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Commençons par porter un regard sur ce que la sociologie de l’art peut nous
apporter pour comprendre le mouvement dans lequel ORLAN s’inscrit.
Par ailleurs, cette action possède une portée politique. ORLAN, par ses implants
sur les tempes, veut changer les critères imposés par la société qui imposent aux
femmes de ne pas toucher à leur corps, si ce n’est pour l’embellir via la chirurgie
esthétique. S’opposant à cette « fabrique du consentement », l’artiste inscrit son
message et sa dialectique dans son Manifeste de l’art charnel qu’elle publie en 1992
juste avant sa première opération. Cela permet à ses revendications d’acquérir une
première dimension publique, « légitime » puisque liée à une justification écrite et
organisée.
De plus, si l’on reprend les notions analysées plus haut, et que l’on considère
ORLAN comme une figure avant-gardiste, on peut comprendre que l’artiste, novatrice
dans sa sphère, lutte contre le conservatisme et l’ordre établi. ORLAN aura ces mots
dans une conférence : « C’est que l’art doit changer le monde et c’est là sa seule
justification ». Pour elle, l’innovation artistique contribue bien au progrès social et
politique puisqu’il permet de soulever des paradoxes. En effet, la publicité nous
enveloppe constamment de corps parfaits, retouchés, créant des humanités impossibles
qui sont présentées comme le modèle à atteindre ; et dans le même temps, les
personnes ayant recours aux techniques qui permettraient d’y accéder sont stigmatisées.
ORLAN, elle, se montre indifférente aux pressions qui voudraient lui dicter son propre
désir d’apparence. Sa contestation s’effectue via ses implants sur les tempes, qu’elle
rehausse de paillettes lors de ses apparitions publiques, permettant au monde de
l’apercevoir de cette manière là et de réfléchir à la portée de son acte. En effet,
l’utilisation de la chirurgie esthétique se voit détournée. Non plus utilisée pour créer
quelque chose de beau, ORLAN s’en empare pour représenter extérieurement l’image
interne qu’elle a d’elle-même, proposant de fait une beauté non-imaginée, une beauté
laide. Sa liberté individuelle se dresse contre les diktats de la société et permet au
spectateur de prendre conscience des déterminations qui existent et dont il faut se
débarrasser. ORLAN se présente donc en tant qu’émissaire d’une norme esthétique qui
est vouée à se banaliser, et cela donne à son oeuvre un aspect doublement transgressif
à ce monde de l’art expérimental : d’une part parce qu’elle s’affirme comme une
visionnaire, éclairée par ce souffle auquel la majorité de ses pairs ne peut accéder voire
comprendre ; de l’autre parce qu’elle énonce que c’est le futur vers lequel tout le monde
tend et se dirige, ce qui choque. Personne pour l’instant ne veut effectivement ressembler
à ça. ORLAN demeure incomprise, outrageante.
Pour autant, il est nécessaire de s’interroger sur la façon dont le message
d’ORLAN trouve un retentissement. Heinich parle en effet de paradoxe permissif pour
parler du fait que dans l’art contemporain, il devient banal de choquer. Le coté
transgressif est lui-même reconnu comme norme. Pierre Michel Menger s’interroge, lui
sur la modification de l’ordre social lié à cette posture révolutionnaire, or si novatrices et
dérangeantes que soient les oeuvres d’ORLAN, elles s’adressent avant tout aux classes
les plus favorisées qui y ont accès et y portent un intérêt.
BELET, Henri. « Le monde d'Orlan, des origines à aujourd’hui », Le Monde, section
Culture, 2/08/2007. https://www.lemonde.fr/culture/article/2007/08/02/le-monde-d-orlan-
des-origines-a-aujourd-hui_941328_3246.html#4GzGfmGZp0mZiwU9.99 (consulté le
8/11/2020)
IDEAT, Olivier Lussac. « La Réincarnation de Sainte Orlan @ Orlan. 1990-93 (action-body
art) », Overblog, section Performances, 19/07/2014. http://www.artperformance.org/
article-27837683.html (consulté le 8/11/2020)
LAPORTE, Arnaud. « Orlan : "J’ai toujours fait de l’art, je ne sais pas faire autre chose" »,
Les Masterclasses, France Culture podcast, 13/10/2018. https://www.franceculture.fr/
emissions/les-masterclasses/orlan-jai-toujours-fait-de-lart-je-ne-sais-pas-faire-autre-chose
(consulté le 8/11/2020)