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François Houtart
Rédaction et administration
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Chloé Dusaussoy, Bernard Duterme (directeur), Liliane Kabugubugu,
Aurélie Leroy, François Polet,
Frédéric Thomas, Nathalie Vanhumbeeck
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Le Marron inconnu, Port-au-Prince, Kristina Just
Alternatives Sud
Volume 30-2023 / 3
Anticolonialisme(s)
Points de vue du Sud
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Alternatives Sud
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Éditorial
Luttes anticoloniales : hier et aujourd’hui
Frédéric Thomas1
Anticolonialisme(s)
Cette livraison a pour titre « Anticolonialisme(s) » – avec un « s »
entre parenthèses, qui renvoie à la multiplicité des luttes à l’en-
contre des sources et des formes variées de colonialismes – et non
« décolonial », qui est dans l’air du temps. C’est aussi la distance
entre les deux concepts – qui est également une distance avec
l’histoire – que ce numéro d’Alternatives Sud entend interroger.
De même, sont éclairés la proximité et l’écart entre la notion
d’anticolonialisme et celle d’anti-impérialisme. Cette dernière peut
éditorial /9
Néocolonialisme
Au lendemain des indépendances, au fur et à mesure que le
processus de décolonisation se confrontait aux manœuvres des
anciennes puissances coloniales et à l’architecture asymétrique
des échanges commerciaux, l’enjeu de la souveraineté économique
allait s’affirmer avec toujours plus d’évidence. Et de frustration. De
manière concomitante, la critique du néocolonialisme se développa.
C’est en grande partie à cette source que puisent les articles de ce
numéro.
Dans l’un de ses livres phares, L’Afrique doit s’unir (1963), le
dirigeant ghanéen Kwame Nkrumah écrit que le néocolonialisme,
« dernier stade de l’impérialisme », est « le plus grand danger que
court actuellement l’Afrique » et que « son principal instrument est
la balkanisation ». En conséquence, « les jeunes États africains ont
besoin d’une nation forte et unie, capable d’exercer une autorité
centrale ». D’où la défiance envers toute affirmation « catégorielle »,
régionale ou communautaire, perçue comme une façon d’affaiblir
l’État-nation et toujours suspecte d’être manipulée en sous-main
par les ex-puissances coloniales, afin de diviser pour régner.
Les deux voies principales qui ont été empruntées pour résis-
ter au néocolonialisme furent l’industrialisation et l’internationa-
lisme. La première a cherché à arracher ces territoires à leur place
éditorial / 11
Un nouvel impérialisme ?
Il y a vingt ans, le 20 mars 2003, débutait l’invasion de l’Irak
par une coalition internationale menée par Washington. Quinze
mois plus tôt, l’Afghanistan avait été attaqué. Cette « guerre au
terrorisme » marquait-elle une nouvelle ère ? D’un néocolonialisme
opérant souterrainement, au niveau de l’écheveau de rapports éco-
nomiques, sous l’édifice de gouvernements indépendants, était-on
éditorial / 13
Ces deux derniers cas sont abordés dans ce numéro. Les ar-
ticles montrent que la situation actuelle plonge ses racines dans le
passé colonial et mettent en avant la double imbrication, politique
et économique, nationale et internationale, de l’occupation – et de
la résistance qu’elle soulève. Les auteur·trices insistent par ailleurs
sur la nécessité de partir des acteurs et actrices sur place pour pen-
ser les luttes anticoloniales.
Agents locaux
Les lendemains désenchantés des décolonisations s’expliquent
par l’opposition obstinée des anciennes puissances coloniales et
par la structuration des échanges commerciaux, mais aussi par les
dynamiques endogènes. Dès 1961, dans Les damnés de la terre,
Frantz Fanon a consacré des pages magnifiques – magnifiques et
terribles – à l’essor des proto-bourgeoisies au cours des luttes de
libération nationale (Fanon, 2001 ; Thomas, 2023).
La reprise tel quel de l’appareil étatique colonial peu ou mal
décolonisé – Gopal évoque à propos de l’Inde, dans l’entretien re-
produit ici, « un simple transfert du pouvoir vers les élites » –, la dé-
fiance envers les organisations populaires qui étaient à la tête de la
lutte, l’influence du modèle soviétique, la concentration du pouvoir
pour pallier les manœuvres néocoloniales et les caractéristiques de
la classe sociale qui vient à gouverner sont autant d’éléments qui
convergent dans la mise en place de régimes autoritaires.
De nombreux·euses dirigeant·es populaires qui ouvraient une
voie émancipatrice furent assassiné·es par les forces impérialistes
ou avec leur complicité. Il faut cependant reconnaître que même de
réels leaders anticolonialistes et panafricanistes, comme Nkrumah
au Ghana par exemple, recoururent à l’autoritarisme. Plutôt que de
parler de trahison ou de malédiction, il convient de prendre acte
du fait que l’accaparement du pouvoir correspond aux modalités
de ces nouvelles classes dominantes à la tête d’États voulus forts,
qui vont très vite s’arranger avec les anciennes puissances colo-
niales et s’accommoder de leur place subordonnée sur la scène
internationale.
Samir Amin concluait, en 2005, que « la collusion entre les
classes dirigeantes africaines et les stratégies globales de l’im-
périalisme est donc, en définitive, la cause ultime de l’échec [de
l’Afrique] ». Or, cette collusion a été facilitée et catalysée par la forme
étatique et par la nature de la classe dirigeante. Il apparaît dès lors,
comme le cas haïtien étudié ici par Sabine Manigat le démontre
avec évidence, que, bien souvent, loin d’être uniquement victimes
ou de subir passivement l’impérialisme, les États du Sud en sont les
18 / anticolonialisme(s)
Bibliographie
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Points de vue du Sud
Afrique
alternatives sud, vol. 30-2023 / 25
Issa Shivji2
1. Version réduite d’un article paru dans The Elephant (www.theelephant.info), 26 juin
2021, sous le titre : « Pan-Africanism and the Unfinished Tasks of Liberation and Social
Emancipation : Taking Stock of 50 Years of African Independence ».
2. Auteur et universitaire tanzanien, expert en droit et en développement, ancien titu-
laire de la chaire Mwalimu Julius Nyerere d’études panafricaines de l’Université de Dar
es-Salaam.
26 / anticolonialisme(s)
de l’« autre » noir (l’esclave) s’est avérée très utile dans la création
de ces colonies. Elle s’est répandue dans la littérature religieuse,
anthropologique et même dans les romans, tandis que les mission-
naires, les forces armées et une kyrielle d’anthropologues se mobi-
lisaient pour « pacifier » les « indigènes », décrits comme sans âme
et indolents.
Le « moi » était désormais le colon blanc et l’« autre », l’indigène.
Cette ligne de partage établie entre couleurs avait ainsi sa propre
logique et sa propre dynamique. Elle déterminait la vie même des
colons et celle des « indigènes ». La ville de colons, comme l’a dé-
crite Fanon, est une ville « en dur », « illuminée », « bien nourrie ».
C’est une ville de « blancs, d’étrangers ». La ville du colonisé, elle,
« est une ville mal famée, peuplée d’hommes mal famés. On y naît
n’importe où, n’importe comment. On y meurt n’importe où, de n’im-
porte quoi. […] La ville du colonisé elle est une ville affamée, affa-
mée de pain, de viande, de chaussures, de charbon, de lumière [...]
c’est une ville de nègres, une ville de bicots » (Fanon, 1967).
La rhétorique raciste des intellectuel·les coloniaux·ales s’est
progressivement généralisée. Les différences de coutumes et de
cultures entre les indigènes sont devenues des divisions immuables
que l’on a appelées « tribus ». Celles-ci ont été commodément sé-
parées et parquées dans des ghettos, de peur, comme l’affirmait
le paternalisme colonial, qu’elles ne s’entretuent en raison de leur
propension à la violence. Cette ségrégation s’imposait, du point de
vue colonial, dans l’intérêt des indigènes, dans le but de préserver
la paix et l’ordre. En fait, pour mieux les gouverner. Diviser pour
mieux régner. Des institutions de gouvernance politique indirecte
et des régimes de droit coutumier dictés par les colons ont été
créés. Les définitions coloniales de races et de tribus se sont en-
suite répandues, au point d’être intériorisées dans une dynamique
d’autoidentification.
Pendant ce temps, le processus d’accumulation continuait de
plus belle : l’accumulation par capitalisation dans la métropole ; par
appropriation dans les colonies. Certes, ce processus s’est mani-
festé d’une tout autre manière, à travers de nouvelles institutions
politiques, économiques, culturelles et sociales. Le capitalisme de
1942 était sans commune mesure avec celui de 1492, pas plus que
celui des années 2000 ne s’apparente à celui du siècle précédent.
En dépit de changements radicaux, le noyau dur du système a
subsisté. De nouvelles formes d’accumulation primitive ont fait leur
30 / anticolonialisme(s)
La naissance du panafricanisme
Comme souvent dans l’histoire, les idéologies de résistance
sont construites à partir d’éléments empruntés aux idéologies do-
minantes (James, 1989). Le panafricanisme est une telle idéolo-
gie, née des affres de l’impérialisme. À l’image du discours raciste
prédominant, le mouvement d’opposition remonte aux débuts de
la traite des esclaves. Pendant deux cents ans, les esclaves de
Haïti ont entonné leur chant de liberté : « Nous jurons de détruire
les Blancs, et tout ce qu’ils possèdent ; que la mort nous prenne si
nous faillons à notre vœu ». C’était la préhistoire d’un des courants
du panafricanisme : le nationalisme racial.
La préhistoire de l’autre courant, le nationalisme territorial,
trouve quant à lui son expression dans la révolution haïtienne de
1791. Rien de tout cela à l’époque, bien sûr, ne portait ce nom.
La révolution haïtienne était en avance sur son temps. Elle annon-
çait avant l’heure la conclusion logique du nationalisme territorial
et de la citoyenneté, ainsi que leur crise sous l’impérialisme, tout
ce dont nous sommes encore témoins dans les États africains
postindépendance.
Le chant libertaire haïtien transpire la rhétorique raciale. Il ne
pouvait en être autrement. Lors du lancement de son livre Les
âmes du peuple noir, en 1903, William E. B. Du Bois déclarait :
32 / anticolonialisme(s)
Conclusion
L’humanité est à la croisée des chemins. Elle réclame des chan-
gements fondamentaux. Nous avons besoin d’une utopie alterna-
tive vers laquelle tendre, pour continuer à vivre et à lutter, au risque
sinon de finir consumés par la mort et la destruction d’un système
barbare vieux de cinq siècles. Cette barbarie s’est surtout exprimée
et se fait encore sentir en Afrique. En redéfinissant le panafrica-
nisme, l’Afrique convie l’humanité « au banquet de la victoire » dont
parlait Aimé Césaire : « [car] aucune race ne détient le monopole de
la beauté, de l’intelligence, de la force, et il y a une place pour tous
au banquet de la victoire ».
Traduction de l’anglais : Olivier Peeters
40 / anticolonialisme(s)
Bibliographie
Cabral A. (1969), Revolution in Guinea : African People’s Struggle, Londres, Stage I.
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Non-Violence, Armed Struggle and Liberation in Africa, Trenton, Africa World Press.
alternatives sud, vol. 30-2023 / 41
1. Directeur du Forum africain des alternatives, membre du conseil du Forum social afri-
cain à Dakar, collaborateur du CETRI et codirecteur de Sortir l’Afrique de la servitude
monétaire. À qui profite le franc CFA ?, Paris, La Dispute, 2016.
42 / anticolonialisme(s)
Symbole de servitude
La publication du livre collectif Sortir l’Afrique de la servitude
monétaire. À qui profite le franc CFA ? (Kako et col., 2016) avait re-
lancé le débat sur la nature et le rôle du franc CFA en Afrique. Mais
celui-ci ne date pas d’aujourd’hui, comme le montre surtout le livre
de Joseph Tchundjang Pouémi, publié il y a plus de quarante ans :
Monnaie, servitude et liberté : la répression monétaire de l’Afrique
(Jeune Afrique, 1981).
La monnaie est fondamentalement une question politique, au
cœur des luttes pour l’indépendance et la souveraineté des nations,
comme le reconnaissait Édouard Balladur, ancien Premier ministre
français et architecte de la dévaluation du franc CFA : « La monnaie
n’est pas un sujet technique mais politique, qui touche à la souve-
raineté et à l’indépendance des Nations ». À sa création, le franc
CFA était un des instruments du « Pacte colonial », l’un des piliers de
l’empire colonial français en Afrique. Selon le professeur Tchétché
N’Guessan (2001), « Dans le pacte colonial, la colonie devient un
moyen d’enrichir la métropole ainsi qu’un atout pour lui donner
poids et prestige dans le concert des pays les plus forts ».
Après les « indépendances » formelles, le pacte colonial s’est mué
en pacte néocolonial. Les relations de domination sont restées les
mêmes, à la différence que les nouveaux·elles administrateur·trices
des néocolonies sont des Africain·es, souvent choisi·es par la
France ou ayant sa bénédiction. Les économies africaines restent
extraverties, c’est-à-dire tournées vers les besoins de l’ex-métro-
pole, et leurs secteurs clés contrôlés par les entreprises de celle-ci.
Ainsi, le franc CFA et les accords commerciaux continuent-ils de
jouer le même rôle que pendant le pacte colonial. C’est pour mettre
fin à cette situation que la bataille a été engagée depuis de nom-
breuses années pour promouvoir une monnaie souveraine. Et cette
bataille s’est faite dans le cadre du projet de monnaie unique de la
CEDEAO.
le franc cfa : instrument de développement ou symbole de servitude ? / 45
3. Bénin, Burkina Faso, Cap-Vert, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée-Bissau, Guinée,
Liberia, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Togo.
le franc cfa : instrument de développement ou symbole de servitude ? / 47
Conclusion
La question de la souveraineté et de l’indépendance est au cœur
du débat sur la monnaie. Cela explique le combat mené depuis plu-
sieurs années contre le franc CFA, héritage colonial et symbole de
servitude pour les pays africains.
Certains médias et politiques en France ont tendance à mettre
ce combat sur le compte de la montée de « sentiments antifrançais »
en Afrique. Cela relève de la propagande. Et, pour corser celle-ci,
ils attribuent cette lutte ou le rejet de l’intervention militaire française
au Burkina Faso et au Mali à l’influence croissante de la Russie en
Afrique. Voir les choses ainsi est une grossière erreur ! Ce qui se
passe dans le Sahel est plutôt l’expression du rejet de la politique de
domination et d’arrogance de l’État néocolonial français, incarnée
par le président Emmanuel Macron.
Quelles que soient les manœuvres de la France et de ses
laquais, les jours du franc CFA sont comptés. D’autant plus que
le combat contre celui-ci s’insère dans une lutte plus large, sur le
plan régional et continental, visant à recouvrer la souveraineté de
l’Afrique.
Bibliographie
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la monnaie ECO/CEDEAO.
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H. Ben Hammouda et M. Kassé. (dir.), L’avenir de la zone franc, Codesria/Karthala,
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Pigeaud F. et S. Ndongo Samba (2018), L’arme invisible de la Françafrique. Une histoire
du franc CFA, Paris, La Découverte.
alternatives sud, vol. 30-2023 / 51
Conclusion
Cet article a défini le système énergétique marocain au Sahara
occidental occupé comme un « énergorégime » oppressif et colo-
nial, qui vise à discipliner les citoyen·nes et favoriser un certain type
de subjectivités. Les Sahraoui·es qui vivent sur ce territoire sont
conscient·es que l’infrastructure énergétique est un vecteur de pou-
voir de l’occupation marocaine et de ses entreprises partenaires.
L’occupation s’immisce dans le quotidien des foyers sahraouis
et façonne les conditions d’existence par le biais (ou l’absence)
des câbles électriques. Les Sahraoui·es considèrent les coupures
d’électricité comme une sanction du régime vis-à-vis de leur com-
munauté ; régime qui maintient l’ignorance de ses manœuvres mili-
taires, qui combat toute affirmation d’identité nationale, qui pratique
l’intimidation, qui applique un blocus médiatique de telle sorte que
les « nouvelles » du Sahara occidental n’atteignent pas « le monde
extérieur », etc.
Des milliers de Sahraoui·es n’ont pas les moyens de payer leur
accès au réseau énergétique. Certain·es, grâce à des branchements
pirates, arrivent à exploiter de façon opportuniste les faiblesses du
réseau à leur propre avantage, ce qui peut être considéré comme
une forme individuelle de réparation ou comme un appel collectif
en faveur d’une énergie gratuite pour les personnes marginalisées.
Pour celles et ceux dont les habitations sont connectées légale-
ment au réseau, l’« accès » ne signifie pas pour autant « utilisation
libre ». Les coûts sont prohibitifs et provoquent des manifestations.
En outre, les discriminations ethniques font que les emplois dans
le secteur de l’énergie sont presque exclusivement réservés aux
colons marocains, attisant plus encore la contestation.
La justice énergétique est inextricablement liée à l’autodétermi-
nation. Les fournisseurs d’énergie, étroitement liés à l’État et au roi
du Maroc, sont considérés comme des mandataires de l’occupa-
tion marocaine. Les promoteurs étrangers sont méprisés, car vus
comme des agents du colonialisme et de l’occupation. Le combat
quotidien du peuple sahraoui en matière d’énergie témoigne de son
attitude critique à l’égard du régime marocain et de ses conditions
de vie en tant que peuple occupé.
Le régime énergopolitique oppressif suscite un rejet de la
citoyenneté marocaine, tout en nourrissant simultanément les re-
vendications nationalistes et la résistance des Sahraoui·es. Mais,
pour les Sahraoui·es, contester le fonctionnement de ce régime en
60 / anticolonialisme(s)
Bibliographie
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colonisation énergétique du sahara occidental / 61
Claudio Katz2
1. Article paru sur www.alai.info, 14 mars 2023, sous le titre : « Auge y ocaso de la doctrina
Monroe ».
2. Professeur à l’Université de Buenos Aires, chercheur au Conicet, membre de la Red de
Economistas de Izquierda, auteur notamment de La teoría de la dependencia, cincuenta
años después, Buenos Aires, Batalla de Ideas, 2019.
66 / anticolonialisme(s)
Début impérial
La doctrine Monroe a inspiré la définition même des fron-
tières des États-Unis par l’absorption de territoires appartenant à
la sphère hispano-américaine. Dès l’origine, cette dépossession a
constitué l’impulsion majeure à l’extension du nouveau pays vers
le sud, le poussant à considérer l’ensemble du continent comme
son propre espace. Le premier moteur de cette expansion états-
unienne a été la conquête de terres par les planteurs esclavagistes.
Ceux-ci avaient besoin en permanence d’étendre leurs champs,
afin d’accroître un mode de culture intrinsèquement extensif. Cette
forme d’exploitation précapitaliste remplaçant l’augmentation de la
productivité agricole par la simple multiplication des surfaces culti-
vées, l’acquisition de nouvelles terres était essentielle à la survie
des États confédérés du Sud des États-Unis.
Cet expansionnisme a accéléré la dépossession du Mexique,
qui a fini par perdre la moitié de son espace territorial originel. Cette
amputation a commencé par une révolte séparatiste et l’annexion du
Texas (1845), entraînant une guerre qui s’est réglée par la cessation
de territoires mexicains contre de l’argent. La puissance émergente
du Nord s’appropria, pour très peu de dollars, les vastes étendues
du sud-ouest qui ont donné leur forme définitive aux États-Unis.
Cette prise a déterminé les contours des frontières, mais n’a pas
entamé les ambitions du nouveau colosse à l’égard de son voisin
affaibli. Dans la seconde moitié du 19e siècle, les forces yankees
amérique latine : essor et déclin de la doctrine monroe / 67
Décollage économique
La consolidation économique des États-Unis en tant qu’impéria-
lisme ascendant s’est achevée en Amérique latine au cours des pre-
mières décennies du siècle dernier. C’est sur ce territoire que leurs
entreprises ont commencé à se développer et à profiter pleinement
de tous les avantages des investissements étrangers. La nouvelle
puissance a disputé, avec succès, aux rivaux européens le contrôle
des mers et le butin des ressources naturelles. L’Amérique latine a
représenté un marché important pour une économie en pleine crois-
sance. Entre 1870 et 1900, la population des États-Unis a doublé,
le PIB a triplé et la production industrielle a été multipliée par sept.
amérique latine : essor et déclin de la doctrine monroe / 69
Consolidation politico-militaire
Dans l’entre-deux-guerres, la Maison Blanche a commencé à
pratiquer une stratégie commune aux républicains et aux démo-
crates, à l’égard de l’Amérique latine. Elle a perfectionné l’utilisation
de la carotte et du bâton, alternant menaces et cooptation. La viru-
lence agressive de Theodore Roosevelt, président de 1901 à 1909,
s’articula aux messages de bon voisinage de Franklin Roosevelt,
président de 1933 à 1945. Ce jeu mêlant agressivité et ména-
gement a toujours suivi un scénario établi par l’establishment de
Washington pour s’assurer le contrôle de l’hémisphère.
La primauté des États-Unis s’est encore renforcée dans la
seconde moitié du 20e siècle. Leur domination est devenue incon-
testable, tant en raison du déclin économique de l’Europe que du
fait de la transformation de l’Amérique latine en zone de confron-
tation Est-Ouest dans le contexte de la guerre froide. Le voisin
nord-américain a fait valoir son contrôle du système impérial, afin
de réaffirmer que toute la région demeurait soumise à ses diktats.
Washington a clairement établi sa domination sur les oppresseurs
locaux comme une garantie de sa protection contre le danger du
socialisme. L’Amérique latine a été définie comme l’arrière-cour du
gendarme, luttant contre les soulèvements populaires dans tous les
coins du monde. Le Pentagone a assuré cette croisade mondiale en
exerçant une oppression politique illimitée sur le continent.
72 / anticolonialisme(s)
Repli idéologique
La doctrine Monroe est également défectueuse d’un point de vue
idéologique. Elle soutient les concepts promus par les théoriciens
de l’impérialisme qui postulent la supériorité des Anglo-Saxons du
Nord sur les Latinos du Sud. Ce principe repose sur l’idée d’un
hémisphère occidental séparé de la matrice européenne, incarné
par le nom « Amérique » que les hommes politiques états-uniens ont
adopté comme synonyme de leur propre pays. Cette appropriation
présuppose d’emblée l’inexistence (ou la disqualification) du reste
du continent.
76 / anticolonialisme(s)
Sabine Manigat1
Bibliographie
AFP, Le Monde (2023), « Faim dans le monde : Haïti, le Mali, le Burkina Faso et le Soudan
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1. Version réduite d’un entretien paru dans Jamhoor (www.jamhoor.org), 2 août 2022,
sous le titre : « Empire and its Enemies : A Conversation with Priyamvada Gopal ».
2. Professeure d’études postcoloniales à l’Université de Cambridge, membre du Churchill
College, autrice notamment de Insurgent Empire : Anticolonial Resistance and British
Dissent, Londres, Verso, 2019.
96 / anticolonialisme(s)
par un militant très actif de la droite hindoue qui affirme que l’Occi-
dent a été nuisible, que l’Ouest est l’oppresseur, et qu’il faut revenir
aux sources indiennes.
Bien que Mignolo soit revenu en arrière après le tollé suscité
par ce soutien, la question qui pour moi demeure en suspens est :
pourquoi a-t-il agi ainsi au départ ? Ce n’est pas seulement dû à une
méconnaissance des origines de l’auteur. N’y a-t-il pas plutôt dans
l’idée du « décolonial » – faire appel à un autre corpus de connais-
sances, se tourner vers le précolonial, prendre quelque chose qui
n’est pas occidental pour remplacer ce qui vient d’Occident – rien
de plus qu’une recette toute faite pour rendre compte du passé ?
Une recette traduisant en réalité l’absence de questionnement sur
ce que représentent ces soi-disant épistémologies non occiden-
tales, et ce qu’elles contiennent réellement ?
Encore une fois, il s’agit là de traditions très hétérogènes : elles
ont des dimensions émancipatrices et libératrices et des dimen-
sions réactionnaires, très néfastes et profondément oppressives. Je
ne pense donc pas que nous puissions nous en remettre à ce que
l’on appelle le « décolonial » sans nous heurter à des difficultés. Il
ne s’agit pas simplement d’opposer une tradition épistémologique à
une autre. Certes, la décolonisation est nécessaire. Certes, l’Occi-
dent a méprisé les traditions non occidentales. Mais le travail de
décolonisation ne consiste pas en un simple remplacement. Le tra-
vail de décolonisation, comme je le dis à mes étudiant·es, doit être
mutuel. La critique et l’introspection que vous exigez de l’Occident
doivent également être appliquées à vos propres traditions.
Si Mignolo ignore généralement cet aspect, certain·es s’inté-
ressent à la matérialité de la décolonisation, comme Eve Tuck
et K. Wayne Yang, qui affirment que, si les préoccupations épis-
témologiques sont importantes, la décolonisation est en fin de
compte (et ils tiennent au terme décolonisation) un processus
matériel, principalement axé sur la reconquête des terres. Mais
cette approche exclut le marxisme, suggérant que ce dernier
relève d’un projet occidental. C’est très différent de la façon
dont la décolonisation a été imaginée par les acteurs et actrices
anticoloniaux·ales du 20e siècle, qui se sont souvent engagé·es
explicitement dans le marxisme. Que perd-on lorsque l’on retire
le marxisme d’une pratique anticoloniale ou « décoloniale » ?
104 / anticolonialisme(s)
Un regain d’antiaméricanisme
Il vaut la peine de revenir brièvement sur les événements dé-
clenchés par le retrait états-unien d’Afghanistan en août 2021. Alors
que, pour les grands médias outre-Atlantique, ce retrait clôt le cha-
pitre de la « guerre contre le terrorisme », il est fort probable que le
« terrorisme » continue à être un croque-mitaine utile pour l’empire
nord-américain et ses sbires. Vingt ans d’effusion de sang et de
guerres impérialistes en Afghanistan, en Irak, au Yémen, en Syrie,
en Libye, en Palestine et au-delà ont renforcé les forces politiques
de droite dans la majeure partie du monde musulman. Au Pakistan,
l’antiaméricanisme, même de droite, est aujourd’hui très souvent
assimilé à de l’anti-impérialisme.
Ainsi, Imran Khan, alors premier ministre du Pakistan, a com-
menté le départ des dernières troupes états-uniennes de Kaboul
en soulignant que le peuple afghan avait brisé ses chaînes, assi-
milant la reconquête du pays par les Talibans à une victoire contre
l’impérialisme. Deux décennies plus tôt, en 2001, lors de l’invasion
de l’Afghanistan (Imran Khan n’était pas encore ce mégalomane
installé au sommet du pouvoir), la droite religieuse dirigée par le
Parti islamique (Jamaa’t-e-Islami - JI) et l’Assemblée des clercs isla-
miques (Jami’at-e-Ulema-e-Islam - JUI) avait organisé des manifes-
tations contre le dictateur militaire de l’époque, le général Pervez
pakistan : impérialismes contemporains et « caractéristiques chinoises » / 109
Le cœur du problème
Ceci nous amène aux spécificités des projets de développement
chinois au Pakistan, qui ont largement exacerbé les tensions de
classes et ethniques, sans parler des dégâts écologiques. Fin no-
vembre 2021, ces conflits ont éclaté au grand jour lorsqu’un mouve-
ment, connu sous le nom de Haq Do Tehreek, a fait descendre des
dizaines de milliers de personnes dans les rues de la ville côtière
de Gwadar, au Baloutchistan, qui abrite le port en eau profonde
considéré comme le joyau de la couronne du Corridor économique
sino-pakistanais.
Cette manifestation sans précédent a mis en lumière, d’une part
la façon dont les chalutiers des grandes entreprises de pêche – pour
pakistan : impérialismes contemporains et « caractéristiques chinoises » / 113
Conclusion
Durant la majeure partie de son histoire, la classe dirigeante pa-
kistanaise, chapeautée par l’armée toute-puissante, a été un vassal
loyal de l’empire américain. Cette relation a connu des hauts et des
bas, en fonction, la plupart du temps, des caprices de Washington,
mais la puissance impérialiste états-unienne, dans ses déclinaisons
116 / anticolonialisme(s)
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Areej Sabbagh-Khoury2
1. Version réduite d’un article paru sur www.merip.org, 302, 2022, sous le titre : « “But if I
don’t steal it, someone else is gonna steal it” – Israeli Settler – Colonial Accumulation by
Dispossession ».
2. Professeure de sociologie et d’anthropologie à l’Université hébraïque de Jérusalem,
coautrice notamment de Palestinians in Israel : Readings in History, Politics & Society,
Mada al-Carmel, Arab Center for Applied Social Research, 2018.
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Transversales
alternatives sud, vol. 30-2023 / 133
Patrick Bond1
Contradictions sud-africaines
Au cours des derniers mois, une grande partie de l’attention
mondiale s’est concentrée sur le symbolisme géopolitique schizo-
phrénique de l’Afrique du Sud : Vladimir Poutine participera-t-il au
15e sommet des BRICS, qui se tiendra à Johannesburg du 22 au
24 août 2023, alors que la Cour pénale internationale (CPI) a lancé
un mandat d’arrêt contre lui ? Ni la Chine ni l’Inde ne sont signa-
taires du traité de Rome qui fonde la CPI, la Russie (comme les
États-Unis) l’a signé mais ne l’a pas ratifié, contrairement à l’Afrique
du Sud et au Brésil.
En 2015, le gouvernement de Pretoria – alors dirigé par Jacob
Zuma – avait déjà trébuché sur ce point précis : il avait violé les
ordonnances de la CPI et des tribunaux locaux en permettant
au président soudanais, Omar al-Bashir, d’échapper à un ordre
d’extradition pour génocide au Darfour, alors qu’il était en visite à
Johannesburg pour un sommet de l’Union africaine. Des poursuites
ont été engagées par la CPI (qui a condamné l’Afrique du Sud pour
entrave à la justice), mais aucune sanction n’a été imposée. Un
autre cas s’était présenté en 2018, lorsque le premier ministre in-
dien, Narendra Modi, avait rejoint le sommet des BRICS en Afrique
du Sud, alors que des avocats avaient porté plainte à son encontre
pour crimes de guerre au Cachemire sur la population musulmane.
Modi avait « exigé des garanties qu’il ne serait pas arrêté » ; ce qu’il
avait obtenu.
Malgré la bravade de politicien·nes nationalistes de plus en
plus affirmée en Afrique du Sud, Pretoria cherche des options pour
sauver la face : demander à Poutine d’envoyer Sergey Lavrov à sa
place ; revenir à un sommet virtuel des BRICS (comme ce fut le cas
lors du covid) ; tenir le sommet en Chine ; adopter d’urgence une
législation sur l’immunité diplomatique ou même quitter la CPI (ce
que Zuma souhaitait). Mais la question n’a toujours pas été résolue.
Une autre source d’agitation géopolitique a été l’hostilité de
l’Occident à l’égard du parti pris apparemment pro-russe de
Pretoria – sous couvert de neutralité officielle –, comme en té-
moignent les exercices navals conjoints (avec la Chine également),
de février 2023, au large des côtes sud-africaines, ainsi que la vente
présumée d’armes à Moscou. Il n’en demeure pas moins difficile
les brics ou la « schizophrénie » du sous-impérialisme / 137
Un multilatéralisme embrouillé
Si les BRICS étaient censés remettre véritablement en cause
la domination occidentale du multilatéralisme, comment se fait-il
qu’au cours des années 2010, tout ce qu’ils ont tenté a échoué ?
À partir de 2011, sous la pression de l’Union européenne et des
États-Unis, des dirigeant·es encore plus néolibéraux·ales, parfois
néoconservateur·trices, ont été imposés à la tête du FMI et de la
Banque mondiale. À aucun moment, les BRICS n’ont proposé de
candidatures alternatives communes.
En 2015, la recapitalisation du FMI a effectivement donné aux
BRICS une part de vote bien plus importante, juste en deçà des
15 % nécessaires pour émettre un veto (une part détenue unique-
ment par les États-Unis). Mais, l’augmentation de la part de vote
de la Chine, du Brésil, de l’Inde et de la Russie ne s’est pas faite
principalement aux dépens de l’Occident, mais bien du Nigeria, du
Venezuela et même de l’Afrique du Sud.
N’y avait-il pas lieu de promouvoir des institutions alternatives,
notamment pour contester la domination occidentale des systèmes
de notation et financiers ? L’accord de réserve contingente (ARC)
des BRICS, créé en 2014, aurait dû fournir un financement d’ur-
gence à court terme. Mais il a accru davantage encore la marge de
manœuvre du FMI, car l’emprunteur ne peut bénéficier que de 30 %
du quota de l’ARC avant d’accéder au programme d’ajustement
structurel du FMI. Par ailleurs, au moment où le besoin s’est fait le
plus sentir, en 2020, lorsque les dirigeant·es sud-africain·es ont été
obligé·es d’accepter un prêt du FMI de 4,3 milliards de dollars, en
dépit des conditions d’austérité rigoureuses qui hypothéquaient les
mesures de relance budgétaire, il n’y eut aucun signe de l’ARC. Les
paroles à propos d’une agence de notation alternative n’étaient que
cela, des paroles.
Une institution financière des BRICS a bien vu le jour, avec
l’approbation des agences de notation occidentales : la Nouvelle
banque de développement (NDB). Créée pour financer des infras-
tructures plus sensibles à l’environnement, elle n’a cependant ja-
mais atteint les nobles objectifs de devenir une banque verte. Et
dans son portefeuille sud-africain, il n’y a pas un seul prêt (de la
NDB) qui puisse être considéré comme exempt de corruption. Le
plus curieux est que la banque a publié une déclaration, une se-
maine après l’invasion de l’Ukraine, indiquant qu’elle ne fournirait
plus aucun service à la Russie, son actionnaire à 20 %. La NDB a
les brics ou la « schizophrénie » du sous-impérialisme / 145
Conclusion
En résumé, les promesses progressistes ou simplement contre-
hégémoniques des BRICS n’ont généralement pas été tenues et le
multilatéralisme néolibéral, ancré en Occident, a constitué un foyer
confortable pour les élites au sein des BRICS. Sur le plan géopo-
litique, la rhétorique anti-occidentale a été constante, mais elle n’a
pris une forme plus substantielle qu’à une seule occasion, et de ma-
nière tragique : lorsqu’un régime sous-impérial voyou s’est engagé
dans une guerre atroce. Cela pourrait être un signe de ce qui nous
attend, si les dirigeant·es de Pékin décident d’envahir Taïwan et si
les relations impériales/sous-impériales dont jouissent les entre-
prises en Chine sont soumises à la pression de la démondialisation
et du « découplage ».
Les conflits actuels de l’Afrique du Sud avec l’Occident il-
lustrent l’intensification de la dynamique « parler à gauche, marcher
à droite ». Mais, plus largement, le retour politique des BRICS à
une approche plus conservatrice, au cours de la période marquée
à l’extrême droite – avec des personnalités comme Modi (depuis
2014) et Bolsonaro (2019-2022) –, est allé de pair avec la profonde
orientation néolibérale du bloc en matière de finances. Et ce, même
au début des années 2020, lorsque les opportunités de rupture
semblaient si prometteuses. La constance des relations de pouvoir
impériales/sous-impériales s’est imposée, malgré le caractère anta-
goniste récent de la coopération.
À l’instar du mythe sud-africain de la « nation arc-en-ciel », l’au-
ra d’une alternative « multilatérale » à l’Occident s’est estompée.
Comme l’a fait remarquer le principal observateur africaniste de la
Russie, Kester Klomegah (2023), « les Russes sollicitent un soutien
pour leur invasion illégale de l’Ukraine. C’est tout à fait différent de
l’émergence d’un monde multipolaire. Un monde multipolaire doit
connaître une paix relative et être plus intégrateur, mais la Russie
a divisé le monde ». En effet, le terme multipolaire ayant désormais
été ruiné par la façon dont les BRICS se sont regroupés autour de
Poutine, une bien meilleure option serait un monde « non polaire »,
146 / anticolonialisme(s)
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alternatives sud, vol. 30-2023 / 147
Hoda Elsadda2
des besoins urgents des femmes et il est défendu par des élites
alignées sur les projets de mondialisation et s’identifiant aux para-
digmes occidentaux (Hodgson, 2011 ; An-Naim, 2014).
De plus, l’accent excessif mis par les féministes libérales sur
les réformes juridiques et le mépris relatif des normes sociétales
et des structures de pouvoir ont souvent sapé de bonnes lois ou
même conduit à des résultats qui ne sont pas nécessairement
dans l’intérêt des femmes. Enfin, les discours sur les droits visent à
monopoliser les espaces politiques et donc à empêcher la réalisa-
tion « d’autres types de projets politiques […] [qui] pourraient offrir
un remède plus approprié et de plus grande portée à l’injustice »
(Brown, 2004), et constituent une forme de domination impérialiste
(Abu-Lughod, 2013).
Toutes ces critiques se fondent sur une base solide en termes
théoriques et pratiques. Les partisan·es de l’utilisation d’un cadre de
droits reconnaissent la validité des critiques susmentionnées, mais
mettent en garde contre le risque de jeter le bébé avec l’eau du
bain. De même que nombre d’études critiquent le paradigme des
droits dans l’activisme, un nombre tout aussi important y adhèrent.
Dans le domaine de la théorie juridique critique, les
chercheur·euses s’intéressent à la façon dont les litiges juridiques
renforcent la mobilisation et les mouvements sociaux au lieu de se
concentrer sur l’importance ou non de l’utilisation du droit. Lynn
Stephen (2011) s’appuie sur des données empiriques pour démon-
trer comment les discours sur les droits ont été assimilés et repris
dans de nouveaux contextes pour répondre à des questions et
besoins locaux. Le mouvement social d’Oaxaca, au Mexique, s’est
approprié les discours sur les droits et a permis la production d’une
« langue vernaculaire locale genrée de discours sur les droits » ac-
cessible aux hommes et aux femmes.
Les critiques ont également souligné que les discours sur les
droits sont parfois la seule option viable pour les personnes mar-
ginalisées et opprimées pour entrer dans l’arène politique. Mona
El-Ghobashy affirme qu’en Égypte, l’internationalisation du régime
politique dans les années 1990 et son adhésion aux conventions
et traités relatifs aux droits humains afin d’entrer dans le club des
nations «civilisées», comptent parmi les facteurs qui ont donné aux
militant·es des droits humains, aux féministes et aux citoyen·nes
ordinaires « un levier politique inattendu dans leur partage asymé-
trique du pouvoir public avec l’exécutif » (El-Ghobashy, 2008).
critique voyageuse : l’anti-impérialisme, le genre et les droits / 149
Critique voyageuse
Dans un article sur les défis auxquels sont confrontés les fémi-
nistes aujourd’hui, Deniz Kandiyoti (2015) met en lumière la situa-
tion critique des militant·es des droits des femmes qui utilisent les
cadres internationaux dans leur lutte pour la justice en matière de
genre. Non seulement ils et elles doivent faire face à des autori-
tarismes patriarcaux locaux et mondiaux, mais sont également
dépeint·es par les universitaires transnationaux anti-impérialistes
comme des complices de l’impérialisme dans le pire des cas, ou
comme des « dupes non critiques » dans le meilleur des cas.
Le principal problème des critiques anti-impérialistes est qu’elles
ne tiennent pas compte de la géopolitique, c’est-à-dire du contexte
des luttes de pouvoir à un moment et dans un lieu donnés. La
158 / anticolonialisme(s)
Remarques finales
Dans mon engagement avec la critique féministe anti-impéria-
liste des mouvements de droits dans les contextes postcoloniaux, j’ai
souligné la nécessité d’un fondement géopolitique de la théorie qui
aborde les manifestations mondiales et les variations des relations
de pouvoir dans différents contextes. J’ai critiqué la tendance des
critiques féministes anti-impérialistes à négliger les conséquences
des différents emplacements des défenseur·euses des droits et j’ai
plaidé en faveur de la contextualisation en tant qu’impératif pour
combler le fossé entre la théorie et la pratique.
La contextualisation est à la fois géographique et historique :
il s’agit des détails d’une lutte particulière dans un lieu spécifique,
à un moment donné de l’histoire. Elle permet d’éclairer le spectre
du pouvoir dans différentes géographies et peut aider à éviter les
interprétations anhistoriques des luttes pour la justice. En ce qui
concerne l’histoire du mouvement des femmes en Égypte, il serait
critique voyageuse : l’anti-impérialisme, le genre et les droits / 163
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alternatives sud, vol. 30-2023 / 165
Promise Li2
Dans le même temps, nous devons comprendre que, pour les mou-
vements qui agissent dans des États autoritaires et illibéraux, il
devient pratiquement impossible d’agir en l’absence des libertés
fondamentales offertes par la démocratie bourgeoise. Dans de tels
cas, comme en Russie ou à Hong Kong, qui sont soumis à des lois
de sécurité nationale, les organisations progressistes dans les pays
du Nord qui disposent de plus de ressources et de libertés devraient
soutenir ces mouvements plus activement.
De même que l’autoritarisme ne peut être défini de manière sim-
pliste, nous ne devons pas conceptualiser un tel rassemblement
de mouvements antiautoritaires en termes utopiques. Comme le
montrent les manifestations contre le projet de loi sur l’extradition
à Hong Kong, la résistance populaire contre la junte au Myanmar,
l’autodéfense militaire de l’Ukraine contre la Russie et le mouve-
ment sri-lankais contre les Rajapaksas, les tensions ethniques et
les préjugés politiques imprègnent ces mouvements dès le départ.
Les efforts déployés par l’empire nord-américain pour affirmer
son influence, du soutien militaire de l’OTAN aux subventions de
la National Endowment for Democracy (NED), se sont poursuivis
sans relâche. Dès lors, comment identifier les forces populaires à
soutenir ? Où pouvons-nous observer les lieux les plus libres per-
mettant aux mouvements d’agir et de développer leur pouvoir et
leurs capacités dans chaque conjoncture historique précise ? Il n’est
pas facile de répondre à ces questions, en particulier lorsque diffé-
rentes forces réactionnaires sont présentes dans les deux camps
du conflit. L’enjeu est dès lors de discerner de manière critique les
rapports de force entre et dans les deux camps.
Un aperçu de quelques soulèvements récents montre qu’aucun
modèle de lutte ne peut être généralisé. Sous les appareils d’État
contrôlés par la junte militaire du Myanmar ou par le gouvernement
de Hong Kong, la marge de manœuvre des mouvements est réduite
au minimum. Les récentes mobilisations de masse en Chine et en
Iran ont contraint les régimes de ces pays à envisager certaines
réformes, mais ces mouvements ont de grandes difficultés à exis-
ter sur le plan institutionnel car leurs principaux·ales militant·es ont
été rapidement mis hors d’état de nuire. De même, s’agissant des
comités de résistance nés de l’insurrection soudanaise en 2019 :
alors que certains prônaient la mise en place d’une gouvernance
révolutionnaire autonome en dehors de l’État, d’autres appelaient à
lutter contre l’impérialisme multipolaire / 175
Un nouvel internationalisme
Une forme de multipolarité véritablement émancipatrice de-
vrait fournir une infrastructure à un ensemble très varié de mou-
vements populaires, des comités de résistance aux partis socia-
listes de masse, en passant par les syndicats de travailleur·euses.
L’autodétermination contre l’impérialisme mondial passe par la
création, pour les mouvements populaires, de plateformes de ras-
semblement et de délibération démocratique. Ces espaces peuvent
formuler des revendications révolutionnaires incompatibles avec les
régimes actuels et, dans le même temps, accumuler du pouvoir en
mettant en évidence les limites des formes dégénérées de gouver-
nance actuelles, qui vont du parlementarisme bourgeois à l’autori-
tarisme illibéral.
En quoi cela change-t-il exactement notre stratégie de solida-
rité internationale en tant que socialistes ? Nous devons repenser
ce que signifie concrètement l’expression « l’ennemi principal est
dans le pays ». Bien sûr, il ne s’agit pas d’abandonner la lutte contre
l’impérialisme en Occident, mais plutôt d’élargir nos horizons pour
cibler les lieux où les différents États se croisent et croisent les ins-
titutions internationales.
Voici quelques exemples d’opportunités de solidarité. La reven-
dication des socialistes ukrainiens de Sotsialnyi Rukh de « démo-
cratiser l’ordre sécuritaire international » afin de protéger les minori-
tés et les peuples opprimés peut être reliée à d’autres luttes contre
lutter contre l’impérialisme multipolaire / 177
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alternatives sud, vol. 30-2023 / 179
Philippines 18, 70
Polynésie française 42
Porto Rico 67, 69
Portugal 27, 55
République centrafricaine 42
République dominicaine 67, 69, 72, 84
Royaume-Uni 55, 69, 134, 142
Russie 49, 73, 96, 97, 109, 110, 133, 135,
136, 137, 141, 143, 144, 145, 165,
172, 174
Sahara occidental 14, 51, 52, 54, 55, 56,
57, 58, 59
Sénégal 42, 46, 55
Sierra Leone 46, 55
Soudan 36, 84, 165
Suisse 142
Syrie 108, 162, 165, 172
Tchad 42, 55
Thaïlande 134
Tibet 14
Togo 42, 46, 83
Turquie 13, 18, 102, 134
Ukraine 9, 75, 96, 109, 110, 133, 141,
143, 144, 145, 165, 174
Union européenne (UE) 47, 82
Venezuela 73, 143, 144, 172
Vietnam 168
Wallis-et-Futuna 42
Yémen 108, 137
Zambie 169
Zimbabwe 9
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