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2018 – 2019

ANALYSE SOCIO-POLITIQUE
DE L’AFRIQUE SUBSAHARIENNE
LDVLP2626 – PHILIPPE DE LEENER

Mathilde Quinonero – SPRI2M


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CONCEPT DE POLITIQUE

1. DIFFÉRENTES MANIÈRES DE COMPRENDRE LE CHAMP


POLITIQUE

1.1. Manières de travailler sur le politique et premières clefs d’analyse

Cf. FMC 14
– Plusieurs définitions possible
· Quand on parle de politique, on parle nécessairement de relations et de tensions
entre des individus, des groupes, des structures, des instances…  il est question
de politique dès lors qu’on examine ce qui se passe à ces deux niveaux-là.
· De manière plus large, on peut décider qu’il est question de politique dès le
moment où la question « comment vivre ensemble » se pose  en ce sens, toute
situation humaine comporte potentiellement une dimension politique.
– A partir de là, différentes clefs d’analyse s’offrent en proposant diverses conceptions et
entrées :
· « Politique » à la lumière des rapports de force entre acteurs en lien avec la
gestion/prise et des (en)jeux de pouvoir
· Variante : « politique » à la lumière des tensions entre des dominants et des
dominés ou des exploiteurs et des exploités et le centres et les périphéries
· « Politique » à la lumière des systèmes de décisions de leur organisation dans une
société, une structure, un milieu,… Capacité de décider, à prendre une décision
· « Politique » conçue comme rapport à la transformation dans le fonctionnement
de la société. Et dans ce cas, une situation ou une démarche est politique si elle
vise explicitement une transformation, non pas dans les états de choses mais dans
le fonctionnement sociétal qui conduit à ces états.
– On nécessite nécessairement 4 dimensions notamment quand on s’approche du champ de
la politique (ce ne sont pas les seules dimensions mais celles sur lesquelles le prof
insiste) :
· Situation(s) = contexte (référence à l’histoire), état de la situation, moment,
acteurs, lieu/espaces, « il se passe qqch ». (Question la plus centrale dans le champ
politique)
· Conflits ou confrontations : pas forcément violents
· Identité : les acteurs sont pourvus d’identité. Il y a d’une part celle qu’on nous
attribue et d’autre part celle qui est vraiment la nôtre. (avec dans leur sillage les
questions de « distribution des rôles » et de « statuts »)
· Histoire : les situations humaines ont toujours une Histoire et des histoires qui ne
sont pas neutres, qui influencent. Les temps a de l’importance dans l’histoire.
Histoire des peuples et des sociétés. Dans un champ politique, il y a toujours une

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ou des situations qui incarne un « ici et maintenant » mais qui n’existe qu’en
fonction d’un « avant » et le plus souvent d’un « après ».

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1.2. Différence entre le politique, la politique et les politiques (cf. M. Gauchet)

Cf. FMC 15
– La politique = Action publique, faire de la politique (en faisant ça, on transforme le
politique). Activité sociale dans laquelle les membres d’une société établissent et
modifient les normes de leur collectivité et décident ensemble de leur avenir.
– Le politique = Ce qui est de l’ordre des structures, des normes et du fonctionnement ;
« sens du politique », ce qui fait de quelqu’un un vrai « homme d’État » ou pleinement un
« citoyen ».
– Les politiques = des mesures (e.g. politiques publiques).

2. PETIT CADRAGE HISTORIQUE

2.1. Où en sommes-nous ?

– L’histoire du capitalisme, qui a commencée au 15 e siècle, est très liée à l’histoire de


l’Afrique mais on n’a pas le temps d’en parler amplement ici.

 Cf. « How this all happened. The story of how America evolved from 1945 to 2018) » de
Morgan House

2.2. En Afrique : avant la colonisation

! Piège dans lequel il ne faut pas tomber : ne pas remonter avant la colonisation (il y a des
populations qui ont transités des milliers d’années avant cela !)

2.2.1. Commerce triangulaire et razzias (1er traumatisme)

– L’expression commerce triangulaire peut être simplifiée de la sorte : des navires


occidentaux se rendaient sur les côtes africaines pour échanger des esclaves contre des
marchandises. Ils transféraient ces derniers en Amérique et les échangeaient contre des
denrées acheminées sur le continent européen.
– Cette pratique visant à exporter des esclaves a complètement désorganisé les systèmes
politiques établis en petit comité.
– Des razzias ont été organisées afin de ramasser le plus de personnes possible.
· En conséquence, les villages, les communautés et parfois même les états se sont
organisés pour lutter contre cette pratique.
 Ils aménageaient par exemple les paysages profitant du relief pour se créer
des cachettes.
e.g. Nord du Cameroun toute un structure végétale : les paysages ont été
transformé pour se défendre de ces razzias.

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 Aussi, ils se tournaient vers les régimes autoritaires seuls à pouvoir se
défendre contre ces razzias.
· Ces pratiques ont lourdement impacté les systèmes politiques mis en place, les
citoyens vivant dans la peur perpétuelle d’être tirés de leur sommeil pour être
embarqués sur un bateau à destination de l’Amérique.
– Cet imaginaire de la razzia existe toujours aujourd’hui, et elle était encore bien présente
dans les années 1990.

2.2.2. Colonisation (2e traumatisme)

– Lors de la colonisation, la logique de la peur a été empruntée aux razzias mentionnées


plus haut.
– De fait, afin de justifier leur présence, les colons pratiquaient la peur, mais aussi le
dénigrement systématique. Les identités deviennent floues pour les autochtones. Sont-ils
des hommes ? Des singes ? Des êtres inférieurs qu’il convient d’éduquer ? Les populations
ont été quelque peu dépossédées d’elles-mêmes.
– Cela a eu pour conséquence une interrogation profonde sur leur capacité à établir un
système politique. Sommes-nous vraiment capables de nous gouverner ?

 Il y a eu une occupation physique mais également une occupation mentale. Cette


dernière a joué un rôle important au niveau politique.
e.g. au Nigéria, la brutalité des colons a été reprise par ceux qui ont pris le pouvoir (c’est une
des interprétations).

– Colonisation belge au Congo :


· La Belgique s’est enrichie en partie avec les matières premières du Congo,
notamment le caoutchouc.
· A l’époque de Léopold II, on prenait littéralement les richesses du Congo et on
envoyait les curés pour les évangéliser. Après, il y a eu une période
d’investissement pour développer les capacités d’extraction.
· Il y avait aussi de l’investissement dans d’autres domaines que l’économie comme
par exemple l’éducation. Léopold n’a pas seulement investi au Congo mais aussi
en Californie notamment.

2.2.3. Seconde Guerre mondiale

– Lors de la Seconde Guerre mondiale, les locaux ont constaté que leurs occupants n’étaient
pas aussi forts qu’ils le prétendaient. Il y a eu une diminution de l’aura dominatrice des
colonisateurs.
– L’après-guerre, caractérisée par une activité économique florissante (les 30 glorieuses)
que par l’apparition des démocraties, correspondent à la décolonisation du continent
africain.

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– Les indépendances peuvent s’expliquer par le fait que les colonies ne représentaient plus
un attrait économique, mais plutôt un coût et qu’il était dès lors opportun de les laisser à
leur sort.

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2.3. Grandes permanences dans l’histoire politique des Afriques : les
déconnexions, une lecture du monde contemporain

Cf. FMC 16
Rem.  : valable sur la planète mais aussi en Afrique
– Après la WW2, il y a eu un basculement. Les français ont été battus par les allemands.
Aux USA, on a 13 millions de combattants qui reviennent de la guerre. Les trente
glorieuses s’ensuivent : le développement de la démocratie occidentale a profité de cette
période d’après-guerre. Cette période est aussi caractérisée d’indépendance
(décolonisation).
– ! Il est important de s’intéresser de manière critique à l’histoire !
– Cela dépend de la région sur laquelle on se trouve mais en Afrique il y a un passif que les
gens portent dans leur corps. Il faut toujours se demander quelles sont les traces que
l’histoire a laissées dans la région où je me trouve.
– En deux mots, en prenant du recul et un peu de hauteur, il est possible de repérer quelques
grandes permanences dans l’histoire des Afriques (au pluriel !). Je les saisis en quelques
mots forcément très réducteurs et simplificateurs (mon intention est vraiment de donner
une tendance de fond qui restera toujours à interpeller et à discuter dans une situation
précise). Sur les 4-5 derniers siècles :
(1) Les régimes politiques reposent peu sur l’activité économique de sorte que le
pouvoir – et surtout ceux qui y tiennent les rennes – ne sont jamais loin d’une
situation de captation de rentes. Prendre le pouvoir signifie alors s’accaparer des
rentes. Ce n’est pas le seul scénario mais, par contre, le « décrochage »/séparation
du champ politique et du champ économique est souvent interpellant, comme le
politique ne devait pas influencer l’économique ou, pire, garantir au second son
autonomie vis-à-vis du premier. Cette tendance est présente en Afrique mais aussi
dans le reste du monde. Actuellement, l’économie instrumentalise même le
politique. Ce sont les banques qui décident.
(2) L’histoire de l’Afrique se construit de l’extérieur. Les initiatives, prises d’action
dans la vie politique sont prises de l’extérieur. Capacité en Afrique de faire
alliance avec des puissances extérieures pour terroriser les gens chez soi. Le
partenariat et souvent les alliances fortes scellées entre les couches dominantes et
des forces extérieures. La situation est celle d’une dépendance paradoxale au
sens précis de « je me rends dépendant d’autres qui sont plus puissants que moi
pour asseoir ma domination sur les miens ». Il en résulte que l’histoire politique
semble se construire de l’extérieur du fait de l’action et de l’initiative des autres
venant d’ailleurs, action ou initiative qui se voit instrumentalisée par les
prétendants au pouvoir locaux ou nationaux.
(3) Les dirigeants africains ne dépendant pas du travail ni des richesses produites par
leurs peuples, leur richesse dépend précisément de la qualité et des formes des
alliances scellées avec d’autres qui vont créer de telles richesses. On peut parler

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d’une situation d’autonomie du pouvoir. Ceux qui dirigent n’ont donc pas le
sentiment de dépendre de la richesse de leur pays.
(4) Un grand nombre de pouvoirs et de personnes au pouvoir se maintiennent en
générant la peur dans leur peuple mais en étant aussi eux-mêmes habités par la
peur. La peur d’être renversé bien sûr mais aussi la peur d’être renversé par la
violence et dans la barbarie. On ne peut pas pleinement appréhender les régimes et
dynamiques politiques dans les Afriques en passant sous silence la peur
structurante.  Le règne par la peur.
– De ces quelques éléments, on peut se demander, au moins comme hypothèse, si l’histoire
des Afriques, du moins ces cinq derniers siècles, n’est pas celle d’une construction d’un
rapport aux autres en même temps que d’un rapport à l’extérieur comme moteur de sa
propre histoire. Comment reprendre la main sur son destin ? (c’est un thème récurrent
chez des auteurs comme Achille Mbembé ou Felwine Sarr deux auteurs contemporains
qui reprennent à leur compte et à leur manière les thèses des philosophes africains des
années 1950 à 1970).

2.4. Prendre ses distances avec les modèles conventionnels

Cf. FMC 10
– Les questions politiques sont typiquement adressées à travers certaines approches ou
postures qui ont toutes pour caractéristiques de rendre difficile l’interprétation des
situations toujours inattendues qui se présentent dans les réalités quotidiennes des pays
africains. Je me risque ici à en faire un recensement, du moins celles qui sont les plus
courantes. Si je les pointe du doigt dans ce mémo, ce n’est pas pour les « jeter » sans autre
procès mais plutôt pour attirer l’attention des étudiants et chercheurs sur le fait qu’ils ou
elles pourraient, à leur insu, emboîter le pas de l’une ou l’autre de ces postures. Or, il faut
toujours être en état de prendre de la distance et de questionner leur validité, et notamment
se demander pourquoi elles nous semblent si « naturellement » évidentes. Quelques
questions sont alors nécessaires : en quoi ces approches ou postures ou théories me
semblent-elles justes ? Pourquoi j’y crois ? D’où me viennent-elles ? Comment et à
propos de quoi j’en fais usage ?
– Voici en quelques mots les approches ou postures les plus fréquentes, celles qui doivent
nous faire réfléchir :
· Les régimes africains sont vus comme des exceptions, des singularités
irréductibles aux modèles ou théories existants et qui dès lors exigeraient, à la
limite pour chacun d’eux, une approche spécifique, des concepts spécifiques, sinon
même une méthodologie propre. Singulariser le régime qu’on étudie est typique de
cette posture. Les africains sont à la périphérie de l’humanité.
· L’explication colonialiste : l’histoire coloniale serait l’explication ultime de tout
ce qui s’observerait, tout remonterait à la grande rupture que la colonie est
supposée avoir déclenchée. Les régimes politiques seraient illisibles sans recours à
l’explication coloniale. Cette posture est typiquement hétéronome car elle nie toute

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capacité des peuples africains à écrire leur propre histoire. Paradoxalement, cette
posture, en ramenant tout à la domination coloniale, enferme dans l’hétéronomie
ceux et celles qu’elle proclame libérer et rendre autonomes.
· Les approches normatives ne sont pas rares. En gros, ces approches soulignent
principalement ce que les régimes politiques et leurs acteurs ne sont pas. Il est
sous-entendu qu’ils devraient « être comme… » alors qu’ils ne le sont pas. Les
études menées sur l’État africain et leur fonctionnement convoquent souvent cette
posture.
· Les approches descriptives sont les plus fréquentes : on se limite à décrire,
parfois avec d’infinies précautions et multitude de détails comment les régimes ou
structures politiques africaines sont. Souvent, elle recourt à un langage et des
conceptions exogènes qui d’emblée déportent les situations décrites dans le champ
d’intelligibilité des « autres ailleurs ». Importance de faire du réel mais il ne faut
pas faire seulement de la description.
· L’amnésie historique : beaucoup de recherches et d’études n’envisagent l’histoire
qu’après l’arrivée des colons, comme si ce qui se passait avant leur arrivée n’avait
finalement pas grande importance. Les analyses contemporaines sur Boko Haram
sont assez typiques de cette forme d’amnésie (on oublie par exemple que le nord
Nigéria est secoué par des jihads depuis des siècles. On rappellera par exemple le
Jihad du Peul Ousman Dan Fodio qui est celui qui est, à ce jour, le mieux
documenté. On découvrira alors que les pratiques actuelles, l’application brutale et
aveugle de la charia étaient déjà de mise au XIXème siècle, dans des formes et
suivant des modalités qui ont un air de famille avec celles qu’on observe
aujourd’hui). Ce type de posture empêche d’envisager que les situations et
dynamiques contemporaines puissent incarner une continuité de long cours : les
mêmes mécanismes fonctionnent aujourd’hui sous d’autres formes mais
prolongent une même rationalité.
· Les modèles d’explication d’inspiration marxiste ou néo-libérale, les théories
de l’hégémonie, les Afriques étant en quelque sorte identifiées comme des
périphéries dominées par un centre tyrannique (l’Occident par exemple, ou la
Chine, ou les multinationales,…). Ces modèles promeuvent typiquement une
dynamique hétéronome, mobilisant des paradigmes proches du triangle dramatique
(bourreau, victime, sauveur). Ils ont l’inconvénient de rapatrier une série de
concepts et de postulats qui se retrouvent en porte à faux avec les réalités
observables. Approches qui ont été produites dans un autre contexte, moment et
région historique.
· L’occidentalisation hégémonique convoque encore une autre posture, celle de la
domination culturelle. Les sociétés politiques africaines seraient écrasées par
l’injonction de culture occidentale, par l’injection dans les sociétés et les
institutions de références normatives occidentales. Ça ne peut pas nous empêcher
de voir autre chose.
· Les études post coloniales ou liées à la décolonialité configurent encore une autre
posture. L’hypothèse, en deux mots, est celle que la colonisation ne serait pas

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terminée, qu’en réalité les indépendances seraient encore à faire, sinon au moins à
finaliser. Les modèles de type Francafrique soutiennent cette posture qui convoque
dans son sillage l’image d’un Eldorado qu’il conviendrait de retrouver et qui
pousse parfois à « romantiser » l’histoire précoloniale (dans certaines versions
extrêmes, il suffirait de réhabiliter les situations précoloniales). Cet argument est-il
bien placé ? Si oui, comment l’utiliser ?
– Le propos ici n’est pas de disqualifier systématiquement ces approches mais de souligner
la nécessité
· d’en rechercher d’autres, éventuellement de nouvelles, qui feraient plus fidèlement
honneur aux réalités vécues dans les situations africaines
· de prendre soin de chaque fois les questionner à hauteur de leur pertinence vis-à-
vis de la question particulière qui est à l’étude, en veillant à questionner les
postulats souvent implicites – et donc indiscutés – sur lesquelles elles s’appuient.

2.5. Analyse « à la Guy Bajoit » (cf. deux textes)

Lecture de deux textes de Guy Bajoit : « Relations de classes et modes de production :


théorie et analyse » (2014) et « Le capitalisme néolibéral : Comment fonctionne-t-il ?
Comment le combattre ? » (2016)
– Toutes les sociétés sont caractérisées par la division du travail.
– Deux classes :
· Classe P : ceux qui travaillent/produisent
 Offensifs : ils font pression sur les dirigeants pour qu’ils agissent en
fonction de l’intérêt général.
 Défensifs : Pour les intérêts de certains aux dépens des autres.
· Classe G : les gestionnaires, ceux qui organisent la contrainte. Il faut produire un
surplus.
 Qui gère ce surplus ?
 Deux façons de diriger :
 Dirigeante : dans le sens de l’intérêt général
 Dominante : elle défend les intérêts privés/particuliers de certains
groupes aux dépens d’autres groupes.
– Situation d’inégalités dans toute société, surtout inégalité dans action ou dans la
redistribution des richesses produites.
– 4 questions que l’on peut se poser en lisant les deux textes :
· Sur quels principes culturel commun les classes G et P fondent-elles nécessaires
coopération pour produire un surplus ?
· De quelle manière la classe G contrait-elle la classe P à produire un travail
générateur du surplus ?
· De quelle manière la classe G s’approprie-t-elle le surplus ? Comment elle oblige
la classe P à lui céder le surplus produit ?

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· De quelle manière la classe P répond-elle aux menaces de la classe G qui pèse sur
sa production ?

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ANALYSE CRITIQUE DE LA DÉMOCRATIE 
LES QUESTIONS CLEFS À SOULEVER

1. PRÉAMBULE

1.1. Réflexion et rappels

– Exercice : Qqn est mandaté pour accompagner des mouvements paysans, des structures
agricoles dans des organisations paysannes, avec des associations qui les accompagnent,
qui sont portées par trois grandes thématiques : la transition vers l’agroécologie (points de
distance avec les perspectives de l’agro-industrie), la question de l’agriculture
contemporaine dans cette région du monde en lien avec le climat (résilience climatique :
comment on fait face aux transformations du climat et comment on répare le climat) et la
maîtrise des systèmes semenciers (comment contrôler ses semences sans dépendre du
marché mondial)
– Question qu’il se pose : comment adopter une perspective politique quand on a de telles
questions devant soi (alors que les questions de base sont techniques) ?
· On peut partir du point de vue des acteurs, et regarder quels sont les intérêts des
différents acteurs, qu’est-ce qui les lie et les délie les uns des autres.
· Inscrire ces thématiques dans le cadre de la politique nationale en cours, puis
internationale.
 Au Togo et au Bénin il y a des gouvernements, qui sont censés avoir une
politique économique et des prises de position sur les questions agricoles.
 Quelle est la place de ces préoccupations (système semenciers, résilience
climatique et agroécologie) dans ces politiques nationales ? Sont-elles
seulement dedans ? Si c’est dedans, c’est dedans comment, et si non,
pourquoi ?
· Contextes élargis (notamment historiques)
· Tenir compte des spécificités, du contexte spécifique
– Rappel : quatre manières d’entrer dans un angle politique :
· Tensions dominants/dominés
· Rapports de force
· Transformation dans le fonctionnement de(s) société(s)  pour Philippe, c’est cet
angle-ci qui est clef dans notre question.
· Décisions : qui décide quoi ? Ici, qui décide quoi en termes de système semenciers,
en termes d’action sur la résilience climatique, qui décide quoi au sein des
structures paysannes, au sein des ONG en matière d’agro-économique ? On peut le
voir au niveau macro (grandes décisions, grandes politiques) ou au niveau micro
(voir comment à l’intérieur des structures qui sont accompagnées les décisions
sont prises, certaines alternatives privilégiées, etc.).
– Toute situation humaine est une situation potentiellement politique, la politique n’est pas
qqch loin de nous.

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1.2. Exercices de mise en jambe : y a-t-il démocratie en Occident ? Malade ou
en bonne santé ?

– Y a-t-il démocratie « chez nous », en Occident (en Belgique, en France, aux USA) ? À
quoi vous le voyez ?
· Votation
 Un homme/une femme = 1 voix
 Taux de participation
 Vote secret
· Liberté de manifestation (? liberté encadrée ? liberté totale ?)
· Liberté (formelle) d’accès, tout le monde peut se présenter
· Séparation des pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire) et contrôle
· Référence imposée
· État de droit (modalité plus que réel facteur)
· Opposition
 Opposition peut s’exprimer
 Alternance structurelle, toujours possible : l’opposition peut arriver au
pouvoir
 Partis qui portent les opinions/expressions différentes
· Légitimité : respect de la majorité, élections (a priori) non faussées
– En quoi la démocratie semble malade ?
· Particratie :
 On vote pour un parti et un programme, mais une fois qu’ils sont élus,
marge de manœuvre pour mettre ce programme en place, distance se fait
avec le peuple  question de la représentation citoyenne, qui serait
problématique.
· Subordination du politique à l’économie
· Contrôle citoyen ?
· Inégalités
· Liberté d’expression/d’opinion/de conscience :
 Une certaine partie de la population a l’impression de ne plus exister dans
l’espace public, de ne plus être dans le radar (cf. gilets jaunes).
 Une petite partie d’investisseur possède toute la presse, tous les médias en
France (en Belgique pareil) ( lien avec économique).
· Taux d’abstention manifeste que les gens ne se reconnaissent plus.
· Pilarisation : des petits partis peuvent se proposer, mais finalement on continue de
voter pour les grands partis.
· Élitisme : non perméabilité, connivence
· Marginalisation systématique de la voix de l’opposition par le politique et par la
presse, opposition disqualifiée, presque censure (et/ou autocensure).
· Injustice fiscale

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· Jeux de pouvoir
· Problème dans le système de majorité : il y a deux manières de comprendre le fait
d’être élu : soit je suis élu dans le cadre d’une majorité pour défendre cette
majorité, soit je suis élu par une majorité pour servir l’intérêt général. Or, on a une
tendance depuis un certain temps partout dans le monde à se cristalliser sur la
majorité.
– En quoi vous semble-t-elle en belle santé ?
· Corruption modeste (mais relatif : dépend de comment on définit la corruption,
mais en tout cas corruption proximale peu présente).
· Politiques publiques
· Base de droits/droit
· Relativement bon système éducatif
· Accès possible
· Contrôle de la majorité par l’opposition
 Système de coalition
 Grande division des niveaux de pouvoir (fédéral, régional, provincial…)
avec majorités différentes, combinaisons.
· Stabilité des institutions
· Usage de la diplomatie favorisé vs. usage de la force
– Question de la souveraineté nationale, question d’échelle (État, Europe, international…) :
on a une démocratie nationale, et des problèmes transnationaux et internationaux, il y a
une tension entre la capacité de contrôler chez soi dans un système où tout est ouvert ; pas
de possibilité d’influencer démocratiquement sur les tendances qui traversent le pays,
notamment au niveau économique.

2. TENTATIVE DE DEFINITION : LA DÉMOCRATIE, UNE REPONSE A


QUELLES QUESTIONS ?

2.1. Réflexion commune

– Si on se dit que la démocratie est une réponse, elle est une réponse à quelle(s)
question(s) ?
· Comment organiser les individus au sein de la société ?
· Comment promouvoir l’égalité entre les individus ?
· Comment promouvoir la paix et la sécurité entre individus/entités/pays ?
· Comment gérer et/ou gouverner ensemble la société ?
· Comment promouvoir les intérêts collectifs de la société ?
· Comment s’émanciper de dieux ?
· Comment sortir de l’arbitraire (la loi du plus fort) ?
· Comment organiser le vivre ensemble ?

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 Questions très différentes, les réponses seront différentes et ne seront pas forcément la
même démocratie.
– Deux entrées différentes : construire la démocratie par le haut ou par le bas.
– La question posée est aussi différente en fonction d’où on la pose, notamment en fonction
du pays d’Afrique.
– Tout concept est une valise d’impensé  pour proposer une analyse pertinente, critiqu et
complète, il faut se poser plusieurs questions importantes dès lors qu’on avance des
concepts, que l’on se repose sur des mots-clefs :
· A quelle(s) question(s) ce concept est-il la réponse ?
· Il y a toujours une histoire derrière le concept, un concept n’arrive jamais sans
histoire(s !)  Comment se réapproprier l’histoire du concept ?
· Si on va chez les autres avec un concept qui vient d’ici (e.g. aller avec le concept
de démocratie au Soudan, au Congo, au Bénin…), il faut réfléchir à comment ils
entendent ce mot, comment ils lui donnent un contenu, avec quoi ils vont remplir
la valise ? Sur quoi mettent-ils l’accent ?
 Avec le concept de démocratie, il y a d’autres concepts qui sont charriés,
drainés, traînés par la conception occidentale de la démocratie.
– Réfléchir la culture comme stock d’impensés.

2.2. « Dénoyauter » les grands concepts : quelques grandes questions utiles pour
y parvenir

Cf. FMC 1
Les “grands concepts” qu’on présente habituellement comme “universels” doivent faire
l’objet d’une utilisation précautionneuse. Il en va ainsi pour des concepts comme
“démocratie”, “citoyenneté”, “État”, “genre”, “Droits de la personne”, “justice”… Aucun de
ces concepts n’est spontanément reconnu, ni même immédiatement légitime, en dehors de la
sphère occidentale, tandis qu’au sein même de l’Occident ils sont l’objet d’un questionnement
et d’ajustements permanents, ce qui les rend à la fois malléables et mobiles, mais aussi
relativement incertains, suffisamment pour qu’ils puissent être matière à controverses et à
développements.
Autrement dit, ces “grands concepts” ont une histoire inachevée, ils poursuivent leur
trajectoire dans les sociétés contemporaines, en Occident, mais aussi ailleurs où ils peuvent se
retrouver chargés de significations diverses, éventuellement nouvelles. Voici quelques
postures et questions nécessaires face à l’usage ou au recours de tels
concepts particulièrement lorsqu’on est “chez les autres” (par exemple en Afrique).
· Tout d’abord, toujours revenir à la question derrière le concept. Quelle est la
grande question derrière le mot “démocratie” (par exemple) ? Ou, pour le dire
autrement, le concept “démocratie” est la réponse inventée par qui, où, quand,
pour répondre à quelle question ?

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· Quelle est l’histoire du “concept” chez ceux et celles qui l’ont inventé ? D’où
vient-il, quelles mutations a-t-il traversées le cas échéant avant d’échouer sur le
rivage d’aujourd’hui dans la forme qu’on lui connaît ? Quels contradictions, ou
conflits subsistent malgré le “lessivage” de l’histoire ?
· Chez ceux à qui on destine la reprise du concept, par exemple les États
africains, quels sont le sens et la portée de la question ? Comment eux la
reprennent-ils ? Comment la (re) formulent-ils ? Au besoin, comment la
déforment-ils ? Pourquoi ?
· Comment y répondent-ils ? Quelles sont “leurs” réponses… s’ils en ont ? Et
pourquoi y répondent-ils de cette façon-là ? (Éventuellement “décalée” par rapport
à la réponse “standard”) Et, le cas échéant, pourquoi n’ont-ils pas de réponses ?
· Pourquoi, le cas échéant, ne se posent-ils pas “spontanément” la question qui,
en Occident, était à l’origine du concept ?
Partir de la question dans le sillage du concept, et non pas de la réponse (en général, celle
qu’on “impose” à l’autre différent de soi) est la base de tout dialogue honnête et
émancipateur. Partir de la question signifie faire le pari que l’autre est lui aussi capable
d’animer – de donner vie à – une histoire qui ne se réduit pas à reproduire la sienne propre.
Les concepts, quels qu’ils soient :
· Sont toujours des aboutissements provisoires, situés dans le temps, et donc exposés
à l’érosion du temps et de la succession des générations
· Se présentent toujours à la manière de valises chargées d’impensés et… (pour les
autres) chargés d’impensables.

2.3. Les grands concepts comme « valises d’impensés »

Cf. FMC 2
– Tous les grands concepts qui balisent la pensée politique comme elle s’organise
ordinairement doivent être entendus comme des aboutissements provisoires : ils peuvent
actuellement paraître bien mais doivent être considérés avec un passé derrière ; on n’est
pas sur un aboutissement définitif, mais sur un processus provisoire.
– Dès lors qu’on fait appel à un concept, même un concept local, on doit toujours en même
temps qu’on le convoque penser que si je prononce ce mot, je vais provoquer un certain
nombres d’impensés, mais aussi même des impensables (des choses qui ne sont pas
pensables en tout cas aujourd’hui).
– Avant de pouvoir déconstruire, avoir un regard critique sur des concepts, il faut d’abord
les nommer, puis les construire, puis les déconstruire.

3. ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE LA DÉMOCRATIE

3.1. Douze concepts

18
Cf. «  Défis démocratiques en Afrique » (2015) de Philippe De Leener et « Les
“démocraties” africaines, miroir des mutations démocratiques au Nord ? Contribution à une
investigation critique des démocraties occidentales » (2010) de Philippe de Leener
Douze concepts sans lesquels il n’y a pas de démocratie complète, douze enjeux permanents
pour les démocraties.
(1) Réflexivité : il n’y a pas de démocratie en Occident sans travail de réflexivité ;
autocritique.
(2) Fonction d’autolimitation : on part de l’idée que ceux qui ont le pouvoir ont le pouvoir de
s’entendre entre eux pour décider de s’empêcher de.
(3) Égalité
(4) Séparation des pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire ; religieux)
(5) Autrui généralisé (fonction de la subjectivité) : autrui comme un autre à l’intérieur de soi
comme un opérateur fonctionnel, instance qui nous pousse ou nous empêche de faire
quelque chose (point de vue de l’individu).
(6) Autrui comme préoccupation : la société est organisée pour prendre soin, se préoccuper de
ses membres, pour qu’on prenne soin les uns des autres (point de vue de la société).
(7) Individus de type « moi je » : population composée par des individus qui ont une opinion
et qui sont engagés par ce qu’ils disent et font.
(8) Distinction entre intérêts collectifs et intérêts privés
(9) Débat ouvert
(10) Projet de transformation de la société 
· La démocratie que les peuples se donnent pour transformer et agir sur leur société,
pour la changer.
· Projet de société implicite ou explicite
(11) Inachèvement : en démocratie, on part de l’idée que l’on est toujours en situation
d’inachèvement, toujours en processus (inachèvement des lois, des situations, des
procédures, de tout ce qui organise la vie).
(12) Liberté
· « Ma liberté s’arrête là où commence celle d’autrui » ou « Ma liberté commence là
où s’arrête celle d’autrui » ? « Ma liberté commence là quand celle des autres
commence » ? Introduit un principe d’interdépendance ?
· Liberté paradoxale
· Liberté totale ou limitée ?
· Dans un cadre convenu (par exemple dans un débat ouvert, cf. (9)).

3.2. Catégories

Il convient également de distinguer les conceptions opératoires qui représentent l’ensemble


des arrangements, procédures (les élections par exemple) des conceptions fondatrices qui
reprennent les éléments constitutifs. Il y a différentes façons de faire la démocratie. Ce n’est
pas parce qu’on a des élections qu’on est en démocratie. On peut très bien avoir des élections

19
et être dans une dictature. Il y a toute une culture démocratique et des formes démocratiques.
(Benjamin Barber)

– Conceptions opératoires (il y a un Parlement, votation, etc.)  fonctionnel


· Formes
· Arrangements
· Procédures
– Conception fondatrices  conceptuel
· Impensés
· Nationalités
· 12 concepts

3.3. Début de réflexion : application des critères aux démocraties occidentales

– Réflexivité
· + Accessibilité de ressources pour critiquer
· – La réflexivité n’est pas à la hauteur de l’importance des enjeux
· Est-ce qu’on réfléchit assez ? Est-ce que la réflexivité va assez vite, et est-ce une
réflexivité active, dont des conséquences sont tirées ?
– Autolimitation

4. L’HISTOIRE DE LA PENSÉE DÉMOCRATIQUE

Cf. fiche par Philippe de Leener de Le Christ philosophe de F. Lenoir

4.1. L’Antiquité : la philosophie du Christ

– Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la démocratie ne trouve pas ses racines dans
les cités grecques. En effet, selon l’auteur, les valeurs démocratiques sont à trouver dans la
Bible, dans les valeurs chrétiennes (indépendamment du fait que l’on soit chrétien ou
non).
· De fait, on constate un recours massif du « je » dans les Évangiles. Cela illustre
une forte subjectivité, le propos n’étant plus celui d’une divinité inaccessible, mais
bien celui d’un homme.
· La deuxième invention de la Bible réside dans l’opposition entre un monde
extérieur et un monde intérieur, le premier étend que la projection du second
dans l’espace sociétal. C’est l’idée que le monde, tout comme la démocratie se
construit par les hommes pour les hommes.
· Troisièmement, ce texte met en évidence le passage de la perspective du Salut
(qui dépend de l'autre, de son bon vouloir) à celui de la Liberté propre (qui

20
dépend de soi-même). Il s’agit d’un glissement fondamental, car derrière cette
idée de liberté, c’est aussi la question de responsabilité qui est en jeu. Aussi, on
constate une inversion des hiérarchies humaines. À travers la Bible, on passe
d’une société fondée sur des valeurs liées à la force, à la réussite à une société
fondée sur les valeurs liées à la souffrance, à la fragilité et la faiblesse.
– En plus de ces quatre inventions majeures, la Bible a aussi innové sur le plan culturel :
· Égalité : Jésus s'adresse à des personnes quel que soit leur statut, âge, richesse en
parlant de "prochain" comme un autre "soi-même" (prémisses d'une conception
universelle de l'homme)
· Liberté de l’individu : La liberté de choisir est le fondement de la grandeur
humaine, d'où l'idée d'émancipation, à commencer par l'émancipation des liens
familiaux ; idée de secret de la prière qui aménage un accès direct à Dieu sans
intermédiaire.
· Émancipation de la femme : de nombreux épisodes de la Bible mettent en scène
l’importance de la femme que Jésus considère à l’égale de l’homme.
· Justice sociale : L’idée centrale n’est pas l'interdiction de la richesse, ni même le
mépris de la richesse mais la nécessité du partage.
· La séparation des pouvoirs temporels et spirituels avec cette maxime célèbre :
« Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » (Jésus dénonce la
confusion des champs du religieux et du politique)  invention culturelle de l'idée
de séparer des pouvoirs de nature différente.
· La dignité humaine : Dans le Nouveau Testament, Dieu est créé à l'image de
l'homme au-delà des statuts et avantages dus à la naissance. Il s’agit d’une
inversion avec l’Ancien Testament qui établissait que l’homme été créé à l’image
de Dieu.
· Invention de l'individu comme sujet qui s'ajoute au concept de "persona" romain
(homme de droits et de devoirs, quel que soit le lieu, pourvu qu'il soit citoyen).
· Se réaliser et devenir pleinement homme impliquent un travail sur soi quel que
soit son rôle, d'où la perspective de la singularité de chaque être humain, d'où aussi
le fondement de soi comme acteur de ce qu'on est et devient, d'où l'idée de
perfectibilité et d'initiative ainsi que de prise d'initiative.
· Primauté de l'esprit de la Loi sur la Loi elle-même: "Le shabbat a été fait pour
l'homme, et non pas l'homme pour le shabbat". Une règle ne peut pas assurer par
elle-même le salut de celui qui l'applique, elle implique l'engagement.

4.2. Déchristianisation

– La « déchristianisation » progressive de l’être humain et la construction d’un humanisme à


l’occidentale s’est construite en trois étapes.

4.2.1. La Renaissance et la Réforme

21
– Cette période marque un recentrement sur l'homme, sa raison, son libre arbitre. Il y a aussi
une revitalisation des liens entre sagesse des auteurs anciens (esprit critique) et valeurs
chrétiennes (liberté, libre arbitre). L’homme aspire désormais au savoir universel. Aussi, il
y a l’idée que la dignité humaine provient du fait qu’il n’est pas déterminé par la nature.
De plus, apparaît l’idée que l’homme est à la fois libre et perfectible, c'est-à-dire qu’il est
à la fois le créateur, mais aussi le responsable de sa propre existence. À cet égard, on se
souviendra de la citation d’Érasme : « les hommes ne naissent pas hommes, ils
deviennent ».
– C’est aussi à cette époque que naît la première conception d’émancipation, marqué par la
rupture avec l’institution (notamment de l’Église comme institution avec la Réforme
Protestante). Mais si la liberté de l'individu est envisagée comme rupture avec l’Église,
l'émancipation de l'homme ne se conçoit pas encore comme une rupture avec la religion et
Dieu.

22
4.2.2. Les Lumières

– On assiste à une véritable libération des individus et de la société de la religion en créant


un État impartial qui respecte et garantit la diversité des croyances religieuses, et en
promouvant la démocratie reposant sur des individus libres et égaux. La liberté
individuelle est désormais étendue à la liberté sociale qui s'incarne dans le droit garanti
par un État.
– Il y a aussi une rupture radicale et une inversion du rapport au temps. Jusqu’alors, on avait
tendance à prendre le passé comme étant la référence absolue (on essaye de tout faire pour
revenir à une situation antérieure). Au 18e siècle, on se tourne vers l’avenir, comme
promesses de perfection. À cet égard, souvenons-nous de la citation de Kant : « le mieux
est toujours à venir ». La modernité se pense dès lors comme étant en totale rupture avec
la tradition.
– La raison critique est promue comme ressource pour se libérer à la fois de Dieu et de
l’Église. De là est venue naturellement l'idée de fonder une cité humaine par les seules
forces de l'homme. La libération de Dieu ne signifie pas pour autant la rupture, car la
raison de l'homme est comprise comme ce qui permet aux hommes de mettre en lumière
les lois que Dieu aurait établies pour construire le Monde. Dès lors, les grands principes
de la religion chrétienne refondent les constitutions et les lois des États et la société
devient la cible du changement (vers une société qui garantit plus de justice, plus de
liberté, qui protège de l'arbitraire et de la tyrannie des gouvernants).

4.2.3. La révolution industrielle du 19e siècle.

– L’idée défendue durant cette période est que la religion et la foi en Dieu constituent des
obstacles majeurs pour le progrès individuel et social. Ainsi, Auguste Comte considère la
religion comme aliénation intellectuelle.
– Il distingue classiquement trois stades dans l'évolution de l’humanité :
· L'homme qui interprète le monde au moyen de mythes, croyances, magies
· L’homme qui interprète philosophiquement le monde à la lumière de la raison
critique
· L’homme qui a une interprétation positiviste lorsque toutes les activités humaines
sont fondées uniquement sur la méthode scientifique.
– Ludwig Feuerbach considère lui la religion comme aliénation anthropologique. Les
attributs divins ne sont que des qualités humaines fondamentales dont l'homme se
désapproprie pour les attribuer à un Être suprême imaginaire. « En inventant le concept de
Dieu et en lui rendant un culte, l'humanité ne fait, en fin de compte et sans le savoir, que
diviniser et honorer l'homme ».
– Karl Marx établit quant à lui la religion comme aliénation économique. L'homme a créé
en dehors de lui une force qu'il ne reconnaît pas comme sa force propre et qui l'asservit.
On constate une évolution de la critique de la religion à la critique de la société qui crée la

23
religion parce qu'elle produit du malheur afin de le conjurer. Marx dira d’ailleurs à cet
égard : « la religion est l’opium du peuple ».
– Pour Sigmund Freud, la religion est vue comme une aliénation psychique. Freud
soutient d'abord le principe d'une projection du psychisme humain sur des forces
supérieures (problématique du complexe paternel, culpabilité et peur de la castration).
Plus tard il soutiendra que l'angoisse est à l'origine de la religion. L'homme est angoissé et
pour parer à cette angoisse, il a inventé Dieu comme une sorte de moyen psychique pour
affronter l'angoisse fondamentale de tout humain.

4.2.4. La matrice du monde moderne

– Avec la Modernité, ce n'est plus Dieu qui fonde l’éthique mais la Raison humaine. Il y a
transfert de légitimité. Avec Jésus, la légitimité pour prêcher l'égalité, la fraternité et la
liberté vient du « Père », avec les temps modernes le droit et la raison deviennent le
fondement ultime. Or, le droit et la raison appartiennent aux hommes. La modernité
aboutit à ce que l'émancipation chrétienne soit retraduite en une notion centrale, le
progrès, devenu le grand mythe de la modernité et en même temps son principal
instrument. Cette notion apparue de manière décisive au 17e siècle en suivant tout un
processus d'affinement.
– Le mythe du paradis céleste cède le pas au mythe du paradis terrestre dépendant
désormais des seules forces de l'homme, d'où est née la perspective de la révolution, celle
par qui ce paradis sur Terre adviendra. La seconde valeur promue dans le sillage de
l'idéologie du progrès, et celle du travail. Travailler sans relâche pour transformer les
richesses acquises en capital à investir, plutôt que de le dépenser pour jouir de la vie dans
le sillage d'un effort de rationalisation et de développement de la pensée instrumentale.
– La troisième et dernière valeur concerne l'interprétation qui veut qu’aucun texte ne soit
parfait, que tout texte est nécessairement lié à un contexte d'écriture et que tout ce qui est
perçu l’est selon le mode de celui qui perçoit (perspective déjà promue en son temps par
les thomistes). C’est à ce niveau-là que l’Islam et le Christianisme se distinguent le plus.
À part l'école mutazilite (au 9e siècle) qui conjugue théologie et rationalité en affirmant
que le Coran est créé et soutenant le libre-arbitre de l'individu, les interprétations
rationnelles de la religion sont généralement proscrites. Pour rappel, le mutazilisme est un
courant apparu en même temps que le sunnisme et le chiisme. Il a été combattu et pour
ainsi dire éliminé dès la fin du 9e siècle.

24
ANALYSE CRITIQUE
DE LA GOUVERNANCE EN AFRIQUE 
LES QUESTIONS CLEFS À SOULEVER

Cf. «  Gouvernance. Quelques clefs pour une réflexion critique » et « La “bonne
gouvernance” en français correspond-elle à la “bonne gouvernance” en bamanan ? »
(2009)

1. GOUVERNANCE : QUELQUES CLEFS POUR UNE RÉFLEXION


CRITIQUE

1.1. Éléments de contexte et question de fond

La gouvernance, en Afrique au moins, s'inscrit dans un contexte historique particulier. Dans le


sillage des échecs du PAS (plan d'ajustement structurel), mais aussi dans le cadre de la lutte
contre la pauvreté décrétée notamment à l'occasion des objectifs du millénaires (ODM).
Promue tout spécialement par la banque Mondiale et reprise très largement par la plupart des
agences d'aide, publiques ou privées, nationales ou multilatérales. Avec le souci de
(re)construire un État repositionné autrement dans le champ politique, plus comme un
instrument de gestion de la "chose publique" ou de la "Cité" (fonction instrumentale) qu'une
instance de planification (fonction politique). Dans l’optique d'une transition de la culture de
l'aide, on assiste au passage d'un modèle occidental idéalisé destiné à des acteurs à
« développer/civiliser » à une posture proche de l'auto-flagellation reposant souvent sur
l'idéalisation/angélisation des bénéficiaires. Cependant, le contexte n'est pas seulement
africain.
Il est aussi mondial. On parle de crise des régimes démocratiques « à l'occidentale » ou encore
de gouvernance mondiale dans un environnement de globalisation et de mondialisation. On
peut aussi constater la réémergence des jeux de pouvoir, des luttes de puissance depuis la
chute du mur de Berlin et la montée en force de nouvelles puissances, parmi lesquelles on
retrouve l'Inde, la Chine, ou encore le Brésil.
De là découlent un premier lot de questions :
· La gouvernance, une nouvelle manière d'aborder la question du pouvoir ? Et de
relancer la question démocratique, en Europe comme ailleurs ?
· Pourquoi parler de gouvernance et non pas (non plus) de « gouvernement » ou de
« pouvoir » ?
· La gouvernance, une modalité, voire un préalable, pour lutter contre la pauvreté ?
Est-ce donc reconnaître sa vocation politique ? A quelles conditions pauvreté et
gouvernance peuvent-ils être solidarisés ?

25
Sur un plan plus strictement politique, la thématique de la gouvernance questionne les formes
classiques de gestion du pouvoir. Comme si la participation populaire et les pouvoirs locaux
étaient devenus incontournables. Assiste-t-on à l'invention d'une nouvelle forme de gestion du
pouvoir ? Ou est-ce une manière détournée de saper encore davantage le pouvoir central
incarné par les États et les fondements conventionnels des démocraties ? Pour faciliter
l'émergence d'un pouvoir global à l'échelle planétaire en parcellisant les pouvoirs locaux ou en
les réduisant à des espaces confinés ? Le concept même de gouvernance est incertain, sinon
ambigu. Selon les agences d'aide, il charrie des significations différentes. Son émergence elle-
même soulève des questions : pourquoi un nouveau mot pour parler de pouvoir ?

1.2. Un concept ambigu

1.2.1. Variable en fonction des institutions

L’ambiguïté du concept de gouvernance réside dans le fait qu’il soit variable en fonction des
institutions internationales. À titre illustratif, voici quelques exemples :
– Selon l'Union Européenne, la gouvernance est un concept non défini mais qui englobe
des éléments disparates comme le respect des droits de l'Homme et des libertés
fondamentales, l'appui au processus de décentralisation et la participation des citoyens et
leur contrôle, le respect de l'État de droit, l'accès de tous à la justice et à l'information, la
sécurité…
– Selon la France (Ministère des Affaires Étrangères), la gouvernance serait l'art de
gouverner en articulant la gestion des affaires publiques aux diverses échelles territoriales
et entre les multiples acteurs. Le défi serait d'aider des sociétés à repenser leur mode de
gouvernance. L'accent est mis sur l'appropriation.
– La Banque Mondiale définit la gouvernance comme les traditions et institutions par
lesquelles l'autorité est exercée dans un pays pour le bien commun. Cela inclurait d’une
part, le choix des porteurs du pouvoir (comment sont-ils choisis, contrôlés et remplacés ?)
et d’autre part, la capacité du gouvernement à gérer efficacement les ressources et à mener
des politiques solides, mais aussi le respect des citoyens et de l'État vis-à-vis des
institutions régissant les interactions économiques et sociales. L'accent est placé sur la
lutte contre la corruption qui trône au cœur des politiques de la bonne gouvernance.
– Selon la GTZ / Allemagne, la gouvernance est située au cœur d'un triangle fait de la
démocratie, du bien-être et de l'exercice du pouvoir dans la cadre de la Loi. La bonne
gouvernance ne s'arrête pas à l'État mais englobe aussi tous les acteurs du secteur privé et
de la société civile. L'accent est placé sur la satisfaction des besoins des acteurs les plus
faibles, sans oublier les femmes (bonne gouvernance et genre), les droits humains. L'appui
à la gouvernance est une question de promotion de la démocratie et de l'État de droit.

1.2.2. Approche politique et économique

26
– Selon Corméliau, le champ d'application de la gouvernance ne se limite pas aux pays
pauvres, mais à tous les pays et à toutes les régions du monde, chacun pouvant avoir une
problématique propre. En Afrique, la bonne gouvernance ne se limite en aucune manière à
la seule gestion de l'aide. Cet auteur souligne la différence entre
· une approche politique de la gouvernance (qui concerne le choix et le débat
autour des finalités de l'action, ce qui implique des choix de valeurs)
· une approche économique qui concerne le choix des moyens et la question de
leur adéquation en rapport avec les finalités choisies. Cette dernière réduit le
champ problématique aux questions purement instrumentale. Comme si la
question des valeurs et des finalités étaient résolues une fois pour toute, la logique
du marché devant s'imposer par elle-même.

1.2.3. La gouvernance selon l’idéologie néo-libérale

– Le concept de gouvernance a été promu par les tenants de l'idéologie néo-libérale :


· (i) priorité aux marchés,
· (ii) libre échange et concurrence,
· (iii) maximalisation de la croissance,
· (iv) pouvoirs publics subordonnées aux lois du marché,
· (v) intégration de l'économie mondiale.
– Seuls les mécanismes de marché autoriseraient une gestion rationnelle des sociétés et des
économies. L'autorégulation des (et par les) marchés et la prédominance des intérêts
particuliers comme moteurs de l'économie poussent à réduire le champ de pertinence de la
gouvernance.
– Cette perspective de la gouvernance comporte deux conséquences majeures :
· Une dépolitisation du champ social : La gouvernance ne serait alors qu'une affaire
technique puisque le choix des valeurs et des finalités est définitivement réglé.
D'où l'insistance sur la lutte contre la pauvreté comme fer de lance dans les
discours.
· Une uniformisation des méthodes de gestion : Le même modèle de gouvernance
serait valable pour tous quel que soit l'histoire ou la culture.

1.3. Gouvernement ≠ gouvernance

– Il convient d’établir une distinction entre le gouvernement et la gouvernance. De fait, au


fil des années, un glissement s’est opéré dans le vocabulaire à tel point, que bon nombre
d’entre nous considèrent gouvernance et gouvernement comme étant des termes
équivalents, mais ils ne le sont pas.
· Le gouvernement est caractérisé par le fait que les perspectives d’avenir ne sont
pas données : on a affaire à un gouvernement qui est habité par des préoccupations

27
de savoir où on va, où on veut aller par rapport à un futur vers lequel on veut
tendre.  Projet de société incertain, soumis au débat.
· D’origine néolibérale, la gouvernance s’intéresse quant à elle au fonctionnement
des marchés et de la société, mais aussi à l’intégration des États dans le marché
mondial. L’histoire est terminée, on est dans un marché, la question est de savoir
comment mettre la société au service de ce marché, comment faire en sorte que
toutes les économies nationales soient ouvertes au marché mondial.

28
1.4. Bonne gouvernance ?

Derrière l'insistance sur la gouvernance, il y a la réalité d'un système de gestion du pouvoir à


l'échelle mondiale qui échappe au contrôle réel des États, notamment ceux qui ont été élus
démocratiquement, de même que de leurs instances internationales, et qui se présente de plus
en plus comme le gouvernement des puissants à travers de multiples et obscures mécanismes
et procédures de marché. La bonne gouvernance sert à huiler la machinerie et à satisfaire les
besoins d'un système mondial de fait déjà néo-libéralisé. Très souvent, on entend parler de
gouvernance participative. Cependant, selon P. De Leener, ce concept peut être défini comme
étant l’organisation de la soumission par ceux qui se soumettent.

2. LA GOUVERNANCE AU NORD ET AU SUD : LES TERMES DU


PROBLEMES (Cf. S. Mappa)

– Le contexte dans lequel la gouvernance prend place dans les années 1990 peut être saisi en
quelques mots. De fait, jusqu'à cette période, l'essentiel des efforts du développement
étaient pour ainsi dire pensés et financés de l'extérieur tandis que les pays et populations
d'Afrique étaient sensées les appliquer (en bénéficier). Une contradiction traversait dès
lors, de part en part le champ du développement. D'un côté on réduisait l'État à une
fonction purement instrumentale, dont le but est de gérer les cadres pour que les forces du
marché puissent opérer efficacement, d'un autre côté on exigeait de lui à travers la
démocratisation qu'il cesse d'être une entrave à l'initiative de l'entreprise et au marché
tandis qu'il garantisse la propriété privée.
– Plusieurs grandes étapes jalonnent l'histoire récente depuis les années 1990 :
· Le discours de La Baule en (1990, Mitterrand) : conditionnalités démocratiques
et liaison démocratie / développement.
· Le consensus de Washington (1991) qui résulte d'un accord entre le FMI, la BM
et le Gouvernement des USA, afin de sanctionner la prédominance de l'objectif de
croissance économique, mais aussi garantir les lois du marché, soutenir
l'intégration des économies nationales et régionales dans l'économie mondiale et
réduire l'action publique à un soutien des politiques économiques d'ouverture des
marchés.
· Les accords de Lomé IV (1995) qui conditionnent l'accès à l'aide au respect des
principes démocratiques et de l'État de droit.
· Le sommet du Millénaire de New York (2000) : priorité absolue à la lutte contre
la pauvreté conjuguée en 8 ODM. Dans son sillage, on assiste au lancement des
DSRP et autres CSLPSC, sensé unifier la planification des économies nationales
dans le cadre de la lutte contre la pauvreté.
– En 2006, la Commission Européenne et les États européens manifestent quelques
distances par rapport à la BM en introduisant la perspective de la gouvernance
démocratique. Ils affirment l'absence d'un modèle politique unique et leur soutien au
développement de la société civile (les ANE, Acteurs Non Étatiques).

29
– En 2008, un regard sur ces innovations politiques, la plupart du temps injonctives, conduit
à des constats globalement similaires d'un bout à l'autre de l'Afrique.
· En dépit des efforts et des moyens, les politiques tant économiques que sociales ou
politiques ne donnent pas les résultats annoncés. Il n'y a ni ouverture des marchés,
ni baisse des prix, ni développement des initiatives productives, mais bien un
accroissement de la contrebande, des fraude douanières, et des activités
délictuelles, dégradation des services.
· Transversalement, l'origine de l'impasse et des échecs tient en quelques mots :
 (i) toutes les innovations viennent ou sont inspirées de l'extérieur,
 (ii) elles nient l'ancrage historique et culturel des peuples auxquels elles
sont adressées
 et (iii) présupposent que les expériences sociopolitiques occidentales sont
universelles.

3. GOUVERNANCE HISTORIQUE VS INSTITUTIONNELLE

– Les bases du pouvoir nécessitent d'être questionnées. Et d'être rediscutées. La question


fondamentale devient alors : sur foi de quels éléments ? Quelles sources pour l'inspirer ?
En gros, dans l'éventail des possibilités, il y a deux grandes options :
· Soit on s'inspire de modèles étrangers, exogènes, par exemple ceux qui sont forgés
dans le moule des démocraties « à l'occidentale »
· Soit on ancre la réforme dans les modèles propres à soi ou endogènes, ceux qui
sont inspirés par la culture des régions ou pays.
– Quelle que soit l'option, deux dynamiques opératoires peuvent être enclenchées :
· Soit on travaille par le haut (approche top-down), ce qui suppose qu'un groupe
d'acteurs détenteurs du pouvoir possèdent, choisissent ou mettent au point un
modèle et qu'ils l'insufflent dans la société, bon gré, mal gré, au besoin par la
contrainte. On parle parfois à ce propos de gouvernance institutionnelle (car
souvent c'est ce type d'approche qui est promue par les institutions qui pratiquent
l'aide).
· Soit on travaille par le bas (approche bottom-up) et on fait alors le pari de la
créativité populaire. La dynamique est proche de celle d'une recherche action avec
essai erreur. On désigne parfois cette forme par l'expression gouvernance
historique pour insister sur le fait qu'elle s'inscrit dans l'histoire des populations à
laquelle elle est destinée.

30
– Quelle que soit l'approche retenue, les pièges et obstacles ne manquent pas.
· Par exemple, pour ce qui est de l'option endogène, on notera trois pièges souvent
difficiles à esquiver :
 (i) la plupart des référentiels de gouvernement local sont typiquement
d'essence féodale,
 (ii) la multiplicité des répertoires de règles et normes, même à l'échelle
purement locale
 et (iii) l'inscription de cadres normatifs implicites dans les solutions
techniques proposées (chaque mesure technique comporte gravé en lui des
normes cachées, impensées mais opératoires au sens où, quelle que soit
l'intention affichée, elles imposent des orientations pratiques)
· De sorte qu'il n'y a pas lieu de proclamer a priori la supériorité de l'une ou de
l'autre option.
· Par contre, il s'agit chaque fois d'examiner, au vu des contextes particuliers ou des
situations singulières dans lesquelles les choix se posent, quelle orientation paraît
avoir les meilleures chances de donner des résultats et d’envisager des solutions
mixtes ou combinées, puisant ses ressources dans les diverses possibilités.

31
L’ANALYSE COMPARATIVE COMME MÉTHODE
DÉFINITION ET PERTINENCE DANS L’ANALYSE
DE SYSTÉMES POLITIQUES DIFFÉRENTS

1. L’ANALYSE COMPARATIVE

– La comparaison est une ressource méthodologique très précieuse et efficace à condition


qu’on comprenne bien ce qui se passe et qu’on prenne des précautions.
– Trois manières de comparer, trois façons différentes de rentrer dans le monde de l’autre.
· Soit je compare les autres à moi-même, je me fixe comme point de départ de la
comparaison. La comparaison part de chez moi et va vers les autres
 COMPARAISON ÉGOCENTRÉE.
· Soit j’observe telle chose chez l’autre, et cherche à quoi ça correspond chez moi
 COMPARAISON ALLOCENTRÉE.
· Soit pas de point de comparaison de départ, je me mets dans l’autre et je prends
l’autre comme un en-soi. J’essaye de voir à partir de là comment je peux dégager
du sens en me mettant à la place de l’autre. Pour entrer dans l’autre, tenter de le
comprendre, je suis obligée de faire appel à des choses que je connais, ne serait-ce
que pour les nommer  COMPARAISON HÉTÉROCENTRÉE (empathie).
– Chacune de ces façons a des avantages et des inconvénients, et en fonction de la situation
particulière dans laquelle je me trouve, je vais utiliser l’une ou l’autre, ou plusieurs.
– Il faut être conscient de dans quel(s) modèle(s) je me situe, sur quel(s) niveau(x) on se
situe.

2. PIÈGES À ÉVITER

– Réduction ces valeurs sont souvent ce qui est bien


– Prendre parti pour nous, principe colonialiste)
– Subjectif / objectif – Connaissance limitée
– Incomparabilité – Piège des formes  similitudes
– Extrapoler, généraliser abusivement (à – Position de Dieu
partir du particulier et en faire une – Ne garder que ce qui est apparemment
règle générale) le même
– Ethnocentrisme – Prophétie autoréalisatrice (je veux voir
– Passer de la différence à l’asymétrie ça et je vais ne voir que ça, ne garder
(dire « c’est plus », « c’est moins », que les éléments qui confirment mon
« c’est mieux ») confort, mon point de vue, mes
– Décontextualiser intérêts)
– Universalité (partir du principe que – Hypercatégorisation (faire entrer dans
certaines choses sont universelles, et des catégories qqch qui n’est pas

32
dedans, sinon il faut faire une autre
catégorie…)
– Choix des critères de comparaison (on
compare quoi par quoi ? risque de
favoriser certains critères à mon
avantage)
– Raisonnement dichotomique

33
CINQ RAPPORTS FONDAMENTAUX POUR PENSER « POLITIQUE » EN AFRIQUE
SUBSAHARIENNE

NOYAU DU CHAMP POLITIQUE

– Éléments qui composent le noyau du champ politique à l’intérieur d’une société donnée :
· Rapport au POUVOIR (manière de concevoir, de comprendre ce qu’est le pouvoir)
· Rapport aux NORMES et aux RÈGLES (conception même que ce que c’est la
régulation, de ce que sont les normes et les règles)
· Rapport au SUJET (au sens politique du terme, sujet politique, qu’est-ce qu’un
sujet dans un système politique ? manière dont on pense le sujet)
· Rapport au COLLECTIF (qu’est-ce qui fait collectif, à partir de quand pense-t-on
qu’il y a collectif ? à ne pas confondre avec communautaire, ni avec le petit
collectif. Qu’est-ce qui fait qu’une société semble constituer un tout ?)
· Rapport au TEMPS et au CHANGEMENT
– Matrice qu’on va utiliser pour comparer les systèmes politiques, en faisant bien attention
de ne pas tomber dans les pièges précités et en sollicitant ces cinq rapports fondamentaux.
– Lien entre tout ça : chaque société repose sur un imaginaire, qui semble évident aux gens
qui vivent dans cette société-là, mais pas pour les autres ?
· IMAGINAIRE  concept de Castoriadis.
· e.g. l’universalité est un concept évident en France, mais n’est pas éveillant du tout
voire n’existe simplement pas dans d’autres sociétés.
· Explique qu’il y ait des quiproquos entre des sociétés, qui incarnent un imaginaire
qui n’est pas le même.
–  Nous devons être capables de nous poser ces questions dans le contexte africain.
e.g. On a déjà vu que la manière de comprendre le pouvoir, de le vivre, de lui donner de la
substance, n’est pas la même partout en Afrique ni entre l’Afrique et le reste du monde.
– Toutes ces questions sont posées à titre d’hypothèse ! Pas de certitude, de preuves,
d’objectivations ! On part du principe que probablement ces questions auront du sens,
mais peut-être que là où on sera elles n’en auront pas.

 Cf. «  Gouvernance démocratique, rapports à l’individu, au collectif, aux règles et aux


normes  » (2009) par Philippe de Leener.

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RAPPORT AU POUVOIR

1. PRÉAMBULE

– On croise généralement trois postures classiques qui partent du présupposé qu’on va vers


une modernisation progressive, qu’on aurait en Afrique des systèmes politiques qui
seraient en train de se « moderniser » :
· Oui, en Afrique les systèmes sont en train de « s’occidentaliser ».
· Oui, en Afrique on est en train de perpétuer les rapports coloniaux, on est dans une
période de néocolonialisme.
· Hypothèse de l’hybridation créative : en Afrique on aurait une sorte de patchwork
d’éléments qui viennent de plusieurs directions.
– Dans les faits, ces 3 positions ne sont pas complètement fausses : on ne peut pas nier qu’il
n’y ait des phénomènes d’hégémonie qui frappent l’Afrique, que les États sont influencés
par l’Occident, qu’il y a des hybridations… Mais il ne faut pas se laisser berner par les
formes, il faut revenir au fonctionnement des sociétés si on veut regarder s’il y a des
évolutions, etc. Il faut regarder plus profondément dans l’histoire et l’histoire culturelle.
– Le prof voudrait plutôt privilégier une autre hypothèse selon laquelle dans les régimes
politiques en Afrique, on est dans une sorte de continuité. Continuité qui ne veut pas dire
stagnation ni éternité, mais continuité dans les structures. Continuité qui n’évacue pas du
tout la possibilité d’évolution !
– Il y aurait des invariants dans les systèmes africains, dont on peut faire l’hypothèse qu’ils
ont probablement une bonne base de pertinence… mais il faut toujours faire attention !
– Hypothèses d’invariants :
· Logiques de loyauté et d’allégeance
· Logique de lien de sang (importance de la lignée et du clan, famille élargie)
· Clientélisme
· Hiérarchie
· Place du sacré (on ne s’attribue jamais à soi-même le pouvoir dont on dispose, on
l’explique parce qu’on est en lien avec des forces occultes, qui peuvent être les
ancêtres, des génies, etc.)
· Peur (peur de qqn qui veut prendre le pouvoir, surtout ses proches)
– Conséquences possibles de tels invariants
· Difficulté du débat d’idées : dans un système d’allégeance, de clientélisme, entre
« pairs », je ne peux pas défendre un point de vue, je me tais.
· Question des privilèges : souvent, parce que je suis au pouvoir, j’ai accès à des
privilèges ; liaison pouvoir-privilèges difficile à négocier et parfois embarrassante
· Pouvoir illimité : Qu’est-ce qui limite le pouvoir ? Idée que seule une puissance
plus forte que moi, les plus forts que moi peuvent m’empêcher.
· Pouvoir considéré comme un don (soit comme personnes que je peux situer, soit
d’instances, de forces…)

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· Tension union/désunion, fragilité dans les liens
e.g. chez les Touaregs, 5 grandes tribus mais 5 personnes au pouvoir : alliance, mais
tjrs possibilité qu’en fonction des circonstances on aille plutôt vers l’union ou la
désunion.

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2. SYNTHÈSE

Cf. «  Gouvernance. Quelques clefs pour une réflexion critique »

2.1. Le pouvoir pensé dans un cadre culturel africain

En observant de manière très générale les cadres de pensée du pouvoir dans beaucoup de
régions d'Afrique, on peut se risquer à souligner certaines caractéristiques :
– La conception verticale du monde, tant vécu qu'imaginaire. Des grands et des petits. Les
grands manipulant les petits autant que les petits usent des grands. Les rapports de
pouvoir, qui prennent la forme de rapports de position, sont des ressources pour
manœuvrer dans le champ social.
– L'accent placé sur le pouvoir comme statut et donc comme moyen pour se positionner
empêche souvent de concevoir le pouvoir comme une fonction, c'est-à-dire devant
inévitablement être combinée à des activités, le pouvoir devenant alors lui-même une
activité. Pouvoir n'est pas seulement être c'est aussi faire. Or, tout suggère que la première
facette serait privilégiée aux dépens de la seconde.
– Le pouvoir comme objet de convoitise, un attribut qu'il faut s'approprier pour accéder
aux privilèges auxquels il est réputé donner accès. Le pouvoir se réduit ainsi à une sorte de
moyen, ou de recours, pour obtenir ce qui autrement resterait hors de sa portée. Toutefois
pas comme un moyen pour agir sur le monde, par exemple pour le transformer en fonction
d'une vision particulière. Plutôt comme un moyen au service d'œuvres portées par des
intérêts particuliers.
– Le pouvoir comme don. Le pouvoir se reçoit. Éventuellement par la voie d'interventions
magiques ou surnaturelles. Le pouvoir serait perçu comme quelque chose qui vient
d'ailleurs et qui donc ne dépend pas de sa volonté. Cela a pour conséquence que la
perspective que le pouvoir puisse se construire, et donc être pensé comme tel, n'est pas
familière.
– Le pouvoir comme privilège. Comme source de privilèges. D'où sans doute les
nombreux abus.
– Le pouvoir illimité. Ou seulement limité par des instances extérieures aux forces réputées
ou perçues comme supérieures.
– Le pouvoir source de division. Du fait qu'il est perçu comme un attribut dont il faut
s'approprier sitôt qu'on en aurait la force. Si le pouvoir unit, c'est contre d'autres.
– Le pouvoir comme maléfice. Le pouvoir exige de s'en méfier. Il peut frapper ceux qui le
manipulent autant que ceux sur qui il s'exerce. Le pouvoir rentre régulièrement dans la
catégorie de ce qui est mauvais.

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2.2. Le pouvoir pensé dans un cadre culturel occidental

– Pour comprendre la portée des concepts mobilisés par les efforts pour généraliser le
modèle de la bonne gouvernance (BM) ou de la gouvernance démocratique (UE), et
éventuellement porter la critique contre les tentatives de modéliser universellement la
gouvernance, il est utile de rentrer dans la "boîte noire" de la pensée occidentale sur le
pouvoir. On découvre alors qu'il y a une histoire et des postures culturelles propres à
l'Occident. Il s'agit de les comprendre et d'en sonder leur pertinence. Commençons d'abord
par un fondamental. Dans la perspective culturelle occidentale, il y a probablement cinq
conditions pour que le pouvoir puisse se penser :
· Le pouvoir doit être posé comme objet de pensée
· Cette pensée nécessite un sujet pensant, donc énonçant vers l'intérieur et vers
l'extérieur
· L'énonciation doit être délibérative
· Le concept d'autrui généralisé doit être convoqué,
· Le sujet délibérant doit se détacher de la peur pour la retourner en responsabilité.
– Ces conditions mettent en exergue la perspective de la réflexivité orientée doublement
vers le pouvoir comme objet de pensée et vers le sujet qui se pense en pensant le pouvoir
comme objet. La pensée réflexive est en soi transformatrice et dynamisante. Cette
modalités de la vie mentale est cruciale pour comprendre la posture culturelle occidentale.
– Le rapport au pouvoir comme objet de pensée figure parmi les fondements de l'hypothèse
à la base des efforts de décentralisation : les agences d'aide et les gouvernements
concernés font le pari qu'il existe un lien étroit et opératoire entre la décentralisation et la
lutte contre la pauvreté, la première étant posée comme une instance pouvant éradiquer la
seconde, notamment en palliant aux failles de l'État. Ce qui suppose que les pouvoirs
locaux pourraient échapper aux dérives qui caractérisent le pouvoir central. En Europe, le
pouvoir est logé dans une série de conceptions (Mappa, 2007) :
· Il s'exerce parce qu'il peut faire état de sa légitimité
· Il est libre de son action et de fait il mène une action sur le monde et la société, une
action de transformation
· Il gouverne par la loi et il est fondé sur le droit,
· Il est posé comme responsable, et donc engage des acteurs qui sont redevables de
ce qu'ils font
– En Afrique de l'Ouest, le pouvoir est enraciné dans d'autres significations, par exemple :
· L'allégeance à la tradition
· Le primat de la famille
· Le pouvoir sacralisé, donc non questionné
· La loi livrée par Dieu ou par des instances magiques
· Le changement perçu comme dérangement ou perturbation, ce qui souligne le
caractère anhistorique du pouvoir (le pouvoir hors du temps, comme une donnée
intangible)
· L'extériorisation (ce qui arrive à soi est dû à d'autres).

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39
RAPPORT AU SUJET, À L’INDIVIDU

– Réflexion en deux temps : d’abord passage par l’Occident, puis question en Afrique.
· En Occident, on a beaucoup travaillé sur cette perspective. Si on comprend
comment ça se passe en Occident, ça peut nous aider à la poser ailleurs ensuite, par
exemple en Afrique.
· Permet aussi un rapport chronologique, historique.
· En Afrique, on réfléchira certains aspects à titre d’hypothèse.
– Rem. : le professeur fait une distinction entre sujet et individu, distinction qui s’éclairera
au fur et à mesure.

1. HISTOIRE OCCIDENTALE DU SUJET/INDIVIDU

Cf. FMC 4
– En Occident, on a créé progressivement un sujet ou individu politique.
– Si on a une certaine conception du sujet, ça va mener à une certaine conception de la
démocratie.
– De manière un peu arbitraire, le prof a identifié 10 étapes (qui pourraient être réduites à 5
ou étendues à 25, ce sont simplement des étapes qui ont semblé particulièrement
importantes au prof surtout dans une perspective multiculturelle, qui sont intéressantes
quand on est en relation avec les autres).
– A chaque étape, on se posera la même question : « voilà comment un aspect du
fonctionnement marche, qu’en est-il chez les autres, dans d’autres sociétés ? »
· Attention : à chaque fois que l’on dit « dans d’autres sociétés », c’est aussi « les
Afriques », on ne parle pas de l’Afrique comme d’un bloc homogène.
· Les inventions culturelles dont on va parler n’ont pas forcément été inventées
ailleurs, ou d’une autre façon.
· Toutes ces questions attirent l’attention sur un aspect particulier sur le
fonctionnement de l’individu, qui a donné naissance au système politique tel qu’on
le connait en Occident.

1.1. Grèce antique (- 500) : énonciation  altérité du monde

– Qqch de très intéressant s’est inscrit avec Platon : le fait qu’il y a une différence entre
celui qui énonce qqch et la chose dont il parle.
– Il y a un rapport particulier entre celui qui dit et ce qu’il prend comme objet.
· Je parle de qqch, et ce que je crois est directement lié à une analyse que moi j’ai de
cette chose-là  veut dire que la manière de parler de la chose est déjà une
manière de prendre position sur la chose.

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· Les choses sont parce qu’on en parle, il y a un rapport d’énonciation.
– Le sujet ou l’individu s’établit précisément en établissant un rapport d’altérité entre lui et
la chose dont il parle
· Ce que je dis de la chose n’est pas la chose, et je ne suis pas la chose non plus.
· Possibilité que l’on puisse définir une source d’énonciation, une instance qui parle
et tient un discours sur qqch, qui est différent que la chose elle-même.
· Manière de faire une différence entre moi-même qui parle du monde, et le monde
qui existe d’une certaine façon, indépendamment de ce que j’en dis.

1.2. Deux inventions majeures dans la sphère chrétienne (époque de Jésus)

1.2.1. Croyance personnelle

– Avec la chrétienté, on introduit une dimension particulière en ce sens qu’on adhère plus à
une religion parce qu’on est membres d’une communauté, le propre de la religion
chrétienne est de porter une position par rapport à une croyance.
· Il y a ceux qui croient et moi qui crois.
· Sujet prend position sur qqch d’important, qui est le rapport à Dieu.
· Croyance issue d’une construction propre à soi, qui n’engage que soi, et qui en
dernier recours n’est légitimée que par soi-même.
– Relation directe et personnelle à Dieu, qui ne doit plus passer par la communauté.
– C’est la différence entre l’Ancien et le Nouveau Testament :
· Dans l’AT on a l’histoire d’un peuple élu par Dieu.
· Dans le NT on demande aux croyants de prendre position eux-mêmes, de faire
eux-mêmes un pas vers le Dieu en lequel ils croient.

1.2.2. La Trinité  délibération  incertitude  débat

– Autre invention culturelle dans le monde chrétien : la Trinité.


– Introduit la perspective de la délibération intérieure : idée que l’on puisse être en débat à
l’intérieur de soi-même.
– On peut être habité par des positions différentes en soi-même.
– Introduit l’incertitude : on peut ne pas être totalement certain de ses positions, de ce que
l’on avance.
– C’est un des fondements du débat : c’est parce que l’on n’est pas totalement certain et/ou
parce que l’on a des certitudes différentes que l’on débat.

1.3. St Augustin (400) : for intérieur et passage de la supériorité à l’altérité

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– Saint Augustin a fort développé la perspective que non seulement on prenne position par
rapport à ce que l’on croit, mais que l’on rentre en discussion avec sa dignité, avec son
discours intérieur.
– Ce discours est mis en évidence comme qqch qui fonde un sujet.
– Sur le plan de l’imaginaire politique, très intéressant : on passe d’un rapport à une divinité
qui est supérieure à une divinité qui est autre  passage de la supériorité à simplement
l’altérité.
– Radicalement autre = qqch que l’on ne comprend pas, qui est mystérieux, mais qui n’est
pas au-dessus. On peut entrer en rapport avec quelque chose que l’on ne comprend pas
sans être dans un rapport de soumission.
– Exercice de la volonté comme mobile de la relation à l’autre en soi < la relation à Dieu est
une relation voulu par soi-même. Les signes ne sont plus donnés dans et par le monde
extérieur, mais recherchés par le sujet volontaire, qui de surcroît les recherche en lui-
même.
– Possibilité qu’à tout acte extérieur puisse correspondre un acte intérieur, immatériel cette
fois ; les deux, l’un autant que l’autre, étant destinés à une instance tierce au sens d’un
message qu’on envoie avec l’espoir secret de déclencher un effet, l’un et l’autre voué à
entretenir un dialogue intérieur.

1.4. Moyen Âge : invention de la perspective

– Évolution tout au long du MA de la manière dont les gens dessinaient ou peignaient, on


voit apparaître à la fin du MA la perspective.
– Celui qui dessine prend position par rapport à ce qu’il dessine. Le fait d’occuper une
certaine place dans l’espace permet d’exprimer un certain point de vue.
– Pose aussi l’idée que l’autre qui n’occupe pas la même place que moi n’a pas la même
perspective.

1.5. Renaissance : mérite  responsabilité, culpabilité, conscience morale

– Idée valorisée à la Renaissance, notamment par les Protestants : le MÉRITE.


· Dans ce sillage, lien entre ce que je fais et ce que je suis. On peut être interpellé
soi-même pour ce que l’on fait. Ce que je fais est une des traces de ce que je suis.
· C’est à cette époque également que les artistes commencent à signer de leur nom.
Avant, on ne faisait pas le lien direct entre telle personne et telle réalisation.
– Implique aussi qqch de très singulier : rapport à la RESPONSABILITÉ.
· Si je suis identifiable par rapport à ce que je fais, ce que je fais peut être bien ou
mal, et on peut engager l’idée de responsabilité.
– Implique aussi la notion de culpabilité, le sentiment de CULPABILITÉ qui vient de
l’impression d’avoir bien ou mal fait qqch. Sentiment d’une CONSCIENCE MORALE.
– Naissance d’une catégorie mentale sans laquelle la démocratie et l’État de droit qui
l’accueille n’auraient pas d’épaisseur : autrui généralisé et anticipé.
42
· L’altérité en soi avait déjà été explorée par saint Augustin  ici propos plus
large : l’autre n’est plus limité à un Autre sans commune mesure de soi,
inaccessible, mais par des autres comme soi généralisables en une catégorie
« autrui », et avec qui je peux entrer en dialogue en moi-même.
· Premières esquisses d’un sujet universel qui sera intensément investi au moment
de la Révolution française.

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1.6. Épisode romantique (classico-romantisme) : sentiment amoureux et identité

– Mise en évidence du SENTIMENT AMOUREUX.


– Fait rejaillir la question de l’IDENTITÉ, et en particulier du TRAVAIL IDENTITAIRE.
· Idée que l’identité n’est pas qqch que l’on reçoit à la naissance (« tu es l’enfant
de »), mais que l’on peut se créer une image à soi.
· Qu’est-ce que je fais pour apparaître d’une certaine façon dans le regard des autres
et inversement ? Comment je crois être vu par les autres et comment je vois les
autres ?

1.7. Réforme et protestantisme

– Rapport aux œuvres  projection dans sa production.


– Avec la conditionnalité de l’accès au paradis céleste, l’accent est placé sur ses réalisations
dans le monde  élaboration d’un lien direct entre son œuvre et soi-même : ce qu’on fait
dans le monde y est une projection de soi. Le sujet est incorporé dans ce qu’il fait, dans la
matérialité de ce qu’il réalise.
– L’identification à l’activité et au produit de son activité marque une étape importante dans
l’édification du sujet et d’une subjectivité lui correspondant.
– Il est possible de se reconnaître et de s’identifier hors de soi dans la matérialité de ses
réalisations mondaines.
– Reformulation radicalement nouvelle de la frontière entre monde intérieur et monde
extérieur  transaction ou liaison plus que séparation.

1.8. Progrès

– Idée qui s’est développée progressivement et est mis en évidence particulièrement aux
18e-19e siècles.
– On a une capacité de progresser soi-même.
– A l’époque le progrès ne se conçoit que comme le passage d’un état de soumission à la
nature à un état inverse, de domination de la nature (perspective prométhéenne).
– Dans le langage de la chrétienté, il s’agissait de substituer le paradis céleste par sa version
terrestre.
– Le sujet qui se sent maître de la nature – et donc jusqu’à un certain point, l’égal des dieux
ou du Dieu que ses parents et ancêtres vénéraient par le passé – est un sujet qui investit
pragmatiquement la perspective de la liberté 
· Le sujet n’est plus seulement libre de penser ou de croire ce à quoi il s’incline à
penser ou croire, il se donne libre d’agir jusqu’à braver les forces de la nature et à
les dompter pour les mettre au service de ses visées.

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· Consécration d’un sujet autonome, libre des déterminismes hétérogènes et
désormais placé face à lui-même : ce n’est plus Dieu, ni d’autres forces
éventuellement obscures qui le dirigent ou le contraignent, mais lui-même.

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1.9. Capitalisme et développement du marché

– Les marchés (et surtout les marchés de masse, la consommation de masse) n’existent que
si les individus se considèrent comme différents les uns des autres, avec des préférences
 le marché se développe à mesure que les individus se font singuliers.
– Paradoxe : c’est précisément en soutenant la consommation de masse, càd en se faisant
partie prenante d’une masse posée comme indistincte, que l’individu se singularise.
– Suite du processus : en se singularisant, l’individu consommateur pousse les autres autour
de lui à se singulariser eux aussi en consommant des variations de ce qu’il consomme.
– « Je possède ça, donc je me sens exister dans le regard des autres qui m’importe » 
jusqu’à un certain point, je suis ce que je consomme ou, plus exactement, je suis ce que
ma consommation donne à voir de moi.

1.10. Psychanalyse et inconscient  altérité au cœur de soi-même

– On fait des tas de choses sans qu’on s’en rende compte.


– On est contrôlé (voire déterminé en fonction des perspectives) par un inconscient qui nous
fait faire des choses sans connaître les raisons qui nous poussent à faire telle ou telle
chose.
– La possibilité de l’inconscient s’adosse, et fait même contre poids, avec la perspective de
la personne rationnelle, pleinement consciente de ses états émotionnels, aux commandes
de son « être au monde », s’appartenant et s’assumant.
– Cette invention culturelle rapatrie de l’incommensurable et de l’aveuglement dans
l’arsenal subjectif.
– Introduit l’hétérogénéité intérieure comme structure fondamentale du soi, un soi
inaccessible, paradoxal car généré par soi et logé en soi, dépendant de soi mais
intouchable par soi.
– Sujet égocentré  place grandissante de la sensation et du ressenti « ici et maintenant »
dans la vie subjective et par extension dans la vie en société et dans l’espace
démocratique.

2. CONTEXTE AFRICAIN

2.1. Bisoité

– Bisoité
· Biso = nous.
· Concept de Tshiamalenga (1985)
– CORPS SOCIAL : société du « nous, je » 
· Quand qqn dit « je », il se comporte comme qqn qui parle de son corps social (en
tout cas à titre d’hypothèse dans les situations de tous les jours).

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· Contexte très différent du « moi, je » typique en Occident : quand qqn prend
position, c’est lui qui donne son avis, c’est tout >< avec « nous, je », quand qqn
prend la parole, il engage son corps social.
– Joseph Nyasani pose une question étonnante dans un de ses textes : « Pourquoi l’Africain
que je connais croit-il n’exister que grâce au fait que les autres existent ? »
· Faisait cette conférence dans le cadre d’une argumentation adressée à des
Américains.
· « What is it that makes the African seek refuge in the “others” or rather surrender himself
to the fate of the community? Why does each individual African believe that he exists by
virtue of fact that others exist? Why is the community prior and supreme vis-a-vis the
individual? Why does the individual derive his full social reality from the reality of the
community? »

2.2. Tension entre subjectivation centrifuge et centripète

– Dans des contextes africains, tension entre SUBJECTIVATION CENTRIFUGE (nous, je) et


SUBJECTIVATION CENTRIPÈTE (moi, je)
– Les gens sont habités par cette tension : certains raisonnent, du fait de la société moderne,
en termes de « moi, je », mais dans certains contextes précis raisonneront sur le « nous,
je ».
· Selon la situation dans laquelle on est, on va plutôt tendre vers l’un ou l’autre.
· Dès qu’il y a une situation critique, la tension est activée.
– e.g. situation chez les Bobos racontée par une étudiante : meurtre d’une femme par son
compagnon, dans leur maison. Le corps social dit qu’il faut faire les sacrifices avant de
faire quoique ce soit d’autre, et ferment la maison. Mais la police vient et ouvre la maison
pour commencer l’investigation  problème, confrontation. La police est venue avec
demande formelle, chacun doit répondre de ses actes (« moi, je ») et il doit y avoir
enquête, mais la communauté répondait en corps social pour la nécessité de faire les
sacrifices (« nous, je »).
– Pas le même genre de réaction en fonction du pôle.
· e.g. sentiment de honte = « nous, je » <> sentiment de culpabilité = « moi, je ».
· Injonction paradoxale, double contrainte : on a pour une même situation deux
interprétations de ce qui est bien et ce qui est mal.

2.3. Question d’identité

– Dans un contexte politique, la question d’identité peut prendre beaucoup d’importance.


Cette thématique ressort particulièrement dans le contexte contemporain avec le
populisme par exemple.
– Deux choses par rapport à l’identité, tension dans laquelle on se retrouve :
· L’identité construite par soi-même
· L’identité reçue

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– Le prof ne parle pas de l’identité en termes absolus, mais de DYNAMIQUE IDENTITAIRE.

48
– Dans quelle genre de dynamique on est ? Plusieurs modèles (approche par rapport à
rester/devenir comme ceci ou comme cela, reste/devenir ceci ou cela, qu’on me voit
comme ceci ou cela) :

Moi Eux/elles
Préservation
C’est moi qui veux rester C’est eux qui veulent que je reste
(rester)
Transformatio C’est eux qui veulent que je
C’est moi qui veux devenir
n (changer) devienne

2.4. Question de la peur

– La question de la peur est importante, surtout dans certaines régions d’Afrique comme en
Afrique centrale, et en particulier dans la région des grands lacs.
– Peur, et notamment peur de ses proches.

2.5. Processus d’individuation, d’individualisation et de subjectivation

Rem. préliminaire : important de distinguer les trois processus, surtout dans le contexte africain !
– INDIVIDUATION : processus par lequel un individu se rend original à l’intérieur de son
groupe social.
– INDIVIDUALISATION : processus par lequel un individu s’individualise (au sens occidental
du terme) en sortant de l’influence du corps social, en quittant le corps social pour
s’identifier en dehors de celui-ci.
– SUBJECTIVATION : processus par lequel un sujet revendique
· l’autonomie (au sens occidental du terme) : il pense pouvoir décider lui-même
pour lui-même, définit lui-même ses projets, ses rêves, ses idées.
· la responsabilité : il assume ce qu’il veut et ce qu’il fait.
· l’agressivité assumée : il part de l’idée qu’il assume son agressivité, quand il fait
du tort à qqn c’est lui, il n’attribue pas ses activités émotionnelles à une instance
ou qqn d’autre.
· la délibération intérieure : il est habité par un processus de délibération intérieure,
il est en débat en lui-même sur les différentes possibilités.
Rem. : dans la subjectivation, le sujet peut toujours adhérer au corps social, mais par sa propre
volonté. Travail spécifique et réfléchi pour adhérer à ce corps social, et pas seulement parce
qu’il est né dedans.

49
RAPPORT AU COLLECTIF

1. PLUSIEURS TENSIONS

– Collectif – individu
– Collectif – collectifs
· Collectif (avec un grand C)  différents 
 Tout le défi du Collectif est de tenir ensemble des gens, des groupes, des
structures différentes, qui ont des besoins, des volontés, des idées
différentes.
 Question de la cohérence, de former un tout qui ait du sens.
 Autrui généralisé, autres comme catégorie, les autres « abstraits ».
 Ce sont ces autres-là qui m’obligent à faire ce que je ne ferais pas
spontanément ou m’empêchent de faire ce que je ferais
spontanément.
· Collectifs  mêmes
 Comment rester ensemble ? Comment on reste ensemble par rapport à des
objectifs qu’on s’est donnés, qu’on a considérés comme étant communs au
départ et que l’on veut conserver ensemble et de manière cohérente.
– Collectif – communauté (de sang)
· Au moins deux communautés
 « de sang »
 Néoclans : groupes qui fonctionnent comme une communauté mais sont
créés sur d’autres liens que des liens de sang, de consanguinité ou
ethniques au sens plus large.

50
RAPPORT AUX NORMES ET AUX RÈGLES

1. CADRE

Cf. FMC 5

1.1. Définitions

– Règles = ce que l’on doit faire, ce qu’on ne peut pas faire, ce que l’on peut faire.
– Normes = valeurs, ce qui est bien et ce qui est mal, bon et mauvais, désirable et
indésirable…  mobilisent un jugement de valeur, et donc des valeurs.
– Régulation = processus par lequel une société conçoit, produit, généralise, transforme,
sanctionne, évalue ou fait évoluer des règles et des normes.
– Rapport entre individus, collectif et normes/règles :

Individu N/R Collectif

· On fait collectif précisément parce qu’on est lié·e·s par un certain nombre de
normes et de règles.
· Chaque individu a la possibilité, petite ou grande, d’influencer ce collectif (par un
comportement nouveau, une réinterprétation nouvelle (± déviante) de la règle,
déplacé la normalité dans le collectif)
e.g. il y a 50 ans il était rare de voir des femmes en pantalon.

1.2. Tensions

– Tout système de régulation repose sur une tension « formel / informel » d’une part et,
d’autre part « visible / invisible ».
– D’où découlent des questions :
· Dans quelle mesure les règles et les normes sont-elles formelles, et où s’exprime
ce formalisme ? En quoi le formalisme se décroche-t-il de la fonctionnalité ?
· Dans quelle mesure les règles et normes sont-elles visibles ou invisibles ?
 Qu’est-ce qui les matérialise ?
 Qui voit quoi ? Ou plus exactement, dans quels lieux sociaux, le
fonctionnement régulateur fait-il l’objet d’une discussion explicite ?
Explicite pour qui ? Autrement dit, qui a accès à la parole sur les règles et
les normes ?
 Cette question est d’autant plus importante qu’une part importante de la
régulation fait partie du patrimoine d’impensés – et parfois d’impensables
– de la société considérée

51
1.3. Origine, histoire, évolution

– Origine des règles ?


· Dans la société occidentale, on va dire que ça vient des institutions, et donc des
hommes <> mais ailleurs on peut dire que ce sont les dieux, les ancêtres, les
génies… qui donnent les règles et que nous devons les appliquer.
· Production des règles et les normes : qui les produit ? D’où sont-elles déclarées
provenir ? Comment, par quels processus sociaux sont-elles générées ? Le cadre de
production, tant social que politique, càd les lieux où les règles et normes sont
générés, est crucial à décoder.
– Histoire des règles et les normes :
· Quelle est l’histoire, récente ou ancienne des règles et les normes ? Quelles sont
leurs trajectoires ? (leur évolution) Et à la faveur de qui ou de quoi évoluent-elles
ou, au contraire, n’évoluent-elles pas ? Quelles sont les dynamiques d’ajustement
observables ?
· Toute régulation repose sur une histoire, souvent longue et sinueuse, et mobilise
une mémoire collective. En quoi cette histoire est-elle dynamique ? Quelle tension
entre conservation (logique de statu quo) et évolution (logique de trajectoire et
valorisation d’une logique de progrès) ?
· La régulation scelle toujours une histoire, ou plus exactement une trajectoire : les
règles naissent, évoluent, se transforment mais aussi meurent. Saisir l’histoire des
règles et normes d’une société revient à en établir l’histoire.
– Règles et normes  Société :
· Quelles sont les règles admises et promues dans cette société ?
· Les règles et les normes définissent une société.
· Les conflits autour des règles construisent aussi la société : l’histoire compte, une
société évolue.
· Intéressant de se pencher sur l’histoire des règles
e.g. au Mali conflits basés sur des tensions entre groupes ethniques parce que les
règles/normes ont changé et/ou ne sont plus suivies. Auparavant les groupes avaient
des règles qui s’accordaient, mais les règles sont mises en difficulté et il n’y a
actuellement pas de substitut, pas de stabilisation par ailleurs.
– Dynamique opératoire des règles et les normes, ou la « vie » des règles et des normes :
· Comment sont-elles détournées ? Dans quel procès de construction /
déconstruction sont-elles entraînées ?
· Pragmatiquement car discursivement il se peut fort bien que la règle ou la norme
soit intangible (« ça change en pratique mais on ne le dit pas »).

52
– Les normes et les règles sont toutes soumises à un cycle de vie.
(1) Au départ, généralement, l’histoire d’une règle c’est d’abord
une perturbation dans une société, une situation ou un contexte 1
particulier : il y a rupture, violente (e.g. conflit) ou lente (e.g.
abandon progressif du costume dans le corps professoral à 4 2
l’université).
(2) Ensuite il y a normalisation : on décide ce qui est bien et pas 3
bien, frontière clairement délimitée. Pour que la frontière reste
stable, on définit des règles.
(3) Puis les règles et les normes finissent par être oubliées, on n’y pense plus, elles
entrent dans l’impensé, ce qui ne doit pas être discuté, débattu (e.g. feux rouges).
Ça rentre dans le système et constitue le corps du système.
(4) Parfois les règles meurent.
(1) Nouvelle perturbation relance le cycle.

1.4. Espaces de régulation, gestion et légitimité des règles et des normes

Normes et règles

Rôles
Statuts
Places

Gestionnaires

– Dès qu’on parle de règles et de normes, on crée des statuts, des rôles et des places, de
lieux dans une société donnée. On ne peut pas séparer les deux
– Rôle de l’école, de l’éducation

1.4.1. Espaces de régulation :

– Les règles et les normes ne s’appliquent pas universellement dans tous les compartiments
de la société. Ici, telles règles et les normes conviennent alors que là-bas telles autres
règles et les normes seront appropriées (on pensera, par exemple, à la distinction espace
public / espace privé)  C’est pourquoi on parle d’espace de pertinence.
– Il se pose alors tout de suite la question de la relation entre les divers espaces de régulation
et des frontières (zones d’incertitude : par où passe la frontière de ce que je peux faire ici
et de ce que je ne peux pas faire là-bas ?).

53
– De là découle la nécessité de caractériser les divers espaces qui constituent une société.
Car à chaque espace peut correspondre des répertoires et des logiques régulatrices propres.
– La question des espaces de régulation est donc fondamentale : à l’intérieur de quels
espaces (physiques, sociaux, temporels…) telles règles et normes sont-elles pertinentes ?
– Or, dans la réalité il y a emboîtement des espaces ou recouvrement de sorte que la
question des frontières est toujours en embuscade. Qui dit espace, convoque d’autres
sources de rationalité : dépendance interterritoriale, allégeance interterritoriale, tutelle
inter territoriale, subsidiarité…
– Il est donc important d’envisager qu’un espace sociétal soit hétérogène du point de vue de
la régulation, qu’il y ait donc diversité d’espaces de pertinence et d’impertinence. Être de
quelque part revient justement à pouvoir jongler avec dextérité entre les répertoires
propres à chaque compartiment sociétal (« ici, je sais que je peux faire ça, mais là-bas non,
c’est autre chose qu’il convient de faire »).

1.4.2. La gestion des règles et les normes

– Les règles et les normes ont besoin d’être « maintenues » (au sens de maintenance).
– Plusieurs questions se posent alors :
· Qui contrôle, qui sanctionne ?
· Qui arbitre en cas de conflits ?
· Quelle est l’instance de régulation, le lieu où on traite des règles et où on produit
les règles et les normes pour générer et rendre légitimes les règles et les normes
(notion de métarégulation) ?

1.4.3. Légitimité des règles et des normes

– Qu’est-ce qui donne de la force aux règles et aux normes ? Quelles instances ? Quelle est
la légitimité des instances elles-mêmes ou, pour le dire autrement, d’où les instances de
légitimation tirent-elles elles-mêmes leur légitimité de manière à ce qu’elles puissent en
retour asseoir la légitimité des règles et normes ?
– En matière de légitimité, plusieurs questions doivent être mobilisées :
· Dans quelle mesure la légitimité est-elle relationnelle ou procédurale ?
· Dans quelle mesure est-elle interne ou externe ?
 Ces deux dimensions active deux axes de tension.

1.5. Incarnation

– R/N incarnées : les règles et les normes logent où chez nous ?


– On les a intériorisées cognitivement, inconsciemment, mais aussi dans le corps  elles
sont incarnées.

54
– Exemples :
· Mon corps a été habituée à s’asseoir sur des chaises. Au Sahel, pas de chaises, on
s’assied par terre mais d’une certaine façon. Mon corps n’a pas intégré cette façon
précise, ça me fera sans doute mal aux jambes. Au Nord du Mali, au Sud du Mali,
ou ailleurs, on ne s’assied pas de la même manière pour manger de manière
respectueuse.
· L’espace proximal, l’espace pour lequel on a l’impression que notre intimité est
transgressée s’il est dépassé.
– Toutes les normes ont potentiellement une incarnation.

2. CONTEXTE(S) AFRICAIN(S) : HYPOTHÈSES

Cf. FMC 6
Attention ! Il s’agit d’hypothèses !

2.1. Faiblesse de l’État

– Question du Collectif
– Parfois formellement présent mais absent en pratique.
– Problème de l’État : l’État dans la plupart des États Africains est une composition de
choses différentes, d’éléments qui viennent de la période précoloniale (culture
vernaculaire à l’époque), d’autres de l’épisode colonial qui a laissé une série de traces, des
traditions ou régimes coutumiers, d’autres post-indépendance, inspirés par les religions…
 On a donc des agrégations de référentiels différents sur comment doit fonctionner le
Collectif, une grande diversité de répertoires normatifs.
– Un des obstacles nécessaires à considérer réside dans les logiques ou dynamiques de
construction / déconstruction de consensus toujours provisoires, des consensus entre des
répertoires normatifs pas facilement compatibles et qui exigent souvent, dans telle
circonstance précise, un « arrangement », souvent un « bricolage » qui rend viable un
accord toujours en suspens.
– La difficulté avec des systèmes qui reposent essentiellement sur du consensus « ici et
maintenant » tient à ce que les règles et normes ne sont jamais vraiment intériorisées et
dès lors presque toujours soumises à la texture singulière des situations.
– C’est pourquoi il est bon d’avoir sous la main quelques questions incisives, par exemple
celles qui suivent, des questions qui aident à sonder l’hypothèse :
· Quels sont les divers registres normatifs en présence pour affronter telle ou telle
situation ? Quel est sont leur poids respectif ?
· Qui fait recours à telle règle et pourquoi ? De quelle manière ?
· Quelles sont les situations qui mobiliser le consensus (puisque les règles ne le font
pas) ?

55
· Comment les dynamiques consensuelles se configurent-elles ?
· Que font les parties en cause (la population, les acteurs…) si la règle n’est pas en
leur faveur ?

2.2. Multiplicité des cadres, espaces, dynamiques de concertation

– Adhocisation = rendre ad hoc, processus par lequel les règles et normes sont appelées à
épouser le relief des situations et des contextes, telles règles sont valables ici, avec ceux-ci
mais pas là-bas avec ceux-là où d’autres « arrangements » sont en cours (c’est la situation
qui décide quelle règle on applique >< habituellement la norme/règle est au-dessus des
situations).
– On a toujours potentiellement plusieurs répertoires de règles qui peuvent s’appliquer pour
un même problème, une même situation  discussion, concertation pour savoir comment
on va adapter, faire rentrer la règle (et quelle règle) dans le contexte particulier.
– On a souvent une ressource et un enjeu, avec des répertoires de règles différents. Chacun
prend le répertoire de règles qu’il pense être le plus favorable par rapport à lui.
– Polysémie normative / régulatoire.
– Questions à se poser :
· Quels sont les cadres normatifs préexistants qui inscrivent les règles dans la
réalité ?
· Quels sont les processus mis en œuvre pour déclencher « l’adhocisation » ?
· Quand fait-on appel à quel genre de règles ? Pourquoi ?
· Comment s'exprime la contestation ou le refus face à telle ou telle règle ?
· Quelles ont été les règles qui préexistent à la règle actuellement mise en avant ?
Par qui fut-elle mise en place et pourquoi l’a-t-on changé, dans quelles
circonstances ?
· Dans quel contexte d'influence telle règle ou norme s'applique-t-elle ? Dans quel
contexte et quelle l’histoire prend-t-elle place jusqu’à influencer le recours et la
mise au travail de la règle ?

2.3. Légitimité souvent problématique

– Les règles, souvent quand elles sont verbalisées, sont souvent exposées à la question de la
légitimité.
– Plusieurs niveaux de légitimité :
· Légitimité des N/R en tant que telles, face à d’autres N/R considérées comme plus
légitimes.
· Légitimité des lieux de production des règles
e.g. est-ce que la chefferie est légitime pour faire ces règles ? ou est-ce le ministère ?
etc.
· Légitimité des régulateurs, de ceux qui occupent la place dans le lieu
e.g. la chefferie est légitime, mais ceux qui occupent la position de chef non.

56
· Légitimité des recours aux N/R : àpd quand ou dans quelle situation peut-on
recourir formellement ou informellement aux règles et aux normes.

57
· Légitimité des gestionnaires, de ceux qui font appliquer les règles.
e.g. qqn brûle un feu rouge, c’est en effet un irrespect des règles mais ce n’est pas au
jardinier qui passe par là de faire qqch.
– De là découlent une série de questions :
· Qui a le pouvoir d'élaborer quelles règles ou normes ?
· Qui a le pouvoir de les appliquer et celui de sanctionner en cas de violation,
suivant quelle procédures, décidées par qui ?
· Sur quelles bases repose la légitimité des règles et normes ?
· Quelle est la situation qui a donné naissance à la norme ou à la règle ?
· Quoi et qu'est ce qui détermine que telle ou telle loi est légitime ou… illégitime ?
· Quelle différence est faite entre le registre utilisé dans la formulation des règles et
des normes et celui utilisé pour leur mise en application ?
· Comment les acteurs revendiquent de la légitimité des règles qu'ils mobilisent ?
· Dans quelle mesure certaines normes sont-elles plus stables que d'autres, et pour
quelles raisons ?
· Quel est « l'esprit du lieu » ? Quel est le cadre normatif local ? Quelle est la
mémoire des jugements et recours aux règles et normes mobilisées ?
· Quelles catégories de personnes emportent la décision en cas d'indétermination ?
Pourquoi ceux-là ? (aînés, jeunes, riches, religieux…)
· Dans quelle mesure et de quelle manière le acteurs établissent-ils une distinction
entre la règle, son producteur et le cadre sociopolitique dans lequel la règle est
utilisée ?
· A qui s’adresse telle règle ? A quoi peut-on le voir ?

2.4. Régulation extrinsèque et incarnation

– Dans beaucoup de contextes africains, on rencontre régulièrement cette situation où la


règle est incarnée dans une personne statutaire de sorte qu'il apparaisse impossible de
mettre en discussion la règle sans de facto mettre en jeu l'identité, le statut de celui ou
celle qui incarne la règle, sinon la personne elle-même.
– Une des conséquences de cette situation prend assise dans la régulation extrinsèque, le fait
que la règle tire sa force, non d'elle-même, ni de celui qui l'incarne, mais d'une instance
extérieure, éventuelle magique ou à qui on attribue des pouvoirs. Dénoncer la règle revient
à risquer de rentrer en conflit avec cette instance.
– Insistons aussi sur un autre aspect, le caractère largement impensé de la régulation et des
règles ou normes convoquées. Dans beaucoup de contextes, il est mal vu de questionner
l'origine et la pertinence des règles et normes.
– Questions à se poser :
· Qui incarne quelles règles et normes, et pourquoi ceux-là ? Jusqu'à quel point peut-
on discuter de la règle sans discuter des personnes qui paraissent les incarner ?
· D'où provient la puissance opératoire (la capacité d'une règle à obliger) ?

58
· Quelles sont les situations, d'incertitude ou autres, qui renforceraient – ou
affaibliraient – les situations de règles incarnées ?
· Dans quelle mesure le lieu et sa mémoire historique influencent l'application de
telle loi ?

2.5. La double contrainte

– Double contrainte : situation où un problème se pose, et pour régler le problème j’ai deux
répertoires de N/R, mais le répertoire 1 est l’inverse du 2 (« A est bien » vs. « A est mal »)
e.g. à Ouagadougou, un chauffeur brûle un feu rouge, est arrêté par un jeune policier, le
chauffeur demande au policier de qui il est l’enfant, et qu’il ne peut pas le sanctionner de sa
position, ne peut pas hausser le ton devant cette personne d’un rang plus élevé et d’un lignage
proche de sa propre famille  en opposition à sa norme de policier.
– Questions à se poser :
· Quels sont les répertoires mobilisés par les acteurs ? En quoi sont-ils
contradictoires ?
· Comment les acteurs concernés font-ils face – "survivent" – au mécanisme de
double contrainte ?
· A quel point la règle est-elle conscientisée par la population ou les acteurs en
présence ?
· Dans quelle mesure fait-elle l'objet d'une explicitation ?

2.6. Lois ou règles non contraignantes

– En Afrique, il s'avère que souvent les règles et normes ne sont pas contraignantes.
– Ce qui en réalité contraint les acteurs, ce sont deux choses :
· La structure de la situation où on fait recours aux règles et normes
· Le rapport de force entre les acteurs.
 Le recours aux règles et normes en quelque sorte sert souvent à actualiser
et à « étalonner » les rapports de force des acteurs en présence.
 Le rapport à la règle se présente alors avant tout comme un rapport social
qui se négocie à la lumière des circonstances actuelles, des enjeux supposés
ou attribués, des forces en présence, des intérêts... Il en résulte une réelle
incertitude régulatrice.
– D’où ces questions utiles à avoir sous la main :
· Pourquoi et dans quelle mesure la règle est contraignante, et pour quelles parties ?
En particulier, pourquoi n'est-elle pas contraignante lorsqu'elle est mobilisée par
des acteurs en position basse ?
· Comment leur « faiblesse » s'élabore / se construit dans le sillage du recours à la
règle ?
· Quels sont les rapports de force en présence ? Quel artéfact normatif est mobilisé,
par qui et pourquoi ?

59
· Qui fait appel à quelle règle et pourquoi le fait-il ? (qu'est-ce qui motive le recours
à la règle ?)
· Quel est le rapport entre celui qui recourt à la règle et celui / celle que celle-ci est
supposée frapper ?
· Quel rapport de force convoque-t-on en évoquant telle règle ?
– Remarque : outre le contexte particulier de l’Afrique, les règles ne sont jamais réellement
contraignantes en elles-mêmes, par elles-mêmes. Ce qui contraint, c’est :
· Peur
 Implique la question de la relation : en quoi je suis lié·e à cette
personne/cette instance/cette institution ?
 Rapport de force
· Situation sous l’angle particulier des enjeux (ce que je peux gagner ou ce que je
peux perdre – sanction)

60
RAPPORT AU CHANGEMENT, AU TEMPS ET À L’ACTION

Illustration d’introduction : quand des MENA arrivent en Belgique, la première chose qu’on leur
conseille c’est de se créer un projet de vie  concept qui ne se retrouve pas forcément en Afrique.

(1) Tension entre temps vectoriel, linéaire  temps circulaire


· En Afrique, en fonction de l’endroit où l’on se trouve on est plus ou moins vers le
temps circulaire (rarement tout à fait linéaire)
· Veut dire qu’on a du mal à imaginer que le temps puisse ne pas se répéter.
· Penser demain est une démarche qui n’est pas normale en notre sens.
(2) Deux schémas d’actions : action propre  action attribuée
· Veut dire que quand on a fait qqch, la question se pose de savoir si l’action est
entièrement faite par cette personne ou si qqn (une instance divine par ex.) lui
attribue cette chose.
· On se retrouve dans des situations où les gens ont l’impression « d’être agi·e·s
par »
(3) Dépendance  autonomie
· Vie réussie = s’être rendue efficacement dépendant d’autres (mieux placé, etc.)
· e.g. femmes qu’il a rencontrées qui lui disaient que la revendication
d’ « autonomisation des femmes » c’est un truc de blancs, elles ne veulent pas
l’autonomie elles veulent être bien dans la société, ce qu’elles ne sont pas
actuellement.
· On parle aussi d’interdépendance.
· Termes très lourds quand on réfléchit en termes politiques.
(4) Langue
· L’idée même d’exprimer le changement n’est pas évidente
· Le changement est de toute façon inclus dans la politique : soit on travaille la
société pour qu’elle change, soit pour qu’elle ne change pas.
· Langue proverbiale ; contes, récit normé
· Grammaire
 Langues contextuelles
e.g. au Kinshasa « hier » et « demain » sont le même mot, dépend du contexte.
 Toutes les langues ne sont pas temporalisées et précises sur la temporalité
de la même manière.

61
PANORAMA CONTEMPORAIN DE L’AFRIQUE SOUS L’ANGLE
SOCIO-POLITIQUE : QUELQUES GRANDES TENDANCES

(1) Rapport au territoire


· On pourrait dire que les frontières actuelles sont en train de disparaître
 e.g. ce qui est en train de se passer au Burkina Faso ou au Mali.
 Ces frontières étaient déjà relativement peu consistances (héritées de la
colonisation), mais va plus loin aujourd’hui.
· Nouvelles frontières qui se forment : à analyser en espace relativement local.
(2) Autochtone  allochtone ; « citoyenneté »  ethnicité
· Repli sur l’ethnicité
· En même temps une fonte de la citoyenneté et une recrue du rapport à l’ethnique,
et donc une ethnicité
· Distinction ceux qui sont de son sang et les autres
(3) Nouvelles formes de vie en cité, urbanité
(4) Hétérogénéité et multiplicité des régimes religieux
· Effervescence de groupes qui apparaissent, processus d’individualisme religieux,
où le point commun est la souveraineté de Dieu (>< en Occident Dieu n’est plus
souverain, mais une ressource à côté de soi ou en soi).
(5) Cycles prédation  extraction (vol)
(6) Diminution du rôle de l’État, transfert de la souveraineté à des entreprises privées
· La gestion des infrastructures et/ou des ressources est donnée à des entreprises
privées.
(7) Marchandisation
· Centralité de l’argent
· Question de la morale
(8) Migration  proche / lointain
· Les proches qui ont migré sont loin mais sont très présents.
· Ceux qui ont migré, quand ils sont dans un nouvel environnement, appartiennent-
ils vraiment à cette société-là ou sont-ils en transit ? Tiraillement.
(9) Logique de la providence, du hasard, du miracle
e.g. en Belgique, une femme enceinte va se dire que tant qu’elle arrive dans un centre
hospitalier, elle est safe ; dans des contextes africains, elle va se dire qu’elle est safe parce
qu’elle se remet à Dieu. Les proches vont donc investir dans leur conversation avec Dieu,
plutôt que dans une pression politique pour améliorer le service hospitalier.
(10) Incertitude des régimes normatifs
(11) Violence
· Selon le prof, plus que jamais, plus intense
· Redistribuée, n’est plus le monopole de l’État
(12) Militarisation de l’imaginaire
· L’imaginaire militaire colonise l’imaginaire sociétal

62
63
DÉBAT : TRAVAUX DES ÉTUDIANT·E·S

1. ARGUMENTS CONTRE LA DÉMOCRATIE EN AFRIQUE

– Imposition du système politique


· Les démocraties en Afrique ont été imposées
· e.g. Burundi et Rwanda : budget par l’Europe mais impose en échange démocratie
· Activité démocratique bien présente mais visée démocratique infligée par
l’Occident
– Démocratie en Afrique = jeu de façades
· L’Occident a imposé le multipartisme après les colonies, et avec ce système on a
constitué que l’opposition au niveau du politique théoriquement pouvait
commencer à participer à la gestion du pouvoir, mais en réalité rien de
démocratique là-dedans : pas à proprement parler de liberté d’expression
· Même les sociétés civiles constituées au niveau de l’Afrique doivent obéir aux
régimes dits démocratiques.
– Culture/mentalité
– Ingérence
– Manque de connaissances
· Beaucoup de personnes qui habitent dans soi-disant démocraties ne connaissent
pas ce que présupposent la démocratie : pas assez d’élites qui veulent parler, soit
par conviction soit par peur d’avoir des représailles (du gouvernement par ex.) 
pas de prise de conscience de la mauvaise manipulation qui a lieu et de bafouage
de la démocratie qui en découle.
– MAIS
· La démocratie en Afrique n’a pas été un complet échec : ils reconnaissent qu’il y a
un bon élan, mais comme la démocratie a été amenée brutalement, l’Afrique n’a
pas été indifférente par rapport à cette démocratie-là.

2. ARGUMENTS POUR LA DÉMOCRATIE EN AFRIQUE

– Contre-arguments
· C’est vrai que le modèle occidental a percolé sur l’Afrique, mais ce n’est pas
forcément une bonne chose de développer une paranoïa sur cela. Tout n’est pas à
jeter.
· Chaque État en Afrique est capable de s’approprier un régime politique et de le
mettre en place à sa sauce.
· Passé colonialiste, on ne peut pas tout rayer, impact aujourd’hui qui doit être pris
en considération.
· Les institutions sont en place, les facteurs de démocratie sont là.

64
– 95% des populations africaines sont d’accord avec le processus démocratie  il faut
écouter la voix du peuple, il y a une volonté d’aller vers ça.
– Exemple de l’Afrique du Sud
– État de droit (institutionnalisation du pouvoir, séparation du pouvoir)
· Séparation du pouvoir a été faite au niveau vertical mais aussi horizontal
· Institutions : contrôle de la loi, information de la population, développement des
droits fondamentaux etc. par la cour constitutionnelle
– A permis croissance économique importante

3. RÉFLEXIONS

– Doivent se réapproprier la démocratie selon leurs valeurs socio-culturelles, travail de


réinvention.
– Question de l’échelle : la démocratie peut aussi être réfléchie dans la famille, ou à d’autres
échelles.

65
CONFÉRENCIER·ÉRE·S INVITÉ·E·S

AZIZOU GARBA : LES ENJEUX SÉCURITAIRES AU SAHEL

Conférencier invité : Azizou Garba, directeur adjoint du Centre National d’Études


Stratégiques et de Sécurité (CNESS) à la présidence de la République du Niger
– Région du Sahel soumise à des tensions graves, qui se lisent en matière de sécurité :
sécurité des États, mais également des personnes, en particulier des personnes en région
rurale soumises aux transitions Sahel-Sahara.
– Comment peut-on raisonner l’insécurité et la sécurité ?
– Terrorisme est né avec Al-Qaïda (AQMI, Al-Qaïda au Maghreb islamique)
· Au début on connaissait cette organisation de loin, pas venu au niveau du Sahel au
départ.
· Le Niger qui a une frontière avec l’Algérie a commencé à sentir ce phénomène en
2007, avec des enlèvements d’occidentaux ou des attaques aux intérêts
occidentaux.
– Avec les évènements en Lybie des armes se sont retrouvées dans la nature. Kadhafi avait
une armée composée en majorité de Touaregs.
· La majorité de cette communauté se trouve en Niger, puis au Mali et en Algérie.
· Avec la situation en Lybie, les Touaregs sont rentrés chez eux, armés. Au Niger ils
se sont rendu compte des enjeux, et ont décidé de laisser les Touaregs venir, mais
sans leurs armes (contrôles aux frontières), mais le Mali les a laissés entrer.
· Occasion de coups d’État. Le pays a été divisé en deux. La situation n’a pas pu
être réglée comme les Maliens le voulaient < très compliqué.
– Guerre asymétrique : attaques par ci par là. A ce moment ça n’a pas aussi directement
affecté le Niger, mais savaient que ça allait venir. On voyait des militaires du Mali
sécuriser ses frontières parce que ça allait arriver un jour.
– Le Nigéria
· Pays le plus peuplé de l’Afrique, première puissance démographique d’Afrique.
· Partage 2000km avec la frontière du Niger
· Mouvement terroriste né au Nigéria, et qui a un moment donné a aussi occupé tout
le nord du Nigéria.
· Divisée en trois grandes régions
 Nord et Est structurés politiquement (Royaumes) avant la colonisation
 Est : Conseil de sages
 La colonisation française et britannique n’est pas la même es
britanniques n’ont pas déstructuré les sociétés, ils se sont « juste »
mis au-dessus >< colonisation française a déstructuré et dénaturé
toutes les structures politiques précoloniales.
 Nord : richesse, pétrole, mais pas de pouvoir centralisé  faiblesses
instrumentalisées.
66
· Fédéralisme
· Puissance économique africaine.

67
– Complexe régional de sécurité : le Niger s’est retrouvé par sa position entre trois dangers
· Nord : frontière avec Lybie et Algérie, criminalité transnationale, trafic de drogues
· Ouest : frontière avec le Mali et le Burkina, groupes terroristes
· Sud : frontière avec le Nigéria, Boko Haram (groupe terroriste)
 fragilisé par tous les efforts demandés face à l’insécurité.
– Niger est le seul État de la région qui n’a pas eu d’attentat dans sa capitale.
– Groupes terroristes très différents, pas comparables, ancrages historiques et motivations
très différentes (on ne peut pas comparer par exemple Boko Haram et AQMI).
– Faiblesses au Sahel aussi dues à la faiblesse des États et à des raisons plus profondes
· Terrorisme toujours lié à qqch de profond dans la société
 Ici : lié à une jeunesse désœuvrée ?
 Conjonction de choses qui se passent dans le ventre de la société et qu’il
faut découvrir.
· Réponse militaire immédiate pour s’opposer à Boko Haram, mais problème de
fond, Boko Haram existe depuis 2001.
· Impératif d’une réponse parallèle socio-économique
 Nexus sécurité/développement  approche que les États essayent
d’adopter.
 Dans ce contexte : création du CNESS.
 Mais ressources prévues pour le développement sont souvent orientées vers
la sécurité

68
THIERRY AMOUGOU : L’ESPRIT DU CAPITALISME EXTRÊME

Auteur du livre L’esprit du capitalisme extrême, notamment un chapitre qui tente de


raccrocher l’idée de la démocratie libérale et tout ce que ça signifie dans le contexte de
globalisation, mais dans le contexte africain et notamment au Cameroun.

1. CAPITALISME ET FIN DE L’HISTOIRE

– Hegel lit la modernité en parlant d’un processus de modernisation à la fin de l’Histoire, au


sens où toutes les sociétés qui s’engagent aujourd’hui dans le processus de modernisation
vont vers une dyade. Quels que soient les chemins que l’on prend, au bout du bout il y a le
couple démocratie libérale (pour gouverner politiquement les sociétés) et capitalisme
(pour gouverner économiquement les sociétés).
– Il parle de fin de l’histoire, parce qu’en face il ne voit pas de modèle aussi courant et aussi
réfléchi dans ses paradigmes que le capitalisme et le libéralisme.
– Malaise de la civilisation : est-ce que l’Occident en proclamant la fin de l’histoire ne veut
pas sortir de ce malaise, ou plus encore du tragique de l’histoire ?
· Mais en voulant sortir du tragique de l’histoire, on arrive à un malaise : d’abord le
capitalisme, critique de sa loi, un capitalisme qui n’est plus en corrélation positive
avec la démocratie.
· On a toujours dit qu’il y avait une corrélation positive entre économie de marché et
démocratie, mais on se rend compte que le capitalisme bouffe l’Occident.
– Comment la démocratie se comporte si elle est à la fin de l’histoire, et se retrouve au
début de l’histoire qui est une violence fondatrice ?
– Le capitalisme domine tout  on parle aujourd’hui en Europe de démocratie illibérale,
une démocratie contre le libre-échange, contre les marchés, on a la liberté d’être contre
ces choses.
– La démocratie, le développement deviennent des instantanéités, des produits finis à
consommer. On n’a plus rien à apporter, mais à consommer.
– La question qui se pose est celle de savoir quelles sont les conséquences ?
· Première conséquence : le monopole du modèle.
 Le communisme a été vaincu, le capitalisme a donc le monopole.
 C’est comme si le prix à payer pour vivre dans le capitalisme augmentait,
puisqu’il y a un monopole.
· Deuxième conséquence : ce totalitarisme économique se diffuse dans le politique,
à tel point que la division du travail économique devient aussi une division du
travail démocratique.
– En Afrique, cette dyade c’est accepter un mode « kit » : on nous donne un kit, on doit le
prendre dans son entièreté. Or, le kit n’est pas enraciné chez eux, mais ils l’achètent chez
eux et le montent, mais sans fondations. Ce kit suffit à la communauté internationale.
– On arrive donc à des démocraties libérales post-communistes, qui sont des démocraties
particulières < ce sont des démocraties qui sont dans un monopole d’économie capitaliste

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et de division du travail mise en place par le modèle capitaliste, au point qu’on se
demande comment on peut construire un marché libre ? Est-ce qu’on peut construire une
démocratie, faire du développement lorsqu’il n’y a plus de politique ? Il n’y a plus de
politique puisqu’il n’y a qu’un seul modèle. Lorsque l’on sort de la concurrence de
paradigmes et de propositions, il n’y a plus de politique.

2. L’AUTORITÉ DICTATORIALE POSTCOLONIALE

– Weber distingue trois types d’autorité, qui permettent de réfléchir les rapports de
légitimité, de domination et d’autorité :
· Autorité charismatique
· Autorité traditionnelle
· Autorité légale-rationnelle
– Il est important de savoir pourquoi il pose cette hypothèse : il pose l’hypothèse que ce sont
plutôt des outils, des instruments pour construire une autorité dictatoriale postcoloniale.
– D’où vient cette autorité dictatoriale postcoloniale ?
· Elle se base sur le procès colonial
 Procès d’occupation violente d’un territoire de façon à l’organiser pour
l’intérêt de la puissance coloniale.
 Se manifeste à travers trois instruments majeurs
 État colonial (instrument politique)
 Action missionnaire (fonction éducative, humanitaire et impérialiste
et de formatage)
 Compagnies multinationales
 Autorité qui se construit à travers la domination, un rapport de force  si
on part de cela, nous allons entendre par autorité dictatoriale une autorité
qui va devenir effective uniquement quand la loi du plus fort s’installe
comme réalité objective.
– Anna Arendt nous dit que très souvent ce que l’on appelle autorité est un autoritarisme, et
donc un manque d’autorité : l’autorité n’a pas besoin de force, de domination, de violence.
· L’autorité s’impose d’elle-même par la conviction qu’elle entraîne sur les autres
que tel a l’autorité.
· Dans ce qu’Arendt appelle autorité, il y a une forme de justice rendue à une
autorité compétente.
– Transmission de modèles et types de gouvernance qui montrent qu’il a assigné cela
comme un système qui sait se faire respecter.
· En tant qu’entrepreneur politique, il va y apporter une innovation.
· Chez les Bantous, la violence d’un chef ne se conteste pas.
– Rapports traditionnels
· Rapport de verticalité aîné-cadet
· Rapport machiste hommes-femmes, mais malgré ce rapport inégalitaire il y a
quand même la délibération

70
– Au Cameroun, Paul Biya est issu du système colonial.
· La constitution du Cameroun indépendant est moins démocratique que la
Constitution du Cameroun colonial.
· Paul Biya va renforcer son autorité dictatoriale postcoloniale en s’appuyant sur les
arguments démocratiques, mythologiques, intellectuels, religieux et
constitutionnels.
 À travers une exaltation du discours et des valeurs démocratiques. Discours
politique moderne et démocratique.
 1955 : conférence de Bandung, pays du Sud se déclarent non-alignés.
Bandung est une tentative de conquête de souveraineté par les pays du Sud,
tentative qui est stoppée net avec l’ajustement structurel.
 Utilise un discours démocratique comme un argument pour renforcer la
dictature : « vous votez, vous avez les députés à l’assemblée, vous avez un
sénat », le kit est monté !
 S’appuie aussi sur un autre argument, qui est l’autorité légale, la
constitution. Il peut modifier la constitution légalement, puisqu’il a la
majorité. Dangerosité du kit !

3. LA GOUVERNANCE ALGORITHMIQUE

– Autre aspect dans ce capitalisme ultime qui vient encore apporter du pouvoir à ce
président : la gouvernance algorithmique.
– Une dictature renforce aussi le pouvoir d’une dictature.
– En gros, le Cameroun francophone et le Cameroun anglophone sont en guerre. Le
gouvernement a stoppé le wifi, le réseau du Cameroun anglophone.
– Les régimes africains ont maintenant ce pouvoir-là, de pouvoir réguler des pays à
distance. Cela est facilité par les nouvelles technologies, mais aussi par le paradoxe de la
distance : nous n’allons plus nous déplacer pour contrôler qqch à distance.
– Ces instruments sont privatisés pour l’élite au pouvoir, et très souvent on les bloque parce
qu’on a peur que la population se rallie par ces mêmes instruments.
– Rem. : fuite des cerveaux et formation des gens à l’étranger participent aussi à ce
paradoxe de la distance.

4. MYTHOLOGIE DU DIRIGEANT

– Mythologie commune qui laisse un portrait-robot du dirigeant :


– Pouvoir incarné par un homme fort, protégé par les dieux, qui n’a de comptes à rendre
qu’aux ancêtres et aux invisibles.
– Il est marqué par une grande corporéité (pouvoir incarné, costumes, façons de se présenter
en public). Cette corporéité du pouvoir, dans la mythologie du xxx, présente un homme
double, un homme métal (// Dame de fer), un corps cavité (liaison avec une cosmopolis
fonctionnelle).

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– Dyade maître-esclave, qui existait déjà dans l’imaginaire africain pré-colonial.

72
AURORE VERMYLEN : CENSURES ET INSÉCURITÉS

SUR LES RIVES DU LAC TANGANYIKA. ETHNOGRAPHIE

DES SILENCES, DES NON-DITS ET DES SECRETS AU BURUNDI

Cf. texte.

1. INTRODUCTION

– Burundi connait conflits cycliques


– Elle et son collègue n’arrivaient pas à se mettre sur le même diapason que les analyses à
l’époque < not. parce que Julien a vécu pendant 5 ans dans une ville à l’intérieur du pays,
elle est anthropologue  nouvelle vision. Ils avaient envie de réfléchir à cette crise sous
un nouvel aspect. Ils ont voulu comprendre le « faire société burundais », pour ensuite se
baser sur ça pour comprendre les crises politiques. C’est le propre de l’approche
anthropo : bottom-up.
– Compréhension de certains aspects de l’intime peuvent aider à comprendre le politique
ensuite.
– Ne tombe pas dans un biais culturaliste : elle ne va pas dépeindre « au Burundi, c’est
comme ça ». On va retrouver dans l’analyse des faits qui peuvent se retrouver dans des
régimes autoritaires ailleurs.

2. LECTURE DE L’ARTICLE

– Citation d’un Burundais : « Je pense que la culture burundaise accorde beaucoup


d’importance aux non-dits. Il faut comprendre ce qu’il n’est pas dit. Il faut savoir ce qu’il
n’a pas voulu dire pour comprendre ce qu’il a voulu dire. C’est une richesse extraordinaire
en termes de complexité »
– Traits saillants du « faire société » du point de vue de l’individu.

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RÉFLEXIONS DIVERSES

1. « SI LES REQUINS ETAIENT DES HOMMES » DE BERTOLT BRECHT

À travers ce texte, Bertolt Brecht propose une vision assez schématisée de la société (les
requins pouvant être assimilés aux élites par exemple). Il s’agit aussi d’une série de bonnes
raisons de mettre en place la ou les démocraties.

2. LA JOURNEE INTERNATIONALE DU DROIT DES FEMMES

Cette journée, au-delà de célébrer les femmes, permet de discuter des progrès qu’il reste à
faire dans le domaine des droits féminins. De fait, au-delà des droits, il y a aussi la question
des inégalités entre hommes et femmes (illégalité salariale, inégalités d’accès à des postes à
responsabilité par exemple). De plus, le rôle et la place des femmes est aussi à remettre en
cause notamment dans les sociétés africaines, dans lesquels on apprend aux petites filles
qu’elles doivent par exemple s’occuper des tâches ménagères ou encore du repas, sans quoi
l’époux n’hésite pas à aller se plaindre auprès de la belle-famille. Dans ce contexte,
l’éducation est très importante. Il convient peut-être de remettre en question cet état de fait
pour souligner l’égalité des genres. Ainsi, on pourrait apprendre que les hommes sont
capables d’effectuer des tâches ménagères. Cependant, cela s’avérera sans doute difficile dans
la mesure où ces rôles ont été intégrés, font partie des us et coutumes des sociétés
traditionnelles.
Il convient de rappeler que la question du droit des femmes s’est posée il y a 50 ans à peine
(avec le droit de vote attribué en 1948). On voit encore une fois de plus, le rôle prédominant
de l’histoire. De fait, toute une série de clichés ont été intériorisés principalement par
l’ancienne génération. Toute la question aussi de l’objectivation de la femme mérite d’être
posée. De fait, contrairement aux hommes, les femmes doivent correspondre à un certain
standard de beauté, sans quoi elles ne sont pas acceptées dans certaines sociétés. Ainsi, en
Corée une femme sur deux a déjà eu recours à la chirurgie esthétique, non pas pour plaire ou
pour se plaire, mais simplement pour trouver un travail. Cette journée est aussi très
importante, car au-delà du statut de la femme dans la société, ce sont les rapports entre
hommes et femmes, entre femmes elles-mêmes, mais aussi entre hommes eux-mêmes qui
doivent être envisagés. Toutes les questions qui ont été soulevées ici sont universelles ou du
moins universalisables, dans la mesure où les réponses données dépendent de celui qui pose
la question.

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