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COMPTES RENDUS

qui coupe en deux son argumentation : ce cha- à résoudre. Posture normative, erreur sur la
pitre constitue dès lors une somme de points portée de la méthode d’enquête, reprise des
de vue souvent disparates sur la maternité, très discours communs (en l’occurrence psycho-
désincarnée puisque sans support empirique, logisants) sur l’adolescence se mêlent dans
et les chapitres 5 et 6 donnent à voir un maté- l’écriture à une participation (inconsciente ?) à
riau sans relief parce que mal inscrit dans les la stigmatisation des jeunes filles que F. Portier-
débats présentés plus de cent pages en amont. Le Cocq souhaite, au fond, absoudre : « [...]
Mais le principal défaut de l’ouvrage réside pour enrayer les taux de grossesse adolescente,
dans une confusion entre jugement négatif et qui sont élevés au Royaume-Uni comme nous
posture normative, qui ne cesse de se confir- l’avons démontré, il semble judicieux de ren-
mer au fil des pages. F. Portier-Le Cocq insiste forcer les stratégies de prévention et d’appré-
sur la nécessité de comprendre les jeunes hender la question de la sexualité, de la
mères au lieu de les juger. Mais dans le même contraception et de l’interruption volontaire
temps, elle reprend régulièrement à son compte de grossesse avec davantage de conviction, si
le discours réducteur du « risque sanitaire et le pays souhaite véritablement atteindre les
social » en se faisant misérabiliste et donneuse objectifs qu’il s’est fixés. Les politiques d’inté-
de leçons lorsqu’elle évalue la vie de ses enquê- gration et d’assistance ne modifieront pas le
tées : « Les jeunes mères choisiraient de ne pas comportement rebelle et anticonformiste qui
vivre ou de ne pas se marier avec le père de est le propre de l’adolescence, pas plus qu’elles
leur enfant. Nous pensons qu’il ne faut pas ne résoudront les conceptions ou les materni-
sombrer dans les lieux communs, même si, au tés adolescentes. En revanche, la prévention
demeurant, nous sommes quelque peu éton- active peut concourir à réduire les taux de gros-
née de la réaction de certaines mères, mais sesses adolescentes » (p. 313).
surtout de la position des responsables de
centres pour mères adolescentes visités qui ne
ISABELLE CLAIR
veulent pas entendre parler du père et lui font
barrage » (p. 50). Là encore défensive, l’écri-
ture laisse filtrer les préjugés de l’auteure qui
au lieu de déconstruire les croyances liées à la Véronique Blanchard, Régis Révenin
sexualité des jeunes filles les reconduit malgré et Jean-Jacques Yvorel (dir.)
elle : « Une autre croyance amplifiée et défor- Les jeunes et la sexualité. Initiations, interdits,
mée par l’imaginaire collectif concerne l’hypo- identités (XIX e-XXI e siècles)
thèse selon laquelle les adolescentes deviennent Paris, Autrement, 2010, 408 p.
mères car elles ne cessent de changer de parte-
naires et couchent avec le premier venu. En Cet ouvrage se propose de croiser jeunesse,
2000, presque trois quarts des jeunes filles ont genre et sexualités. Selon ses promoteurs, les
attendu d’avoir seize ans ou plus pour avoir sciences sociales se seraient peu intéressées au
leur premier rapport sexuel et les enquêtées sujet et auraient en particulier omis de croiser
de notre étude ne correspondent pas du tout jeunesse et genre. L’affirmation est quelque
à ce cliché » (p. 45). De même que F. Portier- peu excessive puisque, en histoire à tout le
Le Cocq tombe dans le piège du tout statis- moins, les premiers travaux sur les attentats à
tique, de crainte que sa méthode ne soit pas la pudeur sur mineurs ou l’initiation amou-
assez scientifique ; de même elle produit un reuse des filles et des garçons remontent à
discours normatif, de crainte que son propos plus de vingt ans. Il est vrai que le livre fait le
ne réhabilite pas suffisamment ses enquêtées. pari de la pluridisciplinarité : si la moitié des
La confusion des points de vue est consa- contributions relève de l’histoire, l’anthropo-
crée en conclusion, dans laquelle non seu- logie, la sociologie, la littérature, les études fil-
lement l’auteure explique ce qu’il faut faire miques sont également mises à contribution.
pour changer le monde mais confirme que, La parole a également été largement donnée
pour elle, la maternité adolescente est, aux doctorants et jeunes docteurs qui donnent
comme pour les politiques, un « problème » là un aperçu de leurs recherches. 1567
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La pagination allouée à chacun est relative- sexualité. Certaines communications ressortent


ment restreinte, une dizaine de pages, parfois du lot. Claire Greslé-Favier fait ainsi une mise
moins, ce qui laisse souvent le lecteur sur sa au point brève mais précise des programmes
faim. Le statut des contributions est, par américains Abstinence Only et Abstinence Plus,
ailleurs, divers. Certains auteurs balayent un une politique fédérale des années 1990 et
ample sujet, telle Tamara Chaplin qui survole 2000.
deux siècles d’éducation sexuelle en France. Les articles consacrés aux violences sexuelles
D’autres présentent des études de cas : une posent la question de la répression croissante
histoire d’amour maudite et incestueuse au des abus sur enfants. Les auteurs, dont les
XIX e siècle, quelques dossiers de jeunes conclusions sont largement convergentes, sou-
hommes inculpés pour crimes sexuels dans le lignent l’ampleur des mutations intervenues
Var du XIXe siècle, les scandales sexuels dans au tournant des années 1980. Sébastien Roux
la presse du Puy-de-Dôme au XIXe siècle, le montre comment la lutte contre le tourisme
journal Jeune et jolie ou encore les adolescents sexuel et la prostitution infantile en Asie mobi-
Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres lise associations et institutions internationales
(LGBT) en Espagne aujourd’hui. Cette dernière puis, en utilisant le ressort de l’urgence et de
communication au demeurant ne permet pas l’émotion humanitaires, s’élargit à la dénoncia-
de savoir ce que l’auteur entend par transexuel- tion de toutes les violences sexuelles sur les
elle : des adolescents qui vivent une distorsion mineurs. Cette campagne débouche ainsi en
entre sexe et genre ou des adolescents ayant Occident sur les premières lois criminelles
changé chirurgicalement de sexe, ce qui paraît extraterritoriales. Claude-Olivier Doron pré-
douteux, le premier mineur ayant été opéré en sente, pour sa part, les trois problématiques
2010. Ces case studies ne permettent pas de tirer qui ont permis de construire le concept de
des conclusions pertinentes pour la problé- pédophilie : dans les années 1970, la lutte des
matique qui est au cœur du livre, à savoir la féministes contre le viol et la domination
double transformation de la jeunesse et de masculine assimile à un « abus » les rapports
la sexualité sur deux siècles. La plupart des sexuels entre adultes et mineurs et permet
études, cependant, et ce sont les plus intéres- l’adoption de lois et dispositifs visant à proté-
santes, portent sur une période de vingt à trente ger les enfants maltraités ; dans les années
ans et centrent leur focal sur un objet précis 1980, l’exploitation sexuelle des mineurs qui
tel les amours juvéniles dans le cinéma des renvoie au tourisme sexuel et à la porno -
Trente Glorieuses ou la sexualité des conscrits graphie infantile mondialisée permet de cris-
dans les années 1960 et 1970. En ce qui talliser le concept de « pédophilie » ; dernière
concerne la méthodologie, on est frappé par la étape, avec l’affaire Dutroux émerge l’image
prépondérance des sources manuscrites dans du violeur et meurtrier d’enfant qui fait figure
de nombreux travaux, ainsi pour l’apprentis- de « mal absolu ». La multiplication des asso-
sage amoureux des étudiants du Quartier latin ciations de défense des mineurs qui se portent
au XIXe siècle qui, notons-le au passage, fait même partie civile en lieu et place de l’État
l’impasse sur La bohème d’Henry Murger. accentue enfin la répression. Les représenta-
L’ouvrage est articulé en sept parties. Trois tions ont changé sous l’influence d’acteurs
sont consacrées aux initiations vues sous principalement associatifs mais ce faisant, elles
l’angle des éducations sexuelles, de la santé ont changé également l’approche judiciaire.
sexuelle et du contrôle social, de l’approche L’accent mis sur l’abus sexuel atteste la place
artistique et médiatique enfin, ce qui nous occupée désormais par l’enfant dans la société
vaut un développement en résonance avec contemporaine et le triomphe de l’individua-
l’actualité sur les films de Larry Clark et lisme juridique où la défense de la personne
« l’esthétique des fucking premières fois ». l’emporte sur celle des institutions. La ques-
Deux parties portent sur les interdits de la tion du consentement de l’enfant est de ce fait
prostitution et des violences sexuelles. Les centrale puisque, comme le montre Anne-
deux dernières enfin s’intéressent aux identi- Claude Ambroise-Rendu, l’on oscille depuis
1568 tés sexuelles, hétérosexualité comme homo- 1832 entre l’impossible consentement du
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mineur soumis à la domination physique ou vaillé sur la coutume en Sardaigne et a décidé


symbolique de l’adulte, en particulier en cas d’entreprendre l’étude de la reproduction
d’inceste, la suspicion dont ont longtemps fait sociale d’une société de petite montagne par
montre les magistrats envers les victimes l’approche – classique depuis Pierre Bourdieu –
avant de prendre en considération la parole de la transmission des biens. Tâche très diffi-
enfantine et, jusqu’aux dérives de l’affaire cile, même pour une Italienne, dans cette
d’Outreau, le « droit au désir » des enfants société dite à vengeance, où le silence doit
défendu par les militants pédophiles dans les recouvrir généalogies et histoires familiales de
années 1970, l’affirmation d’une Françoise peur de réveiller des conflits ; où la croyance
Dolto jugeant en 1979 encore que les fillettes au mauvais œil est vivace ; où l’on craint la
victimes d’inceste sont « toujours consen- mort parce que les morts portent malheur et
tantes ». tourmentent les vivants. Voilà qui explique le
Sur un sujet moral et passionnel, les auteurs double titre de l’ouvrage où, dès les premières
ont parfois du mal à écrire de façon froide et pages, M. Carosso montre pourquoi elle a choisi
distanciée. Le conditionnel ou les guillemets une approche sobre et indirecte et comment
semblent renvoyer à certaines interrogations elle a été attentive aux silences et aux non-
sur l’opportunité de la répression. C.-O. Doron dits. Voilà qui explique aussi le plan de
affirme ainsi que la dénonciation du tourisme l’ouvrage : il n’était pas possible au début de
sexuel, « comme incontestable exploitation l’enquête de « parler famille », il fallait abor-
des enfants, joue comme un détour nécessaire der le sujet en effectuant des cercles concen-
pour faire apparaître dans les pays occidentaux triques, du plus lointain au plus proche, en
le rapport de domination qui caractériserait, pratiquant des écarts, des digressions, en
quoiqu’en aient dit les militants pédophiles, consultant une vaste gamme de documents
toute relation sexuée enfant-adulte » (p. 267). (archives municipales et provinciales, archives
Pourquoi, au reste, parler de relation sexuée ecclésiastiques), tout en ne négligeant pas les
plutôt que sexuelle ? Pourquoi parler « d’une auteurs sardes tant classiques que contem-
des dernières formes de sexualité ‘hors la loi’ » porains. M. Carosso est très sensible à la litté-
(p. 224) ? Les sexualités sont devenues pour les rature qui donne à sentir autant qu’à voir et à
sciences humaines des objets scientifiques la qualité de l’écriture qui facilite l’accès aux
mais la neutralité des énoncés y est plus difficile choses cachées.
que pour l’histoire économique ou politique ! Depuis ses débuts sur le terrain, l’auteur,
issue d’une société à « maison » du Montferrat
ANNE-MARIE SOHN (Piémont), a été intriguée par une organisation
sociale qu’on ne retrouve nulle part ailleurs
aussi nettement. Au cœur de la société sarde
Marinella Carosso (comme au cœur de l’ouvrage), s’areu, littérale-
La généalogie muette. Résonances autour de la ment « hérédité-cohéritiers », terme d’origine
transmission en Sardaigne catalane (hereu : héritier unique d’un patri-
Paris, Éditions de la MSH/CNRS Éditions, moine foncier et d’une maison), désigne un
2006, 295 p. et 4 p. de pl. ensemble, celui des groupes de descendance
à inflexion agnatique. S’areu a un nom, sorte
Dans les années 1960, en raison de leur révé- de sobriquet collectif, et sert de terme de réfé-
rence envers les grands auteurs ayant travaillé rence pour désigner un groupe de parenté dis-
sur le monde extra-européen, les chercheurs tinct des proches cognats consanguins (carrales),
en ethnologie du proche ont hésité entre des affins (parentes d’intradura), de la vaste
monographie exhaustive et illustration de cer- parentèle (parentiù), de la parenté spirituelle
tains aspects qui paraissaient rendre le mieux (San Giovanni) et d’une parenté parallèle ou
compte de la société locale qu’ils étudiaient amitié cérémonielle (‘e fustigu). L’homme peut
pour finalement choisir cette dernière option. ainsi construire son identité personnelle et son
Dans son dernier ouvrage, Marinella Carosso identité sociale. Cette abondance de liens
n’a pas hésité. Elle avait déjà beaucoup tra- construits vérifie le bien-fondé du proverbe 1569

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