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À

la mémoire de Roland Lew (1944-2005)


« l’histoire est toujours contemporaine,
c’est-à-dire politique… »

Antonio Gramsci
Quaderni del carcere
Introduction
L’émergence de la mémoire

Rares sont les mots aussi galvaudés que « mémoire ». Sa diffusion est d’autant
plus impressionnante que son entrée dans le domaine des sciences sociales est
assez tardive. Au cours des années 1960 et 1970, il était pratiquement absent du
débat intellectuel. Il ne figure ni dans l’édition de 1968 de l’International
Encyclopedia of the Social Sciences, publiée à New York sous la direction de
David L. Sills, ni dans l’ouvrage collectif intitulé Faire de l’histoire, publié en
1974 sous la direction de Jacques Le Goff et Pierre Nora, pas plus que dans les
Keywords de Raymond Williams, un des pionniers de l’histoire culturelle1.
Quelques années plus tard, il avait pénétré en profondeur dans le débat
historiographique. La « mémoire » est souvent utilisée comme synonyme
d’histoire, et a une tendance singulière à l’absorber en devenant elle-même une
sorte de catégorie métahistorique. Ainsi, elle appréhende le passé dans un filet
aux mailles plus larges que celles de la discipline traditionnellement appelée
histoire, en y déposant une dose bien plus grande de subjectivité, de « vécu ».
Bref, la mémoire apparaît comme une histoire moins aride et plus « humaine »2.
Elle envahit aujourd’hui l’espace public des sociétés occidentales : le passé
accompagne le présent et s’installe dans son imaginaire collectif comme une
« mémoire » puissamment amplifiée par les médias, souvent régentée par les
pouvoirs publics. Elle se transforme en « obsession commémorative » et la
valorisation, voire la sacralisation des « lieux de mémoire » engendre une
véritable « topolâtrie »3. Cette mémoire surabondante et saturée balise l’espace4.
Tout désormais revient à faire mémoire. Le passé se transforme en mémoire
collective après avoir été sélectionné et réinterprété selon les sensibilités
culturelles, les interrogations éthiques et les convenances politiques du présent.
Ainsi prend forme le « tourisme de la mémoire », avec la transformation des
sites historiques en musées et lieux de visites organisées, dotés de structures
d’accueil adéquates (hôtels, restaurants, boutiques de souvenirs, etc.) et promus
auprès du public par des stratégies publicitaires ciblées. Les centres de recherche
et les sociétés d’histoire locale sont incorporés aux dispositifs de ce tourisme de
la mémoire, dont ils tirent parfois leurs moyens d’existence. D’une part, ce
phénomène relève indubitablement d’un processus de réification du passé, c’est-
à-dire sa transformation en objet de consommation, esthétisé, neutralisé et
rentabilisé, prêt à être récupéré et utilisé par l’industrie du tourisme et du
spectacle, notamment le cinéma. L’historien est souvent appelé à participer de ce
processus, en sa qualité de « professionnel » et d’« expert » qui, selon les termes
d’Olivier Dumoulin, a fait de son art un « produit marchand » au même titre que
les biens de consommation qui envahissent nos sociétés. La Public History
américaine, avec ses historiens travaillant pour des institutions ou même des
entreprises privées et soumis à leur logique de rentabilité, nous indique le
chemin depuis longtemps5. D’autre part, ce phénomène ressemble, à plusieurs
égards, à ce qu’Eric Hobsbawm a appelé « l’invention de la tradition »6 : un
passé réel ou mythique autour duquel on construit des pratiques ritualisées visant
à renforcer la cohésion d’un groupe ou d’une communauté, à donner une
légitimité à certaines institutions, à inculquer des valeurs au sein de la société.
Autrement dit, la mémoire tend à devenir le vecteur d’une religion civile du
monde occidental, avec son système de valeurs, de croyances, de symboles et de
liturgies7.
D’où vient cette obsession mémorielle ? Ses ressorts sont multiples, mais elle
tient tout d’abord à une crise de la transmission au sein des sociétés
contemporaines. On pourrait évoquer à ce propos la distinction suggérée par
Walter Benjamin entre l’« expérience transmise » (Erfahrung) et l’« expérience
vécue » (Erlebnis). La première se perpétue presque naturellement d’une
génération à l’autre, forgeant les identités des groupes et des sociétés dans la
longue durée ; la seconde est le vécu individuel, fragile, volatile, éphémère. Dans
son Passagen-Werk, Benjamin considère cette « expérience vécue » comme un
trait marquant de la modernité, avec le rythme et les métamorphoses de la vie
urbaine, les chocs électriques de la société de masse, le chaos kaléidoscopique de
l’univers marchand. L’Erfahrung est typique des sociétés traditionnelles,
l’Erlebnis appartient aux sociétés modernes, tantôt comme la marque
anthropologique du libéralisme, de l’individualisme possessif, tantôt comme
produit des catastrophes du XXe siècle, avec leur cortège de traumatismes qui ont
affecté des générations entières sans pouvoir devenir un héritage s’inscrivant
dans le cours naturel de la vie. La modernité, selon Benjamin, se caractérise
précisément par le déclin de l’expérience transmise, un déclin dont il marquait
symboliquement l’avènement dans la Première Guerre mondiale. Lors de ce
trauma majeur de l’Europe, plusieurs millions de personnes, surtout des jeunes
paysans qui avaient appris de leurs ancêtres à vivre selon les rythmes de la
nature, à l’intérieur des codes du monde rural, furent brutalement arrachés à leur
univers social et mental8. Ils furent soudainement plongés « dans un paysage où
plus rien n’était reconnaissable, hormis les nuages et, au milieu, dans un champ
de forces traversé de tensions et d’explosions destructrices, le minuscule et
fragile corps humain »9. Les milliers de soldats revenus du front muets et
amnésiques, commotionnés par les Shell Shocks dus à l’artillerie lourde qui
pilonnait sans cesse les tranchées ennemies, incarnaient cette césure entre deux
époques, celle de la tradition forgée par l’expérience héritée et celle des
cataclysmes qui se dérobent aux mécanismes naturels de transmission de la
mémoire. Les mésaventures du smemorato di Collegno – un ex-combattant
amnésique à la double identité, à la fois philosophe de Vérone et ouvrier
typographe de Turin – qui ont passionné les Italiens pendant l’entre-deux-
guerres et inspiré les œuvres de Luigi Pirandello, José-Carlos Mariátegui et
Leonardo Sciascia, s’inscrivaient dans cette mutation profonde du paysage
mémoriel européen10. Mais au fond, la Grande Guerre ne faisait qu’achever,
sous une forme convulsive, un processus dont les origines ont été
magistralement étudiées par Edward P. Thompson dans un essai sur l’avènement
du temps mécanique, productif et disciplinaire de la société industrielle11.
D’autres traumas ont marqué l’« expérience vécue » du XXe siècle, sous la forme
de guerres, génocides, épurations ethniques ou répressions politiques et
militaires. Le souvenir qui en est issu ne fut ni éphémère ni fragile, il fut même
fondateur pour plusieurs générations incapables de percevoir la réalité autrement
que sous la forme d’un univers fracturé, mais il ne se donna point comme
expérience du quotidien, transmissible à une nouvelle génération12. Une
première réponse à notre question initiale pourrait donc se formuler ainsi :
l’obsession mémorielle de nos jours est le produit du déclin de l’expérience
transmise, dans un monde qui a perdu ses repères, défiguré par la violence et
atomisé par un système social qui efface les traditions et morcelle les existences.
Mais il faut s’interroger sur les formes de cette obsession. La mémoire – à
savoir les représentations collectives du passé telles qu’elles se forgent dans le
présent – structure les identités sociales en les inscrivant dans une continuité
historique et en leur donnant un sens, c’est-à-dire un contenu et une direction.
Partout et toujours, les sociétés humaines ont possédé une mémoire collective et
l’ont entretenue par des rites, des cérémonies, voire des politiques. Les structures
élémentaires de la mémoire collective résident dans la commémoration des
morts. Traditionnellement, dans le monde occidental, les rites et les monuments
funéraires célébraient la transcendance chrétienne – la mort comme passage vers
l’au-delà – et, en même temps, réaffirmaient les hiérarchies sociales d’ici-bas.
Dans la modernité, les pratiques commémoratives se métamorphosent. D’une
part, avec la fin des sociétés d’Ancien Régime, elles se démocratisent en
investissant la société dans son ensemble ; d’autre part, elles se sécularisent et se
fonctionnalisent en véhiculant de nouveaux messages adressés aux vivants. À
partir du XIXe siècle, les monuments commémoratifs consacrent des valeurs
laïques (la patrie), défendent des principes éthiques (le bien) et politiques (la
liberté), ou célèbrent des événements fondateurs (guerres, révolutions). Ils
commencent à devenir les symboles d’un sentiment national vécu comme une
religion civile. Selon Reinhart Koselleck, « Le déclin de l’interprétation
chrétienne de la mort laisse ainsi le champ libre à des interprétations purement
politiques et sociales. »13 Amorcé par la Révolution française, le berceau des
premières guerres démocratiques du monde moderne, le phénomène s’est
approfondi après la Grande Guerre, lorsque les monuments aux soldats tombés
au combat ont commencé à baliser l’espace public dans chaque village.
Aujourd’hui, le travail du deuil change d’objet et de formes. En ce tournant de
siècle, Auschwitz devient le socle de la mémoire collective du monde occidental.
La politique de la mémoire – commémorations officielles, musées, films, etc. –
tend à faire de la Shoah la métaphore du XXe siècle comme âge des guerres, des
totalitarismes, des génocides et des crimes contre l’humanité. Au centre de ce
système de représentations s’installe une figure nouvelle, celle du témoin, le
rescapé des camps nazis. Le souvenir dont il est porteur et l’écoute qu’on lui
réserve (après des décennies d’indifférence) ont secoué l’historien, en faisant
désordre dans son chantier et en perturbant son mode de travail. D’une part, il a
dû se rendre à l’évidence des limites de ses procédés traditionnels de mise en
histoire, des limites de ses sources et de l’apport indispensable des témoins pour
essayer de reconstituer des expériences comme l’univers concentrationnaire et la
machine exterminatrice du nazisme. Le témoin peut lui apporter des éléments de
connaissance factuelle inaccessibles par d’autres sources, mais aussi et surtout
peut l’aider à restituer la qualité d’une expérience historique, qui change de
texture une fois enrichie par le vécu de ses acteurs. D’autre part, l’arrivée du
témoin, et donc l’entrée de la mémoire dans le chantier de l’historien, remet en
cause certains paradigmes bien solides. Ceux, par exemple, d’une histoire
structurale conçue comme un processus d’accumulation, dans la longue durée,
de multiples strates (territoire, démographie, échanges, institutions, mentalités)
qui permettent d’appréhender les coordonnées globales d’une époque, mais
laissent bien peu de place à la subjectivité des hommes et des femmes qui font
l’histoire14.
Nous sommes entrés, pour reprendre les mots d’Annette Wieviorka, dans
l’« ère du témoin », désormais placé sur un piédestal, incarnation d’un passé
dont le souvenir est prescrit comme un devoir civique15. Autre signe de
l’époque, le témoin est de plus en plus identifié à la victime. Ignorés pendant des
décennies, les rescapés des camps d’extermination nazis deviennent aujourd’hui,
à leur corps défendant, des icônes vivantes. Ils sont figés dans une posture qu’ils
n’avaient pas choisie et qui ne correspond pas toujours à leur besoin de
transmettre leur expérience vécue. D’autres témoins jadis montrés en exemple
comme des héros, tels les résistants qui prirent les armes pour combattre le
fascisme, ont perdu leur aura ou sont carrément tombés dans l’oubli, engloutis
par la « fin du communisme » qui, éclipsé de l’histoire avec ses mythes, a
emporté dans sa chute les utopies et les espoirs qu’il avait incarnés. La mémoire
de ces témoins n’intéresse plus grand monde, à une époque d’humanitarisme où
il n’y a plus de vaincus mais seulement des victimes. Cette dissymétrie du
souvenir – la sacralisation des victimes auparavant ignorées et l’oubli des héros
jadis idéalisés – indique l’ancrage profond de la mémoire collective au présent,
avec ses mutations et ses renversements paradoxaux.
La mémoire se décline toujours au présent, qui détermine ses modalités : la
sélection des événements dont il faut garder le souvenir (et des témoins à
écouter), leur interprétation, leurs « leçons », etc. Elle se transforme en enjeu
politique et prend la forme d’une injonction éthique – le « devoir de mémoire » –
qui devient souvent source d’abus16. Les exemples ne manquent pas. Toutes les
guerres de ces dernières années, de la première à la deuxième guerre du Golfe,
en passant par celle du Kosovo et celle de l’Afghanistan, ont été aussi des
guerres de la mémoire, puisqu’elles ont été justifiées par l’évocation rituelle du
devoir de mémoire17. Saddam Hussein, Arafat, Milosevic et George W. Bush ont
été comparés à Hitler dans les slogans des manifestations, sur les affiches, dans
les médias et lors des discours de certains leaders politiques. L’islamisme
politique est souvent assimilé au fanatisme nazi. L’historien israélien Tom Segev
indique que Menahem Begin avait vécu l’invasion israélienne du Liban, en
1982, comme un acte réparateur, le succédané fantasmatique d’une armée juive
qui aurait chassé les nazis de Varsovie en 194318. Plus récemment, en 2002, le
Consistoire central des israélites de France déclarait que ce pays était à la veille
d’une vague d’antisémitisme comparable à celle qui déferla dans l’Allemagne
nazie lors de la Nuit de cristal en novembre 193819. Pour l’écrivain portugais
José Saramago, en revanche, l’occupation israélienne des territoires palestiniens
serait comparable à l’Holocauste20. Pendant la guerre en ex-Yougoslavie, les
nationalistes serbes voyaient les épurations ethniques contre les Albanais du
Kosovo comme une revanche contre l’ancienne oppression ottomane, tandis
qu’en France, les professionnels de l’anticommunisme voyaient dans les bombes
sur Belgrade une défense de la liberté contre le totalitarisme. La liste pourrait
continuer. La dimension politique de la mémoire collective (et les abus qui
l’accompagnent) ne peut qu’affecter la manière d’écrire l’histoire.

Ce livre se propose d’explorer les relations entre l’histoire et la mémoire et


d’analyser certains aspects de l’usage public du passé. La matière qui s’offre à
une telle réflexion est inépuisable. Je me suis fondé sur quelques thèmes connus
et sur lesquels j’ai travaillé au cours de ces dernières années. D’autres, tout aussi
importants, sont exclus ou à peine évoqués dans cet essai qui voudrait s’inscrire
dans un débat bien plus vaste et toujours ouvert.
I. Histoire et mémoire : un couple antinomique ?

Remémoration

Histoire et mémoire naissent d’une même préoccupation et partagent un même


objet : l’élaboration du passé. Mais il existe une « hiérarchie » entre les deux. La
mémoire, pourrait-on dire avec Paul Ricœur, possède un statut matriciel21.
L’histoire est une mise en récit, une écriture du passé selon les modalités et les
règles d’un métier – d’un art ou, avec beaucoup de guillemets, d’une
« science » – qui essaie de répondre à des questions suscitées par la mémoire.
L’histoire naît donc de la mémoire, puis s’en affranchit en mettant le passé à
distance, en le considérant, selon les mots de Oakeshott, comme « un passé en
soi »22. Elle est enfin parvenue à faire de la mémoire un de ses domaines de
recherche, comme le prouve l’histoire contemporaine. L’histoire du XXe siècle,
appelée aussi « histoire du temps présent », analyse le témoignage des acteurs du
passé et intègre l’oral parmi ses sources au même titre que les archives et autres
documents matériels ou écrits. Donc, l’histoire prend naissance dans la mémoire,
dont elle est une dimension ; puis, en adoptant une posture autoréflexive, elle
transforme la mémoire en l’un de ses objets.
Proust reste une référence obligée pour toute méditation sur la mémoire. Dans
ses commentaires sur la Recherche, Walter Benjamin souligne que Proust « n’a
pas décrit une vie telle qu’elle fut, mais une vie telle que celui qui l’a vécue la
remémore ». Il poursuit en comparant la « mémoire involontaire » de Proust –
qu’il traduit par « travail de remémoration spontanée » (Eingedenken), où le
souvenir est l’emballage et l’oubli le contenu – à un « travail de Pénélope » où
« c’est le jour qui défait ce qu’a fait la nuit ». Chaque matin, au réveil, « nous ne
tenons en main, en général faibles et lâches, que quelques franges de la tapisserie
du vécu que l’oubli a tissée en nous »23.
Puisant à l’expérience vécue, la mémoire est éminemment subjective. Elle
reste ancrée à des faits auxquels nous avons assisté, dont nous avons été les
témoins, voire les acteurs, et aux impressions qu’ils ont gravées dans notre
esprit. Elle est qualitative, singulière, peu soucieuse des comparaisons, de la
contextualisation, des généralisations. Elle n’a pas besoin de preuves pour celui
qui la porte. Le récit du passé livré par un témoin – pourvu que ce dernier ne soit
pas un menteur conscient – sera toujours sa vérité, c’est-à-dire l’image du passé
déposée en lui-même. Par son caractère subjectif, la mémoire n’est jamais figée ;
elle ressemble plutôt à un chantier ouvert, en transformation permanente. Non
seulement, selon la métaphore de Benjamin, « la toile de Pénélope » se modifie
chaque jour à cause de l’oubli qui nous guette, pour réapparaître plus tard,
parfois beaucoup plus tard, tissée dans une forme autre que celle du premier
souvenir. Le temps n’est pas le seul à éroder et affaiblir le souvenir. La mémoire
est une construction, elle est toujours filtrée par des connaissances
postérieurement acquises, par la réflexion qui suit l’événement, par d’autres
expériences qui se superposent à la première et en modifient le souvenir.
L’exemple classique est, encore une fois, celui des rescapés des camps nazis. Le
récit du séjour à Auschwitz par un ex-déporté juif et communiste n’est souvent
pas le même, selon qu’il est fait avant ou après sa rupture avec le Parti
communiste. Avant, pendant les années 1950, il met au premier plan son identité
politique en se présentant comme un déporté antifasciste. Après, pendant les
années 1980, il se considère tout d’abord comme un déporté juif, persécuté en
tant que juif et témoin de l’anéantissement des juifs d’Europe. Bien entendu, il
serait absurde de distinguer, entre ces deux témoignages livrés par la même
personne à deux moments différents de sa vie, le vrai et le faux. Les deux sont
authentiques, mais chacun éclaire une part de vérité filtrée par la sensibilité, la
culture et aussi, pourrait-on ajouter, les représentations identitaires, voire
idéologiques, du présent. Bref, la mémoire, qu’elle soit individuelle ou
collective, est une vision du passé toujours filtrée par le présent. En ce sens,
Benjamin définissait le procédé de Proust comme une « présentification »
(Vergegenwärtigung)24. Il serait illusoire de considérer l’« autrefois » (das
« Gewesene ») comme une sorte de « point fixe » duquel on pourrait se
rapprocher par une reconstitution mentale a posteriori. L’« advenu » est dans
une large mesure façonné par le présent, puisque c’est la mémoire qui « établit »
les faits : il s’agit là, selon Benjamin, d’une « révolution copernicienne dans la
vision de l’histoire »25. Il réaffirme ce concept dans les « réflexions théoriques »
de son Passagen-Werk, quand il considère « le passé télescopé par le présent »,
ajoutant que « c’est le présent qui polarise l’événement (das Geschehen) en
histoire antérieure et histoire postérieure ». L’histoire, poursuit Benjamin, « n’est
pas seulement une science » puisqu’elle est « tout autant une forme de
remémoration (Eingedenken) »26. Dans un esprit analogue, plus récemment,
François Hartog a forgé la notion de « présentisme » afin de décrire une situation
dans laquelle « le présent est devenu l’horizon », un présent qui, « sans futur et
sans passé », engendrerait les deux en permanence selon ses besoins27.
L’histoire aussi, qui n’est au fond qu’une partie de la mémoire comme le
rappelait Ricœur, s’écrit toujours au présent. Pour exister comme champ du
savoir cependant, elle doit s’affranchir de la mémoire, non pas en la rejetant
mais en la mettant à distance. Un court-circuit entre histoire et mémoire peut
avoir des conséquences préjudiciables au travail de l’historien.

Une bonne illustration de ce phénomène est donnée par le débat de ces dernières
années autour de la « singularité » du génocide juif28. L’irruption de cette
controverse dans le chantier de l’historien tient, inévitablement, aux parcours de
la mémoire juive, à son émergence au sein de l’espace public et à son
interférence avec les pratiques traditionnelles de la recherche qui ont été
soudainement confrontées aux autobiographies et aux archives audiovisuelles
qui rassemblent les témoignages des rescapés des camps. Si une telle
« contamination » de l’historiographie par la mémoire s’est révélée extrêmement
fructueuse, elle ne devrait pas pour autant occulter un constat méthodologique
aussi banal qu’essentiel, à savoir que la mémoire singularise l’histoire, dans la
mesure où elle est profondément subjective, sélective, souvent irrespectueuse
des scansions chronologiques, indifférente aux reconstructions d’ensemble, aux
rationalisations globales. Sa perception du passé ne peut être qu’irréductiblement
singulière. Là où l’historien ne voit qu’une étape dans un processus, qu’un
aspect d’un tableau complexe et mouvant, le témoin peut saisir un événement
crucial, le basculement d’une vie. L’historien peut décrypter, analyser et
expliquer les photos conservées du camp d’Auschwitz. Il sait que ceux qui
descendent du train sont des juifs, il sait que le SS qui les observe dirigera une
sélection et que la grande majorité des figures de cette photo n’ont plus que
quelques heures de vie devant elles. À un témoin, cette photo dira beaucoup
plus. Elle lui rappellera des sensations, des émotions, des bruits, des voix, des
odeurs, la peur et le dépaysement de l’arrivée au camp, la fatigue d’un long
voyage effectué dans des conditions horribles, sans doute la vision de la fumée
des crématoires. Autrement dit, elle lui rappellera un ensemble d’images et de
souvenirs tout à fait singuliers et complètement inaccessibles à l’historien, sinon
sur la base d’un récit a posteriori, source d’une empathie incomparable à celle
que le témoin a pu revivre. La photo d’un Häftling désigne aux yeux de
l’historien une victime anonyme ; pour un parent, un ami ou un camarade de
détention, cette photo évoque tout un monde absolument unique. Pour
l’observateur extérieur, cette photo ne représente – comme dirait Siegfried
Kracauer – qu’une réalité « non délivrée » (unerlöst)29. L’ensemble de ces
souvenirs forme une partie de la mémoire juive, une mémoire que l’historien ne
peut pas ignorer et qu’il doit respecter, qu’il doit explorer et comprendre, mais à
laquelle il ne doit pas se soumettre. Il n’a pas le droit de transformer la
singularité de cette mémoire dans un prisme normatif d’écriture de l’histoire. Sa
tâche consiste plutôt à inscrire cette singularité de l’expérience vécue dans un
contexte historique global, en essayant d’en éclairer les causes, les conditions,
les structures, la dynamique d’ensemble. Cela signifie apprendre de la mémoire
tout en la passant au crible d’une vérification objective, empirique, documentaire
et factuelle, en traquant si nécessaire ses contradictions et ses pièges. Cela peut
aider le souvenir à se préciser, à prendre des contours plus clairs, à devenir plus
exigeant, et aussi à mettre en lumière ce qui, dans la remembrance, n’est pas
réductible aux éléments factuels30. S’il peut y avoir une singularité absolue de la
mémoire, celle de l’histoire sera toujours relative31. Pour un juif polonais,
Auschwitz signifie quelque chose de terriblement unique : la disparition de
l’univers humain, social et culturel dans lequel il est né. Un historien qui n’arrive
pas à comprendre cela ne pourra jamais écrire un bon livre sur la Shoah, mais le
résultat de sa recherche ne serait guère meilleur s’il en tirait la conclusion –
comme le fait par exemple l’historien américain Steven Katz – que le génocide
juif est le seul de l’histoire32. Selon Eric J. Hobsbawm, l’historien ne doit pas se
soustraire à un devoir d’universalisme : « Une histoire destinée aux seuls juifs
(ou aux Noirs américains, aux Grecs, aux femmes, aux prolétaires, aux
homosexuels, etc.) ne saurait être une bonne histoire, quand bien même elle peut
réconforter ceux qui la pratiquent. »33 Il est souvent très difficile, pour les
historiens qui travaillent sur des sources orales, de trouver le juste équilibre entre
empathie et distanciation, reconnaissance des singularités et mise en perspective
générale.
Séparations

Histoire et mémoire ne forment un couple antinomique que depuis le début du


XXe siècle, lorsque les paradigmes de l’historicisme classique sont entrés en
crise, remis en cause simultanément par la philosophie (Bergson), la
psychanalyse (Freud) et la sociologie (Halbwachs). Jusqu’alors, la mémoire était
considérée comme le substrat subjectif de l’histoire. Pour Hegel, l’histoire
(Geschichte) possède deux dimensions complémentaires, l’une objective et
l’autre subjective : d’un côté les événements (res gestae), de l’autre leur
narration (historia rerum gestarum) ; autrement dit, les « faits » et leur « récit
historique »34. La mémoire accompagne le déroulement de l’histoire comme une
sorte de protectrice, puisqu’elle en constitue le « fondement intérieur », et les
deux trouvent leur accomplissement dans l’État, dont l’histoire écrite (« la prose
de l’Histoire »35) reflète, comme un miroir, la rationalité intrinsèque. Hegel
présente cette maîtrise étatique du passé sous la forme allégorique du conflit
entre Cronos, le dieu du temps, et Zeus, le dieu politique. Cronos tue ses propres
enfants. Il engloutit tout sur son passage, ne laissant pas de traces derrière lui.
Mais Zeus parvient à dominer Chronos, car il a créé l’État, capable de
transformer en histoire tout ce que Mnémosyne, la déesse de la mémoire, a pu
ramasser après le passage ravageur du temps. Dans la Phénoménologie de
l’Esprit, la mémoire définit l’historicité de l’Esprit (Geist), qui se manifeste à la
fois comme « souvenir » (Erinnerung) et comme mouvement
d’« intériorisation » (Er-Innerung), tandis que l’État en constitue l’expression
extérieure36. Pour Hegel, seuls les peuples étatiques, dotés d’une histoire écrite,
possèdent une mémoire. Les autres – les « peuples sans histoire » (geschichtlose
Völker), c’est-à-dire le monde non européen dépourvu d’un passé étatique et de
son récit codifié par l’écriture – ne peuvent pas dépasser le stade d’une mémoire
primitive, faite d’« images » mais incapable de se condenser en conscience
historique37. Il en découle une double vision de l’histoire comme prérogative
occidentale et comme dispositif de domination. Non seulement elle n’appartient
qu’à l’Europe, mais elle ne peut exister que comme récit apologétique du
pouvoir38, ce que Benjamin dénonçait comme l’empathie historiciste avec les
vainqueurs39.
Or, suite à la crise de l’historicisme, à la remise en cause du paradigme
eurocentriste à l’époque de la décolonisation, puis à l’émergence des classes
subalternes comme sujets politiques, histoire et mémoire se sont dissociées.
L’histoire s’est démocratisée, en brisant les frontières de l’Occident et le
monopole des élites dominantes ; la mémoire, quant à elle, s’est émancipée de sa
dépendance exclusive vis-à-vis de l’écrit. La relation entre histoire et mémoire
s’est reconfigurée comme une tension dynamique. La transition n’a été ni
linéaire ni rapide et, d’une certaine façon, elle n’est toujours pas achevée. Depuis
une trentaine d’années, les historiens ont élargi leurs sources, mais ils continuent
de privilégier les archives, qui demeurent le dépôt des vestiges d’un passé
conservé par l’État. Il n’y a pas très longtemps que les « subalternes » sont
reconnus comme des sujets d’histoire et sont devenus des objets d’étude, et cela
fait encore moins longtemps qu’on essaie d’écouter leurs voix. En 1963 encore,
François Furet ne pensait pouvoir intégrer les classes subalternes dans l’histoire
que sur le plan quantitatif, en les prenant en considération seulement sous le
signe du « nombre et de l’anonymat », comme des éléments « perdus dans
l’étude démographique ou sociologique », c’est-à-dire comme des entités
condamnées à rester « silencieuses »40. Au fond, pour cet admirateur de
Tocqueville, les classes laborieuses demeuraient toujours des « peuples sans
histoire ». La mutation s’opère précisément au cours des années 1960. Le
premier grand ouvrage d’histoire sociale des classes subalternes, The Making of
the English Working Class d’Edward P. Thompson, date de 1963 ; l’Histoire de
la folie à l’âge classique de Foucault date de 1964 ; et le début de la micro-
histoire, Il formaggio e i vermi de Carlo Ginzburg, qui reconstruit l’univers d’un
meunier du Frioul au XVIe siècle, date de 197641. De même, pour
l’historiographie, les femmes n’ont une histoire que depuis une trentaine
d’années42. Auparavant, elles en étaient exclues, au même titre que les « peuples
sans histoire » de Hegel. Les Subaltern Studies, quant à elles, sont nées en Inde
au début des années 1980. Leur but est de réécrire l’histoire non plus comme
« l’œuvre de l’Angleterre en Inde », ni comme celle des élites indiennes formées
sous la domination coloniale, mais comme histoire des « subalternes », le peuple
dont il s’agit d’écouter la « petite voix » (small voice) que la « prose de la
contre-insurrection » déposée dans les archives d’État ne peut pas nous restituer,
parce que sa tâche consiste exactement à la submerger43. C’est dans ce contexte
d’élargissement des sources de l’histoire et de remise en cause de ses hiérarchies
traditionnelles que s’inscrit l’émergence de la mémoire comme nouveau chantier
dans l’écriture du passé.

Le premier à codifier la dichotomie entre les fluctuations émotionnelles du


souvenir et les constructions géométriques du récit historique a été Maurice
Halbwachs, dans son ouvrage désormais classique sur la mémoire collective. Il y
dénonçait le caractère contradictoire de l’expression « mémoire historique »,
unissant deux éléments à ses yeux opposés. Pour Halbwachs, l’histoire
commence là où s’achève la tradition et « se décompose la mémoire sociale »44,
les deux étant séparées par une solution de continuité irréductible. L’histoire
suppose un regard extérieur sur les événements du passé tandis que la mémoire
implique une relation d’intériorité avec les faits relatés. La mémoire perpétue le
passé dans le présent, tandis que l’histoire fixe le passé dans un ordre temporel
clos, révolu, organisé selon des procédés rationnels aux antipodes de la
sensibilité subjective du vécu. La mémoire traverse les époques tandis que
l’histoire les sépare. Finalement, Halbwachs oppose la multiplicité des
mémoires – liée aux individus et aux groupes qui les portent et toujours élaborée
à l’intérieur de cadres sociaux donnés45 – au caractère unitaire de l’histoire, qui
se décline en histoires nationales ou en histoire universelle, mais exclut la
coexistence dans un même récit de plusieurs régimes temporels46. Bref,
Halbwachs oppose une histoire positiviste – l’étude scientifique du passé, sans
interférences avec le présent – à une mémoire subjective basée sur le vécu des
individus et des groupes. Radicalisant la perspective, il compare le clivage
séparant histoire et mémoire à celui qui oppose le temps mathématique au
« temps vécu » de Bergson47. L’histoire, indique-t-il, ignore les perceptions
subjectives du passé en privilégiant des découpages conventionnels,
impersonnels, rationnels et objectifs (il donne en exemple la Chronologie
universelle de Dreyss parue à Paris en 1858)48.
Cette dichotomie a été reprise, plus récemment, par Yosef Hayim Yerushalmi
qui, en sa qualité d’historien, se présente comme un parvenu au sein du monde
juif. Dans une communauté soudée par la religion, l’image du passé s’est forgée
au fil des siècles grâce à une mémoire ritualisée qui fixait les modalités et les
rythmes d’une temporalité juive séparée du monde extérieur. Par conséquent,
l’historiographie juive naît d’une rupture avec la mémoire juive, la seule qui
auparavant avait assuré une continuité, en termes d’identité et
d’autoreprésentation, au sein du monde juif. Cette rupture a été marquée par
l’Émancipation, qui a engendré un processus d’assimilation culturelle avec le
milieu environnant et, à l’intérieur de la communauté, l’effondrement de
l’ancienne organisation sociale centrée sur la synagogue. S’inscrivant dans un
monde sécularisé et adoptant les scansions temporelles de l’histoire profane,
l’histoire juive – dont l’école de la Wissenschaft des Judentums, née à Berlin au
début du XIXe siècle, a marqué le début – ne pouvait qu’opérer une rupture, par
ses modalités, ses sources et ses buts, avec la mémoire juive49.
L’antinomie entre histoire et mémoire a été réaffirmée par Pierre Nora, auquel
on doit le renouveau, à partir des années 1980, du débat historiographique sur la
mémoire. Il a repris à son compte la thèse de Halbwachs tout en présentant une
vision bien plus problématique des procédés d’écriture de l’histoire. Mémoire et
histoire, explique Nora, sont loin d’être des synonymes, car « tout les oppose ».
La mémoire est « la vie », ce qui l’expose « à la dialectique du souvenir et de
l’amnésie, inconsciente de ses déformations successives, vulnérable à toutes les
utilisations et manipulations, susceptible de longues latences et de soudaines
revitalisations ». Or, ce « lien vécu au présent éternel » ne peut pas être assimilé
à l’histoire, représentation du passé qui, bien que problématique et toujours
incomplète, se veut objective et rétrospective, fondée sur la distance. La
mémoire est « affective et magique », portée à sacraliser les souvenirs, tandis
que l’histoire est une vision séculière du passé, sur lequel elle bâtit « un discours
critique ». La mémoire a une vocation singulière, liée à la subjectivité des
individus et des groupes, l’histoire a une vocation universelle. « La mémoire est
un absolu et l’histoire ne connaît que le relatif. »50 À partir de ce constat, Nora
ne peut concevoir qu’une seule relation entre histoire et mémoire, celle d’une
analyse et d’une reconstruction de la mémoire selon les méthodes des sciences
sociales, dont fait partie l’histoire. Dans cette perspective, il a ouvert un chantier
historiographique extrêmement ambitieux : rebâtir l’histoire nationale autour des
« lieux de mémoire », du territoire aux paysages, des symboles aux monuments,
des commémorations aux archives, des emblèmes aux mythes, de la gastronomie
aux institutions, de Jeanne d’Arc à la Tour Eiffel.
Mais loin d’être le lot exclusif de la mémoire, les risques de sacralisation,
mythification et amnésie guettent en permanence l’écriture de l’histoire elle-
même, et une large partie de l’historiographie moderne et contemporaine est
tombée dans ce piège. L’entreprise de Nora n’échappe pas à cette règle, en
faisant par exemple une place bien modeste au passé de la France coloniale
parmi sa multitude de « lieux de mémoire ». Selon Perry Anderson, le plus
sévère de ses critiques, l’entreprise éditoriale de Nora réduit les guerres
coloniales françaises, de la conquête de l’Algérie à la défaite en Indochine, « à
une exposition de babioles exotiques qui auraient pu être présentées à
l’Exposition universelle de 1931. Que valent des lieux de mémoire qui oublient
d’inclure Diên Biên Phû ? »51
Non seulement l’histoire a ses trous, au même titre que la mémoire, mais elle
peut aussi prendre son essor et trouver sa raison d’être dans l’effacement
d’autres histoires, dans la négation d’autres mémoires. Comme le remarque
Edward Said, l’archéologie israélienne, qui vise à ramener à la lumière les traces
millénaires du passé juif de Palestine (certains y ont vu une « archéologie-
religion nationale »), a creusé le sol avec le même acharnement que les
bulldozers détruisant les traces matérielles du passé arabopalestinien52.
D’autre part, il faudrait prendre en compte l’influence de l’histoire sur la
mémoire elle-même, car il n’y a pas de mémoire littérale, originaire et non
contaminée : les souvenirs sont constamment élaborés par une mémoire inscrite
au sein de l’espace public, soumis aux modes de penser collectifs mais aussi
influencés par les paradigmes savants de la représentation du passé. Cela a
donné lieu à des hybrides – certaines autobiographies rentrent dans cette
catégorie – qui permettent à la mémoire de revisiter l’histoire en soulignant ses
points aveugles et ses généralisations hâtives, et à l’histoire de corriger les
pièges de la mémoire en l’obligeant à se transformer en analyse autoréflexive et
en discours critique. Un ouvrage comme Les Naufragés et les rescapés de Primo
Levi53 articule histoire et mémoire dans un récit de type nouveau, inclassable,
fondé sur un aller-retour permanent entre les deux. Pierre Vidal-Naquet, dans
son autobiographie, relate ses souvenirs avec la rigueur de l’historien qui vérifie
ses sources et soumet sa mémoire au test de l’administration des preuves, tout en
lui donnant la forme d’un bilan rétrospectif, souvent critique. Il ne s’agit pas
seulement de son récit, précise-t-il dans l’avant-propos, parce qu’il prend en
compte la correspondance de ses parents, le journal de son père et celui que sa
sœur commença à tenir après l’arrestation et la déportation de ses parents, mais
aussi et surtout parce qu’il s’appuie sur sa connaissance de toute une période
historique. « C’est dans ce sens – écrit-il – qu’il est un livre d’histoire autant que
de mémoire, un livre d’histoire dont je suis à la fois l’auteur et l’objet. »54 Ces
deux exemples ne rentrent pas dans la dichotomie établie par Halbwachs,
Yerushalmi et Nora car ils appartiennent en même temps au registre de la
mémoire et à celui de l’histoire.
Empathie

La même opposition entre histoire et mémoire est présente avec force dans
l’historiographie du national-socialisme, comme l’a montré très clairement, au
milieu des années 1980, la correspondance entre deux grands historiens, Martin
Broszat et Saul Friedländer55. En argumentant son plaidoyer pour une
historicisation du nazisme capable de briser la tendance persistante à
« insulariser » la période 1933-1945 pour des raisons morales, Broszat
revendiquait une méthode scientifique capable de s’affranchir du « souvenir
mythique » des victimes56. La mémoire des rescapés du génocide des juifs
suscite évidemment son respect, mais devrait rester exclue des sources de
l’historien et ne pas interférer avec son travail. Face au positivisme radical d’une
telle approche, on se demande si elle ne cache pas la part de mémoire vécue et
affective présente dans l’historiographie allemande de l’après-guerre, notamment
l’historiographie du nazisme élaborée par la « génération de la Hitlerjugend »57.
Au-delà du jugement que l’on peut porter sur ses résultats – souvent
remarquables – un constat s’impose : une caractéristique partagée par la plupart
de ses représentants réside précisément dans l’exclusion des victimes du nazisme
de son champ d’investigation, pour ne pas dire de son horizon épistémologique.
Cette caractéristique s’est par ailleurs perpétuée dans les travaux d’une nouvelle
génération, souvent centrés sur l’analyse de la machine meurtrière du nazisme,
mais qui s’intéressent rarement aux témoignages des victimes. Dans cette
historiographie, les victimes restent à l’arrière-plan, anonymes et silencieuses58.
Ce problème pourrait aussi être abordé à partir d’une autre perspective. Le
refoulement des années noires au sein de l’Allemagne d’après-guerre –
refoulement de la Schuldfrage et des crimes nazis – n’a-t-il pas eu, parmi ses
effets, celui de transformer en une sorte de tabou les bombardements qui ont
détruit les villes allemandes, thème qui a été ignoré jusqu’à une époque récente
aussi bien par la littérature, le cinéma et l’historiographie ? C’est l’hypothèse
suggérée par W.G. Sebald, pour qui l’absence de tout débat public et d’œuvres
littéraires sur ce traumatisme collectif tient au fait « qu’un peuple qui avait
assassiné et exploité jusqu’à la mort des millions d’hommes était dans
l’impossibilité d’exiger des puissances victorieuses qu’elles rendent des comptes
sur la logique d’une politique militaire ayant dicté l’éradication des villes
allemandes »59.
Opposer radicalement histoire et mémoire est donc une opération périlleuse et
discutable. Les travaux de Halbwachs, Yerushalmi et Nora ont contribué à
mettre en lumière les différences profondes qui existent entre histoire et
mémoire, mais il serait faux d’en déduire leur incompatibilité ou de les
considérer comme irréductibles. Leur interaction crée plutôt un champ de
tensions à l’intérieur duquel s’écrit l’histoire. Amos Funkenstein a sans doute
raison d’indiquer, au point de rencontre entre histoire et mémoire, l’émergence
d’une troisième instance qu’il appelle conscience historique60.
La correspondance avec Broszat a été par ailleurs le point de départ pour Saul
Friedländer d’une réflexion féconde sur les conditions d’écriture de l’histoire. Si
l’historien ne travaille pas enfermé dans la classique tour d’ivoire, à l’abri des
rumeurs du monde, il ne vit pas non plus dans une chambre réfrigérée, à l’abri
des passions du monde. Il subit les conditionnements d’un contexte social,
culturel et national. Il n’échappe pas aux influences de ses souvenirs personnels
ni à celles d’un savoir hérité, dont il peut essayer de s’affranchir non pas en les
niant, mais par un effort de distanciation critique. Dans cette perspective, sa
tâche ne consiste pas à tenter d’évacuer la mémoire – personnelle, individuelle et
collective –, mais à la mettre à distance et à l’inscrire dans un ensemble
historique plus vaste. Il y a donc, dans le travail de l’historien, une partie de
transfert qui oriente le choix, l’approche et le traitement de son objet de
recherche, et dont il doit être conscient. Friedländer définit ainsi l’écriture de
l’histoire, par un emprunt au lexique de la psychanalyse, comme un acte de
« perlaboration » (working through). La distance chronologique qui sépare
l’historien de l’objet de sa recherche crée une sorte d’écran protecteur, mais
l’émotion qui, souvent de façon imprévue et soudaine, resurgit au cours de son
travail ne peut que briser ce diaphragme temporel61. Cette empathie liée au vécu
individuel de l’historien n’a pas forcément des effets négatifs. Elle peut aussi se
révéler fructueuse, à condition que l’historien en soit conscient et sache la
« maîtriser »62.
L’œuvre de Friedländer constitue un bon exemple d’une telle maîtrise. Dans
Nazi Germany and the Jews, il a inscrit une constellation de « destins
individuels » dans un récit historique global de l’Allemagne d’avant la Seconde
Guerre mondiale. Il a ainsi été capable de dépasser le clivage traditionnel des
études du nazisme : d’un côté les recherches, menées essentiellement dans les
archives, qui focalisent l’attention sur l’idéologie et les structures du régime ; de
l’autre, une reconstruction du passé exclusivement fondée sur la mémoire des
victimes, tantôt déposée dans une vaste littérature de témoignage, tantôt
conservée dans des archives visuelles ou sonores. Friedländer a essayé d’intégrer
ces deux perspectives afin de parvenir à une reconstruction globale du processus
historique, en introduisant la voix des victimes dans une narration qui se
réduirait autrement à l’analyse des décisions politiques et des décrets
administratifs63.
En dépit de leur posture positiviste, les historiens allemands de la génération
de la Hitlerjugend, c’est-à-dire ceux qui sont nés entre 1925 et le début des
années 1930 (Martin Broszat, Hans Mommsen, Andreas Hillgruber, Ernst Nolte,
Hans-Ulrich Wehler, etc.), tendent eux aussi à ressentir une empathie avec les
acteurs du passé qui implique des souvenirs personnels. Les recherches sur
l’histoire de la vie quotidienne sous le nazisme (Alltagsgeschichte) brossent,
dans la plupart des cas, un tableau social dans lequel les victimes disparaissent
tout simplement64. D’autres n’ont pas échappé aux pièges du récit apologétique.
Pour Andreas Hillgruber, jeune soldat de la Wehrmacht en 1945, en décrivant la
dernière année de la Seconde Guerre mondiale, l’historien « doit s’identifier au
destin de la population allemande de l’Est et aux efforts désespérés et coûteux de
l’Ostheer […] qui visaient à défendre cette population contre la vengeance de
l’Armée rouge, les viols collectifs, les assassinats arbitraires et les innombrables
déportations, et à maintenir ouvertes les routes terrestres et maritimes permettant
aux Allemands des territoires orientaux de fuir vers l’Ouest… »65. Or, comme le
lui a rappelé Habermas, lors de cette dernière année de guerre, la résistance
acharnée de la Wehrmacht était aussi la condition pour la poursuite des
déportations vers les camps nazis, où les chambres à gaz continuaient de
fonctionner.

Traditionnellement, l’historiographie ne se présentait pas sous la forme d’un


récit polyphonique pour la simple raison que les classes subalternes en étaient
exclues, avec le résultat de réduire la narration du passé au récit des vainqueurs.
C’est l’historicisme que dénonçait Benjamin dans ses Thèses sur le concept
d’histoire, où il en saisissait la méthode dans une empathie unilatérale avec les
vainqueurs66. À vrai dire, cette « empathie » – l’Einfühlung de l’historicisme
classique – n’est pas toujours synonyme d’apologie. Certains la récusent, comme
Ian Kershaw dans sa biographie de Hitler, qu’il présente comme le travail d’un
historien « structuraliste »67. Son choix est motivé aussi bien par l’inconsistance
de la vie privée du Führer, qui réduirait toute empathie à une adhésion à ses
desseins politiques, que par son souci de distinguer sa biographie de celle, plus
ancienne, de Joachim Fest. Fasciné par la « grandeur démoniaque » de Hitler,
Fest n’a pas pu s’empêcher, sans en avoir l’intention, de l’inscrire « en bonne
place dans le panthéon des héros allemands »68. D’autres ont adopté une attitude
d’empathie critique – source d’ébranlement beaucoup plus que d’identification
(on pourrait parler davantage de rapprochement « hétéropathique » que
d’empathie)69 – qui aide à « comprendre » les comportements des acteurs de
l’histoire sans pour autant les justifier. C’est l’effort accompli par Hannah
Arendt pour pénétrer dans l’univers mental du SS Adolf Eichmann, effort qui ne
fut pas compris et qui ne lui fut pas pardonné lors de la publication de son essai
sur la « banalité du mal »70. C’est aussi le travail micro-historique de
Christopher Browning, qui a essayé de comprendre par quels biais et par quelles
étapes des « hommes ordinaires » comme les membres du 101e bataillon de
réserve de la police allemande en Pologne, en 1941, purent se transformer en
équipe de professionnels du massacre71.
Les dérives d’une empathie à sens unique, dépourvue de distance critique par
rapport à son objet, sont d’autant plus fréquentes que la polyphonie des acteurs
devient inaudible, que l’on n’entend qu’une seule voix, sans interaction entre
mémoires antagonistes dans l’espace public. Si en Algérie l’indépendance a
rapidement donné lieu à une histoire officielle de la guerre de libération, en
France, l’oubli ne pouvait pas s’éterniser. Il devait, tôt ou tard, laisser la place à
une écriture de l’histoire nourrie de la multiplicité des mémoires. La mémoire de
la France coloniale, celle des pieds-noirs, des harkis, des immigrés algériens et
de leurs enfants, et aussi celle du mouvement national algérien dont plusieurs
représentants portent aujourd’hui l’héritage en exil, s’enchevêtrent dans une
mémoire de la guerre d’Algérie qui empêche une écriture de l’histoire fondée sur
une empathie unilatérale, exclusive. L’écriture de cette histoire ne peut se faire
que sous les yeux vigilants et critiques de plusieurs mémoires parallèles,
s’exprimant dans l’espace public. Cette interaction de mémoires a même obligé
les tortionnaires à sortir de leur silence, à livrer leur version du passé72. Bref,
histoire et mémoire interagissent ici, pour reprendre une expression fort
pertinente de David N. Myers, comme des « catégories fluctuantes au sein d’un
champ dynamique »73.
Au-delà des Alpes, le paysage mémoriel et historiographique est fort différent.
George L. Mosse, l’un des plus féconds historiens du fascisme de l’après-guerre,
avait fait peu avant sa mort l’éloge de son collègue italien Renzo De Felice, bien
connu pour sa monumentale biographie de Mussolini. Le principal mérite de De
Felice, selon Mosse, tenait précisément à son empathie avec le fondateur du
fascisme, au fait qu’il avait « essayé de procéder de l’intérieur, en imaginant
comment Mussolini lui-même concevait ses agissements »74. Dans son
autobiographie, Mosse raconte, à titre d’anecdote, un épisode de son adolescence
où il côtoya le dictateur italien. En 1936, il se trouvait à Florence avec sa mère.
L’Axe entre l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie venait juste d’être établi. Il
jetait le trouble parmi les réfugiés juifs allemands dans la péninsule, qui
craignaient d’être remis aux autorités nazies (menace qui se concrétisera par une
expulsion massive en 1938, avec la promulgation des lois raciales). La mère du
jeune Mosse décida alors d’écrire à Mussolini pour lui demander sa protection,
après lui avoir rappelé l’aide financière que son époux, puissant éditeur berlinois
sous la république de Weimar, lui avait fourni avant son arrivée au pouvoir. Le
petit coup de fil que le Duce passa à sa mère pour la rassurer jette la lumière,
selon George L. Mosse, sur « le caractère de Mussolini, tout au moins sur son
sens de la gratitude »75. À la différence de Mosse, De Felice n’avait pas
d’anecdotes personnelles à raconter sur le compte du dictateur italien, mais il a
essayé d’en appréhender la personnalité dans les différents volumes de sa
biographie, énorme travail écrit avec une Einfühlung toujours croissante au fil
des années. Peu avant sa mort, De Felice a publié un ouvrage fort controversé,
Rosso e Nero, dans lequel il interprète la dernière étape de l’itinéraire de
Mussolini, son rôle dans la guerre civile italienne des années 1943-1945. Selon
lui, « Mussolini, que cela nous plaise ou non, accepta le projet de Hitler par
motivation patriotique : ce fut un véritable “sacrifice” sur l’autel de la défense de
la patrie »76. Les historiens français sont familiers de cette thèse, autrefois
défendue par Robert Aron qui présentait le régime de Vichy comme un
« bouclier » protecteur contre les affres d’une occupation totale du pays77 (en
évitant ainsi un destin comparable à celui de la Pologne).
Les historiens du colonialisme fasciste ont porté à la lumière des documents
que les recherches d’archives fort étendues de De Felice avaient ignorés. Le
dictateur italien y montre un autre aspect de son caractère, et ils donnent une
autre coloration tant à son sens de la gratitude qu’à son esprit de sacrifice. Le 8
juillet 1936, Mussolini télégraphiait à Rodolfo Graziani, l’un des principaux
responsables militaires lors de la guerre d’Éthiopie, une directive dans laquelle il
l’autorisait « encore une fois […] à mener systématiquement la politique de la
terreur et de l’extermination contre les rebelles et les populations complices »78.
Avec un remarquable dévouement patriotique, Graziani n’hésita pas à utiliser les
armes chimiques pour venir à bout de la résistance éthiopienne et c’est avec
gratitude que Mussolini reconnut ses mérites, jusqu’à le nommer ministre de la
Défense de la république de Salò, à l’automne 1943.
C’est par le dépouillement d’une multitude de documents de ce genre que
quelques chercheurs italiens ont pu reconstituer l’histoire du génocide fasciste en
Éthiopie, en 1935-1936. Mais la reconnaissance de ce génocide reste un acquis
(somme toute récent) exclusivement historiographique. Elle n’a jamais vraiment
pénétré la mémoire collective des Italiens pour qui, dans l’ensemble, le souvenir
de la guerre d’Éthiopie demeure celui d’une aventure naïve et innocente, bien
résumée par les paroles d’une célèbre chanson de l’époque que chacun connaît,
Faccetta nera, concentré de stéréotypes de l’imaginaire colonial. Un ensemble
de circonstances historiques (les crises, guerres et dictatures connues par
l’Éthiopie jusqu’à présent, ainsi que l’exiguïté de l’immigration éthiopienne en
Italie, qui ne fut jamais le lieu de formation d’une élite intellectuelle et politique
africaine) ont empêché la voix des victimes de ce génocide de trouver une place
dans le récit italien de cette guerre. En dépit de ses efforts, l’historiographie ne
pourra pas combler les trous d’une mémoire mutilée. Dans le meilleur des cas,
elle deviendra, comme en Allemagne, une histoire dans laquelle il y aura « des
crimes sans victimes », ou des victimes complètement anonymes, sans identité et
sans visage. Nous ne connaissons pas le récit de la guerre par les camarades de
Haïlou Tchebbedé, un des chefs de la résistance éthiopienne ; nous ne
connaissons de lui que les photos de sa tête exhibée comme un trophée par des
soldats italiens79. Il faut espérer que les études post-coloniales parviennent
bientôt à briser cette dialectique asphyxiée entre histoire et mémoire.

Dans son dernier ouvrage, History. The last Things before the last, Siegfried
Kracauer utilise deux métaphores pour définir l’historien. La première, celle du
juif errant, vise l’historiographie positiviste. Comme « Funes el memorioso », le
héros de la célèbre nouvelle de Borges, Ahasvérus, qui a traversé les continents
et les époques, ne peut rien oublier et reste condamné à se déplacer sans cesse,
chargé de son fardeau de souvenirs, mémoire vivante du passé dont il est le
gardien malheureux. Objet de compassion, il n’incarne aucune sagesse, aucune
mémoire vertueuse et éducatrice, mais seulement un temps chronologique
homogène et vide80. La seconde métaphore, celle de l’exilé – on pourrait dire
aussi de l’étranger, selon la définition de Georg Simmel –, fait de l’historien une
figure de l’extraterritorialité. À l’instar de l’exilé, déchiré entre deux pays, sa
patrie et sa terre d’adoption, l’historien est clivé entre le passé qu’il explore et le
présent dans lequel il vit. Il est ainsi obligé d’acquérir un statut
« extraterritorial », en équilibre entre le passé et le présent81. Comme l’exilé qui
est toujours un outsider dans le pays d’accueil, l’historien opère une intrusion
dans le passé. Mais, de même que l’exilé peut se familiariser avec le pays
d’accueil et porter sur sa vie un regard critique à la fois intérieur et extérieur, fait
simultanément d’adhésion et de distanciation, l’historien – ce n’est pas la norme,
c’est une virtualité – peut connaître en profondeur une époque révolue et en
reconstituer les traits avec une plus grande clarté que les contemporains grâce à
son regard rétrospectif. Son art consiste à réduire au maximum les handicaps qui
tiennent à la distance et à tirer le plus grand profit des avantages
épistémologiques qui en découlent.
En tant que « passeur » (Grenzgänger) extraterritorial, l’historien est
redevable de la mémoire, mais il agit à son tour sur cette dernière, puisqu’il
contribue à la former et à l’orienter. Précisément parce qu’au lieu de vivre
enfermé dans une tour il participe à la vie de la société civile, l’historien
contribue à la formation d’une conscience historique, donc d’une mémoire
collective (plurielle et inévitablement conflictuelle, traversant l’ensemble du
corps social). Autrement dit, son travail contribue à forger ce que Habermas
appelle un « usage public de l’histoire »82. Il s’agit d’un constat qui n’a pas
besoin d’être souligné : les débats allemands, italiens, espagnols autour du passé
fasciste, les débats français autour du passé vichyste et colonial, les débats
argentins et chiliens autour du legs des dictatures militaires, les débats européens
et américains autour de l’esclavage – la liste serait inépuisable –, dépassent
largement les frontières de la recherche historique. Ils envahissent la sphère
publique et interpellent notre présent.
Le livre de Ludmila da Silva Catela, No habrá flores en la tumba del pasado,
consacré au souvenir des victimes de la dictature militaire argentine, est un bon
exemple de recherche historique qui fait de la mémoire son objet tout en
s’inscrivant dans un contexte sensible où, inévitablement, il participe d’un usage
public de l’histoire83. Il s’agit d’abord d’histoire orale, car l’auteur a mené une
enquête auprès des familiers (parents, enfants, frères et sœurs) des disparus de
La Plata, ville où la répression militaire a été particulièrement virulente et
étendue. C’est le récit de leur peur, de leur espoir, de leur attente, de leur colère,
de leur courage, de leur besoin d’agir, de leur soulagement après chaque petite
action publique. Il s’agit, ensuite, d’histoire politique : comment ils ont
commencé à s’organiser, comment ils ont trouvé la force d’agir publiquement,
d’inventer des formes de lutte (de dénonciation, de contre-information) et des
symboles (le pañuelo, etc.). Comment ces actions répondaient à un impératif
moral, à un besoin personnel, et comment elles ont donné lieu à un mouvement
politique avec un fort impact sur l’ensemble de la société civile. Comment des
mères et parfois des grand-mères qui étaient des femmes au foyer sont devenues
les dirigeantes d’un mouvement de la société civile contre la dictature militaire.
À côté de l’histoire orale et de l’histoire politique, il y a l’anthropologie et la
psychologie : une étude sur la souffrance et sur l’impossibilité du deuil liées à la
disparition. Les familiers savent que les disparus sont morts mais ne peuvent pas
les considérer comme tels puisque leurs corps n’ont jamais été retrouvés, d’où
les spécificités, voire la créativité d’une remémoration qui accompagne ce deuil
à la fois inépuisable et impossible (les défilés des Madres, l’apparition des
pañuelos, les photos des disparus dans la presse, le « harcèlement » des autorités,
l’ouverture des archives, les procès, la recherche des corps des victimes, les
« escraches », c’est-à-dire les dénonciations publiques, devant les maisons des
tortionnaires, etc.). Une remémoration profondément ancrée dans le présent,
comme le prouvent les madres et les hijos qui soutiennent les piquets des
chômeurs, car la lutte des piqueteros pour la « dignité humaine » est la même
que celle de leurs fils et de leurs parents tués par la dictature. Tel est ce livre
d’histoire fondé sur une empathie critique qui redonne un visage et une voix à
ceux que la dictature militaire avait voulu effacer sans laisser de traces, tout en
explorant leur mémoire, au travers de leurs familiers, dans l’Argentine
d’aujourd’hui.
II. Le temps et la force

Temps historique et temps de la mémoire

L’histoire et la mémoire ont leurs propres temporalités qui se croisent, se


télescopent et s’enchevêtrent constamment sans pour autant coïncider. La
mémoire est porteuse d’une temporalité qui tend à remettre en cause le
continuum de l’histoire. Walter Benjamin nous en donne une illustration dans ses
Thèses sur le concept d’histoire. Dans la XVe, il évoque un épisode curieux de la
révolution de juillet 1830 : au soir, après les combats, dans plusieurs endroits de
Paris, simultanément, des gens tiraient sur les horloges, comme s’ils voulaient
arrêter le jour84. La temporalité de la révolution – la Révolution française avait
introduit un nouveau calendrier – n’est pas celle, mécanique et vide, des
horloges, mais plutôt, précisait Benjamin, celle de la « souvenance », celle de la
révolution comme acte rédempteur de la mémoire des vaincus. Dans ses
commentaires sur les thèses de Benjamin, Michael Löwy montre une autre
image étonnement homologue à celle des insurgés de 1830. C’est une photo
datée d’avril 2000, où figurent des indigènes tirant sur l’horloge des
commémorations officielles du cinquième centenaire de la découverte du
Brésil85. La mémoire des opprimés ne se prive pas de protester contre le temps
linéaire de l’histoire. Elle suppose, selon Benjamin, « un présent qui n’est point
passage, mais arrêt et blocage du temps »86.
Pour prendre son essor, l’historiographie exige une mise à distance, une
séparation, voire une rupture avec le passé, tout au moins dans la conscience des
contemporains. Cela constitue une prémisse essentielle pour procéder à une
historicisation, c’est-à-dire à une mise en perspective historique du passé. Cette
distance s’installe davantage grâce à des fractures symboliques (par exemple, en
Europe, 1914, 1917, 1933, 1945, 1968, 1989, etc.) qu’en vertu d’un simple
éloignement temporel. À cette distance engendrée par une rupture correspond
normalement l’accumulation de certaines prémisses matérielles de la recherche,
dont, en premier lieu, la constitution et l’ouverture d’archives privées et
publiques. Mais cette condition est secondaire et dérivée. L’Âge des extrêmes
d’Eric J. Hobsbawm ou l’ouvrage collectif Le Siècle des communismes ne
pouvaient pas voir le jour avant la chute du mur de Berlin et l’effondrement de
l’URSS87. Un travail de pionnier comme Le Bréviaire de la haine de Léon
Poliakov (1951) supposait non seulement la fin de la guerre et la chute du
nazisme, mais aussi la possibilité de consulter les archives qui avaient permis
d’instruire le procès de Nuremberg88. Enfin, pour écrire un livre d’histoire qui ne
soit pas seulement un travail isolé d’érudition, il faut aussi une demande sociale,
publique, ce qui renvoie à l’intersection de la recherche historique avec les
parcours de la mémoire collective. C’est pourquoi La Destruction des juifs
d’Europe de Raul Hilberg n’eut qu’un très faible impact au moment de sa
première édition en 1960 et devint en revanche un ouvrage de référence à partir
des années 198089.
La mémoire, quant à elle, a tendance à traverser plusieurs étapes que l’on
pourrait, en reprenant le modèle proposé par Henry Rousso dans Le Syndrome de
Vichy, décrire de la manière suivante : d’abord un événement marquant, un
tournant, souvent un traumatisme ; puis une phase de refoulement qui sera tôt ou
tard suivie par une inévitable « anamnèse » (le « retour du refoulé ») et qui peut
parfois virer à l’obsession mémorielle90. Dans le cas du régime de Vichy, ce
schéma correspond à la fin de la guerre et à la Libération, au refoulement des
années 1950 et 1960, à l’anamnèse à partir des années 1970, enfin à l’obsession
actuelle. Dans le cas allemand : la Schuldfrage de Jaspers en 1945, le
refoulement de l’ère Adenauer, l’anamnèse à partir de 1968, enfin une obsession
du passé qui a atteint son point d’orgue avec le Historikerstreit, l’affaire
Goldhagen, la polémique Bubis-Walser et l’exposition sur les crimes de la
Wehrmacht de l’Institut für Sozialforschung de Hambourg.
Pendant la phase de refoulement, la revendication du « droit de mémoire »
prend une coloration critique, sinon l’aspect d’une révolte éthico-politique contre
le silence complice. Lorsque le gouvernement d’Adenauer inclut parmi ses
ministres des anciens nazis, dont Hans Globke, l’un des auteurs des lois de
Nuremberg, Adorno considère l’expression alors à la mode, « surmonter le
passé » (Vergangenheit Bewältigung), comme une mystification visant à
« tourner définitivement la page et si possible l’effacer de la mémoire même ».
Parler de « réconciliation » signifie alors réhabiliter les coupables, à une époque
où « la survie du nazisme dans la démocratie présente plus de dangers potentiels
que la survie des tendances fascistes dirigées contre la démocratie »91. Jean
Améry revendique son « ressentiment », lorsque « le temps a fait son œuvre, en
toute quiétude », et « la génération des exterminateurs » vieillit paisiblement,
entourée du respect général. Dans un tel contexte, conclut-il, c’est lui qui « traîne
le fardeau de la faute collective », pas eux, « le monde qui pardonne et
oublie »92. Au contraire, pendant la phase de l’obsession, comme celle que nous
traversons aujourd’hui, le « devoir de mémoire » a tendance à devenir une
formule rhétorique et conformiste.
L’historiographie a suivi, grosso modo, le parcours de la mémoire. Il ne serait
pas difficile de montrer que la production historique sur Vichy et sur le nazisme
a connu un essor au moment de l’anamnèse et atteint un pic dans la phase de
l’obsession. Elle a été alimentée par ces étapes et, à son tour, a contribué à les
façonner. Il suffit de penser à l’Allemagne fédérale qui domine aujourd’hui dans
la recherche sur le génocide des juifs, alors que, dans les années 1950, les
travaux pionniers de Joseph Wulf et Léon Poliakov étaient rejetés comme « non
scientifiques »93. Mais cette correspondance n’est pas linéaire : les temporalités
historique et mémorielle peuvent aussi entrer en collision, dans une sorte de
« non-contemporanéité » ou de « discordance des temps » (la Ungleichzeitigkeit
théorisée par Ernst Bloch94).
Les exemples de coexistence de temporalités différentes sont innombrables.
La littérature, le cinéma et une immense production sociologique ont analysé le
conflit entre tradition et modernité qui, surtout dans les grandes villes, prend la
forme d’un clash générationnel entre pères immigrés et fils nés dans le pays
d’accueil. Les juifs polonais de New York décrits par Isaac Bashevis Singer, les
Pakistanais de Londres racontés par Hanif Kureishi, les Italo-Américains mis en
scène par Martin Scorsese dans ses premiers films, juxtaposent au sein d’une
même famille des visions du monde et des modes de vie distincts qui renvoient à
des perceptions du temps et à des mémoires tout à fait différentes, parfois
incompatibles. Les zapatistes du Chiapas font cohabiter le temps cyclique des
communautés indigènes avec un projet politique de libération qui s’inscrit dans
un récit marxiste de la modernité (quoique débarrassé des mythologies
progressistes) et aussi dans le « présent perpétuel » du monde contemporain,
celui de la domination globalisée qu’ils combattent95.
Je voudrais ici prendre pour exemple un cas significatif et paradoxal de
discordance des temps, de collision entre le regard historien et la mémoire
collective : la réception de l’essai de Hannah Arendt sur le procès Eichmann à
Jérusalem dont le sous-titre, « la banalité du mal », suscita le scandale96. Ce
procès fut précisément un tournant qui mettait fin à une longue période
d’occultation et d’oubli du génocide juif et amorçait une anamnèse. Pour la
première fois, le judéocide devenait un thème de réflexion pour l’opinion
publique internationale, bien au-delà du monde juif. Ce fut aussi un moment
cathartique de libération de la parole, puisqu’un grand nombre de rescapés de
l’extermination nazie vinrent au procès pour livrer leur témoignage. Or, au
moment où le monde prenait conscience de l’ampleur du génocide juif qui
apparaissait désormais comme un crime monstrueux et sans précédent, Hannah
Arendt focalisait son regard sur Eichmann, un représentant typique de la
bureaucratie allemande qui incarnait, à ses yeux, la banalité du mal. Arendt, dont
les écrits des années 1940 prouvent qu’elle fut parmi les premiers, au milieu
d’un monde aveugle, à prendre la mesure de ce crime, ne portait plus son
attention sur les victimes mais sur le bourreau. Elle adoptait ce que Raul Hilberg
devait définir, beaucoup plus tard, comme la « perspective de l’exécuteur »97, un
exécuteur qu’elle pouvait enfin regarder en face, en chair et en os. En adoptant
cette perspective, elle se trouvait confrontée à un crime monstrueux perpétré par
des exécuteurs qui n’étaient pas des monstres habités par la haine et le fanatisme,
mais des gens ordinaires. Les observateurs et les commentateurs du procès, en
revanche, avaient adopté une autre perspective, celle de la mémoire des rescapés
qui revivaient leur souffrance dans le présent. La blessure était encore ouverte et
saignante ; elle avait seulement été cachée et apparaissait maintenant à la lumière
du jour. Leur attention était focalisée sur les témoignages dramatiques fournis au
procès par les rescapés, vis-à-vis desquels Eichmann n’était plus qu’un symbole.
Dans de telles circonstances, la banalité du mal évoquée par Arendt n’apparut
pas comme une notion susceptible d’appréhender les mobiles et les catégories
mentales des exécuteurs mais, tout simplement, comme la tentative de banaliser
un crime parmi les pires de l’histoire de l’humanité98.
Le schéma emprunté à Rousso peut cependant connaître de nombreuses
variantes. En Turquie, par exemple, la mémoire et l’histoire du génocide des
Arméniens n’ont jamais pu s’élaborer ni s’écrire dans l’espace public. Elles se
sont constituées ailleurs, dans la diaspora et dans l’exil américain, avec toutes les
conséquences que cela comporte99. D’une part, la mémoire s’est érigée non
seulement contre l’oubli, mais surtout contre un régime politique qui occulte et
nie le crime dans le présent. D’autre part, l’écriture de l’histoire a été entravée,
puisque l’occultation passe par la fermeture des archives et la multiplication des
obstacles à la recherche100.
Le refoulement peut se perpétuer aussi sous d’autres formes. La mémoire du
stalinisme est profondément hétérogène, puisqu’elle est à la fois mémoire de la
révolution et du Goulag, de la « grande guerre patriotique » et de l’oppression
bureaucratique. Elle a accompagné, pendant de longues décennies, un régime au
pouvoir. Dans ce contexte, son expression publique apparaissait comme une
forme de combat – ainsi furent perçus les livres de Gustav Herling, d’Alexandre
Soljenitsyne, de Vassili Grossman et de Varlam Chalamov – contre un régime
qu’on ne pouvait ni cataloguer dans le passé ni mettre à distance. Cette mémoire
est aujourd’hui étouffée, dix ans après la chute de l’URSS. Le processus
d’intégration du souvenir du stalinisme dans la conscience collective avait été
amorcé au cours des années 1980, sous Gorbatchev, lorsque se multipliaient les
associations d’anciens déportés et les demandes de réhabilitation des victimes.
Ce mouvement a été brusquement arrêté sous la présidence de Yeltsine, qui a
marqué un tournant. Le travail de deuil et d’appropriation d’un passé interdit a
laissé la place à une réhabilitation massive de la tradition nationale. La honte liée
à la prise de conscience du stalinisme a été remplacée par la fierté du passé russe
(auquel appartiennent aussi bien les tsars que Staline)101. Un phénomène
analogue caractérise les pays de l’ex-empire soviétique, où l’introduction de
l’économie de marché et l’émergence de nouveaux nationalismes a
complètement marginalisé le souvenir des luttes pour un « socialisme au visage
humain ».
En Italie, où l’antifascisme a été le pilier des institutions républicaines nées à
la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’interprétation historique du fascisme a
été pendant une bonne trentaine d’années indissociable de sa condamnation
éthique et politique. À partir de la fin des années 1970, s’est amorcée une
nouvelle lecture du passé beaucoup plus soucieuse de mettre en lumière le
consensus sur lequel s’appuyait le régime de Mussolini et, en même temps, bien
décidée à s’affranchir des contraintes de la tradition antifasciste. Pendant les
années 1990, ce tournant historiographique s’est accentué avec la fin des partis
qui avaient créé la république (le Parti communiste, la Démocratie chrétienne et
le Parti socialiste) et la légitimation des héritiers du fascisme comme force de
gouvernement (l’actuelle Alliance nationale). Cette mutation s’est accompagnée
d’un retour du refoulé (le fascisme) dans l’espace public, aux effets inattendus et
paradoxaux. D’une part, elle s’est traduite dans la fin de l’oubli des victimes du
génocide juif (auparavant sacrifiées sur l’autel de la guerre de libération
nationale, dans laquelle tous les déportés devenaient automatiquement des
martyrs de la patrie, donc des déportés politiques) et, d’autre part, dans la
réhabilitation du fascisme, c’est-à-dire de leur persécuteur. La crise des partis et
des institutions qui incarnaient la mémoire antifasciste a créé les conditions pour
l’émergence d’une autre mémoire, jusqu’alors silencieuse et stigmatisée. Le
fascisme est maintenant revendiqué comme un morceau d’histoire nationale,
l’antifascisme rejeté comme une position idéologique « antinationale » (le 8
septembre 1943, date de la signature de l’armistice et du début de la guerre
civile, a été présenté comme le symbole de la « mort de la patrie »102). Le
résultat a été, à l’automne 2001, un discours officiel du président de la
République, Carlo Azeglio Ciampi, commémorant indistinctement « toutes » les
victimes de la guerre, c’est-à-dire juifs, soldats, résistants et miliciens fascistes,
désormais surnommés affectueusement « les gars de Salò » (i ragazzi di
Salò)103. Autrement dit, une commémoration conjointe de ceux qui sont morts
dans les chambres à gaz et de ceux qui les ont fichés, raflés et déportés. Comme
si, en rendant hommage à leur mémoire, l’État n’avait pas à se prononcer sur les
valeurs et les motivations de leurs actes, ou pire, comme s’il pouvait mettre sur
le même plan bourreaux et victimes, objets de mémoires « symétriques et
compatibles »104.
Dans cette perspective, l’institution par décret gouvernemental d’une
« journée de la mémoire » (27 janvier) pour commémorer les victimes de la
Shoah a été logiquement suivie par deux autres : la « journée du souvenir » (10
février) et la « journée de la liberté » (9 novembre). La première vise à évoquer
les Italiens chassés d’Istrie en 1947, sur la base d’un traité international, et ceux
qui ont été tués par la résistance yougoslave entre 1943 et 1945, jetés dans les
crevasses des montagnes qui surmontent Trieste (Foibe). La deuxième journée
célèbre le souvenir des victimes du communisme qui ont symboliquement
retrouvé la liberté le jour de la chute du mur de Berlin. La symétrie antitotalitaire
est maintenant parfaite, même si sa conséquence, nous rappelle à juste titre
Claudio Magris, consiste à transformer l’égalité des victimes – toutes dignes de
mémoire et de pietas – en « égalité des causes pour lesquelles elles sont
mortes »105, en mélangeant des crimes de nature complètement différente. Mais
cette symétrie antitotalitaire coïncide maintenant avec une dissymétrie de la
mémoire nationale, qui entretient le souvenir des victimes italiennes de la
résistance titiste, mais oublie tranquillement les victimes yougoslaves de
l’occupation du fascisme italien, dont la violence a souvent pris des traits
semblables à celle des nazis sur le front oriental106. Il va sans dire que les
victimes du colonialisme italien échappent à cette logique de la mémoire
antitotalitaire.
En Espagne, le souvenir de la guerre civile a été confisqué et instrumentalisé
par la propagande du régime franquiste qui, pendant trente-cinq ans, a organisé
l’effacement des traces de sa propre violence tout en stigmatisant celle des
républicains. Lors de la mort du dictateur, en 1975, le choix d’une transition
pacifique vers la démocratie dans le cadre des institutions monarchiques a été
accepté par l’ensemble des forces politiques, de droite comme de gauche, qui
partageaient le souci d’éviter une nouvelle guerre civile (ce qui prouve que,
quoique souterrain, son souvenir restait bien vivant)107. Mais, contrairement à
l’Afrique du Sud des années 1990 où, grâce au travail de la commission « Vérité
et Justice », la transition pacifique à la démocratie post-apartheid a pu
s’accompagner d’une reconnaissance de la vérité et d’une élaboration du deuil,
l’Espagne a fait le choix d’une transition amnésique, avec le résultat de
prolonger le refoulement officiel pendant plus d’une génération. Ce n’est qu’à
partir de la fin des années 1990 que la mémoire de la guerre civile est revenue
sur le devant de la scène. Tandis que l’historiographie porte son attention sur la
violence du régime franquiste en rétablissant une comptabilité des victimes
jusqu’alors bien lacunaire108, ou sur d’autres phénomènes auparavant ignorés
comme l’exil républicain109, s’amorce dans la société civile un travail du deuil
des victimes de la dictature que l’amnistie et les formes politiques de la
transition démocratique avaient rendu impossible. On exhume les dépouilles de
plusieurs centaines de militants républicains, anarchistes ou communistes qui
avaient été fusillés de façon expéditive, sans procès, sans constat de décès, et
étaient donc restés sans sépulture légale, hors des cimetières. Le deuil clandestin
des familles a pu finalement devenir public, entraînant une anamnèse collective
et suscitant un vaste débat sur le rapport de l’Espagne contemporaine avec son
passé110. Dans ce contexte surgit la tentation illusoire et mystificatrice d’une
mémoire réconciliée super partes, bien illustrée par la décision
gouvernementale, en octobre 2004, de faire défiler ensemble, lors d’une fête
nationale, un vieil exilé républicain et un ex-membre de la Division Azul que
Franco avait envoyée en Russie en 1941 pour combattre à côté des armées
allemandes. Et surgit aussi un inévitable débat sur le destin des innombrables
monuments érigés à l’honneur du Caudillo qui décorent les villes et les villages
espagnols : faut-il les conserver comme des lieux de mémoire (une mémoire qui,
pour une partie de la société, se colore de nostalgie) ? Faut-il les démolir, comme
l’ont fait tous les pays d’Europe centrale au moment de la chute des dictatures
staliniennes, par un geste émancipateur cette fois-ci bien (sinon trop) tardif ?
Depuis une dizaine d’années, ces débats font rage en Espagne, pays dont la
mémoire est loin d’être apaisée.
En Argentine, en revanche, la mémoire des crimes de la dictature militaire a
commencé à se manifester sur la scène publique avant la fin de la dictature elle-
même, qu’elle a puissamment contribué à isoler et à délégitimer (j’écris
« mémoire », car les défilés avec les photos des disparus étaient déjà des formes
de commémoration). À cause des modalités propres à la criminalité du régime –
la disparition de dizaines de milliers de personnes dont les corps n’ont jamais
été retrouvés –, la phase du deuil et de l’affliction s’est pérennisée, il n’y a pas
eu d’oubli. En même temps, à cause des formes prises par la transition vers la
démocratie, sans rupture radicale, sans véritable épuration des institutions
militaires, avec quelques procès suivis par des lois d’amnistie débouchant sur
l’impunité des bourreaux, la mémoire n’a pas fait place à l’histoire111. La
dictature militaire ne s’est pas effondrée comme le fascisme en Europe en 1945,
elle s’est discrètement retirée de la scène. Bref, on n’a pas pu établir une distance
vis-à-vis du passé : il y a eu un éloignement chronologique, non pas une
séparation marquée par des ruptures symboliques fortes. Nous sommes ici
confrontés à ce que Dan Diner a appelé un « temps comprimé » (gestaute Zeit)
qui refuse de se donner comme passé112. Une des conditions fondamentales pour
la naissance d’une historiographie des dictatures du cône Sud, la chilienne
comme l’Argentine, n’est pas encore établie.
Cela nous ramène encore une fois à Israël. Si le procès Eichmann est un
exemple de collision entre mémoire et écriture de l’histoire, l’itinéraire du
sionisme offre aussi d’autres exemples de rencontre (tardifs) entre les deux.
C’est le cas de la relecture de la guerre de 1948 par les « nouveaux historiens »
israéliens (Benny Morris, Ilan Pappé et d’autres). Sur la base d’une recherche
d’archives – mais en ignorant l’historiographie palestinienne et les témoignages
des réfugiés –, ces historiens ont radicalement remis en cause le mythe sioniste
de la « fuite » palestinienne et ont présenté la guerre de 1948 sinon comme une
expulsion planifiée, tout au moins comme un conflit qui, de facto, devint
l’occasion pour réaliser le projet sioniste d’un État juif sans Arabes. Certains,
comme Ilan Pappé, ont décelé dans cette guerre les traits d’une campagne
d’épuration ethnique. Cette historiographie confirme les récits de la Nakbah (la
« catastrophe »), le souvenir de l’exode porté par la mémoire des réfugiés et
reconstitué par une historiographie palestinienne née en exil sous l’impact de ce
trauma113. Cette mémoire et cette écriture de l’histoire étaient restées jusqu’à
présent cantonnées au monde arabe, se heurtant aussi bien au récit sioniste
(l’histoire comme épopée nationale juive) qu’à la conscience historique du
monde occidental. Puisque l’État d’Israël avait été créé en guise de réparation du
génocide subi par les juifs en Europe, il était difficile d’admettre que sa
naissance ait coïncidé avec un acte d’oppression. Cette convergence entre le récit
palestinien de la Nakbah et la révision du récit de la « guerre de libération » par
l’historiographie juive est la prémisse indispensable pour que deux mémoires
nationales puissent un jour coexister dans un espace commun (sous la forme de
deux États, d’une fédération ou d’un État binational). Il y aurait ainsi une
convergence entre le « temps comprimé » de la mémoire palestinienne – la
Nakbah comme éternel présent – et une anamnèse israélienne, impulsée par le
travail des historiens.
Mémoires « fortes » et mémoires « faibles »

La seule différence entre une langue et un dialecte, dit un aphorisme répandu


chez les peuples minoritaires, tient au fait que la langue est protégée par une
police et le dialecte pas. On pourrait étendre ce constat à la mémoire. Il y a des
mémoires officielles, entretenues par des institutions, voire des États, et des
mémoires souterraines, cachées ou interdites. La « visibilité » et la
reconnaissance d’une mémoire dépendent aussi de la force de ceux qui la
portent. Autrement dit, il y a des mémoires « fortes » et des mémoires
« faibles ». En Turquie, la mémoire arménienne est toujours interdite et
réprimée. En Amérique latine, la mémoire indigène s’est exprimée lors des
célébrations du cinquième centenaire de la découverte du continent comme une
mémoire antagoniste, directement opposée à la mémoire officielle des États nés
de la colonisation et du génocide. Force et reconnaissance ne sont pas des
données figées et immuables, elles évoluent, se consolident ou s’affaiblissent, en
contribuant à redéfinir en permanence le statut de la mémoire. La mémoire
communiste a été puissante, sectaire et arrogante, à une époque où l’URSS était
une grande puissance et où le mouvement ouvrier disposait d’une force sociale et
politique considérable. Aujourd’hui, elle semble retombée dans la clandestinité.
Elle se perpétue comme souvenir d’une communauté de vaincus, stigmatisée
sinon ouvertement criminalisée par le discours dominant. La mémoire
arménienne demeure faible, puisque ses négateurs disposent d’un État reconnu
sur le plan international, auquel les autres États préfèrent souvent ne pas rappeler
le passé par convenance économique ou géopolitique. La mémoire homosexuelle
commence à peine à s’exprimer publiquement. Pendant des décennies, les
associations représentant les homosexuels déportés dans les camps de
concentration nazis ont été expulsées manu militari des célébrations officielles,
comme porteuses d’un souvenir honteux et innommable. Les lois qui avaient
permis leur déportation – le paragraphe 75 du code pénal de la république de
Weimar – furent abrogées bien tardivement dans l’après-guerre, lorsqu’un grand
nombre des ex-déportés avaient déjà été indemnisés.

La mémoire de la Shoah, dont le statut est aujourd’hui si universel qu’elle fait


office de religion civile du monde occidental, illustre bien ce passage d’une
mémoire faible à une mémoire forte. L’historien américain Peter Novick a étudié
cette mutation au sein de la société américaine114. Il en saisit quatre étapes
fondamentales. D’abord les années de guerre, lorsque pour les États-Unis
l’ennemi principal est le Japon. Roosevelt a alors un souci majeur : éviter que
l’intervention américaine en Europe n’apparaisse comme « une guerre pour les
juifs ». Pendant cette période, l’extermination des juifs n’est jamais l’objet d’une
attention particulière, et le pays n’est nullement hanté par le remords de ne pas
avoir pu ou voulu empêcher un tel crime. Les juifs ne font pas preuve, à
l’époque, d’une plus grande conscience ou sensibilité à l’égard des événements
tragiques du vieux monde que les autres citoyens américains ; à la fin du conflit,
ils sont plutôt fiers de leur pays qui a contribué à la défaite du nazisme. Au cours
de la deuxième période – les années 1950 et la première moitié des années
1960 – le judéocide est absent de l’espace public. Le souvenir de l’Holocauste et
les exigences de la lutte contre le « totalitarisme » ne font pas bon ménage. Au
moment où la guerre froide fait de l’URSS l’ennemi totalitaire contre lequel
doivent être déployées toutes les énergies du « monde libre », l’évocation des
crimes nazis risque de désorienter l’opinion publique et de faire obstacle à la
nouvelle alliance avec la RFA. Les juifs américains sont soupçonnés de
sympathie pour le communisme – Julius et Ethel Rosenberg seront parmi les
rares à parler d’Auschwitz dans l’Amérique des années 1950, lors du procès qui
les condamne à mort – et les institutions juives s’opposent à toute édification de
monuments ou lieux commémoratifs du massacre hitlérien. Le temps est à la
valorisation des héros et à l’exhibition de la force comme vertu nationale ; les
juifs américains veulent s’identifier (et s’intégrer) à cette Amérique conquérante,
ils ne veulent surtout pas apparaître comme une communauté de victimes. La
transition s’amorce, selon Novick, au cours des années 1960. D’abord avec le
procès Eichmann qui constitue la première apparition publique de la mémoire de
l’Holocauste. Puis lors de la guerre des Six jours, en 1967, tournant après lequel
le terme « Holocauste », jusqu’alors peu ou pas employé pour définir le
judéocide, entre dans l’usage courant. Cette guerre produit un clivage singulier
qui persiste aujourd’hui : une large partie des juifs de la diaspora perçoit ce
conflit comme la menace d’un nouvel anéantissement, tandis que l’opinion arabe
considère Israël comme un pouvoir néocolonial. Depuis, la mémoire
d’Auschwitz reste intimement liée à la perception du conflit israélo-arabe, avec
tous les courts-circuits idéologiques et les usages politiques qui en découlent. Là
réside une des sources du négationnisme diffus dans le monde arabe, qui est
étranger à l’histoire de l’antisémitisme européen. Pour une partie de l’opinion
arabe, la Shoah serait un « mythe » juif utilisé, sinon fabriqué pour légitimer une
politique d’oppression des Palestiniens. Israël, en revanche, a tendance à
regarder le refus arabe au travers du prisme de la Shoah, au point que les
responsables de Tsahal avaient coutume d’appeler les confins de 1967 « la
frontière d’Auschwitz »115. Pour les uns, la naissance d’Israël est le symbole
d’une résurrection, pour les autres d’une catastrophe, la Nakbah : voilà un clash
violent entre des mémoires qui n’arrivent pas à trouver la voie d’un dialogue.
En 1982, indigné par les crimes commis lors de l’occupation israélienne du
Liban, le directeur de l’Institut d’histoire des sciences de l’université de Tel-
Aviv, Yehuda Elkana, survivant d’Auschwitz, publie dans le quotidien Haaretz
un article provocateur dans lequel il prescrit à ses concitoyens les vertus de
l’oubli. « Nous, nous devons oublier. » Il faut construire l’avenir, écrit-il, et pas
« s’occuper, jour et nuit, du symbolisme, des cérémonies et de l’héritage du
génocide. Le joug de la mémoire doit être extirpé de nos vies »116. Il redécouvre
ainsi les vertus civiques de l’oubli, que les Grecs anciens avaient prescrit comme
une politique de réconciliation, en 403 av. J.-C., après l’oligarchie des Trente
Tyrans117. Le sens de la réflexion d’Elkana est clair : si l’oubli est fautif,
s’agissant des persécuteurs et de ceux qui en ont recueilli l’héritage, la mémoire
n’est pas toujours vertueuse et peut être aussi la source d’abus.
La dernière phase est ouverte par la diffusion de la série télévisée Holocaust
(1978) qui aura un impact immense tant aux États-Unis qu’en Europe (et
notamment en Allemagne). Le génocide juif devient un prisme de lecture du
passé et un élément essentiel de définition aussi bien de la conscience historique
occidentale que, surtout, de l’identité juive. Il devient un objet d’investigation
scientifique et d’enseignement (les Holocaust Studies sont désormais une
discipline à part entière dans les universités), de commémoration publique (par
la création de monuments, mémoriaux, musées, cérémonies officielles) et même
de réification marchande par les médias et par l’industrie culturelle (Hollywood).
Il connaît alors, souligne Novick, un processus d’américanisation, autrement dit
il entre dans la conscience historique des États-Unis, et de sacralisation, jusqu’à
se transformer en une sorte de religion civile parée de ses dogmes (son caractère
unique et incomparable) et incarnée par ses « saints séculiers » (les rescapés
érigés en icônes vivantes). L’essor d’une telle mémoire officielle s’inscrit dans
un contexte culturel marqué par l’abandon, chez les juifs américains, de l’ethos
intégrationniste des années 1950 et 1960 à la faveur d’un nouvel ethos
particulariste. La formule de Wiesel – l’Holocauste comme événement unique et
universel à la fois – résume bien cette américanisation de l’Holocauste et en
même temps sa transformation en pilier de l’identité ethnico-culturelle judéo-
américaine. Cette identification aux victimes, explique Novick, est possible non
pas du fait de la faiblesse mais de la puissance des juifs au sein de la société
américaine. D’où son scepticisme : la sacralisation de l’Holocauste est une
mauvaise politique de la mémoire. Si la reconnaissance du caractère unique du
judéocide, souligne-t-il encore, a joué un rôle important pour la formation de la
conscience historique européenne, aux États-Unis elle favorise en revanche une
« évasion de la responsabilité morale et politique »118. On arrive ainsi au
paradoxe de la création d’un musée fédéral de l’Holocauste, consacré à une
tragédie consommée en Europe, alors que rien de comparable n’existe pour les
deux expériences fondatrices de l’histoire américaine que sont le génocide des
Indiens et l’esclavage des Noirs. Et tandis qu’on inaugurait le musée de
l’Holocauste en 1995, la Poste émettait un timbre célébrant l’anniversaire du
bombardement atomique de Hiroshima et Nagasaki comme l’événement heureux
qui avait mis fin à la Seconde Guerre mondiale119. Dans son dernier ouvrage,
Face à la douleur des autres, Susan Sontag a pointé du doigt cet usage fort
sélectif de la mémoire. L’Holocauste, écrit-elle, a été « nationalisé » et
transformé en vecteur d’une politique de la mémoire singulièrement oublieuse
des crimes dans lesquels l’Amérique n’a pas joué le rôle du libérateur mais
plutôt celui du persécuteur. « Instituer un musée qui raconte ce grand crime qu’a
été l’esclavage des Africains aux États-Unis signifierait rappeler que le mal était
ici. Les Américains, en revanche, préfèrent rappeler le mal qui était là-bas, et
dont les États-Unis […] sont exempts. Le fait que ce pays, comme tous les
autres, a un passé tragique, ne s’accorde pas tellement avec la confiance
fondatrice, toujours puissante, dans le destin exceptionnel américain. »120 Aux
États-Unis, ajoute Novick, « la mémoire de l’Holocauste est si banale, si
inconséquente, pas vraiment une mémoire, précisément parce qu’elle est
consensuelle, déconnectée des divisions réelles de la société américaine,
apolitique »121. Novick n’est pas le premier à dresser ce constat. Il y a dix ans,
Arno Mayer dénonçait un « culte du souvenir » vite transformé en « sectarisme
exagéré », grâce auquel le massacre des juifs était détaché des circonstances
historiques tout à fait profanes qui l’avaient engendré pour être isolé dans une
mémoire sacralisée, « dont il n’est pas permis de dévier et qui se dérobe à la
pensée critique et contextuelle »122.
Les manifestations extérieures de cette mémoire forte rappellent le
narcissisme compassionnel dénoncé par Gilbert Achcar au sujet du rituel
commémoratif des victimes du 11 septembre 2001123. Une fois les victimes
incorporées dans son imaginaire, sa conscience, sa mémoire, et transformées
ainsi en élément constitutif de sa propre identité, l’Occident s’autocélèbre en les
commémorant. Cela n’aurait pas été possible juste après la guerre, lorsque les
victimes de l’Holocauste, loin d’apparaître comme des représentants typiques du
monde occidental, étaient perçues tout d’abord comme des « juifs de l’Est »,
incarnation d’une altérité négative et mal tolérée au sein des différentes
communautés nationales. Le silence de la culture occidentale sur Auschwitz en
1945 s’inscrit dans la même logique qui préside à l’indifférence ou à la
compassion distante avec laquelle, de nos jours, elle réagit aux violences qui
ravagent le Sud ou regarde les victimes de ses propres guerres « humanitaires ».
Un contre-exemple de « mémoire forte » mérite cependant d’être mentionné.
L’impressionnant « Mémorial aux juifs d’Europe assassinés » (Denkmal für die
ermordeten Juden Europas), inauguré en mai 2005 à Berlin, révèle un usage
public du passé bien différent de celui dénoncé aux États-Unis par Peter Novick
et Susan Sontag. Érigé au cœur de la capitale allemande, à côté de la porte de
Brandebourg, entre le Reichstag et la Potsdamer Platz, ce gigantesque monument
sobre et froid couvre un espace de presque 20 000 m2 avec des milliers de stèles
en béton de hauteur inégale124. Son architecte, l’Américain Peter Eisenman, n’a
pas voulu octroyer à son œuvre une symbolique explicite, en laissant le public
libre de donner son interprétation. Les avis sont très partagés : certains y ont vu
un cimetière, un labyrinthe, un champ de blé, une mer, d’autres encore une
affreuse caricature de l’architecture totalitaire du IIIe Reich ou le triomphe de
l’« ornement de la masse » (au sens de Kracauer) dans une immense
construction sans contenu. Dans le sillage de Régine Robin, on pourrait
l’appréhender comme une de ces « constructions déroutantes » – la ville de
Berlin en abrite plusieurs – qui « transmettent quelque chose du passé dans son
illisibilité, non dans son inexplicabilité »125. Ce monument est l’aboutissement
d’un intense débat intellectuel et politique qui s’est déroulé pendant plus de dix
ans au sein de la société civile comme au Bundestag. Assorti d’un centre de
documentation, ce mémorial unique en son genre remplit plusieurs fonctions : il
est à la fois un monument au souvenir des juifs exterminés et un monument
d’admonestation à l’égard de la nation allemande. Autrement dit, un acte de
piété pour les victimes et un rappel du crime adressé à la nation qui a engendré
ses responsables et qui en a reçu l’héritage. Certains, comme l’écrivain Martin
Walser, y ont vu un inacceptable « monument à la honte » (Schandmal) ;
d’autres, comme le philosophe Jürgen Habermas, la preuve que l’Allemagne a
intégré Auschwitz dans sa conscience historique. D’une certaine façon, ce
mémorial a accompli sa tâche avant même de voir le jour, si l’on prend en
considération les débats passionnés qu’il a suscités. Il témoigne aussi des
mutations qui ont fait de la Shoah une mémoire forte, au bout d’une controverse
qui n’excluait pas, au départ, d’autres options. Entre la proposition de Helmut
Kohl, chancelier au moment où la discussion s’est amorcée, qui souhaitait un
monument à « toutes les victimes de la guerre et de la tyrannie », et le choix final
d’un Holocaust Denkmal, un chemin considérable a été parcouru. La proposition
de Kohl visait à noyer les crimes nazis dans une commémoration globale des
victimes de la guerre incluant les juifs, les civils et les soldats allemands, les
victimes d’un génocide et celles des bombardements alliés, les déportés et leurs
persécuteurs tombés dans le conflit. Quelques années auparavant, le chancelier
Kohl s’était distingué par sa visite, en compagnie du président américain Ronald
Reagan, au cimetière militaire de Bitburg où sont enterrés de nombreux SS. Juste
après la réunification, il avait réussi à rallier le SPD à sa position en inaugurant à
Berlin, en 1993, un nouveau mémorial de l’Allemagne fédérale (Zentrale
Gedenkstätte der Bundesrepublik Deutschlands). Abrité dans la Neue Wache,
érigée au cœur de Berlin au début du XIXe siècle par l’architecte Karl Friedrich
Schinkel, ce monument a été, pendant deux siècles, l’interprète fidèle des
politiques mémorielles des différents régimes qui se sont succédés en
Allemagne. Né comme lieu de souvenir des combats patriotiques contre
l’oppression napoléonienne, il s’est transformé, sous la république de Weimar,
en monument aux morts de la Grande Guerre, puis, dans la RDA, en mémorial
dédié aux victimes du fascisme. Avec sa pietà sculptée par Käthe Kollwitz dans
l’entre-deux-guerres, il commémore désormais toutes les « victimes » de la
Seconde Guerre mondiale (le mot allemand Opfer désigne à la fois les victimes
innocentes et les martyrs)126. Il est évident que le Holocaust Denkmal tranche
par rapport à cette mémoire ambiguë qui affiche explicitement son caractère
apologétique. Cependant, le choix finalement retenu d’un mémorial de
l’Holocauste (et pas de toutes les victimes du nazisme) s’expose au risque qui
guette toute mémoire « forte » : celui d’écraser les mémoires plus faibles. De
l’historien Reinhart Koselleck à l’écrivain Günter Grass, en passant par le
philosophe Micha Brumlik, de nombreuses personnalités ont critiqué le caractère
judéocentré de ce monument. « Accepter un monument exclusivement pour les
juifs – écrit Koselleck – signifie légitimer une hiérarchie fondée sur le nombre
des victimes et sur l’influence des survivants, en acceptant finalement les mêmes
catégories de l’extermination adoptées par les nazis. En tant que nation des
exécuteurs, nous devrions nous interroger sur les conséquences d’une telle
logique. »127 Il proposait donc d’ériger un monument conçu comme « monument
d’admonestation (Mahnmal) » adressée aux Allemands, et consacré au souvenir
de l’ensemble des victimes du nazisme. Habermas, qui considère légitime le
choix d’un mémorial de l’Holocauste, eu égard au rôle joué par les juifs dans
l’histoire de l’Allemagne, a implicitement admis le bien-fondé de cette critique,
en écrivant que ce monument considère les juifs comme pars pro toto128. Il n’en
reste pas moins que, confronté aux revendications des autres victimes, le
gouvernement fédéral a décidé la création de deux mémoriaux supplémentaires,
l’un dédié aux Tziganes, l’autre aux homosexuels déportés.

Puisque mémoire et histoire ne sont pas séparées par des barrières


insurmontables mais interagissent en permanence, il en découle une relation
privilégiée entre les mémoires « fortes » et l’écriture de l’histoire. Plus la
mémoire est forte – en termes de reconnaissance publique et institutionnelle –,
plus le passé dont elle est vecteur devient susceptible d’être exploré et mis en
histoire. L’exemple de Raul Hilberg cité plus haut illustre bien ce phénomène. À
la fin de la guerre, lorsque la mémoire de l’Holocauste était « faible », Franz
Neumann lui conseillait de changer de sujet pour sa thèse de PhD, en lui disant
ouvertement qu’avec une telle recherche il ne pourrait jamais amorcer une
carrière universitaire (en effet, Hilberg resta pendant longtemps un marginal
dans le monde académique américain, où il a achevé sa carrière à l’université du
Vermont)129. Aujourd’hui, l’essor de la mémoire de la Shoah dans l’espace
public s’accompagne d’un développement parallèle des Holocaust Studies dans
les campus. De façon analogue, il est presque banal d’interpréter l’émergence
des études post-coloniales et du multiculturalisme comme une conséquence à
long terme de la décolonisation, avec l’accès des anciens peuples colonisés au
statut de sujets historiques et l’apparition, au sein des institutions scientifiques,
d’une intelligentsia d’origine indienne ou afro-américaine.
Il ne s’agit évidemment pas d’établir une relation mécanique de cause à effet
entre la force d’une mémoire de groupe et l’ampleur de l’historicisation de son
passé. Ce n’est pas la force institutionnelle ni la visibilité médiatique des
Bororos qui a amené Claude Lévi-Strauss à écrire Tristes tropiques. Cette
relation n’est donc pas directe, puisqu’elle se définit au sein de contextes
différents et reste soumise à de multiples médiations, mais il serait absurde de la
nier. La mémoire des victimes du massacre de Nankin, la capitale de la Chine
nationaliste, perpétré par l’armée impériale japonaise lors de l’occupation de la
ville en décembre 1937130, ou celle des « femmes de réconfort » forcées à se
prostituer par les autorités japonaises pendant la Seconde Guerre mondiale, sont
pendant longtemps restées circonscrites à leurs descendants, sans trouver
d’expression dans l’espace public131. C’est l’émergence de la Chine et de la
Corée du Sud en tant que grandes puissances économiques qui a transformé cette
mémoire en élément des relations diplomatiques entre ces deux pays et le Japon,
obligeant ce dernier à une reconnaissance de ses crimes et à la présentation
d’excuses officielles.
Ces considérations restent valables, dans une large mesure, pour la mémoire
de la guerre d’Algérie. On peut certes parler, lors de la reconnaissance récente
des crimes de l’armée française entre 1954 et 1962, d’un « retour du refoulé » lié
aux étapes de l’élaboration du passé colonial français. Mais il ne fait pas de
doute que cette reconnaissance est aussi liée à l’émergence d’une mémoire
algérienne – plus précisément beur – qui s’exprime maintenant à l’intérieur de la
société française, où les descendants des anciens colonisés constituent une
minorité importante. La reconnaissance du massacre du 17 octobre 1961, au
cœur de la capitale, n’a pas été négociée entre le gouvernement français et les
autorités algériennes (contrairement à celle du massacre de Sétif de mai
1945132). Elle reste essentiellement symbolique, se réduisant à quelques
déclarations de responsables politiques, à un arrêt de justice et à une plaque
commémorative posée en présence du maire de la capitale, mais elle a fait son
chemin dans la société française. Il s’agit surtout de la conséquence d’un vaste
mouvement dans lequel les luttes d’une génération beur pour l’égalité et pour se
réapproprier son propre passé se sont conjuguées avec les efforts d’une
historiographie post-coloniale susceptible d’intégrer la voix des colonisés dans
son récit du passé. Et aussi, pourrait-on ajouter, avec la résistance d’une petite
minorité d’archivistes qui, entrés en guerre contre la hiérarchie de leur
corporation depuis toujours au service de la raison d’État, ont placé la vérité
historique au-dessus de leurs carrières133. L’émergence de cette mémoire post-
coloniale a bousculé la mémoire de la gauche française qui avait toujours ignoré
le massacre d’octobre 1961, l’occultant par la commémoration de ses propres
martyrs : les neuf victimes de la manifestation de Charonne du 8 février 1962.
Elle a ainsi été renvoyée à ses trous de mémoire qui ne font que révéler sa
soumission à un imaginaire colonial, avec ses hiérarchies donnant plus de valeur
à la vie des anticolonialistes français qu’à celle des nationalistes algériens.
III. L’historien entre juge et écrivain

Mémoire et écriture de l’histoire

Le « tournant linguistique » – étiquette sous laquelle on regroupe un ensemble


de courants intellectuels nés aux États-Unis, vers la fin des années 1960, de la
rencontre du structuralisme français avec la philosophie analytique et le
pragmatisme anglo-saxons – a eu un impact fécond sur l’historiographie
contemporaine134. Il a permis de briser la dichotomie qui séparait jusqu’alors
l’histoire des idées de l’histoire sociale, ainsi que de surmonter les limites
symétriques d’une histoire de la pensée autoréférentielle et d’un historicisme
fondé sur l’illusion selon laquelle l’interprétation historique se réduirait au
simple reflet d’une démarche rigoureuse d’objectivation et de contextualisation
des événements du passé. Le linguistic turn a souligné l’importance de la
dimension textuelle du savoir historique, en reconnaissant que l’écriture de
l’histoire est une pratique discursive qui incorpore toujours une part d’idéologie,
de représentations et de codes littéraires hérités qui se réfractent dans l’itinéraire
individuel d’un auteur. Ce faisant, il a permis d’établir une dialectique nouvelle
entre réalité et interprétation, entre textes et contextes, en redéfinissant les
frontières de l’histoire intellectuelle et en questionnant de façon salutaire le statut
de l’historien, dont on ne peut plus ignorer l’implication multiforme dans son
objet d’étude. Ce courant a connu aussi des développements discutables maintes
fois dénoncés (et sur lesquels s’est concentrée de manière presque exclusive sa
réception en Europe continentale). La plus répandue de ses dérives
méthodologiques a été, selon les mots de Roger Chartier, la tendance à « la
dangereuse réduction du monde social à une pure construction discursive, à de
purs jeux de langage »135. Les tenants les plus radicaux du linguistic turn ont
ainsi évacué la quête de vérité qui préside à l’écriture de l’histoire, en oubliant
que « le passé qu’elle se donne comme objet est une réalité extérieure au
discours, et que sa connaissance peut être contrôlée »136. Poussant à l’extrême
certaines prémisses de ce mouvement, ils sont parvenus à défendre une sorte de
« pantextualisme » que Dominick LaCapra qualifie de « créationnisme
sécularisé »137 : l’histoire ne serait qu’une construction textuelle, constamment
réinventée selon les codes de la création littéraire. Mais l’histoire n’est pas
assimilable à la littérature, car la mise en histoire du passé doit s’astreindre à la
réalité et son argumentation ne peut pas se passer, si nécessaire, de l’exhibition
de preuves. C’est pourquoi l’affirmation de Roland Barthes selon laquelle « le
fait n’a jamais qu’une existence linguistique »138 n’est pas recevable. Pas plus
que le relativisme radical de Hayden White qui, considérant les faits historiques
comme des artefacts rhétoriques reconductibles à un « protocole linguistique »,
identifie la narration historique à l’invention littéraire, les deux se fondant à ses
yeux sur les mêmes modalités de représentation. Selon White, « les narrations
historiques [sont] des fictions verbales dont les contenus sont aussi bien inventés
que trouvés et dont les formes sont plus proches de la littérature que de la
science »139. Barthes et White évacuent tous deux le problème de l’objectivité du
contenu du discours historique. Si l’écriture de l’histoire prend toujours la forme
d’un récit, ce dernier est qualitativement différent d’une fiction romanesque140.
Il ne s’agit pas de nier la dimension créatrice de l’écriture historique, puisque
l’acte d’écrire implique toujours, comme le rappelait Michel de Certeau, la
construction d’une phrase « en parcourant un lieu supposé blanc, la page »141.
Mais de Certeau ne manquait pas d’ajouter qu’elle ne peut pas se passer d’un
rapport avec le donné : « Le discours historique prétend donner un contenu vrai
(qui relève de la vérifiabilité) mais sous la forme d’une narration. »142 White a
raison de mettre en garde contre l’illusion positiviste consistant à fonder
l’histoire sur une prétendue autosuffisance des faits. Nous savons par exemple
que les archives – les principales sources de l’historien – ne sont jamais un reflet
immédiat et « neutre » du réel, car elles peuvent aussi mentir. C’est pourquoi
elles exigent toujours un travail de décodage et d’interprétation143. L’erreur de
White consiste à confondre la narration historique (la mise en histoire par un
récit) et la fiction historique (l’invention littéraire du passé)144. À la rigueur
pourrait-on considérer l’histoire, selon les mots de Reinhart Koselleck, comme
une « fiction du factuel »145. Certes, l’historien ne peut esquiver le problème de
la « mise en texte » de sa reconstruction du passé146, mais il ne pourra jamais,
s’il veut faire de l’histoire, l’arracher à son irréductible socle factuel. Soit dit en
passant, là réside toute la différence entre les livres d’histoire sur le génocide juif
et la littérature négationniste, car les chambres à gaz demeurent un fait avant de
devenir l’objet d’une construction discursive et d’une « mise en intrigue
historique » (historical emplotment)147. C’est précisément l’essor du
négationnisme qui a conduit François Bédarida à revenir, au cours des années
1990, sur « un certain dédain » que les historiens avaient eu tendance à
manifester pendant les décennies précédentes à l’égard de la notion de fait, en les
« exhortant avec force à ne pas rejeter le bébé-objectivité avec l’eau du bain
positiviste »148. La remise en cause de l’historicisme positiviste avec son temps
linéaire, « homogène et vide », sa causalité déterministe et sa téléologie qui
transforment la raison historique en idéologie du progrès, n’implique pas pour
autant le rejet de toute notion d’objectivité factuelle dans la reconstruction du
passé. Pierre Vidal-Naquet a posé le problème en termes très clairs, en écrivant
que « si le discours historique ne se rattachait pas, par autant d’intermédiaires
que l’on voudra, à ce que l’on appellera, faute de mieux, le réel, nous serions
toujours dans le discours, mais ce discours cesserait d’être historique »149.
Le relativisme radical de Hayden White semble coïncider de façon assez
paradoxale avec le fétichisme du récit mémoriel, opposé à toute archive du réel,
que défend inlassablement Claude Lanzmann, le réalisateur de Shoah. Ce film
extraordinaire a été un moment essentiel, au milieu des années 1980, aussi bien
pour l’intégration du génocide des juifs dans la conscience historique du monde
occidental que pour l’intégration du témoignage parmi les sources de la
connaissance historique. Les travaux sur la mémoire ont reçu de ce film une
impulsion importante et il ne serait sans doute pas exagéré d’affirmer que le
statut du témoignage dans la recherche historique n’a plus été le même après
cette œuvre. Mais ce résultat n’a pas satisfait Lanzmann, qui en est venu à
considérer son film comme un événement, le substituant petit à petit à
l’événement réel jusqu’à récuser la valeur des « archives », c’est-à-dire des
preuves factuelles qui restent de cet événement (par exemple les photos de
l’extermination réalisées par le Sonderkommando d’Auschwitz en août 1944)150.
Il a défendu ce point de vue à plusieurs reprises, et notamment en 2000, lors
d’une nouvelle sortie en salle de son film : « Shoah n’est pas un film sur
l’Holocauste, pas un dérivé, pas un produit, mais un événement originaire. Que
cela plaise ou non à un certain nombre de gens […], mon film ne fait pas
seulement partie de l’événement de la Shoah : il contribue à la constituer comme
événement. »151 Ainsi, Lanzmann a d’abord érigé en « monument » – c’est sa
propre expression – les témoignages collectés dans Shoah. Puis il a opposé son
« monument » à l’« archive », en qualifiant d’« insupportable cuistrerie
interprétative » l’effort déployé par les historiens afin d’analyser certains
documents hérités du passé. Enfin, il a substitué son film à l’événement réel,
dont il a même revendiqué le droit de détruire les preuves. C’est bien le sens
d’une hyperbole provocatrice qui avait fait grand bruit lors de la sortie du film de
Steven Spielberg, La Liste de Schindler : « Et si j’avais trouvé un film existant –
un film secret parce que c’était strictement interdit – tourné par un SS et
montrant comment trois mille juifs, hommes, femmes, enfants, mouraient
ensemble, asphyxiés dans une chambre à gaz du crématoire II d’Auschwitz, si
j’avais trouvé cela, non seulement je ne l’aurais pas montré, mais je l’aurait
détruit. Je ne suis pas capable de dire pourquoi. Cela va de soi. »152 Affirmer de
façon si péremptoire que Shoah c’est la Shoah signifie simplement réduire cette
dernière à une construction discursive, à un récit façonné par le langage dans
lequel le témoignage ne renvoie plus à une réalité factuelle originaire et
fondatrice, mais dans lequel, au contraire, la mémoire se suffit à elle-même, en
se constituant en événement. Et puisque Shoah se déroule comme une succession
de dialogues dont le sujet reste Lanzmann, elle révèle aussi la posture
narcissique de son auteur qui se considère lui-même, en dernière analyse,
comme un élément consubstantiel de l’événement.
Ajoutons que Lanzmann ne se satisfait pas de substituer la mémoire à
l’événement, car il l’oppose à l’histoire, c’est-à-dire au récit du passé visant son
interprétation. « Ne pas comprendre », écrit-il, a été sa « loi d’airain » pendant
les années de préparation de Shoah : un « aveuglement » qu’il revendique non
seulement comme condition de « l’acte de transmettre » implicite à sa création,
mais aussi comme posture épistémologique qu’il oppose « à la question du
pourquoi, avec la suite indéfinie des académiques frivolités ou des canailleries
qu’elle ne cesse d’induire153 ». Cette posture renvoie à la règle que les nazis
avaient imposée à Auschwitz : « Hier ist kein Warum » (« Ici, il n’y a pas de
pourquoi »), règle que Primo Levi trouvait « repoussante »154 mais que
Lanzmann a décidé d’intérioriser comme sa propre « loi ». Il est difficile de ne
pas voir dans cette interdiction du « pourquoi » une sacralisation de la mémoire
(certains disent une forme de « religiosité séculière »155) de coloration
passablement obscurantiste. Il s’agit d’une interdiction normative de la
compréhension qui frappe au cœur l’acte même d’écriture de l’histoire comme
tentative d’interprétation, ce que Levi appelait « la compréhension salvatrice »
(la salvazione del capire) et qui constituait à ses yeux le but de tout effort de
remémoration du passé156.

Une autre forme de substitution de la mémoire à la réalité historique est suggérée


par un philosophe parmi les plus originaux de ces dernières années, Giorgio
Agamben. Dans Ce qui reste d’Auschwitz, il interroge l’« aporie » au cœur de
l’extermination des juifs, « une réalité telle qu’elle excède nécessairement ses
éléments factuels », en créant ainsi un clivage « entre les faits et la vérité, entre
la constatation et la compréhension »157. Pour sortir de cette impasse, il fait
appel à Primo Levi qui, dans Les Naufragés et les Rescapés, présentait le
« musulman » – le détenu d’Auschwitz arrivé au dernier stade d’épuisement
physique et d’anéantissement psychologique, réduit à un squelette et désormais
incapable de pensée et de parole – comme le « témoin intégral ». C’est lui,
écrivait Levi, le vrai témoin, celui qui a touché l’abîme et n’a pas survécu pour
le raconter, et dont les rescapés des camps seraient au fond les porte-parole :
« Nous, nous parlons à leur place, par délégation. »158 Alors que Levi, en
évoquant la figure du « musulman », voulait souligner le caractère précaire,
subjectif, incomplet des récits faits par les témoins réellement existants, les
survivants, ceux qui n’avaient pas vu « la Gorgone », autrement dit ceux qui
avaient échappé aux chambres à gaz, Agamben, lui, transforme le « musulman »
en paradigme des camps nazis. La preuve irréfutable d’Auschwitz et donc la
réfutation ultime du négationnisme, écrit-il en conclusion de son ouvrage, réside
précisément dans cette impossibilité de témoigner. Selon Agamben, Auschwitz
est « ce dont il est impossible de témoigner » et les rescapés des camps de la
mort, en prenant la parole à la place du « musulman », celui qui ne peut pas
parler, ne sont que les témoins de cette impossibilité du témoignage159. À ses
yeux, le noyau profond d’Auschwitz ne se trouve pas dans l’extermination mais
dans la « production » du « musulman », cette figure hybride entre la vie et la
mort (non-uomo)160. C’est pourquoi il en fait une icône (en prenant pour prétexte
la modestie dont fait preuve Levi lorsqu’il indique les limites de son propre
témoignage). Mais cette vision des camps nazis comme lieux de domination
biopolitique sur des détenus réduits à la « vie nue » (nuda vita) manque
singulièrement d’épaisseur historique. Agamben semble oublier que la grande
majorité des juifs exterminés dans les camps nazis n’étaient pas des
« musulmans » car ils n’ont pas été envoyés à la chambre à gaz lorsqu’ils étaient
au bout de leurs forces mais le jour même de leur arrivée au camp161. Si
Agamben a pu négliger un fait si évident, c’est précisément parce que cela ne
constitue pas, à ses yeux, le cœur du problème. Toute son argumentation part du
postulat selon lequel la preuve d’Auschwitz ne réside pas dans le fait de
l’extermination – une vérité qui serait disqualifiée à ses yeux par le hiatus qui
sépare l’événement de sa compréhension – mais dans l’impossibilité de son
énonciation, incarnée par le « musulman ». Si Auschwitz a existé, ce n’est pas
tellement parce qu’il y a eu les chambres à gaz, mais parce que les rescapés ont
pu restituer une voix au « musulman », le « témoin intégral », en l’arrachant à
son silence. Encore une fois, l’histoire est réduite à une construction linguistique
dont la mémoire – dissociée du réel – constitue la trame. Fonder la critique du
négationnisme sur une telle métaphysique du langage (d’inspiration
existentialiste et structuraliste à la fois162) est une opération douteuse qui risque
de garder intacte l’« aporie » d’Auschwitz tout en enlevant à sa vérité sa base
matérielle. Et on peut comprendre aussi le malaise avec lequel les rescapés
d’Auschwitz, les témoins réellement existants, ont accueilli Ce qui reste
d’Auschwitz. Philippe Mesnard et Claudine Kahan ont souligné à juste titre cet
aspect du problème en conclusion de leur critique : « L’écoute de ce que peuvent
dire ces rescapés, comment ils peuvent le dire, fait place [dans le livre
d’Agamben] à une glose sur le silence qui leur est ainsi imparti. À la place de
ces derniers, Agamben présente le musulman, seul témoin qui vaille à ses yeux,
être sans référence – à partir duquel Agamben peut précisément construire sa
propre référence –, abandonné par l’identité, dont l’existence se réduit à l’espace
qu’occupe, dans le langage, son image quasi transparente. »163
Vérité et justice

Dans la relation complexe que l’histoire établit avec la mémoire s’inscrit le lien
que les deux entretiennent avec les notions de vérité et de justice. Ce lien devient
de plus en plus problématique avec la tendance aujourd’hui croissante à une
lecture judiciaire de l’histoire et à une « judiciarisation de la mémoire »164.
Désormais au centre de notre conscience historique, la vision du XXe siècle
comme le siècle de la violence, a souvent conduit l’historiographie à travailler
avec des catégories analytiques empruntées au droit pénal. Les acteurs de
l’histoire sont ainsi, de plus en plus souvent, ramenés aux rôles des exécuteurs,
des victimes et des témoins165. Les exemples les plus connus qui illustrent cette
tendance sont ceux de Daniel J. Goldhagen et de Stéphane Courtois. Le premier
a interprété l’histoire de l’Allemagne moderne comme le processus de
construction d’une communauté d’exécuteurs166. En troquant les habits de
l’historien contre ceux du procureur, le second a ramené l’histoire du
communisme à l’essor d’une entreprise criminelle pour laquelle il a réclamé un
nouveau procès de Nuremberg167.
Au fond, le rapport entre justice et histoire est une vieille question (voir
l’intervention des plus éminents historiens français lors du procès Zola, en
1898168), aujourd’hui remise à l’ordre du jour par une série de procès au cours
desquels de nombreux historiens ont été convoqués en qualité de témoins. Il
serait difficile de comprendre les procès Barbie, Touvier et Papon en France, le
procès Priebke en Italie ou encore les tentatives d’instruction d’un procès
Pinochet, en Europe comme au Chili, sans les mettre en relation avec
l’émergence, au sein de la société civile de ces pays et de l’opinion publique
mondiale, d’une mémoire collective du fascisme, des dictatures et de la Shoah.
Ces procès ont été des moments de remémoration publique de l’histoire où le
passé a été reconstitué et jugé dans une salle de tribunal. Au cours des audiences,
des historiens ont été convoqués pour « témoigner », c’est-à-dire pour éclairer
grâce à leurs compétences le contexte historique des faits concernés. Devant la
cour, ils ont prêté serment en déclarant, comme tout témoin : « Je jure de dire la
vérité, rien que la vérité, toute la vérité. »169 Ce « témoignage » sui generis
soulevait bien sûr des questions d’ordre éthique, mais il renouvelait aussi des
interrogations plus anciennes d’ordre épistémologique. Il remettait en cause le
rapport de la justice à la mémoire d’un pays et celui du juge à l’historien, avec
leurs modalités respectives de traitement des preuves et le statut différent de la
vérité selon qu’elle est produite par la recherche historique ou énoncée par le
verdict d’un tribunal. Soucieux de distinguer les domaines respectifs de la
justice, de la mémoire et de l’histoire, Henry Rousso a refusé de témoigner lors
du procès Papon en motivant son choix avec des arguments rigoureux et à
plusieurs égards éclairants. « La justice – affirme-t-il – se pose la question de
savoir si un individu est coupable ou innocent ; la mémoire nationale est la
résultante d’une tension existant entre des souvenirs mémorables et
commémorables et des oublis qui permettent la survie de la communauté et sa
projection dans le futur ; l’histoire est une entreprise de connaissance et
d’élucidation. Ces trois registres peuvent se superposer, et c’est ce qui s’est
passé dans les procès pour crimes contre l’humanité. Mais c’était d’emblée les
investir d’une charge insupportable : ils ne pouvaient être de manière égale à la
hauteur des enjeux respectifs de la justice, de la mémoire et de l’histoire. »170
Ce mélange des genres semblait exhumer l’ancien aphorisme de Schiller,
repris par Hegel, sur le tribunal de l’Histoire : Die Weltgeschichte ist das
Weltgericht, « L’histoire du monde est le tribunal du monde », aphorisme qui
sécularise la morale et l’idée de justice, en la situant dans la temporalité du
monde profane et en faisant de l’historien son gardien171. On peut s’interroger
sur la pertinence de cette sentence à propos de procès qui, loin de juger un passé
révolu et désormais clos, susceptible d’être contemplé de loin, ne sont que des
moments d’élaboration d’« un passé qui ne veut pas passer ». Pour les parties
civiles, cependant, ils ont pris les traits d’une Némésis réparatrice de l’Histoire.
Contre cet adage hégélien, il était inévitable d’en opposer un autre : l’historien
n’est pas un juge, sa tâche ne consiste pas à juger mais à comprendre. Dans son
Apologie pour l’histoire, Marc Bloch en a donné une formulation classique :
« Quand le savant a observé et expliqué, sa tâche est finie. Au juge, il reste
encore à rendre sa sentence. Imposant silence à tout penchant personnel, la
prononce-t-il selon la loi ? Il s’estimera impartial. Il le sera, en effet, au sens des
juges. Non au sens des savants. Car on ne saurait condamner ou absoudre sans
prendre parti pour une table des valeurs qui ne relève plus d’aucune science
positive. »172 Mais il faudrait aussi rappeler que, dans Une étrange défaite,
Bloch ne s’abstenait pas de juger et que, quitte à prôner une vision éculée (et
illusoire) de l’historiographie comme science « axiologiquement neutre », on est
bien obligé de reconnaître que tout travail historique véhicule aussi,
implicitement, un jugement sur le passé. Il serait faux de ne voir qu’arrogance
derrière l’aphorisme hégélien sur l’histoire comme « tribunal du monde ». Pierre
Vidal-Naquet rappelle dans ses mémoires l’impression que lui fit le passage
saisissant de Chateaubriand qui attribue à l’historien, « lorsque, dans le silence
de l’abjection, l’on n’entend plus retentir que la chaîne de l’esclave et la voix du
délateur », la noble tâche de « la vengeance des peuples ». Avant d’être la source
d’une vocation, rappelle-t-il, ce désir de rachat et de justice fut pour lui « une
raison de vivre »173.
La contribution la plus lucide sur cette épineuse question reste celle de Carlo
Ginzburg, à l’occasion du procès Sofri en Italie174. L’historien, souligne
Ginzburg, ne doit pas s’ériger en juge, il ne peut pas émettre des sentences. Sa
vérité – résultat de sa recherche – n’a pas un caractère normatif ; elle reste
partielle et provisoire, jamais définitive. Seuls les régimes totalitaires, où les
historiens sont réduits au rang d’idéologues et de propagandistes, possèdent une
vérité officielle. L’historiographie n’est jamais figée, car à chaque époque notre
regard sur le passé – interrogé à partir de questionnements nouveaux, sondé à
l’aide de catégories d’analyse différentes – se modifie. L’historien et le juge,
cependant, partagent un même but : la recherche de la vérité, et cette quête de
vérité nécessite des preuves. La vérité et la preuve, telles sont les deux notions
qui se trouvent au centre du travail du juge comme de l’historien. L’écriture de
l’histoire, ajoute Ginzburg, implique d’ailleurs un procédé argumentatif – une
sélection des faits et une organisation du récit – dont le paradigme demeure la
rhétorique de souche judiciaire. La rhétorique est « un art de la persuasion né
devant les tribunaux »175 ; c’est là que, devant un public, on a codifié la
reconstruction d’un fait par des mots. Ce n’est pas négligeable, mais là s’arrête
l’affinité. La vérité de la justice est normative, définitive et contraignante. Elle
ne vise pas à comprendre, mais à établir des responsabilités, à absoudre les
innocents et à punir les coupables. Comparée à la vérité judiciaire, celle de
l’historien n’est pas seulement provisoire et précaire, elle est aussi bien plus
problématique. Résultat d’une opération intellectuelle, l’histoire est analytique et
réflexive, essayant de mettre en lumière les structures sous-jacentes aux
événements, les relations sociales dans lesquelles sont impliqués les hommes et
les motivations de leurs actes176. Bref, c’est une autre vérité, indissociable de
l’interprétation. Elle ne se limite pas à établir les faits, mais essaie de les placer
dans leur contexte, de les expliquer, en formulant des hypothèses et en
recherchant des causes. Si l’historien adopte, pour reprendre encore la définition
de Ginzburg, un « paradigme indiciaire »177, son interprétation ne possède pas la
rationalité implacable, mesurable et incontestable, des démonstrations de
Sherlock Holmes.
Les mêmes faits engendrent des vérités distinctes. Là où la justice accomplit
sa mission en désignant et en condamnant le coupable d’un crime, l’histoire
commence son travail d’enquête et d’interprétation, en essayant d’expliquer
comment il est devenu un criminel, son rapport à la victime, le contexte dans
lequel il a agi, ainsi que l’attitude des témoins qui ont assisté au crime, qui ont
réagi, qui n’ont pas su l’empêcher, qui l’ont toléré ou approuvé. Ces
considérations peuvent conforter la décision des historiens qui n’ont pas accepté
de « témoigner » lors du procès Papon. Elle est recevable, au même titre que les
motivations de ceux qui se sont rendus à la convocation des juges. Ils l’ont fait
pour ne pas se soustraire, en tant que citoyens, à un devoir civique que leur
métier rendait à leurs yeux encore plus impératif. D’une part, leur
« témoignage » a contribué à mélanger les genres et à conférer à un verdict
judiciaire le statut d’une vérité historique officielle, en transformant une cour en
« tribunal de l’Histoire ». D’autre part, il a pu éclairer un contexte et rappeler des
faits qui risquaient de rester absents tant des actes du procès que de la réflexion
qui l’a accompagné au sein de l’opinion publique.
« Moraliser l’histoire »178 : cette exigence avancée par Jean Améry dans ses
sombres méditations sur le passé nazi est à l’origine des procès évoqués ci-
dessus. Les victimes et leurs descendants les ont vécus comme des actes
symboliques de réparation. Ailleurs, ils se battent pour que ces procès aient lieu,
comme aujourd’hui, au Chili, les rescapés de la dictature de Pinochet et leurs
descendants. Il ne s’agit pas d’identifier justice et mémoire, mais souvent faire la
justice signifie aussi rendre justice à la mémoire. La justice a été, tout au long du
XXe siècle – au moins depuis Nuremberg sinon depuis l’Affaire Dreyfus – un
moment important dans la formation d’une conscience historique collective.
L’imbrication de l’histoire, de la mémoire et de la justice est au centre de la vie
collective. L’historien peut opérer les distinctions nécessaires mais il ne peut pas
nier cette imbrication ; il doit l’assumer, avec les contradictions qui en
découlent. Charles Péguy en avait eu l’intuition lors de l’Affaire Dreyfus,
lorsqu’il écrivait que « l’historien ne prononce pas de jugements judiciaires ; il
ne prononce pas de jugements juridiques ; on pourrait presque dire qu’il ne
prononce pas même de jugements historiques ; il élabore constamment des
jugements historiques ; il est en perpétuel travail »179. On pourrait voir là une
profession de relativisme ; en réalité, c’est la reconnaissance du caractère
instable et provisoire de la vérité historique qui, au-delà de l’établissement des
faits, contient sa part de jugement indissociable d’une interprétation du passé
comme problème ouvert plutôt que comme inventaire clos et définitivement
archivé.
IV. Usages politiques du passé

La mémoire de la Shoah comme religion civile

Peut-on faire un usage critique de la mémoire ? Les commémorations du


soixantième anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz nous offrent, de
ce point de vue, une abondante matière à réflexion. L’ampleur même de ces
commémorations, auxquelles ont participé des dizaines de chefs d’État, est en
soi un phénomène remarquable. À coup sûr, elle révèle la place qu’occupe le
génocide des juifs dans notre paysage mémoriel de ce début du XXIe siècle, son
intégration dans notre conscience historique. Les différences entre ces
commémorations et celles du cinquantenaire sont elles aussi révélatrices.
Beaucoup plus modestes, elles avaient été marquées par la crainte de l’oubli. La
toute récente réunification de l’Allemagne soulevait des interrogations légitimes
quant à la place que la mémoire des crimes nazis occuperait dans un pays
redevenu « normal » et, disaient certains, libéré de ses fantômes. On craignait
que la fin de cette division – sorte de rappel permanent du passé et du nazisme
selon Günter Grass, l’un des plus acharnés pourfendeurs de la réunification – ne
devienne le prétexte d’un nouveau refoulement. Aujourd’hui, force est de
constater que ce refoulement n’a pas eu lieu, que la mémoire du nazisme, bien
que toujours conflictuelle, reste vivante en Allemagne comme dans le reste du
monde occidental. La crainte de l’oubli n’existe plus. S’il y a crainte, elle tient
plutôt, comme plusieurs commentateurs l’ont souligné, aux effets négatifs d’un
« excès de mémoire ». Bref, le risque n’est pas celui d’oublier la Shoah, mais de
faire un mauvais usage de sa mémoire, de l’embaumer, de l’enfermer dans les
musées et d’en neutraliser le potentiel critique, ou pire, d’en faire un usage
apologétique de l’actuel ordre du monde.
Je ne crois pas être le seul à avoir éprouvé un certain malaise en regardant les
images de Dick Cheney, Tony Blair et Silvio Berlusconi à Auschwitz. Leur
présence semblait nous envoyer un message rassurant, mais au fond
apologétique, consistant à voir le nazisme comme une légitimation en négatif de
l’Occident libéral considéré comme le meilleur des mondes. L’Holocauste fonde
ainsi une sorte de théodicée séculière qui consiste à remémorer le mal absolu
pour nous convaincre que notre système incarne le bien absolu. Dans les jours
suivants, lors d’une émission de radio du dimanche matin fort écoutée, un
politologue français a répété à plusieurs reprises que « Auschwitz n’était pas
Guantanamo ». Auschwitz n’est pas Guantanamo : cette insistance à souligner ce
fait évident et incontestable soulève une interrogation. On a l’impression que,
pour certains, la commémoration de la libération du camp d’Auschwitz serait
une bonne occasion à saisir pour montrer que, au fond, Guantanamo n’est pas si
grave. Il ne s’agit pas de mettre un trait d’égalité entre Auschwitz et
Guantanamo, mais plutôt de se demander si, après Auschwitz, nous pouvons
tolérer Guantanamo et Abou-Ghraib, s’il n’y a pas quelque indécence dans le fait
que ce soient précisément les responsables de Guantanamo et d’Abou-Ghraib qui
nous représentent lors d’une cérémonie consacrée aux victimes du nazisme. Pour
ne pas parler de Poutine, le bourreau des Tchétchènes, qui a réussi l’exploit, dans
son allocution à Auschwitz, de ne jamais prononcer le mot « juifs ». Le
problème s’était déjà posé, il y a une dizaine d’années, lors de la guerre dans
l’ex-Yougoslavie. À ceux que scandalisait la comparaison entre Milosevic et
Hitler, à coup sûr excessive, Marek Edelman, l’un des derniers survivants de
l’insurrection du ghetto de Varsovie, rétorquait que Srebreniza était à ses yeux
une « victoire posthume de Hitler »180.
Il serait sans doute plus fructueux de saisir les commémorations du
soixantième anniversaire de la libération d’Auschwitz pour amorcer une
réflexion critique sur le présent, en essayant de répondre aux interrogations que
la mémoire des camps nazis soulève sur les sociétés qui sont les nôtres. Cet
exercice avait déjà été tenté, juste après la guerre, par Horkheimer et Adorno, les
chefs de file de l’école de Francfort. À contre-courant de la vision alors
dominante qui consistait à interpréter le nazisme comme l’expression d’une
rechute de la civilisation dans la barbarie, ils y voyaient l’aboutissement d’une
dialectique négative qui avait transformé la raison d’instrument émancipateur en
instrument de domination et le progrès technique et industriel en régression
humaine et sociale. Adorno définissait l’Holocauste comme l’expression d’« une
barbarie qui s’inscrit dans le principe même de la civilisation »181. Contre la
tendance rassurante à voir le nazisme comme une légitimation en négatif de
l’Occident libéral, ces philosophes ont lancé une mise en garde sévère. Le
totalitarisme est né au sein de la civilisation elle-même, il en est le fils. Cette
civilisation demeure la nôtre et nous vivons toujours dans un monde dont
Auschwitz délimite un horizon de possibilité, bien que sa violence puisse
prendre d’autres formes ou d’autres cibles.
On peut comprendre Habermas, lorsqu’il écrit que c’est seulement « après et
par Auschwitz (nach und durch Auschwitz) » que l’Allemagne a intégré
l’Occident182. C’est en effet sous l’impact du génocide des juifs que l’Allemagne
a amorcé une rupture avec son autoperception traditionnelle comme
communauté ethnique (exclusivement fondée sur le droit du sang) et commencé
à redessiner son identité selon les lignes d’une communauté politique, comme
une nation de citoyens. Il s’agit là d’une conséquence fructueuse de la mémoire
de l’Holocauste. Mais l’Occident ne se réduit pas à l’État de droit et à la
démocratie libérale. Le nazisme ne s’inscrit pas dans l’histoire de l’Occident
seulement comme expression extrême des contre-Lumières. Son idéologie et sa
violence condensaient plusieurs tendances à l’œuvre en Europe depuis le XIXe
siècle : le colonialisme, le racisme et l’antisémitisme moderne. Il était un fils de
l’histoire occidentale. L’Europe libérale du XIXe siècle en avait été l’incubatrice.
Le problème qui se pose est donc celui du rapport de la Shoah au processus de
civilisation. L’Holocauste impliquait le monopole étatique de la violence que
Norbert Elias et Max Weber, dans le sillage de Hobbes, avaient interprété
comme un vecteur de pacification de la société et, par conséquent, comme un
acquis du processus de civilisation. Dans sa mise en œuvre, ce génocide
supposait les structures constitutives de la civilisation moderne : la technique,
l’industrie, la division du travail, l’administration bureaucratico-rationnelle.
C’est la technique industrielle qui a permis la production sérielle de la mort.
Bref, la formule conventionnelle – qu’Auschwitz fonctionnait comme une usine
productrice de mort – n’implique certes pas que toute usine serait un camp
d’extermination potentiel, mais soulève un questionnement sur la normalité de
nos sociétés modernes et sur sa compatibilité avec la violence totalitaire qui, loin
de supprimer cette normalité, la suppose et l’utilise. Après avoir constaté que
« l’Holocauste ne trahissait pas l’esprit de la modernité », le sociologue
Zygmunt Bauman a souligné que « les conditions propices à la perpétration du
génocide sont spéciales mais pas du tout exceptionnelles. Rares, mais pas
uniques […]. Pour ce qui est de la modernité, le génocide n’est ni une anomalie
ni un dysfonctionnement »183.
Penser le rapport d’Auschwitz à la modernité occidentale peut conduire à
remettre en cause notre « ordinaire ». Les zones d’attente où sont retenus les
étrangers en situation irrégulière et les demandeurs d’asile – elles ont proliféré
en Europe au cours de ces dernières années – ne sont certes pas comparables aux
camps nazis. Elles possèdent néanmoins, au sein de nos sociétés démocratiques,
certains traits essentiels qui définissent le paradigme du camp de concentration,
c’est-à-dire, selon Giorgio Agamben, « un espace qui s’ouvre quand l’état
d’exception commence à devenir la règle »184. Elles sont en effet des espaces
anomiques dans lesquels tout est possible, non parce qu’ils seraient conçus
comme des lieux d’anéantissement mais parce qu’il s’agit de lieux de non-droit.
Les personnes qui y sont internées correspondent à la définition du « paria » que
donnait Hannah Arendt : un hors-la-loi, non pas parce qu’il aurait transgressé la
loi, mais parce qu’il n’y a aucune loi qui puisse le reconnaître et le protéger. Des
individus, ajoutait-elle en évoquant les apatrides, « superflus » aux yeux de la
communauté des nations. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les
réfugiés en dénombre cinquante millions dans le monde d’aujourd’hui. Plusieurs
dizaines de milliers sont internés chaque année dans les pays de l’Union
européenne, invisibles, comme des présences « métaphoriquement
immatérielles »185. Il y a un passage, dans Les Origines du totalitarisme, que
nous ne pouvons pas lire aujourd’hui sans penser à l’actualité : « Avant de faire
fonctionner les chambres à gaz, les nazis avaient soigneusement étudié la
question et découvert à leur grande satisfaction qu’aucun pays n’allait réclamer
ces gens-là. Ce qu’il faut bien savoir, c’est qu’une condition de complète
privation de droits avait été créée bien avant que le droit de vivre ne soit
contesté. »186
Mais il y a aussi une autre mémoire d’Auschwitz. À l’époque où le génocide
juif était absent du discours officiel, son souvenir alimentait une réflexion et un
engagement qui n’avaient rien de conformiste. En France, la mémoire
d’Auschwitz et de Buchenwald a été un levier puissant pour les mobilisations
contre la guerre d’Algérie. La France coloniale qui opprimait, torturait et tuait,
évoquait des souvenirs pour tous ceux qui, quelques années plus tôt, s’étaient
battus contre l’occupation allemande. Alain Resnais réalisait Nuit et Brouillard
en 1955, comme un rappel de l’histoire. Témoignant en 1960 au procès de
Francis Jeanson, jugé pour avoir créé en France un réseau de soutien au FLN,
Pierre Vidal-Naquet comparait les meurtres commis en Algérie par l’armée
française aux chambres à gaz d’Auschwitz où étaient morts ses parents. La
comparaison était certes exagérée, comme il l’a d’ailleurs reconnu dans ses
mémoires187. Aujourd’hui, de telles positions susciteraient la colère des
« gardiens du Temple » de la mémoire de l’Holocauste. Elles révèlent un
paysage mémoriel et politique bien différent du nôtre, et aussi les limites de
l’historiographie (au sens le plus traditionnel du terme), à une époque où la
distinction entre camps de concentration et camps d’extermination était loin
d’être claire. Mais elles révèlent aussi la présence d’un souvenir encore récent,
vif, chaud, qui agissait comme une incitation très puissante à se battre contre les
injustices et les oppressions du présent. C’est ce souvenir qui inspirait le choix
de plusieurs signataires du « Manifeste des 121 » pour l’insoumission en Algérie
et il sera évoqué dans les procès de l’époque. Pour le trotskiste hollandais Sal
Santen, rescapé des camps nazis puis condamné en 1960 pour avoir participé à la
création d’une fabrique d’armes clandestine pour le FLN, il ne faisait pas de
doute que l’engagement anticolonialiste ne faisait que prolonger l’antifascisme.
La comparaison entre crimes nazis et violences coloniales traversait les écrits de
Frantz Fanon et même les déclarations du tribunal Russell sur le Vietnam.
La mémoire d’Auschwitz, souterraine mais agissante, est également une clef
indispensable pour expliquer l’antifascisme du mouvement étudiant puis de la
gauche révolutionnaire après 1968. Ce substrat de la mémoire collective, à
l’époque occulté du discours officiel, pouvait par moments refaire surface
comme lors de l’expulsion de Daniel Cohn-Bendit par le général de Gaulle, qui
fit descendre dans les rues des dizaines de milliers de jeunes criant « Nous
sommes tous des juifs allemands ». Ce slogan possédait alors une force
libératrice dont il est difficile de comprendre aujourd’hui toute la portée.
En Allemagne, après le silence de l’ère Adenauer, la mémoire d’Auschwitz
devait réapparaître, dès les années 1960, comme un moteur de la protestation
étudiante. Une nouvelle génération demandait des comptes à celle qui l’avait
précédée, remettait en cause le passé allemand et dénonçait les liens unissant la
nouvelle Allemagne de Bonn au IIIe Reich. Il ne s’agit certes pas d’idéaliser
cette révolte ou d’en cacher les limites et les ambiguïtés. Plusieurs analystes ont
souligné les résidus d’un nationalisme aux traits antisémites qui pouvait
sommeiller dans la virulence de l’antisionisme, de l’anti-impérialisme et de
l’antiaméricanisme de la gauche extraparlementaire188. Ce qui ne devrait pas
empêcher de voir que cette révolte fut le point de départ de toutes les querelles
des décennies suivantes autour du « passé qui ne veut pas passer » et de la
formation d’une conscience historique nouvelle dont la mémoire des crimes
nazis constitue un élément central.
Cette remémoration a trouvé une illustration littéraire notable, en 1975, dans
W ou le souvenir d’enfance de Georges Perec. Ce roman s’articule autour d’un
double récit, celui de la mémoire et celui d’une fiction politique inspirée de
l’actualité : d’une part ses souvenirs d’orphelin, fils de juifs polonais immigrés
en France, déportés et exterminés à Auschwitz ; d’autre part, la chronique d’une
société totalitaire, W, située en Amérique latine, organisée comme un système
totalitaire fondé sur le principe de la compétition sportive et aboutissant
finalement au massacre. Ce roman se termine par les mots suivants : « J’ai
oublié les raisons qui, à douze ans, m’ont fait choisir la Terre de Feu pour y
installer W : les fascistes de Pinochet se sont chargés de donner à mon fantasme
une ultime résonance : plusieurs îlots de la Terre de Feu sont aujourd’hui des
camps de déportation. »189
Mais l’on peut trouver des exemples récents d’un bon usage de la mémoire de
l’Holocauste. Par exemple celui de l’africaniste Jean-Pierre Chrétien qui publiait
en avril 1994 un article dans Libération où il dénonçait les crimes d’un
« nazisme tropical » au Rwanda190. D’un point de vue analytique, ce concept ne
paraît pas très pertinent dans la mesure où il assimile deux génocides, celui des
Tutsi et celui des juifs, très différents par leurs contextes, par la nature des
régimes politiques qui les ont conçus et par les moyens avec lesquels ils ont été
perpétrés. Du point de vue de l’usage public de l’histoire, en revanche, ce
concept était très bien choisi. En avril 1994, lorsque l’opinion publique
apparaissait encore largement incrédule ou indifférente vis-à-vis de massacres
que les médias caractérisaient souvent comme « conflits tribaux », parler de
« nazisme tropical » avait un sens, celui de s’appuyer sur la conscience
historique du monde occidental, dans laquelle la Shoah occupe aujourd’hui une
place centrale, pour attirer l’attention sur un génocide en cours. Il s’agissait de
montrer que le Rwanda était en train de vivre une tragédie aussi grave que la
Shoah et qu’il fallait réagir pour essayer de l’empêcher. D’un point de vue
éthico-politique, la notion de « nazisme tropical » était donc parfaitement
justifiée. Malheureusement, il est plus facile de commémorer les génocides,
surtout à des décennies de distance, que de les empêcher.
L’éclipse de la mémoire du communisme

Dans Le Spleen contre l’oubli, Dolf Oehler a montré à quel point la culture
française du Second Empire fut hantée par la mémoire de juin 1848, dans une
société qui essayait d’exorciser par tous les moyens le souvenir de cette révolte
devenue presque innommable191. Il se passe aujourd’hui quelque chose
d’analogue. L’idée même de révolution est criminalisée, automatiquement
ramenée à la catégorie du « communisme » et ainsi archivée au chapitre
« totalitarisme » de l’histoire du XXe siècle. Elle est assimilée à la Terreur et la
Terreur réduite à l’accomplissement cohérent d’une idéologie criminelle192. Le
capitalisme et le libéralisme semblent redevenus le destin inéluctable de
l’humanité, comme ils avaient été décrits par Adam Smith à l’époque de la
révolution industrielle et par Tocqueville après la Restauration. Ce diagnostic ne
désigne pas un nouvel ordre à bâtir, dont on apercevrait à peine les traits, mais
un système social et politique présenté comme la seule réponse possible aux
horreurs du XXe siècle. Le contraste est frappant avec le paysage mémoriel du
siècle achevé. Lors des moments les plus sombres de l’« âge des extrêmes »,
quand le vieux monde était secoué par une guerre destructrice qui le faisait
ressembler à un tableau de Jérôme Bosch, quand le sentiment se répandait que
l’humanité était au bord de l’abîme et que la civilisation risquait de connaître
une éclipse définitive, le communisme apparaissait, aux yeux de millions
d’hommes et de femmes, comme une alternative pour laquelle il valait la peine
de se battre. Dans l’idée de communisme il y avait certes une part d’illusion, de
mystification et d’aveuglement dont seule une minorité, parmi ses défenseurs,
avait conscience. Elle était cependant fortement enracinée dans la société, dans
la culture et dans l’espérance des classes populaires. Communisme était un mot
porteur de multiples significations. Il voulait dire prendre en main son propre
destin, s’émanciper, se battre contre le fascisme, contre l’injustice, contre
l’oppression, bâtir une société d’égaux. Il renvoyait aussi à de plus sombres
réalités : l’avancée « libératrice » de l’Armée rouge, la discipline, la raison du
Parti, le culte de Staline. Aspirations libertaires, calculs machiavéliques et
menaces totalitaires se côtoyaient dans une dialectique historique que l’« âge des
extrêmes » avait poussée à son paroxysme. En France et dans plusieurs pays de
l’Ouest européen, la mémoire du communisme est tout d’abord celle d’une
« contre-société »193 – caserne, église et communauté fraternelle tout à la fois –
qui aujourd’hui n’existe plus. Si les ombres et les contradictions que recelait
cette idée de communisme sont désormais bien visibles, si ses illusions sont
détruites, il faut reconnaître aussi que son horizon d’espérance a disparu. Les
mouvements de masse les plus radicaux n’osent plus s’en réclamer ni le
revendiquer. Les zapatistes mexicains ne parlent pas de communisme mais de
dignité et de justice. Les forces qui se sont mobilisées au cours de ces dernières
années contre la mondialisation néolibérale, de Seattle à Gênes, ont des idées
très claires sur ce qu’elles ne veulent pas – un monde réifié et transformé en
marchandise –, mais n’osent pas proposer un modèle alternatif de société. Les
étudiants chinois rassemblés sur la place Tien an Men en 1989 ne revendiquaient
pas, comme à Prague en 1968, un « socialisme à visage humain », mais la liberté
et la démocratie. Dans les pays d’Europe centrale, nombreux sont ceux qui,
après avoir lutté pour un socialisme authentique, sont devenus des responsables
non seulement du retour à la démocratie, mais aussi de la restauration du
capitalisme.
Entré dans la conscience historique du monde occidental depuis la fin des
années 1970 comme un événement central du XXe siècle, le souvenir des camps
de la mort nazis s’est soudé, après la chute du mur de Berlin et l’effondrement de
l’empire soviétique, avec la mémoire du « socialisme réellement existant ». Ils
sont devenus indissociables, comme les icônes d’une « ère des tyrans »
définitivement révolue194. L’élaboration de la mémoire du passé fasciste et nazi,
entamée depuis quelques décennies dans plusieurs pays européens, s’est
télescopée avec la fin du communisme. La conscience historique du caractère
meurtrier du nazisme a servi de paramètre pour mesurer la dimension criminelle
du communisme, rejeté en bloc – régimes, mouvements, idéologies, hérésies et
utopies comprises – comme l’un des visages d’un siècle de barbarie. La notion
de totalitarisme, jadis rangée dans les étagères les moins fréquentées des
bibliothèques de la guerre froide, a connu un retour spectaculaire comme clé de
lecture la plus apte, sinon la seule capable de déchiffrer les énigmes d’un âge de
guerres, de dictatures, de destructions et de massacres195. Une fois décapité le
monstre totalitaire à tête de Janus, l’Occident a connu une nouvelle jeunesse,
presque une nouvelle virginité. Si le nazisme et le communisme sont les ennemis
irréductibles de l’Occident, ce dernier cesse d’en constituer le berceau pour en
devenir la victime, le libéralisme s’érigeant en son rédempteur. Cette thèse
s’exprime sous différentes variantes, des plus vulgaires aux plus nobles. La
version vulgaire est celle du philosophe du Département d’État américain
Francis Fukuyama, pour lequel la démocratie libérale désigne, au sens hégélien
du terme, « la fin de l’Histoire », impliquant qu’il est impossible de concevoir un
monde qui soit à la fois distinct du monde actuel et meilleur196. La version noble
est celle de François Furet. Soulignant, dans Le Passé d’une illusion, que « ni le
fascisme ni le communisme n’ont été les signes inverses d’une destination
providentielle de l’humanité »197, Furet laisse entendre qu’une telle destination
providentielle existe bel et bien, représentée par leur ennemi commun : le
libéralisme.
Après avoir assimilé le mouvement et les appareils politiques, la révolution et
le régime, ses utopies et son idéologie, les soviets et la Tcheka, les historiens de
la nouvelle Restauration ont entrepris de condamner en bloc le communisme
comme une idéologie et une pratique intrinsèquement totalitaires. Débarrassée
de toute dimension libératrice, sa mémoire a été classée aux archives du siècle
des tyrans.
Certes, le XXe siècle a soulevé une interrogation majeure quant au diagnostic
de Marx sur le rôle du prolétariat comme libérateur de l’humanité. La révolution
russe (et, dans son sillage, celles qui l’ont suivie) a enfanté un régime totalitaire.
Tout ce contre quoi, depuis Babeuf et Marx, le communisme s’était insurgé –
l’oppression, l’inégalité, la domination – devint bientôt sa condition normale
d’existence. La violence « accoucheuse » de l’Histoire fut institutionnalisée
comme son mode de fonctionnement. L’appareil conçu comme moyen devint sa
propre fin, un fétiche exigeant son lot de victimes sacrificielles. Le mouvement
qui avait promis l’émancipation du travail, finalement arraché à sa forme
capitaliste, laissa la place à un système d’aliénation et d’oppression.
Le communisme, tel que nous l’avons connu sous ses formes historiques
concrètes après 1917, a été englouti avec le siècle qui l’avait engendré. Après
une époque de guerres et de génocides, de fascismes et de stalinisme, le
socialisme ne subsiste plus, comme à ses origines, que sous sa forme utopique.
Mais cette utopie est désormais lourdement chargée du poids de l’histoire qui la
transforme, selon les mots inspirés de Daniel Bensaïd, en un « pari
mélancolique »198. Elle se charge d’un sentiment aigu des défaites subies, des
catastrophes toujours possibles, et ce sentiment devient le véritable fil rouge
tissant la continuité de l’histoire comme histoire des vaincus.
À la différence de Marx, qui définissait les révolutions comme les
« locomotives de l’Histoire », Benjamin les interprétait comme le « frein de
secours » qui pouvait arrêter la course du train vers une catastrophe
éternellement renouvelée et briser le continuum de l’histoire199. La métaphore de
Marx restait prisonnière de la mythologie du progrès dont les chemins de fer,
expression de la société industrielle, image de la puissance et de la vitesse,
avaient été le symbole tout au long du XIXe siècle. Après les rails de Birkenau,
après les voies ferrées que les zeks ont bâti dans les goulags de Sibérie, les
locomotives n’évoquent plus la révolution.
Nous ne sommes plus au milieu de la tempête, comme nos ancêtres de l’entre-
deux-guerres. Nous vivons, tout au moins provisoirement, dans un paysage post-
catastrophique, à l’abri des calamités qui affligent d’autres régions de la planète.
Et avec la catastrophe s’est éloignée la révolution, son corollaire. Puisque son
« champ d’expérience » s’éloigne de nous comme un passé révolu, son « horizon
d’attente » est devenu invisible200. Nous ne savons pas si le communisme pourra
redevenir un jour un « horizon d’attente », une « utopie concrète », comme le
définissait Ernst Bloch. Ce qui est certain, c’est que son champ d’expérience
s’est éclipsé de notre paysage mémoriel et qu’il attend encore son anamnèse.
De ce point de vue, la mémoire du communisme a connu une parabole
analogue à celle d’autres mouvements émancipateurs. Comme l’ont souligné
plusieurs historiens, mai 68 n’évoque plus, dans l’imaginaire collectif, la plus
grande grève générale de l’histoire française, mais le rite de passage vers une
société individualiste et le moment de formation d’une nouvelle élite « libérale-
libertaire ». L’analogie la plus frappante est sans doute celle de
l’anticolonialisme, dont la mémoire publique a connu une éclipse presque totale.
Une gigantesque révolte des peuples colonisés contre l’impérialisme a été
oubliée, recouverte par d’autres représentations du « Sud » du monde, cumulées
au fil de trois décennies : d’abord celle des charniers du Cambodge et du
Rwanda, puis celle des « guerres humanitaires », enfin celle du terrorisme
islamique, dont les porte-parole ont remplacé l’image du guerrillero. Les ex-
colonisés n’ont toujours pas acquis le statut de sujets historiques, ils se sont
simplement transformés en « victimes », objet du secours des pays développés
qui continuent de remplir, comme au XIXe siècle, leur « mission civilisatrice »,
désormais enveloppée par le manteau idéologique des « droits de l’homme ».
Ainsi enseveli, le souvenir du communisme et de l’anticolonialisme comme
mouvements émancipateurs, comme expérience de constitution des opprimés en
sujets historiques, subsiste comme mémoire cachée, parfois comme contre-
mémoire opposée aux représentations dominantes.
V. Les dilemmes des historiens allemands

La disparition du fascisme

L’Allemagne constitue un laboratoire intéressant pour étudier l’interaction entre


la mémoire du nazisme et l’écriture de son histoire. Dans ce pays, l’émergence
d’une conscience historique du génocide des juifs a coïncidé avec la disparition
de la notion de « fascisme » du champ historiographique. Bien rares sont les
historiens qui se sont engagés dans une analyse comparée des fascismes201,
rarissimes ceux qui acceptent aujourd’hui de considérer le fascisme comme un
phénomène de portée européenne. Il s’agit essentiellement de quelques
survivants de l’historiographie est-allemande, après la « mise au pas » qui a fait
suite à la réunification au sein du monde académique. C’est la notion même de
fascisme qui, au-delà du Rhin, semble constituer une sorte de tabou. Le
phénomène n’est pas nouveau. Il avait été noté dès 1988 par Timothy Mason, un
grand chercheur qui a placé l’histoire comparée des fascismes au centre de son
œuvre. Dans un article significativement intitulé « Whatever happened to
“fascism” ? », il soulignait une tendance qui s’est accentuée au cours de la
décennie suivante : la disparition, dans l’historiographie allemande, du concept
de fascisme202.
Les vingt dernières années ont été marquées, en Allemagne, par cinq grands
débats, certains exclusivement internes à la discipline, d’autres projetés vers
l’extérieur, jusqu’à devenir de grands débats de société. Le premier est la
« querelle des historiens » (Historikerstreit), qui a polarisé en 1986-1987
l’attention des medias, avec un impact considérable en dehors des frontières
allemandes. Puis, l’année suivante, la correspondance entre Martin Broszat et
Saul Friedländer, qui n’a pas dépassé le seuil des revues et des publications
spécialisées, mais qui constitue une réflexion méthodologique de première
importance. En 1996, c’est la controverse autour du livre de Daniel J. Goldhagen
sur les « bourreaux volontaires de Hitler » qui fait rage, avec de fortes
répercussions sur la scène internationale. Enfin les polémiques, exclusivement
internes à la discipline historique et purement « germano-allemandes », suscitées
par l’Historikertag de 1998, ont été suivies par les empoignades autour d’une
exposition itinérante sur les crimes de la Wehrmacht.
Premier débat, donc, l’Historikerstreit, déclenché en 1986-1987 par les thèses
d’Ernst Nolte sur le passé allemand « qui ne veut pas passer ». Son interprétation
du nazisme comme réaction à la révolution russe et surtout sa vision du génocide
des juifs comme « copie » d’un « génocide de classe » perpétré par les
bolcheviks ont fait l’objet de polémiques bien connues. Jürgen Habermas a été le
principal antagoniste de Nolte, qu’il a accusé d’avoir trouvé une manière
commode de « liquider les dommages », de « normaliser » le passé et de
dissoudre la responsabilité historique héritée des crimes du national-
socialisme203.
Le deuxième débat eut lieu une année plus tard, à l’abri des feuilletons de la
presse quotidienne et des écrans de télévision : un débat méthodologique destiné
à avoir un très fort impact dans les milieux de la recherche. Publiée presque
simultanément en allemand et en anglais, la correspondance déjà mentionnée
entre Martin Broszat et Saul Friedländer abordait la question épineuse de la
possibilité et des limites d’une historisation du nazisme, révélant à la fois la
fécondité du dialogue et les différences d’approche découlant de deux
observatoires distincts : celui d’un historien allemand et celui d’un historien
juif204. Il faut souligner cet écart, qui constitue un des aspects centraux de leur
correspondance, non pour « ethniciser » le débat mais pour rappeler les
perspectives épistémologiques différentes qui tiennent à la « position » de
l’historien (ce que Karl Mannheim aurait appelé son Standort)205, c’est-à-dire
son insertion dans un contexte social, politique, culturel, national, mémoriel
spécifique206.
Troisième débat : au milieu des années 1990, l’ouvrage du politologue
américain Daniel Goldhagen a suscité, bien au-delà des milieux universitaires,
un vaste débat public sur le rapport de la société allemande avec le régime nazi
et sur le degré d’implication des Allemands « ordinaires » dans la mise en œuvre
de ses crimes. Si la thèse de Goldhagen, visant à présenter le génocide juif
comme un « projet national » allemand, a fait l’objet de solides critiques par la
plupart des historiens, elle a été aussi un moment important dans la confrontation
de l’Allemagne réunifiée avec le passé nazi et dans la formation d’une
conscience historique, notamment chez les jeunes, au centre de laquelle s’inscrit
la mémoire d’Auschwitz207. L’approche fonctionnaliste, qui voyait les crimes du
nazisme comme le produit d’une machine meurtrière, impersonnelle et quasi
anonyme, a été puissamment secouée par Goldhagen, qui a mis l’accent sur la
participation active des Allemands à ces crimes, en déplaçant l’attention des
camps d’extermination aux exécutions massives des unités spéciales des SS (les
Einsatzgruppen), des bataillons de police et de l’armée.
Quatrième débat : en 1998, le traditionnel rendez-vous des historiens
allemands, qui a lieu tous les deux ans, a été marqué par des débats très vifs
concernant le passé de leur discipline. La compromission, voire l’adhésion
ouverte au régime nazi de certaines figures de proue de l’historiographie de
l’après-guerre – comme Werner Conze et Theodor Schieder, les anciens maîtres
de plusieurs chercheurs qui dominent aujourd’hui la discipline – a fait l’objet de
révélations et de critiques très sévères208. C’est ce congrès qui a dessiné le profil
d’une nouvelle génération – au sens historique et pas simplement chronologique
du terme, selon la définition de Mannheim – apparue au cours de la dernière
décennie. (Parfois même plus tôt, notamment dans le cas d’un des porte-parole
de la vague contestatrice, Götz Aly209.) Il était d’une certaine façon inévitable
qu’après avoir été l’un des vecteurs privilégiés de l’élaboration d’une conscience
historique et de l’essor d’un vaste débat de société sur l’usage public de
l’histoire, la communauté historienne soit amenée à tourner son regard sur son
propre parcours et à procéder, très honnêtement et donc très douloureusement, à
son autocritique. C’était là une identification complète du juge et de l’historien,
dans un procès où les historiens se sont érigés en juges de leurs ancêtres et de
leur propre histoire.
Cinquième débat : l’exposition sur les crimes de la Wehrmacht, organisée par
l’Institut für Sozialforschung de Hambourg et inaugurée en 1995, a une histoire
longue et tourmentée dont on pourrait fixer la conclusion en 2002210. Résultat
d’un important travail de recherche, cette exposition a brisé un lieu commun
ancré dans l’opinion publique allemande, selon lequel l’armée n’aurait pas été
impliquée dans les crimes du nazisme, dont la responsabilité reviendrait de façon
presque exclusive aux SS et à la Gestapo. S’appuyant sur un vaste matériel
illustré d’images et de documents de l’époque, l’exposition hambourgeoise
montrait au contraire que l’armée avait perpétré de nombreux massacres des
populations civiles en Union soviétique – notamment en Ukraine et en
Biélorussie – et en Serbie, tout en prenant part à l’élimination des juifs. Elle
avait été au cœur d’une guerre de conquête et d’extermination contre le
communisme, les peuples slaves, les juifs et les Tziganes, guerre qui s’était
radicalisée face à la résistance soviétique et qui avait vite pris les traits d’une
guerre coloniale et d’une croisade antisémite. Les millions de jeunes soldats qui
avaient servi sous l’uniforme de la Wehrmacht représentaient l’ensemble de la
société allemande avec laquelle ils gardaient des contacts et échangeaient des
informations. Montrer l’implication de la Wehrmacht dans le génocide des juifs
signifiait donc démolir le mythe selon lequel les Allemands « ne savaient pas ».
Les polémiques féroces suscitées par cette exposition ont atteint leur point
d’orgue en 1999, lorsque ses détracteurs ont pu prouver la présence de quelques
faux documents (quatre photos de crimes du NKVD attribués par erreur à la
Wehrmacht) et imposer sa fermeture. Suite au travail d’une commission
d’enquête indépendante qui rejeta toute allégation de falsification et de
manipulation, l’exposition a enfin été rouverte en 2002, expurgée des photos
controversées – une partie minime dans l’ensemble des documents rassemblés –
et accompagnée d’un nouveau catalogue enrichi d’un important appareil
critique211.

Ces controverses présentent certes des caractéristiques profondément différentes.


Il s’agit respectivement de trois grands débats de société qui ont largement
dépassé les frontières d’une discipline scientifique (l’Historikerstreit, l’affaire
Goldhagen et l’exposition sur les crimes de la Wehrmacht), d’une réflexion
méthodologique sur l’interprétation d’un passé qui se dérobe aux procédés
traditionnels de l’historisation (la correspondance Broszat-Friedländer), enfin
d’une crise d’identité à l’intérieur d’une communauté intellectuelle (le
Historikertag de 1998). À bien regarder, cependant, les trois premières
controverses, qui constituent aussi la prémisse et le socle sur lequel se sont
déroulées les autres, tournent autour d’une même question : la singularité
historique du nazisme et de ses crimes212. La reconnaissance de cette singularité
est désormais le postulat implicite de la majorité des recherches allemandes sur
le nazisme. Il ne s’agit pas ici de remettre en cause cette singularité, qu’on peut
très bien admettre et qui constitue à plusieurs égards un acquis important de
l’historiographie. Ce qui mérite d’être souligné, en revanche, c’est son corollaire,
c’est-à-dire les conséquences problématiques, quelquefois inquiétantes, qui ont
accompagné cette reconnaissance. Au premier rang de ces retombées négatives,
il faudrait inscrire précisément la disparition du concept de fascisme.
Sur cette question cruciale, on a l’impression que tous se sont silencieusement
mais fermement rangés du côté de Karl Dietrich Bracher, l’historien libéral-
conservateur qui a toujours rejeté la notion de fascisme avec le plus de
cohérence. Depuis plus de quarante ans, il oppose sa vision « totalitariste » de
l’Allemagne nazie aux différentes théories du fascisme, catégorie qui pour lui ne
s’applique qu’à l’Italie de Mussolini213. Certains de ses disciples comme Hans-
Helmut Knütter refusent même d’attribuer au fascisme le statut d’un concept
(Begriff), en le réduisant à un simple « mot d’ordre » (Schlagwort), à une
idéologie et à un outil de propagande214. Cette attitude n’est pas nouvelle. Ce qui
est nouveau en revanche, c’est qu’on voit y adhérer des historiens et des
politologues venant de la gauche, comme Wolfgang Kraushaar ou Dan Diner. Le
premier défend maintenant l’idée de totalitarisme, qu’il présente comme
antinomique avec celle de fascisme (l’Allemagne nazie étant totalitaire, elle ne
pourrait plus être fasciste)215. Le deuxième a récemment publié une ambitieuse
et intéressante tentative de « compréhension » du XXe siècle (Das Jahrhundert
verstehen) dans laquelle il n’a presque jamais recours à la notion de fascisme216.
Le national-socialisme y apparaît comme un phénomène exclusivement
allemand, complètement distinct et indépendant du fascisme italien, tant dans
son contenu que dans sa forme, impossible à ramener à un phénomène fasciste
de portée européenne. Dans la plupart des cas, les historiens qui continuent à
utiliser la notion de fascisme sont des représentants de l’école historique de
l’ancienne RDA, comme Kurt Pätzold, des marxistes comme Reinhard Kühnl217,
ou des disciples de gauche de Nolte, comme Wolfgang Wippermann218. Parmi
les grands historiens de la RFA, la seule exception est Hans Mommsen, qui
reconnaît la pertinence de ce concept même s’il ne l’utilise guère, au sein d’une
œuvre imposante et certes remarquable mais qui ne se distingue cependant pas
par son comparatisme. Il est significatif que le seul ouvrage aujourd’hui
disponible en Allemagne sur les fascismes soit traduit du polonais : Schulen des
Hasses, de Jerzy W. Borejsza219.
Un autre signe révélateur de cette mutation dans le paysage intellectuel est
l’abandon de la notion de fascisme par celui qui avait le plus contribué à sa
diffusion : Ernst Nolte. Devenu célèbre au début des années 1960 grâce à un
livre ambitieux où il interprétait le fascisme comme un phénomène européen
dont il analysait trois variantes principales – le régime de Mussolini en Italie, le
national-socialisme allemand et l’Action française –, il préfère aujourd’hui
qualifier le national-socialisme de totalitarisme, dont il a essayé de donner une
explication « historico-génétique »220.
La Shoah, la RDA et l’antifascisme

À l’origine de cet « ostracisme » conceptuel il y a, bien entendu, plusieurs


facteurs. On pourrait en souligner au moins quatre, liés aussi bien à l’évolution
intrinsèque de la recherche historique qu’à une mutation du paysage mémoriel
de l’Allemagne.
Le premier tient aux limites désormais évidentes des théories classiques du
fascisme, notamment celles d’inspiration marxiste. On peut difficilement se
satisfaire aujourd’hui d’une explication du nazisme comme expression, selon la
formule canonique, des secteurs les plus agressifs du grand capital et de
l’impérialisme allemand, ou même, en termes plus nuancés, comme simple
résultat d’un changement des rapports de forces entre les classes221. Les limites
d’une telle lecture sont désormais reconnues bien que, soit dit au passage, les
interprétations marxistes, de nos jours peu fréquentées, sont souvent beaucoup
plus riches et complexes qu’on ne le pense (les marxistes sont parmi les premiers
à avoir parlé du fascisme en termes de totalitarisme, de polycratie, de charisme,
de psychologie de masse, etc.)222. L’indifférence aux bases de classe du nazisme
risque d’amener à une impasse tout aussi grave qu’une lecture de l’État hitlérien
en termes rigoureusement « classistes ». Si personne ne peut sérieusement
prétendre que les chambres à gaz correspondaient à un dessein du capitalisme
monopolistique allemand, son implication dans le système concentrationnaire
nazi est incontestable, de même que le soutien des élites allemandes
traditionnelles au régime nazi jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Le deuxième facteur tient à l’ampleur des différences entre le fascisme italien
et le national-socialisme, surtout sur le plan de l’idéologie. L’antisémitisme, qui
occupe une place centrale dans la vision du monde et dans la politique nazies,
reste absent du fascisme jusqu’en 1938, seize ans après l’arrivée au pouvoir de
Mussolini. D’une manière plus générale, les matrices culturelles du fascisme
italien (la présence à ses origines d’une composante « de gauche »), son
exaltation de l’État « totalitaire » (à la place de la völkische Gemeinschaft) et
même sa définition du nationalisme (plus spiritualiste que biologique) révèlent
des clivages si profonds avec le national-socialisme qu’une vision monolithique
du fascisme comme phénomène homogène dont les variantes nationales ne
seraient que superficielles est forcément contestable223.
Si ces lacunes et ces limitations objectives ont certes favorisé une remise en
cause du concept de fascisme, un troisième facteur qui en a déterminé l’éclipse
est de nature essentiellement politique. La notion de fascisme était un dogme
pour l’école historique de la RDA, dans un contexte où les frontières entre
recherche et idéologie, entre interprétation du passé et apologie de l’ordre
dominant étaient très minces. Après la réunification, cette notion a disparu suite
à la démolition, au sens littéral du terme, de l’école historique qui la défendait.
Ce processus a été accompagné d’abord par la remise en cause, puis par le rejet
radical d’une autre notion, celle d’antifascisme, qui apparaissait beaucoup plus
comme une idéologie d’État que comme l’héritage d’un mouvement de
résistance. L’étude de la résistance communiste – dont l’ampleur fut loin d’être
négligeable224 – restait l’apanage de l’historiographie est-allemande, soumise à
un fort contrôle idéologique. À l’Ouest, on privilégiait l’opposition au sein de
l’armée, dont l’aboutissement fut l’attentat contre Hitler de juillet 1944, tandis
que l’histoire sociale tendait à mettre entre parenthèses le concept même de
résistance (Widerstand) pour déplacer l’attention vers les différentes formes de
« dissension » ou d’« inadaptation » (Resistenz) de la société civile vis-à-vis du
régime. Comme l’a suggéré Saul Friedländer, la conséquence de l’usage de ce
concept – qui littéralement signifie « l’immunité dans un sens biologique »225 –
était de légitimer la vision lénifiante et apologétique, largement répandue au
sein de l’opinion publique depuis 1945, d’une société civile allemande en
dernière analyse étrangère aux crimes du nazisme. Avec l’essor des études sur la
vie quotidienne (Alltagsgeschichte) dans l’Allemagne nazie, la résistance perdait
son intérêt226. Cette mutation était d’autant plus aisée que seule l’historiographie
de la RDA pouvait légitimement se considérer comme l’héritière d’une tradition
antifasciste et non certes les historiens ouest-allemands appartenant à ce qu’il est
aujourd’hui courant d’appeler la « génération de la Hitlerjugend », et encore
moins leurs maîtres qui dominaient la discipline pendant l’ère Adenauer et qui
avaient souvent adhéré au parti nazi avant 1945.
Il y a là une différence fondamentale avec l’historiographie italienne, dont les
querelles actuelles tiennent à la remise en cause d’un « paradigme antifasciste »
sur lequel elle s’était reconstituée après 1945. Mais ce tableau serait incomplet
sans un autre élément politique. Le concept de fascisme, dans la société ouest-
allemande des années 1960 et 1970, désignait davantage le présent que le passé
et servait à motiver la lutte contre les tendances autoritaires d’un système
politique né des cendres du IIIe Reich. Selon la formule célèbre d’Adorno, le
danger représenté par les survivances du fascisme dans la démocratie était bien
plus grand que la menace d’une rechute dans le fascisme227. La solidité des
institutions démocratiques allemandes, dont la réunification a été un test décisif,
a montré le caractère daté et désormais obsolète d’une telle conception.
Venons-en maintenant au quatrième élément, sans doute le plus important. Ce
qui a le plus contribué à l’abandon de la notion de fascisme au sein de
l’historiographie allemande, c’est l’émergence d’une conscience historique
fécondée par la mémoire d’Auschwitz. Le fascisme apparaît comme une
catégorie trop générale pour appréhender Auschwitz. Le caractère unique de
l’extermination des juifs d’Europe ne peut pas être saisi par un concept qui a été
appliqué aussi à l’Italie de Mussolini, à l’Espagne de Franco, au Portugal de
Salazar, à l’Autriche de Dollfuss, à la Roumanie d’Antonescu, etc. La notion de
fascisme, écrit Dan Diner d’une formule tranchante, « ne permet pas d’atteindre
le noyau d’Auschwitz »228. L’éclipse du concept de fascisme apparaît ainsi
comme l’épilogue d’un long parcours de l’historiographie allemande débouchant
sur une vision du passé au centre de laquelle s’inscrit désormais la Shoah, le
« point fixe » du système nazi, frappé d’une irréductible « unicité »
(Einzigartigkeit). L’acharnement avec lequel les historiens se sont débarrassés
du concept de fascisme apparaît presque comme une sorte de nihilisme
compensatoire, par lequel ils essayeraient d’effacer la longue période pendant
laquelle leurs précurseurs furent incapables de penser et d’investiguer le
génocide des juifs.
Une grave question surgit alors : la notion de totalitarisme, qui a connu une
renaissance spectaculaire au cours de la dernière décennie en Allemagne comme
dans le reste de l’Europe, serait-elle plus apte à saisir une telle singularité ? Le
déplacement du comparatisme historique du rapport entre le fascisme italien et le
nazisme au rapport entre le nazisme et le communisme serait-il plus éclairant
pour comprendre la nature du régime hitlérien et la singularité de ses crimes ? La
mise en parallèle du « double passé totalitaire » de l’Allemagne – celui du IIIe
Reich et celui de la RDA, celui, pour reprendre la formule d’Étienne François,
d’un régime qui a accumulé une montagne de cadavres et celui d’un régime qui a
accumulé une montagne de dossiers229 – amènerait-elle à des conclusions d’une
plus grande valeur heuristique ? On peut en douter.
Il ne s’agit pas de contester la valeur de la notion de totalitarisme – limitée
mais réelle – ni de récuser la légitimité d’une comparaison entre les crimes du
nazisme et ceux du stalinisme. Le problème tient à l’usage qu’on en fait.
Pourquoi faudrait-il penser le totalitarisme et le fascisme comme des catégories
analytiques incompatibles et alternatives ? Pourquoi faudrait-il attribuer une plus
grande portée heuristique à la comparaison entre le nazisme et le communisme
qu’à celle entre le fascisme et le nazisme ? Il ne s’agit pas non plus de nier la
singularité historique des crimes nazis, car l’extermination industrielle des juifs
d’Europe demeure une caractéristique exclusive du national-socialisme. Mais si
les chambres à gaz n’ont pas d’équivalent en dehors du IIIe Reich, leurs
prémisses historiques – l’antisémitisme, le racisme, le colonialisme, les contre-
Lumières, la modernité technique et industrielle – sont largement présentes, à
des degrés d’intensité différents, dans l’ensemble du monde occidental. D’autre
part, la singularité des crimes du nazisme n’exclut pas son appartenance, en dépit
de toutes ses particularités, à une famille politique plus vaste, celle des fascismes
européens. Or, c’est précisément cette hypothèse qui, depuis le Historikerstreit
jusqu’aux plus récents débats autour du Livre noir du communisme (dont
l’impact n’a pas été négligeable en Allemagne), a connu une éclipse presque
totale. Nous avons ainsi assisté, en dépit des acquis incontestables de la
recherche, au retour d’un « consensus antitotalitaire » qui, pour reprendre les
mots de Jürgen Habermas à propos de l’Allemagne d’avant 1968, supposait un a
priori « anti-antifasciste »230.
Bref, l’éclipse du fascisme tient à la jonction de deux tendances : d’une part ce
consensus antitotalitaire libéral et « anti-antifasciste », d’autre part l’émergence
d’une conscience historique fondée sur la mémoire de la Shoah et la
reconnaissance de sa singularité. En Italie, ces tendances ont été impulsées par
certains courants de l’historiographie qui, puissamment amplifiés par les médias
de la péninsule, ont théorisé un clivage radical entre fascisme et nazisme afin de
réhabiliter le fascisme et de criminaliser l’antifascisme. Le fascisme italien,
affirmait Renzo De Felice lors d’une interview qui fit grand bruit, reste en
dehors du « cône d’ombre de l’Holocauste »231. Ce phénomène pervers – la
reconnaissance de la singularité du judéocide agissant en Allemagne comme
vecteur de formation d’une conscience historique, en Italie comme prétexte
d’une réhabilitation du fascisme – est une source permanente de malentendus et
d’ambiguïtés.
Les risques de telles tendances sont ceux que Martin Broszat avait dénoncés
au début de sa correspondance avec Saul Friedländer et dont ce dernier semble
reconnaître aujourd’hui, au moins en partie, la réalité : un « isolement » du passé
nazi qui empêcherait d’en saisir les liens avec les autres fascismes européens et,
d’une manière plus générale, avec le modèle civilisationnel du monde
occidental. Saisir ces liens ne signifie pas « normaliser » ou réhabiliter le
nazisme, mais plutôt « dé-normaliser » la civilisation qui est la nôtre et remettre
en cause l’histoire de l’Europe. S’il y a un Sonderweg allemand, il n’explique
pas les origines du nazisme mais son aboutissement232. Autrement dit, la
singularité de l’Allemagne nazie tient à sa synthèse, inconnue ailleurs, entre
plusieurs éléments – antisémitisme, fascisme, État totalitaire, modernité
technique, racisme, eugénisme, impérialisme, contre-révolution,
anticommunisme – apparus dans l’ensemble de l’Europe à la fin du XIXe siècle et
puissamment développés par la Première Guerre mondiale à l’échelle du
continent.
Cet « isolement » risque d’éloigner l’historiographie allemande des principaux
courants de la recherche internationale, où la légitimité du concept de fascisme
comme « type idéal » est généralement admise. Innombrables sont les historiens
qui, dans les années récentes, en ont fait et en font usage. Qui plus est, le rejet de
la notion de fascisme (et, par conséquent, d’antifascisme) ne fait que reposer
l’éternelle question des rapports entre histoire et mémoire. Il creuse un hiatus
radical entre l’historisation actuelle du national-socialisme et la perception qu’en
avaient ses contemporains, lorsque le fascisme, avant d’être une catégorie
analytique, était un danger contre lequel il fallait se battre et lorsque
l’antifascisme, avant de devenir une idéologie d’État, constituait un ethos
partagé de l’Europe démocratique et, dans ce contexte, de la culture allemande
en exil.
VI. Révision et révisionnisme

Métamorphoses d’un concept

« Révisionnisme » est un mot caméléon qui a pris au cours du XXe siècle des
significations différentes et contradictoires, se prêtant à des usages multiples et
suscitant parfois des malentendus. Les choses se sont encore compliquées du fait
de son appropriation par la secte internationale qui nie l’existence des chambres
à gaz et plus généralement du génocide des juifs d’Europe233. Les négationnistes
ont essayé de se présenter comme les porte-parole d’une école historique
« révisionniste » opposée à une autre école, qu’ils qualifient
d’« exterminationniste » et qui inclut bien entendu l’ensemble des études
historiques dignes de ce nom, tous courants confondus, consacrées au judéocide.
Afin de défendre leurs thèses, les négationnistes ont lancé en 1987 une revue
intitulée Annales d’histoire révisionniste devenue ensuite Revue d’histoire
révisionniste. Il est inutile d’ajouter que cette mouvance – dont Pierre Vidal-
Naquet a bien dévoilé l’intention véritable en la rebaptisant « les assassins de la
mémoire »234 – n’a jamais atteint son but, puisqu’elle n’a obtenu ni la moindre
reconnaissance au sein de l’historiographie ni droit de cité dans le débat public.
Au contraire – ce fait a souvent été souligné – son apparition a eu l’effet de
stimuler la recherche qui est parvenue au cours de ces dernières années à une
connaissance bien plus précise et détaillée des moyens et des modalités du
processus d’extermination des juifs.
Les négationnistes ont néanmoins réussi à polluer le langage et à créer une
confusion considérable autour du concept de révisionnisme. François Bédarida
ne manquait pas de le rappeler, il y a une dizaine d’années, en écrivant qu’en
s’appropriant ce terme, les négateurs du judéocide s’étaient livrés « à une
véritable usurpation ». Ils avaient repris un mot existant qui traduisait « une
démarche plus qu’honorable, une démarche à la fois légitime et nécessaire, pour
se donner une respectabilité trompeuse et mensongère »235. Il est désormais
indispensable, lorsqu’on utilise ce terme, d’en préciser la signification, comme le
fait par exemple Pierre Vidal-Naquet qui indique, au début de ses « Thèses sur le
révisionnisme » (1985), son choix délibéré de l’employer dans une acception
restrictive, limitée à « la doctrine selon laquelle le génocide pratiqué par
l’Allemagne nazie à l’encontre des juifs et des Tziganes n’a pas existé mais
relève du mythe, de la fabulation, de l’escroquerie ». Il poursuit en soulignant le
sens différent que ce mot peut véhiculer selon les contextes, en rappelant enfin
qu’il a connu aussi ses lettres de noblesse. En France, écrit-il, « les premiers
révisionnistes modernes » ont été les partisans de la révision du procès qui avait
abouti à la condamnation du capitaine Alfred Dreyfus236.
Dans ses lignes générales, l’histoire du révisionnisme – négationnisme exclu –
pourrait être ramenée à trois moments principaux : une controverse marxiste, un
schisme intérieur au monde communiste et aussi, au sens plus large, une série de
débats historiographiques postérieurs à la Seconde Guerre mondiale. Tout
d’abord donc, le révisionnisme classique, par lequel le mot s’est introduit dans le
vocabulaire de la culture politique moderne : il s’agit évidemment de la
Bernsteindebatte, qui éclata à la fin du XIXe siècle au sein de la social-démocratie
allemande et s’étendit immédiatement à l’ensemble du mouvement socialiste
international. L’ancien secrétaire d’Engels, Edouard Bernstein, théorisait la
nécessité de « réviser » certaines conceptions de Marx, comme la polarisation
croissante entre les classes dans la société bourgeoise ou encore la tendance à
l’écroulement du capitalisme sous le poids de ses crises internes. De ces
révisions théoriques, Bernstein tirait des conclusions politiques visant à
harmoniser la théorie de la social-démocratie allemande avec sa pratique, celle
d’un grand parti de masse qui avait abandonné la voie révolutionnaire et
s’acheminait vers une politique réformiste237. Le « révisionnisme » fut
vigoureusement critiqué par Kautsky, Rosa Luxemburg et Lénine, mais personne
ne songea jamais à expulser Bernstein du SPD et la querelle, parfois d’un haut
niveau théorique, demeura toujours dans les limites d’un débat d’idées. Elle fut
suivie d’autres « révisions » – par Rodolfo Mondolfo en Italie, Georges Sorel en
France et Henri de Man en Belgique – qui devaient mener certains de leurs
promoteurs du socialisme au fascisme238. Le terme commençait ainsi à se
répandre au-delà des milieux marxistes. Dans les années 1930, on qualifiait de
« révisionniste » Vladimir Jabotinsky qui rejetait la voie diplomatique prônée
par les fondateurs du sionisme politique (Herzl, Nordau) et envisageait la
création d’un État juif en Palestine par l’usage de la force239.
La controverse socialiste prendra une connotation dogmatique, presque
religieuse, après la naissance de l’Union soviétique et la transformation du
marxisme en idéologie d’État, avec ses dogmes et ses gardiens de l’orthodoxie.
Le mot « révisionniste » devint alors une épithète infamante, synonyme de
« traîtrise ». Il fut largement utilisé lors du schisme yougoslave en 1948 et
surtout lors du conflit sino-soviétique, au début des années 1960. Parfois il
devenait un adjectif accroché à un substantif plus percutant, comme dans la
formule « hyène révisionniste » par laquelle les idéologues du Kominform
aimaient à définir le maréchal Tito.
Mais les querelles autour de Bernstein, Jabotinsky et Tito ne concernaient
pas – ou pas directement – l’écriture de l’histoire. Le troisième champ
d’application de la notion de révisionnisme, en revanche, touche à
l’historiographie de l’après-guerre. Plusieurs démarches visant à renouveler
l’interprétation d’une époque ou d’un événement, à remettre en cause le point de
vue dominant, ont été qualifiées de « révisions ». Ce mot visait à souligner leur
caractère novateur et non pas à les délégitimer, ses représentants étant toujours
reconnus comme des membres à part entière de la communauté historienne.
Parmi les « révisions » les plus marquantes, on pourrait rappeler celle impulsée
au début des années 1960 par Fritz Fischer, qui renouvelait le débat sur les
origines de la Première Guerre mondiale (en rappelant, contre la tendance
dominante au sein de l’historiographie allemande, les visées pangermanistes de
l’état-major prussien)240. Puis celle des politologues américains qui, à l’instar de
Gabriel Kolko, remettaient en cause la thèse alors courante des origines
soviétiques de la guerre froide241. Plus récemment, celle d’un historien comme
Gar Alperowicz au sujet de la bombe atomique : le choix américain de larguer
des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, en août 1945, a-t-il expliqué,
visait bien davantage à établir la supériorité stratégique des États-Unis sur
l’Union soviétique – en faisant peser sur la scène internationale son monopole de
l’arme nucléaire – qu’à mettre fin à la guerre en épargnant ainsi des vies
humaines, comme le prétendait le président Truman242. Aux États-Unis, on
qualifie aujourd’hui de « révisionnistes » des soviétologues comme Moshe
Lewin, Arch Getty et Sheila Fitzpatrick qui, dès les années 1970, ont pris leurs
distances par rapport aux approches anticommunistes de l’époque de la guerre
froide et commencé à étudier, au-delà de la façade totalitaire du régime,
l’histoire sociale du monde russe et soviétique243. Mais de nombreuses
« révisions » apparaissent aussi en Europe. Par exemple en Italie, au début des
années 1960, dans un débat historiographique sur le Risorgimento, où
« révisionnisme » est employé pour les thèses de Gramsci et Salvemini sur les
limites du processus d’unification nationale dirigé par la monarchie
piémontaise244. Quelques années plus tard, François Furet procède à la
« révision » de l’interprétation jacobino-marxiste de la Révolution française –
interprétation qu’il traite de « vulgate populiste-léniniste » – et s’oriente vers
une relecture libérale de la rupture de 1789 à l’aide de Tocqueville et d’Augustin
Cochin, en suscitant un vaste et polémique débat international245. Lors du
bicentenaire de la Révolution, cette thèse jadis « révisionniste » s’est imposée
comme la lecture dominante. La dernière « révision » de taille est celle, déjà
mentionnée dans les chapitres précédents, des « nouveaux historiens » israéliens.
Brisant certains mythes tenaces, Benny Morris et Ilan Pappé ont présenté le
conflit de 1948 dans toute sa complexité, celle d’une guerre à la fois
d’autodéfense et d’épuration ethnique246. Une guerre où l’État hébreu qui venait
juste d’être proclamé luttait d’une part pour sa survie et procédait d’autre part à
l’expulsion de plusieurs centaines de milliers de Palestiniens. Voilà un exemple
de « révision » aux antipodes de toute visée apologétique, qui s’efforce au
contraire de mettre fin à une longue période d’amnésie collective et
d’occultation officielle du passé.
Le mot et la chose

Ces « révisions » historiographiques incitent à préciser quelques points de


méthode. La première concerne l’usage des sources. Si le récit historique est une
reconstruction des événements du passé « tel qu’il a véritablement été » (wie es
eigentlich gewesen), selon la formule canonique de Ranke – définition certes
simplificatrice mais pas fausse pour autant – il en découle que certaines
« révisions » s’inscrivent dans sa démarche de façon naturelle. La découverte de
sources nouvelles, l’exploration des archives, l’enrichissement des témoignages
peuvent éclairer d’une lumière inédite des événements que l’on croyait
parfaitement connus ou dont on avait une connaissance erronée. La révision à la
baisse du nombre des victimes du système du Goulag en URSS – estimé à dix
millions par Robert Conquest, puis réduit à un million et demi par les recherches
les plus récentes247 – a été la conséquence de l’analyse scrupuleuse des sources
et de l’accès à une documentation essentielle auparavant inaccessible.
D’autres « révisions » relèvent d’un changement de paradigme interprétatif.
Parfois, l’introduction d’un nouveau paradigme peut être liée à des sources
auparavant ignorées, comme le savent tous ceux – ou plutôt toutes celles – qui
ont commencé à élaborer une histoire des femmes (forcément révisionniste,
puisqu’elle implique une mutation de regard, des objets et des sources dans la
façon de faire l’histoire). L’histoire s’écrit toujours au présent et le
questionnement qui oriente notre exploration du passé se modifie selon les
époques, les générations, les transformations de la société et les parcours de la
mémoire collective. Si notre vision de la Révolution française ou de la
révolution russe n’est plus la même qu’il y a cinquante ans ou un siècle, cela ne
tient pas seulement à la découverte de sources inédites, mais à une mise en
perspective historique nouvelle, propre à notre époque. Il n’est pas difficile de
reconnaître que la lecture romantique de la Révolution française proposée par
Michelet, la lecture marxiste de Soboul et la lecture libérale de Furet
appartiennent à des contextes historiques, culturels et politiques distincts.
Dans cette acception, les « révisions » de l’histoire sont légitimes et même
nécessaires. Cependant, certaines révisions – celles qu’on qualifie le plus
souvent de « révisionnisme » – impliquent un tournant éthico-politique dans
notre façon de regarder le passé. Elles correspondent à ce que Jürgen Habermas
avait appelé, lors du Historikerstreit, l’émergence de « tendances
apologétiques » dans l’historiographie248. Utilisé dans ce sens, le concept de
« révisionnisme » prend évidemment une connotation négative. Il n’est donc pas
étonnant que certains historiens accusés de « révisionnisme » aient essayé de se
défendre en rappelant que la « révision » appartient à la démarche de l’historien
et que, par définition, ce dernier serait toujours un « révisionniste ». Dans sa
correspondance avec François Furet, Ernst Nolte souligne que « les “révisions”
sont le pain quotidien du travail scientifique »249.
Il est bien évident que personne n’a jamais fait grief aux historiens
« révisionnistes » d’avoir défriché des archives inexplorées ou de baser leurs
travaux sur une documentation nouvelle. Ce qui leur est reproché, c’est la visée
politique sous-jacente à leur relecture du passé. L’exemple classique d’une telle
révision est justement celui d’Ernst Nolte. Dans La Guerre civile européenne, il
présente les crimes nazis comme la simple « copie » d’une « barbarie asiatique »
introduite par le bolchevisme en 1917. Menacée d’anéantissement, l’Allemagne
aurait réagi en exterminant les juifs, bâtisseurs du régime bolchevique, dont les
crimes constituent pour Nolte le « précédent logique et factuel » des crimes
nazis250. Le manque total de distance critique dont fait preuve Nolte vis-à-vis de
ses sources – la littérature nazie de l’époque – justifie quelques perplexités,
comme l’a bien souligné Hans-Ulrich Wehler251. Mais le problème fondamental
ne tient pas au maniement des sources. Il est évident que l’historisation du
nazisme proposée par Nolte débouche sur une relecture du passé où l’Allemagne
n’occupe plus la position de l’oppresseur mais celle de la victime et ses victimes
réelles, à commencer par les juifs, sont pris en compte à titre de « dommages
collatéraux » dans le meilleur des cas, et dans le pire, comme la source du mal en
tant que responsables de la révolution bolchevique252.
Quant à Renzo De Felice, sa recherche monumentale sur l’Italie fasciste a
produit de nombreuses « révisions » qui sont aujourd’hui des acquis
historiographiques généralement acceptés, comme par exemple la
reconnaissance de la dimension « révolutionnaire » du premier fascisme, de son
caractère modernisateur ou encore du « consensus » obtenu par le régime de
Mussolini au sein de la société italienne, notamment au moment de la guerre
d’Éthiopie253. Bien plus discutable, en revanche, est son interprétation de la
guerre civile italienne, entre 1943 et 1945, comme la conséquence du choix
antinational d’une minorité de résistants, pour la plupart communistes. Ou
encore, comme on l’a vu, sa conception du fascisme italien comme un régime
complètement distinct, par ses racines, son idéologie et ses buts, du nazisme
avec lequel il aurait établi une alliance contre nature en 1940. Ou enfin sa façon
de faire de Mussolini un « patriote » choisissant de se sacrifier en fondant la
république de Salò afin d’épargner à l’Italie un destin comparable à celui de la
Pologne. Il s’agit là d’une relecture apologétique du fascisme fondée sur la
réhabilitation de Mussolini. Si l’on ajoute que ces thèses sont développées dans
un livre – Il rosso e il nero254 – dont la publication coïncide avec l’avènement du
premier gouvernement Berlusconi qui incluait pour la première fois depuis la fin
de la guerre un parti « postfasciste » héritier de la république de Salò, cette
révision historique apparaît comme le support intellectuel d’un projet politique
restaurateur.
On serait presque tenté d’opposer la révision historique française à celle de De
Felice et de ses disciples. En France, dans le sillage de Zeev Sternhell et de
Robert J. Paxton (un Israélien et un Américain), les historiens ont procédé à une
« révision » qui a permis de reconnaître les racines autochtones du régime de
Vichy, son caractère autoritaire voire fasciste, sa part active dans la collaboration
et sa complicité dans le génocide des juifs255. En Italie, en revanche, sous
l’impulsion du dernier De Felice, est apparue une nouvelle tendance
historiographique qui fait de la réhabilitation du fascisme son but explicitement
revendiqué.
Les révisions que je viens de mentionner – quelles que soient leur visée et leur
valeur – dépassent les frontières de l’historiographie en tant que discipline
scientifique pour toucher à un domaine plus vaste, celui du rapport que chaque
pays établit avec son passé, ce que Habermas définit, par une formule
saisissante, l’usage public de l’histoire256. Autrement dit, ces révisions remettent
en question, au-delà d’une interprétation dominante, une conscience historique
partagée, une responsabilité collective à l’égard du passé. Elles touchent toujours
à des événements fondateurs – la Révolution française, la Révolution russe, le
fascisme, le nazisme, la guerre arabo-israélienne de 1948, etc. – et leur relecture
de l’histoire concerne, bien au-delà de l’interprétation d’une époque, notre façon
de voir le monde dans lequel nous vivons et notre identité dans le présent. Il y a
donc des révisions de nature différente : certaines sont fécondes, d’autres
discutables, d’autres enfin profondément néfastes. Féconde, la révision des
« nouveaux historiens » israéliens, qui reconnaît une injustice auparavant niée,
rejoint la mémoire palestinienne et jette les bases pour un dialogue israélo-
palestinien. Discutable, la révision de Furet qui s’achève, dans Le Passé d’une
illusion, par une remise en cause radicale de toute la tradition révolutionnaire –
source, à ses yeux, des totalitarismes modernes – et par une apologie
mélancolique du libéralisme comme horizon indépassable de l’histoire257.
Néfastes, enfin, les révisions de Nolte et De Felice dont le but – ou tout au moins
la conséquence – est de raccommoder l’image du fascisme et du nazisme.
Si certaines révisions de l’histoire doivent être combattues, on peut
s’interroger sur l’utilité de les cataloguer dans une même catégorie négative – le
« révisionnisme » – qui rappelle l’« enfer » où on rangeait autrefois la littérature
pornographique à la Bibliothèque nationale. Transformée en combat « anti-
révisionniste », la critique des thèses de Nolte et De Felice risque de connaître
une dérive analogue à celle de la controverse marxiste sur le révisionnisme
évoquée plus haut, c’est-à-dire le passage d’un débat d’idées à une pratique
inquisitoriale, à l’excommunication de tous ceux qui s’éloignent d’une
orthodoxie préfixée, d’un canon normatif. Autrement dit, parler de
« révisionnisme » renvoie toujours à une histoire théologisée. L’antifascisme
transformé en idéologie d’État dans les pays du bloc soviétique, notamment en
RDA, a donné à long terme des résultats désastreux, en compromettant
finalement sa propre légitimité. Sans atteindre les mêmes proportions, la
rhétorique antifasciste consensuelle qui a régné en Italie pendant quarante ans a
eu des conséquences dommageables sur la recherche historique. L’ouvrage de
Claudio Pavone – historien de gauche et ancien résistant – qui interprète la
Résistance non seulement comme une lutte de libération nationale mais aussi
comme une guerre de classe et surtout comme une guerre civile ne date que de
1990258. Bref, l’antifascisme institutionnalisé et transformé en épopée nationale
n’a pas été un antidote efficace contre la réhabilitation du fascisme. Il faudrait
éviter que quelque chose d’analogue ne se produise pour la Shoah, désormais
devenue, nous l’avons vu, une « religion civile » de l’Occident, avec les
conséquences positives mais aussi tous les dangers que cela comporte.
Les tendances apologétiques dans l’historiographie du fascisme et du nazisme
doivent être combattues, mais pas en leur opposant une vision normative de
l’histoire. C’est pourquoi les lois contre le négationnisme peuvent se révéler
dangereuses. Si le négationnisme doit être combattu et isolé dans toutes ses
formes – celui de Robert Faurisson et celui de David Irving, comme celui, plus
respectable en apparence, de Bernard Lewis259 – plusieurs historiens (dont je
suis) ont émis des doutes sur l’opportunité de le sanctionner par la loi, ce qui
revient à instituer une vérité historique officielle protégée par les tribunaux, avec
l’effet pervers de transformer les assassins de la mémoire en victimes d’une
censure, en défenseurs de la liberté d’expression. Autrement dit, si on accepte la
notion de « révisionnisme », il faut admettre le principe d’une histoire officielle.
Krzysztof Pomian a raison d’affirmer qu’il ne devrait y avoir ni historiens
officiels ni historiens révisionnistes mais seulement des historiens critiques260.
« Révisionnisme » est un mot hérité d’un siècle où l’engagement des
intellectuels passait par leur enrôlement idéologique et partisan. On a pu croire
alors que le meilleur moyen pour défendre des valeurs consistait à revêtir un
uniforme idéologique. Le prix de ce choix a trop souvent été la démission des
intellectuels devant leur fonction critique. Cela n’a plus de raison d’être
aujourd’hui. Entrée dans le langage et désormais d’usage courant dans la
polémique, la notion de « révisionnisme » demeure très problématique et
souvent néfaste. Je propose de ne l’utiliser que pour désigner une controverse
datée, soulevée par Bernstein il y a plus d’un siècle.
Note bibliographique et remerciements

Une première ébauche de cet essai a été présentée à l’université de La Plata, en


Argentine, au printemps 2002, lors d’un colloque organisé par la Comision
Provincial por la Memoria, institution qui rassemble les archives de la dictature
militaire des années 1975-1983 et constitue un foyer essentiel pour l’étude de la
mémoire des « desaparecidos » dans la province de Buenos Aires. Une version
italienne est parue, sous le titre « Storia e memoria. Gli usi politici del passato »,
dans la revue Novecento. Per una storia del tempo presente, 2004, n° 10. Le
paragraphe consacré au communisme du chapitre IV est tiré d’une conférence
donnée à Berlin au printemps 2001, puis publiée in Jour fixe initiative berlin
(Hg.), Geschichte nach Auschwitz, UNRAST, Münster, 2002. Le chapitre V est
une communication à une journée d’études sur le thème « Fascisme, nazisme,
communisme : débats et controverses historiographiques en Allemagne et en
Italie », organisée sous la direction de Bruno Groppo par le Centre d’histoire
sociale du XXe siècle du CNRS en 2001. Une première version est parue, avec les
actes, dans la revue Matériaux pour l’Histoire de notre temps, 2002, n° 68, puis
en espagnol (Argentine) dans la revue Políticas de la Memoria, 2003-2004, n° 4.
Le dernier chapitre est la version remaniée d’une communication présentée lors
d’un colloque dirigé par Catherine Coquio à l’université de Paris IV-Sorbonne,
en 2002, et est paru sous le même titre, dans le volume des actes : Catherine
Coquio (éd.), L’Histoire trouée. Négation et témoignage, L’Atalante, Nantes,
2003. Il a ensuite été traduit en espagnol dans la revue de Valence Pasajes,
2004, n° 14. Tous ces textes ont été complètement refondus dans cet essai. Je
voudrais donc remercier les amis qui, à l’origine, m’ont encouragé à les écrire :
Patricia Flier, Elfi Müller, Bruno Groppo et Catherine Coquio. Enfin et surtout,
je voudrais remercier Eric Hazan, ami et complice à La Fabrique : aussi bien la
forme que le contenu de ce petit livre doit beaucoup à sa lecture critique.

Paris, juin 2005


Notes

1. David L. Sills (ed.), International Encyclopedia of the Social Sciences, Macmillan, New York, 1968, 7
vol. ; J. Le Goff, P. Nora (éds), Faire de l’histoire, Gallimard, Paris, 1974 ; Raymond Williams, Keywords.
A Vocabulary of Culture and Society, Fontana, London, 1976.
2. Cf. Kerwin Lee Klein, « On the Emergence of Memory in Historical Discourse », Representations, 2000,
n° 69, p. 129.
3. Peter Reichel, L’Allemagne et sa mémoire, Odile Jacob, Paris, 1998, p. 13.
4. Charles Maier, « A Surfeit of Memory ? Reflections on History, Melancholy and Denial », History &
Memory, 1993, 5, pp. 136-151 ; Régine Robin, La Mémoire saturée, Stock, Paris, 2003.
5. Olivier Dumoulin, Le Rôle social de l’historien. De la chaire au prétoire, Albin Michel, Paris, 2003, p.
343.
6. E. Hobsbawm, « Introduction : Inventing Traditions », in E. Hobsbawm, T. Ranger (eds), The Invention
of Tradition, Cambridge University Press, Cambridge, 1983, p. 9.
7. Sur le concept de « religion civile », cf. surtout Emilio Gentile, Les Religions de la politique. Entre
démocraties et totalitarismes, Seuil, Paris, 2005, un ouvrage largement inspirée par les travaux de George
L. Mosse.
8. Sur ce thème, voir surtout Antonio Gibelli, L’officina della guerra. La Grande Guerra e le
trasformazioni del mondo mentale, Bollati Boringhieri, Torino, 1990.
9. Walter Benjamin, « Le conteur. Réflexions sur l’œuvre de Nicolas Leskov », Œuvres III, Gallimard,
Paris, 2000, p. 116.
10. Cf. la pièce de Pirandello Come tu mi vuoi et Leonardo Sciascia, Il teatro della memoria. La sentenza
memorabile, Adelphi, Milano, 2004.
11. E.P. Thompson, Temps, discipline du travail et capitalisme industriel, préface d’Alain Maillard, La
Fabrique, Paris, 2004.
12. Cf. Giorgio Agamben, Enfance et histoire. Destruction de l’expérience et origine de l’histoire, Rivages,
Paris, 2002, p. 25.
13. Reinhart Koselleck, « Les monuments aux morts, lieux de fondation de l’identité des survivants »,
L’Expérience de l’histoire, « Hautes Études », Gallimard-Seuil, Paris, 1997, pp. 140, 151.
14. Parmi les innombrables contributions à ce débat historiographique, cf. la synthèse de Gérard Noiriel,
Sur la « crise » de l’histoire, Belin, Paris, 1996.
15. Annette Wieviorka, L’Ère du témoin, Plon, Paris, 1998.
16. Tzvetan Todorov, Les Abus de la mémoire, Arléa, Paris, 1995.
17. Cf. notamment, à propos de la première guerre du Golfe, Dan Diner, Krieg der Erinnerung und die
Ordnung der Welt, Rothbuch Verlag, Berlin, 1996.
18. Tom Segev, Le Septième Million. Les Israéliens et le génocide, Liana Lévi, Paris, 1993, p. 464.
19. Cf. Libération du 2 avril 2002.
20. Cf. Catherine Bédarida, « Le faux pas du romancier José Saramago », Le Monde du 29 mars 2002.
21. Paul Ricœur, La Mémoire, l’histoire, l’oubli, Seuil, Paris, 2000, p. 106. Une position analogue avait
déjà été défendue avec force par Patrick H. Hutton, History as an Art of Memory, University Press of New
England, Hanover, N.H., 1993.
22. Michael Oakeshott, Rationalism in Politics and Other Essays, Meuthen, London, 1962, p. 198.
23. Walter Benjamin, « Zum Bilde Prousts », Illuminationen, p. 336 (trad. fr. « L’image proustienne »,
Œuvres II, Gallimard, Paris, p. 136).
24. Ibid., p. 345 (trad. fr., p. 150).
25. Walter Benjamin, Das Passagen-Werk, Suhrkamp, Frankfurt/M, 1983, Bd. I, p. 490 (trad. fr. Paris,
capitale du XIXe siècle, Éditions du Cerf, Paris, 1989, p. 405).
26. Ibid., p. 589 (trad. fr., p. 489).
27. François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Seuil, Paris, 2003, p. 126.
28. Je reprends ici une réflexion déjà présentée dans mon essai « La singularité d’Auschwitz. Hypothèses,
problèmes et dérives de la recherche historique », in Cathérine Coquio (ed.), Parler des camps, penser les
génocides, Albin Michel, Paris, 1999, pp. 128-140.
29. Siegfried Kracauer, « Die Photographie », Das Ornament der Masse. Essays, Suhrkamp, Frankfurt/M,
1977, p. 32, et, du même auteur, Theory of Film, Oxford University Press, New York, 1960, p. 14.
30. Cf. Dominick LaCapra, « History and Memory : In the Shadow of the Holocaust », History and Memory
After Auschwitz, Cornell University Press, Ithaca, 1998, p. 20.
31. Jean-Michel Chaumont, « Connaissance ou reconnaissance ? Les enjeux du débat sur la singularité de la
Shoah », Le Débat, 1994, n° 82, p. 87.
32. Steven Katz, « The Uniqueness of the Holocaust : The Historical Dimension », in Alan S. Rosenbaum
(ed.), Is the Holocaust Unique ? Perspectives on Comparative Genocide, Westview Press, Boulder, 1996,
pp. 19-38.
33. Eric J. Hobsbawm, « Identity History is not Enough », On History, Weidenfeld & Nicolson, London,
1997, p. 277.
34. G.W.F. Hegel, La Raison dans l’Histoire. Introduction à la philosophie de l’histoire, Éditions 10/18,
Paris, 1965, p. 193.
35. Ibid., pp. 193-194.
36. G.W.F. Hegel, « Phänomenologie des Geistes », Gesammelte Werke, Bd. 9, Felix Meiner Verlag,
Hamburg, 1980, p. 433 (trad. fr. Phénoménologie de l’Esprit, éd. Jean Hyppolite, Aubier Montaigne, Paris,
1941, t. II, pp. 311-312). Voir à ce sujet les commentaires de Jacques d’Hondt, Hegel. Philosophe de
l’histoire vivante, Presses universitaires de France, Paris, 1987, pp. 349-450.
37. G.W.F. Hegel, La Raison dans l’Histoire, op. cit., p. 195.
38. Cf. Ranajit Guha, History at the Limit of World-History, Columbia University Press, New York, 2002,
notamment le ch. III.
39. Walter Benjamin, « Über den Begriff der Geschichte », Illuminationen, p. 254 (trad. fr. Œuvres III, op.
cit., p. 432).
40. François Furet, « Pour une définition des classes inférieures à l’époque moderne », Annales ESC, 1963,
XVIII, n° 3, p. 459. Ce passage est critiqué par Carlo Ginzburg, Le Fromage et les Vers. L’univers d’un
meunier du XVIe siècle, Aubier, Paris, 1980, p. 15.
41. E.P. Thompson, La Formation de la classe ouvrière anglaise, Seuil, EHESS, Paris, 1988 ; M. Foucault,
Histoire de la folie à l’âge classique, Gallimard, Paris, 1964 ; C. Ginzburg, Le Fromage et les Vers, op. cit.
42. Michelle Perrot, Les Femmes ou les silences de l’histoire, Flammarion, Paris, 2001.
43. Ranajit Guha, « The Prose of Counter-Insurgency », Subaltern Studies, n° 2, Oxford University Press,
Delhi, 1983, pp. 1-42, et aussi, du même auteur, « The Small Voice of History », Subaltern Studies, n° 9,
Oxford University Press, Delhi, 1996, pp. 1-12.
44. Maurice Halbwachs, La Mémoire collective, Albin Michel, Paris, 1997, p. 130. Sur Halbwachs, cf.
Patrick H. Hutton, History as an Art of Memory, University Press of New England, Hanover and London,
1993, ch. IV, pp. 73-90.
45. Maurice Halbwachs, Les Cadres sociaux de la mémoire (1925), Albin Michel, Paris, 1994.
46. Maurice Halbwachs, La Mémoire collective, op. cit., p. 136.
47. Ibid., p. 157. Voir surtout Henri Bergson, La Perception du changement, Presses universitaires de
France, Paris, 1959.
48. Maurice Halbwachs, La Mémoire collective, op. cit., p. 161.
49. Yosef H. Yerushalmi, Zachor. Jewish History and Jewish Memory, University of Washington Press,
1982 (tr. fr. Zachor. Histoire juive et mémoire juive, La Découverte, Paris, 1984, pp. 101, 110-111, 118).
50. Pierre Nora, « Entre histoire et mémoire. La problématique des lieux », in P. Nora (éd.), Les Lieux de
mémoire. I. La République, Gallimard, Paris, 1984, p. xix. Pour une analyse intéressante de cette approche,
qu’il met en parallèle avec l’opposition de Lévi-Strauss entre sociétés « chaudes » et sociétés « froides », cf.
Dominick LaCapra, « History and Memory : in the Shadow of the Holocaust », History and Memory After
Auschwitz, op. cit., pp. 18-22.
51. Perry Anderson, La Pensée tiède, Seuil, Paris, 2005, p. 53.
52. Edward Said, Freud and the Non-European, Verso, London, 2003. La définition de l’archéologie
comme « religion nationale » est développée par Neil Asher Silberman, « Structurer le passé. Les Israéliens,
les Palestiniens et l’autorité symbolique des monuments archéologiques », in François Hartog, Jacques
Revel (éds), Les Usages politiques du passé, Éditions de l’EHESS, Paris, 2001.
53. Primo Levi, I sommersi e i salvati, Einaudi, Torino, 1986 (trad. fr. Les Naufragés et les Rescapés,
Gallimard, Paris, 1989).
54. Pierre Vidal-Naquet, Mémoires, I. La brisure et l’attente 1930-1955, Seuil-La Découverte, Paris, 1995,
p. 12.
55. Martin Broszat, Saul Friedländer, « Um die “Historisierung des Nationalsozialismus”. Ein
Briefwechsel », Vierteljahreshefte für Zeitgeschichte, 1988, n° 36 (tr. fr. « Sur l’historisation du national-
socialisme. Échange de lettres », Bulletin trimestriel de la Fondation Auschwitz, 1990, n° 24, pp. 43-86).
56. Ibid., p. 48.
57. Cf. Nicolas Berg, Der Holocaust und die westdeutschen Historiker. Erforschung und Erinnerung,
Wallstein, Göttingen, 2003, pp. 420-424, 613-615.
58. Cf. Ulrich Herbert, « Deutsche und jüdische Geschichtsschreibung über den Holocaust », in Michael
Brenner, David N. Myers (Hg.), Jüdische Geschichtsschreibung heute. Themen, Positionen, Kontroversen,
C.H. Beck, München, 2003, pp. 247-258.
59. Voir à ce sujet W.G. Sebald, Luftkrieg und Literatur, Fischer, Frankfurt/M, 2001, p. 21 (trad. fr. De la
destruction comme élément de l’histoire naturelle, Actes Sud, Arles, 2004, p. 25).
60. Amos Funkenstein, « Collective Memory and Historical Consciousness », History & Memory, 1989, I,
n° 1, p. 11. Voir aussi, du même auteur, Perceptions of Jewish History, University of California Press,
Berkeley, 1993, pp. 3, 6.
61. Saul Friedländer, « Trauma, Transference and “working through” in Writing the History of the Shoah »,
History & Memory, 1992, n° 1, pp. 39-59, et, toujours du même auteur, « History, Memory, and the
Historian. Dilemmas and Responsabilities », New German Critique, 2000, n° 80, pp.3-15.
62. Dominick LaCapra a analysé de façon très fine les avantages potentiels de cet « ébranlement
empathique » (empathic unsettlement) dans l’investigation critique d’un événement traumatique (Writing
History, Writing Trauma, John Hopkins University Press, Baltimore, 2001, p. 41). Dans un autre essai,
LaCapra indique deux règles de base auxquelles s’en tenir : « l’“empathie” avec l’exécuteur implique
d’admettre que, dans certaines circonstances, quiconque peut accomplir des actes extrêmes, tandis que
l’empathie avec la victime implique un respect et une compassion qui ne signifient ni identification ni parler
à la place des autres » (« Tropisms of Intellectual History », Rethinking History, 2004, vol. 8, n° 4, p. 525).
63. Saul Friedländer, L’Allemagne nazie et les Juifs. I. Les années de persécution 1933-1939, Seuil, Paris,
1997.
64. Sur les travaux de l’école historiographique dirigée par Martin Broszat à l’Institut für Zeitgeschichte de
Munich, cf. M. Broszat (Hg.), Alltagsgeschichte. Neue Perspektive oder Trivialisierung ?, Oldenbourg,
München, 1984. Un ouvrage de cette école qui échappe à cette tendance, écrit par un historien appartenant à
une génération postérieure, est celui de Detlev Peukert, Inside Nazi Germany. Conformity, Opposition and
Racism in Everiday Life, Penguin Books, London, 1987.
65. Andreas Hillgruber, Zweierlei Untergang. Die Zerschlagung des Deutschen Reiches und das Ende des
europäischen Judentums Siedler, Berlin, 1986, pp. 24-25.
66. Walter Benjamin, « Über den Begriff der Geschichte », Illuminationen, p. 254 (trad. fr. Œuvres III, op.
cit., p. 432).
67. Ian Kershaw, Hitler. 1889-1936, Flammarion, Paris, 1998, p. 9.
68. Ibid., p. 25. La référence implicite concerne Joachim Fest, Hitler, Gallimard, Paris, 1973, 2 vol.
69. Dominick LaCapra, Writing History, Writing Trauma, op. cit., p. 41.
70. Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem, Gallimard, Paris, 1991. Pour une relecture et une
contextualisation de son ouvrage, cf. Steven E. Aschheim, Hannah Arendt in Jerusalem, University of
California Press, Berkeley, 2001.
71. Christopher Browning, Des hommes ordinaires. Le 101e Bataillon de réserve de la police allemande et
la Solution finale en Pologne, préface de P. Vidal-Naquet, Les Belles Lettres, Paris, 1994.
72. Cf. Général Aussaresses, Services spéciaux. Algérie 1955-1957, Perrin, Paris, 2001.
73. David N. Myers, « Selbstreflexion im modernen Erinnerungsdiskurs », in Michael Brenner, David N.
Myers (Hg.), Jüdische Geschichtsschreibung heute, p. 66
74. George L. Mosse, « Renzo De Felice e il revisionismo storico », Nuova Antologia, 1998, n° 2206, p.
181.
75. George L. Mosse, Confronting History. A Memoir, The University of Wisconsin Press, Madison, 2000,
p. 109.
76. Renzo De Felice, Rosso e Nero, Baldini e Castoldi, Milano, 1995, p. 114.
77. Robert Aron, Histoire de Vichy, 1940-1944, Fayard, Paris, 1954.
78. Cité in Angelo Del Boca, I gas di Mussolini. Il fascismo e la guerra d’Etiopia, Editori Riuniti, Roma,
1996, p. 75. De Felice ne fait pas état des massacres de l’armée italienne en Éthiopie dans sa biographie de
Mussolini (Mussolini il Duce. Gli anni del consenso 1929-1936, Einaudi, Torino, 1974, ch. VI, pp. 597-
756. Sur De Felice et la guerre d’Ethiopie, voir Nicola Labanca, « Il razzismo coloniale italiano », in
Alberto Burgio (éd.), Nel nome della razza. Il razzismo nella storia d’Italia 1870-1945, Il Mulino, Bologna,
2000, notamment pp. 158-159.
79. Ces photos sont reproduites in Angelo del Boca, I gas di Mussolini, op. cit., pp. 115-116.
80. Siegfried Kracauer, History. The Last Things Before the Last, Oxford University Press, New York,
1969, p. 157.
81. Ibid., p. 83. Voir Georg Simmel, « Exkursus über den Fremden », Soziologie. Untersuchungen über die
Formen der Vergesellschaftung, Dunker & Humblot, Berlin, 1983, pp. 509-512 (tr. fr. Sociologie, Presses
universitaires de France, Paris, 2000).
82. Cette formule a été forgée par Jürgen Habermas, « Vom öffentlichen Gebrauch der Historie »,
Historikerstreit, Piper, 1987, pp. 243-255 (tr. fr. « De l’usage public de l’histoire », Écrits politiques, Cerf,
Paris, 1990, rééd. Champs-Flammarion, Paris, pp. 247-260).
83. Ludmila da Silva Catela, No habrá flores en la tumba del pasado. La experiencia de reconstrucción del
mundo de familiares de desaparecidos, Al Margen, La Plata, 2001.
84. Walter Benjamin, « Über den Begriff der Geschichte », Illuminationen, p. 259 (tr. fr. « Sur le concept
d’histoire », Œuvres III, op. cit., p. 440).
85. Michael Löwy, Walter Benjamin : Avertissement d’incendie. Une lecture des thèses « Sur le concept
d’histoire », Presses universitaires de France, Paris, 2001, pp. 105-108.
86. W. Benjamin, « Über den Begriff der Geschichte », p. 259 (trad. fr., p. 440).
87. Eric J. Hobsbawm, Age of Extremes. The Short XXth Century, Pantheon Books, New York, 1994 (tr. fr.
L’Âge des extrêmes, Complexe, Bruxelles, 1999) ; Bernard Pudal, Bruno Groppo, Claude Pennetier (eds),
Le Siècle des communismes, Éditions de l’Atelier, Paris, 2000.
88. Léon Poliakov, Bréviaire de la haine, Calmann-Lévy, Paris, 1951 (rééd. Complexe, Bruxelles, 1979).
89. Raul Hilberg, The Destruction of European Jews, Holmes & Meier, New York, 1985, 3 vol. (tr. fr. La
Destruction des Juifs d’Europe, Fayard, Paris, 1988).
90. Henry Rousso, Le Syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Seuil, Paris, 1990 ; voir aussi, sur ces
différentes étapes, Paul Ricœur, La Mémoire, l’histoire, l’oubli, op.cit., p. 582.
91. Theodor W. Adorno, « Was bedeutet : Aufarbeitung der Vergangenheit ? », Eingriffe. Neun kritische
Modelle, Suhrkamp, Frankfurt/M, 1963 (trad. fr. « Que signifie : repenser le passé ? » (1959), Modèles
critiques, Payot, Paris, 1984, pp. 97-98).
92. Jean Améry, Jenseits von Schuld und Süne, Klett-Cotta, Stuttgart, 1977, p. 120 (Par-delà le crime et le
châtiment, Actes Sud, Arles, 1995, pp. 129-130).
93. Cf. Nicolas Berg, Der Holocaust und die westdeutschen Historiker. Erforschung und Erinnerung,
Wallstein Verlag, Göttingen, 2003, pp. 215-219.
94. Ernst Bloch, Erbschaft dieser Zeit (1935), Suhrkamp, Frankfurt/M, 1985, pp. 104-125 (tr. fr. Héritage
de ce temps, Payot, Paris, 1978). Voir aussi les essais de Daniel Bensaïd rassemblés in La Discordance des
temps, Éditions de la Passion, Paris, 1995.
95. Cf. Jérôme Baschet, « L’histoire face au présent perpétuel. Quelques remarques sur la relation passé-
futur », in F. Hartog, J. Revel (éds), Usages politiques du passé, op. cit., p. 67.
96. Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem, op. cit.. Sur ce procès, voir aussi le film de Rony Brauman et
Eyal Sivan, Un spécialiste.
97. Raul Hilberg, The Politics of Memory, Ivan R. Dee, Chicago, 1996 (tr. fr. Politique de la mémoire,
Gallimard, Paris, 1996).
98. Cf. Dan Diner, « Hannah Arendt Reconsidered : Über das Banale und das Böse in ihrer Holocaust-
Erzählung », in Gary Smith (ed.), Hannah Arendt Revisited. « Eichmann in Jerusalem » und die Folgen,
Suhrkamp, Frankfurt/M, 2000, pp. 120-135.
99. Cf. Pierre Vidal-Naquet, « Et par le pouvoir d’un mot… », Les Juifs, la mémoire et le présent II, La
Découverte, Paris, 1991, pp. 267-275.
100. Voir Yves Ternon, Les Arméniens : histoire d’un génocide, Seuil, Paris, 1983, et Vahakan N. Dadrian,
Histoire du génocide arménien, Stock, Paris, 1996.
101. Cf. Maria Ferretti, La memoria mutilata. La Russia ricorda, Corbaccio, Milano, 1993.
102. Ernesto Galli della Loggia, La morte della patria, Laterza, Bari-Roma, 1999.
103. Cf. le texte de l’allocution du président Ciampi in Filippo Focardi (éd.), La guerra della memoria. La
Resistenza nel dibattito politico italiano dal 1945 a oggi, Laterza, Bari-Roma, 2005, pp. 333-335.
L’expression « les gars de Salò » a été forgée par l’ex-président du Sénat Luciano Violante, membre de la
coalition de centre-gauche de l’Olivier, lors d’une allocution au printemps 1996 (incluse dans le recueil
dirigé par F. Focardi, pp. 285-286). Voir aussi la critique par Antonio Tabucchi au président Ciampi (pp.
335-338, trad. fr. « Italie : les fantômes du fascisme », Le Monde, 19 octobre 2001).
104. Sergio Luzzatto, La crisi dell’antifascismo, Einaudi, Torino, 2004, p. 31. Luzzatto souligne à juste titre
que toute démocratie moderne se fonde sur une « hiérarchie rétrospective de la mémoire », c’est-à-dire sur
des choix qui définissent son identité (p. 30). Les mémoires « symétriques et compatibles » aujourd’hui
revendiquées par le chef de l’État et par une large partie de l’élite politique visent précisément à remettre en
cause les choix faits au moment de la naissance de la république.
105. Claudio Magris, « La memoria è libertà dall’ossessione del passato », Il Corriere della Sera, 10 février
2005.
106. Cf. D. Rodogno, Il nuovo ordine mediterraneo. Le politiche d’occupazione dell’Italia fascista in
Europa (1940-1943), Bollati Boringhieri, Torino, 2003, et C. Di Sante (éd.), Italiani senza onore. I crimini
in Jugoslavia e i processi negati (1941-1951), Ombre Corte, Verona, 2005.
107. Cf. Paloma Aguilar, Memoria y olvido de la guerra civil española, Alianza Editorial, Madrid, 1996.
Sur ce thème, voir aussi les contributions rassemblées dans Matériaux pour l’histoire de notre temps, 2003,
n° 70, consacré à « Espagne : la mémoire retrouvée (1975-2002) ».
108. Cf. notamment Julián Casanova (ed.), Morir, matar, sobrevivir. La violencia en la dictadura de
Franco, Crítica, Barcelona, 2002.
109. Très significatif, de ce point de vue, l’impact de l’exposition « Exilio », organisée à Madrid en
septembre-octobre 2002 par la Fondation Pablo Iglesias, au Musée national centre d’art Reina-Sofia.
110. Voir notamment l’ouvrage cité de Paloma Aguilar, Memoria y olvido de la guerra civil española, et
Ismael Saz Campos, « El pasado que aún no puede pasar », Fascismo y franquismo, PUV, Valencia, 2004,
pp. 277-291.
111. Bruno Groppo, « Traumatismos de la memoria e imposibilidad del olvido en los paises del Cono Sur »,
in Bruno Groppo, Patricia Flier (eds), La imposibilidad del olvido, Ediciones Al Margen, La Plata, 2001,
pp. 19-42.
112. Dan Diner, « Gestaute Zeit. Massenvernichtung und jüdische Erzählung », Kreisläufe, Berlin Verlag,
Berlin, 1993, pp. 123-140.
113. Cf. notamment Ilan Pappé, La Guerre de 1948 en palestine. Aux origines du conflit israélo-arabe, La
Fabrique, Paris, 2000. Voir aussi les observations de Michel Warschawski, Israël-Palestine. Le défi
binational, Textuel, Paris, 2001, pp. 39-46. Sur la naissance de l’historiographie palestinienne, cf. Rashid
Khalidi, Palestinian Identity, Columbia University Press, New York, 1997 (trad. fr. L’Identité
palestinienne. La construction d’une conscience nationale moderne, La Fabrique, Paris, 2003), et aussi
Elias Sanbar, « Hors de lieu, hors du temps. Pratiques palestiniennes de l’histoire », in François Hartog,
Jacques Revel (éds), Les Usages politiques du passé, op. cit., p. 123.
114. Peter Novick, The Holocaust in American Life, Houghton Mifflin, New York, 1999.
115. Cf. Dan Diner, « Cumulative Contingency. Historicizing Legitimacy in Israeli Discourse », Beyond the
Conceivable. Studies on Germany, Nazism, and the Holocaust, University of California Press, Berkeley,
2000, p. 215.
116. Cf. Tom Segev, Le Septième Million, op. cit., pp. 578-580.
117. Nicole Loraux, La Cité divisée. L’oubli dans la mémoire d’Athènes, Payot, Paris, 1997.
118. P. Novick, The Holocaust in American Life, p. 15.
119. Cf. Maya Morioka Todeschini (éd.), Hiroshima 50 ans, Autrement, Paris, 1995.
120. Susan Sontag, Devant la douleur des autres, Bourgois, Paris, 2003.
121. P. Novick, The Holocaust in American Life, op. cit., p. 279.
122. Arno Mayer, Why did the Heavens not Darken ? The Final Solution in History, Pantheon Books, New
York, 1988 (trad. fr. La « Solution finale » dans l’Histoire, La Découverte, Paris, 1990, p. 35).
123. G. Achcar, Le Choc des barbaries, Complexe, Bruxelles, 2002.
124. Il existe déjà une abondante littérature sur ce monument. Voir notamment le catalogue publié par la
Fondation qui le gère, Stiftung Denkmal für die ermordeten Juden Europas, Materialien zum Denkmal für
die ermordeten Juden Europas. Nicolai Verlag, Berlin 2005.
125. Régine Robin, Berlin chantiers, Stock, Paris, 2001, p. 394.
126. Sur la Neue Wache, cf. Peter Reichel, L’Allemagne et sa mémoire, Odile Jacob, Paris, 1998, pp. 212-
225.
127. Reinhart Koselleck, « Wer darf vergessen werden ? Das Holocaust-Mahnmal hierarchisiert die
Opfer », Die Zeit, 1998, n° 13.
128. Jürgen Habermas, « Der Zeigefinger. Die Deutschen und ihr Denkmal », Die Zeit, 1999, n° 14.
129. Cf. R. Hilberg, La Politique de la mémoire, op. cit., pp. 61-62.
130. Cf. Joshua Fogel (ed.), The Nanjing Massacre in History and Historiography, University of California
Press, Berkeley, 2000.
131. Cf. Ian Buruma, The Wages of Guilt. Memories of War in Germany and Japan, Phoenix, London,
1994.
132. Cf. Florence Beaugé, « Paris reconnaît que le massacre de Sétif en 1945 était “inexcusable” », Le
Monde du 9 mars 2005.
133. Cf. Benjamin Stora, La Gangrène et l’oubli. La mémoire de la guerre d’Algérie, La Découverte, Paris,
1991. Sur le massacre du 17 octobre 1961, cf. Jean-Luc Einaudi, Octobre 1961, Fayard, Paris, 2001, et
Olivier Lecour Grandmaison (éd.), Le 17 octobre 1961. Un crime d’État à Paris, La Dispute, Paris, 2001.
134. Pour une bonne présentation synthétique du « tournant linguistique », cf. François Dosse, La Marche
des idées. Histoire des intellectuels, histoire intellectuelle, La Découverte, Paris, 2003, pp. 207-226. Sur son
impact sur l’histoire sociale, cf. Geoff Eley, « De l’histoire sociale au “tournant linguistique” dans
l’historiographie anglo-américaine des années 1980 », Genèses, 1992, n° 7, pp. 163-193.
135. Roger Chartier, Au bord de la falaise. L’histoire entre certitudes et inquiétude, Albin Michel, Paris,
1998, p. 11.
136. Ibid., p. 16.
137. Dominick LaCapra, « Tropisms of Intellectual History », Rethinking History, 2004, vol. 8, n° 4, p. 513.
138. Roland Barthes, « Le discours de l’histoire » (1967), in Le bruissement de la langue. Essais critiques
IV, Seuil, Paris, 1984, p. 175.
139. Hayden White, « The Historical Text as Literary Artefact », Tropics of Discourse. Essais in Cultural
Criticism, John Hopkins University Press, Baltimore, 1985, p. 82. Cette thèse avait déjà été formulée in
Metahistory. The Historical Imagination in Nineteenth-Century Europe, John Hopkins University Press,
Baltimore, 1973, pp. xi-xii, 5-7, 427. Pour une présentation critique des thèses de White, cf. Roger Chartier,
Au bord de la falaise, op. cit., ch. IV, pp. 108-125, et Wulf Kantsteiner, « Hayden White’s Critique of the
Writing of History », History and Theory, 1993, n° 3, pp. 273-295.
140. Parmi les nombreuses analyses critiques de la conception de l’histoire de White, cf. Arnaldo
Momigliano, « La retorica della storia e la storia della retorica : sui tropi di Hayden White », Sui fondamenti
della storia antica, Einaudi, Torino, 1984, pp. 465-476 ; Roger Chartier, « Figures rhétoriques et
représentation historique », Au bord de la falaise, op. cit., pp. 108-128 ; Paul Ricœur, La Mémoire,
l’histoire, l’oubli, op. cit., pp. 320-339 ; et surtout Richard Evans, In Defense of History, Norton, New
York, 1999, ch. III, pp. 65-88.
141. Michel de Certeau, L’Écriture de l’histoire, Gallimard, Paris, 1975, p. 12.
142. Ibid., p. 13.
143. Sur le rapport des archives à l’écriture de l’histoire, cf. Sonia Combe, Archives interdites. L’histoire
confisquée, La Découverte, Paris, 2001.
144. Dominick LaCapra, Writing History, Writing Trauma, op. cit., pp. 1-42. C’est à partir de
considérations analogues que Paul Ricœur tient à qualifier d’« antinomique » la paire « récit historique/récit
de fiction » (La Mémoire, l’histoire, l’oubli, op. cit., p. 339).
145. Reinhart Koselleck, « Histoire sociale et histoire des concepts », L’Expérience de l’histoire, op. cit., p.
110.
146. Régine Robin, La Mémoire saturée, op. cit., p. 299.
147. Voir sur ce débat, les contributions rassemblées in Saul Friedlander (ed.), Probing the Limits of
Representation. Nazism and the « Final Solution », Harvard University Press, Cambridge, 1992 (notamment
le débat entre H. White (« Historical Emplotment and the Problem of Truth », pp. 37-53, et Carlo Ginzburg,
« Just One Witness », pp. 82-96). Ginzburg saisit dans les thèses de White une nouvelle version de la
philosophie idéaliste du jeune Benedetto Croce exprimée dans un ouvrage de 1893 intitulé La storia ridotta
sotto il concetto generale dell’arte (pp. 87-89).
148. François Bédarida, « Temps présent et présence de l’histoire », Histoire, critique et responsabilité,
Complexe, Bruxelles, 2003, p. 51.
149. Pierre Vidal-Naquet, Les Assassins de la mémoire, La Découverte, Paris, 1987, pp. 148-149.
150. Claude Lanzmann, « La question n’est pas celle du document mais celle de la vérité », Le Monde, 19
janvier 2001, p. 29. Il s’agit d’un commentaire à l’exposition « Mémoire des camps » (cf. Clément Chéroux
(éd.), Mémoire des camps. Photographies des camps de concentration et d’extermination nazis (1933-
1999), Marval, Paris, 2001). La position de Lanzmann a été développée par George Wajcman, « De la
croyance photographique », Les Temps Modernes, 2001, n° 613, pp. 47-83, et par Elisabeth Pagnoux,
« Reporter photographe à Auschwitz », ibid., pp. 84-108. Sur ce débat, voir l’ouvrage fondamental de
Georges Didi-Huberman, Images malgré tout, Éditions de Minuit, Paris, 2003, ainsi que l’excellent essai
d’Ilsen About et Clément Chéroux, « L’histoire par la photographie », in Études photographiques, 2001, n°
10.
151. Claude Lanzmann, « Parler pour les morts », Le Monde des débats, mai 2000, p. 15.
152. Claude Lanzmann, « Holocauste, la représentation impossible », Le Monde, 3 mars 1994, p. VII.
153. Claude Lanzmann, « Hier ist kein Warum », Au sujet de Shoah. Le film de Claude Lanzmann, Belin,
Paris, 1990, p. 279.
154. Primo Levi, « Se questo è un uomo », Opere I, Einaudi, Torino, 1997, p. 23.
155. Dominick LaCapra, « Lanzmann’s Shoah : “Here There Is No Why” », History and Memory After
Auschwitz, op. cit., p. 100.
156. Primo Levi, « La ricerca delle radici », Opere II, Einaudi, Torino, 1997, p. 1367.
157. Giorgio Agamben, Quel che resta di Auschwitz. L’archivio e il testimone, Bollati-Boringhieri, Torino,
1998, p. 8 (tr. fr. Ce qui reste d’Auschwitz, Rivages, Paris, 1999).
158. Primo Levi, « I sommersi e i salvati », Opere II, op. cit., p. 1056 (tr. fr. Les Naufragés et les Rescapés,
op. cit., p. 83).
159. Giorgio Agamben, Quel che resta di Auschwitz, op. cit., p. 153.
160. Ibid., p. 47.
161. Cf. Régine Robin, La Mémoire saturée, op. cit., p. 250.
162. Cf. Dominick LaCapra, (« Approaching Limit Events : Siting Agamben », History in Transit.
Experience, Identity, Critical Theory, Cornell University Press, Ithaca, 2004, p. 172.
163. Philippe Mesnard et Claudine Kahn, Giorgio Agamben à l’épreuve d’Auschwitz, Kimé, Paris, 2001, p.
125.
164. Cf. l’introduction de Henry Rousso à son recueil Vichy. L’Événement, la mémoire, l’histoire,
Gallimard, Paris, 2001, p. 43.
165. Cf. Raul Hilberg, Exécuteurs, victimes, témoins, Gallimard, Paris, 1993. Cette tendance est soulignée
par Richard L. Evans, « History, Memory, and the Law. The Historian as Expert Witness », History and
Theory, 2002, vol. 41, n° 3, p. 344.
166. Daniel J. Goldhagen, Les Bourreaux volontaires de Hitler, Seuil, Paris, 1997.
167. Stéphane Courtois (éd.), Le Livre noir du communisme. Crimes, terreur, répression, Laffont, Paris,
1997.
168. Cf. Jean-Noël Jeanneney, Le Passé dans le prétoire. L’historien, le juge et le journaliste, Seuil, Paris,
1998, p. 24, et Olivier Dumoulin, Le Rôle social de l’historien : de la chaire au prétoire, op. cit., pp. 163-
176.
169. Cf. Marc Olivier Baruch, « Procès Papon : impressions d’audience », Le Débat, 1998, n° 102, pp. 11-
16. Cf., sur ce thème, Olivier Dumoulin, Le Rôle social de l’historien, op. cit., et Norbert Frei, Dirk van
Laak, Michael Stolleis (Hg.), Geschichte vor Gericht. Historiker, Richter und die Suche nach Gerechtigkeit,
C.H. Beck, München, 2000.
170. Henry Rousso, La Hantise du passé, Textuel, Paris, 1998, p. 97. Cf. aussi Éric Conan, Henri Rousso,
Vichy, un passé qui ne passe pas, Gallimard, Paris, 1996, pp. 235-255.
171. Friedrich Schiller, « Resignation », Werke und Briefe, Deutscher Klassiker Verlag, 1992, Bd. 1, p. 420.
Cf. Reinhart Koselleck, « Historia magistra vitæ », in Le Futur passé. Contribution à la sémantique des
temps historiques, EHESS, Paris, 1990, p. 50 ; et aussi, pour une actualisation du problème, Daniel Bensaïd,
Qui est le juge ? Pour en finir avec le tribunal de l’Histoire, Fayard, Paris, 1999.
172. Marc Bloch, « L’analyse historique », Apologie pour l’histoire, Armand Colin, Paris, 1974, p. 118.
Edward H. Carr, What is History ?, Macmillan, London, 1961, ch. I.
173. Pierre Vidal-Naquet, Mémoires I. op. cit, pp. 113-114 (ce passage est tiré de Chateaubriand, Mémoires
d’outretombe, La Pléiade-Gallimard, Paris, p. 630).
174. Carlo Ginzburg, Il giudice e lo storico, Einaudi, Torino, 1991 (tr. fr. Le Juge et l’Historien, Verdier,
Paris, 1997, p. 23).
175. Carlo Ginzburg, Le Juge et l’Historien, op. cit., p. 16.
176. Ce qui conduisait Georges Duby, peut-être de façon un peu hâtive, à écrire que « la notion de vérité
historique s’est modifiée […] parce que l’histoire désormais s’intéresse moins à des faits qu’à des
relations » (L’Histoire continue, Odile Jacob, Paris, 1991, p. 78).
177. Carlo Ginzburg, « Spie, radici di un paradigma indiziario », in Miti, emblemi, spie. Morfologia e
storia, Einaudi, Torino, 1986, pp. 158-209 (tr. fr. Mythes, emblèmes, traces, Flammarion, Paris).
178. Jean Améry, Jenseits von Schuld und Sühne, Klett-Cotta, Stuttgart, 1977 (tr. fr. Par-delà le crime et le
châtiment, Actes Sud, Arles, 1995).
179. Charles Péguy, « Le jugement historique », Œuvres, vol. I, « La Pléiade » Gallimard, Paris, 1987, p.
1228. Ce texte est inclus in F. Hartog, J. Revel (éds), Usages politiques du passé, op. cit., p. 184.
180. Interview de Marek Edelman par Pol Mathil, Le Soir du 19 avril 2003.
181. Theodor W. Adorno, « Erziehung nach Auschwitz », Stichworte. Kritische Modelle 2, Suhrkamp,
Frankfurt/M, 1969 (trad. fr. « Éduquer après Auschwitz » (1966), in Modèles critiques, Payot, Paris, 1984,
p. 205).
182. Jürgen Habermas, « Conscience historique et identité post-traditionnelle », Écrits politiques, op. cit., p.
294.
183. Zygmunt Bauman, Modernity and the Holocaust, Polity Press, Cambridge, 1989, p. 114 (trad. fr.
Modernité et Holocauste, La Fabrique, Paris, 2002, pp. 191-192).
184. Giorgio Agamben, « Qu’est-ce qu’un camp ? », in Moyens sans fin, Rivages, Paris, 2002, p. 49.
185. Federica Sossi, « Témoigner de l’invisible », in Catherine Coquio (éd.), L’Histoire trouée. Négation et
témoignage, L’Atalante, Nantes, 2003, p. 398.
186. Hannah Arendt, Les Origines du totalitarisme, Quarto-Gallimard, Paris, 2002, p. 598.
187. Pierre Vidal-Naquet, Mémoires II. Le Trouble et la lumière, La Découverte-Seuil, Paris, 1998, p. 107.
188. Cf. Dan Diner, Verkehrte Welten, Eichborn, Frankfurt/M, 1993.
189. Georges Perec, W ou le Souvenir d’enfance, Gallimard, Paris, 1975, p. 220.
190. Jean-Pierre Chrétien, « Un nazisme tropical », Libération, 26 avril 1994.
191. Dolf Oehler, Le Spleen contre l’oubli. Juin 1848. Baudelaire, Flaubert, Heine, Herzen, Payot, Paris,
1996.
192. Cf. Sophie Wahnich, La Liberté ou la mort. Essai sur la Terreur et le terrorisme, La Fabrique, Paris,
2003.
193. Cf. Marie-Claire Lavabre, Le fil rouge. Sociologie de la mémoire communiste, Presses de la Fondation
des Sciences Politiques, Paris, 1994. Le concept de « contre-société » a été forgé par Annie Kriegel,
Communismes au miroir français, Gallimard, Paris, 1974, p. 183.
194. La formule appartient à Klaus Hildebrand, « Das Zeitalter der Tyrannen », Historikerstreit. Die
Dokumentation der Kontroverse um die Einzigartigkeit der Nationalsozialistischen Judenvernichtung,
Piper, München, 1987, pp. 84-92.
195. Pour une histoire de ce concept, cf. Enzo Traverso (éd.), Le Totalitarisme. Le XXe siècle en débat,
Seuil, Paris, 2001.
196. Francis Fukuyama, La Fin de l’histoire et le dernier homme, Flammarion, Paris, 1993.
197. François Furet, Le Passé d’une illusion. Essai sur l’idée de communisme au XXe siècle, Laffont-
Calmann-Lévy, Paris, 1995, p. 18.
198. Daniel Bensaïd, Le Pari mélancolique. Métamorphoses de la politique, politique des métamorphoses,
Fayard, Paris, 1997.
199. Walter Benjamin, « Einbahnnstrasse », Gesammelte Schriften, Suhrkamp, Frankfurt/M, 1977, Bd. I, 3,
p. 1232.
200. Cf. Rainhert Koselleck, « “Champ d’expérience” et “horizon d’attente” ; deux catégories historiques »,
Le futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, Éditions de l’EHESS, Paris, 1990, pp.
307-329. Sur l’avenir de l’idée de communisme, cf. surtout les réflexions de Perry Anderson, « The Ends of
History », A Zone of Engagement, Verso, London, 1992.
201. Wolfgang Schieder, Faschismus als soziale Bewegung, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen, 1983.
202. Tim Mason, « Whatever happened to ‘Fascism’ ? », Nazism, Fascism and the Working Class. Essays
by Tim Mason, Cambridge University Press, 1995, pp. 323-331.
203. Ernst Nolte, « Vergangenheit, die nicht vergehen will », et Jürgen Habermas, « Ein Art
Schadensabwicklung », Historikerstreit, Piper, München, 1987, pp. 39-47 et 62-76.
204. Martin Broszat, Saul Friedländer, « Um die “Historisierung des Nationalsozialismus”. Ein
Briefwechsel », Vierteljahreshefte für Zeitgeschichte, 1988, n° 36 (tr. fr. « Sur l’historisation du national-
socialisme. Echange de lettres », Bulletin trimestriel de la Fondation Auschwitz, 1990, n° 24, pp. 43-86).
205. K. Mannheim, Ideologie und Utopie (1929), Verlag Schulte & Bulmke, Frankfurt/M, 1969, pp. 130-
131.
206. Cf. Ulrich Herbert, « Deutsche und jüdische Geschichtsschreibung über den Holocaust », in M.
Brenner, David N. Myers (Hg.), Jüdische Geschichtsschreibung heute. Themen, Positionen, Kontroversen,
C.H. Beck, München, 2003, pp. 247-258. Ce postulat est au centre de la reconstruction de la trajectoire de
l’historiographie ouest-allemande par Nicolas Berg, Der Holocaust und die westdeutschen Historiker.
Erforschung und Erinnerung, Wallstein, Berlin, 2003.
207. Daniel J. Goldhagen, Les Bourreaux volontaires de Hitler, op. cit. Voir à ce sujet Enzo Traverso, « La
Shoah, les historiens et l’usage public de l’histoire », L’Homme et la société, 1997/3, n° 125, pp. 17-26.
208. Voir Winfried Schulze, Otto G. Oexle, (Hg.), Deutsche Historiker im Nationalsozialismus, Fischer,
Frankfurt/M, 1999. Pour un bilan d’ensemble, cf. Marina Cattaruzza, « Ordinary Men ? Gli storici tedeschi
durante il nazionalsocialismo », Contemporanea, 1999, II, n° 2, pp. 331-339.
209. Edouard Husson, Comprendre Hitler et la Shoah, Presses universitaires de France, Paris, 2000, pp.
271-272.
210. Cf. Omer Bartov, « The German Exibition Controversy. The Politics of Evidence », in O. Bartov, A.
Grossmann, M. Nolan (eds), Crimes of War. Guilt and Denial in Twentieth Century, The New Press, New
York, 2002, pp. 43-60.
211. Institut für Sozialforschung (Hg.), Verbrechen der Wehrmacht. Dimensionen des Vernichtungskrieges
1941-1944, Hamburger Edition, Hamburg, 2002.
212. Enzo Traverso, « La singularité d’Auschwitz. Problèmes et dérives de la recherche historique », in C.
Coquio (éd.), Parler des camps, penser les génocides, Albin Michel, Paris, 1999, pp. 128-140.
213. Karl-Dietrich Bracher, Zeitgeschichtliche Kontroversen. Um Faschismus, Totalitarismus, Demokratie,
Piper, München, 1976.
214. Hans-Helmut Knütter, Die Faschismus-Keule. Das letzte Aufgebot der deutschen Linken, Ullstein,
Frankfurt/M, 1993, p. 14.
215. Wolfgang Kraushaar, « Die auf dem linken Auge blinde Linke. Antifaschismus und Totalitarismus »,
Linke Geisterfahrer. Denkanstösse für eine antitotalitäre Linke, Verlag Neue Kritik, Frankfurt/M, 2001, pp.
147-155.
216. Dan Diner, Das Jahrhundert verstehen. Ein universalhistorische Deutung, Luchterhand, München,
1999.
217. R. Kühnl, Der Faschismus, Distel, Berlin, 1998.
218. W. Wippermann, Faschismustheorien. Die Entwicklung der Diskussion von den Anfang bis heute,
Primus Verlag, Darmstadt, 1995.
219. Jerzy W. Borejsza, Schulen des Hasses. Faschistische Systeme in Europa, Fischer, Frankfurt/M, 1999.
220. Ernst Nolte, Le Fascisme dans son époque, Julliard, Paris, 1970 ; son interprétation « historico-
génétique » du totalitarisme est présentée dans sa correspondance avec François Furet, Fascisme et
communisme, Plon, Paris, 1998.
221. Pour un bilan de l’historiographie de la RDA sur le nazisme, cf. Karl Heinz Roth, « Glanz und Elend
der DDR-Geschichtswissenschaft ueber Faschismus und zweiten Weltkrieg », Bulletin für Faschismus-und
Weltkriegsforschung, 2001, n° 17, pp. 66-72. Sur la question du génocide juif, cf. Konrad Kwiet,
« Historians of the German Democratic Republic on Antisemitism and Persecution », Leo Baeck Institute
Yearbook, 1976, vol. 21, pp. 173-198.
222. Voir David Beetham (ed.), Marxists in fece of Fascism. Writings by Marxists on Fascism from the
Inter-War Period, Manchester University Press, 1983.
223. Enzo Traverso, « Le totalitarisme. Jalons pour l’histoire d’un débat », Le Totalitarisme, op. cit., p. 27.
224. L’historien ouest-allemand Hermann Weber estime à 150 000 le nombre de communistes emprisonnés
sous le régime nazi, dont 20 000 auraient été exécutés (Kommunistischer Widerstand gegen die Hitler-
Diktatur, 1933-1939, Gedenkstätte deutscher Widerstand, Berlin, 1990, p. 3).
225. S. Friedländer, « The Wehrmacht and Mass Extermination of the Jews », dans l’ouvrage cité Crimes of
War, p. 23.
226. M. Broszat, « Resistenz und Widerstand », Nach Hitler, C.H. Beck, München, 1986, pp. 68-91. Pour
une présentation de ce débat, cf. Ian Kershaw, Qu’est-ce que le nazisme ? Problèmes et perspectives
d’interprétation, Folio-Gallimard, Paris, 1997, ch. 8. Pour une critique du concept de Resistenz, cf. Saul
Friendländer, Memory, History and the Extermination of the Jews of Europe, Indiana University Press,
Bloomington, 1983, pp. 92-95.
227. Theodor W. Adorno, « Que signifie : repenser le passé ? », Modèles critiques, Payot, Paris, 1984, pp.
97-98.
228. Dan Diner, « Antifaschistische Weltanschauung. Ein Nachruf », Kreisläufe, Berlin Verlag, Berlin,
1995, p. 91. Pour suivre l’émergence de l’Holocauste au centre du débat historiographique ouest-allemand,
cf. Nicolas Berg, Der Holocaust und die westdeutschen Historiker, op. cit., pp. 379-383 (sur l’absence de
focalisation sur l’Holocauste par les théories du fascisme des années 1960).
229. Étienne François, « Révolution archivistique et réécriture de l’histoire : l’Allemagne de l’Est, in Henri
Rousso (éd.), Nazisme et stalinisme. Histoire et mémoire comparées, Complexe, Paris, 1999, p. 346.
230. Jürgen Habermas, « Conscience historique et identité post-traditionnelle », Écrits politiques, op. cit.,
pp. 315-316.
231. Cf. l’interview à Renzo De Felice in Jader Jacobelli (ed.), Il fascismo e gli storici oggi, Laterza, Bari-
Roma, 1988, p. 6. Pour une mise en parallèle de l’approche de Nolte avec celle de De Felice, cf. Wolfgang
Schieder, « Zeitgeschichtliche Vershränkungen über Ernst Nolte und Renzo De Felice », Annali dell’Istituto
italo-germanico di Trento, 1991, XVII, pp. 359-376.
232. George Steinmetz, « German exceptionalism and the origins of Nazism : the career of a concept », in I.
Kershaw, M. Lewin (eds), Stalinism and Nazism. Dictatorships in Comparison, Cambridge University
Press, 1997, p. 257.
233. Parmi les derniers ouvrages importants consacrés à ce thème, cf. Valérie Igounet, Histoire du
révisionnisme en France, Seuil, Paris, 2000, Florent Brayard, Comment l’idée vint à M. Rassinier, Fayard,
Paris, 1996, et Nadine Fresco, Fabrication d’un antisémite, Seuil, Paris, 1999.
234. Pierre Vidal-Naquet, Les Assassins de la mémoire, op. cit.
235. François Bédarida, Comment est-il possible que le « Révisionnisme » existe ?, Presses de la Comédie
de Reims, Reims, 1993, p. 4.
236. P. Vidal-Naquet, « Thèses sur le révisionnisme », Les Assassins de la mémoire, op. cit., p. 108.
237. Edouard Bernstein, Les Présupposés du socialisme, Seuil, Paris, 1974.
238. Sur la projection européenne de ce débat, cf. Bruno Bongiovanni, « Révisionismo e totalitarismo.
Storie e significati », Teoria politica, XIII, 1997, n° 1, pp. 23-54. Une partie des pièces de ce débat ont été
rassemblées par Henri Weber in Kautsky, Luxemburg, Pannekoek, Socialisme, la voie occidentale, Presses
universitaires de France, Paris, 1983.
239. Walter Laqueur, Histoire du sionisme, Calmann-Lévy, Paris, 1973 (ch. VII, « Par le fer et par le feu :
Jabotinsky et le révisionnisme »), pp. 371-420.
240. Voir surtout, à ce propos, Edouard Husson, Comprendre Hitler et la Shoah, op. cit., (ch. III), pp. 69-
84.
241. Gabriel Kolko, The Politics of War, Random House, New York, 1968.
242. Gar Alperovitz, Atomic Diplomacy. Hiroshima and Potsdam, Penguin Books, New York, 1985 (éd. or.
1965), et The Decision to Use the Atomic Bomb, Vintage Books, New York, 1996.
243. Pour une présentation d’ensemble des travaux de cette école, cf. Nicolas Werth, « Totalitarisme ou
révisionnisme ? L’histoire soviétique, une histoire en chantier », Communisme, 1996, n° 47-48, pp. 57-70.
Parmi les travaux de synthèse de ce courant historiographique, cf. Sheila Fitzpatrick, The Russian
Revolution, Oxford University Press, New York, 1994.
244. Voir Claudio Pavone, « Negazionismi, rimozioni, revisionismi : storia o politica ? », in Enzo Collotti
(éd.), Fascismo e antifascismo. Rimozioni, revisioni, negazioni, Laterza, Bari-Roma, 2000, pp. 34-35.
245. Voir surtout François Furet, Penser la Révolution française, Gallimard, Paris, 1978. Pour une
reconstruction de ce débat, cf. Steven L. Kaplan, Adieu 89, Fayard, Paris, 1993. Parmi les critiques du
révisionnisme de Furet, cf. Michel Vovelle, « Réflexions sur l’interprétation révisionniste de la Révolution
française »,, Combats pour la Révolution française, La Découverte, Paris, 2001. Sur la projection
internationale de ce débat, cf. Bruno Bongiovanni, « Rivoluzione borghese o rivoluzione del politico ? Note
sul revisionismo storiografico », in B. Bongiovanni, Le repliche della storia. Karl Marx tra la rivoluzione
francese e la critica della politica, Bollati Boringhieri, Torino, 1989, pp. 33-61 ; G.C. Comninel, Rethinking
the French Revolution. Marxism and the Revisionist Challenge, Verso, London, 1987.
246. Pour une reconstruction d’ensemble de ce débat, cf. Ilan Greilsammer, La Nouvelle Histoire d’Israël,
Gallimard, Paris, 1993. En français, cf. Ilan Pappé, La Guerre de 1948 en Palestine, op. cit.
247. Nicolas Werth, « Goulag : les vrais chiffres », L’Histoire, 1993, n° 169, p. 42.
248. Jürgen Habermas, « Eine Art Schadensabwicklung. Die apologetischen Tendenzen in der deutschen
Zeitgeschichtsschreibung », Historikerstreit, Piper, München, 1987, pp. 62-76 (tr. fr. Devant l’Histoire,
Cerf, Paris, 1990).
249. François Furet, Ernst Nolte, Fascisme et communisme, op. cit., pp. 88-89.
250. Ernst Nolte, « Vergangenheit, die nicht vergehen will », Historikerstreit, op. cit., pp. 39-47, et La
Guerre civile européenne 1917-1945, Editions des Syrtes, Paris, 2000.
251. Hans-Ulrich Wehler, Entsorgung der deutschen Vergangenheit ? Ein polemischer Essay zum
« Historikerstreit », Beck, München, 1988
252. Saul Friedländer, « A Conflict of Memories ? The New German Debates about the “Final Solution »,
History, Memory, and the Extermination of the Jews of Europe, Indiana University Press, Bloomington,
1993, pp. 33-34.
253. Pour une vision d’ensemble de l’œuvre de R. De Felice dans l’historiographie italienne du fascisme,
cf. Gianpasquale Santomassimo, « Il ruolo di Renzo De Felice », in E. Collotti (éd.), Fascismo e
antifascismo, op. cit., pp. 415-429.
254. Renzo De Felice, Il rosso e il nero, op. cit.
255. Voir notamment, Robert J. Paxton, La France de Vichy, Editions du Seuil, Paris, 1997 (éd. or. 1975).
256. J. Habermas, « De l’usage public de l’histoire », Écrits politiques, op. cit., pp. 247-260.
257. François Furet, Le Passé d’une illusion, op. cit. Je reprends cette critique à Daniel Bensaïd, Qui est le
juge ? Pour en finir avec le Tribunal de l’Histoire, op. cit.
258. Claudio Pavone, Una guerra civile. Saggio sulla moralità della Resistenza, Bollati Boringhieri,
Torino, 1990 (trad. fr. Une Guerre civile, Seuil, Paris, 2005).
259. Au sujet de Irving, cf. Richard J. Evans, Telling Lies about Hitler. The Holocaust, History and the
David Irving Trial, Verso, London, 2002 ; au sujet de Bernard J. Lewis, qui considère le génocide des
Arméniens « une vision arménienne de l’histoire », cf. Yves Ternon, « Lettre ouverte à Bernard Lewis et à
quelques autres », in Leslie A. Davis, La Province de la mort. Archives américaines con concernant le
génocide des Arméniens, Complexe, Bruxelles, 1994, pp. 9-26.
260. Krzysztof Pomian, « Storia ufficiale, storia revisionista, storia critica », in Mappe del Novecento,
Bruno Mondadori, Milano, 2002, pp. 143-150.
Index
des noms cités

a
Achcar, Gilbert 59
Adenauer, Konrad 44, 86, 103
Adorno, Theodor W. 44, 82, 103
Agamben, Giorgio 71-73, 84
Alperowicz, Gar 111
Aly, Götz 97
Améry, Jean 44, 78
Anderson, Perry 29
Antonescu, Jon 104
Arafat, Yasser 16
Arendt, Hannah 35, 46, 47, 84
Aron, Robert 37

b
Babeuf, Gracchus 91
Barbie, Klaus 74
Barthes, Roland 67
Bauman, Zygmunt 84
Bédarida, François 68, 109
Begin, Menhaem 17
Benjamin, Walter 12, 18-20, 24, 34 42, 92
Bensaïd, Daniel 92
Bergson, Henri 23, 27
Berlusconi, Silvio 81, 116
Bernstein, Edouard 110, 111, 119
Blair, Tony 81
Bloch, Ernst 45, 93
Bloch, Marc 76
Borejsza, Jerzy W. 100
Borges, Jorge-Luis 38
Bosch, Jérôme 89
Bracher, Karl-Dietrich 99
Broszat, Martin 30, 32, 33, 95, 96, 99, 106
Browning, Christopher 35
Brumlik, Micha 62
Bubis, Ignaz 44
Bush, George W. 16

c
Certeau, Michel de 68
Chalamov, Varlam 47
Chartier, Roger 67
Chateaubriand, René de 76
Cheney, Dick 81
Chrétien, Jean-Pierre 87
Ciampi, Carlo Azeglio 49
Cochin, Augustin 112
Cohn-Bendit, Daniel 86
Conquest, Robert 113
Conze, Werner 97
Courtois, Stéphane 74

d
Da Silva Catela, Ludmila 40
De Felice, Renzo 36, 37, 106, 115-117
De Gaulle, Charles 86
De Man, Henri 110
Diner, Dan 52, 100, 104
Dollfuss, Engelbert 104
Dreyfus, Alfred 79, 109
Dumoulin, Olivier 11

e
Edelman, Marek 82
Eichmann, Adolf 35, 46, 47, 52, 56
Elkana, Yehuda 57
Eisenman, Peter 60
Elias, Norbert 83
Engels, Friedrich 110

f
Fanon, Frantz 86
Fest, Joachim 34
Fischer, Fritz 111
Fitzpatrick, Sheila 112
Foucault, Michel 25
Franco, Francisco 51, 104
François, Étienne 105
Friedländer, Saul 30, 32, 33, 95, 96, 99, 103, 106
Fukuyama, Francis 91
Furet, François 25, 91, 112, 114, 117

g
Getty, Arch 112
Ginzburg, Carlo 25, 77, 78
Globke, Hans 44
Goldhagen, Daniel J. 44, 74, 95, 96, 98
Gramsci, Antonio 9, 112
Grass, Günther 62, 80
Graziani, Rodolfo 37
Grossman, Vassili 47

h
Habermas, Jürgen 34, 39, 61, 62, 82, 95, 106, 114, 116
Halbwachs, Maurice 23, 26-28, 30, 32
Hartog, François 20
Hegel, Georg Wilhelm Friedrich 23-25, 75
Herling, Gustav 47
Herzl, Theodor 110
Hilberg, Raul 43, 46, 63
Hillgruber, Andreas 33
Hitler, Adolf 16, 34, 37, 82, 95, 102
Hobbes, Thomas 83
Hobsbawm, Eric J. 11, 23, 43
Horkheimer, Max 82
Hussein, Saddam 16

j
Jabotinksy, Vladimir 110, 111
Jeanson, Francis 85

k
Kahan, Claudine 73
Kautsky, Karl 110
Kershaw, Ian 34
Knütter, Hans-Helmut 99
Kohl, Helmut 61
Kolko, Gabriel 111
Kollwitz, Käthe 62
Koselleck, Reinhart 14, 62, 68
Kracauer, Sigfried 22, 38, 60
Kraushaar, Wolfgang 100
Kühnl, Reinhard 100
Kureishi, Hanif 45

l
LaCapra, Dominick 67
Lanzmann, Claude 69-71
Le Goff, Jacques 10
Lénine, Vladimir 110
Levi, Primo 30, 71, 72
Lévi-Strauss, Claude 63
Lewin, Moshe 112
Löwy, Michael 42
Luxemburg, Rosa 110

m
Magris, Claudio 50
Mannheim, Karl 96, 97
Mariátegui, José-Carlos 13
Marx, Karl 91, 92, 110
Mason, Timothy 94
Mayer, Arno J. 59
Mesnard, Philippe 113
Michelet, Jules 114
Milosevic, Slobodan 16, 82
Mommsen, Hans 33, 100
Mondolfo, Rodolfo 110
Morris, Benny 53, 112
Mosse, George L. 36
Mussolini, Benito 36, 37, 48, 99, 100, 102, 104, 115, 116
Myers, David N. 36

n
Neumann, Franz 63
Nolte, Ernst 33, 95, 100, 114, 115, 117
Nora, Pierre 10, 27-30, 32
Nordau, Max 110
Novick, Peter 55-60

o
Oakeshott, Michael 18
Oehler, Dolf 88

p
Pätzold, Kurt 100
Papon, Maurice 74, 75, 78
Pappé, Ilan 53, 112
Paxton, Robert J. 116
Péguy, Charles 79
Perec, Georges 87
Pinochet, Augusto 74, 79, 87
Pirandello, Luigi 13
Poliakov, Léon 43-45
Poutine, Vladimir 81
Priebke, Eric 74
Proust, Marcel 18-20

r
Ranke, Leopold 113
Reagan, Ronald 61
Ricœur, Paul 18, 21
Robin, Régine 60
Roosevelt, Franklin Delano 55
Rosenberg, Ethel 56
Rosenberg, Julius 56
Rousso, Henry 43, 47, 75
Russell, Bertrand 86

s
Said, Edward 29
Salazar, Antonio de Oliveira 104
Salvemini, Gaetano 112
Santen, Sal 86
Saramago, José 17
Schieder, Theodor 97
Schiller, Johann Christoph Friedrich 75
Schinkel, Karl Friedrich 61
Sciascia, Leonardo 13
Scorsese, Martin 45
Sebald, W.G. 31
Segev, Tom 17
Sills, David L. 10
Simmel, Georg 39
Singer, Isaac Bashevis 45
Smith, Adam 88
Soboul, Albert 114
Sofri, Adriano 77
Soljenitsyne, Alexandre 47
Sontag, Susan 58, 60
Sorel, Georges 110
Spielberg, Steven 70
Staline, Josef Vissarionovitch 48, 89
Sternhell, Zeev 116

t
Tchebbedé, Haïlou 38
Thompson, Edward P. 13-25
Tito, Josip Broz 111
Tocqueville, Alexis de 25, 88, 112
Touvier, Paul 74
Truman, Harry 111

v
Vidal-Naquet, Pierre 30, 69, 76, 85, 108, 109

w
Walser, Martin 44, 61
Weber, Max 83
Wehler, Hans-Ulrich 33, 115
White, Hayden 67-69
Wiesel, Elie 58
Wieviorka, Annette 15
Williams, Raymond 10
Wippermann, Wolfgang 100
Wulf, Joseph 45

y
Yeltsine, Boris 48
Yerushalmi, Yosef
Hayim 27, 30, 32

z
Zola, Émile 74
Du même auteur

Aux éditions La Fabrique


La Violence nazie. Une généalogie européenne, 2002.
Chez d’autres éditeurs
Les Marxistes et la question juive. Histoire d’un débat, PEC-La Brèche, Paris, 1990 (rééd. augmentée
Kimé, Paris, 1997).
Les Juifs et l’Allemagne. De la « symbiose judéo-allemande » à la mémoire d’Auschwitz, La Découverte,
Paris, 1992.
Siegrfied Kracauer. Itinéraire d’un intellectuel nomade, La Découverte, Paris, 1994.
Pour une critique de la barbarie moderne, Éditions Page2, Lausanne, 1995.
L’Histoire déchirée. Essai sur Auschwitz et les intellectuels, Éditions du Cerf, Paris, 1997.

Le Totalitarisme. Le XXe siècle en débat, Seuil, Paris, 2001.


La Pensée dispersée. Figures de l’exil judéo-allemand, Lignes-Éditions Léo Scheer, Paris, 2004.
Chez le même éditeur

Tariq Ali, Bush à Babylone. La recolonisation de l’Irak.


Moustapha Barghouti, Rester sur la montagne. Entretiens sur la Palestine avec Eric Hazan.
Zygmunt Bauman, Modernité et holocauste.
Jean Baumgarten, Un léger incident ferroviaire Récit autobiographique.
Walter Benjamin, Essais sur Brecht.
Erik Blondin, Journal d’un gardien de la paix.
Marie-Hélène Bourcier, Sexpolitique. Queer Zones 2.
Alain Brossat, Le corps de l’ennemi. Hyperviolence et démocratie.
Alain Brossat, Pour en finir avec la prison.
Raymond Depardon, Images politiques.
Norman G. Finkelstein, L’industrie de l’holocauste. Réflexions sur l’exploitation de la souffrance des Juifs.
Françoise Fromonot, La campagne des Halles. Les nouveaux malheurs de Paris.
Irit Gal et Ilana Hammerman De Beyrouth à Jénine, témoignages de soldats israéliens sur la guerre du
Liban.
Jacques Le Goff, Cinq personnages d’hier et d’aujourd’hui.
Amira Hass, Boire la mer à Gaza, chronique 1993-1996.
Amira Hass, Correspondante à Ramallah
Eric Hazan, Chronique de la guerre civile.
Rashid Khalidi, L’identité palestinienne. La construction d’une conscience nationale moderne.
Elfriede Müller et Alexander Ruoff, Le polar français. Crime et histoire.
Ilan Pappé, La guerre de 1948 en Palestine. Aux origines du conflit israélo-arabe.
Ilan Pappé, Les démons de la Nakbah.
Anson Rabinbach, Le moteur humain.
Jacques Rancière, Aux bords du politique.
Jacques Rancière, Le partage du sensible. Esthétique et politique.
Jacques Rancière, Le destin des images.
Jacques Rancière La haine de la démocratie
Olivier Razac, Histoire politique du barbelé. La prairie, la tranchée, le camp.
Frédéric Regard, La force du féminin. Sur trois essais de Virginia Woolf.
Tanya Reinhart, Détruire la Palestine, ou comment terminer la guerre de 1948.
Robespierre, Pour le bonheur et pour la liberté.
Edward Said, Israël, Palestine : l’égalité ou rien.
André Schiffrin, L’édition sans éditeurs.
André Schiffrin, Le contrôle de la parole. L’édition sans éditeurs, suite.
Tiqqun, Théorie du Bloom.
E.P. Thompson, Temps, discipline du travail et capitalisme industriel.
Enzo Traverso, La violence nazie, une généalogie européenne.
François-Xavier Vershave et Philippe Hauser, Au mépris des peuples. Le néocolonialisme franco-africain.
Sophie Wahnich, La liberté ou la mort. Essai sur la Terreur et le terrorisme.
Michel Warschawski, À tombeau ouvert. La crise de la société israélienne.
© La Fabrique éditions 2015
64, rue Rébeval
75019 Paris
lafabrique@lafabrique.fr
www.lafabrique.fr

e-ISBN : 9782358721233

© 2015, La Fabrique éditions

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Table des matières

Couverture
Page de titre
Introduction : L’émergence de la mémoire
I. Histoire et mémoire : un couple antinomique ?
Remémoration
Séparations
Empathie
II. Le temps et la force
Temps historique et temps de la mémoire
Mémoires « fortes » et mémoires « faibles »
III. L’historien entre juge et écrivain
Mémoire et écriture de l’histoire
Vérité et justice
IV. Usages politiques du passé
La mémoire de la Shoah comme religion civile
L’éclipse de la mémoire du communisme
V. Les dilemmes des historiens allemands
La disparition du fascisme
La Shoah, la RDA et l’antifascisme
VI. Révision et révisionnisme
Métamorphoses d’un concept
Le mot et la chose
Note bibliographique et remerciements
Notes
Index des noms cités
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Copyright

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