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Histoire du développement

M1
2018-19
ARIEL PLANEIX
JEANNE BARBIER-SORBA
Aujourd’hui, dans le monde du développement, on ne compte plus les projets mal faits, ratés, pas finis,
abandonnés, etc. A cause de la corruption ou à cause de régimes politiques qui ne favorisent pas le
développement mais aussi souvent parce qu’ils ont été mal pensés. Nous, étudiants du développement,
sommes désormais officiellement engagés dans un sacerdoce : le monde est violent et le
développement est coûteux. Notre propos sera d’avoir un jugement analytique : la question est de
savoir quelle est la cohérence des actions menées.

La dimension idéologique est très forte dans la question du développement. L’histoire du


développement n’existe pas à proprement parler puisque les historiens estiment que le développement
n’est pas un objet historique. Ainsi quand on étudie l’histoire du développement, on s’intéresse à la
dénomination idéologique de plusieurs processus que les historiens eux-mêmes refusent d’unifier. Ces
processus vont de l’histoire de la colonisation, à celle de l’impérialisme, du capitalisme, de la modernité.
Ceux qui se sont penchés sur l’histoire du développement, auteurs à lire :
o Jean-François Baillard
o Frederic Cooper : historien de la période coloniale
o Gilbert Rist, Le développement, une croyance occidentale.
o E. SIMMEL, Le pauvre (6.10)
o A. Schutz, L’étranger
o A. CESAIRE, Discours sur le colonialisme

Problématiser les termes ‘développement’ et ‘histoire’

Le terme développement ramène à certains mots clefs : changement, solidarité, croissance, Nord-Sud,
inégalités, projet, indépendance. Celui inévitablement annexe au développement est le terme
« industrialisation ». La politique ou l’ère du développement, inaugurée par le discours Truman, date de
1948. Des dynamiques différentes voire contradictoires constituent le développement : développement
durable, soutenable, humain, social, économique et social, endogène, intégré.

Le mot développement en lui-même ne signifie effectivement rien. Le linguiste Emile BENVENISTE tire
la théorie qu’un mot tient en lui-même l’ensemble des sens qu’il est susceptible de prendre en fonction
des époques et des concepts. Le terme développement implique un millier de sens, dont un qu’il
prendra peut-être dans des années mais il porte déjà en lui les germe de ce sens futur. Par exemple, on
parle du développement de l’enfant, d’une photo : le développement n’est que le développement de
quelque chose par quelqu’un. Il n’existe donc pas en soi mais est une notion corrélative.

Théories libérales, communistes, etc. sont tant de théories qui se sont saisi de l’interprétation du
développement. Et particulièrement qui se sont attachées à expliquer pourquoi l’Europe et l’Amérique
du Nord se seraient développés contrairement au reste du monde qui est sous-développé.

Serge LATOUCHE : philosophe et économiste, précurseur de la décroissance, spécialiste et critique du


développement. Il le dénonce comme l’occidentalisation du monde, l’exportation imposée de normes
culturelles, sociales, d’un modèle économique et d’un certain rapport entre un centre et une périphérie.
Admettons que cette théorie soit vraie ? Est-ce un problème ? Jusqu’où est-ce problématique dans la
mesure où « on vit mieux » en occident ?

Pour répondre à cela il nous faut comprendre pourquoi le développement est dénoncé, pour quelles
raisons historiques il a émergé, quelles sont les distinctions qu’ils présente, ses résultats :

o L’arriération culturelle : la première explication historique donnée entre une Europe développée
et le reste du monde dit sous-développé a été basée sur la race. L’arriération culturelle a
longtemps été au cœur du développement. Ce discours existe encore et sa pensée encore plus :
elle n’est pas résiduelle mais bien structurelle et sus-jacente à beaucoup de décisions prises.

o La théorie de la modernisation : celle-ci affirme la prédominance économique et matérielle de


l’espace européen et nord-africain, leur hégémonie en raison de leur modernité, en opposition
au reste des espaces enfermés dans la tradition. Cette théorie persiste encore aujourd’hui et
implique une norme de référence sur laquelle se baser pour assurer un développement à son
image. La référence est le monde occidental, donc.

Parce que le développement est un terme plastique, un terme valise, : on lui fait dire ce qu’on veut. Il
n’existe que pour désigner, de manière imprécise, ce qu’est une société en bonne santé. Il répond au
besoin d’expliquer et de trouver un sens à l’évolution et au sens des sociétés. Sous ce sens, l’histoire du
développement serait l’équivalent de l’histoire de l’humanité. On a l’habitude de dire que le
développement a trois histoires :

1. L’histoire des rapports Nord-Sud : histoire des contacts humains depuis la préhistoire

2. L’histoire du capitalisme : son histoire s’enclenche vers le XVe siècle

3. L’histoire du développement : son histoire va de 1945 (jusqu’aux années 1980)

L’histoire du développement est à voir selon ces trois approches : à partir des années 1950, d’ailleurs
seront reformulées des questions déjà abordées au XVIe siècle.

Définir les termes ‘développement’ et ‘histoire’

DEVELOPPEMENT : DEFINITION

Petit Robert : le développement est la croissance, l’épanouissement, l’essor, l’expansion. (1) Un pays ou
une région en développement est un pays ou une région dont le niveau économique n’a pas atteint le
niveau de l’Amérique du Nord, de l’Europe. (2) « Euphémisme créé pour remplacer sous-développé. »
Le sous-développement est un état ; en développement implique une dynamique.

Julius NYERERE, homme politique tanzanien : le développement est un processus qui permet aux êtres
humains de développer leur personnalité, de prendre confiance en eux, de mener une expérience
épanouie, qui fait reculer l’oppression économique, politique et sociale. Il se présente comme un
processus de croissance, un mouvement qui prend son dans la société qui est elle-même en train
d’évoluer. Libère de la peur, de l’exploitation, de l’oppression économique et sociale, du besoin. Permet
l’indépendance. Se présente comme un processus de croissance.

Rapport mondial du développement humain, ONU (1991) : le principal objectif du développement


humain est d’élargir la gamme des choix offerts à la population, permettant de rendre le développement
plus démocratique et participatif. Il vise à garantir aux individus l’accès à l’éducation et aux soins de
santé ; à un environnement propre et sans danger ; aux libertés humaines économiques et politiques.

A propos de ces objectifs : malgré leur ambition, le sort du monde n’a pas profondément changé depuis
50 ans, on observe même des régressions. La communauté internationale dispose pourtant de fonds
massifs. Quels sont alors les freins ? Manque de coordination ? Manque de recul ? Manque de volonté
politique ? La domination européenne occidentale est-elle la cause du sous-développement du reste du
monde ? La solution est-elle de refuser à cette hégémonie ?
Qui parle et pense au développement ?
o Historiens : Fernand Braudel
o Sociologues
o Anthropologues : George BALLANDIER
o Economistes
Les sociologues et anthropologue ont relativement délaissé le développement qui est pensé sous le
prisme de l’économie. N’y a-t-il donc pas un biais idéologique ou méthodologique dans l’approche des
problèmes sociaux ? Il y a un biais économiciste dans le développement. Amartya SEN, philosophe et
économiste, est la première à parler de développement humain.

Gilbert RIST définit le développement comme la transformation et la destruction de la nature et des


relations sociales en biens et services marchands afin de stimuler la croissance économique. Son
approche. Ainsi, pour comprendre le développement, il faut l’observer dans les pays récepteurs et non
les pays émetteurs.

Anthropologie économiste marxiste : la croissance est une religion de l’économie néo-libérale qui
n’envisage pas les enjeux sociaux et les empêche de voir le jour. Le développement est le théâtre de la
rencontre entre grosses entreprises et milieu local.

Alfred SAUVY, démographe : il invente le mot tiers-monde en 1952. Le terme fait référence au tiers-état
qui n’est rien (paysans, ouvriers, travailleurs pauvres, etc.) et qui veut aussi être quelque chose. On se
rendra compte que ce terme est faussement homogène. De nombreuses distinctions sont alors créées :
(1) les pays arriérés, (2) les pays économiquement arriérés, (3) les pays retardés, (4) les pays sous-
développés, (5) les pays en développement, (6) les pays en voie de développement, (7) le quart-monde ;
(8) les PMA, (9) les PPTE (pays pauvres très endettés), (10) les pays émergents, (11) les BRICS, (12) les
Dragons (Asie du Sud), (13) les Nords et les Suds. Cette succession sémantique a en commun une
distinction principale : l’inégalités d’accession aux biens et aux services.

HISTOIRE
On date le début de l’histoire à -3000 au moment de l’écriture puisque c’est à cette date que l’on
commence à dater les évènements. Les découpages historiques relèvent d’une certaine conception
limitée et orientée de la réalité. L’histoire désigne l’ensemble des façons d’écrire l’histoire.
L’historiographie désigne la méthode d’écriture de l’histoire. L’histoire opère comme une croyance par
une structure complètement aléatoire. Cette structure est légitimée par des biais idéologiques
complètement aléatoires. Une réelle prudence méthodologique est nécessaire. Comme le
développement, l’histoire connaît des biais méthodologiques.
L’histoire est écrite par les vainqueurs.
o Nicolas SARKOZY se lamentait que l’Afrique ne soit pas rentrée assez dans l’histoire.
o Yves LACOSTE : la géographie ça sert à faire la guerre, et l’histoire à célébrer les gagnants.
Biais idéologiques en histoire : historicisme et présentisme

o Conception téléologique : le développement en lui-même est une notion téléologique : autrement dit, cette
notion comprend en elle-même sa propre finalité. La fin supposée du développement vient quand le
développement a atteint son but. [Ndlr : le marxisme en lui-même est une notion téléologique : population
primitive et l’humanité se développe progressivement, de plus en plus, pour aller vers une société sans classe, le
bonheur pour tous.] A une époque, le destin, la fatalité et la volonté de Dieu façonnait l’histoire. En adhérant à
cette idéologie, si l’histoire est téléologique, pourquoi intervenir contre celui qui serait responsable et décideur
de toute chose ?

o L’historicisme est la version téléologique de l’histoire, la vision qui croit que l’histoire pourrait avoir une définition
fermée. Il peut être historicisme développementaliste, social, libéral, etc.

o Le présentisme : considérer l’ensemble de l’histoire humaine à partir de notre époque et de nos modes de pensée.
L’islam correspondait avant au monde de l’exotisme, de l’érotisme, et les musulmans étaient désignés comme
des superstitieux ; aujourd’hui le discours prédominant a changé. Le communisme correspondait avant à la seule
solution pour une sortie vers le haut des difficultés humaines, des milliers d’hommes se sont sacrifiés dans l’espoir
de sortir de l’enfer terrestre grâce à cette idéologie ; aujourd’hui le discours prédominant a changé.

o L’ethnocentrisme : l’historiographie européenne est particulièrement ethnocentrée. Là où l’histoire existe, elle se


considère comme le point de vue le plus civilisé : on se définit rarement comme le barbare de l’autre.

Conclusion : l’histoire et donc l’histoire du développement aussi est truffée de biais idéologiques
inévitables. Elle est aussi multiple dans ses représentations et approches. Il faut donc avoir conscience
de ces éléments pour prendre du recul sur l’histoire qu’on nous enseigne.
27.09.2018

Histoire du capitalisme et du développement européen

Du néolithique jusqu’au XVe siècle : la


mondialisation ne date pas d’hier
REVOLUTION NEOLITHIQUE
La révolution néolithique se caractérise par une sédentarisation partielle, mais surtout l’invention
progressive d’une organisation différente autour de l’agriculture. On invente l’agriculture, avec laquelle
on invente la guerre et un rapport différent à la propriété. L’agriculture serait née en Mésopotamie, qui
aurait aussi été le théâtre de naissance de la culture, l’agriculture, le monothéisme. L’Antiquité est le
théâtre du déploiement de ces innovations. Un grand nombre de lois et de modes de pensées sont
inspirés d’auteurs antiques qui ont pensé les rapports à la force, la nature, etc.

La mondialisation ne date pas d’hier : trompons le présentisme

Les migrations de l’humanité sur la planète définissent des parcours incessants : on explique plus ou
moins la mixité de physionomies, c’est-à-dire la présence de personnes à la peau mate et de personnes
blondes aux yeux bleus en Afrique du Nord par les migrations de la dernière glaciation.
Frederick COOPER : l’idée de mondialisation donne l’impression fausse qu’on s’est découvert
récemment. Cette mondialisation soi-disant récente alors qu’elle a toujours est un récit européen.

Trompons le présentisme à partir d’exemples : la mondialisation n’est pas récente

Les Phéniciens : mise en œuvre de la première mondialisation de l’histoire

o IIe millénaire av JC : les premières relations commerciales ont lieu entre Phénicie, Egypte, côte méridionale de
l’Anatolie et Chypre. Des matières premières étaient échangées contre des objets manufacturés. Ces matières
premières étaient transformées par les artisans phéniciens puis les objets manufacturés étaient ensuite
réexportés (ustensiles en bois de cèdre plaqués d’ivoire, coupes en bronze et en argent, etc.). La Phénicie
correspond aujourd’hui à peu près au Liban.

o Ier millénaire avant JC : la grande expansion vers la Méditerranée occidentale, période du grand essor du
commerce phénicien. Ils installent des comptoirs sur les îles de Crète, d’Eubée, du Dodécanèse, en mer Egée,
à Malte, en Sicile Sardaigne, sur les Baléares, etc.

Ve siècle avant JC : Alexandre le Grand décide d’établir un empire sur la moitié du monde et il y établit des
systèmes de routes commerciales. Les denrées voyagent et avec elles des échanges diplomatiques, culturels, des
symboles, gestes, coutumes, pratiques, etc.

166 : la présence d’une délégation romaine a été attestée en Chine à cette date
Les juifs en Arménie

o Ier siècle av JC – première vague d’immigration juive en Arménie : le roi d’Arménie Tigrane II le Grand assiégea
Cléopâtre à Ptolémaïde afin de venger son père Artavazd er mais il dut abandonner le siège lorsque Lucullus
attaqua l’Arménie. Le roi Tigrane II revint alors et établit les juifs qui avaient été capturés dans les villes
grecques à Armavir et sur les rives du Kazakh.

o Ier av JC – seconde vague : Antigonos et Jean Hyrcan Ier étaient tous deux prétendants au trône de Judée.
L’Arménie soutint Antigonos qui l’emporta. Le roi Tigrane décréta alors que les Juifs capturés durant cette
campagne seraient établis dans la région arménienne de Shamiram.

Juifs et arméniens : le propre des populations juives mais aussi d’une partie de la population arménienne est
d’être nomade. Leur nomadisme les rend difficilement contrôlables, rattachables à un Etat, une autorité.
Paradoxalement, dans un monde de libre circulation, le nomadisme nous paraît archaïque et inadapté, on
cherche les populations historiquement nomades à se sédentariser et les diplomates se félicitent quand ils y
parviennent, comme si sédentarisation serait modernité.

52 après JC : la christianisation a été facteur de mondialisation, par exemple avec l’importation de la chrétienté
en Inde à cette date. Aujourd’hui existent encore des communautés chrétiennes issues des migrations de cette
période.

Espaces connectés d’Afrique : de nombreux espaces connectés dans le monde sont devenus des régimes
politiques spécialisé dans la production et l’exploitation de ressources particulières. A la connexion existante
entre pays dotés de ressources se sont connectés ceux non dotés. L’Europe est consciente que la survie de ses
sociétés dépend de métaux, sels, textiles qu’elle ne peut produire puisqu’elle est insuffisamment dotée en
ressources. Elle crée donc des routes de commerce en Afrique renforçant la spécialisation de certaines
populations dans le trafic de marchandises.

En bref : la permanence des processus humains fait finalement plus sens que le découpage de l’histoire. Il s’agit de
reconnecter dans leur histoire commune les objets anciens qui flottent dans l’histoire comme s’ils étaient
déconnectés ; les reconnecté à une histoire commune afin de les reconnecter dans un phénomène de
concaténation (entraînement réciproque à la transformation).

ECONOMIE MATERIELLE ET SYMBOLIQUE


Fernand BRAUDEL (1981) Civilisation matérielle, économie et capitalisme : historien, il distingue
l’économie de marché de l’économie symbolique.
∆ ECONOMIE MATERIELLE : économie du besoin
L’économie du marché est tautologique (elle se répète) puisque le marché existe toujours. Elle peut
désigner plusieurs formes d’échanges ; en ce qui concerne les échanges économiques, ils prennent
plusieurs formes (don, troc, échanges marchands monétarisés ou non). La logique de marché désigne
l’ensemble des mécanismes d’échanges.
L’économie du marché est distincte du capitalisme dans la mesure où une économie de marché n’est
pas nécessairement une économie du profit. L’économie de marché peut en effet reposer sur l’idée
d’obtenir un objet : elle se fonde sur son ancêtre qu’est l’économie matérielle ou économie primaire.
Cette dernière considère que la société et donc son économie reposent sur un rapport aux ressources
naturelles, la dépense énergétique, etc.
F. Braudel à propos du rapport aux ressources naturelles : depuis le néolithique on oppose 2 types de
sociétés que sont les mangeurs de viande et les consommateurs de végétaux. Plusieurs civilisations se
sont construites sur cette exploitation spécifique des végétaux. Braudel nous montre par exemple qu’en
Europe on cultive plutôt le blé ; tandis qu’en Asie on cultive le riz ; en Amérique la pomme de terre.
L’économie matérielle défend qu’une organisation sociale fondée sur la coopération et l’agriculture est
nécessaire à la survie de l’homme. Si l’on s’arrête de se nourrir de végétaux pour chasser, toute
l’organisation sociale et les croyances qui présidaient vont être bousculées.
Kar August WITTFOGEL à propos de l’adaptation aux spécificités et rareté des ressources naturelles :
dans Le despotisme oriental, l’auteur présente les stratégies mises en place pour remédier à ces
difficultés. Chaque plante a sa spécificité : elle peut être rare, se conserver difficilement, etc. Ces
stratégies transforment parfois leurs initiateurs en régime autoritaire. Pour nourrir sa population, l’Asie
du Sud-Est a développé des techniques de centralisation de l’information et des formations. Cette
centralisation et coordination des pouvoirs public a justifié un pouvoir devenu tyrannique. La création
d’un marché devient moyen d’obtenir (avec ou sans profit) ce dont manque en échangeant ce que je
recherche par ce que je détiens ou en monnayant ce que je recherche.

∆ ECONOMIE SYMBOLIQUE : économie du prestige


L’économie du luxe, de prestige, de la distinction, symbolique désigne la façon dont on se distingue au
sein d’une société. La distinction se fait par adoption de signes culturels témoins d’une distinction
sociale. F. Braudel expose que dans un marché s’échangent des produits primaires (économie du besoin)
mais aussi des produits secondaires (économie du luxe). Le système d’importation repose surtout sur
des produits de l’économie de luxe et non pas du besoin.
Les portugais sont allés massacrer des populations pour le poivre, et autres épices : il ne s’agit pas là
d’un besoin mais bien d’une distinction sociale que de consommer des épices. Le grand nombre de
systèmes d’extraction de l’or en Afrique Centrale.
Articulation de l’économie matérielle et économie de prestige

Les ressources qui viennent de l’étranger sont intéressantes pour plusieurs raisons : leur rareté
renouvelle le paysage à la fois de l’économie matérielle et de l’économie symbolique.

Tous les espaces qui ne sont pas difficilement habitables sont habités, civilisés, organisé autour de
l’eau, à proximité de ressources naturelles (du bois pour les mines), de canaux, et développe une
économie de luxe pour se distinguer socialement. En effet, l’absence de diversification des denrées
est signe de pauvreté dans un monde où l’on se distingue par la diversité des choses.

SUR LES ORGANISATIONS SOCIALES ANTERIEURES :


Les empires :
o Les Empires Africains comme l’Empire du Mali étaient organisés par des alliances politiques, des
circulations complexes dont on a aujourd’hui aucune trace.
o Les Empires Américains au XVIe comme les Aztèques, Mayas et Incas étaient habitables donc
habités. Comme on l’a vu précédemment, ils étaient donc logiquement organisés par une
bureaucratie, une organisation autour de l’eau, des ressources naturelles, des exploitations
forestières, etc.
Les penseurs et explorateurs aux X - XIVe en Afrique : à cette époque, le monde arabe est caractérisé par
sa vie intellectuelle, une pensée aboutie et pas que religieuse, des discussions pointues des enjeux
philosophiques dans un souci de connaissance du monde et des techniques permettant cette
connaissance.
o Explorateurs : Al Bakri (perse) ; Al Idrissi (marocain) ; Ibn Battuta ; Ibn Hawqal
o Penseurs : Ibn Khaldoun est considéré par certains comme le premier sociologue de l’histoire
L’expansion commerciale aux XIII - XIVe en Europe : contrairement au monde arabe, l’Europe ne priorise
pas sa vie intellectuelle mais plutôt sa pensée religieuse avec la théologie. En revanche, la croissance du
commerce est constante. On estime que l’Europe aurait connu un pic de bien-être vers 1320 qui est
une période sans guerre, où les besoins sont satisfaits, la consommation importante, etc. Jusqu’à ce que
surgisse la peste noire en 1345.
Les villes : en 1400, le Caire compte 500 000 habitants ; le Japon quasiment 17 millions ; en Inde la
capitale des princes mongoles compte 500 000 habitants. L’urbanisation était sans doute supérieure à
l’image qu’on en a aujourd’hui.
Les inventions techniques : la Chine a eu une flotte commerciale très importance ; les arabes maîtrisent
les maths, physique, médecine (« algorithme » vient du nom d’un mathématicien arabe).

L’hégémonie européenne par le


déploiement colonial à partir du XVe
Pourquoi l’Europe devient hégémonique au XVe : échanges internationaux

L’Empire Ottoman qui couvre la moitié de l’Europe et une grande partie de l’Orient est en conflit avec
les marchands indiens et va provoquer au XVe la chute de Byzance. Pour ces raisons il va commencer à
développer son commerce intérieur de manière quasi auto-suffisante et réduit beaucoup les
importations et exportations hors de son espace politique.
La Chine en fait de même et ferme du même coup la route de la Soie. Cette dernière, par une culture
internationale, a permis des échanges matériels, culturels, religieux et scientifiques entre peuples aussi
divers et mutuellement lointains que les Turcs, Tokhariens, Sogdiens Perses, Byzantins, Chinois. Dan les
régions que la route traverse, les richesses qu’elle génère représente une force d’attraction et ouvre
des horizons pour des tribus qui vivaient jusque-là de façon isolée.
Elle évoque pour certains un processus assimilable à la mondialisation : elle est pour cette raison un
sujet intéressant pour ceux qui veulent observer un phénomène précoce d’intégration politique et
culturelle, causé par le commerce international.
L’unité politique de cette région ne survit pas à la chute de l’Empire mongol au XIIIe : la culture et
l’économie de la région en souffrent. Les seigneurs turcs extorquent à l’Empire byzantin l’extrémité
ouest de la route et posent les fondations du futur Empire ottoman. De même, l’islamisation de la région
rend les Chinois méfiants : la route de la soie sera alors fermée. Par l’augmentation de ses droits de
douane, elle provoque dans l’espace Européen une crise des échanges méditerranéen. Là où le
commerce normal n’est plus fonctionnel, il est remplacé par la piraterie. Une civilisation
méditerranéenne propre se crée avec une langue spéciale (lingua franca) : des chartes et lois
déterminent le cadre des pillages, leur autorisation.

Qu’est-ce qui préside engendre l’entreprise de découverte de nouveaux comptoirs et espaces


commerciaux ?
Pour contourner les fermetures administratives et douanières des routes de commerce, les portugais
vont commencer par envoyer des explorateurs pour chercher des moyens de contourner la route de la
soie et de la méditerranée. Vasco de Gama s’illustrera par ses succès dans cette entreprise. Pourtant le
commerce n’est pas une activité noble, pire encore il est l’usure, la banque, il crée le crédit, et comme
l’argent, il est sale. Un noble est riche parce qu’il a un titre et des lignages, il ne se préoccupe donc pas
de l’argent ; le religieux non plus. Les bourgeois sont ceux qui vont développer ces systèmes
commerciaux particuliers et qui doivent leur richesse au fait d’avoir su échanger le bon produit au bon
moment aux bonnes personnes.
Ainsi, à la fin du XVe et au début du XVIe Vasco de Gama justifie sa mission non pas par l’avidité de
l’argent ni même par le goût de l’aventure. Il se pare, comme les autres explorateurs, de deux
justifications morales :
o Exploration scientifique : géographie, astronomie, cartographie, etc.
o Mission noble à caractère religieux : restituer son honneur et intégrité à l’empire Chrétien. Pour
appuyer cette mission des mythes sont érigés en justification.

04.10.2018

Les colonies : le développement du commerce et ses conséquences multiples du XV


au XVIII

LE MYTHE COMME JUSTIFICATION DE LA COLONISATION : RESTITUER L’EMPIRE CHRETIEN


De ce qu’on a vu précédemment : au XVe siècle aucun territoire ne l’emportait sur l’autre (mis à part
peut-être la Chine). Ainsi en racontant l’histoire sous l’angle de la « découverte » de territoires, on nie
l’historicité de ces territoires colonisés. Tout bonnement personne n’a « découvert » par exemple la
Nouvelle Inde où on vivait, se nourrissait et se vêtissait déjà. Pourtant pour justifier la mainmise
soudaine sur un espace commercial nouveau (il s’agissait-là bien de l’objectif initial : l’argent) ; on va
invoquer un discours de légitimation par la supériorité de ceux qui mènent les conquêtes. Le commerce
international, la migration et les explorateurs (chinois) sont bien antérieurs au XVe. La vision romantique
des explorateurs européens cache le fait que ni Vasco de Gama, ni Magellan n’étaient des pionniers.
Le mythe du Royaume du prêtre Jean : en Inde, dans le Kerala et sur la côte de Malabar vivent
d’importantes communautés chrétiennes. Alors qu’elles n’avaient jamais été mentionnées,
soudainement elles reviennent au-devant de la scène après qu’on leur ait inventé un mythe : le royaume
du prêtre Jean. Ce prêtre aurait vaillamment défendu en Inde le christianisme et il aurait appelé à l’aide
pour être soutenu.
Un mythe justifie toujours l’exploration de ressources miraculeuses, qui justifie d’aller ailleurs, plus loin.
Sachant ça, on peut s’interroger pour savoir quelle est la valeur pragmatique, scientifique de la notion
de développement, au nom de laquelle d’entre elles on va développer des actions, des moyens,
exploiter des ressources, etc.
La piraterie se développe concomitamment au développement de tout commerce. Elle pousse les
Portugais et Espagnols mis en difficulté dans le commerce Méditerranée à aller plus loin sur les côtes
africaines pour en prendre le contrôle. Les enclaves sont prises pour sécuriser le trafic : sécuriser le
trafic implique le développement de moyens militaires.
Le mythe des mines du Roi Salomon : roi des Israélites de à la fin du Xe siècle son histoire est raconté
dans le livre des Rois (un des livres de l’Ancien Testament). L’existence d’un « empire salomonien » qui
renfermerait des richesses : or, argent, bois, pierres précieuses, ivoire, etc. est un mythe qui justifie des
conquêtes.
Le Monomotapa est un empire africain (début XVe - milieu XVIIIe) installé sur le territoire de l’actuel
Zimbabwe et centre du Mozambique. Sa richesse provient des exportations d’ivoire, de cuivre,
d’esclaves et d’or vers les pays musulmans voisins de l’océan indien, mais aussi vers l’Inde et la Chine.
Ce commerce était réalisé par les commerçants arabo-musulmans. Au XVIe, les portugais vont chercher
à mettre la main sur les mines du Roi Salomon. Ils cherchent à s’imposer sur une terre déjà occupée par
les Monomotapiens vivent et où les marchands arabes font déjà du commerce depuis longtemps. Ils
chercheront à négocier un accès pour ensuite soutirer le marché aux marchands arabes. Le
mécontentement de ces derniers mène à un conflit qui résulte en des massacres réguliers des portugais.
Le Portugal convertira l’empereur Monomotapien au catholicisme pour le soutirer à l’influence, à la
loyauté morale des marchands arabo-musulmans.
Les marchands arabo-musulmans ont aussi fait de Zanzibar (aujourd’hui une entité autonome au sein
de la Tanzanie) un port majeur du commerce dans l’Océan Indien, et un archipel spécialisé dans les clous
de girofle. Les Portugais prendront le contrôle de la zone après.

LES COLONIES : DU COMMERCE ET DE LA VIOLENCE


Les portugais et autres européens installent des commerces de long cours. Ce dernier se trouve être à
l’origine ou avoir accompagné des mutations sinon des mouvements historiques, démographiques,
économiques et sociaux importants. Les Portugais, particulièrement, s’illustrent grâce à l’utilisation de
la caravelle qui leur permet ce commerce de long cours et de revenir avec des cargaisons très
importantes, et une diversité croissante de produits mis en circulation.
Quoi ? Beaucoup de produits sont importés en Europe au nom de leurs vertus curatives ou sexuelles
(encens, opium, rhubarbe, musc). On rapport en Europe les bienfaits de ce qui vient d’Orient. On donne
une valeur commerciale fondée sur la croyance qu’on porte à ces épices et plantes.
Le développement est le déroulement permanent de moyens pour ouvrir l’accès à de nouveaux marchés.

Conséquences

Guerre commerciale :

o Violence des conquistadors : on ne remporte pas un marché sans force, sans moyens, sans organisation de base.
Toute action de développement implique une dimension pratique : quand on va chercher du poivre quelque part
on entre en négociations avec d’autres acteurs qui sont déjà sur place, alors il faut mettre en pratique des stratégies
pour remplacer le marché. Quand un comptoir commercial s’installe, il développe les moyens d’organisation de sa
propre survie. Les massacres coloniaux ne sont pas systématiques mais ces stratégies sont souvent mêlées à de la
violence. Un climat de guerre s’instaure dans les territoires que l’on veut conquérir. De plus la conquête Américaine
exporte des virus européens qui vont décimer 1/3 de la population locale.
o Violences entre concurrents : il y a climat de guerre dans les territoire pris d’assaut mais aussi entre les pays
européens qui s’engagent de façon concurrente dans cette course aux comptoirs. Les concurrents s’entretuent
puis cherchent à négocier. Des traités diplomatiques sont négociés de manière à ce que la guerre commerciale
affecte le moins possibles les puissances conquérantes.

Le traité de Tordesillas qui est signé sous l’égide de la papauté au XVe siècle et qui vise à partager le Nouveau Monde
entre le Royaume d’Espagne et le Royaume du Portugal.

Là où il y a exploration il y a justification morale et développement du commerce (donc de l’économie) et de l’armée.


Ces justifications morales sont d’ailleurs régulièrement renouvelées. L’économie est une continuation de la guerre, et
la guerre une prolongation de l’économie.

Coûts armés : des guerres continues s’organisent autour des filières de production. Le coût armé de ces conquêtes et
de la sécurisation des filières est donc très important.

LES COLONIES : DU COMMERCE ET DES HOMMES

Peuplement secondaire : les conquistadors sont des explorateurs, négociants, marins, etc., parfois-même des
prisonniers. Bref ce sont des gens qui n’ont pas grand’ chose à perdre puisqu’ils connaissent le risque des maladies,
de se faire découper en morceaux par les armées qui vivent sur les territoires à conquérir. Si les pionniers meurent en
masse une population secondaire se constituent progressivement.

De même les besoins en main d’œuvre nécessitent de densifier la population d’îles souvent peu peuplées. L’esclavage
est un moyen de remédier à cela. En 1440, en effet, on assiste aux balbutiements de l’exportation d’esclaves de la
côte ouest africaine vers des espaces de cultures nouvelles. En Bolivie : on a exigé des villages indiens que chacun
donne ¼ des bras mâles disponibles pour le travail à la mine.

Certains auteurs défendent l’idée que le développement soit le dégagement de main d’œuvre nouvelle pour accéder
à de nouveaux marchés.

Diversification et intensification d’activités secondaires : grâce à la constitution d’une force de main d’œuvre
croissante sont créées de nouvelles routes commerciales. Celles-ci permettent un essor des produits en circulation de
types épices jusqu’à l’or en passant par les textiles.

Changement de la physionomie du territoire : l’exploitation minière a en fait mené à l’épuisement systématique des
mines que l’on avait pensé inépuisables. Elle aura changé la physionomie des territoires en déplaçant des
populations, en arrachant des paysans à leur terre pour les faire travailleurs, en modifiant l’activité économique :
chaque mine épuisée justifiait la création d’un comptoir ailleurs dans le monde.

PROBLEMATIQUES MORALES : L’esclavage entraîne de nombreux problèmes moraux et pratiques :


le travailleur surexploité n’est pas rentable et meurt jeune. Les exactions sont justifiées pour certains.
Mais, avec l’intensification de la course à la conquête, devant ce spectacle cruel de l’exploitation voire
de la décimation des populations locales, les justifications morale et religieuses sont remises en doute.
Conférence de Valladolid (1550) : cet épisode emblématique oppose le prêtre Bartolomé Lac Casa (premier à
avoir célébré une messe sur le continent américain) au prêtre Sepulveda sur la question :

Les indiens sont-ils des êtres humains ?


o S’ils sont des hommes on peut les évangéliser mais on ne peut pas les traiter en esclaves.
o S’ils ne sont pas des hommes on ne peut pas les évangéliser mais on peut les traiter en esclaves.

Las Casas considère l’indien comme un homme dans la mesure où, comme les européens, ils aiment ses enfants.
Il dénonce donc la violence gratuite. Il inaugure le discours de la défense des indiens et la réflexion sur les
conditions de l’exploitation en réclamant la fin des travaux forcés et la destitution des administrateurs en place.
Il va s’ériger en procureur et protecteur universel de tous les indiens des Indes et luttera toute sa vie pour leurs
droits.

Il obtiendra du Pape en 1542 les Lois Nouvelles qui sont une bulle de protection. Elles proclament entre autres
la liberté naturelle des indiens, oblige la remise en liberté d’esclaves, la liberté du travail, le droit de résistance
et le droit aux biens. Elle est proclamée en 1542, ne sera jamais appliquée jusqu’à être annulée en 1544.

Potentiels effets pervers : si les Lois Nouvelles n’ont jamais été appliquées, le discours de Las Casas entraîne une
baisse significative de l’exploitation des indiens dans les fermes. Toutefois, on va chercher à remplacer cette
main d’œuvre, et pour cela le trafic d’esclaves noirs d’Afrique de l’Ouest s’intensifie et se généralise. Las Casas
dira regretter de ne pas avoir inclus les esclaves noirs dans son discours humaniste.

LES COLONIES : DU COMMERCE AU MERCANTILISME (XVI - XVIII)


Le mercantilisme est un courant de la pensée économique contemporaine de la colonisation du
Nouveau Monde et du triomphe de la monarchie absolue. Il considère que la puissance du prince repose
sur l’or et la collecte d’impôt et doit donc s’appuyez sur la classe des marchands et favoriser l’essor
industriel et commercial de la nation. Autrement dit cette croyance généralisée à échelle au moins
Européenne prône le développement économique par l’enrichissement des nations au moyen d’un
commerce extérieur organisé en vue de dégager un excédent de la balance commerciale afin de laisser
entrer « des métaux précieux ». L’excédent s’obtient par des investissements raisonnés dans des
activités économiques à rendement croissant.

o La compagnie britannique des Indes orientales (1600-1875) est la première des compagnies
européennes. L’Angleterre va passer d’un capitalisme marchant à caractère limité à un capitalisme
semi-nationalisé dont les dispositifs complexes sont négociés entre l’Etat et les banques.

o La compagnie néerlandaise des Indes orientales (1602-1799) est connue comme la première
multinationale au monde. Elle emprunte massivement dans des banques, développe une flotte
phénoménale (leurs techniques maritimes leur permettent de gagner la course contre les
Portugais). La compagnie de hollande devient tellement importante qu’elle a sa propre armée, sa
propre cour de justice, etc.

o La Compagnie Française des Indes orientales (1602-1795) est créée par Colbert. Véritable puissance
dans l’océan indien. Fondée pour faire concurrences aux précédentes.

Le mercantilisme, incarné par les multinationales, repose sur un système d’association entre Etat,
négociants et compagnies : l’Etat se trouve investi par le mercantilisme de la responsabilité de développer
la richesse nationale, en adoptant des politiques défensives (protectionnisme) et offensives (favorisant
l’exportation et l’industrialisation). Ainsi, l’Etat prend donc part à autre chose qu’au strict nécessaire : il
soutient le développement de l’économie de luxe qui est secondaire. Le mercantilisme assimilable sous
certains angles au libéralisme se distingue sur l’intervention de l’Etat dans les affaires extérieures.
Contrairement au libéralisme, le mercantilisme veut que l’Etat intervienne pour éviter les exactions,
réguler les coûts.

Ces compagnies sont toutefois sujettes à des faillites régulières. Une faillite affecte les économies, leur
économies matérielles et politiques ; implique un dégagement de moyens imprévus ; suscite des
querelles entre territoires exploités et exploiteurs ; génère un nouveau rapport de forces entre Eglise,
commerçants et Etat. L’interdépendance des secteurs de production est questionnée.

LES COLONIES : DU COMMERCE A LA TRANSFORMATION DE LA SOCIETE


Il n’y a pas de transformation du commerce, ni de dégagement de marchés nouveaux sans une
transformation certes de la société récipiendaire mais aussi de la société à l’origine de la démarche. En
mettant en contact deux territoires : l’extraversion culturelle et les négociations commerciales
deviennent des enjeux.

Naissance de la figure sociale nouvelle de l’ouvrier et de son corolaire le bourgeois


L’ouvrier est le produit de l’émergence d’une classe sociale nouvelle issue des transformations des
processus économiques. La main d’œuvre est mobilisée chez les paysans avec le déplacement du
secteur productif de l’agriculture à l’industrie. La naissance de cette nouvelle figure sociale a deux
conséquences :
o La transformation du monde paysan
o L’arrivée d’une culture et d’une pratique devenue ouvrière et manufacturière
Cette main d’œuvre ne s’est pas déplacée par choix. Le paysan n’est pas propriétaire terrien, sa
démarche n’est pas naturelle mais forcée. La transformation du monde paysan en Europe est
consécutive aux nouveaux secteurs industriels. La transformation du monde paysan est issue de
politiques spécifiques d’affaiblissement du monde paysan. Pour qu’un paysan renonce à sa terre, seule
une politique de contrainte peut marcher. Le paysan devenu ouvrier est défini par la pauvreté et
l’appauvrissement. Des révoltes paysannes ont lieu en Europe et en Angleterre particulièrement où on
se dresse contre le système des enclosures.
Edward Palmer THOMPSON, La classe ouvrière en Angleterre et La guerre des forêts : l’auteur est l’un
des leaders anglais de l’histoire sociale. Il évoque la résistance des paysans contre la transformation de
leur régime d’accès à la terre, leurs biens agricoles. Les révoltes paysannes s’organisent contre les
enclosures :
Mouvement des enclosures XVI et XVIIe : transformation d’une agriculture traditionnelle en un système de
propriété privée des terres dans certaines régions de l’Angleterre ; interdiction d’accès à certaines forêts ;
limitation du droit (d’usage) de certains pays de travailler la terre des seigneurs.

L’agriculture traditionnelle : système de coopération et de communauté d’administration des terres


Le système de propriété privée : chaque champ est séparé du champ voisin par une barrière voire un bocage.

But des enclosures : préserver les terres du braconnage ; rentabiliser les espaces agricoles ; développer un
commerce nouveau ; et affirmer les privilèges royaux et seigneuriaux.

Conséquence sociale : prive les paysans déjà pauvres de droit ; baisse leurs revenus. Le mouvement des enclosures
peut être vu comme un mouvement de désintégration social. Il s’est accompagné de progrès importants des
pratiques agricoles et est considéré par certains comme marquant la naissance du capitalisme ?
Une faillite du système bancaire anglais à la fin du XVIIIe vient affaiblir certaines compagnies industrielles
alors que le système d’enclosure est bien en place. Si l’économie intérieure s’affaisse, si les paysans ne
peuvent plus vivre de leur travail, s’ils ne trouvent plus de terre, s’ils sont restreints dans leurs droits par
l’Etat : ils n’auront d’autre choix que de se tourner vers l’industrie et devenir ouvriers. Ce faisant, les
ouvriers deviennent figure nouvelle de la pauvreté.
Ainsi, il n’était pas pensable de réfléchir à l’industrie ou à un système commercial qui n’engageait pas
l’ensemble de l’économie (et) de la société.
La transition forcée des paysans implique des questionnements sur la liberté, la nature du travail, le
rôle de l’Etat : tant d’éléments qui aboutissent à la pensée libérale du XVIIIe siècle.

Coexistence de la barbarie coloniale et


d’une prise de conscience au XVIIIe
LES COLONIES ET LA MILITARISATION
Lorsqu’un pays en colonise un autre, sa propre société est transformée. Les mythes actifs motivent
l’action et donnent une justification morale initiale aux colons : il s’agit de légitimer la colonisation, qui
repose sur des croyances en un ailleurs meilleur, à améliorer et porteurs de nombreuses promesses. En
réalité : la colonisation ne répond pas du tout à ces idéaux de liberté et se fait dans la souffrance et de
manière militarisée. Ainsi, par le mythe, les colons s’arrogent le droit de piller et s’approprier ce qui était
préalablement à d’autres.
o Violences réciproques
Colonisation française des Amériques XVIe-XVIIIe : tentative de développement d’échanges
commerciaux avec les populations indiennes, d’abord. Les populations locales répriment les
exactions abusives des colons qui répriment en retour : on assiste à une montée en puissance
des attaques réciproque.
o Guerres ente les puissances européennes :
Guerre franco-anglaise (1778-1783) : le Royaume de France cherche à récupérer ses territoires
d’Amérique du Nord cédés à la Grande-Bretagne par le traité de Paris de 1763
o Violation des accords de paix et commerciaux : plus de 400 traités signés entre Américain et Indiens
ont été signés et tous ont été violés dans leur intégralité.
o Esclavagisme
Code Noir de Colbert (XVIIe) : Louis XIV signe à Versailles cet édit qui règle l’Etat et la qualité
des esclaves en définissant les droits du propriétaire sur ses esclaves, qualifiés de bêtes de
sommes ou de purs objets.
La permanence des conflits mène à penser que là où il y a prospérité de certains centres productifs,
sont nécessairement générés des heurts nombreux allant de la misère à la violence d’une part de la
population. D’où les Révolutions du XVIIIe : Française 1789 ; Haïtienne 1791.
LES COLONIES : EMERGENCE D’IDEAUX DE LIBERTE XVIII ET XIX
Dès le XVIIe des penseurs comme Gabriel de GUILLERAGUES pensent le comportement européen
comme barbare et non moral.
Le siècle des Lumières XVIII : en Europe d’abord émerge le mouvement littéraire et culturel des Lumières
qui se propose de dépasser l’obscurantisme et de promouvoir les connaissances. Il remet en question
les structures politiques et les systèmes de valeurs traditionnels (religion, monarchie absolue,
éducation, sciences, etc.). Il sera à l’origine de nombreuses découvertes, inventions mais aussi et surtout
de révolutions.
A ces idéaux de libertés et d’espace civilisationnel se développe conjointement l’esclavage. Ces idéaux
vont être involontairement exporté (comme le reste) dans les territoires colonisés par les européens. A
la lumière de ces réflexions, certaines colonies commencent à réclamer leur indépendance. Ces
dernières, certains diplomates et penseurs prennent conscience de la situation et se lancent dans
l’organisation de révoltes paysannes voire de mouvements d’insurrections complets.
Révolution Haïtienne 1791-1804 : victoire des rebelles haïtiens, indépendance d’Haïti, massacre des blancs.
Première révolte d’esclaves réussie du monde moderne.

Révolution Vénézuélienne 1810-1823 : indépendance du Venezuela et de la Nouvelle-Grenade vis-à-vis du


Royaume d’Espagne. Grandes répercussions sur les autres mouvements indépendantistes d’Amérique du
Sud.

Simon Bolivar est hissé en tant que figure du mythe révolutionnaire : influencé par le philosophe des Lumières
Jean-Jacques Rousseau et surnommé le Libertador, il est une figure emblématique de l’émancipation des
colonies espagnoles. Le mouvement politique du bolivarisme se revendiquera de ses idées. Hugo Chavez
président du Venezuela den 1999 à 2013 prône le bolivarisme : le nouveau Bolivar cherche à rassembler les
peuples dominés d’Amérique latine.

Au XVIIIe et XIXe : l’épuisement des premiers gisements miniers et ressources côtières engagent de
nouvelles conquêtes. En effet, la ruine de beaucoup d’exploitants en plus de la conception nouvelle de
la liberté pousse la bourgeoisie à réclamer plus de droits, plus d’autonomie. Elle se pense moins comme
un sujet du roi que comme un citoyen, sinon autonome, à part entière. Les discours se détache de la
religion.
Le régime économique du mercantilisme est celui privilégié à cette époque : l’Etat se pote garant de la
réussite des affaires. Puisque le colonialisme en est la conséquence du mercantilisme :
l’interventionnisme de l’Etat dans la réussite commerciale est remis en question. Cette pensée, initiée
au XVIIIe et poursuivie au XIXe, va être actée grâce à l’exemple notamment de la Révolution française
et la DDHC. Ces révolutions opèrent car elles ont vu qu’on pouvait se soustraire à des dominations et
devenir un sujet autonome.

LES COLONIES : L’APRES MERCANTILISME (MI-XVIII)


Trois grandes idéologies traversent la question du développement : libéralisme, communisme, et une
certaine conception religieuse de l’homme nouveau.

Libéralisme
La physiocratie est une école de pensée économique, politique et juridique, née en France à la fin des
années 1750. En opposition aux idées mercantilistes, ils considèrent que la richesse d’un pays consiste
en la richesse de tous ses habitants et non pas seulement en celle de l’Etat. Cette richesse doit être
produite par le travail. La doctrine physiocrate est un mélange de libéralisme économique et de
despotisme éclairé.

Adam SMITH (1776) Recherche sur la cause et la richesse des nations s’appuie sur la physiocratie dans
sa réflexion : la main invisible c’est-à-dire le libéralisme va repenser la question de l’Etat. La main invisible
est en fait la logique invisible qui gouverne nos actions et qui permettrait, si on la laisse faire, de
satisfaire les besoins de toutes les sociétés du monde. Sa logique repose sur une conception paradoxale
qui a la forme d’une morale égoïste : l’harmonie des besoins et des biens ne repose pas sur la générosité
mais sur l’intérêt de chacun à préserver ses intérêts individuels. L’intérêt individuel mis en concurrence
profiterait à l’intérêt général.

MONTESQUIEU (XVIII) est un autre précurseur du libéralisme moral. Il défend l’idée que par un système
de loi juste, on garantit la liberté des individus donc la paix sociale donc l’épanouissement global de la
société. Il articule loi et liberté. « Chacun va au bien commun en pensant aller vers son bien particulier. »

Bernard MANDEVILLE (1714) et d’autres vont d’autant plus loin qu’ils estiment que le vice, l’avidité, la
satisfaction des appétits personnels conduit à la recherche de richesse et de puissance ; mais produit
involontairement de la vertu par ruissellement du haut vers le bas de la société.

The Fable of the Bees or Private Vices, Public Benefits : la guerre, le vol, la prostitution, l’alcool et les
drogues, la cupidité, etc. contribuent à l’avantage de la société civile. « Soyez aussi avides, égoïstes,
dépensiers pour votre propre plaisir que vous pourrez l’être, car ainsi vous ferez le mieux que vous
puissiez faire pour la prospérité de votre nation et le bonheur de vos concitoyens. ». Sa fable sera
célébrée comme précurseur du libéralisme économique par Friedrich HAYEK.

Communisme
Pendant que le libéralisme est pensé, l’industrialisation perdure et s’intensifie. Cette façon nouvelle de
produire génère des réflexions sur le calcul des prix, des impôts, de la rémunération du travail, de la
conscience nouvelle de l’urbanité, etc.

Critique du libéralisme : la philosophie morale ne reconnaît pas en l’homme un égoïsme fondamental


comme le voit la doctrine de Smith ou la fable de l’abeille. Selon elles, l’homme est naturellement
tourné vers la satisfaction de ses propres besoins, assurant ainsi l’intérêt général par effet de
ruissellement. Pour la philosophie morale, tout le monde ne s’y range manifestement pas.

Critique du capitalisme : la propriété privée régule l’usage des biens de la société capitaliste. Elle est
un régime d’usage des choses. L’usage, la distribution ou la destruction d’une chose revient à celui
qui en a la propriété.
Pierre-Joseph PROUDON XIXe, Qu’est-ce que la propriété ? : « La propriété, c’est le vol » selon lui.
Selon lui, la propriété ne peut être fondée ni sur l’occupation, ni sur le travail, elle est immorale,
injuste, impossible. [Ndlr : son œuvre posthume réaffirmera une bonne partie de ses études
antérieures mais revisitera complètement sa théorie de la propriété puisqu’il dira que « La propriété,
c’est la liberté ! »]
Critique sociale du libéralisme : la classe ouvrière. La distribution du revenu du travail et du capital
apparait à beaucoup inégalitaire. L’ouvrier n’a pas les moyens de faire évoluer sa condition par le
travail. Or si, comme le dit la théorie libérale, le libre travail et la libre exploitation des ressources
permet l’accès à des libertés et des droits nouveaux, alors une classe entière en est privée. Cette classe
sociale est caractérisée par des revenus insuffisants, des conditions de vie sociale insuffisantes.

Au début du XIXe les journées sont parfois de plus de 14h et les rémunérations vont en décroissant
entre 1760 et 1820, c’est-à-dire au moment où le libéralisme attendait à voir la société élever son
niveau de vie. Finalement toute une frange du tiers état va être précarisé.

Critique sociale du libéralisme : les petits bourgeois. Ceux-ci ne sont pas propriétaires des moyens de
production mais ils en bénéficient quand même.

Karl MARX (XIX) analyse les changements de rapports sociaux depuis le système féodal. Il distingue :

o La bourgeoisie : habitants des villes, propriétaires de moyens de production (usines, champs,


entreprises, manufactures, etc.) ; et

o La petite bourgeoisie : commerçants, artisans, héritiers, intellectuels, artistes. Elle vient bien,
bénéficie plus des richesses du libéralismes qu’elle ne pâtit de ses maux mais elle n’est pas
propriétaire des moyens de production. En tant que tel, Marx montre la liberté exceptionnelle des
petits bourgeois qui ont la capacité de penser leur époque : ni ouvriers, ni bourgeois, ils ont une
distance raisonnable à la fois de ceux qui ont tout et de ceux qui n’ont rien, ce qui leur laisse le
loisir de réfléchir à la société capitaliste.

Critique du capitalisme : conscience des maux de la civilisation industrielle. Cette dernière a accéléré
les transformations économiques et sociales mais est considérée comme génératrice de misère. Elle
se situe selon les communistes dans la lignée de tous les événements historiques qui ont jusqu’ici
toujours été accomplis par des minorité et/ou au profit des minorités. Au XIXe siècle le salariat sert
de moyen de dépossession des travailleurs à l’avantage de la minorité bourgeoise : la condition
d’existence du capital est donc le salariat. Le lumpenprolétariat que sont les « voyous, mendiants,
voleurs, etc. » n’ont pas conscience de leur condition et s’en prenne à leur environnement plutôt
qu’à ceux qui organisent sa misère. Le prolétariat, quant à lui, est conscient de sa condition d’exploité.
Le mouvement prolétarien devient mouvement spontané de la majorité au profit de l’immense
majorité.

Benjamin CONSTANT (1815) : toute autorité qui n’émane pas de la volonté générale est
incontestablement illégitime.

LE COMMUNISME SELON MARX : matérialisme historique


Le matérialisme historique est une méthode marxiste d’analyse historique : les faits économiques
jouent un rôle déterminant dans les phénomènes historiques, politiques et sociaux. Selon lui, l’histoire
du monde a pour moteur la lutte des classes : parce que le mode de production conditionne le mode
de vie social, politique et intellectuel. La lutte des classes n’est donc pas un choix arbitraire
Convulsions révolutionnaires européennes au fil de l’histoire : lutte contre le mode de production

XVIe : la conscience de cette lutte des classes remonterait aux premières mobilisations sociales (confréries
franc-maçonnes XVIe, critiques de la monarchie).

Révolution française : des voix s’élèvent, certaines sont radicales et affirme que les improductifs seraient moins
nuisibles que ceux qui héritent et s’enrichissent par le travail des autres.

Après la Révolution française : certains vont dénoncer les privilégiés qui tirent profit de la Révolution. Les
syndicats étant interdits jusqu’à la fin du XIXe et tout dénonciation étant réprimée, des sociétés secrètes seront
constituées pour donner un visage au communisme. Parmi elles : la Conjuration des égaux, la Ligue de la justice,
la Lige de droits.

1831 Révolte des canuts : le 22 novembre éclate à Lyon la révolte, 1 an après l’accession de Louis-Philippe au
trône. Elle se propage dans tous les quartiers ouvriers. Les canuts sont des artisans qui tissent la soie mais ils
sont victimes du progrès technique (métiers à tisser performants) : ils sont dépossédés d’un savoir-faire et
ravalés au simple rang de force de travail. Cette révolte est un échec quant aux revendications mais elle est
considérée par certains comme ayant permis la création d’embryons des futures organisations ouvrières
notamment syndicalistes.

1847 Manifeste du parti communiste : il propose l’abolition du salariat, considéré comme moyen de
domination de la classe bourgeoise sur la classe laborieuse.

1848 Printemps des peuples : le 22 février 1848 éclate à paris une Révolution qui renverse en quelques jours
la monarchie constitutionnelle de Louis-Philippe 1er. Par peur de la contagion révolutionnaire, les monarques
concèdent des Constitutions à Berlin, Munich, Vienne, Turin.

Bref, l’histoire suit un chemin bien particulier qui aboutira à la dictature du prolétariat. Marx prétend
donc avoir découvert la mécanique de l’histoire, le sens de nos actions. L’histoire suivrait un mouvement
dialectique en trois temps :

1- L’expression d’un certain moment de l’histoire et d’une prise de position d’un secteur de la société ;
2- L’opposition ou le mouvement de contradiction de cette expression ;
3- Le dépassement : l’une des deux parties au conflit prend le dessus et permet la paix dans la société

L’histoire obéit à un rythme : la bourgeoisie a d’abord pris la place de la noblesse. Désormais le


prolétariat contrarie la prise de pouvoir de la bourgeoisie. Ainsi, le capitalisme n’est qu’un moment de
l’histoire : le communisme a pour fondement d’acter la chute de celui-ci et de préparer l’après. Marx
n’est pas contre la richesse et l’accumulation de celle-ci mais il s’opposera à David RICARDO sur la
question de distribution de la richesse produite.

Distribution de la richesse produite ou ruissellement ?

Faut-il qu’une classe s’enrichisse suffisamment sur une période suffisamment longue pour que les bienfaits de cette richesse
permettent au prolétariat d’acquérir des droits et se révolter ?

Oui : David RICARDO XVIIIe compte sur le ruissellement plutôt que la redistribution.
Non : Marx considère que la classe bourgeoise accumule mais sans redistribution. Ainsi, les prolétaires doivent se saisir de tous les
biens de production, en déposséder les bourgeois qui finiront par s’y faire afin de repartir sur les bases d’une société égalitaire.
Selon lui, si les prolétaires détenaient les moyens de production plutôt que les bourgeois, ils en feraient bon usage, c’est-à-dire
qu’ils agiraient pour une société plus juste.

MISE EN CONTEXTE ET ENSEIGNEMENTS : PROBLEMATIQUES CONTEMPORAINES


Patrick BOUCHERON, historien contemporain : « L’histoire est l’art de se souvenir de ce dont les
femmes et les hommes en société sont capables. »
o Sur les exactions : faut-il sacrifier des pans entiers de la population pour générer des entreprises
commerciales, architecturales (muraille de Chine, Pyramides aujourd’hui Merveilles du monde) pour
assurer l’épanouissement de certains et des générations futures ? Qui sacrifier ? Dans quelles proportions
acceptables ? Au nom de quel projet ? Ces questions sont peu ou prou les mêmes aujourd’hui pour les
projets de développement entrepris.
o Sur la rentabilité des colonies : Jacques MARSEILLE, économiste libéral, met en avant que les colonies
n’aient jamais été rentables. Il tient pour exemple la France dont le capitalisme n’a jamais été aussi
vigoureux et ses transformations structurelles aussi rapides que dans la décennie post-indépendances.
Amputée d’une zone coloniale privilégiée qui absorbait dans les années 1950 jusqu’à 40% de ses
exportations totales et assurait 30% de ses approvisionnements, le pays n’a semblé subir aucun
dommage. La démonstration de Jacques Marseille va être utilisée pour déconstruire l’argument qui
soutient que le colonialisme n’est qu’une entreprise d’avidité.
o Sur le mercantilisme : les questions qui se posaient à l’époque sont les mêmes encore aujourd’hui. Les
compagnies créent des monopoles radicaux faisant souffrir l’économie du mal hollandais. Ainsi le
mercantilisme a créé des problèmes structuraux dans les économies nationales.
o Sur les transformations de la société récipiendaire et émettrice du développement : si l’extraversion
culturelle et la négociation commerciale sont une loi absolue, il est essentiel d’observer nos politiques
géopolitiques actuelles sous cet angle.
o Sur le communisme : de 1960 jusque dans les années 1980 le vocabulaire de la lutte de classe est repris
et constitue la matrice principale du développement dans le discours des tiers-mondistes. A partir de
1980 puis définitivement après l’effondrement de l’URSS, la culture de la pensée marxiste s’efface. Cette
pensée a priori généreuse et sociale connaît une adhésion décroissante jusqu’à finalement péricliter.
NB : ce qui empêche la prise de décision n’est pas forcément le manque d’information, mais plutôt les
effets et enjeux contradictoires qui nous sont resoumis en permanence. Le bien est-il possible sous
notre action ou doit-on fatalement casser tout ce que l’on touche.

08.11.2018

Idée générale du cours : aller de droite à gauche (des épices à la démocratie à l’amélioration des
techniques de transport) et faire le lien pour enfin comprendre la pensée contemporaine et ses
soubassements.
Aujourd’hui, continuons l’empilement des strates et processus historiques avec la question de
l’esclavage. Nos ainés ont travaillé à moderniser le tiers-monde, dans l’idée de rompre avec l’idée
antérieure de la supériorité de la race blanche.
L’esclavage au XVIIIe siècle
L’esclavage est-il une forme de travail comme les autres ? Pour répondre à cette question il faut
questionner le sens du travail dans une société. L’esclave et le producteur sont les deux bouts d’un long
spectre. Un ouvrier est un paysan poussé de ses terres, acculés par des méthodes de travail nouvelles
qui lui laissaient peu de droit : quand devient-il esclave ? Quels sont les liens entre travail, esclavage et
développement ? L’esclavage aboli, la traite humaine existe-t-elle toujours sous d’autres formes ? Oui
et pas qu’un peu ! Les proxénètes qui achètent de prostituées envoyées d’Europe de l’Est ont des
pratiques exactement semblables à la mise en esclavage : la différence entre l’esclave et le non esclave
et la capacité et le droit de ce dernier à disposer de son corps.
Etymologiquement, « travail » vient de « tripalium » qui signifie « torture ». De façon contradictoire, le
travail, selon Marx est le moyen par lequel un individu s’émancipe et participe activement à a société.
Nombreux sont les slogans qui témoignent des qualités vertueuses du travail : Travail, famille, patrie ;
Le travail rend libre ; Le travail c’est la santé ; Arbeit macht frei. Pour cette raison, dans le
développement, l’accès au travail est central, au même nom que les activités génératrices de revenu et
la capacité d’une famille à subvenir à ses besoins.
Etymologiquement, « esclave » vient de « Slaves » qui étaient les pays sous-développés et surexploités
par la Russie. L’esclave peut avoir toutes les fonctions sociales : guerrier, soldat, artisan, religieux. Sa
seule fonction n’est pas de travailler au champ. Exemple des zouaves (confédération tribale berbère de
Kabylie) qui ont intégré le corps militaire en Algérie.

DEUX GRANDES PERIODES D’INTENSIFICATION DE L’ESCLAVAGE


Il semblerait que l’esclavage soit vieux comme le monde puisqu’on a la trace d’un procès intenté par
une femme esclave en 1500 avant JC. Cette dernière, mécontente de son traitement, demandait
réparation. Etant née libre, elle réclamait le droit à de meilleures conditions de travail. Mais, si
l’esclavage a existé de tout temps, pourquoi faudrait-il l’abolir ? Rappelons que ces générations
sacrifiées sont celles qui nous permettent aujourd’hui d’admirer les trésors du patrimoine de
l’humanité : sans esclaves ni la Grande muraille de chine, ni les pyramides n’auraient été érigées.
L’esclavage existe depuis des millénaires mais deux périodes d’intensification sont à relever :
o Pendant l’antiquité : de 500 avant JC à 500 après JC
o Pendant les XVIIe - XVIIIe - XIXe : plus d’esclaves ont été déporté au XIXe que les 3 siècles précédents

Période de l’Antiquité
Spartacus en 80 avant JC est érigé en exemple que : là où il y a esclavage, il y a révolte. Mais il est aussi
l’exemple que contester son statut d’esclave paye rarement : Spartacus est mort et les survivants du
conflit ont tous été crucifiés.

Période du Moyen-Âge : pas de traite humaine


Pendant le Moyen-Âge, période dite de l’obscurantisme, on n’a pas spécifiquement recours à la traite
humaine pour deux raisons.
(1) Il existe déjà une forme d’esclavage domestique nationale : le servage qui est la condition de celui
qui est tenu par la loi ou la coutume de vivre et travailler sur une terre appartenant à une autre
personne (un seigneur) et de fournir à cette autre personne certains services, contre rémunération.
Celui qui est en servage ne peut pas changer sa condition.

(2) L’Europe n’est pas suffisamment puissante : la Chine, la Mongolie, l’Empire Ottoman sont les
puissances impériales de l’époque, pas l’Europe.

Période du XVII - XIXe : la traite atlantique


La traite atlantique désigne le transfert forcé de 12 à 20 millions d’Africains en Amérique entre le XVI et
le XIXe siècle. Ce trafic d’esclaves noirs est une tâche indélébile au front de la civilisation occidentale. Il
commence au XVe avec l’introduction de miliers d’esclaves sur l’île portugaise de Sao Tomé, dans le
golfe de Guinée. On estime la traite atlantique (qui a duré 5 siècles) à 11 millions de déportés ; et la
traite orientale (qui a duré 13 siècles) à 17 millions de déportés. La traite atlantique s’illustre donc par
des flux gigantesques sur une courte période.
Les victimes sont des femmes, enfants et hommes indifféremment razziés pour une même fonction de
mise au travail. La violence dont ils font l’objet n’est pas que la privation de liberté mais aussi le
déracinement, la séparation des familles, etc.

Légitimation intellectuelle de la traite atlantique : mission quasi-divine, comme pour la colonisation.


o Conférence de Valladolid - XVIe : elle encadre l’esclavage pour le réglementer en accordants des droits
aux esclaves mais aussi aux maîtres
o Code Noir - XVIIe : Colbert y affirme que « nous devons bienveillance aux personnes que la divine
providence a mis sous notre obéissance ». Bref, bienveillance et supériorité justifient la traite.
o Point IV de Truman 1948 : l’esclavage a été aboli, évidemment, mais les éléments de langage se
ressemblent. Truman dévoile au monde que nous (l’Occident) devons le développement aux pauvres
sous notre responsabilité ; il nous faut « les secourir dans leur nécessité ».
Comme pour la colonisation, la fin du XVII et le XVIIIe voit le projet politique de la traite négrière
s’aggraver alors-même que la DDHC proclame l’émancipation la plus généreuse jamais formulée selon
laquelle « les hommes naissent libres et égaux en droits ».
La Société des Amis des Noirs XVIIIe

Cette association française dont furent membres Mirabeau (membre de la noblesse mais député du tiers état, fort aimé par les
révolutionnaires mais, longtemps après sa mort, déchu pour ses relations secrète avec la royauté) et Olympe de Gouge (grande
féministe révolutionnaire qui quitte Cahors pour Paris sans connaître le français et qui sera mise à mort par Robespierre après
l’avoir envoyé chier). Elle a pour but :

o L’égalité des Blancs et des hommes de couleur libres dans les colonies ;
o L’interdiction immédiate de la traite des Noirs
o L’interdiction progressive de l’esclavage : progressive pour que l’économie des colonies soit maintenue et que les Noirs
puissent y être préparés

Au-delà de permettre une période de « réinsertion », l’association ne demande pas une interdiction immédiate de l’esclavage car
elle est consciente de l’époque et de ses injustices : pour faire avancer la cause noire efficacement, concentrons-nous d’abord sur
l’interdiction d’actes inhumains.

Pierre-Antoine-Augustin de PIIS (XVIIIe) La liberté des nègres : alors que les Etats-Unis ont mis en place la 1ère République
supposément libre et citoyenne, il réclame dans sa chanson l’égalité aux Etats-Unis entre noirs américains esclaves et blancs.
Les associations, les intellectuels, etc. réclament qu’un homme qui travaille la terre soit rémunéré en
vertu de son travail, c’est-à-dire qu’il soit considéré comme un travailleur. Un esclave travaille et est
nourri mais n’est pas considéré comme un travailleur, plutôt comme du bétail. Ainsi, comme le bétail,
on contrôle les naissances (mise à mort des enfants non désirés), les mariages, le manque de femme
(on en razzie +/- pour assurer la reproduction du contingent d’esclaves).

LA GESTION DE L’ESCLAVAGE
La chiourme comme forme de gestion de l’esclavage
Ce terme d’origine latine désigne les cohortes d’esclaves mâles qui vivent dans des baraquements et
travaillent en groupe dans les exploitations. Ils travaillent de 15h à 17h (NB : temps de travail identique
à celui des mineurs en Europe) par jour tous les jours sauf le dimanche. La durée de vie sur l’exploitation
est de 6 ans, ce qui pose souci pour la reproduction du contingent d’esclaves. Pour garantir sa viabilité
commerciale, l’Etat règle d’un décret la problématique du renouvellement de la main d’œuvre. Ce
décret augmente la ration alimentaire journalière. Les grands producteurs, à la tête de chiourmes, vont
toutefois se soulever pour protester. Ils considèrent ce décret comme un poignard donné par l’Etat aux
esclaves pour tuer leur maître.

Le casement comme autre forme de gestion de l’esclavage


Cette forme de gestion garantit un équilibre d’hommes et de femmes. Le travail journalier est moindre
qu’il ne l’est à la chiourme. Ceux-ci sont semi-autonome puisqu’ils disposent d’une maison, du droit de
garder leurs enfants, d’avoir leur propre potager : bref ils ont le droit d’avoir des occupations. Ce temps-
libre est nécessaire puisque l’esclave n’est pas une machine : lui accorder ce temps libre permet de
s’assurer de sa bonne volonté ou disponibilité pour travailler au champ.

Forme intermédiaire de gestion : réflexion sous l’égide des idéaux humanistes


L’une ou l’autre forme d’exploitation dépend de la période mais la chiourme, plus extrême est celle
globalement et périodiquement privilégiée.
Les humanistes dénoncent la traite négrière. Louis XVI devenu roi en 1774 était éclairé des idéaux
humanistes. Il a fait abolir le recours à la torture dans la procédure pénale. Il aurait souhaité abolir
l’esclavage dans les colonies françaises et en aurait parlé en 1774 à son ministre de la Marine et des
colonies, l’antiesclavagiste Turgot. Le projet se serait ébruité et une délégation représentante des
armateurs négriers des ports français serait montée à Versailles pour s’opposer à ce projet, pression à
laquelle le jeune roi aurait cédé. S’il n’a pas aboli la traite négrière, il a mobilisé des réflexions sur la
question de l’esclavage.
Les esclaves vont développer leurs propres mouvements culturels, mouvements dans lesquels la part
de la religion est majeure. Ils vont réinventer des cultes profondément inscrits dans leur propre histoire
traumatique, qui vont courir par la suite leurs associations de libération.

La révolte haïtienne (1791-1804)

Lors de la révolte de Saint Domingue en Haïti, les esclaves se sont soulevés et ont tué tous les blancs,
à l’exception de quelques dirigeants, techniciens, ingénieurs. Le mot d’ordre de l’armée Haïtienne
était : ou bien toute la population meurt ou bien elle gagne sa liberté.

Un des contemporains de la révolte haïtienne dira « Dès qu’un esclave peut subvenir à ses besoins, il
n’y a plus de dépendance. ».
Les coûts de gestion de maintien de l’esclavage augmentent avec le nombre d’insurgés. Leurs tentatives
de fuite imposent la mise en place de brigades qui les traquent jusque dans les montagnes. Les fuites,
révoltes, mutilations, suicides imposent la création de toute une administration pour les gérer, ce qui
génère des coûts.
Les coûts de gestion ne sont pas que des coûts de surveillance. Comme l’exprime Michel FOUCAULT
(XXe) dans son ouvrage Naissance de la prison, sous-titré « Surveiller et punir » la justice ne suffit pas à
exercer le pouvoir, un exercice symbolique de la démonstration de puissance est nécessaire. Les
punitions, raffinées, sont infligées aux esclaves pour montrer la puissance de l’Etat, du maître. Parmi
ces brimades, la mutilation est très commune puisque très pratique : essoriller un esclave, mutiler ses
ou sa femme est douloureux ou fait mal au cœur mais n’empêche pas de travailler. Parfois aussi, les
esclaves étaient soumis pendant une journée à la torture du pilori ou à la suspension par fourche.
[Alice SEELAY 1904, Father stares at the severed hand and foot of his five-year-old » : elle prendra une photo et
réalisera plus tard qu’en arrière-plan, un homme est entouré de 4 petites choses qui ne sont autres que les mains
et pieds de sa fille, que le gouverneur à fait couper.]

Bref, humanistes et esclaves sont contrariés. Ces derniers doivent pourvoir bénéficier de droits. Face à
la menace des insurgés, des formes intermédiaires de gestion de l’esclavage sont développées. Certains
esclaves gagnent le droit de travailler pour gagner de l’argent et satisfaire ses besoins. Un esclave qui
peut subvenir à ses besoins s’émancipe au moins un peu de la dépendance économique qu’il a envers
son maître, il peut donc s’affranchir au moins un peu du joug de celui qui l’opprime. Les esclaves qui
travaillent dans ces systèmes intermédiaires tentent de compléter leurs revenus pour acheter leur
liberté. Les esclaves deviennent des esclaves salariés. Aux Etats-Unis, la loi du ventre libre libère les
enfants d’esclaves promis d’affranchissement.

DE L’ESCLAVAGE AU DEVELOPPEMENT DU SALARIAT


Justifications de l’esclavage
On justifie l’accaparement des esclaves par leur maître par la vision selon laquelle l’esclave est un
homme feignant. Les besoins de mains d’œuvre ne peuvent accepter que des hommes se complaisent
dans leur oisiveté et ne produisent rien sans qu’on les y force. On est donc obligé de mettre l’esclave au
travail pour le bien de tous.
Le besoin fort de main d’œuvre pour le commerce international notamment a justifié l’absence de
remise en cause de la traite humaine à cette époque et du travail forcé jusqu’à son abolition en 1946
en France. Si on ne considère pas les conditions des individus qui en sont victimes, la révolte ou les
suicides collectifs menacent l’équilibre du système. Ainsi, les questionnements reposent sur la
rémunération de ces formes de mise au travail plutôt que sur leur interdiction.

Faire coexister travailleurs libres et non-libres : réponse au besoin de main d’œuvre


L’esclavage assure une certaine quantité de main d’œuvre mais pourtant il suffit à peine aux nécessités
de la production. Leur faible productivité justifie ce manque.

o Adam SMITH (XVIIIe) dans Richesse des Nations met en évidence que « l’esclave est peu productif
car son seul moteur est la peur de la répression, tandis que l’homme libre est motivé par l’appétit
du gain ». Ainsi, « une personne qui ne peut acquérir de propriété, ne travaillera pas au-delà de ce
qui est nécessaire que sous la pression de la violence. »
o Karl MARX (XIXe) tombe d’accord avec A. Smith en affirmant que « l’esclave travaille sous
l’aiguillon de la peur, non pour son existence ». L’esclavage est moins rentable puisqu’il ne travaille
que pour la satisfaction de ses besoins et non par appât du gain. L’augmentation de la productivité
globale est moins importante dans l’esclavage que dans le salariat, d’autant plus avec les coûts
gestion.

[Si l’on en croit K. Marx, aussi bien les machines que le crédit, l’esclavage direct est le pivot de
l’industrie bourgeoise c’est-à-dire de l’économie capitaliste.]

La production doit augmenter : pour cela, la main d’œuvre et la productivité doivent augmenter. Pour
cette raison, un nombre croissant de travailleurs agricoles blanc, créoles et indiens côtoient les esclaves.
On ne les dit pas salariés parce que faire travailler des salariés et des esclaves ensemble augmenterait
le risque d’une révolte portée par les escales qui réclameraient plus de droits. On va donc créer de
nouvelles catégories de travailleurs : libres, non libres, semi libres où même les travailleurs libres ne
disposent pas des mêmes droits que les propriétaires.
La crainte d’une recrudescence des révoltes des travailleurs non libres pour obtenir le statut de paysan
libre. Pour assurer leur soumission on va en fait progressivement faire de ces populations travailleuses
des consommateurs. Pour cela, on leur permet de générer un surplus de revenu grâce à leur travail afin
qu’ils s’endettent par la suite et qu’ils deviennent ainsi contraints de continuer de travailler.

FIN DE L’ESCLAVAGE ET SUBSISTANCE DU SALARIAT


Abolition de l’esclavage
o Victor SCHOELCHER (XIXe) est un militant pour l’abolition de l’esclavage. Dans Les Noirs (1830) il pose
l’inéluctabilité des droits des personnes esclaves. Il pense la question de l’esclavage par rapport à la
stabilité du système économique : selon lui la richesse tend toujours à détruire les équilibres sociaux.
Toutefois, il se positionne pour une abolition différée de l’esclavage.
« Les nègres sortis des mains de leur maître avec l’ignorance et tous les vices de l’esclavage, ne seraient
bons à rien ni pour la société ni pour eux-mêmes. Plusieurs millions de brutes décorées de citoyens
deviendraient des mendiants et des prolétaires qui infecteraient la société active ».
En somme, il craint que la libération des esclaves ne mène à une vague de personnes pauvres et dont il
a peur d’une mise en concurrence des pauvretés noire et blanche. Peur partagée par les ouvriers eux-
mêmes : peur d’une concurrence pour leur travail, d’une détérioration de leurs statuts.
o Frederick DOUGLASS (XIX) qui est également un abolitionniste, se joint à la crainte de V. Schoelcher
puisqu’il explique que les travailleurs blancs bien que libres n’ont que leur statut qui les diffère du niveau
des esclaves. L’abolition de l’esclavage rendrait concurrents les blancs et les noirs.
Bref, en 1848 quand le traité d’abolition de l’esclavage est signé en France, pour différentes raisons les
pro-esclavages ainsi qu’un certain nombre d’abolitionnistes ne souhaitent pas la fin immédiate de
l’esclavage. Pour ces raisons et de toute façon, la suppression officielle de la traite ne signifie pas sa fin
réelle. D’ailleurs, même une fois que la fin de la traite négrière sera actée, le Code de l’Indigénat de
1881 assurera que blancs et noirs ne soient pas sur un même piédestal afin de « faire régner le bon
ordre colonial ». Il établit une distinction entre les citoyens français et les autochtones. Ces derniers sont
des sujets privés de leurs droits politiques et seulement autorisés à certaines pratiques coutumières
(mariage).
Concomitance de l’esclavage et du salariat selon Marx
En 1852 où on considère l’esclavage aboli, le salariat est considéré comme la nouvelle forme
d’asservissement. Celle du consommateur à son travail, celle du salarié à son salaire.
Les esclaves noirs affranchis depuis l’abolition se constituent pour certains comme salariés. D’autres se
refuse à cette nouvelle forme d’asservissement : le salariat est associé à l’endettement ; l’absence de
prise sur la production ; l’absence de liberté de corps de l’ouvrier.
La différence entre le travailleur et l’araignée qui fait sa toile, Karl MARX (XIXe)

L’abeille, l’araignée ou n’importe quel autre animal dispose d’un savoir-faire mais ne travaille que
pour sa propre subsistance. C’est le rôle de l’araignée que de construire sa toile afin de permettre la
satisfaction du besoin qu’elle a de se nourrir.
Le travailleur dispose lui-aussi d’un savoir-faire mais il doit concevoir et constituer son travail fini et
c’est son imagination qui lui permet d’avancer et de façonner le fruit de son travail en tant qu’être
pensant. Il n’a d’aliénation à travailler, le travail en lui-même constitue sa propre récompense.

Le salarié en tant que prolétaire (l’araignée) est programmé mécaniquement à travailler (faire sa
toile) pour sa survie. Son imagination n’est pas mobilisée pour façonner son travail puisqu’il n’a que
peu d’accès à l’intégralité de la tâche à laquelle il participe. Ainsi le prolétaire salarié ne peut pas être
un travailleur.

Conclusion et pistes de réflexion : les questions sur les conditions communes aux personnes qui
contribuent à la production de richesses sous l’égide de régimes de propriétés réglementés par les Etats
fait l’objet de controverses récurrentes. Les élites spectatrices des désordres de leur époque en
débattent. Morale mise de côté, si l’esclave est moins productif que le travailleur libre, il est bien
dommage d’avoir torturé si longtemps ces pauvres gens. Il y a plus de 150 l’inutilité de la disqualification
des forces de travail s’est posée avec acuité. Le problème semble s’être déplacé et demeure d’actualité.
L’échelle spatio-temporelle et l’échelle de gravité diffèrent mais aujourd’hui le chômage est une forme
de pauvreté ce qui n’implique pas que le travail soit nécessairement une forme d’enrichissement. Peut-
être pourrait-on tirer comme enseignement qu’il est nécessaire voire urgence de lutter contre la
disqualification des travailleurs et du travail.
15.11.2018

Histoire des relations Nord-Sud

De la colonisation à l’impérialisme au
XIXe siècle
L’impérialisme est la politique d’un pays qui cherche à conserver ou étendre sa domination sur d’autres
peuples ou territoires. Le colonialisme en est une forme. Pour les marxistes l’impérialisme est inhérent au
capitalisme puisque la recherche d’un maximum de profits conduits les différents pays à sortir de leurs
frontières et à s’affronter.
La question sociale se pense sur tous les territoires, avec des mots différents. Il faut étudier les processus
de transformation à toutes les échelles spatio-temporelles pour les comparer : comprendre la diversité
des territoires, leurs interconnexions, bref appréhender l’évolution très lente du système monde. Pour
cela nous allons maintenant nous intéresser à l’impérialisme et sa mise en valeur de la colonisation.
On étudie l’histoire du capitalisme à travers l’histoire des nouveaux produits et nouvelles façons de
produire (les modes de production). Le monde va progressivement glisser d’une dimension massive de
l’esclavage au salarié. S’il est fort de lier les deux, il faut tout de même préciser que la mise au travail du
salarié, avant le salariat, n’a jamais existé sous aucune autre forme que l’esclavage.
Pendant longtemps l’impérialisme est une façon de penser à la fois le développement économique et
la question coloniale. Au cours des années 1860-70, le mot développement va prendre tout son sens.
Les prolétaires vont en effet construire leurs discours autour de l’idée que le prolétariat est le nouvel
esclavage de leur temps. [Voir I am not your negro].

UN MOUVEMENT DE PAUPERISATION MONDIALE XIX


Paupérisation des colonies
Au XIXe siècle, dans les colonies : les morts « accidentelles » se comptent par milliers, avant que
l’esclavage ne soit aboli les esclaves aussi sont des millions, et un Etat policier est mis en place pour les
réprimer sauvagement ainsi que la population autochtone.

Paupérisation des sociétés industrialisées


Au XIXe siècle en Europe Honoré de BALZAC met en lumière une histoire faite à la fois de bourgeois
industriels, rongés par l’alcool dans une société où la misère est omniprésente ; et des classes pauvres
des faubourgs des villes.
L’image d’une société développée est mise à mal par le développement activités industrielles primaires
et secondaires qui engendre l’entassement de paysans-désormais-ouvriers-en-recherche-de-travail
dans des bidonvilles. Les conditions de vie y sont dramatiques et insalubres. Le progrès des sociétés
développées, vanté partout, se heurte au spectacle des femmes et enfants des rues. Une diminution
générale de la taille est observée, sous les effets de la malnutrition.

Les intellectuels de l’époque se saisissent pour beaucoup de cette problématique : il faut faire quelque
chose pour changer le sort de la classe ouvrière. Une littérature d’un genre nouveau émerge : elle a des
ambitions démocratiques postrévolutionnaires.
Les ambitions post-démocratiques du XIXe
Les intellectuels et écrivains de l’époque s’interrogent tous sur la paupérisation du monde. Une frange
de la littérature opte pour l’option libérale selon laquelle il faudrait constituer une classe de possédants
éthique mais libre d’accumuler des richesses.
André GODIN (XIXe) est un industriel français, inspiré par le socialisme utopique. A cette époque, des
expériences sociales sont réalisés. Parmi celles-ci A. Godin va organiser la construction de cités ouvrières
financées par des industriels (ancêtres des HLM). Cette politique est volontariste car elle n’obéit à
aucune loi. Elle s’inscrit dans le mouvement hygiéniste puisqu’elle répond à des problèmes sanitaires et
sociaux : l’idée est que la santé individuelle est impossible sans santé globale. Ainsi, des crèches sont
construites, l’accès gratuit à la santé est garanti aux ouvriers.
Friedrich ENGELS (XIXe) – La situation de la classe ouvrière (1845) : dénonciation du capitalisme

o F. Engels invente le terme de révolution industrielle : il considère que la façon dont l’industrie
affecte la société à cette époque est de l’ordre d’une révolution

o F. Engels montre que cette révolution née du capitalisme induit un développement auquel
l’exploitation et la misère sont inhérents

o F. Engels dévoile que l’histoire a montré qu’aider les pauvres est inutile si la pauvreté continue
d’être produite. Le prolétariat est en lutte sociale car pour sortir de la misère il ne peut attendre
sa libération que de lui-même. Le prolétariat est donc une classe qui entre inévitablement dans
une lutte sociale contre le système si elle veut sortir de sa souffrance.

o Dans cette lutte il tend à la suppression des antagonismes de classes. En prenant le contrôle des
moyens de production et en refusant les droits de propriétés ni exploiteurs ni exploités
n’existeront plus : seule une classe universelle, représentante de l’humanité entière subsistera.

REVOLUTIONS CONTRE LES DIFFERENTES FORMES D’ALIENATION


Le machinisme
Certains auteurs théorisent que trois classes ont été exploitées dans l’histoire : le servage, l’esclavage
et le salariat. Le progrès technique dégage une grande place pour les machines au XIXe siècle. Elles sont
désormais considérées comme élément d’aliénation : les ouvriers obéissent à une logique. Serfs,
comme esclaves, comme ouvriers sont aliénés : leur travail ne leur appartient pas mais ils consentent à
travailler pour survivre. Des mouvements de révoltes ouvrières vont éclater et donc prendre pour cible
ces nouvelles figures de l’aliénation : les usines. Aujourd’hui quand on critique le transhumanisme, on
se situe dans la poursuite de la dénonciation de l’aliénation par les machines.
o Révolte des Luddites (1812) : conflit industriel en Grande-Bretagne qui a opposé les artisans
(tondeurs, tricoteurs) aux employeurs et manufacturiers qui favorisaient l’emploi de machines
(métiers à tisser) dans le travail de la laine et du coton. Ceux-ci surnommés les « briseurs de
machines » utilise le sabotage comme moyen d’abolir le prolétariat, leur aliénation.

o Révolte des Canuts (1830) : soulèvements des soyeux (ouvriers tisserands) lyonnais qui sabotent
les machines à tisser. Ces dernières précipitant la disparition de leur savoir-faire au profit d’une
modernisation technique. Cette révolte est un échec quant aux revendications mais elle est
considérée par certains comme ayant permis la création d’embryons des futures organisations
ouvrières notamment syndicalistes.
Les révoltes n’auront pas pour effet de soustraire les ouvriers aux machines et auront même pour effet
de précipiter le phénomène de délocalisation de la production qui est déjà moins chère ailleurs. K. Marx
dénonce la bourgeoisie qui envahit donc le globe : elle s’implante, exploite et établit des relations
partout.

Piste de réflexion : la question du développement n’est-elle finalement pas l’idée d’amener le


changement sans passer par la violence ? Aujourd’hui, l’empowerment des populations des pays en
développement est-il réalisé en vertu de leurs besoins ou en vertu de l’envie d’être partout ?

Le marxisme
Le Manifeste du Parti Communiste expose les revendications communistes du XIXe siècle :
- L’éducation publique et gratuite pour tous ;
- L’abolition du travail des enfants ;
- L’impôt progressif proportionné au revenu ;
- L’abolition du capital ;
- L’abolition de la propriété privée ;
- L’interdiction d’embauche de travailleurs étrangers en cas de grève

La guerre sociale
A partir de 1864, une révolte permanente et virulente fait violence. Son histoire n’est que peu écrite ou
racontée. La théorie de la guerre sociale renvoie aux théories de la libération : on parle de guerre sociale
mais celle-ci colore le but d’émancipation des ouvriers.
o En 1864 a lieu la première Internationale : cette organisation ouvrière internationale est créée à
l’initiative de travailleurs et de militants français, anglais, allemands et italiens. Elle a pour objectif de
coordonner le développement du mouvement ouvrier naissant dans les pays européens récemment
industrialisés. La constitution de l’Internationale va donner une force à la mobilisation ouvrière : cette
classe apparaît sur la place publique et historique en tant que force indépendante capable d’œuvrer
pour la paix.
o En 1871, la semaine de la Commune est sanglante : 20 000 Parisiens insurgés sont massacrés alors qu’ils
dénonçaient l’incapacité du gouvernement. Les égouts débordaient de sang. Le Sacré-Cœur, d’ailleurs,
honore la victoire du gouvernement puisqu’elle aurait été construite pour « expier les crimes des
communards ». Cette tentative de révolution est soutenue par les intellectuels et va inspirer Rosa
Luxembourg.
o En 1886 une grande manifestation aux Etats-Unis rassemble 200 000 travailleurs et leur permet
d’obtenir une journée de 8h. La victoire est amère puisque les affrontements avec la police entraînent
des dizaines de morts ; depuis on commémore ces martyrs lors de la « Fête du travail ». En réponse à la
répression meurtrière une réplique par bombes va tuer plusieurs policiers. La guerre entre la classe
ouvrière et les forces de l’ordre (l’Etat) est déclarée. La montée en puissance des affrontements mène
en 1882 à l’explosion d’une bombe posée à la chambre des députés à Paris ; et ira en 1884 jusqu’à
l’assassinat du président français par Sadi Carnot, un anarchiste italien.
o En 1905 une tentative de Révolution Russe a lieu mais échoue.
o En 1910 une tentative de Révolution Mexicaine contre le fond des réformes agraires échoue aussi. Celle-
ci, menée par des paysans révolutionnaires éduqués, est qualifiée d’étonnante, de moderne et de
sanguinaire.
o En 1917 la Révolution d’Octobre en Russie survient. Les bolcheviks en sortent victorieux est font de la
Russie le premier pays socialiste (au sens marxiste) de l’histoire.
o En 1925 la République de Weimar est mise en place en Allemagne : cette nouvelle république vise à
pacifier l’Allemagne après la guerre mais aussi les populations européennes et les différences classes.
Elle tente de passer par la voie de réformes douces.

LE CAPITALISME ET L’IMPERIALISME : VISIONS COMMUNISTES


Lénine et Marx : pousser le capitalisme à son paroxysme
L’internationalisme des classes ouvrières s’oppose à l’impérialisme qui est vu comme un système de
domination et d’exploitation économique par la répression.
Karl Marx (XIX) : une pensée téléologique

Il considère que le capitalisme est un progrès majeur de l’histoire. Progrès qui doit toutefois
s’achever. Le prolétariat en justifiera la chute puisque la condition d’existence du capitalisme est le
salariat. Il se considère lucide sur la marche du monde : le capitalisme continuera de se développer
jusqu’à ce qu’il implose en raison de ses contradictions internes.

En 1927 a lieu le premier Congrès International contre l’Impérialisme et le Colonialisme Le congrès est
porté par l’internationale communiste. Il se réfère à une brochure célèbre de Lénine.

LENINE (fin XIXe-début XXe) dans L’impérialisme, stade suprême du capitalisme (1917) décrit sa vision de
l’organisation de l’Etat :

« Il s’agit de construire un capitalisme d’Etat industriel, sur le modèle de l’Allemagne et des trusts, en
s’appuyant sur des spécialistes techniciens ou organisateurs, moyennant des salaires élevés et à l’aide de
méthodes barbares, seules aptes à combattre la barbarie. »

Quand il rédige cette brochure en 1917, il souhaite industrialiser le pays, trop rural, pour pousser le
capitalisme d’Etat à son paroxysme pour qu’il s’effondre.

Le progrès social doit donc être expérimenté jusqu’à atteindre son paroxysme. Le boulet du progrès
social et donc du développement du capitalisme et du communisme : c’est le paysan. La paysannerie
est le siège de la pensée conservatrice. K. Marx et Lénine s’accorde sur le fait que le paysan est
antirévolutionnaire par essence. Mao est celui qui liera la classe paysanne au mouvement
révolutionnaire.

L’impérialisme comme aboutissement du capitalisme


Lénine considère que le capitalisme ne peut être développé que par les techniciens et donc par la
formation de cadres techniques. Ceux-ci sont la solution pour pérenniser des systèmes d’exploitation
capitalistes dans les territoires colonisés. Il s’agit là-aussi de la base de la pensée de la planification
marxiste (inverse de l’auto-régulation par le marché). Seules des méthodes barbares sont aptes à
combattre la barbarie.
Il définit le mode de production capitaliste comme dépendant du marché extérieur et précise que
l’impérialisme est le capitalisme arrivé à un stade de développement où la domination du monopole
s’est affirmée ; où le partage du monde entre les puissances capitalistes est achevé. Ainsi, de même
qu’il ne lutte pas contre le capitalisme, il ne lutte pas contre l’impérialisme. Il entreprend de prendre
part à la marche du monde en faisant du communisme un acteur du monde à venir.

Le dirigisme communiste
Le dirigisme est un système dans lequel un gouvernement exerce le pouvoir d’orientation ou de décision
sur l’économie et la société afin de l’organiser selon certaines fins.
Le léninisme : pensée scientifique du travail et de l’organisation du territoire de l’URSS

Le léninisme est empreint de dirigisme puisqu’il porte sur la question d’un Etat centralisé et d’une
classe dirigeante informée pour orienter la transformation de la Russie. Pour que le prolétariat russe
puisse intervenir dans le grand renversement mondial, le Parti communiste doit incarner le
changement et établir des lois pensées comme scientifiques.

o Gestion spécifique des espaces ruraux : des fermes d’Etat sont créées. Le dirigisme en zone rurale
crée de grandes exploitations sous la domination d’une classe éclairée. Des Sovkhozes où les
ouvriers salariés travaillent pour la production nationale ; et des Kolkhozes qui sont des
coopératives agricoles à caractère spontané vont être créées.

LUTTES SOCIALES DANS LES PAYS DEVELOPPES ET PRATIQUES COLONIALES : LIENS


L’opposition de Lénine et R. Luxembourg sur les colonies
Le marxisme-léninisme veut exporter au-delà de ses frontières, dans tous les pays du monde,
l’internationalisme prolétarien.
Rosa Luxembourg ne veut pas s’inscrire dans cet internationalisme prolétarien autrement qu’on
menant une Révolution en URSS qui deviendra un modèle pour le reste du monde.
o Lénine (fin XIXe-début XXe) considère les colonies sont essentielles à la Russie puisque ces pays satellites
sont des réservoirs de main d’œuvre ; les moyens d’approvisionnement en matières premières. Lénine
va donc développer un impérialisme de proximité en prônant l’annexion de territoires voisins sous-
industrialisés.
o Rosa LUXEMBOURG (fin XIXe-début XXe) est une militante marxiste qui s’oppose à Lénine sur le caractère
essentiel des colonies. Elle met en valeur un déficit structurel de biens de production dans les pays
développés : on consomme beaucoup mais on produit peu ; et un déficit structurel de biens de
consommation : on produit pour les autres mais on ne consomme rien. Ce déficit n’est pourtant pas,
selon elle, une fatalité mais bien une question d’organisation. En effet, si on produisait moins au Sud et
qu’on consommait moins dans le Nord, on répartirait mieux l’espace économique. Une meilleure
répartition rendrait obsolète ce système de domination de certains par d’autres ; l’impérialisme ne serait
donc pas une étape nécessaire au développement des économies nationales et donc à l’écroulement du
capitalisme.
Politique coloniale, fille de la politique industrielle
o Jules FERRY (XIX) est une figure engagée pour l’expansion coloniale française. Il considère l’exportation
vers les colonies comme un facteur essentiel de la postérité publique puisque la consommation
européenne est saturée. Il faut donc trouver de nouvelles couches de consommateurs outre-mer sous
peine de voir s’effondrer l’industrie française, garante du développement du pays. Comme Lénine, J.
Ferry pense que les colonies sont la condition de survie du développement. Il s’exprime ainsi :
« La politique coloniale est fille de la politique industrielle. Il faut faire émerger d’autres parties du globe
des consommateurs afin de ne pas mettre les sociétés modernes en faillite. »
o John Atkinson HOBSON (fin XIXe-début XXe) est le premier à mentionner l’impérialisme en 1902 : Il
explique que le problème d’insuffisance de la demande dans les pays colonisés est causé par une
distribution inégalitaire des revenus. Les ouvriers des pays colonisés ont des revenus moindres, trop
faibles pour consommer.
James MONROE (1823) le cinquième président des Etats-Unis, s’adresse aux puissances européennes :
(1) L’Amérique du Nord et du Sud ne sont plus ouvertes à la colonisation
(2) Toute intervention européenne dans leurs affaires sera perçue comme une menace pour la paix
(3) En contrepartie, les Etats-Unis n’interviendront jamais dans les affaires européennes

A partir de la fin du XIXe, les Etats-Unis vont donner un caractère impérialiste à la doctrine Monroe. C’est la
preuve que l’impérialisme doit être pensé à la lumière de la colonisation.

CAPITALISME ET IMPERIALISME : VISION DE SCHUMPETER

Joseph Schumpeter (XXe) sur l’impérialisme : comme l’histoire est remplie d’épisodes où des peuples
recherchent l’expansion pour l’expansion, il en vient à considérer que l’impérialisme c’est la disposition,
avec ou sans objectif, que manifeste un Etat à l’expansion par la force, au-delà de toute limite définissable.

Joseph Schumpeter (XXe) sur le capitalisme : le capitalisme n’est pas un système économique au service
des riches. Les riches sont déjà riches, la production de masse n’améliore que peu les conditions de vie
de la classe bourgeoise alors qu’elle révolutionne celles des pauvres (accès à l’eau courante, conditions
d’hygiène améliorées, etc.). Il illustre ainsi son propos :

« L’éclairage électrique n’est pas nécessaire pour quiconque est assez riche pour acheter un nombre
suffisant de bougies, et de domestiques pour les éteindre. »

L’évolution capitaliste a permis ces améliorations non pas par coïncidence mais en vertu de ses
mécanismes. La croissance, au fond, nous dit Schumpeter, rend la révolution sans objet. La croissance
ne garantit pas que le chômage disparaisse mais, en réduisant la pauvreté grâce à une production accrue,
elle fournit de quoi rendre ce chômage supportable. Il ne s’illusionne pas non plus sur les souffrances
sociales : la pauvreté est une condition d’existence des sociétés, le système est cruel, injuste, agité, mais
il fournit des biens. S’il perdure encore 60 ans, alors la richesse créée aura permis la satisfaction des
besoins de l’ensemble des acteurs de la planète. S’il perdure 100 ans, la situation économique des
individus sera en moyenne 8 fois meilleures.

De plus, Schumpeter préfère un despotisme appliqué à son compte en banque plutôt que subi par ses
concitoyens. L’intérêt au sens économique du terme ne mènerait pas à la guerre puisque celle-ci
ponctionne les revenus. La guerre est donc anticapitaliste par nature.
Joseph Schumpeter (XXe) et le lien entre impérialisme et capitalisme : partout où règne le libre-échange,
aucune classe sociale n’a intérêt à l’expansion militaire (à l’impérialisme), puisque chaque nation est en
mesure de pénétrer économiquement dans les pays étrangers. Ainsi, le protectionnisme encourage
l’impérialisme alors que le capitalisme et le libre-échange le décourage.

PISTES DE REFLEXION : l’impérialisme (les colonies) est soutenu par Lénine et Jules Ferry en tant que
moyen de développement de soutenir le capitalisme en soutenant la croissance. Rosa Luxembourg
s’oppose aux colonies et à l’impérialisme qui ne sont pas selon elles le moyen d’expansion capitaliste en
raison d’un déficit structurel entre Nord et Sud. Atkinson Hobson confirme que les ouvriers des pays
colonisés ont un revenu trop faible pour consommer. Enfin Schumpeter affirme que l’impérialisme et la
colonisation ne sont que de l’expansion sans objectif économique et qu’elle est inutile au capitalisme.

Max Weber va montrer que la réalité donne tort à Schumpeter : l’économie de la guerre est de la
reconstruction est utilisée comme un moyen de développement de l’activité économique. Preuve en
est : les banques financent les prêts de guerre et qu’une grande partie de l’industrie lourde a un
véritable intérêt économique à ce que ces guerres soient menées, d’autant plus qu’une guerre perdue
augmente la demande de ces industries aussi bien d’une guerre gagnée. Cette vision ne contredit pas J.
Ferry, Lénine, R. Luxembourg ni A. Hobson mais réajuste leur vision en se détachant de la motivation de
l’impérialisme par la consommation.

La question d’ailleurs n’est pas de donner raison ou tort à une vision mais de comprendre comment se
développe les théories du développement. Les taux d’alphabétisation n’ont pas significativement
augmenté, le niveau de vie et celui de la mortalité fluctuent, la lutte contre les formes variables
d’inégalité et d’insécurité perdurent. Et ceci malgré le début des politiques de développement daté aux
années 1950 : tous les pronostics ont été déjoués.

Comment accéder à la paix quand le développement repose sur une exploitation des ressources de
matières premières, d’une main d’œuvre et de la redistribution des profits au différents bouts de cette
chaîne productive. L’anti-développementaliste se base sur cet argument : le développement n’est que
la transformation de ressources en biens marchands pour l’intérêt économique d’une minorité ; le
développement ne serait que vecteur de guerre et d’exploitation.

La mise en valeur coloniale incarnée par


la IIIe République française 1870-1940
Pour rappel, l’impérialisme rend nécessaires les colonies pour permettre le développement du
capitalisme par un recours systématique au marché extérieur. Il s’inscrit dans la conquête de nouveaux
territoires et la production de nouveaux biens.

Lénine et J. Schumpeter avait pensé le capitalisme et l’impérialisme comme moyen d’enrichissement


de la classe moyenne voire pauvre.

Ferdinand BRAUDEL (XXe) pense le capitalisme et l’impérialisme comme moyen de distinction sociale.
La pensée civilisationnelle émerge : l’Europe se représente que le reste du monde l’attend et lui est
nécessaire.

INDEPENDANCES AMERICAINES ET COLONIES AFRICAINES

Lewis Henry MORGAN (1877) dans Ancien society développe la théorie évolutionniste selon laquelle
l’évolution de l’humanité suivrait un schéma unique caractérisé par trois stades civilisationnels
successifs : la sauvagerie, la barbarie et la civilisation.

Après l’indépendances des Amériques : le développement ?


∆ Amérique latine

L’Amérique latine a été conquise par les blancs, civilisée, convertie au christianisme, organisé politiquement :

Pourquoi n’est-elle pas devenue une seconde Europe après les indépendances ?
Pourquoi l’Occident s’est-il arrêté aux USA ?

Les indépendances d’Amérique latine au XIXe siècle ont généré un immense mouvement de rachat de terres
si bien qu’en 1900 on comptabilisait 85% des terres appartenant à 1% de la population. Aucune terre
cultivable quasiment n’est pas une terre cultivée par des travailleurs au profit de grandes fortunes.

L’Amérique latine, bien qu’indépendante, a hérité du système des grandes propriétés terriennes
caractéristique de la période des conquêtes : esclaves et ouvriers cohabitent. Les révoltes paysannes
appellent à la révolte. Pour les réprimer les Etats développent la mise au travail contrainte par les corps armés.
Exemple de la révolte paysanne massive colombienne en 1890 dont la répression a fait 100 000 morts. La
répression des révoltes paysannes par une militarisation des Etats remonte à la genèse des indépendances.
Aujourd’hui au Brésil, le mouvement des agricultures se situe dans la droite lignée de leur héritage.

∆ Amérique du Nord et Australie

Au XIXe siècle les Etats-Unis construisent leur histoire autour d’un mythe qui leur est propre : celui
de la ruée vers l’or. Ce mythe va justifier tout un ensemble de conquêtes intérieures aux terres. On
se déplace dans les terres pour chercher plus loin une supposée mine inépuisable. Ce mythe va
justifier le déplacement forcé des amérindiens par les Etats-Unis. La Piste des Larmes est le nom
donné à la déportation de 1/5 de la population des Cherokee, dont une partie fut aussi décimée. En
Australie aussi, on déplace les aborigènes pour exploiter l’or.

Les villes d’extraction de l’or enflent : San Francisco se multiple par 25 et devient un cimetière à
bateaux, bateaux dans lesquels les paysans qui viennent de l’intérieur logent. Les minerais sont
source de richesse et permettent le développement de villes nouvelles. Mais la main d’œuvre est
insuffisante : les Chinois vont s’installer en masse, dans des conditions de vie caractérisées par leur
insalubrité, leur insécurité.
Après l’indépendances des Amériques : de nouveaux rapports de domination

Finalement les indépendances ont simplement transféré la domination : les travailleurs d’Amérique
latin étaient assujettis à l’empire ; les indépendances les ont assujettis aux propriétaires terriens.

C’est après les indépendances que la pensée du racisme va être développée : une justification
scientifique vient expliquer les rapports de domination. Au temps des esclaves, la domination était
expliquée par le besoin de main d’œuvre. Les populations autochtones comme les amérindiens et les
aborigènes dérangent parce qu’elles sont sur des territoires où on a localisé des minerais. Mais les
amérindiens (cherokee) les aborigènes, les paysans d’Amérique du Sud, et les migrants chinois
dérangent aussi par leur pauvreté et leurs origines.

Partage de l’Afrique colonisée

Durant de longues années, l’intérieur du continent africain, souvent difficile d’accès, n’intéresse pas les
puissances européennes qui se contentent d’y établir des escales ou des comptoirs de commerce.
Pendant la seconde moitié du XIXe, la découverte de richesses insoupçonnées rend l’Afrique
intéressante : à compter de 1880, les visées colonisatrices européennes s’intensifient jusqu’à créer des
tensions entre les différentes puissances.

La Conférence de Berlin (1884) organise le partage officiel du continent Africain entre les puissances
européennes. Le personnage de Tarzan fait partie des imaginaires qui justifient cette conquête
désormais officielle du territoire africain. Le partage se veut apaisant : entre l’Allemagne et ‘Angleterre ;
mais aussi entre la France et l’Angleterre puisque pour calmer les tensions la France fait don de l’Egypte
à l’Angleterre après qu’elle ait renoncé au Maroc pour la France.

LA III REPUBLIQUE ET SES AMBIGUÏTES : COLONISATION, IMPERIALISME ET RACISME

La IIIe République et les grandes avancées du droit

A la suite de son succès aux élections législatives, le partit radical socialiste devient pivot de la IIIe
République et se trouve à l’initiative de plusieurs grandes réformes :

- En 1901 on proclame la liberté d’association ce qui constitue une immense avance en termes
de droit des individus puisqu’avant et dans encore de nombreux pays cette liberté est
subversive et peut entraîner torture et prison.

- En 1905 on proclame la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, la laïcité est consacrée.

- En 1906 on crée le ministère du travail et l’institution du repos dominical

Assurer le discours civilisationnel


Pendant un temps, la seule dynamique universelle qui justifie l’extension est le christianisme,
l’évangélisation. Bref, l’expansionnisme par la colonisation est décrit comme dicté par la générosité, la
mise en valeur de certains individus à qui l’on apprendrait à vivres décemment et surtout à leur assurer
le Salut. L’esclavage, quant à lui, est justifié par le besoin de main d’œuvre.
o Contre la colonisation au XIXe : les économistes libéraux comme Paul LEROY BEAULIEU (XIXe) démontrent
que la colonisation coûte chère.

o Pour la colonisation au XIXe : les communistes, les progressistes, les grands industriels et les expatriés la
voit comme le moyen d’améliorer les salaires, la jouissance des biens de consommation, l’assurance
d’une diffusion civilisationnelle. Les expatriés forment un lobby pour maintenir les colonies.

[Ndlr : le progressisme veut instaurer ou imposer un progrès social par des réformes ou par la violence
en opposition au conservatisme. Dès la IIIe République, le mot progressiste en France tend à signifier le
contraire de son sens littéral. On trouve ainsi des députés, journaux, groupes parlementaires qui se
qualifient de républicain progressiste et qui comprennent en général des républicains qui se proclament
de gauche, mais qui sont antisocialistes.]

Jules FERRY (1885) proclame qu’

« il faut dire ouvertement que les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Il y a un
droit parce qu’il y a un devoir pour elles : elles ont un devoir de civiliser les races inférieures. »

« L’œuvre civilisatrice consiste à relever l’indigène, lui tendre la main. Le civiliser c’est l’œuvre
quotidienne d’une grande nation. La question coloniale c’est la question des débouchés. »

En bref, on justifie scientifiquement la domination des indigènes par les européens. J. Ferry symbolise
la naissance d’un discours raciste, scientifique et organisé. Discours apparent à celui porté aux Etats-
Unis contre les amérindiens et en Australie contre les aborigènes.

En 1894 on crée le ministère des colonies qui deviendra en 1948 le ministère du développement. Le
ministère des colonies va créer un corps nouveau d’ingénieurs, de scientifiques, il va inventer la figure
de l’instituteur républicain. Ce dernier devient un élément pivot puisqu’il transmet aux générations les
bienfaits des colonies françaises et assurer le transfert de compétences européennes vers les colonies.

Assurer la rentabilité des colonies : l’horreur des crimes coloniaux


Le discours général qui va justifier les violences auxquelles nous allons nous intéresser est simple : cette
période est dure nous le savons mais consentez-y puisqu’elle vous mène vers le mieux. L’objectif est de
faire taire les économistes libéraux en rendant les colonies rentables pour l’Etat et pas seulement pour
les industriels. Une politique de grands travaux est menée ; une monétarisation croissante des rapports
sociaux et avec l’Etats également.

La mise en place de taxes et impôts par le ministère. Chaque village est rendu responsable de collecter
l’impôt par capitation. Mais peu de monnaie y circule donc une partie de l’impôt est restitué en argent
et le reste en biens de production. Les villages qui s’opposent à payer sont sévèrement réprimés par
l’armée française qui les brûle parfois en guise de sanction.

Le développement de l’économie minière au Maroc est aussi commandité par le ministère. Mais le
manque de main d’œuvre justifie des rafles dans l’arrière-pays de 1910 à 1920. Le patronat de l’époque
est aidé par l’armée et nie le caractère forcé de cette mise au travail : il ne s’agirait pas d’esclavage mais
d’un engagement à travailler consenti et à durée limitée.

Le partage des terres entre entreprises est géré par les entreprises au Congo.
Les colonies qui tentet de se révolter sont violemment réprimées. En 1908 le génocide perpétré par les
allemands contre les Herero en Namibie est justifié par les tentatives de révolte contre le travail forcé.
Ce génocide a d’ailleurs récemment été reconnu comme le 1er génocide de l’histoire.

LA III REPUBLIQUE ET LA MISE EN VALEUR DES COLONIES

1ères dénonciations des violences coloniales et subsistance du discours civilisationnel


En 1921, la première loi sur le développement est rédigée. Le ministère des colonies met en place par
l’intermédiaire de son ministre de tutelle Albert SARRAUT, un programme politique d’aide aux colonies :

o Léon BLUM (1936) reste en ligne avec les idées de la IIIe République qui considère la mission civilisatrice
comme essentielle, toujours dans cette idée de devoir des races supérieures. Mais il critique les moyens
mis en œuvre qui ont justifié les horreurs coloniales.

« Nous admettons le droit et même le devoir des races supérieures d’attirer à elles celles qui ne sont
pas parvenues au même stade de culture et de les appeler au progrès grâce à la science et l’industrie.

Tous tant que nous sommes, nous avons trop l’amour de notre pays pour ne pas désirer l’expansion de
la pensée, tous nous souhaitons le développement, la propagation de la pensée française, et de la
civilisation française.

Mais nous n’avons jamais admis que l’occupation militaire soit le véhicule sur et fécond de la pensée ou
même de la force colonisatrice.

Ce devoir ne doit s’exercer que par l’influence, l’attrait, la conscience donnée aux races dites
inférieures, du bienfait matériel ou moral que nous leur apportons. »

Civiliser par la création d’un programme politique de mise en valeur coloniale


En 1921 la première loi sur le développement est promulguée. Le ministre des colonies met en place par
l’intermédiaire de son ministre de tutelle Albert SARRAUT un programme politique d’aide aux colonies
appelée « politique de mise en valeur coloniale ».

Ce programme prend en compte les problèmes structurels liés à l’exploitation économique des colonies.
Il concerne la colonie française d’Extrême-Orient (Indochine). Elle est étendue aux territoires où elle a
des intérêts : au Japon, au Siam et en Chine. Ses objectifs sont divers et marquent le début d’une
nouvelle approche :

La mise en valeur coloniale consiste à

>> passer d’un pacte de dépendance militarisée

>> à une mise en valeur des colonies par association et participation des populations aux progrès
scientifiques et économiques
Valorisation scientifique et technique des territoires : mouvement du tropicalisme

o La maîtrise des territoires tropicaux est assurée par des ingénieurs et naturalistes formés et envoyés
dans les colonies. Ils sont spécialistes des plantes, de leurs maladies, de leurs difficultés d’adaptation et
sensibilité selon le contexte. Des expérimentations sur les plantes et les insectes sont menées et
accompagnées de leur lot de scandales. Exemple des tests du vaccin contre la maladie du sommeil de la
mouche tsé-tsé qui tuera les cobayes. Ces échecs expliqueront la méfiance (finalement pas si
irrationnelle) des populations coloniales et rurales vis-à-vis de la « science occidentale ».

o La maîtrise des corps tropicaux est assurée par des médecins formés et envoyés dans les colonies. On
est en plein dans la période de l’hygiénisme en Europe et celle-ci s’étend jusque dans les colonies où
sont ouverts des dispensaires.

o La maîtrise de la psychologie tropicale est assurée par des études menées sur des questions comme
l’impact du climat sur le travailleur. On cherche par exemple à expliquer pourquoi les noirs travaillent
moins bien et avec moins d’enthousiasme que les ouvriers européens.

Valorisation économique des territoires : intensification des prêts

La loi de 1921 va engendre un système de prix massifs de la part notamment de la Caisse des dépôts et
de consignations. Cette dernière, placée sous le contrôle direct d’une commission de surveillance qui
rend compte au Parlement, exerce des activités dites d’intérêt général pour le compte des Etats et des
collectivités territoriales.

L’approche du développement des colonies par investissement est inspirée par le plan Sarraut qui
considère que (1) puisque l’on est développés, (2) il serait criminel de ne pas apporter les bienfaits de
la civilisation technique. En se référant au plan Sarraut les investisseurs argumentent l’intérêt des
colonies à entrer dans l’économie de marché capitaliste : elle est le moyen d’accéder à la santé,
l’éducation bref le progrès technique et scientifique.

Les approches anglaise et française : similarité et différences


o Le Colonial Development Act est promulgué en 1928 en Angleterre : comme en France, il inaugure les
politiques de mise en valeur. Il vise à soutenir une politique de l’emploi dans les colonies, prévoit le
transfert de capitaux dont une partie est donnée sous la forme de dons (préfigure l’APD) ou de prêt. Ces
apports de prêt vont causer une crise de l’endettement des colonies, renforcée par celle de 1929. La
crise de 1929 du Black Friday heurte le monde entier et va avoir des conséquences sur les capacités
d’investissement des puissances européennes dans leurs colonies.

A la fin des années 20 on se rapproche de la fin des colonisations d’Afrique et d’Extrême-Orient. Les
indépendances se feront plus ou moins violemment. A cette époque, l’Angleterre consacre 47% de ses
capitaux à ses colonies ; la France consacre 10% à l’Empire. L’Angleterre, plus que la France, a établi des
infrastructures et formé des cadres locaux dans les colonies. Ces différences d’investissement vont avoir
une influence majeure dans le processus de décolonisation et dans les rapports post-coloniaux. La
décolonisation anglaise sera plus douce que la décolonisation française.

Conclusion et pistes de réflexion : pendant toute la IIIe République, si on fait fi des discours
civilisationnels, la priorité est donnée à l’économie. La civilisation sert d’outil de légitimation de la
colonisation des XIXe et XXe siècle au même titre que les mythes pour la colonisation du XVe au XVIIIe.
Après la Seconde Guerre mondial, un tournant social est opéré dans la question coloniale.
Changement de posture après la guerre :
plus jamais ça !
En 1940, l’Angleterre promulgue le Development and Welfare Act qui cherche à établir une planification
plus sociale et réprimer les abus des cadres coloniaux. Celui-ci fait suite à son aîné de 1928 qui
appréhendait la mise en valeur par l’économie.

Les politiques liées au développement vont très lentement évoluer vers une prise en compte de la
question sociale : politique coloniale, politique coloniale de développement, politique coloniale de
développement et de bien-être, politique de développement économique et social. Toujours est-il que
le social émerge dans la question du développement, mais on ne renonce jamais à l’économie. La seule
remise en cause économique porte sur la répartition. Le social vient aménager les conditions de travail
et de production, sans els remettre en cause.

LA SECONDE GUERRE MONDIALE : L’HORREUR DU CONSTAT

La paralysie d’après-guerre

La Seconde Guerre Mondiale et particulièrement à partir de 1940 va opérer une systématisation


industrielle du racisme et de la ségrégation. Elle est l’apothéose d’accumulation de savoirs et pratiques
de la mort industrielle :
o 1905 : création du premier camp de concentration en Namibie
o 1920 : tests de gaz toxiques sur les populations du Rif (Afrique du Nord)

Alors qu’on pensait que le commerce permettait le développement économique et que celui-ci
permettait la paix : l’Europe a été le théâtre de massacres. Dans des pays où on disposait de la liberté
d’association, de rassemblement, où la laïcité avait été consacré et où des mouvements progressistes
faisaient pression pour que les droits de certains soit valorisés : on assiste à la pire guerre de l’humanité.
L’efficacité politique du développement encouragé pendant la IIIe République se pose.

o Primo LEVI dans Si c’est un homme et Robert ANTELME dans L’espèce humaine écrivent noir sur blanc la
pensée prédominante d’après-guerre : l’Homme est incapable d’être humain.

Les écoles de pensée pour envisager l’après-guerre


Le constat d’horreur de la guerre va engendre l’activation de deux mouvements de pensées : l’école de
la pensée critique et l’école de la pensée sociale. Ces deux écoles se donnent pour impératif de penser
les évènements passés pour les comprendre. Dans le cadre de celles-ci les auteurs et scientifiques vont
multiplier les réflexion, interprétations et expériences.

L’école de la pensée critique est celle de Francfort. Elle est abstraite : elle se demande comment l’intérêt
d’éviter un raisonnement fallacieux ; et concrète : elle suppose de vérifier ses sources, croiser les
opinions des spécialistes pour échapper à la crédulité et encourager la libre-pensée.

L’école de la pensée sociale qui se développe sur la base du besoin de remédier aux horreurs que
l’Europe pourtant civilisée et démocratique a pu commettre. L’Europe est le plus grand territoire
criminel du moment.
o Hannah ARENDT (XXe) accuse l’impérialisme comme raison de la montée des totalitarismes.
L’homme moderne enfermé dans l’obsession de la croissance au service du progrès technique
(et vice-versa) oublie la nature de l’humain et ne pense son existe plus que dans la société.

o L’expérience de Milgram (1960) repose sur l’interrogation de savoir jusqu’où un homme est
capable d’infliger à un autre des décharges électriques sous couvert d’un unique discours
scientifique pas vérifié (et effectivement fallacieux). A la vue des résultats, on s’inquiète de la
capacité d’un homme à en torturer un autre sans raison évidente.

o Jean-Claude MILNER (2003) dans Les penchants criminels de l’Europe expose l’idée que l’Europe
porte en elle-même la capacité de destruction de toutes les autres formes de civilisation. Cette
capacité n’est pas tant matérielle qu’elle repose sur la fascination de l’homme moderne pour la
technique. Le danger de cette fascination repose dans la portée déshumanisante de la technique
et de l’organisation pourtant toutes deux proclamée comme facteur de développement
économique et donc facteur d’amélioration des conditions de vie.

APRES 1945 : REPENSER L’ORDRE MONDIAL

La guerre a déclenchement une vague d’indépendances


Certaines colonies vont se voir accorder l’indépendance sans trop de heurts.
D’autres vont la revendiquer mais ne l’obtiendront qu’à l’issue de conflits sanglants. Toujours est-il que
la prise de conscience dans les colonies est générale. Elles ont consenti à fournir des contingents armés,
envoyés en première ligne de front pour des idéaux qui n’ont cessé d’être trahis.

La guerre a redéfini l’ordre mondial

En 1945 la Conférence de Yalta réunit J. Staline, W. Churchill et F.D. Roosevelt. Elle vise à hâter la fin de
la guerre, régler le sort de l’Europe après la défaite allemande et garantir la stabilité du nouvel ordre
mondial après la victoire. A l’image de la doctrine Monroe (XIXe) elle garantit à l’Europe libérale-
conservatrice, aux Etats-Unis et au monde communiste une autonomie de leur territoire en échange de
la coopération commerciale.

A la sortie de la guerre, l’ordre mondial d’abord pensé avec trois pôles sera finalement partagé entre un
bloc occidental et un bloc communiste. Finalement l’issue reste la même : les puissances coloniales
européennes ; la puissance américaine qui s’est affirmée en tant que telle depuis la doctrine Monroe ;
et la puissance coloniale également de l’URSS sont celles qui décident du nouvel ordre mondial. Les
colonies et les pays fraîchement indépendants restent les grands absents de ce partage du monde.

APRES 1945 : REPENSER LE DEVELOPPEMENT

La doctrine Truman : aider les peuples qui ne sont pas libres

Tocqueville (XIXe) dit : « Quand on apprend à massacrer les autres, on apprend à massacrer chez soi ».
La peur de la répétition d’une telle horreur devient obsédante : plus jamais ça !
Mais comment s’en prémunir ? Le nouvel ordre mondial va s’en charger pardi !
La doctrine Truman (1948) : l’écriture du « récit contemporain moderne »

En 1948 le président Harry TRUMAN va faire une élocution au cours de laquelle il énonce (à ce moment-là sans conscience de
sa portée) ce qui va devenir la doctrine Truman.

Sa doctrine va laisser entrevoir deux possibilités de choix de mode de vie :

1. La volonté de la majorité : des institutions libres, un gouvernement représentatif, des élections libres, la garantie des
libertés individuelles et de l’absence d’oppression politique.

2. La volonté d’une minorité imposée à la majorité : la terreur, l’oppression, le contrôle de la presse, la suppression des
libertés individuelles.

Le choix de tous se dirige naturellement vers le choix 1 ce qui permets à Truman d’affirmer qu’il croit que « Les Etats-Unis
doivent pratiquer une politique d’aide aux peuples libres qui résistent à des minorités armées ou à la pression extérieure. »

La doctrine Truman va dessiner les contours du développement, contours qui sont encore les siens
aujourd’hui. Il oppose le monde libre au monde qui n’est pas libre ; et considère d’ailleurs que le monde
libre est le monde moderne ; et implique ainsi pour que le monde pas libre devienne libre il doit se
moderniser.

Arrière-pensée de la doctrine Truman : contrer le communisme

Le plan Marshall qui a précédé le discours de Truman opère selon les mêmes objectifs mais à échelle
seulement européenne, là où les pays ont été détruits par la guerre. La doctrine Truman va élargir au
monde ses modes d’action. Le discours Truman n’invente pas le développement ni la capacité de celui-
ci à garantir une surface d’influence : mais il la formule et lui donne une résonnance mondiale.

Anecdote : Le contexte de rédaction du point IV peut paraître anecdotique mais est révélateur des
arrière-pensées de ceux qui ont dessiné le développement. Le point IV n’a été ajouté que quelques jours
seulement avant le discours. L’URSS a ce moment-là opère des transferts de capitaux importants vers
certains pays. Vient alors l’idée qu’une politique d’aide pourrait contrecarrer l’influence soviétique.

Ainsi le point IV acte le développement comme moyen de lutte contre l’influence soviétique ainsi que
la promotion de la domination des Etats-Unis dans la politique d’aide mondiale. Truman veut arracher
les hommes à la tentation communiste en relevant leur niveau de vie. La diplomatie du dollar va
désormais œuvrer pour empêcher le communisme d’abrutir les populations.

Libéraux comme communistes dévoilent des contradictions

Discours libéral : les Etats-Unis doivent indiquer le chemin de la liberté et constituer un exemple pour les autres
peuples en quête de liberté.
Mais l’Amérique moderne est devenue puissance par l’accaparement des terres et les massacres des populations qui
préexistaient sur le territoire.

Discours communiste la libération du joug économique est proposée.


Mais le communisme ne se détache pas de l’idée qu’on ne peut pas transformer le monde sans une dose
d’autoritarisme.
Histoire du développement moderne

Le rattrapage comme pensée du


développement
Le point IV de la doctrine Truman fait entrer le développement dans l’ère moderne de sa pensée où
l’idée d’un rattrapage économique nécessaire prédomine. L’idée du rattrapage repose sur la théorie de
deux auteurs.

LA CROISSANCE ECONOMIQUE SELON ROSTOW

L’économiste Rostow va participer à l’élaboration du plan Marshall de 1947. Il est théoricien de la lutte
anti-communiste et rédige l’ouvrage Les Etapes de la croissance économique, un manifeste non-
communiste. Cet ouvrage a guidé a pensée du développement dans les années 1960 : il serait la recette
miracle de la construction d’une économie industrielle.

Sa vision est linéaire : les pays en sous-développement sont le passé des pays développé ou encore les
pays développés sont l’avenir des pays sous-développés.

Etapes de la croissance économique

1. Société traditionnelle : elle est rurale et agricole et ressemble au Moyen-Âge européen. Son économie
repose sur des dépenses de survie ce qui empêche l’épargne et donc l’investissement. Les mentalités
sont réticentes au changement parce qu’elles ne sont pas cultivées, qu’elles se reposent sur un confort
de vie, qu’elles sont réticentes à l’effort, et qu’elles manquent de maîtrise technique.

2. Condition d’apparition du développement : les mentalités s’ouvrent en côtoyant des territoires


caractérisés par l’intensification des échanges et des progrès techniques. C’est alors qu’a lieu…

3. Décollage : il a lieu 20 ans après que les mentalités se soient ouvertes au développement au sens de la
croissance économique. En effet 20 ans sont nécessaires pour s’affranchir de l’obstacle principale du
développement : les mentalités. Après quoi, les débuts de la hausse du niveau de vie et donc de la
hausse de l’épargne et des investissements s’opèrent progressivement et permettent progressivement
l’innovation technique afin d’entamer la…

4. Marche vers la maturité : diffusion de l’innovation et diversification de la production. La société est


mature quand elle commence à innover elle-même et produire des outils qui participent à la marche
du monde, ainsi qu’une diversification de sa production. Tout cela devant mener à l’…

5. Ere de la consommation de masse : biens et services sont consommés en masse et l’offre augmente
proportionnellement à la consommation, l’une entraîne l’autre.

Ces étapes décrivent assez justement le système capitaliste et son schéma selon lequel la ruralité est
considérée comme un frein au développement.
Les critiques : problème d’hétérogénéité des territoires

o Anthropologues : l’idée qu’on puisse appliquer un modèle unique en 5 étapes à l’humanité entière fait
doucement sourire, ou pleurer.

o Alfred SAUVY (XXe) : créateur du terme Tiers-Monde, il va lui-même préciser qu’il n’y a pas un Tiers-
Monde mais des Tiers-Monde. La pluralité des pays empêche la singularité de ce modèle.

o La critique de l’impérialisme apparaît en même temps que les étapes de Rostow font un tabac dans les
années 1960-70. Son application et les critiques qui vont avec coexistent.

LA CROISSANCE ECONOMIQUE SELON LEWIS

Lewis est un économiste métis, et c’est important de le savoir. Il obtiendra un Prix Nobel pour sa théorie
dont le modèle est simple mais innovant. En effet il préconise que les théories de la croissance
traditionnelles soient adaptées aux spécificités des pays en développement.

Les pays en développement sont caractérisés par une économie duale : deux secteurs coexistent

o Le secteur traditionnel : caractérisé par des activités agricoles et informelles et surtout par un
surplus de main d’œuvre

o Le secteur moderne : caractérisé par les industries capitalistes qui fonctionnent sur le mode du
profit qui permet de financer l’investissement et de développer les activités économiques.

Le Take-off de l’économie serait permis par la migration de la main-d’œuvre du secteur traditionnel


vers le secteur moderne afin de tirer avec elle les profits générés par le secteur moderne et créer la
croissance et l’accumulation de capital.

Dans ce scénario trois étapes sont à mettre en évidence :

(1) Le secteur traditionnel sert de réservoir au secteur industriel jusqu’à prendre le tournant de
Lewis qui désigne le moment où la majorité de la main d’œuvre bon marchée du secteur
traditionnel a été absorbée par l’industrie moderne.

(2) A ce moment-là la classe moyenne va pouvoir investir et donc encourager l’autoentretient


de la croissance par l’épargne et l’investissement jusqu’à ce que…

(3) Par effet de ruissellement, la croissance permette la revalorisation du travail de cette main-
d’œuvre bon-marché. Les inégalités vont être réduites.

Les critiques : la pensée magique du ruissellement

A. Lewis va théoriser la théorie du ruissellement qu’il désigne en tant que tricle down effect. Selon lui,
l’enrichissement des plus riches leur permet d’investir, créer de l’activité et recruter de la main d’œuvre
sous-payée pour créer un capital suffisant et progressivement, par effet de ruissellement, se détacher
des contraintes liées à la faim et aux maladies.
Les ajustements et alternatives à la
théorie moderne du développement
LA CRITIQUE OBJECTIVE DE L’ECONOMIE DE MARCHE : DE KARL POLANY

K. Polanyi est un anthropologue et économiste qui rédige La Grande Transformation (1944). Il y étudie
les logiques de développement économique européennes depuis les prémices anglo-saxonnes jusqu’à
la fin de la guerre de 1945.

Les deux thèses de Karl Polanyi

1. L’économie du marché libre est une construction socio-historique et non un trait de la nature humaine :
les concepts de « l’homo economicus » et du « marché » ne sont pas universels.

2. L’économie doit être réintégrée au social : il condamne l’intégrisme de marché.

Sa condamnation de l’intégrisme de marché s’adresse à la pensée libérale des économistes. En justifiant


et en consacrant l’émergence soi-disant naturelle d’un « marché autorégulateur », l’idéologie libérale
aurait permis la séparation de l’économie avec la société globale.
Concrètement : les sphères de production et de distribution des biens ne sont plus sous le contrôle de la
population, ni sous un contrôle politique et social comme dans les sociétés traditionnelles. Au contraire,
elles sont aux mains d’intérêts privés mis en concurrence pour obtenir un profit maximal.

Le coût social est trop important pour que l’utopie du marché autorégulateur s’applique effectivement.
La société va forcément réagir pour protéger ses membres en développant des systèmes de protection
sociale ou des mesures protectionnistes. Le problème ne vient pas en soit des mesures mais vient de
l’entrée en contradiction de celles-ci avec les exigences du marché : contradictions qui ne peuvent que
mener à des effondrements de systèmes monétaire, à la montée des autoritarismes, à un
interventionnisme excessif des Etats, etc. Autrement dit, par un travail anthropologique : il accuse le
libéralisme d’avoir mené à la guerre et d’avoir livré aux mains des bureaucrates la responsabilité de
l’économie.

Ainsi K. Polanyi ne critique pas l’industrie mais l’idéologie du développement des sociétés par le
développement industriel : sa critique est radicale car elle est objective et elle est objective car elle est
anthropologique.

Il est donc essentiel de réencastrer l’économie dans le social : concrètement il veut dire que le marché
doit être domestiqué par une construction économique plurielle qui reposerait à la fois sur le marché
et le troc. La redistribution et la réciprocité doivent être mots d’ordre d’une économie de marché
sociale. Il s’agit du seul moyen pour rattacher l’économie de marché au réel.
LES AMENDEMENTS DES MOUVEMENTS CHRETIENS DE GAUCHE

Le catholicisme social va fonder la base de l’organisation des ONG qui œuvrent au développement, dans
une logique qui n’est pas économique. Ce mouvement incarne la théologie de la libération qui désigne
la façon dont les hommes d’Eglise se mobilisent aux côtés des populations autochtones, paysannes,
ouvrières, pour supporter leurs causes.

o L’Abbé Pierre fait partie des figures mythiques du mouvement : il crée pendant l’hiver 1954 une
fondation pour loger les pauvres qui dorment dans la rue.

o Le Père Lebret exprime en 1958 la possibilité qu’un développement des anciennes colonies dans le
respect des populations et de leur culture. Il crée le comité contre la faim. Et, suite à une rencontre avec
le Pape, il appelle les Africains à prendre leur destin en main.

o François PERROUX, un économiste proche de l’Abbé Pierre crée l’IEDES en 1957 : l’idée-même qu’il faille
étudier l’économie du développement est marginale à cette époque.

Le mouvement chrétien permet de théoriser le développement sans le détacher de sa mystique

Théoriser et étudier permet d’ancrer le développement dans la réalité. Ces figures religieuses ne
renoncent pas à leur croyance, mais ils évitent grâce à la théorisation un surcroit d’aveuglement. Ils
se refusent ainsi à s’obstiner dans des erreurs au nom de croyances sans les examiner, les
questionner. Ce qui ne les empêche pas, comme tout un chacun, de faire des erreurs.

Cette forme de mobilisation des acteurs religieux aux côtés des populations déshérités a un effet
aimant : nombreux sont ceux qui s’engageront. Nous faisons d’ailleurs partie de leurs descendants.
Pistes de réflexion : il est sans doute très dur de résoudre les problèmes économiques de cette terre,
mais il est sûr que nous n’y parviendrons pas si on se repose sur une forme de complaisance et la non-
objectification de notre position. Si se tromper est notre destin à tous : il est sain de partir de ce principe
plutôt que de s’enfermer dans sa conviction et se tromper sans remise en question. Une mystique de
l’action dans le développement invoque à l’action dans l’espoir que quelque chose de bien ait lieu. Le
développement est une action qui ne se fait pas seulement pour soi mais pour les autres et sans les
autres : je vais vous aider, ne bougez pas. [Question : le développement aujourd’hui est dans une
situation de conscience qu’il se trompe ou dans une obstination convictionnelle ?].

L’ALTERNATIVE DES THEORIES INSPIREES DU BLOC SOVIETIQUE

Les populations des pays en développement voient les catholiques s’engager à leurs côtés. Aux
catholiques s’engagent des acteurs communistes qui poussent les prolétaires à prendre leur sort en
main. L’idéologie communiste est précisée par deux idéologies importantes :
o Trotskisme : les communistes qui se souciaient de développement étaient trotskistes. Les communistes
se divisaient en effet entre ceux qui considère que les luttes prolétaires doivent être soutenues à un
niveau mondial et ceux qui considère que le soutien doit d’abord se concentrer sur l’URSS pour en faire
un modèle de révolution mondial. Trotski soutient la première thèse tandis que Staline et R. Luxembourg
soutiennent la deuxième.
o Maoïsme : il succède au trotskisme chez ceux qui se soucient du développement. Il a une interprétation
de l’histoire révolutionnaire, et du monde. Il fait reposer la révolution sur les paysans et non pas les
ouvriers. Cette pensée qui ne considère pas les ruraux comme les boulets du développement prend le
contre-pied de la critique communiste.
13.12.2018

S’extirper de la bipolarité Nord-Sud :


indépendances et non-alignés
Après la Seconde Guerre Mondiale, les pays libres prétendent à une forme d’humanisme et se
mobilisent autour de la question de la pauvreté du tiers-monde et des critiques qui ont été faites des
modèles proposés. Mais les pays du tiers-monde, aussi, se réveillent et se révolte. Ces derniers qui ont
contribué à l’effort de guerre, ont compris que (1) les armées européennes peuvent perdre et (2) par-
là, le mythe de la domination européenne s’effondre.
En effet, les populations ne se contentent plus d’être attentistes. Des politiques développementalistes
leur ont donné accès pour certaines à une capacité de juger à refuser ce qu’on leur impose. Certains
mouvements comme le catholicisme social et les ONG ont le mérite de pousser au développement. Sous
l’influence de ces réalités nouvelles : faiblesse européenne, pensée du développement, engagement
humaniste à leurs côtés. Nombreuses sont celles qui ne se reconnaissent pas dans le développement
qui est censé être le leur. La pyramide des besoins de Maslow détermine cinq catégories de besoins,
érigés par l’ONU. La hiérarchisation des besoins qu’elle propose pourtant est trop mécanique pour être
vraie. Le besoin d’estime, d’appartenance et d’amour n’apparait pas dans les priorités ni du
développement ni des institutions. Se déterminer, avoir le choix, comprendre c’est prendre son destin
en main et donc possiblement se lancer dans un changement plus global.
Pendant que blocs soviétique et occidental s’efforcent de calibrer le développement, ils renforcent la
bipolarité Nord-Sud.

VIOLENCE DE LA REALITE ET HUMANISME DES THEORIES DEVELOPPEMENTALISTES


La pensée théorique du développement se heurte à la réalité de la violence. En effet toutes les
indépendances ont été obtenues à l’issue de luttes armées.
1944 massacres à Dakar : les soldats sénégalais ont combattu dans les armées françaises, ont été
renvoyés au Sénégal sans jamais avoir été payés. Révolte s’en suit. 1000 morts sont reconnus par l’Etat
tandis que les Sénégalais assurent qu’ils sont plusieurs milliers.
1947 insurrection paysanne à Madagascar : plus de 45 000 exécutions ont lieu
1946 conflits en Indochine
1954 - 1962 Guerre d’Algérie elle s’achève de façon désastreuse. 250 000 à 300 000 algériens sont tués
1956 luttes au Maroc et en Tunisie

Ainsi dans le même temps qu’on s’offusque de l’horreur de la seconde guerre-mondiale et qu’on
développe des théories de développement : l’histoire continue autour de la poursuite des violences
coloniales et des guerres de décolonisation et d’indépendance. Le contraste est choquant entre théorie
et réalité. Schématiquement : ces violences sont perpétrées par le Nord, aux dépends du Sud.
Dans cette nébuleuse idéologique et soumis à la réalité : les seuls qui cherchent à écarter à la bipolarité
Nord-Sud sont les non-alignés.
LA TENTATIVE DE REFUSER LA BIPOLARITE NORD-SUD : LES NON-ALIGNES
La Conférence de Bandoeng en 1955 est organisée par les pays qui ne veulent pas subir l’influence de
l’un ou l’autre corps. Ils sont portés par la puissance Indienne. La conférence fait émerger de nouveaux
leaders du tiers-monde : Nehru en Inde, Mao en Chine, Tito en Yougoslavie, Ho-Chi-Min au Vietnam,
Ghandi en Inde et Sankara au Burkina Faso.
Ils construisent leur idée de l’indépendance par la lutte contre l’envahisseur colonial, et construisent
leurs idées sur une économie socialiste plutôt que capitaliste. De ce point de départ commun des
leaders non-alignés, des formes de résistance différentes se dessinent.

Résistances différentes
Le refus de coopération : Gandhi propose un programme de non coopération. Il refuse toute
participation au programme de développement européen.
L’indépendance dans l’interdépendance : Georges Balandier est soutenu par ceux qui se rangent dans
une conscience mondialiste. L’indépendance et notre vision du développement devrait nous aider à
accéder à la modernité. Nous devons être interdépendant dans notre dépendance. Les puissances
européennes, sont des puissances mais indépendantes puisqu’elles ont des besoins mutuels. Ceux-là se
considèrent lucides dans leur vision de l’indépendance des blocs.
En 1956, lors de la seconde conférence des non-alignés, l’Egypte annonce la nationalisation du Canal de
Suez. Nasser va ainsi causer l’évacuation des trust internationaux, portés par les intérêts européens dit
impérialistes.

Prise en otage progressive des critiques du développement par la religion


Depuis les années 1980, on ne parle plus de lutte coloniale, plus de maoïsme, plus de réparation ; les
derniers soubresauts de cette histoire se taisent en 1980. En Egypte, les frères musulmans ont présenté
un contrepoids face au mépris des élites urbaines du Caire formés en Europe qui, comme l’a fait
l’Europe, mobilisent des discours de liberté tout en massacrant les populations les plus pauvres. Les
mouvements religieux, en plus d’être portés par Dieu, offrent un toit aux pauvres.
L’Egypte a liquidé les communistes, maintenu la paysannerie et le corps ouvrier dans une sous-
éducation chronique. A part ceux qui sont devenus des dictatures communistes, nombreux sont les pays
non alignés qui ont fait disparaître la part critique de la population. La place que la religion a pris dans
les pays arabes est largement justifié par la disparition de toute possibilité de critique.
K. Marx montre que la misère religieuse est à la fois l’expression de la misère sociale et la protestation
contre cette misère sociale. Elle est l’âme d’un monde sans âme, le soupir de la créature opprimée, elle
est l’opium du peuple ; en sachant qu’à l’époque, l’opium est considéré comme un médicament…qui
endort. Pour comprendre le terrorise : la misère religieuse n’est pas à lier avec les hautes aspirations
mystiques mais repose sur l’idée d’être protégé par la force supérieure dans son combat. Le terrorisme
donne à la religion une fonction de protection des protestations et violences humaines. Un mouvement
croissant de dénonciation a justifié la pauvreté par la tentative de vivre à la façon des autres. Le discours
islamiste fonctionne très bien sur cette idée : depuis notre éloignement de l’Islam, nous sommes
asservis à l’Occident, nous devons donc nous rapprocher de nos racines pour accéder enfin à une forme
de développement qui nous appartiendrait.
Pistes de réflexion : les grands leadeurs charismatiques du monde en développement sont nombreux.
Mais il n’existe pas de héro. Gandhi était antisémite, l’Abbé Pierre était antisémite, Mère Teresa a flirté
avec les idées d’extrême droite. Il ne s’agit pas de chercher qui est le sauveur : on ne peut pas penser le
développement comme une mystique du Salut.
Enseignement des échecs : une pensée
plus actuelle du développement
A la fin des années 1950, l’école de la pensée critique se diffuse partout après la Guerre, dans les années
1950. Elle est très marquée par le marxisme. Elle cherche à faire de la sociologie une science utile à la
société en critiquant celle-ci et les rapports de domination.
Alors que depuis les années 1950 les programmes de développement cherchent à enrayer la pauvreté,
les maladies, etc., la pauvreté ne cesse de progresser. Le paradoxe est donc dénoncé dans un discours
militant et idéologique.
Des questionnements annexes interviennent : comment concilier ces différentes lectures du
développement ? comment créer un développement à soi ? qu’est-ce que s’appartenir ? Jusqu’où la
croissance économique est universelle ? produire de la richesse est commun à comment définir la
conception de la richesse selon les cadres spatio-temporels ? l’Europe peut-elle donner des leçons
d’écologie à des territoires qu’elle a savamment pillés pendant des années ?

Dans un système-monde, peut-on se développer sans être maître de ses ressources ni


souverain dans les négociations ?
Les indépendances se transforment rapidement en nouvelles formes de dépendances : on va
chercher quelle théorie pourrait laisser exempt de rapport de domination en s’engouffrant à
chaque fois pour se rendre compte que la dépendance perdure :
(1) Théorie de la dépendance
(2) Théorie du développement autocentré
(3) Théories des industries industrialisantes
Contrairement aux théoriciens de la déconnexion (Samir Amin, André Gunder Franck), les
théories du développement autocentré et de l’industrie industrialisante conçoivent le
développement avec une ouverture sur l’extérieur.

On dénonce le développement comme un instrument de domination impériale qui s’organise autour :

- De l’intérêt capitaliste économique

- De l’impérialisme culturel dénaturant

LE DEVELOPPEMENT SELON LES THEORIES DE LA DEPENDANCE

Les théories de la dépendance sont très influentes dans les années 1960-70. Elles s’inscrivent dans le
sillage des mobilisations politiques anti-impérialistes et naissent en Amérique latine. Elles théorisent à
l’échelle du monde pourquoi les sociétés en développement ne se développent en fait pas.
L’idée des théories de la dépendance veut que les pays du Sud vivent sous la dépendance des pays du
nord. A l’époque, une telle affirmation est révolutionnaire puisqu’elle accuse la politique de
développement de ne pas permettre le développement. Autrement dit, on accuse le développement
dit moderne de conserver la dépendance économique des pays du sud aux pays du nord, en dépit des
indépendances politiques.

Le développement est la cause du sous-développement

Cette critique qui est la plus radicale des théories de la dépendance est formulée par l’économiste et
sociologue AD. Gunder Franck.

Il est en contradiction directe avec A. Lewis : plutôt que de compter sur la théorie du ruissellement, il
veut donner immédiatement des moyens de stabilité économique et sociale aux plus pauvres des
pauvres. C’est-à-dire un accès à la santé, l’éducation, la terre, des garanties de travail, etc.

LE DEVELOPPEMENT ENDOGENE
La critique du développement comme un instrument de la domination impériale est à l’origine de la
théorie selon laquelle la pauvreté est le résultat de l’application de modèle de développement conçu par
et adapté à d’autres sociétés. Il faut moderniser les structures et cadres de pensée déjà existants, il ne
faut pas en créer de nouveaux. Les populations doivent participer pour le que développement soit adapté,
fonctionne et qu’elles se « conscientisent ». Chaque société a sa stratégie et trajectoire de
développement.
L’approche de ce développement est culturaliste et donc plutôt apolitique voire anhistorique. Il
présuppose le « retour à l’authenticité » or ce retour quasiment contraint est une réinvention moderne
de l’authenticité.
o Joseph KI-ZERBO promeut la question du développement endogène en appliquant une nuance
importante et qui répond à la critique d’une authenticité feinte. Ce qui fait la réussite du développement
ne serait pas l’abandon d’une technique externe mais le choix pondéré du réinvestissement de
techniques extérieures pour qu’elles correspondent au mieux aux besoins et enjeux définis dans l’espace
d’intervention.

LE DEVELOPPEMENT SELON LA THEORIE DE L’INDUSTRIE INDUSTRIALISANTE


La théorie de l’industrie industrialisante est dans la continuité de la logique du développement
autocentré. Elle défend l’idée que certaines industries (lourdes) peuvent jouer un rôle moteur dans le
développement d’une économie.
Le concept s’inscrit dans l’idée du développement d’un pôle de croissance, défendue par François
Perroux. La théorie défend une ouverture vers l’extérieur mais cette ouverture doit être maîtrisée par
l’Etat afin que les industries connaissent un essor et ne soient pas avalées par des industries
préexistantes et surpuissantes.

La question du rôle de l’Etat est évoquée ici et permet d’enchaîner sur des questionnements plus larges
sur les théories de protectionnisme, interventionnisme et libéralise de l’Etat : quel a été son rôle dans
le développement.
Les idéologies dans la pensée du
développement : penser le rôle de l’Etat
Le rôle de l’Etat est une problématique très ancienne. Les révolutions s’expriment en général contre
une certaine organisation de l’Etat.

LES THEORIES QUI PRONENT LE RETRAIT DE L’ETAT


o L’Etat est une forme pré-totalitaire : Hayek
Le ferment totalitaire repose au sein-même de l’Etat : Hayek (1944) fait partie des penseurs néo-
libéraux qui vont plus loin encore que les économistes classiques comme Schumpeter. Pour lui, la
société emprisonne l’individu, les libertés morales et publiques, celles d’entreprendre. L’Etat serait donc
la forme pré-totalitaire par excellence : il peut organiser le corps social par la violence
Ainsi la solution reposerait dans une liberté totale des hommes et du marché qui nous permettrait de
vivre en paix et en harmonie progressive, dans une relation de codépendance. Plutôt que de compter
sur l’Etat, en cas de conflit, entendons-nous intelligemment.

o L’Etat doit être renversé : Milton FRIEDMAN


Il critique l’Etat et défend l’économie de marché. Pour lui le renversement de l’Etat est une logique
historique nécessaire. Il reprend la théorie de Hayek et la tourne contre la pensée de l’interventionnisme
de Keynes.

LES THEORIES QUI PRONENT L’INTERVENTION DE L’ETAT


o Le marché n’a rien de naturel : Polanyi
K. Polanyi livre une critique objective des dysfonctionnements qu’il considère être ceux de l’économie
du marché. Il accuse le libéralisme d’avoir mené à la guerre et d’avoir livré aux mains des bureaucrates et
leurs intérêts privés la responsabilité de l’économie.

1. L’économie du marché libre est une construction socio-historique et non un trait de la nature
humaine : les concepts de « l’homo economicus » et du « marché » ne sont pas universels.

2. L’économie doit être réintégrée au social : il condamne l’intégrisme de marché

o L’approche social-démocrate : Myrdal


Gunnar Myrdal est un social-démocrate qui va développer le concept de l’Etat débile. Selon lui, si l’Etat
est « mou », « débile », il ne peut pas être dévolu à l’intérêt général et n’est donc qu’un agrégat d’agents
qui vont chercher à détourner leurs fonctions dans leur intérêt privé. Ainsi il ne génère pas le
développement mais promeut une classe qui l’entrave. Or, tous les pays sous-développés sont, à des
degrés variables, des Etats débiles.
Il montre que l’Etat n’est pas en lui-même une forme pré-totalitaire, mais ses dysfonctionnements sont à
la source de ses actions mauvaises. Il est donc essentiel de guérir l’Etat de sa débilité, pas de se soulever
pour le faire disparaître. Il demande donc plus et mieux d’Etat.
Ce qui pose problème c’est que le libéralisme encourage une faille des politiques de l’aide. Ces dernières
font rarement intervenir un réalisme des structures sociales. En effet, le libéralisme dans l’approche du
développement, justifie qu’au lieu de pallier les insuffisances de l’Etat, il cherche à le doubler.
Le développement devrait donc s’atteler à la disparition des intérêts ennemis de l’Etat plutôt qu’à la
disparition de l’Etat lui-même. Ses ennemis sont :
(1) Les intérêts internationaux qui échappent au contrôle
(2) Les intérêts internes : des populations les moins intéressées au développement parce que
corrompues ou indifférentes

L’adhésion généralisée à l’idéologie néo-


libérale : fin de la pensée du
développement ?
Communistes, néo-libéraux et toutes les autres idéologies vont manipuler l’idée de liberté et aboutir à
une libéralisation généralisée du marché, sans libéralisme social. Les mouvements anti-impérialistes,
nées du discours Marxiste des années 1950 connaissent leur apothéose en 1968 mais s’effondrent dans
les années 1970. Malgré les dépendances, malgré la fin de la tragédie et de l’horreur du nazisme, malgré
la période des Trente Glorieuses, un double changement s’opère :
1 : l’influence communiste commence à s’effondre ; et
2 : la croyance du monde du développement et la valeur de ses idéologies s’effondrent aussi
Bref, à la fin des années 1970, le développement est un mirage ancien. Plus personne ne s’y intéresse :
ni les sociologues ni un leader charismatique ni les militants ne se mobilisent. Mais pourquoi ?

LA THEORIE DE L’ERE DE LA FIN DES IDEOLOGIES


La consommation et le progrès technique : stade ultime du développement
o Francis FUKUYAMA : selon ce chercheur en sciences politiques et économiques, le succès des politiques
néo-libérales des années 1970 a donné raison aux théories néolibérales. Celles-ci seraient la pensée
vainqueur et marquerait par sa victoire l’entrée dans l’ère de la fin des idéologies, de l’histoire.
F. Fukuyama considère que l’ultra-consommation signe la fin de l’histoire dans le sens où il n’y a plus de
désir autre que celui d’accéder à la prospérité grâce à un système capitaliste et impérialiste puisqu’il
s’est imposé partout.
Finalement son discours lui-même est idéologique si ce n’est propagandiste. Mais il est facile à
comprendre et intégrer : d’où sa force. La fin des idéologies à compter des années 1970 est justifié par
la preuve implacable que nous sommes arrivés au dernier stade du développement : l’ère de la
consommation de masse et de la reproduction technologique. Nous serions donc condamnés au progrès
technique et à l’amélioration de nos conditions de vie : le développement ne peut qu’œuvrer à cela par
des politiques néo-libérales.
La consommation et le progrès technique : stade final du développement
F. Fukuyama reviendra sur son discours après les attentats du 11 septembre 2001. Le terrorisme rappelle
que le conflit, la hiérarchie et le mouvement social sont des constantes de l’histoire. Aucun de nous n’a
la moindre idée de ce à quoi ressemblera le monde dans 20 ans et nous serons tous étonnée de ce que
le futur sera. Le discours premier de Fukuyama qui assurerait la fin de l’histoire cherche à dépolitiser le
discours historique, à en faire un historicisme. Malgré un retour en arrière sur ses affirmations, il aura
une influence sur les politiques de développement et sur la formation des élites.

L’EFFET DE LA DEPOLITISATION SUR LES POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT


Le développement des années 1980-90 : institutions internationales et ajustements
structurels
A compter des années 1980, l’idée que le développement est une idéologie unique et non plus pensée
de façon pluriel change le paradigme. Désormais, on se positionne pour ou contre celui-ci.
∆ Le développement néolibéral est porté par les institutions internationales à travers des programmes dont
l’objectif est essentiellement la lutte contre la pauvreté. Des politiques d’ajustement structurel sont
menées par le FMI et la Banque mondiale.
Politique d’ajustement structurel

Politiques présentées et planifiées par le FMI ou la Banque mondiale pour permettre aux pays
touchés par de grandes difficultés économiques de sortir de leur crise.

Il s’agit d’un ensemble de dispositions dont certaines agissent sur la conjoncture et d’autres sur les
structures. Ces dispositions résultent de négociations entre le pays endetté et l’institution pour
modifier le fonctionnement économique du pays. Le FMI conditionne son aide à la mise en place de
réformes à caractère libéral qu’il considère pérennes : marchandisation des biens, dérégulation de
l’économie, ouverture au libre marché mondial.

∆ Le tiers-mondisme qui s’oppose au développement en dénonçant l’impérialisme de/et la banque


mondiale et le FMI ; il dénonce aussi les politiques d’ajustement structurel qui visent à renflouer selon
eux les caisses de l’Etat sur le dos des secteurs sociaux et éducatifs.

A partir des années 2000 : les Objectifs Mondiaux du Développement


En 2000, un consensus mondial autour des OMD s’engage à de nombreux objectifs.
En 2010, les OMD sont reconnus défaillants et impossible à poursuivre.

Cependant que sociologues, politologues, etc. ne s’intéresse plus au développement, Rist et d’autres se
saisissent du sujet. Dans le contexte néo-libéral mettent en avant des problématiques majeures qui
empêchent la réussite de ces objectifs :

∆ La technicisation : le problème majeur de l’idéologie néo-libéral est qu’elle sectorise et divise pour être
efficace mais elle ne replace pas par la suite ses théories dans un contexte de rapports sociaux.

∆ La dépolitisation : l’idéologie néo-libéral, dans son rejet de l’Etat, opère par extension un oubli du
politique. Désormais, personne ne penserait plus le développement politique et social comme processus
de l’histoire. Une technique parfaite, et dépolitisée est parfaitement inutile car inapplicable. Ne jamais
s’interroger sur la débilité de l’Etat, ne pas anticiper la situation : c’est s’assurer un échec.

Exemple : lecture technique et descriptive de comment le Maroc peut investir dans certains secteurs plutôt
que d’autre, mais oubli des raisons sociales pour lesquelles le pays refuse tout simplement d’investir depuis
des années dans certains secteurs.

La politique de la Banque Mondiale est donc parfaitement inutile puisque parfaite sur le plan technique
mais aveugle de la réalité politique. De plus, celle-ci se refuse à intervenir dans la souveraineté des
Etats : des mesures appliquées dans des Etats débiles sont inutiles. Les plus cyniques disent que ni la
paix ni l’égalité sociale ne seront jamais. Ceci pour dire que l’opposition au développement se justifie
au moins pour cette dénonciation.

LE POST-DEVELOPPEMENT : ECLAIRE DES CRITIQUES DE L’ANTI-DEVELOPPEMENT


o L’anti-développement considère que le développement n’est que la poursuite du capitalisme sauvage,
par d’autre moyens. Si toutes les actions de développement s’orientent effectivement vers la volonté
d’accumulation du capital ; si tout ne sert qu’à enrichir l’économie nationale sans contrepartie social
alors il n’est pas étonnant que les inégalités s’accroissent. Les anti-développement considèrent qu’on ne
peut lutter contre les effets négatifs du développement qu’en étant contre lui.
o Serge LATOUCHE va penser le post-développement. Ce dernier se propose comme un ensemble
d’alternatives au projet de la modernité, intrinsèque à l’occidentalisation. L’objectif est de réenchâsser
l’économie dans le social et interrompre la recherche de l’expansion économique infinie puisque celle-
ci est incompatible avec notre monde fini.

Illustration du caractère fini de notre monde

L’Île de Nauru se situe dans le Pacifique entre la Chine et l’Australie. Elle est aussi appelée Bird Shit
Island parce qu’on y extrait du guano (fiente d’oiseau) pour produire du phosphate.

Nauru est découvert au moment de la colonisation par les Anglais qui identifient la capacité extractive
de l’île. Elle sert d’abord de refuge à des déserteurs et des pirates. Quand une nouvelle population
s’installe sur une île, des relations et des conflits s’installent. Conflits, guerres, ressources.

Depuis le XIXe les Chinois viennent prélever du Guano. Les allemands arrivent, le conflit dure et
l’empire allemand récupère la possession de l’île et développe l’extraction massive de phosphate. Les
chinois qui ont un pied sur l’île depuis longtemps négocie et les australiens font valoir leur proximité.
Les allemands perdent la possession et chinois et australiens s’en partagent l’exploitation. Dans les
années 70, la montagne de Guano n’est plus, tout a été extrait.

L’activité extractive se finissant, Nauru invoque l’ONU pour se voir reconnu son statut de victime :
celui-ci lui sera accordé mais sans réparation matérielle à la clef, un droit de siège lui sera accordé.
Aujourd’hui, Nauru travaille en vendant son vote à la Russie au CS de l’ONU. Nauru l’allié fidèle de la
Russie est rémunéré pour cette raison.

Ce système n’est pas viable.


Mais…que faire alors ? Comment se positionner dans les problématiques du développement qui repose
sur le transfert de technologie, l’aide en temps de crise, l’empowerment, l’émergence de l’action
palliative qui implique le désengagement de l’Etat, etc. Ariel nous laisse perplexe sur ces questions. Agir
localement permettrait peut-être de s’assurer une prise et une mesure réelle du progrès et de la
réparation.
A l’instar de ce que disait Truman les désastres sociaux ont une vraie conséquence : on ne meurt pas en
silence. Le meilleur moyen d’éviter de servir une idéologie politique destructrice est d’être bien formé,
d’avoir en tête cette complexité. Elle est difficile mais fait beaucoup moins de mal que la naïveté et la
simplification.

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