre compte d’une manière aussi intelligible que
possible, de quelques formes de l’imagination politique sociale et culturelle dans l’Afrique
actuelle ». Les deux auteurs veulent décrire l’Afrique telle qu’elle est plutôt que de
l’interpréter subjectivement.

Les approches afro-centristes.

6
- Wosene Yefru et Paul Zeleza pensent que la pensée sur l’Afrique doit partir de l’Afrique.
Zeleza dit que la recherche dominante est fabriquée en vue d’imposer la supériorité
occidentale. Certains auteurs se demandent s'il est légitime d'étudier l'Afrique
quand on n’est pas africain.
- Richard Sklar, à l’inverse, explique qu’il peut y avoir une tendance à être sentimental
donc c’est réducteur. Il dit que l’afro centrisme doit être un impératif analytique : étudier
l’Afrique pour elle-même sans multiplier les références à l’extérieur.

L’Afrique est entre universalisme et singularité.


Ne s’intéresser qu’à la singularité serait :
- Nier le poids de l’histoire (colonialisme, commerce triangulaire, nié les interactions
entre sociétés actuelles : relations économiques politiques avec les anciens pays
colonisateurs), prendre le risque de dérives de dérives méthodologiques. La singularité
africaine a permis de justifier le colonialisme.
- Prendre le risque de dérives méthodologiques. Mbembe dit qu’il y a un préjugé
simpliste selon lequel les sociétés africaines seraient des sociétés de la tradition.

Les arguments en faveurs d’une approche universaliste sont


- Pragmatiques (résulte de la faiblesse voire de l’inexistence d’un schéma théorique
localement)
- Épistémologique (cela permet d’aborder des objets localisés). Le risque majeur de
l’universalisme est de gommer des particularités locales.

Pour pallier les risques liés aux deux approches on peut utiliser des approches mixtes.
Dans un contexte de forte prégnance des clichés, si l’on veut rendre compte de l’Afrique
telle qu’elle est pour elle-même, il faut :
- Une immersion sociologique et une approche compréhensive (Weber, Bourdieu :
comprendre la position des dominés sans pour autant se transformer en militant). Cela
permet de concilier différentes approches qui visent à décrire l’Afrique sans subjectivité.
- Échapper à la tension entre universalisme et relativisme culturel. On peut utiliser des
concepts issus d’études différentes tout en les adaptant aux particularités locales.
o L’idée d’« autorité duale » de Richard Sklar explique qu’il y a une coexistence de
pouvoirs traditionnels et de gouvernements bureaucratiques modernes (sortes
d’imbrication des formes coutumières et modernes de l’exercice du pouvoir).
L’étude du pouvoir ne peut se faire à partir de catégories ni seulement
universelles ni seulement culturelles.
o Jean-François Médard montre que les états africains sont hybrides (coexistence
de normes traditionnelles et bureaucratiques). Ça rejoint la théorie d’Étienne Le
Roy qui parle de pluralisme juridique et normatif (les acteurs font appel à des
normes coutumières ou modernes).
- Mamoudou Gazibo veut adopter un relativisme culturel modéré : concilier un modèle
général et des études de cas. On s’autorise à revisiter les concepts, les modalités
d’analyse à la lumière des études africaines (décentrer le regard). On échappe à la
domination de modèles universalistes.

Tout cela permet de se prémunir de la « sociologie spontanée » de Pierre Bourdieu. Tout


l’enjeu des études africaines est que ce continent est très propice à cette sociologie spontanée
d’où l’importance de la méthodologie.

4. Texte support - Georges Courade : L’Afrique des idées reçues

C’est un ouvrage collectif (chercheurs et doctorants africains et européens). L’idée de cet


ouvrage est que le continent africain fait l’objet de nombreuses idées reçues (qui alimentent
les peurs et les mystères). Les idées reçues partent d’une vérité incontestable mais qui fait l’objet
d’une généralisation. « Nous nous devions de situer poncifs, préjugés, généralisations abusives
dans le contexte des représentations existantes et la manière dont cela devient vérité ».
L’approche est de rejeter l’afro-pessimisme sans pour autant tomber dans l’afro-optimisme.

7
- La première partie parle d’économie. Il donne les chiffres de la corruption. L’idée
dominante est de dire que la corruption est partout et qu’elle constitue un frein au
développement. Il déconstruit cela en disant que la corruption n’est pas une spécificité
africaine. Il explique qu’elle est acceptée dans l’échange social. Pour le cliché de la
migration massive, il explique que ce ne sont pas les plus pauvres qui émigrent. Les
migrations les plus importantes sont sud/sud (intra-africaines).

- Dans la deuxième partie sur l’histoire, il donne l’exemple des frontières. Il dit qu’elles ont
été imposées de l’intérieur (conférence de Berlin) mais les Etats y sont attachés et peu
de frontières y sont contestés. Beaucoup de frontières ont éclaté des ethnies mais
c’est une illusion de faire des frontières parfaites sans couper les ethnies. Il dit que les
frontières sont des opportunités puisqu’elles permettent d’échanger.

- Sur la troisième partie concernant la sociologie, il prend l’exemple des fonctionnaires


vus comme corrompus et paresseux. Le fonctionnaire a toujours été considéré comme
un privilégié mais cette position enviable a été associée à un impératif de redistribution.
On a des phénomènes de clientélisme et de corruption.

- Sur la quatrième partie sur la géographie du monde rurale, il part du cliché d’une
agriculture surtout vivrière et familiale. C’est vrai mais les agriculteurs s’adaptent aux
contextes.

- Enfin, dans la dernière partie, il prend l’exemple de la croissance démographique


(visions catastrophiques : la population explose). L’Afrique est partie, mais dans quelle
direction ? (« cerveaux »). Il montre que cela n’a rien d’exceptionnel. Deux
générations sont nécessaires pour établir un équilibre démographique. La question
importante est comment les Etats vont gérer cela et le vieillissement démographique.

Georges Courade montre que les courants afro-pessimistes sont souvent le fait d’Africains. Ils
sont le fait d’Occidentaux mais aussi d’Africains.
- Les idées reçues fonctionnent en miroir : des arguments construits vont alimenter
l’idée d’une Afrique criminelle et d’autres tout aussi construits vont à l’inverse plaider en
faveur d’une Afrique qui serait victime.
- Les courants « afro-pessimistes »
- Le culturalisme (version positive ou pessimiste) en prônant les vertus de l’agronomie
traditionnelle ou « les africains sont voués au sous-développement parce que leur culture
y correspond ».
- Il définit les mentalités (p26) : les croyances, les normes et les valeurs partagées au
sein d’un groupe qui déterminent ce qui est bien ou mal, positif ou négatif dans le
comportement des individus au sein d’une même société dans la longue durée. Aborder
un ensemble social par ses mentalités revient à souligner sa différence culturelle qui
serait donnée une fois pour toute (coutumes, traditions qui ne vont plus bouger). De
nombreuses études montrent qu’il y a un pluralisme dans les normes.

Dans ce texte, les auteurs s’interrogent sur la production des idées reçues. Ils retiennent 3
sources :
- Les projections occidentales (souvent liées aux aides occidentales) : soit on applique
des techniques toutes faites sans se préoccuper des spécificités locales, soit on va voir
dans l’Afrique un continent merveilleux, bucolique dont l’Occident ferait bien de s’inspirer,
soit encore on va alimenter des visions caricaturales du continent par la médiatisation de
faits divers vus comme insolites.
- Les idées d’isolement, les lourds héritages et l’hostilité du milieu naturel (l’Afrique
est isolée, il y a des littoraux et des déserts, cela empêche les contacts et donc la
diffusion du progrès)
- La démographie suicidaire et le refus du développement : on courait à la catastrophe
puisque la population est passée de 177 à 505 millions d’habitants entre 1950 et 1990 et

8
que l’ONU prévoit 1.3 milliards d’habitants en 2040. Or ce développement
démographique ne lui permettra retrouver le rang du XVIIe siècle (17% de la population
mondiale). Le pays le plus peuplé est le Nigéria.

5. Conclusion : l’Afrique, un terrain de recherche banal ?

En quoi l’Afrique et l’Europe (occident) seraient-ils si radicalement différents ?


- Pour Thomas Bierschenk, les bureaucraties occidentales et africaines ont en commun d’être
hétérogènes : simplement les façons dont elles sont fragmentées et les raisons de leur
émiettement sont différentes. (cf. Le relativisme culturel modéré de Mamoudou Gazibo)
- Christian Coulon (1997) fait le postulat de la banalité du politique en Afrique sub-saharienne.
L’Afrique n’est pas exotique. C’est un objet banal. Ce sont des sociétés normales. Parler de
banalité ne revient pas à occulter les spécificités des processus africains mais partir du postulat
que les processus se manifestent de manière différenciée notamment en terme d’intensité et
d’efficacité de l’appareil de l’état. (Dominique Darbon).

Vous aimerez peut-être aussi