Vous êtes sur la page 1sur 4

09/12/2019 Introduction

Les cahiers du CEDREF


Centre d’enseignement, d’études et de recherches pour les études féministes

8-9 | 2000 :
Femmes en migrations

Introduction
J F
p. 9-13

Texte intégral
1 Phénomène extrêmement complexe, massif et en plein développement, la migration
nationale et internationale des femmes n'a guère eu jusqu'ici en France l'attention
qu'elle méritait, ni dans la recherche scientifique, ni dans l'analyse féministe. Dès lors
que l'on approche la question, on observe une grande diversité de situations et de
problématiques. Migrations récentes dans le cadre de la mondialisation de l'économie,
migrations plus anciennes liées à l'histoire coloniale, encouragées ou réprimées par des
politiques publiques, migrations d'origines diverses dans des pays variés aux traditions
d'intégration différentes. Les causes de la migration de ces femmes très diverses sont
multiples, même si la nécessité économique pèse généralement d'un grand poids, et les
résultats pour elles, sont généralement ambivalents. Quantité d'aspects mériteraient
d’être développé. Nous avons réuni ici quatorze textes, qui abordent la question sous les
angles les plus divers : littéraires et linguistiques, anthropo-ethnologiques, historiques,
géographiques et sociologiques. Ce recueil n'est qu'une contribution extrêmement
partielle, un aperçu, qui offre surtout un appel à poursuivre la recherche et la réflexion.
Nous l'avons ordonné autour de quatre grands axes.
2 À travers trois articles très différents, la première partie aborde les multiples facettes
de la rencontre entre femmes migrantes et mouvements de femmes. Le premier texte
évoque l'expérience de la Grande-Bretagne et son paradigme des « race relations ».
Cathie Lloyd y montre notamment comment les féministes « Noires » ont remis en
cause avec force l’« universalité » du féminisme blanc, ainsi que les difficultés
auxquelles elles ont dû faire face pour se constituer en catégorie politique. En
contrepoint au modèle anglais, Anette Goldberg-Salinas propose une analyse sans
complaisance de l'expérience des exilées brésiliennes en France dans les années
soixante-dix et de leurs rapports avec le mouvement féministe français. Elle montre en
particulier comment, sous l'effet d'une mystification réciproque, ces femmes
brésiliennes contournent la brutalité de leur statut de migrantes « comme les autres »
pour se poser auprès du mouvement français en représentantes féministes des femmes
opprimées du Sud. Avec un regard plus anthropologique, Jeanne Bisilliat nous conduit

https://journals.openedition.org/cedref/177 1/4
09/12/2019 Introduction

ensuite sur les pas des migrantes d'origine paysanne du Nordeste du Brésil précipitées
dans la jungle métropolitaine de São Paulo. Pour une partie d'entre elles, la migration
conduit à l'engagement dans des luttes populaires pour l'accès aux services (ici, le
logement) et dans le mouvement des femmes. Ce faisant, une partie des migrantes est
amenée à secouer la pesante tutelle des pères, des maris et en un mot des rapports
sociaux de sexe traditionnels.
3 Une deuxième série de contributions porte sur le travail salarié. En effet,
contrairement à ce que laissent penser les clichés, beaucoup de migrantes ne sont pas
les « accompagnantes » passives d'hommes économiquement actifs, mais bel et bien les
responsables économiques de foyers, parfois transnationaux1. À partir d'interviews avec
soixante migrantes devenues femmes de ménage en Espagne, Laura Oso replace la
réflexion dans le cadre de la mondialisation néo-libérale. Elle souligne magistralement
comment l'étude des migrations doit prendre en compte l'ensemble des protagonistes
des dynamiques migratoires : les migrant-e-s certes, mais aussi les femmes et les
hommes du pays « d'accueil » avec leurs stratégies d'ascension sociale respectives, et
les politiques migratoires d'États qui cherchent à se décharger de leurs « fonctions
sociales ». On voit ainsi comment se dessine une vaste réorganisation de la division du
travail, et notamment du travail de reproduction sociale : entre le Nord et le Sud2, entre
les sexes et entre le public et le privé. Dans un deuxième temps, Liane Mozère analyse,
dans son article sur le chômage des assistantes maternelles d'origine étrangère à La
Courneuve, les complexes rapports de chacune à sa langue maternelle et à la langue
française. Elle éclaire ainsi les peurs et les non-dits de ce qui se joue concrètement,
quotidiennement, autour des soins aux jeunes enfants, « lieu saint » de la transmission
linguistique et culturelle. La troisième contribution, de Stéphanie Condon, retrace
l'histoire de la migration antillaise en France depuis les années cinquante et plus
précisément des politiques migratoires de l'État envers les Français-e-s d'Outre-mer.
Elle montre notamment comment l'État a tenté d'assigner d'office les femmes
Antillaises au travail domestique salarié et aux emplois subalternes de la fonction
publique, mais aussi les motivations de ces femmes pour venir en Métropole et
comment elles ont su retourner ces politiques en vue d'atteindre leurs propres objectifs
professionnels et personnels.
4 Dans un troisième temps, gros plan sur une perspective plus intérieure, plus
quotidienne, plus personnelle, de la migration. Trois auteures abordent les effets de
génération dans l'immigration maghrébine en France — marquée par l'histoire de la
colonisation française puis de la guerre de décolonisation, et empreinte de violences
extrêmes et de profonds tabous. Fabienne Rio se penche d'abord sur la manière dont se
ressentent et s'auto-désignent un certain nombre de « Franco-Algériennes ». Cette
contribution illustre la complexité du sentiment d'appartenance à une nationalité et/ou
à une culture, pour des femmes qui se trouvent placées dans une situation à la fois
conflictuelle et relativement ouverte. L'auteure montre également comment le racisme
et les évolutions du modèle français d'intégration viennent compliquer et en partie
contraindre leur positionnement. Sabah Chaïb pose la même question sous un angle
différent : le conflit de valeurs entre la génération des parents et celle des enfants et/ou
de la société française, qui éclate lors des tentatives de retour au pays d'origine. À
travers l'exemple de trois familles, dont les parents pensent le retour notamment
autour du « bien » des filles, Sabah Chaïb décortique l'incompréhension qui règne à
propos de la notion de « discrimination » des filles et sa manipulation médiatique. Pour
finir, Noria Boukhobza jette un regard ethnologique sur une équipe de basket-ball
toulousaine entièrement composée de femmes d'origine maghrébine. Elle interroge
avec beaucoup de courage sa position de chercheuse intérieure-extérieure à son
« objet » et analyse très subtilement son inclusion dans les catégories
« générationnelles » et hiérarchiques que ces femmes (r)établissent entre elles autour
du statut marital de chacune.
5 Nous terminons ce recueil par un zoom arrière, avec une série de regards
« distanciés » qui portent sur la littérature et la recherche. Dans une vaste fresque de
l'univers romanesque qui remonte aux premières expéditions coloniales, Claude Liauzu
évoque le tabou du mariage mixte de part et d'autre de la Méditerranée. Il souligne les
méfiances et les interdits qui pèsent sur ce « métissage » tout à la fois « romantique » et
https://journals.openedition.org/cedref/177 2/4
09/12/2019 Introduction

violent, et surtout hautement symbolique, quoi qu’il ne concerne en réalité que très peu
de personnes. Après lui, Maïr Verthuy propose un parcours dans la littérature écrite par
des femmes à propos de l'enfance immigrée. Elle nous fait découvrir ainsi différents
regards sur l'intégration, tout particulièrement à travers l'école républicaine française.
Dans une perspective linguistique d'une grande pertinence, Gabrielle Varro nous
conduit ensuite à nous interroger sur les termes employés dans diverses études pour
désigner les « femmes immigrées ». Elle montre comment ce vocabulaire a évolué au
cours des années et des migrations, et selon le point de vue de qui mène la recherche.
Elle souligne également qu'il convient que dans le champ scientifique, soit trouvé et
utilisé un vocabulaire qui évite de pérenniser le statut forcément transitoire de la
migration — soit qu'elle ne constitue qu'une parenthèse, soit qu'elle débouche une
véritable installation. Enfin, Claude Zaidman mène une réflexion épistémologique sur
l'apparition de « nouvelles variables » en sciences sociales. En l'occurrence, à travers
l'exemple de la sociologie de l'éducation, elle analyse l'émergence des variables « sexe »
et « origine culturelle » dans la recherche, les parallélismes et les différences qui
existent entre elles et leurs vicissitudes.
6 Pour clore ce numéro, nous présentons deux interviews. Un entretien de Catherine
Quiminal avec Madjiguène Cissé qui fût au cœur des luttes des sans-papiers, le
témoignage d’Anne Golub, actrice et témoin de premier plan du travail du FAS, où elle a
longtemps dirigé le secteur Études. Son regard décapant éclaire d'un jour nouveau les
rouages quotidiens et les interstices de perturbation des institutions et des personnes
directement impliquées dans la « gestion » de la migration, des interlocutrices directes
des femmes migrantes. Avec ces deux témoins engagés dans des formes d’action bien
différentes, nous terminons par un hommage aux femmes en migration, que leur
situation place — en position défavorable — devant de lourdes responsabilités, et qui
relèvent pourtant l'énorme défi de construire des sociétés et des cultures nouvelles.

Notes
1 Ceci, alors même que dans de nombreux cas, tant dans le pays d'origine que dans le pays
d'accueil, les femmes ne jouissent pas d'un statut autonome.
2 Les migrations Est-Ouest de femmes, en plein développement, mériteraient également, bien
sûr, une réflexion approfondie.

Pour citer cet article


Référence papier
Jules Falquet, « Introduction », Les cahiers du CEDREF, 8-9 | 2000, 9-13.

Référence électronique
Jules Falquet, « Introduction », Les cahiers du CEDREF [En ligne], 8-9 | 2000, mis en ligne le 19
août 2009, consulté le 09 décembre 2019. URL : http://journals.openedition.org/cedref/177

Auteur
Jules Falquet
Sociologue, CEDREF Université, Paris 7 – Denis Diderot

Articles du même auteur


Introduction [Texte intégral]
Paru dans Les cahiers du CEDREF, 18 | 2011
Parce qu’on ne naît pas prof, on le devient… [Texte intégral]
Journées « Transmission : Savoirs féministes et pratiques pédagogiques » 27-28 mai 2005
Paru dans Les cahiers du CEDREF, 13 | 2005

Introduction [Texte intégral]


Paru dans Les cahiers du CEDREF, 16 | 2008

Introduction [Texte intégral]


Paru dans Les cahiers du CEDREF, 14 | 2006

https://journals.openedition.org/cedref/177 3/4
09/12/2019 Introduction
Déclaration du Combahee River Collective [Texte intégral]
Combahee River Collective
Paru dans Les cahiers du CEDREF, 14 | 2006

Le Combahee River Collective, pionnier du féminisme Noir [Texte intégral]


Contextualisation d’une pensée radicale
Paru dans Les cahiers du CEDREF, 14 | 2006

Droits d’auteur
Tous droits réservés

https://journals.openedition.org/cedref/177 4/4

Vous aimerez peut-être aussi