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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

MON 1 -TIME CONVICTION

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert


DU MÊME AlJl'ELJR

L'Autre en nous, Presses du Châtelet, 2009.


lslam, la réforme radicale, Presses du Châtelel, 2008.
Un chemin, une vision. P.tre les stifets de notre histoire,
Tawhid, Lyon, 2008.
Faut-il avoirpeur des religions?, avec Elle Barnavi, Mgr di
Falco, Éditions Mordicus/ Panama, 2008.
Quelques lettres du cœitt; Tawhid, Lyon, 2008.
Jl1uharnmad, vie du Prophète, Presses du Châtelet, 2006.
Faut-il.faire taire Tariq Ramadan? enrreciens avec Aziz
Zem9u1i, L'Archipel, 2005.
La Afondialisation. · résistances musulmanes, Tawhid,
Lyon, 2004.
Peut-on vivre avec l'islam' entretiens avec Jacques Nei-
rynck, Favre, I.ausanne, 1999 (4° ·éd. 2004)
Les 1"fusulmans d'Occident et !'Avenir cle l'islam, Actes
Sud, 2003.
jihad, z1iolence, guerre et paix en Islam, Tawhid poche,
Lyon, 2002.
Dar ash-sbabada : l'Occident, espttce du témoignage,
Tawhid poche, Lyon, 2002.
La. Foi, la Voie, la Résistance, Tawh id poche, Lyon, 2002.
111.usulmans d 'Occident, construire et contribuer, Tawhid
poche, Lyon, 2002.
De l'islam, Tawhid poche, Lyon, 2002.
L'Islam en questions, avec Alain Gresh, Acces Sud, 2000
(2° éd. Actes Sud · Babel ., 2002).

(suite en.fin de volume)

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TA RIQ l\AMADAN

MON INTIME
CONVICTION

ARCillPOCHE

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert


À Alain Gresb
À Fra11çois Burgat
Ce livre conslitue une édilion revue CL aug-
mentée du livre Face à no$ pa111s, puhlié
par les éd ilions Tahwid en 2008.

www .art hi pochc.co111

Si vous souh:•itcz recevoir norrc cawloguc


e1 ê1re tenu au cour:mr de nos public:llions.
cnvorez vos nom cr atln.:ssc, en ci1;1111 cc
livre, au:x l'ditions Archipochc,
34, rue des Bourdonnais 7'i001 Paris.
fa, pour le Canada, à
Édîpres.~e lnc.. 9·15. avenue Beaumont.
Montréal, QuNicc, H3N IW3.

ISB'.'J 978-2-35287-18+2

Côpyrighl fi Prt'l.SCS du Chârdct. 2009.

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Préanibule

DE LA VISIBILITÉ

Les controverses se sui\ren t et se ressetnblen t.


D ura ne les cinq de rnières a nnêes, je me suis
retrouvé au centre de polémiq ues qui, au-delà de
1na personne, révèlent la natu re des pro blè1nes
qui traversent les sociétés occidentales. Force est
de constater que le pluralis1ne politique ne gai<i.n-
tit point la gestion raisonnable et sereine du plu-
1dlisme culturel et religieux. En France conune aux
États-Unis, e n Be lgique , e n Su isse, e n Angleterre,
e n Italie, e n Espag ne, et réce1n1ne nt aux Pays-Bas,
j'ai fait face à des con troverses natio na les do nt le
point commun était, assez clai re1nent, la nouvelle
visibi lité des citoyens occidentaux de confession
inusulmane. Chaque pays a sa culuire, sa sensibi-
hté propre, ses· pointes de ftiction., et, ce fa isant,
sa Liste spécifiquerr1ent ordonnée de contentieux à
régler avec l'islan1 e[ les n1usuhnans. Le ~ fo ulard

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MON i NTIMf CON ~1C l'IO N

isla1nique • vienE en tête en France ou en Belgique, des crispations e t des surdiEés inquiétantes. Les
les quesEions liées à l'hon1osexualité et aux n1œ urs rnéd ias rapportent les faits, les réacüons s'an1pli-
aux Pays-Bas, les n1inarets en Suisse, etc. La vio- fient, les politiciens réagissent à (ou parfois ins-
lence, la fe1n1n e, la • sharî'a • (charia) sont, entre tru1nentalisent) la controve!fSe, et nous voilà
autres, des thèmes qui reviennent pa1tout et tou- em barqués dans des dynatniques incontrôlables.
jours : l'islatn fà it question. Des positionnements se dessinent, une so1te de
Le point co1nn1un de tous ces débats tient à clivage qui traverse tous les partis politiques, de
l'installation de générations successives de 1nusul- gauche comrne de droite, ainsi que les popula-
1nanes et de n1usulinans, devenus citoyennes et tions des sociétés occidentales. Alors que l'on par-
citoyens de leur pays respectif. Installés, ils sor- lait hier d'un éventuel " clash des civilisac.ions •,
tent de le ur isole1nent géographique, de leu rs j'ai défendu très rôr l'idée d'un • clash des per-
ghettos sociaux, ou de leur n1arginalité sociopoli- ceptions · : un con fl it d'images projetées sur soi
rique. Ils sont désonnais visibles, con11ne le rele- et 15ur autrui, 111êlant des doutes (quanr à soi), des
vait, il y a des années déjà, la sociologue Nilüfe r peurs (quant à autrui), des préjugés, ou simple-
Gole. Leur visibilité n1arque et prouve leur décloi- ment de l'igno rance (vis-à-vis de soi et d'autrui).
sonne1nent : il ne s'agit pas d 'une nouvelle "con1- On y trouve aussi parfois des positions idéolo-
munauté religieuse ou culturelle " qui s'installe, giques e t politiques peu claires. Dans la nébu-
1nais plutôt de l'émancipaüon d 'u ne ancienne Jeuse des propos tenus, face à la visibilité de cet
catégorie socio-écono n1ique (doublée d'une • autre •, les débats récurrents sur " l'identité •
appanenance niajoritaire à une n1ême origine cul- deviennent dangereux et produ isent exacternent
turelle et religieuse) qui avait été do ubletnent le contraire de ce que l'o n pourrait espérer.
1narginalisée, géographiquen1ent et sociale1nenc. À l'heure des crispations, nos identités deviennent
Au gré des controverses et des crises, des négatives et se fonnent par distinction (crispation
peurs s'ali1nentent et des perceptions se façon- ou rejet) de ce que l'on croit être l'identité de
nent et s'entretiennent La crainte, la 1néfiance et • l'autre •. Il s'agit ainsi d 'une ·identité soustraite.,
le soupçon s'installent et tous les débats sur la cul- cloisonnée et 1igide, alors que nous aurions tant
Eu re et la religion se transfonnent en polétniques besoin d 'accéder au sens d 'une identité rnultiple,
nationales, polén1iques qui se ca rac[érisent par ouverte et en consrnn[ 111ot1Vernent.

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MON INTIME CON\ 'ICTION 1'11('.AMllUl.J!

Dans la proxirnicé, la présence d'aucrui percurbe souvent essuyé des c ritiq ues crès érnoriv es et fair
et gêne. C'esc la raison pour laquelle les crises se l'objet de projections qui rn'ont parfois an1usé,
sont surtout n1ultipliées autour de phénomènes parfois fran chement inquiété. Il n'est pas facile
visibles et spectacu laires: foulards islan1iques, d'être au paysage intellectuel ce que le n1inaret
niqab (voile cachant le visage), burqa, 1ninarets, est à la rue! Présent, installé, en • nous • 1nais
auxquels il faut ajouter les expressions culturelles appa re1nment si différent de · nous •. U n · nous·
ou religieuses perçues co1nme ·étrangères•, c'esr- réactif, exclusif, parfois dogmatique qui me n1et-
à-dire différentes, inhabiruelJes ou trop • visibles • tait ·à l 'extérieu r ., étranger, autre, en un ·vous •
car pas encore • normalisées • (voire • neutrali- de la différence. Lors de la première conférence
sées•, au sens de rendues· neutres · clans l'espace d 'Escoril au Portuga l en mai 2009, j'ai été inter-
public). La violence a bien sûr été un facteur pellé à d eux reprises comine un étranger alo rs
niajeur d 'a1nplification, avec le rejet d'assassinats nième qu e mo n sujet étaiL • notre• Europe. L'an-
aveugle1> perpétrés contre des innocents au no1n cien président du gou vernen1ent espagno l José
de la religion musulmane. Tous ces phénomènes wlarla Aznar, en affirm ant qu'i l n'y avait qu' · une
cumulés expliquent la situation présente, et la seule civil isatio n [ ... ] des ge ns civil isés ", ne
" nouvelle visibilité • des rn usulrnans continue de savait plus vraiment où rne placer dans ce pay-
provoquer son lot de crise~ cycliques. Gardons en sage. Entre le • nous • restrictif et le • nous •
têce que cerce "nouvelle visibilité" est par nature dornina nt, oli r eut-on bien stttuer celles et ceux
une siruation historique transi toire puisque ce qL1i que l 'o n considère con11ne les • étrangers • peu
est nouveatr sera un jour ancien . •civilisés" - à dorn in<:r, do1npter, clon1csriquer?
N ous voici revenus au. ten1ps de la dange- Ces étrangers de l 'intérieur, les " citoyens in11ni-
reuse • politique én1otionnelle •. L'autre non1 de grés • o u les • immigrés citoyens "• les alloch-
cette po li tique qui joue de l'é1notion est • le tones ja1nais vraiment autochtones (selo n la
popu lis1ne •, et aucu ne société contemporaine terminologie néerlandaise): o n peine à traduire
n 'en est cléfinitiven1ent protégée. Les anciens des perceptions qui en fait défient l es catégories
racismes peuvent encore habiter notre avenir. les plus élémentaires du droit.
Dans les débats de société sur l 'isl am, j'ai sou- Les perceptions sont aussi des faits et il faut
vent joué le rôle de • l'intellectuel visible • : j'ai compter avec leur prégnance sur l'ensemble des

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MON INTIME CONl 'ICl'ION l'll~AM IJUl.E

débats conrernporains. Un rapporr de l'insritut qu'ils ne le croient au prernicr abord. Encore faut-
a1néricain Gallup (niai 2009') n1ontre l'incroyable il prend re le risque de s'ouvrir à l 'aurre et de
fossé entre les populations européennes en géné- regarder les vrais problè1nes qui concernent nos
ral et leurs concitoyens musulmans. Près des trois sociétés conte1nporaines. Il faut pour cela dire
quarts des 1nusuln1ans se sentent et se disent • nous •, ense1nble, contre la pauvreté, la mar-
loyaux envers leur pays (France, Alle1nagne, ginalisation sociale, le chômage et l'insécurité.
Royaume-Uni pour le sondage) candis que seule- S'engager ense1nble pour la dignité des êtres
menr un quarr de la population générale les per- humains, des exclus, des sans-papiers, des immi-
çoir co1nme rel. En Allemagne, le pourcenrage de grés er pour celle de ces ft:mmes er enfants deve-
musulmans qui s'identifienl à leur pays (46 %) est nus les 1narchandises d'un nouveau rype de rraire
plus important que celui des Alle111ands dits • de d 'esclaves, de la prostitution à l 'exploitation inhu-
souche • (36 o/o). Les exe1nples de perceptions maine. • 'ous •, ensen1ble pour refoncler un
tronquées, inadéquates, voire dangereuses, sont projet de société plurielle et plus juste, une
légion. Les points d'accord ne sont pas moins société qui dépasse les perceptions et qui offre
intéressants: l'emploi, l'habitat, le bien-être sont connaissance et respect en r enouant avec l'es-
considérés de façon identique co1nme des fac- sence de l 'acte politique (confronrant des visions,
reurs déterminanrs pour l'a.venir de nos sociétés. des philosophies de la gouvernance, des idées et
Les perceptions sunt souvent d ivergentes alors des stratégies d'action).
que les attentes et les espoirs sont sitnilaires. Les pensées évoluent et il faudra du ternps,
Au lieu de se confronter au visible qui fige, on beaucoup de temps, pour d~passer les crispa-
ferait donc bien de souligner ce qui est profon- tions actuelles. Cel a dépendra de l'engagetnent
dément commun en matière de préoccupations de fen1mes et d 'ho1nn1es déterminés à changer les
socia les, économiques et politiques. Les citoyens choses, à va lo riser les différences et à célébrer
occidentaux, dans leur pluralité culturelle et reli- les nouvelles visibi lités cu lturelles et religieuses.
gieuse, partagent bien plus de valeurs et d'espoirs Sans rejet mais éga lement sans naïveté. Le débat
doit rester ouvert et critique. li s'agit d'aller au-
1. 17n Gallup Coexist fnde.'I: 2009: A Glofml Study of lnter- delà des perceptions, mais également des décla-
failb Relnlio11S. r:tpJ)()l'C rendu public :1 Londres le 7 mai 2009. rations de bonnes incencions.

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MON INTIME CONVICl'ION

C'est ce chernin, si nuellx et difficile, que j'aj


décidé d 'emprunter quan d j'ava is vingt ans et
que je poursuis de puis. Il s'agil de rester fidèle à
soi-111ê1ne el d 'acceple r de confronter ses per-
ceptions avec les analyses simp listes ou les
manipulations idéologiques, de déterminer ses
objectifs, de connaître ses amis et de reconnaître
les horizons de l'adversité. La route est longue INTRODUCTION
1nais il n 'est pas d'autre choix que celui d 'ac-
co1npagner l'histoire, de d épasser le transitoire
et de réforn1e r ce qui pe ut l'être: nos intelli-
gences, nos arrogances, nos peurs, nos doutes, Ce livre est un ouvrage de clariftcaûon. Il s'agit
nos aveugle111ents. ,J'essaie, auta nt que faire se d'un exposé, volontairement accessible, des idées
peut, de chen1iner dans le bon sens, e t rnon fondamentales que je n'ai e u de cesse de défendre
intime conviction est que ce sera long, difficile, depuis p lus de vingt-cinq ans, destiné à celles et
111ais que l'avenir reste ouvert. ceux qui n'ont p~is bea ucoup de ten1ps: sirnples
À· nous• de nous engager, avec l'hurnilité de citoyens, politiciens, jo urnalistes, travailleurs
ceux qui essaient et l'ambitio n de ceux qt1i ser- sociaux, voire enseignants un peu pressés, n1ais
vent. Il faut désonnais fa ire e n rendre la voix de qui désirent C:<>1T1J)1·endrc ec, le cas échéant, véri-
ceux q ui construisent des ponlS et pern1etten1 fter. Plutôt que de laper mon nom sur un des
des re nconlres, el non p lus le seul vacanne de moteurs de reche rche d'Internet ou de se satisfaire
ceux qui détruise nt el cloisonnenl. Il faut deve- des e ncyclopédies vi1tuelles prétendues· Libres • et
nir positivement visibles, exprimer notre rejet pouttant si orientées (du type \'V'ikipédia où les
des extrêmes et notre détermination à dévelop- erreurs factuelles et les ana lyses partisanes sont
per un vrai pluralisme, une philosophie assumée proprement sidérantes), je propose ici aux lecteurs
du pluralisme. d'accéder direccernent et simplement à ma pensée.
On m'a présenté ces dernières années co1TIJl1e
un ·intellectuel controversé•. On ne saie pas rrès

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MON li'fJlME CON\'ICTlü N lNTROOUC'l1 0N

bien ce que cela veu[ dire rnais, dans les faits, [OU[ contradic[ions dans la pensée étudiée, ou qu'il a
le n1onde s'accorde à reconnaî[re que l'• intellec- affaire à un • double discours "· Il faut préciser
[Uel controvers.é • est celui dont la pensée ne çeci : le double discours consiste à dire une chose
laisse pas indifférent. D'aucuns la louent, d 'autres devant un auditoire pour le flatter ou le trotnper,
la critiquent, mais dans tous les cas elle fait réagir et à affirmer autre chose ailleurs, à un autre audi-
et réfléchir. J\.1on cha1np d 'intervention n'a ja1nais toire ou dans une autre langue. Adapter son
été unique : je ne n1e suis pas seulement exprin1é niveau de langue, ou la nature de ses références à
sur la • religion 1nusulmane •, n1ê1ne s'il est ünpor- son auditoire, ne relève pas du double discours.
rnnt de préciser qu'un des dornaines de n1on tra- Si je rn'adresse à mes étudiants, je parle une
vail est bien une réflexion théologico-légale à langue soutenue, avec .des références philoso-
panir des références islamiques elles-n1ên1es. je phiques que ceux-ci peuvent comprendre; si je
ne représente pas [OUS les musuln1ans, mais je 1n'exp1i1ne devant des acteurs sociaux ou des tra-
1ne situe dans le courant réforn1iste et il s'agit vailleurs 1nanuels, 1non propos et 1nes illustrations
pour n1oi, à partir des sources scripturaires, de seront également adaptés; si, enfin, je parle à des
rester fidèle aux principes de l'islam tout en musulmans, mon langage et mes réfé rences tien-
tenant con1pte de l'évolution des contextes his- dront également co1npte de leur ni:veau de langue
torique et géographique. Beaucoup de lecteurs, et de leur univers de co1npréhension. C'est une
qui ne sont pas in[éressés par la quesüon reli- dén1arche pédagogique nécessaire. Ce qui
gieuse ou qui n'ont pas de connaissances dans ce co1npte, pour éviter le double discoL1.rs, c'est que
don1aine, ont dt1 1nal à coin prendre n1on propos le contenu du propos ne change pas.
et n1a 1néthodologie. En ce qui concerne les références isla1niques,
A la différence des littéralistes qui Se content:ent voici quelle tn éthode sous-tend toutes mes inter-
de citer des versets, les réformistes doivent ventions. J'expose ordinaire1nent les faits en trois
prendre le ten1ps de 1nettre en perspective et de moments bien distincts. Tout d'abord, je cite les
contextualiser leur discours. Le lecteur ou audi- sources : voici un verset ou une tradition pro-
teur, pour con1prendre, doit suivre le raisonne- phétique (hadîth), et voici ce que l'on peut en
1nent du débu[ à la fin, sous peine de se tron1per con1prendre üttérale1nent. Ensuite, j'explique les
dans ses conclusions, de considérer qu'il y a des différentes lectures proposées par les savants au

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MON INTIME CONVICTION l NTRODüCl10N

cours de l'histoire, de rnêrne que les latitudes d'in- de rnon développen1ent, il tronque 111on raison-
œrprérations que ledit verset ou hadîth permet, par ne1nenL Il peut rnême affirn1er que je dis la
sa forrnulation n1ê1ne ou à la lun1ière du 1nessage 1nê1ne chose que les littéra listes et crier au
de l'islan1 . Enfin, à partir du verset (ou badîth) et " double discours • ... Je cite bien sûr les 1nên1es
de ses différentes inte1vrétations, je propose une versets que les littéralistes, inais tnes conclusions
con1préhension et une application qtii tiennent ne sont pas les inê1nes l Et c'est parce qu·e je pars
co1npt.e du contexte dans lequel nous vivons. C'est systé1natiquen1ent des sources et de leur inter-
ce que j'appelle l'approche réfonniste. prétation que les musulmans écoutent mes dis-
En voici un exernple: 1) Oui, il existe des cours, rne lisent et s'y rerrouvenL
Textes (un verset, donc des traditions prophé- Je ine suis aussi intéressé aux questions philo-
riques) qui se réfèrent au fait de frapper son sophiques, sociales, culturelles, politiques (sur le
épquse; je les cite puisque ce sont les textes que plan intérieur cornme sur le plan international).
les ni usuhnans lisent et citenc 2) Voici quelles Tous ces chan1ps d'étude sont bien sûr liés, d'une
sont les interprétations qui ont été proposées., façon ou d 'une autre, mais je me suis toujours
des plus littéralistes - qui justifient le fa it de frap - appliqué à ne pas confondre les ordres. Face à
per son épouse au nom du Coran - aux plus la confusion que j'observais dans les débats
réfonnistes - qui lisent ce verset à la lun1ière du conten1porains sur les questions de société (iden-
1nessage global, et qui conrextualisent le verset tités, religions, culrures, insécurité, irnmigration,
et les traditions prophétiques en tenant égale - marginalisation) , je me suis efforcé de décons-
1nent co1npte de leur chronologie. 3) À la truire et de classer ces don1aines, sans pourtant
lu1nière de ces interprétations et en considérant les déconnecter. Le présent ouvrage, je l'espère,
l'exernple du Prophète qui n'a jamais frappé une conftnnera cette exigence, cette approche et
fem1ne , j'affinne que la violence conjugale est cette méthodologie.
contraire aux enseig.ne1nents islamiques et que On a affirmé, je viens de le relever, que
l'on doit condamner ces agissernents. j'avais· un double discours•, sans jan1ais avoir
Si m on lecteur ou mon auditeur s'anête à la apporté de preuves claires. La rumeur est
prernière érape de rnon propos, ou si le co1n1nen- entretenue et les journalistes le répètenL Cette
ratet1r, 111alveillant ou non, ne cice qu'une partie critique esr facile : elle est souvent l'argun1enc

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MON INTIME CONl 'ICl'ION INTltOIJUCl'ION

invérifiable (er invérifié) de ceux qui , volontaire- rnenr, er que rien ne: s'oppose ( religieusen1ent,
1nent ou non , n'enrendcnt que très séleccivernent l égal en1ent ou culturellen1ent) à ce qu 'une
et o nt une • do uble audition •.Je ne perdrai pas fem1ne o u un hom1ne soit à la fois européen(ne)
ici 111on temps à essayer de me défendre: je n'en ou a1néri cain(ne) et musulman(ne). C'est ce que
ai ni J'envie ni le ten1ps. Pou r le lecteur, il est prouvent quotidiennement d es 1nillions d'indivi-
néanmoins importa nt de co1nprendre pourquoi dus. La situation évolue très vite et je ne crains
mon propos peut susciter autant de passions et pas de parler de révolution silencieuse. Loin des
de réactions. je sais que je gêne et je sais qui je médias et des crispations politiques, un 1nouve-
gêne. En parlant de religion, de philosophie ou menr de fond construccif a pris corps, et l 'isla1n
d e polirique, j'ai forcéinenc o uverc, au cœur de est devenu une religion occidentale. L'islam occi-
notre époque troublée, des fronts d 'opposicions dental, comme l'islam afri cain, arabe ou asiatique
intellectuelles et idéologiques, el des anin1osités est une réalité. L'islam est bien sûr un et unique
qui sont souvent très épidermiques. Ço1n1ne le sur Je plan des principes religieux fondateurn,
lecteur pourra le vo ir, j'ai identi fi é, à la fin du pré- mais il intègre diversité d 'interprétations et p lu-
sent texte, sept différents• opposants· objectifs: rali té des cu ltu res . Son universal.ité provient
dans les faits, ce sont leu rs critiques, conjuguées d 'ailleurs de cette capacité à in tégrer la diversité
et croisées, qui couvrent mon discours d'un halo dans son unicité fondatrice.
de suspicions et de doutes. Certains lisent leurs Il appartient aux indivi dus rnusulrnans d 'être
cri tiqu es sans me lire, sans 1nê1ne chercher à - et de deven ir - d es citoyens engagés qui
situer leurs auteurs, et r.nissent par prendre pour connaissent leurs responsabilités et leurs droits.
argent: comptant. ce qui y est écrit. D épassa nt le réfl exe rninoriLaire ou la tentation
Le plus important réside pourtant au-delà, il victimaire, ils o nL les rnoyens d 'accéder à une
faut absolu1nent dépasser cet écran de fumée nouve lle è re de leur histoire. Pour ceux qui
pour accéder à l 'essence de 1na pensée et de sont nés en Occident - o u qui y sont des
mon projet. j'aborde, dans Jes pages suivantes, la citoyens -, il n 'est plus question d '· immigra-
question de la crise identitaire, et les doutes qui tion •, d '· insta llation ·ou d '· intégration •, rnais
nous rouchenr cous indistin<:te1nenc. j'affirme que bien de • participation • ec de • contribution •.
nous ;1vons des idcnricés 1nultiples et en 111ouve- j'affirme q ue nous sommes passés, er que nous

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MON l!Vl'IMI\ CON\ 'ICl'ION 1N'l'~Of)UCllON

devons passer, à l'ère du d iscours de la · pos~ d 'une histoire comn1u ne q ui pre ndrait en
üncégration ·:il faut déso rma is établir un sens co1npte les mémoires et leu rs richesses. L'Occi-
profo nd el assumé de l'appartenance. C'est le denL, en même temps qu'un dialogue avec
nouveau • n()uS • que j'appelle de nies vœux, • l'autre ., doit engager un dia logue avec lui-
et qui déjà est une réa lité dans certaines expé- mê1ne - sérieux, p rofond et constructif.
riences locales. ]'aborde ces questions tout au long de ces
Toutefois, il ne faut pas être naïf, les défis res- pages. Jai voulu être le plus clair possible tout en
tent importants. Jen ai établi une liste en ce qui restant simple et méthodique. Un livre à thèses,
concerne les 1nusulinans: la relation encre reli- présenran c quelques-unes de 1nes convictions,
gion et culture, la question des femmes, la for- pour celles et ceux qui onr le souci réel de co1n-
macion des ima1ns, l'éducation religieuse prendre, sans avoir toujours le temps de lire et
conLextualisée, l'inslilutionnalisalion de la pré- d 'étudier la totalité des cx:uvres. Un livre-intro-
sence dans la S<>ciété .. . Les sociéLés occidentales duction qui ne suffit pas à résumer la con1plexiré
et européennes, leurs politiciens et leurs intellec- d'une pen sée (qui, de surcroît, a pu évoluer et se
tuels, doive nt regarde r les réa lités en face et densifier avec le temps), mais qui permettra au
cesser de parler, parfois après quatre générarions, moins, je l'espère, d'enta1ner un débat ouvert,
de· l'origine iin1n igrée · des citoyens, · issus de la rigoureux et critique. Nous en :avons b ien besoin.
diversité ·, • à intégre r •. Ils doive nc se réconcilier
avec la politique et n e pas fai re co1n1ne si, au
nom d e la cu lture et de la religio n, le scan1t o u la
classe sociale étaient devenus des réfé rences
inopé rantes et désuètes: il s'agit de ne pas· isla-
tniser • les problèmes sociaux et de traiter politi-
queinent des questions de chômage et de
marginalisation sociale. 11 importe également
d'évaluer les contenus d 'enseignement (notam-
menc en histoire mais aussi en lircéracure ec en
philosophie) pour devenir plus représentarifs

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PREMIERS PAS, PREMIERS E NSEIGNEMENTS

C'est vers la fin des années 1980 et le début des


années 1990 que j'ai co1nn1encé à 111'engager plus
spécifiquement sur la question de l'islam et des
1nusuhnans dans le rnonde, et plus particulière-
rnent en Occident. Auparavant, pendant des
années - dès l'âge de dix-huit ans - , j'avais par-
couru le tiers-inonde, de l'Amérique du Sud à
l'Inde, en passant par de trè::; no1nbreux pays du
continent africain. J'avais été élevé au sein d'une
famille pour qui l'appel et le sens de la foi étaient
Ués à la défense de la dignité humaine et de la jus-
tice. J\llên1e s'il ne se faisait pas au non1 de l'islan1,
inon engagement avait toujours été valo1isé par
rna 1nère comrne par n1on père : lutter contre la
pauvreté dans le Sud, pro1nouvoir l'éducation
(notamn1ent celle des fem1nes), protéger les

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MON I NTIME CONVICTION l'JUiMIER$ PM, PREMIERS ENSEIGNEMENTS

enfancs de la rue, se rendre dans les favelas et ville de Genève avait fin ancé ces projets q ui
soutenir des p rojecs sociaux, lutter contre la cor- avaient reçu un accueil très cha leureux. Il s'agis-
ruption et les dictateurs, et revendiquer un con1- sait de penser l'instruction au cœ.ur de la cité, et
merce plus hu1nain et équitable éraient autant de l'enseigne1nent du français et de l:a littérature
causes justes qu'ils reconn aissaient et saluaient. comme un n11.oyen de comn1uniquer avec des
Enseignant puis très jeune doyen dans un fem mes et des hom1nes faisant face à des pro-
lycée genevois, j'avais lancé des opérations de blèn1es sociaux ou sin1plement confrontés aux
sensibilisation à la solidarité dans les écoles, les différences. ]';ai énormé1nent appris durant ces
collèges et les lycées. Croyant ec pratiquant clans années sur l'écoute, la patience, le non-jugernent
1na vie privée, je respectais J.e devoir de réserve et l'e1npathie. Plus jeune déjà, un de rnes anciens
de 1na fonction publique: jarnais 1non apparre- élèves était n1ort d'overdose et, au fond, je ne l'ai
nance religieuse n'a été nliSe en avant. Il était ja1nais oubl ié. J'ai été son • prof •, n1ais il a été
juste qu'il en füt ainsi. L'insritution scolaire et les n1on enseigna nt. Il est 1norr alors que j'étais sûr
médias Jouaient ce • travail exe1nplaire " de 1nobi- qu'i l s'en était sorti: j'ai alors co1npris que ri.en
lisation des jeunes pour la solidarité dans les pays n'est ja1nais acquis et que nos fragi lités restent,
du tiers-monde con11ne en Occident - puisque malgré les n1asques de la force. La force, finale-
nous avions aussi lancé des opérations de sensi- 1nent, c'est d'assumer ses fragilités et non se per-
bilisation vis-à-vis des exclus du quart-n1onde suader qu'on Ees a dépassées, à rnoins que le fa it
dans les sociécés induscrialisées et des personnes de les dépasser consiste sin1plen1ent à les assu-
âgées - et j'avais été élu l'une des personnalités mer. .. Thierry, 1non élève " à l'affection cornpli-
genevoises de l'année en 1990. En tant qu'ensei- quée1 ., 1n'a appris ces horizo ns de la relatio n
gnant, j'avais écrit trois livres avec mes élèves afin éducative, et cela ne fut pas facile. Un jour, c'est
de les exposer à la vie, à l'environnetnent et aux dans le confl it qu'il m'a également appris l'e1npa-
défis de 1.a société. Un ouvrage collectif sur les thie et la distance critique. Sa sceur m'avait appelé
personnes âgées et la n1é1noire (Le Sablierfe-ndu) , car il avait frappé sa ma1nan. La lèvre supérieure
un autre sur la n1arginalisation et l'échec scolaire de cette dernière s'était encastrée entre ses dents.
(En rouge, dans la inarge), un dernier enfin sur
la d iversité (Un point cornrnun, la différence). La 1. Voir le te xte que je lui ai dédié en annexe, p . 191.

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MON INTIMF CON\ 'ICTION l'REMIElb l'i\S, l'ltEMIFHS ENSEIGNEM l'.NTS

En arrivanr à l'hüpital, j'étais en colère, je ne pou- Je me souviens d'avoir invité un jour un (ravailleur
vais rien iJnaginer de rel : frapper sa propre 1nère ! socia l culon1bien à l'école lors de nus réunions de
Lorsque j'entrai dans la s::i lle d'attente, sa sœur se travail de solidarité. 11 devait parler des problètnes
précipita vers moi el rn'expliqua que la violence d'injustice, de la pauvreté et de la crise dans son
avait toujours été le langage de la maison, et qu'il pays. J'étais au fond de la classe et je l'écoutais. Il
fallait que je comprenne: tous deux avaient vu a passé la première moitié de son inte1vention à
leur père batcre leur rnère, et avaient subi la vio- parler des danses traditionnelles colombiennes
lence au quotidien. • La violence, c'était notre avec musique et illustrations en prirne. Je regar-
moyen de communiquer •, me murn1ura-c-elle. dais ce specracle en me disant quïl n'avait pas
j'ai soudain cornpris les causes probables de son bien con1pris ce que j'artendais de lui. Soudain, il
actirude, sans jamais accepter ni jusrifier. Com- s'arrêra e( expliqua aux élèves: ·j'ai voulu vous
prendre n'est pas justifier, l'en1pathie autorise parler de la musique et des danses traditionnelles
cette distinction et l 'intell igence permet, par la colombie nnes pour que vous sachiez qu'avant
compréhension, d'adopter une position critique d'avoir des problèmes, nous les Colombiens, nous
nous p ennettant de chercher des solutions. J'étais avons un être, une dign ité, des traditions, une cul-
jeune, er rnon él èv e .m 'avait jeté ces vérités en ture, et que n ous rions, sourions, vivons. • En
pleine face. Il n1 'a fait grand ir. Je n'ai jamais oublié trente 1ninutes, il 1n 'avait donné une leçon à
ces enseignements, ses leçuns. laquelle je ne m'attendais pas : ne jan1ais réduire
Dans cec engagement de; solidariré, à Genève , l'autre à l a perception que l 'on peut en avoir, à ses
au Brésil, en Inde, au Sénégal ou au Burkina Faso, problèmes, à sa pauvreté ou à ses crises. Il n1'avair
les expériences furent riches et non1breuses. Des donné une leçon su r la pédagogie de la solidarité.
personna lités telles que le dalaï-la111a, dotn Hélder Je 111'étais trornpé. j'ai ensuite lancé un 1nouve-
Câmara, l'abbé Pierre, Pierre Dufresne ou Thornas menr à l'intérieur des écoles de Genève appelant
Sankara m 'ont irnpressionné, et, bien sûr, je leur à une vraie • pédagogie de la solidarité •. Tl faut
dois beaucoup, rnais c'est surtout les anonymes co1n1nencer par le sourire, la dignité, la
qui emportaient mon adhésion. Les courageux du culture qui façonnent l 'être avant de le réduire à
silence, les résisranrs de l'ombre : con1bien d 'en- une somme de besoins dont • je • serais solidaire.
seignements reçus loin <les caméras ec du public ... Trenre minuces de 1na vie qui one radicale1nenr

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MON l NTIMt CON\1CTION l'RloMŒRS l'AS, i''HEMlf:'.RS ENSJ:lGNEMF.NTS.

changé rnon regard sur autrui et la vie. Grâce à cet 1na thèse, intitulée Nietzsche, historien de la phi-
engagement, j'ai appris tanr de choses sut la vie, losophie, n1'avait an1ené à une lecture sérieuse et
les blessures, les espoirs er les fragilités. Le pou - approfondie des plus grands philosophes occi-
voir du savoir, la force de l'é1notion, l'exigence de dentaux - de Socrate, Platon et Aristote à Scho-
patience, l'impératif de l'écoute. ]'ai essayé quoti- penhauer, en passant par Descartes, Spinoza,
diennement de ne rien oublier. Kant, Hegel ou Ivfarx - , afin de confronter la sub-
stance de leurs thèses aux traductions et interpré-
Des années plus tard, j'ai dé1nissionné de tations nietzschéennes parfois très libres. Mon
1no11 poste de doyen er de celui de président de te1nps était alors dédié à la leccure (et un peu aux
l'association Coopération-Coup de n1ain qui sports), et j'avais l'habitude de 1ne p longer dans
1netraü en avant cette fruneuse • pédagogie de la les textes entre cinq et huit heures par jour. ]'ai
solidarité"· J'avais be.<>oin de changen1enr er d'un égale111en t pris la clécisi<;>n de reprendre des
retour aux sources de ma foi et de 1na spiritua- études intensives de sciences isla1niques. Je n1e
lité . .Autour de moi, la question de l'isla1n avait suis établi un programme de lecture spécialisé,
pris de plus en plus d'ünportance tout au long puis j'ai décidé de n1e rendre en Égypte avec ma
des d ix années qui s'étaient écoulées : de la famille. Il s'agissait pour chacun d'en bénéficier:
révolution iranienne en 1979, à l'affaire Rushdie pour ma femn1e et rnes enfants, ce séjour leur per-
ou à la conrroverse autour du ·voile islamique" rnettait de connaître le pays, d'appre ndre l'arabe
e n France e n 1989. On co1111nençair à beaucoup et d'étudier l'islarn. De n1on côcé, je 1n'étais irnposé
parler de l'isla1n et des n1usuln1ans. un progr.an1111e astreignant avec l'objectif de cou-
J'ai alors décidé de n1'engager dans ce qui Jne vrfr en vingt 1nois un progrann1ne de fonnatic)n
se1nblait d éjà être le défi majeur de l'avenir : universitaire de cinq ans. Le n1ode de fonnation
construire des ponts, exp liquer e t faire 1nieux traditionne l (avec un savant - 'âlitn, en cours
comprendre l'islam, au monde musulman autant privé) 1ne pern1ettait un rythtne individuel et
qu 'à l'Occident que je connaissais si bien pour y intensif qui co1nn1ençait tous les jours à 5 heures
avoir vécu et étudié la littérature française et la et finissait à 23 heures ou 1ninuit. je n 'oublierai
philosophie. Mon iné1noire de philosophie traitai:t jarnais cette période de fonnation : intense 1
de La notion de souffrance chez 1Vietzsche, puis difficile, 111ais si lumineuse et éclairante. Grâce à

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MON I NTIME CONVICTION l'IŒMIER$ PM, PREMIERS ENSEIGNEMENTS

Dieu, j'ai atteint 1nes objectifs et jé n'ai cessé depuis sont culturelle1nent diversifiées, à l'irnage de ce
de poursuivre n1a forrnation par des lectures, qu'ont connu depuis longten1ps les sociétés sud-
des rencontres, et bien sür l'écriture d'a1tides eil: ainéricaines, africaines et asiatiques (et jusqu'à
d'ouvrages sur l'islam en général ou le droit et la l'Europe de l'Est que l'on néglige si souvent en
jurisp1udence isla1niques (fiqh) en pa1ticulier. Europe). JI faut faire avec, et chercher les 1neilleurs
Les valeurs et printipes qui avaient motivé moyens d 'apaiser les contours de cette • citoyen-
1non premier combat - pour la solida1ité, la neté 1nulticulturelle " dont parlent le philosophe
dignité hun1aine, la justice dans les sociétés du Charles Taylor et le sociologue Tariq .!\1odood. Le
Sud corn111e dans celles du Nord - nourrissaientt défi de la diversité exige des solutions pratiques et
1non engagen1ent en tant que rnusuln1an. Il s'agis- i1npose aux citoyens, aux intellectuels co1nn1e aux
sait d 'assuiner n1a religion, de l'expliquer et, sur- représencants religieux, de développer un esprit
[OUt, de 1nonu·er que nous avons tant en con1n1un critique et nuancé, toujours ouverr à l'évolution,
avec le judaïs1ne, le christianis1ne, 1nais égale1nent à l'analyse et, bien sûr, à l'autoctitique. Faire
avec les valeurs prônées par tant d'hu1nanistes, entendre ses propres exigences tout en sachant
d'athées et d'agnostiques. Il s'agissait de ques- écouter l'autre, concevoir I.e compro1nis tout en
tionner des préjugés, de revisiter les fausses refusant la con1promission, affronter les certitudes
constructions du passé de l'Europe (dont l'islan1 ancrées et les esprits rigides ou dogn1atiques dans
aurait été absent) et, bien sûr, de perrnenre de tot1s les can1ps, et suttout parn1i sa fan1ille culru-
nous engager avec confiance pour ce • vivre relle et religieuse : tout cela n'est pas facile et exige
ensernble • qui allait être notre destin con1rnun. temps, patience, en1pathie et détern1inaüon.
Il f:aut co1nmencer par un constat objectif. La J'avais décidé de 1n'e ngager dans ce travail de
société multicu lturelle est un fait et il ne s'agit pas médiation entre les univers de référence, les cul-
d'être pour ou contre. Tl est bon de rappeler cette tures et les religions. J'assu1nais pleinement tout
vérité élémentaire au moment de s'engager dans à la fo is ma religion n1usuhn:ane et ma culture
le débat sur le • multiculturalis1ne ., J' .. intégration • occidentale, et j'affirmais que les valeurs et les
ou la • citoyenneté '" Que nous le voulions ou esp()irs con11nuns sont plus essentiels et plus
non, nos sociétés occidentales - des États-Unis à non1breux que les différences. Un rnessage diffi-
l'Europe en passant par le Canada et l'Australie - cile à-faire entendre en ces temps de débats pas-

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MON INTIME CôN\ 'ICf!ON PREMIER$ PAS, PfŒMltRS ENSEIGNEMENTS

sionnés, où les voix se confondent e t la surdité se banni d 'Égypte, dont je critiquai le régirne, puis,
généralise. Un n1écliateur est un pont, et un pont pour les mên1es raisons, de Tunisie, d 'Arabie
n'appartient jan1ais à une seule rive. JI esr toujours saoudite, de Syrie, d'Algétie o u e ncore de Lybie.
un peu trop de" Fautre côté ., toujours soupçonné De l'autre côté o n ni'interdit d'e ntre r e n France
'
de· double• loyauté. Ainsi, fétais toujours · un peu pendant six mois, de nove1nbre 1995 à 1nai 1996,
trop occidentalisé • pour certains 1nusuhnans, et et m.o n visa amérkain fut ,:évoqué sans ï·aison
• un peu trop 1nusuhnan • pour quelques O cci- v alable en juillet 2004. Dans les deux univers, je
dentaux. Des deux côtés de la rivière, le n1édiateur fis face à des mesures libe1ticides et encore aujour-
doit donc prouver sa pleine appartenance. Con1rne d 'hui le refus de salles est une constante e n France
rne le suggéra it un interlocute ur s ur mon site, et parfois e n Belgique. Il n'est jarnais facile d'opé-
lorsque la passion e t l'érnotivité l'en1portent e t re r une 1nédiation entre des unive rs culturels et
colonisent les débat<;, l'inte 1vention nuancée, cri- religieux: dont la communication a toujours été
[ique et autoCJi[ique, deviernt suspecte, et la nuance problé1natîque historiquement - sur le plan philo-
est vite perçue comme de l'ambiguïté. Le média- sophique autant que politique ·et écono1nique . On
te ur se voit l'objet de projections qui sont parfois fait mine de ne parler que de· valeurs •, alors que
dues à une longue histoire, à des contentieux e t !;essence des alliances et des conflits est bien plus
des traun1as profonds. Rien n 'est sü11ple : vous souvent Je pouvoir. Tout siinplenient.
vous faites des • ennernis " des de ux côtés, et l'on C'est ainsi qu'est née la figure de " l'intellectuel
vous traite parfois de traître ou de ·• vendu ., voire controversé· que l'on accuse, ·des deux côtés de
de manipulateur adepte du · double discours•. la rive ., de ne jamais être assez clair, d'être suspect,
J'ai fa it face des a nnées durant - et cela conti- peu digne de confiance, pour ne pas dire trouble.
nue - à ces critique.s, doutes, suspicions et rejets. Je n'ai eu de cesse de demander à 1nes critiques
Jai toujours su que ce serait le prix à payer puis- d'indiquer les zones d'ombre de mon propos afin
qu'il s 'agissait au fond d'ébranler certaines certi- que je puisse y re1nédier. Ce fut parfois effective-
tudes, de confronter des préjugés, de rernettre en ment le cas, 1nais il faut bien ad mettre que Ines cri-
cause certaines conclusions simples et simplistes. tiques peinent parfois à désigner préciséinent les
Le prix politique devint vite une évide nce avec les prétendues an1biguïtés de rnon discours. Le plus
interdiccions qui rom baient : je fus successiven1en t souvent, c'est parce qu 'ils· n'ont tout si111ple1nent

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MON INTIME CO'l\'ICTIO,

pas lu rnes ouvrages et mes articles et, parfois, cela


rient soie à de l'a ucopersuasion, soit à une volonté
délibérée de rendre inaudible 1non propos sous un
nuage de suspicions ou de run1eurs - entrelenues
par la répétition des 1nêmes arguments sur • le
double discours · ou • l'habileté rhétorique· qu'au-
2
cune démonstration sé1ieuse ne vient étayer. La fré-
quence de la répétition (dans les n1édias et sur M USULMAN ET " INTE LLECT UEL CO NTROVERSÉ ,.
Incernet) assure la pérennité de la vérité du doute
et du caractère controversé de l'incellecruel. Pour
exprimer cette • vérité •, les médias n1e présentent
désonnais !iOuvenL, pour !le proLéger o u exprüner De fait, après une reconnaissance initiale dans
le clitnat a1nbiant, coin me le • très conu·oversé •. la sociécé ec les instirucions scolaires, cout avaic chan-
Amené à prendre posit ion sur mon travail , gé. Les valeurs de dignité, de solidarité el de justi-
Charles Taylor a eu un jour une heureuse formule : ce que j'avais défendues con1me citoyen et ensei-
il a affirmé que je n'avais pas de. double discours. gnant (et que l'on ava it tant saluées dans le passé)
ou de • propos an1bigus .., ruais que inon discours n'avaient plus la même teneur, ni le mên1e goût,
écait clair encre deux univers qui, eux, éraient crès quand elles éta ient défendues par un" intellectuel.
ambigus. Taylor a résumé l 'essenliel de ce que je ou un "savant 1nusu'111an •. Au rnoment où je me
savais, dès l'origine, quant à rT1on engagen1ent: un suis n1is à rarler co11une un "rnusuln1an ", ou que
propos cohérent entre deux univers de référence , j'ai été perçu comme tel, à ce n101nent crès précis,
• civiJisalions •el cultures, traversés par des crises, un voile de suspicion a été déployé sur mes in-
des incohérences et des jeux de pouvoir, devait tentions et mes discours. Je vivais l'expérience de
s'attendre aux foudres de la double critique. Cri- cette révélation: le lourd et ancien contentieux des
tique pour le 1noins temporaire, car l'histoire nous relations houleuses de l'Europe avec la religion, et
prouve que le temps aplanit, par la nonnalisation, en particulier avec l'islam - de l'influence intellec-
ce que nos peurs cc nos crispations circonscan- tuelle niée aux croisades et aux colonisations -
'
cie!Jes ne sauraient concevuir. n'avait claire1nent pas été réglé. j'étais un Suisse, un

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MON l i\• l'IME CON\ 'ICl'ION ML'SUJ.M,\N lff • IN'ŒLl.EC'l'UEL. CON'l'HO\' EHSÉ "

Européen, mais j'étais su1tuuc • un n1usulman · da ns sérieuses d ifliculrés éconon1iques alors q ue les péu--
le regard de rnes cuncituyens: je n'étais a u de- tis policiques les connaissent si peu? Que veule nc-
1neurant pas un • vrai Européen •, ou fa llait-il e n- ils, au fond: •s'intégrer • ou •islamiser • l'Europ e,
core que je le prouve. Mes interlocuteurs dressaient l'An1érique et l'Occident?
des listes de questions auxquelles il fal lait 1ne sou- Très vite, mon engage1nent dans le débat
1nettre pour • tester • la vraie nature de 111on • in- public occidental sur la question de l'isla1n allait
tégration ·et 1n'imposer au passage une posu1re dé- rasse1nbler sur I'• intellectuel visible • une multi-
fensive 1ne poussant à une constante justification. tude de projections et/ou d 'animosités surgies
]'observais, j'analysais et j'évaluais la nature des de plusieurs froncs. Mes appels au dialogue, à la
concencieux du passé ec des craintes du présent. rencontre autour des universels con1muns er au
L'iln1nigration continue depuis la Seconde Guerre • vivre ensemble • dans l'enrichisse1nent 1nuruel
mondiale, la nouvelle visibilité des jeunes généra- pa ra issaie nt • trop beaux pour être vrais • et
tions d e musuhnans1 les revendications no uvelles devaient· cacher quelque chose·. Dans les fa its,
dans les écoles et les hôpitaux ... Autant de phé- mes p rises de pos ition éta ie nt aussi de nature à
no1nè nes (auxquels allait bientôt s'ajouter la vio- gêner les in térêts de certains idéologues, o rgani-
lence) d e nature à e ncrerenir la pe ur et la suspicion. sations, mouvements et gouverne1nents pour qui
La conscie nce occide ntale, pari\:out, faisa it face à de la présence de l'is la1n et de m usulrna ns assumés
profonds doures: qu'a llons-nous devenir avec cet- - pa rfois c ritiq ues et revendicateurs - é tait en soi
re im1n igracion galopa nte clone, en sus, les socié tés pro blé matiq ue et pocentiellen1enr dangereuse .
occidentales ont besoin ? Q ui sont ct:s rnusuhnanes Depu is q u in:te a ns, les attaques se sont rnulti-
et ces 1nusu lma ns représentant" une nouve lle ci- pliées, e n provenance de plus ieurs fro nts qu'il
toyenneté'., et qui font ma joritairement face à de est possible d'identifier sans gra nde diffic ulté (j'y
reviendrai au terme de cet essai). Les 1nédias ont
souvent relayé ces critiques, soit avec des agen-
l. Dans les pays les plus industrialbés comme l'Angle-
das et des objectifs douteux (quand ils éraient
terre, la France, la ficlgique. les États-unis ou le Canada.
le phénomène de ccnc installation définitive. du passage eux-n1êmes impliqués idéologiquement), soit en
de l'immigrant au citoyen. allai l (et continue) de se rapporranc sirnplement les allégations, toujours
répandre dans rous les pays occidentaux. les mêmes, glanées ici et là sur Interner.

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MON IN'nMt: CO:NVtcnoN MUSUtMAN llT • INTEutCfUEL CONTROVERSÉ '

Européen, rnais j'étais su1tout • un n1usuln1an •dans sérieuses difficultés éconon1iques alors que les par-
le regard de 1nes concitoyens : je n'étais au de- tis politiques les connaissent si peu ' Que veulent-
meurant pas un • vrai Européen •, ou fallait-il en- ils, au fond: • s'intégrer· ou • islatniser • l'Europe,
core que je le prouve. J\iles interlocuteurs dressaient l'An1érique et l'Occident?
des listes de questions auxquelles il fallait 1ne sou- Très vite, mon engageinent dans le débat
1nettre pour • tester • la vraie nature de rnon • in- public o ccidental sur la question de l'isl.am allait
tégration • et m'imposer au passage une posture dé- rassen1bler sur l'· intellectuel visible" une rnulti-
fensive 111e poussant à une constante justification. tude de projections et/ ou d 'anin1osités surgies
]'observais, j'analysais et j'évaluais la nature des de plusieurs fronts. Mes appels au dialogue, à la
contentieux du passé et des craintes du présent. rencontre autour des universels cornn1uns et au
L'im1nigration continue depuis la Seconde Guerre ·vivre ensernble" dans l'enrichissen1enr n1uruel
niondiale, la nouvelle visibilité des jeunes généra- paraissaiient " trop beaux pour être vrais • et
tions de n1usuhnans, les revendications nouvelles deva ient• cacher quelque chose•. Dans les.fairs,
dans les écoles et les hôpitaux... Autant de phé- 1nes prises de position étaient aussi de nature à
nomènes (auxquels a llait bientôt s;ajouter la vio- gêner les intérêts de certains idéologues, organi-
lence) de nature à entretenir la peur et la suspicion. sations, mouvements et gouvernen1ents pour qui
La conscience occidentale, partout, faisait face à de la présence de l'islarn et de 1nusulmans assumés
profonds doures: qu'allons-nous devenir avec cet- - parfois critiques et revendicateurs - était en soi
te imn1igratiôn galopante dont, en sus, les sociétés problén1atique et porentiellen1ent dangereuse.
occidentales ont besoin? Qui sont ces musuhnanes Depuis quinze ans, les attaques se sont multi-
et: ces musulinans représen tant • une nouvelle ci- p liées, en provenance de plusieurs fronts qu 'il
toyenneté1., et qui font majoritairement face à de est possible d'identifier sans grande difficulté (j'y
reviendrai au tern1e de cet essai) . Les médias ont
souvent relayé ces critiques, soit avec des agen-
l. Da n s les pays les p lus industrialisés comme l'Angle-
das et des objectifs douteux (quand ils étaient
terre, la Fra.nce, la Belgique, les États-Unis ou le Canada.
Le phé nomè ne de ce [œ instafül[ion dé finitive, du passage
eux-1nê1nes itnpliqués idéologiquernent), soit en
de l' immigrant au c itoyen, al lait (et continue) de s e rappona.nt sin1ple1nent les allégations, toujours
ré pandre dans tous les pays occidentaux. les rnê1nes, g lanées ici e[ là su r InterneL

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MON INTIMF CON\ 'ICTION

On a d'abord actaqué ma Îlliation. Petit-fils du


fondateur des Frères musu lmans, j'étais par défi-
nition dange reux et il ne fa llait pas m'écouter.
L'islam , disait-on - et répète-t-on encore -,
pennet la dissi1nulation (taqiyya), et je la prati-
quais donc sans limite: tout ce qui apparaît si
beau au public occidental n'est so1nme toute 3
que la face présencable d 'un • agenda caché •
autrement plus obscur (je veux isla1niser la Pl.USŒURS FRONTS , DEUX UNIVERS, UNE PAROLE
modernité, l'Europe cc l'ensemble de l'Occident
ec sa ns douce ai-je des liens avec des radicaux
ou des terroristes). Ces allégations, ré pétées des
centaines de fois su r Inte rnet (évide111ment sans les oppositions sont multip les et empêchent
preuves), donne nt aujourd'hui l'impression qu'i l à l'évidence mon d iscours d 'être entendu pour
y a sans doute quelque chose de vrai dans tout ce qu 'il est dans sa s ubstance, ses nuances et
cela. Il n'y a pas de ftimée sans feu, répète-t-on, sa vision d 'avenir. Certaines des critiques for-
sans prendre le temps de chercher la nature du mu lées sont b ien sûr s incères, et elles posent
feu et. de celles et ceux qu i l'ali1nencent. des questions légitin1es auxquelles je vais
d'ailleurs essayer d e ré p<>ndre, ina is d 'autres
sont clairement tendancieuses, e t veulent fa ire
passer leur écoute sélective et biaisée pour . un
double discours" dont il faudrait se 1néfier. J'ai
depuis lo ngtemps fait la critique de leur surdité
volontaire et de leur • double audition • idéo-
logique : je tiens à aller de l'avant, à ne pas
perdre mon ce1nps avec ces distractions straté-
giques, er à rester fidèle à 1nes principes et à
1non projet.

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MON INTIME CONVICTION f>l.lJSlW RS FRONTS, DEUX UNIVERS, ONE PARO LI'

Il s'agir d 'é tablir des ponts e ntre deux univers de cultures e t de religions différe ntes. Contraire-
de référence, e ntre deux cons trucüons (très dis- ment à ce que j'ai pu pei-cevolr chez certains
cutables) qu'on appelle les • civilisarions • occi- intellectu els et leaders, et panni e ux d es pen-
de nta le.s et islatniques (co1nme s'il s'agissa~t seurs et d es représentants religieux 1nusultnans,
d'e ntités fermées et mono lithiques), et e ntre .l es l'exposé de ces thèses ne fut e n rie n u ne réac-
citoyens à l'intérieur même des sociétés occi- tion à l'air du temps, ou un revirement produit
dentales. l i irnporte de mo ntrer, théorique1nent par le traun1a post-l l -Septe1nbre . Il s' agit d'une
autant que pratiquement, que l'on peut être tou t prise de position très ancienne qui s'est densi-
à la fois p leinernent rrrusu lrnan e t occide ntal e t fiée et clarifiée avec le ten1ps . On e n trouve la
que, au -delà de nos différences apparentes, substance dans les premiers livres e t a rticles en
nous partageons beaucoup de valeurs à partir 1987-1989, puis l'évolution ec l'élaboration da ns
desquelles le • vivre e nse1nble ., esc possible da ns chacun d e n1es écrits jusqu'à aujourd'hu i, dans
nos sociétés pluralistes, 1nulticulture lles, et où le présent ouvrage. La parole rel igieuse d 'un
coexistent plus ieurs religions. musulman, de 1nême que le rôle de 1nédiateur,
L'essence de cette a pproche e t les idées qui suscite, je l'ai d it, des réactions négatives dans
l'accornpagnenr ne datent pas du 11 septembre les deux univers de référence. De plus, ce qui
2001 , e t n 'ont pas é té non plus une réaction aux ajoute à la difficulté, je ne 1ne borne pas à 1nettre
th èses de Samuel Huntington su r Je • clash des en évidence les zones d'intersection et les points
civilisations ., forrnulées au n1 ilieu d es années comn1uns entre ces cieux univers: j'appelle les
1990 (et que l'on a d 'ailleu rs bien 1n al lues e t intellectuels, les politiciens ec les religieux à un
inteq.-irétées) . Dès la fin d es années 1980, puis devoir nécessaire de cohérence et d'a utocritique,
dans mon ouvrage Les 1Wusulmans dans la laï- Cet exercice est n1oins apprécié par 1nes inte rlo -
cité', j'ai exposé les fo nde1nents de mes convic- cuteurs parce que, som me toute, il n'est pas aisé.
tions concernant la compa tibilité des valeurs e t ta rencontre e ntre l'O ccident et l'Islam ne se
la possible coexistence positive (et non pas seu- réaljsera pas de façon constructive (entre les
lement pacifique) des individus et des citoyens civilisations, les nations e t/ ou les citoyens) par
un s irnple vœu pieux e.n rappelant de façon
1. Tawhid , Lyon.1994. optin1iste l'existence de valeurs corr1111unes. Le

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
MON I NTIMI: CONVICil ON PLUSlEUHS l' RONTS, DEUX UNlVERS , üNE P.-\ROŒ

Il s'agit d 'érablir des ponts entre deux univers de cultures et de religions différe ntes. Contraire-
de référence, entre deux consrructions (rrès dis- 1nent à ce que j'ai pu percevoir chez certains
cutables) qu'on appelle les • civilisations• occi- intellectuels et leaders, et panni eux des pen-
dentales el islan1iques (co1nme s'i l s'agissait seurs et des r.eprésentants religieux 111l1suhnans,
d'entités fermées et inonolithiques), et entre les l'exposé de ces thèses ne fut en rien une réac-
citoyens à l'intérieur même des sociétés occi- tion à l'air du tetnps, ou un revirernent produit
dentales. Il il11porte de rnontrer, théorique1nent par le trau1na post-11-Septembre. Il s'agit d'une
autant que pratiquen1ent, que l'on peut être tout prise de position très ancienne qui s'est densi-
à la fois p leinernent rnusulrnan et occidental er fiée et clarifiée avec le te111ps. On en trouve la
que, au-delà de nos d ifférences apparentes, substance dans les pren1iers livres et articles en
nous partageons beaucoup de valeurs à partir 1987-1989, puis l'évolution et l'élaboration clans
desquelles le "vivre ense1nble " est possible dans chacun de 1nes écrits jusqu'à aujourd'hui, dans
nos sociétés pluralistes, 1nulriculturelles, et où le présent ouvrage. La parole religieuse d'un
coexistent plusieurs religions. 1nusulman, de mê1ne que le rôle de 1nédiateur,
L'essence de cette approche et les idées qui suscite, je l'ai dit, des réactions négatives dans
l'accompagnent ne datent pas du 11 septen1bre les deux univers de référence. De p lus, ce qui
2001, et n'ont pas été non plus une réaction aux ajoute à la diffi.culté, je ne 1ne borne pas à n1ettre
thèses de Sa1nuel Huntington sur le • clash des en évidence les zones d'inte rsection et les points
civilisations ., forrnulées au n1ilieu des années cornn1uns entre ces deux unive rs: j'appelle les
1990 (et que l'on a d 'ailleurs bien rnal lues et intellecruels, les politiciens et les religieux à un
interprétées). Dès la fin des années 1980, puis devoir nécessaire de cohérence et d'autocritique.
dans nnon ouvrage Les Musulmans dans la laï- Cet exercice est 1noins apprécié par rnes interlo-
cité', j'ai exposé les fondem e nts de mes convic- cuteurs parce que, so1nme toute, il n 'est pas aisé.
tions concernant la compatibilité des valeurs et La rencontre entre l'Occident et l'Islam ne se
la possible coexistence positive (et non pas seu- réalisera pas de façon constructive (entre les
lernent pacifique) des individus et des citoyens civilisations, les nations et/ ou les ciitoyens) par
un sirnple vœu pie ux en rappelant de façon
1. Tawhid. Lyon.1994. optirniste L'existence de valeurs comrnunes. Le

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MON l NTIMe CONVICl'ION l'lUSIW RS FRONTS, DEUX üNfVERS , UNE PAROLE

problèn1e se sirue e n a1nont. Il s'agit pour cous Aux rrrusulrnans je rélJète que l'islan1 est une
de fa ire preuve d 'hurnilité, de respect et de cohé- grande et noble religion, 1nais que rous les
rence. D ' huniilité, en reconnaissant que per- musuhnans, o u les socié tés 111ajorita ire1nent
sonne, a ucune civilisation ou nation, n'a le n1usubnanes, ne furen t et ne sont pas - de loin -
1nonopole de l'universel et du bien, et que nos à la hauteur de cette noblesse, dans l' histoire
systèmes politiques et sociaux ne sont pas par- comine à répoque conte1npor:aine. Une
faits; de respect vis-à-vis de l'autre parce qu'il faut réflexion critique s'in1pose sur la fidélité à nos
être pérsuadé que les richesses et les acquis de principes, notre regard s ur l'autre, les cultures,
ce dernier peuvent nous apporter quelque les libenés et la siruation des fe1nrnes .
chose ; enfin de cohérence, car la présence de A ux Occidentaux je ré p ète de La inêrne
l'aurre est co1nrr1e un miroir q u'il faut utiliser fa çon que les acquis indéniables elle la liberté
pour affronter nos contradictions et nos inco hé- et de la démo cratie ne saurai e nt fa ire oublie r
re nces.dans l'application concrète et quotid ienne • les rnissions civilisatrices • bien 1neurcrières,
de nos valeurs les plus nobles. l'exercice est dif- les colonisat ions, l'ordre écono1nique destruc-
fi cile 1na is il est ünpératif. Au lieu de comparer teur, les racis1nes, les discriminations , Jes rela-
injuste1nent l'idéal de nos valeurs théoriques tions entendues avec les pires dicta tures. Nos
avec les déficiences de la pratique de l'autre, il contradictions et nos ambiguïtés sont innoni -
imporce de corr1parer les pratiques, de rnettre en brables. Une 1nême exigence et une 111êrne
évidence les contradictions e t les hypocrisies rigueur e ntre d e ux univers.
rnut:uelles pour s'in1poser e nserrible une double
exigence: clarifier l'espace de nos valeurs co1n-
1nunes et nous efforcer d 'y êrre to ujours plus
fidè les inte llectuelle me nt, p o litiquement, socia-
lement et culturelle1nent. Cette exigence stricte et
déterminée 1n'a ainené à être perçu co1nme un
• traître • par certains musulmans, et comn1e un
·agent infiltré de la cinquièrne colonne • par cer-
rains de mes concitoyens occidentaux.

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
4

CRISES CROISÉES

On présente souvent le prob lèn1e de la pré-


sence musulm ane en Occiden t comme un pro-
blèn1e de religions, de valeurs et de cultures qu'il
faudrait régler avec des argu1nents théologiques,
des n1esures léga les, ou encore l'aff1rn1arion de
certains principes et va leurs indiscu tables. On se
trompe pourtant .5i l'on ne prend pas en con1pte
les tensions psycho logiques qui entoure nt et
façonnent parfois la rencontre entre l'Occident,
l'Eu rope, et les musulmans et l'islam. Le débat
critique sur les systèmes de p ensée, les va leurs
et les identités est in1pératif, et il doit être n1ené
de façon scrupu leuse, critiqu e et approfondie,
mais son omniprésence sur la scène européenne
cache d 'autres préoccupations dont il faut tenir
compte, sauf à se tromper d'objet.

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
MON lNTIMf' CONVICTION CRJSf:S CHOlSliES

Les sociétés occide ntales en général, et les n'est pas tout : on voit aussi apparaître, à l'inté-
Européens e n particulier, traversent une crise rieur mên1e des sociétés, des citoye nnes et des
d 'iden tité rnultid i1nensionnelle et profonde. Sa citoyens d 'un nouveau genre. Ils étaient asia-
pre1n iè re expression tient au double phéno- tiq ues, africains, tu rcs ou arabes, et les voilà
mè ne de la mondialisation , au-de là de la réfé- devenus français , britanniques, italiens, belges,
re nce de l'État-Nation . Les a nciens repères de suédois, américains, canadiens, ou australi.ens .
l'identiité nationale, de la n1émoire du pays, des Leurs parents, isolés, étaient venus pour gagner
références culturelles singulières se1nblent s'éro- leur vie (et sans doute repartir), e t voilà que
der : partout, on sent des crispations, des retours leurs enfants sont de plus e n plus " intégrés •
à des affirrnations idencitaires redéfinies et struc- dans la société, de p lus en plus visibles clans les
turantes, tantôt nationales, tantôt régionales. rues, les écoles, les entreprises, l'adn1inistration,
A cela s'ajoutent les phê no]n ènes rn igratoires, sur les campus ... Ils sont visibles par leur cou-
dont nous avons parlé, qui inten-sifie nt le senti- leur, leur tenue vestimentaire et leurs d iffé-
me nt d 'être e1nporté e t em prisonné dans une rences, mais il s parlent la langue du pays et
logique irréversible: 11Europe vieil lit et a besoin sont bien français, britanniques, ita lie ns, belges,
d'ünn1igrés pour maintenir le pouvoir et l'équi- suédois , améEicains, canadiens ou australiens .
libre de son économie . Les États-Unis, le Canada Leur présence , de l'intérieur, bouscule les
et l'Australie font fa ce aux rnê1nes besoins, avec représentation s et provoque des crispations
une tradition rnigratoire séculaire. Or, ces in1rni- id entitaires parfois passionnées - de 1' incon1-
grés fflettent à niai l'hon1ogénéité culture lle déjà préhension au rejet sectaire o u n1ên-1e raciste.
n1enacée par la globalisation de la culture et des Un au tre phéno1nène " de l'intérieur • est
co1n1nunicatio ns. La quadrature du ce rcle: les apparu ces dern ières années : no n seule1nent
besoins éconoiniques sont en contradiction avec on a pu constater l'aug1n entation de l'insécurité
lei? résistances culturelles, et ces derniè res ne et de la violence dans certaines régions, zones
seront forcé1nent ja1n ais suffisamment fortes . ou cités à cause d 'une mauvaise intégration
C'est la seconde dünension de la crise identi- sociale, n1ais un phéno1nène global 1nenace les
taire: les assauts proviennent ici de l'extérieur, sécurités nationales. De New Yosk e n sep-
ec ébran lent les repères tradicionnels. wlais ce ten1bre 2001 à lVlaclrid en rnars 2004 o.u Londres

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MON l NTIMt CON\1CTION CRISES CHO IStES

en juillet 2005, la p résence n1usuhnane ü11porte, répondre à la crise identitaire par des d iscours
par l'intennédiaire de réseaux isla1nisœs extré- stig1natisants, sectaires ou racistes, et d 'autres
n1istes et violents, des revendications internatio~ qui ne voient pas d 'autres n1oyens pour avoir
nales et s 'en prend à des c;itoyens innocents. Le u n avenir politique qu e de répondre à la peur
terrorisme frappe de l'intérieur puisque la plu- des populations. Conférences, débats e t livres
part de leurs auteurs sont soit nés et éduqués en se 1nultiplient: on cherche p·artout à définir ce
Occident, soit parfaite1nent imprégnés de la cul- qu 'est l'identité française, britannique, ita-
ture occidentale. L'expérience de la violence lienne e tc., et quelles sont les racines e t les
achève de dessiner Je portrait de certe profonde valeurs de l'Europe , de l'An1érique, de l'Austra-
crise d'identüé: n1ondialisation, itnrnigrations , lie, la viabilité ou non du pluralisn1e culturel ou
nouvelles cicoyennecés, violences sociales errer- d11 n1 Lilticulturalisrne . Ces questions révèlent les
roristes o nt des effets palpables sur la psycholo- peurs autant q ue les dqutes.
gie collective des sociétés occidenrnles. On trouve les 1nê1nes quescionnemenrs panni
tes doutes et les peurs sont visibles. Certains les n1usulm.anes et les musuhnans. La crise iden-
partis politiques d'extrême droite exploitent ces titaire est une réalité qui se conjugue égale1n.ent
peurs e t tiennent des propos rassurants et dans de multiples dimensions. Sur un plan global,
popu listes en insistant sur la fibre nationaliste , les interrogations sont multiples: face à la globa-
l'idenrüé à retrouver et à protéger, le refus des lisacion, à la culture n1ondialisée perçue cornn1e
inunigrés, la sécurité et la stigmatisation du une occidentalisation, Je inonde rnusuln1an tra-
nouvel ennen1i qu e représente l'islan1. Leurs verse une crise profonde. Les sociétés n1ajoritai-
rhétoriques trouven t naturelletnent un écho re1nent rnusultnanes sont le p lus souvent à la
dans les populations qui doutent:, et: tou s les traîne su r le plan écono1nique, elles ne présen-
partis doivent se situer vis-à-vis de ces ques- tent la plupart du temps aucune garantie dé.m o-
tions sensib les. te phéno1nène est transversa 1 cratique, et quand el les sont riches, elles ne
et provoque des repositionnements stra- contribuent à aucun progrès intellecu1el e t/ ou
tégiques à l'intérieur des anciennes farnilles scientifique. Tout se passe cornme si le monde
politiques : des tensions s'exprin1ent, à gauche rnusuln1an, se percevant co1111ne don1iné, n'avait
cornme à· droite, entre ceux qui refusen[ de pas les rnoyens de ses prérenrions. L'expérience

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MON INTIME CONVICTION CUISES Cl\OISËIOS

de l'exil économ iq ue va ajourer à ce senrin1ent Il faut ajourer à cela les conséquences direcres
prése11 t, n1ais diffus, la dirnension concrère des du climar de tension qui s'est insrallé en Occi-
tensions et d es contrad ictions. La peur de dent. Les crises à répétition (et qui s'accélèrent) :
perdre sa religion et sa culture au cœ ur des de l'affaire Rushdie à celle du • fo ulard isla-
sociétés occidenta les provoque des attitudes 1nique •, des attentats terroristes aux caricatures
naturelles d e repli et d ' isolement. Tous les danoises ou aux propos du pape, la liste s'al-
irnmigrés ont vécu ceue expérience sur le plan longe. Chaque pays a son lot: d 'instrumentalisa-
culturel, mais, avec les musulmans, le phéno- tions politiques, de faits divers et d'anecdotes
mène s'esc doublé de qucsrionnemencs reli- crousrillances rapporrées par les n1édias. un sen-
gieux, souvenc mêlés aux considéracions timent de stig1narisation ec de pression perma-
culturelles. Les pre 1nières générarions - d 'ori- nente habice de nombreux musulmans. Ils
gine sociale 1nodeste en Eu ro pe, rnais pas aux ressente nt ces critiques, et cette obsession du
É.tats-Un is et au Ca nad a - o nt vécu e l conti- • problè me de l'islam e l des rnus uhnans ·,
nuent de vivre des tensio n s pro fondes: le sen- com rne a utant d 'agressio ns, de dénis de droit et
time n t de pe rte vis-à-vis de la cultu re et des d'expressio n parfois clai re me nt racistes et isla-
coutun1es d 'origin e, le ciraille1n ent entre deux mophobes . Ils Je ressentent to us les jours: il
langues, l'envjronne1nent occidental si sécula- n 'est pas faci le d 'être un m us ulman visible
risé e t se référn nr si pe u aux vale urs religieuses aujourd'hui e n Occident. Dans une telle atrno-
(à l'exception des États-U nis), les relations et la sphère, la crise de confiance est inévitable: d 'a u-
con1n1unicarion avec s~s propres enfants cuns o ne d écidé d e s'isoler, pensanc qu'il n 'y
i1n1n ergés dans l'e nviro nn e 1nent occide ntal. . . avait rie n à espére r d 'une société qui les rejetait;
La crise d 'identité traverse les généralions. Ici d 'autres ont décidé de devenir invisibles en dis-
aussi, il s'agit de peurs et de souffrances: la paraissant dans la 1nasse; d 'autres enfin se sont
peur d e la dépossession de soi, de la perte de engagés à fai re face et à ouvrir des espaces de
repères, de la colonisation de l'intiJne , et des rencontres er de dialogues. Entre l'ünage média-
contradictions du quotidien avec le lot de souf- tique essentiellement négative de l'islam et des
frances personne lles et psychologiques que musulmans, les discours populistes et sectaires
cecre expérience in1plique. de cenains parris, les peurs et les récicences des

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MON I NTIME CONVICTION CRISES CRO!StEt>

concicoyens a1néricains, australiens et européens une pédagogie qui tienne cornpte de l'étac psy-
et, de surcroît, la crise de confiance qui s'en1pare chologique des femn1es et des honunes sans
des 1nusuln1ans eux-n1ên1es, le défi est de taille. Les culpabiliser (ni les srign1atiser). Une telle
Il fa1,1t tenir co1npte d'une telle donnée psy- dé1narche s'efforce d 'expliquer, de nuancer et
chologique en enta1nant cette discussion : les de réfléchir en miroir. À l'évolution de la peur et
gens ont peur, ils sont habités de tensions et de du doute il faut répondre par une révolution de
doutes qui produisent parfois des réactions pas- confiance, en soi et en l'autre; à la surdité et
sionnées, émotives, voire tout à fait incontrôlées au rejet én1otif il faut répondre par l'empathie
et excessives. Les effets de ces crises croisée-s intellecruelle qui oblige à n1ettre à distance ses
sont partout visibles: sous le coup de l'érnotion, érnotions négatives et à en faire la critique
on écoute inoins, les réflexions sont de moins constn1crive. C'est une dé1n.arche longue, exi-
en n10ins élaborées et nuancées, elles s'expri- geante, dialectique et forcé1nent de terrain Elle
1nent sur le 1node binaire, et la nuance est ne peul se réaliser que dans !.a proxitnité, ec exi-
perçue comme une a1nbiguité. Des anecdotes gera au 1noins une cinquantaine d'années d'ac-
servent de justification aux juge1nents définitifs coutu1nance. C'est long ... et pourtant si peu sur
de l'autre (les comporte1nents d'un(e) tel(Ie) l'échelle de l'histoire.
représentent toute • sa " société ou " sa " com-
rnunauté). Les grandes thèses philosophiques Ol1
politiques seront sans effet si l'on ne tient. pas
con1pte des conséquences réelles et parfois
dévastatrices des œnsions psychologiques, de la
perte de confiance, de la peur, de la surdité, de
la pensée binaire, ou de I'· anecdotisme • essen-
tialiste qui nous sert de preuve indiscutable et
définitive pour rejeter ou condamner. À contre-
courant de ces phénomènes (qui touchent tous
lés acteurs de la n1ême façon), nous avons
besoin d'une clén1arche éducarive s'appuyant su.r

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5

RAPIDES ÉVO LUTIO NS,


SILE NC IE USES RÉVOLUT IONS

Les problèmes du moment peuvent parfois


nous faire perdre d e vue la perspecti ve his-
toriqu e, et nous fa ire son1 brer clans un pes-
si1nis1ne pourtant peu justifié. En 1noins de
d eux générations, o n a pu observer des évo1u-
Eions exrraordi na irement r apides dans l a
pensée com rne dans la con1 préhension que les
musu l ma ns ava i ent de l'e nviro nn en1ent occi-
dental et eu ropéen. Toutefois, rien n'était facile
ca r, cornme je l 'ai d i t, les premièr es généra-
tions étaient souvent soit nature llernent iso lées
vis-à-vis d 'un environne1nent peu connu
(comme aux Étacs-ünis ou au Canada), soit très
modestes sur le plan du statut social et de
l 'éducation (Eu rope et Australie), er, surcout,

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MON INTIMF CON\ 'ICTION Ml'lfJl!S (l\'()l.UTIONS, Sll.ENCIEUSl'S HÉ\'OLL''l'IONS

e lles apponaient avec e ll es une som1ne de À cela s'ajoute une confusion de taille entre le
confusions d o nt il n'éta it pas faci le de se donné culture l ec la réfé rence religieuse: pour
départir. beaucou p , être e t rester musulmans signifiait
La prernière attitude natu relle était de consi- être 111usulmans com1ne ils l'avaient été au
dére r les pays occidentaux comme des terres Maroc, en Algérie, en Égypte, au Liban , au
étra ngères où il fa llait vivre e n qua lité d 'étran- Pakistan ou en Turquie. Tl s'agissait donc
gers. La co1npréhension du sens et des fonde- d 'abord d 'être un musulman 1narocain, algé-
ments de la sécu larisation reposait de surcroît rien, égyptien , libanais, pakistanais ou rurc en
su r un malentendu historique: pour les Afri- Occid ent, et non pas un musu lma n en Occi-
cains du rord, les Arabes d u l\lloyen-Orienr, les dent, et encore moins un musulman occiden-
Asiatiques et les Turcs, la sécula risation éraie tal. Pour beaucoup, nocam1nenc parmi les
synonyme d 'u n sysLème importé, imposé par Arabes, les Turcs e t les Africains, il ne pouvait
les colon isateu rs ou appliqué par le chef de être q uestio n de prendre la nationalité du pays
l'État, à l' image d e Kemal Atatürk, Habib Bour- d 'accuei l puisqu 'un jour ils retourneraient
guiba, Hafiz a l-Asad o u Sa ddam Hussein, à la • chez e ux •. Certai ns savants musulmans
faveur de politiques dictatoriales. La sécularisa- ( ·utainâ) con.finnaient ces appréhensions en
rion er: la laïcité o nr été surcout perçues com1ne affirmant que la résidence en Occident n'émit
des processus de • d ésisla1n isation ·, d 'opposi- pern1ise qu 'en cas de nécessité, qu 'il s'agissait
rion à la re lig ion' , avec leur loc de n1esures là d 'u ne toléra nce légale (ntkhsa) et qu'il était
répressives. 11 éta it h isroriqucrnent et facrue lle- exclu de rester dans des pays où il é caic pern1is
ment i111possible d 'associer le· sécularis rne" ou de boire de l'alcool e l où la morale religieuse
la • laïcité • avec la libe rté et la dé1n ocratisation. n'é tait guère respectée.
En arrivant e n Occident, les pre miè res généra- En moins de deux générations, la compréhen-
tions p o rta ient e n e lles (et souvent portent sion a bien cha ngé. Le discours musu lman très
encore) ces perceptions et ce passif négatif. majoritaire aujourd'hui revendique sa présence
en Occident ei: en Eu rope. De n1ê1ne, le rapport à
l. Une des traductions arabes de la sécularisation est· al- la sécularisarion er à la laïcité a été revu après que
lâdîn(l'.J'O ·: Je sys1ème areligieux ou sans religion. les savanrs, les incdlcccucls cc les leaders ont corn-

()()

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MON INTIMI\ CON\ 'ICl'ION Ri\ l'IDES JiVOU.iTIONS, Sl i.ENCIEUSf,S RÉ\'01.llTIONS

pris (en étudiant les p rincipes


, de la sécularisation)
,
dépassées 1• Il est vrai égale me nt que cous les pays
que la séparation de l'Eglise et de l'Etat ne consis- ne sont pas a u même niveau d 'évolution : les rnu-
tait pas à fa ire disparaître les religions, n1ais plutôt sulmans français, briLann iques et améticains jus-
à régu le r éga litairement leur présence dans l'es- tifient d'une présence moins longue, n1ais avec des
pace public pluriel (et plus ou moins neutre). Les membres plus formés. lis one une plus longue ex-
jeunes n'ont p lus de problè1ne de conscience à pétience des sociétés occidenta les, et sont bien
adopter la nationalité d 'un pays occidenral, à se en avance quant à la réfl exion et aux activités me-
présenter con11ne des citoyens engagés et partici- nées. li faut cependant re marquer que le processus
pant à la vie sociale, politique et culturelle de leur s'accélère et que les autres co1n111unautés n1u-
pays. Ils sont des millions à respecter paisible- sulmancs à travers l'Occident cirent profit de ces
ment et quotidiennement les lois alors que l'on acquis, et vont désonnais plus vice dans l'élabo-
se1nble être obsédé, dans les médias et le pu blic, ration de leur compréhension des réalités euro-
par un problème intrinsèque à l'isla1n, à cause des p éennes. Le rôle de ceitains d irigea nts conve rtis
quelques littéralistes ou extré1nistes (viole nts ou à l'islam est éga le1nent détermina nt da ns cette
non) q ui disent ne pas reconnaître les lo is occi- évolutio ni. On parle aujou rcl 'hui du fa it d'être
de ntaEes. Une réflexion critique a été e nr.a1née vis-
à-vis d es cultures d 'o rigine (arabes, asiatiques ou
turq ues) qui ne sont pas toujo urs très resp ec- 1. Une r olitiquc imclligcnrc co nsis[Crait à solliciter les
ciroye ns rn usulin:rns <.kpuis longtcrnps insrnllés en Occi -
tue uses des p rincipes fo nd a1ne nta ux de l'islan1 :
dent, afi n d 'aider les nou vc:1 u x mi grants en butte à d es
les hab itudes discutables, les réfl exes p atriarcaux, rroblèmcs de consci<.:ncc c r de conflit cu lmrel. Or, aujour-
le non-respect d u droit des fe mmes, les p ratiques d'hui, lcs <.liscours policiqucs qui insrrumenralisenr la peur
tradilionnelles fausse ment associées à la religion font exactement k conrrairc: ils util isem dangereusemcm
(excisions, ma riages forcés, etc.) ont fait l'objet de les difficultés cc ccrrn incs anccdoc<.:s choqua mes concer-
révision. nant les no uve:wx immigrants, po ur jeter 1<1 suspicion sur
tous les musulmans. citoyens com rne nouveaux immigrés.
Il reste bien sür des problèmes, et les nouveaux
2. Ce n'est pas toujours le cas: certai ns convertis, au lieu de
migrants ne cessent (et ne cesseront) de faire {irer parti de leur connaissance de l;i sociéré, se placent
ressurgir d 'anciennes questions que les musul- dans une position d'au1omarginalisa1ion el d 'autoségréga-
mans présents depuis plus longtemps one déjà tion et deviennent des écr:ingers dans leur propre société.

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
MON INTIME CONVICTIO N R/\l'IDES l~VOUJTIONS, SlU'NnE\.:SES RÉVOLUTIO NS

1nusu lrnan en Occident et, de plus en plus, on un problèrne aujourd'hui q L1e les intellectuels
se définit comn1e un rnusulrnan occidental ou eu- musulrnans sont souvent invités à expliquer ce
ropéen , ou encore co1nn1e un Occidental ou un que l'isla tn n'est pas à la lun1.ière des défis ren-
Européen 1nusuhnan. Sur le terrain, les activités çontrés. Or, pour la n1ajorité des consciences et
sont de plus en plus ouvertes sur la société, et des cc~urs musulmans, l'islatn est d'abord une
de no1nbreux. savants et leaders, femmes ou réponse qui fai t écho à une quête de sens au
hommes, établissent localen1ent et nationale1nent cceur des sociétés riches et industrialisées. On
des ponts avec leurs concitoyens et les autorités n'en parle presque jan1ais, et pourtant il s'agit là
politiques. Il s'agit bel et !bien d 'une révolution de l'essence du fait religieux : des rnillions de
silencieuse qui n 'intéresse pas directen1ent les rné- n1usulmanes et de musuhnans vivent l'expé-
clias, car elle se fait clans le rernps plus long des rience religieuse comn1e une initiation spirituelle,
générations. Nlais, encore une fois, à l'aune du une réconciliation avec le sens, une recherche de
ten1ps historique de.s 111ouve111ents de populations, libération de l'être dans un 111onde global de l'ap-
ces évolutions sont révo.lutionnaires et phéno- parence, de l'avoir et de la consommation exces-
1nénales. On n'en a pas encore pris toute la nle- sive. Être un Occidental musuhnan, c'est aussi
sure et il est certain gu 'al!.ljourd'hui, com1ne je vivre la tension spirituelle d 'l.llne foi appelant à
l'écrivais déjà en 1999 dans 1non ouvrage Être libérer l'être d'un quotidien qui sen1ble la contre-
nisul1nan européen, puis en 2003 dans Les dire er l'en1prisonner. Une expérience égalernent
Musulinans d 'Occident et /'Avertir de l'isfa1n L, difficile pour le bouddhiste, l'hindou, le juif, le
l'expérience européenne ec occidentale a déjà , e t chrétien ... Une expérience difficile pour tout être
va avoir encore davantage, un ilnpact très i1n- hun1ain qui désire rester libre, avec ses valeurs,
po1tant sur l'islan1 1nondial et sur les sociétés ma- et qui ain1erait également offrir à ses enfants les
joritafrement 1nusulmanes. instruments de leur liberté. Il serait bon , au cœur
Tl faut rel.ever ici un réveil de la spiritualité et de tous ces débats, de ne pas négtiger cette
de la q11ête de sens pan11i les Occidentaux dixnension religieuse, spirintelle et philosophique
n1usulmans. L'islam est tellement perçu comme essentielle.

1. Actes Sud, 2003.

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6

IDEN TITÉS MULTIPLES: D'ABORD EU ROPÉEN,


AMÉRICACN, AUSTRALIEN OU MUSULMAN ?

Mondialisation, rnigrations, exils, change-


ments politiques et sociaux de p lus en plus
rapides, tous ces phénomènes provoquent des
peurs, des angoisses et des c1ispations. Les
anciens repères sen1blent caducs ec ne suffisent
plus à apporter la séréniré : qui son1n1es-nous au
c<:x:ur de ces bouleverse1nents' La question de
l'identité est née de ces troubles profonds.
Quand tant de gens autour de nous, dans notre
propre société, ne nous ressen1blent plus et
para issent si d ifférents, on ressent naturellement
le besoin de se définir. De la 1nên1e façon, l'ex-
pé1ience du déracinen1ent, de l'exil écono1nique
ou politique, pousse cette quêre de l'identité au
cœur d'un environnen1ent qui n'est pas naturel-

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MON INTIME CONVICTION lf>HNTJTb i\'fUl:l'll'lES

lerne nt le nô[re. La réaction CS[ con1préhensible, ambiguë. Plus fon cla111entale1nent, elle jette Je
niais ce qu'il il11pone de retenir ici est q u'il s'agit doute sur la loyauté des individus, et c'est pani-
d'abord d 'une ré-action à une présence ou à u n culiè rem.e nt le cas des 111usuln1ans a ujourd'hui,
enviro nne1nent qui nous se1nble nt étrangers. On som1nés de dire s'ils sont d'abord· 1nusuhnans •,
définit ainsi son identité e n réaction, par d iffé- ou • am~r ic ains •, • canadiens ,., " australiens ''.
1'enciation, en opposition à ce qui n'est pas soi, • français •, • italiens •, • britanniques " ou autre.
voire • contre • l'autre. Le processus est naturel, Cette quéstion est expliciten1ent orientée vers la
et il est tout aussi naturel que la démarche se tra- définition qu'ils vont donner de leur identité,
d uise sur Je rnode binaire, et finisse par opposerr· alors qu'i1npliciten1ent, e t plus sérieusernent, elle
• une identi[é • plus o u rnoins construite à une s'intéresse à la loyauté. De la 1nên1e 1nan.ière
a utre que l'on projette sur • l'autre " ou sur • la qu'on ne peut avoir qu'une identité, on ne peut
société "· Les ide ntités ains i définies, les identi- avoir qu'une loyauté. Il fa ut rép<;>ndre, c.Jaire-
tés réactives, sont, par .essence, e n vertu mên1e 1nent et s ans nuance ... sans a1nbiguïtê !
de la nécessité qui les a fait naître, u niques et Or, la question n'a pas de sens! Obsédé par
exclusives : il s'agit de savoir qui l'on est et, clai- l'idée de se définir par opposition à ce qui n'est
re1nent, qui l'on n'est pas. pas soi, on finit par réduire son être à une seu-
Cette attitude est natureUe et, encore une fois, le identité qui serait censée tout dire de soi. Pour-
corr1préhensible en période de bouleverse1nents tant, il existe d es ordres différents dans lesquels
rapides, niais elle est rnal.saine et dangereuse . il va falloir se définir différe1nrnent. La question
Pour cla rifier, on sirnplifie et s urtout on réduiL de savoir si l'on est d 'abord • 1nusuhnan ", ou
On attend de soi et de ses concitoyens qu'ils • amé1icain ., • australien •, • irra lien •, • fra nçais •
répondent clairement: il faut donc être d'abord ou • canadie n • oppose deux identités et deux ap-
·amé ricain•, , australien., "' néo-zélandais.,• ita- pattenances qui ne sont pas du même ordre. Dans
lien •, • français •, • britann ique '" • hollan- l'ordre religieux et philosophique, celui qui
dais ", e tc . Ou alors prioritaire1nent • juif "• donne sens à la vie, l'être humain est d'abord
.. chrétien • ou • musuln1an " : toute réponse qui athée, bouddhiste, juif, chrétien et 1nusulman : son
apporte un brin de nuance à cene définition passeporc, sa nationalité ne répondent pas à la
exclusive de soi tend à être perçue con1me question ex:istentielle. Quand il faut voter pou r u n

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MON INTIME CON\ 'ICTION lllllNTl'l'ÉS M Ul:l'JJ!l.E~

candidat, l'individu a un<.! identité citoyenne, et il li convient de résister à l a tentation de réduire


esc d'abord un Américain, un Italien, un Français son identité à une cli111ension exclusive et priori-
ou un Britannique s'engagea nt dans les affaires de taire qui se distinguerait de toutes les autres. On
son pays. Selon l'ordre ou le chan1p d'activité, l 'in- co1nprend que cela puisse être r assurant, 1nais
dividu a do nc d'abord telle ou telle identité, sans c'est surcout appauvrissa nt et, en te1nps de crise
que cela soit contradictoire. et de tension, cela peut engendrer rejets, racisme
En m 'écoutant un jour en Grèce, à l 'invitation et conflits d 'idencicés, de cultu res ou de • civili-
de Georges Papandréou, l "écono1niste Ainartya sations • larvés ou passionnés. li faut accéder à
Sen avait signifi é son total accord avec n1a une vue plus arnple de soi cc de ses conci-
pensée en l'illustrant d'une belle façon . Suppo- toyens: chacun de nous a de mul tiples identités
sez, avait-il proposé, que vous soyez poète et qu'i l doit accepcc:r, nourrir et enrichir. Depuis
végérarien : si vous êtes invité à manger, ce n'esc lo ngtemps, je répète aux musulmans et à n1eS
ni le moment ni le lieu de d écliner votre identité concitoyens que je suis suisse de natio nalité,
de poète, et si, par aill eurs, vous assistez à un égyptien de mémo ire, musuhnan de religion,
cercle· de poésie, vous n'alle7. pas vous présenter européen de cu ltu re, un iversaliste de principe,
comme· végéta ri en •,sauf à passer pour un ori- 1narocain ec n1au ri cien d 'adoption. ll n'y a là
ginal déphasé. En d 'a utres tern1es, vous avez aucun problèm e : je vis avec ces identités et
plus d 'une identité, et vous donnez la priorité à l 't 1ne ou l'a utre peut devenir prioritaire selon le
l 'une ou l'autre d e ces identités en ronceion de contexre ec la situation. Il faut même ajourer
l 'envir onnernenr ec <.k la situation , sans que cela d 'autres d imensions à ces identicés : le fait d'être
reinette en cause votre loyauté à l'un ou l 'autre un ho1nn1e, d 'avoir un certain statut social, une
des ordres d'a ppartenance. Celui qu i s'affiche profession , etc. Nos identités sont n1ultiples et
végétarien lors d 'un repas n'en est pas 1noins toujours en 1nouve1nent 1•
poète ! La dé1no nstration est édifiante et prouve
que la question de savoir si l 'on est d 'abord ceci
1. C'csc ce que j'cxprim:iis <:t analys:iis dans !"ouvrage
ou cel a (ou exclusive1nenr ceci ou cela ) est une Être musulman européen en parlant d 'une identité
mauvaise question dont il faut interroger le sens musulm an e, toujours ou, ·cne. toujours inclusive. tou -
ec à laquelle, au fond, il faur refuser de répondre. jours en mouvement.

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
MON INTIME CONVICl'ION IDEN11TÉS MUl:l'Jf>LE$

Accéder à certe conscience de la n1ultiplicité coreligionnaires ou avec la ununa, il ne s'agit.


n1ouvante des identités personnelles s uppose jamais de sou ten ir • les s ie n s "• aveu glérnent,
que l'on acquière une certa ine confiance e n soi contre tous • les a utres • Il s'agit d 'être fidèle à
et e n :autru i. Encore une fois, nous toucho ns ici des principes de justice, de dignité, d'égalité , et
à un registre plus psyc hologique que stricte- d 'être capable de critiquer et d e ma n ifeste r
ment philosop hique et re~ i gieux . Ce travail sur con tre son gouvernement quand celui-ci se
soi, sur la n1ultiplicité de ses appartenances et lance dans une guerre injuste, quand il légitilne
sur la capacité de décentrage vis-à-vis de l'autre, l'aparthe id ou traite avec les pires dicta teurs. Il
exige une connaissance de soi e t d 'autrui qni se s'agit de la n1ême façon d'avoir une loyauté cri-
co nfronte à l'exercice de la vie q uotidienne : tique vis-à-vis de ses propres coreligionna ires
l'enjeu est ünportanr. Seule une véritable péda- rnusuhnans (ou au tres) et de s'opposer à leurs
gogie, appliquée et critique, permettant aux idées o u à le urs actions quand celles-ci trahis-
individus de se réconcilier avec les diverses sent ces mên1es principes, srig1nat:isent l'autre,
dimensions de leur être, peut les aider à dépas- engendrent le racis.1ne, justifie nt les dictatures,
ser les tentations frileuses, réactives et passion- les attentats terroristes ou le meu rtre d ' inn o-
nées lors de la rencontre avec l'autre . L'initiation cents. Cette question ne relève pas du conflit
naturelle passe pàr la rencontre, au quotidien des identités, 1nais de la cohérence de la
jusren1ent, a utour d e projets cult.urels ou conscience qu i n1arie ces dernières a utou r d'un
socia u x, rencontre qui brise les e nfennen1ents et corps de principes donc l'usage, pour être juste,
ouvre les horizons. Ce n 'est que clans ce vécu , ne peu t être sélectif e t doit d e1neurer critique
dans cette éducation p a r l'expérünentation, l'ex- autant q1L1 'autocritique.
p érience el le dialogue, que l'on peut se fai re Il est b on d 'être patriote, de se sentir appar-
confiance et faire confi ance, et rnesurer ainsi la tenir à u ne socié té, à une nation ou à une com-
loyaut é de l'autre. Au d e meurant, il ne s 'agit munauté de fo i, mais cela n e peut justifier le
jamais d'exprimer une loyauté aveugle ou nationalisme chauvin et aveugle, l'affitmation de
d'avoir à prouver sa loyauté. Dans la confiance, l'exception ou de l'élection nationale et/ou reli-
on con1prend que les seules vraies loyautés sont gie use, ou en core le dogrnatisrne religie ux
critiques : avec son gouverne1nent, avec ses exclusif qui défend ses coreligionnaires dans

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
Mô"'l INTIME CON\ 'IC'l'ION

n'in1porte quelles circonstances. Les a nitudes les


p lus respectables sonc celles d 'individus q ui ont
osé se lever contre les leurs au non1 de la dignité
et de la justice : cell es et ceux qui, penda nt la
Seconde Guerre mondia le, ont refusé de livrer
des juifs (ou de les renvoyer à la frontière)
quand leur gouvernement le leur irnposait; qui 7
ont refusé d 'aller combanre au Vietna1n et qui en
ont payé le prix par la prison; qui ont résisté aux L ' ISLAM O CCID ENTAL : RELIG IO N OU CULTURE
lois in iques de l'aparcheid, et cc au prix de leu r
vie; q ui se sont opposés à l'instrumcntalisation
de la re ligio n pou r p rodu ire des systèn1es auto-
cratiq ues très isla 111iques (com 1ne e n Ara b ie Oe no mbre ux musu lmans - de.s 'ula1nâ autant
saoud ite) ou qui se sont opposés à l'instrume n- que des sim ples c royants - se sont opposés à
talisation de sa prétend ue mo de rn isatio n p our l'idée q u'il pu isse y avoir un· isla1n occidental · ou
justifi e r des d ictatures· en phase avec la mode r- un • islam e uro péen • différe nt de l'· islam • un et
nité " (com me e n Tun isie); qui, e nfin, on t unique . Ils voyaient de rrière cette appellarion une
concla rnné les atte ntats pe rpétrés a u norn de le u r te ntative de d ivision, de dé naturation , voire de
religion contre des innuccnts. réfo rme da ngere use. Da ns d'au tres tn ilieux, des
socio logues affirm aie nL q u'il n'y avait pas • un
isla rn •, nnais " des is la1ns" très d iffére nts selon les
inte rprétations ou les sociétés, et qu'il fa llait abor-
de r cette diversité de façon circonstanciée. Face à
ces deux approches tout à fait contradictoires, ma
position fut cle p résenter les choses de l'inté1ieur
et d'appréhender ainsi l'unité et la diversité de
l'univers isla1nique. Sur le plan du credo, des
piliers de la foi ( 'aqîda) el de la pratique ( 'ibadât),

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
MON l NTIMf'. CON VICTION i.'ISl.t\ M OCCIDENTAL : RELIGION OU CUl:r'URE

l'islarn est un et réunit l'ensen1ble des tradirions Cela étant, la diversité esr indéniable, er elle
(sunnite et chiite) sur la base de la Révélation opère principale1nent à deux niveaux. Il existe
coranique et des trad itions prophét:iques (Sunna) d'abord une diversité de lectures et d'interpréta-
qui fixent ce cadre et ces principes co1nmuns. De tions expliquant les d ifférentes traditions, ten-
l'Est à l'Ouest, du Nord au Sud, les musulmans se dances, et les diverses écoles de droit (on en a
reconnaissent dans ces sources scripturaires, ces compté près d'une trentaine à certaines époques).
fonde1nents et ces pratiques, et c'est cela qui nour- Cette diversité a toujours existé et, selon les diffé-
rit partout, et de fa.çon palpable et visible, la "com- rences, elle a plus ou rnoins été acceptée (parfois
1nunauté de foi ·que l'on appelle la u1n1na 1• avec difficulté, notanunenr entre sunnites et
chiites) par les savants e t les si1nples rnusuhnans.
1. L'appartenance à la umma, à la co1nrnunauté spirituelle L'autre niveau de cliversité est de nature cultu-
ou à 'la communauté de foi ., est soumise at)X mêmes condi- relle: les principes de l'islan1, en 1natière d'affaires
tions mencionnées plus hauc. Cùmme je l'ai rappelé dans Être socia les (nzu'ânuûât), ont [Oujours été [rès inclu-
musulman européen, il s·agit de respecter les principes er les
sifs du point de vue des cultures et des traditions
conlra<s : ainsi, les musulmans sont strictement liés par les
lois des pays dans lesquels ils vivent en Occident et ils se doi-
(en reconnaissant al-'urf, la coutume saine é ta-
vent, par ailleu(S, d'être cri tiques et aucoccitiques vis-à-vis de blie avant l'islarn) : les musulrnans d'Afrique ou
leurs coreligionnaires (comme de tous les hommes et toutes d'Asie ont gardé en grande partie leur n1ode de
les sociétés). Si ces dernie1:5 promeuvent la justice, ils les sou- vie et leurs habitudes tout en respecrant le credo,
tiennetlî; s'ils sont injustes, ils le1.1r rés.isrent. Les 11wsulrnans
les pratiques et les principes cornn1uns à cous les
apparti ennent à • une communa.uré spirituelle • fondée sur
111usulrnans. Il s'est agi pour eux. d 'être sin1ple-
des principes, et si la communauté. ou des membres de la
communauté rrahissenr ces principes, ators ils ont le devoir 1nent sélectifs et de préservee ce qui ne s'oppo-
de les <1rrêter. voire de s'opposer à ClLX. Le Prophète de l'is- sait pas à un des principes de leur foi : il en est
lam di[ un jour : , Aide con frère qu'il soir jusœ ou injuste! • ainsi depuis des siècles et c'est ce qui explique les
Ses com pagnons ne pouvil.i.e m pas manquer de s'interroge r différences notables, dans les mentalités et les
sur la nature du soutien à offrir au frère injuste: comme111
inocles de vie, entre les n1usulrnans arabes, afri-
cela pouvait"il être ' ! Ec le Prophète ajouta. en renversant la
perspective : • Einpéche-le [Je frè re i.nj~1ste] d'accomplir son
cains, turcs ou asiatiques. Ainsi, nous avons une
injt)Stice, ce sera con soutien à so.11 égard !· (Hadîch rappo1té religion, un islam, diverses interprétations et plu-
pat al-Bukhârî) sieurs cultures.

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MON l NTIMt CON \ 1CTION ÙSl.AM OCCIDENTAL : REUGION O U CUI.TURE

Ce qui s'est passé ailleurs dans le passé, er est courant que les habitudes érodent ou fas-
qui se déroule toujours sous nos yeux en Occi- sent perdre de vue les principes. Il s'agit donc
dent, ce que nous appelons l'isla1n occidental d'être ouverts et critiques à la fois : e n restant
et européen, est exact:e1nent d e cette nature : curieux et en quête du beau et du bien, et tou-
un isla1n qui respecte le credo, les pratiques et jours consciencieusement éveillé dans l'éva lua-
les principes communs, et qui fa it siennes les tion du négatif et de l'injuste.
différentes cultures occidentales et euro- Pour parvenir à cet objectif, les 1nusuhnans
péennes. Nous assistons en effet à la naissance d'Occident et d'Europe doivent opérer un
d'une culture islan1ique occidentale au cœur de double travail de déconstruction et de recons-
laquelle n1usulrnanes et rnusu ln1ans restent truction. IL faut d 'abord s'arracher à distinguer
fidèles aux principes religieux fonclan1encaux ce qui est. religieux de ce qu.i est cu lru rel dans
tout en assu1nant leur culture occidentale. Ils la faço n donr ils conçoive nt l'isla111 alors qu'ils
sonc à la fois pleine1nent n1usuhnans quant à la viennent du Pakiscan, de Turquie ou des pays
religion, et pleinement occidentaux quant à la arabes. Il n'est pas de foi ni de religion sans
culture , et ce la ne pose aucun problème. Il ne culture, ni de cu ltures sans un substrat reli-
s'agit donc pas de créer un nouvel islam, mais gieux, mais la religion n'est pas la culture :
de réconcilier l'islam avec son dynan1isn1e, sa l'opération de distinction n'est pas aisée, mais
créativité et sa confiance originels. Ces qualités c'est l'exil qui rend cette différenciation néces-
pern1ettaienr aux fidèles d 'observer et d'intégrer saire, difficile er, à terrne - paradoxalen1ent -,
positivement roue ce q ue les cultures qu'ils ren- de p lus en p lus aisée. La prernière attitude des
contraient avaient produit de bon et de bien, et 1nigrants est bien sûr de se recroquevi ller sur
de rester critiques et sélectifs quand celles-ci leur religion, leur culture et leur communauté,
pouvaient produire des e nferme1nents et des a fin de se protéger de l'environnement étran-
con1.portements discutable,s, voire des discri1ni- ger. Tls s'accrochent aux modes de vie de leur
nations systématisées . Toutes les cultures, pays d 'origine en confondant souvent religion,
arabes, asiatiques ou occidenta les, exigent un culture e t traditions . La deuxième génération
esprit critique et autocririque à 1nên1e d 'évaluer puis les suivantes ne peuvent se satisfaire de
les habitudes à l'aune des principes, parce qu'il ceue attitude, et elles fin issent toujo.urs (étant

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MON l NTIMf'. CO.'.\!VICTION L'!Sl.t\ M OCCIDENTAL : RELIGION OU CUl:r'URE

de surcroît plus éduquées) par questionner cer- ils se sentent chez eux en Arnérique, en Austra-
tains traits cu l[urels du pays d 'origine, alors lie ou e n Europe, désirent y construire leur
qu'elles s'in1prègnent naturellen1ent de la langue avenir et y éduquer leurs enfants. Le non1bre
et de la culture du pays dans lequel elles vivent. çroissant de convertis - qu i, hier, s'• arabisaient •
Cette période de transition est une p ériode de ou se .. pakistanisaient • pour se sentir plus
crise naturelle entre les générations, 1nais égale- musul1nans - , est devenu aujourd'hui un vecteur
1nent avec la société environnante: il s 'agit de se plus positif de l'acculturation des musulmans,
départir des habitudes culturelles de ses parents, puisque ceux-ci prennent des responsabilités et
perçues con11ne problé1natiques et pas [Oujours assun1ent de plus en plus leur héritage occiden-
isla1niques, et de faire siens les élérnents positifs tal et européen .
des cu ltures occidentales, le tout en restant Le processus est en rnarche : l'islan1 est désor-
fidèle aux principes de l'islan1. Dans les pays les 1nais une religion <;>ceidentale, européenne, à la
p lus avancés historique1nent quant à la présence lun1ière de l'histoire, des faits, du no1nbre autant
1nusu lrnane, cette transition est déjà bien enga- que de la culture. Le phénomène, patent en
gée et l'ét ape de l'intégration cu lturelle est déjà Amérique, en Grande-Bretagne et en France, he
dépassée : les jeunes sont culturellement des saurait 1nanquer de se généraliser partout en
Français, des Britanniques, des An1éricains ou Occident, y con1pris dans les pays qui ont
des Canadiens. Dans les autres pays, le proces - accueilli les n1usuln1ans plus récen11nenc. Même
sus va en s'accélérant. et l'on rencontre partout s'il y aura toujours de nouveaux irnnügrés
de pl!Us en plus de fen1111es et d'hornn1es qui se n1usulrnans, la question de l'islan1 doit doréna-
définissent co1i11ne Occidentaux 1nusuhnans vant être distinguée du phéno1nène de l'imn1i-
sans que cela leur pose pt~oblè rne. gration. Il s'agit dés.onnais d 'une question
L'islam occidental est aujourd'hui une réalité : européenne et occidentale.
des fen1rnes et des ho1nmes ont comme prem ière
langue l'anglais, le français, l'allemand ou l'italien,
ils sont itnprégnés des différentes cultures occi-
dentales, e[ 1nalgré l'irnage négative véhiculée par
certains n1édias, cou rants politiques ou lobbies,

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
8

l.Es MUSULMANS« CULTURELS>>, LES RÉFORMISTES,


LES LITTÉRAUSTES, ETC .

ta p lupart des Occidentaux 1nusulmans ne


sont pas des pratiquants régu li ers et n'éprou-
vent pas de problèn1es " relig ieux " particuliers
dans leur vie quotidienne. Beaucoup se disent
croyants, ne boivent pas d'alcool, ne n1angent
pas de porc, font le raniadan , par foi ou tradi-
tion fa1n iliale (et/ o u culturelle), 1nais ils n'ont
pas de pratiques régulières et ne fréquente nt
que raren1ent les mosquées. D'autres se disent
égaleinent croyants rnais ne respectent pas les
obligations et les interdits de Ja religion, ils peu-
vent boire de l'alcool et vivre sans sensibilité
religieuse particulière (si ce n'est, encore une
fois, pendant le rarnadan ou 1nên1e en réaction
ponc[uelle à ce qu'ils peuvent ressentir cornrne

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\ION INTIMI' CON\ 'ICl'ION 1.llS MLISLfl.~1/INS • CL'l.TLlllELS ', l.ES Rf!.l'OR~US'l1'5 ...

des accaques et des agressions dans les n1édias peuvent parfois s'engager dans des organisa-
ou de la parc de certains partis politiques). tions islamiques), le courant réformiste est net-
D 'autres enfin, une petite 1ninorité, se définis- ten1ent 1najoritaire dès la deuxiètne génération.
sent con1n1e des musuln1ans athées, agnos- Certains peuvent bien encore tenir des propos
tiques ou seulement • cu lturels • (voire se traditionalistes, il n'en demeure pas moins que,
présentent comme des • ex-1nusulmans ·) et dans la pratique, la plupart des ·u/a111â, des
n·ont ni ne revendiquent aucune sensibilité leaders et des musuln1ans ordinaires admettent
religieuse à proprement parler. Ces trois caté- explicitement, ou e n silence, qu'il faut prendre
gories, il faut le rappeler (et notan1ment les en compce le concexce eu ropéen ec réfléchir à
cieux premières) représentent la majorité (de des so lu tions adéquaces pour faire face aux
75 à 80 % selon les origines et les lieux) de ce nouveaux défis. Il s 'agit, pour ces croyants ec
que l'on définit el déno1nbre co1n1ne • 1nusul- ces pratiquants, de trouver le n1oyen d 'être
mans • dans les sociétéli occidentales. Ces fidèles aux principes islan1iques toul en faisant
femmes et ces hommes n'ont aucun problème face aux réa lités mouvantes et nouvelles des
• religieux• avec l'Occident: horm is le ur teint sociétés occidentale1>. Tl est ici question de
de peau, leur origine et le ur no1n, ils n'ont reveni r aux sources scripturaires, de faire la
aucune "visib ilité re ligieuse" (ni aucune reven- c ritique des lectures littéralistes gui agissent
d ica[i on), excepté ce ll e que la société alentour par réduction, ou des lectun:::s · cu lturelles· q ui
leur f:ait porte r, à le ur insu, par assirnilation ou opèrent par projectiün, et de s'engager dans de
par projection. S'ils s'engagen t dans la société nouve lles interprérations à la lurnière du
ou e n po litique, qu'ils le veuillent ou non , ils contexte actuel. Certes, les principes fonda-
restent pe rçus con1me "J11usu l1nans •, 111ê1ne mentaux ( 'a qîda) e l les pratiques rituelles
s'ils ne l'a ffichent pas et n 'ont aucu ne envie ( 'ibadât) ne changent pas, rnais il importe de
d'être définis comme tels. s 'engager dans des lectures et des raisonne-
Dans les 20-25 % de musultnans restants ments critiques (~ftibâd) pour trouver les voies
(celles et ceux qui sont plus régulière111ent pra- d 'une fidélité qui ne soit pas aveugle aux évo-
tiquancs, vonc à la mosquée, prient quociclien- lutions du re1nps ni à la diversicé des sociétés.
nemenc ou une fois par semaine, jeûne ne er Pour les réformisces, la fidélité à la pratique, aux

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
MON INTIME CONVICl'ION 1.f.S MUSULMAt' iS « CUL'fURf.L<; ' , LE.$ RÉfORMl !>fES...

prescripeions e[ aux incerclits est fonda1nentale, invisible au ten1ps irn1nédiat de la couverture


1nais il n'existe pas de fidélité sans évoluüon 1 • rnédiatique (ou au te1nps court des enjeux poli-
Depuis près de vingt-cinq ans, je pa1t icipe à ce tiques), et pourtant les avancées sont réelles et très
mouvement qui constitue le courant dominant positives. Les acquis, co1n111e nous le verrons, sont
parmi les musuhnans revendiquant une apparte- très hnpo1tants et po1teurs de grandes espérances,
nance et une sensibllité religieuses associées à une tnême si le processus .d oit se poursuivre encore
pratique régulière. L'interprétation des Textes, la pour aller au-delà d 'une pensée réformiste se
co1npréhension du contexte occidental, les dis- contentant de s'adapter à l'air du te1nps (niais qui
cours, les positionnements quan[ aux débats reli- reste incapable de devenir une force de transfor-
gieux, culrurels et sociétaux ont évolué de façon rnation et de contribution à la réflexion intellec-
phénoménale au cours d 'une génération . Les tuelle, scientifique et éthique dlont notre rnonde a
'u.la1nâ et leurs conseils, les intellectuels, les lea- besoin). C'est d'ailleurs en ce sens que j'appelle à
ders associatîfs et les simples rnusul1nans ont une • réfonne radicale •, plus profonde encore, car
opéré une véritable révolution intellectuelle: on elle nous impose de reconsidérer les sources
ne s'en rend pas toujours con1pte en Occident, car mêmes des fonde1nents du droit et de la jurispru-
le ten1ps long du change1nent de 1nentalités est dence isl~u11ique (usûl al:fiqh), et non plus seule-
ment les adaptations circonstanciées du droit et de
1. Sur le plan dé la œrminologie plus savante er plus spé- ht jurisprudence (fiqh). Il faut se donner les
cialisée, ce réfonnis1ne se définit corn1ne " setlet/i ·, au sens rnoyens de passer d'une • réforrne de l'adaptacion •
où ses promoteurs veulenc reven ir à la fidélité des premières
à • une réforme de la transfonna[ion • et de la
générations de musulmans (les :sala}) en retrouvant l'éner-
gie, la créaüvicé er l'audace des premiers savants qui n'hési- contribut:ion1.
taient pas à proposer de nouvelles approches vis-à-vis des JI existe néanrnoins des courant.<; littéralistes,
nouveaux contextes. Cela n'a rien à voir avec les couranrs appelés· salafi• (et fausse1nent • wah l1abites •),qui
• salc~/i" lilté ralisces qu i utilisent la même référence aux ont une approche totalement différente vis-à-vis du
•sale!/•, mais pour revenir à des interprétations littérales et
figées du passé . Les premiers conçoivent la fidélité dans le
mouvement (puisque les cernps et les sociétés ch;rngenc) 1. C'esr l'objet d.e rnon ouvrage, lslam, la Réjorme radicale
alors que les seconds la conçoivent en h/.{eant le Texre au- (Presses du Châtelet, 2008), q ui traire de cette évolution
delà des époques ec des environ:nements. impérative de l'intell\gence musu lm iine contemporaine.

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MO'I INTIME CON\'ICl'ION LES MLlSUlJ\ IANS • cu1: ru 1u: 1.-; " l.li.S R(,FOR.'>fi>TES . . .

conrexœ occidenw l. Ils consiclèrenr q u'il fau t le sen tune nt de rejet o u la ma rginalisation sociale
revenir à la letcre des suu rces scripturaires (le onr aussi, parfois, poussé cerr.ains d'entre eux vers
Coran et la sunna) el qu'il faut s'é lo igner de la ces 1nouvemenls à la fois protecteurs et pe1met-
société occidentale qui se présence comn1e ·sans rant de construire une image ô con1bien plus assu-
religion · et · sans n1orale •. les savants et les lea- rée de soi et de son appa1tena nce.
ders de ces courants 1ninoritaires ne sont, de loin, Pour ces couranl'i litté ralistes comme d'ailleurs
pas d es esprits superficiels et peu éduqués: le pour les traditionalistes (qui suivent strictement
penser serait une profonde erreur de juge1nent. une école de droit ou un mouve1nenr riuialiste, à
C'est leur tournure d 'esprit, une certaine vision l'instar des tablîghî>, les réformistes vonr trop loin
des réalités, qui déterminent chez eux une façon er sont parfois • sonis de l'islam •. Les d ébats et
d 'interprérer les Textes et le monde: ce qui res- les rejets internes sunt continus, souvent passion-
son est toujours - quel que sophistiqué que soit nés et violenls. En Occident con1me en Asie, en
leur esprit - le mode binaire du bie n et du mal, Afrique o u à l'île Mau rice, dans cerrains pays
• nous · et• eux ., • savants" et" ignorants•, l'islarn majoritaire1nent musu lmans ou sur le Net, j'ai par
et les autres, etc. Cela produit un rapport au réel exemple maintes fois été traité de • kâ/ir • (néga-
autant dogrna tique que forrna liste et détermine teur, infid èle) , de • 1nurtad" (apostat) ou d 'im-
une certaine façon d'être rnusulman aujourd'hui : posteur voulant d énaturer et détruire l'islam de
lecture littéralisrc et stricte des Textes, insistance l'intérieur. C'est le lot d'un grand non1bre de réfor-
s ur le savoir · islan1ique ·q ui édifie , par opposi- n1istes (i ronique111enc considé rés conune • fonda-
rion aux autres savoirs" inutiles", isole menr vis-à- 1ue ntalistes " par certains rnilieux occide ntaux).
vis du n1onde qui se pe rd et notamment d e On trouve également d'autres tendances plus sec-
l'Occident, el, très souvent, respect • littéra l •et taires el/ou plus politisées, 1nais e lles sont tout à
aveugle des autorités islamiques en p lace, etc. Ces fait marginales, même si certai nes déclarations
courants existent en Occident et ils sont 1nargi- publ iques les 1nettent en avant sur la scène
naux, mêrne s'ils sont capables d'attirer (le plus médiatique. L'illusion d'optique 1nédiatique ne
souvent momentané1nenc) des jeunes traversant doit pas nous tro1nper: les groupes ou groupus-
des crises et pour lesquels leur approche est sécu- cules isla1niques qui func le plus parler d 'e ux, qui
risanre. L'ùnage négative véhiculée par les médias, ciennen[ les propos les plus incendiaires er les

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.\ION INTIMI\ CON\ 'ICl'ION

p lus violencs, représenœnc la 111arge de la 1narge


de la comn1unauré musu !Jnane qui, elle, ne se
reconnaît pas en eux.
Il faut indiquer la présence in1porcante, dis-
crète et souvent mu ltifonne des cercles sûfî. Cer-
tains sont sûfî tout en étant engagés dans des
associations islamiques, d 'autres suivent stricte- 9
ment les prescriptions isla1niques et les exi-
gences de la mystique 1nais sans s'afficher, Us ACQUIS
d'autres enfin ont un rapport très libre avec l'is-
l an1 et mê1ne avec la tradition sûfi elle-même
puisque les pratiques el les règles sont très
fl ex ibles, voire simp lement inex istantes. Cette Pour les musu lmans croyants et pratiquants
dimension de l'islam est importante et les cercles qui auraient pu faire face à d es difficultés pour
sûji peuvent jouer d es rô les actifs et très contra- concilier les prescriptions et l es interdits de leur
dictoires dans les sociétés occidentales - ce fut rel igion avec la vie dans les sociétés occiden-
d'ailleurs le cas dans l es anciennes colonies ou rales, l'évolution de la pensée et des mentalités a
encore aujourd'hui dan::; certaines sociétés rnajo - été rapid e et impressionnante si l'on prend
rirairernent rnusuhna nes. Soit ils se présentent, sérieusen1enL le temps d 'éva luer le che111 in par-
sur le p lan interne, en gardiens rigoureux de la couru. Sur le plan théorique autant que pratique,
substance spirituelle du 111essage isla111ique, soi t o n peut dénombrer un certa in nombre de prin-
ils se contentent de revendiquer leu r autono111ie cipes établis qui so nt autant d'acquis pour
vis-à-vis des autorités, soit, au contraire, ils sont aujourd'hui et pour l'avenir.
instrumentalisés (volontairement ou non) par les li s'est agi d'abord de ren1ettre en cause la tra-
pouvoirs afin d e présenter une certaine in1age ditionnelle er ancienne catégorisation binaire du
de l'• autre· islam ·modéré ·, ·libre· ou 1nême monde qui séparait • la maison de lïslan1 • (dâr
·sécularisé•. Cc qui, en soi, ne veut stricten1enr al-islâ111) de • la maison de la guerre • (dâr al-
rien dire. harb). i\ l 'excepLion de quelques groupes

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MON INTIME CONVICl'ION J..f.~ ACQU1S

littéralisres, tradit.ionalistes ou polit.isés, plus aucun sociétés ·occidentales, les musu lmans sonr tenus
savane de référence ni aucune organisation de d e respecter la loi, er celle-ci est conrraignante
poids n'utilise ces concepts. On parle désonnais pour eux comn1e pour tous le.<; autres citoyens
de • 1naison du contrat• (dâr al- 'ahd ou clâr al- et résidents. Les Occidentaux 1nusuhnans ont
'aqd), de " 1naison de la pai.x." (clâr alcsulh), ou co.mpris que la sécu larisation et la laïcité, quand
encore de • 1naison de la prédication • (dâr ad- elle.s ne sont pas instrumentalisées par des idéo-
da 'wa) . J'ai proposé Je concept de la • maison logues, des courants intellectuels ou politiques
du té1noignage • (dâr ash-shahâda) qui exprin1e contre la présence de la religion, assurent le plu-
l'idée selon laquelle les rnusulrnans, con1me ralis1ne religieux dans les sociétés européennes
d'ailleurs cous les êrres de foi er de conviction, et protègent le urs droits légitimes. Encore une
sont appelés à essayer d'être • des témoins ·de fois, aucun savant n1usulinan reconnu, ni
leur 1nessage et de leurs principes par leur pré- aucune organisation islamiqu e ayant une crédi-
sence et par la cohérence de leurs con1porte- bilité., ne detnande des loi$ spécifique$ ou des
1nents avec lesdits principes. Cette appellation traitements d'exception. À l'étude, on verra que
brise le rappo1t binaire et, au cœur de la mon- cela nécessite l'application de la loi et, en son
dialisation, elle nous réconcilie avec la din1en- nom, un trairen1ent juste et égalitaire entre les
sion universelle de l'islam : c'est le n10nde entier différentes religions. On a souvent présenté dans
qui esr devenu une derneure , un espace de les n1éclias, ou sur la scène polirique, les reven-
uén1oiignage. Le tén1oin n 'est plus un étranger clicarions de certaines organisaeions musulmanes
dans le rnoncle de l'autre, il n'est pas non plus corn1ne éranr problén1atiques parce qu 'elles
lié à un contrat avec cet autre : il est chez lu i, récla1neraient des droits spécifiques. Dans les
parn1i les sie ns, e t: il essaie silnple1nent d 'être fa its, cell.es-ci n'ont souvent de1nandé que ce qui
cohérent avec ce qu'il croit, de mê1ne qu 'avec avait déjà été octroyé à d 'au tres (juifs, catho-
ceux avec qui il vit et construit l'avenir. liques ou protestants) avan t eux, mais les pro-
li est clair désormais qu 'à partir du moment jections sur les intentions des 1nusulmans sont
où les deux droits fondamentaux (la liberté de telles et la controverse si rapide1nent lancée que
consc ience et la liberté de culte) sont reconnus la clerr1ande, par les citoyens rr1usu ln1ans, d 'un
et protégés, corrune c'est le cas dans toutes les traite1nent sin1p le1nent égalitaire esr vire r.raduite,

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
MON INTIMF CON\ 'ICTION

par les médias et d ans l'opinion publique, isolée. O r, il s'agit exacte111ent du contraire : l a
conune une exigence de traiten1ent si ngu lier1 . p erception du public, des politiciens et des
D es efforts considérables ont été r éa lisés rnédias est en retard sur les faits et elle les incite
pour pousser les citoyens musu Imans à faire à une interprétation tronquée. La nouvelle visi-
des études et à s'investir de plus en plus dans la bilité ne prouve pas qu'il existe une commu-
société. Dans les faits, l eur nouvelle visibilité nauté isolée et fermée niais, au contraire, que les
représente exactement le contraire de ce que nouvelles générations, co1n1ne c1·ailleurs les
l'on e n die généralement. Les pri1no-1nigrancs Afro-Américains aux États-Unis, s'ouvrent, sor-
écaien c isolés ec invisibles: on ne ren1arquaic tent de leurs ghettos sociaux, culturels er reli-
1nê1ne pas leur présence. Avec l'apparitio n de gieux pour prendre leur place dans un espace et
la deuxième et de la troisième génération, les une société qu 'ils considèrent a 1usce cicre
choses o nt changé: voilà que les jeunes sonr com1ne l a leu r. Cette réalité est un acquis de
visibles partout, dans les rues, su r les ca1npus, taille: sur les plans inLellectuel, univer::;icaire,
sur les lieux de tr ava il, etc. La première réac- professionnel, social, politiq ue, culturel et même
ti on naturelle face à cette no uvelle visibilité est sportif, les citoyens de confession musultnane
de l 'identifier co1n111 e la présence d 'une • con1.- s'engagent. l is le font de façon individuelle, en
rnuna uté • appare1n1nent différence, fern1ée er suivant leurs aspi rations et leurs espoirs, et il
n'existe nulle part quel q ue chose q ui pourrait
s'apparenter, sur le p lan social ou policique, à
1. J'ai pris position au Canada (cl en G1'<J ndc-B retagne après
une position co.111111une et encore moins à une
les pro pos cle l'archevêque de CantedJlHY) dans les débats
qui conccrn;iicnr, par cxc111plc. k:s tribunaux rd igieux d'ar- représentatio n de • la con1111unauté • et de • ses
bitrage et de conciliation que cJ':1L1trcs religions av;i ienL obte- intérêts ... Tout ce qui est dit à ce sujet tient du
nus e t pratiquaient. Une polémique est apparue quand fantasme ou de l'instru menta lisation de la peur:
certains musulmans ont demandé d'obtenir les rnê111es droics dans les faits, les A111éricains, les Européens ou
que les auu·es religions. Sur le plan suictement légal. les asso-
les Austr aliens 1nustilmans s'engagent partout,
ciations musulmanes qui revendiquaient cette égalité avaient
raison, mais j'étais d'avis que les musulmans n'avaienr en fait ind ivicluellemenr, et ne se donnent pas pour
pas besoin de ces aménagements imerncs et quïls pouvaient vocation de • représenter • ou de • défendre la
trouver des solutions à l'intérieur du cadre légal existant. con1munaucé musulmane •.

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MON INTIMF CON\ 'ICTION

On conscare éga lement un processus d'insti- ginalisées et/ou 1nusul1nanes 1• Dans de non1-
turionna lisarion de la présence musulrnane q ui breux pays, la réflexion a avancé afin d'établir des
s'effectue dans p lusieurs directions. Il a con1- instituts de fonnations préacadén1iques ou aca-
1nencé naturelle1nent avec la création des n1os- dé111iques, pour former des cadres, des iman1s ou
quées: pre1nier acte de l'installation des encore des leaders ayant une connaissance solide
n1usu l1nans dans un nouvel environnement. Puis en • théologie • et en droit islamique, en n1ême
on constate partout la création c1·associations et temps qu'une compréhension du contexte. On
d'organisations aux buts plus ou 1noins spéciali-
sés: associations de jeunes, d 'étudiancs, de 1. j'ai expliqué dans de nombreux li vres et articles que ma
fe1nmes , organisations d 'accivités culturelles er posilion éraie d 'encourager les citoyens musulmans à ins-
sportives. Dans un pren1ier temps, les 1nusuhnans crire leur~s enfants d ans le sy:.tème scolaire public où ces
ont naturellement pensé à des structures exclusi- derniers vont apprendre à vivre avec leurs concitoyens de
ve1nenl orientées vers la corn1nunauté religieuse. diverses origines cc cultures. Les écoles privées, qui n'ac-
cueillent d 'aill eurs qu1.: 2 ou j % des enfants musulmans, ne
Il s'agissait de répondre aux besoins des musul-
sont ni la panacée ni un choix d'ave11ir. li faut s'engager, en
manes et des musu lmans vivant dans un nouveau tant que rx1rcnt~ comme en tan t qu'élèves, dans le système
contexte. Dans certaines sociétés où le phéno- scolaire écarique. 11 1·cscc qt1c cc dernier doit subir de pro-
1nène était établi er reconnu coinrne en Grande- fond es réformes c:ir la m ixitf: dt:s statuts sociaux et des cul -
Brccagne, en H.o llande, en Scandinavie, aux tures est un leurre dans cc qui devrait être une école
États-lJnis ou au Canada, les n1usu lrnans one co1n- commune cr égalitaire. I l existe des écolt:s publiques qui
sont de véritables p:heHos sociaux et culturels, et des inéga-
n1encé à (·tablir des écoles privées isla1niques. Il
licés de tr~1iccmc nt 11 l'intérieur du système public som
s'agissait ici encore de répondre à deux nécessi- simpleme1111 inaçcep wbles. Si r ien n'est fait dans ce
tés: protéger les jeunes (la plupart du ten1ps, les domaine, il n 'esr pas éconnant que certains pensen c à
écoles étaient destinées aux fil les) de l'environ - créer des srru crurcs autres, performantes exclusivemenr
nement occidenta l et crée r des écoles perfor- pour les m usulmans puisque, de toute façon. c'est déjà le
cas dans les écoles publiques de certaines régions ou
1nantes qui ne soient pas des établissernents de
quartiers Coù cnrrc 80 et 90 % des élèves sont • d'origine
seconde classe co1n1ne c'est souvent le cas des immigrée · ou • mu!.ulmans •). A,·ec, de plus. ce constat
écoles publiques dans les régions ou les cirés où amer que le niveau de ces écoles est très faible et n 'offre
se concencrenr les populacjons sociale1nenr n1ar- aucun espoir de succès aux enfants.

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MON lNTIMe CONVICl'ION LES ACQUlS

peut encore ajouter la création de petiœs et répéter que les choses évoluent et qu'il faudra
1noyennes entreprises autour de l'édition de cornpter avec le ten1ps. Néann1oins, des straté-
livres sur l'islarn (nouveaux ou traduits), de con1- gies d 'acco1npagne1nent peuvent être pensées
1nerces de la viande • halâl ", ou p lus largen1ent par les gouverne1nents pour accélérer et faciliter
de services répondant aux différentes attentes ces processus d'installation, d'autant p lus que les
provenant de la com1nunauté en termes de coinmunautés 1nusu lmanes ne sont majoritaire-
conso111mation. Sur plusieurs plans, on perçoit 1nent pas riches (co1npte tenu de l'origine
donc un phéno1nène d'institutionnalisation très sociale de leurs 1nen1bres, .à l'exception de cer-
irnponant qui, lui aussi, s 'accélère . Ce qui est tains in1111igrés a1néricains et canadiens). En
égale1nent encourageant et positif est le Jnouve- toutes circonsrances, et en respectant le cadre
1nent parallèle d'ouverrure vers des organisations légal de la séparation des ordres (Érat/ religion),
extraco1n1nunaucaires: associations de solidarité, les 1n inistères clqivent se contenter de faciliter
structures sociales, partis politiques, etc. Les les évoluüons dans la confiance et non chercher
citoyens musubnans s'engagent aujourd'hui au- à les contrôler en entretenant la méfiance. Toute
delà de leur • comrnunauté • et développent un dé1narche de contrôle entretiendra non seule-
rapport tout à fait nouveau avec leur société: ils ment la suspicion et confirmera que les citoyens
sont citoyens et exprin1ent au quotidien un sen- de confession rnusulmane ne sont pas traités
tin1e nt d'appartenance. Ce fait est palpable par- co1n1ne les autres, mais, en sus, ne trouvera
tout et il est irnportant d'en prendre l'exacte aucune crédibilité ni aucun soutien irnportant à
rnesure. L'in1pact de ce processus n1ulticlitnen- l'intérieur des con1n1unautés 1nusulmanes.
sionnel sera détenninant dans et pour les années
à venir.
Durant ces dernières années, j'ai renconu·é des
1ninistres, des secrétaires d'État et des fonction -
naires dans de nombreux pays occidentaux et j'ai
partagé avec eux ces analyses et quelques opi-
nions quant à la gestion des questions relatives à
la présence n1usulrnane . Je n'ai de cesse de

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
10

L ES OÉF.15

Le.s défi.s .sont nombreux el, ici encore, 1nulti-


dilnensio nnels. Même si j'affinne, avec force et
conviction, que la tendance réformiste est majo-
1itaire en Occident à l'intérieur des co1nmunautés
n1usuhnanes et que la compréhension du concex-
te évolue très vice, il ne faut pas être naïfs ni béa-
cen1ent optimisres. Le prernicr défi majeur consis-
ce à approfondir tant la connaissance de l'islan1 que
celle des sociétés occidentales parn1i les 'ulcunâ,
les intellectuels, les leaders associatifs, les i1nain s
et plus largement les simples 1nusuhnanes et 1nu-
sulmans. Cela commence par une 1naîtrise de la
terminologie: il est i1npératif de 1nieux définir et
de diffuser une meilleure con1préhension de
concepts tels que • fiqh •, • fjtihâd •, • fatwâ •, · fi-
hâd • • sba1-î'a • ou encore • sécularisation • • laï-
' ' '
cicé •, • cicoyennecé ., • principes clé1nocratiques .,

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MON 1. l'I ME CONVICTION l.ES IJ~FIS

• rnodèles dérnocratiques ., ainsi que • droits de cela a effective me nt une conséque nce direcre sur
l'hom1ne 1 •et " unive rsel •. On les lit, on les utili- n1a co1npréhension du cadre légal dans les socié-
se, n1ais la confusion est générale et les 1nusuln1ans tés occidenta les. Ainsi, toutes les lois qui protè-
doiven t se dote r d'un discours plus dair, s'appuyant gent la vie et la dignité humaines pro1neuvent la
sur une terminologie mieux 1naîtiisée et n1ieux dé- justice et l'égalité, i1nposent le respect de la
finie. j'ai essayé, depuis des années, d 'enta1ner ce nature, etc., sont 111a sharî'a appliquée dans ·m a
travail dans chacun des livres écrits sur ces ques- société même si celle-ci n'est p as majoritairernent
tions, mais la rouce csc encore longue pour par- musulmane ou que ces lois n'ont pas été pensées
venir :à p arcager, à dL<>cutcr et à ouvrir un débat cri- et produices par des savants 1nusultnans. Je suis
tique sur ces concepts et le ur définition . dans la Voie puisque ces lois me pennettent d'êcre
La clarification de la te rminologie est essentielle fidèle à ses o bjectifs fondamentaux ec donc d'être
car ses conséquences sont d éte nnina ntes. Quand fidè le au message et a ux p rincipes de l'islan1 .
j'affinrie, pa r exe1nple, que la sharî'a n'est pas· un Avec une telle c:o1npréhension de la tern1ino -
systèn1e • ni " un corps d e lois islamiques fer- logie islamique, on pe rçoit que les perspectives
mées2 •, mais bien plutôt la• Voie de la fidélité aux sont tota le ment inve rsées. Une meilleure connais-
objectifs de l'is la m •(qui sont de protéger la vie, ta sance de ce que la citoyenneté ünplique conduit
dignité, la justice, l'égalité, la paix, la nature, etc. 1) , au même rést1ltat. Les musulinans doivent ainsi se
libé re r elle de ux o bstacles q u i sonr le produ it
1. Qu'on devrait plus jusrcmcnc appeler, scion d 'ailleurs d 'une mauvaise compré he nsion de le ur statut Ils
l'expression anglaise,• <.lroils huinnins 'car [;1 formule ex- fo nt face à la fois à un discours ec à une pression
prime imméd iarc mcni. c r néccssairèmcnt, l'inclusion des
qui confonde nt systé n1atiquement les ordres: ils
genres " femmes • c r • ho mmes •.
2. Com me l'onc défini les jurisrcs 111usul1nans <fuqabâ) en o nt beau être déjà citoyens dans ce1tains pays, ils
fonction de leur spécialisation en tam que savan ts du droir ne cessent pourta nt d 'être traités co1nn1e des
c1 de la jurisprudence islamique (jiqb). • 1ninorités • parce que l'on se réfère indiffére1n-
1. Voir â ce sujec rncs livres Être musulman européen, Les ment à leu r religion o u à leur culture, alors que
.J.1usulmans d 'Occident el lai·enlr de l'islam et nocamment
Islam, la Réforme radicflle. Étbique et libération. où je pro-
les sociétés occidentales sécularisées font claire-
pose une nouvelle cacégorisa1io11 des fin:1licés éthiques du ment la différence entre le starut ju ridique et
message de l'islam. public du cicoyen cr l'appartenanc<'.' religieuse

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MON INTIMI'. CON\ 'ICl'ION Ll!S D(:FIS

privée du fidc?:le. Les musulinans ont souvenr psy- principes supé rieurs ici Cün1me a ille u rs, q u'il faut
chologique1nent inrégré cette perception (que cesser de se penser· rninoritaires •, qu'il est m1pé-
l'on p rojet.te sur eux) et ils se présentent aussi ratif au contra ire de connaître autant ses obliga-
comrne des • minoritaires• en confondant la réa- tions que ses dro its citoyens participa n t de la
lité chiffrée de leur cornmunauté religieuse et le majorité; en établissant cela, on invite les rnusul-
sens et la teneur léga le de l'appartenance mans à se prendre en charge et à se libérer de la
citoyenne. Or, d ans l'ordre de la citoyenneté, du mentalité de victimes. C'est un défi majeur: il est
rapport à la loi ou du craitement de l'individu, le urgent de cesser de blârner • la-société-qui-ne-
concepr de minoricé est inopérant: il n'existe pas nous-ailne-pas •, • l'islamophobie •, ou encore le
de • ciroyennecé minoritaire • ! Il importe donc de • racisme •, er de justifier ainsi une passivité cou-
lurrer contre cerre mentalité de • minoritaires • er pable. Que ces phénomènes existent, cela ne fait
de s'inscrire ple inement dans la participarion aucun doute, niais il est impératif de les co1nbattre
citoyenne sur un pied d 'égal.ité et avec la majo- e n s'engagean t e n tant que citoyens et e n luttant
rité. Si on établit e nsuite un lien avec la définition contre les inju:<;tices, le racisme, la discrimination,
et la compré hension dynamique e t inclusive du les discours p opu listes d e stigmatisations et les
concept d e sharî'a proposé plus haut, on co1n- hy pocrisies. Cela signifie aussi lutter contre les dis-
prend la nature d e la ré volution intellectuelle qui cours paternaUstes souve nt néocolonialistes et les
p e ut naîcre d e cc travail d e clariÎlcation. Celui-ci traite rne nts inlà ntilisants : depuis trente ans, l'Oc-
doir e ncore ê tre 111cné partout dans les con1rnu- cide nt semble devoir s'occupe r de· je unes n1usul-
nautés rnusulma nes: le scntin1ent plus uu rnoins rnans • éternc:lle rne nt • jeunes • et qui tardenr
clair o u diffus d e la nécessité d 'un c hangen1e nt sérieuse111e nt à deve nir de1> adultes dont la 111atu-
existe, mais il faut lui donner corps et substance rité leur permettrait de discuter d 'égal à égal.
par un travail de vulgarisation d 'e nvergure. Le sentiment d 'appartena nce fondé sur une
C'est ce travail e n amont qui pe rmettra de connaissance plus appro fo ndie des concepts et
luner contre les tentations victirnaires à l'intérieur des objectifs est de nature à permettre aux 111usul-
des cornmunaurés musulmanes. En effet, en éta- mans de s'ouvrir sur les problèrnes sociaux plus
blissant claire1nenc que l'on est chez soi en Occi- largen1enc que lorsque cela concerne spécifique-
denc, qu 'il s'agir de suivre la Voie de la ftdélicé aux n1enc l'islam. L<.:s qucscions sociales, lïnscruccion

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
~1().\1 f\ITIME CON\'ICl'ION 1.ES D(:FIS

publique, Les politiques scolaires, les associations société environnante et la cu l ture occidentale
de parents, le chô1nage, les sans-abri, la délin- doit changer de ton et d'orienrncion : il est irnpé-
quance, la violence urba ine, mais égale1nenc les ratif d 'encourager les musuln1ans à contribuer
débats de société, les rapports de pouvoir et de aux cultures a1néricaines, australiennes et euro-
· races ., l'engagement dans les partis, l'écologie, péennes qui sont désormais les leurs. La créati-
les politiques dï1nmigration et les relations inter- vité, la contribution et la production en matière
nationales doivent les intéresser comme tous les d'art, de n1usique, de cinéma, de littérature sont
autres citoyens. Cette ouvetture reste le fait d'une à encourager, de 1nême d 'ailleurs que la lecture
minorité de citoyens de confession 111usulmane d 'ouvrages de tous horizons. Cerce ouverrure
qui fai t souvent face à des soupçons ou à des pré- clans la confiance, cene confiance en sa richesse
jugés tenaces, 1nais elle ouvre la route d 'un pro- qui peut contribuer et offrir, cette présence dans
cessus qui, 1nême s'il est lent, devient irrévec5ible. l'échange ... c'est cela qu'il faut encourager à
Le défi consiste à faire en sone que ce processus plusieurs niveaux et dans différenrs do1naines
soit compris et vou lu p lutôt que subi et géré de sociaux, po litiques, cultu rels et sportifs bien sûr.
façon si chaotique qu'il pourrait devenir contre- O n doit évoquer ici la question de la trans-
productif et facteur de division. mission car le d éfi est majeur et que l 'on ren-
li est in1possible d 'f:tab~ir la longue liste des contre tous les jours les réa licés de sa 1nauvaise
défis, niais un cercain non1bre d 'encre eux app a- gestion . Les jet1nes générations d e 1nusulmans
raissent ünn1édiatcn1ent cc nécessitent un enga- apparaissent vite ec deviennenc vite visibles
gemen t prioritaire. l i imporrc de s'intéresser aux clans la société alors q ue le phé nomène des
processus qui attirent les j eunes vers le littéra- 1nigrations se poursuit et fait app araître un
lisn1e le plus ferm é ou encore, .sur un registre autre type d e population rnu.sulmane fraîche-
p lus politique, vers la radicalisation ou, dans des ment imn1igrée. La question lancinante est on ne
cas rares, vers l'action violente et terroriste. peut plus claire : comment tra ns111ettre les acquis
L'éducation islamique en Occident, dans sa en rennes de compréhension, de discours et d'en-
forme autant que dans son contenu, doit être gagernent citoyen à la fois venicale1nent aux nou-
repensée à la lumière du concexre ec des défis velles générations et transversalement pour
que nous avons relevés. Le discours sur la aueindre les différences comn1unaucés er, parn1i

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
MON lNTIMe CONVICl'ION

elles, les imn1igrés q ui arrivent sans discontinuer


avec une idée de l'islarn confondue avec les cul-
tures d es pays d'origine. J'ai déjà relevé. ici que
certains partis populistes utilisent les nouveaux
arrivés pour jeter le doute su r tous les 1nusuJ-
1nans installés dans les différents pays. De plus , 11
les 1nédias concourent parfois à entretenir ces
doutes en se concentrant sur les problè1nes que L\. QUESTION DES FE.MMES
rencontrent certains nouveaux ilnrnigrés. La dif-
ficulté est réelle et il appaJrtient aux citoyens de
confession inusulrnane de penser les n1oyens et
les 1néthodes d'éducation et de transn1ission de La question de la fe1n111e a toujours été l'une
façon plus organisée er plus perfonnante. Et cela de$ priorités de 1non engagement: je n'ai eu de
afi.n que les avancées et les acquis ne soient pas cesse de questionner les interprétations tradition-
pe1vétuelle1nent remis e n cause par l'attitude de nelles et d'appeler les musul1nans à une lucidité
certain s jeunes ou nouveaux anivés agissant au honnête et à une réflexion critique sur la situation
non1 de con1préhensions tout à fait tronquées ou des fe1n1nes dans les sociétés inajoritairement
se laissant instru1nentaliser par sincérité et/ou inusuhnanes et les cornn1unaurés établies en Occi-
par naïveté. denr. Il ne s'agissair pas pour n11oi de répondre aux
critiques occidentales e n adoptant une attitude
défensive (voire apologétique), n1ais bien de
répondre à l'exigence de probité intellectuelle et
de cohérence. Je l'ai dit et répété: l'isla1n n'a pas
de problème avec les fen1mes, 1nais il apparaît
claire1nent que les musulmans ont effectiven1ent
de sérieux problèmes avec elles, et il faut en cher-
cher, de l 'intérieur, les raisons et parfois les (dis-
cutables) justifications.

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
\ION INTIMI' CON\ 'IC l'ION 1.A QUl(STION IJES FEMMF.S

Il y a d'abord un double phéno111ène à la fe111me doit ainsi devenir s ujet et n1aîtresse de son
source de cotHes les constructions théologiques et destin.
sociales qui se sont établies a posteriori. La ques- L'étude des écriLc; et commentaires des anciens
tion des fe1nn1es est l'un de ces don1aines qui est ·ufa1nâ, de Tabarî à Abû Hâinid al-Ghazâlî, nous
le plus touché par les lectures littéralistes du convainc que ceux-ci étaient très influencés par
Coran et des traditions prophétiques. 'égligeant leur n1ilieu cu lturel. Souvent, on constate qu'ils
le fait que la Révélation s'est produite dans un opèrent très involontairen1ent par • projection •
contexte donné et que sa trc1ns1nission, sur vingt- sur les Textes leur contenu et leurs objectifs. Pour
trois années, décerrnine une oricncacion quant à le faqîb (juriste musulman) et le commentateur
la pédagogie divine, les lectures littéralisres figent contemporains, il faut ainsi faire un double travail
Je Texte hors de son contexte, de sa progression dialectique d 'ana lyse: lire les sources scripturaires
intern e et des finalités du 1nessage global. Elles à la lumiè re de leur contexte, puis lire les com-
opèrent par· réduction ·el parviennent parfoi:-; à mentaire,<; po.stéri eurs à la lu1nière de.5 contextes
justifier des interprétations qui sont claire1nent e n socioculturels des savants qu i les ont produits. Ce
contradiction avec la tota lité du message dans son travai l de déconstruction est diffici le 1nais il
évolution historique ou encore avec le modèle pennet d'établir la critique de l'enveloppe histo-
comportemenca 1du Prophète de l'islam. Au-delà rique et cu lrurelle projetée sur les sources pre-
des p ratiques injustifiées (con11ne la violence phy- mières. Ainsi le discours sur les fe1nrnes a-t-il é té
sique), c'est la conception 1nê1ne de la fen11ne, de très influ encé par les CLtltures patriarcales et on
son identité et de son autonon1ie qui différencie e n esc arrivé à justifier des pratiques culturelles
les interprétations réfonnisLes des interprétations qui n'étaient pas • islamiq ues •. L'excision des
littéra listes. Ces de rniè res, e n intégrant sans dis- fe1n1nes , les 1nariages forcés, les crünes d'hon-
tance critique le contexte patriarcal de l'époque, neur, par exemple, ne sont pas isla1niques, 1nê1ne
associent la présence et le rôle de la fen1111e à sa si certains savanlc; ont essayé de les justifier reli-
relation à l'hornme, alors que l'approche réfor- gieusement. Ce travail critique est loin d 'être
miste cherche à dépasser Je contexte historique abouti et il importe de sensibiliser les 1nusulmans
et à extraire les objectifs fonda1nentaux quant à et leurs concicoycns sur ces confusions qui
l'idencicé de la femme et à son aucunon1ie. La mènenc à des crahisons. C'esc en ce sens qu 'av~c

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MON INTIME CONVICTION 1.A QUESTI01 1>ES Fl:MMf.S

l'association rn usu 1rna ne Spior 1, depuis Rotter- de réconciliation des 111usuln1ans avec leur propre
dam, nous avons lancé une can1pagne euro- n1essage erses finalités. Il ne s'agit pas d 'être naïf
p éenne en mai 2008 contre les mariages forcés: il sur les rapporL<; de do1ninalion, n1ais bien de se
s'agit de ne pas se taire et de dire avec force q ue libérer des craintes et des aliénations qui, pour se
ces pratiques sont anti-islamiques. distinguer de l'autre et refuser sa 1nain1nise, figent
Il ne faut pas non plus 111inimiser la dimension la pensée. Refuser la domination de • l'Occident ·
psych ologique dans le débat concernant les en trahissant les enseignen1ents de son propre
femmes. La relation avec l'Occident est com- message religieux est une fonne d'aliénation plus
plexe : avanc, pendant, puis après les colonisa- dangereuse encore puisque, dans la résiscance,
c.ions, la quescion de la fernrne a été cencrale clans on a perdu sa capacité critique, son souci de
les relacions de pouvoir ec les débats politiques, cohérence cc son énergie créatrice. On ne se défi-
théologiques et cu ltu rels. Cela a nourri dans la nit plus que par l'autre, à travers son miroir néga-
psyché 1nusultnane conten1poraine une sorte de tif : la psycho logie a ici raison de la libération.
réaction ré fl exe: moins le discours est accidenta l Il importe donc de me ner un travail critique
à propos des femmes, p lus il est pe rçu com1ne approfondi et de pousser les fe 1nmes à s'y enga-
islainique e t, inversement, plus il est islamique, ger, en acquérant les connaissances religieuses
plus il se devrait d'être restrictif et s'opposer à la nécessaires pour développer des lectures féxninines
pern1issivité occidentale dune la nnalité serait de nouvelles. li faur qu'elles soient présentes dans les
lan1in er les fondem ents d e la religion et de la espaces d e décision de la con1111unauté religieuse,
n1orale. Cette attitude a souvent ernpêché les clans les organisations, les conseils de gestion des
savan ts et les intellectuels n1usulinans d'engager rnosquées, etc. On doit bousculer les choses pour
une c ritique de l'intérieur q ui s'affirn1e co1nme que les fen1mes trouvent leur juste place, 1nais elles
auton o1ne et rigoureuse et se justifie par le souci doivent aussi se 1nobiliser: elles n'obtiendront rien
si, de leur côté, elles cultivent u ne attitude de vic-
1. Voir à ce sujec mon Sil<: :ivcc les infonnarions sur cerre cam-
times. On le voit aujourd'hui, partout où les
pagne européenne • Ensemble contre les mariages forcés •
(www.1ariqramadan.com). en collaboration avec la munici-
femmes ont accès à l'instruction, à l'éducation isla-
palicé de Roccerdam cc le thi11k tank(plate-forme de réflexion mique, ec même à l'engagernent communautaire et
ec d'accion) que je préside. The Europcan i\luslim -etwork. social, elles font mieux que les hoinmes: 1neilleurs

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MON INTIMË CONVIC'l'ION

résultats, plus d'engagen1ent, plus de rigueut et de


sérieux. La réalité et les chiffres parlent d'eux-
n1ê1n es. Ce processus doit: se poursuivre et offlir la
possibilité aux fen11nes d 'avoir accès à la société
civile et au travail, avec des revendications qui doi-
vent a ller de soi: tnên1e fonnation, mêine compé-
tence signifie obtention du rnême salaire. Les 12
discrirninations à l'emploi (parce qu'il s'agit d'une
trop jeune fe1nn1e qui connaîtra sans cloute une LE SENTIMENT D'APPARTENANCE
rnaternité ou d'une fenune trop âgée qui ne cor- ET L'APPROCHE « POSTINTÉGRATION "
respond pas à • l'irnage • de la jeunesse) doivent
être refusées et cornbattues. Qu'on l'appelle fé1ni-
niste ou non (ce qui ne me dérange 1;:ias), cet enga-
getnent pour les droits légitunes de la fe1nme peut Le sentünent d'appartenance aux sociétés occi-
et doit se faire de l'intérieur pour avoir quelque dentales et européennes ne naîtfa pas de discours
chance de succès. La route est longue et il s'agit de incantatoires et idéalistes. Au-delà de toutes les
s'y engager ensemble: en élaborant un discours 1nodalités de " l'intégration "• le sentiment d 'ap-
qui parle de la fe1nrr1e en tantqu'être, avant de s'in- partenance convoque des dilnensions psycholo-
téresser seulernent à ses fonctions fan1iliales ou giques (rês profondes et parfois cornplexes. Il se
sociales - un discours qui protège son autono- nourrit de divers élé1nents: l'atn1osphère, les dis-
n1ie et sa liberté d'être et d 'agir. Il s'agit pour cours politiques, intellectuels et populaires, l'üna-
no us, pour nous tous, d'être cohérents: garantir gerie médiatique, les représentations dans le
la liberté de la femn1e signifie accepter que celle- quotidien, la relation aux von.sins, le sentiment
ci puisse faire un choix que l'o n co1nprend ou d'être reconnus com1ne une richesse ou, au
un autre que l'on ne cornprend pas. Il faut se moins, d'avoir " une valeur " dans le regard de
1néfie1· de ces no11veaux.juges très" libéraux"• et l'autre. Cela ne se décrète pas théoriquement et
surtout très dogn1atiques, qui se pennettent de exige des efforts conjugués pour nourrir ce senti-
juger du seul bon usage de la liberté d'autrui. 1nen[ chez des individus : rien n'est facile ici et

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
.\ION tl\' l'IMI: CON\'ICl"ION

rous les acteurs doivent prendre leurs r espo nsabi- citoyens, après plusieurs génér ations, sonr encore
lités. Si l 'on devait encore utiliser le concept des invités, lrop d ifférents, qui doivent encore ec
d '• intégration ·, on pourrait pa rler, com 1ne je le toujours •s'adapter•. Ce discours nouJTit des per-
faisais dans mon ouvl"<1ge Les M usubnans dans la ceptions: en France co1n1ne en Grande-Bretagne,
laïcité, en 1994, de I'• intégration des intiinités • après trois, quatre, voire cinq générations, on parle
pour évoquer le processus qui permet de • se encore de Fl"<1nçais ou de Britanniques· d'o1igine
sentir bien • ec ·chez soi •. Peu à peu, les différents immigrée •, et les Afro-AJnéricains rnusulrnans sont
modes cl'• intégration • ont été, sont ou vont être encore soit trop africains soit trop musulmans pour
dépassés - intégration linguistique, ince!Jectuelle, être traités égalicaire1nenr. jusqu'à quand resre--c-on
sociale, légale, cu lrurelle cc religieuse. Ce q ui un · immigré• lorsque l'on sait que la seule diffé-
deme ure est l'étape ultime, psychologique et intel- rence encre ceux qu 'on appelle • Français de
lectue lle, qu i nourrit le sentin1ent d 'appartenance souche •ou • Brican niques de souche ·et imn1igrés
et s'en nourrit. récents tient au fait que les • Français de souche •
À ce stade, le succès du p rocessus d 'intégration ou les· B ri tann iques de souche· sont si1nple1n ent
est justement de cesser de parler d 'intégration. des imm igrés de p lus lo ngue date ? Aux États-Unis,
Aussi longtemps que l'on en parl e, on alin1ente l a les Noirs subissent toujou1~5 ks réaljtés du racisme,
perception de cieux entités fo ndées sur le senti- les rappo rts d e clon1ination, de discrimination et
1nent de " not 1s • et d ',, eux .., d 'une société qu i d'aliénation qui stig1natisenr cet • autre•. L'élection
• accueille " et de cicoy<:ns, encore un peu " d 'ori- cle Barac k O bama ne doit pas nous rrornper sur
gine i111111igrée., q ui sont" accueillis., Le discours les courants de fonds, en rennes de • race "• qui
quasi obsessionnel su r • l 'i ntégration • des no u- influencent el déterminent encore la société a1né-
veaux citoyens est un obstacle o bjectif à la nais- ricaine. Sur l'échelle de l 'histoire, les di fférences
sance positive du senti1nent d'appa1tenance. En ce sont relatives; mais ce sont ici les perceptions et
sens, au-delà d'un ce1tain point, les politiques d'in- les représenrations qui font problèine, construisent
tégration produisent exacternent le contraire de ce les appartenances et dessinent les différences et
qu'elles disent vouloir réaliser: elles 1neuent en les exclusions.
avanr des d ifférences, délimitent des entités cari- Il nous faut élaborer une ap proche er un dis-
carurales ec encrclicnnent l'idée que cercains cours • poscincégrarion • qui revisicenc la façon

1J(l 117
Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
\ ION INTIMI' CON\ 'ICl'ION LE SEN'llMENT D'1\J>t>AR1'l!J'\'ANCE.,.

do nr on se représente, on s'étudie, e r q ui pren- générations, mères cr pères des no uveaux


nent ainsi acre des rrnnsfurmations des sociétés citoyens, à la construction des pays occidentau x.
eu ropéennes. En ce la l'histoire el les position- JI in1porte de développer d es politiques posi-
ne1nents sociaux et politiques des Afro-A1néri- tives et o fficiell es qui s'intéressent aux contribu-
cains sont instructifs ec utiles puisque leur tions et aux pa11ages plutôt qu'à une prétendue
discours et leur approche ont dépassé ces • intégration • dont o n ne sait plus très bien ce
registres et s'inscrivent résolu1nent de l'intérieur qu'elle recouvre à partir du n101nent où la très
de la société américaine. Ce discours et cette grande rnajorité des citoyens parlent la langue du
approche de l'inré rieur imposent de revoir nos pays, respecrcnt les lois et revendiquent justen1ent
progran11nes ofîiciels d 'histuire afin de proposer le droit d 'être traités éga litaire1nent. Tout se passe
une déma rche inclusive. ·ous avons besoin pourtant comme s'ils devaient encore et e ncore
d 'u ne histoire (nationa le, européenne et occi- prouver leur appa1tenance, en étant sou1nis à des
de nta le) officielle intégra n t les mén1oi res plu- listes de questions se nsibles (variables selon les
rie lles des citoyens (nouvea ux ou pas) qui la pays occidenta ux) q ui doivent déterminer s'ils
composent: il s'agit d 'en parler, de mettre e n sont • intégrables • ou pas, • modérés • ou p as.
évide nce les richesses cu lturelles et intellec- Êtes-vous d 'abord n1 us ulmans ou amé1i cains,
tue lles et de donner de la vale ur à cette contri- canadiens, australiens, italiens, brita nniques ou
bu ri on e t à cerre prê:scnce. Il ne peur y a voir d e fran çais ? Parlez-vous la lang ue nationale à la
senti111ent d 'ap pa rtenance à un corps social si rnaison ? Que pensez-vous du . voile islan1ique ·?
celui-ci ne reconnaît pas u fîi cielle111ent la vale ur Votre positio n s ur l'hom.osexualité? Con1111e nt
et la contributio n ( historique et actue lle) de ses éduq uez-vous vos e nfants ? Allez-vo us à la pis-
1ne1nhres, de tous ses me n1bres. Il n'est pas cine' Vou lez-vous des écoles islan1iques' Co n1-
question de produ ire un discours cu lpabilisant ment choisissez-vous votre rnédecin fem1ne ou
sur les colonisations passées, mais un discours homme? Quand on ne va pas jusqu'à les ques-
positif et confiant qui saie reconnaître les en-eurs, tionner sur Je conflit israélo-palestinien, la guerre
évaluer les richesses et les apports, parler de en Irak ou, plus généralement, sur les crises au
l'expérience douloureuse de l'esclavage, de l'exil Moyen-Orient, e n Asie ou en Afrique du >lord.
ec égalemenc de la parcicipacion des pren1ières Ces quescions cescs sont propre1nenc intolérables,

l IR 119
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MON l NTIME CON\ 1CTION l.t SENT IMENT D' APPAJ(J'ENANCll...

elles sont pourtant omniprésentes et distinguent véritable sentin1ent d'appartenance, des liens de
les bons rnusuln1ans des • n1auvais ., les bons respect n1utuel et de confiance, des initiatives
citoyens des • suspeccs •. On n'oserait pourtant pas novatrices et plurielles. Après un premier cycle de
poser le d ixiè111e de ces 1nê111es questions à des rencontres de terra in, j'ai p ublié un rapport
citoyens ordinaires, " de so uche •, athées, agnos- d'étape sur l'éducation 1, et le processus se pour-
tiques, juifs, catholiques ou protestants, fussent-ils suit autour des questions du Œnarché de l'emploi
conservateurs ou dogrnatiques. et des rnédias2 À l'ilnage de ces projets qui insis-
Avec la politique liée aux progra1nmes sco- tent sur la proximité, le sentin1ent commun d 'ap-
laires dont nous parlions plus haut, il in1porte de partenance et la créativité citoyenne - au non1
lancer des projets sur le plan local qui réunissent d 'une approche de nature clairernent • postinté-
les citoyens autour de valeurs co1nmunes et qu i gration • -, nous avons besoin de politiques natio·
cessent de les classer co111n1e • nationaux ·, • inté- nales d' initiatives locales. Au derneurant, on
grés • ou • à intégrer • (ou • autochtones • ou s'aperçojt, au niveau local, que les tensions et les
• allochtones • comme aux Pays-Bas). Il importe débats passionnés qui polarisent les acteurs au
de prendre acte qu'ils sont citoyens et de les niveau national ne sont pas des réalités au niveau
engager dans des actions .sociales de proxiinité local. On aurait tort de se laisser tron1per par les
qui reconnaissent leur présence, promeuvent leur
richesse et rnobilisent leur énergie. ]'ai été asso- 1. Voir les rapports publiés: Report on City Tou.r q/ Tariq
cié, d urant ces trois dernières années, avec la Ramadan , 1Warcb 200?:fune 2007, .MuClicipaliry of Rorre r-
çlam, Youth, Educarion and Society (jeugd, Onderwijs en
1nunicipalité de Rotterclarn et sous l'in1pulsion ini-
Samenl&ving), septembre 2007, ec Citizenship, ldentily
tiale d 'un élu du parti écologiste (Orhan Kaya); à and A Sense ofBelonging : Bridge of Trust, Education: 7be
un projet pilore extrên1e1nent intéressant et nova- jirst Pillar, Municipaliry of Rotterdam , Yourh, Education
teur. T1 s'agit, autour du thème génélique "Citoyen- and Society (jeu.gd, Onderwijs en Samenleving). avri l 2008.
neté, identité et sentiment d'appartenance •, 2. Un vole r académ ique est lié à ce projet avec la création
cl'une chaire• Cicoyenneté er l dentiLé • â l'universiré de Rot-
d'établir des ponts dans différents domaines: édu-
terdam. Trois projets de thèses de doctorat ont éré lancés
cation, marché de l'emploi, médias, relations entte autour d '<;'.'.rudes comparatives sur des politiques et des
les co1nmunautés religieuses, projets sociaux, etc. dynamiques locales. Vo ir ma page web à l'u niversité:
C'est au niveau local que l'on peuc fa ire naîcre un http:// wvvw.cur.hl/fow/staff/ homc pages/ ramadan.

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L~ SENTIMENT 1) 1\J>l'Alfl'f.NANCE ..•
0
MON INTIMF CON\ 'ICTION

débai:s des capita les, les propos de certains poli- façon bien sü r indt:pcndan(c, et qu'ils connais-
ticiens rrès visibles ou de 1nédias nationaux qui sent la langue et la culture du pays, qu'ils en
ne rendent pas compte d es dyna1niques très soient imprégnés de l' inLérieur afin d 'apporter
constructives opérant partout au niveau des villes aux comn1unautés religieuses une vision et des
et des qua1tiers. solutions en phase avec les réalités du terrain.
La responsabilité des citoyens de confession Les intellectue ls, les leaders, les cadres asso-
musulmane est égalernent très iinportante. ll ciatifs ec de nombreux savants musulinans
s'agit à la fois, comme je l'ai dit, de revoir le déploient des efforts considérables pour nlener à
contenu des enseignements dispensés dans les bien cette transition et, comme je l'ai dit, les
organisations er les mosquées cc la nacure des choses évoluent vite. li faut encore néanmoins
représenrarions que l'on propage sur la société du temps pour que les rnusulinans développent
environnante. Tl est impo rtant que l'on insiste, une vision globale cohérenle et déterminent les
dans les cercles musulmans, sur l'imporcance de form es el les étapes des engagen1ents 1nultidi-
la connaissance de la langue, du cadre légal 1ne nsion nels dont il..:; o nt besoin. Les défis sont
environnant, ma is aussi que l'on déve loppe une multiples et les e njeux importants: outre les
approche pos itive s ur la culture, les arts, la question s strictement religieuses, il y a bien sür
contribution, la créativité et, bien s ûr, le senri- des considérations éconon1iques et culturelles
n1ent d 'apparte nance qu'il faut assumer et nour- dont il faut œn ir C<.>lnpte dans les processus de
rir. Ce que les mus u ln1ans e ntendent dans les représentations et de perceptions de soi et de
rnosquées, les confc'.!rences ou les activités con1- l'environnement. À cela il faut ajourer l'enjeu
1nunautaires doit leu r pennettre de vivre serei- politique: au niveau nalional, de non1breux
neme nt leur appartenance à l'isla1n en rnême panis politiques affirment qu'il faut dislinguer
ten1ps qu'une citoyenneté assu1née et ouverte l'appartenance religieuse et l'appartenance
vers leurs concitoyens. C'est pour cette raison citoyenne. Toutefois, au niveau local, on s'aper-
que l'institutionnalisation au niveau local con1me çoit que les pratiques sont tout autres et que les
au niveau national esr si importante. À terme, il autorités et les é lus non seule1nent tiennent
faudra que les i1nams suienc formés dans Je compte des appartenances religieuses, mais
contexce occiclenral, européen ec nacional, de s'appuient aussi s ur ce sentm1ent pour récolter

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
MON l i\• l'I ME CON\ 'ICl'ION

des voix er anirer des électeurs. Le phénon1ène


est visible partout: les rnusul1nans sont ou vont
devenir des enjeux impo rtants d ans les élec-
tions, et les partis politiques, souvent déconnec-
tés de ces nouveaux citoyens, ne parviennent
souvent à les atteindre que par des discours 13
• com1nunaurai res •, leur pro1nettant de tenir
co1npte de leurs demandes • religieuses •. ious Ù S Q U ESTIONS SO CIOPOLITIQUES, LES MÉDIAS
sornmes ici en co1nplètc contradiction avec les
principes politiques affichés distinguant le reli-
gieux du p o litique. Pour les leaders et l es
citoyens de confession musulinane, le défi est de Quand les politiciens n1anquent d 'idées ou de
taille: ils peuvent jouer su r le rapport de force, courage pour promouvoir des politiques sociales,
et la force du no mbre, pour influer sur les poli- ils se contentent de surfer sur les perceptions et
tiques locales et, en même temps, renforcer le les sentintents po pu laires et finissent par . cultu-
sentiment co1nrnunautaire. lis peuvent, au raliser ", • religioniser •ou • islamiser· les questions
contraire, s'engager à d év elopper une éthique sociales. Ainsi, en l'exprimant directe1nent ou en
citoyenne q ui consiste à exiger de la cohérence, Je laissant encendre de fa çon fünplicice, on établit
des politiques social es justes et un traiten1ent un lien entre les problèmes sociaux, la violence,
égalita ire. Cela veut dire exiger de l 'intégrité la n1arginalisation d 'une part et la couleur de peau
politique, de la compétence et l'évaluation ( .. la race ..), l'origine culturelle ou la religion des
civique d es po litiques loca les plutôt que d 'en- individus d'auu·e pait. En panne d'idées politiques,
traîner les citoyens de co nfession musulmane on développe des théori es politiciennes, popu-
vers d es logiques politiciennes com1nunautaires listes et souvent explicitement ou in1plicite1nent
et fern1ées - une impasse vers laquelle des poli- racistes. Au cœur de ce processus, le danger
ticiens, obsédés par les élections, les emmènent consiste à voir les citoyens 1nusulmans s'impré-
écrange1nenc et dangereusement. gner eux-mêmes de ce discours et penser que le
problème n'est pas politique mais bien religieux

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
MON l NTIMt CON\1CTION Lt.S Q UESTIONS SOCIOPOLITIQLl'ES, LES Ml~DIAS

et eu lturel. N'étant souvent pas au fair des de victirnisa tion et se prendre en charge pour
anciennes stratégies ec n1anipulations (rapport de revendique r ses droits.
pouvoir, représentation, etc.) quant au rraiten1ent Cela co1n1nence par affinner qu'il faut cesser
général de la questiqn rdciale (Indiens d'Atnérique, de • culturaliser • et d'· isla1ni~er • les problè1nes
Afro-Américains, Noirs ou Arabes, etc.), ils accep- parce qu'on ne sait pas les résoudre avec de nou-
tent très (trop) vite - et avec une coupable naï- velles politiques sociales un peu téméraires. Nos
veté - l'équation stipulant que, à cause de politiciens n1anquent de courage et sont obsédés
l'appartenance religieuse et culturelle n1inoritaire 1 par le ten1ps des élections qui n'est pas le temps,
ils ne pourront jarnais se sortir de la n1arginalisa- bien plus long, des réformes sociales. Les pro -
rion sociale. Le sentünent viccitnaire se justifierait blè1ne.s des structures sociales 1nanquantes, du
donc, il n'y a rien à espérer ni de la société ni des chôrnage, de l'habitat ou des discrirninations
politiques: la boucle est bouclée. sociales n 'ont rien à voir avec Ja religion: ce sont
Cette logique est grave, il faut la refuser et la des questions sociales qui exigent des politiques
combattre. J'ai répété qu'i l fallait lutter contre le socia les. Il est réjouissant de voir que, lors des
sentiment victin1aire, 111ais cela ne doit pas nous émeutes dans les banlieues françaises en 2005, la
ernpêcher de voir qu'il exiiste bien des victirnes majorité de la classe politique a évité d 'en faire
de discriminations à l'en1ploi, au loge1nent et plus un problèn1e culturel et religieux: les consé-
largernenr au faciès . Le racisme est une réalité et quences auraient pu êcre drarnatiques. Cepen-
on trouve dans certaines villes, cirés ou banlieues dant, trojs ans après les événernents, et rnalgré
des gestions qui rappellent 1nalheureusernenc les des élecrions - présidenc.ielle, législatives er n1uni-
logiques coloniales où l'o n entretient, parmi les cipales -, rien n'a été fait, rien n'a changé. On est
citoyens, le sentin1ent de valoir moins que les resté pn1dent sur la qualification des én1eutes,
autres, d 'être des citoyens d e seconde classe. mais la passivité qui a suivi, avec le silence de la
Reconnaître qu'i l existe des victimes est une classe politique sur ces questions, donne l'im-
chose, entretenir un sentin1ent victimaire en est pression que celles-ci ne sont pas les qu.estions
une autre. Au demeurant, j'en appelle à un senti- des vrais citoyens, qu 'il ne s'agit pas de pro-
1nent e.xacte1nent opposé: parce qu'il y a des vic- blèn1es intérieurs réels et prioritaires. Tout se
rin1es réelles, il faur s'opposer à route rentarion passe con1nH~ si les cirés ec les banlieues éraienr

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MON ll'mMC CONVICflON LES Q Uf.STIONS SOCiOPOIJTIQü ES, LES M~Dl.AS

des [e rritoires à part. Aux Érats-Unis, l'élection du a u Canada ou en Australie, J'islarn et les m usu l-
pren1ier président afro-américain ne cloir pas nous rrians syn1bolisent non pas la figure d u citoyen
le urre r sur la réalité du racis1ne structurel et des installé mais celle de l'éternel imn1igré à intégrer
injustices quotidiennes qu e subissent les Noirs . o u à stig n1atiser. En Europe, la questio n po li-
Ces processus de· culturalisation" ou d '• islanüsa- tique de l'intégration de la Turquie aurait dû être
tion " des questions sociales ou, à l'inverse, de a pr>réhendée sur la seule base des conditions
leur d éplacen1ent dans une sorte de no man's d'adhésion: la Turquie se confonne-t-elle oui ou
land citoyen sont à l'œuvre dans tous les pays non aux conditions de l'intégration à l'U nion
occidentaux qu and on s'approche des élections e uropéenne? Si oui, elle peut y adhérer; si non,
politiques ou e n ternps de crise. elle doic: attendre et chercher à atreindre ces
Si l'on ajoute à cela la quesüon de L'irnn1igra - objectifs. Or, on assiste ici encore à un cl.éplace-
tio n, le tableau est encore plus soinbre. Au lieu 1nent vers le re ligie ux et le culturel: le problè1ne
d e considérer les phéno1nè nes à l'aune d es turc, explicite1nent o u in1pliciten1ent, est une
droits humains d'une part et des réalités écono- question re ligieuse e t cultu re lle qui met en
1niques d 'autre part, on e n fait des questions danger les équilibres européens e t l'h:o 1nogé-
d'identité, de religion et de culture : ces der- néité culturelle du continent. I)es députés euro-
nières sont 1nenacées non seulement de l'inté- péens l'ont dit et l'on fait rnine de ne pas en être
rieu r, n1ais égale1nent de l'extérieur par les flux conscient au niveau des gouvernen1ents. Le pré-
tnigra[oires incessanrs. Des p ropos renda ncieux si<.1en t fra nçais Nicolas Sarkozy a néanrnoins
ou clairernenr racistes se répandent da ns les clis-
cou rs politiques et pa rn1i les popularions: la
sphè re du politique et celle de la gestion écono- 1. En Suîsse, des responsab les du J)arti d'extrê me droite
.m ique sont désertées p our laisser libre cours à l 'Union dé mocrmique du cemre (UDC) om demandé à ce
des considérations identita ires, • essentialistes •, que l'on me retire ma nationalité car mon engagement pqur
l'islam p rouvait rna non-imégration. Ils ont par ailleu rs
culturelles et religieuses justifiant la xénophobie
dem andé q ue l'on interdise la créarion de minarets qui sym-
et le rejet. En Suisse', au Danen1ark, en Espagne, bolisent l'installation des musu lmans et l'· arrogance de leur
en Alle1nagne, en France, en Italie e t finale1nent colonisation ., en comradiction avec " l'essence ch rétienne •
à travers route l'Europe con1111e aux États-Unis., de la culrure suisse.

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MON INTIMF CON\ 'ICTION Ll'-'l QLll'STl ONS SOCIOPOLITl()U ~S, 1.ES MÉDINi

affirmé tout haut ce que la n1ajorité pense tout xénophobie et, ce faisant, entt:rinent des déficits
bas. Triste cableau, dangereuses incohérences. dé1nocratiques dangereux. Au non1 d 'une idée
On constate partout ces 111ê1nes déplace1nents reconstruite de son identité e t d'une représenta-
du social et du politique vers le culturel et le reli- tion de soi sélective et très idéologique, les États-
gieux. Incapables de proposer des politiques Unis, le Canada, l'Europe, l'Australie ou la
justes et égalitaires sur les plans sociaux et poli- 1 ouvelle-7.élande semble nt, en effet, accepter de

tiques, on justifie les incohérences, les contradic- trahir au passage quelques-unes de leurs valeurs
tions et parfois les hypocrisies en s·appuyant sur démocratiques fondamentales. Le danger est réel.
des considérations raciales, culturelles et reli- On ne peuc plus 1ninimiscr ou sous-esti1ner le
gieuses qui expliqueraient ou justifieraient les rôle des médias dans les représentations et la
traiten1ents différentiels. Ce que les citoyens occi- narure des débats nationaux et internationaux.
dentaux de confession musuln1ane doivent reven- On peut effectivement rester passifs et subir la
diquer de toute urgence, c'est la reconnaissance • logique médiatique • qui s'intéresse naturelle-
de leur statut et le traitement égalitaire qui 1nent aux crises et amplifie les représentations
incombe à la société et aux collectivités à quelque problématiques ou négatives ; ou alors on peut
niveau que ce soit. Il faut re penser les politiques penser à engager les journa listes et les rnédias
sociales, de 1nê1ne que la gestion nécessaire des dans la dynamique générale dont je parle ici. 11
rapports de pouvoir ca r il est b ien question de ne s'agit pas de vou loir contrôler les journalistes
cela en fin de compte. Il s'agit de se réconcilier ou leur Hberté d'expression et d'analyse, 1nais de
avec la politique e t la gest ion des rapporcs éco- travailler sur le fond <:'t le long tenne, en rendant
norniques: en é tant obnubilées par les questions d 'abord les journa listes conscients qu'elles/ ils
d 'identité et e n dép laçant les débats vers • les sont des citoyens et qu 'il serait bon qu'elles/ils
valeurs •, • la cu lture • ou • la civilisation ., les maintiennent éveillée le ur conscience civique au
sociétés occidentales évitent les questions de moment même d'exercer leur profession. Cela
l'État de droit, de l'égalité de traite1nent, des rap- veut dire pour eux s'intéresser aux processus
ports objectifs de do1nination, de rninorisation et plutôt qu'aux faits divers, aux 1nouvernents de
de marginalisation écono1niqucs et sociales, des fond qui construisent plutôt qu'aux seuls
discriminarions policiques, du racisme er de la ·scoops · ou à la couverture sensariunnalisre des

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
MON INTIME CONVICTION U'S QUESTIONS SOCIOPOLITIQUES, LES MÉDIAS

événe1nents qui frappent ou qui choquent. Des rnajoritaires. Nous avons aussi besoin de quelques
·politiques 1nédiatiques ·s'imposent qui doivenn: journalistes courageux(ses) qui osent aller contre
penser à la forn1ation des journal istes, sur les les opinions établies, questionnent les certitudes
questions religieuses et culturelles d'une parr, et posenc les bonnes questions. Elles/ils se font
sur les questions sociales et les processus de de plus en plus rares mais e lles/ ils existent et
1narginalisation, etc., d 'aut1'e part. Tl irnporte leurs contributions sont essentielles.
d'engager les médias de proximité et surtout de
1nieux faire connaître les actions locales intéres-
sanœs sur le court e t sur le long tern1e. Les jour-
nalistes, parce qu 'ils sont des rnédiateurs
incontournables, façonnent les représentaüons
et sont, de fait, des atteur.s clés dans la gestion
du pl uralis1ne social, religieux et culturel, dans
le développement du sens de l'appa rtenance
com1ne, enfin, dans la potentielle aliJnentation
des peurs ou des phobies.
Les citoyens, les acteurs sociaux con1me les
politiciens doivent penser de façon plus rigou-
reuse et plus systén1arique le volet de la co1n-
1nunication. À contre-courant des stratégies
, relacions publiques • et des jeux sur les effets
d'annonce et sur l'in1age, il faut inviter les jour-
nalistes et les médiateurs à pre ndre le temps, à
co1nprendre la co1nplexité des enjeux et à appré-
hender les choses dans la te1nporalité plus longue
et les évolutions historiques. Défi difficile s'il en
est, tant les journalistes sont sou1nis(es) eux-(elles-
)111êrnes à la pression du rernps et des perceptions

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
.14

Ù!S RACINES DE L'EUROPE ••• ET DE L'Û CCI DENT

On :a vu ces dernières années le débat se dépla-


cer du politique et de l'écono1nique vers le cultu-
rel et le religieux. On a pu égale1nent observer sa
projection sur l'histoire avec des débats parfois
su1Téalistes sur • les valeurs occidentales " et " les
racines • de l'Europe et son identité " gréco-
rornaine · ou ·judéo-chrétienne", ou sitnplernent
·grecque et chrétienne•, selon les propos du pape
lors de sa conférence à Ratisbonne le 12 sep-
te1nbre 2006. Avec l'arrivée de l'isla1n, de nou-
veaux u111nigranrs plus visibles et le change1nent
manifeste dans les sociétés occidentales, o n
semble penser qu'il faut • resserrer • les rangs, redé-
finir ce q.ue sont l'Occident et l'Europe, afin d'être
à même de délimiter (au sens d'établir des limites)
ce qu'est l'identité occidentale / européenne et ce
qui la constin1e d'un point de vue culturel et

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
L.ES 1\ACI Nll~ DE l.'EUROPn . • . HT DE L 0CCIDENT
0

MON INTIMF CO'JVICTION

religieux. Au cœur du plu r alisrne, le plus grand colJective autant que dans l 'enseignen1ent- qu'on
danger serait de voir détruite l'idée que l 'on s'est ne peut manquer d 'y voir un choix idéologique
toujours faite de soi: qu'importent alors les valeurs dans le processus qui n1ène à la construction de soi.
hun1anistes et la vision sociale et polilique de l'Eu- Pour faire bonne ligure, on cite obsessionnelle-
rope (et de l'Occident), ce qui co1npte désorn1ais, n1ent la ligure d'Ave.,.oès, le-rationaliste-qui-nous-
ce sont nos racines, notre identité et ce qui nous ressen1ble-tant, à qui l'on doit d 'avoir redécouvert
définit historiquement co1nrne • occidentaux •, • noue • A ristote 1, in ais on néglige plusieurs
• européens •, ou • français ., • italiens ·, • britan- dizaines de scientifiques, penseurs, philosophes et
niques •,· a1néricains · en termes de culrure ances- artistes qui ont non sculc1ncnt vécu en Europe,
trale et de religion établie. Ce qui sourd de ce mais qui ont aussi profondément influencé les
processus est finalement aussi simple qu'explicice : mentalités et les praliques scientifiques, philoso-
l 'islain, c'est• l'autre •, même présent parn1i nous. phiques et même léga les et politiques euro-
Cette idée n'est pas nouvelle, el le projet mê1ne péennes. Les manuels sco laires, des écoles
de · l'Europe •, au-delà de sa construction géogra- prim.ai r es à l 'université, ne menti on nent ces
phique, a été nourri et façonné par ce processus de apport.5 qtre 1narginalernent (com1ne s'il s'agissait,
distinction - ou claire1nentd'opposition - à ce quj encore et toujours, d'apports d'une civilisation et
n'est pas elle. Pou r de nombreux acteurs, intellec- d'une religion exogènes) et les cursus universi-
tu els, politiciens ou religieux, l 'islan1 a souvent, taires n'y font parfois pas 1nêrne réfërence. Sont-ce
historiquement, joué le rû l e de• l 'autre" dans le là les hasards d'une perte pa1tielle de n1én1oire ou
miroir duquel on pouvait 111ieux définir ce que l 'on les conséquences d 'un choix id éologique et poli-
était soi-mê1ne. La reconstruclion sél ective du tique délibéré? La réponse ne fait aucun doute.
passif historiqu e, des racines de l 'Europe et le Les ré fl exes auxquels nous assistons aujour-
·trou noir • qui ca rac térise la co ntribution de d ' hui con finnent la nature profonde de ce très
l 'isla1n et des 1nusultnans à la construction de ancien processus. Celui-ci consiste, au rnoment où
l'Europe sont édifiants à ce sujet. Les apports scien- l'on détermine et sélectionne ce qui nous définit, à
tifiques, juridiques, philosophiques et religieux
des savants et des intellectuels musuln1ans font 1. ~lais dont on oublie d<.: r:ippder quïl érair un juge
l'objec d 'une relie négligence - dans la mé1noire musulman (qâdf) et. de surcroît, ur1 ferveM pratiquanr.

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.'vtO.' I INTIME CONVIC l'ION l.ES 11/\CINES l>il l.'1~1!1!01'1( .. . 1; r DE L'OCCIOENT

dessiner le portrait de ce qui est diffé re nt de nous Encore une lois, elle est autre, e lle est· l'autre •. En
ou q ui nous est o pposé. Nous som1nes ré moins cela, Be noît ),..'VI est un pape très e uropéen qu i
d'une réactivatio n très volontariste de ce proces- appelle les peuples du continent à prendre
s us de redéfinition ide ntita ire: la présence des conscience du caractère centra.1 et incontournable
nouveaux citoyens musulmans, l'arrivée continue du christianisme s 'ils tiennent à ne pas perdre leur
des in11nigrés et les projections dé1nographiques identité. Ce message est peut-être légiti1ne e n ces
font p eur et il devient clone urgenr de dire claire- temps de crise identitaire, mais il esr surtout poten-
ment qui l'on est, sous peine de voir son identité er tiellement dangereux puisqu'il opère une double
sa culrure se perdre dans la diversité ou rour sin1- réduction dans l'approche hisrorique et dans la
plen1ent disparaître. La crainte du pluralisme reli- définition actuelle de l'identité européenne.
gieux er culturel entraîne la réductio n er un regard L'Europe ne saurait s urvivre, pas plus que
rrès exclusif sur soi dans le passé. C'est bien ces l'Occide nt, s i l'on s'évertue à vou loi r se d éfi nir
considérations qui constituaient le substrat de la exclusivement et à distance de l'autre - de l'isla1n
conférence du pa pe à Ratisbonne: e n parlant du ou du musultnan - qui nous fait pe ur. Peut-être
lien entre la foi et la raison et e n ins istant sur la que ce dont l'Occident, et l'Europe ce faisant, a le
relation privilégiée d e la tradition rationaliste plus bes oin aujo urd 'hui ce n 'est point d 'un dia-
grecque et d e la re ligion c hrétienne, Je pape logue avec les autres civilisations, 1nais d'un vrai
Benoit X\11 tentait de dé Ci nir l'identité européenne dialogu e avec lui-n1ê1ne, avec les face ttes de lui-
qui serait d 'abord chr6tienne par la foi et grecque mên1e qu'il s 'est trop lo ngte mps refusé à voir et qui
par la raison philoso phiqu e . L'islan1 , qui ne l'empêche encore de 1r1cttre e n valeur la richesse
connaîtrait pas cette re la tion à la raison, serait e n des traditions re ligie uses et philosophiques qui le
somn1e étrange r à l'ide ntité e uropéenne (et occi- constituent. L'Occident comme l'Europe doivent se
dentale) construite à travers cet hé ritage. C'est déjà réconcilier avec la d iversité de leur passé afin de
au non1 de cette compré he nsion que le cardinal maîtriser le pluralisme impé rati f de leur avenir.
Ratzinger avait exposé, il y a quelques années, son L'approche réductrice du pape, et de ceux qui
refus de l'intégration de la Turquie à l'Europe: la secouent l'épouvantail du dangereux pluralis1ne
Turquie, musuln1anc, ne fu t ja1nais et ne sauraic culrurel, n 'aide pas à la réalisation de cette réappro-
êrre aurhentiquen1enc <le cultu re eu ropéenne. priacion. Il apparcienc aux un iversiraires er aux

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
incelleccuels, musulmans üll non, de leur prou -
ver - par des écudes liistori<::o-critiques - qu'ils se
trompent historiquement autant que scientifique-
1nent1. Ce serait éga lement un moyen pour les
111usuln1ans d 'aujourd'hui d e se réconcilier avec
l'édifiante créativité des penseurs 1nusuhnans occi-
dentaux et euro péens du passé qui, non seule- 15
ment, écaient • intégrés •, mais qui ont aussi
profondémenc concribué, noun-i ec enrichi de leurs LA RÉFORME ET LES SEPT « C ,.
réflexions criciques l'Europe comme l'Occident U
importe de montrer que la 1némoire sélecrive qui
tend à· oublier• les appc.>rts décisifs de penseurs
1nusul1nans, dont le rationalisme était actif - tels Mes études théoriques et légales ainsi que
que al-Kindî ( 1x"), al-Farâbî (xc), Ibn Sîna (Avi- mon trava il d e terrain, durant ces vingt der-
cenne, x1c), al-Ghazâlî (x1"-x11<), Tbn Rushd (Aver- nières années, 1n'ont amené à évoluer, à densi-
roès , x11°) , Ash -S hâtibî ( x 111°), ibn Kha ldü n fier 1na réflexion t!t à explorer de nouvelles
(XJv0 ) , etc. -, reconstru it une Europe qui tron1pe et pistes. Sur le p lan théorique, j'en suis arrivé à
se tron1pe su r son passé. À la lurnière de cette penser q ue ks 111usu ln1ans devai ent aller plus
nécessa ire réappropri ation , les rnusulrnans peu - loin , et non pas sin1pl e1nen t réfléchir su r le
vent n1ontrer, raisonnabl<:ment et loin de toute droit et la jurisprudence islan1iques (al-jiqh).
polén1ique, qu'i ls partagent l 'essence des valeurs Depuis cent cinquante ans, nous parlons du rai-
sur lesquelles se fond ent l'Europe et l'Occident et sonnement critique autono1ne (i.ftibâd) qui
que leur tradition religieuse a également contiibué devrait nous permettre de faire face aux défis
à leur é1nergence et à leur promotion. contemporains et, malgré tout, les crises et les
obstacles dem eu rent, 1nê1ne si l 'on a vu des
1. Cesc ce que n'a de cesse de faire. livre après livre. le phi- évolucions notoires. À 1non sens, il fauc clésor-
losophe spécialiste du r. toycn Âge Alain de Libera. Voir n1ais remoncer aux sou rces des fondements du
nocammcm son ouvrage <le référence Penser au .Woyen Âge. droit et de la jurisprudence ( usûl a/-fiqb) et

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
MON INTIMF CO'JVICTION

questionne r les catégorisations cc les 111éthodo- chercher à comprend re. Dans le cas des corn-
logies originelles. C'est ce que j'ai appelé la n1L111 a utés musulm a nes à travers le monde, en
• réfonne radica le• qui devrait no us faire passer Occident com1ne pa rtout ai lleu rs, il 111 'est vite
de la réforn1e essoufflée d e l'adaptation à la apparu q ue les problèmes é taient autant liés à la
réforn1e c réatrice de la transfor111ation 1• Le défi spiritualité et à la psychologie qu'à des réa lités
est majeur et le processus qui pourra mener à strictement religieuses, sociales ou politiques.
ces développen1ents demandera du temps et Au cou rs d es années, j'ai développé une
devra essuyer d 'abord de vives critiques, voire approche et un discours que j'ai d 'abord résu-
des oppositions catégoriques et des rejets. Les més e n une théorie des· quatre C 1 •. Il s'agissait
tennes du d ébat sont néan1noins posés: il s'agir de fixer des prio rités et d 'ouvrir des perspec-
p our 1noi, avec d'a utres sava nt!i et intellectuels tives si1nples et clarifia ntes q ua nt à la con1pré-
n1usu linans, d 'ouvrir un d ébat de fond. he nsion des e nje ux et à l'e ngage111ent d es
Cet engagement théo logique, juridique, intel- acteurs musu lmans. Lors d'une visite en Afrique
lectuel et académique e n aino nt, j'ai toujours au cours du Colloque international d es musul-
vou lu le me ne r en 1nême temps que mon enga- mans dans l'espace fran cop hone (Cimef) qui
ge.m ent au cœur des sociétés civiles, en Occi- s 'est ten u à Ouagadougou ( Burkina Faso) en
dent ou dans le tie rs-inonde et, bien sür, à août 2006, de ux in(e rve nants m'ont interpellé et
l'inté rie ur des sociétés et des con11nu naurés n1 'ont proposé d 'a jou te r cie ux a utres " C • à n1a
n1usuJn1anes. De puis vingt a ns, j'ai pu visiter la liste. Ils avaient b ien raison. Réce1nrnent, après
quasi-totalité des pays e uropéens, les Étals-Unis, une confé re nce que je d onnais à l'université
le Canada, la Russie, l'Aus tra lie, la Nouvelle- d 'Oxford , Lrne auditrice est venue 1ne voir et n1'a
Zélande, mais éga lement la majo rité des pays suggéré de pe nser à un autre • C • qui, dans les
afri ca ins, asiatiques et arabes. Je n'ai eu de cesse faits , faisait profondé me nt écho à une discus-
d 'être en contact avec les citoyens de tous ho ri- sion que j'avais e ue avec Karen Arrnstrong et
zons et de toutes religions, de 1nê1ne que
des n1usulinans, afin d 'écouter, d 'analyser et de 1. Tl s'agissair de jouer sur la formule et la prononciarion
anglaise en affirmant qu'il fallait· 10/oresee the fou r Cs·
L Voir mon ouvrage: lslnm. la Réforme radicale .. op. cit. - linéralcmcnr • prévoir et anticiper les quacrc C •.

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MON INTIME CO'l\'ICTIO, 1./\ R(WOl\M ll irr l.ES ~Er~r. c.

que j'avais rraitée dans 111011 dernier essai philo- et d u renouveau . Où q u 'ils soie nt, dans n'in1-
sophique '. C'est pourquoi l'approche se conjugue pone quelle région du rnoncle, les rnusulma ns
d ésorn1ais autour de sept • C • qui devraient devraien t être des témoins (shâhid, p lur. shu -
fo nner autant de piliers dans l'é laboration des hadâ) de la richesse et du potentiel positif d e
priorités et des stratégies. leur 1nessage. Pour ce faire, ils doivent contri-
Ce dont les musulmans ont besoin de toute buer au bien-être de tous, quels que soient leur
urgence est de confiance. La crise identitaire est religion, leur statut ou leur origine: le pauvre, le
profonde er il esc impératif de développer, à tra- malade, l'oppri1né n·ont pas de religion. La
vers l'éd ucation, une meille ure connaissance de contrib11Jion des citoyens de confession musul-
soi et de son histoire, de forger une conscience rnane doit êcre la réponse positive aux discours
el une inte ll igence qui soient confia ntes el passéisces obsédés par • l'intégration •. Il est
serein es. Être sû r de soi tout en éta nt hu1nble ilnport.anl que les musu lmanes et les n1usuln1ans
vis-à-v is d'autrui parce qu'il s'agit, à terme, de retrouven t 1 dans to us les do1naines de l'intelli-
conjug uer la confiance en so i avec la con.fiance gence et de l'agir (sciences, arts, cultures, socié-
en l'autre . Ce trava il doit être marié à un devoir tés, po litique, écono mie, écologie, éth ique, etc.)
pennanent et rigoure ux de cohérence: en effet, l'énergie de la cré<-lfivité et le goût de l'entreprise
il ne s'agit pas d 'idéa liser se;·s valeurs et son n1es- et du risque. Il faut libérer les intelligences et les
sage e n n'éta nt p lus capables d 'écablir u ne raie nt'> et offr ir aux fcrnines ec aux hon1rnes des
critiq u e rigoure use des co ntrad ictio ns, d es esp aces cl'exprc.:ssion, d 'expéri1nentation, de cri-
dysfon ctionne1nents, voire des trahisons qui tra- tique et d e renouvelle1nent. Il ne faut p ourtant
ve rsen t les sociétés el les co1nn1 unautés 111usu l- p as q u' ils oublient q ue d e noin breux conci-
ma nes. l 'esprit cri tique, la loyauté cri tique, la toyens (voire des coreligion naires) o nt des
ratio n alité active sont non seu le1nent les craintes, ne compren ne nt pas et aimeraient en
meilleurs a1nis de la sp iritualité profonde, mais savoir davantage: la coinmunication est essen-
ils sont aussi les conditions du développement tielle. Le choix de la tenninologie, la définition
des concepts, la capacité de décentrage et d'em-
l. L 'Au Ire en n ous, pour une pbilosopbie du pft,,.(l/isme. pathie intellectuelle (et cultu relie) sont in1por-
Presses du Châtelet. 2009. tancs non pas seu lement pour tenir compte de là

14·i 145
Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
MON 1. l'I ME CONVICTION u \ RÉl10 RME 1rr I.E~ ~El-'T' c.

OLJ l'on parle, mais éga le111ent pour considérer la soi er d 'aurrui (selo n l'exigen ce de la rradition
situa(ion de celle ou celui qu i écou(e (avec ses bouddhisre), sont un autre i1npéra(if. li ne s'agit
p eurs, son histoire et ses références). Reste pas de pitié o u de sentin1enta lis111e passif, mais
enco re une exigence : être cohérent el critique de cotnpréhension et de pardon dans l 'action,
vis-à-vis de soi ne peut justifier de faire l'écono- dans l 'exigence de justice, sans jamais oublier
1nie de la critique des incohérences, voire des l'ordre du cœur et de l'a 1nou r ' .
hypocrisies, d 'au(rui. Qu'il s'agisse de pouvoirs, les sept • C • (Confiance, Cohérence, Contri-
de gouvernements, voire de lois (comn1e celles bution, Créativité, Conununication Contestation
de l'a parchei<l qui était institutionnalisé en et Compassion) offrent un cadr e clair et surtout
Afrique du Sud), il faut garder inracts son devoir l e sens de certaines priorités. L'éducation, la
ec son droit humains à la contestation. Savoir connaissance de soi, l 'esprit critique et la créati-
résister à la trahison des principes, el ce même v ité sont des domai nes où il faut investir de
quand cette trah ison est le fa it <le sa fatnille, de toute urgence. Les femmes co1nn1e l es homn1es
ses core ligionna ires, de son gouvernement ou musu lmans traversent une c.:rise de confiance
de quiconque. Il ne fa ut pas se ta ire face aux psychologique et intellectuell e. Ce n'est qu'avec
gesticulations hy pocrites d es Éta ts occidentaux ce tra vai l sur soi qu 'ils sauront com1nun iquer
devant la rép ressio n chinoise vis-à-vis des Tibé- avec l eur enviro nn ement autren1ent que de
tains (q ue je défends depuis p lus de ving(-cinq fa çon réactive ou émotive , tr op souvent sur la
ans), pas plus qu 'au cœu r d u silence de la corn- dé fe nsiv(:~. C'est aussi la condition obligée pour
munauté internationa le alors que les Palestiniens penser d es conrescations et des stratégies de
subissent la colo nisation el la répression des résistance aux dictatu res, à la don1inalion autant
gouverne1nents israéliens successifs•. Dévelop-
per la capacité à l 'empathie, à la compréhension,
au pardon, accéder à la co mpassion, vis-à-vis de 1. C'esr l'idée qui sous-iend la• Cha ne de la compassion .,
lancée par Karen Armstrong, développant celte idée de
l'ordre du co::ur comme exigence de la finalicé de justice.
1. Tl fa ur aussi dénoncer les hypocrisies des Érars arabes Le· groupe tics sages•, <.lonr je suis membre. s'esr réuni en
qui so nt, somme 1oute. les p remiers responsables d u février 2009 à Genève dans le bu1 de finaliser les termes
lâchage er de la dérourc des Palestiniens. de ccnc charte. Cl le public a été convié à réagir e1à écrire.

146 147
Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
\ION INTIMI' CON\ 'ICl'ION

qu'aux discriminations qui ne soient pas ponc-


tuelles, chaorique.s, en ne s'appuyant sur aucune
vision et e n n'aya nt détenniné aucune priorité ni
étape. Il est urge nt qu'au cours de celte matura-
tion les 1nusulmans ne lai.ssent pas le champ
libre aux voix les plus radica les qui 111onopoli-
sent les 1nédias et les attentions. Avec leurs 16
concitoyens, et pour leurs concitoyens, ils doi-
vent faire entendre la voix, et la voie, de l'assu- L'occrDl!NT ET SON MIROIR :
rance, de la pondération et de la racionalüé UN NOUVEAU .. Nous'.
critique, 1nais aussi de la sagesse, de l'amour et
du pa rdo n : rester soi, refuser de devenir les
·Arabes de service • ou let'\ • 1nusulmans de ser-
vice., diffuser un discours se rein , nuancé, cri- Les sociétés occidentales ont changé et le pro-
tique, génére ux e n pé ri ode de crise et de cessus est irréversible. Les citoyens de confession
tension, ainsi qu 'un propos ferme et contesta- musulmane .se sont installés, vont continuer à le
taire chaque fois que cies fe1n1nes ou des faire, et la survie économique de l'Europe, com1ne
honunes, musulmans ou non, trahi.ssent les d'ailleurs celle du Canada, des État5-Unis, de l'Aus-
valeurs universelles de dignité, de liberté et de tralie ou de la uuvclle-Zélande, dépend en sus
justice. L'exigence de justice et le don d 'an1uur. des futures irnrn igracions. Quelle que soir la nature
des résista nces culturelles el religieuses aujour-
d'hui, il faut regarder objeclive1nent la réalité et les
besoins et gérer au 1nieux les défis qui se présen-
tent à nous. Les discours et les politiques qui ins-
trun1enta lisenc la peur et jouent sur la polarisarion

l. Voir annexe 2, • i\l anifestc pour un nou\·eau ·.Nous"•.


p. 195.

149
Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
MON IN'l'l~m CON\ 'ICl'ION L.OCCI DENT ET 'ON MIROIR : LIN N"OU\"EAU • NOUS '

pour gagner des élections p euvent bien attirer les de Jacques Delors, alors président de la Con1n1is-
citoyens troublés et anxiellx su r le cou rt tenne, sion européenne.
1nais ils sont dangereux, inopérants et, au fond , Face à ce miroir, le prem i er défi consiste à
rron1peurs et n1ensongers sur le long tenne. Les éviter les confusions. Au-delà des perceptions et
sociétés occidentales doivent se regarder en face, des imaginaires, il faut circonscrire plus précisé-
prendre acte des changements qui les traversent et ment la nature des problè111es et s'en tenir plus
construire un nouvel avenir qui ne soit passim- rigoureuse1nent aux faits et aux chiffres. li y a
plement ünposé par l'ünpératif économique, majs des questions religieuses et culturelles qu·il faut
qui s'appuie également sur une volonté politique considérer coinme telles. Il y a d'autres défis qui
clérermmée, un projet de société, une vraie • phi- sont, nous l 'avons dit, de nature socio-écono-
losophie du pluralismc1 • et un regard lucide sur la mique, et il irnpone de ne pas les confondre
diversi té des cultures, l'interculturalit.é et la pluralité avec les preiniers, même si la 111ajorité des per-
religieuse. Il s'agit là d'un i111pératif catégorique : sonnes touchées provient d 'une immigration
sans u ne politique volontariste destinée à gérer la récente ou est musulmane. L'intersection et/ou
diversité culturelle et religieuse au sein des sociétés le cu1nu l des facteurs (culture, religion et margi-
dén1ocratiques, ce sont les p ri ncipes mêmes d e l~ nalisation sociale) ne sign ifie p as leur similarité :
démocratie q ui seront en danger et, avec eux, Les je l'ai dit, des politiques socia les doivent régler
acqt1 is fondainentaux du p!LJralisrne politique clo ne les pr obl èn1es soci aux et cel les-ci sont distinctes
l'Occident, très justement, se prévaut. li est d aire- d es politiques de gestion de la diversité cultu-
1nent q uestion de sauver l'âine de l'Europe ou sim- relle et ndigieusc. Les premières aideront forcé-
ple1ne nt de lui en octroyer une selon l'intitulé du ment les secondes (et v ice versa), mais elles ne
program me de l'Un ion européenne auquel j'avais sont pas identiques el il ne faut pas confond re
participé il y a p lusieurs ann ées 2 sous le patronage les o rdres. Tl convient, de p lus, de ne pas mél an-
ger les questions (intérieures) avec les questions
de lï1nrnigration qui exigent une réflexion
1. C'est le sous-titre de mon OLwragc l 'Autre en nous, op.
approfondie et des poliriques, sur le long terme,
cil.
2. Le projet-programme sïmitulait justement :· Donner une justes et raisonnables. Des fen11nes et des
âme à !"Europe •. hommes fuient la misère, l'Occident a besoin de

ISO 151
Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
MON INTIME CON VICTION L'OCCIDENT ET SON MIROIR : UN NOUVf.AU « NOUS '

1nain-d 'œuvre: cornment, au-delà des peurs, res- culturel, artistique er sportif, etc. 1 ) . Certes, ils
pecter la dignité des êtres hu1nains en ne les trans- peuvent vivre des tensions ou, en ternps d e
fonna nt pas en cri111inels et en clandestins alors crise , exprin1er des sentitnents de mal-être ou
que les prévisions les plus objectives nous infor- avoir des réactions étnotives qui orienrent jus-
ment que nous aurons besoin d 'eux? .Allons-nous qu'à la nature de leurs réponses selon la teneur
respecter scrupu leuse1nent nos principes et les parfois tendancieuse des questions qu'on leur
droits hu1nains ou alors accepter, en fennant les pose 2 ; nlais les faits parlent d'eux-mêmes et prou-
yeux, la naissance d'un nouvel esclavagisn1e vent que les choses évoluent vite et positivement.
1noderne qui ne dit pas son no1n, en poussant Ce qui ne veut pas dire que les perceptions sui-
dans la clandestinité des travailleurs souvent sans- vent : une étude de n1on collègue à l'université
papiers, qui vonc. être exploités, parfois poussés à d'Erasn1us à Rotterdam, le pr<;>fesseur Han Ent-
la pr<;>.<;titution, au travail " au noir·, et recevant des zinger, effectuée sur les popu lations 1narocaines
salaires indignes? et turques, prouve que, sur la plupa1t des para-
Cette distinction (et déconstruction) des pro- 1nètres éva luant les processus d'intégration\ les
blèn1es est de nature à clarifier les questions et les
enjeux. Il faut ajouter à cela que les faits et les 1. C'est ce que j'ai appelé les trois· L ' que les cico)rens de
chiffres sont là pour apaiser les craintes. Les pays confession musulmane onl désormais acquis: rnaîcrise de
dont l'irrunigration, noc.amrnent rnusulrr1ane, est la la langue nationale , respecl de la loi, et loyauté (même)
p lus récente devraient observer ce qui se passe critique ;! l'égard de leur société.
2. Dont celles évoquées plus haut : qu'êtes-vous
en France ou en Grande-Bretagne oli l'installation
d'abord' . ... afin de cescer leur loyauté.
est plus ancienne: Join des effets médiatiques 3. À l'exception, norable et par.idoxa le, de l'acquisition de la
(parce que les 1nédias, par essence, s'intéressent laogue : il semble rait que la narure des exigences quant à la
aux problèmes et aux crises) ou des instrumenta- maîtrise de la langue (sur le marché de l'emploi) est p lus éle-
lisations politiciennes, la quasi-totalité des vée au 111omem où les jeunes prennent conscience des diffi-
cultés qui les attendent pour obtenir un n-avail. Lc-s phénomènes
citoyens de c.onfession n1ustd111ane - je l'ai dit e t
cumulés de l'exigence et de la désaffection sern bleraienr. se-
il fau t le 1narteler - respectent la loi, parlent la lO!lles indices du rapporr, expliquer cene régression qui ne
langue du pays et s'engagent dans leur société Se confismc néanmo ins pas dans rous les pays. Le rapport est
(sur les plans intellectuel, social, politique , en néerlandais el sera bientôt publié (tout ou pa1tie) en anglais.

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
MON l NTIMt CON\1CTION l.'OCClDENT ET SON MIROIR : UN NOUVEAU •NOUS •

acquis sont considérables. L'installation se passe crainte et construire l'avenir, il faut pourtant
objective111ent bien, et de n1ieux en rnieux. Ce co1nn1encer à préparer dès rnaintenant le ter-
consrat positif est doublé d'un constat exacten1ent rain et se donner les 1noyens de la confia nce. n
opposé sur le plan des perceptions : les popula- s'agit effective1nent d 'opérer une véritable révo-
tions ont le sentiment que les jeunes ne s'intè- lution de confiance pour rés ister à l'évolution
grent pas, que le fossé augi.nente entre les de la méfiance dans nos sociétés. J'ai inis en
co1nn1unautés, que l'isla1n est effective1nent un évidence un certain no1nbre de mesures in1pé-
problèn1e. L'• intégration • avance avec ce para- ratives (politiques éducatives et sociales, lutte
doxe troublant : le sentitnent d'• insécurité • et la contre les discrirninations, participation poli-
n1éfiance au cœur de la société plurielle aug- tique, etc.) n1ais c'est surtout sur le plan local
1nentent et. se répandent conconütanirnent. que les acquis s'accu1nuleront et que le succès
Le 111iroir défonnanr des tnédias (qui foca li- peut être possib le. Nous avons besoin de n1ou-
senc sur les discours les plus exrrên1es et les ve1nents nationaux d 'i nitiatives locales qui, au-
situations les plus critiques) avec les instrumen- delà de la courte vue des élections, pensent et
talisations des partis politiques populistes et , construisent sur le long terme.
enfin, les crises à répétition : tout concourt à C'est au niveau local que nous pouvons déve-
entretenir les peurs et la polarisation. Les provo- lopper un sens plus approfondi et concret de
cations des uns et les propos excessifs des autres l'apparrenance plurielle, créative et critique: un
ne sont pas de nature à caltner l'atmosphère : les nouveau • Nous •, comn1e je l'ai appelé il y a
anaques terroristes et la violence d 'un côté, les cinq ans et qui s'est matérialisé par l'écriture
caricatures danoises, les propos du pape, les d'un Jlifanifeste pour un nouveau • Nous • en
déclarations excessives d'ex-1nusu ln1ans ou 20061 . Nos sociétés ont effectivement besoin de
encore les fi lms • anti-islamiques •, d'Ayan Hirs i l'é1nergence d'un nouveau ·Nous •. Un ·Nous •
Ali à Gee1t \X'ilders, continueront, pour un temps qui réunisse des fem1nes et des ho1nn1es, des
encore, à alitnenter les peurs, les rejets 1nutuels citoyens de toute religion 011 sans religion, et qui
et les préjugés. La route sera longue et il ne
faudra pas 1noins de deux générations pour 1. Voir annexe 2, .. Manifeste pour un nouveau "Nous" •.
dépasser ces tensions. Pour aller au-delà de la p, 195.

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
MON INTIME CONVICTION 1.' OCCI f)EN'I' 111' SON MlllOIR : UN NOUVEAU • NOUS •

s'engage nt, e nse1nble, cuntre les contradictions ils ne p o urro nt être aussi efficaces que l'enga-
de le ur société, cuntre le racisn1e et les discrinü- gen1ent com mun su r tuus les dossiers priori-
nations d e toutes sortes ou les atteintes à la ta ires: l'éducation , les fractures sociales,
dign ité hum aine, et pou r le droit a u travail, à l' insécurité, les raci.s1nes, les discri1nina-
!"habitat, au respect. • ous • représente désor- tions, etc. Les gouve rnements et les autorités
1nais ce rassemblement et cette dynan1ique de locales ont une respons abilité 1najeure dans ce
citoyens, confiants en leurs valeurs, défenseurs processus, 1nais ce sont finalement les citoyens
du pluralisme de le ur commune société, respec- qui doivent 1ne rtre e n branle une dynamique
tueux des identités plurielles et qui désirent se qui pron1euve la connaissance, le respecc ec la
barcre au nom de leurs idéaux parcagés, au cœu r con fiance - autant de résistances directes ou
de le ur société. Citoyens ou résidents, loyaux er indirectes aux centatiuns sectai res .
critiques, ils s'engagent ensen1ble: face à l'é1110-
rio n et aux réactions é pidern1iques e t sectaires,
voire hystériques, ils s' imposent la rationa lité, le
d ialogue exigeant, l'écoute et l'approche raison -
nable des questions sociales con1plexes et diffi-
ciles. je l'ai dit et je le ré p ète: c'est a u niveau
loca l que se jou e l'avenir plurie l d es sociétés
occidentales. Il est urgent c.le 1nettre en p lace des
initiatives locales Olt des fenunes et des hom1nes
de diffé re ntes re ligions, cu ltures et sensibilités
créent des espaces de con naissa nce 1nutuelle,
d'engage1nent en comm ltn : des espaces de
confiance. Ce sont les projet<; com1nuns qui doi-
vent désonnais les ré unir et donner naissance
pratiquen1ent à ce nouve au • .Nous • citoyen.
Cerces, les dialogues • interculturels • ou • incer-
religieux • sont importancs et nécessaires, mais

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
17

CRITIQUES ET OPPOSITIONS 1

Co1111ne je l'ai d it, cela fait d es a nnées que je


tie ns ce d iscours. Les critiques, d 'abord en
France (et surtout e n France), p uis relayées par
ce1tains 1nilieu x fra ncophiles ou cou rants idéo-
logiques, ont créé un halo de controverse rela-
tive autou r de n1a personne et d e n1on
e ngage1nent. Les liens s ur Interne t et les a rticles
s ur les blogs se sont n1ulrip liés : dans la n-1asse
des • inforn1atio ns • et des critiques q ui circule nt,
il n'est pas toujours facile d 'ide ntifier le ne>1n bre

1. fi ne fam pas o ublie r ici de men tionner les écrits d es


nouveaux• experts en te rrorisme • qui n'ont de cesse d'en-
tretenir les doutes, d 'al imente r les rume urs sur de possibles
connexions, sans jamais vraiment p rouve r leurs hypothé-
ciques conclusions. C'esr le moyen pour eux de continuer
à donner des • <l\'is au torisés • sur • la nébuleuse terroriste•
et de gagner un peu d'argent.

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
.\ION tl\' l'IMI: CON\'ICl"ION CRl11QU1i.S lff OPPOSl'J'IONS

des redires er des allégations reprises ici et là qui


donnent l'hnpression que les faits rapporrés peu- Laïques très dogn1atiq1tes
vent apporter quelque vérité a lors que, le p lus
souvent, l'on a affaire à des • répétitions à hautes lors de mes pre1niers débat<> en France, il
fréquences • que l'on ne prend pas le temps de apparaissait clairement que le front de ce1taines
vérifier ou de soun1ettre à l'étude critique. On a tendances • laïques • était en prernîère ligne.
vire fait, de surcroît, cl'affinner quïl n'y a pas de Pour ses idéologues et ses défenseurs, la nou-
fumée sans feu et que derrière ces critiques, ces velle présence des 1nusulmans et de Jeurs pen-
propos rapporrés, ces run1eurs, il doir bien y seurs réveillait les anciens démons du • retour
avoir quelque c hose de vrai. • Il n'y a pas de de la religion •. la France, en effet, a un double
fun1ée sans feu ., conftrme l'adage. problè1ne. D'une parl, un contentieux histo-
Peut-être faudrait-i l prendre le temps de rique avec • la re lig ion •, e t surtout le carholi-
re1nonter à ce feu ou à ces feux qui dégagent cisme, qui a pour conséquence que tout débat
tant d e fum ée autour de mon travai l et de mon sur la re ligion est vite connoté, passion né et
engagement au point de le parasiter - et parfois excessif. D'a urre part, l'expé rience coloniale en
de le rendre inaudible - p ar tant de suspicions. Algérie a été douloure use et le passif avec les
Quels sont ceux que ce discours dérange tant et anciens colonisés, les 1T1us ufrnans e t l'is lan1
qui s'épourno nent à consta1nment raviver • le n'est tollljours pas réglé. C'est dans cette atrno-
feu " de la controverse pour désorienter Je .s phè re que le d é bat su r l'islan1 s'est e nfla1n1né à
citoyen o rdinai re? Quelle idéologie et/ou quels la fin de!; années 1980 a utour d e la qu estion du
intérêts défende nt-i ls, avant d e s'intéresser à •voi le islamique •. On a e ntendu certa ins idéo-
1non discours e l à mon e ngage1nenl? Les fronts logues très sectaires de la laïcité tra nsfonner
sont n1ultiples, les critiques diverses, mais les celle-ci en une nouvelle re ligion et ses prin-
ca1npagnes qui me transforment e n · intellectuel cipes en dog1nes, en faisant dire aux textes de
controversé· ont une certaine logique et répon- lois ce qu'ils ne disaient pas (en refusant, ou en
dent à des intérêts bien compris. li est intéres- niant parfois, ce que ces textes disaient ou per-
sanr de s 'y arrêrer quelque peu. menaienc). D 'abord tron1pé par ces discours
idéologiques el dogmatiques, j'ai étudié les

1(>0 16 1
Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
MON INTIMF CON\ 'ICTION Cl111 IQLl l~~ E'I' O PPOSl'l'I ON~

rexres de lois, rencontré er débartu avec les plus La surcliLé est à son co1nbJe er il est devenu
grands sp écia listes français (Jean Boussinesq, in1possible de parLiciper à un débat raisonnable
Étnile Poulat, Jean Baubérot enu·e autres) et par- avec certains milieux laïques qui entretiennent la
ticipé pendant plusieurs années à la co111111ission suspicion vis-à-vis des musultnans et tentent de
Laïcité et Tsla111 de la Ligue françai se de l'ensei - répandre leurs douces à toute l'Europe, voire à
gneinent1 , avec des acteurs tels que Michel Mori- l'Occîdent, par l 'interméd iaire des institutions
neau et Pierre Tournemire. j'ai alors co1npris que européennes et internationales notarrunent. Gne
rien d ans la laïcité ne s'opposait à une pratique simple fonnu le de bon sens, que je ne cesse de
libre et autonome de l'islam. Depuis, j'appelle en répécer, du rype • Il esc anti-islamique d'imposer l e
France à l'application stricte de la loi sur la laïcité foulard à une fen1me et c'est une atteinte aux
(1905), clans sa lercre et son esprit, de façon éga- clroics de l'ho 1nme que de lui imposer de l'enle-
litaire pour tous les citoyens, 1nusuln1ans ou no n . ver ., est inaudible en France alors qu'elle reçoit
C'était la th èse même des spécialistes sus1nen- un accueil ouvert el serein dans to us les autres
tionnés de la laïcité, de la Ligue française de l'en- pays occidentaux. Tl ne faut pou itant pas minimi-
seignement comme de la Ligue française des ser l'i1nportance de l'inAuence fran çaise dans les
droits de l'hom1ne. Pour les idéologues d'une cer- débats sur l'islam en Europe et en Occident. Des
taine forme de laïcité secta ire (et eux-rnêmes politiciens cotnine des intelleccuels d 'une idéolo-
" fondan1entalistes •, selon l 'expression de jean gie cle la laïcité (soit antireligieuse soit • anti-isla-
Baubérot), con Conclue avec le rejet (et l'espoir de 1nique • par défini tion) tentent d'élargir leur zone
disparition) du religieux, rrta position est insoute- d 'influence et trouvent un certain non1bre de relais
nable et dangereuse. Leur propre dogmatis1ne à travers le monde, dans les 111édias comn1e chez
laïque, et l'athéis1ne militant de ce11ains, s'acharne certains intellectuels ou panis poliriques.
à vouloir mo ntrer que cette position • cache
quelque chose • et qu'il s'agit encore d 'un • reli -
gieux •colonisateu r qui avance masqué. L 'extrê111e droite

1. Institution de référence concernant la mémoire et les La nouvelle présence musultnane en Occi-


princi pes de la laïcité fr:mç:iisc . clenc (issue de l'immigration entre les deux

162 H>3
Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
MON INTIME CONVICTION CRrnQUES ET Ol'l'OSl'!f10NS

guerres puis essentiellen1enr après la Seconde politiciens et les intellectuels cl.'extrên1e droite
Guerre rnondiale) a bien s ûr été l'objet de la cri- s'est aujourd'hui norrnalisé dans le discours des
tique des partis les p lus n ationalistes, les plus autres partis plus traditionnels, de dro ite co1n1ne
chauvins, et parfois clairen1ent racistes. Je l'ai die, de gauche. Des propos sur l'Ë1nn1igration, l'assi-
l.a présence de pl.us en p lus visible des jeunes 1nilation, le caractère • non intégrable ,, des
générations de musulmans à travers l'Occident, 1nusultnans, l'inco1npatibî lité des valeurs ou des
l'ilnmigration continue, ajoutées à la crise d'iden- "cultures •, l'essentialisrne dans la représentation
tité et de confiance des États-Nations au cœur de du • musulman • sont autant de références et de
la 1nondialisacion, avaienc cout pour devenir la clichés q ui tiennent souvent du racisrne et rap-
cible des populistes d'excrên1e droite dénon- pellenr parfois les périodes les plus so1nbres de
çanr le danger de la présence érrangère . Hier, l'hisroire de l'Occident. Ce qui, hier, était dit à
il .s'agissait ici et là, au C<~u r 111ê1ne du conti- propos des juifs (double discours, double
nent, des Italiens, des Espagnols, des Portugais, loyauté er les connexions obscures de • l'inter-
des Polonais, des No irs, etc. De plus en plus, nationale juive •) est reproduit dans des termes
on a co1n1nencé à parler des Arabes, des Pakis- presque similaires vis-à-vis d es musulinans. La
tanais, des Turcs, des Bosniaques, voire des co1nparaison est particulièren1ent troublante, et
Kosovars et des Albanais, pour les assimiler à ce qui choque, c'est l'arnpleur et Je caractère
• l' islan1 • et aux • rnusulrnans •, n1eu.ant en • transversal • de ce discours qui rranscende
danger l'identité et l'hon1ogé néité de la • cul- d ésorrnais les appartenances id.éologiq ues et
ture occidentale et européenne• gréco-ron1aine politiques. En n1al de politiques sociales nova-
et judéo-chrétienne 1. trices et efficaces, de no1nbreux partis n'hésitent
Ce qui est troublant aujourd'hui rient au fa ir pas, en période électorale nota1n1nent, à jouer
que ce qui, hier, était dit exclusivement par l.es sur les pe urs et la fibre populiste, à livrer des dis-
cours ferm és sur I'· identité nationale • et • la
sécurité •, et à tenir des propos très tendancieux
1. L'appellation • judéo, chrérien " est récente dans le voca-
bulaire philosophique. li aurait é té impossible de la poser
sur l'ünmigré, l'étranger, ou plus franchement les
en ces te rmes p endant la Seconde Guerre mondiale. ill rnusulrnans et leurs pratiques.
s'agir d 'une construction idéologique a posteriori.

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
MON INTIMe CON 1·1 Ci'ION CIUTIQ UF.S ET OPPOSITIONS

colonisations et l'époque postcoloniale nous


Certains courants fé1ninistes offrent l'in1age exacrernenc opposée d'une
religion fruste, rigide, opposée aux corps des
De no1nbreux courants féministes ont été ori- fe1nn1es et aux plaisirs. Dans les deux
ginellement très proches des milieux chrétiens séquences historiques, on re111arquera que l'is-
progressistes. D'autres se sont caractérisés par lan1 est toujours dessiné sous les traits de
leur opposition détenninée à la religion perçue • l'autre ", du • différent •, de • l'antithèse ., L'Oc-
con1n1e intrinsèquernent productrice d'un dis- cident chrétien conservateur dessine un isla1n
cours patriarcal er discrirninant à l'égard des licencieux et pern1issif; l'Occident 1noclerne et
fe1n1nes. Dans d'anciens n1ilieux co1n1nunistes libre s 'offre la caricature d'un islan1 de l'interdit
ou socialistes, le fén1inis1ne était naturellement et de l'oppression sexuelle.
associé à la critique radicale de la religion Les organisations fén1inisres se sont scindées à
(essentielle1nent chrétienne) qui entretenait une rravers l'Octident. Certains courancs ont établi
image négative de la fem1ne, renforçait les des liens avec des organisations inusulinanes (en
inégalités et s 'opposait à la libération des Europe, au Canada, en Australie, aux États-Unis,
femrnes en interdisant la contraception et l'avor- mais aussi dans les sociétés majoritairement
rernent notarnn1ent. 1nusultnanes) et estiment qu'il est possible de
La nouvelle présence des 1nusuln1ans, ainsi trouver des points conununs entre leur engage-
que La visibilité de la tenue vestin1entaire d es n1ent e t celui de la lune des fernmes q ui veulent
rnusuln1anes portant le foulard , a exacerbé les rester 1nusuhnanes er qui se battent, à l'intérieur
craintes du retour du re ligieux forcé111ent de l'islain, pour faire avancer leurs causes contre
opposé aux femmes , à leur statut e t à leur auto.- les interprétations littéralistes et/ou culturelles.
nomie. Si, durant le l\.foyen Âge, de la Renais- D 'autres ne peuvent concevoir de telles alliances
sance jusqu'au xv111" siècle, on avait entretenu et établissent leur co1nbat féministe exclusive-
l'idée que l'isla111 et les 1nusulmans avaient un ment avec des • ex-musulmanes ", ou tout siln-
goût particulier pour la sensualité et la "licence plen1ent contre l'islam considéré comme
sexuelle •, à l'image de l'univers oriental sté- intrinsèque1nent discriminatoire ... co1nrne (OUtes
réotypé des Nfille et Une l\fuits, voilà que les les religions ou peur-ê(re un peu plus. L'idée

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MON l!Vl1ME CON\ 'ICTION CRJ1l (,)L'I~~ rn· OPl'OSI' 110NS

qu 'une fernme puisse se libére r da ns e t par l'is- d iscours de condamnation, d e rejet o u de l'ho-
lam, co1111ne je le suggère depuis des années, est 1nophobie passive et active. On a vu naître ces
cout s iinple 1nenl un no n-se ns à leurs yeux et d e rnières a nnées de vé ritables lobbies d 'organi-
celles et ceux qui propagent une telle idée son t sations d'homosexuels et de lesbie nnes q ui
forcément des tnanipu lateurs. la lutte des inte1venaient au niveau politique comme au
femn1es musulmanes ou le • féminis1ne isla - niveau médiatique pour dénoncer la réalité de
mique • est, pour ces • féministes occidentales • l'homophobie dans les mjJieux islamiques,
(qui pensent souvent détenir de fait le monopole notamment dans les livres et les discours pré-
des valeurs et du fé1ninisme universels), une sents en Occident (ec en Orient) et pointer du
tromperie. Elles s'efforcent de jeter le discrédic doigt le danger résidant dans les p rincipes
sur tour discours qui irait da ns ce sens: le fo u- mêmes de la religion musulmane. La capacité de
lard isla1nique ne peut être qu'u n symbo le de l'isla1n el des 1nusu linans à • se 1node rniser •
l'oppression 1nasculine et le seu l félninisn1e vrai dé pe ndra, selon eux, de leur ca pacité à accepter
et lég itirne est celu i qu'o nt développé les fémi- et à ne p as condam ne r l'ho1nosexua lité. Tl s'agit
nistes occide nta les. L'euroce ntris1ne est patent pour certai ns d 'attend re des musul ma ns qu'ils
et, avec l'ironie de la terrnino logie, la tentation reconnaissent le bie n-fondé d es 1n ariages homo-
paternaliste visible. sexuels, de l'ado ption et d 'accepte r, le cas
échéant, qu'un in1ain puisse être hon1osexuel. La
vé ritable intégration des musulma ns est à ce p rix
Quelques courants ho1nosexu eLç et tout a utre d iscours devra être tenu pour for-
cé n1e nt s uspecl.
O n tJo uve d ans les o rga nisations homo -
sexue lles les mêmes appréhensions vis-à-vis des Tl existe bien sû r des disco urs de condam na-
re ligions e n généra l que celles que l'on peut tio n et d 'autres exp licitemen t homophobes au
observer dans certains n1iJieux laïques et fémi- sein des sociétés 1najoritaire1nent musuhnanes
nistes. Les religions concla1nnent 1najoricairement et panni les individus installés en Occident. Il
l'homosexualité, et le retour du religieux, noram- serait faux de le nier. Cela étant, les approches
menc de l'isla1n , signifierai[ la réapparicion de sonc diverses ec il esr imporcanc de relever les

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MON l i\• l'IME CON\'ICl'ION CHIT l()Ul!S I"' Ol'l'OSl'l 'ION~

différen[es positions parn1i les musulrnans. loin aux yeux de leu r 111ilitanrisn1e n1axünaliste
Depuis des années, je répète qu<:: l'isla1n ne pro- et souvent bien intransigeant.
1neut pas l'homosexua lité (le principe en est
rejeté puisqu 'il ne correspond pas au projet
divin établi pour les êtres hu1nains), mais que Les 1nilieu.x pro-is1·aéliens et
cela ne 1n 'e1npêche pas d 'avoir une position néoconservateu rs
claire: le fait de ne pas parcager les opinions et
les actions des homosexuels, quant à leur sexua- Le conflit israélo-palesrinien est central et sa
liré, ne m'e1npêche pas de respecter ce qu 'ils porrée est désorinais globale. Deux phéno-
sonL C'est d'ailleurs cc que chacun d'en[re nous mènes liés à la situation au Moyen-Orient sont
doit attendre de ses semblables : le respec[ de apparus ces dernières années et ont une ilnpor-
l'être, 1nên1e s' il existe un désaccord sur la tance majeu re dans l'installation des musuln1ans
croyance et/ou le comporte1nent. Si j'ai des en Occident. Il importe de les identifier et d 'en
réserves sur le mariage homosexue l ou sur prendre la mesure réel le. Il y a d 'abord ce que
l'adoption d'enfants par des couples homo- l'on a appe lé la montée du • nouvel antisém i-
sex11e ls, je n' hésite pas à lutter contre les dis- tisme • qui ne serait plus le fait des partis d'ex-
cours et les mesu res ho1nophobes dont ces trême droite, mais des nouveaux citoyens ou
derniers pourra ient être les victin1es et à 1n'en- résidents arabes, asiatiques, turcs et musuln1ans.
gager à leurs côtés dans routes les Cluses con1- Des organisations et des intelk'.ctuels juifs ont
rnunes. Cerraines organ isations hon1osexuelles dénoncé en France, e n Alle111agne, en Angle-
trouvent ce discours encore trop· conservateur •, terre, en Australie, au Canada et aux États-Unis
dangereux par son apparente ouverture, et elles l'én1e rge nce de ce phéno1nène en stig1natisant
ne voient qu'un seu l avenir possible pour la parfois les populations musu lmanes vivant en
coexistence avec les musulmans: prornouvoir et Occident. La présence des nouveaux citoyens
s'allier avec des associations 1nusulmanes d 'ho- musulmans a égalen1ent vu apparaître un dis-
1nosexuels et de lesbiennes. Les savants et les cours de plus en plus critique vis-à-vis de la poli-
n1usulmans qui respeccent l'être sans promou- tique de l'État israélien et de son crairemenc
voir le comporcemenc sexuel ne vont pas assez envers la population palestinienne. De plus en

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MON IN'l'IMI: CON\ 'ICTION ClllTIQLll:.S ET Ol'POSITIONS

plus d 'inrellecruels et de leaders associacifs d e l 'antisémitisme, de même que critiquer le


d 'origine arabe, africaine et asiatique (1najori- gouvernement d 'Arabie saoudite n 'a rien à voir
tairen1 ent 1nusulmans 1nais pas exclusivetnent) avec l'isla1nophobie. Il faut distinguer l es
ont d éveloppé une réflexion concernant les choses: i l s'agit de refuser l 'antisén1itisn1e sous
gouvernements israéliens successifs et ont toutes ses formes 1nais d·écablir une critique
rejoint des mouve1nents politiques (de gauche, claire et nécessaire de la politique israélienne.
d 'extr ême gauche ou altennondialiste, 1nais C'est le sens mê1ne des principes du Mouve-
égale1nenr de droite ec de cencre droit) criti- ment global de résistance non-violente' que
quant la polirique israélienne. nous avons lancé avec des intellectuels et des
La présence musu lmane a donc écé clécrice organisarions (de cous bords policiques et
par certaines organisations ou intellccruels (juifs confessionnels) à cravers le monde à la suite de
et non-juifs) comme un danger quant à la renais- l 'offensive contre Gaza en cléce1nbre 2008: un
sance de.s vieux démons de l'antisén1itisme en refus d éterminé de toutes les injustices d 'une
Occident. D'autres ont ajouté à cette menace part et une opposi tion sans fai lle à tous les
celle d'un • is lamo-gauchisme • anti-israélien en racismes d'autre pa r t.
affirn1ant que ce dernier révél ait sa nature pro- Ce d iscours est considéré co111rne dangereux
fondément antisén1 ite. par tous les défenseurs inconditionnels d'Israël
Je fus parmi les p ren1icrs, dès l 992, à in'op- et de sa politique. Pour que la critique ne soit
poser à l 'antisémitisme parini les inusulmans, en pas entendue, le plus sünple esc d 'entretenir le
affi nnant que • l 'antisérniris1ne était par essence soupçon d'anris6mitis1ne env ers cous ceux qui
anti-islan1ique • et qu 'il fallait d éno ncer les re111ettent en cause la politique israélienne. Nous
dérives que l 'on trouvait dans certains discours son11nes nombreux à avoir :>ubi l es foudres et le.s
musuln1ans justifiant le rejet des juifs par l 'op- 1nanipulations de certains lobbies pro-israéliens.
pression perpétrée par les gouverne1nents israé- En 2003, j'ai dévoilé les mancx:uvres de quelques
liens. Dans le rnême te1nps, j'ai décidé de ne pas intellectuels (juifs et non-juifs) dénonçant le
me ta.ire et de refu ser toute forn1e de chantage :
criciquer Israël ec ses politiques de colonisalion 1. Voir le site qui expose la philosop hie du mouvement ec
concinue, d 'annexions cc <.l'oppression n'esc pas les caractéristiques des synergies à mettre en place.

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MON INTIMF CON\ 'ICTION Cl1 11 IQLl l~~ E'I' O PPOSITI ON~

nouvel an[isémitis111c en stig1narisan[ ses nou- Au-delà de ces péripéties, il fa u[ retenir la réa-
veaux pro1no[e urs, • les Arabes ., les • Asia- lité du c li n1at général et des jeux politiques et
tiques ·et plus généralement · les rnusulmans •. politiciens: de non1bre ux l<>bbies israéliens s'ac-
j'ai aussi affirrné que l'influence des lobbies pro- tivent à répandre la suspicion sur la présence
israéliens était importante quant à la promotion 1nusulinane (notamment en Europe) - poten-
de la guerre en Trak, e n Europe con11ne aux tielle1nent antisémite - et cherchent à associer
États- Unis 1, et que cela était en soi probléma- toutes les c ritiques d 'intellectuels arabes et
tique et dangereux. li aurait aussi certainement musulmans (mais aussi chrétiens) vis-à-vis de la
fallu parler de l'influence considérable des politique d'Is raël à ce même antisé1nirisme dan-
chrétiens éva ngélistes s ionistes. Quoi qu ' il en gereux. On a vu des Israé liens er des juifs
soit, cette double prise de position m'a valu dénoncer ce jeu malsain , 1nais ils marchent à
une can1pagne de d é nigre1nent en France et
aux Érats-Un is (puis en Europe à cause de la donné de l'argent à une organisatio n palestinienne alors
que · j'aurais miso11ni1bk:111cnc dli savoir.(· you should rea-
campagne fran çaise) où je fus présenté comme
sonab(y hnve known .) que ce lk:-ci • étaie liée au mouve-
un • antisémite • niant l'existence d 'Israël ou ment te 1..-ori ste Hamas ... Or. non seulemen t cecœ
voulant sa destruction. Ces prises de position o rganisacion n'esr pas - jt1squ·:1 aujourd'hui -sur une quel-
1n'ont également va lu de voir 1non visa pour les conque lisrc noire en Europe (où je vis) , mais j'ai remis
États- Un is révoqué ne uf jours avant d'aller environ 700 euros il cette o rganisation encre 1998 et 2002,
n1 ' installe r d éfiniriven1en c dans l'Indiana, afin un an avant qu\:llc soit sur une liste: noire aux Érms-Unis.
j'aurais donc • r:1 ison1wb lemem dû s;ivoir • une année
d'occupe r un double poste de professeur per-
a1'am le Déparrcmcnt du J-10111<.:lan<l Securiry que celle-ci
111anent à l'unive rsité de otre-Dame 2 • allait êrre suspectée! Le ridicule ne ru1;; pas, sunour quand
on apprend que <:es dé<:i:.ions, lotalemenl ;ibsurdes et arbi-
traires, sonr rétroacrives ! li faut ajouter que 80 % des que.s-
1. C'esc ce qu'onc 111onrré John J. i\tcarshei111cr ec Stephen cions auxquelles j'ai eu droit lors de mes deux encn::ciens <'i
i\I. \Valt dans leur 6mdc: 77n Israël lobby and U.S. Fo1·eign l'ambassade américaine des États-Uni s en Suisse conccr-
Policy, t::dirion~ Farrar. Stmus an d Giroux. 2007. naiem mes posicions sur la guerre en Irak et la résistance
2. Après deux ans d'arccncc et une procédure en juscice afin palestinienne. fy ai répété que ces résisrances sonc légi-
de con naître la raison de la révocation de mon visa. le times, mi::mc si je m 'oppose aux moyens utilisés (mer des
Dépancmenc du Homcland , ccuriry a affirmé que j'avais innocencs ne pcuc se justifier).

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MON INTIMF CO'JVICTION CIU'rlQLll'S ET OPl'OSIT IONb

conrre-couranr ec sit sonr fait e ux-1nêmes traiter Le [ravail d e surveillance des a1nbassades
de juifs nourrissa nt • la hai ne de soi •. é trangères, d 'info rmations s ur des soi-disant
• suspecL5 • ou e ncore des • rumeu rs • s ur la fia-
bi lité e t la loyaulé de Lei o u Lei acteur associatif
Certains f::tats arabes et ... occidentaux ou intellecn.1el sont monnaie courante et c'est là
le lot quotidien de nombreux citoyens euro-
Le tableau ne serait p as cornplet si l'on péens e ngagés dans les associations rnusul-
oubliait le jeu joué par ce rtains gouvernements manes. Avec le te1nps, les gouvernements
arabes. Ces de rnie rs ont également très peur de occidentaux sero nc forcément moins dépendants
routes les voix qui, inscallées e n Occident, peu- des sources d 'informarions étrangères mais, pour
venr fai re la critique de la dictature, du 1nanque l'heure, les Écats arabes • très dé n1ocratiques •
d e dé1nocratie, de l'a bsence des sociétés civiles, continue nl d'e nLretenir la run1eur et le soupçon
de la torture el de l'oppression des populations . vis-à-vis de leurn opposants installés à l'érranger,
Des États comme l'Ara b ie saoudite, l'Égypte, la et les dirigea nts occide nta ux (ainsi que certains
Syrie, la Tunisie ou l'Algé rie (et ta nt d 'autres) journalistes régu liè re me nt invités à des dîners de
n'ont de cesse d'inte rve nir par des voies direc- presse) reçoive nt ces infonnations utiles et· de
te1nent politiqu es ou d iploma tiques pour jeter pre1nière main •.
le discréd it sur les sa vanrs, k:s intellectuels ou Il fau[ ajouter q ue certains gouvernen-1ents
les leaders n-1usulmans q u i les c ritique nt. Ceux- occide ntaux ne sont e ux-mên1es pas très heu-
ci seraient forcément des fcn1111es et des re ux de voir le urs citoyens et résidents n1usul-
hon1111es da nge re ux, lié!> à l'isla1nis1ne (radica l 1na ns c ritiquer la duplicité d e Je urs po litiques
ou pas) et se présentant con11ne d es dén10- quand ils pa rle nt de démocratie el n'hésilenr pas
crates. Ces États o nt tout in térê t à jeter un voile à collaborer avec les pires dictatures si elles sont
de suspicion s ur des p e rsonna lités qui pour- rich es ou intéressantes • géostratégiquement •.
raient être entendues e n Occident puisque leur Entretenir le sou pçon sur l'e n gagement de ces
insta llation esr acquise dans les dé1nocraties, intellectuels et de ces leaders 1nusulinans et sur
qu 'ils sont libres er q u'il ne leu r est plus néces- leurs intentions es[ également de nature à mini-
saire de • renrrer au pays 0 •
miser la porrée de leurs cririques politiques

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MON INTIMf\ CON\ 'fCTION CRf1 l()lll:S E'l' O fJl'OSl'llONS

conrre-courant ec se sont fait eux -1nêmes traiter Le travail de surveillance des a1nbassades
de juifs nourrissant• la haine de soi •. érrangèr es, d ' inforrnations sur des soi-disant
• suspects • o u encore des • run1eurs • sur la fia-
bilité et la loyauté de tel ou tel acteur associatif
Certains États arabes et... occidentaux ou intellectuel sont 111onnaie courante et c'est là
le lot quotidien de nornbreux citoyens euro-
Le tableau ne serait pas co1nplet si l'on péens en gagés clans les associations musul-
oubliait le jeu joué par certains gouvernements manes. Avec le temps, les gouvernements
arabes. Ces dernier!l o ne égale1nent très peur de occidentaux sero nc forcément moins dépendanrs
cou ces les voix qui, i nsca liées en Occident, peu- des sources d 'info rmations étrangères mais, pour
venr faire la critique de la dicrature, du 1nanque l 'heure, l es Écars arabes • très dé1nocratiques •
de dén1ocratie, de l 'a bsence des sociétés civiles, continuent d'entretenir la ru111eur el le soupçon
de la torture el de l ' oppres~ ion des popularions. vis-à-vis d e leurn opposants installés à l'étrangerj
Des Ét ats comm e l'Arabie saoudite, l 'Égypte, la et les dirigeants occidentaux (ainsi que certains
Syrie, l a Tunisie ou l 'A lgé rie (et tant d 'autres) journalistes régulièrement invités à des dîners de
n'ont de cesse d 'intervenir par des voies direc- presse) reçoivent ces infonna tions utiles et " de
te1nent politiqu es ot1 d iplornatiques pour jeter pren1ière 1nai n •.
le discréd i t sur le!l sa vants, les inte llectuels ou Il faut ajouter que certains gouvernements
les leaders rnu sulinans q ui les critiquenc. Ceux- occidentaux ne sont eux-1nên1es pas très heu-
ci seraient forcéme nt d es fen1n1es et des reux de v oi r leurs citoyens et résidents musul-
ho1nn1 es dangereux, liés à l 'islamis1ne (radical rnans critiquer la duplicité d e leurs politiques
ou pas) et. se présentant comn1e d es d én10- quand illl parlent de démocratie et n'hésitent pas
crates. Ces États o nt tout in té rêt à jeter un voile à collaborer avec les pires dictatures si elles sont
de suspi cion su r des personna lités qui pour- riches ou intéressantes • géostratégiquement •.
raient être entendues en O ccid ent puisque leur Entreteni r le soupçon su r l 'engage1nent de ces
installation est acquise dans l es d é111ocraties, intellectuels et de ces leaders 1nusuhnans et sur
qu 'ils sont libres et q u'il ne leur est p lus néces- leurs intentions est également de nature à n1ini-
sain':' de • rencrer au pays •. 111iser la porcée c.le leurs criciques politiques

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MON IN TIME CôN \ 'ICf!ON CRffiQUES cr OPPOSl"llONS

internes. Il existe là une alliance objective d'in- bie saoudire, convaincus q 1u'il faut respecter
térêts bien co1npris entre certains États arabes et l'autorité de gouveroernencs qui, selon eux,
asiatiques autocratiques ·et des gouverne1ne nts • appliquent l'islam •. Religieusen1ent sincè res
qccidentaux qui collaborent avec eux, et ce en .sans doute, ils sont d'une naïveté politique
contradiction totale avec les valeurs que ces der- autant abyssale que dangereuse. Ces groupes
niers affinnent défendre et pron1ouvoir (droits peuvent, eux-mêtnes ou Leurs propos critiques,
de l'hon11ne, démocratie, etc.). être instrun1entalisés en Occident pour jeter la
suspicion ou le discrédit sur d 'autres tendances.
En d 'autres lieux et circonstances douloureuses,
Certains groupes salajî et nous avons observé ce jeu d 'alliances tour à fait
quelques· ex-niusulnians • singulier avec les talibans: utiles pour un rernps
aux desseins a mêricains en Afghanistan, ils sont
Il i:n1porte de ne pas oublier les obstacles et devenus les. en ne1nis de tous dès q ue l'adn1i-
les critiques qui proviennent de l'intérieur des nistration Bush en a décidé autrement1 • Ces
co1nmunautés musulmanes en Occident et leur exploitations stratégiques existent, à un autre
potentielle instrun1entalisation. En effet, le niveau, dans les sociétés occidentales où des
tableau se complexifie, d'autant plus quand on leaders mJJsulmans ou des gouvernements
prend la mesure des rensions et des divisions exploitent à dessein ces divisions ec la naïveté
internes qui sont loin de clarifier les choses et politique de certains.
qui peuvent, politique1nent, être exploitées dans Il faut ajouter l'engage1nent et les critiques de
un sens ou da ns l'autre. celles et ceux qui se présentent encore co1n111e
Ainsi, on voit des groupes sala.fi littéralistes musulmans, • 1nusulmans de culture • ou alors
ou des mouvements très traditional istes éviter • ex-1nusulm.ans •, et dont l'appartenance, pré-
en général de s'i1npliquer en politique tout sente ou ancienn e, à l'islarn donne une certaine
en élaborant un discours théologique souvent
très d ur vis-<'i-vis des mouvements réfonnistes l. Les inforrnations concorden[ prmnv<inr que .l'intervention
et/ ou isla111istes. Certains de ces groupes salafi américaine en 1\fghanistan était déjà pensée avanr lei;
littéralistes soutiennen[ des États corr1111e !'Ara- attentats du 11 sepœmbre 2001.

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MON I NTIME CON VICTION CRITIQ UES f.1' OPPOSITIONS

crédibilité à Jeurs propos. Certains ont vécu des tion politique de leurs propos : d'aucuns parnli
e xpériences difficiles à l'intérieur des sociétés ou ces 1nusiLdn1ans ou • ex-1nusulrnans 1 • ont con1-
des ce>1n1nunautés n1usuhnanes, d'autres ont été. pris, de surcroît, qu'il leur suffisait de répéter ce
d 'anciens radicaux ou extré1n isres violents, que d 'autres avaient envie d 'entendre, se prêtant
d'autres enfin viennent de sociétés n1ajoritaire- ainsi à ce jeu avec quelque con1plaisance.
ment m usultnanes et affinnent connaître • de
l'intérieur " la vraie nature des problèrnes. li ne On le voit, le front des critiques est muleiple et
fait aucun doute que certaines de leurs critiques [rès diversifié. Quand on aborde un intellectuel
sont justifiées et pertinenœs et il faut y répondre. présenté co1nrne ·controversé· er que l'on pre nd
Ce qui, pourtant, est une évidence aujourd' hllli acte de la so1nn1e de critiques qui se1nblent venir
est l'exploitation de · ces discours de l'intérieur•, dé toutes parts, il est nonnal que cela jette un
censés prouver le danger de l'islatn, la duplicité doute, que l'on nourrisse quelque suspicion. Il
de cenains n1usuln1ans ou encore des ran1ifica- faut néanmoins aller plus loin et non pas seule-
tions secrètes de • la tentacu laire internationale ment questionner la cible, m.ais analyser aussi les
isla1niste •. Volontairement ou non (et souvent dispositions idéologiques et les intentions des dif-
en totale connaissance de cause), ces • musul- férentes sources qui produisent ces critiques,
1nans n1odérés • ou ces • ex-musuln1ans • (qui y entretiennent des run1eurs er répètent Les alléga-
gagnent la reconnaissance, la célébrité et tions. On cesse alors d'être naï fs. Encore une fois,
quelques avantages financiers) jouent le jeu de il ne s'agit pas de condatnner ·certaines interroga-
certains gouverne1nents ou s'allient à des intel- tions néces~a ires et pertinentes, 1nais il ne peut
lectuels prétendu1nent • neutres • idéologique-
tnent pour entretenir les suspicions et confirmer 1. li impone de ra ppeler ici que certains m usulma ns d its
les doutes vis-à-vis de l'islam ou de certains ' li béraux " n'hésitent pas à soucen ir des dictateurs : être
savants ou intellectue ls musulmans . " Libéral " religieusernenr ne signifie pas être • démocrace •
Si des n1usulmans le disent, cela doit être vrai ! politiquement. Le public occidental csc souvent trompé sur
cette question : de nombreux inrellccmels runisiens se pré-
Encore une fois, il ne s'agit pas d 'affirmer que sentenr ain.si comme des libéraux du point de vue reli-
touces leurs crieiques sont infondées, n1ais d'être gieux, mais se rangent dt) côté de 1a dictature sur le pla n
[OU[ à fait conscients de la potentielle exploita- po litique . 1.es exemples sont légion.

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
MON l NTIMt CON \1CTION

être question d'entretenir u ne naïveté politique


qui en1pêche le débat, rend sourd aux argu -
n1enrs et signifie surtout le lent déliten1ent de
nos ·espaces dé1nocratiques et de nos capacités
respectives d'échanges constructifs et féconds. I l
faut donc regarder à deux fois les " feux • qu i
dégagent d 'épaisses fu1nées rarement inno-
centes, souvent stratégiques. li importe de les
connaître, de les identifier et, quand elles se CONCLUSION
cachent, rnentent ou 1nanipulent, de les dépas -
ser. Quant à n1oi, je continue mon engagernenr,
111es effort5 de clarification et de con11nunication,
ma résistance face aux injustices, 1na lutte contre J,e lecteur a pu se rendre compte, au fil de ces
les racismes, les mensonges politiques et les siln- lignes, que mes champs d'activités é taient 1nu l-
p lisrnes idéologiques. Je connais l'origine de cer- tiples1 complexes et souvent con1plé1nentaires.
taines attaques et je sais également que ma route La pluralité des discours dans les différents
1n'invite à les relativiser, voire à les négliger, avec don1aines et ordres - au-delà des opposants et
déten11ination et sagesse . j'ai appris qu'il fa llait des critiques - a pu prêter à confusion. j'en suis
d ire • Paix! • à ceux qui lancent c.tes cris de conscient et j'ai eu souvent à clarifie r ma situa-
haine contre votre être, votre présence Oll sur tion et 1no n sratut: e n tant que religieux panni
votre passage. Pas toujours facile. C'est le sens les courants religieux; en tant que réformiste
de tou tes les spiritua lités, le profond .fihâcl du ou conservateur; en tant qu'Occidental ou
cœur et de l'intelligence ... Pai.x, oui, avec force, citoyen de tel pays sur le p lan politique, plutôt à
tranquillité et dignité, à tous les instigateurs de gauche de l'éch.iquier politique ou au
mensonges, d'hypocrisies e t de guerres . centre, etc.? Cenains con11nentateurs ont e u du
1nal à me situer et cela est co1npréhensible,
co1npre (enu des différents sujets (raités (reli-
gieux, culturels, sociaux, philosoph iques et

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
MON I NTIMI: CONVICil ON CONCT.USJON

politiques, nationaux et int:ernationaux) et de la transferts syrnboliques et ces d éplacerne ncs de la


co1nplexité des questions abordées. C'est pour- sublin1ation négative.
tant le propre d 'un intellectuel engagé et il serait Je res]:e néann1oins fondamenta len1ent opti-
contradictoire que l'on attende d 'un • inrellecrue1 n1iste tout en sachant, je l'ai dit, que la route sera
rnusulman • qu'il ne s'expri1ne que sur la religion longue et qu'il est question de penser les évolu-
inusuhnane. Ou de décider que sa qualité de tions et les progrès en tennes de générations
• musulrn an • suffise à jeter le soupçon sur son plus qu'en rennes d 'années. Les chantiers sont
engage1nent et son discours politiques, lesquels, nombreux et il faut s 'engager déjà, avec déter-
forcén1ent, ne sa uraient être libres, autonomes e!I: 1nination et cohérence, à accélé rer et à acco1n-
e ncore rnoins universalistes. L'intellectuel occi- pagner les processus de transforn1ation. Je n'ai
dental rnusulrnan assun1é est, sonu11e toute, très eu de cesse, depuis vingt ans, sur les plans aca-
gênant: il re nvoie à la société occidentale un démique et théorique, con1me sur le terrain et
miroir de contradictions pas toujours digérées, de façon très pratique, d'essayer de propose r
ou alors il révèle par sa seule présence un euro- une vision, d 'ali1ne nter la ré flexion et de tester
centrisn1e inconscient avec ses refoulements , des stratégies e t des projets. Partout, en Occi-
ses blocages, voire ses traun1as. J'ai pu parfois dent, il faut mesurer les nombreux acquis et faire
faire l'expérience, personnelle1nent et en direct, une évaluation sérieuse de l'état des lieux (pays
de ce que 1na présence clans certains débats d e par pays) e t des défis qu 'il reste encore à rele -
société - dont j'aurais sans doute clü être natu- ver. Le présent ouvrage, en proposant quelques
rellernent absent - pouvait provoquer de réac- thèses, a aussi dessiné les hotrizons des engage-
tions cris pées, obsessionnelles ou d 'actes ments présents et futurs. C'es.t de cela qu'il faut
claire1nent n1anqués. j'ai \ ' U des fernmes e t des discuter et débattre avec sérieux et sans passions
homrnes, intelligents et éduqués, jouissant mal placées ou é1notivité excessive.
d 'une parfaite audition, devenir effec tivement Le défi, je l'ai répété, est également psycholo-
squrds ... et tour à coup n1oins intelligents et gique. li faut apprendre et réapprendre le sens de
parfois n1oins éduqués. La psychologie et la la confiance en soi et en autrui. Cela de1nande - à
psychanalyse 1n'ont renseigné, avec une dis- tous - des efforts in1portants : faire face à ses
tance critique e t parfois avec hun1our, sur ces p eurs, érudier, se re n1ettre en question, se dire et

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert


MO\! ll\' l'IMI\ CON\'IC'l'ION CONCWSION

se traduire, 1nais également écouter et sortir de soi, sance, de la compréhension er de la co1nplexité.


à la rencontre de l'autre. La confiance en soi et en L'expérience m'a n1oncré, avec les jeunes co1nn1e
l'autre exige de chacun une lucidité quant à ses avec les moins jeunes, que c'est la rencontre ec
propres troubles et une vraie quête quant à la l'engage1nent personnel, au quotidien, qui
connaissance et à la compréhension. Un effo1t qui réveillent les esprits, permettent des prises de
est une résistance à ses propres peurs, à ses pho- conscience et donnent l'envie d'aller plus loin,
bies et à ses méfiances pour atteindre un état de de mieux comprendre et de dialoguer. Il faut
connaissance, de 1naîtrise, et de 1nieux-être, qui donc vrailnent vivre et travailler ense1nble
permenra d'accéder à un respect de soi et d 'au- autour de projecs con11nuns.
trui. Pour tous, musulmans ou non, il s'agit d 'un La question est siinplc de fait. En deçà, et au-
vrai djihad, au sens très exact de cc renne dans delà, de coures les chéories que l'on pourrait écha-
les références islamiques (effort et résistance), un fauder, il importe de demander à chacun, con1111e
jihâd de la confiance. C'est un travail quotidien, je le fais au terme de nombreuses conférences :
avec soi comme avec ses voisins, dans sa demeure combien de femmes et d'hommes avez-vous ren-
con11ne dans son voisinage: la gestion du p lura- contrés durant le dernier mois qui ne soient
Hsme des idées, des cultures et des religions est à pas de votre • cercle '" de votre • culture • ou
ce prix si l'on veut donner une unité à la diversité de votre ·univers de référence1 • ?Avec combien
ou sin1plernent un sens au fait de vivre enseinble . d'entre eux avez-vous échangé, débattu ou rnême
Ce n'est et ne sera ja1nais facile inais, au den1eu- travaillé autour d'un projet social, culturel ou
rant, nous n'avons pas vrai1nent Je choix: nous fai- politique con11nun? Co1nbien de fe1n1nes et
sons face, cornme chaque conscience ou société d 'homn1es avez-vous rencontrés depuis un mois,
en un te1nps spécifique de l'histoire, à l'exige nce deux mois ou six n1ois, qui vous aient fait vivre
clé de notre époque. l'expérience de la différence culture lle, re ligieuse
Difficile, en ces temps de co1nmunication et et sociale, qui vous questionne positive1nent et
de culture mondiale et globale, de vitesse, par-
fois de précipitation et d 'én1otivité collective, de J. Le fair qu'ils aient un no m <le· là-bas· ou un peu · exo-
prendre le temps de se réconcilier avec le cemps tique • ne veut rien dire : ces pc1·sonnes peuvent bien
lenr et dense de la raison critique, de la connais- enco re faire pa1tic du même • ur'ivcrs de référence •.

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MON INTIMI'. CON\ 'ICl'ION CONCl.USION

vous itnpose de justement reconsidérer votre l'expérience d u vrai p luralisn1e culrurel, le sens
1node de pensée, vos certitudes autant que vos d 'un universel partagé ec non n1onopolisé. Une
habitudes ou certains de vos préjuge1nents et de présence, de l' inté rieur, désormais constitutive de
vos préjugés? Il est facile de se penser • ouvert • soi, qui invite à ne jamais confondre les avancées
dans un univers de citoyens et d'amis qui sont les du développement écono1nique et de la 1naîtrise
habitués, toujours les mêmes, d'une • ouverture • technologique avec le sens d'une supposée supé-
qui se pense plus qu'elle ne se vit effectivement. riorité idéologique ou philosophique. Une pré-
Les ghettos meneaux ne sont pas des mirages, leur sence-cadeau qui offre sa richesse et enseigne
exisrence esr réelle, palpable cr effective: êrre l'humiliré. !'vlais les 1nus ulmans doivent demeurer
• ouverc · à l'inré rieur du ghetro 1nencal ou inrellec- des • questions • également: avec leur foi, leurs
ruel n'ouvre pas la porte de ce dernier, 1nais prariques, leur cornporte1nent et leur engage1nent
pem1el sitnplement de se leu rre r sur le fait qu'il n'y citoyen quotidien, ils doivent interpeller positive-
a ni ghetco ni porte. Les prisons les pluii dange- ment leurn concitoyens. C'eiit exacren1ent Je sens
reuses sont celles dont on ne voie pas les barreaux.. de la formu le que j'avais uti lisée il y a bien des
Sortir du ghetto me ntal, intel lectuel, mais éga- a nnées en m'adressant aux musulmans : il faut
lement socia l, culturel et religieux est aussi, bien normaliser votre p résence sans la banaliser.
sür, une exigence fondam e ntale pour les 111usul- Appre nd re à vivre la quête spirituelle du divin, de
rnans. J'ai souvent ré pété aux Occidentaux soi et du sens, pour celles et ceux qui en ont fait le
rnus u lrnans de se penser con1rne des • cadeaux" choix au cœur des sociétés occidentales, n'est pas
a uranr q ue con1me des • questions • vis-à-vis de banal. Penser et vivre cette quête à travers une
leurs concitoyens. Comme des cadeaux, parce éthique quotid ienne qui façonne la conscience et
qu'ils p ortent en eux d 'autres horizons, d 'autres le ccX::ur autanc qu'elle oriente l'agir n'est pas non
cu ltures et d'autres mémoires qui sont autant de plus banal. Enfin , dé velopper une éthique de la
richesses avec lesquelles ils nourrissent leurs citoyenneté qui impose la cohé rence et s 'appuie
sociétés respectives. lis doivent avoir la sur la réconciliation entre l'universalité des valeurs
conscience, et nourrir en eux la confiance, de ce et Je sentiment d'a ppartenance (et la loyauté cri-
qu 'ils sonr ec de ce qu'ils peuvent apporcer aux tique) aux niveaux national et local n'est pas
sociécés occidenrales: d'aucres poincs de vue, banal. Au cœur de l'Occident, la présence des

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MON INTIME CON\ 'IC'110N CONCl.llSION

vous in1pose cle justc1nent reconsidérer votre l'expérience du vrai plura lis111e culturel, le sens
1nocle cle pensée, vos certitudes autant que vos d 'un universel partagé et non 1nonopolisé. Une
hahitudes ou certains de vos préjuge1nentS et de présence, de l'intérieur, désor111ais constitutive de
vos préjugés? Il est facile de se penser • ouvert • soi, qui invite à ne jamais confondre les avancées
dans un univers de citoyens et d'a1nis qui sont les du développement économique et de la 1naît1ise
habitués, toujours les mêmes, d'une • ouverture • technologique avec le sens d 'une supposée supé-
qui se pense plus qu'elle ne se vit effective1nent. riorité idéologique o u philosophique. Une pré-
Les gheuos mentaux ne sont pas des n1irages, leur sence-cadeau qui offre sa richesse et enseigne
existence est réelle, palpable et effective: êrre l'humilicé. Mais les musulmans doivent demeurer
· ouvert · à l'intérieur du ghetto rn<::ntal ou intellec- des • questions • également: avec leur foi, leurs
ruel n 'ouvre pas la porce de ce dernier, mais praciques, leur comportement et leur engagement
pennet sùnple1nent de se leurrer sur le fait qu'il n'y citoyen quotidien, ils doivent interpeUer positive-
a ni gheLLo ni porte. Les prisons les plus dange- n1enl leurs concitoyens. C'est exactement le sens
reuses sont celles dont o n ne voit pas les barreaux . de la forrnu le que j'avais uti lisée il y a bien des
Sortir du ghetto mental, intellectuel, mais éga- années en m'ad ressant aux rnusu lmans: il faut
lement social, culturel et re ligieux est aussi, bien nonnaliser votre présence sans la banaliser.
sûr, une exigence foncla1nenrale pour les n1ustil- Apprendre à vivre la quête spirituelle du divin, de
1nans. J'ai souvent rép écé aux Occidentaux soi ec clu sens, pour celles et ceux qui en ont fait le
1nusulmans de se penser cu111mc des . cadeaux~ choix au cœur des sociétés occidentales, n'est pas
autanr que con1mc des • questions • vis-à-vis de banal. Penser et vivre cette quête à travers une
leurs concitoyens. Co1111ne des cadeaux, parce éthique quotidienne qui façonne la conscience et
qu'ils portent en eux d 'autres horizons, d 'autres le c<x:ur autant qu 'elle o riente !'agir n'est pas non
cu ltures et d'autres mémoires qui sont autant de plus banal. Enfin, développer une éthique de la
richesses avec lesque lles ils nourrissent leurs citoyenneté qui in1pose la cohérence et s'appuie
sociétés respectives. Ils doivent avoir la sur la réconciliation entre l'universalité des valeurs
conscience, et nourrir en ellx la confiance, de ce et le sentiment d'appartenance (et la loyauté cri-
qu 'ils sont ec de ce qu'ils peuvent apporter aux cique) aux niveaux national et local n'est pas
sociécés occidcncalcs: d'aucres points de vue, banal. Au cœur de l'Occidenr, la présence des

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MON l NTIMt CON \1CTION

inusulmans, indivicluellen1ent e[ collectivement,


devrait se [racluire conune une question ou p lutôt
une série de questions : quel est le sens de cette
présence pour 1noi? Qu'est-ce qui explique leur
comportern.ent? Comment me situer vis-à-vis
d'eux? qui suis-je ·e t qu'ai-je envie d'être fa.ce à cet
autre au cœur du pluralisme partagé et assumé? Annexe 1
Cette présence-question est un miroir. Le miroir
de l'autre est le reflet de mille questions sur soi. THIERRY
Celles-ci sont parfois gênantes, il est vrai, 1nais
elles sont tellen1ent nécessaires.
Il faudra du te1nps, il faudra de la patience. Les
acquis sont déjà réels et ünpressionnants. Au-delà Au fond de la classe, l'ceil. sombre, il n'avait pas
des crises médiatiques et: politiques, on voit quitté sa veste; com1ne s'il s'apprêtait à sortir de
poindre de nouvelles dyha1niques, des initiatives la classe. Nous venions d 'y entrer pourtant Ce fut
et des projets intéressants qui engagent des ma prernière rencontre avec Thierry. Celles qui
fenl!11es et des ho1nmes refusant la polarisation, suivirent donnèrent naissance à un conflit parti-
les sitnplifica[ions, les manipulations et les ex- culièren1ent rendu. Seul, tou t à la fois fébri le et
clusions : des politiciens et des [ravailleurs sociaux orgueilleux, il n'avait de cesse de vou loir n1e
(sur le plan local ou nacional\ des journalistes res- dé1nontrer que 111011 statut de ., prof " suffisait à
ponsables et consciencieux, des citoyennes e[ des prouver .que • je ne pouvais comprendre •, que
citoyens ordinaires et/ou anonymes: ils sont forcérn ent ·je le jugeais ... • 1nal, co1nrne " eux •.
bien plus nombreux qu'on n e le croit et partagent Toutes rnes exigences " sco·laires ,., tous mes
un ceitain sens de l'hu1nan ité, de la dignité et de appels au dialogue, toutes n1es suggestions
l'éthique, croyants ou non, musuhnans ou non. étaient balayés avec la froideur et la haine que
C'est avec ces femrnes et ces. hornmes qu'il faul l'on réserve à ses ennemis." Occupez-vous de vos
construire l'avenir, sans naïveté, mais avec confian- affaires .. . j'ai pas envie de vous parler. .. ·Il a vair
ce et détern1ination. le 1népris expressif. • Asocial ., disait-on.

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
MON I NTIME CONVICTION THIERRY

jusqu'à cette veille de vacances d'auton1ne où confiance, rr1a patience et crahissait avec une
il rne remit une con1position de français en n1'in - régularité déroutante la n1oiindre de mes exi-
terpellant. • Ça d oit vous. e1nbêter de lire nos gences hu1naines, il avait b esoin d'être ain1é
'·compos" pendant les vac.ances ?! ., n1e d it-il e n • hors la loi .., hors norn1es, à l'extrê1ne de toutes
épiant, comme pour [a saisir dans ['instant, ma les transgress ions. Hors cela, pas d'a1nour ! Sa
réaction. • Évidemment, c her Thie rry ....., lui fa1nille éclatée, sa solitude lui avaient appris les
répondis-je en le fixant avec insistance. Il en fut trahisons faciles de ceux qui airnent normale-
gêné mais ce fut le prernier échange, la première ment. Les horizons de ce destin avaient fait de
"chaleur", le pternier signe.· À bientôt., lâcha-r- l'ornbre aux actentes scolaires : Thierry se
i! en accon1pagnanr sa volte-face d 'un sourire cognait où d 'autres se fonnent. Il se perdait où
crispé. Il avait. l'affection tellernent cornpliquée. d 'autres s 'orientent.
Les sen1aines et les mois gui suivirent 1n'o nt Thierry 1n'a appris la tristesse des che1nins des-
pern1is de dessiner le paysage dans lequel se sinés rrès tôt. Je prenais conscience, de la façon la
1nouvait Thieny. Trop d 'absences, trop de vio - plus violente, qu'il y a des adolescents qui gagnent
lences avaient mis à 1nal toutes ses protections. la vie au prix d'une lutte intérieure in fe rnale . Entre
Si fragile et renfermé, il avait fini par faire de sa la survie et l'école, le choix relève de l'évidence.
faiblesse une force : il ne laissait à personne le Le vide tenait lieu d'identité dans la conscience de
droit de l'ai1ner. Au rnieux adrnettait-il qu 'on le ThieJTy, qu'y avait-il à fonner? j'ai appris, au creu-
jugeât, scolairement ... et très rnal. Il en avait tel- set de ses doutes et des rnierts, à être là et à ne
Jen1ent l'habitude q u'il prenair un soin particu - rien dire. Le silence était son exigence. Il avait fait
lier à conforter ce point de vue: il savait prouver de n1oi un prof qui n'a plus rie n à dire. J'aurais dû
sa non-valeur aux adultes; du corps e nseignant à trans1i1ettre un • savoir ", j'eus à vivre les igno-
la brigade des mineurs. Avec ce paradoxe dou- rances d'une déroute.
loureux de subir ce qu'il croyait décider. Et puis il y eut l'éclair d 'u n voyage effectué
Il y avait la drogue et le vol. Les fugues et les ense1n ble au Nlali. Nous étions trois et Thie rry
errances. Et puis des signes toujours plus fré- panni nous. Il cessa de • fumer " un 1nois. durant,
quenrn d 'un lien qui se créait au détour de il s 'érnerveilla : • Ici ça vaut un peu la peine .. . • Il
chaque échec. Thierry 1netrait à l'épreuve rna avait cette in1pression troublante de s'introdu ire

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MON i1'' f1Mf; CONVICTION

clans u n paysage qui lui cémoignait de la sym-


pathie, sans cornptes à rendre. Sa volonté
s'inonda de ressources : " Je reco1n 1nence à
:zéro ... je vais n1'offrir ce que l'on ne 1n 'a pas
donné ... ·Ces mots au jourd'hui résonnent dans
ma mémoire. Au retour, et pendant six n1ois,
Thierry va vivre de cet espoir. De cette force . Annexe2
C'était· gagné"· ..
Le vicie enfin . Thierry gisait au pied d'un arbre MANIFESTE POUR U N NOUVEAU (( Nous ))
quand on l'a retrouvé, sans vie, à l'auto1nne
1983. Le piège d'une vie se teferrnait : une over-
dose, sitnple1nent. Dans 1na tête, des in1ages et
des horizons. Et puis u n tén1oignage 1 un hon1- Il y a de quoi être inquiet. Durant ces vingt
mage, un geste. Th ierry a façonné mon destin dernières années, la s ituation des 1nusul1nans
d'e nseignant. Il n'avait fait le choix de rien et dans les sociétés occidentales n'a globàlen1ent
toutes les portes s'étaient fennées . Conda1nné pas été très facile, e t force est de constater que
avant de naître, à naître condamné. Co1n1ne tout cela a empiré ces cinq dernières années. La
son entourage, je lui fus nécessaire et insuffisant. guerre contre le rerroi"isrne lancée après le
Mort à dix-neuf ans, il a ajouté la couleur d'une 11 septernhre 2001, la répétition des attentats
exigence à mon engage1nent: être là d'abord, terroristes à travers le inonde ajoutée aux 1nul-
contre vents et marée. Notre rnétier sans C<:eur ti1'.>les tensions dues aux problè1nes sociaux ou
n'est plus un 1nétier. Restera à surmonter les à l' immigration ont fini par associer l'isJam et
échecs. Thierry n'est plus . Un souvenir : des les 1nusulmans à l'ex.pression d ' une menace
images où il faut puiser, avec quelques doutes, pour les sociétés occidentales. La peur s 'est
la force de poursuivre. installée avec son lot de réactions én1otives et
irrationnelles, pa rfo is légitin1es et co1npréhen-
sibles, parfois insrrurnenralisées à des fins poli-
tiques ou électorales.

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M.ON INTI ME CON\ 1CTION MANWf.STE POUR UN NOUVf>1\ U • NO US •

Du Canada à l'Australie , en passant par les Face aux peurs et aux questions légitinies
États-Unis et l'Europe, il n 'y a pas une société
occidentale qui ne soit épargnée par les ques- Ces dernières années, les populations occi-
tionnen1ents identitaires, les tensions dues à dentales ont été confrontées à des réalités er à des
"l'intégration ·et les débats concernant la p lace questionne1nenrs profonds el difficiles. La pré-
des rnusultnans Ces derniers sentent que l'at- sence de plus en plus visible de n1illions de
111osphère est plus lourde,. que la suspicion est musubn.ans panni eux leur a fait co1nprendre que
de plus en plus répandue et qu'ils sont l'objet leurs sociétés avaient changé, l'hom.ogénéité cu l-
de débats politiques pas toujours transparents turelle était une donnée passée, la question de
ni très sains. Les n1usulrn ans sont devant une leur propre identité se co111plexifiait et la mixité
alternative on ne peut plus explicite : soit ils sociale était un idéal difficile à atteindre a.fortiori
subissent les événetnents et adoptent l'attitude quand les problèmes sociaux (chôrnage, racisn1e,
défensive de la • victime •, • 1ninoritaire ,. et rnarginalisation, etc) se rnultiplient. Cette instabi-
" disc1'iminée •, qui se recroqueville ou ne cesse lité (ajoutée à la perceprion de la présence d'une
de se justifier; soit ils font face aux d ifficu ltés religion et de cultures «étrangères •) a produit des
qui sont les leurs, deviennent sujets de leur his- angoisses et des questions légitiJnes même si elles
toire, et décident de s'engager à réformer la s'expriment parfois dans la confusion . Les musu l-
situation. Ils peuvent certes se plaindre des trai- mans peuvent-ils vi:vre dans des sociétés séculari-
ten1enrs qu'ils subissenr, critiquer le racisn1e et sées, leurs valeurs sont-elles compatibles avec
les discrin1inations journalières rnais, au bout celles de la dén1ocratie, sont-ils prêts à se mêler à
du cc>1npte, la ba lle est da ns leur can1p et rien leurs voisins non musulrnans, peuvent-ils lutter
ne ch·angera vrain1ent s'ils ne décident pas de contre les cbn1porte111enrs cho quants p roduits en
se prendre en ma in, d 'être constructive1nent leur no1:n (terrorisme, violence don1estique,
critiques et autocritiques, et de répondre à la rnariages forcés, etc.), peuven t-ils sortir de leurs
lente évolution de la peur par une révolution ghettos sociaux où se répandent le chômage, l'in-
de confiance. sécurité et la rnarginalité'
Face à ces questions, les musulmans doivent
s'assumer et expritner la confiance qu'ils ont en

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MON L'-'11,\IC CONVICTION MANWESTE POUR UN NO UVEAU • Nü lfS •

eux-111êrnes, en leurs valeurs et en leur capacité le terrorisme, la violence don1estique ou les


à vivre et ·à comn1uniquer sereinement dans 1nariages forcés. L'avenir de la comn1unauté
les sociétés occidentales. La révolution de spirituelle 1nusultnane exigera forcén1ent des
confiance que nous appelons de nos vœux institutions de formation religieuse (études isla-
passe d'abord par une confiance en soi et en ses 1n iques, isla1nologie, formati on d'imams, etc.)
convict ions: il s'agit de se réapproprier son établies en Occident qu'elles puissent ré pondre
héritage et de développer à son endroit une atti- aux attentes des citoyens occidentaux. Avec la
tude intellectuelle positive et critique. Être mêrne attitude critique, jJ est irnportant qu'ils ne
capable de dire que les e nseignements isla- cautionnent pas la confusion a1nbiante dans les
nliques appellent essentiellen1ent à la spiritua- débats de société: les problè1nes sociaux, le
lité, à l'introspection et à la réfonne de soi. chôrnage, la n1arginalisation er l'irnn1igrarion ne
Affinner avec force que les n1usu l1nans sc>nt sont pas des• problè1nes religieux " et n 'ont rien
cenus par le respect des législations des pays à voir avec l'isla1n. Il est iinpératif de refuser
dans lesquels its vivent et auxquels ils se doi- I'• islan1isation des questions éducatives et socio-
vent d 'être loyaux. Des mjllions de nlusulmans éconon1iques • : ces derniè res exjgent des solu-
prouvent tous les jours que " l'intégration reli- tions politiques et non religieuses.
gieuse • est acquise, qu 'ils sont chez eux dans L'un des n1oyens de répondre aux peurs légi-
les pays occidentaux dont jls ont adopté le goût, times consiste à déconstruire ~es problématiques
la culture, la psychologie et les espérances. sans déconnecte r les d ifférents aspects qui les
Face aux peurs légiti111es, les Occiclenta ux con1posent. " Déconstruire sans déconnecter ",
musulmans ne peuvent pas Sè contenter de cela signifie s'imposer d 'abord de distinguer le
n1ini1niser, voire d'éviter les questions. Il est fait srrictetnent religieux de·s problèn1e.<; sco-
urgent qu'ils élaborent un discours critique refu- laires, sociaux ou liés aux 1nigrations, puis d'ana-
sant la position victitnaire et dénonçant les lec- lyser co1nment s'établissent les relations de
tures radicales, littéralistes et/ou culturelles des cause à effet sur le terrain sociopolitique . Les
textes religieux. Au no1n rnême des principes de citoyens de confession 1nusulrnane doivent par-
l'isla1n, ils doivent s'opposer à l'instru1nentali.sa- ticiper à une 1ne.illeure reforn1ulation des ques-
tion de leur religion pour justifie r par exernple tiôns pôlitiques actuelles. Ainsi, le chô1nage,

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\10N INTIME CONVICl'ION MANlf'ES'l'ii l'OUI\ UN NOLl\ 'l:AU • NOUS •

l'échec scolaire et la délinquance n'ont - co1nme et l'i1nposirio n d 'un cadre strict· pour les étran-
nous l'avons die - rien à voir avec l'isla1n, n1ais il gers • avec, bien s ûr, l'appareil des lois sécuri-
in1porte de con1prendre quelles sont les causes taires pour luuer conlre le lerroris1ne. Ces
qui expliquent que ce sont les citoyens et rési- discours politiqu es jouenl su r les angoisses,
dents 1nusuln1ans qui sont les plus frappés par entretiennent la confusion des domaines et
ces réalités. Comment proposer de nouvelles prorneuve nt une approche binaire des ques-
politiques sociales et urbaines qui réfonneraient tions sociopolitiques. Ce qui iinplicitement res-
cet étac de fait et permettraient la lutte contre la sort des termes des débats revient à distinguer
ségrégation er l'aucoségrégacion , en entraînant cieux e ncirés: · nous, les Occidentaux · et· eux,
plus de justice er de mixité sociales? les musuln1ans •, même quand les citoyens sont
n1us ulrnans et toue à fait occidentaux.
Le retou r permane nt des 1nê1nes questions
La peur instrunientalisée dans les débats politiques natio naux (violence,
femmes, intégration, etc.) n'est pas innocent et
Le d iscours qui, hie r, était l'apanage des la question d e l'islam est souvent devenue la
partis d 'extrême droite tend rnalheureusement balle de p ing-po ng avec laquelle les partis
à se nonnalise r au sein d es partis traditionnels. jouent pour tenter de rnettre à 1nal leurs adver-
De plus en plus de leaders joue nt la carte cle la saires politiqu es et attirer à e ux des électeurs.
peur pour mobi liser les é lecteurs e t pron1ouvoir Des propos racistes et xénophobes se générali-
d es politiques de p lus en p lus dures s ur le p lan sent. On rc:lit le passé en niant à l'isla1n la
de la gestion des pro b lèmes sociaux, de 1noindre participation à la fonnation de l'iden-
la sécurité ou <le l'imrnigration. En panne tité occid entale <l ésonnais puren1ent • gréco-
d 'idées politiques novatrices et créatrices pour ro1naine ·et· judéo-chrétie nne ·; on fait passer
prornouvoir le pluralis rne cu lture l ou lutte r des examens aux fro ntières qui testent arbitrai-
contre le chô1nage et les ghettos sociaux, ils se rement la • fl exibilité morale • des ünmigrés, et
contentent d 'une rhétorique dangereuse sur la les lois sécuritaires s'ünposent naturellement en
protection de · l'identité• et l'ho1nogénéité cul- ces temps de peur et d 'instabilité. Sans oublier
rurelle, la défense • des vale urs occidentales • les discours er les politiq ues intransigeants qui

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MON INTL\lt CONVICl'ION MANlfü'STE f>OUI\ UN NOU\ 'EAU • NOUS•

finissenc par crin1inaliser les in1111igrants et les rnents discriminatoires er la stig1natisation d'une
deinandett rs d'asile. partie de la population . La vraie loyauté
Face à ces inStrun1entaEisations, et parfois les citoyenne est une loyauté critique : il s'agit de
tnanipulations qui en découlent, les citoyens de refuser d 'avoir à systé1natiquen1ent prouver son
confession 1nusulrnane doivent faire exacteJnent appartenance à la société et, en connaissant ses
le contraire de ce qui pourra it être la réaction responsabilités, de revendiquer ses droits et
naturelle : plutôt que de se retirer du débat d 'établir une critique de fond des politiques gou-
public et s'isoler, ils doivent se fa ire entendre, vernementales quand celles-ci trahissent les
sortir de leurs ghettos reliigieux, sociat1x, cultu- idéaux d.es sociétés dén1ocratiques.
rels ou politiques et aller à la rencontre de leurs
concitoyens. Le discours dle ceux qui instrun1en-
talisent la peur a pour objectif de produire ce Un nouveau • 1Vous •
qu'ils disent co1nbattre ; en accusant en penna-
nence l.es musultnans de ne pas être intégrés, de S'il est une contribution que les Occidentaux
s'isoler, d 'établ.ir des barrières en tre • eux • et 1nusulmans peuvent apporter à leurs sociétés
• nous" et de s'enfermer dans leur appartenance respectives, c'est bien celle de la réconciliation.
religieuse considérée co1n1ne exclusive, les intel- Confiants en leurs convictions, porteurs d'un
lectuels qui rnettent en garde contre la "naïveté • discours critique franc et rigoureux et arrnés
des p oliticiens, • le danger de l'islarn • ou d'une nieilleure connaissance des sociétés occi-
• l'échec • de la société p lu rielle ou du n1ulticul- dentales, de leurs valeurs, de leur histoire er de
rural isn1e sè1nent la suspicion, créent les frac- leurs aspirations, ils sont à mên1e de s'engager
tures et cherchent en fait à isoler les 1nusulmans. avec leurs concitoyens à réconci lier ces sociétés
Les citoyens doivent établir une critique rigou- avec leu rs propres idéaux. Ce qui coinpte
reuse de ces discours alarmistes qui cachent mal aujourd' hui, ce h'est point de comparer les
l'idéologie qu'ils pro1neuvent. C'est au norn des rnodèles de société ou les expériences en
valeurs des sociétés occidentales elles-mêmes entrant dans un débat stérile sur le 1n.eilleur des
qu'il faut con1battre la diffusion d'un discours rnodèleoccidenraux (cornn1ë on a pu le voir
qui norinalise un racisrne ordinaire, des traite- entre les Érnts-Unis, le Canada, la France et la

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MON I NTIME CONVICTION MANJJ'ESTll l'OU R UN NO UVE.AU « NOUS•

Grancle-Brecagne), rnais p lus sin1plernenc, et de d.e leur société . Citoyens, incégrés, loyaux et
façon p lus exigeante et plus stricce , d'évaluer critiques, ils s'engagen c dans cette révolution
chaque société en con1parant les idéaux affinnés d e confiance pour résister à l'évo lurion de
et revendiqués par ses inte llectuels et ses politi- la peur: fac e à l'é1notion et aux réactions épi-
ciens et les pratiques concrètes sur le terrain dermiqu.es, voire hystériques, la rationalité, le
social, les droits humains et l'égalité des traite- dia logue exigeant, l'écoute et l'approc he rai-
1nents (entre les fern1nes et les ho1nrnes, les dif- sonnable des questions sociales co1nplexes et
férentes origines, la couleur de peau, etc.). Il faut difficiles s'in1posent.
sournenre nos sociécés à l'épreuve de la critique
constructive q ui cornpare les d iscours et les
actes : cette saine ;ucitude autocriüque que les Local, national
111usul111ans do ivent 1nanifesrer à l'égard de leur
c<)n1n1u nauté , tous les citoyens doivent la p ro- C'est d 'abord au niveau loca l que se joue
duire vis-à-vis de leur société. l'avenir plu riel des sociétés occidentales. Il est
Nos sociétés o nt besoin de l'é1nergence d 'un u rgent de mettre en branle des 1nouvements
nouveau • Nous .. Un " Nous • qui réunit des nationaux d 'initiatives locales où des femrnes et
fe1n1nes et des homn1es, des citoyens de toute des hon1mes de différentes religions, cultures et
religio n ou sans religion, et qui s'engagent sensibilités créent des espaces d.e connaissance
e nse1nble conrre les contradictions de leur rnutuelle, des engagements con1mu ns : des
société, contre le racisn1e et les discriininations espaces de confiance. Ce son t les projets corn-
de toutes sortes ou les atteintes à la d ignité n1uns qui doivent désormais les réunir et donner
hu1naine, pour le droit au travail, à l'habitat, au naissance pratiquen1e nt à ce nouveau • Nous •
respect. " Nous • représente désormais ce ras- citoyen . Certes, les d ialogues " interculturels ·ou
semble1nent et cette dyna1nique de citoyens, • interreligieux ·sont itnportants et nécessaires,
confiants en leurs valeurs, défenseurs du plu ra - mais ils ne pourront être aussi efficaces que
lis1ne de leur commune société, respectueux des l'engagement commun sur tous les dossiers prio-
iclentüés p lu rielles et qui désirent, ense1nble, se ritaires : ['éducation, les fractures sociales, l'insé-
ba[tre au non1 de leurs iclé.au x pa nagés au cœu r curité, les racis1nes, les cliscrin1inations ...

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MON INTIMf( CON\ 'ICl'IO MANIFEd'l'I! l'OUll UN NOU\ 'E1\ ll • NOUS•

Gra nde-Bretagne), 1nais p lus simplernenr, et de de le ur société. Cicoye ns, in tégrés, loyaux et
faço n p lus exigeante ec p lu:. scricte, d 'éva lue r critiques, ils s'engagent cla ns cene révolutio n
chaque société e n comparanL les idéaux affirn1és d e con fia nce pour rés ister à l'évolution de
et revendiqués par ses intellectuels et ses politi- la peur: face à l'émotion el aux réacLions ép i-
ciens et les pratiques con crètes sur le terrain denniques, voire hysté riques, la rationalité, le
social, les droits humains et l'égalité des traite- dialogue exigeant, l'écoute et l'approche rai -
ments (entre les fem1nes et les hommes, les dif- sonnable des questions socia les complexes et
férentes origines, la couleur de peau, etc.). li faut difficiles s'itnposent.
soumettre nos sociétés à l'épreuve de la critique
constructive qui con1parc les discou rs et les
actes : cette saine attitude autocritique que les Local, national
1nusultna ns doivent n1anifester à l'éga rd de leu r
co1nn1unauté, tous les citoyens doivent la pro- C'est d 'abord au n iveau loca l q ue :>e jo ue
d uire vis-à-vis de leu r société. l'avenir p luriel des sociétés occidentales. li est
No s sociétés o nt besoin de l'émergence d 'un urgent de mettre en bra n le des rn ouvern ents
nouvea u • Nous •. Un " ou s • qu i réunit des nationau x d'initiatives loca les où des fe1nmes et
fe1n1nes et des hom1nes, des citoyens de toute des horn1nes de différentes re ligio ns, cultures et
re ligion o u sans re lig io n , c c qu i s'engagent sensib ilités créent d es espaces de connaissance
ense1n ble contre les co ntrad ictio ns de leur m utuelle, des engagements con1 rnuns : des
société, contre le racisme et les discriminations espaces de con Îl ance. Ce son t les projets co1n-
de toutes sortes ou les attein Les à la d ignité 1nuns qu i doivent désormais les réunir et do nner
humaine, pe>ur le d roit au travai l, à l'habitat, au naissance pratiquement à ce nouveau • Nous •
respect .• Nous • représente désorma is ce ras - citoyen. Certes, les dia logues • interculture ls ·ou
semb lement et cette dynamique de c itoyens, • interreligieux • sont i1npo1t a nts et nécessaires,
confiants en leurs va leurs, défenseu rs du plura- mais ils ne pourront être aussi efficaces que
lisme de leur commune société, respectueux des l'engagement commun sur tous les dossiers prio-
idenricés plurielles ec qui c.lésirenc, ensemble, se ritaires: l'éducation, les fractures sociales, l'insé-
batcre au no1n de leurs idéaux parcagés au cœur curité, les racismes, les discriminations ...

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MON INTIMI: CON\'IC'l'ION MANIFESTll POUR UN t-IOUVf.AU • NOUS•

C'esr e nsemble q u' ils d oiv<::nt q uestio nner Les sociétt:s occidenta les ne gagneront p as la
les p rogram mes d'enseignc1n<::nt et p roposer lucte con tre l'insécu rité sociale, la violence et la
d es approches plus incl u sives des 1nén1oires drogue pa r les seules politiques sécuritaires. Des
qu i constituent les sociétés occid en ta les institutions sociales, l'éducation civique, la créa-
conte1nporaines. Ces dern ières ont changé et tion d 'e mplois locaux et des politiques de
l'enseignement de l' histoire doit intégrer la confiance sont itnpératives au niveau des villes.
1nulciplicité des mé1noires, nota1n1nent les Les autorités politiques locales peuvent faire
périodes les plus sombres de ladite Histoire (et énormé1n enc pour cransformer les aunosphères
donc les nouveaux cicoyens d 'Occidenc ont de suspicion qui règnent, et les citoyens, donc
parfois été les premières victimes): avec les les musu Imans, ne doivent plus hésirer à frapper
Lurnières, les progrès scientifiques <::t les acquis à leur porce ec à leur rappeler qu'en démucracie
techno logiques, il faut enseigner l'esclavage, la c'est l'élu qu i est au service de l'électeu r et no n
co lo nisation, le racis1ne, les gé nocides .. . Sans le contraire . ri est urgent de s'engager dans les
arroga nce ni pe rpétuelle c ul pabi lisation . Sous affaires natio na les et de ne pas se laisser empor-
p e in e de provoquer un e com pétitio n d es ter par la passion de la scène internationa le. JI
1némoires victi maires blessées, il fau t officiali- demeure néanmoins évident qu 'un discours cri-
ser l'enseignen1ent d ' une histoire plus objec- tique su r la gestion de l'irnrnigration s'in1pose en
tive d es mé mo ires q ui p artici pe nt d e la Occid en t : o n ne pe ut p iller le ciers-n1onde de
collectivité actue lle. Sur le p lan social, il faut ses richesses et cri111i na liser celles et ceux q ui
s'engager à p e nse r une p lus grande 1nixité fu ient la pauvreté ou les régirnes diccatoriaux.
d a ns les éco les et da ns les villes: des p o li- C'est injuste et inhumain : c'est intolérable. Être
tiques socia les et urba ines p lus courageuses et et den1eu re r la voix des sans-voix, de l'Irak, de la
p lus créatives sont nécessa ires, mais les Pa lestine, du Tibet ou de la Tchétchénie, ou
citoyens peuvent dé jà lancer des initiatives qu i encore d es fem1n es ma ltraitées et des victi1nes,
in1 posent la rencontre clans et par les projets nota1n1nent africaines, du sida (alors que les
de dé1nocratie participative locale. Les autori- médica1nent<; sont disponibles), c'est aussi faire
cés nationales doivent accompagner, faciliter er preuve de • réconciliation • au nom des idéaux
encourager ces dynamiques locales. occidt:'.ncaux de dignicé, de droics hun1ains ec d~

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Mô"'l INTIME CON\ 'IC'l'ION

jus[ice aop souvent bafoués sur l 'autel d es cal-


culs politiciens et d es intérêŒ géostratégiques.
Au ten1ps de la mo ndialisation, c'est la confiance
1nutuelle au niveau locaJ el l 'esprit critique
global qui ouvrent la voie de la réconciliation
entre les civilisations.
üne révolution de confiance, une loyauté cri-
tique, la naissance d 'un nouveau • ous • porté
par d es mouvements nationaux d'initiatives
locales, tels sont les concours d'un engagement
responsable de cous les citoyens clans les socié- Préa111hule. De la visibilité .... .. ................ .. 9
tés occidentales. Pa rce qu 'ils revendiquent les Introduction ............ .... .. . ....... ... ........ .. ...... 17
bienfaics d 'une éthique citoyenne responsable,
parce qu 'ils veu lent à tout prix pro mouvoir la 1. Premiers pas, prem iers enseigne1nents 27
richesse cu lturelle de l'Occident et parce qu'ils 2. Musul1nan et• intellectuel controversé· 39
savent que sa surv ie se fer a au prix d'une nou- 3. Plusie urs fronts, deux univers,
veJJe créativité politique. Les citoyens doivent tra- une p arole .................... ... . ..................... 43
vailler sur Je temps lo ng, a u-delà des échéa nces 4. Crises. croisées .. ... .. ... .. .. .... .. .. .. .. ... ... ... .. .. 49
électorales qui paralysent les politiciens et empê- 5. Rap id es évolutions, silenci euses
chen[ l 'é laboratio n de poUtiques innovantes et révolutio ns ..................... ... ..................... 59
courageuses. Lorsque l 'é lu est dans l 'i1npasse, 6. Identités mu ltiples : d'abord européen,
lorsqu 'il n'a plus les 1noyens de ses i dées, c'est à américain , austra lien ou musu lman' ... 67
l'électeur, au citoyen, de revendiquer et de s'ap- 7. L'isla111 occidenta l : religio n ou cu lture 75
proprier les moyens de ses idéaux . 8. Les 1nulsumans · cultu rel s·, les
réfonnistes, les littéralistes, etc. ............ 83
9. Les acquis .............................................. 91
10. Les défis ................................................ 101
11. la question des femmes .. ..................... 109

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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
MON l l'mMC CONVICflON

12. Le sentin1ent d'appartenance et


l'approche· postintégration • ..... .... ...... 115
13. Les questions sociopolitiques,
les n1édias ...................................... ....... 125
14. Les racines de l'Europe ... et de
l'Occident ............................................. 135
15. La réforn1e .e t les sept · C" ................... 141
16. L'Occident et son n1iroir : un nouveau
• Nous • .................. ... .. .... .. ............... .. ... . 149 REMERCI EMENTS
17. Critiques et oppositions ............ .. ......... 159
Laïq ues très dogmatiques .. .. .. .. .. .. .. .. .. ... .. .. 161
L'extrême droite .. .. .. .. .. .. .. .. ... .. ... .. ... .. ... .. .. 163
Çert;üns çouranrs férn inisles ,, ... ,, .. ,, ,.. ...... , 166 Ce livre n'aurait pas vu le jour sans l'insistance
Quelques cou ra ms homosexu els .. .... .. .... .. 168 d 'Andrea Roinano qui m'a poussé à écrire un
tes milieux pro-israéliens et texte court présentant la substance de ina
néoconservateurs .......... .. .... ... ... ............ .. 17·1 pensée au-delà des controverses et des polé-
Ce rtains Étars arabes et ... occidentaux J.76 1niques. Je lui sais gré de son insisrance. Il y
Certains groupes salafi et quelques aurait tant de fe1nrnes e t d 'honunes que je
• ex-musulmans• ........................ .. ..... ...... 178
devrais ici re1nercier pour leur a1nour, leur
an1itié, le ur acco1npagne1nent, autant que pour
Conclusion ........ ........................................... 183 Leurs critiques constructives, dans les sociétés
1najoritairement musulmanes du tv'!oyen-Orient,
de l'Asie ou de l'Afrique, comme dans les com-
A NNEXES
munautés musulmanes du Canada, des États-
1. Thierry .......................... ... ...... ......... ... ..,......... 19J l.Jnis, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande, de
2. Manifestepou.run n ouveau.• Nou.s • .... ......... 195
l'île Maurice, de l'Afrique du Sud ou de l'Europe.
]'ai tanc appris des intellectuels d 'ici et d 'ailleurs,
des leaders, des cadres et des 'ulaniâ' (savanrs

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MO'i INTIME CO"i\ 1CTIO IU:MERCI EMEN'IS

1nusuhnans), conirnc des fem1nes e r des Marya1n et lrnan, toujou rs. Mon cœur vous ain1e
hon1mes anonymes, sincères e r dévoués. Les et vous reme rcie.
livres ne rein placent jamais les êtres hu1nains: à
vous tous, sans vous no1nmer pour n'oublier Londres, juillet 2009
personne, merci de votre présence et de vos
dons si in1pottants et de si différentes natures.

j'ai tant appris en Occident. Ma fonnation ,


mes lectures, 1non engagement ec, s urcout, cane
ec tant cle rencontres. Impossible, ici encore,
d 'exprimer no1ninalcment 1na gracirucle. Mais
j'ain1erais sin1plement rappeler quelques pré-
no tns qui ~e reconnaîtront peut-être: Alain,
Catherine, Corali ne, Dick, François, Han, Jean,
John, Marjolein, Miche l, Monique, Pierre,
Richard ... li en est bi e n d'a utres e ncore. À Paris,
toute l'équipe des Presses du Châtelet, avec bien
sûr Jean-Daniel, O livier, Géraldine, Sandrine ...
qui font en sorce que je sois e ncore publié e n
France pour que ina voix soir e ntendue.

En S uisse, à Genève, il est une n1ère qui aime


et qui prie. Sa présence est lumiè re et protection.
Et puis une fan1ille la rge, des frères, une sœur,
des nièces et des neveux. lei, à Londres, à
l'heure où j'écris ces lignes, 1\llame Cheikh et
Salim. Yasmina qui cienc n1on bureau avec tant
de cœur et d 'efficacité. Et ·ajma, Moussa, Sami,

212
Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert
(suife de la page 4)

l::)lfre l'homme et sou cœ1u; Tawhid, Lyon, 2000.


La Spirilualilé. u11 défi pour 11otre société, avec Michel
Bertrand, Michel Morincau, Luc Pareydr,
Tawhid/Rt:veils publicacions, Lyon, 2000.
La No11-Viole11ce? Des images idéales à l'épreuve du
réel, Fédérations nationales des enseignants de
yoga, Dervy, 2000.
La Médilerra11ée, .fro11tières et passages, Thieny Fabre,
(dir.), Acrt:s Sud • Babel -, 1999.
Être musulma11 europée11, Tawbid, Lyon, 1999 (rra-
duir en 1 11 langut:s).
L 'lrration11el, menace ou nécessité? Le Monde/ Seuil,
1999.
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La Tolérance oit la Liberlé? Les leçons de Voltaire et
de Condorcel, Claude-Jean Lenoir (dir.), Complexe,
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Islam, leface-à7f'ace des civilisations. Quel projet pour
quelle moden1ité? Tawh id, Lyon , 1995 (4ç éd.
2001).
Péril islamiste' Alain Grcsh (dir.), Cotnplexe,
Bruxelles, 1995.
Les Musulma11s da11s la laïcité. Responsabilités et
droits des m11s11lma11s da11s les sociétés occide11-
tales, Tawhid, Lyon, 1994 (3" éd. 2000).

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert


(suite de la page 4)

Entre l'homme et son cœu1; Tawhid, Lyon, 2000.


La Spiritualité, un dqfi pour notre société, avec l'vfiche!
Bertrand, Michel Morineau , Luc Pareydt,
Tawhid/ Réveils publicaùons, Lyon, 2000
La Non-Violence? Des images idéales à l'épreuve du
réel, Fédérations nationales des enseignants de
yoga, Dervy, 2000.
La JVléditerranée, jl'ontières et passages, Thierry Fabre,
(dir.), Acres Sud •Babel ., 1999 .
.Btre musulman européen, Tawh id, Lyon, 1999 (tra-
duit e n 14 lang ues).
L'Irrationnel, ·menace ou nécessité? Le Monde/ Seuil ,
1999.
Âu.x sources du. renouveau nntsulnian, Bayard-Cen-
turion, 1998 (2" éd. Tawhid, Lyon, 2001).
La Tolérance ou la Liberté? Les leçons de Voltaire et
de Condorcet, Claude-Jean Lenoir (dii-.), Complexe,
Bruxelles, 1997.
Jslarn, le face-à-face des civilisations. Quel projet pour
que/lé modent.ité? T<lWh id, lyo11 , 1995 (4< éd.
2001).
Péril islamiste? Alain Gresh (dir.), Complexe,
Bruxelles, 1995.
Les 1'11usulrnans dans la laïcité. Responsabilités et
droits des niusulma11s d ans les sociétés occiden-
tales, Tawhid, tyon, 1994 (3" éd. 2000).

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Cet 0111 •mf!e a été composé
par AIÙl11t 'Co1111111111icalion
au 8ema1il (l éndéeJ

l111p1Y!ssion rénfisée par

ROSÉS

en nor'embre 2010
pour le compte des Éditions Arcbipocbe.

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1lnpri111é en E.>pagne
N° d'éd ition : 153
Dêpôt léga l : j~nvic1· 201 l

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