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John Pitseys
Dans Dossiers du CRISP 2017/1 (N° 88), pages 9 à 113
Article
Introduction
La citoyenneté est tout d’abord un statut social. Dire que les êtres humains 15
vivent en société, cela signifie que les rapports qu’ils ont entre eux sont
structurés par des institutions (l’école, l’entreprise, l’hôpital, la famille, la
sécurité sociale…) qui forment système et qui assignent des rôles aux
individus et groupes qui en font partie. Ainsi, un rapport social est différent
d’une relation interpersonnelle. Dans la simple relation interpersonnelle, les
individus se présentent aux autres comme des personnes singulières. Dans un
rapport social, ils se caractérisent par le statut qu’ils occupent dans des
institutions sociales, qu’il s’agisse par exemple de la famille, de l’école ou d’une
communauté religieuse. Être un citoyen, c’est être reconnu membre de la
communauté politique.
La citoyenneté et l’État-nation
La citoyenneté ne désigne pas seulement une relation entre l’individu et le 27
pouvoir politique. Elle engage aussi une relation à la société politique dans son
ensemble. Ce faisant, la citoyenneté se conçoit donc également en fonction de
la manière dont la communauté politique se définit elle-même, au sens figuré
comme au sens géographique. Aujourd’hui, la citoyenneté est largement
associée à la possession d’une nationalité. La notion de nationalité, quant à
elle, est associée à la figure de l’État-nation.
Dans les démocraties modernes, les individus sont reconnus comme des 29
citoyens libres et égaux en droits dès lors qu’ils possèdent la nationalité du
pays concerné. Si le principe paraît clair, il suscite au moins trois points de
débat.
Ainsi que le déclare l’article 9 du traité sur l’Union européenne, « est citoyen de 36
l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre ». Instituée par
le traité de Maastricht en 1992 et complétée par le traité d’Amsterdam en 1997,
la citoyenneté de l’Union complète mais ne remplace pas la citoyenneté
nationale (art. 9, TUE). Les citoyens européens disposent de droits politiques
propres, tels que le droit de vote aux élections européennes, le droit de
pétition devant le Parlement européen ou l’initiative citoyenne européenne
(art. 11, TUE) [13]. Ils sont également protégés par un instrument spécifique de
protection des droits fondamentaux, à savoir la Charte des droits
fondamentaux de l’Union européenne, adoptée en 2000 et devenue
juridiquement contraignante depuis 2009. L’octroi de ces droits permet-il en
soi de parler d’une citoyenneté européenne partagée ? Ainsi qu’évoqué plus
haut, la citoyenneté ne désigne pas seulement un régime de droits, mais un
ensemble de pratiques collectives ainsi que la capacité effective de participer à
la vie publique. En dépit de la légitimité représentative directe ou indirecte
des institutions de l’Union européenne et des multiples procédures de
consultation (Comité économique et social, Comité des régions, registre de la
société civile…) que celle-ci a mises en place, l’Union européenne est souvent
critiquée pour sa conception instrumentale de la société civile, pour le
manque de compétences accordées au Parlement européen et pour la
déconnexion qui existerait entre la sphère politique propre aux institutions
européennes et l’opinion publique.
Quel que soit le contexte ou l’époque, on considère rarement qu’on vit dans 41
une « vraie » démocratie : les représentants ne représenteraient pas vraiment
les représentés, le bien commun semble insaisissable, le peuple reste
introuvable et la crudité de l’exercice du pouvoir déjoue tous les jours l’idéal de
fraternité sur lequel repose le rêve démocratique. L’évocation des démocraties
primitives, de la démocratie grecque ou de la Commune de Paris, renvoie en
réalité à des ébauches historiques imparfaites, dont l’image embellie nous est
parvenue à travers la phraséologie révolutionnaire – qu’il s’agisse d’invoquer le
souvenir de la Commune ou celui des tribuns de la plèbe [16] –, la littérature
classique ou des récits de voyage croyant retrouver la figure du « bon
sauvage » dans telle ou telle communauté amérindienne. L’idéal démocratique
ne pourrait être atteint que dans un monde où chacun se comporterait comme
un démocrate et où chacun serait d’accord sur ce que signifie la démocratie [17].
Les citoyens disposent de divers outils pour faire valoir cette prétention, tout 52
en étant soumis à des contraintes garantissant la disposition de ces outils par
les autres citoyens. Dans ce cadre, la modernité politique donne à la fois un
contenu et une signification juridique à cette boîte à outils, en parlant de
régime de droits. La liberté ne consiste pas seulement à disposer de la capacité
de fait de se déplacer et de circuler à sa guise, de s’exprimer librement ou de
disposer de biens propres. Dans les régimes politiques modernes, elle consiste
à traduire ce pouvoir en un ensemble de droits. Le citoyen est autorisé à faire
tout – mais aussi uniquement – ce que les droits permettent de faire.
L’héritage libéral
Tradition politique très diverse, le libéralisme est né et s’est développé au 17e et 54
au 18e siècle en Angleterre, et constitue encore aujourd’hui, à gauche comme à
droite du spectre politique, le courant de pensée majoritaire dans le monde
anglo-saxon. Les libéraux [19] s’opposent originairement à la monarchie
absolue et aux structures sociales de l’Ancien Régime. Ils dénoncent l’emprise
que l’Église entend exercer sur la vie sociale et la vie intime des individus. Ils
conçoivent la société comme un lieu de libre-échange, tant au niveau politique
qu’économique, et estiment ce faisant que l’action de l’État doit être
circonscrite aux tâches nécessaires pour protéger la liberté de chacun.
Le libéralisme entretient une relation ambivalente avec l’idéal démocratique. 55
D’un côté, la démocratie n’est pas un bien en soi pour les libéraux. L’objectif
du libéralisme est de protéger et de promouvoir la liberté des individus.
L’objectif de la démocratie est de promouvoir un régime fondé sur un principe
d’égalité politique. Or ces deux objectifs ne sont pas indissociablement liés.
Pour une large part des libéraux, l’exercice du pouvoir politique n’est légitime
que s’il repose sur le consentement de ceux sur lesquels il s’exerce. Ce sont les
volontés individuelles qui produisent les institutions politiques et l’ordre
social et qui leur donnent une légitimité. La démocratie ne représente pas une
fin en soi, mais un levier privilégié du libéralisme. En effet, le consentement
de tous à l’exercice du pouvoir ne requiert pas nécessairement que tous
doivent en même temps participer à son exercice.
D’un autre côté, la tradition libérale a contribué à enrichir la réflexion sur les 56
caractéristiques propres de la démocratie. Ce que le libéralisme met en
évidence, c’est que le corps citoyen n’est pas un bloc homogène ou une
communauté organique. Le peuple unanime est, au mieux, une fiction
politique. Par ailleurs, la démocratie ne s’identifie pas seulement, ni même
essentiellement, au règne de la majorité. Le pouvoir de tous sur tous ne
revient pas seulement à distribuer le pouvoir à votes égaux. La protection de
l’égalité de tous demande de défendre l’égale liberté de chacun : liberté de
formuler ses propres jugements, d’exprimer publiquement ses opinions, de
défendre ses intérêts. La démocratie est indissociable de la reconnaissance du
pluralisme social. Elle est également indissociable de la mise en place d’un
régime de droits.
La tradition libérale distingue deux types de droits. D’une part, le citoyen jouit 57
de droits proprement politiques, comme le droit de voter ou de se présenter à
une élection. D’autre part, il jouit de droits civils, et plus largement de ce qu’on
appelle les libertés essentielles : le droit à la sûreté, à l’égalité devant la loi,
devant la justice et dans l’accès aux emplois publics ; le droit de se marier et
d’être propriétaire ; la liberté de pensée, d’opinion et d’expression, de religion
et de culte, de circulation, de réunion, d’association ou de manifestation. Ces
droits ne sont pas seulement des proclamations de principes. En Belgique,
comme dans la plupart des démocraties libérales, ils sont intégrés dans les
systèmes constitutionnels. Les droits civils et politiques sont conçus comme
des libertés négatives [20] car ils visent avant tout à protéger le citoyen des
ingérences d’autrui, qu’il s’agisse des autres individus ou de l’État lui-même.
Ainsi qu’évoqué plus haut, seuls les droits politiques sont censés être 58
spécifiquement liés à la citoyenneté nationale : un étranger bénéficie des
autres droits et libertés fondamentaux, y compris les droits sociaux.
Néanmoins, il convient de souligner la relation étroite entre les droits civils et
les droits politiques, et le rôle que cette relation joue dans la définition et dans
l’exercice de la citoyenneté. Les droits civils présentent une dimension
politique, puisqu’ils permettent aux citoyens de former et d’organiser leur
opinion indépendamment de la puissance publique et des acteurs qui en
détiennent les leviers. Toutefois, l’octroi de droits politiques égaux est, à
rebours, la conséquence attendue de l’octroi de droits civils égaux. D’une part,
la meilleure manière de garantir le respect des droits civils par l’État est que
celui-ci ne puisse agir qu’avec le consentement des membres de la collectivité
politique. D’autre part, l’exercice des droits politiques prolonge à l’échelon
institutionnel le principe selon lequel les membres de la communauté sont
tenus comme étant à la fois libres et égaux. L’idéal de liberté n’a pas de sens si
certains individus ou groupes d’individus disposent du droit d’imposer
systématiquement leur volonté à d’autres, ou des ressources pour ce faire. Et
l’idéal d’égalité n’a pas non plus de sens s’il consiste à imposer à chacun les
mêmes situations d’injustice ou d’oppression. Les droits civils de l’individu ne
sont donc pas des droits abstraits, coupés de la communauté politique. En ce
sens, c’est en toute cohérence que la déclaration de 1789 porte sur les « Droits
de l’Homme et du Citoyen ». Et c’est sans contradiction qu’à ces droits sont
parfois associées certaines obligations civiques. Le citoyen n’est pas seulement
appelé à respecter les lois ou à participer à la dépense publique en payant ses
impôts. Il est obligé dans certains pays de participer à la défense du pays et d’y
effectuer par exemple son service militaire. Il peut également être obligé
d’exercer ses droits : en Belgique (article 62 de la Constitution), mais aussi en
Australie, en Grèce, à Chypre ou au Grand-Duché de Luxembourg, le vote est
obligatoire.
Par ailleurs, l’octroi de droits sociaux risque à son tour de devenir une 67
incantation vide s’il ne s’appuie pas sur la mise en place d’une série d’outils
politiques de lutte contre la pauvreté, contre l’insécurité sociale et – dans une
certaine mesure du moins – contre les inégalités. Or ces politiques reposent
elles-mêmes sur l’établissement préalable d’un certain nombre de services
garantis aux citoyens. L’exercice des droits sociaux dépend, d’une part, que
soit garanti à chacun l’accès à divers services communs, tels que le droit de
disposer d’un compte en banque par exemple. Il dépend, d’autre part, de
l’existence d’une série de services collectifs (services de soins de santé, écoles,
caisses d’assurance…) accessibles à l’ensemble des citoyens, qu’il s’agisse de
services publics ou de services privés plus ou moins directement financés par
l’État.
Un régime de reconnaissance
La citoyenneté démocratique ne désigne pas seulement un ensemble de droits 69
et de devoirs ou une relation particulière à la participation politique. Elle est à
la fois un levier et une des fins de la socialisation de l’individu. Vivre dans une
démocratie, c’est vivre dans une société au sein de laquelle les mœurs, les
habitudes de politesse, les relations entre les gens, les lieux physiques de
rencontre (cafés, places de village, rues, piscines publiques…), les
communautés locales sont structurés autour de l’idée que le lien social est
fondé sur ce que Tocqueville appelle, dans De la Démocratie en Amérique,
« l’égalité des conditions ». Quelles que soient les injustices, les inégalités
matérielles ou les violences qui la parcourent, une société démocratique se
définit avant tout comme une société non hiérarchique. L’égalité est le
principe qui structure l’idéologie démocratique.
La culture et la citoyenneté
Selon l’UNESCO, « dans son sens le plus large, la culture peut aujourd’hui
être considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels,
matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un
groupe social. Elle englobe, outre les arts, les lettres et les sciences, les
modes de vie, les lois, les systèmes de valeurs, les traditions et les
croyances » [26].
Cette définition large de la culture est révélatrice de son rôle dans la
définition et dans l’exercice de la citoyenneté. Outre ses dimensions
esthétiques ou existentielles, la culture permet à l’être humain de
prendre distance vis-à-vis de lui-même et du monde, et de s’interroger
sur son identité et sur le sens de son existence. La culture est ce qui nous
permet de ne rien tenir pour évident. Elle conduit la réflexion sur soi et
sur la société. Elle représente par conséquent le vecteur par excellence de
l’émancipation politique.
Toutefois, la culture ne désigne pas seulement un processus de
production symbolique, mais aussi l’ensemble des formes symboliques
produites par les sociétés humaines. La culture institue ce que Charles
Taylor appelle des « imaginaires sociaux » [27], à savoir des manières de
penser le monde, les relations sociales, la frontière entre le beau et le laid,
le civil et l’incivil. La culture peut donc être également définie comme un
patrimoine.
L’intégration personnelle et collective de ce patrimoine permet aux
citoyens de se rassembler autour d’un certain nombre de pratiques
sociales, de valeurs communes, d’expériences partagées. À ce titre, elle
contribue à cimenter le corps social. Elle étaie et motive l’exercice de la
citoyenneté. Elle contribue à la reconnaissance et à l’intégration du
citoyen dans le corps social. Plus pratiquement, elle représente une
ressource sociale déterminante pour le citoyen.
La culture doit permettre au citoyen de réfléchir les institutions sociales
existantes, tout en formant le substrat de ces institutions sociales. Pour
ne prendre qu’un exemple, ce qu’on appelle la modernité désigne le
mouvement historique, politique et intellectuel associant le progrès
humain à l’usage critique de la raison. Or la modernité représente elle-
même un ensemble d’idées et d’institutions – les droits fondamentaux, la
valorisation du sujet individuel, la foi en la science – tenues pour
acquises. Dans ce cadre, comment cultiver la culture ? Dans quelle
mesure faut-il soumettre les principes de la modernité à leur propre
critique ? Si ces réflexions peuvent paraître théoriques, elles présentent
une dimension politique importante. La culture est à la fois ce qui
permet de contester la société telle qu’elle existe et ce qui constitue cette
société. Ce faisant, elle définit à la fois les conditions d’inclusion et
d’exclusion du citoyen dans la société. Adhérer à une culture permet de
s’y intégrer. Ne pas y adhérer, fût-ce au nom de l’exercice critique de sa
citoyenneté, peut conduire à s’en faire exclure.
Dans cette perspective, la culture ne représente pas seulement un facteur
de distinction proprement culturel. Elle peut constituer un facteur de
distinction et d’exclusion sociale. En effet, les marqueurs culturels sont
aussi des marqueurs sociaux. Certaines œuvres culturelles sont associées
à des groupes sociaux structurellement privilégiés, quelle que soit
d’ailleurs la portée critique associée à ces marqueurs : l’œuvre de Pierre
Bourdieu ou de Stanley Kubrick devient non seulement un sujet de salon
parmi d’autres, mais aussi un objet culturel dont la maîtrise permet de
tracer la frontière entre le monde culturel d’une certaine bourgeoisie et le
reste de la société. Inversement, d’autres marqueurs culturels sont
associés à des groupes sociaux structurellement dominés : pensons pêle-
mêle aux fanfares ouvrières, aux arts urbains, aux processions
folkloriques ou aux pratiques de sorcellerie [28]. Ces marqueurs culturels
tendent à être disqualifiés par le fait qu’ils sont associés à des groupes
dominés. Ces groupes dominés sont exclus du monde culturel jugé
légitime, parce qu’ils n’en partagent pas les marqueurs. Dans ce cadre,
ces mécanismes de qualification ou de disqualification sociales n’opèrent
pas seulement au niveau des classes socio-économiques de la population.
Ils jouent aussi au niveau des appartenances culturelles, religieuses et
ethniques des citoyens.
Il convient de souligner à quel point ces différentes fonctions de la
culture sont en relation dynamique. La culture est ce qui institue le
social, tout en étant instituée par le social. Instituant le social, elle
questionne les cadres existants et distingue les cadres légitimes des
cadres illégitimes. Instituée par le social, elle inclut au sein de la
communauté ceux qui comprennent ou partagent ses codes, et exclut de
la communauté ceux qui ne les comprennent ou ne les partagent pas. La
fréquentation de Mozart et de Flaubert offre des portes d’entrée
précieuses sur soi et sur le monde. Toutefois, elle peut devenir aussi un
fétiche fantasmé de ce que serait la « civilisation européenne » ou la
« communauté nationale ». A contrario, des cultures dites minoritaires
peuvent devenir progressivement des contre-cultures à part entière, avec
leurs lieux, leurs codes et leurs thèmes spécifiques. Ces contre-cultures
peuvent proposer des imaginaires sociaux à part entière, contestant les
cadres culturels établis tout en étant progressivement intégrées dans le
récit culturel dominant. Lointaine héritière de la musique jouée par les
esclaves noirs aux États-Unis, produit de la contre-culture américaine
des années 1960, la musique rock a accompagné les transformations
sociétales de la deuxième moitié du 20e siècle. Elle est aujourd’hui jouée
sur des publicités pour voiture et entre, selon certains, dans le champ de
la musique classique.
La participation politique
La participation politique désigne l’ensemble des moyens par lesquels un 82
citoyen peut activement faire valoir sa prérogative à participer à l’exercice du
pouvoir. Les formes de participation privilégiées varient en fonction du type
de régime dans lequel évoluent les citoyens.
La démocratie liquide
Par ailleurs, la démocratie directe ne passe plus pour être la forme la plus 91
aboutie de la démocratie. L’élection de représentants contribuerait mieux à la
tenue d’une délibération raisonnable. Par ailleurs, le libéralisme politique
repose sur l’idée qu’il est nécessaire, afin de garantir au mieux l’exercice des
libertés de chacun, de distinguer l’espace politique proprement dit de la
société civile et de la sphère privée (voir ci-dessous).
La délibération publique
La participation politique repose sur une double relation entre la parole et 96
l’action politiques. Les actions politiques posées par les citoyens et les acteurs
politiques représentent aussi une façon d’affirmer un point de vue, de
défendre une certaine conception de la rationalité politique, d’imposer une
vision du monde. Le fait d’inaugurer un bâtiment, de soumettre au Parlement
un texte de loi ou de se rassembler pour manifester ne représente pas
seulement une manière d’agir, mais aussi une manière de s’exprimer
politiquement. Inversement, les discours politiques sont aussi des manières
d’agir. Les représentants politiques sont parfois critiqués, parce qu’ils
« parlent beaucoup mais n’agissent pas ». Qu’il s’agisse de dénoncer une
politique gouvernementale devant la Chambre des représentants, de publier
des textes et des analyses dans les journaux, de prononcer un discours ou de
discuter du contenu d’une proposition de loi, la parole est peut-être le levier
principal de l’action politique.
La parole politique peut se déployer de nombreuses manières. Elle peut faire 97
l’objet d’une expression unilatérale, comme lorsqu’on prononce un discours,
lorsqu’on réalise une œuvre de cinéma à portée politique ou lorsqu’on défile
en groupe pour dénoncer les politiques envisagées ou mises en œuvre. Mais la
plupart des usages de la parole politique supposent, à des degrés divers, un
échange entre plusieurs interlocuteurs. Le marchandage consiste à trouver un
accord satisfaisant les intérêts privés des participants à la discussion, sans
pour autant qu’un consensus ait à être trouvé sur le contenu de l’intérêt
général ni même sur l’opportunité de le poursuivre. La négociation vise à
adopter une position conjointe à partir d’intérêts ou de raisons divergents [42].
La délibération, enfin, désigne le processus au cours duquel les acteurs
présentent des opinions et raisons divergentes, et acceptent que celles-ci
puissent être amendées en fonction de la « force du meilleur argument » [43]
afin de converger ensuite vers le point de vue jugé le plus convaincant à cet
égard.
Les théories délibératives de la démocratie défendent l’idée que les décisions 100
et les politiques se justifient à l’aune de leur capacité à résulter d’un processus
de discussion entre des citoyens libres et égaux. Dans cette perspective, une
décision politique est légitime dans la mesure où elle découle d’un processus
public de discussion au cours duquel les participants à la discussion,
dépassant leurs intérêts personnels, entrent dans un processus d’échanges et
d’amendements guidés par la force du meilleur argument. Les théories
délibératives rejettent donc l’idée que l’agrégation des préférences
individuelles suffise à former l’intérêt général. La décision publique doit faire
l’objet d’un processus de justification au cours duquel chacun s’engage à
exposer ses arguments, à répondre de leur qualité et, éventuellement, à les
amender à la lumière des positions des autres participants.
Plusieurs pistes existent à cet égard. La première consiste à faire respecter de 111
manière plus effective un principe général d’égalité entre les individus, en
sanctionnant les comportements discriminatoires dont ils pourraient être les
victimes : discrimination à l’embauche, discrimination sur le lieu de travail,
discrimination à l’école… Ces mesures ne concernent néanmoins pas des
populations définies. Au contraire, elles visent à dissuader des
comportements d’exclusion ou de marginalisation fondés partialement sur
l’appartenance à un groupe ou à une communauté particulière.
Une deuxième piste consiste dès lors à accorder des droits dérogatoires au 113
droit commun à des groupes ou à des communautés qui sont victimes de
discrimination. Ces politiques dites de discrimination positive ou d’action
affirmative visent à compenser des handicaps sociaux hérités du passé en
réservant par exemple aux populations concernées des budgets sociaux
spécifiques ou un certain nombre de postes dans les services publics ou dans
la représentation politique.
Un troisième sillon d’extension des droits consiste à reconnaître ces groupes 114
et ces communautés en tant que tels et à leur accorder à ce titre un certain
nombre de prérogatives collectives. Dans ce cadre, l’octroi de droits culturels
collectifs concerne essentiellement les communautés culturelles, religieuses
ou ethniques minoritaires au sein de la communauté politique. Ces droits se
traduiront par exemple par la mise en place de législations protégeant les
droits linguistiques et culturels de ces communautés, ou par l’instauration de
quotas de représentation politique.
Enfin, ces groupes et communautés peuvent faire l’objet de processus de 115
reconnaissance plus symboliques, insistant sur la place sociale et sur
l’intégration collective de ceux-ci : instauration de jours fériés liés aux
célébrations propres aux différents cultes présents dans le pays,
commémorations officielles des injustices et discriminations subies par une
part distincte de la population, subvention à la vie associative de telle ou telle
communauté spécifique…
Ces différentes stratégies ont mené à des débats nourris quant à leur statut et 116
à leur justification. La reconnaissance de droits de nature collective peut
entrer en tension avec certains droits individuels dont jouissent, en tant
qu’individus, les membres des communautés concernées [55] – à commencer
par la possibilité pour ces individus de se définir librement comme faisant
partie ou non de ces communautés. La reconnaissance de certains groupes ou
communautés ne saurait justifier leur hégémonie sur d’autres groupes ou
communautés. Enfin, la reconnaissance croissante de ces groupes et
communautés risque, aux yeux de certains, de fragmenter la communauté
politique, de saper les bases du dialogue civil et, paradoxalement, de
contribuer à un climat d’intolérance.
La citoyenneté prend place dans des espaces physiques qu’elle contribue à 118
façonner et par lesquels elle est façonnée en retour. On pense à certaines
places de village où les gens se rassemblent pour discuter ; à certaines rues, où
on a coutume de manifester ; aux bars, aux cafés, aux bancs de parcs ; aux
salles de classe où se tiennent les assemblées de parents d’élèves ou la réunion
mensuelle du comité de quartier ; et enfin, évidemment, aux lieux publics et
aux bâtiments officiels.
De même, l’analyse des lieux géographiques du pouvoir est souvent révélatrice 120
de la nature du régime politique en vigueur. Pour ne prendre qu’un exemple,
les parlements de régime autoritaire sont la plupart du temps construits
comme des salles de classe, les dirigeants tenant l’estrade et les représentants
occupant les bancs d’écoliers ; dans les régimes libéraux, les parlements sont la
plupart du temps construits en hémicycle ou en double rangée organisant le
face-à-face entre majorité et opposition [56].
En sus de ces espaces physiques, la citoyenneté prend place dans des espaces 121
symboliques distincts dont il apparaît utile de préciser la signification.
L’espace social désigne les sphères physiques et symboliques au sein desquelles 122
se tiennent la plupart des interactions humaines. Cet espace social se
distingue de l’espace intime et de l’espace privé, car il met en scène les
relations proprement sociales que les individus entretiennent entre eux : les
relations de travail et de voisinage, les relations familiales, amicales,
culturelles, religieuses…
Enfin, l’espace politique désigne les lieux et les institutions où se prend la 124
décision politique. Celle-ci est souvent préparée et initiée au niveau
gouvernemental, en coordination plus ou moins étroite avec l’administration
publique. Elle est toutefois formellement délibérée au niveau législatif. Ce
faisant, l’espace politique ne comprend pas seulement les mécanismes et les
institutions juridiques encadrant la prise de décision politique. Il inclut
également l’ensemble des interactions entre les acteurs qui sont parties
prenantes au processus de décision politique, qu’il s’agisse des représentants
politiques, des responsables de partis politiques, des membres du
gouvernement et de leurs cabinets, de la haute administration ou même des
acteurs économiques, sociaux, culturels…
Les pages qui suivent proposent un rapide panorama de ces lieux à la fois 125
physiques et symboliques de la souveraineté : l’espace institutionnel du
pouvoir démocratique, la société civile comme part active de l’espace public et
le marché comme composante de l’espace social.
Le pouvoir démocratique
L’exercice du pouvoir politique est aujourd’hui associé au régime 126
représentatif. Ce faisant, le citoyen entretient formellement trois types de
relation avec le système représentatif. Le citoyen a le droit de voter, de se
présenter à des élections et d’être élu, et d’exercer des mandats politiques s’il
parvient à réunir les conditions nécessaires à cette fin. Dans ce cadre, le mode
de scrutin et l’organisation des élections influencent inévitablement l’exercice
formel de la citoyenneté politique : la taille des circonscriptions et le type de
scrutin (proportionnel, majoritaire à un tour, majoritaire à deux tours) ont un
impact sur les dynamiques partisanes, sur la structure des partis politiques,
sur la composition des coalitions exécutives, sur le degré de polarisation –
voire de fragmentation – du débat politique, mais aussi sur le type de
communication politique privilégié.
Les relations entre le citoyen et l’État ne concernent donc pas seulement le 136
vote et l’élection. Elles se jouent aussi au niveau des pouvoirs et des droits
judiciaires dont les citoyens disposent, de leur capacité à s’organiser
collectivement vis-à-vis de la puissance publique, de leur capacité à contrôler
l’action du gouvernement et de l’administration. Ces pouvoirs et prérogatives
sont en partie assurés à travers la reconnaissance de droits fondamentaux :
liberté d’association, droit à un procès équitable… Ils sont aussi protégés grâce
à diverses garanties institutionnelles et légales, telles que les principes de
légalité des actes administratifs (article 33 de la Constitution) ou de publicité
de l’administration (article 32). Enfin, ils peuvent s’arrimer à la création de
structures de surveillance du pouvoir politique, imposant au pouvoir « une
contrainte permanente de justification et d’argumentation » : dans La contre-
démocratie, Pierre Rosanvallon appelle par exemple à la mise en place
d’observatoires citoyens de l’action publique ou à une utilisation plus étendue
des jurys populaires dans le cadre judiciaire [67]. Enfin, ces pouvoirs et
prérogatives s’appuient sur l’activité d’une société civile vivace.
La notion de société civile est aussi ancienne que la pensée politique elle- 138
même, mais elle a revêtu des significations très différentes au cours du temps.
Dans la Cité grecque, puis dans la République romaine, la société civile
désigne à la fois la société politique dans son ensemble et l’opinion publique.
L’assemblée des citoyens discute des affaires publiques et délibère des
décisions devant être prises.
L’idée d’une société civile conçue comme une sphère autonome de l’État 139
émerge pendant le Siècle des Lumières (aux 17e et 18e siècles), grâce à des
auteurs tels que John Locke ou Montesquieu. La société civile désigne l’espace
au sein duquel les opinions et les préférences des membres de la communauté
politique peuvent cohabiter de manière pacifique. Pour le libéralisme
politique, la société civile résulte de l’association des individus. Indépendante
de l’État, elle est chargée de faire contrepoids à l’autorité publique.
Ces trente dernières années ont vu l’émergence d’une définition plus 140
systémique de la société civile. La société civile se définit désormais comme
une sphère médiatrice entre l’État, les citoyens ainsi que les différentes
sphères du social, qu’il s’agisse de la sphère économique, de la sphère
médiatique ou encore de la sphère religieuse. Elle désigne par métonymie
l’ensemble des acteurs organisés animant l’espace public, informant et
structurant l’opinion publique, traduisant les revendications issues de celle-ci
auprès des gouvernants et essayant d’influencer à ce titre le contenu et le
déroulement de la délibération politique.
Sous cette acception, la société civile ne forme ni un groupe homogène parlant 141
d’une seule voix, ni un agrégat d’individus représentant chacun leurs intérêts
particuliers. Elle regroupe plutôt des associations de personnes, qui
s’organisent et agissent en commun en fonction de leurs orientations et de
leurs intérêts. Si ces associations ne prétendent pas représenter l’intérêt
général, elles peuvent contribuer à le former. Elles n’ont pas pour fonction de
chercher un profit financier direct de leurs activités, mais elles peuvent
défendre des intérêts sectoriels ou des intérêts privés identifiés comme tels. Il
existe plusieurs formes d’organisation de la société civile : les ONG [68], les
divers intervenants du champ intellectuel, la presse d’opinion, les associations
locales et les comités de quartier, les plates-formes de citoyens, les
représentants des cultes, les acteurs culturels… Les syndicats et les
associations professionnelles sont parfois considérés comme faisant partie de
la société civile, dès lors qu’ils ne travaillent pas pour leur profit direct.
La société civile est, en outre, de plus en plus appelée à jouer un rôle actif dans 143
le processus de décision politique, jusqu’à devenir partie intégrante du
processus de décision. Ainsi, la société civile contribue à alléger les tâches de
l’État et du gouvernement : ne fût-ce que d’un point de vue financier, les
groupes et les associations de la société civile endossent volontairement, et
avec une rémunération moindre, des obligations sociales susceptibles d’être
prises en charge par les pouvoirs publics. Par ailleurs, elle peut prendre en
charge des problèmes (gestion de l’environnement, cohésion sociale…) qui
dépassent le cadre privé mais qui, en même temps, ne sont pas suffisamment
pris en compte par le marché ou par l’État. Enfin, son association au processus
de décision politique permet à la fois de créer de nouvelles manières d’inclure
le citoyen et d’imaginer des techniques d’accompagnement et d’évaluation de
la décision qui soient plus proches du terrain [69]. Il est possible d’y voir un
progrès, qui passerait par la mise en place de processus de concertation et de
participation plus étroits avec le pouvoir politique. Il convient également d’en
analyser les possibles écueils, lorsque l’association de la société civile à la
décision collective représente uniquement un outil d’acceptation sociale de la
décision ou une manière de réduire le débat public à des enjeux techniques de
mise en œuvre de la décision.
Compte tenu de toutes ces fonctions, les organisations composant la société 144
civile se professionnalisent de plus en plus. Pour n’en citer que quelques-unes,
des ONG comme Oxfam, Amnesty International ou Médecins Sans Frontières
disposent de budgets s’élevant à plusieurs centaines de millions de dollars, et
emploient des milliers de salariés dans les différents bureaux et sections dont
elles disposent à travers le monde. La société civile est parfois financée par les
pouvoirs publics ou par des organisations internationales. Elle développe
diverses stratégies de financement propre, via des dons, des affiliations
personnelles ou collectives, des activités paracommerciales ou des
financements privés de projets ponctuels. Dans ce cadre, la
professionnalisation des activités de la société civile illustre un autre
phénomène, à savoir l’adaptation des activités de la société civile aux
transformations de l’État et à l’évidement partiel des pouvoirs de ce dernier,
tant par le haut – à travers l’européanisation et la mondialisation d’une série
d’enjeux (commerce international, protection de l’environnement…) et de
compétences – que par le bas – à travers la fédéralisation progressive de l’État
belge, notamment.
Toutefois, le marché peut également être conçu comme la manifestation par 146
excellence de la citoyenneté.
Le marché peut aussi être considéré comme étant le modèle d’action collective 148
sur lequel doit se calquer l’action politique. Pour ne citer qu’elles, les théories
dites du choix rationnel mènent à expliquer l’action politique à partir de
modèles économiques, au niveau des systèmes électoraux comme au niveau
des systèmes de vote en général. Les théories dites de la gouvernance publique
ou du nouveau management public organisent quant à elles l’action collective
en fonction de pratiques de coopétition [71] et de comparaison des bonnes
pratiques. Dans les deux cas, l’action collective est imaginée comme une sorte
de grand marché des préférences au sein duquel les préférences se pèsent,
s’échangent et se négocient de telle sorte qu’elles soient justement
représentées.
L’idée selon laquelle l’action politique serait mieux menée si elle s’inspirait du 149
fonctionnement du marché ou de l’entreprise peut sembler séduisante. Les
modélisations économiques de l’action politique enrichissent la réflexion sur
nombre d’enjeux importants, comme la coordination des comportements
électoraux ou la théorie de la négociation politique. Toutefois, elles suscitent
également des objections importantes. Tout d’abord, les préférences des
acteurs politiques sont rarement entièrement publiques : là où le
fonctionnement du marché repose sur un principe général de transparence
des préférences individuelles, un acteur politique peut préférer taire ses
préférences pour les faire triompher ou adapter son choix à des préférences
qu’il juge moins souhaitables mais plus accessibles [72]. Par ailleurs, ces
préférences politiques ne découlent pas de la simple agrégation d’un ensemble
de préférences individuelles mais de processus d’institution collectifs, liés à
l’environnement extérieur, à ce qui semble possible socialement, à ce que
l’acteur attend du comportement stratégique des autres acteurs. Dans ce
cadre, les modèles économiques de l’action politique tendent à dépolitiser les
questions discutées dès lors qu’ils réduisent celles-ci à de simples problèmes
de coordination de préférences.
Pour les Grecs anciens, l’action politique se distingue de deux autres types de 150
mondes humains, partageant par ailleurs la même racine étymologique
(oikos) : la sphère domestique et la sphère économique. L’action politique
aurait une valeur intrinsèque, en ce qu’elle trouverait son sens en elle-même et
sa motivation dans la recherche du bien commun. La sphère économique
serait quant à elle une sphère instrumentale, trouvant sa motivation dans la
recherche de la subsistance et de la prospérité privée [73]. À cet égard,
l’entreprise semble se situer du côté de la sphère économique plutôt que de
celui de la sphère politique, et dans le domaine du « faire » – et parfois,
littéralement, du « fabriquer » – plutôt que dans celui de l’action politique.
Par ailleurs, ces enjeux valent pour l’organisation des différents secteurs et 155
sont au cœur de l’activité économique, et particulièrement du secteur des
services financiers. En effet, celui-ci a une importance centrale pour toute
l’économie, non seulement comme source de financement pour les acteurs
économiques, mais aussi dans le fonctionnement quotidien du marché
(rapidité et sécurité des transactions) et la gestion des risques via le secteur
des assurances. Conscients de cet état de fait tout en étant sujets aux
pressions des acteurs économiques eux-mêmes, les pouvoirs publics ont
instauré des mesures de régulation et de contrôle spécifiques censées assurer
un fonctionnement harmonieux du système, qui tendent toutefois à susciter
des résistances intenses au sein du secteur des services financiers.
D’une part, les États ont mis en place des banques centrales auxquelles ils ont 156
confié la gestion plus ou moins autonome de la monnaie, la fixation des taux
d’intérêt (ce qui joue sur les flux de monnaie et de crédit dans l’économie et
influe sur la stabilité des prix) et le rôle de banque des banques pour assurer
notamment des liquidités aux banques commerciales. L’Union monétaire
européenne (la zone euro) a vu l’émergence d’un niveau supérieur aux
banques centrales des États membres : la Banque centrale européenne.
D’autre part, la régulation des services financiers stricto sensu comporte 157
aujourd’hui trois volets : la régulation du secteur bancaire, la régulation
boursière et la régulation du secteur des assurances. La régulation bancaire,
après une phase de dérégulation surtout sensible dans les années 1980-1990, a
été renforcée depuis la crise financière commencée en 2008. Parmi les
mesures figurent notamment la protection de l’épargne et l’agréation des
établissements de crédit sur la base de données financières (notamment des
fonds propres suffisants), du fonctionnement d’organes de gestion spécialisés
(audit, gestion des risques, fixation des rémunérations, nominations) et de
l’approbation des décisions stratégiques importantes et de certaines
opérations de trading. Le domaine de la régulation boursière concerne quant à
lui des obligations en matière de transparence des opérations, d’information
et de publicité envers le grand public (pour éviter les abus de marché), ainsi
que les règles régissant les ventes à découvert, les offres publiques et les
sociétés cotées (notamment en matière d’actionnariat). Enfin, le marché des
assurances fait l’objet de mesures semblables, en particulier en ce qui
concerne l’analyse des risques et le contrôle interne.
Certains secteurs d’activité font quant à eux l’objet de régulations spécifiques. 158
Parmi ceux-ci, les secteurs de réseaux (électricité, gaz, télécommunications,
postes, chemins de fer…) bénéficient généralement d’une situation de
monopole de fait ou de droit en raison des caractéristiques de ces secteurs. Il
paraît en effet économiquement inapproprié de dupliquer les infrastructures
de réseau sur un même territoire. L’enjeu est alors d’assurer l’accès pour le
plus grand nombre à ces réseaux dans de bonnes conditions, qu’elles soient
physiques ou financières. Dans ce cadre, quel rôle les pouvoirs publics ont-ils à
jouer dans l’organisation et la régulation de ces réseaux ? Ce rôle consiste-t-il à
prendre en charge la gestion complète du réseau, de son infrastructure et de
ses activités ? Les réseaux sont souvent gérés en monopole, public ou privé. En
ce qui concerne leur exploitation, l’autorité publique recourt à une mise en
concurrence selon un ensemble détaillé de normes de sécurité, de conditions
d’accessibilité et de tarification qui font un service public, réunies en un
contrat de gestion. Il en découle que le seuil à l’entrée dans ces secteurs de
réseaux est important, ce qui limite le nombre d’acteurs privés qui y sont
susceptibles de les gérer.
Enfin, certains secteurs dits stratégiques peuvent faire l’objet d’une gestion 159
politique assumée comme telle, variant dans le temps et en intensité.
L’autorité publique peut jouer un rôle actif lorsqu’il s’agit de sauver des
entreprises notables par leur taille, leur volume d’emploi ou leur rôle dans
l’économie. Très en vogue dans les années d’après-guerre, le soutien à
quelques grands secteurs industriels clés, dont le charbon (« bataille du
charbon » menée simultanément dans plusieurs pays d’Europe occidentale,
dont la Belgique) et l’acier, les deux secteurs à l’origine de la Communauté
européenne du charbon et de l’acier (CECA), première étape de la construction
européenne, s’est progressivement effacé avec les vagues de dérégulation des
e
années 1980-1990. Depuis le début du 21e siècle, on assiste à un
réinvestissement dans ces politiques. Les secteurs concernés sont le plus
souvent l’énergie et les secteurs porteurs d’avenir, dont les nouvelles
technologies, ainsi que des secteurs au poids national important, notamment
en termes d’emploi.
Plus largement, le rôle des pouvoirs publics en termes de soutien à l’économie 160
dans son ensemble s’est considérablement développé. Nés des théories de
relance consécutives à la crise des années 1930, les investissements directs
dans les équipements collectifs, notamment de transport, n’ont jamais cessé.
Dans des économies moins avancées, la disponibilité de certains produits,
notamment de produits de première nécessité, peut être un enjeu justifiant
l’intervention des pouvoirs publics pour assurer un large accès à ces
produits [79]. Les externalités négatives, c’est-à-dire les conséquences négatives
entraînées par des activités économiques sans qu’il y ait de compensation
pour les effets subis, font également l’objet des attentions des pouvoirs
publics. Enfin, les régulations portant sur les normes et spécifications
techniques auxquelles les produits et services doivent satisfaire, y compris en
matière de santé publique et de sécurité, constituent également un volet
important d’intervention des pouvoirs publics : c’est entre autre le cas pour
l’industrie agroalimentaire et le secteur pharmaceutique.
Le modèle rhénan
Par ailleurs, ce qu’on nomme les « communs » ou « biens communs » désigne 168
des ressources matérielles faisant l’objet d’une appropriation, d’un usage et
d’une exploitation collectifs [84], à l’instar, par exemple, des ressources
aquatiques ou des logiciels libres. Proposant une alternative au modèle
marchand, la gestion de ces biens communs suppose que les acteurs
concernés s’accordent sur les conditions d’accès à ceux-ci, à leur maintenance
et à leur préservation. Elle tend ainsi à promouvoir la création de plates-
formes d’échanges de connaissances et de délibération collective à propos des
biens concernés.
Enfin, une troisième perspective consiste à organiser les relations entre les 169
interlocuteurs sociaux et économiques, et tout particulièrement sur les
contours de la concertation sociale [85]. Les syndicats sont nés dans le but de
transformer les demandes individuelles des travailleurs en revendications
collectives et de rendre plus efficace l’opposition des travailleurs au pouvoir du
chef d’entreprise. Dans ce cadre, ils sont également amenés à peser sur la
décision publique, non seulement via les partis dont ils sont proches, mais
aussi via les rapports qu’ils entretiennent avec les associations patronales. Le
système des relations collectives du travail, appelé couramment concertation
sociale, consiste en un ensemble légalement codifié de procédures par
lesquelles les représentants des travailleurs et des employeurs négocient des
accords collectifs ou discutent en vue d’élaborer des avis communs sur les
décisions à prendre au niveau politique sur les matières sociales. Les
conventions collectives issues de la négociation peuvent s’appliquer non
seulement au niveau de l’entreprise ou au niveau des commissions paritaires
sectorielles, mais aussi au niveau interprofessionnel. Par ailleurs, les
négociations sociales animent le débat socio-économique et exercent
inévitablement un impact sur les politiques macroéconomiques menées à
l’échelle du pays. On constate que l’État tend, ces dernières années, à
reprendre la main sur la négociation sociale, afin d’y suggérer ou d’y imposer
son agenda politique.
La reconfiguration de la citoyenneté
Être citoyen est habituellement associé à certaines conditions typiques : la 171
possession d’une citoyenneté, le bénéfice de la capacité juridique,
l’appartenance plus générale au genre humain. Or ces catégories peuvent être
elles-mêmes mises en cause.
D’une part, dans quelle mesure une communauté politique peut-elle 173
restreindre son accès à des personnes étrangères ? Dès lors qu’on admet que
nous sommes tous liés par une humanité commune, la citoyenneté n’est plus
seulement un privilège réservé à ceux que la généalogie ou le mérite font
membres de la communauté politique : elle est la condition nécessaire à
l’existence légale de l’individu. C’est la raison pour laquelle le droit
international ne reconnaît pas, en principe, les situations d’apatridie. C’est
aussi la raison pour laquelle il ne considère pas l’asile comme une faveur
accordée aux étrangers menacés dans leur intégrité physique, mais comme un
droit fondamental à part entière – même si les modalités d’application de ce
droit peuvent considérablement varier en fonction des États et qu’elles
tendent aujourd’hui à restreindre son exercice. Certes, les États-nations ne
sont pas seulement des distributeurs de droits, mais aussi des communautés
humaines caractérisées par des formes culturelles, sociales et historiques
communes [88]. Toutefois, les communautés politiques sont à la fois plastiques
et plurielles. Par ailleurs, l’octroi ou non de la citoyenneté ne pose pas
seulement des questions d’intégration ou d’inclusion sociales, mais aussi des
questions de justice globale [89].
D’autre part, dans quelle mesure les ressortissants étrangers d’un pays 174
pourraient-ils bénéficier des mêmes droits civiques que ceux qui ont la
nationalité, au premier rang desquels se trouve le droit de vote ? L’absence de
droit de vote pour les étrangers se justifie souvent au nom de deux motifs
étroitement liés. Tout d’abord, il est loisible aux étrangers désireux de
participer à la vie publique de demander leur naturalisation. Et, à rebours,
« les citoyens étrangers qui ne demandent pas la naturalisation manifestent
ainsi […] qu’ils ne se considèrent pas comme des nationaux à part entière » [90].
Toutefois, force est d’observer que les conditions d’accès à la nationalité
tendent à devenir plus strictes un peu partout en Europe, y compris en
Belgique. Par ailleurs, la démocratie ne désigne pas seulement la relation
entre le pouvoir et le peuple national conçu abstraitement, mais les relations
entre le pouvoir et la population concrète qui compose la communauté
politique. Dans ce cadre, l’exercice du pouvoir démocratique n’est légitime que
s’il est justifié par et auprès des gens sur lesquels il est exercé [91], qu’ils soient
ou non des nationaux. En l’occurrence, les non-nationaux sont aussi supposés
payer des impôts, cotiser pour leur pension, obéir aux forces de l’ordre, se
marier et peut-être divorcer. Jusqu’où doivent-ils prouver qu’ils sont solidaires
de la communauté dans laquelle ils vivent ? Doivent-ils prouver cette
solidarité, dès lors qu’ils prouvent qu’ils en partagent les chances, les charges,
les obligations ?
Ainsi, des personnes peuvent manquer des capacités réflexives nécessaires à 176
ces fins, qu’il s’agisse par exemple des enfants ou des personnes jugées
incapables d’exercer leurs droits politiques. Or il s’agit d’une part importante
de la population : pour ne parler que des mineurs, 20,2 % de la population
belge sont âgés de moins de 18 ans. Les décisions publiques les touchent
autant que n’importe quel citoyen. Si un grand nombre d’incapables ne paient
pas directement des impôts et ne sont pas salariés, ils sont toutefois
directement concernés par les politiques publiques mises en place, que ce
soient les politiques de santé – outre les politiques de soins de santé au sens
strict, pensons par exemple aux pratiques parfois autoritaires de
contraception ou de castration chimique –, les politiques d’aménagement de
l’espace urbain ou les politiques du logement.
Par ailleurs, de nombreux êtres vivants ne sont actuellement pas considérés 177
comme des sujets, tant au sens moral qu’au sens juridique. Le statut politique
et juridique des animaux fait l’objet de débats croissants. Nul doute qu’une
abeille ne s’interroge pas tous les jours sur le sens de l’article 195 de la
Constitution. Toutefois, il convient de constater que diverses espèces
d’animaux souffrent, éprouvent de l’empathie, développent des pratiques
sociales. Pour reprendre les termes de Tom Regan, elles sont les « sujets d’une
vie » [92]. En termes juridiques, elles sont toutefois considérées comme des
objets, au même titre qu’une table ou qu’une chaise. Le champ de l’éthique
animale ne vise pas seulement à réfléchir au statut moral des animaux, mais
aussi aux droits dont ils pourraient être titulaires [93].
La discussion sur les critères de la citoyenneté s’étend même à des entités qui 178
ne sont pas des êtres vivants. Certes, le parlement de la Nouvelle-Zélande a
accordé au fleuve Whanganui le statut d’entité vivante en mars 2017,
permettant aux associations maories de défendre les intérêts du cours d’eau.
Mais, pour le reste, les robots et les entités imaginaires ne sont pas considérés
comme des personnes juridiques, ni a fortiori comme des citoyens. Or la
question de l’intelligence artificielle n’est plus, aujourd’hui, un sujet de
science-fiction. Certes, les développements récents en matière de
biogénétique et d’informatique n’ont pas encore permis de développer des
formes de réflexivité non humaines. Toutefois, la sophistication des machines
informatiques va toujours croissante, au point que certains programmes
informatiques se présentent aujourd’hui comme des « rêves » d’ordinateurs.
Par ailleurs, le développement constant de technologies visant à aider l’activité
humaine (membres artificiels, connexions entre le cerveau et des objets
animés électroniquement…), y compris au niveau nerveux ou neuronal,
brouille les distinctions tenues pour acquises entre l’humain et le non-
humain, le vivant et le non-vivant. Ces développements ne posent pas
seulement des questions bioéthiques. Ils posent aussi des questions
politiques, liées non seulement au financement et à la distribution de ces
avantages, mais aussi au sens même que le concept d’égalité politique
recouvrerait encore dans le cas de la création d’êtres humains
technologiquement « améliorés ».
Enfin, la littérature politique et philosophique s’interroge de plus en plus sur 179
le statut politique de tous les citoyens qui ne sont pas encore nés ni en âge de
participer à la vie publique. En effet, une décision politique n’entraîne pas
seulement des conséquences pour le moment où elle entre en application,
mais aussi pour les années voire les décennies qui vont suivre. Elle affecte
souvent des citoyens qui n’étaient pas nés ou qui ne disposaient pas du droit
de vote au moment où la décision fut prise. Avec le temps qui s’écoule, ces
effets varient et sont de plus en plus difficiles à anticiper. Dans ce cadre,
comment évaluer le degré de représentativité – et, plus largement, de
légitimité populaire – d’une décision dans le temps ? En quoi les générations à
venir doivent-elles être tenues par les décisions de la génération précédente ?
En quoi les décisions des générations présentes doivent-elles également tenir
compte des générations à venir ? La plupart des décisions prises par une
génération donnée peuvent être amendées par la génération qui suit. Est-il
toutefois justifiable que certaines décisions ne puissent être que
restrictivement modifiées par les générations à venir ? Qu’il s’agisse du vote
d’une Constitution, de la liste des droits fondamentaux dont disposent les
citoyens ou de l’adoption des divers traités organisant l’Union européenne, de
nombreuses décisions lient les générations à venir sans qu’elles aient pu y
participer. Ces décisions visent à assurer la pérennité de certains principes ou
institutions jugés fondamentaux. Elles limitent toutefois la marge de
manœuvre et de création de l’activité politique quotidienne.
Cette perte de signification peut tout d’abord prendre la forme du populisme. 185
Contrairement à ce qui apparaît aujourd’hui, le populisme n’a pas toujours été
une expression péjorative. De la Rome classique aux fondations du Parti
démocrate américain, il s’agit d’un style politique, plus que d’une idéologie à
part entière, basé sur l’idée que le pouvoir politique doit appartenir au peuple,
non aux élites ou aux corps intermédiaires qui prétendent parler en son nom.
Le populisme peut exercer une puissante fonction dénonciatrice et relayer une 186
exigence de souveraineté populaire. Par ailleurs, les partis populistes
contemporains se distinguent sous certains points essentiels des fascismes
des années 1930, des groupes de lutte armée ou des mouvements extra-
parlementaires de l’après-guerre. Ils abandonnent pour la plupart une ligne
racialiste et la revendication d’une supériorité intrinsèque des populations
blanches ou « indo-européennes ». Ils acceptent la règle numérique du vote
démocratique. Même s’ils dénoncent le jeu partisan, ils s’intègrent à celui-ci : à
l’instar du Partij voor de Vrijheid (PVV) néerlandais, du Parti populaire danois
ou du Parti du progrès norvégien, ils participent à des gouvernements ou
acceptent de les soutenir de l’extérieur. Ils récupèrent même les principes de
l’État de droit, n’hésitant pas à recourir aux tribunaux ou aux cours
constitutionnelles afin de censurer des propos qu’ils jugent diffamatoires : si
on met de côté les cas d’Aube dorée en Grèce ou du NPD en Allemagne, ces
partis ont par ailleurs officiellement renoncé à l’exercice direct de la violence
physique.
Ces reconfigurations rendent ces partis plus acceptables auprès du corps 187
électoral. Elles leur permettent en outre de reprendre à leur compte certains
éléments choisis du langage démocratique. Ainsi que l’analyse Pierre-André
Taguieff, les valeurs de différence et de diversité culturelle sont exaltées
quand elles permettent de justifier la séparation et la préservation des
collectivités nationales. À rebours, l’idéal d’égalité est prôné dès lors qu’il
marque la solidarité des membres authentiques de la communauté – et dans le
cas des populismes de droite, leur différence irréductible vis-à-vis de la figure
de l’étranger.
Elle passe, d’autre part, par un détournement de l’idéal pluraliste au profit 194
d’un nouveau type d’élitisme. En réponse aux mouvements populistes évoqués
ci-dessus, certains estiment [96] que la démocratie doit développer des formes
de gouvernement mixtes capables de coordonner les divers intérêts et points
de vue en présence afin de produire des décisions à la fois plus rationnelles et
plus consensuelles : création d’agences indépendantes, mises en place de
procédures de consultation multi-niveaux, association des parties prenantes
dans la mise en œuvre de la décision politique, évaluation financière des
programmes des partis politiques par des corps indépendants… Un régime
légitime devra dès lors tempérer la vie politique partisane en instaurant des
contrôles juridiques sur l’action politique ou des mécanismes
« d’apprentissage collectif », afin d’assurer la réflexivité, l’impartialité ainsi
que la culture civique du débat public. Il rompra en tout cas avec l’idée que la
légitimité démocratique repose avant tout sur l’égalité politique des citoyens :
si le dévoiement populiste de l’idée démocratique consiste à réduire le peuple
à une communauté monolithique et essentialisée, ce nouvel élitisme pluraliste
cherche quant à lui le moyen de synthétiser les différentes opinions exprimées
au sein de la société sous une parole enfin claire et rationnelle. Il ne s’agit pas
forcément d’un progrès démocratique, dès lors que la participation de tous
n’est qu’un moyen parmi d’autres pour « faire de la pédagogie » auprès des
citoyens ou pour les conduire à des comportements jugés plus « corrects » ou
« rationnels ».
Imaginons ainsi que l’information pertinente soit présentée de manière aussi 197
exhaustive et détaillée que possible : la publication de cette information
rendrait-elle pour autant les tenants et aboutissants de ces décisions plus
accessibles ? Il est permis d’en douter. En effet, la profusion de l’information
peut compliquer sa compréhension et son interprétation. Les acteurs en quête
d’information ne peuvent accéder à celle-ci que s’ils sont déjà conscients de
son existence, de sa teneur et du lieu où elle se trouve. Ce faisant, l’apparente
neutralité de l’information peut paradoxalement renforcer son opacité aux
yeux des citoyens : elle submerge ceux-ci sous une masse de données
indistinctes, au point que sa mise à disposition peut même servir à noyer
l’information que l’autorité publique ne souhaiterait pas divulguer [97]. Si celle-
ci ne fait pas l’objet d’un travail d’explication, la technicité de l’information
décourage la volonté de comprendre. Si elle ne fait pas l’objet d’une diffusion
large, la publicité de l’information tend même à favoriser l’action de ceux qui
sont mieux placés pour influencer le processus de décision [98]. Enfin, quelle
que soit la forme qu’elle prend, la diffusion de l’information passe par des
codes plus ou moins formels de langage, des biais cognitifs qui mettront en
évidence certains types d’information au détriment d’autres [99].
Dès lors, pourquoi ne pas tourner le dos au mirage d’une information pure et 198
objective, et chercher plutôt à la rendre la plus facile d’accès, la plus
compréhensible, la plus pertinente possible ? Dans ce cas, la présentation
d’une information politique transparente s’inscrit forcément dans une
démarche d’interprétation, mais aussi de sélection du message. Exposer un
fait ou un argument revient toujours à le présenter en fonction d’un certain
point de vue et à l’aide de formes de langage déterminées. Le fait que
l’information politique est souvent produite par les divers détenteurs de la
puissance publique ne suffit pas à garantir l’impartialité de l’information
produite. De manière générale, tant l’émission que la réception du message
sont influencées par le contexte dans lequel elles prennent place, ainsi que par
les opinions, perceptions et préjugés du récepteur. S’il n’y a pas de
délibération démocratique utile sans information publique, il n’y a pas
d’information publique utile sans qu’elle soit traitée et discutée de manière
contradictoire et collective. Cela nécessite notamment des lieux de discussion
et de responsabilité publique communs aux différentes communautés
linguistiques et culturelles du pays, une médiation vivace de la société civile,
une presse et des médias de masse de qualité et disposant des moyens
d’exercer leur fonction de contre-pouvoir, un système d’éducation procurant
aux futurs citoyens les outils nécessaires pour s’engager dans le débat public.
D’une part, les espaces publics dépassent de plus en plus le cadre des 200
communautés nationales. Les sphères de discussion tiennent peu compte des
frontières physiques et géographiques. Il semble parfois plus facile de se tenir
informé de l’actualité politique aux États-Unis ou des soubresauts de la scène
musicale à Buenos Aires que des grèves qui agitent le secteur carcéral en
Belgique. Les espaces publics se globalisent, se localisent et se spécialisent par-
delà les limites de la communauté nationale.
Or ces bulles de filtrage n’existent pas seulement dans les réseaux sociaux. 203
L’histoire récente de la Belgique montre ainsi le rôle joué par ces bulles de
filtrage dans la création de deux espaces publics – l’un francophone, l’autre
néerlandophone – de plus en plus étanches l’un vis-à-vis de l’autre,
développant des points de vue et des interprétations différentes des enjeux
communautaires belges. À rebours, elle montre en quoi la constitution
progressive de deux espaces médiatiques et institutionnels autonomes a
contribué à créer ces bulles de filtrage. Dans ce cadre, les citoyens tendent à
être entourés de personnes qui pensent comme eux, qui réagissent comme
eux aux événements qui surviennent dans la vie publique, et dont la
conception du bon ou du mauvais goût, du bon sens ou de l’absurde, du juste
et de l’injuste est identique. Censée ouvrir le citoyen à d’autres points de vue
que le sien, la délibération tend au contraire à polariser et à figer les opinions
en présence. La réalité n’apparaît plus comme « ce qui existe en dehors de mes
croyances mais précisément ce à quoi j’ai envie de croire, et le savoir auquel
mes croyances me donnent accès » [101].
Le philosophe John Stuart Mill l’écrivait déjà au 19e siècle : dès lors que la 205
délibération est polluée par le sectarisme, la propagande ou le coup de force
rhétorique, rien ne garantit que celle-ci permette de distinguer les faits exacts
des faits inexacts, et les opinions raisonnables des opinions déraisonnables.
Discutée dans un environnement peu propice à une discussion équilibrée, une
opinion vraie peut parfaitement être supplantée par une opinion fausse.
Dans ce cadre, quelle différence faire entre un sain usage de l’esprit critique 206
devant l’exercice du pouvoir et la tentation de voir des complots politiques
partout où le pouvoir n’est pas entièrement visible ? Où tracer la limite entre la
remise en cause de certaines oligarchies médiatiques et l’idée selon laquelle les
médias de masse emprisonnent le citoyen dans une bulle de fake news
destinées à détourner l’attention ou domestiquer les masses ? Certes, le débat
public peut – et devrait – avoir aussi pour fonction de mettre à jour les
rapports de domination de genre, de classe, et de race véhiculés dans l’espace
public. Il doit permettre d’exhumer la dimension idéologique des discours
politiques concernés. Toutefois, il n’est pas possible de tenir un débat public si
la discussion conduit à disqualifier d’emblée certains points de vue, que ceux-
ci soient jugés intrinsèquement manipulateurs ou, au contraire, inconscients
des déterminismes sociaux qui les tissent.
Conclusion
« Riche ou pauvre, puissant ou faible, tout citoyen oisif est un fripon. »
— (J.-J. Rousseau)
Enfin, la réflexion sur la citoyenneté met en évidence les rapports historiques 215
à la fois déterminants et conjoncturels, entre la notion de citoyenneté et la
figure de l’État-nation. D’une part, on est toujours citoyen de quelque part : se
déclarer « citoyen du monde » n’a de sens que si le monde est un ensemble
social et politique fini, se dotant de règles communes spécifiques. D’autre
part, cet ensemble social et politique n’est pas voué à être celui de l’État-
nation. Il est concevable de dissocier citoyenneté et nationalité. Il est
également concevable que d’autres formes politiques que l’État-nation
développent leur propre conception de la citoyenneté.
L’histoire des aveugles et de l’éléphant est bien connue. Des aveugles, croisant 216
l’animal, sont sommés de l’identifier : le premier touche la jambe de l’animal et
déclare qu’il s’agit d’un pilier ; le deuxième tâte sa trompe et déclare qu’il s’agit
d’un serpent ; le troisième confond l’une des défenses de l’animal avec un pieu.
Le risque est le même quand on parle de citoyenneté, à cela près qu’y céder
renforce la cécité de l’observateur. Les relations évoquées plus haut sont
d’autant plus complexes que la notion de citoyenneté est elle-même
composite. La citoyenneté démocratique désigne un statut juridique visant à
garantir les libertés du citoyen : ces libertés ne seraient pourtant que monnaie
de singe si elles se réduisaient à ce statut. Elle désigne un ensemble de
pratiques sociales et politiques : ces pratiques tournent toutefois à vide si elles
se déroulent entre des individus indifférents les uns aux autres ou seulement
soucieux de discuter pour discuter. Enfin, la citoyenneté représente à la fois
un outil et un motif de justice sociale, mais son exercice aurait encore du sens
même dans une société où ces questions ne se poseraient plus. À l’instar de
l’observation des membres de l’éléphant, ces éléments ne sont ni suffisants ni
nécessaires pour définir ce qu’est la citoyenneté : chacun d’entre eux est par
contre important pour en concevoir la meilleure marche possible.
Ces trente dernières années ont vu éclore de nombreuses réflexions sur le rôle 218
de la délibération et de la participation dans la vie démocratique. Peut-être les
années qui viennent se pencheront-elles davantage sur la vieille et brutale
question du pouvoir politique : comment donner davantage de pouvoir à
l’autorité publique vis-à-vis des sphères sociales qu’elle régule ? Comment
donner davantage de pouvoir au citoyen vis-à-vis de l’autorité publique et en
quoi ce pouvoir doit-il consister ? Comment donner davantage de pouvoir
politique aux citoyens au sein de l’espace public, tout en limitant les relations
de violence que ceux-ci peuvent entretenir entre eux ? Enfin, comment
répondre à ces trois questions sans contradiction ?
Glossaire
Clivage : conflit profond à l’intérieur d’une société, qui se traduit par de fortes 219
tensions politiques entre des groupes opposés sur l’objet du conflit et qui peut
déboucher sur la création de partis politiques.
Constitution : texte qui impose les normes fondamentales d’organisation des 220
pouvoirs et qui reconnaît des droits et des libertés fondamentales. Les normes
constitutionnelles sont de niveau supérieur aux lois.
Contrat social : figure de pensée imaginant un contrat originaire entre les 221
hommes, par lequel ceux-ci acceptent une limitation de leur liberté en
échange de lois garantissant la pérennité du corps social.
Démocratie : régime dans lequel la souveraineté politique appartient à la 222
population, qui l’exerce soit directement, soit indirectement par la voie
d’élections libres.
Démocratie directe : système général, ou mécanisme particulier, par lequel les 224
citoyens prennent eux-mêmes des décisions politiques, sans passer par des
représentants issus d’une élection.
Droits civils et politiques : premiers droits de la personne humaine à avoir été 227
revendiqués dans le combat contre l’arbitraire du pouvoir politique sous
l’Ancien Régime. Ces droits consacrent, d’une part, les droits de l’individu face
à l’État (respect de la vie privée, de la vie familiale, de la propriété…) et, d’autre
part, la participation de l’individu à la vie collective (droit de vote, libertés
fondamentales…).
Égalité politique : principe selon lequel tous les citoyens de la communauté 228
bénéficient d’un statut politique égal et donc d’une opportunité de même
nature de faire valoir leur sa prétention au pouvoir.
État de droit : système institutionnel dans lequel la puissance publique est 229
soumise au droit. Il est fondé sur le principe essentiel du respect des normes
juridiques (ou « primauté du droit »), chacun étant soumis au même droit, que
ce soit l’individu ou bien la puissance publique. Dans les démocraties
contemporaines, l’État de droit se caractérise par une répartition des pouvoirs
législatif, exécutif et judiciaire, par l’égalité de tous devant les règles de droit,
par la soumission de l’État aux règles de droit et par l’idée que, dans le cadre
de la hiérarchie des normes, chaque règle légale tire sa légitimité de sa
conformité à une règle légale supérieure.
Groupe d’intérêt : groupe social plus ou moins bien organisé qui exerce une 230
pression sur les pouvoirs publics afin de défendre des intérêts spécifiques,
qu’ils soient économiques, matériels, financiers, humanitaires ou moraux. Les
groupes d’intérêt visent à influencer les décisions publiques, mais n’ont pas
pour objet (contrairement aux partis politiques) la conquête de la
représentation politique.
Organe consultatif : organe mis en place par une autorité publique et qui lui 233
permet de consulter des personnes ou des groupes dans un domaine
déterminé. Du point de vue des citoyens et des groupes, un organe consultatif
est un cadre permettant de formuler des avis, à la demande de l’autorité
publique ou à l’initiative des membres.
Pouvoir exécutif : pouvoir qui met les normes législatives (lois, décrets ou 234
ordonnances) en application et qui dispose des budgets et de l’administration
nécessaire à cette tâche. Dans le cadre fédéral belge, il existe plusieurs
pouvoirs exécutifs (gouvernement fédéral, gouvernements de Communauté
ou de Région).
Pouvoir judiciaire : pouvoir qui fait respecter les normes juridiques en 235
tranchant des litiges. Le pouvoir judiciaire est composé des cours et des
tribunaux.
Pouvoir législatif : pouvoir qui élabore et qui adopte les normes législatives. 236
Dans le cadre fédéral belge, il existe plusieurs pouvoirs législatifs (Chambres
fédérales et parlements de Communauté ou de Région).
Service public : activité exercée directement par l’autorité publique (État, 237
Communautés ou Régions, communes…) ou sous son contrôle dans le but de
satisfaire un besoin d’intérêt général. Par extension, le service public désigne
aussi l’organisme qui a en charge la réalisation de ce service. Le service public
relève le plus souvent d’un régime légal spécifique.
Socialisation : processus par lequel sont transmises des valeurs et des normes 238
dans le but de construire une identité sociale et d’intégrer un individu à la
société. Elle fait d’un individu un être social. À ces fins, la socialisation
nécessite l’acquisition et l’intériorisation des modèles culturels, des pratiques,
des normes sociales, des codes symboliques, des règles de conduite et des
valeurs de la société dans laquelle vit l’individu.
Notes
[5] Il faudra attendre 1919 pour que le vote plural soit aboli et 1948 pour que le
droit de vote aux élections législatives soit accordé aux femmes.
[6] Voir à cet égard l’arrêt Burstyn (1952, sacrilège), l’arrêt Texas vs. Johnson
(1989, flag burning), ou encore l’arrêt Ashcroft vs. Free Speech Coalition
(2002).
[8] Le principe du droit du sol est souvent opposé au principe du droit du sang,
dit jus sanguinis, qui définit la nationalité d’un individu en fonction de la
nationalité de ses parents. Le droit du sol et le droit du sang coexistent la
plupart du temps au sein d’un même ordre juridique : un enfant qui a des
ascendants belges, mais qui naît dans un pays étranger, a ainsi accès à la
nationalité belge. Le droit du sang est toutefois perçu comme un critère plus
restrictif d’accès à la nationalité dès lors qu’il conduit à considérer que les
enfants nés de parents étrangers au pays de naissance n’ont pas d’office
accès à la nationalité de ce pays. Ce fut par exemple le cas de l’Allemagne, de
1913 jusqu’à l’adoption en 2000 de la loi sur la nationalité.
[9] I. KANT, Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, 1784.
[10] R. CHUNG, J.-B. JEANGENE VILMER, Éthique des relations internationales, Paris,
Presses universitaires de France, 2011 ; T. BROOKS (dir.), The Global Justice
Reader, Oxford, Blackwell, 2008 ; D. MILLER, National Responsibility and
Global Justice, Oxford, Oxford University Press, 2007.
[11] Voir entre autres la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, le
pacte de New York sur les droits civils et politiques de 1961 ou le pacte de
New York relatif aux droits économiques et sociaux de 1976.
[12] L’association des ONG à ces processus de négociation peut être vue comme
un progrès démocratique et un pas vers plus de transparence politique,
mais aussi comme une forme de dépolitisation du rôle que ces associations
jouent.
[16] Dans la Rome antique, les tribuns de la plèbe sont des représentants de la
plèbe élus pour une durée d’un an par le concile plébéien. La plèbe désigne
en l’occurrence l’ensemble de la population romaine, à l’exception des
patriciens.
[20] Voir I. BERLIN, Two Concepts of Liberty, Oxford, Clarendon Press, 1958.
[23] Une créance est un droit en vertu duquel une personne physique ou morale,
qu’on appelle le créancier, peut exiger des droits sur un ou plusieurs biens
ou un ou plusieurs services d’un débiteur, qui peut être une personne
physique ou morale, qui lui doit la fourniture d’une prestation.
[34] A. DOWNS, An Economic Theory of Democracy, New York, Harper, 1957, p. 238-
259, R. E. POSNER, « Free Speech in an Economic Perspective », Suffolk
Universitary Law Review, vol. 20, n° 1, 1986, p. 1-54. Voir aussi J. Schumpeter,
Capitalisme, socialisme et démocratie, Paris, Payot, 1951, p. 351-355.
[41] Les référendums financiers peuvent être obligatoires (au-delà d’un certain
montant, la dépense envisagée doit être soumise à l’approbation populaire)
ou facultatifs (en deçà de ce montant, les citoyens peuvent provoquer
l’organisation d’un référendum). Le premier canton à avoir introduit, en
1869, le référendum financier est le canton de Zurich. À ce titre, il est
singulier de constater le contraste entre l’existence de ces procédures
référendaires sur des matières relevant des finances publiques et leur refus
explicite en Belgique : même les consultations populaires communales,
pourtant purement indicatives, ne peuvent porter sur les questions relatives
aux comptes, aux budgets, aux taxes et rétributions communales. Voir P.
VITIERETI, « Démocratie radicale et choix budgétaires », 2017,
https://reconquetedemocratique.org.
[48] J. FISHKIN, The Voice of the People : Public Opinion and Democracy, New Haven,
Yale University Press, 1997 ; A. FUNG, « Recipes for Public Spheres : Eight
Institutional Design Choices and Their Consequences », Journal of Political
Philosophy, vol. 11, n° 3, 2003, p. 338-367.
[56] D. GUENOUN, L’Exhibition des mots. Une idée (politique) du théâtre, Paris, Aube,
1992.
[57] D. WOLTON, Espace public, notice issue du glossaire édité sur le site
personnel de l’auteur : www.wolton.cnrs.fr.
[58] C. SÄGESSER, Législatif, exécutif et judiciaire. Les relations entre les trois pouvoirs,
Bruxelles, CRISP, Dossier n° 87, p. 7.
[60] Une proposition de loi est une initiative législative émanant d’un ou
plusieurs parlementaires en vue de l’adoption d’une nouvelle loi.
[63] Sur ces points, voir C. SÄGESSER, Législatif, exécutif et judiciaire. Les relations
entre les trois pouvoirs, op.cit, p. 47-57.
[64] Une telle annulation est toutefois possible, dans des mesures diverses,
devant la Cour constitutionnelle ou devant le Conseil d’État.
[65] Loi du 28 mars 2014 portant insertion d’un titre 2 « De l’action en réparation
collective » au livre XVII « Procédures juridictionnelles particulières » du
Code de droit économique et portant insertion des définitions propres au
livre XVII dans le livre 1er du Code de droit économique, Moniteur belge, 1er
septembre 2014.
[71] La coopétition désigne les processus visant à coopérer à plus ou moins long
terme avec des acteurs concurrents ou à organiser cette concurrence de
manière coopérative.
[72] J. ELSTER, « The market and the Forum : Three varieties of Political Theory »,
repris dans T. CHRISTIANO, Philosophy and Democracy. An Anthology, Oxford,
Oxford University Press, 2003, p. 140.
[73] Une chose a une valeur intrinsèque quand elle a une valeur en soi : ainsi, on
dira que la joie ou que le bonheur ont une valeur intrinsèque. Une chose a
une valeur instrumentale quand elle est un moyen d’obtenir quelque chose
d’autre : ainsi, on dira par exemple que l’argent a une valeur instrumentale,
parce qu’il permet d’acquérir d’autres biens et d’autres ressources.
[82] Ces deux instances de droit allemand se partagent en grande partie les
compétences du conseil d’administration et du conseil de direction de droit
belge.
[83] Des mesures semblables, mais moins favorables aux travailleurs, sont
d’application pour les entreprises de plus de 1 000 et de plus de 500
travailleurs.
[84] Voir E. OSTROM, Governing the Commons : The Evolution of Institutions for
Collective Action, Cambridge, Cambridge University Press, 1990 ; C. HESS, E.
OSTROM (éd.), Understanding Knowledge as a Commons : From Theory to Practice,
Cambridge, MIT Press, 2007. Voir également P. DARDOT, C. LAVAL,
Commun : essai sur la révolution du XXI e siècle, Paris, La Découverte, 2014.
[88] M. WALZER, Spheres of Justice. A Defense of Pluralism and Equality, New York,
Basic Books, 1983, p. 28-31, M. WALZER, « Citizenship », in T. BALL, J. FARR,
R. HANSON (éd.), Political Innovation and Conceptual Change, Cambridge,
Cambridge University Press, 1989, p. 211-220.
[92] T. REGAN, The Case for Animal Rights, Berkeley, University of California Press,
1983, p. 243.
[93] P. SINGER, Animal Liberation : A New Ethics for our Treatment of Animals, New
York, New York Review/Random House, 1975 ; M. NUSSBAUM, Frontiers of
Justice : Disability, Nationality, Species Membership, Cambridge, Harvard
University Press, 2006.
[95] Ibidem.
[101] Ibidem.
Plan
Introduction
Conclusion
Glossaire
Bibliographie
Étienne ARCQ, Michel CAPRON, Évelyne LÉONARD, Pierre REMAN (dir.),
Dynamiques de la concertation sociale, Bruxelles, CRISP, 2010.
Stuart HALL, Identités et cultures. Politiques des Cultural Studies, Paris, Éditions
Amsterdam, 2007.
Iris Marion YOUNG, Inclusion and Democracy, Oxford, Oxford University Press,
2000.
Auteur
John Pitseys
Cairn.info